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+The Project Gutenberg EBook of Sur les moeurs et usages des Morlaques,
+appellés Montenegrins, by Alberto Fortis
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
+
+
+Title: Sur les moeurs et usages des Morlaques, appellés Montenegrins
+
+Author: Alberto Fortis
+
+Release Date: January 20, 2006 [EBook #17555]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: ISO-8859-1
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK SUR LES MOEURS ET USAGES DES ***
+
+
+
+
+Produced by Nikola Smolenski, Mireille Harmelin and the
+Online Distributed Proofreaders Europe at
+http://dp.rastko.net. This file was produced from images
+generously made available by the Bibliothèque nationale
+de France (BnF/Gallica)
+
+
+
+
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+
+
+LIBRARY OF THE UNIVERSITY OF MICHIGAN
+
+
+ LETTRE DE M. L'ABBÉ FORTIS
+ À MYLORD COMTE DE BUTE,
+ SUR LES MOEURS ET USAGES DES MORLAQUES, APPELLÉS MONTENEGRINS.
+
+
+À BERNE, CHEZ LA SOCIÉTÉ TYPOGRAPHIQUE.
+M DCC LXXVIII
+
+
+
+
+MYLORD,
+
+
+Pendant votre séjour parmi nous, vous aurez souvent entendu parler des
+_Morlaques_ comme d'un peuple féroce, inhumain, stupide, & capable de
+commettre tous les crimes. Vous me taxerez, peut-être, de témérité,
+d'avoir dirigé mes voyages dans un pays habité par une nation semblable?
+
+Les habitans[1] des villes maritimes de la Dalmatie, racontent une
+infinité d'actions cruelles de ce peuple, qui, livré à une rapacité
+habituelle, s'est porté, souvent, à des excès atroces. Mais ces faits
+raportés, ou sont d'anciennes dattes, ou, s'il y en a d'arrivés dans des
+tems plus modernes, les circonstances prouvent qu'il faut les attribuer
+plutôt à la corruption de quelques individus, qu'au mauvais caractère
+de la nation en général. Dans les dernières guerres contre les _Turcs_,
+les _Morlaques_ peuvent avoir pris l'habitude de voler et d'assassiner
+impunément, et avoir donné, après la paix, quelques tristes exemples de
+cruauté et d'un naturel féroce. Mais quelles troupes, revenues d'une
+guerre, qui semble autoriser toutes les violences contre un ennemi, n'ont
+pas peuplé les forêts et les grand chemins de voleurs et de meurtriers?
+Je crois devoir une apologie à une nation, qui m'a fait un si bon accueil,
+et qui m'a traité avec tant d'humanité. À cet effet, je n'ai qu'à raconter
+sincèrement ce que j'ai observé de ses moeurs et de ses usages. Mon récit
+doit paroître d'autant plus impartial, que les voyageurs ne sont que trop
+enclins à grossir les dangers, qu'ils ont courus dans les pays qui ont
+fait l'objet de leurs recherches.
+
+[Note 1: l'orthographe et la ponctuation propres au manuscrit original
+sont conservées dans la présente édition.]
+
+
+
+
+§. I.
+
+_De l'origine des MORLAQUES_.
+
+
+L'origine des _Morlaques_, répandus aujourd'hui dans les vallées riantes
+de _Kotar_; le long des rivieres de _Kerka_, de _Cettina_, de _Naventa_, &
+dans les montagnes de la _Dalmatie intérieure_[2], est envelopée dans la
+nuit obscure des siècles barbares. Il en est de même à l'égard de celle de
+plusieurs peuples, qui, à cause de leur ressemblance avec les _Morlaques_
+dans la langue & dans les Moeurs, paroissent composer une seule nation,
+étendue depuis le Golfe de Venise jusqu'à la mer Glaciale. Les émigrations
+des différentes tribus des peuples _Slaves_, qui sous le nom de _Scythes_,
+de _Getes_, de _Goths_, de _Huns_, de _Slavini_, de _Croates_, d'_Avares_,
+de _Vandales_, ont inondé les provinces Romaines du tems de la décadence
+de l'Empire, ont vu troubler étrangement la généalogie des nations qui
+dans des siècles plus reculés, se sont emparées peut-être des mêmes pays
+de la même manière[3]. Les restes des _Ardiées_, des _Autariates_, & des
+autres peuples Illiriens, anciennement établis, en Dalmatie & toujours
+impatiens du joug des Romains, se seront joints volontairement à ces
+conquérans étrangers dont la langue, & les moeurs ressembloient si fort à
+celles du peuple conquis[4]. Au commencement du treiziéme siècle, les
+_Tartares_ chasserent _Bela_ IV, Roi de Hongrie, qui se réfugia dans les
+isles de Dalmatie. Il est probable que plusieurs familles de ce peuple se
+fixérent, à cette occasion, dans les vallées désertes des montagnes &
+produisirent ces germes de _Calmouks_, qu'on voit encore s'y déveloper,
+principalement dans le comté de _Zara_.
+
+[Note 2: Le pays habité par les Morlaques s'étend beaucoup plus loin vers
+la Grèce, l'Allemagne, & la Hongrie. Il ne s'agit ici que de la partie que
+l'auteur a parcourue.]
+
+[Note 3: L'auteur compte parmi ces branches prétendues des _Slaves_, des
+peuples d'une origine très différente. _Scythes_ paroit avoir été un nom
+générique, donné par les Grècs, à toutes les nations du nord de l'Asie &
+de l'Europe orientale. Ce que nous savons des _Goths_ & de _Huns_, nous
+prouve clairement qu'ils n'ont pas été d'extraction _Esclavone_. _Remarque
+du Trad._]
+
+[Note 4: On ne peut pas douter de l'existence de la langue _Esclavone_ en
+_Illirie_, déjà du tems de la république Romaine. Les noms des villes, des
+rivières, des montagnes, des peuples, de ces contrées, conservés par les
+auteurs Grècs & Latins, sont visiblement _Esclavons_. _Promona_, _Alvona_,
+_Senia_, _Jadera_, _Rataneum_, _Stlupy_, _Uscana_, _Bilazora_, _Zagora_,
+_Tristolus_, _Ciabrus_, _Ochra_, _Carpatius_, _Pleuratus_, _Agron_,
+_Teuca_, _Dardani_, _Triballi_, _Græbai_, _Pirusiæ_, & tant d'autres mots,
+qui se trouvent dans les historiens & les géographes anciens, le prouvent
+assez. On pourroit ajouter encore un grand nombre de noms de racine
+_Esclavone_, qu'on rencontre en _Illirie_ dans des inscriptions, dressées
+du tems des premiers Empereurs.]
+
+On ne peut pas faire grande attention au sentiment de _Maginy_, qui dérive
+de l'_Épire_ & les _Uscoques_ & les _Morlaques_. Le dialecte de ces
+peuples a cependant plus d'affinité avec celui des _Rasciens_, & des
+_Bulgares_, qu'avec celui des _Albanois_. Suposé même que les _Morlaques_
+de la Dalmatie Vénitienne fussent sortis, en partie de l'_Albanie_,
+il seroit toujours question de savoir d'où ils sont venus pour se
+transplanter autrefois dans ce dernier pays? Cet auteur fait d'ailleurs
+une nation séparée des _Haiducks_, qui, comme on peut juger par la
+signification de leur nom, n'ont jamais formé un peuple[5].
+
+[Note 5: _Haiduck_, signifie originairement un chef de parti, ou, comme en
+_Transylvanie_, un chef de famille. En Dalmatie on se sert de ce mot pour
+désigner un criminel, un fugitif, un assasin ou un voleur de grand
+chemin.]
+
+
+
+
+§. II.
+
+_Étymologie du nom des MORLAQUES._
+
+
+Dans leur langue, les _Morlaques_ s'appellent généralement Ulah[6];
+nom national, duquel cependant, autant que j'ai pu apprendre, il ne se
+rencontre avant le treizième siècle, aucun vestige dans les documens
+existans en Dalmatie. Il signifie un homme puissant & considéré. Le nom
+de _More-Ulah_, ou par corruption de _Morlaque_, que leur donnent les
+habitans des villes, pourroit indiquer leur origine, & faire présumer que
+ce peuple est parti des bords de la mer Noire[7] pour s'emparer du pays
+qu'il habite actuellement. Il est probable, que le nom de _More-Ulah_ a
+dénoté, dès le commencement, les puissans ou les conquérans venus de la
+mer, qui s'appelle _More_ dans tous les dialectes de l'Esclavon.
+
+[Note 6: Dans ces mots Esclavons, la lettre H se prononce avec une
+aspiration gutturale.]
+
+[Note 7: Ou plutôt des bords de l'Océan septentrional.]
+
+Une Étymologie du nom _Morlaque_, inventée par le célèbre savant Dalmatien
+JEAN LUCIO, & adoptée aveuglément par son compilateur FRESCHOT, mérite peu
+d'attention: Cet historien prétend, que le nom de _More-Ulah_, signifie
+des _Latins Noirs_ quoique le mot _More_, en langue Illyrienne, ne dénote
+pas le noir, & que les _Morlaques_ soient plus blancs que les Italiens.
+Trouvant dans le mot _Ulah_, qui indique puissance & autorité, la racine
+commune des noms _Ulah_ & _Ulak_ ou _Valaques_, il en infère que les
+_Morlaques_ & les _Valaques_ doivent être nécessairement la même nation.
+Or les _Valaques_ parlent un latin corrompu, & quand on leur en demande
+la raison, ils répondent qu'ils sont Romains: ainsi nos _Morlaques_ sont
+aussi Romains, quoique leur langue soit si différente du Latin. Ces
+_Ulah_, descendans d'une colonie Romaine, furent depuis subjugués par
+les _Slaves_, parmi lesquels le nom de _Ulah_ devint un terme injurieux,
+désignant la servitude, & appliqué uniquement aux classes les plus
+méprisées de la nation conquérante.
+
+La foiblesse de ces conjectures chimériques se montrera suffisamment
+par quelques remarques. Les _Morlaques_ ou les _Ulah_, prirent le nom de
+nobles & de puissans, avec autant de raison, que le corps de la nation
+prit celui de _Slave_ ou d'Illustre. Ce mot de _Ulah_ n'a aucun rapport
+avec le Latin, & s'il est en effet, la racine du nom des _Valaques_,
+la raison en est naturelle, puisqu'il est connu, que, malgré quelques
+colonies Romaines établies par TRAJAN, la _Dacie_ étoit presque
+entièrement peuplée par une nation, qui parlait Esclavon aussi bien
+que ses conquérans postérieurs. Il est peu croyable que ces vainqueurs
+_Slaves_, voulant laisser ou donner un nom au peuple vaincu, en eussent
+choisi un, qui dans leur propre langue, signifie un homme noble & puissant.
+
+Il se trouve, sans doute, plusieurs mots dérivés du Latin, dans le langage
+des habitans de l'intérieur de l'_Illyrie_. Tels sont _falbun_ fable;
+_plavo_, jaune, _slap_, cascade; _vino_, vin; _capa_, bonnet; _teplo_,
+tiéde; _zlip_, aveugle; _sparta_, panier; _skrynia_, coffre; _lug_, forêt,
+qui viennent visiblement des mots Latins, _Sabulum_, _flavus_, _lapsus_,
+_vinum_, _caput_, _tepidus_, _lippus_, _sporta_, _scrinium_, _lucus_.
+Mais de ces mots, ou des autres encore, dont on pourroit dresser un assez
+long catalogue, il seroit absurde d'inférer que nos _Morlaques_ modernes
+descendent en droite ligne des anciens Romains, établis en Dalmatie.
+
+C'est un défaut commun à presque tous les écrivains, qui traitent de
+l'origine des nations, de tirer des conséquences générales d'un petit
+nombre de données légéres & particulieres, dépendantes, à l'ordinaire, de
+quelques circonstances accidentelles & passageres. Je suis persuadé de la
+possibilité de découvrir l'origine des peuples par l'examen des langues
+qu'ils parlent: mais je suis convaincu en même tems, de la nécessité d'une
+profonde critique, pour distinguer les mots primitifs d'une langue, de
+ceux qui ont été empruntés des langues étrangéres, si l'on veut éviter de
+tomber dans de grandes méprises. Dans la langue _Illyrienne_, répandue
+depuis la mer Adriatique jusqu'à l'Océan, se trouve une quantité
+considérable de racines, semblables à celles de la langue Grècque: il y
+en a même, parmi les noms des nombres, qui cependant doivent être sensés
+indigènes. Beaucoup de mots Esclavons sont entièrement Grècs; comme
+_Spugga_, _Trapeza_, _Catrida_, provenus sans aucune altération sensible
+de _Spoggos_, _Trapeza_, _Kathedra_. La multitude des Grécismes &
+l'analogie des deux Alphabeths, ne m'engagera, pas cependant à soutenir,
+que la nation nombreuse des Esclavons descend des Grècs, resserrés dans un
+pays borné: ou plutôt que la premiere de ces nations, a envahi & peuplé la
+Grèce dans les tems les plus reculés. Il seroit également difficile &
+inutile d'éclaircir des matières de cette nature, qui resteront toujours
+couvertes des ténèbres de l'Antiquité.
+
+Un savant Anglois[8] a traité de la ressemblance entre la langue
+_Illyrienne_ & l'_Angloise_. Il y a, sans doute, dans ces deux langues
+quelques mots correspondans: mais, comme ces mots se trouvent dans la
+langue Germanique, portée par les _Saxons_ dans la Grande-Bretagne, il
+faudroit examiner, si ces mots n'appartiennent pas plutôt à quelque
+dialecte des anciens _Celtes_ du nord? En tout cas, je serois sur mes
+gardes avant de prononcer sur ces matières, à moins d'observer une
+ressemblance frapante entre le corps entier & le génie des deux langues.
+La quantité de termes étrangers, mêlés sans l'Italien, prouve que,
+indépendamment de l'origine d'un peuple, son idiome peut contenir beaucoup
+de mots, qui lui sont communs avec des idiomes différens. Sans parler
+des Arabismes, des Grécismes, des Germanismes de la langue Italienne,
+dont MURATORI a déjà donné la collection, n'est-elle pas remplie
+encore d'Esclavonismes? _Abbajare_ vient de _objalati_; _svaligiare_ de
+_svlaçiti_; _barare_ de _varati_; _tartagliare_ de _tartati_, _ammazzare_
+de _Maç_, épée de son dérivé _maçati_; _ricco_ de _srichian_, heureux;
+_tassa_ de _çassa_; _copa_ de _kuppa_; _danza_ de _tanza_; _bravo_ de
+_pravo_, adverbe d'approbation; _briga_ est un mot purement Illyrien,
+qui répond à sa signification en Italie. Enfin, une infinité de mots du
+dialecte Vénitien, empruntés des _Illyriens_, ne prouvent pas que ces
+républicains descendent de la nation _Esclavone_.
+
+[Note 8: _BREREWOOD_, _de Scrut. Relig._]
+
+
+
+
+§. III.
+
+_De la différence entre l'origine des MORLAQUES, & celle des habitans des
+bords de la mer & des ISLES_.
+
+
+Les habitans des villes maritimes, qui font la véritable postérité des
+colonies Romaines, marquent peu de bonne volonté aux _Morlaques_, & ces
+derniers témoignent aux premiers, comme aux insulaires, un profond mépris.
+Ces sentimens réciproques, sont peut-être un indice d'une ancienne
+inimitié, qui a désuni ces deux races. Un _Morlaque_ s'incline devant un
+gentilhomme des villes, ou devant un avocat, dont il a besoin: mais il ne
+les aime pas; il compte le reste de la nation, à qui il n'a pas à faire,
+dans la classe des _Bodoli_; nom auquel il attache une idée de mépris &
+d'injure. Je me souviens, à cette occasion, du propos d'un soldat Morlaque
+qui mourut, il y a peu de tems, dans l'hópital de Padoue. Le religieux,
+destiné à le consoler dans ses derniers momens, ignorant la force de ce
+terme, commença son exhortation par lui dire: courage mon cher _Bodolo!_
+«Mon pere, répliqua le mourant tout de suite, ne m'appellez pas Bodolo, ou
+je me damne».
+
+La diversité considérable dans le langage, dans l'habillement, dans les
+coutumes & dans le caractère, prouve clairement que les habitans des
+contrées maritimes de la _Dalmatie_, ont une autre origine que ceux qui
+habitent les montagnes: ou si leur origine est la même, qu'ils se sont
+établis dans ce pays en différentes époques, & dans des circonstances,
+capables d'altérer le caractère national? Parmi les peuplades des
+_Morlaques_ il regne la même diversité, résultante des différens pays d'où
+elles sont sorties, de leur mélange avec d'autres peuples, des invasions
+successives, & des guerres entre leurs tribus. Les habitans de _Kotar_
+sont généralement blonds, avec des yeux bleus, la face large & le nez
+écrasé; traits qui se rencontrent aussi chez les _Morlaques_ des plaines
+de _Scign_ & de _Knin_. Ceux de _Douaré_ & de _Vergoraz_ ont les cheveux
+châtains, le teint olivâtre, le visage long, & la taille avantageuse. Dans
+leur caractère on remarque la même diversité: les _Morlaques_ de _Kotar_
+sont à l'ordinaire, doux, honnêtes & dociles; ceux de _Vergoraz_, au
+contraire sont féroces, altiers, audacieux & entreprenans. La situation
+de ces derniers, au milieu de montagnes stériles & inaccessibles, qui en
+augmentant les besoins, assurent aussi l'impunité des moyens pour les
+satisfaire, & leur inspire une passion démesurée pour la rapine. Peut-être
+le sang des anciens _Ardiées_ & des _Autariates_, chassés par les Romains
+dans ces montagnes, coule-t-il encore dans leurs veines[9]?
+
+[Note 9: «Les _Ardiées_, les _Daorisses_, les _Plérées_ sont dans le
+voisinage de la rivière _Narona_. Les plus proches s'appellent les
+_Ardiées Varales_. Les Romains les éloignerent de la mer, & les
+chasserent dans les terres, pour les empêcher de piller & de saccager
+tout, selon leur coûtume. Leur pays est âpre, stérile, & digne de ses
+habitants sauvages.» _STRABON. L. VII_.]
+
+Leurs pillages tombent à l'ordinaire sur les _Turcs_; en cas de besoin,
+cependant, ils n'épargnent guères plus les chrétiens. Entre plusieurs
+traits subtils & hardis de friponnerie, qu'on m'a racontés d'un de ces
+montagnards, il y en a un, qui me semble caractéristique. Un pauvre
+homme, se trouvant à une foire dans une ville voisine, posa par terre un
+chaudron, qu'il venoit d'acheter, & en s'assayant à côté, s'engagea dans
+un entretien sérieux avec un homme de sa connoissance. Le fripon de
+_Vergoraz_ s'approcha, & mit le chaudron sur sa tête, sans changer de
+situation. Le propriétaire, ayant fini son entretien & n'appercevant plus
+son chaudron, demanda à celui qui le portoit sur sa tête, s'il n'avoit pas
+vu quelqu'un emporter cet ustencile? «Non, répondit le fripon je n'y ai
+pas fait attention, mais si, comme moi, vous aviez mis votre chaudron sur
+votre tête, on n'auroit point pu vous le voler». Malgré ces friponneries,
+qu'on dit être très-communes chez cette nation, un étranger peut voyager
+dans ce pays en toute sureté, & s'attendre à être par-tout bien escorté &
+reçu avec hôspitalité.
+
+
+
+
+§. IV.
+
+_Des HAIDUCKS._
+
+
+Le plus grand danger à craindre vient de la quantité des _Haiducks_, qui
+se retirent dans les cavernes & dans les forêts de ces montagnes rudes
+& sauvages. Il ne faut pas cependant s'épouvanter trop de ce danger.
+Pour voyager surement dans ces contrées désertes, le meilleur moyen est
+précisément de se faire accompagner par quelques-uns de ces honnêtes gens,
+incapables d'une trahison. On ne doit pas s'effaroucher, par la réflexion
+que ce sont des bandits: quand on examine les causes de leur triste
+situation, on découvre, à l'ordinaire, des cas plus propres à inspirer
+de la pitié que de la défiance. Si ces malheureux dont le nombre augmente
+sans mésure, avoient une ame plus noire, il faudroit plaindre le sort des
+habitans des villes maritimes de la Dalmatie.
+
+Ces _Haiducks_ mènent une vie semblable à celle des loups; errant parmi
+des précipices presque inaccessibles; grimpant de rochers en rochers pour
+découvrir de loin leur proye; languissant dans le creux des montagnes
+désertes & des cavernes les plus affreuses; agités par des soupçons
+continuels; exposés à toute l'intempérie des saisons; privés souvent de
+l'aliment nécessaire, ou obligés de risquer leur vie pour pouvoir la
+conserver. On ne devroit attendre que des actions violentes & atroces,
+de la part de ces hommes devenus sauvages, & irrités par le sentiment
+continuel de leur misere: mais on est surpris de ne les voir entreprendre
+jamais quelque chose contre ceux, qu'ils regardent comme les auteurs de
+leurs calamités, de respecter les lieux habités, & d'être les fidèles
+compagnons des voyageurs.
+
+Leurs rapines ont pour objet le gros & le menu bétail, qu'ils traînent
+dans leurs cavernes, se nourrissent de la viande, & gardent les peaux pour
+se faire des souliers. Tuer le boeuf d'un pauvre laboureur, pour consommer
+une petite partie de sa chair & de sa peau, semble une indiscrétion
+barbare, que je ne prétends pas excuser. Il faut remarquer cependant que
+les souliers sont de la nécessité la plus indispensable à ces malheureux,
+condamnés à mener une vie errante dans les lieux les plus âpres, qui
+manquent d'herbe & de terre, & qui sont couverts par les débris tranchans
+des rochers. La faim chasse quelquefois ces _Haiducks_ de leurs repaire, &
+les raproche des cabanes des bergers, où ils prennent par force des vivres
+quand on les leur refuse. Dans des cas semblables, le tort est du côté
+de celui qui résiste. Le courage de ces gens est en proportion de leurs
+besoins & de leur vie dure. Quatre _Haiducks_ ne craignent pas d'attaquer,
+& réussissent à l'ordinaire à piller & à battre, une caravane de 15, à 20
+Turcs.
+
+Quand les _Pandours_[10] prennent un _Haiduck_, ils ne le lient pas, comme
+on fait dans le reste de l'Europe: ils coupent le cordon de sa longue
+culotte, qui tombant sur ses talons, l'empêche de se sauver & de courir.
+Il paroît plus conforme à l'humanité, d'employer un moyen de s'assurer
+d'un prisonnier, sans le lier comme un vil animal. Un _Haiduck_ se croit
+un homme d'importance, quand il a pu répandre le sang des infidelles. Un
+faux zèle de religion, joint à leur férocité naturelle & acquise, porte
+ces malheureux à infester les _Turcs_ voisins sans s'embarrasser des
+conséquences de ces déprédations. Souvent leurs ecclésiastiques, remplis
+de préjugés & de cette impétuosité ordinaire à la nation, sont la première
+cause de ces excès, en excitant & en nourrissant la haine naturelle de
+leurs compatriotes contre les _Turcs_.
+
+[Note 10: _Pandour_, signifie en Esclavon, un preneur de voleurs. Cette
+espèce de maréchaussée a été pendant les dernières guerres, augmentée &
+employée comme une millice.]
+
+
+
+
+§. V.
+
+_Des vertus morales & domestiques des MORLAQUES._
+
+
+Le _Morlaque_, qui demeure loin de la mer & des villes de garnison, est à
+l'égard du moral un homme assez différent des autres nations. Sa sincérité,
+sa confiance, & sa probité, tant dans les actions ordinaires de la vie
+que dans les affaires, dégénère quelquefois entièrement en débonaireté &
+en simplicité. Les Italiens, qui trafiquent en Dalmatie, & même les
+habitans des villes maritimes, n'abusent que trop souvent de l'honnêteté
+de ces bonnes gens. Par cette raison la confiance des _Morlaques_ diminue
+sensiblement, & fait place aux, soupçons & à la crainte d'être trompés.
+Les expériences multipliées qu'ils ont des procédés des Italiens, a
+fait passer en proverbe la mauvaise foi de cette nation. Les termes
+_Passia-viro_, foi de chien, & _Lanzmanzka-viro_, foi d'Italien, sont
+dans leur langue, des termes synonimes & extrêmement injurieux. Cette
+prévention désavantageuse contre les Italiens, semblera devoir influer
+sur un voyageur peu connû: mais, malgré ces sentimens, le _Morlaque_, né
+généreux & hôspitalier, ouvre sa pauvre cabane à l'étranger, fait son
+possible pour le bien servir, & ne demandant jamais, refuse même souvent
+avec obstination, les récompenses qu'on lui offre. Dans ce pays, il m'est
+arrivé plus d'une fois, de partager la table d'un homme qui ne m'avoit
+jamais vu, & qui ne pouvoit esperer raisonnablement de me revoir de sa vie.
+
+Aussi longtems que je vivrai, je n'oublierai pas l'acceuil cordial que
+j'ai reçu du _Voïvode_ PERVAN à _Coccorich_. Mon unique mérite à son égard,
+étoit de me trouver l'ami d'une famille de ses amis. Une liaison si
+légére l'engagea néantmoins à envoyer à ma rencontre une escorte & des
+chevaux; à me combler des marques les plus recherchées de l'hôspitalité
+nationale; à me faire accompagner, par ses gens & par son propre fils,
+jusqu'aux campagnes de _Narenta_, distantes de sa maison d'une bonne
+journée; enfin à me fournir des provisions si abondantes, que je n'avois
+rien à dépenser dans cette tournée.
+
+Quand je partis de la maison de cet excellent hôte, lui & toute sa famille
+me suivirent des yeux, & ne se retirerent qu'après m'avoir perdu de vue.
+Ces adieux affectueux me donnerent une émotion que je n'avois pas éprouvée
+encore, & que je n'espere pas sentir souvent en voyageant en Italie.
+J'ai apporté le portrait de cet homme généreux, à fin d'avoir le plaisir
+de le revoir malgré les mers & les montagnes qui nous séparent; & pour
+pouvoir donner, en même tems, une idée du luxe de la nation à l'égard de
+l'habillement de ses chefs. (_V. T. IV_.) me permit encore de prendre le
+dessin d'une de ses petites filles, habillée tout autrement que ne sont
+les femmes de Kotar & des autres contrées que j'ai parcourues.
+
+Il suffit de traiter avec humanité les Morlaques, pour obtenir d'eux des
+bons offices de toute espéce & pour acquérir leur amitié. Dans ce peuple,
+l'indigent exerce l'hospitalité comme le riche: si celui-cy vous traite
+avec un agneau ou avec un mouton entier rôti, le pauvre offre un dindon,
+du lait, ou un gâteau de miel. Cette générosité ne se borne pas aux
+étrangers mais s'étend encore à tous ceux de la nation qui sont dans
+le besoin.
+
+Quand un _Morlaque_ voyageur va loger chez un ami ou chez un parent, la
+fille ainée de la famille, ou la nouvelle épouse s'il y en une dans la
+maison, le reçoit en l'embrassant. Un voyageur d'une autre nation, ne
+jouit pas de cette faveur à son arrivée; les jeunes filles, au contraire,
+se cachent alors ou se tiennent dans l'éloignement. Les infractions
+fréquentes des loix de l'hôspitalité, les ont peut-être effarouchées;
+où la jalousie des _Turcs_ voisins a gagné aussi les _Morlaques_.
+
+Aussi longtems que dans la maison d'un riche, dont le nombre est
+aujourd'hui bien diminué, se trouvent des denrées, les pauvres de ce
+village peuvent être assurés de leur subsistance. De-là vient qu'aucun
+_Morlaque_ s'avilit assez jusqu'à demander l'aumône à un passant. Dans
+tous mes voyages, que j'ai faits par des contrées habitées par cette
+nation, je n'ai jamais rencontré un mendiant. Il m'est arrivé, au
+contraire, d'avoir besoin de choses que j'ai demandées à de misérables
+Bergers, qui malgré leur pauvreté, me donnerent libéralement ce qu'ils
+avoient. Plus souvent encore, quand j'ai traversé les campagnes au milieu
+des ardeurs du soleil, de pauvres moissonneurs sont venus à ma rencontre,
+pour m'offrir de leur gré des rafraichissemens, avec une cordialité
+franche & touchante.
+
+Les _Morlaques_ n'entendent guères l'économie domestique. Dans ce cas
+particulier, ils ressemblent aux _Hottentots_, & quand il se présente
+quelque occasion extraordinaire, ils consument souvent dans une semaine,
+autant qu'il faudroit pour les nourrir pendant plusieurs mois. Une noce,
+la fête d'un saint, l'arrivée de quelque parent ou ami: enfin tout
+prétexte de réjouissance, les engage à boire & manger sans modération
+toutes les provisions qu'ils possedent. Ils se tourmentent, au contraire,
+eux mêmes par la seule économie qui leur est habituelle: celle dans
+l'usage des choses qui devroient les garantir de l'intempérie des saisons.
+Quand un _Morlaque_, portant un bonnet neuf, est surpris par la pluye, il
+tire ce bonnet, & préfère de recevoir l'orage sur sa tête nue, au malheur
+de gâter sa coëffure. Il ôte ses souliers en passant par un bourbier.
+
+Un _Morlaque_ est à l'ordinaire très-exact à remplir ses engagemens,
+si une impossibilité absolue ne l'en empêche. Si au terme préscrit il ne
+peut pas payer une dette, il offre quelque présent à son créancier, en le
+priant de prolonger le terme du payement. De-là vient que souvent, par la
+quantité de ces présens, il paye le double de la valeur de la dette.
+
+
+
+
+§. VI.
+
+_Des amitiés & des inimitiés_.
+
+L'amitié, si sujette, parmi nous, au changement pour les causes le plus
+légères, est très-durable chez les _Morlaques_. Ils en font presque un
+article de religion, & c'est au pied des autels, qu'ils en serrent les
+noeuds sacrés. Dans le Rituel Esclavon ils se trouve une formule pour bénir
+solemnellement, devant le peuple assemblé, l'union de deux amis ou de
+deux amies. J'ai assisté à une cérémonie de cette espéce dans l'église de
+_Perusich_, où deux jeunes filles se firent _Posestre_. Le contentement
+qui brilloit dans leurs yeux, après la formation de ce lien respectable,
+montroit aux spectateurs de quelle délicatesse de sentiment sont
+susceptibles ces âmes simples, non corrompues par les sociétés que nous
+appellons cultivées. Les amis unis d'une manière si solemnelle, prennent
+le nom de _Pobratimi_, & les amies celui de _Posestrimé_, qui signifient
+_demi-frères_ & _demi-soeurs_. Aujourd'hui les amitiés entre deux personnes
+de sexe différent ne se forment plus avec tant d'appareil: elles étoient
+plus usitées dans les tems réculés, où regnoit encore l'innocence[11].
+
+[Note 11: Dozivgliega Viila Posestrima
+ S'Velebite visoke planine:
+ Zloga fijo, Kraliu Radoslave;
+ Eto na te dwanajest delija.
+ _Pifm. od Radosl_.
+
+ «Sa Fée _Posestrima_
+ lui cria du sommet des montagnes:
+ vous êtes malheureux, Roi Radoslave;
+ douze cavaliers tombent sur vous.»]
+
+Les associations, existantes parmi le peuple en Italie, sous le nom de
+_frères Jurés (Fratelli Giurati,_) paroissent être une imitation des
+amitiés, des _Morlaques_, & des autres nations de la même origine. La
+différence entre ces _Frères_ & les _Pobratimi_ ne consiste pas seulement
+dans le défaut de cérémonie; mais surtout encore dans le but, qui est
+louable dans les contrées Esclavonnes, & qui en Italie au contraire, est
+nuisible à la société.
+
+Dans ces amitiés, les _Morlaques_ se font un devoir de s'assister
+réciproquement dans tous les besoins, dans tous les dangers, & de vanger
+les injustices que l'ami a essuyées. Ils poussent l'enthousiasme jusqu'à
+hazarder & à donner la vie pour le _Pobratimé_. Ces sacrifices même ne
+sont pas rares, quoiqu'on parle moins de ces amis sauvages, que des
+_Pylades_ des anciens. Si la désunion se met entre deux _Pobratimi_, tout
+le voisinage regarde un tel événement comme une nouveauté scandaleuse.
+Ce cas arrive cependant quelquefois de nos jours, à la grande affliction
+des vieillards _Morlaques_, qui attribuent la dépravation de leurs
+compatriotes à leur commerce trop fréquent avec les Italiens. Mais le
+vin & les liqueurs fortes, dont cette nation commence à faire un abus
+continuel, produisent chez elle, comme par-tout ailleurs, des querelles &
+des événemens tragiques.
+
+Si les amitiés des _Morlaques_, non corrompus, sont confiantes & sacrées,
+leurs inimitiés ne sont pas moins durables & presque indélébiles. Elles
+passent de père en fils, & les mères n'oublient jamais d'inculquer, déjà
+aux enfans en bas âge, le devoir de venger un père tué, & de leur montrer
+souvent, à cet effet, la chemise ensanglantée, ou les armes du mort.
+La passion de la vengeance s'est si fort identifiée avec la nature de
+ce peuple, que toutes les exhortations du monde ne pourroient pas la
+déraciner. Un _Morlaque_ est porté naturellement à faire du bien à ses
+semblables, & à marquer sa réconnoissance pour les moindres bienfaits:
+mais il ne sait ce que c'est que de pardonner des injures. Vengeance &
+justice se confondent dans sa tête & composent une seule & même idée:
+combinaison, qui paroît, il est vrai, avoir formé la notion primitive de
+la justice. Ce peuple se sert d'un proverbe familier, qui n'est que trop
+accrédité: _Kò fe ne ofveti, onfe ne pofveti_, qui ne se venge pas, ne se
+sanctifie pas. Il est remarquable que dans la langue Illyrienne, _Ofveta_
+signifie également vengeance & sanctification, tout comme son verbe dérivé
+_Ofvetiti_. Les anciennes inimitiés des familles font couler le sang,
+encore après une longue suite d'années. En _Albanie_, comme on me dit,
+ces vengeances personnelles produisent des effets plus terribles encore, &
+les esprits aigris y sont plus difficiles à appaiser. Dans cette contrée,
+l'homme le plus doux est capable d'exercer la vengeance la plus barbare:
+il croit s'acquiter d'un devoir, en comettant un crime, en préférant un
+honneur chimérique à l'observation des loix, & en s'exposant de propos
+délibére aux châtimens les plus sévères.
+
+A l'ordinaire, le meurtrier d'un _Morlaque_ bien apparenté, se voit obligé
+de s'enfuir & de se cacher pendant longtems dans différens endroits.
+Si par son adresse ou par son bonheur, il parvient à se dérober aux
+poursuites de ses ennemis, & s'il a trouvé le moyen d'amasser quelque
+argent, il tâche, après un tems raisonnable, d'obtenir son pardon. Pour
+traiter des conditions de sa paix, il demande un sauf-conduit, qu'on
+observe fidellement. Il trouve des médiateurs, qui, à un jour fixé
+rassemblent les deux familles ennemies. Après quelques préliminaires on
+introduit le criminel dans le lieu de l'assemblée, où il entre en marchant
+à quatre, en se traînant par terre, & en tenant pendus à son col les
+armes, avec lesquelles il a exécuté le meurtre. Pendant qu'il se trouve
+dans cette position incommode & humiliante, un ou plusieurs des parens
+présens, font l'éloge du défunt; ce qui rallume quelquefois leur colère, &
+met la vie du criminel en danger. Dans quelques endroits, les parens du
+mort menacent le meurtrier, en lui mettant des armes à la gorge, & ne
+consentent, qu'après beaucoup de resistance, à recevoir le prix du sang
+répandu. En _Albanie_ ces paix coûtent beaucoup: chez les _Morlaques_
+elles se font souvent à peu de fraix: toutes, cependant, se terminent par
+un bon repas aux dépens du criminel.
+
+
+
+
+§. VII.
+
+_Des talens & des arts des MORLAQUES_.
+
+
+Une grande vivacité d'esprit, & un génie naturellement entreprenant, font
+réussir les _Morlaques_ en tout à quoi ils s'appliquent. Bien conduits,
+ils deviennent d'excellent soldats. Dans la dernière guerre avec la
+_Porte_, le brave général DELFINO, qui conquît sur les _Turcs_ une partie
+considérable de la province, les employa dans le service en toute manière,
+principalement comme grenadiers. Ils réussissent merveilleusement dans
+la conduite des affaires de commerce, & quoique déjà avancés en âge, ils
+apprennent avec facilité à lire, à écrire & à calculer. On dit, qu'au
+commencement de ce siécle, les bergers _Morlaques_ s'occuperent beaucoup
+de la lecture d'un gros livre de théologie, de morale & d'histoire,
+compilé par un certain P. DIVCOVICH, & imprimé plusieurs fois à Venise
+avec leurs caractères _Cyrilliens-Bosniaques_, différens un peu des
+_Russes_. Il arriva souvent, quand le curé, plus pieux que savant,
+estropioit dans son prône quelque fait de l'histoire sainte, qu'un des
+auditeurs s'avisa de crier: _Nie tako_, il n'est pas ainsi. Pour obvier
+à ce scandale, on prit le parti de ramasser tous les exemplaires de cet
+ouvrage, qui par cette raison est devenu fort rare en Dalmatie. Leur
+vivacité d'esprit se montre aussi dans des reparties piquantes. Un
+_Morlaque_ de _Scign_ se trouvant présent à l'échange des prisonniers
+après la dernière guerre, vit qu'on rendit plusieurs soldats _Ottomans_
+contre un seul officier Vénitiens. Un des députés _Turcs_ dit alors en
+se moquant, que les Vénitiens lui paroissoient faire un mauvais marché.
+«Sache, répliqua le _Morlaque_, que mon souverain donne volontiers
+plusieurs ânes pour un bon cheval».
+
+Malgré les dispositions les plus heureuses pour tout apprendre, les
+_Morlaques_ ont des connoissances très imparfaites à l'égard de
+l'agriculture & de l'art de gouverner le bétail. La ténacité à garder les
+anciennes coutumes, singuliérement propre à cette nation, & le peu de soin
+qu'on prend à les convaincre des avantages des nouvelles méthodes, ont du
+produire naturellement cet effet. Ils laissent les bêtes à corne, & à
+laine, exposées à l'inclémence de l'air, au froid, & souvent à la faim.
+Leurs charues, & les autres instrumens de labourage paroissent construits
+dans l'enfance des arts, & ressemblent aussi peu aux nôtres, que les modes
+du tems de _Triptoleme_ ressemblent à celles du siécle présent. Ils font
+tant bien que mal, du beurre & des fromages, qui pourroient passer si ce
+laitage étoit préparé avec moins de malpropreté.
+
+Le métier du tailleur se borne à l'ancienne & invariable coupe des habits,
+qui se prennent toujours de la même étoffe. Un drap plus étroit ou plus
+large que de coutume, désoriente un tailleur _Morlaque_, & met en défaut
+son habileté.
+
+Ils ont quelques idées de l'art de la teinture, & leurs couleurs ne sont
+nullement à mépriser. Leur noir se fait avec l'écorce du _Frêne_, qu'ils
+appellent _Jassea_, mise en infusion avec du machefer, qu'ils ramassent
+dans les atteliers des maréchaux ferrans. Avec du _Pastel sauvage_, séché
+à l'ombre & bouilli pendant quelques heures, ils obtiennent un beau bleu
+foncé. Ils tirent le jaune & le brun du _fustet_ [_Scèdano_], appellé par
+eux _Raci_, & la première de ces couleurs encore du _Fusain_ [_Evonimo_]
+connu chez eux sous le nom de _Puzzalina_. Ils sont accoûtumés à teindre
+leurs étoffes à froid.
+
+Presque toutes les femmes _Morlaques_ savent broder & tricoter. Leurs
+broderies sont assez curieuses, & parfaitement égales des deux côtés de
+l'étoffe. Elles font un tissu à maille, que les Italiennes ne peuvent
+imiter, & dont elles se servent pour fabriquer cette espéce de cothurne,
+appelle _Nazuvka_, qu'elles portent dans leurs _Pappuzze_ & leurs
+_Oporche_, ou souliers. Dans ces lieux on trouve aussi des métiers pour
+fabriquer des serges & des toiles grossieres: les femmes cependant y
+travaillent peu, leurs devoirs domestiques ne leur permettant guères de
+s'adonner à des travaux sédentaires.
+
+Dans quelques villes, comme à _Verlika_, fleurit la poterie. Les vases
+travaillés grossiérement, & cuits dans des fourneaux rustiques creusés en
+terre acquièrent cependant avec le tems une dureté, qui surpasse celle des
+poteries Italiennes.
+
+
+
+
+§. VIII.
+
+_Des superstitions des MORLAQUES_.
+
+
+Ces peuples, tant ceux qui sont de l'église Romaine que ceux qui sont
+de la Grècque, ont par rapport à la religion les idées les plus étranges.
+L'ignorance des ecclésiastiques qui devroient les éclairer, achève de les
+entretenir dans des opinions absurdes. Les _Morlaques_ croient avec tant
+d'obstination, aux sorciers, aux esprits, aux spectres, aux enchantemens,
+aux sortiléges, comme s'ils étoient convaincus de l'éxistance de ces Etres
+par mille expériences réitérées. Ils sont persuadés aussi de la vérité des
+_Vampires_, à qui ils attribuent, comme en _Transylvanie_, le désir de
+sucer le sang des enfans. Lorsqu'un homme, soupçonné de pouvoir devenir
+_Vampire_, ou comme ils disent _Vakodlak_, meurt: on lui coupe les jarrets
+& on lui pique tout le corps avec des épingles; ces deux opérations
+doivent empêcher le mort de rétourner parmi les vivants. Quelquefois
+un _Morlaque_ mourant, croyant sentir d'avance une grande soif du sang
+des enfans, prie ou oblige même ses héritiers à traiter son cadavre en
+_Vampire_ avant de l'enterrer.
+
+Le plus hardi _Haiduck_ se sauve à toutes jambes à la vue de quelque chose
+qu'il peut envisager comme un spectre, ou comme un esprit-follet; & de
+telles apparitions se présentent souvent à des imaginations échauffées,
+crédules & remplies de préjugés. Ils n'ont aucune honte de ces terreurs, &
+les excusent par une maxime, qui revient à un vers de PINDARE: «la crainte
+des esprits, fait fuir même les enfans des dieux». Les femmes _Morlaques_,
+sont, comme il est naturel, cent fois plus craintives & plus visionaires
+que les hommes, plusieurs, à force d'entendre dire qu'elles sont sorcières,
+s'imaginent l'être devenues réellement.
+
+Ces vieilles sorcières, sont censées habiles dans l'art de faire des
+sortiléges de toute espéce. Un des plus ordinaires, est celui d'ôter le
+lait aux vaches d'autrui, pour augmenter le lait de leurs propres vaches.
+Elles exécutent encore des choses plus merveilleuses. On m'a raconté
+l'histoire d'un jeune homme, à qui deux sorcières enlevèrent, pendant
+son sommeil, le coeur, pour le manger rôti. Dormant profondément, il ne
+s'apperçut pas de sa perte; mais en se reveillant il sentit la place du
+coeur vuide. Un cordelier, couché dans la même chambre & qui ne dormoit
+pas, vit bien l'opération des deux sorcières, mais, se trouvant enchanté,
+ne put pas l'empêcher. L'enchantement cessant au réveil du jeune homme,
+ces ces deux méchantes femmes, après s'être frottées avec un onguent,
+s'envolèrent. Après leur départ le cordélier, s'empressant de tirer de la
+braise le coeur moitié rôti, le fit avaler au jeune homme, qui, comme de
+raison, le sentit tout de suite remis à sa place accoutumée. Ce cordélier
+raconte souvent cette histoire, & en assure, sous serment, la vérité.
+Les bonnes gens, qui l'écoutent, n'oseroient soupçonner que le vin a
+produit cette apparition, & que les deux femmes, dont l'une n'étoit
+nullement âgée, étoient venues dans la chambre pour autre chose que
+pour faire des sortiléges. Si ce peuple souffre du mal, causé par ces
+sorcières, appellées _Ujestize_, il a le remède à portée dans le secours
+des enchanteresses, connues sous le nom de _Babornize_, qui défont les
+enchantements, formés par les premières. Un malheureux incrédule, qui
+douterait de la vérité de ce systême de magie, auroit à craindre le
+ressentiment des deux pouvoirs opposés.
+
+Entre la communion Romaine & la Grècque règne une haine décidée, que
+les ministres de ces religions ne cessent de fomenter. Les deux partis
+racontent, l'un de l'autre, milles anecdotes scandaleuses. Les églises
+des Latins sont pauvres, mais assez propres: celles des Grècs sont aussi
+pauvres, & de plus d'une malpropreté honteuse. Dans une ville de la
+MORLACHIE, j'ai vu un prêtre, assis par terre à la place devant l'église,
+écouter la confession des femmes qui s'étoient mises à genoux à ses côtés:
+posture singuliere, qui indique l'innocence des manières de ce bon peuple.
+Ils marquent aux ministres des autels une vénération profonde, une
+soumission entière & une confiance sans bornes. Souvent ces ministres
+traitent militairement leurs ouailles, & les corrigent par des coups de
+bâton. Sur ce procédé, comme sur les pénitences publiques, ils s'appuyent
+de l'exemple de l'église primitive.
+
+Les prêtres abusent encore de la crédulité & de la confiance des pauvres
+Montagnards, en leur vendant chèrement des billets superstitieux &
+d'autres drogues de cette espéce. Ils écrivent d'une manière singuliere
+dans ces billets, appelles _Zapiz_, le nom de quelque saint; quelquefois
+ils en copient d'anciens, en y ajoutant quelque absurdité de leur propre
+invention. Ils attribuent à ces _Zapiz_ à peu près les mêmes vertus, que
+les _Basilidens_ attribuèrent à leurs monstrueuses amuletes. Pour se
+préserver ou pour se guérir de quelques maladies, les Morlaques les
+portent cousus à leur bonnet: souvent, dans le même but, ils les attachent
+aux cornes de leur bétail. Le profit considérable, que les prêtres tirent
+de ces paperasses, les engage à prendre toutes les mésures possibles pour
+en maintenir le crédit, malgré les fréquentes preuves de leur inutilité,
+dont ceux, qui s'en servent, ne manquent pas de s'appercevoir. Il est
+remarquable, que les _Turcs_ même du voisinage accourent pour avoir de ces
+billets des prêtres Chrétiens; ce qui augmente encore le débit de cette
+marchandise.
+
+Un autre point de la superstition Morlaque; qui cependant n'est pas
+entièrement inconnue parmi le peuple en Italie, c'est une vertu
+particulière contre l'épilepsie & plusieurs maladies, attribuée aux
+médailles de cuivre & d'argent du Bas-Empire, ou aux monnoyes Vénitiennes
+du moyen âge, qui passent généralement pour être des médailles de _Sainte
+Hélene_. Ils attribuent la même vertu aux monnoyes Hongroises, appellées
+_Petizze_, quand leur revers représente la _Sainte Vierge_, portant
+l'enfant Jésus sur le bras droit.
+
+Les _Turcs_ voisins, qui portent dévotement ces zapiz superstitieux, & qui
+présentent des offrandes, ou font dire la messe, devant les images de la
+sainte Vierge (actions surement contraires aux préceptes de l'Alcoran),
+tombent dans une contradiction manifeste, en ne voulant pas répondre au
+salut, usité parmi les habitans des bords de la mer, _buaglian Issus_;
+loué soit Jésus. Par cette raison les voyageurs vers les frontières se
+saluent réciproquement, en disant, _buaglian Bog_, Dieu soit loué.
+
+
+
+
+§. IX.
+
+_Des manières des MORLAQUES_.
+
+
+L'innocence de la liberté, naturelle aux peuples pasteurs, se conservent
+en _Morlachie_; où l'on en observe, au moins, des vestiges frapants dans
+les endroits éloignés des côtés maritimes. La cordialité n'y est gênée
+par aucuns égards, & elle se montre à découvert sans distinction des
+circonstances. Une belle fille _Morlaque_ rencontre en chemin un
+compatriote, & l'embrasse affectueusement sans penser à mal. J'ai vu les
+femmes, les filles, les jeunes gens, & les vieillards, se baiser tous
+entre eux, à mésure qu'ils s'assembloient sur la place de l'église; en
+sorte que toute une ville paroissoit composée d'une seule famille. Cent
+fois j'ai observé la même chose aux marchés des villes, où les _Morlaques_
+viennent vendre leurs denrées.
+
+Les jours de fête, outre le baiser, ils se permettent encore de certaines
+libertés, que nous trouverions peu décentes: mais qu'ils ne regardent pas
+comme telles, en disant, que ce sont des badinages sans conséquence.
+Par ces badinages, cependant, commencent à l'ordinaire leurs amours,
+qui, quand les amants sont d'accord, finissent, souvent par des
+enlèvemens. Il arrive rarement qu'un _Morlaque_ déshonore une fille, ou
+l'enlève contre sa volonté. Dans un cas semblable, elle seroit surement
+une belle défense, puisque dans ces pays le sexe cède de peu aux hommes en
+force & en courage. Presque toujours une fille fixe elle-même l'heure & le
+lieu de son enlèvement. Elle le fait pour se délivrer d'une foule d'amants,
+auxquels elle a donné peut-être des promesses, ou desquels elle a reçu
+quelques présens galans, comme une bague de laiton, un petit couteau, ou
+telle autre bagatelle.
+
+Les femmes _Morlaques_ prennent quelque soin de leurs personnes pendant
+qu'elles sont libres: mais, après le mariage, elles s'abandonnent tout de
+suite à la plus grande malpropreté; comme si elles voulurent justifier le
+mépris avec lequel leurs maris les traitent. Il ne faut pas s'attendre,
+cependant, à des émanations douces à l'approche des filles _Morlaques_:
+elles ont la coûtume d'oindre leurs cheveux avec du beurre, qui, devenu
+rance; exhale, même de loin, l'odeur la plus détestable.
+
+
+
+
+§. X.
+
+_De l'habillement des femmes_.
+
+
+Les habits des femmes _Morlaques_ varient suivant les districts, &
+paroissent toujours singuliers aux yeux d'un étranger. La parure des
+filles diffère de celles des femmes mariées, en ce que les premières
+portent sur leur tête des ornemens bizarres, au lieu que les dernieres
+n'osent se coëffer que d'un mouchoir noué, blanc ou en couleur. Ces filles
+mettent un bonnet d'écarlate, d'où descend à l'ordinaire jusqu'aux épaules
+un voile, comme une marque de leur virginité. Si ce bonnet est garni de
+plusieurs médailles, parmi lesquelles se trouvent souvent de précieuses
+antiques; d'ouvrages de filogramme, comme des pendants d'oreilles, & de
+chaînes d'argent, terminées par des croissans: les plus hupées se croyent
+assez parées. Quelques-unes y mettent encore des verres colorés, montés
+en argent. Les pauvres portent ce bonnet sans ornemens, ou garni seulement
+de coquillages étrangers, de boules de verres enfilées, ou de quelques
+pièces rondes d'étain, un principal mérite de ces bonnets, & par quoi les
+plus élégantes _Morlaques_ montrent leur bon goût, c'est celui de fixer
+les yeux par le brillant des ornemens, & de faire du bruit au moindre
+mouvement de tête. Dans quelques endroits, elles plantent sur ces bonnets,
+des houpes de plumes teintes, qui ressemblent à deux cornes; dans d'autres
+elles y mettent des pannaches de verre filé, ou des bouquets de fleurs
+artificielles; achetées dans les villes maritimes. On voit, dans cette
+variété d'ornemens fantasques & barbares, percer quelquefois une étincelle
+de goût & de génie.
+
+Leurs chemises, déstinées pour les jours de fête, sont brodées en soye
+rouge, souvent même en or. Elles travaillent elles-mêmes ces chemises
+en menant paître les troupeaux; & l'exactitude, avec laquelle elles
+font cette broderie, en marchant & sous métier, est réellement surprenante.
+Ces chemises se ferment au cou par deux crochets, nommés _Maite_, & elles
+sont ouvertes sur la poitrine comme celles des hommes.
+
+Tant les femmes que les filles, portent des colliers de verres, en
+couleurs mêlées d'une manière barbare; elles chargent leurs doigts d'une
+quantité de bagues de laiton, ou d'argent, & leurs poignets de brasselets,
+de cuir couverts de lames d'étain ou d'argent selon leurs facultés. Elles
+ne connoissent pas les corps, & ne mettent jamais dans leurs corsets,
+brodés ou garnis de verre enfilé ou de coquillages, ni fer ni baleine. Où
+ce corset se joint à la jupe, elles portent une large ceinture, tissue de
+laine en couleur, ou faite de cuir ornée de plaques d'étain. Cette jupe
+est garnie, encore, à ses bords de coquillages, & s'appelle _Modrina_,
+puisqu'elle est toujours d'un bleu foncé nommé _Modro_. Leurs Robes, ou
+_Sadak_, de serge comme la jupe descend jusqu'au gras de jambes, & on
+la borde d'écarlate. Les bas des filles sont toujours rouges, & leurs
+souliers, ou _Opankê_ semblables à ceux des hommes, sont composés d'un
+semelle de cuir crud, avec un dessus de bandelettes entrelacées de peau
+de mouton, appellées _Opulé_. Elles lient ces bandelettes au-dessus de la
+cheville du pied, de manière que cette chaussure ressemble au brodequin
+des anciens. Quelque riche que soit une famille, on n'y permet pas aux
+filles de se servir d'autres souliers, mariées: elles peuvent quitter les
+_Opanke_ & prendre des babouches, ou _l'apuzzé_ à la mode des _Turques_.
+
+Les filles cachent sous le bonnet leurs cheveux tressés: les femmes
+laissent tomber ces tresses sur la poitrine, se les nouent quelquefois
+sous le menton; toujours elles y attachent, des verres, des médailles ou
+d'autres pièces de monnoye percées suivant la coutume des _Tartares_ & des
+_sauvages de l'Amérique_. Une fille qui donne atteinte à sa réputation
+risque de se voir arracher son bonnet rouge, par le curé, en public dans
+l'église, & d'avoir les cheveux coupés par quelque parent, en signe
+d'infamie. Par cette raison, s'il arrive qu'une fille manque à son honneur,
+elle dépose volontairement les marques de sa virginité & quitte son pays
+natal.
+
+
+
+
+§. XI.
+
+_Des mariages des MORLAQUES_.
+
+
+Il est très-commun chez cette nation, qu'un jeune homme, natif d'un
+endroit très-éloigné, fasse la demande d'une fille. Ces mariages se
+traitent entre les viellards des familles intéressées, sans que les époux
+futurs se soient jamais vus. La raison de ces recherches lointaines, n'est
+pas la rareté des filles dans le village ou dans les environs, mais le
+désir de s'allier à une famille étendue & célèbre pour avoir produit
+des hommes courageux. Le père de l'époux, ou quelque parent âgé, vient
+demander la fille, ou plutôt une fille d'une telle maison, le choix
+n'étant pas à l'ordinaire déterminé d'avance. On lui montre toutes les
+filles de la maison, & il choisit selon son goût, quoiqu'il respecte le
+plus souvent le droit d'ainesse. Rarement on refuse une fille & l'on
+s'arrête peu à l'examen des circonstance de celui qui la recherche.
+Souvent un _Morlaque_ donne sa fille à son propre valet ou à un simple
+laboureur, comme il étoit usité du tems des patriarches. Tant on fait peu
+de cas des femmes dans ces contrées.
+
+Elles jouissent néantmoins, dans ces occasions, d'un droit, que le sexe
+dans d'autres pays voudroit posséder, & auquel il pourroit prétendre avec
+justice. Quand on accorde la fille demandée, l'entremetteur du mariage va
+chercher l'époux & le mene chez sa future, pour qu'ils apprennent à se
+connoître. Si les jeunes gens se plaisent réciproquement, l'affaire est
+conclue. Dans quelques districts, la fille, avant de donner sa parole, va
+voir la maison & la famille du prétendant, & elle a la liberté de rompre
+le contract, toutes les fois que les personnes ou l'habitation lui
+déplaisent. Si elle en est contente? elle retourne dans la maison
+paternelle, où le futur, avec ses parens & les amis de sa famille,
+l'accompagnent.
+
+Le tems fixé pour les noces étant arrivé, l'époux assemble ses parens les
+plus distingués, qui ainsi réunis, s'appellent _Svati_, qui bien montés &
+bien ajustés, vont ensemble à la maison de l'épouse. L'ornement distinctif
+d'un homme invité aux noces, est un panache de queue de Paon, planté sur
+le bonnet. Toute la compagnie est bien armée, pour pouvoir repousser les
+attaques ou les embûches de ceux qui voudroient troubler la fête.
+
+Dans les anciens tems, de telles surprises étoient à craindre: alors,
+comme on peut voir par les chansons héroïques de la nation: les
+prétendants à la main d'une fille, tâchoient de mériter la préférence par
+des actions courageuses, ou par des preuves d'âgileté, d'adresse, & de
+vivacité d'esprit. Dans un ancien poème sur les noces du _Vojvode_ JANCO
+_de Sebigne_, qui étoit contemporain du fameux GEORGE STRATIOTICH surnommé
+_Scanderbeg_, les frères d'une certaine JAGNA de _Temeswar_, qu'il avoit
+demandée en mariage, proposerent à ce JANCO, après l'avoir enyvré, des
+jeux, avec l'alternative de lui donner leur soeur s'il gagnoit, ou de
+le tuer s'il perdoit. «En premier lieu ils produisirent une lance, dont
+la pointe perce une pomme, & lui dirent d'un air gracieux: JANCO, avec
+une flèche tu dois abattre cette pomme, si tu manques ton coup, tu ne
+rapporteras pas ta tête; & tu n'emmèneras pas l'aimable épousée»[12]? Un
+autre jeu proposé, étoit de franchir d'un seul sault neufs chevaux placés
+l'un à côté de l'autre: le troisième, de reconnoître sa future, entre neuf
+filles voilées. Janco, brave guerrier, mais peu habile dans ces joutes
+galantes, mit à sa place un de ses neveux, comme l'usage de son siècle lui
+permettait de faire. Le moyen par lequel ZÉCULO, ce neveu de JANCO, devina
+l'épouse promise à son oncle, mérite d'être rapporté, au risque d'allonger
+cette digression. Sur son manteau, étendu par terre, il jette une poignée
+de bagues d'or, & s'adressant aux neuf voilées, il dit: «Approche, ramasse
+les bagues, aimable enfant, toi qui es déstinée à JANCUS. Si une autre ose
+étendre sa main, d'un seul coup de sabre, je lui tranche la tête & le bras
+ensemble. Toutes reculèrent avec effroi: mais l'amante de Janco ne recula
+pas; elle ramassa les bagues, & en para ses mains blanches». Ce ZÉCULO
+avoit, en vérité, un talent particulier pour reconnoître les masques.
+
+[Note 12: Ce poëme ne passe pas pour être exactement conforme à la vérité
+historique: mais il sert, au moins à faire connaître les moeurs du tems, &
+le caractère de la nation.]
+
+Celui, qui après ces épreuves, étoit refusé tâchoit de se dédommager par
+la force d'une, préférence, accordée à un autre, & qu'il croyoit injuste:
+d'où résultoient de sanglantes querelles. Sur les tombeaux des anciens
+_Slaves_, qu'on trouve encore dans les forêts & dans des lieux déserts de
+la Morlachie, on voit beaucoup de grossiers bas-reliefs qui représentent
+de tels combats[13].
+
+[Note 13: Il se trouve de ses tombeaux principalement dans les bois entre
+_Gliuhuski_ & _Vergoraz_, sur les bords du _Trébisat_, un peu loin de
+l'ancien chemin militaire, qui conduit de _Salona_ à _Narona_. On en
+voit beaucoup encore à _Lovrech_, _à Cista_, à _Mramor_, entre _Scign_
+& _Imoski_. Il y en a un isolé à _Dervenich_ en _Primorjé_, appellé
+_Costagnichia-Greb_; comme aussi à _Zakuçaz_, qu'on dit érigé sur le lieu
+même du combat.]
+
+On conduit à l'église l'épouse voilée, au milieu des _Suati_ à cheval.
+Après la cérémonie de la bénédiction, on la ramene à la maison de son père,
+ou à celle de son époux, si elle est peu éloignée, parmi les décharges
+d'armes à feu, & parmi des cris de joye & des témoignages d'une allegresse
+barbare. Pendant la marche, & pendant le repas, qui commence aussi-tôt
+après le retour de l'église, chacun des _Soati_ exerce une fonction
+particulière. Le _Parvinaz_ les précéde tous, & chante à quelque distance.
+Le _Bariactar_ fait flotter un étendart de soye, attaché à une lance, dont
+la pointe est garnie d'une pomme: aux noces des gens de distinction, on
+voit trois ou quatre de ces _Bariactars_. Le _Stari-Svat_ est le principal
+personage de la nôce, & cette dignité se donne toujours à l'homme le
+plus considéré parmi les parens. Le _Stachés_ reçoit les ordres du
+_Stari-Svat_. Les deux _Divéri_, destinés à servir l'épouse, doivent
+être les frères de l'époux. Le _Kuum_ fait les fonctions de parrain, & le
+_Komorgia_, ou _Seksana_, celles de gardien de la dot. Un _Chiaus_ porte
+la masse, & range la marche comme un maître de cérémonie; il chante à
+haute voix: _Breberi_, _Davori_, _Dobra-Srichia_, _Jara_, _Pico_; noms des
+anciennes divinités tutelaires de la nation. Le _Buklia_, est l'échanson
+de la nôce, en voyage comme à table. Ces charges se doublent ou se
+triplent suivant l'importance ou les besoins d'une compagnie nombreuse.
+
+Le repas du premier jour se donne quelquefois dans la maison de l'épouse:
+mais plus souvent dans celle de l'époux, où se rendent les _Svati_
+immédiatement après la bénédiction du mariage. Trois ou quatre hommes à
+pieds, précédent, en courant, le cortège, & le premier arrivé reçoit pour
+prix de son agilité une _Mahrama_ espèce d'essuye-main brodé aux deux
+extrémités. Le _Domachin_, ou le chef de la maison, va à la rencontre
+de sa belle-fille, à laquelle, pendant qu'elle est encore à cheval, on
+présente un enfant, pris dans la famille ou chez les voisins, pour le
+caresser. Avant d'entrer dans la maison, elle se met à genoux, & baise le
+seuil de la porte: Sa belle mère, ou quelqu'autre femme de la parenté, lui
+met alors en main un crible, rempli de grains, & de menus fruits, comme
+noix & amandes, qu'elle doit répandre sur les _Svati_, en les jettant
+derrière elle par poignées. Ce jour l'épouse ne mange pas avec les parens;
+mais à une table particulière avec le _Stachés_ & les deux _Divéri_.
+L'époux s'assoit à la table des _Svati_: mais pendant ce jour, consacré à
+l'union conjugale, il n'ose rien couper ni délier: c'est au _Kuum_ à lui
+découper le pain & les viandes. L'office du _Domachin_ est d'inviter
+à boire, & le _Stari-Svat_, en faveur de sa dignité, doit répondre le
+premier à cette invitation. A l'ordinaire le tour de la _Bukkàra_, espèce
+de coupe de bois d'une grande capacité, commence par des voeux pour la
+prospérité de la foi, ou par des santés adressées aux noms les plus
+respectables.
+
+Dans ces repas règne, au reste, l'abondance la plus excessive, à
+laquelle contribuent aussi les _Svati_, dont chacun, apporte sa part des
+provisions. On commence le dîner par le fruit & le fromage, & on le finit
+par la soupe, d'une manière précisément opposée à nos usages. Parmi les
+viandes, entassées avec prodigalité, se trouvent des chevreaux, des
+agneaux, de la volaille, & quelquefois du gibier: mais on sert rarement
+du veau, & jamais peut-être chez les Morlaques, qui n'ont pas adopté des
+moeurs étrangères. Cette aversion pour le veau vient des tems les plus
+reculés, & déjà _St. Jerome_ en fait mention[14]. Un auteur, né en
+_Bosnie_ & vivant au commencement du siècle passé, POMCO MARNAWICH dit:
+«que jusqu'à son tems les Dalmates, préservés de la contagion des vices
+étrangers, s'abstiennent du veau comme d'une nourriture immonde»[15]. Si
+les femmes de la parenté sont invitées à un tel festin, suivant un usage
+généralement établi, elles mangent en particulier, & jamais à la table des
+hommes.
+
+[Note 14: At in nostra provincia scelus putant vitulos devorate. HIERONIM.
+_contra Jovin_.]
+
+[Note 15: Ad hanc diem Dalmatæ, quos peregrina vitia non infecere, ab efu
+vitulorum, nonfecus ac ab immunda esca, ab horrent. MARNAV. _de Illyrico_.]
+
+L'après-dinée se passe en jeux d'esprit ou d'adresse, à danser, ou à
+chanter d'anciennes chansons. Après le souper, les trois invitations
+solemnelles à boire finies, le _Kuum_ mene l'époux dans la chambre
+nuptiale, qui est toujours ou la cave, ou l'étable ordinaire des bestiaux.
+A peine y arrivé, il fait sortir le _Stachés_ & les deux _Divéri_, & reste
+seul avec les deux conjoints. Si un meilleur lit, que la paille, s'y
+trouve, il les y conduit; & après avoir ôté la ceinture à la fille, il
+oblige les époux à se déshabiller réciproquement. Autrefois l'usage
+vouloit que le _Kuum_ déshabillât l'épouse en entier, & en vertu de cet
+usage, ce père spirituel conserve le privilège de la baiser dans toutes
+les occasions: privilège, agréable peut-être au commencement, mais qui,
+avec le tems, devient surement onéreux. Quand les époux sont déshabillés,
+le _Kuum_ se retire, & écoute à la porte, s'il y en a une. Il annonce
+l'événement par un coup de pistolet, auquel les _Svati_ répondent par une
+décharge de leurs fusils. Si l'époux n'est pas content de l'état, où il a
+trouvé sa jeune femme, la fête est troublée. Nos _Morlaques_ cependant ne
+font pas autant de bruit d'un tel accident que n'en font les habitans de
+l'_Ukraine_, quoique ces deux nations conviennent d'ailleurs assez dans
+l'habillement, dans les usages, dans le dialecte & même dans l'ortographe.
+Les _Mals-Russes_ promenent le lendemain en triomphe la chemise de la
+nouvelle mariée, & maltraitent brutalement la mère, si la vertu de la
+fille est suspectée. Un des outrages qu'ils font à un telle gardienne peu
+exacte, s'est de lui donner à boire dans un gobelet percé au fond[16].
+
+[Note 16: Ces coutumes sont assez générales par toute la Russie.]
+
+Pour punir le Stachés & les deux Divéri, d'avoir abandonné la fille
+confiée à leurs soins, on les fait boire des rasades copieuses, avant de
+les admettre de nouveau dans la compagnie des _Svati_. On consomme dans
+les occasions une quantité prodigieuse de _Rakia_, ou d'eau de vie. Le
+jour suivant la jeune femme dépose le voile & le bonnet, & assiste la
+tête couverte, au repas _des Svati_: où elle est obligée d'écouter les
+équivoques les plus grossieres, & les plus mauvaises plaisanteries, que
+les convives yvres, secouant dans ces occasions le joug de la décence; se
+croyent permis de lui adresser.
+
+Ces fêtes, nommées _Zdrave_ par les anciens _Huns_, s'appellent
+_Zdravizze_ chez les _Morlaques_; d'où dérive le mot Italien _Stravizzo_,
+festin ou régal. Elles durent trois, six, ou huit jours, & quelquefois
+davantage, suivant les moyens ou l'humeur prodigue de la famille qui
+les donne. Dans ces jours d'allegresse, la jeune femme fait des profits
+considérables, qui composent à peu près tout son petit pécule: car elle
+n'a pour dot que ses habits & une vache; il arrive même souvent que son
+père, au lieu de la doter, exige une somme de l'époux. Tous les matins
+elle présente de l'eau à ses hôtes, dont chacun après s'être lavé les
+mains, est obligé de jetter dans le bassin une pièce d'argent: aussi
+est-il juste qu'ils payent celle qui les engage à remplir un devoir de
+propreté qu'ils oublient d'observer à l'ordinaire pendant plusieurs mois.
+Il est permis à la jeune femme de faire des tours de malice aux _Svati_:
+comme de cacher leurs _Opanké_, leurs bonnets, leurs couteaux, ou d'autres
+choses de première nécessité; qui sont forcés alors de les racheter avec
+une somme d'argent, déterminée par la compagnie. Outre ces contributions,
+ou volontaires ou extorquées, chaque convive, suivant l'usage établi, doit
+encore faire un présent à l'épouse, qui le dernier jour des _Zdravizze_,
+leur offre à son tour quelques petites galanteries. Le _Kuum_ & l'époux
+les portent, sur leurs sabres nus, au _Domachin_; qui les distribue
+aux _Svati_ en observant les rangs: ces petits présens consistent à
+l'ordinaire, en chemises, en mouchoirs, en serviettes, en bonnets, ou
+en bagatelles de peu de valeur.
+
+Les cérémonies des noces, sont à peu près entièrement les mêmes, dans
+toute la vaste contrée occupée par les _Morlaques:_les habitans des isles,
+& ceux des villages des côtés de l'_Istrie_ & de la _Dalmatie_, les
+observent aussi, en n'y mettant que peu de variations. Parmi ces
+variations, il en est une digne d'être remarquée, qui s'observe dans
+l'isle _Zlarine_ près de _Sebenico._ Dans le moment, où l'épousée est
+prête à suivre son mari dans sa chambre, le _Stari-Svat_, qui à
+l'ordinaire se trouve yvre, doit abatre d'un seul coup de sabre la
+guirlande de fleurs qu'elle porte sur la tête. Dans le village de
+_Novaglia_, situé dans l'_isle de Pago_, au _Golfe de Quarnaro_, règne
+une coûtume plus comique & moins dangereuse, quoique également sauvage
+& brutale. Quand un jeune homme est sur le point d'emmener sa promise,
+le père & la mère, en lui remettant leur fille, lui font, avec une
+exagération grotesque, le détail de ses mauvaises qualités. «Puisque tu
+veux l'avoir absolument, sache qu'elle ne vaut rien, qu'elle est obstinée,
+capricieuse &c». L'époux se tournant alors vers elle lui dit: «vous êtes
+faite ainsi? je je rangerai bien votre tête». Il accompagne ces paroles de
+gestes menaçans, & en faisant semblant de la battre, afin que son procédé
+ne soit pris pour une vaine cérémonie, il lui donne souvent des coups
+réels. En général les femmes _Morlaques_, comme les insulaires, excepté
+les femmes des villes, ne paroissent pas fâchées de recevoir des coups de
+bâton de leurs maris, & quelquefois même de leurs amants.
+
+Dans les environs de _Dernifa_, la nouvelle épouse est obligée, pendant la
+première année de son mariage, de baiser tous les hommes de sa nation & de
+sa connoissance, qui viennent dans sa maison. Cette année écoulée, elles
+sont dispensées de cette salutation, comme si la malpropreté insuportable,
+à laquelle elles s'abandonnent en peu de tems, les rendit indignes de
+faire de telles politesses. Cette malpropreté est peut-être, en même tems,
+la cause & l'effet de la manière humiliante, avec laquelle les maris & les
+parens les traitent. Quand les hommes nomment une personne du sexe devant
+des gens respectables, ils se servent toujours de la formule, usitée aussi
+parmi nos paysans quand ils nomment leur bétail, sauf votre respect. Le
+plus poli Morlaque en parlant de sa femme, dit: _da prostite_, _moya xena_,
+pardonnez-moi, ma femme. Ceux en petit nombre, qui possedent un mauvais
+chalit, où ils dorment sur la paille, n'y souffrent jamais leur femme,
+qui est obligée de coucher sur le plancher. J'ai couché souvent dans les
+cabanes des _Morlaques_, & j'ai été témoin de ce mépris universel qu'ils
+marquent au sexe. Mais si les femmes, dans ces endroits où elles sont ni
+belles ni aimables, paroissent mériter un tel mépris, il leur fait perdre
+cependant encore le peu de dons qu'elles avoient reçues de la nature.
+
+L'état de ces femmes, dans leurs grossesses & dans leurs accouchemens,
+passeroit pour un miracle dans les autres pays, où la vie molle du sexe le
+rend si sensible. Une _Morlaque_, quand elle est enceinte, ne se ménage
+point, ni à l'égard de la nourriture, ni du travail, ni de la fatigue d'un
+voyage. Souvent elle accouche seule, au milieu des champs, loin de toute
+habitation: elle ramasse alors son enfant, le va laver à la première eau
+qu'elle trouve, le porte chez elle, & reprend le lendemain ses occupations
+accoutumées; même celle de mener paître les troupeaux. Quand l'enfant nait
+dans la maison paternelle, on ne laisse pas, suivant l'usage immémorial de
+la nation, de le laver dans l'eau froide: de sorte que les _Morlaques_
+peuvent dire comme les anciens habitans d'Italie:
+
+ _Durum à stirpe genus, natos ad flumina primum_
+ _Deferimus, foevoque gelu duramus & undis_
+
+Aussi les bains froids ne produisent-ils pas à ces enfans de mauvais
+effets, comme le croient ceux qui désaprouvent la coutume des Ecossois
+& des Irlandois comme préjudiciable aux nerfs, & qui attribuent à la
+superstition les immersions usitées chez les anciens _Germains_[17].
+
+[Note 17: V. Mém. de la Soc. Econom. de Berne. A. 1764. p. III.]
+
+On enveloppe ces petites créatures de misérables haillons, & après les
+avoir soignés dans cet état, au plus mal possible, pendant trois à quatre
+mois, on les laisse se trainer à genoux, tant dans la maison qu'en pleine
+campagnes. Par ce moyen ils acquièrent, avec l'habitude de marcher de
+bonne heure, encore cette force & cette santé robuste, dont jouissent les
+_Morlaques_, & qui les rend capables d'affronter les neiges & les froids
+les plus violens sans couvrir la poitrine. Les mères allaitent leurs
+enfans jusqu'à ce qu'une nouvelle grossesse les force de cesser & si elles
+ne redevenoient enceintes pendant quatre ou six ans, elles continueraient
+à les nourrir de leur lait. Cette coutume rend croyable ce qu'on dit de la
+longueur de leurs mamelles, qui leur rend possible d'allaiter les enfans
+derrière le dos, ou par-dessous les bras.
+
+Ils mettent tard la culotte aux garçons, qu'on voit communément à l'âge
+de 14 à 15 ans courir encore couverts d'une simple chemise, qui leur va
+jusqu'aux genoux. Cette coutume s'observe sur-tout vers les confins de
+la _Bosnie_, à l'imitation de celle des sujets de la _Porte_, qui avant
+d'avoir la culotte ne payent point de Karaz ou de capitation. Avant cette
+époque on regarde les garçons comme des enfans, incapables de travailler &
+de gagner leur vie.
+
+A l'occasion d'un accouchement, & principalement du premier, tous les
+parens & amis de la famille, envoyent des présens de choses comestibles,
+& avec ces présens on fait un souper appelle _Bàbine_. Les accouchées
+n'entrent dans l'église qu'après quarante jours écoulés, & après avoir
+été purifiées par la bénédiction du prêtre.
+
+Les enfans des _Morlaques_ passent leur bas âge dans les bois, à garder
+les troupeaux. Dans ce loisir & dans cette solitude, ils s'occupent de
+travaux en bois, qu'ils exécutent avec un simple couteau. On voit chez
+eux des tasses & des sifflets de cette matière, ornés de bas-reliefs
+singuliers, qui ne manquent pas de mérite, & qui prouvent la disposition
+de cette nation à faire des progrès dans les arts.
+
+
+
+
+§. XII.
+
+_Des Alimems des MORLAQUES_.
+
+
+Le lait, préparé de toute manière, est la nourriture la plus commune des
+_Morlaques_. Ils l'aigrissent avec du vinaigre, & il en résulte une espèce
+de caillé extrêmement rafraichissant. Le petit lait, qu'ils en séparent,
+est leur boisson la plus agréable, qui ne déplait pas non plus à un palais
+étranger. Avec du fromage frais, frit dans du beurre, ils font leur
+meilleur plat, quand ils veulent régaler un hôte inattendu. Ils ne se
+servent guères de pain préparé à notre manière: mais de galettes[18],
+pétries de farine de millet, d'orge, de mays, de sorgo, & de froment s'ils
+sont en état d'en acheter; ils cuisent ces galettes journellement sur la
+pierre de l'âtre.
+
+[Note 18: Ils les appellent _Pogaccie_, nom emprunté de l'Italien,
+_Fogaccia_, en prononçant la lettre F suivant l'usage des anciens
+_Esclavons_.]
+
+Les choux aigres, dont ils font la plus grande provision possible, avec
+les racines & les herbes comestibles, qui se trouvent dans les bois & dans
+les champs, leur fournissent une nourriture saine & peu couteuse. Mais
+après les viandes rôties, pour lesquelles ils ont une véritable passion,
+l'ail & les échalottes sont pour eux les mets les plus délicieux. Un
+_Morlaque_ s'annonce, déjà de loin, aux nez non accoutumés à cette odeur,
+par les exhalaisons de son aliment favori. Je me souviens d'avoir lu
+quelque part, que STILPON, repris pour être entré, contre la défense,
+dans le temple de Céres après avoir mangé de l'ail, répondit: «donnez-moi
+quelque chose de meilleur, & je ne mangerai plus d'ail». Les _Morlaques_
+n'accepteroient pas cette condition, qui même ne leur seroit pas peut-être
+avantageuse. Il est probable, que l'usage journalier de ces végétaux
+corrige en partie la mauvaise qualité des eaux des réservoirs fangeux
+& des ruisseaux marécageux, dont les habitans de plusieurs cantons de
+la _Morlachie_ sont nécessités, pendant l'été, de faire leur boisson
+ordinaire. Ces végétaux contribuent peut-être aussi à maintenir ce peuple
+sain & robuste. On trouve en effet parmi eux un grand nombre de vieillards
+frais & vigoureux, & je serois tenté d'en faire encore un mérite à l'ail,
+quoiqu'en puisse dire HORACE. Il m'a paru étrange, que les _Morlaques_,
+qui font une si grande consommation d'ail, d'oignons & d'échalottes, ne
+plantent pas ces végétaux dans leur vastes & fertiles campagnes, & que,
+par cette négligence, ils se voyent obligés d'en acheter tous les ans pour
+plusieurs milliers de ducats des laboureurs des environs d'_Ancona_ & de
+_Rimini_. Ce seroit une contrainte salutaire que de les forcer à de telles
+plantations: si je ne craignois pas m'exposer au ridicule, je proposerois
+un moyen de leur épargner des sommes considérables, c'est celui de les
+encourager à des cultures de cette espèce par des récompenses: moyen par
+lequel on obtient tout du laboureur.
+
+Un des derniers gouverneurs de la _Dalmatie_, animé d'un zèle patriotique,
+introduisit dans cette province la culture du chanvre, qui cependant ne
+subsiste plus avec la même vigueur. Quelques _Morlaques_, convaincus par
+l'expérience des avantages de cette culture, la continuent néanmoins, & ne
+dépensent plus autant pour les toiles étrangeres, dont ils fabriquent chez
+eux une partie. Pourquoi ne pourroient-ils pas tous reprendre le désir
+de cultiver une plante qui est devenue pour eux un besoin de première
+nécessité?
+
+La vie frugale & laborieuse des habitans de la _Morlachie_, jointe à la
+pureté de l'air qu'ils respirent, font qu'il s'y trouve, sur-tout dans les
+montagnes, un grand nombre de gens qui parviennent à un âge très-avancé.
+Comme ils ignorent cependant à l'ordinaire le tems précis de leur
+naissance, je ne voudrois pas chercher parmi eux un second DANDO[19]. Je
+crois pourtant avoir remarqué un bon vieillard qui pourrait faire pendant
+au célèbre PARR.
+
+[Note 19: Alexandre Cornelius memorat Dandonem Illyricum D. annos vixisse
+Plin. 7. c. 48.]
+
+
+
+
+§. XIII.
+
+_Des meubles, des Cabanes; de l'habillement & des armes des MORLAQUES_.
+
+
+Les Morlaques aisés se servent, au lieu de matelats, de couvertures
+grossières, qui leur viennent de la _Turquie_: rarement un richard parmi
+eux a un lit comme les nôtres; il est peu commun même de voir un bois de
+lit travaillé grossièrement, dans lequel ils dorment sans draps & sans
+matelats, entre leurs couvertures Turques. Le lit de presque tous est la
+terre nue, couverte, tout au plus, d'un peu de paille, où ils étendent
+leur grosse couverture, dans laquelle ils s'enveloppent entièrement. En
+été ils aiment dormir dans une cour en plein air, & cette coutume est sans
+doute le moyen le plus sûr de se délivrer des insectes domestiques.
+
+Dans leurs cabanes ils ont peu de meubles, & simples, tels comme doit les
+avoir un peuple de bergers & de laboureurs, qui dans ces arts même est
+si peu avancé. Si la maison d'un Morlaque a un galetas, & si elle est
+couverte d'ardoise ou de tuile, les travées servent de garderobe à la
+famille qui alors est censée vivre d'une manière magnifique: dans ces
+maisons brillantes même, les dames couchent sur le plancher. Je les ai
+vues quelquefois moudre jusqu'à minuit, en chantant à haute voix des
+chansons tout-à-fait diaboliques, dans la même chambre où je devois
+coucher, & au milieu de dix ou douze personnes étendues par terre, & qui,
+malgré cette musique dormoient d'un profond sommeil.
+
+Dans les endroits éloignés de la mer & des villes, les maisons des
+_Morlaques_ ne sont que de pauvres cabanes, couvertes de paille ou de
+bardeau, appelle _Zimblé_; couverture usitée sur-tout dans les montagnes,
+où l'on manque d'ardoise, & où il est à craindre que les vents, en
+découvrant la cabane, n'ensévelissent les habitans sous les ruines du
+toit. Le bétail vit dans le même bâtiment, & n'est séparé de ses maîtres
+que par une simple cloison de baguettes entrelacées, enduite de boue ou de
+bouse de vache: les murs de la cabane sont encore de la même matière, ou
+composés de grosses pierres posées à sec les unes sur les autres.
+
+Au milieu de la cabane se trouve le foyer, dont la fumée sort par la
+porte, le seul endroit par où elle puisse s'échapper. Par cette raison ces
+misérables demeures sont toutes noires & vernies de suye: tout y sent la
+fumée, même le lait dont se nourrissent les Morlaques, & qu'ils offrent
+volontiers aux voyageurs. Les personnes & leurs habits contractent la même
+odeur empestée. Pendant la saison froide, la famille soupe autour du foyer,
+& chacun, s'endort au même endroit, où assis à terre il avoit mangé.
+Quelques cabanes sont garnies, de bancs. Au lieu d'huile, ils brûlent du
+beurre dans leurs lampes: le plus souvent cependant ils s'éclairent la
+nuit avec des copeaux de sapin, dont la fumée noircit étrangement leurs
+visages. Rarement un _Morlaque_ aisé habite une maison, bâtie à la
+manières des _Turcs_, ou meublée à la nôtre: les plus riches vivent à
+l'ordinaire en sauvages. Malgré la pauvreté & la saleté de ces habitations,
+ce peuple n'y souffre aucune de ces immondices, que nous gardons quelques
+fois longtems dans nos chambres. Dans ces contrées, personne, ni homme ni
+femme, quoique malade, pourrait se résoudre à aller à ces nécessités dans
+sa propre cabane; on porte, dans les cas d'un tel besoin, les mourans même,
+en plein air. Si un étranger, par mépris ou par ignorance, s'avisoit de
+salir de cette manière la plus chétive habitation, il risqueroit la vie,
+ou au moins de recevoir solemnellement la bastonnade.
+
+L'habillement des hommes est simple & économique. Ils se servent, comme
+les femmes, d'_Opanké_ en guise de souliers: ils se chaussent d'une espèce
+de brodequin tricoté, nommé _Navlakaza_, qui au-dessus de la cheville
+du pied se joint à l'extrémité de la culotte, par laquelle le reste des
+jambes est couvert. Cette culotte, faite d'une grosse serge blanche, se
+lie aux hanches par un cordon de laine, qui la serre comme un sac de
+voyage. La chemise entre peu dans cette culotte. Sur la chemise ils
+portent un pourpoint, appellé _Jacerma_, & en hyver ils mettent encore
+par-dessus un manteau de gros drap rouge, qu'ils nomment _Kabaniza_, ou
+_Japungia_. Leur tête se couvre avec un bonnet, surmonté d'une espèce de
+Turban cilindrique, appellé _Kalpak_. Ils se rasent la tête, & ne laissent
+subsister qu'un petit toupet de leurs cheveux, à la mode des _Polonois_ &
+des _Tartares_.
+
+Ils se ceignent les reins avec une écharpe rouge, de laine ou de soye
+tissue à mailles. Entre cette écharpe & la culotte ils placent leurs
+armes, en arrière un ou deux pistolets; en avant un énorme couteau, nommé
+_Hanzar_, enfermé dans une gaine de laiton, ornée de fausses pierreries.
+Ce _Hanzar_ est souvent assuré par une chaîne de laiton, qui tourne autour
+de l'écharpe. A la même place ils mettent un cornet, garni d'étain, dans
+lequel ils tiennent la graisse nécessaire pour garantir leurs armes de
+l'humidité, ou pour se guérir eux-mêmes, quand chemin faisant ils se
+meurtrissent les pieds. De l'écharpe pend aussi une bourse, destinée à
+contenir un briquet, & le peu d'argent qu'ils peuvent avoir. Le tabac à
+fumer se conserver encore dans l'écharpe, enfermé dans une vessie séche.
+Ils tiennent la pipe sur les épaules, laissant la tête dehors, & passant
+le tuyau entre la chemise & la peau nue. Quand un _Morlaque_ sort de chez
+lui il porte toujours son fusil sur l'épaule.
+
+Les chefs de la nation sont vêtus avec plus de magnificence. On peut juger
+du goût de leurs habits par le portrait de mon bon hôte, le _Vajvode_
+PERVAN _de Courrich_. (p. IV.)
+
+
+
+
+§. XIV.
+
+_De la poësie, de la musique, des danses & des jeux des MORLAQUES_.
+
+
+Dans les assemblées champêtres, qui se tiennent à l'ordinaire dans les
+maisons où il y a plusieurs filles, se perpétue le souvenir des anciennes
+histoires de la nation. Il s'y trouve toujours un chanteur, qui accompagne
+sa voix d'un instrument, appellé _Guzla_ monté d'une seule corde, composée
+de plusieurs crins de cheval entortillés. Cet homme se fait entendre en
+repetant, & souvent en raccommodant, les vieilles _Pismé_, ou chansons.
+Le chant héroïque des _Morlaques_ est extrêmement lugubre & monotone. Ils
+chantent encore un peu du nez, ce qui s'accorde, il est vrai, assez bien
+avec le son de l'instrument dont ils jouent. Les vers des plus anciennes
+chansons, conservées par la tradition sont de dix syllabes & sans rime.
+Les poësies abondent en expressions fortes & énergiques; mais on y
+apperçoit à peine quelques lueurs d'une imagination vive & heureuse. Elles
+font cependant une impression singulière sur l'ame des auditeurs, qui peu
+à peu les apprennent par coeur. J'en ai vu soupirer & pleurer aux passages,
+qui ne m'avoient aucunement afecté. La valeur des paroles _Illyriennes_
+mieux entendue des Morlaques, produit peut-être cet effet: ou, ce qui est
+plus probable encore, leur esprit simple & peu cultivé, est remué par les
+impulsions les plus foibles. La simplicité & le désordre, qu'on trouve
+réunis dans les poësies des _Troubadours Provençaux_, forment aussi le
+caractère distinctif des contes poétiques des _Morlaques_. Il s'en trouve
+néanmoins dont le plan est assez régulier: mais le lecteur, ou l'auditeur,
+est toujours obligé de suppléer, par sa pensée, au défaut des détails,
+nécessaires à la précision, & sans lesquels une narration, en vers ou en
+prose, paroitroit monstrueuse aux nations éclairées de l'Europe.
+
+Je ne suis pas parvenu à découvrir de ces poësies, dont l'antiquité bien
+constatée remonte au de-là du quatorziéme siècle. La cause de la perte
+des plus anciennes, est apparemment la même que celle qui fit disparoitre
+tant de livres Grècs & Latins, dans les tems de la barbarie réligieuse.
+Je soupçonne, qu'on en pourroit trouver de plus ancienne datte chez les
+_Méredites_, & chez les habitans des _montagnes Clémentines_, peuples
+séparés entiérement des autres nations, & qui menent une vie purement
+pastorale. Mais, qui se flattera de pénétrer impunément jusqu'à ces
+peuplades sauvages & intraitables? Je me sens assez de courage pour
+entreprendre une telle expédition; non seulement pour chercher de ces
+anciennes poësies, mais encore pour étudier l'histoire naturelle de ces
+contrées totalement inconnues, & qui renferment peut-être encore les
+plus précieux monumens des Grècs, & des Romains: mais trop d'obstacles
+s'opposent à l'ordinaire à l'accomplissement de tels desirs.
+
+J'ai traduit plusieurs chansons héroïques des _Morlaques_, & j'en
+joindrai une, qui m'a paru bien faite & intéressante, à cette lettre. Sans
+prétendre la comparer aux poësies d'OSSIAN, je me flatte qu'on y trouvera
+au moins un autre mérite, celui de peindre la simplicité des anciens tems,
+& les moeurs de la nation. Le texte _Illyrien_ mettra le lecteur en état de
+juger combien cette langue sonore & harmonieuse, négligée cependant par
+les peuples cultivés même qui la parlent, est propre à la musique & à la
+poësie. OVIDE, pendant qu'il vivoit parmi les _Slaves de la mer noire_[20],
+ne dédaigna pas de faire des vers dans leur idiome, & y réussit jusqu'à
+l'admiration, & à acquérir l'amitié de ces sauvages: quoique par un retour
+de l'orgueil Romain, il parut se repentir après, d'avoir profané de cette
+manière les muses Latines[21].
+
+[Note 20: Les Allemands: qui comptent OVIDE parmi leurs poëtes, ne seront
+pas contens de le voir ici du nombre des _Illyriens_. Si les _Getes_ &
+_les Goths_ ont été une même nation, ils auront raison. Car la langue des
+_Goths_ étoit un dialecte de la _Teutonique_.]
+
+[Note 21: Ah! pudet, & Getico scripsi sermone libellum,
+ Structaque funt nostris barbara verba modis.
+ Et placui (gratare mihi), coepique poëtæ
+ Inter inhumanos nomen habere Geras.
+ OVIDE. _de Ponto. IV. Ep._ 13.]
+
+La ville de _Raguse_ a produit plusieurs poëtes élégans, & même quelques
+femmes distinguées par le talent de faire des vers: le plus célèbre de
+ces poëtes est JEAN GONDOLA. Les autres villes des côtes & des isles
+de la _Dalmatie_, n'en manquèrent pas non plus: mais le grand nombre
+d'_Italianismes_, introduit dans les dialectes de ces villes, y altère de
+plus en plus l'ancienne pureté de la langue. Les habiles gens dans cette
+langue & sur-tout le plus savant entr'eux, l'Archidiacre MATHIAS SOVICH,
+trouvent le dialecte des _Morlaques_ également barbare & rempli de mots &
+de façons de parler étrangères[22]. Celui des _Bosniens_ dont se servent
+aussi les Morlaques montagnards dans l'intérieur des terres, est à mes
+oreilles plus harmonieux que le dialecte _Illyrien_ des habitans des
+côtes. Mais revenons à nos chansons.
+
+[Note 22: Depuis mon retour, le savant, pieux & charitable Archidiacre
+SOVICH, est mort, emportant les regrets de tous les honnêtes gens de sa
+nation. La mémoire de cet excellent homme, digne d'un meilleur sort &
+d'une plus longue vie, ne doit se perdre parmi ces compatriotes s'ils
+chérissent leur honneur. Né à _Pétersbourg_ au commencement de ce
+siècle, d'un père originaire de _Cherso_ & attaché au service de PIERRE
+_le Grand_, il devint orphelin dans l'âge le plus tendre; mais il reçut
+une excellente éducation dans la maison de l'admiral _Zmajevich_. Après
+la mort de cet admiral, il fut ramené en Dalmatie par l'abbé CARAMAN qui
+avoit été envoyé en Russie pour y chercher les connoissances nécessaires
+à la correction du Bréviaire _Glagolitique_. A la recommandation de
+Mr. ZMAJEVICH, alors archévêque de _Zara_, le jeune SOVICH entra dans
+le seminaire _della Propaganda_, où il s'appliqua à la théologie &
+principalement à la lecture des manuscripts _Glagolitiques_. Il aida
+_Monsieur Caraman_, mort aussi depuis peu archévêque de _Zara_, dans la
+correction du Missel, & à écrire une apologie, qui ne vit pas le jour.
+Pour rècompense de ses services, il obtint la place d'Archidiacre
+d'_Osero_, où il vécut dans une retraite philosophique, partageant le peu
+qu'il possedoit avec les pauvres & avec ses amis. On l'appella plusieurs
+fois à Rome pour la correction du Missel: il y alla une seule fois &
+revint mécontent. Dans sa solitude il n'abandonnoit pas les études, comme
+le prouvent plusieurs manuscrits précieux de sa composition que j'ai vus
+entre ses mains. Parmi les productions de sa plume, doit se trouver un
+ouvrage fin: savoir la _Grammatica Slavonica de Meletius Smotrisky_,
+traduit en latin avec le texte à côté, purgée de superfluités, & enrichie
+d'observations à l'usage des jeunes Ecclésiastiques _Illyriens_. Cet
+ouvrage mérite d'autant plus de voir le jour, que la langue _Esclavone_,
+usitée dans les livres religieux, & qu'on enseigne dans les séminaires de
+_Zara_ & d'_Almisa_, n'a aucune grammaire bien faite, & que, après la mort
+de _Sovich_, il ne se trouve plus en _Dalmatie_ personne, qui sache
+profondémemnt cette langue.]
+
+Quand un Morlaque voyage par les montagnes désertes, il chante,
+principalement de nuit, les hauts faits des anciens _rois & barons Slaves_,
+ou quelque aventure tragique. S'il arrive qu'un autre voyageur marche
+en même tems sur la cime d'une montagne voisine, ce dernier répéte le
+verset chanté par le premier; & cette alternative de chant continue
+aussi longtems que les chanteurs peuvent s'entendre. Un long hurlement,
+consistant dans un _Oh!_ rendu avec des inflexions de voix rudes &
+grossières, précède chaque vers, dont les paroles se prononcent rapidement,
+& presque sans modulation qui est reservée à la dernière syllabe, & qui
+finit par un roulement allongé, haussé à chaque expiration.
+
+La poësie ne s'est pas perdue entièrement chez les Morlaques, & ils ne
+sont pas réduits à répéter uniquement les anciennes compositions. Il y a
+encore beaucoup de chantres, qui après avoir chanté, en s'accompagnant de
+la _Guzla_, quelque morceau antique, finissent par des vers composés à
+la louange de ceux qui les employent. Plus d'un Morlaque est en état de
+chanter, depuis le commencement à la fin, ces propres vers impromptus, &
+toujours au son de la _Guzla_. Ils ne manquent pas d'écrire leurs poësies,
+quand l'occasion se présente de transmettre à la postérité quelque
+événement mémorable. La musette, le flageolet, & un chalumeau de plusieurs
+roseaux, sont encore les instrumens favoris de la nation.
+
+Les chansons nationales, conservées par tradition, contribuent beaucoup à
+maintenir les anciennes coûtumes. De-là vient que leurs cérémonies, leurs
+jeux, & leur danses tirent leur origine des tems les plus reculés. Leurs
+jeux consistent presque tous dans des preuves de force ou d'adresse: comme
+de sauter plus haut, ou de courir plus vite, ou de jetter le plus loin une
+pierre qu'on peut soulever à peine. Les _Morlaques_ dansent, au son de la
+voix ou de la musette, leur danse favorite appellée _Kolo_, ou cercle; qui
+change bientôt en celle qu'ils nomment _Skosi-gori_, ou sauts hauts. Tous
+les danseurs, hommes & femmes, se tenant par la main, forment un rond, &
+commencent par tourner lentement. A mésure que la danse s'anime, ce rond
+prend des figures différentes, & dégénère à la fin en sauts extravagans,
+exécutés par les femmes même, malgré le désordre qu'ils mettent dans leur
+habillement. Il est incroyable avec quelle passion les _Morlaques_ aiment
+cette danse sauvages. Quoique fatigués par le chemin ou par le travail,
+quoique mal nourris, ils la dansent, & passent plusieurs heures, sans
+presque prendre de repos dans ce violent exercice.
+
+
+
+
+§. XV.
+
+_De la médecine des MORLAQUES_.
+
+
+De ces bals s'ensuivent fréquemment des maladies inflammatoires. Dans un
+tel cas, comme dans d'autres, les _Morlaques_ se guérissent eux-mêmes,
+& n'appellent jamais un médecin, puisque heureusement il ne s'en trouve
+aucun parmi eux. Une bonne quantité de _Rakia_, ou d'eau-de-vie, est leur
+première potion médicinale: si la maladie ne s'amende pas, ils infusent
+dans l'eau-de-vie une bonne dose de poivre, on de poudre à canon, & ils
+avalent la mixture. Après quoi ils se couvrent bien si c'est en hyver;
+ou, si c'est en été, ils s'exposent, couchés sur le dos, aux ardeurs du
+soleil, _afin_, comme ils disent, _de suer le mal_. Ils ont contre la
+fièvre tierce une cure plus systématique. Le premier & le second jour, ils
+prennent un gobelet de vin, dans lequel trempe une pincée de poivre: le
+troisième & le quatrième, ils doublent la dose. J'ai vu plus d'un Morlaque
+parfaitement remis par le moyen de cet étrange fébrifuge.
+
+Ils guérissent les obstructions, en appliquant une grande pierre platte
+sur le ventre du malade; & les rhumatismes par de violentes frictions, qui
+écorchent d'un bout à l'autre le dos du patient. Contre les douleurs de
+rhumatismes, ils employent encore une pierre rougie au feu, & enveloppée
+d'un linge mouillé. Pour reprendre l'appétit, perdu à la suite d'une
+longue fièvre, ils boivent copieusement du vinaigre. Mais le dernier &
+principal remède, dont ils se servent, quand ils peuvent l'avoir, dans
+les cas les plus désespérés, c'est le sucre, dont ils mettent un morceau
+encore dans la bouche des mourans, pour qu'ils puissent passer dans
+l'autre vie avec moins d'amertume. Ils employent l'Ivette contre les
+douleurs des jointures, & appliquent fréquemment les sangsues aux membres
+enflés.
+
+Dans les endroits, où se trouve une ochre rougeâtre, on a la coutume de
+mettre de cette terre sur les blessures & sur les contusions: comme on
+sait aussi en Bohème & en Misnie, où cette terre abonde. Greisel qui
+rapporte ce remède, a reconnu sa vertu par sa propre expérience, comme je
+l'ai expérimentée aussi sur moi en Dalmatie. Sans avoir étudié l'anatomie,
+les Morlaques savent très-bien remettre les membres disloqués & fracturés:
+ils saignent habilement, avec un instrument, semblable à celui avec lequel
+on tire du sang aux chevaux, sans jamais causer ces accidens, qui suivent
+si souvent l'usage de la lancette.
+
+
+
+
+§. XVI.
+
+_Des funérailles des MORLAQUES_.
+
+
+Pendant qu'un mort reste encore dans la maison, sa famille le pleure déjà
+avec de véritables hurlemens, qui redoublent quand le prêtre vient le
+prendre. Dans ces momens de tristesse, les _Morlaques_ parlent au cadavre,
+& lui donnent sérieusement des commissions pour l'autre monde. Après
+ces cérémonies on couvre le mort d'une toile blanche, & on le porte à
+l'église, où recommencent les lamentations, & où les parentes du défunt
+& des pleureuses louées, chantent sa vie d'un ton lugubre. Quand il est
+enterré, tout le cortège funèbre, avec le curé de la paroisse, retourne à
+la maison du défunt, où, en mêlant les prières avec la crapule, on fait un
+repas immodéré.
+
+Pour marquer de l'affliction, les hommes se laissent croître la barbe
+pendant quelque tems: coutume qui, comme plusieurs autres de ce peuple,
+approche de celle des Juifs. Un bonnet bleu ou violet est encore un signe
+de deuil. Les femmes s'enveloppent la tête d'un mouchoir bleu ou noir, &
+couvrent de noir tout ce qui est rouge dans leurs habillemens.
+
+Pendant la première année, après l'enterrement d'un parent, les femmes
+_Morlaques_ vont, au moins chaque jour de fête, faire de nouvelles
+lamentations sur le tombeau, & y répandre des fleurs & des herbes
+odorantes. Si la nécessité les force quelquefois de manquer à ce devoir,
+elle s'excusent auprès du mort, en lui parlant comme s'il étoit vivant,
+& lui rendent compte des raisons qui les ont empêchées de lui faire la
+visite accoutumée. Elles lui demandent des nouvelles de l'autre monde,
+& lui adressent souvent les questions les plus singulières. Tout cela
+se chante d'un ton lamentable & mésuré. Les jeunes filles, qui désirent
+d'apprendre les belles manières de la nation, accompagnent souvent ces
+femmes, & chantent avec elles des duets vraiment funèbres.
+
+Voilà les observations que j'ai faites sur les moeurs d'une nation
+jusqu'ici peu connue & méprisée. Je ne prétends pas que ces détails, que
+j'ai ramassés dans une grande étendue de pays, & dans des endroits assez
+éloignés l'un de l'autre, conviennent également à tous les villages de la
+Morlachie. Les différences cependant, qui pourraient s'y trouver, seront
+peu considérables.
+
+ * * * * *
+
+
+
+
+ARGUMENT _du poëme Illyrien suivant_.
+
+
+_Asan_, capitaine Turc, est blessé dans un combat, & sa blessure le met
+hors d'état de retourner dans sa maison. Sa mère & sa soeur vont le visiter
+dans le camp: mais sa femme, retenue par une pudeur qui nous paroîtra
+étrange, n'ose pas y aller aussi pour voir son mari. _Asan_ prend cette
+délicatesse pour un défaut de sentiment de la part de sa femme, s'en
+fâche, & dans le premier mouvement de sa colère, il lui envoie une lettre
+de répudiation. On arrache cette tendre épouse & mère à cinq créatures
+touchantes, à ses enfans, dont le dernier est encore au berceau, & elle
+les quitte avec la douleur la plus amere. A peine revenue dans la maison
+de son père, les principaux seigneurs du voisinage demandent sa main. Son
+frère, le _Begh Pintorovich_, l'accorde au _Cadi_, ou au juge d'_Imoski_:
+malgré les prières de sa soeur désolée, qui aimoit toujours son premier
+époux & ses enfans avec la plus vive tendresse. Le cortège nuptial, pour
+aller à _Imoski_ devoit passer devant la maison d'_Asan_, qui, guéri
+de ces blessures & revenu chez lui, se répent vivement de son divorce.
+Connoissant parfaitement le coeur de celle, qui avoit été son épouse, il
+envoie à sa rencontre deux de ses enfans, auxquels elle fait des présens,
+qu'elle avoit préparés pour eux. Alors _Asan_ lui-même fait entendre sa
+voix en rappellant ses enfans, & en se plaignant de l'insensibilité de
+leur mère. Ce reproche, le départ de ses enfans, la perte d'un mari que,
+malgré ses manières rudes, elle aimoit autant qu'elle en étoit aimée,
+causent une si grande révolution dans l'ame de cette jeune épouse qu'elle
+tombe morte subitement, & sans proférer une parole.
+
+ _XALOSTNA PJESANZA_
+
+ PLEMENITE
+
+ _ASAN-AGHINIZE._
+
+ Sto se bjeli u gorje Zelenoi?
+ Al-su snjezi, al-su Labutove?
+ Da-su snjezi vech-bi okopnuli;
+ Labutove vech-bi poletjeli.
+ Ni-su snjezi, nit-su Labutove;
+ Nego sciator Aghie Asan-Aghe.
+ On bolu-je u ranami gliutimi.
+ Oblaziga mater, i Sestriza;
+ A Gliubovza od stida ne mogla.
+
+ Kad-li-mu-je ranam' boglie bilo,
+ Ter poruça vjernoi Gliubi svojoi:
+ Ne çekai-me u dworu bjelomu,
+ Ni u dworu, ni u rodu momu.
+ Kad Kaduna rjeci razumjela,
+ Josc-je jadna u toi misli stala.
+ Jeka stade kogna oko dwora:
+ J pobjexe Asan-Aghiniza
+ Da vrât lomi kule niz penxere,
+ Za gnom terçu dve chiere djevoike:
+ Vrati-nam-se, mila majko nascia:
+ Ni-je ovo babo Asan-Ago
+ Vech daixa Pintorovich Bexe.
+
+CHANSON SUR LA MORT DE L'ILLUSTRE EPOUSE D'_ASAN-AGA_.
+
+Quelle blancheur brille dans ces forêts vertes? Sont ce des neiges,
+ou des cygnes? Les neiges seroient fondues aujourd'hui, & les cygnes se
+seroient envolés. Ce ne sont ni des neiges ni des cygnes, mais les tentes
+du guerrier Asan-Aga. Il y demeure blessé & se plaignant amerement. Sa
+mère & sa soeur sont allées le visiter: son épouse seroit venue aussi, mais
+la pudeur la retient.
+
+Quand la douleur de ses blessures s'appaisa, il manda à sa femme fidelle:
+«Ne m'attends pas ni dans ma maison blanche, ni dans ma cour, ni parmi mes
+parens». En recevant ces dures paroles cette malheureuse reste triste &
+affligée. Dans la maison de son époux, elle entend les pas des chevaux, &
+désespérée elle court sur une tour pour finir ses jours en se jettant par
+les fenêtres. Ses deux filles épouvantées, suivent ses pas incertains, en
+lui criant: Ah, chere mere, ah! ne suis pas: ces chevaux, ne sont pas ceux
+de notre père _Asan_; c'est ton frère, le Beg _Pintorovich_ qui vient te
+voir.
+
+ J vratise Asan Aghiniza,
+ Ter se vjescia bratu oko vrâta.
+ Da! moi biate, welike framote!
+ Gdi-me saglie od petero dize!
+ Bexe muçi: ne govori nista.
+ Vech-se máscia u xepe svione,
+ J vadi-gnoi Kgnigu oproshienja,
+ Da uzimglie podpunno viençanje,
+ Da gre s'gnime majci u Zatraghe.
+ Kad Kaduna Kgnigu prouçila,
+ Dva-je sina u çelo gliubila,
+ A due chiere u rumena liza:
+ A s'malahnim u besicje sinkom
+ Odjeliti nikako ne mogla.
+ Vech-je brataz za ruke uzeo,
+ J jedva-je finkom raztavio:
+ Ter-je mechie K'sebi na Kogniza,
+ S'gnome grede u dworu bjelomu.
+
+ U rodu-je malo vrjeme stâla,
+ Malo vrjeme, ne nedjegliu dana,
+ Dobra Kada, i od roda dobra,
+ Dobru Kadu prose sa svi strana;
+ Da majvechie Imoski Kadia.
+ Kaduna-fe bratu svomu moli:
+
+ «Ai, tako te ne xelila bratzo!
+ Ne moi mene davat za nikoga,
+ Da ne puza jadno serze moje
+ Gledajuchi sirotize svoje».
+
+A ces voix l'épouse d'_Asan_ tourne ses pas, & courant les bras étendus
+vers son frère, elle lui dit: «Ah mon frère! vois ma honte extrême! Il me
+répudie, moi qui lui ai donné cinq enfans»! Le Beg se tait & ne répond
+rien: mais il tire d'une bourse de soye vermeille, une feuille de papier,
+qui permet à sa soeur de se couronner pour un nouveau mari, après qu'elle
+sera retournée dans la maison de ses pères. La dame affligée voyant ce
+triste écrit, baise le front de ses fils & les joues de rose de ses deux
+filles. Mais elle ne peut pas se séparer de l'enfant au berceau. Le sévére
+Beg l'en arrache, l'entraine avec force, la met à cheval, & la ramene dans
+la maison paternelle.
+
+Peu de tems après son arrivée, le peu de tems de sept jours à peine écoulé,
+de toute part on demande en mariage la jeune & charmante veuve, issue
+d'un sang illustre. Parmi les nobles prétendans se distingue le _Kadi_
+d'_Imoski_. D'une voix plaintive elle dit alors à son frère: «ne me donne
+pas à un autre mari, mon cher frère: mon coeur se briseroit dans ma
+poitrine, si je revoyois mes enfans abandonnés».
+
+ Ali Bexe ne hajasce nista,
+ Vech-gnu daje Imoskomu Kadii.
+ Josc Kaduna bratu-se mogliasce,
+ Da gnoi pisce listak bjele Knighe
+ Da-je saglie Imoskomu Kadii.
+
+ «Djevoika te liepo poz dravgliasce,
+ A u Kgnizi liepo te mogliasce,
+ Kad pokupisc Gospodu Svatove
+ Dugh podkliuvaz nosi na djevoiku;
+ Kadà bude Aghi mimo dwora,
+ Neg-ne vidi sirotize svoje».
+
+ Kad Kadii bjela Kgniga doge
+ Gospodu-je Svate pokupio.
+ Svate Kuppi grede po djevoiku.
+ Dobro Svati dosli do djevoike,
+ I Zdravo-se povratili s'gnome.
+
+ A Kad bili Aghi mimo dvora,
+ Dve-je chierze s'penxere gledaju,
+ A dva fina prid-gnu izhogiaju,
+ Tere svajoi majçi govoriaju.
+
+ «Vrati-nam se, mila majko nascia,
+ Da mi tebe uxinati damo».
+
+ Kad to çula Asan-Aghiniza,
+ Stariscini Syatov govorila:
+
+ «Bogom, brate Svatov Stariscina,
+ Ustavimi Kogne uza dvora,
+ Da davujem sirotize moje»
+
+ Ustavise Kogne uza dvora,
+ Svoje dizu liepo darovala.
+ Svakom' sinku nozve pozlachene,
+ Svakoi chieri çohu da pogliane.
+ A malomu u besicje sinku
+ Gnemu saglie uboske hagline.
+
+ A to gleda Junak Asan-Ago;
+ Ter dozivglie do dva sina fvoja:
+
+ «Hodte amo, sirotize moje,
+ Kad-se nechie milovati na vas
+ Majko vasciâ, serza argiaskoga».
+
+ Kad to çula Asan Aghiniza,
+ Bjelim liçem u Zemgliu udarila;
+ U put-se-je s'duscjom raztavila
+ Od xalosti gledajuch sirota.
+
+Le _Beg_ ne fait point d'attention à ses prières, & s'obstine à la donner
+au _Kadi_ d'_Imoski_. Alors elle le prie de nouveau: puisque tu veux
+absolument me marier, envois au moins une lettre en mon nom au _Kadi_, &
+dis-lui: la jeune veuve te salue & te prie par cet écrit, que quand tu
+viendras la chercher, accompagné des seigneurs _Svati_, de lui apporter un
+voile, avec lequel elle puisse se couvrir, afin qu'en passant devant la
+maison d'_Asan_, elle ne voie pas ses enfans orphelins.
+
+Après avoir reçu la lettre, le _Kadi_ assemble sur le champ les seigneurs
+_Svati_ pour chercher son épouse, & pour lui porter le long voile qu'elle
+demande. Les _Svati_ arrivent heureusement à la maison de l'épouse, & la
+conduisent avec le même bonheur vers la demeure de son époux.
+
+Arrivée, chemin faisant, devant la maison d'_Asan_, ses deux filles la
+voyent d'un balcon, & ses deux fils courent à sa rencontre, en criant:
+«chère mère reste avec nous; prens chez nous des rafraichissemens».
+
+La triste veuve d'_Asan_, entendant les cris de ses enfans, se tourne vers
+le premier _Svati:_ «Pour l'amour de Dieu, cher & vénérable arrête les
+chevaux près de cette maison, afin que je donne à ces orphelins quelque
+gage de ma tendresse». Les chevaux s'arrêtent devant la porte, elle
+descend & offre des présens à ses enfans: elle donne aux fils des
+brodequins d'or, & de beaux voiles aux filles. Au petit inocent, qui
+couche dans le berceaux, elle envoit une Robe.
+
+_Asan_ voyant de loin cette scene, rappelle ses fils: «revenez à moi,
+mes enfans; laissez cette cruelle mère, qui a un coeur d'airain, & qui ne
+ressent plus pour vous aucune pitié».
+
+Entendant ces paroles, cette veuve affligée pâlit & tombe par terre. Son
+ame quitte son corps au moment qu'elle voit partir ses enfans.
+
+
+
+FIN
+
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of Sur les moeurs et usages des
+Morlaques, appellés Montenegrins, by Alberto Fortis
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK SUR LES MOEURS ET USAGES DES ***
+
+***** This file should be named 17555-8.txt or 17555-8.zip *****
+This and all associated files of various formats will be found in:
+ http://www.gutenberg.org/1/7/5/5/17555/
+
+Produced by Nikola Smolenski, Mireille Harmelin and the
+Online Distributed Proofreaders Europe at
+http://dp.rastko.net. This file was produced from images
+generously made available by the Bibliothèque nationale
+de France (BnF/Gallica)
+
+
+Updated editions will replace the previous one--the old editions
+will be renamed.
+
+Creating the works from public domain print editions means that no
+one owns a United States copyright in these works, so the Foundation
+(and you!) can copy and distribute it in the United States without
+permission and without paying copyright royalties. Special rules,
+set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to
+copying and distributing Project Gutenberg-tm electronic works to
+protect the PROJECT GUTENBERG-tm concept and trademark. Project
+Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you
+charge for the eBooks, unless you receive specific permission. If you
+do not charge anything for copies of this eBook, complying with the
+rules is very easy. You may use this eBook for nearly any purpose
+such as creation of derivative works, reports, performances and
+research. They may be modified and printed and given away--you may do
+practically ANYTHING with public domain eBooks. Redistribution is
+subject to the trademark license, especially commercial
+redistribution.
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+*** START: FULL LICENSE ***
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+THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE
+PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK
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+To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free
+distribution of electronic works, by using or distributing this work
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+Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full Project
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+http://gutenberg.org/license).
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+electronic works
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+electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to
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+If you paid a fee for obtaining a copy of or access to a Project
+Gutenberg-tm electronic work and you do not agree to be bound by the
+terms of this agreement, you may obtain a refund from the person or
+entity to whom you paid the fee as set forth in paragraph 1.E.8.
+
+1.B. "Project Gutenberg" is a registered trademark. It may only be
+used on or associated in any way with an electronic work by people who
+agree to be bound by the terms of this agreement. There are a few
+things that you can do with most Project Gutenberg-tm electronic works
+even without complying with the full terms of this agreement. See
+paragraph 1.C below. There are a lot of things you can do with Project
+Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this agreement
+and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic
+works. See paragraph 1.E below.
+
+1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the Foundation"
+or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project
+Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual works in the
+collection are in the public domain in the United States. If an
+individual work is in the public domain in the United States and you are
+located in the United States, we do not claim a right to prevent you from
+copying, distributing, performing, displaying or creating derivative
+works based on the work as long as all references to Project Gutenberg
+are removed. Of course, we hope that you will support the Project
+Gutenberg-tm mission of promoting free access to electronic works by
+freely sharing Project Gutenberg-tm works in compliance with the terms of
+this agreement for keeping the Project Gutenberg-tm name associated with
+the work. You can easily comply with the terms of this agreement by
+keeping this work in the same format with its attached full Project
+Gutenberg-tm License when you share it without charge with others.
+
+1.D. The copyright laws of the place where you are located also govern
+what you can do with this work. Copyright laws in most countries are in
+a constant state of change. If you are outside the United States, check
+the laws of your country in addition to the terms of this agreement
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+creating derivative works based on this work or any other Project
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+work, you must comply either with the requirements of paragraphs 1.E.1
+through 1.E.7 or obtain permission for the use of the work and the
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+with the permission of the copyright holder, your use and distribution
+must comply with both paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 and any additional
+terms imposed by the copyright holder. Additional terms will be linked
+to the Project Gutenberg-tm License for all works posted with the
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+License terms from this work, or any files containing a part of this
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+electronic work, or any part of this electronic work, without
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+posted on the official Project Gutenberg-tm web site (www.gutenberg.org),
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+- You pay a royalty fee of 20% of the gross profits you derive from
+ the use of Project Gutenberg-tm works calculated using the method
+ you already use to calculate your applicable taxes. The fee is
+ owed to the owner of the Project Gutenberg-tm trademark, but he
+ has agreed to donate royalties under this paragraph to the
+ Project Gutenberg Literary Archive Foundation. Royalty payments
+ must be paid within 60 days following each date on which you
+ prepare (or are legally required to prepare) your periodic tax
+ returns. Royalty payments should be clearly marked as such and
+ sent to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation at the
+ address specified in Section 4, "Information about donations to
+ the Project Gutenberg Literary Archive Foundation."
+
+- You provide a full refund of any money paid by a user who notifies
+ you in writing (or by e-mail) within 30 days of receipt that s/he
+ does not agree to the terms of the full Project Gutenberg-tm
+ License. You must require such a user to return or
+ destroy all copies of the works possessed in a physical medium
+ and discontinue all use of and all access to other copies of
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+
+- You provide, in accordance with paragraph 1.F.3, a full refund of any
+ money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the
+ electronic work is discovered and reported to you within 90 days
+ of receipt of the work.
+
+- You comply with all other terms of this agreement for free
+ distribution of Project Gutenberg-tm works.
+
+1.E.9. If you wish to charge a fee or distribute a Project Gutenberg-tm
+electronic work or group of works on different terms than are set
+forth in this agreement, you must obtain permission in writing from
+both the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and Michael
+Hart, the owner of the Project Gutenberg-tm trademark. Contact the
+Foundation as set forth in Section 3 below.
+
+1.F.
+
+1.F.1. Project Gutenberg volunteers and employees expend considerable
+effort to identify, do copyright research on, transcribe and proofread
+public domain works in creating the Project Gutenberg-tm
+collection. Despite these efforts, Project Gutenberg-tm electronic
+works, and the medium on which they may be stored, may contain
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+INCIDENTAL DAMAGES EVEN IF YOU GIVE NOTICE OF THE POSSIBILITY OF SUCH
+DAMAGE.
+
+1.F.3. LIMITED RIGHT OF REPLACEMENT OR REFUND - If you discover a
+defect in this electronic work within 90 days of receiving it, you can
+receive a refund of the money (if any) you paid for it by sending a
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+received the work on a physical medium, you must return the medium with
+your written explanation. The person or entity that provided you with
+the defective work may elect to provide a replacement copy in lieu of a
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+providing it to you may choose to give you a second opportunity to
+receive the work electronically in lieu of a refund. If the second copy
+is also defective, you may demand a refund in writing without further
+opportunities to fix the problem.
+
+1.F.4. Except for the limited right of replacement or refund set forth
+in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS', WITH NO OTHER
+WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT LIMITED TO
+WARRANTIES OF MERCHANTIBILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE.
+
+1.F.5. Some states do not allow disclaimers of certain implied
+warranties or the exclusion or limitation of certain types of damages.
+If any disclaimer or limitation set forth in this agreement violates the
+law of the state applicable to this agreement, the agreement shall be
+interpreted to make the maximum disclaimer or limitation permitted by
+the applicable state law. The invalidity or unenforceability of any
+provision of this agreement shall not void the remaining provisions.
+
+1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the
+trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone
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+with this agreement, and any volunteers associated with the production,
+promotion and distribution of Project Gutenberg-tm electronic works,
+harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees,
+that arise directly or indirectly from any of the following which you do
+or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm
+work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any
+Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause.
+
+
+Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm
+
+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
+electronic works in formats readable by the widest variety of computers
+including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
+because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
+people in all walks of life.
+
+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need, is critical to reaching Project Gutenberg-tm's
+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at http://www.pglaf.org.
+
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
+http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
+permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
+
+The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
+Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
+throughout numerous locations. Its business office is located at
+809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
+business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
+information can be found at the Foundation's web site and official
+page at http://pglaf.org
+
+For additional contact information:
+ Dr. Gregory B. Newby
+ Chief Executive and Director
+ gbnewby@pglaf.org
+
+Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation
+
+Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
+spread public support and donations to carry out its mission of
+increasing the number of public domain and licensed works that can be
+freely distributed in machine readable form accessible by the widest
+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
+
+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
+with these requirements. We do not solicit donations in locations
+where we have not received written confirmation of compliance. To
+SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
+particular state visit http://pglaf.org
+
+While we cannot and do not solicit contributions from states where we
+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
+against accepting unsolicited donations from donors in such states who
+approach us with offers to donate.
+
+International donations are gratefully accepted, but we cannot make
+any statements concerning tax treatment of donations received from
+outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
+
+Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including checks, online payments and credit card
+donations. To donate, please visit: http://pglaf.org/donate
+
+
+Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
+works.
+
+Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
+keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
+
+Most people start at our Web site which has the main PG search facility:
+
+ http://www.gutenberg.org
+
+This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
+including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
+subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
+
+*** END: FULL LICENSE ***
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+This eBook, including all associated images, markup, improvements,
+metadata, and any other content or labor, has been confirmed to be
+in the PUBLIC DOMAIN IN THE UNITED STATES.
+
+Procedures for determining public domain status are described in
+the "Copyright How-To" at https://www.gutenberg.org.
+
+No investigation has been made concerning possible copyrights in
+jurisdictions other than the United States. Anyone seeking to utilize
+this eBook outside of the United States should confirm copyright
+status under the laws that apply to them.
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