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diff --git a/.gitattributes b/.gitattributes new file mode 100644 index 0000000..6833f05 --- /dev/null +++ b/.gitattributes @@ -0,0 +1,3 @@ +* text=auto +*.txt text +*.md text diff --git a/17692-8.txt b/17692-8.txt new file mode 100644 index 0000000..3d733db --- /dev/null +++ b/17692-8.txt @@ -0,0 +1,2279 @@ +The Project Gutenberg EBook of L'élixir de vie, by Jules Lermina + +This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with +almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: L'élixir de vie + Conte magique + +Author: Jules Lermina + +Release Date: February 6, 2006 [EBook #17692] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ÉLIXIR DE VIE *** + + + + +Produced by Carlo Traverso, Renald Levesque and the Online +Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This +file was produced from images generously made available +by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) + + + + + + + + JULES LERMINA + + + + L'ÉLIXIR DE VIE + + CONTE MAGIQUE + + + + + PARIS + GEORGES CARRÉ, ÉDITEUR + 58, rue Saint-André-des-Arts, 58 + + + 1890 + + + + PRÉFACE + + +Peut-on prolonger la vie humaine? + +Telle est la question qui, secrètement ou non, se pose tôt ou tard +devant l'esprit investigateur du savant, qu'il s'agisse d'un alchimiste +ou d'un professeur du Collège de France. + +Les écoles spiritualistes, qui considéraient la vie comme quelque chose +d'immatériel, de complet et d'existant par soi-même, fournissaient +aux audacieux de solides arguments de recherche. Mais la froide +argumentation positiviste de l'École de Médecine de Paris vint détruire +ces beaux rêves au nom de l'expérimentation pure, et la vie ne fut +plus que le résultat plus ou moins parfait d'actes chimiques accomplis +d'après des lois déterminées dans l'intimité des tissus. + +Cette lutte entre les deux tendances opposées est bien curieuse à +suivre.--_Bichat_ sentant la puissance efficiente de la vie vient +la définir: _ce qui résiste à la mort_; mauvaise définition pour le +philosophe; excellente pour le médecin qui, tôt ou tard, constate la +force curative de cette puissance mystérieuse.--_Claude Bernard_ jure de +savoir à quoi s'en tenir et, renversant la définition spiritualiste de +Bichat, il fait de l'étude de la vie la préoccupation constante de ses +recherches. De superbes résultats sur les fonctions particulières de +divers organes sont acquis chemin faisant, mais le but à atteindre +semble reculer sans cesse et le célèbre adversaire de Bichat se déclare +vaincu dans un de ses derniers ouvrages[1]: (je cite de mémoire) «La +vie, c'est ce qui fait qu'un oeuf de poule et un oeuf de rossignol, +constitués chimiquement de même, produisent l'un une poule, l'autre un +rossignol.» + +[Note 1: Claude Bernard, _Science expérimentale_.] + +Sans vouloir nous attarder plus que de mesure sur cette question qui +touche trop aux «Causes Premières», constatons l'existence en l'homme +d'une force qui renouvelle sans cesse les éléments usés et conserve la +forme du corps. + +Les expériences de _Flourens_, faisant manger de la garance aux animaux, +sont venues en effet prouver que les cellules matérielles les plus dures +et les plus résistantes du corps humain, les cellules osseuses, mettent +au maximum _un mois_ à se renouveler. Il en résulte, ainsi que le +remarque _Maldan_[2], qu'une personne que nous voyons au bout de trois +ou quatre mois n'est plus la même, matériellement parlant, que celle +que nous avons vue quatre mois avant. Pourtant la physionomie n'a pas +changé; la forme générale du corps non plus; il faut donc qu'il y +ait dans l'homme une certaine force qui conserve les formes acquises +indépendamment du renouvellement incessant des cellules. + +[Note 2: Maldan, _Matière et force_, Dentu, 1882.] + +Où se trouve donc cette force? + +Dans l'homme, elle est charriée partout par un petit élément cellulaire, +le globule sanguin, qui vient redonner la force aux organes qui en ont +besoin et qui court ensuite quérir lui-même une nouvelle provision de +cette force pour revenir de nouveau.--Cela s'appelle la circulation. + +Empêchez le globule d'arriver à un organe, cet organe _meurt_ bientôt, +ce qui nous indique que le globule sanguin est bien le siège de cette +force qui n'est autre que _la vie_. + +Un premier moyen, bien grossier, de redonner la vie à celui qui en +manque est donc de lui infuser directement une certaine quantité de +globules sanguins vivants. Cela s'appelle la transfusion du sang et +c'est là le procédé de rajeunissement de certains riches Orientaux. + +Mais la force dans l'homme n'est pas seulement fixée sur cet élément +qui circule toujours: la nature a ménagé un peu partout une série de +réservoirs dans lesquels cette force vient se condenser, se mettre en +tension, s'accumuler pour être répartie ensuite au fur et à mesure des +besoins. Ces réservoirs sont des ganglions nerveux réunis souvent +en plexus et leur ensemble constitue le mystérieux système de la vie +organique représenté par le nerf grand sympathique. + +Tout autour du coeur, tout le long de la colonne vertébrale, dans +l'intérieur de l'abdomen se trouvent _des centres de réserve de force +vitale_, centres sous l'influence desquels se meuvent tous les organes +qui marchent sans subir l'action de notre volonté. + +Or, un fait depuis longtemps connu des Indous et des Orientaux, c'est +que la vie, ainsi mise en réserve peut _sortir hors de l'être humain_ et +venir agir à distance. + +Celui qui possède le secret de cette action pourra donc, non plus +soutirer le sang qui doit le revivifier, procédé tout au plus digne +des ignorants, mais s'adresser aux réserves vitales et, invisiblement, +attirer en lui la force qui lui manque. + +A ceux qui douteraient de l'action de la vie hors de l'homme, je citerai +les délicates et rigoureuses expériences de _William Crookes_, de la +Société royale de Londres[3] sur la Force Psychique et son action à +distance, action vérifiée par des appareils mécaniques enregistreurs. + +[Note 3: William Crookes, _Force Psychique_.] + +Nous voici donc retombés dans le domaine du Magnétisme animal et du +Spiritisme, me direz-vous? + +Appelez-le comme vous voudrez. Que m'importe. Il s'agit là de faits +réels, indiscutables, que les Académies admettront dans quelques +dizaines d'années. + +Puisque je suis lancé sur ce terrain de la science occulte, pourquoi +n'irais-je pas jusqu'au bout des hypothèses en vous racontant l'origine +de la vie humaine d'après les occultistes. + +Vous n'ignorez pas, n'est-ce pas, que la vie est en réserve dans les +ganglions nerveux du grand sympathique. D'où vient-elle avant d'être +condensée là? + +Du globule sanguin, soit directement, soit par l'intermédiaire du +cervelet, si l'on en croit les admirables travaux, malheureusement peu +connus, du Dr Luys[4]. + +[Note 4: Dr Luys, _le Système nerveux_. Paris, 1865, in 8°.] + +Ce globule sanguin, où puise-t-il cette force qu'il porte partout sous +l'influence de l'oxydation de l'hémoglobine? + +Dans l'air qui baigne et qui vivifie tous les êtres vivants de la terre, +soit directement, soit en dissolution. + +Toute composition chimique mise à part, d'où vient l'air? + +Un occultiste de haute valeur, _Chardel_[5], montre que l'atmosphère +terrestre résulte de l'action du Soleil sur notre Terre.--L'Air est une +modalité de la Force solaire. + +[Note 5: Chardel, _Esquisse de la Nature humaine_, I vol. in-8°, +1840.] + +L'origine première de la Vie, c'est donc le Soleil qui, par une série de +transformations successives, arrive à se loger dans un ganglion nerveux +sous forme de vie humaine. + +Quand je brûle du bois, croyez-vous que je fais autre chose que +d'extraire le Soleil que ce bois avait condensé, alors que le végétal +était vivant? + +Il en est de même pour la vie dans toutes ses modalités. + +Un troisième moyen plus mystérieux encore que les précédents consiste +donc à aller chercher secrètement les éléments vivificateurs dans le +Soleil lui-même; mais alors nous faisons de la Magie, mot qui sonne +mal aux oreilles des savants contemporains et que les littérateurs se +chargeront du reste de leur faire comprendre mieux que nous pourrions le +faire nous-même. + +Il existe en effet de nos jours de véritables centres de recherches où +est étudiée la Magie dans toutes ses branches.--Le _Groupe indépendant +d'études ésotériques_, la Revue _l'Initiation_[6] traitent de ces +questions et de nombreux chercheurs: _Stanislas de Guaita, F.-Ch. +Barlet, Julien Lejay, Polti et Gary, Augustin Chaboseau_ appliquent la +Science Occulte à nos diverses sciences contemporaines. + +[Note 6: 58, rue St-André-des-Arts, Paris.] + +La liste se grossit chaque jour davantage des Mages-Littérateurs +représentant toutes les écoles, depuis le catholique ultramontain +_Joséphin Péladan_, l'initiateur du mouvement, jusqu'au charmant poète +_Gilbert Augustin Thierry_, en passant par le catholique socialiste +_Paul Adam_ et les poètes _Alber Jhouney_, _Emile Michelet_, _Paul +Marrot et L. Mauchel_. Voilà donc une nouvelle école qui se lève à +l'horizon, école tout à la fois scientifique, artistique et sociale, et +au nom de tous ses partisans je remercie _Jules Lermina_ d'avoir prêté +son talent de littérateur à l'exposition de cette thèse que la vie peut +s'infuser mystérieusement d'un être à l'autre, secret redoutable de +l'_Elixir de Vie_ des anciens alchimistes et des initiés de l'Orient. + +Mais peut-on devenir immortel? + +Demandez à MM. les docteurs _Brown Sequart_ et _Variot_ ou attendez la +prochaine nouvelle de Jules Lermina. + +Papus. + + + +L'ÉLIXIR DE VIE + + + + +I + + +Il y avait trois mois à peine que j'avais passé ma thèse et conquis +enfin ce grade de docteur qui était toute l'ambition de ma jeunesse. +Avec quelle joie j'avais écris à mon brave homme de père, avec quelle +émotion j'avais ouvert la lettre m'apportant, avec ses félicitations +chaleureuses, le billet de cinq cents francs qui allait permettre mon +installation à Paris. + +Médecin à Paris! et vingt-sept ans! il faut avoir passé par ces +illusions pour en comprendre toute la force, pour en déguiser toute la +saveur. J'étais estimé de mes professeurs, j'avais subi mes examens +dans des conditions exceptionnelles de succès; j'avais, en ces années +d'étude, conquis quelques amis sûrs: n'est-il pas vrai que l'avenir +devait m'apparaître radieux? + +Mes ressources étaient minces, il est vrai: je savais que mon père, +petit cultivateur de la Sarthe, s'était imposé un dur sacrifice en +m'envoyant une petite somme, et qu'il ne me fallait plus compter que +sur moi-même. Mais j'avais foi en moi, en ma passion de travail, en la +_science_ qui est indulgente à qui l'aime sincèrement. + +Je me mis donc résolument à l'oeuvre, prenant pour objectif prochain +l'agrégation, que j'étais décidé à poursuivre, tout en commençant à +pratiquer. J'étais robuste, j'étais sobre; en résumé, je me trouvais +en conditions excellentes, et je dois d'autant mieux le reconnaître +qu'aujourd'hui je suis arrivé, et au delà, au but que je m'étais fixé. + +Ce serait coquetterie de ma part que d'insister sur la dureté des +premiers temps, que je regrette peut-être quelquefois, ces temps de +jeunesse où paraît si bon le pain arrosé d'un verre d'eau. En somme, +j'étais, dès mes débuts, convenablement logé; grâce à ces fournisseurs +complaisants--que quelques-uns appellent rageusement des créanciers--et +qui furent en vérité mes bailleurs de fonds, puisque à qui n'a pas de +capital, il faut bien, sous peine de mort que des avances soient faites, +j'étais proprement meublé, confortablement vêtu, et, si j'économisais +quelque peu sur la nourriture, en fait nul n'y prenait garde, tant +j'avais bonne allure et saine physionomie. + +Je ne dirai pas que les clients se portassent en foule chez moi: +j'obéissais pourtant avec religion aux prescriptions volontaires que +j'avais gravées à la fois, et dans ma conscience, et sur la plaque de +cuivre clouée près de la porte cochère: «Docteur-médecin, consultations +de deux à cinq heures»--la bonne mesure, comme on voit. + +Je n'étais guère dérangé dans mes travaux, et j'aurais pu, s'il m'avait +plu, manquer parfois à la consigne que j'avais édictée. Mais j'avais le +respect de la parole donnée, et aussi--jugez donc!--s'il était venu un +client en mon absence! J'avais même peine à sortir de chez moi avant +six heures et, après un rapide et frugal repas, je me hâtais de rentrer, +redoutant toujours de laisser échapper l'occasion qui ne pouvait manquer +de se présenter. + +Inutile de dire que je soignais d'ailleurs toute la maison en amateur. + +Un soir de septembre, j'avais allumé ma lampe de bonne heure et je +piochais avec acharnement, songeant au jour où il me serait donné de +proclamer mes idées et mes théories du haut d'une chaire, quand je fus +arraché à ma placidité par un violent coup de sonnette. + +Tressautant sur ma chaise, je me hâtai vers la porte et j'ouvris, tenant +une lampe élevée pour examiner le visage du visiteur. + +C'était une dame vêtue de noir, mais dont l'extérieur ne présentait +aucun des caractères romanesques qu'on pourrait supposer. Traits assez +communs, quarante ans, de l'embonpoint. + +Elle pleurait. Je m'empressai de l'introduire dans mon «cabinet de +consultation» et, avec une certaine loquacité, je me mis tout à sa +disposition. + +Mais je m'aperçus bientôt que la pauvre créature était dans un tel état +d'agitation et que, de plus, elle avait monté mes quatre étages avec une +telle hâte qu'il lui était impossible d'articuler une parole. + +Je n'étais pas encore assez vieux praticien pour ne pas compatir aux +faiblesses humaines, et je me mis en devoir de lui préparer un verre +d'eau--avec du sucre, s'il vous plaît!--quand elle murmura: + +--Monsieur, je vous en prie... venez, venez tout de suite... Mon +enfant... + +Un sanglot lui coupa la parole. Mais avait-elle besoin d'en dire plus? +Elle avait besoin de mon ministère... et pour un enfant!... + +J'ai toujours adoré ces petits êtres, et ç'a été une de mes plus +poignantes douleurs de me sentir, au pied d'un berceau, impuissant et +ignorant! Oh! la méningite! quelle ennemie!... + +--Je suis à vos ordres, m'écriai-je en saisissant mon chapeau. +Habitez-vous loin d'ici? + +--Non, non! la maison voisine... Pardonnez-moi d'être venue ici, mais +justement c'était si près... + +J'aurais été mal venu à me blesser de cette excuse... inutile. +J'affirmai de nouveau que j'étais prêt à la suivre, et nous sortîmes. + +Marchant à côté de la dame, dans la rue, je l'interrogeai au sujet de +l'enfant. De quelle maladie était-il atteint? Depuis combien de temps? + +--Elle se meurt, monsieur! C'est une fille et qui, il y a six mois, +était si fraîche, si forte, si belle!... + +--Quel âge? + +--Dix ans. Voilà, monsieur, je suis veuve... je vis seule avec ma fille. +Nous ne fréquentons personne, à l'exception de M. Vincent... + +--M. Vincent? + +La pauvre femme crut-elle découvrir dans mon accent--et bien à tort +certes--une intention soupçonneuse? Car elle ajouta vivement: + +--Oh! un vieillard, monsieur, soixante... peut-être soixante-dix ans... +mais si bon et qui aime tant ma Pauline!... + +Nous avions atteint la maison. Nous montâmes au deuxième étage et nous +entrâmes. Le logis était propre, bien tenu. Un ordre parfait y régnait. +De la salle à manger, qui servait de pièce d'entrée, nous pénétrâmes +dans la chambre à coucher, et là, du premier coup d'oeil, je vis, +étendue dans un petit lit auprès de celui de sa mère, celle qu'elle +avait appelée Pauline. + +Il est singulier que la maladie et la mort, contemplés à l'hôpital, +pendant la période d'internat, ne nous causent point le centième de +l'effet que nous ressentons au chevet de nos premiers malades. + +Mon coeur s'était subitement contracté et je m'étais senti pâlir. + +La pauvre enfant était blanche, si blanche qu'elle semblait n'avoir plus +une seule goutte de sang dans les veines: sous les paupières, aux bords +bleuis, le globe de l'oeil apparaissait terne, grisâtre, et les mains +s'étendaient, longues et maigres, sur les draps d'où leur pâleur +ressortait encore. + +--Une bougie! demandai-je vivement. + +Et je me penchai sur ce lit, examinant avec une attention profonde +ce pauvre être que la mort avait déjà frappé de son doigt, en signe +d'irrévocable appel. C'était l'anémie à son dernier période. + +Mais quelle lésion pouvait avoir déterminé cet état? + +La mère, interrogée, me répéta, avec plus de détails, que sa fille +s'était toujours bien portée, qu'elle était--six mois auparavant--d'une +santé parfaite, que tout le monde admirait cette fleur vivace et saine +en qui se devinait déjà la jeune fille. + +--Et il n'y a pas à dire, continuait la pauvre femme en pleurant, qu'il +y ait eu le moindre changement dans notre vie. Il y a trois ans que +nous demeurons ici. L'appartement est aéré, donne sur des jardins. Je +n'envoie pas Pauline à l'école; c'est notre voisin, M. Vincent, qui lui +donne des leçons, et il est trop raisonnable pour l'avoir poussée trop +vite. + +En vérité, j'avais presque peur de toucher cette frêle créature dont +l'épuisement si subit m'épouvantait en me paraissant inexplicable. +Cependant je ne pouvais me convaincre qu'il n'existait aucun moyen de la +sauver. Aidé de sa mère, j'auscultai l'enfant avec un soin minutieux, +et je constatai--avec une véritable stupeur--qu'elle était admirablement +conformée; le coeur était intact et je n'y percevais point le souffle +caractéristique de l'anémie, non plus que dans les vaisseaux du cou. + +Les poumons étaient intacts et bien développés. Sous cette maigreur +d'étisie, la charpente vitale était exceptionnelle. Aucun symptôme de +lymphatisme. + +La mère n'était point pauvre: avec une petite pension qui lui venait de +son mari, ancien garde de Paris, elle possédait une rente de deux mille +francs. De plus, le vieillard dont elle m'avait parlé, M. Vincent, +prenait pension chez elle et payait largement. + +Par malheur, la jeune fille n'avait suivi aucun traitement régulier, +avec un entêtement qui provient d'une défiance irraisonnée, la mère +n'avait jamais appelé le médecin, se contentant de remèdes anodins, eau +ferrée--des clous dans une carafe--que sais-je? + +Et maintenant j'étais contraint de m'avouer à moi-même que tous +mes efforts, pour ranimer cet organisme si étrangement épuisé, +n'aboutiraient même pas à une prolongation d'existence, fût-ce de +quelques jours. + +Je restais là, abattu, vaincu, attendant avec découragement une +inspiration qui ne pouvait me venir. + +La mère me contemplait, silencieuse, devinant sans doute les pensées +poignantes que trahissait mon visage. Je ne savais pas encore cacher +mon impuissance sous une phraséologie banale et consolatrice. Je ne m'en +fais pas un mérite, le médecin devant agir sur le cerveau comme sur les +autres organes. + +A ce moment nous entendîmes un bruit de pas dans la première pièce. + +--C'est M. Vincent, dit la mère. + +La porte s'entr'ouvrit doucement; mais au même instant, je vis le corps +de la jeune fille se soulever, sa tête se tourner, ses mains se tendre +du côté où ce bruit--presque imperceptible--s'était produit. + +Je soutins l'enfant et, à ma grande surprise, je sentis un effort +suprême dans ce pauvre corps, comme si elle voulait s'échapper de mes +bras: la porte s'était refermée, et la jeune fille retomba, morte!... + +Je poussai un cri, à la fois surpris et désespéré. Cette mort si rapide, +sans agonie--cette extinction subite de la flamme vitale--me stupéfiait +et j'éprouvais une sorte de colère contre mon inintelligence. Car, en +vérité, je ne comprenais rien à ce qui venait de se passer sous mes +yeux; il me semblait que j'étais en proie à un cauchemar. + +La mère, avec une clameur navrée, s'était jetée sur le pauvre corps +immobile. Je m'écartai du lit et machinalement, comme embarrassé de +l'inutilité de ma présence, j'ouvris la porte et je pénétrai dans la +première pièce. + +Ce fut alors que je vis pour la première fois M. Vincent. + +Vêtu de couleurs claires, il portait un habit gris, presque blanc. +Il était de taille moyenne, assez replet; mais ce qui me frappa tout +d'abord, c'est qu'il me fut impossible de lui attribuer un âge positif. +Les cheveux étaient blancs, court frisés et formant trois pointes bien +dessinées sur son front et sur ses tempes. Mais le visage était si +frais, si rosé, les yeux étaient éclairés d'une lueur si vive qu'en +vérité je me demandais si j'avais en face de moi un vieillard ou un +jeune homme, qui, par une prédisposition moins rare qu'on ne le croit +généralement et tenant au tissu pigmentaire, aurait eu dès l'adolescence +les cheveux décolorés. + +Et pourtant je me souvenais fort bien que la mère de la morte m'avait +parlé de M. Vincent comme d'un septuagénaire. + +Il était debout auprès de la fenêtre, attristé, mais pas autant--me +sembla-t-il--que je l'aurais voulu trouver. Il s'inclina poliment et +m'interrogea du regard: + +--Elle est morte, lui dis-je. + +Une subite contraction bouleversa son visage, et dans ce mouvement +réflexe, je vis tous ses traits se plisser, montrant les mille rayures +qui sont l'indice sûr de la vieillesse. Cette apparence de fraîcheur +était toute superficielle. Du reste, sans doute par l'afflux du sang +au coeur, provoqué par l'émotion, son teint avait pris subitement une +teinte jaunâtre, parchemineuse; les joues s'étaient creusées sous les +pommettes saillantes. En une seconde, un masque de mort s'était plaqué +sur cette figure. + +Et sans dire un mot, saisissant son chapeau avec un emportement +fiévreux, M. Vincent, comme pris d'une peur dont il n'était pas +le maître, courut à la porte extérieure, l'ouvrit et--je puis +dire--s'enfuit avec une rapidité vertigineuse. + +Je pensai que cet abandon d'un ami à l'heure suprême serait un nouveau +sujet de désespoir pour la pauvre mère, et je me disposais à revenir +auprès d'elle, en dépit de la fausseté de ma situation, quand j'entendis +frapper à la porte. + +Croyant que M. Vincent, pris de remords, s'était décidé à remonter, +j'ouvris promptement. C'étaient deux voisines qui venaient prendre des +nouvelles de la jeune fille. + +Quand elles eurent appris la catastrophe, elles hochèrent la tête. + +--Ça devait finir comme ça, dit l'une. + +--Que voulez-vous dire? demandai-je vivement. + +La femme allait répondre, quand la mère, ayant entendu le son de voix +connues, sortit de la chambre et se jeta dans les bras de sa voisine en +sanglotant. + +Mon rôle était fini; je m'inclinai et je sortis, éprouvant un sentiment +d'indicible soulagement à quitter cette maison où ma sensibilité avait +été mise à une si rude épreuve. + +Je descendais l'escalier, lentement, oppressé cependant par une angoisse +dont je définissais mal la nature. Il me semblait que je laissais +derrière moi un mystère inexpliqué. + +Au moment où je passais devant la loge du concierge, celui-ci m'arrêta: + +--Eh! bien! monsieur le médecin? commença-t-il. + +--J'ai été appelé trop tard, me hâtai-je de répondre. + +L'homme me regarda avec étonnement, comme s'il ne comprenait pas. Je lui +donnai quelques explications rapides. Il poussa un vigoureux juron; puis +brandissant le poing vers un ennemi absent: + +--Ah! le bandit! gronda-t-il. Quand je pense, c'était un colosse de +santé, monsieur! et fraîche et rose!... + +--Combien y a-t-il de temps qu'elle est malade? + +--Mais six mois, monsieur, six mois juste! + +--Qui donc appeliez-vous tout à l'heure... le bandit? + +--Mais lui! ce vieux tocasson qui n'avait que la peau sur les os et qui +est venu se faire nourrir par la mère aux dépens de la fille! Oh! il a +profité, lui! + +--Quoi! m'écriai-je, supposez-vous donc qu'elle soit morte de faim? + +--Eh bien! et de quoi donc alors? + +--Viens donc, mon homme, et ne t'occupe donc plus des affaires des +autres! cria du fond de la loge une voix féminine. C'est l'affaire du +médecin de savoir la vérité!... + +--Au fait, c'est vrai! fit le concierge en brisant l'entretien de façon +irrévérencieuse. + + + + +II + + +Je rentrai chez moi, fiévreux, presque irrité. Pour la première fois +qu'on faisait appel à ce qu'il me plaisait d'appeler ma science, je me +heurtais à un cas désespéré: brutalement, la mort me barrait le passage, +et il me semblait l'entendre murmurer à mon oreille le mot de la suprême +désespérance: «Tu n'iras pas plus loin!...» + +Mais je ne souffrais pas seulement de ce sentiment égoïste et humilié: +l'angoisse qui me poignait tout à l'heure augmentait. Pour m'y +soustraire, j'essayais de classer mes idées, de grouper les faits +remarqués et d'obtenir d'eux une réponse aux doutes qui m'irritaient. + +L'état de cette enfant ne répondait à aucune des observations connues. +J'ouvrais mes livres un à un, et nulle part je ne trouvais rien qui +me satisfît. La malade ne présentait aucun des symptômes classés, et +c'était là justement ce qui me troublait le plus: l'absence de symptômes +s'affirmait à chaque instant davantage. Fallait-il croire, selon +l'insinuation du concierge, aux mauvais traitements, à l'inanition? +Mais, outre que les allures de la mère, l'affection profonde et non +jouée qu'elle portait à sa fille donnaient un absolu démenti à ces +suppositions, l'état physique de la malade donnait, à ce point de vue, +des contre-indications formelles. + +Pendant le peu de temps que j'avais pu l'examiner et l'ausculter, +j'avais été surtout étonné de l'état sain des organes importants. Il y +avait eu évidemment déperdition de vitalité, lente ou rapide; mais elle +ne s'était opérée par aucun de ces accidents qui laissent en l'organisme +des lésions ordinairement faciles à constater. + +Mais pourquoi les deux commères avaient-elles paru si bien comprendre +ce qui, pour moi, restait inexpliquable? Pourquoi le concierge avait-il +semblé dans ses interjections rapides, accuser l'étrange personnage que +je connaissais sous le nom de M. Vincent, dont l'abord, il est vrai, +m'avait frappé d'une impression pénible, mais que nul indice ne me +permettait de soupçonner... Et sur quoi auraient porté mes soupçons? Si +horribles que pussent être certaines hypothèses, je m'y arrêtais et, là +encore, groupant mes observations, j'acquérais la conviction qu'elles +n'auraient reposé sur aucune base possible. + +Puis, je le répète, il est des physionomies qui ne trompent pas, et +celle de cette mère respirait la plus parfaite honnêteté. Elle aimait +sa fille, ne l'avait jamais quittée... Non, non, il était inutile de se +lancer sur une piste que tout démontrait fausse et calomniatrice. + +A la fin, cet examen de raison et de conscience m'énerva à ce point +qu'il me fut impossible de rester seul plus longtemps. J'avais besoin +d'entendre des voix humaines, d'échanger mes pensées, de me rafraîchir +le cerveau dans le flot des banalités courantes. + +Je sortis. Quand j'entrai dans le cercle de lumière projeté par le gaz +de la brasserie, et d'où émergeait la silhouette remuante des jeunes +gens, ce fut une clameur de bienvenue. Depuis ma thèse, on ne m'avait +pas vu trois fois. Et les quolibets amicaux de pleuvoir sur moi, et les +mains de m'attirer, pour me contraindre à m'asseoir devant une pile de +soucoupes, obélisque obituaire des chopes disparues. Je ne me fis pas +prier, d'ailleurs. Ce bruit, cette exubérance me rassérénaient. + +Il me fallut rendre raison de ma perpétuelle réclusion, me défendre +d'ingratitude envers les anciennes amitiés, confesser mes ambitions et +mes espérances, mais surtout trinquer et retrinquer encore, en absorbant +l'horrible dilution alcoolisée qu'en notre beau pays on décore du nom de +bière, et dont le principal mérite--apprécié surtout du vendeur--est de +condamner le moins altéré à une soif dévorante, mère du renouvellement. + +Sous cette influence excitante pour le cerveau, jusqu'au moment où elle +torture l'estomac, mes idées se faisaient plus nettes: je reprenais la +perception active des faits et en même temps, je sentais un invincible +désir de raconter l'étrange aventure à laquelle j'avais été mêlé tout +à l'heure. Naturellement je ne tardai pas à y succomber et, d'une seule +haleine, je narrai l'incident. + +Comme il s'agissait d'un enfant--l'éternel problème qui émeut les plus +sceptiques--on m'écouta attentivement, et nul ne me railla lorsque +j'affirmai l'émotion douloureuse que m'avait causée mon ignorance. + +--Ecoute, me dit Gaston Dussault, un jeune docteur dont nous +reconnaissions tous la haute valeur, je n'ai pas la prétention de te +donner le mot du logogriphe que tu nous proposes. Mon observation sera +d'un caractère plus général et en même temps de nature, hélas! +peu encourageante. Il y a deux périodes dans la vie du médecin. La +première--temps de jeunesse--comporte la curiosité ardente, la volonté +de vaincre le mal, le dévouement que rien ne rebute. C'est aussi le +temps du travail acharné, avec quinze et vingt heures de lecture ou +de griffonnage, avec la brûlure des yeux à des mèches de chandelles +fumeuses et mal odorantes. Or pendant que nous potassons avec cette +furie, la vie marche, s'agite, se rue autour et en dehors de nous. +Nous nous bouchons les oreilles pour n'entendre pas le bruit que fait +l'humanité, la grande malade souffrant par les poumons, par le coeur, +par le cerveau. Nous demandons à autrui la science toute faite, celle +que le passé a entassée dans les in-8° formidables de lourdeur et de +prix et le temps nous manque pour apprendre le secret de la vie et de la +mort dans le seul livre toujours ouvert, illustré de _schémas_ toujours +nouveaux, sincères et probants, et ce livre, le voici... + +D'un geste circulaire, il montrait le boulevard; le gaz jetait ses +bandes blanchâtres dans lesquelles roulait le flot incessant des +promeneurs. + +--Voilà le grand manuel de pathologie interne et externe, continua-t-il; +voilà la physiologie en action. Que voyons-nous de cela nous, les +jeunes, rivés à l'hôpital ou au cabinet de travail? Et ceci est un +volume, un chapitre, un alinéa de la vaste encyclopédie médicale qui est +la société tout entière. Ah! s'écria-t-il d'un accent dont la +sincérité nous frappa, avoir le temps--c'est-à-dire l'argent de la vie +quotidienne--et se consacrer tout entier à la lecture de la bibliothèque +humaine, de ce dictionnaire universel dont chaque homme est une +page, l'épeler, la transcrire, l'annoter... et après cela faire de la +médecine! Que dis-je? Après cela, la médecine serait faite... car +alors on aurait autopsié, non des cadavres, mais des êtres vivants, +des cerveaux, des poitrines et des coeurs... Dix ans d'observations +accomplies avec le superbe courage que nous mettons à remuer des cendres +d'érudition, et la vraie flamme jaillirait!... + +--Mais après le travail forcené auquel nous devons nous condamner, +m'écriai-je, il nous reste plus de la moitié de notre vie... + +--Pour devenir le second homme qui est en tout médecin, interrompit-il, +le découragé, le sceptique, l'ignorant, le praticien banal et routinier +qui vise la croix d'honneur et l'Académie. Quand nous nous évadons des +livres, nous sommes aveugles et ne voyons plus l'homme... + +A ce moment, je poussai une exclamation et, posant ma main sur son bras: + +--Regarde, lui-dis-je. + +Il suivit l'indication que lui donnait mon doigt. + +--Quel est cet homme? demanda-t-il. + +--C'est le vieillard dont je te parlais tout à l'heure... M. Vincent!... + +En effet, sous le reflet cru des cristaux dépolis, le vieillard +s'avançait, lentement, péniblement, et je frissonnais en constatant +l'incroyable changement qui s'était produit en lui depuis une heure à +peine que je l'avais quitté. + +Il me paraissait blafard, maigre, voûté, brisé. A chaque pas traîné sur +l'asphalte, il regardait autour de lui, tournant son cou branlant dont +je croyais entendre craquer les vertèbres. + +--Hé! mais, s'écria un de nos voisins, c'est le vieux Thévenin! Il n'est +donc pas mort? + +--En effet, reprit Gaston, qui l'avait regardé plus attentivement; je ne +l'avais pas reconnu tout d'abord... + +--Mais qui est M. Thévenin? demandai-je impatiemment. + +Sans me répondre directement, Gaston continua, comme se parlant à +lui-même: + +--Je l'ai rencontré il y a quelques mois à peine, il était alerte et +rajeuni... + +--Puisque moi-même, il y a une heure, j'ai cru, en le voyant, me trouver +en face d'un homme encore jeune... Il se peut, après tout, que le +chagrin ait produit cette métamorphose... + +--Viens, me dit Gaston, en me touchant légèrement l'épaule; je te dirai +ce que je sais de lui... + +M. Vincent--je continuerai à lui donner ce nom, qui lui appartenait +réellement: il s'appelait Vincent Thévenin--avait franchi la zone de +lumière dont nous occupions le centre. + +Je me levai avec empressement et suivis mon camarade. + +En un instant, nous eûmes retrouvé la piste du vieillard, qui remontait +le boulevard, se perdant à travers la foule rieuse et gaie qui jouissait +de cette soirée d'été plantureuse et vivifiante. + +Son dos étroit semblait appartenir à une personnage macabre. + +--Parle, dis-je à mon camarade; hâte-toi de me dire ce que tu sais de ce +personnage qui m'intéresse, m'inquiète et m'irrite tout à la fois. + +--Suivons-le d'abord, reprit Gaston; je connais son passé, il me +plairait de connaître quelque chose du présent. + +Je dus commander à mon impatience et, réglant notre pas sur celui de M. +Thévenin, nous nous arrangeâmes de façon à ne le pas perdre de vue. + +Je remarquai alors que devant chaque café il s'arrêtait, restant sur +le seuil et fouillant du regard, cherchant sans doute quelqu'un... ou +peut-être quelqu'une, ajouta Gaston en riant. En effet, il se portait de +préférence devant les établissements fréquentés par les jeunes femmes du +quartier. + +--C'est une simple plaisanterie, du reste, ajouta Gaston; car, outre que +Thévenin a toujours été fort chaste, il doit être plus que centenaire... + +--Centenaire! + +--J'ai trente-cinq ans, reprit mon interlocuteur, et, quand j'en avais +quinze, celui qui me raconta l'histoire de Thévenin m'affirma qu'il +vivait déjà en 1789. + +Cependant le vieillard avait repris--non sa course--mais son glissement +silencieux qui lui donnait un caractère quasi-fantastique. + +A mesure qu'il marchait, il semblait qu'il se courbât davantage sous un +poids devenu plus lourd: son apparence falote s'accentuait. En vérité, +nous en venions à craindre qu'il ne s'affinât au point de s'évanouir +dans l'air et de disparaître tout à fait. + +Arrivé à l'extrémité du boulevard, il s'arrêta, comme hésitant sur la +direction qu'il devait suivre: mais l'heure passait, les promeneurs +devenaient rares. Étant tout près de lui, presque à le toucher, nous +le vîmes esquisser un geste qui tenait à la fois de la colère et du +découragement; et il s'engagea dans une rue transversale. + +Nous ne perdîmes pas sa trace et bientôt nous le vîmes traverser la +rue et marcher droit à une porte cochère, devant laquelle une grosse +femme--évidemment une concierge--humait les fraîcheurs de la soirée, +tenant sur les genoux un garçon de six à sept ans, solide et gras. + +A peine le gars eût-il aperçu Thévenin qu'il sauta en bas du giron de +sa mère et courut à lui à grandes enjambées. Il heurta même si fort le +vieillard que nous craignîmes un instant qu'il ne le renversât. Mais au +contraire, avec une force qui nous étonna, Thévenin le saisit dans ses +bras, l'enleva de terre et l'embrassa longuement: + +--Pauvre homme, murmurai-je attendri, il pense à la petite morte. + +Cependant la grosse femme rappelait son garçon, l'objurgant en criant: + +--Veux-tu bien laisser monsieur... petit gredin!... Je vous demande +pardon, monsieur Vincent... + +Il répondait doucement, tapotant les joues du petit qui était revenu se +coller contre lui. + +--Ah! je sais bien que vous êtes le papa Gâteau de tous les enfants! +continuait la femme, et, du plus loin qu'ils vous aperçoivent, ils +courent à vous... + +Cependant M. Vincent n'entrait pas, quoique la concierge se fût écartée +pour lui livrer passage. + +Il paraissait hésiter; puis il lui dit timidement: + +--Vous ne voulez pas me le confier..., je lui apprendrais tant de belles +choses! + +--Oh! ce serait avec plaisir, monsieur Vincent. Mais vous savez bien +qu'il reste à la campagne, chez sa grand'mère. Pour qu'on me l'ait prêté +huit jours, il a fallu la croix et la bannière... Et puis l'air est si +bon là-bas!... + +M. Vincent n'insista pas. Il embrassa encore une fois l'enfant et +disparut dans le long corridor. Il semblait rajeuni, en vérité. + +Gaston s'approcha: + +--C'est bien le savant M. Vincent Thévenin qui vient de rentrer?... + +--Oui, monsieur. Ah! oui, un savant, et puis un si brave homme! Le père +aux enfants, quoi! Et ils le savent bien, les petits gueux; ils lui +soutirent des sous toute la journée. + +--Il demeure ici?... + +--Depuis dix ans... + +--Je l'ai un peu connu autrefois. Il me paraît bien vieilli... + +--Ne vous y fiez pas! Tenez, il y a six mois, il était si cassé qu'il +n'avait plus que le souffle. Tout à coup, patatras! ç'a été comme un +coup de baguette. Je ne sais pas ce qu'il avait inventé pour se soigner, +mais en moins de six semaines il était retapé... là... à neuf! au point +que, si j'avais été veuve... + +Elle rit franchement, en femme qui peut se permettre un peu de +gauloiserie sans que personne y trouve à critiquer. + +--Mais quel âge lui donnez-vous? ajoutai-je. + +--Oh! un zeste! dans les quatre-vingt-quinze... au moins. + +--Voilà l'homme, reprit Gaston quand, nous étant éloignés, nous eûmes +repris notre promenade. Très estimé, très respecté, aimant les enfants. +Qu'en dis-tu? + +--Rien. J'attends son histoire. + +--Elle est fort simple, en somme, j'entends pour nous qui, en fait +de science, n'admettons guère l'impossible. M. Vincent de Bossaye de +Thévenin est le dernier descendant d'une grande famille qui a émigré +pendant la Révolution française. Son père était un des cent actionnaires +à 2,400 livres du fameux Mesmer, qu'il suivit en Suisse où, comme tu le +sais, le célèbre thaumaturge résida jusqu'à sa mort, survenue en 1815. +M. de Bossaye père rentra en France avec les Bourbons et mourut bientôt +après, laissant un fils, celui qui nous occupe. Vincent suivit les +leçons de Carra et de Saussure, conquit ses grades dans la médecine et +s'attacha au fameux Deleuze, qu'on surnommait, sous la Restauration, +l'Hippocrate du magnétisme animal. + +«Dès lors, il rompit en visière avec la routine académique, fut pendant +quelques années secrétaire de la Société magnétique fondée par le +marquis de Puységur et devint enfin l'ami, le secrétaire, l'_alter ego_ +du marquis de Mirville, directeur de la Société d'Avignon et auteur +d'un très étrange ouvrage sur _les esprits et leurs manifestations +fluidiques_. + +J'interrompis vivement Gaston, m'écriant: + +--En somme, ce grand savant est un spirite... un fou! + +--Pourquoi t'emporter ainsi? reprit Gaston en souriant. L'homme qui, il +y a cent cinquante ans, aurait prévu l'éclairage électrique des gares +de chemins de fer eût paru digne d'être enfermé aux Petites-Maisons. +La science part d'un fait minime et grandit par les hypothèses. Un fou! +continua-t-il en s'animant; crois-tu que Crookes, qui a découvert un +métal nouveau, le thallium; qui a posé l'irritante énigme du radiomètre, +dont le fonctionnement visible reste encore inexpliqué, soit un fou? +Eh bien! étudie ses dernières recherches et dis-moi si tu ne sens pas +ébranlé en toi _quelque chose_ que tu jugeais bien solide. Mais revenons +à M. Vincent. Depuis 1825, environ, cet homme--en qui se combine +l'étonnante patience du fakir avec l'active persévérance du chercheur--a +été le chef universel, reconnu et respecté, de cette bizarre population +de magnétiseurs et de magnétisés, beaucoup plus nombreuse qu'on ne le +croit, dont la bonne foi ne peut être suspectée et qui a les passions, +les vaillances de l'apostolat. Alexandre Bertrand, Georget, furent +ses élèves, et cependant jamais Thévenin n'a permis que son nom fût +prononcé. Il n'intervint pas directement dans la fameuse querelle avec +l'Académie qui, en dépit du rapport d'Husson, se termina par un refus +absolu de la docte compagnie de prendre le magnétisme au sérieux. Tu +n'ignores pas que cette décision date de 1837, sur l'initiative du +docteur Dubois d'Amiens. + +«Le docteur Thévenin ne protesta pas: au contraire, il sembla se +désintéresser de la question, et rompit avec ses adeptes. Mais je sais +de source certaine qu'il n'abandonna pas ses études. L'homme de qui je +tiens tous ces détails et qui a été un des derniers élèves de Thévenin +m'a déclaré, quelques mois avant sa mort que la science de son maître +l'épouvantait--c'est le propre terme qu'il a employé. Et il ajoutait: + +«--Ne croyez à aucune jonglerie, à aucun charlatanisme, non plus qu'à +une de ces _déséquilibrations_ cérébrales qui peuvent tout expliquer +par un intérêt d'argent ou d'orgueil, sinon par la folie. M. Vincent est +l'homme le plus froid, le plus strictement positif que j'aie rencontré +de ma vie. Jamais il n'a procédé par à-coups, c'est-à-dire en +laissant au hasard le soin de décider du bien ou du mal fondé de ses +observations. Il va lentement d'un point à un autre, degré par degré, +soumettant aux vérifications les plus minutieuses chaque progrès obtenu. +C'est peut-être en raison de cette lenteur même que j'ai tant de peine à +le suivre: sans cesse mon imagination m'emporte et m'entraîne en fausse +route. Lui va tout droit, sans s'écarter d'une ligne de la voie tracée. + +«Tu comprends, continua Gaston, combien j'étais curieux d'obtenir des +détails. Science soit! mais quelle science? A toutes les questions que +je lui adressai, mon ami répondit avec une discrétion qui équivalait à +un refus de divulguer les secrets de son maître. Cependant, voici ce que +je pus obtenir. M. Vincent ne s'est préoccupé ni de la seconde vue ni +de la prévision de l'avenir. Ses études portent uniquement sur le fait +physiologique, ou même physique, d'une force radiante--exactement le +terme employé depuis par Crookes--émanant du corps de l'homme et dont +l'action--attirante ou pénétrante--peut s'exercer à distance et sans +l'aide d'un conducteur matériel. + +«Tu vois que de là à l'hypnotisme et surtout à la suggestion, il n'y a +qu'un pas. + +«Avec l'audace de la jeunesse, je me suis rendu chez M. Vincent et j'ai +tenté de le confesser. Un homme très singulier, en vérité et qui m'a +produit une impression telle que jamais je n'en ai éprouvé de semblable. +Pendant que je lui parlais, m'autorisant du nom de mon ami--qui alors +n'existait plus--pour m'offrir en quelque sorte à prendre sa succession +d'élève, M. Vincent me regardait: et, chose singulière, je ressentais un +effet qui n'était ni l'engourdissement somnambulique, ni la fascination +hypnotique: mais il me semblait qu'une irrésistible attraction +s'exerçait sur moi. Comprends-moi bien: mon corps n'était pas entraîné +vers lui, mais _quelque chose_ qui émanait de toute la périphérie de +mon corps, comme si à travers mes pores une substance impalpable, +éthérienne, avait été projetée de moi vers lui. L'effet ne dura +d'ailleurs que quelques secondes, puis cessa tout à coup. + +«--Quel âge avez-vous? me demanda-t-il brusquement. + +«--Vingt-six ans, lui répondis-je. + +«--Vous travaillez trop, reprit-il. Vous vous dépensez trop vite et trop +tôt. Prenez garde, économisez-vous. + +«Je ne comprenais guère, me sentant jeune et vigoureux, sous cette +réserve qu'après l'effet singulier dont je viens de te parler je +ressentais une sorte de lassitude, comme après un excès. + +«J'essayai de revenir au sujet qui m'avait amené. Mais il m'interrompit. + +«--N'attendez rien de moi, me dit-il avec une certaine rudesse. En +l'état actuel des connaissances, ou plutôt en face de l'ignorance +universelle, il m'est interdit de communiquer à qui que ce soit ce que +je sais. + +«--Mais pourquoi donc? m'écriai-je. Pourquoi ne pas nous aider, nous les +jeunes gens, à lutter contre les stupides routines? + +«--Pourquoi? acheva-t-il en se levant et en dardant sur moi ses yeux +dans lesquels brillait une flamme; parce que... parce que ma science est +un crime! + +«Et alors, sans que j'eusse insisté, il se mit, en un discours d'une +éloquence stupéfiante, à me tracer un tableau complet, encyclopédique, +de la science actuelle. Il n'était pas un système, pas une théorie, +pas une découverte qu'il n'eût étudiée et vérifiée. Et avec une verve +sarcastique qui parfois devenait féroce, il flagellait les préjugés, les +timidités, les lâchetés qui arrêtaient tous les travailleurs au seuil de +la science réelle. Prophète inouï, il me prédit, il y a de cela dix +ans, les quelques progrès que nous avons accomplis depuis lors; +il voyait--positivement--au delà de notre horizon, et cela sans +charlatanisme, par la force de déductions dont j'appréciais moi-même +la justesse. Et quand il eut terminé, il ajouta, en me congédiant d'un +geste: + +«--Je vous refuse ma science, qui est criminelle... Oui, criminelle! +car elle augmente, elle centuple l'inégalité terrible qui, dans la lutte +pour la vie, fait les vainqueurs et les vaincus. + +«Sur cette parole énigmatique, je dus me retirer, emportant, je l'avoue, +une impression d'admiration terrifiée. Oui, en ces quelques minutes +d'entretien, cet homme m'était apparu comme un être surhumain, à la +fois superbe et sinistre. Y avait-il là prédisposition nerveuse? C'est +possible. Cependant, si je voulais peindre d'un mot l'étrange concept +qui avait jailli de son cerveau, tout à coup, sans raisonnement, comme +ces mots qui parfois obsèdent la mémoire sans cause appréciable, je te +dirais--ne ris pas de moi surtout--que cet homme m'avait produit l'effet +d'un vampire savant. Qu'est-ce que cela veut dire? Aujourd'hui encore, +je serais bien embarrassé de l'expliquer nettement. Cherche si tu veux! + +«Là-dessus, il est tard. Rentrons. + +«--Encore un mot, dis-je. As-tu revu M. Vincent? + +«--Oui, plusieurs fois je l'ai rencontré, tantôt vieux, brisé, comme il +nous est apparu ce soir; tantôt, au contraire, rajeuni, vivace, rose, +robuste. + +«--Et tu le crois centenaire? + +«--Rappelle-toi les dates que je t'ai citées, et conclus.» + +Un instant après, nous nous séparions, et bientôt seul, chez moi, à la +lueur de ma lampe, je reprenais l'étude interrompue. + +On a souvent ri de la rapidité avec laquelle les enfants passent d'une +idée à une autre. Au moment où toute leur attention est concentrée sur +un fait, voici qu'une mouche s'envole et, soudain, le cours de leurs +pensées est modifié, et ils oublient ce qui, à la minute précédente, +excitait si fort leur intérêt. + +Des enfants aux hommes, la différence est-elle, après tout, si grande? +L'importance des faits qui détournent l'attention des uns et des autres +est, en réalité, équivalente et a pour mesure commune l'intensité +diverse de leurs sensations. La course d'un chat nous laisse +indifférents et ne nous trouble pas: mais une jupe qui passe nous +arrache à nos réflexions de l'heure et parfois nous emporte bien loin du +chemin que nous suivions. + +Puis-je dire quelles circonstances m'empêchèrent de donner suite au +dessein bien net que j'avais formé de revoir M. Vincent et de l'étudier +de plus près? J'en serais fort embarrassé. Des impressions nouvelles, +les unes futiles, les autres plus graves, s'étaient superposées à +celle-là: à peine si, de temps à autre, le souvenir de l'étrange +personnage traversait ma mémoire, mais à la façon d'une vision vague et +sans contours précis. + +Des semaines, des mois, deux années passèrent et amenèrent dans ma +situation d'importants changements: mon père était mort, me laissant une +petite fortune amassée sou à sou, avec cette ténacité superbe du paysan +qui se prive de tout pour assurer l'avenir de l'enfant. La clientèle +était venue, et j'avais renoncé à mes projets de professorat. Enfin je +m'étais marié et, dans les délais légaux, mais rigoureux, je fus père +d'une adorable petite fille. + +On devine si M. Vincent et sa science-crime étaient loin de ma pensée. +Et encore, et encore les années s'écoulèrent. L'aisance était venue; mes +études sur les maladies nerveuses, mes expériences sur les hystériques +avaient fait quelque bruit. Ma fille grandissait de plus en plus +adorable et adorée. J'étais heureux, et cependant j'avais une histoire, +car les Académies accueillaient mes communications, et les _Revues_ +les imprimaient. Une épidémie de choléra m'avait mis définitivement en +lumière et m'avait signalé à la bienveillance rubanière du gouvernement. + +Il y avait justement dix ans que j'avais passé quelques heures à deviser +sur un trottoir, avec mon ami et maître Gaston, sur le personnage +en question, et j'avais oublié jusqu'à son nom, quand le hasard, qui +dispose toute notre vie, me le rappela en des circonstances encore plus +bizarres que la première fois. + +Un de mes confrères, le docteur F..., directeur d'une maison de santé, +m'écrivit un billet pour me prier de passer chez lui--à loisir--dans le +but d'examiner un de ses malades. + +Me trouvant alors surchargé de besogne, je tardai de quelques jours à me +rendre à son invitation. Mais sur une nouvelle lettre plus pressante, +je me hâtai d'aller chez lui. Le cas dont il désirait m'entretenir était +des plus intéressants et rentrait exactement dans la spécialité des +études auxquelles je m'étais voué. Il s'agissait du très curieux +phénomène du dédoublement de la personnalité et, pendant plusieurs +heures, nous nous livrâmes à des expériences d'un intérêt toujours +grandissant. Mais, craignant de fatiguer la malade outre mesure, nous +prîmes rendez-vous pour le lendemain. + +Nous descendîmes dans le jardin qui précède le magnifique établissement +que toute l'Europe connaît et admire, et lentement mon confrère +me reconduisait, me communiquant le résultat de ses observations +personnelles sur le sujet que nous venions d'examiner. + +Au moment où nous allions franchir la grille d'entrée et échanger +la poignée de main d'adieu, un petit garçon déboucha d'une allée de +lauriers et de troènes et, courant vers le docteur, se jeta dans ses +bras. + +Celui-ci le souleva, et me dit: + +--Monsieur mon fils... huit ans... et une bonne nature. + +C'était un très joli enfant, aux traits délicats, mais qui me parut un +peu pâle. Je le caressai en songeant à ma petite fille, si rose et si +fraîche, et je dis: + +--Pourquoi donc courais-tu si vite? On dirait que tu te sauvais? + +Question banale et à laquelle je n'attachais aucune importance. + +--Oh! c'est pour rire! fit le gamin. C'est pour taquiner M. Vincent... + +--M. Vincent! m'écriai-je; quel M. Vincent? + +Ce nom avait vibré en ma mémoire comme un coup de clairon. + +L'enfant répondit avec une certaine irritation: + +--Pardi! il n'y a qu'un M. Vincent... c'est papa Gâteau! + +Papa Gâteau! On appelait ainsi un M. Vincent, il y avait dix ans. + +--C'est un bien singulier personnage, ajouta mon confrère. + +--Serait-ce Vincent... Thévenin? + +--Lui-même. Vous le connaissez?... + +--Il n'est donc pas mort! + +--Ah! vous aussi, fit le docteur en riant, vous le croyiez disparu. +Point. Cent dix à cent quinze ans, mon cher. Qu'on dise après cela que +la folie n'est pas un brevet de longévité! + +--Et depuis quand est-il dans votre maison? + +--Depuis quatre mois environ. Et il y est entré en des circonstances +bien curieuses que je vous raconterai demain; car, pour aujourd'hui, ma +journée quotidienne me réclame. Il est six heures... + +--Six heures! moi aussi je suis en retard. A demain, nous causerons de +M. Vincent. + +--A vos ordres, cher confrère. + +Je me jetai dans ma voiture, dont la portière se referma sur moi. +J'étais dans un singulier état d'agitation, mordu d'une indicible +curiosité. En une seconde, j'avais revu tout le passé, le petit +appartement dans lequel j'attendais patiemment un client trop +retardataire, puis la pauvre mère accourant et m'appelant à l'aide, puis +ce lit funèbre où gisait la jeune fille. Je me demandais si aujourd'hui, +en face du même problème de mort, je serais plus habile qu'alors. Et, +en vérité, je frissonnais, me disant qu'aujourd'hui comme alors je ne +comprenais rien à cette catastrophe. J'essayais de sauver mon orgueil, +en supposant que certains symptômes avaient échappé à mon diagnostic qui +maintenant me frapperaient au premier coup d'oeil. Et je sentais que je +me mentais à moi-même. Non, je n'avais rien deviné et, fussé-je appelé +demain dans des conditions identiques, je ne devinerais rien! + +A cette souffrance d'amour-propre, à ce regret sincère du travailleur, +se juxtaposait alors le souvenir de M. Vincent, de cet être falot, +presque fantastique qui vivait, vivait encore, vivait toujours, en dépit +de la sénilité abominable qui nous avait si fort troublés, Gaston et +moi, alors que nous le suivions par les rues. + +Par quel miracle avait-il résisté au poids écrasant d'un siècle, auquel +venaient encore s'ajouter dix années! Je me rappelais les paroles +inexplicables que m'avait rapportées Gaston: + +«Ma science criminelle centuple l'inégalité terrible qui, dans la lutte +pour la vie, fait les vainqueurs et les vaincus.» + +Et aussi ce mot échappé à mon ami, comme l'expression d'une idée +réflexe: «Un vampire savant.» + +Ces mots accouplés ne présentaient en réalité aucun sens à mon +intelligence: mais je les répétais mentalement avec une sorte d'horreur, +comme les termes d'un problème insoluble, expression d'une algèbre +inconnue. + +Jusqu'à mon retour en mon cabinet, il me fut impossible de me soustraire +à cette obsession. Par bonheur, le travail, puis les occupations de +la soirée, puis le sommeil eurent enfin raison de cet état anormal. +Au matin, la hantise s'était évanouie et, de toute cette émotion, je +n'avais conservé qu'un prurit de curiosité qui n'avait plus rien de +maladif. + +A l'heure convenue, je me présentai de nouveau chez le docteur F..., qui +me parut soucieux. L'interrogeant avec un intérêt dicté par la sincère +sympathie qu'il m'inspirait, j'appris que depuis quelque temps la santé +de son fils lui donnait de vagues inquiétudes. Il coupa court d'ailleurs +à ces confidences, repris par la passion du chercheur, et nous nous +rendîmes à l'infirmerie auprès du sujet que nous avions déjà examiné +la veille. Nous restâmes plusieurs heures absorbés dans l'étude des +stupéfiantes manifestations de la catalepsie et de l'hypnotisme. +Puis nous revînmes dans le cabinet du docteur afin de coordonner nos +observations. + +--Maintenant, lui dis-je, permettez-moi de vous rappeler que vous m'avez +promis hier de me parler plus longuement de votre pensionnaire, M. +Vincent. + +--Je ne vous ai pas oublié, et je ferai mieux que de vous exposer mes +souvenirs. J'ai l'habitude, à l'entrée de mes clients, de relater par +écrit les circonstances intéressantes de notre première entrevue. + +Le docteur se leva, ouvrit un carton et en tira quelques feuilles de +papier qu'il me remit, en ajoutant: + +--Lisez, pendant que je vaquerai à quelques occupations nécessaires. Je +reviendrai tout à l'heure. + +Resté seul, voici ce que je lus: + +«Aujourd'hui 15 avril 188., à six heures du soir, on me présenta la +carte d'un visiteur qui réclamait un entretien immédiat. Elle portait +ce nom: _Vincent de Bossaye de Thévenin, de la faculté de médecine +de Paris_. J'eus un mouvement de surprise. Comme aliéniste, j'ai dû +m'occuper spécialement de l'histoire du magnétisme animal, et je me +rappelai avoir été frappé de ce nom, à une époque déjà lointaine. Il me +semblait qu'il devait être porté par un contemporain de mon grand-père +ou tout au moins de mon père. Je donnai ordre d'introduire immédiatement +la personne qui avait remis cette carte, et un instant après je vis +entrer un vieillard portant dans tout son être la trace non équivoque +de la décrépitude, quoique sur le visage parcheminé subsistassent des +vestiges singuliers d'une fraîcheur inaccoutumée. La marche témoignait +encore d'une certaine vigueur. + +«M. Thévenin s'inclina, je lui rendis son salut en lui désignant un +siège, puis je le priai de me faire connaître le motif de sa visite. + +«--Je viens, me dit-il d'une voix qui n'avait point de tremblotement +sénile, je viens vous prier de me prendre comme pensionnaire... Oh! +payant, bien entendu, ajouta-t-il vivement, comme pour répondre d'avance +à une objection possible. + +«--Pardon, lui dis-je, mais vous êtes bien le docteur Thévenin?... + +«--L'ancien élève de Mesmer, l'ami de Puységur. C'est bien moi. + +«--Vous devez être très âgé?... + +«--J'ai cent neuf ans... + +«--Ne prenez point pour une défaite l'objection que je dois vous faire. +Ignorez-vous que ma maison est spécialement destinée aux aliénés! + +«--Je le sais, me dit-il. Ma demande n'en est que mieux justifiée. Je +suis fou. + +«Bien que je sois accoutumée à bien des excentricités, celle-ci me parut +dépasser quelque peu les bornes. + +«--Vous me permettrez d'en douter, lui dis-je. Vous me paraissez en +possession de toute votre raison. + +«--Vous vous trompez, ajouta-t-il avec le même calme, je suis fou et, +j'appuierai sur ce point, un des fous les plus dangereux qui existent. + +«--Soit. Mais puisque vous êtes médecin, et des plus savants, je le +sais, vous avez sans doute analysé votre état et pouvez aisément me +donner les raisons de votre affirmation si péremptoire. + +«Il fixait sur moi ses yeux d'une pénétration étrange. Je compris +comment, dans la force de l'âge, cet homme avait dû être un des plus +fervents et des plus convaincus adeptes du magnétisme. Il garda le +silence pendant quelques minutes, se livrant complaisamment en quelque +sorte à mon observation. + +«Je repris alors: + +«--En ce moment, sans doute, vous sentez que vous vous trouvez en ce +que, acceptant votre hypothèse, j'appellerai un moment lucide? + +«--C'est une erreur. + +«--Cependant je crois avoir quelque expérience, et je ne découvre en +vous, en votre physionomie, en votre regard, aucun signe caractéristique +de l'aliénation mentale. + +«--Les folies les plus dangereuses, dit-il, sont celles que nul oeil +humain ne peut deviner. + +«Et il ajouta, d'une voix basse à peine perceptible: + +«--Il y a cinquante ans que je suis fou et personne, parmi les plus +savants, n'a soupçonné mon état. + +«--Mais enfin, cette folie, m'écriai-je, en quoi consiste-t-elle? +Avez-vous des visions? Évoquez-vous les morts? Croyez-vous être Mahomet +ou Jésus-Christ? Êtes-vous de verre? N'êtes-vous pas vous-même?... + +«--Je suis, reprit-il nettement, l'homme qui peut ne pas mourir et qui, +jusqu'à ce jour, ne l'a pas voulu. + +«--Ainsi, selon vous, c'est grâce à votre seule volonté que vous êtes +parvenu à vivre cent dix ans? + +«--C'est cela. + +«--Vous possédez des moyens infaillibles pour prolonger la vie humaine? + +«--Non pas la vie d'autrui, mais la mienne. + +«--Le grand oeuvre! m'écriai-je, la pierre philosophale... + +«--Point d'alchimie, dans le sens où vous l'entendez. + +«--Et ce moyen, êtes-vous disposé à me le faire connaître? + +«Je constatais maintenant que j'avais affaire à un genre spécial de +monomanie raisonnante, et je m'efforçais de pousser le sujet plus avant +sur son propre terrain. + +«--Je ne puis rien vous dire, reprit-il sans s'émouvoir, pour deux +motifs... + +«--Lesquels? + +«--Le premier, c'est qu'en vous dévoilant mon secret je courrais grand +risque, en l'état actuel de la société, d'être traité comme un des pires +criminels... + +«--Mais, vous-mêmes, vous reconnaissez-vous coupable? + +«--Non, en raison des lois supérieures de la lutte pour la vie. Oui, en +face des préjugés régnants... + +«--Avez-vous tué? + +«--Oui, me répondit-il sans hésiter. + +«--Vos crimes ont-ils été découverts...? + +«--Non. + +«--Ont-ils donné lieu à des poursuites contre des innocents? + +«--Non. + +«--Cependant, vos victimes... que sont-elles devenues? Les avez-vous +fait disparaître? + +«--Non. + +«--Et nul ne s'est aperçu qu'elles étaient mortes de mort violente? + +«--Personne. + +«La folie se caractérisait de plus en plus. + +«--Vous m'avez parlé de deux motifs qui vous imposaient le silence. Quel +est le second? + +«--Je me tais, reprit-il d'un accent solennel, parce que, de deux choses +l'une: ou, connaissant mon secret, vous seriez impuissant à vous en +servir, ou, étant parvenu à en user, vous commettriez les crimes que +j'ai commis... + +«--Sans doute, fis-je en souriant, quelque préparation vénéneuse qui ne +laisse aucune trace? + +«--Ne cherchez pas. Vous ne pourriez trouver. D'ailleurs coupons au +court. Je viens chez vous, aliéniste, et je vous dis: «Je suis fou, fou +dangereux. Voulez-vous m'interner?» + +«--Une entrée volontaire vous donnerait droit à une sortie volontaire. +Je ne puis vous admettre chez moi qu'à la condition d'avoir toute +autorité sur vous. Pour cela il vous faudra vous soumettre à l'examen de +deux médecins dont le certificat sera ma garantie. Acceptez-vous cette +condition? + +«--Oui. Mais, à mon tour, je pose mes conditions. + +«--Je vous écoute. + +«--Mon but, en entrant chez vous, est de mourir. Tant que je serai +libre, je suis sûr de vivre, n'ayant pas le courage de ne point user de +mon secret. Ici, je ne pourrai le faire, et alors la nature agira seule. +J'exige d'être traité comme vos autres pensionnaires à cette seule +différence près que personne du dehors ne sera admis auprès de moi. + +«--Avez-vous des parents, des amis? + +«--Je suis seul, tout seul. Nul n'a autorité sur moi. + +«--Je puis vous assurer que votre désir sera respecté, à moins que +l'administration supérieure n'exige votre comparution... + +«--Oh! cela m'importe peu. Donc, que personne, en dehors de vous et de +vos infirmiers, ne parvienne jusqu'à moi. D'autre part, je puis vous +affirmer que nul ne s'apercevra de ma folie, que je n'aurai ni accès +de fureur, ni fantaisies excentriques. D'ailleurs, si vous observez +fidèlement le traité que nous signons ici, dans trois mois... je serai +mort. + +«--Vous savez que la surveillance exercée par les gardiens écarte toute +possibilité de suicide. + +«--Oh! ils ne pourront rien contre moi. + +«--Vous savez encore qu'avant d'être interné dans le local que vous +aurez choisi vous serez fouillé, visité si exactement qu'il vous sera +impossible de conserver n'importe quelle substance vous permettant de +vous donner la mort. + +«--On ne me dépouillera pas de mes cent dix ans, fit-il en souriant +pour la première fois depuis le début de notre entretien. Je connais la +provision de vie qui reste en moi... douze semaines environ. + +«Toute discussion étant inutile, je n'avais plus qu'à accepter mon +étrange client, qui fixa lui-même des prix très élevés, en échange +desquels il réclamait un grand confortable...» + +Ici se terminait le manuscrit du docteur. En marge était inscrite cette +note: «Pavillon 2, nº 17.» + +J'avais lu ces lignes avec un intérêt profond, et, quand j'eus terminé, +j'éprouvai un sentiment de désappointement. M. Vincent restait pour moi +non moins énigmatique que par le passé. + +Mon confrère rentra. + +--Eh bien! me demanda-t-il. Que pensez-vous de l'ancien mesmérien...? + +--Je ne sais trop que vous répondre. Il y a là une folie peu ordinaire. +Mais j'y songe, M. Thévenin est entré ici le 15 avril, et nous voici au +10 septembre. Or, il est encore vivant: son diagnostic infaillible l'a +donc trompé. + +--Absolument. + +--Comment s'est-il comporté depuis qu'il est votre hôte? + +--Comme interné, je n'en ai jamais rencontré de plus docile ni d'un +commerce plus agréable. Il s'est prêté d'abord de la meilleure grâce à +l'examen de deux de mes confrères, qui n'ont pas hésité à confirmer +mon diagnostic de monomanie. C'était en fait un exemple assez banal +de rectitude raisonnante sur tous les points, sauf un seul. Donc, sa +situation étant régularisée, je n'eus plus d'autre but que de lui +rendre ses dernières années--ou ses derniers mois--aussi agréables que +possible. Je l'ai installé dans un pavillon isolé, avec un jardin assez +spacieux. Deux infirmiers sont attachés spécialement à son service. Il +s'est composé une bibliothèque scientifique des plus curieuses et paraît +travailler. Un seul détail prouve le dérangement d'esprit. Pendant +quinze jours de suite, il a passé plusieurs heures étendu nu sur +la terre. Il m'avait d'ailleurs prévenu, ajoutant qu'il tentait une +expérience. Comme c'était en juin, pendant une période réellement +caniculaire, je ne crus pas devoir m'y opposer. Il y renonça bientôt de +lui-même. + +--Pendant le premier mois, je ne remarquai en lui aucun changement. +Mais, à partir du milieu de mai, les symptômes de décrépitude +commencèrent à se manifester et quand, en juin, il fit sa très +singulière expérience, je crus véritablement qu'il avait bien prévu +la date de sa mort en la fixant à trois mois. Quand l'accès de +nudité--passez-moi l'expression--fut passé, nous reprîmes nos relations +ordinaires. J'avoue que j'ai rarement rencontré chez un de mes confrères +autant d'érudition et de hardiesse dans les aperçus. Si cet homme +n'avait pas la double monomanie du magnétisme et de ce que j'appellerai +sa prétendue volonté vitale, je le proclamerais un des plus grands +savants d'aujourd'hui. Vers les premiers jours de juillet, je m'aperçus +que ses forces déclinaient de plus en plus, sans d'ailleurs que la +lucidité de son esprit diminuât. Seulement j'avais pitié, je l'avoue, +de ce centenaire, seul, abandonné de tous, et qui passait ses dernières +journées assis sur un fauteuil, cherchant le soleil revivifiant. Je +m'aperçus un jour qu'il adorait les enfants, et j'amenai mon petit +garçon auprès de lui. Je ne saurais vous décrire l'expression de joie +qui éclaira son visage. Si je ne l'eusse aussi bien connu, j'aurais été +presque effrayé de la lueur qui tout à coup passa dans ses yeux. Quant +à mon petit Georges, sa sympathie n'hésita pas. Il courut à lui, comme +s'il l'eût connu depuis de longues années. Ce fut une amitié subite, +comme en conçoivent souvent les enfants. Et depuis lors il n'est pas +de jour où Georges ne passe plusieurs heures auprès de lui. L'effet de +cette distraction a été tel sur le centenaire qu'en vérité depuis lors +il semble avoir retrouvé une nouvelle jeunesse... Oui, c'est comme un +sang restauré qui coule dans ses veines. Sa maigreur a disparu, et je +ne m'étonnerais pas qu'il eût un bail prolongé avec la vie. C'est une +organisation étonnante. + +--Mais ne me disiez-vous pas, lorsque je suis arrivé, que votre fils +vous causait de son côté quelque inquiétude? + +--Oh! un peu de faiblesse, la fatigue de l'été... et puis la croissance. +Je suis tranquille. Il y a deux mois, il avait trop de fraîcheur. Cela +reviendra. + +Depuis quelques instants, j'étais saisi du désir de revoir ce singulier +personnage que j'avais aperçu seulement dans des circonstances assez +bizarres. J'en fis part à mon confrère. Mais il me fit observer +que l'engagement pris par lui s'opposait à ce qu'il y satisfît. Ne +s'était-il pas formellement interdit d'introduire auprès de M. Vincent +toute personne qui ne ferait pas partie du personnel de l'établissement? + +Je n'avais qu'à m'incliner. Je n'insistai pas, et je pris congé de mon +confrère, bien résolu d'ailleurs à écarter définitivement de mon +esprit les idées incohérentes, presque folles, qui me hantaient +douloureusement. + +Oui, j'avais en moi je ne sais quelle épouvante inexpliquée qui tenait +du vertige. Comme Pascal, je voyais un gouffre ouvert devant moi et, au +fond, tout au fond, j'apercevais une face ricanante qui avait les traits +de l'élève de Mesmer! + + + + +III + + +J'avais repris mes occupations et encore une fois perdu le souvenir +agaçant de ce personnage quand, au matin d'un des premiers jours de +novembre, je reçus une dépêche qui me causa une indicible émotion. + +Elle était signée du docteur F..., et ainsi conçue: + +«Mon enfant se meurt. Je fais appel à tous mes amis. Venez.» + +Je bondis hors de mon fauteuil et, quelques instants après, je sautais +dans une voiture dont le cocher, alléché par la promesse d'un fort +pourboire, fouettait vigoureusement son cheval. + +Je ne puis dire que cette dépêche me surprenait. Cachée sous les +préoccupations de chaque jour, dont je me faisais un rempart contre les +visions du ressouvenir, il était une pensée latente dont il me semblait +que cette nouvelle fût l'explosion. + +La silhouette de M. Vincent, gravée dans les lobes de mon cerveau, se +liait invinciblement à celle d'un enfant, de cette pauvre fille que +j'avais vue là-bas, morte avant d'être mourante, et qui m'avait laissé +cette impression--absolument nulle au point de vue de la science +vraie--d'un arrachement de la vie, de la force animique. + +Et voici que, cette fois encore, l'apparition de ce centenaire, entêté +à vivre, se confondait avec celle d'un enfant, si vigoureux, paraît-il, +six mois auparavant, et mourant aujourd'hui! + +Si long que fût le trajet, je n'en eus pas conscience, tant j'étais +absorbé dans mes méditations, et, quand la voiture s'arrêta, quand le +cocher, étant descendu, ouvrit la portière en me criant: «Bourgeois, +nous y sommes!» je descendis en chancelant comme un homme ivre, ne +sachant ni où j'étais, ni où j'allais. + +Ce fut instinctivement, et rien qu'instinctivement, que, salué par le +concierge, je m'engageai dans la longue allée d'ormes qui conduisait au +bâtiment principal. + +Lorsque j'arrivai au perron, un infirmier, qui semblait faire +sentinelle, me reconnut: sans même me demander mon nom, il me précéda +dans la maison et, ouvrant une porte, m'introduisit dans un salon où, +du premier coup d'oeil, je reconnus quatre de mes confrères, sans doute +appelés comme moi par dépêche, et qui me serrèrent silencieusement la +main. + +Après un court temps de silence que je ne cherchai pas à troubler, +incapable que j'eusse été de prononcer deux mots sensés, un d'eux prit +la parole. + +Ils avaient examiné l'enfant. Tous avaient constaté que les organes +étaient sains et qu'ils ne présentaient aucun caractère de nature à +faire redouter un dénouement fatal. Cependant, en dépit de ce diagnostic +qui leur était commun, ils ne se dissimulaient pas que la situation +était grave: il y avait dans le pauvre petit comme une exhaustion +(ce mot me frappa) des facultés vitales, et cela sans qu'une lésion +appréciable expliquât cette dégénérescence. + +A ce moment, le père nous rejoignit: il était dans un état de désespoir +qui faisait peine à voir. Ayant perdu deux ans auparavant une femme +qu'il adorait, il avait reporté toutes ses affections sur ce petit être +qu'un mal inconnu lui enlevait tout à coup. Il m'aperçut, vint à moi, +voulut me parler: mais, empêché par les sanglots qui emplissaient sa +gorge, il me prit par la main et m'entraîna. + +Un instant après, j'étais auprès du lit; et muet, glacé, je +reconnaissais avec horreur ces mêmes apparences qui, il y avait dix ans +de cela, avaient laissé dans mon esprit un trouble ineffaçable. L'enfant +ne bougeait plus, semblait exsangue. C'était un épuisement total, comme +si tout son sang eût coulé par une blessure invisible: et l'illusion +était si complète que je demandai, en balbutiant, au pauvre père s'il +n'y avait pas eu une hémorragie. + +Il me répondit à voix basse. L'enfant n'avait subi aucun accident: cet +effet de dépression s'était produit lentement; puis tout à coup, en +ces derniers jours, l'accélération du mal avait pris des allures +foudroyantes. Pourtant l'avant-veille encore il courait dans le jardin. + +--M. Vincent vit toujours? demandai-je soudainement, obéissant à une +impulsion dont je ne fus pas le maître. + +J'aurais juré qu'une autre personnalité que la mienne avait parlé par ma +bouche, tant ces mots avaient jailli à mon insu. + +Le père ne parut pas surpris de ma question. + +--Oui, et il est bien désolé! Il aimait tant mon petit Georges, qui +lui rendait bien son affection, d'ailleurs, car il ne voulait pas +le quitter. Il a fallu l'emporter pour l'amener ici, et, malgré sa +faiblesse, il résistait encore. C'était comme une attraction à laquelle +il ne voulait pas se soustraire... Mais qu'importe M. Vincent? Examinez +l'enfant, et dites-moi--oh! je vous en prie!--dites-moi qu'on le +sauvera... + +Je n'avais pas le courage de proférer ce généreux mensonge: car, si +encore mes confrères pouvaient conserver quelque espoir, moi... est-ce +que je pouvais douter? Et pourtant!... une idée encore obscure, germait +dans mon cerveau. + +Nous restions ainsi tous deux, le père n'osant plus me questionner, dans +la crainte d'entendre tomber de mes lèvres l'arrêt de désespérance; moi +n'osant me laisser entraîner dans la voie mystérieuse où je me sentais +invinciblement glisser. + +Tout à coup des lèvres de l'enfant, une faible voix, comme un souffle, +s'échappa: + +--M. Vincent! soupirait-il. + +--Vous voyez, il veut voir encore son ami, dit le père. + +Mais je m'étais déjà élancé vers la fenêtre... et, les rideaux écartés, +je vis passer dans une allée cet homme que surveillaient deux infirmiers +et qui se dirigeait vers la maison. + +Je poussai un cri: + +--Sur votre vie, clamai-je en m'adressant au père, ne quittez pas votre +enfant d'une seconde, et, quoi que je fasse, quoi qu'on vienne vous dire +de moi, dites que j'agis par votre ordre. + +--Mais que voulez-vous dire? + +--N'oubliez pas... par votre ordre! + +Et sans m'expliquer davantage, car je voyais l'enfant qui peu à peu se +soulevait, je m'élançai dehors. + +Sur le seuil du perron, je vis M. Vincent qui se disposait à monter. + +--Je vous défends de faire un pas en avant! lui dis-je violemment, en le +saisissant par le bras. + +--Qui êtes-vous? Que me voulez-vous? dit-il. + +Et se tournant vers les infirmiers qui s'étaient arrêtés interdits: + +--Je veux parler à votre maître... + +--Et moi, je vous répète que vous ne passerez pas. J'agis d'après les +ordres du docteur F... lui-même, qui ordonne que vous soyez réintégré à +l'instant dans votre pavillon. + +Je me nommai aux infirmiers, qui ne jugèrent pas à propos de me +désobéir; d'ailleurs, j'avais passé solidement mon bras sous celui du +vieillard et je l'entraînais rapidement, il n'était pas de force à me +résister. + +--Vous, dis-je à l'un des deux hommes, allez auprès de votre maître et +dites-lui que je serai de retour dans une demi-heure; ajoutez que je +tente un suprême effort pour sauver son enfant. + +Nous étions arrivés au pavillon. Je fis entrer M. Vincent et nous nous +trouvâmes seuls, tous deux, dans le petit jardin sur lequel les arbres +étendaient la voûte de leurs feuilles automnales. + +Enfin je me trouvais donc en face de cet homme!... Je le regardai. + +Il était très pâle et, dans sa face blanche et bouffie, ses yeux +semblaient deux trous noirs et brillants. + +Nous restâmes ainsi quelques instants, l'un devant l'autre, comme deux +ennemis qui s'examinent avant le combat. J'étais en proie à une colère +qui me faisait trembler, mais qui devait communiquer à mon regard un +éclat excessif. Car ses yeux, à lui, semblaient fuir les miens. + +Tout à coup, j'étendis le bras vers lui, et, lui touchant l'épaule: + +--Monsieur Vincent de Bossaye de Thévenin, lui dis-je, vous êtes un +assassin! + +Il ne répondit pas; mais cette fois il me regarda à son tour, bien à +plein. + +--Oh! n'essayez pas de me fasciner, repris-je en ricanant. Je ne suis +pas un enfant... moi, et vous ne me tuerez pas... + +Il releva la tête d'un air de défi. + +--Que me voulez-vous? dit-il; je ne vous connais pas... + +--Mais je vous connais, moi! monsieur Vincent. Vous souvenez-vous d'une +pauvre mère (je lui citai la rue et la date) qui, il y a dix ans, vint +chercher un médecin pour un enfant, une jeune fille qui se mourait?... +Vous souvenez-vous que ce médecin vous rencontra dans la première +pièce... et cela... + +J'accentuai chaque mot distinctement, lentement: + +--... Alors qu'une minute auparavant, en entendant le bruit de vos pas, +la malheureuse avait tenté un dernier effort pour aller à vous et était +retombée morte dans mes bras... + +--Ah! c'était vous! fit M. Vincent. + +--Oui, c'était moi qui vis aussi ce phénomène étrange: la métamorphose +presque instantanée d'un homme vigoureux, au teint frais, aux allures +relativement vigoureuses, en un vieillard brisé, pâli, écrasé. + +--Continuez. + +--Vous souvenez-vous encore que ce soir-là vous avez tenté d'amener une +brave femme, la concierge de la maison que vous habitiez, à vous confier +son enfant... + +--Elle refusa. C'est exact... + +--Il y a dix ans de cela... et je vous retrouve ici, encore vivant, vous +que la mort guette et menace... Vivant... tandis que là haut un +enfant se meurt, sans lésion intérieure, sans maladie scientifiquement +appréciable... Or, comprenez-vous maintenant, monsieur Vincent, pourquoi +je vous ai empêché d'entrer dans cette maison où vous vous introduisiez +pour voler sur les lèvres de l'agonisant le dernier souffle de vie +auquel la vôtre est attachée?... + +--Entrons! dit M. Vincent en me désignant la porte du pavillon. + +Il parlait avec une parfaite simplicité, sans irritation. Je lui obéis, +et nous nous trouvâmes dans un cabinet dont les murs disparaissaient +sous des rayons de livres. + +Il me désigna un siège, s'assit à son tour et me dit: + +--Que supposez-vous?... + +J'avais recouvré mon calme: je constatai que je n'obtiendrais rien de +cet homme par intimidation. Aussi repris-je avec plus de sang-froid: + +--Je ne suppose pas... je sais... + +--Quoi?... + +--Vous vous livrez depuis votre jeunesse, depuis près d'un siècle, aux +pratiques du magnétisme. Quels sont vos moyens d'action, je l'ignore. La +science actuelle découvre en ce moment les lois de l'hypnotisme et de +la suggestion; mais elle n'a encore obtenu aucun des résultats que +vous recherchez et que vous avez atteints. Je m'empare de vos propres +paroles. Votre science, à vous, est criminelle: «elle centuple la +terrible inégalité qui fait, dans la lutte pour la vie, les vainqueurs +et les vaincus». Je pars de votre aveu, je m'en empare et je vous dis +que vous êtes un assassin! Osez me dire que je ne suis pas sur la voie +de la vérité... + +M. Vincent laissa tomber sa tête dans sa main, parut réfléchir pendant +quelques instants, puis, se redressant, il reprit: + +--Pourquoi ne vous ai-je pas rencontré plus tôt? + +--Regretteriez-vous d'aventure de ne m'avoir point appris votre +abominable science?... + +--Nulle science n'est abominable, reprit-il gravement. Le scalpel aux +mains du chirurgien peut être un outil de meurtre; l'hypnotisme et la +suggestion dont vous me parlez peuvent être des instruments de crime... + +--Votre science, à vous, n'est que criminelle... + +--Ne dites pas cela. Entre elle et l'usage que j'en ai fait, il y a +toute la distance qui sépare le bien du mal, le remède du poison... + +--Vous avouez donc! + +--J'avoue. Aussi bien je me fais horreur à moi-même moins en raison des +crimes commis, que de la lâcheté qui m'a poussé à les commettre... + +--La lâcheté de vous être attaqué à des enfants! + +--Non, ce n'est pas cela. La lâcheté de n'avoir pas voulu mourir. + +--Expliquez-vous, car il me semble que je suis emporté dans un +cauchemar. + +--Oui, je veux parler. Seulement j'exige de vous un serment... + +--Lequel? + +--Vous êtes homme de science. Je vais vous révéler le secret suprême, +mais vous prenez l'engagement solennel de ne jamais en user vous-même... + +--Ai-je besoin de jurer de n'être point criminel? + +--Et de ne jamais le révéler à personne... + +--Je vous le jure. + +--Eh bien, écoutez-moi. Il y a en l'homme trois périodes distinctes: +l'une de rayonnement, c'est l'enfance jusqu'aux extrêmes limites de +l'adolescence; la seconde, de consommation, qui va jusqu'à la fin de +l'âge mûr; puis la troisième, de réduction, qui est la vieillesse et se +termine par la mort. + +«De l'organisme vivant, de l'homme surtout, qui est jusqu'ici la plus +complète expression de la vie, s'exhale pendant la première période le +trop-plein de la vitalité. L'enfant absorbe plus de fluide vital qu'il +n'en consomme, et de tout son être rayonne une force en excès. Dans la +seconde période l'être consomme autant qu'il absorbe. C'est l'équilibre +des forts. Dans la vieillesse, cet équilibre est rompu; la résorption +est inférieure à la consommation, la dépense vitale est supérieure à +l'acquisition, d'où la faiblesse, d'où la mort. + +«Maintenant, en l'état actuel de la science, il vous paraît impossible, +n'est-il pas vrai? qu'un homme, un vieillard, puisse rompre ces lois +de la nature et, par des pratiques spéciales, voler à l'enfant, par +exemple, ces effluves vitaux qui sont en excès, et même, par une sorte +d'endosmose, attirer à lui tout le fluide dont une partie seule, celle +extérieure, serait à sa disposition immédiate. Là est pourtant la +vérité. Oui, je suis un criminel, oui, je suis un assassin, car depuis +quarante ans je procède, nouvel Eson, à un rajeunissement perpétuel de +moi-même. Oui, j'ai tué des enfants, mais non pas, comme les ignorants +le pourraient croire ou comme l'avait follement inventé Jean-Henri +Cohausen dans son _Hermippus redivivus_, en absorbant l'air qui +s'échappe des poumons de l'enfant, ou bien encore à la façon des +Vudoklacks légendaires en suçant leur sang... non pas, mais en attirant +à moi le fluide vital qui s'échappe en excès de tout leur organisme... + +«Ah! si j'avais eu le courage de m'en tenir là! Mais, je vous l'avoue, +il n'est pas d'ivresse plus profonde, plus attrayante, plus follement +heureuse que celle-là! Quand dans les membres refroidis pénètre ce +fluide chaud et vivifiant; quand l'imbibition s'accomplit, pénétrant +les pores, se glissant à tous les organes, c'est la jouissance inouïe, +entière, absolue... c'est la sensation de la résurrection, si un cadavre +pouvait se sentir renaître!... + +«Et toujours je me criais: «Arrête-toi, mais arrête-toi donc!» et +toujours mon être tout entier continuait à boire ces effluves... Et je +tuais! et j'assassinais!... ne conservant pour tout remords qu'une soif +inassouvie!... + +«Par les doigts, par le regard--oh! par le regard surtout--s'exerce +cette attraction qui donne à la victime une sensation d'abandon de +soi-même, non douloureuse, mais délicieusement enivrante!...» + +Il parlait! il parlait toujours, le misérable vieillard, ayant dans la +voix, dans les yeux la volupté d'un spasme... et je ne l'interrompais +pas, par épouvante peut-être... que sais-je?... + +Et lui, sentant que j'étais dominé par son horrible et sublime infamie, +il me disait tout: quelles passes devaient exécuter les mains, quelle +direction il fallait donner aux regards; et je l'écoutais, enfouissant +au plus profond de mon âme ces enseignements hideux qui m'enivraient +comme une liqueur vénéneuse!... + +--Et maintenant que j'ai tout dit, s'écria-t-il enfin, il faut que je +meure... Conduisez-moi auprès de l'enfant! + +--Horrible vieillard! m'écriai-je. Veux-tu donc que je te serve de +complice! + +Il se pencha à mon oreille et, en vérité, il me sembla que sa voix était +comme une liqueur subtile qui coulait en moi... + +--Toi que j'ai initié, me dit-il, ne comprends-tu pas que _notre_ +science nous donne également le pouvoir de la restitution? Je ne vis que +de ce que j'ai volé à cet enfant, et je t'ai dit que je voulais mourir. + +Et je lui obéis. Je n'aurais pas pu ne pas lui obéir. + +Tous deux nous remontâmes le perron; tous deux nous pénétrâmes dans la +maison; tous deux nous entrâmes dans le salon où les quatre médecins +causaient encore à voix basse, et de là dans la chambre où agonisait +l'enfant... + +L'enfant, qui avait reconnu le pas de M. Vincent et qui s'était soulevé, +les yeux tournés, les bras tendus vers lui... + +C'était l'instant suprême, l'instant atroce dont je me souvenais, et qui +avait précédé, comme le coup précède la souffrance, la mort de la jeune +fille. + +Les médecins étaient entrés derrière nous; le père s'était dressé, ne +comprenant pas, mais ayant, comme les désespérés, l'espoir du miracle. + +Je vis le corps de l'enfant osciller, hésiter entre deux mouvements, +l'élan ou le recul. + +M. Vincent le regardait de ses pupilles agrandies, et il s'avançait +lentement, les mains inertes en apparence, mais actives... pour moi, +pour moi qui savais tout. + +L'enfant se recoucha doucement. M. Vincent s'approchait toujours. Enfin, +il posa sa main sur le front du petit malade. Et soudain je vis--oh! je +n'en peux douter--une poussée de rose s'étendre sur son visage, éclairer +ses lèvres, en même temps qu'une lueur s'allumait au fond de ses yeux +éteints. Et je comprenais bien, moi... moi seul! Cet homme _réinjectait_ +en l'enfant la vie qu'il lui avait volée... + +--Votre enfant est sauvé, dit le vieillard d'une voix qui n'était plus +qu'un souffle. + +Puis, se tournant vers les médecins et se redressant légèrement: + +--Messieurs, dit-il, vous porterez témoignage que le docteur de Bossaye +de Thévenin, le dernier élève de Mesmer, a ressuscité un mort... + +Disant cela, il chancela et il serait tombé à terre si je ne l'avais +soutenu. + +--Emportez-moi, me dit-il tout bas, là-bas au pavillon. + +Je le soulevai dans mes bras. Ce corps n'avait plus de poids, et je le +déposai sur son lit. + +Là, obéissant à son ultime désir, je restai auprès de lui, et il +me parla longtemps, longtemps, d'une voix qui allait toujours +s'affaiblissant, et il me confia des choses que jamais oreille mortelle +n'avait entendues et qui me faisaient frissonner. + +Ces choses, je les sais et je ne puis les oublier: et j'ai peur de la +vieillesse qui vient et qui peut rendre criminel! + + + +L'enfant vécut. + +M. Vincent mourut le lendemain. + +Un de mes confrères me rencontra quelques jours après et me dit: + +--Avez-vous vu ce vieux charlatan! comme il a su se faire honneur d'une +réaction naturelle! + +Et moi, je sais... et j'ai peur de ma science! + +____________________________________ +IMPRIMERIE E. ARRAULT ET CIE, TOURS. + + + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of L'élixir de vie, by Jules Lermina + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ÉLIXIR DE VIE *** + +***** This file should be named 17692-8.txt or 17692-8.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + http://www.gutenberg.org/1/7/6/9/17692/ + +Produced by Carlo Traverso, Renald Levesque and the Online +Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This +file was produced from images generously made available +by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) + + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. Special rules, +set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to +copying and distributing Project Gutenberg-tm electronic works to +protect the PROJECT GUTENBERG-tm concept and trademark. Project +Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you +charge for the eBooks, unless you receive specific permission. If you +do not charge anything for copies of this eBook, complying with the +rules is very easy. You may use this eBook for nearly any purpose +such as creation of derivative works, reports, performances and +research. They may be modified and printed and given away--you may do +practically ANYTHING with public domain eBooks. Redistribution is +subject to the trademark license, especially commercial +redistribution. + + + +*** START: FULL LICENSE *** + +THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE +PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK + +To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free +distribution of electronic works, by using or distributing this work +(or any other work associated in any way with the phrase "Project +Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full Project +Gutenberg-tm License (available with this file or online at +http://gutenberg.org/license). + + +Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg-tm +electronic works + +1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm +electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to +and accept all the terms of this license and intellectual property +(trademark/copyright) agreement. 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It exists +because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from +people in all walks of life. + +Volunteers and financial support to provide volunteers with the +assistance they need, is critical to reaching Project Gutenberg-tm's +goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will +remain freely available for generations to come. In 2001, the Project +Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure +and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. +To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation +and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 +and the Foundation web page at http://www.pglaf.org. + + +Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive +Foundation + +The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit +501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the +state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal +Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification +number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at +http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent +permitted by U.S. federal laws and your state's laws. + +The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. +Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered +throughout numerous locations. Its business office is located at +809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email +business@pglaf.org. 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