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diff --git a/.gitattributes b/.gitattributes new file mode 100644 index 0000000..6833f05 --- /dev/null +++ b/.gitattributes @@ -0,0 +1,3 @@ +* text=auto +*.txt text +*.md text diff --git a/19454-8.txt b/19454-8.txt new file mode 100644 index 0000000..66c58c4 --- /dev/null +++ b/19454-8.txt @@ -0,0 +1,3320 @@ +Project Gutenberg's La mort de Brute et de Porcie, by Guyon Guérin de Bouscal + +This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with +almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: La mort de Brute et de Porcie + Ou, La vengeance de la mort de César - Tragédie + +Author: Guyon Guérin de Bouscal + +Release Date: October 3, 2006 [EBook #19454] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA MORT DE BRUTE ET DE PORCIE *** + + + + +Produced by Carlo Traverso, Laurent Vogel and the Online +Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This +file was produced from images generously made available +by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at +http://gallica.bnf.fr) + + + + + + + + + + LA MORT + DE BRUTE + ET DE + PORCIE, + + OU, + + LA VENGEANCE + DE LA MORT + DE CESAR. + + TRAGEDIE. + + + A PARIS, + Chez TOUSSAINCT QUINET, au Palais dans + la petite salle, sous la montée de la Cour des Aydes. + + M. DC. XXXVII. + + _AVEC PRIVILEGE DU ROY._ + + + + + A + MONSEIGNEUR + L'EMINENTISSIME + CARDINAL + DUC DE RICHELIEU. + + + MONSEIGNEUR, + +La plus grande partie de nos Escrivains composent leurs Epistres des +esloges de ceux à qui ils dédient leurs ouvrages comme des raisons pour +authoriser leur choix, & ne prennent pas garde que le plus souvent ces +mesmes raisons les condamnent. Si je mettois ce mauvais livre soubs la +protection de vostre EMINENCE, pource qu'elle protege les Empires; que +je me promisse qu'elle le recevra, pource qu'elle refuse les couronnes, +& que je creusse qu'elle l'estimera, pource qu'il n'y a rien au monde +digne de son estime; Je rencontrerois sans doute ce qu'ils veulent +éviter, & ferois veoir un exemple de ce que je desapreuve: Mais ce n'est +pas pour tout cela, MONSEIGNEUR, c'est seulement pource que je suis, + + MONSEIGNEUR, + + Vostre tres-humble, tres-obeïssant & tres-fidelle serviteur, + + GUERIN DE BOUSCAL. + + + + + PRIVILEGE DV ROY. + + +Louis par la grace de Dieu Roy de France & de Navarre, à nos amez & +feaux Conseillers les gens tenans nos Cours de Parlement, Maistre des +Requestes ordinaires de nostre Hostel, Baillifs, Seneschaux, Prevosts, +leurs Lieutenans, & autres nos Justiciers, & Officiers qu'il +appartiendra, salut. Nostre cher & bien amé GUION GUERIN DE BOUSCAL, +nous a fait remonstrer qu'il a composé un livre intitulé, _La Mort de +Brute & de Porcie, ou, La Vengeance de la mort de Cesar_, qu'il +desireroit faire imprimer & mettre en lumiere: Mais craignant qu'à son +prejudice autres Imprimeurs que celuy qu'il a choisy pour cét effect, +voulussent imprimer ledit livre, & l'exposer en vente. Il nous a +tres-humblement supplié luy octroyer nos Lettres sur ce necessaires. A +CES CAUSES, desirant favorablement traicter ledit exposant, Nous luy +avons permis & permettons par ces presentes de faire imprimer, faire +vendre & debiter ledit livre en tous les lieux & terres de nostre +obeyssance, par tels Imprimeurs, en telles marges & caracteres, & autant +de fois qu'il voudra durant le temps & espace de neuf ans entiers & +accomplis, à compter du jour qu'il sera achevé d'imprimer. Faisant +deffences à tous Imprimeurs, Libraires & autres de quelques condition +qu'ils soient, d'imprimer, vendre ny distribuer ledit livre sans le +consentement de l'exposant, ou de ceux qui auront droit de luy en vertu +des presentes, ny mesme d'en prendre le titre ou le contrefaire en telle +sorte & maniere que ce soit soubs couleur de fauce marge ou autre +déguisement, sur peine aux contrevenans de quinze cents livres d'amende, +de confiscation des exemplaires contrefaits, & de tous les despens +dommages & interests. A la charge d'en mettre deux exemplaires en nostre +Bibliotheque, Et un en celle de nostre amé & feal le Sieur SEGUIER +Chevalier Chancelier de France, avant que de l'exposer en vente, suivant +nos Reglemens, à peine d'estre descheu du present Privilege. Donné à +Paris le vingt-troisiesme jour de Juillet l'an de grace mil six cents +trente-sept. Et de nostre regne le vingt-septiesme. Par le Roy en son +Conseil, DE BEAVRAINS. Et sellé du grand seau de cire jaune. + + * * * * * + +Et ledit sieur de Bouscal a cedé & transporté le present Privilege à +Toussainct Quinet, Marchand Libraire à Paris, pour jouyr du contenu en +iceluy, ainsi qu'il a esté accordé entr'eux par acte de seiziesme +Janvier 1637. + +_Achevé d'imprimer pour la premiere fois le 20. Fevrier 1637._ + +Les exemplaires ont esté fournis. + + + + + ACTEURS + + + BRUTE. + STRATON, Amy de Brute. + CASSIE. + PORCIE, Femme de Brute. + OCTAVE. + MARC-ANTHOINE. + TITINE. + PINDARE, Affranchi de Cassie. + DEMETRIE. + LA SUIVANTE DE PORCIE. + LES MESSAGERS. + LES CHEFS DE L'ARMEE DE BRUTE. + LES CHEFS DE L'ARMEE D'ANTHOINE. + LE MEDECIN D'OCTAVE. + + * * * * * + +La Scene est en la plaine de Philipes en Macedoine. + + + + + LA + VENGEANCE + DE LA MORT + DE CÆSAR. + + + + + PROLOGUE + DE LA RENOMMEE. + + + Esprise d'un ardent desir + De voir les veritables sources + Des grands sujets de tant de courses + Qui ne me laissent pas un moment de loisir; + + J'ay voulu descendre en ces lieux + Que des illustres demy Dieux + Signalent tous les jours par de nouveaux Oracles, + Où j'ay veu ce grand Roy, dont le nom seulement + Porte par tout l'estonnement, + Et force la Nature à souffrir de miracles. + Prés de luy cét esprit fameux, + Dont j'ay tant chanté les merveilles + Charmoit les yeux & les oreilles + Et faisoit confesser que tout luy doit de voeux. + + Aussi confuse à cét aspect, + Mon front s'est couvert d'un respect + Que jamais tous les Dieux n'avoient peu faire naistre, + Mes bouches ont perdu l'usage de la voix, + Mon cor m'est eschappé des doigts, + Et j'ay repris mon vol sans me faire cognoistre. + + Mais ayant rapellé mes sens, + Je vay dire à toute la terre. + Que dans la paix & dans la guerre + Ce Prince peut toujours braver les plus puissans, + + Tout tremble à ses moindres projets. + S'il vouloit gagner des sujets, + Et faire une entreprise égale à sa puissance, + Malgré l'empeschement des peuples & des Rois, + Tous les hommes seroient François, + Les bords de l'Univers seroient ceux de la France. + + Comme Alcide dans le berceau, + Forçant la foiblesse de l'âge + Estoufa la sanglante rage + Des serpents qui venoient le pousser au tombeau. + + Ce Prince à peine avoit encor + Cét honorable chapeau d'or. + De qui toujours la peine est fidelle compagne, + Quand avec le flambeau de la rebellion + Il estouffa ce grand Lyon, + Qui pour le devorer estoit venu d'Espagne. + + Depuis ses plus charmans esbats, + Ont esté parmy les armées + A voir de bandes animées + S'entreverser le sang au milieu des combats: + + Car cét ennemy conjuré, + Qui depuis long-temps a juré + De ne laisser jamais ses voisins dans le calme, + Donnant à ses desseins cent visages divers, + A fait agir tout l'Univers + Pour despoüiller son front d'une si belle palme. + + Mais ce miracle des mortels + Qui mille fois le jour m'oblige + A proclamer comme un prodige + La moindre des Vertus qui luy font des Autels; + + Par de moyens miraculeux + Previt ses desseins frauduleux, + Et destourna si bien les coups de cét orage, + Que bien loing de l'effect qu'on s'en estoit promis, + Il tomba sur vos ennemis + Qui fremissent encor & de honte & de rage. + + C'est icy, genereux François, + Que l'honneur de vostre patrie + Vous permet sans idolatrie + D'adorer en luy seul le soustien de vos lois. + + Voyez ce grand Astre d'amour + Ne reposer ny nuict ny jour, + Et pour vous acquerir une paix de durée, + Perdre tous ses plaisirs dans des soucis cuisans + Qui rendroient les Sceptres pesans + Entre les fortes mains d'Atlas & Briarée. + + Voyez vostre Nef se vanter + Que sur l'Empire de Neptune, + Malgré les vents & la Fortune + Il n'est rien dont l'effort la puisse espouventer, + + L'ennemy suit à son abord, + Elle a de tout costez le port, + La mer tout à l'entour ne monstre point de ride, + Jamais l'anchre ne fut en un si Riche lieu, + Et cét illustre demy-Dieu + La boussole à la main la conserve & la guide. + + Voyez vos ennemis domptez + En vos batailles signalées + Graver dessus leurs Mausolées + La valeur de celuy qui les a surmontez. + + Admirez que si l'Espagnol + N'eust pas voulu porter son vol + Sur les terres d'autruy, comme l'Aigle Romaine, + Les drapeaux que sur luy vous avez emportez, + Pourroient couvrir de tous costez + Les steriles deserts de son petit domaine. + + Admirez que dans le discort + Qui divise l'Europe entiere, + Vous avez une ample matiere + De mespriser les vents, & de dormir au port. + + Qui diroit à voir vos esbats. + Que dans de si sanglans combats + Les armes des François fussent interessées? + Si je n'avois le soin de prescher en tous lieux + Qu'un grand esprit aymé des Dieux + Vous fait jouyr en paix du fruict de ses pensées. + + Puis tous d'une commune voix, + Faites retentir dans les nuës + Combien ses vertus recogneuës + Portent haut la splendeur du Trosne de vos Roix. + + Tous les peuples que le Soleil + Esclaire de son teint vermeil + Tremblent espouvantez au seul nom de la France; + Et l'orgueilleux Tyran des hardis Otthomans, + Conserve dans ses documens + Plus cher que le Croissant son serment d'aliance. + + Ce grand esprit portant icy + La valeur des peuples de Thrace, + Y porta le Mont de Parnasse, + Apollon & ses soeurs le suivirent aussy. + + C'est là que quelquefois lassé + Du soin present & du passé, + Il voit avec plaisir grimper mille Poëtes, + Et ne desdaigne pas, tant son coeur est humain, + D'ouvrir avec sa propre main + Des bouches qui sans luy demeureroient muetes. + + J'ay sceu par un de mes Couriers, + Que pour fuyr l'ingratitude, + On voit des fruicts de cét estude + Qu'on ne sçauroit payer avec mille lauriers. + + L'un fait voir Hercule enchanté + Par les charmes d'une beauté + Negliger sa valeur ainsi que son espouse, + Et confesser enfin qu'estre victorieux + Des montres les plus furieux + Est moins que de dompter une femme jalouse. + + L'autre nous monstre clairement + Dans la perte de Massinisse, + Que qui veut bastir sur le vice + Esprouve tot ou tard quel est ce fondement. + + L'autre nous fait voir que l'amour + Desrobe le lustre & le jour + Aux belles actions d'un Empereur de Rome; + Et l'autre nous montrant un Roy dans sa maison + Frustré de l'effet du poison, + Fait voir qu'est devant Dieu la sagesse de l'homme. + + L'autre, du premier des Cæsars + Nous fit voir la fin deplorable, + Et combien il fut miserable + De ne mourir plustost au milieu des hazards. + + Ce Prince l'honneur des guerriers, + Le front couronné de lauriers, + Fut de la trahison la sanglante victime, + Dans les pompes du Trosne il trouva le tombeau, + Son favory fut son borreau, + L'injustice son Juge, & la vertu son crime. + + Mes yeux apres ce coup fatal, + Firent l'office de mes bouches, + Et les ames les plus farouches + Pasmerent au recit d'un crime si brutal. + + Tout l'Univers alloit mourir + Quand le Ciel pour le secourir + Fit partir de ses mains un équitable foudre, + Les plaines de Philippe en virent les effets, + Tous les meurtriers furent defaits, + Cæsar y triompha qui n'estoit plus que poudre. + + Jamais un plus beau chastiment + Ne tint la Justice occupée: + Jamais on ne vit son espée + Abbatre de mutin plus equitablement. + + Cét objet pleut tant à mes yeux, + Que j'arreste encore en ces lieux + Pour en voir le portrait sur ce fameux Theatre, + Où Brute & sa vertu confesseront en fin + Qu'à moins que d'un coup du Destin, + Un Trosne bien fondé ne se sçauroit abatre. + + + + + LA + VENGEANCE + DE LA MORT + DE CÆSAR. + + + + +ACTE PREMIER. + + +SCENE PREMIERE. + +BRUTE, STRATON, & deux Chefs de l'armée de Brute. + +BRUTE. + + Qu'un Estat est mal sain dans le siecle où nous sommes, + Lors qu'il n'a pour soustien que le grand nombre d'hommes, + Dont les desirs divers par de divers efforts + Au lieu de l'affermir desunissent son corps. + Que je l'esprouve bien dedans cét avanture. + L'un desire la paix escoutant la Nature, + Qui luy dit que ses fils condamnez à mourir + Avec ce seul moyen se peuvent secourir. + L'autre moins resolu de survivre en esclave, + Declame contre Anthoine, & favorise Octave, + Comme si nos fureurs avoient pour leur objet + Le vice des Tyrans & non pas leur projet. + Bref il en est bien peu que le seul honneur pique, + Qui ne soient animez que pour la Republique, + Et qui puissent gouster avec tranquilité, + Que nous devons mourir pour nostre liberté. + Je m'asseure pourtant que nos Dieux tutelaires + Ayment trop l'equité pour nous estre contraires, + Et pour ne pas punir l'insolent attentat + Que ces ambitieux ont fait sur nostre Estat. + Il faut tout esperer d'une juste entreprise, + Si l'honneur la produit, le Ciel la favorise; + Et l'on doit s'asseurer d'estre victorieux, + Quand le droict qu'on soustient est la cause des Dieux. + Les Dieux seuls sont nos Rois, jugeans qu'il n'est point d'homme, + Qui puisse meriter leur Lieutenance à Rome, + Depuis que le Soleil n'esclaire rien d'humain + Qui ne doive tribut à l'Empire Romain + J'adore leurs Decrets, & mon ame flechie, + Se sous-met seulement à cette Monarchie; + Tout autre me desplait, & mon adversion + Vient d'un raisonnement exempt de passion; + Car un peuple sousmis aux volontez d'un Prince + Se descharge sur luy des soins de la Province, + Neglige sa valeur, cache ses actions, + Content de s'acquiter des obligations; + Parce que les exploits plus dignes de memoire, + Honorant le seul Chef, laissent l'Autheur sans gloire; + Qui voit apres avoir vaillament combatu, + Qu'un autre s'enrichit des fruicts de sa vertu. + Au lieu que sous les loix de la Democratie, + Chacun cherche l'honneur aux despens de sa vie, + Asseuré que toujours la generosité + S'y voit recompenser comme elle a merité. + Puis qu'à ce doux Estat notre bon-heur nous range, + Il faut mourir plustost que de souffrir le change. + Ha! si tous les Romains combattoient comme vous, + Que nostre Republique auroit un sort bien doux, + Et qu'on verroit bien tost les desseins & l'armée + De nos pretendus Rois se reduire en fumée. + Aussi la recompense égalant le bien-fait, + Rendra dans peu de temps vostre bon-heur parfait. + +I. CHEF. + + L'honneur de vous servir contre la tyrannie, + Couronne les Romains d'une gloire infinie, + Dont le moindre rayon nous récompense assez, + Des soins de l'advenir, & des travaux passez, + +BRUTE. + + Allez donc dans le Camp, dites aux Capitaines, + Qu'on doit bien tost finir mes soucis & leur peines, + Et que la liberté reprendra sa vigueur, + S'ils monstrent au combat qu'ils en ont dans le coeur. + + + +SCENE II. + +CASSIE, BRUTE, TITINE. + +CASSIE. + + Resolu qu'aujourd'huy la bataille se donne? + +BRUTE. + + Je croy que ce dessein ne déplaist à personne, + Et que les maux soufferts par le peuple Romain, + Nous preschent qu'il vaut mieux aujourd'huy que demain. + +CASSIE. + + Il me semble pourtant que tout nous peut permettre. + Sinon de l'eviter, au moins de la remettre, + Puis que tous nos amis n'ont point de sentimens + Pour s'opposer jamais à nos commandemens; + Et que les Citoyens touchez de mesme envie + Déposent en nos mains le soucy de leur vie. + +BRUTE. + + Un peuple va toujours, quelque aguerry qu'il soit, + A finir promptement les ennuis qu'il reçoit, + Aymant mieux pour treuver le repos desirable, + S'exposer aux dangers d'une fin lamentable, + Que de souffrir longs-temps au milieu des travaux, + La funeste rigueur d'une suite de maux, + Juge si nos Romains exilez de leur terre, + Et déja fatiguez d'une si longue guerre, + Sçachant que le combat la doit faire cesser, + N'ont pas d'ardens desirs de le voir commancer. + Que si pourtant leur voix tesmoigne le contraire, + Elle dément leur coeur de peur de te déplaire. + +CASSIE. + + Il n'est rien de forcé dedans tous leurs discours. + +BRUTE. + + Le mal a trop duré, rompons icy son cours. + Cherchons nous le profit, ou bien la vaine gloire + De triompher des morts apres une victoire? + Celle de ravager l'Empire des Romains, + Et de pouvoir agir avec cent mille mains? + Non, un plus beau dessein nous fit prendre l'espée, + Nous voulons affranchir nostre terre occupée, + Restablir nos amis dans leur premier bon-heur, + Et monter au degré d'un souverain honneur, + Puis que l'occasion s'en offre si propice, + Faisons voir aujourd'huy quelle est nostre Justice, + Et que ses fiers tyrans percez de mille coups, + Asseurent pour jamais nos libertez & nous. + +CASSIE. + + Dans un si beau dessein mon ame interessée, + Par ton ressentiment explique ma pensée, + Tes desirs sont les miens, & celuy d'estre Roy + M'a toujours fait horreur aussi bien comme à toy; + Je ne le puis souffrir, Nature la premiere + M'inspira cette haine avecque la lumiere, + Ma raison la receut, & depuis nos sermens + En ont authorisé les justes mouvemens: + Mais je ne sçay pourtant si cette impatience + D'aller voir l'ennemy, n'a point de l'imprudence, + Et si precipitant le dessein du combat, + Nous ne reculons point le bien de nostre Estat. + +BRUTE. + + Rome que ces meurtriers remplissent de carnage, + Nous demande secours, parle à nostre courage, + Et nous pouvons bien voir aux plaintes qu'elle fait, + Que le retardement le rendroit sans effet: + Ne le differons plus, secondons son attente, + Ranimons aujourd'huy la liberté mourante, + Redonnons au païs la vigueur de ses lois, + Secourir promptement, c'est secourir deux fois. + +CASSIE. + + Ta resolution si digne de loüange + Fait que contre mon coeur, ma volonté se range; + Combattons donc, cher Brute, & dans le Champ de Mars, + Aussi bien qu'au Senat, poignardons des Cæsars. + +BRUTE. + + Mes moindres mouvemens feront toujours connoistre, + Que je cherche à mourir pour n'avoir point de Maistre + +CASSIE. + + Et les miens feront voir, quoy qu'il faille tenter, + Que ce bras n'est armé qu'afin de l'éviter. + +BRUTE. + + Adieu donc, l'heure presse, il faut que je m'en aille + Minuter en repos l'ordre de la bataille. + + + +SCENE III. + +CASSIE, TITINE. + +CASSIE. + + C'est bien contre mon coeur qu'avec si peu de mains, + Nous allons hazarder le salut des Romains: + Mais Brute en ses discours, a je ne sçay quels charmes, + Qui forcent la raison à luy rendre les armes; + Je consens au combat malgré mon sentiment, + Et je crains la rigueur d'un triste evenement. + +TITINE. + + Les Dieux seront pour nous, s'ils sont pour la Justice, + Leur bonté ne sçauroit favoriser le vice, + Et j'espere aujourd'huy que tous nos differens + Rencontreront leur fin dans celle des Tyrans. + +CASSIE. + + La cause la plus juste est bien souvent trompée, + Et j'en prens à tesmoin la perte de Pompée. + Ce n'est pas que mon coeur se forme de soupçons + Que nous n'obtiendrons pas ce que nous pourchassons; + Mais alors qu'il s'agit de l'Empire de Rome, + Il est bien mal-aisé de ne point parestre homme, + Et dans l'Estat flotant de nostre liberté, + L'asseurance me semble une stupidité. + +TITINE. + + Pompée avoit pour but d'assujettir l'Empire, + Et ce mauvais dessein luy fit avoir du pire. + +CASSIE. + + On ne l'a jamais sceu que par presomption. + +TITINE. + + Les Dieux dedans son coeur lisoient sa passion, + Rien ne se peut cacher à ces grandes lumieres. + +CASSIE. + + C'est assez disputé sur ces vaines matieres, + Il est temps de songer que nous devons ce jour + Faire voir des effets & de haine & d'amour. + + + +SCENE IV. + +BRUTE, son mauvais Genie. + +BRUTE. + + J'auray la pointe droite, & ma Cavalerie + Essuyera des traits la premiere furie, + Massala la doit suivre avec un peloton, + Qui sera soûtenu par celuy de Straton: + Et pour perdre en un jour tyrans & tyrannie; + Mais qu'est-ce que je voy? + +LE GENIE. + + C'est ton mauvais Genie. + Qui te vient advertir que dans fort peu de temps + Tu le pourras revoir parmy les combatans. + +BRUTE. + + Hé bien, nous t'y verrons, je veux combatre Octave, + Et faire d'un Roy feint un veritable esclave; + Cassie aura la gauche, & le soin d'ordonner + Comme on s'y conduira quand il faudra donner. + Mais déja le Soleil vient esclairer la terre + Pour commancer le jour qui doit finir la guerre; + Allons voir nos Soldats, & mettre dans leurs coeurs + Le desir de mourir ou de vivre vainqueurs. + + + +SCENE V. + +PORCIE, BRUTE. + +PORCIE. + + Tu vas donc au combat? + +BRUTE. + + La liberté m'appelle, + Et je serois content de m'immoler pour elle, + Si je pouvois sçavoir ma Porcie en repos, + Loin des troubles que Mars + +PORCIE. + + Brise là ce propos, + Il choque ma vertu qui seroit offensee + S'il estoit aprouvé d'une seule pensee; + Quoy! Brute doute encor que mon affection + Ne soit pas au degré de la perfection: + Du repos loin de luy, sans qui mesme la vie + Ne sçauroit me durer que contre mon envie. + Ha! c'est trop, & ce coup me touche plus le coeur. + Que la crainte de voir nostre ennemy vainqueur. + La fille de Caton nasquit parmy les armes, + Les horreurs des combats ont pour elle des charmes; + Et son repos s'y treuve ainsi qu'en tous les lieux, + Où Brute luy paroist favorisé des Dieux. + Que le Ciel conjuré se range pour Octave, + Que le peuple Romain demande d'estre esclave, + Que par ces changemens l'espoir te soit osté, + De restablir jamais l'antique liberté. + Qu'apres estre bannis de nostre chere terre, + Tout l'Empire assemblé nous declare la guerre, + Et que tous les malheurs accompagnent nos pas, + Si je suis avec toy, je ne me plaindray pas. + +BRUTE. + + Que percé de cent coups au milieu des batailles, + Le vainqueur insolent m'arrache les entrailles; + Si tu vis pour chanter l'honneur de mon trespas, + Fut-il plus violent, je ne me plaindray pas. + +PORCIE. + + Que nos cruels Tyrans par de nouvelles gesnes + Portent au plus haut point leur rigueur & mes peines; + Si je puis par ma mort t'exempter du trespas, + J'en atteste le Ciel, je ne me plaindray pas. + +BRUTE. + + Si je pouvois treuver dans le sort de la guerre, + Avecque ton repos celuy de nostre terre, + Deusse-je, pour un seul, souffrir mille trespas, + Je seray satisfait, & ne me plaindray pas. + +PORCIE. + + Quand Rome reprendroit cette grande puissance + Qui rangea l'Univers sous son obeïssance, + Si nous devions ce bien à la fin de tes jours, + Ne pouvant pas mourir, je me plaindray toujours. + Ne me commande pas de conserver la vie, + Si nostre malheur veut qu'elle te soit ravie, + Icy l'obeïssance excede mon pouvoir, + Et la necessité m'enseigne mon devoir; + Ouy, Brute, ton trespas rend le mien necessaire, + Soit pour me delivrer des mains de l'adversaire, + Soit pour ne faire pas un prodige nouveau, + Laissant durer un corps dont l'ame est au tombeau, + Ou bien pour te monstrer que cessant d'estre libre, + La fille de Caton perd le pouvoir de vivre. + +BRUTE. + + Tant de rares vertus auroit bien merité + Dans un siecle plus doux un sort plus arresté; + Si la raison sçavoit balancer toutes choses, + Jamais aucun soucy n'eust approché tes roses, + Et toujours les douceurs de mille doux plaisirs + Eussent charmé tes sens, & passé tes desirs; + J'espere toutefois qu'une bonté supreme + Reserve à nos travaux cette faveur extreme, + Qu'un jour victorieux & triomphans des Rois, + Rome nous nommera protecteurs de ses lois, + Alors tous nos malheurs auront trouvé leur terme, + Alors nostre repos n'aura rien que de ferme, + Alors ne craignant plus pour nostre commun bien, + Jamais mon sentiment ne choquera le tien, + Alors les Dieux benins, pour nous combler de joye, + Ne feront à nos jours qu'une trame de soye, + Et quand leur providence en coupera le cours, + Nos noms & nos vertus demeureront tousjours. + Cependant, mon cher coeur, permets que je m'en aille + Disposer mes soldats à donner la bataille, + L'heure me presse, adieu. + +PORCIE. + + Va donc, mon cher soucy, + Certain que si tu meurs je veux mourir aussi. + + + +SCENE VI. + +PORCIE, sa Compagne. + +PORCIE. + + Donques les bras croisez en ce malheur extresme + Je me voy sans rougir differente à moy mesme? + Doncques ma lascheté m'oste le souvenir + Que Brute ce heros vient de m'entretenir! + Arrestez-vous mes pleurs, son adorable image + Vient defendre à mes yeux de vous donner passage, + Et vous, tristes soupirs, tesmoins de mon soucy, + Cedez à la vertu qui vous bannit d'icy, + Mais non, n'escoutez pas ma requeste importune, + La vertu se plaindroit en pareille fortune. + Je voy tout ce que j'ayme en danger aujourd'huy, + Brute & la liberté qui ne vit plus qu'en luy; + Toutesfois banissons ce mouvement de femme, + Ma naissance suffit pour instruire mon ame, + En vain irois-je ailleurs rechercher un patron, + C'est assez que je suis la fille de Caton, + Sus donc faisons paroistre à nos trouppes fidelles + Que je brusle d'ardeur de combattre pour elles, + Et qu'avec son portraict mon pere a mis en moy + Un desir violent de n'avoir point de Roy; + Monstrons que dans le choc des plus rudes alarmes + Je sçay verser du sang aussi bien que des larmes, + Allons braver la mort au camp des ennemis, + Et vengeons aujourd'huy les maux qu'ils ont commis: + Il ne m'importe point d'obtenir la victoire, + Mon sort est assez beau, je n'ay que trop de gloire + Pourveu que combattant pour le peuple Romain + Je meure comme Brute une espée à la main: + Toy ne traverse point ce conseil salutaire, + Aussi seroit-ce en vain qu'on m'en voudroit distraire, + Il est grand, il est juste, & selon la saison. + +LA COMPAGNE. + + Mais vous ne dites pas qu'il choque la raison, + Madame, moderez cette boüillante rage, + Pour mieux voir le danger où vostre esprit s'engage: + Quoy! sommes-nous tombez en de si foibles mains, + Que vous n'esperiez rien du salut des Romains? + Brute auroit-il perdu son courage heroïque? + Et ne pourroit-il rien pour nostre Republique? + Non, il est toujours Brute, & comme ses parens, + Il ne s'arme jamais sans chasser des Tyrans; + J'espere quand à moy qu'il aura la victoire, + Mais vostre grand dessein que sert-il à sa gloire? + Et si l'executant vous rencontriez la mort, + N'auroit-il pas sujet de blasmer vostre effort? + +PORCIE. + + On peut bien sans mourir suivre cette entreprise. + +LA COMPAGNE. + + Mais si Brute mouroit, et que vous fussiez prise, + Que tout fut en butin aux Tyrans inhumains, + Quel regret auriez-vous de vous voir en leur mains? + Et sans pouvoir mourir vous sçavoir condamnée, + D'estre dans vostre ville en triomphe menée? + Le penser seulement me fait trembler d'horreur, + Pour gauchir cét escueil, calmez vostre fureur, + Madame & si le Ciel vous donne du courage, + Tesmoignez-en la force à brider vostre rage: + Endurez sans vous plaindre, & que jamais vos pleurs, + Ny vostre desespoir m'expriment vos douleurs: + C'est la lice d'honneur où la vertu s'espreuve, + Et le port plus certain où le repos se treuve: + Outre que si le Ciel vous mal-traitte aujourd'huy, + Vous aurez plus de droict de vous plaindre de luy. + +PORCIE. + + En fin à tes raisons ma fureur diminuë, + Comme aux rais du Soleil l'espesseur d'une nuë, + Je me laisse emporter à tout ce que tu veux, + Allons à Jupiter faire offre de nos voeux: + Et si nous le trouvons encor inexorable + A soulager les maux d'un peuple miserable + Je sçay depuis long-temps quel sera mon devoir, + Mais qu'un courroux sied mal lors qu'il est sans pouvoir! + + + + +ACTE SECOND. + + +SCENE PREMIERE. + +MARC ANTHOINE, LUCILLE, & deux de ses Chefs. + +MARC ANTHOINE. + + Puis que c'est aujourd'huy qu'un destin favorable, + Nous promet de venger ce crime detestable, + La mort du grand Cæsar, le Phoenix des guerriers, + Prodiguons nostre sang pour gagner des lauriers, + Monstrons à ce Heros dans sa beatitude, + Que nous voulons mourir exempts d'ingratitude, + Et que jamais la paix n'esteindra nos combats, + Que plustost on n'ait mis tous ces meurtriers abas. + Quand Rome verseroit un Ocean de larmes, + Qu'un deüil perpetuel terniroit tous ces charmes, + Et que ses Citoyens n'y sçauroient plus rien voir, + Que de tristes objets couverts d'un crespe noir, + Ce seroit laschement honorer la memoire + De ce grand demy Dieu qui la combloit de gloire, + Qui maintenoit la paix dans un si vaste corps, + Et parmy les plus grands des merveilleux accords. + En vain nos conjurez vantans la Republique, + Taxent la Royauté d'un pouvoir tyrannique. + Il est vray qu'un Estat qui se veut agrandir + Contre la Royauté, se doit toujours roidir: + Mais lors qu'il ne peut plus estendre son Empire, + Il faut qu'à ce bon-heur tout son effort aspire, + Comme le seul qui peut maintenir son pouvoir, + Et contenir les grands aux termes du devoir. + Que si l'ambition dans son impatiance + Par un ingrat effort foule cette puissance, + Dés l'heure il est perdu, son bras devient perclus, + Et cessant d'obeïr, il ne commande plus. + Nostre Rome à ce point avoit besoin d'un Maistre + Et les evenemens nous le font bien connoistre, + Les peuples rebellez depuis cét attentat + Démembrent tous les jours les biens de son Estat: + Et comme nos desirs, nos forces divisees, + Leur rendent contre nous les victoires aisees! + Ha! Brute desloyal, qu'avec peu de raison + Tu fondas le projet de cette trahison: + Tu devois dire au moins la cause de ta plainte, + La bonté de Cæsar l'auroit bien-tost esteinte, + Et ton ressentiment eust esté satisfait, + Sans faire voir au jour un si semblable effet, + Tu pouvois disposer de toute sa puissance, + Il n'eust jamais pour toy que de la complaisance; + Mesme jusqu'à ce point, qu'apres mille forfaits + On te pouvoit nommer l'objet de ses biens-faits: + Et tu meurtris encor ce Prince debonnaire, + Qui t'appelant son fils, se monstroit plus que pere: + Et regarde couler ce beau sang sans effroy, + Alors que ton poignard en rougissoit pour toy. + O temps! ô meurs! ô Dieux peu reverés dans Rome! + O crisme d'un Démon bien plûtost que d'un homme! + Les autres conjurez, ont-ils eu moins de tort? + Cæsar les a sauvez, il nous donnent la mort; + Semblables aux serpens qu'on voit en la Libye, + Qui tuent en naissant les autheurs de leur vie. + Ha lasches! si le Ciel a quelque soin de nous, + Vous sçaurez ce que peut sa haine & mon courroux. + Il n'a point fait de loy contre l'ingratitude, + Car la punition n'en peut estre assez rude: + Mais pourtant je feray par mes inventions + Un juste chastiment de cent punitions. + Jamais les Dieux n'ont veu vengeance plus entiere, + Ma fureur s'esteindra plus tard que la matiere; + Les Manes de Cæsar en seront satisfaits, + Mais il est déja temps de passer aux effets. + Sus donc, braves Romains, chers enfans de Bellonne, + Si vous voulez gagner l'honneur d'une Couronne, + Secondez mon dessein, qui juste autant que beau, + Mesme apres nostre mort, nous sauve du tombeau. + +I. CHEF. + + Nous n'avons pas plûtost resolu de vous suivre + Que de venger Cæsar ou de cesser de vivre, + Ainsi ne craignez pas qu'on ne juge aujourd'huy + Qu'encore apres sa mort nous combatons pour luy. + +II. CHEF. + + Les effets feront voir aux despens de ma vie, + Que mon coeur à ce bras inspire mesme envie, + Cæsar merite bien de voir venger ses coups, + Et qu'on meure pour luy, puis qu'il est mort pour nous. + +III. CHEF. + + Brave & vaillant Cæsar, dont la mort avancée + Ne m'entretient jamais sans blesser ma pensée; + Tu connoistras bien-tost le dessein que j'ay fait, + D'affronter les dangers pour te voir satisfait. + +MARC-ANTHOINE. + + Mon coeur apres cela ne voit rien qu'il ne brave. + + + +SCENE II. + +MARC-ANTHOINE, le Medecin d'Octave. + +MARC ANTHOINE. + + Mais que voudroit de nous le Medecin d'Octave, + Son mal depuis hier seroit-il augmenté? + +UN DE LA SUITE D'ANTHOINE. + + Je viens de le quiter en meilleure santé. + +LE MEDECIN. + + Si quelque bon succez nourrit ton esperance, + Change la desormais en parfaite asseurance, + Je te viens anoncer de la part des Destins, + Que les Dieux sont pour nous, & contre ses mutins. + Pendant l'obscurité de la nuict precedente + Je resvoy dans mon lict sur la guerre presente, + Attendant doucement qu'un sommeil gracieux + M'eust ouvert le repos en me fermant les yeux, + Quand tout à coup l'esclat d'une grande lumiere + A brillé dans ma tante, & frapé ma paupiere, + Pour en depeindre icy les plus petits rayons, + Je n'ay dans mes discours que des foibles crayons; + Il suffit que les feus les plus beaux de la terre, + Les esclairs lumineux qui partent du Tonnerre, + Le Celeste flambeau qui donne la clarté, + Au pris de celle-la ne sont qu'obscurité; + Je n'ay pas plûtost veu cette flamme impreveuë, + Que j'ai senty mourir l'usage de la veuë, + Ma langue s'est noüée, & tous mes sens perclus + Ont exprimé l'estat d'un homme qui n'est plus: + Mon esprit toutefois exempt de cette crainte + Au milieu des rayons, dont ma tante estoit peinte, + A veu la Majesté d'une troupe de Dieux, + Et conneu par ces mots, comme l'on parle aux Cieux, + «Amis du grand Cæsar vos victoires sont prestes, + Le Ciel est sur le point de couronner vos testes, + Et redonner la vie à l'Empire Romain, + Cependant leur Decrets qui n'ont rien que de grave + Pour destourner les maux qui menassent Octave, + Veulent qu'au Camp d'Anthoine on le porte demain.» + La fin de ce discours a chassé ces lumieres, + Et remis dans mes sens leurs faussetez premieres, + Leur laissant toutefois quelque ravissement + Dans la reflexion de cét esvenement; + Reçoy donc cét advis, & que ton ame instruite + Donne une loy certaine à ta sage conduite. + +MARC ANTHOINE. + + Il est trop important pour estre à negliger, + Allons, le temps est court, il le faut mesnager. + + + +SCENE III. + +BRUTE, ses Soldats. + +BRUTE. + + En fin, braves Romains, voicy l'heure oportune + Qu'on doit voir la Vertu surmonter la Fortune, + Et qu'il faut tesmoigner & de coeur & de mains, + Qu'on nous donne à bon droict le tiltre de Romains; + Voicy le jour heureux que l'on doit voir bannie + Par la mort du Tyran l'infame tyrannie, + Et qu'un chacun de nous doit porter dans le sein + L'espoir de triompher en un si beau dessein: + Car si le seul effort de maintenir sa gloire + Fait mesme dans la mort rencontrer la victoire, + Nous devons aujourd'huy l'esperer beaucoup mieux, + Puis que nous combatons pour Rome & pour ses Dieux. + Quoy Rome endurera qu'un homme la maistrise? + Elle à qui l'Univers a rendu sa franchise, + Et nous ces Citoyens qu'elle fit naistre Rois, + Suivrons un Empereur & de nouvelles lois? + Mourons, mourons plûtost que d'encourir ce blasme, + La mort n'a rien de dur que ce qu'elle a d'infame. + Un corps extenué, dont la pasle couleur + Represente à nos yeux l'image du malheur; + Les habits & les pleurs d'un amy pitoyable, + A de timides coeurs la rendent effroyable: + Mais comme avec raison on blasmeroit la peur + Qu'un homme concevroit pour un masque trompeur; + C'est exposer son ame à des justes censures, + De craindre de mourir pour des larmes futures. + La mort est naturelle, & je ne pense pas + Qu'on ne souffre en naissant comme on souffre au trespas; + Encore nostre mort doit estre moins à craindre, + Qui nous laisse un renom qui ne se peut esteindre. + Celuy-la vit toujours parmy les gens d'honneur, + Qui meurt en combatant pour le commun bon-heur; + Imitons en cela nos valeureux ancestres, + Que Rome a veu mourir pour n'avoir point de Maistres: + Et celuy qui domptant la Nature & les Rois, + Immola ses enfans à l'honneur de nos lois. + C'est un trop haut dessein pour la puissance humaine, + De soustenir le vol de nostre Aigle Romaine; + Rome donne des loix, & n'en peut recevoir, + De peur que la vertu n'y perde son pouvoir: + Car un peuple abattu sous un honteux servage + Relasche tous les jours de l'ardeur du courage: + Et comme le lyon qui se laisse enchaisner, + Il perd dedans les fers le soin de dominer. + Je tire aussi de là l'esperance certaine + De nous voir aujourd'huy Maistres de cette plaine, + Puis que tous les Romains qui voudroient l'empescher + Sont esclaves, chetifs, & prests à se cacher: + Outre que les exploits presque au delà de l'homme + Se sont faits seulement en combatant pour Rome; + Car les Dieux qui l'ont mise en leur protection + Assistoient les autheurs dans leur affection. + Mais depuis que l'orgueil a bouffi le courage + De ceux qui pouvant tout, ont voulu davantage, + Et fait qu'encontre Rome ils se sont rebellez, + On n'en a jamais veu des actes signalez, + Sinon quand de nos Dieux la sagesse supresme + Arma leurs propres mains pour se defaire eux-mesmes; + Et que dans ce combat si triste & si mortel + L'un d'eux fut la victime, & Pharsale l'autel: + Car lors pour espargner les coups de nostre espée + Le Ciel fit que Cæsar nous sauva de Pompée, + Sçachant que son orgueil apres un tel effort + Le precipiteroit dans les mains de la mort, + Et que contre ceux-cy nos forces reposées + Pourroient trouver apres des routes plus aisées. + Mais je raisonne en vain, que sert-il de parler? + Vous courez au combat, vous y voulez voler; + Et malgré les efforts des troupes infidelles, + Esteindre dans leur sang le feu de nos querelles, + Sçachant qu'un brave coeur ne peut jamais perir + Dedans le beau dessein de vaincre ou de mourir. + Et bien, allons amis, certains que nostre gloire + Remplira l'Univers apres cette victoire, + Si tous d'un mesme accord nous y voulons courir + Avec ce beau dessein de vaincre ou de mourir, + Le Demon qui regist le sort de nostre Empire, + Ne souffrira jamais que nous ayons du pire, + Et de tout son pouvoir nous viendra secourir, + Si nous avons dessein de vaincre ou de mourir; + Les voeux que le Senat pousse en cette occurance + Verront recompenser leur sainte violance, + Et tant de pleurs qu'il verse en fin pourront tarir, + Si nous avons dessein de vaincre ou de mourir, + Que si trop longuement je parle en cette sorte, + C'est l'amour du païs qui me presse & m'emporte, + Resistons luy pourtant, & sans plus discourir, + Qu'il agisse au dessein de vaincre ou de mourir. + +I. CHEF. + + Quand le ressentiment des libertez ravies + Ne nous forceroit pas à prodiguer nos vies, + Ton discours sur mon coeur a fait un tel effort, + Qu'il me tarde déja d'estre vainqueur ou mort. + +II. CHEF. + + De moy quelques succez que le Ciel nous prepare, + La constance toujours me servira de phare, + Et malgré les escueils je trouveray le port + Dans cét ardent desir d'estre vainqueur ou mort. + +III. CHEF. + + Vos desirs sont les miens apres ce qu'a dit Brute, + Il n'est rien que je n'ose & que je n'execute; + L'honneur, la liberté, Rome, l'Estat mal sein, + Tout nous porte aujourd'huy dans un si beau dessein. + +BRUTE. + + Je voy ces lasches coeurs qui rougissent de honte, + D'avoir de leur honneur tenu si peu de compte; + Mais il est déja temps que chacun à son rang + Aille faire rougir ses armes de leur sang. + + + +SCENE IV. + +PORCIE, sa Compagne. + +PORCIE. + + Demons qui conduisez l'ordre des Destinées, + Si Rome doit flechir sous le joug des Tyrans, + Commandez à la mort de trancher mes années, + Ou me donnez le coeur d'imiter mes parens. + Rome qui commandois ce que le monde ensere, + Voudrois-tu subsister apres cét accident? + Abysme toy plûtost au centre de la terre, + Cét effort genereux te sauve en te perdant. + Demoly les Autels de ces Dieux de fumée, + Que leurs Temples brisez tesmoignent aux Neveux + Qu'apres avoir en vain leur force reclamée, + Tu sceus venger au moins la perte de tes voeux. + Tyrans presomptueux dont l'audace effrontée + S'efforce d'usurper un bien si precieux, + Vous courez obstinez au feu de Promethée, + Qui doit faire rougir vos coeurs ambitieux. + Et moy dois-je douter qu'apres un coup si rude + Rien me puisse empescher de courir à la mort, + Si mon pere fuyant la mesme servitude + Malgré tous ses Soldats fut maistre de son sort. + + + +SCENE V. + +LA COMPAGNE, PORCIE. + +LA COMPAGNE. + + Madame, en cét instant tous les Soldats en armes + Commencent le combat qui doit finir vos larmes; + On n'entend rien que cris & que gemissemens, + Vous diriez que le Ciel confond les Elemens: + Les traits volant en l'air par un confus rencontre + Empeschent le Soleil de voir ce qu'il nous monstre: + Déja venus aux mains, les nostres plus hardis + Tesmoignent d'estre encor ce qu'ils furent jadis, + S'il vous plaist de les voir, vous le pourrez sans peine, + Du haut de ce rocher qui commande à la plaine, + J'en viens tout maintenant pour vous en advertir, + Croyant que cét objet vous pourroit divertir. + +PORCIE. + + Observez sans danger l'ordre des deux armées, + Par la haine & l'honneur au combat animées, + C'est un plaisir fort doux dans un coeur arresté, + Qui voit sans interest l'un & l'autre costé: + Mais represente toy la course vagabonde + D'un vaisseau que deux vents balottent dessus l'onde, + Et tu verras l'estat d'un courage offensé, + Qui dans l'un des partis se trouve interessé; + Suivant que l'ennemy s'avance ou qu'il recule, + Tantost la peur le glace, ore l'espoir le brusle, + Il attaque, il defend, & pour ferme qu'il soit, + Il est aussi flotant que le combat qu'il voit. + +LA COMPAGNE. + + Un esprit du commun pourroit souffrir à l'heure; + Mais le vostre, Madame, a la trempe meilleure, + Outre que s'il faut croire aux promesses des Dieux, + Vous verrez aujourd'huy Brute victorieux. + +PORCIE. + + Les Dieux me sont suspects depuis que leur cholere + En faveur d'un Tyran arma contre mon pere; + Allons y toutefois, & par nos actions + Tesmoignons qu'un grand coeur dompte ses passions. + + + + +ACTE TROISIEME. + + +SCENE PREMIERE. + +CASSIE, TITINE, PINDARE, DEMETRIE. + +CASSIE. + + C'en est fait, chere Rome, il faut rendre les armes, + Et tascher d'espargner ton sang avec tes larmes; + Il faut s'humilier aux pieds d'un Empereur, + A ce nom seulement je frissonne d'horreur: + Mais quoy le sort le fait, ce grand Maistre des choses + Veut voir ton changement dans ses metamorphoses. + Flechy donc, grande Reyne, & ne t'offenses pas + D'un conseil que je donne, & que je ne prens pas, + Mon dessein y resiste, & je veux mourir libre, + Puis qu'il plaist au Destin que je cesse de vivre; + Mais apres un eschet si grand & si fatal + N'idolastre jamais les autheurs de ton mal, + Tesmoigne leur plûtost qu'il n'est rien de si rude + Que le joug insolent qui fait ta servitude; + Et peut-estre qu'un jour Brute ressuscité + Te rendra le bon-heur avec la liberté: + Et vous, mes chers amis premiers dans mon estime, + Monstrez en cét endroit que l'honneur vous anime, + Et que l'injuste effort d'un insolent vainqueur + Ne vous a pas osté la force ny le coeur: + Mais sur tout que la foy que vous m'avez jurée + Au dela du bon-heur peut porter sa durée, + Je ne desire pas que vous trempiez vos mains + Dans le barbare sang de nos Tyrans Romains: + Je ne demande pas que vous alliez en Thrace + Pour refaire une armée, & choquer leur audace; + Ce seroit vainement heurter contre le sort, + Mais je veux seulement qu'on me donne la mort, + C'est par cette action que je dois reconnoistre + Qui de vous ayme mieux le salut de son Maistre: + Comment à ce discours vous changez de couleur, + +TITINE. + + C'est trop precipiter un extreme malheur, + Que sçait-on si le Ciel à Brute favorable, + Vous reserve à tous deux un sort plus honorable. + +CASSIE. + + Mais d'ailleurs que sçait-on si mort comme vaincu + Il ne me blasme point de l'avoir survescu? + +TITINE. + + Ces soupçons esclaircis j'offre vous satisfaire, + Cependant laissez moy le soin de cét affaire, + Je m'en vay dans son camp, & si je ne meurs pas + Vous apprendrez bien-tost sa vie ou son trespas. + +CASSIE. + + Tu hazardes beaucoup. + +TITINE. + + Nul danger n'espouvante + Ceux qui sont pour Cassie & pour Rome mourante. + +PINDARE. + + J'approuve ce conseil. + +DEMETRIE. + + Et je l'estime aussi. + +CASSIE. + + Va donc, mais souvien toy que je t'atens icy. + +TITINE. + + La mort seule pourra me fermer le passage. + +CASSIE. + + J'estime fort Titine, il est vaillant & sage, + Mais cependant gagnons le haut de ce rocher, + Pour mieux voir si quelqu'un nous voudroit approcher. + + + +SCENE II. + +BRUTE, & deux autres. + +BRUTE. + + Les Tyrans sont vaincus, & nostre chere terre + Va trouver son repos dans la fin de la guerre; + Un injuste dessein ne se peut maintenir, + Les Dieux sont bien clemens, mais ils sçavent punir: + Jusqu'icy nos Tyrans enflez de vaine gloire, + Ont creu de gagner tout avec cette victoire, + Et nos pauvres Romains non sans grande raison, + Ont creu de rencontrer chez eux une prison: + Mais aujourd'huy le Ciel pour terminer nos plaintes, + Rabat leur esperance, & dissipe nos craintes. + Octave dans son lict a trouvé le tombeau, + Indigne qu'il estoit d'un traitement plus beau; + Et la pluspart des siens estendus sur la poudre, + Ont creu que Jupiter nous aydoit de sa foudre. + Cassie a... + +I. CHEF. + + L'un des siens s'en vient parler à vous. + + + +SCENE III. + +BRUTE, TITINE. + +BRUTE. + + Les Tyrans sont vaincus. + +TITINE. + + Ils sont vainqueurs pour nous. + +BRUTE. + + O Dieux justes & bons! est-ce donc la coustume + De ne gouster jamais de bien sans amertume? + Mais Cassie... + +TITINE. + + Il attend apres votre secours, + +BRUTE. + + D'où provient ce malheur, fay nous en le discours. + +TITINE. + + Soudain que le signal fit partir nos armées, + On les vit pesle & mesle au combat animées; + Car l'honneur excité par le feu du courroux, + Les faisoit à l'envy precipiter aux coups: + Nostre Chef le premier au milieu de la presse + Estale sa valeur, signale son adresse: + L'ennemy voit par tout des effets de son bras, + Et la mort suit toujours la trace de ces pas; + Chacun à son exemple alume son courage, + Avec tant de ferveur, qu'il va jusqu'à la rage. + L'ennemy s'en estonne, & son esprit en deüeil + Tremble que ces desseins ne trouvent un escueil: + La mort volle par tout, le sang avec les larmes + En mille endroits divers se mesle en ces alarmes. + Tout fremit, tout se plaint, les morts & les blessez, + Gisent confusement l'un sur l'autre entassez. + Dans ce sanglant carnage icy l'un s'evertuë + D'arracher de son corps la fleche qui le tuë, + Et là l'autre retient par de foibles efforts + Son sang que mille coups font sortir de son corps. + Nous nous vantions déja d'une heureuse victoire, + Quand l'ennemy fasché de voir perdre sa gloire, + Et de se voir presser avec tant de fureur, + Ralume dans le sang sa premiere vigueur: + Ce fut lors que la mort en mille endroits pressée + Se craignist elle mesme, & fut souvent blessée. + Ce fut lors que l'Enfer fit voir en abregé + Ce qu'il a de plus noir & de plus enragé. + Ce fut lors qu'on craignit que le Ciel en colere + Voulut noyer de sang l'un & l'autre Emisphere, + Et que Bellonne mesme herissant ses cheveux + Arresta sa fureur pour recourir aux voeux: + L'asseurance & la peur à travers la fumée + Repasserent cent fois de l'une à l'autre armée, + Et la victoire errant en ce danger mortel + Douta qui resteroit pour luy faire un Autel. + Fort long-temps ce combat dura de cette sorte, + Sans que l'un soit vainqueur, ny que l'autre l'emporte: + Mais en fin nos soldats se sentans fort pressez, + Et des premiers efforts extremement lassez: + Malgré tous les conseils que nostre Chef leur donne + Laissent choir en fuyant leur premiere Couronne, + L'ennemy les poursuit, & peint avec leur sang, + En mille, en mille endroits la honte sur leur flanc, + Jusqu'à ce que craignant qu'ils tournassent visage, + Et que le desespoir leur rendit le courage, + Anthoine commandat que l'on se retirat, + Content d'avoir gagné la place du combat: + Cassie craint depuis qu'une mesme avanture + Vous ait fait dans le sang trouver sa sepulture, + Ou que pour eschaper aux Tyrans des Romains, + Vous ayez contre vous armé vos propres mains: + C'est pourquoy son esprit touché de mesme envie, + A destiné ce jour pour la fin de sa vie; + Et si vous desirez d'avancer son trespas, + Il faut partir bien-tost, & marcher à grands pas. + +BRUTE. + + La nonchalance icy seroit bien criminelle, + +TITINE. + + Je m'en vay luy porter cette heureuse nouvelle. + +BRUTE. + + Nous te suivrons de prés, je voy dans ce malheur + Que jamais le plaisir ne va sans la douleur, + Je ne crain pas pourtant que l'ennemy se vante, + Ny que pas un de vous en prenne l'espouvante; + Puis qu'en comparaison de la perte qu'il fait + La nostre mediocre est un gain en effet, + Mais il est déja temps que j'aille vers Cassie, + Remettant à tantost l'heure de voir Porcie. + + + +SCENE IV. + +CASSIE, PINDARE, ET DEMETRIE. + +CASSIE. + + Quoy, je voy l'ennemy qui s'en vient à grands pas, + Et vous voulez encor differer mon trespas? + Vous n'aimastes de moy que ma bonne fortune, + Car depuis mon malheur, ma voix vous importune; + Le soin de m'obeïr ne vous semble plus cher, + Et vous estes pour moy plus durs que ce rocher: + Ingrats à quel dessein, est-ce pour me remettre + Es mains de l'ennemy, & me donner un Maistre? + +PINDARE. + + Vous soupçonnez à tort nostre fidelité, + Mais ce trespas me semble un peu precipité, + Titine. + +CASSIE. + + Ha! ce seul nom m'est un sujet de rage, + +PINDARE. + + Qui reviendra bien-tost calmera cét orage. + +CASSIE. + + Je l'ay precipité dans l'excez du danger, + Mais bien-tost par ma mort il se verra venger. + Sus donc, ne tardez plus, contentez mon envie, + Vous me tuez cent fois en me donnant la vie. + Quoy, vous baissez les yeux, mouvemens imparfaits, + Demetrie, Pindare, où sont donc mes bien-faits? + Je vous ay rendus francs, & vostre ingratitude + Me veut laisser croupir dedans la servitude, + Insensibles, cruels, pour estre malheureux, + Ne suis-je plus en droit de dire je le veux? + +PINDARE. + + Devoirs, faveurs, bien-faits, liberté redonnée, + Venez vous presenter à mon ame obstinée; + Chassez ces mouvemens de tendresse & d'amour, + Et que l'obeïssance y domine à son tour. + Mes voeux sont exaucez, cher Maistre je vous cede, + Et puis que vostre bien depend de ce remede; + Quoy que ce lache coeur y souffre du combat, + Je veux estre meurtrier pour n'estre pas ingrat: + Mais si dans vostre esprit la pitié trouve place, + Jusques apres cela ce qu'il faut que je face, + Et de combien de morts pour une seule mort + Cét acte me prepare à ressentir l'effort, + Faire mourir celuy de qui je tiens la vie, + Qui seul peut affranchir nostre Rome asservie, + Que je perde celuy que la faveur de Mars + A mille fois sauvé du milieu des hazards: + Et bref qu'en un moment je defasse un ouvrage, + Que des siecles ont fait pour honorer nostre âge, + Mon Maistre, mon Seigneur, seul apuy du païs, + Ha! que je suis brutal si je vous obeïs. + +CASSIE. + + Tous ces foibles discours offensent mon courage, + Icy l'amour me nuit, & la pitié m'outrage, + Si toutefois on peut donner des noms si saints + Au profane mespris qui choque mes desseins, + Pindare tu me hais en m'aymant de la sorte, + Je ne sçaurois survivre à la liberté morte: + Ouvre moy l'estomach, mais tu jettes ce fer + Qui me devroit ouvrir la porte de l'Enfer, + Peut-estre que ta lame aux ennemis fatale + Frapant contre un amy, craint d'estre desloyale; + Si c'en est le sujet, pousse la hardiment, + Tu m'as fait ennemy par ton retardement: + Mais pour ne pas troubler son visage ordinaire, + Tien, voicy ce poignard qui t'offre de le faire, + Aussi depuis long-temps choisi pour ce dessein, + Il en seroit jaloux s'il ne m'ouvroit le sein. + +DEMETRIE. + + Puis-je voir achever un acte si barbare? + +CASSIE. + + Ne differe donc plus brave & sage Pindare, + Il a rougi du sang du Tyran des Romains, + Lors que dans le Senat il mourut par nos mains. + +PINDARE. + + Puis que dans ce dessein vostre ame est obstinée, + Et que je dois ceder à cette Destinée, + Ce coup en vous perçant me va percer le coeur. + +CASSIE. + + Adieu, ne suy jamais le party du vainqueur. + +PINDARE. + + Que dois-je devenir apres une avanture, + Dont l'effroyable objet fait trembler la Nature? + Faut-il que ce poignard apres un tel forfait + Laisse encore durer le meurtrier qui l'a fait? + Ouy, qu'il vive l'ingrat, puis qu'une mort soudaine + Pour expier son crime auroit trop peu de peine, + Qu'il vive, mais vivant que ses cuisans remorts + L'exposent tous les jours à de nouvelles morts. + +DEMETRIE. + + Je veux ceder au temps, & tarissant mes larmes + Porter aux ennemis ces malheureuses armes, + Peut-estre cét objet disposera leurs coeurs + A n'user pas sur moy du pouvoir des vainqueurs. + + + +SCENE V. + +TITINE. + + Pouroit-on justement m'accuser de paresse? + Mais d'où vient que je tremble & que le poil me dresse? + N'avons nous pas encor dequoy braver le sort, + Puis que Brute est vainqueur, quel est cét homme mort? + Sans doute un malheureux qui blessé dans la plaine + S'est traisné jusqu'icy pour y finir sa peine: + Voyons-le de plus prés, O trop injustes Dieux! + Quel deplorable objet monstrez-vous à mes yeux! + Cassie est-ce donc vous que la mortelle Parque + Vient de precipiter dans l'infernalle Barque? + O rage! ô desespoir tesmoins de ce forfait! + De grace apprenez moy qui le peut avoir fait: + Mais quoy je les connoy cet ames mercenaires, + Ces lasches afranchis, ces cruelles viperes, + Pour gagner le Tyran qu'ils croyoient absolu, + Ont achevé ce coup sans qu'il l'eust resolu. + Ha traistres! si Cæsar n'est pas déraisonnable, + Il punira sur vous ce meurtre abominable: + Le bien qu'il doit tirer de vostre trahison + Ne l'empeschera pas d'en avoir sa raison: + Pour moy dont le depart facilita ce crime, + Je veux à ma fureur me choisir pour victime, + Afin que mon esprit justement affligé + Ne me reproche pas de ne m'estre vengé, + Et qu'on puisse trouver au Temple de memoire + Que je fus innocent d'une action si noire. + Sus donc mourons, mon coeur, certain que le trespas + Peut faire seulement que nous ne mourons pas. + Ha, Brute! + + + +SCENE VI. + +BRUTE, UN CHEF. + +BRUTE. + + Quelle voix vient de se faire entendre? + +TITINE. + + Celle d'un innocent que la parque va prendre. + +UN DE LA SUITE DE BRUTE. + + O malheur sans pareil! Cassie est aussi mort. + +BRUTE à part soy. + + Il faut dissimuler. + +UN DE LA SUITE. + + O dure loy du sort! + +BRUTE. + + Les hommes courent tous une mesme avanture, + Par cét ordre fatal prescrit par la Nature; + La mort void d'un mesme oeil les Bergers & les Rois, + Et tout également succombe sous ses lois. + Ne murmurez donc plus, mais reprenans courage, + Esperez le repos de la fin de l'orage: + Par de divers moyens le Ciel peut secourir, + Cassie estoit un homme, il devoit donc mourir, + En tuant un Tyran on a peu sauver Rome, + Mais on ne la pert pas dans la perte d'un homme; + Car bien que la grandeur des puissans attentats + Semble estre le pilier qui soustient leurs Estats; + Si le Ciel n'est l'Atlas de ces lourdes machines, + Bien-tost tout leur esclat se change en des ruines, + Quand de tous nos Soldats le dessein perverty + Voudroit favoriser le contraire party. + Et quand le monde entier s'armeroit pour Octave, + Si le Ciel est pour nous, il sera nostre esclave, + Il verra que l'orgueil ne le monte si haut + Que pour luy procurer un plus funeste saut; + Celuy qui des Geans ne fit qu'un peu de poudre, + Garde le mesme bras qui leur lança la foudre, + Et n'a point relaché de son adversion, + Pour ces Monstres boufis de trop d'ambition, + Il se sert quelquefois de nous & de nos armes + Pour respandre du sang, & pour tarir des larmes: + Mais s'il voit que nos bras ne sont pas assez forts, + Soudain il a recours à de meilleurs efforts; + Il inspire la peur dans la troupe ennemie, + Qui bien-tost en fuyant se noircit d'infamie, + Et sans sçavoir pourquoy craint si fort le trespas, + Que les plus fiers torans ne l'aresteroient pas. + Amis, esperons tout de la faveur Celeste, + Nous n'avons rien perdu puis que cela nous reste, + Cassie est à present le butin du trespas, + Mais les Dieux sont vivans & nous avons des bras; + Cependant quand la nuict mettra sa robbe obscure, + Portez sans bruit ce corps dedans la sepulture, + Et j'espere demain par ma langue & mes mains + De redonner le coeur & Rome à nos Romains. + + + + +ACTE QUATRIEME. + + +SCENE PREMIERE. + +OCTAVE, MARC ANTHOINE. + +OCTAVE. + + Tous ceux qui comme nous combatent pour la gloire, + Se peuvent asseurer d'emporter la victoire, + Les Dieux ne choquent point un dessein genereux, + A plus forte raison quand il n'est que pour eux, + La mort du grand Cæsar appele leurs justices, + A punir son autheur avec tous ses complices, + Et je croy qu'à l'instant que ce coup fut donné + Contre les criminels leur cholere eust trouvé, + S'ils eussent peu choisir la flamme d'un Tonnerre, + Qui n'eust pas avec eux bruslé toute la terre: + Mais ne pouvans agir avec un moins puissant, + Ny perdre ces meurtriers sans perdre l'innocent; + Ils veulent que nos mains en fassent la vengeance, + Et purgent ce païs de cette noire engeance, + Déja leur volonté s'explique heureusement, + Et vostre valeur fait ce doux evenement. + +ANTHOINE. + + Vos voeux mieux que mon bras me l'ont rendu possible. + +OCTAVE. + + Ha cette flatterie est un peu trop visible! + Chacun sçait comme quoy vous avez combatu; + Mais un coeur genereux doit cacher sa vertu. + +ANTHOINE. + + C'est pourquoy tous les jours vous nous cachez la vostre. + +OCTAVE. + + Je vous respondroy bien si vous estiez un autre, + Mais dans les complimens comme dans les combats, + Il faut à vostre abord mettre les armes bas. + +ANTHOINE. + + Ce Soldat de retour porte sur le visage + Les signes evidens d'un funeste presage. + + + +SCENE II. + +LE SOLDAT, ANTHOINE, OCTAVE. + +LE SOLDAT. + + Le sensible regret où le sort me reduit + D'estre contraint à dire un mal qu'il a produit, + Estoufe ma parole, & m'auroit osté l'ame, + Si je n'eusse envers vous aprehendé du blasme. + +OCTAVE. + + Quoy Brute seroit-il de mes troupes vainqueur? + +LE SOLDAT. + + C'est là le trait mortel qui me perce le coeur. + +ANTHOINE. + + Tandis qu'Octave & moy porterons une espée, + On la verra toujours contre Brute occupée; + Ce traistre ne sçauroit éviter nostre fer, + Et nous l'irions chercher jusque dedans l'Enfer: + Poursuy. + +LE SOLDAT. + + Le souvenir d'un si sanglant carnage, + Met mon ame en desordre & glace mon courage, + Jamais le Ciel n'a veu tant de corps renversez, + Et la mort assouvie a crié, c'est assez. + Soudain que l'ennemy commença de paroistre, + Nos Soldats animez par la haine du traistre, + Tesmoignent à l'envy ce que peut le courroux, + Quand la haine & l'honneur en excitent les coups; + L'ennemy d'autre part courant à la meslée + Oppose à leurs efforts sa valeur signalée; + Les dards greslent par tout, & les plus avancez + En croyant de blesser, sont eux-mesmes blessez; + L'air n'est plus esclairé que d'une lueur sombre, + La poussiere & les traits les font combatre à l'ombre, + On ne sçauroit juger quels seront les vainqueurs, + Tous paroissent égaux & de bras & de coeurs. + En fin lassé de voir la victoire en balance, + L'ennemy fond sur nous avec tant d'insolence, + Qu'on eust dit à le voir les armes à la main, + Qu'il menoit avec luy tout l'Empire Romain. + Tout meurt à mesme instant, on ne voit point d'espée + Qui du sang des Romains ne paroisse trempée. + Nos Soldats à genoux implorans les vainqueurs: + Mais helas c'est en vain! la rage est dans leurs coeurs; + Tel pour l'innocenter voudroit ouvrir la bouche, + Qui sent ouvrir son coeur par le fer qui le touche; + Et tel autre en fuyant tâche à prendre party, + Qu'il void d'un coup mortel son dessein diverty: + L'horreur seme par tout une froide fumée + Qui glace le courage à nostre pauvre armée, + Des longs gemissemens fendent l'air alentour, + Le Soleil de regret voudroit haster son tour: + Le sang coule par tout, on ne voit point de terre + Qui ne porte en son front les marques de la guerre: + Icy deux vrais amis sur le poinct de leur mort, + Pleurent en s'embrassant la rigueur de leur sort. + Icy le pere void son fils dessus la poudre, + Et dépite le Ciel pour attirer sa foudre. + Icy par des regrets qui fendroient un rocher, + Un fils pleure la mort de ce qu'il eust plus cher. + Icy dedans le sang mille blessez se noyent, + Implorans la faveur de tous ceux qui les voyent. + Et bref il est par tout tant d'objets de terreur, + Que je croy que l'Enfer en frissonna d'horreur; + Brute bien-tost apres fit cesser le carnage, + Et receust à mercy les restes du naufrage. + Que puis-je dire encor, sinon que le Soleil + Ne vit jamais çà bas un desordre pareil? + Et que si les grands Dieux sont pour nostre justice, + Ils ont fort peu de force, ou beaucoup de malice. + +OCTAVE. + + Ha! pourquoy dans la fin de ces tristes discours, + Ne puis-je rencontrer celle-la de mes jours? + Destins injurieux, fortune, parque, envie, + Rendez moy mes Soldats, ou ravissez ma vie; + Ennemis de mon bien au lieu de me guerir, + Vous deviez travailler à me faire mourir, + Aussi bien le regret ou ce malheur m'abysme, + Persuade à mon coeur que ma vie est un crime. + Helas! vit-on jamais Prince plus mal traitté! + Je rencontre la mort lors que j'ay la santé: + Donc je ne verray plus tant de braves gensdarmes, + Que mon seul interest portoit dans les alarmes. + Donc sans ses compagnons Octave durera, + Et les membres perdus le Chef subsistera? + Ha! non mes chers amis n'ayez point cette doute, + Vostre trespas m'apprend une mortelle route: + Et si durant vos jours vous suivites mon sort, + Au moins je vous rendray la pareille en ma mort: + Mais ne connoy-je pas que la douleur m'emporte? + Jamais un general ne parla de la sorte: + Et lors que le destin luy donne des malheurs, + Il songe la vengeance, & non pas à des pleurs; + Prenons donc desormais ce party legitime, + Que Brute & tous les siens nous servent de victime; + Ramassons promptement le debris de nos gens, + Et sauvons aux Destins le tiltre de changeans. + Ombres de mes amis, Manes de ma Noblesse, + Ce bras vous vengera du mutin qui vous blesse: + Et dessus les Cyprés qui couvrent vos guerriers, + Cette lame fera refleurir des lauriers, + L'astre de la clarté vient d'une grote noire, + Et le malheur souvent donne l'estre à la gloire, + Les Dieux aymoient Cæsar, & ne pouroient souffrir + De voir vivre long-temps ceux qui l'ont fait mourir. + +ANTHOINE. + + S'ils eussent eu dessein de choquer nostre envie, + Octave dans son camp auroit perdu la vie, + Et mes Soldats & moy par un mesme destin + Aurions dans le combat rencontré nostre fin: + Mais ils sauvent ce Prince, & me donnent la gloire + D'emporter sur Cassie une belle victoire; + Si bien qu'à balancer ce rencontre fatal, + J'estime que le bien l'emporte sur le mal; + J'ay de mes bataillons ensanglanté la terre, + Et porté dans son camp le foudre de la guerre, + Luy seul s'est garanty d'un funeste trespas. + + + +SCENE III. + +DEMETRIE, OCTAVE ET ANTHOINE. + +DEMETRIE. + + Et ces armes pourtant ne le tesmoignent pas. + +OCTAVE. + + O Dieux! seroit-il vray qu'il ne fut plus en vie? + +ANTHOINE. + + Par un discours plus clair contentez nostre envie. + +DEMETRIE. + + Qui considerera mon Estat & mon sort, + Il pourra bien juger que ce grand homme est mort; + Tandis qu'il a vescu j'eusse creu faire un crime + De donner qu'à luy seul mon coeur & mon estime, + Au lieu qu'en cét estat je vien vous reverer, + Comme des Rois vainqueurs que tout doit adorer. + Un bon coeur que les Dieux ont rangé sous un Maistre, + S'il ne le suit partout, s'acquiert le nom de traistre: + Mais alors que la mort en a fait son butin, + S'il a du jugement il change de destin. + Pendant que les Romains sous un guerrier si brave + Se defendoient des noms de captif & d'esclave, + Je croyois que bien-tost cedans à nostre loy, + Vous démordriez de ceux d'Empereur & de Roy; + Je pensois que jamais la puissance de Rome + Ne se devoit ranger aux volontez d'un homme, + Et qu'on verroit bien-tost ses plus grands ennemis + Faire hommage à la main qui les auroit sousmis: + Mais depuis qu'il est mort, je croy que tout se bande + A rendre tous les jours vostre gloire plus grande, + Et que dans peu de temps les peuples esbahis + Viendront dessous vos loix asservir leur païs; + Moy pour ne pas troubler dans ces metamorphoses, + Cét ordre merveilleux que prennent toutes choses, + Sçachant qu'on ne le peut sans estre criminel, + Je viens pour vous offrir un service eternel, + Trop heureux si je puis en faveur de ces armes + Obtenir une place au rang de vos Gendarmes. + +OCTAVE. + + Icy les gens d'honneur peuvent trouver un port + Qui les met à couvert des orages du sort. + +ANTHOINE. + + Cavaliers, vos desirs ont un effet propice, + Vous aurez cette place, & rendez nous service. + +DEMETRIE. + + O Dieux! qui connoissez mon amour mieux que moy, + Venez parler de grace en faveur de ma foy, + Ou si vostre grandeur repugne à cét hommage, + Inspirez à ma bouche un celeste langage, + Pour dire à ces Seigneurs combien je suis heureux, + Si le Destin permet que je meure pour eux. + +OCTAVE. + + Puis que Cassie est mort, je croy qu'en asseurance + Nous pouvons assembler toute nostre puissance, + Pour suivre l'ennemy tandis qu'il est troublé. + +ANTHOINE. + + Allons le proposer au Conseil assemblé. + + + +SCENE IV. + +PORCIE. + + Protecteurs de la liberté, + Grands Maistres de la destinée, + Dont la puissance n'est bornée + Que par la seule volonté. + O Dieux! apres cette victoire + Je veux celebrer vostre gloire, + Et dessus vos autels où fumera l'encens, + Faire que le sang des Victimes + Lave desormais tous les crimes + Que j'ay nagueres faits de vous croire impuissans. + + Par le mesme effet de bonté + Qui fait prosperer nostre guerre, + Jusques icy vostre Tonnerre + A souffert mon impieté: + J'adore vos faveurs extremes, + Et me repens de ces blasphemes, + Dont ma bouche a voulu noircir vos Majestez, + Mon ame est aujourd'huy plus saine, + Je n'ay plus contre vous de haine, + Elle s'en est allée avec vos cruautez. + + Brute, l'honneur de nos guerriers + Parmy le sang & le carnage, + Vient de signaler son courage, + Et de se couvrir de lauriers: + Dans cette publique alegresse + On idolatre sa prouësse: + Et tous nos Citoyens encensent à son bras, + Grands arbitres de nostre vie + Souffrez ces honneurs sans envie, + Celuy qui les reçoit ne vous les ravit pas. + + Ce Heros avec des respects + Admire vostre providence, + Et connoist en cette occurance + Que peuvent vos divins aspects. + O Majestez que je revere! + Que vos decrets ont de mystere, + Et qu'on prevoit bien mal ce qu'ils ont arresté, + Pour de sagesses si profondes + La raison n'eust jamais de sondes, + Et le plus clair esprit n'est rien qu'obscurité, + + Naguere Octave dans le port + S'imaginant nostre naufrage + Menaçoit Rome de servage, + Et tous nos Citoyens de mort: + Cette grosse & superbe armée + Faisoit dire à la Renommée + Que tout devoit flechir sous ses puissantes loix, + Et que nos bandes dissipées + Ne seroient bien-tost occupées + Qu'à faire des bouquets pour couronner des Rois. + + Cependant ils sont abatus, + Leur orgueil n'est plus que fumée, + Et le débris de leur armée + Esleve un trosne à nos vertus; + Le camp d'Octave est notre proye, + Ses feux, sont ceux de nostre joye, + Sa honte est nostre honneur, sa nuict nostre flambeau; + Son sang espandu nous anime, + Et par un destin legitime + Nous trouvons nostre vie au fonds de son tombeau. + + + +SCENE V. + +BRUTE, ET PORCIE. + +BRUTE. + + En fin je voy qu'un jour vous banissez la plainte. + +PORCIE. + + Je ne me plains jamais sans des sujets de crainte, + Et je croy qu'aujourd'huy j'ay rencontré le point, + Où sans stupidité je puis ne craindre point. + Vous voir victorieux, quoy seroit-il possible + Qu'encor à la douleur mon ame fut sensible? + Non Brute, il est certain qu'en l'estat où je suis, + Mon coeur seroit ingrat s'il avoit des ennuis; + Dans le resentiment de mon bon-heur extreme + Je commence de voir que je deviens moy-mesme, + Vostre gloire me charme, & mes sens enchantez + N'ont plus de mouvemens que pour les voluptez, + Voudriez vous bien choquer ce dessein legitime? + +BRUTE. + + Le penser seulement me tiendroit lieu de crime: + Toutefois il est vray qu'on n'est jamais au port + Lors qu'on peut resentir les caprices du sort. + Si bien qu'en cét estat j'estime une ame sage + A qui nul accident ne change le visage, + Et qui goustant des maux ou des felicitez, + Ne se porte jamais dans les extremitez, + Ce beau temperament nous sauve des orages, + Et nous fait une planche au milieu des naufrages, + Au lieu qu'on voit toujours un violant transport + Agiter nostre esprit & l'esloigner du port. + +PORCIE. + + Après un tel bon-heur qu'est-il que j'aprehende? + Ayant Brute vainqueur, j'ay ce que je demande. + +BRUTE. + + Si bien qu'aucun malheur ne vous sçauroit toucher. + +PORCIE. + + Mon coeur contre leurs coups est armé d'un rocher. + +BRUTE. + + Puis qu'il est si constant, j'aurois mauvaise grace + Si je luy cachois rien de tout ce qui se passe, + Sçachez donc, mon cher coeur, que Rome n'a qu'un bras, + Que le fleau des Tyrans, l'amour de nos Soldats, + Le bouclier du païs, le foudre de la guerre, + Que Cassie en un mot ne plus vit plus sur la terre: + Et ce qui vient encor augmenter mon ennuy, + Que presque tous les siens ont mesme sort que luy, + Et qu'il faut que demain la bataille se donne, + Qui me doit apporter la mort ou la Couronne; + Mon regret toutefois en ce dernier effort, + Ne vient que de vous voir à la mercy du sort, + Et le Ciel m'est tesmoin qu'en ce danger extreme, + Pour songer trop à vous je m'oublie moy-mesme. + Ce n'est pas que mon coeur n'espere tout des Dieux, + Mais il fend de regret de vous voir en ces lieux, + En un temps où la mort doit verser sur la terre + Un deluge de sang pour esteindre la guerre. + +PORCIE. + + Vostre seule presence allege mon soucy, + Et vous desireriez de me voir loing d'icy: + Brute quittez, de grace, un discours qui m'offense, + Jugez mieux de mon coeur, traittez mieux ma constance, + Et sçachez que l'amour qui m'embrase le sein, + Ne concevra jamais un si lâche dessein. + Quoy, vous abandonner au milieu des alarmes, + Et me retirer seule à la mercy des larmes? + Cela choque si fort mon esprit resolu, + Qu'il mouroit mille fois si vous l'aviez voulu: + Mais j'ose me flatter que vostre coeur propice + Ne me rendit jamais un si mauvais office; + Et quand il le feroit, il n'avanceroit rien, + Puis qu'il sera toujours accompagné du mien. + +BRUTE. + + Quand je voy tant d'amour & de courage ensemble, + J'adore le lien dont le Ciel nous assemble, + Et croy que tous les biens que j'ay receu des Dieux + Au prix de celuy-là, n'ont rien de precieux, + Que dans le beau dessein de n'estre point esclave, + J'aye tué Cæsar, j'aye defait Octave: + Que mon front mille fois ait changé de Lauriers, + Qu'on m'estime par tout le Phoenix des guerriers, + Ces honneurs, quoy que grands, plaisent moins à mon ame + Que la gloire que j'ay de vous avoir pour femme. + +PORCIE. + + Pour le moins avec moy vous possedez un coeur, + Qui ne sçauroit souffrir que Brute pour vainqueur. + +BRUTE. + + Et le mien fera voir où que le Ciel m'adresse, + Qu'autant qu'il aye un Maistre, il ayme une Maistresse: + Mais il est déja tard, retirons nous d'icy. + +PORCIE. + + Dieux! finissez bien-tost ma vie ou mon soucy. + + + + +ACTE CINQUIEME. + + +SCENE PREMIERE. + +BRUTE, STRATON, quelques Chefs de l'armée. + +BRUTE. + + Je rends graces aux Dieux de ce que dans l'orage + Chacun de vous conserve un genereux courage; + C'est beaucoup de dompter avec les ennemis, + Les extremes dangers où l'honneur nous a mis; + C'est beaucoup, il est vray, puis que cette victoire + Nous fait des monumens au Temple de memoire: + Mais il faut persister, & ne s'arrester pas + Que nous n'ayons trouvé la paix ou le trespas. + Je veux dire une paix qui purge nostre terre + Par la mort des Tyrans des semences de guerre: + Paix qui rende l'esclat à ce siecle pervers, + Et qui puisse durer autant que l'Univers. + Allons donc, mes amis, au plus fort de la presse + Chercher parmy le sang cette belle Deesse, + Elle suit les lauriers, vit prés les gens de coeur, + Et ne quite jamais le party du vainqueur; + Ainsi voit-on souvent dedans l'ordre des choses, + Naistre plusieurs effets contraires à leurs causes: + Nos ennemis rangez pour ce dernier effort, + Portent peinte en leur front l'image de la mort, + Je les voy tous tremblans à l'abord de nos armes, + Ceder aux mouvemens des premieres alarmes: + Ils fuyent, & fuyans, nous laissent le bon-heur, + La paix, la liberté, le repos & l'honneur. + Avançons ce moment pour haster nostre gloire, + Et volons, s'il se peut, apres une victoire, + Dont la possession nous acquiert desormais + La beauté d'un renom qui ne moura jamais: + Ouy, nous vivrons, amis, malgré les destinées, + Autant que le Soleil reglera les années; + Si nous luy faisons voir cette derniere fois + Que nous avons pour but le soustien de nos lois, + Et que nous n'avons pas cette vieille manie + De triompher des Rois, mais de la tyrannie. + Ce monstre est en horreur aux yeux des immortels, + Puis qu'il porte ses loix au delà des autels, + Et que son droit sanglant mit dans la sepulture + Avec le droit des gens celuy de la Nature: + Mais je croy que bien-tost lâchement abatu + Il viendra rendre l'ame aux pieds de la Vertu; + Nos Citoyens alors par des voix esclatantes + Chanteront le retour des libertez absentes; + Rome franche des Rois & de leurs cruautez, + Estalera sa gloire avecque ses beautez; + Les guerres des Tyrans y seront estoufées, + Et ne paroistront plus que parmy nos trofées, + Nostre Aigle dont le vol sembloit estre intermis, + Reverra tous les lieux qui luy furent sousmis. + Le Senat reprendra cét esclat honorable, + Qui par tout l'Univers l'a rendu venerable, + Et les Tribuns remis auront la faculté + De maintenir le peuple en son authorité; + Pour nous qui soustenus d'une ferme esperance + Aurons presté nos bras à cette delivrance, + On ne nous descendra de nos chars glorieux, + Que pour nous eslever sur des trosnes des Dieux. + Soleil, fay que bien-tost ce beau jour nous esclaire; + Mais je te parle en vain, tu ne le sçaurois faire, + Si nous ne dissipons par des coups furieux + Ce nuage ennemy qui te cache à nos yeux. + Allons y donc, amis, & que toute la terre + Tremble sous nos efforts comme sous le Tonnerre, + Que le sang espanché fasse soudre un estang + Pour noyer les poltrons qui fuiront de leur rang, + Afin qu'à l'advenir il ne naisse point d'homme + Qui s'ose rebeller contre l'honneur de Rome, + Et que ses Citoyens soient exempts desormais, + D'acheter par leur sang la victoire & la pais. + +STRATON. + + Brute, la liberté, l'honneur & la victoire + Demeureront toujours dedans nostre memoire: + Vive donc toujours Brute, & meurent les Tyrans. + +BRUTE. + + A moy donc compagnons, & qu'on garde les rangs. + + + +SCENE II. + +PORCIE, sa Compagne. + +PORCIE. + + Qu'ay-je fait qui merite un traitement si rude? + Quel tourment est égal à mon inquietude? + Morphée tous les soirs m'ouvre mille tombeaux; + La terre fend sous moy, je n'entends que corbeaux: + Et ce qui vient encore augmenter mes supplices, + Je lis mon mauvais sort dans tous mes sacrifices. + Que puis-je devenir, ou dois-je avoir recours? + Puis que mesme la mort est sourde à mes discours? + Mets fin à mes malheurs, Deesse qui sommeilles, + Mais je l'appele en vain, elle n'a point d'oreilles. + Et quand elle en auroit, son inhumanité + Ne prend jamais la loy de nostre volonté; + Et moy je veux mourir, c'est mon dernier remede: + Mais pour trouver la mort, ay-je besoin d'un aide? + Ce bras ne peut-il pas enfoncer dans mon sein, + Ce qui doit achever un genereux dessein? + Sans doute, & si les Dieux ne cessent de nous nuire, + Je leur espargneray le soin de me destruire, + Afin que par ce coup l'Univers puisse voir, + Qu'une ame genereuse est hors de son pouvoir, + Et qu'elle peut trouver nonobstant leur envie, + L'honneur, la liberté, le repos & la vie. + +LA COMPAGNE. + + Pourquoy murmurez-vous contre les immortels, + Au lieu que vous deussiez embrasser leurs autels, + Et par le zele ardent d'une sainte priere, + Demander à genoux la victoire derniere: + Madame, apaisez-vous, rappelez la raison, + +PORCIE. + + Toy bannis ces discours qui sont hors de saison, + Et s'il te reste encore quelque peu d'esperance, + De voir nos gens vainqueurs, démentir l'aparence, + Va jouyr du plaisir de les voir revenir, + Et me laisse en ce lieu seule m'entretenir, + Tu peux beaucoup pour moy dans cette obeïssance. + +LA COMPAGNE. + + C'est pourquoy je voudrois qu'il fut en ma puissance; + Mais on m'a commandé de ne vous quiter pas. + +PORCIE. + + C'est me perdre pourtant que de suivre mes pas. + +LA COMPAGNE. + + Je mouray mille fois avant que je vous laisse. + +PORCIE. + + En quel extreme poinct la Fortune m'abaisse, + Si mes meilleurs amis loing de me soulager, + Ne se monstrent ardens qu'à me desobliger? + Et bien, puis qu'on le veut, ne quite point mes traces, + Adjouste ta presence à mes autres disgraces, + Il ne m'en fasche pas, il faut ceder au sort, + +LA COMPAGNE. + + Bons Dieux assistez moy pour empescher sa mort. + + + +SCENE III. + +OCTAVE, MARC ANTHOINE, Leur suite. + +OCTAVE. + + Qu'on pardonne aux Romains, qu'on cesse le carnage, + Il suffit que sur eux nous avons l'avantage, + Tout est déja reduit au poinct de nos desirs, + Et bien-tost les travaux feront place aux plaisirs; + Rome nous reverra comblez d'heur & de gloire, + Non tant pour les lauriers deus à cette victoire, + Mais pour avoir vengé l'insolent attentat, + Qu'en meurtrissant Cæsar, on fit sur son Estat. + +MARC ANTHOINE. + + Le temps est oportun, l'occasion est belle, + Pour chastier l'orgueil de ce peuple rebelle, + Allons jusques au bout, poursuivons nostre effort, + Et taschons d'avoir Brute ou prisonnier ou mort. + + + +SCENE IV. + +BRUTE, STRATON, deux amis de Brute. + +BRUTE. + + Puis que nos bons desseins sont veus d'un mauvais Astre, + Il se faut preparer à souffrir ce desastre; + L'impossibilité ne nous oblige point, + L'honneur peut reculer quand il trouve ce point + Et celuy justement perd le titre de sage, + Qui veut choquer du temps l'infaillible passage, + Qui considerera l'ordre de l'Univers, + Il verra chaque jour son visage divers, + Et connoistra par la que quelque providence + Par le seul changement previent sa decadence, + Et qu'ainsi nostre Rome ayant peu se porter + A cét extreme point qu'on ne peut surmonter; + Il faloit que suivant cette regle divine, + Elle redescendit devers son origine; + Tu m'en as fais douter, impuissante vertu, + Et c'est sous ta faveur que Brute a combatu, + Esperant le secours de ta force oportune, + Mais je t'ay veu tomber aux pieds de la fortune, + Je voy bien maintenant que j'eus beaucoup de tort, + Lors que je te donnoy du pouvoir sur le sort, + Puis qu'aux premiers assauts que sa force te donne + Tu luy laisses gagner le champ & la couronne: + Mais je perds vainement en discours superflus, + Des momens qui passez ne se reverront plus: + Profitons-en plûtost, & pendant que l'armée + Couvre tout nostre camp de flame & de fumée, + Que nos Soldats vaincus pratiquent mon conseil, + En suivant du vainqueur le pompeux apareil, + Afin de prevenir un malheur si funeste, + Disposons nos amis à faire ce qui reste. + + Genereux compagnons de mes justes projets, + Le Ciel s'est declaré contre l'honneur de Rome, + Il veut que le Tyran ait des Rois pour sujets, + Et que des demy-Dieux fléchissent sous un homme. + + Mais avant de tomber en cette extremité, + Et me voir abatu sous une loy si dure, + Je veux m'ensevelir avec ma liberté, + Et pour plaire à l'honneur, déplaire à la Nature. + + Donc si quelqu'un de vous a l'esprit assez fort + Pour m'estimer encor en ce moment extreme, + Qu'il prenne ce poignard, & m'en donne la mort, + Je dois sçavoir par là s'il est vray que l'on m'ayme. + +L'UN DES AMIS. + + Avant de consentir à ce coup furieux, + Je vay chercher la mort au milieu de l'armée, + Et si je ne voy point son bras officieux, + Je me contenteray que ma main est armée. + +BRUTE. + + Au moins puis que tu crains de me ravir le jour, + Va t'en le conserver à ma chere Porcie. + +L'AUTRE AMY. + + Je le veux seconder en cét acte d'amour, + Peut estre que mes soins luy sauveront la vie. + +BRUTE. + + Et toy, mon cher Straton, es-tu de ces amis, + Qui pensent en fuyant de me faire service? + +STRATON. + + Pour servir aux desirs où vous estes sousmis, + Il faudroit peu d'amour, & beaucoup de malice. + + Ha! laissez ce dessein indigne d'un bon coeur, + Qui terniroit l'esclat de vostre gloire extreme; + Un vaincu doit avoir le maintien d'un vainqueur, + Et ne perdre jamais l'Empire de soy-mesme. + + Quoy, le monde ravy de vos premiers progrez, + Vous verra succomber à la fin de l'orage, + Et jugera d'abord, entendant mes regrets, + Qu'un bon-heur seulement faisoit vostre courage, + + Esvitez ce peril, & s'il faut que l'Enfer + Vous donne le repos que le Ciel vous desnie, + Courez tout au travers & du feu & du fer, + Mourez, mais combatant contre la tyrannie. + +BRUTE. + + Je sçay bien, cher amy, que par ces beaux discours + Tu me veux destourner d'un dessein legitime; + Mais en l'estat funeste où sont reduits mes jours, + Je veux que ton bras m'offre à l'honneur pour victime. + + Crois-tu que pour me voir au poinct de mon trespas + Un jugement bien sain n'esclaire pas mon ame, + Et que j'aille incertain chercher en d'autres bras + Ce que je puis trouver au bout de cette lame? + On perd souvent un bien qu'on veut trop differer, + Je veux mourir pour vivre, & finir pour durer. + +STRATON. + + Quoy, ce brave guerrier, à qui tout est possible, + Qui fit jadis trembler tant de peuples sousmis, + Perd contre ses desirs le tiltre d'invincible, + Qu'il a toujours gardé contre ses ennemis. + + Ha! non, puissant Heros, n'encourez point ce blâme, + La mort nous fait juger comment l'homme a vescu, + Et si le desespoir peut surmonter son ame, + On croit mal-aisement qu'il ait jamais vaincu. + +BRUTE. + + Si de nos ennemis les troupes avancées + Ne me defendoient pas un plus long entretien, + Je pourroy renverser tes meilleures pensées, + Et creuser leur tombeau pour en bastir le mien. + + Je diroy qu'un grand coeur que la Fortune oppresse, + Jusqu'à luy demander sa vie ou son honneur, + S'il balance le chois, tesmoigne sa foiblesse, + Et ne reconnoist pas où gist le vray bon-heur. + + L'honneur dure toujours au Temple de memoire, + La vie a pour son cours un terme limité, + Sans doute celuy-la mesnage mal sa gloire, + Qui pour gagner un tour, pert une eternité. + + D'esperer d'un bien que la puissance humaine + Nous peut faire acquerir, est une lâcheté, + Mais ne pouvant r'avoir la liberté Romaine, + Je cede seulement à la necessité. + + Si je cherche la mort tandis que je suis libre, + N'est-ce pas pour monstrer aux races à venir, + Que j'ay voulu mourir comme j'avois sceu vivre, + Quant j'ay perdu l'espoir de m'y plus maintenir. + + Ne conteste donc plus, seconde mon envie, + Tien ferme ce poignard, j'en beniray les coups, + S'ils peuvent faire voir en me privant de vie, + Que je mourus pour moy, ne pouvant rien pour vous. + +STRATON. + + Dure loy du devoir que ta rigueur est grande! + Obeïssons pourtant, Brute l'a projeté. + +BRUTE. + + L'on m'a presté ce corps, il faut que je le rende; + Mais j'emporte l'honneur avec la liberté, + Approche, cher amy, qu'à ce coup je t'embrasse; + Adieu, je nâquis libre, & libre je trespasse. + +STRATON. + + Donc ce grand demy-Dieu rend l'ame devant moy? + Donc je fais trebucher l'esperance de Rome? + Et mon bras desloyal pour avoir trop de foy, + Me ravit aujourd'huy ce qui me faisoit homme? + + Brute ne vit donc plus, & l'honneur des guerriers + Vient d'estre le butin de ma lame cruelle? + La foudre au champ de Mars espargnoit ses lauriers, + Et je suis aujourd'huy moins pitoyable qu'elle? + + Ha! malheureux poignard, dont les lâches efforts + Nous ravissent un bien que la Parque revere, + Pourquoy ne puis-je avoir cent ames & cent corps, + Afin de te saouler, & de me satisfaire. + + Rome, Tribuns, Senat, Citoyens, liberté, + Suivez mon desespoir, & ma plainte funeste, + Avec ce grand Heros vous perdez la clarté, + Et la nuict des prisons est tout ce qui vous reste. + + Ne tarissez jamais la source de vos pleurs, + Que leur eau n'ait plûtost fait une mer du Tybre, + Et noyé, s'il se peut, ces hydres de malheurs, + Qui font que vostre Estat va cesser d'estre libre. + + Les Tyrans sont vainqueurs, tout l'Estat est perdus, + La liberté se meurt, Rome s'en va la suivre, + Et pour comble de mal, le grand Brute n'est plus. + Un Heros peut mourir, & Straton pourroit vivre? + Non, non, tristes objets qui faites mon soucy, + Ce coup me va venger du Destin qui m'outrage: + Ha! je tombe, je meurs, mon oeil est obscurcy, + Mais je souffre trop peu; mort redouble ta rage. + + + +SCENE V. + +PORCIE, les deux amis de Brute. + +I. DES AMIS + + C'est l'endroit mal-heureux où nous l'avons laissé. + +II AMIS. + + Ha trop injustes Dieux! le voila trespassé. + +PORCIE. + + Doncque le Ciel ingrat me desrobe mon ame, + Et me contraint encor de prolonger ma trame? + Doncque tant de souspirs ne peuvent l'esmouvoir? + Et je n'ay pas la mort quand je la veux avoir? + Pourquoy traversez vous mes desseins legitimes, + Grands Dieux, auparavant de me monstrer mes crimes? + Sans doute j'ay failly, je le veux avoüer, + Mais c'est pour trop vous croire & pour trop vous loüer, + Ingrats rendez moy donc tant d'offrandes perdues, + Et tant de veux payez pour des demandes deuës, + Rendez-moy tant de pleurs vainement respandus, + Tant de biens prodiguez & tant d'honneurs perdus; + Plustost à les garder mettez tout vostre étude, + Ils seront les témoins de vostre ingratitude, + Ou pour vous en laver, en cette extremité + Rendez-moy seulement Brute & la liberté. + Ha Brute! cher objet de mes ameres larmes, + Pourquoy voulant mourir avec tes propres armes + N'as-tu pas commandé que par un pareil sort + Ce qui restoit de toy fut aussi mis à mort? + De quel front peus-tu voir la moitié de ton ame + Es mains des ennemis, de la honte, & du blasme, + Sans pouvoir esperer le moindre reconfort, + Non pas mesme celuy qui nous vient de la mort; + Et ce qui plus me fasche & de raison me prive, + Sur le point malheureux d'aller servir captive. + D'aller servir captive, ha trop lasches discours! + Rentrez dedans mon sein, demeurez-y tousjours, + Autrement je croirois que mon ame ennemie + Se bande contre nous, & pour la tyrannie. + D'aller servir captive: Ha penser inhumain! + Qui choque en mesme instant & mon coeur & ma main. + Quoy, lasche coeur, plustost que souffrir cét outrage + Veux-tu pas sur mon corps laisser aigrir ma rage? + Et toy, ma chere main, si le coeur me deffaut, + Le veux-tu pas percer pour punir son deffaut. + Ouy quand tout l'univers s'armeroit au contraire + Il n'est pas assez fort pour m'en pouvoir distraire: + Lors que Brute vivoit je souffrois le malheur, + Mais depuis qu'il est mort je cede à la douleur. + + Vantez, ambitieux, les coups de vos tempestes, + Publiez nostre perte, exaltez vos conquestes, + Mais loüez la fortune en cét evenement, + Vous triomphez de nous par son aveuglement. + Vous triomphez de nous, pardonnez-moy belle ombre, + Brute mon cher soucy, vous n'estes pas du nombre; + Ce corps est aux tyrans mais non pas vostre coeur, + Vous l'en avez osté pour estre son vainqueur. + Traitres n'allez donc plus vanter cette victoire, + Vos lauriers sont fletris, vous n'avez plus de gloire; + Brute qui sçait mourir, vostre ennemy mortel, + En demolit le temple & bastit son autel. + Mais helas que le sort a d'estranges caprices! + La honte des tyrans fait naistre mes supplices, + Et ce trespas fatal qui ternist leur honneur + Efface en mesme temps l'éclat de mon bon-heur. + Brute étoit mon apuy, mon repos & mon ame, + N'ay-je pas tout perdu dans la fin de sa trame? + Et si je vis encor, mon coeur, voudrois-tu bien + Me sçachant pres des fers conserver ton lien? + Mon pere se defit sur la simple apparence + Que le salut Romain étoit sans esperance; + Et moy qui vois ma perte infaillible aujourd'huy + N'auray pas le pouvoir de faire comme luy? + Trop cheres libertez, amour, vertu, naissance, + Si je ne mourois pas, vous seriez sans puissance, + Un si juste dessein ne peut estre arresté, + Et j'en ay le pouvoir comme la volonté. + Amis injurieux qui choquez mon envie, + Vous travaillez en vain à conserver ma vie; + Tous ces soings peuvent bien augmenter mon ennuy, + Mais non pas m'empescher de mourir aujourd'huy. + Brute & la liberté prononcent cét oracle, + Je leur obeïray malgré tout vostre obstacle, + Et quand vous m'osteriez poison, flames, & fers, + Je cognois cent chemins pour aller aux enfers. + +LES DEUX AMIS. + + Octave vient à nous. + +PORCIE. + + Veray-je ce perfide + Coupable de ma perte & de cét homicide? + Non, fuyons le plustost, & perdons la clarté + Puis que Rome a perdu Rome & la liberté. + + + +SCENE VI. + +OCTAVE, MARC-ANTHOINE, leur suite. + +OCTAVE. + + Le voicy, chers amis, cét objet de nos haines, + Dont la mort va donner du relasche à nos peines, + Le voicy ce meurtrier du plus grand Potentat + Qui jamais ait tenu les renes d'un Estat; + Ainsi toujours le Ciel prend vengeance du traistre + Qui se veut opposer aux desirs de son maistre, + Et punit le mutin qui choque des projets + Dont le zele ne tend qu'au bon-heur des sujets, + Tels que ceux de Cæsar à qui pareille envie + Déroba les momens les plus doux de sa vie. + Ceux qui restent encor seront bien tost abas + S'ils attendent les coups qui partent de nos bras, + Et quand pour éviter nos fureurs legitimes + Ils porteroient au Ciel leurs corps avec leurs crimes, + Je feray mes efforts pour pouvoir entasser + Osse sur Pelion & les en deschasser. + +ANTHOINE. + + J'approuve ce dessein, & fais veu de le suivre + Tout autant que les Dieux me voudront laisser vivre; + Mais il faut balançer les choses par raison, + Considerer les lieux & choisir la saison: + Nos soldats sous l'espoir d'une paix desirée + Ont souffert de grands maux & de longue durée, + Combatu vaillament, affronté les dangers, + Donné de la terreur aux peuples estrangers, + Poursuivy les mutins, & pour comble de gloire + Gaigné desja sur eux une double victoire; + Apres tous ces exploits voudriez vous differer + A leur donner un bien qui les fait souspirer? + J'estime que Cæsar ne veut point de victime + Qui n'ait dedans son sang fait éclater son crime, + Tous ces meurtriers sont morts, ils restent seulement + Ceux qui l'ont offencé par le consentement, + Qui bannis à jamais de leur ville natale, + Vont souffrir les rigueurs d'une peine infernale. + Il suffit ce me semble, & son ressentiment + Ne sçauroit desirer un plus dur chastiment: + Mais quittons ces discours & gaignons nostre terre + Pour en bannir bien loing les marques de la guerre, + Allons revoir nos Dieux, nos femmes, nos enfans, + Et changeons ces habits en ceux de triomphans. + +OCTAVE. + + Les manes de Cæsar se pouroient satisfaire + Avec ce seul meurtrier qui vient de se defaire, + Mais mon ressentiment desire plus de sang. + +ANTHOINE. + + Il est bien alteré s'il en boit un estang + Qui flotte impetueux la bas dedans la plaine. + +OCTAVE. + + C'est bien peu pour esteindre une mortelle haine, + Et monstrer ce que peut une extreme valeur. + + + +SCENE VII. + +UN SOLDAT DE BRUTE, ANTHOINE, & OCTAVE. + +LE SOLDAT. + + J'ay donc veu sans mourir ce comble de malheur + Dont l'image tousjours est dans mon coeur emprainte? + +ANTHOINE. + + Soldat vient & nous dit la cause de ta plainte. + +LE SOLDAT. + + A ce commandement je sens que le devoir + En forçant ma douleur m'en donne le pouvoir; + Pardonnez-moy, Seigneurs, si je vous desoblige, + Vostre seule victoire est tout ce qui m'aflige: + La fille de Caton, qui n'a pû la souffrir, + Vient malgré tous nos soings de se faire mourir. + En vain pour empescher ces mortelles pratiques + On avoit étably des argus domestiques, + En vain un tas confus d'amis officieux + Prenoient garde à sa voix, à son geste, à ses yeux, + Et croyans que le temps auroit soin de l'instruire, + Ostoient à sa fureur tout ce qui pouvoit nuire, + Cette prudence est foible & ces soings superflus, + Porcie veut mourir puis que Brute n'est plus: + Mais voyant qu'on fermoit le passage ordinaire, + Qui peut mener à bout un dessein sanguinaire; + Allumant sa fureur, elle y trouve un flambeau + Pour aller à la mort par un chemin nouveau. + Dans ce mortel transport que sa voix dissimule, + Elle feint d'avoir froid, quoy que son coeur la brusle, + Fait allumer du feu, s'en approche d'abord, + Et profere ces mots messagers de sa mort: + Obstacle de mon bien, trouppe trop importune, + Qui voyez sans pitié durer mon infortune, + Amis injurieux, domestiques, parens, + Tous vos soings desormais me sont indifferens, + Augmentez vos rigueurs, augmentez vos malices, + Et venez-moy ravir poison, fer, precipices. + Elle dit, & soudain d'un maintien de vainqueur + Avalla des charbons moins ardens que son coeur, + Leur brasier violant estouffe sa parole, + Son bel oeil s'obscurcit, & son ame s'envole. + Porcie est morte ainsi, laissant dessus son front + Non le trait de la mort mais celuy d'un affront, + Qui rougissant les lys de sa divine face, + Monstre qu'à sa fureur la mort mesme a fait place: + A ce funeste objet tout ce plaint, tout gemit, + Le Ciel mesme en pleure, & la terre en fremit. + +OCTAVE. + + Un si triste accident ébranle mon courage, + Et fait que dans le port je crains presque l'orage. + Je cognois aujourd'huy parmy ce changement + Que le plus grand bon-heur ne dure qu'un moment; + Je voy que le Demon qui conduit toutes choses, + Ne pare l'univers que de metamorphoses, + Afin que nos esprits aymant la nouveauté, + Dans ces tableaux changeans trouvent plus de beauté. + Que si c'est un effect de sa toute-puissance, + En vain tous les mortels y feroient resistance, + Et nostre vanité n'auroit rien de pareil + Si nous pensions servir à ce grand appareil, + Que comme d'instrumens incapables d'ouvrage + Si la main de l'ouvrier ne les met en usage: + L'exemple n'est pas loing; Ce grand Brute autresfois + Servit à degrader des legitimes Rois, + Se vit aussi puissant dans l'Empire de Rome + Que sçauroit desirer l'ambition d'un homme; + Et pourtant aujourd'huy nous l'avons veu mourir + Sans qu'aucuns des mortels ait pû le secourir: + Ainsi quoy que nos fronds courbent dessous les palmes, + Que les mutins soient morts, que nos terres soient calmes, + Et que nous commandions à tout le genre humain, + Nous pouvons n'estre rien & mourir dés demain: + C'est pourquoy relaschant de ma premiere envie, + Je veux que les vaincus soient certains de leur vie, + Qu'on les souffrent dans Rome, & que nos citoyens + Renoüent avec eux leurs accords anciens, + Afin que la douceur de ces faveurs nouvelles + Leur oste le desir d'estre jamais rebelles. + +ANTHOINE. + + C'est le propre d'un coeur purement genereux + De ce montrer clement envers les malheureux; + Qu'on prene donc ce corps & celuy de Porcie; + Vous, courez pour chercher celuy-là de Cassie, + Tandis qu'en un bucher ces genereux amans + Recevront le dernier de leurs embrassemens; + Puis les ayans bruslez conservez-en la cendre, + Parce qu'à leurs parens nous desirons la rendre. + +OCTAVE. + + Enfin, graces aux Dieux, nous sommes dans le port, + Nous avons dissipé les flambeaux du discord, + Demoly ses autels, & basty nos Trophées + Sur le sanglant débris des guerres estouffées. + Themis regne par tout, Mars languis abbatu, + Le vice qui s'enfuit fait place à la vertu; + Rome nous tend les bras, nos couronnes sont prestes, + Alons donc recevoir ces fruits de nos conquestes, + Afin que nostre frond de lauriers ombragé + Monstre à tout l'univers que Cæsar est vengé. + +FIN. + + + + +AUTRES OEUVRES DU MESME AUTEUR SUR LA GUERISON DE SYLVIE. + + +CHANSON. + + Austere & triste solitude + A qui mon esprit fait la cour, + Permets qu'en ce bien-heureux jour + Le plaisir soit tout mon estude, + Et si tu veux encor m'obliger doublement + Prens part à mon contentement. + + Chasse la nuict & le silence, + En faveur du jour & du bruit, + Souffre tout ce qui te destruit + S'il est de nostre intelligence; + Autrement le bon-heur que je veux raconter + M'obligeroit à te quitter. + + Sylvie n'est plus enrumée, + Sa bouche me le dit hier; + Mais ce bien ce doit publier + Par la voix de la Renommée. + Reprens donc ton silence & ton noir vestement, + Mais souffre mon ravissement. + + +A SYLVIE SUR LA MORT DE SA COUSINE D. L. + +SONNET. + + Beaux yeux ne pleurez plus cette belle cousine, + Qui dans ses premiers jours rencontre son tombeau, + Jamais rien de mortel n'eust un destin si beau + Que par le seul excés de la grace divine. + + Ses maux trouvent leur fin avant leur origine, + Elle quitte le monde en quittant le berceau, + Et son esprit s'envolle en ce sejour nouveau + Où jamais le bon-heur ne meurt ny ne decline. + + Ainsi sur une mer ou les vents & les flots + Ne cogneurent jamais l'usage du repos, + Où les plus asseurez craignent pour leur naufrage, + + Cette jeune beauté dont vous plaignez le sort + Rencontre les douceurs du port, + Sans avoir resenti les rigueurs de l'orage. + + +A LA MESME SUR SON DEPART LE JOUR DE NOEL. + + Il faut me conceder, belle & sage Sylvie, + Que vous imitez mal le grand Maistre du Sort, + Il s'approche aujourd'huy pour me donner la vie, + Et vous vous esloignez pour me donner la mort. + + Je voulois approuver par mes chants d'alegresse + Ceux que par tout le monde on faisoit raisonner, + Mais vous voyant partir, l'excés de ma tristesse + Ne me laissa la voix que pour les condamner. + + Le respect toutesfois tenant mes levres closes, + Par ces mots seulement j'exprimay mes douleurs; + Helas! faloit-il donc que dans l'ordre des choses + Tout le monde chantast quand je versois des pleurs. + + +SONNET POUR LA MESME. + + Ma flâme est pour Sylvie à tel poinct de constance, + Qu'il n'est rien sous le Ciel qui la puisse ébranler; + Et quoy que mon desir passe mon esperance, + Je mouray mille fois plustost que reculer. + + Elle a de la contrainte à m'entendre parler, + Et c'est où mon malheur va jusqu'à l'insolence, + En ce qu'il me contraint à mourir ou brusler, + Ou bien à luy deplaire, ou garder le silence. + + Tout s'oppose à mes voeux, rien ne s'arme pour moy, + Le sommeil seulement recompense ma foy, + Flatant ma passion par un si doux mensonge; + + Qu'il me semble à tous coups que l'objet de mes voeux + Par des baisers de flâmes authorise mes feux: + Mais je souffre en effect & ne baise qu'en songe. + + +A LA MESME. + +STANCES. + + En fin le Ciel jaloux du repos de ma vie, + A banny de ces lieux le bien de nos desirs, + Et mon coeur avec mes plaisirs + A suivy les pas de Sylvie: + Je souffre cette cruauté + Comme une peine deue à ma temerité. + J'ose aymer un objet à qui tout autre cede, + Mais si pour éviter sa fuite & mon trespas + Il faut ne l'aymer pas, + J'ayme bien mieux souffrir le mal que le remede. + + Tyrant des volontez qui fit naistre ma flâme, + Et que je recognois pour unique vainqueur, + Oste son portrait de mon coeur + Ou mets le mien dedans son ame, + Fais luy voir mon affection + Dans le plus haut degré de la perfection; + Cache sous ton bandeau les deffauts de ma vie, + Ou s'ils sont esclairez, que ce soit par les feux: + Bref pour me rendre heureux + Donne m'en le merite où m'en oste l'envie. + + Mais quoy c'est bien en vain que je te solicite, + Les vertus de Sylvie ont tenu ce haut point + Que les mortels ne trouvent point, + Et pour qui tout est sans merite, + Pardonne à mon aveuglement, + Ton flambeau le causa quand il me fit amant, + Et si tu veux me faire une faveur extreme, + Ordonne seulement que la Divinité + Qui tiens ma liberté, + Croye que je l'adore, & souffre que je l'ayme. + +FIN. + + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of La mort de Brute et de Porcie, by +Guyon Guérin de Bouscal + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA MORT DE BRUTE ET DE PORCIE *** + +***** This file should be named 19454-8.txt or 19454-8.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + http://www.gutenberg.org/1/9/4/5/19454/ + +Produced by Carlo Traverso, Laurent Vogel and the Online +Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This +file was produced from images generously made available +by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at +http://gallica.bnf.fr) + + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. 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