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+Project Gutenberg's La mort de Brute et de Porcie, by Guyon Guérin de Bouscal
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
+
+
+Title: La mort de Brute et de Porcie
+ Ou, La vengeance de la mort de César - Tragédie
+
+Author: Guyon Guérin de Bouscal
+
+Release Date: October 3, 2006 [EBook #19454]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: ISO-8859-1
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA MORT DE BRUTE ET DE PORCIE ***
+
+
+
+
+Produced by Carlo Traverso, Laurent Vogel and the Online
+Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This
+file was produced from images generously made available
+by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at
+http://gallica.bnf.fr)
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+ LA MORT
+ DE BRUTE
+ ET DE
+ PORCIE,
+
+ OU,
+
+ LA VENGEANCE
+ DE LA MORT
+ DE CESAR.
+
+ TRAGEDIE.
+
+
+ A PARIS,
+ Chez TOUSSAINCT QUINET, au Palais dans
+ la petite salle, sous la montée de la Cour des Aydes.
+
+ M. DC. XXXVII.
+
+ _AVEC PRIVILEGE DU ROY._
+
+
+
+
+ A
+ MONSEIGNEUR
+ L'EMINENTISSIME
+ CARDINAL
+ DUC DE RICHELIEU.
+
+
+ MONSEIGNEUR,
+
+La plus grande partie de nos Escrivains composent leurs Epistres des
+esloges de ceux à qui ils dédient leurs ouvrages comme des raisons pour
+authoriser leur choix, & ne prennent pas garde que le plus souvent ces
+mesmes raisons les condamnent. Si je mettois ce mauvais livre soubs la
+protection de vostre EMINENCE, pource qu'elle protege les Empires; que
+je me promisse qu'elle le recevra, pource qu'elle refuse les couronnes,
+& que je creusse qu'elle l'estimera, pource qu'il n'y a rien au monde
+digne de son estime; Je rencontrerois sans doute ce qu'ils veulent
+éviter, & ferois veoir un exemple de ce que je desapreuve: Mais ce n'est
+pas pour tout cela, MONSEIGNEUR, c'est seulement pource que je suis,
+
+ MONSEIGNEUR,
+
+ Vostre tres-humble, tres-obeïssant & tres-fidelle serviteur,
+
+ GUERIN DE BOUSCAL.
+
+
+
+
+ PRIVILEGE DV ROY.
+
+
+Louis par la grace de Dieu Roy de France & de Navarre, à nos amez &
+feaux Conseillers les gens tenans nos Cours de Parlement, Maistre des
+Requestes ordinaires de nostre Hostel, Baillifs, Seneschaux, Prevosts,
+leurs Lieutenans, & autres nos Justiciers, & Officiers qu'il
+appartiendra, salut. Nostre cher & bien amé GUION GUERIN DE BOUSCAL,
+nous a fait remonstrer qu'il a composé un livre intitulé, _La Mort de
+Brute & de Porcie, ou, La Vengeance de la mort de Cesar_, qu'il
+desireroit faire imprimer & mettre en lumiere: Mais craignant qu'à son
+prejudice autres Imprimeurs que celuy qu'il a choisy pour cét effect,
+voulussent imprimer ledit livre, & l'exposer en vente. Il nous a
+tres-humblement supplié luy octroyer nos Lettres sur ce necessaires. A
+CES CAUSES, desirant favorablement traicter ledit exposant, Nous luy
+avons permis & permettons par ces presentes de faire imprimer, faire
+vendre & debiter ledit livre en tous les lieux & terres de nostre
+obeyssance, par tels Imprimeurs, en telles marges & caracteres, & autant
+de fois qu'il voudra durant le temps & espace de neuf ans entiers &
+accomplis, à compter du jour qu'il sera achevé d'imprimer. Faisant
+deffences à tous Imprimeurs, Libraires & autres de quelques condition
+qu'ils soient, d'imprimer, vendre ny distribuer ledit livre sans le
+consentement de l'exposant, ou de ceux qui auront droit de luy en vertu
+des presentes, ny mesme d'en prendre le titre ou le contrefaire en telle
+sorte & maniere que ce soit soubs couleur de fauce marge ou autre
+déguisement, sur peine aux contrevenans de quinze cents livres d'amende,
+de confiscation des exemplaires contrefaits, & de tous les despens
+dommages & interests. A la charge d'en mettre deux exemplaires en nostre
+Bibliotheque, Et un en celle de nostre amé & feal le Sieur SEGUIER
+Chevalier Chancelier de France, avant que de l'exposer en vente, suivant
+nos Reglemens, à peine d'estre descheu du present Privilege. Donné à
+Paris le vingt-troisiesme jour de Juillet l'an de grace mil six cents
+trente-sept. Et de nostre regne le vingt-septiesme. Par le Roy en son
+Conseil, DE BEAVRAINS. Et sellé du grand seau de cire jaune.
+
+ * * * * *
+
+Et ledit sieur de Bouscal a cedé & transporté le present Privilege à
+Toussainct Quinet, Marchand Libraire à Paris, pour jouyr du contenu en
+iceluy, ainsi qu'il a esté accordé entr'eux par acte de seiziesme
+Janvier 1637.
+
+_Achevé d'imprimer pour la premiere fois le 20. Fevrier 1637._
+
+Les exemplaires ont esté fournis.
+
+
+
+
+ ACTEURS
+
+
+ BRUTE.
+ STRATON, Amy de Brute.
+ CASSIE.
+ PORCIE, Femme de Brute.
+ OCTAVE.
+ MARC-ANTHOINE.
+ TITINE.
+ PINDARE, Affranchi de Cassie.
+ DEMETRIE.
+ LA SUIVANTE DE PORCIE.
+ LES MESSAGERS.
+ LES CHEFS DE L'ARMEE DE BRUTE.
+ LES CHEFS DE L'ARMEE D'ANTHOINE.
+ LE MEDECIN D'OCTAVE.
+
+ * * * * *
+
+La Scene est en la plaine de Philipes en Macedoine.
+
+
+
+
+ LA
+ VENGEANCE
+ DE LA MORT
+ DE CÆSAR.
+
+
+
+
+ PROLOGUE
+ DE LA RENOMMEE.
+
+
+ Esprise d'un ardent desir
+ De voir les veritables sources
+ Des grands sujets de tant de courses
+ Qui ne me laissent pas un moment de loisir;
+
+ J'ay voulu descendre en ces lieux
+ Que des illustres demy Dieux
+ Signalent tous les jours par de nouveaux Oracles,
+ Où j'ay veu ce grand Roy, dont le nom seulement
+ Porte par tout l'estonnement,
+ Et force la Nature à souffrir de miracles.
+ Prés de luy cét esprit fameux,
+ Dont j'ay tant chanté les merveilles
+ Charmoit les yeux & les oreilles
+ Et faisoit confesser que tout luy doit de voeux.
+
+ Aussi confuse à cét aspect,
+ Mon front s'est couvert d'un respect
+ Que jamais tous les Dieux n'avoient peu faire naistre,
+ Mes bouches ont perdu l'usage de la voix,
+ Mon cor m'est eschappé des doigts,
+ Et j'ay repris mon vol sans me faire cognoistre.
+
+ Mais ayant rapellé mes sens,
+ Je vay dire à toute la terre.
+ Que dans la paix & dans la guerre
+ Ce Prince peut toujours braver les plus puissans,
+
+ Tout tremble à ses moindres projets.
+ S'il vouloit gagner des sujets,
+ Et faire une entreprise égale à sa puissance,
+ Malgré l'empeschement des peuples & des Rois,
+ Tous les hommes seroient François,
+ Les bords de l'Univers seroient ceux de la France.
+
+ Comme Alcide dans le berceau,
+ Forçant la foiblesse de l'âge
+ Estoufa la sanglante rage
+ Des serpents qui venoient le pousser au tombeau.
+
+ Ce Prince à peine avoit encor
+ Cét honorable chapeau d'or.
+ De qui toujours la peine est fidelle compagne,
+ Quand avec le flambeau de la rebellion
+ Il estouffa ce grand Lyon,
+ Qui pour le devorer estoit venu d'Espagne.
+
+ Depuis ses plus charmans esbats,
+ Ont esté parmy les armées
+ A voir de bandes animées
+ S'entreverser le sang au milieu des combats:
+
+ Car cét ennemy conjuré,
+ Qui depuis long-temps a juré
+ De ne laisser jamais ses voisins dans le calme,
+ Donnant à ses desseins cent visages divers,
+ A fait agir tout l'Univers
+ Pour despoüiller son front d'une si belle palme.
+
+ Mais ce miracle des mortels
+ Qui mille fois le jour m'oblige
+ A proclamer comme un prodige
+ La moindre des Vertus qui luy font des Autels;
+
+ Par de moyens miraculeux
+ Previt ses desseins frauduleux,
+ Et destourna si bien les coups de cét orage,
+ Que bien loing de l'effect qu'on s'en estoit promis,
+ Il tomba sur vos ennemis
+ Qui fremissent encor & de honte & de rage.
+
+ C'est icy, genereux François,
+ Que l'honneur de vostre patrie
+ Vous permet sans idolatrie
+ D'adorer en luy seul le soustien de vos lois.
+
+ Voyez ce grand Astre d'amour
+ Ne reposer ny nuict ny jour,
+ Et pour vous acquerir une paix de durée,
+ Perdre tous ses plaisirs dans des soucis cuisans
+ Qui rendroient les Sceptres pesans
+ Entre les fortes mains d'Atlas & Briarée.
+
+ Voyez vostre Nef se vanter
+ Que sur l'Empire de Neptune,
+ Malgré les vents & la Fortune
+ Il n'est rien dont l'effort la puisse espouventer,
+
+ L'ennemy suit à son abord,
+ Elle a de tout costez le port,
+ La mer tout à l'entour ne monstre point de ride,
+ Jamais l'anchre ne fut en un si Riche lieu,
+ Et cét illustre demy-Dieu
+ La boussole à la main la conserve & la guide.
+
+ Voyez vos ennemis domptez
+ En vos batailles signalées
+ Graver dessus leurs Mausolées
+ La valeur de celuy qui les a surmontez.
+
+ Admirez que si l'Espagnol
+ N'eust pas voulu porter son vol
+ Sur les terres d'autruy, comme l'Aigle Romaine,
+ Les drapeaux que sur luy vous avez emportez,
+ Pourroient couvrir de tous costez
+ Les steriles deserts de son petit domaine.
+
+ Admirez que dans le discort
+ Qui divise l'Europe entiere,
+ Vous avez une ample matiere
+ De mespriser les vents, & de dormir au port.
+
+ Qui diroit à voir vos esbats.
+ Que dans de si sanglans combats
+ Les armes des François fussent interessées?
+ Si je n'avois le soin de prescher en tous lieux
+ Qu'un grand esprit aymé des Dieux
+ Vous fait jouyr en paix du fruict de ses pensées.
+
+ Puis tous d'une commune voix,
+ Faites retentir dans les nuës
+ Combien ses vertus recogneuës
+ Portent haut la splendeur du Trosne de vos Roix.
+
+ Tous les peuples que le Soleil
+ Esclaire de son teint vermeil
+ Tremblent espouvantez au seul nom de la France;
+ Et l'orgueilleux Tyran des hardis Otthomans,
+ Conserve dans ses documens
+ Plus cher que le Croissant son serment d'aliance.
+
+ Ce grand esprit portant icy
+ La valeur des peuples de Thrace,
+ Y porta le Mont de Parnasse,
+ Apollon & ses soeurs le suivirent aussy.
+
+ C'est là que quelquefois lassé
+ Du soin present & du passé,
+ Il voit avec plaisir grimper mille Poëtes,
+ Et ne desdaigne pas, tant son coeur est humain,
+ D'ouvrir avec sa propre main
+ Des bouches qui sans luy demeureroient muetes.
+
+ J'ay sceu par un de mes Couriers,
+ Que pour fuyr l'ingratitude,
+ On voit des fruicts de cét estude
+ Qu'on ne sçauroit payer avec mille lauriers.
+
+ L'un fait voir Hercule enchanté
+ Par les charmes d'une beauté
+ Negliger sa valeur ainsi que son espouse,
+ Et confesser enfin qu'estre victorieux
+ Des montres les plus furieux
+ Est moins que de dompter une femme jalouse.
+
+ L'autre nous monstre clairement
+ Dans la perte de Massinisse,
+ Que qui veut bastir sur le vice
+ Esprouve tot ou tard quel est ce fondement.
+
+ L'autre nous fait voir que l'amour
+ Desrobe le lustre & le jour
+ Aux belles actions d'un Empereur de Rome;
+ Et l'autre nous montrant un Roy dans sa maison
+ Frustré de l'effet du poison,
+ Fait voir qu'est devant Dieu la sagesse de l'homme.
+
+ L'autre, du premier des Cæsars
+ Nous fit voir la fin deplorable,
+ Et combien il fut miserable
+ De ne mourir plustost au milieu des hazards.
+
+ Ce Prince l'honneur des guerriers,
+ Le front couronné de lauriers,
+ Fut de la trahison la sanglante victime,
+ Dans les pompes du Trosne il trouva le tombeau,
+ Son favory fut son borreau,
+ L'injustice son Juge, & la vertu son crime.
+
+ Mes yeux apres ce coup fatal,
+ Firent l'office de mes bouches,
+ Et les ames les plus farouches
+ Pasmerent au recit d'un crime si brutal.
+
+ Tout l'Univers alloit mourir
+ Quand le Ciel pour le secourir
+ Fit partir de ses mains un équitable foudre,
+ Les plaines de Philippe en virent les effets,
+ Tous les meurtriers furent defaits,
+ Cæsar y triompha qui n'estoit plus que poudre.
+
+ Jamais un plus beau chastiment
+ Ne tint la Justice occupée:
+ Jamais on ne vit son espée
+ Abbatre de mutin plus equitablement.
+
+ Cét objet pleut tant à mes yeux,
+ Que j'arreste encore en ces lieux
+ Pour en voir le portrait sur ce fameux Theatre,
+ Où Brute & sa vertu confesseront en fin
+ Qu'à moins que d'un coup du Destin,
+ Un Trosne bien fondé ne se sçauroit abatre.
+
+
+
+
+ LA
+ VENGEANCE
+ DE LA MORT
+ DE CÆSAR.
+
+
+
+
+ACTE PREMIER.
+
+
+SCENE PREMIERE.
+
+BRUTE, STRATON, & deux Chefs de l'armée de Brute.
+
+BRUTE.
+
+ Qu'un Estat est mal sain dans le siecle où nous sommes,
+ Lors qu'il n'a pour soustien que le grand nombre d'hommes,
+ Dont les desirs divers par de divers efforts
+ Au lieu de l'affermir desunissent son corps.
+ Que je l'esprouve bien dedans cét avanture.
+ L'un desire la paix escoutant la Nature,
+ Qui luy dit que ses fils condamnez à mourir
+ Avec ce seul moyen se peuvent secourir.
+ L'autre moins resolu de survivre en esclave,
+ Declame contre Anthoine, & favorise Octave,
+ Comme si nos fureurs avoient pour leur objet
+ Le vice des Tyrans & non pas leur projet.
+ Bref il en est bien peu que le seul honneur pique,
+ Qui ne soient animez que pour la Republique,
+ Et qui puissent gouster avec tranquilité,
+ Que nous devons mourir pour nostre liberté.
+ Je m'asseure pourtant que nos Dieux tutelaires
+ Ayment trop l'equité pour nous estre contraires,
+ Et pour ne pas punir l'insolent attentat
+ Que ces ambitieux ont fait sur nostre Estat.
+ Il faut tout esperer d'une juste entreprise,
+ Si l'honneur la produit, le Ciel la favorise;
+ Et l'on doit s'asseurer d'estre victorieux,
+ Quand le droict qu'on soustient est la cause des Dieux.
+ Les Dieux seuls sont nos Rois, jugeans qu'il n'est point d'homme,
+ Qui puisse meriter leur Lieutenance à Rome,
+ Depuis que le Soleil n'esclaire rien d'humain
+ Qui ne doive tribut à l'Empire Romain
+ J'adore leurs Decrets, & mon ame flechie,
+ Se sous-met seulement à cette Monarchie;
+ Tout autre me desplait, & mon adversion
+ Vient d'un raisonnement exempt de passion;
+ Car un peuple sousmis aux volontez d'un Prince
+ Se descharge sur luy des soins de la Province,
+ Neglige sa valeur, cache ses actions,
+ Content de s'acquiter des obligations;
+ Parce que les exploits plus dignes de memoire,
+ Honorant le seul Chef, laissent l'Autheur sans gloire;
+ Qui voit apres avoir vaillament combatu,
+ Qu'un autre s'enrichit des fruicts de sa vertu.
+ Au lieu que sous les loix de la Democratie,
+ Chacun cherche l'honneur aux despens de sa vie,
+ Asseuré que toujours la generosité
+ S'y voit recompenser comme elle a merité.
+ Puis qu'à ce doux Estat notre bon-heur nous range,
+ Il faut mourir plustost que de souffrir le change.
+ Ha! si tous les Romains combattoient comme vous,
+ Que nostre Republique auroit un sort bien doux,
+ Et qu'on verroit bien tost les desseins & l'armée
+ De nos pretendus Rois se reduire en fumée.
+ Aussi la recompense égalant le bien-fait,
+ Rendra dans peu de temps vostre bon-heur parfait.
+
+I. CHEF.
+
+ L'honneur de vous servir contre la tyrannie,
+ Couronne les Romains d'une gloire infinie,
+ Dont le moindre rayon nous récompense assez,
+ Des soins de l'advenir, & des travaux passez,
+
+BRUTE.
+
+ Allez donc dans le Camp, dites aux Capitaines,
+ Qu'on doit bien tost finir mes soucis & leur peines,
+ Et que la liberté reprendra sa vigueur,
+ S'ils monstrent au combat qu'ils en ont dans le coeur.
+
+
+
+SCENE II.
+
+CASSIE, BRUTE, TITINE.
+
+CASSIE.
+
+ Resolu qu'aujourd'huy la bataille se donne?
+
+BRUTE.
+
+ Je croy que ce dessein ne déplaist à personne,
+ Et que les maux soufferts par le peuple Romain,
+ Nous preschent qu'il vaut mieux aujourd'huy que demain.
+
+CASSIE.
+
+ Il me semble pourtant que tout nous peut permettre.
+ Sinon de l'eviter, au moins de la remettre,
+ Puis que tous nos amis n'ont point de sentimens
+ Pour s'opposer jamais à nos commandemens;
+ Et que les Citoyens touchez de mesme envie
+ Déposent en nos mains le soucy de leur vie.
+
+BRUTE.
+
+ Un peuple va toujours, quelque aguerry qu'il soit,
+ A finir promptement les ennuis qu'il reçoit,
+ Aymant mieux pour treuver le repos desirable,
+ S'exposer aux dangers d'une fin lamentable,
+ Que de souffrir longs-temps au milieu des travaux,
+ La funeste rigueur d'une suite de maux,
+ Juge si nos Romains exilez de leur terre,
+ Et déja fatiguez d'une si longue guerre,
+ Sçachant que le combat la doit faire cesser,
+ N'ont pas d'ardens desirs de le voir commancer.
+ Que si pourtant leur voix tesmoigne le contraire,
+ Elle dément leur coeur de peur de te déplaire.
+
+CASSIE.
+
+ Il n'est rien de forcé dedans tous leurs discours.
+
+BRUTE.
+
+ Le mal a trop duré, rompons icy son cours.
+ Cherchons nous le profit, ou bien la vaine gloire
+ De triompher des morts apres une victoire?
+ Celle de ravager l'Empire des Romains,
+ Et de pouvoir agir avec cent mille mains?
+ Non, un plus beau dessein nous fit prendre l'espée,
+ Nous voulons affranchir nostre terre occupée,
+ Restablir nos amis dans leur premier bon-heur,
+ Et monter au degré d'un souverain honneur,
+ Puis que l'occasion s'en offre si propice,
+ Faisons voir aujourd'huy quelle est nostre Justice,
+ Et que ses fiers tyrans percez de mille coups,
+ Asseurent pour jamais nos libertez & nous.
+
+CASSIE.
+
+ Dans un si beau dessein mon ame interessée,
+ Par ton ressentiment explique ma pensée,
+ Tes desirs sont les miens, & celuy d'estre Roy
+ M'a toujours fait horreur aussi bien comme à toy;
+ Je ne le puis souffrir, Nature la premiere
+ M'inspira cette haine avecque la lumiere,
+ Ma raison la receut, & depuis nos sermens
+ En ont authorisé les justes mouvemens:
+ Mais je ne sçay pourtant si cette impatience
+ D'aller voir l'ennemy, n'a point de l'imprudence,
+ Et si precipitant le dessein du combat,
+ Nous ne reculons point le bien de nostre Estat.
+
+BRUTE.
+
+ Rome que ces meurtriers remplissent de carnage,
+ Nous demande secours, parle à nostre courage,
+ Et nous pouvons bien voir aux plaintes qu'elle fait,
+ Que le retardement le rendroit sans effet:
+ Ne le differons plus, secondons son attente,
+ Ranimons aujourd'huy la liberté mourante,
+ Redonnons au païs la vigueur de ses lois,
+ Secourir promptement, c'est secourir deux fois.
+
+CASSIE.
+
+ Ta resolution si digne de loüange
+ Fait que contre mon coeur, ma volonté se range;
+ Combattons donc, cher Brute, & dans le Champ de Mars,
+ Aussi bien qu'au Senat, poignardons des Cæsars.
+
+BRUTE.
+
+ Mes moindres mouvemens feront toujours connoistre,
+ Que je cherche à mourir pour n'avoir point de Maistre
+
+CASSIE.
+
+ Et les miens feront voir, quoy qu'il faille tenter,
+ Que ce bras n'est armé qu'afin de l'éviter.
+
+BRUTE.
+
+ Adieu donc, l'heure presse, il faut que je m'en aille
+ Minuter en repos l'ordre de la bataille.
+
+
+
+SCENE III.
+
+CASSIE, TITINE.
+
+CASSIE.
+
+ C'est bien contre mon coeur qu'avec si peu de mains,
+ Nous allons hazarder le salut des Romains:
+ Mais Brute en ses discours, a je ne sçay quels charmes,
+ Qui forcent la raison à luy rendre les armes;
+ Je consens au combat malgré mon sentiment,
+ Et je crains la rigueur d'un triste evenement.
+
+TITINE.
+
+ Les Dieux seront pour nous, s'ils sont pour la Justice,
+ Leur bonté ne sçauroit favoriser le vice,
+ Et j'espere aujourd'huy que tous nos differens
+ Rencontreront leur fin dans celle des Tyrans.
+
+CASSIE.
+
+ La cause la plus juste est bien souvent trompée,
+ Et j'en prens à tesmoin la perte de Pompée.
+ Ce n'est pas que mon coeur se forme de soupçons
+ Que nous n'obtiendrons pas ce que nous pourchassons;
+ Mais alors qu'il s'agit de l'Empire de Rome,
+ Il est bien mal-aisé de ne point parestre homme,
+ Et dans l'Estat flotant de nostre liberté,
+ L'asseurance me semble une stupidité.
+
+TITINE.
+
+ Pompée avoit pour but d'assujettir l'Empire,
+ Et ce mauvais dessein luy fit avoir du pire.
+
+CASSIE.
+
+ On ne l'a jamais sceu que par presomption.
+
+TITINE.
+
+ Les Dieux dedans son coeur lisoient sa passion,
+ Rien ne se peut cacher à ces grandes lumieres.
+
+CASSIE.
+
+ C'est assez disputé sur ces vaines matieres,
+ Il est temps de songer que nous devons ce jour
+ Faire voir des effets & de haine & d'amour.
+
+
+
+SCENE IV.
+
+BRUTE, son mauvais Genie.
+
+BRUTE.
+
+ J'auray la pointe droite, & ma Cavalerie
+ Essuyera des traits la premiere furie,
+ Massala la doit suivre avec un peloton,
+ Qui sera soûtenu par celuy de Straton:
+ Et pour perdre en un jour tyrans & tyrannie;
+ Mais qu'est-ce que je voy?
+
+LE GENIE.
+
+ C'est ton mauvais Genie.
+ Qui te vient advertir que dans fort peu de temps
+ Tu le pourras revoir parmy les combatans.
+
+BRUTE.
+
+ Hé bien, nous t'y verrons, je veux combatre Octave,
+ Et faire d'un Roy feint un veritable esclave;
+ Cassie aura la gauche, & le soin d'ordonner
+ Comme on s'y conduira quand il faudra donner.
+ Mais déja le Soleil vient esclairer la terre
+ Pour commancer le jour qui doit finir la guerre;
+ Allons voir nos Soldats, & mettre dans leurs coeurs
+ Le desir de mourir ou de vivre vainqueurs.
+
+
+
+SCENE V.
+
+PORCIE, BRUTE.
+
+PORCIE.
+
+ Tu vas donc au combat?
+
+BRUTE.
+
+ La liberté m'appelle,
+ Et je serois content de m'immoler pour elle,
+ Si je pouvois sçavoir ma Porcie en repos,
+ Loin des troubles que Mars
+
+PORCIE.
+
+ Brise là ce propos,
+ Il choque ma vertu qui seroit offensee
+ S'il estoit aprouvé d'une seule pensee;
+ Quoy! Brute doute encor que mon affection
+ Ne soit pas au degré de la perfection:
+ Du repos loin de luy, sans qui mesme la vie
+ Ne sçauroit me durer que contre mon envie.
+ Ha! c'est trop, & ce coup me touche plus le coeur.
+ Que la crainte de voir nostre ennemy vainqueur.
+ La fille de Caton nasquit parmy les armes,
+ Les horreurs des combats ont pour elle des charmes;
+ Et son repos s'y treuve ainsi qu'en tous les lieux,
+ Où Brute luy paroist favorisé des Dieux.
+ Que le Ciel conjuré se range pour Octave,
+ Que le peuple Romain demande d'estre esclave,
+ Que par ces changemens l'espoir te soit osté,
+ De restablir jamais l'antique liberté.
+ Qu'apres estre bannis de nostre chere terre,
+ Tout l'Empire assemblé nous declare la guerre,
+ Et que tous les malheurs accompagnent nos pas,
+ Si je suis avec toy, je ne me plaindray pas.
+
+BRUTE.
+
+ Que percé de cent coups au milieu des batailles,
+ Le vainqueur insolent m'arrache les entrailles;
+ Si tu vis pour chanter l'honneur de mon trespas,
+ Fut-il plus violent, je ne me plaindray pas.
+
+PORCIE.
+
+ Que nos cruels Tyrans par de nouvelles gesnes
+ Portent au plus haut point leur rigueur & mes peines;
+ Si je puis par ma mort t'exempter du trespas,
+ J'en atteste le Ciel, je ne me plaindray pas.
+
+BRUTE.
+
+ Si je pouvois treuver dans le sort de la guerre,
+ Avecque ton repos celuy de nostre terre,
+ Deusse-je, pour un seul, souffrir mille trespas,
+ Je seray satisfait, & ne me plaindray pas.
+
+PORCIE.
+
+ Quand Rome reprendroit cette grande puissance
+ Qui rangea l'Univers sous son obeïssance,
+ Si nous devions ce bien à la fin de tes jours,
+ Ne pouvant pas mourir, je me plaindray toujours.
+ Ne me commande pas de conserver la vie,
+ Si nostre malheur veut qu'elle te soit ravie,
+ Icy l'obeïssance excede mon pouvoir,
+ Et la necessité m'enseigne mon devoir;
+ Ouy, Brute, ton trespas rend le mien necessaire,
+ Soit pour me delivrer des mains de l'adversaire,
+ Soit pour ne faire pas un prodige nouveau,
+ Laissant durer un corps dont l'ame est au tombeau,
+ Ou bien pour te monstrer que cessant d'estre libre,
+ La fille de Caton perd le pouvoir de vivre.
+
+BRUTE.
+
+ Tant de rares vertus auroit bien merité
+ Dans un siecle plus doux un sort plus arresté;
+ Si la raison sçavoit balancer toutes choses,
+ Jamais aucun soucy n'eust approché tes roses,
+ Et toujours les douceurs de mille doux plaisirs
+ Eussent charmé tes sens, & passé tes desirs;
+ J'espere toutefois qu'une bonté supreme
+ Reserve à nos travaux cette faveur extreme,
+ Qu'un jour victorieux & triomphans des Rois,
+ Rome nous nommera protecteurs de ses lois,
+ Alors tous nos malheurs auront trouvé leur terme,
+ Alors nostre repos n'aura rien que de ferme,
+ Alors ne craignant plus pour nostre commun bien,
+ Jamais mon sentiment ne choquera le tien,
+ Alors les Dieux benins, pour nous combler de joye,
+ Ne feront à nos jours qu'une trame de soye,
+ Et quand leur providence en coupera le cours,
+ Nos noms & nos vertus demeureront tousjours.
+ Cependant, mon cher coeur, permets que je m'en aille
+ Disposer mes soldats à donner la bataille,
+ L'heure me presse, adieu.
+
+PORCIE.
+
+ Va donc, mon cher soucy,
+ Certain que si tu meurs je veux mourir aussi.
+
+
+
+SCENE VI.
+
+PORCIE, sa Compagne.
+
+PORCIE.
+
+ Donques les bras croisez en ce malheur extresme
+ Je me voy sans rougir differente à moy mesme?
+ Doncques ma lascheté m'oste le souvenir
+ Que Brute ce heros vient de m'entretenir!
+ Arrestez-vous mes pleurs, son adorable image
+ Vient defendre à mes yeux de vous donner passage,
+ Et vous, tristes soupirs, tesmoins de mon soucy,
+ Cedez à la vertu qui vous bannit d'icy,
+ Mais non, n'escoutez pas ma requeste importune,
+ La vertu se plaindroit en pareille fortune.
+ Je voy tout ce que j'ayme en danger aujourd'huy,
+ Brute & la liberté qui ne vit plus qu'en luy;
+ Toutesfois banissons ce mouvement de femme,
+ Ma naissance suffit pour instruire mon ame,
+ En vain irois-je ailleurs rechercher un patron,
+ C'est assez que je suis la fille de Caton,
+ Sus donc faisons paroistre à nos trouppes fidelles
+ Que je brusle d'ardeur de combattre pour elles,
+ Et qu'avec son portraict mon pere a mis en moy
+ Un desir violent de n'avoir point de Roy;
+ Monstrons que dans le choc des plus rudes alarmes
+ Je sçay verser du sang aussi bien que des larmes,
+ Allons braver la mort au camp des ennemis,
+ Et vengeons aujourd'huy les maux qu'ils ont commis:
+ Il ne m'importe point d'obtenir la victoire,
+ Mon sort est assez beau, je n'ay que trop de gloire
+ Pourveu que combattant pour le peuple Romain
+ Je meure comme Brute une espée à la main:
+ Toy ne traverse point ce conseil salutaire,
+ Aussi seroit-ce en vain qu'on m'en voudroit distraire,
+ Il est grand, il est juste, & selon la saison.
+
+LA COMPAGNE.
+
+ Mais vous ne dites pas qu'il choque la raison,
+ Madame, moderez cette boüillante rage,
+ Pour mieux voir le danger où vostre esprit s'engage:
+ Quoy! sommes-nous tombez en de si foibles mains,
+ Que vous n'esperiez rien du salut des Romains?
+ Brute auroit-il perdu son courage heroïque?
+ Et ne pourroit-il rien pour nostre Republique?
+ Non, il est toujours Brute, & comme ses parens,
+ Il ne s'arme jamais sans chasser des Tyrans;
+ J'espere quand à moy qu'il aura la victoire,
+ Mais vostre grand dessein que sert-il à sa gloire?
+ Et si l'executant vous rencontriez la mort,
+ N'auroit-il pas sujet de blasmer vostre effort?
+
+PORCIE.
+
+ On peut bien sans mourir suivre cette entreprise.
+
+LA COMPAGNE.
+
+ Mais si Brute mouroit, et que vous fussiez prise,
+ Que tout fut en butin aux Tyrans inhumains,
+ Quel regret auriez-vous de vous voir en leur mains?
+ Et sans pouvoir mourir vous sçavoir condamnée,
+ D'estre dans vostre ville en triomphe menée?
+ Le penser seulement me fait trembler d'horreur,
+ Pour gauchir cét escueil, calmez vostre fureur,
+ Madame & si le Ciel vous donne du courage,
+ Tesmoignez-en la force à brider vostre rage:
+ Endurez sans vous plaindre, & que jamais vos pleurs,
+ Ny vostre desespoir m'expriment vos douleurs:
+ C'est la lice d'honneur où la vertu s'espreuve,
+ Et le port plus certain où le repos se treuve:
+ Outre que si le Ciel vous mal-traitte aujourd'huy,
+ Vous aurez plus de droict de vous plaindre de luy.
+
+PORCIE.
+
+ En fin à tes raisons ma fureur diminuë,
+ Comme aux rais du Soleil l'espesseur d'une nuë,
+ Je me laisse emporter à tout ce que tu veux,
+ Allons à Jupiter faire offre de nos voeux:
+ Et si nous le trouvons encor inexorable
+ A soulager les maux d'un peuple miserable
+ Je sçay depuis long-temps quel sera mon devoir,
+ Mais qu'un courroux sied mal lors qu'il est sans pouvoir!
+
+
+
+
+ACTE SECOND.
+
+
+SCENE PREMIERE.
+
+MARC ANTHOINE, LUCILLE, & deux de ses Chefs.
+
+MARC ANTHOINE.
+
+ Puis que c'est aujourd'huy qu'un destin favorable,
+ Nous promet de venger ce crime detestable,
+ La mort du grand Cæsar, le Phoenix des guerriers,
+ Prodiguons nostre sang pour gagner des lauriers,
+ Monstrons à ce Heros dans sa beatitude,
+ Que nous voulons mourir exempts d'ingratitude,
+ Et que jamais la paix n'esteindra nos combats,
+ Que plustost on n'ait mis tous ces meurtriers abas.
+ Quand Rome verseroit un Ocean de larmes,
+ Qu'un deüil perpetuel terniroit tous ces charmes,
+ Et que ses Citoyens n'y sçauroient plus rien voir,
+ Que de tristes objets couverts d'un crespe noir,
+ Ce seroit laschement honorer la memoire
+ De ce grand demy Dieu qui la combloit de gloire,
+ Qui maintenoit la paix dans un si vaste corps,
+ Et parmy les plus grands des merveilleux accords.
+ En vain nos conjurez vantans la Republique,
+ Taxent la Royauté d'un pouvoir tyrannique.
+ Il est vray qu'un Estat qui se veut agrandir
+ Contre la Royauté, se doit toujours roidir:
+ Mais lors qu'il ne peut plus estendre son Empire,
+ Il faut qu'à ce bon-heur tout son effort aspire,
+ Comme le seul qui peut maintenir son pouvoir,
+ Et contenir les grands aux termes du devoir.
+ Que si l'ambition dans son impatiance
+ Par un ingrat effort foule cette puissance,
+ Dés l'heure il est perdu, son bras devient perclus,
+ Et cessant d'obeïr, il ne commande plus.
+ Nostre Rome à ce point avoit besoin d'un Maistre
+ Et les evenemens nous le font bien connoistre,
+ Les peuples rebellez depuis cét attentat
+ Démembrent tous les jours les biens de son Estat:
+ Et comme nos desirs, nos forces divisees,
+ Leur rendent contre nous les victoires aisees!
+ Ha! Brute desloyal, qu'avec peu de raison
+ Tu fondas le projet de cette trahison:
+ Tu devois dire au moins la cause de ta plainte,
+ La bonté de Cæsar l'auroit bien-tost esteinte,
+ Et ton ressentiment eust esté satisfait,
+ Sans faire voir au jour un si semblable effet,
+ Tu pouvois disposer de toute sa puissance,
+ Il n'eust jamais pour toy que de la complaisance;
+ Mesme jusqu'à ce point, qu'apres mille forfaits
+ On te pouvoit nommer l'objet de ses biens-faits:
+ Et tu meurtris encor ce Prince debonnaire,
+ Qui t'appelant son fils, se monstroit plus que pere:
+ Et regarde couler ce beau sang sans effroy,
+ Alors que ton poignard en rougissoit pour toy.
+ O temps! ô meurs! ô Dieux peu reverés dans Rome!
+ O crisme d'un Démon bien plûtost que d'un homme!
+ Les autres conjurez, ont-ils eu moins de tort?
+ Cæsar les a sauvez, il nous donnent la mort;
+ Semblables aux serpens qu'on voit en la Libye,
+ Qui tuent en naissant les autheurs de leur vie.
+ Ha lasches! si le Ciel a quelque soin de nous,
+ Vous sçaurez ce que peut sa haine & mon courroux.
+ Il n'a point fait de loy contre l'ingratitude,
+ Car la punition n'en peut estre assez rude:
+ Mais pourtant je feray par mes inventions
+ Un juste chastiment de cent punitions.
+ Jamais les Dieux n'ont veu vengeance plus entiere,
+ Ma fureur s'esteindra plus tard que la matiere;
+ Les Manes de Cæsar en seront satisfaits,
+ Mais il est déja temps de passer aux effets.
+ Sus donc, braves Romains, chers enfans de Bellonne,
+ Si vous voulez gagner l'honneur d'une Couronne,
+ Secondez mon dessein, qui juste autant que beau,
+ Mesme apres nostre mort, nous sauve du tombeau.
+
+I. CHEF.
+
+ Nous n'avons pas plûtost resolu de vous suivre
+ Que de venger Cæsar ou de cesser de vivre,
+ Ainsi ne craignez pas qu'on ne juge aujourd'huy
+ Qu'encore apres sa mort nous combatons pour luy.
+
+II. CHEF.
+
+ Les effets feront voir aux despens de ma vie,
+ Que mon coeur à ce bras inspire mesme envie,
+ Cæsar merite bien de voir venger ses coups,
+ Et qu'on meure pour luy, puis qu'il est mort pour nous.
+
+III. CHEF.
+
+ Brave & vaillant Cæsar, dont la mort avancée
+ Ne m'entretient jamais sans blesser ma pensée;
+ Tu connoistras bien-tost le dessein que j'ay fait,
+ D'affronter les dangers pour te voir satisfait.
+
+MARC-ANTHOINE.
+
+ Mon coeur apres cela ne voit rien qu'il ne brave.
+
+
+
+SCENE II.
+
+MARC-ANTHOINE, le Medecin d'Octave.
+
+MARC ANTHOINE.
+
+ Mais que voudroit de nous le Medecin d'Octave,
+ Son mal depuis hier seroit-il augmenté?
+
+UN DE LA SUITE D'ANTHOINE.
+
+ Je viens de le quiter en meilleure santé.
+
+LE MEDECIN.
+
+ Si quelque bon succez nourrit ton esperance,
+ Change la desormais en parfaite asseurance,
+ Je te viens anoncer de la part des Destins,
+ Que les Dieux sont pour nous, & contre ses mutins.
+ Pendant l'obscurité de la nuict precedente
+ Je resvoy dans mon lict sur la guerre presente,
+ Attendant doucement qu'un sommeil gracieux
+ M'eust ouvert le repos en me fermant les yeux,
+ Quand tout à coup l'esclat d'une grande lumiere
+ A brillé dans ma tante, & frapé ma paupiere,
+ Pour en depeindre icy les plus petits rayons,
+ Je n'ay dans mes discours que des foibles crayons;
+ Il suffit que les feus les plus beaux de la terre,
+ Les esclairs lumineux qui partent du Tonnerre,
+ Le Celeste flambeau qui donne la clarté,
+ Au pris de celle-la ne sont qu'obscurité;
+ Je n'ay pas plûtost veu cette flamme impreveuë,
+ Que j'ai senty mourir l'usage de la veuë,
+ Ma langue s'est noüée, & tous mes sens perclus
+ Ont exprimé l'estat d'un homme qui n'est plus:
+ Mon esprit toutefois exempt de cette crainte
+ Au milieu des rayons, dont ma tante estoit peinte,
+ A veu la Majesté d'une troupe de Dieux,
+ Et conneu par ces mots, comme l'on parle aux Cieux,
+ «Amis du grand Cæsar vos victoires sont prestes,
+ Le Ciel est sur le point de couronner vos testes,
+ Et redonner la vie à l'Empire Romain,
+ Cependant leur Decrets qui n'ont rien que de grave
+ Pour destourner les maux qui menassent Octave,
+ Veulent qu'au Camp d'Anthoine on le porte demain.»
+ La fin de ce discours a chassé ces lumieres,
+ Et remis dans mes sens leurs faussetez premieres,
+ Leur laissant toutefois quelque ravissement
+ Dans la reflexion de cét esvenement;
+ Reçoy donc cét advis, & que ton ame instruite
+ Donne une loy certaine à ta sage conduite.
+
+MARC ANTHOINE.
+
+ Il est trop important pour estre à negliger,
+ Allons, le temps est court, il le faut mesnager.
+
+
+
+SCENE III.
+
+BRUTE, ses Soldats.
+
+BRUTE.
+
+ En fin, braves Romains, voicy l'heure oportune
+ Qu'on doit voir la Vertu surmonter la Fortune,
+ Et qu'il faut tesmoigner & de coeur & de mains,
+ Qu'on nous donne à bon droict le tiltre de Romains;
+ Voicy le jour heureux que l'on doit voir bannie
+ Par la mort du Tyran l'infame tyrannie,
+ Et qu'un chacun de nous doit porter dans le sein
+ L'espoir de triompher en un si beau dessein:
+ Car si le seul effort de maintenir sa gloire
+ Fait mesme dans la mort rencontrer la victoire,
+ Nous devons aujourd'huy l'esperer beaucoup mieux,
+ Puis que nous combatons pour Rome & pour ses Dieux.
+ Quoy Rome endurera qu'un homme la maistrise?
+ Elle à qui l'Univers a rendu sa franchise,
+ Et nous ces Citoyens qu'elle fit naistre Rois,
+ Suivrons un Empereur & de nouvelles lois?
+ Mourons, mourons plûtost que d'encourir ce blasme,
+ La mort n'a rien de dur que ce qu'elle a d'infame.
+ Un corps extenué, dont la pasle couleur
+ Represente à nos yeux l'image du malheur;
+ Les habits & les pleurs d'un amy pitoyable,
+ A de timides coeurs la rendent effroyable:
+ Mais comme avec raison on blasmeroit la peur
+ Qu'un homme concevroit pour un masque trompeur;
+ C'est exposer son ame à des justes censures,
+ De craindre de mourir pour des larmes futures.
+ La mort est naturelle, & je ne pense pas
+ Qu'on ne souffre en naissant comme on souffre au trespas;
+ Encore nostre mort doit estre moins à craindre,
+ Qui nous laisse un renom qui ne se peut esteindre.
+ Celuy-la vit toujours parmy les gens d'honneur,
+ Qui meurt en combatant pour le commun bon-heur;
+ Imitons en cela nos valeureux ancestres,
+ Que Rome a veu mourir pour n'avoir point de Maistres:
+ Et celuy qui domptant la Nature & les Rois,
+ Immola ses enfans à l'honneur de nos lois.
+ C'est un trop haut dessein pour la puissance humaine,
+ De soustenir le vol de nostre Aigle Romaine;
+ Rome donne des loix, & n'en peut recevoir,
+ De peur que la vertu n'y perde son pouvoir:
+ Car un peuple abattu sous un honteux servage
+ Relasche tous les jours de l'ardeur du courage:
+ Et comme le lyon qui se laisse enchaisner,
+ Il perd dedans les fers le soin de dominer.
+ Je tire aussi de là l'esperance certaine
+ De nous voir aujourd'huy Maistres de cette plaine,
+ Puis que tous les Romains qui voudroient l'empescher
+ Sont esclaves, chetifs, & prests à se cacher:
+ Outre que les exploits presque au delà de l'homme
+ Se sont faits seulement en combatant pour Rome;
+ Car les Dieux qui l'ont mise en leur protection
+ Assistoient les autheurs dans leur affection.
+ Mais depuis que l'orgueil a bouffi le courage
+ De ceux qui pouvant tout, ont voulu davantage,
+ Et fait qu'encontre Rome ils se sont rebellez,
+ On n'en a jamais veu des actes signalez,
+ Sinon quand de nos Dieux la sagesse supresme
+ Arma leurs propres mains pour se defaire eux-mesmes;
+ Et que dans ce combat si triste & si mortel
+ L'un d'eux fut la victime, & Pharsale l'autel:
+ Car lors pour espargner les coups de nostre espée
+ Le Ciel fit que Cæsar nous sauva de Pompée,
+ Sçachant que son orgueil apres un tel effort
+ Le precipiteroit dans les mains de la mort,
+ Et que contre ceux-cy nos forces reposées
+ Pourroient trouver apres des routes plus aisées.
+ Mais je raisonne en vain, que sert-il de parler?
+ Vous courez au combat, vous y voulez voler;
+ Et malgré les efforts des troupes infidelles,
+ Esteindre dans leur sang le feu de nos querelles,
+ Sçachant qu'un brave coeur ne peut jamais perir
+ Dedans le beau dessein de vaincre ou de mourir.
+ Et bien, allons amis, certains que nostre gloire
+ Remplira l'Univers apres cette victoire,
+ Si tous d'un mesme accord nous y voulons courir
+ Avec ce beau dessein de vaincre ou de mourir,
+ Le Demon qui regist le sort de nostre Empire,
+ Ne souffrira jamais que nous ayons du pire,
+ Et de tout son pouvoir nous viendra secourir,
+ Si nous avons dessein de vaincre ou de mourir;
+ Les voeux que le Senat pousse en cette occurance
+ Verront recompenser leur sainte violance,
+ Et tant de pleurs qu'il verse en fin pourront tarir,
+ Si nous avons dessein de vaincre ou de mourir,
+ Que si trop longuement je parle en cette sorte,
+ C'est l'amour du païs qui me presse & m'emporte,
+ Resistons luy pourtant, & sans plus discourir,
+ Qu'il agisse au dessein de vaincre ou de mourir.
+
+I. CHEF.
+
+ Quand le ressentiment des libertez ravies
+ Ne nous forceroit pas à prodiguer nos vies,
+ Ton discours sur mon coeur a fait un tel effort,
+ Qu'il me tarde déja d'estre vainqueur ou mort.
+
+II. CHEF.
+
+ De moy quelques succez que le Ciel nous prepare,
+ La constance toujours me servira de phare,
+ Et malgré les escueils je trouveray le port
+ Dans cét ardent desir d'estre vainqueur ou mort.
+
+III. CHEF.
+
+ Vos desirs sont les miens apres ce qu'a dit Brute,
+ Il n'est rien que je n'ose & que je n'execute;
+ L'honneur, la liberté, Rome, l'Estat mal sein,
+ Tout nous porte aujourd'huy dans un si beau dessein.
+
+BRUTE.
+
+ Je voy ces lasches coeurs qui rougissent de honte,
+ D'avoir de leur honneur tenu si peu de compte;
+ Mais il est déja temps que chacun à son rang
+ Aille faire rougir ses armes de leur sang.
+
+
+
+SCENE IV.
+
+PORCIE, sa Compagne.
+
+PORCIE.
+
+ Demons qui conduisez l'ordre des Destinées,
+ Si Rome doit flechir sous le joug des Tyrans,
+ Commandez à la mort de trancher mes années,
+ Ou me donnez le coeur d'imiter mes parens.
+ Rome qui commandois ce que le monde ensere,
+ Voudrois-tu subsister apres cét accident?
+ Abysme toy plûtost au centre de la terre,
+ Cét effort genereux te sauve en te perdant.
+ Demoly les Autels de ces Dieux de fumée,
+ Que leurs Temples brisez tesmoignent aux Neveux
+ Qu'apres avoir en vain leur force reclamée,
+ Tu sceus venger au moins la perte de tes voeux.
+ Tyrans presomptueux dont l'audace effrontée
+ S'efforce d'usurper un bien si precieux,
+ Vous courez obstinez au feu de Promethée,
+ Qui doit faire rougir vos coeurs ambitieux.
+ Et moy dois-je douter qu'apres un coup si rude
+ Rien me puisse empescher de courir à la mort,
+ Si mon pere fuyant la mesme servitude
+ Malgré tous ses Soldats fut maistre de son sort.
+
+
+
+SCENE V.
+
+LA COMPAGNE, PORCIE.
+
+LA COMPAGNE.
+
+ Madame, en cét instant tous les Soldats en armes
+ Commencent le combat qui doit finir vos larmes;
+ On n'entend rien que cris & que gemissemens,
+ Vous diriez que le Ciel confond les Elemens:
+ Les traits volant en l'air par un confus rencontre
+ Empeschent le Soleil de voir ce qu'il nous monstre:
+ Déja venus aux mains, les nostres plus hardis
+ Tesmoignent d'estre encor ce qu'ils furent jadis,
+ S'il vous plaist de les voir, vous le pourrez sans peine,
+ Du haut de ce rocher qui commande à la plaine,
+ J'en viens tout maintenant pour vous en advertir,
+ Croyant que cét objet vous pourroit divertir.
+
+PORCIE.
+
+ Observez sans danger l'ordre des deux armées,
+ Par la haine & l'honneur au combat animées,
+ C'est un plaisir fort doux dans un coeur arresté,
+ Qui voit sans interest l'un & l'autre costé:
+ Mais represente toy la course vagabonde
+ D'un vaisseau que deux vents balottent dessus l'onde,
+ Et tu verras l'estat d'un courage offensé,
+ Qui dans l'un des partis se trouve interessé;
+ Suivant que l'ennemy s'avance ou qu'il recule,
+ Tantost la peur le glace, ore l'espoir le brusle,
+ Il attaque, il defend, & pour ferme qu'il soit,
+ Il est aussi flotant que le combat qu'il voit.
+
+LA COMPAGNE.
+
+ Un esprit du commun pourroit souffrir à l'heure;
+ Mais le vostre, Madame, a la trempe meilleure,
+ Outre que s'il faut croire aux promesses des Dieux,
+ Vous verrez aujourd'huy Brute victorieux.
+
+PORCIE.
+
+ Les Dieux me sont suspects depuis que leur cholere
+ En faveur d'un Tyran arma contre mon pere;
+ Allons y toutefois, & par nos actions
+ Tesmoignons qu'un grand coeur dompte ses passions.
+
+
+
+
+ACTE TROISIEME.
+
+
+SCENE PREMIERE.
+
+CASSIE, TITINE, PINDARE, DEMETRIE.
+
+CASSIE.
+
+ C'en est fait, chere Rome, il faut rendre les armes,
+ Et tascher d'espargner ton sang avec tes larmes;
+ Il faut s'humilier aux pieds d'un Empereur,
+ A ce nom seulement je frissonne d'horreur:
+ Mais quoy le sort le fait, ce grand Maistre des choses
+ Veut voir ton changement dans ses metamorphoses.
+ Flechy donc, grande Reyne, & ne t'offenses pas
+ D'un conseil que je donne, & que je ne prens pas,
+ Mon dessein y resiste, & je veux mourir libre,
+ Puis qu'il plaist au Destin que je cesse de vivre;
+ Mais apres un eschet si grand & si fatal
+ N'idolastre jamais les autheurs de ton mal,
+ Tesmoigne leur plûtost qu'il n'est rien de si rude
+ Que le joug insolent qui fait ta servitude;
+ Et peut-estre qu'un jour Brute ressuscité
+ Te rendra le bon-heur avec la liberté:
+ Et vous, mes chers amis premiers dans mon estime,
+ Monstrez en cét endroit que l'honneur vous anime,
+ Et que l'injuste effort d'un insolent vainqueur
+ Ne vous a pas osté la force ny le coeur:
+ Mais sur tout que la foy que vous m'avez jurée
+ Au dela du bon-heur peut porter sa durée,
+ Je ne desire pas que vous trempiez vos mains
+ Dans le barbare sang de nos Tyrans Romains:
+ Je ne demande pas que vous alliez en Thrace
+ Pour refaire une armée, & choquer leur audace;
+ Ce seroit vainement heurter contre le sort,
+ Mais je veux seulement qu'on me donne la mort,
+ C'est par cette action que je dois reconnoistre
+ Qui de vous ayme mieux le salut de son Maistre:
+ Comment à ce discours vous changez de couleur,
+
+TITINE.
+
+ C'est trop precipiter un extreme malheur,
+ Que sçait-on si le Ciel à Brute favorable,
+ Vous reserve à tous deux un sort plus honorable.
+
+CASSIE.
+
+ Mais d'ailleurs que sçait-on si mort comme vaincu
+ Il ne me blasme point de l'avoir survescu?
+
+TITINE.
+
+ Ces soupçons esclaircis j'offre vous satisfaire,
+ Cependant laissez moy le soin de cét affaire,
+ Je m'en vay dans son camp, & si je ne meurs pas
+ Vous apprendrez bien-tost sa vie ou son trespas.
+
+CASSIE.
+
+ Tu hazardes beaucoup.
+
+TITINE.
+
+ Nul danger n'espouvante
+ Ceux qui sont pour Cassie & pour Rome mourante.
+
+PINDARE.
+
+ J'approuve ce conseil.
+
+DEMETRIE.
+
+ Et je l'estime aussi.
+
+CASSIE.
+
+ Va donc, mais souvien toy que je t'atens icy.
+
+TITINE.
+
+ La mort seule pourra me fermer le passage.
+
+CASSIE.
+
+ J'estime fort Titine, il est vaillant & sage,
+ Mais cependant gagnons le haut de ce rocher,
+ Pour mieux voir si quelqu'un nous voudroit approcher.
+
+
+
+SCENE II.
+
+BRUTE, & deux autres.
+
+BRUTE.
+
+ Les Tyrans sont vaincus, & nostre chere terre
+ Va trouver son repos dans la fin de la guerre;
+ Un injuste dessein ne se peut maintenir,
+ Les Dieux sont bien clemens, mais ils sçavent punir:
+ Jusqu'icy nos Tyrans enflez de vaine gloire,
+ Ont creu de gagner tout avec cette victoire,
+ Et nos pauvres Romains non sans grande raison,
+ Ont creu de rencontrer chez eux une prison:
+ Mais aujourd'huy le Ciel pour terminer nos plaintes,
+ Rabat leur esperance, & dissipe nos craintes.
+ Octave dans son lict a trouvé le tombeau,
+ Indigne qu'il estoit d'un traitement plus beau;
+ Et la pluspart des siens estendus sur la poudre,
+ Ont creu que Jupiter nous aydoit de sa foudre.
+ Cassie a...
+
+I. CHEF.
+
+ L'un des siens s'en vient parler à vous.
+
+
+
+SCENE III.
+
+BRUTE, TITINE.
+
+BRUTE.
+
+ Les Tyrans sont vaincus.
+
+TITINE.
+
+ Ils sont vainqueurs pour nous.
+
+BRUTE.
+
+ O Dieux justes & bons! est-ce donc la coustume
+ De ne gouster jamais de bien sans amertume?
+ Mais Cassie...
+
+TITINE.
+
+ Il attend apres votre secours,
+
+BRUTE.
+
+ D'où provient ce malheur, fay nous en le discours.
+
+TITINE.
+
+ Soudain que le signal fit partir nos armées,
+ On les vit pesle & mesle au combat animées;
+ Car l'honneur excité par le feu du courroux,
+ Les faisoit à l'envy precipiter aux coups:
+ Nostre Chef le premier au milieu de la presse
+ Estale sa valeur, signale son adresse:
+ L'ennemy voit par tout des effets de son bras,
+ Et la mort suit toujours la trace de ces pas;
+ Chacun à son exemple alume son courage,
+ Avec tant de ferveur, qu'il va jusqu'à la rage.
+ L'ennemy s'en estonne, & son esprit en deüeil
+ Tremble que ces desseins ne trouvent un escueil:
+ La mort volle par tout, le sang avec les larmes
+ En mille endroits divers se mesle en ces alarmes.
+ Tout fremit, tout se plaint, les morts & les blessez,
+ Gisent confusement l'un sur l'autre entassez.
+ Dans ce sanglant carnage icy l'un s'evertuë
+ D'arracher de son corps la fleche qui le tuë,
+ Et là l'autre retient par de foibles efforts
+ Son sang que mille coups font sortir de son corps.
+ Nous nous vantions déja d'une heureuse victoire,
+ Quand l'ennemy fasché de voir perdre sa gloire,
+ Et de se voir presser avec tant de fureur,
+ Ralume dans le sang sa premiere vigueur:
+ Ce fut lors que la mort en mille endroits pressée
+ Se craignist elle mesme, & fut souvent blessée.
+ Ce fut lors que l'Enfer fit voir en abregé
+ Ce qu'il a de plus noir & de plus enragé.
+ Ce fut lors qu'on craignit que le Ciel en colere
+ Voulut noyer de sang l'un & l'autre Emisphere,
+ Et que Bellonne mesme herissant ses cheveux
+ Arresta sa fureur pour recourir aux voeux:
+ L'asseurance & la peur à travers la fumée
+ Repasserent cent fois de l'une à l'autre armée,
+ Et la victoire errant en ce danger mortel
+ Douta qui resteroit pour luy faire un Autel.
+ Fort long-temps ce combat dura de cette sorte,
+ Sans que l'un soit vainqueur, ny que l'autre l'emporte:
+ Mais en fin nos soldats se sentans fort pressez,
+ Et des premiers efforts extremement lassez:
+ Malgré tous les conseils que nostre Chef leur donne
+ Laissent choir en fuyant leur premiere Couronne,
+ L'ennemy les poursuit, & peint avec leur sang,
+ En mille, en mille endroits la honte sur leur flanc,
+ Jusqu'à ce que craignant qu'ils tournassent visage,
+ Et que le desespoir leur rendit le courage,
+ Anthoine commandat que l'on se retirat,
+ Content d'avoir gagné la place du combat:
+ Cassie craint depuis qu'une mesme avanture
+ Vous ait fait dans le sang trouver sa sepulture,
+ Ou que pour eschaper aux Tyrans des Romains,
+ Vous ayez contre vous armé vos propres mains:
+ C'est pourquoy son esprit touché de mesme envie,
+ A destiné ce jour pour la fin de sa vie;
+ Et si vous desirez d'avancer son trespas,
+ Il faut partir bien-tost, & marcher à grands pas.
+
+BRUTE.
+
+ La nonchalance icy seroit bien criminelle,
+
+TITINE.
+
+ Je m'en vay luy porter cette heureuse nouvelle.
+
+BRUTE.
+
+ Nous te suivrons de prés, je voy dans ce malheur
+ Que jamais le plaisir ne va sans la douleur,
+ Je ne crain pas pourtant que l'ennemy se vante,
+ Ny que pas un de vous en prenne l'espouvante;
+ Puis qu'en comparaison de la perte qu'il fait
+ La nostre mediocre est un gain en effet,
+ Mais il est déja temps que j'aille vers Cassie,
+ Remettant à tantost l'heure de voir Porcie.
+
+
+
+SCENE IV.
+
+CASSIE, PINDARE, ET DEMETRIE.
+
+CASSIE.
+
+ Quoy, je voy l'ennemy qui s'en vient à grands pas,
+ Et vous voulez encor differer mon trespas?
+ Vous n'aimastes de moy que ma bonne fortune,
+ Car depuis mon malheur, ma voix vous importune;
+ Le soin de m'obeïr ne vous semble plus cher,
+ Et vous estes pour moy plus durs que ce rocher:
+ Ingrats à quel dessein, est-ce pour me remettre
+ Es mains de l'ennemy, & me donner un Maistre?
+
+PINDARE.
+
+ Vous soupçonnez à tort nostre fidelité,
+ Mais ce trespas me semble un peu precipité,
+ Titine.
+
+CASSIE.
+
+ Ha! ce seul nom m'est un sujet de rage,
+
+PINDARE.
+
+ Qui reviendra bien-tost calmera cét orage.
+
+CASSIE.
+
+ Je l'ay precipité dans l'excez du danger,
+ Mais bien-tost par ma mort il se verra venger.
+ Sus donc, ne tardez plus, contentez mon envie,
+ Vous me tuez cent fois en me donnant la vie.
+ Quoy, vous baissez les yeux, mouvemens imparfaits,
+ Demetrie, Pindare, où sont donc mes bien-faits?
+ Je vous ay rendus francs, & vostre ingratitude
+ Me veut laisser croupir dedans la servitude,
+ Insensibles, cruels, pour estre malheureux,
+ Ne suis-je plus en droit de dire je le veux?
+
+PINDARE.
+
+ Devoirs, faveurs, bien-faits, liberté redonnée,
+ Venez vous presenter à mon ame obstinée;
+ Chassez ces mouvemens de tendresse & d'amour,
+ Et que l'obeïssance y domine à son tour.
+ Mes voeux sont exaucez, cher Maistre je vous cede,
+ Et puis que vostre bien depend de ce remede;
+ Quoy que ce lache coeur y souffre du combat,
+ Je veux estre meurtrier pour n'estre pas ingrat:
+ Mais si dans vostre esprit la pitié trouve place,
+ Jusques apres cela ce qu'il faut que je face,
+ Et de combien de morts pour une seule mort
+ Cét acte me prepare à ressentir l'effort,
+ Faire mourir celuy de qui je tiens la vie,
+ Qui seul peut affranchir nostre Rome asservie,
+ Que je perde celuy que la faveur de Mars
+ A mille fois sauvé du milieu des hazards:
+ Et bref qu'en un moment je defasse un ouvrage,
+ Que des siecles ont fait pour honorer nostre âge,
+ Mon Maistre, mon Seigneur, seul apuy du païs,
+ Ha! que je suis brutal si je vous obeïs.
+
+CASSIE.
+
+ Tous ces foibles discours offensent mon courage,
+ Icy l'amour me nuit, & la pitié m'outrage,
+ Si toutefois on peut donner des noms si saints
+ Au profane mespris qui choque mes desseins,
+ Pindare tu me hais en m'aymant de la sorte,
+ Je ne sçaurois survivre à la liberté morte:
+ Ouvre moy l'estomach, mais tu jettes ce fer
+ Qui me devroit ouvrir la porte de l'Enfer,
+ Peut-estre que ta lame aux ennemis fatale
+ Frapant contre un amy, craint d'estre desloyale;
+ Si c'en est le sujet, pousse la hardiment,
+ Tu m'as fait ennemy par ton retardement:
+ Mais pour ne pas troubler son visage ordinaire,
+ Tien, voicy ce poignard qui t'offre de le faire,
+ Aussi depuis long-temps choisi pour ce dessein,
+ Il en seroit jaloux s'il ne m'ouvroit le sein.
+
+DEMETRIE.
+
+ Puis-je voir achever un acte si barbare?
+
+CASSIE.
+
+ Ne differe donc plus brave & sage Pindare,
+ Il a rougi du sang du Tyran des Romains,
+ Lors que dans le Senat il mourut par nos mains.
+
+PINDARE.
+
+ Puis que dans ce dessein vostre ame est obstinée,
+ Et que je dois ceder à cette Destinée,
+ Ce coup en vous perçant me va percer le coeur.
+
+CASSIE.
+
+ Adieu, ne suy jamais le party du vainqueur.
+
+PINDARE.
+
+ Que dois-je devenir apres une avanture,
+ Dont l'effroyable objet fait trembler la Nature?
+ Faut-il que ce poignard apres un tel forfait
+ Laisse encore durer le meurtrier qui l'a fait?
+ Ouy, qu'il vive l'ingrat, puis qu'une mort soudaine
+ Pour expier son crime auroit trop peu de peine,
+ Qu'il vive, mais vivant que ses cuisans remorts
+ L'exposent tous les jours à de nouvelles morts.
+
+DEMETRIE.
+
+ Je veux ceder au temps, & tarissant mes larmes
+ Porter aux ennemis ces malheureuses armes,
+ Peut-estre cét objet disposera leurs coeurs
+ A n'user pas sur moy du pouvoir des vainqueurs.
+
+
+
+SCENE V.
+
+TITINE.
+
+ Pouroit-on justement m'accuser de paresse?
+ Mais d'où vient que je tremble & que le poil me dresse?
+ N'avons nous pas encor dequoy braver le sort,
+ Puis que Brute est vainqueur, quel est cét homme mort?
+ Sans doute un malheureux qui blessé dans la plaine
+ S'est traisné jusqu'icy pour y finir sa peine:
+ Voyons-le de plus prés, O trop injustes Dieux!
+ Quel deplorable objet monstrez-vous à mes yeux!
+ Cassie est-ce donc vous que la mortelle Parque
+ Vient de precipiter dans l'infernalle Barque?
+ O rage! ô desespoir tesmoins de ce forfait!
+ De grace apprenez moy qui le peut avoir fait:
+ Mais quoy je les connoy cet ames mercenaires,
+ Ces lasches afranchis, ces cruelles viperes,
+ Pour gagner le Tyran qu'ils croyoient absolu,
+ Ont achevé ce coup sans qu'il l'eust resolu.
+ Ha traistres! si Cæsar n'est pas déraisonnable,
+ Il punira sur vous ce meurtre abominable:
+ Le bien qu'il doit tirer de vostre trahison
+ Ne l'empeschera pas d'en avoir sa raison:
+ Pour moy dont le depart facilita ce crime,
+ Je veux à ma fureur me choisir pour victime,
+ Afin que mon esprit justement affligé
+ Ne me reproche pas de ne m'estre vengé,
+ Et qu'on puisse trouver au Temple de memoire
+ Que je fus innocent d'une action si noire.
+ Sus donc mourons, mon coeur, certain que le trespas
+ Peut faire seulement que nous ne mourons pas.
+ Ha, Brute!
+
+
+
+SCENE VI.
+
+BRUTE, UN CHEF.
+
+BRUTE.
+
+ Quelle voix vient de se faire entendre?
+
+TITINE.
+
+ Celle d'un innocent que la parque va prendre.
+
+UN DE LA SUITE DE BRUTE.
+
+ O malheur sans pareil! Cassie est aussi mort.
+
+BRUTE à part soy.
+
+ Il faut dissimuler.
+
+UN DE LA SUITE.
+
+ O dure loy du sort!
+
+BRUTE.
+
+ Les hommes courent tous une mesme avanture,
+ Par cét ordre fatal prescrit par la Nature;
+ La mort void d'un mesme oeil les Bergers & les Rois,
+ Et tout également succombe sous ses lois.
+ Ne murmurez donc plus, mais reprenans courage,
+ Esperez le repos de la fin de l'orage:
+ Par de divers moyens le Ciel peut secourir,
+ Cassie estoit un homme, il devoit donc mourir,
+ En tuant un Tyran on a peu sauver Rome,
+ Mais on ne la pert pas dans la perte d'un homme;
+ Car bien que la grandeur des puissans attentats
+ Semble estre le pilier qui soustient leurs Estats;
+ Si le Ciel n'est l'Atlas de ces lourdes machines,
+ Bien-tost tout leur esclat se change en des ruines,
+ Quand de tous nos Soldats le dessein perverty
+ Voudroit favoriser le contraire party.
+ Et quand le monde entier s'armeroit pour Octave,
+ Si le Ciel est pour nous, il sera nostre esclave,
+ Il verra que l'orgueil ne le monte si haut
+ Que pour luy procurer un plus funeste saut;
+ Celuy qui des Geans ne fit qu'un peu de poudre,
+ Garde le mesme bras qui leur lança la foudre,
+ Et n'a point relaché de son adversion,
+ Pour ces Monstres boufis de trop d'ambition,
+ Il se sert quelquefois de nous & de nos armes
+ Pour respandre du sang, & pour tarir des larmes:
+ Mais s'il voit que nos bras ne sont pas assez forts,
+ Soudain il a recours à de meilleurs efforts;
+ Il inspire la peur dans la troupe ennemie,
+ Qui bien-tost en fuyant se noircit d'infamie,
+ Et sans sçavoir pourquoy craint si fort le trespas,
+ Que les plus fiers torans ne l'aresteroient pas.
+ Amis, esperons tout de la faveur Celeste,
+ Nous n'avons rien perdu puis que cela nous reste,
+ Cassie est à present le butin du trespas,
+ Mais les Dieux sont vivans & nous avons des bras;
+ Cependant quand la nuict mettra sa robbe obscure,
+ Portez sans bruit ce corps dedans la sepulture,
+ Et j'espere demain par ma langue & mes mains
+ De redonner le coeur & Rome à nos Romains.
+
+
+
+
+ACTE QUATRIEME.
+
+
+SCENE PREMIERE.
+
+OCTAVE, MARC ANTHOINE.
+
+OCTAVE.
+
+ Tous ceux qui comme nous combatent pour la gloire,
+ Se peuvent asseurer d'emporter la victoire,
+ Les Dieux ne choquent point un dessein genereux,
+ A plus forte raison quand il n'est que pour eux,
+ La mort du grand Cæsar appele leurs justices,
+ A punir son autheur avec tous ses complices,
+ Et je croy qu'à l'instant que ce coup fut donné
+ Contre les criminels leur cholere eust trouvé,
+ S'ils eussent peu choisir la flamme d'un Tonnerre,
+ Qui n'eust pas avec eux bruslé toute la terre:
+ Mais ne pouvans agir avec un moins puissant,
+ Ny perdre ces meurtriers sans perdre l'innocent;
+ Ils veulent que nos mains en fassent la vengeance,
+ Et purgent ce païs de cette noire engeance,
+ Déja leur volonté s'explique heureusement,
+ Et vostre valeur fait ce doux evenement.
+
+ANTHOINE.
+
+ Vos voeux mieux que mon bras me l'ont rendu possible.
+
+OCTAVE.
+
+ Ha cette flatterie est un peu trop visible!
+ Chacun sçait comme quoy vous avez combatu;
+ Mais un coeur genereux doit cacher sa vertu.
+
+ANTHOINE.
+
+ C'est pourquoy tous les jours vous nous cachez la vostre.
+
+OCTAVE.
+
+ Je vous respondroy bien si vous estiez un autre,
+ Mais dans les complimens comme dans les combats,
+ Il faut à vostre abord mettre les armes bas.
+
+ANTHOINE.
+
+ Ce Soldat de retour porte sur le visage
+ Les signes evidens d'un funeste presage.
+
+
+
+SCENE II.
+
+LE SOLDAT, ANTHOINE, OCTAVE.
+
+LE SOLDAT.
+
+ Le sensible regret où le sort me reduit
+ D'estre contraint à dire un mal qu'il a produit,
+ Estoufe ma parole, & m'auroit osté l'ame,
+ Si je n'eusse envers vous aprehendé du blasme.
+
+OCTAVE.
+
+ Quoy Brute seroit-il de mes troupes vainqueur?
+
+LE SOLDAT.
+
+ C'est là le trait mortel qui me perce le coeur.
+
+ANTHOINE.
+
+ Tandis qu'Octave & moy porterons une espée,
+ On la verra toujours contre Brute occupée;
+ Ce traistre ne sçauroit éviter nostre fer,
+ Et nous l'irions chercher jusque dedans l'Enfer:
+ Poursuy.
+
+LE SOLDAT.
+
+ Le souvenir d'un si sanglant carnage,
+ Met mon ame en desordre & glace mon courage,
+ Jamais le Ciel n'a veu tant de corps renversez,
+ Et la mort assouvie a crié, c'est assez.
+ Soudain que l'ennemy commença de paroistre,
+ Nos Soldats animez par la haine du traistre,
+ Tesmoignent à l'envy ce que peut le courroux,
+ Quand la haine & l'honneur en excitent les coups;
+ L'ennemy d'autre part courant à la meslée
+ Oppose à leurs efforts sa valeur signalée;
+ Les dards greslent par tout, & les plus avancez
+ En croyant de blesser, sont eux-mesmes blessez;
+ L'air n'est plus esclairé que d'une lueur sombre,
+ La poussiere & les traits les font combatre à l'ombre,
+ On ne sçauroit juger quels seront les vainqueurs,
+ Tous paroissent égaux & de bras & de coeurs.
+ En fin lassé de voir la victoire en balance,
+ L'ennemy fond sur nous avec tant d'insolence,
+ Qu'on eust dit à le voir les armes à la main,
+ Qu'il menoit avec luy tout l'Empire Romain.
+ Tout meurt à mesme instant, on ne voit point d'espée
+ Qui du sang des Romains ne paroisse trempée.
+ Nos Soldats à genoux implorans les vainqueurs:
+ Mais helas c'est en vain! la rage est dans leurs coeurs;
+ Tel pour l'innocenter voudroit ouvrir la bouche,
+ Qui sent ouvrir son coeur par le fer qui le touche;
+ Et tel autre en fuyant tâche à prendre party,
+ Qu'il void d'un coup mortel son dessein diverty:
+ L'horreur seme par tout une froide fumée
+ Qui glace le courage à nostre pauvre armée,
+ Des longs gemissemens fendent l'air alentour,
+ Le Soleil de regret voudroit haster son tour:
+ Le sang coule par tout, on ne voit point de terre
+ Qui ne porte en son front les marques de la guerre:
+ Icy deux vrais amis sur le poinct de leur mort,
+ Pleurent en s'embrassant la rigueur de leur sort.
+ Icy le pere void son fils dessus la poudre,
+ Et dépite le Ciel pour attirer sa foudre.
+ Icy par des regrets qui fendroient un rocher,
+ Un fils pleure la mort de ce qu'il eust plus cher.
+ Icy dedans le sang mille blessez se noyent,
+ Implorans la faveur de tous ceux qui les voyent.
+ Et bref il est par tout tant d'objets de terreur,
+ Que je croy que l'Enfer en frissonna d'horreur;
+ Brute bien-tost apres fit cesser le carnage,
+ Et receust à mercy les restes du naufrage.
+ Que puis-je dire encor, sinon que le Soleil
+ Ne vit jamais çà bas un desordre pareil?
+ Et que si les grands Dieux sont pour nostre justice,
+ Ils ont fort peu de force, ou beaucoup de malice.
+
+OCTAVE.
+
+ Ha! pourquoy dans la fin de ces tristes discours,
+ Ne puis-je rencontrer celle-la de mes jours?
+ Destins injurieux, fortune, parque, envie,
+ Rendez moy mes Soldats, ou ravissez ma vie;
+ Ennemis de mon bien au lieu de me guerir,
+ Vous deviez travailler à me faire mourir,
+ Aussi bien le regret ou ce malheur m'abysme,
+ Persuade à mon coeur que ma vie est un crime.
+ Helas! vit-on jamais Prince plus mal traitté!
+ Je rencontre la mort lors que j'ay la santé:
+ Donc je ne verray plus tant de braves gensdarmes,
+ Que mon seul interest portoit dans les alarmes.
+ Donc sans ses compagnons Octave durera,
+ Et les membres perdus le Chef subsistera?
+ Ha! non mes chers amis n'ayez point cette doute,
+ Vostre trespas m'apprend une mortelle route:
+ Et si durant vos jours vous suivites mon sort,
+ Au moins je vous rendray la pareille en ma mort:
+ Mais ne connoy-je pas que la douleur m'emporte?
+ Jamais un general ne parla de la sorte:
+ Et lors que le destin luy donne des malheurs,
+ Il songe la vengeance, & non pas à des pleurs;
+ Prenons donc desormais ce party legitime,
+ Que Brute & tous les siens nous servent de victime;
+ Ramassons promptement le debris de nos gens,
+ Et sauvons aux Destins le tiltre de changeans.
+ Ombres de mes amis, Manes de ma Noblesse,
+ Ce bras vous vengera du mutin qui vous blesse:
+ Et dessus les Cyprés qui couvrent vos guerriers,
+ Cette lame fera refleurir des lauriers,
+ L'astre de la clarté vient d'une grote noire,
+ Et le malheur souvent donne l'estre à la gloire,
+ Les Dieux aymoient Cæsar, & ne pouroient souffrir
+ De voir vivre long-temps ceux qui l'ont fait mourir.
+
+ANTHOINE.
+
+ S'ils eussent eu dessein de choquer nostre envie,
+ Octave dans son camp auroit perdu la vie,
+ Et mes Soldats & moy par un mesme destin
+ Aurions dans le combat rencontré nostre fin:
+ Mais ils sauvent ce Prince, & me donnent la gloire
+ D'emporter sur Cassie une belle victoire;
+ Si bien qu'à balancer ce rencontre fatal,
+ J'estime que le bien l'emporte sur le mal;
+ J'ay de mes bataillons ensanglanté la terre,
+ Et porté dans son camp le foudre de la guerre,
+ Luy seul s'est garanty d'un funeste trespas.
+
+
+
+SCENE III.
+
+DEMETRIE, OCTAVE ET ANTHOINE.
+
+DEMETRIE.
+
+ Et ces armes pourtant ne le tesmoignent pas.
+
+OCTAVE.
+
+ O Dieux! seroit-il vray qu'il ne fut plus en vie?
+
+ANTHOINE.
+
+ Par un discours plus clair contentez nostre envie.
+
+DEMETRIE.
+
+ Qui considerera mon Estat & mon sort,
+ Il pourra bien juger que ce grand homme est mort;
+ Tandis qu'il a vescu j'eusse creu faire un crime
+ De donner qu'à luy seul mon coeur & mon estime,
+ Au lieu qu'en cét estat je vien vous reverer,
+ Comme des Rois vainqueurs que tout doit adorer.
+ Un bon coeur que les Dieux ont rangé sous un Maistre,
+ S'il ne le suit partout, s'acquiert le nom de traistre:
+ Mais alors que la mort en a fait son butin,
+ S'il a du jugement il change de destin.
+ Pendant que les Romains sous un guerrier si brave
+ Se defendoient des noms de captif & d'esclave,
+ Je croyois que bien-tost cedans à nostre loy,
+ Vous démordriez de ceux d'Empereur & de Roy;
+ Je pensois que jamais la puissance de Rome
+ Ne se devoit ranger aux volontez d'un homme,
+ Et qu'on verroit bien-tost ses plus grands ennemis
+ Faire hommage à la main qui les auroit sousmis:
+ Mais depuis qu'il est mort, je croy que tout se bande
+ A rendre tous les jours vostre gloire plus grande,
+ Et que dans peu de temps les peuples esbahis
+ Viendront dessous vos loix asservir leur païs;
+ Moy pour ne pas troubler dans ces metamorphoses,
+ Cét ordre merveilleux que prennent toutes choses,
+ Sçachant qu'on ne le peut sans estre criminel,
+ Je viens pour vous offrir un service eternel,
+ Trop heureux si je puis en faveur de ces armes
+ Obtenir une place au rang de vos Gendarmes.
+
+OCTAVE.
+
+ Icy les gens d'honneur peuvent trouver un port
+ Qui les met à couvert des orages du sort.
+
+ANTHOINE.
+
+ Cavaliers, vos desirs ont un effet propice,
+ Vous aurez cette place, & rendez nous service.
+
+DEMETRIE.
+
+ O Dieux! qui connoissez mon amour mieux que moy,
+ Venez parler de grace en faveur de ma foy,
+ Ou si vostre grandeur repugne à cét hommage,
+ Inspirez à ma bouche un celeste langage,
+ Pour dire à ces Seigneurs combien je suis heureux,
+ Si le Destin permet que je meure pour eux.
+
+OCTAVE.
+
+ Puis que Cassie est mort, je croy qu'en asseurance
+ Nous pouvons assembler toute nostre puissance,
+ Pour suivre l'ennemy tandis qu'il est troublé.
+
+ANTHOINE.
+
+ Allons le proposer au Conseil assemblé.
+
+
+
+SCENE IV.
+
+PORCIE.
+
+ Protecteurs de la liberté,
+ Grands Maistres de la destinée,
+ Dont la puissance n'est bornée
+ Que par la seule volonté.
+ O Dieux! apres cette victoire
+ Je veux celebrer vostre gloire,
+ Et dessus vos autels où fumera l'encens,
+ Faire que le sang des Victimes
+ Lave desormais tous les crimes
+ Que j'ay nagueres faits de vous croire impuissans.
+
+ Par le mesme effet de bonté
+ Qui fait prosperer nostre guerre,
+ Jusques icy vostre Tonnerre
+ A souffert mon impieté:
+ J'adore vos faveurs extremes,
+ Et me repens de ces blasphemes,
+ Dont ma bouche a voulu noircir vos Majestez,
+ Mon ame est aujourd'huy plus saine,
+ Je n'ay plus contre vous de haine,
+ Elle s'en est allée avec vos cruautez.
+
+ Brute, l'honneur de nos guerriers
+ Parmy le sang & le carnage,
+ Vient de signaler son courage,
+ Et de se couvrir de lauriers:
+ Dans cette publique alegresse
+ On idolatre sa prouësse:
+ Et tous nos Citoyens encensent à son bras,
+ Grands arbitres de nostre vie
+ Souffrez ces honneurs sans envie,
+ Celuy qui les reçoit ne vous les ravit pas.
+
+ Ce Heros avec des respects
+ Admire vostre providence,
+ Et connoist en cette occurance
+ Que peuvent vos divins aspects.
+ O Majestez que je revere!
+ Que vos decrets ont de mystere,
+ Et qu'on prevoit bien mal ce qu'ils ont arresté,
+ Pour de sagesses si profondes
+ La raison n'eust jamais de sondes,
+ Et le plus clair esprit n'est rien qu'obscurité,
+
+ Naguere Octave dans le port
+ S'imaginant nostre naufrage
+ Menaçoit Rome de servage,
+ Et tous nos Citoyens de mort:
+ Cette grosse & superbe armée
+ Faisoit dire à la Renommée
+ Que tout devoit flechir sous ses puissantes loix,
+ Et que nos bandes dissipées
+ Ne seroient bien-tost occupées
+ Qu'à faire des bouquets pour couronner des Rois.
+
+ Cependant ils sont abatus,
+ Leur orgueil n'est plus que fumée,
+ Et le débris de leur armée
+ Esleve un trosne à nos vertus;
+ Le camp d'Octave est notre proye,
+ Ses feux, sont ceux de nostre joye,
+ Sa honte est nostre honneur, sa nuict nostre flambeau;
+ Son sang espandu nous anime,
+ Et par un destin legitime
+ Nous trouvons nostre vie au fonds de son tombeau.
+
+
+
+SCENE V.
+
+BRUTE, ET PORCIE.
+
+BRUTE.
+
+ En fin je voy qu'un jour vous banissez la plainte.
+
+PORCIE.
+
+ Je ne me plains jamais sans des sujets de crainte,
+ Et je croy qu'aujourd'huy j'ay rencontré le point,
+ Où sans stupidité je puis ne craindre point.
+ Vous voir victorieux, quoy seroit-il possible
+ Qu'encor à la douleur mon ame fut sensible?
+ Non Brute, il est certain qu'en l'estat où je suis,
+ Mon coeur seroit ingrat s'il avoit des ennuis;
+ Dans le resentiment de mon bon-heur extreme
+ Je commence de voir que je deviens moy-mesme,
+ Vostre gloire me charme, & mes sens enchantez
+ N'ont plus de mouvemens que pour les voluptez,
+ Voudriez vous bien choquer ce dessein legitime?
+
+BRUTE.
+
+ Le penser seulement me tiendroit lieu de crime:
+ Toutefois il est vray qu'on n'est jamais au port
+ Lors qu'on peut resentir les caprices du sort.
+ Si bien qu'en cét estat j'estime une ame sage
+ A qui nul accident ne change le visage,
+ Et qui goustant des maux ou des felicitez,
+ Ne se porte jamais dans les extremitez,
+ Ce beau temperament nous sauve des orages,
+ Et nous fait une planche au milieu des naufrages,
+ Au lieu qu'on voit toujours un violant transport
+ Agiter nostre esprit & l'esloigner du port.
+
+PORCIE.
+
+ Après un tel bon-heur qu'est-il que j'aprehende?
+ Ayant Brute vainqueur, j'ay ce que je demande.
+
+BRUTE.
+
+ Si bien qu'aucun malheur ne vous sçauroit toucher.
+
+PORCIE.
+
+ Mon coeur contre leurs coups est armé d'un rocher.
+
+BRUTE.
+
+ Puis qu'il est si constant, j'aurois mauvaise grace
+ Si je luy cachois rien de tout ce qui se passe,
+ Sçachez donc, mon cher coeur, que Rome n'a qu'un bras,
+ Que le fleau des Tyrans, l'amour de nos Soldats,
+ Le bouclier du païs, le foudre de la guerre,
+ Que Cassie en un mot ne plus vit plus sur la terre:
+ Et ce qui vient encor augmenter mon ennuy,
+ Que presque tous les siens ont mesme sort que luy,
+ Et qu'il faut que demain la bataille se donne,
+ Qui me doit apporter la mort ou la Couronne;
+ Mon regret toutefois en ce dernier effort,
+ Ne vient que de vous voir à la mercy du sort,
+ Et le Ciel m'est tesmoin qu'en ce danger extreme,
+ Pour songer trop à vous je m'oublie moy-mesme.
+ Ce n'est pas que mon coeur n'espere tout des Dieux,
+ Mais il fend de regret de vous voir en ces lieux,
+ En un temps où la mort doit verser sur la terre
+ Un deluge de sang pour esteindre la guerre.
+
+PORCIE.
+
+ Vostre seule presence allege mon soucy,
+ Et vous desireriez de me voir loing d'icy:
+ Brute quittez, de grace, un discours qui m'offense,
+ Jugez mieux de mon coeur, traittez mieux ma constance,
+ Et sçachez que l'amour qui m'embrase le sein,
+ Ne concevra jamais un si lâche dessein.
+ Quoy, vous abandonner au milieu des alarmes,
+ Et me retirer seule à la mercy des larmes?
+ Cela choque si fort mon esprit resolu,
+ Qu'il mouroit mille fois si vous l'aviez voulu:
+ Mais j'ose me flatter que vostre coeur propice
+ Ne me rendit jamais un si mauvais office;
+ Et quand il le feroit, il n'avanceroit rien,
+ Puis qu'il sera toujours accompagné du mien.
+
+BRUTE.
+
+ Quand je voy tant d'amour & de courage ensemble,
+ J'adore le lien dont le Ciel nous assemble,
+ Et croy que tous les biens que j'ay receu des Dieux
+ Au prix de celuy-là, n'ont rien de precieux,
+ Que dans le beau dessein de n'estre point esclave,
+ J'aye tué Cæsar, j'aye defait Octave:
+ Que mon front mille fois ait changé de Lauriers,
+ Qu'on m'estime par tout le Phoenix des guerriers,
+ Ces honneurs, quoy que grands, plaisent moins à mon ame
+ Que la gloire que j'ay de vous avoir pour femme.
+
+PORCIE.
+
+ Pour le moins avec moy vous possedez un coeur,
+ Qui ne sçauroit souffrir que Brute pour vainqueur.
+
+BRUTE.
+
+ Et le mien fera voir où que le Ciel m'adresse,
+ Qu'autant qu'il aye un Maistre, il ayme une Maistresse:
+ Mais il est déja tard, retirons nous d'icy.
+
+PORCIE.
+
+ Dieux! finissez bien-tost ma vie ou mon soucy.
+
+
+
+
+ACTE CINQUIEME.
+
+
+SCENE PREMIERE.
+
+BRUTE, STRATON, quelques Chefs de l'armée.
+
+BRUTE.
+
+ Je rends graces aux Dieux de ce que dans l'orage
+ Chacun de vous conserve un genereux courage;
+ C'est beaucoup de dompter avec les ennemis,
+ Les extremes dangers où l'honneur nous a mis;
+ C'est beaucoup, il est vray, puis que cette victoire
+ Nous fait des monumens au Temple de memoire:
+ Mais il faut persister, & ne s'arrester pas
+ Que nous n'ayons trouvé la paix ou le trespas.
+ Je veux dire une paix qui purge nostre terre
+ Par la mort des Tyrans des semences de guerre:
+ Paix qui rende l'esclat à ce siecle pervers,
+ Et qui puisse durer autant que l'Univers.
+ Allons donc, mes amis, au plus fort de la presse
+ Chercher parmy le sang cette belle Deesse,
+ Elle suit les lauriers, vit prés les gens de coeur,
+ Et ne quite jamais le party du vainqueur;
+ Ainsi voit-on souvent dedans l'ordre des choses,
+ Naistre plusieurs effets contraires à leurs causes:
+ Nos ennemis rangez pour ce dernier effort,
+ Portent peinte en leur front l'image de la mort,
+ Je les voy tous tremblans à l'abord de nos armes,
+ Ceder aux mouvemens des premieres alarmes:
+ Ils fuyent, & fuyans, nous laissent le bon-heur,
+ La paix, la liberté, le repos & l'honneur.
+ Avançons ce moment pour haster nostre gloire,
+ Et volons, s'il se peut, apres une victoire,
+ Dont la possession nous acquiert desormais
+ La beauté d'un renom qui ne moura jamais:
+ Ouy, nous vivrons, amis, malgré les destinées,
+ Autant que le Soleil reglera les années;
+ Si nous luy faisons voir cette derniere fois
+ Que nous avons pour but le soustien de nos lois,
+ Et que nous n'avons pas cette vieille manie
+ De triompher des Rois, mais de la tyrannie.
+ Ce monstre est en horreur aux yeux des immortels,
+ Puis qu'il porte ses loix au delà des autels,
+ Et que son droit sanglant mit dans la sepulture
+ Avec le droit des gens celuy de la Nature:
+ Mais je croy que bien-tost lâchement abatu
+ Il viendra rendre l'ame aux pieds de la Vertu;
+ Nos Citoyens alors par des voix esclatantes
+ Chanteront le retour des libertez absentes;
+ Rome franche des Rois & de leurs cruautez,
+ Estalera sa gloire avecque ses beautez;
+ Les guerres des Tyrans y seront estoufées,
+ Et ne paroistront plus que parmy nos trofées,
+ Nostre Aigle dont le vol sembloit estre intermis,
+ Reverra tous les lieux qui luy furent sousmis.
+ Le Senat reprendra cét esclat honorable,
+ Qui par tout l'Univers l'a rendu venerable,
+ Et les Tribuns remis auront la faculté
+ De maintenir le peuple en son authorité;
+ Pour nous qui soustenus d'une ferme esperance
+ Aurons presté nos bras à cette delivrance,
+ On ne nous descendra de nos chars glorieux,
+ Que pour nous eslever sur des trosnes des Dieux.
+ Soleil, fay que bien-tost ce beau jour nous esclaire;
+ Mais je te parle en vain, tu ne le sçaurois faire,
+ Si nous ne dissipons par des coups furieux
+ Ce nuage ennemy qui te cache à nos yeux.
+ Allons y donc, amis, & que toute la terre
+ Tremble sous nos efforts comme sous le Tonnerre,
+ Que le sang espanché fasse soudre un estang
+ Pour noyer les poltrons qui fuiront de leur rang,
+ Afin qu'à l'advenir il ne naisse point d'homme
+ Qui s'ose rebeller contre l'honneur de Rome,
+ Et que ses Citoyens soient exempts desormais,
+ D'acheter par leur sang la victoire & la pais.
+
+STRATON.
+
+ Brute, la liberté, l'honneur & la victoire
+ Demeureront toujours dedans nostre memoire:
+ Vive donc toujours Brute, & meurent les Tyrans.
+
+BRUTE.
+
+ A moy donc compagnons, & qu'on garde les rangs.
+
+
+
+SCENE II.
+
+PORCIE, sa Compagne.
+
+PORCIE.
+
+ Qu'ay-je fait qui merite un traitement si rude?
+ Quel tourment est égal à mon inquietude?
+ Morphée tous les soirs m'ouvre mille tombeaux;
+ La terre fend sous moy, je n'entends que corbeaux:
+ Et ce qui vient encore augmenter mes supplices,
+ Je lis mon mauvais sort dans tous mes sacrifices.
+ Que puis-je devenir, ou dois-je avoir recours?
+ Puis que mesme la mort est sourde à mes discours?
+ Mets fin à mes malheurs, Deesse qui sommeilles,
+ Mais je l'appele en vain, elle n'a point d'oreilles.
+ Et quand elle en auroit, son inhumanité
+ Ne prend jamais la loy de nostre volonté;
+ Et moy je veux mourir, c'est mon dernier remede:
+ Mais pour trouver la mort, ay-je besoin d'un aide?
+ Ce bras ne peut-il pas enfoncer dans mon sein,
+ Ce qui doit achever un genereux dessein?
+ Sans doute, & si les Dieux ne cessent de nous nuire,
+ Je leur espargneray le soin de me destruire,
+ Afin que par ce coup l'Univers puisse voir,
+ Qu'une ame genereuse est hors de son pouvoir,
+ Et qu'elle peut trouver nonobstant leur envie,
+ L'honneur, la liberté, le repos & la vie.
+
+LA COMPAGNE.
+
+ Pourquoy murmurez-vous contre les immortels,
+ Au lieu que vous deussiez embrasser leurs autels,
+ Et par le zele ardent d'une sainte priere,
+ Demander à genoux la victoire derniere:
+ Madame, apaisez-vous, rappelez la raison,
+
+PORCIE.
+
+ Toy bannis ces discours qui sont hors de saison,
+ Et s'il te reste encore quelque peu d'esperance,
+ De voir nos gens vainqueurs, démentir l'aparence,
+ Va jouyr du plaisir de les voir revenir,
+ Et me laisse en ce lieu seule m'entretenir,
+ Tu peux beaucoup pour moy dans cette obeïssance.
+
+LA COMPAGNE.
+
+ C'est pourquoy je voudrois qu'il fut en ma puissance;
+ Mais on m'a commandé de ne vous quiter pas.
+
+PORCIE.
+
+ C'est me perdre pourtant que de suivre mes pas.
+
+LA COMPAGNE.
+
+ Je mouray mille fois avant que je vous laisse.
+
+PORCIE.
+
+ En quel extreme poinct la Fortune m'abaisse,
+ Si mes meilleurs amis loing de me soulager,
+ Ne se monstrent ardens qu'à me desobliger?
+ Et bien, puis qu'on le veut, ne quite point mes traces,
+ Adjouste ta presence à mes autres disgraces,
+ Il ne m'en fasche pas, il faut ceder au sort,
+
+LA COMPAGNE.
+
+ Bons Dieux assistez moy pour empescher sa mort.
+
+
+
+SCENE III.
+
+OCTAVE, MARC ANTHOINE, Leur suite.
+
+OCTAVE.
+
+ Qu'on pardonne aux Romains, qu'on cesse le carnage,
+ Il suffit que sur eux nous avons l'avantage,
+ Tout est déja reduit au poinct de nos desirs,
+ Et bien-tost les travaux feront place aux plaisirs;
+ Rome nous reverra comblez d'heur & de gloire,
+ Non tant pour les lauriers deus à cette victoire,
+ Mais pour avoir vengé l'insolent attentat,
+ Qu'en meurtrissant Cæsar, on fit sur son Estat.
+
+MARC ANTHOINE.
+
+ Le temps est oportun, l'occasion est belle,
+ Pour chastier l'orgueil de ce peuple rebelle,
+ Allons jusques au bout, poursuivons nostre effort,
+ Et taschons d'avoir Brute ou prisonnier ou mort.
+
+
+
+SCENE IV.
+
+BRUTE, STRATON, deux amis de Brute.
+
+BRUTE.
+
+ Puis que nos bons desseins sont veus d'un mauvais Astre,
+ Il se faut preparer à souffrir ce desastre;
+ L'impossibilité ne nous oblige point,
+ L'honneur peut reculer quand il trouve ce point
+ Et celuy justement perd le titre de sage,
+ Qui veut choquer du temps l'infaillible passage,
+ Qui considerera l'ordre de l'Univers,
+ Il verra chaque jour son visage divers,
+ Et connoistra par la que quelque providence
+ Par le seul changement previent sa decadence,
+ Et qu'ainsi nostre Rome ayant peu se porter
+ A cét extreme point qu'on ne peut surmonter;
+ Il faloit que suivant cette regle divine,
+ Elle redescendit devers son origine;
+ Tu m'en as fais douter, impuissante vertu,
+ Et c'est sous ta faveur que Brute a combatu,
+ Esperant le secours de ta force oportune,
+ Mais je t'ay veu tomber aux pieds de la fortune,
+ Je voy bien maintenant que j'eus beaucoup de tort,
+ Lors que je te donnoy du pouvoir sur le sort,
+ Puis qu'aux premiers assauts que sa force te donne
+ Tu luy laisses gagner le champ & la couronne:
+ Mais je perds vainement en discours superflus,
+ Des momens qui passez ne se reverront plus:
+ Profitons-en plûtost, & pendant que l'armée
+ Couvre tout nostre camp de flame & de fumée,
+ Que nos Soldats vaincus pratiquent mon conseil,
+ En suivant du vainqueur le pompeux apareil,
+ Afin de prevenir un malheur si funeste,
+ Disposons nos amis à faire ce qui reste.
+
+ Genereux compagnons de mes justes projets,
+ Le Ciel s'est declaré contre l'honneur de Rome,
+ Il veut que le Tyran ait des Rois pour sujets,
+ Et que des demy-Dieux fléchissent sous un homme.
+
+ Mais avant de tomber en cette extremité,
+ Et me voir abatu sous une loy si dure,
+ Je veux m'ensevelir avec ma liberté,
+ Et pour plaire à l'honneur, déplaire à la Nature.
+
+ Donc si quelqu'un de vous a l'esprit assez fort
+ Pour m'estimer encor en ce moment extreme,
+ Qu'il prenne ce poignard, & m'en donne la mort,
+ Je dois sçavoir par là s'il est vray que l'on m'ayme.
+
+L'UN DES AMIS.
+
+ Avant de consentir à ce coup furieux,
+ Je vay chercher la mort au milieu de l'armée,
+ Et si je ne voy point son bras officieux,
+ Je me contenteray que ma main est armée.
+
+BRUTE.
+
+ Au moins puis que tu crains de me ravir le jour,
+ Va t'en le conserver à ma chere Porcie.
+
+L'AUTRE AMY.
+
+ Je le veux seconder en cét acte d'amour,
+ Peut estre que mes soins luy sauveront la vie.
+
+BRUTE.
+
+ Et toy, mon cher Straton, es-tu de ces amis,
+ Qui pensent en fuyant de me faire service?
+
+STRATON.
+
+ Pour servir aux desirs où vous estes sousmis,
+ Il faudroit peu d'amour, & beaucoup de malice.
+
+ Ha! laissez ce dessein indigne d'un bon coeur,
+ Qui terniroit l'esclat de vostre gloire extreme;
+ Un vaincu doit avoir le maintien d'un vainqueur,
+ Et ne perdre jamais l'Empire de soy-mesme.
+
+ Quoy, le monde ravy de vos premiers progrez,
+ Vous verra succomber à la fin de l'orage,
+ Et jugera d'abord, entendant mes regrets,
+ Qu'un bon-heur seulement faisoit vostre courage,
+
+ Esvitez ce peril, & s'il faut que l'Enfer
+ Vous donne le repos que le Ciel vous desnie,
+ Courez tout au travers & du feu & du fer,
+ Mourez, mais combatant contre la tyrannie.
+
+BRUTE.
+
+ Je sçay bien, cher amy, que par ces beaux discours
+ Tu me veux destourner d'un dessein legitime;
+ Mais en l'estat funeste où sont reduits mes jours,
+ Je veux que ton bras m'offre à l'honneur pour victime.
+
+ Crois-tu que pour me voir au poinct de mon trespas
+ Un jugement bien sain n'esclaire pas mon ame,
+ Et que j'aille incertain chercher en d'autres bras
+ Ce que je puis trouver au bout de cette lame?
+ On perd souvent un bien qu'on veut trop differer,
+ Je veux mourir pour vivre, & finir pour durer.
+
+STRATON.
+
+ Quoy, ce brave guerrier, à qui tout est possible,
+ Qui fit jadis trembler tant de peuples sousmis,
+ Perd contre ses desirs le tiltre d'invincible,
+ Qu'il a toujours gardé contre ses ennemis.
+
+ Ha! non, puissant Heros, n'encourez point ce blâme,
+ La mort nous fait juger comment l'homme a vescu,
+ Et si le desespoir peut surmonter son ame,
+ On croit mal-aisement qu'il ait jamais vaincu.
+
+BRUTE.
+
+ Si de nos ennemis les troupes avancées
+ Ne me defendoient pas un plus long entretien,
+ Je pourroy renverser tes meilleures pensées,
+ Et creuser leur tombeau pour en bastir le mien.
+
+ Je diroy qu'un grand coeur que la Fortune oppresse,
+ Jusqu'à luy demander sa vie ou son honneur,
+ S'il balance le chois, tesmoigne sa foiblesse,
+ Et ne reconnoist pas où gist le vray bon-heur.
+
+ L'honneur dure toujours au Temple de memoire,
+ La vie a pour son cours un terme limité,
+ Sans doute celuy-la mesnage mal sa gloire,
+ Qui pour gagner un tour, pert une eternité.
+
+ D'esperer d'un bien que la puissance humaine
+ Nous peut faire acquerir, est une lâcheté,
+ Mais ne pouvant r'avoir la liberté Romaine,
+ Je cede seulement à la necessité.
+
+ Si je cherche la mort tandis que je suis libre,
+ N'est-ce pas pour monstrer aux races à venir,
+ Que j'ay voulu mourir comme j'avois sceu vivre,
+ Quant j'ay perdu l'espoir de m'y plus maintenir.
+
+ Ne conteste donc plus, seconde mon envie,
+ Tien ferme ce poignard, j'en beniray les coups,
+ S'ils peuvent faire voir en me privant de vie,
+ Que je mourus pour moy, ne pouvant rien pour vous.
+
+STRATON.
+
+ Dure loy du devoir que ta rigueur est grande!
+ Obeïssons pourtant, Brute l'a projeté.
+
+BRUTE.
+
+ L'on m'a presté ce corps, il faut que je le rende;
+ Mais j'emporte l'honneur avec la liberté,
+ Approche, cher amy, qu'à ce coup je t'embrasse;
+ Adieu, je nâquis libre, & libre je trespasse.
+
+STRATON.
+
+ Donc ce grand demy-Dieu rend l'ame devant moy?
+ Donc je fais trebucher l'esperance de Rome?
+ Et mon bras desloyal pour avoir trop de foy,
+ Me ravit aujourd'huy ce qui me faisoit homme?
+
+ Brute ne vit donc plus, & l'honneur des guerriers
+ Vient d'estre le butin de ma lame cruelle?
+ La foudre au champ de Mars espargnoit ses lauriers,
+ Et je suis aujourd'huy moins pitoyable qu'elle?
+
+ Ha! malheureux poignard, dont les lâches efforts
+ Nous ravissent un bien que la Parque revere,
+ Pourquoy ne puis-je avoir cent ames & cent corps,
+ Afin de te saouler, & de me satisfaire.
+
+ Rome, Tribuns, Senat, Citoyens, liberté,
+ Suivez mon desespoir, & ma plainte funeste,
+ Avec ce grand Heros vous perdez la clarté,
+ Et la nuict des prisons est tout ce qui vous reste.
+
+ Ne tarissez jamais la source de vos pleurs,
+ Que leur eau n'ait plûtost fait une mer du Tybre,
+ Et noyé, s'il se peut, ces hydres de malheurs,
+ Qui font que vostre Estat va cesser d'estre libre.
+
+ Les Tyrans sont vainqueurs, tout l'Estat est perdus,
+ La liberté se meurt, Rome s'en va la suivre,
+ Et pour comble de mal, le grand Brute n'est plus.
+ Un Heros peut mourir, & Straton pourroit vivre?
+ Non, non, tristes objets qui faites mon soucy,
+ Ce coup me va venger du Destin qui m'outrage:
+ Ha! je tombe, je meurs, mon oeil est obscurcy,
+ Mais je souffre trop peu; mort redouble ta rage.
+
+
+
+SCENE V.
+
+PORCIE, les deux amis de Brute.
+
+I. DES AMIS
+
+ C'est l'endroit mal-heureux où nous l'avons laissé.
+
+II AMIS.
+
+ Ha trop injustes Dieux! le voila trespassé.
+
+PORCIE.
+
+ Doncque le Ciel ingrat me desrobe mon ame,
+ Et me contraint encor de prolonger ma trame?
+ Doncque tant de souspirs ne peuvent l'esmouvoir?
+ Et je n'ay pas la mort quand je la veux avoir?
+ Pourquoy traversez vous mes desseins legitimes,
+ Grands Dieux, auparavant de me monstrer mes crimes?
+ Sans doute j'ay failly, je le veux avoüer,
+ Mais c'est pour trop vous croire & pour trop vous loüer,
+ Ingrats rendez moy donc tant d'offrandes perdues,
+ Et tant de veux payez pour des demandes deuës,
+ Rendez-moy tant de pleurs vainement respandus,
+ Tant de biens prodiguez & tant d'honneurs perdus;
+ Plustost à les garder mettez tout vostre étude,
+ Ils seront les témoins de vostre ingratitude,
+ Ou pour vous en laver, en cette extremité
+ Rendez-moy seulement Brute & la liberté.
+ Ha Brute! cher objet de mes ameres larmes,
+ Pourquoy voulant mourir avec tes propres armes
+ N'as-tu pas commandé que par un pareil sort
+ Ce qui restoit de toy fut aussi mis à mort?
+ De quel front peus-tu voir la moitié de ton ame
+ Es mains des ennemis, de la honte, & du blasme,
+ Sans pouvoir esperer le moindre reconfort,
+ Non pas mesme celuy qui nous vient de la mort;
+ Et ce qui plus me fasche & de raison me prive,
+ Sur le point malheureux d'aller servir captive.
+ D'aller servir captive, ha trop lasches discours!
+ Rentrez dedans mon sein, demeurez-y tousjours,
+ Autrement je croirois que mon ame ennemie
+ Se bande contre nous, & pour la tyrannie.
+ D'aller servir captive: Ha penser inhumain!
+ Qui choque en mesme instant & mon coeur & ma main.
+ Quoy, lasche coeur, plustost que souffrir cét outrage
+ Veux-tu pas sur mon corps laisser aigrir ma rage?
+ Et toy, ma chere main, si le coeur me deffaut,
+ Le veux-tu pas percer pour punir son deffaut.
+ Ouy quand tout l'univers s'armeroit au contraire
+ Il n'est pas assez fort pour m'en pouvoir distraire:
+ Lors que Brute vivoit je souffrois le malheur,
+ Mais depuis qu'il est mort je cede à la douleur.
+
+ Vantez, ambitieux, les coups de vos tempestes,
+ Publiez nostre perte, exaltez vos conquestes,
+ Mais loüez la fortune en cét evenement,
+ Vous triomphez de nous par son aveuglement.
+ Vous triomphez de nous, pardonnez-moy belle ombre,
+ Brute mon cher soucy, vous n'estes pas du nombre;
+ Ce corps est aux tyrans mais non pas vostre coeur,
+ Vous l'en avez osté pour estre son vainqueur.
+ Traitres n'allez donc plus vanter cette victoire,
+ Vos lauriers sont fletris, vous n'avez plus de gloire;
+ Brute qui sçait mourir, vostre ennemy mortel,
+ En demolit le temple & bastit son autel.
+ Mais helas que le sort a d'estranges caprices!
+ La honte des tyrans fait naistre mes supplices,
+ Et ce trespas fatal qui ternist leur honneur
+ Efface en mesme temps l'éclat de mon bon-heur.
+ Brute étoit mon apuy, mon repos & mon ame,
+ N'ay-je pas tout perdu dans la fin de sa trame?
+ Et si je vis encor, mon coeur, voudrois-tu bien
+ Me sçachant pres des fers conserver ton lien?
+ Mon pere se defit sur la simple apparence
+ Que le salut Romain étoit sans esperance;
+ Et moy qui vois ma perte infaillible aujourd'huy
+ N'auray pas le pouvoir de faire comme luy?
+ Trop cheres libertez, amour, vertu, naissance,
+ Si je ne mourois pas, vous seriez sans puissance,
+ Un si juste dessein ne peut estre arresté,
+ Et j'en ay le pouvoir comme la volonté.
+ Amis injurieux qui choquez mon envie,
+ Vous travaillez en vain à conserver ma vie;
+ Tous ces soings peuvent bien augmenter mon ennuy,
+ Mais non pas m'empescher de mourir aujourd'huy.
+ Brute & la liberté prononcent cét oracle,
+ Je leur obeïray malgré tout vostre obstacle,
+ Et quand vous m'osteriez poison, flames, & fers,
+ Je cognois cent chemins pour aller aux enfers.
+
+LES DEUX AMIS.
+
+ Octave vient à nous.
+
+PORCIE.
+
+ Veray-je ce perfide
+ Coupable de ma perte & de cét homicide?
+ Non, fuyons le plustost, & perdons la clarté
+ Puis que Rome a perdu Rome & la liberté.
+
+
+
+SCENE VI.
+
+OCTAVE, MARC-ANTHOINE, leur suite.
+
+OCTAVE.
+
+ Le voicy, chers amis, cét objet de nos haines,
+ Dont la mort va donner du relasche à nos peines,
+ Le voicy ce meurtrier du plus grand Potentat
+ Qui jamais ait tenu les renes d'un Estat;
+ Ainsi toujours le Ciel prend vengeance du traistre
+ Qui se veut opposer aux desirs de son maistre,
+ Et punit le mutin qui choque des projets
+ Dont le zele ne tend qu'au bon-heur des sujets,
+ Tels que ceux de Cæsar à qui pareille envie
+ Déroba les momens les plus doux de sa vie.
+ Ceux qui restent encor seront bien tost abas
+ S'ils attendent les coups qui partent de nos bras,
+ Et quand pour éviter nos fureurs legitimes
+ Ils porteroient au Ciel leurs corps avec leurs crimes,
+ Je feray mes efforts pour pouvoir entasser
+ Osse sur Pelion & les en deschasser.
+
+ANTHOINE.
+
+ J'approuve ce dessein, & fais veu de le suivre
+ Tout autant que les Dieux me voudront laisser vivre;
+ Mais il faut balançer les choses par raison,
+ Considerer les lieux & choisir la saison:
+ Nos soldats sous l'espoir d'une paix desirée
+ Ont souffert de grands maux & de longue durée,
+ Combatu vaillament, affronté les dangers,
+ Donné de la terreur aux peuples estrangers,
+ Poursuivy les mutins, & pour comble de gloire
+ Gaigné desja sur eux une double victoire;
+ Apres tous ces exploits voudriez vous differer
+ A leur donner un bien qui les fait souspirer?
+ J'estime que Cæsar ne veut point de victime
+ Qui n'ait dedans son sang fait éclater son crime,
+ Tous ces meurtriers sont morts, ils restent seulement
+ Ceux qui l'ont offencé par le consentement,
+ Qui bannis à jamais de leur ville natale,
+ Vont souffrir les rigueurs d'une peine infernale.
+ Il suffit ce me semble, & son ressentiment
+ Ne sçauroit desirer un plus dur chastiment:
+ Mais quittons ces discours & gaignons nostre terre
+ Pour en bannir bien loing les marques de la guerre,
+ Allons revoir nos Dieux, nos femmes, nos enfans,
+ Et changeons ces habits en ceux de triomphans.
+
+OCTAVE.
+
+ Les manes de Cæsar se pouroient satisfaire
+ Avec ce seul meurtrier qui vient de se defaire,
+ Mais mon ressentiment desire plus de sang.
+
+ANTHOINE.
+
+ Il est bien alteré s'il en boit un estang
+ Qui flotte impetueux la bas dedans la plaine.
+
+OCTAVE.
+
+ C'est bien peu pour esteindre une mortelle haine,
+ Et monstrer ce que peut une extreme valeur.
+
+
+
+SCENE VII.
+
+UN SOLDAT DE BRUTE, ANTHOINE, & OCTAVE.
+
+LE SOLDAT.
+
+ J'ay donc veu sans mourir ce comble de malheur
+ Dont l'image tousjours est dans mon coeur emprainte?
+
+ANTHOINE.
+
+ Soldat vient & nous dit la cause de ta plainte.
+
+LE SOLDAT.
+
+ A ce commandement je sens que le devoir
+ En forçant ma douleur m'en donne le pouvoir;
+ Pardonnez-moy, Seigneurs, si je vous desoblige,
+ Vostre seule victoire est tout ce qui m'aflige:
+ La fille de Caton, qui n'a pû la souffrir,
+ Vient malgré tous nos soings de se faire mourir.
+ En vain pour empescher ces mortelles pratiques
+ On avoit étably des argus domestiques,
+ En vain un tas confus d'amis officieux
+ Prenoient garde à sa voix, à son geste, à ses yeux,
+ Et croyans que le temps auroit soin de l'instruire,
+ Ostoient à sa fureur tout ce qui pouvoit nuire,
+ Cette prudence est foible & ces soings superflus,
+ Porcie veut mourir puis que Brute n'est plus:
+ Mais voyant qu'on fermoit le passage ordinaire,
+ Qui peut mener à bout un dessein sanguinaire;
+ Allumant sa fureur, elle y trouve un flambeau
+ Pour aller à la mort par un chemin nouveau.
+ Dans ce mortel transport que sa voix dissimule,
+ Elle feint d'avoir froid, quoy que son coeur la brusle,
+ Fait allumer du feu, s'en approche d'abord,
+ Et profere ces mots messagers de sa mort:
+ Obstacle de mon bien, trouppe trop importune,
+ Qui voyez sans pitié durer mon infortune,
+ Amis injurieux, domestiques, parens,
+ Tous vos soings desormais me sont indifferens,
+ Augmentez vos rigueurs, augmentez vos malices,
+ Et venez-moy ravir poison, fer, precipices.
+ Elle dit, & soudain d'un maintien de vainqueur
+ Avalla des charbons moins ardens que son coeur,
+ Leur brasier violant estouffe sa parole,
+ Son bel oeil s'obscurcit, & son ame s'envole.
+ Porcie est morte ainsi, laissant dessus son front
+ Non le trait de la mort mais celuy d'un affront,
+ Qui rougissant les lys de sa divine face,
+ Monstre qu'à sa fureur la mort mesme a fait place:
+ A ce funeste objet tout ce plaint, tout gemit,
+ Le Ciel mesme en pleure, & la terre en fremit.
+
+OCTAVE.
+
+ Un si triste accident ébranle mon courage,
+ Et fait que dans le port je crains presque l'orage.
+ Je cognois aujourd'huy parmy ce changement
+ Que le plus grand bon-heur ne dure qu'un moment;
+ Je voy que le Demon qui conduit toutes choses,
+ Ne pare l'univers que de metamorphoses,
+ Afin que nos esprits aymant la nouveauté,
+ Dans ces tableaux changeans trouvent plus de beauté.
+ Que si c'est un effect de sa toute-puissance,
+ En vain tous les mortels y feroient resistance,
+ Et nostre vanité n'auroit rien de pareil
+ Si nous pensions servir à ce grand appareil,
+ Que comme d'instrumens incapables d'ouvrage
+ Si la main de l'ouvrier ne les met en usage:
+ L'exemple n'est pas loing; Ce grand Brute autresfois
+ Servit à degrader des legitimes Rois,
+ Se vit aussi puissant dans l'Empire de Rome
+ Que sçauroit desirer l'ambition d'un homme;
+ Et pourtant aujourd'huy nous l'avons veu mourir
+ Sans qu'aucuns des mortels ait pû le secourir:
+ Ainsi quoy que nos fronds courbent dessous les palmes,
+ Que les mutins soient morts, que nos terres soient calmes,
+ Et que nous commandions à tout le genre humain,
+ Nous pouvons n'estre rien & mourir dés demain:
+ C'est pourquoy relaschant de ma premiere envie,
+ Je veux que les vaincus soient certains de leur vie,
+ Qu'on les souffrent dans Rome, & que nos citoyens
+ Renoüent avec eux leurs accords anciens,
+ Afin que la douceur de ces faveurs nouvelles
+ Leur oste le desir d'estre jamais rebelles.
+
+ANTHOINE.
+
+ C'est le propre d'un coeur purement genereux
+ De ce montrer clement envers les malheureux;
+ Qu'on prene donc ce corps & celuy de Porcie;
+ Vous, courez pour chercher celuy-là de Cassie,
+ Tandis qu'en un bucher ces genereux amans
+ Recevront le dernier de leurs embrassemens;
+ Puis les ayans bruslez conservez-en la cendre,
+ Parce qu'à leurs parens nous desirons la rendre.
+
+OCTAVE.
+
+ Enfin, graces aux Dieux, nous sommes dans le port,
+ Nous avons dissipé les flambeaux du discord,
+ Demoly ses autels, & basty nos Trophées
+ Sur le sanglant débris des guerres estouffées.
+ Themis regne par tout, Mars languis abbatu,
+ Le vice qui s'enfuit fait place à la vertu;
+ Rome nous tend les bras, nos couronnes sont prestes,
+ Alons donc recevoir ces fruits de nos conquestes,
+ Afin que nostre frond de lauriers ombragé
+ Monstre à tout l'univers que Cæsar est vengé.
+
+FIN.
+
+
+
+
+AUTRES OEUVRES DU MESME AUTEUR SUR LA GUERISON DE SYLVIE.
+
+
+CHANSON.
+
+ Austere & triste solitude
+ A qui mon esprit fait la cour,
+ Permets qu'en ce bien-heureux jour
+ Le plaisir soit tout mon estude,
+ Et si tu veux encor m'obliger doublement
+ Prens part à mon contentement.
+
+ Chasse la nuict & le silence,
+ En faveur du jour & du bruit,
+ Souffre tout ce qui te destruit
+ S'il est de nostre intelligence;
+ Autrement le bon-heur que je veux raconter
+ M'obligeroit à te quitter.
+
+ Sylvie n'est plus enrumée,
+ Sa bouche me le dit hier;
+ Mais ce bien ce doit publier
+ Par la voix de la Renommée.
+ Reprens donc ton silence & ton noir vestement,
+ Mais souffre mon ravissement.
+
+
+A SYLVIE SUR LA MORT DE SA COUSINE D. L.
+
+SONNET.
+
+ Beaux yeux ne pleurez plus cette belle cousine,
+ Qui dans ses premiers jours rencontre son tombeau,
+ Jamais rien de mortel n'eust un destin si beau
+ Que par le seul excés de la grace divine.
+
+ Ses maux trouvent leur fin avant leur origine,
+ Elle quitte le monde en quittant le berceau,
+ Et son esprit s'envolle en ce sejour nouveau
+ Où jamais le bon-heur ne meurt ny ne decline.
+
+ Ainsi sur une mer ou les vents & les flots
+ Ne cogneurent jamais l'usage du repos,
+ Où les plus asseurez craignent pour leur naufrage,
+
+ Cette jeune beauté dont vous plaignez le sort
+ Rencontre les douceurs du port,
+ Sans avoir resenti les rigueurs de l'orage.
+
+
+A LA MESME SUR SON DEPART LE JOUR DE NOEL.
+
+ Il faut me conceder, belle & sage Sylvie,
+ Que vous imitez mal le grand Maistre du Sort,
+ Il s'approche aujourd'huy pour me donner la vie,
+ Et vous vous esloignez pour me donner la mort.
+
+ Je voulois approuver par mes chants d'alegresse
+ Ceux que par tout le monde on faisoit raisonner,
+ Mais vous voyant partir, l'excés de ma tristesse
+ Ne me laissa la voix que pour les condamner.
+
+ Le respect toutesfois tenant mes levres closes,
+ Par ces mots seulement j'exprimay mes douleurs;
+ Helas! faloit-il donc que dans l'ordre des choses
+ Tout le monde chantast quand je versois des pleurs.
+
+
+SONNET POUR LA MESME.
+
+ Ma flâme est pour Sylvie à tel poinct de constance,
+ Qu'il n'est rien sous le Ciel qui la puisse ébranler;
+ Et quoy que mon desir passe mon esperance,
+ Je mouray mille fois plustost que reculer.
+
+ Elle a de la contrainte à m'entendre parler,
+ Et c'est où mon malheur va jusqu'à l'insolence,
+ En ce qu'il me contraint à mourir ou brusler,
+ Ou bien à luy deplaire, ou garder le silence.
+
+ Tout s'oppose à mes voeux, rien ne s'arme pour moy,
+ Le sommeil seulement recompense ma foy,
+ Flatant ma passion par un si doux mensonge;
+
+ Qu'il me semble à tous coups que l'objet de mes voeux
+ Par des baisers de flâmes authorise mes feux:
+ Mais je souffre en effect & ne baise qu'en songe.
+
+
+A LA MESME.
+
+STANCES.
+
+ En fin le Ciel jaloux du repos de ma vie,
+ A banny de ces lieux le bien de nos desirs,
+ Et mon coeur avec mes plaisirs
+ A suivy les pas de Sylvie:
+ Je souffre cette cruauté
+ Comme une peine deue à ma temerité.
+ J'ose aymer un objet à qui tout autre cede,
+ Mais si pour éviter sa fuite & mon trespas
+ Il faut ne l'aymer pas,
+ J'ayme bien mieux souffrir le mal que le remede.
+
+ Tyrant des volontez qui fit naistre ma flâme,
+ Et que je recognois pour unique vainqueur,
+ Oste son portrait de mon coeur
+ Ou mets le mien dedans son ame,
+ Fais luy voir mon affection
+ Dans le plus haut degré de la perfection;
+ Cache sous ton bandeau les deffauts de ma vie,
+ Ou s'ils sont esclairez, que ce soit par les feux:
+ Bref pour me rendre heureux
+ Donne m'en le merite où m'en oste l'envie.
+
+ Mais quoy c'est bien en vain que je te solicite,
+ Les vertus de Sylvie ont tenu ce haut point
+ Que les mortels ne trouvent point,
+ Et pour qui tout est sans merite,
+ Pardonne à mon aveuglement,
+ Ton flambeau le causa quand il me fit amant,
+ Et si tu veux me faire une faveur extreme,
+ Ordonne seulement que la Divinité
+ Qui tiens ma liberté,
+ Croye que je l'adore, & souffre que je l'ayme.
+
+FIN.
+
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of La mort de Brute et de Porcie, by
+Guyon Guérin de Bouscal
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA MORT DE BRUTE ET DE PORCIE ***
+
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+Produced by Carlo Traverso, Laurent Vogel and the Online
+Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This
+file was produced from images generously made available
+by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at
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+Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you
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+harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees,
+that arise directly or indirectly from any of the following which you do
+or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm
+work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any
+Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause.
+
+
+Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm
+
+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
+electronic works in formats readable by the widest variety of computers
+including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
+because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
+people in all walks of life.
+
+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need, is critical to reaching Project Gutenberg-tm's
+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at http://www.pglaf.org.
+
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
+http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
+permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
+
+The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
+Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
+throughout numerous locations. Its business office is located at
+809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
+business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
+information can be found at the Foundation's web site and official
+page at http://pglaf.org
+
+For additional contact information:
+ Dr. Gregory B. Newby
+ Chief Executive and Director
+ gbnewby@pglaf.org
+
+Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation
+
+Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
+spread public support and donations to carry out its mission of
+increasing the number of public domain and licensed works that can be
+freely distributed in machine readable form accessible by the widest
+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
+
+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
+with these requirements. We do not solicit donations in locations
+where we have not received written confirmation of compliance. To
+SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
+particular state visit http://pglaf.org
+
+While we cannot and do not solicit contributions from states where we
+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
+against accepting unsolicited donations from donors in such states who
+approach us with offers to donate.
+
+International donations are gratefully accepted, but we cannot make
+any statements concerning tax treatment of donations received from
+outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
+
+Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including checks, online payments and credit card
+donations. To donate, please visit: http://pglaf.org/donate
+
+
+Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
+works.
+
+Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
+keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
+
+Most people start at our Web site which has the main PG search facility:
+
+ http://www.gutenberg.org
+
+This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
+including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
+subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
+
+*** END: FULL LICENSE ***
+
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+This eBook, including all associated images, markup, improvements,
+metadata, and any other content or labor, has been confirmed to be
+in the PUBLIC DOMAIN IN THE UNITED STATES.
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+Procedures for determining public domain status are described in
+the "Copyright How-To" at https://www.gutenberg.org.
+
+No investigation has been made concerning possible copyrights in
+jurisdictions other than the United States. Anyone seeking to utilize
+this eBook outside of the United States should confirm copyright
+status under the laws that apply to them.
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