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diff --git a/.gitattributes b/.gitattributes new file mode 100644 index 0000000..6833f05 --- /dev/null +++ b/.gitattributes @@ -0,0 +1,3 @@ +* text=auto +*.txt text +*.md text diff --git a/19455-8.txt b/19455-8.txt new file mode 100644 index 0000000..9a39769 --- /dev/null +++ b/19455-8.txt @@ -0,0 +1,3719 @@ +The Project Gutenberg EBook of La vraye suitte du Cid, by Nicolas Mary + +This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with +almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: La vraye suitte du Cid + Tragi-comédie représentée par la troupe royale + +Author: Nicolas Mary + +Release Date: October 3, 2006 [EBook #19455] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA VRAYE SUITTE DU CID *** + + + + +Produced by Carlo Traverso, Laurent Vogel and the Online +Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This +file was produced from images generously made available +by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at +http://gallica.bnf.fr) + + + + + + + + + + LA + VRAYE + SUITTE + DU CID. + + _TRAGI-COMEDIE._ + + Representee par la Troupe Royale. + + + A PARIS, + + Chez Anthoine de Sommaville, au Palais, + dans la petite salle, à l'Escu de France. + + M. DC. XXXVIII. + _AVEC PRIVILEGE DU ROY._ + + + + + _Extrait du Privilege du Roy._ + +Par grace & Privilege du Roy donné à Paris le 23. jour d'Octobre 1637. +Signé, Par le Roy en son Conseil. DE MONÇEAUX, il est permis à ANTHOINE +DE SOMMAVILLE, Marchand Libraire à Paris, d'imprimer ou faire imprimer, +vendre & distribuer une piece de Theatre, intitulee _la vraye suitte du +Cid, Tragi-comedie_, durant le temps & espace de cinq ans, à compter du +jour qu'elle sera achevee d'imprimer. Et deffences sont faittes à tous +Imprimeurs, Libraires, & autres de contrefaire ladite piece, ny en vendre +ou exposer en vente de contrefaicte, à peine de trois mil livres d'amande, +de tous les despens, dommages & interests, ainsi qu'il est plus amplement +porté par lesdites Lettres qui sont en vertu du present Extraict tenuës +pour bien & deuëment signifiees, à ce qu'aucun n'en pretende cause +d'ignorance. + +_Achevé d'Imprimer pour la premiere fois, le 1. jour de Decembre mil six +cens trente sept._ + +Les exemplaires ont esté fournis. + + + + +ACTEURS. + + LE ROY. + L'INFANTE, de Seville. + RODRIGUE, serviteur de Chimene. + CHIMENE, maistresse de Rodrigue. + DON DIEGUE, pere de Rodrigue. + DON ARIAS, gentil-homme de Seville. + D. SANCHE, favory du Roy. + CELIMANT, Prince de Cordouë. + SPHERANTE, Prince de Tolede. + CHERIFFE, Infante de Cordouë. + AMBASSADEUR, de Tolede. + LES GARDES. + + + + +LA +VRAYE +SUITTE +DU CID + + + + +ACTE I. + + +SCENE PREMIERE. + +L'INFANTE, CHYMENE. + +L'INFANTE. + + Ne dissimule point, dy moy belle Chymene, + Pourquoy mesprises-tu la qualité de Reyne? + Le trône, & ses grandeurs ont-ils si peu d'appas + Que loing de te charmer ils ne te touchent pas? + Non, je ne le puis croire: & certes je m'estonne + Du refus que tu faits d'une illustre Couronne, + Pense-tu que le Cid avec tout son bon-heur + T'esleve quelque jour à ce haut rang d'honneur? + Et que par les effets de sa valeur extreme + Il te ceigne le front d'un Royal diademe? + Non, non, tu ne le dois attendre que du Roy. + Car enfin ce grand Cid est sujet comme toy: + A quelque haut degré qu'il mette ta fortune, + Elle sera tousjours à mille autres commune: + Au lieu que l'heritier du Sceptre de Fernand, + Peut rendre ton bon-heur si parfait & si grand, + Que mille autres beautez auroient l'ame ravie + D'estre en cet heureux poinct où le Roy te convie. + +CHYMENE. + + Madame, il est bien vray que toute autre que moy + Se laisseroit charmer aux caresses d'un Roy, + Et que ce faux esclat de grandeur souveraine + Pourroit bien esblouir une fille un peu vaine, + Mais pour ne point faillir en cette occasion + J'ay plus de modestie & moins d'ambition: + Madame croyez-moy, je verray sans envie + Qu'une autre ait le bon-heur dont vous flattez ma vie + Et que dans le sejour d'un superbe Palais + Elle reçoive un bien qui ne me pleut jamais, + Pour moy sans regarder plus haut que ma fortune, + Je trouve dans le trône une pompe importune, + Et donnant à mon coeur des mouvemens plus sains, + J'attache mes desirs à de moindres desseins: + C'est par l'égalité qu'un beau couple s'assemble, + Ceux qui sont inégaux ne sont pas bien ensemble, + Et l'Amour fait entr'eux de si foibles accords, + Que souvent on les void se rompre sans efforts. + +L'INFANTE. + + Chymene, je sçay bien quelle est ta modestie, + Mais pour cette raison ne sois pas divertie, + De recevoir un bien qui vient s'offrir à toy + Par le vouloir des Dieux, & de la main d'un Roy: + Le Ciel qui t'a donné des qualitez si belles, + Ne veut point que tu sois d'un rang indigne d'elles, + Il cognoist que ce front est desja destiné + Par les arrests du sort pour estre couronné, + Et pour te confirmer ce bien-heureux presage + D'un Monarque puissant il touche le courage, + Et fait mesme advoüer à cet esprit royal + Qu'il n'est rien icy bas à ton merite esgal. + Encore que le Cid t'ait tousjours adorée, + Croy-tu que son amour ne puisse estre alterée, + Et que dans la longueur de son esloignement + Ainsi que grand Guerrier il soit fidele Amant? + Peut-estre maintenant ton amour l'importune, + Et son ambition croît avec sa fortune; + Si lors qu'il n'avoit pas ce tiltre glorieux + Qui le met au dessus de ses braves ayeux, + Il s'estimoit desja digne de ton merite, + Pense-tu que son coeur s'arreste en ce limite, + Aujourd'huy que l'Espagne & tant de Nations + Admirent sa valeur & ses perfections. + Ah! Chymene je voy de grandes apparences + Qu'il portera plus haut ses belles esperances, + Et qu'un trône sera l'inévitable écueil + Où ta fidelité trouvera son cercueil. + +CHYMENE à part. + + Ah Dieux! qu'adroittement elle me veut surprendre, + Et m'oster un amour où je la voy pretendre! + Oüy sans doute elle l'ayme, & parlant pour le Roy, + Je cognois bien aussi qu'elle parle pour soy. + Madame si le Cid abandonne Chymene, + Pour donner à son coeur une plus noble chaisne, + Vous verrez qu'elle sçait souffrir esgalement + Et ses legeretez & son esloignement. + +L'INFANTE. + + Puisque tu peux joüyr d'un pareil advantage, + Tu dois belle Chymene imiter son courage: + Et comme les grandeurs changent ses passions + Donner un mesme vol à tes affections, + Ne croy pas pour cela qu'on te nomme infidelle, + Ou que ce changement te rende criminelle: + La volonté des Roys peut tout authorizer + Et la mort de ton pere a droit de t'excuser; + Outre que tu n'és pas si vivement atteinte, + Il me souvient encor avec quelle contrainte + Tu promis ton amour à ce superbe Amant + A qui tu ne donnas que l'espoir seulement: + Le Roy veut t'exempter de cette loy severe, + Luy prefereras-tu le meurtrier de ton pere, + Non tu ne feras pas ce tort à ta vertu. + +CHYMENE. + + Madame vous sçavez comme j'ay combattu + Avant que de ceder à cette violence + Où son amour fit moins que mon obeïssance, + Je resistay long-temps, mais enfin mal-gré moy + Il fallut obeyr aux volontez du Roy, + Il fallut oublier son crime & ma vengeance, + Vostre pere Fernand me mit en sa puissance, + Et puisque je me suis renduë à cet effort + Ses fers acheveront & ma vie & mon sort. + +L'INFANTE. + + Mais entens mes raisons + +CHYMENE. + + Elles sont superfluës, + On delibere en vain des choses resoluës + +L'INFANTE en sortant. + + Tu pourras y songer avec plus de loisir. + + + +SCENE DEUXIESME. + +CHIMENE seule. + + Je sçay bien quel party mon amour doit choisir + Si la gloire du Cid a sa flame estouffée, + Pour donner à ses voeux un plus noble trophée + Je ne l'empesche point, que son destin soit beau + Qu'il soit dessus un trône, & moy dans le tombeau. + Mais si jamais ce front doit porter la couronne, + Il faudra que ce soit le Cid qui me la donne + Ce don d'une autre main me seroit odieux + Et luy seul le peut rendre agreable à mes yeux + Mais quelle occasion, & quelle negligence + L'obligent si long-temps à garder le silence: + Dans le commencement de son triste depart + Je voyois quelquesfois des lettres de sa part + Et de la mesme main dont parmy les alarmes + Il tire tant de sang, il essuyoit mes larmes + Mais helas je crains bien qu'en cet object vainqueur + L'esloignement des yeux n'ayt fait celuy du coeur + Car depuis quelque temps je n'ay plus de nouvelles + Que celles que j'entens du destin des rebelles + Avec ses ennemis il destruit mon espoir + Et sa gloire luy fait oublier son devoir + Toutesfois cher Amant excuse un peu ma plainte + Un veritable amour est rarement sans crainte + Estant si genereux tu n'es pas inconstant + Aussi craindrois-je moins si je n'aymois pas tant + Vien doncq c'est trop long-temps faire l'esperience + Et de ma passion & de ma patience + Vien si tu veux m'oster d'un penible soucy + Ou sçaches que sans toy je vay mourrir icy + Mais que me veut Dom Sanche & quel sujet l'ameine. + + + +SCENE TROISIESME. + +DOM SANCHE, CHYMENE. + +DOM SANCHE. + + Une bonne nouvelle adorable Chymene + +CHYMENE. + + Quelle? vien-tu du Cid m'annoncer le retour? + +DOM SANCHE. + + Non encores Madame on l'attend à la Cour, + Mais un plus grand bon-heur que le Ciel vous envoye + Doit faire icy ceder la tristesse à la joye: + Ah que vostre destin doit estre glorieux! + +CHYMENE. + + Quoy donc? des ennemis est-il victorieux? + Retourne-t'il chargé de Lauriers & de Palmes? + +DOM SANCHE. + + Oüy: sa rare valeur rend ces Estats plus calmes, + Mais ce n'est pas cela qui m'oblige à vous voir. + +CHYMENE. + + Quel est donc ce bon-heur faictes le moy sçavoir? + +DOM SANCHE. + + Madame consultez cette beauté si rare + Et vous sçaurez le bien que le ciel vous prepare, + Consultez ces beaux yeux, ils vous diront assez + Contre qui depuis peu leurs traits se sont lancez, + Ils vous diront qu'un Roy jeune, amoureux & brave + Prefere à ses grandeurs la qualité d'esclave, + Et qu'il trouve ses fers si charmans & si doux + Qu'il semble ne vouloir regner qu'avecque vous. + Oüy Madame le Roy vous ayme, il vous adore, + Et je viens demander la grace qu'il implore; + Qu'une injuste rigueur ne l'y refuse pas, + Considerez qu'un Sceptre a de puissans appas, + Et qu'il ne sied pas bien de faire l'inhumaine + Quand il s'agist d'un trône, & du tiltre de Reyne. + +CHYMENE. + + Ah! qu'il te sied bien moins de troubler mon repos + Par les traits odieux d'un si lasche propos: + Perfide as-tu si peu de honte, & de courage + Que de ne pas rougir me tenant ce langage, + As-tu mis en oubly la gloire de tes fers, + Ne te souvient-il plus que je les ay soufferts, + Et mesme quelquesfois pour soulager tes peynes + Que ma main pitoyable a soustenu tes chaisnes, + Toutesfois coeur ingrat & sans ressentiment + Apres avoir porté la qualité d'Amant + Tu parles pour un autre, & tu veux que mon ame + Reçoive en ta faveur les ardeurs de sa flame, + Ah! que tu monstre bien par ce tour desloyal + Combien le Cid avoit un indigne Rival, + Puisque tu ne sçaurois te conserver la gloire + D'avoir long-temps au moins disputé la victoire. + +DOM SANCHE. + + Si je croyois, Madame, en cette occasion + Qu'il vous restast pour moy quelque inclination + Et que l'impression de ma flame passée + Ne fust pas tout à fait de vostre ame effacée, + Je ne parlerois plus des hommages d'un Roy, + La voix dont il se sert vous parleroit pour moy, + Et je vous ferois voir par ma perseverance + Combien je cherirois cette heureuse esperance. + +CHYMENE. + + Quoy traistre que je t'ayme, ah le noble dessein, + Je plongerois plustost un poignard dans mon sein: + Que cette vanité n'entre pas dans ton ame, + Je ne receus jamais de si honteuse flame, + Et pour ne point souffrir un si lasche vainqueur + J'employrois cette main pour m'arracher le coeur. + Quoy Dom Sanche as-tu bien l'audace de pretendre + A ce prix glorieux que tu n'as pu deffendre? + Ne te souvient-il plus de ce fameux duel + Qui te fit recevoir un affront solemnel, + Quand on te contraignit de m'apporter l'espée + Pour moy contre le Cid vainement occupée, + Est-ce pour avoir faict cette belle action + Que tu pretens encore à mon affection? + Est-ce pour ce sujet qu'il faut qu'on te prefere + A ce noble Guerrier que l'Espagne revere, + Parle raconte moy quelques-uns de tes faits + Dy que par ta valeur les Mores sont deffaits + Qu'au seul bruit de ton nom tout se rend, & tout cede, + Que tu remplis d'effroy l'Arragon & Tolede + Que ton bras avec eux est l'appuy de l'Estat + Et que l'Espagne enfin te doit tout son esclat, + Alors, si ce discours se treuve veritable + Dom Sanche asseurément tu me seras aymable + Les Roys au prix de toy me seront odieux + Et tu me seras cher à l'esgal de mes yeux. + +DOM SANCHE. + + Je ne suis pas, Madame, en ce point d'arrogance + Que de m'attribuer cette haute vaillance + Je borne mes desseins à de moindre effets + Les Mores par mon bras n'ont pas esté deffaits. + Il ne fit jamais rien capable de vous plaire + Mais il ne fume pas du sang de vostre pere. + +CHYMENE. + + Quoy ta rage inhumain ne se peut arrester? + Et tu te plais encore à me persecuter? + Ne te lasses-tu point de voir couler mes larmes, + Tien traistre de mon sang tu peux teindre tes armes + Et me faire mourir avec moins de rigueur + Que par ce coup mortel dont tu frappes mon coeur. + Acheve ingrat acheve, assouvis ton envie + Vange toy de ta honte aux despens de ma vie, + Et cesse d'outrager avecque tes discours + Celuy dont les bontez ont espargné tes jours. + +DOM SANCHE. + + Disant la verité, je ne faits point d'outrage + Et ce discours n'est pas un effet de ma rage + Je ne parlay jamais d'un jugement plus sain + Vostre projet est beau, mais vostre espoir est vain + Aux volontez d'un Roy vous vous monstrez rebelle + Et vous ne croyez pas ce grand Cid infidelle, + Bien que vous soyez seule en toute cette Cour + Qui n'ait oüy parler de ce nouvel Amour. + Son objet est Cheriffe Infante de Cordouë + Luy mesme ouvertement dans ses lettres l'advouë + Et la depeint au Roy d'un pinceau si charmant + Qu'on void qu'il en est moins, l'ennemy que l'Amant. + +CHYMENE. + + Hé bien laisse venir cette superbe Infante, + Qu'au lieu d'estre captive elle soit triomphante, + Que le Cid soit vaincu comme victorieux + Pourveu que ton objet s'esloigne de mes yeux + Avec plus de constance, & moins d'inquietude + J'attendray les effets de son ingratitude, + Retire toy de grace & m'accorde ce point + Que tes soins desormais ne m'importunent point, + Exerce ton adresse en de meilleurs offices + Ne te travaille plus à croistre mes supplices, + Et quitte sans contrainte une commission + Qui trahit ton honneur & ta condition. + +DOM SANCHE. + + Lorsque je sers mon Roy je ne crains point de blâme, + Mais brisons ce discours, je vous laisse Madame. + Le temps vous fera mieux digerer mes advis, + Cependant je me tais, & je vous obeïs. + + [Il sort.] + + + +SCENE QUATRIESME. + +CHIMENE seule. + + Enfin que dois-je faire, & que dois-je resoudre + Si de tous les costez j'entens gronder la foudre + Et si pour m'affliger mon mal-heur a permis + Qu'on m'ait mesme logée entre mes ennemis. + Ah grand & brave Cid si tu sçavois la peyne + Qu'à ton occasion endure ta Chimene, + Et combien de combats elle rend chaque jour + Pour ta fidelité comme pour son amour, + Quand tu serois encor au milieu des alarmes + Je sçay bien que mon sort t'arracheroit des larmes + Et qu'il t'obligeroit de venir secourir + Celle qu'un peu d'espoir empesche de mourir + Mais tu ne le sçay pas, & ma seule constance + Est l'unique secours qui s'offre à ma deffence, + Ne croy pas toutesfois que je perde le coeur + Il n'appartient qu'à toy d'en estre le vainqueur + Toute autre vainement en espere la gloire + Je deffendray pour toy les fruits de ta victoire, + Si bien qu'esgalement nous aurons combattu + Si tu vaincs par ta force & moy par ma vertu. + + + +SCENE CINQUIESME. + +LE ROY, DOM DIEGUE & quelques Gardes. + +LE ROY. + + Dom Diegue ne croy pas si je donne à Chimene + Avecque mon amour la qualité de Reyne + Que je veuille usurper par mon authorité + Un tresor que ton fils a si bien merité, + Il me souvient trop bien de ses rares services + Pour luy rendre aujourd'huy de si mauvais offices, + Au contraire je veux augmenter son bon-heur + Et luy donner un prix esgal à sa valeur, + Je destine à ses voeux une plus noble Amante, + Chimene sans rougir peut ceder à l'Infante, + Et ton fils ne sçauroit se plaindre justement + De mon affection ny de ce changement. + +DOM DIEGUE. + + Mais nous n'avons jamais merité cet honneur + Et mon fils n'oseroit pretendre à ce bon-heur, + La Princesse, Seigneur, doit estre plus heureuse + Aussi pour s'abaisser elle est trop genereuse + Et Rodrigue n'est pas un assez digne Amant + Pour celle qu'on reserve à des Roys seulement. + +DOM FERNAND. + + Apres les grands effets qu'à produit son courage + Je sçay que je luy dois encore d'avantage, + Et que pour bien payer ses belles actions + Un Sceptre est au dessous de ses pretentions, + Aussi veux-je à ce point eslever sa fortune + Et rendre à ses desirs ma puissance commune, + Ma soeur est disposée à recevoir ses voeux + Ainsi l'amour pourra nous contenter tous deux + Si l'espoir glorieux d'estre un jour souveraine + Peut vaincre en ma faveur la rigueur de Chymene, + Dom Sanche de ma part l'est allé visiter + Il cognoist cet esprit il le pourra dompter, + Et comme il est adroit, j'ay beaucoup d'esperance + Du bienheureux succez qu'aura son eloquence: + Mais quels si longs discours peuvent l'entretenir, + Et quel sujet le rend si lent à revenir? + Puis qu'il est confident des secrets de mon ame, + Ne cognoist-il pas bien que je suis dans la flame + Où je brusle sans cesse, où je languis tousjours, + Et que par sa paresse il attente à mes jours? + +DOM DIEGUE. + + Que vostre Majesté, Sire, sorte de peyne + Le voila de retour. + + + +SCENE SIXIESME. + +DOM FERNAND, DOM DIEGUE, DOM SANCHE. + +DOM FERNAND. + + He bien qu'a dit Chymene + +DOM SANCHE. + + Tout ce que la rigueur, tout ce que le mespris + Inspirent d'ordinaire aux superbes esprits + Cette fiere beauté l'a permis à sa langue + Pour respondre aux douceurs de mon humble harangue, + En vain je l'ay flattée avecque mes discours + Sire, j'aurois plustost apprivoisé des Ours + Tant l'amour de son Cid la rend inexorable, + Et je n'espere pas qu'elle soit plus traitable, + Car Sceptre, ny Couronne, Empires ny Grandeurs + Ne font rien qu'irriter l'excez de ses rigueurs. + +LE ROY. + + Quoy Chymene avec moy faict aussi l'inhumaine + Ah! je rabattray bien de cette humeur hautaine, + Et je luy feray voir par mon ressentiment + Qu'on doit avec son Prince agir tout autrement, + De mon affection elle faict peu de conte: + Mais dans peu ses mespris tourneront à sa honte + Et mesme ce grand Cid qu'elle croid des-ja sien + Trompera son espoir comme elle a faict le mien + Oüy, j'y sçauray si bien disposer son courage + Qu'un semblable mespris vangera cet outrage + En donnant un objet plus digne à son amour: + Mais d'où vient qu'Arias est icy de retour. + + + +SCENE SEPTIESME. + +LE ROY, DOM DIEGUE, DOM ARIAS. + +DOM ARIAS. + + Grand Prince je vous viens apporter les nouvelles + Et du bon-heur du Cid & du sort des rebelles, + Il est proche d'icy, sain & victorieux. + +LE ROY. + + Le Ciel rende bien-tost sa presence à mes yeux. + +DOM ARIAS. + + Sire dans peu de temps vous le verrez paroistre, + Cependant de sa part je vous rends cette lettre + Qui vous confirmera ce que je vous ay dit, + +LE ROY. + + En ce ravissement je demeure interdit, + Et mon ame des-ja brusle d'impatience + Apres ce cher object dont j'attens la presence + Va, dy luy que je meurs du desir de le voir, + Dom Diegue qu'on donne ordre à le bien recevoir. + + + + +ACTE II. + + +SCENE PREMIERE. + +LE ROY, L'INFANTE, CHYMENE. + +LE ROY. + + He bien Chymene: enfin ce coeur inexorable + Ne se resoult-il point de m'estre favorable, + Apres tant de rigueurs & de mespris souffers + Un Roy doit-il mourir accablé de ses fers, + Oüy vostre ingratitude en ce poinct est extréme + Que vous me haïssez parce que je vous aime + Mais Chymene advoüez que vous avez grand tort + Si Dom Sanche m'a faict un fidele rapport, + Et si lors qu'il alla vous offrir mes hommages + Pour sa commission il reçeut des outrages, + Quelque superbe espoir qui flatte vostre orgueil + Vous me devez Chymene un plus courtois accueil, + Outre ma qualité la seule bien-seance + Doit porter vostre esprit à cette defference, + Et si l'on vous déplaist quand on vous faict la cour + Le respect doit au moins suppléer à l'amour. + +CHYMENE. + + Sire, je ne sçay pas ce qui faict vostre plainte + Ny de quelles couleurs Dom Sanche m'a dépeinte + Mais quelque opinion qu'il vous ait fait avoir + Jamais la vanité n'a trahy mon devoir + Et lors que je renonce au rang de souveraine + Je suis respectueuse & non pas inhumaine, + Il est vray que Dom Sanche a droict d'estre irrité + Et que j'ay vivement contre luy esclatté: + Mais, Sire, ses discours ont causé ma colere + Ozant me reprocher le meurtre de mon pere, + Et si mal à propos venant m'entretenir + D'un coup qui seigne encor dedans mon souvenir, + +LE ROY. + + Si ce ressentiment occupe ta memoire + Il est belle Chymene important à ta gloire + Et mesme necessaire à ton contentement + Que l'autheur de ce coup ne soit pas ton Amant, + Aussi bien n'a-t'il plus cette premiere flame + Que ta grace autresfois alluma dans son ame, + Le Cid en te quittant a quitté son projet + Et comme de Climat il a changé d'object + Cheriffe maintenant est la beauté fatale + Qui fut son ennemie & qu'il rend ta rivale + Je sçay qu'à cette Infante il est fort obligé, + Mais quand de ce dessein il seroit desgagé + Les services rendus par toute sa famille + Destinent à ses voeux l'Infante de Castille; + Si bien que ton amour ne doit rien esperer + S'il ne veut desormais pour moy se declarer + +L'INFANTE. + + Que mon ame est icy diversement atteinte + Des mouvemens d'amour, d'esperance & de crainte + Je dois mon esperance à qui je dois le jour + Cheriffe faict ma peur & le Cid mon Amour + De tant de passions qu'elle sera plus forte + + + +SCENE DEUXIESME. + +LE ROY, L'INFANTE, CHYMENE, D. ARIAS. + +DOM ARIAS. + + Sire, + +LE ROY. + + Que me veux-tu? + +DOM ARIAS. + + Le Cid est à la porte. + +LE ROY. + + Qu'il entre: He bien Chimene en fin vous allez voir + Ce glorieux vainqueur que je vay recevoir + Je sçay qu'il doit venir avec beaucoup de pompe + Et mesme avec Cheriffe ou sa lettre me trompe + Vous pouvez remarquer en cette occasion + Ou son ingratitude, ou son affection: + Servez vous bien du temps dedans cet intervalle + Conferez vos attraicts avec vostre Rivalle + Et par ses qualitez Jugez de vostre sort + +CHYMENE à part. + + De quels yeux juste Ciel verray-je cet abord. + + + +SCENE TROISIEME. + +LE ROY, L'INFANTE, CHYMENE, LE CID, CHERIFFE, SPHERANTE, CELIMANT, +D. ARIAS. + +LE CID. + + Monarque le plus grand que le soleil esclaire + Prince victorieux que l'Espaigne revere: + Mars enfin satisfaict me rend auprés de vous, + Et me permet l'honneur d'embrasser vos genoux: + Mais comme auprés des dieux dont vous estes l'image + On ne se doit jamais approcher sans hommage + J'ay creu pour meriter le bon-heur de vous voir + Que de moy vos grandeurs exigeoient ce devoir. + Sire recevez donc cette illustre couronne, + Que mon bras vous apporte & que le ciel vous donne, + Avecque ces deux Roys, en ce point bienheureux + Qu'ils sont les prisonniers d'un Roy si genereux + Cettuy cy possedoit le sceptre de Cordoüe + Et l'autre que mon sort veut mesme que je loüe + Du prince de Tolede est l'unicque heritier + +LE ROY. + + Tu m'en feras grand Cid le recit tout entier: + Mais avant que l'ouir il fault que je t'embrasse + Que je baise ce front digne du Dieu de Trace + Et que j'admire enfin ces traits imperieux + Qu'Amour & Mars par tout rendent victorieux. + +LE CID. + + Ah? Sire à ce discours je ne sçay que respondre + L'excez de vos bontez ne sert qu'à me confondre + Pour espargner ma honte espargnez vos faveurs, + Et comme les travaux partagez les honneurs: + Comme moy vos soldats ont fait vostre victoire, + Il est Juste grand Roy qu'ils ayent part en la gloire + Et que par les bienfaits de vostre Majesté + Ils reçoivent le prix de leur fidelité + +LE ROY. + + On peut à leur merite aisément satisfaire, + Mais pour tes actions il n'est point de salaire + Ouy grand Cid tu te plais à faire des ingras + Et ta langue veut vaincre aussi bien que ton bras + Pour me favoriser neglige ta deffence + Et te laisse une fois vaincre à ma bien-veillance, + Autrement tu me fais des presens superflus + Si tu veux que je sois au rang de tes vaincus, + Mais que ton eloquence espargne un peu ses charmes + Et fais nous le recit du succez de tes armes + Un plus digne entretien ne nous peut arrester. + +LE CID. + + Grand Prince quel qui soit je vay vous contenter. + Je ne fus pas plutost hors de cette frontiere + Que mon bras qui cherchoit quelque noble matiere, + D'exercer sa valeur; d'un sang ardent & prompt + Prit pour premier objet le Tyran d'Ayamont + D'abord je l'investis, puis je forçay sa ville + Et je fis son tombeau du lieu de son azile + Ce siege fut suivy d'un plus heureux effet + Les Algarbes confus virent leur Roy deffaict + Et de leur propre sang la campagne couverte + Leur mit devant les yeux un tableau de leur perte + Apres ce grand combat dont je vous advertis + Je ralliay mes gens, & passay le Bethis + A rondes je reçeus le renfort de vos armes + Et je mis tous le monde en d'estranges alarmes + Tariffe & Gibralfar revinrent soubs vos loix + Je repris Algesire, & tous ces petits Roys + Qui s'estoient revoltez contre vostre puissance + Esprouverent les maux qui suivent l'insolence + De cet heureux succez Je ne fus pas content + Le Prince de Jahen en ressentit autant + Et par son arrogance attira cet orage + Pour avoir refusé de me donner passage + Enfin ceux dont Seville a craint les trahisons + Sont dedans les enfers, ou bien dans vos prisons, + De là voulant plus loing porter ma renommée + J'advançay vers Cordouë avecque mon armée, + Et je l'eusse d'abord emportée aisement + Sans le secours qu'elle eut assez heureusement: + Ce Prince genereux la voyant assiegée + Voulut par quelque effort la rendre soulagée, + Mais jugeant que par là son espoir estoit vain + Comme il estoit prudent il changea de dessein; + Enfin, apres avoir consulté sa vaillance + Son coeur en conçeut un, digne de sa naissance, + Par un de ses Herauts il m'envoye un cartel + Mon courage aussi-tost consent à ce duel + Et d'un mot de ma main je luy marque la place + Qui devoit achever ma vie ou son audace, + Il s'y rend, j'y parois, nous en venons aux mains + Le Ciel en voit partir mille coups inhumains, + Et je croy que son front pallit en cet orage + Mais enfin le bon-heur me donna l'advantage. + +SPHERANTE. + + La modestie icy trahit vostre valeur + La force me vainquit & non pas le mal-heur + Vantez vous librement d'un affront que j'aduoüe, + +LE CID. + + Sire ce fut ce coup qui fit tomber Cordoüe, + Je veis par cet effort son orgueil abatu + [Montrant Cheriffe.] + Ce Guerrier par sa cheute opprima sa vertu, + Et cet objet divin par son intelligence + Me la fit emporter presque sans resistance, + +CELIMANT. + + Oüy grand Prince il est vray, par un noir attentat + Ce monstre de nature a trahy mon Estat, + Vous possedez mes biens mon Sceptre & ma personne, + Mais regardez un peu celle qui vous les donne, + Voyez de quelle main vous prenez ces presens + Et quelle main m'a mis en des fers si pesans, + [Montrant Cheriffe.] + Grand Roy vous cognoistrez aux traits de ce visage + Que c'est ma propre soeur qui m'a faict cet outrage: + Ma soeur! il ne se peut, c'est plutost un demon + Qui pour mieux me trahir s'est servy de ce nom. + +CHERIFFE. + + Cruel ne me fay pas un reproche si lasche + Ce nom est de mes jours la plus honteuse tache, + Et je trouve mon sort rigoureux en ce point + Que m'ostant de tes fers, il ne me l'oste point + Mais toy qui faits icy le vaillant & le brave: + M'as-tu traittée en soeur! non: j'estois ton esclave, + Au moins n'ay-je pas eu de meilleur traictement, + Et cette qualité m'a manqué seulement. + Sire ne croyez pas qu'une jeune imprudence + Ayt porté mon esprit à cette intelligence, + Ou que ce que j'ay fait soit une trahison + Vous livrant ce cruel je rompois ma prison + Je me tirois des fers où sa rage excessive + Tenoit honteusement ma liberté captive + Où malgré tout respect sa lasche intention + Me destinoit l'object de mon aversion + Et je voyois desja le moment de ma perte + Lors que l'occasion a mes voeux s'est offerte, + Qui repoussant les traicts & leur injuste effort + [Montrant le prince de Tolede.] + A fait en mesme temps leur naufrage & mon port + Ouy, Sire, quand je veis que ce superbe Prince + Estoit pour m'enlever sorty de sa province + Et qu'avec cet amas d'armes & de guerriers + Il songeoit à ce rapt plustost qu'à des lauriers + Je creus que je pouvois mesme avecque justice + A cette violence opposer l'artifice, + Trahir ses partizans, & qu'il m'estoit permis + De chercher un azile entre leurs ennemis + Je formai ce dessein mais ce coup d'importance + M'arresta quelque temps, & me tint en balance, + Jusqu'à ce que ce rare & glorieux objet + M'eust obligée en fin d'achever ce projet. + +CHYMENE. + + Il n'en faut plus douter, le perfide l'adore, + Quoy je voy ma rivale, & je respire encore? + Puis-je bien sans mourir endurer cét affront? + +LE ROY. + + Quand l'esprit est ardent & le courage prompt + Un dessein n'a jamais de malheureuse suitte, + Mais l'affaire qui traine est à demy destruite. + +CHERIFFE. + + Sire, pour negliger cette execution, + J'avois trop de courage & trop de passion, + Mon ame en peu de temps, cessa d'estre incertaine + Et l'amour acheva le complot de la hayne: + Ce Cid dont le renom est par tout si fameux + D'ennemy qu'il estoit fut l'object de mes voeux, + Sa vertu me vainquit, mon coeur fut sa conqueste, + Et ma felicité nacquit par ma deffaite: + Car cedant aux efforts d'un coup si glorieux + J'acquis en me perdant un butin precieux + Cét honneur des Guerriers, ce Cid incomparable. + +L'INFANTE. + + He bien qu'espere-tu Princesse miserable, + Peus-tu douter encor qu'il ne soit engagé. + +LE CID. + + Madame je vous suis doublement obligé + Puis qu'à l'heureux effect de vostre intelligence + Vostre ame en ma faveur, joint tant de bienveillance. + Et rien si puissamment ne me sçauroit ravir + Comme l'occasion de vous pouvoir servir + Mais que puis-je pour vous, commandez moy Madame. + +CHYMENE. + + Qu'a-t-elle à desirer, ingrat, elle a ton ame. + +CHERIFFE. + + Ah! grand Cid tu peux tout & je veux tout aussi. + +LE CID. + + Cheriffe le Roy seul est souverain icy, + Luy seul peut tout donner. + +LE ROY. + + Et tu peux tout promettre + Ton merite est au point qu'on luy doit tout permettre + Dispose librement de mon authorité. + Et croy que je fais moins que tu n'as merité. + +CHERIFFE. + + Je ne souhaitte pas cette faveur extréme + Tous les biens que je veux grand Cid sont en toy-mesme, + C'est à ce seul objet que tendent mes desirs, + Et c'est le seul espoir qui fait tous mes plaisirs, + +LE CID. + + Je ne sçay pas, Madame, avec quelle apparence + Vostre esprit a conceu cette belle esperance: + Mais Rodrigue jamais ne vous en a parlé. + +CHYMENE. + + Ah! Dieux qu'il est adroit! + +L'INFANTE. + + Qu'il est dissimulé. + +CHERIFFE. + + Quoy, Monsieur, avez-vous oublié vos promesses? + Est-ce là cét amour? sont-ce là les caresses + Qu'apres mon action je devois recevoir? + +LE CID. + + Et qui vous a donné cét inutile espoir? + +CHERIFFE. + + Vous. + +LE CID. + + Moy? j'en doute. + +CHERIFFE. + + O Dieux, cognois-tu cette lettre. + +LE CID. + + Ouy. + +CHERIFFE. + + Tien: ly donc ingrat; elle fera paroistre + Par combien de raisons cét espoir m'est permis. + +LE CID. + + Je sçay ce que je dois, & ce que j'ay promis + Je ne suis pas ingrat, vous le verrez, Madame. + +CHERIFFE. + + Ah! grand Cid excusez les transports de mon ame, + Vous les avez causez avecque ces mespris + Dont la feinte d'abord a troublé mes esprits + Mais apres cette peur maintenant je respire, + Puisque vous promettez d'alleger mon martyre. + +LE CID. + + Madame, ce desir excede mon pouvoir: + Mais attendez de moy tout ce que le devoir + Et que la courtoisie aux nobles naturelle + M'ordonneront pour vous. + +CHERIFFE. + + Quoy doncq Cid infidele + Tu retournes encor à ton premier propos? + O lettre, ô trahison fatale à mon repos, + Descouvre tes secrets & montre à cét infame + Son infidelité. + +LE CID. + + Je le veux bien, Madame. + Qu'on lise cet escrit, je ne m'en deffends point + Et je veux desormais l'observer de tout point. + +LE ROY. + + Cette condition me semble raisonnable, + Et Rodrigue en cela paroist tres-equitable, + Voyons en cet escrit quel est vostre interest. + +LE CID. + + Grand Prince je consens qu'il nous serve d'arrest. + +CHERIFFE. + + Je le veux bien aussi. + +LE ROY. + + Je vous rendray justice. + +CHYMENE. + + Dieux on va prononcer l'arrest de mon supplice, + Et je resiste encore à ce cruel effort. + +L'INFANTE. + + J'attends de cette lettre ou ma vie ou ma mort. + + LETTRE DE RODRIGUE A CHERIFFE. + + Cheriffe si la tyrannie + D'un frere plein de cruauté, + Au lieu de respecter son sang & ta beauté + Se plaist à te donner une peine infinie: + Porte tes genereux esprits + Aux sentimens que tu m'escris + Sors de ce rigoureux empire. + Mais avant ton depart qu'il sente ton courroux, + Et vien alleger ton martyre + Dans le camp d'un vainqueur qui te sera plus doux. + +CHERIFFE continuë. + + Hé! bien traistre entends-tu le sens de ces paroles? + Ces termes rendent-ils tes promesse frivolles? + Ne suis-je pas Cheriffe? & n'es-tu pas vainqueur? + Ne t'ay-je pas ouvert & Cordoue & mon coeur + Toutefois desloyal tu me veux mescognoistre + Et m'oster un espoir que ta main a faict naistre? + Est-ce là ce destin si charmant & si doux + Que tu me preparois? + +LE CID. + + Dequoy vous plaignez-vous? + Est-il quelque insolent qui vous ayt faict outrage, + N'estes vous pas, Madame, à couvert de l'orage, + Que ce frere inhumain vous avoit preparé: + Outre ce traitement qu'aviez-vous esperé, + Pensiez-vous que je deusse estre vostre conqueste? + Cheriffe il n'est plus temps, un autre object m'arreste + Et mes fers sont si beaux que sans aveuglement + Je ne sçaurois changer un object si charmant. + +CHERIFFE. + + Hé! bien ne changes point, mais finis ma misere, + Efface avec mon sang ce traistre caractere, + Et comme de ton crime il est desja noircy + Pour me punir du mien fay-le rougir aussi + Barbare qu'attens-tu? rends ta hayne assouvie, + Adjoute à mes malheurs la perte de ma vie, + Et pour mieux contenter l'excez de ta rigueur + Arrache de mon sein, & ma flame & mon coeur. + +CELIMANT. + + Ah! que je suis content! & que cette vangeance + Faict gouster à mes sens une douce allegeance, + Que mes yeux sont ravis de te voir en ce point, + Où ton plus grand espoir est de n'en avoir point + Triomphe maintenant perfide, fay la brave + Pour n'avoir point de fers tu n'es pas moins esclave. + +CHERIFFE. + + Quoy! barbare. + +LE ROY. + + Tout beau moderez ce transport, + Je vous promets à tous un favorable sort + Je suis Prince, & je veux vous obliger à croire + Que je sçay prudemment user d'une victoire, + Vous gardes ayez soin qu'en leurs appartemens + Ils ne reçoivent point de mauvais traitemens, + En quelque estat qu'ils soient je veux qu'on les revere, + [Parlant au Cid.] + Toy va-te delasser dans les bras de ton pere, + Qui brusle des long-temps du desir de te voir. + +LE CID. + + Je vay puis qu'il vous plaist luy rendre ce devoir. + + [Tout rentre horsmis Chymene, l'Infante & le Cid.] + + + +SCENE QUATRIESME. + +LE CID, L'INFANTE, CHYMENE. + +LE CID parlant à l'Infante. + + Mais, Madame, souffrez que je rende à Chimene + L'honneur que je luy dois. + +CHYMENE. + + N'en prenez pas la peine. + Vous ne me devez rien, & Cheriffe en courroux + N'a que trop de sujet de se plaindre de vous + Sans que vous commettiez encore cette offence. + + [Elle fait une humble reverence & sort.] + + + +SCENE CINQUIESME. + +LE CID, L'INFANTE. + +LE CID. + + Quelle raison bons Dieux me ravit sa presence! + Quel crime ay-je commis! quelle infidelité? + +L'INFANTE. + + Je ne sçay mais tu vois quelle est sa cruauté; + Tu voy comme elle change à son premier caprice, + Ne te lasse-tu point d'endurer ce supplice? + Ah! Rodrigue tu dois tesmoigner plus de coeur, + Et montrer qu'on doit mieux recevoir un vainqueur: + Advouë avecque moy qu'elle est un peu trop vaine. + +LE CID. + + Je n'en murmure point, Madame, c'est Chimene + Toute ingrate qu'elle est je ne la puis haïr. + +L'INFANTE. + + Cet excez de bonté pourroit bien te trahir + Tu te rends malheureux pour estre trop fidele. + +LE CID. + + Madame, vous sçavez où mon devoir m'appelle + Souffrez que de ce pas j'aille m'en acquitter. + +L'INFANTE. + + Va. Tu prends ce pretexte, afin de me quitter + Mais je seray vangee, & pour croistre ta peine, + J'emploiray contre toy les rigueurs de Chimene. + + + + +ACTE III. + + +SCENE PREMIERE. + +LE CID. + + [Sortant de l'appartement de Chymene.] + + Ouy, Chymene: vivez en repos desormais, + Rodrigue asseurément ne vous verra jamais, + Jamais doresnavant sa presence odieuse + N'aura plus le mal-heur de vous estre ennuyeuse, + Vous voulez qu'il endure, il est prest à souffrir: + Et s'il ne sçait vous plaire il sçaura bien mourir. + Quoy! Chymene bons Dieux! me traitter de la sorte? + S'armer à mon abord d'une rigueur si forte + Mespriser mes devoirs, tenir indifferens + Les soins & les honneurs qu'aujourd'huy je luy rens: + Ah! cette cruauté n'est pas imaginable! + Il est vray toutesfois que je suis miserable, + Et que par le malheur de mon triste retour + Je bannis de ces lieux la douceur & l'amour. + Ah! que ne suis-je mort au milieu des batailles + Toute une armee en deuil eust faict mes funerailles: + Je serois glorieux & j'aurois le bon-heur + D'avoir finy mes jours dedans le lict d'honneur, + Chymene en cet estat m'eust trouvé plein de charmes + Et mon sort de ses yeux auroit tiré des larmes + Au lieu que retournant icy victorieux, + Quand chacun me cherit je luy suis odieux: + Mais tant qu'il vous plaira faites de l'inhumaine, + Je ne vous verray plus rigoureuse Chymene, + [Il se promene en levant.] + Ouy, vivez en repos & croyez desormais + Que mon funeste abord ne le rompra jamais. + + + +SCENE DEUXIESME. + +CHERIFFE, LE CID. + +CHERIFFE. + + Que le sort m'est cruel! & que je suis confuse! + Quoy je ne veux qu'un coeur & l'on me le refuse + Apres ce que j'ay faict on me rebutte ainsi, + Et j'adore un ingrat! mais bons Dieux le voicy + Taschons encore un coup de fleschir son courage. + +LE CID. + + Ouy Chymene, je cede aux coups de cet orage, + Contre cette rigueur il n'est point de vertu. + +CHERIFFE. + + Hé bien perfide, en fin à quoy te resous-tu? + +LE CID. + + A mourir, puis qu'apres un mespris si funeste + Le trespas seulement est l'espoir qui me reste. + +CHERIFFE. + + Quoy, le traict de la mort a pour toy des appas, + Et celuy de l'amour ne te touchera pas. + Ah! grand Cid. + +LE CID. + + Laissez-moy rigoureuse Chymene, + Je vay finir ma vie achevez vostre hayne, + Ce nom ne sied pas bien avecques vos mespris. + +CHERIFFE. + + Je n'en usay jamais ingrat tu t'es mespris + Une autre a fait le mal dont je porte le blame. + +LE CID la regardant. + + Ah! bons Dieux c'est Cheriffe, Excusez-moy Madame, + Je n'ay pas eu dessein de me plaindre de vous. + +CHERIFFE. + + Ce reproche grand Cid me sembleroit bien doux, + Et plustost que tes jours je finirois ta peine, + Si tu traitois Cheriffe aussi bien que Chymene. + +LE CID. + + Chymene! ouy je l'adore; & l'ingrate est sans foy. + +CHERIFFE. + + Pourquoy doncq l'aymes-tu? + +LE CID. + + Madame, laissez-moy. + +CHERIFFE. + + Que je te laisse? + +LE CID. + + O Dieux quelle est mon infortune! + Dois-je apres une ingrate ouyr une importune. + +CHERIFFE. + + Importune? cruel, si j'avois ce malheur + Qu'il falloit que je fusse en butte à ta rigueur, + Que ne me laissois-tu faire mes funerailles + Dans le funeste enclos de nos tristes murailles: + Tu ne souffrirois pas un object odieux, + Et ta main m'eust esté plus douce que tes yeux, + Tu serois plus heureux, je serois plus contente, + Et j'aurois le bon-heur de mourir innocente, + Si parmy le debris d'un Empire abbatu + J'eusse laissé ma vie & non pas ma vertu. + Mais barbare, il falloit qu'elle fust estouffee, + Et que Cheriffe en fin te servist de trophee + Il falloit que je fusse en ce funeste estat + Qui trahit ma naissance & perd tout son esclat. + Hé! bien puisque tu veux que je sois malheureuse, + Grand Cid fleschis un peu cette ame rigoureuse + J'estoufferay mes voeux, puis qu'ils sont superflus + Et j'oubliray des biens que je n'espere plus, + Je voy bien desormais que mon attente est vaine, + Suy tes affections, adore ta Chymene: + Et mesme si tu veux prefere sa rigueur + Aux tendres sentimens qui partent de mon coeur: + Mais quoy que le destin insolemment me brave, + Rodrigue souffre au moins que je sois ton esclave + Pour satisfaction des maux que j'ay souffers + Je ne demande rien que l'honneur de mes fers + Ce bon-heur que je veux n'oste rien à ta gloire, + Paye avecque ce bien le prix de ta victoire; + A ton affection adjoute la pitié + Que Chymene ayt l'amour, & moy ton amitié. + +LE CID. + + En l'estat où je suis mon ame est si confuse + Que ma mauvaise humeur est bien digne d'excuse, + Laissez-moy doncq, Madame, & cessez vos discours + En vain d'un malheureux on attend du secours + Vous cognoissez combien mon malheur est extreme + Et vous voulez un bien dont je manque moy-mesme + De tant de passions que l'on m'a veu souffrir + Il ne me reste plus que celle de mourir, + Adieu. + + + +SCENE TROISIEME. + +CHERIFFE seule. + + Va desloyal je cognois ton envie, + Cheriffe seule helas te faict haïr la vie, + Et si tost que tes yeux ont quitté cet object + Tu quitte quant & quant ce funeste project: + O Ciel quel est ton sort Princesse infortunee: + Quel malheur te poursuit, sous quel astre es-tu nee, + Que tes justes desirs & tes pretentions + Succedent au rebours de tes intentions, + Cid mais indigne, Cid qui me rens malheureuse, + Desseins precipitez, fortune rigouruse, + Pernicieux amour, importunes fureurs + Ne finirez vous point ma vie ou mes erreurs. + Ouy, je sens que desja ma force est affoiblie + Et de ce triste corps mon ame se delie, + Les ombres de la mort errent devant mes yeux: + Rodrigue viens au moins recevoir mes Adieux. + + + +SCENE QUATRIESME. + +LE ROY, L'INFANTE, DOM DIEGUE, D. SANCHE, CHERIFFE. + + [Cheriffe continüe & prend le Roy pour Rodrigue.] + + Ah! grand Cid qu'apropos la pitié te rameine + Pour voir icy finir & ma vie & ma peine, + Je vay mourir contente, & je ne me plains pas + Puis que tes yeux au moins honnorent mon trespas. + +LE ROY. + + Que dit-elle bons Dieux! quelle melancolie + Tient dedans cette erreur son ame ensevelie? + D'où luy vient ce transport, & ce desreiglement? + +CHERIFFE. + + Ne t'en va pas si tost, arreste un seul moment, + Souffre qu'entre tes bras je puisse rendre l'ame. + +DOM SANCHE. + + Reprenez vos esprits, ouvrez les yeux, Madame, + Ce n'est pas-là le Cid, & vous parlez au Roy. + +CHERIFFE. + + Non ce n'est pas le Cid, Ah! Sire, excusez-moy + En l'estat où m'a mis la malice d'un traistre, + A peine je me puis moy-mesme recognoistre. + +LE ROY. + + De qui vous plaignez-vous? & quelle trahison + A si soudainement troublé vostre raison? + +CHERIFFE. + + Grand Monarque, Rodrigue a commis cette offence. + +LE ROY. + + Tout beau belle Cheriffe, espargnez l'innocence + Ses rares qualitez & vos perfections + Ne luy permettent pas ces viles actions. + +CHERIFFE. + + Cet ingrat a pourtant trahy mon esperance. + +L'INFANTE. + + Ouy, mais estant conceüe avec peu d'apparence + Vous mesme vous avez trompé vostre dessein, + Et le traistre, Madame, est dedans vostre sein + Ce fier tyran des coeurs dont vous portez les chaisnes + Est celuy qui se plaist à prolonger vos peines, + Resistez aux efforts de ce superbe enfant, + Qui par vostre foiblesse est de vous triomphant + En cette occasion montrez plus de courage, + Mesprisez un Amant alors qu'il est volage + Estimez ses devoirs quand il vous faict la Cour + Et s'il manque de foy, manquez aussi d'amour: + Vous cherissez Rodrigue, il adore Chymene, + Et cette affection rend vostre attente vaine, + Depuis un trop long-temps il aime cet object + Pour esperer jamais qu'il change de projet. + +CHERIFFE. + + Mais il me l'a promis. + +L'INFANTE. + + C'est ce qu'il desadvoüe. + +CHERIFFE. + + Qu'il nie aussi l'ingrat qu'il tient de moy Cordoüe + Qu'il desappreuve encor les effets de sa main. + +L'INFANTE. + + Madame, encore un coup vous esperez en vain. + Son coeur est engagé. + +CHERIFFE. + + Il faut donc que je meure. + +DOM SANCHE. + + Vostre condition peut bien estre meilleure + Madame, & si le Cid manque pour vous d'amour, + Assez d'autres Seigneurs qui sont en cette Cour, + Se croiront bien-heureux de perdre leur franchise, + Pour acquerir un bien que cét ingrat mesprise. + +CHERIFFE. + + Mon malheur est de ceux qu'il ne faut point flatter. + Dom Sanche, en cét estat que puis-je meriter, + Si ceux que j'ay servis avec tant d'asseurance + Ont peine seulement de souffrir ma presence + Sans grace, sans support, sans merite, & sans bien: + Je suis sans esperance, & je ne veux plus rien + Que l'agreable coup, qui finira ma vie. + +LE ROY. + + Perdez belle Cheriffe une si lasche envie, + Vous devez esperer un meilleur traittement, + Remeine-la Dom Sanche à son appartement, + Et rends luy les devoirs que sa beauté merite. + +DOM SANCHE. + + Madame, s'il vous plaist, agreez ma conduitte, + Souffrez que j'obeisse aux volontez du Roy, + Et que je satisface à ce que je vous doy. + + [Ils sortent.] + + + +SCENE CINQUIESME. + +LE ROY, DOM DIEGUE, L'INFANTE. + +LE ROY. + + Dom Diegue enfin le Cid a-t'il l'ame contente, + Sçait-il que j'ay dessein de luy donner l'Infante, + Consent-il aisément à ce nouveau projet. + +DOM DIEGUE. + + Vous estes son Roy, Sire, il est vostre sujet, + Et par cette raison il ne peut sans offence, + S'opposer au devoir de son obeïssance: + J'ay sondé toutesfois son esprit sur ce point + Son inclination ne s'en esloigne point, + Et je croy seulement qu'une modeste crainte + Arreste ses desirs & le tient en contrainte. + +LE ROY. + + C'est, que Chymene encore a sur luy tout pouvoir. + +DOM DIEGUE. + + Il l'oublira, Seigneur, plustost que son devoir + Le comte vous en est une preuve certaine + Des ce temps-là Rodrigue idolatroit Chymene, + On le veid toutesfois luy-mesme se trahir, + Et s'il sçait bien aimer il sçait mieux obeir. + +LE ROY. + + Je n'ay jamais douté de son obeïssance + Et sa seule vertu m'en donne l'asseurance. + Vous, ma soeur, acceptez son amour & ses voeux + Et pour toute raison sçachez que je le veux, + Il n'a receu du Ciel ny sceptre ny couronne + Et sa grandeur consiste en sa seule personne: + Mais c'est là qu'il a faict ses plus nobles efforts, + C'est là qu'il a versé ses plus riches thresors: + Son coeur est l'Element où la valeur reside, + Sa belle ame est le trône où la vertu preside + Et les perfections qui le font estimer + Sont les solides biens que vous devez aimer. + +L'INFANTE. + + Un tel commandement, Monsieur, ne m'est pas rude, + Je prends facilement cette douce habitude, + Ce que vous estimez je ne le puis haïr + Vous devez commander & je dois obeir. + +LE ROY. + + Que Chymene à mes voeux n'est-elle aussi facile, + Je ne bruslerois pas d'une flame inutile + Je serois satisfaict, & mes desirs contens + Ne m'obligeroient pas de languir si long-temps: + Mais c'est trop endurer une si dure peine, + Il faut resolument que j'espouse Chymene, + Je l'absous de l'amour qu'au Cid elle a promis, + Aux Princes comme moy ce qui plaist est permis. + L'affection des Rois n'est jamais temeraire, + Et le respect sied bien seulement au vulguaire; + Envoyez-la querir, & lui faictes sçavoir + Qu'en vostre appartement je desire la voir, + Pour lui communiquer un dessein d'importance, + Et qui pour son effect exige sa presence + Je me lasse à la fin de vivre en cet ennuy, + Je veux que cet hymen s'accomplisse aujourd'huy. + + + +SCENE SIXIESME. + +CHIMENE seule. + + Amour sors en fin de mon ame, + Porte ailleurs ton triste flambeau, + Puisque les cendres du tombeau + Doivent tantost couvrir & mon corps & ma flame, + Mes regrets vont m'oster du jour, + Cherche un plus aimable sejour + Abandonne mon coeur, ma Rivale t'appelle, + Va regner desormais dans ce superbe sein, + Puisque pour l'adorer, Rodrigue est infidele, + Je vay par mon trespas approuver ton dessein, + + Ne m'entretien plus de sa gloire, + Ny du souvenir de ses faicts + Que tant de merveilleux effects + Sortent avecque toy de ma triste memoire. + Ne laisse rien dans mes esprits + Que la vengeance & le mespris + Qui le doivent punir d'une amour criminelle, + Rens à mes tristes yeux leur premiere rigueur: + Il est victorieux: mais il est infidele + Et par cette raison il n'est plus mon vainqueur + + Mais que me servira ma hayne + Que fera mon coeur irrité? + Malgré son infidelité + Il est tousjours Rodrigue, & moy tousjours Chimene: + Non je ne vis plus sous sa loy, + L'ingrat a violé sa foy, + Aymant une perfide, il est traistre comme elle + Chymene reprens donc ta premiere rigueur, + Il est victorieux, mais il est infidele, + Et par cette raison il n'est pas ton vainqueur. + + Qu'Arragon tremble & le revere, + Qu'il vainque mille nations, + Toutes ces belles actions + N'effaceront jamais le meurtre de mon pere; + Tousjours ce sanglant souvenir + M'obligera de le punir + Mais icy ma puissance est moindre que mon zele, + N'importe, reprenons ma premiere rigueur, + Il est victorieux, mais il est infidele, + Et par cette raison il n'est pas mon vainqueur. + + Mon vainqueur! il ne se peut faire, + Ostons luy ce nom glorieux, + Qu'il soit ailleurs victorieux: + Icy je suis encor sa mortelle adversaire, + Un coeur qui peut dessous ses loix + Ranger la liberté des Rois + Pourra bien se vanger de cette ame rebelle. + Ouy Chimene, reprens ta premiere rigueur, + Il est victorieux, mais il est infidele + Et que par cette raison il n'est pas ton vainqueur. + + Que me sert que toute la terre + Soit pleine du bruit de ses faicts, + Et qu'il ayt mis par tout la paix + Si parmy ce repos seule je suis en guerre: + Qu'il soit le plus grand des Guerriers, + Qu'il soit tout couvert de lauriers, + Il ternit tout l'esclat d'une pompe si belle + Chimene reprens doncq ta premiere rigueur + Il est victorieux, mais il est infidelle: + Et par cette raison il n'est pas ton vainqueur. + + Non, tesmoignons plus de constance, + Faisons voir moins d'inimitié + Et servons-nous de la pitié + Pour prendre une plus noble & plus haute vangeance, + Qu'il soit ingrat & desloyal + Traittons-le d'un amour esgal, + Il ne sçauroit souffrir de peine plus cruelle, + Non Chymene, reprens ta premiere rigueur, + Il est victorieux, mais il est infidele, + Et par cette raison il n'est pas son vainqueur. + + Faisons voir comme en son absence + Mon coeur l'a tousjours adoré, + Et que mesme il l'a preferé + A ceux dont il devoit redouter la puissance; + Si cela ne le touche pas + Cherchons un genereux trespas, + Esteignons dans mon sang une flame si belle, + Et montrons en mourant à ce perfide coeur, + Que jusques à la fin je suis tousjours fidele, + Que je suis sa Chymene, & qu'il est mon vainqueur. + + + +SCENE SEPTIESME. + +CHIMENE, DOM ARIAS. + +DOM ARIAS. + + Madame, on vous attend, & le Roy vous demande. + +CHIMENE. + + Où? pourquoy? que veut-il, ô Ciel que j'apprehende! + +D. ARIAS. + + Il est avec l'Infante en cet appartement. + +CHIMENE. + + Qu'à regret j'obeis à ce commandement: + Je sçay ce qu'il me veut, mais toute sa puissance + Essayra vainement d'esbranler ma constance, + En vain il a recours à cet effort nouveau, + Un trône est inutile à qui cherche un tombeau, + Et bien que mon Amant soit l'autheur de ma peine, + Il est tousjours Rodrigue & moy tousjours Chymene. + + + + +ACTE IV. + + +SCENE PREMIERE. + +LE ROY, LE CID, L'INFANTE. + +LE ROY. + + Grand Cid toute l'Espagne a receu de ton bras + La paix & le repos que ton Prince n'a pas, + Ce glorieux effect manque encore à ta gloire, + Pour la rendre parfaite, acheve ta victoire, + Combats en ma faveur un superbe ennemy, + Qui faict que ta valeur n'a vaincu qu'à demy, + Si tandis que mon peuple est sauvé de l'orage, + Elle me laisse seul au danger du naufrage. + +LE CID. + + Quoy, Sire, est-il quelqu'un qui se soit revolté + Contre les justes loix de vostre Majesté? + Est-il quelque mutin dont la vaine insolence + Ose encor s'eslever contre vostre puissance? + Nommez le moy, Seigneur, que je l'oste du jour. + +LE ROY. + + Rodrigue on ne le peut. + +LE CID. + + Hé! pourquoy? + +LE ROY. + + C'est l'amour. + Ouy, ce petit Tyran du Ciel & de la terre, + Est le fier ennemy qui me livre la guerre, + Et sans avoir esgard au vain tiltre de Roy, + Desja comme vainqueur il triomphe chez moy: + Je suis son prisonnier, mon coeur est sa conqueste, + Et mon esprit vaincu consent à ma deffaite, + Si bien que je me vois sur le point de perir, + Si Rodrigue aujourd'huy ne me veut secourir. + +LE CID. + + Si vostre allegement depend de mon service, + Sire, attendez de moy cet agreable office, + Dites-moy seulement ce que vous desirez. + +LE ROY. + + Ah! Rodrigue? + +LE CID. + + Seigneur, hé! quoy vous souspirez: + Est-ce que vous doutez de mon obeyssance, + Ou bien que vos desirs surpassent ma puissance? + +LE ROY. + + Nullement: mais je crains que quelque mauvais sort + Au lieu de m'approcher ne m'esloigne du port, + Que la difficulté ne change ton courage, + Et qu'il ne m'abandonne au milieu de l'orage. + +LE CID. + + Mon courage est exempt de cette lascheté. + +LE ROY. + + Je cognois ta valeur & ta fidelité, + Ma crainte toutesfois en ce point est extreme, + Qu'il faut pour me servir te combattre toy-mesme, + surmonter tes desirs, vaincre tes passions, + Et te sacrifier à mes affections. + +LE CID. + + Que vostre Majesté dispose de ma vie. + +LE ROY. + + Ce n'est pas mon dessein qu'elle te soit ravie, + Et je ne voudrois pas qu'on me pust reprocher + D'avoir acquis un bien qui me coustast si cher. + +LE CID. + + Que puis-je donc pour vous? + +LE ROY. + + Tu peux finir ma peine, + Si tu veux renoncer à l'amour de Chimene, + J'adore ses appas, & quoy que sa rigueur, + Luy fasse mépriser les offres de mon coeur, + Je croy que le seul poinct maintenant qui l'arreste + Est l'espoir glorieux que tu sois sa conqueste. + +LE CID. + + Ah! Sire, asseurez-vous, si vostre Majesté + Daigne jetter les yeux dessus cette beauté, + Que je ne serai pas à ce poinct temeraire, + Que d'esperer un bien que j'aurai creu vous plaire, + Qu'en cette occasion je ne sois pas suspect, + Si j'ay beaucoup d'amour, j'ay bien plus de respect, + Et quelque passion qui m'attache à Chimene, + Je sçai que je dois plus à mon Roy qu'à ma Reine. + +LE ROY. + + O coeur vraiment Royal & vraiment genereux! + Grand Cid c'est à ce coup que tu me rens heureux, + Je suis Roy maintenant, & ce que tu me donnes + Est un prix que j'estime au delà des couronnes: + En eschange je dois t'en donner un aussi, + Je destine à tes voeux l'Infante que voici, + Et comme cet Estat doit tout à ton courage, + Je veux que ce soit lui qui fasse ton partage. + +L'INFANTE à part. + + Tout rit à mes desirs, & mes voeux satisfaits + Ne sçauroient souhaiter de plus heureux effets: + On propose mes feux, on engage Chymene, + Et Rodrigue y consent pour soulager ma peine. + +LE ROY au Cid. + + Tu ne me respons rien. + +LE CID. + + Ah! Sire espargnez moy, + Je suis vostre sujet, & vous estes mon Roy. + Je ne souhaite pas les grandeurs d'un Empire, + L'honneur de vous servir est le but où j'aspire, + Possedant ce bon-heur, je croi tout posseder, + Et vous obeïssant, j'apprens à commander: + Et puis; mais à propos, Sire, voici Chymene. + + + +SCENE DEUXIESME. + +CHYMENE, L'INFANTE, LE ROY. + +LE ROY. + + Madame il n'est plus temps de faire l'inhumaine, + Vos froideurs desormais ne sont plus de saison, + Rodrigue en ma faveur a rompu sa prison, + Et s'il a quelques droits dessus vostre personne, + Son amour me les cede, & me les abandonne: + Enfin vostre rigueur n'a rien à m'opposer, + Il vous oste l'espoir qui m'a fait mespriser, + Et la loi qui le met sous un autre Hymenée, + Vous absout de la foy que vous avez donnée. + +CHYMENE. + + Sire, Rodrigue est libre, il peut m'abandonner, + Aussi bien n'ay-je point de sceptres à luy donner: + Mais je ne pense pas que je sois de naissance + A relever des loix d'une telle puissance: + Je ne suis pas esclave, & mes affections + Ne font point par ses yeux mes inclinations, + Puisque sans les grandeurs on ne lui sçauroit plaire, + Un object plus charmant le pourra satisfaire, + Et certes mon esprit ne sera point jaloux + Qu'amour blesse son ame avec des traits plus doux, + Pourveu que le Tyran qui va finir ses peines + Ne remette mon coeur en de nouvelles chaisnes, + Et que ce grand bon-heur ne soit pas achepté + Au prix de mon honneur ou de ma liberté. + +LE CID. + + Madame jugez mieux d'un objet qui vous aime, + Pour mieux vous obliger, je me nuis à moy-mesme, + Et c'est pour vous donner un absolu pouvoir, + Que mon affection cede aux loix du devoir. + Si lors que je vous vois offrir une couronne, + J'empeschois le bon-heur que le destin vous donne, + Par mon affection je croirois vous trahir, + Et loing de vous aimer ce seroit vous haïr. + +CHYMENE. + + Ce pretexte est fort beau, Rodrigue, si Chimene + Estoit ainsi que vous d'une humeur plus hautaine: + Mais que mon interest ne vous destourne pas, + Montez dessus le trône, & goustez ses appas, + Au lieu d'estre blamé d'avoir fait ce beau change, + Vous serez sans regret, & non pas sans loüange, + Vous me verrés moi-mesme approuver vôtre choix. + Et je respecteray le pouvoir de vos loix. + +L'INFANTE. + + Ah, Dieux que ce debat rend mon ame incertaine, + Il est tousjours Rodrigue, elle tousjours Chymene, + Et je voy quoy qu'amour m'oblige d'esperer, + Que la mort seulement les pourra separer. + +LE ROY. + + Vous ne voulés donc pas m'estre plus favorable? + Un Monarque à vos yeux n'est pas assés aimable! + Ma flâme est inutile, & mes voeux superflus! + Bien, Madame, mes soins ne vous ennuiront plus! + Mais puisque d'autre sorte on ne vous peut atteindre + Pour vous persuader, je sçauray vous contraindre, + Ou vous aurés pour moy des sentimens plus doux. + +CHYMENE. + + Sire, puis que ma veuë esmeut vostre courroux, + Souffrés que je vous laisse, & que je me retire. + + [Elle sort.] + + + +SCENE TROISIESME. + +LE ROY, LE CID, L'INFANTE. + +LE ROY. + + Fuyez fuyez Madame, un Prince qui souspire, + Evitez mon abord, traitez moy rudement, + Et ne m'obligez pas d'un regard seulement, + Si par cette raison vous pensez que ma flame + Allentisse l'ardeur qui consume mon ame, + Vous vous trompez Chymene & par ces vains efforts + Vous me lancez des traits plus puissans & plus forts: + Voy Rodrigue aujourd'huy comme l'amour me traitte. + +LE CID. + + Cette judicieuse & prudente retraitte + N'estant pas un effect d'un arrogant mespris + Ne doit pas irriter vos genereux esprits: + Ne sçavez vous pas bien qu'une modeste crainte + Tient aupres de leurs Rois les sujets en contrainte + Et qu'un trop grand esclat à son sexe suspect + Excite peu d'amour & beaucoup de respect? + +LE ROY. + + Ah! si ma qualité me doit estre importune, + Destins diminuez l'esclat de ma fortune: + Ostez moy les grandeurs & ce nom si fameux + Dont aujourd'huy la pompe est contraire à mes voeux, + Rendez moy moins puissant que chacun m'abandonne + Brisez si vous voulez mon sceptre & ma couronne. + Vous me verrés encor benir vostre rigueur + Si pour tous ces tresors vous me donnez un coeur. + Chimene seulement peut borner mon envie, + D'elle seule dépend ou ma mort ou ma vie. + Et le choix que j'ay faict de cét objet charmant, + Provient moins de mes yeux que de mon jugement. + Donc si tu fus jamais dans le soing de me plaire, + Rodrigue rens Chymene à mes voeux moins contraire. + Acheve en ma faveur ce genereux dessein, + Va fondre les glaçons qu'elle a dedans le sein: + J'attens de ton esprit cét agreable office. + + + +SCENE QUATRIESME. + +LE CID seul. + + Et de vostre dessein j'attens tout mon supplice, + Fut-il jamais malheur à mon malheur égal + Je suis le confident de mon propre Rival. + Contraire aux volontez de la beauté que j'ayme, + Fidele à qui m'outrage, infidele à moy-mesme: + Et pour rendre sur moy mon ennemy vainqueur, + Moy-mesme je me rens ennemy de mon coeur + Presque victorieux je cede la victoire + Je faits tout le combat & j'en quitte la gloire: + J'attaque & je deffends un tresor precieux + Et mon esprit s'oppose au dessein de mes yeux: + L'un combat pour le Roy, les autres pour Chymene, + Je quitte mon bon-heur & je cours à ma peine: + Ne pouvant recognoistre en ce fascheux destour + Si je dois escouter le devoir ou l'amour: + L'un m'attache aux desirs d'un Prince opiniastre, + L'autre aux fers d'un objet dont je suis idolatre. + Et je trouve mon sort esgalement fatal, + Si je pense servir Chymene ou mon Rival. + Si j'escoute l'amour je m'acquiers une haine, + Et si je sers mon Prince il faut perdre ma Reine: + Mais quel aveuglement obscurcit ma raison, + Puis-je bien consentir à cette trahison? + Et par une action de crainte & de foiblesse + Dois-je pour un mortel trahir une Deesse: + Non non exposons nous plutost à sa fureur: + Mais helas je retourne à ma premiere erreur + Et suivant les conseils que mon amour me donne + Mon coeur ne prevoit pas que l'espoir m'abandonne: + Et que pour me ravir les fruits de mon amour, + Le Roy me peut oster ma maistresse & le jour: + De plus à le servir ma promesse m'engage + Je dois pour son repos mettre tout en usage, + Pour estre genereux faire une lascheté, + Et pour estre fidele une infidelité. + Quoy donc en me tuant il implore mon aide, + Et j'emploiray mes soings à chercher son remede? + Il fait contre moy-mesme un funeste dessein + Et je preste le fer pour me percer le sein + Non non, crainte, respect, ennemis de ma flame, + Cedez à mon amour l'empire de mon ame. + Où commande ce Dieu vous estes sans pouvoir, + Et ces loix seulement prescrivent mon devoir. + Toutesfois je me trompe, & mon ame confuse + En un mesme projet me deffend & m'accuse; + Il faut servir le Roy, puisque je l'ay promis, + Bien qu'il soit le plus grand de tous mes ennemis: + Pour l'asseurer du port, m'exposer à l'orage, + Et mettre le voleur dedans mon heritage. + Mais comme je me puis resoudre à cét effort, + Je pourray bien aussi me resoudre à la mort. + + + +SCENE CINQUIESME. + +DOM SANCHE, CHERIFFE. + +CHERIFFE. + + Apres tant de transports à la fin je respire, + J'ay secoüé les fers qui faisoient mon martyre, + Ouy, Dom Sanche, à la fin mon esprit est remis, + Je renonce à l'espoir que je m'estois promis, + Et de ma passion mon ame desgagee + Est par tes bons advis tout à fait soulagee: + Ta prudence & tes soins m'ont rendu le repos; + En fin je dois ma vie à tes sages propos. + Et je demeure ingratte + +D. SANCHE. + + Ah! divine merveille, + Vous pouvez aujourd'huy me rendre la pareille + Et par vostre bonté me conserver le jour. + +CHERIFFE. + + Dites moy vostre mal. + +D. SANCHE. + + Madame c'est amour, + Et le coup dont je meurs vous rend interessee + Puisque c'est par vos yeux que mon ame est blessee + +CHERIFFE. + + Don Sanche tu sçais trop comme ils sont impuissans + Et tu te plains d'un coup dont ils sont innocens, + Ne les accuses point, sans attraits & sans flames + Ils ne peuvent blesser ny les coeurs ny les ames. + +D. SANCHE. + + La modestie icy veut couvrir vos mespris + Pour esteindre les feux dont je me sens espris, + Mais si vous l'esperez vostre attente est bien vaine + L'amour seule, ou la mort, peuvent finir ma peine: + Quel remede des deux dois-je esperer de vous, + Prononcez mon arrest, je l'attends à genoux: + Si je suis malheureux au point de vous desplaire + Ordonnez de mon sort je vay vous satisfaire. + Et les traits de la mort en me privant du jour + Chasseront de mon coeur les flesches de l'amour: + Ou si vostre bonté ne vous a pas quittée + Rendez moy la pitié que je vous ay prestée. + +CHERIFFE. + + Apres m'avoir tenu de si sages propos + Son Sanche voulez vous me ravir mon repos? + Voulez-vous rendre vains les effets de vos peines + En remettant mon coeur en de nouvelles chaisnes? + Ah! souffrez que mes voeux joüissent plus long temps, + D'un calme ou mes esprits se treuvent si contens + En cét heureux estat Cheriffe est fortunee + Laissez moy cette paix que vous m'avez donnee + Et ne destruisez pas une obligation + Que vous pourriez finir par vostre passion. + +D. SANCHE. + + Ah! Madame quittez cette inutile crainte + Et ne redoutez pas une si douce atteinte + Bien loin de ruiner cette obligation + Je la veux achever par mon affection: + Et quoy que la fortune ayt fait tomber Cordouë + Je veux vous relever au plus haut de sa rouë: + Je veux vous rendre un frere & finir vos debats, + Vous rendre son amour, luy rendre ses Estats + Remettre sur son front cette Auguste couronne, + Que le sort luy ravit & qu'il nous abandonne: + Et vous mettre tous deux en ce superbe point, + Qu'apres tant de malheurs vous n'espererez point. + Ouy je ne vous faits pas des promesses frivolles, + Un glorieux effect peut suivre mes parolles. + La faveur que mon sort me donne aupres du Roy, + N'a que trop de pouvoir pour desgager ma foy. + +CHERIFFE. + + Les amans comme vous promettent toute chose. + +D. SANCHE. + + Madame je tiendray ce que je vous propose + Ou je perdray bien-tost avecque vostre amour + Mon espoir, ma faveur, ma fortune, & le jour. + +CHERIFFE. + + O Dieux dois-je esperer en ce siecle où nous sommes + Une fidelité si rare entre les hommes: + Et me dois-je exposer encor au mesme écueil + Qui n'aguiere a pensé me creuser un cercueil + Quand on a rencontré quelque mauvais passage, + Il faut changer de routte ou bien faire naufrage: + L'espoir est toutesfois un écueil si charmant + Qu'un coeur ne le sçauroit eviter aysément: + C'est là que les desirs poussent toute leur flotte, + Et qu'ils suivent le cours d'un aveugle Pilotte: + Ouy Don Sanche à la fin je me laisse emporter, + A l'espoir glorieux dont tu viens me flatter: + Et quoy que ma rigueur tasche de me deffendre, + Ton merite & tes soins me forcent de me rendre + Mais avant que le ciel me range soubs tes loix, + Il faut que ta faveur qui gouverne les Rois, + Remette ta Cheriffe en ce point desirable, + Qui la doit à tes yeux rendre considerable; + Affin de faire voir que ta chere moitié, + Est un object d'amour & non pas de pitié. + +D. SANCHE. + + Je le veux bien, Madame: apres cette esperance + Vous verrez mon amour par mon impatience: + Je vay trouver mon Prince, & par d'heureux effets + Rendre si je le puis vos desirs satisfaits. + +CHERIFFE. + + Don Sanche je veux vivre en cette heureuse attente. + + [Spher. & Celimant commencent à paroistre, & les + considerent sortans ensemble.] + +D. SANCHE. + + Vous me verrez mourir ou vous serez contente. + Cependant sur l'espoir d'un bon-heur si charmant, + Souffrez que je vous rende à vostre appartement. + + + +SCENE SIXIESME. + +SPHERANTE, CELIMANT. + +SPHERANTE. + + He bien cher Celimant ne puis-je pas sans blâme + Estouffer dans mon sein cette honteuse flame: + Dont j'ay long-temps bruslé pour ce perfide coeur, + Voy comme apres un Cid Don Sanche en est vainqueur, + Comme au mespris d'un Prince un sujet la possede, + Et comme à ses desirs aisément elle cedde: + Apres ce traittement & cette lascheté, + Pourrois-je encor aymer cette ingratte beauté. + Non je ne puis souffrir un mespris si visible, + Et si je le souffrois je serois insensible. + Choisissons donc mon coeur des fers plus glorieux, + Et quittons pour jamais cet objet odieux. + +CELIMANT. + + Quoy Monsieur pouviez vous esperer autre chose + D'un coeur qui de nos maux est la source & la cause: + Apres sa perfidie & cette trahison, + Qui n'a pas espargné son sang ny sa maison. + Apres avoir trahy son frere & sa patrie, + Pour aymer un Rodrigue avec idolatrie: + Croyez vous qu'elle deust vous traitter autrement, + Ah! Monsieur usez mieux de vostre jugement: + Et s'il vous reste encor de cette indigne flame, + Quelque ressentiment, chassez le de vostre ame: + Cheriffe ne sçauroit estre reduite au point + D'aymer une vertu qu'elle ne cognoit point: + Estouffez estouffez cette amour importune, + Cette conformité d'humeur & de fortune: + Qui me fait ressentir toutes vos passions + Ne peut que trop lier nos inclinations: + Sans qu'il nous soit besoin pour nostre bien-veillance, + De cette malheureuse & funeste alliance. + +SPHERANTE. + + Genereux Celimant je vous puis asseurer + Qu'elle nous unit mieux nous croyant separer: + Et je trouve en la soeur ma perte bien legere, + Pourveu que mon bon-heur me conserve le frere: + Ouy je lys sur ce front adorable et charmant + Que Spherante est tousjours aymé de Celimant. + Et quoy que nous soyons heureux ou miserables, + Que tousjours nos destins seront inseparables. + C'est ce que je vous jure & que je vous promets + Et ce noble serment ne se rompra jamais. + Je sçay bien qu'à present mon pere dans Tolede, + Prepare à nos malheurs un utile remede: + Si l'on peut sans blesser les loix de l'equité, + Nommer icy malheur nostre captivité. + Mais je veux en tous lieux suivre vostre fortune, + Si j'ay la liberté qu'elle vous soit commune: + Ou si l'on vous prepare un pire traittement, + Que mon sort soit pareil au sort de Celimant. + Apres ce grand duel à mon coeur si sensible, + Où ma valeur perdit le tiltre d'invincible: + Le Cid pour temoigner sa generosité, + Malgré ses interests m'offrit la liberté: + Mais je la refusay pour servir cette ingratte, + Dont le crime aujourd'huy si vivement esclatte: + Ne sçachant pas encor que la legereté, + Eut porté son esprit à cette lascheté. + Maintenant que sa faute a merité ma haine, + Par un juste dépit j'ay rompu ceste chaine, + Mais depuis cét effort je me sens retenu, + D'un lien Celimant qui ne t'est pas congneu: + En de si nobles fers mon ame est asservie, + Qu'en quittant ma prison je veux quitter la vie, + Loin de la souhaitter je crains ma liberté. + +CELIMANT. + + Sans doute c'est l'amour qui vous tient arresté. + +SPHERANTE. + + Ouy j'ayme Celimant une beauté si rare, + Que les traits de ses yeux toucheroient un barbare. + Mais + +CELIMANT. + + Quoy mais? + +SPHERANTE. + + Il faut perdre le jour, + Puisque le desespoir est joint à mon amour, + +CELIMANT. + + Quelle est cette beauté si rare & si charmante, + Dont l'injuste rigueur s'oppose à vostre attente? + Apres vos qualitez & vostre illustre rang, + Que peut-elle bons Dieux esperer de plus grand. + Quand bien elle seroit de naissance Royale + Vostre condition n'est elle pas esgalle? + +SPHERANTE. + + Ouy mais tous mes deffaux & l'horreur de mon sort, + Avec ses qualitez ont trop peu de rapport. + +CELIMANT. + + Cette raison, Monsieur, n'est pas considerable, + Puisque vous estes Prince, & de plus, adorable. + Elle veut, en feignant d'ignorer vos appas, + Esprouver vostre amour, + +SPHERANTE. + + Elle ne la sçait pas. + +CELIMANT. + + Qu'apprehendez vous donq? + +SPHERANTE. + + D'estre trop temeraire. + +CELIANTE. + + Ah Spherante! esperez, vous ne sçauriez desplaire, + Un vertueux amour n'est jamais odieux; + Mais quel est cét object si charmant à vos yeux? + De cette confidence, honorez ma franchise. + +SPHERANTE. + +L'Infante, Celimant a mon ame surprise, + Dés son premier abord je ressentis ses traits, + Et tousjours du depuis j'ay chery ses attraits, + Sans que jusqu'à present, ma passion discrette, + Ayt ozé descouvrir cette flame secrette: + Mais en fin ce beau feu de mon ame vainqueur, + S'efforce de franchir les bornes de mon coeur. + Il ne peut plus souffrir cette estroitte demeure, + Et s'il vient à deplaire, il faudra que je meure. + +CELIMANT. + + Spherante esperez mieux, je vous suis caution, + Qu'on souffrira vos voeux, & vostre affection, + Mais que veut Arias? + + + +SCENE SEPTIESME. + +SPHERANTE, CELIMANT, D. ARIAS. + +D. ARIAS. + + Monsieur, le Roy vous mande, + +CELIMANT. + + Allons. + + + +SCENE HUICTIESME. + +SPHERANTE, L'INFANTE. + +SPHERANTE. + + De ce depart, que faut-il que j'attende? + D'où provient, justes Dieux, qu'on le mande sans moy? + +L'INFANTE. + + Quoy tout seul? + +SPHERANTE. + + Celimant est allé chez le Roy. + Sa Majesté le mande, + +L'INFANTE. + + Ouy, j'en sçay bien la cause, + C'est que sa liberté maintenant se propose, + Si mon frere y consent, vous en serez aussi. + +SPHERANTE. + + Ma liberté, Madame, est mon moindre soucy, + Loin de la desirer, j'ay sujet de la craindre. + +L'INFANTE. + + Quelque civilité qui vous oblige à feindre, + Tolede vous seroit un sejour plus charmant. + +SPHERANTE. + + L'effect vous fera voir si Spherante vous ment. + +L'INFANTE. + + He bien je le veux voir, adieu. + +SPHERANTE. + + Belle Princesse, + Mon devoir ne veut pas encor que je vous laisse. + Ne me desrobez pas un entretien si doux, + Et m'accordez l'honneur de vous rendre chez vous. + + + +SCENE NEUFIESME. + +LE CID, D. ARIAS. + +LE CID. + + Amy va dire au Roy, que son attente est vaine + Que je n'ay pû changer le dessein de Chymene, + Et qu'apres avoir fait, cét inutile effort, + Je ne puis me resoudre à ce triste rapport: + Dy luy que mes devoirs, & mon obeissance + N'ont pû de cette ingratte, obtenir la presence, + Et que par un excés, de haine, & de rigueur, + Sa porte m'est fermee aussi bien que son coeur: + Enfin que je ne puis contenter son envie, + Si ce n'est qu'elle soit contente de ma vie. + Si ce present luy plaist que j'iray luy porter, + +ARIAS sortant. + + Ah! que par ce rapport, je crains de l'irriter. + + + +SCENE DIXIESME. + +LE CID seul. + +STANCES. + + Ouy Rodrigue, il s'y faut resoudre, + Satisfaits à ces deux Tyrans, + De qui les projets differens, + Malgré tant de lauriers, te menassent du foudre, + Contre l'amour & le devoir + Ta vertu n'a point de pouvoir: + Icy ta resistance est vaine, + Rodrigue s'en est faict il faut perdre le jour, + Donne à ton Roy ta vie & ton coeur à Chymene, + Et tu contenteras le devoir & l'amour. + + Chymene avec sa constance, + Brave la majesté des Rois, + Nous vivons sous de mesmes loix, + Et nous sommes regis d'une mesme puissance, + Toutesfois où ce noble coeur, + Triomphe en superbe vainqueur, + Mon ame demeure incertaine, + Ah Rodrigue, c'est trop, il faut perdre le jour, + Donne à ton Roy ta vie, & ton coeur à Chymene, + Et tu contenteras le devoir & l'amour. + + Mais quoy l'ingratte m'abandonne, + Elle reffuse de me voir, + Et ruyne tout mon espoir, + Lors que je luy procure une illustre couronne, + Quand je rens son destin plus beau, + Elle me destine au tombeau, + L'adoray-je, elle est inhumaine, + Rodrigue s'en est fait, il faut perdre le jour: + Donne à ton Roy ta vie, & ton coeur à Chimene, + Et tu contenteras le devoir & l'amour. + + Imitons ce noble courage, + Suivons des mouvemens si sains; + Malgré le Roy & ses desseins, + Ne la laissons pas seule au milieu de l'orage, + Quoy qu'elle ayt beaucoup de rigueur, + Ne témoignons pas moins de coeur, + Opposons l'amour à sa hayne, + S'en est faict finissons la trame de mes jours, + Et comme elle fait voir qu'elle est tousjours Chimene + Monstrons luy que le Cid est Rodrigue tousjours + + + + +ACTE V. + + +SCENE PREMIERE. + +LE ROY, CELIMANT, D. SANCHE. + +LE ROY. + + Ouy brave Celimant je ferois conscience + De vous priver des droits deuz à vostre naissance, + Malgré mes interests vostre rare vertu + M'oblige à relever vostre trône abatu: + Je veux rompre les fers que le malheur vous donne, + Rendre à ces mains le sceptre, à ce front la couronne, + Changer vostre destin vous le faire oublier, + Et ce sont là les noeuds dont je veux vous lier. + +CELIMANT. + + Voulez vous esprouver, Monarque incomparable, + Si quelque vanité flatte un Roy miserable? + Ou bien si dans l'estat où m'a reduit le sort, + Je puis encor avoir l'esperance du port? + Ah! joignez librement Cordouë à vostre Empire, + Ce n'est pas à ce bien que Celimant aspire, + Il ne se repaist pas de desirs superflus, + Et le trône est un lieu qu'il ne regarde plus. + +LE ROY. + + Quittez cher Celimant ces funestes pensees, + Oubliez pour jamais vos traverses passees, + Et songez qu'aujourd'huy vous pouvez remonter, + Au trône d'où le sort, a voulu vous oster, + Pourveu que vous vouliez contenter mon envie. + +CELIMANT. + + Vous estes, grand Monarque, arbitre de ma vie, + Ainsi que sans pouvoir, je suis sans volonté, + Et vous pouvez user de vostre authorité, + Commandez, me voila disposé de vous plaire. + +LE ROY. + + Et je suis Celimant, prest à vous satisfaire + En ce que j'ay promis, pourveu que vostre soeur + Puisse esperer de vous une mesme douceur, + Qu'elle esprouve aujourd'huy, quelle est vostre clemence + Le pardon est souvent une haute vengeance: + Et quand un coeur est grand, une adroitte pitié + Le punit quelquesfois mieux que l'inimitié. + +CELIMANT. + + Apres sa lâcheté, son crime, & son audace, + Grand Prince, je ne puis consentir à sa grace: + Et si je luy faisois un favorable accueil, + Ce seroit par deux fois heurter un mesme Ecueil, + En vain vostre bonté me rendroit mon Empire, + Avec elle, grand Roy, mon destin seroit pire, + Que celuy que j'espreuve en ma captivité, + Qui me fait justement craindre ma liberté. + En vain je reprendrois le sceptre & la couronne, + Mon estat, et les biens que je vous abandonne: + Et sur le trône en vain je me verrois remis, + Si je le recevois avec mes ennemis. + +LE ROY. + + Non Celimant quittez cette inutile crainte, + Et le ressentiment dont vostre ame est atteinte, + Je remettray Cheriffe aux termes du devoir, + Et vous aurez sur elle un absolu pouvoir. + Mais pour vous exempter de toute deffiance, + Il faut pour quelque temps, vous oster sa presence: + Et puisque son amour causa sa trahison, + La condamner aux fers & la mettre en prison, + Je veux doresnavant, qu'elle sente les flames, + Dont les vives ardeurs bruslent les belles ames, + Et qu'amour & l'hymen ces aymables tyrans + Soient les executeurs de l'arrest que je rens. + +CELIMANT. + + Grand Roy, sa trahison, jointe à son arrogance, + Ne luy permettent plus, cette heureuse esperance, + Apres mille mespris indignement souffers, + Celuy qu'elle avoit pris est sorty de ses fers, + Et je croirois un Prince estre bien miserable, + A qui ce lasche objet seroit considerable. + +LE ROY. + + Vostre ressentiment vous fait parler ainsi, + Mais brave Celimant, laissez m'en le soucy, + J'en veux prendre le soin, & je vous la demande, + Un seigneur de ma Cour dont la naissance est grande, + Mais de qui la vertu passe la qualité, + Ayme avec passion cette jeune beauté: + Il est vray qu'à sa flame, il mesle un peu d'audace, + Et qu'il n'a point de Rois pour autheur de sa race, + Mais si par le merite on peut tout esperer, + Ce genereux amant n'a rien à desirer. + C'est don Sanche en un mot qu'à ses voeux je destine. + +CELIMANT. + + Souvenez vous grand Roy, quelle est son origine, + Don Sanche vaut beaucoup, mais sa condition, + Ne s'esleva jamais à tant d'ambition; + Quelle que soit Cheriffe, ingratte ou deloyale, + Elle n'en est pas moins de naissance Royale: + Et ce rang veut qu'elle ayt un Prince pour mary. + +LE ROY. + + Monsieur, Don Sanche est tout, estant mon favory, + Et je veux luy donner un si grand advantage + Que Cheriffe auroit tort d'esperer davantage, + Mesme si vous sçaviez avec quelle ferveur + Il a pour vostre bien employé sa faveur, + Vous ne sçauriez sans blasme & sans ingratitude + Refuser ce salaire à son inquietude; + Mais si cette raison ne touche point vos sens, + Si tous deux ils ne font que des voeux impuissans, + Pour le moins escoutez un Roy qui vous conjure, + De cherir vostre soeur, d'oublier son injure, + Et de souffrir qu'elle ayt de ma main un espoux, + Qui doit rendre son sort & le vostre plus doux? + Despoüillez Celimant cette haine obstinée, + Et ne differez point cét heureux hymenée? + Si vous considerez les prieres d'un Roy, + +CELIMANT. + + Vous m'imposez, Monsieur, une trop juste loy, + Et puis que cét hymen a l'honneur de vous plaire, + Don Sanche en Celimant peut rencontrer un frere, + Et Cheriffe en faveur de ce parfait Amant, + S'asseurer de l'oubly de mon ressentiment. + +LE ROY. + + Ah que vous m'obligez, & que cette clemence, + Prouve bien aujourd'huy vostre illustre naissance, + Que je cheris en vous cette rare douceur, + Qui sçait si bien traitter une coupable soeur, + Et faire succeder tant d'amour à la haine, + Mais la voicy qui vient, & Don Sanche l'ameine, + J'attens de cét abord de bien-heureux effets, + +CELIMANT. + + Je rendray sur ce point vos desirs satisfaits. + + + +SCENE DEUSIESME. + +LE ROY, CELIMANT, D. SANCHE, CHERIFFE. + +LE ROY. + + Madame dissipez cette morne tristesse + Qui messied sur le front d'une grande Princesse: + Rendez à vostre teint, cét éclat glorieux, + Que par fois vostre grace emprunte de vos yeux: + Et ne permettez pas que la melancolie, + Dans ces noires horreurs vous tienne ensevelie: + Vous devez respirer sous un ciel plus serain, + Et d'un destin plus doux, le pouvoir souverain: + Contre vostre espérance, a calmé la tempeste, + Qui sembloit cy devant menasser vostre teste: + Embrassez vostre frere il vous pardonne tout, + Et mesme à vous aymer sa bonté se resoult, + Rendez vous desormais digne de cette grace. + +CHERIFFE. + + Dieux la dois-je esperer? + +CELIMANT. + + Ouy vien que je t'embrasse. + Chere soeur, les effets te seront les tesmoins, + Que je te cheris plus quand tu l'esperes moins. + +CHERIFFE. + + Cher frere! ah ce bon-heur me rend toute confuse, + Mais aussi n'est-ce pas un songe qui m'abuse? + Non, je veille, & je vois mon frere devant moy, + Et je ne puis douter des parolles d'un Roy. + +LE ROY. + + N'en doutez pas, Madame, & pour comble de joye, + Recevez cét Amant que le Ciel vous envoye, + Favorisez les feux que son ame ressent. + +CELIMANT. + + Si Don Sanche le veut, Celimant y consent. + +D. SANCHE. + + Surpris, ravy, confus, je ne sçay que respondre, + A cét offre charmant, dont je me sens confondre: + Et mon esprit troublé s'efforce vainement, + D'obliger mon devoir de quelque compliment: + Les vulguaires bon-heurs font de belles harangues, + Mais la nature aux grands n'a point donné de langues + Excusez donc, Seigneur, si l'admiration + Sert de remerciement à mon affection + Et si pour satisfaire à vostre bien-vueillance, + J'use de mon respect, plustost que d'eloquence, + L'honneur que je vous dois ne se peut exprimer, + Mais je vous feray voir que je sçay bien aymer, + Et si l'occasion respond à mon envie, + M'acquitter d'un bien-fait aux despens de ma vie. + +CELIMANT. + + Treve à ces complimens par là vous pouvez voir + Combien un bon office a sur moy de pouvoir, + Sçachant vostre vertu je ne sçaurois moins faire, + Et mon affection veut vous traitter en frere. + +D. SANCHE. + + Et je proteste icy que vous aurez de moy + Ce que demande un frere & que merite un Roy. + +CHERIFFE. + + Agreable propos favorable promesse + Sermens qui dissipez ma cause & ma tristesse! + Que dessus mes esprits vos charmes sont puissans, + Et qu'agreablement vous ravissez mes sens. + +LE ROY. + + Celimant soyez libre, & reprenez l'Empire + D'un peuple dont l'audace a pensé vous destruire: + Je vous rends vostre sceptre avecque vos estats, + +CELIMANT. + + Grand Roy bien que le sceptre ayt de puissans appas, + Ils ne me touchent point; permettez, que j'aduoüe, + Qu'à regret je remonte au trosne de Cordouë, + Et que de ce bon-heur je me sens moins ravir, + Que du desir que j'ay de vous pouvoir servir: + Toutesfois puis qu'il plaist au plus grand des Monarques + De me rendre mes biens & ces illustres marques, + Que la rigueur du sort a mise en son pouvoir + Avecque son adveu je les veux recevoir, + Protestant devant vous de les mettre en usage, + Pour rendre à cét Estat un eternel hommage; + Mais grand Roy s'il vous plaist d'achever mon bon-heur, + Joignez à vos bien-faicts encore une faveur, + Je ne vous feray pas une priere injuste. + +LE ROY. + + Pour estre refusé vous estes trop auguste, + Demandez Celimant, & soyez asseuré, + Qu'à vous rendre content je suis tout preparé. + +CELIMANT. + + De cét heureux espoir que mon ame est ravie, + Spherante + +LE ROY. + + C'est assez, je cognois vostre envie, + Et sans vous escouter je la veux prevenir, + Ouy la captivité du Prince va finir; + Et comme un mesme coup a fait vostre fortune, + La franchise à tous deux doit estre aussi commune; + Si Tolede luy rend ce sejour ennuyeux, + Il peut en liberté quitter ces tristes lieux, + Et revoir les estats où son pere commande. + +CELIMANT. + + Ah! grand Roy ce n'est pas ce que je vous demande, + Et ce genereux prince ayme tant cette cour, + Qu'il craint sa liberté bien plus que son retour: + Il demande des fers, + +LE ROY. + + Quelle est cette demande? + +CELIMANT. + + Elle est juste, Monsieur, autant comme elle est grande, + Il demande des fers, mais des fers glorieux, + Et dignes d'enchaisner & des Rois & des Dieux. + +LE ROY. + + Chymene asseurément est aussy son attente. + +CELIMANT. + + Non, Monsieur, + +LE ROY. + + Et qui donc? + +CELIMANT. + + Il adore l'Infante. + +LE ROY. + + Je sçay que cette Infante autrefois l'a charmé, + Mais il ne l'ayme plus, n'en estant pas aymé. + +CELIMANT. + + Je vous parle, Monsieur, de celle de Seville. + +LE ROY. + + Il oblige beaucoup toute nostre famille, + Et je serois ravy qu'il en receut la foy, + S'il demandoit un bien qui fust encore à moy: + Mais comme vous sçavez, elle est desja promise, + Au Cid dont la valeur l'a justement acquise: + L'affaire toutesfois n'est pas encore au point, + Que ce noble rival, doive n'esperer point: + Quelquesfois un moment change l'ordre des choses, + Sans qu'on en ayt preveu, les raisons, ny les causes, + Celimant je vairray mon conseil là dessus. + +CELIMANT. + + Faitte Dieux immortels, que ses voeux soient receus, + + + +SCENE TROISIESME. + +SPHERANTE, L'INFANTE. + +SPHERANTE. + + [En sortant de la chambre & reconduisant Spher.] + + Belle Infante, il est vray Spherante est temeraire, + De vous offrir un coeur indigne de vous plaire, + Mais son crime est si beau qu'il ne peut consentir, + Aux lasches sentimens d'un triste repentir: + S'il ne doit pas de vous obtenir autre grace, + Il se contentera de cherir son audace: + Et son esprit faisant l'office de ses yeux, + Il vous adorera comme l'on fait les dieux: + Mesme si son malheur luy deffend l'esperance, + Vous verrez son amour par son obeissance: + Et son destin tousjours luy semblera bien doux, + Pourveu qu'il ayt l'honneur de vivre aupres de vous, + +L'INFANTE. + + Bien que je ne sois pas ny charmante ny vaine, + Je veux croire, Monsieur, que je faits vostre peine: + Et certes je vous ay de l'obligation, + D'avoir conçeu pour moy quelque inclination: + Mais vous devez sçavoir que je depens d'un frere, + Que tout ce qui luy plaist (Spherante) il me doit plaire + Et quelque affection que l'on me vienne offrir, + Qu'il ne m'est pas permis, sans luy de la souffrir, + Si vous estes touché d'un sentiment si tendre: + Avecque son adveu vous pouvez tout pretendre, + Ses seules volontez disposent de mon choix. + +SPHERANTE s'en allant. + + J'obeïray, Madame, à ces divines loix + + + +SCENE QUATRIESME. + +L'INFANTE seule. + + Que ferons nous, mon coeur, ce Prince est bien aymable, + Rodrigue l'est aussi, mais il est moins traictable: + Et s'il est à mes yeux adorable & charmant, + Il me traitte en vainqueur, & non pas en Amant: + Spherante est plus courtois, & d'humeur moins hautaine, + Laissons cherir au Cid son ingratte Chimene, + Et puisque l'amour seul est le prix de l'amour, + Accordons ce salaire à qui nous fait la cour. + Mais que dis-je insensee? & quelle erreur extreme, + Me rend en un moment differente à moy-mesme, + Cét agreable objet, qui regne dans mon sein, + Peut-il bien me permettre un si lasche dessein, + Non, je ne puis changer, Rodrigue me possede, + J'estime toutesfois le Prince de Tolede, + Sa grace me ravit, & malgré son vainqueur, + Je sens bien maintenant qu'il partage mon coeur, + Que ferons nous Amour en ce fascheux dedale? + Dois-je en quittant Rodrigue obliger ma Rivale? + Non ne le quittons point, mais suivons sans effort, + Ce qu'en ordonneront & mon frere & le sort, + + + +SCENE CINQUIESME. + +LE ROY, D. SANCHE, SPHERANTE, L'AMBASSADEUR de Tollede. + +LE ROY parlant à Spherante. + + En fin, Monsieur, il faut quitter cette province, + Tolede avecque ardeur redemande son prince, + Et je n'ay pas dessein de priver plus long temps, + Vos sujets d'un bon-heur qui les rendra contens, + Un pere vous attend avec impatience, + Spherante rendez luy vostre aymable presence + Puis qu'il ne permet pas que je vous fasse voir, + Combien dans cet Estat vous avez de pouvoir: + Si l'on vous a faict prendre une routte importune, + Plutost que mes desirs accusez la fortune, + Et soyez asseuré que je n'ay projetté, + De vous oster les droits de vostre liberté: + Si vous avez senty les fureurs de Bellonne, + Sa colere est aveugle & n'espargne personne, + Nous vous avons icy traitté d'autre façon, + Et loing de souhaitter de vous quelque rançon; + Si quelque chose icy vous est considerable, + Disposez-en Monsieur. + +SPHERANTE. + + Monarque incomparable, + En l'estat où je suis que puis-je desirer, + Si mesme vous m'ostez les moyens d'esperer + Si j'avois quelque part en vostre bienveillance + Vous n'ordonneriez pas cette cruelle absence, + Vous vous opposeriez à mon esloignement, + Et vous auriez sans doute escouté Celimant; + Mais je voy bien grand Roy que sa priere est vaine, + Que Spherante à vos yeux est un objet de haine, + Et que vous l'esloigniez seulement de ces lieux, + Parce que vous trouvez son abord odieux, + Ah! rendez-moy mes fers plustost que ma franchise, + Retirez vos faveurs c'est mon mal que je prise, + Vos funestes bien-faits ne font que m'outrager, + Et vous m'assassinez me pensant obliger. + +L'AMBASSADEUR. + + Quelle fureur grand Prince aujourd'huy vous possede, + Et quelle aveugle erreur vous fait haïr Tolede? + Voulez-vous preferer vostre captivité + Aux honneurs que vous rend cette noble cité? + Avez-vous oublié quelle est vostre naissance? + Qu'un pere vous attend, son sceptre, & sa puissance? + Quelle felicité vous charme en cette cour, + Ou plus tost quel Demon vous retient, + +SPHERANTE. + + C'est amour, + Et si ce Dieu puissant me refuse ses chaisnes, + La mort y va finir & ma vie & mes peines. + Va retourne à Tolede & fais sçavoir au Roy, + Qu'une divinité qui me tient souz sa loy, + Rend ma captivité si douce à mon envie, + Que je n'en veux sortir qu'en sortant de la vie. + +LE ROY. + + Spherante moderez ce transport vehement, + J'ay touchant vos desseins entendu Celimant, + Et ceste passion a pour moy tant de charmes, + Qu'a peine je resiste à de si belles armes, + Ouy cét ardent amour dont vous estes espris, + Entre vous & le Cid divise mes esprits, + Incertain qui des deux emporte la balance, + Je permets à tous deux une esgale esperance? + Puis que vostre merite & ses perfections, + Suspendent en ce choix mes inclinations? + Faites venir l'Infante & dites qu'elle amenne, + Le genereux Rodrigue & l'ingrate Chymene, + Aujourd'huy leur presence est necessaire, icy; + S'il plaist à Celimant il en peut estre aussi. + + + +SCENE SIXIESME. + +LE ROY. D. SANCHE. SPHER. L'AMBASS. + +LE ROY, continuë parlant à l'Ambass. + + He bien vous cognoissez le sujet qui l'arreste, + Et la captivité qui suivit sa deffaite? + Voila son traittement, il vous monstre ses fers, + Et vous jugez par eux des maux qu'il a souffers. + +L'AMBASSADEUR. + + Ouy grand Roy je cognois la douce violence, + Qui ravit nostre Prince aux lieux de sa naissance; + Et qui fait aujourd'huy dans cét heureux sejour, + D'un prisonnier de guerre un prisonnier d'amour, + Que je seray ravy de porter la nouvelle, + D'une captivité si charmante & si belle; + Et que nostre Monarque estimera l'honneur, + Que ce Prince reçoit en ce rare bon-heur. + +D. SANCHE. + + C'est ainsi que le Roy traitte un noble courage, + Quand la faveur de Mars luy donne l'advantage, + C'est ainsi qu'il triomphe et qu'il gagne les coeurs, + +L'AMBASSADEUR. + + Si l'on avoit tousjours de semblables vainqueurs, + Le destin aux vaincus seroit si favorable, + Que celuy des vainqueurs seroit moins desirable. + +SPHERANTE. + + Mendosse tu le voids apres ce traittement, + Si je crains mon retour, n'est-ce pas justement? + Mais que dis-je tu void? tu ne vois rien encore, + Puis que tu ne vois pas la beauté que j'adore; + Mais bons Dieux la voicy, + + + +SCENE DERNIERE. + +TOUS LES ACTEURS. + +SPHERANTE, continuë. + + Regarde ses attraits, + Et juge si l'on peut en éviter les traits, + Voy cette Majesté, contemple cette grace, + Et sçachant mes deffaulx admire mon audace. + +L'AMBASSADEUR. + + Voyant tant de beautez je doute si ce lieu + Est l'Auguste Palais d'un Monarque ou d'un Dieu. + +LE ROY. + + Ma soeur approchez-vous, cette heureuse journée, + Vous doit faire passer sous les loix d'Hymenée; + Et pour rendre aujourd'huy vostre destin plus doux, + Je veux que vous fassiez le choix de vostre espoux, + Le Prince de Tolede a pour vous dans son ame, + Les plus vives ardeurs de l'amoureuse flame, + Et les perfections dont il est revestu, + Feroient mesme à l'envie admirer sa vertu, + D'autre costé Rodrigue est si considerable, + Qu'à peine est-il quelqu'un qui luy soit comparable; + On ne peut trop loüer ses rares qualitez, + Et tous deux valent plus que vous ne meritez: + Toutesfois puis qu'amour vous rend si bon office, + Et que ces deux Amans vous offrent leur service, + Vous pouvez librement par vostre eslection + Nous declarer l'objet de vostre affection. + +L'INFANTE. + + Je ne croy pas Monsieur estre assez fortunée + Pour avoir l'un des deux par les loix d'Hymenée; + Mais quand je les verrois soubsmis à mon desir, + Estant tous deux égaux, je ne sçaurois choisir. + +LE ROY. + + Ils t'adorent tous deux, & sur cette asseurance + Tu peux de leur amour faire la difference. + +L'INFANTE. + + Ils m'adorent. J'en doute. + +LE ROY. + + Ah si tu ne le crois, + Je vay t'en asseurer, & de leur propre voix. + +SPHERANTE. + + Oüy, divine Beauté, je vous parle sans feinte, + Vous causez les ardeurs dont mon ame est attainte, + Et perdant mon espoir je veux perdre le jour. + +LE ROY. + + Hé bien douterez-vous encor de son amour? + Rodrigue asseurément vous parlera de mesme. + +LE CID. + + Il est certain grand Roy que tout le monde l'aime, + Et que sur tous les coeurs elle a tant de pouvoir, + Que pour ne l'aimer point il ne faut point la voir. + Mais, Sire, mon amour a cette difference, + Qu'on l'aime avec espoir, & moy sans esperance. + +LE ROY. + + Et qui te l'oste? + +LE CID. + + Amour. + +LE ROY. + + Parle plus clairement: + Rodrigue par l'effet ton discours se dément, + T'osteroit-il l'espoir, si c'est luy qui le donne? + +LE CID. + + Quand j'aime c'est alors que l'espoir m'abandonne: + +LE ROY. + + Apres l'avoir ravy ce cruel te le rend, + +LE CID. + + Et me l'ayant rendu ce Dieu me le deffend. + +LE ROY. + + Ces termes sont obscurs, je ne les puis comprendre. + +LE CID. + + Ma constance & le temps vous les pourront apprendre. + +LE ROY. + + Ouy, mais c'est à present que je le veux sçavoir. + +LE CID. + + Consultez les effets que vous en allez voir. + +LE ROY. + + Quels effets? + +LE CID. + + Mon trespas. + +LE ROY. + + Qui t'y porte! + +LE CID. + + Chimene. + +LE ROY. + + Ne m'as-tu pas cedé cette belle inhumaine? + +LE CID. + + Sire, vos volontez m'ont prescript cette loy: + Je suis vostre sujet, & vous estes mon Roy. + +LE ROY. + + Ouy, mais pour ce sujet si ton ame est atteinte + De ces grands desplaisirs que donne la contrainte, + Je n'ay pas le dessein de te faire ce tort, + Que d'entrer par ta perte aux delices du port, + Tu sçais assez combien ta personne m'est chere, + Et que de ta valeur ma soeur est le salaire: + Luy refuseras-tu ton inclination? + +LE CID. + + J'ay pour ce haut dessein trop peu d'ambition: + Sire, ne prenez point de souci de ma peine, + Laissez-moy dans mes fers, & possedez Chymene, + Qu'elle étouffe pour vous l'amour qu'elle a pour moy; + Je ne suis qu'un sujet, & vous estes un Roy. + +LE ROY. + + Refuse mes honneurs, moy j'accepte Chymene, + Et puis que cette Infante est pour toy sans appas, + Et qu'une autre Venus ne te toucheroit pas. + Ce dessein aujourd'huy desgage ma promesse, + Et je vay maintenant t'oster cette Princesse. + A quoy te resous-tu? + +LE CID. + + Sire, à ce que je doy: + Je suis vostre sujet, & vous estes mon Roy. + +LE ROY. + + Spherante si ma soeur est encor vostre attente, + Pourveu qu'à vostre choix vostre pere consente, + Je l'accorde à vos voeux. + +SPHERANTE. + + Vous serez satisfait, + Sire, & dans peu de jours vous en verrez l'effet. + Ah qu'il sera content du bien que je possede, + Et du noeud qui va joindre & Sevile & Tolede: + Mais que je suis ravi de cet extreme honneur, + Oserai-je, Madame, esperer ce bon-heur? + +L'INFANTE. + + Monsieur, le Roy vous fait arbitre de ma vie, + Et ce choix bien-heureux respond à mon envie. + +LE ROY. + + Et bien tu vois Rodrigue, à la fin s'en est fait. + +LE CID. + + Elle ne pouvoit prendre un Prince plus parfait, + Ny luy plus esperer. + +LE ROY. + + Et vous belle Chymene + Ne consentés-vous pas à la fin de ma peine? + Resistez-vous encor aux voeux de vostre Roy? + +CHYMENE. + + Sire, vous sçavez bien que j'ay donné ma foy, + Je fus à ce lien par vous-mesme contrainte, + Et la mort seulement en doit rompre l'estreinte. + +LE ROY. + + Ma constance vaincra vostre obstination, + Je cognois le sujet de cette aversion, + C'est qu'il vous reste encor quelque foible esperance + De posseder le Cid, mais c'est sans apparence: + Luy-mesme de sa bouche a destruit cét espoir, + Et l'amour dans son coeur peut moins que le devoir. + Parlez, parlez Rodrigue, asseurez cette ingratte, + Qu'elle attend vainement le bonheur qui la flatte, + Ou si vous regrettez de m'avoir obligé, + Dites-moy librement que vous estes changé, + Que malgré ses rigueurs sa constance vous touche. + +LE CID. + + Grand Prince mon devoir me ferme icy la bouche, + C'est assez desormais que vous sçachiez de moy, + Estant vostre sujet, que vous estes mon Roy. + +LE ROY. + + Oüy, mais pour estre Roy je ne veux pas contraindre + Un subjet à souffrir pour avoir voulu feindre. + +LE CID. + + Ah, Sire, rejettez ces tristes sentimens, + Qui retardent le cours de vos contentemens, + Quand il s'agist du bien d'un Monarque adorable, + La mort d'un mal-heureux n'est pas considerable, + Ce sera pour mon bras un honorable employ, + De punir un subjet importun à son Roy. + +LE ROY. + + Apres tant de respects & tant de bons offices, + Il faut, Rodrigue, il faut mieux payer tes services, + Ton extréme vertu m'impose cette loy, + Ta generosité sert d'exemple à ton Roy. + Ouy, trop parfait Amant je te rens ta Chymene, + Mon amour est fini, finis aussi ta peine. + Consentez-y, Madame, & rendez vostre coeur + A la fidelité de ce noble vainqueur; + Quoi que vous aiez creu de ce noble courage, + Tousjours malgré mes voeux il vous a fait hommage: + Il vous aime tousjours, & vous avez pû voir + Comme enfin son amour triomphe du devoir. + Ne differez donc plus, recevez-le, Madame, + Et cedez aux ardeurs d'une si belle flâme, + Dont vous bruslez le coeur du plus grand des guerriers, + Adjoutez aujourd'hui le myrthe à ses lauriers, + Et confirmant la foy que vous avez donnee, + Consentez aux effets d'un heureux Hymenee. + +CHYMENE. + + A quoi me resoudrai-je? + +LE CID. + + A me priver du jour, + Si vous me refusez le prix de mon amour. + Cet espoir seulement me conserve la vie, + Voyez si vous voulés qu'elle me soit ravie: + Je ne sçaurois finir plus glorieusement, + Et je meurs satisfait si je meurs vostre Amant. + +CHYMENE. + + Rodrigue levez-vous. + +LE CID. + + Souffrez belle inhumaine, + +CHYMENE. + + Levés-vous, c'est assés, je suis tousjours Chymene: + Vous estes mon Rodrigue, & je suis tout à vous. + +LE CID. + + Apres tant de tourmens que cet arrest m'est doux. + +LE ROY. + + Vivez heureux Amans, & goustés les delices + Que vous avés acquis au prix de vos services, + Quittés tous vos soucis, celebrés ce beau jour, + Faites de mon Palais un Empire d'amour, + Et puis que sa bonté va finir vostre peine, + Soyés tousjours Rodrigue, & vous tousjours Chymene. + + +FIN. + + +---------------------- +NOTES DU TRANSCRIPTEUR + +L'orthographe et la ponctuation sont conformes à l'original, y compris +les nombreuses variantes (Chimene/Chymene, etc.); on a cependant corrigé +quelques erreurs d'impression manifestes, et différencié i/j et u/v +selon l'usage moderne. + +On a conservé le pied en trop dans le vers: + Et que par cette raison il n'est pas ton vainqueur. + +Enfin dans le vers: + Mais [CELIMANT.] Quoy mais? [SPHERANTE.] Il faut perdre le jour, +auquel il manque un pied, l'original comporte un espace vide de la +taille d'un mot après "Mais" et avant la verticale du mot "Quoy". + + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of La vraye suitte du Cid, by Nicolas Mary + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA VRAYE SUITTE DU CID *** + +***** This file should be named 19455-8.txt or 19455-8.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + http://www.gutenberg.org/1/9/4/5/19455/ + +Produced by Carlo Traverso, Laurent Vogel and the Online +Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This +file was produced from images generously made available +by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at +http://gallica.bnf.fr) + + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. 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It exists +because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from +people in all walks of life. + +Volunteers and financial support to provide volunteers with the +assistance they need, is critical to reaching Project Gutenberg-tm's +goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will +remain freely available for generations to come. In 2001, the Project +Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure +and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. +To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation +and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 +and the Foundation web page at http://www.pglaf.org. + + +Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive +Foundation + +The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit +501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the +state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal +Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification +number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at +http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent +permitted by U.S. federal laws and your state's laws. + +The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. +Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered +throughout numerous locations. Its business office is located at +809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email +business@pglaf.org. 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