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You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: Les Origines et la Jeunesse de Lamartine 1790-1812 + +Author: Pierre de Lacretelle + +Release Date: July 15, 2007 [EBook #22077] + +Language: French + +Character set encoding: UTF-8 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LAMARTINE *** + + + + +Produced by Chuck Greif and the Online Distributed +Proofreading Team at DP Europe (http://dp.rastko.net) + + + + + + + + + +PIERRE DE LACRETELLE + +LES ORIGINES + +ET LA JEUNESSE DE LAMARTINE + +1790-1812 + +PARIS + +LIBRAIRIE HACHETTE ET Cie + +79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 79 + +1911 + +Droits de traduction et de reproduction réservés. + + + + +TABLE DES MATIÈRES + + +PRÉFACE + +PREMIÈRE PARTIE + +LES ORIGINES + +CHAPITRE + +----I.--Les Lamartine + +---II.--Les Des Roys + +DEUXIÈME PARTIE + +LE MILIEU + +-----I.--La famille + +----II.--La mère + +---III.--Les Lamartine pendant la Terreur.--Les premières années + +----IV.--Le décor.--Les voisins + +TROISIÈME PARTIE + +LES ANNÉES D'ÉTUDE + +-----I.--L'abbé Dumont + +----II.--L'institution Puppier + +--III.--Le collège de Belley + +QUATRIÈME PARTIE + +LA FORMATION DE LA PERSONNALITÉ + +-----I.--La vie solitaire. + +----II.--La crise littéraire.--Le premier amour. + +---III.--Le premier voyage + +CONCLUSION.--Lamartine à vingt et un ans + +APPENDICE + + + + +PRÉFACE + + +Sainte-Beuve a écrit: + +«Lamartine est de tous les poètes célèbres celui qui se prête le moins à +une biographie exacte, à une chronologie minutieuse, aux petits faits et +aux anecdotes choisies. Son existence, large, simple, négligemment +tracée, s'idéalise à distance et se compose en massifs lointains à la +façon des vastes paysages qu'il nous a prodigués... Il est permis, en +parlant d'un tel homme, de s'attacher à l'esprit du temps plutôt qu'aux +détails vulgaires qui chez d'autres pourraient être caractéristiques... +Qu'importent donc quelques détails de sa vie[1]?» + +[Note 1: Sainte-Beuve, _Portraits contemporains_, t. I (Lamartine).] + +Il paraît difficile d'admettre aujourd'hui sans discussion qu'un +critique aussi pénétrant ait commis une telle erreur; sans doute +avait-il ses raisons de parler ainsi, et peut-être ne faut-il voir dans +cette opinion exagérée que l'excuse honorable pour les romantiques d'un +éloignement dont ils furent tous secrètement blessés; écartés de +l'existence du poète, ils déclaraient que le détail en était sans +importance, et n'ajoutait rien à la compréhension de son Å“uvre. + +Malheureusement, il semble que les biographes de Lamartine aient pris +jusqu'ici le jugement de Sainte-Beuve pour base de leurs travaux, dont +la plupart ne sont que des fragments plus ou moins commentés de ses +innombrables souvenirs de jeunesse, source dangereuse et dont il importe +de se méfier, surtout pour la période antérieure à 1820. Écrits à une +époque où pour oublier le présent il se retrempa dans son passé, ils +composent plus exactement l'image de celui qu'il se crut ou aurait voulu +être plutôt que celui qu'il fut réellement. Aussi, doivent-ils être +utilisés avec une extrême précaution. + +Depuis quelques années déjà , la méthode historique a été introduite dans +le domaine littéraire et, si elle a ses inconvénients, elle a surtout +d'excellents côtés. Les études lamartiniennes en ont profité; divers +travaux ont été publiés qui soumettent les récits du poète à un contrôle +sévère en même temps qu'ils mettent en lumière des faits nouveaux. La +légende de Lamartine adolescent tend à disparaître pour faire place à +une réalité autrement vivante et l'on commence à comprendre que son +Å“uvre nécessite une biographie minutieuse et presque quotidienne. + +Mais s'il importe de rechercher les causes des états d'âme multiples et +contradictoires que reflète sa poésie, les _Méditations_, surtout, +écrites sans souci de la postérité et de la gloire à une époque indécise +et tourmentée de sa vie, réclament un commentaire infiniment plus précis +que celui qu'il nous a laissé; replacées dans leur véritable cadre, +éclairées par les circonstances qui déterminèrent, retardèrent ou +hâtèrent leur éclosion, elles deviennent plus humaines encore, parce que +plus sincères, et singulièrement émouvantes: en elles, aucun artifice +littéraire, nul désir d'introduire un mode nouveau de pensée: ce livre +qui devait révéler la jeunesse romantique à elle-même et marquer le +début d'un mouvement unique dans l'histoire des lettres françaises, fut +écrit sans ambition et presque négligemment. À comparer le manuscrit de +_Saül_, médiocre tragédie en cinq actes, amoureusement calligraphié sur +beau vélin, et les ébauches crayonnées hâtivement qui sont le premier +jet des _Méditations_, on se rend compte que Lamartine ne les +considérait que comme des notations intimes de ses états d'âme et sans +intérêt pour le public. Ce sont là des conditions de sincérité qui font +d'elles un précieux document psychologique pour l'étude de la jeune +génération romantique, et c'est ce que nous avons tenté d'établir ici. + +Ce volume n'a d'autres prétentions que d'être la mise au point et +l'utilisation de récentes publications dont on trouvera le détail au +cours des chapitres qui suivent; nous y avons pourtant ajouté bon nombre +de sources jusqu'ici demeurées inédites et sur lesquelles nous devons +ajouter quelques mots. De l'Å“uvre publiée de Lamartine nous n'avons +conservé que la _Correspondance_, dont il nous faut ici déplorer les +lacunes et le classement souvent défectueux; volontairement, nous avons +écarté tous les souvenirs rédigés sur ou par Lamartine postérieurement à +1820, sauf lorsqu'il nous a été possible de les vérifier, pour ne +retenir que les lettres et témoignages contemporains de la période qui +nous occupait; écrits à une époque où son avenir était impossible à +prévoir, ils le montrent sans aucun ménagement sous son jour véritable +et tel qu'il apparaissait alors aux yeux de sa famille et de ses +relations. + +En premier lieu, nous avons eu à notre disposition un important +manuscrit, le _Journal intime_ de sa mère; on sait que quelques +fragments très écourtés et très remaniés en ont été publiés par le poète +sous le titre, _le Manuscrit de ma mère_[2], ouvrage dont la valeur +documentaire est tout à fait négligeable tant les suppressions et les +additions qu'il y fit sont considérables; elles s'expliquent, il est +vrai, aisément, soit qu'il ait souvent hésité à apporter des démentis +trop nombreux à ses _Confidences_, soit qu'il ait jugé délicat d'en +reproduire le texte intégral. C'est grâce au _Journal intime_, toujours +soigneusement daté, qu'il nous a été possible d'entreprendre cet +ouvrage, car il nous a permis de mettre en lumière certains faits +demeurés encore obscurs ou ignorés, en même temps qu'il nous fournissait +un tableau chronologique minutieusement détaillé des quarante premières +années du poète. Ces pages écrites au courant de la plume, sans aucune +préoccupation de composition ni de publicité, présentent naturellement +des négligences et des répétitions, mais les pensées et les sentiments +n'y ont d'autre souci que la sincérité[3]. + +[Note 2: _Le Manuscrit de ma mère_, prologue et épilogue par A. de +Lamartine (Paris, 1871, in-8).] + +[Note 3: Voici la description des 12 petits cahiers--et non pas 22, +comme l'a écrit Lamartine dans la préface des _Confidences_--du _Journal +intime_ qui s'étend de 1800 à 1829: + +Tome + +I----: 13 déc. 1800-24 août 1801. 81 p., in-16. + +II---: 20 août 1801-8 avril 1802. 140 p., in-16. + +III--: 16 avril 1802-21 juin 1803. 153 p. plus 8 p. de comptes, in-6. + +IV-- : 23 juin 1803-22 octobre 1804. 118 p., plus 4 p. de table, in-16. + +V----: 1er nov. 1804-3 juillet 1806. 99 p., in-8. + +VI---: 12 juillet 1800-19 déc. 1808. 139 p., plus 2 p. de table, in-8. + +VII--: 27 janvier 1809-7 mars 1811. 99 p., plus 4 p. de table, in-8. + +VIII-: 10 mars 1812-28 février 1813. 193 p., in-4º. + +IX---: 7 mars 1815-3 mai 1821. 198 p. plus 2 feuillets + volants intercalés dans le texte, in-4º. + +X----: 14 juin 1821-13 oct. 1822. 87 p., in-4º. + +XI:--: 11 nov. 1822-21 juin 1824. 88 p., in-4º. + +XII--: 19 juin 1824-22 oct. 1829. 80 p., plus 30 feuillets + demeurés blancs, in-4º.] + +De plus, grâce à l'obligeance de M. Charles de Montherot, petit-neveu de +Lamartine, nous avons pu prendre connaissance des riches archives de +Saint-Point, et le baron Carra de Vaux a bien voulu mettre à notre +disposition les papiers et titres de la famille maternelle du poète, +qu'il représente actuellement. Nous devons également nos remerciements à +plusieurs familles de Mâcon qui nous ont aimablement ouvert leurs +archives domestiques; à M. A. Duréault, secrétaire perpétuel de +l'Académie de Mâcon, qui nous a fait à mainte reprise profiter de son +érudition et de ses recherches personnelles; à M. Lex, archiviste de +Saône-et-Loire, dont les travaux nous ont été d'un grand secours. Enfin, +nous tenons à exprimer notre reconnaissance à M. Gustave Lanson qui, +préparant lui-même une étude sur les _Méditations_, nous a permis de +prendre connaissance de plusieurs documents inédits qu'il avait réunis. + +C'est grâce à tant d'obligeances que ce volume a pu voir le jour. Nous +avons essayé d'en faire une biographie exacte et critique; exacte, car +nous n'avons voulu laisser dans l'ombre le moindre fait capable +d'apporter un éclaircissement nouveau à la genèse des _Méditations_; +critique, puisque les documents utilisés n'ont été acceptés qu'après un +contrôle aussi sévère qu'il est possible en pareille matière. + +PIERRE DE LACRETELLE. + + + + +PREMIÈRE PARTIE + +LES ORIGINES + + + + +CHAPITRE I + +LES LAMARTINE[4] + + +Les origines des grands hommes--et davantage, peut-être, celles des +poètes--ne sont jamais à négliger. Sans doute, il importe peu pour +l'histoire littéraire que Vigny descende d'un trésorier du XVe +siècle, que Hugo soit apparenté à un évêque lorrain, que Lamartine soit +petit-fils d'un intendant des finances du duc d'Orléans. Ce n'est là , +dans leur biographie, qu'un élément de curiosité. + +[Note 4: Sources et bibliographie: _Archives municipales de Mâcon_: +Registres des baptêmes, mariages et décès de la paroisse +Saint-Pierre.--_Archives départementales de Saône-et-Loire_ (Série B, +1324-1371): Registres du bailliage de Mâcon où sont conservés de +nombreux contrats, testaments et donations.--_Archives municipales de +Cluny_: Registres des baptêmes, mariages et décès de la paroisse +Saint-Marcel.--_Archives de la Guerre_ (section administrative): États +de services des membres de la famille qui furent +officiers.--_Bibliothèque Nationale_ (manuscrits): Armorial général, +généralité de Bourgogne. D'Hozier, pièces originales, vol. 504 et 1873, +dossiers bleus, vol. 7.--_Bibliothèque de Mâcon_: Claude Bernard, +généalogie des familles de Mâcon (mss). + +Tessereau, _Histoire chronologique de la grande chancellerie de France_ +(Paris, 1710).--Arcelin, _Indicateur héraldique du Mâconnais_ (Mâcon, +1865).--Révérend Du Mesnil, _Lamartine et sa famille_ (Lyon, +1869).--Lex, _Lamartine, souvenirs et documents_ (Mâcon, 1890).--Lex, +_les Fiefs du Mâconnais_ (Mâcon, 1897).] + +Mais si, et avec raison, l'on accorde à l'éducation et au milieu une +influence prépondérante sur le développement d'un génie, il faut +également faire une part aux influences ancestrales, à la vie antérieure +qui, elles aussi, laissent des traces plus profondes qu'on ne l'imagine +ordinairement, et l'héritage moral d'un poète est précieux à connaître +pour tout ce qu'il lui a transmis d'instincts ataviques. Une telle étude +est souvent délicate et vaine devant le petit nombre de documents que +l'on parvient à recueillir. Une filiation exacte pendant trois +siècles--le plus haut qu'on puisse habituellement remonter--est +curieuse, mais de simples dates ne suffisent pas; il faudrait connaître +la vie des ancêtres, savoir où et comment ils vécurent, quelles passions +les dominèrent, dans quelle province ils fixèrent leur foyer, en un mot +posséder ce qu'on appelait jadis le _Livre de raison_, registre où les +chefs de famille inscrivaient à tour de rôle grands et petits événements +d'une existence souvent trop obscure pour qu'on puisse en retrouver +trace dans les archives des villes où ils vécurent. + +Pour Lamartine, nous avons la bonne fortune d'être à peu près fixés sur +son hérédité, grâce à une abondance rare de documents qui nous +permettent de remonter jusqu'au début du XVIe siècle, avec des +détails précis et nombreux sur les deux familles dont il descend. + +Tout d'abord, il est curieux de constater que dès l'origine l'une et +l'autre semblent être établies de longue date dans les régions mêmes où +elles demeurèrent ensuite jusqu'à la fin du XVIIIe siècle; et cet +intense et pénétrant sentiment de la terre natale qui sera chez +Lamartine une des notes dominantes de sa poésie, se retrouve déjà chez +ses pères qui lui transmirent un peu de leur amour du sol lentement +acquis au cours des siècles. Mais aucun ancêtre, pas plus chez les +Lamartine que chez les Des Roys, n'a laissé grande trace dans l'histoire +de son temps: enracinés dans le même coin de Bourgogne ou d'Auvergne +depuis douze générations, habitués de père en fils à faire tout +naturellement le sacrifice d'intérêts immédiats ou propres à ceux +lointains et souvent invisibles de la race et de la famille, tous, +bourgeois, magistrats et capitaines, vécurent la même vie paisible et +sédentaire, soucieux avant tout d'augmenter leur bien par de solides +alliances, tandis que les cadets s'en allaient mourir obscurément à +quelque siège lointain, et que les filles, peu ou point dotées, +traînaient leur mélancolique existence sous les arceaux du cloître le +plus proche. + + * * * * * + +C'est à Mâcon, paisible et dormante petite cité, qu'il faut chercher les +origines paternelles de Lamartine, dont les ancêtres, dès la fin du +XVIe siècle, habitaient la maison même où il naquit. La forme +primitive du nom est _Alamartine_--et non _Allamartine_, comme il l'a +écrit,--qui subsiste encore actuellement en Bourgogne et dans la +Haute-Loire. La famille est originaire du Charollais, où l'on rencontre +à la fin du XVe siècle des Alaberthe, Alabernarde, Alablanche, +devenus plus tard, à la suite d'une transformation identique, des de la +Berthe, de Labernarde et de Lablanche. Quant aux origines sarrasines +dont le poète se targuait volontiers, elles étaient peut-être une +charmante excuse à sa hautaine nonchalance, à son amour des animaux et à +l'invincible attrait que l'Orient exerça toujours sur lui, mais elles +demeurent, bien entendu, plus que problématiques. La forme _Alamartine_ +se trouve dans la famille du poète jusqu'à la fin du XVIIe siècle, en +la personne de Jean-Baptiste Alamartine, son trisaïeul, qui, bien que né +noble, signa jusqu'en 1680 Alamartine. + +Au XVIIIe siècle, toute trace de roture a définitivement disparu du +nom, qui s'écrit Delamartine ou de la Martine, mais rarement de +Lamartine; ce n'est qu'avec la Révolution qu'on voit apparaître cette +dernière forme, sans la particule. Notons enfin que, jusqu'en 1825, le +poète signa indifféremment Delamartine, de la Martine, ou de Lamartine. +Mais la transformation légitime d'_Alamartine_ ou _de la Martine_ date +du milieu du XVIIe siècle, époque où la famille fut anoblie. + +Il y avait en 1789 peu d'ancienne noblesse dans la région du Mâconnais. +Elle n'était guère représentée que par quelques vieilles familles +désÅ“uvrées et hautaines, à qui la modicité de leurs revenus interdisait +Versailles où elles n'auraient pu tenir leur rang; et à part ce comte de +la Baume-Montrevel qui n'avait jamais mis les pieds à la cour et +trouvait moyen de manger royalement à Mâcon ses six cent mille livres de +revenu avec ses équipages, ses violons et ses chasses, le reste n'était +guère que bourgeois enrichis, vivant de la terre, et indifférents à la +politique. + +La famille de Lamartine en est d'ailleurs le meilleur exemple: à la fin +du XVIIIe siècle, ses membres établis dans la région depuis plus de +trois cents ans s'étaient lentement élevés des plus infimes fonctions +aux plus hautes charges, et les transformations subies par le nom +patronymique sont le meilleur témoignage de cette évolution commune à la +majorité des familles de la région. + +C'est ainsi qu'au milieu du XVIe siècle le chef de la famille était +humble tanneur à Cluny; son fils, plus tard, fut un bourgeois influent +de la ville et, à ce titre, chargé de présenter aux États du Mâconnais +les revendications du tiers; et tous signaient Alamartine. Au début du +XVIIe siècle, son petit-fils remplissait les importantes fonctions de +juge-mage et capitaine de l'abbaye de Cluny; quelques années après, il +acquit la noblesse--noblesse de robe--par l'achat d'une charge de +secrétaire du roi puis, par une ascension toute naturelle, ses fils +acquirent des _terres nobles_, prirent l'épée, et virent alors s'ouvrir +devant eux les chambres de la noblesse aux États de Bourgogne; le nom +devint de la Martine. + +Le poète, pourtant, se montra toujours fort peu soucieux de ses +origines; ses armes, même enregistrées avec tant de soin par son +bisaïeul à l'Armorial général, étaient timbrées par lui d'une façon +fantaisiste; alors qu'à la fin du XVIIe siècle les Lamartine +portaient: «de gueule à deux fasces d'or chargé d'un trèfle de même», il +substitua, on ne sait pourquoi, des bandes aux fasces[5]; question +purement esthétique, sans doute, mais qui prouve à quel point la science +héraldique le préoccupait peu; de même, à ceux qui l'interrogeaient, il +répondait invariablement qu'il descendait «d'une famille noble et +catholique du Mâconnais». + +[Note 5: Dans l'Armorial général de d'Hozier, établi en 1696, on +voit que les Lamartine portaient: «de gueules à deux fasces d'or, +accompagnées en cÅ“ur d'un trèfle de même». La branche cadette de +Montceau «brisait en chef d'un lambel d'argent». Le cachet de Lamartine, +que nous avons pu voir, ne porte pas de lambel, puisque la branche aînée +était éteinte à la fin du XVIIIe siècle, et les «fasces» ont été +remplacées par des «bandes».] + +Mais si tous ces petits détails le laissaient indifférent, il n'en +allait pas de même de son grand-père, Louis-François de la Martine qui, +fort entiché de noblesse, fit admettre dans des actes officiels du +milieu du XVIIIe siècle plusieurs généalogies assez inexactes de sa +famille[6]. Mais il avait l'excuse de vivre à une époque où les titres +décidaient plus que les mérites. Pour faire admettre ses filles dans des +chapitres nobles et ses fils dans des régiments d'élite, il fut donc +contraint de fournir les titres requis par les statuts. Sa noblesse +était incontestable, mais trop récente; c'est alors que, pour satisfaire +aux règlements, il se créa des ancêtres plus ou moins authentiques. Très +inhabilement, d'ailleurs, il fit subir aux registres paroissiaux des +grattages et des lavages chimiques, rendus parfaitement visibles par le +contraste des encres et des écritures, et il faut croire que les deux +gentilshommes chargés de la vérification des pièces furent tolérants. +Partout où cela fut possible, les «chevalier», «messire», «noble +seigneur» remplacèrent les «maistre»; l'A de Alamartine se transforma en +«de» au moyen de quelques grattages et l'on profita même de ce qu'un +ancêtre avait été marié deux fois pour donner un quartier de plus à la +noblesse familiale. + +[Note 6: Il existe, à notre connaissance, au moins trois de ces +généalogies. L'une figure à la Bibliothèque Nationale (_Manuscrits, +ancien fonds français_) et occupe les pages 1-5 du vol. 790 de la +collection Moreau (t. XXXIII de l'ancien recueil Fontette). Elle a été +publiée par nous dans la _Revue des Annales romantiques_, fasc. V de +l'année 1905. La seconde figure au ministère de la Guerre. La troisième +se trouve aux Archives de Saône-et-Loire, et a été publiée par M. +Reyssié: _la Jeunesse de Lamartine_, in-18, 1892, p. 9.] + +Néanmoins, malgré ces falsifications plus courantes à l'époque qu'on ne +le croit ordinairement, il est possible de reconstituer la généalogie +exacte de la famille de Lamartine, à l'aide d'autres documents tels que +les registres du bailliage, ceux-là authentiques, et d'une autorité +incontestable. + +Au début du XVIe siècle, les Alamartine vinrent s'établir à Cluny, +sur les dépendances de la célèbre abbaye qui faisait vivre toute une +population, et où le premier d'entre eux dont on trouve mention vivait +en 1550, exerçant la modeste profession de tanneur cordonnier. Avec son +prénom--Benoît--c'est là tout ce qu'on sait de lui, mais ses enfants +nous sont un peu mieux connus [7]. + +[Note 7: M. Abel Jeandet (_Annales de l'Académie de Mâcon_, 2e +série, t. V, p. 117) a publié un acte en date du 14 octobre 1544, +concernant un Estienne Alamartine, «bourgeois et marchand de Cluny», +propriétaire à Azé. Il s'agit là sans doute d'un frère de Benoît, ou +peut-être de son père, mais il nous a été impossible de l'identifier de +façon certaine.] + +Il eut une fille, Françoise, mariée le 4 janvier 1587 à Claude +Tuppinier[8], et trois fils. L'aîné, Gabriel, fut notaire au bailliage +de Mâcon, par provisions du 15 septembre 1573, et épousa une demoiselle +Claude Morestel dont il eut une fille, Philiberte, mariée en 1594 à Jean +Durantel, notaire et procureur à Cluny. Le cadet, Benoît, avocat à +Mâcon, prit pour femme le 29 octobre 1595 Jeanne Fournier, fille de +Guyot Fournier et de Jacqueline Descrivieux, dont il eut neuf +enfants[9]. Quant au plus jeune, Pierre, ancêtre direct du poète, on +sait de lui peu de chose. Quelques actes de baptême où sa femme et lui +signèrent comme marraine et parrain, nous apprennent qu'il épousa +Jehanne de la Roüe, d'une famille bourgeoise du Mâconnais, sans que l'on +puisse connaître ni sa profession ni quelque autre date précise de son +existence, si ce n'est qu'en 1604 il fut chargé de présenter aux États +du Mâconnais les revendications du Tiers. + +[Note 8: La famille Tuppinier, dont une branche subsiste encore en +Bourgogne, est originaire de Cluny, où l'on trouve en 1544 un Jacques +Tuppinier, bourgeois de la ville, marchand drapier, marié à Antoinette +de Gordon. Il est le père de Claude, marié à Françoise Alamartine.] + +[Note 9: Guyot Fournier, père de Jeanne, exerça, le 31 août 1601, +une reprise de fief pour la châtellenie de Prissé. La famille +Descrivieux était originaire de Bresse; Charles Descrivieux était +échevin de Mâcon en 1466; à la fin du XVIIIe siècle, les Descrivieux, +seigneurs de Charbonnières, prirent séance en la Chambre de la noblesse +du Mâconnais. + +Benoît Alamartine et Jeanne Fournier eurent de leur mariage: 1º +_Charles_ (9 mai 1598--?); 2º _Guyot_ (31 déc. 1601--?), marié à +Philiberte Paillet; 3º _Claude_ (28 oct. 1602--3 oct. 1609); 4º +_Marguerite_ (16 août 1604--3 oct. 1608); 5º Étienne (12 nov. 1600--?); +6º Jacques (9 août 1609--?); 7º _Avoye_ (23 février 1612--?); 8º _Aimée_ +(8 juin 1613--?); 9º _Suzanne_ (27 sept. 1614--?). + +C'est vraisemblablement d'un des fils de Gabriel ou de Benoît Alamartine +que sont issus les nombreux Alamartine existant encore dans le +Charollais, et un Émilien Alamartine, notaire à Cluny au milieu du +XVIIIe siècle. À signaler également un acte de mariage du 21 janvier +1782, entre Philippe Cartillet, marchand forain, et Jeanne Lamartine, +tailleur _(sic)_, fille de François Lamartine, tisserand, «lesquels ont +déclaré ne savoir signer». Bien que l'acte ait été enregistré à Mâcon, +ces Lamartine n'ont aucune parenté, même lointaine, avec ceux qui nous +occupent, la forme roturière du nom étant Alamartine et non Lamartine.] + +Vers 1575 quelques membres au moins de la famille Alamartine +appartenaient à la religion réformée. Un pamphlet du temps, la _Légende +de dom Claude de Guise_[10], Å“uvre de Gilbert Regnault notable huguenot +de Cluny, nous apprend en effet qu'ils eurent à subir des persécutions +pour leur foi: + + Quy voudrait, dit Regnault, spécifier les persécutions, les + voleries, les larcins et brigandages que saint Nicaise et saint + Barthélémy[11] ont exercées à l'encontre des pauvres fidelles de la + Religion en la ville de Cluny, faudrait les prendre un par un, puis + déchiffrer les tours, les menées, les piperies, cruautés et + barbaries pour tirer les rançons de ces pauvres, ainsy que descrire + les sommes de deniers qu'il a tirées des seigneurs Philibert + Magnyn, Marin Arcelin, capitaine Rousset, Bolat, Division, + Tuppinier, Holande, Alamartine, Corneloup, Fornier, et plusieurs + autres signalés de la ville de Cluny; et nous n'aurions jamais + fait, non seulement spécifier les deniers qu'il a estorqués de ces + personnages, mais aussi les moyens qu'il a tenus pour leur faire + renoncer Dieu, c'est-à -dire révolter la religion réformée. + +[Note 10: _La Légende de domp Claude de Guize..._ s. I. 1582, in-8, +réimprimée en 1744, au tome IV des _Mémoires de la Ligue_.] + +[Note 11: Surnoms donnés par Regnault à l'abbé de Cluny et à son +vicaire.] + +Il ne faut pas s'exagérer la valeur de cette conversion des Lamartine +aux idées nouvelles qui dut être extrêmement passagère. Le mouvement +réformiste en Bourgogne eut des causes très diverses, suivant les +endroits où il éclata: à Mâcon et à Cluny, les émeutes et les +conversions en masse de 1562 et 1567 eurent en grande partie pour cause +les exactions de Claude de Guise, abbé de Cluny, qui faisait lourdement +peser son autorité despotique sur les habitants.--Ceux-ci, plus par +exaspération que par foi sincère, s'allièrent aux huguenots et de ce +nombre furent les Lamartine. L'abbé de Cluny obtint d'ailleurs +finalement gain de cause, puisqu'au début du XVIIe siècle on trouve +un fils de Pierre pourvu d'une charge à l'abbaye même, ce qui suppose, +bien entendu, un retour à la religion de ses pères. + +Estienne Alamartine, en effet, bourgeois de Cluny, est qualifié dans les +actes le concernant de juge-mage et capitaine de l'abbaye de Cluny; +fonctions importantes qui lui conféraient des pouvoirs administratifs +fort étendus, puisqu'il était chargé de rendre la justice pour le compte +du roi sur les terres ecclésiastiques. Peu à peu, il augmenta sa +situation[12]; le 25 octobre 1604, il fut nommé avocat; en 1609 le roi +ayant créé trois offices de conseiller au bailliage de Mâcon, il acquit +une de ces charges et enfin, en 1651, celle de secrétaire du roi fort +recherchée alors puisqu'elle conférait la noblesse à son titulaire +pourvu qu'il l'eût exercée vingt ans ou qu'il fût mort en étant +revêtu.--Estienne Alamartine ayant été reçu en Parlement de Paris le 3 +juillet 1651 et étant mort en fonction l'an 1656, la noblesse fut donc +acquise à ses descendants. + +[Note 12: Le 8 avril 1626, à l'assemblée des États du Mâconnais, il +fut chargé de présenter les «mémoire et doléances» du Tiers-État.] + +Estienne fut marié deux fois: en premières noces il épousa, le 12 +octobre 1605 à Mâcon, Aymée de Pise, fille de noble Antoine de Pisz, +président en l'élection du Mâconnais, et de dame Antoinette de +Rymon[13], dont il n'eut pas d'enfants; et, en deuxièmes noces, le 18 +novembre 1619, à Chalon, Anne Galloche, fille de Guillaume Galloche, +procureur du roi en la châtellenie de Sairt-Laurent-lez-Chalon, et de +Nicole Gon. + +[Note 13: La famille de Pise est originaire de Mâcon. On trouve un +Antoine de Pise échevin de cette ville en 1450; Philippe de Pise, garde +du scel des contrats du bailliage de Mâcon (par provisions du 15 juin +1544), eut pour fils Antoine, père d'Aymée de Pise. Les de Pise +devinrent en 1603 seigneurs de Flacé, par acquisition des Maugiron. Les +de Ryrmon, seigneurs de Champgrenon, la Moussière, la Serve et la +Rochette sont originaires de Saint-Gengoux, d'où était Hugues de Rymon, +capitaine de la ville et du château, marié à Françoise Bourgeois.] + +C'est à propos de ces deux mariages que commencèrent les falsifications +de Louis-François dont nous avons parlé plus haut. En effet, dans toutes +les généalogies qu'il fit établir à l'époque, il eut soin, afin de +donner un quartier de plus à sa noblesse, de profiter de ces deux +mariages pour faire du seul Estienne deux personnages distincts: le +premier fut marié avec Aymée de Pise, et le second avec Anne Galloche. + +Mais, devant l'invraisemblance des dates--le premier mariage étant de +1605 et le second de 1619, le fils présumé d'Estienne aurait donc eu +treize ans à l'époque de son mariage!--il fallut d'abord reculer la +date de 1605 à 1601, et avancer celle de 1619 à 1629, ce qui fut fait à +l'aide de quelques grattages, et donnait alors environ vingt-sept ans au +faux Estienne le jour de son mariage. + +Bien plus, comme il n'y avait de lui--et pour cause--aucun acte, aucune +pièce authentique, il fallut au moins fournir une preuve soi-disant +irréfutable de sa naissance: c'est alors qu'on créa, de toutes pièces, +cette fois, un faux acte de baptême au nom de cet imaginaire personnage. +À cet effet, à la date du 2 novembre et sur les registres paroissiaux de +l'année 1602, on fit simplement disparaître, à l'aide d'un lavage +chimique, l'acte de baptême d'un individu quelconque; puis, à cette +place, on transcrivit le faux qui devait donner quelque vraisemblance à +l'extraordinaire conception de Louis-François. Il est d'ailleurs heureux +pour lui que les deux gentilshommes chargés de l'examen des titres et +preuves de noblesse, messire Éléonor de Garnier, comte des Garets, +gouverneur de la citadelle de Strasbourg, et le chevalier de Prisque de +Besanceuil n'aient pas mené leur besogne jusqu'au bout, car la lecture +des registres ou ces falsifications sont encore très apparentes +aujourd'hui les eût pleinement édifiés. Sur les deux actes de mariage, +les corrections grossièrement dissimulées sous de maladroites taches +d'encre sont très visibles; sur le faux acte de baptême, le papier +blanchi par l'acide et les mouillures, les signatures péniblement +décalquées ou copiées, l'encre encore noire, l'écriture enfin, +contrastent trop étrangement avec les actes qui précèdent ou suivent +pour que le moins averti s'y soit trompé. + +Louis-François avait compté sans les registres du bailliage qu'il ne +pouvait aussi aisément falsifier; ils font foi qu'il n'y eut pas deux +Estienne Alamartine, mais un seul, marié deux fois; de sa première union +il n'eut pas d'enfants, mais de l'autre il en eut cinq, trois filles et +deux garçons. + +L'aînée des filles, Philiberte, épousa le 10 mars 1638 Antoine de la +Blétonnière[14]; une autre, Anne, née en 1627, fut mariée à Simon +Dumont, «élu en l'élection[15]», et mourut le 16 mars 1709. La dernière, +Françoise-Marie, devint religieuse à la Visitation de Mâcon. + +[Note 14: La famille de la Blétonnière est originaire de Cluny. Un +Antoine de la Blétonnière, procureur du roi, puis juge royal en la +châtellenie de Saint-Gengoux par provisions du 11 août 1617. Son fils +Antoine, lieutenant en l'élection du Mâconnais. D'après le contrat de +mariage de Philiberte, où les époux sont qualifiés «habitants de Cluny», +on voit que les Alamartine ne résidaient pas encore à Mâcon. Étienne s'y +était néanmoins marié en 1605, mais ce n'est qu'à partir de 1650 qu'on +les trouve définitivement installés à Mâcon, paroisse Saint-Pierre.] + +[Note 15: Jean Dumont, bourgeois de Mâcon à la fin du XVIe +siècle, marié à Françoise Foillard. La famille fut anoblie en 1723, en +la personne d'Émilien Dumont, secrétaire du roi.] + +Quant aux deux fils, l'aîné, Philippe-Étienne, fut l'auteur de la +branche aînée de Lamartine, dite d'Hurigny, éteinte dans les mâles à la +fin du XVIIIe siècle, et le cadet, Jean-Baptiste, de la branche de +Montceau dont descend le poète. + + +Lamartine d'Hurigny. + + +Hurigny est une ancienne châtellenie royale dépendant des domaines du +roi, située dans le canton nord de Mâcon non loin de la ville. En 1510, +la terre d'Hurigny avait été inféodée en faveur de Philippe Margot, +conseiller maître des comptes à Dijon. Au milieu du XVIe siècle, la +seigneurie passa aux mains de la famille Seyvert; en 1665, leur +héritier, Jacques Lestouf de Pradines la vendit à Philippe-Étienne, qui, +en 1672, exerça une reprise de fief. + +Philippe-Étienne naquit vraisemblablement à la fin de 1622. Il succéda à +son père en 1656 dans son office de conseiller et secrétaire du roi, +mais résigna ses fonctions quelques années après, le 14 janvier 1663. Il +avait épousé, le 14 juin 1657, Claudine de la Roüe, fille de feu noble +Antoine de la Roüe, avocat à Mâcon, et de demoiselle Marie Galopin, sa +veuve. + +De cette union naquirent deux fils et quatre filles: Ursule (3 janvier +1677--7 mars 1746), mariée le 7 novembre 1696 à Antoine Desbois, grand +bailli d'épée du Mâconnais et capitaine du château de Mâcon[16]; Marie, +morte jeune (5--14 février 1602); Marie et Marie-Anne, l'une religieuse +au couvent de la Bruyère (1605--?), l'autre ursuline à Mâcon. Quant aux +fils, l'aîné, Philippe, né le 26 août 1658, fut marié le 7 juin 1704 à +Anne Constant, fille d'Antoine Constant, échevin de Lyon en 1697-98, et +de Anne Mollien[17]. Il n'en eut pas d'enfants, et mourut le 20 octobre +1747. Tous les biens paternels qui devaient lui revenir en sa qualité +d'aîné, furent transmis à son cadet, Jean-Baptiste, né le 19 octobre +1663. + +[Note 16: La famille Desbois, actuellement représentée par les +familles de Murard, de Surigny et de la Forestille, est issue de Gabriel +Desbois, bourgeois de Cluny à la fin du XVIe siècle, dont le +petit-fils, Pierre Desbois, seigneur de la Cailloterie, fut anobli en +16435 par l'achat d'une charge de secrétaire du roi. + +À partir d'Antoine Desbois, la charge de grand bailli d'épée du +Mâconnais se transmit de père en fils dans la famille jusqu'à la +Révolution.] + +[Note 17: Anne Constant (?--27 sept. 1757) était fille d'Antoine +Constant (1641-1716), échevin de Lyon en 1697-98, et de Anne Mollien. +(Cf. Jouvencel, _l'Assemblée de la noblesse de la sénéchaussée de Lyon +en 1789_. Lyon, 1907.)] + +Ce fut Jean-Baptiste qui, le premier des Lamartine, rehaussa le nom du +prestige, si grand à l'époque, de la noblesse d'épée, puisqu'après avoir +servi quelque temps cornette dans Lande-dragons, il acheta le 25 octobre +1689 une compagnie dans le régiment de Gévaudan-dragons. Il quitta +l'armée pour épouser le 26 février 1696 Éléonore Bernard, d'une très +ancienne famille mâconnaise, fille de Philibert, seigneur de la +Vernette, conseiller du roi au siège et présidial de Mâcon[18], et de +Jeanne Bollioud, qui lui donna une fille, Françoise (1700--1720), et +deux fils, dont l'aîné, Philibert, né le 15 juillet 1698, fut capitaine +au régiment de Piémont, et mourut chevalier de Saint-Louis le 8 janvier +1789, sans avoir été marié. + +[Note 18: La famille Bernard est une des plus vieilles du pays. Un +Philippe Bernard, conseiller au parlement de Paris, seigneur de la +Vernette, fut envoyé en 1583 par Henri III comme ambassadeur auprès de +la république de Venise. Nicolas Bernard était capitaine de Mâcon en +1502; Jean Bernard, son fils, était écuyer de Catherine de Médicis par +brevet du 30 juin 1580.] + +Le cadet, Jean-Baptiste, dernier seigneur d'Hurigny, naquit en 1703. Il +servit d'abord comme volontaire dans le régiment de Villeroy où il +devint capitaine et chevalier de Saint-Louis. Il épousa, le 8 mars 1735, +Anne de Lamartine de Montceau, sa cousine, et mourut le 10 avril 1757, +n'ayant eu de son mariage qu'un fils, Louis François, né le 26 février +1748, mort jeune, et cinq filles. + +L'aînée, Jeanne-Sibylle-Philippine, née le 7 février 1736, épousa le 16 +février 1756 Pierre de Montherot de Montferrands[19]. La cadette, +Marianne (31 oct. 1737--?) épousa, le 25 février 1759, Pierre Desvignes +de Davayé; une autre, Ursule (6 déc. 1741--?), fut mariée le 2 septembre +1761 à Antoine Patissier de la Forestille, capitaine au régiment de +Piémont. Quant aux deux autres, Marie-Philiberte (7 février 1739--?) et +Françoise-Marie (15 nov. 1742--?), elles furent toutes deux religieuses +à Mâcon. + +[Note 19: M. Charles de Montherot, petit-neveu du poète et +possesseur du château de Saint-Point, descend donc à la fois des +Lamartine d'Hurigny et des Lamartine de Montceau, puisqu'un petit-fils +de Jeanne-Sibylle de Lamartine épousa en 1820 une des sÅ“urs du poète.] + +À la mort de Philibert de Lamartine, survenue en 1789, la branche aînée +se trouva donc éteinte dans les mâles; la seigneurie d'Hurigny, avec les +domaines et château qui en dépendaient, avait été constituée en dot à +Jeanne-Sibylle, lors de son mariage avec Pierre de Montherot. + + +Lamartine de Montceau. + + +La branche cadette de Montceau, dont est issu le poète, a pour auteur +Jean-Baptiste, fils cadet d'Estienne Alamartine et d'Anne Galloche. Il +naquit en 1640, fit ses études de droit à l'université d'Orléans[20], et +à la mort de son père hérita de la charge de conseiller au bailliage de +Mâcon. Il épousa le 17 avril 1662 Françoise Albert, fille d'Abel Albert, +conseiller du roi, receveur des consignations, et de demoiselle +Françoise Moisson. C'est par l'alliance avec les Albert que la terre de +Montceau entra dans la famille; c'était un beau domaine d'environ 50 +hectares, situé sur les communes actuelles de Prissé et de Saint-Sorlin, +à une dizaine de kilomètres de Mâcon. Bien qu'on ne retrouve aucune +reprise de fief pour Montceau, ses possesseurs s'en qualifiaient +seigneurs, alors qu'en réalité, Montceau faisait partie de la terre et +châtellenie de Prissé. On trouve en 1603 un dénombrement de Prissé par +«honorable Guyot Fournier», dont une fille, on l'a vu plus haut, avait +épousé un Benoît Alamartine; on y voit que «ladite châtellanie a de +tout temps appartenu au roi et au seigneur révérend évêque de Mâcon, par +indivis, et à chacun d'eux la moitié». Le 17 juillet 1675 on rencontre +une reprise de fief et dénombrement par les héritiers de Pierre +Fournier, au nombre desquels figure Abel Albert, beau-père de +Jean-Baptiste de Lamartine. Non seulement dans cet acte Abel Albert se +qualifie de seigneur de Montceau, mais il affirme encore que «si ladite +châtellenie est au roi pour une moitié et à l'évêque pour l'autre +moitié», les rentes, toutefois, appartiennent pour un tiers au roi, un +autre à l'évêque et le dernier au seigneur. En 1679 Abel Albert augmenta +sa part en rachetant celles des deux co-héritiers Fournier, et à partir +de cette date on ne retrouve plus de reprise de fief pour Prissé. Au +début du XVIIIe siècle, par suite de la mort du fils d'Abel Albert, +sa sÅ“ur, Françoise, femme de Jean-Baptiste, hérita de Montceau. Ce n'est +d'ailleurs pas Montceau qui permit aux Lamartine de la branche cadette +d'entrer aux chambres de la noblesse du Mâconnais, puisque seule, on l'a +vu, la châtellenie de Prissé qu'ils ne possédaient pas était terre +noble, mais bien le fief de la Tour de Mailly acquis au milieu du +XVIIIe siècle. + +[Note 20: Arch. dép. du Loiret. D. 98 (communication de M. +Jagebien).] + +Le testament de Jean-Baptiste et de sa femme, rédigé le 1er mars +1707, nous montre que, dès cette époque, la situation des Lamartine +était déjà solidement établie: + + Nous léguons, y est-il dit en effet, aux pauvres de l'Hôtel-Dieu et + de la Charité de cette ville, à chacun (_sic_), la somme de trois + cents livres, les invitant à prier Dieu pour nous. À notre fils + Nicolas de la Martine, nous donnons et léguons pour sa part et + portion de nos biens et hoirie notre domaine situé à Milly et lieux + circonvoisins, et celui des Fortins, paroisse de Bertzé-la-Ville + consistant en maison garnie des meubles qui y sont présentement, + caves, pressoirs, et généralement tout ce qui en dépend, prés, + terre, vignes, bois, maisons des grangers et vignerons et leurs + dépendances, avec les bestiaux qui servent à la culture. Plus, nous + lui léguons notre maison sise en cette ville, près les religieuses + Sainte-Ursule qui est habitée présentement par son frère aîné, + suivant qu'elle se comporte chargée du passage qui y est + présentement pour la desserte de la grande maison que nous + habitons. Nous lui donnons et léguons de plus la charge de + conseiller magistrat au bailliage et présidial de Mâcon, avec tous + les droits en dépendant, la part que nous avons aux charges de + receveur des épices, et en tout ce que dessus, instituons ledit + Nicolas de la Martine notre héritier particulier, à la charge de + payer par lui, annuellement et par avance, à sÅ“ur Françoise de la + Martine, religieuse à la Visitation Sainte-Marie, et à sÅ“ur Anne de + la Martine[21], religieuse Ursule, à chacune d'elles quinze livres + de pension pendant leur vie. + + Item, nous donnons à Marie et à Marie-Anne de la Martine, nos + filles, à chacune la somme de dix-huit mille livres. + + Item, nous léguons et donnons à François de la Martine, notre fils, + chanoine en l'église de Mâcon, la somme de quinze mille livres et, + outre ce, nous lui léguons la somme de mille livres que nous lui + avons avancée pour fournir aux frais de son baccalauréat en + Sorbonne. Au résidu de nos autres biens desquels nous n'avons pas + disposé cy-devant, ni n'entendons disposer cy-après, nous nommons + et instituons notre héritier universel, seul et pour le tout, + Philippe-Étienne de la Martine, notre fils aîné. + + Voulons de plus que si moi, ledit de la Martine, décède le premier, + qu'au moment de mon décès, notre héritier entre en jouissance du + domaine et vignoble de Pérone et des biens qui sont venus de + monsieur Litaud depuis son mariage. + +[Note 21: Une de ses sÅ“urs et une de ses tantes.] + +Ce testament est curieux, à plus d'un titre. On y voit figurer en effet +la petite maison de Milly, la maison natale de Lamartine située rue des +Ursulines, et l'hôtel Lamartine, élevé près des remparts de Mâcon et qui +portait alors le numéro 87 de la rue de la Croix-Saint-Girard, devenue +sous la Révolution rue Solon et au XIXe siècle rue Bauderon de +Senécé. + +La petite maison de Milly date de 1705, époque à laquelle elle fut +solennellement bénite par le curé de la paroisse[22]. Quant à la maison +de la rue des Ursulines, acquise sans doute au début du XVIIe siècle, +elle dénote une construction du XVIe siècle. Les fenêtres ont été +remaniées depuis et l'intérieur semble avoir subi de nombreuses +transformations. Sa porte est surmontée d'un écu chargé d'une flamme en +pointe et de deux étoiles à cinq rais en chef, qui se réfère à une +famille actuellement inconnue dans le Mâconnais. Cette maison n'était +pas, comme l'a dit Lamartine, une maison de retraite pour les vieux +domestiques. Dans les testaments qui suivent celui de Jean-Baptiste on +voit qu'elle était toujours léguée au fils cadet, mais que, du vivant du +chef de famille, elle était habitée par l'aîné. La maison de la rue des +Ursulines communiquait par une cour et des jardins avec l'hôtel +Lamartine, belle construction à deux étages qui, d'après son +architecture, dut être édifiée dans la deuxième moitié du XVIIe +siècle. Vers 1760, elle subit d'importants remaniements intérieurs et +l'on y voit encore une salle à manger décorée de jolis trumeaux en +camaïeu dans le goût des bergeries de Watteau. Sa porte est surmontée +d'une décoration en fer forgé où l'on remarque deux L entrelacés, +manifestement inspirée du chiffre royal. + +[Note 22: M. Lex a retrouvé et publié le premier (_Lamartine, +souvenirs et documents_), l'acte de bénédiction de la maison de Milly: +«L'an de N. S. 1705, le 15 juillet, je soussigné ay bénit la maison de +M. Jean-Baptiste de la Martine, conseiller du Roy au bailliage et siège +présidial de Mâcon, à six heures du soir. A. D. Dauthon, curé de Milly» +(Arch. municipales de Milly). Les terres avaient à cette époque une +superficie d'environ cinquante-deux hectares et s'étendaient sur les +communes de Milly, Bertzé-la-Ville et Saint-Sorlin. La seigneurie de +Milly était entre les mains de la famille de Pierreclau.] + +Quant à la propriété de Pérone, elle était située non loin de Mâcon +(canton actuel de Lugny) et dépendait de la seigneurie d'Uchisy. Les +Lamartine y possédaient une maison de campagne, qui date également de la +fin du XVIIe siècle. + +Ainsi, comme on peut s'en rendre compte, la plupart des biens--à part +Saint-Point--qui composeront plus tard le patrimoine du poète, se +trouvaient dès le début du XVIIIe siècle en possession de sa +famille. + +Jean-Baptiste de Lamartine mourut le 1er septembre 1707. De son +mariage, très prolifique, il avait eu seize enfants dont peu lui +survécurent[23]. Des trois fils qu'il nomme dans son testament, l'un, +Nicolas, était né le 31 octobre 1668; il avait fait ses études de droit +à l'université d'Orléans comme son père, de 1687 à 1690, époque à +laquelle il fut reçu licencié[24]. Puis, il succéda à son père dans les +fonctions de conseiller au bailliage, et mourut célibataire à Vichy le +19 mai 1714[25]. «Il devait aller de là aux eaux de Bourbon, dit Claude +Bernard qui l'avait connu; mais la mort l'en empêcha; sa maladie était +une phtisie pulmonaire, et on ne seconda pas assez l'effet des eaux par +des purgatifs décidés». + +[Note 23: 1º _Abel_ (4 février--13 nov. 1663); 2º +_Philippe-Étienne_; 3º _Françoise_ (10 mai 1666--?); 4º _Antoine_ (10-28 +mai 1666); 5º _Claudine_ (26 avril 1667--22 sept. 1672); 6º _Nicolas_; +7º _Claude_ (31 novembre 1669--?); 8º _Marie_ (11 nov. 1670--2 février +1750); 9º _Antoine_ (11 nov. 1670--1690), mort à Paris étudiant en +Sorbonne; 10º _Marianne_ (21 juin 1673--16 mars 1758), mariée le 9 avril +1712 à Claude Chambre, receveur des États du Mâconnais; 11º _Louis_ (16 +mars 1776--1719): il reprit en 1703 la compagnie de son frère aîné dans +Orléans-infanterie, et mourut au siège de Barcelone; 12º _François_; 13º +_Françoise_ (4 janvier 1678--?); 14º _Françoise_ (15 avril 1679--?); 15º +_Jean-Baptiste_ (10 sept. 1680--9 juillet 1720), noyé en se baignant +dans la Saône.] + +[Note 24: Arch. dép. du Loiret, D. 138 et 187 (communiqué par M. +Jagebien).] + +[Note 25: Arch. municipales de Vichy. Série G. G.] + +L'autre, François, né le 20 mai 1677, fut chanoine de Saint-Pierre de +Mâcon, et pourvu d'un archidiaconé en 1725: il fut élu doyen par le +chapitre de cette église le 29 mai 1728, et mourut à une date inconnue. + +Quant à l'aîné, Philippe-Étienne, né le 26 mai 1665, il servit de 1689 à +1702 comme capitaine dans Orléans-infanterie, d'où son père le retira +pour le marier en 1703 à Sibylle Monteillet, d'une famille lyonnaise +dont nous n'avons pu retrouver trace. Il mourut le 22 mars 1765 ayant eu +de son mariage sept enfants, cinq filles[26] et deux fils; le cadet, né +le 17 novembre 1717 embrassa comme son père la carrière militaire: il +fut lieutenant dans Tallard-infanterie le 1er décembre 1733, +capitaine le 21 mai 1738, et mourut chevalier de Saint-Louis le 27 +octobre 1750, des suites de ses blessures. + +[Note 26: 1º _Anne_ (8 janvier 1710--25 mai 1781), mariée en 1735 à +Jean-Baptiste de Lamartine d'Hurigny; 2º _Louise-Françoise_ (21 août +1707--?); 3º _Marie-Anne_ (21 mai 1713--?), religieuse aux Ursulines de +Mâcon, et connue dans la famille sous le nom de Mme de Luzy. Elle +vivait encore en 1790; 4º _Marie-Claudine_ (19 février 1714--?); 5º +_Charlotte_, née le 21 février 1716, mariée le 26 nov. 1736 à Pierre de +Boyer, seigneur de Ruffé et de Trades, morte le 13 juillet 1757.] + +Quant à l'aîné, Louis-François, propre grand-père du poète, c'est une +curieuse figure de gentilhomme, dont on a déjà vu les prétentions +nobiliaires. Il était né le 4 octobre 1711 et, par le relevé de ses +états de services, on voit qu'il fut enseigne le 3 octobre 1730 au +régiment de Tallard-infanterie--devenu par la suite régiment de +Monaco,--promu lieutenant le 22 août 1731, capitaine le 10 novembre +1733, et qu'il quitta l'armée le 1er octobre 1748 avec la croix de +Saint-Louis. Comme son corps fit les campagnes de 1733, 34, 35 sur le +Rhin, celle de 1744 et 46 en Flandre et de 1745 en Allemagne, il prit +donc part à la guerre de succession de Pologne et à la guerre de Sept +ans. + +Lamartine, qui l'avait d'ailleurs à peine connu mais pouvait en parler +d'après les souvenirs de son père, nous en a laissé un agréable +portrait, un peu inexact quant aux détails, puisqu'il en a fait un +capitaine de cavalerie: «Il avait été superbe, dit il, dans sa première +jeunesse; en garnison à Lille, sous Louis XV, il avait frappé les yeux +de Mlle Clairon qui y débutait alors, et en avait été remarqué. J'ai +encore vu les restes de ses équipages tels que sa magnifique argenterie +de campagne... Il avait servi longtemps dans les armées de Louis XV, et +avait reçu la croix de Saint-Louis à la bataille de Fontenoy. Rentré +dans sa province avec le grade de capitaine de cavalerie, il y avait +rapporté les habitudes d'élégance, de splendeur et de plaisirs +contractées à la Cour et dans les garnisons.» + +Si les Mémoires de la Clairon sont muets sur son séjour à Lille, tout au +moins retrouve-t-on trace des équipages dans le laissez-passer que lui +délivra le 27 juillet 1748, à Bruxelles, le maréchal de Saxe[27]. Quant +à ses habitudes de luxe et de splendeur, nous en avons la preuve dans +les embellissements qu'il apporta à ses propriétés et à sa belle +bibliothèque où chaque volume était timbré de ses armes[28]. + +[Note 27: «Maurice de Saxe, duc de Gourlande et de Semigalie, +maréchal général des camps et armées du roi, commandant général des +Pays-Bas, etc. Laissez librement et sûrement passer le sieur de la +Martine, capitaine au régiment de Monaco, pour aller en France avec ses +domestiques et équipages sans lui donner aucun trouble ni empêchement. +Fait à Bruxelles le 17 juillet 1748 (bon pour un mois).--M. de Saxe. Par +Monseigneur, de Bonneville.» Communication de M. Loiseau.] + +[Note 28: Toute cette bibliothèque fut dispersée, soit pendant la +Révolution, soit au moment de la vente de Montceau. On en rencontre +parfois des volumes chez les amateurs.] + +Quelques années après son retour à Mâcon, il épousa le 23 août 1749 +Jeanne-Eugénie Dronier, fille de Claude-Antoine Dronier, seigneur du +Villard et de Pratz, conseiller au Parlement de Besançon, et de +Cécile-Eugénie Dolard, qui lui apporta en dot d'importants domaines dans +le Jura[29]. Ainsi, à la fin du XVIIIe siècle, la famille de +Lamartine était, on le voit, un des plus considérables du pays. Le 18 +novembre 1760, Louis-François fut même élu de la noblesse aux États +particuliers du Mâconnais, où les représentants des trois ordres +réglaient les affaires de leur province[30]. + +[Note 29: Les Dronier, seigneurs du Villard et de Pratz sont +originaires de Saint-Claude (Jura). Jean-Claude Dronier, maître en la +chambre des comptes de Dole, épousa le 6 juin 1692 Marie-Claudine +Chevassu. Leur fils, Claude-Antoine, conseiller au Parlement de +Besançon, épousa, le 19 novembre 1719, Cécile-Eugénie Dolard.] + +[Note 30: Les Lamartine prirent séance aux chambres de la noblesse +du Mâconnais à partir du 27 décembre 1676. + +Dans la liste électorale pour les États généraux de 1789, tenue le 18 +mars en l'église Saint-Pierre de Mâcon, Louis-François y est nommé pour +la châtellenie d'Igé et Domange; François-Louis et Pierre, ses deux +fils, pour la prévoie de Saint-André-le-Désert (Arch. Nat., B. III 105, +et de la Roque et Barthélémy, _Catalogue des gentilshommes de Bourgogne +aux États généraux de 1789_, Paris, 1862). Le 28 mars, il figura +également à l'assemblée des trois ordres du bailliage de Dijon, comme +seigneur d'Urey, de Montculot, Charmoy, Poissot, Fleurey et Quémigny.] + +D'autre part, d'heureux mariages avaient augmenté le patrimoine +ancestral. En 1750, Louis-François avait acquis près de Dijon la +seigneurie d'Urcy avec le château de Montculot, admirablement situé sur +un plateau raviné et tourmenté, et entouré de magnifiques forêts; +quatorze sources avaient été captées pour embellir le parc qui +descendait en gradins sur les flancs de la colline, et les bâtiments, +aujourd'hui ruinés, semblent avoir été élevés à cette époque. + +En outre, il possédait en Mâconnais des vignobles importants: c'était +Péroné, Champagne et Collonges[31]; La Tour de Mailly[32], Escole, +Milly, dont les terres avaient presque doublé depuis Jean-Baptiste, et +enfin Montceau, où rien n'avait été épargné pour en faire une résidence +seigneuriale; on y accédait par une allée de noyers centenaires, longue +d'un kilomètre, et que plus tard Lamartine fit abattre comme donnant +trop d'ombre à ses vignes. À l'exemple du comte de Montrevel, +Louis-François y avait même fait élever une salle de spectacle où l'on +jouait la comédie. Les appartements étaient magnifiquement meublés et, à +voir les inventaires dressés sous la Terreur, on comprend l'acharnement +que Louis-François mit alors à défendre son bien, sans guère se douter, +semble-t-il, qu'il jouait là sa tête. + +[Note 31: _Collonges_, hameau de la commune de Prisse, non loin de +Mâcon; _Champagne_, hameau de la commune de Pérone.] + +[Note 32: La Tour de Mailly, nom aujourd'hui disparu, était situé à +Igé (canton de Lugny), près du chemin de cette paroisse à Bertzé. Ce +fief dépendait de la seigneurie d'Escole, et consistait en un château, +«plusieurs cens et héritages» et le droit d'usage de la forêt de +Malessard, domaine royal. Louis-François l'acquit en 1730 de Melchior +Cochet, et exerça une reprise de fief le 4 mai 1748.] + + * * * * * + +Les gros revenus que nécessitait un pareil train étaient tirés, d'abord +des terres de Bourgogne, mais principalement des biens considérables que +Mlle Dronier avait apportés en dot, et situés en Franche-Comté. +C'étaient d'abord le château et les bois de Saint-Claude et Pratz; les +forêts du Franois, dont les sapins s'étendaient sur plusieurs centaines +d'hectares, et qui vaudraient, dira plus tard Lamartine, «des millions», +mais qui, d'après lui, furent vendues peu de temps avant la Révolution. +Puis deux usines hydrauliques de fil de fer à Saint-Claude et à Morez en +Jura, dont Louis-François s'occupait assidûment[33]; enfin, la terre des +Amorandes, avec les ruines d'un vieux château féodal, et d'importants +vignobles à Poligny. + +[Note 33: Cf. Arch. Nat., F. 12/107, p. 854. «Mémoire du sieur de +Lamartine par lequel il sollicite divers privilèges et faveurs pour les +deux manufactures de fil de fer et de fers noirs qu'il possède aux +Combes, près Saint-Claude-sur-Bienne, et à Morez du Jura, et où il +demande qu'il soit interdit au sieur Muller de maintenir l'établissement +analogue aux siens qu'il a commencé d'installer au village de +Champagnole.» (1er sept. 1789).] + +Toute cette fortune devait selon l'usage passer un jour aux mains du +fils aîné, François-Louis, né le 6 juillet 1750. À l'âge de quatorze +ans, il avait été inscrit a l'école de la compagnie des chevau-légers +du roi, après examen des fameuses preuves de noblesse établies par son +père. + +Mais il était d'une santé délicate, et dut en 1776 quitter la compagnie +où il n'avait fait d'ailleurs que de rares apparitions, «n'ayant tardé à +venir faire ses exercices dit une note de son dossier, que par sa +maladie dont il a donné les preuves». Il souffrait de la poitrine, et +bientôt son état s'aggrava à un tel point que les médecins lui +déconseillèrent le mariage. Or le cadet, Jean-Baptiste, était entré dans +les ordres; pour assurer la postérité, il fallut donc chercher plus loin +encore, et tirer de l'ombre, où il était destiné à végéter, le troisième +et dernier fils, le petit chevalier de Pratz, Pierre de Lamartine. + +Il était né le 21 septembre 1751; selon l'usage du temps, il ne devait +pas se marier, mais, comme l'a dit Lamartine, «vieillir dans le grade +modeste de capitaine, gagner lentement la croix de Saint-Louis puis, +dans un âge avancé, végéter dans une chambre haute de quelque vieux +château de son frère aîné, surveiller le jardin, dresser les chevaux, +jouer avec les enfants, aimé mais négligé de tout le monde, et achever +ainsi sa vie, inaperçu, sans biens, sans femme, sans postérité, jusqu'à +ce que les infirmités et la maladie le reléguassent dans la chambre nue +où pendaient au mur son casque et sa vieille épée, et qu'on dît un jour +dans le château: Le chevalier est mort.» + +Cette triste et solitaire existence, Pierre de Lamartine semble l'avoir +acceptée avec résignation. À dix-sept ans, après avoir déjà servi deux +ans comme volontaire, il adressa au ministre de la Guerre une demande en +vue d'obtenir un brevet de sous-lieutenant sans appointements dans le +régiment de Dauphin-cavalerie, où commandait le comte de Vibraye, ancien +compagnon d'armes de son père. + + Il ose espérer, terminait-il, qu'on lui accordera cette grâce en + considération de ses pères et parents qui ont sacrifié une partie + de leur vie et de leur fortune au service du Roy, auquel étant + cadet de famille, il se propose lui-même de sacrifier avec zèle sa + vie. + +Le 11 mai 1769, la demande était accordée; le 1er janvier 1772, il +obtenait le grade de sous-lieutenant en pied, celui de lieutenant en +second le 18 juin 1776, en premier le 14 février 1779, celui de +capitaine en second le 12 juillet 1781, et de capitaine le 9 mars 1788. +C'est à cette époque qu'on s'occupa sérieusement de le marier. + +Il en était question déjà depuis longtemps, paraît-il, mais d'année en +année on ajournait «cette énormité». Lamartine a raconté, avec une verve +exquise, toutes les difficultés que rencontra cette décision. C'était un +soulèvement général de tous les sentiments de famille. Les chevaliers ne +sont pas faits pour se marier, disait la mère révoltée: «c'est +monstrueux». Mais d'autre part, laisser s'éteindre le nom, c'eût été, +a-t-il dit, un crime contre le sang. Il fallut se décider malgré tout. + +Tout au moins lui laissa-t-on faire un mariage d'inclination, puisqu'il +épousa une jeune fille qu'il aimait depuis longtemps, mais peu dotée, ce +qui n'était guère dans les traditions de la famille: Françoise-Alix Des +Roys, chanoinesse-comtesse au chapitre de Salles en Beaujolais, fille +d'un intendant des finances du Palais-Royal et d'une sous-gouvernante +des enfants du duc de Chartres. + + + + +CHAPITRE II + +LES DES ROYS[34] + + +[Note 34: Sources et bibliographie: _Titres et papiers de la famille +Des Roys_ (XVe-XIXe siècle), communiqués par M. le baron Carra de +Vaux.--_Archives dép. de la Haute-Loire.--Archives municipales de +Montfaucon._ + +_Obituarium Lugdunensis ecclesiæ_ (Lyon, 1867, éd. +Guignes).--_Obituarium Sancti-Pauli Lugdunensis_ (1872, +id.).--_Obituarium Sancti-Petri Lugd._ (1880, _id._, +_ibid._).--_Cartulaire des hospitaliers du Velay_ (Le Puy, +1888).--_Cartulaire des Templiers du Velay_ (_id._, 1882).--Répertoire +général des hommages de l'évêché du Puy (1887).--_Recueil des +chroniqueurs du Puy_ (éd. Chassaing, 3 vol. 1869-75).--_Notes sur le +monastère de Montfaucon_, par l'abbé Theillère (1876).--_Nobiliaire +d'Auvergne_, par Bouillet (7 vol., 1846-53).--_Le Livre d'or du +Lyonnais_ (Lyon, 1866).--_Jean-Louis Des Roys_, par Al. Carra de Vaux +(_l'Investigateur_, revue de l'institut historique, année +1850).--_Mémoires inédits_ de Me de Genlis (10 vol., +1825-27).--_L'Assemblée de la noblesse de la sénéchaussée de Lyon en +1789_, par H. de Jouvencel (Lyon, 1907).--_Grimod de la Reynière et son +groupe_, par Desnoiresterres (1875).--_Lucien Bonaparte_, par Ch. Iung +(t. II, 1882).--_Lucien Bonaparte et sa famille_ (Paris, 1889).--_The +marriages of the Bonapartes_, par Bingham (Londres, 1881).--_Armorial du +premier Empire_, par A. Révérend (Paris, 1894, 4 vol.).--_Titres et +anoblissements de la Restauration_ (Paris, 1901, 6 vol.).] + +Les Des Roys, famille de juristes et de magistrats, n'ont guère laissé +de trace dans l'histoire de leur temps; comme les Lamartine en +Bourgogne, ils vécurent tous en Auvergne la même existence probe et +obscure du gentilhomme provincial fidèle au pouvoir et aux traditions, +sans qu'aucun grave événement vînt modifier leurs jours paisibles et +bien occupés. Avocats de père en fils dès le début du XVIe siècle, +ils resteront toujours pauvres: ni leur carrière peu fructueuse, ni le +sol ingrat du Velay ne pouvaient les enrichir. + +Il est difficile d'attribuer des origines précises à leur noblesse et à +leur nom. Dans tous les actes les concernant ils sont bien qualifiés de +_nobles_, mais aucun d'eux, soit par la seigneurie d'une terre noble, +soit par l'achat d'une charge conférant la noblesse, n'a jamais répondu +aux conditions requises du noble pour justifier ses prérogatives. Reste +l'hypothèse du _fait acquis_, dont bénéficiaient les familles +autochtones ou très anciennement connues dans une région: seule elle +paraît applicable aux Des Roys dont le nom n'est pas celui d'un fief +ajouté au nom patronymique et supprimé peu à peu par l'usage, puisqu'on +rencontre au cours des XVIe et XVIIe siècles des Des Roys +d'Eschandelys, Des Roys de Lédignan, Des Roys de Chazotte, Des Roys de +la Sauvetat. Pourtant leur noblesse est incontestable. Le fait d'avoir +suivi l'exemple des vieilles familles de France en ne profitant pas de +l'édit royal de 1696 pour faire enregistrer officiellement leurs armes +prouve qu'en Auvergne ils n'avaient plus à fournir leurs preuves[35]. + +[Note 35: Aucun Des Roys ne figure à l'_Armorial général du Cabinet +des titres_.] + +Quant au nom même, il est latin et ne provient pas, comme on serait +porté à le croire, de _Regibus_, mais de _Rex_, décliné suivant sa +fonction dans la phrase, transformé peu à peu en _Reis_, puis en _Roys_; +l'évolution est d'ailleurs facile à suivre du XIIe au XIIIe +siècle. _De Regibus_ n'apparaît qu'au XVe siècle, alors que le nom +tout à fait francisé est traduit alors sous son équivalent le plus exact +dans les actes latins. + +Des nombreux Rex, Regis, Rege ou Reis--la plupart notaires ou +clercs--qui figurent dans les cartulaires ou polyptyques de la région +lyonnaise de 1100 à 1400[36], on peut conclure que là est le véritable +berceau de cette famille, plus tard divisée en plusieurs branches, mais +toute possessionnée en Languedoc, en Auvergne ou en Bugey; celle qui +nous occupe se fixa en Velay où la première mention qu'on en rencontre +remonte à 1279[37]. À partir de cette date les documents deviennent +plus nombreux, sans qu'il soit possible, bien entendu, d'établir une +filiation directe. Enfin, au début du XVIe siècle, nous nous trouvons +en présence d'une famille Des Roys établie de longue date, semble-t-il, +à Montfaucon près du Puy et comptant de nombreuses alliances avec de +vieilles maisons du pays. Jusqu'au milieu du XVIIIe siècle elle +demeura dans ce bourg désolé, situé à 16 kilomètres d'Yssingeaux sur un +plateau balayé de coups de vent terribles, enfoui six mois de l'année +sous la neige, privé de ressources naturelles, et sans autres végétation +que les bois de pins sombres qui dominent les gorges de la Dunière. +Point de mouvement sinon celui des pèlerinages à la Vierge noire du Puy, +très fréquentés alors, et au XVIe siècle celui des bandes catholiques +ou huguenotes qui ravageaient le pays avant d'entrer en Languedoc. + +[Note 36: _Bonardus Rex_, acte de 1147 (_Obit. S.-P. Lugd._, p. 59), +c'est la plus ancienne mention. _Guigo Regis_ (1239), domicilié à +Saint-Laurent de Lyon, etc. On rencontre environ une vingtaine de +personnages de ce nom auxquels on doit rattacher les Des Roys; en effet +dans les papiers de la famille on trouve mention au XVIe siècle d'une +prébende fondée en l'église Saint-André de Montbrison, en 1361, par +maître Jean Regis, licenciée en droit.] + +[Note 37: Charte du 10 janvier 1279 où _Petrus Regis_ est cité comme +clerc (_Cart. des Templiers_, p. 385). Échange entre Pons de Brion et +Raymond du Pont, daté du 1er mai 1324, d'une rente sur des fonds +contigus au couvent des Carmes contre une rente sur un champ situé aux +Combes, près d'Espaly, «juxta campum _Johannis Regis_ civis anisiensis» +(citoyen du Puy) (_Cart. des hospitaliers du Velay_, p. 188). Sentence +de l'official du Puy, condamnant Jean Regis, damoizeau, père de +Paulette, femme de noble Hugues de Chandorasse, à payer à Dalmas, prieur +de Saint-Martin de Polignac, les arrérages de biens sis à Soleihac, 13 +mars 1382 (Arch. dép. Haute-Loire, G. 651).] + + * * * * * + +C'est là que vers 1480 vivait le premier Des Roys auquel on puisse +rattacher directement Lamartine, «vénérable et discrète personne Denis +Des Roys» dont nous savons même fort peu de chose. Par son testament +rédigé le 25 février 1528 et où il est qualifié de bachelier ès lois, on +voit qu'il avait trois frères: Mathurin, curé de Raucoules[38]; Louis, +curé du Pailhet[39], et une sÅ“ur, Catherine, mariée à Pierre Aurelle, +dont elle était veuve à cette époque. En premières noces Denis Des Roys +épousa Claude de Lagrevol et plus tard Isabelle Vacherelle; de ces deux +mariages naquirent sept enfants, deux filles: Vidalle, Marthe, femme +d'Antoine de Romezin, et cinq fils: Antoine et Aymard, les deux plus +jeunes, entrèrent dans les ordres; un autre, Pierre, fut «apoticaire»; +le cadet, Sébastien, alla s'établir à Toulouse et l'aîné, Antoine, +épousa Marguerite de Baulmes et de Jussac. Quant aux biens qu'il +possédait alors, ils comprenaient une maison à Montfaucon, et deux +terres, le grand et le petit Rebecque. + +[Note 38: Raucoules. Il existe trois villages de ce nom dans la +Haute-Loire; celui des Des Roys est situé dans le canton de Montfaucon.] + +[Note 39: Nom disparu; aujourd'hui Montregard.] + +Mais si ce long document ne fournit que de très vagues renseignements +sur l'état et la situation des Des Roys au début du XVIe siècle, sa +rédaction soignée et sa forme souvent recherchée dénotent chez Denis une +habitude de la langue polie peu commune à l'époque; issu d'une lignée +érudite, apparenté à des ecclésiastiques lettrés[40], lui-même docteur +en droit, il avait tenu à préciser élégamment les moindres détails de sa +pompe funéraire, parfois, il est vrai, avec un soin un peu macabre +comme on peut en juger par ce début: + + Préalablement à Dieu tout puissant et à la benoyste Vierge Marie sa + mère et par intercession de tous les saints et saintes du Paradis, + je recommande mon âme et mon corps après mon trépassement et, avant + toute Å“uvre, je rends à Dieu mon créateur grâces de ma nativité, + corps et membres dont il m'a créé, des cinq sens qu'il m'a prestés, + des beaux enfants qu'il m'a donnés, et de tous les biens qu'il lui + a pleu me donner durant ma vie en ce monde. + + Item je me confesse à lui et à la glorieuse Vierge Marie, à + monsieur Saint Denis, Saint Christophe et à tous les saints et + saintes du Paradis de tous les peschés et méfaits en quoy durant + maditte vie je suis escheu et desquels je n'en aurais été autrefois + confessé. + + Item veux et ordonne que mon âme séparée du corps, mon dit corps + soit veillé par mes bons amis et puis dedans un tombeau porté dans + l'église de Montfalcon et dessus la couverte apartenant au curé de + la dicte Église par ses droits accoutumés; veux aussi m'estre mis + un linceul blanc sur le chef avec une croix noire du long et de + travers en mémoire de la Sainte Croix. + + Item que ceux qui porteront mondit corps, reconnaissant que suis + venu en ce monde nud, seront pieds nuds; en contentement de leur + peine je donne à chacun c'est à sçavoir deux aulnes et demie de + mandel noir et dîner afin qu'ils prient Dieu pour mon âme. + + Item veux qu'à ma sépulture soient convoqués tous les prêtres de + cette ville de Montfalcon et de Raucoules et du Pailhet lesquels + seront tenus de dire à haute voix le psautier ainsi qu'il est + accoutumé et après ledict psautier veux qu'ils disent les litanies + et là où on dit _ora pro nobis_, ils diront _ora pro eo_. + +[Note 40: D'après la _Bibliographie de la Haute-Loire_, par Sauzet, +un Mathurin Des Roys, prieur de Saint-Didier, aurait composé une +histoire du Puy, en vers et en prose, et dédiée à Amédée de Saluce, +doyen de la cathédrale; l'ouvrage aurait été imprimé en 1519 chez Claude +le Noury. Ce volume ne figure à notre connaissance dans aucune autre +bibliographie; il nous a été impossible de l'identifier.] + +Suivent, pendant quatre pages, l'ordre de son convoi; les noms des amis +qu'il prie d'y assister, le nombre de messes qu'il requiert--autant +qu'il aura vécus d'ans «en ce misérable monde»--et jusqu'à la décoration +de l'église où il ordonne «qu'il soict faict lume de six livres de cire +tant en quatre petites torches qu'en autres chandelles tellement que +tout le chandellier neuf soit garny». + +La question des legs était plus brièvement traitée; il laissait sa femme +usufruitière de ses biens, lui donnait ses joyaux, anneaux, ceintures, +et une tasse martellée; abandonnait au curé de Montfaucon une partie de +sa garde-robe «comme robe, pourpoint, chausses et une bonne chemise»; +ses fils héritaient chacun de cent livres et ses filles de dix sols +tournois; enfin, à tous les membres de sa famille et à ses amis il +léguait «trois aulnes de bon mandel noir» pour porter son deuil, avec +cette originale restriction que la qualité de l'étoffe devait varier +entre trente et cinquante sols l'aune, suivant le degré de parenté. + +Le fils aîné de Denis Des Roys, Antoine, fut à la fois l'exécuteur et le +légataire universel de ce bizarre testament. Après avoir fait ses études +de droit comme son père, il fut reçu licencié, titre auquel tous +tenaient beaucoup puisqu'il est mentionné dans leurs contrats jusqu'au +milieu du XVIIIe siècle. Il épousa, le 21 juin 1533, Marguerite de +Baulmes et de Jussac, fille de Charles et d'Anne de Meyre[41]. + +[Note 41: Contrat passé à Baulmes (paroisse de Saint-André et +diocèse de Valence); témoins: Arnaud de la Rochaing, écuyer; Guillaume +de Montagnet, seigneur de Montguérin; Jehan des Champs (de Campis), +lieutenant de Mautfaucon; Jehan des Roys (de Regibus); noble Antoine de +Bronac. La présence de ce dernier parmi les témoins prouve que les Des +Roys devaient tenir un certain rang dans la ville, car les Bronac, +coseigneurs de Mautfaucon et de Vazeilles, étaient considérés alors +comme de hauts personnages. + +Charles de Jussac, écuyer, seigneur de Baulmes et de Jussac (canton de +Retornac). De son mariage avec Anne de Meyre il eut deux filles +religieuses: Anne et Alice; un fils, Gaspard, mort sans postérité; deux +fils: Bernard et Jean, prêtres; une fille Isabeau, mariée à Arnaud de la +Rochaing; une autre enfin, devint la femme d'Antoine Des Roys. À la mort +de Charles de Baulmes, tous ses biens revinrent à sa fille Marguerite, +dont Antoine hérita.] + +Seuls de tous les Des Roys, Antoine connut des jours mouvementés: nommé +en 1542 lieutenant criminel au bailliage de Velay, il fut victime d'une +erreur judiciaire, qui lui valut en 1552 d'être condamné en cour du +parlement de Toulouse au bannissement perpétuel et à la confiscation de +ses biens. Il aurait, paraît-il, après avoir fait arrêter de faux +monnayeurs, profité de leurs dépouilles avec quelques-uns de ses +collègues qui partagèrent son sort. L'affaire demeure assez mystérieuse, +mais il semble avoir été dénoncé à tort par des ennemis. Quoi qu'il en +soit, il fut réhabilité publiquement en 1558 et rentra en possession de +son titre. + +À sa mort, survenue entre 1575 et 1583, il ne laissait pas d'enfants et +institua comme héritier son neveu Sébastien, fils de son frère Pierre. +Celui-ci eut alors à soutenir un long procès contre les frères et sÅ“urs +de Marguerite de Jussac, qui réclamèrent la restitution des biens de +Jussac et de Baulmes dont ils prétendaient qu'Antoine ne pouvait +disposer par suite de sa condamnation. Finalement, après dix-sept ans de +plaidoiries et d'appels il obtint gain de cause; pourtant il se défit +bientôt de ces terres qui lui avaient coûté tant de mal, puisqu'en 1636 +Jussac, qui relevait de l'évêque du Puy, appartenait à Christophe de la +Rivoire, sieur de Chadenac[42]. + +[Note 42: Cf. _Répertoire des hommages de l'évêché du Puy_ (p. +385).] + +Après ces années agitées, aggravées encore par la guerre religieuse qui +ravagea le pays de 1560 à 1595 et dont le Puy et Montfaucon eurent +durement à souffrir, les Des Roys reprennent leur vie monotone et sans +histoire. Sébastien, qui avait épousé en 1588 demoiselle Claude de +Guilhon[43], laissa quatre enfants: une fille, Marie, femme de Jean +Pollenon, et trois fils: l'aîné, Gaspard, marié à Jeanne de Cohacy, +mourut sans héritier; le plus jeune, Pierre, avocat au Puy, fut un +avocat distingué et qui connut en son temps une certaine notoriété: on +lui doit quelques ouvrages de droit qui sont d'une langue claire et +furent utilisés après lui pendant de longues années[44]; de son mariage +avec Catherine des Olmes, d'une très vieille famille du pays[45], il +laissa quatre filles, dont la descendance subsiste encore[46]. Le +cadet, Melchior, avocat comme ses pères, eut de son union avec Françoise +de Marnans deux filles mortes religieuses, une autre mariée à Pierre +Roche, et un fils, Baltazar, né en 1610, qui épousa Claude des Olmes en +1650. En mourant, il laissait un fils, Pons Gaspard, né en 1652, marié +en 1681 à Louise de Mure, père lui-même de deux fils, dont l'un, Claude, +épousa en 1722 Françoise Pagey, et l'autre, Cristofle, sa cousine Marie +de Romezin. Tous, continuant les traditions de la famille, avaient fait +leurs études de droit à Grenoble et étaient avocats. + +[Note 43: Veuve en premières noces de Denis de Cohacy, procureur +royal; les Guilhon étaient alliés à la famille de Gerlande.] + +[Note 44: Il est l'auteur de: 1º _Livret contenant les principales +questions et décisions qu'on peut rechercher en matière de légitime_ +(Lyon, 1644); 2º _Traicté des substitutions_ (Lyon, 1644).] + +[Note 45: Des Olmes, aujourd'hui famille de Veyrac. En 1588, Denis +des Olmes épousa Catherine Dufours, dont Antoine, marié en 1587 avec +Marguerite de la Franchère. Leur fils Louis, marié en 1622 à Florie de +Lagrevol, était le père de Catherine des Olmes.] + +[Note 46: Marie, femme de Jacques Hochet; Philiberte, femme de Louis +de Romezin, d'où une fille, qui épouse Claude Ferrapie, d'une ancienne +famille de Mautfaucon; Jeanne, mariée à Antoine Varilhon; Claude et +Marguerite, mortes filles.] + +Il faut arriver jusqu'au milieu du XVIIIe siècle pour rencontrer +quelque variété dans l'histoire de la famille Des Roys. Le grand-père de +Lamartine nous est en effet mieux connu; son existence fut celle d'un +homme de cÅ“ur et d'un fonctionnaire parfait. + + * * * * * + +Jean-Louis Des Roys était fils de Claude Des Roys, avocat au Parlement +de Grenoble, et de Françoise Pagey; il naquit à Champagne en Vivarais le +27 août 1724 et de bonne heure se prépara à suivre la carrière de son +père. Le 5 août 1745, il fut reçu licencié en droit à l'université de +Valence et admis un an plus tard, le 20 juin 1746, comme avocat au +Parlement de Grenoble. Il y fit ses débuts au barreau, et, ayant acquis +quelque réputation, alla s'établir à Lyon en 1750. Bientôt, sa notoriété +devint suffisante pour qu'il reçût des lettres de bourgeoisie en 1764, +et fut élu échevin de la ville en 1766, puis premier échevin en 1767. + +Il abandonna le barreau en 1772 pour des fonctions infiniment plus +importantes, ayant été appelé cette année-là à l'intendance des domaines +de la maison d'Orléans. Dans ses lettres de nomination, le duc rendait +hommage à ses talents, son activité, sa probité pendant sa gestion des +affaires de la ville, si bien que les Lyonnais, très satisfaits de ses +services, lui offrirent aussitôt une situation analogue à celle qu'on +venait de lui assurer. Mais la nomination de sa femme comme +sous-gouvernante des enfants du duc de Chartres acheva de le décider. + +Il avait épousé à Lyon, le 12 avril 1757, Mlle Marguerite Gavault, +fille de François Gavault, receveur du grenier à sel de +Saint-Symphorien, puis lieutenant civil et criminel de l'élection de +Lyon, et de Françoise Mauverney. Cette alliance va donner lieu à +quelques cousinages, qui, pour être authentiques, n'en sont pas moins +imprévus. Françoise Mauverney était fille de François Mauverney et de +Marguerite Grimod, et ce nom de Grimod, illustré au XVIIIe siècle par +toute une dynastie de puissants fermiers généraux, est l'origine de +curieuses parentés entre Lamartine et plusieurs de ses contemporains +célèbres à des litres divers[47]. + +[Note 47: Ces alliances, que Lamartine n'ignorait pas (cf. +_Souvenirs et Portraits_, t. II, _les Bonaparte_), ont été constamment +négligées par les généalogistes de la famille Grimod; l'omission doit +provenir de ce que les notes de d'Hozier (Cabinet des titres, pièces +originales, vol. 141; Dossiers bleus, vol. 333; Nouveau d'Hozier, vol. +165) ont été établies sur une collection de _factums_ de 1754, rédigés +pour Marguerite le Juge et qui ne l'ont mention, ni de la branche +Bonaparte, ni de la branche de Vaux-Lamartine. + +Pourtant, l'acte de baptême d'Alexandrine de Bleschamp, princesse de +Canino, dissipe toute équivoque, ainsi que le testament d'Antoine Grimod +enregistré à Paris le 7 avril 1718, et où il est fait également mention +de deux autres filles: Benoîte et Philiberte, mariée l'une à J.-B. Dumas +de Corbeville, l'autre au marquis de Pranse. + +Voici enfin un fragment du _Journal intime_, qui, malgré quelques +erreurs, confirme la parenté des Des Roys avec les divers personnages +que nous avons cités. + +«_23 janvier 1803_ {de Rieux}. Je voudrais pouvoir écrire tout ce que ma +mère me conte de ses voyages, ce serait bien intéressant, et mille +anecdotes curieuses de gens marquants. Malheureusement, ce serait trop +long. Ma mère conte à merveille, elle a infiniment d'esprit et de +mérite. Elle m'a rapporté beaucoup de choses de M. de la Reynière, le +fermier de Lyon, etc., à qui nous étions parents par ma grand'mère; +Mme de la Ferrière avait épousé en premières noces M. Grimod de la +Reynière, dont elle a eu M. de la Reynière, fermier général, qui avait +épousé Mlle de Jarente, qui vit encore et qui est très liée avec ma +mère. M. de la Ferrière a eu aussi deux filles: l'aînée était Mme de +Malesherbes, qui est morte très malheureusement fort jeune, laissant +deux filles: Mme de Rosanbo qui a été guillotinée, et Mme de +Montboissier; la seconde était Mme de Lévis, amie intime de ma mère +qui est morte assez jeune. M. de la Reynière le père avait eu d'un +premier mariage Mme de Beaumont, c'est par là que nous lui sommes +parents [_à Mme de Beaumont_]. Nous l'étions aussi par les Grimod à +la femme du baron de Breteuil et aux Cipierre; la fille du baron de +Breteuil a épousé M. de Matignon, dont la fille a épousé un Montmorency. + +«M. d'Orsay s'appelle aussi Grimod, toujours de la même famille; il a +épousé, en secondes noces, une princesse d'Allemagne assez proche +parente du roi de Prusse, et le fils de M. d'Orsay a épouse une +princesse d'Italie assez peu considérable.» + +Cette Mme de la Ferrière, dont il est ici question était Marie +Mazade, seconde femme de Gaspard Grimod de la Reynière; devenue veuve, +elle épousa Honoré de la Ferrière.] + +Antoine Grimod, né en 1647, directeur général des fermes unies de +France, conseiller et secrétaire du Roi, avait épousé à Lyon, le 13 +avril 1684, une demoiselle Marguerite le Juge, qui lui donna sept +enfants, dont l'aîné, François-Alexis Grimod de Beauregard (1685-1755), +mourut sans postérité. + +Le cadet, Gaspard Grimod, seigneur de la Reynière, fut marié deux fois: +du premier lit il eut un fils, Jean-Gaspard (1733-1793), fermier +général, époux de Françoise de Jarente, dont il eut Baltazard-Laurent +Grimod de la Reynière, fastueux épicurien et gastronome célèbre dont les +bons mots et les petits soupers défrayèrent longtemps la chronique +scandaleuse à la fin du XVIIIe siècle. Du second lit, il eut deux +filles: l'une, Madeleine, mariée au comte de Lévis; l'autre, +Marie-Françoise, qui épousa Chrétien-Guillaume de Lamoignon de +Malesherbes, défenseur de Louis XVI auprès du tribunal révolutionnaire; +la fille de Malesherbes devint la femme du marquis Louis de Rosanbo, +dont la première fille, Thérèse (1771-1794), épousa +Jean-Baptiste-Auguste de Chateaubriand, comte de Combourg, conseiller au +parlement de Bretagne, puis capitaine au Royal-cavalerie, le frère de +René, et dont la cadette, Louise-Madeleine, fut mariée au comte de +Tocqueville, père du célèbre historien et philosophe. + +Le troisième fils d'Antoine Grimod et de Marguerite le Juge, Pierre +Grimod de Dufort d'Orsay (1698-1748), fermier général, fut tout aussi +bien casé que ses aînés; trois fois marié, il n'eut d'enfant que de sa +dernière union avec Marie-Antoinette de Caulaincourt. L'aîné fut +Pierre-Gaspard-Marie, comte d'Orsay, qui épousa d'abord la princesse +Amélie de Croy, puis, devenu veuf, la princesse Elisabeth de +Hoenloe-Bartenstein. Un fils de son premier lit, Albert-Gaspard +(1772-1843), prit pour femme Éléonore de Franquemont, qui lui donna une +fille, Anna Ida, mariée en 1818 à Héraclius, duc de Grammont, et un +fils, Gillion-Gaspard-Alfred, comte d'Orsay, surintendant des +beaux-arts, le fameux «dandy» amant de la belle lady Blessington, à qui, +en échange d'un buste, son cousin Lamartine dédia l'_Ode au comte +d'Orsay_. + +Le dernier fils d'Antoine Grimod, Gaspard Grimod de Verneuil, nous +réserve une surprise encore plus singulière: sa fille, mariée à un +certain Charles Bouvet, fut la mère de Marie Bouvet, qui devint la femme +de Charles-Jacob de Bleschamp, et la grand'mère d'Alexandrine de +Bleschamp (1778-1855); celle ci, après son divorce d'avec un aventurier +nommé Jouberthon, épousa en 1802 Lucien Bonaparte, prince de Canino, +frère de Napoléon Ier, dont deux des petits-fils sont le prince Roland +Bonaparte et le général Wyse-Bonaparte, actuel ministre de la Guerre +des États-Unis d'Amérique, et l'arrière-petite-fille la princesse royale +de Grèce. Quant à la fille aînée d'Antoine Grimod, Marguerite, elle fut +mariée: 1º à François Mauverney[48] dont elle eut une fille, Françoise; +2º à Charles Gavault, veuf également et père d'un fils, François, qui +épousa la fille du premier mariage de sa belle-mère. De cette union +naquirent deux filles: l'aînée, Françoise, épousa en 1743 Charles +Dareste de la Plagne, dont le fils fut directeur des tabacs à Naples +sous le premier Empire et employa Graziella parmi ses cigarières; la +cadette, Marie Gavault épousa, on l'a vu, Jean-Louis Des Roys, et leur +fille, Alix, fut la mère de Lamartine. + +[Note 48: François Mauverney, receveur du grenier au sel de +Saint-Symphorien-le-Château, puis lieutenant criminel et civil de +l'élection de Lyon, était fils de Pierre Mauverney, conseiller du Roi, +élu en l'élection de Saint-Étienne, et de Jaqueline Dilbert. Pierre +Mauverney était lui-même fils de Jean-Baptiste et de Jeanne Coignet. +(Cf. Cab. des titres: pièces originales, vol. 1902.)] + +Par les Grimod, celui-ci se trouvait donc allié par le sang à Grimod de +la Reynière, à Malesherbes, à Tocqueville, aux Bonaparte, aux +Chateaubriand, aux Grammont, aux Lévis, aux de Croy et aux Montmorency. + +Cette alliance avec la puissante famille Grimod fut d'ailleurs +extrêmement précieuse à Jean-Louis Des Roys lors de son séjour à Paris +comme intendant des finances du duc d'Orléans, car les innombrables +relations de Laurent de la Reynière lui valurent bientôt un petit +cercle assidu aux réceptions de sa femme dans l'appartement qu'elle +occupait au Palais-Royal. + + * * * * * + +Le peu que nous sachions de Mme Des Roys la montre comme une femme +pleine de simplicité, vertueuse sans affectation et profondément dévouée +aux d'Orléans. «Mme Des Roys, dit Lamartine dans les _Confidences_, +était une femme de mérite; ses fonctions dans la maison du premier +prince du sang attiraient et groupaient autour d'elle beaucoup de +personnages célèbres à l'époque. Voltaire, à son court et dernier voyage +à Paris qui fut un triomphe, vint rendre visite aux jeunes princes: ma +mère, qui n'avait que de sept à huit ans, assista à la visite... +D'Alembert, Laclos, Mme de Genlis, Buffon, Florian, l'historien +anglais Gibbon, Grimm, Morellet, Necker, les hommes d'État, les gens de +lettres, les philosophes du temps vivaient dans la société de Mme Des +Roys.» À part le détail touchant Voltaire, ceci est suffisamment vérifié +par les mémoires de Mme de Genlis, sa perfide rivale, obligée de +convenir elle-même de la réputation de Mme Des Roys auprès de la +société de leur temps. + +En 1773, à la naissance du duc de Valois, qui deviendra Louis-Philippe, +Mme Des Roys avait été nommée sa gouvernante, sous le contrôle de la +vieille marquise de Rochambeau, et cette faveur fut l'origine de la +rancune tenace que lui voua la vindicative Mme de Genlis. La belle +Félicité, alors maîtresse en titre du duc de Chartres et son Égérie, +avait ambitionné ce poste qui aurait au moins donné quelque excuse à sa +présence perpétuelle auprès des princes, mais la duchesse s'y opposa. +Sans égards à la bienveillance dont Mme Des Roys avait jadis fait +preuve envers elle, puisqu'elle lui devait d'être entrée au service de +la famille d'Orléans sur la recommandation de Grimod de la Reynière son +cousin, elle commença une violente campagne contre sa bienfaitrice et +l'accusa auprès du duc d'élever ses fils dans les idées philosophiques +de ses amis les plus habituels. Indignée, la bonne Mme Des Roys, qui, +jusqu'alors avait traité de calomnie la liaison de Mme de Genlis et +du duc de Chartres, en profita pour fermer sa porte à la dangereuse +créature en même temps qu'à Grimod de la Reynière qui avait pris parti +contre elle[49]. Celle-ci s'en vengea comme elle put, et l'on sent, à +lire ses _Mémoires_ rédigés plus de quarante ans après, que sa haine +n'était point encore éteinte. En 1781, en effet, elle fut nommée +_gouverneur_ des princes au grand scandale de la cour et, rapportant +avec orgueil les souvenirs de ce temps, elle s'exprime ainsi sur le +compte de celle qui l'avait précédée auprès du duc de Valois: + +«J'ai le droit, dit-elle, de ne pas estimer certaines personnes, parce +qu'elles ont été d'une très noire ingratitude envers moi; telle, par +exemple, Mme Desrois[50]», et plus loin, à la fin d'une conversation +avec ses élèves: «Il m'a paru que vous étiez très froids pour Mme +Desrois; vous lui parlez à peine. Vous ne lui montrez aucune amitié, +vous ne demandez jamais de ses nouvelles; cela est mal et ridicule.» +Puis, elle ajoute ingénument: «Ils avaient cette froideur pour elle +parce qu'elle s'était brouillée publiquement avec moi, sans motifs et +sans explication, quoique je lui eusse rendu de très grands services +auprès de M. le duc d'Orléans». + +[Note 49: Cf., sur les suites de cette brouille entre Grimod de la +Reynière et sa cousine, «_copie d'une lettre de M. Grimod de la +Reynière, négociant à Lyon, etc., à Mme Des Roys, ancienne +sous-gouvernante des ci-devant princes d'Orléans. Lyon, 7 déc. 1791_ (s. +l. n. d., mais Lyon, 1791). + +Dans cette brochure extrêmement rare, Laurent s'efforçait d'abord +d'attirer à sa cousine des ennuis que son ancienne situation pouvait +rendre graves, mais il l'accusait surtout d'avoir capté l'héritage de sa +grand'mère, morte en 1773, et d'avoir pris un grand empire sur son père. +Il terminait ainsi: «Maintenant, permettez-moi de vous offrir la paix ou +la guerre, mais surtout point de neutralité, point de tergiversation. +Une réponse claire et nette, s'il vous plaît. Si c'est la guerre, je la +ferai courageusement et de mon mieux; si vous préférez la paix, +sacrifiez-moi mes ennemis, agissons de concert, et nous nous en +trouverons bien l'un et l'autre. Vous avez su prendre un grand crédit +sur l'esprit de mes parents: j'ai dans mes mains de quoi vous démasquer +à leurs yeux; je ne le ferai pas si vous voulez employer ce crédit à me +servir.» + +Cette publique tentative d'intimidation se perdit dans la tourmente de +1792 qui engloutit la fortune colossale des Grimod. Mais les Des Roys +aussi bien que les Lamartine cessèrent dès lors et pour jamais toute +relation avec leur cousin, qui n'est pas nommé une fois dans le _Journal +intime_; on sait que depuis 1780 ses excentricités et son mauvais renom +l'avaient rendu intolérable à tous ses parents, et que seul il était +responsable d'un état de choses où Mme Des Roys n'était pour rien +(cf. _Desnoiresterres_).] + +[Note 50: Cf. _Mémoires inédits de Mme la comtesse de Genlis_ +(Paris 10 vol., 1825-26), vol. III, p. 483-85, et IV, p. 29.] + +En 1820, même, elle reporta sur Lamartine toute la haine qu'elle avait +vouée à sa grand'mère; devenue intransigeante sur le tard, elle s'était +découvert un amour imprévu de vertus qu'elle avait pourtant peu +pratiquées: malgré la respectueuse dédicace que le poète avait inscrite +sur l'exemplaire des _Méditations_ qu'il lui fit parvenir, elle en +rédigea dans _l'Intrépide_[51] un compte rendu perfide et malveillant, +où elle ne se fit pas faute de répéter tout le mal qu'elle pensait, +sinon de l'Å“uvre, tout au moins de la famille de l'auteur. + +[Note 51: _L'Intrépide_, revue par Mme de Genlis (Paris, 2 vol., +1820), I, pp. 81-110.] + +Le titre lui paraît impropre, car «la méditation doit être paisible et +profonde»; or elle a relevé des morceaux tels que _l'Enthousiasme_ et +_la Gloire_, qui sont au contraire «d'une inspiration soudaine, d'une +exaltation remplie de désordre et de feu»; les souvenirs d'amour sont +des _rêveries_ et non des _méditations_; enfin _le Désespoir_, +«impulsion coupable et forcenée», ne saurait non plus être une +méditation. + +Puis, elle entre dans le vif de l'Å“uvre où le mélange d'un amour profane +et de scènes religieuses lui semble d'abord tout à fait déplacé, «car il +n'est ni vraisemblable ni d'un goût sévère de passer sans transition de +l'exaltation de la piété au souvenir de sa maîtresse»; «Reste d'âme» la +choque; le vers: + + Et ces vieux panthéons peuplés de _dieux nouveaux_ + +est une expression «d'athée», qu'elle souhaite de voir corrigée dans la +prochaine édition; «fenêtre» est un mot familier et «déplacé dans le +genre noble»; les vers: + + Des théâtres croulants dont les frontons superbes + Dorment dans la poussière ou rampent dans les _herbes_ + +lui suggèrent la même réflexion «parce qu'au pluriel, _herbe_ rappelle +l'usage journalier qu'on en fait dans la cuisine». Pour terminer, elle +accable le jeune homme de bons avis, lui conseillant de ne pas se +laisser aller au découragement après ses critiques, sévères sans doute, +mais formulées sans restriction dans son intérêt même, et dictées par +une sympathie que tant de raisons lui commandaient. + +Ces vétilles et ces chicanes, qui firent sourire, à l'époque, ceux qui +en connaissaient les motifs[52], témoignaient d'une rancune toujours +vivace. + +[Note 52: Cf. _Lettres à Lamartine_, p. 19 (lettre de la duchesse de +Broglie).] + +Pourtant, malgré tout l'empire de Mme de Genlis sur son amant, Mme +Des Roys continua ses fonctions jusqu'en octobre 1778, grâce à l'appui +de la duchesse de Chartres, à laquelle elle voua, en cette circonstance, +un dévouement éternel; elle abandonna même le Palais-Royal sur un +nouveau triomphe: le gouverneur qui la remplaça auprès des princes +devenus grands fut proposé par elle; c'était le chevalier de Bonnard, +son ami personnel, et qu'elle avait connu chez Buffon. Le frivole +Bonnard, il est vrai, n'avait rien d'un éducateur, mais il valait au +moins Mme de Genlis, qui le remplaça officiellement trois ans plus +tard. Ainsi, Mme Des Roys sortait victorieuse de cette lutte avec la +favorite; bien mieux, la duchesse voulant lui prouver sa reconnaissance +l'admit dans sa maison particulière et lui confia l'éducation de sa +fille la princesse Adélaïde. + + * * * * * + +Tandis que sa femme se tirait avec dignité de ces intrigues assez +difficiles, Jean-Louis Des Roys, de son côte, avait su gagner la +confiance et l'estime du duc d'Orléans en menant à bien un certain +nombre d'opérations juridiques et financières de la plus haute +importance pour son maître. À ses fonctions d'intendant des finances, il +joignit l'administration des terres de la Fère, Albert et Carignan; en +1774, il avait préparé le règlement des droits, de la duchesse de +Bourbon, belle-fille du prince de Condé, dans la succession de la +duchesse d'Orléans, sa mère; en 1781, il reprit les négociations de +l'affaire des princes de Chimay, qui traînaient depuis un siècle et, +après plusieurs voyages en Belgique, il obtint la conclusion d'un traité +qui assurait la pairie d'Avesne à la maison d'Orléans. + +En 1785, M. et Mme Des Roys demandèrent leur retraite qui leur fut +accordée; mais pour marquer la satisfaction qu'il avait des services de +l'intendant de son père, le duc de Chartres lui conserva à titre de +pension l'intégrité de son traitement, et le pria d'accepter d'être +commissaire à la liquidation du duc d'Orléans qui venait de mourir, ce +que Jean-Louis Des Roys ne put refuser. + +Il se retira alors dans sa propriété de Rieux[53], qu'il avait acquise +en 1776, et où, ayant obtenu la création d'une pépinière royale, il se +consacra entièrement à l'agriculture. Il y vit philosophiquement +commencer la Révolution, sans être jamais inquiété malgré un passé qui +pourtant aurait dû le rendre suspect; quelques lettres de lui écrites à +son frère de 1793 à 1795 nous le montrent parfaitement tranquille sur +son sort, une entre autres, écrite de Paris le 26 mars 1793, où on +lit[54]: + + Je suis las, rebuté, et très impatient d'être rendu à ma nullité + champêtre; ce n'est pas que je ne m'attende à trouver là de + nouveaux ennuis; et quel est le lieu ou la position dans laquelle + un français puisse aujourd'hui vivre dans le calme? le désir du + sage doit se borner à exister hors des foyers de l'orage et à + s'estimer heureux de ressentir que les battements des vagues + amorties... Les bruits du moment sont que les révoltes et + attroupements armés des environs de Nantes et autres parties de la + Bretagne ont été dissipés avec grand carnage. Les armées du Rhin, + de la Meuse, de l'Escaut se soutiennent aussi, dit-on, et disputent + le terrain aux ennemis du dehors. Dieu veuille enfin nous donner la + paix, la santé et l'ordre; quand ces biens seront rendus à la + France, il faudra encore bien des années pour qu'elle recouvre + l'embonpoint que cette fièvre dévore. Si je ne voyais que moi dans + l'orage je serais peu peiné: je serais même assez philosophe pour + observer sans inquiétude les agitations des hommes; mais mes + enfants, mes parents, mon frère, mes amis! je ne puis pas être + indifférent et froid sur tant d'objets chéris... + + Tu me conseilles de vendre mes fonds; je sais très bien que je me + donnerais par là de l'aisance, mais je vois aussi qu'elle ne + pourrait être que momentanée. Je t'ai déjà observé sur cela que je + ne trouverais en ce moment ni placement, ni emploi qui me donne + sûreté et aisance; agioter n'est pas mon fait; placer en rentes ou + obligations, rien de plus fragile; acquérir d'autres immeubles, + rien à gagner dans ces revirements; les biens patrimoniaux se + vendent à deux pour cent, j'achèterais comme j'aurais vendu. Je + conclus pour attendre que le mal soit instant ou que l'on sache + mieux sur quoi compter. Tu vois comme moi que les Révolutions + opèrent rarement un mieux-être. Actuellement nous sommes à peu près + maîtres de nos âmes et de nos sentiments; cela seul est à notre + direction. + +[Note 53: Dans la Marne, à quelques kilomètres de Montmirail. +Jean-Louis l'avait acquise du chevalier de Belle-Joyeuse. C'était alors +un bâtiment très simple, ayant successivement appartenu aux familles de +Pastoret, de Disques et de Boubers, et qu'il fit démolir pour le +remplacer par un château plus vaste. (Cf. _Alexandre Carra de Vaux_, op. +cit.)] + +[Note 54: Les lettres qui suivent sont citées d'après +_l'Investigateur_, où elles ont paru pour la première fois.] + +Dans une autre lettre encore, du 16 avril, il apparaît toujours plus +tourmenté des autres que de lui même et moins hostile qu'on n'aurait pu +le prévoir aux événements du moment: + + Le mystère sur ce qui se passe à Lyon, m'inquiète beaucoup; je + tremble pour les parents et les amis, hélas! pour tout le monde, + car je tiens à l'humanité et à mon pays. Paris est pour le moment + assez tranquille, mais l'on semble craindre la disette du pain. Il + y a foule chez les boulangers, on s'y étouffe pour parvenir à s'y + approvisionner. Le vrai malheur ou du moins le pire de tous est la + division qui règne dans la Convention; elle est, par ses + scandaleuses dissensions, distraite du bien ou dans l'impossibilité + de l'opérer; sa considération s'affaiblit et le désordre s'accroît; + cependant, cette Convention, toute orageuse qu'elle est, forme le + seul lien, le seul pivot sur lequel tout roule. Le vaisseau s'abîme + si le pilote lui manque en ce moment de crise. + +Il cessa pourtant bientôt de lui faire crédit et c'est très désabusé +qu'il écrivait le 22 août 1795: + + Sûreté personnelle et du pain: ces biens n'ont heureusement pas + cessé d'exister ici, mais la mauvaise santé de quelques-uns de ceux + qui m'entourent et les inquiétudes et les misères publiques et trop + universelles ont toujours écarté de moi la gaieté. + + Il serait bien temps que nous aperçussions quelqu'étincelle du + bonheur que la Révolution nous a tant présagé; Dieu veuille que la + nouvelle Constitution qu'on nous prépare en jette enfin des + fondements plus solides que ne l'ont été ceux des précédentes. + +Le calme rétabli, Jean-Louis Des Roys et sa femme se retrouvèrent à +nouveau dans leur propriété de Rieux où ils s'apprêtaient à finir +paisiblement leurs jours lorsque la duchesse d'Orléans vint mettre une +fois de plus leur dévouement à l'épreuve. La princesse, transférée à la +pension du docteur Belhomme après le 9 thermidor, essayait de s'y faire +oublier, lorsque le 6 septembre 1797 le gouvernement décida la mise en +vigueur d'un décret du 21 prairial an III, ordonnant l'expulsion +immédiate de tous les membres de la famille de Bourbon et la +confiscation de leurs biens. Elle se mit en route pour l'Espagne et +écrivit de Barcelone une lettre à Mme Des Roys en la priant d'aller +jusqu'en Hongrie chercher sa fille, la princesse Adélaïde, pour la +ramener près d'elle. La jeune fille, émigrée dès 1791 avec Mme de +Genlis, avait été abandonnée par elle à l'étranger pendant que Félicité +voyant la cause royale perdue, gagnait Hambourg où elle se rendait vite +insupportable à tous les Français par son hypocrisie et ses calomnies. + +Heureuse de pouvoir prouver une dernière fois son dévouement à ses +anciens maîtres, la vieille Mme Des Roys se mit en route à la fin de +décembre 1799 et, après un long et pénible voyage qui dura près de deux +ans et demi, elle accomplit heureusement sa mission. Forcées d'éviter la +France interdite à la princesse Adélaïde, les deux femmes avaient dû +descendre de Hongrie en Italie, où elles s'embarquèrent à Livourne; le +12 avril 1802, on lit dans le _Journal intime_: + + J'ai reçu une lettre de ma mère qui m'annonce enfin son arrivée à + Barcelone; elle a éprouvé beaucoup d'événements, entre autres une + tempête dans la traversée de Livourne en Espagne, qui a duré trois + jours et deux nuits; l'entrevue de Mme d'Orléans et de sa fille + a été des plus touchantes, il y avait onze ans qu'elles étaient + séparées. + +La princesse Adélaïde n'oublia pas cet admirable dévouement; lorsqu'en +1814 elle reprit le chemin de Paris, elle tint à s'arrêter à Lyon pour +voir les deux filles de son ancienne gouvernante, Mme de Lamartine et +Mme de Vaux, et leur offrit de merveilleuses dentelles qui avaient +appartenu à sa mère. Mais un an plus tard, lorsque le chevalier de +Lamartine voulut obtenir, pour lui la croix de Saint-Louis, pour son +fils un brevet de garde du corps, il eut du mal à voir sa requête +aboutir. En 1825, enfin, Lamartine trouva moyen de s'aliéner +complètement le duc d'Orléans par quelques vers vraiment maladroits de +son _Chant du Sacre_, et dès ses débuts en politique le fossé se creusa +encore plus profond: sa conscience, sa vision poétique et grandiose de +la liberté primèrent en lui tous les autres sentiments. Mais n'y a-t-il +pas quelque mélancolie à penser que celui dont Mme Des Roys avait +bercé les premières années avec tant de sollicitude devait être chassé +du trône par le petit-fils de sa vieille gouvernante? + +Jean-Louis Des Roys mourut le 14 octobre 1798, et sa femme le 10 juillet +1804. De leur mariage étaient nés six enfants; l'aîné, Pierre-François, +né le 12 février 1738, fut conseiller à Rouen et mourut sans avoir été +marié le 8 mai 1810. «Il m'avait presque tenu lieu de père pendant mon +enfance, écrira sa nièce en inscrivant la triste nouvelle, et avait +contribué à mon mariage en me donnant 10000 francs comptant et en m'en +assurant 12000 après lui.» + +Des quatre filles de Mme Des Roys, l'aînée, Catherine Julie, née le 9 +janvier 1761, épousa en 1778 Charles-Henrion de Saint Amand, frère du +président Henrion de Pansey; la seconde, Émilie (22 janvier 1762-1827), +fut mariée à Louis Papon de Rochemont; la troisième, Césarine, née le 29 +novembre 1763, devint la femme de Pierre-Benoît Carra de Vaux Saint-Cyr, +et la dernière, Alix, devint Mme de Lamartine[55]. Enfin le dernier +des fils, Lyon Des Roys, eut une triste existence d'homme de lettres +manqué qui fournit la véritable explication des terreurs de Mme de +Lamartine lorsqu'elle vit son fils tourmenté lui aussi, à vingt ans, de +la même fièvre poétique. + +[Note 55: Voir, à l'Appendice, le tableau de la descendance Grimod.] + +Il était né à Lyon le 5 novembre 1768, et la ville qui, pour rendre +hommage à son père alors échevin, avait tenu à être son parrain, délégua +le prévôt des marchands au baptême; la cérémonie eut lieu en grande +pompe le jour suivant en la cathédrale de Saint-Paul; la marraine fut, +par procuration, Marie-Françoise de Beaumont, fille de Gaspard Grimod de +la Reynière et tante de Mme Des Roys[56]. Ainsi, l'enfant semblait +promis à quelque belle destinée alors que la réalité fut tout autre: ce +qu'on sait de lui révèle un certain désordre mental, le délire de la +persécution, un amour effréné de la publicité, et surtout un véritable +désespoir de ne pas dépasser la médiocrité. + +[Note 56: Dans les papiers de la famille Des Roys, on trouve une +petite note de la main de Jean-Louis qui rapporte les détails de la +cérémonie: + +«Le 26 juillet 1768, procuration de Mme de Beaumont marraine de +l'enfant dont Mme Des Roys était grosse, et dont la ville de Lyon +devait être le parrain. + +«L'enfant est né le samedi 5 novembre: ç'a été un fils, qui a été +baptisé le dimanche 6 dudit à Saint-Paul par M. Crupisson, +sacristain-curé. Il a été nommé Lyon-François, et tenu par M. de la +Verpillière, Prevost des marchands, accompagné du Consulat, pour la +ville, et par Mme de la Verpillière pour Mme de Beaumont Des +Roys.»] + +Il fit ses études au collège de Juilly, d'où il fut chassé en 1793 par +la Révolution; en 1799 il était maître répétiteur de mathématiques dans +cet établissement qui venait de rouvrir sous une nouvelle direction. +Pour occuper ses loisirs, il rima alors un poème sur la géométrie, une +tragédie en cinq actes, _la Mort de Caton_, une comédie, +_l'Antiphilosophe_. Ce fut l'origine de tous ses malheurs: en juillet +1799 il abandonna le collège pour Paris, rêvant la gloire littéraire, et +s'imaginant avec présomption que son génie suffirait à le faire vivre. +La lutte qu'il soutint pendant trois ans pour arriver à la célébrité, +les railleries, les épigrammes dont il fut accablé eurent quelque +retentissement à l'époque, et un critique dramatique, qui l'avait pris +en grippe, Salgues[57], mena même contre lui une campagne de ridicule +où il finit par succomber. On peut en juger par ces quelques extraits de +_l'Observateur des spectacles_, où l'odyssée de Lyon Des Roys fut +l'occasion de plusieurs articles. + +[Note 57: Cf. _l'Observateur des spectacles_ des 28 germinal, 2, 21, +23 et 29 floréal an X. Jacques-Barthélémy Salgues (1760-1830), un des +bons journalistes de l'Empire et de la Restauration. Prêtre d'abord, il +fut choisi en 1789 pour la rédaction du cahier des doléances de la ville +de Sens où il était né; peu à peu, il finit par organiser la +contre-Révolution dans son département. Poursuivi, il ne réapparut à +Paris qu'en 1794, fut traduit alors en justice après le 18 fructidor, +mais acquitté par le tribunal d'Auxerre. À partir de 1798, il se +consacra exclusivement aux lettres, et fonda deux journaux théâtraux.] + + Le cit Desroys n'est point un de ces petits-maîtres à la mode qui + ont fondé leur succès sur les grâces de leur figure et l'élégance + de leurs manières; c'est un homme simple, nourri à la campagne et + dont la physionomie se rapproche un peu de celle de quelques + personnages fêtés sur le théâtre Montansier. Habitué à composer des + idylles pour les bergeries de Montmirail et des tragédies pour le + curé de sa paroisse, il n'a guère connu jusqu'à présent de plus + grandes solennités que celles de la messe ou du prône... La nature, + avare dans ses productions originales, n'enfante pas tous les jours + de ces êtres privilégiés destinés à réjouir les journalistes. Sous + ce rapport, le cit. Desroys est une de ses conceptions les plus + heureuses, et nous ne saurions trop nous empresser de le faire + connaître. + + Déjà les deux nymphes[58], arrivées au point où les soins paternels + cessaient d'être nécessaires, aspiraient à se produire dans le + grand monde, à étaler les charmes dont elles étaient parées, + lorsque le cit. Desroys, en père tendre et compatissant, s'est + déterminé à les transporter dans sa malle à Paris. Mais sur quel + théâtre exposera-t-il ces rares merveilles de la nature? Il a à + choisir entre la salle Montansier, les boulevards ou la + République[59]. La République aura ses préférences. Déjà le cit. + Desroys a mis son habit du dimanche: un bas de soie réservé pour le + jour de Pâques a succédé à la guêtre qui déguise la faiblesse de + son mollet et l'épaisseur de ses orteils; une cravatte brodée à + crête de coq enveloppe son long col et dépasse son menton; un linge + mouillé dans un gobelet a fait disparaître les traces de poussière + qui s'étendent sur son front; sa main, blanchie par le savon, + soutient avec orgueil ses deux filles chéries qu'il se hâte de + présenter au sévère Florence[60]. + + Illustre semainier qui rédigez l'annonce des spectacles et + convoquez le conseil suprême qui, dans son indulgence ou ses + rigueurs, élève ou abaisse la puissance poétique, généreux + Florence, soyez favorable au Sophocle de Montmirail! + +[Note 58: Sa tragédie et sa comédie.] + +[Note 59: Nom que portait alors l'ancien Théâtre-Français.] + +[Note 60: Un des semainiers du Théâtre-Français.] + +C'est dans cet appareil et présenté par ces propos un peu lourds, que +Lyon Des Roys aborda le comité de lecture du Théâtre-Français, et une +épigramme complaisamment recueillie par son terrible ennemi nous apprend +l'accueil qu'il en reçut: + + Dieu paternel, quel dédain, quel accueil! + De quelle Å“illade altière, impérieuse, + Le fier Batiste écrase ton orgueil, + Pauvre Desroys! la Raucourt est moqueuse; + Elle riait, Saint-Prix te regardait + D'un air de prince, et Dugazon dormait; + Et renvoyé, penaud, par la cohue, + Tu vas gronder et pleurer dans la rue. + +Le jeune auteur fut pourtant ravi de tant de bruit fait autour de son +nom, et ce refus, loin d'abattre son courage, ne fit qu'exciter sa +verve; lui-même rendit publique sa mésaventure dans une _Épître à +Dazincour_, célèbre comique du temps, qui l'avait patronné paraît-il +auprès du comité de lecture; c'est allégrement qu'il s'écriait: + + Touchés de mon discours modeste, + Les premiers talents comme toi + Se sont déjà montrés pour moi: + Monvel, Talma, Mars et Devienne; + Mais la fâcheuse et dure antienne + De l'implacable Grandménil + M'a renvoyé dans mon chenil! + Va, ne crains pas que je m'y tue! + Ma muse est à la fin connue, + Ami, voilà ce qui m'en plaît, + C'est pour cela que j'ai tout fait. + +L'échec paraît néanmoins lui avoir été plus pénible qu'il ne le laissait +entendre, puisque peu de temps après il publia une _Épître aux +Comédiens_ dont la préface est pleine d'amertume: + + Je suis bien loin de prétendre, y lit-on, valoir mieux que les + Legouvé, les Arnaud, les Collin; mais quand je vois jouer des + pièces aussi froides que celles qu'on nous donne souvent, alors + l'indignation s'empare de mon esprit et je trouve qu'on me fait + injure de ne pas du moins essayer les miennes. + +Combien peu, pourtant, il était exigeant: + + Que demandai-je aux comédiens? une lecture de la pièce entière? + Non, mais une lecture du premier acte, de la première scène! Si + j'avais été entendu, j'étais content, je leur promettais un ennui + très court, mais ils n'ont pas voulu courir le danger. + +Il terminait enfin par le procès du comité de lecture: + + Comité secret et invisible qui rend les réponses les plus + rébarbatives; en se barricadant de la sorte, les acteurs de Paris + ne peuvent être abordés que par un petit nombre de favoris dont la + fortune est déjà faite, et par conséquent l'ardeur refroidie. + +Pour se venger des comédiens qui l'évinçaient, de la critique qui le +raillait, et persuadé que l'opinion prévenue contre lui ne demandait +qu'à lui rendre justice, l'infortuné eut une idée dont l'originalité n'a +certes jamais été atteinte depuis; il fit imprimer sa comédie, où on +lisait ces simples mots à la fin du IVe acte: + + _Absence du Ve acte_. Cet acte n'est pas le plus mauvais, mais + nous ne voulons pas nous dépouiller de toutes nos richesses pour un + public ingrat qui ne nous en saura aucun gré. S'il a quelque + curiosité de connaître la pièce entière et d'en bien juger, il n'a + qu'à l'appeler sur la scène. + +Ce bizarre appel au peuple échoua complètement; plus ingrat que jamais, +le public n'imposa pas la représentation de _l'Antiphilosophe_ dans un +de ces grandioses mouvements de foule qu'avait rêvé l'auteur; plein +d'indifférence, il se contenta même des quatre actes et n'exigea jamais +leur dénouement. Inlassable, Lyon reprit la lutte et, puisque le public +n'allait pas à lui, il irait au public. À cet effet, il fit placarder +dans Paris de grandes affiches bleues et rouges où la conduite du comité +et des journalistes était durement appréciée, et où il annonçait que le +13 avril 1802 il ferait une lecture publique de son _Caton_ dans une +salle qu'il loua, éclaira et meubla à ses frais. Le lendemain, Salgues, +qui l'avait laissé en paix déjà depuis quelques mois, rendit ainsi +compte de la soirée dans son journal: + + Il faut le dire, pour l'amitié que nous portons au citoyen Desroys, + cet auteur avait mal choisi son jour... Après avoir été _crucifié_ + par les Comédiens-Français, c'était mal entendre ses intérêts que + de prendre le Vendredi-Saint pour ressusciter. D'ailleurs, les + fêtes de Longchamps et le concert de l'Opéra, tout inférieurs qu'on + puisse les supposer à la tragédie du _dernier des Romains_, + devaient nécessairement dans ce siècle de frivolité enlever un + grand nombre d'amateurs au citoyen Desroys, et c'est ce qui est + arrivé. Trente personnes au plus composaient son auditoire, et ce + dénument n'avait rien d'encourageant pour un poète qui aspirait à + l'honneur d'être jugé par le public. + + Au reste, on doit cette justice au citoyen Desroys qu'il n'a + employé aucun des prestiges condamnables qui tendent à surprendre + la religion des juges. Dans la crainte que l'éclat de ses yeux ne + portât trop d'émotion dans nos cÅ“urs il les a tenus constamment + fermés; pour diminuer l'intensité de sa voix et la grâce de son + geste, il a armé sa main droite d'un chandelier qu'il portait + alternativement à sa bouche, à son nez, à ses yeux. Si quelques + dents absentes de la bouche de l'auteur ne nuisaient pas à l'effet + de sa prononciation, si les règles de la grammaire étaient + observées dans ses vers, enfin si l'exposition du sujet ne manquait + point au premier acte, il est à présumer que le citoyen Desroys eût + recueilli de la part de ses auditeurs quelques marques de + satisfaction plus vives que celles qui lui ont été accordées. + + Mais le citoyen Desroys a reconnu lui-même qu'il manquait quelque + chose à son débit, et le découragement même allait le saisir, + lorsque le citoyen Simien-Despréaux s'est présenté pour soutenir + son courage et ranimer son audace. Le citoyen Simien-Despréaux est + un athlète plus vigoureux que le citoyen Desroys; ses traits mâles, + sa voix sonore et son geste imposant, ont soutenu le second acte + et quelques passages bien lus ont obtenu les applaudissements du + petit nombre d'amateurs qui étaient restés après le premier acte. + Le troisième, le quatrième et le cinquième n'ont point été lus: + rien n'a pu vaincre la timide résistance du citoyen Desroys: ce + n'est qu'après les plus vives instances qu'on a pu obtenir qu'il + égayât l'assistance par la lecture du monologue de _Caton_. À + l'exception du premier hémistiche, ce morceau est tout entier de la + création du citoyen Desroys. + +Après un tel coup de massue, un homme ordinaire aurait perdu la tête et +fui Paris; Lyon n'en fit rien. Profitant de la menue notoriété que +l'incident lui avait value, il réunit à la hâte quelques pièces +fugitives, dont une _épître aux journalistes_, qu'il mit en vente sans +tarder; c'était aussi le seul moyen pour lui de répondre à Salgues, car +tous les journaux demeuraient obstinément sourds aux véhémentes +imprécations qu'il leur offrait. Cette fois, pourtant, on voit par la +préface, plus navrante encore qu'incohérente, qu'il avait perdu son +égalité d'humeur et que sous les cruelles railleries de Salgues sa +raison commençait à s'affaiblir; il écrivait tristement: + + La qualité de poète est belle et honorable quand elle est conférée + par la voix publique, mais jusque-là ce n'est qu'une enseigne + fatale qui nous attire incessamment le cruel coup de pied de l'âne. + Il est facile de supporter les injures de la médiocrité quand on a + pour soi les éloges des gens d'esprit, mais avaler le fiel tout + pur, voilà ce qui révolte et fait perdre la raison. Si mon + extravagance a nui à ma réputation, elle y a servi en même temps: + j'ai mieux aimé périr par la folie que de me laisser écraser par le + ridicule. Tout n'est pas rose dans la littérature: il faut pourtant + convenir que les épines qu'on y rencontre viennent souvent moins + de la nature du terrain que de la position de celui qui le cultive. + Je sais que les journalistes que je provoque trouveront, s'ils + veulent, mille pauvretés et mille contradictions dans mes petits + écrits; mais cela tient au projet insensé et opiniâtre de faire + parler la renommée malgré elle. Les journalistes ne s'attaquent pas + à mes Å“uvres, ils défigurent ma personne, et voilà ce qui est + infâme et ne devrait pas leur être permis. + +Enfin, après avoir ainsi stigmatisé son bourreau, il tenta une dernière +fois de l'apitoyer, mais d'une façon si naïve et si ridicule que Salgues +ne put se tenir de reprendre la plume à la lecture de semblables vers: + + Le public s'en rapporte aux gens qui font la loi, + Il les croit de bon cÅ“ur plus habiles que soi. + Mais enfin, tôt ou tard, le bon goût les ramène; + La justice du temps est lente, mais certaine. + L'auteur modeste, en paix s'abandonne à son sort. + S'il n'est vengé vivant, il sera vengé mort. + Vous riez des moyens que mon orgueil expose? + Craignez pourtant, messieurs, qu'il n'en soit quelque chose; + Et quelle honte, ô Ciel! n'éprouveriez-vous pas + Si mon triomphe était l'effet de mon trépas! + Rendez, pendant que l'heure est encore propice, + À d'immenses travaux une faible justice; + Régner sur les esprits est un plaisir si doux, + Que les maîtres du monde en sont souvent jaloux: + Richelieu tout-puissant porte envie à Corneille. + Je crains bien pour ma part quelque chance pareille: + Bonaparte est plus grand, j'en conviens avec vous, + Il triompha des rois conjurés contre nous, + Fit jouir de la paix l'Europe et sa patrie, + Mais il n'a pas en vers mis la géométrie. + +Devant cette dangereuse exaltation, son cousin Dareste, chez qui il +habitait alors, jugea prudent d'écrire à Mme Des Roys et à la jeune +Mme de Lamartine. Nous n'avons pas la réponse de la mère, mais on +trouve trace dans le _Journal intime_ de toutes les angoisses de la +pauvre femme, lorsqu'elle eut sous les yeux les articles de Salgues, +qu'un anonyme avait assez méchamment fait parvenir à sa belle-sÅ“ur +Mlle de Lamartine. Qu'y pouvait-elle? elle écrivit à son frère une +lettre tendre, mais très ferme, en le suppliant de quitter Paris et +d'essayer de trouver une situation en province ou à l'étranger. Celui-ci +n'en continua pas moins ses excentricités: le 7 juin 1802, on l'arrêta +même à l'Opéra, où il causait un violent scandale en faisant pleuvoir +sur la salle tout ce que le libraire n'avait pas vendu d'exemplaires de +son _Épître aux comédiens_; il fut remis en liberté quatre jours plus +tard, mais ce petit incident avait sans doute refroidi son ardeur, +puisque nous savons par sa sÅ“ur qu'il partit pour l'Angleterre en +juillet; il entra, paraît-il, comme professeur de français chez un +prêtre anglais qui lui accordait la modeste allocation annuelle de cinq +cents francs, le loyer et la nourriture. + +Au bout de dix mois, incapable de se résigner à cette pitoyable +existence, il regagna Paris où il végéta encore quelque temps; puis, +aigri, désespéré, la tête perdue, il se tua le 15 mars 1804 à Lagnieux, +près de Belley, au retour d'une visite qu'il avait faite à Lyon chez sa +sÅ“ur Mme de Vaux. Mais le destin qui l'avait poursuivi sa vie +durant, lui fut encore impitoyable après sa mort. Les autorités du +département de l'Ain s'inquiétèrent de ce bizarre suicide--un coup de +fusil dans le ventre--et comme les esprits étaient encore sous le coup +de l'attentat de la rue Saint-Nicaise, on n'hésita pas à reconnaître +dans le cadavre de Lyon Des Roys, malgré les papiers qu'il avait sur +lui, un certain Picot-Limodan, dit _Beaumont_ ou _pour le Roi_, +compromis dans l'affaire de la machine infernale et qui avait réussi à +prendre la fuite. Le zèle des fonctionnaires alla même jusqu'à ordonner +huit jours après l'exhumation du corps et à perquisitionner chez Mme +de Vaux qui ne comprenait rien à l'aventure[61]. Quant à Mme de +Lamartine, elle ignora toujours la vérité sur la fin de son frère et le +crut emporté par une congestion pulmonaire; mais la pseudo-conspiration +arriva jusqu'à elle, et elle écrivait le 29 mars 1804: + +[Note 61: _Moniteur_ du 4 avril 1804.] + +«L'on a imaginé que mon malheureux frère mort était impliqué dans une +affaire de conspiration qui a toujours été à cent lieues de son cÅ“ur et +de ses moyens. Une ressemblance de nom et son arrivée d'Angleterre ont +produit cette erreur. On est allé faire des visites chez ma sÅ“ur, l'on a +examiné ses papiers; il n'y avait rien du tout.» + +Telle fut l'existence de l'infortuné Lyon Des Roys, poète incompris +comme Gilbert, Chatterton et tant d'autres; elle n'aurait guère valu de +s'y arrêter aussi longuement si, comme nous l'avons dit, son exemple +n'avait influé plus tard de façon décisive sur l'attitude des Lamartine +lorsqu'ils virent le jeune Alphonse tourmenté du même démon qui avait +perdu son oncle. On comprend mieux et l'on excuse leur opposition, +parfois violente, quand à vingt-cinq ans il partit pour Paris un _Saül_ +en poche, frapper à la porte du même Talma qui dix-huit ans auparavant +avait refusé le _Caton_ de Lyon Des Roys[62]. Le souvenir de son frère +était encore trop présent à la mémoire de Mme de Lamartine pour +qu'elle ne fût pas effrayée de voir son fils séduit par une carrière +dont un de ses proches n'avait connu que les déboires. + +[Note 62: Il est curieux de constater que le sujet de Caton, +emprunté à _la Mort de Caton_, d'Addison, tenta également Lamartine à +vingt ans: il écrivait en effet le 30 septembre 1810 à Virieu: «Je +traduis de l'anglais quelques Nuits d'Young et la superbe tragédie +d'Addison _the Death of Cato_, le tout en vile prose, excepté quelques +morceaux qui me séduisent et que je versifie.» (_Corresp._, I, p. 272.)] + +Quant à son Å“uvre poétique, elle est aussi mince que médiocre: une +tragédie, une comédie, quelques pièces fugitives, un poème sur le tabac, +un autre sur la géométrie, deux ou trois fables et quatre épîtres[63]; +c'était insuffisant pour la conquête de Paris qu'il avait rêvée. +Accordons-lui pourtant en tardive réparation que _le Dernier des +Romains_ ne dépare pas la série des pauvres tragédies qui encombrèrent +la scène française de 1790 à 1815. Inspirés du _Caton_ d'Addison et des +meilleurs souvenirs de Shakespeare, ses cinq actes sont correctement +rimés et bien conduits. Certains morceaux, comme la mort du héros +pourraient même supporter la comparaison avec _la Mort de Socrate_ de +son neveu. Tous deux, il est vrai, n'ont fait qu'interpréter Platon, +mais le rapprochement est assez curieux pour être noté[64]. + +[Note 63: Voir, à l'Appendice, la bibliographie des Å“uvres de Lyon +Des Roys.] + +[Note 64: + + L'âme est inaccessible et rien n'agit sur elle; + Que la mort au méchant soit un objet d'horreur, + L'homme de bien y voit l'aurore du bonheur. + . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . + Mais je ne sais, mes yeux paraissent s'obscurcir, + Mes membres fatigués semblent s'appesantir, + Je ne puis surmonter la langueur où je tombe... + . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . + Mes enfants, mes amis, approchez, je vous prie. + Quoi? d'où viennent ces cris? qu'avez-vous à frémir? + Qu'est-ce donc, mes amis, ai-je tort de mourir? + Voulez-vous que j'attende à sortir de la vie + Que je me sois couvert de quelqu'ignominie, + Que j'aie abandonné le chemin de l'honneur? + La mort n'a rien d'affreux, n'en ayez point d'horreur. + Elle vient,... je la vois, je la sens,... je la touche... + Elle obscurcit mes yeux,... elle glace ma bouche... + Je finis,... je m'éteins... sans douleurs, sans effort... + L'âme pleine d'espoir se dégage du corps. + + (_Le Dernier des Romains_, acte V, sc. I et IX.)] + + * * * * * + +Hasarder des conclusions à une étude aussi brève et forcément incomplète +sur l'hérédité de Lamartine est délicat. Pourtant, dans ses grandes +lignes, elle apparaît ainsi: + +Deux familles, l'une un peu rude, chez qui la carrière des armes devient +la tradition; l'autre, cultivée, affinée par quatre siècles d'étude et +qui ne connut jamais d'autre métier que celui d'écrire; mais toutes +deux provinciales et sédentaires, profondément religieuses et que les +germes matérialistes du XVIIIe siècle ont épargnées; étroitement +attachées au sol qui les a vues naître, elles y tiennent par toutes +leurs alliances; au plus haut qu'on puisse remonter, elles sont fixées +non pas dans des régions extrêmes de la France, mais au contraire dans +deux provinces presque limitrophes, soumises aux mêmes coutumes, et dont +Lyon est le centre géographique. Leur vie est simple, leurs aspirations +sont saines et n'ont d'autre objet que d'augmenter à chaque génération +le patrimoine d'honneur et de bien-être qu'elles tiennent de leurs +pères; de tout temps une vie égale et sans histoire, presque sans +efforts, comme si toutes les forces vives des deux races eussent dû +sommeiller pendant quatre siècles pour s'éveiller et s'épanouir enfin +dans leur dernier rameau. + + + + +DEUXIÈME PARTIE + +LE MILIEU + + + + +CHAPITRE I + +LA FAMILLE[65] + + +[Note 65: Sources et bibliographie de la IIº partie: _Journal +intime_ (passim).--_Archives départementales de Saône-et-Loire_, très +riches en documents sur les Lamartine pendant la Terreur.--_Césarine et +Alix, un épisode de la jeunesse de Mme de Lamartine la mère_, par le +baron Alexandre Carra de Vaux (publié dans _l'Investigateur_, journal de +l'institut historique, 1853).--_Histoire de Saint-Point_, par L. Lex +(Mâcon, 1898, in-8).--_La Jeunesse de Lamartine_, par F. Reyssié (Paris, +1892, in-16).--_La Persécution religieuse en Saône-et-Loire_ (t. IV, +arrondissement de Mâcon), par l'abbé Louis S.-M. Chaumont +(Chalon-sur-Saône, 1903, in-8).--_La Révolution dans l'ancien diocèse de +Mâcon_, par Mgr B. Rameau (Mâcon, 1900, in-8).Â--_Souvenirs de Mme +Delahante_ (Évreux, 1906, 2 vol. hors commerce). Les souvenirs de Mme +Delahante, qui dans sa jeunesse habita longtemps Mâcon et fut très liée +avec les Lamartine, ont été publiés par sa petite-fille Mme de Blic. +Ils contiennent de nombreux et curieux détails nouveaux sur la vie +familiale du poète, ainsi qu'une trentaine de lettres inédites de divers +membres de sa famille. + +Toutes les références aux Å“uvres de Lamartine sont faites d'après +l'édition de l'auteur; c'est la dernière parue de son vivant et la plus +complète (Paris, 1860-66, 41 vol. gr. in-8).--Pour les publications +posthumes, d'après les éditions originales: _Mémoires inédits_ (Paris, +1870, in-8); _Manuscrits de ma mère_ (_id_., 1871, in-8); _Souvenirs et +Portraits_ (_id_., 1871-72, 3 vol. in-18): _Correspondance_ (_id_., +1873-75, 6 vol. in-8).] + +À la naissance de Lamartine, sa famille se composait de +Louis-François--alors âgé de quatre-vingts ans,--de sa femme et de leurs +six enfants: trois fils et trois filles. Si l'on en excepte les +grands-parents qu'il connaîtra à peine, tous les autres joueront dans sa +jeunesse un rôle trop important pour ne pas préciser un peu leurs +figures très effacées aujourd'hui. + +L'aîné des fils, François-Louis, était, on l'a vu, d'une santé précaire. +C'était un grand homme un peu voûté, au teint pâle, au regard noir, à +l'abord austère. Extrêmement maniaque dans ses habitudes et son hygiène, +il trouvera moyen de prolonger jusqu'à près de quatre-vingts ans une +existence que les médecins avaient condamnée dès l'enfance. «Il avait +été toute sa vie faible et délicat, dira de lui sa belle-sÅ“ur, mais on +était accoutumé à le voir ainsi.» + +Ce que son neveu a écrit de lui paraît très exact; on sent que le poète +avait, comme il l'a dit, son image «bien gravée dans la tête». C'est que +leurs deux natures étaient peu faites pour s'entendre. Dans le journal +de sa sÅ“ur il apparaît comme un vieillard énergique mais redoutable, +despotique, rigide, aigri par ses infirmités et sa vie manquée: «Toute +sa vie, écrira Mme de Lamartine au lendemain de la mort de son +beau-frère, il avait conservé l'influence d'un chef de famille, et rien +ne s'était jamais décidé dans la mienne que par lui ou d'après lui; +souvent cet empire avait contrarié nos vues et m'avait causé des peines +sensibles». Ceci confirme entièrement ce que Lamartine a écrit dans les +_Confidences_. + +Lorsqu'il lui fallut à vingt-cinq ans renoncer à la carrière militaire +et à l'espoir de fonder à son tour une famille, François-Louis se +confina entièrement dans le monde de la pensée, afin d'occuper un peu +son activité. Esprit méthodique et précis, les sciences eurent ses +préférences: les mathématiques furent pour lui un véritable délassement, +et il faut voir là l'origine de tous les froissements que nous +constaterons plus tard entre l'oncle et le neveu. + +La liste de ses Å“uvres en dit long; l'Académie de Mâcon, dont il fut dès +1806 un des membres les plus assidus, a recueilli dans ses bulletins +annuels une cinquantaine de mémoires sur les sciences et l'agriculture +dont il est l'auteur. On y remarque un _Examen du gleuco-Å“nomètre_, une +_Dissertation sur une substance résineuse trouvée à Louhans_, un _Traité +de l'oryctologie du Mâconnais_, dont le manuscrit subsiste encore à la +bibliothèque de Mâcon, et d'importantes et minutieuses _Recherches sur +les causes qui modifient ou altèrent la cohésion entre les parties de +quelques substances_, sans compter d'innombrables communications sur la +viticulture et l'élevage. + +À sa mort, le _Journal de Saône-et-Loire_ publia un long article +nécrologique auquel il est permis d'accorder quelque valeur, puisque +nous savons qu'il ne fut pas inspiré par sa famille[66], et dont le +fragment suivant nous donne un portrait assez vivant de celui que +Lamartine appelait «l'oncle terrible»: + +«Animé d'un zèle ardent pour l'étude, M. de Lamartine s'était consacré +dès sa jeunesse au culte des sciences et des lettres, mais il avait +montré une prédilection particulière pour les sciences naturelles et les +mathématiques. Uni par les liens de l'amitié et d'une estime mutuelle +avec le savant abbé de Sigorgne[67], en relations avec plusieurs autres +hommes célèbres de son temps, il trouva ses plus chères délices à +parcourir le vaste champ du découvertes que lui présentait la science. + +[Note 66: Journal de Saône-et-Loire du 4 mai 1827. Cet article, +rédigé par Alexis Mottin, secrétaire perpétuel de l'Académie de Mâcon, +ne satisfit qu'à moitié Pierre de Lamartine qui y répondit par la lettre +suivante, insérée dans le numéro du 7 mai: + +«Monsieur, je commence par rendre grâce à l'estimable auteur de +l'article nécrologique inséré dans votre précédent numéro. Je serai +désespéré que ma juste réclamation put l'affliger, mais je crois le +devoir à la mémoire de mon frère. Sans doute, si votre journal n'était +lu qu'à Mâcon, où M. de Lamartine était si parfaitement connu, il eût +été peut-être superflu de dire un mot sur ses sentiments religieux: nul +ne peut les y mettre en doute. Mais comme la sphère de votre estimable +journal ne se borne pas à cette ville, je désire que partout où elle +s'étend on sache que mon frère mettait fort au-dessus de toutes les +connaissances humaines celle de la religion, et que, jusqu'au dernier +instant de sa vie, il en a constamment rempli les devoirs avec zèle et +la plus sincère conviction.--LAMARTINE.»] + +[Note 67: Pierre Sigorgne (1719-1809), vicaire général de Mâcon, +puis archidiacre et doyen du chapitre de Saint-Vincent, auteur de +plusieurs volumes de philosophie. On a de lui: _Institutions +newtonniennes_ (1747); _Lettres écrites de la plaine_ (1765), où il +réfute les _Lettres de la montagne_ de Rousseau; _Institutions +leibnitziennes_ (1768); _le Philosophe chrétien_ (1776), etc. + +Cf. Abbé Rameau, _Notice sur l'abbé Sigorgne_ (Mâcon, 1895, in-8).] + +«Doué d'une imagination vive, brillante, et de cette fermeté de +caractère qui triomphe des difficultés, aidé d'une mémoire facile qui +lui rendait toujours présentes les connaissances solides qu'il avait +acquises, il ne lui eut fallu qu'un peu moins de modestie pour se faire +un nom très recommandable parmi les savants. Mais, loin de faire parade +de son savoir, il le faisait servir à donner plus de charme à sa +conversation, vive, piquante, et constamment assaisonnée de cette douce +urbanité qui donne à la société tant de charmes. + +«Sujet fidèle et attaché sincèrement au bien de son pays, on l'a vu, +pendant le cours des troubles civils qui ont désolé notre patrie, +toujours dévoué à la cause de la légitimité et de ne pas perdre de vue +un seul instant les principes sur lesquels reposent l'ordre social et la +prospérité de la France.» + +Ainsi lorsque après un romantique parallèle de leurs deux caractères, +Lamartine s'écriait: «Comment unir ce nombre et cette flamme[68]», il +n'exagérait pas les contrastes de ces natures dissemblables qui ne +parvinrent jamais à trouver un terrain d'entente. + +[Note 68: _Nouv. Confidences_, p. 455. Le portrait de l'oncle +terrible occupe les pages 447-457 (T. 29).] + +À toutes ses qualités de méthode il joignait celle d'être un homme +d'affaires entendu, comme le furent tous les Lamartine, sauf toutefois +le dernier du nom qui sur ce point se trouvait desservi par son +imagination. Le souci de son bien s'affirme dans les moindres lettres +que nous ayons rencontrées de lui: très processif, il n'hésitait pas, +dès qu'il croyait y avoir quelque intérêt, à soutenir ses revendications +par de longs _factums_ écrits avec amour. + +Sa correspondance avec ses vignerons est curieuse à feuilleter: une fois +de plus, elle confirme son esprit précis et méticuleux. + +Lamartine ne l'aimait pas et cette antipathie se manifesta chaque fois +qu'il avait à parler de lui. Cet oncle fut l'épouvantail de sa jeunesse, +celui à qui, bien plus qu'au père toujours indulgent, il fallait cacher +les fredaines, les menues dettes et les aventures: intransigeant, sévère +et glacé, presque sans tendresse, il ne tolérait pas autour de lui la +moindre infraction aux principes dans lesquels il avait été élevé et +qu'il prétendait immuables. + +La plupart du temps il contrecarrait opiniâtrement et avec sa méthode +habituelle les beaux projets de son neveu dont il voulait ainsi +maîtriser la débordante imagination; aux rêves vagues mais fiévreux +d'étude et de littérature il opposera froidement les sciences qui, selon +lui, donneront quelque maturité à ce cerveau vagabond. + +Pour comprendre cette domination qu'il imposera jusqu'à sa mort, il ne +faut pas oublier la situation particulière du jeune homme dans ce milieu +imbu des traditions du sévère XVIIIe siècle: l'oncle ne verra en lui +que l'unique héritier du nom et de la fortune et voudra, avant tout, le +mûrir pour en faire le chef de famille avisé et prudent que chacun de +ses ancêtres avait été avant lui. Tout le malentendu naîtra de là . + +Dans le portrait de son oncle, Lamartine a pourtant commis une erreur +lorsqu'il touche à ses idées politiques[69]; mais est-elle involontaire? +Les _Confidences_ furent écrites, on le sait, en pleine activité +républicaine, à une époque où le chef de l'opposition n'était peut-être +pas fâché de se découvrir des origines libérales. + +[Note 69: Bien qu'inexactes, les idées politiques que Lamartine a +prêtées à son oncle sont curieuses, parce qu'elles correspondent très +exactement à son propre programme sous les dernières années de la +monarchie de Juillet.] + +La vérité est que, dès le début de la Révolution, François-Louis, que +son neveu nous a montré condisciple et ami de Lafayette, n'eut même pas +ce républicanisme de la première heure que connurent tant de +gentilshommes séduits pas les idées nouvelles. Alors que dans une minute +d'enthousiasme son frère Pierre signait avec le comte de Montrevel, le +grand bailli d'épée Desbois, le marquis de Sainte-Huruge et d'autres +seigneurs du Mâconnais la solennelle renonciation aux privilèges +nobiliaires, lui, plus froid et plus raisonné, ne fut pas entraîné par +l'imagination et la fièvre de l'époque. La gravité de la situation lui +apparut entière et dès le premier jour il en envisagea les suites. +Aussi, en mars 1789, au moment des émeutes qui accompagnèrent à Mâcon +l'élection des députés aux États généraux, on le vit avec MM. de +Chaintré, de Bordes, de Pierreclau et de Drée, défendre les intérêts de +sa caste à l'Assemblée des trois ordres du bailliage et réclamer même la +destitution du maire qui soutenait le Tiers, ce qui leur valut à tous +d'être fort malmenés par la foule à l'issue de la réunion[70]. + +[Note 70: Cf. Demaizières, Un incident populaire à Mâcon en 1789 +(_Ann. de l'Académie de Mâcon_, IIe siècle série, t. XI).] + +En 1792 enfin, lorsqu'il sentit l'orage prêt d'éclater, il se hâta +d'émigrer; pour un temps très court, il est vrai, car trois mois plus +tard il était de retour et se constituait prisonnier ne voulant sans +doute pas abandonner son père et ses frères que sa fuite avait fait +arrêter. + +Par la suite, la Terreur et l'Empire l'abattirent sans le convaincre et +jusqu'au bout il demeura fidèle à la légitimité. Lamartine a raconté +qu'en 1805, lors du passage de Napoléon à Mâcon, celui-ci aurait fait +appeler François-Louis pour lui offrir un siège de sénateur; mais Mme +de Lamartine n'a rien noté de tel dans son journal où ce séjour de +l'Empereur est pourtant longuement rapporté, ce qu'elle n'eût pas manqué +de faire si l'entrevue avait eu lieu. + +À soixante dix-sept ans, une fluxion de poitrine emporta François-Louis +en quelques jours. Sa mort fit un véritable vide dans la petite société +mâconnaise qui l'aimait et le respectait pour la droiture de sa vie et +son érudition «presque universelle», dira sa belle-sÅ“ur; il laissait à +tous le souvenir d'une intelligence remarquable et d'un causeur parfait, +à qui l'on pardonnait son abord un peu farouche en mémoire d'une vie +prématurément brisée. Il mourut à Montceau le 25 avril 1827, et par son +testament il instituait comme ses légataires universels, sa nièce aînée +Cécile, devenue Mme de Cessia, et son neveu Alphonse dont les +triomphes poétiques et surtout les fonctions d'attaché d'ambassade qu'il +occupait alors avaient fini par lui rendre confiance. Celui-ci, +pourtant, ne se jugea pas satisfait, et fut même blessé par une clause +de ces dernières volontés pourtant toutes en sa faveur; le 20 juin, il +écrivait à l'abbé Dumont, son ami: «Le testament de mon oncle n'est pas +sa plus belle Å“uvre, mais j'aime toujours à croire qu'elle n'a pas été +faite à mauvaise intention. Si je n'avais qu'un neveu, seul chef +survivant de ma famille, et qu'il ne déshonorât pas mon nom, je lui +ferais l'honneur de le nommer au moins mon héritier universel à ses +risques et périls. Trop penser nuit, les grandes routes sont les plus +droites[71]». Ce fut là toute l'oraison funèbre qu'il prononça sur la +tombe de cet oncle qu'il s'imaginait, sincèrement, avoir opprimé sa +jeunesse. + +[Note 71: Cf. _Corresp._, III, p. 41. Voici d'autre part une lettre +de Pierre de Lamartine à son fils où nous trouvons quelques détails sur +cette succession: + + «Maçon, le 1er mai 1827. + + «Voilà , mon cher ami, une malheureuse circonstance qui me fait + encore plus regretter que tu ne sois pas ici où ta présence serait + d'une grande utilité. Mon pauvre frère n'est plus; il a succombé, + dimanche à onze heures du matin, à cette maudite fièvre catharale. + Tu sens tout ce que nous avons eu tous à souffrir dans ce malheur. + Mlle de Lamartine l'a pourtant supporté avec tout le calme de sa + grande piété. + + «Voici les principales dispositions de son testament par lequel il + a fait cesser l'indivision qui était dans leur bien. Mlle de + Lamartine garde Montceau et les Mélards, elle a tout le mobilier + quelconque, argent, denrées, sans aucun frais de sa part, pas même + ceux du fisc dont ses héritiers sont chargés. C'est Cécile et toi + qui l'êtes, pour égale part et portion, de Champagne, Saint-Pierre + et Saint-Oyen en rapportant ce que vous avez eu par contrat de + mariage. La bibliothèque est à toi par principal et voici en quoi + consistera l'actif de la succession: + + À présent Champagne estimé à peu près... 160000 francs. + Saint-Oyen environ.... 80000 ---- + + Après la mort de ma sÅ“ur, trois inscriptions + de mille francs chacune, valant....... 60000 ---- + ------ + 300000 francs. + + «Mon frère a fait bon marché à Mlle de Lamartine, en faisant son + partage, mais il y assujétit ses héritiers par son testament. + L'argent, les vins, le mobilier sont très considérables; je pense + que ma sÅ“ur aura dix-sept ou dix-huit mille livres de rente.» + (_Lettre inédite_ provenant des archives de Saint-Point.) + +Comme on peut s'en rendre compte, Pierre de Lamartine était donc du même +avis que son fils touchant le testament de François-Louis. + +Une lettre du 5 juillet, toujours du chevalier au poète, nous apprend +que, sur la tombe de François-Louis de Lamartine, on fit graver un vers +de son neveu choisi par Mme de Lamartine: + +«La mort m'a tout ravi, la mort doit tout me rendre», extrait de la +_Méditation_: la Semaine sainte à la Roche-Guyon.] + +Le cadet, l'abbé de Lamartine, était son vivant contraste. À dix-sept +ans il était entré dans les ordres, un peu contre son gré, assure sa +belle-sÅ“ur. Bientôt il prit goût pourtant à cette vie facile et sans +soucis graves; cinq années de dures épreuves qu'il eut à subir de 1792 à +1797, lui donnèrent une souriante philosophie. En sage qu'il était, il +se réfugia aussitôt dans sa belle retraite de Montculot, où il vécut +paisiblement et loin des siens, parmi la nature qu'il aimait. Il demeura +là jusqu'à sa mort avec une vieille intendante, travaillant en silence à +de longs mémoires sur la théologie et la philosophie qui ne virent +jamais le jour. + +Dans sa vieillesse, il aimait à voir sa solitude animée par les vingt +ans et la vivacité de son neveu, qu'il accueillit toujours avec bonté; +Lamartine l'adorait, et chaque fois qu'il avait quelque dette à éteindre +ou une petite fredaine à faire oublier, c'était à lui qu'il venait +s'adresser. Montculot fut le refuge, «la Thébaïde», comme il l'appelait, +de son adolescence. Il y fuyait l'oncle de Montceau et la contrainte de +Milly; c'était la transition habituelle entre les plaisirs de Paris et +la tristesse de sa campagne, et il y trouvait la paix et le +recueillement sous les deux formes qu'il aimait le mieux: la nature et +les livres; l'abbé avait réuni une admirable et riche bibliothèque où le +neveu pouvait puiser sans contrôle, ce qui n'allait pas sans le changer +un peu des habitudes de Mâcon et de Milly où sa mère se montrait très +sévère. Lamartine, en mémoire des heures libres qu'il passa près de +lui, en a laissé un portrait charmant: il aimait la bonhomie souriante +de l'aimable vieillard demeuré toujours un peu frondeur, ce qui faisait +dire ingénument à sa belle sÅ“ur: «L'abbé est très mal! pourvu, mon Dieu, +qu'il pense à se confesser!» Une vieillesse accablée de cruelles +infirmités n'altéra en rien sa belle humeur; frappé le 10 septembre 1817 +d'une attaque d'apoplexie qui lui paralysa un bras et une jambe, il +mourut à Montculot le 8 avril 1826, en brave homme qu'il avait toujours +été, laissant sa fortune à son neveu préféré. Seul de tous les +Lamartine, il avait compris la nature inquiète de l'adolescent et deviné +l'immense travail de ce jeune cerveau. + + * * * * * + +Quant aux trois tantes, elles jouèrent un rôle assez effacé dans +l'existence du poète. L'aînée, Sophie, connue dans la famille sous le +nom de Mlle de Montceau, demeura toute sa vie faible d'esprit et +vécut à Milly des jours sans histoire entre son frère et sa belle-sÅ“ur: +«Je dois la regarder comme mon sixième enfant», dira d'elle Mme de +Lamartine, qui fit preuve à son égard d'un patient dévouement. La +cadette, Suzanne, Mme du Villard, habitait la petite propriété de +Péroné. Dans sa jeunesse elle avait été élevée au chapitre de Salles et +en avait gardé le titre de chanoinesse-comtesse. C'est là que la +Révolution vint la surprendre pour la relever malgré elle de ses vÅ“ux. +Son cÅ“ur était inépuisable, comme sa bourse, et bien souvent on la verra +venir à l'aide du prodigue neveu. D'après Mme de Lamartine qui lui +avait voué une profonde reconnaissance d'avoir facilité jadis son +mariage, elle était de bon conseil, très bonne et très pieuse, mais +d'une nature assez difficile. Pour Lamartine, qu'elle tira souvent un +peu vivement de ses rêveries, elle avait un caractère «plus impétueux +qu'une bourrasque». La dernière, Charlotte, Mlle de Lamartine, avait +uni sa vie à celle de son frère aîné; c'était une pâle et mystique +créature, qu'un amour malheureux avait attristée pour toujours. L'hiver, +on se réunissait à Mâcon dans son vieux salon démodé, avec quelques +parents et voisins; c'étaient ces fameuses soirées où Lamartine avouait +plus tard avoir failli périr d'ennui et qui, selon son énergique +expression, «auraient fait croupir l'eau même des cascades des Alpes». +Les trois vieilles filles moururent, Sophie en 1819, Charlotte en 1823, +Mme du Villard en 1842, celle-ci n'ayant jamais pardonné à son neveu +la politique d'opposition qu'il menait contre les d'Orléans à qui, +disait-elle, leur famille devait tant. + + * * * * * + +Le plus jeune des fils de Louis-François était Pierre Lamartine, le +chevalier de Pratz. On lui avait donné ce titre dans sa jeunesse, pour +le distinguer de son frère aîné et, à Mâcon, il n'était guère connu que +sous le nom de M. de Pratz. De là l'erreur si commune que le nom +véritable du poète était de Pratz et non de Lamartine. + +Nous sommes malheureusement très peu renseignés sur lui. À travers même +le journal de sa femme qui l'adore, il apparaît presque au second plan, +se reposant sur elle de tous les soins du ménage et des tracas +quotidiens, heureux, semble-t-il, d'avoir abdiqué entre les mains de son +frère ses droits de chef de famille avec leurs responsabilités. Dans les +_Confidences_, son fils en a parlé de façon respectueuse mais quelque +peu vague; le portrait, d'allure militaire, est joliment campé, mais +n'est pas tout à fait d'accord avec ce que nous savons de lui. Ce qu'il +en a dit de plus juste est qu'il fut «le modèle parfait du gentilhomme +de province, père de famille, chasseur, cultivateur». De même, quelqu'un +qui l'a beaucoup connu, écrit qu'il était «le type parfait de l'ancien +gentilhomme; très aimé de sa femme, qui le craignait un peu; il lui +survécut et la regretta jusqu'à son dernier jour[72]». + +[Note 72: Mme Delahante.] + +Comme il était extrêmement aimé et respecté dans la région pour sa +droiture, on avait voulu souvent le diriger vers la politique, mais il +s'en gardait, paraît-il, comme de la source de tous les maux. Il +consentit seulement à accepter un siège de conseiller général, qu'il +occupa de 1803 à 1813. Pour le reste, ses scrupules monarchistes ne lui +permirent jamais de passer outre, et sa femme a rapporté à ce sujet +l'anecdote suivante qui date de 1809. + +Vivant-Denon, l'orientaliste qui avait suivi Bonaparte en Égypte, se +trouvait alors à Mâcon où il présidait le collège électoral. Il était +lié avec François-Louis et, au cours d'une visite qu'il lui fit, il +rencontra le chevalier de Pratz. «Il traita mon mari avec beaucoup de +distinction, ajoute Mme de Lamartine; il en a fait le premier +scrutateur et, s'il avait voulu, l'aurait sûrement fait nommer +législateur. Mais il craint, s'il accepte cette place, de se trouver +dans des circonstances délicates où la conscience et la fortune ne +pourraient peut-être pas s'accorder. Il aime mieux ne pas s'exposer à +cette tentation, ce qui est assurément très sage.» + +Jusqu'à trente-huit ans, il avait servi dans l'armée; après son mariage, +il se retira à Milly dont il ne bougea plus jusqu'à sa mort, si ce n'est +à partir de 1805 pour aller passer l'hiver à Mâcon. C'était un bel +homme, robuste et sain, qui ne dérogea pas à cette étonnante vitalité +des Lamartine puisqu'il mourut presque centenaire. Bourru d'apparence, +il alliait des manières un peu rudes à une grande simplicité et à un +cÅ“ur excellent. Fixé à la campagne d'abord par nécessité, il finit par +s'y trouver bien et perdit vite le goût des villes; pour lui faire +acheter une maison à Mâcon, sa femme fut même obligée de plaider la +cause de leurs filles qui, devenues grandes, avaient besoin d'une +éducation moins villageoise. Jamais, on ne put vaincre dans sa famille +cette horreur des cités bruyantes; de 1792 à 1844, date de sa mort, il +ne consentit qu'une fois à s'arracher à sa chère solitude pour aller en +1814 présenter à Louis XVIII les hommages de la ville et poursuivre avec +opiniâtreté la croix de Saint-Louis, unique ambition de cette âme fidèle +aux Bourbons. Après quoi, satisfait, il rentra à Milly sans vouloir +jamais retourner à Paris par la suite, même au plus fort des triomphes +poétiques et politiques de son fils. + +Au fond, il aimait la vie simple, la campagne et ses plaisirs, chasse, +pêche, cheval, se levait et se couchait tôt, lisait peu. Son seul souci +fut l'entretien et l'embellissement de ses vignes, il courait lui-même +les marchés vendre son vin et ses récoltes et choisir soigneusement ses +bestiaux. Pour le reste, il s'en remettait entièrement à sa femme et à +son frère, surtout en ce qui concernait son fils dont l'âme tourmentée +et insatisfaite lui échappait complètement. On chercherait en vain +quelle influence il put avoir sur les destinées et l'éducation du poète. +Volontairement, il se tint toujours à l'écart, se contenta d'approuver +les décisions du chef de famille, lassé, surtout après 1810, de cette +détresse morale et de cette nature hésitante qui cadrait si mal avec son +propre tempérament et dont il ne comprendra que beaucoup plus tard les +mobiles secrets. Mais la mère sera là pour atténuer les froissements +entre ces deux caractères si différents. + + + + +CHAPITRE II + +LA MÈRE + + +En oubliant l'image que Lamartine a tracée de sa mère et en ne +l'étudiant qu'à travers son journal, ses lettres et les témoignages de +ceux qui l'ont connue, on peut arriver à préciser cette figure que le +poète, dans son pieux amour, s'est appliqué à idéaliser et à rendre +presque immatérielle. + +Mme de Lamartine fut une femme simple, bonne, aimante, et +profondément religieuse; sa vie se sépare en quatre périodes inégalement +remplies de joies et de douleurs. La première s'étend de sa jeunesse à +son mariage; la seconde de son mariage à la majorité de son fils; la +troisième de 1811 aux _Méditations_; la dernière de 1820 à sa mort +survenue en 1829. Ainsi, chacune de ces étapes est liée à quelque grand +événement de la vie de son fils: c'est que son premier-né demeura +toujours le plus aimé; elle le voyait différent des autres et réservait +pour lui le meilleur de sa tendresse. + +Elle était née à Lyon le 8 novembre 1770, et sa première enfance avait +été confiée à sa grand'mère paternelle, car son père, en incessantes +tournées d'inspections, et sa mère, retenue au Palais-Royal par ses +fonctions, n'habitèrent Lyon qu'à de rares intervalles. À dix ans, +Mme Des Roys la garda quelque temps près d'elle à Paris où la petite +Alix devint la compagne de jeux du futur Louis-Philippe; puis quatre ans +plus tard, redoutant qu'elle fût trop mêlée au monde de la cour, elle +obtint du duc d'Orléans des lettres d'admission pour elle au chapitre +noble de Saint-Martin de Salles, en Beaujolais, où sa fille aînée, +Césarine, se trouvait déjà . Salles, situé à quelques kilomètres de +Villefranche-sur-Saône, fut primitivement un prieuré dépendant de +l'abbaye de Cluny. À la fin du XIIIe siècle des Bénédictins s'y +installèrent, et en 1782 le prieuré fut, par lettres royales, déclaré +chapitre noble, c'est-à -dire que, pour y être admises, les religieuses +devaient faire preuves d'au moins quatre quartiers du côté maternel et +de six du côté paternel. + +Lorsque Mlle Des Roys entra à Salles, le couvent était devenu une de +ces institutions mi-mondaines, mi-religieuses de l'ancien régime, où les +jeunes filles achevaient leur éducation. La vie qu'on y menait n'avait +rien d'austère, puisque chaque élève y possédait une petite habitation +et un jardinet qu'elle partageait avec une «mère». D'ailleurs Alix Des +Roys, qui demeura à Salles de 1784 à 1789, venait chaque année passer +deux mois à Paris avec ses parents. + +Il nous reste deux portraits d'elle pendant ce séjour au couvent. L'un +est une miniature qui la représente dans l'austère vêtement noir des +chanoinesses-comtesses, avec la fanchon de soie noire, la guimpe de +broderie blanche et la croix d'émail épinglée au corsage[73]. Les +cheveux sont d'un blond cendré, les yeux noirs, la bouche fine, le +menton un peu gros, et toute l'expression du visage reflète une +indicible et inquiétante mélancolie. L'on songe alors à ce joli passage +de son journal écrit trente ans plus tard, un jour où, conduisant son +fils à Lyon, elle passa devant l'ancien couvent de sa jeunesse: + + J'éprouvais encore de douces émotions, dit-elle, en revoyant ce + charmant Beaujolais où j'ai passé une jeunesse si heureuse; mille + souvenirs se succédaient rapidement dans ma tête ou plutôt dans mon + cÅ“ur, car c'est là que presque tous les moments de ce temps sont + gravés. Je me voyais, de quinze à vingt ans, simple, jolie, + fraîche, plaisant à tout le monde... + +[Note 73: Ce portrait, que M. Reyssié a cru perdu, appartient +aujourd'hui à Mme Frédéric de Parseval, arrière-petite-fille de +Mme de Lamartine. Le poète, qui en a fait une description assez +fidèle dans les _Confidences_, l'avait fait mouler en couvercle sur une +petite boîte d'argent.] + +L'autre portrait est une longue épître en vers du chevalier de Bonnard, +poète du duc de Chartres, et qui précéda Mme de Genlis comme +gouverneur des enfants d'Orléans; elle fut adressée à Mme Des Roys, +dont il fréquentait le petit cercle et qu'il avait connue chez Buffon, +pour célébrer la grâce et les mérites de ses deux chanoinesses. Comme +tous les vers de Bonnard, ceux-ci sont médiocres, mais ils valent d'être +cités pour la spirituelle et vivante image qu'ils donnent de la jeune +fille à quinze ans: + + Quant à notre autre chanoinesse + Que nous nommons Madame Alix, + Elle a sans doute aussi son prix. + Mais quoiqu'elle entende la messe + Et chante l'office assez bien, + Qu'elle soit de discret maintien + Et même qu'elle aille à confesse, + Ô mère! tenez pour certain + Qu'elle a le goût un peu mondain. + À quinze ans elle était jolie, + Et spirituelle et polie, + S'exprimait avec agrément + Quoiqu'un peu trop rapidement; + Était tout yeux et tout oreille, + Remarquait, citait à merveille, + Marchait, dansait légèrement, + Aimait la bonne compagnie, + La musique, la comédie, + Soutenait, par le clavecin, + Un son de voix très argentin, + Jugeait les Beaulard, les Bertin, + Connaissait les moindres nuances + Et l'effet et les différences + Des poufs, des chapeaux de satin; + ...D'où je conclus, à juste titre, + Qu'elle quittera son chapitre + Tôt ou tard, pour prendre un époux, + Beau, jeune, riche, aimable et doux[74]. + +[Note 74: Ces vers du chevalier de Bonnard ne figurent dans aucune +édition de ses Å“uvres. Ils sont cités d'après _l'Investigateur_ de 1853, +où la pièce a paru en entier.] + +Le portrait est enjoué et on le sent fidèle; pourtant, il ne faudrait +pas le prendre à la lettre et l'on peut se défier de l'esprit +superficiel du chevalier de Bonnard qui ne pouvait juger la jeune fille +que sur l'apparence de la vie brillante menée au Palais-Royal. D'après +lui, elle était un peu coquette et très mondaine: coquette, c'était une +des exigences de son âge; sans doute aussi aimait-elle le monde; toute +sa vie même elle le regrettera et le confessera souvent dans son journal +au retour des petits bals où elle menait ses filles; Mme Delahante +nous apprend aussi que «Mme de Prat tout en aimant le monde +secrètement, vivait très sédentaire, craignant ses belles-sÅ“urs et son +beau-frère qui, étant âgés et sévères, avaient conservé toutes les idées +d'étiquette du siècle passé». Ceci semble donc acquis, de même que les +talents prêtés par Bonnard à Mlle Des Roys. + +Pour compléter cette étude de jeune fille, il reste encore à pénétrer +dans sa pensée et, là , on peut voir qu'à toutes ses qualités extérieures +elle joignait un esprit déjà singulièrement mûri et réfléchi. Dès l'âge +de quinze ans, elle avait pris l'habitude de tenir un journal de sa vie; +celui que nous possédons ne commence qu'en 1801, mais un fragment de ce +premier début a été conservé précieusement par elle comme la ligne de +conduite de son existence. Intercalé dans l'un des douze petits +cahiers, il est daté de mars 1786, et voici ce qu'on y lit: + +«...Il n'y a, après tout, qu'une _seule chose_ de nécessaire: il n'est +pas utile, en effet, que je me procure de la dissipation, que je prenne +du plaisir, tout cela passe et ne fait pas le bonheur. Il n'est pas +nécessaire que je plaise au monde, que je sois aimée et recherchée; tout +cela est une source de périls en tous genres, et les personnes qui se +livrent le plus au monde et que le monde lui-même fête le plus sont +souvent par la suite les plus malheureuses...» + +Toute la vie de Mme de Lamartine peut se résumer par ces quelques +lignes, écrites à quinze ans; jusqu'à sa mort, ce fut une lutte +perpétuelle et inquiète contre elle-même, où elle s'efforçait de +réprimer ce qu'elle appelait «les choses inutiles», les tendances qui +lui semblaient de nature à éloigner le but qu'elle s'était de tout temps +fixé: la simplicité et la vérité. + + * * * * * + +Tel était l'état d'âme de la jeune fille au moment où elle abordait le +mariage que lui avait prédit malicieusement Bonnard. On en connaît +l'histoire romanesque. + +À Salles, elle s'était liée avec Suzanne de Lamartine, comme elle +pensionnaire du couvent. Le chevalier de Pratz qui, de Montceau ou de +Mâcon, venait souvent voir sa sÅ“ur pendant ses congés, connut ainsi +Mlle Des Roys, car le règlement n'interdisait pas les visites. Tous +deux se plurent et le chevalier que l'on songeait à marier sollicita +l'autorisation de sa famille. Le père, tout d'abord refusa, trouvant la +dot insuffisante. Mais il avait compté sans le hasard et la persévérance +des jeunes gens. Le 6 octobre 1789, jour où les Parisiens ramenèrent la +famille royale dans sa capitale, Mme Des Roys et sa fille se +trouvaient à Chatou. Devant la foule ameutée, et les nouvelles qui leur +parvinrent, les deux femmes prises de peur renoncèrent à regagner Paris +et se décidèrent à rentrer à Lyon. En cours de route elles furent +obligées, à la suite d'un accident de voiture que la jeune fille dut +bénir toute sa vie, de s'arrêter à Mâcon. Suzanne de Lamartine prévenue, +résolut alors d'arranger les choses qui traînaient depuis un an et +annonça à son père que Mme Des Roys était de passage et apportait des +nouvelles graves de Paris. Le moyen, pour François-Louis, de ne pas +offrir une hospitalité provisoire aux deux femmes? Elles demeurèrent +chez lui vingt-quatre heures et, à leur départ, séduit sans doute par le +charme de la jeune fille, il finit, comme dans un roman, par accorder +son consentement au mariage. + +Le 4 janvier 1790 enfin, le contrat fut signé à Lyon, et l'on y voit que +les jeunes époux étaient plus riches de bonheur que d'argent: le +chevalier avait l'usufruit de Milly jusqu'à la mort de son père, et +c'était tout. Quant à Mlle Des Roys elle apportait, outre quelques +bijoux et meubles, la somme de 50 000 francs, dont 20 000 assurés par un +de ses oncles, et qui n'étaient pas encore versés en 1810 à la mort de +celui-ci. Ainsi, les revenus du jeune ménage se montaient à une douzaine +de mille francs, assez aléatoires d'ailleurs, puisqu'ils étaient +uniquement basés sur les récoltes de Milly. + +Le mariage fut célébré le 7 janvier 1790; aussitôt après, la jeune femme +vint s'établir à Milly et de cette date jusqu'en 1808, elle connut une +existence très différente. + +La jeune mondaine d'autrefois habite maintenant un village obscur et +sans horizon. Sa maison est petite, sa vie plus que simple, sa fortune +médiocre. Deux ans à peine après son mariage, son mari, ses beaux-frères +et ses belles-sÅ“urs sont emprisonnés et elle reste isolée avec deux +enfants au berceau, près de ses beaux-parents. Puis, le calme rétabli et +le chevalier rendu à la liberté, elle regagne avec lui leur petite +campagne où ils s'installent définitivement. + +Dès lors, elle devient entièrement la mère. Ses parents sont loin, les +uns fidèlement attachés à la fortune des d'Orléans qu'ils accompagnent +en exil, les autres réfugiés en Angleterre où ils végètent. Elle vivra +seule à Milly, presque sans nouvelles d'eux. Son unique occupation va +devenir l'éducation de ses enfants. + +C'est dans ce rôle, surtout, qu'il est attachant de la suivre. De 1800 à +1808, son journal reflète profondément ses détresses, ses défaillances +morales, et une analyse aiguë d'elle-même qu'elle pousse à un degré +incroyable. Chaque soir, elle se scrute impitoyablement, examine et +résume sa vie quotidienne, les soucis de la journée, et en tire un +enseignement pour l'avenir, sans pouvoir toutefois être jamais +satisfaite de ses actes qu'elle trouve perpétuellement imparfaits et +au-dessous de sa tâche. Chez elle, les accalmies sont rares et, même +dans les périodes d'apaisement et d'équilibre, elle les environne +toujours de l'inquiète restriction qu'elle est trop heureuse et ne +mérite pas son bonheur. + + * * * * * + +À partir de 1810 sa vie change encore et commence alors pour elle une +époque d'amertumes, de tristesses et de découragements encore plus +profonds. Ses enfants la préoccupent: ses quatre filles, d'abord, +qu'elle mariera toutes à leur temps et heureusement, mais surtout ce +fils, son préféré, dont l'oisiveté, dit-elle, la «tue». L'existence vide +qu'il traîne de Mâcon à Paris, sa fièvre, sa sensibilité, qu'il tient +d'elle au fond, sont autant de tortures pour ce cÅ“ur de mère qui ne +demande qu'à être fière de son fils. Son orgueil maternel souffre de +voir la vie de son enfant lui échapper, et elle pleure de n'être plus +comme autrefois sa confidente, elle qui jadis écrivait à propos de lui: +«La chose la plus importante dans l'éducation est d'inspirer une grande +confiance à ses enfants et il faut pour cela les écouter toujours avec +attention et l'air de l'intérêt, quelle que soit la chose dont ils +veulent vous entretenir, parce qu'alors ils prennent l'habitude de vous +parler de tout ce qui les occupe». + +Aujourd'hui, il faut deviner plutôt qu'apprendre de lui, les pensées qui +le hantent; il faut aussi brûler en cachette ses mauvais livres, ses +mauvais vers, qui rappellent le malheureux frère qui s'est perdu ainsi, +voir grossir ses dettes qu'elle essaye d'éteindre en réduisant ses +humbles dépenses. Car trop souvent elle sera forcée d'avoir recours à +l'oncle et aux tantes qui la trouveront faible et le lui diront +durement. Toutes les petites ruses qu'il mettra en Å“uvre pour lui cacher +ses fredaines et ses aventures l'accableront sans lasser sa tendresse. +«Il me tourmente bien par son caractère inquiet, dira-t-elle un jour, +mais je tâche de le ramener tout doucement; je supporte, c'est ma tâche +actuelle.» + +Malgré tout, sa bonté pour lui demeurera inépuisable, comme sa patience. +En 1811, à la suite d'une amourette dont il s'exagéra la valeur, les +Lamartine furent obligés de le faire voyager; il se trouva un jour sans +ressources à Livourne, ayant mangé en un mois ce qu'on lui avait donné +pour six. Les oncles et les tantes qui ont déjà ouvert leur bourse, +restent sourds, cette fois, aux lettres suppliantes, et décident le +retour. Mais il est si heureux là -bas! ses lettres sont si joyeuses et +si tendres! «Il serait trop cruel, écrit-elle alors, de ne pas le +laisser aller jusqu'à Rome dont il est si près», et elle lui envoie de +quoi continuer son voyage. + +Mme Delahante, enfant à cette époque, mais qui quarante ans plus tard +ne pouvait rappeler son souvenir sans émotion, nous a laissé d'elle une +image très simple et très émouvante: + +«Mme de Prat, âgée de quarante-cinq ans, n'avait jamais été d'une +beauté remarquable, mais le charme qui était en elle tenait à une grande +distinction et à une expression très fine, très spirituelle, en même +temps que très douce et d'une bonté parfaite. Pour faire le portrait de +sa figure il faudrait, avant tout, faire le portrait de son âme, car +c'était de l'âme que venait chez elle le charme extérieur. Je crois que +toutes les vertus solides et les qualités aimables étaient réunies en +cette charmante femme; elle était pieuse comme un ange et d'une piété +indulgente et éclairée qui vous gagnait. + +«Elle était sans cesse occupée des pauvres, et elle les visitait soit à +Mâcon, soit à Milly. Son zèle ne connaissait pas de bornes, et, quand +l'argent lui manquait (ce qui lui arrivait parfois, car sa fortune était +plus que médiocre, et sa famille très nombreuse), elle cherchait à le +remplacer par de douces paroles, de bons soins et de bons conseils. + +«Elle élevait elle-même ses cinq filles, elle s'occupait extrêmement de +son mari et de son ménage, elle aimait beaucoup le monde, ou plutôt la +société; elle était aimable pour tous, et quoiqu'elle ne pût recevoir +qu'avec la plus extrême simplicité, elle fut toujours à la tête de la +société de Mâcon et y exerça une influence qui ne fut pas entièrement +remplacée. + +«Son esprit était à la fois fin et élevé et quoiqu'elle eût passé sa vie +à Mâcon, entourée de toutes les petites passions de province, elle +demeura au-dessus de tout pour la noblesse et l'extrême délicatesse de +son cÅ“ur comme par la distinction de son esprit et de ses manières. Sa +vertu, je l'ai dit, n'avait rien de sévère et je n'en veux citer qu'un +exemple: elle ne se permettait jamais la moindre médisance, et souffrait +mort et passion quand elle entendait dire la plus petite chose qui pût +blesser le prochain; elle était gaie, cependant, et ne pouvait +s'empêcher de sourire à un propos spirituel et quelque peu malin. Sa +charité et sa gaieté se livraient alors un combat qui se lisait sur sa +physionomie. + +«Mme de Prat était de taille moyenne; elle était mince, sa taille +était souple, sa figure longue et un peu pâle, ses yeux très près du nez +et petits, mais vifs et doux, son nez droit et ses lèvres fort minces. +Son sourire était très gracieux. Je l'ai toujours vue mise de la même +manière: elle ne portait que des robes de taffetas puce.» + +À partir de 1820 et jusqu'à sa mort, Mme de Lamartine connut d'autres +joies et d'autres chagrins: ce fut d'abord la gloire soudaine de son +fils, son mariage inespéré, qui marque la fin de cette période de +désÅ“uvrement dont elle souffrit tant. «Il se dit plus heureux qu'un +roi, écrira-t-elle un jour, et certes, ce n'est pas un langage auquel je +suis accoutumée de sa part.» Elle avoue aussi avoir ressenti «un grand +mouvement de vanité» en lisant dans les journaux le nom de son fils +parmi les personnages illustres de passage à Aix. Puis ce fut la +naissance de son petit-fils qui lui causa une immense joie: «On dit que +cet enfant me ressemble, dira-t-elle avec orgueil; alors, je me +l'imagine comme était son père...». + +Bientôt, pourtant, les soucis et les deuils l'accablèrent de nouveau. +Son fils l'inquiétait toujours; «cette ardeur, cette inquiétude de +tête», comme elle appelle dans son simple langage la fièvre poétique qui +le dévore, ne font que la désoler. Presque coup sur coup elle eut à +pleurer la mort de deux de ses filles, Mme de Vignet et Mme de +Montherot, et celle de son petit-fils dont elle avait accueilli la +naissance avec tant de bonheur. Puis, ses deux belles-sÅ“urs et ses deux +beaux-frères disparurent à leur tour. De plus en plus elle se sentait +isolée à Milly. + +La dernière joie que connut cet admirable cÅ“ur de mère fut de paraître +au bras de son fils à l'Abbaye-au-Bois, dans les salons de Mme +Récamier où, en juillet 1829, Chateaubriand lut des fragments de son +_Moïse_; et voici ce qu'au retour elle écrivait dans son journal: + +«Je suis de plus en plus fière et heureuse des admirables qualités +d'Alphonse, malgré les inquiétudes si fondées que j'ai eues sur son +compte. Sa réputation s'agrandit tous les jours, mais ce n'est pas de +son esprit que je dois le glorifier davantage, c'est de la bonne +direction qu'il lui a donnée, c'est de son excellent cÅ“ur, c'est de la +beauté de son âme qui se manifeste dans toutes les occasions.» Ainsi, ce +qui la frappa au cours de cette soirée, fut le murmure d'admiration +sympathique qui avait accueilli l'entrée de son fils, et tout le reste +lui parut secondaire: + +«Il y avait beaucoup de gens célèbres que je fus bien aise de voir, et +surtout M. de Chateaubriand lui-même que je ne connaissais pas; il me +parut vieux et faible, et les ambitions de ce monde sont bien +mensongères. Sa tragédie est de peu d'intérêt. Mme Récamier a encore +de la grâce et quelques souvenirs de beauté.» + +Comme par un étrange pressentiment de sa fin prochaine, les dernières +lignes qu'elle ait tracées dans son journal semblent le clore tout +naturellement. Le 22 octobre 1829 elle écrivait de Milly: + +«Je suis seule ici, et cependant je ne m'ennuie pas trop. Je me reproche +au contraire de prendre encore beaucoup trop d'intérêt aux choses de ce +monde et d'avoir peut-être plus de dissipation d'esprit en vieillissant +que dans ma jeunesse, et pourtant je vieillis beaucoup! Que Dieu ait +pitié de moi et me rende ce que je dois être. J'aime à lui dire un +verset d'un psaume qui me touche: Seigneur, vous êtes mon espérance dès +ma jeunesse, ne me rejettez pas dans le temps de ma vieillesse, ne +m'abandonnez pas lorsque les forces me manqueront.» + +Elle mourut moins d'un mois après, le 16 novembre, et cette femme +angélique en qui tout était douceur et sentiment eut une fin atroce: +elle fut brûlée vive dans un bain qu'elle voulut réchauffer, surprise +par le jet bouillant qu'elle n'eut pas le temps d'arrêter et reçut en +pleine poitrine. Elle trouva encore la force de sortir de l'eau, puis +tomba à terre, évanouie. Pendant les trois jours que dura son affreuse +agonie elle ne reprit pas connaissance. + +Lamartine et son père étaient tous deux absents de Milly. À leur retour, +elle reposait déjà dans le cimetière de Mâcon, mais comme son fils +voulait l'avoir près de lui dans la petite chapelle de Saint-Point, il +obtint de la faire exhumer. + + * * * * * + +La douleur du poète fut immense. Plus tard, lorsqu'il écrira ses +souvenirs, la mémoire de sa mère en illuminera toutes les pages. Mais à +force d'idéaliser cette belle figure il a fini, d'abord par en donner +une image assez inexacte, et surtout par persuader à lui-même et à ses +lecteurs qu'elle fut avec Elvire l'une des formes vivantes de son génie. + +Pourtant, si l'une eut sur son développement et son inspiration une +profonde influence, il serait peu conforme à la vérité de croire que sa +mère tint le même rôle dans sa vie. Elle fut la mère, dans tout ce que +ce mot peut comporter d'amour, de tendresse et d'orgueil; tous deux +s'adoraient, mais--et le journal de Mme de Lamartine en est la +meilleure preuve--la période de l'adolescence du poète qui s'étend de +1808 à 1820, période d'isolement et de détresse morale, échappe +complètement à sa mère qui s'en désole et pleure en silence de le voir +sombre et renfermé, cachant jalousement son existence intérieure. + +Elle ne participera en rien à cette solitude morale, à cette laborieuse +genèse qui précède les _Méditations_ sauf pour ce que son instinct +maternel lui fera parfois deviner; un jour où elle le verra en proie à +ce «feu divin» qu'il a décrit dans l'_Enthousiasme_, elle écrira: «Je +crains pour lui cette inquiétude d'esprit qui le transporte toujours +dans un avenir idéal et lui ôte la paisible jouissance du présent et de +ceux avec qui il est», mais le plus souvent elle se désespérera de son +apparente stérilité sans que son âme aimante et simple saisisse +grand'chose des aspirations confuses, et des détresses incurables qu'il +porte en lui. Elle se contentera de noter ce que son cÅ“ur de mère +appellera des «vivacités de caractère», des «mélancolies de jeunesses», +elle verra avec angoisse cette «vie de dissipation», ces gaspillages +inutiles d'énergie, et s'épuisera en supplications pour faire mener à +son fils une existence régulière et occupée, celle dont il est alors le +plus incapable. + +Plus tard Lamartine le regretta et en souffrit; avec amour, il +s'efforcera alors dans ses souvenirs, ses commentaires et sa version du +_Manuscrit de ma mère_ de lui faire jouer, dans son adolescence, un +rôle qu'elle n'a jamais tenu. Pieuse invention que cette lecture à Milly +de l'_Isolement_, du _Désespoir_ ou de l'_Épître à Byron_! Mme de +Lamartine, qui en 1808 notait avec un peu d'orgueil les premiers essais +poétiques de son fils, n'eût pas manqué d'en transcrire le récit, +surtout si, comme il l'a prétendu, la lecture du _Désespoir_ eut été +entre eux la cause d'une grave discussion. Bien mieux, ce fut par une +étrangère qu'elle entendit parler pour la première fois des futures +_Méditations_: le 9 juin 1819, en effet, Mme de l'Arche, cousine de +Mme Haste sa nièce--c'est la fameuse «princesse italienne» qui soigna +Lamartine à Paris pendant sa maladie,--était de passage à Mâcon. «_Elle +m'a apporté des vers d'Alphonse_, dit Mme de Lamartine, _qui sont des +stances religieuses et des Méditations mélancoliques; il y a vraiment de +très belles choses_.» Une autre courte mention le 6 janvier 1820 où on +lit: «_Alphonse va faire imprimer des vers; il en a fait vraiment de +très beaux et sur de beaux sujets très religieux_». C'est tout; à Milly +l'apparition des _Méditations_ passa inaperçue, car la mère avait alors +en tête d'autres soucis plus sérieux: le mariage de son fils et son +établissement. + +Mais ce que Lamartine tient incontestablement de sa mère, c'est cette +âme inquiète et tourmentée, cette sensibilité rare que l'on retrouve à +chaque page du _Journal intime_; ce sont surtout les germes de sa +religion profonde et vivace qui s'épanouiront ensuite à Belley. Au +cours de sa vie orageuse, sa foi subira bien des assauts et connaîtra +bien des défaillances, mais il y reviendra toujours comme à l'unique +consolation. De bonne heure, la croyance de Mme de Lamartine avait +marqué des traces ineffaçables dans l'âme de l'enfant, et l'on peut dire +que le souffle chrétien qui anime toute sa poésie est l'Å“uvre absolue et +entière de sa mère. + +Elle conservera aussi une influence indiscutable sur ses actes. La +vénération dont il l'entourait le fit souvent se courber, en pleine +maturité, devant les avis qu'elle lui donnait[75]. Tout ce qui touchait +à son génie qu'elle voulait purement chrétien, l'affectait +profondément: «Alphonse va faire imprimer des vers, écrit-elle le 10 +mars 1825, c'est une suite de _Childe-Harold_, espèce de poème de lord +Byron. Ce sujet m'inquiétait et m'inquiète encore beaucoup; j'ai dit ce +que je croyais devoir dire, car je ne suis pas là pour louer, mais pour +avertir». Jamais, de l'avis de ceux qui les connurent tous deux, +Lamartine n'eût osé commencer du vivant de sa mère sa politique +d'opposition contre le gouvernement de Juillet car elle gardait aux +d'Orléans un respect profond. En 1825, lors du retentissement causé par +deux malencontreux vers du _Chant du Sacre_, elle écrira sévèrement à +son fils et ne désarmera que devant les explications, assez confuses, +semble-t-il, qu'il lui donna[76]. De même, Mme Delahante est +persuadée que _Jocelyn_ et _la Chute d'un Ange_ auraient subi +d'importants remaniements si la mère du poète avait été là [77]. + +[Note 75: Le 23 février 1823, Mme de Lamartine note dans son +journal: «Alphonse travaille à son nouveau volume de Méditations; j'ai +toujours peur qu'il ne profane son talent en parlant le langage des +passions. Je lui ai écrit justement là -dessus.» + +Mme de Lamartine venait en effet de lire dans la 9e édition des +_Méditations_, parue un mois auparavant, une pièce nouvelle intitulée +_Philosophie_, et dédiée au marquis de la Maisonfort. Aussitôt, elle +écrivit à son fils la lettre suivante: + + Ton père, mon cher Alphonse, me lit sa lettre. J'y vois avec + plaisir qu'il te dit aussi mon opinion. Oui, cette pièce à M. de + Maisonfort m'a beaucoup tourmentée. J'ai une si grande horreur de + cette abominable philosophie que je frémis de tout ce qui en a + l'apparence, venant de toi surtout. Tu es né pour être religieux, + essentiellement religieux, ton talent n'est beau que parce qu'il + vient de là . Ne le profane point, mon enfant; que ta reconnaissance + pour les grâces dont Dieu te comble rappelle toujours toutes tes + pensées à lui, ne travaille que pour sa gloire, ne transige point + avec l'esprit et les passions du monde, dédaigne ce moyen de + succès, comme tu le fais sûrement dans ton âme. + + Ô mon enfant, tu éteindrais dans la _boue_ le brillant flambeau que + le ciel t'a donné pour répandre la vraie lumière; n'écris rien de + ce que tu jugeras bien sévèrement un jour, et que tu voudras + peut-être effacer au prix de tout ton sang, quand il ne sera plus + temps. + + Adieu, j'en ai assez dit. + +{_Lettre inédite._}] + +[Note 76: Les deux vers incriminés visaient le duc d'Orléans à qui, +au sacre de Reims, Lamartine faisait dire par Charles X: + + Ce grand nom est couvert du pardon de mon frère. + Le fils a racheté les fautes de son père. + +Mme de Lamartine a consacré à cet incident deux pages de son journal, +ce qui prouve à quel point elle l'eut à cÅ“ur. Malheureusement, Lamartine +a déchiré et noirci le feuillet, dont quelques fragments seulement sont +encore lisibles. On y voit que le poète donna pour excuse à sa mère, une +«inadvertance», une «négligence poétique», explication qui satisfit +peut-être Mme de Lamartine, mais parut insuffisante au duc d'Orléans, +car sur sa demande les exemplaires du _Chant du Sacre_ furent retirés du +commerce, et il fallut procéder à un second tirage où les vers étaient +corrigés et adoucis.] + +[Note 77: Cf. _Souv. de Mme Delahante_, I, p. 106.] + +Tel est le milieu où va croître et se développer l'âme de l'enfant, plus +souvent arrêtée et contrariée, à vrai dire, qu'encouragée et comprise. +Chacune des figures que nous venons d'esquisser jouera un rôle dans sa +jeunesse, influera plus ou moins sur sa pensée et sur ses actes. Mais +conclure de là , comme il l'a laissé entendre lui-même, que certaines +d'entre elles, «l'oncle terrible» surtout, par leur contrainte et leur +mainmise sur son existence ont en quelque sorte retardé l'éclosion des +_Méditations_ serait une grave erreur. Lamartine fut maître de sa vie à +dix-huit ans, et libre de l'organiser à sa guise pourvu qu'il prît une +occupation. Sans doute, les Lamartine n'encourageront nullement sa +vocation poétique et même la contrarieront parfois; mais on connaît +leurs raisons, et d'ailleurs lui-même en fut un peu responsable, car de +bonne heure il se réfugia dans la solitude morale, hautain et découragé. + +Cette adolescence difficile servit son génie: l'amertume, les heurts, +stimulent Lamartine. Ses _Méditations_, écrites fiévreusement, en pleine +crise, au moment des pires froissements avec sa famille, des maladies et +des difficultés qui l'accablent, en sont le meilleur témoignage. De 1820 +à 1830, alors qu'il coule on paix des jours heureux, son Å“uvre poétique +s'en ressent: les _Nouvelles Méditations_--à part quelques pièces +antérieures à 1820--n'égalent pas les premières: la _Mort de Socrate_, +le _Chant du Sacre_ ne sont que des Å“uvres facilement rimées et dont +lui-même ne pensait pas grand'chose. Les _Harmonies_ même, écrites au +jour le jour de 1825 à 1830, sont d'une autre manière, adoucie et plus +paisible. Il faut remonter jusqu'à _Némésis_, plus loin encore à l'_Ode +au comte d'Orsay_, à _la Vigne et la Maison_ et à cette admirable +_Invocation à la Croix_ qui ne fut publiée qu'après sa mort pour +retrouver l'inspiration mélancolique, désespérée et hautaine des +premières _Méditations_. + + + + +CHAPITRE III + +LES LAMARTINE PENDANT LA TERREUR. + +LES PREMIÈRES ANNÉES. + + +À s'en tenir au seul témoignage de Lamartine, il serait difficile de +connaître le véritable lieu de sa naissance, puisque dans ses poèmes et +ses souvenirs il a tour à tour indiqué Saint-Point, Mâcon et Milly comme +son berceau[78]. Toutefois, grâce à son acte de baptême, on sait qu'il +naquit à Mâcon le 10 octobre 1790, fut baptisé le lendemain par le curé +de Saint-Pierre, et eut pour parrain et marraine son grand-père de +Lamartine, malade et représenté par son fils aîné, et sa grand'mère +maternelle Mme Des Roys. Mme de Lamartine nous apprend que +quelques heures après sa naissance l'enfant fut porté au couvent des +Ursulines où la supérieure, Mme de Luzy, une bonne vieille +grand'tante, présenta l'enfant à la chapelle de la Vierge, et que toute +la communauté pria pour lui. + +[Note 78: Cf. _Harmonies_: Milly ou la TERRE NATALE. _Confidences_ +(p. 65): LE VILLAGE OBSCUR OÙ LE CIEL M'A FAIT NAÃŽTRE. Dans _Souvenirs +et Portraits_ (Comment on devient poète), il termine également une +description de Milly par ces mots: «C'EST LÀ QUE JE SUIS NÉ, et que je +grandissais». Voilà pour Milly. Dans les _Recueillements_ (vers écrits à +l'Ermitage), on lit: + + Ô vallons de Saint-Point, ô cachez mieux ma cendre + Sous le chêne NATAL de mon obscur vallon. + +Enfin, dans les _Confidences_ (p. 24), Lamartine déclare qu'il est né à +Mâcon, dans l'hôtel Lamartine, par conséquent rue Bauderon-de-Senecé.] + +Des doutes se sont élevés au sujet de la maison natale du poète[79]: en +effet, les Lamartine possédaient alors deux immeubles à Mâcon. L'un, +l'hôtel familial, était situé au numéro 3 de l'actuelle rue +Bauderon-de-Senecé, au XVIIIe siècle rue de la Croix-Saint-Girard, et +sous la Révolution rue Solon; l'autre occupait le numéro 18 de la rue +des Ursulines, devenue pendant la Terreur rue Jean-Jacques-Rousseau. +Dans laquelle de ces deux maisons Lamartine vit il le jour? La question +en soi est de peu d'importance, car toutes deux ne formaient en réalité +qu'un même immeuble compris dans l'angle formé par les deux rues à leur +intersection, et il existait entre elles une cour, un passage et des +jardins communs. Néanmoins, la maison de la rue des Ursulines est bien +la maison natale du poète et il existe deux témoignages qui devraient +clore la discussion. + +[Note 79: On trouvera le détail de la question dans une étude de M. +Paul Maritain, la Maison natale de Lamartine (_Annales de l'Académie de +Mâcon_, IIIe série, t. VI). M. Maritain, qui ignorait l'existence des +documents que nous citons plus loin, a conclu que la maison natale du +poète était l'hôtel de la rue Bauderon-de-Senecé.] + +Le 21 décembre 1819, Mme de Lamartine a noté dans son journal que son +mari, gêné par une mauvaise récolte, songeait à vendre la maison qu'ils +habitaient à Mâcon et à vivre désormais uniquement à Milly, _ou +peut-être_, ajouta-t-elle, _dans l'ancienne petite maison que nous avons +habitée les premiers temps de notre mariage et qui est à l'abbé de +Lamartine_. Cette maison est bien celle de la rue des Ursulines: nous +savons en effet, par le testament de Louis-François de Lamartine, +qu'elle échut à l'abbé; celui-ci, d'ailleurs, n'y logea jamais et la +louait ordinairement. Le poète la trouva en 1826 dans sa succession, et +la vendit aussitôt car elle était inhabitable. Enfin, on lit dans la +déclaration d'immeubles faite en décembre 1790 par Louis-François au +cadastre de Mâcon et parmi l'énumération de ses propriétés, _une maison +rue des Ursulines occupée par M. de Pra_[80]. Or, si le chevalier +demeurait en décembre 1790 rue des Ursulines, il est fort probable qu'il +y habitait déjà en octobre et qu'il avait reçu à son mariage la +jouissance de cet immeuble jusqu'à la mort de son père, quoique son +contrat n'en fasse pas mention. Il semble donc acquis que Lamartine vint +au monde, non pas dans l'hôtel de la rue Bauderon-de-Senecé, mais dans +la petite maison de la rue des Ursulines. + +[Note 80: Nous donnons ici le texte complet de cette pièce, copié +sur le brouillon de Louis-François de Lamartine, et qui donne quelques +détails curieux sur son train de maison au début de la Révolution. + + Déclaration de maison, etc., faite en 1790. Décembre. + Maison rue des Ursulines, _occupée par M. de Pra_. + 32 pieds de face sur ladite rue. + 80 pieds en petite cour. + En partie un seul étage, partie deux étages. + Sans locataires, ni magasins, etc. + Contenance totale: une coupée et demie ou trois toises. + Propriétaire M. L.-Fr. de La Martine, marié, + ayant six enfants dont cinq à sa charge. + Domestiques mâles, 4. + Domestiques femelles, 3. + Chevaux de carosse, 2. + Maison par luy occupée sur les remparts + [_hôtel de la rue de Senécé_], façade 60 pieds. + 3 980 pieds superficiels pour la maison. + 1 020 pieds pour les écuries qui ont 30 pieds de face environ. + 1 230 pieds en cour. + + Les deux tiers à deux étages, l'autre tiers à un étage. + Sans aucun locataire, boutique ni magasin.] + + * * * * * + +À sa naissance, l'enfant était d'une constitution délicate qui donna, +paraît-il, des inquiétudes à sa famille. Il a raconté plus tard comment +sa mère, pour le changer d'air, alla passer avec lui l'été de 1791 à +Lausanne. Nous n'avons sur ce séjour que son seul témoignage et le +_Journal intime_ n'en rappelle aucun souvenir. Pourtant, il demeure très +vraisemblable, car la plupart des familles du pays profitaient souvent +de l'été pour se rendre en Suisse dont la frontière n'était éloignée que +de quelques journées. Quant aux détails abondants et pittoresques dont +il a nourri son récit, nous sommes obligés de lui en faire crédit: à +l'en croire, une intimité très grande existait entre les Lamartine et le +vieil historien anglais Gibbon que Mlle Des Roys aurait connu dans +sa jeunesse au Palais-Royal; une haie de jasmin séparait seule les deux +jardins et, dira-t-il, en parlant de Gibbon, «ses genoux étaient devenus +mon berceau[81]». + +[Note 81: M. H. Remsen Whitehouse, un érudit américain à qui rien de +ce qui touche Lamartine n'est étranger, a bien voulu se charger pour +nous d'obligeantes recherches à Lausanne, mais qui sont restées vaines. +On en trouvera le détail sous sa signature dans la revue _l'Écho des +Alpes_ de septembre 1908.] + +Mais si l'historien était bien à Lausanne en 1791--il y séjourna de 1784 +à 1797,--le journal de Mary Holroyd fille de lord Scheffield, qui fut +son hôte de juin à octobre de la même année, ne mentionne nullement les +Lamartine dans la liste très détaillée qu'elle donne des habitués de la +_Grotte_; la _Correspondance_ et l'_Autobiographie_ de Gibbon sont tout +aussi muettes sur ce point. Enfin il est assez difficile d'admettre +qu'il ait connu Mlle Des Roys au Palais-Royal: il fut bien un assidu +de la petite cour du duc d'Orléans, mais il quitta définitivement Paris +en 1784. À cette date, la jeune fille avait quatorze ans et n'était +qu'une enfant. Quoi qu'il en soit, sans mettre en doute ce voyage à +Lausanne, il est certain qu'il fut très court. Mme de Lamartine était +en effet en novembre de retour à Mâcon, pour ses couches, et sa présence +nous y est attestée par l'acte de baptême de son second fils Félix, mort +deux ans plus tard[82]. + +[Note 82: Le petit Félix fut le second des enfants de Pierre de +Lamartine. Il mourut à Mâcon à l'âge de deux ans et demi. Le _Journal +intime_ ne fait jamais mention de ce fils, dont Lamartine n'ignorait pas +l'existence; en effet, alors que dans le _Journal intime_ on lit, à la +date du 11 juin 1801: «J'en ai déjà cinq actuellement [enfants], quatre +filles et un fils», il ajouta dans sa version du _Manuscrit de ma mère_: +«après en avoir perdu un». + +En réalité, Mme de Lamartine eut neuf enfants: deux fils, Alphonse et +Félix, et six filles, Mélanie, Célenie (mortes toutes deux à quelques +mois), Cécile, Césarine, Eugénie, Sophie et Suzanne.] + +C'est à cette époque que la situation commença à devenir difficile pour +les Lamartine: la royauté étant en péril, le chevalier fit aussitôt son +devoir de soldat et de gentilhomme, et ce fut le premier signal de la +dispersion du foyer. + +Bien que démissionnaire le 1er mai 1791 pour n'avoir pas à prêter +serment à la Constitution, il se rendit en mai 1792 à Paris offrir ses +services au Roi. Un mémoire présenté en 1814 à Louis XVIII en vue +d'obtenir la croix de Saint-Louis et apostillé par un parent de sa +femme, le président Henrion de Pensey alors ministre de la justice, nous +donne quelques détails sur son dévouement fidèle mais obscur, et qui +confirment entièrement le récit des _Confidences_ et de l'_Histoire des +Girondins_[83]. + +[Note 83: _Arch. de la guerre_ (section administrative), dossier +Pierre de Lamartine. Pierre-Paul Henrion de Pensey, premier président de +la Cour de cassation (1742-1829), était le frère d'Henrion de +Saint-Amand, beau-frère de Mme de Lamartine.] + +Dès son arrivée, suivant en cela l'exemple de la noblesse de France, il +fit demander au Roi ses ordres, soit pour émigrer, soit pour rester. +Louis XVI, comme à tous, lui répondit de demeurer. Il obéit et ne +manqua aucune occasion de se rendre aux Tuileries chaque fois que le +château fut menacé; il s'y trouvait même le 10 août, resta jusqu'après +l'attaque, combattit l'un des derniers. Poursuivi par les vainqueurs, il +échappa aux massacres de la Force grâce à la complicité d'un des +jardiniers d'Henrion de Pensey qui se trouvait parmi les émeutiers et +eut pitié de lui. Il le cacha et lui fournit des vêtements qui lui +permirent de circuler dans Paris sans éveiller l'attention. Le chevalier +erra alors quelques jours, ne sachant quel parti prendre, puis reprit le +chemin de Mâcon. À son arrivée, il trouva le pays en pleine émeute. + +Déjà , trois ans auparavant, dans les derniers jours de juillet 1789, une +véritable Jacquerie avait éclaté dans le Mâconnais. À Cormatin, à Cluny, +à Hurigny, à Saint-Point surtout,--qui appartenait encore aux +Castellane,--les paysans avaient envahi le château, brûlé les terriers +et les titres de redevances. Les Lamartine ne furent pas épargnés: le 27 +juillet, leur petite propriété de Pérone était dévastée et leur +concierge qui tentait de s'opposer au pillage se noya dans le puits où +on l'avait jeté. Le jour même, le curé de Pérone, Étienne Moiroux, était +assailli au presbytère, et brutalisé. Mais les années 1790-1791 furent +plus calmes; le mouvement ne reprit qu'en 1792, lors de la réforme du +clergé. + +Lamartine, en divers endroits de son Å“uvre, s'est longuement étendu sur +les persécutions que sa famille eut à subir pendant la Terreur. Si l'on +en excepte l'épisode d'après lequel son père aurait échangé des lettres +avec sa mère, de la prison aux fenêtres de la maison de la rue des +Ursulines située en face, où elle se serait retirée, tout ce qu'il y a +raconté est exact, à quelques détails près. Grâce aux Archives de +Saône-et-Loire, il est d'ailleurs facile de rétablir l'existence des +Lamartine durant les années 1792-1795. + +Ils ne commencèrent guère à être inquiétés qu'en 1792, à la suite de +l'émigration du fils aîné François-Louis, émigration qui dut être +extrêmement courte, mais qu'il n'est guère possible de mettre en doute. +Dans la _Liste générale des émigrés_[84], on trouve en effet à la lettre +L un tableau où figurent Louis-François le père et François-Louis le +fils, dont les biens furent mis sous séquestre les 5 juillet, 20 +septembre et 28 novembre 1792. Aussitôt, le vieux seigneur de Montceau +protesta avec énergie et fit parvenir aux directoires de Saône-et-Loire +et de la Haute-Saône des attestations de civisme et des certificats de +résidence, mais pour lui seul, et sans jamais faire mention de son fils +dont on ne trouve aucune réclamation; ceci semble suffisamment prouver +qu'il n'était pas alors en France. On ne tarda pas d'ailleurs à faire +droit aux requêtes de Louis-François: le 12 avril 1793 il obtenait la +mainlevée des scellés apposés à Montceau et à Milly, le 24 mai celle des +propriétés de Franche-Comté[85]. + +[Note 84: Paris, Imprimerie nationale, an II.] + +[Note 85: Ces deux arrêtés ont été publiés par M. Reyssié (_la +Jeunesse de Lamartine_, 24-25).] + +Prévenu sans doute des conséquences qu'allait entraîner sa disparition, +François-Louis revint à Mâcon, où on le trouve en octobre. Mais il +paraît impossible de mettre en doute son émigration, contestée par +Lamartine, puisqu'il n'existe aucune protestation émanant de lui contre +la qualité qu'on lui prêtait, que son père n'agit qu'en son nom propre +dans toutes ses revendications, et qu'à la fin de 1793 les Lamartine +furent emprisonnés comme parents d'émigré. + +Contrairement à ce qu'on lit dans les _Confidences_, le grand-père du +poète ne fut pas détenu; sans doute, son âge lui valut-il cette +exception, car il avait alors quatre-vingt-trois ans. Sa femme et lui +passèrent toute la période de la Terreur dans leur maison de Pérone, +après que l'hôtel de Mâcon eut été mis sous séquestre le 13 août 1792. +On ne les y aurait probablement guère inquiétés davantage, si avec un +entêtement indomptable il n'avait à chaque instant attiré l'attention +sur lui. + +En effet, le curé de Pérone, qui en 1789 avait été à moitié assommé par +les émeutiers, s'était empressé de prêter serment à la constitution +civile du clergé, afin de s'éviter le retour de semblables désagréments. +Immédiatement, Louis-François, fidèle à ses principes, refusa les +services de l'infortuné, et fit dire la messe chez lui par un prêtre non +assermenté qu'il avait recueilli. L'habituelle dénonciation ne se fit +pas attendre: le 23 juin 1794, le directoire de Saône-et-Loire, +_instruit que les biens des époux Lamartine, ex-nobles, ne sont pas dans +la main de la nation, bien qu'ils doivent être séquestrés_, fit apposer +à nouveau les scellés à Montceau, Milly, Mâcon et tous les biens que +Louis-François avait fini par récupérer à force de réclamations. Le 25 +août on vendit sur pied leurs récoltes au bénéfice de la République et +cette vente produisit un total de 124 000 livres en assignats. Quant aux +deux vieillards, on se contenta de les détenir à domicile, estimant sans +doute que leur âge les rendait peu redoutables, jusqu'à l'apaisement qui +suivit la mort de Robespierre. + + * * * * * + +Les aventures des trois fils furent plus sérieuses. L'aîné, on l'a vu, +avait émigré, mais il était de retour à Mâcon en octobre 1793. Le +registre d'écrou porte qu'il fut emprisonné aux Ursulines le 13 de ce +même mois, et que son déplorable état de santé lui valut d'être interné +à l'hôpital. De ses fenêtres il pouvait voir la demeure familiale, car +la prison des Ursulines avait remplacé le couvent du même nom qui +faisait face à la maison natale du poète. Il n'y resta que peu de temps: +le 9 novembre il était avec ses frères et sÅ“urs transféré aux +Visitandines d'Autun, également devenues prison nationale, et il n'en +sortit que le 30 septembre 1794[86]. + +[Note 86: Cf. Arch. dép. de Saône-et-Loire: «Liste d'hommes et de +femmes détenus à Mâcon, Autun, etc.». Ce document, retrouvé et acquis +récemment par M. Lex, confirme une fois de plus l'exactitude de certains +petits détails des _Confidences_, puisqu'on y lit que la famille de +Lamartine fut emprisonnée à Autun. M. Reyssié avait mis en doute cette +assertion. Sur cette liste, figurent les noms de Pierre, François-Louis, +l'abbé, Suzanne et Charlotte. Mlle de Montceau, qui était faible +d'esprit, évita ainsi les poursuites, et fut détenue à Pérone avec son +père et sa mère.] + +Pour l'abbé, il figure sur une liste de dénonciation datée du 21 octobre +1793 et qui concernait 54 prêtres non assermentés; le 25 il était arrêté +à Pérone chez son père. D'après une pièce de son dossier aux Archives +Nationales, il aurait prêté serment le 30 septembre 1792. Il y a là une +erreur, car la suite de ses tribulations et surtout l'attitude de son +père démentent entièrement cette assertion. Il figure au contraire au +début de 1792 avec sa sÅ“ur Suzanne, l'ex-chanoinesse, à «l'état général +des pensionnaires de deux sexes jouissant d'une pension à la charge du +trésor national», ce qui confirme qu'il avait alors renoncé à ses +fonctions pour ne pas prêter le serment, et l'on a vu déjà qu'il fut +incarcéré comme non assermenté. + +Arrêté le 25 octobre, il fut condamné le 13 novembre à la déportation; +on le transfera alors de Mâcon à Autun, d'où il fut extrait le 25 avril +1794 pour être conduit à Cayenne avec 18 autres prêtres. À Rochefort, on +l'embarqua sur le _Washington_, vaisseau ponton où les prisonniers +attendaient en cas de réclamation que le gouvernement ait définitivement +statué sur leur sort. Il y demeura trois mois. + +Pendant ce temps, on procédait à Mâcon à la vente publique des meubles +et effets lui ayant appartenu et qui se trouvaient dans sa chambre de +l'hôtel Lamartine mis sous scellés. Le citoyen Durand acquit pour 112 +livres une commode en bois de rose; le citoyen Ducartel, un «bonheur du +jour» pour 140 livres, et les citoyennes Chédé et Droit se disputèrent +deux paires de chaussures, quatre bonnets de nuit, un habit de drap +gris, un autre de kalmouck violet, une «anglaise» de drap gris et sa +veste pour 65 livres, tandis que le citoyen Lacombe se voyait adjuger à +21 livres 10 sols la petite pharmacie et les outils de tourneur de +l'abbé. + +Il faut remarquer qu'on ne toucha à aucun des objets appartenant à +Louis-François. Celui-ci, en effet, se montrait énergique à un moment où +le silence et la peur étaient les seuls moyens de se faire oublier. Fort +de ce qu'il croyait être son droit, indigné de ces comédies judiciaires, +il ne cessait d'adresser réclamation sur réclamation avec une +invraisemblable incompréhension des événements auxquels il assistait. +Lorsqu'il apprit le départ de l'abbé pour Cayenne, il prit la plume une +fois de plus et adressa au directoire de Saône-et-Loire un véhément +_factum_ qui aurait pu l'entraîner loin, car il n'était rien moins +qu'une violente critique de la procédure expéditive alors en cours, +agrémentée de considérations sur la situation générale du pays. On y lit +des morceaux comme celui-ci: + + Si le département appelle dénonciation une liste de proscription + sans motif quelconque articulé, nous devons tous trembler. Cette + dénonciation telle qu'elle n'a même pas été reconnue authentique, + le département n'a pas récolé les dénonciateurs sur leurs + signatures, ne leur a pas demandé s'ils la reconnaissaient, s'ils + persistaient. Voilà une liste, cela suffit. Suivons: le département + dit 1º qu'il est instruit particulièrement. Grand Dieu! quelle + instruction! des juges qui sont instruits non par la procédure, + mais particulièrement! cela fait frémir! + + 2º Que les inculpés ont été en partie prévenus de suspicion; mais + le comité n'a pas fait la faute de déclarer suspects des hommes + domiciliés depuis dix ans hors du département, des enfants de + quinze ans qui n'ont jamais passé à Mâcon que quarante-huit heures? + il y en a cinq dans ce cas et le département les condamne tous, + sans les appeler, ni les entendre, à la déportation! + + Pour ce qui regarde particulièrement mon fils, c'est en vain que + j'ai demandé extrait des motifs de son arrestation; pour tout + extrait, on m'a donné ces mots: «Lamartine, ex-chanoine, n'ayant + pas donné de preuves suffisantes d'attachement à la Révolution», + sans date, sans signature, ni rien qui donne de la force à ce vague + énoncé. Si c'est sur cela que le département, _instruit + particulièrement_, le déporte, lui, muni de certificats de civisme, + étranger au canton, on ferait un gros volume des vices de cet + arrêté cruel. + +Un tel langage pouvait être dangereux et pour celui qui le parlait et +pour ceux qu'il mettait en cause. Mais Louis-François ne s'en tint pas +là : avec une persévérance incroyable et un mépris inouï des dangers +qu'il courait, il finit par obtenir de tous les dénonciateurs le désaveu +écrit de leur signature; plusieurs d'entre eux allèrent même jusqu'à +certifier qu'on la leur avait arrachée par surprise et signèrent la +pétition par laquelle, après le 9 thermidor, il réclama la mise en +liberté de son fils. + +Le département, cette fois, fit droit à sa requête et s'inclina devant +la volonté publique, car la pétition s'était couverte d'une centaine de +noms. Le 30 janvier 1795, _vu la demande des citoyens Lamartine, Dondin, +Sombardin, etc., et les pièces y jointes par lesquelles il paraît que +«ledit arrêté de déportation n'a été signé par personne»_ (sic), le +comité arrêta que l'abbé serait mis en liberté et rayé de toute liste de +déportés. Le 15 novembre 1795 il était de retour à Mâcon, après deux +années d'épreuves, mais il ne fut définitivement rayé de la liste des +émigrés où il avait été porté par erreur, sans doute à la place de son +frère aîné, que le 3 février 1802. + + * * * * * + +Quant au chevalier, il fut incarcéré aux Ursulines le 5 octobre 1793, +puis transféré le 28 janvier 1794 aux Visitandines d'Autun et mis en +liberté le 30 octobre de la même année, avec ses deux sÅ“urs[87]. Dans la +préface du _Manuscrit de ma mère_, Lamartine a raconté que pendant toute +la Terreur sa mère avait habité la maison de la rue des Ursulines, et +c'est le motif d'un charmant épisode où l'on voit à la nuit les jeunes +époux échanger de tendres lettres, des fenêtres de la petite demeure à +celles de la prison située en face, par le romanesque moyen d'un arc et +de flèches. L'histoire, pour joliment contée, n'en est pas moins tout à +fait inexacte, car si un mur de la prison faisait bien vis-à -vis à la +maison des Lamartine, celle-ci avait été mise sous séquestre en même +temps que l'hôtel de la rue Croix-Saint-Girard, c'est-à -dire près d'un +an avant l'emprisonnement du chevalier. De plus, pendant la détention de +son mari à Mâcon, la jeune femme n'habitait plus la ville; en effet, +lorsqu'il avait vu ses trois fils sous les verrous, Louis-François avait +exigé d'elle une incroyable démarche: en novembre 1793, laissant à +Pérone ses deux plus jeunes enfants, Félix et Mélanie, celle-ci à peine +sevrée, Mme de Lamartine dut prendre le chemin de Paris avec le petit +Alphonse, alors âgé de trois ans et dont elle ne voulait pas se séparer. +Elle partait, raconte-t-elle dix ans plus tard[88], solliciter +_d'anciennes relations_ de son père pour obtenir la mise en liberté de +son mari et de ses beaux-frères, car le vieux Lamartine, dans son +inconscience absolue des dangers qu'il faisait courir à tous les siens +avec sa terrible manie des réclamations, s'imaginait toujours qu'il +suffirait d'un mot pour se faire rendre justice; ainsi, le crédit des +Des Roys qu'on lui avait tant vanté au moment du mariage de son fils +finirait bien par rendre quelque service. + +[Note 87: Arch. Nat., A. F. II, 259.] + +[Note 88: Ces souvenirs sont rapportés par Mme de Lamartine, en +mai 1803, époque où elle passa trois mois à Rieux, chez sa mère.] + +En cours de route, la pauvre femme à moitié morte de peur des périls +qu'elle avait courus s'arrêta dans la Marne, chez son père, pour lui +demander conseil et lui laisser l'enfant. + +«Là , dit elle, Dieu permit qu'on rendît alors un décret qui défendait +aux ci-devant nobles d'aller à Paris sous peine de mort; ce fut fort +heureux, car les démarches étaient fort dangereuses.» Elle demeura donc +six mois à Rieux et ne regagna la Bourgogne qu'en août 1794. Elle se +réfugia alors à Pérone auprès de son beau-père et y demeura jusqu'à la +libération de son mari. Le calme revenu et les séquestres levés, tous +deux vinrent habiter à nouveau la rue des Ursulines, où leur présence +nous est attestée le 4 décembre 1795 par l'acte de décès de leur petit +garçon Félix. + + * * * * * + +Peu à peu, l'apaisement se fit. À la fin de 1795 les Lamartine se +retrouvèrent sains et saufs dans la vieille demeure familiale. Mais trop +d'alertes avaient épuisé les deux vieillards: la grand'mère s'éteignit +la première le 4 septembre 1796, à l'âge de soixante-quinze ans et +Louis-François la suivit peu de mois après, le 11 mai 1797; il venait +d'atteindre sa quatre-vingt-sixième année. + +Après leur mort, le partage de terres commença, et Lamartine rapporte +qu'il fut long et épineux: en effet la loi nouvelle sur les successions +bouleversait leurs vieilles traditions de famille en exigeant un partage +égal entre tous les enfants. Le meilleur des terres de Franche-Comté +avait disparu pendant la Terreur, ruiné faute d'entretien ou aliéné +prématurément comme bien national. Les usines de Saint-Claude étaient +délabrées; le reste ne comprenait plus que des parcelles éparses, +difficiles à gérer par suite des circonstances. Mme de Lamartine +raconte qu'on se hâta de vendre les débris de ce magnifique patrimoine, +et qu'on s'arrangea à l'amiable pour les terres de Bourgogne. + +L'abbé reçut Montculot et la maison de la rue des Ursulines; Mme du +Villars Pérone, Collonge et Champagne; François-Louis, en sa qualité de +chef de famille, hérita de Montceau et ses dépendances, de l'hôtel de +Mâcon et de la Tour de Mailly, dont l'ensemble demeura toutefois indivis +entre lui et sa sÅ“ur aînée, Mlle de Lamartine. Le chevalier dut se +contenter de Milly qu'il possédait déjà en fait depuis son mariage et où +il se hâta de se réfugier avec sa femme et ses enfants dès l'automne de +1797. + + + + +CHAPITRE IV + +LE DÉCOR.--LES VOISINS + + +Milly est un pauvre village d'une quarantaine de maisonnettes qui +s'étend en amphithéâtre à mi-flanc d'un vallon encaissé de hautes +collines, les unes cultivées, le Craz, les autres arides, le Monsard. +Une solitude et une tristesse infinies s'en dégagent au premier abord, +mais à mieux connaître tous ses aspects on finit par lui découvrir un +charme pénétrant. + +Toute interprétation de la poésie de Milly restera forcément imparfaite +et surtout inutile, car la seule façon dont Lamartine la comprit doit +nous retenir. Nul jamais ne découvrira dans Milly tout ce qu'il y voyait +et n'éprouvera, même au cours de multiples visites dans ce coin sauvage +de Bourgogne, les sentiments du foyer et de la terre natale, les +souvenirs d'enfance avec leurs nuances invisibles qu'il est parvenu à +rendre merveilleusement. M. Reyssié, pourtant, qui avait une très grande +habitude du pays et connaissait le vallon sous tous ses aspects, est +parvenu à les décrire de manière très fidèle et très exacte. + +Tout au bas du village, en bordure de la route et dominée par le Craz, +se trouve la petite maison des Lamartine. Elle n'a point d'histoire: +élevée au début du XVIIIe siècle par Jean-Baptiste, premier seigneur +de Montceau, c'était alors, plutôt qu'une demeure, un pavillon où il +venait l'automne surveiller ses vendanges. Rien n'y était établi en +prévision de longs séjours et au moment de son installation le chevalier +fut même obligé d'y faire élever deux cheminées. Aujourd'hui, il est +difficile de se la représenter dans son état primitif, car elle a subi +des remaniements qui ont modifié entièrement son ancien aspect. Elle est +située en retrait de la route unique qui traverse le village, au fond +d'une cour actuellement ornée de massifs, mais qui autrefois servait, +avec ses communs, à garer cuves, pressoirs et tombereaux. Derrière, +s'étend un minuscule jardin dont les charmilles, les frênes et les +chênes sont les seuls arbres de Milly, et finit en pente douce au pied +du Craz par un potager. Aucune source, aucun cours d'eau n'arrose le +pays. + +La maison n'a qu'un seul étage; elle est petite, obscure, humide, et +jamais le soleil n'y pénètre. Elle comprend en tout neuf pièces et l'on +imagine mal comment sept personnes pouvaient y vivre. Des plantes +grimpantes recouvrent entièrement les murs jusqu'aux tuiles et les +arbres viennent frôler les vitres. En hiver, la tristesse et la +désolation sont impressionnantes; ce décor de Milly est une des sources +les plus certaines de la mélancolie de Lamartine et explique amplement +la maladie de nerfs dont il souffrit lorsque ses vingt ans y furent +cloîtrés. + +Une grave erreur en effet serait de croire que l'amour de Lamartine pour +Milly date de sa jeunesse; il contribua beaucoup à cette légende, mais +on voit par sa _Correspondance_ qu'il ne l'appelait guère alors que sa +«détestable patrie». Il ne découvrit son charme que longtemps après, +lorsqu'il en fit avec le recul du temps le temple de ses souvenirs +d'enfance. Milly devint alors pour lui un culte, celui de sa mère dont +il venait encore rechercher la trace trente ans plus tard. «C'est, +disait-il un jour âprement, la seule chose que je ne pardonne pas à mes +concitoyens que de m'avoir forcé de vendre Milly[89].» + +[Note 89: _Cours familier de littérature_, entretien 101, p. 320.] + +Le domaine comprenait une cinquantaine d'hectares plantés en vignes. En +1801, Pierre de Lamartine y ajouta Saint-Point, acheté partie sur ses +économies, partie sur une somme qui lui revenait de la succession de son +père. + + * * * * * + +Saint-Point bien plus que Milly fut aux yeux de ses contemporains la +véritable demeure du poète. C'était un vieux château féodal bâti sur la +vallée de la Valouze dans un joli site boisé et plus riant que Milly, +dont il était éloigné d'une quinzaine de kilomètres. Lorsqu'à son +mariage Lamartine en acquit la jouissance, il lui fit subir plusieurs +réparations et sacrifiant lui aussi à la mode romantique, y fit ajouter +des terrasses, des tourelles, des fenêtres ogivales et dentelées qui ne +vont pas sans déparer un peu l'austère simplicité romane du bâtiment. + +La partie orientale du château comprise entre les deux tours rondes +remonte seule au moyen âge; l'ensemble a été remanié à différentes +époques et on voit par les inventaires antérieurs à la Révolution qu'il +comprenait primitivement quatre grosses tours, des murailles à créneaux +qui enfermaient une cour commandée par un pont-levis et entourée de +profonds fossés. De l'histoire ancienne du château, on sait peu de +chose; il fut assiégé et pris par les Français en 1471 lors des luttes +entre Louis XI et Charles le Téméraire; au cours des XVIIe siècle et +XVIIIe siècles, il demeura le plus souvent inhabité, ce qui explique +son délabrement, achevé le 30 juillet 1789 par les émeutiers qui le +mutilèrent et le pillèrent entièrement. + +Ce jour-là , tous les habitants de Saint-Point, vignerons, grangers et +manÅ“uvres, assemblés au son de la cloche, forcèrent la grande porte, +découronnèrent les tours, démolirent les charpentes et toitures, +brûlèrent les archives. L'affaire fut vite menée, sans résistance +possible de la part de l'intendant. Tout ce qu'il put obtenir d'eux fut +qu'ils ne mettraient pas le feu au château, leur objectant que +l'incendie pourrait gagner le village. Les choses restèrent longtemps +en l'état, et la Terreur vint achever la ruine du domaine. Au moment où +le chevalier s'en rendit acquéreur, la maison était inhabitable. + +La famille de Saint-Point posséda le château--dont les seigneurs se +qualifiaient marquis--du milieu du XIIe siècle à la fin du XVIe +siècle. L'un de ses membres, Guillaume de Saint-Point, seigneur de la +Foretz, de Chanvantet de Clermatin, a laissé quelque trace dans +l'histoire en jouant un rôle assez important pendant les guerres de +religion où il se distingua par ses cruautés. En 1557, il fut élu +capitaine du ban et arrière-ban de la noblesse du bailliage, et +combattit dans les armées catholiques; mais le meilleur de sa célébrité +lui vient encore des farces de Saint-Point, jeu qui consistait à noyer +en Saône ses prisonniers huguenots et où il conviait en grande pompe +tous ses vassaux et amis. Il finit assassiné par un jeune gentilhomme +mâconnais dont il avait dévasté les biens, et ses aventures sont +relatées dans un ténébreux roman dédié à Lamartine et qui fut accueilli +avec succès en 1845, car le public y trouvait une occasion de pénétrer +dans ce fameux château de Saint-Point rendu populaire par la gloire de +son propriétaire[90]. + +[Note 90: _Guillaume de Saint-Point_, par J.-M. Grosset (3 vol. +in-8).] + +Sa fille naturelle et légitimée épousa en 1564 Antoine de la Tour de +Saint-Vidal qui, comme son beau-frère, fut un des capitaines +catholiques les plus acharnés contre les réformés; il eut la même fin +tragique et fut tué en duel. Sa veuve se remaria en 1596 et à sa mort +légua ses biens à son petit-fils, Claude de Rochefort d'Ally; il épousa +Anne de Lucinge et fut gouverneur de Saint-Jean de Losne qu'il défendit +héroïquement contre les Impériaux en 1663. + +Saint-Point demeura propriété des Rochefort jusqu'au milieu du XVIIIe +siècle; à cette époque il passa par mariage aux mains de Charles Testu +de Balincourt qui, le 29 avril 1776, céda le marquisat et ses +dépendances à Henry de Castellane, chevalier d'honneur de madame Sophie. +Son fils en hérita en 1789; il s'occupa un moment de politique et ce fut +lui qui à la journée du 13 vendémiaire fit battre le rappel pour marcher +contre la Convention. Condamné à mort par contumace, il prit la fuite, +mais revint l'année suivante se constituer prisonnier et fut acquitté. À +moitié ruiné, il allait vendre Saint-Point en 1800 à des marchands de +biens, lorsqu'à la requête d'un créancier on procéda à une adjudication +publique et, le 10 février 1801, Pierre de Lamartine s'en rendit +acquéreur au prix de 80 000 francs. L'opération fut très fructueuse pour +lui car les bois de Saint-Point n'avaient pas été taillés depuis un +siècle: avec une coupe il rentra dans ses débours. Quant au vignoble, il +était peu important et abandonné depuis longtemps. + +À ce moment, le château tombait en ruines. Mme de Lamartine note +dans son journal que c'est «un bon bien et un pays agréable»; «c'est +fort dévasté, ajoute-t-elle, et rien ne peut y flatter l'amour-propre». + +Au début, les Lamartine n'y feront que de rares et courts séjours; plus +tard, ils y passeront quelques semaines, en été ou au moment des +vendanges, lorsque les réparations indispensables auront été effectuées +peu à peu. Mais la mère s'y rendra souvent dans la journée avec ses +enfants, en char à bancs ou à âne, au long des petits sentiers qui +dévalent des coteaux et raccourcissent le chemin. + + * * * * * + +Dans la solitude de Milly et le délabrement de Saint-Point, la jeune +femme connut tout d'abord quelques heures de découragement et d'ennui. +Très vite, pourtant, et comme toujours en luttant contre elle même, elle +s'habitua à cette vie nouvelle. Ses devoirs de mère vont l'absorber +entièrement et, la première hésitation passée, elle classera ses +occupations, se dévouera entièrement à son ménage et à l'éducation de +ses enfants. + +La vie à Milly était plus que simple, car les ressources, uniquement +fondées sur les vignes, étaient modestes. En 1801, Mme de Lamartine +qui assumait toutes les charges, encaissait les revenus et donnait 1600 +francs par an à son mari; en 1805, celui-ci reprit la direction du +ménage: il alloua à sa femme 600 francs par mois, douze pièces de vin et +les petites réserves de Milly et de Saint-Point. Avec cette somme elle +assurait la vie quotidienne, payait l'entretien et l'éducation de ses +filles tandis que le chevalier s'occupait de la pension de leur fils et +des charges générales. Leur fortune, on le voit, était modeste et on +peut l'évaluer à une quinzaine de mille francs de rente. + +Le matin, on se levait à l'aube, le père partait dans ses vignes, ou +chassait; sa femme commandait leurs huit vignerons et domestiques, +surveillait la maison, la lessive, la basse-cour, le potager, et +trouvait encore quelques instants pour commencer la première éducation +de ses enfants. + + La journée, écrit-elle, n'est jamais assez longue pour ce que je + voudrais faire, et mes forces sont épuisées avant que mon goût pour + les occupations le soit. Je vais tous les jours à la messe de sept + heures avec mes enfants; nous déjeunons ensuite, puis quelques + soins de ménage, puis le travail en lisant tour à tour la Bible, + une leçon de grammaire et la lecture de l'histoire de France: tout + cela nous conduit jusqu'au dîner sans que personne ait trouvé le + temps long. Après le dîner, je donne récréation une heure. Nous + reprenons ensuite l'ouvrage avec une lecture agréable que je tâche + toujours de rendre instructive, jusqu'au goûter, après lequel on + apprend par cÅ“ur des vers, de l'histoire de France et de la + grammaire. Puis nous nous promenons jusqu'à la nuit et à la veillée + pendant que je joue aux échecs avec mon mari, les enfants s'amusent + et apprennent quelques vers des fables de Lafontaine. C'est + toujours le plan ordinaire de notre journée à quelques différences + près. + +Lorsque l'année avait été bonne, les Lamartine allaient passer l'hiver à +Mâcon: au début, ce fut dans une maison louée; en 1805, le chevalier, +sur les instances de sa femme, se décida à l'acheter et la paya 29 615 +francs à M. Barthelot d'Ozenay un de leurs amis. Elle portait le numéro +15 de la rue de l'Église: c'est là qu'à partir de 1805 ils passeront +tous les hivers. À côté de la poétique description qu'en a faite +Lamartine, il faut rapprocher celle de Mme Delahante, plus véridique: +«L'entrée, dit-elle, ressemblait fort à une cave et tout y était plus +que simple et fort triste; nous avons fait bien des parties dans son +jardin qui était affreux, mais dont les hautes murailles étaient +tapissées de roses blanches». + +Quelques voisins agréables animaient un peu cette vie solitaire. +C'étaient les de Rambuteau, très liés au XVIIIe siècle avec les +Lamartine et dont deux membres signèrent à l'acte de baptême du poète; +le futur préfet de la Seine, Claude-Philibert, tout en étant un peu plus +âgé que lui puisqu'il était né en 1781, fut son ami de jeunesse. Il +avait épousé Mlle de Narbonne, fille du comte Louis, ministre de la +guerre à la fin du règne de Louis XVI, et devint plus tard très en +faveur auprès de Napoléon. Leur grand luxe, leur fastueuse résidence de +Champgrenon n'allaient pas parfois sans écraser un peu la pauvre Mme +de Lamartine qui écrivait un jour: «Après dîner Mme de Rambuteau est +venue avec ses enfants faire une visite; elle passe beaucoup de temps à +Paris, elle a beaucoup de fortune et un grand train. Quand je vis son +beau carrosse, ajoute-t-elle mélancoliquement, ses superbes chevaux +auprès de mon modeste équipage, j'eus un petit moment de honte que je me +reproche...» + +À Bussière et à Milly, il y avait l'abbé Dumont, grand ami du chevalier +et qui chassait avec lui; les du Sordet; M. de Valmont, vieux +gentilhomme courtois et lettré, et l'excellent M. de Vaudran: emprisonné +à Lyon pendant la Terreur il avait été rendu à la liberté après +Thermidor. Il s'établit alors à Bussière avec sa mère et ses sÅ“urs et y +demeura jusqu'à sa mort survenue en 1820. C'était, paraît-il, un érudit +et brillant causeur qui charmait l'enfant par de belles histoires et lui +donna ses premières leçons de dessin et d'écriture. Plus tard, il le +patronna à l'Académie de Mâcon et s'intéressa à ses premiers essais +poétiques, mais mourut sans connaître la gloire de son ancien élève +qu'il aimait beaucoup. Il était le grand-oncle de Léon Bruys d'Ouilly, +l'ami d'enfance à qui sont dédiés les _Recueillements_, romanesque et +beau garçon qui succéda à lord Byron dans le cÅ“ur de la comtesse +Guccioli, pour laquelle il se ruina complètement[91]. + +[Note 91: Cf., sur la famille Bruys, _Ann. de l'Académie de Mâcon_, +3e série, vol. IX: la Famille Bruys, par Paul Maritain.] + + * * * * * + +Parfois on descendait en char à bÅ“ufs, raconte Mme de Lamartine, la +petite route en lacets qui serpente à travers les vignes de Milly à +Pierreclos. Là , à l'abri d'un antique donjon féodal qui commande une +gorge étroite et fleurie, vivait le vieux comte Jean-Baptiste de +Pierreclau, colosse d'un autre temps et qui, malgré la Révolution, +régnait toujours par la terreur sur ses anciens vassaux. Conseiller du +roi et trésorier de France à Lyon à la fin du XVIIIe siècle, il avait +épousé Mlle de la Rochetaillée et menait un train de prince à Mâcon +où il possédait deux magnifiques hôtels; la Terreur l'envoya en prison +et dispersa sa famille. + +Le calme revenu, il rentra dans son château dévasté, en proie à une +fureur indicible: tant bien que mal il reprit sa vie, mais au point où +on l'avait interrompue malgré lui. Dans les _Confidences_, Lamartine +nous a laissé un pittoresque tableau de son existence, où revit +l'étrange physionomie de ce vieux royaliste irréductible et hautain. +«Figure des romans de Walter Scott, dit-il, vieillard illettré et rude, +sauvage, absolu sur sa famille, bon au fond, mais fier et dur de langage +avec ses anciens vassaux qui avaient saccagé sa demeure pendant les +premiers orages de la Révolution.» + +On jouait, paraît-il, à Pierreclos du matin au soir et c'était la seule +manière de passer le temps; puis, le maître du château armé d'un +porte-voix donnait les ordres à ses fermiers du haut de la terrasse +escarpée qui dominait la vallée. Ses six enfants se mouraient d'ennui +auprès de leur père. Un fils, après de romanesques aventures, s'était +marié à la jeune fille d'un vieux chouan dangereux mégalomane qui eut +son heure de célébrité, le baron Dézoteux-Cormatin, et habitait la +splendide résidence seigneuriale des anciens marquis d'Huxelles. Plus +tard, Lamartine se liera intimement avec ce chevalier de Pierreclau, âme +sentimentale et chevaleresque qui avait hérité des sentiments +monarchistes de son père[92]. + +[Note 92: Jean-Baptiste Michon de Pierreclau, baron de Cenves, comte +de Bertzé, seigneur de Pierreclos, né le 20 septembre 1737, marié à +Saint-Étienne en Forez, le 27 avril 1767, à Marguerite Bernon de +Rochetaillée; il eut pour enfants: 1º Jean-Gabriel, marié à +Jeanne-Théodore Laborier; 2º Guillaume, marié à Nina Dézoteux; 3º +Marguerite, mariée à M. Mongeis; 4º Jeanne, mariée au comte de +Champmartin; 5º Antoinette, mariée au comte de Regnold de Sérezin; 6º +Catherine, morte fille. + +Une fille de Jean-Gabriel et de Jeanne-Théodore Laborier fut la baronne +de Montailleur-Ruffo, amie de Chateaubriand, et la fille unique de M. de +Champmartin épousa Niepce, l'un des inventeurs de la daguerréotypie.] + +À Pierreclos, les Lamartine retrouvaient encore quelques débris de +l'ancienne splendeur d'autrefois, car le vieux comte aimait la bonne +chère et la musique. Demeuré très grand seigneur malgré sa fortune +ébréchée, il recevait avec une urbanité un peu bourrue, et sans jamais +tolérer qu'on parlât politique. Lorsqu'on touchait à ce sujet, il +entrait dans des colères terribles et qui faisaient trembler les siens; +mais il aimait à ressusciter la pompe et l'étiquette de sa jeunesse. +Mme de Lamartine évoquait, en le voyant, le souvenir des grands +seigneurs qu'elle avait connus au Palais-Royal. + +Les de Pierreclau étaient les voisins les plus habituels des Lamartine, +et c'est avec eux souvent qu'on descendait jusqu'à Montceau et à Pérone, +où vivaient, très retirés, François-Louis et sa sÅ“ur. + +Toute cette petite vie campagnarde, humble mais bien remplie, est +relatée quotidiennement dans le _Journal intime_. Point de grands +événements, surtout point de politique. Les bruits du monde ne leur +parviennent que rarement, et très affaiblis. Le nom de Bonaparte--sous +lequel l'Empereur sera désigné par Mme de Lamartine--est un objet +d'exécration dans ce milieu. D'ailleurs, après les vicissitudes qu'ils +viennent d'éprouver, les Lamartine sont heureux du calme qu'ils +possèdent maintenant et ne regrettent point le passé. Leur seul but +désormais sera de vivre en repos et d'élever leurs enfants simplement et +chrétiennement, dans le respect des vieilles traditions que rien chez +eux n'est parvenu à effacer. + + * * * * * + +Ainsi, à résumer cette première enfance de Lamartine, qui s'étend de +1790 à 1800, on voit qu'il eut quelque raison par la suite de s'écrier +romantiquement: «Et l'on s'étonne que les hommes dont la vie date de ces +jours sinistres aient apporté en naissant un goût de tristesse et une +empreinte de mélancolie dans le génie français! Que l'on songe au lait +aigri de larmes que je reçus moi-même de ma mère pendant que la famille +entière était dans une captivité qui ne s'ouvrait que pour la mort!» Il +n'y a pas que de l'emphase dans cette lyrique exclamation: les +premières impressions de l'enfant ne furent que tristesses et craintes, +et il sera longtemps sans connaître la douceur et l'habitude d'un foyer. +Plus tard, vers huit ans, il n'aura pas d'autres camarades à Milly que +les petits paysans du village, dont Mme de Lamartine redoutera un peu +la société. Elle s'efforcera alors de le garder le plus possible près +d'elle, et veillera sur lui avec une inquiète sollicitude. Son âme +mélancolique influera peu à peu sur celle de l'enfant dont elle essayera +encore d'atténuer le caractère vif et bruyant, d'après elle, et qui déjà +commençait à la tourmenter pour l'avenir. + + + + +TROISIÈME PARTIE + +LES ANNÉES D'ÉTUDE + + + + +CHAPITRE I + +L'ABBÉ DUMONT[93] + + +[Note 93: Sources et bibliographie de la troisième partie: _Journal +intime_ (passim), _Archives de Saint-Point_.--Pour l'abbé Dumont: +_Archives municipales de Bussières et de Pierreclos_, _Archives +départementales de Saône-et-Loire_, et les notes inédites de M. Paul +Maritain conservées aujourd'hui à l'Académie de Mâcon: nous en devons la +communication à M. A. Duréault, secrétaire perpétuel de cette société, +que nous remercions ici de son obligeance. + +Pour le collège de Belley: _le Séjour de Lamartine à Belley_, par M. +Dejey (3e éd., complétée, 1901). _Histoire du collège-séminaire de +Belley_, par l'abbé Rochet (Lyon, 1898, in-8).--Les Vies des Pères +Varin, Debrosses et Jenesseaux, par le père Guidée (Paris, 1859-60).] + +Lorsqu'à l'automne de 1797 les Lamartine vinrent s'établir à Milly, on +imagine qu'au milieu de leurs épreuves la première éducation de l'enfant +avait été très négligée. Mais les écoles manquaient dans cette campagne +perdue d'où l'on ne pouvait chaque matin le conduire à Mâcon. Mme de +Lamartine, malgré le petit programme élaboré par elle, n'avait pas, à +l'entendre, beaucoup de temps pour l'appliquer rigoureusement. +D'ailleurs elle avoue elle-même qu'une fois passée l'ardeur des débuts +elle finit vite par en ressentir quelque lassitude et une certaine +appréhension. Son désir perpétuel de trouver ce qu'elle nomme «le juste +milieu» lui faisait craindre à la fois de montrer trop de mansuétude ou +trop de sévérité. Elle se décida alors à chercher autre chose; +conservant pour sa part les lectures à haute voix elle confia son fils +au curé de Bussière, petit village distant de quelques kilomètres, et +dont dépendait Milly où le culte interrompu en 1792 n'avait pas été +rétabli. + + * * * * * + +L'abbé Dumont a laissé sur son élève une impression profonde et qui ne +s'affaiblit jamais. Plus tard Lamartine créera autour de son ancien +maître une atmosphère de légende et dans les _Nouvelles Confidences_, +soulèvera un coin du voile: on sut alors que sa vie avait servi de thème +original au poème de _Jocelyn_, mais comme les deux récits n'allaient +pas sans se contredire fréquemment, il devenait difficile de démêler +quelle était la part de l'imagination et celle de la réalité. Pourtant +quelques documents nouveaux, s'ils ne percent pas complètement le +mystère de son existence, l'éclairent tout au moins davantage et sur +bien des points confirment le récit du poète. + +D'après Lamartine, l'abbé Dumont était né d'une famille plébéienne dans +la maison même de l'ancien curé de Bussière, François-Antoine Destre. Au +cours d'une visite au presbytère, l'évêque de Mâcon avait été frappé de +la très belle figure et des aptitudes remarquables de l'enfant; il +l'avait alors pris à l'évêché, en qualité de secrétaire. Survint la +Révolution, qui le surprit au moment où il allait prononcer ses vÅ“ux; +mais quelques pages plus loin Lamartine contredit cette affirmation et +nous apprend qu'il fut jeté malgré lui dans le sacerdoce, la veille même +du jour où ce sacerdoce allait être ruiné en France. On verra plus loin +qu'aucune de ces deux versions n'est exacte. Au rétablissement du culte, +Dumont fut nommé curé de Bussière et c'est à cette époque que Lamartine +le connut. + +Le jeune prêtre n'avait pas la vocation; tous ses goûts étaient ceux +d'un gentilhomme, toutes ses habitudes étaient celles d'un soldat. Beau +de visage, grand de taille, fier d'attitude, grave et mélancolique de +physionomie, il parlait à sa mère avec tendresse, au curé avec respect, +à ses écoliers avec dédain et supériorité. Son unique passion était la +chasse, et l'on voyait chez lui des sabres, des couteaux, des fouets, +des bottes à l'écuyère, tout un attirail de veneur qui voisinait avec +des objets de goût. On sentait au son mâle et ferme de sa voix et à cet +ameublement que son caractère naturel se vengeait du contresens de son +état. + +Il était instruit, et les nombreux volumes de sa bibliothèque +attestaient sa culture. Mais les livres, comme les meubles, étaient très +peu canoniques: c'étaient Raynal, Jean-Jacques, Voltaire, des romans du +temps, les encyclopédistes, en même temps que des brochures et des +journaux contre-révolutionnaires, car il était légitimiste. «Toute cette +haine de la Révolution et toute cette philosophie dont la Révolution +avait été la conséquence, dit Lamartine, se conciliaient très bien alors +dans la plupart des hommes de cette époque; leur âme était un chaos, +comme la société nouvelle. Ils ne s'y reconnaissaient plus.» Cette +phrase fut sans doute l'excuse que trouva le poète à la déroutante +psychologie du curé de Bussière; mais voici une plus grave révélation: +«Il était aisé de voir que l'abbé Dumont était philosophe comme le +siècle où il était né. Les mystères du christianisme qu'il accomplissait +par honneur et par conformité avec son état ne lui semblaient guère +qu'un rituel sans conséquences; cependant, bien que son esprit fût +incrédule, son âme amollie par l'infortune était pieuse.» + +Tel était l'abbé Dumont selon Lamartine, athée et prêtre. Quant aux +causes de cet incohérent état d'âme, elles sont expliquées plus loin par +un ténébreux récit où le curé de Bussière apparaît comme échappé d'un +roman d'amour, aigri par ses infortunes et relégué dans une misérable +campagne loin du monde qu'il avait tant aimé. + +À vrai dire, on comprend que ce portrait soit accueilli avec quelques +réserves. Comment admettre que les Lamartine aient confié leur fils à un +prêtre mi-soudard, mi-voltairien et dont toute la région, au dire même +du poète, connaissait les aventures? comment admettre que ses +allures--car il était un des familiers de Milly--n'aient pas éveillé +d'inquiets soupçons chez la pieuse Mme de Lamartine? Comment +admettre, enfin, cet invraisemblable roman esquissé et poétisé d'abord +dans _Jocelyn_, rétabli plus tard dans les _Confidences_ et leur suite? + +Et pourtant, il faut reconnaître que les pages consacrées à l'abbé +Dumont sont exactes: il est hors de doute qu'à une époque difficile à +préciser Lamartine reçut de son premier maître le dépôt d'un douloureux +secret qui les lia l'un à l'autre d'une étroite amitié et révéla alors +au jeune homme les véritables motifs de la détresse morale, des allures +étranges et souvent inquiétantes de l'abbé Dumont. + + * * * * * + +Antoine-François Dumont naquit à la cure de Bussière le 29 juin 1764 et +déjà , à relever les différences d'état civil que l'on trouve dans deux +ouvrages qui parlent de lui, on constate un premier mystère. L'un le +fait naître à Charnay le 24 juillet 1756[94], l'autre en fait le neveu +et filleul de François Antoine Destre, alors curé de Bussière et à qui +il succéda[95]. Or, il serait aussi vain d'aller rechercher son acte de +baptême à Charnay, que d'essayer d'établir sur quelles pièces on a pu +prétendre que sa mère était la sÅ“ur de Destre. Lamartine, on l'a vu l'a +fait naître à Bussière «dans la maison même de l'ancien curé» et il +avait ses raisons pour parler ainsi. Car Antoine-François Dumont qui, +suivant son acte de baptême, était fils de Philippe Dumont et de Marie +Charnay, tous deux au service du curé Destre, était--et ce n'était +alors, paraît-il, un mystère pour personne--fils de Destre et de sa +servante. Celui-ci, d'ailleurs, fut le parrain de l'enfant et lui imposa +même ses prénoms; par la suite, il le logea chez lui sa vie durant, et +lui assura une éducation soignée très supérieure à son humble origine +officielle. Deux lettres de Destre qu'on lira plus loin prouvent +l'affection qu'il porta toujours au jeune homme: en mourant, il +l'institua son légataire universel alors que le fils cadet et véritable +de Philippe Dumont, né en 1768, fut élevé modestement par ses parents et +devint huissier à Mâcon. Tout ceci, il est vrai, ne prouverait rien et +pourrait s'expliquer aisément du fait que Destre s'attacha à l'enfant +dont il était parrain; mais rapproché de la tradition locale qui +subsiste encore et surtout des deux erreurs, qui d'ailleurs ne +s'accordent pas entre elles et dont on ne peut autrement s'expliquer +l'origine dans des ouvrages très soigneusement documentés, semble +autoriser cette version, explicitement admise par Lamartine. + +[Note 94: Abbé Chaumont, _op. cit._] + +[Note 95: Mgr Rameau, _op. cit._] + +Nous n'avons rien de précis sur la jeunesse de François Dumont; +toutefois un fait est certain: il n'était nullement entré dans les +ordres avant la Révolution, comme l'a prétendu l'abbé Chaumont après +Lamartine, et on chercherait inutilement trace de son serment à la +constitution civile du clergé ou de son emprisonnement comme non +assermenté; il fut libre pendant la Terreur et dans tous les actes le +concernant de 1791 à 1795 il est simplement qualifié de négociant en +vins à Bussière, se montrant partout et nullement inquiété. + +À partir de 1793, François Dumont régit avec un rare dévouement ce qui +restait des biens de la famille de Pierreclau. Le vieux comte +Jean-Baptiste avait été traîné en prison; avant de partir, eut-il le +temps de confier secrètement une somme importante au jeune homme, avec +des instructions précises pour rassembler les débris du patrimoine qui +allait être vendu nationalement? cela paraît probable, car tous les +achats de terres que fit alors en son nom propre François Dumont furent +restitués plus tard par lui à leur ancien possesseur. + +Le 18 fructidor an II, il achète pour 13 100 livres les récoltes +provenant des «émigrés, déportés, condamnés et détenus Michon, cy devant +Pierreclau». Le 22 pluviôse, il est signalé dans un procès-verbal +d'inventaire du château où il habitait depuis le pillage qui avait suivi +la défense désespérée de Jean-Baptiste lors de son arrestation; on y +trouve, dans sa chambre et caché soigneusement au fond de vieux +tonneaux, tout ce qu'il a pu ramasser d'objets intacts. À la même date, +les vignerons certifient que les vins de la dernière récolte consistant +en 18 pièces ont été vendus «par le citoyen Antoine-François Dumont, +marchand à Bussière, et payés par lui à la citoyenne Michon»; lui-même +exhibe ses quittances et ses pouvoirs en règle. + +Dans le courant de 1793, il rachète ainsi en sous main la plupart des +biens de Jean-Baptiste et les récoltes qui sont vendues sur pied. Le 12 +fructidor an IV il est acquéreur pour 3 650 livres de la maison «cy +devant presbytérale» de Bussière, avec ses dépendances; le 19 pluviôse +an V, de la vieille église de Pierreclos et dans les deux actes de vente +il est qualifié de «négociant demeurant à Bussière». Bref, pendant toute +la Terreur, il apparaît comme le véritable fondé de pouvoirs de +Jean-Baptiste, et dépositaire de tout ce que celui-ci a pu sauver d'or +avant son emprisonnement. C'est un homme d'affaires prudent et actif, et +rien en lui ne fait prévoir une vocation religieuse. + +Lamartine, on l'a vu, a écrit qu'il avait été jeté «malgré lui» dans le +sacerdoce, la veille même du jour où le sacerdoce allait être ruiné en +France. Malgré lui, certes, mais après la Révolution. En réalité +Antoine-François Dumont fut ordonné le 7 janvier 1798 et nommé aussitôt +vicaire à Bussière, où le culte venait de recommencer sous la direction +de l'ancien curé Destre qui, ayant prêté serment, n'avait pas été +inquiété. + +Quel événement soudain avait modifié la vie du jeune homme? quelle +volonté plus forte que la sienne était venue le contraindre de renoncer +au monde? Ce n'est pas _de lui-même_ et dans un moment de détresse +qu'il prit cette décision, comme l'a raconté aussi Lamartine, sans +prendre garde qu'il se contredisait en l'espace de quelques pages. Mais +le roman d'amour dont il a parlé est véridique, et s'il en a dénaturé +quelques détails pour dépister les curiosités et respecter l'honneur +d'une famille, il est du moins exact que François-Antoine Dumont expia +par trente-cinq ans d'une vie à laquelle il ne se plia jamais +complètement, la faute d'avoir séduit une jeune fille de la noblesse. La +mère de celle-ci et Destre parvinrent à étouffer le scandale que le père +ignora toujours, à la condition que François Dumont disparaîtrait du +monde. Peu de temps après la jeune fille fut mariée à un vieillard, et +l'enfant né des amours de Jocelyn et de Laurence fut élevé à la campagne +où il mourut. + +Ici se place un problème qu'il semble assez délicat de résoudre: +pourquoi Lamartine, sachant que la faute de l'abbé Dumont était +antérieure à sa vie ecclésiastique, n'a-t-il pas déchargé sa mémoire de +ce qui, à ses yeux, devenait alors un crime? La figure du pauvre vicaire +n'en serait-elle pas sortie grandie par une telle expiation et n'eût-il +pas, du même coup, donné l'explication la meilleure des allures de +l'abbé Dumont? + + * * * * * + +Celui-ci se résigna mal à ses nouvelles fonctions. Aigri, blessé, resté +jeune et ardent, il fit en chaire de la propagande royaliste presque dès +son entrée à la cure. Les autorités s'émurent et le 7 décembre 1798 +l'église de Bussière fut fermée à nouveau «pour cause du fanatisme +anti-républicain du curé». Elle rouvrit en 1799 sur la demande, +paraît-il, des paroissiens, mais cette fois Mgr Moreau devenu évêque +d'Autun, dut recommander plus de pondération à son ancien élève, et +interdit à Destre de se faire remplacer par lui. Le vieux Destre, +pourtant, accablé par l'âge et les infirmités, céda bientôt la place à +son vicaire; à partir du 20 septembre 1801 les registres paroissiaux +portent la signature de l'abbé Dumont, bien que Destre n'ait été +officiellement remplacé par lui qu'en 1803. + +De cette date jusqu'à sa mort, survenue en 1832, l'abbé Dumont fut curé +de Bussière, et de Milly à partir de 1808, époque où les deux villages +furent réunis sous la même autorité. Il habitait le petit presbytère où +il était né et qui en 1793 avait abrité ses amours. Dès lors, on +s'imagine aisément la vie du malheureux et tout ce qu'en a dit Lamartine +s'éclaire d'une émouvante et douloureuse sincérité. Cette cure existe +toujours: c'est une maison bourgeoise, bâtie au début du XVIIIe +siècle par les soins de la famille de Pierreclau, et qu'il avait meublée +sans l'habituelle simplicité des curés de campagne; à sa mort on vendit +un grand lit Louis XVI, une belle console dorée, des chaises finement +sculptées, un baromètre en bois doré et divers autres objets de valeur +qui furent acquis à des prix dérisoires. Il léguait à Lamartine, qu'il +nommait «son bienfaiteur et ami», sa bibliothèque, ses gravures--Louis +XVI et Marie-Antoinette,--sa montre en or «et la petite pendule dont le +prix a été acquitté par Mme de Lamartine mère». Près de sa tombe, +qu'on voit encore au cimetière de Bussière, son ancien élève fit élever +une pierre avec ces quelques mots: + + À la mémoire de Dumont, curé de Bussière et de Milly pendant près + de quarante ans, né et mort pauvre comme son divin maître, Alphonse + de Lamartine, son ami, a consacré cette pierre près de l'église + pour perpétuer parmi le troupeau le souvenir du bon pasteur. 1832. + +Contradiction encore que cette épitaphe! car, même d'après Lamartine, +l'abbé Dumont ne fut pas un bon pasteur. Le fardeau d'une mission +imposée lui pesait lourdement, et ses révoltes intérieures étaient +fréquentes. De son ancienne vie, il avait gardé la flamme et l'ardeur, +et le poète a raconté ces longues courses avec ses chiens fidèles, dont +la chasse était le prétexte, mais où il essayait de briser ses longues +détresses par la fatigue. Royaliste intransigeant il le demeura +toujours, et c'est peut-être l'origine de son amitié avec Pierre de +Lamartine dont il était le compagnon le plus habituel. Dans son journal, +pourtant, Mme de Lamartine en parle à peine, et comme d'un grand +chasseur qui venait souvent s'asseoir à leur table et partager leur +solitude. Mais on a vu que dans son testament l'abbé Dumont appelait +Lamartine son ami; le poète lui rendit le même hommage sur sa tombe et +le poème de _Jocelyn_ débute ainsi: + + J'étais le seul ami qu'il eût sur cette terre. + +Et Lamartine disait vrai: il fut le seul ami de l'abbé Dumont, le seul +qui connût jamais le douloureux secret de cette existence brisée. + +L'abbé Dumont était légitimiste et cela apparaît surtout dans ses +registres paroissiaux; comme Bussière et Milly ne comptaient guère que +600 habitants, il n'avait pas grand'chose à y transcrire. Aussi avait-il +pris l'habitude d'y tenir une sorte de journal des événements auxquels +il assistait et, machinalement, il les entremêlait de brèves réflexions +personnelles où l'on trouve trace de sa haine violente contre Napoléon. +En 1805 il écrivait: + +«Buonaparte est arrivé à Mâcon le dimanche 7 avril ayant avec lui +Joséphine. Cette belle majesté est sortie de la préfecture le lendemain +à cheval.» De même, on lit en 1811: «Marie-Louise est accouchée d'un +fils le 20 mars. Buonaparte eût-il jamais cru, lorsqu'il étudiait à +Brienne où notre bon roi Louis XVI payait sa pension, qu'il épouserait +un jour une fille des Césars d'Autriche et qu'il serait assis sur le +trône de France?» À partir de 1815, il prendra l'habitude chaque 21 +janvier de célébrer en chaire la mémoire du roi-martyr, et de lire à ses +paroissiens assemblés le «testament du juste», de «l'auguste victime». +Lamartine qui sur sa tombe rendit pourtant un hommage public à ses +vertus chrétiennes, nous a dit d'autre part combien sa foi était +chancelante et faite de revirements. Les livres qu'il lui légua n'ont +aucun caractère religieux: «Rousseau, Diderot et Voltaire y voisinent +avec Saint-Simon, les Lettres de la Palatine, Machiavel, l'Arioste et +d'autres....». + +À l'évêché, on le jugeait mal et l'abbé Faraud, vicaire général de +Mâcon, connaissait ses aventures en même temps que son caractère +difficile. En 1797 on ne l'avait admis dans les ordres qu'avec une +certaine hésitation et il était mal noté; les deux lettres qui suivent +nous renseignent très suffisamment à cet égard: l'une émane de Destre et +fut écrite le 2 juin 1801 à l'abbé Faraud pour le prier d'excuser auprès +de l'évêque le peu d'application et l'humeur de son filleul: + +«...Vous m'avez offert vos services auprès de M. l'Évêque: je vous prie +de lui dire que je supplie Sa Grandeur de me confier la conduite de +l'abbé Dumont qui ira de temps à autre lui présenter nos regrets +lorsqu'il sera visible. Je connais son caractère. En lui parlant avec +douceur et sans tracasserie il exercera son ministère à ma satisfaction +et à celle de beaucoup de fidèles qui l'ont regretté quand il a été +obligé d'abandonner ses fonctions et qui me demandent depuis longtemps +quand ils le verront et l'entendront à l'autel et au confessionnal[96]. +Pour que je puisse le déterminer, il faut que je puisse lui dire qu'il +n'aura affaire qu'à M. l'Évêque et à moi. Je ne lui dirai de dire la +messe que quand il se croira disposé. En attendant, j'espère que le +Seigneur me donnera des forces. Il y a bientôt quarante ans que je sers +cette paroisse, il me ferait bien de la peine d'y voir le service divin +interrompu. + +«Monseigneur m'a permis et à l'abbé Dumont d'user des pouvoirs qu'il +s'est réservés et il m'a recommandé d'en user largement. Sans doute il +l'a aussi recommandé à l'abbé Dumont: nous tâcherons de remplir ses +instructions...» + +[Note 96: On a vu que l'église avait été fermée en 1798, et que +l'abbé Dumont reçut, lorsqu'elle rouvrit, l'interdiction d'y dire la +messe régulièrement, comme il en avait pris l'habitude.] + +L'abbé Faraud, qui savait évidemment à quoi s'en tenir sur Dumont, fit +parvenir à l'évêque la lettre de Destre qu'il accompagna de celle-ci: + +Ce mercredi matin 3 juin 1801. + +«Voici, Monseigneur, une lettre du curé de Bussière qui serait +probablement insolente si elle n'était essentiellement bête. + +«Nous avons pensé, puisqu'il annonce que pour ce qui le concerne ainsi +que M. Dumont il ne reconnaît que ce qui émane directement de vous, +qu'il fallait que vous prissiez la peine de lui répondre, et j'ai +l'honneur de vous envoyer la réponse que nous estimons devoir lui être +faite. Si vous daignez l'approuver, auriez-vous la bonté de la signer et +de me la renvoyer pour que je la fasse parvenir à son destinataire? + +«M. Dumont est une espèce de houzard qui dans les temps ordinaires +aurait été paralysé. Attendu le besoin qu'on a d'ouvriers, il faut bien +se résigner à l'employer, mais non à Bussière et dans les environs où +sa conduite a été scandaleuse et ses jactances plus scandaleuses +encore[97].» + +[Note 97: Ces deux lettres, qui sont conservées aux archives +épiscopales d'Autun, ont été communiquées à l'Académie de Mâcon par M. +le chanoine Muguet, curé de Sully. (Cf. procès-verbal de la séance du 10 +janvier 1907.)] + +Mais Monseigneur Moreau qui gardait sans doute quelque souvenir à son +ancien protégé et connaissait les causes de son humeur, le conserva à +Bussière où il demeura jusqu'à sa mort. + + * * * * * + +Ces révoltes et ces crises de découragement étaient fréquentes chez +l'abbé Dumont et, pour le ramener, on voit les moyens qu'il fallait +employer: «lui parler avec douceur et sans tracasserie, ne lui faire +dire la messe que quand il se croyait disposé». Ceci confirme tout ce +que Lamartine a dit de sa nature hautaine et intraitable, et nous savons +encore qu'il la garda toujours, puisqu'on en retrouve la trace dans ses +registres où son écriture élégante et aristocratiquement saupoudrée de +paillettes d'or contraste étrangement avec les grossières signatures de +ses prédécesseurs. + +En 1803, il écrit: «Pie VII, souverain-pontife, est arrivé à Mâcon le +lundi 22 avril.--_J'ai baisé sa mule_. Le clergé romain qui le suivait +était mis salement.» Ce sont là toutes les réflexions que lui suggéra +l'arrivée du pape accueillie en France avec tant d'allégresse par le +clergé, qui y vit le triomphe définitif de la religion catholique. +Lui-même a souligné les mots: «j'ai baisé sa mule», comme s'il s'en +étonnait, et les manières de gentilhomme dont a parlé Lamartine se +retrouvent dans la brève épithète qu'il applique à la suite du +Saint-Père. + +Enfin, en octobre 1812, l'abbé Dumont, plus déconcertant que jamais, se +fit affilier à la loge franc-maçonnique de Mâcon, la Parfaite Union, et +le 17 décembre il fut reçu _maçon_[98]. À quelle nouvelle déroute morale +était-il donc en proie, lui royaliste et prêtre, pour s'unir au parti du +libéralisme et de la libre pensée? Lamartine n'a-t-il pas voulu l'en +excuser lorsqu'il écrivait: «Son âme était un chaos comme la société +nouvelle, lui-même ne s'y reconnaissait plus». + +[Note 98: Les procès-verbaux des deux séances ont été copiés par M. +Maritain et figurent dans le dossier qu'il avait réuni sur Dumont.] + +À tout cela, il faut ajouter que l'abbé Dumont avait conservé des +habitudes de dépense et de luxe qui cadraient mal avec ses humbles +fonctions. Dans toutes les lettres que Lamartine lui adressa et qui +figurent dans la _Correspondance_, on voit qu'il ne s'agit que d'argent: +«J'espère aller à la fin de l'automne vous délivrer de vos huissiers...» +«Permettez-moi de vous offrir une seconde petite offrande de cent écus +pour vous remettre à votre courant...» Et ceci, plus significatif +encore: «Ma mère m'a informé de vos embarras que je prévoyais bien tôt +ou tard devoir vous accabler, mais il y a remède: vous auriez dû, au +lieu d'attendre l'huissier, m'écrire: Je dois tant à tels et tels, à +telle époque...» La lamentable correspondance se poursuivit jusqu'au +dernier jour: «Je continuerai mon petit supplément, vos dettes seront +payées peu à peu...» «Dites à tous vos créanciers à qui j'ai signé vos +petits billets qu'à mon arrivée à Saint-Point ils pourront les apporter +et seront payés[99]...» + +[Note 99: Cf. _Correspondance_, t. IV, p. 41, 69, 84, 134, 203, +271.] + +Et ce n'était pas pour le bien de ses paroissiens que l'abbé Dumont se +ruinait ainsi; il aimait le luxe et avait meublé sa petite maison, toute +pleine de douloureux et charmants souvenirs du passé, comme un nid +d'amoureux plutôt que comme une cure de campagne. On a déjà vu qu'à sa +mort on vendit des objets de valeur, et voici une épître en vers +adressée par M. de Montherot à Lamartine son beau-frère, et où l'on +trouve un passage qui éclaire encore la situation obérée de l'abbé: + + Ainsi, pour commencer, parlons de nos affaires, + Ou de celles, plutôt, du curé de Bussières: + Donc ce pauvre pasteur qu'un déficit chargeait + Verra, grâce à vos soins, s'éclaircir son budget. + Vous avez bien raison: pour une faible somme, + Il est doux d'assurer le repos d'un brave homme. + Qu'il le doive à nous deux ou plutôt à nous trois; + Votre mère fait mieux que vous et moi, je crois. + La douleur s'adoucit au miel de sa parole, + Nous donnons des écus, elle plaint et console; + À la reconnaissance elle a bien plus de droits. + J'ai ri de bien bon cÅ“ur, je l'avoue, à la liste + De tous les créanciers qu'il traînait à sa piste: + Entre autres y figure un marchand d'objets d'arts, + Trésors qui de l'abbé fascinaient les regards, + Des tableaux, des émaux....--Ah! que ma cheminée, + Pour quatre ou cinq cents francs, paraîtrait bien ornée! + Mais je ne les ai pas, ces quatre ou cinq cents francs!-- + --Je vous ferai crédit, vous paîrez dans quatre ans.-- + Et voilà , pauvre abbé, voilà comme on s'enfonce! + --Et voilà justement comme mon pauvre Alphonse, + Dit votre bonne mère, autrefois calculait: + Il avait à Paris cheval, cabriolet, + Lorsque 1 500 francs étaient, pour une année, + La somme à l'étourdi par son père donnée[100]! + +[Note 100: _Archives de Saint-Point_. La lettre est datée du 25 mars +1828. _Suscription:_ «À monsieur de Lamartine, chargé des affaires de +France, Florence, Toscane».] + +Mais, malgré l'inépuisable cÅ“ur de Lamartine, l'abbé Dumont s'endettait +toujours. À sa mort, il laissait un passif de 4 252 francs qui ne fut +pas entièrement liquidé par la vente publique de ses meubles, d'autant +qu'il avait déjà pris soin de distraire l'argenterie de sa succession +pour la remettre à son frère, huissier à Mâcon, en lui recommandant bien +de répudier l'héritage. + + * * * * * + +La vie de l'abbé Dumont que nous venons seulement d'esquisser ici, +mériterait d'être étudiée plus complètement le jour où les archives +épiscopales d'Autun seront classées et ouvertes au public. Comme l'a +dit Lamartine, il fut le modèle secret de _Jocelyn_, et surtout joua un +rôle très grand dans la jeunesse du poète. + +Nous savons qu'en 1798, lorsque le culte fut rétabli à Bussière, Destre +et Dumont ouvrirent une petite école pour les enfants du pays. Lamartine +y fréquenta trois ans--, sa mère l'a mentionné plus tard,--mais ces +leçons furent insignifiantes. + +Par la suite il apprit à mieux connaître son ancien maître et la façon +dont il en a parlé dans toute son Å“uvre prouve que de 1810 à 1820, +pendant les longues années qu'il passa à Milly et à Mâcon en proie à un +accablant malaise moral, le curé de Bussière fut son confident habituel +et connut tous les détails de cet état d'âme maladif que reflète la +_Correspondance_. Sans doute le prêtre sans vocation reconnut-il un peu +de lui-même dans cet adolescent inquiet, tour à tour dévoré par +l'activité ou meurtri par la lassitude: toutes ses aspirations +lointaines, tous ses rêves de jeunesse, ses élans, ses rêves brisés +vécurent à nouveau devant ses yeux. De là cette intimité étroite, ces +confidences de part et d'autre, transcrites par Lamartine avec tant de +fidélité. + +Plus tard, en mémoire de ces heures communes, le poète adoucit le plus +qu'il put l'existence pénible de l'abbé Dumont. Il le reçut à +Saint-Point, l'invita à Paris, le fit participer à toutes ses joies, à +toutes ses douleurs, et consacra enfin sa mémoire par un poème où revit, +purifiée et grandie, la misérable vie du pauvre curé de Bussière. La +réalité, pourtant, fut autrement tragique et émouvante. + +Peut-être Stendhal en eût-il tiré un merveilleux dénouement pour la vie +de _Julien Sorel_. Mais les choses sont ainsi: deux Å“uvres romantiques +qui pourraient passer, l'une pour le type parfait du roman +psychologique, l'autre pour celui du roman d'imagination, eurent +pourtant un thème commun; bien mieux, celle du poète eut seule un modèle +vivant. + + + + +CHAPITRE II + +L'INSTITUTION PUPPIER + +(2 mars 1801-17 septembre 1803) + + +L'abbé Dumont donna à Lamartine ses premières leçons de français et de +latin; mais au début de 1801, soit que ses allures aient fini par +inquiéter la famille, soit que l'enfant devenant, comme il l'a dit, de +plus en plus impétueux et avide de liberté, les siens aient décidé de +mettre fin à cette existence demi vagabonde et paysanne, on résolut à +Milly de le mettre en pension. + +La mère, inquiète de s'en séparer, objecta ses dix ans, sa constitution +délicate; il lui fallut pourtant s'incliner comme toujours devant les +volontés de son beau-frère qui lui opposa, paraît-il, «le bien» de son +fils. + +Il existe un petit portrait de Lamartine à dix ans[101]: c'est un bel +enfant joufflu et solide, ébouriffé par ses courses dans la montagne, et +qui respire la santé; il paraît évident que l'existence au grand air lui +a pleinement réussi, et les craintes maternelles ne semblent pas très +justifiées. + +[Note 101: Appartient à Mme Fournier, née de Belleroche, +petite-nièce de Lamartine. Il a été reproduit par M. Lex dans son album +_Lamartine, souvenirs et documents_ (Mâcon, 1890).] + +Il fallut alors s'occuper de lui trouver une pension. Les maisons +d'éducation ne manquaient pas à Mâcon, et l'enfant n'y aurait guère été +dépaysé; mais les Lamartine tenaient sans doute à modifier complètement +le système adopté jusqu'ici par sa mère, puisqu'ils firent choix d'une +institution à Lyon, et d'ordre tout à fait secondaire. Mme de +Lamartine, triste d'abord de voir son fils si loin d'elle, se consola en +pensant qu'il serait surveillé de près, car elle comptait à Lyon de +nombreux parents et amis, entre autres Mme de Roquemont, sa cousine +germaine, qui devint la correspondante du petit Alphonse et se chargea +de faire régulièrement parvenir de ses nouvelles à Milly. + +On manque de renseignements précis sur la pension de la Caille, située +dans un faubourg de Lyon, la Croix-Rousse, où fut interné l'enfant. Elle +était tenue par deux vieilles filles, les demoiselles Puppier, aidées +par leur frère, et semble n'avoir été qu'une très modeste institution où +l'on prenait de jeunes enfants dont les parents habitaient la campagne. +Dans son journal, Mme de Lamartine l'appelle «l'Enfance», constate +qu'elle paye, pour son fils 420 francs par trimestre, mais n'en parle +pas autrement. Pour Lamartine, il n'y a qu'à se reporter à ses +Mémoires[102] pour voir le dégoût profond qu'il conserva toute sa vie de +l'heure où il fut «lancé dans ces cours comme un condamné à mort dans +l'éternité». Avec l'horreur de la contrainte qu'on lui connaît, on peut +croire à la sincérité des sentiments qu'il a exprimés cinquante ans plus +tard en rappelant cet odieux souvenir. + +[Note 102: _Mémoires inédits_ (p. 58-76).] + +On sait par sa mère qu'il entra à l'institution Puppier le 2 mars 1801, +mais les nouvelles qu'elle recevra de lui ne commencent à être +enregistrées par elle qu'en juillet, époque où s'ouvre le _Journal +Intime_. Pourtant, une lettre de M. Dareste à sa cousine datée du 30 +mars, supplée à cette lacune et constitue un excellent bulletin de +début. + +«Nous allâmes avant-hier dimanche avec M. de Roquemont rendre une petite +visite dans sa pension à M. Alphonse. Nous le trouvâmes très gai et bien +en train de s'amuser; il nous a paru content et l'on est aussi content +de lui; nous assistâmes à leur dîner. Ils paraissent très bien dans +cette pension et les demoiselles Puppier nous ont promis de nous le +confier quelquefois cet été: nous irons le chercher, mais ce ne sera que +les jours de congé[103].» + +[Note 103: _Archives de Saint-Point_. Suscription: «À madame Depra +de Lamartine à Mâcon, Saône-et-Loire». (_Lettre inédite_.)] + +Les nouvelles qui suivent sont satisfaisantes: en juillet c'est un «bon +et aimable enfant», et Mlle de Lamartine, au retour d'un petit séjour +à Lyon, «rapporte tout plein de bien d'Alphonse». Il est gai, appliqué +et apprend facilement, écrivent les maîtres de leur côté; mais tout cela +ne concorde guère, trouve-t-elle, avec ses lettres qui sont tristes et +navrantes. Le père alors, profite d'un voyage d'affaires pour s'arrêter +à Lyon vers la mi-juillet: il le trouve «pâle et maigre», étiolé par +l'air de la ville. Pourtant, on est toujours très content de lui, à la +pension: «Il fait tout ce qu'il peut et peut tout ce qu'il veut, ont dit +ses maîtres à mon mari», constate la mère avec quelque fierté. Mais elle +s'inquiète encore de sa santé et le laisse sans doute trop entendre, car +les lettres de son fils se font de plus en plus désespérées. Il supplie +qu'on le rappelle à Milly, et, prétend-il sombrement, il a «grand besoin +de venir». + +«Je tremble, écrit Mme de Lamartine le 17 septembre, de le voir +arriver pâle et maigre et en mauvaise santé.» Devant ses instances, son +beau-frère consentit à avancer la date des vacances et, à la fin du +mois, elle put elle-même aller le guetter sur la route de Lyon. + +Toutes ses craintes tombèrent en le voyant et elle devina vite la petite +ruse dont il s'était servi pour l'apitoyer, puisqu'elle écrit le 19: + +«La diligence est arrivée hier beaucoup plus tard que d'ordinaire, et le +cÅ“ur me battait en pensant que dans quelques heures je reverrais mon +cher enfant; il faisait presque nuit. Enfin elle arriva, avec mon +Alphonse que je trouvai en très bonne santé, grandi, engraissé et fort +bien; il me paraît qu'il n'a rien perdu pour la piété: c'était là toute +ma crainte, et je vais faire tout ce qui dépendra de moi pendant son +séjour ici pour fortifier ce sentiment dans son cÅ“ur.» + +L'enfant, d'ailleurs, retrouva toute sa gaieté à Milly où il demeura +jusqu'à la mi octobre. La famille s'amusait, après six mois d'absence, +de le trouver changé et réfléchi. «À dîner, note un jour Mme de +Lamartine, nous parlâmes beaucoup de lui, trop peut-être; nous lûmes un +extrait de sa façon et une petite composition que son père lui avait +donnés à faire; l'on fut très content et mon orgueil bien flatté.» «Je +suis bien heureuse de son intelligence, ajoute-t-elle encore; j'ai à lui +reprocher pourtant de manquer de douceur, vis-à -vis de ses sÅ“urs +surtout, et je craindrais qu'il n'eût le caractère un peu dur s'il ne se +corrige pas.» + +Aussi s'efforcera-t-elle de ne pas lui laisser reprendre les habitudes +d'autrefois, en le retenant le plus possible près d'elle par des +lectures et des causeries; comme il est plus grand, elle abordera même +des ouvrages sérieux, _Télémaque_, quelques passages de Bossuet et les +traités d'éducation de Mme de Genlis. Le 15 octobre, elle le ramena +enfin à Lyon, où elle demeura près d'une semaine, en allant chaque jour +l'embrasser pour qu'il ne passât pas trop brusquement de la vie de +famille à l'internat. + +La seconde année scolaire (novembre 1801-septembre 1802) fut encore +excellente; le 25 février 1802, il assista à la grande revue donnée en +l'honneur du Premier Consul et cette récompense était méritée, +paraît-il, par 18 exemptions. À la fin de septembre, il écrivit +triomphalement à Milly pour annoncer qu'il avait remporté deux prix de +latin et de français; M. Puppier confirmait, mais ajoutait qu'il en +aurait eu un troisième «sans une vivacité qui lui a fait déchirer sa +copie de thème parce qu'on le pressait un peu pour la donner». + +De fait, il était très énervé et soupirait après Milly dans toutes ses +lettres. Il y arriva le 15 septembre et l'on partit bientôt pour +Saint-Point, d'où Mme de Lamartine écrivait le 2 octobre: «Je suis +ici depuis hier avec Alphonse, Cécile et Eugénie, et ce voyage leur a +fait un extrême plaisir. Alphonse est venu à cheval sur son âne, il +était comblé de joie.» + +Les vacances s'écoulèrent paisiblement en compagnie de l'abbé Dumont +qui, venu pour passer quelques jours au moment de la chasse, fut +émerveillé des progrès de son ancien écolier. Mais après deux mois de +liberté où l'amour de l'indépendance s'affirmait sans cesse chez +l'enfant, à la grande inquiétude de la mère, le retour à Lyon fut +déchirant. Une dernière fois, il implora qu'on le gardât et, devant le +refus du père et de l'oncle, il partit «sombre et renfermé», ce qui +acheva de désespérer la pauvre femme. + + * * * * * + +Ses pressentiments étaient justes. La pension Puppier devint, cette fois +pour tout de bon, insupportable à un enfant dont l'imagination +commençait à s'éveiller et qui jusqu'ici avait montré une nature assez +décidée. Le 9 décembre 1802, deux mois à peine après avoir quitté Milly, +il s'enfuit avec deux camarades, les petits de Veydel; on les rattrapa +quatre heures après sur la route de Mâcon. Les détails de cette évasion +sont plaisamment rapportés par Lamartine, mais rappellent curieusement +un épisode des _Confessions_ de Jean-Jacques. + +Faut-il croire à ce pugilat entre un professeur et l'élève Siraudin? +faut-il croire à cette arrivée des domestiques et des cuisiniers, armés +de broches et de pelles, et qui mirent ainsi fin au combat en +contraignant Siraudin à la retraite? De même, le massacre d'une oie +vivante où tous les élèves furent conviés à tour de rôle acheva-t-il de +décider à la fuite l'enfant «encore frémissant d'horreur» de la bataille +qui venait de se livrer en classe? Pauvres excuses en vérité, et +n'eût-il pas mieux valu avouer qu'il était simplement avide de grand air +et de liberté? Sa mère, d'ailleurs, a noté l'escapade--qu'elle excuse +presque--en des termes qui laissent entendre que la conduite de son fils +laissait depuis longtemps à désirer, et qu'il n'eut pas besoin de tant +d'incidents pour motiver sa décision; on lit en effet le 15 décembre: + +«Le 11, nous reçûmes des lettres de Lyon ou on nous apprenait +qu'Alphonse s'était en allé de sa pension avec MM. de Veydel qu'il a +engagés dans sa fuite; on les a rattrappés à Fontaines. Cette faute nous +a fait la plus grande peine parce qu'elle a été précédée et suivie de +plusieurs autres et soutenue avec beaucoup d'orgueil, ce qui m'afflige +très fort. J'attends avec impatience de ses nouvelles, j'ai un grand +désir de le savoir relevé de cette chute; son caractère d'indépendance +m'effraye, et je crains beaucoup de l'avoir gâté.» + +Trois jours après, l'enfant écrivit spontanément une lettre de regret, +c'est du moins la version du _Journal intime_; dans le _Manuscrit de ma +mère_, on lit au contraire: «On a eu de la peine à lui faire écrire une +lettre d'excuse et de repentir à son père». «Ainsi, tout est réparé», +ajoute Mme de Lamartine avec soulagement en transcrivant cette +nouvelle. Pourtant, il continuait à implorer son père de le laisser +revenir, arguant que depuis sa fuite il était mal vu de tous. On +convint, pour ne pas sembler lui donner raison, de laisser s'achever +l'année scolaire et, si les choses n'étaient pas alors oubliées, de le +changer d'établissement. + +Mais, jusqu'à la fin de l'année, l'enfant continuera d'envoyer des +lettres désespérées et suppliantes dont Mme de Lamartine a transcrit +les passages les plus inquiétants pour elle; visiblement, il essayait +d'apitoyer sa mère qu'il savait faible sur le point de sa santé. À l'en +croire, il était incapable de travailler, toussait et se sentait sans +forces, ce qui ne l'empêcha pas de remporter en fin de classes un grand +prix de français, un prix de latin, un prix d'histoire et un accessit de +dessin. Peut-être les Puppier avaient-ils été un peu indulgents dans +l'espoir de le réconcilier avec la pension, mais rien n'y fit. Dès son +retour à Milly, l'enfant, dont la sensibilité était déjà très délicate, +raisonna avec beaucoup de bon sens, objecta à son père que depuis son +escapade il était demeuré gêné vis-à -vis de ses maîtres et de ses +camarades et, mettant comme toujours sa mère avec lui, obtint presque +aussitôt la promesse qu'il ne retournerait plus à Lyon. + +Mme de Lamartine, qui n'aimait guère les Puppier, s'était déjà mise +depuis six mois en campagne pour les remplacer; en février, alors +qu'elle était à Rieux chez sa mère, elle lui avait demandé conseil et +Mme Des Roys, qui datait d'une époque où les enfants comptaient fort +peu, avait indiqué un collège de Jésuites à Radstadt. Sa fille, comme on +peut le penser, ne voulut pas en entendre parler. Plus tard, il fut un +instant question de Roanne et en mai elle se rendit tout exprès à Beaune +pour se renseigner elle-même sur un lycée dont on lui avait parlé, +«mais, dit-elle, il ne me plut pas infiniment». Elle crut avoir trouvé +en apprenant qu'un bon collège allait s'ouvrir à Cluny: «J'espère que +nous y mettrons Alphonse, écrira-t-elle aussitôt, cela me fera grand +plaisir». On devine pourquoi: Cluny étant à quelques kilomètres de +Milly, elle aurait ainsi son fils tout près d'elle. C'est ce que l'oncle +voulait éviter. + +Au début de septembre enfin, des amis qu'elle avait mis au courant de +ses recherches lui parlèrent du collège de Belley en Dauphiné et qui +venait d'ouvrir ses portes. Malgré l'éloignement, elle fut aussitôt +séduite par cette idée et elle a noté le 6 septembre dans son journal: + +«J'espère que mon mari consentira à mettre Alphonse à Belley où je +désire fort qu'il soit parce que le collège est tenu par les Pères de la +Foi, institution à l'instar de celle des Jésuites, et où les principes +sont excellents. Dieu me fasse la grâce que mon enfant soit +chrétiennement élevé, je sacrifierai à cela toutes les sciences de ce +monde; mais dans ce collège on réunit tout, excepté peut-être la +perfection des arts d'agrément.» + +Ses renseignements pris, elle fit part de sa découverte à la famille et, +le 18 septembre, obtenait son consentement. Le jour même le chevalier +écrivit à Belley, un peu malgré son fils tout à l'espoir qu'on le +garderait à Milly; l'idée d'être emprisonné à nouveau, et plus loin +encore que Lyon, le chagrinait beaucoup et tout au plus se résignait-il +à Cluny. La mère ébranlée commençait à hésiter; mais il était trop tard: +François-Louis ne voulait pas de Cluny, et une réponse affirmative de +Belley parvint à Milly le 25. + +Mme de Lamartine se décida alors à accompagner son fils. «Mon mari, +dit-elle, ne se soucie pas de voyager et je serai bien aise de voir le +lieu où mon enfant sera; il me semble que je sens moins vivement notre +séparation lorsque je le conduis moi-même.» Ils se mirent en route le 24 +octobre pour arriver à Belley le 26 à deux heures de l'après-midi. + +Elle note le lendemain: «Mon voyage a été heureux et pas trop pénible; +je n'ai pas pu écrire en route à cause d'Alphonse avec qui je causai et +me promenai. Je viens de remettre ce cher enfant entre les mains des +Pères de la Foi qui ont l'air de bien dignes gens. La maison est +superbe, le pays est beau aussi; le chemin pour y arriver est fort +extraordinaire: depuis Ambérieu l'on suit une gorge de montagne qui est +vraiment curieuse. Ce matin j'ai été à la pension et j'ai été fort aise +de voir Alphonse. Il m'a dit qu'il était content.» + +Après un bref séjour de quarante-huit heures, Mme de Lamartine reprit +le chemin de Milly. La séparation n'avait pas été trop pénible, grâce à +elle: «En passant une dernière fois devant la pension, dira-t-elle, j'ai +vu les écoliers qui jouaient dans la cour. Je n'ai fait aucun signe à +Alphonse qui ne s'est pas approché, heureusement.» + + + + +CHAPITRE III + +LE COLLÈGE DE BELLEY + + +Le collège de Belley où l'enfant fera les seules études régulières qu'on +lui connaisse, et pendant quatre années seulement, avait été fondé au +milieu du XVIIIe siècle par lettres patentes du 10 février 1753 +enregistrées en parlement de Dijon. Ses constructions furent achevées en +1764 et l'évêque de Belley confia l'organisation des études à la +congrégation des chanoines réguliers de Saint-Antoine. + +En 1790, ceux-ci furent remplacés par les Joséphistes et, jusqu'en 1792, +l'établissement fut très florissant. À cette date, la plupart des pères +refusèrent le serment à la constitution civile du clergé et le collège +disparut. Il rouvrit en 1802 sous la direction des Pères de la Foi, qui +rétablirent entièrement les locaux ruinés par la Révolution et ouvrirent +leurs classes à la fin de janvier 1803. Comme le collège fut à nouveau +fermé, et cette fois définitivement, au début de 1809, on voit que le +séjour de Lamartine à Belley coïncide à peu de chose près avec son +éphémère existence sous la direction des pères de la Foi. + +Dans son journal Mme de Lamartine nomme Belley, «un établissement à +l'instar de ceux des Jésuites»; Lamartine, et après lui la plupart de +ses biographes, ont simplifié en parlant seulement de Jésuites. C'est la +mère qui a raison, puisqu'on sait que la Compagnie de Jésus ne fut +rétablie qu'en 1814. Toutefois, si les Pères n'étaient pas +officiellement des Jésuites, on les désignait en réalité sous ce nom, +car leurs doctrines et leurs principes d'éducation étaient identiques à +ceux de l'Ordre; la société des Pères de la Foi, fondée en 1799 en +Autriche, était en effet le résultat d'une fusion entre deux filiales +des Jésuites: celle du Sacré-CÅ“ur de Jésus créée en 1778 et celle de la +Foi de Jésus qui datait de 1797. + +La congrégation des Pères de la Foi profitant de l'apaisement qui +commençait à renaître en France vint fonder en 1802 plusieurs maisons +d'éducation entièrement conçues d'après les plans des anciens Jésuites, +au nombre desquelles figurait le collège de Belley. Très protégé au +début par le cardinal Fesch, oncle de Napoléon, ce ne fut pourtant qu'au +prix de mille difficultés qu'il put prolonger son existence jusqu'au +début de 1809, tant l'hostilité était alors générale contre +l'enseignement des Jésuites et, finalement, Fouché obtint de l'Empereur +un décret de dissolution. + +Au moment où Lamartine entrait à Belley, l'établissement était loin +d'être à son apogée; il connut sa plus belle année en 1806, mais dès +1803 une centaines d'élèves y fréquentaient, Italiens pour la plupart ou +Français de Savoie et de Dauphiné. + +Lamartine a, paraît-il, laissé une description fidèle du collège et du +décor magnifique de Belley[104] dont on verra plus loin l'indéniable +suggestion sur sa pensée. Quant à ses maîtres, nous en sommes uniquement +réduits à ses souvenirs pour connaître leurs noms et leurs fonctions. + +[Note 104: Dejey, _op. cit._] + +C'était d'abord le père Debrosses[105], supérieur, «qui n'était pas +homme de premier mérite mais de première vertu»; le père +Jenesseaux[106], économe de la maison, «vêtu moitié en religieux, moitié +en mondain» et toujours en route «sur un cheval qui le portait dans tous +les pays»; le père Varlet[107], qui cumulait, paraît-il, les fonctions +de confesseur et de professeur de rhétorique, «savant homme de la nature +des anciens moines»; le père Demouchel[108]; le père Wrindts[109], +professeur de sciences, «enfant amoureux de Mirabeau, qui se +nourrissait d'illusions tendres et féminines», mais dont Lamartine n'a +pas dit ce qu'il enseignait. + +[Note 105: Robert Debrosses, né à Chatel (Ardennes) le 26 mars 1765, +prêtre en 1798, mort à Laval en 1848.] + +[Note 106: Nicolas Jenesseaux (et non Génisseaux, comme l'a écrit +Lamartine), né à Reims le 9 avril 1769, prêtre en 1795, mort à Paris en +1842.] + +[Note 107: Jean-Pierre Varlet, né à Reims le 11 mars 1771, prêtre en +1796, mort à Poitiers en 1854.] + +[Note 108: Étienne Demouchel, né à Montfort-l'Amaury le 10 juillet +1772, prêtre en 1802, mort à Rome en 1840.] + +[Note 109: Jean-Pierre Wrindts, né à Anvers le 6 février 1781, +prêtre en 1801, mort à Poitiers en 1852.] + +C'est surtout le père Béquet[110] qui fut le véritable professeur de +Lamartine, puisque le jeune homme suivit ses cours de belles-lettres de +1803 à la fin de 1807. Ici encore même absence de détails chez +Lamartine: un portrait vague et un peu fade dont on ne peut tirer rien +de bien précis: «Prêtre de bonne compagnie et d'estimable caractère,... +regard fin et doux, parler gracieux;... ses corrections étaient celles +d'une mère...»: Mais aucun de ces traits vivants et que l'on devine +exacts par lesquels il peignait en peu de mots ceux qui jouèrent un rôle +dans sa jeunesse, comme l'oncle de Montceau ou le bon M. de Valmont. +C'est que la véritable influence de Belley ne fut pas celle de +l'éducation qu'il y reçut: les Pères de la Foi ne vivaient pas dans sa +mémoire comme personnalités, et leur souvenir se confondait en lui avec +celui des heures d'extase religieuse et de quiétude qu'il connut au +collège. + +[Note 110: Pierre Béquet, né à Paris le 9 janvier 1771, prêtre en +1799, mort à Toulouse en 1849.] + +Lamartine entra à Belley le 27 octobre 1803 et en sortit définitivement, +le 17 janvier 1808. Comme il soutint sa thèse de philosophie en +septembre 1807, on peut en déduire qu'il débuta par la troisième +(novembre 1803-septembre 1804), fit sa seconde de 1804 à 1805, et sa +rhétorique de 1805 à 1806. Quant au premier trimestre de l'année +scolaire 1807-1808, on ne sait trop ce qu'il devait y travailler: +peut-être quelques études préparatoires de droit et de mathématiques. + +Il est difficile, dans les souvenirs de Lamartine sur Belley, de faire +la part de l'imagination et celle de la réalité. Là , plus peut-être que +partout ailleurs, on sent l'idéalisation constante des hommes, des lieux +et des choses. Aucun détail sur ses classes, mais de curieuses +généralisations sur son état d'âme et, pourrait-on dire, sur +l'atmosphère de Belley; précieux document psychologique dont nous +essayerons plus loin de fixer la valeur et la portée. Aussi les seules +précisions que nous puissions rencontrer sur les études de Belley, +puisque la _Correspondance_ ne commence qu'en 1806 et ne comprend +d'ailleurs que quelques lettres de vacances, sont empruntées au _Journal +intime_ où Mme de Lamartine a transcrit soigneusement les nouvelles +et les bulletins. + + * * * * * + +Les premiers temps furent pénibles et la mère n'enregistre guère que des +doléances dont elle s'émeut. Visiblement l'enfant était dépaysé et cela +tendrait peut-être à confirmer ce qu'il a raconté: les pères, paraît-il, +«l'essayèrent» de classe en classe pour connaître sa véritable force; +mais il était difficile de le mesurer au juste, «la raison était +précoce, l'attention inégale». Finalement on le fixa en troisième, +«cette classe indécise où l'on peut être encore un enfant dans l'étude +des langues et un homme de goût dans la rhétorique». + +Il ne semble, d'ailleurs, pas qu'il ait fait grand chose de bon cette +année-là . Au début de mai, il entra à l'infirmerie avec une forte +fièvre, puis ce furent des maux de tête qui d'après les pères arrêtèrent +ses études et les inquiétèrent même un moment. À la fin d'août, la +pauvre mère n'y tint plus et partit pour Belley chercher son fils. «J'ai +revu mon Alphonse, écrit-elle; il était dans la cour du collège quand je +suis arrivé; il a été fort saisi en me voyant et est demeuré si pâle que +cela m'a bien inquiétée.» Sa santé était toujours mauvaise; une +croissance trop rapide l'avait beaucoup affaibli et ses douleurs de tête +étaient encore violentes. + +La veille du départ, elle assista à la distribution des prix, le cÅ“ur un +peu gros, car son fils n'eut que deux accessits; elle se consola pendant +la petite comédie qui termina la cérémonie, où il joua le rôle d'un +avocat, dont il se tira «fort bien». Puis elle causa avec ses +professeurs, et le résultat de cette conversation fut «tout à fait +satisfaisant»; on reprochait à l'enfant un peu de légèreté, mais tous +l'aimaient, et l'on était «assez content» de ses études. + +Le 6 septembre, tous deux quittèrent Belley après un dîner très gai à +l'auberge en compagnie de deux amis que Mme de Lamartine ne nomme +point, mais qui doivent être Virieu et Guichard[111]. Le 18, ils +étaient à Saint-Point où les vacances s'écoulèrent paisiblement avec +l'abbé Dumont et M. de Vaudran, venus s'y établir pour la chasse. +L'oncle gronda bien un peu devant les flâneries et l'indolence du neveu, +mais la mère objecta que les vacances seraient courtes et qu'il lui +fallait ménager sa santé. Le 7 octobre, il quitta Mâcon avec son +camarade Corcelette et le 10 se retrouvait à Belley. + +[Note 111: Aymon de Virieu, Prosper Guichard de Bienassis et Louis +de Vignet seront l'objet d'un chapitre spécial dans notre second volume +sur la jeunesse de Lamartine qui comprendra les années 1813-1820.] + +Deux jours après parvenait à Milly le premier bulletin que Mme de +Lamartine a résumé ainsi: «Il en résulte que la nature, ou plutôt la +Providence, a tout fait pour lui, mais qu'il ne répond pas comme il +devrait à tous ses bienfaits: il est dissipé, paresseux; mais je ne veux +pas transcrire ici ce bulletin. Je le garde pour qu'il le voie quand il +sera grand.» + +L'année de seconde ne fut guère meilleure, car ses études se +ressentirent souvent d'une maladie nerveuse dont les pères ne savaient +que penser; au début d'août ils conseillèrent même à sa famille de le +rappeler avant les vacances, qu'il passa d'ailleurs presque entièrement +au lit. Le 6 novembre, enfin, un peu remonté, il regagna le collège. + +Les premières nouvelles de 1806--l'année de rhétorique--ne furent pas +plus fameuses: en février, le père Béquet écrivit qu'il était «fort peu +sage et appliqué depuis les vacances» et qu'elles lui avaient fait +beaucoup de tort. Le second trimestre fut meilleur: l'on est plus +content de lui, note Mme de Lamartine; il a paru avec succès aux +exercices de Pâques et il a eu un témoignage de diligence et un accessit +de distinction; et, continuant de mériter les éloges qu'on lui +décernait, il arriva à Mâcon le 17 septembre, chargé de prix: +amplification française, amplification latine, vers latins, second prix +de version latine, et celui dont la mère est peut-être la plus heureuse, +le prix de sagesse «d'après le jugement de ses maîtres et l'approbation +de ses condisciples[112]». Sa santé aussi était excellente: «Il est plus +grand que moi de deux pouces, écrit la mère, quoiqu'un peu maigre, mais +pas du tout à inquiéter, il est fort, le teint est bon et il a fait de +grands progrès dans la vertu. C'est d'ailleurs un enfant charmant, +conclut-elle ingénument transportée; il est malgré cela fort modeste et +ce qui me fait le plus de plaisir c'est qu'il paraît avoir beaucoup de +piété.» + +[Note 112: Cf. également abbé Rochet (_op. cit._, p. 208-209), où +l'on trouve le détail du palmarès.] + +Les vacances s'écoulèrent à Milly, et à Pérone chez la tante du Villard, +à Montceau chez l'oncle terrible. Le 4 novembre il abandonna ses douces +rêveries et arriva à Belley le 7, après s'être arrêté vingt-quatre +heures à Lyon chez sa tante de Roquemont[113]. + +[Note 113: C'est au cours du mois d'octobre 1806 qu'il faut placer +l'épisode de Lucy L. sur lequel Lamartine s'est longuement étendu dans +les _Confidences_. La vérité semble extrêmement plus simple que son +romanesque récit; elle a été très heureusement rétablie par M. De Riaz, +membre de l'Académie de Mâcon, dont le travail vient d'être publié dans +le dernier volume des Annales de cette société. M. De Riaz, au prix +d'une incroyable patience et de minutieuses investigations, est parvenu, +en s'aidant des rares précisions du texte de Lamartine, à établir que le +manoir décrit par le poète n'était autre que le château de Byonne, situé +à deux kilomètres de Milly. Or, de 1800 à 1820, une seule jeune fille y +habita, dont ni le prénom ni le nom ne se rapprochent de ceux donnés par +Lamartine, puisqu'elle s'appelait Élisa de Villeneuve d'Ansouis; bien +mieux, c'était une enfant qui mourut en 1807 à l'âge de treize ans; +comme l'unique séjour qu'elle fit à Byonne se place pendant l'automne de +1806, M. de Riaz en a conclu avec vraisemblance qu'elle fut la première +héroïne de Lamartine. + +On voit par là avec quelle précaution il faut utiliser les souvenirs de +Lamartine, et ce qu'il faut penser en particulier des trente pages qu'il +a consacrées à la pseudo-Lucy L. et à leurs conversations littéraires +dont Ossian, paraît-il, faisait le fonds. Quant aux vers _ossianesques_ +qu'il lui adressa et qu'il a datés, dans les _Confidences_ de Milly: «16 +décembre 1805», il est impossible d'admettre qu'ils aient été composés +en l'honneur de la petite fille. Il est d'abord évident qu'ils sont +post-datés, puisqu'en décembre 1805 Lamartine était à Belley et non à +Milly. De plus, il ressort d'une lettre de la _Correspondance_--lettre +douteuse, il est vrai, puisqu'elle ne porte point de date bien qu'elle +figure à la fin de l'année 1808--que Lamartine connut Ossian beaucoup +plus tard. Enfin, ils sont d'une facture qui permet à notre avis de +fixer leur composition à 1810-1811. Il nous paraît probable qu'au moment +où Lamartine écrivit les _Confidences_ il retrouva cette pièce parmi ses +papiers et, soit défaut de mémoire, soit désir de grossir l'épisode +assez mince de Lucy L., il l'intercala dans son récit, en assignant à +ces vers une date qui correspondait approximativement avec le fonds de +l'anecdote; puis, pour mettre le tout en valeur, il laissa rêver sa +délicieuse imagination et broda autour de Lucy L. un commentaire +_ossianesque_ où l'on voit cette enfant de douze ans agitant le soir une +écharpe de soie blanche à la fenêtre de sa tour, et sachant «par cÅ“ur» +tous les poètes.] + +Les classes de philosophie furent satisfaisantes, et sa nature +entièrement assouplie s'accommoda merveilleusement de l'enseignement des +pères; en février ceux-ci soulignaient sa maturité précoce et sa douceur +en même temps que leur excellent résultat au point de vue des études: en +récompense, ils le nommèrent bibliothécaire du collège. Mme de +Lamartine s'en réjouit car, dit-elle, «cela l'occupe utilement et c'est +une marque de confiance». + +Nous avons quelques détails sur l'enseignement du père Wrindts, qui +professait la philosophie au collège de Belley: en effet, son cours, +copié alors par un condisciple de Lamartine, Jules Jenin, existe encore +aujourd'hui, et le chanoine Dejey et l'abbé Rochet, qui ont pu le +parcourir, l'analysent ainsi: «Sa rédaction faite en latin, écrit M. +Rochet, est d'un style sobre et élégant; on voit que le père Wrindts +s'est inspiré de l'enseignement que donnaient les Pères Jésuites au +XVIIIe siècle; les nouveautés de la philosophie cartésienne en sont +écartées et au besoin réfutées. Sur la question du concours divin, le +professeur, conformément à l'opinion généralement suivie dans la +compagnie de Jésus, prend parti pour le système de Molina et combat le +_bannesianisme_. Au sortir de la Révolution, il était urgent de +combattre les théories sociales de Rousseau: elles sont l'objet, dans +l'éthique, d'une vigoureuse réfutation.» + +De son côté, M. Dejey s'exprime ainsi: + +«Dans les cahiers de M. Jules Jenin, il manque une partie du cours, +celle où il était question de la logique formelle et des règles de la +méthode. Les fondements de la certitude et la légitimité des moyens de +la connaissance sont seuls traités dans la partie conservée par la +famille Jenin. Bien que les cahiers du père Wrindts ne soient qu'un +résumé précis, exact, écrit pour les élèves et mis à leur portée, les +principales questions de la philosophie s'y trouvent exposées avec une +grande hauteur de vue et une parfaite mesure. Attaché aux principes +supérieurs de la doctrine, le professeur suit les grandes lignes de la +philosophie spiritualiste. Il observe la plus sage prudence vis-à -vis +des nouveautés mal établies et peu conformes à la nature humaine, se +tenant à une égale distance des propositions hasardeuses de l'école +cartésienne et des théories sensualistes de Locke et de Condillac. Sur +l'accord du libre arbitre avec la grâce, le père Wrindts se conforme à +l'opinion communément admise dans la compagnie de Jésus: il se prononce +pour le système de Molina. Les théories sociales de Rousseau y sont +vigoureusement réfutées.» + +Nous avons cité ces deux fragments faute d'avoir pu prendre nous-même +connaissance des cahiers; ils ont l'avantage de concorder entièrement +entre eux et d'apporter ainsi la preuve que l'enseignement +philosophique de Belley était fondé sur les doctrines molinistes; quant +à la réfutation de Rousseau, elle n'eut sans doute pas d'autre résultat +que d'éveiller au contraire la curiosité de l'enfant: quelques mois plus +tard, à Bienassis, il dévorait _le Contrat social_ et _la Nouvelle +Héloïse_. + +Le 7 septembre 1807, Lamartine soutint avec succès sa thèse de +philosophie; le 16, il arriva à Mâcon, ayant fait, à l'en croire, la +moitié du chemin à pied, son baluchon sur le dos et chantant «comme un +troubadour[114]». Le même jour, parvenait à Milly le bulletin scolaire +que Mme de Lamartine a transcrit ainsi: + +«Beaucoup de choses qu'on y dit me font grand plaisir, et plusieurs +autres m'effrayent infiniment. Je n'espère qu'en Dieu pour sauver ce +cher enfant de tous les périls dont sa jeunesse va être entourée. On +loue son esprit, sa facilité d'apprendre, son imagination, mais en même +temps l'on se plaint de sa légèreté, de son extrême répugnance à une +application sérieuse, et de son goût pour le plaisir. L'on ajoute que la +religion qu'il aime, qu'il estime et qu'il pratique le fait vaincre ses +dangereux ennemis, mais que, si elle venait à s'affaiblir dans son cÅ“ur, +rien ne pourrait le préserver de la corruption.» + +[Note 114: _C._, I, p. 4, du 27 sept. 1807.] + +Ainsi, dès l'âge de dix-sept ans, les traits principaux du caractère que +nous connaîtrons plus tard à Lamartine: imagination, mangue d'esprit de +suite, goût du plaisir et mobilité extrême des sentiments, sont +nettement indiqués par ses professeurs. + +Son premier mot, au retour du collège, fut pour supplier sa mère +d'obtenir qu'on le gardât définitivement à Milly, puisque ses classes +étaient terminées; comme il était «extrêmement grand, mais très maigre», +Mme de Lamartine, qui redoutait pour son fils le surmenage, se laissa +presque ébranler. Elle se heurta au refus formel du père et surtout de +l'oncle, dit-elle, qui tenaient beaucoup à le voir commencer l'étude des +sciences. Il s'en consola avec assez de philosophie, dans ses lettres à +Guichard, repoussant d'ailleurs autant qu'il le pouvait «toutes ces +idées de collège pendant les vacances[115]». + +Après un repos d'un mois à Milly, à Saint-Point, à Pérone chez la tante +de Villard où on lut chaque jour en famille, d'après lui, «une ou deux +comédies et autant de tragédies», après les promenades à cheval, la +chasse, la lecture, la musique et le dessin qui lui firent passer le +temps «fort tranquillement», il quitta Milly le 22 octobre, et regagna +Belley en passant par Lyon où il s'arrêta quelques jours. + +[Note 115: _C._, I, p. 8, du 3 oct. 1807.] + +À cette date, Mme de Lamartine a noté qu'il commençait ses travaux de +l'année avec répugnance et découragement. La suite des événements +prouve qu'il repartait pour Belley malgré lui et très décidé à n'y plus +rester longtemps. Dès son retour, ce furent de ces lettres éplorées dont +il avait le secret et qui lui réussissaient toujours auprès de sa mère. +À la fin de décembre, les fameux maux de tête dont il savait si bien +jouer l'accablèrent à nouveau; à la mi-janvier 1808, ils devinrent +«intolérables», écrit Mme de Lamartine, et il se hasarda à demander +la permission du retour «au moins pour quelque temps». Ce qu'il ne +disait pas mais qu'on devine bien qu'il pensait, c'est qu'une fois à +Mâcon il saurait toujours s'arranger. + +La mère, «bien inquiète de tout cela», s'en fut comme d'habitude +implorer l'oncle terrible; celui-ci--était-ce un hasard?--venait de +recevoir à point une lettre charmante du neveu; il déclara à sa +belle-sÅ“ur qu'il commençait à aimer beaucoup le jeune homme et se laissa +fléchir. Aussitôt elle lui fit parvenir elle-même l'heureuse nouvelle, +mais exigea qu'il passât par Lyon où Mme de Roquemont, prévenue, lui +ferait consulter un bon médecin. Celui-ci, qui l'examina le 26 janvier, +ne lui découvrit naturellement rien de grave et diagnostiqua un peu de +surmenage intellectuel: il ordonna des bains de jambes, du lait d'ânesse +au printemps, «un régime doux et peu d'études applicantes»; à tout +prendre c'était pour le jeune malade un agréable traitement. + +Lors de son arrivée à Mâcon, le 20 janvier[116], Mme de Lamartine +devina bien sa petit ruse en constatant au contraire qu'il n'était pas +du tout changé et même moins maigre qu'à l'automne. Au fond, elle fut si +heureuse de l'avoir auprès d'elle qu'elle n'en laissa rien voir; +d'ailleurs il avait «l'air fort doux et fort sage», et c'était tout +naturel puisqu'il avait quelque chose à obtenir. Habilement, profitant +des bonnes dispositions de l'oncle adouci par sa conduite, il enleva +l'affaire en trois jours et s'installa à Mâcon pour la fin de l'hiver, +ayant obtenu, le 15 février, la promesse formelle qu'il ne retournerait +plus à Belley. + +[Note 116: Nous donnons cette date d'après le _Journal intime_, bien +qu'on trouve dans la _Correspondance_ trois lettres, datées de Mâcon 4 +et 10 janvier, et de Lyon 30 janvier; elles furent réellement écrites à +ces dates, mais en 1809. En effet, Lamartine parle dans l'une d'elles de +la conscription qui retarde son voyage à Lyon; or, nous savons, toujours +par le _Journal intime_, qu'il tira au sort le 23 janvier 1809. De plus +on rencontre dans la lettre du 10 janvier un fragment poétique qui fut +adressé à Virieu et n'est ici que recopié pour Guichard; comme ce +morceau fut composé à la fin de 1808, ainsi que nous l'apprend une +lettre de décembre de la même année à Virieu, il devient évident que la +copie en fut faite en janvier 1809 et non 1808.] + +Sa mère regretta bien qu'il ne terminât pas cette année d'études, +d'autant qu'elle était maintenant envahie par d'autres craintes, celles +de le voir livré à lui-même «dans ce temps de dissipation». Mais comme +il continuait d'être charmant pour elle et plein de bonnes dispositions, +elle oublia vite toutes ses inquiétudes. + +Telles furent les années scolaires de Lamartine; après 1808, l'influence +des Pères de la Foi, qui parvinrent à assouplir cette jeune âme rebelle, +ira s'effaçant peu à peu, et le vagabondage d'esprit remplacera l'ordre +et l'austérité morale de Belley: réaction normale et qui s'explique +aisément puisque les tendances signalées par les maîtres et réprimées +par eux vont se développer dans l'oisiveté. Ces courtes études +classiques--les seules, il ne faut pas l'oublier, que fera jamais +Lamartine--furent somme toute médiocres et ne dépassèrent pas la +banalité courante de l'époque. + +Pourtant l'influence de Belley fut profonde et décisive sur le +développement de Lamartine, mais elle s'exerça par des côtés qui n'ont +rien de scolaire. En effet, si les _Méditations_ ont leurs sources +littéraires, de courants très divers, dans la période qui s'étend de +1808 à 1817, deux de leurs sources morales, pourrait-on dire, datent du +collège de Belley: et ce sont les plus originales de l'Å“uvre, celles +qui, d'après la critique du temps, fixèrent les conditions de la +rénovation poétique: poésie religieuse et sentiment sincère de la +nature. + +C'est à Belley que les germes laissés par la première éducation +maternelle s'épanouirent complètement, aidés par un élément qu'il n'a +pas manqué de souligner lui-même et qui a toute son importance chez une +âme sensible et imaginative comme la sienne: celui du _décor_ de la +religion. + +Ce ne sont plus à Belley les cloches paysannes de Saint-Point et de +Milly, ni les humbles et brèves cérémonies des églises de campagne dont +il ne goûtera qu'infiniment plus tard le charme et la poésie: au début, +ce qui frappa d'abord le petit villageois étonné qu'il était, ce fut +l'écrasante splendeur de la religion catholique et, comme il l'a dit, +«les cérémonies prolongées, répétées, _rendues plus attrayantes_ par la +parure des autels, la magnificence des costumes, les chants, l'encens, +les fleurs, la musique», et nous savons que l'évêque de Belley officia +souvent dans la chapelle, que le cardinal Fesch, protecteur du collège, +vint deux fois, avec un imposant et magnifique cortège de prélats. + +Qu'on ajoute à cela le cadre naturel de Belley, ses forêts, ses rocs, +ses torrents, et où les Pères de la Foi proclament la grandeur de Dieu +sans jamais perdre une occasion de frapper l'âme par les yeux, et l'on +comprendra ces heures de contemplation et de vertige moral où s'abîma +l'enfant et dont la description faite cinquante ans plus tard confine +presque à l'extase mystique[117]. + +[Note 117: _Souvenirs et Portraits_, 1, p. 69-72.] + +Ainsi, au moment de la crise de l'adolescence, à l'âge où les +impressions nouvelles sont décisives, Lamartine se trouvait en pleine +atmosphère religieuse, dirigé par des hommes qui ramènent à Dieu tous +les actes et toutes les pensées; il conservera l'empreinte ineffaçable +de cette piété sincère et profonde, qu'affaibliront un instant ses +premières crises morales. + +Si nous n'avions sur ce point que son seul témoignage, peut-être +pourrait-on le mettre en doute et n'y voir que des souvenirs +littéraires, bien que chez lui les choses vécues ou senties aient des +accents qui ne trompent pas. Déjà on en trouve un écho dans une lettre à +Virieu où il rappelle, peu de mois après son départ de Belley, «cette +pierre où nous allions prier Dieu trois ou quatre fois par jour[118]», +mais sa mère, surtout, nous donne d'autres détails. + +[Note 118: _C._, I, p. 63, du 12 nov. 1808.] + +Outre les bulletins qui mentionnent, on l'a vu, sa grande piété, elle +note avec joie pendant les vacances de 1806 que son fils lui donne «de +nouvelles consolations, et se porte de lui-même à ses pieux exercices»; +qu'en septembre 1807, au retour à Milly, il demande la permission de +passer par Lyon «pour prier à Fourvières», que chaque jour il écoute +avec recueillement les lectures pieuses que sa vivacité supportait mal +autrefois, et, enfin, elle rapporte cette anecdote qu'il faut citer +parce qu'elle est caractéristique chez un jeune homme de dix sept ans +dont la timidité s'effarouche facilement. + +«Avant-hier, écrit-elle le dimanche 8 octobre 1807, Alphonse eut une +petite épreuve, dont il se tira fort bien. En passant à Igé, je +l'envoyai faire une visite à M. d'Igé et on voulut absolument qu'il +restât à dîner. Il y avait plusieurs hommes qui tous faisaient gras, +mais point de maigre au premier service; Alphonse, sans respect humain, +dit que sa santé ne l'obligeait pas à faire gras et on lui fit une +omelette...» + +On pourrait multiplier ces exemples et confirmer ainsi d'un commentaire +précis les pages où Lamartine a rappelé ses ferveurs de seize ans. On +peut y voir la meilleure preuve d'une empreinte très affaiblie sans +doute pendant les années 1809-1817, mais dont on retrouve trace à tous +les grands moments de son existence. + +À Belley, Lamartine comprit par lui-même la religion qu'il avait connue +par les autres, et ce fut là le véritable enseignement de ses années de +collège. Sa culture intellectuelle ne date que du jour ou il fut libre +d'organiser sa vie à son gré. + + * * * * * + +Peut-être même faut-il aller plus loin encore: les premiers essais +poétiques de Lamartine datent de Belley ou tout au moins de l'année qui +suivit son départ, et nous possédons trois de ces pièces: _le Chant du +rossignol_, le _Cantique sur le torrent de Thoys_, les _Adieux au +collège de Belley_[119]. À comparer ces morceaux aux pièces légères +qu'il rima de 1808 à 1816, on s'aperçoit qu'ils sont si différents +d'inspiration, et tellement proches au contraire des _Méditations_, +qu'il est permis de se demander si ces fameuses années de fièvre +littéraire dont l'influence sur la forme de son Å“uvre est incontestable +n'ont pas détourné pendant huit ans un courant poétique déjà très net en +1807. + +[Note 119: Les _Adieux au collège de Belley_ ont paru pour la +première fois dans l'_Almanach des Muses_ de 1821; les deux autres +pièces ont été recueillies par lui dans ses Å’uvres (édition de +l'auteur), après avoir été publiées dans le Cours de littérature; les +_Adieux_ figurent aujourd'hui à la suite des _Méditations_, mais on ne +trouve le _Rossignol_ et le _Cantique_ que dans les _Souvenirs et +Portraits_, t. I, chap. III: «Comment je suis devenu poète».] + +Certes la forme de ces trois poèmes est loin d'être parfaite, mais ils +appartiennent à la même source que les grandes _Méditations_ religieuses +de 1819. Ce sont déjà les images larges et simples, l'accent personnel +et profondément sincère qu'il ne retrouvera que bien plus tard; même, +dans le _Cantique sur le torrent de Thoys_, apparaît à dix ans de +distance la formule unique de sa poésie: la grandeur de l'homme +supérieur à tout ce qui l'environne, parce qu'il connaît l'origine +divine des choses. Et cette idée qu'on pourrait croire empruntée à +Young, il est curieux de constater que Lamartine la présente sous une +forme poétique à une époque où il ignore encore jusqu'au nom d'Young. + +Lui-même, d'ailleurs, se rendit compte, avec son goût très sûr, que ces +trois essais étaient ses premières _Méditations_: en 1821, il publia les +_Adieux au collège de Belley_, et alors qu'il brûlait sans regret tous +les vers de sa jeunesse, dont la _Correspondance_ ne contient que +quelques fragments, il conserva le _Chant du Rossignol_ et le _Cantique +sur le torrent de Thoys_, qu'il publia de son vivant. + +Plus tard, Lamartine a rapporté ce début littéraire en le plaçant sous +l'invocation de Chateaubriand[120]; c'est en effet à Belley, mais à une +date malheureusement difficile à préciser, tant ses souvenirs sur ce +point sont confus et contradictoires, qu'il pénétra dans le monde +immense et nouveau que fut pour lui _le Génie du Christianisme_, et ce +premier contact eut une telle influence sur sa pensée qu'il mérite mieux +ici qu'une simple mention. + +[Note 120: Cf. _Souvenirs et Portraits_, I: «Comment je suis devenu +poète», et II: «Chateaubriand».] + +«Lorsque parut _le Génie du Christianisme_, a-t-il dit, j'étais au +collège chez les Jésuites... Tout en élaguant très prudemment du livre +les parties romanesques ou passionnées,... ils le laissèrent circuler à +demi-dose dans leur collège. Un abrégé en deux volumes, épuré d'_Atala_, +de _René_, et plusieurs autres chapitres trop remuants pour des âmes +déjà émues, fut mis par eux entre les mains de leurs maîtres d'études. À +titre de professeur de belles-lettres, le père Béquet posséda le premier +exemplaire. Il était trop ravi pour renfermer en lui-même son ivresse et +trop communicatif pour ne pas nous associer à son bonheur.» Suit le +récit de cette lecture faite en classe «un beau jour de printemps». + +Ces affirmations, en apparence si précises, sont en réalité +inconciliables entre elles; toutefois, en écartant ce qu'elles ont de +nettement inexact et en serrant quelque peu le texte, il est possible +d'aboutir à une hypothèse vraisemblable. + +En premier lieu, le _Génie_ parut en 1802, époque à laquelle Lamartine +n'était pas encore à Belley, mais à l'institution Puppier, où une +lecture de Chateaubriand faite par les deux vieilles filles à des +enfants de douze ans est absolument inadmissible. Il reste donc à +examiner maintenant si cette lecture peut se placer soit en famille +pendant les vacances, soit à Belley, comme il l'a dit. + +Or, Mme de Lamartine eut pour la première fois l'Å“uvre entre les +mains le 19 juillet 1803, jour où elle a noté dans son journal: «Je lis +un ouvrage que je trouve excellent et qui me fait grand plaisir: c'est +_le Génie du Christianisme_, par M. de Chateaubriand; je crois que cet +ouvrage est propre à faire beaucoup de bien, et j'en trouve le style +charmant». Mais, à mesure que la lecture s'avance, les impressions +changent, et elle écrit le 29 juillet: «J'ai achevé le troisième volume +de _l'Esprit du Christianisme (sic)_, j'ai relu l'épisode d'Atala, je le +trouve trop passionné; je crois que cela pourrait échauffer la tête des +jeunes gens et, en tout, cet ouvrage qui est cependant très bon me +paraît un peu trop propre à exalter l'imagination». + +De ceci, il résulte que Lamartine n'a pas lu Chateaubriand pendant les +vacances qu'il passa à Milly de 1804 à 1807, et pour deux motifs: le +premier est que sa mère redoutait l'influence de l'ouvrage sur une +jeune tête comme la sienne; l'autre, qu'il était encore incapable à +cette époque de faire la moindre lecture en cachette de sa famille. +Ainsi, l'hypothèse de Belley reste la seule acceptable. Il reste à +examiner maintenant, d'après les détails qu'il a donnés, s'il est +possible que le père Béquet ait lu en classe, à une époque à déterminer, +des fragments du _Génie_. + +Il a parlé, on l'a vu, de deux volumes épurés; la première édition +abrégée de Chateaubriand est bien en deux volumes, mais elle est de +1808, année où il avait quitté Belley. Est-ce alors à Milly qu'il l'a +lu, au retour du collège? pas davantage, car il n'eût pas manqué d'en +faire part avec enthousiasme par de belles lettres à Virieu ou à +Guichard. Or, la _Correspondance_, qui commence à l'automne de 1807, est +absolument muette sur Chateaubriand: d'où il faut conclure que les amis +s'étaient déjà tout dit sur ce sujet et n'avaient plus à y revenir. +Ainsi, si le détail inexact des deux volumes épurés doit être écarté, +l'hypothèse de Belley se confirme davantage. + +Mais le père Béquet fut le professeur de Lamartine de 1803 à 1806 +inclusivement, et c'est donc au cours de l'une de ces trois années que +dut être faite la lecture de Chateaubriand, et comme en 1806 Lamartine +était en rhétorique et très près de ses seize ans, il paraît infiniment +probable que cette dernière date est la vraie. Au début de l'année +suivante il était nommé bibliothécaire du collège et avait ainsi toutes +facilités d'approfondir une découverte qui le laissait extasié. + +Il est possible de s'imaginer, même aujourd'hui, l'impression causée par +le _Génie_ sur la jeune génération d'alors: traitant son propre cas, +Lamartine l'a exposée avec beaucoup de chaleur et nombre de restrictions +dont les motifs sont bien postérieurs à cette première lecture: la +froideur que Chateaubriand montra toujours au disciple dont la gloire +balançait la sienne, des divergences d'opinions politiques, firent qu'il +atténua en partie ce jugement par des considérations générales assez +vives[121]; mais il voulut bien convenir que Chateaubriand fut «une des +mains puissantes» qui lui ouvrirent, dès l'enfance, les grands horizons +de la poésie moderne. + +[Note 121: Cf. _Souvenirs et Portraits_, t. I: «Comment Je suis +devenu poète»; t. II: «Chateaubriand».] + +Après cette lecture la curiosité intellectuelle de Lamartine s'éveilla, +et le _Génie_ devint pour lui une vaste encyclopédie où il puisa des +notions vagues des littératures qu'il ignorait: Chateaubriand touchait à +tous les sujets, à tous les genres, à tous les hommes; de là à courir +aux sources, il n'y avait qu'un pas, et c'est ce que fit Lamartine. Il y +a plus encore: est-il possible en effet de méconnaître les curieuses +ressemblances qui existent entre l'inquiète jeunesse de René et celle de +Lamartine? Comme René, il est «tour à tour bruyant et joyeux, silencieux +et triste, abandonnant soudain ses camarades, pour aller s'asseoir à +l'écart et contempler la nue fugitive ou entendre la pluie sur le +feuillage[122]»; son âme, comme celle de René «qu'aucune passion n'a +encore usée», cherche un objet qui puisse l'attacher et s'aperçoit +bientôt qu'elle donne plus qu'elle ne reçoit; comme René, la solitude +absolue, le spectacle de la nature le plongent dans un état impossible à +décrire» et la «surabondance de vie», les «grandes lassitudes» de René, +Lamartine les éprouve à chaque instant. Le chapitre du _Génie_ intitulé: +«Du Vague des passions» n'aura jamais de meilleur commentaire que +certaines lettres à Virieu: «Plus les peuples avancent en civilisation, +dit Chateaubriand, plus cet état du vague des passions augmente, car le +grand nombre d'exemples qu'on a sous les yeux, la multitude des livres +qui traitent de ces sentiments rendent habile sans expérience. On est +détrompé sans avoir joui; il reste encore des désirs, et l'on n'a plus +d'illusions. L'imagination est riche, abondante et merveilleuse, +l'existence pauvre, sèche et désenchantée; on habite avec un cÅ“ur plein +un monde vide et, sans avoir usé de rien, on est désabusé de tout[123].» +Dans ces lignes qui résument avec une telle précision son état d'âme +habituel Lamartine retrouvait les sentiments confus qui l'animaient et +c'était plus qu'il n'en fallait pour l'enthousiasmer. + +[Note 122: Cf. _Chateaubriand, Å’uvres_, t. II (éd. Garnier, Paris, +1859), p. 82.] + +[Note 123: _Id., ibid._, t. I, p. 218.] + +Ainsi, on trouve dans Chateaubriand l'âme même de Lamartine; non pas +froidement analysée, mais mélancoliquement décrite et dans ses moindres +nuances, avec le vague et la langueur qu'il aimait. L'adolescent +mystique de Belley, enclin déjà à la rêverie et à la solitude, fut dès +la première lecture soumis à l'irrésistible attrait de cette prose +harmonieuse, et dominé toute sa vie par ce grand souvenir. Beaucoup de +ses poèmes ne sont que du Chateaubriand mis en vers, et ce ne fut pas +une des moindres causes de son succès. Et plus il avance en âge, plus +l'empreinte devient saisissante: visible déjà dans les _Méditations_, +elle s'affirme dans les _Harmonies_, pour s'épanouir dans le _Voyage en +Orient_ et certains morceaux de _Jocelyn_ ou de _la Chute d'un ange_. + +Qu'est-ce, après tout, que l'épopée conçue par Lamartine et dont nous +possédons le plan et quelques fragments, sinon un gigantesque et +poétique _Génie du Christianisme_, dont _Jocelyn_ aurait été le René, +_la Chute d'un ange_ l'Atala et dont _les Pêcheurs_, _les Chevaliers_, +_les Patriarches_ devaient être le développement de certains morceaux? + +Quant aux réminiscences de Chateaubriand, trop directes pour être +douteuses, elles sont innombrables dans son Å“uvre et mériteraient une +étude spéciale[124]. Mais Lamartine, avec le goût parfait qu'il +apportait dans ses enthousiasmes littéraires, se garda de tomber dans la +pompe et le Merveilleux chrétien de Chateaubriand; les Martyrs lui +déplurent[125]; le Génie des Rêveries, les Anges de la lassitude, du +matin, du mystère, du temps et de la mort le choquèrent. De +Chateaubriand il ne conserva que les grandes images, la poésie +mélancolique et simple des choses qui passèrent sans effort dans sa +poésie avec le rythme et les nuances de la prose originale. + +[Note 124: La plupart ont été déjà signalées par M. Zyromski dans sa +thèse sur _Lamartine poète lyrique_ (1897).] + +[Note 125: _C._, I, p. 111, du 12 mars 1809.] + + + + +QUATRIÈME PARTIE + +LA FORMATION DE LA PERSONNALITÉ + + + + +CHAPITRE I + +LA VIE SOLITAIRE[126] + + +Au moment où il quittait le collège de Belley, Lamartine venait d'avoir +dix-sept ans. Ses projets, qu'il formulait alors très nettement, étaient +de trouver une situation[127]; mais les préjugés du temps et de son +milieu ne lui toléraient guère que deux carrières: l'armée et la +diplomatie. + +[Note 126: Sources et bibliographie de la quatrième partie: _Journal +intime_ (passim).--_Correspondance_ (t. I).--_«Carnet de voyage de +Lamartine»_ (publié par M. R. Doumie), _Correspondant_ du 25 juillet +1008.--Nous devons à l'obligeance de M. Duréault d'avoir pris +connaissance de l'important dossier qu'il a réuni sur Henriette Pommier, +et d'une curieuse étude, lue par lui en séance publique à l'Académie de +Mâcon et qui doit être publiée prochainement. Nous lui avons emprunté +toute la documentation du chapitre III. + +Une fois de plus, nous avons à déplorer le classement défectueux de la +_Correspondance_ et il serait à souhaiter qu'une main autorisée donnât +promptement une édition complète et vérifiée de cet inestimable +document; grâce au _Journal intime_, pourtant, nous avons pu rétablir à +leur véritable date des lettres arbitrairement ou mal datées par +l'éditeur, une dizaine environ, pour les années 1807-1813.] + +[Note 127: _C._, I, p. 23, du 22 février 1808.] + +La diplomatie, dont le côté mondain et la vie facile séduisaient +peut-être sa jeune imagination, le tentait beaucoup; mais les siens, +très sagement, ne l'y poussaient pas: à son âge, sans relations, sans +éducation solide, c'eût été manque de raison. Pour le métier militaire, +malgré les traditions de ses pères et malgré ce qu'il en a dit, il +semble l'avoir eu toujours en horreur; ses parents, d'ailleurs, ne +tenaient que médiocrement à le voir servir dans les armées de +l'Empereur: le père, pour l'occuper, songea bien un instant à l'école de +Fontainebleau, mais y renonça vite devant les supplications de sa femme +qui redoutait «le danger et la licence des armées[128]». Le jeune homme +qui connaissait l'aversion maternelle s'en servira dans les grandes +occasions, et cette menace sera pour lui le moyen suprême d'obtenir ce +qu'il désire: le jour où on lui refusera l'autorisation de faire son +droit à Lyon, il déclarera aussitôt sa résolution d'entrer dans la garde +impériale et, quelque temps après, alors que sa famille accueillera +assez mal un projet de mariage, il écrira tout net à Virieu qu'il est +prêt d'entrer définitivement au service et d'essayer de se faire tuer. +En 1814, c'est plutôt par lassitude et devant les menaces de l'oncle +irrité de tant de paresse qu'il se décidera à entrer dans la Garde du +corps. On sait par la _Correspondance_ le plaisir qu'il y prit. + +[Note 128: _J. I._, 25 sept. 1806.] + +Ainsi, devant les difficultés que soulevait la question d'un +établissement immédiat, les Lamartine patientèrent, préférant attendre +un peu plus de maturité, et le laissèrent entièrement maître d'organiser +son existence à sa guise. Il en prit très joyeusement son parti et, tout +à la joie nouvelle de l'indépendance, organisa un plan d'études où les +arts d'agrément, musique, danse et dessin, avaient aussi leur +place[129]. + +[Note 129: _C._, I, p. 23, du 22 février; p. 26, du 13 mars 1808.] + +C'était, à l'époque, un grand garçon un peu gauche[130], rendu timide +par quatre austères années de collège, et qui fuyait le monde faute d'y +savoir figurer à l'aise. Il avouait à Virieu, de plus en plus son +confident, qu'il était incapable de dire une chose aimable et de +répondre à un compliment[131]: comme Chérubin, il était amoureux de +toutes les femmes, mais n'osait guère faire un pas vers une[132]. Cette +timidité farouche désolait un peu la mère, mais lui, qui sans doute en +connaissait les véritables motifs, s'en consolait philosophiquement en +déclarant que le temps, les voyages, l'habitude guériraient tout +cela[133]. + +[Note 130: _Id._, p. 93, du 14 déc. 1808.] + +[Note 131: _Id._, p. 41, du 10 sept.; p. 95, du 14 déc. 1808.] + +[Note 132: _Id._, p. 95, du 14 déc. 1808.] + +[Note 133: _Id._, p. 95, du 14 déc. 1808.] + +Comme suite normale de cet état d'esprit dont Belley est évidemment +responsable, il se confine dans une studieuse solitude, fuit la société, +déclare qu'il est «dans la jubilation» de n'être pas encore amoureux, +indice qu'il est prêt de le devenir: pour lui toutes les femmes sont «de +petites effrontées, impudentes, coquettes, de petites ignorantes +imbéciles, malignes, médisantes, sottes et laides[134]»; son mépris pour +elles croît «de jour en jour» en dépit, avoue-t-il ingénument, de la +bonne envie qu'il aurait de les trouver «aimables et fidèles». Puis la +philosophie s'en mêle et il déclare gravement à Guichard qu'il n'y a +plus d'amour véritable dans le cÅ“ur des jeunes gens, «mais seulement un +tissu de coquetteries de part et d'autre[135]». + +[Note 134: _C._, I, p. 53, du 29 oct. 1808; p. 139, du 4 août 1809.] + +[Note 135: _Id._, p. 139, du 4 août 1809.] + +Aussi s'occupe-t-il surtout d'organiser son existence en garçon +raisonnable, et de soumettre à Virieu un plan d'études et de +lectures[136]; sa mère profite alors de cette disposition, pour +l'emmener de Mâcon à Saint-Point, car, dit-elle, «je ne suis pas fâchée +de l'éloigner de la ville à un moment où ses seules récréations seraient +des promenades le soir, fort tard, dans une société de jeunes gens dont +il est impossible que l'on soit sûr: ici il est plus en sûreté et a +l'air assez content[137]». + +[Note 136: _Id._, p. 25-27, du 13 mars 1808.] + +[Note 137: _J. I._, 26 mai 1808. Elle écrivait de Mâcon le 24 +février: «La santé d'Alphonse n'est pas mauvaise; il s'occupe beaucoup +et a plusieurs maîtres, entre autres un de danse et un de basse. Il est +assez raisonnable, mais son caractère me paraît toujours fort léger, ce +qui rend les dangers du monde bien plus graves pour lui. Nous l'en +tenons encore éloigné cette année, mais je frémis pour le moment où il +sera exposé à cette contagion affreuse.»] + +Et, de fait, ses lettres montrent quelle fut sa joie enfantine de se +retrouver à Saint-Point, où il arriva le 26 mai[138]: ce furent des +flâneries exquises dans les bois, des lectures sérieuses, des promenades +à cheval, le tout entremêlé d'un peu de musique et de quelques +délassements poétiques[139]; il sentait surtout «un redoublement d'amour +pour l'étude et la poésie[140]», et sa mère avouait ne plus le +reconnaître devant une telle docilité. + +[Note 138: _J. I._, 26 mai 1808.] + +[Note 139: _C._, I, p. 31-33, du 8 juillet 1808.] + +[Note 140: _Id._, p. 28, du 20 avril 1808.] + +Mais, avec la nature insatisfaite qu'on lui connaît et dont voici +peut-être la première manifestation, il se lassa vite de son nouveau +bonheur, il en vint à regretter Belley où, pourtant, à l'en croire, il +n'était pas heureux. «Il faut que je m'occupe beaucoup pour ne pas +m'ennuyer», confesse-t-il un jour à Virieu[141], et à Guichard, qui +l'enviait et lui annonçait sa prochaine libération, il écrivait +tristement: «Nous te verrons dans quatre ou cinq mois commencer à +t'ennuyer dans ta retraite, au milieu de tes livres, de tes bois et de +tes prétendus plaisirs; tu regretteras dans peu la société de tes amis, +les occupations et, que dis-je? peut-être même les peines du collège.... +Tu m'en diras des nouvelles[142].» Si bien qu'à la mi-septembre il fut +enchanté d'abandonner sa solitude pour se rendre à Crémieu, où Guichard +l'avait invité; la mère, toujours prudente, s'arrangea pour qu'à +l'aller et au retour il couchât à Lyon chez Mme de Roquemont. «Ainsi, +point d'auberge, ce qui pourrait être le plus dangereux.» + +[Note 141: _Id._, p. 62, du 12 nov. 1808.] + +[Note 142: _Id._, p. 31, du 8 juillet 1808; p. 35, du 26 juillet +1808.] + + * * * * * + +C'est avec beaucoup de détails que Lamartine a rapporté ce séjour dans +l'Isère, tant il en avait gardé un profond souvenir[143]: c'est en effet +à Crémieu que pour la première fois il se plongea en silence «dans un +océan d'eau trouble», ou, pour parler plus simplement, qu'il pénétra +dans une bibliothèque bien garnie; mais il a négligé de nous donner la +date exacte de cet événement si important à fixer, puisqu'en huit jours +tout l'édifice élevé par les Pères de la Foi va être détruit pour +longtemps. Nous savons par sa mère qu'il quitta Milly le 27 septembre +1808, et qu'il était de retour à Mâcon le 16 octobre. Il est certain que +Lamartine revint en Bourgogne dans un tout autre état d'esprit qu'au +départ; sa mère le constate elle-même, mais sans bien pouvoir en +comprendre les motifs, et le 15 décembre elle consigne dans son Journal +cette petite anecdote qui, rapprochée d'une lettre à Virieu[144] nous +fait assister à une transformation très sensible de l'état d'esprit du +début de l'année: + +[Note 143: Cf. sur ce séjour à Crémieu: _Mémoires inédits_, p. +116-123. Mais il a été daté par Lamartine de 1807 au lieu de 1808.] + +[Note 144: _C._, I, p. 84, du 12 décembre 1808, et _id._, p. 122, +lettre sur _Corinne_ du 1er juin 1809.] + +«Lundi nous dinâmes à Bussière chez M. Verset, le notaire du lieu; il y +avait beaucoup de monde du voisinage, l'on fut très gai, l'on chanta, +l'on fit des bouts-rimés. Alphonse fit des couplets; il a une facilité +incroyable pour tout ce qu'il veut. Il est plus que jamais tourmenté du +désir de faire quelque chose, ce que je désire aussi beaucoup. Quand je +serai à Mâcon, je tâcherai de lui trouver quelque maître de langues; il +aurait envie d'en apprendre, et je serai enchantée qu'il pût s'occuper +utilement. Je suis effrayée de son retour à la ville, soit pour lui, +soit pour moi. Il m'a bien tourmentée par son caractère inquiet, mais je +tâche de le ramener tout doucement; je supporte, c'est ma tâche +actuelle.» + +Pendant tout le mois de décembre Mme de Lamartine constate encore le +grand désir qu'il a de s'instruire, d'apprendre l'anglais et l'italien; +elle note avec effroi son attitude lorsqu'à Pierreclos ou à Montceau on +agite devant lui des questions littéraires[145]; elle se lamente sur son +aspect de plus en plus renfermé et, indice plus grave, constate qu'il a +beaucoup perdu de sa piété[146]; tout cela, rapproché de la +_Correspondance_ où l'on voit qu'à cette même époque il commence à +causer littérature» avec enthousiasme, confirme dès lors ce qu'il a dit +lui-même de ce séjour à Crémieu. + +[Note 145: _J. I._, 12 octobre. «Mercredi, nous avons dîné à +Pierreclos. Il y eut une conversation sur J.-J. Rousseau; deux personnes +de la société étaient ses zélés partisans, d'autres les réfutaient. +Alphonse les écoutait attentivement et je craignais toujours qu'il ne +prît les mauvaises impressions de préférence aux bonnes.»] + +[Note 146: _J. I._, 9 octobre, en parlant de son fils: «Hélas! comme +il est loin du seul bien qui pourrait contenter mon cÅ“ur»; et 26 +octobre.] + + * * * * * + +Au début de décembre, c'est une véritable frénésie de travail qui le +possède; il veut vivre uniquement avec lui-même, au milieu des livres, +renonce «à tout le train du monde[147]» et profite de l'ennui qu'il +éprouve pour mettre à profit sa solitude et sa jeunesse[148]. + +[Note 147: _C._, I, p. 77, du 10 déc. 1808.] + +[Note 148: _Id._, _ibid._] + +Avec sa petite expérience des derniers mois, il se demande bien où tout +cela va le mener, mais, pour s'encourager, il évoque Rousseau +travaillant en silence et préparant «de loin» ses succès[149]. Sans nul +doute, Rousseau est une des découvertes de Crémieu. La mère est +enchantée de ce programme, qu'elle approuve pleinement, car, dit elle, +«dans l'âge où il est, environné de beaucoup de séductions, il faut un +miracle pour le préserver de tant d'écueils», et par tous les moyens +elle encourage ce plan de travail. + +[Note 149: _Id._, p. 68, du 28 nov. 1808.] + +On avait compté sans l'oncle terrible que cette belle vocation +littéraire laissa fort indifférent. Au début de décembre, il fit +comparaître son poétique neveu pour lui enjoindre de renoncer à son +petit programme qu'il entendait remplacer par l'étude des sciences[150]. +Lamartine, on le sait, eut de tout temps les mathématiques en horreur: +il supplia, pleura même, mais l'oncle fut intraitable; de désespoir, +puisque, disait-il, on voulait forcer son goût et son inclination, il +commença à jouer de la Garde impériale, mit la mère de son côté et la +délégua auprès de l'oncle[151]; on finit alors par s'entendre: les +langues étrangères et les études littéraires furent conservées au +programme, mais on y ajouta les sciences. Il était trop tard: l'enfant +dégoûté avait perdu sa belle fièvre. Il ira bien chez le professeur de +mathématiques, mais «résolu à n'y rien faire du tout qu'un peu +semblant[152]» et, puisqu'on le contraignait malgré lui à mener «une vie +de fainéant», il en profitera pour s'amuser: et le voilà qui sort le +soir, se montre au concert, au théâtre, qu'il aime maintenant «à la +folie[153]» et qu'il trouve, paraît-il, le seul amusement digne d'un +homme de goût et de bon sens[154]. + +[Note 150: _Id._, p. 80, du 12 déc. 1808.] + +[Note 151: _J. I._, du 17 déc. 1808.] + +[Note 152: _C._, I, p. 86, du 12 déc. 1808. «J'avais fait les plus +beaux plans du monde de plaisirs littéraires. Mon oncle et mon père de +concert ont voulu tout détruire.»] + +[Note 153: _C._, I, p. 92, du 14 déc.] + +[Note 154: _Id._, _ibid._] + +Sa mère, alors, s'effraye: «Son caractère, écrit-elle, m'inquiète chaque +jour davantage: je lui ai fait promettre qu'il ne demanderait pas à +aller au concert, moyennant quoi j'ai promis, de mon côté, que je le +mènerais à Lyon pour quelques jours au mois de janvier.» + +L'intervention de l'oncle n'avait pas été heureuse: faute d'avoir pris +au sérieux son désir d'étudier, il avait découragé toute son ardeur; au +lieu de passer à Mâcon un hiver paisible, comme il le souhaitait, il va +partir pour Lyon s'amuser, ce qui n'était guère son intention, +contrairement à ce que l'on croyait autour de lui. Nous retrouverons +souvent cette incompréhension du caractère de l'enfant. + + * * * * * + +La mère et le fils arrivèrent à Lyon, chez Mme de Roquemont, le 17 +janvier 1809 et de suite il organisa sa petite existence; s'il faut en +croire une lettre à Virieu, il se levait tard, faisait un peu d'anglais, +flânait l'après-midi à la bibliothèque publique, et terminait sa soirée +au théâtre où il avait pris un abonnement[155]; à l'insu sans doute de +sa mère, qui prétend au contraire à la même date avoir obtenu de lui +qu'il n'irait «ni au spectacle, ni au bal masqué». La pauvre femme se +plaint de n'avoir jamais mené un carnaval aussi «dissipé»; «mais, dit +elle, c'était impossible autrement, car je voulais procurer quelques +plaisirs à Alphonse». + +[Note 155: _C._, I, p. 103, du 24 janvier 1809.] + +Tous deux étaient de retour à Mâcon le 10 mars, lui enchanté de son +voyage, elle moins; il constate alors avec un peu d'orgueil qu'il est +beaucoup moins timide qu'au départ, et qu'à Mâcon on a une certaine +considération pour un jeune homme qui a été passer l'hiver dans une +grande ville: on le croit blasé sur tout et, dit-il, «cela donne une +contenance[156]». + +[Note 156: _Id._, p. 100, du 26 février 1809.] + +Dès le retour, il avait repris ses projets d'étude et de travail[157]; +le carême se passa tranquillement à Mâcon, dans la solitude et la +lecture. Mais cette fois, s'y prenant un peu à l'avance, il demanda +bientôt l'autorisation d'aller étudier le droit à Lyon, au cours de +l'année 1809[158]. L'oncle et le père refusèrent d'abord; la mère comme +toujours s'interposa, apaisa les colères naissantes, et chacun se fit +des concessions réciproques: pour le droit, l'oncle réservait sa +réponse, mais on lui accordait soixante louis de pension annuelle, la +nourriture, le logement, et la permission d'aller à ses frais passer +l'hiver à Lyon ou à Dijon[159]. De nouveau on le détournait de ses rêves +d'étude qui n'étaient peut-être, il est, vrai, qu'un prétexte pour aller +s'amuser à Lyon. C'est que l'oncle, de plus en plus méfiant, commençait +à s'inquiéter de cette jeune imagination débordante. + +[Note 157: _C._, I, p. 106, du 26 février 1809; et p. 110, du 12 +mars 1809.] + +[Note 158: _J. I._, 7 juillet 1809.] + +[Note 159: _C._, I, p. 139, du 4 août 1809.] + +L'enfant finit par prendre son parti de cette demi-promesse, et se remit +avec ardeur à la lecture et au travail; tout le printemps et l'été se +passèrent dans une solitude absolue, à Mâcon, à Milly et à Saint-Point. +«Voici trois mois, écrit-il en juin à Virieu, que mon genre de vie est +le même absolument: travail, lecture, correspondance et petite promenade +solitaire entre les huit ou neuf heures[160].» Un tel régime finit pas +fâcheusement influer sur ses nerfs; des idées tristes l'envahirent +bientôt; en août, même, il tomba malade, crachant le sang, accablé de +violents maux de tête, et la crise morale se fit plus aiguë: «Oui, j'ai +pleuré, écrit-il un jour à Virieu, moi qui ne pleurais plus, un peu de +regret de cette partie manquée, un peu en voyant la sympathie de nos +peines, de nos idées, de nos tourments, de nos désirs, et de ce feu +sacré qui commence à te brûler comme moi, ces projets vagues, cette +tristesse, cette paresse, cette vie au milieu de la mort[161]». Et les +lettres se suivent, de plus en plus désespérées; le vague de son +existence présente et future le fait languir et mourir; il devient sage, +indifférent, philosophe sur bien des choses, il est fou, désespéré, +enragé sur beaucoup d'autres...; il devient «ours» et parle de se brûler +la cervelle, car il ne peut plus supporter la vie du plus plat, du plus +ignorant bourgeois de petite ville: «Ô beaux rêves que nous faisions +bien éveillés à neuf heures du soir sous les tilleuls de Belley, riches +projets, riante perspective, avenir incomparable, où êtes-vous?...[162]» + +[Note 160: _Id._, p. 127, du 10 juin 1809; et p. 140, du 4 août.] + +[Note 161: _C._, I, p. 143. du 4 août 1809.] + +[Note 162: _Id._, p. 148-152, du 19 août 1809.] + +Telle fut la première crise morale; il en connaîtra d'autres jusqu'en +1820 et toutes chez lui auront le même dénouement: dans les plus +affreuses détresses, un rien suffira pour lui rendre l'équilibre. + +Car Virieu finissait par s'inquiéter de cette exaltation et de ce +découragement; il lui proposa alors, pour le changer d'air, de venir +passer quelques jours chez lui au Grand-Lemps et, brusquement, la +correspondance change de thème: à la mélancolie la plus sombre, succède +un enjouement imprévu[163]; toute la vie de Lamartine sera faite de ces +contrastes et de ces revirements, dont il est parfois difficile de +saisir les motifs. Mais, cette fois, il jouait de malheur: au moment du +départ son père se cassa la jambe, et il fut obligé de le remplacer--car +c'était l'époque des vendanges--«en ayant l'air de trouver cela tout +naturel[164]». + +[Note 163: _C._ I, p. 170, du 21 octobre 1809.] + +[Note 164: _Id._, p. 175, du 9 nov. 1809.] + +Alors, il s'étourdit, profita de l'animation passagère du pays pour +mener une «vraie vie de fainéant et d'insouciant, une vie banale et +commune comme celle de tous les désÅ“uvrés et les imbéciles du monde, +visites, bals, soupers, promenades et je ne sais quoi[165]». + +[Note 165: _Id._, p. 176.] + +Dans l'état où il se trouvait, il était à point pour devenir amoureux, +et n'y manqua pas; cela dénoua la crise. Comme de juste, il aimait +quelqu'un qui ne pouvait pas l'aimer; avec l'imagination qu'on lui +connaît, «le voilà pris, le voilà mort». L'objet de sa passion n'était +pas une beauté, mais «toute l'amabilité, toute la sagesse, toute la +raison, tout l'esprit, toute la grâce, tout le talent imaginable ou +plutôt inimaginable», et empruntant à nouveau le vocabulaire de +Chérubin--c'était de son âge,--il terminait lyriquement: «J'en mourrai! +je le sais! aimer sans espoir, ah! comprends-tu un peu cela[166]?» + +[Note 166: _C._, I, p. 181, du 24 nov. 1809, et p. 188, du 10 déc. +1809.] + +La pauvre mère, qui elle-même avait encouragé son fils à une innocente +correspondance en vers avec la jeune fille de leur médecin de Milly, le +docteur Pascal, s'épouvanta des suites de son imprudence, et elle +écrivait le 16 décembre 1809: «Mes nuits ont été mauvaises, ce qui a été +occasionné par un chagrin que je ne puis mettre ici mais qui a été très +vif, et dont la cause n'est pas encore passée; c'est au sujet de mon +fils, et ce qui me peine le plus, c'est que je ne peux demander conseil +à personne, et que j'ai peut-être quelque reproche à me faire...»; et +quelques jours après elle ajoutait encore: «Alphonse m'inquiète toujours +beaucoup, des passions commencent à se développer, et je crains que sa +jeunesse ne soit bien orageuse; il est agité, triste, le trouble de son +âme altère même sensiblement sa santé». + +Pour couper court, on l'expédia à Lyon le 8 janvier 1810, avec +permission d'y rester autant que ses moyens le lui permettraient; même +il pourra faire son droit. «Je vois, dit-elle encore, qu'on nous blâme +généralement de le laisser ainsi sur sa bonne foi, mais on ne connaît +pas nos raisons; je suis moins tourmentée depuis qu'il est parti.» + +Après les huit jours d'usage chez Mme de Roquemont, qui, prévenue, +veilla sur lui avec une inquiète sollicitude, il réclama plus de liberté +et s'installa rue de l'Arsenal, au quatrième, «avec une vue +unique[167]». + +[Note 167: _C._, I, p. 203, du 1er mars 1810. Sur le séjour à +Lyon, cf. _id._, p. 193-240.] + + * * * * * + +Alors commença une existence exquise, la vie d'étudiant, mais sans +études: les beaux projets de travail étaient loin; il n'était plus +question des professeurs d'anglais et d'italien; la tragédie qu'il +voulait écrire fut remplacée par un vaudeville; les huit heures de +travail qu'il s'était imposées au départ, sans fréquenter personne, +«quoiqu'on dise», furent occupées à de petits voyages à Grenoble, à la +grotte de Jean-Jacques, ou à des flâneries chez les bouquinistes. De +droit, point; au bout de deux mois, il avait épuisé ses ressources, et +il fallut courir à Dijon, chez l'abbé. Le bon oncle se laissa arracher +60 louis qui ne demeurèrent pas longtemps dans sa poche; force lui fut +alors de retourner à Milly, sa «détestable patrie», où il obtînt des +tantes un peu d'argent sous prétexte de payer des dettes; puis il revint +encore à Lyon, et finalement, endetté, poursuivi, sans un sou, car on +lui avait coupé les vivres, il regagna Milly le 18 mai[168], après +quatre mois de délices, relatées avec une joie enfantine dans les +lettres à Virieu. + +[Note 168: Nous donnons cette date d'après le _Journal intime_, bien +qu'elle ne soit pas d'accord avec la _Correspondance_, où figure une +lettre datée de «Saint-Point 14 mai»; nous lui donnons la préférence.] + +Elles sont juvéniles, prime-sautières et vives, d'un piquant contraste +avec celles de l'année précédente: «Voilà enfin une partie de mes désirs +satisfaits! écrit-il à son arrivée; je m'instruis, je suis libre, je +suis indépendant, je le suis si fort que j'en deviens ridicule; mon +livre, ma chambre, mon feu et le spectacle ont trop de charmes pour +moi.» Puis c'est la description poétique de sa petite installation: + + Cellule inconnue et secrète, + Où jamais un oncle boudeur, + Où jamais un mentor grondeur + Ne viennent troubler le poète. + +Ses amis sont des «artistes», «des artistes surtout, mon cher ami! voilà +ce que j'aime! de ces gens qui ne sont pas sûrs de dîner demain! Je leur +ai dit que tu étais _comme moi_, un artiste _universel_, artiste dans +l'âme, artiste d'inclination!» + +C'est la vie de bohème, au jour le jour, et sans souci du lendemain; les +grisettes, le théâtre, le concert, les vers, tout lui est bon, même les +dettes, dont il se tire en faisant un impromptu: _Mes dettes_, qui, +d'après lui, court la ville. + +Plus tard pour les payer, il s'adressa naturellement à sa mère, qui +cette fois s'en fut trouver l'oncle et les tantes plutôt que son mari, +car le chevalier n'aimait pas les dettes: «Son oncle et ses tantes ont +eu la bonté de se charger de payer les dettes d'Alphonse, écrira-t-elle +plus tard, et sans rien dire à mon mari, ce que j'ai demandé par-dessus +tout, car j'aurais mieux aimé qu'on le laissât dans l'embarras où il +était et dont le temps aurait toujours fini par le tirer, que de +consentir qu'on détruisît absolument le repos et le bonheur de mon mari +en lui apprenant les dettes de son fils. C'est une chose qu'il a +toujours eue en si grande horreur qu'il l'aurait cru tout à fait perdu!» +L'amusant de l'affaire fut que le pauvre chevalier paya lui-même les +dettes de son fils, à son insu. En effet, la tante du Villard se +chargea, paraît-il, de la plus grande partie; mais, comme elle n'avait +pas alors beaucoup d'argent disponible, elle demanda à son frère, sous +un autre prétexte, de l'argent qu'il lui devait et auquel il ne songeait +guère, croyant qu'elle n'en avait nul besoin. + +Il fallut pourtant songer au départ, car l'oncle, cette fois, menaçait +tout à fait de se débarrasser du prodigue neveu. Ce furent de touchants +adieux à «Myrthé», sa belle, mais surtout à la liberté, «l'impayable +liberté». À ce moment, il jeta bien quelque vague coup d'Å“il en arrière, +et ses projets de travail lui revinrent à l'esprit; il en prit son +parti, ne regretta rien, mais ne s'en tint pas quitte, se réservant pour +Milly où il prévoyait bien qu'un cruel ennui allait l'accabler à +nouveau: là -bas, «l'imagination et son livre anglais» le dédommageraient +de tout. + +Ce petit séjour à Lyon marque une date dans la jeunesse de Lamartine; au +retour, les dernières traces laissées par l'enseignement de Belley ont +disparu, remplacées par le goût du plaisir, de la dépense, et l'horreur +de la contrainte familiale. «Les ébauches littéraires vont se ressentir +de ce nouvel état d'esprit.» + +Lamartine, on l'a vu, était de retour à Mâcon le 18 mai. Le 19, nous le +trouvons à Milly, plus désÅ“uvré et enfiévré que jamais, s'ennuyant dans +son «trou», seul avec ses livres, sa plume «que rien ne stimule», son +imagination qui le tourmente. La mère, comme toujours, cherchait à +excuser son humeur un peu vive, «car il est assez naturel à un jeune +homme sans occupations forcées de s'ennuyer à la campagne». Mais, cette +fois, c'était lui qui ne voulait plus s'occuper. + +Bientôt, les idées sombres l'envahirent à nouveau et ses lettres d'alors +sont pleines d'une philosophie qu'il essaye de rendre résignée, mais où +percent le dégoût, l'amertume et la détresse[169]: à Milly, à +Saint-Point, à Montceau, il traîne son oisiveté sous l'Å“il agacé du +père. Enfin, nerveux, mal à l'aise, il partit le 2 juillet à Dijon chez +l'abbé, où il retrouva un peu d'équilibre et de tranquillité. Ce furent +des lectures sans ordre, comme toujours: Montaigne, Mme de Staël, le +prince de Ligne, Young et Jean-Jacques; des paresses sans fin dans les +herbages ou dans la thébaïde. Les choses auraient été fort bien sans +«les diables de soucis de l'avenir», qui reviennent troubler sa paix de +temps à autre, et «cette tête, écrit-il à Virieu, que tu connais aussi +bien que moi[170]». Puis, apprenant que son père et sa mère allaient +arriver pour le mois d'août à Montculot, il s'empressa d'en déguerpir, +sous prétexte de mettre en train les vendanges, mais en réalité, +semble-t-il, pour chercher le repos et fuir sa famille. + +[Note 169: «Beaucoup de mes rêves, toutes mes espérances +s'évanouissent chaque jour, c'est comme les fantômes qu'on se fait la +nuit et que le premier rayon du jour dissipe ou réduit à leur juste +valeur. Et toi, mon cher ami, tu es donc aussi comme moi, tu vois que +nous avions rêvé, rêvé d'une société à notre guise, rêvé la gloire, rêvé +l'amour, rêvé des femmes comme il devrait y en avoir, rêvé des hommes +comme il n'y en aura jamais....» (_C._, I, p. 243.) Cette lettre, datée +de Milly, 14 mai 1810, est mal classée: en effet, nous savons par le +_Journal intime_ que le 14 mai Lamartine était encore à Lyon; mais comme +il écrit à Virieu dans le courant de cette lettre: «Je vais partir dans +une quinzaine de jours passer quelques semaines à Dijon», et qu'il y +arriva le 2 juillet, on peut en conclure qu'elle est du 14 juin.] + +[Note 170: _C._, I, p. 256, du 26 juillet 1810] + +Seul à Milly, il reprit sa vie renfermée; rêveur, ennuyé de la vie, il +fit ses délices du fade et mathématique _Traité de la solitude_ de +Zimmermann, se plongea dans _Werther_, dont, écrit-il à Virieu, il est +souvent tenté d'imiter la fin[171]. + +[Note 171: _Id._, p. 276, du 30 sept. 1810.] + +Sans grand enthousiasme, il essaya aussi de prendre part au concours des +Jeux floraux, mais l'affaire, comme toujours, ne fut qu'un projet[172]. +Enfin, quand les Lamartine regagnèrent Milly au début d'octobre, il +partit précipitamment pour Crémieu, chez Guichard, malgré sa mère, qui +commençait à s'inquiéter de cette nouvelle coïncidence de son départ et +de leur arrivée[173]. Il y demeura jusqu'au 7 novembre. + +[Note 172: _Id._, p. 264, du 30 août 1810.] + +[Note 173: _J. I._, 8 oct. 1810.] + +Il revint du Dauphiné apaisé et moins sauvage; en novembre, Mme de +Lamartine a noté quelques bals à Maçon où il reste «fort tard» et, pour +le retenir, elle se décida un peu à contre cÅ“ur à organiser de petites +soirées à Milly, «heureuse, dit-elle, quand je le vois ainsi s'amuser +sous mes yeux». Puis il s'installa à Mâcon dans les premiers jours de +décembre, bien à regret, mais il était sans ressources pour recommencer +l'hiver de l'année précédente. Il flânait le soir au théâtre de la +ville, se montrait assidu aux bals. Sa mère, que l'expérience aurait +peut-être dû rendre plus méfiante, mais qui redoutait surtout de le voir +vivre trop en lui-même, l'y encourageait innocemment sans prévoir les +conséquences fâcheuses pour son repos qui devaient suivre «cette petite +dissipation d'esprit». + + + + +CHAPITRE II + +LA CRISE LITTÉRAIRE. LE PREMIER AMOUR + + +Le 30 juin, Lamartine écrivait à Virieu: + +«Et moi aussi, mon ami, ne te disais-je point que je voyais s'évanouir +tous nos rêves? Hélas! il est trop vrai, que ferons-nous donc? et +pourquoi avons-nous tous deux ce je ne sais quoi dans l'âme qui ne nous +laissera jamais un instant de repos avant que nous ne l'ayons satisfait +ou étouffé? est-ce un besoin d'attachement ou d'amour? Non, j'ai été +amoureux comme un fou, et ce cri de ma conscience ne s'est pas tu. J'ai +toujours vu quelque chose avant et au-dessus de toutes les jouissances +d'une passion même vraie et pure. Est-ce l'ambition? pas tout à fait.... + +«...Je dis et je pense qu'il n'est qu'un vrai malheur: c'est de ne pas +satisfaire toutes nos facultés, en un mot toutes les fois que nous le +pouvons, fallût-il même de pénibles sacrifices. Quelqu'un qui me lirait +s'imaginerait que je me fais de la morale; mais toi, tu m'entends, tu +me comprends. Es-tu d'accord de ce que je viens de dire là ? Oui, eh +bien! raisonnons là -dessus et venons à la pratique. Es-tu prêt? je le +suis, moi: nous allons faire notre code. + +«Nous renonçons pour le moment à toutes prétentions exagérées, du moins +elles ne seront plus l'unique mobile de nos actions. Nous n'écouterons +que notre propre conscience qui nous dit: Travaillez pour donner les +intérêts de ce que vous avez reçu; travaillez pour être utiles si vous +le pouvez; travaillez pour connaître ce que vous êtes capables de voir +dans la vie; travaillez pour vous dire au dernier moment: J'ai vécu peu, +mais j'ai vécu assez pour observer et connaître tout ce que ce petit +globe contient, tout ce qui était à ma portée; j'ai sacrifié à ce désir +de m'instruire une fortune précaire, quelques jouissances des sens, +quelque chose dans la sotte opinion d'un certain monde; si j'ai obtenu +quelque gloire, tant mieux! si je suis malgré cela resté ignoré, je m'en +console, j'ai été utile à moi-même, j'ai accru mes idées, j'ai goûté de +tout, j'ai vu les quatre parties du monde; si je meurs dans un fossé de +grande route, si mon corps n'est pas porté à l'église par quatre bedeaux +et suivi d'une foule d'héritiers pleurant tout haut et riant tout bas, +j'ai été aimé, je serai pleuré par un ou deux amis qui ont partagé mes +peines, mes études et mes travaux; et je rendrai à celui qui sans doute +a fait mon esprit et mon âme un ouvrage perfectionné de mes mains. Mais +votre patrie?--Ce n'est plus qu'un mot, du moins en Europe.--Mais la +société?--Elle n'a pas besoin d'un financier, d'un usurier ou d'un +boucher de plus et, en travaillant pour moi, peut-être aurai-je +travaillé pour elle[174].» + +[Note 174: _C._, I, p. 248.] + +Si ces lignes prouvent la parfaite clairvoyance avec laquelle Lamartine +se jugeait à vingt ans, elles montrent également jusqu'à l'évidence le +déplorable résultat moral de ces deux premières années d'indépendance +dont il augurait tant au sortir de Belley. Certes, elles sont l'aveu des +juvéniles chimères dont il s'est nourri jusqu'alors, et même leur amende +honorable, mais avec de hautaines restrictions qui portent l'empreinte +de la philosophie orgueilleuse et sentimentale de Rousseau. Cette +nouvelle conception de l'existence, tout aussi littéraire que la +première, est infiniment plus dangereuse: le doute, l'égoïsme et +l'amertume en sont les conséquences inévitables. + +Les premières désillusions de sa jeunesse sont vraiment insuffisantes +pour motiver cet état d'âme du moment que des influences littéraires +peuvent seules expliquer. Il payait ainsi deux années d'un incessant +vertige intellectuel contre lequel sa sensibilité et son imagination le +laissaient désarmé; livré à lui même, sans direction, sans contrôle, il +n'avait eu guère d'autres ressources que les lectures pour occuper ses +loisirs à Milly: l'abus qu'il en fit, leur choix, les conditions de sa +vie, sa nature à la fois fiévreuse et mélancolique, tout le prédisposait +à être une proie facile au mal littéraire qui ravagea sa +génération[175]. + +[Note 175: Les causes de ce «mal du siècle» sont surtout +littéraires; écartés pour la plupart de la guerre--seul mode d'activité +qu'on connût alors,--ces jeunes gens se réfugièrent avec délices dans le +monde des idées, ils lurent trop. Cf. _Génie du Christianisme_, chapitre +du Vague des passions, et Ballanche, où le cas est prévu avec une +parfaite netteté, lorsqu'il dit: «Mon fils, vous portez dans votre sein +une secrète inquiétude qui vous dévore. Les livres seuls vous ont tout +appris. Les plus hautes conceptions des sages, qui pour y parvenir ont +eu besoin de vivre de longs jours, sont devenues le lait des enfants.» +(_Le Vieillard et le jeune homme._) Cf. également une lettre de +Lamartine après sa première lecture de _Corinne_ (_C._, I, p. 117, du +1er juin 1809).] + + * * * * * + +Ce que Lamartine dévora en trois ans--de 1808 à 1812--est prodigieux, et +cela, pêle-mêle, sans plan organisé, au hasard des bibliothèques et des +cabinets de lecture. Ici, la _Correspondance_ devient véritablement +précieuse pour la spontanéité des renseignements qu'elle nous fournit, +puisque les impressions causées par le nouveau livre sont immédiatement +traduites dans une lettre à Virieu, froidement ou avec enthousiasme, +selon l'effet produit. Plus tard, soit dans ses préfaces, soit dans son +_Cours de littérature_, il reviendra sur beaucoup de ces appréciations +de la première heure: l'expérience de la vie, des raisons morales, +politiques ou littéraires dont il ne se souciait pas alors modifièrent +ses jugements de jeunesse; mais la façon dont il les formula à vingt ans +doit seule nous importer. + +L'impression devait être d'autant plus profonde que Mme de Lamartine +exerça longtemps un contrôle sévère sur les lectures de son fils, qui +prenaient ainsi la valeur du fruit défendu. Avec un pieux sentiment +d'amour maternel, le poète qui sentit combien il avait été soumis aux +influences littéraires lui fit plus tard une part qu'elle n'eut jamais +dans sa direction intellectuelle: les _Confidences_, les _Commentaires_, +certains passages remaniés du _Manuscrit de ma mère_ la montrent lisant +Homère, Tacite, Virgile, Mme de Sévigné, Fénelon, Molière, et même +les tragédies de Voltaire. + +La vérité est que Mme de Lamartine lisait peu par manque de temps +d'abord, mais surtout par méfiance de soi-même et crainte de ce qu'elle +appelle «de séduisantes idées fausses». Son Journal nous révèle ses +préférences, qui vont à saint Augustin, à Bossuet, aux Chroniques de +Joinville, à Fénelon, à La Fontaine, à Laharpe, à Mme de Genlis; elle +y puisait les principes moraux nécessaires à l'éducation de ses enfants, +et ce sont là les auteurs le plus souvent nommés par elle. + +Parfois, quelque nouveauté célèbre arrivait jusqu'à elle; mais elle +avait gardé de son éducation religieuse l'horreur de la littérature +romanesque ou sentimentale, de «l'abominable philosophie destructrice de +la religion». C'est ainsi que Chateaubriand lui paraîtra «trop +passionné», _Atala_ «capable d'échauffer la tête des jeunes gens», _les +Martyrs_ «loin d'être aussi bons moralement que beaucoup de gens le +jugent». «En tout, dira-t-elle après la lecture du _Génie_, cet ouvrage +qui est pourtant très bien me paraît un peu trop propre à exalter +l'imagination.» _Corinne_ sera pour elle «un roman invraisemblablement +écrit et avec beaucoup de prétention»; cependant elle s'y intéressera, +«quoiqu'il y ait bien des choses à dire». De même, _Roland Furieux_ +qu'elle lira seulement en 1808, lui inspirera les réflexions suivantes: +«Il y a des choses plaisantes, mais il y en a de mauvaises que je passe, +et il ne faudrait pas que des jeunes gens le lisent». + +Mais le XVIIIe siècle, surtout, sera pour elle un objet d'épouvante: +elle interdira sévèrement à son fils les _Mémoires de Mme Roland_, +«quoiqu'il en eût très grande envie»: «Je sais bien, ajoute-t-elle +mélancoliquement, qu'il peut se procurer à mon insu tous les livres +qu'il voudra, mais au moins je n'aurai pas à me reprocher de l'avoir +autorisé à cela». «On se permet trop, dira-t-elle aussi, de lire toutes +sortes de livres sous prétexte qu'il n'y a plus de danger: cela est fort +mal fait.» + +Elle ira plus loin encore: en 1813--Lamartine avait donc vingt-trois +ans,--elle profita d'un de ses voyages à Paris pour brûler ses livres, +et par hasard elle ouvrira l'_Émile_ dont elle se laissera aller à lire +quelques passages «qui sont superbes et m'ont fait du bien»; mais +bientôt le danger qu'elle a couru en s'abandonnant au charme de tant +d'idées qu'elle sait condamnées, la remplit de terreur et elle +terminera: «Cela me révolte, je brûlerai ce livre, malgré ce qu'il y a +de bon, et _la Nouvelle Héloïse_ aussi, bien plus dangereux encore parce +qu'il anime davantage les passions et qu'il est plus séduisant». +Rousseau l'effrayera toujours pour des motifs qu'elle n'explique pas, +mais qu'on devine: sa vie privée, l'anarchie politique et religieuse +dont elle le rend responsable, et son «abominable philosophie» qui +synthétise à ses yeux l'esprit du XVIIIe siècle. + +Lamartine, on le voit, eut donc quelque mal à faire ses lectures +ouvertement; d'ordinaire, il emportait son livre en promenade ou +s'enfermait dans sa chambre. À Milly et à Saint-Point d'ailleurs, il n'y +avait pas de bibliothèque; à Mâcon et à Montceau, celles de son oncle +étaient importantes, mais il n'en avait pas la disposition; il lui +restait le cabinet de lecture de Myard, à Mâcon, où sa mère nous apprend +qu'il était abonné en 1808, et Montculot, où l'abbé avait entassé deux +mille volumes qu'il légua plus tard à son neveu. Il y ajoutera les +contemporains, les nouveautés, bons ou mauvais livres, et en général +tout ce qui lui tombera sous la main. + +C'est le séjour à Crémieu, en octobre 1808, qui marqua le début de sa +fièvre littéraire. Dans quelles conditions, maintenant, va-t-il +s'assimiler ces lectures faites sans direction et sans critique, et +quelle influence vont-elles avoir sur la formation de sa personnalité? +Une théorie séduisante et facile même à appuyer sur des faits serait de +prétendre qu'il en goûta seulement les mauvais côtés, se dirigea surtout +vers Parny et son école et qu'il lui fallut la crise morale des années +1817-1819 pour se libérer entièrement de leurs derniers souvenirs. +Pourtant, à y regarder de plus près, il semble que la vérité soit +ailleurs. + +Certes, une des contradictions les plus singulières de la +_Correspondance_ est assurément ce mélange, à première vue inconciliable +et quelque peu incohérent, d'impromptus, de pièces d'almanach, d'épîtres +pompeuses, et de peintures mélancoliques ou désespérées de ses +souffrances morales. Mais c'est qu'à cette époque, et pour longtemps +encore, Lamartine qui, on l'a vu, rêva très tôt de se faire un nom dans +les lettres, tenait pour bonne la fameuse formule que les classiques +opposeront plus tard à la débordante facilité des romantiques: hors de +l'ordre moral, point de véritable mérite littéraire; il ne pourra donc +s'imaginer la gloire sous une autre forme que celle de pièces fugitives, +toujours à la mode, d'interprétations plus ou moins fidèles d'un poète +étranger, d'une tragédie bien régulière, d'un poème épique +laborieusement rimé. Et nous avons la preuve de cette conception du +métier littéraire par quelques odes intercalées plus tard dans les +_Méditations_: le Génie, l'Enthousiasme, et le Poète exilé. + +Le contraste ne manque pas aujourd'hui d'un certain piquant lorsqu'on +voit naître peu à peu dans la _Correspondance_ les premières +_Méditations_, jalousement cachées comme des essais intimes et trop +personnels, tandis que Lamartine court Paris un _Saül_ ou une _Médée_ +sous le bras: «Je vais me remettre au grand ouvrage de ma vie, écrit-il +en 1816 à son ami Vaugelas; si je réussis, je serai un grand homme; +sinon la France aura un Chapelain ou un Cottin de plus»[176]. Le grand +ouvrage, ce n'était pas, comme on pourrait le croire, ses _Méditations_, +mais un poème épique sur Clovis, qui l'occupa jusqu'en 1820. Bien mieux, +au moment où il se décidera à publier, presqu'à contre-cÅ“ur[177], les +_Méditations_, ce fut sans les soins amoureux du poète pour son +premier-né[178], et pour essayer de «lancer» ses tragédies[179]. + +[Note 176: _C._, II, p. 97; du 28 juin 1816.] + +[Note 177: _Id._, p. 337, du 25 avril 1819.] + +[Note 178: Toute l'année 1819 fut occupée par des projets de +tragédies et de poèmes épiques: _Saül_, _Clovis_, _Jepté_, _Sapho_, +etc.; enfin sa maladie et son mariage accrurent encore l'indifférence +qui accompagna la publication des _Méditations_, en sorte que l'édition +fut très peu soignée; des vers furent tronqués et d'autres omis.] + +[Note 179: _C._, II, p. 358, du 27 mai 1819.] + +Que conclure de cette perpétuelle violence à ses sentiments véritables, +sinon que ses premiers essais furent conçus seulement dans le but défini +d'atteindre à la célébrité, et qu'il renfermait soigneusement en lui +les troubles et les détresses dont débordent ses lettres? + +C'est pourquoi, au cours de ses lectures, il ne s'enthousiasmera pas +pour ceux qu'il imitait par métier; au contraire son ardeur, lorsqu'il +s'agit de Rousseau, d'Young, d'Ossian, de Mme de Staël et de +Chateaubriand, prouve que ceux-là furent les véritables éducateurs de sa +pensée et qu'il leur doit presque tout de ses aspirations tourmentées et +insatisfaites[180]. + +[Note 180: Cf., sur les influences littéraires subies par Lamartine, +l'excellent ouvrage de M. Zyromski, _Lamartine, poète lyrique_.] + +Il faut noter aussi son incompréhension absolue des Å“uvres d'analyse et +de précision qui ne répondent chez lui à aucun état d'âme. Les seuls +Allemands qu'il nomme sont GÅ“the et Zimmermann, l'un pour son _Werther_, +l'autre pour son _Traité de la solitude_; mais les deux sujets qui +pourtant semblaient faits pour lui plaire n'eurent pas sur lui l'effet +qu'on pourrait supposer: «Je viens de lire _Werther_, écrit-il en 1809, +il m'a fait la chair de poule: je l'aime pas mal non plus. Il m'a +redonné de l'âme, du goût pour le travail, le grec; il m'a un peu +_attristé et assombri_[181].» Résultat imprévu et qu'on n'attendait +guère d'une lecture qui démoralisa la jeunesse romantique; tout au moins +peut-on l'expliquer du fait que _Werther_, Å“uvre documentaire et assez +froide, ne fut jamais vécue par GÅ“the; instinctivement peut-être, +Lamartine ne s'y trompa point et n'y découvrit pas l'accent de +sincérité qu'il lui fallait. «Vive les Allemands pour la raison![182]» +s'écriait-il après la lecture du _Traité de la solitude_ où Zimmermann a +méthodiquement catalogué les inconvénients et les avantages de cet état +d'âme: il ne rencontrait en effet chez eux guère autre chose que la +raison, l'esprit brutal et sec d'analyse ou de classification, choses +qu'il ignore et qui cadrent mal avec sa nature mouvante et pleine de +revirements. + +[Note 181: Souligné par Lamartine. _C._, I, p. 177, du 9 nov. 1809.] + +[Note 182: _C._, I, p. 260, du 10 août 1810.] + +À cet égard, encore, l'exemple de Montaigne est tout aussi typique. La +première rencontre fut mauvaise[183], mais Virieu, d'un esprit aussi +froid et méthodique que le sien l'était peu, voulut lui faire partager +son admiration pour celui qu'il appelait son maître et Lamartine s'y +employa de bon cÅ“ur: «Je lis l'ami Montaigne, lui répond-il, que +j'apprends tous les jours à mieux connaître et par conséquent à aimer +davantage; veux-tu que je te dise ce qui m'y attache plus encore? c'est +que je trouve une certaine analogie entre son caractère et le +tien[184]». On sent alors que, bien plus par amitié que par goût, il +s'évertue à l'admirer, «l'adore», l'aime «infiniment plus +qu'autrefois[185]». Pourtant, la première impression était la bonne et +en 1811 il écrivait «...Ses idées m'amusent, mais ses opinions me +fatiguent et me blessent... il faut être froid pour se plaire à +Montaigne; je l'ai aimé tant que je n'ai rien eu dans le cÅ“ur;... tout +ce que j'aime en lui, c'est son amitié pour La Boëtie[186]». Tel avait +été le vrai motif de son admiration passagère: un seul point lui plut, +où il retrouvait un sentiment personnel, son amitié pour Virieu; le +reste lui échappa. + +[Note 183: _Id._, p. 148, du 19 août 1809.] + +[Note 184: _Id._, p. 253, du 26 juillet 1810.] + +[Note 185: _Id._, p. 260, du 10 août 1810.] + +[Note 186: _C._, I, p. 301, du 21 mai 1811.] + +Ainsi, chez, lui, tout se résume dans la première impression, et c'est +la seule qui doive compter lorsqu'il s'agit de l'étudier, d'autant qu'il +n'apportait aucun esprit critique dans ses lectures, aucune mesure dans +ses admirations et qu'il lui suffisait pour goûter une Å“uvre d'y +retrouver la description d'un de ses états d'âme, un sentiment déjà +éprouvé, ou l'écho d'un souvenir; exaspérées ainsi, son imagination, sa +sensibilité, l'imagination maladive qu'il portait en toutes choses +faisaient le reste. + +Dominé par tant d'influences littéraires, il se trouvait à la merci de +toutes les chimères qu'elles allaient faire naître et la moindre +étincelle devait enflammer le brasier qu'il portait en lui. Mais il +était fatal aussi que sa première émotion du cÅ“ur dût y gagner en +violence plutôt qu'en sincérité, et le très romantique amour de +Lamartine pour la jeune Henriette Pommier, inconsciente tentative +d'appliquer à la vie les idées dont il était nourri, eut le bref +dénouement que sa nature changeante laissait prévoir[187]. + +[Note 187: Lamartine, qui se connaissait parfaitement, et souffrait +de sa mobilité de sentiments, écrivait un jour à Virieu: «Nous sommes +vraiment de singuliers instruments, montés aujourd'hui sur un ton, +demain sur un autre; et moi surtout, qui change d'idées et de goût selon +le vent qu'il fait ou le plus ou moins d'élasticité de l'air». (_C._, +II, p. 16, du 28 mars 1813.)] + +Marie-Henriette Pommier, née à Mâcon le 1er mai 1790, était fille de +Pierre Pommier, conseiller au bailliage avant la Révolution, puis juge +de paix à Mâcon, et de Philiberte Patissier de la Presle, d'une vieille +famille du pays. Elle était donc un peu plus âgée que Lamartine et c'est +ainsi, sans doute, qu'il faut entendre la disparité d'âge dont il a +parlé comme du premier obstacle au mariage qu'il avait projeté. D'autre +part, sa naissance confirme ce qu'il a dit lui-même en écrivant qu'elle +tenait d'un côté à la noblesse du pays et de l'autre à la bourgeoisie. + +Au dire de ceux qui les ont connus, les Pommier étaient d'honnêtes et +simples gens: Mme Pommier était une excellente femme très vive et +très spirituelle et qui, à quatre-vingts ans, montrait encore dans le +monde de fort belles épaules. Sa demeure était située face à l'hôtel de +ville de Mâcon devant lequel une sentinelle montait alors la garde; pour +se délasser de ses longues insomnies, elle entamait parfois une +conversation avec le factionnaire et ces duos nocturnes faisaient la +joie des salons mâconnais. + +Sa fille était à vingt ans une merveilleuse créature: M. Duréault, qui a +tenu entre les mains sa miniature exécutée à l'époque, et même un de ses +souliers de bal, affirme que le portrait laissé d'elle par Lamartine +est fort ressemblant et que «sa beauté pensive, sa taille mince, sa +démarche svelte, la grâce de ses bras, l'inimitable délicatesse de ses +pieds, la langueur morbide de son cou, son sourire à la fois charmant et +mélancolique» sont autant de détails fidèles et qui n'ont pas été +exagérés par le poète. + +Les jeunes gens se rencontrèrent en soirée, à l'un de ces bals où nous +avons vu fréquenter le jeune homme pendant l'hiver 1810-1811. Dans les +_Mémoires inédits_, Lamartine n'a nommé leur hôtesse que de son +initiale: c'était Mme de la Vernette, femme de Pierre-Bernard de la +Vernette, ancien capitaine au régiment de Navarre et chevalier de +Saint-Louis, qui, très mondaine et lettrée, recevait dans ses salons +l'élite de la société de la ville; les jeunes dansaient, disaient des +vers; les hommes causaient littérature et politique: un soir, Henriette +Pommier dont la voix était fort belle se mit au piano, et Lamartine céda +au charme[188]. + +[Note 188: Les _Mémoires inédits_ nous apprennent qu'un certain M. +F. C., domicilié à Saint-Clément-lès-Mâcon, aurait joué un rôle assez +étrange dans l'aventure, soit qu'il favorisât les entrevues des jeunes +gens chez lui, soit qu'il se proposât comme ambassadeur. Les souvenirs +de Lamartine sont-ils en défaut sur ce point? Il n'y avait en effet, en +1811, aucun M. F. C., propriétaire à Saint-Clément.] + +C'est au début de février 1811 que Guichard reçut la confidence de cette +passion naissante[189] et il faut noter que, d'après la +_Correspondance_, l'austère Virieu ne fut pas tenu au courant de tous +les détails de l'aventure. À cette date, l'amoureux n'avait pas encore +osé se déclarer et le roman en était d'ailleurs à ses premières pages, +puisqu'il annonçait à son ami qu'il allait faire «un de ces jours» une +pathétique déclaration et serait ensuite soulagé «en grande partie». +Mais, incapable qu'il était de se maîtriser, les salons de Mâcon +commencèrent à s'étonner de son assiduité auprès de la jeune fille. +Faut-il croire ici que l'oncle, connaissant le caractère fantasque du +neveu, ait tenté une diversion en le faisant admettre à l'Académie de +Mâcon malgré ses vingt ans[190]? L'hypothèse n'aurait rien +d'invraisemblable, en tenant compte des idées de Louis-François, qui +jusqu'ici n'avait guère encouragé les goûts littéraires de l'adolescent. +Quoi qu'il en soit ce fut peine perdue, sa devise du jour étant: _Rien +ne m'est tout_ (?), _tout ne m'est rien_[191]. Sa détresse, qu'il +exposait avec complaisance, entra alors dans la phase mélancolique: +Ossian, Young et Shakespeare voisinèrent sur sa table et il errait, à +l'en croire, à travers la campagne avec son chien, pleurant «comme un +enfant» à la lecture de Sterne[192]. Virieu--qui semble ignorer encore +les causes de cette nouvelle désespérance--s'en inquiéta et lui arracha +le serment de ne pas mettre fin à ses jours, ce qui lui fut accordé +somme toute avec assez de bonne volonté[193]. + +[Note 189: _C._, I, p. 289-90, du 1er février 1811.] + +[Note 190: Sur Lamartine à l'Académie de Mâcon, cf. Reyssié (_op. +cit._), qui a publié les procès-verbaux de sa réception, et le _Compte +rendu_ des travaux de cette société pour 1811, où l'on trouve une +analyse de son discours; il avait pris pour sujet: De l'étude des +langues étrangères.] + +[Note 191: _C._, I, p. 291, du 24 mars 1811.] + +[Note 192: _Id._, _ibid._] + +[Note 193: _C._, I, p. 291, du 24 mars 1811.] + +Il faut croire que mars avait vu sa déclaration; le 2 avril, en effet, +il écrivait à Guichard une lettre enflammée: «Oui, mon ami, plains-moi, +pleure sur moi! je suis bien digne de quelque pitié. J'aime pour la vie, +je ne m'appartiens plus et je n'ai nulle espérance de bonheur +quoiqu'étant payé du plus tendre retour; tout nous sépare, quoique tout +nous unisse, je vais prendre incessamment un parti violent pour obtenir +sa main à vingt-cinq ans[194].» Le «parti violent» fut de s'ouvrir à la +famille de ses projets, et l'on peut penser, comme il l'a dit, qu'ils +furent mal accueillis. Il était sans position, la dot de la jeune fille +assez mince, et l'alliance Pommier ne tentait guère l'aristocratique +Louis-François. Les Lamartine furent inébranlables, et il n'obtint pas +même, cette fois, la demi-promesse qu'on lui accordait d'habitude, en +laissant au temps ou à quelque nouvelle chimère le soin d'apaiser son +imagination. + +[Note 194: _Id._, p. 296, du 2 avril.] + +Voici pourtant chez lui l'indice d'une passion sérieuse: malgré tout son +amour de l'indépendance, écrivait-il à Guichard, il se décidera à +travailler[195]. Le projet était encore assez vague puisqu'il s'agissait +de solliciter à l'automne un emploi quelconque dans le gouvernement. +Mais l'intention connut même un semblant d'exécution. Le 24 avril, sa +mère a en effet noté qu'au cours d'une visite à Champgrenon chez les +Rambuteau il se fit présenter au comte Louis de Narbonne, ministre de +France en Bavière, qui le reçut avec amabilité et l'engagea à venir à +Paris, où il lui trouverait une situation. «Tout cela peut avoir plus de +danger, peut-être encore, que d'utilité», ajoute Mme de Lamartine. +Ainsi, bien qu'elle semble s'être fait un scrupule de rester neutre dans +la question,--c'est la seule allusion à Mlle Pommier que l'on +rencontre dans son journal--on voit qu'elle n'était pas favorable à ce +mariage et préférait encore voir son fils inactif. + +[Note 195: _Id._, p. 296-97, du 2 avril 1811.] + +La résistance qu'il rencontrait ne fit qu'aggraver, comme toujours, son +exaltation, et il décida d'employer la suprême ressource: ne pouvant +rien obtenir qui lui donnât l'assurance d'une «libre aisance», il +entrera dans l'armée «et essaiera de se faire tuer, ou du moins, +ajoute-t-il prudemment, d'acquérir un grade qui le fera vivre, sa femme +et lui[196]». Il disait _sa femme_, «parce que je la regarde comme telle +et que rien au monde ne peut nous séparer». + +[Note 196: _C._, I, p. 296-97, du 2 avril 1811.] + +L'affaire devenait sérieuse, mais les Lamartine tinrent bon. Usant d'une +tactique qui leur avait déjà réussi, ils l'expédièrent bon gré mal gré à +Montculot vers la fin d'avril. Le 20 mai il était de retour, dégoûté de +la Bourgogne qu'un «tendre attachement» ne parvenait même pas à lui +faire aimer, toujours cruellement amoureux[197], et proclamant tout haut +l'éternité de ses sentiments en même temps que la barbarie de sa +famille. À l'en croire même, Mme Pommier serait venue alors trouver +les Lamartine pour leur soumettre avec beaucoup de loyauté une lettre +d'Alphonse à _sa femme_, où il jurait que rien ne pourrait les désunir. +À tout prix, cette fois, il fallait l'éloigner; mais sur ce point il +était intraitable, à moins, sans doute, d'une occasion exceptionnelle. +Il s'en présenta une qui le fit réfléchir. + +[Note 197: _C._, I, p. 299, du 20 mai.] + + * * * * * + +Le 22 mai, Mme de Roquemont et sa fille Mme Haste, qui revenaient +de Paris, s'arrêtèrent quelques jours à Mâcon. Mme de Roquemont, de +tout temps la confidente de sa cousine, fut mise au courant de la +situation: Mme de Lamartine lui représenta «la maladie de nerfs» +d'Alphonse, «la vivacité de son âge et son imagination», en même temps +que ses conséquences actuelles. Mais que faire? elle ne voulait pas +entendre parler d'un long voyage sans contrôle possible, et préférait +encore le voir à Mâcon près d'elle; que deviendrait-il, une fois seul, +avec cette imagination ardente? + +M. et Mme Haste, prêts à partir pour l'Italie, s'offrirent alors avec +beaucoup de bonne grâce à tirer leurs cousins d'embarras en emmenant le +jeune homme avec eux, et tous les Lamartine furent d'accord pour saisir +une telle occasion; les deux oncles et les trois tantes fournirent +chacun vingt-cinq louis, et cette fois avec empressement, tandis que le +père complétait de son mieux la somme nécessaire. Le plus difficile +restait à faire: il s'agissait maintenant de décider le jeune amoureux. + +Au premier mot qu'on lui en toucha, il n'eut pas, d'après sa mère, la +moindre hésitation, et sauta littéralement de joie. Depuis deux ans +l'Italie était un de ses rêves, et il sacrifia sans regret l'autre pour +celui-là , plus neuf et immédiatement réalisable. «Il faut bien que je +rompe les liens les plus doux, écrit-il aussitôt à Guichard, que je me +condamne pendant sept ou huit mois à une douleur mille fois pire que la +mort, que j'abandonne tout ce qui m'est le plus cher dans le monde après +mes deux amis. N'en parlons plus, ne rouvrons pas les blessures trop +fraîches et trop cruelles[198]....» À Milly on pouvait respirer, car la +diversion était trouvée. + +[Note 198: _C._, I, p. 310, du 10 juin 1811.] + +Certes, dans l'intention un peu excusable de ne pas paraître trop +inconstant aux yeux de Guichard qui avait reçu la confidence de ses +désespoirs, son ancienne passion figurera par des rappels de ton dans +les premières lettres d'Italie: «Ô mon cher ami! tu ne sais donc pas +tout ce que j'ai laissé en France? s'écriera-t-il lyriquement; tu ne +sais donc pas que toute espérance est morte dans mon cÅ“ur et que, plus +à plaindre que Saint-Preux, je n'aurai connu qu'une passion sans aucune +jouissance, et qui va me précipiter dans un abîme sans fond[199]?» Les +lettres à Virieu sont d'une autre désinvolture: «Que de larmes vont +couler! lui dit-il, combien j'aurai d'assauts à soutenir pour ne pas me +dédire! mais j'ai du cÅ“ur (!) et toutes les Armides de ma patrie ne +retiendront pas un pauvre chevalier qui va courir les aventures[200]». + +[Note 199: _C._, I, p. 323-24, du 13 oct. 1811.] + +[Note 200: _Id._, p. 306, du 30 mai 1811 où l'on trouve: «...Une +occasion charmante et unique s'est présentée: ils l'ont saisie et, tout +malheureux que je me trouve de quitter pour sept ou huit mois, tout ce +que j'aime, j'en profite. La fortune ne sourit pas deux fois dans la +vie, et l'occasion n'a qu'un cheveu». Toute la lettre est d'ailleurs +incroyable de contrastes et quelque peu incohérente.] + +Le moyen, en effet, de résister au plaisir très littéraire d'aller +traîner sa mélancolie sous le ciel de Rome ou de Florence? Bien avant le +départ, l'amour d'Henriette n'était plus qu'un souvenir, et rien ne +peint mieux cette extrême mobilité de sentiments, cette âme changeante +et si vite rassasiée, soumise qu'elle est à toutes les influences +extérieures, cette imagination vagabonde que rien ne peut fixer. + +L'imagination qui venait en effet de jouer le premier rôle dans cette +aventure va trouver un aliment nouveau dans ce projet de voyage. Tout y +sera prévu minutieusement, organisé d'après un plan, rigoureux et précis +au départ, mais qui, pas davantage que les précédents, ne rencontrera +d'exécution. C'était là son véritable plaisir, et la réalisation lui +importait peu. Un jour, il demandait à Virieu des recommandations «pour +des gens instruits ou des maisons agréables[201]», un autre il +échafaudait les travaux les plus magnifiques: «Moi aussi, je ferai mon +voyage, mon itinéraire», s'exclamait-il en évoquant ses souvenirs +littéraires; et il devait revenir parlant l'italien le plus pur et le +grec[202]. + +[Note 201: _C._, I, p. 306, du 30 mai 1811.] + +[Note 202: _Id._, _ibid._] + +Tous furent enchantés de cette diversion inespérée. Mais la mère avait +fini par acquérir un peu d'expérience de son fils; elle saisissait bien +les motifs de ce revirement soudain, et lorsqu'elle écrivait: «Ce voyage +est au moins très utile en ce moment pour occuper l'activité de sa tête +et de son imagination de vingt ans», elle voyait juste, l'imagination +seule était responsable; craignant même que ce beau feu ne s'éteignît +comme les autres elle pressa le départ et l'expédia à Lyon le 1er +juillet. «Enfin, note-t-elle ce jour-là avec soulagement, tout a fini +par s'arranger à notre satisfaction et surtout à celle d'Alphonse.» + +Ainsi se termina ce petit roman dont Vignet, étonné d'un si rapide +oubli, lui reprochait au retour de Naples d'avoir perdu la mémoire[203]. +La fin en est conforme à ce qu'il a raconté: le 25 août 1813, Henriette +Pommier épousait à Mâcon Jean-Baptiste Leschenault du Villard ancien +capitaine de chasseurs, sans que son premier et volage fiancé s'en soit +désespéré; il était alors à Paris où d'autres plaisirs avaient remplacé +cet innocent commentaire de Jean-Jacques. De part et d'autre les deux +familles avaient tenu peu compte de ces enfantillages, puisque +François-Louis de Lamartine fut témoin au mariage de la jeune fille. + +[Note 203: Cf. _Correspondant_, _op._ _cit._] + +Henriette vécut aux environs de Mâcon, et elle repose aujourd'hui dans +la petite chapelle triste de la demeure où elle coula des jours sans +histoire. Regretta-t-elle, aux heures triomphales que connut Lamartine, +de ne pas partager sa gloire et de n'avoir pas réalisé son rêve de jeune +fille? La postérité, elle, n'a pas à le déplorer: Lamartine marié à +vingt et un ans n'eût pas été le poète des _Méditations_. + + + + +CHAPITRE III + +LE VOYAGE D'ITALIE + + +Le voyage d'Italie, suite imprévue mais agréable de tant d'infortunes, +n'eut pas sur le développement poétique de Lamartine l'influence qu'on +lui a trop souvent prêtée. + +Florence et Rome étaient pourtant le cadre parfait d'un amour malheureux +et le soupçon de mélancolie qu'il emportait avec lui était à l'époque un +élément indispensable pour goûter pleinement le charme des ruines et des +monuments. Au fond, ce voyage était très littéraire, ce qui l'enchanta, +tout pénétré qu'il était alors de l'Oswald de _Corinne_. Mais il partait +pour l'Italie en touriste, le crayon à la main, plus soucieux au début +de chercher des impressions que de les laisser venir à lui +d'elles-mêmes; sa _Correspondance_ et son bref carnet de voyage sont là +pour en témoigner. Huit ans plus tard, Lamartine mûri et désenchanté eût +été séduit par bien des détails qui en 1811 le laissèrent indifférent. +Ce qu'il aima surtout dans ce séjour fut l'indépendance qu'il lui +procura; les nuances, la poésie un peu triste des choses lui échappèrent +complètement. Parfois on rencontre dans ses notes quelque froide +réminiscence de Chateaubriand ou de Volney dont sa prose essoufflée +essaye en vain d'imiter le rythme; à Naples enfin, la contrainte qu'il +s'était imposée lui devint insupportable et il abandonna Pétrarque, +qu'il s'efforçait de lire sans y comprendre grand'chose[204]; grisé de +lumière et de liberté, il fut jeune, insouciant, avide de plaisir et se +laissa vivre indolemment. Nous retrouverons cet état d'âme en 1822: +_Ischia_, _Philosophie_, _le Passé_, la suave _Élégie_ des Nouvelles +Méditations, appartiennent à la même inspiration que l'_Hymne au +Soleil_, _À Elvire_ et _le Golfe de Baia_. + +[Note 204: _C._, II, p. 15, du 28 mars 1813.] + +Sans doute, on peut faire avec justesse des rapprochements entre divers +passages du _Carnet_ et certains fragments des _Méditations_; mais ces +réminiscences nous paraissent trop directes, surtout si l'on tient +compte du peu de précision de Lamartine, pour ne pas admettre qu'ayant +eu en 1819 à décrire quelques monuments ou aspects d'Italie, il ait +alors fait appel à ses notes de voyage, rédigées autrefois dans un vague +but littéraire. Quoi qu'on puisse dire, Pétrarque et Lamartine n'ont pas +de rapports. Pétrarque chanta l'amour idéal; après _le Lac_, Lamartine +pleura l'amour impossible et par la force des choses finit par tourner +au pétrarquisme, pétrarquisme infiniment plus humain, pourrait-on dire, +que celui du maître italien. Du fait que nous possédions un petit +Pétrarque ayant appartenu au poète, dont un sonnet au moins fut traduit +par lui, il serait imprudent de conclure à une influence aussi profonde +que celle d'Young, car les traductions de poètes étrangers, auxquelles +il s'astreignit souvent dans sa jeunesse, ne furent jamais pour lui que +des exercices de versification. Il n'existe dans son Å“uvre aucune +ambiance italienne mélancolique ou douloureuse, car il ne connut +l'Italie qu'à des moments d'accalmie et d'insouciance où ses maîtres +furent Horace ou Catulle et non pas Pétrarque. + +En 1811, Lamartine quittait la France obsédé par les souvenirs de +Chateaubriand et de Mme de Staël et cet état d'esprit persista +pendant la première partie du voyage; à Rome, on voit par le _Carnet_ +qu'il commençait déjà à lutter contre eux; à Naples, enfin, il s'en +libéra complètement et ses vingt ans reprirent le dessus. Il +s'abandonna, ébloui, enchanté, et au thème de la vie trop longue succéda +celui de l'heure trop brève. Il est regrettable qu'il ait brûlé plus +tard toutes les poésies écrites à cette époque, mais cet autodafé +indique qu'elles devaient différer de sa seconde manière; pourtant les +trois _Méditations_ que nous avons nommées, les seules qu'il conserva, +prouvent suffisamment qu'au cours de ce séjour en Italie il lut, goûta +et comprit surtout les élégiaques latins. + +Lamartine et ses compagnons de route quittèrent Lyon le 15 juillet et la +veille Mme de Lamartine écrivait dans son journal: + +«Alphonse doit demain partir pour l'Italie; ils vont en voiture à +Livourne où M. de Roquemont a une maison de commerce; ils y resteront +deux à trois mois. De là , ils iront à Rome et peut-être à Naples. C'est +un charmant voyage pour mon fils et j'espère qu'il sera profitable à sa +santé qui n'est toujours pas très forte. Mais il sera au moins très +utile en ce moment pour occuper un peu l'activité de sa tête et de son +imagination de vingt ans.» + +À Chambéry où il s'arrêta trois jours, il rencontra Virieu et se rendit +avec lui en pèlerinage aux Charmettes[205]; puis, les voyageurs prirent +le chemin de Livourne en passant par Turin, Milan, Bologne, Parme et +Florence[206]. + +[Note 205: _C._, I, p. 316, du 8 sept. 1811.] + +[Note 206: _Id._, p. 318, _id._] + +Les premières impressions sont assez décevantes: «Ah! le triste pays que +l'Italie, écrit-il à Virieu, si on veut y vivre avec les vivants! aucune +politesse, aucune prévenance, personne qui réponde aux vôtres. Voilà du +moins ce que j'ai vu jusqu'à Bologne. Quand je trouve un Français, je +l'embrasserais volontiers. Je parle à tous nos soldats que je rencontre, +ils sont plus aimables qu'un seigneur italien[207].» Il oubliait qu'être +Français, à cette époque d'oppression française, n'était pas un titre +de recommandation à l'étranger. + +[Note 207: _Id._, p. 314, s. d.] + +Arrivé à Livourne au début de septembre, il demeura deux mois dans cette +ville anti-artistique s'il en fut, assez désabusé et regrettant comme +toujours ce qu'il avait fui si joyeusement[208]. Pendant que M. Haste +s'occupait des affaires de son beau-père, il poussa quelques pointes à +Florence, à Pise, à Vienne, guettant l'arrivée prochaine de Virieu pour +entreprendre le voyage de Rome[209]. Mais celui-ci se faisait attendre +et un événement imprévu vint encore retarder le projet. M. Haste perdit +son père et fut obligé avec sa femme de regagner Lyon sans retard. + +[Note 208: _C._, I, p. 316-319, du 8 sept.] + +[Note 209: _Id._, _ibid._] + +«Alphonse est alors resté seul, écrit la mère le 9 novembre. Ses oncles +et tantes étaient d'avis qu'il revînt aussi, mais nous avons trouvé avec +mon mari qu'il serait trop cruel de ne pas le laisser aller jusqu'à Rome +dont il est si près et nous lui avons permis de continuer jusque-là . Il +a aussi demandé d'aller passer huit jours à Naples chez M. de +Fréminville, auditeur sous-préfet à Livourne, avec qui il s'est fort +lié, et nous avons accordé. Le seul obstacle à la prolongation de son +voyage est l'argent: ses oncles et tantes ont donné entre eux +soixante-douze louis, et nous, ce que nous avons pu, ce qui n'est pas +bien considérable. Enfin, il ménagera de son mieux pour pouvoir aller +plus loin; cela l'accoutumera à l'économie dont il avait grand besoin.» + +Ainsi, grâce à l'exquise bonté de sa mère, Lamartine triomphait encore; +aussitôt il quitta Livourne pour se rendre à Rome où il arriva le 1er +novembre, sans Virieu retenu toujours au Grand-Lemps[210]. + +[Note 210: _Carnet de voyage_.] + +Ici, la documentation devient difficile; nous avons bien plusieurs +lettres de lui qui exposent sa vie et ses impressions dans la Ville +éternelle, mais elles se contredisent parfaitement. Le carnet de voyage +reflète le désenchantement le plus absolu; la _Correspondance_ est vive, +spontanée, pleine d'enthousiasme: c'est que l'un fut écrit, on le sait, +avec l'idée vague d'une publication future, tandis que les lettres nous +donnent l'expression de ses véritables sentiments. + +La description qu'il a laissée de Rome dans son carnet est sèche et +soignée; c'est un tableau banal, sans plus, mais la seule note +personnelle qu'on y rencontre mérite une mention, car elle prouve une +connaissance avertie de la nature perpétuellement insatisfaite qu'il +possède. On a vu sa joie enfantine au départ de Mâcon, et tout ce qu'il +a mis en Å“uvre à Livourne pour atteindre Rome; une fois au but, voici ce +qu'il en pense: «Je m'étais trop accoutumé, dit-il, à l'idée de voir +Rome, ce nom-là avait perdu pour moi de son enchantement; je l'avais +prononcé trop souvent, l'illusion était diminuée. C'est un malheureux +effet qu'avec mon caractère j'éprouve partout et pour tout. De loin +c'est quelque chose, et de près... c'est moins que ne me promettait mon +imagination qui va toujours trop loin et me ménage sans cesse de tristes +surprises; elle promet plus que la réalité ne peut donner et, ici comme +ailleurs, elle m'avait trompé.» Il n'y a pas dans cet aveu que des +souvenirs littéraires. + +Le reste des impressions de voyage est quelconque, les clairs de lune, +les ombres vaporeuse s'y mêlent à des souvenirs classiques et à de +pompeuses réflexions; les lettres ont un autre prix. + +«Je suis à présent fou de Rome, écrit-il à Mme Haste le 15 novembre; +c'est un paradis pour moi. Le matin, je cours, et j'ai bien de quoi +m'occuper, je vous assure; je dîne à quatre heures avec d'aimables +compagnons de course, et puis une longue leçon d'italien et puis des +artistes à aller voir, et le spectacle et quelques _converzationi_ ne me +laissent pas une minute d'ennuy.... Florence n'est rien auprès de Rome, +je me pendrais si je ne l'avais pas vue. Je forme l'agréable projet d'y +venir passer une bonne partie de ma vie, c'est le paradis des artistes +et des oisifs[211].» + +[Note 211: Lettre publiée par M. Doumic, dans le _Correspondant_ +(_op. cit._).] + +«Poète» et «artiste», au sens assez vague qu'il donnait alors à ces +mots, Lamartine ne crut jamais l'être plus sincèrement qu'à cette +époque. Artiste, depuis le séjour à Lyon, voulait dire bien des choses: +cela signifiait qu'on méprisait le reste du monde et ses banales +coutumes, qu'on vivait à sa guise, au gré du moment et sans l'accablant +souci du lendemain. Pour être un parfait artiste, encore fallait-il une +condition essentielle à ses yeux de vingt ans: l'oisiveté, la délicieuse +liberté, loin de la famille antipoétique. + +On retrouve le même enthousiasme dans une lettre à Virieu; elle est +datée du 18 novembre, soit de trois jours seulement postérieure à la +première; mais comme on relève entre les deux de notables différences de +détails, il devient assez difficile de connaître exactement quel genre +de vie mena Lamartine à Rome: + +«...Tu sais que je suis à Rome depuis un certain temps, _j'y mène la vie +d'un ermite_, j'erre le matin dans ses vastes solitudes, _tout seul le +plus souvent_; je visite, un livre dans ma poche, ces belles et désertes +galeries des palais romains, le soir je travaille ou vais visiter +quelques artistes;... _il y a huit jours que je n'ai mis les pieds au +spectacle_. Rome me plaît au delà de toute expression: son aspect, ses +mÅ“urs, son silence, sa tranquillité me font du bien. Si jamais des +malheurs irréparables m'arrivaient, je viendrais me fixer ici. Je crois +que c'est le lieu qui convient le mieux à la douleur, à la rêverie, aux +chagrins sans espoir[212].» + +[Note 212: _C._, I, p. 330, du 18 nov. 1811. C'est d'ailleurs un +phénomène fréquent dans la _Correspondance_: Lamartine ne se montrait +pas sous le même jour à Virieu qu'à Guichard; mais il était, +croyons-nous, plus sincère avec Virieu.] + +C'est le thème mélancolique du Carnet; mais si les deux lettres +témoignent de la même admiration, on voit aussi qu'elles offrent un +certain contraste. Laquelle est sincère? probablement les deux. Comme à +Mâcon, Lamartine connut à Rome des revirements soudains, et chaque fois +qu'il exprimait un état d'âme sa bonne foi était absolue. De son côté, +Mme de Lamartine recevait des lettres fiévreuses, et elle écrivait le +3 novembre: + +«Alphonse m'a écrit une lettre de Rome, dans le premier enthousiasme, +sur toutes les beautés qu'il voyait. Il était vraiment enchanté, et il +m'a fait partager son bonheur. Si j'étais plus riche, ajoute-t-elle +mélancoliquement, je voudrais aller voir cette ville si célèbre, mais je +dois à présent renoncer à toutes les satisfactions de ce monde.» + +Ainsi, il semble que Lamartine goûta très profondément la splendeur de +Rome et s'y plut même au point d'hésiter à partir pour Naples. Il s'y +décida pourtant à la fin de novembre[213]. + +[Note 213: _Carnet de voyage_. _C._, I, p. 344, du 8 déc. 1811.] + + * * * * * + +De tout le voyage d'Italie, c'est assurément le séjour à Naples qui lui +laissa les plus fortes impressions. La _Correspondance_, les +_Confidences_, les _Mémoires inédits_ témoignent de l'inoubliable +souvenir qu'il en conserva. Cette fois, les projets d'étude étaient +loin, la prose fut abandonnée et la poésie reprit ses droits: odes +légères, païennes, latines, pleines de la joie de vivre, qui figurent +par des rappels de ton dans des strophes exquises du _Passé_; par elles +on peut se rendre compte de ce que furent ces premiers poèmes, détruits +plus tard parce qu'ils portaient l'empreinte de la vie indolente et +facile de Naples qu'il goûta sous ses deux formes les plus habituelles, +l'amour et le jeu. + +Si l'on parvient à combler les lacunes de la _Correspondance_, +manifestement très importantes pour 1811, il sera alors possible de +connaître en détail la vérité sur ce séjour à Naples qui demeure encore +très mystérieux. Peut-être l'épisode de _Graziella_ contient-il des +morceaux autobiographiques aussi véridiques que _Raphaël_, peut-être les +_Mémoires inédits_ sont-ils exacts sur bien des points; actuellement, +pourtant, nous manquons de contrôle et, connaissant la poétique manière +dont Lamartine a souvent traité ses souvenirs, il serait hasardeux ici +de les accepter à la lettre. + +Mais Graziella, néanmoins, n'est pas qu'une héroïne de roman. Nous +savons en effet par une des lettres publiées par M. Doumic, qu'elle +exista réellement, bien mieux même, qu'elle porta la première ce nom +d'Elvire qui devait plus tard immortaliser Mme Charles[214]. +Aujourd'hui, le seul renseignement précis que nous possédions sur la +petite cigarière de Naples est celui-ci: En 1816, Lamartine avait fait +parvenir à Mme Charles quelques-uns de ses poèmes; ils faisaient +partie, sans doute, de ces deux volumes d'élégies composées de 1811 à +1813, et inspirées, prétend Lamartine, par la mémoire de Graziella +désignée sous le nom d'Elvire. Aussitôt, Mme Charles interrogea +Virieu sur cette première Elvire et celui-ci répondit avec assez de +désinvolture: _Oui, c'était une excellente petite personne pleine de +cÅ“ur et qui a bien regretté Alphonse; mais elle est morte, la +malheureuse! elle l'aimait avec idolâtrie! elle n'a pu survivre à son +départ._ Et Mme Charles, en rapportant ces paroles à Lamartine, +ajoute: «Oh, mon Alphonse! qui vous rendra jamais Elvire? qui fut aimée +comme elle? qui le mérite autant? Cette femme angélique m'inspire jusque +dans son tombeau une terreur religieuse. Je la vois telle que vous +l'avez peinte et je me demande ce que je suis pour prétendre à la place +qu'elle occupait dans votre cÅ“ur». + +[Note 214: Cf. R. Doumic, _Lettres d'Elvire à Lamartine_ (1 vol., +1905).] + +De ceci on peut déduire que la fin de Graziella, tout au moins, est +exacte; mais Mme Charles ne s'exagérait-elle pas la passion de +Lamartine pour la jeune fille? Par Graziella, comme par elle plus tard, +comme par toutes les femmes, il se laissa sans doute doucement adorer, +avec quelque cruauté, et quitte à pleurer plus tard ce qu'il avait +perdu. + +Lamartine arriva à Naples le 1er décembre 1811; encore tout ébloui +des merveilles de Rome, son intention était de n'y demeurer que peu de +jours. Logé chez un cousin de sa mère, M. Dareste de la Chavanne, +directeur des Tabacs, il pensait s'y ennuyer. Mais, dix jours après son +arrivée, il reconnut que Rome était dépassée. Les notes de +voyage--«l'itinéraire» qu'il s'était imposé--furent abandonnées le 13 +décembre, et ses lettres à Virieu montrent à l'évidence l'intensité +voluptueuse des sensations nouvelles qu'il connut sous le ciel de +Naples. Le 15 décembre, il écrit: «Je suis ici peut-être encore pour un +petit mois, et qui sait? peut-être plus. Je n'ai fait aucune économie +parce que étant tout seul je n'ai pas le courage d'en faire. J'ai tout +jeté par les fenêtres et je suis à sec[215].» Un mois après son arrivée +il était encore soumis au charme, ce qui peut paraître rare chez lui. La +lettre est trop révélatrice de cet état d'âme pour ne pas la citer: + +«Sais-tu que dans ma belle indifférence j'étais tenté de ne pas venir à +Naples? J'aurais perdu le plus beau spectacle du monde entier qui ne +sortira plus de mon imagination, j'aurais manqué ce qu'il y a de plus +intéressant en Italie pour une tête faite comme la nôtre. Les mots me +manquent pour te décrire cette ville enchantée, ce golfe, ces paysages, +ces montagnes uniques sur la terre, cet horizon, ce ciel, ces teintes +merveilleuses. Viens vite, te dis-je, et tu crieras plus haut que moi. + +[Note 215: _C._, I, p. 342, du 15 déc. 1811.] + +«Je suis solitaire, je vis seul, partout seul, avec mon domestique et un +guide. Je suis monté seul au Vésuve, j'ai déjeuné seul dans l'intérieur +du cratère, je suis allé seul à Pompéi, à Herculanum, à Pouzzoles, +partout; demain je vais seul à Baïa. Ah! que n'es-tu ici! Pourquoi le +ciel a-t-il refusé à mes prières un compagnon tel que toi? mais je me +soumets et me tais. Respectons les décrets de cette Providence inconnue +que je cherche toujours et que je crois sentir quelquefois, surtout dans +le malheur, Qu'en penses-tu? + +«Je me trouve en ce moment-ci sans le sol et avec des dettes à Naples. +Je ne pourrai pas en partir si je ne trouvais pas une âme _charitable_ +qui eût la complaisance de me prêter quelques ducats. Je ne sais trop si +je les trouverai. Je m'endors là -dessus et fais une dépense de fol en +attendant. Tu ne saurais croire à présent à quel point je porte +l'insouciance et l'imprévoyance partout, c'est l'air du pays: Je deviens +un vrais lazzarone. J'ai gagné enfin le sommet élevé du haut duquel je +vois tout sans que rien m'atteigne. Je dors, j'oublie le beau toscan, le +majestueux romain, je parle napolitain, c'est une autre langue; je ne +fais rien, rien du tout, je lis à peine des bêtises que j'ai lues cent +fois; je ne vais ni dans la société ni même aux théâtres; je ne suis +plus qu'un lourd composé de paresse, de mollesse, de fierté et de +petitesse, ça m'est égal[216].» + +[Note 216: _C._, I, p. 343-46, du 28 déc. 1811.] + +Ainsi Florence et ses monuments, Rome et ses ruines, tout le charme +mélancolique de l'Italie, cédèrent, de son propre aveu, devant le +paysage et le soleil de Naples, _ce qu'il y a de plus intéressant en +Italie pour une tête faite comme la nôtre_. Ainsi la simple nature +l'emporta cette fois sur le décor, mais toujours avec l'indispensable +élément sans lequel à ses yeux toute jouissance était imparfaite: la +solitude. Ainsi l'indifférence la plus absolue fit vite place à +l'inquiétude de cet insatisfait. + +À Naples, Lamartine connut les seules minutes d'apaisement et +d'équilibre moral de toute sa jeunesse. Il y lut «des bêtises» et en fit +pas mal; il écrivit des vers agréables mais dans le goût du temps, et il +apparaît encore ici pleinement que chez lui, les grandes choses, ne +s'engendreront jamais que dans la tristesse. À ne considérer strictement +que ses résultats, ce voyage d'Italie ne lui fournit que des thèmes +lyriques un peu factices et dépourvus d'originalité; il ne fut jamais +fait pour chanter l'allégresse, mais la douleur. + + * * * * * + +À la fin de janvier 1812 pourtant, il en arriva à être saturé de +plaisirs, «sans émulation et sans curiosité pour rien[217]». «Sans +l'espoir de te voir arriver, écrit-il alors à Virieu, il y a longtemps +que j'aurais secoué la poussière de mes pieds. Je suis sans le sol, je +viens de me mettre à jouer, j'ai gagné en deux jours une quarantaine de +piastres. Je vais peut-être les reperdre ce soir en voulant pousser plus +loin. Je maudis tout.» C'était la réaction habituelle; la lassitude +succédant sans transition à l'enthousiasme. + +[Note 217: _C._, I, p. 355, du 22 janvier 1812.] + +Sous l'empire d'un tel état d'esprit et dans la situation pécuniaire où +il se trouvait, rien ne le retenait plus à Naples, si ce n'est l'idée de +reprendre sa vie monotone à Milly. Il regagna pourtant la France, mais +sans hâte, s'attardant quelques semaines encore à Florence, puis à Rome. +Après un court arrêt sur les bords du lac Majeur il traversa la Suisse +et arriva à Mâcon au début de mai[218]. + +[Note 218: _J. I._, table des matières.] + +L'accueil qu'on lui fit fut assez froid; on en trouve la preuve tacite +dans la disparition de quelques feuillets du _Journal intime_, feuillets +qui sont cités à la table du petit cahier avec la mention: _retour +d'Alphonse, oisiveté, découragement_. Cette mutilation, comme beaucoup +d'autres, est l'Å“uvre de Lamartine. Lorsqu'il rédigea à la fin de sa vie +_le Manuscrit de ma mère_, il n'hésita pas, craignant sans doute que la +postérité ne les retournât contre lui, à détruire plusieurs pages où sa +mère avait noté en pleurant toutes les manifestations de son caractère +ombrageux et difficile. + +Car le jeune homme s'accommoda mal de la petite vie régulière et simple +qu'il lui fallut reprendre au retour. Après dix mois d'indépendance, le +contraste fut violent et insupportable, d'autant qu'il avait pris en +Italie le goût de plaisirs insoupçonnés jusqu'alors et l'habitude de +dépenses qu'il ne pouvait guère satisfaire sous l'Å“il sévère de l'oncle +de Montceau. Après le golfe de Naples et sa lumière, les collines de +Milly lui parurent grises, sans horizon. Il devint sombre, incapable +d'un effort pour se reprendre, s'enferma dans sa chambre à pleurer[219]. + +[Note 219: _J. I._, 16 juin 1812.] + +À traîner ainsi son désÅ“uvrement et sa mélancolie, il finit par +inquiéter même son père qui, pour l'occuper un peu et l'attacher +davantage à ce pays qu'il avait pris en horreur, le fit nommer maire du +village[220]. À la fin de mai, n'y tenant plus, il se sauva à Montculot, +sa retraite habituelle lorsqu'il voulait vivre avec ses souvenirs, car +le brave abbé n'était pas gênant et le laissait libre[221]. Là , il lui +emprunta quelques louis et hanté par Paris où il pensait retrouver un +peu des plaisirs de Naples, il partit s'y installer les trois premières +semaines d'août. En cette saison, la ville était vide et il s'y ennuya +mortellement[222]. Le 20, on le retrouve à Milly, insupportable à tous, +même à sa mère qui le trouve «nerveux et un peu dur»; on devine ce que +«un peu dur» signifie sous cette plume. + +[Note 220: _Id._, 25 juin, et archives communales de Milly. Il +demeura maire jusqu'en 1815, mais s'occupa rarement des affaires du +village, sauf au moment de l'invasion de 1814 où il dut fournir les +réquisitions de l'armée autrichienne.] + +[Note 221: _Id._, 27 mai 1812.] + +[Note 222: _C._, I, p. 364, du 20 août 1812.] + +Comme toujours dans ces crises, fréquentes on l'a vu, depuis trois ans, +il se réfugia dans la solitude, écÅ“uré de cette vie «trop longue»[223]. +Puis l'imagination se mit à vagabonder et lui rendit quelque force: il +rêva d'un ermitage à la Rousseau où Virieu et Guichard seraient ses +compagnons[224] et, pour se distraire, il rima en quinze jours le +premier acte d'un _Saül_, fuyant le monde non plus cette fois par +timidité, mais par dégoût et mépris; le mariage de sa sÅ“ur le +«dérangeait» et le «cher beau-frère» l'ennuyait[225]. Petite vanité +d'adolescent qui vient de découvrir le monde et médit de sa mesquine +province. Il ne faut pas s'exagérer la portée de ce nouvel état +d'esprit, mais on doit constater seulement qu'au retour d'Italie, +Lamartine souffrit d'une rechute aiguë de sa neurasthénie. + +[Note 223: _C_., I, p. 364, du 20 août 1812.] + +[Note 224: _Id_., _ibid._] + +[Note 225: _Id_., p. 371, du 17 nov. 1812.] + + + + +CONCLUSION + +LAMARTINE À VINGT ET UN ANS + + +Les enfants qui naquirent du début de la Révolution à la fin de l'Empire +connurent tous une jeunesse à peu près identique; elle influera +profondément sur leurs destinées futures et déterminera jusqu'en 1830 le +malaise général appelé romantisme et qu'il ne faut pas limiter à la +seule littérature. + +Cette jeune génération a été jugée de trois manières différentes, mais +qui toutes se justifient aisément pour peu que nous nous replacions dans +les conditions où ces opinions contradictoires ont été formulées. + +Aux yeux de leurs parents, gens du XVIIIe siècle et endurcis par les +rudes épreuves de la Révolution, ces adolescents apparaîtront le plus +souvent comme des incapables et des inutiles, désarmés devant +l'existence, amollis par leur éducation toute féminine et qui rompent +avec les saines traditions de la famille. Les mères les ont élevés +jalousement, avec la crainte éternelle de les voir parcourir l'Europe à +la suite du conquérant: ainsi tenus à l'écart de la seule activité que +connurent les hommes d'alors, puisque la politique était muselée, ils se +réfugièrent entièrement dans le monde de la pensée; l'énergie virile +finit par s'user chez cette jeunesse contemplative et câlinée et leur +âme n'exista bientôt plus comme volonté, mais comme sensibilité. + +À leurs propres yeux, ce qu'ils parviendront à voir de plus clair en +eux-mêmes sera l'indécision de leur nature, incapable de rien fixer, +déroutée qu'elle est par le contraste absolu du milieu et de leur +personnalité. Les principes du passé dans lesquels ils ont été élevés +leur pèsent durement, car ils ne cadrent plus avec les conditions de la +vie nouvelle et surtout avec l'âme que les événements leur ont faite. Il +en résultera un conflit perpétuel de sentiments intérieurs, une +incertitude du but à atteindre, en un mot un véritable déséquilibre +moral où le découragement et la lassitude finiront par dominer. À force +de ne voir personne autour d'eux répondre aux passions, d'ailleurs +indécises, qui les tourmentent, ils en arriveront vite à se croire +différents du reste du monde, les uns avec orgueil, les autres avec +tristesse; de bonne heure tout effort leur paraîtra vain, et ils vivront +dès lors entièrement en eux-mêmes, dans une solitude mélancolique qui +achèvera d'exaspérer leur sensibilité et de ruiner leur énergie morale. + +Aux yeux de la postérité enfin, ils seront des individus encore +hésitants et isolés, doutant de leur destinée jusqu'au jour où le +groupement en commun les révélera à eux-mêmes en apportant à chacun la +preuve que les sentiments confus et contradictoires qui l'agitent ne lui +sont pas particuliers. + +Lamartine à vingt et un ans résume en lui tous les caractères de ces +jeunes âmes inquiètes où le passé et le présent se livrent une lutte de +tous les instants. À considérer le romantisme comme une expansion +débordante de l'individu, il est en date et en fait le premier des +romantiques; il devient au contraire le dernier des classiques si l'on +étudie le mouvement littéraire de son époque en tant qu'affranchissement +des vieilles formules. C'est qu'en réalité son Å“uvre reflète sa vie +même, classique de forme, romantique de pensée, comme toute son +adolescence où l'on assiste au conflit quotidien de ses aspirations très +romantiques et de son éducation très classique. + + * * * * * + +Dans toute destinée, il est une part dont l'homme n'est pas responsable, +faite de trois éléments infiniment délicats et qu'il est difficile +d'apprécier à leur valeur. L'un comporte ce que les ancêtres lui ont +transmis d'instincts ataviques, peu à peu anéantis, modifiés ou +développés selon les circonstances ou les conditions nouvelles de la +vie; l'autre est l'Å“uvre de ceux dont il dépend pendant son enfance et +qui assument la tâche de façonner son âme au moment où elle est encore +molle; le dernier, enfin, comprend la manière dont la société +l'accueille le jour où il est forcé d'avoir recours à elle, avec +sympathie, pitié, mépris ou indifférence. C'est leur étude que nous +avons tentée pour Lamartine dans les pages qui précèdent et il nous +semble que si on voulait maintenant les résumer brièvement il serait +possible de le faire ainsi: + +Une hérédité saine et attachée au sol natal, foncièrement religieuse et +point corrompue par les théories matérialistes du XVIIIe siècle; un +milieu intransigeant et formaliste qui s'efforce de perpétuer +tardivement les traditions du passé, et redoute d'autant plus les idées +du temps qu'il les croit issues d'une époque dont il a souffert et d'un +régime qu'il abhorre; une mère profondément pieuse, aimante et tendre, +mais sentimentale à l'excès, inquiète et doutant d'elle-même; un père +excellent, quoique indifférent aux nuances de l'âme; un décor +naturellement mélancolique, mais qui le deviendra davantage encore aux +yeux d'un adolescent avide de sensations nouvelles, de plaisirs et de +liberté. + +Puis un enfant dont les premières années ont été assombries et +silencieuses, d'une nature tendre, comme celle de sa mère, décidée et +volontaire, comme celle des Lamartine; une première éducation toute +paysanne et maternelle, remplacée sans transition par l'internat loin du +foyer et dont la contrainte l'affecte profondément; plus tard, des +études peu solides et exclusivement religieuses chez les Jésuites de +Belley où s'exalte encore sa précoce sensibilité. + +Enfin, à dix-huit ans, le retour dans la famille, début d'une période de +long désÅ“uvrement. Dès cette époque, sinon une vocation littéraire très +nette, du moins une extrême facilité pour la poésie; mais aucune +direction dans ses goûts qu'il lui faut cacher, aucun plan d'études +sérieusement organisé, en un mot une dépense inutile d'énergie accrue +encore par une imagination impossible à maîtriser et des lectures +d'autant plus impressionnantes qu'elles sont faites en secret; une âme +mobile et pleine de contrastes, à la merci de toutes les chimères, +prompte à s'enthousiasmer mais qu'un rien rebute, et faite de +revirements brusques comme si elle était perpétuellement à la recherche +de l'équilibre qui lui manque; des froissements avec le chef de famille, +dont il sort aigri et découragé; des amis qu'il voit de loin en loin et +dont le meilleur des confidences s'échange par lettres toujours plus +exagérées et moins soulageantes que les paroles; quelques amourettes +plus cérébrales que physiques, des ébauches poétiques qui l'enflamment +encore: en tout, enfin, une conception uniquement littéraire et +romanesque de l'existence. + +La famille s'inquiète de ces tendances et commence alors à les combattre +par tous les moyens dont elle dispose; elle décide enfin de l'éloigner, +et c'est le voyage d'Italie pour changer d'air ce grand garçon dont +l'oisiveté irrite sourdement les siens. Mais les conséquences n'en +furent pas celles qu'ils avaient prévues, puisqu'au retour de Naples le +fossé va s'approfondir encore entre le jeune homme et son milieu. + +Ici se termine la jeunesse de Lamartine; dans une seconde partie, qui +comprendra les années 1812-1820, nous étudierons prochainement les deux +grandes crises morales qui le mûriront en modifiant complètement sa +nature et d'où naîtront les _Méditations_. + +Mâcon-Paris, 1908-1910. + +* * * + + + + +APPENDICE + +GÉNÉALOGIE ET BIBLIOGRAPHIE DE LA FAMILLE DES ROYS + + +Descendance d'Antoine Grimod et de Marguerite le Juge. +(Sept enfants.) + +Ier Rameau: _de la Reynière_, fondu dans les familles DE MAC-MAHON, +DE ROSANBO, DE LA TOUR DU PIN-VERCLAUSE et DE TOCQUEVILLE. + + Gaspard Grimod (1687-?), + ép.: 1º Jeanne Labbé (?); + 2º Marie Mazade (1719) + (remariée à Honoré de la Ferrière). + | +----+-------------------+----------+-------+-------------------+ + | | | | +_1er lit._ _1er lit._ _2e lit._ _2e lit._ +Jean-Gaspard Marie-Françoise Françoise-thérèse Marie-Madeleine G. +G. de la Reynière G. de la Reynière, G. de la Reynière, de la Reynière, ép. +(1723-1797), ép. ép. Jean-Louis ép. Chrétien Marc-Antoine de +Françoise de Moreau de Beaumont Guillaume de Lévis-Lugny. +Jarente (1753). (1743). S. P. Lamoignon de + | Malesherbes. + | | +Alexis-Baltazar Marguerite-Thérèse +Laurent G. de la de Lamoignon +Reynière ép. Louis le +(1785-1837) ép. Peletier de Rosanbo. +Adèle Thérèse | +Feuchère. S. P. ----+-------------------+-------------------+-------------- + | | | + Jean-Marie-Louis Thérèse de Rosanbo Louise-Madeleine + de Rosanbo (1771-1794), de Rosanbo + (1777-1856), ép. ép. J.-B.-Auguste (1771-1856), ép. + Henriette-Geneviève de Chateaubriand J. Bonaventure de + d'Andlau (1798). (1786). Tocqueville (1796). + | | | +----+-------------------+-------------- | | + | | | | +Henriette-Madeleine Ludovic de Rosanbo Louis-Geoffroy de Alexis-Charles-Henry +de Rosanbo, ép. (1805-1862), Chateaubriand de Tocqueville +Charles, marquis ép. Elisabeth-Aglaé (1790-1878), ép. (1805-1859). +de Mac-Mahon. de Ménard. Henriette-Zélie + d'Orglandes. + +* * * + +IIe Rameau: fondu dans les familles DARESTE, D'HAUTEROCHE, CARRA DE +VAUX, et par les LAMARTINE dans les familles DE CESSIAT, DE COPPENS, DE +LIGONNÈS, DE MONTHEROT et leur postérité. + +Marguerite Grimod, +ép. 1º François Mauverney; +2º Charles Gavault. + | +Françoise Mauverney, +ép. Charles Gavault +(fils d'un premier lit +du précédent), + | +----+-----------------------------------------------------------+------------ + | | +Françoise Gavault, Marie-Marguerite +ép. Jacques Dareste de la Plagne Gavault, +(1743). ép. Jean-Louis + | Des Roys (1757). + | | +----+-------------------+-------------------+------------ | +Antoine Dareste Marie-Antoinette Claudine | +de la Chavanne, Dareste Dareste de la | +ép. 1º Jeanne de la Chavanne, ép. Chavanne, ép. | +Palais (1784); François-Pierre Auguste Vasse | +2º Charlotte Boussard de Roquemont | +Charvait (1799). d'Hauteroche (1774) (1782) | + | | +J.-B. Dareste | +de la Chavanne | +(1789-1879), | +ép. Claire-Marie | +Dareste, sa cousine | +(1820). | + | +----+-------------------+-------------------+-------------------+------------ + | | | | +Césarine Des Roys, Catherine Françoise Émilie Des Roys, Alix Des Roys +ép. Pierre-Benoît Des Roys. ép. ép. X. Papon ép. Pierre +Carra de Vaux Charles Henrion de de Rochemont de Lamartine +(1788). Saint-Amand (1778). (1783). (1790). + | | | | +Alexandre Angélique Henrion Françoise Papon Alphonse +Carra de Vaux, de Saint-Amand de Rochemont, de Lamartine +ép. Nathalie (1781-1810), religieuse. (1790-1869). +Marchand (1832). ép. 1º Claude S. P. + Amable, marquis de + Prez; + 2º Joseph-Marie, + vicomte Pernetty. + S. P. + +* * * + +IIIe Rameau: de Dufort d'Orsay, fondu dans la famille ducale DE +GRAMONT. + + Pierre Grimod de Dufort d'Orsay + (1692-1748), + ép. 1º Florimonde Savalette (1736); + 2º Elisabeth de Gourtin (1745); + 3º M. A. Félicité de Caulaincourt (1748). + | + _3e lit._ + Albert Gaspard Marie, comte d'Orsay (1748-?), + ép. 1º Amélie, princesse de Croÿ; + 2º Josèphe de Hoenloe Bartenstein (1784). + | + Marie-Albert Gaspard, + comte d'Orsay (1772-1843), + ép. Éléonore de Franquemont (1792). + | +----+-------------------+-------------------+--------------- + | | +Gillion Gaspard Alfred, Anna-Ida d'Orsay +comte d'Orsay (1801-1852), (1802-1882), +ép. Anne-Françoise ép. Héraclius, +Gardiner (1827). duc de Gramont +S. P. (1818). + | +------------------------+-------------------+-------------------+--------------- + | | | | +Antoine-Alfred Antoine-Auguste Alfred-Théophile Aglaé-Ida de Gramont +Agénor de Gramont de Gramont, de Gramont (1836-1875), +(1819-1880), duc de Lesparre (1823-1881), ép. ép. Théodore, +ép. Marie ép. Marie-Sophie Charlotte-Cécile marquis du Praz +Mac Kinnon (1848). de Ségur (1844), de Choiseul-Praslin (1850). + branche éteinte (1848). + dans les mâles + +* * * + +IVe Rameau: de Verneuil, fondu dans la descendance de LUCIEN +BONAPARTE, prince de CANINO. + + Antoine-François Grimod de Verneuil + (1696-1765), + ép. Henriette-Adélaïde de Tilly (1736). + | + Marie-Gasparde Grimod de Verneuil + (1738-1804), + ép. Jean-Charles Bouvet (1759). + | + Jeanne-Louise-Bouvet + (1759-1817), + ép. Charles-Jacob de Bleschamp (1777). + | + Alexandrine de Bleschamp + (1778-1855), + ep. 1º Henry Jouberthon (1797); + 2º Lucien-Bonaparte (1802). + | +----+-------------------+-------------------+-------------------+--------------- + | | | | +Charles-Lucien- Lætitia Bonaparte Louis-Lucien Pierre Napoléon +-Jules Bonaparte (1804-1862), ép. Bonaparte Bonaparte (1815-81), +(1802-1857), ép. Thomas Wyse (1813-95), ép. ép. Justine-Éléonore +Charlotte Bonaparte (1834). Marianne Cecchi Ruflin. +(1822). (1832). S. P. | + Roland Bonaparte, + ép. Marie Blanc + (1880). + | + Marie Bonaparte, + ép. prince George + de Grèce. + +* * * + +Tableau généalogique de la famille Des Roys (1500-1790). + +Mathurin Louis Denis Des Roys Catherine +Des Roys, Des Roy, ép. Des Roys, ép. +religieux. religieux 1° Claude de Lagrevol; Pierre Aurelle. + 2°Isabelle Vacherelle. + | +-------+---------------------+------+------------+----------------+---- + | | | | +Antoine Des Pierre Des Roys, Antoine Des Roys Aymard Marthe Des Roys, +Roys, ép. ép. ? (le jeune), Des Roys, ép. Antoine +Marguerite de | religieux. religieux. de Romezin +Jussac | d'où postérité, éteinte +de Baulmes | u cours du XVIIIe siècle. +(1533). | +-------+-------------------------------+--------- + | | +Sébastien Des Roys, Claude Des Roys, +ép. Claude de Guilhon mort sans alliance + (1588). + | +-------+-------------------+--------------+-------------------------------+ + | | | | +Gaspard Des Roys, Melchior Des Roys, Marie Pierre Des Roys, +ép. Jeanne ép. Françoise Des Roys, ép. Catherine +de Cohacy (1588) Faure de Marnans ép. Jean Pollenon Des Olmes +(sans postérité). (1619). d'où postérité. (1618). + | | +-------+---------+--------+-------+-------------+--------------+----- + + | | | | | | +Baltazar Marie Des Roys, Marie Magdeleine Marie Amable Marie Des Roys, | +Des Roys, ép. Des Roys, Des Roys ép. | +ép. Pierre Roche religieuse. religieuse Jacques Rochet | +Claude (sans postérité). | +des Olmes | +(1650). +--------------+-----------+------+ + | | | | + | Philiberte Claude Des Roys, Jeanne + | Des Roys, ép. mort Des Roys, ep. + | Louis de Romezin sans alliance. Antoine Varillon + | d'où postérité. du Sarzier. d'où postérité. +---+-+-----------------+--- | + | | Marie +Pons Gaspard Cristofle de Rornezin, +Des Roys, Des Roys, ép. ép. 1° Claude +ép.Louise Demeure Marie de Romezin, Ferrapie (1685); +(1679). veuve de Claude 2° Cristofle + | Ferrapie (1701). Des Roys, + | son cousin. +Claude Des Roys, +ép. Françoise +Pagey (1717). + | +Jean-Louis +Des Roys, ép. +Marguerite Gavault +(1757) + | +-----+--------------------+--------- + | | +Césarine Des Roys, Alix Des Roys, ép. +ép. Pierre Carra Pierre de Lamartine +De Vaux (1788). (1790). + | | +Alexandre Ca Alphonse +de Vaux. de Lamartine. + +* * * + + + + +Bibliographie des Å“uvres de Lyon Des Roys. + + +L'ILLUSION, vers couronnés, in-8 de 6 p. (s. l. s. d.). + +L'ANESSE, moralité, in-8 de 3 p. (s. 1. s. d.). + +LE TABAC, poème, au Cn D*** fabricant de tabac, in-8 de 5 p. (s. 1. +s. d.). + +LA GÉOMÉTRIE en vers techniques- _il existe deux éditions de cet +opuscule._ 1º: par D. R. ancien doyen de Mortain (?), maître de +mathématiques. À Paris, chez les libraires du Palais. - Egalité an +IX-1801 (in-8 de 18 p.); 2º: par Desrois ancien doyen de Mortain. À +Paris, chez l'auteur rue de la loi maison du Cn Dareste nº 74, près +la rue Feydau, an IX-1801 (in-8 de 20 p.). + +EPITRE AUX COMÉDIENS, par Desroys [_avec cette épigraphe_:] facit +indignatio versum. - Se vend au Palais du Tribunal, galerie de la Foi, +nº 50, où l'on trouve la tragédie du Dernier des Romains, la Géométrie +envers, l'Illusion. An X (in-8 de 6 p.). + +EPITRES à Dazincour, à Madame D. L. V. jouant de la harpe, etc., par +Desroys auteur de l'épitre aux comédiens - prix; 50 centimes. À Paris +chez Desenne, libraire du Tribunal, nº 2, et chez les marchands de +nouveauté. An X-1802 (in-8 de 8 p.). + +LE DERNIER DES ROMAINS, tragédie en cinq actes par D. R. [_avec cette +épigraphe_:] Quam dulcis sit libertas... ostendam. Prix. 1 fr. 65. À +Paris chez Barba et Desenne au septième (in-8 de 74 p.). + +Å’UVRES DRAMATIQUES de ***. Le dernier des Romains, tragédie en cinq +actes. L'anti-philosophe, comédie en cinq actes et en vers. À Paris an +VIII (1800) (in-8 de 162 p.). + + + + +* * * + +DU MÊME AUTEUR + + +À LA MÊME LIBRAIRIE + +L'Elvire de Lamartine et les Méditations. Un volume. + +(_En préparation_.) + +1811 10.--Coulommiers. Imp. PAUL BRODARD.--311. + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of Les Origines et la Jeunesse de +Lamartine 1790-1812, by Pierre de Lacretelle + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LAMARTINE *** + +***** This file should be named 22077-0.txt or 22077-0.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + http://www.gutenberg.org/2/2/0/7/22077/ + +Produced by Chuck Greif and the Online Distributed +Proofreading Team at DP Europe (http://dp.rastko.net) + + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. 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You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: Les Origines et la Jeunesse de Lamartine 1790-1812 + +Author: Pierre de Lacretelle + +Release Date: July 15, 2007 [EBook #22077] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LAMARTINE *** + + + + +Produced by Chuck Greif and the Online Distributed +Proofreading Team at DP Europe (http://dp.rastko.net) + + + + + + + + + +PIERRE DE LACRETELLE + +LES ORIGINES + +ET LA JEUNESSE DE LAMARTINE + +1790-1812 + +PARIS + +LIBRAIRIE HACHETTE ET Cie + +79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 79 + +1911 + +Droits de traduction et de reproduction réservés. + + + + +TABLE DES MATIÈRES + + +PRÉFACE + +PREMIÈRE PARTIE + +LES ORIGINES + +CHAPITRE + +----I.--Les Lamartine + +---II.--Les Des Roys + +DEUXIÈME PARTIE + +LE MILIEU + +-----I.--La famille + +----II.--La mère + +---III.--Les Lamartine pendant la Terreur.--Les premières années + +----IV.--Le décor.--Les voisins + +TROISIÈME PARTIE + +LES ANNÉES D'ÉTUDE + +-----I.--L'abbé Dumont + +----II.--L'institution Puppier + +--III.--Le collège de Belley + +QUATRIÈME PARTIE + +LA FORMATION DE LA PERSONNALITÉ + +-----I.--La vie solitaire. + +----II.--La crise littéraire.--Le premier amour. + +---III.--Le premier voyage + +CONCLUSION.--Lamartine à vingt et un ans + +APPENDICE + + + + +PRÉFACE + + +Sainte-Beuve a écrit: + +«Lamartine est de tous les poètes célèbres celui qui se prête le moins à +une biographie exacte, à une chronologie minutieuse, aux petits faits et +aux anecdotes choisies. Son existence, large, simple, négligemment +tracée, s'idéalise à distance et se compose en massifs lointains à la +façon des vastes paysages qu'il nous a prodigués... Il est permis, en +parlant d'un tel homme, de s'attacher à l'esprit du temps plutôt qu'aux +détails vulgaires qui chez d'autres pourraient être caractéristiques... +Qu'importent donc quelques détails de sa vie[1]?» + +[Note 1: Sainte-Beuve, _Portraits contemporains_, t. I (Lamartine).] + +Il paraît difficile d'admettre aujourd'hui sans discussion qu'un +critique aussi pénétrant ait commis une telle erreur; sans doute +avait-il ses raisons de parler ainsi, et peut-être ne faut-il voir dans +cette opinion exagérée que l'excuse honorable pour les romantiques d'un +éloignement dont ils furent tous secrètement blessés; écartés de +l'existence du poète, ils déclaraient que le détail en était sans +importance, et n'ajoutait rien à la compréhension de son oeuvre. + +Malheureusement, il semble que les biographes de Lamartine aient pris +jusqu'ici le jugement de Sainte-Beuve pour base de leurs travaux, dont +la plupart ne sont que des fragments plus ou moins commentés de ses +innombrables souvenirs de jeunesse, source dangereuse et dont il importe +de se méfier, surtout pour la période antérieure à 1820. Écrits à une +époque où pour oublier le présent il se retrempa dans son passé, ils +composent plus exactement l'image de celui qu'il se crut ou aurait voulu +être plutôt que celui qu'il fut réellement. Aussi, doivent-ils être +utilisés avec une extrême précaution. + +Depuis quelques années déjà, la méthode historique a été introduite dans +le domaine littéraire et, si elle a ses inconvénients, elle a surtout +d'excellents côtés. Les études lamartiniennes en ont profité; divers +travaux ont été publiés qui soumettent les récits du poète à un contrôle +sévère en même temps qu'ils mettent en lumière des faits nouveaux. La +légende de Lamartine adolescent tend à disparaître pour faire place à +une réalité autrement vivante et l'on commence à comprendre que son +oeuvre nécessite une biographie minutieuse et presque quotidienne. + +Mais s'il importe de rechercher les causes des états d'âme multiples et +contradictoires que reflète sa poésie, les _Méditations_, surtout, +écrites sans souci de la postérité et de la gloire à une époque indécise +et tourmentée de sa vie, réclament un commentaire infiniment plus précis +que celui qu'il nous a laissé; replacées dans leur véritable cadre, +éclairées par les circonstances qui déterminèrent, retardèrent ou +hâtèrent leur éclosion, elles deviennent plus humaines encore, parce que +plus sincères, et singulièrement émouvantes: en elles, aucun artifice +littéraire, nul désir d'introduire un mode nouveau de pensée: ce livre +qui devait révéler la jeunesse romantique à elle-même et marquer le +début d'un mouvement unique dans l'histoire des lettres françaises, fut +écrit sans ambition et presque négligemment. À comparer le manuscrit de +_Saül_, médiocre tragédie en cinq actes, amoureusement calligraphié sur +beau vélin, et les ébauches crayonnées hâtivement qui sont le premier +jet des _Méditations_, on se rend compte que Lamartine ne les +considérait que comme des notations intimes de ses états d'âme et sans +intérêt pour le public. Ce sont là des conditions de sincérité qui font +d'elles un précieux document psychologique pour l'étude de la jeune +génération romantique, et c'est ce que nous avons tenté d'établir ici. + +Ce volume n'a d'autres prétentions que d'être la mise au point et +l'utilisation de récentes publications dont on trouvera le détail au +cours des chapitres qui suivent; nous y avons pourtant ajouté bon nombre +de sources jusqu'ici demeurées inédites et sur lesquelles nous devons +ajouter quelques mots. De l'oeuvre publiée de Lamartine nous n'avons +conservé que la _Correspondance_, dont il nous faut ici déplorer les +lacunes et le classement souvent défectueux; volontairement, nous avons +écarté tous les souvenirs rédigés sur ou par Lamartine postérieurement à +1820, sauf lorsqu'il nous a été possible de les vérifier, pour ne +retenir que les lettres et témoignages contemporains de la période qui +nous occupait; écrits à une époque où son avenir était impossible à +prévoir, ils le montrent sans aucun ménagement sous son jour véritable +et tel qu'il apparaissait alors aux yeux de sa famille et de ses +relations. + +En premier lieu, nous avons eu à notre disposition un important +manuscrit, le _Journal intime_ de sa mère; on sait que quelques +fragments très écourtés et très remaniés en ont été publiés par le poète +sous le titre, _le Manuscrit de ma mère_[2], ouvrage dont la valeur +documentaire est tout à fait négligeable tant les suppressions et les +additions qu'il y fit sont considérables; elles s'expliquent, il est +vrai, aisément, soit qu'il ait souvent hésité à apporter des démentis +trop nombreux à ses _Confidences_, soit qu'il ait jugé délicat d'en +reproduire le texte intégral. C'est grâce au _Journal intime_, toujours +soigneusement daté, qu'il nous a été possible d'entreprendre cet +ouvrage, car il nous a permis de mettre en lumière certains faits +demeurés encore obscurs ou ignorés, en même temps qu'il nous fournissait +un tableau chronologique minutieusement détaillé des quarante premières +années du poète. Ces pages écrites au courant de la plume, sans aucune +préoccupation de composition ni de publicité, présentent naturellement +des négligences et des répétitions, mais les pensées et les sentiments +n'y ont d'autre souci que la sincérité[3]. + +[Note 2: _Le Manuscrit de ma mère_, prologue et épilogue par A. de +Lamartine (Paris, 1871, in-8).] + +[Note 3: Voici la description des 12 petits cahiers--et non pas 22, +comme l'a écrit Lamartine dans la préface des _Confidences_--du _Journal +intime_ qui s'étend de 1800 à 1829: + +Tome + +I----: 13 déc. 1800-24 août 1801. 81 p., in-16. + +II---: 20 août 1801-8 avril 1802. 140 p., in-16. + +III--: 16 avril 1802-21 juin 1803. 153 p. plus 8 p. de comptes, in-6. + +IV-- : 23 juin 1803-22 octobre 1804. 118 p., plus 4 p. de table, in-16. + +V----: 1er nov. 1804-3 juillet 1806. 99 p., in-8. + +VI---: 12 juillet 1800-19 déc. 1808. 139 p., plus 2 p. de table, in-8. + +VII--: 27 janvier 1809-7 mars 1811. 99 p., plus 4 p. de table, in-8. + +VIII-: 10 mars 1812-28 février 1813. 193 p., in-4º. + +IX---: 7 mars 1815-3 mai 1821. 198 p. plus 2 feuillets + volants intercalés dans le texte, in-4º. + +X----: 14 juin 1821-13 oct. 1822. 87 p., in-4º. + +XI:--: 11 nov. 1822-21 juin 1824. 88 p., in-4º. + +XII--: 19 juin 1824-22 oct. 1829. 80 p., plus 30 feuillets + demeurés blancs, in-4º.] + +De plus, grâce à l'obligeance de M. Charles de Montherot, petit-neveu de +Lamartine, nous avons pu prendre connaissance des riches archives de +Saint-Point, et le baron Carra de Vaux a bien voulu mettre à notre +disposition les papiers et titres de la famille maternelle du poète, +qu'il représente actuellement. Nous devons également nos remerciements à +plusieurs familles de Mâcon qui nous ont aimablement ouvert leurs +archives domestiques; à M. A. Duréault, secrétaire perpétuel de +l'Académie de Mâcon, qui nous a fait à mainte reprise profiter de son +érudition et de ses recherches personnelles; à M. Lex, archiviste de +Saône-et-Loire, dont les travaux nous ont été d'un grand secours. Enfin, +nous tenons à exprimer notre reconnaissance à M. Gustave Lanson qui, +préparant lui-même une étude sur les _Méditations_, nous a permis de +prendre connaissance de plusieurs documents inédits qu'il avait réunis. + +C'est grâce à tant d'obligeances que ce volume a pu voir le jour. Nous +avons essayé d'en faire une biographie exacte et critique; exacte, car +nous n'avons voulu laisser dans l'ombre le moindre fait capable +d'apporter un éclaircissement nouveau à la genèse des _Méditations_; +critique, puisque les documents utilisés n'ont été acceptés qu'après un +contrôle aussi sévère qu'il est possible en pareille matière. + +PIERRE DE LACRETELLE. + + + + +PREMIÈRE PARTIE + +LES ORIGINES + + + + +CHAPITRE I + +LES LAMARTINE[4] + + +Les origines des grands hommes--et davantage, peut-être, celles des +poètes--ne sont jamais à négliger. Sans doute, il importe peu pour +l'histoire littéraire que Vigny descende d'un trésorier du XVe +siècle, que Hugo soit apparenté à un évêque lorrain, que Lamartine soit +petit-fils d'un intendant des finances du duc d'Orléans. Ce n'est là, +dans leur biographie, qu'un élément de curiosité. + +[Note 4: Sources et bibliographie: _Archives municipales de Mâcon_: +Registres des baptêmes, mariages et décès de la paroisse +Saint-Pierre.--_Archives départementales de Saône-et-Loire_ (Série B, +1324-1371): Registres du bailliage de Mâcon où sont conservés de +nombreux contrats, testaments et donations.--_Archives municipales de +Cluny_: Registres des baptêmes, mariages et décès de la paroisse +Saint-Marcel.--_Archives de la Guerre_ (section administrative): États +de services des membres de la famille qui furent +officiers.--_Bibliothèque Nationale_ (manuscrits): Armorial général, +généralité de Bourgogne. D'Hozier, pièces originales, vol. 504 et 1873, +dossiers bleus, vol. 7.--_Bibliothèque de Mâcon_: Claude Bernard, +généalogie des familles de Mâcon (mss). + +Tessereau, _Histoire chronologique de la grande chancellerie de France_ +(Paris, 1710).--Arcelin, _Indicateur héraldique du Mâconnais_ (Mâcon, +1865).--Révérend Du Mesnil, _Lamartine et sa famille_ (Lyon, +1869).--Lex, _Lamartine, souvenirs et documents_ (Mâcon, 1890).--Lex, +_les Fiefs du Mâconnais_ (Mâcon, 1897).] + +Mais si, et avec raison, l'on accorde à l'éducation et au milieu une +influence prépondérante sur le développement d'un génie, il faut +également faire une part aux influences ancestrales, à la vie antérieure +qui, elles aussi, laissent des traces plus profondes qu'on ne l'imagine +ordinairement, et l'héritage moral d'un poète est précieux à connaître +pour tout ce qu'il lui a transmis d'instincts ataviques. Une telle étude +est souvent délicate et vaine devant le petit nombre de documents que +l'on parvient à recueillir. Une filiation exacte pendant trois +siècles--le plus haut qu'on puisse habituellement remonter--est +curieuse, mais de simples dates ne suffisent pas; il faudrait connaître +la vie des ancêtres, savoir où et comment ils vécurent, quelles passions +les dominèrent, dans quelle province ils fixèrent leur foyer, en un mot +posséder ce qu'on appelait jadis le _Livre de raison_, registre où les +chefs de famille inscrivaient à tour de rôle grands et petits événements +d'une existence souvent trop obscure pour qu'on puisse en retrouver +trace dans les archives des villes où ils vécurent. + +Pour Lamartine, nous avons la bonne fortune d'être à peu près fixés sur +son hérédité, grâce à une abondance rare de documents qui nous +permettent de remonter jusqu'au début du XVIe siècle, avec des +détails précis et nombreux sur les deux familles dont il descend. + +Tout d'abord, il est curieux de constater que dès l'origine l'une et +l'autre semblent être établies de longue date dans les régions mêmes où +elles demeurèrent ensuite jusqu'à la fin du XVIIIe siècle; et cet +intense et pénétrant sentiment de la terre natale qui sera chez +Lamartine une des notes dominantes de sa poésie, se retrouve déjà chez +ses pères qui lui transmirent un peu de leur amour du sol lentement +acquis au cours des siècles. Mais aucun ancêtre, pas plus chez les +Lamartine que chez les Des Roys, n'a laissé grande trace dans l'histoire +de son temps: enracinés dans le même coin de Bourgogne ou d'Auvergne +depuis douze générations, habitués de père en fils à faire tout +naturellement le sacrifice d'intérêts immédiats ou propres à ceux +lointains et souvent invisibles de la race et de la famille, tous, +bourgeois, magistrats et capitaines, vécurent la même vie paisible et +sédentaire, soucieux avant tout d'augmenter leur bien par de solides +alliances, tandis que les cadets s'en allaient mourir obscurément à +quelque siège lointain, et que les filles, peu ou point dotées, +traînaient leur mélancolique existence sous les arceaux du cloître le +plus proche. + + * * * * * + +C'est à Mâcon, paisible et dormante petite cité, qu'il faut chercher les +origines paternelles de Lamartine, dont les ancêtres, dès la fin du +XVIe siècle, habitaient la maison même où il naquit. La forme +primitive du nom est _Alamartine_--et non _Allamartine_, comme il l'a +écrit,--qui subsiste encore actuellement en Bourgogne et dans la +Haute-Loire. La famille est originaire du Charollais, où l'on rencontre +à la fin du XVe siècle des Alaberthe, Alabernarde, Alablanche, +devenus plus tard, à la suite d'une transformation identique, des de la +Berthe, de Labernarde et de Lablanche. Quant aux origines sarrasines +dont le poète se targuait volontiers, elles étaient peut-être une +charmante excuse à sa hautaine nonchalance, à son amour des animaux et à +l'invincible attrait que l'Orient exerça toujours sur lui, mais elles +demeurent, bien entendu, plus que problématiques. La forme _Alamartine_ +se trouve dans la famille du poète jusqu'à la fin du XVIIe siècle, en +la personne de Jean-Baptiste Alamartine, son trisaïeul, qui, bien que né +noble, signa jusqu'en 1680 Alamartine. + +Au XVIIIe siècle, toute trace de roture a définitivement disparu du +nom, qui s'écrit Delamartine ou de la Martine, mais rarement de +Lamartine; ce n'est qu'avec la Révolution qu'on voit apparaître cette +dernière forme, sans la particule. Notons enfin que, jusqu'en 1825, le +poète signa indifféremment Delamartine, de la Martine, ou de Lamartine. +Mais la transformation légitime d'_Alamartine_ ou _de la Martine_ date +du milieu du XVIIe siècle, époque où la famille fut anoblie. + +Il y avait en 1789 peu d'ancienne noblesse dans la région du Mâconnais. +Elle n'était guère représentée que par quelques vieilles familles +désoeuvrées et hautaines, à qui la modicité de leurs revenus interdisait +Versailles où elles n'auraient pu tenir leur rang; et à part ce comte de +la Baume-Montrevel qui n'avait jamais mis les pieds à la cour et +trouvait moyen de manger royalement à Mâcon ses six cent mille livres de +revenu avec ses équipages, ses violons et ses chasses, le reste n'était +guère que bourgeois enrichis, vivant de la terre, et indifférents à la +politique. + +La famille de Lamartine en est d'ailleurs le meilleur exemple: à la fin +du XVIIIe siècle, ses membres établis dans la région depuis plus de +trois cents ans s'étaient lentement élevés des plus infimes fonctions +aux plus hautes charges, et les transformations subies par le nom +patronymique sont le meilleur témoignage de cette évolution commune à la +majorité des familles de la région. + +C'est ainsi qu'au milieu du XVIe siècle le chef de la famille était +humble tanneur à Cluny; son fils, plus tard, fut un bourgeois influent +de la ville et, à ce titre, chargé de présenter aux États du Mâconnais +les revendications du tiers; et tous signaient Alamartine. Au début du +XVIIe siècle, son petit-fils remplissait les importantes fonctions de +juge-mage et capitaine de l'abbaye de Cluny; quelques années après, il +acquit la noblesse--noblesse de robe--par l'achat d'une charge de +secrétaire du roi puis, par une ascension toute naturelle, ses fils +acquirent des _terres nobles_, prirent l'épée, et virent alors s'ouvrir +devant eux les chambres de la noblesse aux États de Bourgogne; le nom +devint de la Martine. + +Le poète, pourtant, se montra toujours fort peu soucieux de ses +origines; ses armes, même enregistrées avec tant de soin par son +bisaïeul à l'Armorial général, étaient timbrées par lui d'une façon +fantaisiste; alors qu'à la fin du XVIIe siècle les Lamartine +portaient: «de gueule à deux fasces d'or chargé d'un trèfle de même», il +substitua, on ne sait pourquoi, des bandes aux fasces[5]; question +purement esthétique, sans doute, mais qui prouve à quel point la science +héraldique le préoccupait peu; de même, à ceux qui l'interrogeaient, il +répondait invariablement qu'il descendait «d'une famille noble et +catholique du Mâconnais». + +[Note 5: Dans l'Armorial général de d'Hozier, établi en 1696, on +voit que les Lamartine portaient: «de gueules à deux fasces d'or, +accompagnées en coeur d'un trèfle de même». La branche cadette de +Montceau «brisait en chef d'un lambel d'argent». Le cachet de Lamartine, +que nous avons pu voir, ne porte pas de lambel, puisque la branche aînée +était éteinte à la fin du XVIIIe siècle, et les «fasces» ont été +remplacées par des «bandes».] + +Mais si tous ces petits détails le laissaient indifférent, il n'en +allait pas de même de son grand-père, Louis-François de la Martine qui, +fort entiché de noblesse, fit admettre dans des actes officiels du +milieu du XVIIIe siècle plusieurs généalogies assez inexactes de sa +famille[6]. Mais il avait l'excuse de vivre à une époque où les titres +décidaient plus que les mérites. Pour faire admettre ses filles dans des +chapitres nobles et ses fils dans des régiments d'élite, il fut donc +contraint de fournir les titres requis par les statuts. Sa noblesse +était incontestable, mais trop récente; c'est alors que, pour satisfaire +aux règlements, il se créa des ancêtres plus ou moins authentiques. Très +inhabilement, d'ailleurs, il fit subir aux registres paroissiaux des +grattages et des lavages chimiques, rendus parfaitement visibles par le +contraste des encres et des écritures, et il faut croire que les deux +gentilshommes chargés de la vérification des pièces furent tolérants. +Partout où cela fut possible, les «chevalier», «messire», «noble +seigneur» remplacèrent les «maistre»; l'A de Alamartine se transforma en +«de» au moyen de quelques grattages et l'on profita même de ce qu'un +ancêtre avait été marié deux fois pour donner un quartier de plus à la +noblesse familiale. + +[Note 6: Il existe, à notre connaissance, au moins trois de ces +généalogies. L'une figure à la Bibliothèque Nationale (_Manuscrits, +ancien fonds français_) et occupe les pages 1-5 du vol. 790 de la +collection Moreau (t. XXXIII de l'ancien recueil Fontette). Elle a été +publiée par nous dans la _Revue des Annales romantiques_, fasc. V de +l'année 1905. La seconde figure au ministère de la Guerre. La troisième +se trouve aux Archives de Saône-et-Loire, et a été publiée par M. +Reyssié: _la Jeunesse de Lamartine_, in-18, 1892, p. 9.] + +Néanmoins, malgré ces falsifications plus courantes à l'époque qu'on ne +le croit ordinairement, il est possible de reconstituer la généalogie +exacte de la famille de Lamartine, à l'aide d'autres documents tels que +les registres du bailliage, ceux-là authentiques, et d'une autorité +incontestable. + +Au début du XVIe siècle, les Alamartine vinrent s'établir à Cluny, +sur les dépendances de la célèbre abbaye qui faisait vivre toute une +population, et où le premier d'entre eux dont on trouve mention vivait +en 1550, exerçant la modeste profession de tanneur cordonnier. Avec son +prénom--Benoît--c'est là tout ce qu'on sait de lui, mais ses enfants +nous sont un peu mieux connus [7]. + +[Note 7: M. Abel Jeandet (_Annales de l'Académie de Mâcon_, 2e +série, t. V, p. 117) a publié un acte en date du 14 octobre 1544, +concernant un Estienne Alamartine, «bourgeois et marchand de Cluny», +propriétaire à Azé. Il s'agit là sans doute d'un frère de Benoît, ou +peut-être de son père, mais il nous a été impossible de l'identifier de +façon certaine.] + +Il eut une fille, Françoise, mariée le 4 janvier 1587 à Claude +Tuppinier[8], et trois fils. L'aîné, Gabriel, fut notaire au bailliage +de Mâcon, par provisions du 15 septembre 1573, et épousa une demoiselle +Claude Morestel dont il eut une fille, Philiberte, mariée en 1594 à Jean +Durantel, notaire et procureur à Cluny. Le cadet, Benoît, avocat à +Mâcon, prit pour femme le 29 octobre 1595 Jeanne Fournier, fille de +Guyot Fournier et de Jacqueline Descrivieux, dont il eut neuf +enfants[9]. Quant au plus jeune, Pierre, ancêtre direct du poète, on +sait de lui peu de chose. Quelques actes de baptême où sa femme et lui +signèrent comme marraine et parrain, nous apprennent qu'il épousa +Jehanne de la Roüe, d'une famille bourgeoise du Mâconnais, sans que l'on +puisse connaître ni sa profession ni quelque autre date précise de son +existence, si ce n'est qu'en 1604 il fut chargé de présenter aux États +du Mâconnais les revendications du Tiers. + +[Note 8: La famille Tuppinier, dont une branche subsiste encore en +Bourgogne, est originaire de Cluny, où l'on trouve en 1544 un Jacques +Tuppinier, bourgeois de la ville, marchand drapier, marié à Antoinette +de Gordon. Il est le père de Claude, marié à Françoise Alamartine.] + +[Note 9: Guyot Fournier, père de Jeanne, exerça, le 31 août 1601, +une reprise de fief pour la châtellenie de Prissé. La famille +Descrivieux était originaire de Bresse; Charles Descrivieux était +échevin de Mâcon en 1466; à la fin du XVIIIe siècle, les Descrivieux, +seigneurs de Charbonnières, prirent séance en la Chambre de la noblesse +du Mâconnais. + +Benoît Alamartine et Jeanne Fournier eurent de leur mariage: 1º +_Charles_ (9 mai 1598--?); 2º _Guyot_ (31 déc. 1601--?), marié à +Philiberte Paillet; 3º _Claude_ (28 oct. 1602--3 oct. 1609); 4º +_Marguerite_ (16 août 1604--3 oct. 1608); 5º Étienne (12 nov. 1600--?); +6º Jacques (9 août 1609--?); 7º _Avoye_ (23 février 1612--?); 8º _Aimée_ +(8 juin 1613--?); 9º _Suzanne_ (27 sept. 1614--?). + +C'est vraisemblablement d'un des fils de Gabriel ou de Benoît Alamartine +que sont issus les nombreux Alamartine existant encore dans le +Charollais, et un Émilien Alamartine, notaire à Cluny au milieu du +XVIIIe siècle. À signaler également un acte de mariage du 21 janvier +1782, entre Philippe Cartillet, marchand forain, et Jeanne Lamartine, +tailleur _(sic)_, fille de François Lamartine, tisserand, «lesquels ont +déclaré ne savoir signer». Bien que l'acte ait été enregistré à Mâcon, +ces Lamartine n'ont aucune parenté, même lointaine, avec ceux qui nous +occupent, la forme roturière du nom étant Alamartine et non Lamartine.] + +Vers 1575 quelques membres au moins de la famille Alamartine +appartenaient à la religion réformée. Un pamphlet du temps, la _Légende +de dom Claude de Guise_[10], oeuvre de Gilbert Regnault notable huguenot +de Cluny, nous apprend en effet qu'ils eurent à subir des persécutions +pour leur foi: + + Quy voudrait, dit Regnault, spécifier les persécutions, les + voleries, les larcins et brigandages que saint Nicaise et saint + Barthélémy[11] ont exercées à l'encontre des pauvres fidelles de la + Religion en la ville de Cluny, faudrait les prendre un par un, puis + déchiffrer les tours, les menées, les piperies, cruautés et + barbaries pour tirer les rançons de ces pauvres, ainsy que descrire + les sommes de deniers qu'il a tirées des seigneurs Philibert + Magnyn, Marin Arcelin, capitaine Rousset, Bolat, Division, + Tuppinier, Holande, Alamartine, Corneloup, Fornier, et plusieurs + autres signalés de la ville de Cluny; et nous n'aurions jamais + fait, non seulement spécifier les deniers qu'il a estorqués de ces + personnages, mais aussi les moyens qu'il a tenus pour leur faire + renoncer Dieu, c'est-à-dire révolter la religion réformée. + +[Note 10: _La Légende de domp Claude de Guize..._ s. I. 1582, in-8, +réimprimée en 1744, au tome IV des _Mémoires de la Ligue_.] + +[Note 11: Surnoms donnés par Regnault à l'abbé de Cluny et à son +vicaire.] + +Il ne faut pas s'exagérer la valeur de cette conversion des Lamartine +aux idées nouvelles qui dut être extrêmement passagère. Le mouvement +réformiste en Bourgogne eut des causes très diverses, suivant les +endroits où il éclata: à Mâcon et à Cluny, les émeutes et les +conversions en masse de 1562 et 1567 eurent en grande partie pour cause +les exactions de Claude de Guise, abbé de Cluny, qui faisait lourdement +peser son autorité despotique sur les habitants.--Ceux-ci, plus par +exaspération que par foi sincère, s'allièrent aux huguenots et de ce +nombre furent les Lamartine. L'abbé de Cluny obtint d'ailleurs +finalement gain de cause, puisqu'au début du XVIIe siècle on trouve +un fils de Pierre pourvu d'une charge à l'abbaye même, ce qui suppose, +bien entendu, un retour à la religion de ses pères. + +Estienne Alamartine, en effet, bourgeois de Cluny, est qualifié dans les +actes le concernant de juge-mage et capitaine de l'abbaye de Cluny; +fonctions importantes qui lui conféraient des pouvoirs administratifs +fort étendus, puisqu'il était chargé de rendre la justice pour le compte +du roi sur les terres ecclésiastiques. Peu à peu, il augmenta sa +situation[12]; le 25 octobre 1604, il fut nommé avocat; en 1609 le roi +ayant créé trois offices de conseiller au bailliage de Mâcon, il acquit +une de ces charges et enfin, en 1651, celle de secrétaire du roi fort +recherchée alors puisqu'elle conférait la noblesse à son titulaire +pourvu qu'il l'eût exercée vingt ans ou qu'il fût mort en étant +revêtu.--Estienne Alamartine ayant été reçu en Parlement de Paris le 3 +juillet 1651 et étant mort en fonction l'an 1656, la noblesse fut donc +acquise à ses descendants. + +[Note 12: Le 8 avril 1626, à l'assemblée des États du Mâconnais, il +fut chargé de présenter les «mémoire et doléances» du Tiers-État.] + +Estienne fut marié deux fois: en premières noces il épousa, le 12 +octobre 1605 à Mâcon, Aymée de Pise, fille de noble Antoine de Pisz, +président en l'élection du Mâconnais, et de dame Antoinette de +Rymon[13], dont il n'eut pas d'enfants; et, en deuxièmes noces, le 18 +novembre 1619, à Chalon, Anne Galloche, fille de Guillaume Galloche, +procureur du roi en la châtellenie de Sairt-Laurent-lez-Chalon, et de +Nicole Gon. + +[Note 13: La famille de Pise est originaire de Mâcon. On trouve un +Antoine de Pise échevin de cette ville en 1450; Philippe de Pise, garde +du scel des contrats du bailliage de Mâcon (par provisions du 15 juin +1544), eut pour fils Antoine, père d'Aymée de Pise. Les de Pise +devinrent en 1603 seigneurs de Flacé, par acquisition des Maugiron. Les +de Ryrmon, seigneurs de Champgrenon, la Moussière, la Serve et la +Rochette sont originaires de Saint-Gengoux, d'où était Hugues de Rymon, +capitaine de la ville et du château, marié à Françoise Bourgeois.] + +C'est à propos de ces deux mariages que commencèrent les falsifications +de Louis-François dont nous avons parlé plus haut. En effet, dans toutes +les généalogies qu'il fit établir à l'époque, il eut soin, afin de +donner un quartier de plus à sa noblesse, de profiter de ces deux +mariages pour faire du seul Estienne deux personnages distincts: le +premier fut marié avec Aymée de Pise, et le second avec Anne Galloche. + +Mais, devant l'invraisemblance des dates--le premier mariage étant de +1605 et le second de 1619, le fils présumé d'Estienne aurait donc eu +treize ans à l'époque de son mariage!--il fallut d'abord reculer la +date de 1605 à 1601, et avancer celle de 1619 à 1629, ce qui fut fait à +l'aide de quelques grattages, et donnait alors environ vingt-sept ans au +faux Estienne le jour de son mariage. + +Bien plus, comme il n'y avait de lui--et pour cause--aucun acte, aucune +pièce authentique, il fallut au moins fournir une preuve soi-disant +irréfutable de sa naissance: c'est alors qu'on créa, de toutes pièces, +cette fois, un faux acte de baptême au nom de cet imaginaire personnage. +À cet effet, à la date du 2 novembre et sur les registres paroissiaux de +l'année 1602, on fit simplement disparaître, à l'aide d'un lavage +chimique, l'acte de baptême d'un individu quelconque; puis, à cette +place, on transcrivit le faux qui devait donner quelque vraisemblance à +l'extraordinaire conception de Louis-François. Il est d'ailleurs heureux +pour lui que les deux gentilshommes chargés de l'examen des titres et +preuves de noblesse, messire Éléonor de Garnier, comte des Garets, +gouverneur de la citadelle de Strasbourg, et le chevalier de Prisque de +Besanceuil n'aient pas mené leur besogne jusqu'au bout, car la lecture +des registres ou ces falsifications sont encore très apparentes +aujourd'hui les eût pleinement édifiés. Sur les deux actes de mariage, +les corrections grossièrement dissimulées sous de maladroites taches +d'encre sont très visibles; sur le faux acte de baptême, le papier +blanchi par l'acide et les mouillures, les signatures péniblement +décalquées ou copiées, l'encre encore noire, l'écriture enfin, +contrastent trop étrangement avec les actes qui précèdent ou suivent +pour que le moins averti s'y soit trompé. + +Louis-François avait compté sans les registres du bailliage qu'il ne +pouvait aussi aisément falsifier; ils font foi qu'il n'y eut pas deux +Estienne Alamartine, mais un seul, marié deux fois; de sa première union +il n'eut pas d'enfants, mais de l'autre il en eut cinq, trois filles et +deux garçons. + +L'aînée des filles, Philiberte, épousa le 10 mars 1638 Antoine de la +Blétonnière[14]; une autre, Anne, née en 1627, fut mariée à Simon +Dumont, «élu en l'élection[15]», et mourut le 16 mars 1709. La dernière, +Françoise-Marie, devint religieuse à la Visitation de Mâcon. + +[Note 14: La famille de la Blétonnière est originaire de Cluny. Un +Antoine de la Blétonnière, procureur du roi, puis juge royal en la +châtellenie de Saint-Gengoux par provisions du 11 août 1617. Son fils +Antoine, lieutenant en l'élection du Mâconnais. D'après le contrat de +mariage de Philiberte, où les époux sont qualifiés «habitants de Cluny», +on voit que les Alamartine ne résidaient pas encore à Mâcon. Étienne s'y +était néanmoins marié en 1605, mais ce n'est qu'à partir de 1650 qu'on +les trouve définitivement installés à Mâcon, paroisse Saint-Pierre.] + +[Note 15: Jean Dumont, bourgeois de Mâcon à la fin du XVIe +siècle, marié à Françoise Foillard. La famille fut anoblie en 1723, en +la personne d'Émilien Dumont, secrétaire du roi.] + +Quant aux deux fils, l'aîné, Philippe-Étienne, fut l'auteur de la +branche aînée de Lamartine, dite d'Hurigny, éteinte dans les mâles à la +fin du XVIIIe siècle, et le cadet, Jean-Baptiste, de la branche de +Montceau dont descend le poète. + + +Lamartine d'Hurigny. + + +Hurigny est une ancienne châtellenie royale dépendant des domaines du +roi, située dans le canton nord de Mâcon non loin de la ville. En 1510, +la terre d'Hurigny avait été inféodée en faveur de Philippe Margot, +conseiller maître des comptes à Dijon. Au milieu du XVIe siècle, la +seigneurie passa aux mains de la famille Seyvert; en 1665, leur +héritier, Jacques Lestouf de Pradines la vendit à Philippe-Étienne, qui, +en 1672, exerça une reprise de fief. + +Philippe-Étienne naquit vraisemblablement à la fin de 1622. Il succéda à +son père en 1656 dans son office de conseiller et secrétaire du roi, +mais résigna ses fonctions quelques années après, le 14 janvier 1663. Il +avait épousé, le 14 juin 1657, Claudine de la Roüe, fille de feu noble +Antoine de la Roüe, avocat à Mâcon, et de demoiselle Marie Galopin, sa +veuve. + +De cette union naquirent deux fils et quatre filles: Ursule (3 janvier +1677--7 mars 1746), mariée le 7 novembre 1696 à Antoine Desbois, grand +bailli d'épée du Mâconnais et capitaine du château de Mâcon[16]; Marie, +morte jeune (5--14 février 1602); Marie et Marie-Anne, l'une religieuse +au couvent de la Bruyère (1605--?), l'autre ursuline à Mâcon. Quant aux +fils, l'aîné, Philippe, né le 26 août 1658, fut marié le 7 juin 1704 à +Anne Constant, fille d'Antoine Constant, échevin de Lyon en 1697-98, et +de Anne Mollien[17]. Il n'en eut pas d'enfants, et mourut le 20 octobre +1747. Tous les biens paternels qui devaient lui revenir en sa qualité +d'aîné, furent transmis à son cadet, Jean-Baptiste, né le 19 octobre +1663. + +[Note 16: La famille Desbois, actuellement représentée par les +familles de Murard, de Surigny et de la Forestille, est issue de Gabriel +Desbois, bourgeois de Cluny à la fin du XVIe siècle, dont le +petit-fils, Pierre Desbois, seigneur de la Cailloterie, fut anobli en +16435 par l'achat d'une charge de secrétaire du roi. + +À partir d'Antoine Desbois, la charge de grand bailli d'épée du +Mâconnais se transmit de père en fils dans la famille jusqu'à la +Révolution.] + +[Note 17: Anne Constant (?--27 sept. 1757) était fille d'Antoine +Constant (1641-1716), échevin de Lyon en 1697-98, et de Anne Mollien. +(Cf. Jouvencel, _l'Assemblée de la noblesse de la sénéchaussée de Lyon +en 1789_. Lyon, 1907.)] + +Ce fut Jean-Baptiste qui, le premier des Lamartine, rehaussa le nom du +prestige, si grand à l'époque, de la noblesse d'épée, puisqu'après avoir +servi quelque temps cornette dans Lande-dragons, il acheta le 25 octobre +1689 une compagnie dans le régiment de Gévaudan-dragons. Il quitta +l'armée pour épouser le 26 février 1696 Éléonore Bernard, d'une très +ancienne famille mâconnaise, fille de Philibert, seigneur de la +Vernette, conseiller du roi au siège et présidial de Mâcon[18], et de +Jeanne Bollioud, qui lui donna une fille, Françoise (1700--1720), et +deux fils, dont l'aîné, Philibert, né le 15 juillet 1698, fut capitaine +au régiment de Piémont, et mourut chevalier de Saint-Louis le 8 janvier +1789, sans avoir été marié. + +[Note 18: La famille Bernard est une des plus vieilles du pays. Un +Philippe Bernard, conseiller au parlement de Paris, seigneur de la +Vernette, fut envoyé en 1583 par Henri III comme ambassadeur auprès de +la république de Venise. Nicolas Bernard était capitaine de Mâcon en +1502; Jean Bernard, son fils, était écuyer de Catherine de Médicis par +brevet du 30 juin 1580.] + +Le cadet, Jean-Baptiste, dernier seigneur d'Hurigny, naquit en 1703. Il +servit d'abord comme volontaire dans le régiment de Villeroy où il +devint capitaine et chevalier de Saint-Louis. Il épousa, le 8 mars 1735, +Anne de Lamartine de Montceau, sa cousine, et mourut le 10 avril 1757, +n'ayant eu de son mariage qu'un fils, Louis François, né le 26 février +1748, mort jeune, et cinq filles. + +L'aînée, Jeanne-Sibylle-Philippine, née le 7 février 1736, épousa le 16 +février 1756 Pierre de Montherot de Montferrands[19]. La cadette, +Marianne (31 oct. 1737--?) épousa, le 25 février 1759, Pierre Desvignes +de Davayé; une autre, Ursule (6 déc. 1741--?), fut mariée le 2 septembre +1761 à Antoine Patissier de la Forestille, capitaine au régiment de +Piémont. Quant aux deux autres, Marie-Philiberte (7 février 1739--?) et +Françoise-Marie (15 nov. 1742--?), elles furent toutes deux religieuses +à Mâcon. + +[Note 19: M. Charles de Montherot, petit-neveu du poète et +possesseur du château de Saint-Point, descend donc à la fois des +Lamartine d'Hurigny et des Lamartine de Montceau, puisqu'un petit-fils +de Jeanne-Sibylle de Lamartine épousa en 1820 une des soeurs du poète.] + +À la mort de Philibert de Lamartine, survenue en 1789, la branche aînée +se trouva donc éteinte dans les mâles; la seigneurie d'Hurigny, avec les +domaines et château qui en dépendaient, avait été constituée en dot à +Jeanne-Sibylle, lors de son mariage avec Pierre de Montherot. + + +Lamartine de Montceau. + + +La branche cadette de Montceau, dont est issu le poète, a pour auteur +Jean-Baptiste, fils cadet d'Estienne Alamartine et d'Anne Galloche. Il +naquit en 1640, fit ses études de droit à l'université d'Orléans[20], et +à la mort de son père hérita de la charge de conseiller au bailliage de +Mâcon. Il épousa le 17 avril 1662 Françoise Albert, fille d'Abel Albert, +conseiller du roi, receveur des consignations, et de demoiselle +Françoise Moisson. C'est par l'alliance avec les Albert que la terre de +Montceau entra dans la famille; c'était un beau domaine d'environ 50 +hectares, situé sur les communes actuelles de Prissé et de Saint-Sorlin, +à une dizaine de kilomètres de Mâcon. Bien qu'on ne retrouve aucune +reprise de fief pour Montceau, ses possesseurs s'en qualifiaient +seigneurs, alors qu'en réalité, Montceau faisait partie de la terre et +châtellenie de Prissé. On trouve en 1603 un dénombrement de Prissé par +«honorable Guyot Fournier», dont une fille, on l'a vu plus haut, avait +épousé un Benoît Alamartine; on y voit que «ladite châtellanie a de +tout temps appartenu au roi et au seigneur révérend évêque de Mâcon, par +indivis, et à chacun d'eux la moitié». Le 17 juillet 1675 on rencontre +une reprise de fief et dénombrement par les héritiers de Pierre +Fournier, au nombre desquels figure Abel Albert, beau-père de +Jean-Baptiste de Lamartine. Non seulement dans cet acte Abel Albert se +qualifie de seigneur de Montceau, mais il affirme encore que «si ladite +châtellenie est au roi pour une moitié et à l'évêque pour l'autre +moitié», les rentes, toutefois, appartiennent pour un tiers au roi, un +autre à l'évêque et le dernier au seigneur. En 1679 Abel Albert augmenta +sa part en rachetant celles des deux co-héritiers Fournier, et à partir +de cette date on ne retrouve plus de reprise de fief pour Prissé. Au +début du XVIIIe siècle, par suite de la mort du fils d'Abel Albert, +sa soeur, Françoise, femme de Jean-Baptiste, hérita de Montceau. Ce n'est +d'ailleurs pas Montceau qui permit aux Lamartine de la branche cadette +d'entrer aux chambres de la noblesse du Mâconnais, puisque seule, on l'a +vu, la châtellenie de Prissé qu'ils ne possédaient pas était terre +noble, mais bien le fief de la Tour de Mailly acquis au milieu du +XVIIIe siècle. + +[Note 20: Arch. dép. du Loiret. D. 98 (communication de M. +Jagebien).] + +Le testament de Jean-Baptiste et de sa femme, rédigé le 1er mars +1707, nous montre que, dès cette époque, la situation des Lamartine +était déjà solidement établie: + + Nous léguons, y est-il dit en effet, aux pauvres de l'Hôtel-Dieu et + de la Charité de cette ville, à chacun (_sic_), la somme de trois + cents livres, les invitant à prier Dieu pour nous. À notre fils + Nicolas de la Martine, nous donnons et léguons pour sa part et + portion de nos biens et hoirie notre domaine situé à Milly et lieux + circonvoisins, et celui des Fortins, paroisse de Bertzé-la-Ville + consistant en maison garnie des meubles qui y sont présentement, + caves, pressoirs, et généralement tout ce qui en dépend, prés, + terre, vignes, bois, maisons des grangers et vignerons et leurs + dépendances, avec les bestiaux qui servent à la culture. Plus, nous + lui léguons notre maison sise en cette ville, près les religieuses + Sainte-Ursule qui est habitée présentement par son frère aîné, + suivant qu'elle se comporte chargée du passage qui y est + présentement pour la desserte de la grande maison que nous + habitons. Nous lui donnons et léguons de plus la charge de + conseiller magistrat au bailliage et présidial de Mâcon, avec tous + les droits en dépendant, la part que nous avons aux charges de + receveur des épices, et en tout ce que dessus, instituons ledit + Nicolas de la Martine notre héritier particulier, à la charge de + payer par lui, annuellement et par avance, à soeur Françoise de la + Martine, religieuse à la Visitation Sainte-Marie, et à soeur Anne de + la Martine[21], religieuse Ursule, à chacune d'elles quinze livres + de pension pendant leur vie. + + Item, nous donnons à Marie et à Marie-Anne de la Martine, nos + filles, à chacune la somme de dix-huit mille livres. + + Item, nous léguons et donnons à François de la Martine, notre fils, + chanoine en l'église de Mâcon, la somme de quinze mille livres et, + outre ce, nous lui léguons la somme de mille livres que nous lui + avons avancée pour fournir aux frais de son baccalauréat en + Sorbonne. Au résidu de nos autres biens desquels nous n'avons pas + disposé cy-devant, ni n'entendons disposer cy-après, nous nommons + et instituons notre héritier universel, seul et pour le tout, + Philippe-Étienne de la Martine, notre fils aîné. + + Voulons de plus que si moi, ledit de la Martine, décède le premier, + qu'au moment de mon décès, notre héritier entre en jouissance du + domaine et vignoble de Pérone et des biens qui sont venus de + monsieur Litaud depuis son mariage. + +[Note 21: Une de ses soeurs et une de ses tantes.] + +Ce testament est curieux, à plus d'un titre. On y voit figurer en effet +la petite maison de Milly, la maison natale de Lamartine située rue des +Ursulines, et l'hôtel Lamartine, élevé près des remparts de Mâcon et qui +portait alors le numéro 87 de la rue de la Croix-Saint-Girard, devenue +sous la Révolution rue Solon et au XIXe siècle rue Bauderon de +Senécé. + +La petite maison de Milly date de 1705, époque à laquelle elle fut +solennellement bénite par le curé de la paroisse[22]. Quant à la maison +de la rue des Ursulines, acquise sans doute au début du XVIIe siècle, +elle dénote une construction du XVIe siècle. Les fenêtres ont été +remaniées depuis et l'intérieur semble avoir subi de nombreuses +transformations. Sa porte est surmontée d'un écu chargé d'une flamme en +pointe et de deux étoiles à cinq rais en chef, qui se réfère à une +famille actuellement inconnue dans le Mâconnais. Cette maison n'était +pas, comme l'a dit Lamartine, une maison de retraite pour les vieux +domestiques. Dans les testaments qui suivent celui de Jean-Baptiste on +voit qu'elle était toujours léguée au fils cadet, mais que, du vivant du +chef de famille, elle était habitée par l'aîné. La maison de la rue des +Ursulines communiquait par une cour et des jardins avec l'hôtel +Lamartine, belle construction à deux étages qui, d'après son +architecture, dut être édifiée dans la deuxième moitié du XVIIe +siècle. Vers 1760, elle subit d'importants remaniements intérieurs et +l'on y voit encore une salle à manger décorée de jolis trumeaux en +camaïeu dans le goût des bergeries de Watteau. Sa porte est surmontée +d'une décoration en fer forgé où l'on remarque deux L entrelacés, +manifestement inspirée du chiffre royal. + +[Note 22: M. Lex a retrouvé et publié le premier (_Lamartine, +souvenirs et documents_), l'acte de bénédiction de la maison de Milly: +«L'an de N. S. 1705, le 15 juillet, je soussigné ay bénit la maison de +M. Jean-Baptiste de la Martine, conseiller du Roy au bailliage et siège +présidial de Mâcon, à six heures du soir. A. D. Dauthon, curé de Milly» +(Arch. municipales de Milly). Les terres avaient à cette époque une +superficie d'environ cinquante-deux hectares et s'étendaient sur les +communes de Milly, Bertzé-la-Ville et Saint-Sorlin. La seigneurie de +Milly était entre les mains de la famille de Pierreclau.] + +Quant à la propriété de Pérone, elle était située non loin de Mâcon +(canton actuel de Lugny) et dépendait de la seigneurie d'Uchisy. Les +Lamartine y possédaient une maison de campagne, qui date également de la +fin du XVIIe siècle. + +Ainsi, comme on peut s'en rendre compte, la plupart des biens--à part +Saint-Point--qui composeront plus tard le patrimoine du poète, se +trouvaient dès le début du XVIIIe siècle en possession de sa +famille. + +Jean-Baptiste de Lamartine mourut le 1er septembre 1707. De son +mariage, très prolifique, il avait eu seize enfants dont peu lui +survécurent[23]. Des trois fils qu'il nomme dans son testament, l'un, +Nicolas, était né le 31 octobre 1668; il avait fait ses études de droit +à l'université d'Orléans comme son père, de 1687 à 1690, époque à +laquelle il fut reçu licencié[24]. Puis, il succéda à son père dans les +fonctions de conseiller au bailliage, et mourut célibataire à Vichy le +19 mai 1714[25]. «Il devait aller de là aux eaux de Bourbon, dit Claude +Bernard qui l'avait connu; mais la mort l'en empêcha; sa maladie était +une phtisie pulmonaire, et on ne seconda pas assez l'effet des eaux par +des purgatifs décidés». + +[Note 23: 1º _Abel_ (4 février--13 nov. 1663); 2º +_Philippe-Étienne_; 3º _Françoise_ (10 mai 1666--?); 4º _Antoine_ (10-28 +mai 1666); 5º _Claudine_ (26 avril 1667--22 sept. 1672); 6º _Nicolas_; +7º _Claude_ (31 novembre 1669--?); 8º _Marie_ (11 nov. 1670--2 février +1750); 9º _Antoine_ (11 nov. 1670--1690), mort à Paris étudiant en +Sorbonne; 10º _Marianne_ (21 juin 1673--16 mars 1758), mariée le 9 avril +1712 à Claude Chambre, receveur des États du Mâconnais; 11º _Louis_ (16 +mars 1776--1719): il reprit en 1703 la compagnie de son frère aîné dans +Orléans-infanterie, et mourut au siège de Barcelone; 12º _François_; 13º +_Françoise_ (4 janvier 1678--?); 14º _Françoise_ (15 avril 1679--?); 15º +_Jean-Baptiste_ (10 sept. 1680--9 juillet 1720), noyé en se baignant +dans la Saône.] + +[Note 24: Arch. dép. du Loiret, D. 138 et 187 (communiqué par M. +Jagebien).] + +[Note 25: Arch. municipales de Vichy. Série G. G.] + +L'autre, François, né le 20 mai 1677, fut chanoine de Saint-Pierre de +Mâcon, et pourvu d'un archidiaconé en 1725: il fut élu doyen par le +chapitre de cette église le 29 mai 1728, et mourut à une date inconnue. + +Quant à l'aîné, Philippe-Étienne, né le 26 mai 1665, il servit de 1689 à +1702 comme capitaine dans Orléans-infanterie, d'où son père le retira +pour le marier en 1703 à Sibylle Monteillet, d'une famille lyonnaise +dont nous n'avons pu retrouver trace. Il mourut le 22 mars 1765 ayant eu +de son mariage sept enfants, cinq filles[26] et deux fils; le cadet, né +le 17 novembre 1717 embrassa comme son père la carrière militaire: il +fut lieutenant dans Tallard-infanterie le 1er décembre 1733, +capitaine le 21 mai 1738, et mourut chevalier de Saint-Louis le 27 +octobre 1750, des suites de ses blessures. + +[Note 26: 1º _Anne_ (8 janvier 1710--25 mai 1781), mariée en 1735 à +Jean-Baptiste de Lamartine d'Hurigny; 2º _Louise-Françoise_ (21 août +1707--?); 3º _Marie-Anne_ (21 mai 1713--?), religieuse aux Ursulines de +Mâcon, et connue dans la famille sous le nom de Mme de Luzy. Elle +vivait encore en 1790; 4º _Marie-Claudine_ (19 février 1714--?); 5º +_Charlotte_, née le 21 février 1716, mariée le 26 nov. 1736 à Pierre de +Boyer, seigneur de Ruffé et de Trades, morte le 13 juillet 1757.] + +Quant à l'aîné, Louis-François, propre grand-père du poète, c'est une +curieuse figure de gentilhomme, dont on a déjà vu les prétentions +nobiliaires. Il était né le 4 octobre 1711 et, par le relevé de ses +états de services, on voit qu'il fut enseigne le 3 octobre 1730 au +régiment de Tallard-infanterie--devenu par la suite régiment de +Monaco,--promu lieutenant le 22 août 1731, capitaine le 10 novembre +1733, et qu'il quitta l'armée le 1er octobre 1748 avec la croix de +Saint-Louis. Comme son corps fit les campagnes de 1733, 34, 35 sur le +Rhin, celle de 1744 et 46 en Flandre et de 1745 en Allemagne, il prit +donc part à la guerre de succession de Pologne et à la guerre de Sept +ans. + +Lamartine, qui l'avait d'ailleurs à peine connu mais pouvait en parler +d'après les souvenirs de son père, nous en a laissé un agréable +portrait, un peu inexact quant aux détails, puisqu'il en a fait un +capitaine de cavalerie: «Il avait été superbe, dit il, dans sa première +jeunesse; en garnison à Lille, sous Louis XV, il avait frappé les yeux +de Mlle Clairon qui y débutait alors, et en avait été remarqué. J'ai +encore vu les restes de ses équipages tels que sa magnifique argenterie +de campagne... Il avait servi longtemps dans les armées de Louis XV, et +avait reçu la croix de Saint-Louis à la bataille de Fontenoy. Rentré +dans sa province avec le grade de capitaine de cavalerie, il y avait +rapporté les habitudes d'élégance, de splendeur et de plaisirs +contractées à la Cour et dans les garnisons.» + +Si les Mémoires de la Clairon sont muets sur son séjour à Lille, tout au +moins retrouve-t-on trace des équipages dans le laissez-passer que lui +délivra le 27 juillet 1748, à Bruxelles, le maréchal de Saxe[27]. Quant +à ses habitudes de luxe et de splendeur, nous en avons la preuve dans +les embellissements qu'il apporta à ses propriétés et à sa belle +bibliothèque où chaque volume était timbré de ses armes[28]. + +[Note 27: «Maurice de Saxe, duc de Gourlande et de Semigalie, +maréchal général des camps et armées du roi, commandant général des +Pays-Bas, etc. Laissez librement et sûrement passer le sieur de la +Martine, capitaine au régiment de Monaco, pour aller en France avec ses +domestiques et équipages sans lui donner aucun trouble ni empêchement. +Fait à Bruxelles le 17 juillet 1748 (bon pour un mois).--M. de Saxe. Par +Monseigneur, de Bonneville.» Communication de M. Loiseau.] + +[Note 28: Toute cette bibliothèque fut dispersée, soit pendant la +Révolution, soit au moment de la vente de Montceau. On en rencontre +parfois des volumes chez les amateurs.] + +Quelques années après son retour à Mâcon, il épousa le 23 août 1749 +Jeanne-Eugénie Dronier, fille de Claude-Antoine Dronier, seigneur du +Villard et de Pratz, conseiller au Parlement de Besançon, et de +Cécile-Eugénie Dolard, qui lui apporta en dot d'importants domaines dans +le Jura[29]. Ainsi, à la fin du XVIIIe siècle, la famille de +Lamartine était, on le voit, un des plus considérables du pays. Le 18 +novembre 1760, Louis-François fut même élu de la noblesse aux États +particuliers du Mâconnais, où les représentants des trois ordres +réglaient les affaires de leur province[30]. + +[Note 29: Les Dronier, seigneurs du Villard et de Pratz sont +originaires de Saint-Claude (Jura). Jean-Claude Dronier, maître en la +chambre des comptes de Dole, épousa le 6 juin 1692 Marie-Claudine +Chevassu. Leur fils, Claude-Antoine, conseiller au Parlement de +Besançon, épousa, le 19 novembre 1719, Cécile-Eugénie Dolard.] + +[Note 30: Les Lamartine prirent séance aux chambres de la noblesse +du Mâconnais à partir du 27 décembre 1676. + +Dans la liste électorale pour les États généraux de 1789, tenue le 18 +mars en l'église Saint-Pierre de Mâcon, Louis-François y est nommé pour +la châtellenie d'Igé et Domange; François-Louis et Pierre, ses deux +fils, pour la prévoie de Saint-André-le-Désert (Arch. Nat., B. III 105, +et de la Roque et Barthélémy, _Catalogue des gentilshommes de Bourgogne +aux États généraux de 1789_, Paris, 1862). Le 28 mars, il figura +également à l'assemblée des trois ordres du bailliage de Dijon, comme +seigneur d'Urey, de Montculot, Charmoy, Poissot, Fleurey et Quémigny.] + +D'autre part, d'heureux mariages avaient augmenté le patrimoine +ancestral. En 1750, Louis-François avait acquis près de Dijon la +seigneurie d'Urcy avec le château de Montculot, admirablement situé sur +un plateau raviné et tourmenté, et entouré de magnifiques forêts; +quatorze sources avaient été captées pour embellir le parc qui +descendait en gradins sur les flancs de la colline, et les bâtiments, +aujourd'hui ruinés, semblent avoir été élevés à cette époque. + +En outre, il possédait en Mâconnais des vignobles importants: c'était +Péroné, Champagne et Collonges[31]; La Tour de Mailly[32], Escole, +Milly, dont les terres avaient presque doublé depuis Jean-Baptiste, et +enfin Montceau, où rien n'avait été épargné pour en faire une résidence +seigneuriale; on y accédait par une allée de noyers centenaires, longue +d'un kilomètre, et que plus tard Lamartine fit abattre comme donnant +trop d'ombre à ses vignes. À l'exemple du comte de Montrevel, +Louis-François y avait même fait élever une salle de spectacle où l'on +jouait la comédie. Les appartements étaient magnifiquement meublés et, à +voir les inventaires dressés sous la Terreur, on comprend l'acharnement +que Louis-François mit alors à défendre son bien, sans guère se douter, +semble-t-il, qu'il jouait là sa tête. + +[Note 31: _Collonges_, hameau de la commune de Prisse, non loin de +Mâcon; _Champagne_, hameau de la commune de Pérone.] + +[Note 32: La Tour de Mailly, nom aujourd'hui disparu, était situé à +Igé (canton de Lugny), près du chemin de cette paroisse à Bertzé. Ce +fief dépendait de la seigneurie d'Escole, et consistait en un château, +«plusieurs cens et héritages» et le droit d'usage de la forêt de +Malessard, domaine royal. Louis-François l'acquit en 1730 de Melchior +Cochet, et exerça une reprise de fief le 4 mai 1748.] + + * * * * * + +Les gros revenus que nécessitait un pareil train étaient tirés, d'abord +des terres de Bourgogne, mais principalement des biens considérables que +Mlle Dronier avait apportés en dot, et situés en Franche-Comté. +C'étaient d'abord le château et les bois de Saint-Claude et Pratz; les +forêts du Franois, dont les sapins s'étendaient sur plusieurs centaines +d'hectares, et qui vaudraient, dira plus tard Lamartine, «des millions», +mais qui, d'après lui, furent vendues peu de temps avant la Révolution. +Puis deux usines hydrauliques de fil de fer à Saint-Claude et à Morez en +Jura, dont Louis-François s'occupait assidûment[33]; enfin, la terre des +Amorandes, avec les ruines d'un vieux château féodal, et d'importants +vignobles à Poligny. + +[Note 33: Cf. Arch. Nat., F. 12/107, p. 854. «Mémoire du sieur de +Lamartine par lequel il sollicite divers privilèges et faveurs pour les +deux manufactures de fil de fer et de fers noirs qu'il possède aux +Combes, près Saint-Claude-sur-Bienne, et à Morez du Jura, et où il +demande qu'il soit interdit au sieur Muller de maintenir l'établissement +analogue aux siens qu'il a commencé d'installer au village de +Champagnole.» (1er sept. 1789).] + +Toute cette fortune devait selon l'usage passer un jour aux mains du +fils aîné, François-Louis, né le 6 juillet 1750. À l'âge de quatorze +ans, il avait été inscrit a l'école de la compagnie des chevau-légers +du roi, après examen des fameuses preuves de noblesse établies par son +père. + +Mais il était d'une santé délicate, et dut en 1776 quitter la compagnie +où il n'avait fait d'ailleurs que de rares apparitions, «n'ayant tardé à +venir faire ses exercices dit une note de son dossier, que par sa +maladie dont il a donné les preuves». Il souffrait de la poitrine, et +bientôt son état s'aggrava à un tel point que les médecins lui +déconseillèrent le mariage. Or le cadet, Jean-Baptiste, était entré dans +les ordres; pour assurer la postérité, il fallut donc chercher plus loin +encore, et tirer de l'ombre, où il était destiné à végéter, le troisième +et dernier fils, le petit chevalier de Pratz, Pierre de Lamartine. + +Il était né le 21 septembre 1751; selon l'usage du temps, il ne devait +pas se marier, mais, comme l'a dit Lamartine, «vieillir dans le grade +modeste de capitaine, gagner lentement la croix de Saint-Louis puis, +dans un âge avancé, végéter dans une chambre haute de quelque vieux +château de son frère aîné, surveiller le jardin, dresser les chevaux, +jouer avec les enfants, aimé mais négligé de tout le monde, et achever +ainsi sa vie, inaperçu, sans biens, sans femme, sans postérité, jusqu'à +ce que les infirmités et la maladie le reléguassent dans la chambre nue +où pendaient au mur son casque et sa vieille épée, et qu'on dît un jour +dans le château: Le chevalier est mort.» + +Cette triste et solitaire existence, Pierre de Lamartine semble l'avoir +acceptée avec résignation. À dix-sept ans, après avoir déjà servi deux +ans comme volontaire, il adressa au ministre de la Guerre une demande en +vue d'obtenir un brevet de sous-lieutenant sans appointements dans le +régiment de Dauphin-cavalerie, où commandait le comte de Vibraye, ancien +compagnon d'armes de son père. + + Il ose espérer, terminait-il, qu'on lui accordera cette grâce en + considération de ses pères et parents qui ont sacrifié une partie + de leur vie et de leur fortune au service du Roy, auquel étant + cadet de famille, il se propose lui-même de sacrifier avec zèle sa + vie. + +Le 11 mai 1769, la demande était accordée; le 1er janvier 1772, il +obtenait le grade de sous-lieutenant en pied, celui de lieutenant en +second le 18 juin 1776, en premier le 14 février 1779, celui de +capitaine en second le 12 juillet 1781, et de capitaine le 9 mars 1788. +C'est à cette époque qu'on s'occupa sérieusement de le marier. + +Il en était question déjà depuis longtemps, paraît-il, mais d'année en +année on ajournait «cette énormité». Lamartine a raconté, avec une verve +exquise, toutes les difficultés que rencontra cette décision. C'était un +soulèvement général de tous les sentiments de famille. Les chevaliers ne +sont pas faits pour se marier, disait la mère révoltée: «c'est +monstrueux». Mais d'autre part, laisser s'éteindre le nom, c'eût été, +a-t-il dit, un crime contre le sang. Il fallut se décider malgré tout. + +Tout au moins lui laissa-t-on faire un mariage d'inclination, puisqu'il +épousa une jeune fille qu'il aimait depuis longtemps, mais peu dotée, ce +qui n'était guère dans les traditions de la famille: Françoise-Alix Des +Roys, chanoinesse-comtesse au chapitre de Salles en Beaujolais, fille +d'un intendant des finances du Palais-Royal et d'une sous-gouvernante +des enfants du duc de Chartres. + + + + +CHAPITRE II + +LES DES ROYS[34] + + +[Note 34: Sources et bibliographie: _Titres et papiers de la famille +Des Roys_ (XVe-XIXe siècle), communiqués par M. le baron Carra de +Vaux.--_Archives dép. de la Haute-Loire.--Archives municipales de +Montfaucon._ + +_Obituarium Lugdunensis ecclesiæ_ (Lyon, 1867, éd. +Guignes).--_Obituarium Sancti-Pauli Lugdunensis_ (1872, +id.).--_Obituarium Sancti-Petri Lugd._ (1880, _id._, +_ibid._).--_Cartulaire des hospitaliers du Velay_ (Le Puy, +1888).--_Cartulaire des Templiers du Velay_ (_id._, 1882).--Répertoire +général des hommages de l'évêché du Puy (1887).--_Recueil des +chroniqueurs du Puy_ (éd. Chassaing, 3 vol. 1869-75).--_Notes sur le +monastère de Montfaucon_, par l'abbé Theillère (1876).--_Nobiliaire +d'Auvergne_, par Bouillet (7 vol., 1846-53).--_Le Livre d'or du +Lyonnais_ (Lyon, 1866).--_Jean-Louis Des Roys_, par Al. Carra de Vaux +(_l'Investigateur_, revue de l'institut historique, année +1850).--_Mémoires inédits_ de Me de Genlis (10 vol., +1825-27).--_L'Assemblée de la noblesse de la sénéchaussée de Lyon en +1789_, par H. de Jouvencel (Lyon, 1907).--_Grimod de la Reynière et son +groupe_, par Desnoiresterres (1875).--_Lucien Bonaparte_, par Ch. Iung +(t. II, 1882).--_Lucien Bonaparte et sa famille_ (Paris, 1889).--_The +marriages of the Bonapartes_, par Bingham (Londres, 1881).--_Armorial du +premier Empire_, par A. Révérend (Paris, 1894, 4 vol.).--_Titres et +anoblissements de la Restauration_ (Paris, 1901, 6 vol.).] + +Les Des Roys, famille de juristes et de magistrats, n'ont guère laissé +de trace dans l'histoire de leur temps; comme les Lamartine en +Bourgogne, ils vécurent tous en Auvergne la même existence probe et +obscure du gentilhomme provincial fidèle au pouvoir et aux traditions, +sans qu'aucun grave événement vînt modifier leurs jours paisibles et +bien occupés. Avocats de père en fils dès le début du XVIe siècle, +ils resteront toujours pauvres: ni leur carrière peu fructueuse, ni le +sol ingrat du Velay ne pouvaient les enrichir. + +Il est difficile d'attribuer des origines précises à leur noblesse et à +leur nom. Dans tous les actes les concernant ils sont bien qualifiés de +_nobles_, mais aucun d'eux, soit par la seigneurie d'une terre noble, +soit par l'achat d'une charge conférant la noblesse, n'a jamais répondu +aux conditions requises du noble pour justifier ses prérogatives. Reste +l'hypothèse du _fait acquis_, dont bénéficiaient les familles +autochtones ou très anciennement connues dans une région: seule elle +paraît applicable aux Des Roys dont le nom n'est pas celui d'un fief +ajouté au nom patronymique et supprimé peu à peu par l'usage, puisqu'on +rencontre au cours des XVIe et XVIIe siècles des Des Roys +d'Eschandelys, Des Roys de Lédignan, Des Roys de Chazotte, Des Roys de +la Sauvetat. Pourtant leur noblesse est incontestable. Le fait d'avoir +suivi l'exemple des vieilles familles de France en ne profitant pas de +l'édit royal de 1696 pour faire enregistrer officiellement leurs armes +prouve qu'en Auvergne ils n'avaient plus à fournir leurs preuves[35]. + +[Note 35: Aucun Des Roys ne figure à l'_Armorial général du Cabinet +des titres_.] + +Quant au nom même, il est latin et ne provient pas, comme on serait +porté à le croire, de _Regibus_, mais de _Rex_, décliné suivant sa +fonction dans la phrase, transformé peu à peu en _Reis_, puis en _Roys_; +l'évolution est d'ailleurs facile à suivre du XIIe au XIIIe +siècle. _De Regibus_ n'apparaît qu'au XVe siècle, alors que le nom +tout à fait francisé est traduit alors sous son équivalent le plus exact +dans les actes latins. + +Des nombreux Rex, Regis, Rege ou Reis--la plupart notaires ou +clercs--qui figurent dans les cartulaires ou polyptyques de la région +lyonnaise de 1100 à 1400[36], on peut conclure que là est le véritable +berceau de cette famille, plus tard divisée en plusieurs branches, mais +toute possessionnée en Languedoc, en Auvergne ou en Bugey; celle qui +nous occupe se fixa en Velay où la première mention qu'on en rencontre +remonte à 1279[37]. À partir de cette date les documents deviennent +plus nombreux, sans qu'il soit possible, bien entendu, d'établir une +filiation directe. Enfin, au début du XVIe siècle, nous nous trouvons +en présence d'une famille Des Roys établie de longue date, semble-t-il, +à Montfaucon près du Puy et comptant de nombreuses alliances avec de +vieilles maisons du pays. Jusqu'au milieu du XVIIIe siècle elle +demeura dans ce bourg désolé, situé à 16 kilomètres d'Yssingeaux sur un +plateau balayé de coups de vent terribles, enfoui six mois de l'année +sous la neige, privé de ressources naturelles, et sans autres végétation +que les bois de pins sombres qui dominent les gorges de la Dunière. +Point de mouvement sinon celui des pèlerinages à la Vierge noire du Puy, +très fréquentés alors, et au XVIe siècle celui des bandes catholiques +ou huguenotes qui ravageaient le pays avant d'entrer en Languedoc. + +[Note 36: _Bonardus Rex_, acte de 1147 (_Obit. S.-P. Lugd._, p. 59), +c'est la plus ancienne mention. _Guigo Regis_ (1239), domicilié à +Saint-Laurent de Lyon, etc. On rencontre environ une vingtaine de +personnages de ce nom auxquels on doit rattacher les Des Roys; en effet +dans les papiers de la famille on trouve mention au XVIe siècle d'une +prébende fondée en l'église Saint-André de Montbrison, en 1361, par +maître Jean Regis, licenciée en droit.] + +[Note 37: Charte du 10 janvier 1279 où _Petrus Regis_ est cité comme +clerc (_Cart. des Templiers_, p. 385). Échange entre Pons de Brion et +Raymond du Pont, daté du 1er mai 1324, d'une rente sur des fonds +contigus au couvent des Carmes contre une rente sur un champ situé aux +Combes, près d'Espaly, «juxta campum _Johannis Regis_ civis anisiensis» +(citoyen du Puy) (_Cart. des hospitaliers du Velay_, p. 188). Sentence +de l'official du Puy, condamnant Jean Regis, damoizeau, père de +Paulette, femme de noble Hugues de Chandorasse, à payer à Dalmas, prieur +de Saint-Martin de Polignac, les arrérages de biens sis à Soleihac, 13 +mars 1382 (Arch. dép. Haute-Loire, G. 651).] + + * * * * * + +C'est là que vers 1480 vivait le premier Des Roys auquel on puisse +rattacher directement Lamartine, «vénérable et discrète personne Denis +Des Roys» dont nous savons même fort peu de chose. Par son testament +rédigé le 25 février 1528 et où il est qualifié de bachelier ès lois, on +voit qu'il avait trois frères: Mathurin, curé de Raucoules[38]; Louis, +curé du Pailhet[39], et une soeur, Catherine, mariée à Pierre Aurelle, +dont elle était veuve à cette époque. En premières noces Denis Des Roys +épousa Claude de Lagrevol et plus tard Isabelle Vacherelle; de ces deux +mariages naquirent sept enfants, deux filles: Vidalle, Marthe, femme +d'Antoine de Romezin, et cinq fils: Antoine et Aymard, les deux plus +jeunes, entrèrent dans les ordres; un autre, Pierre, fut «apoticaire»; +le cadet, Sébastien, alla s'établir à Toulouse et l'aîné, Antoine, +épousa Marguerite de Baulmes et de Jussac. Quant aux biens qu'il +possédait alors, ils comprenaient une maison à Montfaucon, et deux +terres, le grand et le petit Rebecque. + +[Note 38: Raucoules. Il existe trois villages de ce nom dans la +Haute-Loire; celui des Des Roys est situé dans le canton de Montfaucon.] + +[Note 39: Nom disparu; aujourd'hui Montregard.] + +Mais si ce long document ne fournit que de très vagues renseignements +sur l'état et la situation des Des Roys au début du XVIe siècle, sa +rédaction soignée et sa forme souvent recherchée dénotent chez Denis une +habitude de la langue polie peu commune à l'époque; issu d'une lignée +érudite, apparenté à des ecclésiastiques lettrés[40], lui-même docteur +en droit, il avait tenu à préciser élégamment les moindres détails de sa +pompe funéraire, parfois, il est vrai, avec un soin un peu macabre +comme on peut en juger par ce début: + + Préalablement à Dieu tout puissant et à la benoyste Vierge Marie sa + mère et par intercession de tous les saints et saintes du Paradis, + je recommande mon âme et mon corps après mon trépassement et, avant + toute oeuvre, je rends à Dieu mon créateur grâces de ma nativité, + corps et membres dont il m'a créé, des cinq sens qu'il m'a prestés, + des beaux enfants qu'il m'a donnés, et de tous les biens qu'il lui + a pleu me donner durant ma vie en ce monde. + + Item je me confesse à lui et à la glorieuse Vierge Marie, à + monsieur Saint Denis, Saint Christophe et à tous les saints et + saintes du Paradis de tous les peschés et méfaits en quoy durant + maditte vie je suis escheu et desquels je n'en aurais été autrefois + confessé. + + Item veux et ordonne que mon âme séparée du corps, mon dit corps + soit veillé par mes bons amis et puis dedans un tombeau porté dans + l'église de Montfalcon et dessus la couverte apartenant au curé de + la dicte Église par ses droits accoutumés; veux aussi m'estre mis + un linceul blanc sur le chef avec une croix noire du long et de + travers en mémoire de la Sainte Croix. + + Item que ceux qui porteront mondit corps, reconnaissant que suis + venu en ce monde nud, seront pieds nuds; en contentement de leur + peine je donne à chacun c'est à sçavoir deux aulnes et demie de + mandel noir et dîner afin qu'ils prient Dieu pour mon âme. + + Item veux qu'à ma sépulture soient convoqués tous les prêtres de + cette ville de Montfalcon et de Raucoules et du Pailhet lesquels + seront tenus de dire à haute voix le psautier ainsi qu'il est + accoutumé et après ledict psautier veux qu'ils disent les litanies + et là où on dit _ora pro nobis_, ils diront _ora pro eo_. + +[Note 40: D'après la _Bibliographie de la Haute-Loire_, par Sauzet, +un Mathurin Des Roys, prieur de Saint-Didier, aurait composé une +histoire du Puy, en vers et en prose, et dédiée à Amédée de Saluce, +doyen de la cathédrale; l'ouvrage aurait été imprimé en 1519 chez Claude +le Noury. Ce volume ne figure à notre connaissance dans aucune autre +bibliographie; il nous a été impossible de l'identifier.] + +Suivent, pendant quatre pages, l'ordre de son convoi; les noms des amis +qu'il prie d'y assister, le nombre de messes qu'il requiert--autant +qu'il aura vécus d'ans «en ce misérable monde»--et jusqu'à la décoration +de l'église où il ordonne «qu'il soict faict lume de six livres de cire +tant en quatre petites torches qu'en autres chandelles tellement que +tout le chandellier neuf soit garny». + +La question des legs était plus brièvement traitée; il laissait sa femme +usufruitière de ses biens, lui donnait ses joyaux, anneaux, ceintures, +et une tasse martellée; abandonnait au curé de Montfaucon une partie de +sa garde-robe «comme robe, pourpoint, chausses et une bonne chemise»; +ses fils héritaient chacun de cent livres et ses filles de dix sols +tournois; enfin, à tous les membres de sa famille et à ses amis il +léguait «trois aulnes de bon mandel noir» pour porter son deuil, avec +cette originale restriction que la qualité de l'étoffe devait varier +entre trente et cinquante sols l'aune, suivant le degré de parenté. + +Le fils aîné de Denis Des Roys, Antoine, fut à la fois l'exécuteur et le +légataire universel de ce bizarre testament. Après avoir fait ses études +de droit comme son père, il fut reçu licencié, titre auquel tous +tenaient beaucoup puisqu'il est mentionné dans leurs contrats jusqu'au +milieu du XVIIIe siècle. Il épousa, le 21 juin 1533, Marguerite de +Baulmes et de Jussac, fille de Charles et d'Anne de Meyre[41]. + +[Note 41: Contrat passé à Baulmes (paroisse de Saint-André et +diocèse de Valence); témoins: Arnaud de la Rochaing, écuyer; Guillaume +de Montagnet, seigneur de Montguérin; Jehan des Champs (de Campis), +lieutenant de Mautfaucon; Jehan des Roys (de Regibus); noble Antoine de +Bronac. La présence de ce dernier parmi les témoins prouve que les Des +Roys devaient tenir un certain rang dans la ville, car les Bronac, +coseigneurs de Mautfaucon et de Vazeilles, étaient considérés alors +comme de hauts personnages. + +Charles de Jussac, écuyer, seigneur de Baulmes et de Jussac (canton de +Retornac). De son mariage avec Anne de Meyre il eut deux filles +religieuses: Anne et Alice; un fils, Gaspard, mort sans postérité; deux +fils: Bernard et Jean, prêtres; une fille Isabeau, mariée à Arnaud de la +Rochaing; une autre enfin, devint la femme d'Antoine Des Roys. À la mort +de Charles de Baulmes, tous ses biens revinrent à sa fille Marguerite, +dont Antoine hérita.] + +Seuls de tous les Des Roys, Antoine connut des jours mouvementés: nommé +en 1542 lieutenant criminel au bailliage de Velay, il fut victime d'une +erreur judiciaire, qui lui valut en 1552 d'être condamné en cour du +parlement de Toulouse au bannissement perpétuel et à la confiscation de +ses biens. Il aurait, paraît-il, après avoir fait arrêter de faux +monnayeurs, profité de leurs dépouilles avec quelques-uns de ses +collègues qui partagèrent son sort. L'affaire demeure assez mystérieuse, +mais il semble avoir été dénoncé à tort par des ennemis. Quoi qu'il en +soit, il fut réhabilité publiquement en 1558 et rentra en possession de +son titre. + +À sa mort, survenue entre 1575 et 1583, il ne laissait pas d'enfants et +institua comme héritier son neveu Sébastien, fils de son frère Pierre. +Celui-ci eut alors à soutenir un long procès contre les frères et soeurs +de Marguerite de Jussac, qui réclamèrent la restitution des biens de +Jussac et de Baulmes dont ils prétendaient qu'Antoine ne pouvait +disposer par suite de sa condamnation. Finalement, après dix-sept ans de +plaidoiries et d'appels il obtint gain de cause; pourtant il se défit +bientôt de ces terres qui lui avaient coûté tant de mal, puisqu'en 1636 +Jussac, qui relevait de l'évêque du Puy, appartenait à Christophe de la +Rivoire, sieur de Chadenac[42]. + +[Note 42: Cf. _Répertoire des hommages de l'évêché du Puy_ (p. +385).] + +Après ces années agitées, aggravées encore par la guerre religieuse qui +ravagea le pays de 1560 à 1595 et dont le Puy et Montfaucon eurent +durement à souffrir, les Des Roys reprennent leur vie monotone et sans +histoire. Sébastien, qui avait épousé en 1588 demoiselle Claude de +Guilhon[43], laissa quatre enfants: une fille, Marie, femme de Jean +Pollenon, et trois fils: l'aîné, Gaspard, marié à Jeanne de Cohacy, +mourut sans héritier; le plus jeune, Pierre, avocat au Puy, fut un +avocat distingué et qui connut en son temps une certaine notoriété: on +lui doit quelques ouvrages de droit qui sont d'une langue claire et +furent utilisés après lui pendant de longues années[44]; de son mariage +avec Catherine des Olmes, d'une très vieille famille du pays[45], il +laissa quatre filles, dont la descendance subsiste encore[46]. Le +cadet, Melchior, avocat comme ses pères, eut de son union avec Françoise +de Marnans deux filles mortes religieuses, une autre mariée à Pierre +Roche, et un fils, Baltazar, né en 1610, qui épousa Claude des Olmes en +1650. En mourant, il laissait un fils, Pons Gaspard, né en 1652, marié +en 1681 à Louise de Mure, père lui-même de deux fils, dont l'un, Claude, +épousa en 1722 Françoise Pagey, et l'autre, Cristofle, sa cousine Marie +de Romezin. Tous, continuant les traditions de la famille, avaient fait +leurs études de droit à Grenoble et étaient avocats. + +[Note 43: Veuve en premières noces de Denis de Cohacy, procureur +royal; les Guilhon étaient alliés à la famille de Gerlande.] + +[Note 44: Il est l'auteur de: 1º _Livret contenant les principales +questions et décisions qu'on peut rechercher en matière de légitime_ +(Lyon, 1644); 2º _Traicté des substitutions_ (Lyon, 1644).] + +[Note 45: Des Olmes, aujourd'hui famille de Veyrac. En 1588, Denis +des Olmes épousa Catherine Dufours, dont Antoine, marié en 1587 avec +Marguerite de la Franchère. Leur fils Louis, marié en 1622 à Florie de +Lagrevol, était le père de Catherine des Olmes.] + +[Note 46: Marie, femme de Jacques Hochet; Philiberte, femme de Louis +de Romezin, d'où une fille, qui épouse Claude Ferrapie, d'une ancienne +famille de Mautfaucon; Jeanne, mariée à Antoine Varilhon; Claude et +Marguerite, mortes filles.] + +Il faut arriver jusqu'au milieu du XVIIIe siècle pour rencontrer +quelque variété dans l'histoire de la famille Des Roys. Le grand-père de +Lamartine nous est en effet mieux connu; son existence fut celle d'un +homme de coeur et d'un fonctionnaire parfait. + + * * * * * + +Jean-Louis Des Roys était fils de Claude Des Roys, avocat au Parlement +de Grenoble, et de Françoise Pagey; il naquit à Champagne en Vivarais le +27 août 1724 et de bonne heure se prépara à suivre la carrière de son +père. Le 5 août 1745, il fut reçu licencié en droit à l'université de +Valence et admis un an plus tard, le 20 juin 1746, comme avocat au +Parlement de Grenoble. Il y fit ses débuts au barreau, et, ayant acquis +quelque réputation, alla s'établir à Lyon en 1750. Bientôt, sa notoriété +devint suffisante pour qu'il reçût des lettres de bourgeoisie en 1764, +et fut élu échevin de la ville en 1766, puis premier échevin en 1767. + +Il abandonna le barreau en 1772 pour des fonctions infiniment plus +importantes, ayant été appelé cette année-là à l'intendance des domaines +de la maison d'Orléans. Dans ses lettres de nomination, le duc rendait +hommage à ses talents, son activité, sa probité pendant sa gestion des +affaires de la ville, si bien que les Lyonnais, très satisfaits de ses +services, lui offrirent aussitôt une situation analogue à celle qu'on +venait de lui assurer. Mais la nomination de sa femme comme +sous-gouvernante des enfants du duc de Chartres acheva de le décider. + +Il avait épousé à Lyon, le 12 avril 1757, Mlle Marguerite Gavault, +fille de François Gavault, receveur du grenier à sel de +Saint-Symphorien, puis lieutenant civil et criminel de l'élection de +Lyon, et de Françoise Mauverney. Cette alliance va donner lieu à +quelques cousinages, qui, pour être authentiques, n'en sont pas moins +imprévus. Françoise Mauverney était fille de François Mauverney et de +Marguerite Grimod, et ce nom de Grimod, illustré au XVIIIe siècle par +toute une dynastie de puissants fermiers généraux, est l'origine de +curieuses parentés entre Lamartine et plusieurs de ses contemporains +célèbres à des litres divers[47]. + +[Note 47: Ces alliances, que Lamartine n'ignorait pas (cf. +_Souvenirs et Portraits_, t. II, _les Bonaparte_), ont été constamment +négligées par les généalogistes de la famille Grimod; l'omission doit +provenir de ce que les notes de d'Hozier (Cabinet des titres, pièces +originales, vol. 141; Dossiers bleus, vol. 333; Nouveau d'Hozier, vol. +165) ont été établies sur une collection de _factums_ de 1754, rédigés +pour Marguerite le Juge et qui ne l'ont mention, ni de la branche +Bonaparte, ni de la branche de Vaux-Lamartine. + +Pourtant, l'acte de baptême d'Alexandrine de Bleschamp, princesse de +Canino, dissipe toute équivoque, ainsi que le testament d'Antoine Grimod +enregistré à Paris le 7 avril 1718, et où il est fait également mention +de deux autres filles: Benoîte et Philiberte, mariée l'une à J.-B. Dumas +de Corbeville, l'autre au marquis de Pranse. + +Voici enfin un fragment du _Journal intime_, qui, malgré quelques +erreurs, confirme la parenté des Des Roys avec les divers personnages +que nous avons cités. + +«_23 janvier 1803_ {de Rieux}. Je voudrais pouvoir écrire tout ce que ma +mère me conte de ses voyages, ce serait bien intéressant, et mille +anecdotes curieuses de gens marquants. Malheureusement, ce serait trop +long. Ma mère conte à merveille, elle a infiniment d'esprit et de +mérite. Elle m'a rapporté beaucoup de choses de M. de la Reynière, le +fermier de Lyon, etc., à qui nous étions parents par ma grand'mère; +Mme de la Ferrière avait épousé en premières noces M. Grimod de la +Reynière, dont elle a eu M. de la Reynière, fermier général, qui avait +épousé Mlle de Jarente, qui vit encore et qui est très liée avec ma +mère. M. de la Ferrière a eu aussi deux filles: l'aînée était Mme de +Malesherbes, qui est morte très malheureusement fort jeune, laissant +deux filles: Mme de Rosanbo qui a été guillotinée, et Mme de +Montboissier; la seconde était Mme de Lévis, amie intime de ma mère +qui est morte assez jeune. M. de la Reynière le père avait eu d'un +premier mariage Mme de Beaumont, c'est par là que nous lui sommes +parents [_à Mme de Beaumont_]. Nous l'étions aussi par les Grimod à +la femme du baron de Breteuil et aux Cipierre; la fille du baron de +Breteuil a épousé M. de Matignon, dont la fille a épousé un Montmorency. + +«M. d'Orsay s'appelle aussi Grimod, toujours de la même famille; il a +épousé, en secondes noces, une princesse d'Allemagne assez proche +parente du roi de Prusse, et le fils de M. d'Orsay a épouse une +princesse d'Italie assez peu considérable.» + +Cette Mme de la Ferrière, dont il est ici question était Marie +Mazade, seconde femme de Gaspard Grimod de la Reynière; devenue veuve, +elle épousa Honoré de la Ferrière.] + +Antoine Grimod, né en 1647, directeur général des fermes unies de +France, conseiller et secrétaire du Roi, avait épousé à Lyon, le 13 +avril 1684, une demoiselle Marguerite le Juge, qui lui donna sept +enfants, dont l'aîné, François-Alexis Grimod de Beauregard (1685-1755), +mourut sans postérité. + +Le cadet, Gaspard Grimod, seigneur de la Reynière, fut marié deux fois: +du premier lit il eut un fils, Jean-Gaspard (1733-1793), fermier +général, époux de Françoise de Jarente, dont il eut Baltazard-Laurent +Grimod de la Reynière, fastueux épicurien et gastronome célèbre dont les +bons mots et les petits soupers défrayèrent longtemps la chronique +scandaleuse à la fin du XVIIIe siècle. Du second lit, il eut deux +filles: l'une, Madeleine, mariée au comte de Lévis; l'autre, +Marie-Françoise, qui épousa Chrétien-Guillaume de Lamoignon de +Malesherbes, défenseur de Louis XVI auprès du tribunal révolutionnaire; +la fille de Malesherbes devint la femme du marquis Louis de Rosanbo, +dont la première fille, Thérèse (1771-1794), épousa +Jean-Baptiste-Auguste de Chateaubriand, comte de Combourg, conseiller au +parlement de Bretagne, puis capitaine au Royal-cavalerie, le frère de +René, et dont la cadette, Louise-Madeleine, fut mariée au comte de +Tocqueville, père du célèbre historien et philosophe. + +Le troisième fils d'Antoine Grimod et de Marguerite le Juge, Pierre +Grimod de Dufort d'Orsay (1698-1748), fermier général, fut tout aussi +bien casé que ses aînés; trois fois marié, il n'eut d'enfant que de sa +dernière union avec Marie-Antoinette de Caulaincourt. L'aîné fut +Pierre-Gaspard-Marie, comte d'Orsay, qui épousa d'abord la princesse +Amélie de Croy, puis, devenu veuf, la princesse Elisabeth de +Hoenloe-Bartenstein. Un fils de son premier lit, Albert-Gaspard +(1772-1843), prit pour femme Éléonore de Franquemont, qui lui donna une +fille, Anna Ida, mariée en 1818 à Héraclius, duc de Grammont, et un +fils, Gillion-Gaspard-Alfred, comte d'Orsay, surintendant des +beaux-arts, le fameux «dandy» amant de la belle lady Blessington, à qui, +en échange d'un buste, son cousin Lamartine dédia l'_Ode au comte +d'Orsay_. + +Le dernier fils d'Antoine Grimod, Gaspard Grimod de Verneuil, nous +réserve une surprise encore plus singulière: sa fille, mariée à un +certain Charles Bouvet, fut la mère de Marie Bouvet, qui devint la femme +de Charles-Jacob de Bleschamp, et la grand'mère d'Alexandrine de +Bleschamp (1778-1855); celle ci, après son divorce d'avec un aventurier +nommé Jouberthon, épousa en 1802 Lucien Bonaparte, prince de Canino, +frère de Napoléon Ier, dont deux des petits-fils sont le prince Roland +Bonaparte et le général Wyse-Bonaparte, actuel ministre de la Guerre +des États-Unis d'Amérique, et l'arrière-petite-fille la princesse royale +de Grèce. Quant à la fille aînée d'Antoine Grimod, Marguerite, elle fut +mariée: 1º à François Mauverney[48] dont elle eut une fille, Françoise; +2º à Charles Gavault, veuf également et père d'un fils, François, qui +épousa la fille du premier mariage de sa belle-mère. De cette union +naquirent deux filles: l'aînée, Françoise, épousa en 1743 Charles +Dareste de la Plagne, dont le fils fut directeur des tabacs à Naples +sous le premier Empire et employa Graziella parmi ses cigarières; la +cadette, Marie Gavault épousa, on l'a vu, Jean-Louis Des Roys, et leur +fille, Alix, fut la mère de Lamartine. + +[Note 48: François Mauverney, receveur du grenier au sel de +Saint-Symphorien-le-Château, puis lieutenant criminel et civil de +l'élection de Lyon, était fils de Pierre Mauverney, conseiller du Roi, +élu en l'élection de Saint-Étienne, et de Jaqueline Dilbert. Pierre +Mauverney était lui-même fils de Jean-Baptiste et de Jeanne Coignet. +(Cf. Cab. des titres: pièces originales, vol. 1902.)] + +Par les Grimod, celui-ci se trouvait donc allié par le sang à Grimod de +la Reynière, à Malesherbes, à Tocqueville, aux Bonaparte, aux +Chateaubriand, aux Grammont, aux Lévis, aux de Croy et aux Montmorency. + +Cette alliance avec la puissante famille Grimod fut d'ailleurs +extrêmement précieuse à Jean-Louis Des Roys lors de son séjour à Paris +comme intendant des finances du duc d'Orléans, car les innombrables +relations de Laurent de la Reynière lui valurent bientôt un petit +cercle assidu aux réceptions de sa femme dans l'appartement qu'elle +occupait au Palais-Royal. + + * * * * * + +Le peu que nous sachions de Mme Des Roys la montre comme une femme +pleine de simplicité, vertueuse sans affectation et profondément dévouée +aux d'Orléans. «Mme Des Roys, dit Lamartine dans les _Confidences_, +était une femme de mérite; ses fonctions dans la maison du premier +prince du sang attiraient et groupaient autour d'elle beaucoup de +personnages célèbres à l'époque. Voltaire, à son court et dernier voyage +à Paris qui fut un triomphe, vint rendre visite aux jeunes princes: ma +mère, qui n'avait que de sept à huit ans, assista à la visite... +D'Alembert, Laclos, Mme de Genlis, Buffon, Florian, l'historien +anglais Gibbon, Grimm, Morellet, Necker, les hommes d'État, les gens de +lettres, les philosophes du temps vivaient dans la société de Mme Des +Roys.» À part le détail touchant Voltaire, ceci est suffisamment vérifié +par les mémoires de Mme de Genlis, sa perfide rivale, obligée de +convenir elle-même de la réputation de Mme Des Roys auprès de la +société de leur temps. + +En 1773, à la naissance du duc de Valois, qui deviendra Louis-Philippe, +Mme Des Roys avait été nommée sa gouvernante, sous le contrôle de la +vieille marquise de Rochambeau, et cette faveur fut l'origine de la +rancune tenace que lui voua la vindicative Mme de Genlis. La belle +Félicité, alors maîtresse en titre du duc de Chartres et son Égérie, +avait ambitionné ce poste qui aurait au moins donné quelque excuse à sa +présence perpétuelle auprès des princes, mais la duchesse s'y opposa. +Sans égards à la bienveillance dont Mme Des Roys avait jadis fait +preuve envers elle, puisqu'elle lui devait d'être entrée au service de +la famille d'Orléans sur la recommandation de Grimod de la Reynière son +cousin, elle commença une violente campagne contre sa bienfaitrice et +l'accusa auprès du duc d'élever ses fils dans les idées philosophiques +de ses amis les plus habituels. Indignée, la bonne Mme Des Roys, qui, +jusqu'alors avait traité de calomnie la liaison de Mme de Genlis et +du duc de Chartres, en profita pour fermer sa porte à la dangereuse +créature en même temps qu'à Grimod de la Reynière qui avait pris parti +contre elle[49]. Celle-ci s'en vengea comme elle put, et l'on sent, à +lire ses _Mémoires_ rédigés plus de quarante ans après, que sa haine +n'était point encore éteinte. En 1781, en effet, elle fut nommée +_gouverneur_ des princes au grand scandale de la cour et, rapportant +avec orgueil les souvenirs de ce temps, elle s'exprime ainsi sur le +compte de celle qui l'avait précédée auprès du duc de Valois: + +«J'ai le droit, dit-elle, de ne pas estimer certaines personnes, parce +qu'elles ont été d'une très noire ingratitude envers moi; telle, par +exemple, Mme Desrois[50]», et plus loin, à la fin d'une conversation +avec ses élèves: «Il m'a paru que vous étiez très froids pour Mme +Desrois; vous lui parlez à peine. Vous ne lui montrez aucune amitié, +vous ne demandez jamais de ses nouvelles; cela est mal et ridicule.» +Puis, elle ajoute ingénument: «Ils avaient cette froideur pour elle +parce qu'elle s'était brouillée publiquement avec moi, sans motifs et +sans explication, quoique je lui eusse rendu de très grands services +auprès de M. le duc d'Orléans». + +[Note 49: Cf., sur les suites de cette brouille entre Grimod de la +Reynière et sa cousine, «_copie d'une lettre de M. Grimod de la +Reynière, négociant à Lyon, etc., à Mme Des Roys, ancienne +sous-gouvernante des ci-devant princes d'Orléans. Lyon, 7 déc. 1791_ (s. +l. n. d., mais Lyon, 1791). + +Dans cette brochure extrêmement rare, Laurent s'efforçait d'abord +d'attirer à sa cousine des ennuis que son ancienne situation pouvait +rendre graves, mais il l'accusait surtout d'avoir capté l'héritage de sa +grand'mère, morte en 1773, et d'avoir pris un grand empire sur son père. +Il terminait ainsi: «Maintenant, permettez-moi de vous offrir la paix ou +la guerre, mais surtout point de neutralité, point de tergiversation. +Une réponse claire et nette, s'il vous plaît. Si c'est la guerre, je la +ferai courageusement et de mon mieux; si vous préférez la paix, +sacrifiez-moi mes ennemis, agissons de concert, et nous nous en +trouverons bien l'un et l'autre. Vous avez su prendre un grand crédit +sur l'esprit de mes parents: j'ai dans mes mains de quoi vous démasquer +à leurs yeux; je ne le ferai pas si vous voulez employer ce crédit à me +servir.» + +Cette publique tentative d'intimidation se perdit dans la tourmente de +1792 qui engloutit la fortune colossale des Grimod. Mais les Des Roys +aussi bien que les Lamartine cessèrent dès lors et pour jamais toute +relation avec leur cousin, qui n'est pas nommé une fois dans le _Journal +intime_; on sait que depuis 1780 ses excentricités et son mauvais renom +l'avaient rendu intolérable à tous ses parents, et que seul il était +responsable d'un état de choses où Mme Des Roys n'était pour rien +(cf. _Desnoiresterres_).] + +[Note 50: Cf. _Mémoires inédits de Mme la comtesse de Genlis_ +(Paris 10 vol., 1825-26), vol. III, p. 483-85, et IV, p. 29.] + +En 1820, même, elle reporta sur Lamartine toute la haine qu'elle avait +vouée à sa grand'mère; devenue intransigeante sur le tard, elle s'était +découvert un amour imprévu de vertus qu'elle avait pourtant peu +pratiquées: malgré la respectueuse dédicace que le poète avait inscrite +sur l'exemplaire des _Méditations_ qu'il lui fit parvenir, elle en +rédigea dans _l'Intrépide_[51] un compte rendu perfide et malveillant, +où elle ne se fit pas faute de répéter tout le mal qu'elle pensait, +sinon de l'oeuvre, tout au moins de la famille de l'auteur. + +[Note 51: _L'Intrépide_, revue par Mme de Genlis (Paris, 2 vol., +1820), I, pp. 81-110.] + +Le titre lui paraît impropre, car «la méditation doit être paisible et +profonde»; or elle a relevé des morceaux tels que _l'Enthousiasme_ et +_la Gloire_, qui sont au contraire «d'une inspiration soudaine, d'une +exaltation remplie de désordre et de feu»; les souvenirs d'amour sont +des _rêveries_ et non des _méditations_; enfin _le Désespoir_, +«impulsion coupable et forcenée», ne saurait non plus être une +méditation. + +Puis, elle entre dans le vif de l'oeuvre où le mélange d'un amour profane +et de scènes religieuses lui semble d'abord tout à fait déplacé, «car il +n'est ni vraisemblable ni d'un goût sévère de passer sans transition de +l'exaltation de la piété au souvenir de sa maîtresse»; «Reste d'âme» la +choque; le vers: + + Et ces vieux panthéons peuplés de _dieux nouveaux_ + +est une expression «d'athée», qu'elle souhaite de voir corrigée dans la +prochaine édition; «fenêtre» est un mot familier et «déplacé dans le +genre noble»; les vers: + + Des théâtres croulants dont les frontons superbes + Dorment dans la poussière ou rampent dans les _herbes_ + +lui suggèrent la même réflexion «parce qu'au pluriel, _herbe_ rappelle +l'usage journalier qu'on en fait dans la cuisine». Pour terminer, elle +accable le jeune homme de bons avis, lui conseillant de ne pas se +laisser aller au découragement après ses critiques, sévères sans doute, +mais formulées sans restriction dans son intérêt même, et dictées par +une sympathie que tant de raisons lui commandaient. + +Ces vétilles et ces chicanes, qui firent sourire, à l'époque, ceux qui +en connaissaient les motifs[52], témoignaient d'une rancune toujours +vivace. + +[Note 52: Cf. _Lettres à Lamartine_, p. 19 (lettre de la duchesse de +Broglie).] + +Pourtant, malgré tout l'empire de Mme de Genlis sur son amant, Mme +Des Roys continua ses fonctions jusqu'en octobre 1778, grâce à l'appui +de la duchesse de Chartres, à laquelle elle voua, en cette circonstance, +un dévouement éternel; elle abandonna même le Palais-Royal sur un +nouveau triomphe: le gouverneur qui la remplaça auprès des princes +devenus grands fut proposé par elle; c'était le chevalier de Bonnard, +son ami personnel, et qu'elle avait connu chez Buffon. Le frivole +Bonnard, il est vrai, n'avait rien d'un éducateur, mais il valait au +moins Mme de Genlis, qui le remplaça officiellement trois ans plus +tard. Ainsi, Mme Des Roys sortait victorieuse de cette lutte avec la +favorite; bien mieux, la duchesse voulant lui prouver sa reconnaissance +l'admit dans sa maison particulière et lui confia l'éducation de sa +fille la princesse Adélaïde. + + * * * * * + +Tandis que sa femme se tirait avec dignité de ces intrigues assez +difficiles, Jean-Louis Des Roys, de son côte, avait su gagner la +confiance et l'estime du duc d'Orléans en menant à bien un certain +nombre d'opérations juridiques et financières de la plus haute +importance pour son maître. À ses fonctions d'intendant des finances, il +joignit l'administration des terres de la Fère, Albert et Carignan; en +1774, il avait préparé le règlement des droits, de la duchesse de +Bourbon, belle-fille du prince de Condé, dans la succession de la +duchesse d'Orléans, sa mère; en 1781, il reprit les négociations de +l'affaire des princes de Chimay, qui traînaient depuis un siècle et, +après plusieurs voyages en Belgique, il obtint la conclusion d'un traité +qui assurait la pairie d'Avesne à la maison d'Orléans. + +En 1785, M. et Mme Des Roys demandèrent leur retraite qui leur fut +accordée; mais pour marquer la satisfaction qu'il avait des services de +l'intendant de son père, le duc de Chartres lui conserva à titre de +pension l'intégrité de son traitement, et le pria d'accepter d'être +commissaire à la liquidation du duc d'Orléans qui venait de mourir, ce +que Jean-Louis Des Roys ne put refuser. + +Il se retira alors dans sa propriété de Rieux[53], qu'il avait acquise +en 1776, et où, ayant obtenu la création d'une pépinière royale, il se +consacra entièrement à l'agriculture. Il y vit philosophiquement +commencer la Révolution, sans être jamais inquiété malgré un passé qui +pourtant aurait dû le rendre suspect; quelques lettres de lui écrites à +son frère de 1793 à 1795 nous le montrent parfaitement tranquille sur +son sort, une entre autres, écrite de Paris le 26 mars 1793, où on +lit[54]: + + Je suis las, rebuté, et très impatient d'être rendu à ma nullité + champêtre; ce n'est pas que je ne m'attende à trouver là de + nouveaux ennuis; et quel est le lieu ou la position dans laquelle + un français puisse aujourd'hui vivre dans le calme? le désir du + sage doit se borner à exister hors des foyers de l'orage et à + s'estimer heureux de ressentir que les battements des vagues + amorties... Les bruits du moment sont que les révoltes et + attroupements armés des environs de Nantes et autres parties de la + Bretagne ont été dissipés avec grand carnage. Les armées du Rhin, + de la Meuse, de l'Escaut se soutiennent aussi, dit-on, et disputent + le terrain aux ennemis du dehors. Dieu veuille enfin nous donner la + paix, la santé et l'ordre; quand ces biens seront rendus à la + France, il faudra encore bien des années pour qu'elle recouvre + l'embonpoint que cette fièvre dévore. Si je ne voyais que moi dans + l'orage je serais peu peiné: je serais même assez philosophe pour + observer sans inquiétude les agitations des hommes; mais mes + enfants, mes parents, mon frère, mes amis! je ne puis pas être + indifférent et froid sur tant d'objets chéris... + + Tu me conseilles de vendre mes fonds; je sais très bien que je me + donnerais par là de l'aisance, mais je vois aussi qu'elle ne + pourrait être que momentanée. Je t'ai déjà observé sur cela que je + ne trouverais en ce moment ni placement, ni emploi qui me donne + sûreté et aisance; agioter n'est pas mon fait; placer en rentes ou + obligations, rien de plus fragile; acquérir d'autres immeubles, + rien à gagner dans ces revirements; les biens patrimoniaux se + vendent à deux pour cent, j'achèterais comme j'aurais vendu. Je + conclus pour attendre que le mal soit instant ou que l'on sache + mieux sur quoi compter. Tu vois comme moi que les Révolutions + opèrent rarement un mieux-être. Actuellement nous sommes à peu près + maîtres de nos âmes et de nos sentiments; cela seul est à notre + direction. + +[Note 53: Dans la Marne, à quelques kilomètres de Montmirail. +Jean-Louis l'avait acquise du chevalier de Belle-Joyeuse. C'était alors +un bâtiment très simple, ayant successivement appartenu aux familles de +Pastoret, de Disques et de Boubers, et qu'il fit démolir pour le +remplacer par un château plus vaste. (Cf. _Alexandre Carra de Vaux_, op. +cit.)] + +[Note 54: Les lettres qui suivent sont citées d'après +_l'Investigateur_, où elles ont paru pour la première fois.] + +Dans une autre lettre encore, du 16 avril, il apparaît toujours plus +tourmenté des autres que de lui même et moins hostile qu'on n'aurait pu +le prévoir aux événements du moment: + + Le mystère sur ce qui se passe à Lyon, m'inquiète beaucoup; je + tremble pour les parents et les amis, hélas! pour tout le monde, + car je tiens à l'humanité et à mon pays. Paris est pour le moment + assez tranquille, mais l'on semble craindre la disette du pain. Il + y a foule chez les boulangers, on s'y étouffe pour parvenir à s'y + approvisionner. Le vrai malheur ou du moins le pire de tous est la + division qui règne dans la Convention; elle est, par ses + scandaleuses dissensions, distraite du bien ou dans l'impossibilité + de l'opérer; sa considération s'affaiblit et le désordre s'accroît; + cependant, cette Convention, toute orageuse qu'elle est, forme le + seul lien, le seul pivot sur lequel tout roule. Le vaisseau s'abîme + si le pilote lui manque en ce moment de crise. + +Il cessa pourtant bientôt de lui faire crédit et c'est très désabusé +qu'il écrivait le 22 août 1795: + + Sûreté personnelle et du pain: ces biens n'ont heureusement pas + cessé d'exister ici, mais la mauvaise santé de quelques-uns de ceux + qui m'entourent et les inquiétudes et les misères publiques et trop + universelles ont toujours écarté de moi la gaieté. + + Il serait bien temps que nous aperçussions quelqu'étincelle du + bonheur que la Révolution nous a tant présagé; Dieu veuille que la + nouvelle Constitution qu'on nous prépare en jette enfin des + fondements plus solides que ne l'ont été ceux des précédentes. + +Le calme rétabli, Jean-Louis Des Roys et sa femme se retrouvèrent à +nouveau dans leur propriété de Rieux où ils s'apprêtaient à finir +paisiblement leurs jours lorsque la duchesse d'Orléans vint mettre une +fois de plus leur dévouement à l'épreuve. La princesse, transférée à la +pension du docteur Belhomme après le 9 thermidor, essayait de s'y faire +oublier, lorsque le 6 septembre 1797 le gouvernement décida la mise en +vigueur d'un décret du 21 prairial an III, ordonnant l'expulsion +immédiate de tous les membres de la famille de Bourbon et la +confiscation de leurs biens. Elle se mit en route pour l'Espagne et +écrivit de Barcelone une lettre à Mme Des Roys en la priant d'aller +jusqu'en Hongrie chercher sa fille, la princesse Adélaïde, pour la +ramener près d'elle. La jeune fille, émigrée dès 1791 avec Mme de +Genlis, avait été abandonnée par elle à l'étranger pendant que Félicité +voyant la cause royale perdue, gagnait Hambourg où elle se rendait vite +insupportable à tous les Français par son hypocrisie et ses calomnies. + +Heureuse de pouvoir prouver une dernière fois son dévouement à ses +anciens maîtres, la vieille Mme Des Roys se mit en route à la fin de +décembre 1799 et, après un long et pénible voyage qui dura près de deux +ans et demi, elle accomplit heureusement sa mission. Forcées d'éviter la +France interdite à la princesse Adélaïde, les deux femmes avaient dû +descendre de Hongrie en Italie, où elles s'embarquèrent à Livourne; le +12 avril 1802, on lit dans le _Journal intime_: + + J'ai reçu une lettre de ma mère qui m'annonce enfin son arrivée à + Barcelone; elle a éprouvé beaucoup d'événements, entre autres une + tempête dans la traversée de Livourne en Espagne, qui a duré trois + jours et deux nuits; l'entrevue de Mme d'Orléans et de sa fille + a été des plus touchantes, il y avait onze ans qu'elles étaient + séparées. + +La princesse Adélaïde n'oublia pas cet admirable dévouement; lorsqu'en +1814 elle reprit le chemin de Paris, elle tint à s'arrêter à Lyon pour +voir les deux filles de son ancienne gouvernante, Mme de Lamartine et +Mme de Vaux, et leur offrit de merveilleuses dentelles qui avaient +appartenu à sa mère. Mais un an plus tard, lorsque le chevalier de +Lamartine voulut obtenir, pour lui la croix de Saint-Louis, pour son +fils un brevet de garde du corps, il eut du mal à voir sa requête +aboutir. En 1825, enfin, Lamartine trouva moyen de s'aliéner +complètement le duc d'Orléans par quelques vers vraiment maladroits de +son _Chant du Sacre_, et dès ses débuts en politique le fossé se creusa +encore plus profond: sa conscience, sa vision poétique et grandiose de +la liberté primèrent en lui tous les autres sentiments. Mais n'y a-t-il +pas quelque mélancolie à penser que celui dont Mme Des Roys avait +bercé les premières années avec tant de sollicitude devait être chassé +du trône par le petit-fils de sa vieille gouvernante? + +Jean-Louis Des Roys mourut le 14 octobre 1798, et sa femme le 10 juillet +1804. De leur mariage étaient nés six enfants; l'aîné, Pierre-François, +né le 12 février 1738, fut conseiller à Rouen et mourut sans avoir été +marié le 8 mai 1810. «Il m'avait presque tenu lieu de père pendant mon +enfance, écrira sa nièce en inscrivant la triste nouvelle, et avait +contribué à mon mariage en me donnant 10000 francs comptant et en m'en +assurant 12000 après lui.» + +Des quatre filles de Mme Des Roys, l'aînée, Catherine Julie, née le 9 +janvier 1761, épousa en 1778 Charles-Henrion de Saint Amand, frère du +président Henrion de Pansey; la seconde, Émilie (22 janvier 1762-1827), +fut mariée à Louis Papon de Rochemont; la troisième, Césarine, née le 29 +novembre 1763, devint la femme de Pierre-Benoît Carra de Vaux Saint-Cyr, +et la dernière, Alix, devint Mme de Lamartine[55]. Enfin le dernier +des fils, Lyon Des Roys, eut une triste existence d'homme de lettres +manqué qui fournit la véritable explication des terreurs de Mme de +Lamartine lorsqu'elle vit son fils tourmenté lui aussi, à vingt ans, de +la même fièvre poétique. + +[Note 55: Voir, à l'Appendice, le tableau de la descendance Grimod.] + +Il était né à Lyon le 5 novembre 1768, et la ville qui, pour rendre +hommage à son père alors échevin, avait tenu à être son parrain, délégua +le prévôt des marchands au baptême; la cérémonie eut lieu en grande +pompe le jour suivant en la cathédrale de Saint-Paul; la marraine fut, +par procuration, Marie-Françoise de Beaumont, fille de Gaspard Grimod de +la Reynière et tante de Mme Des Roys[56]. Ainsi, l'enfant semblait +promis à quelque belle destinée alors que la réalité fut tout autre: ce +qu'on sait de lui révèle un certain désordre mental, le délire de la +persécution, un amour effréné de la publicité, et surtout un véritable +désespoir de ne pas dépasser la médiocrité. + +[Note 56: Dans les papiers de la famille Des Roys, on trouve une +petite note de la main de Jean-Louis qui rapporte les détails de la +cérémonie: + +«Le 26 juillet 1768, procuration de Mme de Beaumont marraine de +l'enfant dont Mme Des Roys était grosse, et dont la ville de Lyon +devait être le parrain. + +«L'enfant est né le samedi 5 novembre: ç'a été un fils, qui a été +baptisé le dimanche 6 dudit à Saint-Paul par M. Crupisson, +sacristain-curé. Il a été nommé Lyon-François, et tenu par M. de la +Verpillière, Prevost des marchands, accompagné du Consulat, pour la +ville, et par Mme de la Verpillière pour Mme de Beaumont Des +Roys.»] + +Il fit ses études au collège de Juilly, d'où il fut chassé en 1793 par +la Révolution; en 1799 il était maître répétiteur de mathématiques dans +cet établissement qui venait de rouvrir sous une nouvelle direction. +Pour occuper ses loisirs, il rima alors un poème sur la géométrie, une +tragédie en cinq actes, _la Mort de Caton_, une comédie, +_l'Antiphilosophe_. Ce fut l'origine de tous ses malheurs: en juillet +1799 il abandonna le collège pour Paris, rêvant la gloire littéraire, et +s'imaginant avec présomption que son génie suffirait à le faire vivre. +La lutte qu'il soutint pendant trois ans pour arriver à la célébrité, +les railleries, les épigrammes dont il fut accablé eurent quelque +retentissement à l'époque, et un critique dramatique, qui l'avait pris +en grippe, Salgues[57], mena même contre lui une campagne de ridicule +où il finit par succomber. On peut en juger par ces quelques extraits de +_l'Observateur des spectacles_, où l'odyssée de Lyon Des Roys fut +l'occasion de plusieurs articles. + +[Note 57: Cf. _l'Observateur des spectacles_ des 28 germinal, 2, 21, +23 et 29 floréal an X. Jacques-Barthélémy Salgues (1760-1830), un des +bons journalistes de l'Empire et de la Restauration. Prêtre d'abord, il +fut choisi en 1789 pour la rédaction du cahier des doléances de la ville +de Sens où il était né; peu à peu, il finit par organiser la +contre-Révolution dans son département. Poursuivi, il ne réapparut à +Paris qu'en 1794, fut traduit alors en justice après le 18 fructidor, +mais acquitté par le tribunal d'Auxerre. À partir de 1798, il se +consacra exclusivement aux lettres, et fonda deux journaux théâtraux.] + + Le cit Desroys n'est point un de ces petits-maîtres à la mode qui + ont fondé leur succès sur les grâces de leur figure et l'élégance + de leurs manières; c'est un homme simple, nourri à la campagne et + dont la physionomie se rapproche un peu de celle de quelques + personnages fêtés sur le théâtre Montansier. Habitué à composer des + idylles pour les bergeries de Montmirail et des tragédies pour le + curé de sa paroisse, il n'a guère connu jusqu'à présent de plus + grandes solennités que celles de la messe ou du prône... La nature, + avare dans ses productions originales, n'enfante pas tous les jours + de ces êtres privilégiés destinés à réjouir les journalistes. Sous + ce rapport, le cit. Desroys est une de ses conceptions les plus + heureuses, et nous ne saurions trop nous empresser de le faire + connaître. + + Déjà les deux nymphes[58], arrivées au point où les soins paternels + cessaient d'être nécessaires, aspiraient à se produire dans le + grand monde, à étaler les charmes dont elles étaient parées, + lorsque le cit. Desroys, en père tendre et compatissant, s'est + déterminé à les transporter dans sa malle à Paris. Mais sur quel + théâtre exposera-t-il ces rares merveilles de la nature? Il a à + choisir entre la salle Montansier, les boulevards ou la + République[59]. La République aura ses préférences. Déjà le cit. + Desroys a mis son habit du dimanche: un bas de soie réservé pour le + jour de Pâques a succédé à la guêtre qui déguise la faiblesse de + son mollet et l'épaisseur de ses orteils; une cravatte brodée à + crête de coq enveloppe son long col et dépasse son menton; un linge + mouillé dans un gobelet a fait disparaître les traces de poussière + qui s'étendent sur son front; sa main, blanchie par le savon, + soutient avec orgueil ses deux filles chéries qu'il se hâte de + présenter au sévère Florence[60]. + + Illustre semainier qui rédigez l'annonce des spectacles et + convoquez le conseil suprême qui, dans son indulgence ou ses + rigueurs, élève ou abaisse la puissance poétique, généreux + Florence, soyez favorable au Sophocle de Montmirail! + +[Note 58: Sa tragédie et sa comédie.] + +[Note 59: Nom que portait alors l'ancien Théâtre-Français.] + +[Note 60: Un des semainiers du Théâtre-Français.] + +C'est dans cet appareil et présenté par ces propos un peu lourds, que +Lyon Des Roys aborda le comité de lecture du Théâtre-Français, et une +épigramme complaisamment recueillie par son terrible ennemi nous apprend +l'accueil qu'il en reçut: + + Dieu paternel, quel dédain, quel accueil! + De quelle oeillade altière, impérieuse, + Le fier Batiste écrase ton orgueil, + Pauvre Desroys! la Raucourt est moqueuse; + Elle riait, Saint-Prix te regardait + D'un air de prince, et Dugazon dormait; + Et renvoyé, penaud, par la cohue, + Tu vas gronder et pleurer dans la rue. + +Le jeune auteur fut pourtant ravi de tant de bruit fait autour de son +nom, et ce refus, loin d'abattre son courage, ne fit qu'exciter sa +verve; lui-même rendit publique sa mésaventure dans une _Épître à +Dazincour_, célèbre comique du temps, qui l'avait patronné paraît-il +auprès du comité de lecture; c'est allégrement qu'il s'écriait: + + Touchés de mon discours modeste, + Les premiers talents comme toi + Se sont déjà montrés pour moi: + Monvel, Talma, Mars et Devienne; + Mais la fâcheuse et dure antienne + De l'implacable Grandménil + M'a renvoyé dans mon chenil! + Va, ne crains pas que je m'y tue! + Ma muse est à la fin connue, + Ami, voilà ce qui m'en plaît, + C'est pour cela que j'ai tout fait. + +L'échec paraît néanmoins lui avoir été plus pénible qu'il ne le laissait +entendre, puisque peu de temps après il publia une _Épître aux +Comédiens_ dont la préface est pleine d'amertume: + + Je suis bien loin de prétendre, y lit-on, valoir mieux que les + Legouvé, les Arnaud, les Collin; mais quand je vois jouer des + pièces aussi froides que celles qu'on nous donne souvent, alors + l'indignation s'empare de mon esprit et je trouve qu'on me fait + injure de ne pas du moins essayer les miennes. + +Combien peu, pourtant, il était exigeant: + + Que demandai-je aux comédiens? une lecture de la pièce entière? + Non, mais une lecture du premier acte, de la première scène! Si + j'avais été entendu, j'étais content, je leur promettais un ennui + très court, mais ils n'ont pas voulu courir le danger. + +Il terminait enfin par le procès du comité de lecture: + + Comité secret et invisible qui rend les réponses les plus + rébarbatives; en se barricadant de la sorte, les acteurs de Paris + ne peuvent être abordés que par un petit nombre de favoris dont la + fortune est déjà faite, et par conséquent l'ardeur refroidie. + +Pour se venger des comédiens qui l'évinçaient, de la critique qui le +raillait, et persuadé que l'opinion prévenue contre lui ne demandait +qu'à lui rendre justice, l'infortuné eut une idée dont l'originalité n'a +certes jamais été atteinte depuis; il fit imprimer sa comédie, où on +lisait ces simples mots à la fin du IVe acte: + + _Absence du Ve acte_. Cet acte n'est pas le plus mauvais, mais + nous ne voulons pas nous dépouiller de toutes nos richesses pour un + public ingrat qui ne nous en saura aucun gré. S'il a quelque + curiosité de connaître la pièce entière et d'en bien juger, il n'a + qu'à l'appeler sur la scène. + +Ce bizarre appel au peuple échoua complètement; plus ingrat que jamais, +le public n'imposa pas la représentation de _l'Antiphilosophe_ dans un +de ces grandioses mouvements de foule qu'avait rêvé l'auteur; plein +d'indifférence, il se contenta même des quatre actes et n'exigea jamais +leur dénouement. Inlassable, Lyon reprit la lutte et, puisque le public +n'allait pas à lui, il irait au public. À cet effet, il fit placarder +dans Paris de grandes affiches bleues et rouges où la conduite du comité +et des journalistes était durement appréciée, et où il annonçait que le +13 avril 1802 il ferait une lecture publique de son _Caton_ dans une +salle qu'il loua, éclaira et meubla à ses frais. Le lendemain, Salgues, +qui l'avait laissé en paix déjà depuis quelques mois, rendit ainsi +compte de la soirée dans son journal: + + Il faut le dire, pour l'amitié que nous portons au citoyen Desroys, + cet auteur avait mal choisi son jour... Après avoir été _crucifié_ + par les Comédiens-Français, c'était mal entendre ses intérêts que + de prendre le Vendredi-Saint pour ressusciter. D'ailleurs, les + fêtes de Longchamps et le concert de l'Opéra, tout inférieurs qu'on + puisse les supposer à la tragédie du _dernier des Romains_, + devaient nécessairement dans ce siècle de frivolité enlever un + grand nombre d'amateurs au citoyen Desroys, et c'est ce qui est + arrivé. Trente personnes au plus composaient son auditoire, et ce + dénument n'avait rien d'encourageant pour un poète qui aspirait à + l'honneur d'être jugé par le public. + + Au reste, on doit cette justice au citoyen Desroys qu'il n'a + employé aucun des prestiges condamnables qui tendent à surprendre + la religion des juges. Dans la crainte que l'éclat de ses yeux ne + portât trop d'émotion dans nos coeurs il les a tenus constamment + fermés; pour diminuer l'intensité de sa voix et la grâce de son + geste, il a armé sa main droite d'un chandelier qu'il portait + alternativement à sa bouche, à son nez, à ses yeux. Si quelques + dents absentes de la bouche de l'auteur ne nuisaient pas à l'effet + de sa prononciation, si les règles de la grammaire étaient + observées dans ses vers, enfin si l'exposition du sujet ne manquait + point au premier acte, il est à présumer que le citoyen Desroys eût + recueilli de la part de ses auditeurs quelques marques de + satisfaction plus vives que celles qui lui ont été accordées. + + Mais le citoyen Desroys a reconnu lui-même qu'il manquait quelque + chose à son débit, et le découragement même allait le saisir, + lorsque le citoyen Simien-Despréaux s'est présenté pour soutenir + son courage et ranimer son audace. Le citoyen Simien-Despréaux est + un athlète plus vigoureux que le citoyen Desroys; ses traits mâles, + sa voix sonore et son geste imposant, ont soutenu le second acte + et quelques passages bien lus ont obtenu les applaudissements du + petit nombre d'amateurs qui étaient restés après le premier acte. + Le troisième, le quatrième et le cinquième n'ont point été lus: + rien n'a pu vaincre la timide résistance du citoyen Desroys: ce + n'est qu'après les plus vives instances qu'on a pu obtenir qu'il + égayât l'assistance par la lecture du monologue de _Caton_. À + l'exception du premier hémistiche, ce morceau est tout entier de la + création du citoyen Desroys. + +Après un tel coup de massue, un homme ordinaire aurait perdu la tête et +fui Paris; Lyon n'en fit rien. Profitant de la menue notoriété que +l'incident lui avait value, il réunit à la hâte quelques pièces +fugitives, dont une _épître aux journalistes_, qu'il mit en vente sans +tarder; c'était aussi le seul moyen pour lui de répondre à Salgues, car +tous les journaux demeuraient obstinément sourds aux véhémentes +imprécations qu'il leur offrait. Cette fois, pourtant, on voit par la +préface, plus navrante encore qu'incohérente, qu'il avait perdu son +égalité d'humeur et que sous les cruelles railleries de Salgues sa +raison commençait à s'affaiblir; il écrivait tristement: + + La qualité de poète est belle et honorable quand elle est conférée + par la voix publique, mais jusque-là ce n'est qu'une enseigne + fatale qui nous attire incessamment le cruel coup de pied de l'âne. + Il est facile de supporter les injures de la médiocrité quand on a + pour soi les éloges des gens d'esprit, mais avaler le fiel tout + pur, voilà ce qui révolte et fait perdre la raison. Si mon + extravagance a nui à ma réputation, elle y a servi en même temps: + j'ai mieux aimé périr par la folie que de me laisser écraser par le + ridicule. Tout n'est pas rose dans la littérature: il faut pourtant + convenir que les épines qu'on y rencontre viennent souvent moins + de la nature du terrain que de la position de celui qui le cultive. + Je sais que les journalistes que je provoque trouveront, s'ils + veulent, mille pauvretés et mille contradictions dans mes petits + écrits; mais cela tient au projet insensé et opiniâtre de faire + parler la renommée malgré elle. Les journalistes ne s'attaquent pas + à mes oeuvres, ils défigurent ma personne, et voilà ce qui est + infâme et ne devrait pas leur être permis. + +Enfin, après avoir ainsi stigmatisé son bourreau, il tenta une dernière +fois de l'apitoyer, mais d'une façon si naïve et si ridicule que Salgues +ne put se tenir de reprendre la plume à la lecture de semblables vers: + + Le public s'en rapporte aux gens qui font la loi, + Il les croit de bon coeur plus habiles que soi. + Mais enfin, tôt ou tard, le bon goût les ramène; + La justice du temps est lente, mais certaine. + L'auteur modeste, en paix s'abandonne à son sort. + S'il n'est vengé vivant, il sera vengé mort. + Vous riez des moyens que mon orgueil expose? + Craignez pourtant, messieurs, qu'il n'en soit quelque chose; + Et quelle honte, ô Ciel! n'éprouveriez-vous pas + Si mon triomphe était l'effet de mon trépas! + Rendez, pendant que l'heure est encore propice, + À d'immenses travaux une faible justice; + Régner sur les esprits est un plaisir si doux, + Que les maîtres du monde en sont souvent jaloux: + Richelieu tout-puissant porte envie à Corneille. + Je crains bien pour ma part quelque chance pareille: + Bonaparte est plus grand, j'en conviens avec vous, + Il triompha des rois conjurés contre nous, + Fit jouir de la paix l'Europe et sa patrie, + Mais il n'a pas en vers mis la géométrie. + +Devant cette dangereuse exaltation, son cousin Dareste, chez qui il +habitait alors, jugea prudent d'écrire à Mme Des Roys et à la jeune +Mme de Lamartine. Nous n'avons pas la réponse de la mère, mais on +trouve trace dans le _Journal intime_ de toutes les angoisses de la +pauvre femme, lorsqu'elle eut sous les yeux les articles de Salgues, +qu'un anonyme avait assez méchamment fait parvenir à sa belle-soeur +Mlle de Lamartine. Qu'y pouvait-elle? elle écrivit à son frère une +lettre tendre, mais très ferme, en le suppliant de quitter Paris et +d'essayer de trouver une situation en province ou à l'étranger. Celui-ci +n'en continua pas moins ses excentricités: le 7 juin 1802, on l'arrêta +même à l'Opéra, où il causait un violent scandale en faisant pleuvoir +sur la salle tout ce que le libraire n'avait pas vendu d'exemplaires de +son _Épître aux comédiens_; il fut remis en liberté quatre jours plus +tard, mais ce petit incident avait sans doute refroidi son ardeur, +puisque nous savons par sa soeur qu'il partit pour l'Angleterre en +juillet; il entra, paraît-il, comme professeur de français chez un +prêtre anglais qui lui accordait la modeste allocation annuelle de cinq +cents francs, le loyer et la nourriture. + +Au bout de dix mois, incapable de se résigner à cette pitoyable +existence, il regagna Paris où il végéta encore quelque temps; puis, +aigri, désespéré, la tête perdue, il se tua le 15 mars 1804 à Lagnieux, +près de Belley, au retour d'une visite qu'il avait faite à Lyon chez sa +soeur Mme de Vaux. Mais le destin qui l'avait poursuivi sa vie +durant, lui fut encore impitoyable après sa mort. Les autorités du +département de l'Ain s'inquiétèrent de ce bizarre suicide--un coup de +fusil dans le ventre--et comme les esprits étaient encore sous le coup +de l'attentat de la rue Saint-Nicaise, on n'hésita pas à reconnaître +dans le cadavre de Lyon Des Roys, malgré les papiers qu'il avait sur +lui, un certain Picot-Limodan, dit _Beaumont_ ou _pour le Roi_, +compromis dans l'affaire de la machine infernale et qui avait réussi à +prendre la fuite. Le zèle des fonctionnaires alla même jusqu'à ordonner +huit jours après l'exhumation du corps et à perquisitionner chez Mme +de Vaux qui ne comprenait rien à l'aventure[61]. Quant à Mme de +Lamartine, elle ignora toujours la vérité sur la fin de son frère et le +crut emporté par une congestion pulmonaire; mais la pseudo-conspiration +arriva jusqu'à elle, et elle écrivait le 29 mars 1804: + +[Note 61: _Moniteur_ du 4 avril 1804.] + +«L'on a imaginé que mon malheureux frère mort était impliqué dans une +affaire de conspiration qui a toujours été à cent lieues de son coeur et +de ses moyens. Une ressemblance de nom et son arrivée d'Angleterre ont +produit cette erreur. On est allé faire des visites chez ma soeur, l'on a +examiné ses papiers; il n'y avait rien du tout.» + +Telle fut l'existence de l'infortuné Lyon Des Roys, poète incompris +comme Gilbert, Chatterton et tant d'autres; elle n'aurait guère valu de +s'y arrêter aussi longuement si, comme nous l'avons dit, son exemple +n'avait influé plus tard de façon décisive sur l'attitude des Lamartine +lorsqu'ils virent le jeune Alphonse tourmenté du même démon qui avait +perdu son oncle. On comprend mieux et l'on excuse leur opposition, +parfois violente, quand à vingt-cinq ans il partit pour Paris un _Saül_ +en poche, frapper à la porte du même Talma qui dix-huit ans auparavant +avait refusé le _Caton_ de Lyon Des Roys[62]. Le souvenir de son frère +était encore trop présent à la mémoire de Mme de Lamartine pour +qu'elle ne fût pas effrayée de voir son fils séduit par une carrière +dont un de ses proches n'avait connu que les déboires. + +[Note 62: Il est curieux de constater que le sujet de Caton, +emprunté à _la Mort de Caton_, d'Addison, tenta également Lamartine à +vingt ans: il écrivait en effet le 30 septembre 1810 à Virieu: «Je +traduis de l'anglais quelques Nuits d'Young et la superbe tragédie +d'Addison _the Death of Cato_, le tout en vile prose, excepté quelques +morceaux qui me séduisent et que je versifie.» (_Corresp._, I, p. 272.)] + +Quant à son oeuvre poétique, elle est aussi mince que médiocre: une +tragédie, une comédie, quelques pièces fugitives, un poème sur le tabac, +un autre sur la géométrie, deux ou trois fables et quatre épîtres[63]; +c'était insuffisant pour la conquête de Paris qu'il avait rêvée. +Accordons-lui pourtant en tardive réparation que _le Dernier des +Romains_ ne dépare pas la série des pauvres tragédies qui encombrèrent +la scène française de 1790 à 1815. Inspirés du _Caton_ d'Addison et des +meilleurs souvenirs de Shakespeare, ses cinq actes sont correctement +rimés et bien conduits. Certains morceaux, comme la mort du héros +pourraient même supporter la comparaison avec _la Mort de Socrate_ de +son neveu. Tous deux, il est vrai, n'ont fait qu'interpréter Platon, +mais le rapprochement est assez curieux pour être noté[64]. + +[Note 63: Voir, à l'Appendice, la bibliographie des oeuvres de Lyon +Des Roys.] + +[Note 64: + + L'âme est inaccessible et rien n'agit sur elle; + Que la mort au méchant soit un objet d'horreur, + L'homme de bien y voit l'aurore du bonheur. + . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . + Mais je ne sais, mes yeux paraissent s'obscurcir, + Mes membres fatigués semblent s'appesantir, + Je ne puis surmonter la langueur où je tombe... + . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . + Mes enfants, mes amis, approchez, je vous prie. + Quoi? d'où viennent ces cris? qu'avez-vous à frémir? + Qu'est-ce donc, mes amis, ai-je tort de mourir? + Voulez-vous que j'attende à sortir de la vie + Que je me sois couvert de quelqu'ignominie, + Que j'aie abandonné le chemin de l'honneur? + La mort n'a rien d'affreux, n'en ayez point d'horreur. + Elle vient,... je la vois, je la sens,... je la touche... + Elle obscurcit mes yeux,... elle glace ma bouche... + Je finis,... je m'éteins... sans douleurs, sans effort... + L'âme pleine d'espoir se dégage du corps. + + (_Le Dernier des Romains_, acte V, sc. I et IX.)] + + * * * * * + +Hasarder des conclusions à une étude aussi brève et forcément incomplète +sur l'hérédité de Lamartine est délicat. Pourtant, dans ses grandes +lignes, elle apparaît ainsi: + +Deux familles, l'une un peu rude, chez qui la carrière des armes devient +la tradition; l'autre, cultivée, affinée par quatre siècles d'étude et +qui ne connut jamais d'autre métier que celui d'écrire; mais toutes +deux provinciales et sédentaires, profondément religieuses et que les +germes matérialistes du XVIIIe siècle ont épargnées; étroitement +attachées au sol qui les a vues naître, elles y tiennent par toutes +leurs alliances; au plus haut qu'on puisse remonter, elles sont fixées +non pas dans des régions extrêmes de la France, mais au contraire dans +deux provinces presque limitrophes, soumises aux mêmes coutumes, et dont +Lyon est le centre géographique. Leur vie est simple, leurs aspirations +sont saines et n'ont d'autre objet que d'augmenter à chaque génération +le patrimoine d'honneur et de bien-être qu'elles tiennent de leurs +pères; de tout temps une vie égale et sans histoire, presque sans +efforts, comme si toutes les forces vives des deux races eussent dû +sommeiller pendant quatre siècles pour s'éveiller et s'épanouir enfin +dans leur dernier rameau. + + + + +DEUXIÈME PARTIE + +LE MILIEU + + + + +CHAPITRE I + +LA FAMILLE[65] + + +[Note 65: Sources et bibliographie de la IIº partie: _Journal +intime_ (passim).--_Archives départementales de Saône-et-Loire_, très +riches en documents sur les Lamartine pendant la Terreur.--_Césarine et +Alix, un épisode de la jeunesse de Mme de Lamartine la mère_, par le +baron Alexandre Carra de Vaux (publié dans _l'Investigateur_, journal de +l'institut historique, 1853).--_Histoire de Saint-Point_, par L. Lex +(Mâcon, 1898, in-8).--_La Jeunesse de Lamartine_, par F. Reyssié (Paris, +1892, in-16).--_La Persécution religieuse en Saône-et-Loire_ (t. IV, +arrondissement de Mâcon), par l'abbé Louis S.-M. Chaumont +(Chalon-sur-Saône, 1903, in-8).--_La Révolution dans l'ancien diocèse de +Mâcon_, par Mgr B. Rameau (Mâcon, 1900, in-8).--_Souvenirs de Mme +Delahante_ (Évreux, 1906, 2 vol. hors commerce). Les souvenirs de Mme +Delahante, qui dans sa jeunesse habita longtemps Mâcon et fut très liée +avec les Lamartine, ont été publiés par sa petite-fille Mme de Blic. +Ils contiennent de nombreux et curieux détails nouveaux sur la vie +familiale du poète, ainsi qu'une trentaine de lettres inédites de divers +membres de sa famille. + +Toutes les références aux oeuvres de Lamartine sont faites d'après +l'édition de l'auteur; c'est la dernière parue de son vivant et la plus +complète (Paris, 1860-66, 41 vol. gr. in-8).--Pour les publications +posthumes, d'après les éditions originales: _Mémoires inédits_ (Paris, +1870, in-8); _Manuscrits de ma mère_ (_id_., 1871, in-8); _Souvenirs et +Portraits_ (_id_., 1871-72, 3 vol. in-18): _Correspondance_ (_id_., +1873-75, 6 vol. in-8).] + +À la naissance de Lamartine, sa famille se composait de +Louis-François--alors âgé de quatre-vingts ans,--de sa femme et de leurs +six enfants: trois fils et trois filles. Si l'on en excepte les +grands-parents qu'il connaîtra à peine, tous les autres joueront dans sa +jeunesse un rôle trop important pour ne pas préciser un peu leurs +figures très effacées aujourd'hui. + +L'aîné des fils, François-Louis, était, on l'a vu, d'une santé précaire. +C'était un grand homme un peu voûté, au teint pâle, au regard noir, à +l'abord austère. Extrêmement maniaque dans ses habitudes et son hygiène, +il trouvera moyen de prolonger jusqu'à près de quatre-vingts ans une +existence que les médecins avaient condamnée dès l'enfance. «Il avait +été toute sa vie faible et délicat, dira de lui sa belle-soeur, mais on +était accoutumé à le voir ainsi.» + +Ce que son neveu a écrit de lui paraît très exact; on sent que le poète +avait, comme il l'a dit, son image «bien gravée dans la tête». C'est que +leurs deux natures étaient peu faites pour s'entendre. Dans le journal +de sa soeur il apparaît comme un vieillard énergique mais redoutable, +despotique, rigide, aigri par ses infirmités et sa vie manquée: «Toute +sa vie, écrira Mme de Lamartine au lendemain de la mort de son +beau-frère, il avait conservé l'influence d'un chef de famille, et rien +ne s'était jamais décidé dans la mienne que par lui ou d'après lui; +souvent cet empire avait contrarié nos vues et m'avait causé des peines +sensibles». Ceci confirme entièrement ce que Lamartine a écrit dans les +_Confidences_. + +Lorsqu'il lui fallut à vingt-cinq ans renoncer à la carrière militaire +et à l'espoir de fonder à son tour une famille, François-Louis se +confina entièrement dans le monde de la pensée, afin d'occuper un peu +son activité. Esprit méthodique et précis, les sciences eurent ses +préférences: les mathématiques furent pour lui un véritable délassement, +et il faut voir là l'origine de tous les froissements que nous +constaterons plus tard entre l'oncle et le neveu. + +La liste de ses oeuvres en dit long; l'Académie de Mâcon, dont il fut dès +1806 un des membres les plus assidus, a recueilli dans ses bulletins +annuels une cinquantaine de mémoires sur les sciences et l'agriculture +dont il est l'auteur. On y remarque un _Examen du gleuco-oenomètre_, une +_Dissertation sur une substance résineuse trouvée à Louhans_, un _Traité +de l'oryctologie du Mâconnais_, dont le manuscrit subsiste encore à la +bibliothèque de Mâcon, et d'importantes et minutieuses _Recherches sur +les causes qui modifient ou altèrent la cohésion entre les parties de +quelques substances_, sans compter d'innombrables communications sur la +viticulture et l'élevage. + +À sa mort, le _Journal de Saône-et-Loire_ publia un long article +nécrologique auquel il est permis d'accorder quelque valeur, puisque +nous savons qu'il ne fut pas inspiré par sa famille[66], et dont le +fragment suivant nous donne un portrait assez vivant de celui que +Lamartine appelait «l'oncle terrible»: + +«Animé d'un zèle ardent pour l'étude, M. de Lamartine s'était consacré +dès sa jeunesse au culte des sciences et des lettres, mais il avait +montré une prédilection particulière pour les sciences naturelles et les +mathématiques. Uni par les liens de l'amitié et d'une estime mutuelle +avec le savant abbé de Sigorgne[67], en relations avec plusieurs autres +hommes célèbres de son temps, il trouva ses plus chères délices à +parcourir le vaste champ du découvertes que lui présentait la science. + +[Note 66: Journal de Saône-et-Loire du 4 mai 1827. Cet article, +rédigé par Alexis Mottin, secrétaire perpétuel de l'Académie de Mâcon, +ne satisfit qu'à moitié Pierre de Lamartine qui y répondit par la lettre +suivante, insérée dans le numéro du 7 mai: + +«Monsieur, je commence par rendre grâce à l'estimable auteur de +l'article nécrologique inséré dans votre précédent numéro. Je serai +désespéré que ma juste réclamation put l'affliger, mais je crois le +devoir à la mémoire de mon frère. Sans doute, si votre journal n'était +lu qu'à Mâcon, où M. de Lamartine était si parfaitement connu, il eût +été peut-être superflu de dire un mot sur ses sentiments religieux: nul +ne peut les y mettre en doute. Mais comme la sphère de votre estimable +journal ne se borne pas à cette ville, je désire que partout où elle +s'étend on sache que mon frère mettait fort au-dessus de toutes les +connaissances humaines celle de la religion, et que, jusqu'au dernier +instant de sa vie, il en a constamment rempli les devoirs avec zèle et +la plus sincère conviction.--LAMARTINE.»] + +[Note 67: Pierre Sigorgne (1719-1809), vicaire général de Mâcon, +puis archidiacre et doyen du chapitre de Saint-Vincent, auteur de +plusieurs volumes de philosophie. On a de lui: _Institutions +newtonniennes_ (1747); _Lettres écrites de la plaine_ (1765), où il +réfute les _Lettres de la montagne_ de Rousseau; _Institutions +leibnitziennes_ (1768); _le Philosophe chrétien_ (1776), etc. + +Cf. Abbé Rameau, _Notice sur l'abbé Sigorgne_ (Mâcon, 1895, in-8).] + +«Doué d'une imagination vive, brillante, et de cette fermeté de +caractère qui triomphe des difficultés, aidé d'une mémoire facile qui +lui rendait toujours présentes les connaissances solides qu'il avait +acquises, il ne lui eut fallu qu'un peu moins de modestie pour se faire +un nom très recommandable parmi les savants. Mais, loin de faire parade +de son savoir, il le faisait servir à donner plus de charme à sa +conversation, vive, piquante, et constamment assaisonnée de cette douce +urbanité qui donne à la société tant de charmes. + +«Sujet fidèle et attaché sincèrement au bien de son pays, on l'a vu, +pendant le cours des troubles civils qui ont désolé notre patrie, +toujours dévoué à la cause de la légitimité et de ne pas perdre de vue +un seul instant les principes sur lesquels reposent l'ordre social et la +prospérité de la France.» + +Ainsi lorsque après un romantique parallèle de leurs deux caractères, +Lamartine s'écriait: «Comment unir ce nombre et cette flamme[68]», il +n'exagérait pas les contrastes de ces natures dissemblables qui ne +parvinrent jamais à trouver un terrain d'entente. + +[Note 68: _Nouv. Confidences_, p. 455. Le portrait de l'oncle +terrible occupe les pages 447-457 (T. 29).] + +À toutes ses qualités de méthode il joignait celle d'être un homme +d'affaires entendu, comme le furent tous les Lamartine, sauf toutefois +le dernier du nom qui sur ce point se trouvait desservi par son +imagination. Le souci de son bien s'affirme dans les moindres lettres +que nous ayons rencontrées de lui: très processif, il n'hésitait pas, +dès qu'il croyait y avoir quelque intérêt, à soutenir ses revendications +par de longs _factums_ écrits avec amour. + +Sa correspondance avec ses vignerons est curieuse à feuilleter: une fois +de plus, elle confirme son esprit précis et méticuleux. + +Lamartine ne l'aimait pas et cette antipathie se manifesta chaque fois +qu'il avait à parler de lui. Cet oncle fut l'épouvantail de sa jeunesse, +celui à qui, bien plus qu'au père toujours indulgent, il fallait cacher +les fredaines, les menues dettes et les aventures: intransigeant, sévère +et glacé, presque sans tendresse, il ne tolérait pas autour de lui la +moindre infraction aux principes dans lesquels il avait été élevé et +qu'il prétendait immuables. + +La plupart du temps il contrecarrait opiniâtrement et avec sa méthode +habituelle les beaux projets de son neveu dont il voulait ainsi +maîtriser la débordante imagination; aux rêves vagues mais fiévreux +d'étude et de littérature il opposera froidement les sciences qui, selon +lui, donneront quelque maturité à ce cerveau vagabond. + +Pour comprendre cette domination qu'il imposera jusqu'à sa mort, il ne +faut pas oublier la situation particulière du jeune homme dans ce milieu +imbu des traditions du sévère XVIIIe siècle: l'oncle ne verra en lui +que l'unique héritier du nom et de la fortune et voudra, avant tout, le +mûrir pour en faire le chef de famille avisé et prudent que chacun de +ses ancêtres avait été avant lui. Tout le malentendu naîtra de là. + +Dans le portrait de son oncle, Lamartine a pourtant commis une erreur +lorsqu'il touche à ses idées politiques[69]; mais est-elle involontaire? +Les _Confidences_ furent écrites, on le sait, en pleine activité +républicaine, à une époque où le chef de l'opposition n'était peut-être +pas fâché de se découvrir des origines libérales. + +[Note 69: Bien qu'inexactes, les idées politiques que Lamartine a +prêtées à son oncle sont curieuses, parce qu'elles correspondent très +exactement à son propre programme sous les dernières années de la +monarchie de Juillet.] + +La vérité est que, dès le début de la Révolution, François-Louis, que +son neveu nous a montré condisciple et ami de Lafayette, n'eut même pas +ce républicanisme de la première heure que connurent tant de +gentilshommes séduits pas les idées nouvelles. Alors que dans une minute +d'enthousiasme son frère Pierre signait avec le comte de Montrevel, le +grand bailli d'épée Desbois, le marquis de Sainte-Huruge et d'autres +seigneurs du Mâconnais la solennelle renonciation aux privilèges +nobiliaires, lui, plus froid et plus raisonné, ne fut pas entraîné par +l'imagination et la fièvre de l'époque. La gravité de la situation lui +apparut entière et dès le premier jour il en envisagea les suites. +Aussi, en mars 1789, au moment des émeutes qui accompagnèrent à Mâcon +l'élection des députés aux États généraux, on le vit avec MM. de +Chaintré, de Bordes, de Pierreclau et de Drée, défendre les intérêts de +sa caste à l'Assemblée des trois ordres du bailliage et réclamer même la +destitution du maire qui soutenait le Tiers, ce qui leur valut à tous +d'être fort malmenés par la foule à l'issue de la réunion[70]. + +[Note 70: Cf. Demaizières, Un incident populaire à Mâcon en 1789 +(_Ann. de l'Académie de Mâcon_, IIe siècle série, t. XI).] + +En 1792 enfin, lorsqu'il sentit l'orage prêt d'éclater, il se hâta +d'émigrer; pour un temps très court, il est vrai, car trois mois plus +tard il était de retour et se constituait prisonnier ne voulant sans +doute pas abandonner son père et ses frères que sa fuite avait fait +arrêter. + +Par la suite, la Terreur et l'Empire l'abattirent sans le convaincre et +jusqu'au bout il demeura fidèle à la légitimité. Lamartine a raconté +qu'en 1805, lors du passage de Napoléon à Mâcon, celui-ci aurait fait +appeler François-Louis pour lui offrir un siège de sénateur; mais Mme +de Lamartine n'a rien noté de tel dans son journal où ce séjour de +l'Empereur est pourtant longuement rapporté, ce qu'elle n'eût pas manqué +de faire si l'entrevue avait eu lieu. + +À soixante dix-sept ans, une fluxion de poitrine emporta François-Louis +en quelques jours. Sa mort fit un véritable vide dans la petite société +mâconnaise qui l'aimait et le respectait pour la droiture de sa vie et +son érudition «presque universelle», dira sa belle-soeur; il laissait à +tous le souvenir d'une intelligence remarquable et d'un causeur parfait, +à qui l'on pardonnait son abord un peu farouche en mémoire d'une vie +prématurément brisée. Il mourut à Montceau le 25 avril 1827, et par son +testament il instituait comme ses légataires universels, sa nièce aînée +Cécile, devenue Mme de Cessia, et son neveu Alphonse dont les +triomphes poétiques et surtout les fonctions d'attaché d'ambassade qu'il +occupait alors avaient fini par lui rendre confiance. Celui-ci, +pourtant, ne se jugea pas satisfait, et fut même blessé par une clause +de ces dernières volontés pourtant toutes en sa faveur; le 20 juin, il +écrivait à l'abbé Dumont, son ami: «Le testament de mon oncle n'est pas +sa plus belle oeuvre, mais j'aime toujours à croire qu'elle n'a pas été +faite à mauvaise intention. Si je n'avais qu'un neveu, seul chef +survivant de ma famille, et qu'il ne déshonorât pas mon nom, je lui +ferais l'honneur de le nommer au moins mon héritier universel à ses +risques et périls. Trop penser nuit, les grandes routes sont les plus +droites[71]». Ce fut là toute l'oraison funèbre qu'il prononça sur la +tombe de cet oncle qu'il s'imaginait, sincèrement, avoir opprimé sa +jeunesse. + +[Note 71: Cf. _Corresp._, III, p. 41. Voici d'autre part une lettre +de Pierre de Lamartine à son fils où nous trouvons quelques détails sur +cette succession: + + «Maçon, le 1er mai 1827. + + «Voilà, mon cher ami, une malheureuse circonstance qui me fait + encore plus regretter que tu ne sois pas ici où ta présence serait + d'une grande utilité. Mon pauvre frère n'est plus; il a succombé, + dimanche à onze heures du matin, à cette maudite fièvre catharale. + Tu sens tout ce que nous avons eu tous à souffrir dans ce malheur. + Mlle de Lamartine l'a pourtant supporté avec tout le calme de sa + grande piété. + + «Voici les principales dispositions de son testament par lequel il + a fait cesser l'indivision qui était dans leur bien. Mlle de + Lamartine garde Montceau et les Mélards, elle a tout le mobilier + quelconque, argent, denrées, sans aucun frais de sa part, pas même + ceux du fisc dont ses héritiers sont chargés. C'est Cécile et toi + qui l'êtes, pour égale part et portion, de Champagne, Saint-Pierre + et Saint-Oyen en rapportant ce que vous avez eu par contrat de + mariage. La bibliothèque est à toi par principal et voici en quoi + consistera l'actif de la succession: + + À présent Champagne estimé à peu près... 160000 francs. + Saint-Oyen environ.... 80000 ---- + + Après la mort de ma soeur, trois inscriptions + de mille francs chacune, valant....... 60000 ---- + ------ + 300000 francs. + + «Mon frère a fait bon marché à Mlle de Lamartine, en faisant son + partage, mais il y assujétit ses héritiers par son testament. + L'argent, les vins, le mobilier sont très considérables; je pense + que ma soeur aura dix-sept ou dix-huit mille livres de rente.» + (_Lettre inédite_ provenant des archives de Saint-Point.) + +Comme on peut s'en rendre compte, Pierre de Lamartine était donc du même +avis que son fils touchant le testament de François-Louis. + +Une lettre du 5 juillet, toujours du chevalier au poète, nous apprend +que, sur la tombe de François-Louis de Lamartine, on fit graver un vers +de son neveu choisi par Mme de Lamartine: + +«La mort m'a tout ravi, la mort doit tout me rendre», extrait de la +_Méditation_: la Semaine sainte à la Roche-Guyon.] + +Le cadet, l'abbé de Lamartine, était son vivant contraste. À dix-sept +ans il était entré dans les ordres, un peu contre son gré, assure sa +belle-soeur. Bientôt il prit goût pourtant à cette vie facile et sans +soucis graves; cinq années de dures épreuves qu'il eut à subir de 1792 à +1797, lui donnèrent une souriante philosophie. En sage qu'il était, il +se réfugia aussitôt dans sa belle retraite de Montculot, où il vécut +paisiblement et loin des siens, parmi la nature qu'il aimait. Il demeura +là jusqu'à sa mort avec une vieille intendante, travaillant en silence à +de longs mémoires sur la théologie et la philosophie qui ne virent +jamais le jour. + +Dans sa vieillesse, il aimait à voir sa solitude animée par les vingt +ans et la vivacité de son neveu, qu'il accueillit toujours avec bonté; +Lamartine l'adorait, et chaque fois qu'il avait quelque dette à éteindre +ou une petite fredaine à faire oublier, c'était à lui qu'il venait +s'adresser. Montculot fut le refuge, «la Thébaïde», comme il l'appelait, +de son adolescence. Il y fuyait l'oncle de Montceau et la contrainte de +Milly; c'était la transition habituelle entre les plaisirs de Paris et +la tristesse de sa campagne, et il y trouvait la paix et le +recueillement sous les deux formes qu'il aimait le mieux: la nature et +les livres; l'abbé avait réuni une admirable et riche bibliothèque où le +neveu pouvait puiser sans contrôle, ce qui n'allait pas sans le changer +un peu des habitudes de Mâcon et de Milly où sa mère se montrait très +sévère. Lamartine, en mémoire des heures libres qu'il passa près de +lui, en a laissé un portrait charmant: il aimait la bonhomie souriante +de l'aimable vieillard demeuré toujours un peu frondeur, ce qui faisait +dire ingénument à sa belle soeur: «L'abbé est très mal! pourvu, mon Dieu, +qu'il pense à se confesser!» Une vieillesse accablée de cruelles +infirmités n'altéra en rien sa belle humeur; frappé le 10 septembre 1817 +d'une attaque d'apoplexie qui lui paralysa un bras et une jambe, il +mourut à Montculot le 8 avril 1826, en brave homme qu'il avait toujours +été, laissant sa fortune à son neveu préféré. Seul de tous les +Lamartine, il avait compris la nature inquiète de l'adolescent et deviné +l'immense travail de ce jeune cerveau. + + * * * * * + +Quant aux trois tantes, elles jouèrent un rôle assez effacé dans +l'existence du poète. L'aînée, Sophie, connue dans la famille sous le +nom de Mlle de Montceau, demeura toute sa vie faible d'esprit et +vécut à Milly des jours sans histoire entre son frère et sa belle-soeur: +«Je dois la regarder comme mon sixième enfant», dira d'elle Mme de +Lamartine, qui fit preuve à son égard d'un patient dévouement. La +cadette, Suzanne, Mme du Villard, habitait la petite propriété de +Péroné. Dans sa jeunesse elle avait été élevée au chapitre de Salles et +en avait gardé le titre de chanoinesse-comtesse. C'est là que la +Révolution vint la surprendre pour la relever malgré elle de ses voeux. +Son coeur était inépuisable, comme sa bourse, et bien souvent on la verra +venir à l'aide du prodigue neveu. D'après Mme de Lamartine qui lui +avait voué une profonde reconnaissance d'avoir facilité jadis son +mariage, elle était de bon conseil, très bonne et très pieuse, mais +d'une nature assez difficile. Pour Lamartine, qu'elle tira souvent un +peu vivement de ses rêveries, elle avait un caractère «plus impétueux +qu'une bourrasque». La dernière, Charlotte, Mlle de Lamartine, avait +uni sa vie à celle de son frère aîné; c'était une pâle et mystique +créature, qu'un amour malheureux avait attristée pour toujours. L'hiver, +on se réunissait à Mâcon dans son vieux salon démodé, avec quelques +parents et voisins; c'étaient ces fameuses soirées où Lamartine avouait +plus tard avoir failli périr d'ennui et qui, selon son énergique +expression, «auraient fait croupir l'eau même des cascades des Alpes». +Les trois vieilles filles moururent, Sophie en 1819, Charlotte en 1823, +Mme du Villard en 1842, celle-ci n'ayant jamais pardonné à son neveu +la politique d'opposition qu'il menait contre les d'Orléans à qui, +disait-elle, leur famille devait tant. + + * * * * * + +Le plus jeune des fils de Louis-François était Pierre Lamartine, le +chevalier de Pratz. On lui avait donné ce titre dans sa jeunesse, pour +le distinguer de son frère aîné et, à Mâcon, il n'était guère connu que +sous le nom de M. de Pratz. De là l'erreur si commune que le nom +véritable du poète était de Pratz et non de Lamartine. + +Nous sommes malheureusement très peu renseignés sur lui. À travers même +le journal de sa femme qui l'adore, il apparaît presque au second plan, +se reposant sur elle de tous les soins du ménage et des tracas +quotidiens, heureux, semble-t-il, d'avoir abdiqué entre les mains de son +frère ses droits de chef de famille avec leurs responsabilités. Dans les +_Confidences_, son fils en a parlé de façon respectueuse mais quelque +peu vague; le portrait, d'allure militaire, est joliment campé, mais +n'est pas tout à fait d'accord avec ce que nous savons de lui. Ce qu'il +en a dit de plus juste est qu'il fut «le modèle parfait du gentilhomme +de province, père de famille, chasseur, cultivateur». De même, quelqu'un +qui l'a beaucoup connu, écrit qu'il était «le type parfait de l'ancien +gentilhomme; très aimé de sa femme, qui le craignait un peu; il lui +survécut et la regretta jusqu'à son dernier jour[72]». + +[Note 72: Mme Delahante.] + +Comme il était extrêmement aimé et respecté dans la région pour sa +droiture, on avait voulu souvent le diriger vers la politique, mais il +s'en gardait, paraît-il, comme de la source de tous les maux. Il +consentit seulement à accepter un siège de conseiller général, qu'il +occupa de 1803 à 1813. Pour le reste, ses scrupules monarchistes ne lui +permirent jamais de passer outre, et sa femme a rapporté à ce sujet +l'anecdote suivante qui date de 1809. + +Vivant-Denon, l'orientaliste qui avait suivi Bonaparte en Égypte, se +trouvait alors à Mâcon où il présidait le collège électoral. Il était +lié avec François-Louis et, au cours d'une visite qu'il lui fit, il +rencontra le chevalier de Pratz. «Il traita mon mari avec beaucoup de +distinction, ajoute Mme de Lamartine; il en a fait le premier +scrutateur et, s'il avait voulu, l'aurait sûrement fait nommer +législateur. Mais il craint, s'il accepte cette place, de se trouver +dans des circonstances délicates où la conscience et la fortune ne +pourraient peut-être pas s'accorder. Il aime mieux ne pas s'exposer à +cette tentation, ce qui est assurément très sage.» + +Jusqu'à trente-huit ans, il avait servi dans l'armée; après son mariage, +il se retira à Milly dont il ne bougea plus jusqu'à sa mort, si ce n'est +à partir de 1805 pour aller passer l'hiver à Mâcon. C'était un bel +homme, robuste et sain, qui ne dérogea pas à cette étonnante vitalité +des Lamartine puisqu'il mourut presque centenaire. Bourru d'apparence, +il alliait des manières un peu rudes à une grande simplicité et à un +coeur excellent. Fixé à la campagne d'abord par nécessité, il finit par +s'y trouver bien et perdit vite le goût des villes; pour lui faire +acheter une maison à Mâcon, sa femme fut même obligée de plaider la +cause de leurs filles qui, devenues grandes, avaient besoin d'une +éducation moins villageoise. Jamais, on ne put vaincre dans sa famille +cette horreur des cités bruyantes; de 1792 à 1844, date de sa mort, il +ne consentit qu'une fois à s'arracher à sa chère solitude pour aller en +1814 présenter à Louis XVIII les hommages de la ville et poursuivre avec +opiniâtreté la croix de Saint-Louis, unique ambition de cette âme fidèle +aux Bourbons. Après quoi, satisfait, il rentra à Milly sans vouloir +jamais retourner à Paris par la suite, même au plus fort des triomphes +poétiques et politiques de son fils. + +Au fond, il aimait la vie simple, la campagne et ses plaisirs, chasse, +pêche, cheval, se levait et se couchait tôt, lisait peu. Son seul souci +fut l'entretien et l'embellissement de ses vignes, il courait lui-même +les marchés vendre son vin et ses récoltes et choisir soigneusement ses +bestiaux. Pour le reste, il s'en remettait entièrement à sa femme et à +son frère, surtout en ce qui concernait son fils dont l'âme tourmentée +et insatisfaite lui échappait complètement. On chercherait en vain +quelle influence il put avoir sur les destinées et l'éducation du poète. +Volontairement, il se tint toujours à l'écart, se contenta d'approuver +les décisions du chef de famille, lassé, surtout après 1810, de cette +détresse morale et de cette nature hésitante qui cadrait si mal avec son +propre tempérament et dont il ne comprendra que beaucoup plus tard les +mobiles secrets. Mais la mère sera là pour atténuer les froissements +entre ces deux caractères si différents. + + + + +CHAPITRE II + +LA MÈRE + + +En oubliant l'image que Lamartine a tracée de sa mère et en ne +l'étudiant qu'à travers son journal, ses lettres et les témoignages de +ceux qui l'ont connue, on peut arriver à préciser cette figure que le +poète, dans son pieux amour, s'est appliqué à idéaliser et à rendre +presque immatérielle. + +Mme de Lamartine fut une femme simple, bonne, aimante, et +profondément religieuse; sa vie se sépare en quatre périodes inégalement +remplies de joies et de douleurs. La première s'étend de sa jeunesse à +son mariage; la seconde de son mariage à la majorité de son fils; la +troisième de 1811 aux _Méditations_; la dernière de 1820 à sa mort +survenue en 1829. Ainsi, chacune de ces étapes est liée à quelque grand +événement de la vie de son fils: c'est que son premier-né demeura +toujours le plus aimé; elle le voyait différent des autres et réservait +pour lui le meilleur de sa tendresse. + +Elle était née à Lyon le 8 novembre 1770, et sa première enfance avait +été confiée à sa grand'mère paternelle, car son père, en incessantes +tournées d'inspections, et sa mère, retenue au Palais-Royal par ses +fonctions, n'habitèrent Lyon qu'à de rares intervalles. À dix ans, +Mme Des Roys la garda quelque temps près d'elle à Paris où la petite +Alix devint la compagne de jeux du futur Louis-Philippe; puis quatre ans +plus tard, redoutant qu'elle fût trop mêlée au monde de la cour, elle +obtint du duc d'Orléans des lettres d'admission pour elle au chapitre +noble de Saint-Martin de Salles, en Beaujolais, où sa fille aînée, +Césarine, se trouvait déjà. Salles, situé à quelques kilomètres de +Villefranche-sur-Saône, fut primitivement un prieuré dépendant de +l'abbaye de Cluny. À la fin du XIIIe siècle des Bénédictins s'y +installèrent, et en 1782 le prieuré fut, par lettres royales, déclaré +chapitre noble, c'est-à-dire que, pour y être admises, les religieuses +devaient faire preuves d'au moins quatre quartiers du côté maternel et +de six du côté paternel. + +Lorsque Mlle Des Roys entra à Salles, le couvent était devenu une de +ces institutions mi-mondaines, mi-religieuses de l'ancien régime, où les +jeunes filles achevaient leur éducation. La vie qu'on y menait n'avait +rien d'austère, puisque chaque élève y possédait une petite habitation +et un jardinet qu'elle partageait avec une «mère». D'ailleurs Alix Des +Roys, qui demeura à Salles de 1784 à 1789, venait chaque année passer +deux mois à Paris avec ses parents. + +Il nous reste deux portraits d'elle pendant ce séjour au couvent. L'un +est une miniature qui la représente dans l'austère vêtement noir des +chanoinesses-comtesses, avec la fanchon de soie noire, la guimpe de +broderie blanche et la croix d'émail épinglée au corsage[73]. Les +cheveux sont d'un blond cendré, les yeux noirs, la bouche fine, le +menton un peu gros, et toute l'expression du visage reflète une +indicible et inquiétante mélancolie. L'on songe alors à ce joli passage +de son journal écrit trente ans plus tard, un jour où, conduisant son +fils à Lyon, elle passa devant l'ancien couvent de sa jeunesse: + + J'éprouvais encore de douces émotions, dit-elle, en revoyant ce + charmant Beaujolais où j'ai passé une jeunesse si heureuse; mille + souvenirs se succédaient rapidement dans ma tête ou plutôt dans mon + coeur, car c'est là que presque tous les moments de ce temps sont + gravés. Je me voyais, de quinze à vingt ans, simple, jolie, + fraîche, plaisant à tout le monde... + +[Note 73: Ce portrait, que M. Reyssié a cru perdu, appartient +aujourd'hui à Mme Frédéric de Parseval, arrière-petite-fille de +Mme de Lamartine. Le poète, qui en a fait une description assez +fidèle dans les _Confidences_, l'avait fait mouler en couvercle sur une +petite boîte d'argent.] + +L'autre portrait est une longue épître en vers du chevalier de Bonnard, +poète du duc de Chartres, et qui précéda Mme de Genlis comme +gouverneur des enfants d'Orléans; elle fut adressée à Mme Des Roys, +dont il fréquentait le petit cercle et qu'il avait connue chez Buffon, +pour célébrer la grâce et les mérites de ses deux chanoinesses. Comme +tous les vers de Bonnard, ceux-ci sont médiocres, mais ils valent d'être +cités pour la spirituelle et vivante image qu'ils donnent de la jeune +fille à quinze ans: + + Quant à notre autre chanoinesse + Que nous nommons Madame Alix, + Elle a sans doute aussi son prix. + Mais quoiqu'elle entende la messe + Et chante l'office assez bien, + Qu'elle soit de discret maintien + Et même qu'elle aille à confesse, + Ô mère! tenez pour certain + Qu'elle a le goût un peu mondain. + À quinze ans elle était jolie, + Et spirituelle et polie, + S'exprimait avec agrément + Quoiqu'un peu trop rapidement; + Était tout yeux et tout oreille, + Remarquait, citait à merveille, + Marchait, dansait légèrement, + Aimait la bonne compagnie, + La musique, la comédie, + Soutenait, par le clavecin, + Un son de voix très argentin, + Jugeait les Beaulard, les Bertin, + Connaissait les moindres nuances + Et l'effet et les différences + Des poufs, des chapeaux de satin; + ...D'où je conclus, à juste titre, + Qu'elle quittera son chapitre + Tôt ou tard, pour prendre un époux, + Beau, jeune, riche, aimable et doux[74]. + +[Note 74: Ces vers du chevalier de Bonnard ne figurent dans aucune +édition de ses oeuvres. Ils sont cités d'après _l'Investigateur_ de 1853, +où la pièce a paru en entier.] + +Le portrait est enjoué et on le sent fidèle; pourtant, il ne faudrait +pas le prendre à la lettre et l'on peut se défier de l'esprit +superficiel du chevalier de Bonnard qui ne pouvait juger la jeune fille +que sur l'apparence de la vie brillante menée au Palais-Royal. D'après +lui, elle était un peu coquette et très mondaine: coquette, c'était une +des exigences de son âge; sans doute aussi aimait-elle le monde; toute +sa vie même elle le regrettera et le confessera souvent dans son journal +au retour des petits bals où elle menait ses filles; Mme Delahante +nous apprend aussi que «Mme de Prat tout en aimant le monde +secrètement, vivait très sédentaire, craignant ses belles-soeurs et son +beau-frère qui, étant âgés et sévères, avaient conservé toutes les idées +d'étiquette du siècle passé». Ceci semble donc acquis, de même que les +talents prêtés par Bonnard à Mlle Des Roys. + +Pour compléter cette étude de jeune fille, il reste encore à pénétrer +dans sa pensée et, là, on peut voir qu'à toutes ses qualités extérieures +elle joignait un esprit déjà singulièrement mûri et réfléchi. Dès l'âge +de quinze ans, elle avait pris l'habitude de tenir un journal de sa vie; +celui que nous possédons ne commence qu'en 1801, mais un fragment de ce +premier début a été conservé précieusement par elle comme la ligne de +conduite de son existence. Intercalé dans l'un des douze petits +cahiers, il est daté de mars 1786, et voici ce qu'on y lit: + +«...Il n'y a, après tout, qu'une _seule chose_ de nécessaire: il n'est +pas utile, en effet, que je me procure de la dissipation, que je prenne +du plaisir, tout cela passe et ne fait pas le bonheur. Il n'est pas +nécessaire que je plaise au monde, que je sois aimée et recherchée; tout +cela est une source de périls en tous genres, et les personnes qui se +livrent le plus au monde et que le monde lui-même fête le plus sont +souvent par la suite les plus malheureuses...» + +Toute la vie de Mme de Lamartine peut se résumer par ces quelques +lignes, écrites à quinze ans; jusqu'à sa mort, ce fut une lutte +perpétuelle et inquiète contre elle-même, où elle s'efforçait de +réprimer ce qu'elle appelait «les choses inutiles», les tendances qui +lui semblaient de nature à éloigner le but qu'elle s'était de tout temps +fixé: la simplicité et la vérité. + + * * * * * + +Tel était l'état d'âme de la jeune fille au moment où elle abordait le +mariage que lui avait prédit malicieusement Bonnard. On en connaît +l'histoire romanesque. + +À Salles, elle s'était liée avec Suzanne de Lamartine, comme elle +pensionnaire du couvent. Le chevalier de Pratz qui, de Montceau ou de +Mâcon, venait souvent voir sa soeur pendant ses congés, connut ainsi +Mlle Des Roys, car le règlement n'interdisait pas les visites. Tous +deux se plurent et le chevalier que l'on songeait à marier sollicita +l'autorisation de sa famille. Le père, tout d'abord refusa, trouvant la +dot insuffisante. Mais il avait compté sans le hasard et la persévérance +des jeunes gens. Le 6 octobre 1789, jour où les Parisiens ramenèrent la +famille royale dans sa capitale, Mme Des Roys et sa fille se +trouvaient à Chatou. Devant la foule ameutée, et les nouvelles qui leur +parvinrent, les deux femmes prises de peur renoncèrent à regagner Paris +et se décidèrent à rentrer à Lyon. En cours de route elles furent +obligées, à la suite d'un accident de voiture que la jeune fille dut +bénir toute sa vie, de s'arrêter à Mâcon. Suzanne de Lamartine prévenue, +résolut alors d'arranger les choses qui traînaient depuis un an et +annonça à son père que Mme Des Roys était de passage et apportait des +nouvelles graves de Paris. Le moyen, pour François-Louis, de ne pas +offrir une hospitalité provisoire aux deux femmes? Elles demeurèrent +chez lui vingt-quatre heures et, à leur départ, séduit sans doute par le +charme de la jeune fille, il finit, comme dans un roman, par accorder +son consentement au mariage. + +Le 4 janvier 1790 enfin, le contrat fut signé à Lyon, et l'on y voit que +les jeunes époux étaient plus riches de bonheur que d'argent: le +chevalier avait l'usufruit de Milly jusqu'à la mort de son père, et +c'était tout. Quant à Mlle Des Roys elle apportait, outre quelques +bijoux et meubles, la somme de 50 000 francs, dont 20 000 assurés par un +de ses oncles, et qui n'étaient pas encore versés en 1810 à la mort de +celui-ci. Ainsi, les revenus du jeune ménage se montaient à une douzaine +de mille francs, assez aléatoires d'ailleurs, puisqu'ils étaient +uniquement basés sur les récoltes de Milly. + +Le mariage fut célébré le 7 janvier 1790; aussitôt après, la jeune femme +vint s'établir à Milly et de cette date jusqu'en 1808, elle connut une +existence très différente. + +La jeune mondaine d'autrefois habite maintenant un village obscur et +sans horizon. Sa maison est petite, sa vie plus que simple, sa fortune +médiocre. Deux ans à peine après son mariage, son mari, ses beaux-frères +et ses belles-soeurs sont emprisonnés et elle reste isolée avec deux +enfants au berceau, près de ses beaux-parents. Puis, le calme rétabli et +le chevalier rendu à la liberté, elle regagne avec lui leur petite +campagne où ils s'installent définitivement. + +Dès lors, elle devient entièrement la mère. Ses parents sont loin, les +uns fidèlement attachés à la fortune des d'Orléans qu'ils accompagnent +en exil, les autres réfugiés en Angleterre où ils végètent. Elle vivra +seule à Milly, presque sans nouvelles d'eux. Son unique occupation va +devenir l'éducation de ses enfants. + +C'est dans ce rôle, surtout, qu'il est attachant de la suivre. De 1800 à +1808, son journal reflète profondément ses détresses, ses défaillances +morales, et une analyse aiguë d'elle-même qu'elle pousse à un degré +incroyable. Chaque soir, elle se scrute impitoyablement, examine et +résume sa vie quotidienne, les soucis de la journée, et en tire un +enseignement pour l'avenir, sans pouvoir toutefois être jamais +satisfaite de ses actes qu'elle trouve perpétuellement imparfaits et +au-dessous de sa tâche. Chez elle, les accalmies sont rares et, même +dans les périodes d'apaisement et d'équilibre, elle les environne +toujours de l'inquiète restriction qu'elle est trop heureuse et ne +mérite pas son bonheur. + + * * * * * + +À partir de 1810 sa vie change encore et commence alors pour elle une +époque d'amertumes, de tristesses et de découragements encore plus +profonds. Ses enfants la préoccupent: ses quatre filles, d'abord, +qu'elle mariera toutes à leur temps et heureusement, mais surtout ce +fils, son préféré, dont l'oisiveté, dit-elle, la «tue». L'existence vide +qu'il traîne de Mâcon à Paris, sa fièvre, sa sensibilité, qu'il tient +d'elle au fond, sont autant de tortures pour ce coeur de mère qui ne +demande qu'à être fière de son fils. Son orgueil maternel souffre de +voir la vie de son enfant lui échapper, et elle pleure de n'être plus +comme autrefois sa confidente, elle qui jadis écrivait à propos de lui: +«La chose la plus importante dans l'éducation est d'inspirer une grande +confiance à ses enfants et il faut pour cela les écouter toujours avec +attention et l'air de l'intérêt, quelle que soit la chose dont ils +veulent vous entretenir, parce qu'alors ils prennent l'habitude de vous +parler de tout ce qui les occupe». + +Aujourd'hui, il faut deviner plutôt qu'apprendre de lui, les pensées qui +le hantent; il faut aussi brûler en cachette ses mauvais livres, ses +mauvais vers, qui rappellent le malheureux frère qui s'est perdu ainsi, +voir grossir ses dettes qu'elle essaye d'éteindre en réduisant ses +humbles dépenses. Car trop souvent elle sera forcée d'avoir recours à +l'oncle et aux tantes qui la trouveront faible et le lui diront +durement. Toutes les petites ruses qu'il mettra en oeuvre pour lui cacher +ses fredaines et ses aventures l'accableront sans lasser sa tendresse. +«Il me tourmente bien par son caractère inquiet, dira-t-elle un jour, +mais je tâche de le ramener tout doucement; je supporte, c'est ma tâche +actuelle.» + +Malgré tout, sa bonté pour lui demeurera inépuisable, comme sa patience. +En 1811, à la suite d'une amourette dont il s'exagéra la valeur, les +Lamartine furent obligés de le faire voyager; il se trouva un jour sans +ressources à Livourne, ayant mangé en un mois ce qu'on lui avait donné +pour six. Les oncles et les tantes qui ont déjà ouvert leur bourse, +restent sourds, cette fois, aux lettres suppliantes, et décident le +retour. Mais il est si heureux là-bas! ses lettres sont si joyeuses et +si tendres! «Il serait trop cruel, écrit-elle alors, de ne pas le +laisser aller jusqu'à Rome dont il est si près», et elle lui envoie de +quoi continuer son voyage. + +Mme Delahante, enfant à cette époque, mais qui quarante ans plus tard +ne pouvait rappeler son souvenir sans émotion, nous a laissé d'elle une +image très simple et très émouvante: + +«Mme de Prat, âgée de quarante-cinq ans, n'avait jamais été d'une +beauté remarquable, mais le charme qui était en elle tenait à une grande +distinction et à une expression très fine, très spirituelle, en même +temps que très douce et d'une bonté parfaite. Pour faire le portrait de +sa figure il faudrait, avant tout, faire le portrait de son âme, car +c'était de l'âme que venait chez elle le charme extérieur. Je crois que +toutes les vertus solides et les qualités aimables étaient réunies en +cette charmante femme; elle était pieuse comme un ange et d'une piété +indulgente et éclairée qui vous gagnait. + +«Elle était sans cesse occupée des pauvres, et elle les visitait soit à +Mâcon, soit à Milly. Son zèle ne connaissait pas de bornes, et, quand +l'argent lui manquait (ce qui lui arrivait parfois, car sa fortune était +plus que médiocre, et sa famille très nombreuse), elle cherchait à le +remplacer par de douces paroles, de bons soins et de bons conseils. + +«Elle élevait elle-même ses cinq filles, elle s'occupait extrêmement de +son mari et de son ménage, elle aimait beaucoup le monde, ou plutôt la +société; elle était aimable pour tous, et quoiqu'elle ne pût recevoir +qu'avec la plus extrême simplicité, elle fut toujours à la tête de la +société de Mâcon et y exerça une influence qui ne fut pas entièrement +remplacée. + +«Son esprit était à la fois fin et élevé et quoiqu'elle eût passé sa vie +à Mâcon, entourée de toutes les petites passions de province, elle +demeura au-dessus de tout pour la noblesse et l'extrême délicatesse de +son coeur comme par la distinction de son esprit et de ses manières. Sa +vertu, je l'ai dit, n'avait rien de sévère et je n'en veux citer qu'un +exemple: elle ne se permettait jamais la moindre médisance, et souffrait +mort et passion quand elle entendait dire la plus petite chose qui pût +blesser le prochain; elle était gaie, cependant, et ne pouvait +s'empêcher de sourire à un propos spirituel et quelque peu malin. Sa +charité et sa gaieté se livraient alors un combat qui se lisait sur sa +physionomie. + +«Mme de Prat était de taille moyenne; elle était mince, sa taille +était souple, sa figure longue et un peu pâle, ses yeux très près du nez +et petits, mais vifs et doux, son nez droit et ses lèvres fort minces. +Son sourire était très gracieux. Je l'ai toujours vue mise de la même +manière: elle ne portait que des robes de taffetas puce.» + +À partir de 1820 et jusqu'à sa mort, Mme de Lamartine connut d'autres +joies et d'autres chagrins: ce fut d'abord la gloire soudaine de son +fils, son mariage inespéré, qui marque la fin de cette période de +désoeuvrement dont elle souffrit tant. «Il se dit plus heureux qu'un +roi, écrira-t-elle un jour, et certes, ce n'est pas un langage auquel je +suis accoutumée de sa part.» Elle avoue aussi avoir ressenti «un grand +mouvement de vanité» en lisant dans les journaux le nom de son fils +parmi les personnages illustres de passage à Aix. Puis ce fut la +naissance de son petit-fils qui lui causa une immense joie: «On dit que +cet enfant me ressemble, dira-t-elle avec orgueil; alors, je me +l'imagine comme était son père...». + +Bientôt, pourtant, les soucis et les deuils l'accablèrent de nouveau. +Son fils l'inquiétait toujours; «cette ardeur, cette inquiétude de +tête», comme elle appelle dans son simple langage la fièvre poétique qui +le dévore, ne font que la désoler. Presque coup sur coup elle eut à +pleurer la mort de deux de ses filles, Mme de Vignet et Mme de +Montherot, et celle de son petit-fils dont elle avait accueilli la +naissance avec tant de bonheur. Puis, ses deux belles-soeurs et ses deux +beaux-frères disparurent à leur tour. De plus en plus elle se sentait +isolée à Milly. + +La dernière joie que connut cet admirable coeur de mère fut de paraître +au bras de son fils à l'Abbaye-au-Bois, dans les salons de Mme +Récamier où, en juillet 1829, Chateaubriand lut des fragments de son +_Moïse_; et voici ce qu'au retour elle écrivait dans son journal: + +«Je suis de plus en plus fière et heureuse des admirables qualités +d'Alphonse, malgré les inquiétudes si fondées que j'ai eues sur son +compte. Sa réputation s'agrandit tous les jours, mais ce n'est pas de +son esprit que je dois le glorifier davantage, c'est de la bonne +direction qu'il lui a donnée, c'est de son excellent coeur, c'est de la +beauté de son âme qui se manifeste dans toutes les occasions.» Ainsi, ce +qui la frappa au cours de cette soirée, fut le murmure d'admiration +sympathique qui avait accueilli l'entrée de son fils, et tout le reste +lui parut secondaire: + +«Il y avait beaucoup de gens célèbres que je fus bien aise de voir, et +surtout M. de Chateaubriand lui-même que je ne connaissais pas; il me +parut vieux et faible, et les ambitions de ce monde sont bien +mensongères. Sa tragédie est de peu d'intérêt. Mme Récamier a encore +de la grâce et quelques souvenirs de beauté.» + +Comme par un étrange pressentiment de sa fin prochaine, les dernières +lignes qu'elle ait tracées dans son journal semblent le clore tout +naturellement. Le 22 octobre 1829 elle écrivait de Milly: + +«Je suis seule ici, et cependant je ne m'ennuie pas trop. Je me reproche +au contraire de prendre encore beaucoup trop d'intérêt aux choses de ce +monde et d'avoir peut-être plus de dissipation d'esprit en vieillissant +que dans ma jeunesse, et pourtant je vieillis beaucoup! Que Dieu ait +pitié de moi et me rende ce que je dois être. J'aime à lui dire un +verset d'un psaume qui me touche: Seigneur, vous êtes mon espérance dès +ma jeunesse, ne me rejettez pas dans le temps de ma vieillesse, ne +m'abandonnez pas lorsque les forces me manqueront.» + +Elle mourut moins d'un mois après, le 16 novembre, et cette femme +angélique en qui tout était douceur et sentiment eut une fin atroce: +elle fut brûlée vive dans un bain qu'elle voulut réchauffer, surprise +par le jet bouillant qu'elle n'eut pas le temps d'arrêter et reçut en +pleine poitrine. Elle trouva encore la force de sortir de l'eau, puis +tomba à terre, évanouie. Pendant les trois jours que dura son affreuse +agonie elle ne reprit pas connaissance. + +Lamartine et son père étaient tous deux absents de Milly. À leur retour, +elle reposait déjà dans le cimetière de Mâcon, mais comme son fils +voulait l'avoir près de lui dans la petite chapelle de Saint-Point, il +obtint de la faire exhumer. + + * * * * * + +La douleur du poète fut immense. Plus tard, lorsqu'il écrira ses +souvenirs, la mémoire de sa mère en illuminera toutes les pages. Mais à +force d'idéaliser cette belle figure il a fini, d'abord par en donner +une image assez inexacte, et surtout par persuader à lui-même et à ses +lecteurs qu'elle fut avec Elvire l'une des formes vivantes de son génie. + +Pourtant, si l'une eut sur son développement et son inspiration une +profonde influence, il serait peu conforme à la vérité de croire que sa +mère tint le même rôle dans sa vie. Elle fut la mère, dans tout ce que +ce mot peut comporter d'amour, de tendresse et d'orgueil; tous deux +s'adoraient, mais--et le journal de Mme de Lamartine en est la +meilleure preuve--la période de l'adolescence du poète qui s'étend de +1808 à 1820, période d'isolement et de détresse morale, échappe +complètement à sa mère qui s'en désole et pleure en silence de le voir +sombre et renfermé, cachant jalousement son existence intérieure. + +Elle ne participera en rien à cette solitude morale, à cette laborieuse +genèse qui précède les _Méditations_ sauf pour ce que son instinct +maternel lui fera parfois deviner; un jour où elle le verra en proie à +ce «feu divin» qu'il a décrit dans l'_Enthousiasme_, elle écrira: «Je +crains pour lui cette inquiétude d'esprit qui le transporte toujours +dans un avenir idéal et lui ôte la paisible jouissance du présent et de +ceux avec qui il est», mais le plus souvent elle se désespérera de son +apparente stérilité sans que son âme aimante et simple saisisse +grand'chose des aspirations confuses, et des détresses incurables qu'il +porte en lui. Elle se contentera de noter ce que son coeur de mère +appellera des «vivacités de caractère», des «mélancolies de jeunesses», +elle verra avec angoisse cette «vie de dissipation», ces gaspillages +inutiles d'énergie, et s'épuisera en supplications pour faire mener à +son fils une existence régulière et occupée, celle dont il est alors le +plus incapable. + +Plus tard Lamartine le regretta et en souffrit; avec amour, il +s'efforcera alors dans ses souvenirs, ses commentaires et sa version du +_Manuscrit de ma mère_ de lui faire jouer, dans son adolescence, un +rôle qu'elle n'a jamais tenu. Pieuse invention que cette lecture à Milly +de l'_Isolement_, du _Désespoir_ ou de l'_Épître à Byron_! Mme de +Lamartine, qui en 1808 notait avec un peu d'orgueil les premiers essais +poétiques de son fils, n'eût pas manqué d'en transcrire le récit, +surtout si, comme il l'a prétendu, la lecture du _Désespoir_ eut été +entre eux la cause d'une grave discussion. Bien mieux, ce fut par une +étrangère qu'elle entendit parler pour la première fois des futures +_Méditations_: le 9 juin 1819, en effet, Mme de l'Arche, cousine de +Mme Haste sa nièce--c'est la fameuse «princesse italienne» qui soigna +Lamartine à Paris pendant sa maladie,--était de passage à Mâcon. «_Elle +m'a apporté des vers d'Alphonse_, dit Mme de Lamartine, _qui sont des +stances religieuses et des Méditations mélancoliques; il y a vraiment de +très belles choses_.» Une autre courte mention le 6 janvier 1820 où on +lit: «_Alphonse va faire imprimer des vers; il en a fait vraiment de +très beaux et sur de beaux sujets très religieux_». C'est tout; à Milly +l'apparition des _Méditations_ passa inaperçue, car la mère avait alors +en tête d'autres soucis plus sérieux: le mariage de son fils et son +établissement. + +Mais ce que Lamartine tient incontestablement de sa mère, c'est cette +âme inquiète et tourmentée, cette sensibilité rare que l'on retrouve à +chaque page du _Journal intime_; ce sont surtout les germes de sa +religion profonde et vivace qui s'épanouiront ensuite à Belley. Au +cours de sa vie orageuse, sa foi subira bien des assauts et connaîtra +bien des défaillances, mais il y reviendra toujours comme à l'unique +consolation. De bonne heure, la croyance de Mme de Lamartine avait +marqué des traces ineffaçables dans l'âme de l'enfant, et l'on peut dire +que le souffle chrétien qui anime toute sa poésie est l'oeuvre absolue et +entière de sa mère. + +Elle conservera aussi une influence indiscutable sur ses actes. La +vénération dont il l'entourait le fit souvent se courber, en pleine +maturité, devant les avis qu'elle lui donnait[75]. Tout ce qui touchait +à son génie qu'elle voulait purement chrétien, l'affectait +profondément: «Alphonse va faire imprimer des vers, écrit-elle le 10 +mars 1825, c'est une suite de _Childe-Harold_, espèce de poème de lord +Byron. Ce sujet m'inquiétait et m'inquiète encore beaucoup; j'ai dit ce +que je croyais devoir dire, car je ne suis pas là pour louer, mais pour +avertir». Jamais, de l'avis de ceux qui les connurent tous deux, +Lamartine n'eût osé commencer du vivant de sa mère sa politique +d'opposition contre le gouvernement de Juillet car elle gardait aux +d'Orléans un respect profond. En 1825, lors du retentissement causé par +deux malencontreux vers du _Chant du Sacre_, elle écrira sévèrement à +son fils et ne désarmera que devant les explications, assez confuses, +semble-t-il, qu'il lui donna[76]. De même, Mme Delahante est +persuadée que _Jocelyn_ et _la Chute d'un Ange_ auraient subi +d'importants remaniements si la mère du poète avait été là[77]. + +[Note 75: Le 23 février 1823, Mme de Lamartine note dans son +journal: «Alphonse travaille à son nouveau volume de Méditations; j'ai +toujours peur qu'il ne profane son talent en parlant le langage des +passions. Je lui ai écrit justement là-dessus.» + +Mme de Lamartine venait en effet de lire dans la 9e édition des +_Méditations_, parue un mois auparavant, une pièce nouvelle intitulée +_Philosophie_, et dédiée au marquis de la Maisonfort. Aussitôt, elle +écrivit à son fils la lettre suivante: + + Ton père, mon cher Alphonse, me lit sa lettre. J'y vois avec + plaisir qu'il te dit aussi mon opinion. Oui, cette pièce à M. de + Maisonfort m'a beaucoup tourmentée. J'ai une si grande horreur de + cette abominable philosophie que je frémis de tout ce qui en a + l'apparence, venant de toi surtout. Tu es né pour être religieux, + essentiellement religieux, ton talent n'est beau que parce qu'il + vient de là. Ne le profane point, mon enfant; que ta reconnaissance + pour les grâces dont Dieu te comble rappelle toujours toutes tes + pensées à lui, ne travaille que pour sa gloire, ne transige point + avec l'esprit et les passions du monde, dédaigne ce moyen de + succès, comme tu le fais sûrement dans ton âme. + + Ô mon enfant, tu éteindrais dans la _boue_ le brillant flambeau que + le ciel t'a donné pour répandre la vraie lumière; n'écris rien de + ce que tu jugeras bien sévèrement un jour, et que tu voudras + peut-être effacer au prix de tout ton sang, quand il ne sera plus + temps. + + Adieu, j'en ai assez dit. + +{_Lettre inédite._}] + +[Note 76: Les deux vers incriminés visaient le duc d'Orléans à qui, +au sacre de Reims, Lamartine faisait dire par Charles X: + + Ce grand nom est couvert du pardon de mon frère. + Le fils a racheté les fautes de son père. + +Mme de Lamartine a consacré à cet incident deux pages de son journal, +ce qui prouve à quel point elle l'eut à coeur. Malheureusement, Lamartine +a déchiré et noirci le feuillet, dont quelques fragments seulement sont +encore lisibles. On y voit que le poète donna pour excuse à sa mère, une +«inadvertance», une «négligence poétique», explication qui satisfit +peut-être Mme de Lamartine, mais parut insuffisante au duc d'Orléans, +car sur sa demande les exemplaires du _Chant du Sacre_ furent retirés du +commerce, et il fallut procéder à un second tirage où les vers étaient +corrigés et adoucis.] + +[Note 77: Cf. _Souv. de Mme Delahante_, I, p. 106.] + +Tel est le milieu où va croître et se développer l'âme de l'enfant, plus +souvent arrêtée et contrariée, à vrai dire, qu'encouragée et comprise. +Chacune des figures que nous venons d'esquisser jouera un rôle dans sa +jeunesse, influera plus ou moins sur sa pensée et sur ses actes. Mais +conclure de là, comme il l'a laissé entendre lui-même, que certaines +d'entre elles, «l'oncle terrible» surtout, par leur contrainte et leur +mainmise sur son existence ont en quelque sorte retardé l'éclosion des +_Méditations_ serait une grave erreur. Lamartine fut maître de sa vie à +dix-huit ans, et libre de l'organiser à sa guise pourvu qu'il prît une +occupation. Sans doute, les Lamartine n'encourageront nullement sa +vocation poétique et même la contrarieront parfois; mais on connaît +leurs raisons, et d'ailleurs lui-même en fut un peu responsable, car de +bonne heure il se réfugia dans la solitude morale, hautain et découragé. + +Cette adolescence difficile servit son génie: l'amertume, les heurts, +stimulent Lamartine. Ses _Méditations_, écrites fiévreusement, en pleine +crise, au moment des pires froissements avec sa famille, des maladies et +des difficultés qui l'accablent, en sont le meilleur témoignage. De 1820 +à 1830, alors qu'il coule on paix des jours heureux, son oeuvre poétique +s'en ressent: les _Nouvelles Méditations_--à part quelques pièces +antérieures à 1820--n'égalent pas les premières: la _Mort de Socrate_, +le _Chant du Sacre_ ne sont que des oeuvres facilement rimées et dont +lui-même ne pensait pas grand'chose. Les _Harmonies_ même, écrites au +jour le jour de 1825 à 1830, sont d'une autre manière, adoucie et plus +paisible. Il faut remonter jusqu'à _Némésis_, plus loin encore à l'_Ode +au comte d'Orsay_, à _la Vigne et la Maison_ et à cette admirable +_Invocation à la Croix_ qui ne fut publiée qu'après sa mort pour +retrouver l'inspiration mélancolique, désespérée et hautaine des +premières _Méditations_. + + + + +CHAPITRE III + +LES LAMARTINE PENDANT LA TERREUR. + +LES PREMIÈRES ANNÉES. + + +À s'en tenir au seul témoignage de Lamartine, il serait difficile de +connaître le véritable lieu de sa naissance, puisque dans ses poèmes et +ses souvenirs il a tour à tour indiqué Saint-Point, Mâcon et Milly comme +son berceau[78]. Toutefois, grâce à son acte de baptême, on sait qu'il +naquit à Mâcon le 10 octobre 1790, fut baptisé le lendemain par le curé +de Saint-Pierre, et eut pour parrain et marraine son grand-père de +Lamartine, malade et représenté par son fils aîné, et sa grand'mère +maternelle Mme Des Roys. Mme de Lamartine nous apprend que +quelques heures après sa naissance l'enfant fut porté au couvent des +Ursulines où la supérieure, Mme de Luzy, une bonne vieille +grand'tante, présenta l'enfant à la chapelle de la Vierge, et que toute +la communauté pria pour lui. + +[Note 78: Cf. _Harmonies_: Milly ou la TERRE NATALE. _Confidences_ +(p. 65): LE VILLAGE OBSCUR OÙ LE CIEL M'A FAIT NAÎTRE. Dans _Souvenirs +et Portraits_ (Comment on devient poète), il termine également une +description de Milly par ces mots: «C'EST LÀ QUE JE SUIS NÉ, et que je +grandissais». Voilà pour Milly. Dans les _Recueillements_ (vers écrits à +l'Ermitage), on lit: + + Ô vallons de Saint-Point, ô cachez mieux ma cendre + Sous le chêne NATAL de mon obscur vallon. + +Enfin, dans les _Confidences_ (p. 24), Lamartine déclare qu'il est né à +Mâcon, dans l'hôtel Lamartine, par conséquent rue Bauderon-de-Senecé.] + +Des doutes se sont élevés au sujet de la maison natale du poète[79]: en +effet, les Lamartine possédaient alors deux immeubles à Mâcon. L'un, +l'hôtel familial, était situé au numéro 3 de l'actuelle rue +Bauderon-de-Senecé, au XVIIIe siècle rue de la Croix-Saint-Girard, et +sous la Révolution rue Solon; l'autre occupait le numéro 18 de la rue +des Ursulines, devenue pendant la Terreur rue Jean-Jacques-Rousseau. +Dans laquelle de ces deux maisons Lamartine vit il le jour? La question +en soi est de peu d'importance, car toutes deux ne formaient en réalité +qu'un même immeuble compris dans l'angle formé par les deux rues à leur +intersection, et il existait entre elles une cour, un passage et des +jardins communs. Néanmoins, la maison de la rue des Ursulines est bien +la maison natale du poète et il existe deux témoignages qui devraient +clore la discussion. + +[Note 79: On trouvera le détail de la question dans une étude de M. +Paul Maritain, la Maison natale de Lamartine (_Annales de l'Académie de +Mâcon_, IIIe série, t. VI). M. Maritain, qui ignorait l'existence des +documents que nous citons plus loin, a conclu que la maison natale du +poète était l'hôtel de la rue Bauderon-de-Senecé.] + +Le 21 décembre 1819, Mme de Lamartine a noté dans son journal que son +mari, gêné par une mauvaise récolte, songeait à vendre la maison qu'ils +habitaient à Mâcon et à vivre désormais uniquement à Milly, _ou +peut-être_, ajouta-t-elle, _dans l'ancienne petite maison que nous avons +habitée les premiers temps de notre mariage et qui est à l'abbé de +Lamartine_. Cette maison est bien celle de la rue des Ursulines: nous +savons en effet, par le testament de Louis-François de Lamartine, +qu'elle échut à l'abbé; celui-ci, d'ailleurs, n'y logea jamais et la +louait ordinairement. Le poète la trouva en 1826 dans sa succession, et +la vendit aussitôt car elle était inhabitable. Enfin, on lit dans la +déclaration d'immeubles faite en décembre 1790 par Louis-François au +cadastre de Mâcon et parmi l'énumération de ses propriétés, _une maison +rue des Ursulines occupée par M. de Pra_[80]. Or, si le chevalier +demeurait en décembre 1790 rue des Ursulines, il est fort probable qu'il +y habitait déjà en octobre et qu'il avait reçu à son mariage la +jouissance de cet immeuble jusqu'à la mort de son père, quoique son +contrat n'en fasse pas mention. Il semble donc acquis que Lamartine vint +au monde, non pas dans l'hôtel de la rue Bauderon-de-Senecé, mais dans +la petite maison de la rue des Ursulines. + +[Note 80: Nous donnons ici le texte complet de cette pièce, copié +sur le brouillon de Louis-François de Lamartine, et qui donne quelques +détails curieux sur son train de maison au début de la Révolution. + + Déclaration de maison, etc., faite en 1790. Décembre. + Maison rue des Ursulines, _occupée par M. de Pra_. + 32 pieds de face sur ladite rue. + 80 pieds en petite cour. + En partie un seul étage, partie deux étages. + Sans locataires, ni magasins, etc. + Contenance totale: une coupée et demie ou trois toises. + Propriétaire M. L.-Fr. de La Martine, marié, + ayant six enfants dont cinq à sa charge. + Domestiques mâles, 4. + Domestiques femelles, 3. + Chevaux de carosse, 2. + Maison par luy occupée sur les remparts + [_hôtel de la rue de Senécé_], façade 60 pieds. + 3 980 pieds superficiels pour la maison. + 1 020 pieds pour les écuries qui ont 30 pieds de face environ. + 1 230 pieds en cour. + + Les deux tiers à deux étages, l'autre tiers à un étage. + Sans aucun locataire, boutique ni magasin.] + + * * * * * + +À sa naissance, l'enfant était d'une constitution délicate qui donna, +paraît-il, des inquiétudes à sa famille. Il a raconté plus tard comment +sa mère, pour le changer d'air, alla passer avec lui l'été de 1791 à +Lausanne. Nous n'avons sur ce séjour que son seul témoignage et le +_Journal intime_ n'en rappelle aucun souvenir. Pourtant, il demeure très +vraisemblable, car la plupart des familles du pays profitaient souvent +de l'été pour se rendre en Suisse dont la frontière n'était éloignée que +de quelques journées. Quant aux détails abondants et pittoresques dont +il a nourri son récit, nous sommes obligés de lui en faire crédit: à +l'en croire, une intimité très grande existait entre les Lamartine et le +vieil historien anglais Gibbon que Mlle Des Roys aurait connu dans +sa jeunesse au Palais-Royal; une haie de jasmin séparait seule les deux +jardins et, dira-t-il, en parlant de Gibbon, «ses genoux étaient devenus +mon berceau[81]». + +[Note 81: M. H. Remsen Whitehouse, un érudit américain à qui rien de +ce qui touche Lamartine n'est étranger, a bien voulu se charger pour +nous d'obligeantes recherches à Lausanne, mais qui sont restées vaines. +On en trouvera le détail sous sa signature dans la revue _l'Écho des +Alpes_ de septembre 1908.] + +Mais si l'historien était bien à Lausanne en 1791--il y séjourna de 1784 +à 1797,--le journal de Mary Holroyd fille de lord Scheffield, qui fut +son hôte de juin à octobre de la même année, ne mentionne nullement les +Lamartine dans la liste très détaillée qu'elle donne des habitués de la +_Grotte_; la _Correspondance_ et l'_Autobiographie_ de Gibbon sont tout +aussi muettes sur ce point. Enfin il est assez difficile d'admettre +qu'il ait connu Mlle Des Roys au Palais-Royal: il fut bien un assidu +de la petite cour du duc d'Orléans, mais il quitta définitivement Paris +en 1784. À cette date, la jeune fille avait quatorze ans et n'était +qu'une enfant. Quoi qu'il en soit, sans mettre en doute ce voyage à +Lausanne, il est certain qu'il fut très court. Mme de Lamartine était +en effet en novembre de retour à Mâcon, pour ses couches, et sa présence +nous y est attestée par l'acte de baptême de son second fils Félix, mort +deux ans plus tard[82]. + +[Note 82: Le petit Félix fut le second des enfants de Pierre de +Lamartine. Il mourut à Mâcon à l'âge de deux ans et demi. Le _Journal +intime_ ne fait jamais mention de ce fils, dont Lamartine n'ignorait pas +l'existence; en effet, alors que dans le _Journal intime_ on lit, à la +date du 11 juin 1801: «J'en ai déjà cinq actuellement [enfants], quatre +filles et un fils», il ajouta dans sa version du _Manuscrit de ma mère_: +«après en avoir perdu un». + +En réalité, Mme de Lamartine eut neuf enfants: deux fils, Alphonse et +Félix, et six filles, Mélanie, Célenie (mortes toutes deux à quelques +mois), Cécile, Césarine, Eugénie, Sophie et Suzanne.] + +C'est à cette époque que la situation commença à devenir difficile pour +les Lamartine: la royauté étant en péril, le chevalier fit aussitôt son +devoir de soldat et de gentilhomme, et ce fut le premier signal de la +dispersion du foyer. + +Bien que démissionnaire le 1er mai 1791 pour n'avoir pas à prêter +serment à la Constitution, il se rendit en mai 1792 à Paris offrir ses +services au Roi. Un mémoire présenté en 1814 à Louis XVIII en vue +d'obtenir la croix de Saint-Louis et apostillé par un parent de sa +femme, le président Henrion de Pensey alors ministre de la justice, nous +donne quelques détails sur son dévouement fidèle mais obscur, et qui +confirment entièrement le récit des _Confidences_ et de l'_Histoire des +Girondins_[83]. + +[Note 83: _Arch. de la guerre_ (section administrative), dossier +Pierre de Lamartine. Pierre-Paul Henrion de Pensey, premier président de +la Cour de cassation (1742-1829), était le frère d'Henrion de +Saint-Amand, beau-frère de Mme de Lamartine.] + +Dès son arrivée, suivant en cela l'exemple de la noblesse de France, il +fit demander au Roi ses ordres, soit pour émigrer, soit pour rester. +Louis XVI, comme à tous, lui répondit de demeurer. Il obéit et ne +manqua aucune occasion de se rendre aux Tuileries chaque fois que le +château fut menacé; il s'y trouvait même le 10 août, resta jusqu'après +l'attaque, combattit l'un des derniers. Poursuivi par les vainqueurs, il +échappa aux massacres de la Force grâce à la complicité d'un des +jardiniers d'Henrion de Pensey qui se trouvait parmi les émeutiers et +eut pitié de lui. Il le cacha et lui fournit des vêtements qui lui +permirent de circuler dans Paris sans éveiller l'attention. Le chevalier +erra alors quelques jours, ne sachant quel parti prendre, puis reprit le +chemin de Mâcon. À son arrivée, il trouva le pays en pleine émeute. + +Déjà, trois ans auparavant, dans les derniers jours de juillet 1789, une +véritable Jacquerie avait éclaté dans le Mâconnais. À Cormatin, à Cluny, +à Hurigny, à Saint-Point surtout,--qui appartenait encore aux +Castellane,--les paysans avaient envahi le château, brûlé les terriers +et les titres de redevances. Les Lamartine ne furent pas épargnés: le 27 +juillet, leur petite propriété de Pérone était dévastée et leur +concierge qui tentait de s'opposer au pillage se noya dans le puits où +on l'avait jeté. Le jour même, le curé de Pérone, Étienne Moiroux, était +assailli au presbytère, et brutalisé. Mais les années 1790-1791 furent +plus calmes; le mouvement ne reprit qu'en 1792, lors de la réforme du +clergé. + +Lamartine, en divers endroits de son oeuvre, s'est longuement étendu sur +les persécutions que sa famille eut à subir pendant la Terreur. Si l'on +en excepte l'épisode d'après lequel son père aurait échangé des lettres +avec sa mère, de la prison aux fenêtres de la maison de la rue des +Ursulines située en face, où elle se serait retirée, tout ce qu'il y a +raconté est exact, à quelques détails près. Grâce aux Archives de +Saône-et-Loire, il est d'ailleurs facile de rétablir l'existence des +Lamartine durant les années 1792-1795. + +Ils ne commencèrent guère à être inquiétés qu'en 1792, à la suite de +l'émigration du fils aîné François-Louis, émigration qui dut être +extrêmement courte, mais qu'il n'est guère possible de mettre en doute. +Dans la _Liste générale des émigrés_[84], on trouve en effet à la lettre +L un tableau où figurent Louis-François le père et François-Louis le +fils, dont les biens furent mis sous séquestre les 5 juillet, 20 +septembre et 28 novembre 1792. Aussitôt, le vieux seigneur de Montceau +protesta avec énergie et fit parvenir aux directoires de Saône-et-Loire +et de la Haute-Saône des attestations de civisme et des certificats de +résidence, mais pour lui seul, et sans jamais faire mention de son fils +dont on ne trouve aucune réclamation; ceci semble suffisamment prouver +qu'il n'était pas alors en France. On ne tarda pas d'ailleurs à faire +droit aux requêtes de Louis-François: le 12 avril 1793 il obtenait la +mainlevée des scellés apposés à Montceau et à Milly, le 24 mai celle des +propriétés de Franche-Comté[85]. + +[Note 84: Paris, Imprimerie nationale, an II.] + +[Note 85: Ces deux arrêtés ont été publiés par M. Reyssié (_la +Jeunesse de Lamartine_, 24-25).] + +Prévenu sans doute des conséquences qu'allait entraîner sa disparition, +François-Louis revint à Mâcon, où on le trouve en octobre. Mais il +paraît impossible de mettre en doute son émigration, contestée par +Lamartine, puisqu'il n'existe aucune protestation émanant de lui contre +la qualité qu'on lui prêtait, que son père n'agit qu'en son nom propre +dans toutes ses revendications, et qu'à la fin de 1793 les Lamartine +furent emprisonnés comme parents d'émigré. + +Contrairement à ce qu'on lit dans les _Confidences_, le grand-père du +poète ne fut pas détenu; sans doute, son âge lui valut-il cette +exception, car il avait alors quatre-vingt-trois ans. Sa femme et lui +passèrent toute la période de la Terreur dans leur maison de Pérone, +après que l'hôtel de Mâcon eut été mis sous séquestre le 13 août 1792. +On ne les y aurait probablement guère inquiétés davantage, si avec un +entêtement indomptable il n'avait à chaque instant attiré l'attention +sur lui. + +En effet, le curé de Pérone, qui en 1789 avait été à moitié assommé par +les émeutiers, s'était empressé de prêter serment à la constitution +civile du clergé, afin de s'éviter le retour de semblables désagréments. +Immédiatement, Louis-François, fidèle à ses principes, refusa les +services de l'infortuné, et fit dire la messe chez lui par un prêtre non +assermenté qu'il avait recueilli. L'habituelle dénonciation ne se fit +pas attendre: le 23 juin 1794, le directoire de Saône-et-Loire, +_instruit que les biens des époux Lamartine, ex-nobles, ne sont pas dans +la main de la nation, bien qu'ils doivent être séquestrés_, fit apposer +à nouveau les scellés à Montceau, Milly, Mâcon et tous les biens que +Louis-François avait fini par récupérer à force de réclamations. Le 25 +août on vendit sur pied leurs récoltes au bénéfice de la République et +cette vente produisit un total de 124 000 livres en assignats. Quant aux +deux vieillards, on se contenta de les détenir à domicile, estimant sans +doute que leur âge les rendait peu redoutables, jusqu'à l'apaisement qui +suivit la mort de Robespierre. + + * * * * * + +Les aventures des trois fils furent plus sérieuses. L'aîné, on l'a vu, +avait émigré, mais il était de retour à Mâcon en octobre 1793. Le +registre d'écrou porte qu'il fut emprisonné aux Ursulines le 13 de ce +même mois, et que son déplorable état de santé lui valut d'être interné +à l'hôpital. De ses fenêtres il pouvait voir la demeure familiale, car +la prison des Ursulines avait remplacé le couvent du même nom qui +faisait face à la maison natale du poète. Il n'y resta que peu de temps: +le 9 novembre il était avec ses frères et soeurs transféré aux +Visitandines d'Autun, également devenues prison nationale, et il n'en +sortit que le 30 septembre 1794[86]. + +[Note 86: Cf. Arch. dép. de Saône-et-Loire: «Liste d'hommes et de +femmes détenus à Mâcon, Autun, etc.». Ce document, retrouvé et acquis +récemment par M. Lex, confirme une fois de plus l'exactitude de certains +petits détails des _Confidences_, puisqu'on y lit que la famille de +Lamartine fut emprisonnée à Autun. M. Reyssié avait mis en doute cette +assertion. Sur cette liste, figurent les noms de Pierre, François-Louis, +l'abbé, Suzanne et Charlotte. Mlle de Montceau, qui était faible +d'esprit, évita ainsi les poursuites, et fut détenue à Pérone avec son +père et sa mère.] + +Pour l'abbé, il figure sur une liste de dénonciation datée du 21 octobre +1793 et qui concernait 54 prêtres non assermentés; le 25 il était arrêté +à Pérone chez son père. D'après une pièce de son dossier aux Archives +Nationales, il aurait prêté serment le 30 septembre 1792. Il y a là une +erreur, car la suite de ses tribulations et surtout l'attitude de son +père démentent entièrement cette assertion. Il figure au contraire au +début de 1792 avec sa soeur Suzanne, l'ex-chanoinesse, à «l'état général +des pensionnaires de deux sexes jouissant d'une pension à la charge du +trésor national», ce qui confirme qu'il avait alors renoncé à ses +fonctions pour ne pas prêter le serment, et l'on a vu déjà qu'il fut +incarcéré comme non assermenté. + +Arrêté le 25 octobre, il fut condamné le 13 novembre à la déportation; +on le transfera alors de Mâcon à Autun, d'où il fut extrait le 25 avril +1794 pour être conduit à Cayenne avec 18 autres prêtres. À Rochefort, on +l'embarqua sur le _Washington_, vaisseau ponton où les prisonniers +attendaient en cas de réclamation que le gouvernement ait définitivement +statué sur leur sort. Il y demeura trois mois. + +Pendant ce temps, on procédait à Mâcon à la vente publique des meubles +et effets lui ayant appartenu et qui se trouvaient dans sa chambre de +l'hôtel Lamartine mis sous scellés. Le citoyen Durand acquit pour 112 +livres une commode en bois de rose; le citoyen Ducartel, un «bonheur du +jour» pour 140 livres, et les citoyennes Chédé et Droit se disputèrent +deux paires de chaussures, quatre bonnets de nuit, un habit de drap +gris, un autre de kalmouck violet, une «anglaise» de drap gris et sa +veste pour 65 livres, tandis que le citoyen Lacombe se voyait adjuger à +21 livres 10 sols la petite pharmacie et les outils de tourneur de +l'abbé. + +Il faut remarquer qu'on ne toucha à aucun des objets appartenant à +Louis-François. Celui-ci, en effet, se montrait énergique à un moment où +le silence et la peur étaient les seuls moyens de se faire oublier. Fort +de ce qu'il croyait être son droit, indigné de ces comédies judiciaires, +il ne cessait d'adresser réclamation sur réclamation avec une +invraisemblable incompréhension des événements auxquels il assistait. +Lorsqu'il apprit le départ de l'abbé pour Cayenne, il prit la plume une +fois de plus et adressa au directoire de Saône-et-Loire un véhément +_factum_ qui aurait pu l'entraîner loin, car il n'était rien moins +qu'une violente critique de la procédure expéditive alors en cours, +agrémentée de considérations sur la situation générale du pays. On y lit +des morceaux comme celui-ci: + + Si le département appelle dénonciation une liste de proscription + sans motif quelconque articulé, nous devons tous trembler. Cette + dénonciation telle qu'elle n'a même pas été reconnue authentique, + le département n'a pas récolé les dénonciateurs sur leurs + signatures, ne leur a pas demandé s'ils la reconnaissaient, s'ils + persistaient. Voilà une liste, cela suffit. Suivons: le département + dit 1º qu'il est instruit particulièrement. Grand Dieu! quelle + instruction! des juges qui sont instruits non par la procédure, + mais particulièrement! cela fait frémir! + + 2º Que les inculpés ont été en partie prévenus de suspicion; mais + le comité n'a pas fait la faute de déclarer suspects des hommes + domiciliés depuis dix ans hors du département, des enfants de + quinze ans qui n'ont jamais passé à Mâcon que quarante-huit heures? + il y en a cinq dans ce cas et le département les condamne tous, + sans les appeler, ni les entendre, à la déportation! + + Pour ce qui regarde particulièrement mon fils, c'est en vain que + j'ai demandé extrait des motifs de son arrestation; pour tout + extrait, on m'a donné ces mots: «Lamartine, ex-chanoine, n'ayant + pas donné de preuves suffisantes d'attachement à la Révolution», + sans date, sans signature, ni rien qui donne de la force à ce vague + énoncé. Si c'est sur cela que le département, _instruit + particulièrement_, le déporte, lui, muni de certificats de civisme, + étranger au canton, on ferait un gros volume des vices de cet + arrêté cruel. + +Un tel langage pouvait être dangereux et pour celui qui le parlait et +pour ceux qu'il mettait en cause. Mais Louis-François ne s'en tint pas +là: avec une persévérance incroyable et un mépris inouï des dangers +qu'il courait, il finit par obtenir de tous les dénonciateurs le désaveu +écrit de leur signature; plusieurs d'entre eux allèrent même jusqu'à +certifier qu'on la leur avait arrachée par surprise et signèrent la +pétition par laquelle, après le 9 thermidor, il réclama la mise en +liberté de son fils. + +Le département, cette fois, fit droit à sa requête et s'inclina devant +la volonté publique, car la pétition s'était couverte d'une centaine de +noms. Le 30 janvier 1795, _vu la demande des citoyens Lamartine, Dondin, +Sombardin, etc., et les pièces y jointes par lesquelles il paraît que +«ledit arrêté de déportation n'a été signé par personne»_ (sic), le +comité arrêta que l'abbé serait mis en liberté et rayé de toute liste de +déportés. Le 15 novembre 1795 il était de retour à Mâcon, après deux +années d'épreuves, mais il ne fut définitivement rayé de la liste des +émigrés où il avait été porté par erreur, sans doute à la place de son +frère aîné, que le 3 février 1802. + + * * * * * + +Quant au chevalier, il fut incarcéré aux Ursulines le 5 octobre 1793, +puis transféré le 28 janvier 1794 aux Visitandines d'Autun et mis en +liberté le 30 octobre de la même année, avec ses deux soeurs[87]. Dans la +préface du _Manuscrit de ma mère_, Lamartine a raconté que pendant toute +la Terreur sa mère avait habité la maison de la rue des Ursulines, et +c'est le motif d'un charmant épisode où l'on voit à la nuit les jeunes +époux échanger de tendres lettres, des fenêtres de la petite demeure à +celles de la prison située en face, par le romanesque moyen d'un arc et +de flèches. L'histoire, pour joliment contée, n'en est pas moins tout à +fait inexacte, car si un mur de la prison faisait bien vis-à-vis à la +maison des Lamartine, celle-ci avait été mise sous séquestre en même +temps que l'hôtel de la rue Croix-Saint-Girard, c'est-à-dire près d'un +an avant l'emprisonnement du chevalier. De plus, pendant la détention de +son mari à Mâcon, la jeune femme n'habitait plus la ville; en effet, +lorsqu'il avait vu ses trois fils sous les verrous, Louis-François avait +exigé d'elle une incroyable démarche: en novembre 1793, laissant à +Pérone ses deux plus jeunes enfants, Félix et Mélanie, celle-ci à peine +sevrée, Mme de Lamartine dut prendre le chemin de Paris avec le petit +Alphonse, alors âgé de trois ans et dont elle ne voulait pas se séparer. +Elle partait, raconte-t-elle dix ans plus tard[88], solliciter +_d'anciennes relations_ de son père pour obtenir la mise en liberté de +son mari et de ses beaux-frères, car le vieux Lamartine, dans son +inconscience absolue des dangers qu'il faisait courir à tous les siens +avec sa terrible manie des réclamations, s'imaginait toujours qu'il +suffirait d'un mot pour se faire rendre justice; ainsi, le crédit des +Des Roys qu'on lui avait tant vanté au moment du mariage de son fils +finirait bien par rendre quelque service. + +[Note 87: Arch. Nat., A. F. II, 259.] + +[Note 88: Ces souvenirs sont rapportés par Mme de Lamartine, en +mai 1803, époque où elle passa trois mois à Rieux, chez sa mère.] + +En cours de route, la pauvre femme à moitié morte de peur des périls +qu'elle avait courus s'arrêta dans la Marne, chez son père, pour lui +demander conseil et lui laisser l'enfant. + +«Là, dit elle, Dieu permit qu'on rendît alors un décret qui défendait +aux ci-devant nobles d'aller à Paris sous peine de mort; ce fut fort +heureux, car les démarches étaient fort dangereuses.» Elle demeura donc +six mois à Rieux et ne regagna la Bourgogne qu'en août 1794. Elle se +réfugia alors à Pérone auprès de son beau-père et y demeura jusqu'à la +libération de son mari. Le calme revenu et les séquestres levés, tous +deux vinrent habiter à nouveau la rue des Ursulines, où leur présence +nous est attestée le 4 décembre 1795 par l'acte de décès de leur petit +garçon Félix. + + * * * * * + +Peu à peu, l'apaisement se fit. À la fin de 1795 les Lamartine se +retrouvèrent sains et saufs dans la vieille demeure familiale. Mais trop +d'alertes avaient épuisé les deux vieillards: la grand'mère s'éteignit +la première le 4 septembre 1796, à l'âge de soixante-quinze ans et +Louis-François la suivit peu de mois après, le 11 mai 1797; il venait +d'atteindre sa quatre-vingt-sixième année. + +Après leur mort, le partage de terres commença, et Lamartine rapporte +qu'il fut long et épineux: en effet la loi nouvelle sur les successions +bouleversait leurs vieilles traditions de famille en exigeant un partage +égal entre tous les enfants. Le meilleur des terres de Franche-Comté +avait disparu pendant la Terreur, ruiné faute d'entretien ou aliéné +prématurément comme bien national. Les usines de Saint-Claude étaient +délabrées; le reste ne comprenait plus que des parcelles éparses, +difficiles à gérer par suite des circonstances. Mme de Lamartine +raconte qu'on se hâta de vendre les débris de ce magnifique patrimoine, +et qu'on s'arrangea à l'amiable pour les terres de Bourgogne. + +L'abbé reçut Montculot et la maison de la rue des Ursulines; Mme du +Villars Pérone, Collonge et Champagne; François-Louis, en sa qualité de +chef de famille, hérita de Montceau et ses dépendances, de l'hôtel de +Mâcon et de la Tour de Mailly, dont l'ensemble demeura toutefois indivis +entre lui et sa soeur aînée, Mlle de Lamartine. Le chevalier dut se +contenter de Milly qu'il possédait déjà en fait depuis son mariage et où +il se hâta de se réfugier avec sa femme et ses enfants dès l'automne de +1797. + + + + +CHAPITRE IV + +LE DÉCOR.--LES VOISINS + + +Milly est un pauvre village d'une quarantaine de maisonnettes qui +s'étend en amphithéâtre à mi-flanc d'un vallon encaissé de hautes +collines, les unes cultivées, le Craz, les autres arides, le Monsard. +Une solitude et une tristesse infinies s'en dégagent au premier abord, +mais à mieux connaître tous ses aspects on finit par lui découvrir un +charme pénétrant. + +Toute interprétation de la poésie de Milly restera forcément imparfaite +et surtout inutile, car la seule façon dont Lamartine la comprit doit +nous retenir. Nul jamais ne découvrira dans Milly tout ce qu'il y voyait +et n'éprouvera, même au cours de multiples visites dans ce coin sauvage +de Bourgogne, les sentiments du foyer et de la terre natale, les +souvenirs d'enfance avec leurs nuances invisibles qu'il est parvenu à +rendre merveilleusement. M. Reyssié, pourtant, qui avait une très grande +habitude du pays et connaissait le vallon sous tous ses aspects, est +parvenu à les décrire de manière très fidèle et très exacte. + +Tout au bas du village, en bordure de la route et dominée par le Craz, +se trouve la petite maison des Lamartine. Elle n'a point d'histoire: +élevée au début du XVIIIe siècle par Jean-Baptiste, premier seigneur +de Montceau, c'était alors, plutôt qu'une demeure, un pavillon où il +venait l'automne surveiller ses vendanges. Rien n'y était établi en +prévision de longs séjours et au moment de son installation le chevalier +fut même obligé d'y faire élever deux cheminées. Aujourd'hui, il est +difficile de se la représenter dans son état primitif, car elle a subi +des remaniements qui ont modifié entièrement son ancien aspect. Elle est +située en retrait de la route unique qui traverse le village, au fond +d'une cour actuellement ornée de massifs, mais qui autrefois servait, +avec ses communs, à garer cuves, pressoirs et tombereaux. Derrière, +s'étend un minuscule jardin dont les charmilles, les frênes et les +chênes sont les seuls arbres de Milly, et finit en pente douce au pied +du Craz par un potager. Aucune source, aucun cours d'eau n'arrose le +pays. + +La maison n'a qu'un seul étage; elle est petite, obscure, humide, et +jamais le soleil n'y pénètre. Elle comprend en tout neuf pièces et l'on +imagine mal comment sept personnes pouvaient y vivre. Des plantes +grimpantes recouvrent entièrement les murs jusqu'aux tuiles et les +arbres viennent frôler les vitres. En hiver, la tristesse et la +désolation sont impressionnantes; ce décor de Milly est une des sources +les plus certaines de la mélancolie de Lamartine et explique amplement +la maladie de nerfs dont il souffrit lorsque ses vingt ans y furent +cloîtrés. + +Une grave erreur en effet serait de croire que l'amour de Lamartine pour +Milly date de sa jeunesse; il contribua beaucoup à cette légende, mais +on voit par sa _Correspondance_ qu'il ne l'appelait guère alors que sa +«détestable patrie». Il ne découvrit son charme que longtemps après, +lorsqu'il en fit avec le recul du temps le temple de ses souvenirs +d'enfance. Milly devint alors pour lui un culte, celui de sa mère dont +il venait encore rechercher la trace trente ans plus tard. «C'est, +disait-il un jour âprement, la seule chose que je ne pardonne pas à mes +concitoyens que de m'avoir forcé de vendre Milly[89].» + +[Note 89: _Cours familier de littérature_, entretien 101, p. 320.] + +Le domaine comprenait une cinquantaine d'hectares plantés en vignes. En +1801, Pierre de Lamartine y ajouta Saint-Point, acheté partie sur ses +économies, partie sur une somme qui lui revenait de la succession de son +père. + + * * * * * + +Saint-Point bien plus que Milly fut aux yeux de ses contemporains la +véritable demeure du poète. C'était un vieux château féodal bâti sur la +vallée de la Valouze dans un joli site boisé et plus riant que Milly, +dont il était éloigné d'une quinzaine de kilomètres. Lorsqu'à son +mariage Lamartine en acquit la jouissance, il lui fit subir plusieurs +réparations et sacrifiant lui aussi à la mode romantique, y fit ajouter +des terrasses, des tourelles, des fenêtres ogivales et dentelées qui ne +vont pas sans déparer un peu l'austère simplicité romane du bâtiment. + +La partie orientale du château comprise entre les deux tours rondes +remonte seule au moyen âge; l'ensemble a été remanié à différentes +époques et on voit par les inventaires antérieurs à la Révolution qu'il +comprenait primitivement quatre grosses tours, des murailles à créneaux +qui enfermaient une cour commandée par un pont-levis et entourée de +profonds fossés. De l'histoire ancienne du château, on sait peu de +chose; il fut assiégé et pris par les Français en 1471 lors des luttes +entre Louis XI et Charles le Téméraire; au cours des XVIIe siècle et +XVIIIe siècles, il demeura le plus souvent inhabité, ce qui explique +son délabrement, achevé le 30 juillet 1789 par les émeutiers qui le +mutilèrent et le pillèrent entièrement. + +Ce jour-là, tous les habitants de Saint-Point, vignerons, grangers et +manoeuvres, assemblés au son de la cloche, forcèrent la grande porte, +découronnèrent les tours, démolirent les charpentes et toitures, +brûlèrent les archives. L'affaire fut vite menée, sans résistance +possible de la part de l'intendant. Tout ce qu'il put obtenir d'eux fut +qu'ils ne mettraient pas le feu au château, leur objectant que +l'incendie pourrait gagner le village. Les choses restèrent longtemps +en l'état, et la Terreur vint achever la ruine du domaine. Au moment où +le chevalier s'en rendit acquéreur, la maison était inhabitable. + +La famille de Saint-Point posséda le château--dont les seigneurs se +qualifiaient marquis--du milieu du XIIe siècle à la fin du XVIe +siècle. L'un de ses membres, Guillaume de Saint-Point, seigneur de la +Foretz, de Chanvantet de Clermatin, a laissé quelque trace dans +l'histoire en jouant un rôle assez important pendant les guerres de +religion où il se distingua par ses cruautés. En 1557, il fut élu +capitaine du ban et arrière-ban de la noblesse du bailliage, et +combattit dans les armées catholiques; mais le meilleur de sa célébrité +lui vient encore des farces de Saint-Point, jeu qui consistait à noyer +en Saône ses prisonniers huguenots et où il conviait en grande pompe +tous ses vassaux et amis. Il finit assassiné par un jeune gentilhomme +mâconnais dont il avait dévasté les biens, et ses aventures sont +relatées dans un ténébreux roman dédié à Lamartine et qui fut accueilli +avec succès en 1845, car le public y trouvait une occasion de pénétrer +dans ce fameux château de Saint-Point rendu populaire par la gloire de +son propriétaire[90]. + +[Note 90: _Guillaume de Saint-Point_, par J.-M. Grosset (3 vol. +in-8).] + +Sa fille naturelle et légitimée épousa en 1564 Antoine de la Tour de +Saint-Vidal qui, comme son beau-frère, fut un des capitaines +catholiques les plus acharnés contre les réformés; il eut la même fin +tragique et fut tué en duel. Sa veuve se remaria en 1596 et à sa mort +légua ses biens à son petit-fils, Claude de Rochefort d'Ally; il épousa +Anne de Lucinge et fut gouverneur de Saint-Jean de Losne qu'il défendit +héroïquement contre les Impériaux en 1663. + +Saint-Point demeura propriété des Rochefort jusqu'au milieu du XVIIIe +siècle; à cette époque il passa par mariage aux mains de Charles Testu +de Balincourt qui, le 29 avril 1776, céda le marquisat et ses +dépendances à Henry de Castellane, chevalier d'honneur de madame Sophie. +Son fils en hérita en 1789; il s'occupa un moment de politique et ce fut +lui qui à la journée du 13 vendémiaire fit battre le rappel pour marcher +contre la Convention. Condamné à mort par contumace, il prit la fuite, +mais revint l'année suivante se constituer prisonnier et fut acquitté. À +moitié ruiné, il allait vendre Saint-Point en 1800 à des marchands de +biens, lorsqu'à la requête d'un créancier on procéda à une adjudication +publique et, le 10 février 1801, Pierre de Lamartine s'en rendit +acquéreur au prix de 80 000 francs. L'opération fut très fructueuse pour +lui car les bois de Saint-Point n'avaient pas été taillés depuis un +siècle: avec une coupe il rentra dans ses débours. Quant au vignoble, il +était peu important et abandonné depuis longtemps. + +À ce moment, le château tombait en ruines. Mme de Lamartine note +dans son journal que c'est «un bon bien et un pays agréable»; «c'est +fort dévasté, ajoute-t-elle, et rien ne peut y flatter l'amour-propre». + +Au début, les Lamartine n'y feront que de rares et courts séjours; plus +tard, ils y passeront quelques semaines, en été ou au moment des +vendanges, lorsque les réparations indispensables auront été effectuées +peu à peu. Mais la mère s'y rendra souvent dans la journée avec ses +enfants, en char à bancs ou à âne, au long des petits sentiers qui +dévalent des coteaux et raccourcissent le chemin. + + * * * * * + +Dans la solitude de Milly et le délabrement de Saint-Point, la jeune +femme connut tout d'abord quelques heures de découragement et d'ennui. +Très vite, pourtant, et comme toujours en luttant contre elle même, elle +s'habitua à cette vie nouvelle. Ses devoirs de mère vont l'absorber +entièrement et, la première hésitation passée, elle classera ses +occupations, se dévouera entièrement à son ménage et à l'éducation de +ses enfants. + +La vie à Milly était plus que simple, car les ressources, uniquement +fondées sur les vignes, étaient modestes. En 1801, Mme de Lamartine +qui assumait toutes les charges, encaissait les revenus et donnait 1600 +francs par an à son mari; en 1805, celui-ci reprit la direction du +ménage: il alloua à sa femme 600 francs par mois, douze pièces de vin et +les petites réserves de Milly et de Saint-Point. Avec cette somme elle +assurait la vie quotidienne, payait l'entretien et l'éducation de ses +filles tandis que le chevalier s'occupait de la pension de leur fils et +des charges générales. Leur fortune, on le voit, était modeste et on +peut l'évaluer à une quinzaine de mille francs de rente. + +Le matin, on se levait à l'aube, le père partait dans ses vignes, ou +chassait; sa femme commandait leurs huit vignerons et domestiques, +surveillait la maison, la lessive, la basse-cour, le potager, et +trouvait encore quelques instants pour commencer la première éducation +de ses enfants. + + La journée, écrit-elle, n'est jamais assez longue pour ce que je + voudrais faire, et mes forces sont épuisées avant que mon goût pour + les occupations le soit. Je vais tous les jours à la messe de sept + heures avec mes enfants; nous déjeunons ensuite, puis quelques + soins de ménage, puis le travail en lisant tour à tour la Bible, + une leçon de grammaire et la lecture de l'histoire de France: tout + cela nous conduit jusqu'au dîner sans que personne ait trouvé le + temps long. Après le dîner, je donne récréation une heure. Nous + reprenons ensuite l'ouvrage avec une lecture agréable que je tâche + toujours de rendre instructive, jusqu'au goûter, après lequel on + apprend par coeur des vers, de l'histoire de France et de la + grammaire. Puis nous nous promenons jusqu'à la nuit et à la veillée + pendant que je joue aux échecs avec mon mari, les enfants s'amusent + et apprennent quelques vers des fables de Lafontaine. C'est + toujours le plan ordinaire de notre journée à quelques différences + près. + +Lorsque l'année avait été bonne, les Lamartine allaient passer l'hiver à +Mâcon: au début, ce fut dans une maison louée; en 1805, le chevalier, +sur les instances de sa femme, se décida à l'acheter et la paya 29 615 +francs à M. Barthelot d'Ozenay un de leurs amis. Elle portait le numéro +15 de la rue de l'Église: c'est là qu'à partir de 1805 ils passeront +tous les hivers. À côté de la poétique description qu'en a faite +Lamartine, il faut rapprocher celle de Mme Delahante, plus véridique: +«L'entrée, dit-elle, ressemblait fort à une cave et tout y était plus +que simple et fort triste; nous avons fait bien des parties dans son +jardin qui était affreux, mais dont les hautes murailles étaient +tapissées de roses blanches». + +Quelques voisins agréables animaient un peu cette vie solitaire. +C'étaient les de Rambuteau, très liés au XVIIIe siècle avec les +Lamartine et dont deux membres signèrent à l'acte de baptême du poète; +le futur préfet de la Seine, Claude-Philibert, tout en étant un peu plus +âgé que lui puisqu'il était né en 1781, fut son ami de jeunesse. Il +avait épousé Mlle de Narbonne, fille du comte Louis, ministre de la +guerre à la fin du règne de Louis XVI, et devint plus tard très en +faveur auprès de Napoléon. Leur grand luxe, leur fastueuse résidence de +Champgrenon n'allaient pas parfois sans écraser un peu la pauvre Mme +de Lamartine qui écrivait un jour: «Après dîner Mme de Rambuteau est +venue avec ses enfants faire une visite; elle passe beaucoup de temps à +Paris, elle a beaucoup de fortune et un grand train. Quand je vis son +beau carrosse, ajoute-t-elle mélancoliquement, ses superbes chevaux +auprès de mon modeste équipage, j'eus un petit moment de honte que je me +reproche...» + +À Bussière et à Milly, il y avait l'abbé Dumont, grand ami du chevalier +et qui chassait avec lui; les du Sordet; M. de Valmont, vieux +gentilhomme courtois et lettré, et l'excellent M. de Vaudran: emprisonné +à Lyon pendant la Terreur il avait été rendu à la liberté après +Thermidor. Il s'établit alors à Bussière avec sa mère et ses soeurs et y +demeura jusqu'à sa mort survenue en 1820. C'était, paraît-il, un érudit +et brillant causeur qui charmait l'enfant par de belles histoires et lui +donna ses premières leçons de dessin et d'écriture. Plus tard, il le +patronna à l'Académie de Mâcon et s'intéressa à ses premiers essais +poétiques, mais mourut sans connaître la gloire de son ancien élève +qu'il aimait beaucoup. Il était le grand-oncle de Léon Bruys d'Ouilly, +l'ami d'enfance à qui sont dédiés les _Recueillements_, romanesque et +beau garçon qui succéda à lord Byron dans le coeur de la comtesse +Guccioli, pour laquelle il se ruina complètement[91]. + +[Note 91: Cf., sur la famille Bruys, _Ann. de l'Académie de Mâcon_, +3e série, vol. IX: la Famille Bruys, par Paul Maritain.] + + * * * * * + +Parfois on descendait en char à boeufs, raconte Mme de Lamartine, la +petite route en lacets qui serpente à travers les vignes de Milly à +Pierreclos. Là, à l'abri d'un antique donjon féodal qui commande une +gorge étroite et fleurie, vivait le vieux comte Jean-Baptiste de +Pierreclau, colosse d'un autre temps et qui, malgré la Révolution, +régnait toujours par la terreur sur ses anciens vassaux. Conseiller du +roi et trésorier de France à Lyon à la fin du XVIIIe siècle, il avait +épousé Mlle de la Rochetaillée et menait un train de prince à Mâcon +où il possédait deux magnifiques hôtels; la Terreur l'envoya en prison +et dispersa sa famille. + +Le calme revenu, il rentra dans son château dévasté, en proie à une +fureur indicible: tant bien que mal il reprit sa vie, mais au point où +on l'avait interrompue malgré lui. Dans les _Confidences_, Lamartine +nous a laissé un pittoresque tableau de son existence, où revit +l'étrange physionomie de ce vieux royaliste irréductible et hautain. +«Figure des romans de Walter Scott, dit-il, vieillard illettré et rude, +sauvage, absolu sur sa famille, bon au fond, mais fier et dur de langage +avec ses anciens vassaux qui avaient saccagé sa demeure pendant les +premiers orages de la Révolution.» + +On jouait, paraît-il, à Pierreclos du matin au soir et c'était la seule +manière de passer le temps; puis, le maître du château armé d'un +porte-voix donnait les ordres à ses fermiers du haut de la terrasse +escarpée qui dominait la vallée. Ses six enfants se mouraient d'ennui +auprès de leur père. Un fils, après de romanesques aventures, s'était +marié à la jeune fille d'un vieux chouan dangereux mégalomane qui eut +son heure de célébrité, le baron Dézoteux-Cormatin, et habitait la +splendide résidence seigneuriale des anciens marquis d'Huxelles. Plus +tard, Lamartine se liera intimement avec ce chevalier de Pierreclau, âme +sentimentale et chevaleresque qui avait hérité des sentiments +monarchistes de son père[92]. + +[Note 92: Jean-Baptiste Michon de Pierreclau, baron de Cenves, comte +de Bertzé, seigneur de Pierreclos, né le 20 septembre 1737, marié à +Saint-Étienne en Forez, le 27 avril 1767, à Marguerite Bernon de +Rochetaillée; il eut pour enfants: 1º Jean-Gabriel, marié à +Jeanne-Théodore Laborier; 2º Guillaume, marié à Nina Dézoteux; 3º +Marguerite, mariée à M. Mongeis; 4º Jeanne, mariée au comte de +Champmartin; 5º Antoinette, mariée au comte de Regnold de Sérezin; 6º +Catherine, morte fille. + +Une fille de Jean-Gabriel et de Jeanne-Théodore Laborier fut la baronne +de Montailleur-Ruffo, amie de Chateaubriand, et la fille unique de M. de +Champmartin épousa Niepce, l'un des inventeurs de la daguerréotypie.] + +À Pierreclos, les Lamartine retrouvaient encore quelques débris de +l'ancienne splendeur d'autrefois, car le vieux comte aimait la bonne +chère et la musique. Demeuré très grand seigneur malgré sa fortune +ébréchée, il recevait avec une urbanité un peu bourrue, et sans jamais +tolérer qu'on parlât politique. Lorsqu'on touchait à ce sujet, il +entrait dans des colères terribles et qui faisaient trembler les siens; +mais il aimait à ressusciter la pompe et l'étiquette de sa jeunesse. +Mme de Lamartine évoquait, en le voyant, le souvenir des grands +seigneurs qu'elle avait connus au Palais-Royal. + +Les de Pierreclau étaient les voisins les plus habituels des Lamartine, +et c'est avec eux souvent qu'on descendait jusqu'à Montceau et à Pérone, +où vivaient, très retirés, François-Louis et sa soeur. + +Toute cette petite vie campagnarde, humble mais bien remplie, est +relatée quotidiennement dans le _Journal intime_. Point de grands +événements, surtout point de politique. Les bruits du monde ne leur +parviennent que rarement, et très affaiblis. Le nom de Bonaparte--sous +lequel l'Empereur sera désigné par Mme de Lamartine--est un objet +d'exécration dans ce milieu. D'ailleurs, après les vicissitudes qu'ils +viennent d'éprouver, les Lamartine sont heureux du calme qu'ils +possèdent maintenant et ne regrettent point le passé. Leur seul but +désormais sera de vivre en repos et d'élever leurs enfants simplement et +chrétiennement, dans le respect des vieilles traditions que rien chez +eux n'est parvenu à effacer. + + * * * * * + +Ainsi, à résumer cette première enfance de Lamartine, qui s'étend de +1790 à 1800, on voit qu'il eut quelque raison par la suite de s'écrier +romantiquement: «Et l'on s'étonne que les hommes dont la vie date de ces +jours sinistres aient apporté en naissant un goût de tristesse et une +empreinte de mélancolie dans le génie français! Que l'on songe au lait +aigri de larmes que je reçus moi-même de ma mère pendant que la famille +entière était dans une captivité qui ne s'ouvrait que pour la mort!» Il +n'y a pas que de l'emphase dans cette lyrique exclamation: les +premières impressions de l'enfant ne furent que tristesses et craintes, +et il sera longtemps sans connaître la douceur et l'habitude d'un foyer. +Plus tard, vers huit ans, il n'aura pas d'autres camarades à Milly que +les petits paysans du village, dont Mme de Lamartine redoutera un peu +la société. Elle s'efforcera alors de le garder le plus possible près +d'elle, et veillera sur lui avec une inquiète sollicitude. Son âme +mélancolique influera peu à peu sur celle de l'enfant dont elle essayera +encore d'atténuer le caractère vif et bruyant, d'après elle, et qui déjà +commençait à la tourmenter pour l'avenir. + + + + +TROISIÈME PARTIE + +LES ANNÉES D'ÉTUDE + + + + +CHAPITRE I + +L'ABBÉ DUMONT[93] + + +[Note 93: Sources et bibliographie de la troisième partie: _Journal +intime_ (passim), _Archives de Saint-Point_.--Pour l'abbé Dumont: +_Archives municipales de Bussières et de Pierreclos_, _Archives +départementales de Saône-et-Loire_, et les notes inédites de M. Paul +Maritain conservées aujourd'hui à l'Académie de Mâcon: nous en devons la +communication à M. A. Duréault, secrétaire perpétuel de cette société, +que nous remercions ici de son obligeance. + +Pour le collège de Belley: _le Séjour de Lamartine à Belley_, par M. +Dejey (3e éd., complétée, 1901). _Histoire du collège-séminaire de +Belley_, par l'abbé Rochet (Lyon, 1898, in-8).--Les Vies des Pères +Varin, Debrosses et Jenesseaux, par le père Guidée (Paris, 1859-60).] + +Lorsqu'à l'automne de 1797 les Lamartine vinrent s'établir à Milly, on +imagine qu'au milieu de leurs épreuves la première éducation de l'enfant +avait été très négligée. Mais les écoles manquaient dans cette campagne +perdue d'où l'on ne pouvait chaque matin le conduire à Mâcon. Mme de +Lamartine, malgré le petit programme élaboré par elle, n'avait pas, à +l'entendre, beaucoup de temps pour l'appliquer rigoureusement. +D'ailleurs elle avoue elle-même qu'une fois passée l'ardeur des débuts +elle finit vite par en ressentir quelque lassitude et une certaine +appréhension. Son désir perpétuel de trouver ce qu'elle nomme «le juste +milieu» lui faisait craindre à la fois de montrer trop de mansuétude ou +trop de sévérité. Elle se décida alors à chercher autre chose; +conservant pour sa part les lectures à haute voix elle confia son fils +au curé de Bussière, petit village distant de quelques kilomètres, et +dont dépendait Milly où le culte interrompu en 1792 n'avait pas été +rétabli. + + * * * * * + +L'abbé Dumont a laissé sur son élève une impression profonde et qui ne +s'affaiblit jamais. Plus tard Lamartine créera autour de son ancien +maître une atmosphère de légende et dans les _Nouvelles Confidences_, +soulèvera un coin du voile: on sut alors que sa vie avait servi de thème +original au poème de _Jocelyn_, mais comme les deux récits n'allaient +pas sans se contredire fréquemment, il devenait difficile de démêler +quelle était la part de l'imagination et celle de la réalité. Pourtant +quelques documents nouveaux, s'ils ne percent pas complètement le +mystère de son existence, l'éclairent tout au moins davantage et sur +bien des points confirment le récit du poète. + +D'après Lamartine, l'abbé Dumont était né d'une famille plébéienne dans +la maison même de l'ancien curé de Bussière, François-Antoine Destre. Au +cours d'une visite au presbytère, l'évêque de Mâcon avait été frappé de +la très belle figure et des aptitudes remarquables de l'enfant; il +l'avait alors pris à l'évêché, en qualité de secrétaire. Survint la +Révolution, qui le surprit au moment où il allait prononcer ses voeux; +mais quelques pages plus loin Lamartine contredit cette affirmation et +nous apprend qu'il fut jeté malgré lui dans le sacerdoce, la veille même +du jour où ce sacerdoce allait être ruiné en France. On verra plus loin +qu'aucune de ces deux versions n'est exacte. Au rétablissement du culte, +Dumont fut nommé curé de Bussière et c'est à cette époque que Lamartine +le connut. + +Le jeune prêtre n'avait pas la vocation; tous ses goûts étaient ceux +d'un gentilhomme, toutes ses habitudes étaient celles d'un soldat. Beau +de visage, grand de taille, fier d'attitude, grave et mélancolique de +physionomie, il parlait à sa mère avec tendresse, au curé avec respect, +à ses écoliers avec dédain et supériorité. Son unique passion était la +chasse, et l'on voyait chez lui des sabres, des couteaux, des fouets, +des bottes à l'écuyère, tout un attirail de veneur qui voisinait avec +des objets de goût. On sentait au son mâle et ferme de sa voix et à cet +ameublement que son caractère naturel se vengeait du contresens de son +état. + +Il était instruit, et les nombreux volumes de sa bibliothèque +attestaient sa culture. Mais les livres, comme les meubles, étaient très +peu canoniques: c'étaient Raynal, Jean-Jacques, Voltaire, des romans du +temps, les encyclopédistes, en même temps que des brochures et des +journaux contre-révolutionnaires, car il était légitimiste. «Toute cette +haine de la Révolution et toute cette philosophie dont la Révolution +avait été la conséquence, dit Lamartine, se conciliaient très bien alors +dans la plupart des hommes de cette époque; leur âme était un chaos, +comme la société nouvelle. Ils ne s'y reconnaissaient plus.» Cette +phrase fut sans doute l'excuse que trouva le poète à la déroutante +psychologie du curé de Bussière; mais voici une plus grave révélation: +«Il était aisé de voir que l'abbé Dumont était philosophe comme le +siècle où il était né. Les mystères du christianisme qu'il accomplissait +par honneur et par conformité avec son état ne lui semblaient guère +qu'un rituel sans conséquences; cependant, bien que son esprit fût +incrédule, son âme amollie par l'infortune était pieuse.» + +Tel était l'abbé Dumont selon Lamartine, athée et prêtre. Quant aux +causes de cet incohérent état d'âme, elles sont expliquées plus loin par +un ténébreux récit où le curé de Bussière apparaît comme échappé d'un +roman d'amour, aigri par ses infortunes et relégué dans une misérable +campagne loin du monde qu'il avait tant aimé. + +À vrai dire, on comprend que ce portrait soit accueilli avec quelques +réserves. Comment admettre que les Lamartine aient confié leur fils à un +prêtre mi-soudard, mi-voltairien et dont toute la région, au dire même +du poète, connaissait les aventures? comment admettre que ses +allures--car il était un des familiers de Milly--n'aient pas éveillé +d'inquiets soupçons chez la pieuse Mme de Lamartine? Comment +admettre, enfin, cet invraisemblable roman esquissé et poétisé d'abord +dans _Jocelyn_, rétabli plus tard dans les _Confidences_ et leur suite? + +Et pourtant, il faut reconnaître que les pages consacrées à l'abbé +Dumont sont exactes: il est hors de doute qu'à une époque difficile à +préciser Lamartine reçut de son premier maître le dépôt d'un douloureux +secret qui les lia l'un à l'autre d'une étroite amitié et révéla alors +au jeune homme les véritables motifs de la détresse morale, des allures +étranges et souvent inquiétantes de l'abbé Dumont. + + * * * * * + +Antoine-François Dumont naquit à la cure de Bussière le 29 juin 1764 et +déjà, à relever les différences d'état civil que l'on trouve dans deux +ouvrages qui parlent de lui, on constate un premier mystère. L'un le +fait naître à Charnay le 24 juillet 1756[94], l'autre en fait le neveu +et filleul de François Antoine Destre, alors curé de Bussière et à qui +il succéda[95]. Or, il serait aussi vain d'aller rechercher son acte de +baptême à Charnay, que d'essayer d'établir sur quelles pièces on a pu +prétendre que sa mère était la soeur de Destre. Lamartine, on l'a vu l'a +fait naître à Bussière «dans la maison même de l'ancien curé» et il +avait ses raisons pour parler ainsi. Car Antoine-François Dumont qui, +suivant son acte de baptême, était fils de Philippe Dumont et de Marie +Charnay, tous deux au service du curé Destre, était--et ce n'était +alors, paraît-il, un mystère pour personne--fils de Destre et de sa +servante. Celui-ci, d'ailleurs, fut le parrain de l'enfant et lui imposa +même ses prénoms; par la suite, il le logea chez lui sa vie durant, et +lui assura une éducation soignée très supérieure à son humble origine +officielle. Deux lettres de Destre qu'on lira plus loin prouvent +l'affection qu'il porta toujours au jeune homme: en mourant, il +l'institua son légataire universel alors que le fils cadet et véritable +de Philippe Dumont, né en 1768, fut élevé modestement par ses parents et +devint huissier à Mâcon. Tout ceci, il est vrai, ne prouverait rien et +pourrait s'expliquer aisément du fait que Destre s'attacha à l'enfant +dont il était parrain; mais rapproché de la tradition locale qui +subsiste encore et surtout des deux erreurs, qui d'ailleurs ne +s'accordent pas entre elles et dont on ne peut autrement s'expliquer +l'origine dans des ouvrages très soigneusement documentés, semble +autoriser cette version, explicitement admise par Lamartine. + +[Note 94: Abbé Chaumont, _op. cit._] + +[Note 95: Mgr Rameau, _op. cit._] + +Nous n'avons rien de précis sur la jeunesse de François Dumont; +toutefois un fait est certain: il n'était nullement entré dans les +ordres avant la Révolution, comme l'a prétendu l'abbé Chaumont après +Lamartine, et on chercherait inutilement trace de son serment à la +constitution civile du clergé ou de son emprisonnement comme non +assermenté; il fut libre pendant la Terreur et dans tous les actes le +concernant de 1791 à 1795 il est simplement qualifié de négociant en +vins à Bussière, se montrant partout et nullement inquiété. + +À partir de 1793, François Dumont régit avec un rare dévouement ce qui +restait des biens de la famille de Pierreclau. Le vieux comte +Jean-Baptiste avait été traîné en prison; avant de partir, eut-il le +temps de confier secrètement une somme importante au jeune homme, avec +des instructions précises pour rassembler les débris du patrimoine qui +allait être vendu nationalement? cela paraît probable, car tous les +achats de terres que fit alors en son nom propre François Dumont furent +restitués plus tard par lui à leur ancien possesseur. + +Le 18 fructidor an II, il achète pour 13 100 livres les récoltes +provenant des «émigrés, déportés, condamnés et détenus Michon, cy devant +Pierreclau». Le 22 pluviôse, il est signalé dans un procès-verbal +d'inventaire du château où il habitait depuis le pillage qui avait suivi +la défense désespérée de Jean-Baptiste lors de son arrestation; on y +trouve, dans sa chambre et caché soigneusement au fond de vieux +tonneaux, tout ce qu'il a pu ramasser d'objets intacts. À la même date, +les vignerons certifient que les vins de la dernière récolte consistant +en 18 pièces ont été vendus «par le citoyen Antoine-François Dumont, +marchand à Bussière, et payés par lui à la citoyenne Michon»; lui-même +exhibe ses quittances et ses pouvoirs en règle. + +Dans le courant de 1793, il rachète ainsi en sous main la plupart des +biens de Jean-Baptiste et les récoltes qui sont vendues sur pied. Le 12 +fructidor an IV il est acquéreur pour 3 650 livres de la maison «cy +devant presbytérale» de Bussière, avec ses dépendances; le 19 pluviôse +an V, de la vieille église de Pierreclos et dans les deux actes de vente +il est qualifié de «négociant demeurant à Bussière». Bref, pendant toute +la Terreur, il apparaît comme le véritable fondé de pouvoirs de +Jean-Baptiste, et dépositaire de tout ce que celui-ci a pu sauver d'or +avant son emprisonnement. C'est un homme d'affaires prudent et actif, et +rien en lui ne fait prévoir une vocation religieuse. + +Lamartine, on l'a vu, a écrit qu'il avait été jeté «malgré lui» dans le +sacerdoce, la veille même du jour où le sacerdoce allait être ruiné en +France. Malgré lui, certes, mais après la Révolution. En réalité +Antoine-François Dumont fut ordonné le 7 janvier 1798 et nommé aussitôt +vicaire à Bussière, où le culte venait de recommencer sous la direction +de l'ancien curé Destre qui, ayant prêté serment, n'avait pas été +inquiété. + +Quel événement soudain avait modifié la vie du jeune homme? quelle +volonté plus forte que la sienne était venue le contraindre de renoncer +au monde? Ce n'est pas _de lui-même_ et dans un moment de détresse +qu'il prit cette décision, comme l'a raconté aussi Lamartine, sans +prendre garde qu'il se contredisait en l'espace de quelques pages. Mais +le roman d'amour dont il a parlé est véridique, et s'il en a dénaturé +quelques détails pour dépister les curiosités et respecter l'honneur +d'une famille, il est du moins exact que François-Antoine Dumont expia +par trente-cinq ans d'une vie à laquelle il ne se plia jamais +complètement, la faute d'avoir séduit une jeune fille de la noblesse. La +mère de celle-ci et Destre parvinrent à étouffer le scandale que le père +ignora toujours, à la condition que François Dumont disparaîtrait du +monde. Peu de temps après la jeune fille fut mariée à un vieillard, et +l'enfant né des amours de Jocelyn et de Laurence fut élevé à la campagne +où il mourut. + +Ici se place un problème qu'il semble assez délicat de résoudre: +pourquoi Lamartine, sachant que la faute de l'abbé Dumont était +antérieure à sa vie ecclésiastique, n'a-t-il pas déchargé sa mémoire de +ce qui, à ses yeux, devenait alors un crime? La figure du pauvre vicaire +n'en serait-elle pas sortie grandie par une telle expiation et n'eût-il +pas, du même coup, donné l'explication la meilleure des allures de +l'abbé Dumont? + + * * * * * + +Celui-ci se résigna mal à ses nouvelles fonctions. Aigri, blessé, resté +jeune et ardent, il fit en chaire de la propagande royaliste presque dès +son entrée à la cure. Les autorités s'émurent et le 7 décembre 1798 +l'église de Bussière fut fermée à nouveau «pour cause du fanatisme +anti-républicain du curé». Elle rouvrit en 1799 sur la demande, +paraît-il, des paroissiens, mais cette fois Mgr Moreau devenu évêque +d'Autun, dut recommander plus de pondération à son ancien élève, et +interdit à Destre de se faire remplacer par lui. Le vieux Destre, +pourtant, accablé par l'âge et les infirmités, céda bientôt la place à +son vicaire; à partir du 20 septembre 1801 les registres paroissiaux +portent la signature de l'abbé Dumont, bien que Destre n'ait été +officiellement remplacé par lui qu'en 1803. + +De cette date jusqu'à sa mort, survenue en 1832, l'abbé Dumont fut curé +de Bussière, et de Milly à partir de 1808, époque où les deux villages +furent réunis sous la même autorité. Il habitait le petit presbytère où +il était né et qui en 1793 avait abrité ses amours. Dès lors, on +s'imagine aisément la vie du malheureux et tout ce qu'en a dit Lamartine +s'éclaire d'une émouvante et douloureuse sincérité. Cette cure existe +toujours: c'est une maison bourgeoise, bâtie au début du XVIIIe +siècle par les soins de la famille de Pierreclau, et qu'il avait meublée +sans l'habituelle simplicité des curés de campagne; à sa mort on vendit +un grand lit Louis XVI, une belle console dorée, des chaises finement +sculptées, un baromètre en bois doré et divers autres objets de valeur +qui furent acquis à des prix dérisoires. Il léguait à Lamartine, qu'il +nommait «son bienfaiteur et ami», sa bibliothèque, ses gravures--Louis +XVI et Marie-Antoinette,--sa montre en or «et la petite pendule dont le +prix a été acquitté par Mme de Lamartine mère». Près de sa tombe, +qu'on voit encore au cimetière de Bussière, son ancien élève fit élever +une pierre avec ces quelques mots: + + À la mémoire de Dumont, curé de Bussière et de Milly pendant près + de quarante ans, né et mort pauvre comme son divin maître, Alphonse + de Lamartine, son ami, a consacré cette pierre près de l'église + pour perpétuer parmi le troupeau le souvenir du bon pasteur. 1832. + +Contradiction encore que cette épitaphe! car, même d'après Lamartine, +l'abbé Dumont ne fut pas un bon pasteur. Le fardeau d'une mission +imposée lui pesait lourdement, et ses révoltes intérieures étaient +fréquentes. De son ancienne vie, il avait gardé la flamme et l'ardeur, +et le poète a raconté ces longues courses avec ses chiens fidèles, dont +la chasse était le prétexte, mais où il essayait de briser ses longues +détresses par la fatigue. Royaliste intransigeant il le demeura +toujours, et c'est peut-être l'origine de son amitié avec Pierre de +Lamartine dont il était le compagnon le plus habituel. Dans son journal, +pourtant, Mme de Lamartine en parle à peine, et comme d'un grand +chasseur qui venait souvent s'asseoir à leur table et partager leur +solitude. Mais on a vu que dans son testament l'abbé Dumont appelait +Lamartine son ami; le poète lui rendit le même hommage sur sa tombe et +le poème de _Jocelyn_ débute ainsi: + + J'étais le seul ami qu'il eût sur cette terre. + +Et Lamartine disait vrai: il fut le seul ami de l'abbé Dumont, le seul +qui connût jamais le douloureux secret de cette existence brisée. + +L'abbé Dumont était légitimiste et cela apparaît surtout dans ses +registres paroissiaux; comme Bussière et Milly ne comptaient guère que +600 habitants, il n'avait pas grand'chose à y transcrire. Aussi avait-il +pris l'habitude d'y tenir une sorte de journal des événements auxquels +il assistait et, machinalement, il les entremêlait de brèves réflexions +personnelles où l'on trouve trace de sa haine violente contre Napoléon. +En 1805 il écrivait: + +«Buonaparte est arrivé à Mâcon le dimanche 7 avril ayant avec lui +Joséphine. Cette belle majesté est sortie de la préfecture le lendemain +à cheval.» De même, on lit en 1811: «Marie-Louise est accouchée d'un +fils le 20 mars. Buonaparte eût-il jamais cru, lorsqu'il étudiait à +Brienne où notre bon roi Louis XVI payait sa pension, qu'il épouserait +un jour une fille des Césars d'Autriche et qu'il serait assis sur le +trône de France?» À partir de 1815, il prendra l'habitude chaque 21 +janvier de célébrer en chaire la mémoire du roi-martyr, et de lire à ses +paroissiens assemblés le «testament du juste», de «l'auguste victime». +Lamartine qui sur sa tombe rendit pourtant un hommage public à ses +vertus chrétiennes, nous a dit d'autre part combien sa foi était +chancelante et faite de revirements. Les livres qu'il lui légua n'ont +aucun caractère religieux: «Rousseau, Diderot et Voltaire y voisinent +avec Saint-Simon, les Lettres de la Palatine, Machiavel, l'Arioste et +d'autres....». + +À l'évêché, on le jugeait mal et l'abbé Faraud, vicaire général de +Mâcon, connaissait ses aventures en même temps que son caractère +difficile. En 1797 on ne l'avait admis dans les ordres qu'avec une +certaine hésitation et il était mal noté; les deux lettres qui suivent +nous renseignent très suffisamment à cet égard: l'une émane de Destre et +fut écrite le 2 juin 1801 à l'abbé Faraud pour le prier d'excuser auprès +de l'évêque le peu d'application et l'humeur de son filleul: + +«...Vous m'avez offert vos services auprès de M. l'Évêque: je vous prie +de lui dire que je supplie Sa Grandeur de me confier la conduite de +l'abbé Dumont qui ira de temps à autre lui présenter nos regrets +lorsqu'il sera visible. Je connais son caractère. En lui parlant avec +douceur et sans tracasserie il exercera son ministère à ma satisfaction +et à celle de beaucoup de fidèles qui l'ont regretté quand il a été +obligé d'abandonner ses fonctions et qui me demandent depuis longtemps +quand ils le verront et l'entendront à l'autel et au confessionnal[96]. +Pour que je puisse le déterminer, il faut que je puisse lui dire qu'il +n'aura affaire qu'à M. l'Évêque et à moi. Je ne lui dirai de dire la +messe que quand il se croira disposé. En attendant, j'espère que le +Seigneur me donnera des forces. Il y a bientôt quarante ans que je sers +cette paroisse, il me ferait bien de la peine d'y voir le service divin +interrompu. + +«Monseigneur m'a permis et à l'abbé Dumont d'user des pouvoirs qu'il +s'est réservés et il m'a recommandé d'en user largement. Sans doute il +l'a aussi recommandé à l'abbé Dumont: nous tâcherons de remplir ses +instructions...» + +[Note 96: On a vu que l'église avait été fermée en 1798, et que +l'abbé Dumont reçut, lorsqu'elle rouvrit, l'interdiction d'y dire la +messe régulièrement, comme il en avait pris l'habitude.] + +L'abbé Faraud, qui savait évidemment à quoi s'en tenir sur Dumont, fit +parvenir à l'évêque la lettre de Destre qu'il accompagna de celle-ci: + +Ce mercredi matin 3 juin 1801. + +«Voici, Monseigneur, une lettre du curé de Bussière qui serait +probablement insolente si elle n'était essentiellement bête. + +«Nous avons pensé, puisqu'il annonce que pour ce qui le concerne ainsi +que M. Dumont il ne reconnaît que ce qui émane directement de vous, +qu'il fallait que vous prissiez la peine de lui répondre, et j'ai +l'honneur de vous envoyer la réponse que nous estimons devoir lui être +faite. Si vous daignez l'approuver, auriez-vous la bonté de la signer et +de me la renvoyer pour que je la fasse parvenir à son destinataire? + +«M. Dumont est une espèce de houzard qui dans les temps ordinaires +aurait été paralysé. Attendu le besoin qu'on a d'ouvriers, il faut bien +se résigner à l'employer, mais non à Bussière et dans les environs où +sa conduite a été scandaleuse et ses jactances plus scandaleuses +encore[97].» + +[Note 97: Ces deux lettres, qui sont conservées aux archives +épiscopales d'Autun, ont été communiquées à l'Académie de Mâcon par M. +le chanoine Muguet, curé de Sully. (Cf. procès-verbal de la séance du 10 +janvier 1907.)] + +Mais Monseigneur Moreau qui gardait sans doute quelque souvenir à son +ancien protégé et connaissait les causes de son humeur, le conserva à +Bussière où il demeura jusqu'à sa mort. + + * * * * * + +Ces révoltes et ces crises de découragement étaient fréquentes chez +l'abbé Dumont et, pour le ramener, on voit les moyens qu'il fallait +employer: «lui parler avec douceur et sans tracasserie, ne lui faire +dire la messe que quand il se croyait disposé». Ceci confirme tout ce +que Lamartine a dit de sa nature hautaine et intraitable, et nous savons +encore qu'il la garda toujours, puisqu'on en retrouve la trace dans ses +registres où son écriture élégante et aristocratiquement saupoudrée de +paillettes d'or contraste étrangement avec les grossières signatures de +ses prédécesseurs. + +En 1803, il écrit: «Pie VII, souverain-pontife, est arrivé à Mâcon le +lundi 22 avril.--_J'ai baisé sa mule_. Le clergé romain qui le suivait +était mis salement.» Ce sont là toutes les réflexions que lui suggéra +l'arrivée du pape accueillie en France avec tant d'allégresse par le +clergé, qui y vit le triomphe définitif de la religion catholique. +Lui-même a souligné les mots: «j'ai baisé sa mule», comme s'il s'en +étonnait, et les manières de gentilhomme dont a parlé Lamartine se +retrouvent dans la brève épithète qu'il applique à la suite du +Saint-Père. + +Enfin, en octobre 1812, l'abbé Dumont, plus déconcertant que jamais, se +fit affilier à la loge franc-maçonnique de Mâcon, la Parfaite Union, et +le 17 décembre il fut reçu _maçon_[98]. À quelle nouvelle déroute morale +était-il donc en proie, lui royaliste et prêtre, pour s'unir au parti du +libéralisme et de la libre pensée? Lamartine n'a-t-il pas voulu l'en +excuser lorsqu'il écrivait: «Son âme était un chaos comme la société +nouvelle, lui-même ne s'y reconnaissait plus». + +[Note 98: Les procès-verbaux des deux séances ont été copiés par M. +Maritain et figurent dans le dossier qu'il avait réuni sur Dumont.] + +À tout cela, il faut ajouter que l'abbé Dumont avait conservé des +habitudes de dépense et de luxe qui cadraient mal avec ses humbles +fonctions. Dans toutes les lettres que Lamartine lui adressa et qui +figurent dans la _Correspondance_, on voit qu'il ne s'agit que d'argent: +«J'espère aller à la fin de l'automne vous délivrer de vos huissiers...» +«Permettez-moi de vous offrir une seconde petite offrande de cent écus +pour vous remettre à votre courant...» Et ceci, plus significatif +encore: «Ma mère m'a informé de vos embarras que je prévoyais bien tôt +ou tard devoir vous accabler, mais il y a remède: vous auriez dû, au +lieu d'attendre l'huissier, m'écrire: Je dois tant à tels et tels, à +telle époque...» La lamentable correspondance se poursuivit jusqu'au +dernier jour: «Je continuerai mon petit supplément, vos dettes seront +payées peu à peu...» «Dites à tous vos créanciers à qui j'ai signé vos +petits billets qu'à mon arrivée à Saint-Point ils pourront les apporter +et seront payés[99]...» + +[Note 99: Cf. _Correspondance_, t. IV, p. 41, 69, 84, 134, 203, +271.] + +Et ce n'était pas pour le bien de ses paroissiens que l'abbé Dumont se +ruinait ainsi; il aimait le luxe et avait meublé sa petite maison, toute +pleine de douloureux et charmants souvenirs du passé, comme un nid +d'amoureux plutôt que comme une cure de campagne. On a déjà vu qu'à sa +mort on vendit des objets de valeur, et voici une épître en vers +adressée par M. de Montherot à Lamartine son beau-frère, et où l'on +trouve un passage qui éclaire encore la situation obérée de l'abbé: + + Ainsi, pour commencer, parlons de nos affaires, + Ou de celles, plutôt, du curé de Bussières: + Donc ce pauvre pasteur qu'un déficit chargeait + Verra, grâce à vos soins, s'éclaircir son budget. + Vous avez bien raison: pour une faible somme, + Il est doux d'assurer le repos d'un brave homme. + Qu'il le doive à nous deux ou plutôt à nous trois; + Votre mère fait mieux que vous et moi, je crois. + La douleur s'adoucit au miel de sa parole, + Nous donnons des écus, elle plaint et console; + À la reconnaissance elle a bien plus de droits. + J'ai ri de bien bon coeur, je l'avoue, à la liste + De tous les créanciers qu'il traînait à sa piste: + Entre autres y figure un marchand d'objets d'arts, + Trésors qui de l'abbé fascinaient les regards, + Des tableaux, des émaux....--Ah! que ma cheminée, + Pour quatre ou cinq cents francs, paraîtrait bien ornée! + Mais je ne les ai pas, ces quatre ou cinq cents francs!-- + --Je vous ferai crédit, vous paîrez dans quatre ans.-- + Et voilà, pauvre abbé, voilà comme on s'enfonce! + --Et voilà justement comme mon pauvre Alphonse, + Dit votre bonne mère, autrefois calculait: + Il avait à Paris cheval, cabriolet, + Lorsque 1 500 francs étaient, pour une année, + La somme à l'étourdi par son père donnée[100]! + +[Note 100: _Archives de Saint-Point_. La lettre est datée du 25 mars +1828. _Suscription:_ «À monsieur de Lamartine, chargé des affaires de +France, Florence, Toscane».] + +Mais, malgré l'inépuisable coeur de Lamartine, l'abbé Dumont s'endettait +toujours. À sa mort, il laissait un passif de 4 252 francs qui ne fut +pas entièrement liquidé par la vente publique de ses meubles, d'autant +qu'il avait déjà pris soin de distraire l'argenterie de sa succession +pour la remettre à son frère, huissier à Mâcon, en lui recommandant bien +de répudier l'héritage. + + * * * * * + +La vie de l'abbé Dumont que nous venons seulement d'esquisser ici, +mériterait d'être étudiée plus complètement le jour où les archives +épiscopales d'Autun seront classées et ouvertes au public. Comme l'a +dit Lamartine, il fut le modèle secret de _Jocelyn_, et surtout joua un +rôle très grand dans la jeunesse du poète. + +Nous savons qu'en 1798, lorsque le culte fut rétabli à Bussière, Destre +et Dumont ouvrirent une petite école pour les enfants du pays. Lamartine +y fréquenta trois ans--, sa mère l'a mentionné plus tard,--mais ces +leçons furent insignifiantes. + +Par la suite il apprit à mieux connaître son ancien maître et la façon +dont il en a parlé dans toute son oeuvre prouve que de 1810 à 1820, +pendant les longues années qu'il passa à Milly et à Mâcon en proie à un +accablant malaise moral, le curé de Bussière fut son confident habituel +et connut tous les détails de cet état d'âme maladif que reflète la +_Correspondance_. Sans doute le prêtre sans vocation reconnut-il un peu +de lui-même dans cet adolescent inquiet, tour à tour dévoré par +l'activité ou meurtri par la lassitude: toutes ses aspirations +lointaines, tous ses rêves de jeunesse, ses élans, ses rêves brisés +vécurent à nouveau devant ses yeux. De là cette intimité étroite, ces +confidences de part et d'autre, transcrites par Lamartine avec tant de +fidélité. + +Plus tard, en mémoire de ces heures communes, le poète adoucit le plus +qu'il put l'existence pénible de l'abbé Dumont. Il le reçut à +Saint-Point, l'invita à Paris, le fit participer à toutes ses joies, à +toutes ses douleurs, et consacra enfin sa mémoire par un poème où revit, +purifiée et grandie, la misérable vie du pauvre curé de Bussière. La +réalité, pourtant, fut autrement tragique et émouvante. + +Peut-être Stendhal en eût-il tiré un merveilleux dénouement pour la vie +de _Julien Sorel_. Mais les choses sont ainsi: deux oeuvres romantiques +qui pourraient passer, l'une pour le type parfait du roman +psychologique, l'autre pour celui du roman d'imagination, eurent +pourtant un thème commun; bien mieux, celle du poète eut seule un modèle +vivant. + + + + +CHAPITRE II + +L'INSTITUTION PUPPIER + +(2 mars 1801-17 septembre 1803) + + +L'abbé Dumont donna à Lamartine ses premières leçons de français et de +latin; mais au début de 1801, soit que ses allures aient fini par +inquiéter la famille, soit que l'enfant devenant, comme il l'a dit, de +plus en plus impétueux et avide de liberté, les siens aient décidé de +mettre fin à cette existence demi vagabonde et paysanne, on résolut à +Milly de le mettre en pension. + +La mère, inquiète de s'en séparer, objecta ses dix ans, sa constitution +délicate; il lui fallut pourtant s'incliner comme toujours devant les +volontés de son beau-frère qui lui opposa, paraît-il, «le bien» de son +fils. + +Il existe un petit portrait de Lamartine à dix ans[101]: c'est un bel +enfant joufflu et solide, ébouriffé par ses courses dans la montagne, et +qui respire la santé; il paraît évident que l'existence au grand air lui +a pleinement réussi, et les craintes maternelles ne semblent pas très +justifiées. + +[Note 101: Appartient à Mme Fournier, née de Belleroche, +petite-nièce de Lamartine. Il a été reproduit par M. Lex dans son album +_Lamartine, souvenirs et documents_ (Mâcon, 1890).] + +Il fallut alors s'occuper de lui trouver une pension. Les maisons +d'éducation ne manquaient pas à Mâcon, et l'enfant n'y aurait guère été +dépaysé; mais les Lamartine tenaient sans doute à modifier complètement +le système adopté jusqu'ici par sa mère, puisqu'ils firent choix d'une +institution à Lyon, et d'ordre tout à fait secondaire. Mme de +Lamartine, triste d'abord de voir son fils si loin d'elle, se consola en +pensant qu'il serait surveillé de près, car elle comptait à Lyon de +nombreux parents et amis, entre autres Mme de Roquemont, sa cousine +germaine, qui devint la correspondante du petit Alphonse et se chargea +de faire régulièrement parvenir de ses nouvelles à Milly. + +On manque de renseignements précis sur la pension de la Caille, située +dans un faubourg de Lyon, la Croix-Rousse, où fut interné l'enfant. Elle +était tenue par deux vieilles filles, les demoiselles Puppier, aidées +par leur frère, et semble n'avoir été qu'une très modeste institution où +l'on prenait de jeunes enfants dont les parents habitaient la campagne. +Dans son journal, Mme de Lamartine l'appelle «l'Enfance», constate +qu'elle paye, pour son fils 420 francs par trimestre, mais n'en parle +pas autrement. Pour Lamartine, il n'y a qu'à se reporter à ses +Mémoires[102] pour voir le dégoût profond qu'il conserva toute sa vie de +l'heure où il fut «lancé dans ces cours comme un condamné à mort dans +l'éternité». Avec l'horreur de la contrainte qu'on lui connaît, on peut +croire à la sincérité des sentiments qu'il a exprimés cinquante ans plus +tard en rappelant cet odieux souvenir. + +[Note 102: _Mémoires inédits_ (p. 58-76).] + +On sait par sa mère qu'il entra à l'institution Puppier le 2 mars 1801, +mais les nouvelles qu'elle recevra de lui ne commencent à être +enregistrées par elle qu'en juillet, époque où s'ouvre le _Journal +Intime_. Pourtant, une lettre de M. Dareste à sa cousine datée du 30 +mars, supplée à cette lacune et constitue un excellent bulletin de +début. + +«Nous allâmes avant-hier dimanche avec M. de Roquemont rendre une petite +visite dans sa pension à M. Alphonse. Nous le trouvâmes très gai et bien +en train de s'amuser; il nous a paru content et l'on est aussi content +de lui; nous assistâmes à leur dîner. Ils paraissent très bien dans +cette pension et les demoiselles Puppier nous ont promis de nous le +confier quelquefois cet été: nous irons le chercher, mais ce ne sera que +les jours de congé[103].» + +[Note 103: _Archives de Saint-Point_. Suscription: «À madame Depra +de Lamartine à Mâcon, Saône-et-Loire». (_Lettre inédite_.)] + +Les nouvelles qui suivent sont satisfaisantes: en juillet c'est un «bon +et aimable enfant», et Mlle de Lamartine, au retour d'un petit séjour +à Lyon, «rapporte tout plein de bien d'Alphonse». Il est gai, appliqué +et apprend facilement, écrivent les maîtres de leur côté; mais tout cela +ne concorde guère, trouve-t-elle, avec ses lettres qui sont tristes et +navrantes. Le père alors, profite d'un voyage d'affaires pour s'arrêter +à Lyon vers la mi-juillet: il le trouve «pâle et maigre», étiolé par +l'air de la ville. Pourtant, on est toujours très content de lui, à la +pension: «Il fait tout ce qu'il peut et peut tout ce qu'il veut, ont dit +ses maîtres à mon mari», constate la mère avec quelque fierté. Mais elle +s'inquiète encore de sa santé et le laisse sans doute trop entendre, car +les lettres de son fils se font de plus en plus désespérées. Il supplie +qu'on le rappelle à Milly, et, prétend-il sombrement, il a «grand besoin +de venir». + +«Je tremble, écrit Mme de Lamartine le 17 septembre, de le voir +arriver pâle et maigre et en mauvaise santé.» Devant ses instances, son +beau-frère consentit à avancer la date des vacances et, à la fin du +mois, elle put elle-même aller le guetter sur la route de Lyon. + +Toutes ses craintes tombèrent en le voyant et elle devina vite la petite +ruse dont il s'était servi pour l'apitoyer, puisqu'elle écrit le 19: + +«La diligence est arrivée hier beaucoup plus tard que d'ordinaire, et le +coeur me battait en pensant que dans quelques heures je reverrais mon +cher enfant; il faisait presque nuit. Enfin elle arriva, avec mon +Alphonse que je trouvai en très bonne santé, grandi, engraissé et fort +bien; il me paraît qu'il n'a rien perdu pour la piété: c'était là toute +ma crainte, et je vais faire tout ce qui dépendra de moi pendant son +séjour ici pour fortifier ce sentiment dans son coeur.» + +L'enfant, d'ailleurs, retrouva toute sa gaieté à Milly où il demeura +jusqu'à la mi octobre. La famille s'amusait, après six mois d'absence, +de le trouver changé et réfléchi. «À dîner, note un jour Mme de +Lamartine, nous parlâmes beaucoup de lui, trop peut-être; nous lûmes un +extrait de sa façon et une petite composition que son père lui avait +donnés à faire; l'on fut très content et mon orgueil bien flatté.» «Je +suis bien heureuse de son intelligence, ajoute-t-elle encore; j'ai à lui +reprocher pourtant de manquer de douceur, vis-à-vis de ses soeurs +surtout, et je craindrais qu'il n'eût le caractère un peu dur s'il ne se +corrige pas.» + +Aussi s'efforcera-t-elle de ne pas lui laisser reprendre les habitudes +d'autrefois, en le retenant le plus possible près d'elle par des +lectures et des causeries; comme il est plus grand, elle abordera même +des ouvrages sérieux, _Télémaque_, quelques passages de Bossuet et les +traités d'éducation de Mme de Genlis. Le 15 octobre, elle le ramena +enfin à Lyon, où elle demeura près d'une semaine, en allant chaque jour +l'embrasser pour qu'il ne passât pas trop brusquement de la vie de +famille à l'internat. + +La seconde année scolaire (novembre 1801-septembre 1802) fut encore +excellente; le 25 février 1802, il assista à la grande revue donnée en +l'honneur du Premier Consul et cette récompense était méritée, +paraît-il, par 18 exemptions. À la fin de septembre, il écrivit +triomphalement à Milly pour annoncer qu'il avait remporté deux prix de +latin et de français; M. Puppier confirmait, mais ajoutait qu'il en +aurait eu un troisième «sans une vivacité qui lui a fait déchirer sa +copie de thème parce qu'on le pressait un peu pour la donner». + +De fait, il était très énervé et soupirait après Milly dans toutes ses +lettres. Il y arriva le 15 septembre et l'on partit bientôt pour +Saint-Point, d'où Mme de Lamartine écrivait le 2 octobre: «Je suis +ici depuis hier avec Alphonse, Cécile et Eugénie, et ce voyage leur a +fait un extrême plaisir. Alphonse est venu à cheval sur son âne, il +était comblé de joie.» + +Les vacances s'écoulèrent paisiblement en compagnie de l'abbé Dumont +qui, venu pour passer quelques jours au moment de la chasse, fut +émerveillé des progrès de son ancien écolier. Mais après deux mois de +liberté où l'amour de l'indépendance s'affirmait sans cesse chez +l'enfant, à la grande inquiétude de la mère, le retour à Lyon fut +déchirant. Une dernière fois, il implora qu'on le gardât et, devant le +refus du père et de l'oncle, il partit «sombre et renfermé», ce qui +acheva de désespérer la pauvre femme. + + * * * * * + +Ses pressentiments étaient justes. La pension Puppier devint, cette fois +pour tout de bon, insupportable à un enfant dont l'imagination +commençait à s'éveiller et qui jusqu'ici avait montré une nature assez +décidée. Le 9 décembre 1802, deux mois à peine après avoir quitté Milly, +il s'enfuit avec deux camarades, les petits de Veydel; on les rattrapa +quatre heures après sur la route de Mâcon. Les détails de cette évasion +sont plaisamment rapportés par Lamartine, mais rappellent curieusement +un épisode des _Confessions_ de Jean-Jacques. + +Faut-il croire à ce pugilat entre un professeur et l'élève Siraudin? +faut-il croire à cette arrivée des domestiques et des cuisiniers, armés +de broches et de pelles, et qui mirent ainsi fin au combat en +contraignant Siraudin à la retraite? De même, le massacre d'une oie +vivante où tous les élèves furent conviés à tour de rôle acheva-t-il de +décider à la fuite l'enfant «encore frémissant d'horreur» de la bataille +qui venait de se livrer en classe? Pauvres excuses en vérité, et +n'eût-il pas mieux valu avouer qu'il était simplement avide de grand air +et de liberté? Sa mère, d'ailleurs, a noté l'escapade--qu'elle excuse +presque--en des termes qui laissent entendre que la conduite de son fils +laissait depuis longtemps à désirer, et qu'il n'eut pas besoin de tant +d'incidents pour motiver sa décision; on lit en effet le 15 décembre: + +«Le 11, nous reçûmes des lettres de Lyon ou on nous apprenait +qu'Alphonse s'était en allé de sa pension avec MM. de Veydel qu'il a +engagés dans sa fuite; on les a rattrappés à Fontaines. Cette faute nous +a fait la plus grande peine parce qu'elle a été précédée et suivie de +plusieurs autres et soutenue avec beaucoup d'orgueil, ce qui m'afflige +très fort. J'attends avec impatience de ses nouvelles, j'ai un grand +désir de le savoir relevé de cette chute; son caractère d'indépendance +m'effraye, et je crains beaucoup de l'avoir gâté.» + +Trois jours après, l'enfant écrivit spontanément une lettre de regret, +c'est du moins la version du _Journal intime_; dans le _Manuscrit de ma +mère_, on lit au contraire: «On a eu de la peine à lui faire écrire une +lettre d'excuse et de repentir à son père». «Ainsi, tout est réparé», +ajoute Mme de Lamartine avec soulagement en transcrivant cette +nouvelle. Pourtant, il continuait à implorer son père de le laisser +revenir, arguant que depuis sa fuite il était mal vu de tous. On +convint, pour ne pas sembler lui donner raison, de laisser s'achever +l'année scolaire et, si les choses n'étaient pas alors oubliées, de le +changer d'établissement. + +Mais, jusqu'à la fin de l'année, l'enfant continuera d'envoyer des +lettres désespérées et suppliantes dont Mme de Lamartine a transcrit +les passages les plus inquiétants pour elle; visiblement, il essayait +d'apitoyer sa mère qu'il savait faible sur le point de sa santé. À l'en +croire, il était incapable de travailler, toussait et se sentait sans +forces, ce qui ne l'empêcha pas de remporter en fin de classes un grand +prix de français, un prix de latin, un prix d'histoire et un accessit de +dessin. Peut-être les Puppier avaient-ils été un peu indulgents dans +l'espoir de le réconcilier avec la pension, mais rien n'y fit. Dès son +retour à Milly, l'enfant, dont la sensibilité était déjà très délicate, +raisonna avec beaucoup de bon sens, objecta à son père que depuis son +escapade il était demeuré gêné vis-à-vis de ses maîtres et de ses +camarades et, mettant comme toujours sa mère avec lui, obtint presque +aussitôt la promesse qu'il ne retournerait plus à Lyon. + +Mme de Lamartine, qui n'aimait guère les Puppier, s'était déjà mise +depuis six mois en campagne pour les remplacer; en février, alors +qu'elle était à Rieux chez sa mère, elle lui avait demandé conseil et +Mme Des Roys, qui datait d'une époque où les enfants comptaient fort +peu, avait indiqué un collège de Jésuites à Radstadt. Sa fille, comme on +peut le penser, ne voulut pas en entendre parler. Plus tard, il fut un +instant question de Roanne et en mai elle se rendit tout exprès à Beaune +pour se renseigner elle-même sur un lycée dont on lui avait parlé, +«mais, dit-elle, il ne me plut pas infiniment». Elle crut avoir trouvé +en apprenant qu'un bon collège allait s'ouvrir à Cluny: «J'espère que +nous y mettrons Alphonse, écrira-t-elle aussitôt, cela me fera grand +plaisir». On devine pourquoi: Cluny étant à quelques kilomètres de +Milly, elle aurait ainsi son fils tout près d'elle. C'est ce que l'oncle +voulait éviter. + +Au début de septembre enfin, des amis qu'elle avait mis au courant de +ses recherches lui parlèrent du collège de Belley en Dauphiné et qui +venait d'ouvrir ses portes. Malgré l'éloignement, elle fut aussitôt +séduite par cette idée et elle a noté le 6 septembre dans son journal: + +«J'espère que mon mari consentira à mettre Alphonse à Belley où je +désire fort qu'il soit parce que le collège est tenu par les Pères de la +Foi, institution à l'instar de celle des Jésuites, et où les principes +sont excellents. Dieu me fasse la grâce que mon enfant soit +chrétiennement élevé, je sacrifierai à cela toutes les sciences de ce +monde; mais dans ce collège on réunit tout, excepté peut-être la +perfection des arts d'agrément.» + +Ses renseignements pris, elle fit part de sa découverte à la famille et, +le 18 septembre, obtenait son consentement. Le jour même le chevalier +écrivit à Belley, un peu malgré son fils tout à l'espoir qu'on le +garderait à Milly; l'idée d'être emprisonné à nouveau, et plus loin +encore que Lyon, le chagrinait beaucoup et tout au plus se résignait-il +à Cluny. La mère ébranlée commençait à hésiter; mais il était trop tard: +François-Louis ne voulait pas de Cluny, et une réponse affirmative de +Belley parvint à Milly le 25. + +Mme de Lamartine se décida alors à accompagner son fils. «Mon mari, +dit-elle, ne se soucie pas de voyager et je serai bien aise de voir le +lieu où mon enfant sera; il me semble que je sens moins vivement notre +séparation lorsque je le conduis moi-même.» Ils se mirent en route le 24 +octobre pour arriver à Belley le 26 à deux heures de l'après-midi. + +Elle note le lendemain: «Mon voyage a été heureux et pas trop pénible; +je n'ai pas pu écrire en route à cause d'Alphonse avec qui je causai et +me promenai. Je viens de remettre ce cher enfant entre les mains des +Pères de la Foi qui ont l'air de bien dignes gens. La maison est +superbe, le pays est beau aussi; le chemin pour y arriver est fort +extraordinaire: depuis Ambérieu l'on suit une gorge de montagne qui est +vraiment curieuse. Ce matin j'ai été à la pension et j'ai été fort aise +de voir Alphonse. Il m'a dit qu'il était content.» + +Après un bref séjour de quarante-huit heures, Mme de Lamartine reprit +le chemin de Milly. La séparation n'avait pas été trop pénible, grâce à +elle: «En passant une dernière fois devant la pension, dira-t-elle, j'ai +vu les écoliers qui jouaient dans la cour. Je n'ai fait aucun signe à +Alphonse qui ne s'est pas approché, heureusement.» + + + + +CHAPITRE III + +LE COLLÈGE DE BELLEY + + +Le collège de Belley où l'enfant fera les seules études régulières qu'on +lui connaisse, et pendant quatre années seulement, avait été fondé au +milieu du XVIIIe siècle par lettres patentes du 10 février 1753 +enregistrées en parlement de Dijon. Ses constructions furent achevées en +1764 et l'évêque de Belley confia l'organisation des études à la +congrégation des chanoines réguliers de Saint-Antoine. + +En 1790, ceux-ci furent remplacés par les Joséphistes et, jusqu'en 1792, +l'établissement fut très florissant. À cette date, la plupart des pères +refusèrent le serment à la constitution civile du clergé et le collège +disparut. Il rouvrit en 1802 sous la direction des Pères de la Foi, qui +rétablirent entièrement les locaux ruinés par la Révolution et ouvrirent +leurs classes à la fin de janvier 1803. Comme le collège fut à nouveau +fermé, et cette fois définitivement, au début de 1809, on voit que le +séjour de Lamartine à Belley coïncide à peu de chose près avec son +éphémère existence sous la direction des pères de la Foi. + +Dans son journal Mme de Lamartine nomme Belley, «un établissement à +l'instar de ceux des Jésuites»; Lamartine, et après lui la plupart de +ses biographes, ont simplifié en parlant seulement de Jésuites. C'est la +mère qui a raison, puisqu'on sait que la Compagnie de Jésus ne fut +rétablie qu'en 1814. Toutefois, si les Pères n'étaient pas +officiellement des Jésuites, on les désignait en réalité sous ce nom, +car leurs doctrines et leurs principes d'éducation étaient identiques à +ceux de l'Ordre; la société des Pères de la Foi, fondée en 1799 en +Autriche, était en effet le résultat d'une fusion entre deux filiales +des Jésuites: celle du Sacré-Coeur de Jésus créée en 1778 et celle de la +Foi de Jésus qui datait de 1797. + +La congrégation des Pères de la Foi profitant de l'apaisement qui +commençait à renaître en France vint fonder en 1802 plusieurs maisons +d'éducation entièrement conçues d'après les plans des anciens Jésuites, +au nombre desquelles figurait le collège de Belley. Très protégé au +début par le cardinal Fesch, oncle de Napoléon, ce ne fut pourtant qu'au +prix de mille difficultés qu'il put prolonger son existence jusqu'au +début de 1809, tant l'hostilité était alors générale contre +l'enseignement des Jésuites et, finalement, Fouché obtint de l'Empereur +un décret de dissolution. + +Au moment où Lamartine entrait à Belley, l'établissement était loin +d'être à son apogée; il connut sa plus belle année en 1806, mais dès +1803 une centaines d'élèves y fréquentaient, Italiens pour la plupart ou +Français de Savoie et de Dauphiné. + +Lamartine a, paraît-il, laissé une description fidèle du collège et du +décor magnifique de Belley[104] dont on verra plus loin l'indéniable +suggestion sur sa pensée. Quant à ses maîtres, nous en sommes uniquement +réduits à ses souvenirs pour connaître leurs noms et leurs fonctions. + +[Note 104: Dejey, _op. cit._] + +C'était d'abord le père Debrosses[105], supérieur, «qui n'était pas +homme de premier mérite mais de première vertu»; le père +Jenesseaux[106], économe de la maison, «vêtu moitié en religieux, moitié +en mondain» et toujours en route «sur un cheval qui le portait dans tous +les pays»; le père Varlet[107], qui cumulait, paraît-il, les fonctions +de confesseur et de professeur de rhétorique, «savant homme de la nature +des anciens moines»; le père Demouchel[108]; le père Wrindts[109], +professeur de sciences, «enfant amoureux de Mirabeau, qui se +nourrissait d'illusions tendres et féminines», mais dont Lamartine n'a +pas dit ce qu'il enseignait. + +[Note 105: Robert Debrosses, né à Chatel (Ardennes) le 26 mars 1765, +prêtre en 1798, mort à Laval en 1848.] + +[Note 106: Nicolas Jenesseaux (et non Génisseaux, comme l'a écrit +Lamartine), né à Reims le 9 avril 1769, prêtre en 1795, mort à Paris en +1842.] + +[Note 107: Jean-Pierre Varlet, né à Reims le 11 mars 1771, prêtre en +1796, mort à Poitiers en 1854.] + +[Note 108: Étienne Demouchel, né à Montfort-l'Amaury le 10 juillet +1772, prêtre en 1802, mort à Rome en 1840.] + +[Note 109: Jean-Pierre Wrindts, né à Anvers le 6 février 1781, +prêtre en 1801, mort à Poitiers en 1852.] + +C'est surtout le père Béquet[110] qui fut le véritable professeur de +Lamartine, puisque le jeune homme suivit ses cours de belles-lettres de +1803 à la fin de 1807. Ici encore même absence de détails chez +Lamartine: un portrait vague et un peu fade dont on ne peut tirer rien +de bien précis: «Prêtre de bonne compagnie et d'estimable caractère,... +regard fin et doux, parler gracieux;... ses corrections étaient celles +d'une mère...»: Mais aucun de ces traits vivants et que l'on devine +exacts par lesquels il peignait en peu de mots ceux qui jouèrent un rôle +dans sa jeunesse, comme l'oncle de Montceau ou le bon M. de Valmont. +C'est que la véritable influence de Belley ne fut pas celle de +l'éducation qu'il y reçut: les Pères de la Foi ne vivaient pas dans sa +mémoire comme personnalités, et leur souvenir se confondait en lui avec +celui des heures d'extase religieuse et de quiétude qu'il connut au +collège. + +[Note 110: Pierre Béquet, né à Paris le 9 janvier 1771, prêtre en +1799, mort à Toulouse en 1849.] + +Lamartine entra à Belley le 27 octobre 1803 et en sortit définitivement, +le 17 janvier 1808. Comme il soutint sa thèse de philosophie en +septembre 1807, on peut en déduire qu'il débuta par la troisième +(novembre 1803-septembre 1804), fit sa seconde de 1804 à 1805, et sa +rhétorique de 1805 à 1806. Quant au premier trimestre de l'année +scolaire 1807-1808, on ne sait trop ce qu'il devait y travailler: +peut-être quelques études préparatoires de droit et de mathématiques. + +Il est difficile, dans les souvenirs de Lamartine sur Belley, de faire +la part de l'imagination et celle de la réalité. Là, plus peut-être que +partout ailleurs, on sent l'idéalisation constante des hommes, des lieux +et des choses. Aucun détail sur ses classes, mais de curieuses +généralisations sur son état d'âme et, pourrait-on dire, sur +l'atmosphère de Belley; précieux document psychologique dont nous +essayerons plus loin de fixer la valeur et la portée. Aussi les seules +précisions que nous puissions rencontrer sur les études de Belley, +puisque la _Correspondance_ ne commence qu'en 1806 et ne comprend +d'ailleurs que quelques lettres de vacances, sont empruntées au _Journal +intime_ où Mme de Lamartine a transcrit soigneusement les nouvelles +et les bulletins. + + * * * * * + +Les premiers temps furent pénibles et la mère n'enregistre guère que des +doléances dont elle s'émeut. Visiblement l'enfant était dépaysé et cela +tendrait peut-être à confirmer ce qu'il a raconté: les pères, paraît-il, +«l'essayèrent» de classe en classe pour connaître sa véritable force; +mais il était difficile de le mesurer au juste, «la raison était +précoce, l'attention inégale». Finalement on le fixa en troisième, +«cette classe indécise où l'on peut être encore un enfant dans l'étude +des langues et un homme de goût dans la rhétorique». + +Il ne semble, d'ailleurs, pas qu'il ait fait grand chose de bon cette +année-là. Au début de mai, il entra à l'infirmerie avec une forte +fièvre, puis ce furent des maux de tête qui d'après les pères arrêtèrent +ses études et les inquiétèrent même un moment. À la fin d'août, la +pauvre mère n'y tint plus et partit pour Belley chercher son fils. «J'ai +revu mon Alphonse, écrit-elle; il était dans la cour du collège quand je +suis arrivé; il a été fort saisi en me voyant et est demeuré si pâle que +cela m'a bien inquiétée.» Sa santé était toujours mauvaise; une +croissance trop rapide l'avait beaucoup affaibli et ses douleurs de tête +étaient encore violentes. + +La veille du départ, elle assista à la distribution des prix, le coeur un +peu gros, car son fils n'eut que deux accessits; elle se consola pendant +la petite comédie qui termina la cérémonie, où il joua le rôle d'un +avocat, dont il se tira «fort bien». Puis elle causa avec ses +professeurs, et le résultat de cette conversation fut «tout à fait +satisfaisant»; on reprochait à l'enfant un peu de légèreté, mais tous +l'aimaient, et l'on était «assez content» de ses études. + +Le 6 septembre, tous deux quittèrent Belley après un dîner très gai à +l'auberge en compagnie de deux amis que Mme de Lamartine ne nomme +point, mais qui doivent être Virieu et Guichard[111]. Le 18, ils +étaient à Saint-Point où les vacances s'écoulèrent paisiblement avec +l'abbé Dumont et M. de Vaudran, venus s'y établir pour la chasse. +L'oncle gronda bien un peu devant les flâneries et l'indolence du neveu, +mais la mère objecta que les vacances seraient courtes et qu'il lui +fallait ménager sa santé. Le 7 octobre, il quitta Mâcon avec son +camarade Corcelette et le 10 se retrouvait à Belley. + +[Note 111: Aymon de Virieu, Prosper Guichard de Bienassis et Louis +de Vignet seront l'objet d'un chapitre spécial dans notre second volume +sur la jeunesse de Lamartine qui comprendra les années 1813-1820.] + +Deux jours après parvenait à Milly le premier bulletin que Mme de +Lamartine a résumé ainsi: «Il en résulte que la nature, ou plutôt la +Providence, a tout fait pour lui, mais qu'il ne répond pas comme il +devrait à tous ses bienfaits: il est dissipé, paresseux; mais je ne veux +pas transcrire ici ce bulletin. Je le garde pour qu'il le voie quand il +sera grand.» + +L'année de seconde ne fut guère meilleure, car ses études se +ressentirent souvent d'une maladie nerveuse dont les pères ne savaient +que penser; au début d'août ils conseillèrent même à sa famille de le +rappeler avant les vacances, qu'il passa d'ailleurs presque entièrement +au lit. Le 6 novembre, enfin, un peu remonté, il regagna le collège. + +Les premières nouvelles de 1806--l'année de rhétorique--ne furent pas +plus fameuses: en février, le père Béquet écrivit qu'il était «fort peu +sage et appliqué depuis les vacances» et qu'elles lui avaient fait +beaucoup de tort. Le second trimestre fut meilleur: l'on est plus +content de lui, note Mme de Lamartine; il a paru avec succès aux +exercices de Pâques et il a eu un témoignage de diligence et un accessit +de distinction; et, continuant de mériter les éloges qu'on lui +décernait, il arriva à Mâcon le 17 septembre, chargé de prix: +amplification française, amplification latine, vers latins, second prix +de version latine, et celui dont la mère est peut-être la plus heureuse, +le prix de sagesse «d'après le jugement de ses maîtres et l'approbation +de ses condisciples[112]». Sa santé aussi était excellente: «Il est plus +grand que moi de deux pouces, écrit la mère, quoiqu'un peu maigre, mais +pas du tout à inquiéter, il est fort, le teint est bon et il a fait de +grands progrès dans la vertu. C'est d'ailleurs un enfant charmant, +conclut-elle ingénument transportée; il est malgré cela fort modeste et +ce qui me fait le plus de plaisir c'est qu'il paraît avoir beaucoup de +piété.» + +[Note 112: Cf. également abbé Rochet (_op. cit._, p. 208-209), où +l'on trouve le détail du palmarès.] + +Les vacances s'écoulèrent à Milly, et à Pérone chez la tante du Villard, +à Montceau chez l'oncle terrible. Le 4 novembre il abandonna ses douces +rêveries et arriva à Belley le 7, après s'être arrêté vingt-quatre +heures à Lyon chez sa tante de Roquemont[113]. + +[Note 113: C'est au cours du mois d'octobre 1806 qu'il faut placer +l'épisode de Lucy L. sur lequel Lamartine s'est longuement étendu dans +les _Confidences_. La vérité semble extrêmement plus simple que son +romanesque récit; elle a été très heureusement rétablie par M. De Riaz, +membre de l'Académie de Mâcon, dont le travail vient d'être publié dans +le dernier volume des Annales de cette société. M. De Riaz, au prix +d'une incroyable patience et de minutieuses investigations, est parvenu, +en s'aidant des rares précisions du texte de Lamartine, à établir que le +manoir décrit par le poète n'était autre que le château de Byonne, situé +à deux kilomètres de Milly. Or, de 1800 à 1820, une seule jeune fille y +habita, dont ni le prénom ni le nom ne se rapprochent de ceux donnés par +Lamartine, puisqu'elle s'appelait Élisa de Villeneuve d'Ansouis; bien +mieux, c'était une enfant qui mourut en 1807 à l'âge de treize ans; +comme l'unique séjour qu'elle fit à Byonne se place pendant l'automne de +1806, M. de Riaz en a conclu avec vraisemblance qu'elle fut la première +héroïne de Lamartine. + +On voit par là avec quelle précaution il faut utiliser les souvenirs de +Lamartine, et ce qu'il faut penser en particulier des trente pages qu'il +a consacrées à la pseudo-Lucy L. et à leurs conversations littéraires +dont Ossian, paraît-il, faisait le fonds. Quant aux vers _ossianesques_ +qu'il lui adressa et qu'il a datés, dans les _Confidences_ de Milly: «16 +décembre 1805», il est impossible d'admettre qu'ils aient été composés +en l'honneur de la petite fille. Il est d'abord évident qu'ils sont +post-datés, puisqu'en décembre 1805 Lamartine était à Belley et non à +Milly. De plus, il ressort d'une lettre de la _Correspondance_--lettre +douteuse, il est vrai, puisqu'elle ne porte point de date bien qu'elle +figure à la fin de l'année 1808--que Lamartine connut Ossian beaucoup +plus tard. Enfin, ils sont d'une facture qui permet à notre avis de +fixer leur composition à 1810-1811. Il nous paraît probable qu'au moment +où Lamartine écrivit les _Confidences_ il retrouva cette pièce parmi ses +papiers et, soit défaut de mémoire, soit désir de grossir l'épisode +assez mince de Lucy L., il l'intercala dans son récit, en assignant à +ces vers une date qui correspondait approximativement avec le fonds de +l'anecdote; puis, pour mettre le tout en valeur, il laissa rêver sa +délicieuse imagination et broda autour de Lucy L. un commentaire +_ossianesque_ où l'on voit cette enfant de douze ans agitant le soir une +écharpe de soie blanche à la fenêtre de sa tour, et sachant «par coeur» +tous les poètes.] + +Les classes de philosophie furent satisfaisantes, et sa nature +entièrement assouplie s'accommoda merveilleusement de l'enseignement des +pères; en février ceux-ci soulignaient sa maturité précoce et sa douceur +en même temps que leur excellent résultat au point de vue des études: en +récompense, ils le nommèrent bibliothécaire du collège. Mme de +Lamartine s'en réjouit car, dit-elle, «cela l'occupe utilement et c'est +une marque de confiance». + +Nous avons quelques détails sur l'enseignement du père Wrindts, qui +professait la philosophie au collège de Belley: en effet, son cours, +copié alors par un condisciple de Lamartine, Jules Jenin, existe encore +aujourd'hui, et le chanoine Dejey et l'abbé Rochet, qui ont pu le +parcourir, l'analysent ainsi: «Sa rédaction faite en latin, écrit M. +Rochet, est d'un style sobre et élégant; on voit que le père Wrindts +s'est inspiré de l'enseignement que donnaient les Pères Jésuites au +XVIIIe siècle; les nouveautés de la philosophie cartésienne en sont +écartées et au besoin réfutées. Sur la question du concours divin, le +professeur, conformément à l'opinion généralement suivie dans la +compagnie de Jésus, prend parti pour le système de Molina et combat le +_bannesianisme_. Au sortir de la Révolution, il était urgent de +combattre les théories sociales de Rousseau: elles sont l'objet, dans +l'éthique, d'une vigoureuse réfutation.» + +De son côté, M. Dejey s'exprime ainsi: + +«Dans les cahiers de M. Jules Jenin, il manque une partie du cours, +celle où il était question de la logique formelle et des règles de la +méthode. Les fondements de la certitude et la légitimité des moyens de +la connaissance sont seuls traités dans la partie conservée par la +famille Jenin. Bien que les cahiers du père Wrindts ne soient qu'un +résumé précis, exact, écrit pour les élèves et mis à leur portée, les +principales questions de la philosophie s'y trouvent exposées avec une +grande hauteur de vue et une parfaite mesure. Attaché aux principes +supérieurs de la doctrine, le professeur suit les grandes lignes de la +philosophie spiritualiste. Il observe la plus sage prudence vis-à-vis +des nouveautés mal établies et peu conformes à la nature humaine, se +tenant à une égale distance des propositions hasardeuses de l'école +cartésienne et des théories sensualistes de Locke et de Condillac. Sur +l'accord du libre arbitre avec la grâce, le père Wrindts se conforme à +l'opinion communément admise dans la compagnie de Jésus: il se prononce +pour le système de Molina. Les théories sociales de Rousseau y sont +vigoureusement réfutées.» + +Nous avons cité ces deux fragments faute d'avoir pu prendre nous-même +connaissance des cahiers; ils ont l'avantage de concorder entièrement +entre eux et d'apporter ainsi la preuve que l'enseignement +philosophique de Belley était fondé sur les doctrines molinistes; quant +à la réfutation de Rousseau, elle n'eut sans doute pas d'autre résultat +que d'éveiller au contraire la curiosité de l'enfant: quelques mois plus +tard, à Bienassis, il dévorait _le Contrat social_ et _la Nouvelle +Héloïse_. + +Le 7 septembre 1807, Lamartine soutint avec succès sa thèse de +philosophie; le 16, il arriva à Mâcon, ayant fait, à l'en croire, la +moitié du chemin à pied, son baluchon sur le dos et chantant «comme un +troubadour[114]». Le même jour, parvenait à Milly le bulletin scolaire +que Mme de Lamartine a transcrit ainsi: + +«Beaucoup de choses qu'on y dit me font grand plaisir, et plusieurs +autres m'effrayent infiniment. Je n'espère qu'en Dieu pour sauver ce +cher enfant de tous les périls dont sa jeunesse va être entourée. On +loue son esprit, sa facilité d'apprendre, son imagination, mais en même +temps l'on se plaint de sa légèreté, de son extrême répugnance à une +application sérieuse, et de son goût pour le plaisir. L'on ajoute que la +religion qu'il aime, qu'il estime et qu'il pratique le fait vaincre ses +dangereux ennemis, mais que, si elle venait à s'affaiblir dans son coeur, +rien ne pourrait le préserver de la corruption.» + +[Note 114: _C._, I, p. 4, du 27 sept. 1807.] + +Ainsi, dès l'âge de dix-sept ans, les traits principaux du caractère que +nous connaîtrons plus tard à Lamartine: imagination, mangue d'esprit de +suite, goût du plaisir et mobilité extrême des sentiments, sont +nettement indiqués par ses professeurs. + +Son premier mot, au retour du collège, fut pour supplier sa mère +d'obtenir qu'on le gardât définitivement à Milly, puisque ses classes +étaient terminées; comme il était «extrêmement grand, mais très maigre», +Mme de Lamartine, qui redoutait pour son fils le surmenage, se laissa +presque ébranler. Elle se heurta au refus formel du père et surtout de +l'oncle, dit-elle, qui tenaient beaucoup à le voir commencer l'étude des +sciences. Il s'en consola avec assez de philosophie, dans ses lettres à +Guichard, repoussant d'ailleurs autant qu'il le pouvait «toutes ces +idées de collège pendant les vacances[115]». + +Après un repos d'un mois à Milly, à Saint-Point, à Pérone chez la tante +de Villard où on lut chaque jour en famille, d'après lui, «une ou deux +comédies et autant de tragédies», après les promenades à cheval, la +chasse, la lecture, la musique et le dessin qui lui firent passer le +temps «fort tranquillement», il quitta Milly le 22 octobre, et regagna +Belley en passant par Lyon où il s'arrêta quelques jours. + +[Note 115: _C._, I, p. 8, du 3 oct. 1807.] + +À cette date, Mme de Lamartine a noté qu'il commençait ses travaux de +l'année avec répugnance et découragement. La suite des événements +prouve qu'il repartait pour Belley malgré lui et très décidé à n'y plus +rester longtemps. Dès son retour, ce furent de ces lettres éplorées dont +il avait le secret et qui lui réussissaient toujours auprès de sa mère. +À la fin de décembre, les fameux maux de tête dont il savait si bien +jouer l'accablèrent à nouveau; à la mi-janvier 1808, ils devinrent +«intolérables», écrit Mme de Lamartine, et il se hasarda à demander +la permission du retour «au moins pour quelque temps». Ce qu'il ne +disait pas mais qu'on devine bien qu'il pensait, c'est qu'une fois à +Mâcon il saurait toujours s'arranger. + +La mère, «bien inquiète de tout cela», s'en fut comme d'habitude +implorer l'oncle terrible; celui-ci--était-ce un hasard?--venait de +recevoir à point une lettre charmante du neveu; il déclara à sa +belle-soeur qu'il commençait à aimer beaucoup le jeune homme et se laissa +fléchir. Aussitôt elle lui fit parvenir elle-même l'heureuse nouvelle, +mais exigea qu'il passât par Lyon où Mme de Roquemont, prévenue, lui +ferait consulter un bon médecin. Celui-ci, qui l'examina le 26 janvier, +ne lui découvrit naturellement rien de grave et diagnostiqua un peu de +surmenage intellectuel: il ordonna des bains de jambes, du lait d'ânesse +au printemps, «un régime doux et peu d'études applicantes»; à tout +prendre c'était pour le jeune malade un agréable traitement. + +Lors de son arrivée à Mâcon, le 20 janvier[116], Mme de Lamartine +devina bien sa petit ruse en constatant au contraire qu'il n'était pas +du tout changé et même moins maigre qu'à l'automne. Au fond, elle fut si +heureuse de l'avoir auprès d'elle qu'elle n'en laissa rien voir; +d'ailleurs il avait «l'air fort doux et fort sage», et c'était tout +naturel puisqu'il avait quelque chose à obtenir. Habilement, profitant +des bonnes dispositions de l'oncle adouci par sa conduite, il enleva +l'affaire en trois jours et s'installa à Mâcon pour la fin de l'hiver, +ayant obtenu, le 15 février, la promesse formelle qu'il ne retournerait +plus à Belley. + +[Note 116: Nous donnons cette date d'après le _Journal intime_, bien +qu'on trouve dans la _Correspondance_ trois lettres, datées de Mâcon 4 +et 10 janvier, et de Lyon 30 janvier; elles furent réellement écrites à +ces dates, mais en 1809. En effet, Lamartine parle dans l'une d'elles de +la conscription qui retarde son voyage à Lyon; or, nous savons, toujours +par le _Journal intime_, qu'il tira au sort le 23 janvier 1809. De plus +on rencontre dans la lettre du 10 janvier un fragment poétique qui fut +adressé à Virieu et n'est ici que recopié pour Guichard; comme ce +morceau fut composé à la fin de 1808, ainsi que nous l'apprend une +lettre de décembre de la même année à Virieu, il devient évident que la +copie en fut faite en janvier 1809 et non 1808.] + +Sa mère regretta bien qu'il ne terminât pas cette année d'études, +d'autant qu'elle était maintenant envahie par d'autres craintes, celles +de le voir livré à lui-même «dans ce temps de dissipation». Mais comme +il continuait d'être charmant pour elle et plein de bonnes dispositions, +elle oublia vite toutes ses inquiétudes. + +Telles furent les années scolaires de Lamartine; après 1808, l'influence +des Pères de la Foi, qui parvinrent à assouplir cette jeune âme rebelle, +ira s'effaçant peu à peu, et le vagabondage d'esprit remplacera l'ordre +et l'austérité morale de Belley: réaction normale et qui s'explique +aisément puisque les tendances signalées par les maîtres et réprimées +par eux vont se développer dans l'oisiveté. Ces courtes études +classiques--les seules, il ne faut pas l'oublier, que fera jamais +Lamartine--furent somme toute médiocres et ne dépassèrent pas la +banalité courante de l'époque. + +Pourtant l'influence de Belley fut profonde et décisive sur le +développement de Lamartine, mais elle s'exerça par des côtés qui n'ont +rien de scolaire. En effet, si les _Méditations_ ont leurs sources +littéraires, de courants très divers, dans la période qui s'étend de +1808 à 1817, deux de leurs sources morales, pourrait-on dire, datent du +collège de Belley: et ce sont les plus originales de l'oeuvre, celles +qui, d'après la critique du temps, fixèrent les conditions de la +rénovation poétique: poésie religieuse et sentiment sincère de la +nature. + +C'est à Belley que les germes laissés par la première éducation +maternelle s'épanouirent complètement, aidés par un élément qu'il n'a +pas manqué de souligner lui-même et qui a toute son importance chez une +âme sensible et imaginative comme la sienne: celui du _décor_ de la +religion. + +Ce ne sont plus à Belley les cloches paysannes de Saint-Point et de +Milly, ni les humbles et brèves cérémonies des églises de campagne dont +il ne goûtera qu'infiniment plus tard le charme et la poésie: au début, +ce qui frappa d'abord le petit villageois étonné qu'il était, ce fut +l'écrasante splendeur de la religion catholique et, comme il l'a dit, +«les cérémonies prolongées, répétées, _rendues plus attrayantes_ par la +parure des autels, la magnificence des costumes, les chants, l'encens, +les fleurs, la musique», et nous savons que l'évêque de Belley officia +souvent dans la chapelle, que le cardinal Fesch, protecteur du collège, +vint deux fois, avec un imposant et magnifique cortège de prélats. + +Qu'on ajoute à cela le cadre naturel de Belley, ses forêts, ses rocs, +ses torrents, et où les Pères de la Foi proclament la grandeur de Dieu +sans jamais perdre une occasion de frapper l'âme par les yeux, et l'on +comprendra ces heures de contemplation et de vertige moral où s'abîma +l'enfant et dont la description faite cinquante ans plus tard confine +presque à l'extase mystique[117]. + +[Note 117: _Souvenirs et Portraits_, 1, p. 69-72.] + +Ainsi, au moment de la crise de l'adolescence, à l'âge où les +impressions nouvelles sont décisives, Lamartine se trouvait en pleine +atmosphère religieuse, dirigé par des hommes qui ramènent à Dieu tous +les actes et toutes les pensées; il conservera l'empreinte ineffaçable +de cette piété sincère et profonde, qu'affaibliront un instant ses +premières crises morales. + +Si nous n'avions sur ce point que son seul témoignage, peut-être +pourrait-on le mettre en doute et n'y voir que des souvenirs +littéraires, bien que chez lui les choses vécues ou senties aient des +accents qui ne trompent pas. Déjà on en trouve un écho dans une lettre à +Virieu où il rappelle, peu de mois après son départ de Belley, «cette +pierre où nous allions prier Dieu trois ou quatre fois par jour[118]», +mais sa mère, surtout, nous donne d'autres détails. + +[Note 118: _C._, I, p. 63, du 12 nov. 1808.] + +Outre les bulletins qui mentionnent, on l'a vu, sa grande piété, elle +note avec joie pendant les vacances de 1806 que son fils lui donne «de +nouvelles consolations, et se porte de lui-même à ses pieux exercices»; +qu'en septembre 1807, au retour à Milly, il demande la permission de +passer par Lyon «pour prier à Fourvières», que chaque jour il écoute +avec recueillement les lectures pieuses que sa vivacité supportait mal +autrefois, et, enfin, elle rapporte cette anecdote qu'il faut citer +parce qu'elle est caractéristique chez un jeune homme de dix sept ans +dont la timidité s'effarouche facilement. + +«Avant-hier, écrit-elle le dimanche 8 octobre 1807, Alphonse eut une +petite épreuve, dont il se tira fort bien. En passant à Igé, je +l'envoyai faire une visite à M. d'Igé et on voulut absolument qu'il +restât à dîner. Il y avait plusieurs hommes qui tous faisaient gras, +mais point de maigre au premier service; Alphonse, sans respect humain, +dit que sa santé ne l'obligeait pas à faire gras et on lui fit une +omelette...» + +On pourrait multiplier ces exemples et confirmer ainsi d'un commentaire +précis les pages où Lamartine a rappelé ses ferveurs de seize ans. On +peut y voir la meilleure preuve d'une empreinte très affaiblie sans +doute pendant les années 1809-1817, mais dont on retrouve trace à tous +les grands moments de son existence. + +À Belley, Lamartine comprit par lui-même la religion qu'il avait connue +par les autres, et ce fut là le véritable enseignement de ses années de +collège. Sa culture intellectuelle ne date que du jour ou il fut libre +d'organiser sa vie à son gré. + + * * * * * + +Peut-être même faut-il aller plus loin encore: les premiers essais +poétiques de Lamartine datent de Belley ou tout au moins de l'année qui +suivit son départ, et nous possédons trois de ces pièces: _le Chant du +rossignol_, le _Cantique sur le torrent de Thoys_, les _Adieux au +collège de Belley_[119]. À comparer ces morceaux aux pièces légères +qu'il rima de 1808 à 1816, on s'aperçoit qu'ils sont si différents +d'inspiration, et tellement proches au contraire des _Méditations_, +qu'il est permis de se demander si ces fameuses années de fièvre +littéraire dont l'influence sur la forme de son oeuvre est incontestable +n'ont pas détourné pendant huit ans un courant poétique déjà très net en +1807. + +[Note 119: Les _Adieux au collège de Belley_ ont paru pour la +première fois dans l'_Almanach des Muses_ de 1821; les deux autres +pièces ont été recueillies par lui dans ses OEuvres (édition de +l'auteur), après avoir été publiées dans le Cours de littérature; les +_Adieux_ figurent aujourd'hui à la suite des _Méditations_, mais on ne +trouve le _Rossignol_ et le _Cantique_ que dans les _Souvenirs et +Portraits_, t. I, chap. III: «Comment je suis devenu poète».] + +Certes la forme de ces trois poèmes est loin d'être parfaite, mais ils +appartiennent à la même source que les grandes _Méditations_ religieuses +de 1819. Ce sont déjà les images larges et simples, l'accent personnel +et profondément sincère qu'il ne retrouvera que bien plus tard; même, +dans le _Cantique sur le torrent de Thoys_, apparaît à dix ans de +distance la formule unique de sa poésie: la grandeur de l'homme +supérieur à tout ce qui l'environne, parce qu'il connaît l'origine +divine des choses. Et cette idée qu'on pourrait croire empruntée à +Young, il est curieux de constater que Lamartine la présente sous une +forme poétique à une époque où il ignore encore jusqu'au nom d'Young. + +Lui-même, d'ailleurs, se rendit compte, avec son goût très sûr, que ces +trois essais étaient ses premières _Méditations_: en 1821, il publia les +_Adieux au collège de Belley_, et alors qu'il brûlait sans regret tous +les vers de sa jeunesse, dont la _Correspondance_ ne contient que +quelques fragments, il conserva le _Chant du Rossignol_ et le _Cantique +sur le torrent de Thoys_, qu'il publia de son vivant. + +Plus tard, Lamartine a rapporté ce début littéraire en le plaçant sous +l'invocation de Chateaubriand[120]; c'est en effet à Belley, mais à une +date malheureusement difficile à préciser, tant ses souvenirs sur ce +point sont confus et contradictoires, qu'il pénétra dans le monde +immense et nouveau que fut pour lui _le Génie du Christianisme_, et ce +premier contact eut une telle influence sur sa pensée qu'il mérite mieux +ici qu'une simple mention. + +[Note 120: Cf. _Souvenirs et Portraits_, I: «Comment je suis devenu +poète», et II: «Chateaubriand».] + +«Lorsque parut _le Génie du Christianisme_, a-t-il dit, j'étais au +collège chez les Jésuites... Tout en élaguant très prudemment du livre +les parties romanesques ou passionnées,... ils le laissèrent circuler à +demi-dose dans leur collège. Un abrégé en deux volumes, épuré d'_Atala_, +de _René_, et plusieurs autres chapitres trop remuants pour des âmes +déjà émues, fut mis par eux entre les mains de leurs maîtres d'études. À +titre de professeur de belles-lettres, le père Béquet posséda le premier +exemplaire. Il était trop ravi pour renfermer en lui-même son ivresse et +trop communicatif pour ne pas nous associer à son bonheur.» Suit le +récit de cette lecture faite en classe «un beau jour de printemps». + +Ces affirmations, en apparence si précises, sont en réalité +inconciliables entre elles; toutefois, en écartant ce qu'elles ont de +nettement inexact et en serrant quelque peu le texte, il est possible +d'aboutir à une hypothèse vraisemblable. + +En premier lieu, le _Génie_ parut en 1802, époque à laquelle Lamartine +n'était pas encore à Belley, mais à l'institution Puppier, où une +lecture de Chateaubriand faite par les deux vieilles filles à des +enfants de douze ans est absolument inadmissible. Il reste donc à +examiner maintenant si cette lecture peut se placer soit en famille +pendant les vacances, soit à Belley, comme il l'a dit. + +Or, Mme de Lamartine eut pour la première fois l'oeuvre entre les +mains le 19 juillet 1803, jour où elle a noté dans son journal: «Je lis +un ouvrage que je trouve excellent et qui me fait grand plaisir: c'est +_le Génie du Christianisme_, par M. de Chateaubriand; je crois que cet +ouvrage est propre à faire beaucoup de bien, et j'en trouve le style +charmant». Mais, à mesure que la lecture s'avance, les impressions +changent, et elle écrit le 29 juillet: «J'ai achevé le troisième volume +de _l'Esprit du Christianisme (sic)_, j'ai relu l'épisode d'Atala, je le +trouve trop passionné; je crois que cela pourrait échauffer la tête des +jeunes gens et, en tout, cet ouvrage qui est cependant très bon me +paraît un peu trop propre à exalter l'imagination». + +De ceci, il résulte que Lamartine n'a pas lu Chateaubriand pendant les +vacances qu'il passa à Milly de 1804 à 1807, et pour deux motifs: le +premier est que sa mère redoutait l'influence de l'ouvrage sur une +jeune tête comme la sienne; l'autre, qu'il était encore incapable à +cette époque de faire la moindre lecture en cachette de sa famille. +Ainsi, l'hypothèse de Belley reste la seule acceptable. Il reste à +examiner maintenant, d'après les détails qu'il a donnés, s'il est +possible que le père Béquet ait lu en classe, à une époque à déterminer, +des fragments du _Génie_. + +Il a parlé, on l'a vu, de deux volumes épurés; la première édition +abrégée de Chateaubriand est bien en deux volumes, mais elle est de +1808, année où il avait quitté Belley. Est-ce alors à Milly qu'il l'a +lu, au retour du collège? pas davantage, car il n'eût pas manqué d'en +faire part avec enthousiasme par de belles lettres à Virieu ou à +Guichard. Or, la _Correspondance_, qui commence à l'automne de 1807, est +absolument muette sur Chateaubriand: d'où il faut conclure que les amis +s'étaient déjà tout dit sur ce sujet et n'avaient plus à y revenir. +Ainsi, si le détail inexact des deux volumes épurés doit être écarté, +l'hypothèse de Belley se confirme davantage. + +Mais le père Béquet fut le professeur de Lamartine de 1803 à 1806 +inclusivement, et c'est donc au cours de l'une de ces trois années que +dut être faite la lecture de Chateaubriand, et comme en 1806 Lamartine +était en rhétorique et très près de ses seize ans, il paraît infiniment +probable que cette dernière date est la vraie. Au début de l'année +suivante il était nommé bibliothécaire du collège et avait ainsi toutes +facilités d'approfondir une découverte qui le laissait extasié. + +Il est possible de s'imaginer, même aujourd'hui, l'impression causée par +le _Génie_ sur la jeune génération d'alors: traitant son propre cas, +Lamartine l'a exposée avec beaucoup de chaleur et nombre de restrictions +dont les motifs sont bien postérieurs à cette première lecture: la +froideur que Chateaubriand montra toujours au disciple dont la gloire +balançait la sienne, des divergences d'opinions politiques, firent qu'il +atténua en partie ce jugement par des considérations générales assez +vives[121]; mais il voulut bien convenir que Chateaubriand fut «une des +mains puissantes» qui lui ouvrirent, dès l'enfance, les grands horizons +de la poésie moderne. + +[Note 121: Cf. _Souvenirs et Portraits_, t. I: «Comment Je suis +devenu poète»; t. II: «Chateaubriand».] + +Après cette lecture la curiosité intellectuelle de Lamartine s'éveilla, +et le _Génie_ devint pour lui une vaste encyclopédie où il puisa des +notions vagues des littératures qu'il ignorait: Chateaubriand touchait à +tous les sujets, à tous les genres, à tous les hommes; de là à courir +aux sources, il n'y avait qu'un pas, et c'est ce que fit Lamartine. Il y +a plus encore: est-il possible en effet de méconnaître les curieuses +ressemblances qui existent entre l'inquiète jeunesse de René et celle de +Lamartine? Comme René, il est «tour à tour bruyant et joyeux, silencieux +et triste, abandonnant soudain ses camarades, pour aller s'asseoir à +l'écart et contempler la nue fugitive ou entendre la pluie sur le +feuillage[122]»; son âme, comme celle de René «qu'aucune passion n'a +encore usée», cherche un objet qui puisse l'attacher et s'aperçoit +bientôt qu'elle donne plus qu'elle ne reçoit; comme René, la solitude +absolue, le spectacle de la nature le plongent dans un état impossible à +décrire» et la «surabondance de vie», les «grandes lassitudes» de René, +Lamartine les éprouve à chaque instant. Le chapitre du _Génie_ intitulé: +«Du Vague des passions» n'aura jamais de meilleur commentaire que +certaines lettres à Virieu: «Plus les peuples avancent en civilisation, +dit Chateaubriand, plus cet état du vague des passions augmente, car le +grand nombre d'exemples qu'on a sous les yeux, la multitude des livres +qui traitent de ces sentiments rendent habile sans expérience. On est +détrompé sans avoir joui; il reste encore des désirs, et l'on n'a plus +d'illusions. L'imagination est riche, abondante et merveilleuse, +l'existence pauvre, sèche et désenchantée; on habite avec un coeur plein +un monde vide et, sans avoir usé de rien, on est désabusé de tout[123].» +Dans ces lignes qui résument avec une telle précision son état d'âme +habituel Lamartine retrouvait les sentiments confus qui l'animaient et +c'était plus qu'il n'en fallait pour l'enthousiasmer. + +[Note 122: Cf. _Chateaubriand, OEuvres_, t. II (éd. Garnier, Paris, +1859), p. 82.] + +[Note 123: _Id., ibid._, t. I, p. 218.] + +Ainsi, on trouve dans Chateaubriand l'âme même de Lamartine; non pas +froidement analysée, mais mélancoliquement décrite et dans ses moindres +nuances, avec le vague et la langueur qu'il aimait. L'adolescent +mystique de Belley, enclin déjà à la rêverie et à la solitude, fut dès +la première lecture soumis à l'irrésistible attrait de cette prose +harmonieuse, et dominé toute sa vie par ce grand souvenir. Beaucoup de +ses poèmes ne sont que du Chateaubriand mis en vers, et ce ne fut pas +une des moindres causes de son succès. Et plus il avance en âge, plus +l'empreinte devient saisissante: visible déjà dans les _Méditations_, +elle s'affirme dans les _Harmonies_, pour s'épanouir dans le _Voyage en +Orient_ et certains morceaux de _Jocelyn_ ou de _la Chute d'un ange_. + +Qu'est-ce, après tout, que l'épopée conçue par Lamartine et dont nous +possédons le plan et quelques fragments, sinon un gigantesque et +poétique _Génie du Christianisme_, dont _Jocelyn_ aurait été le René, +_la Chute d'un ange_ l'Atala et dont _les Pêcheurs_, _les Chevaliers_, +_les Patriarches_ devaient être le développement de certains morceaux? + +Quant aux réminiscences de Chateaubriand, trop directes pour être +douteuses, elles sont innombrables dans son oeuvre et mériteraient une +étude spéciale[124]. Mais Lamartine, avec le goût parfait qu'il +apportait dans ses enthousiasmes littéraires, se garda de tomber dans la +pompe et le Merveilleux chrétien de Chateaubriand; les Martyrs lui +déplurent[125]; le Génie des Rêveries, les Anges de la lassitude, du +matin, du mystère, du temps et de la mort le choquèrent. De +Chateaubriand il ne conserva que les grandes images, la poésie +mélancolique et simple des choses qui passèrent sans effort dans sa +poésie avec le rythme et les nuances de la prose originale. + +[Note 124: La plupart ont été déjà signalées par M. Zyromski dans sa +thèse sur _Lamartine poète lyrique_ (1897).] + +[Note 125: _C._, I, p. 111, du 12 mars 1809.] + + + + +QUATRIÈME PARTIE + +LA FORMATION DE LA PERSONNALITÉ + + + + +CHAPITRE I + +LA VIE SOLITAIRE[126] + + +Au moment où il quittait le collège de Belley, Lamartine venait d'avoir +dix-sept ans. Ses projets, qu'il formulait alors très nettement, étaient +de trouver une situation[127]; mais les préjugés du temps et de son +milieu ne lui toléraient guère que deux carrières: l'armée et la +diplomatie. + +[Note 126: Sources et bibliographie de la quatrième partie: _Journal +intime_ (passim).--_Correspondance_ (t. I).--_«Carnet de voyage de +Lamartine»_ (publié par M. R. Doumie), _Correspondant_ du 25 juillet +1008.--Nous devons à l'obligeance de M. Duréault d'avoir pris +connaissance de l'important dossier qu'il a réuni sur Henriette Pommier, +et d'une curieuse étude, lue par lui en séance publique à l'Académie de +Mâcon et qui doit être publiée prochainement. Nous lui avons emprunté +toute la documentation du chapitre III. + +Une fois de plus, nous avons à déplorer le classement défectueux de la +_Correspondance_ et il serait à souhaiter qu'une main autorisée donnât +promptement une édition complète et vérifiée de cet inestimable +document; grâce au _Journal intime_, pourtant, nous avons pu rétablir à +leur véritable date des lettres arbitrairement ou mal datées par +l'éditeur, une dizaine environ, pour les années 1807-1813.] + +[Note 127: _C._, I, p. 23, du 22 février 1808.] + +La diplomatie, dont le côté mondain et la vie facile séduisaient +peut-être sa jeune imagination, le tentait beaucoup; mais les siens, +très sagement, ne l'y poussaient pas: à son âge, sans relations, sans +éducation solide, c'eût été manque de raison. Pour le métier militaire, +malgré les traditions de ses pères et malgré ce qu'il en a dit, il +semble l'avoir eu toujours en horreur; ses parents, d'ailleurs, ne +tenaient que médiocrement à le voir servir dans les armées de +l'Empereur: le père, pour l'occuper, songea bien un instant à l'école de +Fontainebleau, mais y renonça vite devant les supplications de sa femme +qui redoutait «le danger et la licence des armées[128]». Le jeune homme +qui connaissait l'aversion maternelle s'en servira dans les grandes +occasions, et cette menace sera pour lui le moyen suprême d'obtenir ce +qu'il désire: le jour où on lui refusera l'autorisation de faire son +droit à Lyon, il déclarera aussitôt sa résolution d'entrer dans la garde +impériale et, quelque temps après, alors que sa famille accueillera +assez mal un projet de mariage, il écrira tout net à Virieu qu'il est +prêt d'entrer définitivement au service et d'essayer de se faire tuer. +En 1814, c'est plutôt par lassitude et devant les menaces de l'oncle +irrité de tant de paresse qu'il se décidera à entrer dans la Garde du +corps. On sait par la _Correspondance_ le plaisir qu'il y prit. + +[Note 128: _J. I._, 25 sept. 1806.] + +Ainsi, devant les difficultés que soulevait la question d'un +établissement immédiat, les Lamartine patientèrent, préférant attendre +un peu plus de maturité, et le laissèrent entièrement maître d'organiser +son existence à sa guise. Il en prit très joyeusement son parti et, tout +à la joie nouvelle de l'indépendance, organisa un plan d'études où les +arts d'agrément, musique, danse et dessin, avaient aussi leur +place[129]. + +[Note 129: _C._, I, p. 23, du 22 février; p. 26, du 13 mars 1808.] + +C'était, à l'époque, un grand garçon un peu gauche[130], rendu timide +par quatre austères années de collège, et qui fuyait le monde faute d'y +savoir figurer à l'aise. Il avouait à Virieu, de plus en plus son +confident, qu'il était incapable de dire une chose aimable et de +répondre à un compliment[131]: comme Chérubin, il était amoureux de +toutes les femmes, mais n'osait guère faire un pas vers une[132]. Cette +timidité farouche désolait un peu la mère, mais lui, qui sans doute en +connaissait les véritables motifs, s'en consolait philosophiquement en +déclarant que le temps, les voyages, l'habitude guériraient tout +cela[133]. + +[Note 130: _Id._, p. 93, du 14 déc. 1808.] + +[Note 131: _Id._, p. 41, du 10 sept.; p. 95, du 14 déc. 1808.] + +[Note 132: _Id._, p. 95, du 14 déc. 1808.] + +[Note 133: _Id._, p. 95, du 14 déc. 1808.] + +Comme suite normale de cet état d'esprit dont Belley est évidemment +responsable, il se confine dans une studieuse solitude, fuit la société, +déclare qu'il est «dans la jubilation» de n'être pas encore amoureux, +indice qu'il est prêt de le devenir: pour lui toutes les femmes sont «de +petites effrontées, impudentes, coquettes, de petites ignorantes +imbéciles, malignes, médisantes, sottes et laides[134]»; son mépris pour +elles croît «de jour en jour» en dépit, avoue-t-il ingénument, de la +bonne envie qu'il aurait de les trouver «aimables et fidèles». Puis la +philosophie s'en mêle et il déclare gravement à Guichard qu'il n'y a +plus d'amour véritable dans le coeur des jeunes gens, «mais seulement un +tissu de coquetteries de part et d'autre[135]». + +[Note 134: _C._, I, p. 53, du 29 oct. 1808; p. 139, du 4 août 1809.] + +[Note 135: _Id._, p. 139, du 4 août 1809.] + +Aussi s'occupe-t-il surtout d'organiser son existence en garçon +raisonnable, et de soumettre à Virieu un plan d'études et de +lectures[136]; sa mère profite alors de cette disposition, pour +l'emmener de Mâcon à Saint-Point, car, dit-elle, «je ne suis pas fâchée +de l'éloigner de la ville à un moment où ses seules récréations seraient +des promenades le soir, fort tard, dans une société de jeunes gens dont +il est impossible que l'on soit sûr: ici il est plus en sûreté et a +l'air assez content[137]». + +[Note 136: _Id._, p. 25-27, du 13 mars 1808.] + +[Note 137: _J. I._, 26 mai 1808. Elle écrivait de Mâcon le 24 +février: «La santé d'Alphonse n'est pas mauvaise; il s'occupe beaucoup +et a plusieurs maîtres, entre autres un de danse et un de basse. Il est +assez raisonnable, mais son caractère me paraît toujours fort léger, ce +qui rend les dangers du monde bien plus graves pour lui. Nous l'en +tenons encore éloigné cette année, mais je frémis pour le moment où il +sera exposé à cette contagion affreuse.»] + +Et, de fait, ses lettres montrent quelle fut sa joie enfantine de se +retrouver à Saint-Point, où il arriva le 26 mai[138]: ce furent des +flâneries exquises dans les bois, des lectures sérieuses, des promenades +à cheval, le tout entremêlé d'un peu de musique et de quelques +délassements poétiques[139]; il sentait surtout «un redoublement d'amour +pour l'étude et la poésie[140]», et sa mère avouait ne plus le +reconnaître devant une telle docilité. + +[Note 138: _J. I._, 26 mai 1808.] + +[Note 139: _C._, I, p. 31-33, du 8 juillet 1808.] + +[Note 140: _Id._, p. 28, du 20 avril 1808.] + +Mais, avec la nature insatisfaite qu'on lui connaît et dont voici +peut-être la première manifestation, il se lassa vite de son nouveau +bonheur, il en vint à regretter Belley où, pourtant, à l'en croire, il +n'était pas heureux. «Il faut que je m'occupe beaucoup pour ne pas +m'ennuyer», confesse-t-il un jour à Virieu[141], et à Guichard, qui +l'enviait et lui annonçait sa prochaine libération, il écrivait +tristement: «Nous te verrons dans quatre ou cinq mois commencer à +t'ennuyer dans ta retraite, au milieu de tes livres, de tes bois et de +tes prétendus plaisirs; tu regretteras dans peu la société de tes amis, +les occupations et, que dis-je? peut-être même les peines du collège.... +Tu m'en diras des nouvelles[142].» Si bien qu'à la mi-septembre il fut +enchanté d'abandonner sa solitude pour se rendre à Crémieu, où Guichard +l'avait invité; la mère, toujours prudente, s'arrangea pour qu'à +l'aller et au retour il couchât à Lyon chez Mme de Roquemont. «Ainsi, +point d'auberge, ce qui pourrait être le plus dangereux.» + +[Note 141: _Id._, p. 62, du 12 nov. 1808.] + +[Note 142: _Id._, p. 31, du 8 juillet 1808; p. 35, du 26 juillet +1808.] + + * * * * * + +C'est avec beaucoup de détails que Lamartine a rapporté ce séjour dans +l'Isère, tant il en avait gardé un profond souvenir[143]: c'est en effet +à Crémieu que pour la première fois il se plongea en silence «dans un +océan d'eau trouble», ou, pour parler plus simplement, qu'il pénétra +dans une bibliothèque bien garnie; mais il a négligé de nous donner la +date exacte de cet événement si important à fixer, puisqu'en huit jours +tout l'édifice élevé par les Pères de la Foi va être détruit pour +longtemps. Nous savons par sa mère qu'il quitta Milly le 27 septembre +1808, et qu'il était de retour à Mâcon le 16 octobre. Il est certain que +Lamartine revint en Bourgogne dans un tout autre état d'esprit qu'au +départ; sa mère le constate elle-même, mais sans bien pouvoir en +comprendre les motifs, et le 15 décembre elle consigne dans son Journal +cette petite anecdote qui, rapprochée d'une lettre à Virieu[144] nous +fait assister à une transformation très sensible de l'état d'esprit du +début de l'année: + +[Note 143: Cf. sur ce séjour à Crémieu: _Mémoires inédits_, p. +116-123. Mais il a été daté par Lamartine de 1807 au lieu de 1808.] + +[Note 144: _C._, I, p. 84, du 12 décembre 1808, et _id._, p. 122, +lettre sur _Corinne_ du 1er juin 1809.] + +«Lundi nous dinâmes à Bussière chez M. Verset, le notaire du lieu; il y +avait beaucoup de monde du voisinage, l'on fut très gai, l'on chanta, +l'on fit des bouts-rimés. Alphonse fit des couplets; il a une facilité +incroyable pour tout ce qu'il veut. Il est plus que jamais tourmenté du +désir de faire quelque chose, ce que je désire aussi beaucoup. Quand je +serai à Mâcon, je tâcherai de lui trouver quelque maître de langues; il +aurait envie d'en apprendre, et je serai enchantée qu'il pût s'occuper +utilement. Je suis effrayée de son retour à la ville, soit pour lui, +soit pour moi. Il m'a bien tourmentée par son caractère inquiet, mais je +tâche de le ramener tout doucement; je supporte, c'est ma tâche +actuelle.» + +Pendant tout le mois de décembre Mme de Lamartine constate encore le +grand désir qu'il a de s'instruire, d'apprendre l'anglais et l'italien; +elle note avec effroi son attitude lorsqu'à Pierreclos ou à Montceau on +agite devant lui des questions littéraires[145]; elle se lamente sur son +aspect de plus en plus renfermé et, indice plus grave, constate qu'il a +beaucoup perdu de sa piété[146]; tout cela, rapproché de la +_Correspondance_ où l'on voit qu'à cette même époque il commence à +causer littérature» avec enthousiasme, confirme dès lors ce qu'il a dit +lui-même de ce séjour à Crémieu. + +[Note 145: _J. I._, 12 octobre. «Mercredi, nous avons dîné à +Pierreclos. Il y eut une conversation sur J.-J. Rousseau; deux personnes +de la société étaient ses zélés partisans, d'autres les réfutaient. +Alphonse les écoutait attentivement et je craignais toujours qu'il ne +prît les mauvaises impressions de préférence aux bonnes.»] + +[Note 146: _J. I._, 9 octobre, en parlant de son fils: «Hélas! comme +il est loin du seul bien qui pourrait contenter mon coeur»; et 26 +octobre.] + + * * * * * + +Au début de décembre, c'est une véritable frénésie de travail qui le +possède; il veut vivre uniquement avec lui-même, au milieu des livres, +renonce «à tout le train du monde[147]» et profite de l'ennui qu'il +éprouve pour mettre à profit sa solitude et sa jeunesse[148]. + +[Note 147: _C._, I, p. 77, du 10 déc. 1808.] + +[Note 148: _Id._, _ibid._] + +Avec sa petite expérience des derniers mois, il se demande bien où tout +cela va le mener, mais, pour s'encourager, il évoque Rousseau +travaillant en silence et préparant «de loin» ses succès[149]. Sans nul +doute, Rousseau est une des découvertes de Crémieu. La mère est +enchantée de ce programme, qu'elle approuve pleinement, car, dit elle, +«dans l'âge où il est, environné de beaucoup de séductions, il faut un +miracle pour le préserver de tant d'écueils», et par tous les moyens +elle encourage ce plan de travail. + +[Note 149: _Id._, p. 68, du 28 nov. 1808.] + +On avait compté sans l'oncle terrible que cette belle vocation +littéraire laissa fort indifférent. Au début de décembre, il fit +comparaître son poétique neveu pour lui enjoindre de renoncer à son +petit programme qu'il entendait remplacer par l'étude des sciences[150]. +Lamartine, on le sait, eut de tout temps les mathématiques en horreur: +il supplia, pleura même, mais l'oncle fut intraitable; de désespoir, +puisque, disait-il, on voulait forcer son goût et son inclination, il +commença à jouer de la Garde impériale, mit la mère de son côté et la +délégua auprès de l'oncle[151]; on finit alors par s'entendre: les +langues étrangères et les études littéraires furent conservées au +programme, mais on y ajouta les sciences. Il était trop tard: l'enfant +dégoûté avait perdu sa belle fièvre. Il ira bien chez le professeur de +mathématiques, mais «résolu à n'y rien faire du tout qu'un peu +semblant[152]» et, puisqu'on le contraignait malgré lui à mener «une vie +de fainéant», il en profitera pour s'amuser: et le voilà qui sort le +soir, se montre au concert, au théâtre, qu'il aime maintenant «à la +folie[153]» et qu'il trouve, paraît-il, le seul amusement digne d'un +homme de goût et de bon sens[154]. + +[Note 150: _Id._, p. 80, du 12 déc. 1808.] + +[Note 151: _J. I._, du 17 déc. 1808.] + +[Note 152: _C._, I, p. 86, du 12 déc. 1808. «J'avais fait les plus +beaux plans du monde de plaisirs littéraires. Mon oncle et mon père de +concert ont voulu tout détruire.»] + +[Note 153: _C._, I, p. 92, du 14 déc.] + +[Note 154: _Id._, _ibid._] + +Sa mère, alors, s'effraye: «Son caractère, écrit-elle, m'inquiète chaque +jour davantage: je lui ai fait promettre qu'il ne demanderait pas à +aller au concert, moyennant quoi j'ai promis, de mon côté, que je le +mènerais à Lyon pour quelques jours au mois de janvier.» + +L'intervention de l'oncle n'avait pas été heureuse: faute d'avoir pris +au sérieux son désir d'étudier, il avait découragé toute son ardeur; au +lieu de passer à Mâcon un hiver paisible, comme il le souhaitait, il va +partir pour Lyon s'amuser, ce qui n'était guère son intention, +contrairement à ce que l'on croyait autour de lui. Nous retrouverons +souvent cette incompréhension du caractère de l'enfant. + + * * * * * + +La mère et le fils arrivèrent à Lyon, chez Mme de Roquemont, le 17 +janvier 1809 et de suite il organisa sa petite existence; s'il faut en +croire une lettre à Virieu, il se levait tard, faisait un peu d'anglais, +flânait l'après-midi à la bibliothèque publique, et terminait sa soirée +au théâtre où il avait pris un abonnement[155]; à l'insu sans doute de +sa mère, qui prétend au contraire à la même date avoir obtenu de lui +qu'il n'irait «ni au spectacle, ni au bal masqué». La pauvre femme se +plaint de n'avoir jamais mené un carnaval aussi «dissipé»; «mais, dit +elle, c'était impossible autrement, car je voulais procurer quelques +plaisirs à Alphonse». + +[Note 155: _C._, I, p. 103, du 24 janvier 1809.] + +Tous deux étaient de retour à Mâcon le 10 mars, lui enchanté de son +voyage, elle moins; il constate alors avec un peu d'orgueil qu'il est +beaucoup moins timide qu'au départ, et qu'à Mâcon on a une certaine +considération pour un jeune homme qui a été passer l'hiver dans une +grande ville: on le croit blasé sur tout et, dit-il, «cela donne une +contenance[156]». + +[Note 156: _Id._, p. 100, du 26 février 1809.] + +Dès le retour, il avait repris ses projets d'étude et de travail[157]; +le carême se passa tranquillement à Mâcon, dans la solitude et la +lecture. Mais cette fois, s'y prenant un peu à l'avance, il demanda +bientôt l'autorisation d'aller étudier le droit à Lyon, au cours de +l'année 1809[158]. L'oncle et le père refusèrent d'abord; la mère comme +toujours s'interposa, apaisa les colères naissantes, et chacun se fit +des concessions réciproques: pour le droit, l'oncle réservait sa +réponse, mais on lui accordait soixante louis de pension annuelle, la +nourriture, le logement, et la permission d'aller à ses frais passer +l'hiver à Lyon ou à Dijon[159]. De nouveau on le détournait de ses rêves +d'étude qui n'étaient peut-être, il est, vrai, qu'un prétexte pour aller +s'amuser à Lyon. C'est que l'oncle, de plus en plus méfiant, commençait +à s'inquiéter de cette jeune imagination débordante. + +[Note 157: _C._, I, p. 106, du 26 février 1809; et p. 110, du 12 +mars 1809.] + +[Note 158: _J. I._, 7 juillet 1809.] + +[Note 159: _C._, I, p. 139, du 4 août 1809.] + +L'enfant finit par prendre son parti de cette demi-promesse, et se remit +avec ardeur à la lecture et au travail; tout le printemps et l'été se +passèrent dans une solitude absolue, à Mâcon, à Milly et à Saint-Point. +«Voici trois mois, écrit-il en juin à Virieu, que mon genre de vie est +le même absolument: travail, lecture, correspondance et petite promenade +solitaire entre les huit ou neuf heures[160].» Un tel régime finit pas +fâcheusement influer sur ses nerfs; des idées tristes l'envahirent +bientôt; en août, même, il tomba malade, crachant le sang, accablé de +violents maux de tête, et la crise morale se fit plus aiguë: «Oui, j'ai +pleuré, écrit-il un jour à Virieu, moi qui ne pleurais plus, un peu de +regret de cette partie manquée, un peu en voyant la sympathie de nos +peines, de nos idées, de nos tourments, de nos désirs, et de ce feu +sacré qui commence à te brûler comme moi, ces projets vagues, cette +tristesse, cette paresse, cette vie au milieu de la mort[161]». Et les +lettres se suivent, de plus en plus désespérées; le vague de son +existence présente et future le fait languir et mourir; il devient sage, +indifférent, philosophe sur bien des choses, il est fou, désespéré, +enragé sur beaucoup d'autres...; il devient «ours» et parle de se brûler +la cervelle, car il ne peut plus supporter la vie du plus plat, du plus +ignorant bourgeois de petite ville: «Ô beaux rêves que nous faisions +bien éveillés à neuf heures du soir sous les tilleuls de Belley, riches +projets, riante perspective, avenir incomparable, où êtes-vous?...[162]» + +[Note 160: _Id._, p. 127, du 10 juin 1809; et p. 140, du 4 août.] + +[Note 161: _C._, I, p. 143. du 4 août 1809.] + +[Note 162: _Id._, p. 148-152, du 19 août 1809.] + +Telle fut la première crise morale; il en connaîtra d'autres jusqu'en +1820 et toutes chez lui auront le même dénouement: dans les plus +affreuses détresses, un rien suffira pour lui rendre l'équilibre. + +Car Virieu finissait par s'inquiéter de cette exaltation et de ce +découragement; il lui proposa alors, pour le changer d'air, de venir +passer quelques jours chez lui au Grand-Lemps et, brusquement, la +correspondance change de thème: à la mélancolie la plus sombre, succède +un enjouement imprévu[163]; toute la vie de Lamartine sera faite de ces +contrastes et de ces revirements, dont il est parfois difficile de +saisir les motifs. Mais, cette fois, il jouait de malheur: au moment du +départ son père se cassa la jambe, et il fut obligé de le remplacer--car +c'était l'époque des vendanges--«en ayant l'air de trouver cela tout +naturel[164]». + +[Note 163: _C._ I, p. 170, du 21 octobre 1809.] + +[Note 164: _Id._, p. 175, du 9 nov. 1809.] + +Alors, il s'étourdit, profita de l'animation passagère du pays pour +mener une «vraie vie de fainéant et d'insouciant, une vie banale et +commune comme celle de tous les désoeuvrés et les imbéciles du monde, +visites, bals, soupers, promenades et je ne sais quoi[165]». + +[Note 165: _Id._, p. 176.] + +Dans l'état où il se trouvait, il était à point pour devenir amoureux, +et n'y manqua pas; cela dénoua la crise. Comme de juste, il aimait +quelqu'un qui ne pouvait pas l'aimer; avec l'imagination qu'on lui +connaît, «le voilà pris, le voilà mort». L'objet de sa passion n'était +pas une beauté, mais «toute l'amabilité, toute la sagesse, toute la +raison, tout l'esprit, toute la grâce, tout le talent imaginable ou +plutôt inimaginable», et empruntant à nouveau le vocabulaire de +Chérubin--c'était de son âge,--il terminait lyriquement: «J'en mourrai! +je le sais! aimer sans espoir, ah! comprends-tu un peu cela[166]?» + +[Note 166: _C._, I, p. 181, du 24 nov. 1809, et p. 188, du 10 déc. +1809.] + +La pauvre mère, qui elle-même avait encouragé son fils à une innocente +correspondance en vers avec la jeune fille de leur médecin de Milly, le +docteur Pascal, s'épouvanta des suites de son imprudence, et elle +écrivait le 16 décembre 1809: «Mes nuits ont été mauvaises, ce qui a été +occasionné par un chagrin que je ne puis mettre ici mais qui a été très +vif, et dont la cause n'est pas encore passée; c'est au sujet de mon +fils, et ce qui me peine le plus, c'est que je ne peux demander conseil +à personne, et que j'ai peut-être quelque reproche à me faire...»; et +quelques jours après elle ajoutait encore: «Alphonse m'inquiète toujours +beaucoup, des passions commencent à se développer, et je crains que sa +jeunesse ne soit bien orageuse; il est agité, triste, le trouble de son +âme altère même sensiblement sa santé». + +Pour couper court, on l'expédia à Lyon le 8 janvier 1810, avec +permission d'y rester autant que ses moyens le lui permettraient; même +il pourra faire son droit. «Je vois, dit-elle encore, qu'on nous blâme +généralement de le laisser ainsi sur sa bonne foi, mais on ne connaît +pas nos raisons; je suis moins tourmentée depuis qu'il est parti.» + +Après les huit jours d'usage chez Mme de Roquemont, qui, prévenue, +veilla sur lui avec une inquiète sollicitude, il réclama plus de liberté +et s'installa rue de l'Arsenal, au quatrième, «avec une vue +unique[167]». + +[Note 167: _C._, I, p. 203, du 1er mars 1810. Sur le séjour à +Lyon, cf. _id._, p. 193-240.] + + * * * * * + +Alors commença une existence exquise, la vie d'étudiant, mais sans +études: les beaux projets de travail étaient loin; il n'était plus +question des professeurs d'anglais et d'italien; la tragédie qu'il +voulait écrire fut remplacée par un vaudeville; les huit heures de +travail qu'il s'était imposées au départ, sans fréquenter personne, +«quoiqu'on dise», furent occupées à de petits voyages à Grenoble, à la +grotte de Jean-Jacques, ou à des flâneries chez les bouquinistes. De +droit, point; au bout de deux mois, il avait épuisé ses ressources, et +il fallut courir à Dijon, chez l'abbé. Le bon oncle se laissa arracher +60 louis qui ne demeurèrent pas longtemps dans sa poche; force lui fut +alors de retourner à Milly, sa «détestable patrie», où il obtînt des +tantes un peu d'argent sous prétexte de payer des dettes; puis il revint +encore à Lyon, et finalement, endetté, poursuivi, sans un sou, car on +lui avait coupé les vivres, il regagna Milly le 18 mai[168], après +quatre mois de délices, relatées avec une joie enfantine dans les +lettres à Virieu. + +[Note 168: Nous donnons cette date d'après le _Journal intime_, bien +qu'elle ne soit pas d'accord avec la _Correspondance_, où figure une +lettre datée de «Saint-Point 14 mai»; nous lui donnons la préférence.] + +Elles sont juvéniles, prime-sautières et vives, d'un piquant contraste +avec celles de l'année précédente: «Voilà enfin une partie de mes désirs +satisfaits! écrit-il à son arrivée; je m'instruis, je suis libre, je +suis indépendant, je le suis si fort que j'en deviens ridicule; mon +livre, ma chambre, mon feu et le spectacle ont trop de charmes pour +moi.» Puis c'est la description poétique de sa petite installation: + + Cellule inconnue et secrète, + Où jamais un oncle boudeur, + Où jamais un mentor grondeur + Ne viennent troubler le poète. + +Ses amis sont des «artistes», «des artistes surtout, mon cher ami! voilà +ce que j'aime! de ces gens qui ne sont pas sûrs de dîner demain! Je leur +ai dit que tu étais _comme moi_, un artiste _universel_, artiste dans +l'âme, artiste d'inclination!» + +C'est la vie de bohème, au jour le jour, et sans souci du lendemain; les +grisettes, le théâtre, le concert, les vers, tout lui est bon, même les +dettes, dont il se tire en faisant un impromptu: _Mes dettes_, qui, +d'après lui, court la ville. + +Plus tard pour les payer, il s'adressa naturellement à sa mère, qui +cette fois s'en fut trouver l'oncle et les tantes plutôt que son mari, +car le chevalier n'aimait pas les dettes: «Son oncle et ses tantes ont +eu la bonté de se charger de payer les dettes d'Alphonse, écrira-t-elle +plus tard, et sans rien dire à mon mari, ce que j'ai demandé par-dessus +tout, car j'aurais mieux aimé qu'on le laissât dans l'embarras où il +était et dont le temps aurait toujours fini par le tirer, que de +consentir qu'on détruisît absolument le repos et le bonheur de mon mari +en lui apprenant les dettes de son fils. C'est une chose qu'il a +toujours eue en si grande horreur qu'il l'aurait cru tout à fait perdu!» +L'amusant de l'affaire fut que le pauvre chevalier paya lui-même les +dettes de son fils, à son insu. En effet, la tante du Villard se +chargea, paraît-il, de la plus grande partie; mais, comme elle n'avait +pas alors beaucoup d'argent disponible, elle demanda à son frère, sous +un autre prétexte, de l'argent qu'il lui devait et auquel il ne songeait +guère, croyant qu'elle n'en avait nul besoin. + +Il fallut pourtant songer au départ, car l'oncle, cette fois, menaçait +tout à fait de se débarrasser du prodigue neveu. Ce furent de touchants +adieux à «Myrthé», sa belle, mais surtout à la liberté, «l'impayable +liberté». À ce moment, il jeta bien quelque vague coup d'oeil en arrière, +et ses projets de travail lui revinrent à l'esprit; il en prit son +parti, ne regretta rien, mais ne s'en tint pas quitte, se réservant pour +Milly où il prévoyait bien qu'un cruel ennui allait l'accabler à +nouveau: là-bas, «l'imagination et son livre anglais» le dédommageraient +de tout. + +Ce petit séjour à Lyon marque une date dans la jeunesse de Lamartine; au +retour, les dernières traces laissées par l'enseignement de Belley ont +disparu, remplacées par le goût du plaisir, de la dépense, et l'horreur +de la contrainte familiale. «Les ébauches littéraires vont se ressentir +de ce nouvel état d'esprit.» + +Lamartine, on l'a vu, était de retour à Mâcon le 18 mai. Le 19, nous le +trouvons à Milly, plus désoeuvré et enfiévré que jamais, s'ennuyant dans +son «trou», seul avec ses livres, sa plume «que rien ne stimule», son +imagination qui le tourmente. La mère, comme toujours, cherchait à +excuser son humeur un peu vive, «car il est assez naturel à un jeune +homme sans occupations forcées de s'ennuyer à la campagne». Mais, cette +fois, c'était lui qui ne voulait plus s'occuper. + +Bientôt, les idées sombres l'envahirent à nouveau et ses lettres d'alors +sont pleines d'une philosophie qu'il essaye de rendre résignée, mais où +percent le dégoût, l'amertume et la détresse[169]: à Milly, à +Saint-Point, à Montceau, il traîne son oisiveté sous l'oeil agacé du +père. Enfin, nerveux, mal à l'aise, il partit le 2 juillet à Dijon chez +l'abbé, où il retrouva un peu d'équilibre et de tranquillité. Ce furent +des lectures sans ordre, comme toujours: Montaigne, Mme de Staël, le +prince de Ligne, Young et Jean-Jacques; des paresses sans fin dans les +herbages ou dans la thébaïde. Les choses auraient été fort bien sans +«les diables de soucis de l'avenir», qui reviennent troubler sa paix de +temps à autre, et «cette tête, écrit-il à Virieu, que tu connais aussi +bien que moi[170]». Puis, apprenant que son père et sa mère allaient +arriver pour le mois d'août à Montculot, il s'empressa d'en déguerpir, +sous prétexte de mettre en train les vendanges, mais en réalité, +semble-t-il, pour chercher le repos et fuir sa famille. + +[Note 169: «Beaucoup de mes rêves, toutes mes espérances +s'évanouissent chaque jour, c'est comme les fantômes qu'on se fait la +nuit et que le premier rayon du jour dissipe ou réduit à leur juste +valeur. Et toi, mon cher ami, tu es donc aussi comme moi, tu vois que +nous avions rêvé, rêvé d'une société à notre guise, rêvé la gloire, rêvé +l'amour, rêvé des femmes comme il devrait y en avoir, rêvé des hommes +comme il n'y en aura jamais....» (_C._, I, p. 243.) Cette lettre, datée +de Milly, 14 mai 1810, est mal classée: en effet, nous savons par le +_Journal intime_ que le 14 mai Lamartine était encore à Lyon; mais comme +il écrit à Virieu dans le courant de cette lettre: «Je vais partir dans +une quinzaine de jours passer quelques semaines à Dijon», et qu'il y +arriva le 2 juillet, on peut en conclure qu'elle est du 14 juin.] + +[Note 170: _C._, I, p. 256, du 26 juillet 1810] + +Seul à Milly, il reprit sa vie renfermée; rêveur, ennuyé de la vie, il +fit ses délices du fade et mathématique _Traité de la solitude_ de +Zimmermann, se plongea dans _Werther_, dont, écrit-il à Virieu, il est +souvent tenté d'imiter la fin[171]. + +[Note 171: _Id._, p. 276, du 30 sept. 1810.] + +Sans grand enthousiasme, il essaya aussi de prendre part au concours des +Jeux floraux, mais l'affaire, comme toujours, ne fut qu'un projet[172]. +Enfin, quand les Lamartine regagnèrent Milly au début d'octobre, il +partit précipitamment pour Crémieu, chez Guichard, malgré sa mère, qui +commençait à s'inquiéter de cette nouvelle coïncidence de son départ et +de leur arrivée[173]. Il y demeura jusqu'au 7 novembre. + +[Note 172: _Id._, p. 264, du 30 août 1810.] + +[Note 173: _J. I._, 8 oct. 1810.] + +Il revint du Dauphiné apaisé et moins sauvage; en novembre, Mme de +Lamartine a noté quelques bals à Maçon où il reste «fort tard» et, pour +le retenir, elle se décida un peu à contre coeur à organiser de petites +soirées à Milly, «heureuse, dit-elle, quand je le vois ainsi s'amuser +sous mes yeux». Puis il s'installa à Mâcon dans les premiers jours de +décembre, bien à regret, mais il était sans ressources pour recommencer +l'hiver de l'année précédente. Il flânait le soir au théâtre de la +ville, se montrait assidu aux bals. Sa mère, que l'expérience aurait +peut-être dû rendre plus méfiante, mais qui redoutait surtout de le voir +vivre trop en lui-même, l'y encourageait innocemment sans prévoir les +conséquences fâcheuses pour son repos qui devaient suivre «cette petite +dissipation d'esprit». + + + + +CHAPITRE II + +LA CRISE LITTÉRAIRE. LE PREMIER AMOUR + + +Le 30 juin, Lamartine écrivait à Virieu: + +«Et moi aussi, mon ami, ne te disais-je point que je voyais s'évanouir +tous nos rêves? Hélas! il est trop vrai, que ferons-nous donc? et +pourquoi avons-nous tous deux ce je ne sais quoi dans l'âme qui ne nous +laissera jamais un instant de repos avant que nous ne l'ayons satisfait +ou étouffé? est-ce un besoin d'attachement ou d'amour? Non, j'ai été +amoureux comme un fou, et ce cri de ma conscience ne s'est pas tu. J'ai +toujours vu quelque chose avant et au-dessus de toutes les jouissances +d'une passion même vraie et pure. Est-ce l'ambition? pas tout à fait.... + +«...Je dis et je pense qu'il n'est qu'un vrai malheur: c'est de ne pas +satisfaire toutes nos facultés, en un mot toutes les fois que nous le +pouvons, fallût-il même de pénibles sacrifices. Quelqu'un qui me lirait +s'imaginerait que je me fais de la morale; mais toi, tu m'entends, tu +me comprends. Es-tu d'accord de ce que je viens de dire là? Oui, eh +bien! raisonnons là-dessus et venons à la pratique. Es-tu prêt? je le +suis, moi: nous allons faire notre code. + +«Nous renonçons pour le moment à toutes prétentions exagérées, du moins +elles ne seront plus l'unique mobile de nos actions. Nous n'écouterons +que notre propre conscience qui nous dit: Travaillez pour donner les +intérêts de ce que vous avez reçu; travaillez pour être utiles si vous +le pouvez; travaillez pour connaître ce que vous êtes capables de voir +dans la vie; travaillez pour vous dire au dernier moment: J'ai vécu peu, +mais j'ai vécu assez pour observer et connaître tout ce que ce petit +globe contient, tout ce qui était à ma portée; j'ai sacrifié à ce désir +de m'instruire une fortune précaire, quelques jouissances des sens, +quelque chose dans la sotte opinion d'un certain monde; si j'ai obtenu +quelque gloire, tant mieux! si je suis malgré cela resté ignoré, je m'en +console, j'ai été utile à moi-même, j'ai accru mes idées, j'ai goûté de +tout, j'ai vu les quatre parties du monde; si je meurs dans un fossé de +grande route, si mon corps n'est pas porté à l'église par quatre bedeaux +et suivi d'une foule d'héritiers pleurant tout haut et riant tout bas, +j'ai été aimé, je serai pleuré par un ou deux amis qui ont partagé mes +peines, mes études et mes travaux; et je rendrai à celui qui sans doute +a fait mon esprit et mon âme un ouvrage perfectionné de mes mains. Mais +votre patrie?--Ce n'est plus qu'un mot, du moins en Europe.--Mais la +société?--Elle n'a pas besoin d'un financier, d'un usurier ou d'un +boucher de plus et, en travaillant pour moi, peut-être aurai-je +travaillé pour elle[174].» + +[Note 174: _C._, I, p. 248.] + +Si ces lignes prouvent la parfaite clairvoyance avec laquelle Lamartine +se jugeait à vingt ans, elles montrent également jusqu'à l'évidence le +déplorable résultat moral de ces deux premières années d'indépendance +dont il augurait tant au sortir de Belley. Certes, elles sont l'aveu des +juvéniles chimères dont il s'est nourri jusqu'alors, et même leur amende +honorable, mais avec de hautaines restrictions qui portent l'empreinte +de la philosophie orgueilleuse et sentimentale de Rousseau. Cette +nouvelle conception de l'existence, tout aussi littéraire que la +première, est infiniment plus dangereuse: le doute, l'égoïsme et +l'amertume en sont les conséquences inévitables. + +Les premières désillusions de sa jeunesse sont vraiment insuffisantes +pour motiver cet état d'âme du moment que des influences littéraires +peuvent seules expliquer. Il payait ainsi deux années d'un incessant +vertige intellectuel contre lequel sa sensibilité et son imagination le +laissaient désarmé; livré à lui même, sans direction, sans contrôle, il +n'avait eu guère d'autres ressources que les lectures pour occuper ses +loisirs à Milly: l'abus qu'il en fit, leur choix, les conditions de sa +vie, sa nature à la fois fiévreuse et mélancolique, tout le prédisposait +à être une proie facile au mal littéraire qui ravagea sa +génération[175]. + +[Note 175: Les causes de ce «mal du siècle» sont surtout +littéraires; écartés pour la plupart de la guerre--seul mode d'activité +qu'on connût alors,--ces jeunes gens se réfugièrent avec délices dans le +monde des idées, ils lurent trop. Cf. _Génie du Christianisme_, chapitre +du Vague des passions, et Ballanche, où le cas est prévu avec une +parfaite netteté, lorsqu'il dit: «Mon fils, vous portez dans votre sein +une secrète inquiétude qui vous dévore. Les livres seuls vous ont tout +appris. Les plus hautes conceptions des sages, qui pour y parvenir ont +eu besoin de vivre de longs jours, sont devenues le lait des enfants.» +(_Le Vieillard et le jeune homme._) Cf. également une lettre de +Lamartine après sa première lecture de _Corinne_ (_C._, I, p. 117, du +1er juin 1809).] + + * * * * * + +Ce que Lamartine dévora en trois ans--de 1808 à 1812--est prodigieux, et +cela, pêle-mêle, sans plan organisé, au hasard des bibliothèques et des +cabinets de lecture. Ici, la _Correspondance_ devient véritablement +précieuse pour la spontanéité des renseignements qu'elle nous fournit, +puisque les impressions causées par le nouveau livre sont immédiatement +traduites dans une lettre à Virieu, froidement ou avec enthousiasme, +selon l'effet produit. Plus tard, soit dans ses préfaces, soit dans son +_Cours de littérature_, il reviendra sur beaucoup de ces appréciations +de la première heure: l'expérience de la vie, des raisons morales, +politiques ou littéraires dont il ne se souciait pas alors modifièrent +ses jugements de jeunesse; mais la façon dont il les formula à vingt ans +doit seule nous importer. + +L'impression devait être d'autant plus profonde que Mme de Lamartine +exerça longtemps un contrôle sévère sur les lectures de son fils, qui +prenaient ainsi la valeur du fruit défendu. Avec un pieux sentiment +d'amour maternel, le poète qui sentit combien il avait été soumis aux +influences littéraires lui fit plus tard une part qu'elle n'eut jamais +dans sa direction intellectuelle: les _Confidences_, les _Commentaires_, +certains passages remaniés du _Manuscrit de ma mère_ la montrent lisant +Homère, Tacite, Virgile, Mme de Sévigné, Fénelon, Molière, et même +les tragédies de Voltaire. + +La vérité est que Mme de Lamartine lisait peu par manque de temps +d'abord, mais surtout par méfiance de soi-même et crainte de ce qu'elle +appelle «de séduisantes idées fausses». Son Journal nous révèle ses +préférences, qui vont à saint Augustin, à Bossuet, aux Chroniques de +Joinville, à Fénelon, à La Fontaine, à Laharpe, à Mme de Genlis; elle +y puisait les principes moraux nécessaires à l'éducation de ses enfants, +et ce sont là les auteurs le plus souvent nommés par elle. + +Parfois, quelque nouveauté célèbre arrivait jusqu'à elle; mais elle +avait gardé de son éducation religieuse l'horreur de la littérature +romanesque ou sentimentale, de «l'abominable philosophie destructrice de +la religion». C'est ainsi que Chateaubriand lui paraîtra «trop +passionné», _Atala_ «capable d'échauffer la tête des jeunes gens», _les +Martyrs_ «loin d'être aussi bons moralement que beaucoup de gens le +jugent». «En tout, dira-t-elle après la lecture du _Génie_, cet ouvrage +qui est pourtant très bien me paraît un peu trop propre à exalter +l'imagination.» _Corinne_ sera pour elle «un roman invraisemblablement +écrit et avec beaucoup de prétention»; cependant elle s'y intéressera, +«quoiqu'il y ait bien des choses à dire». De même, _Roland Furieux_ +qu'elle lira seulement en 1808, lui inspirera les réflexions suivantes: +«Il y a des choses plaisantes, mais il y en a de mauvaises que je passe, +et il ne faudrait pas que des jeunes gens le lisent». + +Mais le XVIIIe siècle, surtout, sera pour elle un objet d'épouvante: +elle interdira sévèrement à son fils les _Mémoires de Mme Roland_, +«quoiqu'il en eût très grande envie»: «Je sais bien, ajoute-t-elle +mélancoliquement, qu'il peut se procurer à mon insu tous les livres +qu'il voudra, mais au moins je n'aurai pas à me reprocher de l'avoir +autorisé à cela». «On se permet trop, dira-t-elle aussi, de lire toutes +sortes de livres sous prétexte qu'il n'y a plus de danger: cela est fort +mal fait.» + +Elle ira plus loin encore: en 1813--Lamartine avait donc vingt-trois +ans,--elle profita d'un de ses voyages à Paris pour brûler ses livres, +et par hasard elle ouvrira l'_Émile_ dont elle se laissera aller à lire +quelques passages «qui sont superbes et m'ont fait du bien»; mais +bientôt le danger qu'elle a couru en s'abandonnant au charme de tant +d'idées qu'elle sait condamnées, la remplit de terreur et elle +terminera: «Cela me révolte, je brûlerai ce livre, malgré ce qu'il y a +de bon, et _la Nouvelle Héloïse_ aussi, bien plus dangereux encore parce +qu'il anime davantage les passions et qu'il est plus séduisant». +Rousseau l'effrayera toujours pour des motifs qu'elle n'explique pas, +mais qu'on devine: sa vie privée, l'anarchie politique et religieuse +dont elle le rend responsable, et son «abominable philosophie» qui +synthétise à ses yeux l'esprit du XVIIIe siècle. + +Lamartine, on le voit, eut donc quelque mal à faire ses lectures +ouvertement; d'ordinaire, il emportait son livre en promenade ou +s'enfermait dans sa chambre. À Milly et à Saint-Point d'ailleurs, il n'y +avait pas de bibliothèque; à Mâcon et à Montceau, celles de son oncle +étaient importantes, mais il n'en avait pas la disposition; il lui +restait le cabinet de lecture de Myard, à Mâcon, où sa mère nous apprend +qu'il était abonné en 1808, et Montculot, où l'abbé avait entassé deux +mille volumes qu'il légua plus tard à son neveu. Il y ajoutera les +contemporains, les nouveautés, bons ou mauvais livres, et en général +tout ce qui lui tombera sous la main. + +C'est le séjour à Crémieu, en octobre 1808, qui marqua le début de sa +fièvre littéraire. Dans quelles conditions, maintenant, va-t-il +s'assimiler ces lectures faites sans direction et sans critique, et +quelle influence vont-elles avoir sur la formation de sa personnalité? +Une théorie séduisante et facile même à appuyer sur des faits serait de +prétendre qu'il en goûta seulement les mauvais côtés, se dirigea surtout +vers Parny et son école et qu'il lui fallut la crise morale des années +1817-1819 pour se libérer entièrement de leurs derniers souvenirs. +Pourtant, à y regarder de plus près, il semble que la vérité soit +ailleurs. + +Certes, une des contradictions les plus singulières de la +_Correspondance_ est assurément ce mélange, à première vue inconciliable +et quelque peu incohérent, d'impromptus, de pièces d'almanach, d'épîtres +pompeuses, et de peintures mélancoliques ou désespérées de ses +souffrances morales. Mais c'est qu'à cette époque, et pour longtemps +encore, Lamartine qui, on l'a vu, rêva très tôt de se faire un nom dans +les lettres, tenait pour bonne la fameuse formule que les classiques +opposeront plus tard à la débordante facilité des romantiques: hors de +l'ordre moral, point de véritable mérite littéraire; il ne pourra donc +s'imaginer la gloire sous une autre forme que celle de pièces fugitives, +toujours à la mode, d'interprétations plus ou moins fidèles d'un poète +étranger, d'une tragédie bien régulière, d'un poème épique +laborieusement rimé. Et nous avons la preuve de cette conception du +métier littéraire par quelques odes intercalées plus tard dans les +_Méditations_: le Génie, l'Enthousiasme, et le Poète exilé. + +Le contraste ne manque pas aujourd'hui d'un certain piquant lorsqu'on +voit naître peu à peu dans la _Correspondance_ les premières +_Méditations_, jalousement cachées comme des essais intimes et trop +personnels, tandis que Lamartine court Paris un _Saül_ ou une _Médée_ +sous le bras: «Je vais me remettre au grand ouvrage de ma vie, écrit-il +en 1816 à son ami Vaugelas; si je réussis, je serai un grand homme; +sinon la France aura un Chapelain ou un Cottin de plus»[176]. Le grand +ouvrage, ce n'était pas, comme on pourrait le croire, ses _Méditations_, +mais un poème épique sur Clovis, qui l'occupa jusqu'en 1820. Bien mieux, +au moment où il se décidera à publier, presqu'à contre-coeur[177], les +_Méditations_, ce fut sans les soins amoureux du poète pour son +premier-né[178], et pour essayer de «lancer» ses tragédies[179]. + +[Note 176: _C._, II, p. 97; du 28 juin 1816.] + +[Note 177: _Id._, p. 337, du 25 avril 1819.] + +[Note 178: Toute l'année 1819 fut occupée par des projets de +tragédies et de poèmes épiques: _Saül_, _Clovis_, _Jepté_, _Sapho_, +etc.; enfin sa maladie et son mariage accrurent encore l'indifférence +qui accompagna la publication des _Méditations_, en sorte que l'édition +fut très peu soignée; des vers furent tronqués et d'autres omis.] + +[Note 179: _C._, II, p. 358, du 27 mai 1819.] + +Que conclure de cette perpétuelle violence à ses sentiments véritables, +sinon que ses premiers essais furent conçus seulement dans le but défini +d'atteindre à la célébrité, et qu'il renfermait soigneusement en lui +les troubles et les détresses dont débordent ses lettres? + +C'est pourquoi, au cours de ses lectures, il ne s'enthousiasmera pas +pour ceux qu'il imitait par métier; au contraire son ardeur, lorsqu'il +s'agit de Rousseau, d'Young, d'Ossian, de Mme de Staël et de +Chateaubriand, prouve que ceux-là furent les véritables éducateurs de sa +pensée et qu'il leur doit presque tout de ses aspirations tourmentées et +insatisfaites[180]. + +[Note 180: Cf., sur les influences littéraires subies par Lamartine, +l'excellent ouvrage de M. Zyromski, _Lamartine, poète lyrique_.] + +Il faut noter aussi son incompréhension absolue des oeuvres d'analyse et +de précision qui ne répondent chez lui à aucun état d'âme. Les seuls +Allemands qu'il nomme sont Goethe et Zimmermann, l'un pour son _Werther_, +l'autre pour son _Traité de la solitude_; mais les deux sujets qui +pourtant semblaient faits pour lui plaire n'eurent pas sur lui l'effet +qu'on pourrait supposer: «Je viens de lire _Werther_, écrit-il en 1809, +il m'a fait la chair de poule: je l'aime pas mal non plus. Il m'a +redonné de l'âme, du goût pour le travail, le grec; il m'a un peu +_attristé et assombri_[181].» Résultat imprévu et qu'on n'attendait +guère d'une lecture qui démoralisa la jeunesse romantique; tout au moins +peut-on l'expliquer du fait que _Werther_, oeuvre documentaire et assez +froide, ne fut jamais vécue par Goethe; instinctivement peut-être, +Lamartine ne s'y trompa point et n'y découvrit pas l'accent de +sincérité qu'il lui fallait. «Vive les Allemands pour la raison![182]» +s'écriait-il après la lecture du _Traité de la solitude_ où Zimmermann a +méthodiquement catalogué les inconvénients et les avantages de cet état +d'âme: il ne rencontrait en effet chez eux guère autre chose que la +raison, l'esprit brutal et sec d'analyse ou de classification, choses +qu'il ignore et qui cadrent mal avec sa nature mouvante et pleine de +revirements. + +[Note 181: Souligné par Lamartine. _C._, I, p. 177, du 9 nov. 1809.] + +[Note 182: _C._, I, p. 260, du 10 août 1810.] + +À cet égard, encore, l'exemple de Montaigne est tout aussi typique. La +première rencontre fut mauvaise[183], mais Virieu, d'un esprit aussi +froid et méthodique que le sien l'était peu, voulut lui faire partager +son admiration pour celui qu'il appelait son maître et Lamartine s'y +employa de bon coeur: «Je lis l'ami Montaigne, lui répond-il, que +j'apprends tous les jours à mieux connaître et par conséquent à aimer +davantage; veux-tu que je te dise ce qui m'y attache plus encore? c'est +que je trouve une certaine analogie entre son caractère et le +tien[184]». On sent alors que, bien plus par amitié que par goût, il +s'évertue à l'admirer, «l'adore», l'aime «infiniment plus +qu'autrefois[185]». Pourtant, la première impression était la bonne et +en 1811 il écrivait «...Ses idées m'amusent, mais ses opinions me +fatiguent et me blessent... il faut être froid pour se plaire à +Montaigne; je l'ai aimé tant que je n'ai rien eu dans le coeur;... tout +ce que j'aime en lui, c'est son amitié pour La Boëtie[186]». Tel avait +été le vrai motif de son admiration passagère: un seul point lui plut, +où il retrouvait un sentiment personnel, son amitié pour Virieu; le +reste lui échappa. + +[Note 183: _Id._, p. 148, du 19 août 1809.] + +[Note 184: _Id._, p. 253, du 26 juillet 1810.] + +[Note 185: _Id._, p. 260, du 10 août 1810.] + +[Note 186: _C._, I, p. 301, du 21 mai 1811.] + +Ainsi, chez, lui, tout se résume dans la première impression, et c'est +la seule qui doive compter lorsqu'il s'agit de l'étudier, d'autant qu'il +n'apportait aucun esprit critique dans ses lectures, aucune mesure dans +ses admirations et qu'il lui suffisait pour goûter une oeuvre d'y +retrouver la description d'un de ses états d'âme, un sentiment déjà +éprouvé, ou l'écho d'un souvenir; exaspérées ainsi, son imagination, sa +sensibilité, l'imagination maladive qu'il portait en toutes choses +faisaient le reste. + +Dominé par tant d'influences littéraires, il se trouvait à la merci de +toutes les chimères qu'elles allaient faire naître et la moindre +étincelle devait enflammer le brasier qu'il portait en lui. Mais il +était fatal aussi que sa première émotion du coeur dût y gagner en +violence plutôt qu'en sincérité, et le très romantique amour de +Lamartine pour la jeune Henriette Pommier, inconsciente tentative +d'appliquer à la vie les idées dont il était nourri, eut le bref +dénouement que sa nature changeante laissait prévoir[187]. + +[Note 187: Lamartine, qui se connaissait parfaitement, et souffrait +de sa mobilité de sentiments, écrivait un jour à Virieu: «Nous sommes +vraiment de singuliers instruments, montés aujourd'hui sur un ton, +demain sur un autre; et moi surtout, qui change d'idées et de goût selon +le vent qu'il fait ou le plus ou moins d'élasticité de l'air». (_C._, +II, p. 16, du 28 mars 1813.)] + +Marie-Henriette Pommier, née à Mâcon le 1er mai 1790, était fille de +Pierre Pommier, conseiller au bailliage avant la Révolution, puis juge +de paix à Mâcon, et de Philiberte Patissier de la Presle, d'une vieille +famille du pays. Elle était donc un peu plus âgée que Lamartine et c'est +ainsi, sans doute, qu'il faut entendre la disparité d'âge dont il a +parlé comme du premier obstacle au mariage qu'il avait projeté. D'autre +part, sa naissance confirme ce qu'il a dit lui-même en écrivant qu'elle +tenait d'un côté à la noblesse du pays et de l'autre à la bourgeoisie. + +Au dire de ceux qui les ont connus, les Pommier étaient d'honnêtes et +simples gens: Mme Pommier était une excellente femme très vive et +très spirituelle et qui, à quatre-vingts ans, montrait encore dans le +monde de fort belles épaules. Sa demeure était située face à l'hôtel de +ville de Mâcon devant lequel une sentinelle montait alors la garde; pour +se délasser de ses longues insomnies, elle entamait parfois une +conversation avec le factionnaire et ces duos nocturnes faisaient la +joie des salons mâconnais. + +Sa fille était à vingt ans une merveilleuse créature: M. Duréault, qui a +tenu entre les mains sa miniature exécutée à l'époque, et même un de ses +souliers de bal, affirme que le portrait laissé d'elle par Lamartine +est fort ressemblant et que «sa beauté pensive, sa taille mince, sa +démarche svelte, la grâce de ses bras, l'inimitable délicatesse de ses +pieds, la langueur morbide de son cou, son sourire à la fois charmant et +mélancolique» sont autant de détails fidèles et qui n'ont pas été +exagérés par le poète. + +Les jeunes gens se rencontrèrent en soirée, à l'un de ces bals où nous +avons vu fréquenter le jeune homme pendant l'hiver 1810-1811. Dans les +_Mémoires inédits_, Lamartine n'a nommé leur hôtesse que de son +initiale: c'était Mme de la Vernette, femme de Pierre-Bernard de la +Vernette, ancien capitaine au régiment de Navarre et chevalier de +Saint-Louis, qui, très mondaine et lettrée, recevait dans ses salons +l'élite de la société de la ville; les jeunes dansaient, disaient des +vers; les hommes causaient littérature et politique: un soir, Henriette +Pommier dont la voix était fort belle se mit au piano, et Lamartine céda +au charme[188]. + +[Note 188: Les _Mémoires inédits_ nous apprennent qu'un certain M. +F. C., domicilié à Saint-Clément-lès-Mâcon, aurait joué un rôle assez +étrange dans l'aventure, soit qu'il favorisât les entrevues des jeunes +gens chez lui, soit qu'il se proposât comme ambassadeur. Les souvenirs +de Lamartine sont-ils en défaut sur ce point? Il n'y avait en effet, en +1811, aucun M. F. C., propriétaire à Saint-Clément.] + +C'est au début de février 1811 que Guichard reçut la confidence de cette +passion naissante[189] et il faut noter que, d'après la +_Correspondance_, l'austère Virieu ne fut pas tenu au courant de tous +les détails de l'aventure. À cette date, l'amoureux n'avait pas encore +osé se déclarer et le roman en était d'ailleurs à ses premières pages, +puisqu'il annonçait à son ami qu'il allait faire «un de ces jours» une +pathétique déclaration et serait ensuite soulagé «en grande partie». +Mais, incapable qu'il était de se maîtriser, les salons de Mâcon +commencèrent à s'étonner de son assiduité auprès de la jeune fille. +Faut-il croire ici que l'oncle, connaissant le caractère fantasque du +neveu, ait tenté une diversion en le faisant admettre à l'Académie de +Mâcon malgré ses vingt ans[190]? L'hypothèse n'aurait rien +d'invraisemblable, en tenant compte des idées de Louis-François, qui +jusqu'ici n'avait guère encouragé les goûts littéraires de l'adolescent. +Quoi qu'il en soit ce fut peine perdue, sa devise du jour étant: _Rien +ne m'est tout_ (?), _tout ne m'est rien_[191]. Sa détresse, qu'il +exposait avec complaisance, entra alors dans la phase mélancolique: +Ossian, Young et Shakespeare voisinèrent sur sa table et il errait, à +l'en croire, à travers la campagne avec son chien, pleurant «comme un +enfant» à la lecture de Sterne[192]. Virieu--qui semble ignorer encore +les causes de cette nouvelle désespérance--s'en inquiéta et lui arracha +le serment de ne pas mettre fin à ses jours, ce qui lui fut accordé +somme toute avec assez de bonne volonté[193]. + +[Note 189: _C._, I, p. 289-90, du 1er février 1811.] + +[Note 190: Sur Lamartine à l'Académie de Mâcon, cf. Reyssié (_op. +cit._), qui a publié les procès-verbaux de sa réception, et le _Compte +rendu_ des travaux de cette société pour 1811, où l'on trouve une +analyse de son discours; il avait pris pour sujet: De l'étude des +langues étrangères.] + +[Note 191: _C._, I, p. 291, du 24 mars 1811.] + +[Note 192: _Id._, _ibid._] + +[Note 193: _C._, I, p. 291, du 24 mars 1811.] + +Il faut croire que mars avait vu sa déclaration; le 2 avril, en effet, +il écrivait à Guichard une lettre enflammée: «Oui, mon ami, plains-moi, +pleure sur moi! je suis bien digne de quelque pitié. J'aime pour la vie, +je ne m'appartiens plus et je n'ai nulle espérance de bonheur +quoiqu'étant payé du plus tendre retour; tout nous sépare, quoique tout +nous unisse, je vais prendre incessamment un parti violent pour obtenir +sa main à vingt-cinq ans[194].» Le «parti violent» fut de s'ouvrir à la +famille de ses projets, et l'on peut penser, comme il l'a dit, qu'ils +furent mal accueillis. Il était sans position, la dot de la jeune fille +assez mince, et l'alliance Pommier ne tentait guère l'aristocratique +Louis-François. Les Lamartine furent inébranlables, et il n'obtint pas +même, cette fois, la demi-promesse qu'on lui accordait d'habitude, en +laissant au temps ou à quelque nouvelle chimère le soin d'apaiser son +imagination. + +[Note 194: _Id._, p. 296, du 2 avril.] + +Voici pourtant chez lui l'indice d'une passion sérieuse: malgré tout son +amour de l'indépendance, écrivait-il à Guichard, il se décidera à +travailler[195]. Le projet était encore assez vague puisqu'il s'agissait +de solliciter à l'automne un emploi quelconque dans le gouvernement. +Mais l'intention connut même un semblant d'exécution. Le 24 avril, sa +mère a en effet noté qu'au cours d'une visite à Champgrenon chez les +Rambuteau il se fit présenter au comte Louis de Narbonne, ministre de +France en Bavière, qui le reçut avec amabilité et l'engagea à venir à +Paris, où il lui trouverait une situation. «Tout cela peut avoir plus de +danger, peut-être encore, que d'utilité», ajoute Mme de Lamartine. +Ainsi, bien qu'elle semble s'être fait un scrupule de rester neutre dans +la question,--c'est la seule allusion à Mlle Pommier que l'on +rencontre dans son journal--on voit qu'elle n'était pas favorable à ce +mariage et préférait encore voir son fils inactif. + +[Note 195: _Id._, p. 296-97, du 2 avril 1811.] + +La résistance qu'il rencontrait ne fit qu'aggraver, comme toujours, son +exaltation, et il décida d'employer la suprême ressource: ne pouvant +rien obtenir qui lui donnât l'assurance d'une «libre aisance», il +entrera dans l'armée «et essaiera de se faire tuer, ou du moins, +ajoute-t-il prudemment, d'acquérir un grade qui le fera vivre, sa femme +et lui[196]». Il disait _sa femme_, «parce que je la regarde comme telle +et que rien au monde ne peut nous séparer». + +[Note 196: _C._, I, p. 296-97, du 2 avril 1811.] + +L'affaire devenait sérieuse, mais les Lamartine tinrent bon. Usant d'une +tactique qui leur avait déjà réussi, ils l'expédièrent bon gré mal gré à +Montculot vers la fin d'avril. Le 20 mai il était de retour, dégoûté de +la Bourgogne qu'un «tendre attachement» ne parvenait même pas à lui +faire aimer, toujours cruellement amoureux[197], et proclamant tout haut +l'éternité de ses sentiments en même temps que la barbarie de sa +famille. À l'en croire même, Mme Pommier serait venue alors trouver +les Lamartine pour leur soumettre avec beaucoup de loyauté une lettre +d'Alphonse à _sa femme_, où il jurait que rien ne pourrait les désunir. +À tout prix, cette fois, il fallait l'éloigner; mais sur ce point il +était intraitable, à moins, sans doute, d'une occasion exceptionnelle. +Il s'en présenta une qui le fit réfléchir. + +[Note 197: _C._, I, p. 299, du 20 mai.] + + * * * * * + +Le 22 mai, Mme de Roquemont et sa fille Mme Haste, qui revenaient +de Paris, s'arrêtèrent quelques jours à Mâcon. Mme de Roquemont, de +tout temps la confidente de sa cousine, fut mise au courant de la +situation: Mme de Lamartine lui représenta «la maladie de nerfs» +d'Alphonse, «la vivacité de son âge et son imagination», en même temps +que ses conséquences actuelles. Mais que faire? elle ne voulait pas +entendre parler d'un long voyage sans contrôle possible, et préférait +encore le voir à Mâcon près d'elle; que deviendrait-il, une fois seul, +avec cette imagination ardente? + +M. et Mme Haste, prêts à partir pour l'Italie, s'offrirent alors avec +beaucoup de bonne grâce à tirer leurs cousins d'embarras en emmenant le +jeune homme avec eux, et tous les Lamartine furent d'accord pour saisir +une telle occasion; les deux oncles et les trois tantes fournirent +chacun vingt-cinq louis, et cette fois avec empressement, tandis que le +père complétait de son mieux la somme nécessaire. Le plus difficile +restait à faire: il s'agissait maintenant de décider le jeune amoureux. + +Au premier mot qu'on lui en toucha, il n'eut pas, d'après sa mère, la +moindre hésitation, et sauta littéralement de joie. Depuis deux ans +l'Italie était un de ses rêves, et il sacrifia sans regret l'autre pour +celui-là, plus neuf et immédiatement réalisable. «Il faut bien que je +rompe les liens les plus doux, écrit-il aussitôt à Guichard, que je me +condamne pendant sept ou huit mois à une douleur mille fois pire que la +mort, que j'abandonne tout ce qui m'est le plus cher dans le monde après +mes deux amis. N'en parlons plus, ne rouvrons pas les blessures trop +fraîches et trop cruelles[198]....» À Milly on pouvait respirer, car la +diversion était trouvée. + +[Note 198: _C._, I, p. 310, du 10 juin 1811.] + +Certes, dans l'intention un peu excusable de ne pas paraître trop +inconstant aux yeux de Guichard qui avait reçu la confidence de ses +désespoirs, son ancienne passion figurera par des rappels de ton dans +les premières lettres d'Italie: «Ô mon cher ami! tu ne sais donc pas +tout ce que j'ai laissé en France? s'écriera-t-il lyriquement; tu ne +sais donc pas que toute espérance est morte dans mon coeur et que, plus +à plaindre que Saint-Preux, je n'aurai connu qu'une passion sans aucune +jouissance, et qui va me précipiter dans un abîme sans fond[199]?» Les +lettres à Virieu sont d'une autre désinvolture: «Que de larmes vont +couler! lui dit-il, combien j'aurai d'assauts à soutenir pour ne pas me +dédire! mais j'ai du coeur (!) et toutes les Armides de ma patrie ne +retiendront pas un pauvre chevalier qui va courir les aventures[200]». + +[Note 199: _C._, I, p. 323-24, du 13 oct. 1811.] + +[Note 200: _Id._, p. 306, du 30 mai 1811 où l'on trouve: «...Une +occasion charmante et unique s'est présentée: ils l'ont saisie et, tout +malheureux que je me trouve de quitter pour sept ou huit mois, tout ce +que j'aime, j'en profite. La fortune ne sourit pas deux fois dans la +vie, et l'occasion n'a qu'un cheveu». Toute la lettre est d'ailleurs +incroyable de contrastes et quelque peu incohérente.] + +Le moyen, en effet, de résister au plaisir très littéraire d'aller +traîner sa mélancolie sous le ciel de Rome ou de Florence? Bien avant le +départ, l'amour d'Henriette n'était plus qu'un souvenir, et rien ne +peint mieux cette extrême mobilité de sentiments, cette âme changeante +et si vite rassasiée, soumise qu'elle est à toutes les influences +extérieures, cette imagination vagabonde que rien ne peut fixer. + +L'imagination qui venait en effet de jouer le premier rôle dans cette +aventure va trouver un aliment nouveau dans ce projet de voyage. Tout y +sera prévu minutieusement, organisé d'après un plan, rigoureux et précis +au départ, mais qui, pas davantage que les précédents, ne rencontrera +d'exécution. C'était là son véritable plaisir, et la réalisation lui +importait peu. Un jour, il demandait à Virieu des recommandations «pour +des gens instruits ou des maisons agréables[201]», un autre il +échafaudait les travaux les plus magnifiques: «Moi aussi, je ferai mon +voyage, mon itinéraire», s'exclamait-il en évoquant ses souvenirs +littéraires; et il devait revenir parlant l'italien le plus pur et le +grec[202]. + +[Note 201: _C._, I, p. 306, du 30 mai 1811.] + +[Note 202: _Id._, _ibid._] + +Tous furent enchantés de cette diversion inespérée. Mais la mère avait +fini par acquérir un peu d'expérience de son fils; elle saisissait bien +les motifs de ce revirement soudain, et lorsqu'elle écrivait: «Ce voyage +est au moins très utile en ce moment pour occuper l'activité de sa tête +et de son imagination de vingt ans», elle voyait juste, l'imagination +seule était responsable; craignant même que ce beau feu ne s'éteignît +comme les autres elle pressa le départ et l'expédia à Lyon le 1er +juillet. «Enfin, note-t-elle ce jour-là avec soulagement, tout a fini +par s'arranger à notre satisfaction et surtout à celle d'Alphonse.» + +Ainsi se termina ce petit roman dont Vignet, étonné d'un si rapide +oubli, lui reprochait au retour de Naples d'avoir perdu la mémoire[203]. +La fin en est conforme à ce qu'il a raconté: le 25 août 1813, Henriette +Pommier épousait à Mâcon Jean-Baptiste Leschenault du Villard ancien +capitaine de chasseurs, sans que son premier et volage fiancé s'en soit +désespéré; il était alors à Paris où d'autres plaisirs avaient remplacé +cet innocent commentaire de Jean-Jacques. De part et d'autre les deux +familles avaient tenu peu compte de ces enfantillages, puisque +François-Louis de Lamartine fut témoin au mariage de la jeune fille. + +[Note 203: Cf. _Correspondant_, _op._ _cit._] + +Henriette vécut aux environs de Mâcon, et elle repose aujourd'hui dans +la petite chapelle triste de la demeure où elle coula des jours sans +histoire. Regretta-t-elle, aux heures triomphales que connut Lamartine, +de ne pas partager sa gloire et de n'avoir pas réalisé son rêve de jeune +fille? La postérité, elle, n'a pas à le déplorer: Lamartine marié à +vingt et un ans n'eût pas été le poète des _Méditations_. + + + + +CHAPITRE III + +LE VOYAGE D'ITALIE + + +Le voyage d'Italie, suite imprévue mais agréable de tant d'infortunes, +n'eut pas sur le développement poétique de Lamartine l'influence qu'on +lui a trop souvent prêtée. + +Florence et Rome étaient pourtant le cadre parfait d'un amour malheureux +et le soupçon de mélancolie qu'il emportait avec lui était à l'époque un +élément indispensable pour goûter pleinement le charme des ruines et des +monuments. Au fond, ce voyage était très littéraire, ce qui l'enchanta, +tout pénétré qu'il était alors de l'Oswald de _Corinne_. Mais il partait +pour l'Italie en touriste, le crayon à la main, plus soucieux au début +de chercher des impressions que de les laisser venir à lui +d'elles-mêmes; sa _Correspondance_ et son bref carnet de voyage sont là +pour en témoigner. Huit ans plus tard, Lamartine mûri et désenchanté eût +été séduit par bien des détails qui en 1811 le laissèrent indifférent. +Ce qu'il aima surtout dans ce séjour fut l'indépendance qu'il lui +procura; les nuances, la poésie un peu triste des choses lui échappèrent +complètement. Parfois on rencontre dans ses notes quelque froide +réminiscence de Chateaubriand ou de Volney dont sa prose essoufflée +essaye en vain d'imiter le rythme; à Naples enfin, la contrainte qu'il +s'était imposée lui devint insupportable et il abandonna Pétrarque, +qu'il s'efforçait de lire sans y comprendre grand'chose[204]; grisé de +lumière et de liberté, il fut jeune, insouciant, avide de plaisir et se +laissa vivre indolemment. Nous retrouverons cet état d'âme en 1822: +_Ischia_, _Philosophie_, _le Passé_, la suave _Élégie_ des Nouvelles +Méditations, appartiennent à la même inspiration que l'_Hymne au +Soleil_, _À Elvire_ et _le Golfe de Baia_. + +[Note 204: _C._, II, p. 15, du 28 mars 1813.] + +Sans doute, on peut faire avec justesse des rapprochements entre divers +passages du _Carnet_ et certains fragments des _Méditations_; mais ces +réminiscences nous paraissent trop directes, surtout si l'on tient +compte du peu de précision de Lamartine, pour ne pas admettre qu'ayant +eu en 1819 à décrire quelques monuments ou aspects d'Italie, il ait +alors fait appel à ses notes de voyage, rédigées autrefois dans un vague +but littéraire. Quoi qu'on puisse dire, Pétrarque et Lamartine n'ont pas +de rapports. Pétrarque chanta l'amour idéal; après _le Lac_, Lamartine +pleura l'amour impossible et par la force des choses finit par tourner +au pétrarquisme, pétrarquisme infiniment plus humain, pourrait-on dire, +que celui du maître italien. Du fait que nous possédions un petit +Pétrarque ayant appartenu au poète, dont un sonnet au moins fut traduit +par lui, il serait imprudent de conclure à une influence aussi profonde +que celle d'Young, car les traductions de poètes étrangers, auxquelles +il s'astreignit souvent dans sa jeunesse, ne furent jamais pour lui que +des exercices de versification. Il n'existe dans son oeuvre aucune +ambiance italienne mélancolique ou douloureuse, car il ne connut +l'Italie qu'à des moments d'accalmie et d'insouciance où ses maîtres +furent Horace ou Catulle et non pas Pétrarque. + +En 1811, Lamartine quittait la France obsédé par les souvenirs de +Chateaubriand et de Mme de Staël et cet état d'esprit persista +pendant la première partie du voyage; à Rome, on voit par le _Carnet_ +qu'il commençait déjà à lutter contre eux; à Naples, enfin, il s'en +libéra complètement et ses vingt ans reprirent le dessus. Il +s'abandonna, ébloui, enchanté, et au thème de la vie trop longue succéda +celui de l'heure trop brève. Il est regrettable qu'il ait brûlé plus +tard toutes les poésies écrites à cette époque, mais cet autodafé +indique qu'elles devaient différer de sa seconde manière; pourtant les +trois _Méditations_ que nous avons nommées, les seules qu'il conserva, +prouvent suffisamment qu'au cours de ce séjour en Italie il lut, goûta +et comprit surtout les élégiaques latins. + +Lamartine et ses compagnons de route quittèrent Lyon le 15 juillet et la +veille Mme de Lamartine écrivait dans son journal: + +«Alphonse doit demain partir pour l'Italie; ils vont en voiture à +Livourne où M. de Roquemont a une maison de commerce; ils y resteront +deux à trois mois. De là, ils iront à Rome et peut-être à Naples. C'est +un charmant voyage pour mon fils et j'espère qu'il sera profitable à sa +santé qui n'est toujours pas très forte. Mais il sera au moins très +utile en ce moment pour occuper un peu l'activité de sa tête et de son +imagination de vingt ans.» + +À Chambéry où il s'arrêta trois jours, il rencontra Virieu et se rendit +avec lui en pèlerinage aux Charmettes[205]; puis, les voyageurs prirent +le chemin de Livourne en passant par Turin, Milan, Bologne, Parme et +Florence[206]. + +[Note 205: _C._, I, p. 316, du 8 sept. 1811.] + +[Note 206: _Id._, p. 318, _id._] + +Les premières impressions sont assez décevantes: «Ah! le triste pays que +l'Italie, écrit-il à Virieu, si on veut y vivre avec les vivants! aucune +politesse, aucune prévenance, personne qui réponde aux vôtres. Voilà du +moins ce que j'ai vu jusqu'à Bologne. Quand je trouve un Français, je +l'embrasserais volontiers. Je parle à tous nos soldats que je rencontre, +ils sont plus aimables qu'un seigneur italien[207].» Il oubliait qu'être +Français, à cette époque d'oppression française, n'était pas un titre +de recommandation à l'étranger. + +[Note 207: _Id._, p. 314, s. d.] + +Arrivé à Livourne au début de septembre, il demeura deux mois dans cette +ville anti-artistique s'il en fut, assez désabusé et regrettant comme +toujours ce qu'il avait fui si joyeusement[208]. Pendant que M. Haste +s'occupait des affaires de son beau-père, il poussa quelques pointes à +Florence, à Pise, à Vienne, guettant l'arrivée prochaine de Virieu pour +entreprendre le voyage de Rome[209]. Mais celui-ci se faisait attendre +et un événement imprévu vint encore retarder le projet. M. Haste perdit +son père et fut obligé avec sa femme de regagner Lyon sans retard. + +[Note 208: _C._, I, p. 316-319, du 8 sept.] + +[Note 209: _Id._, _ibid._] + +«Alphonse est alors resté seul, écrit la mère le 9 novembre. Ses oncles +et tantes étaient d'avis qu'il revînt aussi, mais nous avons trouvé avec +mon mari qu'il serait trop cruel de ne pas le laisser aller jusqu'à Rome +dont il est si près et nous lui avons permis de continuer jusque-là. Il +a aussi demandé d'aller passer huit jours à Naples chez M. de +Fréminville, auditeur sous-préfet à Livourne, avec qui il s'est fort +lié, et nous avons accordé. Le seul obstacle à la prolongation de son +voyage est l'argent: ses oncles et tantes ont donné entre eux +soixante-douze louis, et nous, ce que nous avons pu, ce qui n'est pas +bien considérable. Enfin, il ménagera de son mieux pour pouvoir aller +plus loin; cela l'accoutumera à l'économie dont il avait grand besoin.» + +Ainsi, grâce à l'exquise bonté de sa mère, Lamartine triomphait encore; +aussitôt il quitta Livourne pour se rendre à Rome où il arriva le 1er +novembre, sans Virieu retenu toujours au Grand-Lemps[210]. + +[Note 210: _Carnet de voyage_.] + +Ici, la documentation devient difficile; nous avons bien plusieurs +lettres de lui qui exposent sa vie et ses impressions dans la Ville +éternelle, mais elles se contredisent parfaitement. Le carnet de voyage +reflète le désenchantement le plus absolu; la _Correspondance_ est vive, +spontanée, pleine d'enthousiasme: c'est que l'un fut écrit, on le sait, +avec l'idée vague d'une publication future, tandis que les lettres nous +donnent l'expression de ses véritables sentiments. + +La description qu'il a laissée de Rome dans son carnet est sèche et +soignée; c'est un tableau banal, sans plus, mais la seule note +personnelle qu'on y rencontre mérite une mention, car elle prouve une +connaissance avertie de la nature perpétuellement insatisfaite qu'il +possède. On a vu sa joie enfantine au départ de Mâcon, et tout ce qu'il +a mis en oeuvre à Livourne pour atteindre Rome; une fois au but, voici ce +qu'il en pense: «Je m'étais trop accoutumé, dit-il, à l'idée de voir +Rome, ce nom-là avait perdu pour moi de son enchantement; je l'avais +prononcé trop souvent, l'illusion était diminuée. C'est un malheureux +effet qu'avec mon caractère j'éprouve partout et pour tout. De loin +c'est quelque chose, et de près... c'est moins que ne me promettait mon +imagination qui va toujours trop loin et me ménage sans cesse de tristes +surprises; elle promet plus que la réalité ne peut donner et, ici comme +ailleurs, elle m'avait trompé.» Il n'y a pas dans cet aveu que des +souvenirs littéraires. + +Le reste des impressions de voyage est quelconque, les clairs de lune, +les ombres vaporeuse s'y mêlent à des souvenirs classiques et à de +pompeuses réflexions; les lettres ont un autre prix. + +«Je suis à présent fou de Rome, écrit-il à Mme Haste le 15 novembre; +c'est un paradis pour moi. Le matin, je cours, et j'ai bien de quoi +m'occuper, je vous assure; je dîne à quatre heures avec d'aimables +compagnons de course, et puis une longue leçon d'italien et puis des +artistes à aller voir, et le spectacle et quelques _converzationi_ ne me +laissent pas une minute d'ennuy.... Florence n'est rien auprès de Rome, +je me pendrais si je ne l'avais pas vue. Je forme l'agréable projet d'y +venir passer une bonne partie de ma vie, c'est le paradis des artistes +et des oisifs[211].» + +[Note 211: Lettre publiée par M. Doumic, dans le _Correspondant_ +(_op. cit._).] + +«Poète» et «artiste», au sens assez vague qu'il donnait alors à ces +mots, Lamartine ne crut jamais l'être plus sincèrement qu'à cette +époque. Artiste, depuis le séjour à Lyon, voulait dire bien des choses: +cela signifiait qu'on méprisait le reste du monde et ses banales +coutumes, qu'on vivait à sa guise, au gré du moment et sans l'accablant +souci du lendemain. Pour être un parfait artiste, encore fallait-il une +condition essentielle à ses yeux de vingt ans: l'oisiveté, la délicieuse +liberté, loin de la famille antipoétique. + +On retrouve le même enthousiasme dans une lettre à Virieu; elle est +datée du 18 novembre, soit de trois jours seulement postérieure à la +première; mais comme on relève entre les deux de notables différences de +détails, il devient assez difficile de connaître exactement quel genre +de vie mena Lamartine à Rome: + +«...Tu sais que je suis à Rome depuis un certain temps, _j'y mène la vie +d'un ermite_, j'erre le matin dans ses vastes solitudes, _tout seul le +plus souvent_; je visite, un livre dans ma poche, ces belles et désertes +galeries des palais romains, le soir je travaille ou vais visiter +quelques artistes;... _il y a huit jours que je n'ai mis les pieds au +spectacle_. Rome me plaît au delà de toute expression: son aspect, ses +moeurs, son silence, sa tranquillité me font du bien. Si jamais des +malheurs irréparables m'arrivaient, je viendrais me fixer ici. Je crois +que c'est le lieu qui convient le mieux à la douleur, à la rêverie, aux +chagrins sans espoir[212].» + +[Note 212: _C._, I, p. 330, du 18 nov. 1811. C'est d'ailleurs un +phénomène fréquent dans la _Correspondance_: Lamartine ne se montrait +pas sous le même jour à Virieu qu'à Guichard; mais il était, +croyons-nous, plus sincère avec Virieu.] + +C'est le thème mélancolique du Carnet; mais si les deux lettres +témoignent de la même admiration, on voit aussi qu'elles offrent un +certain contraste. Laquelle est sincère? probablement les deux. Comme à +Mâcon, Lamartine connut à Rome des revirements soudains, et chaque fois +qu'il exprimait un état d'âme sa bonne foi était absolue. De son côté, +Mme de Lamartine recevait des lettres fiévreuses, et elle écrivait le +3 novembre: + +«Alphonse m'a écrit une lettre de Rome, dans le premier enthousiasme, +sur toutes les beautés qu'il voyait. Il était vraiment enchanté, et il +m'a fait partager son bonheur. Si j'étais plus riche, ajoute-t-elle +mélancoliquement, je voudrais aller voir cette ville si célèbre, mais je +dois à présent renoncer à toutes les satisfactions de ce monde.» + +Ainsi, il semble que Lamartine goûta très profondément la splendeur de +Rome et s'y plut même au point d'hésiter à partir pour Naples. Il s'y +décida pourtant à la fin de novembre[213]. + +[Note 213: _Carnet de voyage_. _C._, I, p. 344, du 8 déc. 1811.] + + * * * * * + +De tout le voyage d'Italie, c'est assurément le séjour à Naples qui lui +laissa les plus fortes impressions. La _Correspondance_, les +_Confidences_, les _Mémoires inédits_ témoignent de l'inoubliable +souvenir qu'il en conserva. Cette fois, les projets d'étude étaient +loin, la prose fut abandonnée et la poésie reprit ses droits: odes +légères, païennes, latines, pleines de la joie de vivre, qui figurent +par des rappels de ton dans des strophes exquises du _Passé_; par elles +on peut se rendre compte de ce que furent ces premiers poèmes, détruits +plus tard parce qu'ils portaient l'empreinte de la vie indolente et +facile de Naples qu'il goûta sous ses deux formes les plus habituelles, +l'amour et le jeu. + +Si l'on parvient à combler les lacunes de la _Correspondance_, +manifestement très importantes pour 1811, il sera alors possible de +connaître en détail la vérité sur ce séjour à Naples qui demeure encore +très mystérieux. Peut-être l'épisode de _Graziella_ contient-il des +morceaux autobiographiques aussi véridiques que _Raphaël_, peut-être les +_Mémoires inédits_ sont-ils exacts sur bien des points; actuellement, +pourtant, nous manquons de contrôle et, connaissant la poétique manière +dont Lamartine a souvent traité ses souvenirs, il serait hasardeux ici +de les accepter à la lettre. + +Mais Graziella, néanmoins, n'est pas qu'une héroïne de roman. Nous +savons en effet par une des lettres publiées par M. Doumic, qu'elle +exista réellement, bien mieux même, qu'elle porta la première ce nom +d'Elvire qui devait plus tard immortaliser Mme Charles[214]. +Aujourd'hui, le seul renseignement précis que nous possédions sur la +petite cigarière de Naples est celui-ci: En 1816, Lamartine avait fait +parvenir à Mme Charles quelques-uns de ses poèmes; ils faisaient +partie, sans doute, de ces deux volumes d'élégies composées de 1811 à +1813, et inspirées, prétend Lamartine, par la mémoire de Graziella +désignée sous le nom d'Elvire. Aussitôt, Mme Charles interrogea +Virieu sur cette première Elvire et celui-ci répondit avec assez de +désinvolture: _Oui, c'était une excellente petite personne pleine de +coeur et qui a bien regretté Alphonse; mais elle est morte, la +malheureuse! elle l'aimait avec idolâtrie! elle n'a pu survivre à son +départ._ Et Mme Charles, en rapportant ces paroles à Lamartine, +ajoute: «Oh, mon Alphonse! qui vous rendra jamais Elvire? qui fut aimée +comme elle? qui le mérite autant? Cette femme angélique m'inspire jusque +dans son tombeau une terreur religieuse. Je la vois telle que vous +l'avez peinte et je me demande ce que je suis pour prétendre à la place +qu'elle occupait dans votre coeur». + +[Note 214: Cf. R. Doumic, _Lettres d'Elvire à Lamartine_ (1 vol., +1905).] + +De ceci on peut déduire que la fin de Graziella, tout au moins, est +exacte; mais Mme Charles ne s'exagérait-elle pas la passion de +Lamartine pour la jeune fille? Par Graziella, comme par elle plus tard, +comme par toutes les femmes, il se laissa sans doute doucement adorer, +avec quelque cruauté, et quitte à pleurer plus tard ce qu'il avait +perdu. + +Lamartine arriva à Naples le 1er décembre 1811; encore tout ébloui +des merveilles de Rome, son intention était de n'y demeurer que peu de +jours. Logé chez un cousin de sa mère, M. Dareste de la Chavanne, +directeur des Tabacs, il pensait s'y ennuyer. Mais, dix jours après son +arrivée, il reconnut que Rome était dépassée. Les notes de +voyage--«l'itinéraire» qu'il s'était imposé--furent abandonnées le 13 +décembre, et ses lettres à Virieu montrent à l'évidence l'intensité +voluptueuse des sensations nouvelles qu'il connut sous le ciel de +Naples. Le 15 décembre, il écrit: «Je suis ici peut-être encore pour un +petit mois, et qui sait? peut-être plus. Je n'ai fait aucune économie +parce que étant tout seul je n'ai pas le courage d'en faire. J'ai tout +jeté par les fenêtres et je suis à sec[215].» Un mois après son arrivée +il était encore soumis au charme, ce qui peut paraître rare chez lui. La +lettre est trop révélatrice de cet état d'âme pour ne pas la citer: + +«Sais-tu que dans ma belle indifférence j'étais tenté de ne pas venir à +Naples? J'aurais perdu le plus beau spectacle du monde entier qui ne +sortira plus de mon imagination, j'aurais manqué ce qu'il y a de plus +intéressant en Italie pour une tête faite comme la nôtre. Les mots me +manquent pour te décrire cette ville enchantée, ce golfe, ces paysages, +ces montagnes uniques sur la terre, cet horizon, ce ciel, ces teintes +merveilleuses. Viens vite, te dis-je, et tu crieras plus haut que moi. + +[Note 215: _C._, I, p. 342, du 15 déc. 1811.] + +«Je suis solitaire, je vis seul, partout seul, avec mon domestique et un +guide. Je suis monté seul au Vésuve, j'ai déjeuné seul dans l'intérieur +du cratère, je suis allé seul à Pompéi, à Herculanum, à Pouzzoles, +partout; demain je vais seul à Baïa. Ah! que n'es-tu ici! Pourquoi le +ciel a-t-il refusé à mes prières un compagnon tel que toi? mais je me +soumets et me tais. Respectons les décrets de cette Providence inconnue +que je cherche toujours et que je crois sentir quelquefois, surtout dans +le malheur, Qu'en penses-tu? + +«Je me trouve en ce moment-ci sans le sol et avec des dettes à Naples. +Je ne pourrai pas en partir si je ne trouvais pas une âme _charitable_ +qui eût la complaisance de me prêter quelques ducats. Je ne sais trop si +je les trouverai. Je m'endors là-dessus et fais une dépense de fol en +attendant. Tu ne saurais croire à présent à quel point je porte +l'insouciance et l'imprévoyance partout, c'est l'air du pays: Je deviens +un vrais lazzarone. J'ai gagné enfin le sommet élevé du haut duquel je +vois tout sans que rien m'atteigne. Je dors, j'oublie le beau toscan, le +majestueux romain, je parle napolitain, c'est une autre langue; je ne +fais rien, rien du tout, je lis à peine des bêtises que j'ai lues cent +fois; je ne vais ni dans la société ni même aux théâtres; je ne suis +plus qu'un lourd composé de paresse, de mollesse, de fierté et de +petitesse, ça m'est égal[216].» + +[Note 216: _C._, I, p. 343-46, du 28 déc. 1811.] + +Ainsi Florence et ses monuments, Rome et ses ruines, tout le charme +mélancolique de l'Italie, cédèrent, de son propre aveu, devant le +paysage et le soleil de Naples, _ce qu'il y a de plus intéressant en +Italie pour une tête faite comme la nôtre_. Ainsi la simple nature +l'emporta cette fois sur le décor, mais toujours avec l'indispensable +élément sans lequel à ses yeux toute jouissance était imparfaite: la +solitude. Ainsi l'indifférence la plus absolue fit vite place à +l'inquiétude de cet insatisfait. + +À Naples, Lamartine connut les seules minutes d'apaisement et +d'équilibre moral de toute sa jeunesse. Il y lut «des bêtises» et en fit +pas mal; il écrivit des vers agréables mais dans le goût du temps, et il +apparaît encore ici pleinement que chez lui, les grandes choses, ne +s'engendreront jamais que dans la tristesse. À ne considérer strictement +que ses résultats, ce voyage d'Italie ne lui fournit que des thèmes +lyriques un peu factices et dépourvus d'originalité; il ne fut jamais +fait pour chanter l'allégresse, mais la douleur. + + * * * * * + +À la fin de janvier 1812 pourtant, il en arriva à être saturé de +plaisirs, «sans émulation et sans curiosité pour rien[217]». «Sans +l'espoir de te voir arriver, écrit-il alors à Virieu, il y a longtemps +que j'aurais secoué la poussière de mes pieds. Je suis sans le sol, je +viens de me mettre à jouer, j'ai gagné en deux jours une quarantaine de +piastres. Je vais peut-être les reperdre ce soir en voulant pousser plus +loin. Je maudis tout.» C'était la réaction habituelle; la lassitude +succédant sans transition à l'enthousiasme. + +[Note 217: _C._, I, p. 355, du 22 janvier 1812.] + +Sous l'empire d'un tel état d'esprit et dans la situation pécuniaire où +il se trouvait, rien ne le retenait plus à Naples, si ce n'est l'idée de +reprendre sa vie monotone à Milly. Il regagna pourtant la France, mais +sans hâte, s'attardant quelques semaines encore à Florence, puis à Rome. +Après un court arrêt sur les bords du lac Majeur il traversa la Suisse +et arriva à Mâcon au début de mai[218]. + +[Note 218: _J. I._, table des matières.] + +L'accueil qu'on lui fit fut assez froid; on en trouve la preuve tacite +dans la disparition de quelques feuillets du _Journal intime_, feuillets +qui sont cités à la table du petit cahier avec la mention: _retour +d'Alphonse, oisiveté, découragement_. Cette mutilation, comme beaucoup +d'autres, est l'oeuvre de Lamartine. Lorsqu'il rédigea à la fin de sa vie +_le Manuscrit de ma mère_, il n'hésita pas, craignant sans doute que la +postérité ne les retournât contre lui, à détruire plusieurs pages où sa +mère avait noté en pleurant toutes les manifestations de son caractère +ombrageux et difficile. + +Car le jeune homme s'accommoda mal de la petite vie régulière et simple +qu'il lui fallut reprendre au retour. Après dix mois d'indépendance, le +contraste fut violent et insupportable, d'autant qu'il avait pris en +Italie le goût de plaisirs insoupçonnés jusqu'alors et l'habitude de +dépenses qu'il ne pouvait guère satisfaire sous l'oeil sévère de l'oncle +de Montceau. Après le golfe de Naples et sa lumière, les collines de +Milly lui parurent grises, sans horizon. Il devint sombre, incapable +d'un effort pour se reprendre, s'enferma dans sa chambre à pleurer[219]. + +[Note 219: _J. I._, 16 juin 1812.] + +À traîner ainsi son désoeuvrement et sa mélancolie, il finit par +inquiéter même son père qui, pour l'occuper un peu et l'attacher +davantage à ce pays qu'il avait pris en horreur, le fit nommer maire du +village[220]. À la fin de mai, n'y tenant plus, il se sauva à Montculot, +sa retraite habituelle lorsqu'il voulait vivre avec ses souvenirs, car +le brave abbé n'était pas gênant et le laissait libre[221]. Là, il lui +emprunta quelques louis et hanté par Paris où il pensait retrouver un +peu des plaisirs de Naples, il partit s'y installer les trois premières +semaines d'août. En cette saison, la ville était vide et il s'y ennuya +mortellement[222]. Le 20, on le retrouve à Milly, insupportable à tous, +même à sa mère qui le trouve «nerveux et un peu dur»; on devine ce que +«un peu dur» signifie sous cette plume. + +[Note 220: _Id._, 25 juin, et archives communales de Milly. Il +demeura maire jusqu'en 1815, mais s'occupa rarement des affaires du +village, sauf au moment de l'invasion de 1814 où il dut fournir les +réquisitions de l'armée autrichienne.] + +[Note 221: _Id._, 27 mai 1812.] + +[Note 222: _C._, I, p. 364, du 20 août 1812.] + +Comme toujours dans ces crises, fréquentes on l'a vu, depuis trois ans, +il se réfugia dans la solitude, écoeuré de cette vie «trop longue»[223]. +Puis l'imagination se mit à vagabonder et lui rendit quelque force: il +rêva d'un ermitage à la Rousseau où Virieu et Guichard seraient ses +compagnons[224] et, pour se distraire, il rima en quinze jours le +premier acte d'un _Saül_, fuyant le monde non plus cette fois par +timidité, mais par dégoût et mépris; le mariage de sa soeur le +«dérangeait» et le «cher beau-frère» l'ennuyait[225]. Petite vanité +d'adolescent qui vient de découvrir le monde et médit de sa mesquine +province. Il ne faut pas s'exagérer la portée de ce nouvel état +d'esprit, mais on doit constater seulement qu'au retour d'Italie, +Lamartine souffrit d'une rechute aiguë de sa neurasthénie. + +[Note 223: _C_., I, p. 364, du 20 août 1812.] + +[Note 224: _Id_., _ibid._] + +[Note 225: _Id_., p. 371, du 17 nov. 1812.] + + + + +CONCLUSION + +LAMARTINE À VINGT ET UN ANS + + +Les enfants qui naquirent du début de la Révolution à la fin de l'Empire +connurent tous une jeunesse à peu près identique; elle influera +profondément sur leurs destinées futures et déterminera jusqu'en 1830 le +malaise général appelé romantisme et qu'il ne faut pas limiter à la +seule littérature. + +Cette jeune génération a été jugée de trois manières différentes, mais +qui toutes se justifient aisément pour peu que nous nous replacions dans +les conditions où ces opinions contradictoires ont été formulées. + +Aux yeux de leurs parents, gens du XVIIIe siècle et endurcis par les +rudes épreuves de la Révolution, ces adolescents apparaîtront le plus +souvent comme des incapables et des inutiles, désarmés devant +l'existence, amollis par leur éducation toute féminine et qui rompent +avec les saines traditions de la famille. Les mères les ont élevés +jalousement, avec la crainte éternelle de les voir parcourir l'Europe à +la suite du conquérant: ainsi tenus à l'écart de la seule activité que +connurent les hommes d'alors, puisque la politique était muselée, ils se +réfugièrent entièrement dans le monde de la pensée; l'énergie virile +finit par s'user chez cette jeunesse contemplative et câlinée et leur +âme n'exista bientôt plus comme volonté, mais comme sensibilité. + +À leurs propres yeux, ce qu'ils parviendront à voir de plus clair en +eux-mêmes sera l'indécision de leur nature, incapable de rien fixer, +déroutée qu'elle est par le contraste absolu du milieu et de leur +personnalité. Les principes du passé dans lesquels ils ont été élevés +leur pèsent durement, car ils ne cadrent plus avec les conditions de la +vie nouvelle et surtout avec l'âme que les événements leur ont faite. Il +en résultera un conflit perpétuel de sentiments intérieurs, une +incertitude du but à atteindre, en un mot un véritable déséquilibre +moral où le découragement et la lassitude finiront par dominer. À force +de ne voir personne autour d'eux répondre aux passions, d'ailleurs +indécises, qui les tourmentent, ils en arriveront vite à se croire +différents du reste du monde, les uns avec orgueil, les autres avec +tristesse; de bonne heure tout effort leur paraîtra vain, et ils vivront +dès lors entièrement en eux-mêmes, dans une solitude mélancolique qui +achèvera d'exaspérer leur sensibilité et de ruiner leur énergie morale. + +Aux yeux de la postérité enfin, ils seront des individus encore +hésitants et isolés, doutant de leur destinée jusqu'au jour où le +groupement en commun les révélera à eux-mêmes en apportant à chacun la +preuve que les sentiments confus et contradictoires qui l'agitent ne lui +sont pas particuliers. + +Lamartine à vingt et un ans résume en lui tous les caractères de ces +jeunes âmes inquiètes où le passé et le présent se livrent une lutte de +tous les instants. À considérer le romantisme comme une expansion +débordante de l'individu, il est en date et en fait le premier des +romantiques; il devient au contraire le dernier des classiques si l'on +étudie le mouvement littéraire de son époque en tant qu'affranchissement +des vieilles formules. C'est qu'en réalité son oeuvre reflète sa vie +même, classique de forme, romantique de pensée, comme toute son +adolescence où l'on assiste au conflit quotidien de ses aspirations très +romantiques et de son éducation très classique. + + * * * * * + +Dans toute destinée, il est une part dont l'homme n'est pas responsable, +faite de trois éléments infiniment délicats et qu'il est difficile +d'apprécier à leur valeur. L'un comporte ce que les ancêtres lui ont +transmis d'instincts ataviques, peu à peu anéantis, modifiés ou +développés selon les circonstances ou les conditions nouvelles de la +vie; l'autre est l'oeuvre de ceux dont il dépend pendant son enfance et +qui assument la tâche de façonner son âme au moment où elle est encore +molle; le dernier, enfin, comprend la manière dont la société +l'accueille le jour où il est forcé d'avoir recours à elle, avec +sympathie, pitié, mépris ou indifférence. C'est leur étude que nous +avons tentée pour Lamartine dans les pages qui précèdent et il nous +semble que si on voulait maintenant les résumer brièvement il serait +possible de le faire ainsi: + +Une hérédité saine et attachée au sol natal, foncièrement religieuse et +point corrompue par les théories matérialistes du XVIIIe siècle; un +milieu intransigeant et formaliste qui s'efforce de perpétuer +tardivement les traditions du passé, et redoute d'autant plus les idées +du temps qu'il les croit issues d'une époque dont il a souffert et d'un +régime qu'il abhorre; une mère profondément pieuse, aimante et tendre, +mais sentimentale à l'excès, inquiète et doutant d'elle-même; un père +excellent, quoique indifférent aux nuances de l'âme; un décor +naturellement mélancolique, mais qui le deviendra davantage encore aux +yeux d'un adolescent avide de sensations nouvelles, de plaisirs et de +liberté. + +Puis un enfant dont les premières années ont été assombries et +silencieuses, d'une nature tendre, comme celle de sa mère, décidée et +volontaire, comme celle des Lamartine; une première éducation toute +paysanne et maternelle, remplacée sans transition par l'internat loin du +foyer et dont la contrainte l'affecte profondément; plus tard, des +études peu solides et exclusivement religieuses chez les Jésuites de +Belley où s'exalte encore sa précoce sensibilité. + +Enfin, à dix-huit ans, le retour dans la famille, début d'une période de +long désoeuvrement. Dès cette époque, sinon une vocation littéraire très +nette, du moins une extrême facilité pour la poésie; mais aucune +direction dans ses goûts qu'il lui faut cacher, aucun plan d'études +sérieusement organisé, en un mot une dépense inutile d'énergie accrue +encore par une imagination impossible à maîtriser et des lectures +d'autant plus impressionnantes qu'elles sont faites en secret; une âme +mobile et pleine de contrastes, à la merci de toutes les chimères, +prompte à s'enthousiasmer mais qu'un rien rebute, et faite de +revirements brusques comme si elle était perpétuellement à la recherche +de l'équilibre qui lui manque; des froissements avec le chef de famille, +dont il sort aigri et découragé; des amis qu'il voit de loin en loin et +dont le meilleur des confidences s'échange par lettres toujours plus +exagérées et moins soulageantes que les paroles; quelques amourettes +plus cérébrales que physiques, des ébauches poétiques qui l'enflamment +encore: en tout, enfin, une conception uniquement littéraire et +romanesque de l'existence. + +La famille s'inquiète de ces tendances et commence alors à les combattre +par tous les moyens dont elle dispose; elle décide enfin de l'éloigner, +et c'est le voyage d'Italie pour changer d'air ce grand garçon dont +l'oisiveté irrite sourdement les siens. Mais les conséquences n'en +furent pas celles qu'ils avaient prévues, puisqu'au retour de Naples le +fossé va s'approfondir encore entre le jeune homme et son milieu. + +Ici se termine la jeunesse de Lamartine; dans une seconde partie, qui +comprendra les années 1812-1820, nous étudierons prochainement les deux +grandes crises morales qui le mûriront en modifiant complètement sa +nature et d'où naîtront les _Méditations_. + +Mâcon-Paris, 1908-1910. + +* * * + + + + +APPENDICE + +GÉNÉALOGIE ET BIBLIOGRAPHIE DE LA FAMILLE DES ROYS + + +Descendance d'Antoine Grimod et de Marguerite le Juge. +(Sept enfants.) + +Ier Rameau: _de la Reynière_, fondu dans les familles DE MAC-MAHON, +DE ROSANBO, DE LA TOUR DU PIN-VERCLAUSE et DE TOCQUEVILLE. + + Gaspard Grimod (1687-?), + ép.: 1º Jeanne Labbé (?); + 2º Marie Mazade (1719) + (remariée à Honoré de la Ferrière). + | +----+-------------------+----------+-------+-------------------+ + | | | | +_1er lit._ _1er lit._ _2e lit._ _2e lit._ +Jean-Gaspard Marie-Françoise Françoise-thérèse Marie-Madeleine G. +G. de la Reynière G. de la Reynière, G. de la Reynière, de la Reynière, ép. +(1723-1797), ép. ép. Jean-Louis ép. Chrétien Marc-Antoine de +Françoise de Moreau de Beaumont Guillaume de Lévis-Lugny. +Jarente (1753). (1743). S. P. Lamoignon de + | Malesherbes. + | | +Alexis-Baltazar Marguerite-Thérèse +Laurent G. de la de Lamoignon +Reynière ép. Louis le +(1785-1837) ép. Peletier de Rosanbo. +Adèle Thérèse | +Feuchère. S. P. ----+-------------------+-------------------+-------------- + | | | + Jean-Marie-Louis Thérèse de Rosanbo Louise-Madeleine + de Rosanbo (1771-1794), de Rosanbo + (1777-1856), ép. ép. J.-B.-Auguste (1771-1856), ép. + Henriette-Geneviève de Chateaubriand J. Bonaventure de + d'Andlau (1798). (1786). Tocqueville (1796). + | | | +----+-------------------+-------------- | | + | | | | +Henriette-Madeleine Ludovic de Rosanbo Louis-Geoffroy de Alexis-Charles-Henry +de Rosanbo, ép. (1805-1862), Chateaubriand de Tocqueville +Charles, marquis ép. Elisabeth-Aglaé (1790-1878), ép. (1805-1859). +de Mac-Mahon. de Ménard. Henriette-Zélie + d'Orglandes. + +* * * + +IIe Rameau: fondu dans les familles DARESTE, D'HAUTEROCHE, CARRA DE +VAUX, et par les LAMARTINE dans les familles DE CESSIAT, DE COPPENS, DE +LIGONNÈS, DE MONTHEROT et leur postérité. + +Marguerite Grimod, +ép. 1º François Mauverney; +2º Charles Gavault. + | +Françoise Mauverney, +ép. Charles Gavault +(fils d'un premier lit +du précédent), + | +----+-----------------------------------------------------------+------------ + | | +Françoise Gavault, Marie-Marguerite +ép. Jacques Dareste de la Plagne Gavault, +(1743). ép. Jean-Louis + | Des Roys (1757). + | | +----+-------------------+-------------------+------------ | +Antoine Dareste Marie-Antoinette Claudine | +de la Chavanne, Dareste Dareste de la | +ép. 1º Jeanne de la Chavanne, ép. Chavanne, ép. | +Palais (1784); François-Pierre Auguste Vasse | +2º Charlotte Boussard de Roquemont | +Charvait (1799). d'Hauteroche (1774) (1782) | + | | +J.-B. Dareste | +de la Chavanne | +(1789-1879), | +ép. Claire-Marie | +Dareste, sa cousine | +(1820). | + | +----+-------------------+-------------------+-------------------+------------ + | | | | +Césarine Des Roys, Catherine Françoise Émilie Des Roys, Alix Des Roys +ép. Pierre-Benoît Des Roys. ép. ép. X. Papon ép. Pierre +Carra de Vaux Charles Henrion de de Rochemont de Lamartine +(1788). Saint-Amand (1778). (1783). (1790). + | | | | +Alexandre Angélique Henrion Françoise Papon Alphonse +Carra de Vaux, de Saint-Amand de Rochemont, de Lamartine +ép. Nathalie (1781-1810), religieuse. (1790-1869). +Marchand (1832). ép. 1º Claude S. P. + Amable, marquis de + Prez; + 2º Joseph-Marie, + vicomte Pernetty. + S. P. + +* * * + +IIIe Rameau: de Dufort d'Orsay, fondu dans la famille ducale DE +GRAMONT. + + Pierre Grimod de Dufort d'Orsay + (1692-1748), + ép. 1º Florimonde Savalette (1736); + 2º Elisabeth de Gourtin (1745); + 3º M. A. Félicité de Caulaincourt (1748). + | + _3e lit._ + Albert Gaspard Marie, comte d'Orsay (1748-?), + ép. 1º Amélie, princesse de Cro[:y]; + 2º Josèphe de Hoenloe Bartenstein (1784). + | + Marie-Albert Gaspard, + comte d'Orsay (1772-1843), + ép. Éléonore de Franquemont (1792). + | +----+-------------------+-------------------+--------------- + | | +Gillion Gaspard Alfred, Anna-Ida d'Orsay +comte d'Orsay (1801-1852), (1802-1882), +ép. Anne-Françoise ép. Héraclius, +Gardiner (1827). duc de Gramont +S. P. (1818). + | +------------------------+-------------------+-------------------+--------------- + | | | | +Antoine-Alfred Antoine-Auguste Alfred-Théophile Aglaé-Ida de Gramont +Agénor de Gramont de Gramont, de Gramont (1836-1875), +(1819-1880), duc de Lesparre (1823-1881), ép. ép. Théodore, +ép. Marie ép. Marie-Sophie Charlotte-Cécile marquis du Praz +Mac Kinnon (1848). de Ségur (1844), de Choiseul-Praslin (1850). + branche éteinte (1848). + dans les mâles + +* * * + +IVe Rameau: de Verneuil, fondu dans la descendance de LUCIEN +BONAPARTE, prince de CANINO. + + Antoine-François Grimod de Verneuil + (1696-1765), + ép. Henriette-Adélaïde de Tilly (1736). + | + Marie-Gasparde Grimod de Verneuil + (1738-1804), + ép. Jean-Charles Bouvet (1759). + | + Jeanne-Louise-Bouvet + (1759-1817), + ép. Charles-Jacob de Bleschamp (1777). + | + Alexandrine de Bleschamp + (1778-1855), + ep. 1º Henry Jouberthon (1797); + 2º Lucien-Bonaparte (1802). + | +----+-------------------+-------------------+-------------------+--------------- + | | | | +Charles-Lucien- Lætitia Bonaparte Louis-Lucien Pierre Napoléon +-Jules Bonaparte (1804-1862), ép. Bonaparte Bonaparte (1815-81), +(1802-1857), ép. Thomas Wyse (1813-95), ép. ép. Justine-Éléonore +Charlotte Bonaparte (1834). Marianne Cecchi Ruflin. +(1822). (1832). S. P. | + Roland Bonaparte, + ép. Marie Blanc + (1880). + | + Marie Bonaparte, + ép. prince George + de Grèce. + +* * * + +Tableau généalogique de la famille Des Roys (1500-1790). + +Mathurin Louis Denis Des Roys Catherine +Des Roys, Des Roy, ép. Des Roys, ép. +religieux. religieux 1° Claude de Lagrevol; Pierre Aurelle. + 2°Isabelle Vacherelle. + | +-------+---------------------+------+------------+----------------+---- + | | | | +Antoine Des Pierre Des Roys, Antoine Des Roys Aymard Marthe Des Roys, +Roys, ép. ép. ? (le jeune), Des Roys, ép. Antoine +Marguerite de | religieux. religieux. de Romezin +Jussac | d'où postérité, éteinte +de Baulmes | u cours du XVIIIe siècle. +(1533). | +-------+-------------------------------+--------- + | | +Sébastien Des Roys, Claude Des Roys, +ép. Claude de Guilhon mort sans alliance + (1588). + | +-------+-------------------+--------------+-------------------------------+ + | | | | +Gaspard Des Roys, Melchior Des Roys, Marie Pierre Des Roys, +ép. Jeanne ép. Françoise Des Roys, ép. Catherine +de Cohacy (1588) Faure de Marnans ép. Jean Pollenon Des Olmes +(sans postérité). (1619). d'où postérité. (1618). + | | +-------+---------+--------+-------+-------------+--------------+----- + + | | | | | | +Baltazar Marie Des Roys, Marie Magdeleine Marie Amable Marie Des Roys, | +Des Roys, ép. Des Roys, Des Roys ép. | +ép. Pierre Roche religieuse. religieuse Jacques Rochet | +Claude (sans postérité). | +des Olmes | +(1650). +--------------+-----------+------+ + | | | | + | Philiberte Claude Des Roys, Jeanne + | Des Roys, ép. mort Des Roys, ep. + | Louis de Romezin sans alliance. Antoine Varillon + | d'où postérité. du Sarzier. d'où postérité. +---+-+-----------------+--- | + | | Marie +Pons Gaspard Cristofle de Rornezin, +Des Roys, Des Roys, ép. ép. 1° Claude +ép.Louise Demeure Marie de Romezin, Ferrapie (1685); +(1679). veuve de Claude 2° Cristofle + | Ferrapie (1701). Des Roys, + | son cousin. +Claude Des Roys, +ép. Françoise +Pagey (1717). + | +Jean-Louis +Des Roys, ép. +Marguerite Gavault +(1757) + | +-----+--------------------+--------- + | | +Césarine Des Roys, Alix Des Roys, ép. +ép. Pierre Carra Pierre de Lamartine +De Vaux (1788). (1790). + | | +Alexandre Ca Alphonse +de Vaux. de Lamartine. + +* * * + + + + +Bibliographie des oeuvres de Lyon Des Roys. + + +L'ILLUSION, vers couronnés, in-8 de 6 p. (s. l. s. d.). + +L'ANESSE, moralité, in-8 de 3 p. (s. 1. s. d.). + +LE TABAC, poème, au Cn D*** fabricant de tabac, in-8 de 5 p. (s. 1. +s. d.). + +LA GÉOMÉTRIE en vers techniques- _il existe deux éditions de cet +opuscule._ 1º: par D. R. ancien doyen de Mortain (?), maître de +mathématiques. À Paris, chez les libraires du Palais. - Egalité an +IX-1801 (in-8 de 18 p.); 2º: par Desrois ancien doyen de Mortain. À +Paris, chez l'auteur rue de la loi maison du Cn Dareste nº 74, près +la rue Feydau, an IX-1801 (in-8 de 20 p.). + +EPITRE AUX COMÉDIENS, par Desroys [_avec cette épigraphe_:] facit +indignatio versum. - Se vend au Palais du Tribunal, galerie de la Foi, +nº 50, où l'on trouve la tragédie du Dernier des Romains, la Géométrie +envers, l'Illusion. An X (in-8 de 6 p.). + +EPITRES à Dazincour, à Madame D. L. V. jouant de la harpe, etc., par +Desroys auteur de l'épitre aux comédiens - prix; 50 centimes. À Paris +chez Desenne, libraire du Tribunal, nº 2, et chez les marchands de +nouveauté. An X-1802 (in-8 de 8 p.). + +LE DERNIER DES ROMAINS, tragédie en cinq actes par D. R. [_avec cette +épigraphe_:] Quam dulcis sit libertas... ostendam. Prix. 1 fr. 65. À +Paris chez Barba et Desenne au septième (in-8 de 74 p.). + +OEUVRES DRAMATIQUES de ***. Le dernier des Romains, tragédie en cinq +actes. L'anti-philosophe, comédie en cinq actes et en vers. À Paris an +VIII (1800) (in-8 de 162 p.). + + + + +* * * + +DU MÊME AUTEUR + + +À LA MÊME LIBRAIRIE + +L'Elvire de Lamartine et les Méditations. Un volume. + +(_En préparation_.) + +1811 10.--Coulommiers. Imp. PAUL BRODARD.--311. + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of Les Origines et la Jeunesse de +Lamartine 1790-1812, by Pierre de Lacretelle + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LAMARTINE *** + +***** This file should be named 22077-8.txt or 22077-8.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + http://www.gutenberg.org/2/2/0/7/22077/ + +Produced by Chuck Greif and the Online Distributed +Proofreading Team at DP Europe (http://dp.rastko.net) + + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. 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It exists +because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from +people in all walks of life. + +Volunteers and financial support to provide volunteers with the +assistance they need, is critical to reaching Project Gutenberg-tm's +goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will +remain freely available for generations to come. In 2001, the Project +Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure +and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. +To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation +and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 +and the Foundation web page at http://www.pglaf.org. + + +Section 3. 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Email contact links and up to date contact +information can be found at the Foundation's web site and official +page at http://pglaf.org + +For additional contact information: + Dr. Gregory B. Newby + Chief Executive and Director + gbnewby@pglaf.org + + +Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation + +Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide +spread public support and donations to carry out its mission of +increasing the number of public domain and licensed works that can be +freely distributed in machine readable form accessible by the widest +array of equipment including outdated equipment. Many small donations +($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt +status with the IRS. + +The Foundation is committed to complying with the laws regulating +charities and charitable donations in all 50 states of the United +States. 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Thus, we do not necessarily +keep eBooks in compliance with any particular paper edition. + + +Most people start at our Web site which has the main PG search facility: + + http://www.gutenberg.org + +This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, +including how to make donations to the Project Gutenberg Literary +Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to +subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. diff --git a/22077-8.zip b/22077-8.zip Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..a7ee2a1 --- /dev/null +++ b/22077-8.zip diff --git a/22077-h.zip b/22077-h.zip Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..4b7be43 --- /dev/null +++ b/22077-h.zip diff --git a/22077-h/22077-h.htm b/22077-h/22077-h.htm new file mode 100644 index 0000000..29abbd4 --- /dev/null +++ b/22077-h/22077-h.htm @@ -0,0 +1,8453 @@ +<!DOCTYPE html PUBLIC "-//W3C//DTD XHTML 1.0 Strict//EN" + "http://www.w3.org/TR/xhtml1/DTD/xhtml1-strict.dtd"> + +<html xmlns="http://www.w3.org/1999/xhtml"> + <head> + <meta http-equiv="Content-Type" content="text/html;charset=iso-8859-1" /> + <title> + The Project Gutenberg eBook Les Origines et la jeunesse de lamartine 1790-1812, par Pierre De Lacretelle. + </title> + <style type="text/css"> +/*<![CDATA[ XML blockout */ +<!-- + p { margin-top: .75em; + text-align: justify; + margin-bottom: .75em; + text-indent: 2%; + } + .r {text-align: right;} + .e {margin-top: 5%;} + h1,h2,h3 { + text-align: center; + clear: both; + } + hr { width: 50%; + margin-top: 2em; + margin-bottom: 2em; + margin-left: auto; + margin-right: auto; + clear: both; + } + hr.full {width: 100%; + } + table {margin-left: auto; + margin-right: auto; + margin-top: 8%; + margin-bottom: 8%; + } + body{margin-left: 10%; + margin-right: 10%; + background:#fdfdfd; + color:black; + font-family: "Times New Roman", serif; + font-size: large; + } + .bb {border-bottom: solid 1px black;} + .g {font-size: 200%;} + ul {list-style-type: none;text-indent: -1em;} + a:link {background-color: #ffffff; color: blue; text-decoration: none; } + link {background-color: #ffffff; color: blue; text-decoration: none; } + a:visited {background-color: #ffffff; color: blue; text-decoration: none; } + a:hover {background-color: #ffffff; color: red; text-decoration:underline; } + .smcap {font-variant: small-caps; + font-family: "Times New Roman", serif; + font-size: large; + } + img {border: none;} + .blockquot{margin-left: 8%; + margin-right: 8%; + margin-top: 5%; + margin-bottom: 5%; + font-size: 95%; + } + sup {font-size: 70%;} + .c {text-align: center; + text-indent: 0%; + } + .footnotes {border: dashed 1px;} + .footnote {margin-left: 10%; margin-right: 10%; font-size: 0.9em;} + .footnote .label {position: absolute; right: 84%; text-align: right;} + .fnanchor {vertical-align: super; font-size: .6em; text-decoration: none;} + // --> + /* XML end ]]>*/ + </style> + </head> +<body> + + +<pre> + +The Project Gutenberg EBook of Les Origines et la Jeunesse de Lamartine +1790-1812, by Pierre de Lacretelle + +This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with +almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: Les Origines et la Jeunesse de Lamartine 1790-1812 + +Author: Pierre de Lacretelle + +Release Date: July 15, 2007 [EBook #22077] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LAMARTINE *** + + + + +Produced by Chuck Greif and the Online Distributed +Proofreading Team at DP Europe (http://dp.rastko.net) + + + + + + +</pre> + +<hr /> +<h3>PIERRE DE LACRETELLE</h3> + +<h2>LES ORIGINES</h2> +<p class="c">ET LA</p> +<h1>JEUNESSE DE LAMARTINE</h1> +<h3>1790-1812</h3> +<p class="c"><img src="images/001.png" alt="medallion" /></p> +<h3>PARIS</h3> + +<h3>LIBRAIRIE HACHETTE ET C<sup>ie</sup></h3> + +<p class="c">79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 79</p> + +<p class="c">1911</p> + +<p class="c">Droits de traduction et de reproduction réservés.</p> + +<hr /> +<h2><a name="toc" id="toc"></a>TABLE DES MATIÈRES</h2> +<table summary="toc" cellspacing="8" cellpadding="2"> +<tr><td align="center" colspan="3"><a href="#PREFACE"><b>PRÉFACE</b></a></td></tr> +<tr><td align="center" colspan="3"><a href="#PREMIERE_PARTIE"><br />PREMIÈRE PARTIE</a></td></tr> +<tr><td align="center" colspan="3"><b>LES ORIGINES</b></td></tr> +<tr><td><b>CHAPITRE</b></td><td align="right"><a href="#CHAPITRE_Ia">I</a></td><td><a href="#CHAPITRE_Ia">Les Lamartine</a></td></tr> +<tr><td><b>CHAPITRE</b></td><td align="right"><a href="#CHAPITRE_IIa">II</a></td><td><a href="#CHAPITRE_IIa">Les Des Roys</a></td></tr> +<tr><td align="center" colspan="3"><a href="#DEUXIEME_PARTIE"><br />DEUXIÈME PARTIE</a></td></tr> +<tr><td align="center" colspan="3"><b>LE MILIEU</b></td></tr> +<tr><td><b>CHAPITRE</b></td><td align="right"><a href="#CHAPITRE_Ib">I</a></td><td><a href="#CHAPITRE_Ib">La famille</a></td></tr> +<tr><td><b>CHAPITRE</b></td><td align="right"><a href="#CHAPITRE_IIb">II</a></td><td><a href="#CHAPITRE_IIb">La mère</a></td></tr> +<tr><td><b>CHAPITRE</b></td><td align="right"><a href="#CHAPITRE_IIIb">III</a></td><td><a href="#CHAPITRE_IIIb">Les Lamartine pendant la Terreur.—Les premières années</a></td></tr> +<tr><td><b>CHAPITRE</b></td><td align="right"><a href="#CHAPITRE_IVb">IV</a></td><td><a href="#CHAPITRE_IVb">Le décor. -; Les voisins</a></td></tr> +<tr><td align="center" colspan="3"><a href="#TROISIEME_PARTIE"><br />TROISIÈME PARTIE</a></td></tr> +<tr><td align="center" colspan="3"><b>LES ANNÉES D'ÉTUDE</b></td></tr> +<tr><td><b>CHAPITRE</b></td><td align="right"><a href="#CHAPITRE_Ic">I</a></td><td><a href="#CHAPITRE_Ic">L'abbé Dumont</a></td></tr> +<tr><td><b>CHAPITRE</b></td><td align="right"><a href="#CHAPITRE_IIc">II</a></td><td><a href="#CHAPITRE_IIc">L'institution Puppier</a></td></tr> +<tr><td><b>CHAPITRE</b></td><td align="right"><a href="#CHAPITRE_IIIc">III</a></td><td><a href="#CHAPITRE_IIIc">Le collège de Belley</a></td></tr> +<tr><td align="center" colspan="3"><a href="#QUATRIEME_PARTIE"><br />QUATRIÈME PARTIE</a></td></tr> +<tr><td align="center" colspan="3"><b>LA FORMATION DE LA PERSONNALITÉ</b></td></tr> +<tr><td><b>CHAPITRE</b></td><td align="right"><a href="#CHAPITRE_Id">I</a></td><td><a href="#CHAPITRE_Id">La vie solitaire</a></td></tr> +<tr><td><b>CHAPITRE</b></td><td align="right"><a href="#CHAPITRE_IId">II</a></td><td><a href="#CHAPITRE_IId">La crise littéraire.—Le premier amour.</a></td></tr> +<tr><td><b>CHAPITRE</b></td><td align="right"><a href="#CHAPITRE_IIId">III</a></td><td><a href="#CHAPITRE_IIId">Le premier voyage</a></td></tr> +<tr><td><b>CONCLUSION</b></td><td> </td><td><a href="#CONCLUSION">Lamartine à vingt et un ans</a></td></tr> +<tr><td align="center" colspan="3"><a href="#APPENDICE"><br />APPENDICE:</a></td></tr> +<tr><td> </td><td> </td><td><a href="#APPENDICE">Généalogie de la famille Des Roys</a></td></tr> +<tr><td> </td><td> </td><td><a href="#bib">Bibliographie des œuvres de Lyon Des Roys.</a></td></tr> +</table> + + +<hr /> +<h2><a name="PREFACE" id="PREFACE"></a>PRÉFACE</h2> + + +<p>Sainte-Beuve a écrit:</p> + +<p>«Lamartine est de tous les poètes célèbres celui qui se prête le moins à +une biographie exacte, à une chronologie minutieuse, aux petits faits et +aux anecdotes choisies. Son existence, large, simple, négligemment +tracée, s'idéalise à distance et se compose en massifs lointains à la +façon des vastes paysages qu'il nous a prodigués... Il est permis, en +parlant d'un tel homme, de s'attacher à l'esprit du temps plutôt qu'aux +détails vulgaires qui chez d'autres pourraient être caractéristiques... +Qu'importent donc quelques détails de sa vie<a name="FNanchor_1_1" id="FNanchor_1_1"></a><a href="#Footnote_1_1" class="fnanchor">[1]</a>?»</p> + +<p>Il paraît difficile d'admettre aujourd'hui sans discussion qu'un +critique aussi pénétrant ait commis une telle erreur; sans doute +avait-il ses raisons de parler ainsi, et peut-être ne faut-il voir dans +cette opinion exagérée que l'excuse honorable pour les romantiques d'un +éloignement dont ils furent tous secrètement blessés; écartés de +l'existence du poète, ils déclaraient que le détail en était sans +importance, et n'ajoutait rien à la compréhension de son œuvre.</p> + +<p>Malheureusement, il semble que les biographes de Lamartine aient pris +jusqu'ici le jugement de Sainte-Beuve pour base de leurs travaux, dont +la plupart ne sont que des fragments plus ou moins commentés de ses +innombrables souvenirs de jeunesse, source dangereuse et dont il importe +de se méfier, surtout pour la période antérieure à 1820. Écrits à une +époque où pour oublier le présent il se retrempa dans son passé, ils +composent plus exactement l'image de celui qu'il se crut ou aurait voulu +être plutôt que celui qu'il fut réellement. Aussi, doivent-ils être +utilisés avec une extrême précaution.</p> + +<p>Depuis quelques années déjà, la méthode historique a été introduite dans +le domaine littéraire et, si elle a ses inconvénients, elle a surtout +d'excellents côtés. Les études lamartiniennes en ont profité; divers +travaux ont été publiés qui soumettent les récits du poète à un contrôle +sévère en même temps qu'ils mettent en lumière des faits nouveaux. La +légende de Lamartine adolescent tend à disparaître pour faire place à +une réalité autrement vivante et l'on commence à comprendre que son +œuvre nécessite une biographie minutieuse et presque quotidienne.</p> + +<p>Mais s'il importe de rechercher les causes des états d'âme multiples et +contradictoires que reflète sa poésie, les <i>Méditations</i>, surtout, +écrites sans souci de la postérité et de la gloire à une époque indécise +et tourmentée de sa vie, réclament un commentaire infiniment plus précis +que celui qu'il nous a laissé; replacées dans leur véritable cadre, +éclairées par les circonstances qui déterminèrent, retardèrent ou +hâtèrent leur éclosion, elles deviennent plus humaines encore, parce que +plus sincères, et singulièrement émouvantes: en elles, aucun artifice +littéraire, nul désir d'introduire un mode nouveau de pensée: ce livre +qui devait révéler la jeunesse romantique à elle-même et marquer le +début d'un mouvement unique dans l'histoire des lettres françaises, fut +écrit sans ambition et presque négligemment. À comparer le manuscrit de +<i>Saül</i>, médiocre tragédie en cinq actes, amoureusement calligraphié sur +beau vélin, et les ébauches crayonnées hâtivement qui sont le premier +jet des <i>Méditations</i>, on se rend compte que Lamartine ne les +considérait que comme des notations intimes de ses états d'âme et sans +intérêt pour le public. Ce sont là des conditions de sincérité qui font +d'elles un précieux document psychologique pour l'étude de la jeune +génération romantique, et c'est ce que nous avons tenté d'établir ici.</p> + +<p>Ce volume n'a d'autres prétentions que d'être la mise au point et +l'utilisation de récentes publications dont on trouvera le détail au +cours des chapitres qui suivent; nous y avons pourtant ajouté bon nombre +de sources jusqu'ici demeurées inédites et sur lesquelles nous devons +ajouter quelques mots. De l'œuvre publiée de Lamartine nous n'avons +conservé que la <i>Correspondance</i>, dont il nous faut ici déplorer les +lacunes et le classement souvent défectueux; volontairement, nous avons +écarté tous les souvenirs rédigés sur ou par Lamartine postérieurement à +1820, sauf lorsqu'il nous a été possible de les vérifier, pour ne +retenir que les lettres et témoignages contemporains de la période qui +nous occupait; écrits à une époque où son avenir était impossible à +prévoir, ils le montrent sans aucun ménagement sous son jour véritable +et tel qu'il apparaissait alors aux yeux de sa famille et de ses +relations.</p> + +<p>En premier lieu, nous avons eu à notre disposition un important +manuscrit, le <i>Journal intime</i> de sa mère; on sait que quelques +fragments très écourtés et très remaniés en ont été publiés par le poète +sous le titre, <i>le Manuscrit de ma mère</i><a name="FNanchor_2_2" id="FNanchor_2_2"></a><a href="#Footnote_2_2" class="fnanchor">[2]</a>, ouvrage dont la valeur +documentaire est tout à fait négligeable tant les suppressions et les +additions qu'il y fit sont considérables; elles s'expliquent, il est +vrai, aisément, soit qu'il ait souvent hésité à apporter des démentis +trop nombreux à ses <i>Confidences</i>, soit qu'il ait jugé délicat d'en +reproduire le texte intégral. C'est grâce au <i>Journal intime</i>, toujours +soigneusement daté, qu'il nous a été possible d'entreprendre cet +ouvrage, car il nous a permis de mettre en lumière certains faits +demeurés encore obscurs ou ignorés, en même temps qu'il nous fournissait +un tableau chronologique minutieusement détaillé des quarante premières +années du poète. Ces pages écrites au courant de la plume, sans aucune +préoccupation de composition ni de publicité, présentent naturellement +des négligences et des répétitions, mais les pensées et les sentiments +n'y ont d'autre souci que la sincérité<a name="FNanchor_3_3" id="FNanchor_3_3"></a><a href="#Footnote_3_3" class="fnanchor">[3]</a>.</p> + +<p>De plus, grâce à l'obligeance de M. Charles de Montherot, petit-neveu de +Lamartine, nous avons pu prendre connaissance des riches archives de +Saint-Point, et le baron Carra de Vaux a bien voulu mettre à notre +disposition les papiers et titres de la famille maternelle du poète, +qu'il représente actuellement. Nous devons également nos remerciements à +plusieurs familles de Mâcon qui nous ont aimablement ouvert leurs +archives domestiques; à M. A. Duréault, secrétaire perpétuel de +l'Académie de Mâcon, qui nous a fait à mainte reprise profiter de son +érudition et de ses recherches personnelles; à M. Lex, archiviste de +Saône-et-Loire, dont les travaux nous ont été d'un grand secours. Enfin, +nous tenons à exprimer notre reconnaissance à M. Gustave Lanson qui, +préparant lui-même une étude sur les <i>Méditations</i>, nous a permis de +prendre connaissance de plusieurs documents inédits qu'il avait réunis.</p> + +<p>C'est grâce à tant d'obligeances que ce volume a pu voir le jour. Nous +avons essayé d'en faire une biographie exacte et critique; exacte, car +nous n'avons voulu laisser dans l'ombre le moindre fait capable +d'apporter un éclaircissement nouveau à la genèse des <i>Méditations</i>; +critique, puisque les documents utilisés n'ont été acceptés qu'après un +contrôle aussi sévère qu'il est possible en pareille matière.</p> + +<p style="margin-left: 50%;"><span class="smcap">Pierre De Lacretelle</span>.<br /> +</p> + + + +<hr /> +<h2><a name="PREMIERE_PARTIE" id="PREMIERE_PARTIE"></a>PREMIÈRE PARTIE</h2> + +<h3>LES ORIGINES</h3> + + + +<hr /> +<h2><a name="CHAPITRE_Ia" id="CHAPITRE_Ia"></a><a href="#toc">CHAPITRE I</a></h2> + +<p class="c">LES LAMARTINE<a name="FNanchor_4_4" id="FNanchor_4_4"></a><a href="#Footnote_4_4" class="fnanchor">[4]</a></p> + + +<p>Les origines des grands hommes—et davantage, peut-être, celles des +poètes—ne sont jamais à négliger. Sans doute, il importe peu pour +l'histoire littéraire que Vigny descende d'un trésorier du <span class="smcap">xv</span><sup>e</sup> +siècle, que Hugo soit apparenté à un évêque lorrain, que Lamartine soit +petit-fils d'un intendant des finances du duc d'Orléans. Ce n'est là, +dans leur biographie, qu'un élément de curiosité.</p> + +<p>Mais si, et avec raison, l'on accorde à l'éducation et au milieu une +influence prépondérante sur le développement d'un génie, il faut +également faire une part aux influences ancestrales, à la vie antérieure +qui, elles aussi, laissent des traces plus profondes qu'on ne l'imagine +ordinairement, et l'héritage moral d'un poète est précieux à connaître +pour tout ce qu'il lui a transmis d'instincts ataviques. Une telle étude +est souvent délicate et vaine devant le petit nombre de documents que +l'on parvient à recueillir. Une filiation exacte pendant trois +siècles—le plus haut qu'on puisse habituellement remonter—est +curieuse, mais de simples dates ne suffisent pas; il faudrait connaître +la vie des ancêtres, savoir où et comment ils vécurent, quelles passions +les dominèrent, dans quelle province ils fixèrent leur foyer, en un mot +posséder ce qu'on appelait jadis le <i>Livre de raison</i>, registre où les +chefs de famille inscrivaient à tour de rôle grands et petits événements +d'une existence souvent trop obscure pour qu'on puisse en retrouver +trace dans les archives des villes où ils vécurent.</p> + +<p>Pour Lamartine, nous avons la bonne fortune d'être à peu près fixés sur +son hérédité, grâce à une abondance rare de documents qui nous +permettent de remonter jusqu'au début du <span class="smcap">xvi</span><sup>e</sup> siècle, avec des +détails précis et nombreux sur les deux familles dont il descend.</p> + +<p>Tout d'abord, il est curieux de constater que dès l'origine l'une et +l'autre semblent être établies de longue date dans les régions mêmes où +elles demeurèrent ensuite jusqu'à la fin du <span class="smcap">xviii</span><sup>e</sup> siècle; et cet +intense et pénétrant sentiment de la terre natale qui sera chez +Lamartine une des notes dominantes de sa poésie, se retrouve déjà chez +ses pères qui lui transmirent un peu de leur amour du sol lentement +acquis au cours des siècles. Mais aucun ancêtre, pas plus chez les +Lamartine que chez les Des Roys, n'a laissé grande trace dans l'histoire +de son temps: enracinés dans le même coin de Bourgogne ou d'Auvergne +depuis douze générations, habitués de père en fils à faire tout +naturellement le sacrifice d'intérêts immédiats ou propres à ceux +lointains et souvent invisibles de la race et de la famille, tous, +bourgeois, magistrats et capitaines, vécurent la même vie paisible et +sédentaire, soucieux avant tout d'augmenter leur bien par de solides +alliances, tandis que les cadets s'en allaient mourir obscurément à +quelque siège lointain, et que les filles, peu ou point dotées, +traînaient leur mélancolique existence sous les arceaux du cloître le +plus proche.</p> + + +<p class="e">C'est à Mâcon, paisible et dormante petite cité, qu'il faut chercher les +origines paternelles de Lamartine, dont les ancêtres, dès la fin du +<span class="smcap">xvi</span><sup>e</sup> siècle, habitaient la maison même où il naquit. La forme +primitive du nom est <i>Alamartine</i>—et non <i>Allamartine</i>, comme il l'a +écrit,—qui subsiste encore actuellement en Bourgogne et dans la +Haute-Loire. La famille est originaire du Charollais, où l'on rencontre +à la fin du <span class="smcap">xv</span><sup>e</sup> siècle des Alaberthe, Alabernarde, Alablanche, +devenus plus tard, à la suite d'une transformation identique, des de la +Berthe, de Labernarde et de Lablanche. Quant aux origines sarrasines +dont le poète se targuait volontiers, elles étaient peut-être une +charmante excuse à sa hautaine nonchalance, à son amour des animaux et à +l'invincible attrait que l'Orient exerça toujours sur lui, mais elles +demeurent, bien entendu, plus que problématiques. La forme <i>Alamartine</i> +se trouve dans la famille du poète jusqu'à la fin du <span class="smcap">xvii</span><sup>e</sup> siècle, en +la personne de Jean-Baptiste Alamartine, son trisaïeul, qui, bien que né +noble, signa jusqu'en 1680 Alamartine.</p> + +<p>Au <span class="smcap">xviii</span><sup>e</sup> siècle, toute trace de roture a définitivement disparu du +nom, qui s'écrit Delamartine ou de la Martine, mais rarement de +Lamartine; ce n'est qu'avec la Révolution qu'on voit apparaître cette +dernière forme, sans la particule. Notons enfin que, jusqu'en 1825, le +poète signa indifféremment Delamartine, de la Martine, ou de Lamartine. +Mais la transformation légitime d'<i>Alamartine</i> ou <i>de la Martine</i> date +du milieu du <span class="smcap">xvii</span><sup>e</sup> siècle, époque où la famille fut anoblie.</p> + +<p>Il y avait en 1789 peu d'ancienne noblesse dans la région du Mâconnais. +Elle n'était guère représentée que par quelques vieilles familles +désœuvrées et hautaines, à qui la modicité de leurs revenus interdisait +Versailles où elles n'auraient pu tenir leur rang; et à part ce comte de +la Baume-Montrevel qui n'avait jamais mis les pieds à la cour et +trouvait moyen de manger royalement à Mâcon ses six cent mille livres de +revenu avec ses équipages, ses violons et ses chasses, le reste n'était +guère que bourgeois enrichis, vivant de la terre, et indifférents à la +politique.</p> + +<p>La famille de Lamartine en est d'ailleurs le meilleur exemple: à la fin +du <span class="smcap">xviii</span><sup>e</sup> siècle, ses membres établis dans la région depuis plus de +trois cents ans s'étaient lentement élevés des plus infimes fonctions +aux plus hautes charges, et les transformations subies par le nom +patronymique sont le meilleur témoignage de cette évolution commune à la +majorité des familles de la région.</p> + +<p>C'est ainsi qu'au milieu du <span class="smcap">xvi</span><sup>e</sup> siècle le chef de la famille était +humble tanneur à Cluny; son fils, plus tard, fut un bourgeois influent +de la ville et, à ce titre, chargé de présenter aux États du Mâconnais +les revendications du tiers; et tous signaient Alamartine. Au début du +<span class="smcap">xvii</span><sup>e</sup> siècle, son petit-fils remplissait les importantes fonctions de +juge-mage et capitaine de l'abbaye de Cluny; quelques années après, il +acquit la noblesse—noblesse de robe—par l'achat d'une charge de +secrétaire du roi puis, par une ascension toute naturelle, ses fils +acquirent des <i>terres nobles</i>, prirent l'épée, et virent alors s'ouvrir +devant eux les chambres de la noblesse aux États de Bourgogne; le nom +devint de la Martine.</p> + +<p>Le poète, pourtant, se montra toujours fort peu soucieux de ses +origines; ses armes, même enregistrées avec tant de soin par son +bisaïeul à l'Armorial général, étaient timbrées par lui d'une façon +fantaisiste; alors qu'à la fin du <span class="smcap">xvii</span><sup>e</sup> siècle les Lamartine +portaient: «de gueule à deux fasces d'or chargé d'un trèfle de même», il +substitua, on ne sait pourquoi, des bandes aux fasces<a name="FNanchor_5_5" id="FNanchor_5_5"></a><a href="#Footnote_5_5" class="fnanchor">[5]</a>; question +purement esthétique, sans doute, mais qui prouve à quel point la science +héraldique le préoccupait peu; de même, à ceux qui l'interrogeaient, il +répondait invariablement qu'il descendait «d'une famille noble et +catholique du Mâconnais».</p> + +<p>Mais si tous ces petits détails le laissaient indifférent, il n'en +allait pas de même de son grand-père, Louis-François de la Martine qui, +fort entiché de noblesse, fit admettre dans des actes officiels du +milieu du <span class="smcap">xviii</span><sup>e</sup> siècle plusieurs généalogies assez inexactes de sa +famille<a name="FNanchor_6_6" id="FNanchor_6_6"></a><a href="#Footnote_6_6" class="fnanchor">[6]</a>. Mais il avait l'excuse de vivre à une époque où les titres +décidaient plus que les mérites. Pour faire admettre ses filles dans des +chapitres nobles et ses fils dans des régiments d'élite, il fut donc +contraint de fournir les titres requis par les statuts. Sa noblesse +était incontestable, mais trop récente; c'est alors que, pour satisfaire +aux règlements, il se créa des ancêtres plus ou moins authentiques. Très +inhabilement, d'ailleurs, il fit subir aux registres paroissiaux des +grattages et des lavages chimiques, rendus parfaitement visibles par le +contraste des encres et des écritures, et il faut croire que les deux +gentilshommes chargés de la vérification des pièces furent tolérants. +Partout où cela fut possible, les «chevalier», «messire», «noble +seigneur» remplacèrent les «maistre»; l'A de Alamartine se transforma en +«de» au moyen de quelques grattages et l'on profita même de ce qu'un +ancêtre avait été marié deux fois pour donner un quartier de plus à la +noblesse familiale.</p> + +<p>Néanmoins, malgré ces falsifications plus courantes à l'époque qu'on ne +le croit ordinairement, il est possible de reconstituer la généalogie +exacte de la famille de Lamartine, à l'aide d'autres documents tels que +les registres du bailliage, ceux-là authentiques, et d'une autorité +incontestable.</p> + +<p>Au début du <span class="smcap">xvi</span><sup>e</sup> siècle, les Alamartine vinrent s'établir à Cluny, +sur les dépendances de la célèbre abbaye qui faisait vivre toute une +population, et où le premier d'entre eux dont on trouve mention vivait +en 1550, exerçant la modeste profession de tanneur cordonnier. Avec son +prénom—Benoît—c'est là tout ce qu'on sait de lui, mais ses enfants +nous sont un peu mieux connus<a name="FNanchor_7_7" id="FNanchor_7_7"></a><a href="#Footnote_7_7" class="fnanchor">[7]</a>.</p> + +<p>Il eut une fille, Françoise, mariée le 4 janvier 1587 à Claude +Tuppinier<a name="FNanchor_8_8" id="FNanchor_8_8"></a><a href="#Footnote_8_8" class="fnanchor">[8]</a>, et trois fils. L'aîné, Gabriel, fut notaire au bailliage +de Mâcon, par provisions du 15 septembre 1573, et épousa une demoiselle +Claude Morestel dont il eut une fille, Philiberte, mariée en 1594 à Jean +Durantel, notaire et procureur à Cluny. Le cadet, Benoît, avocat à +Mâcon, prit pour femme le 29 octobre 1595 Jeanne Fournier, fille de +Guyot Fournier et de Jacqueline Descrivieux, dont il eut neuf +enfants<a name="FNanchor_9_9" id="FNanchor_9_9"></a><a href="#Footnote_9_9" class="fnanchor">[9]</a>. Quant au plus jeune, Pierre, ancêtre direct du poète, on +sait de lui peu de chose. Quelques actes de baptême où sa femme et lui +signèrent comme marraine et parrain, nous apprennent qu'il épousa +Jehanne de la Roüe, d'une famille bourgeoise du Mâconnais, sans que l'on +puisse connaître ni sa profession ni quelque autre date précise de son +existence, si ce n'est qu'en 1604 il fut chargé de présenter aux États +du Mâconnais les revendications du Tiers.</p> + +<p>Vers 1575 quelques membres au moins de la famille Alamartine +appartenaient à la religion réformée. Un pamphlet du temps, la <i>Légende +de dom Claude de Guise</i><a name="FNanchor_10_10" id="FNanchor_10_10"></a><a href="#Footnote_10_10" class="fnanchor">[10]</a>, œuvre de Gilbert Regnault notable huguenot +de Cluny, nous apprend en effet qu'ils eurent à subir des persécutions +pour leur foi:</p> + +<div class="blockquot"><p>Quy voudrait, dit Regnault, spécifier les persécutions, les +voleries, les larcins et brigandages que saint Nicaise et saint +Barthélémy<a name="FNanchor_11_11" id="FNanchor_11_11"></a><a href="#Footnote_11_11" class="fnanchor">[11]</a> ont exercées à l'encontre des pauvres fidelles de la +Religion en la ville de Cluny, faudrait les prendre un par un, puis +déchiffrer les tours, les menées, les piperies, cruautés et +barbaries pour tirer les rançons de ces pauvres, ainsy que descrire +les sommes de deniers qu'il a tirées des seigneurs Philibert +Magnyn, Marin Arcelin, capitaine Rousset, Bolat, Division, +Tuppinier, Holande, Alamartine, Corneloup, Fornier, et plusieurs +autres signalés de la ville de Cluny; et nous n'aurions jamais +fait, non seulement spécifier les deniers qu'il a estorqués de ces +personnages, mais aussi les moyens qu'il a tenus pour leur faire +renoncer Dieu, c'est-à-dire révolter la religion réformée.</p></div> + +<p>Il ne faut pas s'exagérer la valeur de cette conversion des Lamartine +aux idées nouvelles qui dut être extrêmement passagère. Le mouvement +réformiste en Bourgogne eut des causes très diverses, suivant les +endroits où il éclata: à Mâcon et à Cluny, les émeutes et les +conversions en masse de 1562 et 1567 eurent en grande partie pour cause +les exactions de Claude de Guise, abbé de Cluny, qui faisait lourdement +peser son autorité despotique sur les habitants.—Ceux-ci, plus par +exaspération que par foi sincère, s'allièrent aux huguenots et de ce +nombre furent les Lamartine. L'abbé de Cluny obtint d'ailleurs +finalement gain de cause, puisqu'au début du <span class="smcap">xvii</span><sup>e</sup> siècle on trouve +un fils de Pierre pourvu d'une charge à l'abbaye même, ce qui suppose, +bien entendu, un retour à la religion de ses pères.</p> + +<p>Estienne Alamartine, en effet, bourgeois de Cluny, est qualifié dans les +actes le concernant de juge-mage et capitaine de l'abbaye de Cluny; +fonctions importantes qui lui conféraient des pouvoirs administratifs +fort étendus, puisqu'il était chargé de rendre la justice pour le compte +du roi sur les terres ecclésiastiques. Peu à peu, il augmenta sa +situation<a name="FNanchor_12_12" id="FNanchor_12_12"></a><a href="#Footnote_12_12" class="fnanchor">[12]</a>; le 25 octobre 1604, il fut nommé avocat; en 1609 le roi +ayant créé trois offices de conseiller au bailliage de Mâcon, il acquit +une de ces charges et enfin, en 1651, celle de secrétaire du roi fort +recherchée alors puisqu'elle conférait la noblesse à son titulaire +pourvu qu'il l'eût exercée vingt ans ou qu'il fût mort en étant +revêtu.—Estienne Alamartine ayant été reçu en Parlement de Paris le 3 +juillet 1651 et étant mort en fonction l'an 1656, la noblesse fut donc +acquise à ses descendants.</p> + +<p>Estienne fut marié deux fois: en premières noces il épousa, le 12 +octobre 1605 à Mâcon, Aymée de Pise, fille de noble Antoine de Pisz, +président en l'élection du Mâconnais, et de dame Antoinette de +Rymon<a name="FNanchor_13_13" id="FNanchor_13_13"></a><a href="#Footnote_13_13" class="fnanchor">[13]</a>, dont il n'eut pas d'enfants; et, en deuxièmes noces, le 18 +novembre 1619, à Chalon, Anne Galloche, fille de Guillaume Galloche, +procureur du roi en la châtellenie de Sairt-Laurent-lez-Chalon, et de +Nicole Gon.</p> + +<p>C'est à propos de ces deux mariages que commencèrent les falsifications +de Louis-François dont nous avons parlé plus haut. En effet, dans toutes +les généalogies qu'il fit établir à l'époque, il eut soin, afin de +donner un quartier de plus à sa noblesse, de profiter de ces deux +mariages pour faire du seul Estienne deux personnages distincts: le +premier fut marié avec Aymée de Pise, et le second avec Anne Galloche.</p> + +<p>Mais, devant l'invraisemblance des dates—le premier mariage étant de +1605 et le second de 1619, le fils présumé d'Estienne aurait donc eu +treize ans à l'époque de son mariage!—il fallut d'abord reculer la +date de 1605 à 1601, et avancer celle de 1619 à 1629, ce qui fut fait à +l'aide de quelques grattages, et donnait alors environ vingt-sept ans au +faux Estienne le jour de son mariage.</p> + +<p>Bien plus, comme il n'y avait de lui—et pour cause—aucun acte, aucune +pièce authentique, il fallut au moins fournir une preuve soi-disant +irréfutable de sa naissance: c'est alors qu'on créa, de toutes pièces, +cette fois, un faux acte de baptême au nom de cet imaginaire personnage. +À cet effet, à la date du 2 novembre et sur les registres paroissiaux de +l'année 1602, on fit simplement disparaître, à l'aide d'un lavage +chimique, l'acte de baptême d'un individu quelconque; puis, à cette +place, on transcrivit le faux qui devait donner quelque vraisemblance à +l'extraordinaire conception de Louis-François. Il est d'ailleurs heureux +pour lui que les deux gentilshommes chargés de l'examen des titres et +preuves de noblesse, messire Éléonor de Garnier, comte des Garets, +gouverneur de la citadelle de Strasbourg, et le chevalier de Prisque de +Besanceuil n'aient pas mené leur besogne jusqu'au bout, car la lecture +des registres ou ces falsifications sont encore très apparentes +aujourd'hui les eût pleinement édifiés. Sur les deux actes de mariage, +les corrections grossièrement dissimulées sous de maladroites taches +d'encre sont très visibles; sur le faux acte de baptême, le papier +blanchi par l'acide et les mouillures, les signatures péniblement +décalquées ou copiées, l'encre encore noire, l'écriture enfin, +contrastent trop étrangement avec les actes qui précèdent ou suivent +pour que le moins averti s'y soit trompé.</p> + +<p>Louis-François avait compté sans les registres du bailliage qu'il ne +pouvait aussi aisément falsifier; ils font foi qu'il n'y eut pas deux +Estienne Alamartine, mais un seul, marié deux fois; de sa première union +il n'eut pas d'enfants, mais de l'autre il en eut cinq, trois filles et +deux garçons.</p> + +<p>L'aînée des filles, Philiberte, épousa le 10 mars 1638 Antoine de la +Blétonnière<a name="FNanchor_14_14" id="FNanchor_14_14"></a><a href="#Footnote_14_14" class="fnanchor">[14]</a>; une autre, Anne, née en 1627, fut mariée à Simon +Dumont, «élu en l'élection<a name="FNanchor_15_15" id="FNanchor_15_15"></a><a href="#Footnote_15_15" class="fnanchor">[15]</a>», et mourut le 16 mars 1709. La dernière, +Françoise-Marie, devint religieuse à la Visitation de Mâcon.</p> + +<p>Quant aux deux fils, l'aîné, Philippe-Étienne, fut l'auteur de la +branche aînée de Lamartine, dite d'Hurigny, éteinte dans les mâles à la +fin du <span class="smcap">xviii</span><sup>e</sup> siècle, et le cadet, Jean-Baptiste, de la branche de +Montceau dont descend le poète.</p> + + + +<hr /> +<h3>Lamartine d'Hurigny.</h3> + + +<p>Hurigny est une ancienne châtellenie royale dépendant des domaines du +roi, située dans le canton nord de Mâcon non loin de la ville. En 1510, +la terre d'Hurigny avait été inféodée en faveur de Philippe Margot, +conseiller maître des comptes à Dijon. Au milieu du <span class="smcap">xvi</span><sup>e</sup> siècle, la +seigneurie passa aux mains de la famille Seyvert; en 1665, leur +héritier, Jacques Lestouf de Pradines la vendit à Philippe-Étienne, qui, +en 1672, exerça une reprise de fief.</p> + +<p>Philippe-Étienne naquit vraisemblablement à la fin de 1622. Il succéda à +son père en 1656 dans son office de conseiller et secrétaire du roi, +mais résigna ses fonctions quelques années après, le 14 janvier 1663. Il +avait épousé, le 14 juin 1657, Claudine de la Roüe, fille de feu noble +Antoine de la Roüe, avocat à Mâcon, et de demoiselle Marie Galopin, sa +veuve.</p> + +<p>De cette union naquirent deux fils et quatre filles: Ursule (3 janvier +1677—7 mars 1746), mariée le 7 novembre 1696 à Antoine Desbois, grand +bailli d'épée du Mâconnais et capitaine du château de Mâcon<a name="FNanchor_16_16" id="FNanchor_16_16"></a><a href="#Footnote_16_16" class="fnanchor">[16]</a>; Marie, +morte jeune (5—14 février 1602); Marie et Marie-Anne, l'une religieuse +au couvent de la Bruyère (1605—?), l'autre ursuline à Mâcon. Quant aux +fils, l'aîné, Philippe, né le 26 août 1658, fut marié le 7 juin 1704 à +Anne Constant, fille d'Antoine Constant, échevin de Lyon en 1697-98, et +de Anne Mollien<a name="FNanchor_17_17" id="FNanchor_17_17"></a><a href="#Footnote_17_17" class="fnanchor">[17]</a>. Il n'en eut pas d'enfants, et mourut le 20 octobre +1747. Tous les biens paternels qui devaient lui revenir en sa qualité +d'aîné, furent transmis à son cadet, Jean-Baptiste, né le 19 octobre +1663.</p> + +<p>Ce fut Jean-Baptiste qui, le premier des Lamartine, rehaussa le nom du +prestige, si grand à l'époque, de la noblesse d'épée, puisqu'après avoir +servi quelque temps cornette dans Lande-dragons, il acheta le 25 octobre +1689 une compagnie dans le régiment de Gévaudan-dragons. Il quitta +l'armée pour épouser le 26 février 1696 Éléonore Bernard, d'une très +ancienne famille mâconnaise, fille de Philibert, seigneur de la +Vernette, conseiller du roi au siège et présidial de Mâcon<a name="FNanchor_18_18" id="FNanchor_18_18"></a><a href="#Footnote_18_18" class="fnanchor">[18]</a>, et de +Jeanne Bollioud, qui lui donna une fille, Françoise (1700—1720), et +deux fils, dont l'aîné, Philibert, né le 15 juillet 1698, fut capitaine +au régiment de Piémont, et mourut chevalier de Saint-Louis le 8 janvier +1789, sans avoir été marié.</p> + +<p>Le cadet, Jean-Baptiste, dernier seigneur d'Hurigny, naquit en 1703. Il +servit d'abord comme volontaire dans le régiment de Villeroy où il +devint capitaine et chevalier de Saint-Louis. Il épousa, le 8 mars 1735, +Anne de Lamartine de Montceau, sa cousine, et mourut le 10 avril 1757, +n'ayant eu de son mariage qu'un fils, Louis François, né le 26 février +1748, mort jeune, et cinq filles.</p> + +<p>L'aînée, Jeanne-Sibylle-Philippine, née le 7 février 1736, épousa le 16 +février 1756 Pierre de Montherot de Montferrands<a name="FNanchor_19_19" id="FNanchor_19_19"></a><a href="#Footnote_19_19" class="fnanchor">[19]</a>. La cadette, +Marianne (31 oct. 1737—?) épousa, le 25 février 1759, Pierre Desvignes +de Davayé; une autre, Ursule (6 déc. 1741—?), fut mariée le 2 septembre +1761 à Antoine Patissier de la Forestille, capitaine au régiment de +Piémont. Quant aux deux autres, Marie-Philiberte (7 février 1739—?) et +Françoise-Marie (15 nov. 1742—?), elles furent toutes deux religieuses +à Mâcon.</p> + +<p>À la mort de Philibert de Lamartine, survenue en 1789, la branche aînée +se trouva donc éteinte dans les mâles; la seigneurie d'Hurigny, avec les +domaines et château qui en dépendaient, avait été constituée en dot à +Jeanne-Sibylle, lors de son mariage avec Pierre de Montherot.</p> + + + +<hr /> +<h3>Lamartine de Montceau.</h3> + + +<p>La branche cadette de Montceau, dont est issu le poète, a pour auteur +Jean-Baptiste, fils cadet d'Estienne Alamartine et d'Anne Galloche. Il +naquit en 1640, fit ses études de droit à l'université d'Orléans<a name="FNanchor_20_20" id="FNanchor_20_20"></a><a href="#Footnote_20_20" class="fnanchor">[20]</a>, et +à la mort de son père hérita de la charge de conseiller au bailliage de +Mâcon. Il épousa le 17 avril 1662 Françoise Albert, fille d'Abel Albert, +conseiller du roi, receveur des consignations, et de demoiselle +Françoise Moisson. C'est par l'alliance avec les Albert que la terre de +Montceau entra dans la famille; c'était un beau domaine d'environ 50 +hectares, situé sur les communes actuelles de Prissé et de Saint-Sorlin, +à une dizaine de kilomètres de Mâcon. Bien qu'on ne retrouve aucune +reprise de fief pour Montceau, ses possesseurs s'en qualifiaient +seigneurs, alors qu'en réalité, Montceau faisait partie de la terre et +châtellenie de Prissé. On trouve en 1603 un dénombrement de Prissé par +«honorable Guyot Fournier», dont une fille, on l'a vu plus haut, avait +épousé un Benoît Alamartine; on y voit que «ladite châtellanie a de +tout temps appartenu au roi et au seigneur révérend évêque de Mâcon, par +indivis, et à chacun d'eux la moitié». Le 17 juillet 1675 on rencontre +une reprise de fief et dénombrement par les héritiers de Pierre +Fournier, au nombre desquels figure Abel Albert, beau-père de +Jean-Baptiste de Lamartine. Non seulement dans cet acte Abel Albert se +qualifie de seigneur de Montceau, mais il affirme encore que «si ladite +châtellenie est au roi pour une moitié et à l'évêque pour l'autre +moitié», les rentes, toutefois, appartiennent pour un tiers au roi, un +autre à l'évêque et le dernier au seigneur. En 1679 Abel Albert augmenta +sa part en rachetant celles des deux co-héritiers Fournier, et à partir +de cette date on ne retrouve plus de reprise de fief pour Prissé. Au +début du <span class="smcap">xviii</span><sup>e</sup> siècle, par suite de la mort du fils d'Abel Albert, +sa sœur, Françoise, femme de Jean-Baptiste, hérita de Montceau. Ce n'est +d'ailleurs pas Montceau qui permit aux Lamartine de la branche cadette +d'entrer aux chambres de la noblesse du Mâconnais, puisque seule, on l'a +vu, la châtellenie de Prissé qu'ils ne possédaient pas était terre +noble, mais bien le fief de la Tour de Mailly acquis au milieu du +<span class="smcap">xviii</span><sup>e</sup> siècle.</p> + +<p>Le testament de Jean-Baptiste et de sa femme, rédigé le 1<sup>er</sup> mars +1707, nous montre que, dès cette époque, la situation des Lamartine +était déjà solidement établie:</p> + +<div class="blockquot"><p>Nous léguons, y est-il dit en effet, aux pauvres de l'Hôtel-Dieu et +de la Charité de cette ville, à chacun (<i>sic</i>), la somme de trois +cents livres, les invitant à prier Dieu pour nous. À notre fils +Nicolas de la Martine, nous donnons et léguons pour sa part et +portion de nos biens et hoirie notre domaine situé à Milly et lieux +circonvoisins, et celui des Fortins, paroisse de Bertzé-la-Ville +consistant en maison garnie des meubles qui y sont présentement, +caves, pressoirs, et généralement tout ce qui en dépend, prés, +terre, vignes, bois, maisons des grangers et vignerons et leurs +dépendances, avec les bestiaux qui servent à la culture. Plus, nous +lui léguons notre maison sise en cette ville, près les religieuses +Sainte-Ursule qui est habitée présentement par son frère aîné, +suivant qu'elle se comporte chargée du passage qui y est +présentement pour la desserte de la grande maison que nous +habitons. Nous lui donnons et léguons de plus la charge de +conseiller magistrat au bailliage et présidial de Mâcon, avec tous +les droits en dépendant, la part que nous avons aux charges de +receveur des épices, et en tout ce que dessus, instituons ledit +Nicolas de la Martine notre héritier particulier, à la charge de +payer par lui, annuellement et par avance, à sœur Françoise de la +Martine, religieuse à la Visitation Sainte-Marie, et à sœur Anne de +la Martine<a name="FNanchor_21_21" id="FNanchor_21_21"></a><a href="#Footnote_21_21" class="fnanchor">[21]</a>, religieuse Ursule, à chacune d'elles quinze livres +de pension pendant leur vie.</p> + +<p>Item, nous donnons à Marie et à Marie-Anne de la Martine, nos +filles, à chacune la somme de dix-huit mille livres.</p> + +<p>Item, nous léguons et donnons à François de la Martine, notre fils, +chanoine en l'église de Mâcon, la somme de quinze mille livres et, +outre ce, nous lui léguons la somme de mille livres que nous lui +avons avancée pour fournir aux frais de son baccalauréat en +Sorbonne. Au résidu de nos autres biens desquels nous n'avons pas +disposé cy-devant, ni n'entendons disposer cy-après, nous nommons +et instituons notre héritier universel, seul et pour le tout, +Philippe-Étienne de la Martine, notre fils aîné.</p> + +<p>Voulons de plus que si moi, ledit de la Martine, décède le premier, +qu'au moment de mon décès, notre héritier entre en jouissance du +domaine et vignoble de Pérone et des biens qui sont venus de +monsieur Litaud depuis son mariage.</p></div> + +<p>Ce testament est curieux, à plus d'un titre. On y voit figurer en effet +la petite maison de Milly, la maison natale de Lamartine située rue des +Ursulines, et l'hôtel Lamartine, élevé près des remparts de Mâcon et qui +portait alors le numéro 87 de la rue de la Croix-Saint-Girard, devenue +sous la Révolution rue Solon et au <span class="smcap">xix</span><sup>e</sup> siècle rue Bauderon de +Senécé.</p> + +<p>La petite maison de Milly date de 1705, époque à laquelle elle fut +solennellement bénite par le curé de la paroisse<a name="FNanchor_22_22" id="FNanchor_22_22"></a><a href="#Footnote_22_22" class="fnanchor">[22]</a>. Quant à la maison +de la rue des Ursulines, acquise sans doute au début du <span class="smcap">xvii</span><sup>e</sup> siècle, +elle dénote une construction du <span class="smcap">xvi</span><sup>e</sup> siècle. Les fenêtres ont été +remaniées depuis et l'intérieur semble avoir subi de nombreuses +transformations. Sa porte est surmontée d'un écu chargé d'une flamme en +pointe et de deux étoiles à cinq rais en chef, qui se réfère à une +famille actuellement inconnue dans le Mâconnais. Cette maison n'était +pas, comme l'a dit Lamartine, une maison de retraite pour les vieux +domestiques. Dans les testaments qui suivent celui de Jean-Baptiste on +voit qu'elle était toujours léguée au fils cadet, mais que, du vivant du +chef de famille, elle était habitée par l'aîné. La maison de la rue des +Ursulines communiquait par une cour et des jardins avec l'hôtel +Lamartine, belle construction à deux étages qui, d'après son +architecture, dut être édifiée dans la deuxième moitié du <span class="smcap">xvii</span><sup>e</sup> +siècle. Vers 1760, elle subit d'importants remaniements intérieurs et +l'on y voit encore une salle à manger décorée de jolis trumeaux en +camaïeu dans le goût des bergeries de Watteau. Sa porte est surmontée +d'une décoration en fer forgé où l'on remarque deux L entrelacés, +manifestement inspirée du chiffre royal.</p> + +<p>Quant à la propriété de Pérone, elle était située non loin de Mâcon +(canton actuel de Lugny) et dépendait de la seigneurie d'Uchisy. Les +Lamartine y possédaient une maison de campagne, qui date également de la +fin du <span class="smcap">xvii</span><sup>e</sup> siècle.</p> + +<p>Ainsi, comme on peut s'en rendre compte, la plupart des biens—à part +Saint-Point—qui composeront plus tard le patrimoine du poète, se +trouvaient dès le début du <span class="smcap">xviii</span><sup>e</sup> siècle en possession de sa +famille.</p> + +<p>Jean-Baptiste de Lamartine mourut le 1<sup>er</sup> septembre 1707. De son +mariage, très prolifique, il avait eu seize enfants dont peu lui +survécurent<a name="FNanchor_23_23" id="FNanchor_23_23"></a><a href="#Footnote_23_23" class="fnanchor">[23]</a>. Des trois fils qu'il nomme dans son testament, l'un, +Nicolas, était né le 31 octobre 1668; il avait fait ses études de droit +à l'université d'Orléans comme son père, de 1687 à 1690, époque à +laquelle il fut reçu licencié<a name="FNanchor_24_24" id="FNanchor_24_24"></a><a href="#Footnote_24_24" class="fnanchor">[24]</a>. Puis, il succéda à son père dans les +fonctions de conseiller au bailliage, et mourut célibataire à Vichy le +19 mai 1714<a name="FNanchor_25_25" id="FNanchor_25_25"></a><a href="#Footnote_25_25" class="fnanchor">[25]</a>. «Il devait aller de là aux eaux de Bourbon, dit Claude +Bernard qui l'avait connu; mais la mort l'en empêcha; sa maladie était +une phtisie pulmonaire, et on ne seconda pas assez l'effet des eaux par +des purgatifs décidés».</p> + +<p>L'autre, François, né le 20 mai 1677, fut chanoine de Saint-Pierre de +Mâcon, et pourvu d'un archidiaconé en 1725: il fut élu doyen par le +chapitre de cette église le 29 mai 1728, et mourut à une date inconnue.</p> + +<p>Quant à l'aîné, Philippe-Étienne, né le 26 mai 1665, il servit de 1689 à +1702 comme capitaine dans Orléans-infanterie, d'où son père le retira +pour le marier en 1703 à Sibylle Monteillet, d'une famille lyonnaise +dont nous n'avons pu retrouver trace. Il mourut le 22 mars 1765 ayant eu +de son mariage sept enfants, cinq filles<a name="FNanchor_26_26" id="FNanchor_26_26"></a><a href="#Footnote_26_26" class="fnanchor">[26]</a> et deux fils; le cadet, né +le 17 novembre 1717 embrassa comme son père la carrière militaire: il +fut lieutenant dans Tallard-infanterie le 1<sup>er</sup> décembre 1733, +capitaine le 21 mai 1738, et mourut chevalier de Saint-Louis le 27 +octobre 1750, des suites de ses blessures.</p> + +<p>Quant à l'aîné, Louis-François, propre grand-père du poète, c'est une +curieuse figure de gentilhomme, dont on a déjà vu les prétentions +nobiliaires. Il était né le 4 octobre 1711 et, par le relevé de ses +états de services, on voit qu'il fut enseigne le 3 octobre 1730 au +régiment de Tallard-infanterie—devenu par la suite régiment de +Monaco,—promu lieutenant le 22 août 1731, capitaine le 10 novembre +1733, et qu'il quitta l'armée le 1<sup>er</sup> octobre 1748 avec la croix de +Saint-Louis. Comme son corps fit les campagnes de 1733, 34, 35 sur le +Rhin, celle de 1744 et 46 en Flandre et de 1745 en Allemagne, il prit +donc part à la guerre de succession de Pologne et à la guerre de Sept +ans.</p> + +<p>Lamartine, qui l'avait d'ailleurs à peine connu mais pouvait en parler +d'après les souvenirs de son père, nous en a laissé un agréable +portrait, un peu inexact quant aux détails, puisqu'il en a fait un +capitaine de cavalerie: «Il avait été superbe, dit il, dans sa première +jeunesse; en garnison à Lille, sous Louis XV, il avait frappé les yeux +de M<sup>lle</sup> Clairon qui y débutait alors, et en avait été remarqué. J'ai +encore vu les restes de ses équipages tels que sa magnifique argenterie +de campagne... Il avait servi longtemps dans les armées de Louis XV, et +avait reçu la croix de Saint-Louis à la bataille de Fontenoy. Rentré +dans sa province avec le grade de capitaine de cavalerie, il y avait +rapporté les habitudes d'élégance, de splendeur et de plaisirs +contractées à la Cour et dans les garnisons.»</p> + +<p>Si les Mémoires de la Clairon sont muets sur son séjour à Lille, tout au +moins retrouve-t-on trace des équipages dans le laissez-passer que lui +délivra le 27 juillet 1748, à Bruxelles, le maréchal de Saxe<a name="FNanchor_27_27" id="FNanchor_27_27"></a><a href="#Footnote_27_27" class="fnanchor">[27]</a>. Quant +à ses habitudes de luxe et de splendeur, nous en avons la preuve dans +les embellissements qu'il apporta à ses propriétés et à sa belle +bibliothèque où chaque volume était timbré de ses armes<a name="FNanchor_28_28" id="FNanchor_28_28"></a><a href="#Footnote_28_28" class="fnanchor">[28]</a>.</p> + +<p>Quelques années après son retour à Mâcon, il épousa le 23 août 1749 +Jeanne-Eugénie Dronier, fille de Claude-Antoine Dronier, seigneur du +Villard et de Pratz, conseiller au Parlement de Besançon, et de +Cécile-Eugénie Dolard, qui lui apporta en dot d'importants domaines dans +le Jura<a name="FNanchor_29_29" id="FNanchor_29_29"></a><a href="#Footnote_29_29" class="fnanchor">[29]</a>. Ainsi, à la fin du <span class="smcap">xviii</span><sup>e</sup> siècle, la famille de +Lamartine était, on le voit, un des plus considérables du pays. Le 18 +novembre 1760, Louis-François fut même élu de la noblesse aux États +particuliers du Mâconnais, où les représentants des trois ordres +réglaient les affaires de leur province<a name="FNanchor_30_30" id="FNanchor_30_30"></a><a href="#Footnote_30_30" class="fnanchor">[30]</a>.</p> + +<p>D'autre part, d'heureux mariages avaient augmenté le patrimoine +ancestral. En 1750, Louis-François avait acquis près de Dijon la +seigneurie d'Urcy avec le château de Montculot, admirablement situé sur +un plateau raviné et tourmenté, et entouré de magnifiques forêts; +quatorze sources avaient été captées pour embellir le parc qui +descendait en gradins sur les flancs de la colline, et les bâtiments, +aujourd'hui ruinés, semblent avoir été élevés à cette époque.</p> + +<p>En outre, il possédait en Mâconnais des vignobles importants: c'était +Péroné, Champagne et Collonges<a name="FNanchor_31_31" id="FNanchor_31_31"></a><a href="#Footnote_31_31" class="fnanchor">[31]</a>; La Tour de Mailly<a name="FNanchor_32_32" id="FNanchor_32_32"></a><a href="#Footnote_32_32" class="fnanchor">[32]</a>, Escole, +Milly, dont les terres avaient presque doublé depuis Jean-Baptiste, et +enfin Montceau, où rien n'avait été épargné pour en faire une résidence +seigneuriale; on y accédait par une allée de noyers centenaires, longue +d'un kilomètre, et que plus tard Lamartine fit abattre comme donnant +trop d'ombre à ses vignes. À l'exemple du comte de Montrevel, +Louis-François y avait même fait élever une salle de spectacle où l'on +jouait la comédie. Les appartements étaient magnifiquement meublés et, à +voir les inventaires dressés sous la Terreur, on comprend l'acharnement +que Louis-François mit alors à défendre son bien, sans guère se douter, +semble-t-il, qu'il jouait là sa tête.</p> + + +<p class="e">Les gros revenus que nécessitait un pareil train étaient tirés, d'abord +des terres de Bourgogne, mais principalement des biens considérables que +M<sup>lle</sup> Dronier avait apportés en dot, et situés en Franche-Comté. +C'étaient d'abord le château et les bois de Saint-Claude et Pratz; les +forêts du Franois, dont les sapins s'étendaient sur plusieurs centaines +d'hectares, et qui vaudraient, dira plus tard Lamartine, «des millions», +mais qui, d'après lui, furent vendues peu de temps avant la Révolution. +Puis deux usines hydrauliques de fil de fer à Saint-Claude et à Morez en +Jura, dont Louis-François s'occupait assidûment<a name="FNanchor_33_33" id="FNanchor_33_33"></a><a href="#Footnote_33_33" class="fnanchor">[33]</a>; enfin, la terre des +Amorandes, avec les ruines d'un vieux château féodal, et d'importants +vignobles à Poligny.</p> + +<p>Toute cette fortune devait selon l'usage passer un jour aux mains du +fils aîné, François-Louis, né le 6 juillet 1750. À l'âge de quatorze +ans, il avait été inscrit a l'école de la compagnie des chevau-légers +du roi, après examen des fameuses preuves de noblesse établies par son +père.</p> + +<p>Mais il était d'une santé délicate, et dut en 1776 quitter la compagnie +où il n'avait fait d'ailleurs que de rares apparitions, «n'ayant tardé à +venir faire ses exercices dit une note de son dossier, que par sa +maladie dont il a donné les preuves». Il souffrait de la poitrine, et +bientôt son état s'aggrava à un tel point que les médecins lui +déconseillèrent le mariage. Or le cadet, Jean-Baptiste, était entré dans +les ordres; pour assurer la postérité, il fallut donc chercher plus loin +encore, et tirer de l'ombre, où il était destiné à végéter, le troisième +et dernier fils, le petit chevalier de Pratz, Pierre de Lamartine.</p> + +<p>Il était né le 21 septembre 1751; selon l'usage du temps, il ne devait +pas se marier, mais, comme l'a dit Lamartine, «vieillir dans le grade +modeste de capitaine, gagner lentement la croix de Saint-Louis puis, +dans un âge avancé, végéter dans une chambre haute de quelque vieux +château de son frère aîné, surveiller le jardin, dresser les chevaux, +jouer avec les enfants, aimé mais négligé de tout le monde, et achever +ainsi sa vie, inaperçu, sans biens, sans femme, sans postérité, jusqu'à +ce que les infirmités et la maladie le reléguassent dans la chambre nue +où pendaient au mur son casque et sa vieille épée, et qu'on dît un jour +dans le château: Le chevalier est mort.»</p> + +<p>Cette triste et solitaire existence, Pierre de Lamartine semble l'avoir +acceptée avec résignation. À dix-sept ans, après avoir déjà servi deux +ans comme volontaire, il adressa au ministre de la Guerre une demande en +vue d'obtenir un brevet de sous-lieutenant sans appointements dans le +régiment de Dauphin-cavalerie, où commandait le comte de Vibraye, ancien +compagnon d'armes de son père.</p> + +<div class="blockquot"><p>Il ose espérer, terminait-il, qu'on lui accordera cette grâce en +considération de ses pères et parents qui ont sacrifié une partie +de leur vie et de leur fortune au service du Roy, auquel étant +cadet de famille, il se propose lui-même de sacrifier avec zèle sa +vie.</p></div> + +<p>Le 11 mai 1769, la demande était accordée; le 1<sup>er</sup> janvier 1772, il +obtenait le grade de sous-lieutenant en pied, celui de lieutenant en +second le 18 juin 1776, en premier le 14 février 1779, celui de +capitaine en second le 12 juillet 1781, et de capitaine le 9 mars 1788. +C'est à cette époque qu'on s'occupa sérieusement de le marier.</p> + +<p>Il en était question déjà depuis longtemps, paraît-il, mais d'année en +année on ajournait «cette énormité». Lamartine a raconté, avec une verve +exquise, toutes les difficultés que rencontra cette décision. C'était un +soulèvement général de tous les sentiments de famille. Les chevaliers ne +sont pas faits pour se marier, disait la mère révoltée: «c'est +monstrueux». Mais d'autre part, laisser s'éteindre le nom, c'eût été, +a-t-il dit, un crime contre le sang. Il fallut se décider malgré tout.</p> + +<p>Tout au moins lui laissa-t-on faire un mariage d'inclination, puisqu'il +épousa une jeune fille qu'il aimait depuis longtemps, mais peu dotée, ce +qui n'était guère dans les traditions de la famille: Françoise-Alix Des +Roys, chanoinesse-comtesse au chapitre de Salles en Beaujolais, fille +d'un intendant des finances du Palais-Royal et d'une sous-gouvernante +des enfants du duc de Chartres.</p> + + + +<hr /> +<h2><a name="CHAPITRE_IIa" id="CHAPITRE_IIa"></a><a href="#toc">CHAPITRE II</a></h2> + +<p class="c">LES DES ROYS<a name="FNanchor_34_34" id="FNanchor_34_34"></a><a href="#Footnote_34_34" class="fnanchor">[34]</a></p> + + +<p>Les Des Roys, famille de juristes et de magistrats, n'ont guère laissé +de trace dans l'histoire de leur temps; comme les Lamartine en +Bourgogne, ils vécurent tous en Auvergne la même existence probe et +obscure du gentilhomme provincial fidèle au pouvoir et aux traditions, +sans qu'aucun grave événement vînt modifier leurs jours paisibles et +bien occupés. Avocats de père en fils dès le début du <span class="smcap">xvi</span><sup>e</sup> siècle, +ils resteront toujours pauvres: ni leur carrière peu fructueuse, ni le +sol ingrat du Velay ne pouvaient les enrichir.</p> + +<p>Il est difficile d'attribuer des origines précises à leur noblesse et à +leur nom. Dans tous les actes les concernant ils sont bien qualifiés de +<i>nobles</i>, mais aucun d'eux, soit par la seigneurie d'une terre noble, +soit par l'achat d'une charge conférant la noblesse, n'a jamais répondu +aux conditions requises du noble pour justifier ses prérogatives. Reste +l'hypothèse du <i>fait acquis</i>, dont bénéficiaient les familles +autochtones ou très anciennement connues dans une région: seule elle +paraît applicable aux Des Roys dont le nom n'est pas celui d'un fief +ajouté au nom patronymique et supprimé peu à peu par l'usage, puisqu'on +rencontre au cours des <span class="smcap">xvi</span><sup>e</sup> et <span class="smcap">xvii</span><sup>e</sup> siècles des Des Roys +d'Eschandelys, Des Roys de Lédignan, Des Roys de Chazotte, Des Roys de +la Sauvetat. Pourtant leur noblesse est incontestable. Le fait d'avoir +suivi l'exemple des vieilles familles de France en ne profitant pas de +l'édit royal de 1696 pour faire enregistrer officiellement leurs armes +prouve qu'en Auvergne ils n'avaient plus à fournir leurs preuves<a name="FNanchor_35_35" id="FNanchor_35_35"></a><a href="#Footnote_35_35" class="fnanchor">[35]</a>.</p> + +<p>Quant au nom même, il est latin et ne provient pas, comme on serait +porté à le croire, de <i>Regibus</i>, mais de <i>Rex</i>, décliné suivant sa +fonction dans la phrase, transformé peu à peu en <i>Reis</i>, puis en <i>Roys</i>; +l'évolution est d'ailleurs facile à suivre du <span class="smcap">xii</span><sup>e</sup> au <span class="smcap">xiii</span><sup>e</sup> +siècle. <i>De Regibus</i> n'apparaît qu'au <span class="smcap">xv</span><sup>e</sup> siècle, alors que le nom +tout à fait francisé est traduit alors sous son équivalent le plus exact +dans les actes latins.</p> + +<p>Des nombreux Rex, Regis, Rege ou Reis—la plupart notaires ou +clercs—qui figurent dans les cartulaires ou polyptyques de la région +lyonnaise de 1100 à 1400<a name="FNanchor_36_36" id="FNanchor_36_36"></a><a href="#Footnote_36_36" class="fnanchor">[36]</a>, on peut conclure que là est le véritable +berceau de cette famille, plus tard divisée en plusieurs branches, mais +toute possessionnée en Languedoc, en Auvergne ou en Bugey; celle qui +nous occupe se fixa en Velay où la première mention qu'on en rencontre +remonte à 1279<a name="FNanchor_37_37" id="FNanchor_37_37"></a><a href="#Footnote_37_37" class="fnanchor">[37]</a>. À partir de cette date les documents deviennent +plus nombreux, sans qu'il soit possible, bien entendu, d'établir une +filiation directe. Enfin, au début du <span class="smcap">xvi</span><sup>e</sup> siècle, nous nous trouvons +en présence d'une famille Des Roys établie de longue date, semble-t-il, +à Montfaucon près du Puy et comptant de nombreuses alliances avec de +vieilles maisons du pays. Jusqu'au milieu du <span class="smcap">xviii</span><sup>e</sup> siècle elle +demeura dans ce bourg désolé, situé à 16 kilomètres d'Yssingeaux sur un +plateau balayé de coups de vent terribles, enfoui six mois de l'année +sous la neige, privé de ressources naturelles, et sans autres végétation +que les bois de pins sombres qui dominent les gorges de la Dunière. +Point de mouvement sinon celui des pèlerinages à la Vierge noire du Puy, +très fréquentés alors, et au <span class="smcap">xvi</span><sup>e</sup> siècle celui des bandes catholiques +ou huguenotes qui ravageaient le pays avant d'entrer en Languedoc.</p> + + +<p class="e">C'est là que vers 1480 vivait le premier Des Roys auquel on puisse +rattacher directement Lamartine, «vénérable et discrète personne Denis +Des Roys» dont nous savons même fort peu de chose. Par son testament +rédigé le 25 février 1528 et où il est qualifié de bachelier ès lois, on +voit qu'il avait trois frères: Mathurin, curé de Raucoules<a name="FNanchor_38_38" id="FNanchor_38_38"></a><a href="#Footnote_38_38" class="fnanchor">[38]</a>; Louis, +curé du Pailhet<a name="FNanchor_39_39" id="FNanchor_39_39"></a><a href="#Footnote_39_39" class="fnanchor">[39]</a>, et une sœur, Catherine, mariée à Pierre Aurelle, +dont elle était veuve à cette époque. En premières noces Denis Des Roys +épousa Claude de Lagrevol et plus tard Isabelle Vacherelle; de ces deux +mariages naquirent sept enfants, deux filles: Vidalle, Marthe, femme +d'Antoine de Romezin, et cinq fils: Antoine et Aymard, les deux plus +jeunes, entrèrent dans les ordres; un autre, Pierre, fut «apoticaire»; +le cadet, Sébastien, alla s'établir à Toulouse et l'aîné, Antoine, +épousa Marguerite de Baulmes et de Jussac. Quant aux biens qu'il +possédait alors, ils comprenaient une maison à Montfaucon, et deux +terres, le grand et le petit Rebecque.</p> + +<p>Mais si ce long document ne fournit que de très vagues renseignements +sur l'état et la situation des Des Roys au début du <span class="smcap">xvi</span><sup>e</sup> siècle, sa +rédaction soignée et sa forme souvent recherchée dénotent chez Denis une +habitude de la langue polie peu commune à l'époque; issu d'une lignée +érudite, apparenté à des ecclésiastiques lettrés<a name="FNanchor_40_40" id="FNanchor_40_40"></a><a href="#Footnote_40_40" class="fnanchor">[40]</a>, lui-même docteur +en droit, il avait tenu à préciser élégamment les moindres détails de sa +pompe funéraire, parfois, il est vrai, avec un soin un peu macabre +comme on peut en juger par ce début:</p> + +<div class="blockquot"><p>Préalablement à Dieu tout puissant et à la benoyste Vierge Marie sa +mère et par intercession de tous les saints et saintes du Paradis, +je recommande mon âme et mon corps après mon trépassement et, avant +toute œuvre, je rends à Dieu mon créateur grâces de ma nativité, +corps et membres dont il m'a créé, des cinq sens qu'il m'a prestés, +des beaux enfants qu'il m'a donnés, et de tous les biens qu'il lui +a pleu me donner durant ma vie en ce monde.</p> + +<p>Item je me confesse à lui et à la glorieuse Vierge Marie, à +monsieur Saint Denis, Saint Christophe et à tous les saints et +saintes du Paradis de tous les peschés et méfaits en quoy durant +maditte vie je suis escheu et desquels je n'en aurais été autrefois +confessé.</p> + +<p>Item veux et ordonne que mon âme séparée du corps, mon dit corps +soit veillé par mes bons amis et puis dedans un tombeau porté dans +l'église de Montfalcon et dessus la couverte apartenant au curé de +la dicte Église par ses droits accoutumés; veux aussi m'estre mis +un linceul blanc sur le chef avec une croix noire du long et de +travers en mémoire de la Sainte Croix.</p> + +<p>Item que ceux qui porteront mondit corps, reconnaissant que suis +venu en ce monde nud, seront pieds nuds; en contentement de leur +peine je donne à chacun c'est à sçavoir deux aulnes et demie de +mandel noir et dîner afin qu'ils prient Dieu pour mon âme.</p> + +<p>Item veux qu'à ma sépulture soient convoqués tous les prêtres de +cette ville de Montfalcon et de Raucoules et du Pailhet lesquels +seront tenus de dire à haute voix le psautier ainsi qu'il est +accoutumé et après ledict psautier veux qu'ils disent les litanies +et là où on dit <i>ora pro nobis</i>, ils diront <i>ora pro eo</i>.</p></div> + +<p>Suivent, pendant quatre pages, l'ordre de son convoi; les noms des amis +qu'il prie d'y assister, le nombre de messes qu'il requiert—autant +qu'il aura vécus d'ans «en ce misérable monde»—et jusqu'à la décoration +de l'église où il ordonne «qu'il soict faict lume de six livres de cire +tant en quatre petites torches qu'en autres chandelles tellement que +tout le chandellier neuf soit garny».</p> + +<p>La question des legs était plus brièvement traitée; il laissait sa femme +usufruitière de ses biens, lui donnait ses joyaux, anneaux, ceintures, +et une tasse martellée; abandonnait au curé de Montfaucon une partie de +sa garde-robe «comme robe, pourpoint, chausses et une bonne chemise»; +ses fils héritaient chacun de cent livres et ses filles de dix sols +tournois; enfin, à tous les membres de sa famille et à ses amis il +léguait «trois aulnes de bon mandel noir» pour porter son deuil, avec +cette originale restriction que la qualité de l'étoffe devait varier +entre trente et cinquante sols l'aune, suivant le degré de parenté.</p> + +<p>Le fils aîné de Denis Des Roys, Antoine, fut à la fois l'exécuteur et le +légataire universel de ce bizarre testament. Après avoir fait ses études +de droit comme son père, il fut reçu licencié, titre auquel tous +tenaient beaucoup puisqu'il est mentionné dans leurs contrats jusqu'au +milieu du <span class="smcap">xviii</span><sup>e</sup> siècle. Il épousa, le 21 juin 1533, Marguerite de +Baulmes et de Jussac, fille de Charles et d'Anne de Meyre<a name="FNanchor_41_41" id="FNanchor_41_41"></a><a href="#Footnote_41_41" class="fnanchor">[41]</a>.</p> + +<p>Seuls de tous les Des Roys, Antoine connut des jours mouvementés: nommé +en 1542 lieutenant criminel au bailliage de Velay, il fut victime d'une +erreur judiciaire, qui lui valut en 1552 d'être condamné en cour du +parlement de Toulouse au bannissement perpétuel et à la confiscation de +ses biens. Il aurait, paraît-il, après avoir fait arrêter de faux +monnayeurs, profité de leurs dépouilles avec quelques-uns de ses +collègues qui partagèrent son sort. L'affaire demeure assez mystérieuse, +mais il semble avoir été dénoncé à tort par des ennemis. Quoi qu'il en +soit, il fut réhabilité publiquement en 1558 et rentra en possession de +son titre.</p> + +<p>À sa mort, survenue entre 1575 et 1583, il ne laissait pas d'enfants et +institua comme héritier son neveu Sébastien, fils de son frère Pierre. +Celui-ci eut alors à soutenir un long procès contre les frères et sœurs +de Marguerite de Jussac, qui réclamèrent la restitution des biens de +Jussac et de Baulmes dont ils prétendaient qu'Antoine ne pouvait +disposer par suite de sa condamnation. Finalement, après dix-sept ans de +plaidoiries et d'appels il obtint gain de cause; pourtant il se défit +bientôt de ces terres qui lui avaient coûté tant de mal, puisqu'en 1636 +Jussac, qui relevait de l'évêque du Puy, appartenait à Christophe de la +Rivoire, sieur de Chadenac<a name="FNanchor_42_42" id="FNanchor_42_42"></a><a href="#Footnote_42_42" class="fnanchor">[42]</a>.</p> + +<p>Après ces années agitées, aggravées encore par la guerre religieuse qui +ravagea le pays de 1560 à 1595 et dont le Puy et Montfaucon eurent +durement à souffrir, les Des Roys reprennent leur vie monotone et sans +histoire. Sébastien, qui avait épousé en 1588 demoiselle Claude de +Guilhon<a name="FNanchor_43_43" id="FNanchor_43_43"></a><a href="#Footnote_43_43" class="fnanchor">[43]</a>, laissa quatre enfants: une fille, Marie, femme de Jean +Pollenon, et trois fils: l'aîné, Gaspard, marié à Jeanne de Cohacy, +mourut sans héritier; le plus jeune, Pierre, avocat au Puy, fut un +avocat distingué et qui connut en son temps une certaine notoriété: on +lui doit quelques ouvrages de droit qui sont d'une langue claire et +furent utilisés après lui pendant de longues années<a name="FNanchor_44_44" id="FNanchor_44_44"></a><a href="#Footnote_44_44" class="fnanchor">[44]</a>; de son mariage +avec Catherine des Olmes, d'une très vieille famille du pays<a name="FNanchor_45_45" id="FNanchor_45_45"></a><a href="#Footnote_45_45" class="fnanchor">[45]</a>, il +laissa quatre filles, dont la descendance subsiste encore<a name="FNanchor_46_46" id="FNanchor_46_46"></a><a href="#Footnote_46_46" class="fnanchor">[46]</a>. Le +cadet, Melchior, avocat comme ses pères, eut de son union avec Françoise +de Marnans deux filles mortes religieuses, une autre mariée à Pierre +Roche, et un fils, Baltazar, né en 1610, qui épousa Claude des Olmes en +1650. En mourant, il laissait un fils, Pons Gaspard, né en 1652, marié +en 1681 à Louise de Mure, père lui-même de deux fils, dont l'un, Claude, +épousa en 1722 Françoise Pagey, et l'autre, Cristofle, sa cousine Marie +de Romezin. Tous, continuant les traditions de la famille, avaient fait +leurs études de droit à Grenoble et étaient avocats.</p> + +<p>Il faut arriver jusqu'au milieu du <span class="smcap">xviii</span><sup>e</sup> siècle pour rencontrer +quelque variété dans l'histoire de la famille Des Roys. Le grand-père de +Lamartine nous est en effet mieux connu; son existence fut celle d'un +homme de cœur et d'un fonctionnaire parfait.</p> + + +<p class="e">Jean-Louis Des Roys était fils de Claude Des Roys, avocat au Parlement +de Grenoble, et de Françoise Pagey; il naquit à Champagne en Vivarais le +27 août 1724 et de bonne heure se prépara à suivre la carrière de son +père. Le 5 août 1745, il fut reçu licencié en droit à l'université de +Valence et admis un an plus tard, le 20 juin 1746, comme avocat au +Parlement de Grenoble. Il y fit ses débuts au barreau, et, ayant acquis +quelque réputation, alla s'établir à Lyon en 1750. Bientôt, sa notoriété +devint suffisante pour qu'il reçût des lettres de bourgeoisie en 1764, +et fut élu échevin de la ville en 1766, puis premier échevin en 1767.</p> + +<p>Il abandonna le barreau en 1772 pour des fonctions infiniment plus +importantes, ayant été appelé cette année-là à l'intendance des domaines +de la maison d'Orléans. Dans ses lettres de nomination, le duc rendait +hommage à ses talents, son activité, sa probité pendant sa gestion des +affaires de la ville, si bien que les Lyonnais, très satisfaits de ses +services, lui offrirent aussitôt une situation analogue à celle qu'on +venait de lui assurer. Mais la nomination de sa femme comme +sous-gouvernante des enfants du duc de Chartres acheva de le décider.</p> + +<p>Il avait épousé à Lyon, le 12 avril 1757, M<sup>lle</sup> Marguerite Gavault, +fille de François Gavault, receveur du grenier à sel de +Saint-Symphorien, puis lieutenant civil et criminel de l'élection de +Lyon, et de Françoise Mauverney. Cette alliance va donner lieu à +quelques cousinages, qui, pour être authentiques, n'en sont pas moins +imprévus. Françoise Mauverney était fille de François Mauverney et de +Marguerite Grimod, et ce nom de Grimod, illustré au <span class="smcap">xviii</span><sup>e</sup> siècle par +toute une dynastie de puissants fermiers généraux, est l'origine de +curieuses parentés entre Lamartine et plusieurs de ses contemporains +célèbres à des litres divers<a name="FNanchor_47_47" id="FNanchor_47_47"></a><a href="#Footnote_47_47" class="fnanchor">[47]</a>.</p> + +<p>Antoine Grimod, né en 1647, directeur général des fermes unies de +France, conseiller et secrétaire du Roi, avait épousé à Lyon, le 13 +avril 1684, une demoiselle Marguerite le Juge, qui lui donna sept +enfants, dont l'aîné, François-Alexis Grimod de Beauregard (1685-1755), +mourut sans postérité.</p> + +<p>Le cadet, Gaspard Grimod, seigneur de la Reynière, fut marié deux fois: +du premier lit il eut un fils, Jean-Gaspard (1733-1793), fermier +général, époux de Françoise de Jarente, dont il eut Baltazard-Laurent +Grimod de la Reynière, fastueux épicurien et gastronome célèbre dont les +bons mots et les petits soupers défrayèrent longtemps la chronique +scandaleuse à la fin du <span class="smcap">xviii</span><sup>e</sup> siècle. Du second lit, il eut deux +filles: l'une, Madeleine, mariée au comte de Lévis; l'autre, +Marie-Françoise, qui épousa Chrétien-Guillaume de Lamoignon de +Malesherbes, défenseur de Louis XVI auprès du tribunal révolutionnaire; +la fille de Malesherbes devint la femme du marquis Louis de Rosanbo, +dont la première fille, Thérèse (1771-1794), épousa +Jean-Baptiste-Auguste de Chateaubriand, comte de Combourg, conseiller au +parlement de Bretagne, puis capitaine au Royal-cavalerie, le frère de +René, et dont la cadette, Louise-Madeleine, fut mariée au comte de +Tocqueville, père du célèbre historien et philosophe.</p> + +<p>Le troisième fils d'Antoine Grimod et de Marguerite le Juge, Pierre +Grimod de Dufort d'Orsay (1698-1748), fermier général, fut tout aussi +bien casé que ses aînés; trois fois marié, il n'eut d'enfant que de sa +dernière union avec Marie-Antoinette de Caulaincourt. L'aîné fut +Pierre-Gaspard-Marie, comte d'Orsay, qui épousa d'abord la princesse +Amélie de Croy, puis, devenu veuf, la princesse Elisabeth de +Hoenloe-Bartenstein. Un fils de son premier lit, Albert-Gaspard +(1772-1843), prit pour femme Éléonore de Franquemont, qui lui donna une +fille, Anna Ida, mariée en 1818 à Héraclius, duc de Grammont, et un +fils, Gillion-Gaspard-Alfred, comte d'Orsay, surintendant des +beaux-arts, le fameux «dandy» amant de la belle lady Blessington, à qui, +en échange d'un buste, son cousin Lamartine dédia l'<i>Ode au comte +d'Orsay</i>.</p> + +<p>Le dernier fils d'Antoine Grimod, Gaspard Grimod de Verneuil, nous +réserve une surprise encore plus singulière: sa fille, mariée à un +certain Charles Bouvet, fut la mère de Marie Bouvet, qui devint la femme +de Charles-Jacob de Bleschamp, et la grand'mère d'Alexandrine de +Bleschamp (1778-1855); celle ci, après son divorce d'avec un aventurier +nommé Jouberthon, épousa en 1802 Lucien Bonaparte, prince de Canino, +frère de Napoléon Ier, dont deux des petits-fils sont le prince Roland +Bonaparte et le général Wyse-Bonaparte, actuel ministre de la Guerre +des États-Unis d'Amérique, et l'arrière-petite-fille la princesse royale +de Grèce. Quant à la fille aînée d'Antoine Grimod, Marguerite, elle fut +mariée: 1º à François Mauverney<a name="FNanchor_48_48" id="FNanchor_48_48"></a><a href="#Footnote_48_48" class="fnanchor">[48]</a> dont elle eut une fille, Françoise; +2º à Charles Gavault, veuf également et père d'un fils, François, qui +épousa la fille du premier mariage de sa belle-mère. De cette union +naquirent deux filles: l'aînée, Françoise, épousa en 1743 Charles +Dareste de la Plagne, dont le fils fut directeur des tabacs à Naples +sous le premier Empire et employa Graziella parmi ses cigarières; la +cadette, Marie Gavault épousa, on l'a vu, Jean-Louis Des Roys, et leur +fille, Alix, fut la mère de Lamartine.</p> + +<p>Par les Grimod, celui-ci se trouvait donc allié par le sang à Grimod de +la Reynière, à Malesherbes, à Tocqueville, aux Bonaparte, aux +Chateaubriand, aux Grammont, aux Lévis, aux de Croy et aux Montmorency.</p> + +<p>Cette alliance avec la puissante famille Grimod fut d'ailleurs +extrêmement précieuse à Jean-Louis Des Roys lors de son séjour à Paris +comme intendant des finances du duc d'Orléans, car les innombrables +relations de Laurent de la Reynière lui valurent bientôt un petit +cercle assidu aux réceptions de sa femme dans l'appartement qu'elle +occupait au Palais-Royal.</p> + + +<p class="e">Le peu que nous sachions de M<sup>me</sup> Des Roys la montre comme une femme +pleine de simplicité, vertueuse sans affectation et profondément dévouée +aux d'Orléans. «M<sup>me</sup> Des Roys, dit Lamartine dans les <i>Confidences</i>, +était une femme de mérite; ses fonctions dans la maison du premier +prince du sang attiraient et groupaient autour d'elle beaucoup de +personnages célèbres à l'époque. Voltaire, à son court et dernier voyage +à Paris qui fut un triomphe, vint rendre visite aux jeunes princes: ma +mère, qui n'avait que de sept à huit ans, assista à la visite... +D'Alembert, Laclos, M<sup>me</sup> de Genlis, Buffon, Florian, l'historien +anglais Gibbon, Grimm, Morellet, Necker, les hommes d'État, les gens de +lettres, les philosophes du temps vivaient dans la société de M<sup>me</sup> Des +Roys.» À part le détail touchant Voltaire, ceci est suffisamment vérifié +par les mémoires de M<sup>me</sup> de Genlis, sa perfide rivale, obligée de +convenir elle-même de la réputation de M<sup>me</sup> Des Roys auprès de la +société de leur temps.</p> + +<p>En 1773, à la naissance du duc de Valois, qui deviendra Louis-Philippe, +M<sup>me</sup> Des Roys avait été nommée sa gouvernante, sous le contrôle de la +vieille marquise de Rochambeau, et cette faveur fut l'origine de la +rancune tenace que lui voua la vindicative M<sup>me</sup> de Genlis. La belle +Félicité, alors maîtresse en titre du duc de Chartres et son Égérie, +avait ambitionné ce poste qui aurait au moins donné quelque excuse à sa +présence perpétuelle auprès des princes, mais la duchesse s'y opposa. +Sans égards à la bienveillance dont M<sup>me</sup> Des Roys avait jadis fait +preuve envers elle, puisqu'elle lui devait d'être entrée au service de +la famille d'Orléans sur la recommandation de Grimod de la Reynière son +cousin, elle commença une violente campagne contre sa bienfaitrice et +l'accusa auprès du duc d'élever ses fils dans les idées philosophiques +de ses amis les plus habituels. Indignée, la bonne M<sup>me</sup> Des Roys, qui, +jusqu'alors avait traité de calomnie la liaison de M<sup>me</sup> de Genlis et +du duc de Chartres, en profita pour fermer sa porte à la dangereuse +créature en même temps qu'à Grimod de la Reynière qui avait pris parti +contre elle<a name="FNanchor_49_49" id="FNanchor_49_49"></a><a href="#Footnote_49_49" class="fnanchor">[49]</a>. Celle-ci s'en vengea comme elle put, et l'on sent, à +lire ses <i>Mémoires</i> rédigés plus de quarante ans après, que sa haine +n'était point encore éteinte. En 1781, en effet, elle fut nommée +<i>gouverneur</i> des princes au grand scandale de la cour et, rapportant +avec orgueil les souvenirs de ce temps, elle s'exprime ainsi sur le +compte de celle qui l'avait précédée auprès du duc de Valois:</p> + +<p>«J'ai le droit, dit-elle, de ne pas estimer certaines personnes, parce +qu'elles ont été d'une très noire ingratitude envers moi; telle, par +exemple, M<sup>me</sup> Desrois<a name="FNanchor_50_50" id="FNanchor_50_50"></a><a href="#Footnote_50_50" class="fnanchor">[50]</a>», et plus loin, à la fin d'une conversation +avec ses élèves: «Il m'a paru que vous étiez très froids pour M<sup>me</sup> +Desrois; vous lui parlez à peine. Vous ne lui montrez aucune amitié, +vous ne demandez jamais de ses nouvelles; cela est mal et ridicule.» +Puis, elle ajoute ingénument: «Ils avaient cette froideur pour elle +parce qu'elle s'était brouillée publiquement avec moi, sans motifs et +sans explication, quoique je lui eusse rendu de très grands services +auprès de M. le duc d'Orléans».</p> + +<p>En 1820, même, elle reporta sur Lamartine toute la haine qu'elle avait +vouée à sa grand'mère; devenue intransigeante sur le tard, elle s'était +découvert un amour imprévu de vertus qu'elle avait pourtant peu +pratiquées: malgré la respectueuse dédicace que le poète avait inscrite +sur l'exemplaire des <i>Méditations</i> qu'il lui fit parvenir, elle en +rédigea dans <i>l'Intrépide</i><a name="FNanchor_51_51" id="FNanchor_51_51"></a><a href="#Footnote_51_51" class="fnanchor">[51]</a> un compte rendu perfide et malveillant, +où elle ne se fit pas faute de répéter tout le mal qu'elle pensait, +sinon de l'œuvre, tout au moins de la famille de l'auteur.</p> + +<p>Le titre lui paraît impropre, car «la méditation doit être paisible et +profonde»; or elle a relevé des morceaux tels que <i>l'Enthousiasme</i> et +<i>la Gloire</i>, qui sont au contraire «d'une inspiration soudaine, d'une +exaltation remplie de désordre et de feu»; les souvenirs d'amour sont +des <i>rêveries</i> et non des <i>méditations</i>; enfin <i>le Désespoir</i>, +«impulsion coupable et forcenée», ne saurait non plus être une +méditation.</p> + +<p>Puis, elle entre dans le vif de l'œuvre où le mélange d'un amour profane +et de scènes religieuses lui semble d'abord tout à fait déplacé, «car il +n'est ni vraisemblable ni d'un goût sévère de passer sans transition de +l'exaltation de la piété au souvenir de sa maîtresse»; «Reste d'âme» la +choque; le vers:</p> + +<p> +<br /><span style="margin-left: 15%;">Et ces vieux panthéons peuplés de <i>dieux nouveaux</i></span><br /> +<br /></p> + +<p>est une expression «d'athée», qu'elle souhaite de voir corrigée dans la +prochaine édition; «fenêtre» est un mot familier et «déplacé dans le +genre noble»; les vers:</p> + +<p> +<br /><span style="margin-left: 15%;">Des théâtres croulants dont les frontons superbes</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Dorment dans la poussière ou rampent dans les <i>herbes</i></span><br /> +<br /></p> + +<p>lui suggèrent la même réflexion «parce qu'au pluriel, <i>herbe</i> rappelle +l'usage journalier qu'on en fait dans la cuisine». Pour terminer, elle +accable le jeune homme de bons avis, lui conseillant de ne pas se +laisser aller au découragement après ses critiques, sévères sans doute, +mais formulées sans restriction dans son intérêt même, et dictées par +une sympathie que tant de raisons lui commandaient.</p> + +<p>Ces vétilles et ces chicanes, qui firent sourire, à l'époque, ceux qui +en connaissaient les motifs<a name="FNanchor_52_52" id="FNanchor_52_52"></a><a href="#Footnote_52_52" class="fnanchor">[52]</a>, témoignaient d'une rancune toujours +vivace.</p> + +<p>Pourtant, malgré tout l'empire de M<sup>me</sup> de Genlis sur son amant, M<sup>me</sup> +Des Roys continua ses fonctions jusqu'en octobre 1778, grâce à l'appui +de la duchesse de Chartres, à laquelle elle voua, en cette circonstance, +un dévouement éternel; elle abandonna même le Palais-Royal sur un +nouveau triomphe: le gouverneur qui la remplaça auprès des princes +devenus grands fut proposé par elle; c'était le chevalier de Bonnard, +son ami personnel, et qu'elle avait connu chez Buffon. Le frivole +Bonnard, il est vrai, n'avait rien d'un éducateur, mais il valait au +moins M<sup>me</sup> de Genlis, qui le remplaça officiellement trois ans plus +tard. Ainsi, M<sup>me</sup> Des Roys sortait victorieuse de cette lutte avec la +favorite; bien mieux, la duchesse voulant lui prouver sa reconnaissance +l'admit dans sa maison particulière et lui confia l'éducation de sa +fille la princesse Adélaïde.</p> + + +<p class="e">Tandis que sa femme se tirait avec dignité de ces intrigues assez +difficiles, Jean-Louis Des Roys, de son côte, avait su gagner la +confiance et l'estime du duc d'Orléans en menant à bien un certain +nombre d'opérations juridiques et financières de la plus haute +importance pour son maître. À ses fonctions d'intendant des finances, il +joignit l'administration des terres de la Fère, Albert et Carignan; en +1774, il avait préparé le règlement des droits, de la duchesse de +Bourbon, belle-fille du prince de Condé, dans la succession de la +duchesse d'Orléans, sa mère; en 1781, il reprit les négociations de +l'affaire des princes de Chimay, qui traînaient depuis un siècle et, +après plusieurs voyages en Belgique, il obtint la conclusion d'un traité +qui assurait la pairie d'Avesne à la maison d'Orléans.</p> + +<p>En 1785, M. et M<sup>me</sup> Des Roys demandèrent leur retraite qui leur fut +accordée; mais pour marquer la satisfaction qu'il avait des services de +l'intendant de son père, le duc de Chartres lui conserva à titre de +pension l'intégrité de son traitement, et le pria d'accepter d'être +commissaire à la liquidation du duc d'Orléans qui venait de mourir, ce +que Jean-Louis Des Roys ne put refuser.</p> + +<p>Il se retira alors dans sa propriété de Rieux<a name="FNanchor_53_53" id="FNanchor_53_53"></a><a href="#Footnote_53_53" class="fnanchor">[53]</a>, qu'il avait acquise +en 1776, et où, ayant obtenu la création d'une pépinière royale, il se +consacra entièrement à l'agriculture. Il y vit philosophiquement +commencer la Révolution, sans être jamais inquiété malgré un passé qui +pourtant aurait dû le rendre suspect; quelques lettres de lui écrites à +son frère de 1793 à 1795 nous le montrent parfaitement tranquille sur +son sort, une entre autres, écrite de Paris le 26 mars 1793, où on +lit<a name="FNanchor_54_54" id="FNanchor_54_54"></a><a href="#Footnote_54_54" class="fnanchor">[54]</a>:</p> + +<div class="blockquot"><p>Je suis las, rebuté, et très impatient d'être rendu à ma nullité +champêtre; ce n'est pas que je ne m'attende à trouver là de +nouveaux ennuis; et quel est le lieu ou la position dans laquelle +un français puisse aujourd'hui vivre dans le calme? le désir du +sage doit se borner à exister hors des foyers de l'orage et à +s'estimer heureux de ressentir que les battements des vagues +amorties... Les bruits du moment sont que les révoltes et +attroupements armés des environs de Nantes et autres parties de la +Bretagne ont été dissipés avec grand carnage. Les armées du Rhin, +de la Meuse, de l'Escaut se soutiennent aussi, dit-on, et disputent +le terrain aux ennemis du dehors. Dieu veuille enfin nous donner la +paix, la santé et l'ordre; quand ces biens seront rendus à la +France, il faudra encore bien des années pour qu'elle recouvre +l'embonpoint que cette fièvre dévore. Si je ne voyais que moi dans +l'orage je serais peu peiné: je serais même assez philosophe pour +observer sans inquiétude les agitations des hommes; mais mes +enfants, mes parents, mon frère, mes amis! je ne puis pas être +indifférent et froid sur tant d'objets chéris...</p> + +<p>Tu me conseilles de vendre mes fonds; je sais très bien que je me +donnerais par là de l'aisance, mais je vois aussi qu'elle ne +pourrait être que momentanée. Je t'ai déjà observé sur cela que je +ne trouverais en ce moment ni placement, ni emploi qui me donne +sûreté et aisance; agioter n'est pas mon fait; placer en rentes ou +obligations, rien de plus fragile; acquérir d'autres immeubles, +rien à gagner dans ces revirements; les biens patrimoniaux se +vendent à deux pour cent, j'achèterais comme j'aurais vendu. Je +conclus pour attendre que le mal soit instant ou que l'on sache +mieux sur quoi compter. Tu vois comme moi que les Révolutions +opèrent rarement un mieux-être. Actuellement nous sommes à peu près +maîtres de nos âmes et de nos sentiments; cela seul est à notre +direction.</p></div> + +<p>Dans une autre lettre encore, du 16 avril, il apparaît toujours plus +tourmenté des autres que de lui même et moins hostile qu'on n'aurait pu +le prévoir aux événements du moment:</p> + +<div class="blockquot"><p>Le mystère sur ce qui se passe à Lyon, m'inquiète beaucoup; je +tremble pour les parents et les amis, hélas! pour tout le monde, +car je tiens à l'humanité et à mon pays. Paris est pour le moment +assez tranquille, mais l'on semble craindre la disette du pain. Il +y a foule chez les boulangers, on s'y étouffe pour parvenir à s'y +approvisionner. Le vrai malheur ou du moins le pire de tous est la +division qui règne dans la Convention; elle est, par ses +scandaleuses dissensions, distraite du bien ou dans l'impossibilité +de l'opérer; sa considération s'affaiblit et le désordre s'accroît; +cependant, cette Convention, toute orageuse qu'elle est, forme le +seul lien, le seul pivot sur lequel tout roule. Le vaisseau s'abîme +si le pilote lui manque en ce moment de crise.</p></div> + +<p>Il cessa pourtant bientôt de lui faire crédit et c'est très désabusé +qu'il écrivait le 22 août 1795:</p> + +<div class="blockquot"><p>Sûreté personnelle et du pain: ces biens n'ont heureusement pas +cessé d'exister ici, mais la mauvaise santé de quelques-uns de ceux +qui m'entourent et les inquiétudes et les misères publiques et trop +universelles ont toujours écarté de moi la gaieté.</p> + +<p>Il serait bien temps que nous aperçussions quelqu'étincelle du +bonheur que la Révolution nous a tant présagé; Dieu veuille que la +nouvelle Constitution qu'on nous prépare en jette enfin des +fondements plus solides que ne l'ont été ceux des précédentes.</p></div> + +<p>Le calme rétabli, Jean-Louis Des Roys et sa femme se retrouvèrent à +nouveau dans leur propriété de Rieux où ils s'apprêtaient à finir +paisiblement leurs jours lorsque la duchesse d'Orléans vint mettre une +fois de plus leur dévouement à l'épreuve. La princesse, transférée à la +pension du docteur Belhomme après le 9 thermidor, essayait de s'y faire +oublier, lorsque le 6 septembre 1797 le gouvernement décida la mise en +vigueur d'un décret du 21 prairial an III, ordonnant l'expulsion +immédiate de tous les membres de la famille de Bourbon et la +confiscation de leurs biens. Elle se mit en route pour l'Espagne et +écrivit de Barcelone une lettre à M<sup>me</sup> Des Roys en la priant d'aller +jusqu'en Hongrie chercher sa fille, la princesse Adélaïde, pour la +ramener près d'elle. La jeune fille, émigrée dès 1791 avec M<sup>me</sup> de +Genlis, avait été abandonnée par elle à l'étranger pendant que Félicité +voyant la cause royale perdue, gagnait Hambourg où elle se rendait vite +insupportable à tous les Français par son hypocrisie et ses calomnies.</p> + +<p>Heureuse de pouvoir prouver une dernière fois son dévouement à ses +anciens maîtres, la vieille M<sup>me</sup> Des Roys se mit en route à la fin de +décembre 1799 et, après un long et pénible voyage qui dura près de deux +ans et demi, elle accomplit heureusement sa mission. Forcées d'éviter la +France interdite à la princesse Adélaïde, les deux femmes avaient dû +descendre de Hongrie en Italie, où elles s'embarquèrent à Livourne; le +12 avril 1802, on lit dans le <i>Journal intime</i>:</p> + +<div class="blockquot"><p>J'ai reçu une lettre de ma mère qui m'annonce enfin son arrivée à +Barcelone; elle a éprouvé beaucoup d'événements, entre autres une +tempête dans la traversée de Livourne en Espagne, qui a duré trois +jours et deux nuits; l'entrevue de M<sup>me</sup> d'Orléans et de sa fille +a été des plus touchantes, il y avait onze ans qu'elles étaient +séparées.</p></div> + +<p>La princesse Adélaïde n'oublia pas cet admirable dévouement; lorsqu'en +1814 elle reprit le chemin de Paris, elle tint à s'arrêter à Lyon pour +voir les deux filles de son ancienne gouvernante, M<sup>me</sup> de Lamartine et +M<sup>me</sup> de Vaux, et leur offrit de merveilleuses dentelles qui avaient +appartenu à sa mère. Mais un an plus tard, lorsque le chevalier de +Lamartine voulut obtenir, pour lui la croix de Saint-Louis, pour son +fils un brevet de garde du corps, il eut du mal à voir sa requête +aboutir. En 1825, enfin, Lamartine trouva moyen de s'aliéner +complètement le duc d'Orléans par quelques vers vraiment maladroits de +son <i>Chant du Sacre</i>, et dès ses débuts en politique le fossé se creusa +encore plus profond: sa conscience, sa vision poétique et grandiose de +la liberté primèrent en lui tous les autres sentiments. Mais n'y a-t-il +pas quelque mélancolie à penser que celui dont M<sup>me</sup> Des Roys avait +bercé les premières années avec tant de sollicitude devait être chassé +du trône par le petit-fils de sa vieille gouvernante?</p> + +<p>Jean-Louis Des Roys mourut le 14 octobre 1798, et sa femme le 10 juillet +1804. De leur mariage étaient nés six enfants; l'aîné, Pierre-François, +né le 12 février 1738, fut conseiller à Rouen et mourut sans avoir été +marié le 8 mai 1810. «Il m'avait presque tenu lieu de père pendant mon +enfance, écrira sa nièce en inscrivant la triste nouvelle, et avait +contribué à mon mariage en me donnant 10000 francs comptant et en m'en +assurant 12000 après lui.»</p> + +<p>Des quatre filles de M<sup>me</sup> Des Roys, l'aînée, Catherine Julie, née le 9 +janvier 1761, épousa en 1778 Charles-Henrion de Saint Amand, frère du +président Henrion de Pansey; la seconde, Émilie (22 janvier 1762-1827), +fut mariée à Louis Papon de Rochemont; la troisième, Césarine, née le 29 +novembre 1763, devint la femme de Pierre-Benoît Carra de Vaux Saint-Cyr, +et la dernière, Alix, devint M<sup>me</sup> de Lamartine<a name="FNanchor_55_55" id="FNanchor_55_55"></a><a href="#Footnote_55_55" class="fnanchor">[55]</a>. Enfin le dernier +des fils, Lyon Des Roys, eut une triste existence d'homme de lettres +manqué qui fournit la véritable explication des terreurs de M<sup>me</sup> de +Lamartine lorsqu'elle vit son fils tourmenté lui aussi, à vingt ans, de +la même fièvre poétique.</p> + +<p>Il était né à Lyon le 5 novembre 1768, et la ville qui, pour rendre +hommage à son père alors échevin, avait tenu à être son parrain, délégua +le prévôt des marchands au baptême; la cérémonie eut lieu en grande +pompe le jour suivant en la cathédrale de Saint-Paul; la marraine fut, +par procuration, Marie-Françoise de Beaumont, fille de Gaspard Grimod de +la Reynière et tante de M<sup>me</sup> Des Roys<a name="FNanchor_56_56" id="FNanchor_56_56"></a><a href="#Footnote_56_56" class="fnanchor">[56]</a>. Ainsi, l'enfant semblait +promis à quelque belle destinée alors que la réalité fut tout autre: ce +qu'on sait de lui révèle un certain désordre mental, le délire de la +persécution, un amour effréné de la publicité, et surtout un véritable +désespoir de ne pas dépasser la médiocrité.</p> + +<p>Il fit ses études au collège de Juilly, d'où il fut chassé en 1793 par +la Révolution; en 1799 il était maître répétiteur de mathématiques dans +cet établissement qui venait de rouvrir sous une nouvelle direction. +Pour occuper ses loisirs, il rima alors un poème sur la géométrie, une +tragédie en cinq actes, <i>la Mort de Caton</i>, une comédie, +<i>l'Antiphilosophe</i>. Ce fut l'origine de tous ses malheurs: en juillet +1799 il abandonna le collège pour Paris, rêvant la gloire littéraire, et +s'imaginant avec présomption que son génie suffirait à le faire vivre. +La lutte qu'il soutint pendant trois ans pour arriver à la célébrité, +les railleries, les épigrammes dont il fut accablé eurent quelque +retentissement à l'époque, et un critique dramatique, qui l'avait pris +en grippe, Salgues<a name="FNanchor_57_57" id="FNanchor_57_57"></a><a href="#Footnote_57_57" class="fnanchor">[57]</a>, mena même contre lui une campagne de ridicule +où il finit par succomber. On peut en juger par ces quelques extraits de +<i>l'Observateur des spectacles</i>, où l'odyssée de Lyon Des Roys fut +l'occasion de plusieurs articles.</p> + +<div class="blockquot"><p>Le cit Desroys n'est point un de ces petits-maîtres à la mode qui +ont fondé leur succès sur les grâces de leur figure et l'élégance +de leurs manières; c'est un homme simple, nourri à la campagne et +dont la physionomie se rapproche un peu de celle de quelques +personnages fêtés sur le théâtre Montansier. Habitué à composer des +idylles pour les bergeries de Montmirail et des tragédies pour le +curé de sa paroisse, il n'a guère connu jusqu'à présent de plus +grandes solennités que celles de la messe ou du prône... La nature, +avare dans ses productions originales, n'enfante pas tous les jours +de ces êtres privilégiés destinés à réjouir les journalistes. Sous +ce rapport, le cit. Desroys est une de ses conceptions les plus +heureuses, et nous ne saurions trop nous empresser de le faire +connaître.</p> + +<p>Déjà les deux nymphes<a name="FNanchor_58_58" id="FNanchor_58_58"></a><a href="#Footnote_58_58" class="fnanchor">[58]</a>, arrivées au point où les soins paternels +cessaient d'être nécessaires, aspiraient à se produire dans le +grand monde, à étaler les charmes dont elles étaient parées, +lorsque le cit. Desroys, en père tendre et compatissant, s'est +déterminé à les transporter dans sa malle à Paris. Mais sur quel +théâtre exposera-t-il ces rares merveilles de la nature? Il a à +choisir entre la salle Montansier, les boulevards ou la +République<a name="FNanchor_59_59" id="FNanchor_59_59"></a><a href="#Footnote_59_59" class="fnanchor">[59]</a>. La République aura ses préférences. Déjà le cit. +Desroys a mis son habit du dimanche: un bas de soie réservé pour le +jour de Pâques a succédé à la guêtre qui déguise la faiblesse de +son mollet et l'épaisseur de ses orteils; une cravatte brodée à +crête de coq enveloppe son long col et dépasse son menton; un linge +mouillé dans un gobelet a fait disparaître les traces de poussière +qui s'étendent sur son front; sa main, blanchie par le savon, +soutient avec orgueil ses deux filles chéries qu'il se hâte de +présenter au sévère Florence<a name="FNanchor_60_60" id="FNanchor_60_60"></a><a href="#Footnote_60_60" class="fnanchor">[60]</a>.</p> + +<p>Illustre semainier qui rédigez l'annonce des spectacles et +convoquez le conseil suprême qui, dans son indulgence ou ses +rigueurs, élève ou abaisse la puissance poétique, généreux +Florence, soyez favorable au Sophocle de Montmirail!</p></div> + +<p>C'est dans cet appareil et présenté par ces propos un peu lourds, que +Lyon Des Roys aborda le comité de lecture du Théâtre-Français, et une +épigramme complaisamment recueillie par son terrible ennemi nous apprend +l'accueil qu'il en reçut:</p> + +<p> +<br /><span style="margin-left: 15%;">Dieu paternel, quel dédain, quel accueil!</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">De quelle œillade altière, impérieuse,</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Le fier Batiste écrase ton orgueil,</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Pauvre Desroys! la Raucourt est moqueuse;</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Elle riait, Saint-Prix te regardait</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">D'un air de prince, et Dugazon dormait;</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Et renvoyé, penaud, par la cohue,</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Tu vas gronder et pleurer dans la rue.</span><br /> +<br /></p> + +<p>Le jeune auteur fut pourtant ravi de tant de bruit fait autour de son +nom, et ce refus, loin d'abattre son courage, ne fit qu'exciter sa +verve; lui-même rendit publique sa mésaventure dans une <i>Épître à +Dazincour</i>, célèbre comique du temps, qui l'avait patronné paraît-il +auprès du comité de lecture; c'est allégrement qu'il s'écriait:</p> + +<p> +<br /><span style="margin-left: 15%;">Touchés de mon discours modeste,</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Les premiers talents comme toi</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Se sont déjà montrés pour moi:</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Monvel, Talma, Mars et Devienne;</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Mais la fâcheuse et dure antienne</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">De l'implacable Grandménil</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">M'a renvoyé dans mon chenil!</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Va, ne crains pas que je m'y tue!</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Ma muse est à la fin connue,</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Ami, voilà ce qui m'en plaît,</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">C'est pour cela que j'ai tout fait.</span><br /> +<br /></p> + +<p>L'échec paraît néanmoins lui avoir été plus pénible qu'il ne le laissait +entendre, puisque peu de temps après il publia une <i>Épître aux +Comédiens</i> dont la préface est pleine d'amertume:</p> + +<div class="blockquot"><p>Je suis bien loin de prétendre, y lit-on, valoir mieux que les +Legouvé, les Arnaud, les Collin; mais quand je vois jouer des +pièces aussi froides que celles qu'on nous donne souvent, alors +l'indignation s'empare de mon esprit et je trouve qu'on me fait +injure de ne pas du moins essayer les miennes.</p></div> + +<p>Combien peu, pourtant, il était exigeant:</p> + +<div class="blockquot"><p>Que demandai-je aux comédiens? une lecture de la pièce entière? +Non, mais une lecture du premier acte, de la première scène! Si +j'avais été entendu, j'étais content, je leur promettais un ennui +très court, mais ils n'ont pas voulu courir le danger.</p></div> + +<p>Il terminait enfin par le procès du comité de lecture:</p> + +<div class="blockquot"><p>Comité secret et invisible qui rend les réponses les plus +rébarbatives; en se barricadant de la sorte, les acteurs de Paris +ne peuvent être abordés que par un petit nombre de favoris dont la +fortune est déjà faite, et par conséquent l'ardeur refroidie.</p></div> + +<p>Pour se venger des comédiens qui l'évinçaient, de la critique qui le +raillait, et persuadé que l'opinion prévenue contre lui ne demandait +qu'à lui rendre justice, l'infortuné eut une idée dont l'originalité n'a +certes jamais été atteinte depuis; il fit imprimer sa comédie, où on +lisait ces simples mots à la fin du IV<sup>e</sup> acte:</p> + +<div class="blockquot"><p><i>Absence du V^{e} acte</i>. Cet acte n'est pas le plus mauvais, mais +nous ne voulons pas nous dépouiller de toutes nos richesses pour un +public ingrat qui ne nous en saura aucun gré. S'il a quelque +curiosité de connaître la pièce entière et d'en bien juger, il n'a +qu'à l'appeler sur la scène.</p></div> + +<p>Ce bizarre appel au peuple échoua complètement; plus ingrat que jamais, +le public n'imposa pas la représentation de <i>l'Antiphilosophe</i> dans un +de ces grandioses mouvements de foule qu'avait rêvé l'auteur; plein +d'indifférence, il se contenta même des quatre actes et n'exigea jamais +leur dénouement. Inlassable, Lyon reprit la lutte et, puisque le public +n'allait pas à lui, il irait au public. À cet effet, il fit placarder +dans Paris de grandes affiches bleues et rouges où la conduite du comité +et des journalistes était durement appréciée, et où il annonçait que le +13 avril 1802 il ferait une lecture publique de son <i>Caton</i> dans une +salle qu'il loua, éclaira et meubla à ses frais. Le lendemain, Salgues, +qui l'avait laissé en paix déjà depuis quelques mois, rendit ainsi +compte de la soirée dans son journal:</p> + +<div class="blockquot"><p>Il faut le dire, pour l'amitié que nous portons au citoyen Desroys, +cet auteur avait mal choisi son jour... Après avoir été <i>crucifié</i> +par les Comédiens-Français, c'était mal entendre ses intérêts que +de prendre le Vendredi-Saint pour ressusciter. D'ailleurs, les +fêtes de Longchamps et le concert de l'Opéra, tout inférieurs qu'on +puisse les supposer à la tragédie du <i>dernier des Romains</i>, +devaient nécessairement dans ce siècle de frivolité enlever un +grand nombre d'amateurs au citoyen Desroys, et c'est ce qui est +arrivé. Trente personnes au plus composaient son auditoire, et ce +dénument n'avait rien d'encourageant pour un poète qui aspirait à +l'honneur d'être jugé par le public.</p> + +<p>Au reste, on doit cette justice au citoyen Desroys qu'il n'a +employé aucun des prestiges condamnables qui tendent à surprendre +la religion des juges. Dans la crainte que l'éclat de ses yeux ne +portât trop d'émotion dans nos cœurs il les a tenus constamment +fermés; pour diminuer l'intensité de sa voix et la grâce de son +geste, il a armé sa main droite d'un chandelier qu'il portait +alternativement à sa bouche, à son nez, à ses yeux. Si quelques +dents absentes de la bouche de l'auteur ne nuisaient pas à l'effet +de sa prononciation, si les règles de la grammaire étaient +observées dans ses vers, enfin si l'exposition du sujet ne manquait +point au premier acte, il est à présumer que le citoyen Desroys eût +recueilli de la part de ses auditeurs quelques marques de +satisfaction plus vives que celles qui lui ont été accordées.</p> + +<p>Mais le citoyen Desroys a reconnu lui-même qu'il manquait quelque +chose à son débit, et le découragement même allait le saisir, +lorsque le citoyen Simien-Despréaux s'est présenté pour soutenir +son courage et ranimer son audace. Le citoyen Simien-Despréaux est +un athlète plus vigoureux que le citoyen Desroys; ses traits mâles, +sa voix sonore et son geste imposant, ont soutenu le second acte +et quelques passages bien lus ont obtenu les applaudissements du +petit nombre d'amateurs qui étaient restés après le premier acte. +Le troisième, le quatrième et le cinquième n'ont point été lus: +rien n'a pu vaincre la timide résistance du citoyen Desroys: ce +n'est qu'après les plus vives instances qu'on a pu obtenir qu'il +égayât l'assistance par la lecture du monologue de <i>Caton</i>. À +l'exception du premier hémistiche, ce morceau est tout entier de la +création du citoyen Desroys.</p></div> + +<p>Après un tel coup de massue, un homme ordinaire aurait perdu la tête et +fui Paris; Lyon n'en fit rien. Profitant de la menue notoriété que +l'incident lui avait value, il réunit à la hâte quelques pièces +fugitives, dont une <i>épître aux journalistes</i>, qu'il mit en vente sans +tarder; c'était aussi le seul moyen pour lui de répondre à Salgues, car +tous les journaux demeuraient obstinément sourds aux véhémentes +imprécations qu'il leur offrait. Cette fois, pourtant, on voit par la +préface, plus navrante encore qu'incohérente, qu'il avait perdu son +égalité d'humeur et que sous les cruelles railleries de Salgues sa +raison commençait à s'affaiblir; il écrivait tristement:</p> + +<div class="blockquot"><p>La qualité de poète est belle et honorable quand elle est conférée +par la voix publique, mais jusque-là ce n'est qu'une enseigne +fatale qui nous attire incessamment le cruel coup de pied de l'âne. +Il est facile de supporter les injures de la médiocrité quand on a +pour soi les éloges des gens d'esprit, mais avaler le fiel tout +pur, voilà ce qui révolte et fait perdre la raison. Si mon +extravagance a nui à ma réputation, elle y a servi en même temps: +j'ai mieux aimé périr par la folie que de me laisser écraser par le +ridicule. Tout n'est pas rose dans la littérature: il faut pourtant +convenir que les épines qu'on y rencontre viennent souvent moins +de la nature du terrain que de la position de celui qui le cultive. +Je sais que les journalistes que je provoque trouveront, s'ils +veulent, mille pauvretés et mille contradictions dans mes petits +écrits; mais cela tient au projet insensé et opiniâtre de faire +parler la renommée malgré elle. Les journalistes ne s'attaquent pas +à mes œuvres, ils défigurent ma personne, et voilà ce qui est +infâme et ne devrait pas leur être permis.</p></div> + +<p>Enfin, après avoir ainsi stigmatisé son bourreau, il tenta une dernière +fois de l'apitoyer, mais d'une façon si naïve et si ridicule que Salgues +ne put se tenir de reprendre la plume à la lecture de semblables vers:</p> + +<p> +<br /><span style="margin-left: 15%;">Le public s'en rapporte aux gens qui font la loi,</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Il les croit de bon cœur plus habiles que soi.</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Mais enfin, tôt ou tard, le bon goût les ramène;</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">La justice du temps est lente, mais certaine.</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">L'auteur modeste, en paix s'abandonne à son sort.</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">S'il n'est vengé vivant, il sera vengé mort.</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Vous riez des moyens que mon orgueil expose?</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Craignez pourtant, messieurs, qu'il n'en soit quelque chose;</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Et quelle honte, ô Ciel! n'éprouveriez-vous pas</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Si mon triomphe était l'effet de mon trépas!</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Rendez, pendant que l'heure est encore propice,</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">À d'immenses travaux une faible justice;</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Régner sur les esprits est un plaisir si doux,</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Que les maîtres du monde en sont souvent jaloux:</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Richelieu tout-puissant porte envie à Corneille.</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Je crains bien pour ma part quelque chance pareille:</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Bonaparte est plus grand, j'en conviens avec vous,</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Il triompha des rois conjurés contre nous,</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Fit jouir de la paix l'Europe et sa patrie,</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Mais il n'a pas en vers mis la géométrie.</span><br /><br /> +</p> + +<p>Devant cette dangereuse exaltation, son cousin Dareste, chez qui il +habitait alors, jugea prudent d'écrire à M<sup>me</sup> Des Roys et à la jeune +M<sup>me</sup> de Lamartine. Nous n'avons pas la réponse de la mère, mais on +trouve trace dans le <i>Journal intime</i> de toutes les angoisses de la +pauvre femme, lorsqu'elle eut sous les yeux les articles de Salgues, +qu'un anonyme avait assez méchamment fait parvenir à sa belle-sœur +M<sup>lle</sup> de Lamartine. Qu'y pouvait-elle? elle écrivit à son frère une +lettre tendre, mais très ferme, en le suppliant de quitter Paris et +d'essayer de trouver une situation en province ou à l'étranger. Celui-ci +n'en continua pas moins ses excentricités: le 7 juin 1802, on l'arrêta +même à l'Opéra, où il causait un violent scandale en faisant pleuvoir +sur la salle tout ce que le libraire n'avait pas vendu d'exemplaires de +son <i>Épître aux comédiens</i>; il fut remis en liberté quatre jours plus +tard, mais ce petit incident avait sans doute refroidi son ardeur, +puisque nous savons par sa sœur qu'il partit pour l'Angleterre en +juillet; il entra, paraît-il, comme professeur de français chez un +prêtre anglais qui lui accordait la modeste allocation annuelle de cinq +cents francs, le loyer et la nourriture.</p> + +<p>Au bout de dix mois, incapable de se résigner à cette pitoyable +existence, il regagna Paris où il végéta encore quelque temps; puis, +aigri, désespéré, la tête perdue, il se tua le 15 mars 1804 à Lagnieux, +près de Belley, au retour d'une visite qu'il avait faite à Lyon chez sa +sœur M<sup>me</sup> de Vaux. Mais le destin qui l'avait poursuivi sa vie +durant, lui fut encore impitoyable après sa mort. Les autorités du +département de l'Ain s'inquiétèrent de ce bizarre suicide—un coup de +fusil dans le ventre—et comme les esprits étaient encore sous le coup +de l'attentat de la rue Saint-Nicaise, on n'hésita pas à reconnaître +dans le cadavre de Lyon Des Roys, malgré les papiers qu'il avait sur +lui, un certain Picot-Limodan, dit <i>Beaumont</i> ou <i>pour le Roi</i>, +compromis dans l'affaire de la machine infernale et qui avait réussi à +prendre la fuite. Le zèle des fonctionnaires alla même jusqu'à ordonner +huit jours après l'exhumation du corps et à perquisitionner chez M<sup>me</sup> +de Vaux qui ne comprenait rien à l'aventure<a name="FNanchor_61_61" id="FNanchor_61_61"></a><a href="#Footnote_61_61" class="fnanchor">[61]</a>. Quant à M<sup>me</sup> de +Lamartine, elle ignora toujours la vérité sur la fin de son frère et le +crut emporté par une congestion pulmonaire; mais la pseudo-conspiration +arriva jusqu'à elle, et elle écrivait le 29 mars 1804:</p> + +<p>«L'on a imaginé que mon malheureux frère mort était impliqué dans une +affaire de conspiration qui a toujours été à cent lieues de son cœur et +de ses moyens. Une ressemblance de nom et son arrivée d'Angleterre ont +produit cette erreur. On est allé faire des visites chez ma sœur, l'on a +examiné ses papiers; il n'y avait rien du tout.»</p> + +<p>Telle fut l'existence de l'infortuné Lyon Des Roys, poète incompris +comme Gilbert, Chatterton et tant d'autres; elle n'aurait guère valu de +s'y arrêter aussi longuement si, comme nous l'avons dit, son exemple +n'avait influé plus tard de façon décisive sur l'attitude des Lamartine +lorsqu'ils virent le jeune Alphonse tourmenté du même démon qui avait +perdu son oncle. On comprend mieux et l'on excuse leur opposition, +parfois violente, quand à vingt-cinq ans il partit pour Paris un <i>Saül</i> +en poche, frapper à la porte du même Talma qui dix-huit ans auparavant +avait refusé le <i>Caton</i> de Lyon Des Roys<a name="FNanchor_62_62" id="FNanchor_62_62"></a><a href="#Footnote_62_62" class="fnanchor">[62]</a>. Le souvenir de son frère +était encore trop présent à la mémoire de M<sup>me</sup> de Lamartine pour +qu'elle ne fût pas effrayée de voir son fils séduit par une carrière +dont un de ses proches n'avait connu que les déboires.</p> + +<p>Quant à son œuvre poétique, elle est aussi mince que médiocre: une +tragédie, une comédie, quelques pièces fugitives, un poème sur le tabac, +un autre sur la géométrie, deux ou trois fables et quatre épîtres<a name="FNanchor_63_63" id="FNanchor_63_63"></a><a href="#Footnote_63_63" class="fnanchor">[63]</a>; +c'était insuffisant pour la conquête de Paris qu'il avait rêvée. +Accordons-lui pourtant en tardive réparation que <i>le Dernier des +Romains</i> ne dépare pas la série des pauvres tragédies qui encombrèrent +la scène française de 1790 à 1815. Inspirés du <i>Caton</i> d'Addison et des +meilleurs souvenirs de Shakespeare, ses cinq actes sont correctement +rimés et bien conduits. Certains morceaux, comme la mort du héros +pourraient même supporter la comparaison avec <i>la Mort de Socrate</i> de +son neveu. Tous deux, il est vrai, n'ont fait qu'interpréter Platon, +mais le rapprochement est assez curieux pour être noté<a name="FNanchor_64_64" id="FNanchor_64_64"></a><a href="#Footnote_64_64" class="fnanchor">[64]</a>.</p> + + +<p class="e">Hasarder des conclusions à une étude aussi brève et forcément incomplète +sur l'hérédité de Lamartine est délicat. Pourtant, dans ses grandes +lignes, elle apparaît ainsi:</p> + +<p>Deux familles, l'une un peu rude, chez qui la carrière des armes devient +la tradition; l'autre, cultivée, affinée par quatre siècles d'étude et +qui ne connut jamais d'autre métier que celui d'écrire; mais toutes +deux provinciales et sédentaires, profondément religieuses et que les +germes matérialistes du <span class="smcap">xviii</span><sup>e</sup> siècle ont épargnées; étroitement +attachées au sol qui les a vues naître, elles y tiennent par toutes +leurs alliances; au plus haut qu'on puisse remonter, elles sont fixées +non pas dans des régions extrêmes de la France, mais au contraire dans +deux provinces presque limitrophes, soumises aux mêmes coutumes, et dont +Lyon est le centre géographique. Leur vie est simple, leurs aspirations +sont saines et n'ont d'autre objet que d'augmenter à chaque génération +le patrimoine d'honneur et de bien-être qu'elles tiennent de leurs +pères; de tout temps une vie égale et sans histoire, presque sans +efforts, comme si toutes les forces vives des deux races eussent dû +sommeiller pendant quatre siècles pour s'éveiller et s'épanouir enfin +dans leur dernier rameau.</p> + + + +<hr /> +<h2><a name="DEUXIEME_PARTIE" id="DEUXIEME_PARTIE"></a>DEUXIÈME PARTIE</h2> + +<h3>LE MILIEU</h3> + + + +<hr /> +<h2><a name="CHAPITRE_Ib" id="CHAPITRE_Ib"></a><a href="#toc">CHAPITRE I</a></h2> + +<p class="c">LA FAMILLE<a name="FNanchor_65_65" id="FNanchor_65_65"></a><a href="#Footnote_65_65" class="fnanchor">[65]</a></p> + + +<p>À la naissance de Lamartine, sa famille se composait de +Louis-François-;-alors âgé de quatre-vingts ans,--;de sa femme et de leurs +six enfants: trois fils et trois filles. Si l'on en excepte les +grands-parents qu'il connaîtra à peine, tous les autres joueront dans sa +jeunesse un rôle trop important pour ne pas préciser un peu leurs +figures très effacées aujourd'hui.</p> + +<p>L'aîné des fils, François-Louis, était, on l'a vu, d'une santé précaire. +C'était un grand homme un peu voûté, au teint pâle, au regard noir, à +l'abord austère. Extrêmement maniaque dans ses habitudes et son hygiène, +il trouvera moyen de prolonger jusqu'à près de quatre-vingts ans une +existence que les médecins avaient condamnée dès l'enfance. «Il avait +été toute sa vie faible et délicat, dira de lui sa belle-sœur, mais on +était accoutumé à le voir ainsi.»</p> + +<p>Ce que son neveu a écrit de lui paraît très exact; on sent que le poète +avait, comme il l'a dit, son image «bien gravée dans la tête». C'est que +leurs deux natures étaient peu faites pour s'entendre. Dans le journal +de sa sœur il apparaît comme un vieillard énergique mais redoutable, +despotique, rigide, aigri par ses infirmités et sa vie manquée: «Toute +sa vie, écrira M<sup>me</sup> de Lamartine au lendemain de la mort de son +beau-frère, il avait conservé l'influence d'un chef de famille, et rien +ne s'était jamais décidé dans la mienne que par lui ou d'après lui; +souvent cet empire avait contrarié nos vues et m'avait causé des peines +sensibles». Ceci confirme entièrement ce que Lamartine a écrit dans les +<i>Confidences</i>.</p> + +<p>Lorsqu'il lui fallut à vingt-cinq ans renoncer à la carrière militaire +et à l'espoir de fonder à son tour une famille, François-Louis se +confina entièrement dans le monde de la pensée, afin d'occuper un peu +son activité. Esprit méthodique et précis, les sciences eurent ses +préférences: les mathématiques furent pour lui un véritable délassement, +et il faut voir là l'origine de tous les froissements que nous +constaterons plus tard entre l'oncle et le neveu.</p> + +<p>La liste de ses œuvres en dit long; l'Académie de Mâcon, dont il fut dès +1806 un des membres les plus assidus, a recueilli dans ses bulletins +annuels une cinquantaine de mémoires sur les sciences et l'agriculture +dont il est l'auteur. On y remarque un <i>Examen du gleuco-œnomètre</i>, une +<i>Dissertation sur une substance résineuse trouvée à Louhans</i>, un <i>Traité +de l'oryctologie du Mâconnais</i>, dont le manuscrit subsiste encore à la +bibliothèque de Mâcon, et d'importantes et minutieuses <i>Recherches sur +les causes qui modifient ou altèrent la cohésion entre les parties de +quelques substances</i>, sans compter d'innombrables communications sur la +viticulture et l'élevage.</p> + +<p>À sa mort, le <i>Journal de Saône-et-Loire</i> publia un long article +nécrologique auquel il est permis d'accorder quelque valeur, puisque +nous savons qu'il ne fut pas inspiré par sa famille<a name="FNanchor_66_66" id="FNanchor_66_66"></a><a href="#Footnote_66_66" class="fnanchor">[66]</a>, et dont le +fragment suivant nous donne un portrait assez vivant de celui que +Lamartine appelait «l'oncle terrible»:</p> + +<p>«Animé d'un zèle ardent pour l'étude, M. de Lamartine s'était consacré +dès sa jeunesse au culte des sciences et des lettres, mais il avait +montré une prédilection particulière pour les sciences naturelles et les +mathématiques. Uni par les liens de l'amitié et d'une estime mutuelle +avec le savant abbé de Sigorgne<a name="FNanchor_67_67" id="FNanchor_67_67"></a><a href="#Footnote_67_67" class="fnanchor">[67]</a>, en relations avec plusieurs autres +hommes célèbres de son temps, il trouva ses plus chères délices à +parcourir le vaste champ du découvertes que lui présentait la science.</p> + +<p>«Doué d'une imagination vive, brillante, et de cette fermeté de +caractère qui triomphe des difficultés, aidé d'une mémoire facile qui +lui rendait toujours présentes les connaissances solides qu'il avait +acquises, il ne lui eut fallu qu'un peu moins de modestie pour se faire +un nom très recommandable parmi les savants. Mais, loin de faire parade +de son savoir, il le faisait servir à donner plus de charme à sa +conversation, vive, piquante, et constamment assaisonnée de cette douce +urbanité qui donne à la société tant de charmes.</p> + +<p>«Sujet fidèle et attaché sincèrement au bien de son pays, on l'a vu, +pendant le cours des troubles civils qui ont désolé notre patrie, +toujours dévoué à la cause de la légitimité et de ne pas perdre de vue +un seul instant les principes sur lesquels reposent l'ordre social et la +prospérité de la France.»</p> + +<p>Ainsi lorsque après un romantique parallèle de leurs deux caractères, +Lamartine s'écriait: «Comment unir ce nombre et cette flamme<a name="FNanchor_68_68" id="FNanchor_68_68"></a><a href="#Footnote_68_68" class="fnanchor">[68]</a>», il +n'exagérait pas les contrastes de ces natures dissemblables qui ne +parvinrent jamais à trouver un terrain d'entente.</p> + +<p>À toutes ses qualités de méthode il joignait celle d'être un homme +d'affaires entendu, comme le furent tous les Lamartine, sauf toutefois +le dernier du nom qui sur ce point se trouvait desservi par son +imagination. Le souci de son bien s'affirme dans les moindres lettres +que nous ayons rencontrées de lui: très processif, il n'hésitait pas, +dès qu'il croyait y avoir quelque intérêt, à soutenir ses revendications +par de longs <i>factums</i> écrits avec amour.</p> + +<p>Sa correspondance avec ses vignerons est curieuse à feuilleter: une fois +de plus, elle confirme son esprit précis et méticuleux.</p> + +<p>Lamartine ne l'aimait pas et cette antipathie se manifesta chaque fois +qu'il avait à parler de lui. Cet oncle fut l'épouvantail de sa jeunesse, +celui à qui, bien plus qu'au père toujours indulgent, il fallait cacher +les fredaines, les menues dettes et les aventures: intransigeant, sévère +et glacé, presque sans tendresse, il ne tolérait pas autour de lui la +moindre infraction aux principes dans lesquels il avait été élevé et +qu'il prétendait immuables.</p> + +<p>La plupart du temps il contrecarrait opiniâtrement et avec sa méthode +habituelle les beaux projets de son neveu dont il voulait ainsi +maîtriser la débordante imagination; aux rêves vagues mais fiévreux +d'étude et de littérature il opposera froidement les sciences qui, selon +lui, donneront quelque maturité à ce cerveau vagabond.</p> + +<p>Pour comprendre cette domination qu'il imposera jusqu'à sa mort, il ne +faut pas oublier la situation particulière du jeune homme dans ce milieu +imbu des traditions du sévère <span class="smcap">xviii</span><sup>e</sup> siècle: l'oncle ne verra en lui +que l'unique héritier du nom et de la fortune et voudra, avant tout, le +mûrir pour en faire le chef de famille avisé et prudent que chacun de +ses ancêtres avait été avant lui. Tout le malentendu naîtra de là.</p> + +<p>Dans le portrait de son oncle, Lamartine a pourtant commis une erreur +lorsqu'il touche à ses idées politiques<a name="FNanchor_69_69" id="FNanchor_69_69"></a><a href="#Footnote_69_69" class="fnanchor">[69]</a>; mais est-elle involontaire? +Les <i>Confidences</i> furent écrites, on le sait, en pleine activité +républicaine, à une époque où le chef de l'opposition n'était peut-être +pas fâché de se découvrir des origines libérales.</p> + +<p>La vérité est que, dès le début de la Révolution, François-Louis, que +son neveu nous a montré condisciple et ami de Lafayette, n'eut même pas +ce républicanisme de la première heure que connurent tant de +gentilshommes séduits pas les idées nouvelles. Alors que dans une minute +d'enthousiasme son frère Pierre signait avec le comte de Montrevel, le +grand bailli d'épée Desbois, le marquis de Sainte-Huruge et d'autres +seigneurs du Mâconnais la solennelle renonciation aux privilèges +nobiliaires, lui, plus froid et plus raisonné, ne fut pas entraîné par +l'imagination et la fièvre de l'époque. La gravité de la situation lui +apparut entière et dès le premier jour il en envisagea les suites. +Aussi, en mars 1789, au moment des émeutes qui accompagnèrent à Mâcon +l'élection des députés aux États généraux, on le vit avec MM. de +Chaintré, de Bordes, de Pierreclau et de Drée, défendre les intérêts de +sa caste à l'Assemblée des trois ordres du bailliage et réclamer même la +destitution du maire qui soutenait le Tiers, ce qui leur valut à tous +d'être fort malmenés par la foule à l'issue de la réunion<a name="FNanchor_70_70" id="FNanchor_70_70"></a><a href="#Footnote_70_70" class="fnanchor">[70]</a>.</p> + +<p>En 1792 enfin, lorsqu'il sentit l'orage prêt d'éclater, il se hâta +d'émigrer; pour un temps très court, il est vrai, car trois mois plus +tard il était de retour et se constituait prisonnier ne voulant sans +doute pas abandonner son père et ses frères que sa fuite avait fait +arrêter.</p> + +<p>Par la suite, la Terreur et l'Empire l'abattirent sans le convaincre et +jusqu'au bout il demeura fidèle à la légitimité. Lamartine a raconté +qu'en 1805, lors du passage de Napoléon à Mâcon, celui-ci aurait fait +appeler François-Louis pour lui offrir un siège de sénateur; mais M<sup>me</sup> +de Lamartine n'a rien noté de tel dans son journal où ce séjour de +l'Empereur est pourtant longuement rapporté, ce qu'elle n'eût pas manqué +de faire si l'entrevue avait eu lieu.</p> + +<p>À soixante dix-sept ans, une fluxion de poitrine emporta François-Louis +en quelques jours. Sa mort fit un véritable vide dans la petite société +mâconnaise qui l'aimait et le respectait pour la droiture de sa vie et +son érudition «presque universelle», dira sa belle-sœur; il laissait à +tous le souvenir d'une intelligence remarquable et d'un causeur parfait, +à qui l'on pardonnait son abord un peu farouche en mémoire d'une vie +prématurément brisée. Il mourut à Montceau le 25 avril 1827, et par son +testament il instituait comme ses légataires universels, sa nièce aînée +Cécile, devenue M<sup>me</sup> de Cessia, et son neveu Alphonse dont les +triomphes poétiques et surtout les fonctions d'attaché d'ambassade qu'il +occupait alors avaient fini par lui rendre confiance. Celui-ci, +pourtant, ne se jugea pas satisfait, et fut même blessé par une clause +de ces dernières volontés pourtant toutes en sa faveur; le 20 juin, il +écrivait à l'abbé Dumont, son ami: «Le testament de mon oncle n'est pas +sa plus belle œuvre, mais j'aime toujours à croire qu'elle n'a pas été +faite à mauvaise intention. Si je n'avais qu'un neveu, seul chef +survivant de ma famille, et qu'il ne déshonorât pas mon nom, je lui +ferais l'honneur de le nommer au moins mon héritier universel à ses +risques et périls. Trop penser nuit, les grandes routes sont les plus +droites<a name="FNanchor_71_71" id="FNanchor_71_71"></a><a href="#Footnote_71_71" class="fnanchor">[71]</a>». Ce fut là toute l'oraison funèbre qu'il prononça sur la +tombe de cet oncle qu'il s'imaginait, sincèrement, avoir opprimé sa +jeunesse.</p> + +<p>Le cadet, l'abbé de Lamartine, était son vivant contraste. À dix-sept +ans il était entré dans les ordres, un peu contre son gré, assure sa +belle-sœur. Bientôt il prit goût pourtant à cette vie facile et sans +soucis graves; cinq années de dures épreuves qu'il eut à subir de 1792 à +1797, lui donnèrent une souriante philosophie. En sage qu'il était, il +se réfugia aussitôt dans sa belle retraite de Montculot, où il vécut +paisiblement et loin des siens, parmi la nature qu'il aimait. Il demeura +là jusqu'à sa mort avec une vieille intendante, travaillant en silence à +de longs mémoires sur la théologie et la philosophie qui ne virent +jamais le jour.</p> + +<p>Dans sa vieillesse, il aimait à voir sa solitude animée par les vingt +ans et la vivacité de son neveu, qu'il accueillit toujours avec bonté; +Lamartine l'adorait, et chaque fois qu'il avait quelque dette à éteindre +ou une petite fredaine à faire oublier, c'était à lui qu'il venait +s'adresser. Montculot fut le refuge, «la Thébaïde», comme il l'appelait, +de son adolescence. Il y fuyait l'oncle de Montceau et la contrainte de +Milly; c'était la transition habituelle entre les plaisirs de Paris et +la tristesse de sa campagne, et il y trouvait la paix et le +recueillement sous les deux formes qu'il aimait le mieux: la nature et +les livres; l'abbé avait réuni une admirable et riche bibliothèque où le +neveu pouvait puiser sans contrôle, ce qui n'allait pas sans le changer +un peu des habitudes de Mâcon et de Milly où sa mère se montrait très +sévère. Lamartine, en mémoire des heures libres qu'il passa près de +lui, en a laissé un portrait charmant: il aimait la bonhomie souriante +de l'aimable vieillard demeuré toujours un peu frondeur, ce qui faisait +dire ingénument à sa belle sœur: «L'abbé est très mal! pourvu, mon Dieu, +qu'il pense à se confesser!» Une vieillesse accablée de cruelles +infirmités n'altéra en rien sa belle humeur; frappé le 10 septembre 1817 +d'une attaque d'apoplexie qui lui paralysa un bras et une jambe, il +mourut à Montculot le 8 avril 1826, en brave homme qu'il avait toujours +été, laissant sa fortune à son neveu préféré. Seul de tous les +Lamartine, il avait compris la nature inquiète de l'adolescent et deviné +l'immense travail de ce jeune cerveau.</p> + + +<p class="e">Quant aux trois tantes, elles jouèrent un rôle assez effacé dans +l'existence du poète. L'aînée, Sophie, connue dans la famille sous le +nom de M<sup>lle</sup> de Montceau, demeura toute sa vie faible d'esprit et +vécut à Milly des jours sans histoire entre son frère et sa belle-sœur: +«Je dois la regarder comme mon sixième enfant», dira d'elle M<sup>me</sup> de +Lamartine, qui fit preuve à son égard d'un patient dévouement. La +cadette, Suzanne, M<sup>me</sup> du Villard, habitait la petite propriété de +Péroné. Dans sa jeunesse elle avait été élevée au chapitre de Salles et +en avait gardé le titre de chanoinesse-comtesse. C'est là que la +Révolution vint la surprendre pour la relever malgré elle de ses vœux. +Son cœur était inépuisable, comme sa bourse, et bien souvent on la verra +venir à l'aide du prodigue neveu. D'après M<sup>me</sup> de Lamartine qui lui +avait voué une profonde reconnaissance d'avoir facilité jadis son +mariage, elle était de bon conseil, très bonne et très pieuse, mais +d'une nature assez difficile. Pour Lamartine, qu'elle tira souvent un +peu vivement de ses rêveries, elle avait un caractère «plus impétueux +qu'une bourrasque». La dernière, Charlotte, M<sup>lle</sup> de Lamartine, avait +uni sa vie à celle de son frère aîné; c'était une pâle et mystique +créature, qu'un amour malheureux avait attristée pour toujours. L'hiver, +on se réunissait à Mâcon dans son vieux salon démodé, avec quelques +parents et voisins; c'étaient ces fameuses soirées où Lamartine avouait +plus tard avoir failli périr d'ennui et qui, selon son énergique +expression, «auraient fait croupir l'eau même des cascades des Alpes». +Les trois vieilles filles moururent, Sophie en 1819, Charlotte en 1823, +M<sup>me</sup> du Villard en 1842, celle-ci n'ayant jamais pardonné à son neveu +la politique d'opposition qu'il menait contre les d'Orléans à qui, +disait-elle, leur famille devait tant.</p> + + +<p class="e">Le plus jeune des fils de Louis-François était Pierre Lamartine, le +chevalier de Pratz. On lui avait donné ce titre dans sa jeunesse, pour +le distinguer de son frère aîné et, à Mâcon, il n'était guère connu que +sous le nom de M. de Pratz. De là l'erreur si commune que le nom +véritable du poète était de Pratz et non de Lamartine.</p> + +<p>Nous sommes malheureusement très peu renseignés sur lui. À travers même +le journal de sa femme qui l'adore, il apparaît presque au second plan, +se reposant sur elle de tous les soins du ménage et des tracas +quotidiens, heureux, semble-t-il, d'avoir abdiqué entre les mains de son +frère ses droits de chef de famille avec leurs responsabilités. Dans les +<i>Confidences</i>, son fils en a parlé de façon respectueuse mais quelque +peu vague; le portrait, d'allure militaire, est joliment campé, mais +n'est pas tout à fait d'accord avec ce que nous savons de lui. Ce qu'il +en a dit de plus juste est qu'il fut «le modèle parfait du gentilhomme +de province, père de famille, chasseur, cultivateur». De même, quelqu'un +qui l'a beaucoup connu, écrit qu'il était «le type parfait de l'ancien +gentilhomme; très aimé de sa femme, qui le craignait un peu; il lui +survécut et la regretta jusqu'à son dernier jour<a name="FNanchor_72_72" id="FNanchor_72_72"></a><a href="#Footnote_72_72" class="fnanchor">[72]</a>».</p> + +<p>Comme il était extrêmement aimé et respecté dans la région pour sa +droiture, on avait voulu souvent le diriger vers la politique, mais il +s'en gardait, paraît-il, comme de la source de tous les maux. Il +consentit seulement à accepter un siège de conseiller général, qu'il +occupa de 1803 à 1813. Pour le reste, ses scrupules monarchistes ne lui +permirent jamais de passer outre, et sa femme a rapporté à ce sujet +l'anecdote suivante qui date de 1809.</p> + +<p>Vivant-Denon, l'orientaliste qui avait suivi Bonaparte en Égypte, se +trouvait alors à Mâcon où il présidait le collège électoral. Il était +lié avec François-Louis et, au cours d'une visite qu'il lui fit, il +rencontra le chevalier de Pratz. «Il traita mon mari avec beaucoup de +distinction, ajoute M<sup>me</sup> de Lamartine; il en a fait le premier +scrutateur et, s'il avait voulu, l'aurait sûrement fait nommer +législateur. Mais il craint, s'il accepte cette place, de se trouver +dans des circonstances délicates où la conscience et la fortune ne +pourraient peut-être pas s'accorder. Il aime mieux ne pas s'exposer à +cette tentation, ce qui est assurément très sage.»</p> + +<p>Jusqu'à trente-huit ans, il avait servi dans l'armée; après son mariage, +il se retira à Milly dont il ne bougea plus jusqu'à sa mort, si ce n'est +à partir de 1805 pour aller passer l'hiver à Mâcon. C'était un bel +homme, robuste et sain, qui ne dérogea pas à cette étonnante vitalité +des Lamartine puisqu'il mourut presque centenaire. Bourru d'apparence, +il alliait des manières un peu rudes à une grande simplicité et à un +cœur excellent. Fixé à la campagne d'abord par nécessité, il finit par +s'y trouver bien et perdit vite le goût des villes; pour lui faire +acheter une maison à Mâcon, sa femme fut même obligée de plaider la +cause de leurs filles qui, devenues grandes, avaient besoin d'une +éducation moins villageoise. Jamais, on ne put vaincre dans sa famille +cette horreur des cités bruyantes; de 1792 à 1844, date de sa mort, il +ne consentit qu'une fois à s'arracher à sa chère solitude pour aller en +1814 présenter à Louis XVIII les hommages de la ville et poursuivre avec +opiniâtreté la croix de Saint-Louis, unique ambition de cette âme fidèle +aux Bourbons. Après quoi, satisfait, il rentra à Milly sans vouloir +jamais retourner à Paris par la suite, même au plus fort des triomphes +poétiques et politiques de son fils.</p> + +<p>Au fond, il aimait la vie simple, la campagne et ses plaisirs, chasse, +pêche, cheval, se levait et se couchait tôt, lisait peu. Son seul souci +fut l'entretien et l'embellissement de ses vignes, il courait lui-même +les marchés vendre son vin et ses récoltes et choisir soigneusement ses +bestiaux. Pour le reste, il s'en remettait entièrement à sa femme et à +son frère, surtout en ce qui concernait son fils dont l'âme tourmentée +et insatisfaite lui échappait complètement. On chercherait en vain +quelle influence il put avoir sur les destinées et l'éducation du poète. +Volontairement, il se tint toujours à l'écart, se contenta d'approuver +les décisions du chef de famille, lassé, surtout après 1810, de cette +détresse morale et de cette nature hésitante qui cadrait si mal avec son +propre tempérament et dont il ne comprendra que beaucoup plus tard les +mobiles secrets. Mais la mère sera là pour atténuer les froissements +entre ces deux caractères si différents.</p> + + + +<hr /> +<h2><a name="CHAPITRE_IIb" id="CHAPITRE_IIb"></a><a href="#toc">CHAPITRE II</a></h2> + +<p class="c">LA MÈRE</p> + + +<p>En oubliant l'image que Lamartine a tracée de sa mère et en ne +l'étudiant qu'à travers son journal, ses lettres et les témoignages de +ceux qui l'ont connue, on peut arriver à préciser cette figure que le +poète, dans son pieux amour, s'est appliqué à idéaliser et à rendre +presque immatérielle.</p> + +<p>M<sup>me</sup> de Lamartine fut une femme simple, bonne, aimante, et +profondément religieuse; sa vie se sépare en quatre périodes inégalement +remplies de joies et de douleurs. La première s'étend de sa jeunesse à +son mariage; la seconde de son mariage à la majorité de son fils; la +troisième de 1811 aux <i>Méditations</i>; la dernière de 1820 à sa mort +survenue en 1829. Ainsi, chacune de ces étapes est liée à quelque grand +événement de la vie de son fils: c'est que son premier-né demeura +toujours le plus aimé; elle le voyait différent des autres et réservait +pour lui le meilleur de sa tendresse.</p> + +<p>Elle était née à Lyon le 8 novembre 1770, et sa première enfance avait +été confiée à sa grand'mère paternelle, car son père, en incessantes +tournées d'inspections, et sa mère, retenue au Palais-Royal par ses +fonctions, n'habitèrent Lyon qu'à de rares intervalles. À dix ans, +M<sup>me</sup> Des Roys la garda quelque temps près d'elle à Paris où la petite +Alix devint la compagne de jeux du futur Louis-Philippe; puis quatre ans +plus tard, redoutant qu'elle fût trop mêlée au monde de la cour, elle +obtint du duc d'Orléans des lettres d'admission pour elle au chapitre +noble de Saint-Martin de Salles, en Beaujolais, où sa fille aînée, +Césarine, se trouvait déjà. Salles, situé à quelques kilomètres de +Villefranche-sur-Saône, fut primitivement un prieuré dépendant de +l'abbaye de Cluny. À la fin du <span class="smcap">xiii</span><sup>e</sup> siècle des Bénédictins s'y +installèrent, et en 1782 le prieuré fut, par lettres royales, déclaré +chapitre noble, c'est-à-dire que, pour y être admises, les religieuses +devaient faire preuves d'au moins quatre quartiers du côté maternel et +de six du côté paternel.</p> + +<p>Lorsque M<sup>lle</sup> Des Roys entra à Salles, le couvent était devenu une de +ces institutions mi-mondaines, mi-religieuses de l'ancien régime, où les +jeunes filles achevaient leur éducation. La vie qu'on y menait n'avait +rien d'austère, puisque chaque élève y possédait une petite habitation +et un jardinet qu'elle partageait avec une «mère». D'ailleurs Alix Des +Roys, qui demeura à Salles de 1784 à 1789, venait chaque année passer +deux mois à Paris avec ses parents.</p> + +<p>Il nous reste deux portraits d'elle pendant ce séjour au couvent. L'un +est une miniature qui la représente dans l'austère vêtement noir des +chanoinesses-comtesses, avec la fanchon de soie noire, la guimpe de +broderie blanche et la croix d'émail épinglée au corsage<a name="FNanchor_73_73" id="FNanchor_73_73"></a><a href="#Footnote_73_73" class="fnanchor">[73]</a>. Les +cheveux sont d'un blond cendré, les yeux noirs, la bouche fine, le +menton un peu gros, et toute l'expression du visage reflète une +indicible et inquiétante mélancolie. L'on songe alors à ce joli passage +de son journal écrit trente ans plus tard, un jour où, conduisant son +fils à Lyon, elle passa devant l'ancien couvent de sa jeunesse:</p> + +<div class="blockquot"><p>J'éprouvais encore de douces émotions, dit-elle, en revoyant ce +charmant Beaujolais où j'ai passé une jeunesse si heureuse; mille +souvenirs se succédaient rapidement dans ma tête ou plutôt dans mon +cœur, car c'est là que presque tous les moments de ce temps sont +gravés. Je me voyais, de quinze à vingt ans, simple, jolie, +fraîche, plaisant à tout le monde...</p></div> + +<p>L'autre portrait est une longue épître en vers du chevalier de Bonnard, +poète du duc de Chartres, et qui précéda M<sup>me</sup> de Genlis comme +gouverneur des enfants d'Orléans; elle fut adressée à M<sup>me</sup> Des Roys, +dont il fréquentait le petit cercle et qu'il avait connue chez Buffon, +pour célébrer la grâce et les mérites de ses deux chanoinesses. Comme +tous les vers de Bonnard, ceux-ci sont médiocres, mais ils valent d'être +cités pour la spirituelle et vivante image qu'ils donnent de la jeune +fille à quinze ans:</p> + +<p> +<br /><span style="margin-left: 15%;">Quant à notre autre chanoinesse</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Que nous nommons Madame Alix,</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Elle a sans doute aussi son prix.</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Mais quoiqu'elle entende la messe</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Et chante l'office assez bien,</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Qu'elle soit de discret maintien</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Et même qu'elle aille à confesse,</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Ô mère! tenez pour certain</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Qu'elle a le goût un peu mondain.</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">À quinze ans elle était jolie,</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Et spirituelle et polie,</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">S'exprimait avec agrément</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Quoiqu'un peu trop rapidement;</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Était tout yeux et tout oreille,</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Remarquait, citait à merveille,</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Marchait, dansait légèrement,</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Aimait la bonne compagnie,</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">La musique, la comédie,</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Soutenait, par le clavecin,</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Un son de voix très argentin,</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Jugeait les Beaulard, les Bertin,</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Connaissait les moindres nuances</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Et l'effet et les différences</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Des poufs, des chapeaux de satin;</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">...D'où je conclus, à juste titre,</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Qu'elle quittera son chapitre</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Tôt ou tard, pour prendre un époux,</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Beau, jeune, riche, aimable et doux<a name="FNanchor_74_74" id="FNanchor_74_74"></a><a href="#Footnote_74_74" class="fnanchor">[74]</a>.</span><br /><br /> +</p> + +<p>Le portrait est enjoué et on le sent fidèle; pourtant, il ne faudrait +pas le prendre à la lettre et l'on peut se défier de l'esprit +superficiel du chevalier de Bonnard qui ne pouvait juger la jeune fille +que sur l'apparence de la vie brillante menée au Palais-Royal. D'après +lui, elle était un peu coquette et très mondaine: coquette, c'était une +des exigences de son âge; sans doute aussi aimait-elle le monde; toute +sa vie même elle le regrettera et le confessera souvent dans son journal +au retour des petits bals où elle menait ses filles; M<sup>me</sup> Delahante +nous apprend aussi que «M<sup>me</sup> de Prat tout en aimant le monde +secrètement, vivait très sédentaire, craignant ses belles-sœurs et son +beau-frère qui, étant âgés et sévères, avaient conservé toutes les idées +d'étiquette du siècle passé». Ceci semble donc acquis, de même que les +talents prêtés par Bonnard à M<sup>lle</sup> Des Roys.</p> + +<p>Pour compléter cette étude de jeune fille, il reste encore à pénétrer +dans sa pensée et, là, on peut voir qu'à toutes ses qualités extérieures +elle joignait un esprit déjà singulièrement mûri et réfléchi. Dès l'âge +de quinze ans, elle avait pris l'habitude de tenir un journal de sa vie; +celui que nous possédons ne commence qu'en 1801, mais un fragment de ce +premier début a été conservé précieusement par elle comme la ligne de +conduite de son existence. Intercalé dans l'un des douze petits +cahiers, il est daté de mars 1786, et voici ce qu'on y lit:</p> + +<p>«...Il n'y a, après tout, qu'une <i>seule chose</i> de nécessaire: il n'est +pas utile, en effet, que je me procure de la dissipation, que je prenne +du plaisir, tout cela passe et ne fait pas le bonheur. Il n'est pas +nécessaire que je plaise au monde, que je sois aimée et recherchée; tout +cela est une source de périls en tous genres, et les personnes qui se +livrent le plus au monde et que le monde lui-même fête le plus sont +souvent par la suite les plus malheureuses...»</p> + +<p>Toute la vie de M<sup>me</sup> de Lamartine peut se résumer par ces quelques +lignes, écrites à quinze ans; jusqu'à sa mort, ce fut une lutte +perpétuelle et inquiète contre elle-même, où elle s'efforçait de +réprimer ce qu'elle appelait «les choses inutiles», les tendances qui +lui semblaient de nature à éloigner le but qu'elle s'était de tout temps +fixé: la simplicité et la vérité.</p> + + +<p class="e">Tel était l'état d'âme de la jeune fille au moment où elle abordait le +mariage que lui avait prédit malicieusement Bonnard. On en connaît +l'histoire romanesque.</p> + +<p>À Salles, elle s'était liée avec Suzanne de Lamartine, comme elle +pensionnaire du couvent. Le chevalier de Pratz qui, de Montceau ou de +Mâcon, venait souvent voir sa sœur pendant ses congés, connut ainsi +M<sup>lle</sup> Des Roys, car le règlement n'interdisait pas les visites. Tous +deux se plurent et le chevalier que l'on songeait à marier sollicita +l'autorisation de sa famille. Le père, tout d'abord refusa, trouvant la +dot insuffisante. Mais il avait compté sans le hasard et la persévérance +des jeunes gens. Le 6 octobre 1789, jour où les Parisiens ramenèrent la +famille royale dans sa capitale, M<sup>me</sup> Des Roys et sa fille se +trouvaient à Chatou. Devant la foule ameutée, et les nouvelles qui leur +parvinrent, les deux femmes prises de peur renoncèrent à regagner Paris +et se décidèrent à rentrer à Lyon. En cours de route elles furent +obligées, à la suite d'un accident de voiture que la jeune fille dut +bénir toute sa vie, de s'arrêter à Mâcon. Suzanne de Lamartine prévenue, +résolut alors d'arranger les choses qui traînaient depuis un an et +annonça à son père que M<sup>me</sup> Des Roys était de passage et apportait des +nouvelles graves de Paris. Le moyen, pour François-Louis, de ne pas +offrir une hospitalité provisoire aux deux femmes? Elles demeurèrent +chez lui vingt-quatre heures et, à leur départ, séduit sans doute par le +charme de la jeune fille, il finit, comme dans un roman, par accorder +son consentement au mariage.</p> + +<p>Le 4 janvier 1790 enfin, le contrat fut signé à Lyon, et l'on y voit que +les jeunes époux étaient plus riches de bonheur que d'argent: le +chevalier avait l'usufruit de Milly jusqu'à la mort de son père, et +c'était tout. Quant à M<sup>lle</sup> Des Roys elle apportait, outre quelques +bijoux et meubles, la somme de 50 000 francs, dont 20 000 assurés par un +de ses oncles, et qui n'étaient pas encore versés en 1810 à la mort de +celui-ci. Ainsi, les revenus du jeune ménage se montaient à une douzaine +de mille francs, assez aléatoires d'ailleurs, puisqu'ils étaient +uniquement basés sur les récoltes de Milly.</p> + +<p>Le mariage fut célébré le 7 janvier 1790; aussitôt après, la jeune femme +vint s'établir à Milly et de cette date jusqu'en 1808, elle connut une +existence très différente.</p> + +<p>La jeune mondaine d'autrefois habite maintenant un village obscur et +sans horizon. Sa maison est petite, sa vie plus que simple, sa fortune +médiocre. Deux ans à peine après son mariage, son mari, ses beaux-frères +et ses belles-sœurs sont emprisonnés et elle reste isolée avec deux +enfants au berceau, près de ses beaux-parents. Puis, le calme rétabli et +le chevalier rendu à la liberté, elle regagne avec lui leur petite +campagne où ils s'installent définitivement.</p> + +<p>Dès lors, elle devient entièrement la mère. Ses parents sont loin, les +uns fidèlement attachés à la fortune des d'Orléans qu'ils accompagnent +en exil, les autres réfugiés en Angleterre où ils végètent. Elle vivra +seule à Milly, presque sans nouvelles d'eux. Son unique occupation va +devenir l'éducation de ses enfants.</p> + +<p>C'est dans ce rôle, surtout, qu'il est attachant de la suivre. De 1800 à +1808, son journal reflète profondément ses détresses, ses défaillances +morales, et une analyse aiguë d'elle-même qu'elle pousse à un degré +incroyable. Chaque soir, elle se scrute impitoyablement, examine et +résume sa vie quotidienne, les soucis de la journée, et en tire un +enseignement pour l'avenir, sans pouvoir toutefois être jamais +satisfaite de ses actes qu'elle trouve perpétuellement imparfaits et +au-dessous de sa tâche. Chez elle, les accalmies sont rares et, même +dans les périodes d'apaisement et d'équilibre, elle les environne +toujours de l'inquiète restriction qu'elle est trop heureuse et ne +mérite pas son bonheur.</p> + + +<p class="e">À partir de 1810 sa vie change encore et commence alors pour elle une +époque d'amertumes, de tristesses et de découragements encore plus +profonds. Ses enfants la préoccupent: ses quatre filles, d'abord, +qu'elle mariera toutes à leur temps et heureusement, mais surtout ce +fils, son préféré, dont l'oisiveté, dit-elle, la «tue». L'existence vide +qu'il traîne de Mâcon à Paris, sa fièvre, sa sensibilité, qu'il tient +d'elle au fond, sont autant de tortures pour ce cœur de mère qui ne +demande qu'à être fière de son fils. Son orgueil maternel souffre de +voir la vie de son enfant lui échapper, et elle pleure de n'être plus +comme autrefois sa confidente, elle qui jadis écrivait à propos de lui: +«La chose la plus importante dans l'éducation est d'inspirer une grande +confiance à ses enfants et il faut pour cela les écouter toujours avec +attention et l'air de l'intérêt, quelle que soit la chose dont ils +veulent vous entretenir, parce qu'alors ils prennent l'habitude de vous +parler de tout ce qui les occupe».</p> + +<p>Aujourd'hui, il faut deviner plutôt qu'apprendre de lui, les pensées qui +le hantent; il faut aussi brûler en cachette ses mauvais livres, ses +mauvais vers, qui rappellent le malheureux frère qui s'est perdu ainsi, +voir grossir ses dettes qu'elle essaye d'éteindre en réduisant ses +humbles dépenses. Car trop souvent elle sera forcée d'avoir recours à +l'oncle et aux tantes qui la trouveront faible et le lui diront +durement. Toutes les petites ruses qu'il mettra en œuvre pour lui cacher +ses fredaines et ses aventures l'accableront sans lasser sa tendresse. +«Il me tourmente bien par son caractère inquiet, dira-t-elle un jour, +mais je tâche de le ramener tout doucement; je supporte, c'est ma tâche +actuelle.»</p> + +<p>Malgré tout, sa bonté pour lui demeurera inépuisable, comme sa patience. +En 1811, à la suite d'une amourette dont il s'exagéra la valeur, les +Lamartine furent obligés de le faire voyager; il se trouva un jour sans +ressources à Livourne, ayant mangé en un mois ce qu'on lui avait donné +pour six. Les oncles et les tantes qui ont déjà ouvert leur bourse, +restent sourds, cette fois, aux lettres suppliantes, et décident le +retour. Mais il est si heureux là-bas! ses lettres sont si joyeuses et +si tendres! «Il serait trop cruel, écrit-elle alors, de ne pas le +laisser aller jusqu'à Rome dont il est si près», et elle lui envoie de +quoi continuer son voyage.</p> + +<p>M<sup>me</sup> Delahante, enfant à cette époque, mais qui quarante ans plus tard +ne pouvait rappeler son souvenir sans émotion, nous a laissé d'elle une +image très simple et très émouvante:</p> + +<p>«M<sup>me</sup> de Prat, âgée de quarante-cinq ans, n'avait jamais été d'une +beauté remarquable, mais le charme qui était en elle tenait à une grande +distinction et à une expression très fine, très spirituelle, en même +temps que très douce et d'une bonté parfaite. Pour faire le portrait de +sa figure il faudrait, avant tout, faire le portrait de son âme, car +c'était de l'âme que venait chez elle le charme extérieur. Je crois que +toutes les vertus solides et les qualités aimables étaient réunies en +cette charmante femme; elle était pieuse comme un ange et d'une piété +indulgente et éclairée qui vous gagnait.</p> + +<p>«Elle était sans cesse occupée des pauvres, et elle les visitait soit à +Mâcon, soit à Milly. Son zèle ne connaissait pas de bornes, et, quand +l'argent lui manquait (ce qui lui arrivait parfois, car sa fortune était +plus que médiocre, et sa famille très nombreuse), elle cherchait à le +remplacer par de douces paroles, de bons soins et de bons conseils.</p> + +<p>«Elle élevait elle-même ses cinq filles, elle s'occupait extrêmement de +son mari et de son ménage, elle aimait beaucoup le monde, ou plutôt la +société; elle était aimable pour tous, et quoiqu'elle ne pût recevoir +qu'avec la plus extrême simplicité, elle fut toujours à la tête de la +société de Mâcon et y exerça une influence qui ne fut pas entièrement +remplacée.</p> + +<p>«Son esprit était à la fois fin et élevé et quoiqu'elle eût passé sa vie +à Mâcon, entourée de toutes les petites passions de province, elle +demeura au-dessus de tout pour la noblesse et l'extrême délicatesse de +son cœur comme par la distinction de son esprit et de ses manières. Sa +vertu, je l'ai dit, n'avait rien de sévère et je n'en veux citer qu'un +exemple: elle ne se permettait jamais la moindre médisance, et souffrait +mort et passion quand elle entendait dire la plus petite chose qui pût +blesser le prochain; elle était gaie, cependant, et ne pouvait +s'empêcher de sourire à un propos spirituel et quelque peu malin. Sa +charité et sa gaieté se livraient alors un combat qui se lisait sur sa +physionomie.</p> + +<p>«M<sup>me</sup> de Prat était de taille moyenne; elle était mince, sa taille +était souple, sa figure longue et un peu pâle, ses yeux très près du nez +et petits, mais vifs et doux, son nez droit et ses lèvres fort minces. +Son sourire était très gracieux. Je l'ai toujours vue mise de la même +manière: elle ne portait que des robes de taffetas puce.»</p> + +<p>À partir de 1820 et jusqu'à sa mort, M<sup>me</sup> de Lamartine connut d'autres +joies et d'autres chagrins: ce fut d'abord la gloire soudaine de son +fils, son mariage inespéré, qui marque la fin de cette période de +désœuvrement dont elle souffrit tant. «Il se dit plus heureux qu'un +roi, écrira-t-elle un jour, et certes, ce n'est pas un langage auquel je +suis accoutumée de sa part.» Elle avoue aussi avoir ressenti «un grand +mouvement de vanité» en lisant dans les journaux le nom de son fils +parmi les personnages illustres de passage à Aix. Puis ce fut la +naissance de son petit-fils qui lui causa une immense joie: «On dit que +cet enfant me ressemble, dira-t-elle avec orgueil; alors, je me +l'imagine comme était son père...».</p> + +<p>Bientôt, pourtant, les soucis et les deuils l'accablèrent de nouveau. +Son fils l'inquiétait toujours; «cette ardeur, cette inquiétude de +tête», comme elle appelle dans son simple langage la fièvre poétique qui +le dévore, ne font que la désoler. Presque coup sur coup elle eut à +pleurer la mort de deux de ses filles, M<sup>me</sup> de Vignet et M<sup>me</sup> de +Montherot, et celle de son petit-fils dont elle avait accueilli la +naissance avec tant de bonheur. Puis, ses deux belles-sœurs et ses deux +beaux-frères disparurent à leur tour. De plus en plus elle se sentait +isolée à Milly.</p> + +<p>La dernière joie que connut cet admirable cœur de mère fut de paraître +au bras de son fils à l'Abbaye-au-Bois, dans les salons de M<sup>me</sup> +Récamier où, en juillet 1829, Chateaubriand lut des fragments de son +<i>Moïse</i>; et voici ce qu'au retour elle écrivait dans son journal:</p> + +<p>«Je suis de plus en plus fière et heureuse des admirables qualités +d'Alphonse, malgré les inquiétudes si fondées que j'ai eues sur son +compte. Sa réputation s'agrandit tous les jours, mais ce n'est pas de +son esprit que je dois le glorifier davantage, c'est de la bonne +direction qu'il lui a donnée, c'est de son excellent cœur, c'est de la +beauté de son âme qui se manifeste dans toutes les occasions.» Ainsi, ce +qui la frappa au cours de cette soirée, fut le murmure d'admiration +sympathique qui avait accueilli l'entrée de son fils, et tout le reste +lui parut secondaire:</p> + +<p>«Il y avait beaucoup de gens célèbres que je fus bien aise de voir, et +surtout M. de Chateaubriand lui-même que je ne connaissais pas; il me +parut vieux et faible, et les ambitions de ce monde sont bien +mensongères. Sa tragédie est de peu d'intérêt. M<sup>me</sup> Récamier a encore +de la grâce et quelques souvenirs de beauté.»</p> + +<p>Comme par un étrange pressentiment de sa fin prochaine, les dernières +lignes qu'elle ait tracées dans son journal semblent le clore tout +naturellement. Le 22 octobre 1829 elle écrivait de Milly:</p> + +<p>«Je suis seule ici, et cependant je ne m'ennuie pas trop. Je me reproche +au contraire de prendre encore beaucoup trop d'intérêt aux choses de ce +monde et d'avoir peut-être plus de dissipation d'esprit en vieillissant +que dans ma jeunesse, et pourtant je vieillis beaucoup! Que Dieu ait +pitié de moi et me rende ce que je dois être. J'aime à lui dire un +verset d'un psaume qui me touche: Seigneur, vous êtes mon espérance dès +ma jeunesse, ne me rejettez pas dans le temps de ma vieillesse, ne +m'abandonnez pas lorsque les forces me manqueront.»</p> + +<p>Elle mourut moins d'un mois après, le 16 novembre, et cette femme +angélique en qui tout était douceur et sentiment eut une fin atroce: +elle fut brûlée vive dans un bain qu'elle voulut réchauffer, surprise +par le jet bouillant qu'elle n'eut pas le temps d'arrêter et reçut en +pleine poitrine. Elle trouva encore la force de sortir de l'eau, puis +tomba à terre, évanouie. Pendant les trois jours que dura son affreuse +agonie elle ne reprit pas connaissance.</p> + +<p>Lamartine et son père étaient tous deux absents de Milly. À leur retour, +elle reposait déjà dans le cimetière de Mâcon, mais comme son fils +voulait l'avoir près de lui dans la petite chapelle de Saint-Point, il +obtint de la faire exhumer.</p> + + +<p class="e">La douleur du poète fut immense. Plus tard, lorsqu'il écrira ses +souvenirs, la mémoire de sa mère en illuminera toutes les pages. Mais à +force d'idéaliser cette belle figure il a fini, d'abord par en donner +une image assez inexacte, et surtout par persuader à lui-même et à ses +lecteurs qu'elle fut avec Elvire l'une des formes vivantes de son génie.</p> + +<p>Pourtant, si l'une eut sur son développement et son inspiration une +profonde influence, il serait peu conforme à la vérité de croire que sa +mère tint le même rôle dans sa vie. Elle fut la mère, dans tout ce que +ce mot peut comporter d'amour, de tendresse et d'orgueil; tous deux +s'adoraient, mais—et le journal de M<sup>me</sup> de Lamartine en est la +meilleure preuve—la période de l'adolescence du poète qui s'étend de +1808 à 1820, période d'isolement et de détresse morale, échappe +complètement à sa mère qui s'en désole et pleure en silence de le voir +sombre et renfermé, cachant jalousement son existence intérieure.</p> + +<p>Elle ne participera en rien à cette solitude morale, à cette laborieuse +genèse qui précède les <i>Méditations</i> sauf pour ce que son instinct +maternel lui fera parfois deviner; un jour où elle le verra en proie à +ce «feu divin» qu'il a décrit dans l'<i>Enthousiasme</i>, elle écrira: «Je +crains pour lui cette inquiétude d'esprit qui le transporte toujours +dans un avenir idéal et lui ôte la paisible jouissance du présent et de +ceux avec qui il est», mais le plus souvent elle se désespérera de son +apparente stérilité sans que son âme aimante et simple saisisse +grand'chose des aspirations confuses, et des détresses incurables qu'il +porte en lui. Elle se contentera de noter ce que son cœur de mère +appellera des «vivacités de caractère», des «mélancolies de jeunesses», +elle verra avec angoisse cette «vie de dissipation», ces gaspillages +inutiles d'énergie, et s'épuisera en supplications pour faire mener à +son fils une existence régulière et occupée, celle dont il est alors le +plus incapable.</p> + +<p>Plus tard Lamartine le regretta et en souffrit; avec amour, il +s'efforcera alors dans ses souvenirs, ses commentaires et sa version du +<i>Manuscrit de ma mère</i> de lui faire jouer, dans son adolescence, un +rôle qu'elle n'a jamais tenu. Pieuse invention que cette lecture à Milly +de l'<i>Isolement</i>, du <i>Désespoir</i> ou de l'<i>Épître à Byron</i>! M<sup>me</sup> de +Lamartine, qui en 1808 notait avec un peu d'orgueil les premiers essais +poétiques de son fils, n'eût pas manqué d'en transcrire le récit, +surtout si, comme il l'a prétendu, la lecture du <i>Désespoir</i> eut été +entre eux la cause d'une grave discussion. Bien mieux, ce fut par une +étrangère qu'elle entendit parler pour la première fois des futures +<i>Méditations</i>: le 9 juin 1819, en effet, M<sup>me</sup> de l'Arche, cousine de +M<sup>me</sup> Haste sa nièce—c'est la fameuse «princesse italienne» qui soigna +Lamartine à Paris pendant sa maladie,—était de passage à Mâcon. «<i>Elle +m'a apporté des vers d'Alphonse</i>, dit M<sup>me</sup> de Lamartine, <i>qui sont des +stances religieuses et des Méditations mélancoliques; il y a vraiment de +très belles choses</i>.» Une autre courte mention le 6 janvier 1820 où on +lit: «<i>Alphonse va faire imprimer des vers; il en a fait vraiment de +très beaux et sur de beaux sujets très religieux</i>». C'est tout; à Milly +l'apparition des <i>Méditations</i> passa inaperçue, car la mère avait alors +en tête d'autres soucis plus sérieux: le mariage de son fils et son +établissement.</p> + +<p>Mais ce que Lamartine tient incontestablement de sa mère, c'est cette +âme inquiète et tourmentée, cette sensibilité rare que l'on retrouve à +chaque page du <i>Journal intime</i>; ce sont surtout les germes de sa +religion profonde et vivace qui s'épanouiront ensuite à Belley. Au +cours de sa vie orageuse, sa foi subira bien des assauts et connaîtra +bien des défaillances, mais il y reviendra toujours comme à l'unique +consolation. De bonne heure, la croyance de M<sup>me</sup> de Lamartine avait +marqué des traces ineffaçables dans l'âme de l'enfant, et l'on peut dire +que le souffle chrétien qui anime toute sa poésie est l'œuvre absolue et +entière de sa mère.</p> + +<p>Elle conservera aussi une influence indiscutable sur ses actes. La +vénération dont il l'entourait le fit souvent se courber, en pleine +maturité, devant les avis qu'elle lui donnait<a name="FNanchor_75_75" id="FNanchor_75_75"></a><a href="#Footnote_75_75" class="fnanchor">[75]</a>. Tout ce qui touchait +à son génie qu'elle voulait purement chrétien, l'affectait +profondément: «Alphonse va faire imprimer des vers, écrit-elle le 10 +mars 1825, c'est une suite de <i>Childe-Harold</i>, espèce de poème de lord +Byron. Ce sujet m'inquiétait et m'inquiète encore beaucoup; j'ai dit ce +que je croyais devoir dire, car je ne suis pas là pour louer, mais pour +avertir». Jamais, de l'avis de ceux qui les connurent tous deux, +Lamartine n'eût osé commencer du vivant de sa mère sa politique +d'opposition contre le gouvernement de Juillet car elle gardait aux +d'Orléans un respect profond. En 1825, lors du retentissement causé par +deux malencontreux vers du <i>Chant du Sacre</i>, elle écrira sévèrement à +son fils et ne désarmera que devant les explications, assez confuses, +semble-t-il, qu'il lui donna<a name="FNanchor_76_76" id="FNanchor_76_76"></a><a href="#Footnote_76_76" class="fnanchor">[76]</a>. De même, M<sup>me</sup> Delahante est +persuadée que <i>Jocelyn</i> et <i>la Chute d'un Ange</i> auraient subi +d'importants remaniements si la mère du poète avait été là<a name="FNanchor_77_77" id="FNanchor_77_77"></a><a href="#Footnote_77_77" class="fnanchor">[77]</a>.</p> + +<p>Tel est le milieu où va croître et se développer l'âme de l'enfant, plus +souvent arrêtée et contrariée, à vrai dire, qu'encouragée et comprise. +Chacune des figures que nous venons d'esquisser jouera un rôle dans sa +jeunesse, influera plus ou moins sur sa pensée et sur ses actes. Mais +conclure de là, comme il l'a laissé entendre lui-même, que certaines +d'entre elles, «l'oncle terrible» surtout, par leur contrainte et leur +mainmise sur son existence ont en quelque sorte retardé l'éclosion des +<i>Méditations</i> serait une grave erreur. Lamartine fut maître de sa vie à +dix-huit ans, et libre de l'organiser à sa guise pourvu qu'il prît une +occupation. Sans doute, les Lamartine n'encourageront nullement sa +vocation poétique et même la contrarieront parfois; mais on connaît +leurs raisons, et d'ailleurs lui-même en fut un peu responsable, car de +bonne heure il se réfugia dans la solitude morale, hautain et découragé.</p> + +<p>Cette adolescence difficile servit son génie: l'amertume, les heurts, +stimulent Lamartine. Ses <i>Méditations</i>, écrites fiévreusement, en pleine +crise, au moment des pires froissements avec sa famille, des maladies et +des difficultés qui l'accablent, en sont le meilleur témoignage. De 1820 +à 1830, alors qu'il coule on paix des jours heureux, son œuvre poétique +s'en ressent: les <i>Nouvelles Méditations</i>—à part quelques pièces +antérieures à 1820—n'égalent pas les premières: la <i>Mort de Socrate</i>, +le <i>Chant du Sacre</i> ne sont que des œuvres facilement rimées et dont +lui-même ne pensait pas grand'chose. Les <i>Harmonies</i> même, écrites au +jour le jour de 1825 à 1830, sont d'une autre manière, adoucie et plus +paisible. Il faut remonter jusqu'à <i>Némésis</i>, plus loin encore à l'<i>Ode +au comte d'Orsay</i>, à <i>la Vigne et la Maison</i> et à cette admirable +<i>Invocation à la Croix</i> qui ne fut publiée qu'après sa mort pour +retrouver l'inspiration mélancolique, désespérée et hautaine des +premières <i>Méditations</i>.</p> + + + +<hr /> +<h2><a name="CHAPITRE_IIIb" id="CHAPITRE_IIIb"></a><a href="#toc">CHAPITRE III</a></h2> + +<p class="c">LES LAMARTINE PENDANT LA TERREUR.</p> + +<p class="c">LES PREMIÈRES ANNÉES.</p> + + +<p>À s'en tenir au seul témoignage de Lamartine, il serait difficile de +connaître le véritable lieu de sa naissance, puisque dans ses poèmes et +ses souvenirs il a tour à tour indiqué Saint-Point, Mâcon et Milly comme +son berceau<a name="FNanchor_78_78" id="FNanchor_78_78"></a><a href="#Footnote_78_78" class="fnanchor">[78]</a>. Toutefois, grâce à son acte de baptême, on sait qu'il +naquit à Mâcon le 10 octobre 1790, fut baptisé le lendemain par le curé +de Saint-Pierre, et eut pour parrain et marraine son grand-père de +Lamartine, malade et représenté par son fils aîné, et sa grand'mère +maternelle M<sup>me</sup> Des Roys. M<sup>me</sup> de Lamartine nous apprend que +quelques heures après sa naissance l'enfant fut porté au couvent des +Ursulines où la supérieure, M<sup>me</sup> de Luzy, une bonne vieille +grand'tante, présenta l'enfant à la chapelle de la Vierge, et que toute +la communauté pria pour lui.</p> + +<p>Des doutes se sont élevés au sujet de la maison natale du poète<a name="FNanchor_79_79" id="FNanchor_79_79"></a><a href="#Footnote_79_79" class="fnanchor">[79]</a>: en +effet, les Lamartine possédaient alors deux immeubles à Mâcon. L'un, +l'hôtel familial, était situé au numéro 3 de l'actuelle rue +Bauderon-de-Senecé, au <span class="smcap">xviii</span><sup>e</sup> siècle rue de la Croix-Saint-Girard, et +sous la Révolution rue Solon; l'autre occupait le numéro 18 de la rue +des Ursulines, devenue pendant la Terreur rue Jean-Jacques-Rousseau. +Dans laquelle de ces deux maisons Lamartine vit il le jour? La question +en soi est de peu d'importance, car toutes deux ne formaient en réalité +qu'un même immeuble compris dans l'angle formé par les deux rues à leur +intersection, et il existait entre elles une cour, un passage et des +jardins communs. Néanmoins, la maison de la rue des Ursulines est bien +la maison natale du poète et il existe deux témoignages qui devraient +clore la discussion.</p> + +<p>Le 21 décembre 1819, M<sup>me</sup> de Lamartine a noté dans son journal que son +mari, gêné par une mauvaise récolte, songeait à vendre la maison qu'ils +habitaient à Mâcon et à vivre désormais uniquement à Milly, <i>ou +peut-être</i>, ajouta-t-elle, <i>dans l'ancienne petite maison que nous avons +habitée les premiers temps de notre mariage et qui est à l'abbé de +Lamartine</i>. Cette maison est bien celle de la rue des Ursulines: nous +savons en effet, par le testament de Louis-François de Lamartine, +qu'elle échut à l'abbé; celui-ci, d'ailleurs, n'y logea jamais et la +louait ordinairement. Le poète la trouva en 1826 dans sa succession, et +la vendit aussitôt car elle était inhabitable. Enfin, on lit dans la +déclaration d'immeubles faite en décembre 1790 par Louis-François au +cadastre de Mâcon et parmi l'énumération de ses propriétés, <i>une maison +rue des Ursulines occupée par M. de Pra</i><a name="FNanchor_80_80" id="FNanchor_80_80"></a><a href="#Footnote_80_80" class="fnanchor">[80]</a>. Or, si le chevalier +demeurait en décembre 1790 rue des Ursulines, il est fort probable qu'il +y habitait déjà en octobre et qu'il avait reçu à son mariage la +jouissance de cet immeuble jusqu'à la mort de son père, quoique son +contrat n'en fasse pas mention. Il semble donc acquis que Lamartine vint +au monde, non pas dans l'hôtel de la rue Bauderon-de-Senecé, mais dans +la petite maison de la rue des Ursulines.</p> + + +<p class="e">À sa naissance, l'enfant était d'une constitution délicate qui donna, +paraît-il, des inquiétudes à sa famille. Il a raconté plus tard comment +sa mère, pour le changer d'air, alla passer avec lui l'été de 1791 à +Lausanne. Nous n'avons sur ce séjour que son seul témoignage et le +<i>Journal intime</i> n'en rappelle aucun souvenir. Pourtant, il demeure très +vraisemblable, car la plupart des familles du pays profitaient souvent +de l'été pour se rendre en Suisse dont la frontière n'était éloignée que +de quelques journées. Quant aux détails abondants et pittoresques dont +il a nourri son récit, nous sommes obligés de lui en faire crédit: à +l'en croire, une intimité très grande existait entre les Lamartine et le +vieil historien anglais Gibbon que M<sup>lle</sup> Des Roys aurait connu dans +sa jeunesse au Palais-Royal; une haie de jasmin séparait seule les deux +jardins et, dira-t-il, en parlant de Gibbon, «ses genoux étaient devenus +mon berceau<a name="FNanchor_81_81" id="FNanchor_81_81"></a><a href="#Footnote_81_81" class="fnanchor">[81]</a>».</p> + +<p>Mais si l'historien était bien à Lausanne en 1791—il y séjourna de 1784 +à 1797,—le journal de Mary Holroyd fille de lord Scheffield, qui fut +son hôte de juin à octobre de la même année, ne mentionne nullement les +Lamartine dans la liste très détaillée qu'elle donne des habitués de la +<i>Grotte</i>; la <i>Correspondance</i> et l'<i>Autobiographie</i> de Gibbon sont tout +aussi muettes sur ce point. Enfin il est assez difficile d'admettre +qu'il ait connu M<sup>lle</sup> Des Roys au Palais-Royal: il fut bien un assidu +de la petite cour du duc d'Orléans, mais il quitta définitivement Paris +en 1784. À cette date, la jeune fille avait quatorze ans et n'était +qu'une enfant. Quoi qu'il en soit, sans mettre en doute ce voyage à +Lausanne, il est certain qu'il fut très court. M<sup>me</sup> de Lamartine était +en effet en novembre de retour à Mâcon, pour ses couches, et sa présence +nous y est attestée par l'acte de baptême de son second fils Félix, mort +deux ans plus tard<a name="FNanchor_82_82" id="FNanchor_82_82"></a><a href="#Footnote_82_82" class="fnanchor">[82]</a>.</p> + +<p>C'est à cette époque que la situation commença à devenir difficile pour +les Lamartine: la royauté étant en péril, le chevalier fit aussitôt son +devoir de soldat et de gentilhomme, et ce fut le premier signal de la +dispersion du foyer.</p> + +<p>Bien que démissionnaire le 1<sup>er</sup> mai 1791 pour n'avoir pas à prêter +serment à la Constitution, il se rendit en mai 1792 à Paris offrir ses +services au Roi. Un mémoire présenté en 1814 à Louis XVIII en vue +d'obtenir la croix de Saint-Louis et apostillé par un parent de sa +femme, le président Henrion de Pensey alors ministre de la justice, nous +donne quelques détails sur son dévouement fidèle mais obscur, et qui +confirment entièrement le récit des <i>Confidences</i> et de l'<i>Histoire des +Girondins</i><a name="FNanchor_83_83" id="FNanchor_83_83"></a><a href="#Footnote_83_83" class="fnanchor">[83]</a>.</p> + +<p>Dès son arrivée, suivant en cela l'exemple de la noblesse de France, il +fit demander au Roi ses ordres, soit pour émigrer, soit pour rester. +Louis XVI, comme à tous, lui répondit de demeurer. Il obéit et ne +manqua aucune occasion de se rendre aux Tuileries chaque fois que le +château fut menacé; il s'y trouvait même le 10 août, resta jusqu'après +l'attaque, combattit l'un des derniers. Poursuivi par les vainqueurs, il +échappa aux massacres de la Force grâce à la complicité d'un des +jardiniers d'Henrion de Pensey qui se trouvait parmi les émeutiers et +eut pitié de lui. Il le cacha et lui fournit des vêtements qui lui +permirent de circuler dans Paris sans éveiller l'attention. Le chevalier +erra alors quelques jours, ne sachant quel parti prendre, puis reprit le +chemin de Mâcon. À son arrivée, il trouva le pays en pleine émeute.</p> + +<p>Déjà, trois ans auparavant, dans les derniers jours de juillet 1789, une +véritable Jacquerie avait éclaté dans le Mâconnais. À Cormatin, à Cluny, +à Hurigny, à Saint-Point surtout,—qui appartenait encore aux +Castellane,—les paysans avaient envahi le château, brûlé les terriers +et les titres de redevances. Les Lamartine ne furent pas épargnés: le 27 +juillet, leur petite propriété de Pérone était dévastée et leur +concierge qui tentait de s'opposer au pillage se noya dans le puits où +on l'avait jeté. Le jour même, le curé de Pérone, Étienne Moiroux, était +assailli au presbytère, et brutalisé. Mais les années 1790-1791 furent +plus calmes; le mouvement ne reprit qu'en 1792, lors de la réforme du +clergé.</p> + +<p>Lamartine, en divers endroits de son œuvre, s'est longuement étendu sur +les persécutions que sa famille eut à subir pendant la Terreur. Si l'on +en excepte l'épisode d'après lequel son père aurait échangé des lettres +avec sa mère, de la prison aux fenêtres de la maison de la rue des +Ursulines située en face, où elle se serait retirée, tout ce qu'il y a +raconté est exact, à quelques détails près. Grâce aux Archives de +Saône-et-Loire, il est d'ailleurs facile de rétablir l'existence des +Lamartine durant les années 1792-1795.</p> + +<p>Ils ne commencèrent guère à être inquiétés qu'en 1792, à la suite de +l'émigration du fils aîné François-Louis, émigration qui dut être +extrêmement courte, mais qu'il n'est guère possible de mettre en doute. +Dans la <i>Liste générale des émigrés</i><a name="FNanchor_84_84" id="FNanchor_84_84"></a><a href="#Footnote_84_84" class="fnanchor">[84]</a>, on trouve en effet à la lettre +L un tableau où figurent Louis-François le père et François-Louis le +fils, dont les biens furent mis sous séquestre les 5 juillet, 20 +septembre et 28 novembre 1792. Aussitôt, le vieux seigneur de Montceau +protesta avec énergie et fit parvenir aux directoires de Saône-et-Loire +et de la Haute-Saône des attestations de civisme et des certificats de +résidence, mais pour lui seul, et sans jamais faire mention de son fils +dont on ne trouve aucune réclamation; ceci semble suffisamment prouver +qu'il n'était pas alors en France. On ne tarda pas d'ailleurs à faire +droit aux requêtes de Louis-François: le 12 avril 1793 il obtenait la +mainlevée des scellés apposés à Montceau et à Milly, le 24 mai celle des +propriétés de Franche-Comté<a name="FNanchor_85_85" id="FNanchor_85_85"></a><a href="#Footnote_85_85" class="fnanchor">[85]</a>.</p> + +<p>Prévenu sans doute des conséquences qu'allait entraîner sa disparition, +François-Louis revint à Mâcon, où on le trouve en octobre. Mais il +paraît impossible de mettre en doute son émigration, contestée par +Lamartine, puisqu'il n'existe aucune protestation émanant de lui contre +la qualité qu'on lui prêtait, que son père n'agit qu'en son nom propre +dans toutes ses revendications, et qu'à la fin de 1793 les Lamartine +furent emprisonnés comme parents d'émigré.</p> + +<p>Contrairement à ce qu'on lit dans les <i>Confidences</i>, le grand-père du +poète ne fut pas détenu; sans doute, son âge lui valut-il cette +exception, car il avait alors quatre-vingt-trois ans. Sa femme et lui +passèrent toute la période de la Terreur dans leur maison de Pérone, +après que l'hôtel de Mâcon eut été mis sous séquestre le 13 août 1792. +On ne les y aurait probablement guère inquiétés davantage, si avec un +entêtement indomptable il n'avait à chaque instant attiré l'attention +sur lui.</p> + +<p>En effet, le curé de Pérone, qui en 1789 avait été à moitié assommé par +les émeutiers, s'était empressé de prêter serment à la constitution +civile du clergé, afin de s'éviter le retour de semblables désagréments. +Immédiatement, Louis-François, fidèle à ses principes, refusa les +services de l'infortuné, et fit dire la messe chez lui par un prêtre non +assermenté qu'il avait recueilli. L'habituelle dénonciation ne se fit +pas attendre: le 23 juin 1794, le directoire de Saône-et-Loire, +<i>instruit que les biens des époux Lamartine, ex-nobles, ne sont pas dans +la main de la nation, bien qu'ils doivent être séquestrés</i>, fit apposer +à nouveau les scellés à Montceau, Milly, Mâcon et tous les biens que +Louis-François avait fini par récupérer à force de réclamations. Le 25 +août on vendit sur pied leurs récoltes au bénéfice de la République et +cette vente produisit un total de 124 000 livres en assignats. Quant aux +deux vieillards, on se contenta de les détenir à domicile, estimant sans +doute que leur âge les rendait peu redoutables, jusqu'à l'apaisement qui +suivit la mort de Robespierre.</p> + + +<p class="e">Les aventures des trois fils furent plus sérieuses. L'aîné, on l'a vu, +avait émigré, mais il était de retour à Mâcon en octobre 1793. Le +registre d'écrou porte qu'il fut emprisonné aux Ursulines le 13 de ce +même mois, et que son déplorable état de santé lui valut d'être interné +à l'hôpital. De ses fenêtres il pouvait voir la demeure familiale, car +la prison des Ursulines avait remplacé le couvent du même nom qui +faisait face à la maison natale du poète. Il n'y resta que peu de temps: +le 9 novembre il était avec ses frères et sœurs transféré aux +Visitandines d'Autun, également devenues prison nationale, et il n'en +sortit que le 30 septembre 1794<a name="FNanchor_86_86" id="FNanchor_86_86"></a><a href="#Footnote_86_86" class="fnanchor">[86]</a>.</p> + +<p>Pour l'abbé, il figure sur une liste de dénonciation datée du 21 octobre +1793 et qui concernait 54 prêtres non assermentés; le 25 il était arrêté +à Pérone chez son père. D'après une pièce de son dossier aux Archives +Nationales, il aurait prêté serment le 30 septembre 1792. Il y a là une +erreur, car la suite de ses tribulations et surtout l'attitude de son +père démentent entièrement cette assertion. Il figure au contraire au +début de 1792 avec sa sœur Suzanne, l'ex-chanoinesse, à «l'état général +des pensionnaires de deux sexes jouissant d'une pension à la charge du +trésor national», ce qui confirme qu'il avait alors renoncé à ses +fonctions pour ne pas prêter le serment, et l'on a vu déjà qu'il fut +incarcéré comme non assermenté.</p> + +<p>Arrêté le 25 octobre, il fut condamné le 13 novembre à la déportation; +on le transfera alors de Mâcon à Autun, d'où il fut extrait le 25 avril +1794 pour être conduit à Cayenne avec 18 autres prêtres. À Rochefort, on +l'embarqua sur le <i>Washington</i>, vaisseau ponton où les prisonniers +attendaient en cas de réclamation que le gouvernement ait définitivement +statué sur leur sort. Il y demeura trois mois.</p> + +<p>Pendant ce temps, on procédait à Mâcon à la vente publique des meubles +et effets lui ayant appartenu et qui se trouvaient dans sa chambre de +l'hôtel Lamartine mis sous scellés. Le citoyen Durand acquit pour 112 +livres une commode en bois de rose; le citoyen Ducartel, un «bonheur du +jour» pour 140 livres, et les citoyennes Chédé et Droit se disputèrent +deux paires de chaussures, quatre bonnets de nuit, un habit de drap +gris, un autre de kalmouck violet, une «anglaise» de drap gris et sa +veste pour 65 livres, tandis que le citoyen Lacombe se voyait adjuger à +21 livres 10 sols la petite pharmacie et les outils de tourneur de +l'abbé.</p> + +<p>Il faut remarquer qu'on ne toucha à aucun des objets appartenant à +Louis-François. Celui-ci, en effet, se montrait énergique à un moment où +le silence et la peur étaient les seuls moyens de se faire oublier. Fort +de ce qu'il croyait être son droit, indigné de ces comédies judiciaires, +il ne cessait d'adresser réclamation sur réclamation avec une +invraisemblable incompréhension des événements auxquels il assistait. +Lorsqu'il apprit le départ de l'abbé pour Cayenne, il prit la plume une +fois de plus et adressa au directoire de Saône-et-Loire un véhément +<i>factum</i> qui aurait pu l'entraîner loin, car il n'était rien moins +qu'une violente critique de la procédure expéditive alors en cours, +agrémentée de considérations sur la situation générale du pays. On y lit +des morceaux comme celui-ci:</p> + +<div class="blockquot"><p>Si le département appelle dénonciation une liste de proscription +sans motif quelconque articulé, nous devons tous trembler. Cette +dénonciation telle qu'elle n'a même pas été reconnue authentique, +le département n'a pas récolé les dénonciateurs sur leurs +signatures, ne leur a pas demandé s'ils la reconnaissaient, s'ils +persistaient. Voilà une liste, cela suffit. Suivons: le département +dit 1º qu'il est instruit particulièrement. Grand Dieu! quelle +instruction! des juges qui sont instruits non par la procédure, +mais particulièrement! cela fait frémir!</p> + +<p>2º Que les inculpés ont été en partie prévenus de suspicion; mais +le comité n'a pas fait la faute de déclarer suspects des hommes +domiciliés depuis dix ans hors du département, des enfants de +quinze ans qui n'ont jamais passé à Mâcon que quarante-huit heures? +il y en a cinq dans ce cas et le département les condamne tous, +sans les appeler, ni les entendre, à la déportation!</p> + +<p>Pour ce qui regarde particulièrement mon fils, c'est en vain que +j'ai demandé extrait des motifs de son arrestation; pour tout +extrait, on m'a donné ces mots: «Lamartine, ex-chanoine, n'ayant +pas donné de preuves suffisantes d'attachement à la Révolution», +sans date, sans signature, ni rien qui donne de la force à ce vague +énoncé. Si c'est sur cela que le département, <i>instruit +particulièrement</i>, le déporte, lui, muni de certificats de civisme, +étranger au canton, on ferait un gros volume des vices de cet +arrêté cruel.</p></div> + +<p>Un tel langage pouvait être dangereux et pour celui qui le parlait et +pour ceux qu'il mettait en cause. Mais Louis-François ne s'en tint pas +là: avec une persévérance incroyable et un mépris inouï des dangers +qu'il courait, il finit par obtenir de tous les dénonciateurs le désaveu +écrit de leur signature; plusieurs d'entre eux allèrent même jusqu'à +certifier qu'on la leur avait arrachée par surprise et signèrent la +pétition par laquelle, après le 9 thermidor, il réclama la mise en +liberté de son fils.</p> + +<p>Le département, cette fois, fit droit à sa requête et s'inclina devant +la volonté publique, car la pétition s'était couverte d'une centaine de +noms. Le 30 janvier 1795, <i>vu la demande des citoyens Lamartine, Dondin, +Sombardin, etc., et les pièces y jointes par lesquelles il paraît que +«ledit arrêté de déportation n'a été signé par personne»</i> (sic), le +comité arrêta que l'abbé serait mis en liberté et rayé de toute liste de +déportés. Le 15 novembre 1795 il était de retour à Mâcon, après deux +années d'épreuves, mais il ne fut définitivement rayé de la liste des +émigrés où il avait été porté par erreur, sans doute à la place de son +frère aîné, que le 3 février 1802.</p> + + +<p class="e">Quant au chevalier, il fut incarcéré aux Ursulines le 5 octobre 1793, +puis transféré le 28 janvier 1794 aux Visitandines d'Autun et mis en +liberté le 30 octobre de la même année, avec ses deux sœurs<a name="FNanchor_87_87" id="FNanchor_87_87"></a><a href="#Footnote_87_87" class="fnanchor">[87]</a>. Dans la +préface du <i>Manuscrit de ma mère</i>, Lamartine a raconté que pendant toute +la Terreur sa mère avait habité la maison de la rue des Ursulines, et +c'est le motif d'un charmant épisode où l'on voit à la nuit les jeunes +époux échanger de tendres lettres, des fenêtres de la petite demeure à +celles de la prison située en face, par le romanesque moyen d'un arc et +de flèches. L'histoire, pour joliment contée, n'en est pas moins tout à +fait inexacte, car si un mur de la prison faisait bien vis-à-vis à la +maison des Lamartine, celle-ci avait été mise sous séquestre en même +temps que l'hôtel de la rue Croix-Saint-Girard, c'est-à-dire près d'un +an avant l'emprisonnement du chevalier. De plus, pendant la détention de +son mari à Mâcon, la jeune femme n'habitait plus la ville; en effet, +lorsqu'il avait vu ses trois fils sous les verrous, Louis-François avait +exigé d'elle une incroyable démarche: en novembre 1793, laissant à +Pérone ses deux plus jeunes enfants, Félix et Mélanie, celle-ci à peine +sevrée, M<sup>me</sup> de Lamartine dut prendre le chemin de Paris avec le petit +Alphonse, alors âgé de trois ans et dont elle ne voulait pas se séparer. +Elle partait, raconte-t-elle dix ans plus tard<a name="FNanchor_88_88" id="FNanchor_88_88"></a><a href="#Footnote_88_88" class="fnanchor">[88]</a>, solliciter +<i>d'anciennes relations</i> de son père pour obtenir la mise en liberté de +son mari et de ses beaux-frères, car le vieux Lamartine, dans son +inconscience absolue des dangers qu'il faisait courir à tous les siens +avec sa terrible manie des réclamations, s'imaginait toujours qu'il +suffirait d'un mot pour se faire rendre justice; ainsi, le crédit des +Des Roys qu'on lui avait tant vanté au moment du mariage de son fils +finirait bien par rendre quelque service.</p> + +<p>En cours de route, la pauvre femme à moitié morte de peur des périls +qu'elle avait courus s'arrêta dans la Marne, chez son père, pour lui +demander conseil et lui laisser l'enfant.</p> + +<p>«Là, dit elle, Dieu permit qu'on rendît alors un décret qui défendait +aux ci-devant nobles d'aller à Paris sous peine de mort; ce fut fort +heureux, car les démarches étaient fort dangereuses.» Elle demeura donc +six mois à Rieux et ne regagna la Bourgogne qu'en août 1794. Elle se +réfugia alors à Pérone auprès de son beau-père et y demeura jusqu'à la +libération de son mari. Le calme revenu et les séquestres levés, tous +deux vinrent habiter à nouveau la rue des Ursulines, où leur présence +nous est attestée le 4 décembre 1795 par l'acte de décès de leur petit +garçon Félix.</p> + + +<p class="e">Peu à peu, l'apaisement se fit. À la fin de 1795 les Lamartine se +retrouvèrent sains et saufs dans la vieille demeure familiale. Mais trop +d'alertes avaient épuisé les deux vieillards: la grand'mère s'éteignit +la première le 4 septembre 1796, à l'âge de soixante-quinze ans et +Louis-François la suivit peu de mois après, le 11 mai 1797; il venait +d'atteindre sa quatre-vingt-sixième année.</p> + +<p>Après leur mort, le partage de terres commença, et Lamartine rapporte +qu'il fut long et épineux: en effet la loi nouvelle sur les successions +bouleversait leurs vieilles traditions de famille en exigeant un partage +égal entre tous les enfants. Le meilleur des terres de Franche-Comté +avait disparu pendant la Terreur, ruiné faute d'entretien ou aliéné +prématurément comme bien national. Les usines de Saint-Claude étaient +délabrées; le reste ne comprenait plus que des parcelles éparses, +difficiles à gérer par suite des circonstances. M<sup>me</sup> de Lamartine +raconte qu'on se hâta de vendre les débris de ce magnifique patrimoine, +et qu'on s'arrangea à l'amiable pour les terres de Bourgogne.</p> + +<p>L'abbé reçut Montculot et la maison de la rue des Ursulines; M<sup>me</sup> du +Villars Pérone, Collonge et Champagne; François-Louis, en sa qualité de +chef de famille, hérita de Montceau et ses dépendances, de l'hôtel de +Mâcon et de la Tour de Mailly, dont l'ensemble demeura toutefois indivis +entre lui et sa sœur aînée, M<sup>lle</sup> de Lamartine. Le chevalier dut se +contenter de Milly qu'il possédait déjà en fait depuis son mariage et où +il se hâta de se réfugier avec sa femme et ses enfants dès l'automne de +1797.</p> + + + +<hr /> +<h2><a name="CHAPITRE_IVb" id="CHAPITRE_IVb"></a><a href="#toc">CHAPITRE IV</a></h2> + +<p class="c">LE DÉCOR.—LES VOISINS</p> + + +<p>Milly est un pauvre village d'une quarantaine de maisonnettes qui +s'étend en amphithéâtre à mi-flanc d'un vallon encaissé de hautes +collines, les unes cultivées, le Craz, les autres arides, le Monsard. +Une solitude et une tristesse infinies s'en dégagent au premier abord, +mais à mieux connaître tous ses aspects on finit par lui découvrir un +charme pénétrant.</p> + +<p>Toute interprétation de la poésie de Milly restera forcément imparfaite +et surtout inutile, car la seule façon dont Lamartine la comprit doit +nous retenir. Nul jamais ne découvrira dans Milly tout ce qu'il y voyait +et n'éprouvera, même au cours de multiples visites dans ce coin sauvage +de Bourgogne, les sentiments du foyer et de la terre natale, les +souvenirs d'enfance avec leurs nuances invisibles qu'il est parvenu à +rendre merveilleusement. M. Reyssié, pourtant, qui avait une très grande +habitude du pays et connaissait le vallon sous tous ses aspects, est +parvenu à les décrire de manière très fidèle et très exacte.</p> + +<p>Tout au bas du village, en bordure de la route et dominée par le Craz, +se trouve la petite maison des Lamartine. Elle n'a point d'histoire: +élevée au début du <span class="smcap">xviii</span><sup>e</sup> siècle par Jean-Baptiste, premier seigneur +de Montceau, c'était alors, plutôt qu'une demeure, un pavillon où il +venait l'automne surveiller ses vendanges. Rien n'y était établi en +prévision de longs séjours et au moment de son installation le chevalier +fut même obligé d'y faire élever deux cheminées. Aujourd'hui, il est +difficile de se la représenter dans son état primitif, car elle a subi +des remaniements qui ont modifié entièrement son ancien aspect. Elle est +située en retrait de la route unique qui traverse le village, au fond +d'une cour actuellement ornée de massifs, mais qui autrefois servait, +avec ses communs, à garer cuves, pressoirs et tombereaux. Derrière, +s'étend un minuscule jardin dont les charmilles, les frênes et les +chênes sont les seuls arbres de Milly, et finit en pente douce au pied +du Craz par un potager. Aucune source, aucun cours d'eau n'arrose le +pays.</p> + +<p>La maison n'a qu'un seul étage; elle est petite, obscure, humide, et +jamais le soleil n'y pénètre. Elle comprend en tout neuf pièces et l'on +imagine mal comment sept personnes pouvaient y vivre. Des plantes +grimpantes recouvrent entièrement les murs jusqu'aux tuiles et les +arbres viennent frôler les vitres. En hiver, la tristesse et la +désolation sont impressionnantes; ce décor de Milly est une des sources +les plus certaines de la mélancolie de Lamartine et explique amplement +la maladie de nerfs dont il souffrit lorsque ses vingt ans y furent +cloîtrés.</p> + +<p>Une grave erreur en effet serait de croire que l'amour de Lamartine pour +Milly date de sa jeunesse; il contribua beaucoup à cette légende, mais +on voit par sa <i>Correspondance</i> qu'il ne l'appelait guère alors que sa +«détestable patrie». Il ne découvrit son charme que longtemps après, +lorsqu'il en fit avec le recul du temps le temple de ses souvenirs +d'enfance. Milly devint alors pour lui un culte, celui de sa mère dont +il venait encore rechercher la trace trente ans plus tard. «C'est, +disait-il un jour âprement, la seule chose que je ne pardonne pas à mes +concitoyens que de m'avoir forcé de vendre Milly<a name="FNanchor_89_89" id="FNanchor_89_89"></a><a href="#Footnote_89_89" class="fnanchor">[89]</a>.»</p> + +<p>Le domaine comprenait une cinquantaine d'hectares plantés en vignes. En +1801, Pierre de Lamartine y ajouta Saint-Point, acheté partie sur ses +économies, partie sur une somme qui lui revenait de la succession de son +père.</p> + + +<p class="e">Saint-Point bien plus que Milly fut aux yeux de ses contemporains la +véritable demeure du poète. C'était un vieux château féodal bâti sur la +vallée de la Valouze dans un joli site boisé et plus riant que Milly, +dont il était éloigné d'une quinzaine de kilomètres. Lorsqu'à son +mariage Lamartine en acquit la jouissance, il lui fit subir plusieurs +réparations et sacrifiant lui aussi à la mode romantique, y fit ajouter +des terrasses, des tourelles, des fenêtres ogivales et dentelées qui ne +vont pas sans déparer un peu l'austère simplicité romane du bâtiment.</p> + +<p>La partie orientale du château comprise entre les deux tours rondes +remonte seule au moyen âge; l'ensemble a été remanié à différentes +époques et on voit par les inventaires antérieurs à la Révolution qu'il +comprenait primitivement quatre grosses tours, des murailles à créneaux +qui enfermaient une cour commandée par un pont-levis et entourée de +profonds fossés. De l'histoire ancienne du château, on sait peu de +chose; il fut assiégé et pris par les Français en 1471 lors des luttes +entre Louis XI et Charles le Téméraire; au cours des <span class="smcap">xvii</span><sup>e</sup> siècle et +<span class="smcap">xviii</span><sup>e</sup> siècles, il demeura le plus souvent inhabité, ce qui explique +son délabrement, achevé le 30 juillet 1789 par les émeutiers qui le +mutilèrent et le pillèrent entièrement.</p> + +<p>Ce jour-là, tous les habitants de Saint-Point, vignerons, grangers et +manœuvres, assemblés au son de la cloche, forcèrent la grande porte, +découronnèrent les tours, démolirent les charpentes et toitures, +brûlèrent les archives. L'affaire fut vite menée, sans résistance +possible de la part de l'intendant. Tout ce qu'il put obtenir d'eux fut +qu'ils ne mettraient pas le feu au château, leur objectant que +l'incendie pourrait gagner le village. Les choses restèrent longtemps +en l'état, et la Terreur vint achever la ruine du domaine. Au moment où +le chevalier s'en rendit acquéreur, la maison était inhabitable.</p> + +<p>La famille de Saint-Point posséda le château—dont les seigneurs se +qualifiaient marquis—du milieu du <span class="smcap">xii</span><sup>e</sup> siècle à la fin du <span class="smcap">xvi</span><sup>e</sup> +siècle. L'un de ses membres, Guillaume de Saint-Point, seigneur de la +Foretz, de Chanvantet de Clermatin, a laissé quelque trace dans +l'histoire en jouant un rôle assez important pendant les guerres de +religion où il se distingua par ses cruautés. En 1557, il fut élu +capitaine du ban et arrière-ban de la noblesse du bailliage, et +combattit dans les armées catholiques; mais le meilleur de sa célébrité +lui vient encore des farces de Saint-Point, jeu qui consistait à noyer +en Saône ses prisonniers huguenots et où il conviait en grande pompe +tous ses vassaux et amis. Il finit assassiné par un jeune gentilhomme +mâconnais dont il avait dévasté les biens, et ses aventures sont +relatées dans un ténébreux roman dédié à Lamartine et qui fut accueilli +avec succès en 1845, car le public y trouvait une occasion de pénétrer +dans ce fameux château de Saint-Point rendu populaire par la gloire de +son propriétaire<a name="FNanchor_90_90" id="FNanchor_90_90"></a><a href="#Footnote_90_90" class="fnanchor">[90]</a>.</p> + +<p>Sa fille naturelle et légitimée épousa en 1564 Antoine de la Tour de +Saint-Vidal qui, comme son beau-frère, fut un des capitaines +catholiques les plus acharnés contre les réformés; il eut la même fin +tragique et fut tué en duel. Sa veuve se remaria en 1596 et à sa mort +légua ses biens à son petit-fils, Claude de Rochefort d'Ally; il épousa +Anne de Lucinge et fut gouverneur de Saint-Jean de Losne qu'il défendit +héroïquement contre les Impériaux en 1663.</p> + +<p>Saint-Point demeura propriété des Rochefort jusqu'au milieu du <span class="smcap">xviii</span><sup>e</sup> +siècle; à cette époque il passa par mariage aux mains de Charles Testu +de Balincourt qui, le 29 avril 1776, céda le marquisat et ses +dépendances à Henry de Castellane, chevalier d'honneur de madame Sophie. +Son fils en hérita en 1789; il s'occupa un moment de politique et ce fut +lui qui à la journée du 13 vendémiaire fit battre le rappel pour marcher +contre la Convention. Condamné à mort par contumace, il prit la fuite, +mais revint l'année suivante se constituer prisonnier et fut acquitté. À +moitié ruiné, il allait vendre Saint-Point en 1800 à des marchands de +biens, lorsqu'à la requête d'un créancier on procéda à une adjudication +publique et, le 10 février 1801, Pierre de Lamartine s'en rendit +acquéreur au prix de 80 000 francs. L'opération fut très fructueuse pour +lui car les bois de Saint-Point n'avaient pas été taillés depuis un +siècle: avec une coupe il rentra dans ses débours. Quant au vignoble, il +était peu important et abandonné depuis longtemps.</p> + +<p>À ce moment, le château tombait en ruines. M<sup>me</sup> de Lamartine note +dans son journal que c'est «un bon bien et un pays agréable»; «c'est +fort dévasté, ajoute-t-elle, et rien ne peut y flatter l'amour-propre».</p> + +<p>Au début, les Lamartine n'y feront que de rares et courts séjours; plus +tard, ils y passeront quelques semaines, en été ou au moment des +vendanges, lorsque les réparations indispensables auront été effectuées +peu à peu. Mais la mère s'y rendra souvent dans la journée avec ses +enfants, en char à bancs ou à âne, au long des petits sentiers qui +dévalent des coteaux et raccourcissent le chemin.</p> + + +<p class="e">Dans la solitude de Milly et le délabrement de Saint-Point, la jeune +femme connut tout d'abord quelques heures de découragement et d'ennui. +Très vite, pourtant, et comme toujours en luttant contre elle même, elle +s'habitua à cette vie nouvelle. Ses devoirs de mère vont l'absorber +entièrement et, la première hésitation passée, elle classera ses +occupations, se dévouera entièrement à son ménage et à l'éducation de +ses enfants.</p> + +<p>La vie à Milly était plus que simple, car les ressources, uniquement +fondées sur les vignes, étaient modestes. En 1801, M<sup>me</sup> de Lamartine +qui assumait toutes les charges, encaissait les revenus et donnait 1600 +francs par an à son mari; en 1805, celui-ci reprit la direction du +ménage: il alloua à sa femme 600 francs par mois, douze pièces de vin et +les petites réserves de Milly et de Saint-Point. Avec cette somme elle +assurait la vie quotidienne, payait l'entretien et l'éducation de ses +filles tandis que le chevalier s'occupait de la pension de leur fils et +des charges générales. Leur fortune, on le voit, était modeste et on +peut l'évaluer à une quinzaine de mille francs de rente.</p> + +<p>Le matin, on se levait à l'aube, le père partait dans ses vignes, ou +chassait; sa femme commandait leurs huit vignerons et domestiques, +surveillait la maison, la lessive, la basse-cour, le potager, et +trouvait encore quelques instants pour commencer la première éducation +de ses enfants.</p> + +<div class="blockquot"><p>La journée, écrit-elle, n'est jamais assez longue pour ce que je +voudrais faire, et mes forces sont épuisées avant que mon goût pour +les occupations le soit. Je vais tous les jours à la messe de sept +heures avec mes enfants; nous déjeunons ensuite, puis quelques +soins de ménage, puis le travail en lisant tour à tour la Bible, +une leçon de grammaire et la lecture de l'histoire de France: tout +cela nous conduit jusqu'au dîner sans que personne ait trouvé le +temps long. Après le dîner, je donne récréation une heure. Nous +reprenons ensuite l'ouvrage avec une lecture agréable que je tâche +toujours de rendre instructive, jusqu'au goûter, après lequel on +apprend par cœur des vers, de l'histoire de France et de la +grammaire. Puis nous nous promenons jusqu'à la nuit et à la veillée +pendant que je joue aux échecs avec mon mari, les enfants s'amusent +et apprennent quelques vers des fables de Lafontaine. C'est +toujours le plan ordinaire de notre journée à quelques différences +près.</p></div> + +<p>Lorsque l'année avait été bonne, les Lamartine allaient passer l'hiver à +Mâcon: au début, ce fut dans une maison louée; en 1805, le chevalier, +sur les instances de sa femme, se décida à l'acheter et la paya 29 615 +francs à M. Barthelot d'Ozenay un de leurs amis. Elle portait le numéro +15 de la rue de l'Église: c'est là qu'à partir de 1805 ils passeront +tous les hivers. À côté de la poétique description qu'en a faite +Lamartine, il faut rapprocher celle de M<sup>me</sup> Delahante, plus véridique: +«L'entrée, dit-elle, ressemblait fort à une cave et tout y était plus +que simple et fort triste; nous avons fait bien des parties dans son +jardin qui était affreux, mais dont les hautes murailles étaient +tapissées de roses blanches».</p> + +<p>Quelques voisins agréables animaient un peu cette vie solitaire. +C'étaient les de Rambuteau, très liés au <span class="smcap">xviii</span><sup>e</sup> siècle avec les +Lamartine et dont deux membres signèrent à l'acte de baptême du poète; +le futur préfet de la Seine, Claude-Philibert, tout en étant un peu plus +âgé que lui puisqu'il était né en 1781, fut son ami de jeunesse. Il +avait épousé M<sup>lle</sup> de Narbonne, fille du comte Louis, ministre de la +guerre à la fin du règne de Louis XVI, et devint plus tard très en +faveur auprès de Napoléon. Leur grand luxe, leur fastueuse résidence de +Champgrenon n'allaient pas parfois sans écraser un peu la pauvre M<sup>me</sup> +de Lamartine qui écrivait un jour: «Après dîner M<sup>me</sup> de Rambuteau est +venue avec ses enfants faire une visite; elle passe beaucoup de temps à +Paris, elle a beaucoup de fortune et un grand train. Quand je vis son +beau carrosse, ajoute-t-elle mélancoliquement, ses superbes chevaux +auprès de mon modeste équipage, j'eus un petit moment de honte que je me +reproche...»</p> + +<p>À Bussière et à Milly, il y avait l'abbé Dumont, grand ami du chevalier +et qui chassait avec lui; les du Sordet; M. de Valmont, vieux +gentilhomme courtois et lettré, et l'excellent M. de Vaudran: emprisonné +à Lyon pendant la Terreur il avait été rendu à la liberté après +Thermidor. Il s'établit alors à Bussière avec sa mère et ses sœurs et y +demeura jusqu'à sa mort survenue en 1820. C'était, paraît-il, un érudit +et brillant causeur qui charmait l'enfant par de belles histoires et lui +donna ses premières leçons de dessin et d'écriture. Plus tard, il le +patronna à l'Académie de Mâcon et s'intéressa à ses premiers essais +poétiques, mais mourut sans connaître la gloire de son ancien élève +qu'il aimait beaucoup. Il était le grand-oncle de Léon Bruys d'Ouilly, +l'ami d'enfance à qui sont dédiés les <i>Recueillements</i>, romanesque et +beau garçon qui succéda à lord Byron dans le cœur de la comtesse +Guccioli, pour laquelle il se ruina complètement<a name="FNanchor_91_91" id="FNanchor_91_91"></a><a href="#Footnote_91_91" class="fnanchor">[91]</a>.</p> + + +<p class="e">Parfois on descendait en char à bœufs, raconte M<sup>me</sup> de Lamartine, la +petite route en lacets qui serpente à travers les vignes de Milly à +Pierreclos. Là, à l'abri d'un antique donjon féodal qui commande une +gorge étroite et fleurie, vivait le vieux comte Jean-Baptiste de +Pierreclau, colosse d'un autre temps et qui, malgré la Révolution, +régnait toujours par la terreur sur ses anciens vassaux. Conseiller du +roi et trésorier de France à Lyon à la fin du <span class="smcap">xviii</span><sup>e</sup> siècle, il avait +épousé M<sup>lle</sup> de la Rochetaillée et menait un train de prince à Mâcon +où il possédait deux magnifiques hôtels; la Terreur l'envoya en prison +et dispersa sa famille.</p> + +<p>Le calme revenu, il rentra dans son château dévasté, en proie à une +fureur indicible: tant bien que mal il reprit sa vie, mais au point où +on l'avait interrompue malgré lui. Dans les <i>Confidences</i>, Lamartine +nous a laissé un pittoresque tableau de son existence, où revit +l'étrange physionomie de ce vieux royaliste irréductible et hautain. +«Figure des romans de Walter Scott, dit-il, vieillard illettré et rude, +sauvage, absolu sur sa famille, bon au fond, mais fier et dur de langage +avec ses anciens vassaux qui avaient saccagé sa demeure pendant les +premiers orages de la Révolution.»</p> + +<p>On jouait, paraît-il, à Pierreclos du matin au soir et c'était la seule +manière de passer le temps; puis, le maître du château armé d'un +porte-voix donnait les ordres à ses fermiers du haut de la terrasse +escarpée qui dominait la vallée. Ses six enfants se mouraient d'ennui +auprès de leur père. Un fils, après de romanesques aventures, s'était +marié à la jeune fille d'un vieux chouan dangereux mégalomane qui eut +son heure de célébrité, le baron Dézoteux-Cormatin, et habitait la +splendide résidence seigneuriale des anciens marquis d'Huxelles. Plus +tard, Lamartine se liera intimement avec ce chevalier de Pierreclau, âme +sentimentale et chevaleresque qui avait hérité des sentiments +monarchistes de son père<a name="FNanchor_92_92" id="FNanchor_92_92"></a><a href="#Footnote_92_92" class="fnanchor">[92]</a>.</p> + +<p>À Pierreclos, les Lamartine retrouvaient encore quelques débris de +l'ancienne splendeur d'autrefois, car le vieux comte aimait la bonne +chère et la musique. Demeuré très grand seigneur malgré sa fortune +ébréchée, il recevait avec une urbanité un peu bourrue, et sans jamais +tolérer qu'on parlât politique. Lorsqu'on touchait à ce sujet, il +entrait dans des colères terribles et qui faisaient trembler les siens; +mais il aimait à ressusciter la pompe et l'étiquette de sa jeunesse. +M<sup>me</sup> de Lamartine évoquait, en le voyant, le souvenir des grands +seigneurs qu'elle avait connus au Palais-Royal.</p> + +<p>Les de Pierreclau étaient les voisins les plus habituels des Lamartine, +et c'est avec eux souvent qu'on descendait jusqu'à Montceau et à Pérone, +où vivaient, très retirés, François-Louis et sa sœur.</p> + +<p>Toute cette petite vie campagnarde, humble mais bien remplie, est +relatée quotidiennement dans le <i>Journal intime</i>. Point de grands +événements, surtout point de politique. Les bruits du monde ne leur +parviennent que rarement, et très affaiblis. Le nom de Bonaparte—sous +lequel l'Empereur sera désigné par M<sup>me</sup> de Lamartine—est un objet +d'exécration dans ce milieu. D'ailleurs, après les vicissitudes qu'ils +viennent d'éprouver, les Lamartine sont heureux du calme qu'ils +possèdent maintenant et ne regrettent point le passé. Leur seul but +désormais sera de vivre en repos et d'élever leurs enfants simplement et +chrétiennement, dans le respect des vieilles traditions que rien chez +eux n'est parvenu à effacer.</p> + + +<p class="e">Ainsi, à résumer cette première enfance de Lamartine, qui s'étend de +1790 à 1800, on voit qu'il eut quelque raison par la suite de s'écrier +romantiquement: «Et l'on s'étonne que les hommes dont la vie date de ces +jours sinistres aient apporté en naissant un goût de tristesse et une +empreinte de mélancolie dans le génie français! Que l'on songe au lait +aigri de larmes que je reçus moi-même de ma mère pendant que la famille +entière était dans une captivité qui ne s'ouvrait que pour la mort!» Il +n'y a pas que de l'emphase dans cette lyrique exclamation: les +premières impressions de l'enfant ne furent que tristesses et craintes, +et il sera longtemps sans connaître la douceur et l'habitude d'un foyer. +Plus tard, vers huit ans, il n'aura pas d'autres camarades à Milly que +les petits paysans du village, dont M<sup>me</sup> de Lamartine redoutera un peu +la société. Elle s'efforcera alors de le garder le plus possible près +d'elle, et veillera sur lui avec une inquiète sollicitude. Son âme +mélancolique influera peu à peu sur celle de l'enfant dont elle essayera +encore d'atténuer le caractère vif et bruyant, d'après elle, et qui déjà +commençait à la tourmenter pour l'avenir.</p> + + + +<hr /> +<h2><a name="TROISIEME_PARTIE" id="TROISIEME_PARTIE"></a>TROISIÈME PARTIE</h2> + +<h3>LES ANNÉES D'ÉTUDE</h3> + +<hr /> +<h2><a name="CHAPITRE_Ic" id="CHAPITRE_Ic"></a><a href="#toc">CHAPITRE I</a></h2> + +<p class="c">L'ABBÉ DUMONT<a name="FNanchor_93_93" id="FNanchor_93_93"></a><a href="#Footnote_93_93" class="fnanchor">[93]</a></p> + + +<p>Lorsqu'à l'automne de 1797 les Lamartine vinrent s'établir à Milly, on +imagine qu'au milieu de leurs épreuves la première éducation de l'enfant +avait été très négligée. Mais les écoles manquaient dans cette campagne +perdue d'où l'on ne pouvait chaque matin le conduire à Mâcon. M<sup>me</sup> de +Lamartine, malgré le petit programme élaboré par elle, n'avait pas, à +l'entendre, beaucoup de temps pour l'appliquer rigoureusement. +D'ailleurs elle avoue elle-même qu'une fois passée l'ardeur des débuts +elle finit vite par en ressentir quelque lassitude et une certaine +appréhension. Son désir perpétuel de trouver ce qu'elle nomme «le juste +milieu» lui faisait craindre à la fois de montrer trop de mansuétude ou +trop de sévérité. Elle se décida alors à chercher autre chose; +conservant pour sa part les lectures à haute voix elle confia son fils +au curé de Bussière, petit village distant de quelques kilomètres, et +dont dépendait Milly où le culte interrompu en 1792 n'avait pas été +rétabli.</p> + + +<p class="e">L'abbé Dumont a laissé sur son élève une impression profonde et qui ne +s'affaiblit jamais. Plus tard Lamartine créera autour de son ancien +maître une atmosphère de légende et dans les <i>Nouvelles Confidences</i>, +soulèvera un coin du voile: on sut alors que sa vie avait servi de thème +original au poème de <i>Jocelyn</i>, mais comme les deux récits n'allaient +pas sans se contredire fréquemment, il devenait difficile de démêler +quelle était la part de l'imagination et celle de la réalité. Pourtant +quelques documents nouveaux, s'ils ne percent pas complètement le +mystère de son existence, l'éclairent tout au moins davantage et sur +bien des points confirment le récit du poète.</p> + +<p>D'après Lamartine, l'abbé Dumont était né d'une famille plébéienne dans +la maison même de l'ancien curé de Bussière, François-Antoine Destre. Au +cours d'une visite au presbytère, l'évêque de Mâcon avait été frappé de +la très belle figure et des aptitudes remarquables de l'enfant; il +l'avait alors pris à l'évêché, en qualité de secrétaire. Survint la +Révolution, qui le surprit au moment où il allait prononcer ses vœux; +mais quelques pages plus loin Lamartine contredit cette affirmation et +nous apprend qu'il fut jeté malgré lui dans le sacerdoce, la veille même +du jour où ce sacerdoce allait être ruiné en France. On verra plus loin +qu'aucune de ces deux versions n'est exacte. Au rétablissement du culte, +Dumont fut nommé curé de Bussière et c'est à cette époque que Lamartine +le connut.</p> + +<p>Le jeune prêtre n'avait pas la vocation; tous ses goûts étaient ceux +d'un gentilhomme, toutes ses habitudes étaient celles d'un soldat. Beau +de visage, grand de taille, fier d'attitude, grave et mélancolique de +physionomie, il parlait à sa mère avec tendresse, au curé avec respect, +à ses écoliers avec dédain et supériorité. Son unique passion était la +chasse, et l'on voyait chez lui des sabres, des couteaux, des fouets, +des bottes à l'écuyère, tout un attirail de veneur qui voisinait avec +des objets de goût. On sentait au son mâle et ferme de sa voix et à cet +ameublement que son caractère naturel se vengeait du contresens de son +état.</p> + +<p>Il était instruit, et les nombreux volumes de sa bibliothèque +attestaient sa culture. Mais les livres, comme les meubles, étaient très +peu canoniques: c'étaient Raynal, Jean-Jacques, Voltaire, des romans du +temps, les encyclopédistes, en même temps que des brochures et des +journaux contre-révolutionnaires, car il était légitimiste. «Toute cette +haine de la Révolution et toute cette philosophie dont la Révolution +avait été la conséquence, dit Lamartine, se conciliaient très bien alors +dans la plupart des hommes de cette époque; leur âme était un chaos, +comme la société nouvelle. Ils ne s'y reconnaissaient plus.» Cette +phrase fut sans doute l'excuse que trouva le poète à la déroutante +psychologie du curé de Bussière; mais voici une plus grave révélation: +«Il était aisé de voir que l'abbé Dumont était philosophe comme le +siècle où il était né. Les mystères du christianisme qu'il accomplissait +par honneur et par conformité avec son état ne lui semblaient guère +qu'un rituel sans conséquences; cependant, bien que son esprit fût +incrédule, son âme amollie par l'infortune était pieuse.»</p> + +<p>Tel était l'abbé Dumont selon Lamartine, athée et prêtre. Quant aux +causes de cet incohérent état d'âme, elles sont expliquées plus loin par +un ténébreux récit où le curé de Bussière apparaît comme échappé d'un +roman d'amour, aigri par ses infortunes et relégué dans une misérable +campagne loin du monde qu'il avait tant aimé.</p> + +<p>À vrai dire, on comprend que ce portrait soit accueilli avec quelques +réserves. Comment admettre que les Lamartine aient confié leur fils à un +prêtre mi-soudard, mi-voltairien et dont toute la région, au dire même +du poète, connaissait les aventures? comment admettre que ses +allures—car il était un des familiers de Milly—n'aient pas éveillé +d'inquiets soupçons chez la pieuse M<sup>me</sup> de Lamartine? Comment +admettre, enfin, cet invraisemblable roman esquissé et poétisé d'abord +dans <i>Jocelyn</i>, rétabli plus tard dans les <i>Confidences</i> et leur suite?</p> + +<p>Et pourtant, il faut reconnaître que les pages consacrées à l'abbé +Dumont sont exactes: il est hors de doute qu'à une époque difficile à +préciser Lamartine reçut de son premier maître le dépôt d'un douloureux +secret qui les lia l'un à l'autre d'une étroite amitié et révéla alors +au jeune homme les véritables motifs de la détresse morale, des allures +étranges et souvent inquiétantes de l'abbé Dumont.</p> + + +<p class="e">Antoine-François Dumont naquit à la cure de Bussière le 29 juin 1764 et +déjà, à relever les différences d'état civil que l'on trouve dans deux +ouvrages qui parlent de lui, on constate un premier mystère. L'un le +fait naître à Charnay le 24 juillet 1756<a name="FNanchor_94_94" id="FNanchor_94_94"></a><a href="#Footnote_94_94" class="fnanchor">[94]</a>, l'autre en fait le neveu +et filleul de François Antoine Destre, alors curé de Bussière et à qui +il succéda<a name="FNanchor_95_95" id="FNanchor_95_95"></a><a href="#Footnote_95_95" class="fnanchor">[95]</a>. Or, il serait aussi vain d'aller rechercher son acte de +baptême à Charnay, que d'essayer d'établir sur quelles pièces on a pu +prétendre que sa mère était la sœur de Destre. Lamartine, on l'a vu l'a +fait naître à Bussière «dans la maison même de l'ancien curé» et il +avait ses raisons pour parler ainsi. Car Antoine-François Dumont qui, +suivant son acte de baptême, était fils de Philippe Dumont et de Marie +Charnay, tous deux au service du curé Destre, était—et ce n'était +alors, paraît-il, un mystère pour personne—fils de Destre et de sa +servante. Celui-ci, d'ailleurs, fut le parrain de l'enfant et lui imposa +même ses prénoms; par la suite, il le logea chez lui sa vie durant, et +lui assura une éducation soignée très supérieure à son humble origine +officielle. Deux lettres de Destre qu'on lira plus loin prouvent +l'affection qu'il porta toujours au jeune homme: en mourant, il +l'institua son légataire universel alors que le fils cadet et véritable +de Philippe Dumont, né en 1768, fut élevé modestement par ses parents et +devint huissier à Mâcon. Tout ceci, il est vrai, ne prouverait rien et +pourrait s'expliquer aisément du fait que Destre s'attacha à l'enfant +dont il était parrain; mais rapproché de la tradition locale qui +subsiste encore et surtout des deux erreurs, qui d'ailleurs ne +s'accordent pas entre elles et dont on ne peut autrement s'expliquer +l'origine dans des ouvrages très soigneusement documentés, semble +autoriser cette version, explicitement admise par Lamartine.</p> + +<p>Nous n'avons rien de précis sur la jeunesse de François Dumont; +toutefois un fait est certain: il n'était nullement entré dans les +ordres avant la Révolution, comme l'a prétendu l'abbé Chaumont après +Lamartine, et on chercherait inutilement trace de son serment à la +constitution civile du clergé ou de son emprisonnement comme non +assermenté; il fut libre pendant la Terreur et dans tous les actes le +concernant de 1791 à 1795 il est simplement qualifié de négociant en +vins à Bussière, se montrant partout et nullement inquiété.</p> + +<p>À partir de 1793, François Dumont régit avec un rare dévouement ce qui +restait des biens de la famille de Pierreclau. Le vieux comte +Jean-Baptiste avait été traîné en prison; avant de partir, eut-il le +temps de confier secrètement une somme importante au jeune homme, avec +des instructions précises pour rassembler les débris du patrimoine qui +allait être vendu nationalement? cela paraît probable, car tous les +achats de terres que fit alors en son nom propre François Dumont furent +restitués plus tard par lui à leur ancien possesseur.</p> + +<p>Le 18 fructidor an II, il achète pour 13 100 livres les récoltes +provenant des «émigrés, déportés, condamnés et détenus Michon, cy devant +Pierreclau». Le 22 pluviôse, il est signalé dans un procès-verbal +d'inventaire du château où il habitait depuis le pillage qui avait suivi +la défense désespérée de Jean-Baptiste lors de son arrestation; on y +trouve, dans sa chambre et caché soigneusement au fond de vieux +tonneaux, tout ce qu'il a pu ramasser d'objets intacts. À la même date, +les vignerons certifient que les vins de la dernière récolte consistant +en 18 pièces ont été vendus «par le citoyen Antoine-François Dumont, +marchand à Bussière, et payés par lui à la citoyenne Michon»; lui-même +exhibe ses quittances et ses pouvoirs en règle.</p> + +<p>Dans le courant de 1793, il rachète ainsi en sous main la plupart des +biens de Jean-Baptiste et les récoltes qui sont vendues sur pied. Le 12 +fructidor an IV il est acquéreur pour 3 650 livres de la maison «cy +devant presbytérale» de Bussière, avec ses dépendances; le 19 pluviôse +an V, de la vieille église de Pierreclos et dans les deux actes de vente +il est qualifié de «négociant demeurant à Bussière». Bref, pendant toute +la Terreur, il apparaît comme le véritable fondé de pouvoirs de +Jean-Baptiste, et dépositaire de tout ce que celui-ci a pu sauver d'or +avant son emprisonnement. C'est un homme d'affaires prudent et actif, et +rien en lui ne fait prévoir une vocation religieuse.</p> + +<p>Lamartine, on l'a vu, a écrit qu'il avait été jeté «malgré lui» dans le +sacerdoce, la veille même du jour où le sacerdoce allait être ruiné en +France. Malgré lui, certes, mais après la Révolution. En réalité +Antoine-François Dumont fut ordonné le 7 janvier 1798 et nommé aussitôt +vicaire à Bussière, où le culte venait de recommencer sous la direction +de l'ancien curé Destre qui, ayant prêté serment, n'avait pas été +inquiété.</p> + +<p>Quel événement soudain avait modifié la vie du jeune homme? quelle +volonté plus forte que la sienne était venue le contraindre de renoncer +au monde? Ce n'est pas <i>de lui-même</i> et dans un moment de détresse +qu'il prit cette décision, comme l'a raconté aussi Lamartine, sans +prendre garde qu'il se contredisait en l'espace de quelques pages. Mais +le roman d'amour dont il a parlé est véridique, et s'il en a dénaturé +quelques détails pour dépister les curiosités et respecter l'honneur +d'une famille, il est du moins exact que François-Antoine Dumont expia +par trente-cinq ans d'une vie à laquelle il ne se plia jamais +complètement, la faute d'avoir séduit une jeune fille de la noblesse. La +mère de celle-ci et Destre parvinrent à étouffer le scandale que le père +ignora toujours, à la condition que François Dumont disparaîtrait du +monde. Peu de temps après la jeune fille fut mariée à un vieillard, et +l'enfant né des amours de Jocelyn et de Laurence fut élevé à la campagne +où il mourut.</p> + +<p>Ici se place un problème qu'il semble assez délicat de résoudre: +pourquoi Lamartine, sachant que la faute de l'abbé Dumont était +antérieure à sa vie ecclésiastique, n'a-t-il pas déchargé sa mémoire de +ce qui, à ses yeux, devenait alors un crime? La figure du pauvre vicaire +n'en serait-elle pas sortie grandie par une telle expiation et n'eût-il +pas, du même coup, donné l'explication la meilleure des allures de +l'abbé Dumont?</p> + + +<p class="e">Celui-ci se résigna mal à ses nouvelles fonctions. Aigri, blessé, resté +jeune et ardent, il fit en chaire de la propagande royaliste presque dès +son entrée à la cure. Les autorités s'émurent et le 7 décembre 1798 +l'église de Bussière fut fermée à nouveau «pour cause du fanatisme +anti-républicain du curé». Elle rouvrit en 1799 sur la demande, +paraît-il, des paroissiens, mais cette fois Mgr Moreau devenu évêque +d'Autun, dut recommander plus de pondération à son ancien élève, et +interdit à Destre de se faire remplacer par lui. Le vieux Destre, +pourtant, accablé par l'âge et les infirmités, céda bientôt la place à +son vicaire; à partir du 20 septembre 1801 les registres paroissiaux +portent la signature de l'abbé Dumont, bien que Destre n'ait été +officiellement remplacé par lui qu'en 1803.</p> + +<p>De cette date jusqu'à sa mort, survenue en 1832, l'abbé Dumont fut curé +de Bussière, et de Milly à partir de 1808, époque où les deux villages +furent réunis sous la même autorité. Il habitait le petit presbytère où +il était né et qui en 1793 avait abrité ses amours. Dès lors, on +s'imagine aisément la vie du malheureux et tout ce qu'en a dit Lamartine +s'éclaire d'une émouvante et douloureuse sincérité. Cette cure existe +toujours: c'est une maison bourgeoise, bâtie au début du <span class="smcap">xviii</span><sup>e</sup> +siècle par les soins de la famille de Pierreclau, et qu'il avait meublée +sans l'habituelle simplicité des curés de campagne; à sa mort on vendit +un grand lit Louis XVI, une belle console dorée, des chaises finement +sculptées, un baromètre en bois doré et divers autres objets de valeur +qui furent acquis à des prix dérisoires. Il léguait à Lamartine, qu'il +nommait «son bienfaiteur et ami», sa bibliothèque, ses gravures—Louis +XVI et Marie-Antoinette,—sa montre en or «et la petite pendule dont le +prix a été acquitté par M<sup>me</sup> de Lamartine mère». Près de sa tombe, +qu'on voit encore au cimetière de Bussière, son ancien élève fit élever +une pierre avec ces quelques mots:</p> + +<div class="blockquot"><p>À la mémoire de Dumont, curé de Bussière et de Milly pendant près +de quarante ans, né et mort pauvre comme son divin maître, Alphonse +de Lamartine, son ami, a consacré cette pierre près de l'église +pour perpétuer parmi le troupeau le souvenir du bon pasteur. 1832.</p></div> + +<p>Contradiction encore que cette épitaphe! car, même d'après Lamartine, +l'abbé Dumont ne fut pas un bon pasteur. Le fardeau d'une mission +imposée lui pesait lourdement, et ses révoltes intérieures étaient +fréquentes. De son ancienne vie, il avait gardé la flamme et l'ardeur, +et le poète a raconté ces longues courses avec ses chiens fidèles, dont +la chasse était le prétexte, mais où il essayait de briser ses longues +détresses par la fatigue. Royaliste intransigeant il le demeura +toujours, et c'est peut-être l'origine de son amitié avec Pierre de +Lamartine dont il était le compagnon le plus habituel. Dans son journal, +pourtant, M<sup>me</sup> de Lamartine en parle à peine, et comme d'un grand +chasseur qui venait souvent s'asseoir à leur table et partager leur +solitude. Mais on a vu que dans son testament l'abbé Dumont appelait +Lamartine son ami; le poète lui rendit le même hommage sur sa tombe et +le poème de <i>Jocelyn</i> débute ainsi:</p> + +<p> +<br /><span style="margin-left: 15%;">J'étais le seul ami qu'il eût sur cette terre.</span><br /> +<br /></p> + +<p>Et Lamartine disait vrai: il fut le seul ami de l'abbé Dumont, le seul +qui connût jamais le douloureux secret de cette existence brisée.</p> + +<p>L'abbé Dumont était légitimiste et cela apparaît surtout dans ses +registres paroissiaux; comme Bussière et Milly ne comptaient guère que +600 habitants, il n'avait pas grand'chose à y transcrire. Aussi avait-il +pris l'habitude d'y tenir une sorte de journal des événements auxquels +il assistait et, machinalement, il les entremêlait de brèves réflexions +personnelles où l'on trouve trace de sa haine violente contre Napoléon. +En 1805 il écrivait:</p> + +<p>«Buonaparte est arrivé à Mâcon le dimanche 7 avril ayant avec lui +Joséphine. Cette belle majesté est sortie de la préfecture le lendemain +à cheval.» De même, on lit en 1811: «Marie-Louise est accouchée d'un +fils le 20 mars. Buonaparte eût-il jamais cru, lorsqu'il étudiait à +Brienne où notre bon roi Louis XVI payait sa pension, qu'il épouserait +un jour une fille des Césars d'Autriche et qu'il serait assis sur le +trône de France?» À partir de 1815, il prendra l'habitude chaque 21 +janvier de célébrer en chaire la mémoire du roi-martyr, et de lire à ses +paroissiens assemblés le «testament du juste», de «l'auguste victime». +Lamartine qui sur sa tombe rendit pourtant un hommage public à ses +vertus chrétiennes, nous a dit d'autre part combien sa foi était +chancelante et faite de revirements. Les livres qu'il lui légua n'ont +aucun caractère religieux: «Rousseau, Diderot et Voltaire y voisinent +avec Saint-Simon, les Lettres de la Palatine, Machiavel, l'Arioste et +d'autres....».</p> + +<p>À l'évêché, on le jugeait mal et l'abbé Faraud, vicaire général de +Mâcon, connaissait ses aventures en même temps que son caractère +difficile. En 1797 on ne l'avait admis dans les ordres qu'avec une +certaine hésitation et il était mal noté; les deux lettres qui suivent +nous renseignent très suffisamment à cet égard: l'une émane de Destre et +fut écrite le 2 juin 1801 à l'abbé Faraud pour le prier d'excuser auprès +de l'évêque le peu d'application et l'humeur de son filleul:</p> + +<p>«...Vous m'avez offert vos services auprès de M. l'Évêque: je vous prie +de lui dire que je supplie Sa Grandeur de me confier la conduite de +l'abbé Dumont qui ira de temps à autre lui présenter nos regrets +lorsqu'il sera visible. Je connais son caractère. En lui parlant avec +douceur et sans tracasserie il exercera son ministère à ma satisfaction +et à celle de beaucoup de fidèles qui l'ont regretté quand il a été +obligé d'abandonner ses fonctions et qui me demandent depuis longtemps +quand ils le verront et l'entendront à l'autel et au confessionnal<a name="FNanchor_96_96" id="FNanchor_96_96"></a><a href="#Footnote_96_96" class="fnanchor">[96]</a>. +Pour que je puisse le déterminer, il faut que je puisse lui dire qu'il +n'aura affaire qu'à M. l'Évêque et à moi. Je ne lui dirai de dire la +messe que quand il se croira disposé. En attendant, j'espère que le +Seigneur me donnera des forces. Il y a bientôt quarante ans que je sers +cette paroisse, il me ferait bien de la peine d'y voir le service divin +interrompu.</p> + +<p>«Monseigneur m'a permis et à l'abbé Dumont d'user des pouvoirs qu'il +s'est réservés et il m'a recommandé d'en user largement. Sans doute il +l'a aussi recommandé à l'abbé Dumont: nous tâcherons de remplir ses +instructions...»</p> + +<p>L'abbé Faraud, qui savait évidemment à quoi s'en tenir sur Dumont, fit +parvenir à l'évêque la lettre de Destre qu'il accompagna de celle-ci:</p> + +<p>Ce mercredi matin 3 juin 1801.</p> + +<p>«Voici, Monseigneur, une lettre du curé de Bussière qui serait +probablement insolente si elle n'était essentiellement bête.</p> + +<p>«Nous avons pensé, puisqu'il annonce que pour ce qui le concerne ainsi +que M. Dumont il ne reconnaît que ce qui émane directement de vous, +qu'il fallait que vous prissiez la peine de lui répondre, et j'ai +l'honneur de vous envoyer la réponse que nous estimons devoir lui être +faite. Si vous daignez l'approuver, auriez-vous la bonté de la signer et +de me la renvoyer pour que je la fasse parvenir à son destinataire?</p> + +<p>«M. Dumont est une espèce de houzard qui dans les temps ordinaires +aurait été paralysé. Attendu le besoin qu'on a d'ouvriers, il faut bien +se résigner à l'employer, mais non à Bussière et dans les environs où +sa conduite a été scandaleuse et ses jactances plus scandaleuses +encore<a name="FNanchor_97_97" id="FNanchor_97_97"></a><a href="#Footnote_97_97" class="fnanchor">[97]</a>.»</p> + +<p>Mais Monseigneur Moreau qui gardait sans doute quelque souvenir à son +ancien protégé et connaissait les causes de son humeur, le conserva à +Bussière où il demeura jusqu'à sa mort.</p> + + +<p class="e">Ces révoltes et ces crises de découragement étaient fréquentes chez +l'abbé Dumont et, pour le ramener, on voit les moyens qu'il fallait +employer: «lui parler avec douceur et sans tracasserie, ne lui faire +dire la messe que quand il se croyait disposé». Ceci confirme tout ce +que Lamartine a dit de sa nature hautaine et intraitable, et nous savons +encore qu'il la garda toujours, puisqu'on en retrouve la trace dans ses +registres où son écriture élégante et aristocratiquement saupoudrée de +paillettes d'or contraste étrangement avec les grossières signatures de +ses prédécesseurs.</p> + +<p>En 1803, il écrit: «Pie VII, souverain-pontife, est arrivé à Mâcon le +lundi 22 avril.—<i>J'ai baisé sa mule</i>. Le clergé romain qui le suivait +était mis salement.» Ce sont là toutes les réflexions que lui suggéra +l'arrivée du pape accueillie en France avec tant d'allégresse par le +clergé, qui y vit le triomphe définitif de la religion catholique. +Lui-même a souligné les mots: «j'ai baisé sa mule», comme s'il s'en +étonnait, et les manières de gentilhomme dont a parlé Lamartine se +retrouvent dans la brève épithète qu'il applique à la suite du +Saint-Père.</p> + +<p>Enfin, en octobre 1812, l'abbé Dumont, plus déconcertant que jamais, se +fit affilier à la loge franc-maçonnique de Mâcon, la Parfaite Union, et +le 17 décembre il fut reçu <i>maçon</i><a name="FNanchor_98_98" id="FNanchor_98_98"></a><a href="#Footnote_98_98" class="fnanchor">[98]</a>. À quelle nouvelle déroute morale +était-il donc en proie, lui royaliste et prêtre, pour s'unir au parti du +libéralisme et de la libre pensée? Lamartine n'a-t-il pas voulu l'en +excuser lorsqu'il écrivait: «Son âme était un chaos comme la société +nouvelle, lui-même ne s'y reconnaissait plus».</p> + +<p>À tout cela, il faut ajouter que l'abbé Dumont avait conservé des +habitudes de dépense et de luxe qui cadraient mal avec ses humbles +fonctions. Dans toutes les lettres que Lamartine lui adressa et qui +figurent dans la <i>Correspondance</i>, on voit qu'il ne s'agit que d'argent: +«J'espère aller à la fin de l'automne vous délivrer de vos huissiers...» +«Permettez-moi de vous offrir une seconde petite offrande de cent écus +pour vous remettre à votre courant...» Et ceci, plus significatif +encore: «Ma mère m'a informé de vos embarras que je prévoyais bien tôt +ou tard devoir vous accabler, mais il y a remède: vous auriez dû, au +lieu d'attendre l'huissier, m'écrire: Je dois tant à tels et tels, à +telle époque...» La lamentable correspondance se poursuivit jusqu'au +dernier jour: «Je continuerai mon petit supplément, vos dettes seront +payées peu à peu...» «Dites à tous vos créanciers à qui j'ai signé vos +petits billets qu'à mon arrivée à Saint-Point ils pourront les apporter +et seront payés<a name="FNanchor_99_99" id="FNanchor_99_99"></a><a href="#Footnote_99_99" class="fnanchor">[99]</a>...»</p> + +<p>Et ce n'était pas pour le bien de ses paroissiens que l'abbé Dumont se +ruinait ainsi; il aimait le luxe et avait meublé sa petite maison, toute +pleine de douloureux et charmants souvenirs du passé, comme un nid +d'amoureux plutôt que comme une cure de campagne. On a déjà vu qu'à sa +mort on vendit des objets de valeur, et voici une épître en vers +adressée par M. de Montherot à Lamartine son beau-frère, et où l'on +trouve un passage qui éclaire encore la situation obérée de l'abbé:</p> + +<p> +<br /><span style="margin-left: 15%;">Ainsi, pour commencer, parlons de nos affaires,</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Ou de celles, plutôt, du curé de Bussières:</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Donc ce pauvre pasteur qu'un déficit chargeait</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Verra, grâce à vos soins, s'éclaircir son budget.</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Vous avez bien raison: pour une faible somme,</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Il est doux d'assurer le repos d'un brave homme.</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Qu'il le doive à nous deux ou plutôt à nous trois;</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Votre mère fait mieux que vous et moi, je crois.</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">La douleur s'adoucit au miel de sa parole,</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Nous donnons des écus, elle plaint et console;</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">À la reconnaissance elle a bien plus de droits.</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">J'ai ri de bien bon cœur, je l'avoue, à la liste</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">De tous les créanciers qu'il traînait à sa piste:</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Entre autres y figure un marchand d'objets d'arts,</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Trésors qui de l'abbé fascinaient les regards,</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Des tableaux, des émaux....—Ah! que ma cheminée,</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Pour quatre ou cinq cents francs, paraîtrait bien ornée!</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Mais je ne les ai pas, ces quatre ou cinq cents francs!—</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">—Je vous ferai crédit, vous paîrez dans quatre ans.—</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Et voilà, pauvre abbé, voilà comme on s'enfonce!</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">—Et voilà justement comme mon pauvre Alphonse,</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Dit votre bonne mère, autrefois calculait:</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Il avait à Paris cheval, cabriolet,</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Lorsque 1 500 francs étaient, pour une année,</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">La somme à l'étourdi par son père donnée<a name="FNanchor_100_100" id="FNanchor_100_100"></a><a href="#Footnote_100_100" class="fnanchor">[100]</a>!</span><br /><br /> +</p> + +<p>Mais, malgré l'inépuisable cœur de Lamartine, l'abbé Dumont s'endettait +toujours. À sa mort, il laissait un passif de 4 252 francs qui ne fut +pas entièrement liquidé par la vente publique de ses meubles, d'autant +qu'il avait déjà pris soin de distraire l'argenterie de sa succession +pour la remettre à son frère, huissier à Mâcon, en lui recommandant bien +de répudier l'héritage.</p> + + +<p class="e">La vie de l'abbé Dumont que nous venons seulement d'esquisser ici, +mériterait d'être étudiée plus complètement le jour où les archives +épiscopales d'Autun seront classées et ouvertes au public. Comme l'a +dit Lamartine, il fut le modèle secret de <i>Jocelyn</i>, et surtout joua un +rôle très grand dans la jeunesse du poète.</p> + +<p>Nous savons qu'en 1798, lorsque le culte fut rétabli à Bussière, Destre +et Dumont ouvrirent une petite école pour les enfants du pays. Lamartine +y fréquenta trois ans—, sa mère l'a mentionné plus tard,—mais ces +leçons furent insignifiantes.</p> + +<p>Par la suite il apprit à mieux connaître son ancien maître et la façon +dont il en a parlé dans toute son œuvre prouve que de 1810 à 1820, +pendant les longues années qu'il passa à Milly et à Mâcon en proie à un +accablant malaise moral, le curé de Bussière fut son confident habituel +et connut tous les détails de cet état d'âme maladif que reflète la +<i>Correspondance</i>. Sans doute le prêtre sans vocation reconnut-il un peu +de lui-même dans cet adolescent inquiet, tour à tour dévoré par +l'activité ou meurtri par la lassitude: toutes ses aspirations +lointaines, tous ses rêves de jeunesse, ses élans, ses rêves brisés +vécurent à nouveau devant ses yeux. De là cette intimité étroite, ces +confidences de part et d'autre, transcrites par Lamartine avec tant de +fidélité.</p> + +<p>Plus tard, en mémoire de ces heures communes, le poète adoucit le plus +qu'il put l'existence pénible de l'abbé Dumont. Il le reçut à +Saint-Point, l'invita à Paris, le fit participer à toutes ses joies, à +toutes ses douleurs, et consacra enfin sa mémoire par un poème où revit, +purifiée et grandie, la misérable vie du pauvre curé de Bussière. La +réalité, pourtant, fut autrement tragique et émouvante.</p> + +<p>Peut-être Stendhal en eût-il tiré un merveilleux dénouement pour la vie +de <i>Julien Sorel</i>. Mais les choses sont ainsi: deux œuvres romantiques +qui pourraient passer, l'une pour le type parfait du roman +psychologique, l'autre pour celui du roman d'imagination, eurent +pourtant un thème commun; bien mieux, celle du poète eut seule un modèle +vivant.</p> + + + +<hr /> +<h2><a name="CHAPITRE_IIc" id="CHAPITRE_IIc"></a><a href="#toc">CHAPITRE II</a></h2> + +<p class="c">L'INSTITUTION PUPPIER</p> + +<p class="c">(2 mars 1801-17 septembre 1803)</p> + + +<p>L'abbé Dumont donna à Lamartine ses premières leçons de français et de +latin; mais au début de 1801, soit que ses allures aient fini par +inquiéter la famille, soit que l'enfant devenant, comme il l'a dit, de +plus en plus impétueux et avide de liberté, les siens aient décidé de +mettre fin à cette existence demi vagabonde et paysanne, on résolut à +Milly de le mettre en pension.</p> + +<p>La mère, inquiète de s'en séparer, objecta ses dix ans, sa constitution +délicate; il lui fallut pourtant s'incliner comme toujours devant les +volontés de son beau-frère qui lui opposa, paraît-il, «le bien» de son +fils.</p> + +<p>Il existe un petit portrait de Lamartine à dix ans<a name="FNanchor_101_101" id="FNanchor_101_101"></a><a href="#Footnote_101_101" class="fnanchor">[101]</a>: c'est un bel +enfant joufflu et solide, ébouriffé par ses courses dans la montagne, et +qui respire la santé; il paraît évident que l'existence au grand air lui +a pleinement réussi, et les craintes maternelles ne semblent pas très +justifiées.</p> + +<p>Il fallut alors s'occuper de lui trouver une pension. Les maisons +d'éducation ne manquaient pas à Mâcon, et l'enfant n'y aurait guère été +dépaysé; mais les Lamartine tenaient sans doute à modifier complètement +le système adopté jusqu'ici par sa mère, puisqu'ils firent choix d'une +institution à Lyon, et d'ordre tout à fait secondaire. M<sup>me</sup> de +Lamartine, triste d'abord de voir son fils si loin d'elle, se consola en +pensant qu'il serait surveillé de près, car elle comptait à Lyon de +nombreux parents et amis, entre autres M<sup>me</sup> de Roquemont, sa cousine +germaine, qui devint la correspondante du petit Alphonse et se chargea +de faire régulièrement parvenir de ses nouvelles à Milly.</p> + +<p>On manque de renseignements précis sur la pension de la Caille, située +dans un faubourg de Lyon, la Croix-Rousse, où fut interné l'enfant. Elle +était tenue par deux vieilles filles, les demoiselles Puppier, aidées +par leur frère, et semble n'avoir été qu'une très modeste institution où +l'on prenait de jeunes enfants dont les parents habitaient la campagne. +Dans son journal, M<sup>me</sup> de Lamartine l'appelle «l'Enfance», constate +qu'elle paye, pour son fils 420 francs par trimestre, mais n'en parle +pas autrement. Pour Lamartine, il n'y a qu'à se reporter à ses +Mémoires<a name="FNanchor_102_102" id="FNanchor_102_102"></a><a href="#Footnote_102_102" class="fnanchor">[102]</a> pour voir le dégoût profond qu'il conserva toute sa vie de +l'heure où il fut «lancé dans ces cours comme un condamné à mort dans +l'éternité». Avec l'horreur de la contrainte qu'on lui connaît, on peut +croire à la sincérité des sentiments qu'il a exprimés cinquante ans plus +tard en rappelant cet odieux souvenir.</p> + +<p>On sait par sa mère qu'il entra à l'institution Puppier le 2 mars 1801, +mais les nouvelles qu'elle recevra de lui ne commencent à être +enregistrées par elle qu'en juillet, époque où s'ouvre le <i>Journal +Intime</i>. Pourtant, une lettre de M. Dareste à sa cousine datée du 30 +mars, supplée à cette lacune et constitue un excellent bulletin de +début.</p> + +<p>«Nous allâmes avant-hier dimanche avec M. de Roquemont rendre une petite +visite dans sa pension à M. Alphonse. Nous le trouvâmes très gai et bien +en train de s'amuser; il nous a paru content et l'on est aussi content +de lui; nous assistâmes à leur dîner. Ils paraissent très bien dans +cette pension et les demoiselles Puppier nous ont promis de nous le +confier quelquefois cet été: nous irons le chercher, mais ce ne sera que +les jours de congé<a name="FNanchor_103_103" id="FNanchor_103_103"></a><a href="#Footnote_103_103" class="fnanchor">[103]</a>.»</p> + +<p>Les nouvelles qui suivent sont satisfaisantes: en juillet c'est un «bon +et aimable enfant», et M<sup>lle</sup> de Lamartine, au retour d'un petit séjour +à Lyon, «rapporte tout plein de bien d'Alphonse». Il est gai, appliqué +et apprend facilement, écrivent les maîtres de leur côté; mais tout cela +ne concorde guère, trouve-t-elle, avec ses lettres qui sont tristes et +navrantes. Le père alors, profite d'un voyage d'affaires pour s'arrêter +à Lyon vers la mi-juillet: il le trouve «pâle et maigre», étiolé par +l'air de la ville. Pourtant, on est toujours très content de lui, à la +pension: «Il fait tout ce qu'il peut et peut tout ce qu'il veut, ont dit +ses maîtres à mon mari», constate la mère avec quelque fierté. Mais elle +s'inquiète encore de sa santé et le laisse sans doute trop entendre, car +les lettres de son fils se font de plus en plus désespérées. Il supplie +qu'on le rappelle à Milly, et, prétend-il sombrement, il a «grand besoin +de venir».</p> + +<p>«Je tremble, écrit M<sup>me</sup> de Lamartine le 17 septembre, de le voir +arriver pâle et maigre et en mauvaise santé.» Devant ses instances, son +beau-frère consentit à avancer la date des vacances et, à la fin du +mois, elle put elle-même aller le guetter sur la route de Lyon.</p> + +<p>Toutes ses craintes tombèrent en le voyant et elle devina vite la petite +ruse dont il s'était servi pour l'apitoyer, puisqu'elle écrit le 19:</p> + +<p>«La diligence est arrivée hier beaucoup plus tard que d'ordinaire, et le +cœur me battait en pensant que dans quelques heures je reverrais mon +cher enfant; il faisait presque nuit. Enfin elle arriva, avec mon +Alphonse que je trouvai en très bonne santé, grandi, engraissé et fort +bien; il me paraît qu'il n'a rien perdu pour la piété: c'était là toute +ma crainte, et je vais faire tout ce qui dépendra de moi pendant son +séjour ici pour fortifier ce sentiment dans son cœur.»</p> + +<p>L'enfant, d'ailleurs, retrouva toute sa gaieté à Milly où il demeura +jusqu'à la mi octobre. La famille s'amusait, après six mois d'absence, +de le trouver changé et réfléchi. «À dîner, note un jour M<sup>me</sup> de +Lamartine, nous parlâmes beaucoup de lui, trop peut-être; nous lûmes un +extrait de sa façon et une petite composition que son père lui avait +donnés à faire; l'on fut très content et mon orgueil bien flatté.» «Je +suis bien heureuse de son intelligence, ajoute-t-elle encore; j'ai à lui +reprocher pourtant de manquer de douceur, vis-à-vis de ses sœurs +surtout, et je craindrais qu'il n'eût le caractère un peu dur s'il ne se +corrige pas.»</p> + +<p>Aussi s'efforcera-t-elle de ne pas lui laisser reprendre les habitudes +d'autrefois, en le retenant le plus possible près d'elle par des +lectures et des causeries; comme il est plus grand, elle abordera même +des ouvrages sérieux, <i>Télémaque</i>, quelques passages de Bossuet et les +traités d'éducation de M<sup>me</sup> de Genlis. Le 15 octobre, elle le ramena +enfin à Lyon, où elle demeura près d'une semaine, en allant chaque jour +l'embrasser pour qu'il ne passât pas trop brusquement de la vie de +famille à l'internat.</p> + +<p>La seconde année scolaire (novembre 1801-septembre 1802) fut encore +excellente; le 25 février 1802, il assista à la grande revue donnée en +l'honneur du Premier Consul et cette récompense était méritée, +paraît-il, par 18 exemptions. À la fin de septembre, il écrivit +triomphalement à Milly pour annoncer qu'il avait remporté deux prix de +latin et de français; M. Puppier confirmait, mais ajoutait qu'il en +aurait eu un troisième «sans une vivacité qui lui a fait déchirer sa +copie de thème parce qu'on le pressait un peu pour la donner».</p> + +<p>De fait, il était très énervé et soupirait après Milly dans toutes ses +lettres. Il y arriva le 15 septembre et l'on partit bientôt pour +Saint-Point, d'où M<sup>me</sup> de Lamartine écrivait le 2 octobre: «Je suis +ici depuis hier avec Alphonse, Cécile et Eugénie, et ce voyage leur a +fait un extrême plaisir. Alphonse est venu à cheval sur son âne, il +était comblé de joie.»</p> + +<p>Les vacances s'écoulèrent paisiblement en compagnie de l'abbé Dumont +qui, venu pour passer quelques jours au moment de la chasse, fut +émerveillé des progrès de son ancien écolier. Mais après deux mois de +liberté où l'amour de l'indépendance s'affirmait sans cesse chez +l'enfant, à la grande inquiétude de la mère, le retour à Lyon fut +déchirant. Une dernière fois, il implora qu'on le gardât et, devant le +refus du père et de l'oncle, il partit «sombre et renfermé», ce qui +acheva de désespérer la pauvre femme.</p> + + +<p class="e">Ses pressentiments étaient justes. La pension Puppier devint, cette fois +pour tout de bon, insupportable à un enfant dont l'imagination +commençait à s'éveiller et qui jusqu'ici avait montré une nature assez +décidée. Le 9 décembre 1802, deux mois à peine après avoir quitté Milly, +il s'enfuit avec deux camarades, les petits de Veydel; on les rattrapa +quatre heures après sur la route de Mâcon. Les détails de cette évasion +sont plaisamment rapportés par Lamartine, mais rappellent curieusement +un épisode des <i>Confessions</i> de Jean-Jacques.</p> + +<p>Faut-il croire à ce pugilat entre un professeur et l'élève Siraudin? +faut-il croire à cette arrivée des domestiques et des cuisiniers, armés +de broches et de pelles, et qui mirent ainsi fin au combat en +contraignant Siraudin à la retraite? De même, le massacre d'une oie +vivante où tous les élèves furent conviés à tour de rôle acheva-t-il de +décider à la fuite l'enfant «encore frémissant d'horreur» de la bataille +qui venait de se livrer en classe? Pauvres excuses en vérité, et +n'eût-il pas mieux valu avouer qu'il était simplement avide de grand air +et de liberté? Sa mère, d'ailleurs, a noté l'escapade—qu'elle excuse +presque—en des termes qui laissent entendre que la conduite de son fils +laissait depuis longtemps à désirer, et qu'il n'eut pas besoin de tant +d'incidents pour motiver sa décision; on lit en effet le 15 décembre:</p> + +<p>«Le 11, nous reçûmes des lettres de Lyon ou on nous apprenait +qu'Alphonse s'était en allé de sa pension avec MM. de Veydel qu'il a +engagés dans sa fuite; on les a rattrappés à Fontaines. Cette faute nous +a fait la plus grande peine parce qu'elle a été précédée et suivie de +plusieurs autres et soutenue avec beaucoup d'orgueil, ce qui m'afflige +très fort. J'attends avec impatience de ses nouvelles, j'ai un grand +désir de le savoir relevé de cette chute; son caractère d'indépendance +m'effraye, et je crains beaucoup de l'avoir gâté.»</p> + +<p>Trois jours après, l'enfant écrivit spontanément une lettre de regret, +c'est du moins la version du <i>Journal intime</i>; dans le <i>Manuscrit de ma +mère</i>, on lit au contraire: «On a eu de la peine à lui faire écrire une +lettre d'excuse et de repentir à son père». «Ainsi, tout est réparé», +ajoute M<sup>me</sup> de Lamartine avec soulagement en transcrivant cette +nouvelle. Pourtant, il continuait à implorer son père de le laisser +revenir, arguant que depuis sa fuite il était mal vu de tous. On +convint, pour ne pas sembler lui donner raison, de laisser s'achever +l'année scolaire et, si les choses n'étaient pas alors oubliées, de le +changer d'établissement.</p> + +<p>Mais, jusqu'à la fin de l'année, l'enfant continuera d'envoyer des +lettres désespérées et suppliantes dont M<sup>me</sup> de Lamartine a transcrit +les passages les plus inquiétants pour elle; visiblement, il essayait +d'apitoyer sa mère qu'il savait faible sur le point de sa santé. À l'en +croire, il était incapable de travailler, toussait et se sentait sans +forces, ce qui ne l'empêcha pas de remporter en fin de classes un grand +prix de français, un prix de latin, un prix d'histoire et un accessit de +dessin. Peut-être les Puppier avaient-ils été un peu indulgents dans +l'espoir de le réconcilier avec la pension, mais rien n'y fit. Dès son +retour à Milly, l'enfant, dont la sensibilité était déjà très délicate, +raisonna avec beaucoup de bon sens, objecta à son père que depuis son +escapade il était demeuré gêné vis-à-vis de ses maîtres et de ses +camarades et, mettant comme toujours sa mère avec lui, obtint presque +aussitôt la promesse qu'il ne retournerait plus à Lyon.</p> + +<p>M<sup>me</sup> de Lamartine, qui n'aimait guère les Puppier, s'était déjà mise +depuis six mois en campagne pour les remplacer; en février, alors +qu'elle était à Rieux chez sa mère, elle lui avait demandé conseil et +M<sup>me</sup> Des Roys, qui datait d'une époque où les enfants comptaient fort +peu, avait indiqué un collège de Jésuites à Radstadt. Sa fille, comme on +peut le penser, ne voulut pas en entendre parler. Plus tard, il fut un +instant question de Roanne et en mai elle se rendit tout exprès à Beaune +pour se renseigner elle-même sur un lycée dont on lui avait parlé, +«mais, dit-elle, il ne me plut pas infiniment». Elle crut avoir trouvé +en apprenant qu'un bon collège allait s'ouvrir à Cluny: «J'espère que +nous y mettrons Alphonse, écrira-t-elle aussitôt, cela me fera grand +plaisir». On devine pourquoi: Cluny étant à quelques kilomètres de +Milly, elle aurait ainsi son fils tout près d'elle. C'est ce que l'oncle +voulait éviter.</p> + +<p>Au début de septembre enfin, des amis qu'elle avait mis au courant de +ses recherches lui parlèrent du collège de Belley en Dauphiné et qui +venait d'ouvrir ses portes. Malgré l'éloignement, elle fut aussitôt +séduite par cette idée et elle a noté le 6 septembre dans son journal:</p> + +<p>«J'espère que mon mari consentira à mettre Alphonse à Belley où je +désire fort qu'il soit parce que le collège est tenu par les Pères de la +Foi, institution à l'instar de celle des Jésuites, et où les principes +sont excellents. Dieu me fasse la grâce que mon enfant soit +chrétiennement élevé, je sacrifierai à cela toutes les sciences de ce +monde; mais dans ce collège on réunit tout, excepté peut-être la +perfection des arts d'agrément.»</p> + +<p>Ses renseignements pris, elle fit part de sa découverte à la famille et, +le 18 septembre, obtenait son consentement. Le jour même le chevalier +écrivit à Belley, un peu malgré son fils tout à l'espoir qu'on le +garderait à Milly; l'idée d'être emprisonné à nouveau, et plus loin +encore que Lyon, le chagrinait beaucoup et tout au plus se résignait-il +à Cluny. La mère ébranlée commençait à hésiter; mais il était trop tard: +François-Louis ne voulait pas de Cluny, et une réponse affirmative de +Belley parvint à Milly le 25.</p> + +<p>M<sup>me</sup> de Lamartine se décida alors à accompagner son fils. «Mon mari, +dit-elle, ne se soucie pas de voyager et je serai bien aise de voir le +lieu où mon enfant sera; il me semble que je sens moins vivement notre +séparation lorsque je le conduis moi-même.» Ils se mirent en route le 24 +octobre pour arriver à Belley le 26 à deux heures de l'après-midi.</p> + +<p>Elle note le lendemain: «Mon voyage a été heureux et pas trop pénible; +je n'ai pas pu écrire en route à cause d'Alphonse avec qui je causai et +me promenai. Je viens de remettre ce cher enfant entre les mains des +Pères de la Foi qui ont l'air de bien dignes gens. La maison est +superbe, le pays est beau aussi; le chemin pour y arriver est fort +extraordinaire: depuis Ambérieu l'on suit une gorge de montagne qui est +vraiment curieuse. Ce matin j'ai été à la pension et j'ai été fort aise +de voir Alphonse. Il m'a dit qu'il était content.»</p> + +<p>Après un bref séjour de quarante-huit heures, M<sup>me</sup> de Lamartine reprit +le chemin de Milly. La séparation n'avait pas été trop pénible, grâce à +elle: «En passant une dernière fois devant la pension, dira-t-elle, j'ai +vu les écoliers qui jouaient dans la cour. Je n'ai fait aucun signe à +Alphonse qui ne s'est pas approché, heureusement.»</p> + + + +<hr /> +<h2><a name="CHAPITRE_IIIc" id="CHAPITRE_IIIc"></a><a href="#toc">CHAPITRE III</a></h2> + +<p class="c">LE COLLÈGE DE BELLEY</p> + + +<p>Le collège de Belley où l'enfant fera les seules études régulières qu'on +lui connaisse, et pendant quatre années seulement, avait été fondé au +milieu du XVIII<sup>e</sup> siècle par lettres patentes du 10 février 1753 +enregistrées en parlement de Dijon. Ses constructions furent achevées en +1764 et l'évêque de Belley confia l'organisation des études à la +congrégation des chanoines réguliers de Saint-Antoine.</p> + +<p>En 1790, ceux-ci furent remplacés par les Joséphistes et, jusqu'en 1792, +l'établissement fut très florissant. À cette date, la plupart des pères +refusèrent le serment à la constitution civile du clergé et le collège +disparut. Il rouvrit en 1802 sous la direction des Pères de la Foi, qui +rétablirent entièrement les locaux ruinés par la Révolution et ouvrirent +leurs classes à la fin de janvier 1803. Comme le collège fut à nouveau +fermé, et cette fois définitivement, au début de 1809, on voit que le +séjour de Lamartine à Belley coïncide à peu de chose près avec son +éphémère existence sous la direction des pères de la Foi.</p> + +<p>Dans son journal M<sup>me</sup> de Lamartine nomme Belley, «un établissement à +l'instar de ceux des Jésuites»; Lamartine, et après lui la plupart de +ses biographes, ont simplifié en parlant seulement de Jésuites. C'est la +mère qui a raison, puisqu'on sait que la Compagnie de Jésus ne fut +rétablie qu'en 1814. Toutefois, si les Pères n'étaient pas +officiellement des Jésuites, on les désignait en réalité sous ce nom, +car leurs doctrines et leurs principes d'éducation étaient identiques à +ceux de l'Ordre; la société des Pères de la Foi, fondée en 1799 en +Autriche, était en effet le résultat d'une fusion entre deux filiales +des Jésuites: celle du Sacré-Cœur de Jésus créée en 1778 et celle de la +Foi de Jésus qui datait de 1797.</p> + +<p>La congrégation des Pères de la Foi profitant de l'apaisement qui +commençait à renaître en France vint fonder en 1802 plusieurs maisons +d'éducation entièrement conçues d'après les plans des anciens Jésuites, +au nombre desquelles figurait le collège de Belley. Très protégé au +début par le cardinal Fesch, oncle de Napoléon, ce ne fut pourtant qu'au +prix de mille difficultés qu'il put prolonger son existence jusqu'au +début de 1809, tant l'hostilité était alors générale contre +l'enseignement des Jésuites et, finalement, Fouché obtint de l'Empereur +un décret de dissolution.</p> + +<p>Au moment où Lamartine entrait à Belley, l'établissement était loin +d'être à son apogée; il connut sa plus belle année en 1806, mais dès +1803 une centaines d'élèves y fréquentaient, Italiens pour la plupart ou +Français de Savoie et de Dauphiné.</p> + +<p>Lamartine a, paraît-il, laissé une description fidèle du collège et du +décor magnifique de Belley<a name="FNanchor_104_104" id="FNanchor_104_104"></a><a href="#Footnote_104_104" class="fnanchor">[104]</a> dont on verra plus loin l'indéniable +suggestion sur sa pensée. Quant à ses maîtres, nous en sommes uniquement +réduits à ses souvenirs pour connaître leurs noms et leurs fonctions.</p> + +<p>C'était d'abord le père Debrosses<a name="FNanchor_105_105" id="FNanchor_105_105"></a><a href="#Footnote_105_105" class="fnanchor">[105]</a>, supérieur, «qui n'était pas +homme de premier mérite mais de première vertu»; le père +Jenesseaux<a name="FNanchor_106_106" id="FNanchor_106_106"></a><a href="#Footnote_106_106" class="fnanchor">[106]</a>, économe de la maison, «vêtu moitié en religieux, moitié +en mondain» et toujours en route «sur un cheval qui le portait dans tous +les pays»; le père Varlet<a name="FNanchor_107_107" id="FNanchor_107_107"></a><a href="#Footnote_107_107" class="fnanchor">[107]</a>, qui cumulait, paraît-il, les fonctions +de confesseur et de professeur de rhétorique, «savant homme de la nature +des anciens moines»; le père Demouchel<a name="FNanchor_108_108" id="FNanchor_108_108"></a><a href="#Footnote_108_108" class="fnanchor">[108]</a>; le père Wrindts<a name="FNanchor_109_109" id="FNanchor_109_109"></a><a href="#Footnote_109_109" class="fnanchor">[109]</a>, +professeur de sciences, «enfant amoureux de Mirabeau, qui se +nourrissait d'illusions tendres et féminines», mais dont Lamartine n'a +pas dit ce qu'il enseignait.</p> + +<p>C'est surtout le père Béquet<a name="FNanchor_110_110" id="FNanchor_110_110"></a><a href="#Footnote_110_110" class="fnanchor">[110]</a> qui fut le véritable professeur de +Lamartine, puisque le jeune homme suivit ses cours de belles-lettres de +1803 à la fin de 1807. Ici encore même absence de détails chez +Lamartine: un portrait vague et un peu fade dont on ne peut tirer rien +de bien précis: «Prêtre de bonne compagnie et d'estimable caractère,... +regard fin et doux, parler gracieux;... ses corrections étaient celles +d'une mère...»: Mais aucun de ces traits vivants et que l'on devine +exacts par lesquels il peignait en peu de mots ceux qui jouèrent un rôle +dans sa jeunesse, comme l'oncle de Montceau ou le bon M. de Valmont. +C'est que la véritable influence de Belley ne fut pas celle de +l'éducation qu'il y reçut: les Pères de la Foi ne vivaient pas dans sa +mémoire comme personnalités, et leur souvenir se confondait en lui avec +celui des heures d'extase religieuse et de quiétude qu'il connut au +collège.</p> + +<p>Lamartine entra à Belley le 27 octobre 1803 et en sortit définitivement, +le 17 janvier 1808. Comme il soutint sa thèse de philosophie en +septembre 1807, on peut en déduire qu'il débuta par la troisième +(novembre 1803-septembre 1804), fit sa seconde de 1804 à 1805, et sa +rhétorique de 1805 à 1806. Quant au premier trimestre de l'année +scolaire 1807-1808, on ne sait trop ce qu'il devait y travailler: +peut-être quelques études préparatoires de droit et de mathématiques.</p> + +<p>Il est difficile, dans les souvenirs de Lamartine sur Belley, de faire +la part de l'imagination et celle de la réalité. Là, plus peut-être que +partout ailleurs, on sent l'idéalisation constante des hommes, des lieux +et des choses. Aucun détail sur ses classes, mais de curieuses +généralisations sur son état d'âme et, pourrait-on dire, sur +l'atmosphère de Belley; précieux document psychologique dont nous +essayerons plus loin de fixer la valeur et la portée. Aussi les seules +précisions que nous puissions rencontrer sur les études de Belley, +puisque la <i>Correspondance</i> ne commence qu'en 1806 et ne comprend +d'ailleurs que quelques lettres de vacances, sont empruntées au <i>Journal +intime</i> où M<sup>me</sup> de Lamartine a transcrit soigneusement les nouvelles +et les bulletins.</p> + + +<p class="e">Les premiers temps furent pénibles et la mère n'enregistre guère que des +doléances dont elle s'émeut. Visiblement l'enfant était dépaysé et cela +tendrait peut-être à confirmer ce qu'il a raconté: les pères, paraît-il, +«l'essayèrent» de classe en classe pour connaître sa véritable force; +mais il était difficile de le mesurer au juste, «la raison était +précoce, l'attention inégale». Finalement on le fixa en troisième, +«cette classe indécise où l'on peut être encore un enfant dans l'étude +des langues et un homme de goût dans la rhétorique».</p> + +<p>Il ne semble, d'ailleurs, pas qu'il ait fait grand chose de bon cette +année-là. Au début de mai, il entra à l'infirmerie avec une forte +fièvre, puis ce furent des maux de tête qui d'après les pères arrêtèrent +ses études et les inquiétèrent même un moment. À la fin d'août, la +pauvre mère n'y tint plus et partit pour Belley chercher son fils. «J'ai +revu mon Alphonse, écrit-elle; il était dans la cour du collège quand je +suis arrivé; il a été fort saisi en me voyant et est demeuré si pâle que +cela m'a bien inquiétée.» Sa santé était toujours mauvaise; une +croissance trop rapide l'avait beaucoup affaibli et ses douleurs de tête +étaient encore violentes.</p> + +<p>La veille du départ, elle assista à la distribution des prix, le cœur un +peu gros, car son fils n'eut que deux accessits; elle se consola pendant +la petite comédie qui termina la cérémonie, où il joua le rôle d'un +avocat, dont il se tira «fort bien». Puis elle causa avec ses +professeurs, et le résultat de cette conversation fut «tout à fait +satisfaisant»; on reprochait à l'enfant un peu de légèreté, mais tous +l'aimaient, et l'on était «assez content» de ses études.</p> + +<p>Le 6 septembre, tous deux quittèrent Belley après un dîner très gai à +l'auberge en compagnie de deux amis que M<sup>me</sup> de Lamartine ne nomme +point, mais qui doivent être Virieu et Guichard<a name="FNanchor_111_111" id="FNanchor_111_111"></a><a href="#Footnote_111_111" class="fnanchor">[111]</a>. Le 18, ils +étaient à Saint-Point où les vacances s'écoulèrent paisiblement avec +l'abbé Dumont et M. de Vaudran, venus s'y établir pour la chasse. +L'oncle gronda bien un peu devant les flâneries et l'indolence du neveu, +mais la mère objecta que les vacances seraient courtes et qu'il lui +fallait ménager sa santé. Le 7 octobre, il quitta Mâcon avec son +camarade Corcelette et le 10 se retrouvait à Belley.</p> + +<p>Deux jours après parvenait à Milly le premier bulletin que M<sup>me</sup> de +Lamartine a résumé ainsi: «Il en résulte que la nature, ou plutôt la +Providence, a tout fait pour lui, mais qu'il ne répond pas comme il +devrait à tous ses bienfaits: il est dissipé, paresseux; mais je ne veux +pas transcrire ici ce bulletin. Je le garde pour qu'il le voie quand il +sera grand.»</p> + +<p>L'année de seconde ne fut guère meilleure, car ses études se +ressentirent souvent d'une maladie nerveuse dont les pères ne savaient +que penser; au début d'août ils conseillèrent même à sa famille de le +rappeler avant les vacances, qu'il passa d'ailleurs presque entièrement +au lit. Le 6 novembre, enfin, un peu remonté, il regagna le collège.</p> + +<p>Les premières nouvelles de 1806—l'année de rhétorique—ne furent pas +plus fameuses: en février, le père Béquet écrivit qu'il était «fort peu +sage et appliqué depuis les vacances» et qu'elles lui avaient fait +beaucoup de tort. Le second trimestre fut meilleur: l'on est plus +content de lui, note M<sup>me</sup> de Lamartine; il a paru avec succès aux +exercices de Pâques et il a eu un témoignage de diligence et un accessit +de distinction; et, continuant de mériter les éloges qu'on lui +décernait, il arriva à Mâcon le 17 septembre, chargé de prix: +amplification française, amplification latine, vers latins, second prix +de version latine, et celui dont la mère est peut-être la plus heureuse, +le prix de sagesse «d'après le jugement de ses maîtres et l'approbation +de ses condisciples<a name="FNanchor_112_112" id="FNanchor_112_112"></a><a href="#Footnote_112_112" class="fnanchor">[112]</a>». Sa santé aussi était excellente: «Il est plus +grand que moi de deux pouces, écrit la mère, quoiqu'un peu maigre, mais +pas du tout à inquiéter, il est fort, le teint est bon et il a fait de +grands progrès dans la vertu. C'est d'ailleurs un enfant charmant, +conclut-elle ingénument transportée; il est malgré cela fort modeste et +ce qui me fait le plus de plaisir c'est qu'il paraît avoir beaucoup de +piété.»</p> + +<p>Les vacances s'écoulèrent à Milly, et à Pérone chez la tante du Villard, +à Montceau chez l'oncle terrible. Le 4 novembre il abandonna ses douces +rêveries et arriva à Belley le 7, après s'être arrêté vingt-quatre +heures à Lyon chez sa tante de Roquemont<a name="FNanchor_113_113" id="FNanchor_113_113"></a><a href="#Footnote_113_113" class="fnanchor">[113]</a>.</p> + +<p>Les classes de philosophie furent satisfaisantes, et sa nature +entièrement assouplie s'accommoda merveilleusement de l'enseignement des +pères; en février ceux-ci soulignaient sa maturité précoce et sa douceur +en même temps que leur excellent résultat au point de vue des études: en +récompense, ils le nommèrent bibliothécaire du collège. M<sup>me</sup> de +Lamartine s'en réjouit car, dit-elle, «cela l'occupe utilement et c'est +une marque de confiance».</p> + +<p>Nous avons quelques détails sur l'enseignement du père Wrindts, qui +professait la philosophie au collège de Belley: en effet, son cours, +copié alors par un condisciple de Lamartine, Jules Jenin, existe encore +aujourd'hui, et le chanoine Dejey et l'abbé Rochet, qui ont pu le +parcourir, l'analysent ainsi: «Sa rédaction faite en latin, écrit M. +Rochet, est d'un style sobre et élégant; on voit que le père Wrindts +s'est inspiré de l'enseignement que donnaient les Pères Jésuites au +<span class="smcap">xviii</span><sup>e</sup> siècle; les nouveautés de la philosophie cartésienne en sont +écartées et au besoin réfutées. Sur la question du concours divin, le +professeur, conformément à l'opinion généralement suivie dans la +compagnie de Jésus, prend parti pour le système de Molina et combat le +<i>bannesianisme</i>. Au sortir de la Révolution, il était urgent de +combattre les théories sociales de Rousseau: elles sont l'objet, dans +l'éthique, d'une vigoureuse réfutation.»</p> + +<p>De son côté, M. Dejey s'exprime ainsi:</p> + +<p>«Dans les cahiers de M. Jules Jenin, il manque une partie du cours, +celle où il était question de la logique formelle et des règles de la +méthode. Les fondements de la certitude et la légitimité des moyens de +la connaissance sont seuls traités dans la partie conservée par la +famille Jenin. Bien que les cahiers du père Wrindts ne soient qu'un +résumé précis, exact, écrit pour les élèves et mis à leur portée, les +principales questions de la philosophie s'y trouvent exposées avec une +grande hauteur de vue et une parfaite mesure. Attaché aux principes +supérieurs de la doctrine, le professeur suit les grandes lignes de la +philosophie spiritualiste. Il observe la plus sage prudence vis-à-vis +des nouveautés mal établies et peu conformes à la nature humaine, se +tenant à une égale distance des propositions hasardeuses de l'école +cartésienne et des théories sensualistes de Locke et de Condillac. Sur +l'accord du libre arbitre avec la grâce, le père Wrindts se conforme à +l'opinion communément admise dans la compagnie de Jésus: il se prononce +pour le système de Molina. Les théories sociales de Rousseau y sont +vigoureusement réfutées.»</p> + +<p>Nous avons cité ces deux fragments faute d'avoir pu prendre nous-même +connaissance des cahiers; ils ont l'avantage de concorder entièrement +entre eux et d'apporter ainsi la preuve que l'enseignement +philosophique de Belley était fondé sur les doctrines molinistes; quant +à la réfutation de Rousseau, elle n'eut sans doute pas d'autre résultat +que d'éveiller au contraire la curiosité de l'enfant: quelques mois plus +tard, à Bienassis, il dévorait <i>le Contrat social</i> et <i>la Nouvelle +Héloïse</i>.</p> + +<p>Le 7 septembre 1807, Lamartine soutint avec succès sa thèse de +philosophie; le 16, il arriva à Mâcon, ayant fait, à l'en croire, la +moitié du chemin à pied, son baluchon sur le dos et chantant «comme un +troubadour<a name="FNanchor_114_114" id="FNanchor_114_114"></a><a href="#Footnote_114_114" class="fnanchor">[114]</a>». Le même jour, parvenait à Milly le bulletin scolaire +que M<sup>me</sup> de Lamartine a transcrit ainsi:</p> + +<p>«Beaucoup de choses qu'on y dit me font grand plaisir, et plusieurs +autres m'effrayent infiniment. Je n'espère qu'en Dieu pour sauver ce +cher enfant de tous les périls dont sa jeunesse va être entourée. On +loue son esprit, sa facilité d'apprendre, son imagination, mais en même +temps l'on se plaint de sa légèreté, de son extrême répugnance à une +application sérieuse, et de son goût pour le plaisir. L'on ajoute que la +religion qu'il aime, qu'il estime et qu'il pratique le fait vaincre ses +dangereux ennemis, mais que, si elle venait à s'affaiblir dans son cœur, +rien ne pourrait le préserver de la corruption.»</p> + +<p>Ainsi, dès l'âge de dix-sept ans, les traits principaux du caractère que +nous connaîtrons plus tard à Lamartine: imagination, mangue d'esprit de +suite, goût du plaisir et mobilité extrême des sentiments, sont +nettement indiqués par ses professeurs.</p> + +<p>Son premier mot, au retour du collège, fut pour supplier sa mère +d'obtenir qu'on le gardât définitivement à Milly, puisque ses classes +étaient terminées; comme il était «extrêmement grand, mais très maigre», +M<sup>me</sup> de Lamartine, qui redoutait pour son fils le surmenage, se laissa +presque ébranler. Elle se heurta au refus formel du père et surtout de +l'oncle, dit-elle, qui tenaient beaucoup à le voir commencer l'étude des +sciences. Il s'en consola avec assez de philosophie, dans ses lettres à +Guichard, repoussant d'ailleurs autant qu'il le pouvait «toutes ces +idées de collège pendant les vacances<a name="FNanchor_115_115" id="FNanchor_115_115"></a><a href="#Footnote_115_115" class="fnanchor">[115]</a>».</p> + +<p>Après un repos d'un mois à Milly, à Saint-Point, à Pérone chez la tante +de Villard où on lut chaque jour en famille, d'après lui, «une ou deux +comédies et autant de tragédies», après les promenades à cheval, la +chasse, la lecture, la musique et le dessin qui lui firent passer le +temps «fort tranquillement», il quitta Milly le 22 octobre, et regagna +Belley en passant par Lyon où il s'arrêta quelques jours.</p> + +<p>À cette date, M<sup>me</sup> de Lamartine a noté qu'il commençait ses travaux de +l'année avec répugnance et découragement. La suite des événements +prouve qu'il repartait pour Belley malgré lui et très décidé à n'y plus +rester longtemps. Dès son retour, ce furent de ces lettres éplorées dont +il avait le secret et qui lui réussissaient toujours auprès de sa mère. +À la fin de décembre, les fameux maux de tête dont il savait si bien +jouer l'accablèrent à nouveau; à la mi-janvier 1808, ils devinrent +«intolérables», écrit M<sup>me</sup> de Lamartine, et il se hasarda à demander +la permission du retour «au moins pour quelque temps». Ce qu'il ne +disait pas mais qu'on devine bien qu'il pensait, c'est qu'une fois à +Mâcon il saurait toujours s'arranger.</p> + +<p>La mère, «bien inquiète de tout cela», s'en fut comme d'habitude +implorer l'oncle terrible; celui-ci—était-ce un hasard?—venait de +recevoir à point une lettre charmante du neveu; il déclara à sa +belle-sœur qu'il commençait à aimer beaucoup le jeune homme et se laissa +fléchir. Aussitôt elle lui fit parvenir elle-même l'heureuse nouvelle, +mais exigea qu'il passât par Lyon où M<sup>me</sup> de Roquemont, prévenue, lui +ferait consulter un bon médecin. Celui-ci, qui l'examina le 26 janvier, +ne lui découvrit naturellement rien de grave et diagnostiqua un peu de +surmenage intellectuel: il ordonna des bains de jambes, du lait d'ânesse +au printemps, «un régime doux et peu d'études applicantes»; à tout +prendre c'était pour le jeune malade un agréable traitement.</p> + +<p>Lors de son arrivée à Mâcon, le 20 janvier<a name="FNanchor_116_116" id="FNanchor_116_116"></a><a href="#Footnote_116_116" class="fnanchor">[116]</a>, M<sup>me</sup> de Lamartine +devina bien sa petit ruse en constatant au contraire qu'il n'était pas +du tout changé et même moins maigre qu'à l'automne. Au fond, elle fut si +heureuse de l'avoir auprès d'elle qu'elle n'en laissa rien voir; +d'ailleurs il avait «l'air fort doux et fort sage», et c'était tout +naturel puisqu'il avait quelque chose à obtenir. Habilement, profitant +des bonnes dispositions de l'oncle adouci par sa conduite, il enleva +l'affaire en trois jours et s'installa à Mâcon pour la fin de l'hiver, +ayant obtenu, le 15 février, la promesse formelle qu'il ne retournerait +plus à Belley.</p> + +<p>Sa mère regretta bien qu'il ne terminât pas cette année d'études, +d'autant qu'elle était maintenant envahie par d'autres craintes, celles +de le voir livré à lui-même «dans ce temps de dissipation». Mais comme +il continuait d'être charmant pour elle et plein de bonnes dispositions, +elle oublia vite toutes ses inquiétudes.</p> + +<p>Telles furent les années scolaires de Lamartine; après 1808, l'influence +des Pères de la Foi, qui parvinrent à assouplir cette jeune âme rebelle, +ira s'effaçant peu à peu, et le vagabondage d'esprit remplacera l'ordre +et l'austérité morale de Belley: réaction normale et qui s'explique +aisément puisque les tendances signalées par les maîtres et réprimées +par eux vont se développer dans l'oisiveté. Ces courtes études +classiques—les seules, il ne faut pas l'oublier, que fera jamais +Lamartine—furent somme toute médiocres et ne dépassèrent pas la +banalité courante de l'époque.</p> + +<p>Pourtant l'influence de Belley fut profonde et décisive sur le +développement de Lamartine, mais elle s'exerça par des côtés qui n'ont +rien de scolaire. En effet, si les <i>Méditations</i> ont leurs sources +littéraires, de courants très divers, dans la période qui s'étend de +1808 à 1817, deux de leurs sources morales, pourrait-on dire, datent du +collège de Belley: et ce sont les plus originales de l'œuvre, celles +qui, d'après la critique du temps, fixèrent les conditions de la +rénovation poétique: poésie religieuse et sentiment sincère de la +nature.</p> + +<p>C'est à Belley que les germes laissés par la première éducation +maternelle s'épanouirent complètement, aidés par un élément qu'il n'a +pas manqué de souligner lui-même et qui a toute son importance chez une +âme sensible et imaginative comme la sienne: celui du <i>décor</i> de la +religion.</p> + +<p>Ce ne sont plus à Belley les cloches paysannes de Saint-Point et de +Milly, ni les humbles et brèves cérémonies des églises de campagne dont +il ne goûtera qu'infiniment plus tard le charme et la poésie: au début, +ce qui frappa d'abord le petit villageois étonné qu'il était, ce fut +l'écrasante splendeur de la religion catholique et, comme il l'a dit, +«les cérémonies prolongées, répétées, <i>rendues plus attrayantes</i> par la +parure des autels, la magnificence des costumes, les chants, l'encens, +les fleurs, la musique», et nous savons que l'évêque de Belley officia +souvent dans la chapelle, que le cardinal Fesch, protecteur du collège, +vint deux fois, avec un imposant et magnifique cortège de prélats.</p> + +<p>Qu'on ajoute à cela le cadre naturel de Belley, ses forêts, ses rocs, +ses torrents, et où les Pères de la Foi proclament la grandeur de Dieu +sans jamais perdre une occasion de frapper l'âme par les yeux, et l'on +comprendra ces heures de contemplation et de vertige moral où s'abîma +l'enfant et dont la description faite cinquante ans plus tard confine +presque à l'extase mystique<a name="FNanchor_117_117" id="FNanchor_117_117"></a><a href="#Footnote_117_117" class="fnanchor">[117]</a>.</p> + +<p>Ainsi, au moment de la crise de l'adolescence, à l'âge où les +impressions nouvelles sont décisives, Lamartine se trouvait en pleine +atmosphère religieuse, dirigé par des hommes qui ramènent à Dieu tous +les actes et toutes les pensées; il conservera l'empreinte ineffaçable +de cette piété sincère et profonde, qu'affaibliront un instant ses +premières crises morales.</p> + +<p>Si nous n'avions sur ce point que son seul témoignage, peut-être +pourrait-on le mettre en doute et n'y voir que des souvenirs +littéraires, bien que chez lui les choses vécues ou senties aient des +accents qui ne trompent pas. Déjà on en trouve un écho dans une lettre à +Virieu où il rappelle, peu de mois après son départ de Belley, «cette +pierre où nous allions prier Dieu trois ou quatre fois par jour<a name="FNanchor_118_118" id="FNanchor_118_118"></a><a href="#Footnote_118_118" class="fnanchor">[118]</a>», +mais sa mère, surtout, nous donne d'autres détails.</p> + +<p>Outre les bulletins qui mentionnent, on l'a vu, sa grande piété, elle +note avec joie pendant les vacances de 1806 que son fils lui donne «de +nouvelles consolations, et se porte de lui-même à ses pieux exercices»; +qu'en septembre 1807, au retour à Milly, il demande la permission de +passer par Lyon «pour prier à Fourvières», que chaque jour il écoute +avec recueillement les lectures pieuses que sa vivacité supportait mal +autrefois, et, enfin, elle rapporte cette anecdote qu'il faut citer +parce qu'elle est caractéristique chez un jeune homme de dix sept ans +dont la timidité s'effarouche facilement.</p> + +<p>«Avant-hier, écrit-elle le dimanche 8 octobre 1807, Alphonse eut une +petite épreuve, dont il se tira fort bien. En passant à Igé, je +l'envoyai faire une visite à M. d'Igé et on voulut absolument qu'il +restât à dîner. Il y avait plusieurs hommes qui tous faisaient gras, +mais point de maigre au premier service; Alphonse, sans respect humain, +dit que sa santé ne l'obligeait pas à faire gras et on lui fit une +omelette...»</p> + +<p>On pourrait multiplier ces exemples et confirmer ainsi d'un commentaire +précis les pages où Lamartine a rappelé ses ferveurs de seize ans. On +peut y voir la meilleure preuve d'une empreinte très affaiblie sans +doute pendant les années 1809-1817, mais dont on retrouve trace à tous +les grands moments de son existence.</p> + +<p>À Belley, Lamartine comprit par lui-même la religion qu'il avait connue +par les autres, et ce fut là le véritable enseignement de ses années de +collège. Sa culture intellectuelle ne date que du jour ou il fut libre +d'organiser sa vie à son gré.</p> + + +<p class="e">Peut-être même faut-il aller plus loin encore: les premiers essais +poétiques de Lamartine datent de Belley ou tout au moins de l'année qui +suivit son départ, et nous possédons trois de ces pièces: <i>le Chant du +rossignol</i>, le <i>Cantique sur le torrent de Thoys</i>, les <i>Adieux au +collège de Belley</i><a name="FNanchor_119_119" id="FNanchor_119_119"></a><a href="#Footnote_119_119" class="fnanchor">[119]</a>. À comparer ces morceaux aux pièces légères +qu'il rima de 1808 à 1816, on s'aperçoit qu'ils sont si différents +d'inspiration, et tellement proches au contraire des <i>Méditations</i>, +qu'il est permis de se demander si ces fameuses années de fièvre +littéraire dont l'influence sur la forme de son œuvre est incontestable +n'ont pas détourné pendant huit ans un courant poétique déjà très net en +1807.</p> + +<p>Certes la forme de ces trois poèmes est loin d'être parfaite, mais ils +appartiennent à la même source que les grandes <i>Méditations</i> religieuses +de 1819. Ce sont déjà les images larges et simples, l'accent personnel +et profondément sincère qu'il ne retrouvera que bien plus tard; même, +dans le <i>Cantique sur le torrent de Thoys</i>, apparaît à dix ans de +distance la formule unique de sa poésie: la grandeur de l'homme +supérieur à tout ce qui l'environne, parce qu'il connaît l'origine +divine des choses. Et cette idée qu'on pourrait croire empruntée à +Young, il est curieux de constater que Lamartine la présente sous une +forme poétique à une époque où il ignore encore jusqu'au nom d'Young.</p> + +<p>Lui-même, d'ailleurs, se rendit compte, avec son goût très sûr, que ces +trois essais étaient ses premières <i>Méditations</i>: en 1821, il publia les +<i>Adieux au collège de Belley</i>, et alors qu'il brûlait sans regret tous +les vers de sa jeunesse, dont la <i>Correspondance</i> ne contient que +quelques fragments, il conserva le <i>Chant du Rossignol</i> et le <i>Cantique +sur le torrent de Thoys</i>, qu'il publia de son vivant.</p> + +<p>Plus tard, Lamartine a rapporté ce début littéraire en le plaçant sous +l'invocation de Chateaubriand<a name="FNanchor_120_120" id="FNanchor_120_120"></a><a href="#Footnote_120_120" class="fnanchor">[120]</a>; c'est en effet à Belley, mais à une +date malheureusement difficile à préciser, tant ses souvenirs sur ce +point sont confus et contradictoires, qu'il pénétra dans le monde +immense et nouveau que fut pour lui <i>le Génie du Christianisme</i>, et ce +premier contact eut une telle influence sur sa pensée qu'il mérite mieux +ici qu'une simple mention.</p> + +<p>«Lorsque parut <i>le Génie du Christianisme</i>, a-t-il dit, j'étais au +collège chez les Jésuites... Tout en élaguant très prudemment du livre +les parties romanesques ou passionnées,... ils le laissèrent circuler à +demi-dose dans leur collège. Un abrégé en deux volumes, épuré d'<i>Atala</i>, +de <i>René</i>, et plusieurs autres chapitres trop remuants pour des âmes +déjà émues, fut mis par eux entre les mains de leurs maîtres d'études. À +titre de professeur de belles-lettres, le père Béquet posséda le premier +exemplaire. Il était trop ravi pour renfermer en lui-même son ivresse et +trop communicatif pour ne pas nous associer à son bonheur.» Suit le +récit de cette lecture faite en classe «un beau jour de printemps».</p> + +<p>Ces affirmations, en apparence si précises, sont en réalité +inconciliables entre elles; toutefois, en écartant ce qu'elles ont de +nettement inexact et en serrant quelque peu le texte, il est possible +d'aboutir à une hypothèse vraisemblable.</p> + +<p>En premier lieu, le <i>Génie</i> parut en 1802, époque à laquelle Lamartine +n'était pas encore à Belley, mais à l'institution Puppier, où une +lecture de Chateaubriand faite par les deux vieilles filles à des +enfants de douze ans est absolument inadmissible. Il reste donc à +examiner maintenant si cette lecture peut se placer soit en famille +pendant les vacances, soit à Belley, comme il l'a dit.</p> + +<p>Or, M<sup>me</sup> de Lamartine eut pour la première fois l'œuvre entre les +mains le 19 juillet 1803, jour où elle a noté dans son journal: «Je lis +un ouvrage que je trouve excellent et qui me fait grand plaisir: c'est +<i>le Génie du Christianisme</i>, par M. de Chateaubriand; je crois que cet +ouvrage est propre à faire beaucoup de bien, et j'en trouve le style +charmant». Mais, à mesure que la lecture s'avance, les impressions +changent, et elle écrit le 29 juillet: «J'ai achevé le troisième volume +de <i>l'Esprit du Christianisme (sic)</i>, j'ai relu l'épisode d'Atala, je le +trouve trop passionné; je crois que cela pourrait échauffer la tête des +jeunes gens et, en tout, cet ouvrage qui est cependant très bon me +paraît un peu trop propre à exalter l'imagination».</p> + +<p>De ceci, il résulte que Lamartine n'a pas lu Chateaubriand pendant les +vacances qu'il passa à Milly de 1804 à 1807, et pour deux motifs: le +premier est que sa mère redoutait l'influence de l'ouvrage sur une +jeune tête comme la sienne; l'autre, qu'il était encore incapable à +cette époque de faire la moindre lecture en cachette de sa famille. +Ainsi, l'hypothèse de Belley reste la seule acceptable. Il reste à +examiner maintenant, d'après les détails qu'il a donnés, s'il est +possible que le père Béquet ait lu en classe, à une époque à déterminer, +des fragments du <i>Génie</i>.</p> + +<p>Il a parlé, on l'a vu, de deux volumes épurés; la première édition +abrégée de Chateaubriand est bien en deux volumes, mais elle est de +1808, année où il avait quitté Belley. Est-ce alors à Milly qu'il l'a +lu, au retour du collège? pas davantage, car il n'eût pas manqué d'en +faire part avec enthousiasme par de belles lettres à Virieu ou à +Guichard. Or, la <i>Correspondance</i>, qui commence à l'automne de 1807, est +absolument muette sur Chateaubriand: d'où il faut conclure que les amis +s'étaient déjà tout dit sur ce sujet et n'avaient plus à y revenir. +Ainsi, si le détail inexact des deux volumes épurés doit être écarté, +l'hypothèse de Belley se confirme davantage.</p> + +<p>Mais le père Béquet fut le professeur de Lamartine de 1803 à 1806 +inclusivement, et c'est donc au cours de l'une de ces trois années que +dut être faite la lecture de Chateaubriand, et comme en 1806 Lamartine +était en rhétorique et très près de ses seize ans, il paraît infiniment +probable que cette dernière date est la vraie. Au début de l'année +suivante il était nommé bibliothécaire du collège et avait ainsi toutes +facilités d'approfondir une découverte qui le laissait extasié.</p> + +<p>Il est possible de s'imaginer, même aujourd'hui, l'impression causée par +le <i>Génie</i> sur la jeune génération d'alors: traitant son propre cas, +Lamartine l'a exposée avec beaucoup de chaleur et nombre de restrictions +dont les motifs sont bien postérieurs à cette première lecture: la +froideur que Chateaubriand montra toujours au disciple dont la gloire +balançait la sienne, des divergences d'opinions politiques, firent qu'il +atténua en partie ce jugement par des considérations générales assez +vives<a name="FNanchor_121_121" id="FNanchor_121_121"></a><a href="#Footnote_121_121" class="fnanchor">[121]</a>; mais il voulut bien convenir que Chateaubriand fut «une des +mains puissantes» qui lui ouvrirent, dès l'enfance, les grands horizons +de la poésie moderne.</p> + +<p>Après cette lecture la curiosité intellectuelle de Lamartine s'éveilla, +et le <i>Génie</i> devint pour lui une vaste encyclopédie où il puisa des +notions vagues des littératures qu'il ignorait: Chateaubriand touchait à +tous les sujets, à tous les genres, à tous les hommes; de là à courir +aux sources, il n'y avait qu'un pas, et c'est ce que fit Lamartine. Il y +a plus encore: est-il possible en effet de méconnaître les curieuses +ressemblances qui existent entre l'inquiète jeunesse de René et celle de +Lamartine? Comme René, il est «tour à tour bruyant et joyeux, silencieux +et triste, abandonnant soudain ses camarades, pour aller s'asseoir à +l'écart et contempler la nue fugitive ou entendre la pluie sur le +feuillage<a name="FNanchor_122_122" id="FNanchor_122_122"></a><a href="#Footnote_122_122" class="fnanchor">[122]</a>»; son âme, comme celle de René «qu'aucune passion n'a +encore usée», cherche un objet qui puisse l'attacher et s'aperçoit +bientôt qu'elle donne plus qu'elle ne reçoit; comme René, la solitude +absolue, le spectacle de la nature le plongent dans un état impossible à +décrire» et la «surabondance de vie», les «grandes lassitudes» de René, +Lamartine les éprouve à chaque instant. Le chapitre du <i>Génie</i> intitulé: +«Du Vague des passions» n'aura jamais de meilleur commentaire que +certaines lettres à Virieu: «Plus les peuples avancent en civilisation, +dit Chateaubriand, plus cet état du vague des passions augmente, car le +grand nombre d'exemples qu'on a sous les yeux, la multitude des livres +qui traitent de ces sentiments rendent habile sans expérience. On est +détrompé sans avoir joui; il reste encore des désirs, et l'on n'a plus +d'illusions. L'imagination est riche, abondante et merveilleuse, +l'existence pauvre, sèche et désenchantée; on habite avec un cœur plein +un monde vide et, sans avoir usé de rien, on est désabusé de tout<a name="FNanchor_123_123" id="FNanchor_123_123"></a><a href="#Footnote_123_123" class="fnanchor">[123]</a>.» +Dans ces lignes qui résument avec une telle précision son état d'âme +habituel Lamartine retrouvait les sentiments confus qui l'animaient et +c'était plus qu'il n'en fallait pour l'enthousiasmer.</p> + +<p>Ainsi, on trouve dans Chateaubriand l'âme même de Lamartine; non pas +froidement analysée, mais mélancoliquement décrite et dans ses moindres +nuances, avec le vague et la langueur qu'il aimait. L'adolescent +mystique de Belley, enclin déjà à la rêverie et à la solitude, fut dès +la première lecture soumis à l'irrésistible attrait de cette prose +harmonieuse, et dominé toute sa vie par ce grand souvenir. Beaucoup de +ses poèmes ne sont que du Chateaubriand mis en vers, et ce ne fut pas +une des moindres causes de son succès. Et plus il avance en âge, plus +l'empreinte devient saisissante: visible déjà dans les <i>Méditations</i>, +elle s'affirme dans les <i>Harmonies</i>, pour s'épanouir dans le <i>Voyage en +Orient</i> et certains morceaux de <i>Jocelyn</i> ou de <i>la Chute d'un ange</i>.</p> + +<p>Qu'est-ce, après tout, que l'épopée conçue par Lamartine et dont nous +possédons le plan et quelques fragments, sinon un gigantesque et +poétique <i>Génie du Christianisme</i>, dont <i>Jocelyn</i> aurait été le René, +<i>la Chute d'un ange</i> l'Atala et dont <i>les Pêcheurs</i>, <i>les Chevaliers</i>, +<i>les Patriarches</i> devaient être le développement de certains morceaux?</p> + +<p>Quant aux réminiscences de Chateaubriand, trop directes pour être +douteuses, elles sont innombrables dans son œuvre et mériteraient une +étude spéciale<a name="FNanchor_124_124" id="FNanchor_124_124"></a><a href="#Footnote_124_124" class="fnanchor">[124]</a>. Mais Lamartine, avec le goût parfait qu'il +apportait dans ses enthousiasmes littéraires, se garda de tomber dans la +pompe et le Merveilleux chrétien de Chateaubriand; les Martyrs lui +déplurent<a name="FNanchor_125_125" id="FNanchor_125_125"></a><a href="#Footnote_125_125" class="fnanchor">[125]</a>; le Génie des Rêveries, les Anges de la lassitude, du +matin, du mystère, du temps et de la mort le choquèrent. De +Chateaubriand il ne conserva que les grandes images, la poésie +mélancolique et simple des choses qui passèrent sans effort dans sa +poésie avec le rythme et les nuances de la prose originale.</p> + + + +<hr /> +<h2><a name="QUATRIEME_PARTIE" id="QUATRIEME_PARTIE"></a>QUATRIÈME PARTIE</h2> + +<h3>LA FORMATION DE LA PERSONNALITÉ</h3> + + +<hr /> +<h2><a name="CHAPITRE_Id" id="CHAPITRE_Id"></a><a href="#toc">CHAPITRE I</a></h2> + +<p class="c">LA VIE SOLITAIRE<a name="FNanchor_126_126" id="FNanchor_126_126"></a><a href="#Footnote_126_126" class="fnanchor">[126]</a></p> + + +<p>Au moment où il quittait le collège de Belley, Lamartine venait d'avoir +dix-sept ans. Ses projets, qu'il formulait alors très nettement, étaient +de trouver une situation<a name="FNanchor_127_127" id="FNanchor_127_127"></a><a href="#Footnote_127_127" class="fnanchor">[127]</a>; mais les préjugés du temps et de son +milieu ne lui toléraient guère que deux carrières: l'armée et la +diplomatie.</p> + +<p>La diplomatie, dont le côté mondain et la vie facile séduisaient +peut-être sa jeune imagination, le tentait beaucoup; mais les siens, +très sagement, ne l'y poussaient pas: à son âge, sans relations, sans +éducation solide, c'eût été manque de raison. Pour le métier militaire, +malgré les traditions de ses pères et malgré ce qu'il en a dit, il +semble l'avoir eu toujours en horreur; ses parents, d'ailleurs, ne +tenaient que médiocrement à le voir servir dans les armées de +l'Empereur: le père, pour l'occuper, songea bien un instant à l'école de +Fontainebleau, mais y renonça vite devant les supplications de sa femme +qui redoutait «le danger et la licence des armées<a name="FNanchor_128_128" id="FNanchor_128_128"></a><a href="#Footnote_128_128" class="fnanchor">[128]</a>». Le jeune homme +qui connaissait l'aversion maternelle s'en servira dans les grandes +occasions, et cette menace sera pour lui le moyen suprême d'obtenir ce +qu'il désire: le jour où on lui refusera l'autorisation de faire son +droit à Lyon, il déclarera aussitôt sa résolution d'entrer dans la garde +impériale et, quelque temps après, alors que sa famille accueillera +assez mal un projet de mariage, il écrira tout net à Virieu qu'il est +prêt d'entrer définitivement au service et d'essayer de se faire tuer. +En 1814, c'est plutôt par lassitude et devant les menaces de l'oncle +irrité de tant de paresse qu'il se décidera à entrer dans la Garde du +corps. On sait par la <i>Correspondance</i> le plaisir qu'il y prit.</p> + +<p>Ainsi, devant les difficultés que soulevait la question d'un +établissement immédiat, les Lamartine patientèrent, préférant attendre +un peu plus de maturité, et le laissèrent entièrement maître d'organiser +son existence à sa guise. Il en prit très joyeusement son parti et, tout +à la joie nouvelle de l'indépendance, organisa un plan d'études où les +arts d'agrément, musique, danse et dessin, avaient aussi leur +place<a name="FNanchor_129_129" id="FNanchor_129_129"></a><a href="#Footnote_129_129" class="fnanchor">[129]</a>.</p> + +<p>C'était, à l'époque, un grand garçon un peu gauche<a name="FNanchor_130_130" id="FNanchor_130_130"></a><a href="#Footnote_130_130" class="fnanchor">[130]</a>, rendu timide +par quatre austères années de collège, et qui fuyait le monde faute d'y +savoir figurer à l'aise. Il avouait à Virieu, de plus en plus son +confident, qu'il était incapable de dire une chose aimable et de +répondre à un compliment<a name="FNanchor_131_131" id="FNanchor_131_131"></a><a href="#Footnote_131_131" class="fnanchor">[131]</a>: comme Chérubin, il était amoureux de +toutes les femmes, mais n'osait guère faire un pas vers une<a name="FNanchor_132_132" id="FNanchor_132_132"></a><a href="#Footnote_132_132" class="fnanchor">[132]</a>. Cette +timidité farouche désolait un peu la mère, mais lui, qui sans doute en +connaissait les véritables motifs, s'en consolait philosophiquement en +déclarant que le temps, les voyages, l'habitude guériraient tout +cela<a name="FNanchor_133_133" id="FNanchor_133_133"></a><a href="#Footnote_133_133" class="fnanchor">[133]</a>.</p> + +<p>Comme suite normale de cet état d'esprit dont Belley est évidemment +responsable, il se confine dans une studieuse solitude, fuit la société, +déclare qu'il est «dans la jubilation» de n'être pas encore amoureux, +indice qu'il est prêt de le devenir: pour lui toutes les femmes sont «de +petites effrontées, impudentes, coquettes, de petites ignorantes +imbéciles, malignes, médisantes, sottes et laides<a name="FNanchor_134_134" id="FNanchor_134_134"></a><a href="#Footnote_134_134" class="fnanchor">[134]</a>»; son mépris pour +elles croît «de jour en jour» en dépit, avoue-t-il ingénument, de la +bonne envie qu'il aurait de les trouver «aimables et fidèles». Puis la +philosophie s'en mêle et il déclare gravement à Guichard qu'il n'y a +plus d'amour véritable dans le cœur des jeunes gens, «mais seulement un +tissu de coquetteries de part et d'autre<a name="FNanchor_135_135" id="FNanchor_135_135"></a><a href="#Footnote_135_135" class="fnanchor">[135]</a>».</p> + +<p>Aussi s'occupe-t-il surtout d'organiser son existence en garçon +raisonnable, et de soumettre à Virieu un plan d'études et de +lectures<a name="FNanchor_136_136" id="FNanchor_136_136"></a><a href="#Footnote_136_136" class="fnanchor">[136]</a>; sa mère profite alors de cette disposition, pour +l'emmener de Mâcon à Saint-Point, car, dit-elle, «je ne suis pas fâchée +de l'éloigner de la ville à un moment où ses seules récréations seraient +des promenades le soir, fort tard, dans une société de jeunes gens dont +il est impossible que l'on soit sûr: ici il est plus en sûreté et a +l'air assez content<a name="FNanchor_137_137" id="FNanchor_137_137"></a><a href="#Footnote_137_137" class="fnanchor">[137]</a>».</p> + +<p>Et, de fait, ses lettres montrent quelle fut sa joie enfantine de se +retrouver à Saint-Point, où il arriva le 26 mai<a name="FNanchor_138_138" id="FNanchor_138_138"></a><a href="#Footnote_138_138" class="fnanchor">[138]</a>: ce furent des +flâneries exquises dans les bois, des lectures sérieuses, des promenades +à cheval, le tout entremêlé d'un peu de musique et de quelques +délassements poétiques<a name="FNanchor_139_139" id="FNanchor_139_139"></a><a href="#Footnote_139_139" class="fnanchor">[139]</a>; il sentait surtout «un redoublement d'amour +pour l'étude et la poésie<a name="FNanchor_140_140" id="FNanchor_140_140"></a><a href="#Footnote_140_140" class="fnanchor">[140]</a>», et sa mère avouait ne plus le +reconnaître devant une telle docilité.</p> + +<p>Mais, avec la nature insatisfaite qu'on lui connaît et dont voici +peut-être la première manifestation, il se lassa vite de son nouveau +bonheur, il en vint à regretter Belley où, pourtant, à l'en croire, il +n'était pas heureux. «Il faut que je m'occupe beaucoup pour ne pas +m'ennuyer», confesse-t-il un jour à Virieu<a name="FNanchor_141_141" id="FNanchor_141_141"></a><a href="#Footnote_141_141" class="fnanchor">[141]</a>, et à Guichard, qui +l'enviait et lui annonçait sa prochaine libération, il écrivait +tristement: «Nous te verrons dans quatre ou cinq mois commencer à +t'ennuyer dans ta retraite, au milieu de tes livres, de tes bois et de +tes prétendus plaisirs; tu regretteras dans peu la société de tes amis, +les occupations et, que dis-je? peut-être même les peines du collège.... +Tu m'en diras des nouvelles<a name="FNanchor_142_142" id="FNanchor_142_142"></a><a href="#Footnote_142_142" class="fnanchor">[142]</a>.» Si bien qu'à la mi-septembre il fut +enchanté d'abandonner sa solitude pour se rendre à Crémieu, où Guichard +l'avait invité; la mère, toujours prudente, s'arrangea pour qu'à +l'aller et au retour il couchât à Lyon chez M<sup>me</sup> de Roquemont. «Ainsi, +point d'auberge, ce qui pourrait être le plus dangereux.»</p> + + +<p class="e">C'est avec beaucoup de détails que Lamartine a rapporté ce séjour dans +l'Isère, tant il en avait gardé un profond souvenir<a name="FNanchor_143_143" id="FNanchor_143_143"></a><a href="#Footnote_143_143" class="fnanchor">[143]</a>: c'est en effet +à Crémieu que pour la première fois il se plongea en silence «dans un +océan d'eau trouble», ou, pour parler plus simplement, qu'il pénétra +dans une bibliothèque bien garnie; mais il a négligé de nous donner la +date exacte de cet événement si important à fixer, puisqu'en huit jours +tout l'édifice élevé par les Pères de la Foi va être détruit pour +longtemps. Nous savons par sa mère qu'il quitta Milly le 27 septembre +1808, et qu'il était de retour à Mâcon le 16 octobre. Il est certain que +Lamartine revint en Bourgogne dans un tout autre état d'esprit qu'au +départ; sa mère le constate elle-même, mais sans bien pouvoir en +comprendre les motifs, et le 15 décembre elle consigne dans son Journal +cette petite anecdote qui, rapprochée d'une lettre à Virieu<a name="FNanchor_144_144" id="FNanchor_144_144"></a><a href="#Footnote_144_144" class="fnanchor">[144]</a> nous +fait assister à une transformation très sensible de l'état d'esprit du +début de l'année:</p> + +<p>«Lundi nous dinâmes à Bussière chez M. Verset, le notaire du lieu; il y +avait beaucoup de monde du voisinage, l'on fut très gai, l'on chanta, +l'on fit des bouts-rimés. Alphonse fit des couplets; il a une facilité +incroyable pour tout ce qu'il veut. Il est plus que jamais tourmenté du +désir de faire quelque chose, ce que je désire aussi beaucoup. Quand je +serai à Mâcon, je tâcherai de lui trouver quelque maître de langues; il +aurait envie d'en apprendre, et je serai enchantée qu'il pût s'occuper +utilement. Je suis effrayée de son retour à la ville, soit pour lui, +soit pour moi. Il m'a bien tourmentée par son caractère inquiet, mais je +tâche de le ramener tout doucement; je supporte, c'est ma tâche +actuelle.»</p> + +<p>Pendant tout le mois de décembre M<sup>me</sup> de Lamartine constate encore le +grand désir qu'il a de s'instruire, d'apprendre l'anglais et l'italien; +elle note avec effroi son attitude lorsqu'à Pierreclos ou à Montceau on +agite devant lui des questions littéraires<a name="FNanchor_145_145" id="FNanchor_145_145"></a><a href="#Footnote_145_145" class="fnanchor">[145]</a>; elle se lamente sur son +aspect de plus en plus renfermé et, indice plus grave, constate qu'il a +beaucoup perdu de sa piété<a name="FNanchor_146_146" id="FNanchor_146_146"></a><a href="#Footnote_146_146" class="fnanchor">[146]</a>; tout cela, rapproché de la +<i>Correspondance</i> où l'on voit qu'à cette même époque il commence à +causer littérature» avec enthousiasme, confirme dès lors ce qu'il a dit +lui-même de ce séjour à Crémieu.</p> + + +<p class="e">Au début de décembre, c'est une véritable frénésie de travail qui le +possède; il veut vivre uniquement avec lui-même, au milieu des livres, +renonce «à tout le train du monde<a name="FNanchor_147_147" id="FNanchor_147_147"></a><a href="#Footnote_147_147" class="fnanchor">[147]</a>» et profite de l'ennui qu'il +éprouve pour mettre à profit sa solitude et sa jeunesse<a name="FNanchor_148_148" id="FNanchor_148_148"></a><a href="#Footnote_148_148" class="fnanchor">[148]</a>.</p> + +<p>Avec sa petite expérience des derniers mois, il se demande bien où tout +cela va le mener, mais, pour s'encourager, il évoque Rousseau +travaillant en silence et préparant «de loin» ses succès<a name="FNanchor_149_149" id="FNanchor_149_149"></a><a href="#Footnote_149_149" class="fnanchor">[149]</a>. Sans nul +doute, Rousseau est une des découvertes de Crémieu. La mère est +enchantée de ce programme, qu'elle approuve pleinement, car, dit elle, +«dans l'âge où il est, environné de beaucoup de séductions, il faut un +miracle pour le préserver de tant d'écueils», et par tous les moyens +elle encourage ce plan de travail.</p> + +<p>On avait compté sans l'oncle terrible que cette belle vocation +littéraire laissa fort indifférent. Au début de décembre, il fit +comparaître son poétique neveu pour lui enjoindre de renoncer à son +petit programme qu'il entendait remplacer par l'étude des sciences<a name="FNanchor_150_150" id="FNanchor_150_150"></a><a href="#Footnote_150_150" class="fnanchor">[150]</a>. +Lamartine, on le sait, eut de tout temps les mathématiques en horreur: +il supplia, pleura même, mais l'oncle fut intraitable; de désespoir, +puisque, disait-il, on voulait forcer son goût et son inclination, il +commença à jouer de la Garde impériale, mit la mère de son côté et la +délégua auprès de l'oncle<a name="FNanchor_151_151" id="FNanchor_151_151"></a><a href="#Footnote_151_151" class="fnanchor">[151]</a>; on finit alors par s'entendre: les +langues étrangères et les études littéraires furent conservées au +programme, mais on y ajouta les sciences. Il était trop tard: l'enfant +dégoûté avait perdu sa belle fièvre. Il ira bien chez le professeur de +mathématiques, mais «résolu à n'y rien faire du tout qu'un peu +semblant<a name="FNanchor_152_152" id="FNanchor_152_152"></a><a href="#Footnote_152_152" class="fnanchor">[152]</a>» et, puisqu'on le contraignait malgré lui à mener «une vie +de fainéant», il en profitera pour s'amuser: et le voilà qui sort le +soir, se montre au concert, au théâtre, qu'il aime maintenant «à la +folie<a name="FNanchor_153_153" id="FNanchor_153_153"></a><a href="#Footnote_153_153" class="fnanchor">[153]</a>» et qu'il trouve, paraît-il, le seul amusement digne d'un +homme de goût et de bon sens<a name="FNanchor_154_154" id="FNanchor_154_154"></a><a href="#Footnote_154_154" class="fnanchor">[154]</a>.</p> + +<p>Sa mère, alors, s'effraye: «Son caractère, écrit-elle, m'inquiète chaque +jour davantage: je lui ai fait promettre qu'il ne demanderait pas à +aller au concert, moyennant quoi j'ai promis, de mon côté, que je le +mènerais à Lyon pour quelques jours au mois de janvier.»</p> + +<p>L'intervention de l'oncle n'avait pas été heureuse: faute d'avoir pris +au sérieux son désir d'étudier, il avait découragé toute son ardeur; au +lieu de passer à Mâcon un hiver paisible, comme il le souhaitait, il va +partir pour Lyon s'amuser, ce qui n'était guère son intention, +contrairement à ce que l'on croyait autour de lui. Nous retrouverons +souvent cette incompréhension du caractère de l'enfant.</p> + + +<p class="e">La mère et le fils arrivèrent à Lyon, chez M<sup>me</sup> de Roquemont, le 17 +janvier 1809 et de suite il organisa sa petite existence; s'il faut en +croire une lettre à Virieu, il se levait tard, faisait un peu d'anglais, +flânait l'après-midi à la bibliothèque publique, et terminait sa soirée +au théâtre où il avait pris un abonnement<a name="FNanchor_155_155" id="FNanchor_155_155"></a><a href="#Footnote_155_155" class="fnanchor">[155]</a>; à l'insu sans doute de +sa mère, qui prétend au contraire à la même date avoir obtenu de lui +qu'il n'irait «ni au spectacle, ni au bal masqué». La pauvre femme se +plaint de n'avoir jamais mené un carnaval aussi «dissipé»; «mais, dit +elle, c'était impossible autrement, car je voulais procurer quelques +plaisirs à Alphonse».</p> + +<p>Tous deux étaient de retour à Mâcon le 10 mars, lui enchanté de son +voyage, elle moins; il constate alors avec un peu d'orgueil qu'il est +beaucoup moins timide qu'au départ, et qu'à Mâcon on a une certaine +considération pour un jeune homme qui a été passer l'hiver dans une +grande ville: on le croit blasé sur tout et, dit-il, «cela donne une +contenance<a name="FNanchor_156_156" id="FNanchor_156_156"></a><a href="#Footnote_156_156" class="fnanchor">[156]</a>».</p> + +<p>Dès le retour, il avait repris ses projets d'étude et de travail<a name="FNanchor_157_157" id="FNanchor_157_157"></a><a href="#Footnote_157_157" class="fnanchor">[157]</a>; +le carême se passa tranquillement à Mâcon, dans la solitude et la +lecture. Mais cette fois, s'y prenant un peu à l'avance, il demanda +bientôt l'autorisation d'aller étudier le droit à Lyon, au cours de +l'année 1809<a name="FNanchor_158_158" id="FNanchor_158_158"></a><a href="#Footnote_158_158" class="fnanchor">[158]</a>. L'oncle et le père refusèrent d'abord; la mère comme +toujours s'interposa, apaisa les colères naissantes, et chacun se fit +des concessions réciproques: pour le droit, l'oncle réservait sa +réponse, mais on lui accordait soixante louis de pension annuelle, la +nourriture, le logement, et la permission d'aller à ses frais passer +l'hiver à Lyon ou à Dijon<a name="FNanchor_159_159" id="FNanchor_159_159"></a><a href="#Footnote_159_159" class="fnanchor">[159]</a>. De nouveau on le détournait de ses rêves +d'étude qui n'étaient peut-être, il est, vrai, qu'un prétexte pour aller +s'amuser à Lyon. C'est que l'oncle, de plus en plus méfiant, commençait +à s'inquiéter de cette jeune imagination débordante.</p> + +<p>L'enfant finit par prendre son parti de cette demi-promesse, et se remit +avec ardeur à la lecture et au travail; tout le printemps et l'été se +passèrent dans une solitude absolue, à Mâcon, à Milly et à Saint-Point. +«Voici trois mois, écrit-il en juin à Virieu, que mon genre de vie est +le même absolument: travail, lecture, correspondance et petite promenade +solitaire entre les huit ou neuf heures<a name="FNanchor_160_160" id="FNanchor_160_160"></a><a href="#Footnote_160_160" class="fnanchor">[160]</a>.» Un tel régime finit pas +fâcheusement influer sur ses nerfs; des idées tristes l'envahirent +bientôt; en août, même, il tomba malade, crachant le sang, accablé de +violents maux de tête, et la crise morale se fit plus aiguë: «Oui, j'ai +pleuré, écrit-il un jour à Virieu, moi qui ne pleurais plus, un peu de +regret de cette partie manquée, un peu en voyant la sympathie de nos +peines, de nos idées, de nos tourments, de nos désirs, et de ce feu +sacré qui commence à te brûler comme moi, ces projets vagues, cette +tristesse, cette paresse, cette vie au milieu de la mort<a name="FNanchor_161_161" id="FNanchor_161_161"></a><a href="#Footnote_161_161" class="fnanchor">[161]</a>». Et les +lettres se suivent, de plus en plus désespérées; le vague de son +existence présente et future le fait languir et mourir; il devient sage, +indifférent, philosophe sur bien des choses, il est fou, désespéré, +enragé sur beaucoup d'autres...; il devient «ours» et parle de se brûler +la cervelle, car il ne peut plus supporter la vie du plus plat, du plus +ignorant bourgeois de petite ville: «Ô beaux rêves que nous faisions +bien éveillés à neuf heures du soir sous les tilleuls de Belley, riches +projets, riante perspective, avenir incomparable, où êtes-vous?...<a name="FNanchor_162_162" id="FNanchor_162_162"></a><a href="#Footnote_162_162" class="fnanchor">[162]</a>»</p> + +<p>Telle fut la première crise morale; il en connaîtra d'autres jusqu'en +1820 et toutes chez lui auront le même dénouement: dans les plus +affreuses détresses, un rien suffira pour lui rendre l'équilibre.</p> + +<p>Car Virieu finissait par s'inquiéter de cette exaltation et de ce +découragement; il lui proposa alors, pour le changer d'air, de venir +passer quelques jours chez lui au Grand-Lemps et, brusquement, la +correspondance change de thème: à la mélancolie la plus sombre, succède +un enjouement imprévu<a name="FNanchor_163_163" id="FNanchor_163_163"></a><a href="#Footnote_163_163" class="fnanchor">[163]</a>; toute la vie de Lamartine sera faite de ces +contrastes et de ces revirements, dont il est parfois difficile de +saisir les motifs. Mais, cette fois, il jouait de malheur: au moment du +départ son père se cassa la jambe, et il fut obligé de le remplacer—car +c'était l'époque des vendanges—«en ayant l'air de trouver cela tout +naturel<a name="FNanchor_164_164" id="FNanchor_164_164"></a><a href="#Footnote_164_164" class="fnanchor">[164]</a>».</p> + +<p>Alors, il s'étourdit, profita de l'animation passagère du pays pour +mener une «vraie vie de fainéant et d'insouciant, une vie banale et +commune comme celle de tous les désœuvrés et les imbéciles du monde, +visites, bals, soupers, promenades et je ne sais quoi<a name="FNanchor_165_165" id="FNanchor_165_165"></a><a href="#Footnote_165_165" class="fnanchor">[165]</a>».</p> + +<p>Dans l'état où il se trouvait, il était à point pour devenir amoureux, +et n'y manqua pas; cela dénoua la crise. Comme de juste, il aimait +quelqu'un qui ne pouvait pas l'aimer; avec l'imagination qu'on lui +connaît, «le voilà pris, le voilà mort». L'objet de sa passion n'était +pas une beauté, mais «toute l'amabilité, toute la sagesse, toute la +raison, tout l'esprit, toute la grâce, tout le talent imaginable ou +plutôt inimaginable», et empruntant à nouveau le vocabulaire de +Chérubin—c'était de son âge,—il terminait lyriquement: «J'en mourrai! +je le sais! aimer sans espoir, ah! comprends-tu un peu cela<a name="FNanchor_166_166" id="FNanchor_166_166"></a><a href="#Footnote_166_166" class="fnanchor">[166]</a>?»</p> + +<p>La pauvre mère, qui elle-même avait encouragé son fils à une innocente +correspondance en vers avec la jeune fille de leur médecin de Milly, le +docteur Pascal, s'épouvanta des suites de son imprudence, et elle +écrivait le 16 décembre 1809: «Mes nuits ont été mauvaises, ce qui a été +occasionné par un chagrin que je ne puis mettre ici mais qui a été très +vif, et dont la cause n'est pas encore passée; c'est au sujet de mon +fils, et ce qui me peine le plus, c'est que je ne peux demander conseil +à personne, et que j'ai peut-être quelque reproche à me faire...»; et +quelques jours après elle ajoutait encore: «Alphonse m'inquiète toujours +beaucoup, des passions commencent à se développer, et je crains que sa +jeunesse ne soit bien orageuse; il est agité, triste, le trouble de son +âme altère même sensiblement sa santé».</p> + +<p>Pour couper court, on l'expédia à Lyon le 8 janvier 1810, avec +permission d'y rester autant que ses moyens le lui permettraient; même +il pourra faire son droit. «Je vois, dit-elle encore, qu'on nous blâme +généralement de le laisser ainsi sur sa bonne foi, mais on ne connaît +pas nos raisons; je suis moins tourmentée depuis qu'il est parti.»</p> + +<p>Après les huit jours d'usage chez M<sup>me</sup> de Roquemont, qui, prévenue, +veilla sur lui avec une inquiète sollicitude, il réclama plus de liberté +et s'installa rue de l'Arsenal, au quatrième, «avec une vue +unique<a name="FNanchor_167_167" id="FNanchor_167_167"></a><a href="#Footnote_167_167" class="fnanchor">[167]</a>».</p> + + +<p class="e">Alors commença une existence exquise, la vie d'étudiant, mais sans +études: les beaux projets de travail étaient loin; il n'était plus +question des professeurs d'anglais et d'italien; la tragédie qu'il +voulait écrire fut remplacée par un vaudeville; les huit heures de +travail qu'il s'était imposées au départ, sans fréquenter personne, +«quoiqu'on dise», furent occupées à de petits voyages à Grenoble, à la +grotte de Jean-Jacques, ou à des flâneries chez les bouquinistes. De +droit, point; au bout de deux mois, il avait épuisé ses ressources, et +il fallut courir à Dijon, chez l'abbé. Le bon oncle se laissa arracher +60 louis qui ne demeurèrent pas longtemps dans sa poche; force lui fut +alors de retourner à Milly, sa «détestable patrie», où il obtînt des +tantes un peu d'argent sous prétexte de payer des dettes; puis il revint +encore à Lyon, et finalement, endetté, poursuivi, sans un sou, car on +lui avait coupé les vivres, il regagna Milly le 18 mai<a name="FNanchor_168_168" id="FNanchor_168_168"></a><a href="#Footnote_168_168" class="fnanchor">[168]</a>, après +quatre mois de délices, relatées avec une joie enfantine dans les +lettres à Virieu.</p> + +<p>Elles sont juvéniles, prime-sautières et vives, d'un piquant contraste +avec celles de l'année précédente: «Voilà enfin une partie de mes désirs +satisfaits! écrit-il à son arrivée; je m'instruis, je suis libre, je +suis indépendant, je le suis si fort que j'en deviens ridicule; mon +livre, ma chambre, mon feu et le spectacle ont trop de charmes pour +moi.» Puis c'est la description poétique de sa petite installation:</p> + +<p> +<br /><span style="margin-left: 15%;">Cellule inconnue et secrète,</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Où jamais un oncle boudeur,</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Où jamais un mentor grondeur</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Ne viennent troubler le poète.</span><br /><br /> +</p> + +<p>Ses amis sont des «artistes», «des artistes surtout, mon cher ami! voilà +ce que j'aime! de ces gens qui ne sont pas sûrs de dîner demain! Je leur +ai dit que tu étais <i>comme moi</i>, un artiste <i>universel</i>, artiste dans +l'âme, artiste d'inclination!»</p> + +<p>C'est la vie de bohème, au jour le jour, et sans souci du lendemain; les +grisettes, le théâtre, le concert, les vers, tout lui est bon, même les +dettes, dont il se tire en faisant un impromptu: <i>Mes dettes</i>, qui, +d'après lui, court la ville.</p> + +<p>Plus tard pour les payer, il s'adressa naturellement à sa mère, qui +cette fois s'en fut trouver l'oncle et les tantes plutôt que son mari, +car le chevalier n'aimait pas les dettes: «Son oncle et ses tantes ont +eu la bonté de se charger de payer les dettes d'Alphonse, écrira-t-elle +plus tard, et sans rien dire à mon mari, ce que j'ai demandé par-dessus +tout, car j'aurais mieux aimé qu'on le laissât dans l'embarras où il +était et dont le temps aurait toujours fini par le tirer, que de +consentir qu'on détruisît absolument le repos et le bonheur de mon mari +en lui apprenant les dettes de son fils. C'est une chose qu'il a +toujours eue en si grande horreur qu'il l'aurait cru tout à fait perdu!» +L'amusant de l'affaire fut que le pauvre chevalier paya lui-même les +dettes de son fils, à son insu. En effet, la tante du Villard se +chargea, paraît-il, de la plus grande partie; mais, comme elle n'avait +pas alors beaucoup d'argent disponible, elle demanda à son frère, sous +un autre prétexte, de l'argent qu'il lui devait et auquel il ne songeait +guère, croyant qu'elle n'en avait nul besoin.</p> + +<p>Il fallut pourtant songer au départ, car l'oncle, cette fois, menaçait +tout à fait de se débarrasser du prodigue neveu. Ce furent de touchants +adieux à «Myrthé», sa belle, mais surtout à la liberté, «l'impayable +liberté». À ce moment, il jeta bien quelque vague coup d'œil en arrière, +et ses projets de travail lui revinrent à l'esprit; il en prit son +parti, ne regretta rien, mais ne s'en tint pas quitte, se réservant pour +Milly où il prévoyait bien qu'un cruel ennui allait l'accabler à +nouveau: là-bas, «l'imagination et son livre anglais» le dédommageraient +de tout.</p> + +<p>Ce petit séjour à Lyon marque une date dans la jeunesse de Lamartine; au +retour, les dernières traces laissées par l'enseignement de Belley ont +disparu, remplacées par le goût du plaisir, de la dépense, et l'horreur +de la contrainte familiale. «Les ébauches littéraires vont se ressentir +de ce nouvel état d'esprit.»</p> + +<p>Lamartine, on l'a vu, était de retour à Mâcon le 18 mai. Le 19, nous le +trouvons à Milly, plus désœuvré et enfiévré que jamais, s'ennuyant dans +son «trou», seul avec ses livres, sa plume «que rien ne stimule», son +imagination qui le tourmente. La mère, comme toujours, cherchait à +excuser son humeur un peu vive, «car il est assez naturel à un jeune +homme sans occupations forcées de s'ennuyer à la campagne». Mais, cette +fois, c'était lui qui ne voulait plus s'occuper.</p> + +<p>Bientôt, les idées sombres l'envahirent à nouveau et ses lettres d'alors +sont pleines d'une philosophie qu'il essaye de rendre résignée, mais où +percent le dégoût, l'amertume et la détresse<a name="FNanchor_169_169" id="FNanchor_169_169"></a><a href="#Footnote_169_169" class="fnanchor">[169]</a>: à Milly, à +Saint-Point, à Montceau, il traîne son oisiveté sous l'œil agacé du +père. Enfin, nerveux, mal à l'aise, il partit le 2 juillet à Dijon chez +l'abbé, où il retrouva un peu d'équilibre et de tranquillité. Ce furent +des lectures sans ordre, comme toujours: Montaigne, M<sup>me</sup> de Staël, le +prince de Ligne, Young et Jean-Jacques; des paresses sans fin dans les +herbages ou dans la thébaïde. Les choses auraient été fort bien sans +«les diables de soucis de l'avenir», qui reviennent troubler sa paix de +temps à autre, et «cette tête, écrit-il à Virieu, que tu connais aussi +bien que moi<a name="FNanchor_170_170" id="FNanchor_170_170"></a><a href="#Footnote_170_170" class="fnanchor">[170]</a>». Puis, apprenant que son père et sa mère allaient +arriver pour le mois d'août à Montculot, il s'empressa d'en déguerpir, +sous prétexte de mettre en train les vendanges, mais en réalité, +semble-t-il, pour chercher le repos et fuir sa famille.</p> + +<p>Seul à Milly, il reprit sa vie renfermée; rêveur, ennuyé de la vie, il +fit ses délices du fade et mathématique <i>Traité de la solitude</i> de +Zimmermann, se plongea dans <i>Werther</i>, dont, écrit-il à Virieu, il est +souvent tenté d'imiter la fin<a name="FNanchor_171_171" id="FNanchor_171_171"></a><a href="#Footnote_171_171" class="fnanchor">[171]</a>.</p> + +<p>Sans grand enthousiasme, il essaya aussi de prendre part au concours des +Jeux floraux, mais l'affaire, comme toujours, ne fut qu'un projet<a name="FNanchor_172_172" id="FNanchor_172_172"></a><a href="#Footnote_172_172" class="fnanchor">[172]</a>. +Enfin, quand les Lamartine regagnèrent Milly au début d'octobre, il +partit précipitamment pour Crémieu, chez Guichard, malgré sa mère, qui +commençait à s'inquiéter de cette nouvelle coïncidence de son départ et +de leur arrivée<a name="FNanchor_173_173" id="FNanchor_173_173"></a><a href="#Footnote_173_173" class="fnanchor">[173]</a>. Il y demeura jusqu'au 7 novembre.</p> + +<p>Il revint du Dauphiné apaisé et moins sauvage; en novembre, M<sup>me</sup> de +Lamartine a noté quelques bals à Maçon où il reste «fort tard» et, pour +le retenir, elle se décida un peu à contre cœur à organiser de petites +soirées à Milly, «heureuse, dit-elle, quand je le vois ainsi s'amuser +sous mes yeux». Puis il s'installa à Mâcon dans les premiers jours de +décembre, bien à regret, mais il était sans ressources pour recommencer +l'hiver de l'année précédente. Il flânait le soir au théâtre de la +ville, se montrait assidu aux bals. Sa mère, que l'expérience aurait +peut-être dû rendre plus méfiante, mais qui redoutait surtout de le voir +vivre trop en lui-même, l'y encourageait innocemment sans prévoir les +conséquences fâcheuses pour son repos qui devaient suivre «cette petite +dissipation d'esprit».</p> + + + +<hr /> +<h2><a name="CHAPITRE_IId" id="CHAPITRE_IId"></a><a href="#toc">CHAPITRE II</a></h2> + +<p class="c">LA CRISE LITTÉRAIRE. LE PREMIER AMOUR</p> + + +<p>Le 30 juin, Lamartine écrivait à Virieu:</p> + +<p>«Et moi aussi, mon ami, ne te disais-je point que je voyais s'évanouir +tous nos rêves? Hélas! il est trop vrai, que ferons-nous donc? et +pourquoi avons-nous tous deux ce je ne sais quoi dans l'âme qui ne nous +laissera jamais un instant de repos avant que nous ne l'ayons satisfait +ou étouffé? est-ce un besoin d'attachement ou d'amour? Non, j'ai été +amoureux comme un fou, et ce cri de ma conscience ne s'est pas tu. J'ai +toujours vu quelque chose avant et au-dessus de toutes les jouissances +d'une passion même vraie et pure. Est-ce l'ambition? pas tout à fait....</p> + +<p>«...Je dis et je pense qu'il n'est qu'un vrai malheur: c'est de ne pas +satisfaire toutes nos facultés, en un mot toutes les fois que nous le +pouvons, fallût-il même de pénibles sacrifices. Quelqu'un qui me lirait +s'imaginerait que je me fais de la morale; mais toi, tu m'entends, tu +me comprends. Es-tu d'accord de ce que je viens de dire là? Oui, eh +bien! raisonnons là-dessus et venons à la pratique. Es-tu prêt? je le +suis, moi: nous allons faire notre code.</p> + +<p>«Nous renonçons pour le moment à toutes prétentions exagérées, du moins +elles ne seront plus l'unique mobile de nos actions. Nous n'écouterons +que notre propre conscience qui nous dit: Travaillez pour donner les +intérêts de ce que vous avez reçu; travaillez pour être utiles si vous +le pouvez; travaillez pour connaître ce que vous êtes capables de voir +dans la vie; travaillez pour vous dire au dernier moment: J'ai vécu peu, +mais j'ai vécu assez pour observer et connaître tout ce que ce petit +globe contient, tout ce qui était à ma portée; j'ai sacrifié à ce désir +de m'instruire une fortune précaire, quelques jouissances des sens, +quelque chose dans la sotte opinion d'un certain monde; si j'ai obtenu +quelque gloire, tant mieux! si je suis malgré cela resté ignoré, je m'en +console, j'ai été utile à moi-même, j'ai accru mes idées, j'ai goûté de +tout, j'ai vu les quatre parties du monde; si je meurs dans un fossé de +grande route, si mon corps n'est pas porté à l'église par quatre bedeaux +et suivi d'une foule d'héritiers pleurant tout haut et riant tout bas, +j'ai été aimé, je serai pleuré par un ou deux amis qui ont partagé mes +peines, mes études et mes travaux; et je rendrai à celui qui sans doute +a fait mon esprit et mon âme un ouvrage perfectionné de mes mains. Mais +votre patrie?—Ce n'est plus qu'un mot, du moins en Europe.—Mais la +société?—Elle n'a pas besoin d'un financier, d'un usurier ou d'un +boucher de plus et, en travaillant pour moi, peut-être aurai-je +travaillé pour elle<a name="FNanchor_174_174" id="FNanchor_174_174"></a><a href="#Footnote_174_174" class="fnanchor">[174]</a>.»</p> + +<p>Si ces lignes prouvent la parfaite clairvoyance avec laquelle Lamartine +se jugeait à vingt ans, elles montrent également jusqu'à l'évidence le +déplorable résultat moral de ces deux premières années d'indépendance +dont il augurait tant au sortir de Belley. Certes, elles sont l'aveu des +juvéniles chimères dont il s'est nourri jusqu'alors, et même leur amende +honorable, mais avec de hautaines restrictions qui portent l'empreinte +de la philosophie orgueilleuse et sentimentale de Rousseau. Cette +nouvelle conception de l'existence, tout aussi littéraire que la +première, est infiniment plus dangereuse: le doute, l'égoïsme et +l'amertume en sont les conséquences inévitables.</p> + +<p>Les premières désillusions de sa jeunesse sont vraiment insuffisantes +pour motiver cet état d'âme du moment que des influences littéraires +peuvent seules expliquer. Il payait ainsi deux années d'un incessant +vertige intellectuel contre lequel sa sensibilité et son imagination le +laissaient désarmé; livré à lui même, sans direction, sans contrôle, il +n'avait eu guère d'autres ressources que les lectures pour occuper ses +loisirs à Milly: l'abus qu'il en fit, leur choix, les conditions de sa +vie, sa nature à la fois fiévreuse et mélancolique, tout le prédisposait +à être une proie facile au mal littéraire qui ravagea sa +génération<a name="FNanchor_175_175" id="FNanchor_175_175"></a><a href="#Footnote_175_175" class="fnanchor">[175]</a>.</p> + + +<p class="e">Ce que Lamartine dévora en trois ans—de 1808 à 1812—est prodigieux, et +cela, pêle-mêle, sans plan organisé, au hasard des bibliothèques et des +cabinets de lecture. Ici, la <i>Correspondance</i> devient véritablement +précieuse pour la spontanéité des renseignements qu'elle nous fournit, +puisque les impressions causées par le nouveau livre sont immédiatement +traduites dans une lettre à Virieu, froidement ou avec enthousiasme, +selon l'effet produit. Plus tard, soit dans ses préfaces, soit dans son +<i>Cours de littérature</i>, il reviendra sur beaucoup de ces appréciations +de la première heure: l'expérience de la vie, des raisons morales, +politiques ou littéraires dont il ne se souciait pas alors modifièrent +ses jugements de jeunesse; mais la façon dont il les formula à vingt ans +doit seule nous importer.</p> + +<p>L'impression devait être d'autant plus profonde que M<sup>me</sup> de Lamartine +exerça longtemps un contrôle sévère sur les lectures de son fils, qui +prenaient ainsi la valeur du fruit défendu. Avec un pieux sentiment +d'amour maternel, le poète qui sentit combien il avait été soumis aux +influences littéraires lui fit plus tard une part qu'elle n'eut jamais +dans sa direction intellectuelle: les <i>Confidences</i>, les <i>Commentaires</i>, +certains passages remaniés du <i>Manuscrit de ma mère</i> la montrent lisant +Homère, Tacite, Virgile, M<sup>me</sup> de Sévigné, Fénelon, Molière, et même +les tragédies de Voltaire.</p> + +<p>La vérité est que M<sup>me</sup> de Lamartine lisait peu par manque de temps +d'abord, mais surtout par méfiance de soi-même et crainte de ce qu'elle +appelle «de séduisantes idées fausses». Son Journal nous révèle ses +préférences, qui vont à saint Augustin, à Bossuet, aux Chroniques de +Joinville, à Fénelon, à La Fontaine, à Laharpe, à M<sup>me</sup> de Genlis; elle +y puisait les principes moraux nécessaires à l'éducation de ses enfants, +et ce sont là les auteurs le plus souvent nommés par elle.</p> + +<p>Parfois, quelque nouveauté célèbre arrivait jusqu'à elle; mais elle +avait gardé de son éducation religieuse l'horreur de la littérature +romanesque ou sentimentale, de «l'abominable philosophie destructrice de +la religion». C'est ainsi que Chateaubriand lui paraîtra «trop +passionné», <i>Atala</i> «capable d'échauffer la tête des jeunes gens», <i>les +Martyrs</i> «loin d'être aussi bons moralement que beaucoup de gens le +jugent». «En tout, dira-t-elle après la lecture du <i>Génie</i>, cet ouvrage +qui est pourtant très bien me paraît un peu trop propre à exalter +l'imagination.» <i>Corinne</i> sera pour elle «un roman invraisemblablement +écrit et avec beaucoup de prétention»; cependant elle s'y intéressera, +«quoiqu'il y ait bien des choses à dire». De même, <i>Roland Furieux</i> +qu'elle lira seulement en 1808, lui inspirera les réflexions suivantes: +«Il y a des choses plaisantes, mais il y en a de mauvaises que je passe, +et il ne faudrait pas que des jeunes gens le lisent».</p> + +<p>Mais le <span class="smcap">xviii</span><sup>e</sup> siècle, surtout, sera pour elle un objet d'épouvante: +elle interdira sévèrement à son fils les <i>Mémoires de M<sup>me</sup> Roland</i>, +«quoiqu'il en eût très grande envie»: «Je sais bien, ajoute-t-elle +mélancoliquement, qu'il peut se procurer à mon insu tous les livres +qu'il voudra, mais au moins je n'aurai pas à me reprocher de l'avoir +autorisé à cela». «On se permet trop, dira-t-elle aussi, de lire toutes +sortes de livres sous prétexte qu'il n'y a plus de danger: cela est fort +mal fait.»</p> + +<p>Elle ira plus loin encore: en 1813—Lamartine avait donc vingt-trois +ans,—elle profita d'un de ses voyages à Paris pour brûler ses livres, +et par hasard elle ouvrira l'<i>Émile</i> dont elle se laissera aller à lire +quelques passages «qui sont superbes et m'ont fait du bien»; mais +bientôt le danger qu'elle a couru en s'abandonnant au charme de tant +d'idées qu'elle sait condamnées, la remplit de terreur et elle +terminera: «Cela me révolte, je brûlerai ce livre, malgré ce qu'il y a +de bon, et <i>la Nouvelle Héloïse</i> aussi, bien plus dangereux encore parce +qu'il anime davantage les passions et qu'il est plus séduisant». +Rousseau l'effrayera toujours pour des motifs qu'elle n'explique pas, +mais qu'on devine: sa vie privée, l'anarchie politique et religieuse +dont elle le rend responsable, et son «abominable philosophie» qui +synthétise à ses yeux l'esprit du <span class="smcap">xviii</span><sup>e</sup> siècle.</p> + +<p>Lamartine, on le voit, eut donc quelque mal à faire ses lectures +ouvertement; d'ordinaire, il emportait son livre en promenade ou +s'enfermait dans sa chambre. À Milly et à Saint-Point d'ailleurs, il n'y +avait pas de bibliothèque; à Mâcon et à Montceau, celles de son oncle +étaient importantes, mais il n'en avait pas la disposition; il lui +restait le cabinet de lecture de Myard, à Mâcon, où sa mère nous apprend +qu'il était abonné en 1808, et Montculot, où l'abbé avait entassé deux +mille volumes qu'il légua plus tard à son neveu. Il y ajoutera les +contemporains, les nouveautés, bons ou mauvais livres, et en général +tout ce qui lui tombera sous la main.</p> + +<p>C'est le séjour à Crémieu, en octobre 1808, qui marqua le début de sa +fièvre littéraire. Dans quelles conditions, maintenant, va-t-il +s'assimiler ces lectures faites sans direction et sans critique, et +quelle influence vont-elles avoir sur la formation de sa personnalité? +Une théorie séduisante et facile même à appuyer sur des faits serait de +prétendre qu'il en goûta seulement les mauvais côtés, se dirigea surtout +vers Parny et son école et qu'il lui fallut la crise morale des années +1817-1819 pour se libérer entièrement de leurs derniers souvenirs. +Pourtant, à y regarder de plus près, il semble que la vérité soit +ailleurs.</p> + +<p>Certes, une des contradictions les plus singulières de la +<i>Correspondance</i> est assurément ce mélange, à première vue inconciliable +et quelque peu incohérent, d'impromptus, de pièces d'almanach, d'épîtres +pompeuses, et de peintures mélancoliques ou désespérées de ses +souffrances morales. Mais c'est qu'à cette époque, et pour longtemps +encore, Lamartine qui, on l'a vu, rêva très tôt de se faire un nom dans +les lettres, tenait pour bonne la fameuse formule que les classiques +opposeront plus tard à la débordante facilité des romantiques: hors de +l'ordre moral, point de véritable mérite littéraire; il ne pourra donc +s'imaginer la gloire sous une autre forme que celle de pièces fugitives, +toujours à la mode, d'interprétations plus ou moins fidèles d'un poète +étranger, d'une tragédie bien régulière, d'un poème épique +laborieusement rimé. Et nous avons la preuve de cette conception du +métier littéraire par quelques odes intercalées plus tard dans les +<i>Méditations</i>: le Génie, l'Enthousiasme, et le Poète exilé.</p> + +<p>Le contraste ne manque pas aujourd'hui d'un certain piquant lorsqu'on +voit naître peu à peu dans la <i>Correspondance</i> les premières +<i>Méditations</i>, jalousement cachées comme des essais intimes et trop +personnels, tandis que Lamartine court Paris un <i>Saül</i> ou une <i>Médée</i> +sous le bras: «Je vais me remettre au grand ouvrage de ma vie, écrit-il +en 1816 à son ami Vaugelas; si je réussis, je serai un grand homme; +sinon la France aura un Chapelain ou un Cottin de plus»<a name="FNanchor_176_176" id="FNanchor_176_176"></a><a href="#Footnote_176_176" class="fnanchor">[176]</a>. Le grand +ouvrage, ce n'était pas, comme on pourrait le croire, ses <i>Méditations</i>, +mais un poème épique sur Clovis, qui l'occupa jusqu'en 1820. Bien mieux, +au moment où il se décidera à publier, presqu'à contre-cœur<a name="FNanchor_177_177" id="FNanchor_177_177"></a><a href="#Footnote_177_177" class="fnanchor">[177]</a>, les +<i>Méditations</i>, ce fut sans les soins amoureux du poète pour son +premier-né<a name="FNanchor_178_178" id="FNanchor_178_178"></a><a href="#Footnote_178_178" class="fnanchor">[178]</a>, et pour essayer de «lancer» ses tragédies<a name="FNanchor_179_179" id="FNanchor_179_179"></a><a href="#Footnote_179_179" class="fnanchor">[179]</a>.</p> + +<p>Que conclure de cette perpétuelle violence à ses sentiments véritables, +sinon que ses premiers essais furent conçus seulement dans le but défini +d'atteindre à la célébrité, et qu'il renfermait soigneusement en lui +les troubles et les détresses dont débordent ses lettres?</p> + +<p>C'est pourquoi, au cours de ses lectures, il ne s'enthousiasmera pas +pour ceux qu'il imitait par métier; au contraire son ardeur, lorsqu'il +s'agit de Rousseau, d'Young, d'Ossian, de M<sup>me</sup> de Staël et de +Chateaubriand, prouve que ceux-là furent les véritables éducateurs de sa +pensée et qu'il leur doit presque tout de ses aspirations tourmentées et +insatisfaites<a name="FNanchor_180_180" id="FNanchor_180_180"></a><a href="#Footnote_180_180" class="fnanchor">[180]</a>.</p> + +<p>Il faut noter aussi son incompréhension absolue des œuvres d'analyse et +de précision qui ne répondent chez lui à aucun état d'âme. Les seuls +Allemands qu'il nomme sont Gœthe et Zimmermann, l'un pour son <i>Werther</i>, +l'autre pour son <i>Traité de la solitude</i>; mais les deux sujets qui +pourtant semblaient faits pour lui plaire n'eurent pas sur lui l'effet +qu'on pourrait supposer: «Je viens de lire <i>Werther</i>, écrit-il en 1809, +il m'a fait la chair de poule: je l'aime pas mal non plus. Il m'a +redonné de l'âme, du goût pour le travail, le grec; il m'a un peu +<i>attristé et assombri</i><a name="FNanchor_181_181" id="FNanchor_181_181"></a><a href="#Footnote_181_181" class="fnanchor">[181]</a>.» Résultat imprévu et qu'on n'attendait +guère d'une lecture qui démoralisa la jeunesse romantique; tout au moins +peut-on l'expliquer du fait que <i>Werther</i>, œuvre documentaire et assez +froide, ne fut jamais vécue par Gœthe; instinctivement peut-être, +Lamartine ne s'y trompa point et n'y découvrit pas l'accent de +sincérité qu'il lui fallait. «Vive les Allemands pour la raison!<a name="FNanchor_182_182" id="FNanchor_182_182"></a><a href="#Footnote_182_182" class="fnanchor">[182]</a>» +s'écriait-il après la lecture du <i>Traité de la solitude</i> où Zimmermann a +méthodiquement catalogué les inconvénients et les avantages de cet état +d'âme: il ne rencontrait en effet chez eux guère autre chose que la +raison, l'esprit brutal et sec d'analyse ou de classification, choses +qu'il ignore et qui cadrent mal avec sa nature mouvante et pleine de +revirements.</p> + +<p>À cet égard, encore, l'exemple de Montaigne est tout aussi typique. La +première rencontre fut mauvaise<a name="FNanchor_183_183" id="FNanchor_183_183"></a><a href="#Footnote_183_183" class="fnanchor">[183]</a>, mais Virieu, d'un esprit aussi +froid et méthodique que le sien l'était peu, voulut lui faire partager +son admiration pour celui qu'il appelait son maître et Lamartine s'y +employa de bon cœur: «Je lis l'ami Montaigne, lui répond-il, que +j'apprends tous les jours à mieux connaître et par conséquent à aimer +davantage; veux-tu que je te dise ce qui m'y attache plus encore? c'est +que je trouve une certaine analogie entre son caractère et le +tien<a name="FNanchor_184_184" id="FNanchor_184_184"></a><a href="#Footnote_184_184" class="fnanchor">[184]</a>». On sent alors que, bien plus par amitié que par goût, il +s'évertue à l'admirer, «l'adore», l'aime «infiniment plus +qu'autrefois<a name="FNanchor_185_185" id="FNanchor_185_185"></a><a href="#Footnote_185_185" class="fnanchor">[185]</a>». Pourtant, la première impression était la bonne et +en 1811 il écrivait «...Ses idées m'amusent, mais ses opinions me +fatiguent et me blessent... il faut être froid pour se plaire à +Montaigne; je l'ai aimé tant que je n'ai rien eu dans le cœur;... tout +ce que j'aime en lui, c'est son amitié pour La Boëtie<a name="FNanchor_186_186" id="FNanchor_186_186"></a><a href="#Footnote_186_186" class="fnanchor">[186]</a>». Tel avait +été le vrai motif de son admiration passagère: un seul point lui plut, +où il retrouvait un sentiment personnel, son amitié pour Virieu; le +reste lui échappa.</p> + +<p>Ainsi, chez, lui, tout se résume dans la première impression, et c'est +la seule qui doive compter lorsqu'il s'agit de l'étudier, d'autant qu'il +n'apportait aucun esprit critique dans ses lectures, aucune mesure dans +ses admirations et qu'il lui suffisait pour goûter une œuvre d'y +retrouver la description d'un de ses états d'âme, un sentiment déjà +éprouvé, ou l'écho d'un souvenir; exaspérées ainsi, son imagination, sa +sensibilité, l'imagination maladive qu'il portait en toutes choses +faisaient le reste.</p> + +<p>Dominé par tant d'influences littéraires, il se trouvait à la merci de +toutes les chimères qu'elles allaient faire naître et la moindre +étincelle devait enflammer le brasier qu'il portait en lui. Mais il +était fatal aussi que sa première émotion du cœur dût y gagner en +violence plutôt qu'en sincérité, et le très romantique amour de +Lamartine pour la jeune Henriette Pommier, inconsciente tentative +d'appliquer à la vie les idées dont il était nourri, eut le bref +dénouement que sa nature changeante laissait prévoir<a name="FNanchor_187_187" id="FNanchor_187_187"></a><a href="#Footnote_187_187" class="fnanchor">[187]</a>.</p> + +<p>Marie-Henriette Pommier, née à Mâcon le 1<sup>er</sup> mai 1790, était fille de +Pierre Pommier, conseiller au bailliage avant la Révolution, puis juge +de paix à Mâcon, et de Philiberte Patissier de la Presle, d'une vieille +famille du pays. Elle était donc un peu plus âgée que Lamartine et c'est +ainsi, sans doute, qu'il faut entendre la disparité d'âge dont il a +parlé comme du premier obstacle au mariage qu'il avait projeté. D'autre +part, sa naissance confirme ce qu'il a dit lui-même en écrivant qu'elle +tenait d'un côté à la noblesse du pays et de l'autre à la bourgeoisie.</p> + +<p>Au dire de ceux qui les ont connus, les Pommier étaient d'honnêtes et +simples gens: M<sup>me</sup> Pommier était une excellente femme très vive et +très spirituelle et qui, à quatre-vingts ans, montrait encore dans le +monde de fort belles épaules. Sa demeure était située face à l'hôtel de +ville de Mâcon devant lequel une sentinelle montait alors la garde; pour +se délasser de ses longues insomnies, elle entamait parfois une +conversation avec le factionnaire et ces duos nocturnes faisaient la +joie des salons mâconnais.</p> + +<p>Sa fille était à vingt ans une merveilleuse créature: M. Duréault, qui a +tenu entre les mains sa miniature exécutée à l'époque, et même un de ses +souliers de bal, affirme que le portrait laissé d'elle par Lamartine +est fort ressemblant et que «sa beauté pensive, sa taille mince, sa +démarche svelte, la grâce de ses bras, l'inimitable délicatesse de ses +pieds, la langueur morbide de son cou, son sourire à la fois charmant et +mélancolique» sont autant de détails fidèles et qui n'ont pas été +exagérés par le poète.</p> + +<p>Les jeunes gens se rencontrèrent en soirée, à l'un de ces bals où nous +avons vu fréquenter le jeune homme pendant l'hiver 1810-1811. Dans les +<i>Mémoires inédits</i>, Lamartine n'a nommé leur hôtesse que de son +initiale: c'était M<sup>me</sup> de la Vernette, femme de Pierre-Bernard de la +Vernette, ancien capitaine au régiment de Navarre et chevalier de +Saint-Louis, qui, très mondaine et lettrée, recevait dans ses salons +l'élite de la société de la ville; les jeunes dansaient, disaient des +vers; les hommes causaient littérature et politique: un soir, Henriette +Pommier dont la voix était fort belle se mit au piano, et Lamartine céda +au charme<a name="FNanchor_188_188" id="FNanchor_188_188"></a><a href="#Footnote_188_188" class="fnanchor">[188]</a>.</p> + +<p>C'est au début de février 1811 que Guichard reçut la confidence de cette +passion naissante<a name="FNanchor_189_189" id="FNanchor_189_189"></a><a href="#Footnote_189_189" class="fnanchor">[189]</a> et il faut noter que, d'après la +<i>Correspondance</i>, l'austère Virieu ne fut pas tenu au courant de tous +les détails de l'aventure. À cette date, l'amoureux n'avait pas encore +osé se déclarer et le roman en était d'ailleurs à ses premières pages, +puisqu'il annonçait à son ami qu'il allait faire «un de ces jours» une +pathétique déclaration et serait ensuite soulagé «en grande partie». +Mais, incapable qu'il était de se maîtriser, les salons de Mâcon +commencèrent à s'étonner de son assiduité auprès de la jeune fille. +Faut-il croire ici que l'oncle, connaissant le caractère fantasque du +neveu, ait tenté une diversion en le faisant admettre à l'Académie de +Mâcon malgré ses vingt ans<a name="FNanchor_190_190" id="FNanchor_190_190"></a><a href="#Footnote_190_190" class="fnanchor">[190]</a>? L'hypothèse n'aurait rien +d'invraisemblable, en tenant compte des idées de Louis-François, qui +jusqu'ici n'avait guère encouragé les goûts littéraires de l'adolescent. +Quoi qu'il en soit ce fut peine perdue, sa devise du jour étant: <i>Rien +ne m'est tout</i> (?), <i>tout ne m'est rien</i><a name="FNanchor_191_191" id="FNanchor_191_191"></a><a href="#Footnote_191_191" class="fnanchor">[191]</a>. Sa détresse, qu'il +exposait avec complaisance, entra alors dans la phase mélancolique: +Ossian, Young et Shakespeare voisinèrent sur sa table et il errait, à +l'en croire, à travers la campagne avec son chien, pleurant «comme un +enfant» à la lecture de Sterne<a name="FNanchor_192_192" id="FNanchor_192_192"></a><a href="#Footnote_192_192" class="fnanchor">[192]</a>. Virieu—qui semble ignorer encore +les causes de cette nouvelle désespérance—s'en inquiéta et lui arracha +le serment de ne pas mettre fin à ses jours, ce qui lui fut accordé +somme toute avec assez de bonne volonté<a name="FNanchor_193_193" id="FNanchor_193_193"></a><a href="#Footnote_193_193" class="fnanchor">[193]</a>.</p> + +<p>Il faut croire que mars avait vu sa déclaration; le 2 avril, en effet, +il écrivait à Guichard une lettre enflammée: «Oui, mon ami, plains-moi, +pleure sur moi! je suis bien digne de quelque pitié. J'aime pour la vie, +je ne m'appartiens plus et je n'ai nulle espérance de bonheur +quoiqu'étant payé du plus tendre retour; tout nous sépare, quoique tout +nous unisse, je vais prendre incessamment un parti violent pour obtenir +sa main à vingt-cinq ans<a name="FNanchor_194_194" id="FNanchor_194_194"></a><a href="#Footnote_194_194" class="fnanchor">[194]</a>.» Le «parti violent» fut de s'ouvrir à la +famille de ses projets, et l'on peut penser, comme il l'a dit, qu'ils +furent mal accueillis. Il était sans position, la dot de la jeune fille +assez mince, et l'alliance Pommier ne tentait guère l'aristocratique +Louis-François. Les Lamartine furent inébranlables, et il n'obtint pas +même, cette fois, la demi-promesse qu'on lui accordait d'habitude, en +laissant au temps ou à quelque nouvelle chimère le soin d'apaiser son +imagination.</p> + +<p>Voici pourtant chez lui l'indice d'une passion sérieuse: malgré tout son +amour de l'indépendance, écrivait-il à Guichard, il se décidera à +travailler<a name="FNanchor_195_195" id="FNanchor_195_195"></a><a href="#Footnote_195_195" class="fnanchor">[195]</a>. Le projet était encore assez vague puisqu'il s'agissait +de solliciter à l'automne un emploi quelconque dans le gouvernement. +Mais l'intention connut même un semblant d'exécution. Le 24 avril, sa +mère a en effet noté qu'au cours d'une visite à Champgrenon chez les +Rambuteau il se fit présenter au comte Louis de Narbonne, ministre de +France en Bavière, qui le reçut avec amabilité et l'engagea à venir à +Paris, où il lui trouverait une situation. «Tout cela peut avoir plus de +danger, peut-être encore, que d'utilité», ajoute M<sup>me</sup> de Lamartine. +Ainsi, bien qu'elle semble s'être fait un scrupule de rester neutre dans +la question,—c'est la seule allusion à M<sup>lle</sup> Pommier que l'on +rencontre dans son journal—on voit qu'elle n'était pas favorable à ce +mariage et préférait encore voir son fils inactif.</p> + +<p>La résistance qu'il rencontrait ne fit qu'aggraver, comme toujours, son +exaltation, et il décida d'employer la suprême ressource: ne pouvant +rien obtenir qui lui donnât l'assurance d'une «libre aisance», il +entrera dans l'armée «et essaiera de se faire tuer, ou du moins, +ajoute-t-il prudemment, d'acquérir un grade qui le fera vivre, sa femme +et lui<a name="FNanchor_196_196" id="FNanchor_196_196"></a><a href="#Footnote_196_196" class="fnanchor">[196]</a>». Il disait <i>sa femme</i>, «parce que je la regarde comme telle +et que rien au monde ne peut nous séparer».</p> + +<p>L'affaire devenait sérieuse, mais les Lamartine tinrent bon. Usant d'une +tactique qui leur avait déjà réussi, ils l'expédièrent bon gré mal gré à +Montculot vers la fin d'avril. Le 20 mai il était de retour, dégoûté de +la Bourgogne qu'un «tendre attachement» ne parvenait même pas à lui +faire aimer, toujours cruellement amoureux<a name="FNanchor_197_197" id="FNanchor_197_197"></a><a href="#Footnote_197_197" class="fnanchor">[197]</a>, et proclamant tout haut +l'éternité de ses sentiments en même temps que la barbarie de sa +famille. À l'en croire même, M<sup>me</sup> Pommier serait venue alors trouver +les Lamartine pour leur soumettre avec beaucoup de loyauté une lettre +d'Alphonse à <i>sa femme</i>, où il jurait que rien ne pourrait les désunir. +À tout prix, cette fois, il fallait l'éloigner; mais sur ce point il +était intraitable, à moins, sans doute, d'une occasion exceptionnelle. +Il s'en présenta une qui le fit réfléchir.</p> + + +<p class="e">Le 22 mai, M<sup>me</sup> de Roquemont et sa fille M<sup>me</sup> Haste, qui revenaient +de Paris, s'arrêtèrent quelques jours à Mâcon. M<sup>me</sup> de Roquemont, de +tout temps la confidente de sa cousine, fut mise au courant de la +situation: M<sup>me</sup> de Lamartine lui représenta «la maladie de nerfs» +d'Alphonse, «la vivacité de son âge et son imagination», en même temps +que ses conséquences actuelles. Mais que faire? elle ne voulait pas +entendre parler d'un long voyage sans contrôle possible, et préférait +encore le voir à Mâcon près d'elle; que deviendrait-il, une fois seul, +avec cette imagination ardente?</p> + +<p>M. et M<sup>me</sup> Haste, prêts à partir pour l'Italie, s'offrirent alors avec +beaucoup de bonne grâce à tirer leurs cousins d'embarras en emmenant le +jeune homme avec eux, et tous les Lamartine furent d'accord pour saisir +une telle occasion; les deux oncles et les trois tantes fournirent +chacun vingt-cinq louis, et cette fois avec empressement, tandis que le +père complétait de son mieux la somme nécessaire. Le plus difficile +restait à faire: il s'agissait maintenant de décider le jeune amoureux.</p> + +<p>Au premier mot qu'on lui en toucha, il n'eut pas, d'après sa mère, la +moindre hésitation, et sauta littéralement de joie. Depuis deux ans +l'Italie était un de ses rêves, et il sacrifia sans regret l'autre pour +celui-là, plus neuf et immédiatement réalisable. «Il faut bien que je +rompe les liens les plus doux, écrit-il aussitôt à Guichard, que je me +condamne pendant sept ou huit mois à une douleur mille fois pire que la +mort, que j'abandonne tout ce qui m'est le plus cher dans le monde après +mes deux amis. N'en parlons plus, ne rouvrons pas les blessures trop +fraîches et trop cruelles<a name="FNanchor_198_198" id="FNanchor_198_198"></a><a href="#Footnote_198_198" class="fnanchor">[198]</a>....» À Milly on pouvait respirer, car la +diversion était trouvée.</p> + +<p>Certes, dans l'intention un peu excusable de ne pas paraître trop +inconstant aux yeux de Guichard qui avait reçu la confidence de ses +désespoirs, son ancienne passion figurera par des rappels de ton dans +les premières lettres d'Italie: «Ô mon cher ami! tu ne sais donc pas +tout ce que j'ai laissé en France? s'écriera-t-il lyriquement; tu ne +sais donc pas que toute espérance est morte dans mon cœur et que, plus +à plaindre que Saint-Preux, je n'aurai connu qu'une passion sans aucune +jouissance, et qui va me précipiter dans un abîme sans fond<a name="FNanchor_199_199" id="FNanchor_199_199"></a><a href="#Footnote_199_199" class="fnanchor">[199]</a>?» Les +lettres à Virieu sont d'une autre désinvolture: «Que de larmes vont +couler! lui dit-il, combien j'aurai d'assauts à soutenir pour ne pas me +dédire! mais j'ai du cœur (!) et toutes les Armides de ma patrie ne +retiendront pas un pauvre chevalier qui va courir les aventures<a name="FNanchor_200_200" id="FNanchor_200_200"></a><a href="#Footnote_200_200" class="fnanchor">[200]</a>».</p> + +<p>Le moyen, en effet, de résister au plaisir très littéraire d'aller +traîner sa mélancolie sous le ciel de Rome ou de Florence? Bien avant le +départ, l'amour d'Henriette n'était plus qu'un souvenir, et rien ne +peint mieux cette extrême mobilité de sentiments, cette âme changeante +et si vite rassasiée, soumise qu'elle est à toutes les influences +extérieures, cette imagination vagabonde que rien ne peut fixer.</p> + +<p>L'imagination qui venait en effet de jouer le premier rôle dans cette +aventure va trouver un aliment nouveau dans ce projet de voyage. Tout y +sera prévu minutieusement, organisé d'après un plan, rigoureux et précis +au départ, mais qui, pas davantage que les précédents, ne rencontrera +d'exécution. C'était là son véritable plaisir, et la réalisation lui +importait peu. Un jour, il demandait à Virieu des recommandations «pour +des gens instruits ou des maisons agréables<a name="FNanchor_201_201" id="FNanchor_201_201"></a><a href="#Footnote_201_201" class="fnanchor">[201]</a>», un autre il +échafaudait les travaux les plus magnifiques: «Moi aussi, je ferai mon +voyage, mon itinéraire», s'exclamait-il en évoquant ses souvenirs +littéraires; et il devait revenir parlant l'italien le plus pur et le +grec<a name="FNanchor_202_202" id="FNanchor_202_202"></a><a href="#Footnote_202_202" class="fnanchor">[202]</a>.</p> + +<p>Tous furent enchantés de cette diversion inespérée. Mais la mère avait +fini par acquérir un peu d'expérience de son fils; elle saisissait bien +les motifs de ce revirement soudain, et lorsqu'elle écrivait: «Ce voyage +est au moins très utile en ce moment pour occuper l'activité de sa tête +et de son imagination de vingt ans», elle voyait juste, l'imagination +seule était responsable; craignant même que ce beau feu ne s'éteignît +comme les autres elle pressa le départ et l'expédia à Lyon le 1<sup>er</sup> +juillet. «Enfin, note-t-elle ce jour-là avec soulagement, tout a fini +par s'arranger à notre satisfaction et surtout à celle d'Alphonse.»</p> + +<p>Ainsi se termina ce petit roman dont Vignet, étonné d'un si rapide +oubli, lui reprochait au retour de Naples d'avoir perdu la mémoire<a name="FNanchor_203_203" id="FNanchor_203_203"></a><a href="#Footnote_203_203" class="fnanchor">[203]</a>. +La fin en est conforme à ce qu'il a raconté: le 25 août 1813, Henriette +Pommier épousait à Mâcon Jean-Baptiste Leschenault du Villard ancien +capitaine de chasseurs, sans que son premier et volage fiancé s'en soit +désespéré; il était alors à Paris où d'autres plaisirs avaient remplacé +cet innocent commentaire de Jean-Jacques. De part et d'autre les deux +familles avaient tenu peu compte de ces enfantillages, puisque +François-Louis de Lamartine fut témoin au mariage de la jeune fille.</p> + +<p>Henriette vécut aux environs de Mâcon, et elle repose aujourd'hui dans +la petite chapelle triste de la demeure où elle coula des jours sans +histoire. Regretta-t-elle, aux heures triomphales que connut Lamartine, +de ne pas partager sa gloire et de n'avoir pas réalisé son rêve de jeune +fille? La postérité, elle, n'a pas à le déplorer: Lamartine marié à +vingt et un ans n'eût pas été le poète des <i>Méditations</i>.</p> + + + +<hr /> +<h2><a name="CHAPITRE_IIId" id="CHAPITRE_IIId"></a><a href="#toc">CHAPITRE III</a></h2> + +<p class="c">LE VOYAGE D'ITALIE</p> + + +<p>Le voyage d'Italie, suite imprévue mais agréable de tant d'infortunes, +n'eut pas sur le développement poétique de Lamartine l'influence qu'on +lui a trop souvent prêtée.</p> + +<p>Florence et Rome étaient pourtant le cadre parfait d'un amour malheureux +et le soupçon de mélancolie qu'il emportait avec lui était à l'époque un +élément indispensable pour goûter pleinement le charme des ruines et des +monuments. Au fond, ce voyage était très littéraire, ce qui l'enchanta, +tout pénétré qu'il était alors de l'Oswald de <i>Corinne</i>. Mais il partait +pour l'Italie en touriste, le crayon à la main, plus soucieux au début +de chercher des impressions que de les laisser venir à lui +d'elles-mêmes; sa <i>Correspondance</i> et son bref carnet de voyage sont là +pour en témoigner. Huit ans plus tard, Lamartine mûri et désenchanté eût +été séduit par bien des détails qui en 1811 le laissèrent indifférent. +Ce qu'il aima surtout dans ce séjour fut l'indépendance qu'il lui +procura; les nuances, la poésie un peu triste des choses lui échappèrent +complètement. Parfois on rencontre dans ses notes quelque froide +réminiscence de Chateaubriand ou de Volney dont sa prose essoufflée +essaye en vain d'imiter le rythme; à Naples enfin, la contrainte qu'il +s'était imposée lui devint insupportable et il abandonna Pétrarque, +qu'il s'efforçait de lire sans y comprendre grand'chose<a name="FNanchor_204_204" id="FNanchor_204_204"></a><a href="#Footnote_204_204" class="fnanchor">[204]</a>; grisé de +lumière et de liberté, il fut jeune, insouciant, avide de plaisir et se +laissa vivre indolemment. Nous retrouverons cet état d'âme en 1822: +<i>Ischia</i>, <i>Philosophie</i>, <i>le Passé</i>, la suave <i>Élégie</i> des Nouvelles +Méditations, appartiennent à la même inspiration que l'<i>Hymne au +Soleil</i>, <i>À Elvire</i> et <i>le Golfe de Baia</i>.</p> + +<p>Sans doute, on peut faire avec justesse des rapprochements entre divers +passages du <i>Carnet</i> et certains fragments des <i>Méditations</i>; mais ces +réminiscences nous paraissent trop directes, surtout si l'on tient +compte du peu de précision de Lamartine, pour ne pas admettre qu'ayant +eu en 1819 à décrire quelques monuments ou aspects d'Italie, il ait +alors fait appel à ses notes de voyage, rédigées autrefois dans un vague +but littéraire. Quoi qu'on puisse dire, Pétrarque et Lamartine n'ont pas +de rapports. Pétrarque chanta l'amour idéal; après <i>le Lac</i>, Lamartine +pleura l'amour impossible et par la force des choses finit par tourner +au pétrarquisme, pétrarquisme infiniment plus humain, pourrait-on dire, +que celui du maître italien. Du fait que nous possédions un petit +Pétrarque ayant appartenu au poète, dont un sonnet au moins fut traduit +par lui, il serait imprudent de conclure à une influence aussi profonde +que celle d'Young, car les traductions de poètes étrangers, auxquelles +il s'astreignit souvent dans sa jeunesse, ne furent jamais pour lui que +des exercices de versification. Il n'existe dans son œuvre aucune +ambiance italienne mélancolique ou douloureuse, car il ne connut +l'Italie qu'à des moments d'accalmie et d'insouciance où ses maîtres +furent Horace ou Catulle et non pas Pétrarque.</p> + +<p>En 1811, Lamartine quittait la France obsédé par les souvenirs de +Chateaubriand et de M<sup>me</sup> de Staël et cet état d'esprit persista +pendant la première partie du voyage; à Rome, on voit par le <i>Carnet</i> +qu'il commençait déjà à lutter contre eux; à Naples, enfin, il s'en +libéra complètement et ses vingt ans reprirent le dessus. Il +s'abandonna, ébloui, enchanté, et au thème de la vie trop longue succéda +celui de l'heure trop brève. Il est regrettable qu'il ait brûlé plus +tard toutes les poésies écrites à cette époque, mais cet autodafé +indique qu'elles devaient différer de sa seconde manière; pourtant les +trois <i>Méditations</i> que nous avons nommées, les seules qu'il conserva, +prouvent suffisamment qu'au cours de ce séjour en Italie il lut, goûta +et comprit surtout les élégiaques latins.</p> + +<p>Lamartine et ses compagnons de route quittèrent Lyon le 15 juillet et la +veille M<sup>me</sup> de Lamartine écrivait dans son journal:</p> + +<p>«Alphonse doit demain partir pour l'Italie; ils vont en voiture à +Livourne où M. de Roquemont a une maison de commerce; ils y resteront +deux à trois mois. De là, ils iront à Rome et peut-être à Naples. C'est +un charmant voyage pour mon fils et j'espère qu'il sera profitable à sa +santé qui n'est toujours pas très forte. Mais il sera au moins très +utile en ce moment pour occuper un peu l'activité de sa tête et de son +imagination de vingt ans.»</p> + +<p>À Chambéry où il s'arrêta trois jours, il rencontra Virieu et se rendit +avec lui en pèlerinage aux Charmettes<a name="FNanchor_205_205" id="FNanchor_205_205"></a><a href="#Footnote_205_205" class="fnanchor">[205]</a>; puis, les voyageurs prirent +le chemin de Livourne en passant par Turin, Milan, Bologne, Parme et +Florence<a name="FNanchor_206_206" id="FNanchor_206_206"></a><a href="#Footnote_206_206" class="fnanchor">[206]</a>.</p> + +<p>Les premières impressions sont assez décevantes: «Ah! le triste pays que +l'Italie, écrit-il à Virieu, si on veut y vivre avec les vivants! aucune +politesse, aucune prévenance, personne qui réponde aux vôtres. Voilà du +moins ce que j'ai vu jusqu'à Bologne. Quand je trouve un Français, je +l'embrasserais volontiers. Je parle à tous nos soldats que je rencontre, +ils sont plus aimables qu'un seigneur italien<a name="FNanchor_207_207" id="FNanchor_207_207"></a><a href="#Footnote_207_207" class="fnanchor">[207]</a>.» Il oubliait qu'être +Français, à cette époque d'oppression française, n'était pas un titre +de recommandation à l'étranger.</p> + +<p>Arrivé à Livourne au début de septembre, il demeura deux mois dans cette +ville anti-artistique s'il en fut, assez désabusé et regrettant comme +toujours ce qu'il avait fui si joyeusement<a name="FNanchor_208_208" id="FNanchor_208_208"></a><a href="#Footnote_208_208" class="fnanchor">[208]</a>. Pendant que M. Haste +s'occupait des affaires de son beau-père, il poussa quelques pointes à +Florence, à Pise, à Vienne, guettant l'arrivée prochaine de Virieu pour +entreprendre le voyage de Rome<a name="FNanchor_209_209" id="FNanchor_209_209"></a><a href="#Footnote_209_209" class="fnanchor">[209]</a>. Mais celui-ci se faisait attendre +et un événement imprévu vint encore retarder le projet. M. Haste perdit +son père et fut obligé avec sa femme de regagner Lyon sans retard.</p> + +<p>«Alphonse est alors resté seul, écrit la mère le 9 novembre. Ses oncles +et tantes étaient d'avis qu'il revînt aussi, mais nous avons trouvé avec +mon mari qu'il serait trop cruel de ne pas le laisser aller jusqu'à Rome +dont il est si près et nous lui avons permis de continuer jusque-là. Il +a aussi demandé d'aller passer huit jours à Naples chez M. de +Fréminville, auditeur sous-préfet à Livourne, avec qui il s'est fort +lié, et nous avons accordé. Le seul obstacle à la prolongation de son +voyage est l'argent: ses oncles et tantes ont donné entre eux +soixante-douze louis, et nous, ce que nous avons pu, ce qui n'est pas +bien considérable. Enfin, il ménagera de son mieux pour pouvoir aller +plus loin; cela l'accoutumera à l'économie dont il avait grand besoin.»</p> + +<p>Ainsi, grâce à l'exquise bonté de sa mère, Lamartine triomphait encore; +aussitôt il quitta Livourne pour se rendre à Rome où il arriva le 1<sup>er</sup> +novembre, sans Virieu retenu toujours au Grand-Lemps<a name="FNanchor_210_210" id="FNanchor_210_210"></a><a href="#Footnote_210_210" class="fnanchor">[210]</a>.</p> + +<p>Ici, la documentation devient difficile; nous avons bien plusieurs +lettres de lui qui exposent sa vie et ses impressions dans la Ville +éternelle, mais elles se contredisent parfaitement. Le carnet de voyage +reflète le désenchantement le plus absolu; la <i>Correspondance</i> est vive, +spontanée, pleine d'enthousiasme: c'est que l'un fut écrit, on le sait, +avec l'idée vague d'une publication future, tandis que les lettres nous +donnent l'expression de ses véritables sentiments.</p> + +<p>La description qu'il a laissée de Rome dans son carnet est sèche et +soignée; c'est un tableau banal, sans plus, mais la seule note +personnelle qu'on y rencontre mérite une mention, car elle prouve une +connaissance avertie de la nature perpétuellement insatisfaite qu'il +possède. On a vu sa joie enfantine au départ de Mâcon, et tout ce qu'il +a mis en œuvre à Livourne pour atteindre Rome; une fois au but, voici ce +qu'il en pense: «Je m'étais trop accoutumé, dit-il, à l'idée de voir +Rome, ce nom-là avait perdu pour moi de son enchantement; je l'avais +prononcé trop souvent, l'illusion était diminuée. C'est un malheureux +effet qu'avec mon caractère j'éprouve partout et pour tout. De loin +c'est quelque chose, et de près... c'est moins que ne me promettait mon +imagination qui va toujours trop loin et me ménage sans cesse de tristes +surprises; elle promet plus que la réalité ne peut donner et, ici comme +ailleurs, elle m'avait trompé.» Il n'y a pas dans cet aveu que des +souvenirs littéraires.</p> + +<p>Le reste des impressions de voyage est quelconque, les clairs de lune, +les ombres vaporeuse s'y mêlent à des souvenirs classiques et à de +pompeuses réflexions; les lettres ont un autre prix.</p> + +<p>«Je suis à présent fou de Rome, écrit-il à M<sup>me</sup> Haste le 15 novembre; +c'est un paradis pour moi. Le matin, je cours, et j'ai bien de quoi +m'occuper, je vous assure; je dîne à quatre heures avec d'aimables +compagnons de course, et puis une longue leçon d'italien et puis des +artistes à aller voir, et le spectacle et quelques <i>converzationi</i> ne me +laissent pas une minute d'ennuy.... Florence n'est rien auprès de Rome, +je me pendrais si je ne l'avais pas vue. Je forme l'agréable projet d'y +venir passer une bonne partie de ma vie, c'est le paradis des artistes +et des oisifs<a name="FNanchor_211_211" id="FNanchor_211_211"></a><a href="#Footnote_211_211" class="fnanchor">[211]</a>.»</p> + +<p>«Poète» et «artiste», au sens assez vague qu'il donnait alors à ces +mots, Lamartine ne crut jamais l'être plus sincèrement qu'à cette +époque. Artiste, depuis le séjour à Lyon, voulait dire bien des choses: +cela signifiait qu'on méprisait le reste du monde et ses banales +coutumes, qu'on vivait à sa guise, au gré du moment et sans l'accablant +souci du lendemain. Pour être un parfait artiste, encore fallait-il une +condition essentielle à ses yeux de vingt ans: l'oisiveté, la délicieuse +liberté, loin de la famille antipoétique.</p> + +<p>On retrouve le même enthousiasme dans une lettre à Virieu; elle est +datée du 18 novembre, soit de trois jours seulement postérieure à la +première; mais comme on relève entre les deux de notables différences de +détails, il devient assez difficile de connaître exactement quel genre +de vie mena Lamartine à Rome:</p> + +<p>«...Tu sais que je suis à Rome depuis un certain temps, <i>j'y mène la vie +d'un ermite</i>, j'erre le matin dans ses vastes solitudes, <i>tout seul le +plus souvent</i>; je visite, un livre dans ma poche, ces belles et désertes +galeries des palais romains, le soir je travaille ou vais visiter +quelques artistes;... <i>il y a huit jours que je n'ai mis les pieds au +spectacle</i>. Rome me plaît au delà de toute expression: son aspect, ses +mœurs, son silence, sa tranquillité me font du bien. Si jamais des +malheurs irréparables m'arrivaient, je viendrais me fixer ici. Je crois +que c'est le lieu qui convient le mieux à la douleur, à la rêverie, aux +chagrins sans espoir<a name="FNanchor_212_212" id="FNanchor_212_212"></a><a href="#Footnote_212_212" class="fnanchor">[212]</a>.»</p> + +<p>C'est le thème mélancolique du Carnet; mais si les deux lettres +témoignent de la même admiration, on voit aussi qu'elles offrent un +certain contraste. Laquelle est sincère? probablement les deux. Comme à +Mâcon, Lamartine connut à Rome des revirements soudains, et chaque fois +qu'il exprimait un état d'âme sa bonne foi était absolue. De son côté, +M<sup>me</sup> de Lamartine recevait des lettres fiévreuses, et elle écrivait le +3 novembre:</p> + +<p>«Alphonse m'a écrit une lettre de Rome, dans le premier enthousiasme, +sur toutes les beautés qu'il voyait. Il était vraiment enchanté, et il +m'a fait partager son bonheur. Si j'étais plus riche, ajoute-t-elle +mélancoliquement, je voudrais aller voir cette ville si célèbre, mais je +dois à présent renoncer à toutes les satisfactions de ce monde.»</p> + +<p>Ainsi, il semble que Lamartine goûta très profondément la splendeur de +Rome et s'y plut même au point d'hésiter à partir pour Naples. Il s'y +décida pourtant à la fin de novembre<a name="FNanchor_213_213" id="FNanchor_213_213"></a><a href="#Footnote_213_213" class="fnanchor">[213]</a>.</p> + + +<p class="e">De tout le voyage d'Italie, c'est assurément le séjour à Naples qui lui +laissa les plus fortes impressions. La <i>Correspondance</i>, les +<i>Confidences</i>, les <i>Mémoires inédits</i> témoignent de l'inoubliable +souvenir qu'il en conserva. Cette fois, les projets d'étude étaient +loin, la prose fut abandonnée et la poésie reprit ses droits: odes +légères, païennes, latines, pleines de la joie de vivre, qui figurent +par des rappels de ton dans des strophes exquises du <i>Passé</i>; par elles +on peut se rendre compte de ce que furent ces premiers poèmes, détruits +plus tard parce qu'ils portaient l'empreinte de la vie indolente et +facile de Naples qu'il goûta sous ses deux formes les plus habituelles, +l'amour et le jeu.</p> + +<p>Si l'on parvient à combler les lacunes de la <i>Correspondance</i>, +manifestement très importantes pour 1811, il sera alors possible de +connaître en détail la vérité sur ce séjour à Naples qui demeure encore +très mystérieux. Peut-être l'épisode de <i>Graziella</i> contient-il des +morceaux autobiographiques aussi véridiques que <i>Raphaël</i>, peut-être les +<i>Mémoires inédits</i> sont-ils exacts sur bien des points; actuellement, +pourtant, nous manquons de contrôle et, connaissant la poétique manière +dont Lamartine a souvent traité ses souvenirs, il serait hasardeux ici +de les accepter à la lettre.</p> + +<p>Mais Graziella, néanmoins, n'est pas qu'une héroïne de roman. Nous +savons en effet par une des lettres publiées par M. Doumic, qu'elle +exista réellement, bien mieux même, qu'elle porta la première ce nom +d'Elvire qui devait plus tard immortaliser M<sup>me</sup> Charles<a name="FNanchor_214_214" id="FNanchor_214_214"></a><a href="#Footnote_214_214" class="fnanchor">[214]</a>. +Aujourd'hui, le seul renseignement précis que nous possédions sur la +petite cigarière de Naples est celui-ci: En 1816, Lamartine avait fait +parvenir à M<sup>me</sup> Charles quelques-uns de ses poèmes; ils faisaient +partie, sans doute, de ces deux volumes d'élégies composées de 1811 à +1813, et inspirées, prétend Lamartine, par la mémoire de Graziella +désignée sous le nom d'Elvire. Aussitôt, M<sup>me</sup> Charles interrogea +Virieu sur cette première Elvire et celui-ci répondit avec assez de +désinvolture: <i>Oui, c'était une excellente petite personne pleine de +cœur et qui a bien regretté Alphonse; mais elle est morte, la +malheureuse! elle l'aimait avec idolâtrie! elle n'a pu survivre à son +départ.</i> Et M<sup>me</sup> Charles, en rapportant ces paroles à Lamartine, +ajoute: «Oh, mon Alphonse! qui vous rendra jamais Elvire? qui fut aimée +comme elle? qui le mérite autant? Cette femme angélique m'inspire jusque +dans son tombeau une terreur religieuse. Je la vois telle que vous +l'avez peinte et je me demande ce que je suis pour prétendre à la place +qu'elle occupait dans votre cœur».</p> + +<p>De ceci on peut déduire que la fin de Graziella, tout au moins, est +exacte; mais M<sup>me</sup> Charles ne s'exagérait-elle pas la passion de +Lamartine pour la jeune fille? Par Graziella, comme par elle plus tard, +comme par toutes les femmes, il se laissa sans doute doucement adorer, +avec quelque cruauté, et quitte à pleurer plus tard ce qu'il avait +perdu.</p> + +<p>Lamartine arriva à Naples le 1<sup>er</sup> décembre 1811; encore tout ébloui +des merveilles de Rome, son intention était de n'y demeurer que peu de +jours. Logé chez un cousin de sa mère, M. Dareste de la Chavanne, +directeur des Tabacs, il pensait s'y ennuyer. Mais, dix jours après son +arrivée, il reconnut que Rome était dépassée. Les notes de +voyage—«l'itinéraire» qu'il s'était imposé—furent abandonnées le 13 +décembre, et ses lettres à Virieu montrent à l'évidence l'intensité +voluptueuse des sensations nouvelles qu'il connut sous le ciel de +Naples. Le 15 décembre, il écrit: «Je suis ici peut-être encore pour un +petit mois, et qui sait? peut-être plus. Je n'ai fait aucune économie +parce que étant tout seul je n'ai pas le courage d'en faire. J'ai tout +jeté par les fenêtres et je suis à sec<a name="FNanchor_215_215" id="FNanchor_215_215"></a><a href="#Footnote_215_215" class="fnanchor">[215]</a>.» Un mois après son arrivée +il était encore soumis au charme, ce qui peut paraître rare chez lui. La +lettre est trop révélatrice de cet état d'âme pour ne pas la citer:</p> + +<p>«Sais-tu que dans ma belle indifférence j'étais tenté de ne pas venir à +Naples? J'aurais perdu le plus beau spectacle du monde entier qui ne +sortira plus de mon imagination, j'aurais manqué ce qu'il y a de plus +intéressant en Italie pour une tête faite comme la nôtre. Les mots me +manquent pour te décrire cette ville enchantée, ce golfe, ces paysages, +ces montagnes uniques sur la terre, cet horizon, ce ciel, ces teintes +merveilleuses. Viens vite, te dis-je, et tu crieras plus haut que moi.</p> + +<p>«Je suis solitaire, je vis seul, partout seul, avec mon domestique et un +guide. Je suis monté seul au Vésuve, j'ai déjeuné seul dans l'intérieur +du cratère, je suis allé seul à Pompéi, à Herculanum, à Pouzzoles, +partout; demain je vais seul à Baïa. Ah! que n'es-tu ici! Pourquoi le +ciel a-t-il refusé à mes prières un compagnon tel que toi? mais je me +soumets et me tais. Respectons les décrets de cette Providence inconnue +que je cherche toujours et que je crois sentir quelquefois, surtout dans +le malheur, Qu'en penses-tu?</p> + +<p>«Je me trouve en ce moment-ci sans le sol et avec des dettes à Naples. +Je ne pourrai pas en partir si je ne trouvais pas une âme <i>charitable</i> +qui eût la complaisance de me prêter quelques ducats. Je ne sais trop si +je les trouverai. Je m'endors là-dessus et fais une dépense de fol en +attendant. Tu ne saurais croire à présent à quel point je porte +l'insouciance et l'imprévoyance partout, c'est l'air du pays: Je deviens +un vrais lazzarone. J'ai gagné enfin le sommet élevé du haut duquel je +vois tout sans que rien m'atteigne. Je dors, j'oublie le beau toscan, le +majestueux romain, je parle napolitain, c'est une autre langue; je ne +fais rien, rien du tout, je lis à peine des bêtises que j'ai lues cent +fois; je ne vais ni dans la société ni même aux théâtres; je ne suis +plus qu'un lourd composé de paresse, de mollesse, de fierté et de +petitesse, ça m'est égal<a name="FNanchor_216_216" id="FNanchor_216_216"></a><a href="#Footnote_216_216" class="fnanchor">[216]</a>.»</p> + +<p>Ainsi Florence et ses monuments, Rome et ses ruines, tout le charme +mélancolique de l'Italie, cédèrent, de son propre aveu, devant le +paysage et le soleil de Naples, <i>ce qu'il y a de plus intéressant en +Italie pour une tête faite comme la nôtre</i>. Ainsi la simple nature +l'emporta cette fois sur le décor, mais toujours avec l'indispensable +élément sans lequel à ses yeux toute jouissance était imparfaite: la +solitude. Ainsi l'indifférence la plus absolue fit vite place à +l'inquiétude de cet insatisfait.</p> + +<p>À Naples, Lamartine connut les seules minutes d'apaisement et +d'équilibre moral de toute sa jeunesse. Il y lut «des bêtises» et en fit +pas mal; il écrivit des vers agréables mais dans le goût du temps, et il +apparaît encore ici pleinement que chez lui, les grandes choses, ne +s'engendreront jamais que dans la tristesse. À ne considérer strictement +que ses résultats, ce voyage d'Italie ne lui fournit que des thèmes +lyriques un peu factices et dépourvus d'originalité; il ne fut jamais +fait pour chanter l'allégresse, mais la douleur.</p> + + +<p class="e">À la fin de janvier 1812 pourtant, il en arriva à être saturé de +plaisirs, «sans émulation et sans curiosité pour rien<a name="FNanchor_217_217" id="FNanchor_217_217"></a><a href="#Footnote_217_217" class="fnanchor">[217]</a>». «Sans +l'espoir de te voir arriver, écrit-il alors à Virieu, il y a longtemps +que j'aurais secoué la poussière de mes pieds. Je suis sans le sol, je +viens de me mettre à jouer, j'ai gagné en deux jours une quarantaine de +piastres. Je vais peut-être les reperdre ce soir en voulant pousser plus +loin. Je maudis tout.» C'était la réaction habituelle; la lassitude +succédant sans transition à l'enthousiasme.</p> + +<p>Sous l'empire d'un tel état d'esprit et dans la situation pécuniaire où +il se trouvait, rien ne le retenait plus à Naples, si ce n'est l'idée de +reprendre sa vie monotone à Milly. Il regagna pourtant la France, mais +sans hâte, s'attardant quelques semaines encore à Florence, puis à Rome. +Après un court arrêt sur les bords du lac Majeur il traversa la Suisse +et arriva à Mâcon au début de mai<a name="FNanchor_218_218" id="FNanchor_218_218"></a><a href="#Footnote_218_218" class="fnanchor">[218]</a>.</p> + +<p>L'accueil qu'on lui fit fut assez froid; on en trouve la preuve tacite +dans la disparition de quelques feuillets du <i>Journal intime</i>, feuillets +qui sont cités à la table du petit cahier avec la mention: <i>retour +d'Alphonse, oisiveté, découragement</i>. Cette mutilation, comme beaucoup +d'autres, est l'œuvre de Lamartine. Lorsqu'il rédigea à la fin de sa vie +<i>le Manuscrit de ma mère</i>, il n'hésita pas, craignant sans doute que la +postérité ne les retournât contre lui, à détruire plusieurs pages où sa +mère avait noté en pleurant toutes les manifestations de son caractère +ombrageux et difficile.</p> + +<p>Car le jeune homme s'accommoda mal de la petite vie régulière et simple +qu'il lui fallut reprendre au retour. Après dix mois d'indépendance, le +contraste fut violent et insupportable, d'autant qu'il avait pris en +Italie le goût de plaisirs insoupçonnés jusqu'alors et l'habitude de +dépenses qu'il ne pouvait guère satisfaire sous l'œil sévère de l'oncle +de Montceau. Après le golfe de Naples et sa lumière, les collines de +Milly lui parurent grises, sans horizon. Il devint sombre, incapable +d'un effort pour se reprendre, s'enferma dans sa chambre à pleurer<a name="FNanchor_219_219" id="FNanchor_219_219"></a><a href="#Footnote_219_219" class="fnanchor">[219]</a>.</p> + +<p>À traîner ainsi son désœuvrement et sa mélancolie, il finit par +inquiéter même son père qui, pour l'occuper un peu et l'attacher +davantage à ce pays qu'il avait pris en horreur, le fit nommer maire du +village<a name="FNanchor_220_220" id="FNanchor_220_220"></a><a href="#Footnote_220_220" class="fnanchor">[220]</a>. À la fin de mai, n'y tenant plus, il se sauva à Montculot, +sa retraite habituelle lorsqu'il voulait vivre avec ses souvenirs, car +le brave abbé n'était pas gênant et le laissait libre<a name="FNanchor_221_221" id="FNanchor_221_221"></a><a href="#Footnote_221_221" class="fnanchor">[221]</a>. Là, il lui +emprunta quelques louis et hanté par Paris où il pensait retrouver un +peu des plaisirs de Naples, il partit s'y installer les trois premières +semaines d'août. En cette saison, la ville était vide et il s'y ennuya +mortellement<a name="FNanchor_222_222" id="FNanchor_222_222"></a><a href="#Footnote_222_222" class="fnanchor">[222]</a>. Le 20, on le retrouve à Milly, insupportable à tous, +même à sa mère qui le trouve «nerveux et un peu dur»; on devine ce que +«un peu dur» signifie sous cette plume.</p> + +<p>Comme toujours dans ces crises, fréquentes on l'a vu, depuis trois ans, +il se réfugia dans la solitude, écœuré de cette vie «trop longue»<a name="FNanchor_223_223" id="FNanchor_223_223"></a><a href="#Footnote_223_223" class="fnanchor">[223]</a>. +Puis l'imagination se mit à vagabonder et lui rendit quelque force: il +rêva d'un ermitage à la Rousseau où Virieu et Guichard seraient ses +compagnons<a name="FNanchor_224_224" id="FNanchor_224_224"></a><a href="#Footnote_224_224" class="fnanchor">[224]</a> et, pour se distraire, il rima en quinze jours le +premier acte d'un <i>Saül</i>, fuyant le monde non plus cette fois par +timidité, mais par dégoût et mépris; le mariage de sa sœur le +«dérangeait» et le «cher beau-frère» l'ennuyait<a name="FNanchor_225_225" id="FNanchor_225_225"></a><a href="#Footnote_225_225" class="fnanchor">[225]</a>. Petite vanité +d'adolescent qui vient de découvrir le monde et médit de sa mesquine +province. Il ne faut pas s'exagérer la portée de ce nouvel état +d'esprit, mais on doit constater seulement qu'au retour d'Italie, +Lamartine souffrit d'une rechute aiguë de sa neurasthénie.</p> + + + +<hr /> +<h2><a name="CONCLUSION" id="CONCLUSION"></a>CONCLUSION</h2> + +<p class="c">LAMARTINE À VINGT ET UN ANS</p> + + +<p>Les enfants qui naquirent du début de la Révolution à la fin de l'Empire +connurent tous une jeunesse à peu près identique; elle influera +profondément sur leurs destinées futures et déterminera jusqu'en 1830 le +malaise général appelé romantisme et qu'il ne faut pas limiter à la +seule littérature.</p> + +<p>Cette jeune génération a été jugée de trois manières différentes, mais +qui toutes se justifient aisément pour peu que nous nous replacions dans +les conditions où ces opinions contradictoires ont été formulées.</p> + +<p>Aux yeux de leurs parents, gens du <span class="smcap">xviii</span><sup>e</sup> siècle et endurcis par les +rudes épreuves de la Révolution, ces adolescents apparaîtront le plus +souvent comme des incapables et des inutiles, désarmés devant +l'existence, amollis par leur éducation toute féminine et qui rompent +avec les saines traditions de la famille. Les mères les ont élevés +jalousement, avec la crainte éternelle de les voir parcourir l'Europe à +la suite du conquérant: ainsi tenus à l'écart de la seule activité que +connurent les hommes d'alors, puisque la politique était muselée, ils se +réfugièrent entièrement dans le monde de la pensée; l'énergie virile +finit par s'user chez cette jeunesse contemplative et câlinée et leur +âme n'exista bientôt plus comme volonté, mais comme sensibilité.</p> + +<p>À leurs propres yeux, ce qu'ils parviendront à voir de plus clair en +eux-mêmes sera l'indécision de leur nature, incapable de rien fixer, +déroutée qu'elle est par le contraste absolu du milieu et de leur +personnalité. Les principes du passé dans lesquels ils ont été élevés +leur pèsent durement, car ils ne cadrent plus avec les conditions de la +vie nouvelle et surtout avec l'âme que les événements leur ont faite. Il +en résultera un conflit perpétuel de sentiments intérieurs, une +incertitude du but à atteindre, en un mot un véritable déséquilibre +moral où le découragement et la lassitude finiront par dominer. À force +de ne voir personne autour d'eux répondre aux passions, d'ailleurs +indécises, qui les tourmentent, ils en arriveront vite à se croire +différents du reste du monde, les uns avec orgueil, les autres avec +tristesse; de bonne heure tout effort leur paraîtra vain, et ils vivront +dès lors entièrement en eux-mêmes, dans une solitude mélancolique qui +achèvera d'exaspérer leur sensibilité et de ruiner leur énergie morale.</p> + +<p>Aux yeux de la postérité enfin, ils seront des individus encore +hésitants et isolés, doutant de leur destinée jusqu'au jour où le +groupement en commun les révélera à eux-mêmes en apportant à chacun la +preuve que les sentiments confus et contradictoires qui l'agitent ne lui +sont pas particuliers.</p> + +<p>Lamartine à vingt et un ans résume en lui tous les caractères de ces +jeunes âmes inquiètes où le passé et le présent se livrent une lutte de +tous les instants. À considérer le romantisme comme une expansion +débordante de l'individu, il est en date et en fait le premier des +romantiques; il devient au contraire le dernier des classiques si l'on +étudie le mouvement littéraire de son époque en tant qu'affranchissement +des vieilles formules. C'est qu'en réalité son œuvre reflète sa vie +même, classique de forme, romantique de pensée, comme toute son +adolescence où l'on assiste au conflit quotidien de ses aspirations très +romantiques et de son éducation très classique.</p> + + +<p class="e">Dans toute destinée, il est une part dont l'homme n'est pas responsable, +faite de trois éléments infiniment délicats et qu'il est difficile +d'apprécier à leur valeur. L'un comporte ce que les ancêtres lui ont +transmis d'instincts ataviques, peu à peu anéantis, modifiés ou +développés selon les circonstances ou les conditions nouvelles de la +vie; l'autre est l'œuvre de ceux dont il dépend pendant son enfance et +qui assument la tâche de façonner son âme au moment où elle est encore +molle; le dernier, enfin, comprend la manière dont la société +l'accueille le jour où il est forcé d'avoir recours à elle, avec +sympathie, pitié, mépris ou indifférence. C'est leur étude que nous +avons tentée pour Lamartine dans les pages qui précèdent et il nous +semble que si on voulait maintenant les résumer brièvement il serait +possible de le faire ainsi:</p> + +<p>Une hérédité saine et attachée au sol natal, foncièrement religieuse et +point corrompue par les théories matérialistes du <span class="smcap">xviii</span><sup>e</sup> siècle; un +milieu intransigeant et formaliste qui s'efforce de perpétuer +tardivement les traditions du passé, et redoute d'autant plus les idées +du temps qu'il les croit issues d'une époque dont il a souffert et d'un +régime qu'il abhorre; une mère profondément pieuse, aimante et tendre, +mais sentimentale à l'excès, inquiète et doutant d'elle-même; un père +excellent, quoique indifférent aux nuances de l'âme; un décor +naturellement mélancolique, mais qui le deviendra davantage encore aux +yeux d'un adolescent avide de sensations nouvelles, de plaisirs et de +liberté.</p> + +<p>Puis un enfant dont les premières années ont été assombries et +silencieuses, d'une nature tendre, comme celle de sa mère, décidée et +volontaire, comme celle des Lamartine; une première éducation toute +paysanne et maternelle, remplacée sans transition par l'internat loin du +foyer et dont la contrainte l'affecte profondément; plus tard, des +études peu solides et exclusivement religieuses chez les Jésuites de +Belley où s'exalte encore sa précoce sensibilité.</p> + +<p>Enfin, à dix-huit ans, le retour dans la famille, début d'une période de +long désœuvrement. Dès cette époque, sinon une vocation littéraire très +nette, du moins une extrême facilité pour la poésie; mais aucune +direction dans ses goûts qu'il lui faut cacher, aucun plan d'études +sérieusement organisé, en un mot une dépense inutile d'énergie accrue +encore par une imagination impossible à maîtriser et des lectures +d'autant plus impressionnantes qu'elles sont faites en secret; une âme +mobile et pleine de contrastes, à la merci de toutes les chimères, +prompte à s'enthousiasmer mais qu'un rien rebute, et faite de +revirements brusques comme si elle était perpétuellement à la recherche +de l'équilibre qui lui manque; des froissements avec le chef de famille, +dont il sort aigri et découragé; des amis qu'il voit de loin en loin et +dont le meilleur des confidences s'échange par lettres toujours plus +exagérées et moins soulageantes que les paroles; quelques amourettes +plus cérébrales que physiques, des ébauches poétiques qui l'enflamment +encore: en tout, enfin, une conception uniquement littéraire et +romanesque de l'existence.</p> + +<p>La famille s'inquiète de ces tendances et commence alors à les combattre +par tous les moyens dont elle dispose; elle décide enfin de l'éloigner, +et c'est le voyage d'Italie pour changer d'air ce grand garçon dont +l'oisiveté irrite sourdement les siens. Mais les conséquences n'en +furent pas celles qu'ils avaient prévues, puisqu'au retour de Naples le +fossé va s'approfondir encore entre le jeune homme et son milieu.</p> + +<p>Ici se termine la jeunesse de Lamartine; dans une seconde partie, qui +comprendra les années 1812-1820, nous étudierons prochainement les deux +grandes crises morales qui le mûriront en modifiant complètement sa +nature et d'où naîtront les <i>Méditations</i>.</p> + +<p><span style="margin-left: 2em;">Mâcon-Paris, 1908-1910.</span></p> + + + +<hr /> +<h2><a name="APPENDICE" id="APPENDICE"></a>APPENDICE</h2> + + +<h3>GÉNÉALOGIE ET BIBLIOGRAPHIE DE LA FAMILLE DES ROYS</h3> +<table summary="rameau_1" cellpadding="0" cellspacing="0" style="font-size: 75%;text-align:center;"> + +<tr valign="top"> +<td colspan="4">Descendance d'<b>Antoine Grimod</b> et de <b>Marguerite le Juge</b>.<br /> +(Sept enfants.)</td></tr> + +<tr valign="top"> +<td colspan="4">I<sup>er</sup> Rameau: <b>de la Reynière</b>, fondu dans les familles <span class="smcap">de Mac-Mahon</span>, +<span class="smcap">de Rosanbo</span>, <span class="smcap">de la Tour du Pin-Verclause</span> et <span class="smcap">de Tocqueville</span>.</td></tr> + +<tr valign="top"> +<td colspan="4"> </td></tr> + +<tr valign="top"> +<td colspan="4">Gaspard Grimod (1687-?), ép.: 1° Jeanne Labbé (?); 2° Marie Mazade +(1719) (remariée à Honoré de la Ferrière).</td></tr> + +<tr valign="top"> +<td colspan="4" class="bb g">|</td></tr> + +<tr valign="top"> +<td class="g">|</td> +<td class="g">|</td> +<td class="g">|</td> +<td class="g">|</td></tr> + +<tr valign="top"> +<td><i>1<sup>er</sup> lit.</i><br /> +Jean-Gaspard +G. de la Reynière +(1723-1797), ép. +Françoise de +Jarente (1753).</td> +<td><i>1<sup>er</sup> lit.</i><br /> +Marie-Françoise +G. de la Reynière, +ép. Jean-Louis +Moreau de Beaumont +(1743). S. P.</td> +<td><i>2<sup>e</sup> lit.</i><br /> +Françoise-thérèse +G. de la Reynière, +ép. Chrétien +Guillaume de +Lamoignon de Malesherbes.</td> +<td><i>2<sup>e</sup> lit.</i><br /> +Marie-Madeleine G. +de la Reynière, ép. +Marc-Antoine de +Lévis-Lugny.</td></tr> + +<tr valign="top"> +<td class="g">|</td> +<td> </td> +<td class="g">|</td> +<td> </td></tr> + +<tr valign="top"> +<td>Alexis-Baltazar +Laurent G. de la +Reynière +(1785-1837) ép. +Adèle Thérèse +Feuchère. S. P.</td> +<td> </td> +<td>Marguerite-Thérèse +de Lamoignon +ép. Louis le +Peletier de Rosanbo.</td> +<td> </td></tr> + +<tr valign="top"> +<td> </td> +<td class="bb"> </td> +<td class="bb g">|</td> +<td class="bb"> </td></tr> + +<tr valign="top"> +<td> </td> +<td class="g">|</td> +<td class="g">|</td> +<td class="g">|</td></tr> + +<tr valign="top"> +<td> </td> +<td> +Jean-Marie-Louis +de Rosanbo +(1777-1856), ép. +Henriette-Geneviève +d'Andlau (1798).</td> +<td> +Thérèse de Rosanbo +(1771-1794), +ép. J.-B.-Auguste +de Chateaubriand +(1786).</td> +<td> +Louise-Madeleine +de Rosanbo +(1771-1856), ép. +J. Bonaventure de +Tocqueville (1796).</td></tr> + +<tr valign="top"> +<td class="bb"> </td> +<td class="bb g">|</td> +<td class="g">|</td> +<td class="g">|</td></tr> + +<tr valign="top"> +<td class="g">|</td> +<td class="g">|</td> +<td class="g">|</td> +<td class="g">|</td></tr> + +<tr valign="top"> +<td>Henriette-Madeleine +de Rosanbo, ép. +Charles, marquis +de Mac-Mahon.</td> +<td>Ludovic de Rosanbo +(1805-1862), +ép. Elisabeth-Aglaé +de Ménard.</td> +<td>Louis-Geoffroy de +Chateaubriand +(1790-1878), ép. +Henriette-Zélie +d'Orglandes.</td> +<td>Alexis-Charles-Henry +de Tocqueville +(1805-1859).</td></tr> +</table> + +<hr class="full" /> + +<table summary="rameau_2" cellpadding="0" cellspacing="0" style="font-size: 75%;text-align:center;"> + +<tr valign="top"> +<td colspan="7">II<sup>e</sup> Rameau: fondu dans les familles <span class="smcap">Dareste</span>, <span class="smcap">d'Hauteroche</span>, <span class="smcap">Carra De +Vaux</span>, et par les <span class="smcap">Lamartine</span> dans les familles <span class="smcap">de Cessiat</span>, <span class="smcap">de Coppens</span>, <span class="smcap">de +Ligonnès</span>, <span class="smcap">de Montherot</span> et leur postérité.</td></tr> + +<tr valign="top"> +<td colspan="7"> </td></tr> + +<tr valign="top"> +<td> </td> +<td> </td> +<td> </td> +<td>Marguerite Grimod,<br /> +ép. 1° François Mauverney;<br /> +2° Charles Gavault.</td> +<td> </td> +<td> </td> +<td> </td></tr> + +<tr valign="top"> +<td> </td> +<td> </td> +<td> </td> +<td class="g">|</td> +<td> </td> +<td> </td> +<td> </td></tr> + +<tr valign="top"> +<td> </td> +<td> </td> +<td> </td> +<td>Françoise Mauverney, +ép. Charles Gavault +(fils d'un premier lit +du précédent),</td> +<td> </td> +<td> </td> +<td> </td></tr> + +<tr valign="top"> +<td> </td> +<td class="bb"> </td> +<td class="bb"> </td> +<td class="bb g">|</td> +<td> </td> +<td> </td> +<td> </td></tr> + +<tr valign="top"> +<td> </td> +<td class="g">|</td> +<td> </td> +<td class="g">|</td> +<td> </td> +<td> </td> +<td> </td></tr> + +<tr valign="top"> +<td> </td> +<td>Françoise Gavault, +ép. Jacques Dareste de la Plagne +(1743).</td> +<td> </td> +<td>Marie-Marguerite +Gavault, +ép. Jean-Louis +Des Roys (1757).</td> +<td> </td> +<td> </td> +<td> </td></tr> + +<tr valign="top"> +<td class="bb"> </td> +<td class="bb g">|</td> +<td class="bb"> </td> +<td class="bb g">|</td> +<td class="bb"> </td> +<td class="bb"> </td> +<td class="bb"> </td></tr> + +<tr valign="top"> +<td class="g">|</td> +<td class="g">|</td> +<td class="g">|</td> +<td class="g">|</td> +<td class="g">|</td> +<td class="g">|</td> +<td class="g">|</td></tr> + +<tr valign="top"> +<td>Antoine Dareste +de la Chavanne, +ép. 1° Jeanne +Palais (1784); +2° Charlotte +Charvait (1799).</td> + +<td>Marie-Antoinette +Dareste +de la Chavanne, ép. +François-Pierre +Boussard +d'Hauteroche (1774)</td> + +<td>Claudine +Dareste de la +Chavanne, ép. +Auguste Vasse +de Roquemont +(1782)</td> + +<td>Césarine<br />Des Roys,ép.<br />Pierre-Benoît<br /> +Carra de Vaux<br /> +(1788).</td> +<td>Catherine<br />Françoise<br /> +Des Roys. ép.<br /> +Charles Henrion de<br /> +Saint-Amand (1778).</td> +<td>Émilie<br />Des Roys, +ép. X. Papon<br /> +de Rochemont<br /> +(1783).</td> +<td>Alix Des Roys<br /> +ép. Pierre<br /> +de Lamartine<br /> +(1790).</td></tr> + +<tr valign="top"> +<td class="g">|</td> +<td> </td> +<td> </td> +<td class="g">|</td> +<td class="g">|</td> +<td class="g">|</td> +<td class="g">|</td></tr> + +<tr valign="top"> +<td>J.-B. Dareste +de la Chavanne +(1789-1879), +ép. Claire-Marie +Dareste, sa cousine +(1820). +</td> +<td> </td> +<td> </td> +<td>Alexandre +Carra de Vaux, +ép. Nathalie +Marchand (1832).</td> +<td>Angélique Henrion +de Saint-Amand +(1781-1810),<br /> +ép. 1° Claude +Amable, marquis de +Prez;<br /> +2° Joseph-Marie, +vicomte Pernetty.<br />S. P.</td> +<td>Françoise Papon +de Rochemont, +religieuse.</td> +<td>Alphonse +de Lamartine +(1790-1869).<br />S. P.</td></tr> +</table> + +<hr class="full" /> + +<table summary="rameau_3" cellpadding="0" cellspacing="0" style="font-size: 75%;text-align:center;"> + +<tr valign="top"> +<td colspan="4">III<sup>e</sup> Rameau: <b>de Dufort d'Orsay</b>, fondu dans la famille ducale <span class="smcap">de +Gramont</span>.</td></tr> + +<tr valign="top"> +<td colspan="4"> </td></tr> + +<tr valign="top"> +<td> </td> +<td colspan="2">Pierre Grimod de Dufort d'Orsay<br /> +(1692-1748),<br /> +ép. 1° Florimonde Savalette (1736);<br /> +2° Elisabeth de Gourtin (1745);<br /> +3° M. A. Félicité de Caulaincourt (1748).</td> +<td> </td></tr> + +<tr valign="top"> +<td> </td> +<td colspan="2" class="g">|</td> +<td> </td></tr> + +<tr valign="top"> +<td> </td> +<td colspan="2"><i>3<sup>e</sup> lit.</i><br /> +Albert Gaspard Marie, comte d'Orsay (1748-?),<br /> +ép. 1° Amélie, princesse de Croÿ;<br /> +2° Josèphe de Hoenloe Bartenstein (1784).</td> +<td> </td></tr> + +<tr valign="top"> +<td> </td> +<td colspan="2" class="g">|</td> +<td> </td></tr> + +<tr valign="top"> +<td> </td> +<td colspan="2">Marie-Albert Gaspard,<br /> +comte d'Orsay (1772-1843),<br /> +ép. Éléonore de Franquemont (1792).</td> +<td> </td></tr> + +<tr valign="top"> +<td> </td> +<td colspan="2" class="bb g">|</td> +<td> </td></tr> + +<tr valign="top"> +<td> </td> +<td class="g">|</td> +<td class="g">|</td> +<td> </td></tr> + +<tr valign="top"> +<td> </td> +<td>Gillion Gaspard Alfred,<br /> +comte d'Orsay (1801-1852),<br /> +ép. Anne-Françoise<br /> +Gardiner (1827).<br /> +S. P.</td> +<td>Anna-Ida d'Orsay<br /> +(1802-1882),<br /> +ép. Héraclius,<br /> +duc de Gramont<br /> +(1818).</td> +<td> </td></tr> + +<tr valign="top"> +<td class="bb"> </td> +<td class="bb"> </td> +<td class="bb g">|</td> +<td class="bb"> </td></tr> + +<tr valign="top"> +<td>Antoine-Alfred<br /> +Agénor de Gramont<br /> +(1819-1880),<br /> +ép. Marie<br /> +Mac Kinnon (1848).</td> +<td>Antoine-Auguste<br /> +de Gramont,<br /> +duc de Lesparre<br /> +ép. Marie-Sophie<br /> +de Ségur (1844),<br /> +branche éteinte<br /> +dans les mâles</td> +<td>Alfred-Théophile<br /> +de Gramont<br /> +(1823-1881), ép.<br /> +Charlotte-Cécile<br /> +de Choiseul-Praslin<br /> +(1848).</td> +<td>Aglaé-Ida de Gramont<br /> +(1836-1875),<br /> +ép. Théodore,<br /> +marquis du Praz<br /> +(1850).</td> +</tr> +</table> + +<hr class="full" /> + +<table summary="rameau_4" cellpadding="0" cellspacing="0" style="font-size: 75%;text-align:center;"> + +<tr valign="top"> +<td colspan="4">IV<sup>e</sup> Rameau: <b>de Verneuil</b>, fondu dans la descendance de <span class="smcap">Lucien +Bonaparte</span>, prince de <span class="smcap">Canino</span>.</td></tr> + +<tr valign="top"> +<td colspan="4"> </td></tr> + +<tr valign="top"> +<td> </td> +<td colspan="2">Antoine-François Grimod de Verneuil<br /> +(1696-1765),<br /> +ép. Henriette-Adélaïde de Tilly (1736).</td> +<td> </td></tr> + +<tr valign="top"> +<td> </td> +<td colspan="2" class="g">|</td> +<td> </td></tr> + +<tr valign="top"> +<td> </td> +<td colspan="2">Marie-Gasparde Grimod de Verneuil<br /> +(1738-1804),<br /> +ép. Jean-Charles Bouvet (1759).</td> +<td> </td></tr> + +<tr valign="top"> +<td> </td> +<td colspan="2" class="g">|</td> +<td> </td></tr> + +<tr valign="top"> +<td> </td> +<td colspan="2">Jeanne-Louise-Bouvet<br /> +(1759-1817),<br /> +ép. Charles-Jacob de Bleschamp (1777).</td> +<td> </td></tr> + +<tr valign="top"> +<td> </td> +<td colspan="2" class="g">|</td> +<td> </td></tr> + +<tr valign="top"> +<td> </td> +<td colspan="2">Alexandrine de Bleschamp<br /> +(1778-1855),<br /> +ep. 1° Henry Jouberthon (1797);<br /> +2° Lucien-Bonaparte (1802).</td></tr> + +<tr valign="top"> +<td class="bb"> </td> +<td class="bb g" colspan="2">|</td> +<td class="bb"> </td></tr> + +<tr valign="top"> +<td>Charles-Lucien-Jules<br /> +Bonaparte (1802-1857),<br />ép. +Charlotte Bonaparte<br /> +(1822).</td> +<td>Lætitia Bonaparte<br /> +(1804-1862),<br />ép. +Thomas Wyse<br /> +(1834).</td> +<td>Louis-Lucien Bonaparte<br /> +(1813-95),<br /> +ép. Marianne Cecchi<br /> +(1832). S. P.</td> +<td>Pierre Napoléon Bonaparte +<br />(1815-81), ép.<br /> +Justine-Éléonore Ruflin.</td></tr> + +<tr valign="top"> +<td colspan="3"> </td> +<td class="g">|</td></tr> + +<tr valign="top"> +<td colspan="3"> </td> +<td>Roland Bonaparte,<br /> +ép. Marie Blanc<br /> +(1880).</td></tr> + +<tr valign="top"> +<td colspan="3"> </td> +<td class="g">|</td></tr> + +<tr valign="top"> +<td colspan="3"> </td> +<td>Marie Bonaparte,<br /> +ép. prince George +de Grèce.</td></tr> +</table> + +<hr class="full" /> + +<table summary="desroys" cellpadding="0" cellspacing="0" style="font-size: 75%;text-align:center;"> + +<tr valign="top"> +<td colspan="8">Tableau généalogique de la famille <b>Des Roys</b> (1500-1790).</td></tr> + +<tr valign="top"> +<td colspan="8"> </td></tr> + +<tr valign="top"> +<td colspan="2"> </td> +<td> +Mathurin<br /> +Des Roys, +religieux.</td> +<td>Louis<br /> +Des Roy, +religieux</td> +<td>Denis Des Roys +ép.<br /> +1° Claude de Lagrevol; +2°Isabelle Vacherelle.</td> +<td>Catherine<br /> +Des Roys,<br />ép. +Pierre Aurelle.</td> +<td colspan="2"> </td></tr> + +<tr valign="top"> +<td colspan="4" class="bb"> </td> +<td class="bb g">|</td> +<td colspan="3" class="bb"> </td></tr> + +<tr valign="top"> +<td class="g">|</td> +<td> </td> +<td class="g">|</td> +<td> </td> +<td class="g">|</td> +<td class="g">|</td> +<td class="g">|</td></tr> + +<tr valign="top"> +<td> +Antoine Des Roys, ép. +Marguerite de Jussac de Baulmes (1533).</td> +<td> </td> +<td>Pierre Des Roys, + ép.?</td> +<td> </td> +<td> +Antoine Des Roys +(le jeune),<br /> +religieux.</td> +<td> +Aymard Des Roys,<br /> +religieux.</td> +<td> +Marthe Des Roys, +ép. Antoine de Romezin d'où postérité, éteinte +au cours du <span style="font-size: 80%;">XVIII</span><sup>e</sup> siècle.</td></tr> + +<tr valign="top"> +<td> </td> +<td class="bb"> </td> +<td class="bb g">|</td> +<td class="bb"> </td> +<td colspan="4"> </td></tr> + +<tr valign="top"> +<td> </td> +<td> </td> +<td class="g">|</td> +<td class="g">|</td> +<td colspan="4"> </td></tr> + +<tr valign="top"> +<td> </td> +<td> </td> +<td> +Sébastien Des Roys, +ép. Claude de Guilhon +(1588).</td> +<td> +Claude Des Roys, +mort sans alliance.</td> +<td colspan="4"> </td></tr> + +<tr valign="top"> +<td> </td> +<td class="bb"> </td> +<td class="bb g">|</td> +<td colspan="2" class="bb"> </td> +<td colspan="2"> </td></tr> + +<tr valign="top"> +<td> </td> +<td class="g">|</td> +<td class="g">|</td> +<td class="g">|</td> +<td class="g">|</td> +<td colspan="2"> </td></tr> + +<tr valign="top"> +<td> </td> +<td> +Gaspard Des Roys, +ép. Jeanne +de Cohacy (1588) +(sans postérité).</td> +<td> +Melchior Des Roys, +ép. Françoise +Faure de Marnans +(1619).</td> +<td> +Marie +Des Roys, +ép. Jean Pollenon +d'où postérité.</td> +<td> +Pierre Des Roys, +ép. Catherine +Des Olmes<br /> +(1618).</td> +<td> </td></tr> + +<tr valign="top"> +<td class="bb"> </td> +<td class="bb"> </td> +<td class="bb g">|</td> +<td class="bb"> </td> +<td class="bb"> </td> +<td class="bb"> </td> +<td class="bb"> </td> +<td class="bb"> </td></tr> + +<tr valign="top"> +<td class="g">|</td> +<td class="g">|</td> +<td class="g">|</td> +<td class="g">|</td> +<td class="g">|</td> +<td class="g">|</td> +<td class="g">|</td> +<td class="g">|</td></tr> + +<tr valign="top"> +<td> +Baltazar Des Roys, +ép. +Claude des Olmes<br /> +(1650).</td> +<td> +Marie Des Roys, +ép. +Pierre Roche +(sans postérité).</td> +<td> +Marie Magdeleine +Des Roys,<br /> +religieuse.</td> +<td> +Marie Amable +Des Roys +religieuse.</td> +<td>Marie Des Roys, +ép. +Jacques Rochet +d'où postérité.</td> +<td> +Philiberte<br /> +Des Roys, ép.<br /> +Louis de Romezin<br /> +du Sarzier.</td> +<td> +Claude Des Roys, +mort +sans alliance.</td> +<td>Jeanne Des Roys, ep. +Antoine Varillon d'où postérité.</td></tr> + +<tr valign="top"> +<td class="bb g">|</td> +<td class="bb"> </td> +<td colspan="3"> </td> +<td class="g">|</td> +<td colspan="2"> </td></tr> + +<tr valign="top"> +<td class="g">|</td> +<td class="g">|</td> +<td colspan="3"> </td> +<td>Marie de Rornezin, ép. 1° Claude Ferrapie (1685); +2° Cristofle +Des Roys, son cousin.</td> +<td colspan="2"> </td></tr> + +<tr valign="top"> +<td>Pons Gaspard<br /> +Des Roys,<br /> +ép. Louise Demeure<br /> +(1679).</td> +<td>Cristofle +Des Roys, ép. +Marie de Romezin, +veuve de Claude +Ferrapie (1701).</td> +<td colspan="6"> </td></tr> + +<tr valign="top"> +<td class="g">|</td> +<td colspan="7"> </td></tr> + +<tr valign="top"> +<td>Claude Des Roys, +ép. Françoise +Pagey (1717).</td> +<td colspan="7"> </td></tr> + +<tr valign="top"> +<td class="g">|</td> +<td colspan="7"> </td></tr> + +<tr valign="top"> +<td>Jean-Louis +Des Roys, ép. +Marguerite Gavault +(1757)</td> +<td colspan="7"> </td></tr> + +<tr valign="top"> +<td class="bb g">|</td> +<td class="bb"> </td> +<td colspan="6"> </td></tr> + +<tr valign="top"> +<td class="g">|</td> +<td class="g">|</td> +<td colspan="6"> </td></tr> + +<tr valign="top"> +<td> +Césarine Des Roys, +ép. Pierre Carra +De Vaux (1788).</td> +<td>Alix Des Roys, ép. +Pierre de Lamartine +(1790).</td> +<td colspan="6"> </td></tr> + +<tr valign="top"> +<td class="g">|</td> +<td class="g">|</td> +<td colspan="6"> </td></tr> + +<tr valign="top"> +<td> +Alexandre Carra +de Vaux.</td> +<td>Alphonse +de Lamartine.</td> +<td colspan="6"> </td></tr> +</table> + +<hr class="full" /> + +<h3><a name="bib" id="bib"></a>Bibliographie des œuvres de Lyon Des Roys.</h3> + +<p>L'ILLUSION, vers couronnés, in-8 de 6 p. (s. l. s. d.).</p> + +<p>L'ANESSE, moralité, in-8 de 3 p. (s. 1. s. d.).</p> + +<p>LE TABAC, poème, au C<sup>n</sup> D*** fabricant de tabac, in-8 de 5 p. (s. 1. +s. d.).</p> + +<p>LA GÉOMÉTRIE en vers techniques-; <i>il existe deux éditions de cet +opuscule.</i> 1º: par D. R. ancien doyen de Mortain (?), maître de +mathématiques. À Paris, chez les libraires du Palais. -; Egalité an +IX-1801 (in-8 de 18 p.); 2º: par Desrois ancien doyen de Mortain. À +Paris, chez l'auteur rue de la loi maison du C<sup>n</sup> Dareste nº 74, près +la rue Feydau, an IX-1801 (in-8 de 20 p.).</p> + +<p>EPITRE AUX COMÉDIENS, par Desroys [<i>avec cette épigraphe</i>:] facit +indignatio versum. -; Se vend au Palais du Tribunal, galerie de la Foi, +nº 50, où l'on trouve la tragédie du Dernier des Romains, la Géométrie +envers, l'Illusion. An X (in-8 de 6 p.).</p> + +<p>EPITRES à Dazincour, à Madame D. L. V. jouant de la harpe, etc., par +Desroys auteur de l'épitre aux comédiens -; prix; 50 centimes. À Paris +chez Desenne, libraire du Tribunal, nº 2, et chez les marchands de +nouveauté. An X-1802 (in-8 de 8 p.).</p> + +<p>LE DERNIER DES ROMAINS, tragédie en cinq actes par D. R. [<i>avec cette +épigraphe</i>:] Quam dulcis sit libertas... ostendam. Prix. 1 fr. 65. À +Paris chez Barba et Desenne au septième (in-8 de 74 p.).</p> + +<p>ŒUVRES DRAMATIQUES de ***. Le dernier des Romains, tragédie en cinq +actes. L'anti-philosophe, comédie en cinq actes et en vers. À Paris an +VIII (1800) (in-8 de 162 p.).</p> + + + +<p class="c">1811-10, -; Coulommiers. Imp. PAUL BRODARD.—3-11.</p> + + +<div class="footnotes"><h3>NOTES:</h3> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_1_1" id="Footnote_1_1"></a><a href="#FNanchor_1_1"><span class="label">[1]</span></a> Sainte-Beuve, <i>Portraits contemporains</i>, t. I (Lamartine).</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_2_2" id="Footnote_2_2"></a><a href="#FNanchor_2_2"><span class="label">[2]</span></a> <i>Le Manuscrit de ma mère</i>, prologue et épilogue par A. de +Lamartine (Paris, 1871, in-8).</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_3_3" id="Footnote_3_3"></a><a href="#FNanchor_3_3"><span class="label">[3]</span></a> Voici la description des 12 petits cahiers—et non pas 22, +comme l'a écrit Lamartine dans la préface des <i>Confidences</i>—du <i>Journal +intime</i> qui s'étend de 1800 à 1829: +</p> +<table summary="foot3" cellspacing="0" cellpadding="4"> +<tr><td>Tome</td><td align="right">I</td><td>:</td><td>13 déc. 1800-24 août 1801. 81 p., in-16.</td></tr> +<tr><td> </td><td align="right">II</td><td>:</td><td>20 août 1801-8 avril 1802. 140 p., in-16.</td></tr> +<tr><td> </td><td align="right">III</td><td>:</td><td>16 avril 1802-21 juin 1803. 153 p. plus 8 p. de comptes, in-6.</td></tr> +<tr><td> </td><td align="right">IV</td><td>:</td><td>23 juin 1803-22 octobre 1804. 118 p., plus 4 p. de table, in-16.</td></tr> +<tr><td> </td><td align="right"> V</td><td>:</td><td>1<sup>er</sup> nov. 1804-3 juillet 1806. 99 p., in-8.</td></tr> +<tr><td> </td><td align="right">VI</td><td>:</td><td>12 juillet 1800-19 déc. 1808. 139 p., plus 2 p. de table, in-8.</td></tr> +<tr><td> </td><td align="right">VII</td><td>:</td><td>27 janvier 1809-7 mars 1811. 99 p., plus 4 p. de table, in-8.</td></tr> +<tr><td> </td><td align="right">VIII</td><td>:</td><td>10 mars 1812-28 février 1813. 193 p., in-4º.</td></tr> +<tr><td> </td><td align="right">IX</td><td>:</td><td>7 mars 1815-3 mai 1821. 198 p. plus 2 feuillets volants intercalés dans le texte, in-4º.</td></tr> +<tr><td> </td><td align="right"> X</td><td>:</td><td>14 juin 1821-13 oct. 1822. 87 p., in-4º.</td></tr> +<tr><td> </td><td align="right">XI</td><td>:</td><td>11 nov. 1822-21 juin 1824. 88 p., in-4º.</td></tr> +<tr><td> </td><td align="right">XII</td><td>:</td><td>19 juin 1824-22 oct. 1829. 80 p., plus 30 feuillets demeurés blancs, in-4º.</td></tr> +</table> +</div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_4_4" id="Footnote_4_4"></a><a href="#FNanchor_4_4"><span class="label">[4]</span></a> Sources et bibliographie: <i>Archives municipales de Mâcon</i>: +Registres des baptêmes, mariages et décès de la paroisse +Saint-Pierre.—<i>Archives départementales de Saône-et-Loire</i> (Série B, +1324-1371): Registres du bailliage de Mâcon où sont conservés de +nombreux contrats, testaments et donations.—<i>Archives municipales de +Cluny</i>: Registres des baptêmes, mariages et décès de la paroisse +Saint-Marcel.—<i>Archives de la Guerre</i> (section administrative): États +de services des membres de la famille qui furent +officiers.—<i>Bibliothèque Nationale</i> (manuscrits): Armorial général, +généralité de Bourgogne. D'Hozier, pièces originales, vol. 504 et 1873, +dossiers bleus, vol. 7.—<i>Bibliothèque de Mâcon</i>: Claude Bernard, +généalogie des familles de Mâcon (mss). +</p><p> +Tessereau, <i>Histoire chronologique de la grande chancellerie de France</i> +(Paris, 1710).—Arcelin, <i>Indicateur héraldique du Mâconnais</i> (Mâcon, +1865).—Révérend Du Mesnil, <i>Lamartine et sa famille</i> (Lyon, +1869).—Lex, <i>Lamartine, souvenirs et documents</i> (Mâcon, 1890).—Lex, +<i>les Fiefs du Mâconnais</i> (Mâcon, 1897).</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_5_5" id="Footnote_5_5"></a><a href="#FNanchor_5_5"><span class="label">[5]</span></a> Dans l'Armorial général de d'Hozier, établi en 1696, on +voit que les Lamartine portaient: «de gueules à deux fasces d'or, +accompagnées en cœur d'un trèfle de même». La branche cadette de +Montceau «brisait en chef d'un lambel d'argent». Le cachet de Lamartine, +que nous avons pu voir, ne porte pas de lambel, puisque la branche aînée +était éteinte à la fin du <span class="smcap">xviii</span><sup>e</sup> siècle, et les «fasces» ont été +remplacées par des «bandes».</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_6_6" id="Footnote_6_6"></a><a href="#FNanchor_6_6"><span class="label">[6]</span></a> Il existe, à notre connaissance, au moins trois de ces +généalogies. L'une figure à la Bibliothèque Nationale (<i>Manuscrits, +ancien fonds français</i>) et occupe les pages 1-5 du vol. 790 de la +collection Moreau (t. XXXIII de l'ancien recueil Fontette). Elle a été +publiée par nous dans la <i>Revue des Annales romantiques</i>, fasc. V de +l'année 1905. La seconde figure au ministère de la Guerre. La troisième +se trouve aux Archives de Saône-et-Loire, et a été publiée par M. +Reyssié: <i>la Jeunesse de Lamartine</i>, in-18, 1892, p. 9.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_7_7" id="Footnote_7_7"></a><a href="#FNanchor_7_7"><span class="label">[7]</span></a> M. Abel Jeandet (<i>Annales de l'Académie de Mâcon</i>, 2<sup>e</sup> +série, t. V, p. 117) a publié un acte en date du 14 octobre 1544, +concernant un Estienne Alamartine, «bourgeois et marchand de Cluny», +propriétaire à Azé. Il s'agit là sans doute d'un frère de Benoît, ou +peut-être de son père, mais il nous a été impossible de l'identifier de +façon certaine.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_8_8" id="Footnote_8_8"></a><a href="#FNanchor_8_8"><span class="label">[8]</span></a> La famille Tuppinier, dont une branche subsiste encore en +Bourgogne, est originaire de Cluny, où l'on trouve en 1544 un Jacques +Tuppinier, bourgeois de la ville, marchand drapier, marié à Antoinette +de Gordon. Il est le père de Claude, marié à Françoise Alamartine.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_9_9" id="Footnote_9_9"></a><a href="#FNanchor_9_9"><span class="label">[9]</span></a> Guyot Fournier, père de Jeanne, exerça, le 31 août 1601, +une reprise de fief pour la châtellenie de Prissé. La famille +Descrivieux était originaire de Bresse; Charles Descrivieux était +échevin de Mâcon en 1466; à la fin du <span class="smcap">xviii</span><sup>e</sup> siècle, les Descrivieux, +seigneurs de Charbonnières, prirent séance en la Chambre de la noblesse +du Mâconnais. +</p><p> +Benoît Alamartine et Jeanne Fournier eurent de leur mariage: 1º +<i>Charles</i> (9 mai 1598—?); 2º <i>Guyot</i> (31 déc. 1601—?), marié à +Philiberte Paillet; 3º <i>Claude</i> (28 oct. 1602—3 oct. 1609); 4º +<i>Marguerite</i> (16 août 1604—3 oct. 1608); 5º Étienne (12 nov. 1600—?); +6º Jacques (9 août 1609—?); 7º <i>Avoye</i> (23 février 1612—?); 8º <i>Aimée</i> +(8 juin 1613—?); 9º <i>Suzanne</i> (27 sept. 1614—?). +</p><p> +C'est vraisemblablement d'un des fils de Gabriel ou de Benoît Alamartine +que sont issus les nombreux Alamartine existant encore dans le +Charollais, et un Émilien Alamartine, notaire à Cluny au milieu du +<span class="smcap">xviii</span><sup>e</sup> siècle. À signaler également un acte de mariage du 21 janvier +1782, entre Philippe Cartillet, marchand forain, et Jeanne Lamartine, +tailleur <i>(sic)</i>, fille de François Lamartine, tisserand, «lesquels ont +déclaré ne savoir signer». Bien que l'acte ait été enregistré à Mâcon, +ces Lamartine n'ont aucune parenté, même lointaine, avec ceux qui nous +occupent, la forme roturière du nom étant Alamartine et non Lamartine.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_10_10" id="Footnote_10_10"></a><a href="#FNanchor_10_10"><span class="label">[10]</span></a> <i>La Légende de domp Claude de Guize...</i> s. I. 1582, in-8, +réimprimée en 1744, au tome IV des <i>Mémoires de la Ligue</i>.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_11_11" id="Footnote_11_11"></a><a href="#FNanchor_11_11"><span class="label">[11]</span></a> Surnoms donnés par Regnault à l'abbé de Cluny et à son +vicaire.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_12_12" id="Footnote_12_12"></a><a href="#FNanchor_12_12"><span class="label">[12]</span></a> Le 8 avril 1626, à l'assemblée des États du Mâconnais, il +fut chargé de présenter les «mémoire et doléances» du Tiers-État.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_13_13" id="Footnote_13_13"></a><a href="#FNanchor_13_13"><span class="label">[13]</span></a> La famille de Pise est originaire de Mâcon. On trouve un +Antoine de Pise échevin de cette ville en 1450; Philippe de Pise, garde +du scel des contrats du bailliage de Mâcon (par provisions du 15 juin +1544), eut pour fils Antoine, père d'Aymée de Pise. Les de Pise +devinrent en 1603 seigneurs de Flacé, par acquisition des Maugiron. Les +de Ryrmon, seigneurs de Champgrenon, la Moussière, la Serve et la +Rochette sont originaires de Saint-Gengoux, d'où était Hugues de Rymon, +capitaine de la ville et du château, marié à Françoise Bourgeois.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_14_14" id="Footnote_14_14"></a><a href="#FNanchor_14_14"><span class="label">[14]</span></a> La famille de la Blétonnière est originaire de Cluny. Un +Antoine de la Blétonnière, procureur du roi, puis juge royal en la +châtellenie de Saint-Gengoux par provisions du 11 août 1617. Son fils +Antoine, lieutenant en l'élection du Mâconnais. D'après le contrat de +mariage de Philiberte, où les époux sont qualifiés «habitants de Cluny», +on voit que les Alamartine ne résidaient pas encore à Mâcon. Étienne s'y +était néanmoins marié en 1605, mais ce n'est qu'à partir de 1650 qu'on +les trouve définitivement installés à Mâcon, paroisse Saint-Pierre.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_15_15" id="Footnote_15_15"></a><a href="#FNanchor_15_15"><span class="label">[15]</span></a> Jean Dumont, bourgeois de Mâcon à la fin du <span class="smcap">xvi</span><sup>e</sup> +siècle, marié à Françoise Foillard. La famille fut anoblie en 1723, en +la personne d'Émilien Dumont, secrétaire du roi.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_16_16" id="Footnote_16_16"></a><a href="#FNanchor_16_16"><span class="label">[16]</span></a> La famille Desbois, actuellement représentée par les +familles de Murard, de Surigny et de la Forestille, est issue de Gabriel +Desbois, bourgeois de Cluny à la fin du <span class="smcap">xvi</span><sup>e</sup> siècle, dont le +petit-fils, Pierre Desbois, seigneur de la Cailloterie, fut anobli en +16435 par l'achat d'une charge de secrétaire du roi. +</p><p> +À partir d'Antoine Desbois, la charge de grand bailli d'épée du +Mâconnais se transmit de père en fils dans la famille jusqu'à la +Révolution.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_17_17" id="Footnote_17_17"></a><a href="#FNanchor_17_17"><span class="label">[17]</span></a> Anne Constant (?—27 sept. 1757) était fille d'Antoine +Constant (1641-1716), échevin de Lyon en 1697-98, et de Anne Mollien. +(Cf. Jouvencel, <i>l'Assemblée de la noblesse de la sénéchaussée de Lyon +en 1789</i>. Lyon, 1907.)</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_18_18" id="Footnote_18_18"></a><a href="#FNanchor_18_18"><span class="label">[18]</span></a> La famille Bernard est une des plus vieilles du pays. Un +Philippe Bernard, conseiller au parlement de Paris, seigneur de la +Vernette, fut envoyé en 1583 par Henri III comme ambassadeur auprès de +la république de Venise. Nicolas Bernard était capitaine de Mâcon en +1502; Jean Bernard, son fils, était écuyer de Catherine de Médicis par +brevet du 30 juin 1580.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_19_19" id="Footnote_19_19"></a><a href="#FNanchor_19_19"><span class="label">[19]</span></a> M. Charles de Montherot, petit-neveu du poète et +possesseur du château de Saint-Point, descend donc à la fois des +Lamartine d'Hurigny et des Lamartine de Montceau, puisqu'un petit-fils +de Jeanne-Sibylle de Lamartine épousa en 1820 une des sœurs du poète.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_20_20" id="Footnote_20_20"></a><a href="#FNanchor_20_20"><span class="label">[20]</span></a> Arch. dép. du Loiret. D. 98 (communication de M. +Jagebien).</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_21_21" id="Footnote_21_21"></a><a href="#FNanchor_21_21"><span class="label">[21]</span></a> Une de ses sœurs et une de ses tantes.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_22_22" id="Footnote_22_22"></a><a href="#FNanchor_22_22"><span class="label">[22]</span></a> M. Lex a retrouvé et publié le premier (<i>Lamartine, +souvenirs et documents</i>), l'acte de bénédiction de la maison de Milly: +«L'an de N. S. 1705, le 15 juillet, je soussigné ay bénit la maison de +M. Jean-Baptiste de la Martine, conseiller du Roy au bailliage et siège +présidial de Mâcon, à six heures du soir. A. D. Dauthon, curé de Milly» +(Arch. municipales de Milly). Les terres avaient à cette époque une +superficie d'environ cinquante-deux hectares et s'étendaient sur les +communes de Milly, Bertzé-la-Ville et Saint-Sorlin. La seigneurie de +Milly était entre les mains de la famille de Pierreclau.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_23_23" id="Footnote_23_23"></a><a href="#FNanchor_23_23"><span class="label">[23]</span></a> 1º <i>Abel</i> (4 février—13 nov. 1663); 2º +<i>Philippe-Étienne</i>; 3º <i>Françoise</i> (10 mai 1666—?); 4º <i>Antoine</i> (10-28 +mai 1666); 5º <i>Claudine</i> (26 avril 1667—22 sept. 1672); 6º <i>Nicolas</i>; +7º <i>Claude</i> (31 novembre 1669—?); 8º <i>Marie</i> (11 nov. 1670—2 février +1750); 9º <i>Antoine</i> (11 nov. 1670—1690), mort à Paris étudiant en +Sorbonne; 10º <i>Marianne</i> (21 juin 1673—16 mars 1758), mariée le 9 avril +1712 à Claude Chambre, receveur des États du Mâconnais; 11º <i>Louis</i> (16 +mars 1776—1719): il reprit en 1703 la compagnie de son frère aîné dans +Orléans-infanterie, et mourut au siège de Barcelone; 12º <i>François</i>; 13º +<i>Françoise</i> (4 janvier 1678—?); 14º <i>Françoise</i> (15 avril 1679—?); 15º +<i>Jean-Baptiste</i> (10 sept. 1680—9 juillet 1720), noyé en se baignant +dans la Saône.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_24_24" id="Footnote_24_24"></a><a href="#FNanchor_24_24"><span class="label">[24]</span></a> Arch. dép. du Loiret, D. 138 et 187 (communiqué par M. +Jagebien).</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_25_25" id="Footnote_25_25"></a><a href="#FNanchor_25_25"><span class="label">[25]</span></a> Arch. municipales de Vichy. Série G. G.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_26_26" id="Footnote_26_26"></a><a href="#FNanchor_26_26"><span class="label">[26]</span></a> 1º <i>Anne</i> (8 janvier 1710—25 mai 1781), mariée en 1735 à +Jean-Baptiste de Lamartine d'Hurigny; 2º <i>Louise-Françoise</i> (21 août +1707—?); 3º <i>Marie-Anne</i> (21 mai 1713—?), religieuse aux Ursulines de +Mâcon, et connue dans la famille sous le nom de M<sup>me</sup> de Luzy. Elle +vivait encore en 1790; 4º <i>Marie-Claudine</i> (19 février 1714—?); 5º +<i>Charlotte</i>, née le 21 février 1716, mariée le 26 nov. 1736 à Pierre de +Boyer, seigneur de Ruffé et de Trades, morte le 13 juillet 1757.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_27_27" id="Footnote_27_27"></a><a href="#FNanchor_27_27"><span class="label">[27]</span></a> «Maurice de Saxe, duc de Gourlande et de Semigalie, +maréchal général des camps et armées du roi, commandant général des +Pays-Bas, etc. Laissez librement et sûrement passer le sieur de la +Martine, capitaine au régiment de Monaco, pour aller en France avec ses +domestiques et équipages sans lui donner aucun trouble ni empêchement. +Fait à Bruxelles le 17 juillet 1748 (bon pour un mois).—M. de Saxe. Par +Monseigneur, de Bonneville.» Communication de M. Loiseau.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_28_28" id="Footnote_28_28"></a><a href="#FNanchor_28_28"><span class="label">[28]</span></a> Toute cette bibliothèque fut dispersée, soit pendant la +Révolution, soit au moment de la vente de Montceau. On en rencontre +parfois des volumes chez les amateurs.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_29_29" id="Footnote_29_29"></a><a href="#FNanchor_29_29"><span class="label">[29]</span></a> Les Dronier, seigneurs du Villard et de Pratz sont +originaires de Saint-Claude (Jura). Jean-Claude Dronier, maître en la +chambre des comptes de Dole, épousa le 6 juin 1692 Marie-Claudine +Chevassu. Leur fils, Claude-Antoine, conseiller au Parlement de +Besançon, épousa, le 19 novembre 1719, Cécile-Eugénie Dolard.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_30_30" id="Footnote_30_30"></a><a href="#FNanchor_30_30"><span class="label">[30]</span></a> Les Lamartine prirent séance aux chambres de la noblesse +du Mâconnais à partir du 27 décembre 1676. +</p><p> +Dans la liste électorale pour les États généraux de 1789, tenue le 18 +mars en l'église Saint-Pierre de Mâcon, Louis-François y est nommé pour +la châtellenie d'Igé et Domange; François-Louis et Pierre, ses deux +fils, pour la prévoie de Saint-André-le-Désert (Arch. Nat., B. III 105, +et de la Roque et Barthélémy, <i>Catalogue des gentilshommes de Bourgogne +aux États généraux de 1789</i>, Paris, 1862). Le 28 mars, il figura +également à l'assemblée des trois ordres du bailliage de Dijon, comme +seigneur d'Urey, de Montculot, Charmoy, Poissot, Fleurey et Quémigny.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_31_31" id="Footnote_31_31"></a><a href="#FNanchor_31_31"><span class="label">[31]</span></a> <i>Collonges</i>, hameau de la commune de Prisse, non loin de +Mâcon; <i>Champagne</i>, hameau de la commune de Pérone.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_32_32" id="Footnote_32_32"></a><a href="#FNanchor_32_32"><span class="label">[32]</span></a> La Tour de Mailly, nom aujourd'hui disparu, était situé à +Igé (canton de Lugny), près du chemin de cette paroisse à Bertzé. Ce +fief dépendait de la seigneurie d'Escole, et consistait en un château, +«plusieurs cens et héritages» et le droit d'usage de la forêt de +Malessard, domaine royal. Louis-François l'acquit en 1730 de Melchior +Cochet, et exerça une reprise de fief le 4 mai 1748.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_33_33" id="Footnote_33_33"></a><a href="#FNanchor_33_33"><span class="label">[33]</span></a> Cf. Arch. Nat., F. 12/107, p. 854. «Mémoire du sieur de +Lamartine par lequel il sollicite divers privilèges et faveurs pour les +deux manufactures de fil de fer et de fers noirs qu'il possède aux +Combes, près Saint-Claude-sur-Bienne, et à Morez du Jura, et où il +demande qu'il soit interdit au sieur Muller de maintenir l'établissement +analogue aux siens qu'il a commencé d'installer au village de +Champagnole.» (1<sup>er</sup> sept. 1789).</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_34_34" id="Footnote_34_34"></a><a href="#FNanchor_34_34"><span class="label">[34]</span></a> Sources et bibliographie: <i>Titres et papiers de la famille +Des Roys</i> (<span class="smcap">xv</span><sup>e</sup>-<span class="smcap">xix</span><sup>e</sup> siècle), communiqués par M. le baron Carra de +Vaux.—<i>Archives dép. de la Haute-Loire.—Archives municipales de +Montfaucon.</i> +</p><p> +<i>Obituarium Lugdunensis ecclesiæ</i> (Lyon, 1867, éd. +Guignes).—<i>Obituarium Sancti-Pauli Lugdunensis</i> (1872, +id.).—<i>Obituarium Sancti-Petri Lugd.</i> (1880, <i>id.</i>, +<i>ibid.</i>).—<i>Cartulaire des hospitaliers du Velay</i> (Le Puy, +1888).—<i>Cartulaire des Templiers du Velay</i> (<i>id.</i>, 1882).—Répertoire +général des hommages de l'évêché du Puy (1887).—<i>Recueil des +chroniqueurs du Puy</i> (éd. Chassaing, 3 vol. 1869-75).—<i>Notes sur le +monastère de Montfaucon</i>, par l'abbé Theillère (1876).—<i>Nobiliaire +d'Auvergne</i>, par Bouillet (7 vol., 1846-53).—<i>Le Livre d'or du +Lyonnais</i> (Lyon, 1866).—<i>Jean-Louis Des Roys</i>, par Al. Carra de Vaux +(<i>l'Investigateur</i>, revue de l'institut historique, année +1850).—<i>Mémoires inédits</i> de M<sup>e</sup> de Genlis (10 vol., +1825-27).—<i>L'Assemblée de la noblesse de la sénéchaussée de Lyon en +1789</i>, par H. de Jouvencel (Lyon, 1907).—<i>Grimod de la Reynière et son +groupe</i>, par Desnoiresterres (1875).—<i>Lucien Bonaparte</i>, par Ch. Iung +(t. II, 1882).—<i>Lucien Bonaparte et sa famille</i> (Paris, 1889).—<i>The +marriages of the Bonapartes</i>, par Bingham (Londres, 1881).—<i>Armorial du +premier Empire</i>, par A. Révérend (Paris, 1894, 4 vol.).—<i>Titres et +anoblissements de la Restauration</i> (Paris, 1901, 6 vol.).</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_35_35" id="Footnote_35_35"></a><a href="#FNanchor_35_35"><span class="label">[35]</span></a> Aucun Des Roys ne figure à l'<i>Armorial général du Cabinet +des titres</i>.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_36_36" id="Footnote_36_36"></a><a href="#FNanchor_36_36"><span class="label">[36]</span></a> <i>Bonardus Rex</i>, acte de 1147 (<i>Obit. S.-P. Lugd.</i>, p. 59), +c'est la plus ancienne mention. <i>Guigo Regis</i> (1239), domicilié à +Saint-Laurent de Lyon, etc. On rencontre environ une vingtaine de +personnages de ce nom auxquels on doit rattacher les Des Roys; en effet +dans les papiers de la famille on trouve mention au <span class="smcap">xvi</span><sup>e</sup> siècle d'une +prébende fondée en l'église Saint-André de Montbrison, en 1361, par +maître Jean Regis, licenciée en droit.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_37_37" id="Footnote_37_37"></a><a href="#FNanchor_37_37"><span class="label">[37]</span></a> Charte du 10 janvier 1279 où <i>Petrus Regis</i> est cité comme +clerc (<i>Cart. des Templiers</i>, p. 385). Échange entre Pons de Brion et +Raymond du Pont, daté du 1<sup>er</sup> mai 1324, d'une rente sur des fonds +contigus au couvent des Carmes contre une rente sur un champ situé aux +Combes, près d'Espaly, «juxta campum <i>Johannis Regis</i> civis anisiensis» +(citoyen du Puy) (<i>Cart. des hospitaliers du Velay</i>, p. 188). Sentence +de l'official du Puy, condamnant Jean Regis, damoizeau, père de +Paulette, femme de noble Hugues de Chandorasse, à payer à Dalmas, prieur +de Saint-Martin de Polignac, les arrérages de biens sis à Soleihac, 13 +mars 1382 (Arch. dép. Haute-Loire, G. 651).</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_38_38" id="Footnote_38_38"></a><a href="#FNanchor_38_38"><span class="label">[38]</span></a> Raucoules. Il existe trois villages de ce nom dans la +Haute-Loire; celui des Des Roys est situé dans le canton de Montfaucon.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_39_39" id="Footnote_39_39"></a><a href="#FNanchor_39_39"><span class="label">[39]</span></a> Nom disparu; aujourd'hui Montregard.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_40_40" id="Footnote_40_40"></a><a href="#FNanchor_40_40"><span class="label">[40]</span></a> D'après la <i>Bibliographie de la Haute-Loire</i>, par Sauzet, +un Mathurin Des Roys, prieur de Saint-Didier, aurait composé une +histoire du Puy, en vers et en prose, et dédiée à Amédée de Saluce, +doyen de la cathédrale; l'ouvrage aurait été imprimé en 1519 chez Claude +le Noury. Ce volume ne figure à notre connaissance dans aucune autre +bibliographie; il nous a été impossible de l'identifier.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_41_41" id="Footnote_41_41"></a><a href="#FNanchor_41_41"><span class="label">[41]</span></a> Contrat passé à Baulmes (paroisse de Saint-André et +diocèse de Valence); témoins: Arnaud de la Rochaing, écuyer; Guillaume +de Montagnet, seigneur de Montguérin; Jehan des Champs (de Campis), +lieutenant de Mautfaucon; Jehan des Roys (de Regibus); noble Antoine de +Bronac. La présence de ce dernier parmi les témoins prouve que les Des +Roys devaient tenir un certain rang dans la ville, car les Bronac, +coseigneurs de Mautfaucon et de Vazeilles, étaient considérés alors +comme de hauts personnages. +</p><p> +Charles de Jussac, écuyer, seigneur de Baulmes et de Jussac (canton de +Retornac). De son mariage avec Anne de Meyre il eut deux filles +religieuses: Anne et Alice; un fils, Gaspard, mort sans postérité; deux +fils: Bernard et Jean, prêtres; une fille Isabeau, mariée à Arnaud de la +Rochaing; une autre enfin, devint la femme d'Antoine Des Roys. À la mort +de Charles de Baulmes, tous ses biens revinrent à sa fille Marguerite, +dont Antoine hérita.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_42_42" id="Footnote_42_42"></a><a href="#FNanchor_42_42"><span class="label">[42]</span></a> Cf. <i>Répertoire des hommages de l'évêché du Puy</i> (p. +385).</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_43_43" id="Footnote_43_43"></a><a href="#FNanchor_43_43"><span class="label">[43]</span></a> Veuve en premières noces de Denis de Cohacy, procureur +royal; les Guilhon étaient alliés à la famille de Gerlande.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_44_44" id="Footnote_44_44"></a><a href="#FNanchor_44_44"><span class="label">[44]</span></a> Il est l'auteur de: 1º <i>Livret contenant les principales +questions et décisions qu'on peut rechercher en matière de légitime</i> +(Lyon, 1644); 2º <i>Traicté des substitutions</i> (Lyon, 1644).</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_45_45" id="Footnote_45_45"></a><a href="#FNanchor_45_45"><span class="label">[45]</span></a> Des Olmes, aujourd'hui famille de Veyrac. En 1588, Denis +des Olmes épousa Catherine Dufours, dont Antoine, marié en 1587 avec +Marguerite de la Franchère. Leur fils Louis, marié en 1622 à Florie de +Lagrevol, était le père de Catherine des Olmes.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_46_46" id="Footnote_46_46"></a><a href="#FNanchor_46_46"><span class="label">[46]</span></a> Marie, femme de Jacques Hochet; Philiberte, femme de Louis +de Romezin, d'où une fille, qui épouse Claude Ferrapie, d'une ancienne +famille de Mautfaucon; Jeanne, mariée à Antoine Varilhon; Claude et +Marguerite, mortes filles.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_47_47" id="Footnote_47_47"></a><a href="#FNanchor_47_47"><span class="label">[47]</span></a> Ces alliances, que Lamartine n'ignorait pas (cf. +<i>Souvenirs et Portraits</i>, t. II, <i>les Bonaparte</i>), ont été constamment +négligées par les généalogistes de la famille Grimod; l'omission doit +provenir de ce que les notes de d'Hozier (Cabinet des titres, pièces +originales, vol. 141; Dossiers bleus, vol. 333; Nouveau d'Hozier, vol. +165) ont été établies sur une collection de <i>factums</i> de 1754, rédigés +pour Marguerite le Juge et qui ne l'ont mention, ni de la branche +Bonaparte, ni de la branche de Vaux-Lamartine. +</p><p> +Pourtant, l'acte de baptême d'Alexandrine de Bleschamp, princesse de +Canino, dissipe toute équivoque, ainsi que le testament d'Antoine Grimod +enregistré à Paris le 7 avril 1718, et où il est fait également mention +de deux autres filles: Benoîte et Philiberte, mariée l'une à J.-B. Dumas +de Corbeville, l'autre au marquis de Pranse. +</p><p> +Voici enfin un fragment du <i>Journal intime</i>, qui, malgré quelques +erreurs, confirme la parenté des Des Roys avec les divers personnages +que nous avons cités. +</p><p> +«<i>23 janvier 1803</i> {de Rieux}. Je voudrais pouvoir écrire tout ce que ma +mère me conte de ses voyages, ce serait bien intéressant, et mille +anecdotes curieuses de gens marquants. Malheureusement, ce serait trop +long. Ma mère conte à merveille, elle a infiniment d'esprit et de +mérite. Elle m'a rapporté beaucoup de choses de M. de la Reynière, le +fermier de Lyon, etc., à qui nous étions parents par ma grand'mère; +M<sup>me</sup> de la Ferrière avait épousé en premières noces M. Grimod de la +Reynière, dont elle a eu M. de la Reynière, fermier général, qui avait +épousé M<sup>lle</sup> de Jarente, qui vit encore et qui est très liée avec ma +mère. M. de la Ferrière a eu aussi deux filles: l'aînée était M<sup>me</sup> de +Malesherbes, qui est morte très malheureusement fort jeune, laissant +deux filles: M<sup>me</sup> de Rosanbo qui a été guillotinée, et M<sup>me</sup> de +Montboissier; la seconde était M<sup>me</sup> de Lévis, amie intime de ma mère +qui est morte assez jeune. M. de la Reynière le père avait eu d'un +premier mariage M<sup>me</sup> de Beaumont, c'est par là que nous lui sommes +parents [<i>à M<sup>me</sup> de Beaumont</i>]. Nous l'étions aussi par les Grimod à +la femme du baron de Breteuil et aux Cipierre; la fille du baron de +Breteuil a épousé M. de Matignon, dont la fille a épousé un Montmorency. +</p><p> +«M. d'Orsay s'appelle aussi Grimod, toujours de la même famille; il a +épousé, en secondes noces, une princesse d'Allemagne assez proche +parente du roi de Prusse, et le fils de M. d'Orsay a épouse une +princesse d'Italie assez peu considérable.» +</p><p> +Cette M<sup>me</sup> de la Ferrière, dont il est ici question était Marie +Mazade, seconde femme de Gaspard Grimod de la Reynière; devenue veuve, +elle épousa Honoré de la Ferrière.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_48_48" id="Footnote_48_48"></a><a href="#FNanchor_48_48"><span class="label">[48]</span></a> François Mauverney, receveur du grenier au sel de +Saint-Symphorien-le-Château, puis lieutenant criminel et civil de +l'élection de Lyon, était fils de Pierre Mauverney, conseiller du Roi, +élu en l'élection de Saint-Étienne, et de Jaqueline Dilbert. Pierre +Mauverney était lui-même fils de Jean-Baptiste et de Jeanne Coignet. +(Cf. Cab. des titres: pièces originales, vol. 1902.)</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_49_49" id="Footnote_49_49"></a><a href="#FNanchor_49_49"><span class="label">[49]</span></a> Cf., sur les suites de cette brouille entre Grimod de la +Reynière et sa cousine, «<i>copie d'une lettre de M. Grimod de la +Reynière, négociant à Lyon, etc., à M<sup>me</sup> Des Roys, ancienne +sous-gouvernante des ci-devant princes d'Orléans. Lyon, 7 déc. 1791</i> (s. +l. n. d., mais Lyon, 1791). +</p><p> +Dans cette brochure extrêmement rare, Laurent s'efforçait d'abord +d'attirer à sa cousine des ennuis que son ancienne situation pouvait +rendre graves, mais il l'accusait surtout d'avoir capté l'héritage de sa +grand'mère, morte en 1773, et d'avoir pris un grand empire sur son père. +Il terminait ainsi: «Maintenant, permettez-moi de vous offrir la paix ou +la guerre, mais surtout point de neutralité, point de tergiversation. +Une réponse claire et nette, s'il vous plaît. Si c'est la guerre, je la +ferai courageusement et de mon mieux; si vous préférez la paix, +sacrifiez-moi mes ennemis, agissons de concert, et nous nous en +trouverons bien l'un et l'autre. Vous avez su prendre un grand crédit +sur l'esprit de mes parents: j'ai dans mes mains de quoi vous démasquer +à leurs yeux; je ne le ferai pas si vous voulez employer ce crédit à me +servir.» +</p><p> +Cette publique tentative d'intimidation se perdit dans la tourmente de +1792 qui engloutit la fortune colossale des Grimod. Mais les Des Roys +aussi bien que les Lamartine cessèrent dès lors et pour jamais toute +relation avec leur cousin, qui n'est pas nommé une fois dans le <i>Journal +intime</i>; on sait que depuis 1780 ses excentricités et son mauvais renom +l'avaient rendu intolérable à tous ses parents, et que seul il était +responsable d'un état de choses où M<sup>me</sup> Des Roys n'était pour rien +(cf. <i>Desnoiresterres</i>).</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_50_50" id="Footnote_50_50"></a><a href="#FNanchor_50_50"><span class="label">[50]</span></a> Cf. <i>Mémoires inédits de M<sup>me</sup> la comtesse de Genlis</i> +(Paris 10 vol., 1825-26), vol. III, p. 483-85, et IV, p. 29.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_51_51" id="Footnote_51_51"></a><a href="#FNanchor_51_51"><span class="label">[51]</span></a> <i>L'Intrépide</i>, revue par M<sup>me</sup> de Genlis (Paris, 2 vol., +1820), I, pp. 81-110.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_52_52" id="Footnote_52_52"></a><a href="#FNanchor_52_52"><span class="label">[52]</span></a> Cf. <i>Lettres à Lamartine</i>, p. 19 (lettre de la duchesse de +Broglie).</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_53_53" id="Footnote_53_53"></a><a href="#FNanchor_53_53"><span class="label">[53]</span></a> Dans la Marne, à quelques kilomètres de Montmirail. +Jean-Louis l'avait acquise du chevalier de Belle-Joyeuse. C'était alors +un bâtiment très simple, ayant successivement appartenu aux familles de +Pastoret, de Disques et de Boubers, et qu'il fit démolir pour le +remplacer par un château plus vaste. (Cf. <i>Alexandre Carra de Vaux</i>, op. +cit.)</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_54_54" id="Footnote_54_54"></a><a href="#FNanchor_54_54"><span class="label">[54]</span></a> Les lettres qui suivent sont citées d'après +<i>l'Investigateur</i>, où elles ont paru pour la première fois.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_55_55" id="Footnote_55_55"></a><a href="#FNanchor_55_55"><span class="label">[55]</span></a> Voir, à l'Appendice, le tableau de la descendance Grimod.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_56_56" id="Footnote_56_56"></a><a href="#FNanchor_56_56"><span class="label">[56]</span></a> Dans les papiers de la famille Des Roys, on trouve une +petite note de la main de Jean-Louis qui rapporte les détails de la +cérémonie: +</p><p> +«Le 26 juillet 1768, procuration de M<sup>me</sup> de Beaumont marraine de +l'enfant dont M<sup>me</sup> Des Roys était grosse, et dont la ville de Lyon +devait être le parrain. +</p><p> +«L'enfant est né le samedi 5 novembre: ç'a été un fils, qui a été +baptisé le dimanche 6 dudit à Saint-Paul par M. Crupisson, +sacristain-curé. Il a été nommé Lyon-François, et tenu par M. de la +Verpillière, Prevost des marchands, accompagné du Consulat, pour la +ville, et par M<sup>me</sup> de la Verpillière pour M<sup>me</sup> de Beaumont Des +Roys.»</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_57_57" id="Footnote_57_57"></a><a href="#FNanchor_57_57"><span class="label">[57]</span></a> Cf. <i>l'Observateur des spectacles</i> des 28 germinal, 2, 21, +23 et 29 floréal an X. Jacques-Barthélémy Salgues (1760-1830), un des +bons journalistes de l'Empire et de la Restauration. Prêtre d'abord, il +fut choisi en 1789 pour la rédaction du cahier des doléances de la ville +de Sens où il était né; peu à peu, il finit par organiser la +contre-Révolution dans son département. Poursuivi, il ne réapparut à +Paris qu'en 1794, fut traduit alors en justice après le 18 fructidor, +mais acquitté par le tribunal d'Auxerre. À partir de 1798, il se +consacra exclusivement aux lettres, et fonda deux journaux théâtraux.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_58_58" id="Footnote_58_58"></a><a href="#FNanchor_58_58"><span class="label">[58]</span></a> Sa tragédie et sa comédie.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_59_59" id="Footnote_59_59"></a><a href="#FNanchor_59_59"><span class="label">[59]</span></a> Nom que portait alors l'ancien Théâtre-Français.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_60_60" id="Footnote_60_60"></a><a href="#FNanchor_60_60"><span class="label">[60]</span></a> Un des semainiers du Théâtre-Français.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_61_61" id="Footnote_61_61"></a><a href="#FNanchor_61_61"><span class="label">[61]</span></a> <i>Moniteur</i> du 4 avril 1804.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_62_62" id="Footnote_62_62"></a><a href="#FNanchor_62_62"><span class="label">[62]</span></a> Il est curieux de constater que le sujet de Caton, +emprunté à <i>la Mort de Caton</i>, d'Addison, tenta également Lamartine à +vingt ans: il écrivait en effet le 30 septembre 1810 à Virieu: «Je +traduis de l'anglais quelques Nuits d'Young et la superbe tragédie +d'Addison <i>the Death of Cato</i>, le tout en vile prose, excepté quelques +morceaux qui me séduisent et que je versifie.» (<i>Corresp.</i>, I, p. 272.)</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_63_63" id="Footnote_63_63"></a><a href="#FNanchor_63_63"><span class="label">[63]</span></a> Voir, à l'Appendice, la bibliographie des œuvres de Lyon +Des Roys.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_64_64" id="Footnote_64_64"></a><a href="#FNanchor_64_64"><span class="label">[64]</span></a> +</p><p> +</p><p><br /> +<span style="margin-left: 15%;">L'âme est inaccessible et rien n'agit sur elle;</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Que la mort au méchant soit un objet d'horreur,</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">L'homme de bien y voit l'aurore du bonheur.</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Mais je ne sais, mes yeux paraissent s'obscurcir,</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Mes membres fatigués semblent s'appesantir,</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Je ne puis surmonter la langueur où je tombe...</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Mes enfants, mes amis, approchez, je vous prie.</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Quoi? d'où viennent ces cris? qu'avez-vous à frémir?</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Qu'est-ce donc, mes amis, ai-je tort de mourir?</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Voulez-vous que j'attende à sortir de la vie</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Que je me sois couvert de quelqu'ignominie,</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Que j'aie abandonné le chemin de l'honneur?</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">La mort n'a rien d'affreux, n'en ayez point d'horreur.</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Elle vient,... je la vois, je la sens,... je la touche...</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Elle obscurcit mes yeux,... elle glace ma bouche...</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Je finis,... je m'éteins... sans douleurs, sans effort...</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">L'âme pleine d'espoir se dégage du corps.</span><br /> +</p><p><br /> +<span style="margin-left: 15%;">(<i>Le Dernier des Romains</i>, acte V, sc. I et IX.)</span><br /> +<br /> +</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_65_65" id="Footnote_65_65"></a><a href="#FNanchor_65_65"><span class="label">[65]</span></a> Sources et bibliographie de la IIº partie: <i>Journal +intime</i> (passim).-;-<i>Archives départementales de Saône-et-Loire</i>, très +riches en documents sur les Lamartine pendant la Terreur.—<i>Césarine et +Alix, un épisode de la jeunesse de M<sup>me</sup> de Lamartine la mère</i>, par le +baron Alexandre Carra de Vaux (publié dans <i>l'Investigateur</i>, journal de +l'institut historique, 1853).—<i>Histoire de Saint-Point</i>, par L. Lex +(Mâcon, 1898, in-8).—<i>La Jeunesse de Lamartine</i>, par F. Reyssié (Paris, +1892, in-16).—<i>La Persécution religieuse en Saône-et-Loire</i> (t. IV, +arrondissement de Mâcon), par l'abbé Louis S.-M. Chaumont +(Chalon-sur-Saône, 1903, in-8).—<i>La Révolution dans l'ancien diocèse de +Mâcon</i>, par Mgr B. Rameau (Mâcon, 1900, in-8).­—<i>Souvenirs de M<sup>me</sup> +Delahante</i> (Évreux, 1906, 2 vol. hors commerce). Les souvenirs de M<sup>me</sup> +Delahante, qui dans sa jeunesse habita longtemps Mâcon et fut très liée +avec les Lamartine, ont été publiés par sa petite-fille M<sup>me</sup> de Blic. +Ils contiennent de nombreux et curieux détails nouveaux sur la vie +familiale du poète, ainsi qu'une trentaine de lettres inédites de divers +membres de sa famille. +</p><p> +Toutes les références aux œuvres de Lamartine sont faites d'après +l'édition de l'auteur; c'est la dernière parue de son vivant et la plus +complète (Paris, 1860-66, 41 vol. gr. in-8).--;Pour les publications +posthumes, d'après les éditions originales: <i>Mémoires inédits</i> (Paris, +1870, in-8); <i>Manuscrits de ma mère</i> (<i>id</i>., 1871, in-8); <i>Souvenirs et +Portraits</i> (<i>id</i>., 1871-72, 3 vol. in-18): <i>Correspondance</i> (<i>id</i>., +1873-75, 6 vol. in-8).</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_66_66" id="Footnote_66_66"></a><a href="#FNanchor_66_66"><span class="label">[66]</span></a> Journal de Saône-et-Loire du 4 mai 1827. Cet article, +rédigé par Alexis Mottin, secrétaire perpétuel de l'Académie de Mâcon, +ne satisfit qu'à moitié Pierre de Lamartine qui y répondit par la lettre +suivante, insérée dans le numéro du 7 mai: +</p><p> +«Monsieur, je commence par rendre grâce à l'estimable auteur de +l'article nécrologique inséré dans votre précédent numéro. Je serai +désespéré que ma juste réclamation put l'affliger, mais je crois le +devoir à la mémoire de mon frère. Sans doute, si votre journal n'était +lu qu'à Mâcon, où M. de Lamartine était si parfaitement connu, il eût +été peut-être superflu de dire un mot sur ses sentiments religieux: nul +ne peut les y mettre en doute. Mais comme la sphère de votre estimable +journal ne se borne pas à cette ville, je désire que partout où elle +s'étend on sache que mon frère mettait fort au-dessus de toutes les +connaissances humaines celle de la religion, et que, jusqu'au dernier +instant de sa vie, il en a constamment rempli les devoirs avec zèle et +la plus sincère conviction.—LAMARTINE.»</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_67_67" id="Footnote_67_67"></a><a href="#FNanchor_67_67"><span class="label">[67]</span></a> Pierre Sigorgne (1719-1809), vicaire général de Mâcon, +puis archidiacre et doyen du chapitre de Saint-Vincent, auteur de +plusieurs volumes de philosophie. On a de lui: <i>Institutions +newtonniennes</i> (1747); <i>Lettres écrites de la plaine</i> (1765), où il +réfute les <i>Lettres de la montagne</i> de Rousseau; <i>Institutions +leibnitziennes</i> (1768); <i>le Philosophe chrétien</i> (1776), etc. +</p><p> +Cf. Abbé Rameau, <i>Notice sur l'abbé Sigorgne</i> (Mâcon, 1895, in-8).</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_68_68" id="Footnote_68_68"></a><a href="#FNanchor_68_68"><span class="label">[68]</span></a> <i>Nouv. Confidences</i>, p. 455. Le portrait de l'oncle +terrible occupe les pages 447-457 (T. 29).</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_69_69" id="Footnote_69_69"></a><a href="#FNanchor_69_69"><span class="label">[69]</span></a> Bien qu'inexactes, les idées politiques que Lamartine a +prêtées à son oncle sont curieuses, parce qu'elles correspondent très +exactement à son propre programme sous les dernières années de la +monarchie de Juillet.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_70_70" id="Footnote_70_70"></a><a href="#FNanchor_70_70"><span class="label">[70]</span></a> Cf. Demaizières, Un incident populaire à Mâcon en 1789 +(<i>Ann. de l'Académie de Mâcon</i>, <span class="smcap">ii</span><sup>e</sup> siècle série, t. XI).</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_71_71" id="Footnote_71_71"></a><a href="#FNanchor_71_71"><span class="label">[71]</span></a> Cf. <i>Corresp.</i>, III, p. 41. Voici d'autre part une lettre +de Pierre de Lamartine à son fils où nous trouvons quelques détails sur +cette succession: +</p> +<div class="blockquot"><p>«Maçon, le 1^{er} mai 1827. +</p><p> +«Voilà, mon cher ami, une malheureuse circonstance qui me fait +encore plus regretter que tu ne sois pas ici où ta présence serait +d'une grande utilité. Mon pauvre frère n'est plus; il a succombé, +dimanche à onze heures du matin, à cette maudite fièvre catharale. +Tu sens tout ce que nous avons eu tous à souffrir dans ce malheur. +M<sup>lle</sup> de Lamartine l'a pourtant supporté avec tout le calme de sa +grande piété. +</p><p> +«Voici les principales dispositions de son testament par lequel il +a fait cesser l'indivision qui était dans leur bien. M<sup>lle</sup> de +Lamartine garde Montceau et les Mélards, elle a tout le mobilier +quelconque, argent, denrées, sans aucun frais de sa part, pas même +ceux du fisc dont ses héritiers sont chargés. C'est Cécile et toi +qui l'êtes, pour égale part et portion, de Champagne, Saint-Pierre +et Saint-Oyen en rapportant ce que vous avez eu par contrat de +mariage. La bibliothèque est à toi par principal et voici en quoi +consistera l'actif de la succession: +</p> + +<table summary="voici" cellspacing="0" cellpadding="3"> +<tr><td colspan="4">À présent Champagne estimé à peu près</td><td align="right">160000</td><td>francs.</td></tr> +<tr><td> </td><td align="center">Saint-Oyen</td><td>—</td><td>environ</td><td align="right">80000</td><td>——</td></tr> +<tr><td colspan="4">Après la mort de ma sœur, trois inscriptions de mille francs chacune, valant</td><td align="right">60000</td><td>——</td></tr> +<tr><td colspan="4"> </td><td>———</td><td> </td></tr> +<tr><td colspan="4"> </td><td align="right">300000</td><td>francs.</td></tr> +</table> + +<p> +«Mon frère a fait bon marché à M<sup>lle</sup> de Lamartine, en faisant son +partage, mais il y assujétit ses héritiers par son testament. +L'argent, les vins, le mobilier sont très considérables; je pense +que ma sœur aura dix-sept ou dix-huit mille livres de rente.» +(<i>Lettre inédite</i> provenant des archives de Saint-Point.)</p></div> +<p> +Comme on peut s'en rendre compte, Pierre de Lamartine était donc du même +avis que son fils touchant le testament de François-Louis. +</p><p> +Une lettre du 5 juillet, toujours du chevalier au poète, nous apprend +que, sur la tombe de François-Louis de Lamartine, on fit graver un vers +de son neveu choisi par M<sup>me</sup> de Lamartine: +</p><p> +«La mort m'a tout ravi, la mort doit tout me rendre», extrait de la +<i>Méditation</i>: la Semaine sainte à la Roche-Guyon.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_72_72" id="Footnote_72_72"></a><a href="#FNanchor_72_72"><span class="label">[72]</span></a> M<sup>me</sup> Delahante.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_73_73" id="Footnote_73_73"></a><a href="#FNanchor_73_73"><span class="label">[73]</span></a> Ce portrait, que M. Reyssié a cru perdu, appartient +aujourd'hui à M<sup>me</sup> Frédéric de Parseval, arrière-petite-fille de +M<sup>me</sup> de Lamartine. Le poète, qui en a fait une description assez +fidèle dans les <i>Confidences</i>, l'avait fait mouler en couvercle sur une +petite boîte d'argent.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_74_74" id="Footnote_74_74"></a><a href="#FNanchor_74_74"><span class="label">[74]</span></a> Ces vers du chevalier de Bonnard ne figurent dans aucune +édition de ses œuvres. Ils sont cités d'après <i>l'Investigateur</i> de 1853, +où la pièce a paru en entier.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_75_75" id="Footnote_75_75"></a><a href="#FNanchor_75_75"><span class="label">[75]</span></a> Le 23 février 1823, M<sup>me</sup> de Lamartine note dans son +journal: «Alphonse travaille à son nouveau volume de Méditations; j'ai +toujours peur qu'il ne profane son talent en parlant le langage des +passions. Je lui ai écrit justement là-dessus.» +</p><p> +M<sup>me</sup> de Lamartine venait en effet de lire dans la 9<sup>e</sup> édition des +<i>Méditations</i>, parue un mois auparavant, une pièce nouvelle intitulée +<i>Philosophie</i>, et dédiée au marquis de la Maisonfort. Aussitôt, elle +écrivit à son fils la lettre suivante: +</p> +<div class="blockquot"><p>Ton père, mon cher Alphonse, me lit sa lettre. J'y vois avec +plaisir qu'il te dit aussi mon opinion. Oui, cette pièce à M. de +Maisonfort m'a beaucoup tourmentée. J'ai une si grande horreur de +cette abominable philosophie que je frémis de tout ce qui en a +l'apparence, venant de toi surtout. Tu es né pour être religieux, +essentiellement religieux, ton talent n'est beau que parce qu'il +vient de là. Ne le profane point, mon enfant; que ta reconnaissance +pour les grâces dont Dieu te comble rappelle toujours toutes tes +pensées à lui, ne travaille que pour sa gloire, ne transige point +avec l'esprit et les passions du monde, dédaigne ce moyen de +succès, comme tu le fais sûrement dans ton âme. +</p><p> +Ô mon enfant, tu éteindrais dans la <i>boue</i> le brillant flambeau que +le ciel t'a donné pour répandre la vraie lumière; n'écris rien de +ce que tu jugeras bien sévèrement un jour, et que tu voudras +peut-être effacer au prix de tout ton sang, quand il ne sera plus +temps. +</p> + +<p> +Adieu, j'en ai assez dit. +<br /><br /> +<span style="margin-left: 15%;">[<i>Lettre inédite.</i>]</span></p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_76_76" id="Footnote_76_76"></a><a href="#FNanchor_76_76"><span class="label">[76]</span></a> Les deux vers incriminés visaient le duc d'Orléans à qui, +au sacre de Reims, Lamartine faisait dire par Charles X: +</p><p> +</p><p><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Ce grand nom est couvert du pardon de mon frère.</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Le fils a racheté les fautes de son père.</span><br /> +</p> +<p> +M<sup>me</sup> de Lamartine a consacré à cet incident deux pages de son journal, +ce qui prouve à quel point elle l'eut à cœur. Malheureusement, Lamartine +a déchiré et noirci le feuillet, dont quelques fragments seulement sont +encore lisibles. On y voit que le poète donna pour excuse à sa mère, une +«inadvertance», une «négligence poétique», explication qui satisfit +peut-être M<sup>me</sup> de Lamartine, mais parut insuffisante au duc d'Orléans, +car sur sa demande les exemplaires du <i>Chant du Sacre</i> furent retirés du +commerce, et il fallut procéder à un second tirage où les vers étaient +corrigés et adoucis.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_77_77" id="Footnote_77_77"></a><a href="#FNanchor_77_77"><span class="label">[77]</span></a> Cf. <i>Souv. de M<sup>me</sup> Delahante</i>, I, p. 106.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_78_78" id="Footnote_78_78"></a><a href="#FNanchor_78_78"><span class="label">[78]</span></a> Cf. <i>Harmonies</i>: Milly ou la <span class="smcap">terre natale</span>. <i>Confidences</i> +(p. 65): <span class="smcap">le village obscur où le ciel m'a fait naître</span>. Dans <i>Souvenirs +et Portraits</i> (Comment on devient poète), il termine également une +description de Milly par ces mots: «<span class="smcap">c'est là que je suis né</span>, et que je +grandissais». Voilà pour Milly. Dans les <i>Recueillements</i> (vers écrits à +l'Ermitage), on lit: +</p><p> +</p><p><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Ô vallons de Saint-Point, ô cachez mieux ma cendre</span><br /> +<span style="margin-left: 15%;">Sous le chêne NATAL de mon obscur vallon.</span><br /> +</p> +<p> +Enfin, dans les <i>Confidences</i> (p. 24), Lamartine déclare qu'il est né à +Mâcon, dans l'hôtel Lamartine, par conséquent rue Bauderon-de-Senecé.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_79_79" id="Footnote_79_79"></a><a href="#FNanchor_79_79"><span class="label">[79]</span></a> On trouvera le détail de la question dans une étude de M. +Paul Maritain, la Maison natale de Lamartine (<i>Annales de l'Académie de +Mâcon</i>, <span class="smcap">iii</span><sup>e</sup> série, t. VI). M. Maritain, qui ignorait l'existence des +documents que nous citons plus loin, a conclu que la maison natale du +poète était l'hôtel de la rue Bauderon-de-Senecé.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_80_80" id="Footnote_80_80"></a><a href="#FNanchor_80_80"><span class="label">[80]</span></a> Nous donnons ici le texte complet de cette pièce, copié +sur le brouillon de Louis-François de Lamartine, et qui donne quelques +détails curieux sur son train de maison au début de la Révolution. +</p><p> +</p><p><br /> +Déclaration de maison, etc., faite en 1790. Décembre.<br /> +Maison rue des Ursulines, <i>occupée par M. de Pra</i>.<br /> +32 pieds de face sur ladite rue.<br /> +80 pieds en petite cour.<br /> +En partie un seul étage, partie deux étages. Sans locataires, ni magasins, etc.<br /> +Contenance totale: une coupée et demie ou trois toises.<br /> +Propriétaire M. L.-Fr. de La Martine, marié, ayant six enfants dont cinq à sa charge.<br /> +Domestiques mâles, 4.<br /> +Domestiques femelles, 3.<br /> +Chevaux de carosse, 2.<br /> +Maison par luy occupée sur les remparts [<i>hôtel de la rue de Senécé</i>], façade 60 pieds.<br /> +3 980 pieds superficiels pour la maison.<br /> +1 020 pieds pour les écuries qui ont 30 pieds de face environ.<br /> +1 230 pieds en cour.<br /> +</p><p><br /> +Les deux tiers à deux étages, l'autre tiers à un étage. Sans aucun locataire, boutique ni magasin.<br /> +</p> +</div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_81_81" id="Footnote_81_81"></a><a href="#FNanchor_81_81"><span class="label">[81]</span></a> M. H. Remsen Whitehouse, un érudit américain à qui rien de +ce qui touche Lamartine n'est étranger, a bien voulu se charger pour +nous d'obligeantes recherches à Lausanne, mais qui sont restées vaines. +On en trouvera le détail sous sa signature dans la revue <i>l'Écho des +Alpes</i> de septembre 1908.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_82_82" id="Footnote_82_82"></a><a href="#FNanchor_82_82"><span class="label">[82]</span></a> Le petit Félix fut le second des enfants de Pierre de +Lamartine. Il mourut à Mâcon à l'âge de deux ans et demi. Le <i>Journal +intime</i> ne fait jamais mention de ce fils, dont Lamartine n'ignorait pas +l'existence; en effet, alors que dans le <i>Journal intime</i> on lit, à la +date du 11 juin 1801: «J'en ai déjà cinq actuellement [enfants], quatre +filles et un fils», il ajouta dans sa version du <i>Manuscrit de ma mère</i>: +«après en avoir perdu un». +</p><p> +En réalité, M<sup>me</sup> de Lamartine eut neuf enfants: deux fils, Alphonse et +Félix, et six filles, Mélanie, Célenie (mortes toutes deux à quelques +mois), Cécile, Césarine, Eugénie, Sophie et Suzanne.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_83_83" id="Footnote_83_83"></a><a href="#FNanchor_83_83"><span class="label">[83]</span></a> <i>Arch. de la guerre</i> (section administrative), dossier +Pierre de Lamartine. Pierre-Paul Henrion de Pensey, premier président de +la Cour de cassation (1742-1829), était le frère d'Henrion de +Saint-Amand, beau-frère de M<sup>me</sup> de Lamartine.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_84_84" id="Footnote_84_84"></a><a href="#FNanchor_84_84"><span class="label">[84]</span></a> Paris, Imprimerie nationale, an II.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_85_85" id="Footnote_85_85"></a><a href="#FNanchor_85_85"><span class="label">[85]</span></a> Ces deux arrêtés ont été publiés par M. Reyssié (<i>la +Jeunesse de Lamartine</i>, 24-25).</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_86_86" id="Footnote_86_86"></a><a href="#FNanchor_86_86"><span class="label">[86]</span></a> Cf. Arch. dép. de Saône-et-Loire: «Liste d'hommes et de +femmes détenus à Mâcon, Autun, etc.». Ce document, retrouvé et acquis +récemment par M. Lex, confirme une fois de plus l'exactitude de certains +petits détails des <i>Confidences</i>, puisqu'on y lit que la famille de +Lamartine fut emprisonnée à Autun. M. Reyssié avait mis en doute cette +assertion. Sur cette liste, figurent les noms de Pierre, François-Louis, +l'abbé, Suzanne et Charlotte. M<sup>lle</sup> de Montceau, qui était faible +d'esprit, évita ainsi les poursuites, et fut détenue à Pérone avec son +père et sa mère.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_87_87" id="Footnote_87_87"></a><a href="#FNanchor_87_87"><span class="label">[87]</span></a> Arch. Nat., A. F. II, 259.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_88_88" id="Footnote_88_88"></a><a href="#FNanchor_88_88"><span class="label">[88]</span></a> Ces souvenirs sont rapportés par M<sup>me</sup> de Lamartine, en +mai 1803, époque où elle passa trois mois à Rieux, chez sa mère.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_89_89" id="Footnote_89_89"></a><a href="#FNanchor_89_89"><span class="label">[89]</span></a> <i>Cours familier de littérature</i>, entretien 101, p. 320.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_90_90" id="Footnote_90_90"></a><a href="#FNanchor_90_90"><span class="label">[90]</span></a> <i>Guillaume de Saint-Point</i>, par J.-M. Grosset (3 vol. +in-8).</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_91_91" id="Footnote_91_91"></a><a href="#FNanchor_91_91"><span class="label">[91]</span></a> Cf., sur la famille Bruys, <i>Ann. de l'Académie de Mâcon</i>, +3<sup>e</sup> série, vol. IX: la Famille Bruys, par Paul Maritain.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_92_92" id="Footnote_92_92"></a><a href="#FNanchor_92_92"><span class="label">[92]</span></a> Jean-Baptiste Michon de Pierreclau, baron de Cenves, comte +de Bertzé, seigneur de Pierreclos, né le 20 septembre 1737, marié à +Saint-Étienne en Forez, le 27 avril 1767, à Marguerite Bernon de +Rochetaillée; il eut pour enfants: 1º Jean-Gabriel, marié à +Jeanne-Théodore Laborier; 2º Guillaume, marié à Nina Dézoteux; 3º +Marguerite, mariée à M. Mongeis; 4º Jeanne, mariée au comte de +Champmartin; 5º Antoinette, mariée au comte de Regnold de Sérezin; 6º +Catherine, morte fille. +</p><p> +Une fille de Jean-Gabriel et de Jeanne-Théodore Laborier fut la baronne +de Montailleur-Ruffo, amie de Chateaubriand, et la fille unique de M. de +Champmartin épousa Niepce, l'un des inventeurs de la daguerréotypie.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_93_93" id="Footnote_93_93"></a><a href="#FNanchor_93_93"><span class="label">[93]</span></a> Sources et bibliographie de la troisième partie: <i>Journal +intime</i> (passim), <i>Archives de Saint-Point</i>.—Pour l'abbé Dumont: +<i>Archives municipales de Bussières et de Pierreclos</i>, <i>Archives +départementales de Saône-et-Loire</i>, et les notes inédites de M. Paul +Maritain conservées aujourd'hui à l'Académie de Mâcon: nous en devons la +communication à M. A. Duréault, secrétaire perpétuel de cette société, +que nous remercions ici de son obligeance. +</p><p> +Pour le collège de Belley: <i>le Séjour de Lamartine à Belley</i>, par M. +Dejey (3<sup>e</sup> éd., complétée, 1901). <i>Histoire du collège-séminaire de +Belley</i>, par l'abbé Rochet (Lyon, 1898, in-8).—Les Vies des Pères +Varin, Debrosses et Jenesseaux, par le père Guidée (Paris, 1859-60).</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_94_94" id="Footnote_94_94"></a><a href="#FNanchor_94_94"><span class="label">[94]</span></a> Abbé Chaumont, <i>op. cit.</i></p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_95_95" id="Footnote_95_95"></a><a href="#FNanchor_95_95"><span class="label">[95]</span></a> Mgr Rameau, <i>op. cit.</i></p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_96_96" id="Footnote_96_96"></a><a href="#FNanchor_96_96"><span class="label">[96]</span></a> On a vu que l'église avait été fermée en 1798, et que +l'abbé Dumont reçut, lorsqu'elle rouvrit, l'interdiction d'y dire la +messe régulièrement, comme il en avait pris l'habitude.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_97_97" id="Footnote_97_97"></a><a href="#FNanchor_97_97"><span class="label">[97]</span></a> Ces deux lettres, qui sont conservées aux archives +épiscopales d'Autun, ont été communiquées à l'Académie de Mâcon par M. +le chanoine Muguet, curé de Sully. (Cf. procès-verbal de la séance du 10 +janvier 1907.)</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_98_98" id="Footnote_98_98"></a><a href="#FNanchor_98_98"><span class="label">[98]</span></a> Les procès-verbaux des deux séances ont été copiés par M. +Maritain et figurent dans le dossier qu'il avait réuni sur Dumont.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_99_99" id="Footnote_99_99"></a><a href="#FNanchor_99_99"><span class="label">[99]</span></a> Cf. <i>Correspondance</i>, t. IV, p. 41, 69, 84, 134, 203, +271.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_100_100" id="Footnote_100_100"></a><a href="#FNanchor_100_100"><span class="label">[100]</span></a> <i>Archives de Saint-Point</i>. La lettre est datée du 25 mars +1828. <i>Suscription:</i> «À monsieur de Lamartine, chargé des affaires de +France, Florence, Toscane».</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_101_101" id="Footnote_101_101"></a><a href="#FNanchor_101_101"><span class="label">[101]</span></a> Appartient à M<sup>me</sup> Fournier, née de Belleroche, +petite-nièce de Lamartine. Il a été reproduit par M. Lex dans son album +<i>Lamartine, souvenirs et documents</i> (Mâcon, 1890).</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_102_102" id="Footnote_102_102"></a><a href="#FNanchor_102_102"><span class="label">[102]</span></a> <i>Mémoires inédits</i> (p. 58-76).</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_103_103" id="Footnote_103_103"></a><a href="#FNanchor_103_103"><span class="label">[103]</span></a> <i>Archives de Saint-Point</i>. Suscription: «À madame Depra +de Lamartine à Mâcon, Saône-et-Loire». (<i>Lettre inédite</i>.)</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_104_104" id="Footnote_104_104"></a><a href="#FNanchor_104_104"><span class="label">[104]</span></a> Dejey, <i>op. cit.</i></p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_105_105" id="Footnote_105_105"></a><a href="#FNanchor_105_105"><span class="label">[105]</span></a> Robert Debrosses, né à Chatel (Ardennes) le 26 mars 1765, +prêtre en 1798, mort à Laval en 1848.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_106_106" id="Footnote_106_106"></a><a href="#FNanchor_106_106"><span class="label">[106]</span></a> Nicolas Jenesseaux (et non Génisseaux, comme l'a écrit +Lamartine), né à Reims le 9 avril 1769, prêtre en 1795, mort à Paris en +1842.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_107_107" id="Footnote_107_107"></a><a href="#FNanchor_107_107"><span class="label">[107]</span></a> Jean-Pierre Varlet, né à Reims le 11 mars 1771, prêtre en +1796, mort à Poitiers en 1854.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_108_108" id="Footnote_108_108"></a><a href="#FNanchor_108_108"><span class="label">[108]</span></a> Étienne Demouchel, né à Montfort-l'Amaury le 10 juillet +1772, prêtre en 1802, mort à Rome en 1840.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_109_109" id="Footnote_109_109"></a><a href="#FNanchor_109_109"><span class="label">[109]</span></a> Jean-Pierre Wrindts, né à Anvers le 6 février 1781, +prêtre en 1801, mort à Poitiers en 1852.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_110_110" id="Footnote_110_110"></a><a href="#FNanchor_110_110"><span class="label">[110]</span></a> Pierre Béquet, né à Paris le 9 janvier 1771, prêtre en +1799, mort à Toulouse en 1849.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_111_111" id="Footnote_111_111"></a><a href="#FNanchor_111_111"><span class="label">[111]</span></a> Aymon de Virieu, Prosper Guichard de Bienassis et Louis +de Vignet seront l'objet d'un chapitre spécial dans notre second volume +sur la jeunesse de Lamartine qui comprendra les années 1813-1820.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_112_112" id="Footnote_112_112"></a><a href="#FNanchor_112_112"><span class="label">[112]</span></a> Cf. également abbé Rochet (<i>op. cit.</i>, p. 208-209), où +l'on trouve le détail du palmarès.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_113_113" id="Footnote_113_113"></a><a href="#FNanchor_113_113"><span class="label">[113]</span></a> C'est au cours du mois d'octobre 1806 qu'il faut placer +l'épisode de Lucy L. sur lequel Lamartine s'est longuement étendu dans +les <i>Confidences</i>. La vérité semble extrêmement plus simple que son +romanesque récit; elle a été très heureusement rétablie par M. De Riaz, +membre de l'Académie de Mâcon, dont le travail vient d'être publié dans +le dernier volume des Annales de cette société. M. De Riaz, au prix +d'une incroyable patience et de minutieuses investigations, est parvenu, +en s'aidant des rares précisions du texte de Lamartine, à établir que le +manoir décrit par le poète n'était autre que le château de Byonne, situé +à deux kilomètres de Milly. Or, de 1800 à 1820, une seule jeune fille y +habita, dont ni le prénom ni le nom ne se rapprochent de ceux donnés par +Lamartine, puisqu'elle s'appelait Élisa de Villeneuve d'Ansouis; bien +mieux, c'était une enfant qui mourut en 1807 à l'âge de treize ans; +comme l'unique séjour qu'elle fit à Byonne se place pendant l'automne de +1806, M. de Riaz en a conclu avec vraisemblance qu'elle fut la première +héroïne de Lamartine. +</p><p> +On voit par là avec quelle précaution il faut utiliser les souvenirs de +Lamartine, et ce qu'il faut penser en particulier des trente pages qu'il +a consacrées à la pseudo-Lucy L. et à leurs conversations littéraires +dont Ossian, paraît-il, faisait le fonds. Quant aux vers <i>ossianesques</i> +qu'il lui adressa et qu'il a datés, dans les <i>Confidences</i> de Milly: «16 +décembre 1805», il est impossible d'admettre qu'ils aient été composés +en l'honneur de la petite fille. Il est d'abord évident qu'ils sont +post-datés, puisqu'en décembre 1805 Lamartine était à Belley et non à +Milly. De plus, il ressort d'une lettre de la <i>Correspondance</i>—lettre +douteuse, il est vrai, puisqu'elle ne porte point de date bien qu'elle +figure à la fin de l'année 1808—que Lamartine connut Ossian beaucoup +plus tard. Enfin, ils sont d'une facture qui permet à notre avis de +fixer leur composition à 1810-1811. Il nous paraît probable qu'au moment +où Lamartine écrivit les <i>Confidences</i> il retrouva cette pièce parmi ses +papiers et, soit défaut de mémoire, soit désir de grossir l'épisode +assez mince de Lucy L., il l'intercala dans son récit, en assignant à +ces vers une date qui correspondait approximativement avec le fonds de +l'anecdote; puis, pour mettre le tout en valeur, il laissa rêver sa +délicieuse imagination et broda autour de Lucy L. un commentaire +<i>ossianesque</i> où l'on voit cette enfant de douze ans agitant le soir une +écharpe de soie blanche à la fenêtre de sa tour, et sachant «par cœur» +tous les poètes.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_114_114" id="Footnote_114_114"></a><a href="#FNanchor_114_114"><span class="label">[114]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 4, du 27 sept. 1807.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_115_115" id="Footnote_115_115"></a><a href="#FNanchor_115_115"><span class="label">[115]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 8, du 3 oct. 1807.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_116_116" id="Footnote_116_116"></a><a href="#FNanchor_116_116"><span class="label">[116]</span></a> Nous donnons cette date d'après le <i>Journal intime</i>, bien +qu'on trouve dans la <i>Correspondance</i> trois lettres, datées de Mâcon 4 +et 10 janvier, et de Lyon 30 janvier; elles furent réellement écrites à +ces dates, mais en 1809. En effet, Lamartine parle dans l'une d'elles de +la conscription qui retarde son voyage à Lyon; or, nous savons, toujours +par le <i>Journal intime</i>, qu'il tira au sort le 23 janvier 1809. De plus +on rencontre dans la lettre du 10 janvier un fragment poétique qui fut +adressé à Virieu et n'est ici que recopié pour Guichard; comme ce +morceau fut composé à la fin de 1808, ainsi que nous l'apprend une +lettre de décembre de la même année à Virieu, il devient évident que la +copie en fut faite en janvier 1809 et non 1808.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_117_117" id="Footnote_117_117"></a><a href="#FNanchor_117_117"><span class="label">[117]</span></a> <i>Souvenirs et Portraits</i>, 1, p. 69-72.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_118_118" id="Footnote_118_118"></a><a href="#FNanchor_118_118"><span class="label">[118]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 63, du 12 nov. 1808.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_119_119" id="Footnote_119_119"></a><a href="#FNanchor_119_119"><span class="label">[119]</span></a> Les <i>Adieux au collège de Belley</i> ont paru pour la +première fois dans l'<i>Almanach des Muses</i> de 1821; les deux autres +pièces ont été recueillies par lui dans ses Œuvres (édition de +l'auteur), après avoir été publiées dans le Cours de littérature; les +<i>Adieux</i> figurent aujourd'hui à la suite des <i>Méditations</i>, mais on ne +trouve le <i>Rossignol</i> et le <i>Cantique</i> que dans les <i>Souvenirs et +Portraits</i>, t. I, chap. III: «Comment je suis devenu poète».</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_120_120" id="Footnote_120_120"></a><a href="#FNanchor_120_120"><span class="label">[120]</span></a> Cf. <i>Souvenirs et Portraits</i>, I: «Comment je suis devenu +poète», et II: «Chateaubriand».</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_121_121" id="Footnote_121_121"></a><a href="#FNanchor_121_121"><span class="label">[121]</span></a> Cf. <i>Souvenirs et Portraits</i>, t. I: «Comment Je suis +devenu poète»; t. II: «Chateaubriand».</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_122_122" id="Footnote_122_122"></a><a href="#FNanchor_122_122"><span class="label">[122]</span></a> Cf. <i>Chateaubriand, Œuvres</i>, t. II (éd. Garnier, Paris, +1859), p. 82.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_123_123" id="Footnote_123_123"></a><a href="#FNanchor_123_123"><span class="label">[123]</span></a> <i>Id., ibid.</i>, t. I, p. 218.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_124_124" id="Footnote_124_124"></a><a href="#FNanchor_124_124"><span class="label">[124]</span></a> La plupart ont été déjà signalées par M. Zyromski dans sa +thèse sur <i>Lamartine poète lyrique</i> (1897).</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_125_125" id="Footnote_125_125"></a><a href="#FNanchor_125_125"><span class="label">[125]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 111, du 12 mars 1809.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_126_126" id="Footnote_126_126"></a><a href="#FNanchor_126_126"><span class="label">[126]</span></a> Sources et bibliographie de la quatrième partie: <i>Journal +intime</i> (passim).—<i>Correspondance</i> (t. I).—<i>«Carnet de voyage de +Lamartine»</i> (publié par M. R. Doumie), <i>Correspondant</i> du 25 juillet +1008.—Nous devons à l'obligeance de M. Duréault d'avoir pris +connaissance de l'important dossier qu'il a réuni sur Henriette Pommier, +et d'une curieuse étude, lue par lui en séance publique à l'Académie de +Mâcon et qui doit être publiée prochainement. Nous lui avons emprunté +toute la documentation du chapitre III. +</p><p> +Une fois de plus, nous avons à déplorer le classement défectueux de la +<i>Correspondance</i> et il serait à souhaiter qu'une main autorisée donnât +promptement une édition complète et vérifiée de cet inestimable +document; grâce au <i>Journal intime</i>, pourtant, nous avons pu rétablir à +leur véritable date des lettres arbitrairement ou mal datées par +l'éditeur, une dizaine environ, pour les années 1807-1813.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_127_127" id="Footnote_127_127"></a><a href="#FNanchor_127_127"><span class="label">[127]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 23, du 22 février 1808.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_128_128" id="Footnote_128_128"></a><a href="#FNanchor_128_128"><span class="label">[128]</span></a> <i>J. I.</i>, 25 sept. 1806.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_129_129" id="Footnote_129_129"></a><a href="#FNanchor_129_129"><span class="label">[129]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 23, du 22 février; p. 26, du 13 mars 1808.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_130_130" id="Footnote_130_130"></a><a href="#FNanchor_130_130"><span class="label">[130]</span></a> <i>Id.</i>, p. 93, du 14 déc. 1808.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_131_131" id="Footnote_131_131"></a><a href="#FNanchor_131_131"><span class="label">[131]</span></a> <i>Id.</i>, p. 41, du 10 sept.; p. 95, du 14 déc. 1808.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_132_132" id="Footnote_132_132"></a><a href="#FNanchor_132_132"><span class="label">[132]</span></a> <i>Id.</i>, p. 95, du 14 déc. 1808.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_133_133" id="Footnote_133_133"></a><a href="#FNanchor_133_133"><span class="label">[133]</span></a> <i>Id.</i>, p. 95, du 14 déc. 1808.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_134_134" id="Footnote_134_134"></a><a href="#FNanchor_134_134"><span class="label">[134]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 53, du 29 oct. 1808; p. 139, du 4 août 1809.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_135_135" id="Footnote_135_135"></a><a href="#FNanchor_135_135"><span class="label">[135]</span></a> <i>Id.</i>, p. 139, du 4 août 1809.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_136_136" id="Footnote_136_136"></a><a href="#FNanchor_136_136"><span class="label">[136]</span></a> <i>Id.</i>, p. 25-27, du 13 mars 1808.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_137_137" id="Footnote_137_137"></a><a href="#FNanchor_137_137"><span class="label">[137]</span></a> <i>J. I.</i>, 26 mai 1808. Elle écrivait de Mâcon le 24 +février: «La santé d'Alphonse n'est pas mauvaise; il s'occupe beaucoup +et a plusieurs maîtres, entre autres un de danse et un de basse. Il est +assez raisonnable, mais son caractère me paraît toujours fort léger, ce +qui rend les dangers du monde bien plus graves pour lui. Nous l'en +tenons encore éloigné cette année, mais je frémis pour le moment où il +sera exposé à cette contagion affreuse.»</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_138_138" id="Footnote_138_138"></a><a href="#FNanchor_138_138"><span class="label">[138]</span></a> <i>J. I.</i>, 26 mai 1808.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_139_139" id="Footnote_139_139"></a><a href="#FNanchor_139_139"><span class="label">[139]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 31-33, du 8 juillet 1808.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_140_140" id="Footnote_140_140"></a><a href="#FNanchor_140_140"><span class="label">[140]</span></a> <i>Id.</i>, p. 28, du 20 avril 1808.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_141_141" id="Footnote_141_141"></a><a href="#FNanchor_141_141"><span class="label">[141]</span></a> <i>Id.</i>, p. 62, du 12 nov. 1808.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_142_142" id="Footnote_142_142"></a><a href="#FNanchor_142_142"><span class="label">[142]</span></a> <i>Id.</i>, p. 31, du 8 juillet 1808; p. 35, du 26 juillet +1808.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_143_143" id="Footnote_143_143"></a><a href="#FNanchor_143_143"><span class="label">[143]</span></a> Cf. sur ce séjour à Crémieu: <i>Mémoires inédits</i>, p. +116-123. Mais il a été daté par Lamartine de 1807 au lieu de 1808.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_144_144" id="Footnote_144_144"></a><a href="#FNanchor_144_144"><span class="label">[144]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 84, du 12 décembre 1808, et <i>id.</i>, p. 122, +lettre sur <i>Corinne</i> du 1<sup>er</sup> juin 1809.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_145_145" id="Footnote_145_145"></a><a href="#FNanchor_145_145"><span class="label">[145]</span></a> <i>J. I.</i>, 12 octobre. «Mercredi, nous avons dîné à +Pierreclos. Il y eut une conversation sur J.-J. Rousseau; deux personnes +de la société étaient ses zélés partisans, d'autres les réfutaient. +Alphonse les écoutait attentivement et je craignais toujours qu'il ne +prît les mauvaises impressions de préférence aux bonnes.»</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_146_146" id="Footnote_146_146"></a><a href="#FNanchor_146_146"><span class="label">[146]</span></a> <i>J. I.</i>, 9 octobre, en parlant de son fils: «Hélas! comme +il est loin du seul bien qui pourrait contenter mon cœur»; et 26 +octobre.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_147_147" id="Footnote_147_147"></a><a href="#FNanchor_147_147"><span class="label">[147]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 77, du 10 déc. 1808.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_148_148" id="Footnote_148_148"></a><a href="#FNanchor_148_148"><span class="label">[148]</span></a> <i>Id.</i>, <i>ibid.</i></p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_149_149" id="Footnote_149_149"></a><a href="#FNanchor_149_149"><span class="label">[149]</span></a> <i>Id.</i>, p. 68, du 28 nov. 1808.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_150_150" id="Footnote_150_150"></a><a href="#FNanchor_150_150"><span class="label">[150]</span></a> <i>Id.</i>, p. 80, du 12 déc. 1808.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_151_151" id="Footnote_151_151"></a><a href="#FNanchor_151_151"><span class="label">[151]</span></a> <i>J. I.</i>, du 17 déc. 1808.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_152_152" id="Footnote_152_152"></a><a href="#FNanchor_152_152"><span class="label">[152]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 86, du 12 déc. 1808. «J'avais fait les plus +beaux plans du monde de plaisirs littéraires. Mon oncle et mon père de +concert ont voulu tout détruire.»</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_153_153" id="Footnote_153_153"></a><a href="#FNanchor_153_153"><span class="label">[153]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 92, du 14 déc.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_154_154" id="Footnote_154_154"></a><a href="#FNanchor_154_154"><span class="label">[154]</span></a> <i>Id.</i>, <i>ibid.</i></p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_155_155" id="Footnote_155_155"></a><a href="#FNanchor_155_155"><span class="label">[155]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 103, du 24 janvier 1809.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_156_156" id="Footnote_156_156"></a><a href="#FNanchor_156_156"><span class="label">[156]</span></a> <i>Id.</i>, p. 100, du 26 février 1809.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_157_157" id="Footnote_157_157"></a><a href="#FNanchor_157_157"><span class="label">[157]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 106, du 26 février 1809; et p. 110, du 12 +mars 1809.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_158_158" id="Footnote_158_158"></a><a href="#FNanchor_158_158"><span class="label">[158]</span></a> <i>J. I.</i>, 7 juillet 1809.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_159_159" id="Footnote_159_159"></a><a href="#FNanchor_159_159"><span class="label">[159]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 139, du 4 août 1809.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_160_160" id="Footnote_160_160"></a><a href="#FNanchor_160_160"><span class="label">[160]</span></a> <i>Id.</i>, p. 127, du 10 juin 1809; et p. 140, du 4 août.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_161_161" id="Footnote_161_161"></a><a href="#FNanchor_161_161"><span class="label">[161]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 143. du 4 août 1809.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_162_162" id="Footnote_162_162"></a><a href="#FNanchor_162_162"><span class="label">[162]</span></a> <i>Id.</i>, p. 148-152, du 19 août 1809.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_163_163" id="Footnote_163_163"></a><a href="#FNanchor_163_163"><span class="label">[163]</span></a> <i>C.</i> I, p. 170, du 21 octobre 1809.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_164_164" id="Footnote_164_164"></a><a href="#FNanchor_164_164"><span class="label">[164]</span></a> <i>Id.</i>, p. 175, du 9 nov. 1809.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_165_165" id="Footnote_165_165"></a><a href="#FNanchor_165_165"><span class="label">[165]</span></a> <i>Id.</i>, p. 176.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_166_166" id="Footnote_166_166"></a><a href="#FNanchor_166_166"><span class="label">[166]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 181, du 24 nov. 1809, et p. 188, du 10 déc. +1809.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_167_167" id="Footnote_167_167"></a><a href="#FNanchor_167_167"><span class="label">[167]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 203, du 1<sup>er</sup> mars 1810. Sur le séjour à +Lyon, cf. <i>id.</i>, p. 193-240.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_168_168" id="Footnote_168_168"></a><a href="#FNanchor_168_168"><span class="label">[168]</span></a> Nous donnons cette date d'après le <i>Journal intime</i>, bien +qu'elle ne soit pas d'accord avec la <i>Correspondance</i>, où figure une +lettre datée de «Saint-Point 14 mai»; nous lui donnons la préférence.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_169_169" id="Footnote_169_169"></a><a href="#FNanchor_169_169"><span class="label">[169]</span></a> «Beaucoup de mes rêves, toutes mes espérances +s'évanouissent chaque jour, c'est comme les fantômes qu'on se fait la +nuit et que le premier rayon du jour dissipe ou réduit à leur juste +valeur. Et toi, mon cher ami, tu es donc aussi comme moi, tu vois que +nous avions rêvé, rêvé d'une société à notre guise, rêvé la gloire, rêvé +l'amour, rêvé des femmes comme il devrait y en avoir, rêvé des hommes +comme il n'y en aura jamais....» (<i>C.</i>, I, p. 243.) Cette lettre, datée +de Milly, 14 mai 1810, est mal classée: en effet, nous savons par le +<i>Journal intime</i> que le 14 mai Lamartine était encore à Lyon; mais comme +il écrit à Virieu dans le courant de cette lettre: «Je vais partir dans +une quinzaine de jours passer quelques semaines à Dijon», et qu'il y +arriva le 2 juillet, on peut en conclure qu'elle est du 14 juin.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_170_170" id="Footnote_170_170"></a><a href="#FNanchor_170_170"><span class="label">[170]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 256, du 26 juillet 1810</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_171_171" id="Footnote_171_171"></a><a href="#FNanchor_171_171"><span class="label">[171]</span></a> <i>Id.</i>, p. 276, du 30 sept. 1810.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_172_172" id="Footnote_172_172"></a><a href="#FNanchor_172_172"><span class="label">[172]</span></a> <i>Id.</i>, p. 264, du 30 août 1810.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_173_173" id="Footnote_173_173"></a><a href="#FNanchor_173_173"><span class="label">[173]</span></a> <i>J. I.</i>, 8 oct. 1810.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_174_174" id="Footnote_174_174"></a><a href="#FNanchor_174_174"><span class="label">[174]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 248.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_175_175" id="Footnote_175_175"></a><a href="#FNanchor_175_175"><span class="label">[175]</span></a> Les causes de ce «mal du siècle» sont surtout +littéraires; écartés pour la plupart de la guerre—seul mode d'activité +qu'on connût alors,—ces jeunes gens se réfugièrent avec délices dans le +monde des idées, ils lurent trop. Cf. <i>Génie du Christianisme</i>, chapitre +du Vague des passions, et Ballanche, où le cas est prévu avec une +parfaite netteté, lorsqu'il dit: «Mon fils, vous portez dans votre sein +une secrète inquiétude qui vous dévore. Les livres seuls vous ont tout +appris. Les plus hautes conceptions des sages, qui pour y parvenir ont +eu besoin de vivre de longs jours, sont devenues le lait des enfants.» +(<i>Le Vieillard et le jeune homme.</i>) Cf. également une lettre de +Lamartine après sa première lecture de <i>Corinne</i> (<i>C.</i>, I, p. 117, du +1<sup>er</sup> juin 1809).</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_176_176" id="Footnote_176_176"></a><a href="#FNanchor_176_176"><span class="label">[176]</span></a> <i>C.</i>, II, p. 97; du 28 juin 1816.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_177_177" id="Footnote_177_177"></a><a href="#FNanchor_177_177"><span class="label">[177]</span></a> <i>Id.</i>, p. 337, du 25 avril 1819.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_178_178" id="Footnote_178_178"></a><a href="#FNanchor_178_178"><span class="label">[178]</span></a> Toute l'année 1819 fut occupée par des projets de +tragédies et de poèmes épiques: <i>Saül</i>, <i>Clovis</i>, <i>Jepté</i>, <i>Sapho</i>, +etc.; enfin sa maladie et son mariage accrurent encore l'indifférence +qui accompagna la publication des <i>Méditations</i>, en sorte que l'édition +fut très peu soignée; des vers furent tronqués et d'autres omis.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_179_179" id="Footnote_179_179"></a><a href="#FNanchor_179_179"><span class="label">[179]</span></a> <i>C.</i>, II, p. 358, du 27 mai 1819.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_180_180" id="Footnote_180_180"></a><a href="#FNanchor_180_180"><span class="label">[180]</span></a> Cf., sur les influences littéraires subies par Lamartine, +l'excellent ouvrage de M. Zyromski, <i>Lamartine, poète lyrique</i>.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_181_181" id="Footnote_181_181"></a><a href="#FNanchor_181_181"><span class="label">[181]</span></a> Souligné par Lamartine. <i>C.</i>, I, p. 177, du 9 nov. 1809.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_182_182" id="Footnote_182_182"></a><a href="#FNanchor_182_182"><span class="label">[182]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 260, du 10 août 1810.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_183_183" id="Footnote_183_183"></a><a href="#FNanchor_183_183"><span class="label">[183]</span></a> <i>Id.</i>, p. 148, du 19 août 1809.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_184_184" id="Footnote_184_184"></a><a href="#FNanchor_184_184"><span class="label">[184]</span></a> <i>Id.</i>, p. 253, du 26 juillet 1810.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_185_185" id="Footnote_185_185"></a><a href="#FNanchor_185_185"><span class="label">[185]</span></a> <i>Id.</i>, p. 260, du 10 août 1810.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_186_186" id="Footnote_186_186"></a><a href="#FNanchor_186_186"><span class="label">[186]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 301, du 21 mai 1811.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_187_187" id="Footnote_187_187"></a><a href="#FNanchor_187_187"><span class="label">[187]</span></a> Lamartine, qui se connaissait parfaitement, et souffrait +de sa mobilité de sentiments, écrivait un jour à Virieu: «Nous sommes +vraiment de singuliers instruments, montés aujourd'hui sur un ton, +demain sur un autre; et moi surtout, qui change d'idées et de goût selon +le vent qu'il fait ou le plus ou moins d'élasticité de l'air». (<i>C.</i>, +II, p. 16, du 28 mars 1813.)</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_188_188" id="Footnote_188_188"></a><a href="#FNanchor_188_188"><span class="label">[188]</span></a> Les <i>Mémoires inédits</i> nous apprennent qu'un certain M. +F. C., domicilié à Saint-Clément-lès-Mâcon, aurait joué un rôle assez +étrange dans l'aventure, soit qu'il favorisât les entrevues des jeunes +gens chez lui, soit qu'il se proposât comme ambassadeur. Les souvenirs +de Lamartine sont-ils en défaut sur ce point? Il n'y avait en effet, en +1811, aucun M. F. C., propriétaire à Saint-Clément.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_189_189" id="Footnote_189_189"></a><a href="#FNanchor_189_189"><span class="label">[189]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 289-90, du 1<sup>er</sup> février 1811.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_190_190" id="Footnote_190_190"></a><a href="#FNanchor_190_190"><span class="label">[190]</span></a> Sur Lamartine à l'Académie de Mâcon, cf. Reyssié (<i>op. +cit.</i>), qui a publié les procès-verbaux de sa réception, et le <i>Compte +rendu</i> des travaux de cette société pour 1811, où l'on trouve une +analyse de son discours; il avait pris pour sujet: De l'étude des +langues étrangères.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_191_191" id="Footnote_191_191"></a><a href="#FNanchor_191_191"><span class="label">[191]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 291, du 24 mars 1811.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_192_192" id="Footnote_192_192"></a><a href="#FNanchor_192_192"><span class="label">[192]</span></a> <i>Id.</i>, <i>ibid.</i></p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_193_193" id="Footnote_193_193"></a><a href="#FNanchor_193_193"><span class="label">[193]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 291, du 24 mars 1811.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_194_194" id="Footnote_194_194"></a><a href="#FNanchor_194_194"><span class="label">[194]</span></a> <i>Id.</i>, p. 296, du 2 avril.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_195_195" id="Footnote_195_195"></a><a href="#FNanchor_195_195"><span class="label">[195]</span></a> <i>Id.</i>, p. 296-97, du 2 avril 1811.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_196_196" id="Footnote_196_196"></a><a href="#FNanchor_196_196"><span class="label">[196]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 296-97, du 2 avril 1811.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_197_197" id="Footnote_197_197"></a><a href="#FNanchor_197_197"><span class="label">[197]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 299, du 20 mai.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_198_198" id="Footnote_198_198"></a><a href="#FNanchor_198_198"><span class="label">[198]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 310, du 10 juin 1811.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_199_199" id="Footnote_199_199"></a><a href="#FNanchor_199_199"><span class="label">[199]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 323-24, du 13 oct. 1811.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_200_200" id="Footnote_200_200"></a><a href="#FNanchor_200_200"><span class="label">[200]</span></a> <i>Id.</i>, p. 306, du 30 mai 1811 où l'on trouve: «...Une +occasion charmante et unique s'est présentée: ils l'ont saisie et, tout +malheureux que je me trouve de quitter pour sept ou huit mois, tout ce +que j'aime, j'en profite. La fortune ne sourit pas deux fois dans la +vie, et l'occasion n'a qu'un cheveu». Toute la lettre est d'ailleurs +incroyable de contrastes et quelque peu incohérente.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_201_201" id="Footnote_201_201"></a><a href="#FNanchor_201_201"><span class="label">[201]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 306, du 30 mai 1811.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_202_202" id="Footnote_202_202"></a><a href="#FNanchor_202_202"><span class="label">[202]</span></a> <i>Id.</i>, <i>ibid.</i></p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_203_203" id="Footnote_203_203"></a><a href="#FNanchor_203_203"><span class="label">[203]</span></a> Cf. <i>Correspondant</i>, <i>op.</i> <i>cit.</i></p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_204_204" id="Footnote_204_204"></a><a href="#FNanchor_204_204"><span class="label">[204]</span></a> <i>C.</i>, II, p. 15, du 28 mars 1813.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_205_205" id="Footnote_205_205"></a><a href="#FNanchor_205_205"><span class="label">[205]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 316, du 8 sept. 1811.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_206_206" id="Footnote_206_206"></a><a href="#FNanchor_206_206"><span class="label">[206]</span></a> <i>Id.</i>, p. 318, <i>id.</i></p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_207_207" id="Footnote_207_207"></a><a href="#FNanchor_207_207"><span class="label">[207]</span></a> <i>Id.</i>, p. 314, s. d.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_208_208" id="Footnote_208_208"></a><a href="#FNanchor_208_208"><span class="label">[208]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 316-319, du 8 sept.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_209_209" id="Footnote_209_209"></a><a href="#FNanchor_209_209"><span class="label">[209]</span></a> <i>Id.</i>, <i>ibid.</i></p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_210_210" id="Footnote_210_210"></a><a href="#FNanchor_210_210"><span class="label">[210]</span></a> <i>Carnet de voyage</i>.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_211_211" id="Footnote_211_211"></a><a href="#FNanchor_211_211"><span class="label">[211]</span></a> Lettre publiée par M. Doumic, dans le <i>Correspondant</i> +(<i>op. cit.</i>).</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_212_212" id="Footnote_212_212"></a><a href="#FNanchor_212_212"><span class="label">[212]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 330, du 18 nov. 1811. C'est d'ailleurs un +phénomène fréquent dans la <i>Correspondance</i>: Lamartine ne se montrait +pas sous le même jour à Virieu qu'à Guichard; mais il était, +croyons-nous, plus sincère avec Virieu.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_213_213" id="Footnote_213_213"></a><a href="#FNanchor_213_213"><span class="label">[213]</span></a> <i>Carnet de voyage</i>. <i>C.</i>, I, p. 344, du 8 déc. 1811.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_214_214" id="Footnote_214_214"></a><a href="#FNanchor_214_214"><span class="label">[214]</span></a> Cf. R. Doumic, <i>Lettres d'Elvire à Lamartine</i> (1 vol., +1905).</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_215_215" id="Footnote_215_215"></a><a href="#FNanchor_215_215"><span class="label">[215]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 342, du 15 déc. 1811.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_216_216" id="Footnote_216_216"></a><a href="#FNanchor_216_216"><span class="label">[216]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 343-46, du 28 déc. 1811.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_217_217" id="Footnote_217_217"></a><a href="#FNanchor_217_217"><span class="label">[217]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 355, du 22 janvier 1812.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_218_218" id="Footnote_218_218"></a><a href="#FNanchor_218_218"><span class="label">[218]</span></a> <i>J. I.</i>, table des matières.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_219_219" id="Footnote_219_219"></a><a href="#FNanchor_219_219"><span class="label">[219]</span></a> <i>J. I.</i>, 16 juin 1812.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_220_220" id="Footnote_220_220"></a><a href="#FNanchor_220_220"><span class="label">[220]</span></a> <i>Id.</i>, 25 juin, et archives communales de Milly. Il +demeura maire jusqu'en 1815, mais s'occupa rarement des affaires du +village, sauf au moment de l'invasion de 1814 où il dut fournir les +réquisitions de l'armée autrichienne.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_221_221" id="Footnote_221_221"></a><a href="#FNanchor_221_221"><span class="label">[221]</span></a> <i>Id.</i>, 27 mai 1812.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_222_222" id="Footnote_222_222"></a><a href="#FNanchor_222_222"><span class="label">[222]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 364, du 20 août 1812.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_223_223" id="Footnote_223_223"></a><a href="#FNanchor_223_223"><span class="label">[223]</span></a> <i>C</i>., I, p. 364, du 20 août 1812.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_224_224" id="Footnote_224_224"></a><a href="#FNanchor_224_224"><span class="label">[224]</span></a> <i>Id</i>., <i>ibid.</i></p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_225_225" id="Footnote_225_225"></a><a href="#FNanchor_225_225"><span class="label">[225]</span></a> <i>Id</i>., p. 371, du 17 nov. 1812.</p></div> +</div></div> + +<p class="c">DU MÊME AUTEUR</p> + +<p class="c">À LA MÊME LIBRAIRIE</p> + +<p class="c">L'Elvire de Lamartine et les Méditations. Un volume.</p> + +<p class="c">(<i>En préparation</i>.)</p> + +<p class="c">1811 10.—Coulommiers. Imp. PAUL BRODARD.—311.</p> +<hr /> + + + + + + + +<pre> + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of Les Origines et la Jeunesse de +Lamartine 1790-1812, by Pierre de Lacretelle + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LAMARTINE *** + +***** This file should be named 22077-h.htm or 22077-h.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + http://www.gutenberg.org/2/2/0/7/22077/ + +Produced by Chuck Greif and the Online Distributed +Proofreading Team at DP Europe (http://dp.rastko.net) + + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. 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It exists +because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from +people in all walks of life. + +Volunteers and financial support to provide volunteers with the +assistance they need, is critical to reaching Project Gutenberg-tm's +goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will +remain freely available for generations to come. In 2001, the Project +Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure +and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. +To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation +and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 +and the Foundation web page at http://www.pglaf.org. + + +Section 3. 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