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+The Project Gutenberg EBook of Les Origines et la Jeunesse de Lamartine
+1790-1812, by Pierre de Lacretelle
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
+
+
+Title: Les Origines et la Jeunesse de Lamartine 1790-1812
+
+Author: Pierre de Lacretelle
+
+Release Date: July 15, 2007 [EBook #22077]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: UTF-8
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LAMARTINE ***
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+
+Produced by Chuck Greif and the Online Distributed
+Proofreading Team at DP Europe (http://dp.rastko.net)
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+
+PIERRE DE LACRETELLE
+
+LES ORIGINES
+
+ET LA JEUNESSE DE LAMARTINE
+
+1790-1812
+
+PARIS
+
+LIBRAIRIE HACHETTE ET Cie
+
+79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 79
+
+1911
+
+Droits de traduction et de reproduction réservés.
+
+
+
+
+TABLE DES MATIÈRES
+
+
+PRÉFACE
+
+PREMIÈRE PARTIE
+
+LES ORIGINES
+
+CHAPITRE
+
+----I.--Les Lamartine
+
+---II.--Les Des Roys
+
+DEUXIÈME PARTIE
+
+LE MILIEU
+
+-----I.--La famille
+
+----II.--La mère
+
+---III.--Les Lamartine pendant la Terreur.--Les premières années
+
+----IV.--Le décor.--Les voisins
+
+TROISIÈME PARTIE
+
+LES ANNÉES D'ÉTUDE
+
+-----I.--L'abbé Dumont
+
+----II.--L'institution Puppier
+
+--III.--Le collège de Belley
+
+QUATRIÈME PARTIE
+
+LA FORMATION DE LA PERSONNALITÉ
+
+-----I.--La vie solitaire.
+
+----II.--La crise littéraire.--Le premier amour.
+
+---III.--Le premier voyage
+
+CONCLUSION.--Lamartine à vingt et un ans
+
+APPENDICE
+
+
+
+
+PRÉFACE
+
+
+Sainte-Beuve a écrit:
+
+«Lamartine est de tous les poètes célèbres celui qui se prête le moins à
+une biographie exacte, à une chronologie minutieuse, aux petits faits et
+aux anecdotes choisies. Son existence, large, simple, négligemment
+tracée, s'idéalise à distance et se compose en massifs lointains à la
+façon des vastes paysages qu'il nous a prodigués... Il est permis, en
+parlant d'un tel homme, de s'attacher à l'esprit du temps plutôt qu'aux
+détails vulgaires qui chez d'autres pourraient être caractéristiques...
+Qu'importent donc quelques détails de sa vie[1]?»
+
+[Note 1: Sainte-Beuve, _Portraits contemporains_, t. I (Lamartine).]
+
+Il paraît difficile d'admettre aujourd'hui sans discussion qu'un
+critique aussi pénétrant ait commis une telle erreur; sans doute
+avait-il ses raisons de parler ainsi, et peut-être ne faut-il voir dans
+cette opinion exagérée que l'excuse honorable pour les romantiques d'un
+éloignement dont ils furent tous secrètement blessés; écartés de
+l'existence du poète, ils déclaraient que le détail en était sans
+importance, et n'ajoutait rien à la compréhension de son œuvre.
+
+Malheureusement, il semble que les biographes de Lamartine aient pris
+jusqu'ici le jugement de Sainte-Beuve pour base de leurs travaux, dont
+la plupart ne sont que des fragments plus ou moins commentés de ses
+innombrables souvenirs de jeunesse, source dangereuse et dont il importe
+de se méfier, surtout pour la période antérieure à 1820. Écrits à une
+époque où pour oublier le présent il se retrempa dans son passé, ils
+composent plus exactement l'image de celui qu'il se crut ou aurait voulu
+être plutôt que celui qu'il fut réellement. Aussi, doivent-ils être
+utilisés avec une extrême précaution.
+
+Depuis quelques années déjà, la méthode historique a été introduite dans
+le domaine littéraire et, si elle a ses inconvénients, elle a surtout
+d'excellents côtés. Les études lamartiniennes en ont profité; divers
+travaux ont été publiés qui soumettent les récits du poète à un contrôle
+sévère en même temps qu'ils mettent en lumière des faits nouveaux. La
+légende de Lamartine adolescent tend à disparaître pour faire place à
+une réalité autrement vivante et l'on commence à comprendre que son
+œuvre nécessite une biographie minutieuse et presque quotidienne.
+
+Mais s'il importe de rechercher les causes des états d'âme multiples et
+contradictoires que reflète sa poésie, les _Méditations_, surtout,
+écrites sans souci de la postérité et de la gloire à une époque indécise
+et tourmentée de sa vie, réclament un commentaire infiniment plus précis
+que celui qu'il nous a laissé; replacées dans leur véritable cadre,
+éclairées par les circonstances qui déterminèrent, retardèrent ou
+hâtèrent leur éclosion, elles deviennent plus humaines encore, parce que
+plus sincères, et singulièrement émouvantes: en elles, aucun artifice
+littéraire, nul désir d'introduire un mode nouveau de pensée: ce livre
+qui devait révéler la jeunesse romantique à elle-même et marquer le
+début d'un mouvement unique dans l'histoire des lettres françaises, fut
+écrit sans ambition et presque négligemment. À comparer le manuscrit de
+_Saül_, médiocre tragédie en cinq actes, amoureusement calligraphié sur
+beau vélin, et les ébauches crayonnées hâtivement qui sont le premier
+jet des _Méditations_, on se rend compte que Lamartine ne les
+considérait que comme des notations intimes de ses états d'âme et sans
+intérêt pour le public. Ce sont là des conditions de sincérité qui font
+d'elles un précieux document psychologique pour l'étude de la jeune
+génération romantique, et c'est ce que nous avons tenté d'établir ici.
+
+Ce volume n'a d'autres prétentions que d'être la mise au point et
+l'utilisation de récentes publications dont on trouvera le détail au
+cours des chapitres qui suivent; nous y avons pourtant ajouté bon nombre
+de sources jusqu'ici demeurées inédites et sur lesquelles nous devons
+ajouter quelques mots. De l'œuvre publiée de Lamartine nous n'avons
+conservé que la _Correspondance_, dont il nous faut ici déplorer les
+lacunes et le classement souvent défectueux; volontairement, nous avons
+écarté tous les souvenirs rédigés sur ou par Lamartine postérieurement à
+1820, sauf lorsqu'il nous a été possible de les vérifier, pour ne
+retenir que les lettres et témoignages contemporains de la période qui
+nous occupait; écrits à une époque où son avenir était impossible à
+prévoir, ils le montrent sans aucun ménagement sous son jour véritable
+et tel qu'il apparaissait alors aux yeux de sa famille et de ses
+relations.
+
+En premier lieu, nous avons eu à notre disposition un important
+manuscrit, le _Journal intime_ de sa mère; on sait que quelques
+fragments très écourtés et très remaniés en ont été publiés par le poète
+sous le titre, _le Manuscrit de ma mère_[2], ouvrage dont la valeur
+documentaire est tout à fait négligeable tant les suppressions et les
+additions qu'il y fit sont considérables; elles s'expliquent, il est
+vrai, aisément, soit qu'il ait souvent hésité à apporter des démentis
+trop nombreux à ses _Confidences_, soit qu'il ait jugé délicat d'en
+reproduire le texte intégral. C'est grâce au _Journal intime_, toujours
+soigneusement daté, qu'il nous a été possible d'entreprendre cet
+ouvrage, car il nous a permis de mettre en lumière certains faits
+demeurés encore obscurs ou ignorés, en même temps qu'il nous fournissait
+un tableau chronologique minutieusement détaillé des quarante premières
+années du poète. Ces pages écrites au courant de la plume, sans aucune
+préoccupation de composition ni de publicité, présentent naturellement
+des négligences et des répétitions, mais les pensées et les sentiments
+n'y ont d'autre souci que la sincérité[3].
+
+[Note 2: _Le Manuscrit de ma mère_, prologue et épilogue par A. de
+Lamartine (Paris, 1871, in-8).]
+
+[Note 3: Voici la description des 12 petits cahiers--et non pas 22,
+comme l'a écrit Lamartine dans la préface des _Confidences_--du _Journal
+intime_ qui s'étend de 1800 à 1829:
+
+Tome
+
+I----: 13 déc. 1800-24 août 1801. 81 p., in-16.
+
+II---: 20 août 1801-8 avril 1802. 140 p., in-16.
+
+III--: 16 avril 1802-21 juin 1803. 153 p. plus 8 p. de comptes, in-6.
+
+IV-- : 23 juin 1803-22 octobre 1804. 118 p., plus 4 p. de table, in-16.
+
+V----: 1er nov. 1804-3 juillet 1806. 99 p., in-8.
+
+VI---: 12 juillet 1800-19 déc. 1808. 139 p., plus 2 p. de table, in-8.
+
+VII--: 27 janvier 1809-7 mars 1811. 99 p., plus 4 p. de table, in-8.
+
+VIII-: 10 mars 1812-28 février 1813. 193 p., in-4º.
+
+IX---: 7 mars 1815-3 mai 1821. 198 p. plus 2 feuillets
+ volants intercalés dans le texte, in-4º.
+
+X----: 14 juin 1821-13 oct. 1822. 87 p., in-4º.
+
+XI:--: 11 nov. 1822-21 juin 1824. 88 p., in-4º.
+
+XII--: 19 juin 1824-22 oct. 1829. 80 p., plus 30 feuillets
+ demeurés blancs, in-4º.]
+
+De plus, grâce à l'obligeance de M. Charles de Montherot, petit-neveu de
+Lamartine, nous avons pu prendre connaissance des riches archives de
+Saint-Point, et le baron Carra de Vaux a bien voulu mettre à notre
+disposition les papiers et titres de la famille maternelle du poète,
+qu'il représente actuellement. Nous devons également nos remerciements à
+plusieurs familles de Mâcon qui nous ont aimablement ouvert leurs
+archives domestiques; à M. A. Duréault, secrétaire perpétuel de
+l'Académie de Mâcon, qui nous a fait à mainte reprise profiter de son
+érudition et de ses recherches personnelles; à M. Lex, archiviste de
+Saône-et-Loire, dont les travaux nous ont été d'un grand secours. Enfin,
+nous tenons à exprimer notre reconnaissance à M. Gustave Lanson qui,
+préparant lui-même une étude sur les _Méditations_, nous a permis de
+prendre connaissance de plusieurs documents inédits qu'il avait réunis.
+
+C'est grâce à tant d'obligeances que ce volume a pu voir le jour. Nous
+avons essayé d'en faire une biographie exacte et critique; exacte, car
+nous n'avons voulu laisser dans l'ombre le moindre fait capable
+d'apporter un éclaircissement nouveau à la genèse des _Méditations_;
+critique, puisque les documents utilisés n'ont été acceptés qu'après un
+contrôle aussi sévère qu'il est possible en pareille matière.
+
+PIERRE DE LACRETELLE.
+
+
+
+
+PREMIÈRE PARTIE
+
+LES ORIGINES
+
+
+
+
+CHAPITRE I
+
+LES LAMARTINE[4]
+
+
+Les origines des grands hommes--et davantage, peut-être, celles des
+poètes--ne sont jamais à négliger. Sans doute, il importe peu pour
+l'histoire littéraire que Vigny descende d'un trésorier du XVe
+siècle, que Hugo soit apparenté à un évêque lorrain, que Lamartine soit
+petit-fils d'un intendant des finances du duc d'Orléans. Ce n'est là,
+dans leur biographie, qu'un élément de curiosité.
+
+[Note 4: Sources et bibliographie: _Archives municipales de Mâcon_:
+Registres des baptêmes, mariages et décès de la paroisse
+Saint-Pierre.--_Archives départementales de Saône-et-Loire_ (Série B,
+1324-1371): Registres du bailliage de Mâcon où sont conservés de
+nombreux contrats, testaments et donations.--_Archives municipales de
+Cluny_: Registres des baptêmes, mariages et décès de la paroisse
+Saint-Marcel.--_Archives de la Guerre_ (section administrative): États
+de services des membres de la famille qui furent
+officiers.--_Bibliothèque Nationale_ (manuscrits): Armorial général,
+généralité de Bourgogne. D'Hozier, pièces originales, vol. 504 et 1873,
+dossiers bleus, vol. 7.--_Bibliothèque de Mâcon_: Claude Bernard,
+généalogie des familles de Mâcon (mss).
+
+Tessereau, _Histoire chronologique de la grande chancellerie de France_
+(Paris, 1710).--Arcelin, _Indicateur héraldique du Mâconnais_ (Mâcon,
+1865).--Révérend Du Mesnil, _Lamartine et sa famille_ (Lyon,
+1869).--Lex, _Lamartine, souvenirs et documents_ (Mâcon, 1890).--Lex,
+_les Fiefs du Mâconnais_ (Mâcon, 1897).]
+
+Mais si, et avec raison, l'on accorde à l'éducation et au milieu une
+influence prépondérante sur le développement d'un génie, il faut
+également faire une part aux influences ancestrales, à la vie antérieure
+qui, elles aussi, laissent des traces plus profondes qu'on ne l'imagine
+ordinairement, et l'héritage moral d'un poète est précieux à connaître
+pour tout ce qu'il lui a transmis d'instincts ataviques. Une telle étude
+est souvent délicate et vaine devant le petit nombre de documents que
+l'on parvient à recueillir. Une filiation exacte pendant trois
+siècles--le plus haut qu'on puisse habituellement remonter--est
+curieuse, mais de simples dates ne suffisent pas; il faudrait connaître
+la vie des ancêtres, savoir où et comment ils vécurent, quelles passions
+les dominèrent, dans quelle province ils fixèrent leur foyer, en un mot
+posséder ce qu'on appelait jadis le _Livre de raison_, registre où les
+chefs de famille inscrivaient à tour de rôle grands et petits événements
+d'une existence souvent trop obscure pour qu'on puisse en retrouver
+trace dans les archives des villes où ils vécurent.
+
+Pour Lamartine, nous avons la bonne fortune d'être à peu près fixés sur
+son hérédité, grâce à une abondance rare de documents qui nous
+permettent de remonter jusqu'au début du XVIe siècle, avec des
+détails précis et nombreux sur les deux familles dont il descend.
+
+Tout d'abord, il est curieux de constater que dès l'origine l'une et
+l'autre semblent être établies de longue date dans les régions mêmes où
+elles demeurèrent ensuite jusqu'à la fin du XVIIIe siècle; et cet
+intense et pénétrant sentiment de la terre natale qui sera chez
+Lamartine une des notes dominantes de sa poésie, se retrouve déjà chez
+ses pères qui lui transmirent un peu de leur amour du sol lentement
+acquis au cours des siècles. Mais aucun ancêtre, pas plus chez les
+Lamartine que chez les Des Roys, n'a laissé grande trace dans l'histoire
+de son temps: enracinés dans le même coin de Bourgogne ou d'Auvergne
+depuis douze générations, habitués de père en fils à faire tout
+naturellement le sacrifice d'intérêts immédiats ou propres à ceux
+lointains et souvent invisibles de la race et de la famille, tous,
+bourgeois, magistrats et capitaines, vécurent la même vie paisible et
+sédentaire, soucieux avant tout d'augmenter leur bien par de solides
+alliances, tandis que les cadets s'en allaient mourir obscurément à
+quelque siège lointain, et que les filles, peu ou point dotées,
+traînaient leur mélancolique existence sous les arceaux du cloître le
+plus proche.
+
+ * * * * *
+
+C'est à Mâcon, paisible et dormante petite cité, qu'il faut chercher les
+origines paternelles de Lamartine, dont les ancêtres, dès la fin du
+XVIe siècle, habitaient la maison même où il naquit. La forme
+primitive du nom est _Alamartine_--et non _Allamartine_, comme il l'a
+écrit,--qui subsiste encore actuellement en Bourgogne et dans la
+Haute-Loire. La famille est originaire du Charollais, où l'on rencontre
+à la fin du XVe siècle des Alaberthe, Alabernarde, Alablanche,
+devenus plus tard, à la suite d'une transformation identique, des de la
+Berthe, de Labernarde et de Lablanche. Quant aux origines sarrasines
+dont le poète se targuait volontiers, elles étaient peut-être une
+charmante excuse à sa hautaine nonchalance, à son amour des animaux et à
+l'invincible attrait que l'Orient exerça toujours sur lui, mais elles
+demeurent, bien entendu, plus que problématiques. La forme _Alamartine_
+se trouve dans la famille du poète jusqu'à la fin du XVIIe siècle, en
+la personne de Jean-Baptiste Alamartine, son trisaïeul, qui, bien que né
+noble, signa jusqu'en 1680 Alamartine.
+
+Au XVIIIe siècle, toute trace de roture a définitivement disparu du
+nom, qui s'écrit Delamartine ou de la Martine, mais rarement de
+Lamartine; ce n'est qu'avec la Révolution qu'on voit apparaître cette
+dernière forme, sans la particule. Notons enfin que, jusqu'en 1825, le
+poète signa indifféremment Delamartine, de la Martine, ou de Lamartine.
+Mais la transformation légitime d'_Alamartine_ ou _de la Martine_ date
+du milieu du XVIIe siècle, époque où la famille fut anoblie.
+
+Il y avait en 1789 peu d'ancienne noblesse dans la région du Mâconnais.
+Elle n'était guère représentée que par quelques vieilles familles
+désœuvrées et hautaines, à qui la modicité de leurs revenus interdisait
+Versailles où elles n'auraient pu tenir leur rang; et à part ce comte de
+la Baume-Montrevel qui n'avait jamais mis les pieds à la cour et
+trouvait moyen de manger royalement à Mâcon ses six cent mille livres de
+revenu avec ses équipages, ses violons et ses chasses, le reste n'était
+guère que bourgeois enrichis, vivant de la terre, et indifférents à la
+politique.
+
+La famille de Lamartine en est d'ailleurs le meilleur exemple: à la fin
+du XVIIIe siècle, ses membres établis dans la région depuis plus de
+trois cents ans s'étaient lentement élevés des plus infimes fonctions
+aux plus hautes charges, et les transformations subies par le nom
+patronymique sont le meilleur témoignage de cette évolution commune à la
+majorité des familles de la région.
+
+C'est ainsi qu'au milieu du XVIe siècle le chef de la famille était
+humble tanneur à Cluny; son fils, plus tard, fut un bourgeois influent
+de la ville et, à ce titre, chargé de présenter aux États du Mâconnais
+les revendications du tiers; et tous signaient Alamartine. Au début du
+XVIIe siècle, son petit-fils remplissait les importantes fonctions de
+juge-mage et capitaine de l'abbaye de Cluny; quelques années après, il
+acquit la noblesse--noblesse de robe--par l'achat d'une charge de
+secrétaire du roi puis, par une ascension toute naturelle, ses fils
+acquirent des _terres nobles_, prirent l'épée, et virent alors s'ouvrir
+devant eux les chambres de la noblesse aux États de Bourgogne; le nom
+devint de la Martine.
+
+Le poète, pourtant, se montra toujours fort peu soucieux de ses
+origines; ses armes, même enregistrées avec tant de soin par son
+bisaïeul à l'Armorial général, étaient timbrées par lui d'une façon
+fantaisiste; alors qu'à la fin du XVIIe siècle les Lamartine
+portaient: «de gueule à deux fasces d'or chargé d'un trèfle de même», il
+substitua, on ne sait pourquoi, des bandes aux fasces[5]; question
+purement esthétique, sans doute, mais qui prouve à quel point la science
+héraldique le préoccupait peu; de même, à ceux qui l'interrogeaient, il
+répondait invariablement qu'il descendait «d'une famille noble et
+catholique du Mâconnais».
+
+[Note 5: Dans l'Armorial général de d'Hozier, établi en 1696, on
+voit que les Lamartine portaient: «de gueules à deux fasces d'or,
+accompagnées en cœur d'un trèfle de même». La branche cadette de
+Montceau «brisait en chef d'un lambel d'argent». Le cachet de Lamartine,
+que nous avons pu voir, ne porte pas de lambel, puisque la branche aînée
+était éteinte à la fin du XVIIIe siècle, et les «fasces» ont été
+remplacées par des «bandes».]
+
+Mais si tous ces petits détails le laissaient indifférent, il n'en
+allait pas de même de son grand-père, Louis-François de la Martine qui,
+fort entiché de noblesse, fit admettre dans des actes officiels du
+milieu du XVIIIe siècle plusieurs généalogies assez inexactes de sa
+famille[6]. Mais il avait l'excuse de vivre à une époque où les titres
+décidaient plus que les mérites. Pour faire admettre ses filles dans des
+chapitres nobles et ses fils dans des régiments d'élite, il fut donc
+contraint de fournir les titres requis par les statuts. Sa noblesse
+était incontestable, mais trop récente; c'est alors que, pour satisfaire
+aux règlements, il se créa des ancêtres plus ou moins authentiques. Très
+inhabilement, d'ailleurs, il fit subir aux registres paroissiaux des
+grattages et des lavages chimiques, rendus parfaitement visibles par le
+contraste des encres et des écritures, et il faut croire que les deux
+gentilshommes chargés de la vérification des pièces furent tolérants.
+Partout où cela fut possible, les «chevalier», «messire», «noble
+seigneur» remplacèrent les «maistre»; l'A de Alamartine se transforma en
+«de» au moyen de quelques grattages et l'on profita même de ce qu'un
+ancêtre avait été marié deux fois pour donner un quartier de plus à la
+noblesse familiale.
+
+[Note 6: Il existe, à notre connaissance, au moins trois de ces
+généalogies. L'une figure à la Bibliothèque Nationale (_Manuscrits,
+ancien fonds français_) et occupe les pages 1-5 du vol. 790 de la
+collection Moreau (t. XXXIII de l'ancien recueil Fontette). Elle a été
+publiée par nous dans la _Revue des Annales romantiques_, fasc. V de
+l'année 1905. La seconde figure au ministère de la Guerre. La troisième
+se trouve aux Archives de Saône-et-Loire, et a été publiée par M.
+Reyssié: _la Jeunesse de Lamartine_, in-18, 1892, p. 9.]
+
+Néanmoins, malgré ces falsifications plus courantes à l'époque qu'on ne
+le croit ordinairement, il est possible de reconstituer la généalogie
+exacte de la famille de Lamartine, à l'aide d'autres documents tels que
+les registres du bailliage, ceux-là authentiques, et d'une autorité
+incontestable.
+
+Au début du XVIe siècle, les Alamartine vinrent s'établir à Cluny,
+sur les dépendances de la célèbre abbaye qui faisait vivre toute une
+population, et où le premier d'entre eux dont on trouve mention vivait
+en 1550, exerçant la modeste profession de tanneur cordonnier. Avec son
+prénom--Benoît--c'est là tout ce qu'on sait de lui, mais ses enfants
+nous sont un peu mieux connus [7].
+
+[Note 7: M. Abel Jeandet (_Annales de l'Académie de Mâcon_, 2e
+série, t. V, p. 117) a publié un acte en date du 14 octobre 1544,
+concernant un Estienne Alamartine, «bourgeois et marchand de Cluny»,
+propriétaire à Azé. Il s'agit là sans doute d'un frère de Benoît, ou
+peut-être de son père, mais il nous a été impossible de l'identifier de
+façon certaine.]
+
+Il eut une fille, Françoise, mariée le 4 janvier 1587 à Claude
+Tuppinier[8], et trois fils. L'aîné, Gabriel, fut notaire au bailliage
+de Mâcon, par provisions du 15 septembre 1573, et épousa une demoiselle
+Claude Morestel dont il eut une fille, Philiberte, mariée en 1594 à Jean
+Durantel, notaire et procureur à Cluny. Le cadet, Benoît, avocat à
+Mâcon, prit pour femme le 29 octobre 1595 Jeanne Fournier, fille de
+Guyot Fournier et de Jacqueline Descrivieux, dont il eut neuf
+enfants[9]. Quant au plus jeune, Pierre, ancêtre direct du poète, on
+sait de lui peu de chose. Quelques actes de baptême où sa femme et lui
+signèrent comme marraine et parrain, nous apprennent qu'il épousa
+Jehanne de la Roüe, d'une famille bourgeoise du Mâconnais, sans que l'on
+puisse connaître ni sa profession ni quelque autre date précise de son
+existence, si ce n'est qu'en 1604 il fut chargé de présenter aux États
+du Mâconnais les revendications du Tiers.
+
+[Note 8: La famille Tuppinier, dont une branche subsiste encore en
+Bourgogne, est originaire de Cluny, où l'on trouve en 1544 un Jacques
+Tuppinier, bourgeois de la ville, marchand drapier, marié à Antoinette
+de Gordon. Il est le père de Claude, marié à Françoise Alamartine.]
+
+[Note 9: Guyot Fournier, père de Jeanne, exerça, le 31 août 1601,
+une reprise de fief pour la châtellenie de Prissé. La famille
+Descrivieux était originaire de Bresse; Charles Descrivieux était
+échevin de Mâcon en 1466; à la fin du XVIIIe siècle, les Descrivieux,
+seigneurs de Charbonnières, prirent séance en la Chambre de la noblesse
+du Mâconnais.
+
+Benoît Alamartine et Jeanne Fournier eurent de leur mariage: 1º
+_Charles_ (9 mai 1598--?); 2º _Guyot_ (31 déc. 1601--?), marié à
+Philiberte Paillet; 3º _Claude_ (28 oct. 1602--3 oct. 1609); 4º
+_Marguerite_ (16 août 1604--3 oct. 1608); 5º Étienne (12 nov. 1600--?);
+6º Jacques (9 août 1609--?); 7º _Avoye_ (23 février 1612--?); 8º _Aimée_
+(8 juin 1613--?); 9º _Suzanne_ (27 sept. 1614--?).
+
+C'est vraisemblablement d'un des fils de Gabriel ou de Benoît Alamartine
+que sont issus les nombreux Alamartine existant encore dans le
+Charollais, et un Émilien Alamartine, notaire à Cluny au milieu du
+XVIIIe siècle. À signaler également un acte de mariage du 21 janvier
+1782, entre Philippe Cartillet, marchand forain, et Jeanne Lamartine,
+tailleur _(sic)_, fille de François Lamartine, tisserand, «lesquels ont
+déclaré ne savoir signer». Bien que l'acte ait été enregistré à Mâcon,
+ces Lamartine n'ont aucune parenté, même lointaine, avec ceux qui nous
+occupent, la forme roturière du nom étant Alamartine et non Lamartine.]
+
+Vers 1575 quelques membres au moins de la famille Alamartine
+appartenaient à la religion réformée. Un pamphlet du temps, la _Légende
+de dom Claude de Guise_[10], œuvre de Gilbert Regnault notable huguenot
+de Cluny, nous apprend en effet qu'ils eurent à subir des persécutions
+pour leur foi:
+
+ Quy voudrait, dit Regnault, spécifier les persécutions, les
+ voleries, les larcins et brigandages que saint Nicaise et saint
+ Barthélémy[11] ont exercées à l'encontre des pauvres fidelles de la
+ Religion en la ville de Cluny, faudrait les prendre un par un, puis
+ déchiffrer les tours, les menées, les piperies, cruautés et
+ barbaries pour tirer les rançons de ces pauvres, ainsy que descrire
+ les sommes de deniers qu'il a tirées des seigneurs Philibert
+ Magnyn, Marin Arcelin, capitaine Rousset, Bolat, Division,
+ Tuppinier, Holande, Alamartine, Corneloup, Fornier, et plusieurs
+ autres signalés de la ville de Cluny; et nous n'aurions jamais
+ fait, non seulement spécifier les deniers qu'il a estorqués de ces
+ personnages, mais aussi les moyens qu'il a tenus pour leur faire
+ renoncer Dieu, c'est-à-dire révolter la religion réformée.
+
+[Note 10: _La Légende de domp Claude de Guize..._ s. I. 1582, in-8,
+réimprimée en 1744, au tome IV des _Mémoires de la Ligue_.]
+
+[Note 11: Surnoms donnés par Regnault à l'abbé de Cluny et à son
+vicaire.]
+
+Il ne faut pas s'exagérer la valeur de cette conversion des Lamartine
+aux idées nouvelles qui dut être extrêmement passagère. Le mouvement
+réformiste en Bourgogne eut des causes très diverses, suivant les
+endroits où il éclata: à Mâcon et à Cluny, les émeutes et les
+conversions en masse de 1562 et 1567 eurent en grande partie pour cause
+les exactions de Claude de Guise, abbé de Cluny, qui faisait lourdement
+peser son autorité despotique sur les habitants.--Ceux-ci, plus par
+exaspération que par foi sincère, s'allièrent aux huguenots et de ce
+nombre furent les Lamartine. L'abbé de Cluny obtint d'ailleurs
+finalement gain de cause, puisqu'au début du XVIIe siècle on trouve
+un fils de Pierre pourvu d'une charge à l'abbaye même, ce qui suppose,
+bien entendu, un retour à la religion de ses pères.
+
+Estienne Alamartine, en effet, bourgeois de Cluny, est qualifié dans les
+actes le concernant de juge-mage et capitaine de l'abbaye de Cluny;
+fonctions importantes qui lui conféraient des pouvoirs administratifs
+fort étendus, puisqu'il était chargé de rendre la justice pour le compte
+du roi sur les terres ecclésiastiques. Peu à peu, il augmenta sa
+situation[12]; le 25 octobre 1604, il fut nommé avocat; en 1609 le roi
+ayant créé trois offices de conseiller au bailliage de Mâcon, il acquit
+une de ces charges et enfin, en 1651, celle de secrétaire du roi fort
+recherchée alors puisqu'elle conférait la noblesse à son titulaire
+pourvu qu'il l'eût exercée vingt ans ou qu'il fût mort en étant
+revêtu.--Estienne Alamartine ayant été reçu en Parlement de Paris le 3
+juillet 1651 et étant mort en fonction l'an 1656, la noblesse fut donc
+acquise à ses descendants.
+
+[Note 12: Le 8 avril 1626, à l'assemblée des États du Mâconnais, il
+fut chargé de présenter les «mémoire et doléances» du Tiers-État.]
+
+Estienne fut marié deux fois: en premières noces il épousa, le 12
+octobre 1605 à Mâcon, Aymée de Pise, fille de noble Antoine de Pisz,
+président en l'élection du Mâconnais, et de dame Antoinette de
+Rymon[13], dont il n'eut pas d'enfants; et, en deuxièmes noces, le 18
+novembre 1619, à Chalon, Anne Galloche, fille de Guillaume Galloche,
+procureur du roi en la châtellenie de Sairt-Laurent-lez-Chalon, et de
+Nicole Gon.
+
+[Note 13: La famille de Pise est originaire de Mâcon. On trouve un
+Antoine de Pise échevin de cette ville en 1450; Philippe de Pise, garde
+du scel des contrats du bailliage de Mâcon (par provisions du 15 juin
+1544), eut pour fils Antoine, père d'Aymée de Pise. Les de Pise
+devinrent en 1603 seigneurs de Flacé, par acquisition des Maugiron. Les
+de Ryrmon, seigneurs de Champgrenon, la Moussière, la Serve et la
+Rochette sont originaires de Saint-Gengoux, d'où était Hugues de Rymon,
+capitaine de la ville et du château, marié à Françoise Bourgeois.]
+
+C'est à propos de ces deux mariages que commencèrent les falsifications
+de Louis-François dont nous avons parlé plus haut. En effet, dans toutes
+les généalogies qu'il fit établir à l'époque, il eut soin, afin de
+donner un quartier de plus à sa noblesse, de profiter de ces deux
+mariages pour faire du seul Estienne deux personnages distincts: le
+premier fut marié avec Aymée de Pise, et le second avec Anne Galloche.
+
+Mais, devant l'invraisemblance des dates--le premier mariage étant de
+1605 et le second de 1619, le fils présumé d'Estienne aurait donc eu
+treize ans à l'époque de son mariage!--il fallut d'abord reculer la
+date de 1605 à 1601, et avancer celle de 1619 à 1629, ce qui fut fait à
+l'aide de quelques grattages, et donnait alors environ vingt-sept ans au
+faux Estienne le jour de son mariage.
+
+Bien plus, comme il n'y avait de lui--et pour cause--aucun acte, aucune
+pièce authentique, il fallut au moins fournir une preuve soi-disant
+irréfutable de sa naissance: c'est alors qu'on créa, de toutes pièces,
+cette fois, un faux acte de baptême au nom de cet imaginaire personnage.
+À cet effet, à la date du 2 novembre et sur les registres paroissiaux de
+l'année 1602, on fit simplement disparaître, à l'aide d'un lavage
+chimique, l'acte de baptême d'un individu quelconque; puis, à cette
+place, on transcrivit le faux qui devait donner quelque vraisemblance à
+l'extraordinaire conception de Louis-François. Il est d'ailleurs heureux
+pour lui que les deux gentilshommes chargés de l'examen des titres et
+preuves de noblesse, messire Éléonor de Garnier, comte des Garets,
+gouverneur de la citadelle de Strasbourg, et le chevalier de Prisque de
+Besanceuil n'aient pas mené leur besogne jusqu'au bout, car la lecture
+des registres ou ces falsifications sont encore très apparentes
+aujourd'hui les eût pleinement édifiés. Sur les deux actes de mariage,
+les corrections grossièrement dissimulées sous de maladroites taches
+d'encre sont très visibles; sur le faux acte de baptême, le papier
+blanchi par l'acide et les mouillures, les signatures péniblement
+décalquées ou copiées, l'encre encore noire, l'écriture enfin,
+contrastent trop étrangement avec les actes qui précèdent ou suivent
+pour que le moins averti s'y soit trompé.
+
+Louis-François avait compté sans les registres du bailliage qu'il ne
+pouvait aussi aisément falsifier; ils font foi qu'il n'y eut pas deux
+Estienne Alamartine, mais un seul, marié deux fois; de sa première union
+il n'eut pas d'enfants, mais de l'autre il en eut cinq, trois filles et
+deux garçons.
+
+L'aînée des filles, Philiberte, épousa le 10 mars 1638 Antoine de la
+Blétonnière[14]; une autre, Anne, née en 1627, fut mariée à Simon
+Dumont, «élu en l'élection[15]», et mourut le 16 mars 1709. La dernière,
+Françoise-Marie, devint religieuse à la Visitation de Mâcon.
+
+[Note 14: La famille de la Blétonnière est originaire de Cluny. Un
+Antoine de la Blétonnière, procureur du roi, puis juge royal en la
+châtellenie de Saint-Gengoux par provisions du 11 août 1617. Son fils
+Antoine, lieutenant en l'élection du Mâconnais. D'après le contrat de
+mariage de Philiberte, où les époux sont qualifiés «habitants de Cluny»,
+on voit que les Alamartine ne résidaient pas encore à Mâcon. Étienne s'y
+était néanmoins marié en 1605, mais ce n'est qu'à partir de 1650 qu'on
+les trouve définitivement installés à Mâcon, paroisse Saint-Pierre.]
+
+[Note 15: Jean Dumont, bourgeois de Mâcon à la fin du XVIe
+siècle, marié à Françoise Foillard. La famille fut anoblie en 1723, en
+la personne d'Émilien Dumont, secrétaire du roi.]
+
+Quant aux deux fils, l'aîné, Philippe-Étienne, fut l'auteur de la
+branche aînée de Lamartine, dite d'Hurigny, éteinte dans les mâles à la
+fin du XVIIIe siècle, et le cadet, Jean-Baptiste, de la branche de
+Montceau dont descend le poète.
+
+
+Lamartine d'Hurigny.
+
+
+Hurigny est une ancienne châtellenie royale dépendant des domaines du
+roi, située dans le canton nord de Mâcon non loin de la ville. En 1510,
+la terre d'Hurigny avait été inféodée en faveur de Philippe Margot,
+conseiller maître des comptes à Dijon. Au milieu du XVIe siècle, la
+seigneurie passa aux mains de la famille Seyvert; en 1665, leur
+héritier, Jacques Lestouf de Pradines la vendit à Philippe-Étienne, qui,
+en 1672, exerça une reprise de fief.
+
+Philippe-Étienne naquit vraisemblablement à la fin de 1622. Il succéda à
+son père en 1656 dans son office de conseiller et secrétaire du roi,
+mais résigna ses fonctions quelques années après, le 14 janvier 1663. Il
+avait épousé, le 14 juin 1657, Claudine de la Roüe, fille de feu noble
+Antoine de la Roüe, avocat à Mâcon, et de demoiselle Marie Galopin, sa
+veuve.
+
+De cette union naquirent deux fils et quatre filles: Ursule (3 janvier
+1677--7 mars 1746), mariée le 7 novembre 1696 à Antoine Desbois, grand
+bailli d'épée du Mâconnais et capitaine du château de Mâcon[16]; Marie,
+morte jeune (5--14 février 1602); Marie et Marie-Anne, l'une religieuse
+au couvent de la Bruyère (1605--?), l'autre ursuline à Mâcon. Quant aux
+fils, l'aîné, Philippe, né le 26 août 1658, fut marié le 7 juin 1704 à
+Anne Constant, fille d'Antoine Constant, échevin de Lyon en 1697-98, et
+de Anne Mollien[17]. Il n'en eut pas d'enfants, et mourut le 20 octobre
+1747. Tous les biens paternels qui devaient lui revenir en sa qualité
+d'aîné, furent transmis à son cadet, Jean-Baptiste, né le 19 octobre
+1663.
+
+[Note 16: La famille Desbois, actuellement représentée par les
+familles de Murard, de Surigny et de la Forestille, est issue de Gabriel
+Desbois, bourgeois de Cluny à la fin du XVIe siècle, dont le
+petit-fils, Pierre Desbois, seigneur de la Cailloterie, fut anobli en
+16435 par l'achat d'une charge de secrétaire du roi.
+
+À partir d'Antoine Desbois, la charge de grand bailli d'épée du
+Mâconnais se transmit de père en fils dans la famille jusqu'à la
+Révolution.]
+
+[Note 17: Anne Constant (?--27 sept. 1757) était fille d'Antoine
+Constant (1641-1716), échevin de Lyon en 1697-98, et de Anne Mollien.
+(Cf. Jouvencel, _l'Assemblée de la noblesse de la sénéchaussée de Lyon
+en 1789_. Lyon, 1907.)]
+
+Ce fut Jean-Baptiste qui, le premier des Lamartine, rehaussa le nom du
+prestige, si grand à l'époque, de la noblesse d'épée, puisqu'après avoir
+servi quelque temps cornette dans Lande-dragons, il acheta le 25 octobre
+1689 une compagnie dans le régiment de Gévaudan-dragons. Il quitta
+l'armée pour épouser le 26 février 1696 Éléonore Bernard, d'une très
+ancienne famille mâconnaise, fille de Philibert, seigneur de la
+Vernette, conseiller du roi au siège et présidial de Mâcon[18], et de
+Jeanne Bollioud, qui lui donna une fille, Françoise (1700--1720), et
+deux fils, dont l'aîné, Philibert, né le 15 juillet 1698, fut capitaine
+au régiment de Piémont, et mourut chevalier de Saint-Louis le 8 janvier
+1789, sans avoir été marié.
+
+[Note 18: La famille Bernard est une des plus vieilles du pays. Un
+Philippe Bernard, conseiller au parlement de Paris, seigneur de la
+Vernette, fut envoyé en 1583 par Henri III comme ambassadeur auprès de
+la république de Venise. Nicolas Bernard était capitaine de Mâcon en
+1502; Jean Bernard, son fils, était écuyer de Catherine de Médicis par
+brevet du 30 juin 1580.]
+
+Le cadet, Jean-Baptiste, dernier seigneur d'Hurigny, naquit en 1703. Il
+servit d'abord comme volontaire dans le régiment de Villeroy où il
+devint capitaine et chevalier de Saint-Louis. Il épousa, le 8 mars 1735,
+Anne de Lamartine de Montceau, sa cousine, et mourut le 10 avril 1757,
+n'ayant eu de son mariage qu'un fils, Louis François, né le 26 février
+1748, mort jeune, et cinq filles.
+
+L'aînée, Jeanne-Sibylle-Philippine, née le 7 février 1736, épousa le 16
+février 1756 Pierre de Montherot de Montferrands[19]. La cadette,
+Marianne (31 oct. 1737--?) épousa, le 25 février 1759, Pierre Desvignes
+de Davayé; une autre, Ursule (6 déc. 1741--?), fut mariée le 2 septembre
+1761 à Antoine Patissier de la Forestille, capitaine au régiment de
+Piémont. Quant aux deux autres, Marie-Philiberte (7 février 1739--?) et
+Françoise-Marie (15 nov. 1742--?), elles furent toutes deux religieuses
+à Mâcon.
+
+[Note 19: M. Charles de Montherot, petit-neveu du poète et
+possesseur du château de Saint-Point, descend donc à la fois des
+Lamartine d'Hurigny et des Lamartine de Montceau, puisqu'un petit-fils
+de Jeanne-Sibylle de Lamartine épousa en 1820 une des sœurs du poète.]
+
+À la mort de Philibert de Lamartine, survenue en 1789, la branche aînée
+se trouva donc éteinte dans les mâles; la seigneurie d'Hurigny, avec les
+domaines et château qui en dépendaient, avait été constituée en dot à
+Jeanne-Sibylle, lors de son mariage avec Pierre de Montherot.
+
+
+Lamartine de Montceau.
+
+
+La branche cadette de Montceau, dont est issu le poète, a pour auteur
+Jean-Baptiste, fils cadet d'Estienne Alamartine et d'Anne Galloche. Il
+naquit en 1640, fit ses études de droit à l'université d'Orléans[20], et
+à la mort de son père hérita de la charge de conseiller au bailliage de
+Mâcon. Il épousa le 17 avril 1662 Françoise Albert, fille d'Abel Albert,
+conseiller du roi, receveur des consignations, et de demoiselle
+Françoise Moisson. C'est par l'alliance avec les Albert que la terre de
+Montceau entra dans la famille; c'était un beau domaine d'environ 50
+hectares, situé sur les communes actuelles de Prissé et de Saint-Sorlin,
+à une dizaine de kilomètres de Mâcon. Bien qu'on ne retrouve aucune
+reprise de fief pour Montceau, ses possesseurs s'en qualifiaient
+seigneurs, alors qu'en réalité, Montceau faisait partie de la terre et
+châtellenie de Prissé. On trouve en 1603 un dénombrement de Prissé par
+«honorable Guyot Fournier», dont une fille, on l'a vu plus haut, avait
+épousé un Benoît Alamartine; on y voit que «ladite châtellanie a de
+tout temps appartenu au roi et au seigneur révérend évêque de Mâcon, par
+indivis, et à chacun d'eux la moitié». Le 17 juillet 1675 on rencontre
+une reprise de fief et dénombrement par les héritiers de Pierre
+Fournier, au nombre desquels figure Abel Albert, beau-père de
+Jean-Baptiste de Lamartine. Non seulement dans cet acte Abel Albert se
+qualifie de seigneur de Montceau, mais il affirme encore que «si ladite
+châtellenie est au roi pour une moitié et à l'évêque pour l'autre
+moitié», les rentes, toutefois, appartiennent pour un tiers au roi, un
+autre à l'évêque et le dernier au seigneur. En 1679 Abel Albert augmenta
+sa part en rachetant celles des deux co-héritiers Fournier, et à partir
+de cette date on ne retrouve plus de reprise de fief pour Prissé. Au
+début du XVIIIe siècle, par suite de la mort du fils d'Abel Albert,
+sa sœur, Françoise, femme de Jean-Baptiste, hérita de Montceau. Ce n'est
+d'ailleurs pas Montceau qui permit aux Lamartine de la branche cadette
+d'entrer aux chambres de la noblesse du Mâconnais, puisque seule, on l'a
+vu, la châtellenie de Prissé qu'ils ne possédaient pas était terre
+noble, mais bien le fief de la Tour de Mailly acquis au milieu du
+XVIIIe siècle.
+
+[Note 20: Arch. dép. du Loiret. D. 98 (communication de M.
+Jagebien).]
+
+Le testament de Jean-Baptiste et de sa femme, rédigé le 1er mars
+1707, nous montre que, dès cette époque, la situation des Lamartine
+était déjà solidement établie:
+
+ Nous léguons, y est-il dit en effet, aux pauvres de l'Hôtel-Dieu et
+ de la Charité de cette ville, à chacun (_sic_), la somme de trois
+ cents livres, les invitant à prier Dieu pour nous. À notre fils
+ Nicolas de la Martine, nous donnons et léguons pour sa part et
+ portion de nos biens et hoirie notre domaine situé à Milly et lieux
+ circonvoisins, et celui des Fortins, paroisse de Bertzé-la-Ville
+ consistant en maison garnie des meubles qui y sont présentement,
+ caves, pressoirs, et généralement tout ce qui en dépend, prés,
+ terre, vignes, bois, maisons des grangers et vignerons et leurs
+ dépendances, avec les bestiaux qui servent à la culture. Plus, nous
+ lui léguons notre maison sise en cette ville, près les religieuses
+ Sainte-Ursule qui est habitée présentement par son frère aîné,
+ suivant qu'elle se comporte chargée du passage qui y est
+ présentement pour la desserte de la grande maison que nous
+ habitons. Nous lui donnons et léguons de plus la charge de
+ conseiller magistrat au bailliage et présidial de Mâcon, avec tous
+ les droits en dépendant, la part que nous avons aux charges de
+ receveur des épices, et en tout ce que dessus, instituons ledit
+ Nicolas de la Martine notre héritier particulier, à la charge de
+ payer par lui, annuellement et par avance, à sœur Françoise de la
+ Martine, religieuse à la Visitation Sainte-Marie, et à sœur Anne de
+ la Martine[21], religieuse Ursule, à chacune d'elles quinze livres
+ de pension pendant leur vie.
+
+ Item, nous donnons à Marie et à Marie-Anne de la Martine, nos
+ filles, à chacune la somme de dix-huit mille livres.
+
+ Item, nous léguons et donnons à François de la Martine, notre fils,
+ chanoine en l'église de Mâcon, la somme de quinze mille livres et,
+ outre ce, nous lui léguons la somme de mille livres que nous lui
+ avons avancée pour fournir aux frais de son baccalauréat en
+ Sorbonne. Au résidu de nos autres biens desquels nous n'avons pas
+ disposé cy-devant, ni n'entendons disposer cy-après, nous nommons
+ et instituons notre héritier universel, seul et pour le tout,
+ Philippe-Étienne de la Martine, notre fils aîné.
+
+ Voulons de plus que si moi, ledit de la Martine, décède le premier,
+ qu'au moment de mon décès, notre héritier entre en jouissance du
+ domaine et vignoble de Pérone et des biens qui sont venus de
+ monsieur Litaud depuis son mariage.
+
+[Note 21: Une de ses sœurs et une de ses tantes.]
+
+Ce testament est curieux, à plus d'un titre. On y voit figurer en effet
+la petite maison de Milly, la maison natale de Lamartine située rue des
+Ursulines, et l'hôtel Lamartine, élevé près des remparts de Mâcon et qui
+portait alors le numéro 87 de la rue de la Croix-Saint-Girard, devenue
+sous la Révolution rue Solon et au XIXe siècle rue Bauderon de
+Senécé.
+
+La petite maison de Milly date de 1705, époque à laquelle elle fut
+solennellement bénite par le curé de la paroisse[22]. Quant à la maison
+de la rue des Ursulines, acquise sans doute au début du XVIIe siècle,
+elle dénote une construction du XVIe siècle. Les fenêtres ont été
+remaniées depuis et l'intérieur semble avoir subi de nombreuses
+transformations. Sa porte est surmontée d'un écu chargé d'une flamme en
+pointe et de deux étoiles à cinq rais en chef, qui se réfère à une
+famille actuellement inconnue dans le Mâconnais. Cette maison n'était
+pas, comme l'a dit Lamartine, une maison de retraite pour les vieux
+domestiques. Dans les testaments qui suivent celui de Jean-Baptiste on
+voit qu'elle était toujours léguée au fils cadet, mais que, du vivant du
+chef de famille, elle était habitée par l'aîné. La maison de la rue des
+Ursulines communiquait par une cour et des jardins avec l'hôtel
+Lamartine, belle construction à deux étages qui, d'après son
+architecture, dut être édifiée dans la deuxième moitié du XVIIe
+siècle. Vers 1760, elle subit d'importants remaniements intérieurs et
+l'on y voit encore une salle à manger décorée de jolis trumeaux en
+camaïeu dans le goût des bergeries de Watteau. Sa porte est surmontée
+d'une décoration en fer forgé où l'on remarque deux L entrelacés,
+manifestement inspirée du chiffre royal.
+
+[Note 22: M. Lex a retrouvé et publié le premier (_Lamartine,
+souvenirs et documents_), l'acte de bénédiction de la maison de Milly:
+«L'an de N. S. 1705, le 15 juillet, je soussigné ay bénit la maison de
+M. Jean-Baptiste de la Martine, conseiller du Roy au bailliage et siège
+présidial de Mâcon, à six heures du soir. A. D. Dauthon, curé de Milly»
+(Arch. municipales de Milly). Les terres avaient à cette époque une
+superficie d'environ cinquante-deux hectares et s'étendaient sur les
+communes de Milly, Bertzé-la-Ville et Saint-Sorlin. La seigneurie de
+Milly était entre les mains de la famille de Pierreclau.]
+
+Quant à la propriété de Pérone, elle était située non loin de Mâcon
+(canton actuel de Lugny) et dépendait de la seigneurie d'Uchisy. Les
+Lamartine y possédaient une maison de campagne, qui date également de la
+fin du XVIIe siècle.
+
+Ainsi, comme on peut s'en rendre compte, la plupart des biens--à part
+Saint-Point--qui composeront plus tard le patrimoine du poète, se
+trouvaient dès le début du XVIIIe siècle en possession de sa
+famille.
+
+Jean-Baptiste de Lamartine mourut le 1er septembre 1707. De son
+mariage, très prolifique, il avait eu seize enfants dont peu lui
+survécurent[23]. Des trois fils qu'il nomme dans son testament, l'un,
+Nicolas, était né le 31 octobre 1668; il avait fait ses études de droit
+à l'université d'Orléans comme son père, de 1687 à 1690, époque à
+laquelle il fut reçu licencié[24]. Puis, il succéda à son père dans les
+fonctions de conseiller au bailliage, et mourut célibataire à Vichy le
+19 mai 1714[25]. «Il devait aller de là aux eaux de Bourbon, dit Claude
+Bernard qui l'avait connu; mais la mort l'en empêcha; sa maladie était
+une phtisie pulmonaire, et on ne seconda pas assez l'effet des eaux par
+des purgatifs décidés».
+
+[Note 23: 1º _Abel_ (4 février--13 nov. 1663); 2º
+_Philippe-Étienne_; 3º _Françoise_ (10 mai 1666--?); 4º _Antoine_ (10-28
+mai 1666); 5º _Claudine_ (26 avril 1667--22 sept. 1672); 6º _Nicolas_;
+7º _Claude_ (31 novembre 1669--?); 8º _Marie_ (11 nov. 1670--2 février
+1750); 9º _Antoine_ (11 nov. 1670--1690), mort à Paris étudiant en
+Sorbonne; 10º _Marianne_ (21 juin 1673--16 mars 1758), mariée le 9 avril
+1712 à Claude Chambre, receveur des États du Mâconnais; 11º _Louis_ (16
+mars 1776--1719): il reprit en 1703 la compagnie de son frère aîné dans
+Orléans-infanterie, et mourut au siège de Barcelone; 12º _François_; 13º
+_Françoise_ (4 janvier 1678--?); 14º _Françoise_ (15 avril 1679--?); 15º
+_Jean-Baptiste_ (10 sept. 1680--9 juillet 1720), noyé en se baignant
+dans la Saône.]
+
+[Note 24: Arch. dép. du Loiret, D. 138 et 187 (communiqué par M.
+Jagebien).]
+
+[Note 25: Arch. municipales de Vichy. Série G. G.]
+
+L'autre, François, né le 20 mai 1677, fut chanoine de Saint-Pierre de
+Mâcon, et pourvu d'un archidiaconé en 1725: il fut élu doyen par le
+chapitre de cette église le 29 mai 1728, et mourut à une date inconnue.
+
+Quant à l'aîné, Philippe-Étienne, né le 26 mai 1665, il servit de 1689 à
+1702 comme capitaine dans Orléans-infanterie, d'où son père le retira
+pour le marier en 1703 à Sibylle Monteillet, d'une famille lyonnaise
+dont nous n'avons pu retrouver trace. Il mourut le 22 mars 1765 ayant eu
+de son mariage sept enfants, cinq filles[26] et deux fils; le cadet, né
+le 17 novembre 1717 embrassa comme son père la carrière militaire: il
+fut lieutenant dans Tallard-infanterie le 1er décembre 1733,
+capitaine le 21 mai 1738, et mourut chevalier de Saint-Louis le 27
+octobre 1750, des suites de ses blessures.
+
+[Note 26: 1º _Anne_ (8 janvier 1710--25 mai 1781), mariée en 1735 à
+Jean-Baptiste de Lamartine d'Hurigny; 2º _Louise-Françoise_ (21 août
+1707--?); 3º _Marie-Anne_ (21 mai 1713--?), religieuse aux Ursulines de
+Mâcon, et connue dans la famille sous le nom de Mme de Luzy. Elle
+vivait encore en 1790; 4º _Marie-Claudine_ (19 février 1714--?); 5º
+_Charlotte_, née le 21 février 1716, mariée le 26 nov. 1736 à Pierre de
+Boyer, seigneur de Ruffé et de Trades, morte le 13 juillet 1757.]
+
+Quant à l'aîné, Louis-François, propre grand-père du poète, c'est une
+curieuse figure de gentilhomme, dont on a déjà vu les prétentions
+nobiliaires. Il était né le 4 octobre 1711 et, par le relevé de ses
+états de services, on voit qu'il fut enseigne le 3 octobre 1730 au
+régiment de Tallard-infanterie--devenu par la suite régiment de
+Monaco,--promu lieutenant le 22 août 1731, capitaine le 10 novembre
+1733, et qu'il quitta l'armée le 1er octobre 1748 avec la croix de
+Saint-Louis. Comme son corps fit les campagnes de 1733, 34, 35 sur le
+Rhin, celle de 1744 et 46 en Flandre et de 1745 en Allemagne, il prit
+donc part à la guerre de succession de Pologne et à la guerre de Sept
+ans.
+
+Lamartine, qui l'avait d'ailleurs à peine connu mais pouvait en parler
+d'après les souvenirs de son père, nous en a laissé un agréable
+portrait, un peu inexact quant aux détails, puisqu'il en a fait un
+capitaine de cavalerie: «Il avait été superbe, dit il, dans sa première
+jeunesse; en garnison à Lille, sous Louis XV, il avait frappé les yeux
+de Mlle Clairon qui y débutait alors, et en avait été remarqué. J'ai
+encore vu les restes de ses équipages tels que sa magnifique argenterie
+de campagne... Il avait servi longtemps dans les armées de Louis XV, et
+avait reçu la croix de Saint-Louis à la bataille de Fontenoy. Rentré
+dans sa province avec le grade de capitaine de cavalerie, il y avait
+rapporté les habitudes d'élégance, de splendeur et de plaisirs
+contractées à la Cour et dans les garnisons.»
+
+Si les Mémoires de la Clairon sont muets sur son séjour à Lille, tout au
+moins retrouve-t-on trace des équipages dans le laissez-passer que lui
+délivra le 27 juillet 1748, à Bruxelles, le maréchal de Saxe[27]. Quant
+à ses habitudes de luxe et de splendeur, nous en avons la preuve dans
+les embellissements qu'il apporta à ses propriétés et à sa belle
+bibliothèque où chaque volume était timbré de ses armes[28].
+
+[Note 27: «Maurice de Saxe, duc de Gourlande et de Semigalie,
+maréchal général des camps et armées du roi, commandant général des
+Pays-Bas, etc. Laissez librement et sûrement passer le sieur de la
+Martine, capitaine au régiment de Monaco, pour aller en France avec ses
+domestiques et équipages sans lui donner aucun trouble ni empêchement.
+Fait à Bruxelles le 17 juillet 1748 (bon pour un mois).--M. de Saxe. Par
+Monseigneur, de Bonneville.» Communication de M. Loiseau.]
+
+[Note 28: Toute cette bibliothèque fut dispersée, soit pendant la
+Révolution, soit au moment de la vente de Montceau. On en rencontre
+parfois des volumes chez les amateurs.]
+
+Quelques années après son retour à Mâcon, il épousa le 23 août 1749
+Jeanne-Eugénie Dronier, fille de Claude-Antoine Dronier, seigneur du
+Villard et de Pratz, conseiller au Parlement de Besançon, et de
+Cécile-Eugénie Dolard, qui lui apporta en dot d'importants domaines dans
+le Jura[29]. Ainsi, à la fin du XVIIIe siècle, la famille de
+Lamartine était, on le voit, un des plus considérables du pays. Le 18
+novembre 1760, Louis-François fut même élu de la noblesse aux États
+particuliers du Mâconnais, où les représentants des trois ordres
+réglaient les affaires de leur province[30].
+
+[Note 29: Les Dronier, seigneurs du Villard et de Pratz sont
+originaires de Saint-Claude (Jura). Jean-Claude Dronier, maître en la
+chambre des comptes de Dole, épousa le 6 juin 1692 Marie-Claudine
+Chevassu. Leur fils, Claude-Antoine, conseiller au Parlement de
+Besançon, épousa, le 19 novembre 1719, Cécile-Eugénie Dolard.]
+
+[Note 30: Les Lamartine prirent séance aux chambres de la noblesse
+du Mâconnais à partir du 27 décembre 1676.
+
+Dans la liste électorale pour les États généraux de 1789, tenue le 18
+mars en l'église Saint-Pierre de Mâcon, Louis-François y est nommé pour
+la châtellenie d'Igé et Domange; François-Louis et Pierre, ses deux
+fils, pour la prévoie de Saint-André-le-Désert (Arch. Nat., B. III 105,
+et de la Roque et Barthélémy, _Catalogue des gentilshommes de Bourgogne
+aux États généraux de 1789_, Paris, 1862). Le 28 mars, il figura
+également à l'assemblée des trois ordres du bailliage de Dijon, comme
+seigneur d'Urey, de Montculot, Charmoy, Poissot, Fleurey et Quémigny.]
+
+D'autre part, d'heureux mariages avaient augmenté le patrimoine
+ancestral. En 1750, Louis-François avait acquis près de Dijon la
+seigneurie d'Urcy avec le château de Montculot, admirablement situé sur
+un plateau raviné et tourmenté, et entouré de magnifiques forêts;
+quatorze sources avaient été captées pour embellir le parc qui
+descendait en gradins sur les flancs de la colline, et les bâtiments,
+aujourd'hui ruinés, semblent avoir été élevés à cette époque.
+
+En outre, il possédait en Mâconnais des vignobles importants: c'était
+Péroné, Champagne et Collonges[31]; La Tour de Mailly[32], Escole,
+Milly, dont les terres avaient presque doublé depuis Jean-Baptiste, et
+enfin Montceau, où rien n'avait été épargné pour en faire une résidence
+seigneuriale; on y accédait par une allée de noyers centenaires, longue
+d'un kilomètre, et que plus tard Lamartine fit abattre comme donnant
+trop d'ombre à ses vignes. À l'exemple du comte de Montrevel,
+Louis-François y avait même fait élever une salle de spectacle où l'on
+jouait la comédie. Les appartements étaient magnifiquement meublés et, à
+voir les inventaires dressés sous la Terreur, on comprend l'acharnement
+que Louis-François mit alors à défendre son bien, sans guère se douter,
+semble-t-il, qu'il jouait là sa tête.
+
+[Note 31: _Collonges_, hameau de la commune de Prisse, non loin de
+Mâcon; _Champagne_, hameau de la commune de Pérone.]
+
+[Note 32: La Tour de Mailly, nom aujourd'hui disparu, était situé à
+Igé (canton de Lugny), près du chemin de cette paroisse à Bertzé. Ce
+fief dépendait de la seigneurie d'Escole, et consistait en un château,
+«plusieurs cens et héritages» et le droit d'usage de la forêt de
+Malessard, domaine royal. Louis-François l'acquit en 1730 de Melchior
+Cochet, et exerça une reprise de fief le 4 mai 1748.]
+
+ * * * * *
+
+Les gros revenus que nécessitait un pareil train étaient tirés, d'abord
+des terres de Bourgogne, mais principalement des biens considérables que
+Mlle Dronier avait apportés en dot, et situés en Franche-Comté.
+C'étaient d'abord le château et les bois de Saint-Claude et Pratz; les
+forêts du Franois, dont les sapins s'étendaient sur plusieurs centaines
+d'hectares, et qui vaudraient, dira plus tard Lamartine, «des millions»,
+mais qui, d'après lui, furent vendues peu de temps avant la Révolution.
+Puis deux usines hydrauliques de fil de fer à Saint-Claude et à Morez en
+Jura, dont Louis-François s'occupait assidûment[33]; enfin, la terre des
+Amorandes, avec les ruines d'un vieux château féodal, et d'importants
+vignobles à Poligny.
+
+[Note 33: Cf. Arch. Nat., F. 12/107, p. 854. «Mémoire du sieur de
+Lamartine par lequel il sollicite divers privilèges et faveurs pour les
+deux manufactures de fil de fer et de fers noirs qu'il possède aux
+Combes, près Saint-Claude-sur-Bienne, et à Morez du Jura, et où il
+demande qu'il soit interdit au sieur Muller de maintenir l'établissement
+analogue aux siens qu'il a commencé d'installer au village de
+Champagnole.» (1er sept. 1789).]
+
+Toute cette fortune devait selon l'usage passer un jour aux mains du
+fils aîné, François-Louis, né le 6 juillet 1750. À l'âge de quatorze
+ans, il avait été inscrit a l'école de la compagnie des chevau-légers
+du roi, après examen des fameuses preuves de noblesse établies par son
+père.
+
+Mais il était d'une santé délicate, et dut en 1776 quitter la compagnie
+où il n'avait fait d'ailleurs que de rares apparitions, «n'ayant tardé à
+venir faire ses exercices dit une note de son dossier, que par sa
+maladie dont il a donné les preuves». Il souffrait de la poitrine, et
+bientôt son état s'aggrava à un tel point que les médecins lui
+déconseillèrent le mariage. Or le cadet, Jean-Baptiste, était entré dans
+les ordres; pour assurer la postérité, il fallut donc chercher plus loin
+encore, et tirer de l'ombre, où il était destiné à végéter, le troisième
+et dernier fils, le petit chevalier de Pratz, Pierre de Lamartine.
+
+Il était né le 21 septembre 1751; selon l'usage du temps, il ne devait
+pas se marier, mais, comme l'a dit Lamartine, «vieillir dans le grade
+modeste de capitaine, gagner lentement la croix de Saint-Louis puis,
+dans un âge avancé, végéter dans une chambre haute de quelque vieux
+château de son frère aîné, surveiller le jardin, dresser les chevaux,
+jouer avec les enfants, aimé mais négligé de tout le monde, et achever
+ainsi sa vie, inaperçu, sans biens, sans femme, sans postérité, jusqu'à
+ce que les infirmités et la maladie le reléguassent dans la chambre nue
+où pendaient au mur son casque et sa vieille épée, et qu'on dît un jour
+dans le château: Le chevalier est mort.»
+
+Cette triste et solitaire existence, Pierre de Lamartine semble l'avoir
+acceptée avec résignation. À dix-sept ans, après avoir déjà servi deux
+ans comme volontaire, il adressa au ministre de la Guerre une demande en
+vue d'obtenir un brevet de sous-lieutenant sans appointements dans le
+régiment de Dauphin-cavalerie, où commandait le comte de Vibraye, ancien
+compagnon d'armes de son père.
+
+ Il ose espérer, terminait-il, qu'on lui accordera cette grâce en
+ considération de ses pères et parents qui ont sacrifié une partie
+ de leur vie et de leur fortune au service du Roy, auquel étant
+ cadet de famille, il se propose lui-même de sacrifier avec zèle sa
+ vie.
+
+Le 11 mai 1769, la demande était accordée; le 1er janvier 1772, il
+obtenait le grade de sous-lieutenant en pied, celui de lieutenant en
+second le 18 juin 1776, en premier le 14 février 1779, celui de
+capitaine en second le 12 juillet 1781, et de capitaine le 9 mars 1788.
+C'est à cette époque qu'on s'occupa sérieusement de le marier.
+
+Il en était question déjà depuis longtemps, paraît-il, mais d'année en
+année on ajournait «cette énormité». Lamartine a raconté, avec une verve
+exquise, toutes les difficultés que rencontra cette décision. C'était un
+soulèvement général de tous les sentiments de famille. Les chevaliers ne
+sont pas faits pour se marier, disait la mère révoltée: «c'est
+monstrueux». Mais d'autre part, laisser s'éteindre le nom, c'eût été,
+a-t-il dit, un crime contre le sang. Il fallut se décider malgré tout.
+
+Tout au moins lui laissa-t-on faire un mariage d'inclination, puisqu'il
+épousa une jeune fille qu'il aimait depuis longtemps, mais peu dotée, ce
+qui n'était guère dans les traditions de la famille: Françoise-Alix Des
+Roys, chanoinesse-comtesse au chapitre de Salles en Beaujolais, fille
+d'un intendant des finances du Palais-Royal et d'une sous-gouvernante
+des enfants du duc de Chartres.
+
+
+
+
+CHAPITRE II
+
+LES DES ROYS[34]
+
+
+[Note 34: Sources et bibliographie: _Titres et papiers de la famille
+Des Roys_ (XVe-XIXe siècle), communiqués par M. le baron Carra de
+Vaux.--_Archives dép. de la Haute-Loire.--Archives municipales de
+Montfaucon._
+
+_Obituarium Lugdunensis ecclesiæ_ (Lyon, 1867, éd.
+Guignes).--_Obituarium Sancti-Pauli Lugdunensis_ (1872,
+id.).--_Obituarium Sancti-Petri Lugd._ (1880, _id._,
+_ibid._).--_Cartulaire des hospitaliers du Velay_ (Le Puy,
+1888).--_Cartulaire des Templiers du Velay_ (_id._, 1882).--Répertoire
+général des hommages de l'évêché du Puy (1887).--_Recueil des
+chroniqueurs du Puy_ (éd. Chassaing, 3 vol. 1869-75).--_Notes sur le
+monastère de Montfaucon_, par l'abbé Theillère (1876).--_Nobiliaire
+d'Auvergne_, par Bouillet (7 vol., 1846-53).--_Le Livre d'or du
+Lyonnais_ (Lyon, 1866).--_Jean-Louis Des Roys_, par Al. Carra de Vaux
+(_l'Investigateur_, revue de l'institut historique, année
+1850).--_Mémoires inédits_ de Me de Genlis (10 vol.,
+1825-27).--_L'Assemblée de la noblesse de la sénéchaussée de Lyon en
+1789_, par H. de Jouvencel (Lyon, 1907).--_Grimod de la Reynière et son
+groupe_, par Desnoiresterres (1875).--_Lucien Bonaparte_, par Ch. Iung
+(t. II, 1882).--_Lucien Bonaparte et sa famille_ (Paris, 1889).--_The
+marriages of the Bonapartes_, par Bingham (Londres, 1881).--_Armorial du
+premier Empire_, par A. Révérend (Paris, 1894, 4 vol.).--_Titres et
+anoblissements de la Restauration_ (Paris, 1901, 6 vol.).]
+
+Les Des Roys, famille de juristes et de magistrats, n'ont guère laissé
+de trace dans l'histoire de leur temps; comme les Lamartine en
+Bourgogne, ils vécurent tous en Auvergne la même existence probe et
+obscure du gentilhomme provincial fidèle au pouvoir et aux traditions,
+sans qu'aucun grave événement vînt modifier leurs jours paisibles et
+bien occupés. Avocats de père en fils dès le début du XVIe siècle,
+ils resteront toujours pauvres: ni leur carrière peu fructueuse, ni le
+sol ingrat du Velay ne pouvaient les enrichir.
+
+Il est difficile d'attribuer des origines précises à leur noblesse et à
+leur nom. Dans tous les actes les concernant ils sont bien qualifiés de
+_nobles_, mais aucun d'eux, soit par la seigneurie d'une terre noble,
+soit par l'achat d'une charge conférant la noblesse, n'a jamais répondu
+aux conditions requises du noble pour justifier ses prérogatives. Reste
+l'hypothèse du _fait acquis_, dont bénéficiaient les familles
+autochtones ou très anciennement connues dans une région: seule elle
+paraît applicable aux Des Roys dont le nom n'est pas celui d'un fief
+ajouté au nom patronymique et supprimé peu à peu par l'usage, puisqu'on
+rencontre au cours des XVIe et XVIIe siècles des Des Roys
+d'Eschandelys, Des Roys de Lédignan, Des Roys de Chazotte, Des Roys de
+la Sauvetat. Pourtant leur noblesse est incontestable. Le fait d'avoir
+suivi l'exemple des vieilles familles de France en ne profitant pas de
+l'édit royal de 1696 pour faire enregistrer officiellement leurs armes
+prouve qu'en Auvergne ils n'avaient plus à fournir leurs preuves[35].
+
+[Note 35: Aucun Des Roys ne figure à l'_Armorial général du Cabinet
+des titres_.]
+
+Quant au nom même, il est latin et ne provient pas, comme on serait
+porté à le croire, de _Regibus_, mais de _Rex_, décliné suivant sa
+fonction dans la phrase, transformé peu à peu en _Reis_, puis en _Roys_;
+l'évolution est d'ailleurs facile à suivre du XIIe au XIIIe
+siècle. _De Regibus_ n'apparaît qu'au XVe siècle, alors que le nom
+tout à fait francisé est traduit alors sous son équivalent le plus exact
+dans les actes latins.
+
+Des nombreux Rex, Regis, Rege ou Reis--la plupart notaires ou
+clercs--qui figurent dans les cartulaires ou polyptyques de la région
+lyonnaise de 1100 à 1400[36], on peut conclure que là est le véritable
+berceau de cette famille, plus tard divisée en plusieurs branches, mais
+toute possessionnée en Languedoc, en Auvergne ou en Bugey; celle qui
+nous occupe se fixa en Velay où la première mention qu'on en rencontre
+remonte à 1279[37]. À partir de cette date les documents deviennent
+plus nombreux, sans qu'il soit possible, bien entendu, d'établir une
+filiation directe. Enfin, au début du XVIe siècle, nous nous trouvons
+en présence d'une famille Des Roys établie de longue date, semble-t-il,
+à Montfaucon près du Puy et comptant de nombreuses alliances avec de
+vieilles maisons du pays. Jusqu'au milieu du XVIIIe siècle elle
+demeura dans ce bourg désolé, situé à 16 kilomètres d'Yssingeaux sur un
+plateau balayé de coups de vent terribles, enfoui six mois de l'année
+sous la neige, privé de ressources naturelles, et sans autres végétation
+que les bois de pins sombres qui dominent les gorges de la Dunière.
+Point de mouvement sinon celui des pèlerinages à la Vierge noire du Puy,
+très fréquentés alors, et au XVIe siècle celui des bandes catholiques
+ou huguenotes qui ravageaient le pays avant d'entrer en Languedoc.
+
+[Note 36: _Bonardus Rex_, acte de 1147 (_Obit. S.-P. Lugd._, p. 59),
+c'est la plus ancienne mention. _Guigo Regis_ (1239), domicilié à
+Saint-Laurent de Lyon, etc. On rencontre environ une vingtaine de
+personnages de ce nom auxquels on doit rattacher les Des Roys; en effet
+dans les papiers de la famille on trouve mention au XVIe siècle d'une
+prébende fondée en l'église Saint-André de Montbrison, en 1361, par
+maître Jean Regis, licenciée en droit.]
+
+[Note 37: Charte du 10 janvier 1279 où _Petrus Regis_ est cité comme
+clerc (_Cart. des Templiers_, p. 385). Échange entre Pons de Brion et
+Raymond du Pont, daté du 1er mai 1324, d'une rente sur des fonds
+contigus au couvent des Carmes contre une rente sur un champ situé aux
+Combes, près d'Espaly, «juxta campum _Johannis Regis_ civis anisiensis»
+(citoyen du Puy) (_Cart. des hospitaliers du Velay_, p. 188). Sentence
+de l'official du Puy, condamnant Jean Regis, damoizeau, père de
+Paulette, femme de noble Hugues de Chandorasse, à payer à Dalmas, prieur
+de Saint-Martin de Polignac, les arrérages de biens sis à Soleihac, 13
+mars 1382 (Arch. dép. Haute-Loire, G. 651).]
+
+ * * * * *
+
+C'est là que vers 1480 vivait le premier Des Roys auquel on puisse
+rattacher directement Lamartine, «vénérable et discrète personne Denis
+Des Roys» dont nous savons même fort peu de chose. Par son testament
+rédigé le 25 février 1528 et où il est qualifié de bachelier ès lois, on
+voit qu'il avait trois frères: Mathurin, curé de Raucoules[38]; Louis,
+curé du Pailhet[39], et une sœur, Catherine, mariée à Pierre Aurelle,
+dont elle était veuve à cette époque. En premières noces Denis Des Roys
+épousa Claude de Lagrevol et plus tard Isabelle Vacherelle; de ces deux
+mariages naquirent sept enfants, deux filles: Vidalle, Marthe, femme
+d'Antoine de Romezin, et cinq fils: Antoine et Aymard, les deux plus
+jeunes, entrèrent dans les ordres; un autre, Pierre, fut «apoticaire»;
+le cadet, Sébastien, alla s'établir à Toulouse et l'aîné, Antoine,
+épousa Marguerite de Baulmes et de Jussac. Quant aux biens qu'il
+possédait alors, ils comprenaient une maison à Montfaucon, et deux
+terres, le grand et le petit Rebecque.
+
+[Note 38: Raucoules. Il existe trois villages de ce nom dans la
+Haute-Loire; celui des Des Roys est situé dans le canton de Montfaucon.]
+
+[Note 39: Nom disparu; aujourd'hui Montregard.]
+
+Mais si ce long document ne fournit que de très vagues renseignements
+sur l'état et la situation des Des Roys au début du XVIe siècle, sa
+rédaction soignée et sa forme souvent recherchée dénotent chez Denis une
+habitude de la langue polie peu commune à l'époque; issu d'une lignée
+érudite, apparenté à des ecclésiastiques lettrés[40], lui-même docteur
+en droit, il avait tenu à préciser élégamment les moindres détails de sa
+pompe funéraire, parfois, il est vrai, avec un soin un peu macabre
+comme on peut en juger par ce début:
+
+ Préalablement à Dieu tout puissant et à la benoyste Vierge Marie sa
+ mère et par intercession de tous les saints et saintes du Paradis,
+ je recommande mon âme et mon corps après mon trépassement et, avant
+ toute œuvre, je rends à Dieu mon créateur grâces de ma nativité,
+ corps et membres dont il m'a créé, des cinq sens qu'il m'a prestés,
+ des beaux enfants qu'il m'a donnés, et de tous les biens qu'il lui
+ a pleu me donner durant ma vie en ce monde.
+
+ Item je me confesse à lui et à la glorieuse Vierge Marie, à
+ monsieur Saint Denis, Saint Christophe et à tous les saints et
+ saintes du Paradis de tous les peschés et méfaits en quoy durant
+ maditte vie je suis escheu et desquels je n'en aurais été autrefois
+ confessé.
+
+ Item veux et ordonne que mon âme séparée du corps, mon dit corps
+ soit veillé par mes bons amis et puis dedans un tombeau porté dans
+ l'église de Montfalcon et dessus la couverte apartenant au curé de
+ la dicte Église par ses droits accoutumés; veux aussi m'estre mis
+ un linceul blanc sur le chef avec une croix noire du long et de
+ travers en mémoire de la Sainte Croix.
+
+ Item que ceux qui porteront mondit corps, reconnaissant que suis
+ venu en ce monde nud, seront pieds nuds; en contentement de leur
+ peine je donne à chacun c'est à sçavoir deux aulnes et demie de
+ mandel noir et dîner afin qu'ils prient Dieu pour mon âme.
+
+ Item veux qu'à ma sépulture soient convoqués tous les prêtres de
+ cette ville de Montfalcon et de Raucoules et du Pailhet lesquels
+ seront tenus de dire à haute voix le psautier ainsi qu'il est
+ accoutumé et après ledict psautier veux qu'ils disent les litanies
+ et là où on dit _ora pro nobis_, ils diront _ora pro eo_.
+
+[Note 40: D'après la _Bibliographie de la Haute-Loire_, par Sauzet,
+un Mathurin Des Roys, prieur de Saint-Didier, aurait composé une
+histoire du Puy, en vers et en prose, et dédiée à Amédée de Saluce,
+doyen de la cathédrale; l'ouvrage aurait été imprimé en 1519 chez Claude
+le Noury. Ce volume ne figure à notre connaissance dans aucune autre
+bibliographie; il nous a été impossible de l'identifier.]
+
+Suivent, pendant quatre pages, l'ordre de son convoi; les noms des amis
+qu'il prie d'y assister, le nombre de messes qu'il requiert--autant
+qu'il aura vécus d'ans «en ce misérable monde»--et jusqu'à la décoration
+de l'église où il ordonne «qu'il soict faict lume de six livres de cire
+tant en quatre petites torches qu'en autres chandelles tellement que
+tout le chandellier neuf soit garny».
+
+La question des legs était plus brièvement traitée; il laissait sa femme
+usufruitière de ses biens, lui donnait ses joyaux, anneaux, ceintures,
+et une tasse martellée; abandonnait au curé de Montfaucon une partie de
+sa garde-robe «comme robe, pourpoint, chausses et une bonne chemise»;
+ses fils héritaient chacun de cent livres et ses filles de dix sols
+tournois; enfin, à tous les membres de sa famille et à ses amis il
+léguait «trois aulnes de bon mandel noir» pour porter son deuil, avec
+cette originale restriction que la qualité de l'étoffe devait varier
+entre trente et cinquante sols l'aune, suivant le degré de parenté.
+
+Le fils aîné de Denis Des Roys, Antoine, fut à la fois l'exécuteur et le
+légataire universel de ce bizarre testament. Après avoir fait ses études
+de droit comme son père, il fut reçu licencié, titre auquel tous
+tenaient beaucoup puisqu'il est mentionné dans leurs contrats jusqu'au
+milieu du XVIIIe siècle. Il épousa, le 21 juin 1533, Marguerite de
+Baulmes et de Jussac, fille de Charles et d'Anne de Meyre[41].
+
+[Note 41: Contrat passé à Baulmes (paroisse de Saint-André et
+diocèse de Valence); témoins: Arnaud de la Rochaing, écuyer; Guillaume
+de Montagnet, seigneur de Montguérin; Jehan des Champs (de Campis),
+lieutenant de Mautfaucon; Jehan des Roys (de Regibus); noble Antoine de
+Bronac. La présence de ce dernier parmi les témoins prouve que les Des
+Roys devaient tenir un certain rang dans la ville, car les Bronac,
+coseigneurs de Mautfaucon et de Vazeilles, étaient considérés alors
+comme de hauts personnages.
+
+Charles de Jussac, écuyer, seigneur de Baulmes et de Jussac (canton de
+Retornac). De son mariage avec Anne de Meyre il eut deux filles
+religieuses: Anne et Alice; un fils, Gaspard, mort sans postérité; deux
+fils: Bernard et Jean, prêtres; une fille Isabeau, mariée à Arnaud de la
+Rochaing; une autre enfin, devint la femme d'Antoine Des Roys. À la mort
+de Charles de Baulmes, tous ses biens revinrent à sa fille Marguerite,
+dont Antoine hérita.]
+
+Seuls de tous les Des Roys, Antoine connut des jours mouvementés: nommé
+en 1542 lieutenant criminel au bailliage de Velay, il fut victime d'une
+erreur judiciaire, qui lui valut en 1552 d'être condamné en cour du
+parlement de Toulouse au bannissement perpétuel et à la confiscation de
+ses biens. Il aurait, paraît-il, après avoir fait arrêter de faux
+monnayeurs, profité de leurs dépouilles avec quelques-uns de ses
+collègues qui partagèrent son sort. L'affaire demeure assez mystérieuse,
+mais il semble avoir été dénoncé à tort par des ennemis. Quoi qu'il en
+soit, il fut réhabilité publiquement en 1558 et rentra en possession de
+son titre.
+
+À sa mort, survenue entre 1575 et 1583, il ne laissait pas d'enfants et
+institua comme héritier son neveu Sébastien, fils de son frère Pierre.
+Celui-ci eut alors à soutenir un long procès contre les frères et sœurs
+de Marguerite de Jussac, qui réclamèrent la restitution des biens de
+Jussac et de Baulmes dont ils prétendaient qu'Antoine ne pouvait
+disposer par suite de sa condamnation. Finalement, après dix-sept ans de
+plaidoiries et d'appels il obtint gain de cause; pourtant il se défit
+bientôt de ces terres qui lui avaient coûté tant de mal, puisqu'en 1636
+Jussac, qui relevait de l'évêque du Puy, appartenait à Christophe de la
+Rivoire, sieur de Chadenac[42].
+
+[Note 42: Cf. _Répertoire des hommages de l'évêché du Puy_ (p.
+385).]
+
+Après ces années agitées, aggravées encore par la guerre religieuse qui
+ravagea le pays de 1560 à 1595 et dont le Puy et Montfaucon eurent
+durement à souffrir, les Des Roys reprennent leur vie monotone et sans
+histoire. Sébastien, qui avait épousé en 1588 demoiselle Claude de
+Guilhon[43], laissa quatre enfants: une fille, Marie, femme de Jean
+Pollenon, et trois fils: l'aîné, Gaspard, marié à Jeanne de Cohacy,
+mourut sans héritier; le plus jeune, Pierre, avocat au Puy, fut un
+avocat distingué et qui connut en son temps une certaine notoriété: on
+lui doit quelques ouvrages de droit qui sont d'une langue claire et
+furent utilisés après lui pendant de longues années[44]; de son mariage
+avec Catherine des Olmes, d'une très vieille famille du pays[45], il
+laissa quatre filles, dont la descendance subsiste encore[46]. Le
+cadet, Melchior, avocat comme ses pères, eut de son union avec Françoise
+de Marnans deux filles mortes religieuses, une autre mariée à Pierre
+Roche, et un fils, Baltazar, né en 1610, qui épousa Claude des Olmes en
+1650. En mourant, il laissait un fils, Pons Gaspard, né en 1652, marié
+en 1681 à Louise de Mure, père lui-même de deux fils, dont l'un, Claude,
+épousa en 1722 Françoise Pagey, et l'autre, Cristofle, sa cousine Marie
+de Romezin. Tous, continuant les traditions de la famille, avaient fait
+leurs études de droit à Grenoble et étaient avocats.
+
+[Note 43: Veuve en premières noces de Denis de Cohacy, procureur
+royal; les Guilhon étaient alliés à la famille de Gerlande.]
+
+[Note 44: Il est l'auteur de: 1º _Livret contenant les principales
+questions et décisions qu'on peut rechercher en matière de légitime_
+(Lyon, 1644); 2º _Traicté des substitutions_ (Lyon, 1644).]
+
+[Note 45: Des Olmes, aujourd'hui famille de Veyrac. En 1588, Denis
+des Olmes épousa Catherine Dufours, dont Antoine, marié en 1587 avec
+Marguerite de la Franchère. Leur fils Louis, marié en 1622 à Florie de
+Lagrevol, était le père de Catherine des Olmes.]
+
+[Note 46: Marie, femme de Jacques Hochet; Philiberte, femme de Louis
+de Romezin, d'où une fille, qui épouse Claude Ferrapie, d'une ancienne
+famille de Mautfaucon; Jeanne, mariée à Antoine Varilhon; Claude et
+Marguerite, mortes filles.]
+
+Il faut arriver jusqu'au milieu du XVIIIe siècle pour rencontrer
+quelque variété dans l'histoire de la famille Des Roys. Le grand-père de
+Lamartine nous est en effet mieux connu; son existence fut celle d'un
+homme de cœur et d'un fonctionnaire parfait.
+
+ * * * * *
+
+Jean-Louis Des Roys était fils de Claude Des Roys, avocat au Parlement
+de Grenoble, et de Françoise Pagey; il naquit à Champagne en Vivarais le
+27 août 1724 et de bonne heure se prépara à suivre la carrière de son
+père. Le 5 août 1745, il fut reçu licencié en droit à l'université de
+Valence et admis un an plus tard, le 20 juin 1746, comme avocat au
+Parlement de Grenoble. Il y fit ses débuts au barreau, et, ayant acquis
+quelque réputation, alla s'établir à Lyon en 1750. Bientôt, sa notoriété
+devint suffisante pour qu'il reçût des lettres de bourgeoisie en 1764,
+et fut élu échevin de la ville en 1766, puis premier échevin en 1767.
+
+Il abandonna le barreau en 1772 pour des fonctions infiniment plus
+importantes, ayant été appelé cette année-là à l'intendance des domaines
+de la maison d'Orléans. Dans ses lettres de nomination, le duc rendait
+hommage à ses talents, son activité, sa probité pendant sa gestion des
+affaires de la ville, si bien que les Lyonnais, très satisfaits de ses
+services, lui offrirent aussitôt une situation analogue à celle qu'on
+venait de lui assurer. Mais la nomination de sa femme comme
+sous-gouvernante des enfants du duc de Chartres acheva de le décider.
+
+Il avait épousé à Lyon, le 12 avril 1757, Mlle Marguerite Gavault,
+fille de François Gavault, receveur du grenier à sel de
+Saint-Symphorien, puis lieutenant civil et criminel de l'élection de
+Lyon, et de Françoise Mauverney. Cette alliance va donner lieu à
+quelques cousinages, qui, pour être authentiques, n'en sont pas moins
+imprévus. Françoise Mauverney était fille de François Mauverney et de
+Marguerite Grimod, et ce nom de Grimod, illustré au XVIIIe siècle par
+toute une dynastie de puissants fermiers généraux, est l'origine de
+curieuses parentés entre Lamartine et plusieurs de ses contemporains
+célèbres à des litres divers[47].
+
+[Note 47: Ces alliances, que Lamartine n'ignorait pas (cf.
+_Souvenirs et Portraits_, t. II, _les Bonaparte_), ont été constamment
+négligées par les généalogistes de la famille Grimod; l'omission doit
+provenir de ce que les notes de d'Hozier (Cabinet des titres, pièces
+originales, vol. 141; Dossiers bleus, vol. 333; Nouveau d'Hozier, vol.
+165) ont été établies sur une collection de _factums_ de 1754, rédigés
+pour Marguerite le Juge et qui ne l'ont mention, ni de la branche
+Bonaparte, ni de la branche de Vaux-Lamartine.
+
+Pourtant, l'acte de baptême d'Alexandrine de Bleschamp, princesse de
+Canino, dissipe toute équivoque, ainsi que le testament d'Antoine Grimod
+enregistré à Paris le 7 avril 1718, et où il est fait également mention
+de deux autres filles: Benoîte et Philiberte, mariée l'une à J.-B. Dumas
+de Corbeville, l'autre au marquis de Pranse.
+
+Voici enfin un fragment du _Journal intime_, qui, malgré quelques
+erreurs, confirme la parenté des Des Roys avec les divers personnages
+que nous avons cités.
+
+«_23 janvier 1803_ {de Rieux}. Je voudrais pouvoir écrire tout ce que ma
+mère me conte de ses voyages, ce serait bien intéressant, et mille
+anecdotes curieuses de gens marquants. Malheureusement, ce serait trop
+long. Ma mère conte à merveille, elle a infiniment d'esprit et de
+mérite. Elle m'a rapporté beaucoup de choses de M. de la Reynière, le
+fermier de Lyon, etc., à qui nous étions parents par ma grand'mère;
+Mme de la Ferrière avait épousé en premières noces M. Grimod de la
+Reynière, dont elle a eu M. de la Reynière, fermier général, qui avait
+épousé Mlle de Jarente, qui vit encore et qui est très liée avec ma
+mère. M. de la Ferrière a eu aussi deux filles: l'aînée était Mme de
+Malesherbes, qui est morte très malheureusement fort jeune, laissant
+deux filles: Mme de Rosanbo qui a été guillotinée, et Mme de
+Montboissier; la seconde était Mme de Lévis, amie intime de ma mère
+qui est morte assez jeune. M. de la Reynière le père avait eu d'un
+premier mariage Mme de Beaumont, c'est par là que nous lui sommes
+parents [_à Mme de Beaumont_]. Nous l'étions aussi par les Grimod à
+la femme du baron de Breteuil et aux Cipierre; la fille du baron de
+Breteuil a épousé M. de Matignon, dont la fille a épousé un Montmorency.
+
+«M. d'Orsay s'appelle aussi Grimod, toujours de la même famille; il a
+épousé, en secondes noces, une princesse d'Allemagne assez proche
+parente du roi de Prusse, et le fils de M. d'Orsay a épouse une
+princesse d'Italie assez peu considérable.»
+
+Cette Mme de la Ferrière, dont il est ici question était Marie
+Mazade, seconde femme de Gaspard Grimod de la Reynière; devenue veuve,
+elle épousa Honoré de la Ferrière.]
+
+Antoine Grimod, né en 1647, directeur général des fermes unies de
+France, conseiller et secrétaire du Roi, avait épousé à Lyon, le 13
+avril 1684, une demoiselle Marguerite le Juge, qui lui donna sept
+enfants, dont l'aîné, François-Alexis Grimod de Beauregard (1685-1755),
+mourut sans postérité.
+
+Le cadet, Gaspard Grimod, seigneur de la Reynière, fut marié deux fois:
+du premier lit il eut un fils, Jean-Gaspard (1733-1793), fermier
+général, époux de Françoise de Jarente, dont il eut Baltazard-Laurent
+Grimod de la Reynière, fastueux épicurien et gastronome célèbre dont les
+bons mots et les petits soupers défrayèrent longtemps la chronique
+scandaleuse à la fin du XVIIIe siècle. Du second lit, il eut deux
+filles: l'une, Madeleine, mariée au comte de Lévis; l'autre,
+Marie-Françoise, qui épousa Chrétien-Guillaume de Lamoignon de
+Malesherbes, défenseur de Louis XVI auprès du tribunal révolutionnaire;
+la fille de Malesherbes devint la femme du marquis Louis de Rosanbo,
+dont la première fille, Thérèse (1771-1794), épousa
+Jean-Baptiste-Auguste de Chateaubriand, comte de Combourg, conseiller au
+parlement de Bretagne, puis capitaine au Royal-cavalerie, le frère de
+René, et dont la cadette, Louise-Madeleine, fut mariée au comte de
+Tocqueville, père du célèbre historien et philosophe.
+
+Le troisième fils d'Antoine Grimod et de Marguerite le Juge, Pierre
+Grimod de Dufort d'Orsay (1698-1748), fermier général, fut tout aussi
+bien casé que ses aînés; trois fois marié, il n'eut d'enfant que de sa
+dernière union avec Marie-Antoinette de Caulaincourt. L'aîné fut
+Pierre-Gaspard-Marie, comte d'Orsay, qui épousa d'abord la princesse
+Amélie de Croy, puis, devenu veuf, la princesse Elisabeth de
+Hoenloe-Bartenstein. Un fils de son premier lit, Albert-Gaspard
+(1772-1843), prit pour femme Éléonore de Franquemont, qui lui donna une
+fille, Anna Ida, mariée en 1818 à Héraclius, duc de Grammont, et un
+fils, Gillion-Gaspard-Alfred, comte d'Orsay, surintendant des
+beaux-arts, le fameux «dandy» amant de la belle lady Blessington, à qui,
+en échange d'un buste, son cousin Lamartine dédia l'_Ode au comte
+d'Orsay_.
+
+Le dernier fils d'Antoine Grimod, Gaspard Grimod de Verneuil, nous
+réserve une surprise encore plus singulière: sa fille, mariée à un
+certain Charles Bouvet, fut la mère de Marie Bouvet, qui devint la femme
+de Charles-Jacob de Bleschamp, et la grand'mère d'Alexandrine de
+Bleschamp (1778-1855); celle ci, après son divorce d'avec un aventurier
+nommé Jouberthon, épousa en 1802 Lucien Bonaparte, prince de Canino,
+frère de Napoléon Ier, dont deux des petits-fils sont le prince Roland
+Bonaparte et le général Wyse-Bonaparte, actuel ministre de la Guerre
+des États-Unis d'Amérique, et l'arrière-petite-fille la princesse royale
+de Grèce. Quant à la fille aînée d'Antoine Grimod, Marguerite, elle fut
+mariée: 1º à François Mauverney[48] dont elle eut une fille, Françoise;
+2º à Charles Gavault, veuf également et père d'un fils, François, qui
+épousa la fille du premier mariage de sa belle-mère. De cette union
+naquirent deux filles: l'aînée, Françoise, épousa en 1743 Charles
+Dareste de la Plagne, dont le fils fut directeur des tabacs à Naples
+sous le premier Empire et employa Graziella parmi ses cigarières; la
+cadette, Marie Gavault épousa, on l'a vu, Jean-Louis Des Roys, et leur
+fille, Alix, fut la mère de Lamartine.
+
+[Note 48: François Mauverney, receveur du grenier au sel de
+Saint-Symphorien-le-Château, puis lieutenant criminel et civil de
+l'élection de Lyon, était fils de Pierre Mauverney, conseiller du Roi,
+élu en l'élection de Saint-Étienne, et de Jaqueline Dilbert. Pierre
+Mauverney était lui-même fils de Jean-Baptiste et de Jeanne Coignet.
+(Cf. Cab. des titres: pièces originales, vol. 1902.)]
+
+Par les Grimod, celui-ci se trouvait donc allié par le sang à Grimod de
+la Reynière, à Malesherbes, à Tocqueville, aux Bonaparte, aux
+Chateaubriand, aux Grammont, aux Lévis, aux de Croy et aux Montmorency.
+
+Cette alliance avec la puissante famille Grimod fut d'ailleurs
+extrêmement précieuse à Jean-Louis Des Roys lors de son séjour à Paris
+comme intendant des finances du duc d'Orléans, car les innombrables
+relations de Laurent de la Reynière lui valurent bientôt un petit
+cercle assidu aux réceptions de sa femme dans l'appartement qu'elle
+occupait au Palais-Royal.
+
+ * * * * *
+
+Le peu que nous sachions de Mme Des Roys la montre comme une femme
+pleine de simplicité, vertueuse sans affectation et profondément dévouée
+aux d'Orléans. «Mme Des Roys, dit Lamartine dans les _Confidences_,
+était une femme de mérite; ses fonctions dans la maison du premier
+prince du sang attiraient et groupaient autour d'elle beaucoup de
+personnages célèbres à l'époque. Voltaire, à son court et dernier voyage
+à Paris qui fut un triomphe, vint rendre visite aux jeunes princes: ma
+mère, qui n'avait que de sept à huit ans, assista à la visite...
+D'Alembert, Laclos, Mme de Genlis, Buffon, Florian, l'historien
+anglais Gibbon, Grimm, Morellet, Necker, les hommes d'État, les gens de
+lettres, les philosophes du temps vivaient dans la société de Mme Des
+Roys.» À part le détail touchant Voltaire, ceci est suffisamment vérifié
+par les mémoires de Mme de Genlis, sa perfide rivale, obligée de
+convenir elle-même de la réputation de Mme Des Roys auprès de la
+société de leur temps.
+
+En 1773, à la naissance du duc de Valois, qui deviendra Louis-Philippe,
+Mme Des Roys avait été nommée sa gouvernante, sous le contrôle de la
+vieille marquise de Rochambeau, et cette faveur fut l'origine de la
+rancune tenace que lui voua la vindicative Mme de Genlis. La belle
+Félicité, alors maîtresse en titre du duc de Chartres et son Égérie,
+avait ambitionné ce poste qui aurait au moins donné quelque excuse à sa
+présence perpétuelle auprès des princes, mais la duchesse s'y opposa.
+Sans égards à la bienveillance dont Mme Des Roys avait jadis fait
+preuve envers elle, puisqu'elle lui devait d'être entrée au service de
+la famille d'Orléans sur la recommandation de Grimod de la Reynière son
+cousin, elle commença une violente campagne contre sa bienfaitrice et
+l'accusa auprès du duc d'élever ses fils dans les idées philosophiques
+de ses amis les plus habituels. Indignée, la bonne Mme Des Roys, qui,
+jusqu'alors avait traité de calomnie la liaison de Mme de Genlis et
+du duc de Chartres, en profita pour fermer sa porte à la dangereuse
+créature en même temps qu'à Grimod de la Reynière qui avait pris parti
+contre elle[49]. Celle-ci s'en vengea comme elle put, et l'on sent, à
+lire ses _Mémoires_ rédigés plus de quarante ans après, que sa haine
+n'était point encore éteinte. En 1781, en effet, elle fut nommée
+_gouverneur_ des princes au grand scandale de la cour et, rapportant
+avec orgueil les souvenirs de ce temps, elle s'exprime ainsi sur le
+compte de celle qui l'avait précédée auprès du duc de Valois:
+
+«J'ai le droit, dit-elle, de ne pas estimer certaines personnes, parce
+qu'elles ont été d'une très noire ingratitude envers moi; telle, par
+exemple, Mme Desrois[50]», et plus loin, à la fin d'une conversation
+avec ses élèves: «Il m'a paru que vous étiez très froids pour Mme
+Desrois; vous lui parlez à peine. Vous ne lui montrez aucune amitié,
+vous ne demandez jamais de ses nouvelles; cela est mal et ridicule.»
+Puis, elle ajoute ingénument: «Ils avaient cette froideur pour elle
+parce qu'elle s'était brouillée publiquement avec moi, sans motifs et
+sans explication, quoique je lui eusse rendu de très grands services
+auprès de M. le duc d'Orléans».
+
+[Note 49: Cf., sur les suites de cette brouille entre Grimod de la
+Reynière et sa cousine, «_copie d'une lettre de M. Grimod de la
+Reynière, négociant à Lyon, etc., à Mme Des Roys, ancienne
+sous-gouvernante des ci-devant princes d'Orléans. Lyon, 7 déc. 1791_ (s.
+l. n. d., mais Lyon, 1791).
+
+Dans cette brochure extrêmement rare, Laurent s'efforçait d'abord
+d'attirer à sa cousine des ennuis que son ancienne situation pouvait
+rendre graves, mais il l'accusait surtout d'avoir capté l'héritage de sa
+grand'mère, morte en 1773, et d'avoir pris un grand empire sur son père.
+Il terminait ainsi: «Maintenant, permettez-moi de vous offrir la paix ou
+la guerre, mais surtout point de neutralité, point de tergiversation.
+Une réponse claire et nette, s'il vous plaît. Si c'est la guerre, je la
+ferai courageusement et de mon mieux; si vous préférez la paix,
+sacrifiez-moi mes ennemis, agissons de concert, et nous nous en
+trouverons bien l'un et l'autre. Vous avez su prendre un grand crédit
+sur l'esprit de mes parents: j'ai dans mes mains de quoi vous démasquer
+à leurs yeux; je ne le ferai pas si vous voulez employer ce crédit à me
+servir.»
+
+Cette publique tentative d'intimidation se perdit dans la tourmente de
+1792 qui engloutit la fortune colossale des Grimod. Mais les Des Roys
+aussi bien que les Lamartine cessèrent dès lors et pour jamais toute
+relation avec leur cousin, qui n'est pas nommé une fois dans le _Journal
+intime_; on sait que depuis 1780 ses excentricités et son mauvais renom
+l'avaient rendu intolérable à tous ses parents, et que seul il était
+responsable d'un état de choses où Mme Des Roys n'était pour rien
+(cf. _Desnoiresterres_).]
+
+[Note 50: Cf. _Mémoires inédits de Mme la comtesse de Genlis_
+(Paris 10 vol., 1825-26), vol. III, p. 483-85, et IV, p. 29.]
+
+En 1820, même, elle reporta sur Lamartine toute la haine qu'elle avait
+vouée à sa grand'mère; devenue intransigeante sur le tard, elle s'était
+découvert un amour imprévu de vertus qu'elle avait pourtant peu
+pratiquées: malgré la respectueuse dédicace que le poète avait inscrite
+sur l'exemplaire des _Méditations_ qu'il lui fit parvenir, elle en
+rédigea dans _l'Intrépide_[51] un compte rendu perfide et malveillant,
+où elle ne se fit pas faute de répéter tout le mal qu'elle pensait,
+sinon de l'œuvre, tout au moins de la famille de l'auteur.
+
+[Note 51: _L'Intrépide_, revue par Mme de Genlis (Paris, 2 vol.,
+1820), I, pp. 81-110.]
+
+Le titre lui paraît impropre, car «la méditation doit être paisible et
+profonde»; or elle a relevé des morceaux tels que _l'Enthousiasme_ et
+_la Gloire_, qui sont au contraire «d'une inspiration soudaine, d'une
+exaltation remplie de désordre et de feu»; les souvenirs d'amour sont
+des _rêveries_ et non des _méditations_; enfin _le Désespoir_,
+«impulsion coupable et forcenée», ne saurait non plus être une
+méditation.
+
+Puis, elle entre dans le vif de l'œuvre où le mélange d'un amour profane
+et de scènes religieuses lui semble d'abord tout à fait déplacé, «car il
+n'est ni vraisemblable ni d'un goût sévère de passer sans transition de
+l'exaltation de la piété au souvenir de sa maîtresse»; «Reste d'âme» la
+choque; le vers:
+
+ Et ces vieux panthéons peuplés de _dieux nouveaux_
+
+est une expression «d'athée», qu'elle souhaite de voir corrigée dans la
+prochaine édition; «fenêtre» est un mot familier et «déplacé dans le
+genre noble»; les vers:
+
+ Des théâtres croulants dont les frontons superbes
+ Dorment dans la poussière ou rampent dans les _herbes_
+
+lui suggèrent la même réflexion «parce qu'au pluriel, _herbe_ rappelle
+l'usage journalier qu'on en fait dans la cuisine». Pour terminer, elle
+accable le jeune homme de bons avis, lui conseillant de ne pas se
+laisser aller au découragement après ses critiques, sévères sans doute,
+mais formulées sans restriction dans son intérêt même, et dictées par
+une sympathie que tant de raisons lui commandaient.
+
+Ces vétilles et ces chicanes, qui firent sourire, à l'époque, ceux qui
+en connaissaient les motifs[52], témoignaient d'une rancune toujours
+vivace.
+
+[Note 52: Cf. _Lettres à Lamartine_, p. 19 (lettre de la duchesse de
+Broglie).]
+
+Pourtant, malgré tout l'empire de Mme de Genlis sur son amant, Mme
+Des Roys continua ses fonctions jusqu'en octobre 1778, grâce à l'appui
+de la duchesse de Chartres, à laquelle elle voua, en cette circonstance,
+un dévouement éternel; elle abandonna même le Palais-Royal sur un
+nouveau triomphe: le gouverneur qui la remplaça auprès des princes
+devenus grands fut proposé par elle; c'était le chevalier de Bonnard,
+son ami personnel, et qu'elle avait connu chez Buffon. Le frivole
+Bonnard, il est vrai, n'avait rien d'un éducateur, mais il valait au
+moins Mme de Genlis, qui le remplaça officiellement trois ans plus
+tard. Ainsi, Mme Des Roys sortait victorieuse de cette lutte avec la
+favorite; bien mieux, la duchesse voulant lui prouver sa reconnaissance
+l'admit dans sa maison particulière et lui confia l'éducation de sa
+fille la princesse Adélaïde.
+
+ * * * * *
+
+Tandis que sa femme se tirait avec dignité de ces intrigues assez
+difficiles, Jean-Louis Des Roys, de son côte, avait su gagner la
+confiance et l'estime du duc d'Orléans en menant à bien un certain
+nombre d'opérations juridiques et financières de la plus haute
+importance pour son maître. À ses fonctions d'intendant des finances, il
+joignit l'administration des terres de la Fère, Albert et Carignan; en
+1774, il avait préparé le règlement des droits, de la duchesse de
+Bourbon, belle-fille du prince de Condé, dans la succession de la
+duchesse d'Orléans, sa mère; en 1781, il reprit les négociations de
+l'affaire des princes de Chimay, qui traînaient depuis un siècle et,
+après plusieurs voyages en Belgique, il obtint la conclusion d'un traité
+qui assurait la pairie d'Avesne à la maison d'Orléans.
+
+En 1785, M. et Mme Des Roys demandèrent leur retraite qui leur fut
+accordée; mais pour marquer la satisfaction qu'il avait des services de
+l'intendant de son père, le duc de Chartres lui conserva à titre de
+pension l'intégrité de son traitement, et le pria d'accepter d'être
+commissaire à la liquidation du duc d'Orléans qui venait de mourir, ce
+que Jean-Louis Des Roys ne put refuser.
+
+Il se retira alors dans sa propriété de Rieux[53], qu'il avait acquise
+en 1776, et où, ayant obtenu la création d'une pépinière royale, il se
+consacra entièrement à l'agriculture. Il y vit philosophiquement
+commencer la Révolution, sans être jamais inquiété malgré un passé qui
+pourtant aurait dû le rendre suspect; quelques lettres de lui écrites à
+son frère de 1793 à 1795 nous le montrent parfaitement tranquille sur
+son sort, une entre autres, écrite de Paris le 26 mars 1793, où on
+lit[54]:
+
+ Je suis las, rebuté, et très impatient d'être rendu à ma nullité
+ champêtre; ce n'est pas que je ne m'attende à trouver là de
+ nouveaux ennuis; et quel est le lieu ou la position dans laquelle
+ un français puisse aujourd'hui vivre dans le calme? le désir du
+ sage doit se borner à exister hors des foyers de l'orage et à
+ s'estimer heureux de ressentir que les battements des vagues
+ amorties... Les bruits du moment sont que les révoltes et
+ attroupements armés des environs de Nantes et autres parties de la
+ Bretagne ont été dissipés avec grand carnage. Les armées du Rhin,
+ de la Meuse, de l'Escaut se soutiennent aussi, dit-on, et disputent
+ le terrain aux ennemis du dehors. Dieu veuille enfin nous donner la
+ paix, la santé et l'ordre; quand ces biens seront rendus à la
+ France, il faudra encore bien des années pour qu'elle recouvre
+ l'embonpoint que cette fièvre dévore. Si je ne voyais que moi dans
+ l'orage je serais peu peiné: je serais même assez philosophe pour
+ observer sans inquiétude les agitations des hommes; mais mes
+ enfants, mes parents, mon frère, mes amis! je ne puis pas être
+ indifférent et froid sur tant d'objets chéris...
+
+ Tu me conseilles de vendre mes fonds; je sais très bien que je me
+ donnerais par là de l'aisance, mais je vois aussi qu'elle ne
+ pourrait être que momentanée. Je t'ai déjà observé sur cela que je
+ ne trouverais en ce moment ni placement, ni emploi qui me donne
+ sûreté et aisance; agioter n'est pas mon fait; placer en rentes ou
+ obligations, rien de plus fragile; acquérir d'autres immeubles,
+ rien à gagner dans ces revirements; les biens patrimoniaux se
+ vendent à deux pour cent, j'achèterais comme j'aurais vendu. Je
+ conclus pour attendre que le mal soit instant ou que l'on sache
+ mieux sur quoi compter. Tu vois comme moi que les Révolutions
+ opèrent rarement un mieux-être. Actuellement nous sommes à peu près
+ maîtres de nos âmes et de nos sentiments; cela seul est à notre
+ direction.
+
+[Note 53: Dans la Marne, à quelques kilomètres de Montmirail.
+Jean-Louis l'avait acquise du chevalier de Belle-Joyeuse. C'était alors
+un bâtiment très simple, ayant successivement appartenu aux familles de
+Pastoret, de Disques et de Boubers, et qu'il fit démolir pour le
+remplacer par un château plus vaste. (Cf. _Alexandre Carra de Vaux_, op.
+cit.)]
+
+[Note 54: Les lettres qui suivent sont citées d'après
+_l'Investigateur_, où elles ont paru pour la première fois.]
+
+Dans une autre lettre encore, du 16 avril, il apparaît toujours plus
+tourmenté des autres que de lui même et moins hostile qu'on n'aurait pu
+le prévoir aux événements du moment:
+
+ Le mystère sur ce qui se passe à Lyon, m'inquiète beaucoup; je
+ tremble pour les parents et les amis, hélas! pour tout le monde,
+ car je tiens à l'humanité et à mon pays. Paris est pour le moment
+ assez tranquille, mais l'on semble craindre la disette du pain. Il
+ y a foule chez les boulangers, on s'y étouffe pour parvenir à s'y
+ approvisionner. Le vrai malheur ou du moins le pire de tous est la
+ division qui règne dans la Convention; elle est, par ses
+ scandaleuses dissensions, distraite du bien ou dans l'impossibilité
+ de l'opérer; sa considération s'affaiblit et le désordre s'accroît;
+ cependant, cette Convention, toute orageuse qu'elle est, forme le
+ seul lien, le seul pivot sur lequel tout roule. Le vaisseau s'abîme
+ si le pilote lui manque en ce moment de crise.
+
+Il cessa pourtant bientôt de lui faire crédit et c'est très désabusé
+qu'il écrivait le 22 août 1795:
+
+ Sûreté personnelle et du pain: ces biens n'ont heureusement pas
+ cessé d'exister ici, mais la mauvaise santé de quelques-uns de ceux
+ qui m'entourent et les inquiétudes et les misères publiques et trop
+ universelles ont toujours écarté de moi la gaieté.
+
+ Il serait bien temps que nous aperçussions quelqu'étincelle du
+ bonheur que la Révolution nous a tant présagé; Dieu veuille que la
+ nouvelle Constitution qu'on nous prépare en jette enfin des
+ fondements plus solides que ne l'ont été ceux des précédentes.
+
+Le calme rétabli, Jean-Louis Des Roys et sa femme se retrouvèrent à
+nouveau dans leur propriété de Rieux où ils s'apprêtaient à finir
+paisiblement leurs jours lorsque la duchesse d'Orléans vint mettre une
+fois de plus leur dévouement à l'épreuve. La princesse, transférée à la
+pension du docteur Belhomme après le 9 thermidor, essayait de s'y faire
+oublier, lorsque le 6 septembre 1797 le gouvernement décida la mise en
+vigueur d'un décret du 21 prairial an III, ordonnant l'expulsion
+immédiate de tous les membres de la famille de Bourbon et la
+confiscation de leurs biens. Elle se mit en route pour l'Espagne et
+écrivit de Barcelone une lettre à Mme Des Roys en la priant d'aller
+jusqu'en Hongrie chercher sa fille, la princesse Adélaïde, pour la
+ramener près d'elle. La jeune fille, émigrée dès 1791 avec Mme de
+Genlis, avait été abandonnée par elle à l'étranger pendant que Félicité
+voyant la cause royale perdue, gagnait Hambourg où elle se rendait vite
+insupportable à tous les Français par son hypocrisie et ses calomnies.
+
+Heureuse de pouvoir prouver une dernière fois son dévouement à ses
+anciens maîtres, la vieille Mme Des Roys se mit en route à la fin de
+décembre 1799 et, après un long et pénible voyage qui dura près de deux
+ans et demi, elle accomplit heureusement sa mission. Forcées d'éviter la
+France interdite à la princesse Adélaïde, les deux femmes avaient dû
+descendre de Hongrie en Italie, où elles s'embarquèrent à Livourne; le
+12 avril 1802, on lit dans le _Journal intime_:
+
+ J'ai reçu une lettre de ma mère qui m'annonce enfin son arrivée à
+ Barcelone; elle a éprouvé beaucoup d'événements, entre autres une
+ tempête dans la traversée de Livourne en Espagne, qui a duré trois
+ jours et deux nuits; l'entrevue de Mme d'Orléans et de sa fille
+ a été des plus touchantes, il y avait onze ans qu'elles étaient
+ séparées.
+
+La princesse Adélaïde n'oublia pas cet admirable dévouement; lorsqu'en
+1814 elle reprit le chemin de Paris, elle tint à s'arrêter à Lyon pour
+voir les deux filles de son ancienne gouvernante, Mme de Lamartine et
+Mme de Vaux, et leur offrit de merveilleuses dentelles qui avaient
+appartenu à sa mère. Mais un an plus tard, lorsque le chevalier de
+Lamartine voulut obtenir, pour lui la croix de Saint-Louis, pour son
+fils un brevet de garde du corps, il eut du mal à voir sa requête
+aboutir. En 1825, enfin, Lamartine trouva moyen de s'aliéner
+complètement le duc d'Orléans par quelques vers vraiment maladroits de
+son _Chant du Sacre_, et dès ses débuts en politique le fossé se creusa
+encore plus profond: sa conscience, sa vision poétique et grandiose de
+la liberté primèrent en lui tous les autres sentiments. Mais n'y a-t-il
+pas quelque mélancolie à penser que celui dont Mme Des Roys avait
+bercé les premières années avec tant de sollicitude devait être chassé
+du trône par le petit-fils de sa vieille gouvernante?
+
+Jean-Louis Des Roys mourut le 14 octobre 1798, et sa femme le 10 juillet
+1804. De leur mariage étaient nés six enfants; l'aîné, Pierre-François,
+né le 12 février 1738, fut conseiller à Rouen et mourut sans avoir été
+marié le 8 mai 1810. «Il m'avait presque tenu lieu de père pendant mon
+enfance, écrira sa nièce en inscrivant la triste nouvelle, et avait
+contribué à mon mariage en me donnant 10000 francs comptant et en m'en
+assurant 12000 après lui.»
+
+Des quatre filles de Mme Des Roys, l'aînée, Catherine Julie, née le 9
+janvier 1761, épousa en 1778 Charles-Henrion de Saint Amand, frère du
+président Henrion de Pansey; la seconde, Émilie (22 janvier 1762-1827),
+fut mariée à Louis Papon de Rochemont; la troisième, Césarine, née le 29
+novembre 1763, devint la femme de Pierre-Benoît Carra de Vaux Saint-Cyr,
+et la dernière, Alix, devint Mme de Lamartine[55]. Enfin le dernier
+des fils, Lyon Des Roys, eut une triste existence d'homme de lettres
+manqué qui fournit la véritable explication des terreurs de Mme de
+Lamartine lorsqu'elle vit son fils tourmenté lui aussi, à vingt ans, de
+la même fièvre poétique.
+
+[Note 55: Voir, à l'Appendice, le tableau de la descendance Grimod.]
+
+Il était né à Lyon le 5 novembre 1768, et la ville qui, pour rendre
+hommage à son père alors échevin, avait tenu à être son parrain, délégua
+le prévôt des marchands au baptême; la cérémonie eut lieu en grande
+pompe le jour suivant en la cathédrale de Saint-Paul; la marraine fut,
+par procuration, Marie-Françoise de Beaumont, fille de Gaspard Grimod de
+la Reynière et tante de Mme Des Roys[56]. Ainsi, l'enfant semblait
+promis à quelque belle destinée alors que la réalité fut tout autre: ce
+qu'on sait de lui révèle un certain désordre mental, le délire de la
+persécution, un amour effréné de la publicité, et surtout un véritable
+désespoir de ne pas dépasser la médiocrité.
+
+[Note 56: Dans les papiers de la famille Des Roys, on trouve une
+petite note de la main de Jean-Louis qui rapporte les détails de la
+cérémonie:
+
+«Le 26 juillet 1768, procuration de Mme de Beaumont marraine de
+l'enfant dont Mme Des Roys était grosse, et dont la ville de Lyon
+devait être le parrain.
+
+«L'enfant est né le samedi 5 novembre: ç'a été un fils, qui a été
+baptisé le dimanche 6 dudit à Saint-Paul par M. Crupisson,
+sacristain-curé. Il a été nommé Lyon-François, et tenu par M. de la
+Verpillière, Prevost des marchands, accompagné du Consulat, pour la
+ville, et par Mme de la Verpillière pour Mme de Beaumont Des
+Roys.»]
+
+Il fit ses études au collège de Juilly, d'où il fut chassé en 1793 par
+la Révolution; en 1799 il était maître répétiteur de mathématiques dans
+cet établissement qui venait de rouvrir sous une nouvelle direction.
+Pour occuper ses loisirs, il rima alors un poème sur la géométrie, une
+tragédie en cinq actes, _la Mort de Caton_, une comédie,
+_l'Antiphilosophe_. Ce fut l'origine de tous ses malheurs: en juillet
+1799 il abandonna le collège pour Paris, rêvant la gloire littéraire, et
+s'imaginant avec présomption que son génie suffirait à le faire vivre.
+La lutte qu'il soutint pendant trois ans pour arriver à la célébrité,
+les railleries, les épigrammes dont il fut accablé eurent quelque
+retentissement à l'époque, et un critique dramatique, qui l'avait pris
+en grippe, Salgues[57], mena même contre lui une campagne de ridicule
+où il finit par succomber. On peut en juger par ces quelques extraits de
+_l'Observateur des spectacles_, où l'odyssée de Lyon Des Roys fut
+l'occasion de plusieurs articles.
+
+[Note 57: Cf. _l'Observateur des spectacles_ des 28 germinal, 2, 21,
+23 et 29 floréal an X. Jacques-Barthélémy Salgues (1760-1830), un des
+bons journalistes de l'Empire et de la Restauration. Prêtre d'abord, il
+fut choisi en 1789 pour la rédaction du cahier des doléances de la ville
+de Sens où il était né; peu à peu, il finit par organiser la
+contre-Révolution dans son département. Poursuivi, il ne réapparut à
+Paris qu'en 1794, fut traduit alors en justice après le 18 fructidor,
+mais acquitté par le tribunal d'Auxerre. À partir de 1798, il se
+consacra exclusivement aux lettres, et fonda deux journaux théâtraux.]
+
+ Le cit Desroys n'est point un de ces petits-maîtres à la mode qui
+ ont fondé leur succès sur les grâces de leur figure et l'élégance
+ de leurs manières; c'est un homme simple, nourri à la campagne et
+ dont la physionomie se rapproche un peu de celle de quelques
+ personnages fêtés sur le théâtre Montansier. Habitué à composer des
+ idylles pour les bergeries de Montmirail et des tragédies pour le
+ curé de sa paroisse, il n'a guère connu jusqu'à présent de plus
+ grandes solennités que celles de la messe ou du prône... La nature,
+ avare dans ses productions originales, n'enfante pas tous les jours
+ de ces êtres privilégiés destinés à réjouir les journalistes. Sous
+ ce rapport, le cit. Desroys est une de ses conceptions les plus
+ heureuses, et nous ne saurions trop nous empresser de le faire
+ connaître.
+
+ Déjà les deux nymphes[58], arrivées au point où les soins paternels
+ cessaient d'être nécessaires, aspiraient à se produire dans le
+ grand monde, à étaler les charmes dont elles étaient parées,
+ lorsque le cit. Desroys, en père tendre et compatissant, s'est
+ déterminé à les transporter dans sa malle à Paris. Mais sur quel
+ théâtre exposera-t-il ces rares merveilles de la nature? Il a à
+ choisir entre la salle Montansier, les boulevards ou la
+ République[59]. La République aura ses préférences. Déjà le cit.
+ Desroys a mis son habit du dimanche: un bas de soie réservé pour le
+ jour de Pâques a succédé à la guêtre qui déguise la faiblesse de
+ son mollet et l'épaisseur de ses orteils; une cravatte brodée à
+ crête de coq enveloppe son long col et dépasse son menton; un linge
+ mouillé dans un gobelet a fait disparaître les traces de poussière
+ qui s'étendent sur son front; sa main, blanchie par le savon,
+ soutient avec orgueil ses deux filles chéries qu'il se hâte de
+ présenter au sévère Florence[60].
+
+ Illustre semainier qui rédigez l'annonce des spectacles et
+ convoquez le conseil suprême qui, dans son indulgence ou ses
+ rigueurs, élève ou abaisse la puissance poétique, généreux
+ Florence, soyez favorable au Sophocle de Montmirail!
+
+[Note 58: Sa tragédie et sa comédie.]
+
+[Note 59: Nom que portait alors l'ancien Théâtre-Français.]
+
+[Note 60: Un des semainiers du Théâtre-Français.]
+
+C'est dans cet appareil et présenté par ces propos un peu lourds, que
+Lyon Des Roys aborda le comité de lecture du Théâtre-Français, et une
+épigramme complaisamment recueillie par son terrible ennemi nous apprend
+l'accueil qu'il en reçut:
+
+ Dieu paternel, quel dédain, quel accueil!
+ De quelle œillade altière, impérieuse,
+ Le fier Batiste écrase ton orgueil,
+ Pauvre Desroys! la Raucourt est moqueuse;
+ Elle riait, Saint-Prix te regardait
+ D'un air de prince, et Dugazon dormait;
+ Et renvoyé, penaud, par la cohue,
+ Tu vas gronder et pleurer dans la rue.
+
+Le jeune auteur fut pourtant ravi de tant de bruit fait autour de son
+nom, et ce refus, loin d'abattre son courage, ne fit qu'exciter sa
+verve; lui-même rendit publique sa mésaventure dans une _Épître à
+Dazincour_, célèbre comique du temps, qui l'avait patronné paraît-il
+auprès du comité de lecture; c'est allégrement qu'il s'écriait:
+
+ Touchés de mon discours modeste,
+ Les premiers talents comme toi
+ Se sont déjà montrés pour moi:
+ Monvel, Talma, Mars et Devienne;
+ Mais la fâcheuse et dure antienne
+ De l'implacable Grandménil
+ M'a renvoyé dans mon chenil!
+ Va, ne crains pas que je m'y tue!
+ Ma muse est à la fin connue,
+ Ami, voilà ce qui m'en plaît,
+ C'est pour cela que j'ai tout fait.
+
+L'échec paraît néanmoins lui avoir été plus pénible qu'il ne le laissait
+entendre, puisque peu de temps après il publia une _Épître aux
+Comédiens_ dont la préface est pleine d'amertume:
+
+ Je suis bien loin de prétendre, y lit-on, valoir mieux que les
+ Legouvé, les Arnaud, les Collin; mais quand je vois jouer des
+ pièces aussi froides que celles qu'on nous donne souvent, alors
+ l'indignation s'empare de mon esprit et je trouve qu'on me fait
+ injure de ne pas du moins essayer les miennes.
+
+Combien peu, pourtant, il était exigeant:
+
+ Que demandai-je aux comédiens? une lecture de la pièce entière?
+ Non, mais une lecture du premier acte, de la première scène! Si
+ j'avais été entendu, j'étais content, je leur promettais un ennui
+ très court, mais ils n'ont pas voulu courir le danger.
+
+Il terminait enfin par le procès du comité de lecture:
+
+ Comité secret et invisible qui rend les réponses les plus
+ rébarbatives; en se barricadant de la sorte, les acteurs de Paris
+ ne peuvent être abordés que par un petit nombre de favoris dont la
+ fortune est déjà faite, et par conséquent l'ardeur refroidie.
+
+Pour se venger des comédiens qui l'évinçaient, de la critique qui le
+raillait, et persuadé que l'opinion prévenue contre lui ne demandait
+qu'à lui rendre justice, l'infortuné eut une idée dont l'originalité n'a
+certes jamais été atteinte depuis; il fit imprimer sa comédie, où on
+lisait ces simples mots à la fin du IVe acte:
+
+ _Absence du Ve acte_. Cet acte n'est pas le plus mauvais, mais
+ nous ne voulons pas nous dépouiller de toutes nos richesses pour un
+ public ingrat qui ne nous en saura aucun gré. S'il a quelque
+ curiosité de connaître la pièce entière et d'en bien juger, il n'a
+ qu'à l'appeler sur la scène.
+
+Ce bizarre appel au peuple échoua complètement; plus ingrat que jamais,
+le public n'imposa pas la représentation de _l'Antiphilosophe_ dans un
+de ces grandioses mouvements de foule qu'avait rêvé l'auteur; plein
+d'indifférence, il se contenta même des quatre actes et n'exigea jamais
+leur dénouement. Inlassable, Lyon reprit la lutte et, puisque le public
+n'allait pas à lui, il irait au public. À cet effet, il fit placarder
+dans Paris de grandes affiches bleues et rouges où la conduite du comité
+et des journalistes était durement appréciée, et où il annonçait que le
+13 avril 1802 il ferait une lecture publique de son _Caton_ dans une
+salle qu'il loua, éclaira et meubla à ses frais. Le lendemain, Salgues,
+qui l'avait laissé en paix déjà depuis quelques mois, rendit ainsi
+compte de la soirée dans son journal:
+
+ Il faut le dire, pour l'amitié que nous portons au citoyen Desroys,
+ cet auteur avait mal choisi son jour... Après avoir été _crucifié_
+ par les Comédiens-Français, c'était mal entendre ses intérêts que
+ de prendre le Vendredi-Saint pour ressusciter. D'ailleurs, les
+ fêtes de Longchamps et le concert de l'Opéra, tout inférieurs qu'on
+ puisse les supposer à la tragédie du _dernier des Romains_,
+ devaient nécessairement dans ce siècle de frivolité enlever un
+ grand nombre d'amateurs au citoyen Desroys, et c'est ce qui est
+ arrivé. Trente personnes au plus composaient son auditoire, et ce
+ dénument n'avait rien d'encourageant pour un poète qui aspirait à
+ l'honneur d'être jugé par le public.
+
+ Au reste, on doit cette justice au citoyen Desroys qu'il n'a
+ employé aucun des prestiges condamnables qui tendent à surprendre
+ la religion des juges. Dans la crainte que l'éclat de ses yeux ne
+ portât trop d'émotion dans nos cœurs il les a tenus constamment
+ fermés; pour diminuer l'intensité de sa voix et la grâce de son
+ geste, il a armé sa main droite d'un chandelier qu'il portait
+ alternativement à sa bouche, à son nez, à ses yeux. Si quelques
+ dents absentes de la bouche de l'auteur ne nuisaient pas à l'effet
+ de sa prononciation, si les règles de la grammaire étaient
+ observées dans ses vers, enfin si l'exposition du sujet ne manquait
+ point au premier acte, il est à présumer que le citoyen Desroys eût
+ recueilli de la part de ses auditeurs quelques marques de
+ satisfaction plus vives que celles qui lui ont été accordées.
+
+ Mais le citoyen Desroys a reconnu lui-même qu'il manquait quelque
+ chose à son débit, et le découragement même allait le saisir,
+ lorsque le citoyen Simien-Despréaux s'est présenté pour soutenir
+ son courage et ranimer son audace. Le citoyen Simien-Despréaux est
+ un athlète plus vigoureux que le citoyen Desroys; ses traits mâles,
+ sa voix sonore et son geste imposant, ont soutenu le second acte
+ et quelques passages bien lus ont obtenu les applaudissements du
+ petit nombre d'amateurs qui étaient restés après le premier acte.
+ Le troisième, le quatrième et le cinquième n'ont point été lus:
+ rien n'a pu vaincre la timide résistance du citoyen Desroys: ce
+ n'est qu'après les plus vives instances qu'on a pu obtenir qu'il
+ égayât l'assistance par la lecture du monologue de _Caton_. À
+ l'exception du premier hémistiche, ce morceau est tout entier de la
+ création du citoyen Desroys.
+
+Après un tel coup de massue, un homme ordinaire aurait perdu la tête et
+fui Paris; Lyon n'en fit rien. Profitant de la menue notoriété que
+l'incident lui avait value, il réunit à la hâte quelques pièces
+fugitives, dont une _épître aux journalistes_, qu'il mit en vente sans
+tarder; c'était aussi le seul moyen pour lui de répondre à Salgues, car
+tous les journaux demeuraient obstinément sourds aux véhémentes
+imprécations qu'il leur offrait. Cette fois, pourtant, on voit par la
+préface, plus navrante encore qu'incohérente, qu'il avait perdu son
+égalité d'humeur et que sous les cruelles railleries de Salgues sa
+raison commençait à s'affaiblir; il écrivait tristement:
+
+ La qualité de poète est belle et honorable quand elle est conférée
+ par la voix publique, mais jusque-là ce n'est qu'une enseigne
+ fatale qui nous attire incessamment le cruel coup de pied de l'âne.
+ Il est facile de supporter les injures de la médiocrité quand on a
+ pour soi les éloges des gens d'esprit, mais avaler le fiel tout
+ pur, voilà ce qui révolte et fait perdre la raison. Si mon
+ extravagance a nui à ma réputation, elle y a servi en même temps:
+ j'ai mieux aimé périr par la folie que de me laisser écraser par le
+ ridicule. Tout n'est pas rose dans la littérature: il faut pourtant
+ convenir que les épines qu'on y rencontre viennent souvent moins
+ de la nature du terrain que de la position de celui qui le cultive.
+ Je sais que les journalistes que je provoque trouveront, s'ils
+ veulent, mille pauvretés et mille contradictions dans mes petits
+ écrits; mais cela tient au projet insensé et opiniâtre de faire
+ parler la renommée malgré elle. Les journalistes ne s'attaquent pas
+ à mes œuvres, ils défigurent ma personne, et voilà ce qui est
+ infâme et ne devrait pas leur être permis.
+
+Enfin, après avoir ainsi stigmatisé son bourreau, il tenta une dernière
+fois de l'apitoyer, mais d'une façon si naïve et si ridicule que Salgues
+ne put se tenir de reprendre la plume à la lecture de semblables vers:
+
+ Le public s'en rapporte aux gens qui font la loi,
+ Il les croit de bon cœur plus habiles que soi.
+ Mais enfin, tôt ou tard, le bon goût les ramène;
+ La justice du temps est lente, mais certaine.
+ L'auteur modeste, en paix s'abandonne à son sort.
+ S'il n'est vengé vivant, il sera vengé mort.
+ Vous riez des moyens que mon orgueil expose?
+ Craignez pourtant, messieurs, qu'il n'en soit quelque chose;
+ Et quelle honte, ô Ciel! n'éprouveriez-vous pas
+ Si mon triomphe était l'effet de mon trépas!
+ Rendez, pendant que l'heure est encore propice,
+ À d'immenses travaux une faible justice;
+ Régner sur les esprits est un plaisir si doux,
+ Que les maîtres du monde en sont souvent jaloux:
+ Richelieu tout-puissant porte envie à Corneille.
+ Je crains bien pour ma part quelque chance pareille:
+ Bonaparte est plus grand, j'en conviens avec vous,
+ Il triompha des rois conjurés contre nous,
+ Fit jouir de la paix l'Europe et sa patrie,
+ Mais il n'a pas en vers mis la géométrie.
+
+Devant cette dangereuse exaltation, son cousin Dareste, chez qui il
+habitait alors, jugea prudent d'écrire à Mme Des Roys et à la jeune
+Mme de Lamartine. Nous n'avons pas la réponse de la mère, mais on
+trouve trace dans le _Journal intime_ de toutes les angoisses de la
+pauvre femme, lorsqu'elle eut sous les yeux les articles de Salgues,
+qu'un anonyme avait assez méchamment fait parvenir à sa belle-sœur
+Mlle de Lamartine. Qu'y pouvait-elle? elle écrivit à son frère une
+lettre tendre, mais très ferme, en le suppliant de quitter Paris et
+d'essayer de trouver une situation en province ou à l'étranger. Celui-ci
+n'en continua pas moins ses excentricités: le 7 juin 1802, on l'arrêta
+même à l'Opéra, où il causait un violent scandale en faisant pleuvoir
+sur la salle tout ce que le libraire n'avait pas vendu d'exemplaires de
+son _Épître aux comédiens_; il fut remis en liberté quatre jours plus
+tard, mais ce petit incident avait sans doute refroidi son ardeur,
+puisque nous savons par sa sœur qu'il partit pour l'Angleterre en
+juillet; il entra, paraît-il, comme professeur de français chez un
+prêtre anglais qui lui accordait la modeste allocation annuelle de cinq
+cents francs, le loyer et la nourriture.
+
+Au bout de dix mois, incapable de se résigner à cette pitoyable
+existence, il regagna Paris où il végéta encore quelque temps; puis,
+aigri, désespéré, la tête perdue, il se tua le 15 mars 1804 à Lagnieux,
+près de Belley, au retour d'une visite qu'il avait faite à Lyon chez sa
+sœur Mme de Vaux. Mais le destin qui l'avait poursuivi sa vie
+durant, lui fut encore impitoyable après sa mort. Les autorités du
+département de l'Ain s'inquiétèrent de ce bizarre suicide--un coup de
+fusil dans le ventre--et comme les esprits étaient encore sous le coup
+de l'attentat de la rue Saint-Nicaise, on n'hésita pas à reconnaître
+dans le cadavre de Lyon Des Roys, malgré les papiers qu'il avait sur
+lui, un certain Picot-Limodan, dit _Beaumont_ ou _pour le Roi_,
+compromis dans l'affaire de la machine infernale et qui avait réussi à
+prendre la fuite. Le zèle des fonctionnaires alla même jusqu'à ordonner
+huit jours après l'exhumation du corps et à perquisitionner chez Mme
+de Vaux qui ne comprenait rien à l'aventure[61]. Quant à Mme de
+Lamartine, elle ignora toujours la vérité sur la fin de son frère et le
+crut emporté par une congestion pulmonaire; mais la pseudo-conspiration
+arriva jusqu'à elle, et elle écrivait le 29 mars 1804:
+
+[Note 61: _Moniteur_ du 4 avril 1804.]
+
+«L'on a imaginé que mon malheureux frère mort était impliqué dans une
+affaire de conspiration qui a toujours été à cent lieues de son cœur et
+de ses moyens. Une ressemblance de nom et son arrivée d'Angleterre ont
+produit cette erreur. On est allé faire des visites chez ma sœur, l'on a
+examiné ses papiers; il n'y avait rien du tout.»
+
+Telle fut l'existence de l'infortuné Lyon Des Roys, poète incompris
+comme Gilbert, Chatterton et tant d'autres; elle n'aurait guère valu de
+s'y arrêter aussi longuement si, comme nous l'avons dit, son exemple
+n'avait influé plus tard de façon décisive sur l'attitude des Lamartine
+lorsqu'ils virent le jeune Alphonse tourmenté du même démon qui avait
+perdu son oncle. On comprend mieux et l'on excuse leur opposition,
+parfois violente, quand à vingt-cinq ans il partit pour Paris un _Saül_
+en poche, frapper à la porte du même Talma qui dix-huit ans auparavant
+avait refusé le _Caton_ de Lyon Des Roys[62]. Le souvenir de son frère
+était encore trop présent à la mémoire de Mme de Lamartine pour
+qu'elle ne fût pas effrayée de voir son fils séduit par une carrière
+dont un de ses proches n'avait connu que les déboires.
+
+[Note 62: Il est curieux de constater que le sujet de Caton,
+emprunté à _la Mort de Caton_, d'Addison, tenta également Lamartine à
+vingt ans: il écrivait en effet le 30 septembre 1810 à Virieu: «Je
+traduis de l'anglais quelques Nuits d'Young et la superbe tragédie
+d'Addison _the Death of Cato_, le tout en vile prose, excepté quelques
+morceaux qui me séduisent et que je versifie.» (_Corresp._, I, p. 272.)]
+
+Quant à son œuvre poétique, elle est aussi mince que médiocre: une
+tragédie, une comédie, quelques pièces fugitives, un poème sur le tabac,
+un autre sur la géométrie, deux ou trois fables et quatre épîtres[63];
+c'était insuffisant pour la conquête de Paris qu'il avait rêvée.
+Accordons-lui pourtant en tardive réparation que _le Dernier des
+Romains_ ne dépare pas la série des pauvres tragédies qui encombrèrent
+la scène française de 1790 à 1815. Inspirés du _Caton_ d'Addison et des
+meilleurs souvenirs de Shakespeare, ses cinq actes sont correctement
+rimés et bien conduits. Certains morceaux, comme la mort du héros
+pourraient même supporter la comparaison avec _la Mort de Socrate_ de
+son neveu. Tous deux, il est vrai, n'ont fait qu'interpréter Platon,
+mais le rapprochement est assez curieux pour être noté[64].
+
+[Note 63: Voir, à l'Appendice, la bibliographie des œuvres de Lyon
+Des Roys.]
+
+[Note 64:
+
+ L'âme est inaccessible et rien n'agit sur elle;
+ Que la mort au méchant soit un objet d'horreur,
+ L'homme de bien y voit l'aurore du bonheur.
+ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
+ Mais je ne sais, mes yeux paraissent s'obscurcir,
+ Mes membres fatigués semblent s'appesantir,
+ Je ne puis surmonter la langueur où je tombe...
+ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
+ Mes enfants, mes amis, approchez, je vous prie.
+ Quoi? d'où viennent ces cris? qu'avez-vous à frémir?
+ Qu'est-ce donc, mes amis, ai-je tort de mourir?
+ Voulez-vous que j'attende à sortir de la vie
+ Que je me sois couvert de quelqu'ignominie,
+ Que j'aie abandonné le chemin de l'honneur?
+ La mort n'a rien d'affreux, n'en ayez point d'horreur.
+ Elle vient,... je la vois, je la sens,... je la touche...
+ Elle obscurcit mes yeux,... elle glace ma bouche...
+ Je finis,... je m'éteins... sans douleurs, sans effort...
+ L'âme pleine d'espoir se dégage du corps.
+
+ (_Le Dernier des Romains_, acte V, sc. I et IX.)]
+
+ * * * * *
+
+Hasarder des conclusions à une étude aussi brève et forcément incomplète
+sur l'hérédité de Lamartine est délicat. Pourtant, dans ses grandes
+lignes, elle apparaît ainsi:
+
+Deux familles, l'une un peu rude, chez qui la carrière des armes devient
+la tradition; l'autre, cultivée, affinée par quatre siècles d'étude et
+qui ne connut jamais d'autre métier que celui d'écrire; mais toutes
+deux provinciales et sédentaires, profondément religieuses et que les
+germes matérialistes du XVIIIe siècle ont épargnées; étroitement
+attachées au sol qui les a vues naître, elles y tiennent par toutes
+leurs alliances; au plus haut qu'on puisse remonter, elles sont fixées
+non pas dans des régions extrêmes de la France, mais au contraire dans
+deux provinces presque limitrophes, soumises aux mêmes coutumes, et dont
+Lyon est le centre géographique. Leur vie est simple, leurs aspirations
+sont saines et n'ont d'autre objet que d'augmenter à chaque génération
+le patrimoine d'honneur et de bien-être qu'elles tiennent de leurs
+pères; de tout temps une vie égale et sans histoire, presque sans
+efforts, comme si toutes les forces vives des deux races eussent dû
+sommeiller pendant quatre siècles pour s'éveiller et s'épanouir enfin
+dans leur dernier rameau.
+
+
+
+
+DEUXIÈME PARTIE
+
+LE MILIEU
+
+
+
+
+CHAPITRE I
+
+LA FAMILLE[65]
+
+
+[Note 65: Sources et bibliographie de la IIº partie: _Journal
+intime_ (passim).--_Archives départementales de Saône-et-Loire_, très
+riches en documents sur les Lamartine pendant la Terreur.--_Césarine et
+Alix, un épisode de la jeunesse de Mme de Lamartine la mère_, par le
+baron Alexandre Carra de Vaux (publié dans _l'Investigateur_, journal de
+l'institut historique, 1853).--_Histoire de Saint-Point_, par L. Lex
+(Mâcon, 1898, in-8).--_La Jeunesse de Lamartine_, par F. Reyssié (Paris,
+1892, in-16).--_La Persécution religieuse en Saône-et-Loire_ (t. IV,
+arrondissement de Mâcon), par l'abbé Louis S.-M. Chaumont
+(Chalon-sur-Saône, 1903, in-8).--_La Révolution dans l'ancien diocèse de
+Mâcon_, par Mgr B. Rameau (Mâcon, 1900, in-8).­--_Souvenirs de Mme
+Delahante_ (Évreux, 1906, 2 vol. hors commerce). Les souvenirs de Mme
+Delahante, qui dans sa jeunesse habita longtemps Mâcon et fut très liée
+avec les Lamartine, ont été publiés par sa petite-fille Mme de Blic.
+Ils contiennent de nombreux et curieux détails nouveaux sur la vie
+familiale du poète, ainsi qu'une trentaine de lettres inédites de divers
+membres de sa famille.
+
+Toutes les références aux œuvres de Lamartine sont faites d'après
+l'édition de l'auteur; c'est la dernière parue de son vivant et la plus
+complète (Paris, 1860-66, 41 vol. gr. in-8).--Pour les publications
+posthumes, d'après les éditions originales: _Mémoires inédits_ (Paris,
+1870, in-8); _Manuscrits de ma mère_ (_id_., 1871, in-8); _Souvenirs et
+Portraits_ (_id_., 1871-72, 3 vol. in-18): _Correspondance_ (_id_.,
+1873-75, 6 vol. in-8).]
+
+À la naissance de Lamartine, sa famille se composait de
+Louis-François--alors âgé de quatre-vingts ans,--de sa femme et de leurs
+six enfants: trois fils et trois filles. Si l'on en excepte les
+grands-parents qu'il connaîtra à peine, tous les autres joueront dans sa
+jeunesse un rôle trop important pour ne pas préciser un peu leurs
+figures très effacées aujourd'hui.
+
+L'aîné des fils, François-Louis, était, on l'a vu, d'une santé précaire.
+C'était un grand homme un peu voûté, au teint pâle, au regard noir, à
+l'abord austère. Extrêmement maniaque dans ses habitudes et son hygiène,
+il trouvera moyen de prolonger jusqu'à près de quatre-vingts ans une
+existence que les médecins avaient condamnée dès l'enfance. «Il avait
+été toute sa vie faible et délicat, dira de lui sa belle-sœur, mais on
+était accoutumé à le voir ainsi.»
+
+Ce que son neveu a écrit de lui paraît très exact; on sent que le poète
+avait, comme il l'a dit, son image «bien gravée dans la tête». C'est que
+leurs deux natures étaient peu faites pour s'entendre. Dans le journal
+de sa sœur il apparaît comme un vieillard énergique mais redoutable,
+despotique, rigide, aigri par ses infirmités et sa vie manquée: «Toute
+sa vie, écrira Mme de Lamartine au lendemain de la mort de son
+beau-frère, il avait conservé l'influence d'un chef de famille, et rien
+ne s'était jamais décidé dans la mienne que par lui ou d'après lui;
+souvent cet empire avait contrarié nos vues et m'avait causé des peines
+sensibles». Ceci confirme entièrement ce que Lamartine a écrit dans les
+_Confidences_.
+
+Lorsqu'il lui fallut à vingt-cinq ans renoncer à la carrière militaire
+et à l'espoir de fonder à son tour une famille, François-Louis se
+confina entièrement dans le monde de la pensée, afin d'occuper un peu
+son activité. Esprit méthodique et précis, les sciences eurent ses
+préférences: les mathématiques furent pour lui un véritable délassement,
+et il faut voir là l'origine de tous les froissements que nous
+constaterons plus tard entre l'oncle et le neveu.
+
+La liste de ses œuvres en dit long; l'Académie de Mâcon, dont il fut dès
+1806 un des membres les plus assidus, a recueilli dans ses bulletins
+annuels une cinquantaine de mémoires sur les sciences et l'agriculture
+dont il est l'auteur. On y remarque un _Examen du gleuco-œnomètre_, une
+_Dissertation sur une substance résineuse trouvée à Louhans_, un _Traité
+de l'oryctologie du Mâconnais_, dont le manuscrit subsiste encore à la
+bibliothèque de Mâcon, et d'importantes et minutieuses _Recherches sur
+les causes qui modifient ou altèrent la cohésion entre les parties de
+quelques substances_, sans compter d'innombrables communications sur la
+viticulture et l'élevage.
+
+À sa mort, le _Journal de Saône-et-Loire_ publia un long article
+nécrologique auquel il est permis d'accorder quelque valeur, puisque
+nous savons qu'il ne fut pas inspiré par sa famille[66], et dont le
+fragment suivant nous donne un portrait assez vivant de celui que
+Lamartine appelait «l'oncle terrible»:
+
+«Animé d'un zèle ardent pour l'étude, M. de Lamartine s'était consacré
+dès sa jeunesse au culte des sciences et des lettres, mais il avait
+montré une prédilection particulière pour les sciences naturelles et les
+mathématiques. Uni par les liens de l'amitié et d'une estime mutuelle
+avec le savant abbé de Sigorgne[67], en relations avec plusieurs autres
+hommes célèbres de son temps, il trouva ses plus chères délices à
+parcourir le vaste champ du découvertes que lui présentait la science.
+
+[Note 66: Journal de Saône-et-Loire du 4 mai 1827. Cet article,
+rédigé par Alexis Mottin, secrétaire perpétuel de l'Académie de Mâcon,
+ne satisfit qu'à moitié Pierre de Lamartine qui y répondit par la lettre
+suivante, insérée dans le numéro du 7 mai:
+
+«Monsieur, je commence par rendre grâce à l'estimable auteur de
+l'article nécrologique inséré dans votre précédent numéro. Je serai
+désespéré que ma juste réclamation put l'affliger, mais je crois le
+devoir à la mémoire de mon frère. Sans doute, si votre journal n'était
+lu qu'à Mâcon, où M. de Lamartine était si parfaitement connu, il eût
+été peut-être superflu de dire un mot sur ses sentiments religieux: nul
+ne peut les y mettre en doute. Mais comme la sphère de votre estimable
+journal ne se borne pas à cette ville, je désire que partout où elle
+s'étend on sache que mon frère mettait fort au-dessus de toutes les
+connaissances humaines celle de la religion, et que, jusqu'au dernier
+instant de sa vie, il en a constamment rempli les devoirs avec zèle et
+la plus sincère conviction.--LAMARTINE.»]
+
+[Note 67: Pierre Sigorgne (1719-1809), vicaire général de Mâcon,
+puis archidiacre et doyen du chapitre de Saint-Vincent, auteur de
+plusieurs volumes de philosophie. On a de lui: _Institutions
+newtonniennes_ (1747); _Lettres écrites de la plaine_ (1765), où il
+réfute les _Lettres de la montagne_ de Rousseau; _Institutions
+leibnitziennes_ (1768); _le Philosophe chrétien_ (1776), etc.
+
+Cf. Abbé Rameau, _Notice sur l'abbé Sigorgne_ (Mâcon, 1895, in-8).]
+
+«Doué d'une imagination vive, brillante, et de cette fermeté de
+caractère qui triomphe des difficultés, aidé d'une mémoire facile qui
+lui rendait toujours présentes les connaissances solides qu'il avait
+acquises, il ne lui eut fallu qu'un peu moins de modestie pour se faire
+un nom très recommandable parmi les savants. Mais, loin de faire parade
+de son savoir, il le faisait servir à donner plus de charme à sa
+conversation, vive, piquante, et constamment assaisonnée de cette douce
+urbanité qui donne à la société tant de charmes.
+
+«Sujet fidèle et attaché sincèrement au bien de son pays, on l'a vu,
+pendant le cours des troubles civils qui ont désolé notre patrie,
+toujours dévoué à la cause de la légitimité et de ne pas perdre de vue
+un seul instant les principes sur lesquels reposent l'ordre social et la
+prospérité de la France.»
+
+Ainsi lorsque après un romantique parallèle de leurs deux caractères,
+Lamartine s'écriait: «Comment unir ce nombre et cette flamme[68]», il
+n'exagérait pas les contrastes de ces natures dissemblables qui ne
+parvinrent jamais à trouver un terrain d'entente.
+
+[Note 68: _Nouv. Confidences_, p. 455. Le portrait de l'oncle
+terrible occupe les pages 447-457 (T. 29).]
+
+À toutes ses qualités de méthode il joignait celle d'être un homme
+d'affaires entendu, comme le furent tous les Lamartine, sauf toutefois
+le dernier du nom qui sur ce point se trouvait desservi par son
+imagination. Le souci de son bien s'affirme dans les moindres lettres
+que nous ayons rencontrées de lui: très processif, il n'hésitait pas,
+dès qu'il croyait y avoir quelque intérêt, à soutenir ses revendications
+par de longs _factums_ écrits avec amour.
+
+Sa correspondance avec ses vignerons est curieuse à feuilleter: une fois
+de plus, elle confirme son esprit précis et méticuleux.
+
+Lamartine ne l'aimait pas et cette antipathie se manifesta chaque fois
+qu'il avait à parler de lui. Cet oncle fut l'épouvantail de sa jeunesse,
+celui à qui, bien plus qu'au père toujours indulgent, il fallait cacher
+les fredaines, les menues dettes et les aventures: intransigeant, sévère
+et glacé, presque sans tendresse, il ne tolérait pas autour de lui la
+moindre infraction aux principes dans lesquels il avait été élevé et
+qu'il prétendait immuables.
+
+La plupart du temps il contrecarrait opiniâtrement et avec sa méthode
+habituelle les beaux projets de son neveu dont il voulait ainsi
+maîtriser la débordante imagination; aux rêves vagues mais fiévreux
+d'étude et de littérature il opposera froidement les sciences qui, selon
+lui, donneront quelque maturité à ce cerveau vagabond.
+
+Pour comprendre cette domination qu'il imposera jusqu'à sa mort, il ne
+faut pas oublier la situation particulière du jeune homme dans ce milieu
+imbu des traditions du sévère XVIIIe siècle: l'oncle ne verra en lui
+que l'unique héritier du nom et de la fortune et voudra, avant tout, le
+mûrir pour en faire le chef de famille avisé et prudent que chacun de
+ses ancêtres avait été avant lui. Tout le malentendu naîtra de là.
+
+Dans le portrait de son oncle, Lamartine a pourtant commis une erreur
+lorsqu'il touche à ses idées politiques[69]; mais est-elle involontaire?
+Les _Confidences_ furent écrites, on le sait, en pleine activité
+républicaine, à une époque où le chef de l'opposition n'était peut-être
+pas fâché de se découvrir des origines libérales.
+
+[Note 69: Bien qu'inexactes, les idées politiques que Lamartine a
+prêtées à son oncle sont curieuses, parce qu'elles correspondent très
+exactement à son propre programme sous les dernières années de la
+monarchie de Juillet.]
+
+La vérité est que, dès le début de la Révolution, François-Louis, que
+son neveu nous a montré condisciple et ami de Lafayette, n'eut même pas
+ce républicanisme de la première heure que connurent tant de
+gentilshommes séduits pas les idées nouvelles. Alors que dans une minute
+d'enthousiasme son frère Pierre signait avec le comte de Montrevel, le
+grand bailli d'épée Desbois, le marquis de Sainte-Huruge et d'autres
+seigneurs du Mâconnais la solennelle renonciation aux privilèges
+nobiliaires, lui, plus froid et plus raisonné, ne fut pas entraîné par
+l'imagination et la fièvre de l'époque. La gravité de la situation lui
+apparut entière et dès le premier jour il en envisagea les suites.
+Aussi, en mars 1789, au moment des émeutes qui accompagnèrent à Mâcon
+l'élection des députés aux États généraux, on le vit avec MM. de
+Chaintré, de Bordes, de Pierreclau et de Drée, défendre les intérêts de
+sa caste à l'Assemblée des trois ordres du bailliage et réclamer même la
+destitution du maire qui soutenait le Tiers, ce qui leur valut à tous
+d'être fort malmenés par la foule à l'issue de la réunion[70].
+
+[Note 70: Cf. Demaizières, Un incident populaire à Mâcon en 1789
+(_Ann. de l'Académie de Mâcon_, IIe siècle série, t. XI).]
+
+En 1792 enfin, lorsqu'il sentit l'orage prêt d'éclater, il se hâta
+d'émigrer; pour un temps très court, il est vrai, car trois mois plus
+tard il était de retour et se constituait prisonnier ne voulant sans
+doute pas abandonner son père et ses frères que sa fuite avait fait
+arrêter.
+
+Par la suite, la Terreur et l'Empire l'abattirent sans le convaincre et
+jusqu'au bout il demeura fidèle à la légitimité. Lamartine a raconté
+qu'en 1805, lors du passage de Napoléon à Mâcon, celui-ci aurait fait
+appeler François-Louis pour lui offrir un siège de sénateur; mais Mme
+de Lamartine n'a rien noté de tel dans son journal où ce séjour de
+l'Empereur est pourtant longuement rapporté, ce qu'elle n'eût pas manqué
+de faire si l'entrevue avait eu lieu.
+
+À soixante dix-sept ans, une fluxion de poitrine emporta François-Louis
+en quelques jours. Sa mort fit un véritable vide dans la petite société
+mâconnaise qui l'aimait et le respectait pour la droiture de sa vie et
+son érudition «presque universelle», dira sa belle-sœur; il laissait à
+tous le souvenir d'une intelligence remarquable et d'un causeur parfait,
+à qui l'on pardonnait son abord un peu farouche en mémoire d'une vie
+prématurément brisée. Il mourut à Montceau le 25 avril 1827, et par son
+testament il instituait comme ses légataires universels, sa nièce aînée
+Cécile, devenue Mme de Cessia, et son neveu Alphonse dont les
+triomphes poétiques et surtout les fonctions d'attaché d'ambassade qu'il
+occupait alors avaient fini par lui rendre confiance. Celui-ci,
+pourtant, ne se jugea pas satisfait, et fut même blessé par une clause
+de ces dernières volontés pourtant toutes en sa faveur; le 20 juin, il
+écrivait à l'abbé Dumont, son ami: «Le testament de mon oncle n'est pas
+sa plus belle œuvre, mais j'aime toujours à croire qu'elle n'a pas été
+faite à mauvaise intention. Si je n'avais qu'un neveu, seul chef
+survivant de ma famille, et qu'il ne déshonorât pas mon nom, je lui
+ferais l'honneur de le nommer au moins mon héritier universel à ses
+risques et périls. Trop penser nuit, les grandes routes sont les plus
+droites[71]». Ce fut là toute l'oraison funèbre qu'il prononça sur la
+tombe de cet oncle qu'il s'imaginait, sincèrement, avoir opprimé sa
+jeunesse.
+
+[Note 71: Cf. _Corresp._, III, p. 41. Voici d'autre part une lettre
+de Pierre de Lamartine à son fils où nous trouvons quelques détails sur
+cette succession:
+
+ «Maçon, le 1er mai 1827.
+
+ «Voilà, mon cher ami, une malheureuse circonstance qui me fait
+ encore plus regretter que tu ne sois pas ici où ta présence serait
+ d'une grande utilité. Mon pauvre frère n'est plus; il a succombé,
+ dimanche à onze heures du matin, à cette maudite fièvre catharale.
+ Tu sens tout ce que nous avons eu tous à souffrir dans ce malheur.
+ Mlle de Lamartine l'a pourtant supporté avec tout le calme de sa
+ grande piété.
+
+ «Voici les principales dispositions de son testament par lequel il
+ a fait cesser l'indivision qui était dans leur bien. Mlle de
+ Lamartine garde Montceau et les Mélards, elle a tout le mobilier
+ quelconque, argent, denrées, sans aucun frais de sa part, pas même
+ ceux du fisc dont ses héritiers sont chargés. C'est Cécile et toi
+ qui l'êtes, pour égale part et portion, de Champagne, Saint-Pierre
+ et Saint-Oyen en rapportant ce que vous avez eu par contrat de
+ mariage. La bibliothèque est à toi par principal et voici en quoi
+ consistera l'actif de la succession:
+
+ À présent Champagne estimé à peu près... 160000 francs.
+ Saint-Oyen environ.... 80000 ----
+
+ Après la mort de ma sœur, trois inscriptions
+ de mille francs chacune, valant....... 60000 ----
+ ------
+ 300000 francs.
+
+ «Mon frère a fait bon marché à Mlle de Lamartine, en faisant son
+ partage, mais il y assujétit ses héritiers par son testament.
+ L'argent, les vins, le mobilier sont très considérables; je pense
+ que ma sœur aura dix-sept ou dix-huit mille livres de rente.»
+ (_Lettre inédite_ provenant des archives de Saint-Point.)
+
+Comme on peut s'en rendre compte, Pierre de Lamartine était donc du même
+avis que son fils touchant le testament de François-Louis.
+
+Une lettre du 5 juillet, toujours du chevalier au poète, nous apprend
+que, sur la tombe de François-Louis de Lamartine, on fit graver un vers
+de son neveu choisi par Mme de Lamartine:
+
+«La mort m'a tout ravi, la mort doit tout me rendre», extrait de la
+_Méditation_: la Semaine sainte à la Roche-Guyon.]
+
+Le cadet, l'abbé de Lamartine, était son vivant contraste. À dix-sept
+ans il était entré dans les ordres, un peu contre son gré, assure sa
+belle-sœur. Bientôt il prit goût pourtant à cette vie facile et sans
+soucis graves; cinq années de dures épreuves qu'il eut à subir de 1792 à
+1797, lui donnèrent une souriante philosophie. En sage qu'il était, il
+se réfugia aussitôt dans sa belle retraite de Montculot, où il vécut
+paisiblement et loin des siens, parmi la nature qu'il aimait. Il demeura
+là jusqu'à sa mort avec une vieille intendante, travaillant en silence à
+de longs mémoires sur la théologie et la philosophie qui ne virent
+jamais le jour.
+
+Dans sa vieillesse, il aimait à voir sa solitude animée par les vingt
+ans et la vivacité de son neveu, qu'il accueillit toujours avec bonté;
+Lamartine l'adorait, et chaque fois qu'il avait quelque dette à éteindre
+ou une petite fredaine à faire oublier, c'était à lui qu'il venait
+s'adresser. Montculot fut le refuge, «la Thébaïde», comme il l'appelait,
+de son adolescence. Il y fuyait l'oncle de Montceau et la contrainte de
+Milly; c'était la transition habituelle entre les plaisirs de Paris et
+la tristesse de sa campagne, et il y trouvait la paix et le
+recueillement sous les deux formes qu'il aimait le mieux: la nature et
+les livres; l'abbé avait réuni une admirable et riche bibliothèque où le
+neveu pouvait puiser sans contrôle, ce qui n'allait pas sans le changer
+un peu des habitudes de Mâcon et de Milly où sa mère se montrait très
+sévère. Lamartine, en mémoire des heures libres qu'il passa près de
+lui, en a laissé un portrait charmant: il aimait la bonhomie souriante
+de l'aimable vieillard demeuré toujours un peu frondeur, ce qui faisait
+dire ingénument à sa belle sœur: «L'abbé est très mal! pourvu, mon Dieu,
+qu'il pense à se confesser!» Une vieillesse accablée de cruelles
+infirmités n'altéra en rien sa belle humeur; frappé le 10 septembre 1817
+d'une attaque d'apoplexie qui lui paralysa un bras et une jambe, il
+mourut à Montculot le 8 avril 1826, en brave homme qu'il avait toujours
+été, laissant sa fortune à son neveu préféré. Seul de tous les
+Lamartine, il avait compris la nature inquiète de l'adolescent et deviné
+l'immense travail de ce jeune cerveau.
+
+ * * * * *
+
+Quant aux trois tantes, elles jouèrent un rôle assez effacé dans
+l'existence du poète. L'aînée, Sophie, connue dans la famille sous le
+nom de Mlle de Montceau, demeura toute sa vie faible d'esprit et
+vécut à Milly des jours sans histoire entre son frère et sa belle-sœur:
+«Je dois la regarder comme mon sixième enfant», dira d'elle Mme de
+Lamartine, qui fit preuve à son égard d'un patient dévouement. La
+cadette, Suzanne, Mme du Villard, habitait la petite propriété de
+Péroné. Dans sa jeunesse elle avait été élevée au chapitre de Salles et
+en avait gardé le titre de chanoinesse-comtesse. C'est là que la
+Révolution vint la surprendre pour la relever malgré elle de ses vœux.
+Son cœur était inépuisable, comme sa bourse, et bien souvent on la verra
+venir à l'aide du prodigue neveu. D'après Mme de Lamartine qui lui
+avait voué une profonde reconnaissance d'avoir facilité jadis son
+mariage, elle était de bon conseil, très bonne et très pieuse, mais
+d'une nature assez difficile. Pour Lamartine, qu'elle tira souvent un
+peu vivement de ses rêveries, elle avait un caractère «plus impétueux
+qu'une bourrasque». La dernière, Charlotte, Mlle de Lamartine, avait
+uni sa vie à celle de son frère aîné; c'était une pâle et mystique
+créature, qu'un amour malheureux avait attristée pour toujours. L'hiver,
+on se réunissait à Mâcon dans son vieux salon démodé, avec quelques
+parents et voisins; c'étaient ces fameuses soirées où Lamartine avouait
+plus tard avoir failli périr d'ennui et qui, selon son énergique
+expression, «auraient fait croupir l'eau même des cascades des Alpes».
+Les trois vieilles filles moururent, Sophie en 1819, Charlotte en 1823,
+Mme du Villard en 1842, celle-ci n'ayant jamais pardonné à son neveu
+la politique d'opposition qu'il menait contre les d'Orléans à qui,
+disait-elle, leur famille devait tant.
+
+ * * * * *
+
+Le plus jeune des fils de Louis-François était Pierre Lamartine, le
+chevalier de Pratz. On lui avait donné ce titre dans sa jeunesse, pour
+le distinguer de son frère aîné et, à Mâcon, il n'était guère connu que
+sous le nom de M. de Pratz. De là l'erreur si commune que le nom
+véritable du poète était de Pratz et non de Lamartine.
+
+Nous sommes malheureusement très peu renseignés sur lui. À travers même
+le journal de sa femme qui l'adore, il apparaît presque au second plan,
+se reposant sur elle de tous les soins du ménage et des tracas
+quotidiens, heureux, semble-t-il, d'avoir abdiqué entre les mains de son
+frère ses droits de chef de famille avec leurs responsabilités. Dans les
+_Confidences_, son fils en a parlé de façon respectueuse mais quelque
+peu vague; le portrait, d'allure militaire, est joliment campé, mais
+n'est pas tout à fait d'accord avec ce que nous savons de lui. Ce qu'il
+en a dit de plus juste est qu'il fut «le modèle parfait du gentilhomme
+de province, père de famille, chasseur, cultivateur». De même, quelqu'un
+qui l'a beaucoup connu, écrit qu'il était «le type parfait de l'ancien
+gentilhomme; très aimé de sa femme, qui le craignait un peu; il lui
+survécut et la regretta jusqu'à son dernier jour[72]».
+
+[Note 72: Mme Delahante.]
+
+Comme il était extrêmement aimé et respecté dans la région pour sa
+droiture, on avait voulu souvent le diriger vers la politique, mais il
+s'en gardait, paraît-il, comme de la source de tous les maux. Il
+consentit seulement à accepter un siège de conseiller général, qu'il
+occupa de 1803 à 1813. Pour le reste, ses scrupules monarchistes ne lui
+permirent jamais de passer outre, et sa femme a rapporté à ce sujet
+l'anecdote suivante qui date de 1809.
+
+Vivant-Denon, l'orientaliste qui avait suivi Bonaparte en Égypte, se
+trouvait alors à Mâcon où il présidait le collège électoral. Il était
+lié avec François-Louis et, au cours d'une visite qu'il lui fit, il
+rencontra le chevalier de Pratz. «Il traita mon mari avec beaucoup de
+distinction, ajoute Mme de Lamartine; il en a fait le premier
+scrutateur et, s'il avait voulu, l'aurait sûrement fait nommer
+législateur. Mais il craint, s'il accepte cette place, de se trouver
+dans des circonstances délicates où la conscience et la fortune ne
+pourraient peut-être pas s'accorder. Il aime mieux ne pas s'exposer à
+cette tentation, ce qui est assurément très sage.»
+
+Jusqu'à trente-huit ans, il avait servi dans l'armée; après son mariage,
+il se retira à Milly dont il ne bougea plus jusqu'à sa mort, si ce n'est
+à partir de 1805 pour aller passer l'hiver à Mâcon. C'était un bel
+homme, robuste et sain, qui ne dérogea pas à cette étonnante vitalité
+des Lamartine puisqu'il mourut presque centenaire. Bourru d'apparence,
+il alliait des manières un peu rudes à une grande simplicité et à un
+cœur excellent. Fixé à la campagne d'abord par nécessité, il finit par
+s'y trouver bien et perdit vite le goût des villes; pour lui faire
+acheter une maison à Mâcon, sa femme fut même obligée de plaider la
+cause de leurs filles qui, devenues grandes, avaient besoin d'une
+éducation moins villageoise. Jamais, on ne put vaincre dans sa famille
+cette horreur des cités bruyantes; de 1792 à 1844, date de sa mort, il
+ne consentit qu'une fois à s'arracher à sa chère solitude pour aller en
+1814 présenter à Louis XVIII les hommages de la ville et poursuivre avec
+opiniâtreté la croix de Saint-Louis, unique ambition de cette âme fidèle
+aux Bourbons. Après quoi, satisfait, il rentra à Milly sans vouloir
+jamais retourner à Paris par la suite, même au plus fort des triomphes
+poétiques et politiques de son fils.
+
+Au fond, il aimait la vie simple, la campagne et ses plaisirs, chasse,
+pêche, cheval, se levait et se couchait tôt, lisait peu. Son seul souci
+fut l'entretien et l'embellissement de ses vignes, il courait lui-même
+les marchés vendre son vin et ses récoltes et choisir soigneusement ses
+bestiaux. Pour le reste, il s'en remettait entièrement à sa femme et à
+son frère, surtout en ce qui concernait son fils dont l'âme tourmentée
+et insatisfaite lui échappait complètement. On chercherait en vain
+quelle influence il put avoir sur les destinées et l'éducation du poète.
+Volontairement, il se tint toujours à l'écart, se contenta d'approuver
+les décisions du chef de famille, lassé, surtout après 1810, de cette
+détresse morale et de cette nature hésitante qui cadrait si mal avec son
+propre tempérament et dont il ne comprendra que beaucoup plus tard les
+mobiles secrets. Mais la mère sera là pour atténuer les froissements
+entre ces deux caractères si différents.
+
+
+
+
+CHAPITRE II
+
+LA MÈRE
+
+
+En oubliant l'image que Lamartine a tracée de sa mère et en ne
+l'étudiant qu'à travers son journal, ses lettres et les témoignages de
+ceux qui l'ont connue, on peut arriver à préciser cette figure que le
+poète, dans son pieux amour, s'est appliqué à idéaliser et à rendre
+presque immatérielle.
+
+Mme de Lamartine fut une femme simple, bonne, aimante, et
+profondément religieuse; sa vie se sépare en quatre périodes inégalement
+remplies de joies et de douleurs. La première s'étend de sa jeunesse à
+son mariage; la seconde de son mariage à la majorité de son fils; la
+troisième de 1811 aux _Méditations_; la dernière de 1820 à sa mort
+survenue en 1829. Ainsi, chacune de ces étapes est liée à quelque grand
+événement de la vie de son fils: c'est que son premier-né demeura
+toujours le plus aimé; elle le voyait différent des autres et réservait
+pour lui le meilleur de sa tendresse.
+
+Elle était née à Lyon le 8 novembre 1770, et sa première enfance avait
+été confiée à sa grand'mère paternelle, car son père, en incessantes
+tournées d'inspections, et sa mère, retenue au Palais-Royal par ses
+fonctions, n'habitèrent Lyon qu'à de rares intervalles. À dix ans,
+Mme Des Roys la garda quelque temps près d'elle à Paris où la petite
+Alix devint la compagne de jeux du futur Louis-Philippe; puis quatre ans
+plus tard, redoutant qu'elle fût trop mêlée au monde de la cour, elle
+obtint du duc d'Orléans des lettres d'admission pour elle au chapitre
+noble de Saint-Martin de Salles, en Beaujolais, où sa fille aînée,
+Césarine, se trouvait déjà. Salles, situé à quelques kilomètres de
+Villefranche-sur-Saône, fut primitivement un prieuré dépendant de
+l'abbaye de Cluny. À la fin du XIIIe siècle des Bénédictins s'y
+installèrent, et en 1782 le prieuré fut, par lettres royales, déclaré
+chapitre noble, c'est-à-dire que, pour y être admises, les religieuses
+devaient faire preuves d'au moins quatre quartiers du côté maternel et
+de six du côté paternel.
+
+Lorsque Mlle Des Roys entra à Salles, le couvent était devenu une de
+ces institutions mi-mondaines, mi-religieuses de l'ancien régime, où les
+jeunes filles achevaient leur éducation. La vie qu'on y menait n'avait
+rien d'austère, puisque chaque élève y possédait une petite habitation
+et un jardinet qu'elle partageait avec une «mère». D'ailleurs Alix Des
+Roys, qui demeura à Salles de 1784 à 1789, venait chaque année passer
+deux mois à Paris avec ses parents.
+
+Il nous reste deux portraits d'elle pendant ce séjour au couvent. L'un
+est une miniature qui la représente dans l'austère vêtement noir des
+chanoinesses-comtesses, avec la fanchon de soie noire, la guimpe de
+broderie blanche et la croix d'émail épinglée au corsage[73]. Les
+cheveux sont d'un blond cendré, les yeux noirs, la bouche fine, le
+menton un peu gros, et toute l'expression du visage reflète une
+indicible et inquiétante mélancolie. L'on songe alors à ce joli passage
+de son journal écrit trente ans plus tard, un jour où, conduisant son
+fils à Lyon, elle passa devant l'ancien couvent de sa jeunesse:
+
+ J'éprouvais encore de douces émotions, dit-elle, en revoyant ce
+ charmant Beaujolais où j'ai passé une jeunesse si heureuse; mille
+ souvenirs se succédaient rapidement dans ma tête ou plutôt dans mon
+ cœur, car c'est là que presque tous les moments de ce temps sont
+ gravés. Je me voyais, de quinze à vingt ans, simple, jolie,
+ fraîche, plaisant à tout le monde...
+
+[Note 73: Ce portrait, que M. Reyssié a cru perdu, appartient
+aujourd'hui à Mme Frédéric de Parseval, arrière-petite-fille de
+Mme de Lamartine. Le poète, qui en a fait une description assez
+fidèle dans les _Confidences_, l'avait fait mouler en couvercle sur une
+petite boîte d'argent.]
+
+L'autre portrait est une longue épître en vers du chevalier de Bonnard,
+poète du duc de Chartres, et qui précéda Mme de Genlis comme
+gouverneur des enfants d'Orléans; elle fut adressée à Mme Des Roys,
+dont il fréquentait le petit cercle et qu'il avait connue chez Buffon,
+pour célébrer la grâce et les mérites de ses deux chanoinesses. Comme
+tous les vers de Bonnard, ceux-ci sont médiocres, mais ils valent d'être
+cités pour la spirituelle et vivante image qu'ils donnent de la jeune
+fille à quinze ans:
+
+ Quant à notre autre chanoinesse
+ Que nous nommons Madame Alix,
+ Elle a sans doute aussi son prix.
+ Mais quoiqu'elle entende la messe
+ Et chante l'office assez bien,
+ Qu'elle soit de discret maintien
+ Et même qu'elle aille à confesse,
+ Ô mère! tenez pour certain
+ Qu'elle a le goût un peu mondain.
+ À quinze ans elle était jolie,
+ Et spirituelle et polie,
+ S'exprimait avec agrément
+ Quoiqu'un peu trop rapidement;
+ Était tout yeux et tout oreille,
+ Remarquait, citait à merveille,
+ Marchait, dansait légèrement,
+ Aimait la bonne compagnie,
+ La musique, la comédie,
+ Soutenait, par le clavecin,
+ Un son de voix très argentin,
+ Jugeait les Beaulard, les Bertin,
+ Connaissait les moindres nuances
+ Et l'effet et les différences
+ Des poufs, des chapeaux de satin;
+ ...D'où je conclus, à juste titre,
+ Qu'elle quittera son chapitre
+ Tôt ou tard, pour prendre un époux,
+ Beau, jeune, riche, aimable et doux[74].
+
+[Note 74: Ces vers du chevalier de Bonnard ne figurent dans aucune
+édition de ses œuvres. Ils sont cités d'après _l'Investigateur_ de 1853,
+où la pièce a paru en entier.]
+
+Le portrait est enjoué et on le sent fidèle; pourtant, il ne faudrait
+pas le prendre à la lettre et l'on peut se défier de l'esprit
+superficiel du chevalier de Bonnard qui ne pouvait juger la jeune fille
+que sur l'apparence de la vie brillante menée au Palais-Royal. D'après
+lui, elle était un peu coquette et très mondaine: coquette, c'était une
+des exigences de son âge; sans doute aussi aimait-elle le monde; toute
+sa vie même elle le regrettera et le confessera souvent dans son journal
+au retour des petits bals où elle menait ses filles; Mme Delahante
+nous apprend aussi que «Mme de Prat tout en aimant le monde
+secrètement, vivait très sédentaire, craignant ses belles-sœurs et son
+beau-frère qui, étant âgés et sévères, avaient conservé toutes les idées
+d'étiquette du siècle passé». Ceci semble donc acquis, de même que les
+talents prêtés par Bonnard à Mlle Des Roys.
+
+Pour compléter cette étude de jeune fille, il reste encore à pénétrer
+dans sa pensée et, là, on peut voir qu'à toutes ses qualités extérieures
+elle joignait un esprit déjà singulièrement mûri et réfléchi. Dès l'âge
+de quinze ans, elle avait pris l'habitude de tenir un journal de sa vie;
+celui que nous possédons ne commence qu'en 1801, mais un fragment de ce
+premier début a été conservé précieusement par elle comme la ligne de
+conduite de son existence. Intercalé dans l'un des douze petits
+cahiers, il est daté de mars 1786, et voici ce qu'on y lit:
+
+«...Il n'y a, après tout, qu'une _seule chose_ de nécessaire: il n'est
+pas utile, en effet, que je me procure de la dissipation, que je prenne
+du plaisir, tout cela passe et ne fait pas le bonheur. Il n'est pas
+nécessaire que je plaise au monde, que je sois aimée et recherchée; tout
+cela est une source de périls en tous genres, et les personnes qui se
+livrent le plus au monde et que le monde lui-même fête le plus sont
+souvent par la suite les plus malheureuses...»
+
+Toute la vie de Mme de Lamartine peut se résumer par ces quelques
+lignes, écrites à quinze ans; jusqu'à sa mort, ce fut une lutte
+perpétuelle et inquiète contre elle-même, où elle s'efforçait de
+réprimer ce qu'elle appelait «les choses inutiles», les tendances qui
+lui semblaient de nature à éloigner le but qu'elle s'était de tout temps
+fixé: la simplicité et la vérité.
+
+ * * * * *
+
+Tel était l'état d'âme de la jeune fille au moment où elle abordait le
+mariage que lui avait prédit malicieusement Bonnard. On en connaît
+l'histoire romanesque.
+
+À Salles, elle s'était liée avec Suzanne de Lamartine, comme elle
+pensionnaire du couvent. Le chevalier de Pratz qui, de Montceau ou de
+Mâcon, venait souvent voir sa sœur pendant ses congés, connut ainsi
+Mlle Des Roys, car le règlement n'interdisait pas les visites. Tous
+deux se plurent et le chevalier que l'on songeait à marier sollicita
+l'autorisation de sa famille. Le père, tout d'abord refusa, trouvant la
+dot insuffisante. Mais il avait compté sans le hasard et la persévérance
+des jeunes gens. Le 6 octobre 1789, jour où les Parisiens ramenèrent la
+famille royale dans sa capitale, Mme Des Roys et sa fille se
+trouvaient à Chatou. Devant la foule ameutée, et les nouvelles qui leur
+parvinrent, les deux femmes prises de peur renoncèrent à regagner Paris
+et se décidèrent à rentrer à Lyon. En cours de route elles furent
+obligées, à la suite d'un accident de voiture que la jeune fille dut
+bénir toute sa vie, de s'arrêter à Mâcon. Suzanne de Lamartine prévenue,
+résolut alors d'arranger les choses qui traînaient depuis un an et
+annonça à son père que Mme Des Roys était de passage et apportait des
+nouvelles graves de Paris. Le moyen, pour François-Louis, de ne pas
+offrir une hospitalité provisoire aux deux femmes? Elles demeurèrent
+chez lui vingt-quatre heures et, à leur départ, séduit sans doute par le
+charme de la jeune fille, il finit, comme dans un roman, par accorder
+son consentement au mariage.
+
+Le 4 janvier 1790 enfin, le contrat fut signé à Lyon, et l'on y voit que
+les jeunes époux étaient plus riches de bonheur que d'argent: le
+chevalier avait l'usufruit de Milly jusqu'à la mort de son père, et
+c'était tout. Quant à Mlle Des Roys elle apportait, outre quelques
+bijoux et meubles, la somme de 50 000 francs, dont 20 000 assurés par un
+de ses oncles, et qui n'étaient pas encore versés en 1810 à la mort de
+celui-ci. Ainsi, les revenus du jeune ménage se montaient à une douzaine
+de mille francs, assez aléatoires d'ailleurs, puisqu'ils étaient
+uniquement basés sur les récoltes de Milly.
+
+Le mariage fut célébré le 7 janvier 1790; aussitôt après, la jeune femme
+vint s'établir à Milly et de cette date jusqu'en 1808, elle connut une
+existence très différente.
+
+La jeune mondaine d'autrefois habite maintenant un village obscur et
+sans horizon. Sa maison est petite, sa vie plus que simple, sa fortune
+médiocre. Deux ans à peine après son mariage, son mari, ses beaux-frères
+et ses belles-sœurs sont emprisonnés et elle reste isolée avec deux
+enfants au berceau, près de ses beaux-parents. Puis, le calme rétabli et
+le chevalier rendu à la liberté, elle regagne avec lui leur petite
+campagne où ils s'installent définitivement.
+
+Dès lors, elle devient entièrement la mère. Ses parents sont loin, les
+uns fidèlement attachés à la fortune des d'Orléans qu'ils accompagnent
+en exil, les autres réfugiés en Angleterre où ils végètent. Elle vivra
+seule à Milly, presque sans nouvelles d'eux. Son unique occupation va
+devenir l'éducation de ses enfants.
+
+C'est dans ce rôle, surtout, qu'il est attachant de la suivre. De 1800 à
+1808, son journal reflète profondément ses détresses, ses défaillances
+morales, et une analyse aiguë d'elle-même qu'elle pousse à un degré
+incroyable. Chaque soir, elle se scrute impitoyablement, examine et
+résume sa vie quotidienne, les soucis de la journée, et en tire un
+enseignement pour l'avenir, sans pouvoir toutefois être jamais
+satisfaite de ses actes qu'elle trouve perpétuellement imparfaits et
+au-dessous de sa tâche. Chez elle, les accalmies sont rares et, même
+dans les périodes d'apaisement et d'équilibre, elle les environne
+toujours de l'inquiète restriction qu'elle est trop heureuse et ne
+mérite pas son bonheur.
+
+ * * * * *
+
+À partir de 1810 sa vie change encore et commence alors pour elle une
+époque d'amertumes, de tristesses et de découragements encore plus
+profonds. Ses enfants la préoccupent: ses quatre filles, d'abord,
+qu'elle mariera toutes à leur temps et heureusement, mais surtout ce
+fils, son préféré, dont l'oisiveté, dit-elle, la «tue». L'existence vide
+qu'il traîne de Mâcon à Paris, sa fièvre, sa sensibilité, qu'il tient
+d'elle au fond, sont autant de tortures pour ce cœur de mère qui ne
+demande qu'à être fière de son fils. Son orgueil maternel souffre de
+voir la vie de son enfant lui échapper, et elle pleure de n'être plus
+comme autrefois sa confidente, elle qui jadis écrivait à propos de lui:
+«La chose la plus importante dans l'éducation est d'inspirer une grande
+confiance à ses enfants et il faut pour cela les écouter toujours avec
+attention et l'air de l'intérêt, quelle que soit la chose dont ils
+veulent vous entretenir, parce qu'alors ils prennent l'habitude de vous
+parler de tout ce qui les occupe».
+
+Aujourd'hui, il faut deviner plutôt qu'apprendre de lui, les pensées qui
+le hantent; il faut aussi brûler en cachette ses mauvais livres, ses
+mauvais vers, qui rappellent le malheureux frère qui s'est perdu ainsi,
+voir grossir ses dettes qu'elle essaye d'éteindre en réduisant ses
+humbles dépenses. Car trop souvent elle sera forcée d'avoir recours à
+l'oncle et aux tantes qui la trouveront faible et le lui diront
+durement. Toutes les petites ruses qu'il mettra en œuvre pour lui cacher
+ses fredaines et ses aventures l'accableront sans lasser sa tendresse.
+«Il me tourmente bien par son caractère inquiet, dira-t-elle un jour,
+mais je tâche de le ramener tout doucement; je supporte, c'est ma tâche
+actuelle.»
+
+Malgré tout, sa bonté pour lui demeurera inépuisable, comme sa patience.
+En 1811, à la suite d'une amourette dont il s'exagéra la valeur, les
+Lamartine furent obligés de le faire voyager; il se trouva un jour sans
+ressources à Livourne, ayant mangé en un mois ce qu'on lui avait donné
+pour six. Les oncles et les tantes qui ont déjà ouvert leur bourse,
+restent sourds, cette fois, aux lettres suppliantes, et décident le
+retour. Mais il est si heureux là-bas! ses lettres sont si joyeuses et
+si tendres! «Il serait trop cruel, écrit-elle alors, de ne pas le
+laisser aller jusqu'à Rome dont il est si près», et elle lui envoie de
+quoi continuer son voyage.
+
+Mme Delahante, enfant à cette époque, mais qui quarante ans plus tard
+ne pouvait rappeler son souvenir sans émotion, nous a laissé d'elle une
+image très simple et très émouvante:
+
+«Mme de Prat, âgée de quarante-cinq ans, n'avait jamais été d'une
+beauté remarquable, mais le charme qui était en elle tenait à une grande
+distinction et à une expression très fine, très spirituelle, en même
+temps que très douce et d'une bonté parfaite. Pour faire le portrait de
+sa figure il faudrait, avant tout, faire le portrait de son âme, car
+c'était de l'âme que venait chez elle le charme extérieur. Je crois que
+toutes les vertus solides et les qualités aimables étaient réunies en
+cette charmante femme; elle était pieuse comme un ange et d'une piété
+indulgente et éclairée qui vous gagnait.
+
+«Elle était sans cesse occupée des pauvres, et elle les visitait soit à
+Mâcon, soit à Milly. Son zèle ne connaissait pas de bornes, et, quand
+l'argent lui manquait (ce qui lui arrivait parfois, car sa fortune était
+plus que médiocre, et sa famille très nombreuse), elle cherchait à le
+remplacer par de douces paroles, de bons soins et de bons conseils.
+
+«Elle élevait elle-même ses cinq filles, elle s'occupait extrêmement de
+son mari et de son ménage, elle aimait beaucoup le monde, ou plutôt la
+société; elle était aimable pour tous, et quoiqu'elle ne pût recevoir
+qu'avec la plus extrême simplicité, elle fut toujours à la tête de la
+société de Mâcon et y exerça une influence qui ne fut pas entièrement
+remplacée.
+
+«Son esprit était à la fois fin et élevé et quoiqu'elle eût passé sa vie
+à Mâcon, entourée de toutes les petites passions de province, elle
+demeura au-dessus de tout pour la noblesse et l'extrême délicatesse de
+son cœur comme par la distinction de son esprit et de ses manières. Sa
+vertu, je l'ai dit, n'avait rien de sévère et je n'en veux citer qu'un
+exemple: elle ne se permettait jamais la moindre médisance, et souffrait
+mort et passion quand elle entendait dire la plus petite chose qui pût
+blesser le prochain; elle était gaie, cependant, et ne pouvait
+s'empêcher de sourire à un propos spirituel et quelque peu malin. Sa
+charité et sa gaieté se livraient alors un combat qui se lisait sur sa
+physionomie.
+
+«Mme de Prat était de taille moyenne; elle était mince, sa taille
+était souple, sa figure longue et un peu pâle, ses yeux très près du nez
+et petits, mais vifs et doux, son nez droit et ses lèvres fort minces.
+Son sourire était très gracieux. Je l'ai toujours vue mise de la même
+manière: elle ne portait que des robes de taffetas puce.»
+
+À partir de 1820 et jusqu'à sa mort, Mme de Lamartine connut d'autres
+joies et d'autres chagrins: ce fut d'abord la gloire soudaine de son
+fils, son mariage inespéré, qui marque la fin de cette période de
+désœuvrement dont elle souffrit tant. «Il se dit plus heureux qu'un
+roi, écrira-t-elle un jour, et certes, ce n'est pas un langage auquel je
+suis accoutumée de sa part.» Elle avoue aussi avoir ressenti «un grand
+mouvement de vanité» en lisant dans les journaux le nom de son fils
+parmi les personnages illustres de passage à Aix. Puis ce fut la
+naissance de son petit-fils qui lui causa une immense joie: «On dit que
+cet enfant me ressemble, dira-t-elle avec orgueil; alors, je me
+l'imagine comme était son père...».
+
+Bientôt, pourtant, les soucis et les deuils l'accablèrent de nouveau.
+Son fils l'inquiétait toujours; «cette ardeur, cette inquiétude de
+tête», comme elle appelle dans son simple langage la fièvre poétique qui
+le dévore, ne font que la désoler. Presque coup sur coup elle eut à
+pleurer la mort de deux de ses filles, Mme de Vignet et Mme de
+Montherot, et celle de son petit-fils dont elle avait accueilli la
+naissance avec tant de bonheur. Puis, ses deux belles-sœurs et ses deux
+beaux-frères disparurent à leur tour. De plus en plus elle se sentait
+isolée à Milly.
+
+La dernière joie que connut cet admirable cœur de mère fut de paraître
+au bras de son fils à l'Abbaye-au-Bois, dans les salons de Mme
+Récamier où, en juillet 1829, Chateaubriand lut des fragments de son
+_Moïse_; et voici ce qu'au retour elle écrivait dans son journal:
+
+«Je suis de plus en plus fière et heureuse des admirables qualités
+d'Alphonse, malgré les inquiétudes si fondées que j'ai eues sur son
+compte. Sa réputation s'agrandit tous les jours, mais ce n'est pas de
+son esprit que je dois le glorifier davantage, c'est de la bonne
+direction qu'il lui a donnée, c'est de son excellent cœur, c'est de la
+beauté de son âme qui se manifeste dans toutes les occasions.» Ainsi, ce
+qui la frappa au cours de cette soirée, fut le murmure d'admiration
+sympathique qui avait accueilli l'entrée de son fils, et tout le reste
+lui parut secondaire:
+
+«Il y avait beaucoup de gens célèbres que je fus bien aise de voir, et
+surtout M. de Chateaubriand lui-même que je ne connaissais pas; il me
+parut vieux et faible, et les ambitions de ce monde sont bien
+mensongères. Sa tragédie est de peu d'intérêt. Mme Récamier a encore
+de la grâce et quelques souvenirs de beauté.»
+
+Comme par un étrange pressentiment de sa fin prochaine, les dernières
+lignes qu'elle ait tracées dans son journal semblent le clore tout
+naturellement. Le 22 octobre 1829 elle écrivait de Milly:
+
+«Je suis seule ici, et cependant je ne m'ennuie pas trop. Je me reproche
+au contraire de prendre encore beaucoup trop d'intérêt aux choses de ce
+monde et d'avoir peut-être plus de dissipation d'esprit en vieillissant
+que dans ma jeunesse, et pourtant je vieillis beaucoup! Que Dieu ait
+pitié de moi et me rende ce que je dois être. J'aime à lui dire un
+verset d'un psaume qui me touche: Seigneur, vous êtes mon espérance dès
+ma jeunesse, ne me rejettez pas dans le temps de ma vieillesse, ne
+m'abandonnez pas lorsque les forces me manqueront.»
+
+Elle mourut moins d'un mois après, le 16 novembre, et cette femme
+angélique en qui tout était douceur et sentiment eut une fin atroce:
+elle fut brûlée vive dans un bain qu'elle voulut réchauffer, surprise
+par le jet bouillant qu'elle n'eut pas le temps d'arrêter et reçut en
+pleine poitrine. Elle trouva encore la force de sortir de l'eau, puis
+tomba à terre, évanouie. Pendant les trois jours que dura son affreuse
+agonie elle ne reprit pas connaissance.
+
+Lamartine et son père étaient tous deux absents de Milly. À leur retour,
+elle reposait déjà dans le cimetière de Mâcon, mais comme son fils
+voulait l'avoir près de lui dans la petite chapelle de Saint-Point, il
+obtint de la faire exhumer.
+
+ * * * * *
+
+La douleur du poète fut immense. Plus tard, lorsqu'il écrira ses
+souvenirs, la mémoire de sa mère en illuminera toutes les pages. Mais à
+force d'idéaliser cette belle figure il a fini, d'abord par en donner
+une image assez inexacte, et surtout par persuader à lui-même et à ses
+lecteurs qu'elle fut avec Elvire l'une des formes vivantes de son génie.
+
+Pourtant, si l'une eut sur son développement et son inspiration une
+profonde influence, il serait peu conforme à la vérité de croire que sa
+mère tint le même rôle dans sa vie. Elle fut la mère, dans tout ce que
+ce mot peut comporter d'amour, de tendresse et d'orgueil; tous deux
+s'adoraient, mais--et le journal de Mme de Lamartine en est la
+meilleure preuve--la période de l'adolescence du poète qui s'étend de
+1808 à 1820, période d'isolement et de détresse morale, échappe
+complètement à sa mère qui s'en désole et pleure en silence de le voir
+sombre et renfermé, cachant jalousement son existence intérieure.
+
+Elle ne participera en rien à cette solitude morale, à cette laborieuse
+genèse qui précède les _Méditations_ sauf pour ce que son instinct
+maternel lui fera parfois deviner; un jour où elle le verra en proie à
+ce «feu divin» qu'il a décrit dans l'_Enthousiasme_, elle écrira: «Je
+crains pour lui cette inquiétude d'esprit qui le transporte toujours
+dans un avenir idéal et lui ôte la paisible jouissance du présent et de
+ceux avec qui il est», mais le plus souvent elle se désespérera de son
+apparente stérilité sans que son âme aimante et simple saisisse
+grand'chose des aspirations confuses, et des détresses incurables qu'il
+porte en lui. Elle se contentera de noter ce que son cœur de mère
+appellera des «vivacités de caractère», des «mélancolies de jeunesses»,
+elle verra avec angoisse cette «vie de dissipation», ces gaspillages
+inutiles d'énergie, et s'épuisera en supplications pour faire mener à
+son fils une existence régulière et occupée, celle dont il est alors le
+plus incapable.
+
+Plus tard Lamartine le regretta et en souffrit; avec amour, il
+s'efforcera alors dans ses souvenirs, ses commentaires et sa version du
+_Manuscrit de ma mère_ de lui faire jouer, dans son adolescence, un
+rôle qu'elle n'a jamais tenu. Pieuse invention que cette lecture à Milly
+de l'_Isolement_, du _Désespoir_ ou de l'_Épître à Byron_! Mme de
+Lamartine, qui en 1808 notait avec un peu d'orgueil les premiers essais
+poétiques de son fils, n'eût pas manqué d'en transcrire le récit,
+surtout si, comme il l'a prétendu, la lecture du _Désespoir_ eut été
+entre eux la cause d'une grave discussion. Bien mieux, ce fut par une
+étrangère qu'elle entendit parler pour la première fois des futures
+_Méditations_: le 9 juin 1819, en effet, Mme de l'Arche, cousine de
+Mme Haste sa nièce--c'est la fameuse «princesse italienne» qui soigna
+Lamartine à Paris pendant sa maladie,--était de passage à Mâcon. «_Elle
+m'a apporté des vers d'Alphonse_, dit Mme de Lamartine, _qui sont des
+stances religieuses et des Méditations mélancoliques; il y a vraiment de
+très belles choses_.» Une autre courte mention le 6 janvier 1820 où on
+lit: «_Alphonse va faire imprimer des vers; il en a fait vraiment de
+très beaux et sur de beaux sujets très religieux_». C'est tout; à Milly
+l'apparition des _Méditations_ passa inaperçue, car la mère avait alors
+en tête d'autres soucis plus sérieux: le mariage de son fils et son
+établissement.
+
+Mais ce que Lamartine tient incontestablement de sa mère, c'est cette
+âme inquiète et tourmentée, cette sensibilité rare que l'on retrouve à
+chaque page du _Journal intime_; ce sont surtout les germes de sa
+religion profonde et vivace qui s'épanouiront ensuite à Belley. Au
+cours de sa vie orageuse, sa foi subira bien des assauts et connaîtra
+bien des défaillances, mais il y reviendra toujours comme à l'unique
+consolation. De bonne heure, la croyance de Mme de Lamartine avait
+marqué des traces ineffaçables dans l'âme de l'enfant, et l'on peut dire
+que le souffle chrétien qui anime toute sa poésie est l'œuvre absolue et
+entière de sa mère.
+
+Elle conservera aussi une influence indiscutable sur ses actes. La
+vénération dont il l'entourait le fit souvent se courber, en pleine
+maturité, devant les avis qu'elle lui donnait[75]. Tout ce qui touchait
+à son génie qu'elle voulait purement chrétien, l'affectait
+profondément: «Alphonse va faire imprimer des vers, écrit-elle le 10
+mars 1825, c'est une suite de _Childe-Harold_, espèce de poème de lord
+Byron. Ce sujet m'inquiétait et m'inquiète encore beaucoup; j'ai dit ce
+que je croyais devoir dire, car je ne suis pas là pour louer, mais pour
+avertir». Jamais, de l'avis de ceux qui les connurent tous deux,
+Lamartine n'eût osé commencer du vivant de sa mère sa politique
+d'opposition contre le gouvernement de Juillet car elle gardait aux
+d'Orléans un respect profond. En 1825, lors du retentissement causé par
+deux malencontreux vers du _Chant du Sacre_, elle écrira sévèrement à
+son fils et ne désarmera que devant les explications, assez confuses,
+semble-t-il, qu'il lui donna[76]. De même, Mme Delahante est
+persuadée que _Jocelyn_ et _la Chute d'un Ange_ auraient subi
+d'importants remaniements si la mère du poète avait été là[77].
+
+[Note 75: Le 23 février 1823, Mme de Lamartine note dans son
+journal: «Alphonse travaille à son nouveau volume de Méditations; j'ai
+toujours peur qu'il ne profane son talent en parlant le langage des
+passions. Je lui ai écrit justement là-dessus.»
+
+Mme de Lamartine venait en effet de lire dans la 9e édition des
+_Méditations_, parue un mois auparavant, une pièce nouvelle intitulée
+_Philosophie_, et dédiée au marquis de la Maisonfort. Aussitôt, elle
+écrivit à son fils la lettre suivante:
+
+ Ton père, mon cher Alphonse, me lit sa lettre. J'y vois avec
+ plaisir qu'il te dit aussi mon opinion. Oui, cette pièce à M. de
+ Maisonfort m'a beaucoup tourmentée. J'ai une si grande horreur de
+ cette abominable philosophie que je frémis de tout ce qui en a
+ l'apparence, venant de toi surtout. Tu es né pour être religieux,
+ essentiellement religieux, ton talent n'est beau que parce qu'il
+ vient de là. Ne le profane point, mon enfant; que ta reconnaissance
+ pour les grâces dont Dieu te comble rappelle toujours toutes tes
+ pensées à lui, ne travaille que pour sa gloire, ne transige point
+ avec l'esprit et les passions du monde, dédaigne ce moyen de
+ succès, comme tu le fais sûrement dans ton âme.
+
+ Ô mon enfant, tu éteindrais dans la _boue_ le brillant flambeau que
+ le ciel t'a donné pour répandre la vraie lumière; n'écris rien de
+ ce que tu jugeras bien sévèrement un jour, et que tu voudras
+ peut-être effacer au prix de tout ton sang, quand il ne sera plus
+ temps.
+
+ Adieu, j'en ai assez dit.
+
+{_Lettre inédite._}]
+
+[Note 76: Les deux vers incriminés visaient le duc d'Orléans à qui,
+au sacre de Reims, Lamartine faisait dire par Charles X:
+
+ Ce grand nom est couvert du pardon de mon frère.
+ Le fils a racheté les fautes de son père.
+
+Mme de Lamartine a consacré à cet incident deux pages de son journal,
+ce qui prouve à quel point elle l'eut à cœur. Malheureusement, Lamartine
+a déchiré et noirci le feuillet, dont quelques fragments seulement sont
+encore lisibles. On y voit que le poète donna pour excuse à sa mère, une
+«inadvertance», une «négligence poétique», explication qui satisfit
+peut-être Mme de Lamartine, mais parut insuffisante au duc d'Orléans,
+car sur sa demande les exemplaires du _Chant du Sacre_ furent retirés du
+commerce, et il fallut procéder à un second tirage où les vers étaient
+corrigés et adoucis.]
+
+[Note 77: Cf. _Souv. de Mme Delahante_, I, p. 106.]
+
+Tel est le milieu où va croître et se développer l'âme de l'enfant, plus
+souvent arrêtée et contrariée, à vrai dire, qu'encouragée et comprise.
+Chacune des figures que nous venons d'esquisser jouera un rôle dans sa
+jeunesse, influera plus ou moins sur sa pensée et sur ses actes. Mais
+conclure de là, comme il l'a laissé entendre lui-même, que certaines
+d'entre elles, «l'oncle terrible» surtout, par leur contrainte et leur
+mainmise sur son existence ont en quelque sorte retardé l'éclosion des
+_Méditations_ serait une grave erreur. Lamartine fut maître de sa vie à
+dix-huit ans, et libre de l'organiser à sa guise pourvu qu'il prît une
+occupation. Sans doute, les Lamartine n'encourageront nullement sa
+vocation poétique et même la contrarieront parfois; mais on connaît
+leurs raisons, et d'ailleurs lui-même en fut un peu responsable, car de
+bonne heure il se réfugia dans la solitude morale, hautain et découragé.
+
+Cette adolescence difficile servit son génie: l'amertume, les heurts,
+stimulent Lamartine. Ses _Méditations_, écrites fiévreusement, en pleine
+crise, au moment des pires froissements avec sa famille, des maladies et
+des difficultés qui l'accablent, en sont le meilleur témoignage. De 1820
+à 1830, alors qu'il coule on paix des jours heureux, son œuvre poétique
+s'en ressent: les _Nouvelles Méditations_--à part quelques pièces
+antérieures à 1820--n'égalent pas les premières: la _Mort de Socrate_,
+le _Chant du Sacre_ ne sont que des œuvres facilement rimées et dont
+lui-même ne pensait pas grand'chose. Les _Harmonies_ même, écrites au
+jour le jour de 1825 à 1830, sont d'une autre manière, adoucie et plus
+paisible. Il faut remonter jusqu'à _Némésis_, plus loin encore à l'_Ode
+au comte d'Orsay_, à _la Vigne et la Maison_ et à cette admirable
+_Invocation à la Croix_ qui ne fut publiée qu'après sa mort pour
+retrouver l'inspiration mélancolique, désespérée et hautaine des
+premières _Méditations_.
+
+
+
+
+CHAPITRE III
+
+LES LAMARTINE PENDANT LA TERREUR.
+
+LES PREMIÈRES ANNÉES.
+
+
+À s'en tenir au seul témoignage de Lamartine, il serait difficile de
+connaître le véritable lieu de sa naissance, puisque dans ses poèmes et
+ses souvenirs il a tour à tour indiqué Saint-Point, Mâcon et Milly comme
+son berceau[78]. Toutefois, grâce à son acte de baptême, on sait qu'il
+naquit à Mâcon le 10 octobre 1790, fut baptisé le lendemain par le curé
+de Saint-Pierre, et eut pour parrain et marraine son grand-père de
+Lamartine, malade et représenté par son fils aîné, et sa grand'mère
+maternelle Mme Des Roys. Mme de Lamartine nous apprend que
+quelques heures après sa naissance l'enfant fut porté au couvent des
+Ursulines où la supérieure, Mme de Luzy, une bonne vieille
+grand'tante, présenta l'enfant à la chapelle de la Vierge, et que toute
+la communauté pria pour lui.
+
+[Note 78: Cf. _Harmonies_: Milly ou la TERRE NATALE. _Confidences_
+(p. 65): LE VILLAGE OBSCUR OÙ LE CIEL M'A FAIT NAÎTRE. Dans _Souvenirs
+et Portraits_ (Comment on devient poète), il termine également une
+description de Milly par ces mots: «C'EST LÀ QUE JE SUIS NÉ, et que je
+grandissais». Voilà pour Milly. Dans les _Recueillements_ (vers écrits à
+l'Ermitage), on lit:
+
+ Ô vallons de Saint-Point, ô cachez mieux ma cendre
+ Sous le chêne NATAL de mon obscur vallon.
+
+Enfin, dans les _Confidences_ (p. 24), Lamartine déclare qu'il est né à
+Mâcon, dans l'hôtel Lamartine, par conséquent rue Bauderon-de-Senecé.]
+
+Des doutes se sont élevés au sujet de la maison natale du poète[79]: en
+effet, les Lamartine possédaient alors deux immeubles à Mâcon. L'un,
+l'hôtel familial, était situé au numéro 3 de l'actuelle rue
+Bauderon-de-Senecé, au XVIIIe siècle rue de la Croix-Saint-Girard, et
+sous la Révolution rue Solon; l'autre occupait le numéro 18 de la rue
+des Ursulines, devenue pendant la Terreur rue Jean-Jacques-Rousseau.
+Dans laquelle de ces deux maisons Lamartine vit il le jour? La question
+en soi est de peu d'importance, car toutes deux ne formaient en réalité
+qu'un même immeuble compris dans l'angle formé par les deux rues à leur
+intersection, et il existait entre elles une cour, un passage et des
+jardins communs. Néanmoins, la maison de la rue des Ursulines est bien
+la maison natale du poète et il existe deux témoignages qui devraient
+clore la discussion.
+
+[Note 79: On trouvera le détail de la question dans une étude de M.
+Paul Maritain, la Maison natale de Lamartine (_Annales de l'Académie de
+Mâcon_, IIIe série, t. VI). M. Maritain, qui ignorait l'existence des
+documents que nous citons plus loin, a conclu que la maison natale du
+poète était l'hôtel de la rue Bauderon-de-Senecé.]
+
+Le 21 décembre 1819, Mme de Lamartine a noté dans son journal que son
+mari, gêné par une mauvaise récolte, songeait à vendre la maison qu'ils
+habitaient à Mâcon et à vivre désormais uniquement à Milly, _ou
+peut-être_, ajouta-t-elle, _dans l'ancienne petite maison que nous avons
+habitée les premiers temps de notre mariage et qui est à l'abbé de
+Lamartine_. Cette maison est bien celle de la rue des Ursulines: nous
+savons en effet, par le testament de Louis-François de Lamartine,
+qu'elle échut à l'abbé; celui-ci, d'ailleurs, n'y logea jamais et la
+louait ordinairement. Le poète la trouva en 1826 dans sa succession, et
+la vendit aussitôt car elle était inhabitable. Enfin, on lit dans la
+déclaration d'immeubles faite en décembre 1790 par Louis-François au
+cadastre de Mâcon et parmi l'énumération de ses propriétés, _une maison
+rue des Ursulines occupée par M. de Pra_[80]. Or, si le chevalier
+demeurait en décembre 1790 rue des Ursulines, il est fort probable qu'il
+y habitait déjà en octobre et qu'il avait reçu à son mariage la
+jouissance de cet immeuble jusqu'à la mort de son père, quoique son
+contrat n'en fasse pas mention. Il semble donc acquis que Lamartine vint
+au monde, non pas dans l'hôtel de la rue Bauderon-de-Senecé, mais dans
+la petite maison de la rue des Ursulines.
+
+[Note 80: Nous donnons ici le texte complet de cette pièce, copié
+sur le brouillon de Louis-François de Lamartine, et qui donne quelques
+détails curieux sur son train de maison au début de la Révolution.
+
+ Déclaration de maison, etc., faite en 1790. Décembre.
+ Maison rue des Ursulines, _occupée par M. de Pra_.
+ 32 pieds de face sur ladite rue.
+ 80 pieds en petite cour.
+ En partie un seul étage, partie deux étages.
+ Sans locataires, ni magasins, etc.
+ Contenance totale: une coupée et demie ou trois toises.
+ Propriétaire M. L.-Fr. de La Martine, marié,
+ ayant six enfants dont cinq à sa charge.
+ Domestiques mâles, 4.
+ Domestiques femelles, 3.
+ Chevaux de carosse, 2.
+ Maison par luy occupée sur les remparts
+ [_hôtel de la rue de Senécé_], façade 60 pieds.
+ 3 980 pieds superficiels pour la maison.
+ 1 020 pieds pour les écuries qui ont 30 pieds de face environ.
+ 1 230 pieds en cour.
+
+ Les deux tiers à deux étages, l'autre tiers à un étage.
+ Sans aucun locataire, boutique ni magasin.]
+
+ * * * * *
+
+À sa naissance, l'enfant était d'une constitution délicate qui donna,
+paraît-il, des inquiétudes à sa famille. Il a raconté plus tard comment
+sa mère, pour le changer d'air, alla passer avec lui l'été de 1791 à
+Lausanne. Nous n'avons sur ce séjour que son seul témoignage et le
+_Journal intime_ n'en rappelle aucun souvenir. Pourtant, il demeure très
+vraisemblable, car la plupart des familles du pays profitaient souvent
+de l'été pour se rendre en Suisse dont la frontière n'était éloignée que
+de quelques journées. Quant aux détails abondants et pittoresques dont
+il a nourri son récit, nous sommes obligés de lui en faire crédit: à
+l'en croire, une intimité très grande existait entre les Lamartine et le
+vieil historien anglais Gibbon que Mlle Des Roys aurait connu dans
+sa jeunesse au Palais-Royal; une haie de jasmin séparait seule les deux
+jardins et, dira-t-il, en parlant de Gibbon, «ses genoux étaient devenus
+mon berceau[81]».
+
+[Note 81: M. H. Remsen Whitehouse, un érudit américain à qui rien de
+ce qui touche Lamartine n'est étranger, a bien voulu se charger pour
+nous d'obligeantes recherches à Lausanne, mais qui sont restées vaines.
+On en trouvera le détail sous sa signature dans la revue _l'Écho des
+Alpes_ de septembre 1908.]
+
+Mais si l'historien était bien à Lausanne en 1791--il y séjourna de 1784
+à 1797,--le journal de Mary Holroyd fille de lord Scheffield, qui fut
+son hôte de juin à octobre de la même année, ne mentionne nullement les
+Lamartine dans la liste très détaillée qu'elle donne des habitués de la
+_Grotte_; la _Correspondance_ et l'_Autobiographie_ de Gibbon sont tout
+aussi muettes sur ce point. Enfin il est assez difficile d'admettre
+qu'il ait connu Mlle Des Roys au Palais-Royal: il fut bien un assidu
+de la petite cour du duc d'Orléans, mais il quitta définitivement Paris
+en 1784. À cette date, la jeune fille avait quatorze ans et n'était
+qu'une enfant. Quoi qu'il en soit, sans mettre en doute ce voyage à
+Lausanne, il est certain qu'il fut très court. Mme de Lamartine était
+en effet en novembre de retour à Mâcon, pour ses couches, et sa présence
+nous y est attestée par l'acte de baptême de son second fils Félix, mort
+deux ans plus tard[82].
+
+[Note 82: Le petit Félix fut le second des enfants de Pierre de
+Lamartine. Il mourut à Mâcon à l'âge de deux ans et demi. Le _Journal
+intime_ ne fait jamais mention de ce fils, dont Lamartine n'ignorait pas
+l'existence; en effet, alors que dans le _Journal intime_ on lit, à la
+date du 11 juin 1801: «J'en ai déjà cinq actuellement [enfants], quatre
+filles et un fils», il ajouta dans sa version du _Manuscrit de ma mère_:
+«après en avoir perdu un».
+
+En réalité, Mme de Lamartine eut neuf enfants: deux fils, Alphonse et
+Félix, et six filles, Mélanie, Célenie (mortes toutes deux à quelques
+mois), Cécile, Césarine, Eugénie, Sophie et Suzanne.]
+
+C'est à cette époque que la situation commença à devenir difficile pour
+les Lamartine: la royauté étant en péril, le chevalier fit aussitôt son
+devoir de soldat et de gentilhomme, et ce fut le premier signal de la
+dispersion du foyer.
+
+Bien que démissionnaire le 1er mai 1791 pour n'avoir pas à prêter
+serment à la Constitution, il se rendit en mai 1792 à Paris offrir ses
+services au Roi. Un mémoire présenté en 1814 à Louis XVIII en vue
+d'obtenir la croix de Saint-Louis et apostillé par un parent de sa
+femme, le président Henrion de Pensey alors ministre de la justice, nous
+donne quelques détails sur son dévouement fidèle mais obscur, et qui
+confirment entièrement le récit des _Confidences_ et de l'_Histoire des
+Girondins_[83].
+
+[Note 83: _Arch. de la guerre_ (section administrative), dossier
+Pierre de Lamartine. Pierre-Paul Henrion de Pensey, premier président de
+la Cour de cassation (1742-1829), était le frère d'Henrion de
+Saint-Amand, beau-frère de Mme de Lamartine.]
+
+Dès son arrivée, suivant en cela l'exemple de la noblesse de France, il
+fit demander au Roi ses ordres, soit pour émigrer, soit pour rester.
+Louis XVI, comme à tous, lui répondit de demeurer. Il obéit et ne
+manqua aucune occasion de se rendre aux Tuileries chaque fois que le
+château fut menacé; il s'y trouvait même le 10 août, resta jusqu'après
+l'attaque, combattit l'un des derniers. Poursuivi par les vainqueurs, il
+échappa aux massacres de la Force grâce à la complicité d'un des
+jardiniers d'Henrion de Pensey qui se trouvait parmi les émeutiers et
+eut pitié de lui. Il le cacha et lui fournit des vêtements qui lui
+permirent de circuler dans Paris sans éveiller l'attention. Le chevalier
+erra alors quelques jours, ne sachant quel parti prendre, puis reprit le
+chemin de Mâcon. À son arrivée, il trouva le pays en pleine émeute.
+
+Déjà, trois ans auparavant, dans les derniers jours de juillet 1789, une
+véritable Jacquerie avait éclaté dans le Mâconnais. À Cormatin, à Cluny,
+à Hurigny, à Saint-Point surtout,--qui appartenait encore aux
+Castellane,--les paysans avaient envahi le château, brûlé les terriers
+et les titres de redevances. Les Lamartine ne furent pas épargnés: le 27
+juillet, leur petite propriété de Pérone était dévastée et leur
+concierge qui tentait de s'opposer au pillage se noya dans le puits où
+on l'avait jeté. Le jour même, le curé de Pérone, Étienne Moiroux, était
+assailli au presbytère, et brutalisé. Mais les années 1790-1791 furent
+plus calmes; le mouvement ne reprit qu'en 1792, lors de la réforme du
+clergé.
+
+Lamartine, en divers endroits de son œuvre, s'est longuement étendu sur
+les persécutions que sa famille eut à subir pendant la Terreur. Si l'on
+en excepte l'épisode d'après lequel son père aurait échangé des lettres
+avec sa mère, de la prison aux fenêtres de la maison de la rue des
+Ursulines située en face, où elle se serait retirée, tout ce qu'il y a
+raconté est exact, à quelques détails près. Grâce aux Archives de
+Saône-et-Loire, il est d'ailleurs facile de rétablir l'existence des
+Lamartine durant les années 1792-1795.
+
+Ils ne commencèrent guère à être inquiétés qu'en 1792, à la suite de
+l'émigration du fils aîné François-Louis, émigration qui dut être
+extrêmement courte, mais qu'il n'est guère possible de mettre en doute.
+Dans la _Liste générale des émigrés_[84], on trouve en effet à la lettre
+L un tableau où figurent Louis-François le père et François-Louis le
+fils, dont les biens furent mis sous séquestre les 5 juillet, 20
+septembre et 28 novembre 1792. Aussitôt, le vieux seigneur de Montceau
+protesta avec énergie et fit parvenir aux directoires de Saône-et-Loire
+et de la Haute-Saône des attestations de civisme et des certificats de
+résidence, mais pour lui seul, et sans jamais faire mention de son fils
+dont on ne trouve aucune réclamation; ceci semble suffisamment prouver
+qu'il n'était pas alors en France. On ne tarda pas d'ailleurs à faire
+droit aux requêtes de Louis-François: le 12 avril 1793 il obtenait la
+mainlevée des scellés apposés à Montceau et à Milly, le 24 mai celle des
+propriétés de Franche-Comté[85].
+
+[Note 84: Paris, Imprimerie nationale, an II.]
+
+[Note 85: Ces deux arrêtés ont été publiés par M. Reyssié (_la
+Jeunesse de Lamartine_, 24-25).]
+
+Prévenu sans doute des conséquences qu'allait entraîner sa disparition,
+François-Louis revint à Mâcon, où on le trouve en octobre. Mais il
+paraît impossible de mettre en doute son émigration, contestée par
+Lamartine, puisqu'il n'existe aucune protestation émanant de lui contre
+la qualité qu'on lui prêtait, que son père n'agit qu'en son nom propre
+dans toutes ses revendications, et qu'à la fin de 1793 les Lamartine
+furent emprisonnés comme parents d'émigré.
+
+Contrairement à ce qu'on lit dans les _Confidences_, le grand-père du
+poète ne fut pas détenu; sans doute, son âge lui valut-il cette
+exception, car il avait alors quatre-vingt-trois ans. Sa femme et lui
+passèrent toute la période de la Terreur dans leur maison de Pérone,
+après que l'hôtel de Mâcon eut été mis sous séquestre le 13 août 1792.
+On ne les y aurait probablement guère inquiétés davantage, si avec un
+entêtement indomptable il n'avait à chaque instant attiré l'attention
+sur lui.
+
+En effet, le curé de Pérone, qui en 1789 avait été à moitié assommé par
+les émeutiers, s'était empressé de prêter serment à la constitution
+civile du clergé, afin de s'éviter le retour de semblables désagréments.
+Immédiatement, Louis-François, fidèle à ses principes, refusa les
+services de l'infortuné, et fit dire la messe chez lui par un prêtre non
+assermenté qu'il avait recueilli. L'habituelle dénonciation ne se fit
+pas attendre: le 23 juin 1794, le directoire de Saône-et-Loire,
+_instruit que les biens des époux Lamartine, ex-nobles, ne sont pas dans
+la main de la nation, bien qu'ils doivent être séquestrés_, fit apposer
+à nouveau les scellés à Montceau, Milly, Mâcon et tous les biens que
+Louis-François avait fini par récupérer à force de réclamations. Le 25
+août on vendit sur pied leurs récoltes au bénéfice de la République et
+cette vente produisit un total de 124 000 livres en assignats. Quant aux
+deux vieillards, on se contenta de les détenir à domicile, estimant sans
+doute que leur âge les rendait peu redoutables, jusqu'à l'apaisement qui
+suivit la mort de Robespierre.
+
+ * * * * *
+
+Les aventures des trois fils furent plus sérieuses. L'aîné, on l'a vu,
+avait émigré, mais il était de retour à Mâcon en octobre 1793. Le
+registre d'écrou porte qu'il fut emprisonné aux Ursulines le 13 de ce
+même mois, et que son déplorable état de santé lui valut d'être interné
+à l'hôpital. De ses fenêtres il pouvait voir la demeure familiale, car
+la prison des Ursulines avait remplacé le couvent du même nom qui
+faisait face à la maison natale du poète. Il n'y resta que peu de temps:
+le 9 novembre il était avec ses frères et sœurs transféré aux
+Visitandines d'Autun, également devenues prison nationale, et il n'en
+sortit que le 30 septembre 1794[86].
+
+[Note 86: Cf. Arch. dép. de Saône-et-Loire: «Liste d'hommes et de
+femmes détenus à Mâcon, Autun, etc.». Ce document, retrouvé et acquis
+récemment par M. Lex, confirme une fois de plus l'exactitude de certains
+petits détails des _Confidences_, puisqu'on y lit que la famille de
+Lamartine fut emprisonnée à Autun. M. Reyssié avait mis en doute cette
+assertion. Sur cette liste, figurent les noms de Pierre, François-Louis,
+l'abbé, Suzanne et Charlotte. Mlle de Montceau, qui était faible
+d'esprit, évita ainsi les poursuites, et fut détenue à Pérone avec son
+père et sa mère.]
+
+Pour l'abbé, il figure sur une liste de dénonciation datée du 21 octobre
+1793 et qui concernait 54 prêtres non assermentés; le 25 il était arrêté
+à Pérone chez son père. D'après une pièce de son dossier aux Archives
+Nationales, il aurait prêté serment le 30 septembre 1792. Il y a là une
+erreur, car la suite de ses tribulations et surtout l'attitude de son
+père démentent entièrement cette assertion. Il figure au contraire au
+début de 1792 avec sa sœur Suzanne, l'ex-chanoinesse, à «l'état général
+des pensionnaires de deux sexes jouissant d'une pension à la charge du
+trésor national», ce qui confirme qu'il avait alors renoncé à ses
+fonctions pour ne pas prêter le serment, et l'on a vu déjà qu'il fut
+incarcéré comme non assermenté.
+
+Arrêté le 25 octobre, il fut condamné le 13 novembre à la déportation;
+on le transfera alors de Mâcon à Autun, d'où il fut extrait le 25 avril
+1794 pour être conduit à Cayenne avec 18 autres prêtres. À Rochefort, on
+l'embarqua sur le _Washington_, vaisseau ponton où les prisonniers
+attendaient en cas de réclamation que le gouvernement ait définitivement
+statué sur leur sort. Il y demeura trois mois.
+
+Pendant ce temps, on procédait à Mâcon à la vente publique des meubles
+et effets lui ayant appartenu et qui se trouvaient dans sa chambre de
+l'hôtel Lamartine mis sous scellés. Le citoyen Durand acquit pour 112
+livres une commode en bois de rose; le citoyen Ducartel, un «bonheur du
+jour» pour 140 livres, et les citoyennes Chédé et Droit se disputèrent
+deux paires de chaussures, quatre bonnets de nuit, un habit de drap
+gris, un autre de kalmouck violet, une «anglaise» de drap gris et sa
+veste pour 65 livres, tandis que le citoyen Lacombe se voyait adjuger à
+21 livres 10 sols la petite pharmacie et les outils de tourneur de
+l'abbé.
+
+Il faut remarquer qu'on ne toucha à aucun des objets appartenant à
+Louis-François. Celui-ci, en effet, se montrait énergique à un moment où
+le silence et la peur étaient les seuls moyens de se faire oublier. Fort
+de ce qu'il croyait être son droit, indigné de ces comédies judiciaires,
+il ne cessait d'adresser réclamation sur réclamation avec une
+invraisemblable incompréhension des événements auxquels il assistait.
+Lorsqu'il apprit le départ de l'abbé pour Cayenne, il prit la plume une
+fois de plus et adressa au directoire de Saône-et-Loire un véhément
+_factum_ qui aurait pu l'entraîner loin, car il n'était rien moins
+qu'une violente critique de la procédure expéditive alors en cours,
+agrémentée de considérations sur la situation générale du pays. On y lit
+des morceaux comme celui-ci:
+
+ Si le département appelle dénonciation une liste de proscription
+ sans motif quelconque articulé, nous devons tous trembler. Cette
+ dénonciation telle qu'elle n'a même pas été reconnue authentique,
+ le département n'a pas récolé les dénonciateurs sur leurs
+ signatures, ne leur a pas demandé s'ils la reconnaissaient, s'ils
+ persistaient. Voilà une liste, cela suffit. Suivons: le département
+ dit 1º qu'il est instruit particulièrement. Grand Dieu! quelle
+ instruction! des juges qui sont instruits non par la procédure,
+ mais particulièrement! cela fait frémir!
+
+ 2º Que les inculpés ont été en partie prévenus de suspicion; mais
+ le comité n'a pas fait la faute de déclarer suspects des hommes
+ domiciliés depuis dix ans hors du département, des enfants de
+ quinze ans qui n'ont jamais passé à Mâcon que quarante-huit heures?
+ il y en a cinq dans ce cas et le département les condamne tous,
+ sans les appeler, ni les entendre, à la déportation!
+
+ Pour ce qui regarde particulièrement mon fils, c'est en vain que
+ j'ai demandé extrait des motifs de son arrestation; pour tout
+ extrait, on m'a donné ces mots: «Lamartine, ex-chanoine, n'ayant
+ pas donné de preuves suffisantes d'attachement à la Révolution»,
+ sans date, sans signature, ni rien qui donne de la force à ce vague
+ énoncé. Si c'est sur cela que le département, _instruit
+ particulièrement_, le déporte, lui, muni de certificats de civisme,
+ étranger au canton, on ferait un gros volume des vices de cet
+ arrêté cruel.
+
+Un tel langage pouvait être dangereux et pour celui qui le parlait et
+pour ceux qu'il mettait en cause. Mais Louis-François ne s'en tint pas
+là: avec une persévérance incroyable et un mépris inouï des dangers
+qu'il courait, il finit par obtenir de tous les dénonciateurs le désaveu
+écrit de leur signature; plusieurs d'entre eux allèrent même jusqu'à
+certifier qu'on la leur avait arrachée par surprise et signèrent la
+pétition par laquelle, après le 9 thermidor, il réclama la mise en
+liberté de son fils.
+
+Le département, cette fois, fit droit à sa requête et s'inclina devant
+la volonté publique, car la pétition s'était couverte d'une centaine de
+noms. Le 30 janvier 1795, _vu la demande des citoyens Lamartine, Dondin,
+Sombardin, etc., et les pièces y jointes par lesquelles il paraît que
+«ledit arrêté de déportation n'a été signé par personne»_ (sic), le
+comité arrêta que l'abbé serait mis en liberté et rayé de toute liste de
+déportés. Le 15 novembre 1795 il était de retour à Mâcon, après deux
+années d'épreuves, mais il ne fut définitivement rayé de la liste des
+émigrés où il avait été porté par erreur, sans doute à la place de son
+frère aîné, que le 3 février 1802.
+
+ * * * * *
+
+Quant au chevalier, il fut incarcéré aux Ursulines le 5 octobre 1793,
+puis transféré le 28 janvier 1794 aux Visitandines d'Autun et mis en
+liberté le 30 octobre de la même année, avec ses deux sœurs[87]. Dans la
+préface du _Manuscrit de ma mère_, Lamartine a raconté que pendant toute
+la Terreur sa mère avait habité la maison de la rue des Ursulines, et
+c'est le motif d'un charmant épisode où l'on voit à la nuit les jeunes
+époux échanger de tendres lettres, des fenêtres de la petite demeure à
+celles de la prison située en face, par le romanesque moyen d'un arc et
+de flèches. L'histoire, pour joliment contée, n'en est pas moins tout à
+fait inexacte, car si un mur de la prison faisait bien vis-à-vis à la
+maison des Lamartine, celle-ci avait été mise sous séquestre en même
+temps que l'hôtel de la rue Croix-Saint-Girard, c'est-à-dire près d'un
+an avant l'emprisonnement du chevalier. De plus, pendant la détention de
+son mari à Mâcon, la jeune femme n'habitait plus la ville; en effet,
+lorsqu'il avait vu ses trois fils sous les verrous, Louis-François avait
+exigé d'elle une incroyable démarche: en novembre 1793, laissant à
+Pérone ses deux plus jeunes enfants, Félix et Mélanie, celle-ci à peine
+sevrée, Mme de Lamartine dut prendre le chemin de Paris avec le petit
+Alphonse, alors âgé de trois ans et dont elle ne voulait pas se séparer.
+Elle partait, raconte-t-elle dix ans plus tard[88], solliciter
+_d'anciennes relations_ de son père pour obtenir la mise en liberté de
+son mari et de ses beaux-frères, car le vieux Lamartine, dans son
+inconscience absolue des dangers qu'il faisait courir à tous les siens
+avec sa terrible manie des réclamations, s'imaginait toujours qu'il
+suffirait d'un mot pour se faire rendre justice; ainsi, le crédit des
+Des Roys qu'on lui avait tant vanté au moment du mariage de son fils
+finirait bien par rendre quelque service.
+
+[Note 87: Arch. Nat., A. F. II, 259.]
+
+[Note 88: Ces souvenirs sont rapportés par Mme de Lamartine, en
+mai 1803, époque où elle passa trois mois à Rieux, chez sa mère.]
+
+En cours de route, la pauvre femme à moitié morte de peur des périls
+qu'elle avait courus s'arrêta dans la Marne, chez son père, pour lui
+demander conseil et lui laisser l'enfant.
+
+«Là, dit elle, Dieu permit qu'on rendît alors un décret qui défendait
+aux ci-devant nobles d'aller à Paris sous peine de mort; ce fut fort
+heureux, car les démarches étaient fort dangereuses.» Elle demeura donc
+six mois à Rieux et ne regagna la Bourgogne qu'en août 1794. Elle se
+réfugia alors à Pérone auprès de son beau-père et y demeura jusqu'à la
+libération de son mari. Le calme revenu et les séquestres levés, tous
+deux vinrent habiter à nouveau la rue des Ursulines, où leur présence
+nous est attestée le 4 décembre 1795 par l'acte de décès de leur petit
+garçon Félix.
+
+ * * * * *
+
+Peu à peu, l'apaisement se fit. À la fin de 1795 les Lamartine se
+retrouvèrent sains et saufs dans la vieille demeure familiale. Mais trop
+d'alertes avaient épuisé les deux vieillards: la grand'mère s'éteignit
+la première le 4 septembre 1796, à l'âge de soixante-quinze ans et
+Louis-François la suivit peu de mois après, le 11 mai 1797; il venait
+d'atteindre sa quatre-vingt-sixième année.
+
+Après leur mort, le partage de terres commença, et Lamartine rapporte
+qu'il fut long et épineux: en effet la loi nouvelle sur les successions
+bouleversait leurs vieilles traditions de famille en exigeant un partage
+égal entre tous les enfants. Le meilleur des terres de Franche-Comté
+avait disparu pendant la Terreur, ruiné faute d'entretien ou aliéné
+prématurément comme bien national. Les usines de Saint-Claude étaient
+délabrées; le reste ne comprenait plus que des parcelles éparses,
+difficiles à gérer par suite des circonstances. Mme de Lamartine
+raconte qu'on se hâta de vendre les débris de ce magnifique patrimoine,
+et qu'on s'arrangea à l'amiable pour les terres de Bourgogne.
+
+L'abbé reçut Montculot et la maison de la rue des Ursulines; Mme du
+Villars Pérone, Collonge et Champagne; François-Louis, en sa qualité de
+chef de famille, hérita de Montceau et ses dépendances, de l'hôtel de
+Mâcon et de la Tour de Mailly, dont l'ensemble demeura toutefois indivis
+entre lui et sa sœur aînée, Mlle de Lamartine. Le chevalier dut se
+contenter de Milly qu'il possédait déjà en fait depuis son mariage et où
+il se hâta de se réfugier avec sa femme et ses enfants dès l'automne de
+1797.
+
+
+
+
+CHAPITRE IV
+
+LE DÉCOR.--LES VOISINS
+
+
+Milly est un pauvre village d'une quarantaine de maisonnettes qui
+s'étend en amphithéâtre à mi-flanc d'un vallon encaissé de hautes
+collines, les unes cultivées, le Craz, les autres arides, le Monsard.
+Une solitude et une tristesse infinies s'en dégagent au premier abord,
+mais à mieux connaître tous ses aspects on finit par lui découvrir un
+charme pénétrant.
+
+Toute interprétation de la poésie de Milly restera forcément imparfaite
+et surtout inutile, car la seule façon dont Lamartine la comprit doit
+nous retenir. Nul jamais ne découvrira dans Milly tout ce qu'il y voyait
+et n'éprouvera, même au cours de multiples visites dans ce coin sauvage
+de Bourgogne, les sentiments du foyer et de la terre natale, les
+souvenirs d'enfance avec leurs nuances invisibles qu'il est parvenu à
+rendre merveilleusement. M. Reyssié, pourtant, qui avait une très grande
+habitude du pays et connaissait le vallon sous tous ses aspects, est
+parvenu à les décrire de manière très fidèle et très exacte.
+
+Tout au bas du village, en bordure de la route et dominée par le Craz,
+se trouve la petite maison des Lamartine. Elle n'a point d'histoire:
+élevée au début du XVIIIe siècle par Jean-Baptiste, premier seigneur
+de Montceau, c'était alors, plutôt qu'une demeure, un pavillon où il
+venait l'automne surveiller ses vendanges. Rien n'y était établi en
+prévision de longs séjours et au moment de son installation le chevalier
+fut même obligé d'y faire élever deux cheminées. Aujourd'hui, il est
+difficile de se la représenter dans son état primitif, car elle a subi
+des remaniements qui ont modifié entièrement son ancien aspect. Elle est
+située en retrait de la route unique qui traverse le village, au fond
+d'une cour actuellement ornée de massifs, mais qui autrefois servait,
+avec ses communs, à garer cuves, pressoirs et tombereaux. Derrière,
+s'étend un minuscule jardin dont les charmilles, les frênes et les
+chênes sont les seuls arbres de Milly, et finit en pente douce au pied
+du Craz par un potager. Aucune source, aucun cours d'eau n'arrose le
+pays.
+
+La maison n'a qu'un seul étage; elle est petite, obscure, humide, et
+jamais le soleil n'y pénètre. Elle comprend en tout neuf pièces et l'on
+imagine mal comment sept personnes pouvaient y vivre. Des plantes
+grimpantes recouvrent entièrement les murs jusqu'aux tuiles et les
+arbres viennent frôler les vitres. En hiver, la tristesse et la
+désolation sont impressionnantes; ce décor de Milly est une des sources
+les plus certaines de la mélancolie de Lamartine et explique amplement
+la maladie de nerfs dont il souffrit lorsque ses vingt ans y furent
+cloîtrés.
+
+Une grave erreur en effet serait de croire que l'amour de Lamartine pour
+Milly date de sa jeunesse; il contribua beaucoup à cette légende, mais
+on voit par sa _Correspondance_ qu'il ne l'appelait guère alors que sa
+«détestable patrie». Il ne découvrit son charme que longtemps après,
+lorsqu'il en fit avec le recul du temps le temple de ses souvenirs
+d'enfance. Milly devint alors pour lui un culte, celui de sa mère dont
+il venait encore rechercher la trace trente ans plus tard. «C'est,
+disait-il un jour âprement, la seule chose que je ne pardonne pas à mes
+concitoyens que de m'avoir forcé de vendre Milly[89].»
+
+[Note 89: _Cours familier de littérature_, entretien 101, p. 320.]
+
+Le domaine comprenait une cinquantaine d'hectares plantés en vignes. En
+1801, Pierre de Lamartine y ajouta Saint-Point, acheté partie sur ses
+économies, partie sur une somme qui lui revenait de la succession de son
+père.
+
+ * * * * *
+
+Saint-Point bien plus que Milly fut aux yeux de ses contemporains la
+véritable demeure du poète. C'était un vieux château féodal bâti sur la
+vallée de la Valouze dans un joli site boisé et plus riant que Milly,
+dont il était éloigné d'une quinzaine de kilomètres. Lorsqu'à son
+mariage Lamartine en acquit la jouissance, il lui fit subir plusieurs
+réparations et sacrifiant lui aussi à la mode romantique, y fit ajouter
+des terrasses, des tourelles, des fenêtres ogivales et dentelées qui ne
+vont pas sans déparer un peu l'austère simplicité romane du bâtiment.
+
+La partie orientale du château comprise entre les deux tours rondes
+remonte seule au moyen âge; l'ensemble a été remanié à différentes
+époques et on voit par les inventaires antérieurs à la Révolution qu'il
+comprenait primitivement quatre grosses tours, des murailles à créneaux
+qui enfermaient une cour commandée par un pont-levis et entourée de
+profonds fossés. De l'histoire ancienne du château, on sait peu de
+chose; il fut assiégé et pris par les Français en 1471 lors des luttes
+entre Louis XI et Charles le Téméraire; au cours des XVIIe siècle et
+XVIIIe siècles, il demeura le plus souvent inhabité, ce qui explique
+son délabrement, achevé le 30 juillet 1789 par les émeutiers qui le
+mutilèrent et le pillèrent entièrement.
+
+Ce jour-là, tous les habitants de Saint-Point, vignerons, grangers et
+manœuvres, assemblés au son de la cloche, forcèrent la grande porte,
+découronnèrent les tours, démolirent les charpentes et toitures,
+brûlèrent les archives. L'affaire fut vite menée, sans résistance
+possible de la part de l'intendant. Tout ce qu'il put obtenir d'eux fut
+qu'ils ne mettraient pas le feu au château, leur objectant que
+l'incendie pourrait gagner le village. Les choses restèrent longtemps
+en l'état, et la Terreur vint achever la ruine du domaine. Au moment où
+le chevalier s'en rendit acquéreur, la maison était inhabitable.
+
+La famille de Saint-Point posséda le château--dont les seigneurs se
+qualifiaient marquis--du milieu du XIIe siècle à la fin du XVIe
+siècle. L'un de ses membres, Guillaume de Saint-Point, seigneur de la
+Foretz, de Chanvantet de Clermatin, a laissé quelque trace dans
+l'histoire en jouant un rôle assez important pendant les guerres de
+religion où il se distingua par ses cruautés. En 1557, il fut élu
+capitaine du ban et arrière-ban de la noblesse du bailliage, et
+combattit dans les armées catholiques; mais le meilleur de sa célébrité
+lui vient encore des farces de Saint-Point, jeu qui consistait à noyer
+en Saône ses prisonniers huguenots et où il conviait en grande pompe
+tous ses vassaux et amis. Il finit assassiné par un jeune gentilhomme
+mâconnais dont il avait dévasté les biens, et ses aventures sont
+relatées dans un ténébreux roman dédié à Lamartine et qui fut accueilli
+avec succès en 1845, car le public y trouvait une occasion de pénétrer
+dans ce fameux château de Saint-Point rendu populaire par la gloire de
+son propriétaire[90].
+
+[Note 90: _Guillaume de Saint-Point_, par J.-M. Grosset (3 vol.
+in-8).]
+
+Sa fille naturelle et légitimée épousa en 1564 Antoine de la Tour de
+Saint-Vidal qui, comme son beau-frère, fut un des capitaines
+catholiques les plus acharnés contre les réformés; il eut la même fin
+tragique et fut tué en duel. Sa veuve se remaria en 1596 et à sa mort
+légua ses biens à son petit-fils, Claude de Rochefort d'Ally; il épousa
+Anne de Lucinge et fut gouverneur de Saint-Jean de Losne qu'il défendit
+héroïquement contre les Impériaux en 1663.
+
+Saint-Point demeura propriété des Rochefort jusqu'au milieu du XVIIIe
+siècle; à cette époque il passa par mariage aux mains de Charles Testu
+de Balincourt qui, le 29 avril 1776, céda le marquisat et ses
+dépendances à Henry de Castellane, chevalier d'honneur de madame Sophie.
+Son fils en hérita en 1789; il s'occupa un moment de politique et ce fut
+lui qui à la journée du 13 vendémiaire fit battre le rappel pour marcher
+contre la Convention. Condamné à mort par contumace, il prit la fuite,
+mais revint l'année suivante se constituer prisonnier et fut acquitté. À
+moitié ruiné, il allait vendre Saint-Point en 1800 à des marchands de
+biens, lorsqu'à la requête d'un créancier on procéda à une adjudication
+publique et, le 10 février 1801, Pierre de Lamartine s'en rendit
+acquéreur au prix de 80 000 francs. L'opération fut très fructueuse pour
+lui car les bois de Saint-Point n'avaient pas été taillés depuis un
+siècle: avec une coupe il rentra dans ses débours. Quant au vignoble, il
+était peu important et abandonné depuis longtemps.
+
+À ce moment, le château tombait en ruines. Mme de Lamartine note
+dans son journal que c'est «un bon bien et un pays agréable»; «c'est
+fort dévasté, ajoute-t-elle, et rien ne peut y flatter l'amour-propre».
+
+Au début, les Lamartine n'y feront que de rares et courts séjours; plus
+tard, ils y passeront quelques semaines, en été ou au moment des
+vendanges, lorsque les réparations indispensables auront été effectuées
+peu à peu. Mais la mère s'y rendra souvent dans la journée avec ses
+enfants, en char à bancs ou à âne, au long des petits sentiers qui
+dévalent des coteaux et raccourcissent le chemin.
+
+ * * * * *
+
+Dans la solitude de Milly et le délabrement de Saint-Point, la jeune
+femme connut tout d'abord quelques heures de découragement et d'ennui.
+Très vite, pourtant, et comme toujours en luttant contre elle même, elle
+s'habitua à cette vie nouvelle. Ses devoirs de mère vont l'absorber
+entièrement et, la première hésitation passée, elle classera ses
+occupations, se dévouera entièrement à son ménage et à l'éducation de
+ses enfants.
+
+La vie à Milly était plus que simple, car les ressources, uniquement
+fondées sur les vignes, étaient modestes. En 1801, Mme de Lamartine
+qui assumait toutes les charges, encaissait les revenus et donnait 1600
+francs par an à son mari; en 1805, celui-ci reprit la direction du
+ménage: il alloua à sa femme 600 francs par mois, douze pièces de vin et
+les petites réserves de Milly et de Saint-Point. Avec cette somme elle
+assurait la vie quotidienne, payait l'entretien et l'éducation de ses
+filles tandis que le chevalier s'occupait de la pension de leur fils et
+des charges générales. Leur fortune, on le voit, était modeste et on
+peut l'évaluer à une quinzaine de mille francs de rente.
+
+Le matin, on se levait à l'aube, le père partait dans ses vignes, ou
+chassait; sa femme commandait leurs huit vignerons et domestiques,
+surveillait la maison, la lessive, la basse-cour, le potager, et
+trouvait encore quelques instants pour commencer la première éducation
+de ses enfants.
+
+ La journée, écrit-elle, n'est jamais assez longue pour ce que je
+ voudrais faire, et mes forces sont épuisées avant que mon goût pour
+ les occupations le soit. Je vais tous les jours à la messe de sept
+ heures avec mes enfants; nous déjeunons ensuite, puis quelques
+ soins de ménage, puis le travail en lisant tour à tour la Bible,
+ une leçon de grammaire et la lecture de l'histoire de France: tout
+ cela nous conduit jusqu'au dîner sans que personne ait trouvé le
+ temps long. Après le dîner, je donne récréation une heure. Nous
+ reprenons ensuite l'ouvrage avec une lecture agréable que je tâche
+ toujours de rendre instructive, jusqu'au goûter, après lequel on
+ apprend par cœur des vers, de l'histoire de France et de la
+ grammaire. Puis nous nous promenons jusqu'à la nuit et à la veillée
+ pendant que je joue aux échecs avec mon mari, les enfants s'amusent
+ et apprennent quelques vers des fables de Lafontaine. C'est
+ toujours le plan ordinaire de notre journée à quelques différences
+ près.
+
+Lorsque l'année avait été bonne, les Lamartine allaient passer l'hiver à
+Mâcon: au début, ce fut dans une maison louée; en 1805, le chevalier,
+sur les instances de sa femme, se décida à l'acheter et la paya 29 615
+francs à M. Barthelot d'Ozenay un de leurs amis. Elle portait le numéro
+15 de la rue de l'Église: c'est là qu'à partir de 1805 ils passeront
+tous les hivers. À côté de la poétique description qu'en a faite
+Lamartine, il faut rapprocher celle de Mme Delahante, plus véridique:
+«L'entrée, dit-elle, ressemblait fort à une cave et tout y était plus
+que simple et fort triste; nous avons fait bien des parties dans son
+jardin qui était affreux, mais dont les hautes murailles étaient
+tapissées de roses blanches».
+
+Quelques voisins agréables animaient un peu cette vie solitaire.
+C'étaient les de Rambuteau, très liés au XVIIIe siècle avec les
+Lamartine et dont deux membres signèrent à l'acte de baptême du poète;
+le futur préfet de la Seine, Claude-Philibert, tout en étant un peu plus
+âgé que lui puisqu'il était né en 1781, fut son ami de jeunesse. Il
+avait épousé Mlle de Narbonne, fille du comte Louis, ministre de la
+guerre à la fin du règne de Louis XVI, et devint plus tard très en
+faveur auprès de Napoléon. Leur grand luxe, leur fastueuse résidence de
+Champgrenon n'allaient pas parfois sans écraser un peu la pauvre Mme
+de Lamartine qui écrivait un jour: «Après dîner Mme de Rambuteau est
+venue avec ses enfants faire une visite; elle passe beaucoup de temps à
+Paris, elle a beaucoup de fortune et un grand train. Quand je vis son
+beau carrosse, ajoute-t-elle mélancoliquement, ses superbes chevaux
+auprès de mon modeste équipage, j'eus un petit moment de honte que je me
+reproche...»
+
+À Bussière et à Milly, il y avait l'abbé Dumont, grand ami du chevalier
+et qui chassait avec lui; les du Sordet; M. de Valmont, vieux
+gentilhomme courtois et lettré, et l'excellent M. de Vaudran: emprisonné
+à Lyon pendant la Terreur il avait été rendu à la liberté après
+Thermidor. Il s'établit alors à Bussière avec sa mère et ses sœurs et y
+demeura jusqu'à sa mort survenue en 1820. C'était, paraît-il, un érudit
+et brillant causeur qui charmait l'enfant par de belles histoires et lui
+donna ses premières leçons de dessin et d'écriture. Plus tard, il le
+patronna à l'Académie de Mâcon et s'intéressa à ses premiers essais
+poétiques, mais mourut sans connaître la gloire de son ancien élève
+qu'il aimait beaucoup. Il était le grand-oncle de Léon Bruys d'Ouilly,
+l'ami d'enfance à qui sont dédiés les _Recueillements_, romanesque et
+beau garçon qui succéda à lord Byron dans le cœur de la comtesse
+Guccioli, pour laquelle il se ruina complètement[91].
+
+[Note 91: Cf., sur la famille Bruys, _Ann. de l'Académie de Mâcon_,
+3e série, vol. IX: la Famille Bruys, par Paul Maritain.]
+
+ * * * * *
+
+Parfois on descendait en char à bœufs, raconte Mme de Lamartine, la
+petite route en lacets qui serpente à travers les vignes de Milly à
+Pierreclos. Là, à l'abri d'un antique donjon féodal qui commande une
+gorge étroite et fleurie, vivait le vieux comte Jean-Baptiste de
+Pierreclau, colosse d'un autre temps et qui, malgré la Révolution,
+régnait toujours par la terreur sur ses anciens vassaux. Conseiller du
+roi et trésorier de France à Lyon à la fin du XVIIIe siècle, il avait
+épousé Mlle de la Rochetaillée et menait un train de prince à Mâcon
+où il possédait deux magnifiques hôtels; la Terreur l'envoya en prison
+et dispersa sa famille.
+
+Le calme revenu, il rentra dans son château dévasté, en proie à une
+fureur indicible: tant bien que mal il reprit sa vie, mais au point où
+on l'avait interrompue malgré lui. Dans les _Confidences_, Lamartine
+nous a laissé un pittoresque tableau de son existence, où revit
+l'étrange physionomie de ce vieux royaliste irréductible et hautain.
+«Figure des romans de Walter Scott, dit-il, vieillard illettré et rude,
+sauvage, absolu sur sa famille, bon au fond, mais fier et dur de langage
+avec ses anciens vassaux qui avaient saccagé sa demeure pendant les
+premiers orages de la Révolution.»
+
+On jouait, paraît-il, à Pierreclos du matin au soir et c'était la seule
+manière de passer le temps; puis, le maître du château armé d'un
+porte-voix donnait les ordres à ses fermiers du haut de la terrasse
+escarpée qui dominait la vallée. Ses six enfants se mouraient d'ennui
+auprès de leur père. Un fils, après de romanesques aventures, s'était
+marié à la jeune fille d'un vieux chouan dangereux mégalomane qui eut
+son heure de célébrité, le baron Dézoteux-Cormatin, et habitait la
+splendide résidence seigneuriale des anciens marquis d'Huxelles. Plus
+tard, Lamartine se liera intimement avec ce chevalier de Pierreclau, âme
+sentimentale et chevaleresque qui avait hérité des sentiments
+monarchistes de son père[92].
+
+[Note 92: Jean-Baptiste Michon de Pierreclau, baron de Cenves, comte
+de Bertzé, seigneur de Pierreclos, né le 20 septembre 1737, marié à
+Saint-Étienne en Forez, le 27 avril 1767, à Marguerite Bernon de
+Rochetaillée; il eut pour enfants: 1º Jean-Gabriel, marié à
+Jeanne-Théodore Laborier; 2º Guillaume, marié à Nina Dézoteux; 3º
+Marguerite, mariée à M. Mongeis; 4º Jeanne, mariée au comte de
+Champmartin; 5º Antoinette, mariée au comte de Regnold de Sérezin; 6º
+Catherine, morte fille.
+
+Une fille de Jean-Gabriel et de Jeanne-Théodore Laborier fut la baronne
+de Montailleur-Ruffo, amie de Chateaubriand, et la fille unique de M. de
+Champmartin épousa Niepce, l'un des inventeurs de la daguerréotypie.]
+
+À Pierreclos, les Lamartine retrouvaient encore quelques débris de
+l'ancienne splendeur d'autrefois, car le vieux comte aimait la bonne
+chère et la musique. Demeuré très grand seigneur malgré sa fortune
+ébréchée, il recevait avec une urbanité un peu bourrue, et sans jamais
+tolérer qu'on parlât politique. Lorsqu'on touchait à ce sujet, il
+entrait dans des colères terribles et qui faisaient trembler les siens;
+mais il aimait à ressusciter la pompe et l'étiquette de sa jeunesse.
+Mme de Lamartine évoquait, en le voyant, le souvenir des grands
+seigneurs qu'elle avait connus au Palais-Royal.
+
+Les de Pierreclau étaient les voisins les plus habituels des Lamartine,
+et c'est avec eux souvent qu'on descendait jusqu'à Montceau et à Pérone,
+où vivaient, très retirés, François-Louis et sa sœur.
+
+Toute cette petite vie campagnarde, humble mais bien remplie, est
+relatée quotidiennement dans le _Journal intime_. Point de grands
+événements, surtout point de politique. Les bruits du monde ne leur
+parviennent que rarement, et très affaiblis. Le nom de Bonaparte--sous
+lequel l'Empereur sera désigné par Mme de Lamartine--est un objet
+d'exécration dans ce milieu. D'ailleurs, après les vicissitudes qu'ils
+viennent d'éprouver, les Lamartine sont heureux du calme qu'ils
+possèdent maintenant et ne regrettent point le passé. Leur seul but
+désormais sera de vivre en repos et d'élever leurs enfants simplement et
+chrétiennement, dans le respect des vieilles traditions que rien chez
+eux n'est parvenu à effacer.
+
+ * * * * *
+
+Ainsi, à résumer cette première enfance de Lamartine, qui s'étend de
+1790 à 1800, on voit qu'il eut quelque raison par la suite de s'écrier
+romantiquement: «Et l'on s'étonne que les hommes dont la vie date de ces
+jours sinistres aient apporté en naissant un goût de tristesse et une
+empreinte de mélancolie dans le génie français! Que l'on songe au lait
+aigri de larmes que je reçus moi-même de ma mère pendant que la famille
+entière était dans une captivité qui ne s'ouvrait que pour la mort!» Il
+n'y a pas que de l'emphase dans cette lyrique exclamation: les
+premières impressions de l'enfant ne furent que tristesses et craintes,
+et il sera longtemps sans connaître la douceur et l'habitude d'un foyer.
+Plus tard, vers huit ans, il n'aura pas d'autres camarades à Milly que
+les petits paysans du village, dont Mme de Lamartine redoutera un peu
+la société. Elle s'efforcera alors de le garder le plus possible près
+d'elle, et veillera sur lui avec une inquiète sollicitude. Son âme
+mélancolique influera peu à peu sur celle de l'enfant dont elle essayera
+encore d'atténuer le caractère vif et bruyant, d'après elle, et qui déjà
+commençait à la tourmenter pour l'avenir.
+
+
+
+
+TROISIÈME PARTIE
+
+LES ANNÉES D'ÉTUDE
+
+
+
+
+CHAPITRE I
+
+L'ABBÉ DUMONT[93]
+
+
+[Note 93: Sources et bibliographie de la troisième partie: _Journal
+intime_ (passim), _Archives de Saint-Point_.--Pour l'abbé Dumont:
+_Archives municipales de Bussières et de Pierreclos_, _Archives
+départementales de Saône-et-Loire_, et les notes inédites de M. Paul
+Maritain conservées aujourd'hui à l'Académie de Mâcon: nous en devons la
+communication à M. A. Duréault, secrétaire perpétuel de cette société,
+que nous remercions ici de son obligeance.
+
+Pour le collège de Belley: _le Séjour de Lamartine à Belley_, par M.
+Dejey (3e éd., complétée, 1901). _Histoire du collège-séminaire de
+Belley_, par l'abbé Rochet (Lyon, 1898, in-8).--Les Vies des Pères
+Varin, Debrosses et Jenesseaux, par le père Guidée (Paris, 1859-60).]
+
+Lorsqu'à l'automne de 1797 les Lamartine vinrent s'établir à Milly, on
+imagine qu'au milieu de leurs épreuves la première éducation de l'enfant
+avait été très négligée. Mais les écoles manquaient dans cette campagne
+perdue d'où l'on ne pouvait chaque matin le conduire à Mâcon. Mme de
+Lamartine, malgré le petit programme élaboré par elle, n'avait pas, à
+l'entendre, beaucoup de temps pour l'appliquer rigoureusement.
+D'ailleurs elle avoue elle-même qu'une fois passée l'ardeur des débuts
+elle finit vite par en ressentir quelque lassitude et une certaine
+appréhension. Son désir perpétuel de trouver ce qu'elle nomme «le juste
+milieu» lui faisait craindre à la fois de montrer trop de mansuétude ou
+trop de sévérité. Elle se décida alors à chercher autre chose;
+conservant pour sa part les lectures à haute voix elle confia son fils
+au curé de Bussière, petit village distant de quelques kilomètres, et
+dont dépendait Milly où le culte interrompu en 1792 n'avait pas été
+rétabli.
+
+ * * * * *
+
+L'abbé Dumont a laissé sur son élève une impression profonde et qui ne
+s'affaiblit jamais. Plus tard Lamartine créera autour de son ancien
+maître une atmosphère de légende et dans les _Nouvelles Confidences_,
+soulèvera un coin du voile: on sut alors que sa vie avait servi de thème
+original au poème de _Jocelyn_, mais comme les deux récits n'allaient
+pas sans se contredire fréquemment, il devenait difficile de démêler
+quelle était la part de l'imagination et celle de la réalité. Pourtant
+quelques documents nouveaux, s'ils ne percent pas complètement le
+mystère de son existence, l'éclairent tout au moins davantage et sur
+bien des points confirment le récit du poète.
+
+D'après Lamartine, l'abbé Dumont était né d'une famille plébéienne dans
+la maison même de l'ancien curé de Bussière, François-Antoine Destre. Au
+cours d'une visite au presbytère, l'évêque de Mâcon avait été frappé de
+la très belle figure et des aptitudes remarquables de l'enfant; il
+l'avait alors pris à l'évêché, en qualité de secrétaire. Survint la
+Révolution, qui le surprit au moment où il allait prononcer ses vœux;
+mais quelques pages plus loin Lamartine contredit cette affirmation et
+nous apprend qu'il fut jeté malgré lui dans le sacerdoce, la veille même
+du jour où ce sacerdoce allait être ruiné en France. On verra plus loin
+qu'aucune de ces deux versions n'est exacte. Au rétablissement du culte,
+Dumont fut nommé curé de Bussière et c'est à cette époque que Lamartine
+le connut.
+
+Le jeune prêtre n'avait pas la vocation; tous ses goûts étaient ceux
+d'un gentilhomme, toutes ses habitudes étaient celles d'un soldat. Beau
+de visage, grand de taille, fier d'attitude, grave et mélancolique de
+physionomie, il parlait à sa mère avec tendresse, au curé avec respect,
+à ses écoliers avec dédain et supériorité. Son unique passion était la
+chasse, et l'on voyait chez lui des sabres, des couteaux, des fouets,
+des bottes à l'écuyère, tout un attirail de veneur qui voisinait avec
+des objets de goût. On sentait au son mâle et ferme de sa voix et à cet
+ameublement que son caractère naturel se vengeait du contresens de son
+état.
+
+Il était instruit, et les nombreux volumes de sa bibliothèque
+attestaient sa culture. Mais les livres, comme les meubles, étaient très
+peu canoniques: c'étaient Raynal, Jean-Jacques, Voltaire, des romans du
+temps, les encyclopédistes, en même temps que des brochures et des
+journaux contre-révolutionnaires, car il était légitimiste. «Toute cette
+haine de la Révolution et toute cette philosophie dont la Révolution
+avait été la conséquence, dit Lamartine, se conciliaient très bien alors
+dans la plupart des hommes de cette époque; leur âme était un chaos,
+comme la société nouvelle. Ils ne s'y reconnaissaient plus.» Cette
+phrase fut sans doute l'excuse que trouva le poète à la déroutante
+psychologie du curé de Bussière; mais voici une plus grave révélation:
+«Il était aisé de voir que l'abbé Dumont était philosophe comme le
+siècle où il était né. Les mystères du christianisme qu'il accomplissait
+par honneur et par conformité avec son état ne lui semblaient guère
+qu'un rituel sans conséquences; cependant, bien que son esprit fût
+incrédule, son âme amollie par l'infortune était pieuse.»
+
+Tel était l'abbé Dumont selon Lamartine, athée et prêtre. Quant aux
+causes de cet incohérent état d'âme, elles sont expliquées plus loin par
+un ténébreux récit où le curé de Bussière apparaît comme échappé d'un
+roman d'amour, aigri par ses infortunes et relégué dans une misérable
+campagne loin du monde qu'il avait tant aimé.
+
+À vrai dire, on comprend que ce portrait soit accueilli avec quelques
+réserves. Comment admettre que les Lamartine aient confié leur fils à un
+prêtre mi-soudard, mi-voltairien et dont toute la région, au dire même
+du poète, connaissait les aventures? comment admettre que ses
+allures--car il était un des familiers de Milly--n'aient pas éveillé
+d'inquiets soupçons chez la pieuse Mme de Lamartine? Comment
+admettre, enfin, cet invraisemblable roman esquissé et poétisé d'abord
+dans _Jocelyn_, rétabli plus tard dans les _Confidences_ et leur suite?
+
+Et pourtant, il faut reconnaître que les pages consacrées à l'abbé
+Dumont sont exactes: il est hors de doute qu'à une époque difficile à
+préciser Lamartine reçut de son premier maître le dépôt d'un douloureux
+secret qui les lia l'un à l'autre d'une étroite amitié et révéla alors
+au jeune homme les véritables motifs de la détresse morale, des allures
+étranges et souvent inquiétantes de l'abbé Dumont.
+
+ * * * * *
+
+Antoine-François Dumont naquit à la cure de Bussière le 29 juin 1764 et
+déjà, à relever les différences d'état civil que l'on trouve dans deux
+ouvrages qui parlent de lui, on constate un premier mystère. L'un le
+fait naître à Charnay le 24 juillet 1756[94], l'autre en fait le neveu
+et filleul de François Antoine Destre, alors curé de Bussière et à qui
+il succéda[95]. Or, il serait aussi vain d'aller rechercher son acte de
+baptême à Charnay, que d'essayer d'établir sur quelles pièces on a pu
+prétendre que sa mère était la sœur de Destre. Lamartine, on l'a vu l'a
+fait naître à Bussière «dans la maison même de l'ancien curé» et il
+avait ses raisons pour parler ainsi. Car Antoine-François Dumont qui,
+suivant son acte de baptême, était fils de Philippe Dumont et de Marie
+Charnay, tous deux au service du curé Destre, était--et ce n'était
+alors, paraît-il, un mystère pour personne--fils de Destre et de sa
+servante. Celui-ci, d'ailleurs, fut le parrain de l'enfant et lui imposa
+même ses prénoms; par la suite, il le logea chez lui sa vie durant, et
+lui assura une éducation soignée très supérieure à son humble origine
+officielle. Deux lettres de Destre qu'on lira plus loin prouvent
+l'affection qu'il porta toujours au jeune homme: en mourant, il
+l'institua son légataire universel alors que le fils cadet et véritable
+de Philippe Dumont, né en 1768, fut élevé modestement par ses parents et
+devint huissier à Mâcon. Tout ceci, il est vrai, ne prouverait rien et
+pourrait s'expliquer aisément du fait que Destre s'attacha à l'enfant
+dont il était parrain; mais rapproché de la tradition locale qui
+subsiste encore et surtout des deux erreurs, qui d'ailleurs ne
+s'accordent pas entre elles et dont on ne peut autrement s'expliquer
+l'origine dans des ouvrages très soigneusement documentés, semble
+autoriser cette version, explicitement admise par Lamartine.
+
+[Note 94: Abbé Chaumont, _op. cit._]
+
+[Note 95: Mgr Rameau, _op. cit._]
+
+Nous n'avons rien de précis sur la jeunesse de François Dumont;
+toutefois un fait est certain: il n'était nullement entré dans les
+ordres avant la Révolution, comme l'a prétendu l'abbé Chaumont après
+Lamartine, et on chercherait inutilement trace de son serment à la
+constitution civile du clergé ou de son emprisonnement comme non
+assermenté; il fut libre pendant la Terreur et dans tous les actes le
+concernant de 1791 à 1795 il est simplement qualifié de négociant en
+vins à Bussière, se montrant partout et nullement inquiété.
+
+À partir de 1793, François Dumont régit avec un rare dévouement ce qui
+restait des biens de la famille de Pierreclau. Le vieux comte
+Jean-Baptiste avait été traîné en prison; avant de partir, eut-il le
+temps de confier secrètement une somme importante au jeune homme, avec
+des instructions précises pour rassembler les débris du patrimoine qui
+allait être vendu nationalement? cela paraît probable, car tous les
+achats de terres que fit alors en son nom propre François Dumont furent
+restitués plus tard par lui à leur ancien possesseur.
+
+Le 18 fructidor an II, il achète pour 13 100 livres les récoltes
+provenant des «émigrés, déportés, condamnés et détenus Michon, cy devant
+Pierreclau». Le 22 pluviôse, il est signalé dans un procès-verbal
+d'inventaire du château où il habitait depuis le pillage qui avait suivi
+la défense désespérée de Jean-Baptiste lors de son arrestation; on y
+trouve, dans sa chambre et caché soigneusement au fond de vieux
+tonneaux, tout ce qu'il a pu ramasser d'objets intacts. À la même date,
+les vignerons certifient que les vins de la dernière récolte consistant
+en 18 pièces ont été vendus «par le citoyen Antoine-François Dumont,
+marchand à Bussière, et payés par lui à la citoyenne Michon»; lui-même
+exhibe ses quittances et ses pouvoirs en règle.
+
+Dans le courant de 1793, il rachète ainsi en sous main la plupart des
+biens de Jean-Baptiste et les récoltes qui sont vendues sur pied. Le 12
+fructidor an IV il est acquéreur pour 3 650 livres de la maison «cy
+devant presbytérale» de Bussière, avec ses dépendances; le 19 pluviôse
+an V, de la vieille église de Pierreclos et dans les deux actes de vente
+il est qualifié de «négociant demeurant à Bussière». Bref, pendant toute
+la Terreur, il apparaît comme le véritable fondé de pouvoirs de
+Jean-Baptiste, et dépositaire de tout ce que celui-ci a pu sauver d'or
+avant son emprisonnement. C'est un homme d'affaires prudent et actif, et
+rien en lui ne fait prévoir une vocation religieuse.
+
+Lamartine, on l'a vu, a écrit qu'il avait été jeté «malgré lui» dans le
+sacerdoce, la veille même du jour où le sacerdoce allait être ruiné en
+France. Malgré lui, certes, mais après la Révolution. En réalité
+Antoine-François Dumont fut ordonné le 7 janvier 1798 et nommé aussitôt
+vicaire à Bussière, où le culte venait de recommencer sous la direction
+de l'ancien curé Destre qui, ayant prêté serment, n'avait pas été
+inquiété.
+
+Quel événement soudain avait modifié la vie du jeune homme? quelle
+volonté plus forte que la sienne était venue le contraindre de renoncer
+au monde? Ce n'est pas _de lui-même_ et dans un moment de détresse
+qu'il prit cette décision, comme l'a raconté aussi Lamartine, sans
+prendre garde qu'il se contredisait en l'espace de quelques pages. Mais
+le roman d'amour dont il a parlé est véridique, et s'il en a dénaturé
+quelques détails pour dépister les curiosités et respecter l'honneur
+d'une famille, il est du moins exact que François-Antoine Dumont expia
+par trente-cinq ans d'une vie à laquelle il ne se plia jamais
+complètement, la faute d'avoir séduit une jeune fille de la noblesse. La
+mère de celle-ci et Destre parvinrent à étouffer le scandale que le père
+ignora toujours, à la condition que François Dumont disparaîtrait du
+monde. Peu de temps après la jeune fille fut mariée à un vieillard, et
+l'enfant né des amours de Jocelyn et de Laurence fut élevé à la campagne
+où il mourut.
+
+Ici se place un problème qu'il semble assez délicat de résoudre:
+pourquoi Lamartine, sachant que la faute de l'abbé Dumont était
+antérieure à sa vie ecclésiastique, n'a-t-il pas déchargé sa mémoire de
+ce qui, à ses yeux, devenait alors un crime? La figure du pauvre vicaire
+n'en serait-elle pas sortie grandie par une telle expiation et n'eût-il
+pas, du même coup, donné l'explication la meilleure des allures de
+l'abbé Dumont?
+
+ * * * * *
+
+Celui-ci se résigna mal à ses nouvelles fonctions. Aigri, blessé, resté
+jeune et ardent, il fit en chaire de la propagande royaliste presque dès
+son entrée à la cure. Les autorités s'émurent et le 7 décembre 1798
+l'église de Bussière fut fermée à nouveau «pour cause du fanatisme
+anti-républicain du curé». Elle rouvrit en 1799 sur la demande,
+paraît-il, des paroissiens, mais cette fois Mgr Moreau devenu évêque
+d'Autun, dut recommander plus de pondération à son ancien élève, et
+interdit à Destre de se faire remplacer par lui. Le vieux Destre,
+pourtant, accablé par l'âge et les infirmités, céda bientôt la place à
+son vicaire; à partir du 20 septembre 1801 les registres paroissiaux
+portent la signature de l'abbé Dumont, bien que Destre n'ait été
+officiellement remplacé par lui qu'en 1803.
+
+De cette date jusqu'à sa mort, survenue en 1832, l'abbé Dumont fut curé
+de Bussière, et de Milly à partir de 1808, époque où les deux villages
+furent réunis sous la même autorité. Il habitait le petit presbytère où
+il était né et qui en 1793 avait abrité ses amours. Dès lors, on
+s'imagine aisément la vie du malheureux et tout ce qu'en a dit Lamartine
+s'éclaire d'une émouvante et douloureuse sincérité. Cette cure existe
+toujours: c'est une maison bourgeoise, bâtie au début du XVIIIe
+siècle par les soins de la famille de Pierreclau, et qu'il avait meublée
+sans l'habituelle simplicité des curés de campagne; à sa mort on vendit
+un grand lit Louis XVI, une belle console dorée, des chaises finement
+sculptées, un baromètre en bois doré et divers autres objets de valeur
+qui furent acquis à des prix dérisoires. Il léguait à Lamartine, qu'il
+nommait «son bienfaiteur et ami», sa bibliothèque, ses gravures--Louis
+XVI et Marie-Antoinette,--sa montre en or «et la petite pendule dont le
+prix a été acquitté par Mme de Lamartine mère». Près de sa tombe,
+qu'on voit encore au cimetière de Bussière, son ancien élève fit élever
+une pierre avec ces quelques mots:
+
+ À la mémoire de Dumont, curé de Bussière et de Milly pendant près
+ de quarante ans, né et mort pauvre comme son divin maître, Alphonse
+ de Lamartine, son ami, a consacré cette pierre près de l'église
+ pour perpétuer parmi le troupeau le souvenir du bon pasteur. 1832.
+
+Contradiction encore que cette épitaphe! car, même d'après Lamartine,
+l'abbé Dumont ne fut pas un bon pasteur. Le fardeau d'une mission
+imposée lui pesait lourdement, et ses révoltes intérieures étaient
+fréquentes. De son ancienne vie, il avait gardé la flamme et l'ardeur,
+et le poète a raconté ces longues courses avec ses chiens fidèles, dont
+la chasse était le prétexte, mais où il essayait de briser ses longues
+détresses par la fatigue. Royaliste intransigeant il le demeura
+toujours, et c'est peut-être l'origine de son amitié avec Pierre de
+Lamartine dont il était le compagnon le plus habituel. Dans son journal,
+pourtant, Mme de Lamartine en parle à peine, et comme d'un grand
+chasseur qui venait souvent s'asseoir à leur table et partager leur
+solitude. Mais on a vu que dans son testament l'abbé Dumont appelait
+Lamartine son ami; le poète lui rendit le même hommage sur sa tombe et
+le poème de _Jocelyn_ débute ainsi:
+
+ J'étais le seul ami qu'il eût sur cette terre.
+
+Et Lamartine disait vrai: il fut le seul ami de l'abbé Dumont, le seul
+qui connût jamais le douloureux secret de cette existence brisée.
+
+L'abbé Dumont était légitimiste et cela apparaît surtout dans ses
+registres paroissiaux; comme Bussière et Milly ne comptaient guère que
+600 habitants, il n'avait pas grand'chose à y transcrire. Aussi avait-il
+pris l'habitude d'y tenir une sorte de journal des événements auxquels
+il assistait et, machinalement, il les entremêlait de brèves réflexions
+personnelles où l'on trouve trace de sa haine violente contre Napoléon.
+En 1805 il écrivait:
+
+«Buonaparte est arrivé à Mâcon le dimanche 7 avril ayant avec lui
+Joséphine. Cette belle majesté est sortie de la préfecture le lendemain
+à cheval.» De même, on lit en 1811: «Marie-Louise est accouchée d'un
+fils le 20 mars. Buonaparte eût-il jamais cru, lorsqu'il étudiait à
+Brienne où notre bon roi Louis XVI payait sa pension, qu'il épouserait
+un jour une fille des Césars d'Autriche et qu'il serait assis sur le
+trône de France?» À partir de 1815, il prendra l'habitude chaque 21
+janvier de célébrer en chaire la mémoire du roi-martyr, et de lire à ses
+paroissiens assemblés le «testament du juste», de «l'auguste victime».
+Lamartine qui sur sa tombe rendit pourtant un hommage public à ses
+vertus chrétiennes, nous a dit d'autre part combien sa foi était
+chancelante et faite de revirements. Les livres qu'il lui légua n'ont
+aucun caractère religieux: «Rousseau, Diderot et Voltaire y voisinent
+avec Saint-Simon, les Lettres de la Palatine, Machiavel, l'Arioste et
+d'autres....».
+
+À l'évêché, on le jugeait mal et l'abbé Faraud, vicaire général de
+Mâcon, connaissait ses aventures en même temps que son caractère
+difficile. En 1797 on ne l'avait admis dans les ordres qu'avec une
+certaine hésitation et il était mal noté; les deux lettres qui suivent
+nous renseignent très suffisamment à cet égard: l'une émane de Destre et
+fut écrite le 2 juin 1801 à l'abbé Faraud pour le prier d'excuser auprès
+de l'évêque le peu d'application et l'humeur de son filleul:
+
+«...Vous m'avez offert vos services auprès de M. l'Évêque: je vous prie
+de lui dire que je supplie Sa Grandeur de me confier la conduite de
+l'abbé Dumont qui ira de temps à autre lui présenter nos regrets
+lorsqu'il sera visible. Je connais son caractère. En lui parlant avec
+douceur et sans tracasserie il exercera son ministère à ma satisfaction
+et à celle de beaucoup de fidèles qui l'ont regretté quand il a été
+obligé d'abandonner ses fonctions et qui me demandent depuis longtemps
+quand ils le verront et l'entendront à l'autel et au confessionnal[96].
+Pour que je puisse le déterminer, il faut que je puisse lui dire qu'il
+n'aura affaire qu'à M. l'Évêque et à moi. Je ne lui dirai de dire la
+messe que quand il se croira disposé. En attendant, j'espère que le
+Seigneur me donnera des forces. Il y a bientôt quarante ans que je sers
+cette paroisse, il me ferait bien de la peine d'y voir le service divin
+interrompu.
+
+«Monseigneur m'a permis et à l'abbé Dumont d'user des pouvoirs qu'il
+s'est réservés et il m'a recommandé d'en user largement. Sans doute il
+l'a aussi recommandé à l'abbé Dumont: nous tâcherons de remplir ses
+instructions...»
+
+[Note 96: On a vu que l'église avait été fermée en 1798, et que
+l'abbé Dumont reçut, lorsqu'elle rouvrit, l'interdiction d'y dire la
+messe régulièrement, comme il en avait pris l'habitude.]
+
+L'abbé Faraud, qui savait évidemment à quoi s'en tenir sur Dumont, fit
+parvenir à l'évêque la lettre de Destre qu'il accompagna de celle-ci:
+
+Ce mercredi matin 3 juin 1801.
+
+«Voici, Monseigneur, une lettre du curé de Bussière qui serait
+probablement insolente si elle n'était essentiellement bête.
+
+«Nous avons pensé, puisqu'il annonce que pour ce qui le concerne ainsi
+que M. Dumont il ne reconnaît que ce qui émane directement de vous,
+qu'il fallait que vous prissiez la peine de lui répondre, et j'ai
+l'honneur de vous envoyer la réponse que nous estimons devoir lui être
+faite. Si vous daignez l'approuver, auriez-vous la bonté de la signer et
+de me la renvoyer pour que je la fasse parvenir à son destinataire?
+
+«M. Dumont est une espèce de houzard qui dans les temps ordinaires
+aurait été paralysé. Attendu le besoin qu'on a d'ouvriers, il faut bien
+se résigner à l'employer, mais non à Bussière et dans les environs où
+sa conduite a été scandaleuse et ses jactances plus scandaleuses
+encore[97].»
+
+[Note 97: Ces deux lettres, qui sont conservées aux archives
+épiscopales d'Autun, ont été communiquées à l'Académie de Mâcon par M.
+le chanoine Muguet, curé de Sully. (Cf. procès-verbal de la séance du 10
+janvier 1907.)]
+
+Mais Monseigneur Moreau qui gardait sans doute quelque souvenir à son
+ancien protégé et connaissait les causes de son humeur, le conserva à
+Bussière où il demeura jusqu'à sa mort.
+
+ * * * * *
+
+Ces révoltes et ces crises de découragement étaient fréquentes chez
+l'abbé Dumont et, pour le ramener, on voit les moyens qu'il fallait
+employer: «lui parler avec douceur et sans tracasserie, ne lui faire
+dire la messe que quand il se croyait disposé». Ceci confirme tout ce
+que Lamartine a dit de sa nature hautaine et intraitable, et nous savons
+encore qu'il la garda toujours, puisqu'on en retrouve la trace dans ses
+registres où son écriture élégante et aristocratiquement saupoudrée de
+paillettes d'or contraste étrangement avec les grossières signatures de
+ses prédécesseurs.
+
+En 1803, il écrit: «Pie VII, souverain-pontife, est arrivé à Mâcon le
+lundi 22 avril.--_J'ai baisé sa mule_. Le clergé romain qui le suivait
+était mis salement.» Ce sont là toutes les réflexions que lui suggéra
+l'arrivée du pape accueillie en France avec tant d'allégresse par le
+clergé, qui y vit le triomphe définitif de la religion catholique.
+Lui-même a souligné les mots: «j'ai baisé sa mule», comme s'il s'en
+étonnait, et les manières de gentilhomme dont a parlé Lamartine se
+retrouvent dans la brève épithète qu'il applique à la suite du
+Saint-Père.
+
+Enfin, en octobre 1812, l'abbé Dumont, plus déconcertant que jamais, se
+fit affilier à la loge franc-maçonnique de Mâcon, la Parfaite Union, et
+le 17 décembre il fut reçu _maçon_[98]. À quelle nouvelle déroute morale
+était-il donc en proie, lui royaliste et prêtre, pour s'unir au parti du
+libéralisme et de la libre pensée? Lamartine n'a-t-il pas voulu l'en
+excuser lorsqu'il écrivait: «Son âme était un chaos comme la société
+nouvelle, lui-même ne s'y reconnaissait plus».
+
+[Note 98: Les procès-verbaux des deux séances ont été copiés par M.
+Maritain et figurent dans le dossier qu'il avait réuni sur Dumont.]
+
+À tout cela, il faut ajouter que l'abbé Dumont avait conservé des
+habitudes de dépense et de luxe qui cadraient mal avec ses humbles
+fonctions. Dans toutes les lettres que Lamartine lui adressa et qui
+figurent dans la _Correspondance_, on voit qu'il ne s'agit que d'argent:
+«J'espère aller à la fin de l'automne vous délivrer de vos huissiers...»
+«Permettez-moi de vous offrir une seconde petite offrande de cent écus
+pour vous remettre à votre courant...» Et ceci, plus significatif
+encore: «Ma mère m'a informé de vos embarras que je prévoyais bien tôt
+ou tard devoir vous accabler, mais il y a remède: vous auriez dû, au
+lieu d'attendre l'huissier, m'écrire: Je dois tant à tels et tels, à
+telle époque...» La lamentable correspondance se poursuivit jusqu'au
+dernier jour: «Je continuerai mon petit supplément, vos dettes seront
+payées peu à peu...» «Dites à tous vos créanciers à qui j'ai signé vos
+petits billets qu'à mon arrivée à Saint-Point ils pourront les apporter
+et seront payés[99]...»
+
+[Note 99: Cf. _Correspondance_, t. IV, p. 41, 69, 84, 134, 203,
+271.]
+
+Et ce n'était pas pour le bien de ses paroissiens que l'abbé Dumont se
+ruinait ainsi; il aimait le luxe et avait meublé sa petite maison, toute
+pleine de douloureux et charmants souvenirs du passé, comme un nid
+d'amoureux plutôt que comme une cure de campagne. On a déjà vu qu'à sa
+mort on vendit des objets de valeur, et voici une épître en vers
+adressée par M. de Montherot à Lamartine son beau-frère, et où l'on
+trouve un passage qui éclaire encore la situation obérée de l'abbé:
+
+ Ainsi, pour commencer, parlons de nos affaires,
+ Ou de celles, plutôt, du curé de Bussières:
+ Donc ce pauvre pasteur qu'un déficit chargeait
+ Verra, grâce à vos soins, s'éclaircir son budget.
+ Vous avez bien raison: pour une faible somme,
+ Il est doux d'assurer le repos d'un brave homme.
+ Qu'il le doive à nous deux ou plutôt à nous trois;
+ Votre mère fait mieux que vous et moi, je crois.
+ La douleur s'adoucit au miel de sa parole,
+ Nous donnons des écus, elle plaint et console;
+ À la reconnaissance elle a bien plus de droits.
+ J'ai ri de bien bon cœur, je l'avoue, à la liste
+ De tous les créanciers qu'il traînait à sa piste:
+ Entre autres y figure un marchand d'objets d'arts,
+ Trésors qui de l'abbé fascinaient les regards,
+ Des tableaux, des émaux....--Ah! que ma cheminée,
+ Pour quatre ou cinq cents francs, paraîtrait bien ornée!
+ Mais je ne les ai pas, ces quatre ou cinq cents francs!--
+ --Je vous ferai crédit, vous paîrez dans quatre ans.--
+ Et voilà, pauvre abbé, voilà comme on s'enfonce!
+ --Et voilà justement comme mon pauvre Alphonse,
+ Dit votre bonne mère, autrefois calculait:
+ Il avait à Paris cheval, cabriolet,
+ Lorsque 1 500 francs étaient, pour une année,
+ La somme à l'étourdi par son père donnée[100]!
+
+[Note 100: _Archives de Saint-Point_. La lettre est datée du 25 mars
+1828. _Suscription:_ «À monsieur de Lamartine, chargé des affaires de
+France, Florence, Toscane».]
+
+Mais, malgré l'inépuisable cœur de Lamartine, l'abbé Dumont s'endettait
+toujours. À sa mort, il laissait un passif de 4 252 francs qui ne fut
+pas entièrement liquidé par la vente publique de ses meubles, d'autant
+qu'il avait déjà pris soin de distraire l'argenterie de sa succession
+pour la remettre à son frère, huissier à Mâcon, en lui recommandant bien
+de répudier l'héritage.
+
+ * * * * *
+
+La vie de l'abbé Dumont que nous venons seulement d'esquisser ici,
+mériterait d'être étudiée plus complètement le jour où les archives
+épiscopales d'Autun seront classées et ouvertes au public. Comme l'a
+dit Lamartine, il fut le modèle secret de _Jocelyn_, et surtout joua un
+rôle très grand dans la jeunesse du poète.
+
+Nous savons qu'en 1798, lorsque le culte fut rétabli à Bussière, Destre
+et Dumont ouvrirent une petite école pour les enfants du pays. Lamartine
+y fréquenta trois ans--, sa mère l'a mentionné plus tard,--mais ces
+leçons furent insignifiantes.
+
+Par la suite il apprit à mieux connaître son ancien maître et la façon
+dont il en a parlé dans toute son œuvre prouve que de 1810 à 1820,
+pendant les longues années qu'il passa à Milly et à Mâcon en proie à un
+accablant malaise moral, le curé de Bussière fut son confident habituel
+et connut tous les détails de cet état d'âme maladif que reflète la
+_Correspondance_. Sans doute le prêtre sans vocation reconnut-il un peu
+de lui-même dans cet adolescent inquiet, tour à tour dévoré par
+l'activité ou meurtri par la lassitude: toutes ses aspirations
+lointaines, tous ses rêves de jeunesse, ses élans, ses rêves brisés
+vécurent à nouveau devant ses yeux. De là cette intimité étroite, ces
+confidences de part et d'autre, transcrites par Lamartine avec tant de
+fidélité.
+
+Plus tard, en mémoire de ces heures communes, le poète adoucit le plus
+qu'il put l'existence pénible de l'abbé Dumont. Il le reçut à
+Saint-Point, l'invita à Paris, le fit participer à toutes ses joies, à
+toutes ses douleurs, et consacra enfin sa mémoire par un poème où revit,
+purifiée et grandie, la misérable vie du pauvre curé de Bussière. La
+réalité, pourtant, fut autrement tragique et émouvante.
+
+Peut-être Stendhal en eût-il tiré un merveilleux dénouement pour la vie
+de _Julien Sorel_. Mais les choses sont ainsi: deux œuvres romantiques
+qui pourraient passer, l'une pour le type parfait du roman
+psychologique, l'autre pour celui du roman d'imagination, eurent
+pourtant un thème commun; bien mieux, celle du poète eut seule un modèle
+vivant.
+
+
+
+
+CHAPITRE II
+
+L'INSTITUTION PUPPIER
+
+(2 mars 1801-17 septembre 1803)
+
+
+L'abbé Dumont donna à Lamartine ses premières leçons de français et de
+latin; mais au début de 1801, soit que ses allures aient fini par
+inquiéter la famille, soit que l'enfant devenant, comme il l'a dit, de
+plus en plus impétueux et avide de liberté, les siens aient décidé de
+mettre fin à cette existence demi vagabonde et paysanne, on résolut à
+Milly de le mettre en pension.
+
+La mère, inquiète de s'en séparer, objecta ses dix ans, sa constitution
+délicate; il lui fallut pourtant s'incliner comme toujours devant les
+volontés de son beau-frère qui lui opposa, paraît-il, «le bien» de son
+fils.
+
+Il existe un petit portrait de Lamartine à dix ans[101]: c'est un bel
+enfant joufflu et solide, ébouriffé par ses courses dans la montagne, et
+qui respire la santé; il paraît évident que l'existence au grand air lui
+a pleinement réussi, et les craintes maternelles ne semblent pas très
+justifiées.
+
+[Note 101: Appartient à Mme Fournier, née de Belleroche,
+petite-nièce de Lamartine. Il a été reproduit par M. Lex dans son album
+_Lamartine, souvenirs et documents_ (Mâcon, 1890).]
+
+Il fallut alors s'occuper de lui trouver une pension. Les maisons
+d'éducation ne manquaient pas à Mâcon, et l'enfant n'y aurait guère été
+dépaysé; mais les Lamartine tenaient sans doute à modifier complètement
+le système adopté jusqu'ici par sa mère, puisqu'ils firent choix d'une
+institution à Lyon, et d'ordre tout à fait secondaire. Mme de
+Lamartine, triste d'abord de voir son fils si loin d'elle, se consola en
+pensant qu'il serait surveillé de près, car elle comptait à Lyon de
+nombreux parents et amis, entre autres Mme de Roquemont, sa cousine
+germaine, qui devint la correspondante du petit Alphonse et se chargea
+de faire régulièrement parvenir de ses nouvelles à Milly.
+
+On manque de renseignements précis sur la pension de la Caille, située
+dans un faubourg de Lyon, la Croix-Rousse, où fut interné l'enfant. Elle
+était tenue par deux vieilles filles, les demoiselles Puppier, aidées
+par leur frère, et semble n'avoir été qu'une très modeste institution où
+l'on prenait de jeunes enfants dont les parents habitaient la campagne.
+Dans son journal, Mme de Lamartine l'appelle «l'Enfance», constate
+qu'elle paye, pour son fils 420 francs par trimestre, mais n'en parle
+pas autrement. Pour Lamartine, il n'y a qu'à se reporter à ses
+Mémoires[102] pour voir le dégoût profond qu'il conserva toute sa vie de
+l'heure où il fut «lancé dans ces cours comme un condamné à mort dans
+l'éternité». Avec l'horreur de la contrainte qu'on lui connaît, on peut
+croire à la sincérité des sentiments qu'il a exprimés cinquante ans plus
+tard en rappelant cet odieux souvenir.
+
+[Note 102: _Mémoires inédits_ (p. 58-76).]
+
+On sait par sa mère qu'il entra à l'institution Puppier le 2 mars 1801,
+mais les nouvelles qu'elle recevra de lui ne commencent à être
+enregistrées par elle qu'en juillet, époque où s'ouvre le _Journal
+Intime_. Pourtant, une lettre de M. Dareste à sa cousine datée du 30
+mars, supplée à cette lacune et constitue un excellent bulletin de
+début.
+
+«Nous allâmes avant-hier dimanche avec M. de Roquemont rendre une petite
+visite dans sa pension à M. Alphonse. Nous le trouvâmes très gai et bien
+en train de s'amuser; il nous a paru content et l'on est aussi content
+de lui; nous assistâmes à leur dîner. Ils paraissent très bien dans
+cette pension et les demoiselles Puppier nous ont promis de nous le
+confier quelquefois cet été: nous irons le chercher, mais ce ne sera que
+les jours de congé[103].»
+
+[Note 103: _Archives de Saint-Point_. Suscription: «À madame Depra
+de Lamartine à Mâcon, Saône-et-Loire». (_Lettre inédite_.)]
+
+Les nouvelles qui suivent sont satisfaisantes: en juillet c'est un «bon
+et aimable enfant», et Mlle de Lamartine, au retour d'un petit séjour
+à Lyon, «rapporte tout plein de bien d'Alphonse». Il est gai, appliqué
+et apprend facilement, écrivent les maîtres de leur côté; mais tout cela
+ne concorde guère, trouve-t-elle, avec ses lettres qui sont tristes et
+navrantes. Le père alors, profite d'un voyage d'affaires pour s'arrêter
+à Lyon vers la mi-juillet: il le trouve «pâle et maigre», étiolé par
+l'air de la ville. Pourtant, on est toujours très content de lui, à la
+pension: «Il fait tout ce qu'il peut et peut tout ce qu'il veut, ont dit
+ses maîtres à mon mari», constate la mère avec quelque fierté. Mais elle
+s'inquiète encore de sa santé et le laisse sans doute trop entendre, car
+les lettres de son fils se font de plus en plus désespérées. Il supplie
+qu'on le rappelle à Milly, et, prétend-il sombrement, il a «grand besoin
+de venir».
+
+«Je tremble, écrit Mme de Lamartine le 17 septembre, de le voir
+arriver pâle et maigre et en mauvaise santé.» Devant ses instances, son
+beau-frère consentit à avancer la date des vacances et, à la fin du
+mois, elle put elle-même aller le guetter sur la route de Lyon.
+
+Toutes ses craintes tombèrent en le voyant et elle devina vite la petite
+ruse dont il s'était servi pour l'apitoyer, puisqu'elle écrit le 19:
+
+«La diligence est arrivée hier beaucoup plus tard que d'ordinaire, et le
+cœur me battait en pensant que dans quelques heures je reverrais mon
+cher enfant; il faisait presque nuit. Enfin elle arriva, avec mon
+Alphonse que je trouvai en très bonne santé, grandi, engraissé et fort
+bien; il me paraît qu'il n'a rien perdu pour la piété: c'était là toute
+ma crainte, et je vais faire tout ce qui dépendra de moi pendant son
+séjour ici pour fortifier ce sentiment dans son cœur.»
+
+L'enfant, d'ailleurs, retrouva toute sa gaieté à Milly où il demeura
+jusqu'à la mi octobre. La famille s'amusait, après six mois d'absence,
+de le trouver changé et réfléchi. «À dîner, note un jour Mme de
+Lamartine, nous parlâmes beaucoup de lui, trop peut-être; nous lûmes un
+extrait de sa façon et une petite composition que son père lui avait
+donnés à faire; l'on fut très content et mon orgueil bien flatté.» «Je
+suis bien heureuse de son intelligence, ajoute-t-elle encore; j'ai à lui
+reprocher pourtant de manquer de douceur, vis-à-vis de ses sœurs
+surtout, et je craindrais qu'il n'eût le caractère un peu dur s'il ne se
+corrige pas.»
+
+Aussi s'efforcera-t-elle de ne pas lui laisser reprendre les habitudes
+d'autrefois, en le retenant le plus possible près d'elle par des
+lectures et des causeries; comme il est plus grand, elle abordera même
+des ouvrages sérieux, _Télémaque_, quelques passages de Bossuet et les
+traités d'éducation de Mme de Genlis. Le 15 octobre, elle le ramena
+enfin à Lyon, où elle demeura près d'une semaine, en allant chaque jour
+l'embrasser pour qu'il ne passât pas trop brusquement de la vie de
+famille à l'internat.
+
+La seconde année scolaire (novembre 1801-septembre 1802) fut encore
+excellente; le 25 février 1802, il assista à la grande revue donnée en
+l'honneur du Premier Consul et cette récompense était méritée,
+paraît-il, par 18 exemptions. À la fin de septembre, il écrivit
+triomphalement à Milly pour annoncer qu'il avait remporté deux prix de
+latin et de français; M. Puppier confirmait, mais ajoutait qu'il en
+aurait eu un troisième «sans une vivacité qui lui a fait déchirer sa
+copie de thème parce qu'on le pressait un peu pour la donner».
+
+De fait, il était très énervé et soupirait après Milly dans toutes ses
+lettres. Il y arriva le 15 septembre et l'on partit bientôt pour
+Saint-Point, d'où Mme de Lamartine écrivait le 2 octobre: «Je suis
+ici depuis hier avec Alphonse, Cécile et Eugénie, et ce voyage leur a
+fait un extrême plaisir. Alphonse est venu à cheval sur son âne, il
+était comblé de joie.»
+
+Les vacances s'écoulèrent paisiblement en compagnie de l'abbé Dumont
+qui, venu pour passer quelques jours au moment de la chasse, fut
+émerveillé des progrès de son ancien écolier. Mais après deux mois de
+liberté où l'amour de l'indépendance s'affirmait sans cesse chez
+l'enfant, à la grande inquiétude de la mère, le retour à Lyon fut
+déchirant. Une dernière fois, il implora qu'on le gardât et, devant le
+refus du père et de l'oncle, il partit «sombre et renfermé», ce qui
+acheva de désespérer la pauvre femme.
+
+ * * * * *
+
+Ses pressentiments étaient justes. La pension Puppier devint, cette fois
+pour tout de bon, insupportable à un enfant dont l'imagination
+commençait à s'éveiller et qui jusqu'ici avait montré une nature assez
+décidée. Le 9 décembre 1802, deux mois à peine après avoir quitté Milly,
+il s'enfuit avec deux camarades, les petits de Veydel; on les rattrapa
+quatre heures après sur la route de Mâcon. Les détails de cette évasion
+sont plaisamment rapportés par Lamartine, mais rappellent curieusement
+un épisode des _Confessions_ de Jean-Jacques.
+
+Faut-il croire à ce pugilat entre un professeur et l'élève Siraudin?
+faut-il croire à cette arrivée des domestiques et des cuisiniers, armés
+de broches et de pelles, et qui mirent ainsi fin au combat en
+contraignant Siraudin à la retraite? De même, le massacre d'une oie
+vivante où tous les élèves furent conviés à tour de rôle acheva-t-il de
+décider à la fuite l'enfant «encore frémissant d'horreur» de la bataille
+qui venait de se livrer en classe? Pauvres excuses en vérité, et
+n'eût-il pas mieux valu avouer qu'il était simplement avide de grand air
+et de liberté? Sa mère, d'ailleurs, a noté l'escapade--qu'elle excuse
+presque--en des termes qui laissent entendre que la conduite de son fils
+laissait depuis longtemps à désirer, et qu'il n'eut pas besoin de tant
+d'incidents pour motiver sa décision; on lit en effet le 15 décembre:
+
+«Le 11, nous reçûmes des lettres de Lyon ou on nous apprenait
+qu'Alphonse s'était en allé de sa pension avec MM. de Veydel qu'il a
+engagés dans sa fuite; on les a rattrappés à Fontaines. Cette faute nous
+a fait la plus grande peine parce qu'elle a été précédée et suivie de
+plusieurs autres et soutenue avec beaucoup d'orgueil, ce qui m'afflige
+très fort. J'attends avec impatience de ses nouvelles, j'ai un grand
+désir de le savoir relevé de cette chute; son caractère d'indépendance
+m'effraye, et je crains beaucoup de l'avoir gâté.»
+
+Trois jours après, l'enfant écrivit spontanément une lettre de regret,
+c'est du moins la version du _Journal intime_; dans le _Manuscrit de ma
+mère_, on lit au contraire: «On a eu de la peine à lui faire écrire une
+lettre d'excuse et de repentir à son père». «Ainsi, tout est réparé»,
+ajoute Mme de Lamartine avec soulagement en transcrivant cette
+nouvelle. Pourtant, il continuait à implorer son père de le laisser
+revenir, arguant que depuis sa fuite il était mal vu de tous. On
+convint, pour ne pas sembler lui donner raison, de laisser s'achever
+l'année scolaire et, si les choses n'étaient pas alors oubliées, de le
+changer d'établissement.
+
+Mais, jusqu'à la fin de l'année, l'enfant continuera d'envoyer des
+lettres désespérées et suppliantes dont Mme de Lamartine a transcrit
+les passages les plus inquiétants pour elle; visiblement, il essayait
+d'apitoyer sa mère qu'il savait faible sur le point de sa santé. À l'en
+croire, il était incapable de travailler, toussait et se sentait sans
+forces, ce qui ne l'empêcha pas de remporter en fin de classes un grand
+prix de français, un prix de latin, un prix d'histoire et un accessit de
+dessin. Peut-être les Puppier avaient-ils été un peu indulgents dans
+l'espoir de le réconcilier avec la pension, mais rien n'y fit. Dès son
+retour à Milly, l'enfant, dont la sensibilité était déjà très délicate,
+raisonna avec beaucoup de bon sens, objecta à son père que depuis son
+escapade il était demeuré gêné vis-à-vis de ses maîtres et de ses
+camarades et, mettant comme toujours sa mère avec lui, obtint presque
+aussitôt la promesse qu'il ne retournerait plus à Lyon.
+
+Mme de Lamartine, qui n'aimait guère les Puppier, s'était déjà mise
+depuis six mois en campagne pour les remplacer; en février, alors
+qu'elle était à Rieux chez sa mère, elle lui avait demandé conseil et
+Mme Des Roys, qui datait d'une époque où les enfants comptaient fort
+peu, avait indiqué un collège de Jésuites à Radstadt. Sa fille, comme on
+peut le penser, ne voulut pas en entendre parler. Plus tard, il fut un
+instant question de Roanne et en mai elle se rendit tout exprès à Beaune
+pour se renseigner elle-même sur un lycée dont on lui avait parlé,
+«mais, dit-elle, il ne me plut pas infiniment». Elle crut avoir trouvé
+en apprenant qu'un bon collège allait s'ouvrir à Cluny: «J'espère que
+nous y mettrons Alphonse, écrira-t-elle aussitôt, cela me fera grand
+plaisir». On devine pourquoi: Cluny étant à quelques kilomètres de
+Milly, elle aurait ainsi son fils tout près d'elle. C'est ce que l'oncle
+voulait éviter.
+
+Au début de septembre enfin, des amis qu'elle avait mis au courant de
+ses recherches lui parlèrent du collège de Belley en Dauphiné et qui
+venait d'ouvrir ses portes. Malgré l'éloignement, elle fut aussitôt
+séduite par cette idée et elle a noté le 6 septembre dans son journal:
+
+«J'espère que mon mari consentira à mettre Alphonse à Belley où je
+désire fort qu'il soit parce que le collège est tenu par les Pères de la
+Foi, institution à l'instar de celle des Jésuites, et où les principes
+sont excellents. Dieu me fasse la grâce que mon enfant soit
+chrétiennement élevé, je sacrifierai à cela toutes les sciences de ce
+monde; mais dans ce collège on réunit tout, excepté peut-être la
+perfection des arts d'agrément.»
+
+Ses renseignements pris, elle fit part de sa découverte à la famille et,
+le 18 septembre, obtenait son consentement. Le jour même le chevalier
+écrivit à Belley, un peu malgré son fils tout à l'espoir qu'on le
+garderait à Milly; l'idée d'être emprisonné à nouveau, et plus loin
+encore que Lyon, le chagrinait beaucoup et tout au plus se résignait-il
+à Cluny. La mère ébranlée commençait à hésiter; mais il était trop tard:
+François-Louis ne voulait pas de Cluny, et une réponse affirmative de
+Belley parvint à Milly le 25.
+
+Mme de Lamartine se décida alors à accompagner son fils. «Mon mari,
+dit-elle, ne se soucie pas de voyager et je serai bien aise de voir le
+lieu où mon enfant sera; il me semble que je sens moins vivement notre
+séparation lorsque je le conduis moi-même.» Ils se mirent en route le 24
+octobre pour arriver à Belley le 26 à deux heures de l'après-midi.
+
+Elle note le lendemain: «Mon voyage a été heureux et pas trop pénible;
+je n'ai pas pu écrire en route à cause d'Alphonse avec qui je causai et
+me promenai. Je viens de remettre ce cher enfant entre les mains des
+Pères de la Foi qui ont l'air de bien dignes gens. La maison est
+superbe, le pays est beau aussi; le chemin pour y arriver est fort
+extraordinaire: depuis Ambérieu l'on suit une gorge de montagne qui est
+vraiment curieuse. Ce matin j'ai été à la pension et j'ai été fort aise
+de voir Alphonse. Il m'a dit qu'il était content.»
+
+Après un bref séjour de quarante-huit heures, Mme de Lamartine reprit
+le chemin de Milly. La séparation n'avait pas été trop pénible, grâce à
+elle: «En passant une dernière fois devant la pension, dira-t-elle, j'ai
+vu les écoliers qui jouaient dans la cour. Je n'ai fait aucun signe à
+Alphonse qui ne s'est pas approché, heureusement.»
+
+
+
+
+CHAPITRE III
+
+LE COLLÈGE DE BELLEY
+
+
+Le collège de Belley où l'enfant fera les seules études régulières qu'on
+lui connaisse, et pendant quatre années seulement, avait été fondé au
+milieu du XVIIIe siècle par lettres patentes du 10 février 1753
+enregistrées en parlement de Dijon. Ses constructions furent achevées en
+1764 et l'évêque de Belley confia l'organisation des études à la
+congrégation des chanoines réguliers de Saint-Antoine.
+
+En 1790, ceux-ci furent remplacés par les Joséphistes et, jusqu'en 1792,
+l'établissement fut très florissant. À cette date, la plupart des pères
+refusèrent le serment à la constitution civile du clergé et le collège
+disparut. Il rouvrit en 1802 sous la direction des Pères de la Foi, qui
+rétablirent entièrement les locaux ruinés par la Révolution et ouvrirent
+leurs classes à la fin de janvier 1803. Comme le collège fut à nouveau
+fermé, et cette fois définitivement, au début de 1809, on voit que le
+séjour de Lamartine à Belley coïncide à peu de chose près avec son
+éphémère existence sous la direction des pères de la Foi.
+
+Dans son journal Mme de Lamartine nomme Belley, «un établissement à
+l'instar de ceux des Jésuites»; Lamartine, et après lui la plupart de
+ses biographes, ont simplifié en parlant seulement de Jésuites. C'est la
+mère qui a raison, puisqu'on sait que la Compagnie de Jésus ne fut
+rétablie qu'en 1814. Toutefois, si les Pères n'étaient pas
+officiellement des Jésuites, on les désignait en réalité sous ce nom,
+car leurs doctrines et leurs principes d'éducation étaient identiques à
+ceux de l'Ordre; la société des Pères de la Foi, fondée en 1799 en
+Autriche, était en effet le résultat d'une fusion entre deux filiales
+des Jésuites: celle du Sacré-Cœur de Jésus créée en 1778 et celle de la
+Foi de Jésus qui datait de 1797.
+
+La congrégation des Pères de la Foi profitant de l'apaisement qui
+commençait à renaître en France vint fonder en 1802 plusieurs maisons
+d'éducation entièrement conçues d'après les plans des anciens Jésuites,
+au nombre desquelles figurait le collège de Belley. Très protégé au
+début par le cardinal Fesch, oncle de Napoléon, ce ne fut pourtant qu'au
+prix de mille difficultés qu'il put prolonger son existence jusqu'au
+début de 1809, tant l'hostilité était alors générale contre
+l'enseignement des Jésuites et, finalement, Fouché obtint de l'Empereur
+un décret de dissolution.
+
+Au moment où Lamartine entrait à Belley, l'établissement était loin
+d'être à son apogée; il connut sa plus belle année en 1806, mais dès
+1803 une centaines d'élèves y fréquentaient, Italiens pour la plupart ou
+Français de Savoie et de Dauphiné.
+
+Lamartine a, paraît-il, laissé une description fidèle du collège et du
+décor magnifique de Belley[104] dont on verra plus loin l'indéniable
+suggestion sur sa pensée. Quant à ses maîtres, nous en sommes uniquement
+réduits à ses souvenirs pour connaître leurs noms et leurs fonctions.
+
+[Note 104: Dejey, _op. cit._]
+
+C'était d'abord le père Debrosses[105], supérieur, «qui n'était pas
+homme de premier mérite mais de première vertu»; le père
+Jenesseaux[106], économe de la maison, «vêtu moitié en religieux, moitié
+en mondain» et toujours en route «sur un cheval qui le portait dans tous
+les pays»; le père Varlet[107], qui cumulait, paraît-il, les fonctions
+de confesseur et de professeur de rhétorique, «savant homme de la nature
+des anciens moines»; le père Demouchel[108]; le père Wrindts[109],
+professeur de sciences, «enfant amoureux de Mirabeau, qui se
+nourrissait d'illusions tendres et féminines», mais dont Lamartine n'a
+pas dit ce qu'il enseignait.
+
+[Note 105: Robert Debrosses, né à Chatel (Ardennes) le 26 mars 1765,
+prêtre en 1798, mort à Laval en 1848.]
+
+[Note 106: Nicolas Jenesseaux (et non Génisseaux, comme l'a écrit
+Lamartine), né à Reims le 9 avril 1769, prêtre en 1795, mort à Paris en
+1842.]
+
+[Note 107: Jean-Pierre Varlet, né à Reims le 11 mars 1771, prêtre en
+1796, mort à Poitiers en 1854.]
+
+[Note 108: Étienne Demouchel, né à Montfort-l'Amaury le 10 juillet
+1772, prêtre en 1802, mort à Rome en 1840.]
+
+[Note 109: Jean-Pierre Wrindts, né à Anvers le 6 février 1781,
+prêtre en 1801, mort à Poitiers en 1852.]
+
+C'est surtout le père Béquet[110] qui fut le véritable professeur de
+Lamartine, puisque le jeune homme suivit ses cours de belles-lettres de
+1803 à la fin de 1807. Ici encore même absence de détails chez
+Lamartine: un portrait vague et un peu fade dont on ne peut tirer rien
+de bien précis: «Prêtre de bonne compagnie et d'estimable caractère,...
+regard fin et doux, parler gracieux;... ses corrections étaient celles
+d'une mère...»: Mais aucun de ces traits vivants et que l'on devine
+exacts par lesquels il peignait en peu de mots ceux qui jouèrent un rôle
+dans sa jeunesse, comme l'oncle de Montceau ou le bon M. de Valmont.
+C'est que la véritable influence de Belley ne fut pas celle de
+l'éducation qu'il y reçut: les Pères de la Foi ne vivaient pas dans sa
+mémoire comme personnalités, et leur souvenir se confondait en lui avec
+celui des heures d'extase religieuse et de quiétude qu'il connut au
+collège.
+
+[Note 110: Pierre Béquet, né à Paris le 9 janvier 1771, prêtre en
+1799, mort à Toulouse en 1849.]
+
+Lamartine entra à Belley le 27 octobre 1803 et en sortit définitivement,
+le 17 janvier 1808. Comme il soutint sa thèse de philosophie en
+septembre 1807, on peut en déduire qu'il débuta par la troisième
+(novembre 1803-septembre 1804), fit sa seconde de 1804 à 1805, et sa
+rhétorique de 1805 à 1806. Quant au premier trimestre de l'année
+scolaire 1807-1808, on ne sait trop ce qu'il devait y travailler:
+peut-être quelques études préparatoires de droit et de mathématiques.
+
+Il est difficile, dans les souvenirs de Lamartine sur Belley, de faire
+la part de l'imagination et celle de la réalité. Là, plus peut-être que
+partout ailleurs, on sent l'idéalisation constante des hommes, des lieux
+et des choses. Aucun détail sur ses classes, mais de curieuses
+généralisations sur son état d'âme et, pourrait-on dire, sur
+l'atmosphère de Belley; précieux document psychologique dont nous
+essayerons plus loin de fixer la valeur et la portée. Aussi les seules
+précisions que nous puissions rencontrer sur les études de Belley,
+puisque la _Correspondance_ ne commence qu'en 1806 et ne comprend
+d'ailleurs que quelques lettres de vacances, sont empruntées au _Journal
+intime_ où Mme de Lamartine a transcrit soigneusement les nouvelles
+et les bulletins.
+
+ * * * * *
+
+Les premiers temps furent pénibles et la mère n'enregistre guère que des
+doléances dont elle s'émeut. Visiblement l'enfant était dépaysé et cela
+tendrait peut-être à confirmer ce qu'il a raconté: les pères, paraît-il,
+«l'essayèrent» de classe en classe pour connaître sa véritable force;
+mais il était difficile de le mesurer au juste, «la raison était
+précoce, l'attention inégale». Finalement on le fixa en troisième,
+«cette classe indécise où l'on peut être encore un enfant dans l'étude
+des langues et un homme de goût dans la rhétorique».
+
+Il ne semble, d'ailleurs, pas qu'il ait fait grand chose de bon cette
+année-là. Au début de mai, il entra à l'infirmerie avec une forte
+fièvre, puis ce furent des maux de tête qui d'après les pères arrêtèrent
+ses études et les inquiétèrent même un moment. À la fin d'août, la
+pauvre mère n'y tint plus et partit pour Belley chercher son fils. «J'ai
+revu mon Alphonse, écrit-elle; il était dans la cour du collège quand je
+suis arrivé; il a été fort saisi en me voyant et est demeuré si pâle que
+cela m'a bien inquiétée.» Sa santé était toujours mauvaise; une
+croissance trop rapide l'avait beaucoup affaibli et ses douleurs de tête
+étaient encore violentes.
+
+La veille du départ, elle assista à la distribution des prix, le cœur un
+peu gros, car son fils n'eut que deux accessits; elle se consola pendant
+la petite comédie qui termina la cérémonie, où il joua le rôle d'un
+avocat, dont il se tira «fort bien». Puis elle causa avec ses
+professeurs, et le résultat de cette conversation fut «tout à fait
+satisfaisant»; on reprochait à l'enfant un peu de légèreté, mais tous
+l'aimaient, et l'on était «assez content» de ses études.
+
+Le 6 septembre, tous deux quittèrent Belley après un dîner très gai à
+l'auberge en compagnie de deux amis que Mme de Lamartine ne nomme
+point, mais qui doivent être Virieu et Guichard[111]. Le 18, ils
+étaient à Saint-Point où les vacances s'écoulèrent paisiblement avec
+l'abbé Dumont et M. de Vaudran, venus s'y établir pour la chasse.
+L'oncle gronda bien un peu devant les flâneries et l'indolence du neveu,
+mais la mère objecta que les vacances seraient courtes et qu'il lui
+fallait ménager sa santé. Le 7 octobre, il quitta Mâcon avec son
+camarade Corcelette et le 10 se retrouvait à Belley.
+
+[Note 111: Aymon de Virieu, Prosper Guichard de Bienassis et Louis
+de Vignet seront l'objet d'un chapitre spécial dans notre second volume
+sur la jeunesse de Lamartine qui comprendra les années 1813-1820.]
+
+Deux jours après parvenait à Milly le premier bulletin que Mme de
+Lamartine a résumé ainsi: «Il en résulte que la nature, ou plutôt la
+Providence, a tout fait pour lui, mais qu'il ne répond pas comme il
+devrait à tous ses bienfaits: il est dissipé, paresseux; mais je ne veux
+pas transcrire ici ce bulletin. Je le garde pour qu'il le voie quand il
+sera grand.»
+
+L'année de seconde ne fut guère meilleure, car ses études se
+ressentirent souvent d'une maladie nerveuse dont les pères ne savaient
+que penser; au début d'août ils conseillèrent même à sa famille de le
+rappeler avant les vacances, qu'il passa d'ailleurs presque entièrement
+au lit. Le 6 novembre, enfin, un peu remonté, il regagna le collège.
+
+Les premières nouvelles de 1806--l'année de rhétorique--ne furent pas
+plus fameuses: en février, le père Béquet écrivit qu'il était «fort peu
+sage et appliqué depuis les vacances» et qu'elles lui avaient fait
+beaucoup de tort. Le second trimestre fut meilleur: l'on est plus
+content de lui, note Mme de Lamartine; il a paru avec succès aux
+exercices de Pâques et il a eu un témoignage de diligence et un accessit
+de distinction; et, continuant de mériter les éloges qu'on lui
+décernait, il arriva à Mâcon le 17 septembre, chargé de prix:
+amplification française, amplification latine, vers latins, second prix
+de version latine, et celui dont la mère est peut-être la plus heureuse,
+le prix de sagesse «d'après le jugement de ses maîtres et l'approbation
+de ses condisciples[112]». Sa santé aussi était excellente: «Il est plus
+grand que moi de deux pouces, écrit la mère, quoiqu'un peu maigre, mais
+pas du tout à inquiéter, il est fort, le teint est bon et il a fait de
+grands progrès dans la vertu. C'est d'ailleurs un enfant charmant,
+conclut-elle ingénument transportée; il est malgré cela fort modeste et
+ce qui me fait le plus de plaisir c'est qu'il paraît avoir beaucoup de
+piété.»
+
+[Note 112: Cf. également abbé Rochet (_op. cit._, p. 208-209), où
+l'on trouve le détail du palmarès.]
+
+Les vacances s'écoulèrent à Milly, et à Pérone chez la tante du Villard,
+à Montceau chez l'oncle terrible. Le 4 novembre il abandonna ses douces
+rêveries et arriva à Belley le 7, après s'être arrêté vingt-quatre
+heures à Lyon chez sa tante de Roquemont[113].
+
+[Note 113: C'est au cours du mois d'octobre 1806 qu'il faut placer
+l'épisode de Lucy L. sur lequel Lamartine s'est longuement étendu dans
+les _Confidences_. La vérité semble extrêmement plus simple que son
+romanesque récit; elle a été très heureusement rétablie par M. De Riaz,
+membre de l'Académie de Mâcon, dont le travail vient d'être publié dans
+le dernier volume des Annales de cette société. M. De Riaz, au prix
+d'une incroyable patience et de minutieuses investigations, est parvenu,
+en s'aidant des rares précisions du texte de Lamartine, à établir que le
+manoir décrit par le poète n'était autre que le château de Byonne, situé
+à deux kilomètres de Milly. Or, de 1800 à 1820, une seule jeune fille y
+habita, dont ni le prénom ni le nom ne se rapprochent de ceux donnés par
+Lamartine, puisqu'elle s'appelait Élisa de Villeneuve d'Ansouis; bien
+mieux, c'était une enfant qui mourut en 1807 à l'âge de treize ans;
+comme l'unique séjour qu'elle fit à Byonne se place pendant l'automne de
+1806, M. de Riaz en a conclu avec vraisemblance qu'elle fut la première
+héroïne de Lamartine.
+
+On voit par là avec quelle précaution il faut utiliser les souvenirs de
+Lamartine, et ce qu'il faut penser en particulier des trente pages qu'il
+a consacrées à la pseudo-Lucy L. et à leurs conversations littéraires
+dont Ossian, paraît-il, faisait le fonds. Quant aux vers _ossianesques_
+qu'il lui adressa et qu'il a datés, dans les _Confidences_ de Milly: «16
+décembre 1805», il est impossible d'admettre qu'ils aient été composés
+en l'honneur de la petite fille. Il est d'abord évident qu'ils sont
+post-datés, puisqu'en décembre 1805 Lamartine était à Belley et non à
+Milly. De plus, il ressort d'une lettre de la _Correspondance_--lettre
+douteuse, il est vrai, puisqu'elle ne porte point de date bien qu'elle
+figure à la fin de l'année 1808--que Lamartine connut Ossian beaucoup
+plus tard. Enfin, ils sont d'une facture qui permet à notre avis de
+fixer leur composition à 1810-1811. Il nous paraît probable qu'au moment
+où Lamartine écrivit les _Confidences_ il retrouva cette pièce parmi ses
+papiers et, soit défaut de mémoire, soit désir de grossir l'épisode
+assez mince de Lucy L., il l'intercala dans son récit, en assignant à
+ces vers une date qui correspondait approximativement avec le fonds de
+l'anecdote; puis, pour mettre le tout en valeur, il laissa rêver sa
+délicieuse imagination et broda autour de Lucy L. un commentaire
+_ossianesque_ où l'on voit cette enfant de douze ans agitant le soir une
+écharpe de soie blanche à la fenêtre de sa tour, et sachant «par cœur»
+tous les poètes.]
+
+Les classes de philosophie furent satisfaisantes, et sa nature
+entièrement assouplie s'accommoda merveilleusement de l'enseignement des
+pères; en février ceux-ci soulignaient sa maturité précoce et sa douceur
+en même temps que leur excellent résultat au point de vue des études: en
+récompense, ils le nommèrent bibliothécaire du collège. Mme de
+Lamartine s'en réjouit car, dit-elle, «cela l'occupe utilement et c'est
+une marque de confiance».
+
+Nous avons quelques détails sur l'enseignement du père Wrindts, qui
+professait la philosophie au collège de Belley: en effet, son cours,
+copié alors par un condisciple de Lamartine, Jules Jenin, existe encore
+aujourd'hui, et le chanoine Dejey et l'abbé Rochet, qui ont pu le
+parcourir, l'analysent ainsi: «Sa rédaction faite en latin, écrit M.
+Rochet, est d'un style sobre et élégant; on voit que le père Wrindts
+s'est inspiré de l'enseignement que donnaient les Pères Jésuites au
+XVIIIe siècle; les nouveautés de la philosophie cartésienne en sont
+écartées et au besoin réfutées. Sur la question du concours divin, le
+professeur, conformément à l'opinion généralement suivie dans la
+compagnie de Jésus, prend parti pour le système de Molina et combat le
+_bannesianisme_. Au sortir de la Révolution, il était urgent de
+combattre les théories sociales de Rousseau: elles sont l'objet, dans
+l'éthique, d'une vigoureuse réfutation.»
+
+De son côté, M. Dejey s'exprime ainsi:
+
+«Dans les cahiers de M. Jules Jenin, il manque une partie du cours,
+celle où il était question de la logique formelle et des règles de la
+méthode. Les fondements de la certitude et la légitimité des moyens de
+la connaissance sont seuls traités dans la partie conservée par la
+famille Jenin. Bien que les cahiers du père Wrindts ne soient qu'un
+résumé précis, exact, écrit pour les élèves et mis à leur portée, les
+principales questions de la philosophie s'y trouvent exposées avec une
+grande hauteur de vue et une parfaite mesure. Attaché aux principes
+supérieurs de la doctrine, le professeur suit les grandes lignes de la
+philosophie spiritualiste. Il observe la plus sage prudence vis-à-vis
+des nouveautés mal établies et peu conformes à la nature humaine, se
+tenant à une égale distance des propositions hasardeuses de l'école
+cartésienne et des théories sensualistes de Locke et de Condillac. Sur
+l'accord du libre arbitre avec la grâce, le père Wrindts se conforme à
+l'opinion communément admise dans la compagnie de Jésus: il se prononce
+pour le système de Molina. Les théories sociales de Rousseau y sont
+vigoureusement réfutées.»
+
+Nous avons cité ces deux fragments faute d'avoir pu prendre nous-même
+connaissance des cahiers; ils ont l'avantage de concorder entièrement
+entre eux et d'apporter ainsi la preuve que l'enseignement
+philosophique de Belley était fondé sur les doctrines molinistes; quant
+à la réfutation de Rousseau, elle n'eut sans doute pas d'autre résultat
+que d'éveiller au contraire la curiosité de l'enfant: quelques mois plus
+tard, à Bienassis, il dévorait _le Contrat social_ et _la Nouvelle
+Héloïse_.
+
+Le 7 septembre 1807, Lamartine soutint avec succès sa thèse de
+philosophie; le 16, il arriva à Mâcon, ayant fait, à l'en croire, la
+moitié du chemin à pied, son baluchon sur le dos et chantant «comme un
+troubadour[114]». Le même jour, parvenait à Milly le bulletin scolaire
+que Mme de Lamartine a transcrit ainsi:
+
+«Beaucoup de choses qu'on y dit me font grand plaisir, et plusieurs
+autres m'effrayent infiniment. Je n'espère qu'en Dieu pour sauver ce
+cher enfant de tous les périls dont sa jeunesse va être entourée. On
+loue son esprit, sa facilité d'apprendre, son imagination, mais en même
+temps l'on se plaint de sa légèreté, de son extrême répugnance à une
+application sérieuse, et de son goût pour le plaisir. L'on ajoute que la
+religion qu'il aime, qu'il estime et qu'il pratique le fait vaincre ses
+dangereux ennemis, mais que, si elle venait à s'affaiblir dans son cœur,
+rien ne pourrait le préserver de la corruption.»
+
+[Note 114: _C._, I, p. 4, du 27 sept. 1807.]
+
+Ainsi, dès l'âge de dix-sept ans, les traits principaux du caractère que
+nous connaîtrons plus tard à Lamartine: imagination, mangue d'esprit de
+suite, goût du plaisir et mobilité extrême des sentiments, sont
+nettement indiqués par ses professeurs.
+
+Son premier mot, au retour du collège, fut pour supplier sa mère
+d'obtenir qu'on le gardât définitivement à Milly, puisque ses classes
+étaient terminées; comme il était «extrêmement grand, mais très maigre»,
+Mme de Lamartine, qui redoutait pour son fils le surmenage, se laissa
+presque ébranler. Elle se heurta au refus formel du père et surtout de
+l'oncle, dit-elle, qui tenaient beaucoup à le voir commencer l'étude des
+sciences. Il s'en consola avec assez de philosophie, dans ses lettres à
+Guichard, repoussant d'ailleurs autant qu'il le pouvait «toutes ces
+idées de collège pendant les vacances[115]».
+
+Après un repos d'un mois à Milly, à Saint-Point, à Pérone chez la tante
+de Villard où on lut chaque jour en famille, d'après lui, «une ou deux
+comédies et autant de tragédies», après les promenades à cheval, la
+chasse, la lecture, la musique et le dessin qui lui firent passer le
+temps «fort tranquillement», il quitta Milly le 22 octobre, et regagna
+Belley en passant par Lyon où il s'arrêta quelques jours.
+
+[Note 115: _C._, I, p. 8, du 3 oct. 1807.]
+
+À cette date, Mme de Lamartine a noté qu'il commençait ses travaux de
+l'année avec répugnance et découragement. La suite des événements
+prouve qu'il repartait pour Belley malgré lui et très décidé à n'y plus
+rester longtemps. Dès son retour, ce furent de ces lettres éplorées dont
+il avait le secret et qui lui réussissaient toujours auprès de sa mère.
+À la fin de décembre, les fameux maux de tête dont il savait si bien
+jouer l'accablèrent à nouveau; à la mi-janvier 1808, ils devinrent
+«intolérables», écrit Mme de Lamartine, et il se hasarda à demander
+la permission du retour «au moins pour quelque temps». Ce qu'il ne
+disait pas mais qu'on devine bien qu'il pensait, c'est qu'une fois à
+Mâcon il saurait toujours s'arranger.
+
+La mère, «bien inquiète de tout cela», s'en fut comme d'habitude
+implorer l'oncle terrible; celui-ci--était-ce un hasard?--venait de
+recevoir à point une lettre charmante du neveu; il déclara à sa
+belle-sœur qu'il commençait à aimer beaucoup le jeune homme et se laissa
+fléchir. Aussitôt elle lui fit parvenir elle-même l'heureuse nouvelle,
+mais exigea qu'il passât par Lyon où Mme de Roquemont, prévenue, lui
+ferait consulter un bon médecin. Celui-ci, qui l'examina le 26 janvier,
+ne lui découvrit naturellement rien de grave et diagnostiqua un peu de
+surmenage intellectuel: il ordonna des bains de jambes, du lait d'ânesse
+au printemps, «un régime doux et peu d'études applicantes»; à tout
+prendre c'était pour le jeune malade un agréable traitement.
+
+Lors de son arrivée à Mâcon, le 20 janvier[116], Mme de Lamartine
+devina bien sa petit ruse en constatant au contraire qu'il n'était pas
+du tout changé et même moins maigre qu'à l'automne. Au fond, elle fut si
+heureuse de l'avoir auprès d'elle qu'elle n'en laissa rien voir;
+d'ailleurs il avait «l'air fort doux et fort sage», et c'était tout
+naturel puisqu'il avait quelque chose à obtenir. Habilement, profitant
+des bonnes dispositions de l'oncle adouci par sa conduite, il enleva
+l'affaire en trois jours et s'installa à Mâcon pour la fin de l'hiver,
+ayant obtenu, le 15 février, la promesse formelle qu'il ne retournerait
+plus à Belley.
+
+[Note 116: Nous donnons cette date d'après le _Journal intime_, bien
+qu'on trouve dans la _Correspondance_ trois lettres, datées de Mâcon 4
+et 10 janvier, et de Lyon 30 janvier; elles furent réellement écrites à
+ces dates, mais en 1809. En effet, Lamartine parle dans l'une d'elles de
+la conscription qui retarde son voyage à Lyon; or, nous savons, toujours
+par le _Journal intime_, qu'il tira au sort le 23 janvier 1809. De plus
+on rencontre dans la lettre du 10 janvier un fragment poétique qui fut
+adressé à Virieu et n'est ici que recopié pour Guichard; comme ce
+morceau fut composé à la fin de 1808, ainsi que nous l'apprend une
+lettre de décembre de la même année à Virieu, il devient évident que la
+copie en fut faite en janvier 1809 et non 1808.]
+
+Sa mère regretta bien qu'il ne terminât pas cette année d'études,
+d'autant qu'elle était maintenant envahie par d'autres craintes, celles
+de le voir livré à lui-même «dans ce temps de dissipation». Mais comme
+il continuait d'être charmant pour elle et plein de bonnes dispositions,
+elle oublia vite toutes ses inquiétudes.
+
+Telles furent les années scolaires de Lamartine; après 1808, l'influence
+des Pères de la Foi, qui parvinrent à assouplir cette jeune âme rebelle,
+ira s'effaçant peu à peu, et le vagabondage d'esprit remplacera l'ordre
+et l'austérité morale de Belley: réaction normale et qui s'explique
+aisément puisque les tendances signalées par les maîtres et réprimées
+par eux vont se développer dans l'oisiveté. Ces courtes études
+classiques--les seules, il ne faut pas l'oublier, que fera jamais
+Lamartine--furent somme toute médiocres et ne dépassèrent pas la
+banalité courante de l'époque.
+
+Pourtant l'influence de Belley fut profonde et décisive sur le
+développement de Lamartine, mais elle s'exerça par des côtés qui n'ont
+rien de scolaire. En effet, si les _Méditations_ ont leurs sources
+littéraires, de courants très divers, dans la période qui s'étend de
+1808 à 1817, deux de leurs sources morales, pourrait-on dire, datent du
+collège de Belley: et ce sont les plus originales de l'œuvre, celles
+qui, d'après la critique du temps, fixèrent les conditions de la
+rénovation poétique: poésie religieuse et sentiment sincère de la
+nature.
+
+C'est à Belley que les germes laissés par la première éducation
+maternelle s'épanouirent complètement, aidés par un élément qu'il n'a
+pas manqué de souligner lui-même et qui a toute son importance chez une
+âme sensible et imaginative comme la sienne: celui du _décor_ de la
+religion.
+
+Ce ne sont plus à Belley les cloches paysannes de Saint-Point et de
+Milly, ni les humbles et brèves cérémonies des églises de campagne dont
+il ne goûtera qu'infiniment plus tard le charme et la poésie: au début,
+ce qui frappa d'abord le petit villageois étonné qu'il était, ce fut
+l'écrasante splendeur de la religion catholique et, comme il l'a dit,
+«les cérémonies prolongées, répétées, _rendues plus attrayantes_ par la
+parure des autels, la magnificence des costumes, les chants, l'encens,
+les fleurs, la musique», et nous savons que l'évêque de Belley officia
+souvent dans la chapelle, que le cardinal Fesch, protecteur du collège,
+vint deux fois, avec un imposant et magnifique cortège de prélats.
+
+Qu'on ajoute à cela le cadre naturel de Belley, ses forêts, ses rocs,
+ses torrents, et où les Pères de la Foi proclament la grandeur de Dieu
+sans jamais perdre une occasion de frapper l'âme par les yeux, et l'on
+comprendra ces heures de contemplation et de vertige moral où s'abîma
+l'enfant et dont la description faite cinquante ans plus tard confine
+presque à l'extase mystique[117].
+
+[Note 117: _Souvenirs et Portraits_, 1, p. 69-72.]
+
+Ainsi, au moment de la crise de l'adolescence, à l'âge où les
+impressions nouvelles sont décisives, Lamartine se trouvait en pleine
+atmosphère religieuse, dirigé par des hommes qui ramènent à Dieu tous
+les actes et toutes les pensées; il conservera l'empreinte ineffaçable
+de cette piété sincère et profonde, qu'affaibliront un instant ses
+premières crises morales.
+
+Si nous n'avions sur ce point que son seul témoignage, peut-être
+pourrait-on le mettre en doute et n'y voir que des souvenirs
+littéraires, bien que chez lui les choses vécues ou senties aient des
+accents qui ne trompent pas. Déjà on en trouve un écho dans une lettre à
+Virieu où il rappelle, peu de mois après son départ de Belley, «cette
+pierre où nous allions prier Dieu trois ou quatre fois par jour[118]»,
+mais sa mère, surtout, nous donne d'autres détails.
+
+[Note 118: _C._, I, p. 63, du 12 nov. 1808.]
+
+Outre les bulletins qui mentionnent, on l'a vu, sa grande piété, elle
+note avec joie pendant les vacances de 1806 que son fils lui donne «de
+nouvelles consolations, et se porte de lui-même à ses pieux exercices»;
+qu'en septembre 1807, au retour à Milly, il demande la permission de
+passer par Lyon «pour prier à Fourvières», que chaque jour il écoute
+avec recueillement les lectures pieuses que sa vivacité supportait mal
+autrefois, et, enfin, elle rapporte cette anecdote qu'il faut citer
+parce qu'elle est caractéristique chez un jeune homme de dix sept ans
+dont la timidité s'effarouche facilement.
+
+«Avant-hier, écrit-elle le dimanche 8 octobre 1807, Alphonse eut une
+petite épreuve, dont il se tira fort bien. En passant à Igé, je
+l'envoyai faire une visite à M. d'Igé et on voulut absolument qu'il
+restât à dîner. Il y avait plusieurs hommes qui tous faisaient gras,
+mais point de maigre au premier service; Alphonse, sans respect humain,
+dit que sa santé ne l'obligeait pas à faire gras et on lui fit une
+omelette...»
+
+On pourrait multiplier ces exemples et confirmer ainsi d'un commentaire
+précis les pages où Lamartine a rappelé ses ferveurs de seize ans. On
+peut y voir la meilleure preuve d'une empreinte très affaiblie sans
+doute pendant les années 1809-1817, mais dont on retrouve trace à tous
+les grands moments de son existence.
+
+À Belley, Lamartine comprit par lui-même la religion qu'il avait connue
+par les autres, et ce fut là le véritable enseignement de ses années de
+collège. Sa culture intellectuelle ne date que du jour ou il fut libre
+d'organiser sa vie à son gré.
+
+ * * * * *
+
+Peut-être même faut-il aller plus loin encore: les premiers essais
+poétiques de Lamartine datent de Belley ou tout au moins de l'année qui
+suivit son départ, et nous possédons trois de ces pièces: _le Chant du
+rossignol_, le _Cantique sur le torrent de Thoys_, les _Adieux au
+collège de Belley_[119]. À comparer ces morceaux aux pièces légères
+qu'il rima de 1808 à 1816, on s'aperçoit qu'ils sont si différents
+d'inspiration, et tellement proches au contraire des _Méditations_,
+qu'il est permis de se demander si ces fameuses années de fièvre
+littéraire dont l'influence sur la forme de son œuvre est incontestable
+n'ont pas détourné pendant huit ans un courant poétique déjà très net en
+1807.
+
+[Note 119: Les _Adieux au collège de Belley_ ont paru pour la
+première fois dans l'_Almanach des Muses_ de 1821; les deux autres
+pièces ont été recueillies par lui dans ses Œuvres (édition de
+l'auteur), après avoir été publiées dans le Cours de littérature; les
+_Adieux_ figurent aujourd'hui à la suite des _Méditations_, mais on ne
+trouve le _Rossignol_ et le _Cantique_ que dans les _Souvenirs et
+Portraits_, t. I, chap. III: «Comment je suis devenu poète».]
+
+Certes la forme de ces trois poèmes est loin d'être parfaite, mais ils
+appartiennent à la même source que les grandes _Méditations_ religieuses
+de 1819. Ce sont déjà les images larges et simples, l'accent personnel
+et profondément sincère qu'il ne retrouvera que bien plus tard; même,
+dans le _Cantique sur le torrent de Thoys_, apparaît à dix ans de
+distance la formule unique de sa poésie: la grandeur de l'homme
+supérieur à tout ce qui l'environne, parce qu'il connaît l'origine
+divine des choses. Et cette idée qu'on pourrait croire empruntée à
+Young, il est curieux de constater que Lamartine la présente sous une
+forme poétique à une époque où il ignore encore jusqu'au nom d'Young.
+
+Lui-même, d'ailleurs, se rendit compte, avec son goût très sûr, que ces
+trois essais étaient ses premières _Méditations_: en 1821, il publia les
+_Adieux au collège de Belley_, et alors qu'il brûlait sans regret tous
+les vers de sa jeunesse, dont la _Correspondance_ ne contient que
+quelques fragments, il conserva le _Chant du Rossignol_ et le _Cantique
+sur le torrent de Thoys_, qu'il publia de son vivant.
+
+Plus tard, Lamartine a rapporté ce début littéraire en le plaçant sous
+l'invocation de Chateaubriand[120]; c'est en effet à Belley, mais à une
+date malheureusement difficile à préciser, tant ses souvenirs sur ce
+point sont confus et contradictoires, qu'il pénétra dans le monde
+immense et nouveau que fut pour lui _le Génie du Christianisme_, et ce
+premier contact eut une telle influence sur sa pensée qu'il mérite mieux
+ici qu'une simple mention.
+
+[Note 120: Cf. _Souvenirs et Portraits_, I: «Comment je suis devenu
+poète», et II: «Chateaubriand».]
+
+«Lorsque parut _le Génie du Christianisme_, a-t-il dit, j'étais au
+collège chez les Jésuites... Tout en élaguant très prudemment du livre
+les parties romanesques ou passionnées,... ils le laissèrent circuler à
+demi-dose dans leur collège. Un abrégé en deux volumes, épuré d'_Atala_,
+de _René_, et plusieurs autres chapitres trop remuants pour des âmes
+déjà émues, fut mis par eux entre les mains de leurs maîtres d'études. À
+titre de professeur de belles-lettres, le père Béquet posséda le premier
+exemplaire. Il était trop ravi pour renfermer en lui-même son ivresse et
+trop communicatif pour ne pas nous associer à son bonheur.» Suit le
+récit de cette lecture faite en classe «un beau jour de printemps».
+
+Ces affirmations, en apparence si précises, sont en réalité
+inconciliables entre elles; toutefois, en écartant ce qu'elles ont de
+nettement inexact et en serrant quelque peu le texte, il est possible
+d'aboutir à une hypothèse vraisemblable.
+
+En premier lieu, le _Génie_ parut en 1802, époque à laquelle Lamartine
+n'était pas encore à Belley, mais à l'institution Puppier, où une
+lecture de Chateaubriand faite par les deux vieilles filles à des
+enfants de douze ans est absolument inadmissible. Il reste donc à
+examiner maintenant si cette lecture peut se placer soit en famille
+pendant les vacances, soit à Belley, comme il l'a dit.
+
+Or, Mme de Lamartine eut pour la première fois l'œuvre entre les
+mains le 19 juillet 1803, jour où elle a noté dans son journal: «Je lis
+un ouvrage que je trouve excellent et qui me fait grand plaisir: c'est
+_le Génie du Christianisme_, par M. de Chateaubriand; je crois que cet
+ouvrage est propre à faire beaucoup de bien, et j'en trouve le style
+charmant». Mais, à mesure que la lecture s'avance, les impressions
+changent, et elle écrit le 29 juillet: «J'ai achevé le troisième volume
+de _l'Esprit du Christianisme (sic)_, j'ai relu l'épisode d'Atala, je le
+trouve trop passionné; je crois que cela pourrait échauffer la tête des
+jeunes gens et, en tout, cet ouvrage qui est cependant très bon me
+paraît un peu trop propre à exalter l'imagination».
+
+De ceci, il résulte que Lamartine n'a pas lu Chateaubriand pendant les
+vacances qu'il passa à Milly de 1804 à 1807, et pour deux motifs: le
+premier est que sa mère redoutait l'influence de l'ouvrage sur une
+jeune tête comme la sienne; l'autre, qu'il était encore incapable à
+cette époque de faire la moindre lecture en cachette de sa famille.
+Ainsi, l'hypothèse de Belley reste la seule acceptable. Il reste à
+examiner maintenant, d'après les détails qu'il a donnés, s'il est
+possible que le père Béquet ait lu en classe, à une époque à déterminer,
+des fragments du _Génie_.
+
+Il a parlé, on l'a vu, de deux volumes épurés; la première édition
+abrégée de Chateaubriand est bien en deux volumes, mais elle est de
+1808, année où il avait quitté Belley. Est-ce alors à Milly qu'il l'a
+lu, au retour du collège? pas davantage, car il n'eût pas manqué d'en
+faire part avec enthousiasme par de belles lettres à Virieu ou à
+Guichard. Or, la _Correspondance_, qui commence à l'automne de 1807, est
+absolument muette sur Chateaubriand: d'où il faut conclure que les amis
+s'étaient déjà tout dit sur ce sujet et n'avaient plus à y revenir.
+Ainsi, si le détail inexact des deux volumes épurés doit être écarté,
+l'hypothèse de Belley se confirme davantage.
+
+Mais le père Béquet fut le professeur de Lamartine de 1803 à 1806
+inclusivement, et c'est donc au cours de l'une de ces trois années que
+dut être faite la lecture de Chateaubriand, et comme en 1806 Lamartine
+était en rhétorique et très près de ses seize ans, il paraît infiniment
+probable que cette dernière date est la vraie. Au début de l'année
+suivante il était nommé bibliothécaire du collège et avait ainsi toutes
+facilités d'approfondir une découverte qui le laissait extasié.
+
+Il est possible de s'imaginer, même aujourd'hui, l'impression causée par
+le _Génie_ sur la jeune génération d'alors: traitant son propre cas,
+Lamartine l'a exposée avec beaucoup de chaleur et nombre de restrictions
+dont les motifs sont bien postérieurs à cette première lecture: la
+froideur que Chateaubriand montra toujours au disciple dont la gloire
+balançait la sienne, des divergences d'opinions politiques, firent qu'il
+atténua en partie ce jugement par des considérations générales assez
+vives[121]; mais il voulut bien convenir que Chateaubriand fut «une des
+mains puissantes» qui lui ouvrirent, dès l'enfance, les grands horizons
+de la poésie moderne.
+
+[Note 121: Cf. _Souvenirs et Portraits_, t. I: «Comment Je suis
+devenu poète»; t. II: «Chateaubriand».]
+
+Après cette lecture la curiosité intellectuelle de Lamartine s'éveilla,
+et le _Génie_ devint pour lui une vaste encyclopédie où il puisa des
+notions vagues des littératures qu'il ignorait: Chateaubriand touchait à
+tous les sujets, à tous les genres, à tous les hommes; de là à courir
+aux sources, il n'y avait qu'un pas, et c'est ce que fit Lamartine. Il y
+a plus encore: est-il possible en effet de méconnaître les curieuses
+ressemblances qui existent entre l'inquiète jeunesse de René et celle de
+Lamartine? Comme René, il est «tour à tour bruyant et joyeux, silencieux
+et triste, abandonnant soudain ses camarades, pour aller s'asseoir à
+l'écart et contempler la nue fugitive ou entendre la pluie sur le
+feuillage[122]»; son âme, comme celle de René «qu'aucune passion n'a
+encore usée», cherche un objet qui puisse l'attacher et s'aperçoit
+bientôt qu'elle donne plus qu'elle ne reçoit; comme René, la solitude
+absolue, le spectacle de la nature le plongent dans un état impossible à
+décrire» et la «surabondance de vie», les «grandes lassitudes» de René,
+Lamartine les éprouve à chaque instant. Le chapitre du _Génie_ intitulé:
+«Du Vague des passions» n'aura jamais de meilleur commentaire que
+certaines lettres à Virieu: «Plus les peuples avancent en civilisation,
+dit Chateaubriand, plus cet état du vague des passions augmente, car le
+grand nombre d'exemples qu'on a sous les yeux, la multitude des livres
+qui traitent de ces sentiments rendent habile sans expérience. On est
+détrompé sans avoir joui; il reste encore des désirs, et l'on n'a plus
+d'illusions. L'imagination est riche, abondante et merveilleuse,
+l'existence pauvre, sèche et désenchantée; on habite avec un cœur plein
+un monde vide et, sans avoir usé de rien, on est désabusé de tout[123].»
+Dans ces lignes qui résument avec une telle précision son état d'âme
+habituel Lamartine retrouvait les sentiments confus qui l'animaient et
+c'était plus qu'il n'en fallait pour l'enthousiasmer.
+
+[Note 122: Cf. _Chateaubriand, Œuvres_, t. II (éd. Garnier, Paris,
+1859), p. 82.]
+
+[Note 123: _Id., ibid._, t. I, p. 218.]
+
+Ainsi, on trouve dans Chateaubriand l'âme même de Lamartine; non pas
+froidement analysée, mais mélancoliquement décrite et dans ses moindres
+nuances, avec le vague et la langueur qu'il aimait. L'adolescent
+mystique de Belley, enclin déjà à la rêverie et à la solitude, fut dès
+la première lecture soumis à l'irrésistible attrait de cette prose
+harmonieuse, et dominé toute sa vie par ce grand souvenir. Beaucoup de
+ses poèmes ne sont que du Chateaubriand mis en vers, et ce ne fut pas
+une des moindres causes de son succès. Et plus il avance en âge, plus
+l'empreinte devient saisissante: visible déjà dans les _Méditations_,
+elle s'affirme dans les _Harmonies_, pour s'épanouir dans le _Voyage en
+Orient_ et certains morceaux de _Jocelyn_ ou de _la Chute d'un ange_.
+
+Qu'est-ce, après tout, que l'épopée conçue par Lamartine et dont nous
+possédons le plan et quelques fragments, sinon un gigantesque et
+poétique _Génie du Christianisme_, dont _Jocelyn_ aurait été le René,
+_la Chute d'un ange_ l'Atala et dont _les Pêcheurs_, _les Chevaliers_,
+_les Patriarches_ devaient être le développement de certains morceaux?
+
+Quant aux réminiscences de Chateaubriand, trop directes pour être
+douteuses, elles sont innombrables dans son œuvre et mériteraient une
+étude spéciale[124]. Mais Lamartine, avec le goût parfait qu'il
+apportait dans ses enthousiasmes littéraires, se garda de tomber dans la
+pompe et le Merveilleux chrétien de Chateaubriand; les Martyrs lui
+déplurent[125]; le Génie des Rêveries, les Anges de la lassitude, du
+matin, du mystère, du temps et de la mort le choquèrent. De
+Chateaubriand il ne conserva que les grandes images, la poésie
+mélancolique et simple des choses qui passèrent sans effort dans sa
+poésie avec le rythme et les nuances de la prose originale.
+
+[Note 124: La plupart ont été déjà signalées par M. Zyromski dans sa
+thèse sur _Lamartine poète lyrique_ (1897).]
+
+[Note 125: _C._, I, p. 111, du 12 mars 1809.]
+
+
+
+
+QUATRIÈME PARTIE
+
+LA FORMATION DE LA PERSONNALITÉ
+
+
+
+
+CHAPITRE I
+
+LA VIE SOLITAIRE[126]
+
+
+Au moment où il quittait le collège de Belley, Lamartine venait d'avoir
+dix-sept ans. Ses projets, qu'il formulait alors très nettement, étaient
+de trouver une situation[127]; mais les préjugés du temps et de son
+milieu ne lui toléraient guère que deux carrières: l'armée et la
+diplomatie.
+
+[Note 126: Sources et bibliographie de la quatrième partie: _Journal
+intime_ (passim).--_Correspondance_ (t. I).--_«Carnet de voyage de
+Lamartine»_ (publié par M. R. Doumie), _Correspondant_ du 25 juillet
+1008.--Nous devons à l'obligeance de M. Duréault d'avoir pris
+connaissance de l'important dossier qu'il a réuni sur Henriette Pommier,
+et d'une curieuse étude, lue par lui en séance publique à l'Académie de
+Mâcon et qui doit être publiée prochainement. Nous lui avons emprunté
+toute la documentation du chapitre III.
+
+Une fois de plus, nous avons à déplorer le classement défectueux de la
+_Correspondance_ et il serait à souhaiter qu'une main autorisée donnât
+promptement une édition complète et vérifiée de cet inestimable
+document; grâce au _Journal intime_, pourtant, nous avons pu rétablir à
+leur véritable date des lettres arbitrairement ou mal datées par
+l'éditeur, une dizaine environ, pour les années 1807-1813.]
+
+[Note 127: _C._, I, p. 23, du 22 février 1808.]
+
+La diplomatie, dont le côté mondain et la vie facile séduisaient
+peut-être sa jeune imagination, le tentait beaucoup; mais les siens,
+très sagement, ne l'y poussaient pas: à son âge, sans relations, sans
+éducation solide, c'eût été manque de raison. Pour le métier militaire,
+malgré les traditions de ses pères et malgré ce qu'il en a dit, il
+semble l'avoir eu toujours en horreur; ses parents, d'ailleurs, ne
+tenaient que médiocrement à le voir servir dans les armées de
+l'Empereur: le père, pour l'occuper, songea bien un instant à l'école de
+Fontainebleau, mais y renonça vite devant les supplications de sa femme
+qui redoutait «le danger et la licence des armées[128]». Le jeune homme
+qui connaissait l'aversion maternelle s'en servira dans les grandes
+occasions, et cette menace sera pour lui le moyen suprême d'obtenir ce
+qu'il désire: le jour où on lui refusera l'autorisation de faire son
+droit à Lyon, il déclarera aussitôt sa résolution d'entrer dans la garde
+impériale et, quelque temps après, alors que sa famille accueillera
+assez mal un projet de mariage, il écrira tout net à Virieu qu'il est
+prêt d'entrer définitivement au service et d'essayer de se faire tuer.
+En 1814, c'est plutôt par lassitude et devant les menaces de l'oncle
+irrité de tant de paresse qu'il se décidera à entrer dans la Garde du
+corps. On sait par la _Correspondance_ le plaisir qu'il y prit.
+
+[Note 128: _J. I._, 25 sept. 1806.]
+
+Ainsi, devant les difficultés que soulevait la question d'un
+établissement immédiat, les Lamartine patientèrent, préférant attendre
+un peu plus de maturité, et le laissèrent entièrement maître d'organiser
+son existence à sa guise. Il en prit très joyeusement son parti et, tout
+à la joie nouvelle de l'indépendance, organisa un plan d'études où les
+arts d'agrément, musique, danse et dessin, avaient aussi leur
+place[129].
+
+[Note 129: _C._, I, p. 23, du 22 février; p. 26, du 13 mars 1808.]
+
+C'était, à l'époque, un grand garçon un peu gauche[130], rendu timide
+par quatre austères années de collège, et qui fuyait le monde faute d'y
+savoir figurer à l'aise. Il avouait à Virieu, de plus en plus son
+confident, qu'il était incapable de dire une chose aimable et de
+répondre à un compliment[131]: comme Chérubin, il était amoureux de
+toutes les femmes, mais n'osait guère faire un pas vers une[132]. Cette
+timidité farouche désolait un peu la mère, mais lui, qui sans doute en
+connaissait les véritables motifs, s'en consolait philosophiquement en
+déclarant que le temps, les voyages, l'habitude guériraient tout
+cela[133].
+
+[Note 130: _Id._, p. 93, du 14 déc. 1808.]
+
+[Note 131: _Id._, p. 41, du 10 sept.; p. 95, du 14 déc. 1808.]
+
+[Note 132: _Id._, p. 95, du 14 déc. 1808.]
+
+[Note 133: _Id._, p. 95, du 14 déc. 1808.]
+
+Comme suite normale de cet état d'esprit dont Belley est évidemment
+responsable, il se confine dans une studieuse solitude, fuit la société,
+déclare qu'il est «dans la jubilation» de n'être pas encore amoureux,
+indice qu'il est prêt de le devenir: pour lui toutes les femmes sont «de
+petites effrontées, impudentes, coquettes, de petites ignorantes
+imbéciles, malignes, médisantes, sottes et laides[134]»; son mépris pour
+elles croît «de jour en jour» en dépit, avoue-t-il ingénument, de la
+bonne envie qu'il aurait de les trouver «aimables et fidèles». Puis la
+philosophie s'en mêle et il déclare gravement à Guichard qu'il n'y a
+plus d'amour véritable dans le cœur des jeunes gens, «mais seulement un
+tissu de coquetteries de part et d'autre[135]».
+
+[Note 134: _C._, I, p. 53, du 29 oct. 1808; p. 139, du 4 août 1809.]
+
+[Note 135: _Id._, p. 139, du 4 août 1809.]
+
+Aussi s'occupe-t-il surtout d'organiser son existence en garçon
+raisonnable, et de soumettre à Virieu un plan d'études et de
+lectures[136]; sa mère profite alors de cette disposition, pour
+l'emmener de Mâcon à Saint-Point, car, dit-elle, «je ne suis pas fâchée
+de l'éloigner de la ville à un moment où ses seules récréations seraient
+des promenades le soir, fort tard, dans une société de jeunes gens dont
+il est impossible que l'on soit sûr: ici il est plus en sûreté et a
+l'air assez content[137]».
+
+[Note 136: _Id._, p. 25-27, du 13 mars 1808.]
+
+[Note 137: _J. I._, 26 mai 1808. Elle écrivait de Mâcon le 24
+février: «La santé d'Alphonse n'est pas mauvaise; il s'occupe beaucoup
+et a plusieurs maîtres, entre autres un de danse et un de basse. Il est
+assez raisonnable, mais son caractère me paraît toujours fort léger, ce
+qui rend les dangers du monde bien plus graves pour lui. Nous l'en
+tenons encore éloigné cette année, mais je frémis pour le moment où il
+sera exposé à cette contagion affreuse.»]
+
+Et, de fait, ses lettres montrent quelle fut sa joie enfantine de se
+retrouver à Saint-Point, où il arriva le 26 mai[138]: ce furent des
+flâneries exquises dans les bois, des lectures sérieuses, des promenades
+à cheval, le tout entremêlé d'un peu de musique et de quelques
+délassements poétiques[139]; il sentait surtout «un redoublement d'amour
+pour l'étude et la poésie[140]», et sa mère avouait ne plus le
+reconnaître devant une telle docilité.
+
+[Note 138: _J. I._, 26 mai 1808.]
+
+[Note 139: _C._, I, p. 31-33, du 8 juillet 1808.]
+
+[Note 140: _Id._, p. 28, du 20 avril 1808.]
+
+Mais, avec la nature insatisfaite qu'on lui connaît et dont voici
+peut-être la première manifestation, il se lassa vite de son nouveau
+bonheur, il en vint à regretter Belley où, pourtant, à l'en croire, il
+n'était pas heureux. «Il faut que je m'occupe beaucoup pour ne pas
+m'ennuyer», confesse-t-il un jour à Virieu[141], et à Guichard, qui
+l'enviait et lui annonçait sa prochaine libération, il écrivait
+tristement: «Nous te verrons dans quatre ou cinq mois commencer à
+t'ennuyer dans ta retraite, au milieu de tes livres, de tes bois et de
+tes prétendus plaisirs; tu regretteras dans peu la société de tes amis,
+les occupations et, que dis-je? peut-être même les peines du collège....
+Tu m'en diras des nouvelles[142].» Si bien qu'à la mi-septembre il fut
+enchanté d'abandonner sa solitude pour se rendre à Crémieu, où Guichard
+l'avait invité; la mère, toujours prudente, s'arrangea pour qu'à
+l'aller et au retour il couchât à Lyon chez Mme de Roquemont. «Ainsi,
+point d'auberge, ce qui pourrait être le plus dangereux.»
+
+[Note 141: _Id._, p. 62, du 12 nov. 1808.]
+
+[Note 142: _Id._, p. 31, du 8 juillet 1808; p. 35, du 26 juillet
+1808.]
+
+ * * * * *
+
+C'est avec beaucoup de détails que Lamartine a rapporté ce séjour dans
+l'Isère, tant il en avait gardé un profond souvenir[143]: c'est en effet
+à Crémieu que pour la première fois il se plongea en silence «dans un
+océan d'eau trouble», ou, pour parler plus simplement, qu'il pénétra
+dans une bibliothèque bien garnie; mais il a négligé de nous donner la
+date exacte de cet événement si important à fixer, puisqu'en huit jours
+tout l'édifice élevé par les Pères de la Foi va être détruit pour
+longtemps. Nous savons par sa mère qu'il quitta Milly le 27 septembre
+1808, et qu'il était de retour à Mâcon le 16 octobre. Il est certain que
+Lamartine revint en Bourgogne dans un tout autre état d'esprit qu'au
+départ; sa mère le constate elle-même, mais sans bien pouvoir en
+comprendre les motifs, et le 15 décembre elle consigne dans son Journal
+cette petite anecdote qui, rapprochée d'une lettre à Virieu[144] nous
+fait assister à une transformation très sensible de l'état d'esprit du
+début de l'année:
+
+[Note 143: Cf. sur ce séjour à Crémieu: _Mémoires inédits_, p.
+116-123. Mais il a été daté par Lamartine de 1807 au lieu de 1808.]
+
+[Note 144: _C._, I, p. 84, du 12 décembre 1808, et _id._, p. 122,
+lettre sur _Corinne_ du 1er juin 1809.]
+
+«Lundi nous dinâmes à Bussière chez M. Verset, le notaire du lieu; il y
+avait beaucoup de monde du voisinage, l'on fut très gai, l'on chanta,
+l'on fit des bouts-rimés. Alphonse fit des couplets; il a une facilité
+incroyable pour tout ce qu'il veut. Il est plus que jamais tourmenté du
+désir de faire quelque chose, ce que je désire aussi beaucoup. Quand je
+serai à Mâcon, je tâcherai de lui trouver quelque maître de langues; il
+aurait envie d'en apprendre, et je serai enchantée qu'il pût s'occuper
+utilement. Je suis effrayée de son retour à la ville, soit pour lui,
+soit pour moi. Il m'a bien tourmentée par son caractère inquiet, mais je
+tâche de le ramener tout doucement; je supporte, c'est ma tâche
+actuelle.»
+
+Pendant tout le mois de décembre Mme de Lamartine constate encore le
+grand désir qu'il a de s'instruire, d'apprendre l'anglais et l'italien;
+elle note avec effroi son attitude lorsqu'à Pierreclos ou à Montceau on
+agite devant lui des questions littéraires[145]; elle se lamente sur son
+aspect de plus en plus renfermé et, indice plus grave, constate qu'il a
+beaucoup perdu de sa piété[146]; tout cela, rapproché de la
+_Correspondance_ où l'on voit qu'à cette même époque il commence à
+causer littérature» avec enthousiasme, confirme dès lors ce qu'il a dit
+lui-même de ce séjour à Crémieu.
+
+[Note 145: _J. I._, 12 octobre. «Mercredi, nous avons dîné à
+Pierreclos. Il y eut une conversation sur J.-J. Rousseau; deux personnes
+de la société étaient ses zélés partisans, d'autres les réfutaient.
+Alphonse les écoutait attentivement et je craignais toujours qu'il ne
+prît les mauvaises impressions de préférence aux bonnes.»]
+
+[Note 146: _J. I._, 9 octobre, en parlant de son fils: «Hélas! comme
+il est loin du seul bien qui pourrait contenter mon cœur»; et 26
+octobre.]
+
+ * * * * *
+
+Au début de décembre, c'est une véritable frénésie de travail qui le
+possède; il veut vivre uniquement avec lui-même, au milieu des livres,
+renonce «à tout le train du monde[147]» et profite de l'ennui qu'il
+éprouve pour mettre à profit sa solitude et sa jeunesse[148].
+
+[Note 147: _C._, I, p. 77, du 10 déc. 1808.]
+
+[Note 148: _Id._, _ibid._]
+
+Avec sa petite expérience des derniers mois, il se demande bien où tout
+cela va le mener, mais, pour s'encourager, il évoque Rousseau
+travaillant en silence et préparant «de loin» ses succès[149]. Sans nul
+doute, Rousseau est une des découvertes de Crémieu. La mère est
+enchantée de ce programme, qu'elle approuve pleinement, car, dit elle,
+«dans l'âge où il est, environné de beaucoup de séductions, il faut un
+miracle pour le préserver de tant d'écueils», et par tous les moyens
+elle encourage ce plan de travail.
+
+[Note 149: _Id._, p. 68, du 28 nov. 1808.]
+
+On avait compté sans l'oncle terrible que cette belle vocation
+littéraire laissa fort indifférent. Au début de décembre, il fit
+comparaître son poétique neveu pour lui enjoindre de renoncer à son
+petit programme qu'il entendait remplacer par l'étude des sciences[150].
+Lamartine, on le sait, eut de tout temps les mathématiques en horreur:
+il supplia, pleura même, mais l'oncle fut intraitable; de désespoir,
+puisque, disait-il, on voulait forcer son goût et son inclination, il
+commença à jouer de la Garde impériale, mit la mère de son côté et la
+délégua auprès de l'oncle[151]; on finit alors par s'entendre: les
+langues étrangères et les études littéraires furent conservées au
+programme, mais on y ajouta les sciences. Il était trop tard: l'enfant
+dégoûté avait perdu sa belle fièvre. Il ira bien chez le professeur de
+mathématiques, mais «résolu à n'y rien faire du tout qu'un peu
+semblant[152]» et, puisqu'on le contraignait malgré lui à mener «une vie
+de fainéant», il en profitera pour s'amuser: et le voilà qui sort le
+soir, se montre au concert, au théâtre, qu'il aime maintenant «à la
+folie[153]» et qu'il trouve, paraît-il, le seul amusement digne d'un
+homme de goût et de bon sens[154].
+
+[Note 150: _Id._, p. 80, du 12 déc. 1808.]
+
+[Note 151: _J. I._, du 17 déc. 1808.]
+
+[Note 152: _C._, I, p. 86, du 12 déc. 1808. «J'avais fait les plus
+beaux plans du monde de plaisirs littéraires. Mon oncle et mon père de
+concert ont voulu tout détruire.»]
+
+[Note 153: _C._, I, p. 92, du 14 déc.]
+
+[Note 154: _Id._, _ibid._]
+
+Sa mère, alors, s'effraye: «Son caractère, écrit-elle, m'inquiète chaque
+jour davantage: je lui ai fait promettre qu'il ne demanderait pas à
+aller au concert, moyennant quoi j'ai promis, de mon côté, que je le
+mènerais à Lyon pour quelques jours au mois de janvier.»
+
+L'intervention de l'oncle n'avait pas été heureuse: faute d'avoir pris
+au sérieux son désir d'étudier, il avait découragé toute son ardeur; au
+lieu de passer à Mâcon un hiver paisible, comme il le souhaitait, il va
+partir pour Lyon s'amuser, ce qui n'était guère son intention,
+contrairement à ce que l'on croyait autour de lui. Nous retrouverons
+souvent cette incompréhension du caractère de l'enfant.
+
+ * * * * *
+
+La mère et le fils arrivèrent à Lyon, chez Mme de Roquemont, le 17
+janvier 1809 et de suite il organisa sa petite existence; s'il faut en
+croire une lettre à Virieu, il se levait tard, faisait un peu d'anglais,
+flânait l'après-midi à la bibliothèque publique, et terminait sa soirée
+au théâtre où il avait pris un abonnement[155]; à l'insu sans doute de
+sa mère, qui prétend au contraire à la même date avoir obtenu de lui
+qu'il n'irait «ni au spectacle, ni au bal masqué». La pauvre femme se
+plaint de n'avoir jamais mené un carnaval aussi «dissipé»; «mais, dit
+elle, c'était impossible autrement, car je voulais procurer quelques
+plaisirs à Alphonse».
+
+[Note 155: _C._, I, p. 103, du 24 janvier 1809.]
+
+Tous deux étaient de retour à Mâcon le 10 mars, lui enchanté de son
+voyage, elle moins; il constate alors avec un peu d'orgueil qu'il est
+beaucoup moins timide qu'au départ, et qu'à Mâcon on a une certaine
+considération pour un jeune homme qui a été passer l'hiver dans une
+grande ville: on le croit blasé sur tout et, dit-il, «cela donne une
+contenance[156]».
+
+[Note 156: _Id._, p. 100, du 26 février 1809.]
+
+Dès le retour, il avait repris ses projets d'étude et de travail[157];
+le carême se passa tranquillement à Mâcon, dans la solitude et la
+lecture. Mais cette fois, s'y prenant un peu à l'avance, il demanda
+bientôt l'autorisation d'aller étudier le droit à Lyon, au cours de
+l'année 1809[158]. L'oncle et le père refusèrent d'abord; la mère comme
+toujours s'interposa, apaisa les colères naissantes, et chacun se fit
+des concessions réciproques: pour le droit, l'oncle réservait sa
+réponse, mais on lui accordait soixante louis de pension annuelle, la
+nourriture, le logement, et la permission d'aller à ses frais passer
+l'hiver à Lyon ou à Dijon[159]. De nouveau on le détournait de ses rêves
+d'étude qui n'étaient peut-être, il est, vrai, qu'un prétexte pour aller
+s'amuser à Lyon. C'est que l'oncle, de plus en plus méfiant, commençait
+à s'inquiéter de cette jeune imagination débordante.
+
+[Note 157: _C._, I, p. 106, du 26 février 1809; et p. 110, du 12
+mars 1809.]
+
+[Note 158: _J. I._, 7 juillet 1809.]
+
+[Note 159: _C._, I, p. 139, du 4 août 1809.]
+
+L'enfant finit par prendre son parti de cette demi-promesse, et se remit
+avec ardeur à la lecture et au travail; tout le printemps et l'été se
+passèrent dans une solitude absolue, à Mâcon, à Milly et à Saint-Point.
+«Voici trois mois, écrit-il en juin à Virieu, que mon genre de vie est
+le même absolument: travail, lecture, correspondance et petite promenade
+solitaire entre les huit ou neuf heures[160].» Un tel régime finit pas
+fâcheusement influer sur ses nerfs; des idées tristes l'envahirent
+bientôt; en août, même, il tomba malade, crachant le sang, accablé de
+violents maux de tête, et la crise morale se fit plus aiguë: «Oui, j'ai
+pleuré, écrit-il un jour à Virieu, moi qui ne pleurais plus, un peu de
+regret de cette partie manquée, un peu en voyant la sympathie de nos
+peines, de nos idées, de nos tourments, de nos désirs, et de ce feu
+sacré qui commence à te brûler comme moi, ces projets vagues, cette
+tristesse, cette paresse, cette vie au milieu de la mort[161]». Et les
+lettres se suivent, de plus en plus désespérées; le vague de son
+existence présente et future le fait languir et mourir; il devient sage,
+indifférent, philosophe sur bien des choses, il est fou, désespéré,
+enragé sur beaucoup d'autres...; il devient «ours» et parle de se brûler
+la cervelle, car il ne peut plus supporter la vie du plus plat, du plus
+ignorant bourgeois de petite ville: «Ô beaux rêves que nous faisions
+bien éveillés à neuf heures du soir sous les tilleuls de Belley, riches
+projets, riante perspective, avenir incomparable, où êtes-vous?...[162]»
+
+[Note 160: _Id._, p. 127, du 10 juin 1809; et p. 140, du 4 août.]
+
+[Note 161: _C._, I, p. 143. du 4 août 1809.]
+
+[Note 162: _Id._, p. 148-152, du 19 août 1809.]
+
+Telle fut la première crise morale; il en connaîtra d'autres jusqu'en
+1820 et toutes chez lui auront le même dénouement: dans les plus
+affreuses détresses, un rien suffira pour lui rendre l'équilibre.
+
+Car Virieu finissait par s'inquiéter de cette exaltation et de ce
+découragement; il lui proposa alors, pour le changer d'air, de venir
+passer quelques jours chez lui au Grand-Lemps et, brusquement, la
+correspondance change de thème: à la mélancolie la plus sombre, succède
+un enjouement imprévu[163]; toute la vie de Lamartine sera faite de ces
+contrastes et de ces revirements, dont il est parfois difficile de
+saisir les motifs. Mais, cette fois, il jouait de malheur: au moment du
+départ son père se cassa la jambe, et il fut obligé de le remplacer--car
+c'était l'époque des vendanges--«en ayant l'air de trouver cela tout
+naturel[164]».
+
+[Note 163: _C._ I, p. 170, du 21 octobre 1809.]
+
+[Note 164: _Id._, p. 175, du 9 nov. 1809.]
+
+Alors, il s'étourdit, profita de l'animation passagère du pays pour
+mener une «vraie vie de fainéant et d'insouciant, une vie banale et
+commune comme celle de tous les désœuvrés et les imbéciles du monde,
+visites, bals, soupers, promenades et je ne sais quoi[165]».
+
+[Note 165: _Id._, p. 176.]
+
+Dans l'état où il se trouvait, il était à point pour devenir amoureux,
+et n'y manqua pas; cela dénoua la crise. Comme de juste, il aimait
+quelqu'un qui ne pouvait pas l'aimer; avec l'imagination qu'on lui
+connaît, «le voilà pris, le voilà mort». L'objet de sa passion n'était
+pas une beauté, mais «toute l'amabilité, toute la sagesse, toute la
+raison, tout l'esprit, toute la grâce, tout le talent imaginable ou
+plutôt inimaginable», et empruntant à nouveau le vocabulaire de
+Chérubin--c'était de son âge,--il terminait lyriquement: «J'en mourrai!
+je le sais! aimer sans espoir, ah! comprends-tu un peu cela[166]?»
+
+[Note 166: _C._, I, p. 181, du 24 nov. 1809, et p. 188, du 10 déc.
+1809.]
+
+La pauvre mère, qui elle-même avait encouragé son fils à une innocente
+correspondance en vers avec la jeune fille de leur médecin de Milly, le
+docteur Pascal, s'épouvanta des suites de son imprudence, et elle
+écrivait le 16 décembre 1809: «Mes nuits ont été mauvaises, ce qui a été
+occasionné par un chagrin que je ne puis mettre ici mais qui a été très
+vif, et dont la cause n'est pas encore passée; c'est au sujet de mon
+fils, et ce qui me peine le plus, c'est que je ne peux demander conseil
+à personne, et que j'ai peut-être quelque reproche à me faire...»; et
+quelques jours après elle ajoutait encore: «Alphonse m'inquiète toujours
+beaucoup, des passions commencent à se développer, et je crains que sa
+jeunesse ne soit bien orageuse; il est agité, triste, le trouble de son
+âme altère même sensiblement sa santé».
+
+Pour couper court, on l'expédia à Lyon le 8 janvier 1810, avec
+permission d'y rester autant que ses moyens le lui permettraient; même
+il pourra faire son droit. «Je vois, dit-elle encore, qu'on nous blâme
+généralement de le laisser ainsi sur sa bonne foi, mais on ne connaît
+pas nos raisons; je suis moins tourmentée depuis qu'il est parti.»
+
+Après les huit jours d'usage chez Mme de Roquemont, qui, prévenue,
+veilla sur lui avec une inquiète sollicitude, il réclama plus de liberté
+et s'installa rue de l'Arsenal, au quatrième, «avec une vue
+unique[167]».
+
+[Note 167: _C._, I, p. 203, du 1er mars 1810. Sur le séjour à
+Lyon, cf. _id._, p. 193-240.]
+
+ * * * * *
+
+Alors commença une existence exquise, la vie d'étudiant, mais sans
+études: les beaux projets de travail étaient loin; il n'était plus
+question des professeurs d'anglais et d'italien; la tragédie qu'il
+voulait écrire fut remplacée par un vaudeville; les huit heures de
+travail qu'il s'était imposées au départ, sans fréquenter personne,
+«quoiqu'on dise», furent occupées à de petits voyages à Grenoble, à la
+grotte de Jean-Jacques, ou à des flâneries chez les bouquinistes. De
+droit, point; au bout de deux mois, il avait épuisé ses ressources, et
+il fallut courir à Dijon, chez l'abbé. Le bon oncle se laissa arracher
+60 louis qui ne demeurèrent pas longtemps dans sa poche; force lui fut
+alors de retourner à Milly, sa «détestable patrie», où il obtînt des
+tantes un peu d'argent sous prétexte de payer des dettes; puis il revint
+encore à Lyon, et finalement, endetté, poursuivi, sans un sou, car on
+lui avait coupé les vivres, il regagna Milly le 18 mai[168], après
+quatre mois de délices, relatées avec une joie enfantine dans les
+lettres à Virieu.
+
+[Note 168: Nous donnons cette date d'après le _Journal intime_, bien
+qu'elle ne soit pas d'accord avec la _Correspondance_, où figure une
+lettre datée de «Saint-Point 14 mai»; nous lui donnons la préférence.]
+
+Elles sont juvéniles, prime-sautières et vives, d'un piquant contraste
+avec celles de l'année précédente: «Voilà enfin une partie de mes désirs
+satisfaits! écrit-il à son arrivée; je m'instruis, je suis libre, je
+suis indépendant, je le suis si fort que j'en deviens ridicule; mon
+livre, ma chambre, mon feu et le spectacle ont trop de charmes pour
+moi.» Puis c'est la description poétique de sa petite installation:
+
+ Cellule inconnue et secrète,
+ Où jamais un oncle boudeur,
+ Où jamais un mentor grondeur
+ Ne viennent troubler le poète.
+
+Ses amis sont des «artistes», «des artistes surtout, mon cher ami! voilà
+ce que j'aime! de ces gens qui ne sont pas sûrs de dîner demain! Je leur
+ai dit que tu étais _comme moi_, un artiste _universel_, artiste dans
+l'âme, artiste d'inclination!»
+
+C'est la vie de bohème, au jour le jour, et sans souci du lendemain; les
+grisettes, le théâtre, le concert, les vers, tout lui est bon, même les
+dettes, dont il se tire en faisant un impromptu: _Mes dettes_, qui,
+d'après lui, court la ville.
+
+Plus tard pour les payer, il s'adressa naturellement à sa mère, qui
+cette fois s'en fut trouver l'oncle et les tantes plutôt que son mari,
+car le chevalier n'aimait pas les dettes: «Son oncle et ses tantes ont
+eu la bonté de se charger de payer les dettes d'Alphonse, écrira-t-elle
+plus tard, et sans rien dire à mon mari, ce que j'ai demandé par-dessus
+tout, car j'aurais mieux aimé qu'on le laissât dans l'embarras où il
+était et dont le temps aurait toujours fini par le tirer, que de
+consentir qu'on détruisît absolument le repos et le bonheur de mon mari
+en lui apprenant les dettes de son fils. C'est une chose qu'il a
+toujours eue en si grande horreur qu'il l'aurait cru tout à fait perdu!»
+L'amusant de l'affaire fut que le pauvre chevalier paya lui-même les
+dettes de son fils, à son insu. En effet, la tante du Villard se
+chargea, paraît-il, de la plus grande partie; mais, comme elle n'avait
+pas alors beaucoup d'argent disponible, elle demanda à son frère, sous
+un autre prétexte, de l'argent qu'il lui devait et auquel il ne songeait
+guère, croyant qu'elle n'en avait nul besoin.
+
+Il fallut pourtant songer au départ, car l'oncle, cette fois, menaçait
+tout à fait de se débarrasser du prodigue neveu. Ce furent de touchants
+adieux à «Myrthé», sa belle, mais surtout à la liberté, «l'impayable
+liberté». À ce moment, il jeta bien quelque vague coup d'œil en arrière,
+et ses projets de travail lui revinrent à l'esprit; il en prit son
+parti, ne regretta rien, mais ne s'en tint pas quitte, se réservant pour
+Milly où il prévoyait bien qu'un cruel ennui allait l'accabler à
+nouveau: là-bas, «l'imagination et son livre anglais» le dédommageraient
+de tout.
+
+Ce petit séjour à Lyon marque une date dans la jeunesse de Lamartine; au
+retour, les dernières traces laissées par l'enseignement de Belley ont
+disparu, remplacées par le goût du plaisir, de la dépense, et l'horreur
+de la contrainte familiale. «Les ébauches littéraires vont se ressentir
+de ce nouvel état d'esprit.»
+
+Lamartine, on l'a vu, était de retour à Mâcon le 18 mai. Le 19, nous le
+trouvons à Milly, plus désœuvré et enfiévré que jamais, s'ennuyant dans
+son «trou», seul avec ses livres, sa plume «que rien ne stimule», son
+imagination qui le tourmente. La mère, comme toujours, cherchait à
+excuser son humeur un peu vive, «car il est assez naturel à un jeune
+homme sans occupations forcées de s'ennuyer à la campagne». Mais, cette
+fois, c'était lui qui ne voulait plus s'occuper.
+
+Bientôt, les idées sombres l'envahirent à nouveau et ses lettres d'alors
+sont pleines d'une philosophie qu'il essaye de rendre résignée, mais où
+percent le dégoût, l'amertume et la détresse[169]: à Milly, à
+Saint-Point, à Montceau, il traîne son oisiveté sous l'œil agacé du
+père. Enfin, nerveux, mal à l'aise, il partit le 2 juillet à Dijon chez
+l'abbé, où il retrouva un peu d'équilibre et de tranquillité. Ce furent
+des lectures sans ordre, comme toujours: Montaigne, Mme de Staël, le
+prince de Ligne, Young et Jean-Jacques; des paresses sans fin dans les
+herbages ou dans la thébaïde. Les choses auraient été fort bien sans
+«les diables de soucis de l'avenir», qui reviennent troubler sa paix de
+temps à autre, et «cette tête, écrit-il à Virieu, que tu connais aussi
+bien que moi[170]». Puis, apprenant que son père et sa mère allaient
+arriver pour le mois d'août à Montculot, il s'empressa d'en déguerpir,
+sous prétexte de mettre en train les vendanges, mais en réalité,
+semble-t-il, pour chercher le repos et fuir sa famille.
+
+[Note 169: «Beaucoup de mes rêves, toutes mes espérances
+s'évanouissent chaque jour, c'est comme les fantômes qu'on se fait la
+nuit et que le premier rayon du jour dissipe ou réduit à leur juste
+valeur. Et toi, mon cher ami, tu es donc aussi comme moi, tu vois que
+nous avions rêvé, rêvé d'une société à notre guise, rêvé la gloire, rêvé
+l'amour, rêvé des femmes comme il devrait y en avoir, rêvé des hommes
+comme il n'y en aura jamais....» (_C._, I, p. 243.) Cette lettre, datée
+de Milly, 14 mai 1810, est mal classée: en effet, nous savons par le
+_Journal intime_ que le 14 mai Lamartine était encore à Lyon; mais comme
+il écrit à Virieu dans le courant de cette lettre: «Je vais partir dans
+une quinzaine de jours passer quelques semaines à Dijon», et qu'il y
+arriva le 2 juillet, on peut en conclure qu'elle est du 14 juin.]
+
+[Note 170: _C._, I, p. 256, du 26 juillet 1810]
+
+Seul à Milly, il reprit sa vie renfermée; rêveur, ennuyé de la vie, il
+fit ses délices du fade et mathématique _Traité de la solitude_ de
+Zimmermann, se plongea dans _Werther_, dont, écrit-il à Virieu, il est
+souvent tenté d'imiter la fin[171].
+
+[Note 171: _Id._, p. 276, du 30 sept. 1810.]
+
+Sans grand enthousiasme, il essaya aussi de prendre part au concours des
+Jeux floraux, mais l'affaire, comme toujours, ne fut qu'un projet[172].
+Enfin, quand les Lamartine regagnèrent Milly au début d'octobre, il
+partit précipitamment pour Crémieu, chez Guichard, malgré sa mère, qui
+commençait à s'inquiéter de cette nouvelle coïncidence de son départ et
+de leur arrivée[173]. Il y demeura jusqu'au 7 novembre.
+
+[Note 172: _Id._, p. 264, du 30 août 1810.]
+
+[Note 173: _J. I._, 8 oct. 1810.]
+
+Il revint du Dauphiné apaisé et moins sauvage; en novembre, Mme de
+Lamartine a noté quelques bals à Maçon où il reste «fort tard» et, pour
+le retenir, elle se décida un peu à contre cœur à organiser de petites
+soirées à Milly, «heureuse, dit-elle, quand je le vois ainsi s'amuser
+sous mes yeux». Puis il s'installa à Mâcon dans les premiers jours de
+décembre, bien à regret, mais il était sans ressources pour recommencer
+l'hiver de l'année précédente. Il flânait le soir au théâtre de la
+ville, se montrait assidu aux bals. Sa mère, que l'expérience aurait
+peut-être dû rendre plus méfiante, mais qui redoutait surtout de le voir
+vivre trop en lui-même, l'y encourageait innocemment sans prévoir les
+conséquences fâcheuses pour son repos qui devaient suivre «cette petite
+dissipation d'esprit».
+
+
+
+
+CHAPITRE II
+
+LA CRISE LITTÉRAIRE. LE PREMIER AMOUR
+
+
+Le 30 juin, Lamartine écrivait à Virieu:
+
+«Et moi aussi, mon ami, ne te disais-je point que je voyais s'évanouir
+tous nos rêves? Hélas! il est trop vrai, que ferons-nous donc? et
+pourquoi avons-nous tous deux ce je ne sais quoi dans l'âme qui ne nous
+laissera jamais un instant de repos avant que nous ne l'ayons satisfait
+ou étouffé? est-ce un besoin d'attachement ou d'amour? Non, j'ai été
+amoureux comme un fou, et ce cri de ma conscience ne s'est pas tu. J'ai
+toujours vu quelque chose avant et au-dessus de toutes les jouissances
+d'une passion même vraie et pure. Est-ce l'ambition? pas tout à fait....
+
+«...Je dis et je pense qu'il n'est qu'un vrai malheur: c'est de ne pas
+satisfaire toutes nos facultés, en un mot toutes les fois que nous le
+pouvons, fallût-il même de pénibles sacrifices. Quelqu'un qui me lirait
+s'imaginerait que je me fais de la morale; mais toi, tu m'entends, tu
+me comprends. Es-tu d'accord de ce que je viens de dire là? Oui, eh
+bien! raisonnons là-dessus et venons à la pratique. Es-tu prêt? je le
+suis, moi: nous allons faire notre code.
+
+«Nous renonçons pour le moment à toutes prétentions exagérées, du moins
+elles ne seront plus l'unique mobile de nos actions. Nous n'écouterons
+que notre propre conscience qui nous dit: Travaillez pour donner les
+intérêts de ce que vous avez reçu; travaillez pour être utiles si vous
+le pouvez; travaillez pour connaître ce que vous êtes capables de voir
+dans la vie; travaillez pour vous dire au dernier moment: J'ai vécu peu,
+mais j'ai vécu assez pour observer et connaître tout ce que ce petit
+globe contient, tout ce qui était à ma portée; j'ai sacrifié à ce désir
+de m'instruire une fortune précaire, quelques jouissances des sens,
+quelque chose dans la sotte opinion d'un certain monde; si j'ai obtenu
+quelque gloire, tant mieux! si je suis malgré cela resté ignoré, je m'en
+console, j'ai été utile à moi-même, j'ai accru mes idées, j'ai goûté de
+tout, j'ai vu les quatre parties du monde; si je meurs dans un fossé de
+grande route, si mon corps n'est pas porté à l'église par quatre bedeaux
+et suivi d'une foule d'héritiers pleurant tout haut et riant tout bas,
+j'ai été aimé, je serai pleuré par un ou deux amis qui ont partagé mes
+peines, mes études et mes travaux; et je rendrai à celui qui sans doute
+a fait mon esprit et mon âme un ouvrage perfectionné de mes mains. Mais
+votre patrie?--Ce n'est plus qu'un mot, du moins en Europe.--Mais la
+société?--Elle n'a pas besoin d'un financier, d'un usurier ou d'un
+boucher de plus et, en travaillant pour moi, peut-être aurai-je
+travaillé pour elle[174].»
+
+[Note 174: _C._, I, p. 248.]
+
+Si ces lignes prouvent la parfaite clairvoyance avec laquelle Lamartine
+se jugeait à vingt ans, elles montrent également jusqu'à l'évidence le
+déplorable résultat moral de ces deux premières années d'indépendance
+dont il augurait tant au sortir de Belley. Certes, elles sont l'aveu des
+juvéniles chimères dont il s'est nourri jusqu'alors, et même leur amende
+honorable, mais avec de hautaines restrictions qui portent l'empreinte
+de la philosophie orgueilleuse et sentimentale de Rousseau. Cette
+nouvelle conception de l'existence, tout aussi littéraire que la
+première, est infiniment plus dangereuse: le doute, l'égoïsme et
+l'amertume en sont les conséquences inévitables.
+
+Les premières désillusions de sa jeunesse sont vraiment insuffisantes
+pour motiver cet état d'âme du moment que des influences littéraires
+peuvent seules expliquer. Il payait ainsi deux années d'un incessant
+vertige intellectuel contre lequel sa sensibilité et son imagination le
+laissaient désarmé; livré à lui même, sans direction, sans contrôle, il
+n'avait eu guère d'autres ressources que les lectures pour occuper ses
+loisirs à Milly: l'abus qu'il en fit, leur choix, les conditions de sa
+vie, sa nature à la fois fiévreuse et mélancolique, tout le prédisposait
+à être une proie facile au mal littéraire qui ravagea sa
+génération[175].
+
+[Note 175: Les causes de ce «mal du siècle» sont surtout
+littéraires; écartés pour la plupart de la guerre--seul mode d'activité
+qu'on connût alors,--ces jeunes gens se réfugièrent avec délices dans le
+monde des idées, ils lurent trop. Cf. _Génie du Christianisme_, chapitre
+du Vague des passions, et Ballanche, où le cas est prévu avec une
+parfaite netteté, lorsqu'il dit: «Mon fils, vous portez dans votre sein
+une secrète inquiétude qui vous dévore. Les livres seuls vous ont tout
+appris. Les plus hautes conceptions des sages, qui pour y parvenir ont
+eu besoin de vivre de longs jours, sont devenues le lait des enfants.»
+(_Le Vieillard et le jeune homme._) Cf. également une lettre de
+Lamartine après sa première lecture de _Corinne_ (_C._, I, p. 117, du
+1er juin 1809).]
+
+ * * * * *
+
+Ce que Lamartine dévora en trois ans--de 1808 à 1812--est prodigieux, et
+cela, pêle-mêle, sans plan organisé, au hasard des bibliothèques et des
+cabinets de lecture. Ici, la _Correspondance_ devient véritablement
+précieuse pour la spontanéité des renseignements qu'elle nous fournit,
+puisque les impressions causées par le nouveau livre sont immédiatement
+traduites dans une lettre à Virieu, froidement ou avec enthousiasme,
+selon l'effet produit. Plus tard, soit dans ses préfaces, soit dans son
+_Cours de littérature_, il reviendra sur beaucoup de ces appréciations
+de la première heure: l'expérience de la vie, des raisons morales,
+politiques ou littéraires dont il ne se souciait pas alors modifièrent
+ses jugements de jeunesse; mais la façon dont il les formula à vingt ans
+doit seule nous importer.
+
+L'impression devait être d'autant plus profonde que Mme de Lamartine
+exerça longtemps un contrôle sévère sur les lectures de son fils, qui
+prenaient ainsi la valeur du fruit défendu. Avec un pieux sentiment
+d'amour maternel, le poète qui sentit combien il avait été soumis aux
+influences littéraires lui fit plus tard une part qu'elle n'eut jamais
+dans sa direction intellectuelle: les _Confidences_, les _Commentaires_,
+certains passages remaniés du _Manuscrit de ma mère_ la montrent lisant
+Homère, Tacite, Virgile, Mme de Sévigné, Fénelon, Molière, et même
+les tragédies de Voltaire.
+
+La vérité est que Mme de Lamartine lisait peu par manque de temps
+d'abord, mais surtout par méfiance de soi-même et crainte de ce qu'elle
+appelle «de séduisantes idées fausses». Son Journal nous révèle ses
+préférences, qui vont à saint Augustin, à Bossuet, aux Chroniques de
+Joinville, à Fénelon, à La Fontaine, à Laharpe, à Mme de Genlis; elle
+y puisait les principes moraux nécessaires à l'éducation de ses enfants,
+et ce sont là les auteurs le plus souvent nommés par elle.
+
+Parfois, quelque nouveauté célèbre arrivait jusqu'à elle; mais elle
+avait gardé de son éducation religieuse l'horreur de la littérature
+romanesque ou sentimentale, de «l'abominable philosophie destructrice de
+la religion». C'est ainsi que Chateaubriand lui paraîtra «trop
+passionné», _Atala_ «capable d'échauffer la tête des jeunes gens», _les
+Martyrs_ «loin d'être aussi bons moralement que beaucoup de gens le
+jugent». «En tout, dira-t-elle après la lecture du _Génie_, cet ouvrage
+qui est pourtant très bien me paraît un peu trop propre à exalter
+l'imagination.» _Corinne_ sera pour elle «un roman invraisemblablement
+écrit et avec beaucoup de prétention»; cependant elle s'y intéressera,
+«quoiqu'il y ait bien des choses à dire». De même, _Roland Furieux_
+qu'elle lira seulement en 1808, lui inspirera les réflexions suivantes:
+«Il y a des choses plaisantes, mais il y en a de mauvaises que je passe,
+et il ne faudrait pas que des jeunes gens le lisent».
+
+Mais le XVIIIe siècle, surtout, sera pour elle un objet d'épouvante:
+elle interdira sévèrement à son fils les _Mémoires de Mme Roland_,
+«quoiqu'il en eût très grande envie»: «Je sais bien, ajoute-t-elle
+mélancoliquement, qu'il peut se procurer à mon insu tous les livres
+qu'il voudra, mais au moins je n'aurai pas à me reprocher de l'avoir
+autorisé à cela». «On se permet trop, dira-t-elle aussi, de lire toutes
+sortes de livres sous prétexte qu'il n'y a plus de danger: cela est fort
+mal fait.»
+
+Elle ira plus loin encore: en 1813--Lamartine avait donc vingt-trois
+ans,--elle profita d'un de ses voyages à Paris pour brûler ses livres,
+et par hasard elle ouvrira l'_Émile_ dont elle se laissera aller à lire
+quelques passages «qui sont superbes et m'ont fait du bien»; mais
+bientôt le danger qu'elle a couru en s'abandonnant au charme de tant
+d'idées qu'elle sait condamnées, la remplit de terreur et elle
+terminera: «Cela me révolte, je brûlerai ce livre, malgré ce qu'il y a
+de bon, et _la Nouvelle Héloïse_ aussi, bien plus dangereux encore parce
+qu'il anime davantage les passions et qu'il est plus séduisant».
+Rousseau l'effrayera toujours pour des motifs qu'elle n'explique pas,
+mais qu'on devine: sa vie privée, l'anarchie politique et religieuse
+dont elle le rend responsable, et son «abominable philosophie» qui
+synthétise à ses yeux l'esprit du XVIIIe siècle.
+
+Lamartine, on le voit, eut donc quelque mal à faire ses lectures
+ouvertement; d'ordinaire, il emportait son livre en promenade ou
+s'enfermait dans sa chambre. À Milly et à Saint-Point d'ailleurs, il n'y
+avait pas de bibliothèque; à Mâcon et à Montceau, celles de son oncle
+étaient importantes, mais il n'en avait pas la disposition; il lui
+restait le cabinet de lecture de Myard, à Mâcon, où sa mère nous apprend
+qu'il était abonné en 1808, et Montculot, où l'abbé avait entassé deux
+mille volumes qu'il légua plus tard à son neveu. Il y ajoutera les
+contemporains, les nouveautés, bons ou mauvais livres, et en général
+tout ce qui lui tombera sous la main.
+
+C'est le séjour à Crémieu, en octobre 1808, qui marqua le début de sa
+fièvre littéraire. Dans quelles conditions, maintenant, va-t-il
+s'assimiler ces lectures faites sans direction et sans critique, et
+quelle influence vont-elles avoir sur la formation de sa personnalité?
+Une théorie séduisante et facile même à appuyer sur des faits serait de
+prétendre qu'il en goûta seulement les mauvais côtés, se dirigea surtout
+vers Parny et son école et qu'il lui fallut la crise morale des années
+1817-1819 pour se libérer entièrement de leurs derniers souvenirs.
+Pourtant, à y regarder de plus près, il semble que la vérité soit
+ailleurs.
+
+Certes, une des contradictions les plus singulières de la
+_Correspondance_ est assurément ce mélange, à première vue inconciliable
+et quelque peu incohérent, d'impromptus, de pièces d'almanach, d'épîtres
+pompeuses, et de peintures mélancoliques ou désespérées de ses
+souffrances morales. Mais c'est qu'à cette époque, et pour longtemps
+encore, Lamartine qui, on l'a vu, rêva très tôt de se faire un nom dans
+les lettres, tenait pour bonne la fameuse formule que les classiques
+opposeront plus tard à la débordante facilité des romantiques: hors de
+l'ordre moral, point de véritable mérite littéraire; il ne pourra donc
+s'imaginer la gloire sous une autre forme que celle de pièces fugitives,
+toujours à la mode, d'interprétations plus ou moins fidèles d'un poète
+étranger, d'une tragédie bien régulière, d'un poème épique
+laborieusement rimé. Et nous avons la preuve de cette conception du
+métier littéraire par quelques odes intercalées plus tard dans les
+_Méditations_: le Génie, l'Enthousiasme, et le Poète exilé.
+
+Le contraste ne manque pas aujourd'hui d'un certain piquant lorsqu'on
+voit naître peu à peu dans la _Correspondance_ les premières
+_Méditations_, jalousement cachées comme des essais intimes et trop
+personnels, tandis que Lamartine court Paris un _Saül_ ou une _Médée_
+sous le bras: «Je vais me remettre au grand ouvrage de ma vie, écrit-il
+en 1816 à son ami Vaugelas; si je réussis, je serai un grand homme;
+sinon la France aura un Chapelain ou un Cottin de plus»[176]. Le grand
+ouvrage, ce n'était pas, comme on pourrait le croire, ses _Méditations_,
+mais un poème épique sur Clovis, qui l'occupa jusqu'en 1820. Bien mieux,
+au moment où il se décidera à publier, presqu'à contre-cœur[177], les
+_Méditations_, ce fut sans les soins amoureux du poète pour son
+premier-né[178], et pour essayer de «lancer» ses tragédies[179].
+
+[Note 176: _C._, II, p. 97; du 28 juin 1816.]
+
+[Note 177: _Id._, p. 337, du 25 avril 1819.]
+
+[Note 178: Toute l'année 1819 fut occupée par des projets de
+tragédies et de poèmes épiques: _Saül_, _Clovis_, _Jepté_, _Sapho_,
+etc.; enfin sa maladie et son mariage accrurent encore l'indifférence
+qui accompagna la publication des _Méditations_, en sorte que l'édition
+fut très peu soignée; des vers furent tronqués et d'autres omis.]
+
+[Note 179: _C._, II, p. 358, du 27 mai 1819.]
+
+Que conclure de cette perpétuelle violence à ses sentiments véritables,
+sinon que ses premiers essais furent conçus seulement dans le but défini
+d'atteindre à la célébrité, et qu'il renfermait soigneusement en lui
+les troubles et les détresses dont débordent ses lettres?
+
+C'est pourquoi, au cours de ses lectures, il ne s'enthousiasmera pas
+pour ceux qu'il imitait par métier; au contraire son ardeur, lorsqu'il
+s'agit de Rousseau, d'Young, d'Ossian, de Mme de Staël et de
+Chateaubriand, prouve que ceux-là furent les véritables éducateurs de sa
+pensée et qu'il leur doit presque tout de ses aspirations tourmentées et
+insatisfaites[180].
+
+[Note 180: Cf., sur les influences littéraires subies par Lamartine,
+l'excellent ouvrage de M. Zyromski, _Lamartine, poète lyrique_.]
+
+Il faut noter aussi son incompréhension absolue des œuvres d'analyse et
+de précision qui ne répondent chez lui à aucun état d'âme. Les seuls
+Allemands qu'il nomme sont Gœthe et Zimmermann, l'un pour son _Werther_,
+l'autre pour son _Traité de la solitude_; mais les deux sujets qui
+pourtant semblaient faits pour lui plaire n'eurent pas sur lui l'effet
+qu'on pourrait supposer: «Je viens de lire _Werther_, écrit-il en 1809,
+il m'a fait la chair de poule: je l'aime pas mal non plus. Il m'a
+redonné de l'âme, du goût pour le travail, le grec; il m'a un peu
+_attristé et assombri_[181].» Résultat imprévu et qu'on n'attendait
+guère d'une lecture qui démoralisa la jeunesse romantique; tout au moins
+peut-on l'expliquer du fait que _Werther_, œuvre documentaire et assez
+froide, ne fut jamais vécue par Gœthe; instinctivement peut-être,
+Lamartine ne s'y trompa point et n'y découvrit pas l'accent de
+sincérité qu'il lui fallait. «Vive les Allemands pour la raison![182]»
+s'écriait-il après la lecture du _Traité de la solitude_ où Zimmermann a
+méthodiquement catalogué les inconvénients et les avantages de cet état
+d'âme: il ne rencontrait en effet chez eux guère autre chose que la
+raison, l'esprit brutal et sec d'analyse ou de classification, choses
+qu'il ignore et qui cadrent mal avec sa nature mouvante et pleine de
+revirements.
+
+[Note 181: Souligné par Lamartine. _C._, I, p. 177, du 9 nov. 1809.]
+
+[Note 182: _C._, I, p. 260, du 10 août 1810.]
+
+À cet égard, encore, l'exemple de Montaigne est tout aussi typique. La
+première rencontre fut mauvaise[183], mais Virieu, d'un esprit aussi
+froid et méthodique que le sien l'était peu, voulut lui faire partager
+son admiration pour celui qu'il appelait son maître et Lamartine s'y
+employa de bon cœur: «Je lis l'ami Montaigne, lui répond-il, que
+j'apprends tous les jours à mieux connaître et par conséquent à aimer
+davantage; veux-tu que je te dise ce qui m'y attache plus encore? c'est
+que je trouve une certaine analogie entre son caractère et le
+tien[184]». On sent alors que, bien plus par amitié que par goût, il
+s'évertue à l'admirer, «l'adore», l'aime «infiniment plus
+qu'autrefois[185]». Pourtant, la première impression était la bonne et
+en 1811 il écrivait «...Ses idées m'amusent, mais ses opinions me
+fatiguent et me blessent... il faut être froid pour se plaire à
+Montaigne; je l'ai aimé tant que je n'ai rien eu dans le cœur;... tout
+ce que j'aime en lui, c'est son amitié pour La Boëtie[186]». Tel avait
+été le vrai motif de son admiration passagère: un seul point lui plut,
+où il retrouvait un sentiment personnel, son amitié pour Virieu; le
+reste lui échappa.
+
+[Note 183: _Id._, p. 148, du 19 août 1809.]
+
+[Note 184: _Id._, p. 253, du 26 juillet 1810.]
+
+[Note 185: _Id._, p. 260, du 10 août 1810.]
+
+[Note 186: _C._, I, p. 301, du 21 mai 1811.]
+
+Ainsi, chez, lui, tout se résume dans la première impression, et c'est
+la seule qui doive compter lorsqu'il s'agit de l'étudier, d'autant qu'il
+n'apportait aucun esprit critique dans ses lectures, aucune mesure dans
+ses admirations et qu'il lui suffisait pour goûter une œuvre d'y
+retrouver la description d'un de ses états d'âme, un sentiment déjà
+éprouvé, ou l'écho d'un souvenir; exaspérées ainsi, son imagination, sa
+sensibilité, l'imagination maladive qu'il portait en toutes choses
+faisaient le reste.
+
+Dominé par tant d'influences littéraires, il se trouvait à la merci de
+toutes les chimères qu'elles allaient faire naître et la moindre
+étincelle devait enflammer le brasier qu'il portait en lui. Mais il
+était fatal aussi que sa première émotion du cœur dût y gagner en
+violence plutôt qu'en sincérité, et le très romantique amour de
+Lamartine pour la jeune Henriette Pommier, inconsciente tentative
+d'appliquer à la vie les idées dont il était nourri, eut le bref
+dénouement que sa nature changeante laissait prévoir[187].
+
+[Note 187: Lamartine, qui se connaissait parfaitement, et souffrait
+de sa mobilité de sentiments, écrivait un jour à Virieu: «Nous sommes
+vraiment de singuliers instruments, montés aujourd'hui sur un ton,
+demain sur un autre; et moi surtout, qui change d'idées et de goût selon
+le vent qu'il fait ou le plus ou moins d'élasticité de l'air». (_C._,
+II, p. 16, du 28 mars 1813.)]
+
+Marie-Henriette Pommier, née à Mâcon le 1er mai 1790, était fille de
+Pierre Pommier, conseiller au bailliage avant la Révolution, puis juge
+de paix à Mâcon, et de Philiberte Patissier de la Presle, d'une vieille
+famille du pays. Elle était donc un peu plus âgée que Lamartine et c'est
+ainsi, sans doute, qu'il faut entendre la disparité d'âge dont il a
+parlé comme du premier obstacle au mariage qu'il avait projeté. D'autre
+part, sa naissance confirme ce qu'il a dit lui-même en écrivant qu'elle
+tenait d'un côté à la noblesse du pays et de l'autre à la bourgeoisie.
+
+Au dire de ceux qui les ont connus, les Pommier étaient d'honnêtes et
+simples gens: Mme Pommier était une excellente femme très vive et
+très spirituelle et qui, à quatre-vingts ans, montrait encore dans le
+monde de fort belles épaules. Sa demeure était située face à l'hôtel de
+ville de Mâcon devant lequel une sentinelle montait alors la garde; pour
+se délasser de ses longues insomnies, elle entamait parfois une
+conversation avec le factionnaire et ces duos nocturnes faisaient la
+joie des salons mâconnais.
+
+Sa fille était à vingt ans une merveilleuse créature: M. Duréault, qui a
+tenu entre les mains sa miniature exécutée à l'époque, et même un de ses
+souliers de bal, affirme que le portrait laissé d'elle par Lamartine
+est fort ressemblant et que «sa beauté pensive, sa taille mince, sa
+démarche svelte, la grâce de ses bras, l'inimitable délicatesse de ses
+pieds, la langueur morbide de son cou, son sourire à la fois charmant et
+mélancolique» sont autant de détails fidèles et qui n'ont pas été
+exagérés par le poète.
+
+Les jeunes gens se rencontrèrent en soirée, à l'un de ces bals où nous
+avons vu fréquenter le jeune homme pendant l'hiver 1810-1811. Dans les
+_Mémoires inédits_, Lamartine n'a nommé leur hôtesse que de son
+initiale: c'était Mme de la Vernette, femme de Pierre-Bernard de la
+Vernette, ancien capitaine au régiment de Navarre et chevalier de
+Saint-Louis, qui, très mondaine et lettrée, recevait dans ses salons
+l'élite de la société de la ville; les jeunes dansaient, disaient des
+vers; les hommes causaient littérature et politique: un soir, Henriette
+Pommier dont la voix était fort belle se mit au piano, et Lamartine céda
+au charme[188].
+
+[Note 188: Les _Mémoires inédits_ nous apprennent qu'un certain M.
+F. C., domicilié à Saint-Clément-lès-Mâcon, aurait joué un rôle assez
+étrange dans l'aventure, soit qu'il favorisât les entrevues des jeunes
+gens chez lui, soit qu'il se proposât comme ambassadeur. Les souvenirs
+de Lamartine sont-ils en défaut sur ce point? Il n'y avait en effet, en
+1811, aucun M. F. C., propriétaire à Saint-Clément.]
+
+C'est au début de février 1811 que Guichard reçut la confidence de cette
+passion naissante[189] et il faut noter que, d'après la
+_Correspondance_, l'austère Virieu ne fut pas tenu au courant de tous
+les détails de l'aventure. À cette date, l'amoureux n'avait pas encore
+osé se déclarer et le roman en était d'ailleurs à ses premières pages,
+puisqu'il annonçait à son ami qu'il allait faire «un de ces jours» une
+pathétique déclaration et serait ensuite soulagé «en grande partie».
+Mais, incapable qu'il était de se maîtriser, les salons de Mâcon
+commencèrent à s'étonner de son assiduité auprès de la jeune fille.
+Faut-il croire ici que l'oncle, connaissant le caractère fantasque du
+neveu, ait tenté une diversion en le faisant admettre à l'Académie de
+Mâcon malgré ses vingt ans[190]? L'hypothèse n'aurait rien
+d'invraisemblable, en tenant compte des idées de Louis-François, qui
+jusqu'ici n'avait guère encouragé les goûts littéraires de l'adolescent.
+Quoi qu'il en soit ce fut peine perdue, sa devise du jour étant: _Rien
+ne m'est tout_ (?), _tout ne m'est rien_[191]. Sa détresse, qu'il
+exposait avec complaisance, entra alors dans la phase mélancolique:
+Ossian, Young et Shakespeare voisinèrent sur sa table et il errait, à
+l'en croire, à travers la campagne avec son chien, pleurant «comme un
+enfant» à la lecture de Sterne[192]. Virieu--qui semble ignorer encore
+les causes de cette nouvelle désespérance--s'en inquiéta et lui arracha
+le serment de ne pas mettre fin à ses jours, ce qui lui fut accordé
+somme toute avec assez de bonne volonté[193].
+
+[Note 189: _C._, I, p. 289-90, du 1er février 1811.]
+
+[Note 190: Sur Lamartine à l'Académie de Mâcon, cf. Reyssié (_op.
+cit._), qui a publié les procès-verbaux de sa réception, et le _Compte
+rendu_ des travaux de cette société pour 1811, où l'on trouve une
+analyse de son discours; il avait pris pour sujet: De l'étude des
+langues étrangères.]
+
+[Note 191: _C._, I, p. 291, du 24 mars 1811.]
+
+[Note 192: _Id._, _ibid._]
+
+[Note 193: _C._, I, p. 291, du 24 mars 1811.]
+
+Il faut croire que mars avait vu sa déclaration; le 2 avril, en effet,
+il écrivait à Guichard une lettre enflammée: «Oui, mon ami, plains-moi,
+pleure sur moi! je suis bien digne de quelque pitié. J'aime pour la vie,
+je ne m'appartiens plus et je n'ai nulle espérance de bonheur
+quoiqu'étant payé du plus tendre retour; tout nous sépare, quoique tout
+nous unisse, je vais prendre incessamment un parti violent pour obtenir
+sa main à vingt-cinq ans[194].» Le «parti violent» fut de s'ouvrir à la
+famille de ses projets, et l'on peut penser, comme il l'a dit, qu'ils
+furent mal accueillis. Il était sans position, la dot de la jeune fille
+assez mince, et l'alliance Pommier ne tentait guère l'aristocratique
+Louis-François. Les Lamartine furent inébranlables, et il n'obtint pas
+même, cette fois, la demi-promesse qu'on lui accordait d'habitude, en
+laissant au temps ou à quelque nouvelle chimère le soin d'apaiser son
+imagination.
+
+[Note 194: _Id._, p. 296, du 2 avril.]
+
+Voici pourtant chez lui l'indice d'une passion sérieuse: malgré tout son
+amour de l'indépendance, écrivait-il à Guichard, il se décidera à
+travailler[195]. Le projet était encore assez vague puisqu'il s'agissait
+de solliciter à l'automne un emploi quelconque dans le gouvernement.
+Mais l'intention connut même un semblant d'exécution. Le 24 avril, sa
+mère a en effet noté qu'au cours d'une visite à Champgrenon chez les
+Rambuteau il se fit présenter au comte Louis de Narbonne, ministre de
+France en Bavière, qui le reçut avec amabilité et l'engagea à venir à
+Paris, où il lui trouverait une situation. «Tout cela peut avoir plus de
+danger, peut-être encore, que d'utilité», ajoute Mme de Lamartine.
+Ainsi, bien qu'elle semble s'être fait un scrupule de rester neutre dans
+la question,--c'est la seule allusion à Mlle Pommier que l'on
+rencontre dans son journal--on voit qu'elle n'était pas favorable à ce
+mariage et préférait encore voir son fils inactif.
+
+[Note 195: _Id._, p. 296-97, du 2 avril 1811.]
+
+La résistance qu'il rencontrait ne fit qu'aggraver, comme toujours, son
+exaltation, et il décida d'employer la suprême ressource: ne pouvant
+rien obtenir qui lui donnât l'assurance d'une «libre aisance», il
+entrera dans l'armée «et essaiera de se faire tuer, ou du moins,
+ajoute-t-il prudemment, d'acquérir un grade qui le fera vivre, sa femme
+et lui[196]». Il disait _sa femme_, «parce que je la regarde comme telle
+et que rien au monde ne peut nous séparer».
+
+[Note 196: _C._, I, p. 296-97, du 2 avril 1811.]
+
+L'affaire devenait sérieuse, mais les Lamartine tinrent bon. Usant d'une
+tactique qui leur avait déjà réussi, ils l'expédièrent bon gré mal gré à
+Montculot vers la fin d'avril. Le 20 mai il était de retour, dégoûté de
+la Bourgogne qu'un «tendre attachement» ne parvenait même pas à lui
+faire aimer, toujours cruellement amoureux[197], et proclamant tout haut
+l'éternité de ses sentiments en même temps que la barbarie de sa
+famille. À l'en croire même, Mme Pommier serait venue alors trouver
+les Lamartine pour leur soumettre avec beaucoup de loyauté une lettre
+d'Alphonse à _sa femme_, où il jurait que rien ne pourrait les désunir.
+À tout prix, cette fois, il fallait l'éloigner; mais sur ce point il
+était intraitable, à moins, sans doute, d'une occasion exceptionnelle.
+Il s'en présenta une qui le fit réfléchir.
+
+[Note 197: _C._, I, p. 299, du 20 mai.]
+
+ * * * * *
+
+Le 22 mai, Mme de Roquemont et sa fille Mme Haste, qui revenaient
+de Paris, s'arrêtèrent quelques jours à Mâcon. Mme de Roquemont, de
+tout temps la confidente de sa cousine, fut mise au courant de la
+situation: Mme de Lamartine lui représenta «la maladie de nerfs»
+d'Alphonse, «la vivacité de son âge et son imagination», en même temps
+que ses conséquences actuelles. Mais que faire? elle ne voulait pas
+entendre parler d'un long voyage sans contrôle possible, et préférait
+encore le voir à Mâcon près d'elle; que deviendrait-il, une fois seul,
+avec cette imagination ardente?
+
+M. et Mme Haste, prêts à partir pour l'Italie, s'offrirent alors avec
+beaucoup de bonne grâce à tirer leurs cousins d'embarras en emmenant le
+jeune homme avec eux, et tous les Lamartine furent d'accord pour saisir
+une telle occasion; les deux oncles et les trois tantes fournirent
+chacun vingt-cinq louis, et cette fois avec empressement, tandis que le
+père complétait de son mieux la somme nécessaire. Le plus difficile
+restait à faire: il s'agissait maintenant de décider le jeune amoureux.
+
+Au premier mot qu'on lui en toucha, il n'eut pas, d'après sa mère, la
+moindre hésitation, et sauta littéralement de joie. Depuis deux ans
+l'Italie était un de ses rêves, et il sacrifia sans regret l'autre pour
+celui-là, plus neuf et immédiatement réalisable. «Il faut bien que je
+rompe les liens les plus doux, écrit-il aussitôt à Guichard, que je me
+condamne pendant sept ou huit mois à une douleur mille fois pire que la
+mort, que j'abandonne tout ce qui m'est le plus cher dans le monde après
+mes deux amis. N'en parlons plus, ne rouvrons pas les blessures trop
+fraîches et trop cruelles[198]....» À Milly on pouvait respirer, car la
+diversion était trouvée.
+
+[Note 198: _C._, I, p. 310, du 10 juin 1811.]
+
+Certes, dans l'intention un peu excusable de ne pas paraître trop
+inconstant aux yeux de Guichard qui avait reçu la confidence de ses
+désespoirs, son ancienne passion figurera par des rappels de ton dans
+les premières lettres d'Italie: «Ô mon cher ami! tu ne sais donc pas
+tout ce que j'ai laissé en France? s'écriera-t-il lyriquement; tu ne
+sais donc pas que toute espérance est morte dans mon cœur et que, plus
+à plaindre que Saint-Preux, je n'aurai connu qu'une passion sans aucune
+jouissance, et qui va me précipiter dans un abîme sans fond[199]?» Les
+lettres à Virieu sont d'une autre désinvolture: «Que de larmes vont
+couler! lui dit-il, combien j'aurai d'assauts à soutenir pour ne pas me
+dédire! mais j'ai du cœur (!) et toutes les Armides de ma patrie ne
+retiendront pas un pauvre chevalier qui va courir les aventures[200]».
+
+[Note 199: _C._, I, p. 323-24, du 13 oct. 1811.]
+
+[Note 200: _Id._, p. 306, du 30 mai 1811 où l'on trouve: «...Une
+occasion charmante et unique s'est présentée: ils l'ont saisie et, tout
+malheureux que je me trouve de quitter pour sept ou huit mois, tout ce
+que j'aime, j'en profite. La fortune ne sourit pas deux fois dans la
+vie, et l'occasion n'a qu'un cheveu». Toute la lettre est d'ailleurs
+incroyable de contrastes et quelque peu incohérente.]
+
+Le moyen, en effet, de résister au plaisir très littéraire d'aller
+traîner sa mélancolie sous le ciel de Rome ou de Florence? Bien avant le
+départ, l'amour d'Henriette n'était plus qu'un souvenir, et rien ne
+peint mieux cette extrême mobilité de sentiments, cette âme changeante
+et si vite rassasiée, soumise qu'elle est à toutes les influences
+extérieures, cette imagination vagabonde que rien ne peut fixer.
+
+L'imagination qui venait en effet de jouer le premier rôle dans cette
+aventure va trouver un aliment nouveau dans ce projet de voyage. Tout y
+sera prévu minutieusement, organisé d'après un plan, rigoureux et précis
+au départ, mais qui, pas davantage que les précédents, ne rencontrera
+d'exécution. C'était là son véritable plaisir, et la réalisation lui
+importait peu. Un jour, il demandait à Virieu des recommandations «pour
+des gens instruits ou des maisons agréables[201]», un autre il
+échafaudait les travaux les plus magnifiques: «Moi aussi, je ferai mon
+voyage, mon itinéraire», s'exclamait-il en évoquant ses souvenirs
+littéraires; et il devait revenir parlant l'italien le plus pur et le
+grec[202].
+
+[Note 201: _C._, I, p. 306, du 30 mai 1811.]
+
+[Note 202: _Id._, _ibid._]
+
+Tous furent enchantés de cette diversion inespérée. Mais la mère avait
+fini par acquérir un peu d'expérience de son fils; elle saisissait bien
+les motifs de ce revirement soudain, et lorsqu'elle écrivait: «Ce voyage
+est au moins très utile en ce moment pour occuper l'activité de sa tête
+et de son imagination de vingt ans», elle voyait juste, l'imagination
+seule était responsable; craignant même que ce beau feu ne s'éteignît
+comme les autres elle pressa le départ et l'expédia à Lyon le 1er
+juillet. «Enfin, note-t-elle ce jour-là avec soulagement, tout a fini
+par s'arranger à notre satisfaction et surtout à celle d'Alphonse.»
+
+Ainsi se termina ce petit roman dont Vignet, étonné d'un si rapide
+oubli, lui reprochait au retour de Naples d'avoir perdu la mémoire[203].
+La fin en est conforme à ce qu'il a raconté: le 25 août 1813, Henriette
+Pommier épousait à Mâcon Jean-Baptiste Leschenault du Villard ancien
+capitaine de chasseurs, sans que son premier et volage fiancé s'en soit
+désespéré; il était alors à Paris où d'autres plaisirs avaient remplacé
+cet innocent commentaire de Jean-Jacques. De part et d'autre les deux
+familles avaient tenu peu compte de ces enfantillages, puisque
+François-Louis de Lamartine fut témoin au mariage de la jeune fille.
+
+[Note 203: Cf. _Correspondant_, _op._ _cit._]
+
+Henriette vécut aux environs de Mâcon, et elle repose aujourd'hui dans
+la petite chapelle triste de la demeure où elle coula des jours sans
+histoire. Regretta-t-elle, aux heures triomphales que connut Lamartine,
+de ne pas partager sa gloire et de n'avoir pas réalisé son rêve de jeune
+fille? La postérité, elle, n'a pas à le déplorer: Lamartine marié à
+vingt et un ans n'eût pas été le poète des _Méditations_.
+
+
+
+
+CHAPITRE III
+
+LE VOYAGE D'ITALIE
+
+
+Le voyage d'Italie, suite imprévue mais agréable de tant d'infortunes,
+n'eut pas sur le développement poétique de Lamartine l'influence qu'on
+lui a trop souvent prêtée.
+
+Florence et Rome étaient pourtant le cadre parfait d'un amour malheureux
+et le soupçon de mélancolie qu'il emportait avec lui était à l'époque un
+élément indispensable pour goûter pleinement le charme des ruines et des
+monuments. Au fond, ce voyage était très littéraire, ce qui l'enchanta,
+tout pénétré qu'il était alors de l'Oswald de _Corinne_. Mais il partait
+pour l'Italie en touriste, le crayon à la main, plus soucieux au début
+de chercher des impressions que de les laisser venir à lui
+d'elles-mêmes; sa _Correspondance_ et son bref carnet de voyage sont là
+pour en témoigner. Huit ans plus tard, Lamartine mûri et désenchanté eût
+été séduit par bien des détails qui en 1811 le laissèrent indifférent.
+Ce qu'il aima surtout dans ce séjour fut l'indépendance qu'il lui
+procura; les nuances, la poésie un peu triste des choses lui échappèrent
+complètement. Parfois on rencontre dans ses notes quelque froide
+réminiscence de Chateaubriand ou de Volney dont sa prose essoufflée
+essaye en vain d'imiter le rythme; à Naples enfin, la contrainte qu'il
+s'était imposée lui devint insupportable et il abandonna Pétrarque,
+qu'il s'efforçait de lire sans y comprendre grand'chose[204]; grisé de
+lumière et de liberté, il fut jeune, insouciant, avide de plaisir et se
+laissa vivre indolemment. Nous retrouverons cet état d'âme en 1822:
+_Ischia_, _Philosophie_, _le Passé_, la suave _Élégie_ des Nouvelles
+Méditations, appartiennent à la même inspiration que l'_Hymne au
+Soleil_, _À Elvire_ et _le Golfe de Baia_.
+
+[Note 204: _C._, II, p. 15, du 28 mars 1813.]
+
+Sans doute, on peut faire avec justesse des rapprochements entre divers
+passages du _Carnet_ et certains fragments des _Méditations_; mais ces
+réminiscences nous paraissent trop directes, surtout si l'on tient
+compte du peu de précision de Lamartine, pour ne pas admettre qu'ayant
+eu en 1819 à décrire quelques monuments ou aspects d'Italie, il ait
+alors fait appel à ses notes de voyage, rédigées autrefois dans un vague
+but littéraire. Quoi qu'on puisse dire, Pétrarque et Lamartine n'ont pas
+de rapports. Pétrarque chanta l'amour idéal; après _le Lac_, Lamartine
+pleura l'amour impossible et par la force des choses finit par tourner
+au pétrarquisme, pétrarquisme infiniment plus humain, pourrait-on dire,
+que celui du maître italien. Du fait que nous possédions un petit
+Pétrarque ayant appartenu au poète, dont un sonnet au moins fut traduit
+par lui, il serait imprudent de conclure à une influence aussi profonde
+que celle d'Young, car les traductions de poètes étrangers, auxquelles
+il s'astreignit souvent dans sa jeunesse, ne furent jamais pour lui que
+des exercices de versification. Il n'existe dans son œuvre aucune
+ambiance italienne mélancolique ou douloureuse, car il ne connut
+l'Italie qu'à des moments d'accalmie et d'insouciance où ses maîtres
+furent Horace ou Catulle et non pas Pétrarque.
+
+En 1811, Lamartine quittait la France obsédé par les souvenirs de
+Chateaubriand et de Mme de Staël et cet état d'esprit persista
+pendant la première partie du voyage; à Rome, on voit par le _Carnet_
+qu'il commençait déjà à lutter contre eux; à Naples, enfin, il s'en
+libéra complètement et ses vingt ans reprirent le dessus. Il
+s'abandonna, ébloui, enchanté, et au thème de la vie trop longue succéda
+celui de l'heure trop brève. Il est regrettable qu'il ait brûlé plus
+tard toutes les poésies écrites à cette époque, mais cet autodafé
+indique qu'elles devaient différer de sa seconde manière; pourtant les
+trois _Méditations_ que nous avons nommées, les seules qu'il conserva,
+prouvent suffisamment qu'au cours de ce séjour en Italie il lut, goûta
+et comprit surtout les élégiaques latins.
+
+Lamartine et ses compagnons de route quittèrent Lyon le 15 juillet et la
+veille Mme de Lamartine écrivait dans son journal:
+
+«Alphonse doit demain partir pour l'Italie; ils vont en voiture à
+Livourne où M. de Roquemont a une maison de commerce; ils y resteront
+deux à trois mois. De là, ils iront à Rome et peut-être à Naples. C'est
+un charmant voyage pour mon fils et j'espère qu'il sera profitable à sa
+santé qui n'est toujours pas très forte. Mais il sera au moins très
+utile en ce moment pour occuper un peu l'activité de sa tête et de son
+imagination de vingt ans.»
+
+À Chambéry où il s'arrêta trois jours, il rencontra Virieu et se rendit
+avec lui en pèlerinage aux Charmettes[205]; puis, les voyageurs prirent
+le chemin de Livourne en passant par Turin, Milan, Bologne, Parme et
+Florence[206].
+
+[Note 205: _C._, I, p. 316, du 8 sept. 1811.]
+
+[Note 206: _Id._, p. 318, _id._]
+
+Les premières impressions sont assez décevantes: «Ah! le triste pays que
+l'Italie, écrit-il à Virieu, si on veut y vivre avec les vivants! aucune
+politesse, aucune prévenance, personne qui réponde aux vôtres. Voilà du
+moins ce que j'ai vu jusqu'à Bologne. Quand je trouve un Français, je
+l'embrasserais volontiers. Je parle à tous nos soldats que je rencontre,
+ils sont plus aimables qu'un seigneur italien[207].» Il oubliait qu'être
+Français, à cette époque d'oppression française, n'était pas un titre
+de recommandation à l'étranger.
+
+[Note 207: _Id._, p. 314, s. d.]
+
+Arrivé à Livourne au début de septembre, il demeura deux mois dans cette
+ville anti-artistique s'il en fut, assez désabusé et regrettant comme
+toujours ce qu'il avait fui si joyeusement[208]. Pendant que M. Haste
+s'occupait des affaires de son beau-père, il poussa quelques pointes à
+Florence, à Pise, à Vienne, guettant l'arrivée prochaine de Virieu pour
+entreprendre le voyage de Rome[209]. Mais celui-ci se faisait attendre
+et un événement imprévu vint encore retarder le projet. M. Haste perdit
+son père et fut obligé avec sa femme de regagner Lyon sans retard.
+
+[Note 208: _C._, I, p. 316-319, du 8 sept.]
+
+[Note 209: _Id._, _ibid._]
+
+«Alphonse est alors resté seul, écrit la mère le 9 novembre. Ses oncles
+et tantes étaient d'avis qu'il revînt aussi, mais nous avons trouvé avec
+mon mari qu'il serait trop cruel de ne pas le laisser aller jusqu'à Rome
+dont il est si près et nous lui avons permis de continuer jusque-là. Il
+a aussi demandé d'aller passer huit jours à Naples chez M. de
+Fréminville, auditeur sous-préfet à Livourne, avec qui il s'est fort
+lié, et nous avons accordé. Le seul obstacle à la prolongation de son
+voyage est l'argent: ses oncles et tantes ont donné entre eux
+soixante-douze louis, et nous, ce que nous avons pu, ce qui n'est pas
+bien considérable. Enfin, il ménagera de son mieux pour pouvoir aller
+plus loin; cela l'accoutumera à l'économie dont il avait grand besoin.»
+
+Ainsi, grâce à l'exquise bonté de sa mère, Lamartine triomphait encore;
+aussitôt il quitta Livourne pour se rendre à Rome où il arriva le 1er
+novembre, sans Virieu retenu toujours au Grand-Lemps[210].
+
+[Note 210: _Carnet de voyage_.]
+
+Ici, la documentation devient difficile; nous avons bien plusieurs
+lettres de lui qui exposent sa vie et ses impressions dans la Ville
+éternelle, mais elles se contredisent parfaitement. Le carnet de voyage
+reflète le désenchantement le plus absolu; la _Correspondance_ est vive,
+spontanée, pleine d'enthousiasme: c'est que l'un fut écrit, on le sait,
+avec l'idée vague d'une publication future, tandis que les lettres nous
+donnent l'expression de ses véritables sentiments.
+
+La description qu'il a laissée de Rome dans son carnet est sèche et
+soignée; c'est un tableau banal, sans plus, mais la seule note
+personnelle qu'on y rencontre mérite une mention, car elle prouve une
+connaissance avertie de la nature perpétuellement insatisfaite qu'il
+possède. On a vu sa joie enfantine au départ de Mâcon, et tout ce qu'il
+a mis en œuvre à Livourne pour atteindre Rome; une fois au but, voici ce
+qu'il en pense: «Je m'étais trop accoutumé, dit-il, à l'idée de voir
+Rome, ce nom-là avait perdu pour moi de son enchantement; je l'avais
+prononcé trop souvent, l'illusion était diminuée. C'est un malheureux
+effet qu'avec mon caractère j'éprouve partout et pour tout. De loin
+c'est quelque chose, et de près... c'est moins que ne me promettait mon
+imagination qui va toujours trop loin et me ménage sans cesse de tristes
+surprises; elle promet plus que la réalité ne peut donner et, ici comme
+ailleurs, elle m'avait trompé.» Il n'y a pas dans cet aveu que des
+souvenirs littéraires.
+
+Le reste des impressions de voyage est quelconque, les clairs de lune,
+les ombres vaporeuse s'y mêlent à des souvenirs classiques et à de
+pompeuses réflexions; les lettres ont un autre prix.
+
+«Je suis à présent fou de Rome, écrit-il à Mme Haste le 15 novembre;
+c'est un paradis pour moi. Le matin, je cours, et j'ai bien de quoi
+m'occuper, je vous assure; je dîne à quatre heures avec d'aimables
+compagnons de course, et puis une longue leçon d'italien et puis des
+artistes à aller voir, et le spectacle et quelques _converzationi_ ne me
+laissent pas une minute d'ennuy.... Florence n'est rien auprès de Rome,
+je me pendrais si je ne l'avais pas vue. Je forme l'agréable projet d'y
+venir passer une bonne partie de ma vie, c'est le paradis des artistes
+et des oisifs[211].»
+
+[Note 211: Lettre publiée par M. Doumic, dans le _Correspondant_
+(_op. cit._).]
+
+«Poète» et «artiste», au sens assez vague qu'il donnait alors à ces
+mots, Lamartine ne crut jamais l'être plus sincèrement qu'à cette
+époque. Artiste, depuis le séjour à Lyon, voulait dire bien des choses:
+cela signifiait qu'on méprisait le reste du monde et ses banales
+coutumes, qu'on vivait à sa guise, au gré du moment et sans l'accablant
+souci du lendemain. Pour être un parfait artiste, encore fallait-il une
+condition essentielle à ses yeux de vingt ans: l'oisiveté, la délicieuse
+liberté, loin de la famille antipoétique.
+
+On retrouve le même enthousiasme dans une lettre à Virieu; elle est
+datée du 18 novembre, soit de trois jours seulement postérieure à la
+première; mais comme on relève entre les deux de notables différences de
+détails, il devient assez difficile de connaître exactement quel genre
+de vie mena Lamartine à Rome:
+
+«...Tu sais que je suis à Rome depuis un certain temps, _j'y mène la vie
+d'un ermite_, j'erre le matin dans ses vastes solitudes, _tout seul le
+plus souvent_; je visite, un livre dans ma poche, ces belles et désertes
+galeries des palais romains, le soir je travaille ou vais visiter
+quelques artistes;... _il y a huit jours que je n'ai mis les pieds au
+spectacle_. Rome me plaît au delà de toute expression: son aspect, ses
+mœurs, son silence, sa tranquillité me font du bien. Si jamais des
+malheurs irréparables m'arrivaient, je viendrais me fixer ici. Je crois
+que c'est le lieu qui convient le mieux à la douleur, à la rêverie, aux
+chagrins sans espoir[212].»
+
+[Note 212: _C._, I, p. 330, du 18 nov. 1811. C'est d'ailleurs un
+phénomène fréquent dans la _Correspondance_: Lamartine ne se montrait
+pas sous le même jour à Virieu qu'à Guichard; mais il était,
+croyons-nous, plus sincère avec Virieu.]
+
+C'est le thème mélancolique du Carnet; mais si les deux lettres
+témoignent de la même admiration, on voit aussi qu'elles offrent un
+certain contraste. Laquelle est sincère? probablement les deux. Comme à
+Mâcon, Lamartine connut à Rome des revirements soudains, et chaque fois
+qu'il exprimait un état d'âme sa bonne foi était absolue. De son côté,
+Mme de Lamartine recevait des lettres fiévreuses, et elle écrivait le
+3 novembre:
+
+«Alphonse m'a écrit une lettre de Rome, dans le premier enthousiasme,
+sur toutes les beautés qu'il voyait. Il était vraiment enchanté, et il
+m'a fait partager son bonheur. Si j'étais plus riche, ajoute-t-elle
+mélancoliquement, je voudrais aller voir cette ville si célèbre, mais je
+dois à présent renoncer à toutes les satisfactions de ce monde.»
+
+Ainsi, il semble que Lamartine goûta très profondément la splendeur de
+Rome et s'y plut même au point d'hésiter à partir pour Naples. Il s'y
+décida pourtant à la fin de novembre[213].
+
+[Note 213: _Carnet de voyage_. _C._, I, p. 344, du 8 déc. 1811.]
+
+ * * * * *
+
+De tout le voyage d'Italie, c'est assurément le séjour à Naples qui lui
+laissa les plus fortes impressions. La _Correspondance_, les
+_Confidences_, les _Mémoires inédits_ témoignent de l'inoubliable
+souvenir qu'il en conserva. Cette fois, les projets d'étude étaient
+loin, la prose fut abandonnée et la poésie reprit ses droits: odes
+légères, païennes, latines, pleines de la joie de vivre, qui figurent
+par des rappels de ton dans des strophes exquises du _Passé_; par elles
+on peut se rendre compte de ce que furent ces premiers poèmes, détruits
+plus tard parce qu'ils portaient l'empreinte de la vie indolente et
+facile de Naples qu'il goûta sous ses deux formes les plus habituelles,
+l'amour et le jeu.
+
+Si l'on parvient à combler les lacunes de la _Correspondance_,
+manifestement très importantes pour 1811, il sera alors possible de
+connaître en détail la vérité sur ce séjour à Naples qui demeure encore
+très mystérieux. Peut-être l'épisode de _Graziella_ contient-il des
+morceaux autobiographiques aussi véridiques que _Raphaël_, peut-être les
+_Mémoires inédits_ sont-ils exacts sur bien des points; actuellement,
+pourtant, nous manquons de contrôle et, connaissant la poétique manière
+dont Lamartine a souvent traité ses souvenirs, il serait hasardeux ici
+de les accepter à la lettre.
+
+Mais Graziella, néanmoins, n'est pas qu'une héroïne de roman. Nous
+savons en effet par une des lettres publiées par M. Doumic, qu'elle
+exista réellement, bien mieux même, qu'elle porta la première ce nom
+d'Elvire qui devait plus tard immortaliser Mme Charles[214].
+Aujourd'hui, le seul renseignement précis que nous possédions sur la
+petite cigarière de Naples est celui-ci: En 1816, Lamartine avait fait
+parvenir à Mme Charles quelques-uns de ses poèmes; ils faisaient
+partie, sans doute, de ces deux volumes d'élégies composées de 1811 à
+1813, et inspirées, prétend Lamartine, par la mémoire de Graziella
+désignée sous le nom d'Elvire. Aussitôt, Mme Charles interrogea
+Virieu sur cette première Elvire et celui-ci répondit avec assez de
+désinvolture: _Oui, c'était une excellente petite personne pleine de
+cœur et qui a bien regretté Alphonse; mais elle est morte, la
+malheureuse! elle l'aimait avec idolâtrie! elle n'a pu survivre à son
+départ._ Et Mme Charles, en rapportant ces paroles à Lamartine,
+ajoute: «Oh, mon Alphonse! qui vous rendra jamais Elvire? qui fut aimée
+comme elle? qui le mérite autant? Cette femme angélique m'inspire jusque
+dans son tombeau une terreur religieuse. Je la vois telle que vous
+l'avez peinte et je me demande ce que je suis pour prétendre à la place
+qu'elle occupait dans votre cœur».
+
+[Note 214: Cf. R. Doumic, _Lettres d'Elvire à Lamartine_ (1 vol.,
+1905).]
+
+De ceci on peut déduire que la fin de Graziella, tout au moins, est
+exacte; mais Mme Charles ne s'exagérait-elle pas la passion de
+Lamartine pour la jeune fille? Par Graziella, comme par elle plus tard,
+comme par toutes les femmes, il se laissa sans doute doucement adorer,
+avec quelque cruauté, et quitte à pleurer plus tard ce qu'il avait
+perdu.
+
+Lamartine arriva à Naples le 1er décembre 1811; encore tout ébloui
+des merveilles de Rome, son intention était de n'y demeurer que peu de
+jours. Logé chez un cousin de sa mère, M. Dareste de la Chavanne,
+directeur des Tabacs, il pensait s'y ennuyer. Mais, dix jours après son
+arrivée, il reconnut que Rome était dépassée. Les notes de
+voyage--«l'itinéraire» qu'il s'était imposé--furent abandonnées le 13
+décembre, et ses lettres à Virieu montrent à l'évidence l'intensité
+voluptueuse des sensations nouvelles qu'il connut sous le ciel de
+Naples. Le 15 décembre, il écrit: «Je suis ici peut-être encore pour un
+petit mois, et qui sait? peut-être plus. Je n'ai fait aucune économie
+parce que étant tout seul je n'ai pas le courage d'en faire. J'ai tout
+jeté par les fenêtres et je suis à sec[215].» Un mois après son arrivée
+il était encore soumis au charme, ce qui peut paraître rare chez lui. La
+lettre est trop révélatrice de cet état d'âme pour ne pas la citer:
+
+«Sais-tu que dans ma belle indifférence j'étais tenté de ne pas venir à
+Naples? J'aurais perdu le plus beau spectacle du monde entier qui ne
+sortira plus de mon imagination, j'aurais manqué ce qu'il y a de plus
+intéressant en Italie pour une tête faite comme la nôtre. Les mots me
+manquent pour te décrire cette ville enchantée, ce golfe, ces paysages,
+ces montagnes uniques sur la terre, cet horizon, ce ciel, ces teintes
+merveilleuses. Viens vite, te dis-je, et tu crieras plus haut que moi.
+
+[Note 215: _C._, I, p. 342, du 15 déc. 1811.]
+
+«Je suis solitaire, je vis seul, partout seul, avec mon domestique et un
+guide. Je suis monté seul au Vésuve, j'ai déjeuné seul dans l'intérieur
+du cratère, je suis allé seul à Pompéi, à Herculanum, à Pouzzoles,
+partout; demain je vais seul à Baïa. Ah! que n'es-tu ici! Pourquoi le
+ciel a-t-il refusé à mes prières un compagnon tel que toi? mais je me
+soumets et me tais. Respectons les décrets de cette Providence inconnue
+que je cherche toujours et que je crois sentir quelquefois, surtout dans
+le malheur, Qu'en penses-tu?
+
+«Je me trouve en ce moment-ci sans le sol et avec des dettes à Naples.
+Je ne pourrai pas en partir si je ne trouvais pas une âme _charitable_
+qui eût la complaisance de me prêter quelques ducats. Je ne sais trop si
+je les trouverai. Je m'endors là-dessus et fais une dépense de fol en
+attendant. Tu ne saurais croire à présent à quel point je porte
+l'insouciance et l'imprévoyance partout, c'est l'air du pays: Je deviens
+un vrais lazzarone. J'ai gagné enfin le sommet élevé du haut duquel je
+vois tout sans que rien m'atteigne. Je dors, j'oublie le beau toscan, le
+majestueux romain, je parle napolitain, c'est une autre langue; je ne
+fais rien, rien du tout, je lis à peine des bêtises que j'ai lues cent
+fois; je ne vais ni dans la société ni même aux théâtres; je ne suis
+plus qu'un lourd composé de paresse, de mollesse, de fierté et de
+petitesse, ça m'est égal[216].»
+
+[Note 216: _C._, I, p. 343-46, du 28 déc. 1811.]
+
+Ainsi Florence et ses monuments, Rome et ses ruines, tout le charme
+mélancolique de l'Italie, cédèrent, de son propre aveu, devant le
+paysage et le soleil de Naples, _ce qu'il y a de plus intéressant en
+Italie pour une tête faite comme la nôtre_. Ainsi la simple nature
+l'emporta cette fois sur le décor, mais toujours avec l'indispensable
+élément sans lequel à ses yeux toute jouissance était imparfaite: la
+solitude. Ainsi l'indifférence la plus absolue fit vite place à
+l'inquiétude de cet insatisfait.
+
+À Naples, Lamartine connut les seules minutes d'apaisement et
+d'équilibre moral de toute sa jeunesse. Il y lut «des bêtises» et en fit
+pas mal; il écrivit des vers agréables mais dans le goût du temps, et il
+apparaît encore ici pleinement que chez lui, les grandes choses, ne
+s'engendreront jamais que dans la tristesse. À ne considérer strictement
+que ses résultats, ce voyage d'Italie ne lui fournit que des thèmes
+lyriques un peu factices et dépourvus d'originalité; il ne fut jamais
+fait pour chanter l'allégresse, mais la douleur.
+
+ * * * * *
+
+À la fin de janvier 1812 pourtant, il en arriva à être saturé de
+plaisirs, «sans émulation et sans curiosité pour rien[217]». «Sans
+l'espoir de te voir arriver, écrit-il alors à Virieu, il y a longtemps
+que j'aurais secoué la poussière de mes pieds. Je suis sans le sol, je
+viens de me mettre à jouer, j'ai gagné en deux jours une quarantaine de
+piastres. Je vais peut-être les reperdre ce soir en voulant pousser plus
+loin. Je maudis tout.» C'était la réaction habituelle; la lassitude
+succédant sans transition à l'enthousiasme.
+
+[Note 217: _C._, I, p. 355, du 22 janvier 1812.]
+
+Sous l'empire d'un tel état d'esprit et dans la situation pécuniaire où
+il se trouvait, rien ne le retenait plus à Naples, si ce n'est l'idée de
+reprendre sa vie monotone à Milly. Il regagna pourtant la France, mais
+sans hâte, s'attardant quelques semaines encore à Florence, puis à Rome.
+Après un court arrêt sur les bords du lac Majeur il traversa la Suisse
+et arriva à Mâcon au début de mai[218].
+
+[Note 218: _J. I._, table des matières.]
+
+L'accueil qu'on lui fit fut assez froid; on en trouve la preuve tacite
+dans la disparition de quelques feuillets du _Journal intime_, feuillets
+qui sont cités à la table du petit cahier avec la mention: _retour
+d'Alphonse, oisiveté, découragement_. Cette mutilation, comme beaucoup
+d'autres, est l'œuvre de Lamartine. Lorsqu'il rédigea à la fin de sa vie
+_le Manuscrit de ma mère_, il n'hésita pas, craignant sans doute que la
+postérité ne les retournât contre lui, à détruire plusieurs pages où sa
+mère avait noté en pleurant toutes les manifestations de son caractère
+ombrageux et difficile.
+
+Car le jeune homme s'accommoda mal de la petite vie régulière et simple
+qu'il lui fallut reprendre au retour. Après dix mois d'indépendance, le
+contraste fut violent et insupportable, d'autant qu'il avait pris en
+Italie le goût de plaisirs insoupçonnés jusqu'alors et l'habitude de
+dépenses qu'il ne pouvait guère satisfaire sous l'œil sévère de l'oncle
+de Montceau. Après le golfe de Naples et sa lumière, les collines de
+Milly lui parurent grises, sans horizon. Il devint sombre, incapable
+d'un effort pour se reprendre, s'enferma dans sa chambre à pleurer[219].
+
+[Note 219: _J. I._, 16 juin 1812.]
+
+À traîner ainsi son désœuvrement et sa mélancolie, il finit par
+inquiéter même son père qui, pour l'occuper un peu et l'attacher
+davantage à ce pays qu'il avait pris en horreur, le fit nommer maire du
+village[220]. À la fin de mai, n'y tenant plus, il se sauva à Montculot,
+sa retraite habituelle lorsqu'il voulait vivre avec ses souvenirs, car
+le brave abbé n'était pas gênant et le laissait libre[221]. Là, il lui
+emprunta quelques louis et hanté par Paris où il pensait retrouver un
+peu des plaisirs de Naples, il partit s'y installer les trois premières
+semaines d'août. En cette saison, la ville était vide et il s'y ennuya
+mortellement[222]. Le 20, on le retrouve à Milly, insupportable à tous,
+même à sa mère qui le trouve «nerveux et un peu dur»; on devine ce que
+«un peu dur» signifie sous cette plume.
+
+[Note 220: _Id._, 25 juin, et archives communales de Milly. Il
+demeura maire jusqu'en 1815, mais s'occupa rarement des affaires du
+village, sauf au moment de l'invasion de 1814 où il dut fournir les
+réquisitions de l'armée autrichienne.]
+
+[Note 221: _Id._, 27 mai 1812.]
+
+[Note 222: _C._, I, p. 364, du 20 août 1812.]
+
+Comme toujours dans ces crises, fréquentes on l'a vu, depuis trois ans,
+il se réfugia dans la solitude, écœuré de cette vie «trop longue»[223].
+Puis l'imagination se mit à vagabonder et lui rendit quelque force: il
+rêva d'un ermitage à la Rousseau où Virieu et Guichard seraient ses
+compagnons[224] et, pour se distraire, il rima en quinze jours le
+premier acte d'un _Saül_, fuyant le monde non plus cette fois par
+timidité, mais par dégoût et mépris; le mariage de sa sœur le
+«dérangeait» et le «cher beau-frère» l'ennuyait[225]. Petite vanité
+d'adolescent qui vient de découvrir le monde et médit de sa mesquine
+province. Il ne faut pas s'exagérer la portée de ce nouvel état
+d'esprit, mais on doit constater seulement qu'au retour d'Italie,
+Lamartine souffrit d'une rechute aiguë de sa neurasthénie.
+
+[Note 223: _C_., I, p. 364, du 20 août 1812.]
+
+[Note 224: _Id_., _ibid._]
+
+[Note 225: _Id_., p. 371, du 17 nov. 1812.]
+
+
+
+
+CONCLUSION
+
+LAMARTINE À VINGT ET UN ANS
+
+
+Les enfants qui naquirent du début de la Révolution à la fin de l'Empire
+connurent tous une jeunesse à peu près identique; elle influera
+profondément sur leurs destinées futures et déterminera jusqu'en 1830 le
+malaise général appelé romantisme et qu'il ne faut pas limiter à la
+seule littérature.
+
+Cette jeune génération a été jugée de trois manières différentes, mais
+qui toutes se justifient aisément pour peu que nous nous replacions dans
+les conditions où ces opinions contradictoires ont été formulées.
+
+Aux yeux de leurs parents, gens du XVIIIe siècle et endurcis par les
+rudes épreuves de la Révolution, ces adolescents apparaîtront le plus
+souvent comme des incapables et des inutiles, désarmés devant
+l'existence, amollis par leur éducation toute féminine et qui rompent
+avec les saines traditions de la famille. Les mères les ont élevés
+jalousement, avec la crainte éternelle de les voir parcourir l'Europe à
+la suite du conquérant: ainsi tenus à l'écart de la seule activité que
+connurent les hommes d'alors, puisque la politique était muselée, ils se
+réfugièrent entièrement dans le monde de la pensée; l'énergie virile
+finit par s'user chez cette jeunesse contemplative et câlinée et leur
+âme n'exista bientôt plus comme volonté, mais comme sensibilité.
+
+À leurs propres yeux, ce qu'ils parviendront à voir de plus clair en
+eux-mêmes sera l'indécision de leur nature, incapable de rien fixer,
+déroutée qu'elle est par le contraste absolu du milieu et de leur
+personnalité. Les principes du passé dans lesquels ils ont été élevés
+leur pèsent durement, car ils ne cadrent plus avec les conditions de la
+vie nouvelle et surtout avec l'âme que les événements leur ont faite. Il
+en résultera un conflit perpétuel de sentiments intérieurs, une
+incertitude du but à atteindre, en un mot un véritable déséquilibre
+moral où le découragement et la lassitude finiront par dominer. À force
+de ne voir personne autour d'eux répondre aux passions, d'ailleurs
+indécises, qui les tourmentent, ils en arriveront vite à se croire
+différents du reste du monde, les uns avec orgueil, les autres avec
+tristesse; de bonne heure tout effort leur paraîtra vain, et ils vivront
+dès lors entièrement en eux-mêmes, dans une solitude mélancolique qui
+achèvera d'exaspérer leur sensibilité et de ruiner leur énergie morale.
+
+Aux yeux de la postérité enfin, ils seront des individus encore
+hésitants et isolés, doutant de leur destinée jusqu'au jour où le
+groupement en commun les révélera à eux-mêmes en apportant à chacun la
+preuve que les sentiments confus et contradictoires qui l'agitent ne lui
+sont pas particuliers.
+
+Lamartine à vingt et un ans résume en lui tous les caractères de ces
+jeunes âmes inquiètes où le passé et le présent se livrent une lutte de
+tous les instants. À considérer le romantisme comme une expansion
+débordante de l'individu, il est en date et en fait le premier des
+romantiques; il devient au contraire le dernier des classiques si l'on
+étudie le mouvement littéraire de son époque en tant qu'affranchissement
+des vieilles formules. C'est qu'en réalité son œuvre reflète sa vie
+même, classique de forme, romantique de pensée, comme toute son
+adolescence où l'on assiste au conflit quotidien de ses aspirations très
+romantiques et de son éducation très classique.
+
+ * * * * *
+
+Dans toute destinée, il est une part dont l'homme n'est pas responsable,
+faite de trois éléments infiniment délicats et qu'il est difficile
+d'apprécier à leur valeur. L'un comporte ce que les ancêtres lui ont
+transmis d'instincts ataviques, peu à peu anéantis, modifiés ou
+développés selon les circonstances ou les conditions nouvelles de la
+vie; l'autre est l'œuvre de ceux dont il dépend pendant son enfance et
+qui assument la tâche de façonner son âme au moment où elle est encore
+molle; le dernier, enfin, comprend la manière dont la société
+l'accueille le jour où il est forcé d'avoir recours à elle, avec
+sympathie, pitié, mépris ou indifférence. C'est leur étude que nous
+avons tentée pour Lamartine dans les pages qui précèdent et il nous
+semble que si on voulait maintenant les résumer brièvement il serait
+possible de le faire ainsi:
+
+Une hérédité saine et attachée au sol natal, foncièrement religieuse et
+point corrompue par les théories matérialistes du XVIIIe siècle; un
+milieu intransigeant et formaliste qui s'efforce de perpétuer
+tardivement les traditions du passé, et redoute d'autant plus les idées
+du temps qu'il les croit issues d'une époque dont il a souffert et d'un
+régime qu'il abhorre; une mère profondément pieuse, aimante et tendre,
+mais sentimentale à l'excès, inquiète et doutant d'elle-même; un père
+excellent, quoique indifférent aux nuances de l'âme; un décor
+naturellement mélancolique, mais qui le deviendra davantage encore aux
+yeux d'un adolescent avide de sensations nouvelles, de plaisirs et de
+liberté.
+
+Puis un enfant dont les premières années ont été assombries et
+silencieuses, d'une nature tendre, comme celle de sa mère, décidée et
+volontaire, comme celle des Lamartine; une première éducation toute
+paysanne et maternelle, remplacée sans transition par l'internat loin du
+foyer et dont la contrainte l'affecte profondément; plus tard, des
+études peu solides et exclusivement religieuses chez les Jésuites de
+Belley où s'exalte encore sa précoce sensibilité.
+
+Enfin, à dix-huit ans, le retour dans la famille, début d'une période de
+long désœuvrement. Dès cette époque, sinon une vocation littéraire très
+nette, du moins une extrême facilité pour la poésie; mais aucune
+direction dans ses goûts qu'il lui faut cacher, aucun plan d'études
+sérieusement organisé, en un mot une dépense inutile d'énergie accrue
+encore par une imagination impossible à maîtriser et des lectures
+d'autant plus impressionnantes qu'elles sont faites en secret; une âme
+mobile et pleine de contrastes, à la merci de toutes les chimères,
+prompte à s'enthousiasmer mais qu'un rien rebute, et faite de
+revirements brusques comme si elle était perpétuellement à la recherche
+de l'équilibre qui lui manque; des froissements avec le chef de famille,
+dont il sort aigri et découragé; des amis qu'il voit de loin en loin et
+dont le meilleur des confidences s'échange par lettres toujours plus
+exagérées et moins soulageantes que les paroles; quelques amourettes
+plus cérébrales que physiques, des ébauches poétiques qui l'enflamment
+encore: en tout, enfin, une conception uniquement littéraire et
+romanesque de l'existence.
+
+La famille s'inquiète de ces tendances et commence alors à les combattre
+par tous les moyens dont elle dispose; elle décide enfin de l'éloigner,
+et c'est le voyage d'Italie pour changer d'air ce grand garçon dont
+l'oisiveté irrite sourdement les siens. Mais les conséquences n'en
+furent pas celles qu'ils avaient prévues, puisqu'au retour de Naples le
+fossé va s'approfondir encore entre le jeune homme et son milieu.
+
+Ici se termine la jeunesse de Lamartine; dans une seconde partie, qui
+comprendra les années 1812-1820, nous étudierons prochainement les deux
+grandes crises morales qui le mûriront en modifiant complètement sa
+nature et d'où naîtront les _Méditations_.
+
+Mâcon-Paris, 1908-1910.
+
+* * *
+
+
+
+
+APPENDICE
+
+GÉNÉALOGIE ET BIBLIOGRAPHIE DE LA FAMILLE DES ROYS
+
+
+Descendance d'Antoine Grimod et de Marguerite le Juge.
+(Sept enfants.)
+
+Ier Rameau: _de la Reynière_, fondu dans les familles DE MAC-MAHON,
+DE ROSANBO, DE LA TOUR DU PIN-VERCLAUSE et DE TOCQUEVILLE.
+
+ Gaspard Grimod (1687-?),
+ ép.: 1º Jeanne Labbé (?);
+ 2º Marie Mazade (1719)
+ (remariée à Honoré de la Ferrière).
+ |
+----+-------------------+----------+-------+-------------------+
+ | | | |
+_1er lit._ _1er lit._ _2e lit._ _2e lit._
+Jean-Gaspard Marie-Françoise Françoise-thérèse Marie-Madeleine G.
+G. de la Reynière G. de la Reynière, G. de la Reynière, de la Reynière, ép.
+(1723-1797), ép. ép. Jean-Louis ép. Chrétien Marc-Antoine de
+Françoise de Moreau de Beaumont Guillaume de Lévis-Lugny.
+Jarente (1753). (1743). S. P. Lamoignon de
+ | Malesherbes.
+ | |
+Alexis-Baltazar Marguerite-Thérèse
+Laurent G. de la de Lamoignon
+Reynière ép. Louis le
+(1785-1837) ép. Peletier de Rosanbo.
+Adèle Thérèse |
+Feuchère. S. P. ----+-------------------+-------------------+--------------
+ | | |
+ Jean-Marie-Louis Thérèse de Rosanbo Louise-Madeleine
+ de Rosanbo (1771-1794), de Rosanbo
+ (1777-1856), ép. ép. J.-B.-Auguste (1771-1856), ép.
+ Henriette-Geneviève de Chateaubriand J. Bonaventure de
+ d'Andlau (1798). (1786). Tocqueville (1796).
+ | | |
+----+-------------------+-------------- | |
+ | | | |
+Henriette-Madeleine Ludovic de Rosanbo Louis-Geoffroy de Alexis-Charles-Henry
+de Rosanbo, ép. (1805-1862), Chateaubriand de Tocqueville
+Charles, marquis ép. Elisabeth-Aglaé (1790-1878), ép. (1805-1859).
+de Mac-Mahon. de Ménard. Henriette-Zélie
+ d'Orglandes.
+
+* * *
+
+IIe Rameau: fondu dans les familles DARESTE, D'HAUTEROCHE, CARRA DE
+VAUX, et par les LAMARTINE dans les familles DE CESSIAT, DE COPPENS, DE
+LIGONNÈS, DE MONTHEROT et leur postérité.
+
+Marguerite Grimod,
+ép. 1º François Mauverney;
+2º Charles Gavault.
+ |
+Françoise Mauverney,
+ép. Charles Gavault
+(fils d'un premier lit
+du précédent),
+ |
+----+-----------------------------------------------------------+------------
+ | |
+Françoise Gavault, Marie-Marguerite
+ép. Jacques Dareste de la Plagne Gavault,
+(1743). ép. Jean-Louis
+ | Des Roys (1757).
+ | |
+----+-------------------+-------------------+------------ |
+Antoine Dareste Marie-Antoinette Claudine |
+de la Chavanne, Dareste Dareste de la |
+ép. 1º Jeanne de la Chavanne, ép. Chavanne, ép. |
+Palais (1784); François-Pierre Auguste Vasse |
+2º Charlotte Boussard de Roquemont |
+Charvait (1799). d'Hauteroche (1774) (1782) |
+ | |
+J.-B. Dareste |
+de la Chavanne |
+(1789-1879), |
+ép. Claire-Marie |
+Dareste, sa cousine |
+(1820). |
+ |
+----+-------------------+-------------------+-------------------+------------
+ | | | |
+Césarine Des Roys, Catherine Françoise Émilie Des Roys, Alix Des Roys
+ép. Pierre-Benoît Des Roys. ép. ép. X. Papon ép. Pierre
+Carra de Vaux Charles Henrion de de Rochemont de Lamartine
+(1788). Saint-Amand (1778). (1783). (1790).
+ | | | |
+Alexandre Angélique Henrion Françoise Papon Alphonse
+Carra de Vaux, de Saint-Amand de Rochemont, de Lamartine
+ép. Nathalie (1781-1810), religieuse. (1790-1869).
+Marchand (1832). ép. 1º Claude S. P.
+ Amable, marquis de
+ Prez;
+ 2º Joseph-Marie,
+ vicomte Pernetty.
+ S. P.
+
+* * *
+
+IIIe Rameau: de Dufort d'Orsay, fondu dans la famille ducale DE
+GRAMONT.
+
+ Pierre Grimod de Dufort d'Orsay
+ (1692-1748),
+ ép. 1º Florimonde Savalette (1736);
+ 2º Elisabeth de Gourtin (1745);
+ 3º M. A. Félicité de Caulaincourt (1748).
+ |
+ _3e lit._
+ Albert Gaspard Marie, comte d'Orsay (1748-?),
+ ép. 1º Amélie, princesse de Croÿ;
+ 2º Josèphe de Hoenloe Bartenstein (1784).
+ |
+ Marie-Albert Gaspard,
+ comte d'Orsay (1772-1843),
+ ép. Éléonore de Franquemont (1792).
+ |
+----+-------------------+-------------------+---------------
+ | |
+Gillion Gaspard Alfred, Anna-Ida d'Orsay
+comte d'Orsay (1801-1852), (1802-1882),
+ép. Anne-Françoise ép. Héraclius,
+Gardiner (1827). duc de Gramont
+S. P. (1818).
+ |
+------------------------+-------------------+-------------------+---------------
+ | | | |
+Antoine-Alfred Antoine-Auguste Alfred-Théophile Aglaé-Ida de Gramont
+Agénor de Gramont de Gramont, de Gramont (1836-1875),
+(1819-1880), duc de Lesparre (1823-1881), ép. ép. Théodore,
+ép. Marie ép. Marie-Sophie Charlotte-Cécile marquis du Praz
+Mac Kinnon (1848). de Ségur (1844), de Choiseul-Praslin (1850).
+ branche éteinte (1848).
+ dans les mâles
+
+* * *
+
+IVe Rameau: de Verneuil, fondu dans la descendance de LUCIEN
+BONAPARTE, prince de CANINO.
+
+ Antoine-François Grimod de Verneuil
+ (1696-1765),
+ ép. Henriette-Adélaïde de Tilly (1736).
+ |
+ Marie-Gasparde Grimod de Verneuil
+ (1738-1804),
+ ép. Jean-Charles Bouvet (1759).
+ |
+ Jeanne-Louise-Bouvet
+ (1759-1817),
+ ép. Charles-Jacob de Bleschamp (1777).
+ |
+ Alexandrine de Bleschamp
+ (1778-1855),
+ ep. 1º Henry Jouberthon (1797);
+ 2º Lucien-Bonaparte (1802).
+ |
+----+-------------------+-------------------+-------------------+---------------
+ | | | |
+Charles-Lucien- Lætitia Bonaparte Louis-Lucien Pierre Napoléon
+-Jules Bonaparte (1804-1862), ép. Bonaparte Bonaparte (1815-81),
+(1802-1857), ép. Thomas Wyse (1813-95), ép. ép. Justine-Éléonore
+Charlotte Bonaparte (1834). Marianne Cecchi Ruflin.
+(1822). (1832). S. P. |
+ Roland Bonaparte,
+ ép. Marie Blanc
+ (1880).
+ |
+ Marie Bonaparte,
+ ép. prince George
+ de Grèce.
+
+* * *
+
+Tableau généalogique de la famille Des Roys (1500-1790).
+
+Mathurin Louis Denis Des Roys Catherine
+Des Roys, Des Roy, ép. Des Roys, ép.
+religieux. religieux 1° Claude de Lagrevol; Pierre Aurelle.
+ 2°Isabelle Vacherelle.
+ |
+-------+---------------------+------+------------+----------------+----
+ | | | |
+Antoine Des Pierre Des Roys, Antoine Des Roys Aymard Marthe Des Roys,
+Roys, ép. ép. ? (le jeune), Des Roys, ép. Antoine
+Marguerite de | religieux. religieux. de Romezin
+Jussac | d'où postérité, éteinte
+de Baulmes | u cours du XVIIIe siècle.
+(1533). |
+-------+-------------------------------+---------
+ | |
+Sébastien Des Roys, Claude Des Roys,
+ép. Claude de Guilhon mort sans alliance
+ (1588).
+ |
+-------+-------------------+--------------+-------------------------------+
+ | | | |
+Gaspard Des Roys, Melchior Des Roys, Marie Pierre Des Roys,
+ép. Jeanne ép. Françoise Des Roys, ép. Catherine
+de Cohacy (1588) Faure de Marnans ép. Jean Pollenon Des Olmes
+(sans postérité). (1619). d'où postérité. (1618).
+ | |
+-------+---------+--------+-------+-------------+--------------+----- +
+ | | | | | |
+Baltazar Marie Des Roys, Marie Magdeleine Marie Amable Marie Des Roys, |
+Des Roys, ép. Des Roys, Des Roys ép. |
+ép. Pierre Roche religieuse. religieuse Jacques Rochet |
+Claude (sans postérité). |
+des Olmes |
+(1650). +--------------+-----------+------+
+ | | | |
+ | Philiberte Claude Des Roys, Jeanne
+ | Des Roys, ép. mort Des Roys, ep.
+ | Louis de Romezin sans alliance. Antoine Varillon
+ | d'où postérité. du Sarzier. d'où postérité.
+---+-+-----------------+--- |
+ | | Marie
+Pons Gaspard Cristofle de Rornezin,
+Des Roys, Des Roys, ép. ép. 1° Claude
+ép.Louise Demeure Marie de Romezin, Ferrapie (1685);
+(1679). veuve de Claude 2° Cristofle
+ | Ferrapie (1701). Des Roys,
+ | son cousin.
+Claude Des Roys,
+ép. Françoise
+Pagey (1717).
+ |
+Jean-Louis
+Des Roys, ép.
+Marguerite Gavault
+(1757)
+ |
+-----+--------------------+---------
+ | |
+Césarine Des Roys, Alix Des Roys, ép.
+ép. Pierre Carra Pierre de Lamartine
+De Vaux (1788). (1790).
+ | |
+Alexandre Ca Alphonse
+de Vaux. de Lamartine.
+
+* * *
+
+
+
+
+Bibliographie des œuvres de Lyon Des Roys.
+
+
+L'ILLUSION, vers couronnés, in-8 de 6 p. (s. l. s. d.).
+
+L'ANESSE, moralité, in-8 de 3 p. (s. 1. s. d.).
+
+LE TABAC, poème, au Cn D*** fabricant de tabac, in-8 de 5 p. (s. 1.
+s. d.).
+
+LA GÉOMÉTRIE en vers techniques- _il existe deux éditions de cet
+opuscule._ 1º: par D. R. ancien doyen de Mortain (?), maître de
+mathématiques. À Paris, chez les libraires du Palais. - Egalité an
+IX-1801 (in-8 de 18 p.); 2º: par Desrois ancien doyen de Mortain. À
+Paris, chez l'auteur rue de la loi maison du Cn Dareste nº 74, près
+la rue Feydau, an IX-1801 (in-8 de 20 p.).
+
+EPITRE AUX COMÉDIENS, par Desroys [_avec cette épigraphe_:] facit
+indignatio versum. - Se vend au Palais du Tribunal, galerie de la Foi,
+nº 50, où l'on trouve la tragédie du Dernier des Romains, la Géométrie
+envers, l'Illusion. An X (in-8 de 6 p.).
+
+EPITRES à Dazincour, à Madame D. L. V. jouant de la harpe, etc., par
+Desroys auteur de l'épitre aux comédiens - prix; 50 centimes. À Paris
+chez Desenne, libraire du Tribunal, nº 2, et chez les marchands de
+nouveauté. An X-1802 (in-8 de 8 p.).
+
+LE DERNIER DES ROMAINS, tragédie en cinq actes par D. R. [_avec cette
+épigraphe_:] Quam dulcis sit libertas... ostendam. Prix. 1 fr. 65. À
+Paris chez Barba et Desenne au septième (in-8 de 74 p.).
+
+ŒUVRES DRAMATIQUES de ***. Le dernier des Romains, tragédie en cinq
+actes. L'anti-philosophe, comédie en cinq actes et en vers. À Paris an
+VIII (1800) (in-8 de 162 p.).
+
+
+
+
+* * *
+
+DU MÊME AUTEUR
+
+
+À LA MÊME LIBRAIRIE
+
+L'Elvire de Lamartine et les Méditations. Un volume.
+
+(_En préparation_.)
+
+1811 10.--Coulommiers. Imp. PAUL BRODARD.--311.
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of Les Origines et la Jeunesse de
+Lamartine 1790-1812, by Pierre de Lacretelle
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LAMARTINE ***
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+Updated editions will replace the previous one--the old editions
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+one owns a United States copyright in these works, so the Foundation
+(and you!) can copy and distribute it in the United States without
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+set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to
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+Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you
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+such as creation of derivative works, reports, performances and
+research. They may be modified and printed and given away--you may do
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+paragraph 1.C below. There are a lot of things you can do with Project
+Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this agreement
+and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic
+works. See paragraph 1.E below.
+
+1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the Foundation"
+or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project
+Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual works in the
+collection are in the public domain in the United States. If an
+individual work is in the public domain in the United States and you are
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+ the Project Gutenberg Literary Archive Foundation."
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+ and discontinue all use of and all access to other copies of
+ Project Gutenberg-tm works.
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+- You provide, in accordance with paragraph 1.F.3, a full refund of any
+ money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the
+ electronic work is discovered and reported to you within 90 days
+ of receipt of the work.
+
+- You comply with all other terms of this agreement for free
+ distribution of Project Gutenberg-tm works.
+
+1.E.9. If you wish to charge a fee or distribute a Project Gutenberg-tm
+electronic work or group of works on different terms than are set
+forth in this agreement, you must obtain permission in writing from
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+Hart, the owner of the Project Gutenberg-tm trademark. Contact the
+Foundation as set forth in Section 3 below.
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+1.F.
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+is also defective, you may demand a refund in writing without further
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+
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+in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS' WITH NO OTHER
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+
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+warranties or the exclusion or limitation of certain types of damages.
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+law of the state applicable to this agreement, the agreement shall be
+interpreted to make the maximum disclaimer or limitation permitted by
+the applicable state law. The invalidity or unenforceability of any
+provision of this agreement shall not void the remaining provisions.
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+trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone
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+or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm
+work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any
+Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause.
+
+
+Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm
+
+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
+electronic works in formats readable by the widest variety of computers
+including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
+because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
+people in all walks of life.
+
+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need, is critical to reaching Project Gutenberg-tm's
+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at http://www.pglaf.org.
+
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
+http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
+permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
+
+The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
+Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
+throughout numerous locations. Its business office is located at
+809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
+business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
+information can be found at the Foundation's web site and official
+page at http://pglaf.org
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+ Chief Executive and Director
+ gbnewby@pglaf.org
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+Literary Archive Foundation
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+spread public support and donations to carry out its mission of
+increasing the number of public domain and licensed works that can be
+freely distributed in machine readable form accessible by the widest
+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
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+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
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+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
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+any statements concerning tax treatment of donations received from
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+1790-1812, by Pierre de Lacretelle
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+Title: Les Origines et la Jeunesse de Lamartine 1790-1812
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+Author: Pierre de Lacretelle
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+Release Date: July 15, 2007 [EBook #22077]
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+Language: French
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+Character set encoding: ISO-8859-1
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+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LAMARTINE ***
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+Produced by Chuck Greif and the Online Distributed
+Proofreading Team at DP Europe (http://dp.rastko.net)
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+PIERRE DE LACRETELLE
+
+LES ORIGINES
+
+ET LA JEUNESSE DE LAMARTINE
+
+1790-1812
+
+PARIS
+
+LIBRAIRIE HACHETTE ET Cie
+
+79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 79
+
+1911
+
+Droits de traduction et de reproduction réservés.
+
+
+
+
+TABLE DES MATIÈRES
+
+
+PRÉFACE
+
+PREMIÈRE PARTIE
+
+LES ORIGINES
+
+CHAPITRE
+
+----I.--Les Lamartine
+
+---II.--Les Des Roys
+
+DEUXIÈME PARTIE
+
+LE MILIEU
+
+-----I.--La famille
+
+----II.--La mère
+
+---III.--Les Lamartine pendant la Terreur.--Les premières années
+
+----IV.--Le décor.--Les voisins
+
+TROISIÈME PARTIE
+
+LES ANNÉES D'ÉTUDE
+
+-----I.--L'abbé Dumont
+
+----II.--L'institution Puppier
+
+--III.--Le collège de Belley
+
+QUATRIÈME PARTIE
+
+LA FORMATION DE LA PERSONNALITÉ
+
+-----I.--La vie solitaire.
+
+----II.--La crise littéraire.--Le premier amour.
+
+---III.--Le premier voyage
+
+CONCLUSION.--Lamartine à vingt et un ans
+
+APPENDICE
+
+
+
+
+PRÉFACE
+
+
+Sainte-Beuve a écrit:
+
+«Lamartine est de tous les poètes célèbres celui qui se prête le moins à
+une biographie exacte, à une chronologie minutieuse, aux petits faits et
+aux anecdotes choisies. Son existence, large, simple, négligemment
+tracée, s'idéalise à distance et se compose en massifs lointains à la
+façon des vastes paysages qu'il nous a prodigués... Il est permis, en
+parlant d'un tel homme, de s'attacher à l'esprit du temps plutôt qu'aux
+détails vulgaires qui chez d'autres pourraient être caractéristiques...
+Qu'importent donc quelques détails de sa vie[1]?»
+
+[Note 1: Sainte-Beuve, _Portraits contemporains_, t. I (Lamartine).]
+
+Il paraît difficile d'admettre aujourd'hui sans discussion qu'un
+critique aussi pénétrant ait commis une telle erreur; sans doute
+avait-il ses raisons de parler ainsi, et peut-être ne faut-il voir dans
+cette opinion exagérée que l'excuse honorable pour les romantiques d'un
+éloignement dont ils furent tous secrètement blessés; écartés de
+l'existence du poète, ils déclaraient que le détail en était sans
+importance, et n'ajoutait rien à la compréhension de son oeuvre.
+
+Malheureusement, il semble que les biographes de Lamartine aient pris
+jusqu'ici le jugement de Sainte-Beuve pour base de leurs travaux, dont
+la plupart ne sont que des fragments plus ou moins commentés de ses
+innombrables souvenirs de jeunesse, source dangereuse et dont il importe
+de se méfier, surtout pour la période antérieure à 1820. Écrits à une
+époque où pour oublier le présent il se retrempa dans son passé, ils
+composent plus exactement l'image de celui qu'il se crut ou aurait voulu
+être plutôt que celui qu'il fut réellement. Aussi, doivent-ils être
+utilisés avec une extrême précaution.
+
+Depuis quelques années déjà, la méthode historique a été introduite dans
+le domaine littéraire et, si elle a ses inconvénients, elle a surtout
+d'excellents côtés. Les études lamartiniennes en ont profité; divers
+travaux ont été publiés qui soumettent les récits du poète à un contrôle
+sévère en même temps qu'ils mettent en lumière des faits nouveaux. La
+légende de Lamartine adolescent tend à disparaître pour faire place à
+une réalité autrement vivante et l'on commence à comprendre que son
+oeuvre nécessite une biographie minutieuse et presque quotidienne.
+
+Mais s'il importe de rechercher les causes des états d'âme multiples et
+contradictoires que reflète sa poésie, les _Méditations_, surtout,
+écrites sans souci de la postérité et de la gloire à une époque indécise
+et tourmentée de sa vie, réclament un commentaire infiniment plus précis
+que celui qu'il nous a laissé; replacées dans leur véritable cadre,
+éclairées par les circonstances qui déterminèrent, retardèrent ou
+hâtèrent leur éclosion, elles deviennent plus humaines encore, parce que
+plus sincères, et singulièrement émouvantes: en elles, aucun artifice
+littéraire, nul désir d'introduire un mode nouveau de pensée: ce livre
+qui devait révéler la jeunesse romantique à elle-même et marquer le
+début d'un mouvement unique dans l'histoire des lettres françaises, fut
+écrit sans ambition et presque négligemment. À comparer le manuscrit de
+_Saül_, médiocre tragédie en cinq actes, amoureusement calligraphié sur
+beau vélin, et les ébauches crayonnées hâtivement qui sont le premier
+jet des _Méditations_, on se rend compte que Lamartine ne les
+considérait que comme des notations intimes de ses états d'âme et sans
+intérêt pour le public. Ce sont là des conditions de sincérité qui font
+d'elles un précieux document psychologique pour l'étude de la jeune
+génération romantique, et c'est ce que nous avons tenté d'établir ici.
+
+Ce volume n'a d'autres prétentions que d'être la mise au point et
+l'utilisation de récentes publications dont on trouvera le détail au
+cours des chapitres qui suivent; nous y avons pourtant ajouté bon nombre
+de sources jusqu'ici demeurées inédites et sur lesquelles nous devons
+ajouter quelques mots. De l'oeuvre publiée de Lamartine nous n'avons
+conservé que la _Correspondance_, dont il nous faut ici déplorer les
+lacunes et le classement souvent défectueux; volontairement, nous avons
+écarté tous les souvenirs rédigés sur ou par Lamartine postérieurement à
+1820, sauf lorsqu'il nous a été possible de les vérifier, pour ne
+retenir que les lettres et témoignages contemporains de la période qui
+nous occupait; écrits à une époque où son avenir était impossible à
+prévoir, ils le montrent sans aucun ménagement sous son jour véritable
+et tel qu'il apparaissait alors aux yeux de sa famille et de ses
+relations.
+
+En premier lieu, nous avons eu à notre disposition un important
+manuscrit, le _Journal intime_ de sa mère; on sait que quelques
+fragments très écourtés et très remaniés en ont été publiés par le poète
+sous le titre, _le Manuscrit de ma mère_[2], ouvrage dont la valeur
+documentaire est tout à fait négligeable tant les suppressions et les
+additions qu'il y fit sont considérables; elles s'expliquent, il est
+vrai, aisément, soit qu'il ait souvent hésité à apporter des démentis
+trop nombreux à ses _Confidences_, soit qu'il ait jugé délicat d'en
+reproduire le texte intégral. C'est grâce au _Journal intime_, toujours
+soigneusement daté, qu'il nous a été possible d'entreprendre cet
+ouvrage, car il nous a permis de mettre en lumière certains faits
+demeurés encore obscurs ou ignorés, en même temps qu'il nous fournissait
+un tableau chronologique minutieusement détaillé des quarante premières
+années du poète. Ces pages écrites au courant de la plume, sans aucune
+préoccupation de composition ni de publicité, présentent naturellement
+des négligences et des répétitions, mais les pensées et les sentiments
+n'y ont d'autre souci que la sincérité[3].
+
+[Note 2: _Le Manuscrit de ma mère_, prologue et épilogue par A. de
+Lamartine (Paris, 1871, in-8).]
+
+[Note 3: Voici la description des 12 petits cahiers--et non pas 22,
+comme l'a écrit Lamartine dans la préface des _Confidences_--du _Journal
+intime_ qui s'étend de 1800 à 1829:
+
+Tome
+
+I----: 13 déc. 1800-24 août 1801. 81 p., in-16.
+
+II---: 20 août 1801-8 avril 1802. 140 p., in-16.
+
+III--: 16 avril 1802-21 juin 1803. 153 p. plus 8 p. de comptes, in-6.
+
+IV-- : 23 juin 1803-22 octobre 1804. 118 p., plus 4 p. de table, in-16.
+
+V----: 1er nov. 1804-3 juillet 1806. 99 p., in-8.
+
+VI---: 12 juillet 1800-19 déc. 1808. 139 p., plus 2 p. de table, in-8.
+
+VII--: 27 janvier 1809-7 mars 1811. 99 p., plus 4 p. de table, in-8.
+
+VIII-: 10 mars 1812-28 février 1813. 193 p., in-4º.
+
+IX---: 7 mars 1815-3 mai 1821. 198 p. plus 2 feuillets
+ volants intercalés dans le texte, in-4º.
+
+X----: 14 juin 1821-13 oct. 1822. 87 p., in-4º.
+
+XI:--: 11 nov. 1822-21 juin 1824. 88 p., in-4º.
+
+XII--: 19 juin 1824-22 oct. 1829. 80 p., plus 30 feuillets
+ demeurés blancs, in-4º.]
+
+De plus, grâce à l'obligeance de M. Charles de Montherot, petit-neveu de
+Lamartine, nous avons pu prendre connaissance des riches archives de
+Saint-Point, et le baron Carra de Vaux a bien voulu mettre à notre
+disposition les papiers et titres de la famille maternelle du poète,
+qu'il représente actuellement. Nous devons également nos remerciements à
+plusieurs familles de Mâcon qui nous ont aimablement ouvert leurs
+archives domestiques; à M. A. Duréault, secrétaire perpétuel de
+l'Académie de Mâcon, qui nous a fait à mainte reprise profiter de son
+érudition et de ses recherches personnelles; à M. Lex, archiviste de
+Saône-et-Loire, dont les travaux nous ont été d'un grand secours. Enfin,
+nous tenons à exprimer notre reconnaissance à M. Gustave Lanson qui,
+préparant lui-même une étude sur les _Méditations_, nous a permis de
+prendre connaissance de plusieurs documents inédits qu'il avait réunis.
+
+C'est grâce à tant d'obligeances que ce volume a pu voir le jour. Nous
+avons essayé d'en faire une biographie exacte et critique; exacte, car
+nous n'avons voulu laisser dans l'ombre le moindre fait capable
+d'apporter un éclaircissement nouveau à la genèse des _Méditations_;
+critique, puisque les documents utilisés n'ont été acceptés qu'après un
+contrôle aussi sévère qu'il est possible en pareille matière.
+
+PIERRE DE LACRETELLE.
+
+
+
+
+PREMIÈRE PARTIE
+
+LES ORIGINES
+
+
+
+
+CHAPITRE I
+
+LES LAMARTINE[4]
+
+
+Les origines des grands hommes--et davantage, peut-être, celles des
+poètes--ne sont jamais à négliger. Sans doute, il importe peu pour
+l'histoire littéraire que Vigny descende d'un trésorier du XVe
+siècle, que Hugo soit apparenté à un évêque lorrain, que Lamartine soit
+petit-fils d'un intendant des finances du duc d'Orléans. Ce n'est là,
+dans leur biographie, qu'un élément de curiosité.
+
+[Note 4: Sources et bibliographie: _Archives municipales de Mâcon_:
+Registres des baptêmes, mariages et décès de la paroisse
+Saint-Pierre.--_Archives départementales de Saône-et-Loire_ (Série B,
+1324-1371): Registres du bailliage de Mâcon où sont conservés de
+nombreux contrats, testaments et donations.--_Archives municipales de
+Cluny_: Registres des baptêmes, mariages et décès de la paroisse
+Saint-Marcel.--_Archives de la Guerre_ (section administrative): États
+de services des membres de la famille qui furent
+officiers.--_Bibliothèque Nationale_ (manuscrits): Armorial général,
+généralité de Bourgogne. D'Hozier, pièces originales, vol. 504 et 1873,
+dossiers bleus, vol. 7.--_Bibliothèque de Mâcon_: Claude Bernard,
+généalogie des familles de Mâcon (mss).
+
+Tessereau, _Histoire chronologique de la grande chancellerie de France_
+(Paris, 1710).--Arcelin, _Indicateur héraldique du Mâconnais_ (Mâcon,
+1865).--Révérend Du Mesnil, _Lamartine et sa famille_ (Lyon,
+1869).--Lex, _Lamartine, souvenirs et documents_ (Mâcon, 1890).--Lex,
+_les Fiefs du Mâconnais_ (Mâcon, 1897).]
+
+Mais si, et avec raison, l'on accorde à l'éducation et au milieu une
+influence prépondérante sur le développement d'un génie, il faut
+également faire une part aux influences ancestrales, à la vie antérieure
+qui, elles aussi, laissent des traces plus profondes qu'on ne l'imagine
+ordinairement, et l'héritage moral d'un poète est précieux à connaître
+pour tout ce qu'il lui a transmis d'instincts ataviques. Une telle étude
+est souvent délicate et vaine devant le petit nombre de documents que
+l'on parvient à recueillir. Une filiation exacte pendant trois
+siècles--le plus haut qu'on puisse habituellement remonter--est
+curieuse, mais de simples dates ne suffisent pas; il faudrait connaître
+la vie des ancêtres, savoir où et comment ils vécurent, quelles passions
+les dominèrent, dans quelle province ils fixèrent leur foyer, en un mot
+posséder ce qu'on appelait jadis le _Livre de raison_, registre où les
+chefs de famille inscrivaient à tour de rôle grands et petits événements
+d'une existence souvent trop obscure pour qu'on puisse en retrouver
+trace dans les archives des villes où ils vécurent.
+
+Pour Lamartine, nous avons la bonne fortune d'être à peu près fixés sur
+son hérédité, grâce à une abondance rare de documents qui nous
+permettent de remonter jusqu'au début du XVIe siècle, avec des
+détails précis et nombreux sur les deux familles dont il descend.
+
+Tout d'abord, il est curieux de constater que dès l'origine l'une et
+l'autre semblent être établies de longue date dans les régions mêmes où
+elles demeurèrent ensuite jusqu'à la fin du XVIIIe siècle; et cet
+intense et pénétrant sentiment de la terre natale qui sera chez
+Lamartine une des notes dominantes de sa poésie, se retrouve déjà chez
+ses pères qui lui transmirent un peu de leur amour du sol lentement
+acquis au cours des siècles. Mais aucun ancêtre, pas plus chez les
+Lamartine que chez les Des Roys, n'a laissé grande trace dans l'histoire
+de son temps: enracinés dans le même coin de Bourgogne ou d'Auvergne
+depuis douze générations, habitués de père en fils à faire tout
+naturellement le sacrifice d'intérêts immédiats ou propres à ceux
+lointains et souvent invisibles de la race et de la famille, tous,
+bourgeois, magistrats et capitaines, vécurent la même vie paisible et
+sédentaire, soucieux avant tout d'augmenter leur bien par de solides
+alliances, tandis que les cadets s'en allaient mourir obscurément à
+quelque siège lointain, et que les filles, peu ou point dotées,
+traînaient leur mélancolique existence sous les arceaux du cloître le
+plus proche.
+
+ * * * * *
+
+C'est à Mâcon, paisible et dormante petite cité, qu'il faut chercher les
+origines paternelles de Lamartine, dont les ancêtres, dès la fin du
+XVIe siècle, habitaient la maison même où il naquit. La forme
+primitive du nom est _Alamartine_--et non _Allamartine_, comme il l'a
+écrit,--qui subsiste encore actuellement en Bourgogne et dans la
+Haute-Loire. La famille est originaire du Charollais, où l'on rencontre
+à la fin du XVe siècle des Alaberthe, Alabernarde, Alablanche,
+devenus plus tard, à la suite d'une transformation identique, des de la
+Berthe, de Labernarde et de Lablanche. Quant aux origines sarrasines
+dont le poète se targuait volontiers, elles étaient peut-être une
+charmante excuse à sa hautaine nonchalance, à son amour des animaux et à
+l'invincible attrait que l'Orient exerça toujours sur lui, mais elles
+demeurent, bien entendu, plus que problématiques. La forme _Alamartine_
+se trouve dans la famille du poète jusqu'à la fin du XVIIe siècle, en
+la personne de Jean-Baptiste Alamartine, son trisaïeul, qui, bien que né
+noble, signa jusqu'en 1680 Alamartine.
+
+Au XVIIIe siècle, toute trace de roture a définitivement disparu du
+nom, qui s'écrit Delamartine ou de la Martine, mais rarement de
+Lamartine; ce n'est qu'avec la Révolution qu'on voit apparaître cette
+dernière forme, sans la particule. Notons enfin que, jusqu'en 1825, le
+poète signa indifféremment Delamartine, de la Martine, ou de Lamartine.
+Mais la transformation légitime d'_Alamartine_ ou _de la Martine_ date
+du milieu du XVIIe siècle, époque où la famille fut anoblie.
+
+Il y avait en 1789 peu d'ancienne noblesse dans la région du Mâconnais.
+Elle n'était guère représentée que par quelques vieilles familles
+désoeuvrées et hautaines, à qui la modicité de leurs revenus interdisait
+Versailles où elles n'auraient pu tenir leur rang; et à part ce comte de
+la Baume-Montrevel qui n'avait jamais mis les pieds à la cour et
+trouvait moyen de manger royalement à Mâcon ses six cent mille livres de
+revenu avec ses équipages, ses violons et ses chasses, le reste n'était
+guère que bourgeois enrichis, vivant de la terre, et indifférents à la
+politique.
+
+La famille de Lamartine en est d'ailleurs le meilleur exemple: à la fin
+du XVIIIe siècle, ses membres établis dans la région depuis plus de
+trois cents ans s'étaient lentement élevés des plus infimes fonctions
+aux plus hautes charges, et les transformations subies par le nom
+patronymique sont le meilleur témoignage de cette évolution commune à la
+majorité des familles de la région.
+
+C'est ainsi qu'au milieu du XVIe siècle le chef de la famille était
+humble tanneur à Cluny; son fils, plus tard, fut un bourgeois influent
+de la ville et, à ce titre, chargé de présenter aux États du Mâconnais
+les revendications du tiers; et tous signaient Alamartine. Au début du
+XVIIe siècle, son petit-fils remplissait les importantes fonctions de
+juge-mage et capitaine de l'abbaye de Cluny; quelques années après, il
+acquit la noblesse--noblesse de robe--par l'achat d'une charge de
+secrétaire du roi puis, par une ascension toute naturelle, ses fils
+acquirent des _terres nobles_, prirent l'épée, et virent alors s'ouvrir
+devant eux les chambres de la noblesse aux États de Bourgogne; le nom
+devint de la Martine.
+
+Le poète, pourtant, se montra toujours fort peu soucieux de ses
+origines; ses armes, même enregistrées avec tant de soin par son
+bisaïeul à l'Armorial général, étaient timbrées par lui d'une façon
+fantaisiste; alors qu'à la fin du XVIIe siècle les Lamartine
+portaient: «de gueule à deux fasces d'or chargé d'un trèfle de même», il
+substitua, on ne sait pourquoi, des bandes aux fasces[5]; question
+purement esthétique, sans doute, mais qui prouve à quel point la science
+héraldique le préoccupait peu; de même, à ceux qui l'interrogeaient, il
+répondait invariablement qu'il descendait «d'une famille noble et
+catholique du Mâconnais».
+
+[Note 5: Dans l'Armorial général de d'Hozier, établi en 1696, on
+voit que les Lamartine portaient: «de gueules à deux fasces d'or,
+accompagnées en coeur d'un trèfle de même». La branche cadette de
+Montceau «brisait en chef d'un lambel d'argent». Le cachet de Lamartine,
+que nous avons pu voir, ne porte pas de lambel, puisque la branche aînée
+était éteinte à la fin du XVIIIe siècle, et les «fasces» ont été
+remplacées par des «bandes».]
+
+Mais si tous ces petits détails le laissaient indifférent, il n'en
+allait pas de même de son grand-père, Louis-François de la Martine qui,
+fort entiché de noblesse, fit admettre dans des actes officiels du
+milieu du XVIIIe siècle plusieurs généalogies assez inexactes de sa
+famille[6]. Mais il avait l'excuse de vivre à une époque où les titres
+décidaient plus que les mérites. Pour faire admettre ses filles dans des
+chapitres nobles et ses fils dans des régiments d'élite, il fut donc
+contraint de fournir les titres requis par les statuts. Sa noblesse
+était incontestable, mais trop récente; c'est alors que, pour satisfaire
+aux règlements, il se créa des ancêtres plus ou moins authentiques. Très
+inhabilement, d'ailleurs, il fit subir aux registres paroissiaux des
+grattages et des lavages chimiques, rendus parfaitement visibles par le
+contraste des encres et des écritures, et il faut croire que les deux
+gentilshommes chargés de la vérification des pièces furent tolérants.
+Partout où cela fut possible, les «chevalier», «messire», «noble
+seigneur» remplacèrent les «maistre»; l'A de Alamartine se transforma en
+«de» au moyen de quelques grattages et l'on profita même de ce qu'un
+ancêtre avait été marié deux fois pour donner un quartier de plus à la
+noblesse familiale.
+
+[Note 6: Il existe, à notre connaissance, au moins trois de ces
+généalogies. L'une figure à la Bibliothèque Nationale (_Manuscrits,
+ancien fonds français_) et occupe les pages 1-5 du vol. 790 de la
+collection Moreau (t. XXXIII de l'ancien recueil Fontette). Elle a été
+publiée par nous dans la _Revue des Annales romantiques_, fasc. V de
+l'année 1905. La seconde figure au ministère de la Guerre. La troisième
+se trouve aux Archives de Saône-et-Loire, et a été publiée par M.
+Reyssié: _la Jeunesse de Lamartine_, in-18, 1892, p. 9.]
+
+Néanmoins, malgré ces falsifications plus courantes à l'époque qu'on ne
+le croit ordinairement, il est possible de reconstituer la généalogie
+exacte de la famille de Lamartine, à l'aide d'autres documents tels que
+les registres du bailliage, ceux-là authentiques, et d'une autorité
+incontestable.
+
+Au début du XVIe siècle, les Alamartine vinrent s'établir à Cluny,
+sur les dépendances de la célèbre abbaye qui faisait vivre toute une
+population, et où le premier d'entre eux dont on trouve mention vivait
+en 1550, exerçant la modeste profession de tanneur cordonnier. Avec son
+prénom--Benoît--c'est là tout ce qu'on sait de lui, mais ses enfants
+nous sont un peu mieux connus [7].
+
+[Note 7: M. Abel Jeandet (_Annales de l'Académie de Mâcon_, 2e
+série, t. V, p. 117) a publié un acte en date du 14 octobre 1544,
+concernant un Estienne Alamartine, «bourgeois et marchand de Cluny»,
+propriétaire à Azé. Il s'agit là sans doute d'un frère de Benoît, ou
+peut-être de son père, mais il nous a été impossible de l'identifier de
+façon certaine.]
+
+Il eut une fille, Françoise, mariée le 4 janvier 1587 à Claude
+Tuppinier[8], et trois fils. L'aîné, Gabriel, fut notaire au bailliage
+de Mâcon, par provisions du 15 septembre 1573, et épousa une demoiselle
+Claude Morestel dont il eut une fille, Philiberte, mariée en 1594 à Jean
+Durantel, notaire et procureur à Cluny. Le cadet, Benoît, avocat à
+Mâcon, prit pour femme le 29 octobre 1595 Jeanne Fournier, fille de
+Guyot Fournier et de Jacqueline Descrivieux, dont il eut neuf
+enfants[9]. Quant au plus jeune, Pierre, ancêtre direct du poète, on
+sait de lui peu de chose. Quelques actes de baptême où sa femme et lui
+signèrent comme marraine et parrain, nous apprennent qu'il épousa
+Jehanne de la Roüe, d'une famille bourgeoise du Mâconnais, sans que l'on
+puisse connaître ni sa profession ni quelque autre date précise de son
+existence, si ce n'est qu'en 1604 il fut chargé de présenter aux États
+du Mâconnais les revendications du Tiers.
+
+[Note 8: La famille Tuppinier, dont une branche subsiste encore en
+Bourgogne, est originaire de Cluny, où l'on trouve en 1544 un Jacques
+Tuppinier, bourgeois de la ville, marchand drapier, marié à Antoinette
+de Gordon. Il est le père de Claude, marié à Françoise Alamartine.]
+
+[Note 9: Guyot Fournier, père de Jeanne, exerça, le 31 août 1601,
+une reprise de fief pour la châtellenie de Prissé. La famille
+Descrivieux était originaire de Bresse; Charles Descrivieux était
+échevin de Mâcon en 1466; à la fin du XVIIIe siècle, les Descrivieux,
+seigneurs de Charbonnières, prirent séance en la Chambre de la noblesse
+du Mâconnais.
+
+Benoît Alamartine et Jeanne Fournier eurent de leur mariage: 1º
+_Charles_ (9 mai 1598--?); 2º _Guyot_ (31 déc. 1601--?), marié à
+Philiberte Paillet; 3º _Claude_ (28 oct. 1602--3 oct. 1609); 4º
+_Marguerite_ (16 août 1604--3 oct. 1608); 5º Étienne (12 nov. 1600--?);
+6º Jacques (9 août 1609--?); 7º _Avoye_ (23 février 1612--?); 8º _Aimée_
+(8 juin 1613--?); 9º _Suzanne_ (27 sept. 1614--?).
+
+C'est vraisemblablement d'un des fils de Gabriel ou de Benoît Alamartine
+que sont issus les nombreux Alamartine existant encore dans le
+Charollais, et un Émilien Alamartine, notaire à Cluny au milieu du
+XVIIIe siècle. À signaler également un acte de mariage du 21 janvier
+1782, entre Philippe Cartillet, marchand forain, et Jeanne Lamartine,
+tailleur _(sic)_, fille de François Lamartine, tisserand, «lesquels ont
+déclaré ne savoir signer». Bien que l'acte ait été enregistré à Mâcon,
+ces Lamartine n'ont aucune parenté, même lointaine, avec ceux qui nous
+occupent, la forme roturière du nom étant Alamartine et non Lamartine.]
+
+Vers 1575 quelques membres au moins de la famille Alamartine
+appartenaient à la religion réformée. Un pamphlet du temps, la _Légende
+de dom Claude de Guise_[10], oeuvre de Gilbert Regnault notable huguenot
+de Cluny, nous apprend en effet qu'ils eurent à subir des persécutions
+pour leur foi:
+
+ Quy voudrait, dit Regnault, spécifier les persécutions, les
+ voleries, les larcins et brigandages que saint Nicaise et saint
+ Barthélémy[11] ont exercées à l'encontre des pauvres fidelles de la
+ Religion en la ville de Cluny, faudrait les prendre un par un, puis
+ déchiffrer les tours, les menées, les piperies, cruautés et
+ barbaries pour tirer les rançons de ces pauvres, ainsy que descrire
+ les sommes de deniers qu'il a tirées des seigneurs Philibert
+ Magnyn, Marin Arcelin, capitaine Rousset, Bolat, Division,
+ Tuppinier, Holande, Alamartine, Corneloup, Fornier, et plusieurs
+ autres signalés de la ville de Cluny; et nous n'aurions jamais
+ fait, non seulement spécifier les deniers qu'il a estorqués de ces
+ personnages, mais aussi les moyens qu'il a tenus pour leur faire
+ renoncer Dieu, c'est-à-dire révolter la religion réformée.
+
+[Note 10: _La Légende de domp Claude de Guize..._ s. I. 1582, in-8,
+réimprimée en 1744, au tome IV des _Mémoires de la Ligue_.]
+
+[Note 11: Surnoms donnés par Regnault à l'abbé de Cluny et à son
+vicaire.]
+
+Il ne faut pas s'exagérer la valeur de cette conversion des Lamartine
+aux idées nouvelles qui dut être extrêmement passagère. Le mouvement
+réformiste en Bourgogne eut des causes très diverses, suivant les
+endroits où il éclata: à Mâcon et à Cluny, les émeutes et les
+conversions en masse de 1562 et 1567 eurent en grande partie pour cause
+les exactions de Claude de Guise, abbé de Cluny, qui faisait lourdement
+peser son autorité despotique sur les habitants.--Ceux-ci, plus par
+exaspération que par foi sincère, s'allièrent aux huguenots et de ce
+nombre furent les Lamartine. L'abbé de Cluny obtint d'ailleurs
+finalement gain de cause, puisqu'au début du XVIIe siècle on trouve
+un fils de Pierre pourvu d'une charge à l'abbaye même, ce qui suppose,
+bien entendu, un retour à la religion de ses pères.
+
+Estienne Alamartine, en effet, bourgeois de Cluny, est qualifié dans les
+actes le concernant de juge-mage et capitaine de l'abbaye de Cluny;
+fonctions importantes qui lui conféraient des pouvoirs administratifs
+fort étendus, puisqu'il était chargé de rendre la justice pour le compte
+du roi sur les terres ecclésiastiques. Peu à peu, il augmenta sa
+situation[12]; le 25 octobre 1604, il fut nommé avocat; en 1609 le roi
+ayant créé trois offices de conseiller au bailliage de Mâcon, il acquit
+une de ces charges et enfin, en 1651, celle de secrétaire du roi fort
+recherchée alors puisqu'elle conférait la noblesse à son titulaire
+pourvu qu'il l'eût exercée vingt ans ou qu'il fût mort en étant
+revêtu.--Estienne Alamartine ayant été reçu en Parlement de Paris le 3
+juillet 1651 et étant mort en fonction l'an 1656, la noblesse fut donc
+acquise à ses descendants.
+
+[Note 12: Le 8 avril 1626, à l'assemblée des États du Mâconnais, il
+fut chargé de présenter les «mémoire et doléances» du Tiers-État.]
+
+Estienne fut marié deux fois: en premières noces il épousa, le 12
+octobre 1605 à Mâcon, Aymée de Pise, fille de noble Antoine de Pisz,
+président en l'élection du Mâconnais, et de dame Antoinette de
+Rymon[13], dont il n'eut pas d'enfants; et, en deuxièmes noces, le 18
+novembre 1619, à Chalon, Anne Galloche, fille de Guillaume Galloche,
+procureur du roi en la châtellenie de Sairt-Laurent-lez-Chalon, et de
+Nicole Gon.
+
+[Note 13: La famille de Pise est originaire de Mâcon. On trouve un
+Antoine de Pise échevin de cette ville en 1450; Philippe de Pise, garde
+du scel des contrats du bailliage de Mâcon (par provisions du 15 juin
+1544), eut pour fils Antoine, père d'Aymée de Pise. Les de Pise
+devinrent en 1603 seigneurs de Flacé, par acquisition des Maugiron. Les
+de Ryrmon, seigneurs de Champgrenon, la Moussière, la Serve et la
+Rochette sont originaires de Saint-Gengoux, d'où était Hugues de Rymon,
+capitaine de la ville et du château, marié à Françoise Bourgeois.]
+
+C'est à propos de ces deux mariages que commencèrent les falsifications
+de Louis-François dont nous avons parlé plus haut. En effet, dans toutes
+les généalogies qu'il fit établir à l'époque, il eut soin, afin de
+donner un quartier de plus à sa noblesse, de profiter de ces deux
+mariages pour faire du seul Estienne deux personnages distincts: le
+premier fut marié avec Aymée de Pise, et le second avec Anne Galloche.
+
+Mais, devant l'invraisemblance des dates--le premier mariage étant de
+1605 et le second de 1619, le fils présumé d'Estienne aurait donc eu
+treize ans à l'époque de son mariage!--il fallut d'abord reculer la
+date de 1605 à 1601, et avancer celle de 1619 à 1629, ce qui fut fait à
+l'aide de quelques grattages, et donnait alors environ vingt-sept ans au
+faux Estienne le jour de son mariage.
+
+Bien plus, comme il n'y avait de lui--et pour cause--aucun acte, aucune
+pièce authentique, il fallut au moins fournir une preuve soi-disant
+irréfutable de sa naissance: c'est alors qu'on créa, de toutes pièces,
+cette fois, un faux acte de baptême au nom de cet imaginaire personnage.
+À cet effet, à la date du 2 novembre et sur les registres paroissiaux de
+l'année 1602, on fit simplement disparaître, à l'aide d'un lavage
+chimique, l'acte de baptême d'un individu quelconque; puis, à cette
+place, on transcrivit le faux qui devait donner quelque vraisemblance à
+l'extraordinaire conception de Louis-François. Il est d'ailleurs heureux
+pour lui que les deux gentilshommes chargés de l'examen des titres et
+preuves de noblesse, messire Éléonor de Garnier, comte des Garets,
+gouverneur de la citadelle de Strasbourg, et le chevalier de Prisque de
+Besanceuil n'aient pas mené leur besogne jusqu'au bout, car la lecture
+des registres ou ces falsifications sont encore très apparentes
+aujourd'hui les eût pleinement édifiés. Sur les deux actes de mariage,
+les corrections grossièrement dissimulées sous de maladroites taches
+d'encre sont très visibles; sur le faux acte de baptême, le papier
+blanchi par l'acide et les mouillures, les signatures péniblement
+décalquées ou copiées, l'encre encore noire, l'écriture enfin,
+contrastent trop étrangement avec les actes qui précèdent ou suivent
+pour que le moins averti s'y soit trompé.
+
+Louis-François avait compté sans les registres du bailliage qu'il ne
+pouvait aussi aisément falsifier; ils font foi qu'il n'y eut pas deux
+Estienne Alamartine, mais un seul, marié deux fois; de sa première union
+il n'eut pas d'enfants, mais de l'autre il en eut cinq, trois filles et
+deux garçons.
+
+L'aînée des filles, Philiberte, épousa le 10 mars 1638 Antoine de la
+Blétonnière[14]; une autre, Anne, née en 1627, fut mariée à Simon
+Dumont, «élu en l'élection[15]», et mourut le 16 mars 1709. La dernière,
+Françoise-Marie, devint religieuse à la Visitation de Mâcon.
+
+[Note 14: La famille de la Blétonnière est originaire de Cluny. Un
+Antoine de la Blétonnière, procureur du roi, puis juge royal en la
+châtellenie de Saint-Gengoux par provisions du 11 août 1617. Son fils
+Antoine, lieutenant en l'élection du Mâconnais. D'après le contrat de
+mariage de Philiberte, où les époux sont qualifiés «habitants de Cluny»,
+on voit que les Alamartine ne résidaient pas encore à Mâcon. Étienne s'y
+était néanmoins marié en 1605, mais ce n'est qu'à partir de 1650 qu'on
+les trouve définitivement installés à Mâcon, paroisse Saint-Pierre.]
+
+[Note 15: Jean Dumont, bourgeois de Mâcon à la fin du XVIe
+siècle, marié à Françoise Foillard. La famille fut anoblie en 1723, en
+la personne d'Émilien Dumont, secrétaire du roi.]
+
+Quant aux deux fils, l'aîné, Philippe-Étienne, fut l'auteur de la
+branche aînée de Lamartine, dite d'Hurigny, éteinte dans les mâles à la
+fin du XVIIIe siècle, et le cadet, Jean-Baptiste, de la branche de
+Montceau dont descend le poète.
+
+
+Lamartine d'Hurigny.
+
+
+Hurigny est une ancienne châtellenie royale dépendant des domaines du
+roi, située dans le canton nord de Mâcon non loin de la ville. En 1510,
+la terre d'Hurigny avait été inféodée en faveur de Philippe Margot,
+conseiller maître des comptes à Dijon. Au milieu du XVIe siècle, la
+seigneurie passa aux mains de la famille Seyvert; en 1665, leur
+héritier, Jacques Lestouf de Pradines la vendit à Philippe-Étienne, qui,
+en 1672, exerça une reprise de fief.
+
+Philippe-Étienne naquit vraisemblablement à la fin de 1622. Il succéda à
+son père en 1656 dans son office de conseiller et secrétaire du roi,
+mais résigna ses fonctions quelques années après, le 14 janvier 1663. Il
+avait épousé, le 14 juin 1657, Claudine de la Roüe, fille de feu noble
+Antoine de la Roüe, avocat à Mâcon, et de demoiselle Marie Galopin, sa
+veuve.
+
+De cette union naquirent deux fils et quatre filles: Ursule (3 janvier
+1677--7 mars 1746), mariée le 7 novembre 1696 à Antoine Desbois, grand
+bailli d'épée du Mâconnais et capitaine du château de Mâcon[16]; Marie,
+morte jeune (5--14 février 1602); Marie et Marie-Anne, l'une religieuse
+au couvent de la Bruyère (1605--?), l'autre ursuline à Mâcon. Quant aux
+fils, l'aîné, Philippe, né le 26 août 1658, fut marié le 7 juin 1704 à
+Anne Constant, fille d'Antoine Constant, échevin de Lyon en 1697-98, et
+de Anne Mollien[17]. Il n'en eut pas d'enfants, et mourut le 20 octobre
+1747. Tous les biens paternels qui devaient lui revenir en sa qualité
+d'aîné, furent transmis à son cadet, Jean-Baptiste, né le 19 octobre
+1663.
+
+[Note 16: La famille Desbois, actuellement représentée par les
+familles de Murard, de Surigny et de la Forestille, est issue de Gabriel
+Desbois, bourgeois de Cluny à la fin du XVIe siècle, dont le
+petit-fils, Pierre Desbois, seigneur de la Cailloterie, fut anobli en
+16435 par l'achat d'une charge de secrétaire du roi.
+
+À partir d'Antoine Desbois, la charge de grand bailli d'épée du
+Mâconnais se transmit de père en fils dans la famille jusqu'à la
+Révolution.]
+
+[Note 17: Anne Constant (?--27 sept. 1757) était fille d'Antoine
+Constant (1641-1716), échevin de Lyon en 1697-98, et de Anne Mollien.
+(Cf. Jouvencel, _l'Assemblée de la noblesse de la sénéchaussée de Lyon
+en 1789_. Lyon, 1907.)]
+
+Ce fut Jean-Baptiste qui, le premier des Lamartine, rehaussa le nom du
+prestige, si grand à l'époque, de la noblesse d'épée, puisqu'après avoir
+servi quelque temps cornette dans Lande-dragons, il acheta le 25 octobre
+1689 une compagnie dans le régiment de Gévaudan-dragons. Il quitta
+l'armée pour épouser le 26 février 1696 Éléonore Bernard, d'une très
+ancienne famille mâconnaise, fille de Philibert, seigneur de la
+Vernette, conseiller du roi au siège et présidial de Mâcon[18], et de
+Jeanne Bollioud, qui lui donna une fille, Françoise (1700--1720), et
+deux fils, dont l'aîné, Philibert, né le 15 juillet 1698, fut capitaine
+au régiment de Piémont, et mourut chevalier de Saint-Louis le 8 janvier
+1789, sans avoir été marié.
+
+[Note 18: La famille Bernard est une des plus vieilles du pays. Un
+Philippe Bernard, conseiller au parlement de Paris, seigneur de la
+Vernette, fut envoyé en 1583 par Henri III comme ambassadeur auprès de
+la république de Venise. Nicolas Bernard était capitaine de Mâcon en
+1502; Jean Bernard, son fils, était écuyer de Catherine de Médicis par
+brevet du 30 juin 1580.]
+
+Le cadet, Jean-Baptiste, dernier seigneur d'Hurigny, naquit en 1703. Il
+servit d'abord comme volontaire dans le régiment de Villeroy où il
+devint capitaine et chevalier de Saint-Louis. Il épousa, le 8 mars 1735,
+Anne de Lamartine de Montceau, sa cousine, et mourut le 10 avril 1757,
+n'ayant eu de son mariage qu'un fils, Louis François, né le 26 février
+1748, mort jeune, et cinq filles.
+
+L'aînée, Jeanne-Sibylle-Philippine, née le 7 février 1736, épousa le 16
+février 1756 Pierre de Montherot de Montferrands[19]. La cadette,
+Marianne (31 oct. 1737--?) épousa, le 25 février 1759, Pierre Desvignes
+de Davayé; une autre, Ursule (6 déc. 1741--?), fut mariée le 2 septembre
+1761 à Antoine Patissier de la Forestille, capitaine au régiment de
+Piémont. Quant aux deux autres, Marie-Philiberte (7 février 1739--?) et
+Françoise-Marie (15 nov. 1742--?), elles furent toutes deux religieuses
+à Mâcon.
+
+[Note 19: M. Charles de Montherot, petit-neveu du poète et
+possesseur du château de Saint-Point, descend donc à la fois des
+Lamartine d'Hurigny et des Lamartine de Montceau, puisqu'un petit-fils
+de Jeanne-Sibylle de Lamartine épousa en 1820 une des soeurs du poète.]
+
+À la mort de Philibert de Lamartine, survenue en 1789, la branche aînée
+se trouva donc éteinte dans les mâles; la seigneurie d'Hurigny, avec les
+domaines et château qui en dépendaient, avait été constituée en dot à
+Jeanne-Sibylle, lors de son mariage avec Pierre de Montherot.
+
+
+Lamartine de Montceau.
+
+
+La branche cadette de Montceau, dont est issu le poète, a pour auteur
+Jean-Baptiste, fils cadet d'Estienne Alamartine et d'Anne Galloche. Il
+naquit en 1640, fit ses études de droit à l'université d'Orléans[20], et
+à la mort de son père hérita de la charge de conseiller au bailliage de
+Mâcon. Il épousa le 17 avril 1662 Françoise Albert, fille d'Abel Albert,
+conseiller du roi, receveur des consignations, et de demoiselle
+Françoise Moisson. C'est par l'alliance avec les Albert que la terre de
+Montceau entra dans la famille; c'était un beau domaine d'environ 50
+hectares, situé sur les communes actuelles de Prissé et de Saint-Sorlin,
+à une dizaine de kilomètres de Mâcon. Bien qu'on ne retrouve aucune
+reprise de fief pour Montceau, ses possesseurs s'en qualifiaient
+seigneurs, alors qu'en réalité, Montceau faisait partie de la terre et
+châtellenie de Prissé. On trouve en 1603 un dénombrement de Prissé par
+«honorable Guyot Fournier», dont une fille, on l'a vu plus haut, avait
+épousé un Benoît Alamartine; on y voit que «ladite châtellanie a de
+tout temps appartenu au roi et au seigneur révérend évêque de Mâcon, par
+indivis, et à chacun d'eux la moitié». Le 17 juillet 1675 on rencontre
+une reprise de fief et dénombrement par les héritiers de Pierre
+Fournier, au nombre desquels figure Abel Albert, beau-père de
+Jean-Baptiste de Lamartine. Non seulement dans cet acte Abel Albert se
+qualifie de seigneur de Montceau, mais il affirme encore que «si ladite
+châtellenie est au roi pour une moitié et à l'évêque pour l'autre
+moitié», les rentes, toutefois, appartiennent pour un tiers au roi, un
+autre à l'évêque et le dernier au seigneur. En 1679 Abel Albert augmenta
+sa part en rachetant celles des deux co-héritiers Fournier, et à partir
+de cette date on ne retrouve plus de reprise de fief pour Prissé. Au
+début du XVIIIe siècle, par suite de la mort du fils d'Abel Albert,
+sa soeur, Françoise, femme de Jean-Baptiste, hérita de Montceau. Ce n'est
+d'ailleurs pas Montceau qui permit aux Lamartine de la branche cadette
+d'entrer aux chambres de la noblesse du Mâconnais, puisque seule, on l'a
+vu, la châtellenie de Prissé qu'ils ne possédaient pas était terre
+noble, mais bien le fief de la Tour de Mailly acquis au milieu du
+XVIIIe siècle.
+
+[Note 20: Arch. dép. du Loiret. D. 98 (communication de M.
+Jagebien).]
+
+Le testament de Jean-Baptiste et de sa femme, rédigé le 1er mars
+1707, nous montre que, dès cette époque, la situation des Lamartine
+était déjà solidement établie:
+
+ Nous léguons, y est-il dit en effet, aux pauvres de l'Hôtel-Dieu et
+ de la Charité de cette ville, à chacun (_sic_), la somme de trois
+ cents livres, les invitant à prier Dieu pour nous. À notre fils
+ Nicolas de la Martine, nous donnons et léguons pour sa part et
+ portion de nos biens et hoirie notre domaine situé à Milly et lieux
+ circonvoisins, et celui des Fortins, paroisse de Bertzé-la-Ville
+ consistant en maison garnie des meubles qui y sont présentement,
+ caves, pressoirs, et généralement tout ce qui en dépend, prés,
+ terre, vignes, bois, maisons des grangers et vignerons et leurs
+ dépendances, avec les bestiaux qui servent à la culture. Plus, nous
+ lui léguons notre maison sise en cette ville, près les religieuses
+ Sainte-Ursule qui est habitée présentement par son frère aîné,
+ suivant qu'elle se comporte chargée du passage qui y est
+ présentement pour la desserte de la grande maison que nous
+ habitons. Nous lui donnons et léguons de plus la charge de
+ conseiller magistrat au bailliage et présidial de Mâcon, avec tous
+ les droits en dépendant, la part que nous avons aux charges de
+ receveur des épices, et en tout ce que dessus, instituons ledit
+ Nicolas de la Martine notre héritier particulier, à la charge de
+ payer par lui, annuellement et par avance, à soeur Françoise de la
+ Martine, religieuse à la Visitation Sainte-Marie, et à soeur Anne de
+ la Martine[21], religieuse Ursule, à chacune d'elles quinze livres
+ de pension pendant leur vie.
+
+ Item, nous donnons à Marie et à Marie-Anne de la Martine, nos
+ filles, à chacune la somme de dix-huit mille livres.
+
+ Item, nous léguons et donnons à François de la Martine, notre fils,
+ chanoine en l'église de Mâcon, la somme de quinze mille livres et,
+ outre ce, nous lui léguons la somme de mille livres que nous lui
+ avons avancée pour fournir aux frais de son baccalauréat en
+ Sorbonne. Au résidu de nos autres biens desquels nous n'avons pas
+ disposé cy-devant, ni n'entendons disposer cy-après, nous nommons
+ et instituons notre héritier universel, seul et pour le tout,
+ Philippe-Étienne de la Martine, notre fils aîné.
+
+ Voulons de plus que si moi, ledit de la Martine, décède le premier,
+ qu'au moment de mon décès, notre héritier entre en jouissance du
+ domaine et vignoble de Pérone et des biens qui sont venus de
+ monsieur Litaud depuis son mariage.
+
+[Note 21: Une de ses soeurs et une de ses tantes.]
+
+Ce testament est curieux, à plus d'un titre. On y voit figurer en effet
+la petite maison de Milly, la maison natale de Lamartine située rue des
+Ursulines, et l'hôtel Lamartine, élevé près des remparts de Mâcon et qui
+portait alors le numéro 87 de la rue de la Croix-Saint-Girard, devenue
+sous la Révolution rue Solon et au XIXe siècle rue Bauderon de
+Senécé.
+
+La petite maison de Milly date de 1705, époque à laquelle elle fut
+solennellement bénite par le curé de la paroisse[22]. Quant à la maison
+de la rue des Ursulines, acquise sans doute au début du XVIIe siècle,
+elle dénote une construction du XVIe siècle. Les fenêtres ont été
+remaniées depuis et l'intérieur semble avoir subi de nombreuses
+transformations. Sa porte est surmontée d'un écu chargé d'une flamme en
+pointe et de deux étoiles à cinq rais en chef, qui se réfère à une
+famille actuellement inconnue dans le Mâconnais. Cette maison n'était
+pas, comme l'a dit Lamartine, une maison de retraite pour les vieux
+domestiques. Dans les testaments qui suivent celui de Jean-Baptiste on
+voit qu'elle était toujours léguée au fils cadet, mais que, du vivant du
+chef de famille, elle était habitée par l'aîné. La maison de la rue des
+Ursulines communiquait par une cour et des jardins avec l'hôtel
+Lamartine, belle construction à deux étages qui, d'après son
+architecture, dut être édifiée dans la deuxième moitié du XVIIe
+siècle. Vers 1760, elle subit d'importants remaniements intérieurs et
+l'on y voit encore une salle à manger décorée de jolis trumeaux en
+camaïeu dans le goût des bergeries de Watteau. Sa porte est surmontée
+d'une décoration en fer forgé où l'on remarque deux L entrelacés,
+manifestement inspirée du chiffre royal.
+
+[Note 22: M. Lex a retrouvé et publié le premier (_Lamartine,
+souvenirs et documents_), l'acte de bénédiction de la maison de Milly:
+«L'an de N. S. 1705, le 15 juillet, je soussigné ay bénit la maison de
+M. Jean-Baptiste de la Martine, conseiller du Roy au bailliage et siège
+présidial de Mâcon, à six heures du soir. A. D. Dauthon, curé de Milly»
+(Arch. municipales de Milly). Les terres avaient à cette époque une
+superficie d'environ cinquante-deux hectares et s'étendaient sur les
+communes de Milly, Bertzé-la-Ville et Saint-Sorlin. La seigneurie de
+Milly était entre les mains de la famille de Pierreclau.]
+
+Quant à la propriété de Pérone, elle était située non loin de Mâcon
+(canton actuel de Lugny) et dépendait de la seigneurie d'Uchisy. Les
+Lamartine y possédaient une maison de campagne, qui date également de la
+fin du XVIIe siècle.
+
+Ainsi, comme on peut s'en rendre compte, la plupart des biens--à part
+Saint-Point--qui composeront plus tard le patrimoine du poète, se
+trouvaient dès le début du XVIIIe siècle en possession de sa
+famille.
+
+Jean-Baptiste de Lamartine mourut le 1er septembre 1707. De son
+mariage, très prolifique, il avait eu seize enfants dont peu lui
+survécurent[23]. Des trois fils qu'il nomme dans son testament, l'un,
+Nicolas, était né le 31 octobre 1668; il avait fait ses études de droit
+à l'université d'Orléans comme son père, de 1687 à 1690, époque à
+laquelle il fut reçu licencié[24]. Puis, il succéda à son père dans les
+fonctions de conseiller au bailliage, et mourut célibataire à Vichy le
+19 mai 1714[25]. «Il devait aller de là aux eaux de Bourbon, dit Claude
+Bernard qui l'avait connu; mais la mort l'en empêcha; sa maladie était
+une phtisie pulmonaire, et on ne seconda pas assez l'effet des eaux par
+des purgatifs décidés».
+
+[Note 23: 1º _Abel_ (4 février--13 nov. 1663); 2º
+_Philippe-Étienne_; 3º _Françoise_ (10 mai 1666--?); 4º _Antoine_ (10-28
+mai 1666); 5º _Claudine_ (26 avril 1667--22 sept. 1672); 6º _Nicolas_;
+7º _Claude_ (31 novembre 1669--?); 8º _Marie_ (11 nov. 1670--2 février
+1750); 9º _Antoine_ (11 nov. 1670--1690), mort à Paris étudiant en
+Sorbonne; 10º _Marianne_ (21 juin 1673--16 mars 1758), mariée le 9 avril
+1712 à Claude Chambre, receveur des États du Mâconnais; 11º _Louis_ (16
+mars 1776--1719): il reprit en 1703 la compagnie de son frère aîné dans
+Orléans-infanterie, et mourut au siège de Barcelone; 12º _François_; 13º
+_Françoise_ (4 janvier 1678--?); 14º _Françoise_ (15 avril 1679--?); 15º
+_Jean-Baptiste_ (10 sept. 1680--9 juillet 1720), noyé en se baignant
+dans la Saône.]
+
+[Note 24: Arch. dép. du Loiret, D. 138 et 187 (communiqué par M.
+Jagebien).]
+
+[Note 25: Arch. municipales de Vichy. Série G. G.]
+
+L'autre, François, né le 20 mai 1677, fut chanoine de Saint-Pierre de
+Mâcon, et pourvu d'un archidiaconé en 1725: il fut élu doyen par le
+chapitre de cette église le 29 mai 1728, et mourut à une date inconnue.
+
+Quant à l'aîné, Philippe-Étienne, né le 26 mai 1665, il servit de 1689 à
+1702 comme capitaine dans Orléans-infanterie, d'où son père le retira
+pour le marier en 1703 à Sibylle Monteillet, d'une famille lyonnaise
+dont nous n'avons pu retrouver trace. Il mourut le 22 mars 1765 ayant eu
+de son mariage sept enfants, cinq filles[26] et deux fils; le cadet, né
+le 17 novembre 1717 embrassa comme son père la carrière militaire: il
+fut lieutenant dans Tallard-infanterie le 1er décembre 1733,
+capitaine le 21 mai 1738, et mourut chevalier de Saint-Louis le 27
+octobre 1750, des suites de ses blessures.
+
+[Note 26: 1º _Anne_ (8 janvier 1710--25 mai 1781), mariée en 1735 à
+Jean-Baptiste de Lamartine d'Hurigny; 2º _Louise-Françoise_ (21 août
+1707--?); 3º _Marie-Anne_ (21 mai 1713--?), religieuse aux Ursulines de
+Mâcon, et connue dans la famille sous le nom de Mme de Luzy. Elle
+vivait encore en 1790; 4º _Marie-Claudine_ (19 février 1714--?); 5º
+_Charlotte_, née le 21 février 1716, mariée le 26 nov. 1736 à Pierre de
+Boyer, seigneur de Ruffé et de Trades, morte le 13 juillet 1757.]
+
+Quant à l'aîné, Louis-François, propre grand-père du poète, c'est une
+curieuse figure de gentilhomme, dont on a déjà vu les prétentions
+nobiliaires. Il était né le 4 octobre 1711 et, par le relevé de ses
+états de services, on voit qu'il fut enseigne le 3 octobre 1730 au
+régiment de Tallard-infanterie--devenu par la suite régiment de
+Monaco,--promu lieutenant le 22 août 1731, capitaine le 10 novembre
+1733, et qu'il quitta l'armée le 1er octobre 1748 avec la croix de
+Saint-Louis. Comme son corps fit les campagnes de 1733, 34, 35 sur le
+Rhin, celle de 1744 et 46 en Flandre et de 1745 en Allemagne, il prit
+donc part à la guerre de succession de Pologne et à la guerre de Sept
+ans.
+
+Lamartine, qui l'avait d'ailleurs à peine connu mais pouvait en parler
+d'après les souvenirs de son père, nous en a laissé un agréable
+portrait, un peu inexact quant aux détails, puisqu'il en a fait un
+capitaine de cavalerie: «Il avait été superbe, dit il, dans sa première
+jeunesse; en garnison à Lille, sous Louis XV, il avait frappé les yeux
+de Mlle Clairon qui y débutait alors, et en avait été remarqué. J'ai
+encore vu les restes de ses équipages tels que sa magnifique argenterie
+de campagne... Il avait servi longtemps dans les armées de Louis XV, et
+avait reçu la croix de Saint-Louis à la bataille de Fontenoy. Rentré
+dans sa province avec le grade de capitaine de cavalerie, il y avait
+rapporté les habitudes d'élégance, de splendeur et de plaisirs
+contractées à la Cour et dans les garnisons.»
+
+Si les Mémoires de la Clairon sont muets sur son séjour à Lille, tout au
+moins retrouve-t-on trace des équipages dans le laissez-passer que lui
+délivra le 27 juillet 1748, à Bruxelles, le maréchal de Saxe[27]. Quant
+à ses habitudes de luxe et de splendeur, nous en avons la preuve dans
+les embellissements qu'il apporta à ses propriétés et à sa belle
+bibliothèque où chaque volume était timbré de ses armes[28].
+
+[Note 27: «Maurice de Saxe, duc de Gourlande et de Semigalie,
+maréchal général des camps et armées du roi, commandant général des
+Pays-Bas, etc. Laissez librement et sûrement passer le sieur de la
+Martine, capitaine au régiment de Monaco, pour aller en France avec ses
+domestiques et équipages sans lui donner aucun trouble ni empêchement.
+Fait à Bruxelles le 17 juillet 1748 (bon pour un mois).--M. de Saxe. Par
+Monseigneur, de Bonneville.» Communication de M. Loiseau.]
+
+[Note 28: Toute cette bibliothèque fut dispersée, soit pendant la
+Révolution, soit au moment de la vente de Montceau. On en rencontre
+parfois des volumes chez les amateurs.]
+
+Quelques années après son retour à Mâcon, il épousa le 23 août 1749
+Jeanne-Eugénie Dronier, fille de Claude-Antoine Dronier, seigneur du
+Villard et de Pratz, conseiller au Parlement de Besançon, et de
+Cécile-Eugénie Dolard, qui lui apporta en dot d'importants domaines dans
+le Jura[29]. Ainsi, à la fin du XVIIIe siècle, la famille de
+Lamartine était, on le voit, un des plus considérables du pays. Le 18
+novembre 1760, Louis-François fut même élu de la noblesse aux États
+particuliers du Mâconnais, où les représentants des trois ordres
+réglaient les affaires de leur province[30].
+
+[Note 29: Les Dronier, seigneurs du Villard et de Pratz sont
+originaires de Saint-Claude (Jura). Jean-Claude Dronier, maître en la
+chambre des comptes de Dole, épousa le 6 juin 1692 Marie-Claudine
+Chevassu. Leur fils, Claude-Antoine, conseiller au Parlement de
+Besançon, épousa, le 19 novembre 1719, Cécile-Eugénie Dolard.]
+
+[Note 30: Les Lamartine prirent séance aux chambres de la noblesse
+du Mâconnais à partir du 27 décembre 1676.
+
+Dans la liste électorale pour les États généraux de 1789, tenue le 18
+mars en l'église Saint-Pierre de Mâcon, Louis-François y est nommé pour
+la châtellenie d'Igé et Domange; François-Louis et Pierre, ses deux
+fils, pour la prévoie de Saint-André-le-Désert (Arch. Nat., B. III 105,
+et de la Roque et Barthélémy, _Catalogue des gentilshommes de Bourgogne
+aux États généraux de 1789_, Paris, 1862). Le 28 mars, il figura
+également à l'assemblée des trois ordres du bailliage de Dijon, comme
+seigneur d'Urey, de Montculot, Charmoy, Poissot, Fleurey et Quémigny.]
+
+D'autre part, d'heureux mariages avaient augmenté le patrimoine
+ancestral. En 1750, Louis-François avait acquis près de Dijon la
+seigneurie d'Urcy avec le château de Montculot, admirablement situé sur
+un plateau raviné et tourmenté, et entouré de magnifiques forêts;
+quatorze sources avaient été captées pour embellir le parc qui
+descendait en gradins sur les flancs de la colline, et les bâtiments,
+aujourd'hui ruinés, semblent avoir été élevés à cette époque.
+
+En outre, il possédait en Mâconnais des vignobles importants: c'était
+Péroné, Champagne et Collonges[31]; La Tour de Mailly[32], Escole,
+Milly, dont les terres avaient presque doublé depuis Jean-Baptiste, et
+enfin Montceau, où rien n'avait été épargné pour en faire une résidence
+seigneuriale; on y accédait par une allée de noyers centenaires, longue
+d'un kilomètre, et que plus tard Lamartine fit abattre comme donnant
+trop d'ombre à ses vignes. À l'exemple du comte de Montrevel,
+Louis-François y avait même fait élever une salle de spectacle où l'on
+jouait la comédie. Les appartements étaient magnifiquement meublés et, à
+voir les inventaires dressés sous la Terreur, on comprend l'acharnement
+que Louis-François mit alors à défendre son bien, sans guère se douter,
+semble-t-il, qu'il jouait là sa tête.
+
+[Note 31: _Collonges_, hameau de la commune de Prisse, non loin de
+Mâcon; _Champagne_, hameau de la commune de Pérone.]
+
+[Note 32: La Tour de Mailly, nom aujourd'hui disparu, était situé à
+Igé (canton de Lugny), près du chemin de cette paroisse à Bertzé. Ce
+fief dépendait de la seigneurie d'Escole, et consistait en un château,
+«plusieurs cens et héritages» et le droit d'usage de la forêt de
+Malessard, domaine royal. Louis-François l'acquit en 1730 de Melchior
+Cochet, et exerça une reprise de fief le 4 mai 1748.]
+
+ * * * * *
+
+Les gros revenus que nécessitait un pareil train étaient tirés, d'abord
+des terres de Bourgogne, mais principalement des biens considérables que
+Mlle Dronier avait apportés en dot, et situés en Franche-Comté.
+C'étaient d'abord le château et les bois de Saint-Claude et Pratz; les
+forêts du Franois, dont les sapins s'étendaient sur plusieurs centaines
+d'hectares, et qui vaudraient, dira plus tard Lamartine, «des millions»,
+mais qui, d'après lui, furent vendues peu de temps avant la Révolution.
+Puis deux usines hydrauliques de fil de fer à Saint-Claude et à Morez en
+Jura, dont Louis-François s'occupait assidûment[33]; enfin, la terre des
+Amorandes, avec les ruines d'un vieux château féodal, et d'importants
+vignobles à Poligny.
+
+[Note 33: Cf. Arch. Nat., F. 12/107, p. 854. «Mémoire du sieur de
+Lamartine par lequel il sollicite divers privilèges et faveurs pour les
+deux manufactures de fil de fer et de fers noirs qu'il possède aux
+Combes, près Saint-Claude-sur-Bienne, et à Morez du Jura, et où il
+demande qu'il soit interdit au sieur Muller de maintenir l'établissement
+analogue aux siens qu'il a commencé d'installer au village de
+Champagnole.» (1er sept. 1789).]
+
+Toute cette fortune devait selon l'usage passer un jour aux mains du
+fils aîné, François-Louis, né le 6 juillet 1750. À l'âge de quatorze
+ans, il avait été inscrit a l'école de la compagnie des chevau-légers
+du roi, après examen des fameuses preuves de noblesse établies par son
+père.
+
+Mais il était d'une santé délicate, et dut en 1776 quitter la compagnie
+où il n'avait fait d'ailleurs que de rares apparitions, «n'ayant tardé à
+venir faire ses exercices dit une note de son dossier, que par sa
+maladie dont il a donné les preuves». Il souffrait de la poitrine, et
+bientôt son état s'aggrava à un tel point que les médecins lui
+déconseillèrent le mariage. Or le cadet, Jean-Baptiste, était entré dans
+les ordres; pour assurer la postérité, il fallut donc chercher plus loin
+encore, et tirer de l'ombre, où il était destiné à végéter, le troisième
+et dernier fils, le petit chevalier de Pratz, Pierre de Lamartine.
+
+Il était né le 21 septembre 1751; selon l'usage du temps, il ne devait
+pas se marier, mais, comme l'a dit Lamartine, «vieillir dans le grade
+modeste de capitaine, gagner lentement la croix de Saint-Louis puis,
+dans un âge avancé, végéter dans une chambre haute de quelque vieux
+château de son frère aîné, surveiller le jardin, dresser les chevaux,
+jouer avec les enfants, aimé mais négligé de tout le monde, et achever
+ainsi sa vie, inaperçu, sans biens, sans femme, sans postérité, jusqu'à
+ce que les infirmités et la maladie le reléguassent dans la chambre nue
+où pendaient au mur son casque et sa vieille épée, et qu'on dît un jour
+dans le château: Le chevalier est mort.»
+
+Cette triste et solitaire existence, Pierre de Lamartine semble l'avoir
+acceptée avec résignation. À dix-sept ans, après avoir déjà servi deux
+ans comme volontaire, il adressa au ministre de la Guerre une demande en
+vue d'obtenir un brevet de sous-lieutenant sans appointements dans le
+régiment de Dauphin-cavalerie, où commandait le comte de Vibraye, ancien
+compagnon d'armes de son père.
+
+ Il ose espérer, terminait-il, qu'on lui accordera cette grâce en
+ considération de ses pères et parents qui ont sacrifié une partie
+ de leur vie et de leur fortune au service du Roy, auquel étant
+ cadet de famille, il se propose lui-même de sacrifier avec zèle sa
+ vie.
+
+Le 11 mai 1769, la demande était accordée; le 1er janvier 1772, il
+obtenait le grade de sous-lieutenant en pied, celui de lieutenant en
+second le 18 juin 1776, en premier le 14 février 1779, celui de
+capitaine en second le 12 juillet 1781, et de capitaine le 9 mars 1788.
+C'est à cette époque qu'on s'occupa sérieusement de le marier.
+
+Il en était question déjà depuis longtemps, paraît-il, mais d'année en
+année on ajournait «cette énormité». Lamartine a raconté, avec une verve
+exquise, toutes les difficultés que rencontra cette décision. C'était un
+soulèvement général de tous les sentiments de famille. Les chevaliers ne
+sont pas faits pour se marier, disait la mère révoltée: «c'est
+monstrueux». Mais d'autre part, laisser s'éteindre le nom, c'eût été,
+a-t-il dit, un crime contre le sang. Il fallut se décider malgré tout.
+
+Tout au moins lui laissa-t-on faire un mariage d'inclination, puisqu'il
+épousa une jeune fille qu'il aimait depuis longtemps, mais peu dotée, ce
+qui n'était guère dans les traditions de la famille: Françoise-Alix Des
+Roys, chanoinesse-comtesse au chapitre de Salles en Beaujolais, fille
+d'un intendant des finances du Palais-Royal et d'une sous-gouvernante
+des enfants du duc de Chartres.
+
+
+
+
+CHAPITRE II
+
+LES DES ROYS[34]
+
+
+[Note 34: Sources et bibliographie: _Titres et papiers de la famille
+Des Roys_ (XVe-XIXe siècle), communiqués par M. le baron Carra de
+Vaux.--_Archives dép. de la Haute-Loire.--Archives municipales de
+Montfaucon._
+
+_Obituarium Lugdunensis ecclesiæ_ (Lyon, 1867, éd.
+Guignes).--_Obituarium Sancti-Pauli Lugdunensis_ (1872,
+id.).--_Obituarium Sancti-Petri Lugd._ (1880, _id._,
+_ibid._).--_Cartulaire des hospitaliers du Velay_ (Le Puy,
+1888).--_Cartulaire des Templiers du Velay_ (_id._, 1882).--Répertoire
+général des hommages de l'évêché du Puy (1887).--_Recueil des
+chroniqueurs du Puy_ (éd. Chassaing, 3 vol. 1869-75).--_Notes sur le
+monastère de Montfaucon_, par l'abbé Theillère (1876).--_Nobiliaire
+d'Auvergne_, par Bouillet (7 vol., 1846-53).--_Le Livre d'or du
+Lyonnais_ (Lyon, 1866).--_Jean-Louis Des Roys_, par Al. Carra de Vaux
+(_l'Investigateur_, revue de l'institut historique, année
+1850).--_Mémoires inédits_ de Me de Genlis (10 vol.,
+1825-27).--_L'Assemblée de la noblesse de la sénéchaussée de Lyon en
+1789_, par H. de Jouvencel (Lyon, 1907).--_Grimod de la Reynière et son
+groupe_, par Desnoiresterres (1875).--_Lucien Bonaparte_, par Ch. Iung
+(t. II, 1882).--_Lucien Bonaparte et sa famille_ (Paris, 1889).--_The
+marriages of the Bonapartes_, par Bingham (Londres, 1881).--_Armorial du
+premier Empire_, par A. Révérend (Paris, 1894, 4 vol.).--_Titres et
+anoblissements de la Restauration_ (Paris, 1901, 6 vol.).]
+
+Les Des Roys, famille de juristes et de magistrats, n'ont guère laissé
+de trace dans l'histoire de leur temps; comme les Lamartine en
+Bourgogne, ils vécurent tous en Auvergne la même existence probe et
+obscure du gentilhomme provincial fidèle au pouvoir et aux traditions,
+sans qu'aucun grave événement vînt modifier leurs jours paisibles et
+bien occupés. Avocats de père en fils dès le début du XVIe siècle,
+ils resteront toujours pauvres: ni leur carrière peu fructueuse, ni le
+sol ingrat du Velay ne pouvaient les enrichir.
+
+Il est difficile d'attribuer des origines précises à leur noblesse et à
+leur nom. Dans tous les actes les concernant ils sont bien qualifiés de
+_nobles_, mais aucun d'eux, soit par la seigneurie d'une terre noble,
+soit par l'achat d'une charge conférant la noblesse, n'a jamais répondu
+aux conditions requises du noble pour justifier ses prérogatives. Reste
+l'hypothèse du _fait acquis_, dont bénéficiaient les familles
+autochtones ou très anciennement connues dans une région: seule elle
+paraît applicable aux Des Roys dont le nom n'est pas celui d'un fief
+ajouté au nom patronymique et supprimé peu à peu par l'usage, puisqu'on
+rencontre au cours des XVIe et XVIIe siècles des Des Roys
+d'Eschandelys, Des Roys de Lédignan, Des Roys de Chazotte, Des Roys de
+la Sauvetat. Pourtant leur noblesse est incontestable. Le fait d'avoir
+suivi l'exemple des vieilles familles de France en ne profitant pas de
+l'édit royal de 1696 pour faire enregistrer officiellement leurs armes
+prouve qu'en Auvergne ils n'avaient plus à fournir leurs preuves[35].
+
+[Note 35: Aucun Des Roys ne figure à l'_Armorial général du Cabinet
+des titres_.]
+
+Quant au nom même, il est latin et ne provient pas, comme on serait
+porté à le croire, de _Regibus_, mais de _Rex_, décliné suivant sa
+fonction dans la phrase, transformé peu à peu en _Reis_, puis en _Roys_;
+l'évolution est d'ailleurs facile à suivre du XIIe au XIIIe
+siècle. _De Regibus_ n'apparaît qu'au XVe siècle, alors que le nom
+tout à fait francisé est traduit alors sous son équivalent le plus exact
+dans les actes latins.
+
+Des nombreux Rex, Regis, Rege ou Reis--la plupart notaires ou
+clercs--qui figurent dans les cartulaires ou polyptyques de la région
+lyonnaise de 1100 à 1400[36], on peut conclure que là est le véritable
+berceau de cette famille, plus tard divisée en plusieurs branches, mais
+toute possessionnée en Languedoc, en Auvergne ou en Bugey; celle qui
+nous occupe se fixa en Velay où la première mention qu'on en rencontre
+remonte à 1279[37]. À partir de cette date les documents deviennent
+plus nombreux, sans qu'il soit possible, bien entendu, d'établir une
+filiation directe. Enfin, au début du XVIe siècle, nous nous trouvons
+en présence d'une famille Des Roys établie de longue date, semble-t-il,
+à Montfaucon près du Puy et comptant de nombreuses alliances avec de
+vieilles maisons du pays. Jusqu'au milieu du XVIIIe siècle elle
+demeura dans ce bourg désolé, situé à 16 kilomètres d'Yssingeaux sur un
+plateau balayé de coups de vent terribles, enfoui six mois de l'année
+sous la neige, privé de ressources naturelles, et sans autres végétation
+que les bois de pins sombres qui dominent les gorges de la Dunière.
+Point de mouvement sinon celui des pèlerinages à la Vierge noire du Puy,
+très fréquentés alors, et au XVIe siècle celui des bandes catholiques
+ou huguenotes qui ravageaient le pays avant d'entrer en Languedoc.
+
+[Note 36: _Bonardus Rex_, acte de 1147 (_Obit. S.-P. Lugd._, p. 59),
+c'est la plus ancienne mention. _Guigo Regis_ (1239), domicilié à
+Saint-Laurent de Lyon, etc. On rencontre environ une vingtaine de
+personnages de ce nom auxquels on doit rattacher les Des Roys; en effet
+dans les papiers de la famille on trouve mention au XVIe siècle d'une
+prébende fondée en l'église Saint-André de Montbrison, en 1361, par
+maître Jean Regis, licenciée en droit.]
+
+[Note 37: Charte du 10 janvier 1279 où _Petrus Regis_ est cité comme
+clerc (_Cart. des Templiers_, p. 385). Échange entre Pons de Brion et
+Raymond du Pont, daté du 1er mai 1324, d'une rente sur des fonds
+contigus au couvent des Carmes contre une rente sur un champ situé aux
+Combes, près d'Espaly, «juxta campum _Johannis Regis_ civis anisiensis»
+(citoyen du Puy) (_Cart. des hospitaliers du Velay_, p. 188). Sentence
+de l'official du Puy, condamnant Jean Regis, damoizeau, père de
+Paulette, femme de noble Hugues de Chandorasse, à payer à Dalmas, prieur
+de Saint-Martin de Polignac, les arrérages de biens sis à Soleihac, 13
+mars 1382 (Arch. dép. Haute-Loire, G. 651).]
+
+ * * * * *
+
+C'est là que vers 1480 vivait le premier Des Roys auquel on puisse
+rattacher directement Lamartine, «vénérable et discrète personne Denis
+Des Roys» dont nous savons même fort peu de chose. Par son testament
+rédigé le 25 février 1528 et où il est qualifié de bachelier ès lois, on
+voit qu'il avait trois frères: Mathurin, curé de Raucoules[38]; Louis,
+curé du Pailhet[39], et une soeur, Catherine, mariée à Pierre Aurelle,
+dont elle était veuve à cette époque. En premières noces Denis Des Roys
+épousa Claude de Lagrevol et plus tard Isabelle Vacherelle; de ces deux
+mariages naquirent sept enfants, deux filles: Vidalle, Marthe, femme
+d'Antoine de Romezin, et cinq fils: Antoine et Aymard, les deux plus
+jeunes, entrèrent dans les ordres; un autre, Pierre, fut «apoticaire»;
+le cadet, Sébastien, alla s'établir à Toulouse et l'aîné, Antoine,
+épousa Marguerite de Baulmes et de Jussac. Quant aux biens qu'il
+possédait alors, ils comprenaient une maison à Montfaucon, et deux
+terres, le grand et le petit Rebecque.
+
+[Note 38: Raucoules. Il existe trois villages de ce nom dans la
+Haute-Loire; celui des Des Roys est situé dans le canton de Montfaucon.]
+
+[Note 39: Nom disparu; aujourd'hui Montregard.]
+
+Mais si ce long document ne fournit que de très vagues renseignements
+sur l'état et la situation des Des Roys au début du XVIe siècle, sa
+rédaction soignée et sa forme souvent recherchée dénotent chez Denis une
+habitude de la langue polie peu commune à l'époque; issu d'une lignée
+érudite, apparenté à des ecclésiastiques lettrés[40], lui-même docteur
+en droit, il avait tenu à préciser élégamment les moindres détails de sa
+pompe funéraire, parfois, il est vrai, avec un soin un peu macabre
+comme on peut en juger par ce début:
+
+ Préalablement à Dieu tout puissant et à la benoyste Vierge Marie sa
+ mère et par intercession de tous les saints et saintes du Paradis,
+ je recommande mon âme et mon corps après mon trépassement et, avant
+ toute oeuvre, je rends à Dieu mon créateur grâces de ma nativité,
+ corps et membres dont il m'a créé, des cinq sens qu'il m'a prestés,
+ des beaux enfants qu'il m'a donnés, et de tous les biens qu'il lui
+ a pleu me donner durant ma vie en ce monde.
+
+ Item je me confesse à lui et à la glorieuse Vierge Marie, à
+ monsieur Saint Denis, Saint Christophe et à tous les saints et
+ saintes du Paradis de tous les peschés et méfaits en quoy durant
+ maditte vie je suis escheu et desquels je n'en aurais été autrefois
+ confessé.
+
+ Item veux et ordonne que mon âme séparée du corps, mon dit corps
+ soit veillé par mes bons amis et puis dedans un tombeau porté dans
+ l'église de Montfalcon et dessus la couverte apartenant au curé de
+ la dicte Église par ses droits accoutumés; veux aussi m'estre mis
+ un linceul blanc sur le chef avec une croix noire du long et de
+ travers en mémoire de la Sainte Croix.
+
+ Item que ceux qui porteront mondit corps, reconnaissant que suis
+ venu en ce monde nud, seront pieds nuds; en contentement de leur
+ peine je donne à chacun c'est à sçavoir deux aulnes et demie de
+ mandel noir et dîner afin qu'ils prient Dieu pour mon âme.
+
+ Item veux qu'à ma sépulture soient convoqués tous les prêtres de
+ cette ville de Montfalcon et de Raucoules et du Pailhet lesquels
+ seront tenus de dire à haute voix le psautier ainsi qu'il est
+ accoutumé et après ledict psautier veux qu'ils disent les litanies
+ et là où on dit _ora pro nobis_, ils diront _ora pro eo_.
+
+[Note 40: D'après la _Bibliographie de la Haute-Loire_, par Sauzet,
+un Mathurin Des Roys, prieur de Saint-Didier, aurait composé une
+histoire du Puy, en vers et en prose, et dédiée à Amédée de Saluce,
+doyen de la cathédrale; l'ouvrage aurait été imprimé en 1519 chez Claude
+le Noury. Ce volume ne figure à notre connaissance dans aucune autre
+bibliographie; il nous a été impossible de l'identifier.]
+
+Suivent, pendant quatre pages, l'ordre de son convoi; les noms des amis
+qu'il prie d'y assister, le nombre de messes qu'il requiert--autant
+qu'il aura vécus d'ans «en ce misérable monde»--et jusqu'à la décoration
+de l'église où il ordonne «qu'il soict faict lume de six livres de cire
+tant en quatre petites torches qu'en autres chandelles tellement que
+tout le chandellier neuf soit garny».
+
+La question des legs était plus brièvement traitée; il laissait sa femme
+usufruitière de ses biens, lui donnait ses joyaux, anneaux, ceintures,
+et une tasse martellée; abandonnait au curé de Montfaucon une partie de
+sa garde-robe «comme robe, pourpoint, chausses et une bonne chemise»;
+ses fils héritaient chacun de cent livres et ses filles de dix sols
+tournois; enfin, à tous les membres de sa famille et à ses amis il
+léguait «trois aulnes de bon mandel noir» pour porter son deuil, avec
+cette originale restriction que la qualité de l'étoffe devait varier
+entre trente et cinquante sols l'aune, suivant le degré de parenté.
+
+Le fils aîné de Denis Des Roys, Antoine, fut à la fois l'exécuteur et le
+légataire universel de ce bizarre testament. Après avoir fait ses études
+de droit comme son père, il fut reçu licencié, titre auquel tous
+tenaient beaucoup puisqu'il est mentionné dans leurs contrats jusqu'au
+milieu du XVIIIe siècle. Il épousa, le 21 juin 1533, Marguerite de
+Baulmes et de Jussac, fille de Charles et d'Anne de Meyre[41].
+
+[Note 41: Contrat passé à Baulmes (paroisse de Saint-André et
+diocèse de Valence); témoins: Arnaud de la Rochaing, écuyer; Guillaume
+de Montagnet, seigneur de Montguérin; Jehan des Champs (de Campis),
+lieutenant de Mautfaucon; Jehan des Roys (de Regibus); noble Antoine de
+Bronac. La présence de ce dernier parmi les témoins prouve que les Des
+Roys devaient tenir un certain rang dans la ville, car les Bronac,
+coseigneurs de Mautfaucon et de Vazeilles, étaient considérés alors
+comme de hauts personnages.
+
+Charles de Jussac, écuyer, seigneur de Baulmes et de Jussac (canton de
+Retornac). De son mariage avec Anne de Meyre il eut deux filles
+religieuses: Anne et Alice; un fils, Gaspard, mort sans postérité; deux
+fils: Bernard et Jean, prêtres; une fille Isabeau, mariée à Arnaud de la
+Rochaing; une autre enfin, devint la femme d'Antoine Des Roys. À la mort
+de Charles de Baulmes, tous ses biens revinrent à sa fille Marguerite,
+dont Antoine hérita.]
+
+Seuls de tous les Des Roys, Antoine connut des jours mouvementés: nommé
+en 1542 lieutenant criminel au bailliage de Velay, il fut victime d'une
+erreur judiciaire, qui lui valut en 1552 d'être condamné en cour du
+parlement de Toulouse au bannissement perpétuel et à la confiscation de
+ses biens. Il aurait, paraît-il, après avoir fait arrêter de faux
+monnayeurs, profité de leurs dépouilles avec quelques-uns de ses
+collègues qui partagèrent son sort. L'affaire demeure assez mystérieuse,
+mais il semble avoir été dénoncé à tort par des ennemis. Quoi qu'il en
+soit, il fut réhabilité publiquement en 1558 et rentra en possession de
+son titre.
+
+À sa mort, survenue entre 1575 et 1583, il ne laissait pas d'enfants et
+institua comme héritier son neveu Sébastien, fils de son frère Pierre.
+Celui-ci eut alors à soutenir un long procès contre les frères et soeurs
+de Marguerite de Jussac, qui réclamèrent la restitution des biens de
+Jussac et de Baulmes dont ils prétendaient qu'Antoine ne pouvait
+disposer par suite de sa condamnation. Finalement, après dix-sept ans de
+plaidoiries et d'appels il obtint gain de cause; pourtant il se défit
+bientôt de ces terres qui lui avaient coûté tant de mal, puisqu'en 1636
+Jussac, qui relevait de l'évêque du Puy, appartenait à Christophe de la
+Rivoire, sieur de Chadenac[42].
+
+[Note 42: Cf. _Répertoire des hommages de l'évêché du Puy_ (p.
+385).]
+
+Après ces années agitées, aggravées encore par la guerre religieuse qui
+ravagea le pays de 1560 à 1595 et dont le Puy et Montfaucon eurent
+durement à souffrir, les Des Roys reprennent leur vie monotone et sans
+histoire. Sébastien, qui avait épousé en 1588 demoiselle Claude de
+Guilhon[43], laissa quatre enfants: une fille, Marie, femme de Jean
+Pollenon, et trois fils: l'aîné, Gaspard, marié à Jeanne de Cohacy,
+mourut sans héritier; le plus jeune, Pierre, avocat au Puy, fut un
+avocat distingué et qui connut en son temps une certaine notoriété: on
+lui doit quelques ouvrages de droit qui sont d'une langue claire et
+furent utilisés après lui pendant de longues années[44]; de son mariage
+avec Catherine des Olmes, d'une très vieille famille du pays[45], il
+laissa quatre filles, dont la descendance subsiste encore[46]. Le
+cadet, Melchior, avocat comme ses pères, eut de son union avec Françoise
+de Marnans deux filles mortes religieuses, une autre mariée à Pierre
+Roche, et un fils, Baltazar, né en 1610, qui épousa Claude des Olmes en
+1650. En mourant, il laissait un fils, Pons Gaspard, né en 1652, marié
+en 1681 à Louise de Mure, père lui-même de deux fils, dont l'un, Claude,
+épousa en 1722 Françoise Pagey, et l'autre, Cristofle, sa cousine Marie
+de Romezin. Tous, continuant les traditions de la famille, avaient fait
+leurs études de droit à Grenoble et étaient avocats.
+
+[Note 43: Veuve en premières noces de Denis de Cohacy, procureur
+royal; les Guilhon étaient alliés à la famille de Gerlande.]
+
+[Note 44: Il est l'auteur de: 1º _Livret contenant les principales
+questions et décisions qu'on peut rechercher en matière de légitime_
+(Lyon, 1644); 2º _Traicté des substitutions_ (Lyon, 1644).]
+
+[Note 45: Des Olmes, aujourd'hui famille de Veyrac. En 1588, Denis
+des Olmes épousa Catherine Dufours, dont Antoine, marié en 1587 avec
+Marguerite de la Franchère. Leur fils Louis, marié en 1622 à Florie de
+Lagrevol, était le père de Catherine des Olmes.]
+
+[Note 46: Marie, femme de Jacques Hochet; Philiberte, femme de Louis
+de Romezin, d'où une fille, qui épouse Claude Ferrapie, d'une ancienne
+famille de Mautfaucon; Jeanne, mariée à Antoine Varilhon; Claude et
+Marguerite, mortes filles.]
+
+Il faut arriver jusqu'au milieu du XVIIIe siècle pour rencontrer
+quelque variété dans l'histoire de la famille Des Roys. Le grand-père de
+Lamartine nous est en effet mieux connu; son existence fut celle d'un
+homme de coeur et d'un fonctionnaire parfait.
+
+ * * * * *
+
+Jean-Louis Des Roys était fils de Claude Des Roys, avocat au Parlement
+de Grenoble, et de Françoise Pagey; il naquit à Champagne en Vivarais le
+27 août 1724 et de bonne heure se prépara à suivre la carrière de son
+père. Le 5 août 1745, il fut reçu licencié en droit à l'université de
+Valence et admis un an plus tard, le 20 juin 1746, comme avocat au
+Parlement de Grenoble. Il y fit ses débuts au barreau, et, ayant acquis
+quelque réputation, alla s'établir à Lyon en 1750. Bientôt, sa notoriété
+devint suffisante pour qu'il reçût des lettres de bourgeoisie en 1764,
+et fut élu échevin de la ville en 1766, puis premier échevin en 1767.
+
+Il abandonna le barreau en 1772 pour des fonctions infiniment plus
+importantes, ayant été appelé cette année-là à l'intendance des domaines
+de la maison d'Orléans. Dans ses lettres de nomination, le duc rendait
+hommage à ses talents, son activité, sa probité pendant sa gestion des
+affaires de la ville, si bien que les Lyonnais, très satisfaits de ses
+services, lui offrirent aussitôt une situation analogue à celle qu'on
+venait de lui assurer. Mais la nomination de sa femme comme
+sous-gouvernante des enfants du duc de Chartres acheva de le décider.
+
+Il avait épousé à Lyon, le 12 avril 1757, Mlle Marguerite Gavault,
+fille de François Gavault, receveur du grenier à sel de
+Saint-Symphorien, puis lieutenant civil et criminel de l'élection de
+Lyon, et de Françoise Mauverney. Cette alliance va donner lieu à
+quelques cousinages, qui, pour être authentiques, n'en sont pas moins
+imprévus. Françoise Mauverney était fille de François Mauverney et de
+Marguerite Grimod, et ce nom de Grimod, illustré au XVIIIe siècle par
+toute une dynastie de puissants fermiers généraux, est l'origine de
+curieuses parentés entre Lamartine et plusieurs de ses contemporains
+célèbres à des litres divers[47].
+
+[Note 47: Ces alliances, que Lamartine n'ignorait pas (cf.
+_Souvenirs et Portraits_, t. II, _les Bonaparte_), ont été constamment
+négligées par les généalogistes de la famille Grimod; l'omission doit
+provenir de ce que les notes de d'Hozier (Cabinet des titres, pièces
+originales, vol. 141; Dossiers bleus, vol. 333; Nouveau d'Hozier, vol.
+165) ont été établies sur une collection de _factums_ de 1754, rédigés
+pour Marguerite le Juge et qui ne l'ont mention, ni de la branche
+Bonaparte, ni de la branche de Vaux-Lamartine.
+
+Pourtant, l'acte de baptême d'Alexandrine de Bleschamp, princesse de
+Canino, dissipe toute équivoque, ainsi que le testament d'Antoine Grimod
+enregistré à Paris le 7 avril 1718, et où il est fait également mention
+de deux autres filles: Benoîte et Philiberte, mariée l'une à J.-B. Dumas
+de Corbeville, l'autre au marquis de Pranse.
+
+Voici enfin un fragment du _Journal intime_, qui, malgré quelques
+erreurs, confirme la parenté des Des Roys avec les divers personnages
+que nous avons cités.
+
+«_23 janvier 1803_ {de Rieux}. Je voudrais pouvoir écrire tout ce que ma
+mère me conte de ses voyages, ce serait bien intéressant, et mille
+anecdotes curieuses de gens marquants. Malheureusement, ce serait trop
+long. Ma mère conte à merveille, elle a infiniment d'esprit et de
+mérite. Elle m'a rapporté beaucoup de choses de M. de la Reynière, le
+fermier de Lyon, etc., à qui nous étions parents par ma grand'mère;
+Mme de la Ferrière avait épousé en premières noces M. Grimod de la
+Reynière, dont elle a eu M. de la Reynière, fermier général, qui avait
+épousé Mlle de Jarente, qui vit encore et qui est très liée avec ma
+mère. M. de la Ferrière a eu aussi deux filles: l'aînée était Mme de
+Malesherbes, qui est morte très malheureusement fort jeune, laissant
+deux filles: Mme de Rosanbo qui a été guillotinée, et Mme de
+Montboissier; la seconde était Mme de Lévis, amie intime de ma mère
+qui est morte assez jeune. M. de la Reynière le père avait eu d'un
+premier mariage Mme de Beaumont, c'est par là que nous lui sommes
+parents [_à Mme de Beaumont_]. Nous l'étions aussi par les Grimod à
+la femme du baron de Breteuil et aux Cipierre; la fille du baron de
+Breteuil a épousé M. de Matignon, dont la fille a épousé un Montmorency.
+
+«M. d'Orsay s'appelle aussi Grimod, toujours de la même famille; il a
+épousé, en secondes noces, une princesse d'Allemagne assez proche
+parente du roi de Prusse, et le fils de M. d'Orsay a épouse une
+princesse d'Italie assez peu considérable.»
+
+Cette Mme de la Ferrière, dont il est ici question était Marie
+Mazade, seconde femme de Gaspard Grimod de la Reynière; devenue veuve,
+elle épousa Honoré de la Ferrière.]
+
+Antoine Grimod, né en 1647, directeur général des fermes unies de
+France, conseiller et secrétaire du Roi, avait épousé à Lyon, le 13
+avril 1684, une demoiselle Marguerite le Juge, qui lui donna sept
+enfants, dont l'aîné, François-Alexis Grimod de Beauregard (1685-1755),
+mourut sans postérité.
+
+Le cadet, Gaspard Grimod, seigneur de la Reynière, fut marié deux fois:
+du premier lit il eut un fils, Jean-Gaspard (1733-1793), fermier
+général, époux de Françoise de Jarente, dont il eut Baltazard-Laurent
+Grimod de la Reynière, fastueux épicurien et gastronome célèbre dont les
+bons mots et les petits soupers défrayèrent longtemps la chronique
+scandaleuse à la fin du XVIIIe siècle. Du second lit, il eut deux
+filles: l'une, Madeleine, mariée au comte de Lévis; l'autre,
+Marie-Françoise, qui épousa Chrétien-Guillaume de Lamoignon de
+Malesherbes, défenseur de Louis XVI auprès du tribunal révolutionnaire;
+la fille de Malesherbes devint la femme du marquis Louis de Rosanbo,
+dont la première fille, Thérèse (1771-1794), épousa
+Jean-Baptiste-Auguste de Chateaubriand, comte de Combourg, conseiller au
+parlement de Bretagne, puis capitaine au Royal-cavalerie, le frère de
+René, et dont la cadette, Louise-Madeleine, fut mariée au comte de
+Tocqueville, père du célèbre historien et philosophe.
+
+Le troisième fils d'Antoine Grimod et de Marguerite le Juge, Pierre
+Grimod de Dufort d'Orsay (1698-1748), fermier général, fut tout aussi
+bien casé que ses aînés; trois fois marié, il n'eut d'enfant que de sa
+dernière union avec Marie-Antoinette de Caulaincourt. L'aîné fut
+Pierre-Gaspard-Marie, comte d'Orsay, qui épousa d'abord la princesse
+Amélie de Croy, puis, devenu veuf, la princesse Elisabeth de
+Hoenloe-Bartenstein. Un fils de son premier lit, Albert-Gaspard
+(1772-1843), prit pour femme Éléonore de Franquemont, qui lui donna une
+fille, Anna Ida, mariée en 1818 à Héraclius, duc de Grammont, et un
+fils, Gillion-Gaspard-Alfred, comte d'Orsay, surintendant des
+beaux-arts, le fameux «dandy» amant de la belle lady Blessington, à qui,
+en échange d'un buste, son cousin Lamartine dédia l'_Ode au comte
+d'Orsay_.
+
+Le dernier fils d'Antoine Grimod, Gaspard Grimod de Verneuil, nous
+réserve une surprise encore plus singulière: sa fille, mariée à un
+certain Charles Bouvet, fut la mère de Marie Bouvet, qui devint la femme
+de Charles-Jacob de Bleschamp, et la grand'mère d'Alexandrine de
+Bleschamp (1778-1855); celle ci, après son divorce d'avec un aventurier
+nommé Jouberthon, épousa en 1802 Lucien Bonaparte, prince de Canino,
+frère de Napoléon Ier, dont deux des petits-fils sont le prince Roland
+Bonaparte et le général Wyse-Bonaparte, actuel ministre de la Guerre
+des États-Unis d'Amérique, et l'arrière-petite-fille la princesse royale
+de Grèce. Quant à la fille aînée d'Antoine Grimod, Marguerite, elle fut
+mariée: 1º à François Mauverney[48] dont elle eut une fille, Françoise;
+2º à Charles Gavault, veuf également et père d'un fils, François, qui
+épousa la fille du premier mariage de sa belle-mère. De cette union
+naquirent deux filles: l'aînée, Françoise, épousa en 1743 Charles
+Dareste de la Plagne, dont le fils fut directeur des tabacs à Naples
+sous le premier Empire et employa Graziella parmi ses cigarières; la
+cadette, Marie Gavault épousa, on l'a vu, Jean-Louis Des Roys, et leur
+fille, Alix, fut la mère de Lamartine.
+
+[Note 48: François Mauverney, receveur du grenier au sel de
+Saint-Symphorien-le-Château, puis lieutenant criminel et civil de
+l'élection de Lyon, était fils de Pierre Mauverney, conseiller du Roi,
+élu en l'élection de Saint-Étienne, et de Jaqueline Dilbert. Pierre
+Mauverney était lui-même fils de Jean-Baptiste et de Jeanne Coignet.
+(Cf. Cab. des titres: pièces originales, vol. 1902.)]
+
+Par les Grimod, celui-ci se trouvait donc allié par le sang à Grimod de
+la Reynière, à Malesherbes, à Tocqueville, aux Bonaparte, aux
+Chateaubriand, aux Grammont, aux Lévis, aux de Croy et aux Montmorency.
+
+Cette alliance avec la puissante famille Grimod fut d'ailleurs
+extrêmement précieuse à Jean-Louis Des Roys lors de son séjour à Paris
+comme intendant des finances du duc d'Orléans, car les innombrables
+relations de Laurent de la Reynière lui valurent bientôt un petit
+cercle assidu aux réceptions de sa femme dans l'appartement qu'elle
+occupait au Palais-Royal.
+
+ * * * * *
+
+Le peu que nous sachions de Mme Des Roys la montre comme une femme
+pleine de simplicité, vertueuse sans affectation et profondément dévouée
+aux d'Orléans. «Mme Des Roys, dit Lamartine dans les _Confidences_,
+était une femme de mérite; ses fonctions dans la maison du premier
+prince du sang attiraient et groupaient autour d'elle beaucoup de
+personnages célèbres à l'époque. Voltaire, à son court et dernier voyage
+à Paris qui fut un triomphe, vint rendre visite aux jeunes princes: ma
+mère, qui n'avait que de sept à huit ans, assista à la visite...
+D'Alembert, Laclos, Mme de Genlis, Buffon, Florian, l'historien
+anglais Gibbon, Grimm, Morellet, Necker, les hommes d'État, les gens de
+lettres, les philosophes du temps vivaient dans la société de Mme Des
+Roys.» À part le détail touchant Voltaire, ceci est suffisamment vérifié
+par les mémoires de Mme de Genlis, sa perfide rivale, obligée de
+convenir elle-même de la réputation de Mme Des Roys auprès de la
+société de leur temps.
+
+En 1773, à la naissance du duc de Valois, qui deviendra Louis-Philippe,
+Mme Des Roys avait été nommée sa gouvernante, sous le contrôle de la
+vieille marquise de Rochambeau, et cette faveur fut l'origine de la
+rancune tenace que lui voua la vindicative Mme de Genlis. La belle
+Félicité, alors maîtresse en titre du duc de Chartres et son Égérie,
+avait ambitionné ce poste qui aurait au moins donné quelque excuse à sa
+présence perpétuelle auprès des princes, mais la duchesse s'y opposa.
+Sans égards à la bienveillance dont Mme Des Roys avait jadis fait
+preuve envers elle, puisqu'elle lui devait d'être entrée au service de
+la famille d'Orléans sur la recommandation de Grimod de la Reynière son
+cousin, elle commença une violente campagne contre sa bienfaitrice et
+l'accusa auprès du duc d'élever ses fils dans les idées philosophiques
+de ses amis les plus habituels. Indignée, la bonne Mme Des Roys, qui,
+jusqu'alors avait traité de calomnie la liaison de Mme de Genlis et
+du duc de Chartres, en profita pour fermer sa porte à la dangereuse
+créature en même temps qu'à Grimod de la Reynière qui avait pris parti
+contre elle[49]. Celle-ci s'en vengea comme elle put, et l'on sent, à
+lire ses _Mémoires_ rédigés plus de quarante ans après, que sa haine
+n'était point encore éteinte. En 1781, en effet, elle fut nommée
+_gouverneur_ des princes au grand scandale de la cour et, rapportant
+avec orgueil les souvenirs de ce temps, elle s'exprime ainsi sur le
+compte de celle qui l'avait précédée auprès du duc de Valois:
+
+«J'ai le droit, dit-elle, de ne pas estimer certaines personnes, parce
+qu'elles ont été d'une très noire ingratitude envers moi; telle, par
+exemple, Mme Desrois[50]», et plus loin, à la fin d'une conversation
+avec ses élèves: «Il m'a paru que vous étiez très froids pour Mme
+Desrois; vous lui parlez à peine. Vous ne lui montrez aucune amitié,
+vous ne demandez jamais de ses nouvelles; cela est mal et ridicule.»
+Puis, elle ajoute ingénument: «Ils avaient cette froideur pour elle
+parce qu'elle s'était brouillée publiquement avec moi, sans motifs et
+sans explication, quoique je lui eusse rendu de très grands services
+auprès de M. le duc d'Orléans».
+
+[Note 49: Cf., sur les suites de cette brouille entre Grimod de la
+Reynière et sa cousine, «_copie d'une lettre de M. Grimod de la
+Reynière, négociant à Lyon, etc., à Mme Des Roys, ancienne
+sous-gouvernante des ci-devant princes d'Orléans. Lyon, 7 déc. 1791_ (s.
+l. n. d., mais Lyon, 1791).
+
+Dans cette brochure extrêmement rare, Laurent s'efforçait d'abord
+d'attirer à sa cousine des ennuis que son ancienne situation pouvait
+rendre graves, mais il l'accusait surtout d'avoir capté l'héritage de sa
+grand'mère, morte en 1773, et d'avoir pris un grand empire sur son père.
+Il terminait ainsi: «Maintenant, permettez-moi de vous offrir la paix ou
+la guerre, mais surtout point de neutralité, point de tergiversation.
+Une réponse claire et nette, s'il vous plaît. Si c'est la guerre, je la
+ferai courageusement et de mon mieux; si vous préférez la paix,
+sacrifiez-moi mes ennemis, agissons de concert, et nous nous en
+trouverons bien l'un et l'autre. Vous avez su prendre un grand crédit
+sur l'esprit de mes parents: j'ai dans mes mains de quoi vous démasquer
+à leurs yeux; je ne le ferai pas si vous voulez employer ce crédit à me
+servir.»
+
+Cette publique tentative d'intimidation se perdit dans la tourmente de
+1792 qui engloutit la fortune colossale des Grimod. Mais les Des Roys
+aussi bien que les Lamartine cessèrent dès lors et pour jamais toute
+relation avec leur cousin, qui n'est pas nommé une fois dans le _Journal
+intime_; on sait que depuis 1780 ses excentricités et son mauvais renom
+l'avaient rendu intolérable à tous ses parents, et que seul il était
+responsable d'un état de choses où Mme Des Roys n'était pour rien
+(cf. _Desnoiresterres_).]
+
+[Note 50: Cf. _Mémoires inédits de Mme la comtesse de Genlis_
+(Paris 10 vol., 1825-26), vol. III, p. 483-85, et IV, p. 29.]
+
+En 1820, même, elle reporta sur Lamartine toute la haine qu'elle avait
+vouée à sa grand'mère; devenue intransigeante sur le tard, elle s'était
+découvert un amour imprévu de vertus qu'elle avait pourtant peu
+pratiquées: malgré la respectueuse dédicace que le poète avait inscrite
+sur l'exemplaire des _Méditations_ qu'il lui fit parvenir, elle en
+rédigea dans _l'Intrépide_[51] un compte rendu perfide et malveillant,
+où elle ne se fit pas faute de répéter tout le mal qu'elle pensait,
+sinon de l'oeuvre, tout au moins de la famille de l'auteur.
+
+[Note 51: _L'Intrépide_, revue par Mme de Genlis (Paris, 2 vol.,
+1820), I, pp. 81-110.]
+
+Le titre lui paraît impropre, car «la méditation doit être paisible et
+profonde»; or elle a relevé des morceaux tels que _l'Enthousiasme_ et
+_la Gloire_, qui sont au contraire «d'une inspiration soudaine, d'une
+exaltation remplie de désordre et de feu»; les souvenirs d'amour sont
+des _rêveries_ et non des _méditations_; enfin _le Désespoir_,
+«impulsion coupable et forcenée», ne saurait non plus être une
+méditation.
+
+Puis, elle entre dans le vif de l'oeuvre où le mélange d'un amour profane
+et de scènes religieuses lui semble d'abord tout à fait déplacé, «car il
+n'est ni vraisemblable ni d'un goût sévère de passer sans transition de
+l'exaltation de la piété au souvenir de sa maîtresse»; «Reste d'âme» la
+choque; le vers:
+
+ Et ces vieux panthéons peuplés de _dieux nouveaux_
+
+est une expression «d'athée», qu'elle souhaite de voir corrigée dans la
+prochaine édition; «fenêtre» est un mot familier et «déplacé dans le
+genre noble»; les vers:
+
+ Des théâtres croulants dont les frontons superbes
+ Dorment dans la poussière ou rampent dans les _herbes_
+
+lui suggèrent la même réflexion «parce qu'au pluriel, _herbe_ rappelle
+l'usage journalier qu'on en fait dans la cuisine». Pour terminer, elle
+accable le jeune homme de bons avis, lui conseillant de ne pas se
+laisser aller au découragement après ses critiques, sévères sans doute,
+mais formulées sans restriction dans son intérêt même, et dictées par
+une sympathie que tant de raisons lui commandaient.
+
+Ces vétilles et ces chicanes, qui firent sourire, à l'époque, ceux qui
+en connaissaient les motifs[52], témoignaient d'une rancune toujours
+vivace.
+
+[Note 52: Cf. _Lettres à Lamartine_, p. 19 (lettre de la duchesse de
+Broglie).]
+
+Pourtant, malgré tout l'empire de Mme de Genlis sur son amant, Mme
+Des Roys continua ses fonctions jusqu'en octobre 1778, grâce à l'appui
+de la duchesse de Chartres, à laquelle elle voua, en cette circonstance,
+un dévouement éternel; elle abandonna même le Palais-Royal sur un
+nouveau triomphe: le gouverneur qui la remplaça auprès des princes
+devenus grands fut proposé par elle; c'était le chevalier de Bonnard,
+son ami personnel, et qu'elle avait connu chez Buffon. Le frivole
+Bonnard, il est vrai, n'avait rien d'un éducateur, mais il valait au
+moins Mme de Genlis, qui le remplaça officiellement trois ans plus
+tard. Ainsi, Mme Des Roys sortait victorieuse de cette lutte avec la
+favorite; bien mieux, la duchesse voulant lui prouver sa reconnaissance
+l'admit dans sa maison particulière et lui confia l'éducation de sa
+fille la princesse Adélaïde.
+
+ * * * * *
+
+Tandis que sa femme se tirait avec dignité de ces intrigues assez
+difficiles, Jean-Louis Des Roys, de son côte, avait su gagner la
+confiance et l'estime du duc d'Orléans en menant à bien un certain
+nombre d'opérations juridiques et financières de la plus haute
+importance pour son maître. À ses fonctions d'intendant des finances, il
+joignit l'administration des terres de la Fère, Albert et Carignan; en
+1774, il avait préparé le règlement des droits, de la duchesse de
+Bourbon, belle-fille du prince de Condé, dans la succession de la
+duchesse d'Orléans, sa mère; en 1781, il reprit les négociations de
+l'affaire des princes de Chimay, qui traînaient depuis un siècle et,
+après plusieurs voyages en Belgique, il obtint la conclusion d'un traité
+qui assurait la pairie d'Avesne à la maison d'Orléans.
+
+En 1785, M. et Mme Des Roys demandèrent leur retraite qui leur fut
+accordée; mais pour marquer la satisfaction qu'il avait des services de
+l'intendant de son père, le duc de Chartres lui conserva à titre de
+pension l'intégrité de son traitement, et le pria d'accepter d'être
+commissaire à la liquidation du duc d'Orléans qui venait de mourir, ce
+que Jean-Louis Des Roys ne put refuser.
+
+Il se retira alors dans sa propriété de Rieux[53], qu'il avait acquise
+en 1776, et où, ayant obtenu la création d'une pépinière royale, il se
+consacra entièrement à l'agriculture. Il y vit philosophiquement
+commencer la Révolution, sans être jamais inquiété malgré un passé qui
+pourtant aurait dû le rendre suspect; quelques lettres de lui écrites à
+son frère de 1793 à 1795 nous le montrent parfaitement tranquille sur
+son sort, une entre autres, écrite de Paris le 26 mars 1793, où on
+lit[54]:
+
+ Je suis las, rebuté, et très impatient d'être rendu à ma nullité
+ champêtre; ce n'est pas que je ne m'attende à trouver là de
+ nouveaux ennuis; et quel est le lieu ou la position dans laquelle
+ un français puisse aujourd'hui vivre dans le calme? le désir du
+ sage doit se borner à exister hors des foyers de l'orage et à
+ s'estimer heureux de ressentir que les battements des vagues
+ amorties... Les bruits du moment sont que les révoltes et
+ attroupements armés des environs de Nantes et autres parties de la
+ Bretagne ont été dissipés avec grand carnage. Les armées du Rhin,
+ de la Meuse, de l'Escaut se soutiennent aussi, dit-on, et disputent
+ le terrain aux ennemis du dehors. Dieu veuille enfin nous donner la
+ paix, la santé et l'ordre; quand ces biens seront rendus à la
+ France, il faudra encore bien des années pour qu'elle recouvre
+ l'embonpoint que cette fièvre dévore. Si je ne voyais que moi dans
+ l'orage je serais peu peiné: je serais même assez philosophe pour
+ observer sans inquiétude les agitations des hommes; mais mes
+ enfants, mes parents, mon frère, mes amis! je ne puis pas être
+ indifférent et froid sur tant d'objets chéris...
+
+ Tu me conseilles de vendre mes fonds; je sais très bien que je me
+ donnerais par là de l'aisance, mais je vois aussi qu'elle ne
+ pourrait être que momentanée. Je t'ai déjà observé sur cela que je
+ ne trouverais en ce moment ni placement, ni emploi qui me donne
+ sûreté et aisance; agioter n'est pas mon fait; placer en rentes ou
+ obligations, rien de plus fragile; acquérir d'autres immeubles,
+ rien à gagner dans ces revirements; les biens patrimoniaux se
+ vendent à deux pour cent, j'achèterais comme j'aurais vendu. Je
+ conclus pour attendre que le mal soit instant ou que l'on sache
+ mieux sur quoi compter. Tu vois comme moi que les Révolutions
+ opèrent rarement un mieux-être. Actuellement nous sommes à peu près
+ maîtres de nos âmes et de nos sentiments; cela seul est à notre
+ direction.
+
+[Note 53: Dans la Marne, à quelques kilomètres de Montmirail.
+Jean-Louis l'avait acquise du chevalier de Belle-Joyeuse. C'était alors
+un bâtiment très simple, ayant successivement appartenu aux familles de
+Pastoret, de Disques et de Boubers, et qu'il fit démolir pour le
+remplacer par un château plus vaste. (Cf. _Alexandre Carra de Vaux_, op.
+cit.)]
+
+[Note 54: Les lettres qui suivent sont citées d'après
+_l'Investigateur_, où elles ont paru pour la première fois.]
+
+Dans une autre lettre encore, du 16 avril, il apparaît toujours plus
+tourmenté des autres que de lui même et moins hostile qu'on n'aurait pu
+le prévoir aux événements du moment:
+
+ Le mystère sur ce qui se passe à Lyon, m'inquiète beaucoup; je
+ tremble pour les parents et les amis, hélas! pour tout le monde,
+ car je tiens à l'humanité et à mon pays. Paris est pour le moment
+ assez tranquille, mais l'on semble craindre la disette du pain. Il
+ y a foule chez les boulangers, on s'y étouffe pour parvenir à s'y
+ approvisionner. Le vrai malheur ou du moins le pire de tous est la
+ division qui règne dans la Convention; elle est, par ses
+ scandaleuses dissensions, distraite du bien ou dans l'impossibilité
+ de l'opérer; sa considération s'affaiblit et le désordre s'accroît;
+ cependant, cette Convention, toute orageuse qu'elle est, forme le
+ seul lien, le seul pivot sur lequel tout roule. Le vaisseau s'abîme
+ si le pilote lui manque en ce moment de crise.
+
+Il cessa pourtant bientôt de lui faire crédit et c'est très désabusé
+qu'il écrivait le 22 août 1795:
+
+ Sûreté personnelle et du pain: ces biens n'ont heureusement pas
+ cessé d'exister ici, mais la mauvaise santé de quelques-uns de ceux
+ qui m'entourent et les inquiétudes et les misères publiques et trop
+ universelles ont toujours écarté de moi la gaieté.
+
+ Il serait bien temps que nous aperçussions quelqu'étincelle du
+ bonheur que la Révolution nous a tant présagé; Dieu veuille que la
+ nouvelle Constitution qu'on nous prépare en jette enfin des
+ fondements plus solides que ne l'ont été ceux des précédentes.
+
+Le calme rétabli, Jean-Louis Des Roys et sa femme se retrouvèrent à
+nouveau dans leur propriété de Rieux où ils s'apprêtaient à finir
+paisiblement leurs jours lorsque la duchesse d'Orléans vint mettre une
+fois de plus leur dévouement à l'épreuve. La princesse, transférée à la
+pension du docteur Belhomme après le 9 thermidor, essayait de s'y faire
+oublier, lorsque le 6 septembre 1797 le gouvernement décida la mise en
+vigueur d'un décret du 21 prairial an III, ordonnant l'expulsion
+immédiate de tous les membres de la famille de Bourbon et la
+confiscation de leurs biens. Elle se mit en route pour l'Espagne et
+écrivit de Barcelone une lettre à Mme Des Roys en la priant d'aller
+jusqu'en Hongrie chercher sa fille, la princesse Adélaïde, pour la
+ramener près d'elle. La jeune fille, émigrée dès 1791 avec Mme de
+Genlis, avait été abandonnée par elle à l'étranger pendant que Félicité
+voyant la cause royale perdue, gagnait Hambourg où elle se rendait vite
+insupportable à tous les Français par son hypocrisie et ses calomnies.
+
+Heureuse de pouvoir prouver une dernière fois son dévouement à ses
+anciens maîtres, la vieille Mme Des Roys se mit en route à la fin de
+décembre 1799 et, après un long et pénible voyage qui dura près de deux
+ans et demi, elle accomplit heureusement sa mission. Forcées d'éviter la
+France interdite à la princesse Adélaïde, les deux femmes avaient dû
+descendre de Hongrie en Italie, où elles s'embarquèrent à Livourne; le
+12 avril 1802, on lit dans le _Journal intime_:
+
+ J'ai reçu une lettre de ma mère qui m'annonce enfin son arrivée à
+ Barcelone; elle a éprouvé beaucoup d'événements, entre autres une
+ tempête dans la traversée de Livourne en Espagne, qui a duré trois
+ jours et deux nuits; l'entrevue de Mme d'Orléans et de sa fille
+ a été des plus touchantes, il y avait onze ans qu'elles étaient
+ séparées.
+
+La princesse Adélaïde n'oublia pas cet admirable dévouement; lorsqu'en
+1814 elle reprit le chemin de Paris, elle tint à s'arrêter à Lyon pour
+voir les deux filles de son ancienne gouvernante, Mme de Lamartine et
+Mme de Vaux, et leur offrit de merveilleuses dentelles qui avaient
+appartenu à sa mère. Mais un an plus tard, lorsque le chevalier de
+Lamartine voulut obtenir, pour lui la croix de Saint-Louis, pour son
+fils un brevet de garde du corps, il eut du mal à voir sa requête
+aboutir. En 1825, enfin, Lamartine trouva moyen de s'aliéner
+complètement le duc d'Orléans par quelques vers vraiment maladroits de
+son _Chant du Sacre_, et dès ses débuts en politique le fossé se creusa
+encore plus profond: sa conscience, sa vision poétique et grandiose de
+la liberté primèrent en lui tous les autres sentiments. Mais n'y a-t-il
+pas quelque mélancolie à penser que celui dont Mme Des Roys avait
+bercé les premières années avec tant de sollicitude devait être chassé
+du trône par le petit-fils de sa vieille gouvernante?
+
+Jean-Louis Des Roys mourut le 14 octobre 1798, et sa femme le 10 juillet
+1804. De leur mariage étaient nés six enfants; l'aîné, Pierre-François,
+né le 12 février 1738, fut conseiller à Rouen et mourut sans avoir été
+marié le 8 mai 1810. «Il m'avait presque tenu lieu de père pendant mon
+enfance, écrira sa nièce en inscrivant la triste nouvelle, et avait
+contribué à mon mariage en me donnant 10000 francs comptant et en m'en
+assurant 12000 après lui.»
+
+Des quatre filles de Mme Des Roys, l'aînée, Catherine Julie, née le 9
+janvier 1761, épousa en 1778 Charles-Henrion de Saint Amand, frère du
+président Henrion de Pansey; la seconde, Émilie (22 janvier 1762-1827),
+fut mariée à Louis Papon de Rochemont; la troisième, Césarine, née le 29
+novembre 1763, devint la femme de Pierre-Benoît Carra de Vaux Saint-Cyr,
+et la dernière, Alix, devint Mme de Lamartine[55]. Enfin le dernier
+des fils, Lyon Des Roys, eut une triste existence d'homme de lettres
+manqué qui fournit la véritable explication des terreurs de Mme de
+Lamartine lorsqu'elle vit son fils tourmenté lui aussi, à vingt ans, de
+la même fièvre poétique.
+
+[Note 55: Voir, à l'Appendice, le tableau de la descendance Grimod.]
+
+Il était né à Lyon le 5 novembre 1768, et la ville qui, pour rendre
+hommage à son père alors échevin, avait tenu à être son parrain, délégua
+le prévôt des marchands au baptême; la cérémonie eut lieu en grande
+pompe le jour suivant en la cathédrale de Saint-Paul; la marraine fut,
+par procuration, Marie-Françoise de Beaumont, fille de Gaspard Grimod de
+la Reynière et tante de Mme Des Roys[56]. Ainsi, l'enfant semblait
+promis à quelque belle destinée alors que la réalité fut tout autre: ce
+qu'on sait de lui révèle un certain désordre mental, le délire de la
+persécution, un amour effréné de la publicité, et surtout un véritable
+désespoir de ne pas dépasser la médiocrité.
+
+[Note 56: Dans les papiers de la famille Des Roys, on trouve une
+petite note de la main de Jean-Louis qui rapporte les détails de la
+cérémonie:
+
+«Le 26 juillet 1768, procuration de Mme de Beaumont marraine de
+l'enfant dont Mme Des Roys était grosse, et dont la ville de Lyon
+devait être le parrain.
+
+«L'enfant est né le samedi 5 novembre: ç'a été un fils, qui a été
+baptisé le dimanche 6 dudit à Saint-Paul par M. Crupisson,
+sacristain-curé. Il a été nommé Lyon-François, et tenu par M. de la
+Verpillière, Prevost des marchands, accompagné du Consulat, pour la
+ville, et par Mme de la Verpillière pour Mme de Beaumont Des
+Roys.»]
+
+Il fit ses études au collège de Juilly, d'où il fut chassé en 1793 par
+la Révolution; en 1799 il était maître répétiteur de mathématiques dans
+cet établissement qui venait de rouvrir sous une nouvelle direction.
+Pour occuper ses loisirs, il rima alors un poème sur la géométrie, une
+tragédie en cinq actes, _la Mort de Caton_, une comédie,
+_l'Antiphilosophe_. Ce fut l'origine de tous ses malheurs: en juillet
+1799 il abandonna le collège pour Paris, rêvant la gloire littéraire, et
+s'imaginant avec présomption que son génie suffirait à le faire vivre.
+La lutte qu'il soutint pendant trois ans pour arriver à la célébrité,
+les railleries, les épigrammes dont il fut accablé eurent quelque
+retentissement à l'époque, et un critique dramatique, qui l'avait pris
+en grippe, Salgues[57], mena même contre lui une campagne de ridicule
+où il finit par succomber. On peut en juger par ces quelques extraits de
+_l'Observateur des spectacles_, où l'odyssée de Lyon Des Roys fut
+l'occasion de plusieurs articles.
+
+[Note 57: Cf. _l'Observateur des spectacles_ des 28 germinal, 2, 21,
+23 et 29 floréal an X. Jacques-Barthélémy Salgues (1760-1830), un des
+bons journalistes de l'Empire et de la Restauration. Prêtre d'abord, il
+fut choisi en 1789 pour la rédaction du cahier des doléances de la ville
+de Sens où il était né; peu à peu, il finit par organiser la
+contre-Révolution dans son département. Poursuivi, il ne réapparut à
+Paris qu'en 1794, fut traduit alors en justice après le 18 fructidor,
+mais acquitté par le tribunal d'Auxerre. À partir de 1798, il se
+consacra exclusivement aux lettres, et fonda deux journaux théâtraux.]
+
+ Le cit Desroys n'est point un de ces petits-maîtres à la mode qui
+ ont fondé leur succès sur les grâces de leur figure et l'élégance
+ de leurs manières; c'est un homme simple, nourri à la campagne et
+ dont la physionomie se rapproche un peu de celle de quelques
+ personnages fêtés sur le théâtre Montansier. Habitué à composer des
+ idylles pour les bergeries de Montmirail et des tragédies pour le
+ curé de sa paroisse, il n'a guère connu jusqu'à présent de plus
+ grandes solennités que celles de la messe ou du prône... La nature,
+ avare dans ses productions originales, n'enfante pas tous les jours
+ de ces êtres privilégiés destinés à réjouir les journalistes. Sous
+ ce rapport, le cit. Desroys est une de ses conceptions les plus
+ heureuses, et nous ne saurions trop nous empresser de le faire
+ connaître.
+
+ Déjà les deux nymphes[58], arrivées au point où les soins paternels
+ cessaient d'être nécessaires, aspiraient à se produire dans le
+ grand monde, à étaler les charmes dont elles étaient parées,
+ lorsque le cit. Desroys, en père tendre et compatissant, s'est
+ déterminé à les transporter dans sa malle à Paris. Mais sur quel
+ théâtre exposera-t-il ces rares merveilles de la nature? Il a à
+ choisir entre la salle Montansier, les boulevards ou la
+ République[59]. La République aura ses préférences. Déjà le cit.
+ Desroys a mis son habit du dimanche: un bas de soie réservé pour le
+ jour de Pâques a succédé à la guêtre qui déguise la faiblesse de
+ son mollet et l'épaisseur de ses orteils; une cravatte brodée à
+ crête de coq enveloppe son long col et dépasse son menton; un linge
+ mouillé dans un gobelet a fait disparaître les traces de poussière
+ qui s'étendent sur son front; sa main, blanchie par le savon,
+ soutient avec orgueil ses deux filles chéries qu'il se hâte de
+ présenter au sévère Florence[60].
+
+ Illustre semainier qui rédigez l'annonce des spectacles et
+ convoquez le conseil suprême qui, dans son indulgence ou ses
+ rigueurs, élève ou abaisse la puissance poétique, généreux
+ Florence, soyez favorable au Sophocle de Montmirail!
+
+[Note 58: Sa tragédie et sa comédie.]
+
+[Note 59: Nom que portait alors l'ancien Théâtre-Français.]
+
+[Note 60: Un des semainiers du Théâtre-Français.]
+
+C'est dans cet appareil et présenté par ces propos un peu lourds, que
+Lyon Des Roys aborda le comité de lecture du Théâtre-Français, et une
+épigramme complaisamment recueillie par son terrible ennemi nous apprend
+l'accueil qu'il en reçut:
+
+ Dieu paternel, quel dédain, quel accueil!
+ De quelle oeillade altière, impérieuse,
+ Le fier Batiste écrase ton orgueil,
+ Pauvre Desroys! la Raucourt est moqueuse;
+ Elle riait, Saint-Prix te regardait
+ D'un air de prince, et Dugazon dormait;
+ Et renvoyé, penaud, par la cohue,
+ Tu vas gronder et pleurer dans la rue.
+
+Le jeune auteur fut pourtant ravi de tant de bruit fait autour de son
+nom, et ce refus, loin d'abattre son courage, ne fit qu'exciter sa
+verve; lui-même rendit publique sa mésaventure dans une _Épître à
+Dazincour_, célèbre comique du temps, qui l'avait patronné paraît-il
+auprès du comité de lecture; c'est allégrement qu'il s'écriait:
+
+ Touchés de mon discours modeste,
+ Les premiers talents comme toi
+ Se sont déjà montrés pour moi:
+ Monvel, Talma, Mars et Devienne;
+ Mais la fâcheuse et dure antienne
+ De l'implacable Grandménil
+ M'a renvoyé dans mon chenil!
+ Va, ne crains pas que je m'y tue!
+ Ma muse est à la fin connue,
+ Ami, voilà ce qui m'en plaît,
+ C'est pour cela que j'ai tout fait.
+
+L'échec paraît néanmoins lui avoir été plus pénible qu'il ne le laissait
+entendre, puisque peu de temps après il publia une _Épître aux
+Comédiens_ dont la préface est pleine d'amertume:
+
+ Je suis bien loin de prétendre, y lit-on, valoir mieux que les
+ Legouvé, les Arnaud, les Collin; mais quand je vois jouer des
+ pièces aussi froides que celles qu'on nous donne souvent, alors
+ l'indignation s'empare de mon esprit et je trouve qu'on me fait
+ injure de ne pas du moins essayer les miennes.
+
+Combien peu, pourtant, il était exigeant:
+
+ Que demandai-je aux comédiens? une lecture de la pièce entière?
+ Non, mais une lecture du premier acte, de la première scène! Si
+ j'avais été entendu, j'étais content, je leur promettais un ennui
+ très court, mais ils n'ont pas voulu courir le danger.
+
+Il terminait enfin par le procès du comité de lecture:
+
+ Comité secret et invisible qui rend les réponses les plus
+ rébarbatives; en se barricadant de la sorte, les acteurs de Paris
+ ne peuvent être abordés que par un petit nombre de favoris dont la
+ fortune est déjà faite, et par conséquent l'ardeur refroidie.
+
+Pour se venger des comédiens qui l'évinçaient, de la critique qui le
+raillait, et persuadé que l'opinion prévenue contre lui ne demandait
+qu'à lui rendre justice, l'infortuné eut une idée dont l'originalité n'a
+certes jamais été atteinte depuis; il fit imprimer sa comédie, où on
+lisait ces simples mots à la fin du IVe acte:
+
+ _Absence du Ve acte_. Cet acte n'est pas le plus mauvais, mais
+ nous ne voulons pas nous dépouiller de toutes nos richesses pour un
+ public ingrat qui ne nous en saura aucun gré. S'il a quelque
+ curiosité de connaître la pièce entière et d'en bien juger, il n'a
+ qu'à l'appeler sur la scène.
+
+Ce bizarre appel au peuple échoua complètement; plus ingrat que jamais,
+le public n'imposa pas la représentation de _l'Antiphilosophe_ dans un
+de ces grandioses mouvements de foule qu'avait rêvé l'auteur; plein
+d'indifférence, il se contenta même des quatre actes et n'exigea jamais
+leur dénouement. Inlassable, Lyon reprit la lutte et, puisque le public
+n'allait pas à lui, il irait au public. À cet effet, il fit placarder
+dans Paris de grandes affiches bleues et rouges où la conduite du comité
+et des journalistes était durement appréciée, et où il annonçait que le
+13 avril 1802 il ferait une lecture publique de son _Caton_ dans une
+salle qu'il loua, éclaira et meubla à ses frais. Le lendemain, Salgues,
+qui l'avait laissé en paix déjà depuis quelques mois, rendit ainsi
+compte de la soirée dans son journal:
+
+ Il faut le dire, pour l'amitié que nous portons au citoyen Desroys,
+ cet auteur avait mal choisi son jour... Après avoir été _crucifié_
+ par les Comédiens-Français, c'était mal entendre ses intérêts que
+ de prendre le Vendredi-Saint pour ressusciter. D'ailleurs, les
+ fêtes de Longchamps et le concert de l'Opéra, tout inférieurs qu'on
+ puisse les supposer à la tragédie du _dernier des Romains_,
+ devaient nécessairement dans ce siècle de frivolité enlever un
+ grand nombre d'amateurs au citoyen Desroys, et c'est ce qui est
+ arrivé. Trente personnes au plus composaient son auditoire, et ce
+ dénument n'avait rien d'encourageant pour un poète qui aspirait à
+ l'honneur d'être jugé par le public.
+
+ Au reste, on doit cette justice au citoyen Desroys qu'il n'a
+ employé aucun des prestiges condamnables qui tendent à surprendre
+ la religion des juges. Dans la crainte que l'éclat de ses yeux ne
+ portât trop d'émotion dans nos coeurs il les a tenus constamment
+ fermés; pour diminuer l'intensité de sa voix et la grâce de son
+ geste, il a armé sa main droite d'un chandelier qu'il portait
+ alternativement à sa bouche, à son nez, à ses yeux. Si quelques
+ dents absentes de la bouche de l'auteur ne nuisaient pas à l'effet
+ de sa prononciation, si les règles de la grammaire étaient
+ observées dans ses vers, enfin si l'exposition du sujet ne manquait
+ point au premier acte, il est à présumer que le citoyen Desroys eût
+ recueilli de la part de ses auditeurs quelques marques de
+ satisfaction plus vives que celles qui lui ont été accordées.
+
+ Mais le citoyen Desroys a reconnu lui-même qu'il manquait quelque
+ chose à son débit, et le découragement même allait le saisir,
+ lorsque le citoyen Simien-Despréaux s'est présenté pour soutenir
+ son courage et ranimer son audace. Le citoyen Simien-Despréaux est
+ un athlète plus vigoureux que le citoyen Desroys; ses traits mâles,
+ sa voix sonore et son geste imposant, ont soutenu le second acte
+ et quelques passages bien lus ont obtenu les applaudissements du
+ petit nombre d'amateurs qui étaient restés après le premier acte.
+ Le troisième, le quatrième et le cinquième n'ont point été lus:
+ rien n'a pu vaincre la timide résistance du citoyen Desroys: ce
+ n'est qu'après les plus vives instances qu'on a pu obtenir qu'il
+ égayât l'assistance par la lecture du monologue de _Caton_. À
+ l'exception du premier hémistiche, ce morceau est tout entier de la
+ création du citoyen Desroys.
+
+Après un tel coup de massue, un homme ordinaire aurait perdu la tête et
+fui Paris; Lyon n'en fit rien. Profitant de la menue notoriété que
+l'incident lui avait value, il réunit à la hâte quelques pièces
+fugitives, dont une _épître aux journalistes_, qu'il mit en vente sans
+tarder; c'était aussi le seul moyen pour lui de répondre à Salgues, car
+tous les journaux demeuraient obstinément sourds aux véhémentes
+imprécations qu'il leur offrait. Cette fois, pourtant, on voit par la
+préface, plus navrante encore qu'incohérente, qu'il avait perdu son
+égalité d'humeur et que sous les cruelles railleries de Salgues sa
+raison commençait à s'affaiblir; il écrivait tristement:
+
+ La qualité de poète est belle et honorable quand elle est conférée
+ par la voix publique, mais jusque-là ce n'est qu'une enseigne
+ fatale qui nous attire incessamment le cruel coup de pied de l'âne.
+ Il est facile de supporter les injures de la médiocrité quand on a
+ pour soi les éloges des gens d'esprit, mais avaler le fiel tout
+ pur, voilà ce qui révolte et fait perdre la raison. Si mon
+ extravagance a nui à ma réputation, elle y a servi en même temps:
+ j'ai mieux aimé périr par la folie que de me laisser écraser par le
+ ridicule. Tout n'est pas rose dans la littérature: il faut pourtant
+ convenir que les épines qu'on y rencontre viennent souvent moins
+ de la nature du terrain que de la position de celui qui le cultive.
+ Je sais que les journalistes que je provoque trouveront, s'ils
+ veulent, mille pauvretés et mille contradictions dans mes petits
+ écrits; mais cela tient au projet insensé et opiniâtre de faire
+ parler la renommée malgré elle. Les journalistes ne s'attaquent pas
+ à mes oeuvres, ils défigurent ma personne, et voilà ce qui est
+ infâme et ne devrait pas leur être permis.
+
+Enfin, après avoir ainsi stigmatisé son bourreau, il tenta une dernière
+fois de l'apitoyer, mais d'une façon si naïve et si ridicule que Salgues
+ne put se tenir de reprendre la plume à la lecture de semblables vers:
+
+ Le public s'en rapporte aux gens qui font la loi,
+ Il les croit de bon coeur plus habiles que soi.
+ Mais enfin, tôt ou tard, le bon goût les ramène;
+ La justice du temps est lente, mais certaine.
+ L'auteur modeste, en paix s'abandonne à son sort.
+ S'il n'est vengé vivant, il sera vengé mort.
+ Vous riez des moyens que mon orgueil expose?
+ Craignez pourtant, messieurs, qu'il n'en soit quelque chose;
+ Et quelle honte, ô Ciel! n'éprouveriez-vous pas
+ Si mon triomphe était l'effet de mon trépas!
+ Rendez, pendant que l'heure est encore propice,
+ À d'immenses travaux une faible justice;
+ Régner sur les esprits est un plaisir si doux,
+ Que les maîtres du monde en sont souvent jaloux:
+ Richelieu tout-puissant porte envie à Corneille.
+ Je crains bien pour ma part quelque chance pareille:
+ Bonaparte est plus grand, j'en conviens avec vous,
+ Il triompha des rois conjurés contre nous,
+ Fit jouir de la paix l'Europe et sa patrie,
+ Mais il n'a pas en vers mis la géométrie.
+
+Devant cette dangereuse exaltation, son cousin Dareste, chez qui il
+habitait alors, jugea prudent d'écrire à Mme Des Roys et à la jeune
+Mme de Lamartine. Nous n'avons pas la réponse de la mère, mais on
+trouve trace dans le _Journal intime_ de toutes les angoisses de la
+pauvre femme, lorsqu'elle eut sous les yeux les articles de Salgues,
+qu'un anonyme avait assez méchamment fait parvenir à sa belle-soeur
+Mlle de Lamartine. Qu'y pouvait-elle? elle écrivit à son frère une
+lettre tendre, mais très ferme, en le suppliant de quitter Paris et
+d'essayer de trouver une situation en province ou à l'étranger. Celui-ci
+n'en continua pas moins ses excentricités: le 7 juin 1802, on l'arrêta
+même à l'Opéra, où il causait un violent scandale en faisant pleuvoir
+sur la salle tout ce que le libraire n'avait pas vendu d'exemplaires de
+son _Épître aux comédiens_; il fut remis en liberté quatre jours plus
+tard, mais ce petit incident avait sans doute refroidi son ardeur,
+puisque nous savons par sa soeur qu'il partit pour l'Angleterre en
+juillet; il entra, paraît-il, comme professeur de français chez un
+prêtre anglais qui lui accordait la modeste allocation annuelle de cinq
+cents francs, le loyer et la nourriture.
+
+Au bout de dix mois, incapable de se résigner à cette pitoyable
+existence, il regagna Paris où il végéta encore quelque temps; puis,
+aigri, désespéré, la tête perdue, il se tua le 15 mars 1804 à Lagnieux,
+près de Belley, au retour d'une visite qu'il avait faite à Lyon chez sa
+soeur Mme de Vaux. Mais le destin qui l'avait poursuivi sa vie
+durant, lui fut encore impitoyable après sa mort. Les autorités du
+département de l'Ain s'inquiétèrent de ce bizarre suicide--un coup de
+fusil dans le ventre--et comme les esprits étaient encore sous le coup
+de l'attentat de la rue Saint-Nicaise, on n'hésita pas à reconnaître
+dans le cadavre de Lyon Des Roys, malgré les papiers qu'il avait sur
+lui, un certain Picot-Limodan, dit _Beaumont_ ou _pour le Roi_,
+compromis dans l'affaire de la machine infernale et qui avait réussi à
+prendre la fuite. Le zèle des fonctionnaires alla même jusqu'à ordonner
+huit jours après l'exhumation du corps et à perquisitionner chez Mme
+de Vaux qui ne comprenait rien à l'aventure[61]. Quant à Mme de
+Lamartine, elle ignora toujours la vérité sur la fin de son frère et le
+crut emporté par une congestion pulmonaire; mais la pseudo-conspiration
+arriva jusqu'à elle, et elle écrivait le 29 mars 1804:
+
+[Note 61: _Moniteur_ du 4 avril 1804.]
+
+«L'on a imaginé que mon malheureux frère mort était impliqué dans une
+affaire de conspiration qui a toujours été à cent lieues de son coeur et
+de ses moyens. Une ressemblance de nom et son arrivée d'Angleterre ont
+produit cette erreur. On est allé faire des visites chez ma soeur, l'on a
+examiné ses papiers; il n'y avait rien du tout.»
+
+Telle fut l'existence de l'infortuné Lyon Des Roys, poète incompris
+comme Gilbert, Chatterton et tant d'autres; elle n'aurait guère valu de
+s'y arrêter aussi longuement si, comme nous l'avons dit, son exemple
+n'avait influé plus tard de façon décisive sur l'attitude des Lamartine
+lorsqu'ils virent le jeune Alphonse tourmenté du même démon qui avait
+perdu son oncle. On comprend mieux et l'on excuse leur opposition,
+parfois violente, quand à vingt-cinq ans il partit pour Paris un _Saül_
+en poche, frapper à la porte du même Talma qui dix-huit ans auparavant
+avait refusé le _Caton_ de Lyon Des Roys[62]. Le souvenir de son frère
+était encore trop présent à la mémoire de Mme de Lamartine pour
+qu'elle ne fût pas effrayée de voir son fils séduit par une carrière
+dont un de ses proches n'avait connu que les déboires.
+
+[Note 62: Il est curieux de constater que le sujet de Caton,
+emprunté à _la Mort de Caton_, d'Addison, tenta également Lamartine à
+vingt ans: il écrivait en effet le 30 septembre 1810 à Virieu: «Je
+traduis de l'anglais quelques Nuits d'Young et la superbe tragédie
+d'Addison _the Death of Cato_, le tout en vile prose, excepté quelques
+morceaux qui me séduisent et que je versifie.» (_Corresp._, I, p. 272.)]
+
+Quant à son oeuvre poétique, elle est aussi mince que médiocre: une
+tragédie, une comédie, quelques pièces fugitives, un poème sur le tabac,
+un autre sur la géométrie, deux ou trois fables et quatre épîtres[63];
+c'était insuffisant pour la conquête de Paris qu'il avait rêvée.
+Accordons-lui pourtant en tardive réparation que _le Dernier des
+Romains_ ne dépare pas la série des pauvres tragédies qui encombrèrent
+la scène française de 1790 à 1815. Inspirés du _Caton_ d'Addison et des
+meilleurs souvenirs de Shakespeare, ses cinq actes sont correctement
+rimés et bien conduits. Certains morceaux, comme la mort du héros
+pourraient même supporter la comparaison avec _la Mort de Socrate_ de
+son neveu. Tous deux, il est vrai, n'ont fait qu'interpréter Platon,
+mais le rapprochement est assez curieux pour être noté[64].
+
+[Note 63: Voir, à l'Appendice, la bibliographie des oeuvres de Lyon
+Des Roys.]
+
+[Note 64:
+
+ L'âme est inaccessible et rien n'agit sur elle;
+ Que la mort au méchant soit un objet d'horreur,
+ L'homme de bien y voit l'aurore du bonheur.
+ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
+ Mais je ne sais, mes yeux paraissent s'obscurcir,
+ Mes membres fatigués semblent s'appesantir,
+ Je ne puis surmonter la langueur où je tombe...
+ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
+ Mes enfants, mes amis, approchez, je vous prie.
+ Quoi? d'où viennent ces cris? qu'avez-vous à frémir?
+ Qu'est-ce donc, mes amis, ai-je tort de mourir?
+ Voulez-vous que j'attende à sortir de la vie
+ Que je me sois couvert de quelqu'ignominie,
+ Que j'aie abandonné le chemin de l'honneur?
+ La mort n'a rien d'affreux, n'en ayez point d'horreur.
+ Elle vient,... je la vois, je la sens,... je la touche...
+ Elle obscurcit mes yeux,... elle glace ma bouche...
+ Je finis,... je m'éteins... sans douleurs, sans effort...
+ L'âme pleine d'espoir se dégage du corps.
+
+ (_Le Dernier des Romains_, acte V, sc. I et IX.)]
+
+ * * * * *
+
+Hasarder des conclusions à une étude aussi brève et forcément incomplète
+sur l'hérédité de Lamartine est délicat. Pourtant, dans ses grandes
+lignes, elle apparaît ainsi:
+
+Deux familles, l'une un peu rude, chez qui la carrière des armes devient
+la tradition; l'autre, cultivée, affinée par quatre siècles d'étude et
+qui ne connut jamais d'autre métier que celui d'écrire; mais toutes
+deux provinciales et sédentaires, profondément religieuses et que les
+germes matérialistes du XVIIIe siècle ont épargnées; étroitement
+attachées au sol qui les a vues naître, elles y tiennent par toutes
+leurs alliances; au plus haut qu'on puisse remonter, elles sont fixées
+non pas dans des régions extrêmes de la France, mais au contraire dans
+deux provinces presque limitrophes, soumises aux mêmes coutumes, et dont
+Lyon est le centre géographique. Leur vie est simple, leurs aspirations
+sont saines et n'ont d'autre objet que d'augmenter à chaque génération
+le patrimoine d'honneur et de bien-être qu'elles tiennent de leurs
+pères; de tout temps une vie égale et sans histoire, presque sans
+efforts, comme si toutes les forces vives des deux races eussent dû
+sommeiller pendant quatre siècles pour s'éveiller et s'épanouir enfin
+dans leur dernier rameau.
+
+
+
+
+DEUXIÈME PARTIE
+
+LE MILIEU
+
+
+
+
+CHAPITRE I
+
+LA FAMILLE[65]
+
+
+[Note 65: Sources et bibliographie de la IIº partie: _Journal
+intime_ (passim).--_Archives départementales de Saône-et-Loire_, très
+riches en documents sur les Lamartine pendant la Terreur.--_Césarine et
+Alix, un épisode de la jeunesse de Mme de Lamartine la mère_, par le
+baron Alexandre Carra de Vaux (publié dans _l'Investigateur_, journal de
+l'institut historique, 1853).--_Histoire de Saint-Point_, par L. Lex
+(Mâcon, 1898, in-8).--_La Jeunesse de Lamartine_, par F. Reyssié (Paris,
+1892, in-16).--_La Persécution religieuse en Saône-et-Loire_ (t. IV,
+arrondissement de Mâcon), par l'abbé Louis S.-M. Chaumont
+(Chalon-sur-Saône, 1903, in-8).--_La Révolution dans l'ancien diocèse de
+Mâcon_, par Mgr B. Rameau (Mâcon, 1900, in-8).--_Souvenirs de Mme
+Delahante_ (Évreux, 1906, 2 vol. hors commerce). Les souvenirs de Mme
+Delahante, qui dans sa jeunesse habita longtemps Mâcon et fut très liée
+avec les Lamartine, ont été publiés par sa petite-fille Mme de Blic.
+Ils contiennent de nombreux et curieux détails nouveaux sur la vie
+familiale du poète, ainsi qu'une trentaine de lettres inédites de divers
+membres de sa famille.
+
+Toutes les références aux oeuvres de Lamartine sont faites d'après
+l'édition de l'auteur; c'est la dernière parue de son vivant et la plus
+complète (Paris, 1860-66, 41 vol. gr. in-8).--Pour les publications
+posthumes, d'après les éditions originales: _Mémoires inédits_ (Paris,
+1870, in-8); _Manuscrits de ma mère_ (_id_., 1871, in-8); _Souvenirs et
+Portraits_ (_id_., 1871-72, 3 vol. in-18): _Correspondance_ (_id_.,
+1873-75, 6 vol. in-8).]
+
+À la naissance de Lamartine, sa famille se composait de
+Louis-François--alors âgé de quatre-vingts ans,--de sa femme et de leurs
+six enfants: trois fils et trois filles. Si l'on en excepte les
+grands-parents qu'il connaîtra à peine, tous les autres joueront dans sa
+jeunesse un rôle trop important pour ne pas préciser un peu leurs
+figures très effacées aujourd'hui.
+
+L'aîné des fils, François-Louis, était, on l'a vu, d'une santé précaire.
+C'était un grand homme un peu voûté, au teint pâle, au regard noir, à
+l'abord austère. Extrêmement maniaque dans ses habitudes et son hygiène,
+il trouvera moyen de prolonger jusqu'à près de quatre-vingts ans une
+existence que les médecins avaient condamnée dès l'enfance. «Il avait
+été toute sa vie faible et délicat, dira de lui sa belle-soeur, mais on
+était accoutumé à le voir ainsi.»
+
+Ce que son neveu a écrit de lui paraît très exact; on sent que le poète
+avait, comme il l'a dit, son image «bien gravée dans la tête». C'est que
+leurs deux natures étaient peu faites pour s'entendre. Dans le journal
+de sa soeur il apparaît comme un vieillard énergique mais redoutable,
+despotique, rigide, aigri par ses infirmités et sa vie manquée: «Toute
+sa vie, écrira Mme de Lamartine au lendemain de la mort de son
+beau-frère, il avait conservé l'influence d'un chef de famille, et rien
+ne s'était jamais décidé dans la mienne que par lui ou d'après lui;
+souvent cet empire avait contrarié nos vues et m'avait causé des peines
+sensibles». Ceci confirme entièrement ce que Lamartine a écrit dans les
+_Confidences_.
+
+Lorsqu'il lui fallut à vingt-cinq ans renoncer à la carrière militaire
+et à l'espoir de fonder à son tour une famille, François-Louis se
+confina entièrement dans le monde de la pensée, afin d'occuper un peu
+son activité. Esprit méthodique et précis, les sciences eurent ses
+préférences: les mathématiques furent pour lui un véritable délassement,
+et il faut voir là l'origine de tous les froissements que nous
+constaterons plus tard entre l'oncle et le neveu.
+
+La liste de ses oeuvres en dit long; l'Académie de Mâcon, dont il fut dès
+1806 un des membres les plus assidus, a recueilli dans ses bulletins
+annuels une cinquantaine de mémoires sur les sciences et l'agriculture
+dont il est l'auteur. On y remarque un _Examen du gleuco-oenomètre_, une
+_Dissertation sur une substance résineuse trouvée à Louhans_, un _Traité
+de l'oryctologie du Mâconnais_, dont le manuscrit subsiste encore à la
+bibliothèque de Mâcon, et d'importantes et minutieuses _Recherches sur
+les causes qui modifient ou altèrent la cohésion entre les parties de
+quelques substances_, sans compter d'innombrables communications sur la
+viticulture et l'élevage.
+
+À sa mort, le _Journal de Saône-et-Loire_ publia un long article
+nécrologique auquel il est permis d'accorder quelque valeur, puisque
+nous savons qu'il ne fut pas inspiré par sa famille[66], et dont le
+fragment suivant nous donne un portrait assez vivant de celui que
+Lamartine appelait «l'oncle terrible»:
+
+«Animé d'un zèle ardent pour l'étude, M. de Lamartine s'était consacré
+dès sa jeunesse au culte des sciences et des lettres, mais il avait
+montré une prédilection particulière pour les sciences naturelles et les
+mathématiques. Uni par les liens de l'amitié et d'une estime mutuelle
+avec le savant abbé de Sigorgne[67], en relations avec plusieurs autres
+hommes célèbres de son temps, il trouva ses plus chères délices à
+parcourir le vaste champ du découvertes que lui présentait la science.
+
+[Note 66: Journal de Saône-et-Loire du 4 mai 1827. Cet article,
+rédigé par Alexis Mottin, secrétaire perpétuel de l'Académie de Mâcon,
+ne satisfit qu'à moitié Pierre de Lamartine qui y répondit par la lettre
+suivante, insérée dans le numéro du 7 mai:
+
+«Monsieur, je commence par rendre grâce à l'estimable auteur de
+l'article nécrologique inséré dans votre précédent numéro. Je serai
+désespéré que ma juste réclamation put l'affliger, mais je crois le
+devoir à la mémoire de mon frère. Sans doute, si votre journal n'était
+lu qu'à Mâcon, où M. de Lamartine était si parfaitement connu, il eût
+été peut-être superflu de dire un mot sur ses sentiments religieux: nul
+ne peut les y mettre en doute. Mais comme la sphère de votre estimable
+journal ne se borne pas à cette ville, je désire que partout où elle
+s'étend on sache que mon frère mettait fort au-dessus de toutes les
+connaissances humaines celle de la religion, et que, jusqu'au dernier
+instant de sa vie, il en a constamment rempli les devoirs avec zèle et
+la plus sincère conviction.--LAMARTINE.»]
+
+[Note 67: Pierre Sigorgne (1719-1809), vicaire général de Mâcon,
+puis archidiacre et doyen du chapitre de Saint-Vincent, auteur de
+plusieurs volumes de philosophie. On a de lui: _Institutions
+newtonniennes_ (1747); _Lettres écrites de la plaine_ (1765), où il
+réfute les _Lettres de la montagne_ de Rousseau; _Institutions
+leibnitziennes_ (1768); _le Philosophe chrétien_ (1776), etc.
+
+Cf. Abbé Rameau, _Notice sur l'abbé Sigorgne_ (Mâcon, 1895, in-8).]
+
+«Doué d'une imagination vive, brillante, et de cette fermeté de
+caractère qui triomphe des difficultés, aidé d'une mémoire facile qui
+lui rendait toujours présentes les connaissances solides qu'il avait
+acquises, il ne lui eut fallu qu'un peu moins de modestie pour se faire
+un nom très recommandable parmi les savants. Mais, loin de faire parade
+de son savoir, il le faisait servir à donner plus de charme à sa
+conversation, vive, piquante, et constamment assaisonnée de cette douce
+urbanité qui donne à la société tant de charmes.
+
+«Sujet fidèle et attaché sincèrement au bien de son pays, on l'a vu,
+pendant le cours des troubles civils qui ont désolé notre patrie,
+toujours dévoué à la cause de la légitimité et de ne pas perdre de vue
+un seul instant les principes sur lesquels reposent l'ordre social et la
+prospérité de la France.»
+
+Ainsi lorsque après un romantique parallèle de leurs deux caractères,
+Lamartine s'écriait: «Comment unir ce nombre et cette flamme[68]», il
+n'exagérait pas les contrastes de ces natures dissemblables qui ne
+parvinrent jamais à trouver un terrain d'entente.
+
+[Note 68: _Nouv. Confidences_, p. 455. Le portrait de l'oncle
+terrible occupe les pages 447-457 (T. 29).]
+
+À toutes ses qualités de méthode il joignait celle d'être un homme
+d'affaires entendu, comme le furent tous les Lamartine, sauf toutefois
+le dernier du nom qui sur ce point se trouvait desservi par son
+imagination. Le souci de son bien s'affirme dans les moindres lettres
+que nous ayons rencontrées de lui: très processif, il n'hésitait pas,
+dès qu'il croyait y avoir quelque intérêt, à soutenir ses revendications
+par de longs _factums_ écrits avec amour.
+
+Sa correspondance avec ses vignerons est curieuse à feuilleter: une fois
+de plus, elle confirme son esprit précis et méticuleux.
+
+Lamartine ne l'aimait pas et cette antipathie se manifesta chaque fois
+qu'il avait à parler de lui. Cet oncle fut l'épouvantail de sa jeunesse,
+celui à qui, bien plus qu'au père toujours indulgent, il fallait cacher
+les fredaines, les menues dettes et les aventures: intransigeant, sévère
+et glacé, presque sans tendresse, il ne tolérait pas autour de lui la
+moindre infraction aux principes dans lesquels il avait été élevé et
+qu'il prétendait immuables.
+
+La plupart du temps il contrecarrait opiniâtrement et avec sa méthode
+habituelle les beaux projets de son neveu dont il voulait ainsi
+maîtriser la débordante imagination; aux rêves vagues mais fiévreux
+d'étude et de littérature il opposera froidement les sciences qui, selon
+lui, donneront quelque maturité à ce cerveau vagabond.
+
+Pour comprendre cette domination qu'il imposera jusqu'à sa mort, il ne
+faut pas oublier la situation particulière du jeune homme dans ce milieu
+imbu des traditions du sévère XVIIIe siècle: l'oncle ne verra en lui
+que l'unique héritier du nom et de la fortune et voudra, avant tout, le
+mûrir pour en faire le chef de famille avisé et prudent que chacun de
+ses ancêtres avait été avant lui. Tout le malentendu naîtra de là.
+
+Dans le portrait de son oncle, Lamartine a pourtant commis une erreur
+lorsqu'il touche à ses idées politiques[69]; mais est-elle involontaire?
+Les _Confidences_ furent écrites, on le sait, en pleine activité
+républicaine, à une époque où le chef de l'opposition n'était peut-être
+pas fâché de se découvrir des origines libérales.
+
+[Note 69: Bien qu'inexactes, les idées politiques que Lamartine a
+prêtées à son oncle sont curieuses, parce qu'elles correspondent très
+exactement à son propre programme sous les dernières années de la
+monarchie de Juillet.]
+
+La vérité est que, dès le début de la Révolution, François-Louis, que
+son neveu nous a montré condisciple et ami de Lafayette, n'eut même pas
+ce républicanisme de la première heure que connurent tant de
+gentilshommes séduits pas les idées nouvelles. Alors que dans une minute
+d'enthousiasme son frère Pierre signait avec le comte de Montrevel, le
+grand bailli d'épée Desbois, le marquis de Sainte-Huruge et d'autres
+seigneurs du Mâconnais la solennelle renonciation aux privilèges
+nobiliaires, lui, plus froid et plus raisonné, ne fut pas entraîné par
+l'imagination et la fièvre de l'époque. La gravité de la situation lui
+apparut entière et dès le premier jour il en envisagea les suites.
+Aussi, en mars 1789, au moment des émeutes qui accompagnèrent à Mâcon
+l'élection des députés aux États généraux, on le vit avec MM. de
+Chaintré, de Bordes, de Pierreclau et de Drée, défendre les intérêts de
+sa caste à l'Assemblée des trois ordres du bailliage et réclamer même la
+destitution du maire qui soutenait le Tiers, ce qui leur valut à tous
+d'être fort malmenés par la foule à l'issue de la réunion[70].
+
+[Note 70: Cf. Demaizières, Un incident populaire à Mâcon en 1789
+(_Ann. de l'Académie de Mâcon_, IIe siècle série, t. XI).]
+
+En 1792 enfin, lorsqu'il sentit l'orage prêt d'éclater, il se hâta
+d'émigrer; pour un temps très court, il est vrai, car trois mois plus
+tard il était de retour et se constituait prisonnier ne voulant sans
+doute pas abandonner son père et ses frères que sa fuite avait fait
+arrêter.
+
+Par la suite, la Terreur et l'Empire l'abattirent sans le convaincre et
+jusqu'au bout il demeura fidèle à la légitimité. Lamartine a raconté
+qu'en 1805, lors du passage de Napoléon à Mâcon, celui-ci aurait fait
+appeler François-Louis pour lui offrir un siège de sénateur; mais Mme
+de Lamartine n'a rien noté de tel dans son journal où ce séjour de
+l'Empereur est pourtant longuement rapporté, ce qu'elle n'eût pas manqué
+de faire si l'entrevue avait eu lieu.
+
+À soixante dix-sept ans, une fluxion de poitrine emporta François-Louis
+en quelques jours. Sa mort fit un véritable vide dans la petite société
+mâconnaise qui l'aimait et le respectait pour la droiture de sa vie et
+son érudition «presque universelle», dira sa belle-soeur; il laissait à
+tous le souvenir d'une intelligence remarquable et d'un causeur parfait,
+à qui l'on pardonnait son abord un peu farouche en mémoire d'une vie
+prématurément brisée. Il mourut à Montceau le 25 avril 1827, et par son
+testament il instituait comme ses légataires universels, sa nièce aînée
+Cécile, devenue Mme de Cessia, et son neveu Alphonse dont les
+triomphes poétiques et surtout les fonctions d'attaché d'ambassade qu'il
+occupait alors avaient fini par lui rendre confiance. Celui-ci,
+pourtant, ne se jugea pas satisfait, et fut même blessé par une clause
+de ces dernières volontés pourtant toutes en sa faveur; le 20 juin, il
+écrivait à l'abbé Dumont, son ami: «Le testament de mon oncle n'est pas
+sa plus belle oeuvre, mais j'aime toujours à croire qu'elle n'a pas été
+faite à mauvaise intention. Si je n'avais qu'un neveu, seul chef
+survivant de ma famille, et qu'il ne déshonorât pas mon nom, je lui
+ferais l'honneur de le nommer au moins mon héritier universel à ses
+risques et périls. Trop penser nuit, les grandes routes sont les plus
+droites[71]». Ce fut là toute l'oraison funèbre qu'il prononça sur la
+tombe de cet oncle qu'il s'imaginait, sincèrement, avoir opprimé sa
+jeunesse.
+
+[Note 71: Cf. _Corresp._, III, p. 41. Voici d'autre part une lettre
+de Pierre de Lamartine à son fils où nous trouvons quelques détails sur
+cette succession:
+
+ «Maçon, le 1er mai 1827.
+
+ «Voilà, mon cher ami, une malheureuse circonstance qui me fait
+ encore plus regretter que tu ne sois pas ici où ta présence serait
+ d'une grande utilité. Mon pauvre frère n'est plus; il a succombé,
+ dimanche à onze heures du matin, à cette maudite fièvre catharale.
+ Tu sens tout ce que nous avons eu tous à souffrir dans ce malheur.
+ Mlle de Lamartine l'a pourtant supporté avec tout le calme de sa
+ grande piété.
+
+ «Voici les principales dispositions de son testament par lequel il
+ a fait cesser l'indivision qui était dans leur bien. Mlle de
+ Lamartine garde Montceau et les Mélards, elle a tout le mobilier
+ quelconque, argent, denrées, sans aucun frais de sa part, pas même
+ ceux du fisc dont ses héritiers sont chargés. C'est Cécile et toi
+ qui l'êtes, pour égale part et portion, de Champagne, Saint-Pierre
+ et Saint-Oyen en rapportant ce que vous avez eu par contrat de
+ mariage. La bibliothèque est à toi par principal et voici en quoi
+ consistera l'actif de la succession:
+
+ À présent Champagne estimé à peu près... 160000 francs.
+ Saint-Oyen environ.... 80000 ----
+
+ Après la mort de ma soeur, trois inscriptions
+ de mille francs chacune, valant....... 60000 ----
+ ------
+ 300000 francs.
+
+ «Mon frère a fait bon marché à Mlle de Lamartine, en faisant son
+ partage, mais il y assujétit ses héritiers par son testament.
+ L'argent, les vins, le mobilier sont très considérables; je pense
+ que ma soeur aura dix-sept ou dix-huit mille livres de rente.»
+ (_Lettre inédite_ provenant des archives de Saint-Point.)
+
+Comme on peut s'en rendre compte, Pierre de Lamartine était donc du même
+avis que son fils touchant le testament de François-Louis.
+
+Une lettre du 5 juillet, toujours du chevalier au poète, nous apprend
+que, sur la tombe de François-Louis de Lamartine, on fit graver un vers
+de son neveu choisi par Mme de Lamartine:
+
+«La mort m'a tout ravi, la mort doit tout me rendre», extrait de la
+_Méditation_: la Semaine sainte à la Roche-Guyon.]
+
+Le cadet, l'abbé de Lamartine, était son vivant contraste. À dix-sept
+ans il était entré dans les ordres, un peu contre son gré, assure sa
+belle-soeur. Bientôt il prit goût pourtant à cette vie facile et sans
+soucis graves; cinq années de dures épreuves qu'il eut à subir de 1792 à
+1797, lui donnèrent une souriante philosophie. En sage qu'il était, il
+se réfugia aussitôt dans sa belle retraite de Montculot, où il vécut
+paisiblement et loin des siens, parmi la nature qu'il aimait. Il demeura
+là jusqu'à sa mort avec une vieille intendante, travaillant en silence à
+de longs mémoires sur la théologie et la philosophie qui ne virent
+jamais le jour.
+
+Dans sa vieillesse, il aimait à voir sa solitude animée par les vingt
+ans et la vivacité de son neveu, qu'il accueillit toujours avec bonté;
+Lamartine l'adorait, et chaque fois qu'il avait quelque dette à éteindre
+ou une petite fredaine à faire oublier, c'était à lui qu'il venait
+s'adresser. Montculot fut le refuge, «la Thébaïde», comme il l'appelait,
+de son adolescence. Il y fuyait l'oncle de Montceau et la contrainte de
+Milly; c'était la transition habituelle entre les plaisirs de Paris et
+la tristesse de sa campagne, et il y trouvait la paix et le
+recueillement sous les deux formes qu'il aimait le mieux: la nature et
+les livres; l'abbé avait réuni une admirable et riche bibliothèque où le
+neveu pouvait puiser sans contrôle, ce qui n'allait pas sans le changer
+un peu des habitudes de Mâcon et de Milly où sa mère se montrait très
+sévère. Lamartine, en mémoire des heures libres qu'il passa près de
+lui, en a laissé un portrait charmant: il aimait la bonhomie souriante
+de l'aimable vieillard demeuré toujours un peu frondeur, ce qui faisait
+dire ingénument à sa belle soeur: «L'abbé est très mal! pourvu, mon Dieu,
+qu'il pense à se confesser!» Une vieillesse accablée de cruelles
+infirmités n'altéra en rien sa belle humeur; frappé le 10 septembre 1817
+d'une attaque d'apoplexie qui lui paralysa un bras et une jambe, il
+mourut à Montculot le 8 avril 1826, en brave homme qu'il avait toujours
+été, laissant sa fortune à son neveu préféré. Seul de tous les
+Lamartine, il avait compris la nature inquiète de l'adolescent et deviné
+l'immense travail de ce jeune cerveau.
+
+ * * * * *
+
+Quant aux trois tantes, elles jouèrent un rôle assez effacé dans
+l'existence du poète. L'aînée, Sophie, connue dans la famille sous le
+nom de Mlle de Montceau, demeura toute sa vie faible d'esprit et
+vécut à Milly des jours sans histoire entre son frère et sa belle-soeur:
+«Je dois la regarder comme mon sixième enfant», dira d'elle Mme de
+Lamartine, qui fit preuve à son égard d'un patient dévouement. La
+cadette, Suzanne, Mme du Villard, habitait la petite propriété de
+Péroné. Dans sa jeunesse elle avait été élevée au chapitre de Salles et
+en avait gardé le titre de chanoinesse-comtesse. C'est là que la
+Révolution vint la surprendre pour la relever malgré elle de ses voeux.
+Son coeur était inépuisable, comme sa bourse, et bien souvent on la verra
+venir à l'aide du prodigue neveu. D'après Mme de Lamartine qui lui
+avait voué une profonde reconnaissance d'avoir facilité jadis son
+mariage, elle était de bon conseil, très bonne et très pieuse, mais
+d'une nature assez difficile. Pour Lamartine, qu'elle tira souvent un
+peu vivement de ses rêveries, elle avait un caractère «plus impétueux
+qu'une bourrasque». La dernière, Charlotte, Mlle de Lamartine, avait
+uni sa vie à celle de son frère aîné; c'était une pâle et mystique
+créature, qu'un amour malheureux avait attristée pour toujours. L'hiver,
+on se réunissait à Mâcon dans son vieux salon démodé, avec quelques
+parents et voisins; c'étaient ces fameuses soirées où Lamartine avouait
+plus tard avoir failli périr d'ennui et qui, selon son énergique
+expression, «auraient fait croupir l'eau même des cascades des Alpes».
+Les trois vieilles filles moururent, Sophie en 1819, Charlotte en 1823,
+Mme du Villard en 1842, celle-ci n'ayant jamais pardonné à son neveu
+la politique d'opposition qu'il menait contre les d'Orléans à qui,
+disait-elle, leur famille devait tant.
+
+ * * * * *
+
+Le plus jeune des fils de Louis-François était Pierre Lamartine, le
+chevalier de Pratz. On lui avait donné ce titre dans sa jeunesse, pour
+le distinguer de son frère aîné et, à Mâcon, il n'était guère connu que
+sous le nom de M. de Pratz. De là l'erreur si commune que le nom
+véritable du poète était de Pratz et non de Lamartine.
+
+Nous sommes malheureusement très peu renseignés sur lui. À travers même
+le journal de sa femme qui l'adore, il apparaît presque au second plan,
+se reposant sur elle de tous les soins du ménage et des tracas
+quotidiens, heureux, semble-t-il, d'avoir abdiqué entre les mains de son
+frère ses droits de chef de famille avec leurs responsabilités. Dans les
+_Confidences_, son fils en a parlé de façon respectueuse mais quelque
+peu vague; le portrait, d'allure militaire, est joliment campé, mais
+n'est pas tout à fait d'accord avec ce que nous savons de lui. Ce qu'il
+en a dit de plus juste est qu'il fut «le modèle parfait du gentilhomme
+de province, père de famille, chasseur, cultivateur». De même, quelqu'un
+qui l'a beaucoup connu, écrit qu'il était «le type parfait de l'ancien
+gentilhomme; très aimé de sa femme, qui le craignait un peu; il lui
+survécut et la regretta jusqu'à son dernier jour[72]».
+
+[Note 72: Mme Delahante.]
+
+Comme il était extrêmement aimé et respecté dans la région pour sa
+droiture, on avait voulu souvent le diriger vers la politique, mais il
+s'en gardait, paraît-il, comme de la source de tous les maux. Il
+consentit seulement à accepter un siège de conseiller général, qu'il
+occupa de 1803 à 1813. Pour le reste, ses scrupules monarchistes ne lui
+permirent jamais de passer outre, et sa femme a rapporté à ce sujet
+l'anecdote suivante qui date de 1809.
+
+Vivant-Denon, l'orientaliste qui avait suivi Bonaparte en Égypte, se
+trouvait alors à Mâcon où il présidait le collège électoral. Il était
+lié avec François-Louis et, au cours d'une visite qu'il lui fit, il
+rencontra le chevalier de Pratz. «Il traita mon mari avec beaucoup de
+distinction, ajoute Mme de Lamartine; il en a fait le premier
+scrutateur et, s'il avait voulu, l'aurait sûrement fait nommer
+législateur. Mais il craint, s'il accepte cette place, de se trouver
+dans des circonstances délicates où la conscience et la fortune ne
+pourraient peut-être pas s'accorder. Il aime mieux ne pas s'exposer à
+cette tentation, ce qui est assurément très sage.»
+
+Jusqu'à trente-huit ans, il avait servi dans l'armée; après son mariage,
+il se retira à Milly dont il ne bougea plus jusqu'à sa mort, si ce n'est
+à partir de 1805 pour aller passer l'hiver à Mâcon. C'était un bel
+homme, robuste et sain, qui ne dérogea pas à cette étonnante vitalité
+des Lamartine puisqu'il mourut presque centenaire. Bourru d'apparence,
+il alliait des manières un peu rudes à une grande simplicité et à un
+coeur excellent. Fixé à la campagne d'abord par nécessité, il finit par
+s'y trouver bien et perdit vite le goût des villes; pour lui faire
+acheter une maison à Mâcon, sa femme fut même obligée de plaider la
+cause de leurs filles qui, devenues grandes, avaient besoin d'une
+éducation moins villageoise. Jamais, on ne put vaincre dans sa famille
+cette horreur des cités bruyantes; de 1792 à 1844, date de sa mort, il
+ne consentit qu'une fois à s'arracher à sa chère solitude pour aller en
+1814 présenter à Louis XVIII les hommages de la ville et poursuivre avec
+opiniâtreté la croix de Saint-Louis, unique ambition de cette âme fidèle
+aux Bourbons. Après quoi, satisfait, il rentra à Milly sans vouloir
+jamais retourner à Paris par la suite, même au plus fort des triomphes
+poétiques et politiques de son fils.
+
+Au fond, il aimait la vie simple, la campagne et ses plaisirs, chasse,
+pêche, cheval, se levait et se couchait tôt, lisait peu. Son seul souci
+fut l'entretien et l'embellissement de ses vignes, il courait lui-même
+les marchés vendre son vin et ses récoltes et choisir soigneusement ses
+bestiaux. Pour le reste, il s'en remettait entièrement à sa femme et à
+son frère, surtout en ce qui concernait son fils dont l'âme tourmentée
+et insatisfaite lui échappait complètement. On chercherait en vain
+quelle influence il put avoir sur les destinées et l'éducation du poète.
+Volontairement, il se tint toujours à l'écart, se contenta d'approuver
+les décisions du chef de famille, lassé, surtout après 1810, de cette
+détresse morale et de cette nature hésitante qui cadrait si mal avec son
+propre tempérament et dont il ne comprendra que beaucoup plus tard les
+mobiles secrets. Mais la mère sera là pour atténuer les froissements
+entre ces deux caractères si différents.
+
+
+
+
+CHAPITRE II
+
+LA MÈRE
+
+
+En oubliant l'image que Lamartine a tracée de sa mère et en ne
+l'étudiant qu'à travers son journal, ses lettres et les témoignages de
+ceux qui l'ont connue, on peut arriver à préciser cette figure que le
+poète, dans son pieux amour, s'est appliqué à idéaliser et à rendre
+presque immatérielle.
+
+Mme de Lamartine fut une femme simple, bonne, aimante, et
+profondément religieuse; sa vie se sépare en quatre périodes inégalement
+remplies de joies et de douleurs. La première s'étend de sa jeunesse à
+son mariage; la seconde de son mariage à la majorité de son fils; la
+troisième de 1811 aux _Méditations_; la dernière de 1820 à sa mort
+survenue en 1829. Ainsi, chacune de ces étapes est liée à quelque grand
+événement de la vie de son fils: c'est que son premier-né demeura
+toujours le plus aimé; elle le voyait différent des autres et réservait
+pour lui le meilleur de sa tendresse.
+
+Elle était née à Lyon le 8 novembre 1770, et sa première enfance avait
+été confiée à sa grand'mère paternelle, car son père, en incessantes
+tournées d'inspections, et sa mère, retenue au Palais-Royal par ses
+fonctions, n'habitèrent Lyon qu'à de rares intervalles. À dix ans,
+Mme Des Roys la garda quelque temps près d'elle à Paris où la petite
+Alix devint la compagne de jeux du futur Louis-Philippe; puis quatre ans
+plus tard, redoutant qu'elle fût trop mêlée au monde de la cour, elle
+obtint du duc d'Orléans des lettres d'admission pour elle au chapitre
+noble de Saint-Martin de Salles, en Beaujolais, où sa fille aînée,
+Césarine, se trouvait déjà. Salles, situé à quelques kilomètres de
+Villefranche-sur-Saône, fut primitivement un prieuré dépendant de
+l'abbaye de Cluny. À la fin du XIIIe siècle des Bénédictins s'y
+installèrent, et en 1782 le prieuré fut, par lettres royales, déclaré
+chapitre noble, c'est-à-dire que, pour y être admises, les religieuses
+devaient faire preuves d'au moins quatre quartiers du côté maternel et
+de six du côté paternel.
+
+Lorsque Mlle Des Roys entra à Salles, le couvent était devenu une de
+ces institutions mi-mondaines, mi-religieuses de l'ancien régime, où les
+jeunes filles achevaient leur éducation. La vie qu'on y menait n'avait
+rien d'austère, puisque chaque élève y possédait une petite habitation
+et un jardinet qu'elle partageait avec une «mère». D'ailleurs Alix Des
+Roys, qui demeura à Salles de 1784 à 1789, venait chaque année passer
+deux mois à Paris avec ses parents.
+
+Il nous reste deux portraits d'elle pendant ce séjour au couvent. L'un
+est une miniature qui la représente dans l'austère vêtement noir des
+chanoinesses-comtesses, avec la fanchon de soie noire, la guimpe de
+broderie blanche et la croix d'émail épinglée au corsage[73]. Les
+cheveux sont d'un blond cendré, les yeux noirs, la bouche fine, le
+menton un peu gros, et toute l'expression du visage reflète une
+indicible et inquiétante mélancolie. L'on songe alors à ce joli passage
+de son journal écrit trente ans plus tard, un jour où, conduisant son
+fils à Lyon, elle passa devant l'ancien couvent de sa jeunesse:
+
+ J'éprouvais encore de douces émotions, dit-elle, en revoyant ce
+ charmant Beaujolais où j'ai passé une jeunesse si heureuse; mille
+ souvenirs se succédaient rapidement dans ma tête ou plutôt dans mon
+ coeur, car c'est là que presque tous les moments de ce temps sont
+ gravés. Je me voyais, de quinze à vingt ans, simple, jolie,
+ fraîche, plaisant à tout le monde...
+
+[Note 73: Ce portrait, que M. Reyssié a cru perdu, appartient
+aujourd'hui à Mme Frédéric de Parseval, arrière-petite-fille de
+Mme de Lamartine. Le poète, qui en a fait une description assez
+fidèle dans les _Confidences_, l'avait fait mouler en couvercle sur une
+petite boîte d'argent.]
+
+L'autre portrait est une longue épître en vers du chevalier de Bonnard,
+poète du duc de Chartres, et qui précéda Mme de Genlis comme
+gouverneur des enfants d'Orléans; elle fut adressée à Mme Des Roys,
+dont il fréquentait le petit cercle et qu'il avait connue chez Buffon,
+pour célébrer la grâce et les mérites de ses deux chanoinesses. Comme
+tous les vers de Bonnard, ceux-ci sont médiocres, mais ils valent d'être
+cités pour la spirituelle et vivante image qu'ils donnent de la jeune
+fille à quinze ans:
+
+ Quant à notre autre chanoinesse
+ Que nous nommons Madame Alix,
+ Elle a sans doute aussi son prix.
+ Mais quoiqu'elle entende la messe
+ Et chante l'office assez bien,
+ Qu'elle soit de discret maintien
+ Et même qu'elle aille à confesse,
+ Ô mère! tenez pour certain
+ Qu'elle a le goût un peu mondain.
+ À quinze ans elle était jolie,
+ Et spirituelle et polie,
+ S'exprimait avec agrément
+ Quoiqu'un peu trop rapidement;
+ Était tout yeux et tout oreille,
+ Remarquait, citait à merveille,
+ Marchait, dansait légèrement,
+ Aimait la bonne compagnie,
+ La musique, la comédie,
+ Soutenait, par le clavecin,
+ Un son de voix très argentin,
+ Jugeait les Beaulard, les Bertin,
+ Connaissait les moindres nuances
+ Et l'effet et les différences
+ Des poufs, des chapeaux de satin;
+ ...D'où je conclus, à juste titre,
+ Qu'elle quittera son chapitre
+ Tôt ou tard, pour prendre un époux,
+ Beau, jeune, riche, aimable et doux[74].
+
+[Note 74: Ces vers du chevalier de Bonnard ne figurent dans aucune
+édition de ses oeuvres. Ils sont cités d'après _l'Investigateur_ de 1853,
+où la pièce a paru en entier.]
+
+Le portrait est enjoué et on le sent fidèle; pourtant, il ne faudrait
+pas le prendre à la lettre et l'on peut se défier de l'esprit
+superficiel du chevalier de Bonnard qui ne pouvait juger la jeune fille
+que sur l'apparence de la vie brillante menée au Palais-Royal. D'après
+lui, elle était un peu coquette et très mondaine: coquette, c'était une
+des exigences de son âge; sans doute aussi aimait-elle le monde; toute
+sa vie même elle le regrettera et le confessera souvent dans son journal
+au retour des petits bals où elle menait ses filles; Mme Delahante
+nous apprend aussi que «Mme de Prat tout en aimant le monde
+secrètement, vivait très sédentaire, craignant ses belles-soeurs et son
+beau-frère qui, étant âgés et sévères, avaient conservé toutes les idées
+d'étiquette du siècle passé». Ceci semble donc acquis, de même que les
+talents prêtés par Bonnard à Mlle Des Roys.
+
+Pour compléter cette étude de jeune fille, il reste encore à pénétrer
+dans sa pensée et, là, on peut voir qu'à toutes ses qualités extérieures
+elle joignait un esprit déjà singulièrement mûri et réfléchi. Dès l'âge
+de quinze ans, elle avait pris l'habitude de tenir un journal de sa vie;
+celui que nous possédons ne commence qu'en 1801, mais un fragment de ce
+premier début a été conservé précieusement par elle comme la ligne de
+conduite de son existence. Intercalé dans l'un des douze petits
+cahiers, il est daté de mars 1786, et voici ce qu'on y lit:
+
+«...Il n'y a, après tout, qu'une _seule chose_ de nécessaire: il n'est
+pas utile, en effet, que je me procure de la dissipation, que je prenne
+du plaisir, tout cela passe et ne fait pas le bonheur. Il n'est pas
+nécessaire que je plaise au monde, que je sois aimée et recherchée; tout
+cela est une source de périls en tous genres, et les personnes qui se
+livrent le plus au monde et que le monde lui-même fête le plus sont
+souvent par la suite les plus malheureuses...»
+
+Toute la vie de Mme de Lamartine peut se résumer par ces quelques
+lignes, écrites à quinze ans; jusqu'à sa mort, ce fut une lutte
+perpétuelle et inquiète contre elle-même, où elle s'efforçait de
+réprimer ce qu'elle appelait «les choses inutiles», les tendances qui
+lui semblaient de nature à éloigner le but qu'elle s'était de tout temps
+fixé: la simplicité et la vérité.
+
+ * * * * *
+
+Tel était l'état d'âme de la jeune fille au moment où elle abordait le
+mariage que lui avait prédit malicieusement Bonnard. On en connaît
+l'histoire romanesque.
+
+À Salles, elle s'était liée avec Suzanne de Lamartine, comme elle
+pensionnaire du couvent. Le chevalier de Pratz qui, de Montceau ou de
+Mâcon, venait souvent voir sa soeur pendant ses congés, connut ainsi
+Mlle Des Roys, car le règlement n'interdisait pas les visites. Tous
+deux se plurent et le chevalier que l'on songeait à marier sollicita
+l'autorisation de sa famille. Le père, tout d'abord refusa, trouvant la
+dot insuffisante. Mais il avait compté sans le hasard et la persévérance
+des jeunes gens. Le 6 octobre 1789, jour où les Parisiens ramenèrent la
+famille royale dans sa capitale, Mme Des Roys et sa fille se
+trouvaient à Chatou. Devant la foule ameutée, et les nouvelles qui leur
+parvinrent, les deux femmes prises de peur renoncèrent à regagner Paris
+et se décidèrent à rentrer à Lyon. En cours de route elles furent
+obligées, à la suite d'un accident de voiture que la jeune fille dut
+bénir toute sa vie, de s'arrêter à Mâcon. Suzanne de Lamartine prévenue,
+résolut alors d'arranger les choses qui traînaient depuis un an et
+annonça à son père que Mme Des Roys était de passage et apportait des
+nouvelles graves de Paris. Le moyen, pour François-Louis, de ne pas
+offrir une hospitalité provisoire aux deux femmes? Elles demeurèrent
+chez lui vingt-quatre heures et, à leur départ, séduit sans doute par le
+charme de la jeune fille, il finit, comme dans un roman, par accorder
+son consentement au mariage.
+
+Le 4 janvier 1790 enfin, le contrat fut signé à Lyon, et l'on y voit que
+les jeunes époux étaient plus riches de bonheur que d'argent: le
+chevalier avait l'usufruit de Milly jusqu'à la mort de son père, et
+c'était tout. Quant à Mlle Des Roys elle apportait, outre quelques
+bijoux et meubles, la somme de 50 000 francs, dont 20 000 assurés par un
+de ses oncles, et qui n'étaient pas encore versés en 1810 à la mort de
+celui-ci. Ainsi, les revenus du jeune ménage se montaient à une douzaine
+de mille francs, assez aléatoires d'ailleurs, puisqu'ils étaient
+uniquement basés sur les récoltes de Milly.
+
+Le mariage fut célébré le 7 janvier 1790; aussitôt après, la jeune femme
+vint s'établir à Milly et de cette date jusqu'en 1808, elle connut une
+existence très différente.
+
+La jeune mondaine d'autrefois habite maintenant un village obscur et
+sans horizon. Sa maison est petite, sa vie plus que simple, sa fortune
+médiocre. Deux ans à peine après son mariage, son mari, ses beaux-frères
+et ses belles-soeurs sont emprisonnés et elle reste isolée avec deux
+enfants au berceau, près de ses beaux-parents. Puis, le calme rétabli et
+le chevalier rendu à la liberté, elle regagne avec lui leur petite
+campagne où ils s'installent définitivement.
+
+Dès lors, elle devient entièrement la mère. Ses parents sont loin, les
+uns fidèlement attachés à la fortune des d'Orléans qu'ils accompagnent
+en exil, les autres réfugiés en Angleterre où ils végètent. Elle vivra
+seule à Milly, presque sans nouvelles d'eux. Son unique occupation va
+devenir l'éducation de ses enfants.
+
+C'est dans ce rôle, surtout, qu'il est attachant de la suivre. De 1800 à
+1808, son journal reflète profondément ses détresses, ses défaillances
+morales, et une analyse aiguë d'elle-même qu'elle pousse à un degré
+incroyable. Chaque soir, elle se scrute impitoyablement, examine et
+résume sa vie quotidienne, les soucis de la journée, et en tire un
+enseignement pour l'avenir, sans pouvoir toutefois être jamais
+satisfaite de ses actes qu'elle trouve perpétuellement imparfaits et
+au-dessous de sa tâche. Chez elle, les accalmies sont rares et, même
+dans les périodes d'apaisement et d'équilibre, elle les environne
+toujours de l'inquiète restriction qu'elle est trop heureuse et ne
+mérite pas son bonheur.
+
+ * * * * *
+
+À partir de 1810 sa vie change encore et commence alors pour elle une
+époque d'amertumes, de tristesses et de découragements encore plus
+profonds. Ses enfants la préoccupent: ses quatre filles, d'abord,
+qu'elle mariera toutes à leur temps et heureusement, mais surtout ce
+fils, son préféré, dont l'oisiveté, dit-elle, la «tue». L'existence vide
+qu'il traîne de Mâcon à Paris, sa fièvre, sa sensibilité, qu'il tient
+d'elle au fond, sont autant de tortures pour ce coeur de mère qui ne
+demande qu'à être fière de son fils. Son orgueil maternel souffre de
+voir la vie de son enfant lui échapper, et elle pleure de n'être plus
+comme autrefois sa confidente, elle qui jadis écrivait à propos de lui:
+«La chose la plus importante dans l'éducation est d'inspirer une grande
+confiance à ses enfants et il faut pour cela les écouter toujours avec
+attention et l'air de l'intérêt, quelle que soit la chose dont ils
+veulent vous entretenir, parce qu'alors ils prennent l'habitude de vous
+parler de tout ce qui les occupe».
+
+Aujourd'hui, il faut deviner plutôt qu'apprendre de lui, les pensées qui
+le hantent; il faut aussi brûler en cachette ses mauvais livres, ses
+mauvais vers, qui rappellent le malheureux frère qui s'est perdu ainsi,
+voir grossir ses dettes qu'elle essaye d'éteindre en réduisant ses
+humbles dépenses. Car trop souvent elle sera forcée d'avoir recours à
+l'oncle et aux tantes qui la trouveront faible et le lui diront
+durement. Toutes les petites ruses qu'il mettra en oeuvre pour lui cacher
+ses fredaines et ses aventures l'accableront sans lasser sa tendresse.
+«Il me tourmente bien par son caractère inquiet, dira-t-elle un jour,
+mais je tâche de le ramener tout doucement; je supporte, c'est ma tâche
+actuelle.»
+
+Malgré tout, sa bonté pour lui demeurera inépuisable, comme sa patience.
+En 1811, à la suite d'une amourette dont il s'exagéra la valeur, les
+Lamartine furent obligés de le faire voyager; il se trouva un jour sans
+ressources à Livourne, ayant mangé en un mois ce qu'on lui avait donné
+pour six. Les oncles et les tantes qui ont déjà ouvert leur bourse,
+restent sourds, cette fois, aux lettres suppliantes, et décident le
+retour. Mais il est si heureux là-bas! ses lettres sont si joyeuses et
+si tendres! «Il serait trop cruel, écrit-elle alors, de ne pas le
+laisser aller jusqu'à Rome dont il est si près», et elle lui envoie de
+quoi continuer son voyage.
+
+Mme Delahante, enfant à cette époque, mais qui quarante ans plus tard
+ne pouvait rappeler son souvenir sans émotion, nous a laissé d'elle une
+image très simple et très émouvante:
+
+«Mme de Prat, âgée de quarante-cinq ans, n'avait jamais été d'une
+beauté remarquable, mais le charme qui était en elle tenait à une grande
+distinction et à une expression très fine, très spirituelle, en même
+temps que très douce et d'une bonté parfaite. Pour faire le portrait de
+sa figure il faudrait, avant tout, faire le portrait de son âme, car
+c'était de l'âme que venait chez elle le charme extérieur. Je crois que
+toutes les vertus solides et les qualités aimables étaient réunies en
+cette charmante femme; elle était pieuse comme un ange et d'une piété
+indulgente et éclairée qui vous gagnait.
+
+«Elle était sans cesse occupée des pauvres, et elle les visitait soit à
+Mâcon, soit à Milly. Son zèle ne connaissait pas de bornes, et, quand
+l'argent lui manquait (ce qui lui arrivait parfois, car sa fortune était
+plus que médiocre, et sa famille très nombreuse), elle cherchait à le
+remplacer par de douces paroles, de bons soins et de bons conseils.
+
+«Elle élevait elle-même ses cinq filles, elle s'occupait extrêmement de
+son mari et de son ménage, elle aimait beaucoup le monde, ou plutôt la
+société; elle était aimable pour tous, et quoiqu'elle ne pût recevoir
+qu'avec la plus extrême simplicité, elle fut toujours à la tête de la
+société de Mâcon et y exerça une influence qui ne fut pas entièrement
+remplacée.
+
+«Son esprit était à la fois fin et élevé et quoiqu'elle eût passé sa vie
+à Mâcon, entourée de toutes les petites passions de province, elle
+demeura au-dessus de tout pour la noblesse et l'extrême délicatesse de
+son coeur comme par la distinction de son esprit et de ses manières. Sa
+vertu, je l'ai dit, n'avait rien de sévère et je n'en veux citer qu'un
+exemple: elle ne se permettait jamais la moindre médisance, et souffrait
+mort et passion quand elle entendait dire la plus petite chose qui pût
+blesser le prochain; elle était gaie, cependant, et ne pouvait
+s'empêcher de sourire à un propos spirituel et quelque peu malin. Sa
+charité et sa gaieté se livraient alors un combat qui se lisait sur sa
+physionomie.
+
+«Mme de Prat était de taille moyenne; elle était mince, sa taille
+était souple, sa figure longue et un peu pâle, ses yeux très près du nez
+et petits, mais vifs et doux, son nez droit et ses lèvres fort minces.
+Son sourire était très gracieux. Je l'ai toujours vue mise de la même
+manière: elle ne portait que des robes de taffetas puce.»
+
+À partir de 1820 et jusqu'à sa mort, Mme de Lamartine connut d'autres
+joies et d'autres chagrins: ce fut d'abord la gloire soudaine de son
+fils, son mariage inespéré, qui marque la fin de cette période de
+désoeuvrement dont elle souffrit tant. «Il se dit plus heureux qu'un
+roi, écrira-t-elle un jour, et certes, ce n'est pas un langage auquel je
+suis accoutumée de sa part.» Elle avoue aussi avoir ressenti «un grand
+mouvement de vanité» en lisant dans les journaux le nom de son fils
+parmi les personnages illustres de passage à Aix. Puis ce fut la
+naissance de son petit-fils qui lui causa une immense joie: «On dit que
+cet enfant me ressemble, dira-t-elle avec orgueil; alors, je me
+l'imagine comme était son père...».
+
+Bientôt, pourtant, les soucis et les deuils l'accablèrent de nouveau.
+Son fils l'inquiétait toujours; «cette ardeur, cette inquiétude de
+tête», comme elle appelle dans son simple langage la fièvre poétique qui
+le dévore, ne font que la désoler. Presque coup sur coup elle eut à
+pleurer la mort de deux de ses filles, Mme de Vignet et Mme de
+Montherot, et celle de son petit-fils dont elle avait accueilli la
+naissance avec tant de bonheur. Puis, ses deux belles-soeurs et ses deux
+beaux-frères disparurent à leur tour. De plus en plus elle se sentait
+isolée à Milly.
+
+La dernière joie que connut cet admirable coeur de mère fut de paraître
+au bras de son fils à l'Abbaye-au-Bois, dans les salons de Mme
+Récamier où, en juillet 1829, Chateaubriand lut des fragments de son
+_Moïse_; et voici ce qu'au retour elle écrivait dans son journal:
+
+«Je suis de plus en plus fière et heureuse des admirables qualités
+d'Alphonse, malgré les inquiétudes si fondées que j'ai eues sur son
+compte. Sa réputation s'agrandit tous les jours, mais ce n'est pas de
+son esprit que je dois le glorifier davantage, c'est de la bonne
+direction qu'il lui a donnée, c'est de son excellent coeur, c'est de la
+beauté de son âme qui se manifeste dans toutes les occasions.» Ainsi, ce
+qui la frappa au cours de cette soirée, fut le murmure d'admiration
+sympathique qui avait accueilli l'entrée de son fils, et tout le reste
+lui parut secondaire:
+
+«Il y avait beaucoup de gens célèbres que je fus bien aise de voir, et
+surtout M. de Chateaubriand lui-même que je ne connaissais pas; il me
+parut vieux et faible, et les ambitions de ce monde sont bien
+mensongères. Sa tragédie est de peu d'intérêt. Mme Récamier a encore
+de la grâce et quelques souvenirs de beauté.»
+
+Comme par un étrange pressentiment de sa fin prochaine, les dernières
+lignes qu'elle ait tracées dans son journal semblent le clore tout
+naturellement. Le 22 octobre 1829 elle écrivait de Milly:
+
+«Je suis seule ici, et cependant je ne m'ennuie pas trop. Je me reproche
+au contraire de prendre encore beaucoup trop d'intérêt aux choses de ce
+monde et d'avoir peut-être plus de dissipation d'esprit en vieillissant
+que dans ma jeunesse, et pourtant je vieillis beaucoup! Que Dieu ait
+pitié de moi et me rende ce que je dois être. J'aime à lui dire un
+verset d'un psaume qui me touche: Seigneur, vous êtes mon espérance dès
+ma jeunesse, ne me rejettez pas dans le temps de ma vieillesse, ne
+m'abandonnez pas lorsque les forces me manqueront.»
+
+Elle mourut moins d'un mois après, le 16 novembre, et cette femme
+angélique en qui tout était douceur et sentiment eut une fin atroce:
+elle fut brûlée vive dans un bain qu'elle voulut réchauffer, surprise
+par le jet bouillant qu'elle n'eut pas le temps d'arrêter et reçut en
+pleine poitrine. Elle trouva encore la force de sortir de l'eau, puis
+tomba à terre, évanouie. Pendant les trois jours que dura son affreuse
+agonie elle ne reprit pas connaissance.
+
+Lamartine et son père étaient tous deux absents de Milly. À leur retour,
+elle reposait déjà dans le cimetière de Mâcon, mais comme son fils
+voulait l'avoir près de lui dans la petite chapelle de Saint-Point, il
+obtint de la faire exhumer.
+
+ * * * * *
+
+La douleur du poète fut immense. Plus tard, lorsqu'il écrira ses
+souvenirs, la mémoire de sa mère en illuminera toutes les pages. Mais à
+force d'idéaliser cette belle figure il a fini, d'abord par en donner
+une image assez inexacte, et surtout par persuader à lui-même et à ses
+lecteurs qu'elle fut avec Elvire l'une des formes vivantes de son génie.
+
+Pourtant, si l'une eut sur son développement et son inspiration une
+profonde influence, il serait peu conforme à la vérité de croire que sa
+mère tint le même rôle dans sa vie. Elle fut la mère, dans tout ce que
+ce mot peut comporter d'amour, de tendresse et d'orgueil; tous deux
+s'adoraient, mais--et le journal de Mme de Lamartine en est la
+meilleure preuve--la période de l'adolescence du poète qui s'étend de
+1808 à 1820, période d'isolement et de détresse morale, échappe
+complètement à sa mère qui s'en désole et pleure en silence de le voir
+sombre et renfermé, cachant jalousement son existence intérieure.
+
+Elle ne participera en rien à cette solitude morale, à cette laborieuse
+genèse qui précède les _Méditations_ sauf pour ce que son instinct
+maternel lui fera parfois deviner; un jour où elle le verra en proie à
+ce «feu divin» qu'il a décrit dans l'_Enthousiasme_, elle écrira: «Je
+crains pour lui cette inquiétude d'esprit qui le transporte toujours
+dans un avenir idéal et lui ôte la paisible jouissance du présent et de
+ceux avec qui il est», mais le plus souvent elle se désespérera de son
+apparente stérilité sans que son âme aimante et simple saisisse
+grand'chose des aspirations confuses, et des détresses incurables qu'il
+porte en lui. Elle se contentera de noter ce que son coeur de mère
+appellera des «vivacités de caractère», des «mélancolies de jeunesses»,
+elle verra avec angoisse cette «vie de dissipation», ces gaspillages
+inutiles d'énergie, et s'épuisera en supplications pour faire mener à
+son fils une existence régulière et occupée, celle dont il est alors le
+plus incapable.
+
+Plus tard Lamartine le regretta et en souffrit; avec amour, il
+s'efforcera alors dans ses souvenirs, ses commentaires et sa version du
+_Manuscrit de ma mère_ de lui faire jouer, dans son adolescence, un
+rôle qu'elle n'a jamais tenu. Pieuse invention que cette lecture à Milly
+de l'_Isolement_, du _Désespoir_ ou de l'_Épître à Byron_! Mme de
+Lamartine, qui en 1808 notait avec un peu d'orgueil les premiers essais
+poétiques de son fils, n'eût pas manqué d'en transcrire le récit,
+surtout si, comme il l'a prétendu, la lecture du _Désespoir_ eut été
+entre eux la cause d'une grave discussion. Bien mieux, ce fut par une
+étrangère qu'elle entendit parler pour la première fois des futures
+_Méditations_: le 9 juin 1819, en effet, Mme de l'Arche, cousine de
+Mme Haste sa nièce--c'est la fameuse «princesse italienne» qui soigna
+Lamartine à Paris pendant sa maladie,--était de passage à Mâcon. «_Elle
+m'a apporté des vers d'Alphonse_, dit Mme de Lamartine, _qui sont des
+stances religieuses et des Méditations mélancoliques; il y a vraiment de
+très belles choses_.» Une autre courte mention le 6 janvier 1820 où on
+lit: «_Alphonse va faire imprimer des vers; il en a fait vraiment de
+très beaux et sur de beaux sujets très religieux_». C'est tout; à Milly
+l'apparition des _Méditations_ passa inaperçue, car la mère avait alors
+en tête d'autres soucis plus sérieux: le mariage de son fils et son
+établissement.
+
+Mais ce que Lamartine tient incontestablement de sa mère, c'est cette
+âme inquiète et tourmentée, cette sensibilité rare que l'on retrouve à
+chaque page du _Journal intime_; ce sont surtout les germes de sa
+religion profonde et vivace qui s'épanouiront ensuite à Belley. Au
+cours de sa vie orageuse, sa foi subira bien des assauts et connaîtra
+bien des défaillances, mais il y reviendra toujours comme à l'unique
+consolation. De bonne heure, la croyance de Mme de Lamartine avait
+marqué des traces ineffaçables dans l'âme de l'enfant, et l'on peut dire
+que le souffle chrétien qui anime toute sa poésie est l'oeuvre absolue et
+entière de sa mère.
+
+Elle conservera aussi une influence indiscutable sur ses actes. La
+vénération dont il l'entourait le fit souvent se courber, en pleine
+maturité, devant les avis qu'elle lui donnait[75]. Tout ce qui touchait
+à son génie qu'elle voulait purement chrétien, l'affectait
+profondément: «Alphonse va faire imprimer des vers, écrit-elle le 10
+mars 1825, c'est une suite de _Childe-Harold_, espèce de poème de lord
+Byron. Ce sujet m'inquiétait et m'inquiète encore beaucoup; j'ai dit ce
+que je croyais devoir dire, car je ne suis pas là pour louer, mais pour
+avertir». Jamais, de l'avis de ceux qui les connurent tous deux,
+Lamartine n'eût osé commencer du vivant de sa mère sa politique
+d'opposition contre le gouvernement de Juillet car elle gardait aux
+d'Orléans un respect profond. En 1825, lors du retentissement causé par
+deux malencontreux vers du _Chant du Sacre_, elle écrira sévèrement à
+son fils et ne désarmera que devant les explications, assez confuses,
+semble-t-il, qu'il lui donna[76]. De même, Mme Delahante est
+persuadée que _Jocelyn_ et _la Chute d'un Ange_ auraient subi
+d'importants remaniements si la mère du poète avait été là[77].
+
+[Note 75: Le 23 février 1823, Mme de Lamartine note dans son
+journal: «Alphonse travaille à son nouveau volume de Méditations; j'ai
+toujours peur qu'il ne profane son talent en parlant le langage des
+passions. Je lui ai écrit justement là-dessus.»
+
+Mme de Lamartine venait en effet de lire dans la 9e édition des
+_Méditations_, parue un mois auparavant, une pièce nouvelle intitulée
+_Philosophie_, et dédiée au marquis de la Maisonfort. Aussitôt, elle
+écrivit à son fils la lettre suivante:
+
+ Ton père, mon cher Alphonse, me lit sa lettre. J'y vois avec
+ plaisir qu'il te dit aussi mon opinion. Oui, cette pièce à M. de
+ Maisonfort m'a beaucoup tourmentée. J'ai une si grande horreur de
+ cette abominable philosophie que je frémis de tout ce qui en a
+ l'apparence, venant de toi surtout. Tu es né pour être religieux,
+ essentiellement religieux, ton talent n'est beau que parce qu'il
+ vient de là. Ne le profane point, mon enfant; que ta reconnaissance
+ pour les grâces dont Dieu te comble rappelle toujours toutes tes
+ pensées à lui, ne travaille que pour sa gloire, ne transige point
+ avec l'esprit et les passions du monde, dédaigne ce moyen de
+ succès, comme tu le fais sûrement dans ton âme.
+
+ Ô mon enfant, tu éteindrais dans la _boue_ le brillant flambeau que
+ le ciel t'a donné pour répandre la vraie lumière; n'écris rien de
+ ce que tu jugeras bien sévèrement un jour, et que tu voudras
+ peut-être effacer au prix de tout ton sang, quand il ne sera plus
+ temps.
+
+ Adieu, j'en ai assez dit.
+
+{_Lettre inédite._}]
+
+[Note 76: Les deux vers incriminés visaient le duc d'Orléans à qui,
+au sacre de Reims, Lamartine faisait dire par Charles X:
+
+ Ce grand nom est couvert du pardon de mon frère.
+ Le fils a racheté les fautes de son père.
+
+Mme de Lamartine a consacré à cet incident deux pages de son journal,
+ce qui prouve à quel point elle l'eut à coeur. Malheureusement, Lamartine
+a déchiré et noirci le feuillet, dont quelques fragments seulement sont
+encore lisibles. On y voit que le poète donna pour excuse à sa mère, une
+«inadvertance», une «négligence poétique», explication qui satisfit
+peut-être Mme de Lamartine, mais parut insuffisante au duc d'Orléans,
+car sur sa demande les exemplaires du _Chant du Sacre_ furent retirés du
+commerce, et il fallut procéder à un second tirage où les vers étaient
+corrigés et adoucis.]
+
+[Note 77: Cf. _Souv. de Mme Delahante_, I, p. 106.]
+
+Tel est le milieu où va croître et se développer l'âme de l'enfant, plus
+souvent arrêtée et contrariée, à vrai dire, qu'encouragée et comprise.
+Chacune des figures que nous venons d'esquisser jouera un rôle dans sa
+jeunesse, influera plus ou moins sur sa pensée et sur ses actes. Mais
+conclure de là, comme il l'a laissé entendre lui-même, que certaines
+d'entre elles, «l'oncle terrible» surtout, par leur contrainte et leur
+mainmise sur son existence ont en quelque sorte retardé l'éclosion des
+_Méditations_ serait une grave erreur. Lamartine fut maître de sa vie à
+dix-huit ans, et libre de l'organiser à sa guise pourvu qu'il prît une
+occupation. Sans doute, les Lamartine n'encourageront nullement sa
+vocation poétique et même la contrarieront parfois; mais on connaît
+leurs raisons, et d'ailleurs lui-même en fut un peu responsable, car de
+bonne heure il se réfugia dans la solitude morale, hautain et découragé.
+
+Cette adolescence difficile servit son génie: l'amertume, les heurts,
+stimulent Lamartine. Ses _Méditations_, écrites fiévreusement, en pleine
+crise, au moment des pires froissements avec sa famille, des maladies et
+des difficultés qui l'accablent, en sont le meilleur témoignage. De 1820
+à 1830, alors qu'il coule on paix des jours heureux, son oeuvre poétique
+s'en ressent: les _Nouvelles Méditations_--à part quelques pièces
+antérieures à 1820--n'égalent pas les premières: la _Mort de Socrate_,
+le _Chant du Sacre_ ne sont que des oeuvres facilement rimées et dont
+lui-même ne pensait pas grand'chose. Les _Harmonies_ même, écrites au
+jour le jour de 1825 à 1830, sont d'une autre manière, adoucie et plus
+paisible. Il faut remonter jusqu'à _Némésis_, plus loin encore à l'_Ode
+au comte d'Orsay_, à _la Vigne et la Maison_ et à cette admirable
+_Invocation à la Croix_ qui ne fut publiée qu'après sa mort pour
+retrouver l'inspiration mélancolique, désespérée et hautaine des
+premières _Méditations_.
+
+
+
+
+CHAPITRE III
+
+LES LAMARTINE PENDANT LA TERREUR.
+
+LES PREMIÈRES ANNÉES.
+
+
+À s'en tenir au seul témoignage de Lamartine, il serait difficile de
+connaître le véritable lieu de sa naissance, puisque dans ses poèmes et
+ses souvenirs il a tour à tour indiqué Saint-Point, Mâcon et Milly comme
+son berceau[78]. Toutefois, grâce à son acte de baptême, on sait qu'il
+naquit à Mâcon le 10 octobre 1790, fut baptisé le lendemain par le curé
+de Saint-Pierre, et eut pour parrain et marraine son grand-père de
+Lamartine, malade et représenté par son fils aîné, et sa grand'mère
+maternelle Mme Des Roys. Mme de Lamartine nous apprend que
+quelques heures après sa naissance l'enfant fut porté au couvent des
+Ursulines où la supérieure, Mme de Luzy, une bonne vieille
+grand'tante, présenta l'enfant à la chapelle de la Vierge, et que toute
+la communauté pria pour lui.
+
+[Note 78: Cf. _Harmonies_: Milly ou la TERRE NATALE. _Confidences_
+(p. 65): LE VILLAGE OBSCUR OÙ LE CIEL M'A FAIT NAÎTRE. Dans _Souvenirs
+et Portraits_ (Comment on devient poète), il termine également une
+description de Milly par ces mots: «C'EST LÀ QUE JE SUIS NÉ, et que je
+grandissais». Voilà pour Milly. Dans les _Recueillements_ (vers écrits à
+l'Ermitage), on lit:
+
+ Ô vallons de Saint-Point, ô cachez mieux ma cendre
+ Sous le chêne NATAL de mon obscur vallon.
+
+Enfin, dans les _Confidences_ (p. 24), Lamartine déclare qu'il est né à
+Mâcon, dans l'hôtel Lamartine, par conséquent rue Bauderon-de-Senecé.]
+
+Des doutes se sont élevés au sujet de la maison natale du poète[79]: en
+effet, les Lamartine possédaient alors deux immeubles à Mâcon. L'un,
+l'hôtel familial, était situé au numéro 3 de l'actuelle rue
+Bauderon-de-Senecé, au XVIIIe siècle rue de la Croix-Saint-Girard, et
+sous la Révolution rue Solon; l'autre occupait le numéro 18 de la rue
+des Ursulines, devenue pendant la Terreur rue Jean-Jacques-Rousseau.
+Dans laquelle de ces deux maisons Lamartine vit il le jour? La question
+en soi est de peu d'importance, car toutes deux ne formaient en réalité
+qu'un même immeuble compris dans l'angle formé par les deux rues à leur
+intersection, et il existait entre elles une cour, un passage et des
+jardins communs. Néanmoins, la maison de la rue des Ursulines est bien
+la maison natale du poète et il existe deux témoignages qui devraient
+clore la discussion.
+
+[Note 79: On trouvera le détail de la question dans une étude de M.
+Paul Maritain, la Maison natale de Lamartine (_Annales de l'Académie de
+Mâcon_, IIIe série, t. VI). M. Maritain, qui ignorait l'existence des
+documents que nous citons plus loin, a conclu que la maison natale du
+poète était l'hôtel de la rue Bauderon-de-Senecé.]
+
+Le 21 décembre 1819, Mme de Lamartine a noté dans son journal que son
+mari, gêné par une mauvaise récolte, songeait à vendre la maison qu'ils
+habitaient à Mâcon et à vivre désormais uniquement à Milly, _ou
+peut-être_, ajouta-t-elle, _dans l'ancienne petite maison que nous avons
+habitée les premiers temps de notre mariage et qui est à l'abbé de
+Lamartine_. Cette maison est bien celle de la rue des Ursulines: nous
+savons en effet, par le testament de Louis-François de Lamartine,
+qu'elle échut à l'abbé; celui-ci, d'ailleurs, n'y logea jamais et la
+louait ordinairement. Le poète la trouva en 1826 dans sa succession, et
+la vendit aussitôt car elle était inhabitable. Enfin, on lit dans la
+déclaration d'immeubles faite en décembre 1790 par Louis-François au
+cadastre de Mâcon et parmi l'énumération de ses propriétés, _une maison
+rue des Ursulines occupée par M. de Pra_[80]. Or, si le chevalier
+demeurait en décembre 1790 rue des Ursulines, il est fort probable qu'il
+y habitait déjà en octobre et qu'il avait reçu à son mariage la
+jouissance de cet immeuble jusqu'à la mort de son père, quoique son
+contrat n'en fasse pas mention. Il semble donc acquis que Lamartine vint
+au monde, non pas dans l'hôtel de la rue Bauderon-de-Senecé, mais dans
+la petite maison de la rue des Ursulines.
+
+[Note 80: Nous donnons ici le texte complet de cette pièce, copié
+sur le brouillon de Louis-François de Lamartine, et qui donne quelques
+détails curieux sur son train de maison au début de la Révolution.
+
+ Déclaration de maison, etc., faite en 1790. Décembre.
+ Maison rue des Ursulines, _occupée par M. de Pra_.
+ 32 pieds de face sur ladite rue.
+ 80 pieds en petite cour.
+ En partie un seul étage, partie deux étages.
+ Sans locataires, ni magasins, etc.
+ Contenance totale: une coupée et demie ou trois toises.
+ Propriétaire M. L.-Fr. de La Martine, marié,
+ ayant six enfants dont cinq à sa charge.
+ Domestiques mâles, 4.
+ Domestiques femelles, 3.
+ Chevaux de carosse, 2.
+ Maison par luy occupée sur les remparts
+ [_hôtel de la rue de Senécé_], façade 60 pieds.
+ 3 980 pieds superficiels pour la maison.
+ 1 020 pieds pour les écuries qui ont 30 pieds de face environ.
+ 1 230 pieds en cour.
+
+ Les deux tiers à deux étages, l'autre tiers à un étage.
+ Sans aucun locataire, boutique ni magasin.]
+
+ * * * * *
+
+À sa naissance, l'enfant était d'une constitution délicate qui donna,
+paraît-il, des inquiétudes à sa famille. Il a raconté plus tard comment
+sa mère, pour le changer d'air, alla passer avec lui l'été de 1791 à
+Lausanne. Nous n'avons sur ce séjour que son seul témoignage et le
+_Journal intime_ n'en rappelle aucun souvenir. Pourtant, il demeure très
+vraisemblable, car la plupart des familles du pays profitaient souvent
+de l'été pour se rendre en Suisse dont la frontière n'était éloignée que
+de quelques journées. Quant aux détails abondants et pittoresques dont
+il a nourri son récit, nous sommes obligés de lui en faire crédit: à
+l'en croire, une intimité très grande existait entre les Lamartine et le
+vieil historien anglais Gibbon que Mlle Des Roys aurait connu dans
+sa jeunesse au Palais-Royal; une haie de jasmin séparait seule les deux
+jardins et, dira-t-il, en parlant de Gibbon, «ses genoux étaient devenus
+mon berceau[81]».
+
+[Note 81: M. H. Remsen Whitehouse, un érudit américain à qui rien de
+ce qui touche Lamartine n'est étranger, a bien voulu se charger pour
+nous d'obligeantes recherches à Lausanne, mais qui sont restées vaines.
+On en trouvera le détail sous sa signature dans la revue _l'Écho des
+Alpes_ de septembre 1908.]
+
+Mais si l'historien était bien à Lausanne en 1791--il y séjourna de 1784
+à 1797,--le journal de Mary Holroyd fille de lord Scheffield, qui fut
+son hôte de juin à octobre de la même année, ne mentionne nullement les
+Lamartine dans la liste très détaillée qu'elle donne des habitués de la
+_Grotte_; la _Correspondance_ et l'_Autobiographie_ de Gibbon sont tout
+aussi muettes sur ce point. Enfin il est assez difficile d'admettre
+qu'il ait connu Mlle Des Roys au Palais-Royal: il fut bien un assidu
+de la petite cour du duc d'Orléans, mais il quitta définitivement Paris
+en 1784. À cette date, la jeune fille avait quatorze ans et n'était
+qu'une enfant. Quoi qu'il en soit, sans mettre en doute ce voyage à
+Lausanne, il est certain qu'il fut très court. Mme de Lamartine était
+en effet en novembre de retour à Mâcon, pour ses couches, et sa présence
+nous y est attestée par l'acte de baptême de son second fils Félix, mort
+deux ans plus tard[82].
+
+[Note 82: Le petit Félix fut le second des enfants de Pierre de
+Lamartine. Il mourut à Mâcon à l'âge de deux ans et demi. Le _Journal
+intime_ ne fait jamais mention de ce fils, dont Lamartine n'ignorait pas
+l'existence; en effet, alors que dans le _Journal intime_ on lit, à la
+date du 11 juin 1801: «J'en ai déjà cinq actuellement [enfants], quatre
+filles et un fils», il ajouta dans sa version du _Manuscrit de ma mère_:
+«après en avoir perdu un».
+
+En réalité, Mme de Lamartine eut neuf enfants: deux fils, Alphonse et
+Félix, et six filles, Mélanie, Célenie (mortes toutes deux à quelques
+mois), Cécile, Césarine, Eugénie, Sophie et Suzanne.]
+
+C'est à cette époque que la situation commença à devenir difficile pour
+les Lamartine: la royauté étant en péril, le chevalier fit aussitôt son
+devoir de soldat et de gentilhomme, et ce fut le premier signal de la
+dispersion du foyer.
+
+Bien que démissionnaire le 1er mai 1791 pour n'avoir pas à prêter
+serment à la Constitution, il se rendit en mai 1792 à Paris offrir ses
+services au Roi. Un mémoire présenté en 1814 à Louis XVIII en vue
+d'obtenir la croix de Saint-Louis et apostillé par un parent de sa
+femme, le président Henrion de Pensey alors ministre de la justice, nous
+donne quelques détails sur son dévouement fidèle mais obscur, et qui
+confirment entièrement le récit des _Confidences_ et de l'_Histoire des
+Girondins_[83].
+
+[Note 83: _Arch. de la guerre_ (section administrative), dossier
+Pierre de Lamartine. Pierre-Paul Henrion de Pensey, premier président de
+la Cour de cassation (1742-1829), était le frère d'Henrion de
+Saint-Amand, beau-frère de Mme de Lamartine.]
+
+Dès son arrivée, suivant en cela l'exemple de la noblesse de France, il
+fit demander au Roi ses ordres, soit pour émigrer, soit pour rester.
+Louis XVI, comme à tous, lui répondit de demeurer. Il obéit et ne
+manqua aucune occasion de se rendre aux Tuileries chaque fois que le
+château fut menacé; il s'y trouvait même le 10 août, resta jusqu'après
+l'attaque, combattit l'un des derniers. Poursuivi par les vainqueurs, il
+échappa aux massacres de la Force grâce à la complicité d'un des
+jardiniers d'Henrion de Pensey qui se trouvait parmi les émeutiers et
+eut pitié de lui. Il le cacha et lui fournit des vêtements qui lui
+permirent de circuler dans Paris sans éveiller l'attention. Le chevalier
+erra alors quelques jours, ne sachant quel parti prendre, puis reprit le
+chemin de Mâcon. À son arrivée, il trouva le pays en pleine émeute.
+
+Déjà, trois ans auparavant, dans les derniers jours de juillet 1789, une
+véritable Jacquerie avait éclaté dans le Mâconnais. À Cormatin, à Cluny,
+à Hurigny, à Saint-Point surtout,--qui appartenait encore aux
+Castellane,--les paysans avaient envahi le château, brûlé les terriers
+et les titres de redevances. Les Lamartine ne furent pas épargnés: le 27
+juillet, leur petite propriété de Pérone était dévastée et leur
+concierge qui tentait de s'opposer au pillage se noya dans le puits où
+on l'avait jeté. Le jour même, le curé de Pérone, Étienne Moiroux, était
+assailli au presbytère, et brutalisé. Mais les années 1790-1791 furent
+plus calmes; le mouvement ne reprit qu'en 1792, lors de la réforme du
+clergé.
+
+Lamartine, en divers endroits de son oeuvre, s'est longuement étendu sur
+les persécutions que sa famille eut à subir pendant la Terreur. Si l'on
+en excepte l'épisode d'après lequel son père aurait échangé des lettres
+avec sa mère, de la prison aux fenêtres de la maison de la rue des
+Ursulines située en face, où elle se serait retirée, tout ce qu'il y a
+raconté est exact, à quelques détails près. Grâce aux Archives de
+Saône-et-Loire, il est d'ailleurs facile de rétablir l'existence des
+Lamartine durant les années 1792-1795.
+
+Ils ne commencèrent guère à être inquiétés qu'en 1792, à la suite de
+l'émigration du fils aîné François-Louis, émigration qui dut être
+extrêmement courte, mais qu'il n'est guère possible de mettre en doute.
+Dans la _Liste générale des émigrés_[84], on trouve en effet à la lettre
+L un tableau où figurent Louis-François le père et François-Louis le
+fils, dont les biens furent mis sous séquestre les 5 juillet, 20
+septembre et 28 novembre 1792. Aussitôt, le vieux seigneur de Montceau
+protesta avec énergie et fit parvenir aux directoires de Saône-et-Loire
+et de la Haute-Saône des attestations de civisme et des certificats de
+résidence, mais pour lui seul, et sans jamais faire mention de son fils
+dont on ne trouve aucune réclamation; ceci semble suffisamment prouver
+qu'il n'était pas alors en France. On ne tarda pas d'ailleurs à faire
+droit aux requêtes de Louis-François: le 12 avril 1793 il obtenait la
+mainlevée des scellés apposés à Montceau et à Milly, le 24 mai celle des
+propriétés de Franche-Comté[85].
+
+[Note 84: Paris, Imprimerie nationale, an II.]
+
+[Note 85: Ces deux arrêtés ont été publiés par M. Reyssié (_la
+Jeunesse de Lamartine_, 24-25).]
+
+Prévenu sans doute des conséquences qu'allait entraîner sa disparition,
+François-Louis revint à Mâcon, où on le trouve en octobre. Mais il
+paraît impossible de mettre en doute son émigration, contestée par
+Lamartine, puisqu'il n'existe aucune protestation émanant de lui contre
+la qualité qu'on lui prêtait, que son père n'agit qu'en son nom propre
+dans toutes ses revendications, et qu'à la fin de 1793 les Lamartine
+furent emprisonnés comme parents d'émigré.
+
+Contrairement à ce qu'on lit dans les _Confidences_, le grand-père du
+poète ne fut pas détenu; sans doute, son âge lui valut-il cette
+exception, car il avait alors quatre-vingt-trois ans. Sa femme et lui
+passèrent toute la période de la Terreur dans leur maison de Pérone,
+après que l'hôtel de Mâcon eut été mis sous séquestre le 13 août 1792.
+On ne les y aurait probablement guère inquiétés davantage, si avec un
+entêtement indomptable il n'avait à chaque instant attiré l'attention
+sur lui.
+
+En effet, le curé de Pérone, qui en 1789 avait été à moitié assommé par
+les émeutiers, s'était empressé de prêter serment à la constitution
+civile du clergé, afin de s'éviter le retour de semblables désagréments.
+Immédiatement, Louis-François, fidèle à ses principes, refusa les
+services de l'infortuné, et fit dire la messe chez lui par un prêtre non
+assermenté qu'il avait recueilli. L'habituelle dénonciation ne se fit
+pas attendre: le 23 juin 1794, le directoire de Saône-et-Loire,
+_instruit que les biens des époux Lamartine, ex-nobles, ne sont pas dans
+la main de la nation, bien qu'ils doivent être séquestrés_, fit apposer
+à nouveau les scellés à Montceau, Milly, Mâcon et tous les biens que
+Louis-François avait fini par récupérer à force de réclamations. Le 25
+août on vendit sur pied leurs récoltes au bénéfice de la République et
+cette vente produisit un total de 124 000 livres en assignats. Quant aux
+deux vieillards, on se contenta de les détenir à domicile, estimant sans
+doute que leur âge les rendait peu redoutables, jusqu'à l'apaisement qui
+suivit la mort de Robespierre.
+
+ * * * * *
+
+Les aventures des trois fils furent plus sérieuses. L'aîné, on l'a vu,
+avait émigré, mais il était de retour à Mâcon en octobre 1793. Le
+registre d'écrou porte qu'il fut emprisonné aux Ursulines le 13 de ce
+même mois, et que son déplorable état de santé lui valut d'être interné
+à l'hôpital. De ses fenêtres il pouvait voir la demeure familiale, car
+la prison des Ursulines avait remplacé le couvent du même nom qui
+faisait face à la maison natale du poète. Il n'y resta que peu de temps:
+le 9 novembre il était avec ses frères et soeurs transféré aux
+Visitandines d'Autun, également devenues prison nationale, et il n'en
+sortit que le 30 septembre 1794[86].
+
+[Note 86: Cf. Arch. dép. de Saône-et-Loire: «Liste d'hommes et de
+femmes détenus à Mâcon, Autun, etc.». Ce document, retrouvé et acquis
+récemment par M. Lex, confirme une fois de plus l'exactitude de certains
+petits détails des _Confidences_, puisqu'on y lit que la famille de
+Lamartine fut emprisonnée à Autun. M. Reyssié avait mis en doute cette
+assertion. Sur cette liste, figurent les noms de Pierre, François-Louis,
+l'abbé, Suzanne et Charlotte. Mlle de Montceau, qui était faible
+d'esprit, évita ainsi les poursuites, et fut détenue à Pérone avec son
+père et sa mère.]
+
+Pour l'abbé, il figure sur une liste de dénonciation datée du 21 octobre
+1793 et qui concernait 54 prêtres non assermentés; le 25 il était arrêté
+à Pérone chez son père. D'après une pièce de son dossier aux Archives
+Nationales, il aurait prêté serment le 30 septembre 1792. Il y a là une
+erreur, car la suite de ses tribulations et surtout l'attitude de son
+père démentent entièrement cette assertion. Il figure au contraire au
+début de 1792 avec sa soeur Suzanne, l'ex-chanoinesse, à «l'état général
+des pensionnaires de deux sexes jouissant d'une pension à la charge du
+trésor national», ce qui confirme qu'il avait alors renoncé à ses
+fonctions pour ne pas prêter le serment, et l'on a vu déjà qu'il fut
+incarcéré comme non assermenté.
+
+Arrêté le 25 octobre, il fut condamné le 13 novembre à la déportation;
+on le transfera alors de Mâcon à Autun, d'où il fut extrait le 25 avril
+1794 pour être conduit à Cayenne avec 18 autres prêtres. À Rochefort, on
+l'embarqua sur le _Washington_, vaisseau ponton où les prisonniers
+attendaient en cas de réclamation que le gouvernement ait définitivement
+statué sur leur sort. Il y demeura trois mois.
+
+Pendant ce temps, on procédait à Mâcon à la vente publique des meubles
+et effets lui ayant appartenu et qui se trouvaient dans sa chambre de
+l'hôtel Lamartine mis sous scellés. Le citoyen Durand acquit pour 112
+livres une commode en bois de rose; le citoyen Ducartel, un «bonheur du
+jour» pour 140 livres, et les citoyennes Chédé et Droit se disputèrent
+deux paires de chaussures, quatre bonnets de nuit, un habit de drap
+gris, un autre de kalmouck violet, une «anglaise» de drap gris et sa
+veste pour 65 livres, tandis que le citoyen Lacombe se voyait adjuger à
+21 livres 10 sols la petite pharmacie et les outils de tourneur de
+l'abbé.
+
+Il faut remarquer qu'on ne toucha à aucun des objets appartenant à
+Louis-François. Celui-ci, en effet, se montrait énergique à un moment où
+le silence et la peur étaient les seuls moyens de se faire oublier. Fort
+de ce qu'il croyait être son droit, indigné de ces comédies judiciaires,
+il ne cessait d'adresser réclamation sur réclamation avec une
+invraisemblable incompréhension des événements auxquels il assistait.
+Lorsqu'il apprit le départ de l'abbé pour Cayenne, il prit la plume une
+fois de plus et adressa au directoire de Saône-et-Loire un véhément
+_factum_ qui aurait pu l'entraîner loin, car il n'était rien moins
+qu'une violente critique de la procédure expéditive alors en cours,
+agrémentée de considérations sur la situation générale du pays. On y lit
+des morceaux comme celui-ci:
+
+ Si le département appelle dénonciation une liste de proscription
+ sans motif quelconque articulé, nous devons tous trembler. Cette
+ dénonciation telle qu'elle n'a même pas été reconnue authentique,
+ le département n'a pas récolé les dénonciateurs sur leurs
+ signatures, ne leur a pas demandé s'ils la reconnaissaient, s'ils
+ persistaient. Voilà une liste, cela suffit. Suivons: le département
+ dit 1º qu'il est instruit particulièrement. Grand Dieu! quelle
+ instruction! des juges qui sont instruits non par la procédure,
+ mais particulièrement! cela fait frémir!
+
+ 2º Que les inculpés ont été en partie prévenus de suspicion; mais
+ le comité n'a pas fait la faute de déclarer suspects des hommes
+ domiciliés depuis dix ans hors du département, des enfants de
+ quinze ans qui n'ont jamais passé à Mâcon que quarante-huit heures?
+ il y en a cinq dans ce cas et le département les condamne tous,
+ sans les appeler, ni les entendre, à la déportation!
+
+ Pour ce qui regarde particulièrement mon fils, c'est en vain que
+ j'ai demandé extrait des motifs de son arrestation; pour tout
+ extrait, on m'a donné ces mots: «Lamartine, ex-chanoine, n'ayant
+ pas donné de preuves suffisantes d'attachement à la Révolution»,
+ sans date, sans signature, ni rien qui donne de la force à ce vague
+ énoncé. Si c'est sur cela que le département, _instruit
+ particulièrement_, le déporte, lui, muni de certificats de civisme,
+ étranger au canton, on ferait un gros volume des vices de cet
+ arrêté cruel.
+
+Un tel langage pouvait être dangereux et pour celui qui le parlait et
+pour ceux qu'il mettait en cause. Mais Louis-François ne s'en tint pas
+là: avec une persévérance incroyable et un mépris inouï des dangers
+qu'il courait, il finit par obtenir de tous les dénonciateurs le désaveu
+écrit de leur signature; plusieurs d'entre eux allèrent même jusqu'à
+certifier qu'on la leur avait arrachée par surprise et signèrent la
+pétition par laquelle, après le 9 thermidor, il réclama la mise en
+liberté de son fils.
+
+Le département, cette fois, fit droit à sa requête et s'inclina devant
+la volonté publique, car la pétition s'était couverte d'une centaine de
+noms. Le 30 janvier 1795, _vu la demande des citoyens Lamartine, Dondin,
+Sombardin, etc., et les pièces y jointes par lesquelles il paraît que
+«ledit arrêté de déportation n'a été signé par personne»_ (sic), le
+comité arrêta que l'abbé serait mis en liberté et rayé de toute liste de
+déportés. Le 15 novembre 1795 il était de retour à Mâcon, après deux
+années d'épreuves, mais il ne fut définitivement rayé de la liste des
+émigrés où il avait été porté par erreur, sans doute à la place de son
+frère aîné, que le 3 février 1802.
+
+ * * * * *
+
+Quant au chevalier, il fut incarcéré aux Ursulines le 5 octobre 1793,
+puis transféré le 28 janvier 1794 aux Visitandines d'Autun et mis en
+liberté le 30 octobre de la même année, avec ses deux soeurs[87]. Dans la
+préface du _Manuscrit de ma mère_, Lamartine a raconté que pendant toute
+la Terreur sa mère avait habité la maison de la rue des Ursulines, et
+c'est le motif d'un charmant épisode où l'on voit à la nuit les jeunes
+époux échanger de tendres lettres, des fenêtres de la petite demeure à
+celles de la prison située en face, par le romanesque moyen d'un arc et
+de flèches. L'histoire, pour joliment contée, n'en est pas moins tout à
+fait inexacte, car si un mur de la prison faisait bien vis-à-vis à la
+maison des Lamartine, celle-ci avait été mise sous séquestre en même
+temps que l'hôtel de la rue Croix-Saint-Girard, c'est-à-dire près d'un
+an avant l'emprisonnement du chevalier. De plus, pendant la détention de
+son mari à Mâcon, la jeune femme n'habitait plus la ville; en effet,
+lorsqu'il avait vu ses trois fils sous les verrous, Louis-François avait
+exigé d'elle une incroyable démarche: en novembre 1793, laissant à
+Pérone ses deux plus jeunes enfants, Félix et Mélanie, celle-ci à peine
+sevrée, Mme de Lamartine dut prendre le chemin de Paris avec le petit
+Alphonse, alors âgé de trois ans et dont elle ne voulait pas se séparer.
+Elle partait, raconte-t-elle dix ans plus tard[88], solliciter
+_d'anciennes relations_ de son père pour obtenir la mise en liberté de
+son mari et de ses beaux-frères, car le vieux Lamartine, dans son
+inconscience absolue des dangers qu'il faisait courir à tous les siens
+avec sa terrible manie des réclamations, s'imaginait toujours qu'il
+suffirait d'un mot pour se faire rendre justice; ainsi, le crédit des
+Des Roys qu'on lui avait tant vanté au moment du mariage de son fils
+finirait bien par rendre quelque service.
+
+[Note 87: Arch. Nat., A. F. II, 259.]
+
+[Note 88: Ces souvenirs sont rapportés par Mme de Lamartine, en
+mai 1803, époque où elle passa trois mois à Rieux, chez sa mère.]
+
+En cours de route, la pauvre femme à moitié morte de peur des périls
+qu'elle avait courus s'arrêta dans la Marne, chez son père, pour lui
+demander conseil et lui laisser l'enfant.
+
+«Là, dit elle, Dieu permit qu'on rendît alors un décret qui défendait
+aux ci-devant nobles d'aller à Paris sous peine de mort; ce fut fort
+heureux, car les démarches étaient fort dangereuses.» Elle demeura donc
+six mois à Rieux et ne regagna la Bourgogne qu'en août 1794. Elle se
+réfugia alors à Pérone auprès de son beau-père et y demeura jusqu'à la
+libération de son mari. Le calme revenu et les séquestres levés, tous
+deux vinrent habiter à nouveau la rue des Ursulines, où leur présence
+nous est attestée le 4 décembre 1795 par l'acte de décès de leur petit
+garçon Félix.
+
+ * * * * *
+
+Peu à peu, l'apaisement se fit. À la fin de 1795 les Lamartine se
+retrouvèrent sains et saufs dans la vieille demeure familiale. Mais trop
+d'alertes avaient épuisé les deux vieillards: la grand'mère s'éteignit
+la première le 4 septembre 1796, à l'âge de soixante-quinze ans et
+Louis-François la suivit peu de mois après, le 11 mai 1797; il venait
+d'atteindre sa quatre-vingt-sixième année.
+
+Après leur mort, le partage de terres commença, et Lamartine rapporte
+qu'il fut long et épineux: en effet la loi nouvelle sur les successions
+bouleversait leurs vieilles traditions de famille en exigeant un partage
+égal entre tous les enfants. Le meilleur des terres de Franche-Comté
+avait disparu pendant la Terreur, ruiné faute d'entretien ou aliéné
+prématurément comme bien national. Les usines de Saint-Claude étaient
+délabrées; le reste ne comprenait plus que des parcelles éparses,
+difficiles à gérer par suite des circonstances. Mme de Lamartine
+raconte qu'on se hâta de vendre les débris de ce magnifique patrimoine,
+et qu'on s'arrangea à l'amiable pour les terres de Bourgogne.
+
+L'abbé reçut Montculot et la maison de la rue des Ursulines; Mme du
+Villars Pérone, Collonge et Champagne; François-Louis, en sa qualité de
+chef de famille, hérita de Montceau et ses dépendances, de l'hôtel de
+Mâcon et de la Tour de Mailly, dont l'ensemble demeura toutefois indivis
+entre lui et sa soeur aînée, Mlle de Lamartine. Le chevalier dut se
+contenter de Milly qu'il possédait déjà en fait depuis son mariage et où
+il se hâta de se réfugier avec sa femme et ses enfants dès l'automne de
+1797.
+
+
+
+
+CHAPITRE IV
+
+LE DÉCOR.--LES VOISINS
+
+
+Milly est un pauvre village d'une quarantaine de maisonnettes qui
+s'étend en amphithéâtre à mi-flanc d'un vallon encaissé de hautes
+collines, les unes cultivées, le Craz, les autres arides, le Monsard.
+Une solitude et une tristesse infinies s'en dégagent au premier abord,
+mais à mieux connaître tous ses aspects on finit par lui découvrir un
+charme pénétrant.
+
+Toute interprétation de la poésie de Milly restera forcément imparfaite
+et surtout inutile, car la seule façon dont Lamartine la comprit doit
+nous retenir. Nul jamais ne découvrira dans Milly tout ce qu'il y voyait
+et n'éprouvera, même au cours de multiples visites dans ce coin sauvage
+de Bourgogne, les sentiments du foyer et de la terre natale, les
+souvenirs d'enfance avec leurs nuances invisibles qu'il est parvenu à
+rendre merveilleusement. M. Reyssié, pourtant, qui avait une très grande
+habitude du pays et connaissait le vallon sous tous ses aspects, est
+parvenu à les décrire de manière très fidèle et très exacte.
+
+Tout au bas du village, en bordure de la route et dominée par le Craz,
+se trouve la petite maison des Lamartine. Elle n'a point d'histoire:
+élevée au début du XVIIIe siècle par Jean-Baptiste, premier seigneur
+de Montceau, c'était alors, plutôt qu'une demeure, un pavillon où il
+venait l'automne surveiller ses vendanges. Rien n'y était établi en
+prévision de longs séjours et au moment de son installation le chevalier
+fut même obligé d'y faire élever deux cheminées. Aujourd'hui, il est
+difficile de se la représenter dans son état primitif, car elle a subi
+des remaniements qui ont modifié entièrement son ancien aspect. Elle est
+située en retrait de la route unique qui traverse le village, au fond
+d'une cour actuellement ornée de massifs, mais qui autrefois servait,
+avec ses communs, à garer cuves, pressoirs et tombereaux. Derrière,
+s'étend un minuscule jardin dont les charmilles, les frênes et les
+chênes sont les seuls arbres de Milly, et finit en pente douce au pied
+du Craz par un potager. Aucune source, aucun cours d'eau n'arrose le
+pays.
+
+La maison n'a qu'un seul étage; elle est petite, obscure, humide, et
+jamais le soleil n'y pénètre. Elle comprend en tout neuf pièces et l'on
+imagine mal comment sept personnes pouvaient y vivre. Des plantes
+grimpantes recouvrent entièrement les murs jusqu'aux tuiles et les
+arbres viennent frôler les vitres. En hiver, la tristesse et la
+désolation sont impressionnantes; ce décor de Milly est une des sources
+les plus certaines de la mélancolie de Lamartine et explique amplement
+la maladie de nerfs dont il souffrit lorsque ses vingt ans y furent
+cloîtrés.
+
+Une grave erreur en effet serait de croire que l'amour de Lamartine pour
+Milly date de sa jeunesse; il contribua beaucoup à cette légende, mais
+on voit par sa _Correspondance_ qu'il ne l'appelait guère alors que sa
+«détestable patrie». Il ne découvrit son charme que longtemps après,
+lorsqu'il en fit avec le recul du temps le temple de ses souvenirs
+d'enfance. Milly devint alors pour lui un culte, celui de sa mère dont
+il venait encore rechercher la trace trente ans plus tard. «C'est,
+disait-il un jour âprement, la seule chose que je ne pardonne pas à mes
+concitoyens que de m'avoir forcé de vendre Milly[89].»
+
+[Note 89: _Cours familier de littérature_, entretien 101, p. 320.]
+
+Le domaine comprenait une cinquantaine d'hectares plantés en vignes. En
+1801, Pierre de Lamartine y ajouta Saint-Point, acheté partie sur ses
+économies, partie sur une somme qui lui revenait de la succession de son
+père.
+
+ * * * * *
+
+Saint-Point bien plus que Milly fut aux yeux de ses contemporains la
+véritable demeure du poète. C'était un vieux château féodal bâti sur la
+vallée de la Valouze dans un joli site boisé et plus riant que Milly,
+dont il était éloigné d'une quinzaine de kilomètres. Lorsqu'à son
+mariage Lamartine en acquit la jouissance, il lui fit subir plusieurs
+réparations et sacrifiant lui aussi à la mode romantique, y fit ajouter
+des terrasses, des tourelles, des fenêtres ogivales et dentelées qui ne
+vont pas sans déparer un peu l'austère simplicité romane du bâtiment.
+
+La partie orientale du château comprise entre les deux tours rondes
+remonte seule au moyen âge; l'ensemble a été remanié à différentes
+époques et on voit par les inventaires antérieurs à la Révolution qu'il
+comprenait primitivement quatre grosses tours, des murailles à créneaux
+qui enfermaient une cour commandée par un pont-levis et entourée de
+profonds fossés. De l'histoire ancienne du château, on sait peu de
+chose; il fut assiégé et pris par les Français en 1471 lors des luttes
+entre Louis XI et Charles le Téméraire; au cours des XVIIe siècle et
+XVIIIe siècles, il demeura le plus souvent inhabité, ce qui explique
+son délabrement, achevé le 30 juillet 1789 par les émeutiers qui le
+mutilèrent et le pillèrent entièrement.
+
+Ce jour-là, tous les habitants de Saint-Point, vignerons, grangers et
+manoeuvres, assemblés au son de la cloche, forcèrent la grande porte,
+découronnèrent les tours, démolirent les charpentes et toitures,
+brûlèrent les archives. L'affaire fut vite menée, sans résistance
+possible de la part de l'intendant. Tout ce qu'il put obtenir d'eux fut
+qu'ils ne mettraient pas le feu au château, leur objectant que
+l'incendie pourrait gagner le village. Les choses restèrent longtemps
+en l'état, et la Terreur vint achever la ruine du domaine. Au moment où
+le chevalier s'en rendit acquéreur, la maison était inhabitable.
+
+La famille de Saint-Point posséda le château--dont les seigneurs se
+qualifiaient marquis--du milieu du XIIe siècle à la fin du XVIe
+siècle. L'un de ses membres, Guillaume de Saint-Point, seigneur de la
+Foretz, de Chanvantet de Clermatin, a laissé quelque trace dans
+l'histoire en jouant un rôle assez important pendant les guerres de
+religion où il se distingua par ses cruautés. En 1557, il fut élu
+capitaine du ban et arrière-ban de la noblesse du bailliage, et
+combattit dans les armées catholiques; mais le meilleur de sa célébrité
+lui vient encore des farces de Saint-Point, jeu qui consistait à noyer
+en Saône ses prisonniers huguenots et où il conviait en grande pompe
+tous ses vassaux et amis. Il finit assassiné par un jeune gentilhomme
+mâconnais dont il avait dévasté les biens, et ses aventures sont
+relatées dans un ténébreux roman dédié à Lamartine et qui fut accueilli
+avec succès en 1845, car le public y trouvait une occasion de pénétrer
+dans ce fameux château de Saint-Point rendu populaire par la gloire de
+son propriétaire[90].
+
+[Note 90: _Guillaume de Saint-Point_, par J.-M. Grosset (3 vol.
+in-8).]
+
+Sa fille naturelle et légitimée épousa en 1564 Antoine de la Tour de
+Saint-Vidal qui, comme son beau-frère, fut un des capitaines
+catholiques les plus acharnés contre les réformés; il eut la même fin
+tragique et fut tué en duel. Sa veuve se remaria en 1596 et à sa mort
+légua ses biens à son petit-fils, Claude de Rochefort d'Ally; il épousa
+Anne de Lucinge et fut gouverneur de Saint-Jean de Losne qu'il défendit
+héroïquement contre les Impériaux en 1663.
+
+Saint-Point demeura propriété des Rochefort jusqu'au milieu du XVIIIe
+siècle; à cette époque il passa par mariage aux mains de Charles Testu
+de Balincourt qui, le 29 avril 1776, céda le marquisat et ses
+dépendances à Henry de Castellane, chevalier d'honneur de madame Sophie.
+Son fils en hérita en 1789; il s'occupa un moment de politique et ce fut
+lui qui à la journée du 13 vendémiaire fit battre le rappel pour marcher
+contre la Convention. Condamné à mort par contumace, il prit la fuite,
+mais revint l'année suivante se constituer prisonnier et fut acquitté. À
+moitié ruiné, il allait vendre Saint-Point en 1800 à des marchands de
+biens, lorsqu'à la requête d'un créancier on procéda à une adjudication
+publique et, le 10 février 1801, Pierre de Lamartine s'en rendit
+acquéreur au prix de 80 000 francs. L'opération fut très fructueuse pour
+lui car les bois de Saint-Point n'avaient pas été taillés depuis un
+siècle: avec une coupe il rentra dans ses débours. Quant au vignoble, il
+était peu important et abandonné depuis longtemps.
+
+À ce moment, le château tombait en ruines. Mme de Lamartine note
+dans son journal que c'est «un bon bien et un pays agréable»; «c'est
+fort dévasté, ajoute-t-elle, et rien ne peut y flatter l'amour-propre».
+
+Au début, les Lamartine n'y feront que de rares et courts séjours; plus
+tard, ils y passeront quelques semaines, en été ou au moment des
+vendanges, lorsque les réparations indispensables auront été effectuées
+peu à peu. Mais la mère s'y rendra souvent dans la journée avec ses
+enfants, en char à bancs ou à âne, au long des petits sentiers qui
+dévalent des coteaux et raccourcissent le chemin.
+
+ * * * * *
+
+Dans la solitude de Milly et le délabrement de Saint-Point, la jeune
+femme connut tout d'abord quelques heures de découragement et d'ennui.
+Très vite, pourtant, et comme toujours en luttant contre elle même, elle
+s'habitua à cette vie nouvelle. Ses devoirs de mère vont l'absorber
+entièrement et, la première hésitation passée, elle classera ses
+occupations, se dévouera entièrement à son ménage et à l'éducation de
+ses enfants.
+
+La vie à Milly était plus que simple, car les ressources, uniquement
+fondées sur les vignes, étaient modestes. En 1801, Mme de Lamartine
+qui assumait toutes les charges, encaissait les revenus et donnait 1600
+francs par an à son mari; en 1805, celui-ci reprit la direction du
+ménage: il alloua à sa femme 600 francs par mois, douze pièces de vin et
+les petites réserves de Milly et de Saint-Point. Avec cette somme elle
+assurait la vie quotidienne, payait l'entretien et l'éducation de ses
+filles tandis que le chevalier s'occupait de la pension de leur fils et
+des charges générales. Leur fortune, on le voit, était modeste et on
+peut l'évaluer à une quinzaine de mille francs de rente.
+
+Le matin, on se levait à l'aube, le père partait dans ses vignes, ou
+chassait; sa femme commandait leurs huit vignerons et domestiques,
+surveillait la maison, la lessive, la basse-cour, le potager, et
+trouvait encore quelques instants pour commencer la première éducation
+de ses enfants.
+
+ La journée, écrit-elle, n'est jamais assez longue pour ce que je
+ voudrais faire, et mes forces sont épuisées avant que mon goût pour
+ les occupations le soit. Je vais tous les jours à la messe de sept
+ heures avec mes enfants; nous déjeunons ensuite, puis quelques
+ soins de ménage, puis le travail en lisant tour à tour la Bible,
+ une leçon de grammaire et la lecture de l'histoire de France: tout
+ cela nous conduit jusqu'au dîner sans que personne ait trouvé le
+ temps long. Après le dîner, je donne récréation une heure. Nous
+ reprenons ensuite l'ouvrage avec une lecture agréable que je tâche
+ toujours de rendre instructive, jusqu'au goûter, après lequel on
+ apprend par coeur des vers, de l'histoire de France et de la
+ grammaire. Puis nous nous promenons jusqu'à la nuit et à la veillée
+ pendant que je joue aux échecs avec mon mari, les enfants s'amusent
+ et apprennent quelques vers des fables de Lafontaine. C'est
+ toujours le plan ordinaire de notre journée à quelques différences
+ près.
+
+Lorsque l'année avait été bonne, les Lamartine allaient passer l'hiver à
+Mâcon: au début, ce fut dans une maison louée; en 1805, le chevalier,
+sur les instances de sa femme, se décida à l'acheter et la paya 29 615
+francs à M. Barthelot d'Ozenay un de leurs amis. Elle portait le numéro
+15 de la rue de l'Église: c'est là qu'à partir de 1805 ils passeront
+tous les hivers. À côté de la poétique description qu'en a faite
+Lamartine, il faut rapprocher celle de Mme Delahante, plus véridique:
+«L'entrée, dit-elle, ressemblait fort à une cave et tout y était plus
+que simple et fort triste; nous avons fait bien des parties dans son
+jardin qui était affreux, mais dont les hautes murailles étaient
+tapissées de roses blanches».
+
+Quelques voisins agréables animaient un peu cette vie solitaire.
+C'étaient les de Rambuteau, très liés au XVIIIe siècle avec les
+Lamartine et dont deux membres signèrent à l'acte de baptême du poète;
+le futur préfet de la Seine, Claude-Philibert, tout en étant un peu plus
+âgé que lui puisqu'il était né en 1781, fut son ami de jeunesse. Il
+avait épousé Mlle de Narbonne, fille du comte Louis, ministre de la
+guerre à la fin du règne de Louis XVI, et devint plus tard très en
+faveur auprès de Napoléon. Leur grand luxe, leur fastueuse résidence de
+Champgrenon n'allaient pas parfois sans écraser un peu la pauvre Mme
+de Lamartine qui écrivait un jour: «Après dîner Mme de Rambuteau est
+venue avec ses enfants faire une visite; elle passe beaucoup de temps à
+Paris, elle a beaucoup de fortune et un grand train. Quand je vis son
+beau carrosse, ajoute-t-elle mélancoliquement, ses superbes chevaux
+auprès de mon modeste équipage, j'eus un petit moment de honte que je me
+reproche...»
+
+À Bussière et à Milly, il y avait l'abbé Dumont, grand ami du chevalier
+et qui chassait avec lui; les du Sordet; M. de Valmont, vieux
+gentilhomme courtois et lettré, et l'excellent M. de Vaudran: emprisonné
+à Lyon pendant la Terreur il avait été rendu à la liberté après
+Thermidor. Il s'établit alors à Bussière avec sa mère et ses soeurs et y
+demeura jusqu'à sa mort survenue en 1820. C'était, paraît-il, un érudit
+et brillant causeur qui charmait l'enfant par de belles histoires et lui
+donna ses premières leçons de dessin et d'écriture. Plus tard, il le
+patronna à l'Académie de Mâcon et s'intéressa à ses premiers essais
+poétiques, mais mourut sans connaître la gloire de son ancien élève
+qu'il aimait beaucoup. Il était le grand-oncle de Léon Bruys d'Ouilly,
+l'ami d'enfance à qui sont dédiés les _Recueillements_, romanesque et
+beau garçon qui succéda à lord Byron dans le coeur de la comtesse
+Guccioli, pour laquelle il se ruina complètement[91].
+
+[Note 91: Cf., sur la famille Bruys, _Ann. de l'Académie de Mâcon_,
+3e série, vol. IX: la Famille Bruys, par Paul Maritain.]
+
+ * * * * *
+
+Parfois on descendait en char à boeufs, raconte Mme de Lamartine, la
+petite route en lacets qui serpente à travers les vignes de Milly à
+Pierreclos. Là, à l'abri d'un antique donjon féodal qui commande une
+gorge étroite et fleurie, vivait le vieux comte Jean-Baptiste de
+Pierreclau, colosse d'un autre temps et qui, malgré la Révolution,
+régnait toujours par la terreur sur ses anciens vassaux. Conseiller du
+roi et trésorier de France à Lyon à la fin du XVIIIe siècle, il avait
+épousé Mlle de la Rochetaillée et menait un train de prince à Mâcon
+où il possédait deux magnifiques hôtels; la Terreur l'envoya en prison
+et dispersa sa famille.
+
+Le calme revenu, il rentra dans son château dévasté, en proie à une
+fureur indicible: tant bien que mal il reprit sa vie, mais au point où
+on l'avait interrompue malgré lui. Dans les _Confidences_, Lamartine
+nous a laissé un pittoresque tableau de son existence, où revit
+l'étrange physionomie de ce vieux royaliste irréductible et hautain.
+«Figure des romans de Walter Scott, dit-il, vieillard illettré et rude,
+sauvage, absolu sur sa famille, bon au fond, mais fier et dur de langage
+avec ses anciens vassaux qui avaient saccagé sa demeure pendant les
+premiers orages de la Révolution.»
+
+On jouait, paraît-il, à Pierreclos du matin au soir et c'était la seule
+manière de passer le temps; puis, le maître du château armé d'un
+porte-voix donnait les ordres à ses fermiers du haut de la terrasse
+escarpée qui dominait la vallée. Ses six enfants se mouraient d'ennui
+auprès de leur père. Un fils, après de romanesques aventures, s'était
+marié à la jeune fille d'un vieux chouan dangereux mégalomane qui eut
+son heure de célébrité, le baron Dézoteux-Cormatin, et habitait la
+splendide résidence seigneuriale des anciens marquis d'Huxelles. Plus
+tard, Lamartine se liera intimement avec ce chevalier de Pierreclau, âme
+sentimentale et chevaleresque qui avait hérité des sentiments
+monarchistes de son père[92].
+
+[Note 92: Jean-Baptiste Michon de Pierreclau, baron de Cenves, comte
+de Bertzé, seigneur de Pierreclos, né le 20 septembre 1737, marié à
+Saint-Étienne en Forez, le 27 avril 1767, à Marguerite Bernon de
+Rochetaillée; il eut pour enfants: 1º Jean-Gabriel, marié à
+Jeanne-Théodore Laborier; 2º Guillaume, marié à Nina Dézoteux; 3º
+Marguerite, mariée à M. Mongeis; 4º Jeanne, mariée au comte de
+Champmartin; 5º Antoinette, mariée au comte de Regnold de Sérezin; 6º
+Catherine, morte fille.
+
+Une fille de Jean-Gabriel et de Jeanne-Théodore Laborier fut la baronne
+de Montailleur-Ruffo, amie de Chateaubriand, et la fille unique de M. de
+Champmartin épousa Niepce, l'un des inventeurs de la daguerréotypie.]
+
+À Pierreclos, les Lamartine retrouvaient encore quelques débris de
+l'ancienne splendeur d'autrefois, car le vieux comte aimait la bonne
+chère et la musique. Demeuré très grand seigneur malgré sa fortune
+ébréchée, il recevait avec une urbanité un peu bourrue, et sans jamais
+tolérer qu'on parlât politique. Lorsqu'on touchait à ce sujet, il
+entrait dans des colères terribles et qui faisaient trembler les siens;
+mais il aimait à ressusciter la pompe et l'étiquette de sa jeunesse.
+Mme de Lamartine évoquait, en le voyant, le souvenir des grands
+seigneurs qu'elle avait connus au Palais-Royal.
+
+Les de Pierreclau étaient les voisins les plus habituels des Lamartine,
+et c'est avec eux souvent qu'on descendait jusqu'à Montceau et à Pérone,
+où vivaient, très retirés, François-Louis et sa soeur.
+
+Toute cette petite vie campagnarde, humble mais bien remplie, est
+relatée quotidiennement dans le _Journal intime_. Point de grands
+événements, surtout point de politique. Les bruits du monde ne leur
+parviennent que rarement, et très affaiblis. Le nom de Bonaparte--sous
+lequel l'Empereur sera désigné par Mme de Lamartine--est un objet
+d'exécration dans ce milieu. D'ailleurs, après les vicissitudes qu'ils
+viennent d'éprouver, les Lamartine sont heureux du calme qu'ils
+possèdent maintenant et ne regrettent point le passé. Leur seul but
+désormais sera de vivre en repos et d'élever leurs enfants simplement et
+chrétiennement, dans le respect des vieilles traditions que rien chez
+eux n'est parvenu à effacer.
+
+ * * * * *
+
+Ainsi, à résumer cette première enfance de Lamartine, qui s'étend de
+1790 à 1800, on voit qu'il eut quelque raison par la suite de s'écrier
+romantiquement: «Et l'on s'étonne que les hommes dont la vie date de ces
+jours sinistres aient apporté en naissant un goût de tristesse et une
+empreinte de mélancolie dans le génie français! Que l'on songe au lait
+aigri de larmes que je reçus moi-même de ma mère pendant que la famille
+entière était dans une captivité qui ne s'ouvrait que pour la mort!» Il
+n'y a pas que de l'emphase dans cette lyrique exclamation: les
+premières impressions de l'enfant ne furent que tristesses et craintes,
+et il sera longtemps sans connaître la douceur et l'habitude d'un foyer.
+Plus tard, vers huit ans, il n'aura pas d'autres camarades à Milly que
+les petits paysans du village, dont Mme de Lamartine redoutera un peu
+la société. Elle s'efforcera alors de le garder le plus possible près
+d'elle, et veillera sur lui avec une inquiète sollicitude. Son âme
+mélancolique influera peu à peu sur celle de l'enfant dont elle essayera
+encore d'atténuer le caractère vif et bruyant, d'après elle, et qui déjà
+commençait à la tourmenter pour l'avenir.
+
+
+
+
+TROISIÈME PARTIE
+
+LES ANNÉES D'ÉTUDE
+
+
+
+
+CHAPITRE I
+
+L'ABBÉ DUMONT[93]
+
+
+[Note 93: Sources et bibliographie de la troisième partie: _Journal
+intime_ (passim), _Archives de Saint-Point_.--Pour l'abbé Dumont:
+_Archives municipales de Bussières et de Pierreclos_, _Archives
+départementales de Saône-et-Loire_, et les notes inédites de M. Paul
+Maritain conservées aujourd'hui à l'Académie de Mâcon: nous en devons la
+communication à M. A. Duréault, secrétaire perpétuel de cette société,
+que nous remercions ici de son obligeance.
+
+Pour le collège de Belley: _le Séjour de Lamartine à Belley_, par M.
+Dejey (3e éd., complétée, 1901). _Histoire du collège-séminaire de
+Belley_, par l'abbé Rochet (Lyon, 1898, in-8).--Les Vies des Pères
+Varin, Debrosses et Jenesseaux, par le père Guidée (Paris, 1859-60).]
+
+Lorsqu'à l'automne de 1797 les Lamartine vinrent s'établir à Milly, on
+imagine qu'au milieu de leurs épreuves la première éducation de l'enfant
+avait été très négligée. Mais les écoles manquaient dans cette campagne
+perdue d'où l'on ne pouvait chaque matin le conduire à Mâcon. Mme de
+Lamartine, malgré le petit programme élaboré par elle, n'avait pas, à
+l'entendre, beaucoup de temps pour l'appliquer rigoureusement.
+D'ailleurs elle avoue elle-même qu'une fois passée l'ardeur des débuts
+elle finit vite par en ressentir quelque lassitude et une certaine
+appréhension. Son désir perpétuel de trouver ce qu'elle nomme «le juste
+milieu» lui faisait craindre à la fois de montrer trop de mansuétude ou
+trop de sévérité. Elle se décida alors à chercher autre chose;
+conservant pour sa part les lectures à haute voix elle confia son fils
+au curé de Bussière, petit village distant de quelques kilomètres, et
+dont dépendait Milly où le culte interrompu en 1792 n'avait pas été
+rétabli.
+
+ * * * * *
+
+L'abbé Dumont a laissé sur son élève une impression profonde et qui ne
+s'affaiblit jamais. Plus tard Lamartine créera autour de son ancien
+maître une atmosphère de légende et dans les _Nouvelles Confidences_,
+soulèvera un coin du voile: on sut alors que sa vie avait servi de thème
+original au poème de _Jocelyn_, mais comme les deux récits n'allaient
+pas sans se contredire fréquemment, il devenait difficile de démêler
+quelle était la part de l'imagination et celle de la réalité. Pourtant
+quelques documents nouveaux, s'ils ne percent pas complètement le
+mystère de son existence, l'éclairent tout au moins davantage et sur
+bien des points confirment le récit du poète.
+
+D'après Lamartine, l'abbé Dumont était né d'une famille plébéienne dans
+la maison même de l'ancien curé de Bussière, François-Antoine Destre. Au
+cours d'une visite au presbytère, l'évêque de Mâcon avait été frappé de
+la très belle figure et des aptitudes remarquables de l'enfant; il
+l'avait alors pris à l'évêché, en qualité de secrétaire. Survint la
+Révolution, qui le surprit au moment où il allait prononcer ses voeux;
+mais quelques pages plus loin Lamartine contredit cette affirmation et
+nous apprend qu'il fut jeté malgré lui dans le sacerdoce, la veille même
+du jour où ce sacerdoce allait être ruiné en France. On verra plus loin
+qu'aucune de ces deux versions n'est exacte. Au rétablissement du culte,
+Dumont fut nommé curé de Bussière et c'est à cette époque que Lamartine
+le connut.
+
+Le jeune prêtre n'avait pas la vocation; tous ses goûts étaient ceux
+d'un gentilhomme, toutes ses habitudes étaient celles d'un soldat. Beau
+de visage, grand de taille, fier d'attitude, grave et mélancolique de
+physionomie, il parlait à sa mère avec tendresse, au curé avec respect,
+à ses écoliers avec dédain et supériorité. Son unique passion était la
+chasse, et l'on voyait chez lui des sabres, des couteaux, des fouets,
+des bottes à l'écuyère, tout un attirail de veneur qui voisinait avec
+des objets de goût. On sentait au son mâle et ferme de sa voix et à cet
+ameublement que son caractère naturel se vengeait du contresens de son
+état.
+
+Il était instruit, et les nombreux volumes de sa bibliothèque
+attestaient sa culture. Mais les livres, comme les meubles, étaient très
+peu canoniques: c'étaient Raynal, Jean-Jacques, Voltaire, des romans du
+temps, les encyclopédistes, en même temps que des brochures et des
+journaux contre-révolutionnaires, car il était légitimiste. «Toute cette
+haine de la Révolution et toute cette philosophie dont la Révolution
+avait été la conséquence, dit Lamartine, se conciliaient très bien alors
+dans la plupart des hommes de cette époque; leur âme était un chaos,
+comme la société nouvelle. Ils ne s'y reconnaissaient plus.» Cette
+phrase fut sans doute l'excuse que trouva le poète à la déroutante
+psychologie du curé de Bussière; mais voici une plus grave révélation:
+«Il était aisé de voir que l'abbé Dumont était philosophe comme le
+siècle où il était né. Les mystères du christianisme qu'il accomplissait
+par honneur et par conformité avec son état ne lui semblaient guère
+qu'un rituel sans conséquences; cependant, bien que son esprit fût
+incrédule, son âme amollie par l'infortune était pieuse.»
+
+Tel était l'abbé Dumont selon Lamartine, athée et prêtre. Quant aux
+causes de cet incohérent état d'âme, elles sont expliquées plus loin par
+un ténébreux récit où le curé de Bussière apparaît comme échappé d'un
+roman d'amour, aigri par ses infortunes et relégué dans une misérable
+campagne loin du monde qu'il avait tant aimé.
+
+À vrai dire, on comprend que ce portrait soit accueilli avec quelques
+réserves. Comment admettre que les Lamartine aient confié leur fils à un
+prêtre mi-soudard, mi-voltairien et dont toute la région, au dire même
+du poète, connaissait les aventures? comment admettre que ses
+allures--car il était un des familiers de Milly--n'aient pas éveillé
+d'inquiets soupçons chez la pieuse Mme de Lamartine? Comment
+admettre, enfin, cet invraisemblable roman esquissé et poétisé d'abord
+dans _Jocelyn_, rétabli plus tard dans les _Confidences_ et leur suite?
+
+Et pourtant, il faut reconnaître que les pages consacrées à l'abbé
+Dumont sont exactes: il est hors de doute qu'à une époque difficile à
+préciser Lamartine reçut de son premier maître le dépôt d'un douloureux
+secret qui les lia l'un à l'autre d'une étroite amitié et révéla alors
+au jeune homme les véritables motifs de la détresse morale, des allures
+étranges et souvent inquiétantes de l'abbé Dumont.
+
+ * * * * *
+
+Antoine-François Dumont naquit à la cure de Bussière le 29 juin 1764 et
+déjà, à relever les différences d'état civil que l'on trouve dans deux
+ouvrages qui parlent de lui, on constate un premier mystère. L'un le
+fait naître à Charnay le 24 juillet 1756[94], l'autre en fait le neveu
+et filleul de François Antoine Destre, alors curé de Bussière et à qui
+il succéda[95]. Or, il serait aussi vain d'aller rechercher son acte de
+baptême à Charnay, que d'essayer d'établir sur quelles pièces on a pu
+prétendre que sa mère était la soeur de Destre. Lamartine, on l'a vu l'a
+fait naître à Bussière «dans la maison même de l'ancien curé» et il
+avait ses raisons pour parler ainsi. Car Antoine-François Dumont qui,
+suivant son acte de baptême, était fils de Philippe Dumont et de Marie
+Charnay, tous deux au service du curé Destre, était--et ce n'était
+alors, paraît-il, un mystère pour personne--fils de Destre et de sa
+servante. Celui-ci, d'ailleurs, fut le parrain de l'enfant et lui imposa
+même ses prénoms; par la suite, il le logea chez lui sa vie durant, et
+lui assura une éducation soignée très supérieure à son humble origine
+officielle. Deux lettres de Destre qu'on lira plus loin prouvent
+l'affection qu'il porta toujours au jeune homme: en mourant, il
+l'institua son légataire universel alors que le fils cadet et véritable
+de Philippe Dumont, né en 1768, fut élevé modestement par ses parents et
+devint huissier à Mâcon. Tout ceci, il est vrai, ne prouverait rien et
+pourrait s'expliquer aisément du fait que Destre s'attacha à l'enfant
+dont il était parrain; mais rapproché de la tradition locale qui
+subsiste encore et surtout des deux erreurs, qui d'ailleurs ne
+s'accordent pas entre elles et dont on ne peut autrement s'expliquer
+l'origine dans des ouvrages très soigneusement documentés, semble
+autoriser cette version, explicitement admise par Lamartine.
+
+[Note 94: Abbé Chaumont, _op. cit._]
+
+[Note 95: Mgr Rameau, _op. cit._]
+
+Nous n'avons rien de précis sur la jeunesse de François Dumont;
+toutefois un fait est certain: il n'était nullement entré dans les
+ordres avant la Révolution, comme l'a prétendu l'abbé Chaumont après
+Lamartine, et on chercherait inutilement trace de son serment à la
+constitution civile du clergé ou de son emprisonnement comme non
+assermenté; il fut libre pendant la Terreur et dans tous les actes le
+concernant de 1791 à 1795 il est simplement qualifié de négociant en
+vins à Bussière, se montrant partout et nullement inquiété.
+
+À partir de 1793, François Dumont régit avec un rare dévouement ce qui
+restait des biens de la famille de Pierreclau. Le vieux comte
+Jean-Baptiste avait été traîné en prison; avant de partir, eut-il le
+temps de confier secrètement une somme importante au jeune homme, avec
+des instructions précises pour rassembler les débris du patrimoine qui
+allait être vendu nationalement? cela paraît probable, car tous les
+achats de terres que fit alors en son nom propre François Dumont furent
+restitués plus tard par lui à leur ancien possesseur.
+
+Le 18 fructidor an II, il achète pour 13 100 livres les récoltes
+provenant des «émigrés, déportés, condamnés et détenus Michon, cy devant
+Pierreclau». Le 22 pluviôse, il est signalé dans un procès-verbal
+d'inventaire du château où il habitait depuis le pillage qui avait suivi
+la défense désespérée de Jean-Baptiste lors de son arrestation; on y
+trouve, dans sa chambre et caché soigneusement au fond de vieux
+tonneaux, tout ce qu'il a pu ramasser d'objets intacts. À la même date,
+les vignerons certifient que les vins de la dernière récolte consistant
+en 18 pièces ont été vendus «par le citoyen Antoine-François Dumont,
+marchand à Bussière, et payés par lui à la citoyenne Michon»; lui-même
+exhibe ses quittances et ses pouvoirs en règle.
+
+Dans le courant de 1793, il rachète ainsi en sous main la plupart des
+biens de Jean-Baptiste et les récoltes qui sont vendues sur pied. Le 12
+fructidor an IV il est acquéreur pour 3 650 livres de la maison «cy
+devant presbytérale» de Bussière, avec ses dépendances; le 19 pluviôse
+an V, de la vieille église de Pierreclos et dans les deux actes de vente
+il est qualifié de «négociant demeurant à Bussière». Bref, pendant toute
+la Terreur, il apparaît comme le véritable fondé de pouvoirs de
+Jean-Baptiste, et dépositaire de tout ce que celui-ci a pu sauver d'or
+avant son emprisonnement. C'est un homme d'affaires prudent et actif, et
+rien en lui ne fait prévoir une vocation religieuse.
+
+Lamartine, on l'a vu, a écrit qu'il avait été jeté «malgré lui» dans le
+sacerdoce, la veille même du jour où le sacerdoce allait être ruiné en
+France. Malgré lui, certes, mais après la Révolution. En réalité
+Antoine-François Dumont fut ordonné le 7 janvier 1798 et nommé aussitôt
+vicaire à Bussière, où le culte venait de recommencer sous la direction
+de l'ancien curé Destre qui, ayant prêté serment, n'avait pas été
+inquiété.
+
+Quel événement soudain avait modifié la vie du jeune homme? quelle
+volonté plus forte que la sienne était venue le contraindre de renoncer
+au monde? Ce n'est pas _de lui-même_ et dans un moment de détresse
+qu'il prit cette décision, comme l'a raconté aussi Lamartine, sans
+prendre garde qu'il se contredisait en l'espace de quelques pages. Mais
+le roman d'amour dont il a parlé est véridique, et s'il en a dénaturé
+quelques détails pour dépister les curiosités et respecter l'honneur
+d'une famille, il est du moins exact que François-Antoine Dumont expia
+par trente-cinq ans d'une vie à laquelle il ne se plia jamais
+complètement, la faute d'avoir séduit une jeune fille de la noblesse. La
+mère de celle-ci et Destre parvinrent à étouffer le scandale que le père
+ignora toujours, à la condition que François Dumont disparaîtrait du
+monde. Peu de temps après la jeune fille fut mariée à un vieillard, et
+l'enfant né des amours de Jocelyn et de Laurence fut élevé à la campagne
+où il mourut.
+
+Ici se place un problème qu'il semble assez délicat de résoudre:
+pourquoi Lamartine, sachant que la faute de l'abbé Dumont était
+antérieure à sa vie ecclésiastique, n'a-t-il pas déchargé sa mémoire de
+ce qui, à ses yeux, devenait alors un crime? La figure du pauvre vicaire
+n'en serait-elle pas sortie grandie par une telle expiation et n'eût-il
+pas, du même coup, donné l'explication la meilleure des allures de
+l'abbé Dumont?
+
+ * * * * *
+
+Celui-ci se résigna mal à ses nouvelles fonctions. Aigri, blessé, resté
+jeune et ardent, il fit en chaire de la propagande royaliste presque dès
+son entrée à la cure. Les autorités s'émurent et le 7 décembre 1798
+l'église de Bussière fut fermée à nouveau «pour cause du fanatisme
+anti-républicain du curé». Elle rouvrit en 1799 sur la demande,
+paraît-il, des paroissiens, mais cette fois Mgr Moreau devenu évêque
+d'Autun, dut recommander plus de pondération à son ancien élève, et
+interdit à Destre de se faire remplacer par lui. Le vieux Destre,
+pourtant, accablé par l'âge et les infirmités, céda bientôt la place à
+son vicaire; à partir du 20 septembre 1801 les registres paroissiaux
+portent la signature de l'abbé Dumont, bien que Destre n'ait été
+officiellement remplacé par lui qu'en 1803.
+
+De cette date jusqu'à sa mort, survenue en 1832, l'abbé Dumont fut curé
+de Bussière, et de Milly à partir de 1808, époque où les deux villages
+furent réunis sous la même autorité. Il habitait le petit presbytère où
+il était né et qui en 1793 avait abrité ses amours. Dès lors, on
+s'imagine aisément la vie du malheureux et tout ce qu'en a dit Lamartine
+s'éclaire d'une émouvante et douloureuse sincérité. Cette cure existe
+toujours: c'est une maison bourgeoise, bâtie au début du XVIIIe
+siècle par les soins de la famille de Pierreclau, et qu'il avait meublée
+sans l'habituelle simplicité des curés de campagne; à sa mort on vendit
+un grand lit Louis XVI, une belle console dorée, des chaises finement
+sculptées, un baromètre en bois doré et divers autres objets de valeur
+qui furent acquis à des prix dérisoires. Il léguait à Lamartine, qu'il
+nommait «son bienfaiteur et ami», sa bibliothèque, ses gravures--Louis
+XVI et Marie-Antoinette,--sa montre en or «et la petite pendule dont le
+prix a été acquitté par Mme de Lamartine mère». Près de sa tombe,
+qu'on voit encore au cimetière de Bussière, son ancien élève fit élever
+une pierre avec ces quelques mots:
+
+ À la mémoire de Dumont, curé de Bussière et de Milly pendant près
+ de quarante ans, né et mort pauvre comme son divin maître, Alphonse
+ de Lamartine, son ami, a consacré cette pierre près de l'église
+ pour perpétuer parmi le troupeau le souvenir du bon pasteur. 1832.
+
+Contradiction encore que cette épitaphe! car, même d'après Lamartine,
+l'abbé Dumont ne fut pas un bon pasteur. Le fardeau d'une mission
+imposée lui pesait lourdement, et ses révoltes intérieures étaient
+fréquentes. De son ancienne vie, il avait gardé la flamme et l'ardeur,
+et le poète a raconté ces longues courses avec ses chiens fidèles, dont
+la chasse était le prétexte, mais où il essayait de briser ses longues
+détresses par la fatigue. Royaliste intransigeant il le demeura
+toujours, et c'est peut-être l'origine de son amitié avec Pierre de
+Lamartine dont il était le compagnon le plus habituel. Dans son journal,
+pourtant, Mme de Lamartine en parle à peine, et comme d'un grand
+chasseur qui venait souvent s'asseoir à leur table et partager leur
+solitude. Mais on a vu que dans son testament l'abbé Dumont appelait
+Lamartine son ami; le poète lui rendit le même hommage sur sa tombe et
+le poème de _Jocelyn_ débute ainsi:
+
+ J'étais le seul ami qu'il eût sur cette terre.
+
+Et Lamartine disait vrai: il fut le seul ami de l'abbé Dumont, le seul
+qui connût jamais le douloureux secret de cette existence brisée.
+
+L'abbé Dumont était légitimiste et cela apparaît surtout dans ses
+registres paroissiaux; comme Bussière et Milly ne comptaient guère que
+600 habitants, il n'avait pas grand'chose à y transcrire. Aussi avait-il
+pris l'habitude d'y tenir une sorte de journal des événements auxquels
+il assistait et, machinalement, il les entremêlait de brèves réflexions
+personnelles où l'on trouve trace de sa haine violente contre Napoléon.
+En 1805 il écrivait:
+
+«Buonaparte est arrivé à Mâcon le dimanche 7 avril ayant avec lui
+Joséphine. Cette belle majesté est sortie de la préfecture le lendemain
+à cheval.» De même, on lit en 1811: «Marie-Louise est accouchée d'un
+fils le 20 mars. Buonaparte eût-il jamais cru, lorsqu'il étudiait à
+Brienne où notre bon roi Louis XVI payait sa pension, qu'il épouserait
+un jour une fille des Césars d'Autriche et qu'il serait assis sur le
+trône de France?» À partir de 1815, il prendra l'habitude chaque 21
+janvier de célébrer en chaire la mémoire du roi-martyr, et de lire à ses
+paroissiens assemblés le «testament du juste», de «l'auguste victime».
+Lamartine qui sur sa tombe rendit pourtant un hommage public à ses
+vertus chrétiennes, nous a dit d'autre part combien sa foi était
+chancelante et faite de revirements. Les livres qu'il lui légua n'ont
+aucun caractère religieux: «Rousseau, Diderot et Voltaire y voisinent
+avec Saint-Simon, les Lettres de la Palatine, Machiavel, l'Arioste et
+d'autres....».
+
+À l'évêché, on le jugeait mal et l'abbé Faraud, vicaire général de
+Mâcon, connaissait ses aventures en même temps que son caractère
+difficile. En 1797 on ne l'avait admis dans les ordres qu'avec une
+certaine hésitation et il était mal noté; les deux lettres qui suivent
+nous renseignent très suffisamment à cet égard: l'une émane de Destre et
+fut écrite le 2 juin 1801 à l'abbé Faraud pour le prier d'excuser auprès
+de l'évêque le peu d'application et l'humeur de son filleul:
+
+«...Vous m'avez offert vos services auprès de M. l'Évêque: je vous prie
+de lui dire que je supplie Sa Grandeur de me confier la conduite de
+l'abbé Dumont qui ira de temps à autre lui présenter nos regrets
+lorsqu'il sera visible. Je connais son caractère. En lui parlant avec
+douceur et sans tracasserie il exercera son ministère à ma satisfaction
+et à celle de beaucoup de fidèles qui l'ont regretté quand il a été
+obligé d'abandonner ses fonctions et qui me demandent depuis longtemps
+quand ils le verront et l'entendront à l'autel et au confessionnal[96].
+Pour que je puisse le déterminer, il faut que je puisse lui dire qu'il
+n'aura affaire qu'à M. l'Évêque et à moi. Je ne lui dirai de dire la
+messe que quand il se croira disposé. En attendant, j'espère que le
+Seigneur me donnera des forces. Il y a bientôt quarante ans que je sers
+cette paroisse, il me ferait bien de la peine d'y voir le service divin
+interrompu.
+
+«Monseigneur m'a permis et à l'abbé Dumont d'user des pouvoirs qu'il
+s'est réservés et il m'a recommandé d'en user largement. Sans doute il
+l'a aussi recommandé à l'abbé Dumont: nous tâcherons de remplir ses
+instructions...»
+
+[Note 96: On a vu que l'église avait été fermée en 1798, et que
+l'abbé Dumont reçut, lorsqu'elle rouvrit, l'interdiction d'y dire la
+messe régulièrement, comme il en avait pris l'habitude.]
+
+L'abbé Faraud, qui savait évidemment à quoi s'en tenir sur Dumont, fit
+parvenir à l'évêque la lettre de Destre qu'il accompagna de celle-ci:
+
+Ce mercredi matin 3 juin 1801.
+
+«Voici, Monseigneur, une lettre du curé de Bussière qui serait
+probablement insolente si elle n'était essentiellement bête.
+
+«Nous avons pensé, puisqu'il annonce que pour ce qui le concerne ainsi
+que M. Dumont il ne reconnaît que ce qui émane directement de vous,
+qu'il fallait que vous prissiez la peine de lui répondre, et j'ai
+l'honneur de vous envoyer la réponse que nous estimons devoir lui être
+faite. Si vous daignez l'approuver, auriez-vous la bonté de la signer et
+de me la renvoyer pour que je la fasse parvenir à son destinataire?
+
+«M. Dumont est une espèce de houzard qui dans les temps ordinaires
+aurait été paralysé. Attendu le besoin qu'on a d'ouvriers, il faut bien
+se résigner à l'employer, mais non à Bussière et dans les environs où
+sa conduite a été scandaleuse et ses jactances plus scandaleuses
+encore[97].»
+
+[Note 97: Ces deux lettres, qui sont conservées aux archives
+épiscopales d'Autun, ont été communiquées à l'Académie de Mâcon par M.
+le chanoine Muguet, curé de Sully. (Cf. procès-verbal de la séance du 10
+janvier 1907.)]
+
+Mais Monseigneur Moreau qui gardait sans doute quelque souvenir à son
+ancien protégé et connaissait les causes de son humeur, le conserva à
+Bussière où il demeura jusqu'à sa mort.
+
+ * * * * *
+
+Ces révoltes et ces crises de découragement étaient fréquentes chez
+l'abbé Dumont et, pour le ramener, on voit les moyens qu'il fallait
+employer: «lui parler avec douceur et sans tracasserie, ne lui faire
+dire la messe que quand il se croyait disposé». Ceci confirme tout ce
+que Lamartine a dit de sa nature hautaine et intraitable, et nous savons
+encore qu'il la garda toujours, puisqu'on en retrouve la trace dans ses
+registres où son écriture élégante et aristocratiquement saupoudrée de
+paillettes d'or contraste étrangement avec les grossières signatures de
+ses prédécesseurs.
+
+En 1803, il écrit: «Pie VII, souverain-pontife, est arrivé à Mâcon le
+lundi 22 avril.--_J'ai baisé sa mule_. Le clergé romain qui le suivait
+était mis salement.» Ce sont là toutes les réflexions que lui suggéra
+l'arrivée du pape accueillie en France avec tant d'allégresse par le
+clergé, qui y vit le triomphe définitif de la religion catholique.
+Lui-même a souligné les mots: «j'ai baisé sa mule», comme s'il s'en
+étonnait, et les manières de gentilhomme dont a parlé Lamartine se
+retrouvent dans la brève épithète qu'il applique à la suite du
+Saint-Père.
+
+Enfin, en octobre 1812, l'abbé Dumont, plus déconcertant que jamais, se
+fit affilier à la loge franc-maçonnique de Mâcon, la Parfaite Union, et
+le 17 décembre il fut reçu _maçon_[98]. À quelle nouvelle déroute morale
+était-il donc en proie, lui royaliste et prêtre, pour s'unir au parti du
+libéralisme et de la libre pensée? Lamartine n'a-t-il pas voulu l'en
+excuser lorsqu'il écrivait: «Son âme était un chaos comme la société
+nouvelle, lui-même ne s'y reconnaissait plus».
+
+[Note 98: Les procès-verbaux des deux séances ont été copiés par M.
+Maritain et figurent dans le dossier qu'il avait réuni sur Dumont.]
+
+À tout cela, il faut ajouter que l'abbé Dumont avait conservé des
+habitudes de dépense et de luxe qui cadraient mal avec ses humbles
+fonctions. Dans toutes les lettres que Lamartine lui adressa et qui
+figurent dans la _Correspondance_, on voit qu'il ne s'agit que d'argent:
+«J'espère aller à la fin de l'automne vous délivrer de vos huissiers...»
+«Permettez-moi de vous offrir une seconde petite offrande de cent écus
+pour vous remettre à votre courant...» Et ceci, plus significatif
+encore: «Ma mère m'a informé de vos embarras que je prévoyais bien tôt
+ou tard devoir vous accabler, mais il y a remède: vous auriez dû, au
+lieu d'attendre l'huissier, m'écrire: Je dois tant à tels et tels, à
+telle époque...» La lamentable correspondance se poursuivit jusqu'au
+dernier jour: «Je continuerai mon petit supplément, vos dettes seront
+payées peu à peu...» «Dites à tous vos créanciers à qui j'ai signé vos
+petits billets qu'à mon arrivée à Saint-Point ils pourront les apporter
+et seront payés[99]...»
+
+[Note 99: Cf. _Correspondance_, t. IV, p. 41, 69, 84, 134, 203,
+271.]
+
+Et ce n'était pas pour le bien de ses paroissiens que l'abbé Dumont se
+ruinait ainsi; il aimait le luxe et avait meublé sa petite maison, toute
+pleine de douloureux et charmants souvenirs du passé, comme un nid
+d'amoureux plutôt que comme une cure de campagne. On a déjà vu qu'à sa
+mort on vendit des objets de valeur, et voici une épître en vers
+adressée par M. de Montherot à Lamartine son beau-frère, et où l'on
+trouve un passage qui éclaire encore la situation obérée de l'abbé:
+
+ Ainsi, pour commencer, parlons de nos affaires,
+ Ou de celles, plutôt, du curé de Bussières:
+ Donc ce pauvre pasteur qu'un déficit chargeait
+ Verra, grâce à vos soins, s'éclaircir son budget.
+ Vous avez bien raison: pour une faible somme,
+ Il est doux d'assurer le repos d'un brave homme.
+ Qu'il le doive à nous deux ou plutôt à nous trois;
+ Votre mère fait mieux que vous et moi, je crois.
+ La douleur s'adoucit au miel de sa parole,
+ Nous donnons des écus, elle plaint et console;
+ À la reconnaissance elle a bien plus de droits.
+ J'ai ri de bien bon coeur, je l'avoue, à la liste
+ De tous les créanciers qu'il traînait à sa piste:
+ Entre autres y figure un marchand d'objets d'arts,
+ Trésors qui de l'abbé fascinaient les regards,
+ Des tableaux, des émaux....--Ah! que ma cheminée,
+ Pour quatre ou cinq cents francs, paraîtrait bien ornée!
+ Mais je ne les ai pas, ces quatre ou cinq cents francs!--
+ --Je vous ferai crédit, vous paîrez dans quatre ans.--
+ Et voilà, pauvre abbé, voilà comme on s'enfonce!
+ --Et voilà justement comme mon pauvre Alphonse,
+ Dit votre bonne mère, autrefois calculait:
+ Il avait à Paris cheval, cabriolet,
+ Lorsque 1 500 francs étaient, pour une année,
+ La somme à l'étourdi par son père donnée[100]!
+
+[Note 100: _Archives de Saint-Point_. La lettre est datée du 25 mars
+1828. _Suscription:_ «À monsieur de Lamartine, chargé des affaires de
+France, Florence, Toscane».]
+
+Mais, malgré l'inépuisable coeur de Lamartine, l'abbé Dumont s'endettait
+toujours. À sa mort, il laissait un passif de 4 252 francs qui ne fut
+pas entièrement liquidé par la vente publique de ses meubles, d'autant
+qu'il avait déjà pris soin de distraire l'argenterie de sa succession
+pour la remettre à son frère, huissier à Mâcon, en lui recommandant bien
+de répudier l'héritage.
+
+ * * * * *
+
+La vie de l'abbé Dumont que nous venons seulement d'esquisser ici,
+mériterait d'être étudiée plus complètement le jour où les archives
+épiscopales d'Autun seront classées et ouvertes au public. Comme l'a
+dit Lamartine, il fut le modèle secret de _Jocelyn_, et surtout joua un
+rôle très grand dans la jeunesse du poète.
+
+Nous savons qu'en 1798, lorsque le culte fut rétabli à Bussière, Destre
+et Dumont ouvrirent une petite école pour les enfants du pays. Lamartine
+y fréquenta trois ans--, sa mère l'a mentionné plus tard,--mais ces
+leçons furent insignifiantes.
+
+Par la suite il apprit à mieux connaître son ancien maître et la façon
+dont il en a parlé dans toute son oeuvre prouve que de 1810 à 1820,
+pendant les longues années qu'il passa à Milly et à Mâcon en proie à un
+accablant malaise moral, le curé de Bussière fut son confident habituel
+et connut tous les détails de cet état d'âme maladif que reflète la
+_Correspondance_. Sans doute le prêtre sans vocation reconnut-il un peu
+de lui-même dans cet adolescent inquiet, tour à tour dévoré par
+l'activité ou meurtri par la lassitude: toutes ses aspirations
+lointaines, tous ses rêves de jeunesse, ses élans, ses rêves brisés
+vécurent à nouveau devant ses yeux. De là cette intimité étroite, ces
+confidences de part et d'autre, transcrites par Lamartine avec tant de
+fidélité.
+
+Plus tard, en mémoire de ces heures communes, le poète adoucit le plus
+qu'il put l'existence pénible de l'abbé Dumont. Il le reçut à
+Saint-Point, l'invita à Paris, le fit participer à toutes ses joies, à
+toutes ses douleurs, et consacra enfin sa mémoire par un poème où revit,
+purifiée et grandie, la misérable vie du pauvre curé de Bussière. La
+réalité, pourtant, fut autrement tragique et émouvante.
+
+Peut-être Stendhal en eût-il tiré un merveilleux dénouement pour la vie
+de _Julien Sorel_. Mais les choses sont ainsi: deux oeuvres romantiques
+qui pourraient passer, l'une pour le type parfait du roman
+psychologique, l'autre pour celui du roman d'imagination, eurent
+pourtant un thème commun; bien mieux, celle du poète eut seule un modèle
+vivant.
+
+
+
+
+CHAPITRE II
+
+L'INSTITUTION PUPPIER
+
+(2 mars 1801-17 septembre 1803)
+
+
+L'abbé Dumont donna à Lamartine ses premières leçons de français et de
+latin; mais au début de 1801, soit que ses allures aient fini par
+inquiéter la famille, soit que l'enfant devenant, comme il l'a dit, de
+plus en plus impétueux et avide de liberté, les siens aient décidé de
+mettre fin à cette existence demi vagabonde et paysanne, on résolut à
+Milly de le mettre en pension.
+
+La mère, inquiète de s'en séparer, objecta ses dix ans, sa constitution
+délicate; il lui fallut pourtant s'incliner comme toujours devant les
+volontés de son beau-frère qui lui opposa, paraît-il, «le bien» de son
+fils.
+
+Il existe un petit portrait de Lamartine à dix ans[101]: c'est un bel
+enfant joufflu et solide, ébouriffé par ses courses dans la montagne, et
+qui respire la santé; il paraît évident que l'existence au grand air lui
+a pleinement réussi, et les craintes maternelles ne semblent pas très
+justifiées.
+
+[Note 101: Appartient à Mme Fournier, née de Belleroche,
+petite-nièce de Lamartine. Il a été reproduit par M. Lex dans son album
+_Lamartine, souvenirs et documents_ (Mâcon, 1890).]
+
+Il fallut alors s'occuper de lui trouver une pension. Les maisons
+d'éducation ne manquaient pas à Mâcon, et l'enfant n'y aurait guère été
+dépaysé; mais les Lamartine tenaient sans doute à modifier complètement
+le système adopté jusqu'ici par sa mère, puisqu'ils firent choix d'une
+institution à Lyon, et d'ordre tout à fait secondaire. Mme de
+Lamartine, triste d'abord de voir son fils si loin d'elle, se consola en
+pensant qu'il serait surveillé de près, car elle comptait à Lyon de
+nombreux parents et amis, entre autres Mme de Roquemont, sa cousine
+germaine, qui devint la correspondante du petit Alphonse et se chargea
+de faire régulièrement parvenir de ses nouvelles à Milly.
+
+On manque de renseignements précis sur la pension de la Caille, située
+dans un faubourg de Lyon, la Croix-Rousse, où fut interné l'enfant. Elle
+était tenue par deux vieilles filles, les demoiselles Puppier, aidées
+par leur frère, et semble n'avoir été qu'une très modeste institution où
+l'on prenait de jeunes enfants dont les parents habitaient la campagne.
+Dans son journal, Mme de Lamartine l'appelle «l'Enfance», constate
+qu'elle paye, pour son fils 420 francs par trimestre, mais n'en parle
+pas autrement. Pour Lamartine, il n'y a qu'à se reporter à ses
+Mémoires[102] pour voir le dégoût profond qu'il conserva toute sa vie de
+l'heure où il fut «lancé dans ces cours comme un condamné à mort dans
+l'éternité». Avec l'horreur de la contrainte qu'on lui connaît, on peut
+croire à la sincérité des sentiments qu'il a exprimés cinquante ans plus
+tard en rappelant cet odieux souvenir.
+
+[Note 102: _Mémoires inédits_ (p. 58-76).]
+
+On sait par sa mère qu'il entra à l'institution Puppier le 2 mars 1801,
+mais les nouvelles qu'elle recevra de lui ne commencent à être
+enregistrées par elle qu'en juillet, époque où s'ouvre le _Journal
+Intime_. Pourtant, une lettre de M. Dareste à sa cousine datée du 30
+mars, supplée à cette lacune et constitue un excellent bulletin de
+début.
+
+«Nous allâmes avant-hier dimanche avec M. de Roquemont rendre une petite
+visite dans sa pension à M. Alphonse. Nous le trouvâmes très gai et bien
+en train de s'amuser; il nous a paru content et l'on est aussi content
+de lui; nous assistâmes à leur dîner. Ils paraissent très bien dans
+cette pension et les demoiselles Puppier nous ont promis de nous le
+confier quelquefois cet été: nous irons le chercher, mais ce ne sera que
+les jours de congé[103].»
+
+[Note 103: _Archives de Saint-Point_. Suscription: «À madame Depra
+de Lamartine à Mâcon, Saône-et-Loire». (_Lettre inédite_.)]
+
+Les nouvelles qui suivent sont satisfaisantes: en juillet c'est un «bon
+et aimable enfant», et Mlle de Lamartine, au retour d'un petit séjour
+à Lyon, «rapporte tout plein de bien d'Alphonse». Il est gai, appliqué
+et apprend facilement, écrivent les maîtres de leur côté; mais tout cela
+ne concorde guère, trouve-t-elle, avec ses lettres qui sont tristes et
+navrantes. Le père alors, profite d'un voyage d'affaires pour s'arrêter
+à Lyon vers la mi-juillet: il le trouve «pâle et maigre», étiolé par
+l'air de la ville. Pourtant, on est toujours très content de lui, à la
+pension: «Il fait tout ce qu'il peut et peut tout ce qu'il veut, ont dit
+ses maîtres à mon mari», constate la mère avec quelque fierté. Mais elle
+s'inquiète encore de sa santé et le laisse sans doute trop entendre, car
+les lettres de son fils se font de plus en plus désespérées. Il supplie
+qu'on le rappelle à Milly, et, prétend-il sombrement, il a «grand besoin
+de venir».
+
+«Je tremble, écrit Mme de Lamartine le 17 septembre, de le voir
+arriver pâle et maigre et en mauvaise santé.» Devant ses instances, son
+beau-frère consentit à avancer la date des vacances et, à la fin du
+mois, elle put elle-même aller le guetter sur la route de Lyon.
+
+Toutes ses craintes tombèrent en le voyant et elle devina vite la petite
+ruse dont il s'était servi pour l'apitoyer, puisqu'elle écrit le 19:
+
+«La diligence est arrivée hier beaucoup plus tard que d'ordinaire, et le
+coeur me battait en pensant que dans quelques heures je reverrais mon
+cher enfant; il faisait presque nuit. Enfin elle arriva, avec mon
+Alphonse que je trouvai en très bonne santé, grandi, engraissé et fort
+bien; il me paraît qu'il n'a rien perdu pour la piété: c'était là toute
+ma crainte, et je vais faire tout ce qui dépendra de moi pendant son
+séjour ici pour fortifier ce sentiment dans son coeur.»
+
+L'enfant, d'ailleurs, retrouva toute sa gaieté à Milly où il demeura
+jusqu'à la mi octobre. La famille s'amusait, après six mois d'absence,
+de le trouver changé et réfléchi. «À dîner, note un jour Mme de
+Lamartine, nous parlâmes beaucoup de lui, trop peut-être; nous lûmes un
+extrait de sa façon et une petite composition que son père lui avait
+donnés à faire; l'on fut très content et mon orgueil bien flatté.» «Je
+suis bien heureuse de son intelligence, ajoute-t-elle encore; j'ai à lui
+reprocher pourtant de manquer de douceur, vis-à-vis de ses soeurs
+surtout, et je craindrais qu'il n'eût le caractère un peu dur s'il ne se
+corrige pas.»
+
+Aussi s'efforcera-t-elle de ne pas lui laisser reprendre les habitudes
+d'autrefois, en le retenant le plus possible près d'elle par des
+lectures et des causeries; comme il est plus grand, elle abordera même
+des ouvrages sérieux, _Télémaque_, quelques passages de Bossuet et les
+traités d'éducation de Mme de Genlis. Le 15 octobre, elle le ramena
+enfin à Lyon, où elle demeura près d'une semaine, en allant chaque jour
+l'embrasser pour qu'il ne passât pas trop brusquement de la vie de
+famille à l'internat.
+
+La seconde année scolaire (novembre 1801-septembre 1802) fut encore
+excellente; le 25 février 1802, il assista à la grande revue donnée en
+l'honneur du Premier Consul et cette récompense était méritée,
+paraît-il, par 18 exemptions. À la fin de septembre, il écrivit
+triomphalement à Milly pour annoncer qu'il avait remporté deux prix de
+latin et de français; M. Puppier confirmait, mais ajoutait qu'il en
+aurait eu un troisième «sans une vivacité qui lui a fait déchirer sa
+copie de thème parce qu'on le pressait un peu pour la donner».
+
+De fait, il était très énervé et soupirait après Milly dans toutes ses
+lettres. Il y arriva le 15 septembre et l'on partit bientôt pour
+Saint-Point, d'où Mme de Lamartine écrivait le 2 octobre: «Je suis
+ici depuis hier avec Alphonse, Cécile et Eugénie, et ce voyage leur a
+fait un extrême plaisir. Alphonse est venu à cheval sur son âne, il
+était comblé de joie.»
+
+Les vacances s'écoulèrent paisiblement en compagnie de l'abbé Dumont
+qui, venu pour passer quelques jours au moment de la chasse, fut
+émerveillé des progrès de son ancien écolier. Mais après deux mois de
+liberté où l'amour de l'indépendance s'affirmait sans cesse chez
+l'enfant, à la grande inquiétude de la mère, le retour à Lyon fut
+déchirant. Une dernière fois, il implora qu'on le gardât et, devant le
+refus du père et de l'oncle, il partit «sombre et renfermé», ce qui
+acheva de désespérer la pauvre femme.
+
+ * * * * *
+
+Ses pressentiments étaient justes. La pension Puppier devint, cette fois
+pour tout de bon, insupportable à un enfant dont l'imagination
+commençait à s'éveiller et qui jusqu'ici avait montré une nature assez
+décidée. Le 9 décembre 1802, deux mois à peine après avoir quitté Milly,
+il s'enfuit avec deux camarades, les petits de Veydel; on les rattrapa
+quatre heures après sur la route de Mâcon. Les détails de cette évasion
+sont plaisamment rapportés par Lamartine, mais rappellent curieusement
+un épisode des _Confessions_ de Jean-Jacques.
+
+Faut-il croire à ce pugilat entre un professeur et l'élève Siraudin?
+faut-il croire à cette arrivée des domestiques et des cuisiniers, armés
+de broches et de pelles, et qui mirent ainsi fin au combat en
+contraignant Siraudin à la retraite? De même, le massacre d'une oie
+vivante où tous les élèves furent conviés à tour de rôle acheva-t-il de
+décider à la fuite l'enfant «encore frémissant d'horreur» de la bataille
+qui venait de se livrer en classe? Pauvres excuses en vérité, et
+n'eût-il pas mieux valu avouer qu'il était simplement avide de grand air
+et de liberté? Sa mère, d'ailleurs, a noté l'escapade--qu'elle excuse
+presque--en des termes qui laissent entendre que la conduite de son fils
+laissait depuis longtemps à désirer, et qu'il n'eut pas besoin de tant
+d'incidents pour motiver sa décision; on lit en effet le 15 décembre:
+
+«Le 11, nous reçûmes des lettres de Lyon ou on nous apprenait
+qu'Alphonse s'était en allé de sa pension avec MM. de Veydel qu'il a
+engagés dans sa fuite; on les a rattrappés à Fontaines. Cette faute nous
+a fait la plus grande peine parce qu'elle a été précédée et suivie de
+plusieurs autres et soutenue avec beaucoup d'orgueil, ce qui m'afflige
+très fort. J'attends avec impatience de ses nouvelles, j'ai un grand
+désir de le savoir relevé de cette chute; son caractère d'indépendance
+m'effraye, et je crains beaucoup de l'avoir gâté.»
+
+Trois jours après, l'enfant écrivit spontanément une lettre de regret,
+c'est du moins la version du _Journal intime_; dans le _Manuscrit de ma
+mère_, on lit au contraire: «On a eu de la peine à lui faire écrire une
+lettre d'excuse et de repentir à son père». «Ainsi, tout est réparé»,
+ajoute Mme de Lamartine avec soulagement en transcrivant cette
+nouvelle. Pourtant, il continuait à implorer son père de le laisser
+revenir, arguant que depuis sa fuite il était mal vu de tous. On
+convint, pour ne pas sembler lui donner raison, de laisser s'achever
+l'année scolaire et, si les choses n'étaient pas alors oubliées, de le
+changer d'établissement.
+
+Mais, jusqu'à la fin de l'année, l'enfant continuera d'envoyer des
+lettres désespérées et suppliantes dont Mme de Lamartine a transcrit
+les passages les plus inquiétants pour elle; visiblement, il essayait
+d'apitoyer sa mère qu'il savait faible sur le point de sa santé. À l'en
+croire, il était incapable de travailler, toussait et se sentait sans
+forces, ce qui ne l'empêcha pas de remporter en fin de classes un grand
+prix de français, un prix de latin, un prix d'histoire et un accessit de
+dessin. Peut-être les Puppier avaient-ils été un peu indulgents dans
+l'espoir de le réconcilier avec la pension, mais rien n'y fit. Dès son
+retour à Milly, l'enfant, dont la sensibilité était déjà très délicate,
+raisonna avec beaucoup de bon sens, objecta à son père que depuis son
+escapade il était demeuré gêné vis-à-vis de ses maîtres et de ses
+camarades et, mettant comme toujours sa mère avec lui, obtint presque
+aussitôt la promesse qu'il ne retournerait plus à Lyon.
+
+Mme de Lamartine, qui n'aimait guère les Puppier, s'était déjà mise
+depuis six mois en campagne pour les remplacer; en février, alors
+qu'elle était à Rieux chez sa mère, elle lui avait demandé conseil et
+Mme Des Roys, qui datait d'une époque où les enfants comptaient fort
+peu, avait indiqué un collège de Jésuites à Radstadt. Sa fille, comme on
+peut le penser, ne voulut pas en entendre parler. Plus tard, il fut un
+instant question de Roanne et en mai elle se rendit tout exprès à Beaune
+pour se renseigner elle-même sur un lycée dont on lui avait parlé,
+«mais, dit-elle, il ne me plut pas infiniment». Elle crut avoir trouvé
+en apprenant qu'un bon collège allait s'ouvrir à Cluny: «J'espère que
+nous y mettrons Alphonse, écrira-t-elle aussitôt, cela me fera grand
+plaisir». On devine pourquoi: Cluny étant à quelques kilomètres de
+Milly, elle aurait ainsi son fils tout près d'elle. C'est ce que l'oncle
+voulait éviter.
+
+Au début de septembre enfin, des amis qu'elle avait mis au courant de
+ses recherches lui parlèrent du collège de Belley en Dauphiné et qui
+venait d'ouvrir ses portes. Malgré l'éloignement, elle fut aussitôt
+séduite par cette idée et elle a noté le 6 septembre dans son journal:
+
+«J'espère que mon mari consentira à mettre Alphonse à Belley où je
+désire fort qu'il soit parce que le collège est tenu par les Pères de la
+Foi, institution à l'instar de celle des Jésuites, et où les principes
+sont excellents. Dieu me fasse la grâce que mon enfant soit
+chrétiennement élevé, je sacrifierai à cela toutes les sciences de ce
+monde; mais dans ce collège on réunit tout, excepté peut-être la
+perfection des arts d'agrément.»
+
+Ses renseignements pris, elle fit part de sa découverte à la famille et,
+le 18 septembre, obtenait son consentement. Le jour même le chevalier
+écrivit à Belley, un peu malgré son fils tout à l'espoir qu'on le
+garderait à Milly; l'idée d'être emprisonné à nouveau, et plus loin
+encore que Lyon, le chagrinait beaucoup et tout au plus se résignait-il
+à Cluny. La mère ébranlée commençait à hésiter; mais il était trop tard:
+François-Louis ne voulait pas de Cluny, et une réponse affirmative de
+Belley parvint à Milly le 25.
+
+Mme de Lamartine se décida alors à accompagner son fils. «Mon mari,
+dit-elle, ne se soucie pas de voyager et je serai bien aise de voir le
+lieu où mon enfant sera; il me semble que je sens moins vivement notre
+séparation lorsque je le conduis moi-même.» Ils se mirent en route le 24
+octobre pour arriver à Belley le 26 à deux heures de l'après-midi.
+
+Elle note le lendemain: «Mon voyage a été heureux et pas trop pénible;
+je n'ai pas pu écrire en route à cause d'Alphonse avec qui je causai et
+me promenai. Je viens de remettre ce cher enfant entre les mains des
+Pères de la Foi qui ont l'air de bien dignes gens. La maison est
+superbe, le pays est beau aussi; le chemin pour y arriver est fort
+extraordinaire: depuis Ambérieu l'on suit une gorge de montagne qui est
+vraiment curieuse. Ce matin j'ai été à la pension et j'ai été fort aise
+de voir Alphonse. Il m'a dit qu'il était content.»
+
+Après un bref séjour de quarante-huit heures, Mme de Lamartine reprit
+le chemin de Milly. La séparation n'avait pas été trop pénible, grâce à
+elle: «En passant une dernière fois devant la pension, dira-t-elle, j'ai
+vu les écoliers qui jouaient dans la cour. Je n'ai fait aucun signe à
+Alphonse qui ne s'est pas approché, heureusement.»
+
+
+
+
+CHAPITRE III
+
+LE COLLÈGE DE BELLEY
+
+
+Le collège de Belley où l'enfant fera les seules études régulières qu'on
+lui connaisse, et pendant quatre années seulement, avait été fondé au
+milieu du XVIIIe siècle par lettres patentes du 10 février 1753
+enregistrées en parlement de Dijon. Ses constructions furent achevées en
+1764 et l'évêque de Belley confia l'organisation des études à la
+congrégation des chanoines réguliers de Saint-Antoine.
+
+En 1790, ceux-ci furent remplacés par les Joséphistes et, jusqu'en 1792,
+l'établissement fut très florissant. À cette date, la plupart des pères
+refusèrent le serment à la constitution civile du clergé et le collège
+disparut. Il rouvrit en 1802 sous la direction des Pères de la Foi, qui
+rétablirent entièrement les locaux ruinés par la Révolution et ouvrirent
+leurs classes à la fin de janvier 1803. Comme le collège fut à nouveau
+fermé, et cette fois définitivement, au début de 1809, on voit que le
+séjour de Lamartine à Belley coïncide à peu de chose près avec son
+éphémère existence sous la direction des pères de la Foi.
+
+Dans son journal Mme de Lamartine nomme Belley, «un établissement à
+l'instar de ceux des Jésuites»; Lamartine, et après lui la plupart de
+ses biographes, ont simplifié en parlant seulement de Jésuites. C'est la
+mère qui a raison, puisqu'on sait que la Compagnie de Jésus ne fut
+rétablie qu'en 1814. Toutefois, si les Pères n'étaient pas
+officiellement des Jésuites, on les désignait en réalité sous ce nom,
+car leurs doctrines et leurs principes d'éducation étaient identiques à
+ceux de l'Ordre; la société des Pères de la Foi, fondée en 1799 en
+Autriche, était en effet le résultat d'une fusion entre deux filiales
+des Jésuites: celle du Sacré-Coeur de Jésus créée en 1778 et celle de la
+Foi de Jésus qui datait de 1797.
+
+La congrégation des Pères de la Foi profitant de l'apaisement qui
+commençait à renaître en France vint fonder en 1802 plusieurs maisons
+d'éducation entièrement conçues d'après les plans des anciens Jésuites,
+au nombre desquelles figurait le collège de Belley. Très protégé au
+début par le cardinal Fesch, oncle de Napoléon, ce ne fut pourtant qu'au
+prix de mille difficultés qu'il put prolonger son existence jusqu'au
+début de 1809, tant l'hostilité était alors générale contre
+l'enseignement des Jésuites et, finalement, Fouché obtint de l'Empereur
+un décret de dissolution.
+
+Au moment où Lamartine entrait à Belley, l'établissement était loin
+d'être à son apogée; il connut sa plus belle année en 1806, mais dès
+1803 une centaines d'élèves y fréquentaient, Italiens pour la plupart ou
+Français de Savoie et de Dauphiné.
+
+Lamartine a, paraît-il, laissé une description fidèle du collège et du
+décor magnifique de Belley[104] dont on verra plus loin l'indéniable
+suggestion sur sa pensée. Quant à ses maîtres, nous en sommes uniquement
+réduits à ses souvenirs pour connaître leurs noms et leurs fonctions.
+
+[Note 104: Dejey, _op. cit._]
+
+C'était d'abord le père Debrosses[105], supérieur, «qui n'était pas
+homme de premier mérite mais de première vertu»; le père
+Jenesseaux[106], économe de la maison, «vêtu moitié en religieux, moitié
+en mondain» et toujours en route «sur un cheval qui le portait dans tous
+les pays»; le père Varlet[107], qui cumulait, paraît-il, les fonctions
+de confesseur et de professeur de rhétorique, «savant homme de la nature
+des anciens moines»; le père Demouchel[108]; le père Wrindts[109],
+professeur de sciences, «enfant amoureux de Mirabeau, qui se
+nourrissait d'illusions tendres et féminines», mais dont Lamartine n'a
+pas dit ce qu'il enseignait.
+
+[Note 105: Robert Debrosses, né à Chatel (Ardennes) le 26 mars 1765,
+prêtre en 1798, mort à Laval en 1848.]
+
+[Note 106: Nicolas Jenesseaux (et non Génisseaux, comme l'a écrit
+Lamartine), né à Reims le 9 avril 1769, prêtre en 1795, mort à Paris en
+1842.]
+
+[Note 107: Jean-Pierre Varlet, né à Reims le 11 mars 1771, prêtre en
+1796, mort à Poitiers en 1854.]
+
+[Note 108: Étienne Demouchel, né à Montfort-l'Amaury le 10 juillet
+1772, prêtre en 1802, mort à Rome en 1840.]
+
+[Note 109: Jean-Pierre Wrindts, né à Anvers le 6 février 1781,
+prêtre en 1801, mort à Poitiers en 1852.]
+
+C'est surtout le père Béquet[110] qui fut le véritable professeur de
+Lamartine, puisque le jeune homme suivit ses cours de belles-lettres de
+1803 à la fin de 1807. Ici encore même absence de détails chez
+Lamartine: un portrait vague et un peu fade dont on ne peut tirer rien
+de bien précis: «Prêtre de bonne compagnie et d'estimable caractère,...
+regard fin et doux, parler gracieux;... ses corrections étaient celles
+d'une mère...»: Mais aucun de ces traits vivants et que l'on devine
+exacts par lesquels il peignait en peu de mots ceux qui jouèrent un rôle
+dans sa jeunesse, comme l'oncle de Montceau ou le bon M. de Valmont.
+C'est que la véritable influence de Belley ne fut pas celle de
+l'éducation qu'il y reçut: les Pères de la Foi ne vivaient pas dans sa
+mémoire comme personnalités, et leur souvenir se confondait en lui avec
+celui des heures d'extase religieuse et de quiétude qu'il connut au
+collège.
+
+[Note 110: Pierre Béquet, né à Paris le 9 janvier 1771, prêtre en
+1799, mort à Toulouse en 1849.]
+
+Lamartine entra à Belley le 27 octobre 1803 et en sortit définitivement,
+le 17 janvier 1808. Comme il soutint sa thèse de philosophie en
+septembre 1807, on peut en déduire qu'il débuta par la troisième
+(novembre 1803-septembre 1804), fit sa seconde de 1804 à 1805, et sa
+rhétorique de 1805 à 1806. Quant au premier trimestre de l'année
+scolaire 1807-1808, on ne sait trop ce qu'il devait y travailler:
+peut-être quelques études préparatoires de droit et de mathématiques.
+
+Il est difficile, dans les souvenirs de Lamartine sur Belley, de faire
+la part de l'imagination et celle de la réalité. Là, plus peut-être que
+partout ailleurs, on sent l'idéalisation constante des hommes, des lieux
+et des choses. Aucun détail sur ses classes, mais de curieuses
+généralisations sur son état d'âme et, pourrait-on dire, sur
+l'atmosphère de Belley; précieux document psychologique dont nous
+essayerons plus loin de fixer la valeur et la portée. Aussi les seules
+précisions que nous puissions rencontrer sur les études de Belley,
+puisque la _Correspondance_ ne commence qu'en 1806 et ne comprend
+d'ailleurs que quelques lettres de vacances, sont empruntées au _Journal
+intime_ où Mme de Lamartine a transcrit soigneusement les nouvelles
+et les bulletins.
+
+ * * * * *
+
+Les premiers temps furent pénibles et la mère n'enregistre guère que des
+doléances dont elle s'émeut. Visiblement l'enfant était dépaysé et cela
+tendrait peut-être à confirmer ce qu'il a raconté: les pères, paraît-il,
+«l'essayèrent» de classe en classe pour connaître sa véritable force;
+mais il était difficile de le mesurer au juste, «la raison était
+précoce, l'attention inégale». Finalement on le fixa en troisième,
+«cette classe indécise où l'on peut être encore un enfant dans l'étude
+des langues et un homme de goût dans la rhétorique».
+
+Il ne semble, d'ailleurs, pas qu'il ait fait grand chose de bon cette
+année-là. Au début de mai, il entra à l'infirmerie avec une forte
+fièvre, puis ce furent des maux de tête qui d'après les pères arrêtèrent
+ses études et les inquiétèrent même un moment. À la fin d'août, la
+pauvre mère n'y tint plus et partit pour Belley chercher son fils. «J'ai
+revu mon Alphonse, écrit-elle; il était dans la cour du collège quand je
+suis arrivé; il a été fort saisi en me voyant et est demeuré si pâle que
+cela m'a bien inquiétée.» Sa santé était toujours mauvaise; une
+croissance trop rapide l'avait beaucoup affaibli et ses douleurs de tête
+étaient encore violentes.
+
+La veille du départ, elle assista à la distribution des prix, le coeur un
+peu gros, car son fils n'eut que deux accessits; elle se consola pendant
+la petite comédie qui termina la cérémonie, où il joua le rôle d'un
+avocat, dont il se tira «fort bien». Puis elle causa avec ses
+professeurs, et le résultat de cette conversation fut «tout à fait
+satisfaisant»; on reprochait à l'enfant un peu de légèreté, mais tous
+l'aimaient, et l'on était «assez content» de ses études.
+
+Le 6 septembre, tous deux quittèrent Belley après un dîner très gai à
+l'auberge en compagnie de deux amis que Mme de Lamartine ne nomme
+point, mais qui doivent être Virieu et Guichard[111]. Le 18, ils
+étaient à Saint-Point où les vacances s'écoulèrent paisiblement avec
+l'abbé Dumont et M. de Vaudran, venus s'y établir pour la chasse.
+L'oncle gronda bien un peu devant les flâneries et l'indolence du neveu,
+mais la mère objecta que les vacances seraient courtes et qu'il lui
+fallait ménager sa santé. Le 7 octobre, il quitta Mâcon avec son
+camarade Corcelette et le 10 se retrouvait à Belley.
+
+[Note 111: Aymon de Virieu, Prosper Guichard de Bienassis et Louis
+de Vignet seront l'objet d'un chapitre spécial dans notre second volume
+sur la jeunesse de Lamartine qui comprendra les années 1813-1820.]
+
+Deux jours après parvenait à Milly le premier bulletin que Mme de
+Lamartine a résumé ainsi: «Il en résulte que la nature, ou plutôt la
+Providence, a tout fait pour lui, mais qu'il ne répond pas comme il
+devrait à tous ses bienfaits: il est dissipé, paresseux; mais je ne veux
+pas transcrire ici ce bulletin. Je le garde pour qu'il le voie quand il
+sera grand.»
+
+L'année de seconde ne fut guère meilleure, car ses études se
+ressentirent souvent d'une maladie nerveuse dont les pères ne savaient
+que penser; au début d'août ils conseillèrent même à sa famille de le
+rappeler avant les vacances, qu'il passa d'ailleurs presque entièrement
+au lit. Le 6 novembre, enfin, un peu remonté, il regagna le collège.
+
+Les premières nouvelles de 1806--l'année de rhétorique--ne furent pas
+plus fameuses: en février, le père Béquet écrivit qu'il était «fort peu
+sage et appliqué depuis les vacances» et qu'elles lui avaient fait
+beaucoup de tort. Le second trimestre fut meilleur: l'on est plus
+content de lui, note Mme de Lamartine; il a paru avec succès aux
+exercices de Pâques et il a eu un témoignage de diligence et un accessit
+de distinction; et, continuant de mériter les éloges qu'on lui
+décernait, il arriva à Mâcon le 17 septembre, chargé de prix:
+amplification française, amplification latine, vers latins, second prix
+de version latine, et celui dont la mère est peut-être la plus heureuse,
+le prix de sagesse «d'après le jugement de ses maîtres et l'approbation
+de ses condisciples[112]». Sa santé aussi était excellente: «Il est plus
+grand que moi de deux pouces, écrit la mère, quoiqu'un peu maigre, mais
+pas du tout à inquiéter, il est fort, le teint est bon et il a fait de
+grands progrès dans la vertu. C'est d'ailleurs un enfant charmant,
+conclut-elle ingénument transportée; il est malgré cela fort modeste et
+ce qui me fait le plus de plaisir c'est qu'il paraît avoir beaucoup de
+piété.»
+
+[Note 112: Cf. également abbé Rochet (_op. cit._, p. 208-209), où
+l'on trouve le détail du palmarès.]
+
+Les vacances s'écoulèrent à Milly, et à Pérone chez la tante du Villard,
+à Montceau chez l'oncle terrible. Le 4 novembre il abandonna ses douces
+rêveries et arriva à Belley le 7, après s'être arrêté vingt-quatre
+heures à Lyon chez sa tante de Roquemont[113].
+
+[Note 113: C'est au cours du mois d'octobre 1806 qu'il faut placer
+l'épisode de Lucy L. sur lequel Lamartine s'est longuement étendu dans
+les _Confidences_. La vérité semble extrêmement plus simple que son
+romanesque récit; elle a été très heureusement rétablie par M. De Riaz,
+membre de l'Académie de Mâcon, dont le travail vient d'être publié dans
+le dernier volume des Annales de cette société. M. De Riaz, au prix
+d'une incroyable patience et de minutieuses investigations, est parvenu,
+en s'aidant des rares précisions du texte de Lamartine, à établir que le
+manoir décrit par le poète n'était autre que le château de Byonne, situé
+à deux kilomètres de Milly. Or, de 1800 à 1820, une seule jeune fille y
+habita, dont ni le prénom ni le nom ne se rapprochent de ceux donnés par
+Lamartine, puisqu'elle s'appelait Élisa de Villeneuve d'Ansouis; bien
+mieux, c'était une enfant qui mourut en 1807 à l'âge de treize ans;
+comme l'unique séjour qu'elle fit à Byonne se place pendant l'automne de
+1806, M. de Riaz en a conclu avec vraisemblance qu'elle fut la première
+héroïne de Lamartine.
+
+On voit par là avec quelle précaution il faut utiliser les souvenirs de
+Lamartine, et ce qu'il faut penser en particulier des trente pages qu'il
+a consacrées à la pseudo-Lucy L. et à leurs conversations littéraires
+dont Ossian, paraît-il, faisait le fonds. Quant aux vers _ossianesques_
+qu'il lui adressa et qu'il a datés, dans les _Confidences_ de Milly: «16
+décembre 1805», il est impossible d'admettre qu'ils aient été composés
+en l'honneur de la petite fille. Il est d'abord évident qu'ils sont
+post-datés, puisqu'en décembre 1805 Lamartine était à Belley et non à
+Milly. De plus, il ressort d'une lettre de la _Correspondance_--lettre
+douteuse, il est vrai, puisqu'elle ne porte point de date bien qu'elle
+figure à la fin de l'année 1808--que Lamartine connut Ossian beaucoup
+plus tard. Enfin, ils sont d'une facture qui permet à notre avis de
+fixer leur composition à 1810-1811. Il nous paraît probable qu'au moment
+où Lamartine écrivit les _Confidences_ il retrouva cette pièce parmi ses
+papiers et, soit défaut de mémoire, soit désir de grossir l'épisode
+assez mince de Lucy L., il l'intercala dans son récit, en assignant à
+ces vers une date qui correspondait approximativement avec le fonds de
+l'anecdote; puis, pour mettre le tout en valeur, il laissa rêver sa
+délicieuse imagination et broda autour de Lucy L. un commentaire
+_ossianesque_ où l'on voit cette enfant de douze ans agitant le soir une
+écharpe de soie blanche à la fenêtre de sa tour, et sachant «par coeur»
+tous les poètes.]
+
+Les classes de philosophie furent satisfaisantes, et sa nature
+entièrement assouplie s'accommoda merveilleusement de l'enseignement des
+pères; en février ceux-ci soulignaient sa maturité précoce et sa douceur
+en même temps que leur excellent résultat au point de vue des études: en
+récompense, ils le nommèrent bibliothécaire du collège. Mme de
+Lamartine s'en réjouit car, dit-elle, «cela l'occupe utilement et c'est
+une marque de confiance».
+
+Nous avons quelques détails sur l'enseignement du père Wrindts, qui
+professait la philosophie au collège de Belley: en effet, son cours,
+copié alors par un condisciple de Lamartine, Jules Jenin, existe encore
+aujourd'hui, et le chanoine Dejey et l'abbé Rochet, qui ont pu le
+parcourir, l'analysent ainsi: «Sa rédaction faite en latin, écrit M.
+Rochet, est d'un style sobre et élégant; on voit que le père Wrindts
+s'est inspiré de l'enseignement que donnaient les Pères Jésuites au
+XVIIIe siècle; les nouveautés de la philosophie cartésienne en sont
+écartées et au besoin réfutées. Sur la question du concours divin, le
+professeur, conformément à l'opinion généralement suivie dans la
+compagnie de Jésus, prend parti pour le système de Molina et combat le
+_bannesianisme_. Au sortir de la Révolution, il était urgent de
+combattre les théories sociales de Rousseau: elles sont l'objet, dans
+l'éthique, d'une vigoureuse réfutation.»
+
+De son côté, M. Dejey s'exprime ainsi:
+
+«Dans les cahiers de M. Jules Jenin, il manque une partie du cours,
+celle où il était question de la logique formelle et des règles de la
+méthode. Les fondements de la certitude et la légitimité des moyens de
+la connaissance sont seuls traités dans la partie conservée par la
+famille Jenin. Bien que les cahiers du père Wrindts ne soient qu'un
+résumé précis, exact, écrit pour les élèves et mis à leur portée, les
+principales questions de la philosophie s'y trouvent exposées avec une
+grande hauteur de vue et une parfaite mesure. Attaché aux principes
+supérieurs de la doctrine, le professeur suit les grandes lignes de la
+philosophie spiritualiste. Il observe la plus sage prudence vis-à-vis
+des nouveautés mal établies et peu conformes à la nature humaine, se
+tenant à une égale distance des propositions hasardeuses de l'école
+cartésienne et des théories sensualistes de Locke et de Condillac. Sur
+l'accord du libre arbitre avec la grâce, le père Wrindts se conforme à
+l'opinion communément admise dans la compagnie de Jésus: il se prononce
+pour le système de Molina. Les théories sociales de Rousseau y sont
+vigoureusement réfutées.»
+
+Nous avons cité ces deux fragments faute d'avoir pu prendre nous-même
+connaissance des cahiers; ils ont l'avantage de concorder entièrement
+entre eux et d'apporter ainsi la preuve que l'enseignement
+philosophique de Belley était fondé sur les doctrines molinistes; quant
+à la réfutation de Rousseau, elle n'eut sans doute pas d'autre résultat
+que d'éveiller au contraire la curiosité de l'enfant: quelques mois plus
+tard, à Bienassis, il dévorait _le Contrat social_ et _la Nouvelle
+Héloïse_.
+
+Le 7 septembre 1807, Lamartine soutint avec succès sa thèse de
+philosophie; le 16, il arriva à Mâcon, ayant fait, à l'en croire, la
+moitié du chemin à pied, son baluchon sur le dos et chantant «comme un
+troubadour[114]». Le même jour, parvenait à Milly le bulletin scolaire
+que Mme de Lamartine a transcrit ainsi:
+
+«Beaucoup de choses qu'on y dit me font grand plaisir, et plusieurs
+autres m'effrayent infiniment. Je n'espère qu'en Dieu pour sauver ce
+cher enfant de tous les périls dont sa jeunesse va être entourée. On
+loue son esprit, sa facilité d'apprendre, son imagination, mais en même
+temps l'on se plaint de sa légèreté, de son extrême répugnance à une
+application sérieuse, et de son goût pour le plaisir. L'on ajoute que la
+religion qu'il aime, qu'il estime et qu'il pratique le fait vaincre ses
+dangereux ennemis, mais que, si elle venait à s'affaiblir dans son coeur,
+rien ne pourrait le préserver de la corruption.»
+
+[Note 114: _C._, I, p. 4, du 27 sept. 1807.]
+
+Ainsi, dès l'âge de dix-sept ans, les traits principaux du caractère que
+nous connaîtrons plus tard à Lamartine: imagination, mangue d'esprit de
+suite, goût du plaisir et mobilité extrême des sentiments, sont
+nettement indiqués par ses professeurs.
+
+Son premier mot, au retour du collège, fut pour supplier sa mère
+d'obtenir qu'on le gardât définitivement à Milly, puisque ses classes
+étaient terminées; comme il était «extrêmement grand, mais très maigre»,
+Mme de Lamartine, qui redoutait pour son fils le surmenage, se laissa
+presque ébranler. Elle se heurta au refus formel du père et surtout de
+l'oncle, dit-elle, qui tenaient beaucoup à le voir commencer l'étude des
+sciences. Il s'en consola avec assez de philosophie, dans ses lettres à
+Guichard, repoussant d'ailleurs autant qu'il le pouvait «toutes ces
+idées de collège pendant les vacances[115]».
+
+Après un repos d'un mois à Milly, à Saint-Point, à Pérone chez la tante
+de Villard où on lut chaque jour en famille, d'après lui, «une ou deux
+comédies et autant de tragédies», après les promenades à cheval, la
+chasse, la lecture, la musique et le dessin qui lui firent passer le
+temps «fort tranquillement», il quitta Milly le 22 octobre, et regagna
+Belley en passant par Lyon où il s'arrêta quelques jours.
+
+[Note 115: _C._, I, p. 8, du 3 oct. 1807.]
+
+À cette date, Mme de Lamartine a noté qu'il commençait ses travaux de
+l'année avec répugnance et découragement. La suite des événements
+prouve qu'il repartait pour Belley malgré lui et très décidé à n'y plus
+rester longtemps. Dès son retour, ce furent de ces lettres éplorées dont
+il avait le secret et qui lui réussissaient toujours auprès de sa mère.
+À la fin de décembre, les fameux maux de tête dont il savait si bien
+jouer l'accablèrent à nouveau; à la mi-janvier 1808, ils devinrent
+«intolérables», écrit Mme de Lamartine, et il se hasarda à demander
+la permission du retour «au moins pour quelque temps». Ce qu'il ne
+disait pas mais qu'on devine bien qu'il pensait, c'est qu'une fois à
+Mâcon il saurait toujours s'arranger.
+
+La mère, «bien inquiète de tout cela», s'en fut comme d'habitude
+implorer l'oncle terrible; celui-ci--était-ce un hasard?--venait de
+recevoir à point une lettre charmante du neveu; il déclara à sa
+belle-soeur qu'il commençait à aimer beaucoup le jeune homme et se laissa
+fléchir. Aussitôt elle lui fit parvenir elle-même l'heureuse nouvelle,
+mais exigea qu'il passât par Lyon où Mme de Roquemont, prévenue, lui
+ferait consulter un bon médecin. Celui-ci, qui l'examina le 26 janvier,
+ne lui découvrit naturellement rien de grave et diagnostiqua un peu de
+surmenage intellectuel: il ordonna des bains de jambes, du lait d'ânesse
+au printemps, «un régime doux et peu d'études applicantes»; à tout
+prendre c'était pour le jeune malade un agréable traitement.
+
+Lors de son arrivée à Mâcon, le 20 janvier[116], Mme de Lamartine
+devina bien sa petit ruse en constatant au contraire qu'il n'était pas
+du tout changé et même moins maigre qu'à l'automne. Au fond, elle fut si
+heureuse de l'avoir auprès d'elle qu'elle n'en laissa rien voir;
+d'ailleurs il avait «l'air fort doux et fort sage», et c'était tout
+naturel puisqu'il avait quelque chose à obtenir. Habilement, profitant
+des bonnes dispositions de l'oncle adouci par sa conduite, il enleva
+l'affaire en trois jours et s'installa à Mâcon pour la fin de l'hiver,
+ayant obtenu, le 15 février, la promesse formelle qu'il ne retournerait
+plus à Belley.
+
+[Note 116: Nous donnons cette date d'après le _Journal intime_, bien
+qu'on trouve dans la _Correspondance_ trois lettres, datées de Mâcon 4
+et 10 janvier, et de Lyon 30 janvier; elles furent réellement écrites à
+ces dates, mais en 1809. En effet, Lamartine parle dans l'une d'elles de
+la conscription qui retarde son voyage à Lyon; or, nous savons, toujours
+par le _Journal intime_, qu'il tira au sort le 23 janvier 1809. De plus
+on rencontre dans la lettre du 10 janvier un fragment poétique qui fut
+adressé à Virieu et n'est ici que recopié pour Guichard; comme ce
+morceau fut composé à la fin de 1808, ainsi que nous l'apprend une
+lettre de décembre de la même année à Virieu, il devient évident que la
+copie en fut faite en janvier 1809 et non 1808.]
+
+Sa mère regretta bien qu'il ne terminât pas cette année d'études,
+d'autant qu'elle était maintenant envahie par d'autres craintes, celles
+de le voir livré à lui-même «dans ce temps de dissipation». Mais comme
+il continuait d'être charmant pour elle et plein de bonnes dispositions,
+elle oublia vite toutes ses inquiétudes.
+
+Telles furent les années scolaires de Lamartine; après 1808, l'influence
+des Pères de la Foi, qui parvinrent à assouplir cette jeune âme rebelle,
+ira s'effaçant peu à peu, et le vagabondage d'esprit remplacera l'ordre
+et l'austérité morale de Belley: réaction normale et qui s'explique
+aisément puisque les tendances signalées par les maîtres et réprimées
+par eux vont se développer dans l'oisiveté. Ces courtes études
+classiques--les seules, il ne faut pas l'oublier, que fera jamais
+Lamartine--furent somme toute médiocres et ne dépassèrent pas la
+banalité courante de l'époque.
+
+Pourtant l'influence de Belley fut profonde et décisive sur le
+développement de Lamartine, mais elle s'exerça par des côtés qui n'ont
+rien de scolaire. En effet, si les _Méditations_ ont leurs sources
+littéraires, de courants très divers, dans la période qui s'étend de
+1808 à 1817, deux de leurs sources morales, pourrait-on dire, datent du
+collège de Belley: et ce sont les plus originales de l'oeuvre, celles
+qui, d'après la critique du temps, fixèrent les conditions de la
+rénovation poétique: poésie religieuse et sentiment sincère de la
+nature.
+
+C'est à Belley que les germes laissés par la première éducation
+maternelle s'épanouirent complètement, aidés par un élément qu'il n'a
+pas manqué de souligner lui-même et qui a toute son importance chez une
+âme sensible et imaginative comme la sienne: celui du _décor_ de la
+religion.
+
+Ce ne sont plus à Belley les cloches paysannes de Saint-Point et de
+Milly, ni les humbles et brèves cérémonies des églises de campagne dont
+il ne goûtera qu'infiniment plus tard le charme et la poésie: au début,
+ce qui frappa d'abord le petit villageois étonné qu'il était, ce fut
+l'écrasante splendeur de la religion catholique et, comme il l'a dit,
+«les cérémonies prolongées, répétées, _rendues plus attrayantes_ par la
+parure des autels, la magnificence des costumes, les chants, l'encens,
+les fleurs, la musique», et nous savons que l'évêque de Belley officia
+souvent dans la chapelle, que le cardinal Fesch, protecteur du collège,
+vint deux fois, avec un imposant et magnifique cortège de prélats.
+
+Qu'on ajoute à cela le cadre naturel de Belley, ses forêts, ses rocs,
+ses torrents, et où les Pères de la Foi proclament la grandeur de Dieu
+sans jamais perdre une occasion de frapper l'âme par les yeux, et l'on
+comprendra ces heures de contemplation et de vertige moral où s'abîma
+l'enfant et dont la description faite cinquante ans plus tard confine
+presque à l'extase mystique[117].
+
+[Note 117: _Souvenirs et Portraits_, 1, p. 69-72.]
+
+Ainsi, au moment de la crise de l'adolescence, à l'âge où les
+impressions nouvelles sont décisives, Lamartine se trouvait en pleine
+atmosphère religieuse, dirigé par des hommes qui ramènent à Dieu tous
+les actes et toutes les pensées; il conservera l'empreinte ineffaçable
+de cette piété sincère et profonde, qu'affaibliront un instant ses
+premières crises morales.
+
+Si nous n'avions sur ce point que son seul témoignage, peut-être
+pourrait-on le mettre en doute et n'y voir que des souvenirs
+littéraires, bien que chez lui les choses vécues ou senties aient des
+accents qui ne trompent pas. Déjà on en trouve un écho dans une lettre à
+Virieu où il rappelle, peu de mois après son départ de Belley, «cette
+pierre où nous allions prier Dieu trois ou quatre fois par jour[118]»,
+mais sa mère, surtout, nous donne d'autres détails.
+
+[Note 118: _C._, I, p. 63, du 12 nov. 1808.]
+
+Outre les bulletins qui mentionnent, on l'a vu, sa grande piété, elle
+note avec joie pendant les vacances de 1806 que son fils lui donne «de
+nouvelles consolations, et se porte de lui-même à ses pieux exercices»;
+qu'en septembre 1807, au retour à Milly, il demande la permission de
+passer par Lyon «pour prier à Fourvières», que chaque jour il écoute
+avec recueillement les lectures pieuses que sa vivacité supportait mal
+autrefois, et, enfin, elle rapporte cette anecdote qu'il faut citer
+parce qu'elle est caractéristique chez un jeune homme de dix sept ans
+dont la timidité s'effarouche facilement.
+
+«Avant-hier, écrit-elle le dimanche 8 octobre 1807, Alphonse eut une
+petite épreuve, dont il se tira fort bien. En passant à Igé, je
+l'envoyai faire une visite à M. d'Igé et on voulut absolument qu'il
+restât à dîner. Il y avait plusieurs hommes qui tous faisaient gras,
+mais point de maigre au premier service; Alphonse, sans respect humain,
+dit que sa santé ne l'obligeait pas à faire gras et on lui fit une
+omelette...»
+
+On pourrait multiplier ces exemples et confirmer ainsi d'un commentaire
+précis les pages où Lamartine a rappelé ses ferveurs de seize ans. On
+peut y voir la meilleure preuve d'une empreinte très affaiblie sans
+doute pendant les années 1809-1817, mais dont on retrouve trace à tous
+les grands moments de son existence.
+
+À Belley, Lamartine comprit par lui-même la religion qu'il avait connue
+par les autres, et ce fut là le véritable enseignement de ses années de
+collège. Sa culture intellectuelle ne date que du jour ou il fut libre
+d'organiser sa vie à son gré.
+
+ * * * * *
+
+Peut-être même faut-il aller plus loin encore: les premiers essais
+poétiques de Lamartine datent de Belley ou tout au moins de l'année qui
+suivit son départ, et nous possédons trois de ces pièces: _le Chant du
+rossignol_, le _Cantique sur le torrent de Thoys_, les _Adieux au
+collège de Belley_[119]. À comparer ces morceaux aux pièces légères
+qu'il rima de 1808 à 1816, on s'aperçoit qu'ils sont si différents
+d'inspiration, et tellement proches au contraire des _Méditations_,
+qu'il est permis de se demander si ces fameuses années de fièvre
+littéraire dont l'influence sur la forme de son oeuvre est incontestable
+n'ont pas détourné pendant huit ans un courant poétique déjà très net en
+1807.
+
+[Note 119: Les _Adieux au collège de Belley_ ont paru pour la
+première fois dans l'_Almanach des Muses_ de 1821; les deux autres
+pièces ont été recueillies par lui dans ses OEuvres (édition de
+l'auteur), après avoir été publiées dans le Cours de littérature; les
+_Adieux_ figurent aujourd'hui à la suite des _Méditations_, mais on ne
+trouve le _Rossignol_ et le _Cantique_ que dans les _Souvenirs et
+Portraits_, t. I, chap. III: «Comment je suis devenu poète».]
+
+Certes la forme de ces trois poèmes est loin d'être parfaite, mais ils
+appartiennent à la même source que les grandes _Méditations_ religieuses
+de 1819. Ce sont déjà les images larges et simples, l'accent personnel
+et profondément sincère qu'il ne retrouvera que bien plus tard; même,
+dans le _Cantique sur le torrent de Thoys_, apparaît à dix ans de
+distance la formule unique de sa poésie: la grandeur de l'homme
+supérieur à tout ce qui l'environne, parce qu'il connaît l'origine
+divine des choses. Et cette idée qu'on pourrait croire empruntée à
+Young, il est curieux de constater que Lamartine la présente sous une
+forme poétique à une époque où il ignore encore jusqu'au nom d'Young.
+
+Lui-même, d'ailleurs, se rendit compte, avec son goût très sûr, que ces
+trois essais étaient ses premières _Méditations_: en 1821, il publia les
+_Adieux au collège de Belley_, et alors qu'il brûlait sans regret tous
+les vers de sa jeunesse, dont la _Correspondance_ ne contient que
+quelques fragments, il conserva le _Chant du Rossignol_ et le _Cantique
+sur le torrent de Thoys_, qu'il publia de son vivant.
+
+Plus tard, Lamartine a rapporté ce début littéraire en le plaçant sous
+l'invocation de Chateaubriand[120]; c'est en effet à Belley, mais à une
+date malheureusement difficile à préciser, tant ses souvenirs sur ce
+point sont confus et contradictoires, qu'il pénétra dans le monde
+immense et nouveau que fut pour lui _le Génie du Christianisme_, et ce
+premier contact eut une telle influence sur sa pensée qu'il mérite mieux
+ici qu'une simple mention.
+
+[Note 120: Cf. _Souvenirs et Portraits_, I: «Comment je suis devenu
+poète», et II: «Chateaubriand».]
+
+«Lorsque parut _le Génie du Christianisme_, a-t-il dit, j'étais au
+collège chez les Jésuites... Tout en élaguant très prudemment du livre
+les parties romanesques ou passionnées,... ils le laissèrent circuler à
+demi-dose dans leur collège. Un abrégé en deux volumes, épuré d'_Atala_,
+de _René_, et plusieurs autres chapitres trop remuants pour des âmes
+déjà émues, fut mis par eux entre les mains de leurs maîtres d'études. À
+titre de professeur de belles-lettres, le père Béquet posséda le premier
+exemplaire. Il était trop ravi pour renfermer en lui-même son ivresse et
+trop communicatif pour ne pas nous associer à son bonheur.» Suit le
+récit de cette lecture faite en classe «un beau jour de printemps».
+
+Ces affirmations, en apparence si précises, sont en réalité
+inconciliables entre elles; toutefois, en écartant ce qu'elles ont de
+nettement inexact et en serrant quelque peu le texte, il est possible
+d'aboutir à une hypothèse vraisemblable.
+
+En premier lieu, le _Génie_ parut en 1802, époque à laquelle Lamartine
+n'était pas encore à Belley, mais à l'institution Puppier, où une
+lecture de Chateaubriand faite par les deux vieilles filles à des
+enfants de douze ans est absolument inadmissible. Il reste donc à
+examiner maintenant si cette lecture peut se placer soit en famille
+pendant les vacances, soit à Belley, comme il l'a dit.
+
+Or, Mme de Lamartine eut pour la première fois l'oeuvre entre les
+mains le 19 juillet 1803, jour où elle a noté dans son journal: «Je lis
+un ouvrage que je trouve excellent et qui me fait grand plaisir: c'est
+_le Génie du Christianisme_, par M. de Chateaubriand; je crois que cet
+ouvrage est propre à faire beaucoup de bien, et j'en trouve le style
+charmant». Mais, à mesure que la lecture s'avance, les impressions
+changent, et elle écrit le 29 juillet: «J'ai achevé le troisième volume
+de _l'Esprit du Christianisme (sic)_, j'ai relu l'épisode d'Atala, je le
+trouve trop passionné; je crois que cela pourrait échauffer la tête des
+jeunes gens et, en tout, cet ouvrage qui est cependant très bon me
+paraît un peu trop propre à exalter l'imagination».
+
+De ceci, il résulte que Lamartine n'a pas lu Chateaubriand pendant les
+vacances qu'il passa à Milly de 1804 à 1807, et pour deux motifs: le
+premier est que sa mère redoutait l'influence de l'ouvrage sur une
+jeune tête comme la sienne; l'autre, qu'il était encore incapable à
+cette époque de faire la moindre lecture en cachette de sa famille.
+Ainsi, l'hypothèse de Belley reste la seule acceptable. Il reste à
+examiner maintenant, d'après les détails qu'il a donnés, s'il est
+possible que le père Béquet ait lu en classe, à une époque à déterminer,
+des fragments du _Génie_.
+
+Il a parlé, on l'a vu, de deux volumes épurés; la première édition
+abrégée de Chateaubriand est bien en deux volumes, mais elle est de
+1808, année où il avait quitté Belley. Est-ce alors à Milly qu'il l'a
+lu, au retour du collège? pas davantage, car il n'eût pas manqué d'en
+faire part avec enthousiasme par de belles lettres à Virieu ou à
+Guichard. Or, la _Correspondance_, qui commence à l'automne de 1807, est
+absolument muette sur Chateaubriand: d'où il faut conclure que les amis
+s'étaient déjà tout dit sur ce sujet et n'avaient plus à y revenir.
+Ainsi, si le détail inexact des deux volumes épurés doit être écarté,
+l'hypothèse de Belley se confirme davantage.
+
+Mais le père Béquet fut le professeur de Lamartine de 1803 à 1806
+inclusivement, et c'est donc au cours de l'une de ces trois années que
+dut être faite la lecture de Chateaubriand, et comme en 1806 Lamartine
+était en rhétorique et très près de ses seize ans, il paraît infiniment
+probable que cette dernière date est la vraie. Au début de l'année
+suivante il était nommé bibliothécaire du collège et avait ainsi toutes
+facilités d'approfondir une découverte qui le laissait extasié.
+
+Il est possible de s'imaginer, même aujourd'hui, l'impression causée par
+le _Génie_ sur la jeune génération d'alors: traitant son propre cas,
+Lamartine l'a exposée avec beaucoup de chaleur et nombre de restrictions
+dont les motifs sont bien postérieurs à cette première lecture: la
+froideur que Chateaubriand montra toujours au disciple dont la gloire
+balançait la sienne, des divergences d'opinions politiques, firent qu'il
+atténua en partie ce jugement par des considérations générales assez
+vives[121]; mais il voulut bien convenir que Chateaubriand fut «une des
+mains puissantes» qui lui ouvrirent, dès l'enfance, les grands horizons
+de la poésie moderne.
+
+[Note 121: Cf. _Souvenirs et Portraits_, t. I: «Comment Je suis
+devenu poète»; t. II: «Chateaubriand».]
+
+Après cette lecture la curiosité intellectuelle de Lamartine s'éveilla,
+et le _Génie_ devint pour lui une vaste encyclopédie où il puisa des
+notions vagues des littératures qu'il ignorait: Chateaubriand touchait à
+tous les sujets, à tous les genres, à tous les hommes; de là à courir
+aux sources, il n'y avait qu'un pas, et c'est ce que fit Lamartine. Il y
+a plus encore: est-il possible en effet de méconnaître les curieuses
+ressemblances qui existent entre l'inquiète jeunesse de René et celle de
+Lamartine? Comme René, il est «tour à tour bruyant et joyeux, silencieux
+et triste, abandonnant soudain ses camarades, pour aller s'asseoir à
+l'écart et contempler la nue fugitive ou entendre la pluie sur le
+feuillage[122]»; son âme, comme celle de René «qu'aucune passion n'a
+encore usée», cherche un objet qui puisse l'attacher et s'aperçoit
+bientôt qu'elle donne plus qu'elle ne reçoit; comme René, la solitude
+absolue, le spectacle de la nature le plongent dans un état impossible à
+décrire» et la «surabondance de vie», les «grandes lassitudes» de René,
+Lamartine les éprouve à chaque instant. Le chapitre du _Génie_ intitulé:
+«Du Vague des passions» n'aura jamais de meilleur commentaire que
+certaines lettres à Virieu: «Plus les peuples avancent en civilisation,
+dit Chateaubriand, plus cet état du vague des passions augmente, car le
+grand nombre d'exemples qu'on a sous les yeux, la multitude des livres
+qui traitent de ces sentiments rendent habile sans expérience. On est
+détrompé sans avoir joui; il reste encore des désirs, et l'on n'a plus
+d'illusions. L'imagination est riche, abondante et merveilleuse,
+l'existence pauvre, sèche et désenchantée; on habite avec un coeur plein
+un monde vide et, sans avoir usé de rien, on est désabusé de tout[123].»
+Dans ces lignes qui résument avec une telle précision son état d'âme
+habituel Lamartine retrouvait les sentiments confus qui l'animaient et
+c'était plus qu'il n'en fallait pour l'enthousiasmer.
+
+[Note 122: Cf. _Chateaubriand, OEuvres_, t. II (éd. Garnier, Paris,
+1859), p. 82.]
+
+[Note 123: _Id., ibid._, t. I, p. 218.]
+
+Ainsi, on trouve dans Chateaubriand l'âme même de Lamartine; non pas
+froidement analysée, mais mélancoliquement décrite et dans ses moindres
+nuances, avec le vague et la langueur qu'il aimait. L'adolescent
+mystique de Belley, enclin déjà à la rêverie et à la solitude, fut dès
+la première lecture soumis à l'irrésistible attrait de cette prose
+harmonieuse, et dominé toute sa vie par ce grand souvenir. Beaucoup de
+ses poèmes ne sont que du Chateaubriand mis en vers, et ce ne fut pas
+une des moindres causes de son succès. Et plus il avance en âge, plus
+l'empreinte devient saisissante: visible déjà dans les _Méditations_,
+elle s'affirme dans les _Harmonies_, pour s'épanouir dans le _Voyage en
+Orient_ et certains morceaux de _Jocelyn_ ou de _la Chute d'un ange_.
+
+Qu'est-ce, après tout, que l'épopée conçue par Lamartine et dont nous
+possédons le plan et quelques fragments, sinon un gigantesque et
+poétique _Génie du Christianisme_, dont _Jocelyn_ aurait été le René,
+_la Chute d'un ange_ l'Atala et dont _les Pêcheurs_, _les Chevaliers_,
+_les Patriarches_ devaient être le développement de certains morceaux?
+
+Quant aux réminiscences de Chateaubriand, trop directes pour être
+douteuses, elles sont innombrables dans son oeuvre et mériteraient une
+étude spéciale[124]. Mais Lamartine, avec le goût parfait qu'il
+apportait dans ses enthousiasmes littéraires, se garda de tomber dans la
+pompe et le Merveilleux chrétien de Chateaubriand; les Martyrs lui
+déplurent[125]; le Génie des Rêveries, les Anges de la lassitude, du
+matin, du mystère, du temps et de la mort le choquèrent. De
+Chateaubriand il ne conserva que les grandes images, la poésie
+mélancolique et simple des choses qui passèrent sans effort dans sa
+poésie avec le rythme et les nuances de la prose originale.
+
+[Note 124: La plupart ont été déjà signalées par M. Zyromski dans sa
+thèse sur _Lamartine poète lyrique_ (1897).]
+
+[Note 125: _C._, I, p. 111, du 12 mars 1809.]
+
+
+
+
+QUATRIÈME PARTIE
+
+LA FORMATION DE LA PERSONNALITÉ
+
+
+
+
+CHAPITRE I
+
+LA VIE SOLITAIRE[126]
+
+
+Au moment où il quittait le collège de Belley, Lamartine venait d'avoir
+dix-sept ans. Ses projets, qu'il formulait alors très nettement, étaient
+de trouver une situation[127]; mais les préjugés du temps et de son
+milieu ne lui toléraient guère que deux carrières: l'armée et la
+diplomatie.
+
+[Note 126: Sources et bibliographie de la quatrième partie: _Journal
+intime_ (passim).--_Correspondance_ (t. I).--_«Carnet de voyage de
+Lamartine»_ (publié par M. R. Doumie), _Correspondant_ du 25 juillet
+1008.--Nous devons à l'obligeance de M. Duréault d'avoir pris
+connaissance de l'important dossier qu'il a réuni sur Henriette Pommier,
+et d'une curieuse étude, lue par lui en séance publique à l'Académie de
+Mâcon et qui doit être publiée prochainement. Nous lui avons emprunté
+toute la documentation du chapitre III.
+
+Une fois de plus, nous avons à déplorer le classement défectueux de la
+_Correspondance_ et il serait à souhaiter qu'une main autorisée donnât
+promptement une édition complète et vérifiée de cet inestimable
+document; grâce au _Journal intime_, pourtant, nous avons pu rétablir à
+leur véritable date des lettres arbitrairement ou mal datées par
+l'éditeur, une dizaine environ, pour les années 1807-1813.]
+
+[Note 127: _C._, I, p. 23, du 22 février 1808.]
+
+La diplomatie, dont le côté mondain et la vie facile séduisaient
+peut-être sa jeune imagination, le tentait beaucoup; mais les siens,
+très sagement, ne l'y poussaient pas: à son âge, sans relations, sans
+éducation solide, c'eût été manque de raison. Pour le métier militaire,
+malgré les traditions de ses pères et malgré ce qu'il en a dit, il
+semble l'avoir eu toujours en horreur; ses parents, d'ailleurs, ne
+tenaient que médiocrement à le voir servir dans les armées de
+l'Empereur: le père, pour l'occuper, songea bien un instant à l'école de
+Fontainebleau, mais y renonça vite devant les supplications de sa femme
+qui redoutait «le danger et la licence des armées[128]». Le jeune homme
+qui connaissait l'aversion maternelle s'en servira dans les grandes
+occasions, et cette menace sera pour lui le moyen suprême d'obtenir ce
+qu'il désire: le jour où on lui refusera l'autorisation de faire son
+droit à Lyon, il déclarera aussitôt sa résolution d'entrer dans la garde
+impériale et, quelque temps après, alors que sa famille accueillera
+assez mal un projet de mariage, il écrira tout net à Virieu qu'il est
+prêt d'entrer définitivement au service et d'essayer de se faire tuer.
+En 1814, c'est plutôt par lassitude et devant les menaces de l'oncle
+irrité de tant de paresse qu'il se décidera à entrer dans la Garde du
+corps. On sait par la _Correspondance_ le plaisir qu'il y prit.
+
+[Note 128: _J. I._, 25 sept. 1806.]
+
+Ainsi, devant les difficultés que soulevait la question d'un
+établissement immédiat, les Lamartine patientèrent, préférant attendre
+un peu plus de maturité, et le laissèrent entièrement maître d'organiser
+son existence à sa guise. Il en prit très joyeusement son parti et, tout
+à la joie nouvelle de l'indépendance, organisa un plan d'études où les
+arts d'agrément, musique, danse et dessin, avaient aussi leur
+place[129].
+
+[Note 129: _C._, I, p. 23, du 22 février; p. 26, du 13 mars 1808.]
+
+C'était, à l'époque, un grand garçon un peu gauche[130], rendu timide
+par quatre austères années de collège, et qui fuyait le monde faute d'y
+savoir figurer à l'aise. Il avouait à Virieu, de plus en plus son
+confident, qu'il était incapable de dire une chose aimable et de
+répondre à un compliment[131]: comme Chérubin, il était amoureux de
+toutes les femmes, mais n'osait guère faire un pas vers une[132]. Cette
+timidité farouche désolait un peu la mère, mais lui, qui sans doute en
+connaissait les véritables motifs, s'en consolait philosophiquement en
+déclarant que le temps, les voyages, l'habitude guériraient tout
+cela[133].
+
+[Note 130: _Id._, p. 93, du 14 déc. 1808.]
+
+[Note 131: _Id._, p. 41, du 10 sept.; p. 95, du 14 déc. 1808.]
+
+[Note 132: _Id._, p. 95, du 14 déc. 1808.]
+
+[Note 133: _Id._, p. 95, du 14 déc. 1808.]
+
+Comme suite normale de cet état d'esprit dont Belley est évidemment
+responsable, il se confine dans une studieuse solitude, fuit la société,
+déclare qu'il est «dans la jubilation» de n'être pas encore amoureux,
+indice qu'il est prêt de le devenir: pour lui toutes les femmes sont «de
+petites effrontées, impudentes, coquettes, de petites ignorantes
+imbéciles, malignes, médisantes, sottes et laides[134]»; son mépris pour
+elles croît «de jour en jour» en dépit, avoue-t-il ingénument, de la
+bonne envie qu'il aurait de les trouver «aimables et fidèles». Puis la
+philosophie s'en mêle et il déclare gravement à Guichard qu'il n'y a
+plus d'amour véritable dans le coeur des jeunes gens, «mais seulement un
+tissu de coquetteries de part et d'autre[135]».
+
+[Note 134: _C._, I, p. 53, du 29 oct. 1808; p. 139, du 4 août 1809.]
+
+[Note 135: _Id._, p. 139, du 4 août 1809.]
+
+Aussi s'occupe-t-il surtout d'organiser son existence en garçon
+raisonnable, et de soumettre à Virieu un plan d'études et de
+lectures[136]; sa mère profite alors de cette disposition, pour
+l'emmener de Mâcon à Saint-Point, car, dit-elle, «je ne suis pas fâchée
+de l'éloigner de la ville à un moment où ses seules récréations seraient
+des promenades le soir, fort tard, dans une société de jeunes gens dont
+il est impossible que l'on soit sûr: ici il est plus en sûreté et a
+l'air assez content[137]».
+
+[Note 136: _Id._, p. 25-27, du 13 mars 1808.]
+
+[Note 137: _J. I._, 26 mai 1808. Elle écrivait de Mâcon le 24
+février: «La santé d'Alphonse n'est pas mauvaise; il s'occupe beaucoup
+et a plusieurs maîtres, entre autres un de danse et un de basse. Il est
+assez raisonnable, mais son caractère me paraît toujours fort léger, ce
+qui rend les dangers du monde bien plus graves pour lui. Nous l'en
+tenons encore éloigné cette année, mais je frémis pour le moment où il
+sera exposé à cette contagion affreuse.»]
+
+Et, de fait, ses lettres montrent quelle fut sa joie enfantine de se
+retrouver à Saint-Point, où il arriva le 26 mai[138]: ce furent des
+flâneries exquises dans les bois, des lectures sérieuses, des promenades
+à cheval, le tout entremêlé d'un peu de musique et de quelques
+délassements poétiques[139]; il sentait surtout «un redoublement d'amour
+pour l'étude et la poésie[140]», et sa mère avouait ne plus le
+reconnaître devant une telle docilité.
+
+[Note 138: _J. I._, 26 mai 1808.]
+
+[Note 139: _C._, I, p. 31-33, du 8 juillet 1808.]
+
+[Note 140: _Id._, p. 28, du 20 avril 1808.]
+
+Mais, avec la nature insatisfaite qu'on lui connaît et dont voici
+peut-être la première manifestation, il se lassa vite de son nouveau
+bonheur, il en vint à regretter Belley où, pourtant, à l'en croire, il
+n'était pas heureux. «Il faut que je m'occupe beaucoup pour ne pas
+m'ennuyer», confesse-t-il un jour à Virieu[141], et à Guichard, qui
+l'enviait et lui annonçait sa prochaine libération, il écrivait
+tristement: «Nous te verrons dans quatre ou cinq mois commencer à
+t'ennuyer dans ta retraite, au milieu de tes livres, de tes bois et de
+tes prétendus plaisirs; tu regretteras dans peu la société de tes amis,
+les occupations et, que dis-je? peut-être même les peines du collège....
+Tu m'en diras des nouvelles[142].» Si bien qu'à la mi-septembre il fut
+enchanté d'abandonner sa solitude pour se rendre à Crémieu, où Guichard
+l'avait invité; la mère, toujours prudente, s'arrangea pour qu'à
+l'aller et au retour il couchât à Lyon chez Mme de Roquemont. «Ainsi,
+point d'auberge, ce qui pourrait être le plus dangereux.»
+
+[Note 141: _Id._, p. 62, du 12 nov. 1808.]
+
+[Note 142: _Id._, p. 31, du 8 juillet 1808; p. 35, du 26 juillet
+1808.]
+
+ * * * * *
+
+C'est avec beaucoup de détails que Lamartine a rapporté ce séjour dans
+l'Isère, tant il en avait gardé un profond souvenir[143]: c'est en effet
+à Crémieu que pour la première fois il se plongea en silence «dans un
+océan d'eau trouble», ou, pour parler plus simplement, qu'il pénétra
+dans une bibliothèque bien garnie; mais il a négligé de nous donner la
+date exacte de cet événement si important à fixer, puisqu'en huit jours
+tout l'édifice élevé par les Pères de la Foi va être détruit pour
+longtemps. Nous savons par sa mère qu'il quitta Milly le 27 septembre
+1808, et qu'il était de retour à Mâcon le 16 octobre. Il est certain que
+Lamartine revint en Bourgogne dans un tout autre état d'esprit qu'au
+départ; sa mère le constate elle-même, mais sans bien pouvoir en
+comprendre les motifs, et le 15 décembre elle consigne dans son Journal
+cette petite anecdote qui, rapprochée d'une lettre à Virieu[144] nous
+fait assister à une transformation très sensible de l'état d'esprit du
+début de l'année:
+
+[Note 143: Cf. sur ce séjour à Crémieu: _Mémoires inédits_, p.
+116-123. Mais il a été daté par Lamartine de 1807 au lieu de 1808.]
+
+[Note 144: _C._, I, p. 84, du 12 décembre 1808, et _id._, p. 122,
+lettre sur _Corinne_ du 1er juin 1809.]
+
+«Lundi nous dinâmes à Bussière chez M. Verset, le notaire du lieu; il y
+avait beaucoup de monde du voisinage, l'on fut très gai, l'on chanta,
+l'on fit des bouts-rimés. Alphonse fit des couplets; il a une facilité
+incroyable pour tout ce qu'il veut. Il est plus que jamais tourmenté du
+désir de faire quelque chose, ce que je désire aussi beaucoup. Quand je
+serai à Mâcon, je tâcherai de lui trouver quelque maître de langues; il
+aurait envie d'en apprendre, et je serai enchantée qu'il pût s'occuper
+utilement. Je suis effrayée de son retour à la ville, soit pour lui,
+soit pour moi. Il m'a bien tourmentée par son caractère inquiet, mais je
+tâche de le ramener tout doucement; je supporte, c'est ma tâche
+actuelle.»
+
+Pendant tout le mois de décembre Mme de Lamartine constate encore le
+grand désir qu'il a de s'instruire, d'apprendre l'anglais et l'italien;
+elle note avec effroi son attitude lorsqu'à Pierreclos ou à Montceau on
+agite devant lui des questions littéraires[145]; elle se lamente sur son
+aspect de plus en plus renfermé et, indice plus grave, constate qu'il a
+beaucoup perdu de sa piété[146]; tout cela, rapproché de la
+_Correspondance_ où l'on voit qu'à cette même époque il commence à
+causer littérature» avec enthousiasme, confirme dès lors ce qu'il a dit
+lui-même de ce séjour à Crémieu.
+
+[Note 145: _J. I._, 12 octobre. «Mercredi, nous avons dîné à
+Pierreclos. Il y eut une conversation sur J.-J. Rousseau; deux personnes
+de la société étaient ses zélés partisans, d'autres les réfutaient.
+Alphonse les écoutait attentivement et je craignais toujours qu'il ne
+prît les mauvaises impressions de préférence aux bonnes.»]
+
+[Note 146: _J. I._, 9 octobre, en parlant de son fils: «Hélas! comme
+il est loin du seul bien qui pourrait contenter mon coeur»; et 26
+octobre.]
+
+ * * * * *
+
+Au début de décembre, c'est une véritable frénésie de travail qui le
+possède; il veut vivre uniquement avec lui-même, au milieu des livres,
+renonce «à tout le train du monde[147]» et profite de l'ennui qu'il
+éprouve pour mettre à profit sa solitude et sa jeunesse[148].
+
+[Note 147: _C._, I, p. 77, du 10 déc. 1808.]
+
+[Note 148: _Id._, _ibid._]
+
+Avec sa petite expérience des derniers mois, il se demande bien où tout
+cela va le mener, mais, pour s'encourager, il évoque Rousseau
+travaillant en silence et préparant «de loin» ses succès[149]. Sans nul
+doute, Rousseau est une des découvertes de Crémieu. La mère est
+enchantée de ce programme, qu'elle approuve pleinement, car, dit elle,
+«dans l'âge où il est, environné de beaucoup de séductions, il faut un
+miracle pour le préserver de tant d'écueils», et par tous les moyens
+elle encourage ce plan de travail.
+
+[Note 149: _Id._, p. 68, du 28 nov. 1808.]
+
+On avait compté sans l'oncle terrible que cette belle vocation
+littéraire laissa fort indifférent. Au début de décembre, il fit
+comparaître son poétique neveu pour lui enjoindre de renoncer à son
+petit programme qu'il entendait remplacer par l'étude des sciences[150].
+Lamartine, on le sait, eut de tout temps les mathématiques en horreur:
+il supplia, pleura même, mais l'oncle fut intraitable; de désespoir,
+puisque, disait-il, on voulait forcer son goût et son inclination, il
+commença à jouer de la Garde impériale, mit la mère de son côté et la
+délégua auprès de l'oncle[151]; on finit alors par s'entendre: les
+langues étrangères et les études littéraires furent conservées au
+programme, mais on y ajouta les sciences. Il était trop tard: l'enfant
+dégoûté avait perdu sa belle fièvre. Il ira bien chez le professeur de
+mathématiques, mais «résolu à n'y rien faire du tout qu'un peu
+semblant[152]» et, puisqu'on le contraignait malgré lui à mener «une vie
+de fainéant», il en profitera pour s'amuser: et le voilà qui sort le
+soir, se montre au concert, au théâtre, qu'il aime maintenant «à la
+folie[153]» et qu'il trouve, paraît-il, le seul amusement digne d'un
+homme de goût et de bon sens[154].
+
+[Note 150: _Id._, p. 80, du 12 déc. 1808.]
+
+[Note 151: _J. I._, du 17 déc. 1808.]
+
+[Note 152: _C._, I, p. 86, du 12 déc. 1808. «J'avais fait les plus
+beaux plans du monde de plaisirs littéraires. Mon oncle et mon père de
+concert ont voulu tout détruire.»]
+
+[Note 153: _C._, I, p. 92, du 14 déc.]
+
+[Note 154: _Id._, _ibid._]
+
+Sa mère, alors, s'effraye: «Son caractère, écrit-elle, m'inquiète chaque
+jour davantage: je lui ai fait promettre qu'il ne demanderait pas à
+aller au concert, moyennant quoi j'ai promis, de mon côté, que je le
+mènerais à Lyon pour quelques jours au mois de janvier.»
+
+L'intervention de l'oncle n'avait pas été heureuse: faute d'avoir pris
+au sérieux son désir d'étudier, il avait découragé toute son ardeur; au
+lieu de passer à Mâcon un hiver paisible, comme il le souhaitait, il va
+partir pour Lyon s'amuser, ce qui n'était guère son intention,
+contrairement à ce que l'on croyait autour de lui. Nous retrouverons
+souvent cette incompréhension du caractère de l'enfant.
+
+ * * * * *
+
+La mère et le fils arrivèrent à Lyon, chez Mme de Roquemont, le 17
+janvier 1809 et de suite il organisa sa petite existence; s'il faut en
+croire une lettre à Virieu, il se levait tard, faisait un peu d'anglais,
+flânait l'après-midi à la bibliothèque publique, et terminait sa soirée
+au théâtre où il avait pris un abonnement[155]; à l'insu sans doute de
+sa mère, qui prétend au contraire à la même date avoir obtenu de lui
+qu'il n'irait «ni au spectacle, ni au bal masqué». La pauvre femme se
+plaint de n'avoir jamais mené un carnaval aussi «dissipé»; «mais, dit
+elle, c'était impossible autrement, car je voulais procurer quelques
+plaisirs à Alphonse».
+
+[Note 155: _C._, I, p. 103, du 24 janvier 1809.]
+
+Tous deux étaient de retour à Mâcon le 10 mars, lui enchanté de son
+voyage, elle moins; il constate alors avec un peu d'orgueil qu'il est
+beaucoup moins timide qu'au départ, et qu'à Mâcon on a une certaine
+considération pour un jeune homme qui a été passer l'hiver dans une
+grande ville: on le croit blasé sur tout et, dit-il, «cela donne une
+contenance[156]».
+
+[Note 156: _Id._, p. 100, du 26 février 1809.]
+
+Dès le retour, il avait repris ses projets d'étude et de travail[157];
+le carême se passa tranquillement à Mâcon, dans la solitude et la
+lecture. Mais cette fois, s'y prenant un peu à l'avance, il demanda
+bientôt l'autorisation d'aller étudier le droit à Lyon, au cours de
+l'année 1809[158]. L'oncle et le père refusèrent d'abord; la mère comme
+toujours s'interposa, apaisa les colères naissantes, et chacun se fit
+des concessions réciproques: pour le droit, l'oncle réservait sa
+réponse, mais on lui accordait soixante louis de pension annuelle, la
+nourriture, le logement, et la permission d'aller à ses frais passer
+l'hiver à Lyon ou à Dijon[159]. De nouveau on le détournait de ses rêves
+d'étude qui n'étaient peut-être, il est, vrai, qu'un prétexte pour aller
+s'amuser à Lyon. C'est que l'oncle, de plus en plus méfiant, commençait
+à s'inquiéter de cette jeune imagination débordante.
+
+[Note 157: _C._, I, p. 106, du 26 février 1809; et p. 110, du 12
+mars 1809.]
+
+[Note 158: _J. I._, 7 juillet 1809.]
+
+[Note 159: _C._, I, p. 139, du 4 août 1809.]
+
+L'enfant finit par prendre son parti de cette demi-promesse, et se remit
+avec ardeur à la lecture et au travail; tout le printemps et l'été se
+passèrent dans une solitude absolue, à Mâcon, à Milly et à Saint-Point.
+«Voici trois mois, écrit-il en juin à Virieu, que mon genre de vie est
+le même absolument: travail, lecture, correspondance et petite promenade
+solitaire entre les huit ou neuf heures[160].» Un tel régime finit pas
+fâcheusement influer sur ses nerfs; des idées tristes l'envahirent
+bientôt; en août, même, il tomba malade, crachant le sang, accablé de
+violents maux de tête, et la crise morale se fit plus aiguë: «Oui, j'ai
+pleuré, écrit-il un jour à Virieu, moi qui ne pleurais plus, un peu de
+regret de cette partie manquée, un peu en voyant la sympathie de nos
+peines, de nos idées, de nos tourments, de nos désirs, et de ce feu
+sacré qui commence à te brûler comme moi, ces projets vagues, cette
+tristesse, cette paresse, cette vie au milieu de la mort[161]». Et les
+lettres se suivent, de plus en plus désespérées; le vague de son
+existence présente et future le fait languir et mourir; il devient sage,
+indifférent, philosophe sur bien des choses, il est fou, désespéré,
+enragé sur beaucoup d'autres...; il devient «ours» et parle de se brûler
+la cervelle, car il ne peut plus supporter la vie du plus plat, du plus
+ignorant bourgeois de petite ville: «Ô beaux rêves que nous faisions
+bien éveillés à neuf heures du soir sous les tilleuls de Belley, riches
+projets, riante perspective, avenir incomparable, où êtes-vous?...[162]»
+
+[Note 160: _Id._, p. 127, du 10 juin 1809; et p. 140, du 4 août.]
+
+[Note 161: _C._, I, p. 143. du 4 août 1809.]
+
+[Note 162: _Id._, p. 148-152, du 19 août 1809.]
+
+Telle fut la première crise morale; il en connaîtra d'autres jusqu'en
+1820 et toutes chez lui auront le même dénouement: dans les plus
+affreuses détresses, un rien suffira pour lui rendre l'équilibre.
+
+Car Virieu finissait par s'inquiéter de cette exaltation et de ce
+découragement; il lui proposa alors, pour le changer d'air, de venir
+passer quelques jours chez lui au Grand-Lemps et, brusquement, la
+correspondance change de thème: à la mélancolie la plus sombre, succède
+un enjouement imprévu[163]; toute la vie de Lamartine sera faite de ces
+contrastes et de ces revirements, dont il est parfois difficile de
+saisir les motifs. Mais, cette fois, il jouait de malheur: au moment du
+départ son père se cassa la jambe, et il fut obligé de le remplacer--car
+c'était l'époque des vendanges--«en ayant l'air de trouver cela tout
+naturel[164]».
+
+[Note 163: _C._ I, p. 170, du 21 octobre 1809.]
+
+[Note 164: _Id._, p. 175, du 9 nov. 1809.]
+
+Alors, il s'étourdit, profita de l'animation passagère du pays pour
+mener une «vraie vie de fainéant et d'insouciant, une vie banale et
+commune comme celle de tous les désoeuvrés et les imbéciles du monde,
+visites, bals, soupers, promenades et je ne sais quoi[165]».
+
+[Note 165: _Id._, p. 176.]
+
+Dans l'état où il se trouvait, il était à point pour devenir amoureux,
+et n'y manqua pas; cela dénoua la crise. Comme de juste, il aimait
+quelqu'un qui ne pouvait pas l'aimer; avec l'imagination qu'on lui
+connaît, «le voilà pris, le voilà mort». L'objet de sa passion n'était
+pas une beauté, mais «toute l'amabilité, toute la sagesse, toute la
+raison, tout l'esprit, toute la grâce, tout le talent imaginable ou
+plutôt inimaginable», et empruntant à nouveau le vocabulaire de
+Chérubin--c'était de son âge,--il terminait lyriquement: «J'en mourrai!
+je le sais! aimer sans espoir, ah! comprends-tu un peu cela[166]?»
+
+[Note 166: _C._, I, p. 181, du 24 nov. 1809, et p. 188, du 10 déc.
+1809.]
+
+La pauvre mère, qui elle-même avait encouragé son fils à une innocente
+correspondance en vers avec la jeune fille de leur médecin de Milly, le
+docteur Pascal, s'épouvanta des suites de son imprudence, et elle
+écrivait le 16 décembre 1809: «Mes nuits ont été mauvaises, ce qui a été
+occasionné par un chagrin que je ne puis mettre ici mais qui a été très
+vif, et dont la cause n'est pas encore passée; c'est au sujet de mon
+fils, et ce qui me peine le plus, c'est que je ne peux demander conseil
+à personne, et que j'ai peut-être quelque reproche à me faire...»; et
+quelques jours après elle ajoutait encore: «Alphonse m'inquiète toujours
+beaucoup, des passions commencent à se développer, et je crains que sa
+jeunesse ne soit bien orageuse; il est agité, triste, le trouble de son
+âme altère même sensiblement sa santé».
+
+Pour couper court, on l'expédia à Lyon le 8 janvier 1810, avec
+permission d'y rester autant que ses moyens le lui permettraient; même
+il pourra faire son droit. «Je vois, dit-elle encore, qu'on nous blâme
+généralement de le laisser ainsi sur sa bonne foi, mais on ne connaît
+pas nos raisons; je suis moins tourmentée depuis qu'il est parti.»
+
+Après les huit jours d'usage chez Mme de Roquemont, qui, prévenue,
+veilla sur lui avec une inquiète sollicitude, il réclama plus de liberté
+et s'installa rue de l'Arsenal, au quatrième, «avec une vue
+unique[167]».
+
+[Note 167: _C._, I, p. 203, du 1er mars 1810. Sur le séjour à
+Lyon, cf. _id._, p. 193-240.]
+
+ * * * * *
+
+Alors commença une existence exquise, la vie d'étudiant, mais sans
+études: les beaux projets de travail étaient loin; il n'était plus
+question des professeurs d'anglais et d'italien; la tragédie qu'il
+voulait écrire fut remplacée par un vaudeville; les huit heures de
+travail qu'il s'était imposées au départ, sans fréquenter personne,
+«quoiqu'on dise», furent occupées à de petits voyages à Grenoble, à la
+grotte de Jean-Jacques, ou à des flâneries chez les bouquinistes. De
+droit, point; au bout de deux mois, il avait épuisé ses ressources, et
+il fallut courir à Dijon, chez l'abbé. Le bon oncle se laissa arracher
+60 louis qui ne demeurèrent pas longtemps dans sa poche; force lui fut
+alors de retourner à Milly, sa «détestable patrie», où il obtînt des
+tantes un peu d'argent sous prétexte de payer des dettes; puis il revint
+encore à Lyon, et finalement, endetté, poursuivi, sans un sou, car on
+lui avait coupé les vivres, il regagna Milly le 18 mai[168], après
+quatre mois de délices, relatées avec une joie enfantine dans les
+lettres à Virieu.
+
+[Note 168: Nous donnons cette date d'après le _Journal intime_, bien
+qu'elle ne soit pas d'accord avec la _Correspondance_, où figure une
+lettre datée de «Saint-Point 14 mai»; nous lui donnons la préférence.]
+
+Elles sont juvéniles, prime-sautières et vives, d'un piquant contraste
+avec celles de l'année précédente: «Voilà enfin une partie de mes désirs
+satisfaits! écrit-il à son arrivée; je m'instruis, je suis libre, je
+suis indépendant, je le suis si fort que j'en deviens ridicule; mon
+livre, ma chambre, mon feu et le spectacle ont trop de charmes pour
+moi.» Puis c'est la description poétique de sa petite installation:
+
+ Cellule inconnue et secrète,
+ Où jamais un oncle boudeur,
+ Où jamais un mentor grondeur
+ Ne viennent troubler le poète.
+
+Ses amis sont des «artistes», «des artistes surtout, mon cher ami! voilà
+ce que j'aime! de ces gens qui ne sont pas sûrs de dîner demain! Je leur
+ai dit que tu étais _comme moi_, un artiste _universel_, artiste dans
+l'âme, artiste d'inclination!»
+
+C'est la vie de bohème, au jour le jour, et sans souci du lendemain; les
+grisettes, le théâtre, le concert, les vers, tout lui est bon, même les
+dettes, dont il se tire en faisant un impromptu: _Mes dettes_, qui,
+d'après lui, court la ville.
+
+Plus tard pour les payer, il s'adressa naturellement à sa mère, qui
+cette fois s'en fut trouver l'oncle et les tantes plutôt que son mari,
+car le chevalier n'aimait pas les dettes: «Son oncle et ses tantes ont
+eu la bonté de se charger de payer les dettes d'Alphonse, écrira-t-elle
+plus tard, et sans rien dire à mon mari, ce que j'ai demandé par-dessus
+tout, car j'aurais mieux aimé qu'on le laissât dans l'embarras où il
+était et dont le temps aurait toujours fini par le tirer, que de
+consentir qu'on détruisît absolument le repos et le bonheur de mon mari
+en lui apprenant les dettes de son fils. C'est une chose qu'il a
+toujours eue en si grande horreur qu'il l'aurait cru tout à fait perdu!»
+L'amusant de l'affaire fut que le pauvre chevalier paya lui-même les
+dettes de son fils, à son insu. En effet, la tante du Villard se
+chargea, paraît-il, de la plus grande partie; mais, comme elle n'avait
+pas alors beaucoup d'argent disponible, elle demanda à son frère, sous
+un autre prétexte, de l'argent qu'il lui devait et auquel il ne songeait
+guère, croyant qu'elle n'en avait nul besoin.
+
+Il fallut pourtant songer au départ, car l'oncle, cette fois, menaçait
+tout à fait de se débarrasser du prodigue neveu. Ce furent de touchants
+adieux à «Myrthé», sa belle, mais surtout à la liberté, «l'impayable
+liberté». À ce moment, il jeta bien quelque vague coup d'oeil en arrière,
+et ses projets de travail lui revinrent à l'esprit; il en prit son
+parti, ne regretta rien, mais ne s'en tint pas quitte, se réservant pour
+Milly où il prévoyait bien qu'un cruel ennui allait l'accabler à
+nouveau: là-bas, «l'imagination et son livre anglais» le dédommageraient
+de tout.
+
+Ce petit séjour à Lyon marque une date dans la jeunesse de Lamartine; au
+retour, les dernières traces laissées par l'enseignement de Belley ont
+disparu, remplacées par le goût du plaisir, de la dépense, et l'horreur
+de la contrainte familiale. «Les ébauches littéraires vont se ressentir
+de ce nouvel état d'esprit.»
+
+Lamartine, on l'a vu, était de retour à Mâcon le 18 mai. Le 19, nous le
+trouvons à Milly, plus désoeuvré et enfiévré que jamais, s'ennuyant dans
+son «trou», seul avec ses livres, sa plume «que rien ne stimule», son
+imagination qui le tourmente. La mère, comme toujours, cherchait à
+excuser son humeur un peu vive, «car il est assez naturel à un jeune
+homme sans occupations forcées de s'ennuyer à la campagne». Mais, cette
+fois, c'était lui qui ne voulait plus s'occuper.
+
+Bientôt, les idées sombres l'envahirent à nouveau et ses lettres d'alors
+sont pleines d'une philosophie qu'il essaye de rendre résignée, mais où
+percent le dégoût, l'amertume et la détresse[169]: à Milly, à
+Saint-Point, à Montceau, il traîne son oisiveté sous l'oeil agacé du
+père. Enfin, nerveux, mal à l'aise, il partit le 2 juillet à Dijon chez
+l'abbé, où il retrouva un peu d'équilibre et de tranquillité. Ce furent
+des lectures sans ordre, comme toujours: Montaigne, Mme de Staël, le
+prince de Ligne, Young et Jean-Jacques; des paresses sans fin dans les
+herbages ou dans la thébaïde. Les choses auraient été fort bien sans
+«les diables de soucis de l'avenir», qui reviennent troubler sa paix de
+temps à autre, et «cette tête, écrit-il à Virieu, que tu connais aussi
+bien que moi[170]». Puis, apprenant que son père et sa mère allaient
+arriver pour le mois d'août à Montculot, il s'empressa d'en déguerpir,
+sous prétexte de mettre en train les vendanges, mais en réalité,
+semble-t-il, pour chercher le repos et fuir sa famille.
+
+[Note 169: «Beaucoup de mes rêves, toutes mes espérances
+s'évanouissent chaque jour, c'est comme les fantômes qu'on se fait la
+nuit et que le premier rayon du jour dissipe ou réduit à leur juste
+valeur. Et toi, mon cher ami, tu es donc aussi comme moi, tu vois que
+nous avions rêvé, rêvé d'une société à notre guise, rêvé la gloire, rêvé
+l'amour, rêvé des femmes comme il devrait y en avoir, rêvé des hommes
+comme il n'y en aura jamais....» (_C._, I, p. 243.) Cette lettre, datée
+de Milly, 14 mai 1810, est mal classée: en effet, nous savons par le
+_Journal intime_ que le 14 mai Lamartine était encore à Lyon; mais comme
+il écrit à Virieu dans le courant de cette lettre: «Je vais partir dans
+une quinzaine de jours passer quelques semaines à Dijon», et qu'il y
+arriva le 2 juillet, on peut en conclure qu'elle est du 14 juin.]
+
+[Note 170: _C._, I, p. 256, du 26 juillet 1810]
+
+Seul à Milly, il reprit sa vie renfermée; rêveur, ennuyé de la vie, il
+fit ses délices du fade et mathématique _Traité de la solitude_ de
+Zimmermann, se plongea dans _Werther_, dont, écrit-il à Virieu, il est
+souvent tenté d'imiter la fin[171].
+
+[Note 171: _Id._, p. 276, du 30 sept. 1810.]
+
+Sans grand enthousiasme, il essaya aussi de prendre part au concours des
+Jeux floraux, mais l'affaire, comme toujours, ne fut qu'un projet[172].
+Enfin, quand les Lamartine regagnèrent Milly au début d'octobre, il
+partit précipitamment pour Crémieu, chez Guichard, malgré sa mère, qui
+commençait à s'inquiéter de cette nouvelle coïncidence de son départ et
+de leur arrivée[173]. Il y demeura jusqu'au 7 novembre.
+
+[Note 172: _Id._, p. 264, du 30 août 1810.]
+
+[Note 173: _J. I._, 8 oct. 1810.]
+
+Il revint du Dauphiné apaisé et moins sauvage; en novembre, Mme de
+Lamartine a noté quelques bals à Maçon où il reste «fort tard» et, pour
+le retenir, elle se décida un peu à contre coeur à organiser de petites
+soirées à Milly, «heureuse, dit-elle, quand je le vois ainsi s'amuser
+sous mes yeux». Puis il s'installa à Mâcon dans les premiers jours de
+décembre, bien à regret, mais il était sans ressources pour recommencer
+l'hiver de l'année précédente. Il flânait le soir au théâtre de la
+ville, se montrait assidu aux bals. Sa mère, que l'expérience aurait
+peut-être dû rendre plus méfiante, mais qui redoutait surtout de le voir
+vivre trop en lui-même, l'y encourageait innocemment sans prévoir les
+conséquences fâcheuses pour son repos qui devaient suivre «cette petite
+dissipation d'esprit».
+
+
+
+
+CHAPITRE II
+
+LA CRISE LITTÉRAIRE. LE PREMIER AMOUR
+
+
+Le 30 juin, Lamartine écrivait à Virieu:
+
+«Et moi aussi, mon ami, ne te disais-je point que je voyais s'évanouir
+tous nos rêves? Hélas! il est trop vrai, que ferons-nous donc? et
+pourquoi avons-nous tous deux ce je ne sais quoi dans l'âme qui ne nous
+laissera jamais un instant de repos avant que nous ne l'ayons satisfait
+ou étouffé? est-ce un besoin d'attachement ou d'amour? Non, j'ai été
+amoureux comme un fou, et ce cri de ma conscience ne s'est pas tu. J'ai
+toujours vu quelque chose avant et au-dessus de toutes les jouissances
+d'une passion même vraie et pure. Est-ce l'ambition? pas tout à fait....
+
+«...Je dis et je pense qu'il n'est qu'un vrai malheur: c'est de ne pas
+satisfaire toutes nos facultés, en un mot toutes les fois que nous le
+pouvons, fallût-il même de pénibles sacrifices. Quelqu'un qui me lirait
+s'imaginerait que je me fais de la morale; mais toi, tu m'entends, tu
+me comprends. Es-tu d'accord de ce que je viens de dire là? Oui, eh
+bien! raisonnons là-dessus et venons à la pratique. Es-tu prêt? je le
+suis, moi: nous allons faire notre code.
+
+«Nous renonçons pour le moment à toutes prétentions exagérées, du moins
+elles ne seront plus l'unique mobile de nos actions. Nous n'écouterons
+que notre propre conscience qui nous dit: Travaillez pour donner les
+intérêts de ce que vous avez reçu; travaillez pour être utiles si vous
+le pouvez; travaillez pour connaître ce que vous êtes capables de voir
+dans la vie; travaillez pour vous dire au dernier moment: J'ai vécu peu,
+mais j'ai vécu assez pour observer et connaître tout ce que ce petit
+globe contient, tout ce qui était à ma portée; j'ai sacrifié à ce désir
+de m'instruire une fortune précaire, quelques jouissances des sens,
+quelque chose dans la sotte opinion d'un certain monde; si j'ai obtenu
+quelque gloire, tant mieux! si je suis malgré cela resté ignoré, je m'en
+console, j'ai été utile à moi-même, j'ai accru mes idées, j'ai goûté de
+tout, j'ai vu les quatre parties du monde; si je meurs dans un fossé de
+grande route, si mon corps n'est pas porté à l'église par quatre bedeaux
+et suivi d'une foule d'héritiers pleurant tout haut et riant tout bas,
+j'ai été aimé, je serai pleuré par un ou deux amis qui ont partagé mes
+peines, mes études et mes travaux; et je rendrai à celui qui sans doute
+a fait mon esprit et mon âme un ouvrage perfectionné de mes mains. Mais
+votre patrie?--Ce n'est plus qu'un mot, du moins en Europe.--Mais la
+société?--Elle n'a pas besoin d'un financier, d'un usurier ou d'un
+boucher de plus et, en travaillant pour moi, peut-être aurai-je
+travaillé pour elle[174].»
+
+[Note 174: _C._, I, p. 248.]
+
+Si ces lignes prouvent la parfaite clairvoyance avec laquelle Lamartine
+se jugeait à vingt ans, elles montrent également jusqu'à l'évidence le
+déplorable résultat moral de ces deux premières années d'indépendance
+dont il augurait tant au sortir de Belley. Certes, elles sont l'aveu des
+juvéniles chimères dont il s'est nourri jusqu'alors, et même leur amende
+honorable, mais avec de hautaines restrictions qui portent l'empreinte
+de la philosophie orgueilleuse et sentimentale de Rousseau. Cette
+nouvelle conception de l'existence, tout aussi littéraire que la
+première, est infiniment plus dangereuse: le doute, l'égoïsme et
+l'amertume en sont les conséquences inévitables.
+
+Les premières désillusions de sa jeunesse sont vraiment insuffisantes
+pour motiver cet état d'âme du moment que des influences littéraires
+peuvent seules expliquer. Il payait ainsi deux années d'un incessant
+vertige intellectuel contre lequel sa sensibilité et son imagination le
+laissaient désarmé; livré à lui même, sans direction, sans contrôle, il
+n'avait eu guère d'autres ressources que les lectures pour occuper ses
+loisirs à Milly: l'abus qu'il en fit, leur choix, les conditions de sa
+vie, sa nature à la fois fiévreuse et mélancolique, tout le prédisposait
+à être une proie facile au mal littéraire qui ravagea sa
+génération[175].
+
+[Note 175: Les causes de ce «mal du siècle» sont surtout
+littéraires; écartés pour la plupart de la guerre--seul mode d'activité
+qu'on connût alors,--ces jeunes gens se réfugièrent avec délices dans le
+monde des idées, ils lurent trop. Cf. _Génie du Christianisme_, chapitre
+du Vague des passions, et Ballanche, où le cas est prévu avec une
+parfaite netteté, lorsqu'il dit: «Mon fils, vous portez dans votre sein
+une secrète inquiétude qui vous dévore. Les livres seuls vous ont tout
+appris. Les plus hautes conceptions des sages, qui pour y parvenir ont
+eu besoin de vivre de longs jours, sont devenues le lait des enfants.»
+(_Le Vieillard et le jeune homme._) Cf. également une lettre de
+Lamartine après sa première lecture de _Corinne_ (_C._, I, p. 117, du
+1er juin 1809).]
+
+ * * * * *
+
+Ce que Lamartine dévora en trois ans--de 1808 à 1812--est prodigieux, et
+cela, pêle-mêle, sans plan organisé, au hasard des bibliothèques et des
+cabinets de lecture. Ici, la _Correspondance_ devient véritablement
+précieuse pour la spontanéité des renseignements qu'elle nous fournit,
+puisque les impressions causées par le nouveau livre sont immédiatement
+traduites dans une lettre à Virieu, froidement ou avec enthousiasme,
+selon l'effet produit. Plus tard, soit dans ses préfaces, soit dans son
+_Cours de littérature_, il reviendra sur beaucoup de ces appréciations
+de la première heure: l'expérience de la vie, des raisons morales,
+politiques ou littéraires dont il ne se souciait pas alors modifièrent
+ses jugements de jeunesse; mais la façon dont il les formula à vingt ans
+doit seule nous importer.
+
+L'impression devait être d'autant plus profonde que Mme de Lamartine
+exerça longtemps un contrôle sévère sur les lectures de son fils, qui
+prenaient ainsi la valeur du fruit défendu. Avec un pieux sentiment
+d'amour maternel, le poète qui sentit combien il avait été soumis aux
+influences littéraires lui fit plus tard une part qu'elle n'eut jamais
+dans sa direction intellectuelle: les _Confidences_, les _Commentaires_,
+certains passages remaniés du _Manuscrit de ma mère_ la montrent lisant
+Homère, Tacite, Virgile, Mme de Sévigné, Fénelon, Molière, et même
+les tragédies de Voltaire.
+
+La vérité est que Mme de Lamartine lisait peu par manque de temps
+d'abord, mais surtout par méfiance de soi-même et crainte de ce qu'elle
+appelle «de séduisantes idées fausses». Son Journal nous révèle ses
+préférences, qui vont à saint Augustin, à Bossuet, aux Chroniques de
+Joinville, à Fénelon, à La Fontaine, à Laharpe, à Mme de Genlis; elle
+y puisait les principes moraux nécessaires à l'éducation de ses enfants,
+et ce sont là les auteurs le plus souvent nommés par elle.
+
+Parfois, quelque nouveauté célèbre arrivait jusqu'à elle; mais elle
+avait gardé de son éducation religieuse l'horreur de la littérature
+romanesque ou sentimentale, de «l'abominable philosophie destructrice de
+la religion». C'est ainsi que Chateaubriand lui paraîtra «trop
+passionné», _Atala_ «capable d'échauffer la tête des jeunes gens», _les
+Martyrs_ «loin d'être aussi bons moralement que beaucoup de gens le
+jugent». «En tout, dira-t-elle après la lecture du _Génie_, cet ouvrage
+qui est pourtant très bien me paraît un peu trop propre à exalter
+l'imagination.» _Corinne_ sera pour elle «un roman invraisemblablement
+écrit et avec beaucoup de prétention»; cependant elle s'y intéressera,
+«quoiqu'il y ait bien des choses à dire». De même, _Roland Furieux_
+qu'elle lira seulement en 1808, lui inspirera les réflexions suivantes:
+«Il y a des choses plaisantes, mais il y en a de mauvaises que je passe,
+et il ne faudrait pas que des jeunes gens le lisent».
+
+Mais le XVIIIe siècle, surtout, sera pour elle un objet d'épouvante:
+elle interdira sévèrement à son fils les _Mémoires de Mme Roland_,
+«quoiqu'il en eût très grande envie»: «Je sais bien, ajoute-t-elle
+mélancoliquement, qu'il peut se procurer à mon insu tous les livres
+qu'il voudra, mais au moins je n'aurai pas à me reprocher de l'avoir
+autorisé à cela». «On se permet trop, dira-t-elle aussi, de lire toutes
+sortes de livres sous prétexte qu'il n'y a plus de danger: cela est fort
+mal fait.»
+
+Elle ira plus loin encore: en 1813--Lamartine avait donc vingt-trois
+ans,--elle profita d'un de ses voyages à Paris pour brûler ses livres,
+et par hasard elle ouvrira l'_Émile_ dont elle se laissera aller à lire
+quelques passages «qui sont superbes et m'ont fait du bien»; mais
+bientôt le danger qu'elle a couru en s'abandonnant au charme de tant
+d'idées qu'elle sait condamnées, la remplit de terreur et elle
+terminera: «Cela me révolte, je brûlerai ce livre, malgré ce qu'il y a
+de bon, et _la Nouvelle Héloïse_ aussi, bien plus dangereux encore parce
+qu'il anime davantage les passions et qu'il est plus séduisant».
+Rousseau l'effrayera toujours pour des motifs qu'elle n'explique pas,
+mais qu'on devine: sa vie privée, l'anarchie politique et religieuse
+dont elle le rend responsable, et son «abominable philosophie» qui
+synthétise à ses yeux l'esprit du XVIIIe siècle.
+
+Lamartine, on le voit, eut donc quelque mal à faire ses lectures
+ouvertement; d'ordinaire, il emportait son livre en promenade ou
+s'enfermait dans sa chambre. À Milly et à Saint-Point d'ailleurs, il n'y
+avait pas de bibliothèque; à Mâcon et à Montceau, celles de son oncle
+étaient importantes, mais il n'en avait pas la disposition; il lui
+restait le cabinet de lecture de Myard, à Mâcon, où sa mère nous apprend
+qu'il était abonné en 1808, et Montculot, où l'abbé avait entassé deux
+mille volumes qu'il légua plus tard à son neveu. Il y ajoutera les
+contemporains, les nouveautés, bons ou mauvais livres, et en général
+tout ce qui lui tombera sous la main.
+
+C'est le séjour à Crémieu, en octobre 1808, qui marqua le début de sa
+fièvre littéraire. Dans quelles conditions, maintenant, va-t-il
+s'assimiler ces lectures faites sans direction et sans critique, et
+quelle influence vont-elles avoir sur la formation de sa personnalité?
+Une théorie séduisante et facile même à appuyer sur des faits serait de
+prétendre qu'il en goûta seulement les mauvais côtés, se dirigea surtout
+vers Parny et son école et qu'il lui fallut la crise morale des années
+1817-1819 pour se libérer entièrement de leurs derniers souvenirs.
+Pourtant, à y regarder de plus près, il semble que la vérité soit
+ailleurs.
+
+Certes, une des contradictions les plus singulières de la
+_Correspondance_ est assurément ce mélange, à première vue inconciliable
+et quelque peu incohérent, d'impromptus, de pièces d'almanach, d'épîtres
+pompeuses, et de peintures mélancoliques ou désespérées de ses
+souffrances morales. Mais c'est qu'à cette époque, et pour longtemps
+encore, Lamartine qui, on l'a vu, rêva très tôt de se faire un nom dans
+les lettres, tenait pour bonne la fameuse formule que les classiques
+opposeront plus tard à la débordante facilité des romantiques: hors de
+l'ordre moral, point de véritable mérite littéraire; il ne pourra donc
+s'imaginer la gloire sous une autre forme que celle de pièces fugitives,
+toujours à la mode, d'interprétations plus ou moins fidèles d'un poète
+étranger, d'une tragédie bien régulière, d'un poème épique
+laborieusement rimé. Et nous avons la preuve de cette conception du
+métier littéraire par quelques odes intercalées plus tard dans les
+_Méditations_: le Génie, l'Enthousiasme, et le Poète exilé.
+
+Le contraste ne manque pas aujourd'hui d'un certain piquant lorsqu'on
+voit naître peu à peu dans la _Correspondance_ les premières
+_Méditations_, jalousement cachées comme des essais intimes et trop
+personnels, tandis que Lamartine court Paris un _Saül_ ou une _Médée_
+sous le bras: «Je vais me remettre au grand ouvrage de ma vie, écrit-il
+en 1816 à son ami Vaugelas; si je réussis, je serai un grand homme;
+sinon la France aura un Chapelain ou un Cottin de plus»[176]. Le grand
+ouvrage, ce n'était pas, comme on pourrait le croire, ses _Méditations_,
+mais un poème épique sur Clovis, qui l'occupa jusqu'en 1820. Bien mieux,
+au moment où il se décidera à publier, presqu'à contre-coeur[177], les
+_Méditations_, ce fut sans les soins amoureux du poète pour son
+premier-né[178], et pour essayer de «lancer» ses tragédies[179].
+
+[Note 176: _C._, II, p. 97; du 28 juin 1816.]
+
+[Note 177: _Id._, p. 337, du 25 avril 1819.]
+
+[Note 178: Toute l'année 1819 fut occupée par des projets de
+tragédies et de poèmes épiques: _Saül_, _Clovis_, _Jepté_, _Sapho_,
+etc.; enfin sa maladie et son mariage accrurent encore l'indifférence
+qui accompagna la publication des _Méditations_, en sorte que l'édition
+fut très peu soignée; des vers furent tronqués et d'autres omis.]
+
+[Note 179: _C._, II, p. 358, du 27 mai 1819.]
+
+Que conclure de cette perpétuelle violence à ses sentiments véritables,
+sinon que ses premiers essais furent conçus seulement dans le but défini
+d'atteindre à la célébrité, et qu'il renfermait soigneusement en lui
+les troubles et les détresses dont débordent ses lettres?
+
+C'est pourquoi, au cours de ses lectures, il ne s'enthousiasmera pas
+pour ceux qu'il imitait par métier; au contraire son ardeur, lorsqu'il
+s'agit de Rousseau, d'Young, d'Ossian, de Mme de Staël et de
+Chateaubriand, prouve que ceux-là furent les véritables éducateurs de sa
+pensée et qu'il leur doit presque tout de ses aspirations tourmentées et
+insatisfaites[180].
+
+[Note 180: Cf., sur les influences littéraires subies par Lamartine,
+l'excellent ouvrage de M. Zyromski, _Lamartine, poète lyrique_.]
+
+Il faut noter aussi son incompréhension absolue des oeuvres d'analyse et
+de précision qui ne répondent chez lui à aucun état d'âme. Les seuls
+Allemands qu'il nomme sont Goethe et Zimmermann, l'un pour son _Werther_,
+l'autre pour son _Traité de la solitude_; mais les deux sujets qui
+pourtant semblaient faits pour lui plaire n'eurent pas sur lui l'effet
+qu'on pourrait supposer: «Je viens de lire _Werther_, écrit-il en 1809,
+il m'a fait la chair de poule: je l'aime pas mal non plus. Il m'a
+redonné de l'âme, du goût pour le travail, le grec; il m'a un peu
+_attristé et assombri_[181].» Résultat imprévu et qu'on n'attendait
+guère d'une lecture qui démoralisa la jeunesse romantique; tout au moins
+peut-on l'expliquer du fait que _Werther_, oeuvre documentaire et assez
+froide, ne fut jamais vécue par Goethe; instinctivement peut-être,
+Lamartine ne s'y trompa point et n'y découvrit pas l'accent de
+sincérité qu'il lui fallait. «Vive les Allemands pour la raison![182]»
+s'écriait-il après la lecture du _Traité de la solitude_ où Zimmermann a
+méthodiquement catalogué les inconvénients et les avantages de cet état
+d'âme: il ne rencontrait en effet chez eux guère autre chose que la
+raison, l'esprit brutal et sec d'analyse ou de classification, choses
+qu'il ignore et qui cadrent mal avec sa nature mouvante et pleine de
+revirements.
+
+[Note 181: Souligné par Lamartine. _C._, I, p. 177, du 9 nov. 1809.]
+
+[Note 182: _C._, I, p. 260, du 10 août 1810.]
+
+À cet égard, encore, l'exemple de Montaigne est tout aussi typique. La
+première rencontre fut mauvaise[183], mais Virieu, d'un esprit aussi
+froid et méthodique que le sien l'était peu, voulut lui faire partager
+son admiration pour celui qu'il appelait son maître et Lamartine s'y
+employa de bon coeur: «Je lis l'ami Montaigne, lui répond-il, que
+j'apprends tous les jours à mieux connaître et par conséquent à aimer
+davantage; veux-tu que je te dise ce qui m'y attache plus encore? c'est
+que je trouve une certaine analogie entre son caractère et le
+tien[184]». On sent alors que, bien plus par amitié que par goût, il
+s'évertue à l'admirer, «l'adore», l'aime «infiniment plus
+qu'autrefois[185]». Pourtant, la première impression était la bonne et
+en 1811 il écrivait «...Ses idées m'amusent, mais ses opinions me
+fatiguent et me blessent... il faut être froid pour se plaire à
+Montaigne; je l'ai aimé tant que je n'ai rien eu dans le coeur;... tout
+ce que j'aime en lui, c'est son amitié pour La Boëtie[186]». Tel avait
+été le vrai motif de son admiration passagère: un seul point lui plut,
+où il retrouvait un sentiment personnel, son amitié pour Virieu; le
+reste lui échappa.
+
+[Note 183: _Id._, p. 148, du 19 août 1809.]
+
+[Note 184: _Id._, p. 253, du 26 juillet 1810.]
+
+[Note 185: _Id._, p. 260, du 10 août 1810.]
+
+[Note 186: _C._, I, p. 301, du 21 mai 1811.]
+
+Ainsi, chez, lui, tout se résume dans la première impression, et c'est
+la seule qui doive compter lorsqu'il s'agit de l'étudier, d'autant qu'il
+n'apportait aucun esprit critique dans ses lectures, aucune mesure dans
+ses admirations et qu'il lui suffisait pour goûter une oeuvre d'y
+retrouver la description d'un de ses états d'âme, un sentiment déjà
+éprouvé, ou l'écho d'un souvenir; exaspérées ainsi, son imagination, sa
+sensibilité, l'imagination maladive qu'il portait en toutes choses
+faisaient le reste.
+
+Dominé par tant d'influences littéraires, il se trouvait à la merci de
+toutes les chimères qu'elles allaient faire naître et la moindre
+étincelle devait enflammer le brasier qu'il portait en lui. Mais il
+était fatal aussi que sa première émotion du coeur dût y gagner en
+violence plutôt qu'en sincérité, et le très romantique amour de
+Lamartine pour la jeune Henriette Pommier, inconsciente tentative
+d'appliquer à la vie les idées dont il était nourri, eut le bref
+dénouement que sa nature changeante laissait prévoir[187].
+
+[Note 187: Lamartine, qui se connaissait parfaitement, et souffrait
+de sa mobilité de sentiments, écrivait un jour à Virieu: «Nous sommes
+vraiment de singuliers instruments, montés aujourd'hui sur un ton,
+demain sur un autre; et moi surtout, qui change d'idées et de goût selon
+le vent qu'il fait ou le plus ou moins d'élasticité de l'air». (_C._,
+II, p. 16, du 28 mars 1813.)]
+
+Marie-Henriette Pommier, née à Mâcon le 1er mai 1790, était fille de
+Pierre Pommier, conseiller au bailliage avant la Révolution, puis juge
+de paix à Mâcon, et de Philiberte Patissier de la Presle, d'une vieille
+famille du pays. Elle était donc un peu plus âgée que Lamartine et c'est
+ainsi, sans doute, qu'il faut entendre la disparité d'âge dont il a
+parlé comme du premier obstacle au mariage qu'il avait projeté. D'autre
+part, sa naissance confirme ce qu'il a dit lui-même en écrivant qu'elle
+tenait d'un côté à la noblesse du pays et de l'autre à la bourgeoisie.
+
+Au dire de ceux qui les ont connus, les Pommier étaient d'honnêtes et
+simples gens: Mme Pommier était une excellente femme très vive et
+très spirituelle et qui, à quatre-vingts ans, montrait encore dans le
+monde de fort belles épaules. Sa demeure était située face à l'hôtel de
+ville de Mâcon devant lequel une sentinelle montait alors la garde; pour
+se délasser de ses longues insomnies, elle entamait parfois une
+conversation avec le factionnaire et ces duos nocturnes faisaient la
+joie des salons mâconnais.
+
+Sa fille était à vingt ans une merveilleuse créature: M. Duréault, qui a
+tenu entre les mains sa miniature exécutée à l'époque, et même un de ses
+souliers de bal, affirme que le portrait laissé d'elle par Lamartine
+est fort ressemblant et que «sa beauté pensive, sa taille mince, sa
+démarche svelte, la grâce de ses bras, l'inimitable délicatesse de ses
+pieds, la langueur morbide de son cou, son sourire à la fois charmant et
+mélancolique» sont autant de détails fidèles et qui n'ont pas été
+exagérés par le poète.
+
+Les jeunes gens se rencontrèrent en soirée, à l'un de ces bals où nous
+avons vu fréquenter le jeune homme pendant l'hiver 1810-1811. Dans les
+_Mémoires inédits_, Lamartine n'a nommé leur hôtesse que de son
+initiale: c'était Mme de la Vernette, femme de Pierre-Bernard de la
+Vernette, ancien capitaine au régiment de Navarre et chevalier de
+Saint-Louis, qui, très mondaine et lettrée, recevait dans ses salons
+l'élite de la société de la ville; les jeunes dansaient, disaient des
+vers; les hommes causaient littérature et politique: un soir, Henriette
+Pommier dont la voix était fort belle se mit au piano, et Lamartine céda
+au charme[188].
+
+[Note 188: Les _Mémoires inédits_ nous apprennent qu'un certain M.
+F. C., domicilié à Saint-Clément-lès-Mâcon, aurait joué un rôle assez
+étrange dans l'aventure, soit qu'il favorisât les entrevues des jeunes
+gens chez lui, soit qu'il se proposât comme ambassadeur. Les souvenirs
+de Lamartine sont-ils en défaut sur ce point? Il n'y avait en effet, en
+1811, aucun M. F. C., propriétaire à Saint-Clément.]
+
+C'est au début de février 1811 que Guichard reçut la confidence de cette
+passion naissante[189] et il faut noter que, d'après la
+_Correspondance_, l'austère Virieu ne fut pas tenu au courant de tous
+les détails de l'aventure. À cette date, l'amoureux n'avait pas encore
+osé se déclarer et le roman en était d'ailleurs à ses premières pages,
+puisqu'il annonçait à son ami qu'il allait faire «un de ces jours» une
+pathétique déclaration et serait ensuite soulagé «en grande partie».
+Mais, incapable qu'il était de se maîtriser, les salons de Mâcon
+commencèrent à s'étonner de son assiduité auprès de la jeune fille.
+Faut-il croire ici que l'oncle, connaissant le caractère fantasque du
+neveu, ait tenté une diversion en le faisant admettre à l'Académie de
+Mâcon malgré ses vingt ans[190]? L'hypothèse n'aurait rien
+d'invraisemblable, en tenant compte des idées de Louis-François, qui
+jusqu'ici n'avait guère encouragé les goûts littéraires de l'adolescent.
+Quoi qu'il en soit ce fut peine perdue, sa devise du jour étant: _Rien
+ne m'est tout_ (?), _tout ne m'est rien_[191]. Sa détresse, qu'il
+exposait avec complaisance, entra alors dans la phase mélancolique:
+Ossian, Young et Shakespeare voisinèrent sur sa table et il errait, à
+l'en croire, à travers la campagne avec son chien, pleurant «comme un
+enfant» à la lecture de Sterne[192]. Virieu--qui semble ignorer encore
+les causes de cette nouvelle désespérance--s'en inquiéta et lui arracha
+le serment de ne pas mettre fin à ses jours, ce qui lui fut accordé
+somme toute avec assez de bonne volonté[193].
+
+[Note 189: _C._, I, p. 289-90, du 1er février 1811.]
+
+[Note 190: Sur Lamartine à l'Académie de Mâcon, cf. Reyssié (_op.
+cit._), qui a publié les procès-verbaux de sa réception, et le _Compte
+rendu_ des travaux de cette société pour 1811, où l'on trouve une
+analyse de son discours; il avait pris pour sujet: De l'étude des
+langues étrangères.]
+
+[Note 191: _C._, I, p. 291, du 24 mars 1811.]
+
+[Note 192: _Id._, _ibid._]
+
+[Note 193: _C._, I, p. 291, du 24 mars 1811.]
+
+Il faut croire que mars avait vu sa déclaration; le 2 avril, en effet,
+il écrivait à Guichard une lettre enflammée: «Oui, mon ami, plains-moi,
+pleure sur moi! je suis bien digne de quelque pitié. J'aime pour la vie,
+je ne m'appartiens plus et je n'ai nulle espérance de bonheur
+quoiqu'étant payé du plus tendre retour; tout nous sépare, quoique tout
+nous unisse, je vais prendre incessamment un parti violent pour obtenir
+sa main à vingt-cinq ans[194].» Le «parti violent» fut de s'ouvrir à la
+famille de ses projets, et l'on peut penser, comme il l'a dit, qu'ils
+furent mal accueillis. Il était sans position, la dot de la jeune fille
+assez mince, et l'alliance Pommier ne tentait guère l'aristocratique
+Louis-François. Les Lamartine furent inébranlables, et il n'obtint pas
+même, cette fois, la demi-promesse qu'on lui accordait d'habitude, en
+laissant au temps ou à quelque nouvelle chimère le soin d'apaiser son
+imagination.
+
+[Note 194: _Id._, p. 296, du 2 avril.]
+
+Voici pourtant chez lui l'indice d'une passion sérieuse: malgré tout son
+amour de l'indépendance, écrivait-il à Guichard, il se décidera à
+travailler[195]. Le projet était encore assez vague puisqu'il s'agissait
+de solliciter à l'automne un emploi quelconque dans le gouvernement.
+Mais l'intention connut même un semblant d'exécution. Le 24 avril, sa
+mère a en effet noté qu'au cours d'une visite à Champgrenon chez les
+Rambuteau il se fit présenter au comte Louis de Narbonne, ministre de
+France en Bavière, qui le reçut avec amabilité et l'engagea à venir à
+Paris, où il lui trouverait une situation. «Tout cela peut avoir plus de
+danger, peut-être encore, que d'utilité», ajoute Mme de Lamartine.
+Ainsi, bien qu'elle semble s'être fait un scrupule de rester neutre dans
+la question,--c'est la seule allusion à Mlle Pommier que l'on
+rencontre dans son journal--on voit qu'elle n'était pas favorable à ce
+mariage et préférait encore voir son fils inactif.
+
+[Note 195: _Id._, p. 296-97, du 2 avril 1811.]
+
+La résistance qu'il rencontrait ne fit qu'aggraver, comme toujours, son
+exaltation, et il décida d'employer la suprême ressource: ne pouvant
+rien obtenir qui lui donnât l'assurance d'une «libre aisance», il
+entrera dans l'armée «et essaiera de se faire tuer, ou du moins,
+ajoute-t-il prudemment, d'acquérir un grade qui le fera vivre, sa femme
+et lui[196]». Il disait _sa femme_, «parce que je la regarde comme telle
+et que rien au monde ne peut nous séparer».
+
+[Note 196: _C._, I, p. 296-97, du 2 avril 1811.]
+
+L'affaire devenait sérieuse, mais les Lamartine tinrent bon. Usant d'une
+tactique qui leur avait déjà réussi, ils l'expédièrent bon gré mal gré à
+Montculot vers la fin d'avril. Le 20 mai il était de retour, dégoûté de
+la Bourgogne qu'un «tendre attachement» ne parvenait même pas à lui
+faire aimer, toujours cruellement amoureux[197], et proclamant tout haut
+l'éternité de ses sentiments en même temps que la barbarie de sa
+famille. À l'en croire même, Mme Pommier serait venue alors trouver
+les Lamartine pour leur soumettre avec beaucoup de loyauté une lettre
+d'Alphonse à _sa femme_, où il jurait que rien ne pourrait les désunir.
+À tout prix, cette fois, il fallait l'éloigner; mais sur ce point il
+était intraitable, à moins, sans doute, d'une occasion exceptionnelle.
+Il s'en présenta une qui le fit réfléchir.
+
+[Note 197: _C._, I, p. 299, du 20 mai.]
+
+ * * * * *
+
+Le 22 mai, Mme de Roquemont et sa fille Mme Haste, qui revenaient
+de Paris, s'arrêtèrent quelques jours à Mâcon. Mme de Roquemont, de
+tout temps la confidente de sa cousine, fut mise au courant de la
+situation: Mme de Lamartine lui représenta «la maladie de nerfs»
+d'Alphonse, «la vivacité de son âge et son imagination», en même temps
+que ses conséquences actuelles. Mais que faire? elle ne voulait pas
+entendre parler d'un long voyage sans contrôle possible, et préférait
+encore le voir à Mâcon près d'elle; que deviendrait-il, une fois seul,
+avec cette imagination ardente?
+
+M. et Mme Haste, prêts à partir pour l'Italie, s'offrirent alors avec
+beaucoup de bonne grâce à tirer leurs cousins d'embarras en emmenant le
+jeune homme avec eux, et tous les Lamartine furent d'accord pour saisir
+une telle occasion; les deux oncles et les trois tantes fournirent
+chacun vingt-cinq louis, et cette fois avec empressement, tandis que le
+père complétait de son mieux la somme nécessaire. Le plus difficile
+restait à faire: il s'agissait maintenant de décider le jeune amoureux.
+
+Au premier mot qu'on lui en toucha, il n'eut pas, d'après sa mère, la
+moindre hésitation, et sauta littéralement de joie. Depuis deux ans
+l'Italie était un de ses rêves, et il sacrifia sans regret l'autre pour
+celui-là, plus neuf et immédiatement réalisable. «Il faut bien que je
+rompe les liens les plus doux, écrit-il aussitôt à Guichard, que je me
+condamne pendant sept ou huit mois à une douleur mille fois pire que la
+mort, que j'abandonne tout ce qui m'est le plus cher dans le monde après
+mes deux amis. N'en parlons plus, ne rouvrons pas les blessures trop
+fraîches et trop cruelles[198]....» À Milly on pouvait respirer, car la
+diversion était trouvée.
+
+[Note 198: _C._, I, p. 310, du 10 juin 1811.]
+
+Certes, dans l'intention un peu excusable de ne pas paraître trop
+inconstant aux yeux de Guichard qui avait reçu la confidence de ses
+désespoirs, son ancienne passion figurera par des rappels de ton dans
+les premières lettres d'Italie: «Ô mon cher ami! tu ne sais donc pas
+tout ce que j'ai laissé en France? s'écriera-t-il lyriquement; tu ne
+sais donc pas que toute espérance est morte dans mon coeur et que, plus
+à plaindre que Saint-Preux, je n'aurai connu qu'une passion sans aucune
+jouissance, et qui va me précipiter dans un abîme sans fond[199]?» Les
+lettres à Virieu sont d'une autre désinvolture: «Que de larmes vont
+couler! lui dit-il, combien j'aurai d'assauts à soutenir pour ne pas me
+dédire! mais j'ai du coeur (!) et toutes les Armides de ma patrie ne
+retiendront pas un pauvre chevalier qui va courir les aventures[200]».
+
+[Note 199: _C._, I, p. 323-24, du 13 oct. 1811.]
+
+[Note 200: _Id._, p. 306, du 30 mai 1811 où l'on trouve: «...Une
+occasion charmante et unique s'est présentée: ils l'ont saisie et, tout
+malheureux que je me trouve de quitter pour sept ou huit mois, tout ce
+que j'aime, j'en profite. La fortune ne sourit pas deux fois dans la
+vie, et l'occasion n'a qu'un cheveu». Toute la lettre est d'ailleurs
+incroyable de contrastes et quelque peu incohérente.]
+
+Le moyen, en effet, de résister au plaisir très littéraire d'aller
+traîner sa mélancolie sous le ciel de Rome ou de Florence? Bien avant le
+départ, l'amour d'Henriette n'était plus qu'un souvenir, et rien ne
+peint mieux cette extrême mobilité de sentiments, cette âme changeante
+et si vite rassasiée, soumise qu'elle est à toutes les influences
+extérieures, cette imagination vagabonde que rien ne peut fixer.
+
+L'imagination qui venait en effet de jouer le premier rôle dans cette
+aventure va trouver un aliment nouveau dans ce projet de voyage. Tout y
+sera prévu minutieusement, organisé d'après un plan, rigoureux et précis
+au départ, mais qui, pas davantage que les précédents, ne rencontrera
+d'exécution. C'était là son véritable plaisir, et la réalisation lui
+importait peu. Un jour, il demandait à Virieu des recommandations «pour
+des gens instruits ou des maisons agréables[201]», un autre il
+échafaudait les travaux les plus magnifiques: «Moi aussi, je ferai mon
+voyage, mon itinéraire», s'exclamait-il en évoquant ses souvenirs
+littéraires; et il devait revenir parlant l'italien le plus pur et le
+grec[202].
+
+[Note 201: _C._, I, p. 306, du 30 mai 1811.]
+
+[Note 202: _Id._, _ibid._]
+
+Tous furent enchantés de cette diversion inespérée. Mais la mère avait
+fini par acquérir un peu d'expérience de son fils; elle saisissait bien
+les motifs de ce revirement soudain, et lorsqu'elle écrivait: «Ce voyage
+est au moins très utile en ce moment pour occuper l'activité de sa tête
+et de son imagination de vingt ans», elle voyait juste, l'imagination
+seule était responsable; craignant même que ce beau feu ne s'éteignît
+comme les autres elle pressa le départ et l'expédia à Lyon le 1er
+juillet. «Enfin, note-t-elle ce jour-là avec soulagement, tout a fini
+par s'arranger à notre satisfaction et surtout à celle d'Alphonse.»
+
+Ainsi se termina ce petit roman dont Vignet, étonné d'un si rapide
+oubli, lui reprochait au retour de Naples d'avoir perdu la mémoire[203].
+La fin en est conforme à ce qu'il a raconté: le 25 août 1813, Henriette
+Pommier épousait à Mâcon Jean-Baptiste Leschenault du Villard ancien
+capitaine de chasseurs, sans que son premier et volage fiancé s'en soit
+désespéré; il était alors à Paris où d'autres plaisirs avaient remplacé
+cet innocent commentaire de Jean-Jacques. De part et d'autre les deux
+familles avaient tenu peu compte de ces enfantillages, puisque
+François-Louis de Lamartine fut témoin au mariage de la jeune fille.
+
+[Note 203: Cf. _Correspondant_, _op._ _cit._]
+
+Henriette vécut aux environs de Mâcon, et elle repose aujourd'hui dans
+la petite chapelle triste de la demeure où elle coula des jours sans
+histoire. Regretta-t-elle, aux heures triomphales que connut Lamartine,
+de ne pas partager sa gloire et de n'avoir pas réalisé son rêve de jeune
+fille? La postérité, elle, n'a pas à le déplorer: Lamartine marié à
+vingt et un ans n'eût pas été le poète des _Méditations_.
+
+
+
+
+CHAPITRE III
+
+LE VOYAGE D'ITALIE
+
+
+Le voyage d'Italie, suite imprévue mais agréable de tant d'infortunes,
+n'eut pas sur le développement poétique de Lamartine l'influence qu'on
+lui a trop souvent prêtée.
+
+Florence et Rome étaient pourtant le cadre parfait d'un amour malheureux
+et le soupçon de mélancolie qu'il emportait avec lui était à l'époque un
+élément indispensable pour goûter pleinement le charme des ruines et des
+monuments. Au fond, ce voyage était très littéraire, ce qui l'enchanta,
+tout pénétré qu'il était alors de l'Oswald de _Corinne_. Mais il partait
+pour l'Italie en touriste, le crayon à la main, plus soucieux au début
+de chercher des impressions que de les laisser venir à lui
+d'elles-mêmes; sa _Correspondance_ et son bref carnet de voyage sont là
+pour en témoigner. Huit ans plus tard, Lamartine mûri et désenchanté eût
+été séduit par bien des détails qui en 1811 le laissèrent indifférent.
+Ce qu'il aima surtout dans ce séjour fut l'indépendance qu'il lui
+procura; les nuances, la poésie un peu triste des choses lui échappèrent
+complètement. Parfois on rencontre dans ses notes quelque froide
+réminiscence de Chateaubriand ou de Volney dont sa prose essoufflée
+essaye en vain d'imiter le rythme; à Naples enfin, la contrainte qu'il
+s'était imposée lui devint insupportable et il abandonna Pétrarque,
+qu'il s'efforçait de lire sans y comprendre grand'chose[204]; grisé de
+lumière et de liberté, il fut jeune, insouciant, avide de plaisir et se
+laissa vivre indolemment. Nous retrouverons cet état d'âme en 1822:
+_Ischia_, _Philosophie_, _le Passé_, la suave _Élégie_ des Nouvelles
+Méditations, appartiennent à la même inspiration que l'_Hymne au
+Soleil_, _À Elvire_ et _le Golfe de Baia_.
+
+[Note 204: _C._, II, p. 15, du 28 mars 1813.]
+
+Sans doute, on peut faire avec justesse des rapprochements entre divers
+passages du _Carnet_ et certains fragments des _Méditations_; mais ces
+réminiscences nous paraissent trop directes, surtout si l'on tient
+compte du peu de précision de Lamartine, pour ne pas admettre qu'ayant
+eu en 1819 à décrire quelques monuments ou aspects d'Italie, il ait
+alors fait appel à ses notes de voyage, rédigées autrefois dans un vague
+but littéraire. Quoi qu'on puisse dire, Pétrarque et Lamartine n'ont pas
+de rapports. Pétrarque chanta l'amour idéal; après _le Lac_, Lamartine
+pleura l'amour impossible et par la force des choses finit par tourner
+au pétrarquisme, pétrarquisme infiniment plus humain, pourrait-on dire,
+que celui du maître italien. Du fait que nous possédions un petit
+Pétrarque ayant appartenu au poète, dont un sonnet au moins fut traduit
+par lui, il serait imprudent de conclure à une influence aussi profonde
+que celle d'Young, car les traductions de poètes étrangers, auxquelles
+il s'astreignit souvent dans sa jeunesse, ne furent jamais pour lui que
+des exercices de versification. Il n'existe dans son oeuvre aucune
+ambiance italienne mélancolique ou douloureuse, car il ne connut
+l'Italie qu'à des moments d'accalmie et d'insouciance où ses maîtres
+furent Horace ou Catulle et non pas Pétrarque.
+
+En 1811, Lamartine quittait la France obsédé par les souvenirs de
+Chateaubriand et de Mme de Staël et cet état d'esprit persista
+pendant la première partie du voyage; à Rome, on voit par le _Carnet_
+qu'il commençait déjà à lutter contre eux; à Naples, enfin, il s'en
+libéra complètement et ses vingt ans reprirent le dessus. Il
+s'abandonna, ébloui, enchanté, et au thème de la vie trop longue succéda
+celui de l'heure trop brève. Il est regrettable qu'il ait brûlé plus
+tard toutes les poésies écrites à cette époque, mais cet autodafé
+indique qu'elles devaient différer de sa seconde manière; pourtant les
+trois _Méditations_ que nous avons nommées, les seules qu'il conserva,
+prouvent suffisamment qu'au cours de ce séjour en Italie il lut, goûta
+et comprit surtout les élégiaques latins.
+
+Lamartine et ses compagnons de route quittèrent Lyon le 15 juillet et la
+veille Mme de Lamartine écrivait dans son journal:
+
+«Alphonse doit demain partir pour l'Italie; ils vont en voiture à
+Livourne où M. de Roquemont a une maison de commerce; ils y resteront
+deux à trois mois. De là, ils iront à Rome et peut-être à Naples. C'est
+un charmant voyage pour mon fils et j'espère qu'il sera profitable à sa
+santé qui n'est toujours pas très forte. Mais il sera au moins très
+utile en ce moment pour occuper un peu l'activité de sa tête et de son
+imagination de vingt ans.»
+
+À Chambéry où il s'arrêta trois jours, il rencontra Virieu et se rendit
+avec lui en pèlerinage aux Charmettes[205]; puis, les voyageurs prirent
+le chemin de Livourne en passant par Turin, Milan, Bologne, Parme et
+Florence[206].
+
+[Note 205: _C._, I, p. 316, du 8 sept. 1811.]
+
+[Note 206: _Id._, p. 318, _id._]
+
+Les premières impressions sont assez décevantes: «Ah! le triste pays que
+l'Italie, écrit-il à Virieu, si on veut y vivre avec les vivants! aucune
+politesse, aucune prévenance, personne qui réponde aux vôtres. Voilà du
+moins ce que j'ai vu jusqu'à Bologne. Quand je trouve un Français, je
+l'embrasserais volontiers. Je parle à tous nos soldats que je rencontre,
+ils sont plus aimables qu'un seigneur italien[207].» Il oubliait qu'être
+Français, à cette époque d'oppression française, n'était pas un titre
+de recommandation à l'étranger.
+
+[Note 207: _Id._, p. 314, s. d.]
+
+Arrivé à Livourne au début de septembre, il demeura deux mois dans cette
+ville anti-artistique s'il en fut, assez désabusé et regrettant comme
+toujours ce qu'il avait fui si joyeusement[208]. Pendant que M. Haste
+s'occupait des affaires de son beau-père, il poussa quelques pointes à
+Florence, à Pise, à Vienne, guettant l'arrivée prochaine de Virieu pour
+entreprendre le voyage de Rome[209]. Mais celui-ci se faisait attendre
+et un événement imprévu vint encore retarder le projet. M. Haste perdit
+son père et fut obligé avec sa femme de regagner Lyon sans retard.
+
+[Note 208: _C._, I, p. 316-319, du 8 sept.]
+
+[Note 209: _Id._, _ibid._]
+
+«Alphonse est alors resté seul, écrit la mère le 9 novembre. Ses oncles
+et tantes étaient d'avis qu'il revînt aussi, mais nous avons trouvé avec
+mon mari qu'il serait trop cruel de ne pas le laisser aller jusqu'à Rome
+dont il est si près et nous lui avons permis de continuer jusque-là. Il
+a aussi demandé d'aller passer huit jours à Naples chez M. de
+Fréminville, auditeur sous-préfet à Livourne, avec qui il s'est fort
+lié, et nous avons accordé. Le seul obstacle à la prolongation de son
+voyage est l'argent: ses oncles et tantes ont donné entre eux
+soixante-douze louis, et nous, ce que nous avons pu, ce qui n'est pas
+bien considérable. Enfin, il ménagera de son mieux pour pouvoir aller
+plus loin; cela l'accoutumera à l'économie dont il avait grand besoin.»
+
+Ainsi, grâce à l'exquise bonté de sa mère, Lamartine triomphait encore;
+aussitôt il quitta Livourne pour se rendre à Rome où il arriva le 1er
+novembre, sans Virieu retenu toujours au Grand-Lemps[210].
+
+[Note 210: _Carnet de voyage_.]
+
+Ici, la documentation devient difficile; nous avons bien plusieurs
+lettres de lui qui exposent sa vie et ses impressions dans la Ville
+éternelle, mais elles se contredisent parfaitement. Le carnet de voyage
+reflète le désenchantement le plus absolu; la _Correspondance_ est vive,
+spontanée, pleine d'enthousiasme: c'est que l'un fut écrit, on le sait,
+avec l'idée vague d'une publication future, tandis que les lettres nous
+donnent l'expression de ses véritables sentiments.
+
+La description qu'il a laissée de Rome dans son carnet est sèche et
+soignée; c'est un tableau banal, sans plus, mais la seule note
+personnelle qu'on y rencontre mérite une mention, car elle prouve une
+connaissance avertie de la nature perpétuellement insatisfaite qu'il
+possède. On a vu sa joie enfantine au départ de Mâcon, et tout ce qu'il
+a mis en oeuvre à Livourne pour atteindre Rome; une fois au but, voici ce
+qu'il en pense: «Je m'étais trop accoutumé, dit-il, à l'idée de voir
+Rome, ce nom-là avait perdu pour moi de son enchantement; je l'avais
+prononcé trop souvent, l'illusion était diminuée. C'est un malheureux
+effet qu'avec mon caractère j'éprouve partout et pour tout. De loin
+c'est quelque chose, et de près... c'est moins que ne me promettait mon
+imagination qui va toujours trop loin et me ménage sans cesse de tristes
+surprises; elle promet plus que la réalité ne peut donner et, ici comme
+ailleurs, elle m'avait trompé.» Il n'y a pas dans cet aveu que des
+souvenirs littéraires.
+
+Le reste des impressions de voyage est quelconque, les clairs de lune,
+les ombres vaporeuse s'y mêlent à des souvenirs classiques et à de
+pompeuses réflexions; les lettres ont un autre prix.
+
+«Je suis à présent fou de Rome, écrit-il à Mme Haste le 15 novembre;
+c'est un paradis pour moi. Le matin, je cours, et j'ai bien de quoi
+m'occuper, je vous assure; je dîne à quatre heures avec d'aimables
+compagnons de course, et puis une longue leçon d'italien et puis des
+artistes à aller voir, et le spectacle et quelques _converzationi_ ne me
+laissent pas une minute d'ennuy.... Florence n'est rien auprès de Rome,
+je me pendrais si je ne l'avais pas vue. Je forme l'agréable projet d'y
+venir passer une bonne partie de ma vie, c'est le paradis des artistes
+et des oisifs[211].»
+
+[Note 211: Lettre publiée par M. Doumic, dans le _Correspondant_
+(_op. cit._).]
+
+«Poète» et «artiste», au sens assez vague qu'il donnait alors à ces
+mots, Lamartine ne crut jamais l'être plus sincèrement qu'à cette
+époque. Artiste, depuis le séjour à Lyon, voulait dire bien des choses:
+cela signifiait qu'on méprisait le reste du monde et ses banales
+coutumes, qu'on vivait à sa guise, au gré du moment et sans l'accablant
+souci du lendemain. Pour être un parfait artiste, encore fallait-il une
+condition essentielle à ses yeux de vingt ans: l'oisiveté, la délicieuse
+liberté, loin de la famille antipoétique.
+
+On retrouve le même enthousiasme dans une lettre à Virieu; elle est
+datée du 18 novembre, soit de trois jours seulement postérieure à la
+première; mais comme on relève entre les deux de notables différences de
+détails, il devient assez difficile de connaître exactement quel genre
+de vie mena Lamartine à Rome:
+
+«...Tu sais que je suis à Rome depuis un certain temps, _j'y mène la vie
+d'un ermite_, j'erre le matin dans ses vastes solitudes, _tout seul le
+plus souvent_; je visite, un livre dans ma poche, ces belles et désertes
+galeries des palais romains, le soir je travaille ou vais visiter
+quelques artistes;... _il y a huit jours que je n'ai mis les pieds au
+spectacle_. Rome me plaît au delà de toute expression: son aspect, ses
+moeurs, son silence, sa tranquillité me font du bien. Si jamais des
+malheurs irréparables m'arrivaient, je viendrais me fixer ici. Je crois
+que c'est le lieu qui convient le mieux à la douleur, à la rêverie, aux
+chagrins sans espoir[212].»
+
+[Note 212: _C._, I, p. 330, du 18 nov. 1811. C'est d'ailleurs un
+phénomène fréquent dans la _Correspondance_: Lamartine ne se montrait
+pas sous le même jour à Virieu qu'à Guichard; mais il était,
+croyons-nous, plus sincère avec Virieu.]
+
+C'est le thème mélancolique du Carnet; mais si les deux lettres
+témoignent de la même admiration, on voit aussi qu'elles offrent un
+certain contraste. Laquelle est sincère? probablement les deux. Comme à
+Mâcon, Lamartine connut à Rome des revirements soudains, et chaque fois
+qu'il exprimait un état d'âme sa bonne foi était absolue. De son côté,
+Mme de Lamartine recevait des lettres fiévreuses, et elle écrivait le
+3 novembre:
+
+«Alphonse m'a écrit une lettre de Rome, dans le premier enthousiasme,
+sur toutes les beautés qu'il voyait. Il était vraiment enchanté, et il
+m'a fait partager son bonheur. Si j'étais plus riche, ajoute-t-elle
+mélancoliquement, je voudrais aller voir cette ville si célèbre, mais je
+dois à présent renoncer à toutes les satisfactions de ce monde.»
+
+Ainsi, il semble que Lamartine goûta très profondément la splendeur de
+Rome et s'y plut même au point d'hésiter à partir pour Naples. Il s'y
+décida pourtant à la fin de novembre[213].
+
+[Note 213: _Carnet de voyage_. _C._, I, p. 344, du 8 déc. 1811.]
+
+ * * * * *
+
+De tout le voyage d'Italie, c'est assurément le séjour à Naples qui lui
+laissa les plus fortes impressions. La _Correspondance_, les
+_Confidences_, les _Mémoires inédits_ témoignent de l'inoubliable
+souvenir qu'il en conserva. Cette fois, les projets d'étude étaient
+loin, la prose fut abandonnée et la poésie reprit ses droits: odes
+légères, païennes, latines, pleines de la joie de vivre, qui figurent
+par des rappels de ton dans des strophes exquises du _Passé_; par elles
+on peut se rendre compte de ce que furent ces premiers poèmes, détruits
+plus tard parce qu'ils portaient l'empreinte de la vie indolente et
+facile de Naples qu'il goûta sous ses deux formes les plus habituelles,
+l'amour et le jeu.
+
+Si l'on parvient à combler les lacunes de la _Correspondance_,
+manifestement très importantes pour 1811, il sera alors possible de
+connaître en détail la vérité sur ce séjour à Naples qui demeure encore
+très mystérieux. Peut-être l'épisode de _Graziella_ contient-il des
+morceaux autobiographiques aussi véridiques que _Raphaël_, peut-être les
+_Mémoires inédits_ sont-ils exacts sur bien des points; actuellement,
+pourtant, nous manquons de contrôle et, connaissant la poétique manière
+dont Lamartine a souvent traité ses souvenirs, il serait hasardeux ici
+de les accepter à la lettre.
+
+Mais Graziella, néanmoins, n'est pas qu'une héroïne de roman. Nous
+savons en effet par une des lettres publiées par M. Doumic, qu'elle
+exista réellement, bien mieux même, qu'elle porta la première ce nom
+d'Elvire qui devait plus tard immortaliser Mme Charles[214].
+Aujourd'hui, le seul renseignement précis que nous possédions sur la
+petite cigarière de Naples est celui-ci: En 1816, Lamartine avait fait
+parvenir à Mme Charles quelques-uns de ses poèmes; ils faisaient
+partie, sans doute, de ces deux volumes d'élégies composées de 1811 à
+1813, et inspirées, prétend Lamartine, par la mémoire de Graziella
+désignée sous le nom d'Elvire. Aussitôt, Mme Charles interrogea
+Virieu sur cette première Elvire et celui-ci répondit avec assez de
+désinvolture: _Oui, c'était une excellente petite personne pleine de
+coeur et qui a bien regretté Alphonse; mais elle est morte, la
+malheureuse! elle l'aimait avec idolâtrie! elle n'a pu survivre à son
+départ._ Et Mme Charles, en rapportant ces paroles à Lamartine,
+ajoute: «Oh, mon Alphonse! qui vous rendra jamais Elvire? qui fut aimée
+comme elle? qui le mérite autant? Cette femme angélique m'inspire jusque
+dans son tombeau une terreur religieuse. Je la vois telle que vous
+l'avez peinte et je me demande ce que je suis pour prétendre à la place
+qu'elle occupait dans votre coeur».
+
+[Note 214: Cf. R. Doumic, _Lettres d'Elvire à Lamartine_ (1 vol.,
+1905).]
+
+De ceci on peut déduire que la fin de Graziella, tout au moins, est
+exacte; mais Mme Charles ne s'exagérait-elle pas la passion de
+Lamartine pour la jeune fille? Par Graziella, comme par elle plus tard,
+comme par toutes les femmes, il se laissa sans doute doucement adorer,
+avec quelque cruauté, et quitte à pleurer plus tard ce qu'il avait
+perdu.
+
+Lamartine arriva à Naples le 1er décembre 1811; encore tout ébloui
+des merveilles de Rome, son intention était de n'y demeurer que peu de
+jours. Logé chez un cousin de sa mère, M. Dareste de la Chavanne,
+directeur des Tabacs, il pensait s'y ennuyer. Mais, dix jours après son
+arrivée, il reconnut que Rome était dépassée. Les notes de
+voyage--«l'itinéraire» qu'il s'était imposé--furent abandonnées le 13
+décembre, et ses lettres à Virieu montrent à l'évidence l'intensité
+voluptueuse des sensations nouvelles qu'il connut sous le ciel de
+Naples. Le 15 décembre, il écrit: «Je suis ici peut-être encore pour un
+petit mois, et qui sait? peut-être plus. Je n'ai fait aucune économie
+parce que étant tout seul je n'ai pas le courage d'en faire. J'ai tout
+jeté par les fenêtres et je suis à sec[215].» Un mois après son arrivée
+il était encore soumis au charme, ce qui peut paraître rare chez lui. La
+lettre est trop révélatrice de cet état d'âme pour ne pas la citer:
+
+«Sais-tu que dans ma belle indifférence j'étais tenté de ne pas venir à
+Naples? J'aurais perdu le plus beau spectacle du monde entier qui ne
+sortira plus de mon imagination, j'aurais manqué ce qu'il y a de plus
+intéressant en Italie pour une tête faite comme la nôtre. Les mots me
+manquent pour te décrire cette ville enchantée, ce golfe, ces paysages,
+ces montagnes uniques sur la terre, cet horizon, ce ciel, ces teintes
+merveilleuses. Viens vite, te dis-je, et tu crieras plus haut que moi.
+
+[Note 215: _C._, I, p. 342, du 15 déc. 1811.]
+
+«Je suis solitaire, je vis seul, partout seul, avec mon domestique et un
+guide. Je suis monté seul au Vésuve, j'ai déjeuné seul dans l'intérieur
+du cratère, je suis allé seul à Pompéi, à Herculanum, à Pouzzoles,
+partout; demain je vais seul à Baïa. Ah! que n'es-tu ici! Pourquoi le
+ciel a-t-il refusé à mes prières un compagnon tel que toi? mais je me
+soumets et me tais. Respectons les décrets de cette Providence inconnue
+que je cherche toujours et que je crois sentir quelquefois, surtout dans
+le malheur, Qu'en penses-tu?
+
+«Je me trouve en ce moment-ci sans le sol et avec des dettes à Naples.
+Je ne pourrai pas en partir si je ne trouvais pas une âme _charitable_
+qui eût la complaisance de me prêter quelques ducats. Je ne sais trop si
+je les trouverai. Je m'endors là-dessus et fais une dépense de fol en
+attendant. Tu ne saurais croire à présent à quel point je porte
+l'insouciance et l'imprévoyance partout, c'est l'air du pays: Je deviens
+un vrais lazzarone. J'ai gagné enfin le sommet élevé du haut duquel je
+vois tout sans que rien m'atteigne. Je dors, j'oublie le beau toscan, le
+majestueux romain, je parle napolitain, c'est une autre langue; je ne
+fais rien, rien du tout, je lis à peine des bêtises que j'ai lues cent
+fois; je ne vais ni dans la société ni même aux théâtres; je ne suis
+plus qu'un lourd composé de paresse, de mollesse, de fierté et de
+petitesse, ça m'est égal[216].»
+
+[Note 216: _C._, I, p. 343-46, du 28 déc. 1811.]
+
+Ainsi Florence et ses monuments, Rome et ses ruines, tout le charme
+mélancolique de l'Italie, cédèrent, de son propre aveu, devant le
+paysage et le soleil de Naples, _ce qu'il y a de plus intéressant en
+Italie pour une tête faite comme la nôtre_. Ainsi la simple nature
+l'emporta cette fois sur le décor, mais toujours avec l'indispensable
+élément sans lequel à ses yeux toute jouissance était imparfaite: la
+solitude. Ainsi l'indifférence la plus absolue fit vite place à
+l'inquiétude de cet insatisfait.
+
+À Naples, Lamartine connut les seules minutes d'apaisement et
+d'équilibre moral de toute sa jeunesse. Il y lut «des bêtises» et en fit
+pas mal; il écrivit des vers agréables mais dans le goût du temps, et il
+apparaît encore ici pleinement que chez lui, les grandes choses, ne
+s'engendreront jamais que dans la tristesse. À ne considérer strictement
+que ses résultats, ce voyage d'Italie ne lui fournit que des thèmes
+lyriques un peu factices et dépourvus d'originalité; il ne fut jamais
+fait pour chanter l'allégresse, mais la douleur.
+
+ * * * * *
+
+À la fin de janvier 1812 pourtant, il en arriva à être saturé de
+plaisirs, «sans émulation et sans curiosité pour rien[217]». «Sans
+l'espoir de te voir arriver, écrit-il alors à Virieu, il y a longtemps
+que j'aurais secoué la poussière de mes pieds. Je suis sans le sol, je
+viens de me mettre à jouer, j'ai gagné en deux jours une quarantaine de
+piastres. Je vais peut-être les reperdre ce soir en voulant pousser plus
+loin. Je maudis tout.» C'était la réaction habituelle; la lassitude
+succédant sans transition à l'enthousiasme.
+
+[Note 217: _C._, I, p. 355, du 22 janvier 1812.]
+
+Sous l'empire d'un tel état d'esprit et dans la situation pécuniaire où
+il se trouvait, rien ne le retenait plus à Naples, si ce n'est l'idée de
+reprendre sa vie monotone à Milly. Il regagna pourtant la France, mais
+sans hâte, s'attardant quelques semaines encore à Florence, puis à Rome.
+Après un court arrêt sur les bords du lac Majeur il traversa la Suisse
+et arriva à Mâcon au début de mai[218].
+
+[Note 218: _J. I._, table des matières.]
+
+L'accueil qu'on lui fit fut assez froid; on en trouve la preuve tacite
+dans la disparition de quelques feuillets du _Journal intime_, feuillets
+qui sont cités à la table du petit cahier avec la mention: _retour
+d'Alphonse, oisiveté, découragement_. Cette mutilation, comme beaucoup
+d'autres, est l'oeuvre de Lamartine. Lorsqu'il rédigea à la fin de sa vie
+_le Manuscrit de ma mère_, il n'hésita pas, craignant sans doute que la
+postérité ne les retournât contre lui, à détruire plusieurs pages où sa
+mère avait noté en pleurant toutes les manifestations de son caractère
+ombrageux et difficile.
+
+Car le jeune homme s'accommoda mal de la petite vie régulière et simple
+qu'il lui fallut reprendre au retour. Après dix mois d'indépendance, le
+contraste fut violent et insupportable, d'autant qu'il avait pris en
+Italie le goût de plaisirs insoupçonnés jusqu'alors et l'habitude de
+dépenses qu'il ne pouvait guère satisfaire sous l'oeil sévère de l'oncle
+de Montceau. Après le golfe de Naples et sa lumière, les collines de
+Milly lui parurent grises, sans horizon. Il devint sombre, incapable
+d'un effort pour se reprendre, s'enferma dans sa chambre à pleurer[219].
+
+[Note 219: _J. I._, 16 juin 1812.]
+
+À traîner ainsi son désoeuvrement et sa mélancolie, il finit par
+inquiéter même son père qui, pour l'occuper un peu et l'attacher
+davantage à ce pays qu'il avait pris en horreur, le fit nommer maire du
+village[220]. À la fin de mai, n'y tenant plus, il se sauva à Montculot,
+sa retraite habituelle lorsqu'il voulait vivre avec ses souvenirs, car
+le brave abbé n'était pas gênant et le laissait libre[221]. Là, il lui
+emprunta quelques louis et hanté par Paris où il pensait retrouver un
+peu des plaisirs de Naples, il partit s'y installer les trois premières
+semaines d'août. En cette saison, la ville était vide et il s'y ennuya
+mortellement[222]. Le 20, on le retrouve à Milly, insupportable à tous,
+même à sa mère qui le trouve «nerveux et un peu dur»; on devine ce que
+«un peu dur» signifie sous cette plume.
+
+[Note 220: _Id._, 25 juin, et archives communales de Milly. Il
+demeura maire jusqu'en 1815, mais s'occupa rarement des affaires du
+village, sauf au moment de l'invasion de 1814 où il dut fournir les
+réquisitions de l'armée autrichienne.]
+
+[Note 221: _Id._, 27 mai 1812.]
+
+[Note 222: _C._, I, p. 364, du 20 août 1812.]
+
+Comme toujours dans ces crises, fréquentes on l'a vu, depuis trois ans,
+il se réfugia dans la solitude, écoeuré de cette vie «trop longue»[223].
+Puis l'imagination se mit à vagabonder et lui rendit quelque force: il
+rêva d'un ermitage à la Rousseau où Virieu et Guichard seraient ses
+compagnons[224] et, pour se distraire, il rima en quinze jours le
+premier acte d'un _Saül_, fuyant le monde non plus cette fois par
+timidité, mais par dégoût et mépris; le mariage de sa soeur le
+«dérangeait» et le «cher beau-frère» l'ennuyait[225]. Petite vanité
+d'adolescent qui vient de découvrir le monde et médit de sa mesquine
+province. Il ne faut pas s'exagérer la portée de ce nouvel état
+d'esprit, mais on doit constater seulement qu'au retour d'Italie,
+Lamartine souffrit d'une rechute aiguë de sa neurasthénie.
+
+[Note 223: _C_., I, p. 364, du 20 août 1812.]
+
+[Note 224: _Id_., _ibid._]
+
+[Note 225: _Id_., p. 371, du 17 nov. 1812.]
+
+
+
+
+CONCLUSION
+
+LAMARTINE À VINGT ET UN ANS
+
+
+Les enfants qui naquirent du début de la Révolution à la fin de l'Empire
+connurent tous une jeunesse à peu près identique; elle influera
+profondément sur leurs destinées futures et déterminera jusqu'en 1830 le
+malaise général appelé romantisme et qu'il ne faut pas limiter à la
+seule littérature.
+
+Cette jeune génération a été jugée de trois manières différentes, mais
+qui toutes se justifient aisément pour peu que nous nous replacions dans
+les conditions où ces opinions contradictoires ont été formulées.
+
+Aux yeux de leurs parents, gens du XVIIIe siècle et endurcis par les
+rudes épreuves de la Révolution, ces adolescents apparaîtront le plus
+souvent comme des incapables et des inutiles, désarmés devant
+l'existence, amollis par leur éducation toute féminine et qui rompent
+avec les saines traditions de la famille. Les mères les ont élevés
+jalousement, avec la crainte éternelle de les voir parcourir l'Europe à
+la suite du conquérant: ainsi tenus à l'écart de la seule activité que
+connurent les hommes d'alors, puisque la politique était muselée, ils se
+réfugièrent entièrement dans le monde de la pensée; l'énergie virile
+finit par s'user chez cette jeunesse contemplative et câlinée et leur
+âme n'exista bientôt plus comme volonté, mais comme sensibilité.
+
+À leurs propres yeux, ce qu'ils parviendront à voir de plus clair en
+eux-mêmes sera l'indécision de leur nature, incapable de rien fixer,
+déroutée qu'elle est par le contraste absolu du milieu et de leur
+personnalité. Les principes du passé dans lesquels ils ont été élevés
+leur pèsent durement, car ils ne cadrent plus avec les conditions de la
+vie nouvelle et surtout avec l'âme que les événements leur ont faite. Il
+en résultera un conflit perpétuel de sentiments intérieurs, une
+incertitude du but à atteindre, en un mot un véritable déséquilibre
+moral où le découragement et la lassitude finiront par dominer. À force
+de ne voir personne autour d'eux répondre aux passions, d'ailleurs
+indécises, qui les tourmentent, ils en arriveront vite à se croire
+différents du reste du monde, les uns avec orgueil, les autres avec
+tristesse; de bonne heure tout effort leur paraîtra vain, et ils vivront
+dès lors entièrement en eux-mêmes, dans une solitude mélancolique qui
+achèvera d'exaspérer leur sensibilité et de ruiner leur énergie morale.
+
+Aux yeux de la postérité enfin, ils seront des individus encore
+hésitants et isolés, doutant de leur destinée jusqu'au jour où le
+groupement en commun les révélera à eux-mêmes en apportant à chacun la
+preuve que les sentiments confus et contradictoires qui l'agitent ne lui
+sont pas particuliers.
+
+Lamartine à vingt et un ans résume en lui tous les caractères de ces
+jeunes âmes inquiètes où le passé et le présent se livrent une lutte de
+tous les instants. À considérer le romantisme comme une expansion
+débordante de l'individu, il est en date et en fait le premier des
+romantiques; il devient au contraire le dernier des classiques si l'on
+étudie le mouvement littéraire de son époque en tant qu'affranchissement
+des vieilles formules. C'est qu'en réalité son oeuvre reflète sa vie
+même, classique de forme, romantique de pensée, comme toute son
+adolescence où l'on assiste au conflit quotidien de ses aspirations très
+romantiques et de son éducation très classique.
+
+ * * * * *
+
+Dans toute destinée, il est une part dont l'homme n'est pas responsable,
+faite de trois éléments infiniment délicats et qu'il est difficile
+d'apprécier à leur valeur. L'un comporte ce que les ancêtres lui ont
+transmis d'instincts ataviques, peu à peu anéantis, modifiés ou
+développés selon les circonstances ou les conditions nouvelles de la
+vie; l'autre est l'oeuvre de ceux dont il dépend pendant son enfance et
+qui assument la tâche de façonner son âme au moment où elle est encore
+molle; le dernier, enfin, comprend la manière dont la société
+l'accueille le jour où il est forcé d'avoir recours à elle, avec
+sympathie, pitié, mépris ou indifférence. C'est leur étude que nous
+avons tentée pour Lamartine dans les pages qui précèdent et il nous
+semble que si on voulait maintenant les résumer brièvement il serait
+possible de le faire ainsi:
+
+Une hérédité saine et attachée au sol natal, foncièrement religieuse et
+point corrompue par les théories matérialistes du XVIIIe siècle; un
+milieu intransigeant et formaliste qui s'efforce de perpétuer
+tardivement les traditions du passé, et redoute d'autant plus les idées
+du temps qu'il les croit issues d'une époque dont il a souffert et d'un
+régime qu'il abhorre; une mère profondément pieuse, aimante et tendre,
+mais sentimentale à l'excès, inquiète et doutant d'elle-même; un père
+excellent, quoique indifférent aux nuances de l'âme; un décor
+naturellement mélancolique, mais qui le deviendra davantage encore aux
+yeux d'un adolescent avide de sensations nouvelles, de plaisirs et de
+liberté.
+
+Puis un enfant dont les premières années ont été assombries et
+silencieuses, d'une nature tendre, comme celle de sa mère, décidée et
+volontaire, comme celle des Lamartine; une première éducation toute
+paysanne et maternelle, remplacée sans transition par l'internat loin du
+foyer et dont la contrainte l'affecte profondément; plus tard, des
+études peu solides et exclusivement religieuses chez les Jésuites de
+Belley où s'exalte encore sa précoce sensibilité.
+
+Enfin, à dix-huit ans, le retour dans la famille, début d'une période de
+long désoeuvrement. Dès cette époque, sinon une vocation littéraire très
+nette, du moins une extrême facilité pour la poésie; mais aucune
+direction dans ses goûts qu'il lui faut cacher, aucun plan d'études
+sérieusement organisé, en un mot une dépense inutile d'énergie accrue
+encore par une imagination impossible à maîtriser et des lectures
+d'autant plus impressionnantes qu'elles sont faites en secret; une âme
+mobile et pleine de contrastes, à la merci de toutes les chimères,
+prompte à s'enthousiasmer mais qu'un rien rebute, et faite de
+revirements brusques comme si elle était perpétuellement à la recherche
+de l'équilibre qui lui manque; des froissements avec le chef de famille,
+dont il sort aigri et découragé; des amis qu'il voit de loin en loin et
+dont le meilleur des confidences s'échange par lettres toujours plus
+exagérées et moins soulageantes que les paroles; quelques amourettes
+plus cérébrales que physiques, des ébauches poétiques qui l'enflamment
+encore: en tout, enfin, une conception uniquement littéraire et
+romanesque de l'existence.
+
+La famille s'inquiète de ces tendances et commence alors à les combattre
+par tous les moyens dont elle dispose; elle décide enfin de l'éloigner,
+et c'est le voyage d'Italie pour changer d'air ce grand garçon dont
+l'oisiveté irrite sourdement les siens. Mais les conséquences n'en
+furent pas celles qu'ils avaient prévues, puisqu'au retour de Naples le
+fossé va s'approfondir encore entre le jeune homme et son milieu.
+
+Ici se termine la jeunesse de Lamartine; dans une seconde partie, qui
+comprendra les années 1812-1820, nous étudierons prochainement les deux
+grandes crises morales qui le mûriront en modifiant complètement sa
+nature et d'où naîtront les _Méditations_.
+
+Mâcon-Paris, 1908-1910.
+
+* * *
+
+
+
+
+APPENDICE
+
+GÉNÉALOGIE ET BIBLIOGRAPHIE DE LA FAMILLE DES ROYS
+
+
+Descendance d'Antoine Grimod et de Marguerite le Juge.
+(Sept enfants.)
+
+Ier Rameau: _de la Reynière_, fondu dans les familles DE MAC-MAHON,
+DE ROSANBO, DE LA TOUR DU PIN-VERCLAUSE et DE TOCQUEVILLE.
+
+ Gaspard Grimod (1687-?),
+ ép.: 1º Jeanne Labbé (?);
+ 2º Marie Mazade (1719)
+ (remariée à Honoré de la Ferrière).
+ |
+----+-------------------+----------+-------+-------------------+
+ | | | |
+_1er lit._ _1er lit._ _2e lit._ _2e lit._
+Jean-Gaspard Marie-Françoise Françoise-thérèse Marie-Madeleine G.
+G. de la Reynière G. de la Reynière, G. de la Reynière, de la Reynière, ép.
+(1723-1797), ép. ép. Jean-Louis ép. Chrétien Marc-Antoine de
+Françoise de Moreau de Beaumont Guillaume de Lévis-Lugny.
+Jarente (1753). (1743). S. P. Lamoignon de
+ | Malesherbes.
+ | |
+Alexis-Baltazar Marguerite-Thérèse
+Laurent G. de la de Lamoignon
+Reynière ép. Louis le
+(1785-1837) ép. Peletier de Rosanbo.
+Adèle Thérèse |
+Feuchère. S. P. ----+-------------------+-------------------+--------------
+ | | |
+ Jean-Marie-Louis Thérèse de Rosanbo Louise-Madeleine
+ de Rosanbo (1771-1794), de Rosanbo
+ (1777-1856), ép. ép. J.-B.-Auguste (1771-1856), ép.
+ Henriette-Geneviève de Chateaubriand J. Bonaventure de
+ d'Andlau (1798). (1786). Tocqueville (1796).
+ | | |
+----+-------------------+-------------- | |
+ | | | |
+Henriette-Madeleine Ludovic de Rosanbo Louis-Geoffroy de Alexis-Charles-Henry
+de Rosanbo, ép. (1805-1862), Chateaubriand de Tocqueville
+Charles, marquis ép. Elisabeth-Aglaé (1790-1878), ép. (1805-1859).
+de Mac-Mahon. de Ménard. Henriette-Zélie
+ d'Orglandes.
+
+* * *
+
+IIe Rameau: fondu dans les familles DARESTE, D'HAUTEROCHE, CARRA DE
+VAUX, et par les LAMARTINE dans les familles DE CESSIAT, DE COPPENS, DE
+LIGONNÈS, DE MONTHEROT et leur postérité.
+
+Marguerite Grimod,
+ép. 1º François Mauverney;
+2º Charles Gavault.
+ |
+Françoise Mauverney,
+ép. Charles Gavault
+(fils d'un premier lit
+du précédent),
+ |
+----+-----------------------------------------------------------+------------
+ | |
+Françoise Gavault, Marie-Marguerite
+ép. Jacques Dareste de la Plagne Gavault,
+(1743). ép. Jean-Louis
+ | Des Roys (1757).
+ | |
+----+-------------------+-------------------+------------ |
+Antoine Dareste Marie-Antoinette Claudine |
+de la Chavanne, Dareste Dareste de la |
+ép. 1º Jeanne de la Chavanne, ép. Chavanne, ép. |
+Palais (1784); François-Pierre Auguste Vasse |
+2º Charlotte Boussard de Roquemont |
+Charvait (1799). d'Hauteroche (1774) (1782) |
+ | |
+J.-B. Dareste |
+de la Chavanne |
+(1789-1879), |
+ép. Claire-Marie |
+Dareste, sa cousine |
+(1820). |
+ |
+----+-------------------+-------------------+-------------------+------------
+ | | | |
+Césarine Des Roys, Catherine Françoise Émilie Des Roys, Alix Des Roys
+ép. Pierre-Benoît Des Roys. ép. ép. X. Papon ép. Pierre
+Carra de Vaux Charles Henrion de de Rochemont de Lamartine
+(1788). Saint-Amand (1778). (1783). (1790).
+ | | | |
+Alexandre Angélique Henrion Françoise Papon Alphonse
+Carra de Vaux, de Saint-Amand de Rochemont, de Lamartine
+ép. Nathalie (1781-1810), religieuse. (1790-1869).
+Marchand (1832). ép. 1º Claude S. P.
+ Amable, marquis de
+ Prez;
+ 2º Joseph-Marie,
+ vicomte Pernetty.
+ S. P.
+
+* * *
+
+IIIe Rameau: de Dufort d'Orsay, fondu dans la famille ducale DE
+GRAMONT.
+
+ Pierre Grimod de Dufort d'Orsay
+ (1692-1748),
+ ép. 1º Florimonde Savalette (1736);
+ 2º Elisabeth de Gourtin (1745);
+ 3º M. A. Félicité de Caulaincourt (1748).
+ |
+ _3e lit._
+ Albert Gaspard Marie, comte d'Orsay (1748-?),
+ ép. 1º Amélie, princesse de Cro[:y];
+ 2º Josèphe de Hoenloe Bartenstein (1784).
+ |
+ Marie-Albert Gaspard,
+ comte d'Orsay (1772-1843),
+ ép. Éléonore de Franquemont (1792).
+ |
+----+-------------------+-------------------+---------------
+ | |
+Gillion Gaspard Alfred, Anna-Ida d'Orsay
+comte d'Orsay (1801-1852), (1802-1882),
+ép. Anne-Françoise ép. Héraclius,
+Gardiner (1827). duc de Gramont
+S. P. (1818).
+ |
+------------------------+-------------------+-------------------+---------------
+ | | | |
+Antoine-Alfred Antoine-Auguste Alfred-Théophile Aglaé-Ida de Gramont
+Agénor de Gramont de Gramont, de Gramont (1836-1875),
+(1819-1880), duc de Lesparre (1823-1881), ép. ép. Théodore,
+ép. Marie ép. Marie-Sophie Charlotte-Cécile marquis du Praz
+Mac Kinnon (1848). de Ségur (1844), de Choiseul-Praslin (1850).
+ branche éteinte (1848).
+ dans les mâles
+
+* * *
+
+IVe Rameau: de Verneuil, fondu dans la descendance de LUCIEN
+BONAPARTE, prince de CANINO.
+
+ Antoine-François Grimod de Verneuil
+ (1696-1765),
+ ép. Henriette-Adélaïde de Tilly (1736).
+ |
+ Marie-Gasparde Grimod de Verneuil
+ (1738-1804),
+ ép. Jean-Charles Bouvet (1759).
+ |
+ Jeanne-Louise-Bouvet
+ (1759-1817),
+ ép. Charles-Jacob de Bleschamp (1777).
+ |
+ Alexandrine de Bleschamp
+ (1778-1855),
+ ep. 1º Henry Jouberthon (1797);
+ 2º Lucien-Bonaparte (1802).
+ |
+----+-------------------+-------------------+-------------------+---------------
+ | | | |
+Charles-Lucien- Lætitia Bonaparte Louis-Lucien Pierre Napoléon
+-Jules Bonaparte (1804-1862), ép. Bonaparte Bonaparte (1815-81),
+(1802-1857), ép. Thomas Wyse (1813-95), ép. ép. Justine-Éléonore
+Charlotte Bonaparte (1834). Marianne Cecchi Ruflin.
+(1822). (1832). S. P. |
+ Roland Bonaparte,
+ ép. Marie Blanc
+ (1880).
+ |
+ Marie Bonaparte,
+ ép. prince George
+ de Grèce.
+
+* * *
+
+Tableau généalogique de la famille Des Roys (1500-1790).
+
+Mathurin Louis Denis Des Roys Catherine
+Des Roys, Des Roy, ép. Des Roys, ép.
+religieux. religieux 1° Claude de Lagrevol; Pierre Aurelle.
+ 2°Isabelle Vacherelle.
+ |
+-------+---------------------+------+------------+----------------+----
+ | | | |
+Antoine Des Pierre Des Roys, Antoine Des Roys Aymard Marthe Des Roys,
+Roys, ép. ép. ? (le jeune), Des Roys, ép. Antoine
+Marguerite de | religieux. religieux. de Romezin
+Jussac | d'où postérité, éteinte
+de Baulmes | u cours du XVIIIe siècle.
+(1533). |
+-------+-------------------------------+---------
+ | |
+Sébastien Des Roys, Claude Des Roys,
+ép. Claude de Guilhon mort sans alliance
+ (1588).
+ |
+-------+-------------------+--------------+-------------------------------+
+ | | | |
+Gaspard Des Roys, Melchior Des Roys, Marie Pierre Des Roys,
+ép. Jeanne ép. Françoise Des Roys, ép. Catherine
+de Cohacy (1588) Faure de Marnans ép. Jean Pollenon Des Olmes
+(sans postérité). (1619). d'où postérité. (1618).
+ | |
+-------+---------+--------+-------+-------------+--------------+----- +
+ | | | | | |
+Baltazar Marie Des Roys, Marie Magdeleine Marie Amable Marie Des Roys, |
+Des Roys, ép. Des Roys, Des Roys ép. |
+ép. Pierre Roche religieuse. religieuse Jacques Rochet |
+Claude (sans postérité). |
+des Olmes |
+(1650). +--------------+-----------+------+
+ | | | |
+ | Philiberte Claude Des Roys, Jeanne
+ | Des Roys, ép. mort Des Roys, ep.
+ | Louis de Romezin sans alliance. Antoine Varillon
+ | d'où postérité. du Sarzier. d'où postérité.
+---+-+-----------------+--- |
+ | | Marie
+Pons Gaspard Cristofle de Rornezin,
+Des Roys, Des Roys, ép. ép. 1° Claude
+ép.Louise Demeure Marie de Romezin, Ferrapie (1685);
+(1679). veuve de Claude 2° Cristofle
+ | Ferrapie (1701). Des Roys,
+ | son cousin.
+Claude Des Roys,
+ép. Françoise
+Pagey (1717).
+ |
+Jean-Louis
+Des Roys, ép.
+Marguerite Gavault
+(1757)
+ |
+-----+--------------------+---------
+ | |
+Césarine Des Roys, Alix Des Roys, ép.
+ép. Pierre Carra Pierre de Lamartine
+De Vaux (1788). (1790).
+ | |
+Alexandre Ca Alphonse
+de Vaux. de Lamartine.
+
+* * *
+
+
+
+
+Bibliographie des oeuvres de Lyon Des Roys.
+
+
+L'ILLUSION, vers couronnés, in-8 de 6 p. (s. l. s. d.).
+
+L'ANESSE, moralité, in-8 de 3 p. (s. 1. s. d.).
+
+LE TABAC, poème, au Cn D*** fabricant de tabac, in-8 de 5 p. (s. 1.
+s. d.).
+
+LA GÉOMÉTRIE en vers techniques- _il existe deux éditions de cet
+opuscule._ 1º: par D. R. ancien doyen de Mortain (?), maître de
+mathématiques. À Paris, chez les libraires du Palais. - Egalité an
+IX-1801 (in-8 de 18 p.); 2º: par Desrois ancien doyen de Mortain. À
+Paris, chez l'auteur rue de la loi maison du Cn Dareste nº 74, près
+la rue Feydau, an IX-1801 (in-8 de 20 p.).
+
+EPITRE AUX COMÉDIENS, par Desroys [_avec cette épigraphe_:] facit
+indignatio versum. - Se vend au Palais du Tribunal, galerie de la Foi,
+nº 50, où l'on trouve la tragédie du Dernier des Romains, la Géométrie
+envers, l'Illusion. An X (in-8 de 6 p.).
+
+EPITRES à Dazincour, à Madame D. L. V. jouant de la harpe, etc., par
+Desroys auteur de l'épitre aux comédiens - prix; 50 centimes. À Paris
+chez Desenne, libraire du Tribunal, nº 2, et chez les marchands de
+nouveauté. An X-1802 (in-8 de 8 p.).
+
+LE DERNIER DES ROMAINS, tragédie en cinq actes par D. R. [_avec cette
+épigraphe_:] Quam dulcis sit libertas... ostendam. Prix. 1 fr. 65. À
+Paris chez Barba et Desenne au septième (in-8 de 74 p.).
+
+OEUVRES DRAMATIQUES de ***. Le dernier des Romains, tragédie en cinq
+actes. L'anti-philosophe, comédie en cinq actes et en vers. À Paris an
+VIII (1800) (in-8 de 162 p.).
+
+
+
+
+* * *
+
+DU MÊME AUTEUR
+
+
+À LA MÊME LIBRAIRIE
+
+L'Elvire de Lamartine et les Méditations. Un volume.
+
+(_En préparation_.)
+
+1811 10.--Coulommiers. Imp. PAUL BRODARD.--311.
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of Les Origines et la Jeunesse de
+Lamartine 1790-1812, by Pierre de Lacretelle
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LAMARTINE ***
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+works. See paragraph 1.E below.
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+in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS' WITH NO OTHER
+WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT LIMITED TO
+WARRANTIES OF MERCHANTIBILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE.
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+1.F.5. Some states do not allow disclaimers of certain implied
+warranties or the exclusion or limitation of certain types of damages.
+If any disclaimer or limitation set forth in this agreement violates the
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+interpreted to make the maximum disclaimer or limitation permitted by
+the applicable state law. The invalidity or unenforceability of any
+provision of this agreement shall not void the remaining provisions.
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+
+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
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+including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
+because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
+people in all walks of life.
+
+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need, is critical to reaching Project Gutenberg-tm's
+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at http://www.pglaf.org.
+
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
+http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
+permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
+
+The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
+Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
+throughout numerous locations. Its business office is located at
+809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
+business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
+information can be found at the Foundation's web site and official
+page at http://pglaf.org
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+ Dr. Gregory B. Newby
+ Chief Executive and Director
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+Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation
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+Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
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+freely distributed in machine readable form accessible by the widest
+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
+
+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
+with these requirements. We do not solicit donations in locations
+where we have not received written confirmation of compliance. To
+SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
+particular state visit http://pglaf.org
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+While we cannot and do not solicit contributions from states where we
+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
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+approach us with offers to donate.
+
+International donations are gratefully accepted, but we cannot make
+any statements concerning tax treatment of donations received from
+outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
+
+Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including checks, online payments and credit card donations.
+To donate, please visit: http://pglaf.org/donate
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+Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
+works.
+
+Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
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+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
+keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
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+Most people start at our Web site which has the main PG search facility:
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+This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
+including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
+subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
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+ /* XML end ]]>*/
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+ </head>
+<body>
+
+
+<pre>
+
+The Project Gutenberg EBook of Les Origines et la Jeunesse de Lamartine
+1790-1812, by Pierre de Lacretelle
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
+
+
+Title: Les Origines et la Jeunesse de Lamartine 1790-1812
+
+Author: Pierre de Lacretelle
+
+Release Date: July 15, 2007 [EBook #22077]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: ISO-8859-1
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LAMARTINE ***
+
+
+
+
+Produced by Chuck Greif and the Online Distributed
+Proofreading Team at DP Europe (http://dp.rastko.net)
+
+
+
+
+
+
+</pre>
+
+<hr />
+<h3>PIERRE DE LACRETELLE</h3>
+
+<h2>LES ORIGINES</h2>
+<p class="c">ET LA</p>
+<h1>JEUNESSE DE LAMARTINE</h1>
+<h3>1790-1812</h3>
+<p class="c"><img src="images/001.png" alt="medallion" /></p>
+<h3>PARIS</h3>
+
+<h3>LIBRAIRIE HACHETTE ET C<sup>ie</sup></h3>
+
+<p class="c">79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 79</p>
+
+<p class="c">1911</p>
+
+<p class="c">Droits de traduction et de reproduction r&eacute;serv&eacute;s.</p>
+
+<hr />
+<h2><a name="toc" id="toc"></a>TABLE DES MATI&Egrave;RES</h2>
+<table summary="toc" cellspacing="8" cellpadding="2">
+<tr><td align="center" colspan="3"><a href="#PREFACE"><b>PR&Eacute;FACE</b></a></td></tr>
+<tr><td align="center" colspan="3"><a href="#PREMIERE_PARTIE"><br />PREMI&Egrave;RE PARTIE</a></td></tr>
+<tr><td align="center" colspan="3"><b>LES ORIGINES</b></td></tr>
+<tr><td><b>CHAPITRE</b></td><td align="right"><a href="#CHAPITRE_Ia">I</a></td><td><a href="#CHAPITRE_Ia">Les Lamartine</a></td></tr>
+<tr><td><b>CHAPITRE</b></td><td align="right"><a href="#CHAPITRE_IIa">II</a></td><td><a href="#CHAPITRE_IIa">Les Des Roys</a></td></tr>
+<tr><td align="center" colspan="3"><a href="#DEUXIEME_PARTIE"><br />DEUXI&Egrave;ME PARTIE</a></td></tr>
+<tr><td align="center" colspan="3"><b>LE MILIEU</b></td></tr>
+<tr><td><b>CHAPITRE</b></td><td align="right"><a href="#CHAPITRE_Ib">I</a></td><td><a href="#CHAPITRE_Ib">La famille</a></td></tr>
+<tr><td><b>CHAPITRE</b></td><td align="right"><a href="#CHAPITRE_IIb">II</a></td><td><a href="#CHAPITRE_IIb">La m&egrave;re</a></td></tr>
+<tr><td><b>CHAPITRE</b></td><td align="right"><a href="#CHAPITRE_IIIb">III</a></td><td><a href="#CHAPITRE_IIIb">Les Lamartine pendant la Terreur.&mdash;Les premi&egrave;res ann&eacute;es</a></td></tr>
+<tr><td><b>CHAPITRE</b></td><td align="right"><a href="#CHAPITRE_IVb">IV</a></td><td><a href="#CHAPITRE_IVb">Le d&eacute;cor. -; Les voisins</a></td></tr>
+<tr><td align="center" colspan="3"><a href="#TROISIEME_PARTIE"><br />TROISI&Egrave;ME PARTIE</a></td></tr>
+<tr><td align="center" colspan="3"><b>LES ANN&Eacute;ES D'&Eacute;TUDE</b></td></tr>
+<tr><td><b>CHAPITRE</b></td><td align="right"><a href="#CHAPITRE_Ic">I</a></td><td><a href="#CHAPITRE_Ic">L'abb&eacute; Dumont</a></td></tr>
+<tr><td><b>CHAPITRE</b></td><td align="right"><a href="#CHAPITRE_IIc">II</a></td><td><a href="#CHAPITRE_IIc">L'institution Puppier</a></td></tr>
+<tr><td><b>CHAPITRE</b></td><td align="right"><a href="#CHAPITRE_IIIc">III</a></td><td><a href="#CHAPITRE_IIIc">Le coll&egrave;ge de Belley</a></td></tr>
+<tr><td align="center" colspan="3"><a href="#QUATRIEME_PARTIE"><br />QUATRI&Egrave;ME PARTIE</a></td></tr>
+<tr><td align="center" colspan="3"><b>LA FORMATION DE LA PERSONNALIT&Eacute;</b></td></tr>
+<tr><td><b>CHAPITRE</b></td><td align="right"><a href="#CHAPITRE_Id">I</a></td><td><a href="#CHAPITRE_Id">La vie solitaire</a></td></tr>
+<tr><td><b>CHAPITRE</b></td><td align="right"><a href="#CHAPITRE_IId">II</a></td><td><a href="#CHAPITRE_IId">La crise litt&eacute;raire.&mdash;Le premier amour.</a></td></tr>
+<tr><td><b>CHAPITRE</b></td><td align="right"><a href="#CHAPITRE_IIId">III</a></td><td><a href="#CHAPITRE_IIId">Le premier voyage</a></td></tr>
+<tr><td><b>CONCLUSION</b></td><td>&nbsp;</td><td><a href="#CONCLUSION">Lamartine &agrave; vingt et un ans</a></td></tr>
+<tr><td align="center" colspan="3"><a href="#APPENDICE"><br />APPENDICE:</a></td></tr>
+<tr><td>&nbsp;</td><td>&nbsp;</td><td><a href="#APPENDICE">G&eacute;n&eacute;alogie de la famille Des Roys</a></td></tr>
+<tr><td>&nbsp;</td><td>&nbsp;</td><td><a href="#bib">Bibliographie des &#339;uvres de Lyon Des Roys.</a></td></tr>
+</table>
+
+
+<hr />
+<h2><a name="PREFACE" id="PREFACE"></a>PR&Eacute;FACE</h2>
+
+
+<p>Sainte-Beuve a &eacute;crit:</p>
+
+<p>&laquo;Lamartine est de tous les po&egrave;tes c&eacute;l&egrave;bres celui qui se pr&ecirc;te le moins &agrave;
+une biographie exacte, &agrave; une chronologie minutieuse, aux petits faits et
+aux anecdotes choisies. Son existence, large, simple, n&eacute;gligemment
+trac&eacute;e, s'id&eacute;alise &agrave; distance et se compose en massifs lointains &agrave; la
+fa&ccedil;on des vastes paysages qu'il nous a prodigu&eacute;s... Il est permis, en
+parlant d'un tel homme, de s'attacher &agrave; l'esprit du temps plut&ocirc;t qu'aux
+d&eacute;tails vulgaires qui chez d'autres pourraient &ecirc;tre caract&eacute;ristiques...
+Qu'importent donc quelques d&eacute;tails de sa vie<a name="FNanchor_1_1" id="FNanchor_1_1"></a><a href="#Footnote_1_1" class="fnanchor">[1]</a>?&raquo;</p>
+
+<p>Il para&icirc;t difficile d'admettre aujourd'hui sans discussion qu'un
+critique aussi p&eacute;n&eacute;trant ait commis une telle erreur; sans doute
+avait-il ses raisons de parler ainsi, et peut-&ecirc;tre ne faut-il voir dans
+cette opinion exag&eacute;r&eacute;e que l'excuse honorable pour les romantiques d'un
+&eacute;loignement dont ils furent tous secr&egrave;tement bless&eacute;s; &eacute;cart&eacute;s de
+l'existence du po&egrave;te, ils d&eacute;claraient que le d&eacute;tail en &eacute;tait sans
+importance, et n'ajoutait rien &agrave; la compr&eacute;hension de son &#339;uvre.</p>
+
+<p>Malheureusement, il semble que les biographes de Lamartine aient pris
+jusqu'ici le jugement de Sainte-Beuve pour base de leurs travaux, dont
+la plupart ne sont que des fragments plus ou moins comment&eacute;s de ses
+innombrables souvenirs de jeunesse, source dangereuse et dont il importe
+de se m&eacute;fier, surtout pour la p&eacute;riode ant&eacute;rieure &agrave; 1820. &Eacute;crits &agrave; une
+&eacute;poque o&ugrave; pour oublier le pr&eacute;sent il se retrempa dans son pass&eacute;, ils
+composent plus exactement l'image de celui qu'il se crut ou aurait voulu
+&ecirc;tre plut&ocirc;t que celui qu'il fut r&eacute;ellement. Aussi, doivent-ils &ecirc;tre
+utilis&eacute;s avec une extr&ecirc;me pr&eacute;caution.</p>
+
+<p>Depuis quelques ann&eacute;es d&eacute;j&agrave;, la m&eacute;thode historique a &eacute;t&eacute; introduite dans
+le domaine litt&eacute;raire et, si elle a ses inconv&eacute;nients, elle a surtout
+d'excellents c&ocirc;t&eacute;s. Les &eacute;tudes lamartiniennes en ont profit&eacute;; divers
+travaux ont &eacute;t&eacute; publi&eacute;s qui soumettent les r&eacute;cits du po&egrave;te &agrave; un contr&ocirc;le
+s&eacute;v&egrave;re en m&ecirc;me temps qu'ils mettent en lumi&egrave;re des faits nouveaux. La
+l&eacute;gende de Lamartine adolescent tend &agrave; dispara&icirc;tre pour faire place &agrave;
+une r&eacute;alit&eacute; autrement vivante et l'on commence &agrave; comprendre que son
+&#339;uvre n&eacute;cessite une biographie minutieuse et presque quotidienne.</p>
+
+<p>Mais s'il importe de rechercher les causes des &eacute;tats d'&acirc;me multiples et
+contradictoires que refl&egrave;te sa po&eacute;sie, les <i>M&eacute;ditations</i>, surtout,
+&eacute;crites sans souci de la post&eacute;rit&eacute; et de la gloire &agrave; une &eacute;poque ind&eacute;cise
+et tourment&eacute;e de sa vie, r&eacute;clament un commentaire infiniment plus pr&eacute;cis
+que celui qu'il nous a laiss&eacute;; replac&eacute;es dans leur v&eacute;ritable cadre,
+&eacute;clair&eacute;es par les circonstances qui d&eacute;termin&egrave;rent, retard&egrave;rent ou
+h&acirc;t&egrave;rent leur &eacute;closion, elles deviennent plus humaines encore, parce que
+plus sinc&egrave;res, et singuli&egrave;rement &eacute;mouvantes: en elles, aucun artifice
+litt&eacute;raire, nul d&eacute;sir d'introduire un mode nouveau de pens&eacute;e: ce livre
+qui devait r&eacute;v&eacute;ler la jeunesse romantique &agrave; elle-m&ecirc;me et marquer le
+d&eacute;but d'un mouvement unique dans l'histoire des lettres fran&ccedil;aises, fut
+&eacute;crit sans ambition et presque n&eacute;gligemment. &Agrave; comparer le manuscrit de
+<i>Sa&uuml;l</i>, m&eacute;diocre trag&eacute;die en cinq actes, amoureusement calligraphi&eacute; sur
+beau v&eacute;lin, et les &eacute;bauches crayonn&eacute;es h&acirc;tivement qui sont le premier
+jet des <i>M&eacute;ditations</i>, on se rend compte que Lamartine ne les
+consid&eacute;rait que comme des notations intimes de ses &eacute;tats d'&acirc;me et sans
+int&eacute;r&ecirc;t pour le public. Ce sont l&agrave; des conditions de sinc&eacute;rit&eacute; qui font
+d'elles un pr&eacute;cieux document psychologique pour l'&eacute;tude de la jeune
+g&eacute;n&eacute;ration romantique, et c'est ce que nous avons tent&eacute; d'&eacute;tablir ici.</p>
+
+<p>Ce volume n'a d'autres pr&eacute;tentions que d'&ecirc;tre la mise au point et
+l'utilisation de r&eacute;centes publications dont on trouvera le d&eacute;tail au
+cours des chapitres qui suivent; nous y avons pourtant ajout&eacute; bon nombre
+de sources jusqu'ici demeur&eacute;es in&eacute;dites et sur lesquelles nous devons
+ajouter quelques mots. De l'&#339;uvre publi&eacute;e de Lamartine nous n'avons
+conserv&eacute; que la <i>Correspondance</i>, dont il nous faut ici d&eacute;plorer les
+lacunes et le classement souvent d&eacute;fectueux; volontairement, nous avons
+&eacute;cart&eacute; tous les souvenirs r&eacute;dig&eacute;s sur ou par Lamartine post&eacute;rieurement &agrave;
+1820, sauf lorsqu'il nous a &eacute;t&eacute; possible de les v&eacute;rifier, pour ne
+retenir que les lettres et t&eacute;moignages contemporains de la p&eacute;riode qui
+nous occupait; &eacute;crits &agrave; une &eacute;poque o&ugrave; son avenir &eacute;tait impossible &agrave;
+pr&eacute;voir, ils le montrent sans aucun m&eacute;nagement sous son jour v&eacute;ritable
+et tel qu'il apparaissait alors aux yeux de sa famille et de ses
+relations.</p>
+
+<p>En premier lieu, nous avons eu &agrave; notre disposition un important
+manuscrit, le <i>Journal intime</i> de sa m&egrave;re; on sait que quelques
+fragments tr&egrave;s &eacute;court&eacute;s et tr&egrave;s remani&eacute;s en ont &eacute;t&eacute; publi&eacute;s par le po&egrave;te
+sous le titre, <i>le Manuscrit de ma m&egrave;re</i><a name="FNanchor_2_2" id="FNanchor_2_2"></a><a href="#Footnote_2_2" class="fnanchor">[2]</a>, ouvrage dont la valeur
+documentaire est tout &agrave; fait n&eacute;gligeable tant les suppressions et les
+additions qu'il y fit sont consid&eacute;rables; elles s'expliquent, il est
+vrai, ais&eacute;ment, soit qu'il ait souvent h&eacute;sit&eacute; &agrave; apporter des d&eacute;mentis
+trop nombreux &agrave; ses <i>Confidences</i>, soit qu'il ait jug&eacute; d&eacute;licat d'en
+reproduire le texte int&eacute;gral. C'est gr&acirc;ce au <i>Journal intime</i>, toujours
+soigneusement dat&eacute;, qu'il nous a &eacute;t&eacute; possible d'entreprendre cet
+ouvrage, car il nous a permis de mettre en lumi&egrave;re certains faits
+demeur&eacute;s encore obscurs ou ignor&eacute;s, en m&ecirc;me temps qu'il nous fournissait
+un tableau chronologique minutieusement d&eacute;taill&eacute; des quarante premi&egrave;res
+ann&eacute;es du po&egrave;te. Ces pages &eacute;crites au courant de la plume, sans aucune
+pr&eacute;occupation de composition ni de publicit&eacute;, pr&eacute;sentent naturellement
+des n&eacute;gligences et des r&eacute;p&eacute;titions, mais les pens&eacute;es et les sentiments
+n'y ont d'autre souci que la sinc&eacute;rit&eacute;<a name="FNanchor_3_3" id="FNanchor_3_3"></a><a href="#Footnote_3_3" class="fnanchor">[3]</a>.</p>
+
+<p>De plus, gr&acirc;ce &agrave; l'obligeance de M. Charles de Montherot, petit-neveu de
+Lamartine, nous avons pu prendre connaissance des riches archives de
+Saint-Point, et le baron Carra de Vaux a bien voulu mettre &agrave; notre
+disposition les papiers et titres de la famille maternelle du po&egrave;te,
+qu'il repr&eacute;sente actuellement. Nous devons &eacute;galement nos remerciements &agrave;
+plusieurs familles de M&acirc;con qui nous ont aimablement ouvert leurs
+archives domestiques; &agrave; M. A. Dur&eacute;ault, secr&eacute;taire perp&eacute;tuel de
+l'Acad&eacute;mie de M&acirc;con, qui nous a fait &agrave; mainte reprise profiter de son
+&eacute;rudition et de ses recherches personnelles; &agrave; M. Lex, archiviste de
+Sa&ocirc;ne-et-Loire, dont les travaux nous ont &eacute;t&eacute; d'un grand secours. Enfin,
+nous tenons &agrave; exprimer notre reconnaissance &agrave; M. Gustave Lanson qui,
+pr&eacute;parant lui-m&ecirc;me une &eacute;tude sur les <i>M&eacute;ditations</i>, nous a permis de
+prendre connaissance de plusieurs documents in&eacute;dits qu'il avait r&eacute;unis.</p>
+
+<p>C'est gr&acirc;ce &agrave; tant d'obligeances que ce volume a pu voir le jour. Nous
+avons essay&eacute; d'en faire une biographie exacte et critique; exacte, car
+nous n'avons voulu laisser dans l'ombre le moindre fait capable
+d'apporter un &eacute;claircissement nouveau &agrave; la gen&egrave;se des <i>M&eacute;ditations</i>;
+critique, puisque les documents utilis&eacute;s n'ont &eacute;t&eacute; accept&eacute;s qu'apr&egrave;s un
+contr&ocirc;le aussi s&eacute;v&egrave;re qu'il est possible en pareille mati&egrave;re.</p>
+
+<p style="margin-left: 50%;"><span class="smcap">Pierre De Lacretelle</span>.<br />
+</p>
+
+
+
+<hr />
+<h2><a name="PREMIERE_PARTIE" id="PREMIERE_PARTIE"></a>PREMI&Egrave;RE PARTIE</h2>
+
+<h3>LES ORIGINES</h3>
+
+
+
+<hr />
+<h2><a name="CHAPITRE_Ia" id="CHAPITRE_Ia"></a><a href="#toc">CHAPITRE I</a></h2>
+
+<p class="c">LES LAMARTINE<a name="FNanchor_4_4" id="FNanchor_4_4"></a><a href="#Footnote_4_4" class="fnanchor">[4]</a></p>
+
+
+<p>Les origines des grands hommes&mdash;et davantage, peut-&ecirc;tre, celles des
+po&egrave;tes&mdash;ne sont jamais &agrave; n&eacute;gliger. Sans doute, il importe peu pour
+l'histoire litt&eacute;raire que Vigny descende d'un tr&eacute;sorier du <span class="smcap">xv</span><sup>e</sup>
+si&egrave;cle, que Hugo soit apparent&eacute; &agrave; un &eacute;v&ecirc;que lorrain, que Lamartine soit
+petit-fils d'un intendant des finances du duc d'Orl&eacute;ans. Ce n'est l&agrave;,
+dans leur biographie, qu'un &eacute;l&eacute;ment de curiosit&eacute;.</p>
+
+<p>Mais si, et avec raison, l'on accorde &agrave; l'&eacute;ducation et au milieu une
+influence pr&eacute;pond&eacute;rante sur le d&eacute;veloppement d'un g&eacute;nie, il faut
+&eacute;galement faire une part aux influences ancestrales, &agrave; la vie ant&eacute;rieure
+qui, elles aussi, laissent des traces plus profondes qu'on ne l'imagine
+ordinairement, et l'h&eacute;ritage moral d'un po&egrave;te est pr&eacute;cieux &agrave; conna&icirc;tre
+pour tout ce qu'il lui a transmis d'instincts ataviques. Une telle &eacute;tude
+est souvent d&eacute;licate et vaine devant le petit nombre de documents que
+l'on parvient &agrave; recueillir. Une filiation exacte pendant trois
+si&egrave;cles&mdash;le plus haut qu'on puisse habituellement remonter&mdash;est
+curieuse, mais de simples dates ne suffisent pas; il faudrait conna&icirc;tre
+la vie des anc&ecirc;tres, savoir o&ugrave; et comment ils v&eacute;curent, quelles passions
+les domin&egrave;rent, dans quelle province ils fix&egrave;rent leur foyer, en un mot
+poss&eacute;der ce qu'on appelait jadis le <i>Livre de raison</i>, registre o&ugrave; les
+chefs de famille inscrivaient &agrave; tour de r&ocirc;le grands et petits &eacute;v&eacute;nements
+d'une existence souvent trop obscure pour qu'on puisse en retrouver
+trace dans les archives des villes o&ugrave; ils v&eacute;curent.</p>
+
+<p>Pour Lamartine, nous avons la bonne fortune d'&ecirc;tre &agrave; peu pr&egrave;s fix&eacute;s sur
+son h&eacute;r&eacute;dit&eacute;, gr&acirc;ce &agrave; une abondance rare de documents qui nous
+permettent de remonter jusqu'au d&eacute;but du <span class="smcap">xvi</span><sup>e</sup> si&egrave;cle, avec des
+d&eacute;tails pr&eacute;cis et nombreux sur les deux familles dont il descend.</p>
+
+<p>Tout d'abord, il est curieux de constater que d&egrave;s l'origine l'une et
+l'autre semblent &ecirc;tre &eacute;tablies de longue date dans les r&eacute;gions m&ecirc;mes o&ugrave;
+elles demeur&egrave;rent ensuite jusqu'&agrave; la fin du <span class="smcap">xviii</span><sup>e</sup> si&egrave;cle; et cet
+intense et p&eacute;n&eacute;trant sentiment de la terre natale qui sera chez
+Lamartine une des notes dominantes de sa po&eacute;sie, se retrouve d&eacute;j&agrave; chez
+ses p&egrave;res qui lui transmirent un peu de leur amour du sol lentement
+acquis au cours des si&egrave;cles. Mais aucun anc&ecirc;tre, pas plus chez les
+Lamartine que chez les Des Roys, n'a laiss&eacute; grande trace dans l'histoire
+de son temps: enracin&eacute;s dans le m&ecirc;me coin de Bourgogne ou d'Auvergne
+depuis douze g&eacute;n&eacute;rations, habitu&eacute;s de p&egrave;re en fils &agrave; faire tout
+naturellement le sacrifice d'int&eacute;r&ecirc;ts imm&eacute;diats ou propres &agrave; ceux
+lointains et souvent invisibles de la race et de la famille, tous,
+bourgeois, magistrats et capitaines, v&eacute;curent la m&ecirc;me vie paisible et
+s&eacute;dentaire, soucieux avant tout d'augmenter leur bien par de solides
+alliances, tandis que les cadets s'en allaient mourir obscur&eacute;ment &agrave;
+quelque si&egrave;ge lointain, et que les filles, peu ou point dot&eacute;es,
+tra&icirc;naient leur m&eacute;lancolique existence sous les arceaux du clo&icirc;tre le
+plus proche.</p>
+
+
+<p class="e">C'est &agrave; M&acirc;con, paisible et dormante petite cit&eacute;, qu'il faut chercher les
+origines paternelles de Lamartine, dont les anc&ecirc;tres, d&egrave;s la fin du
+<span class="smcap">xvi</span><sup>e</sup> si&egrave;cle, habitaient la maison m&ecirc;me o&ugrave; il naquit. La forme
+primitive du nom est <i>Alamartine</i>&mdash;et non <i>Allamartine</i>, comme il l'a
+&eacute;crit,&mdash;qui subsiste encore actuellement en Bourgogne et dans la
+Haute-Loire. La famille est originaire du Charollais, o&ugrave; l'on rencontre
+&agrave; la fin du <span class="smcap">xv</span><sup>e</sup> si&egrave;cle des Alaberthe, Alabernarde, Alablanche,
+devenus plus tard, &agrave; la suite d'une transformation identique, des de la
+Berthe, de Labernarde et de Lablanche. Quant aux origines sarrasines
+dont le po&egrave;te se targuait volontiers, elles &eacute;taient peut-&ecirc;tre une
+charmante excuse &agrave; sa hautaine nonchalance, &agrave; son amour des animaux et &agrave;
+l'invincible attrait que l'Orient exer&ccedil;a toujours sur lui, mais elles
+demeurent, bien entendu, plus que probl&eacute;matiques. La forme <i>Alamartine</i>
+se trouve dans la famille du po&egrave;te jusqu'&agrave; la fin du <span class="smcap">xvii</span><sup>e</sup> si&egrave;cle, en
+la personne de Jean-Baptiste Alamartine, son trisa&iuml;eul, qui, bien que n&eacute;
+noble, signa jusqu'en 1680 Alamartine.</p>
+
+<p>Au <span class="smcap">xviii</span><sup>e</sup> si&egrave;cle, toute trace de roture a d&eacute;finitivement disparu du
+nom, qui s'&eacute;crit Delamartine ou de la Martine, mais rarement de
+Lamartine; ce n'est qu'avec la R&eacute;volution qu'on voit appara&icirc;tre cette
+derni&egrave;re forme, sans la particule. Notons enfin que, jusqu'en 1825, le
+po&egrave;te signa indiff&eacute;remment Delamartine, de la Martine, ou de Lamartine.
+Mais la transformation l&eacute;gitime d'<i>Alamartine</i> ou <i>de la Martine</i> date
+du milieu du <span class="smcap">xvii</span><sup>e</sup> si&egrave;cle, &eacute;poque o&ugrave; la famille fut anoblie.</p>
+
+<p>Il y avait en 1789 peu d'ancienne noblesse dans la r&eacute;gion du M&acirc;connais.
+Elle n'&eacute;tait gu&egrave;re repr&eacute;sent&eacute;e que par quelques vieilles familles
+d&eacute;s&#339;uvr&eacute;es et hautaines, &agrave; qui la modicit&eacute; de leurs revenus interdisait
+Versailles o&ugrave; elles n'auraient pu tenir leur rang; et &agrave; part ce comte de
+la Baume-Montrevel qui n'avait jamais mis les pieds &agrave; la cour et
+trouvait moyen de manger royalement &agrave; M&acirc;con ses six cent mille livres de
+revenu avec ses &eacute;quipages, ses violons et ses chasses, le reste n'&eacute;tait
+gu&egrave;re que bourgeois enrichis, vivant de la terre, et indiff&eacute;rents &agrave; la
+politique.</p>
+
+<p>La famille de Lamartine en est d'ailleurs le meilleur exemple: &agrave; la fin
+du <span class="smcap">xviii</span><sup>e</sup> si&egrave;cle, ses membres &eacute;tablis dans la r&eacute;gion depuis plus de
+trois cents ans s'&eacute;taient lentement &eacute;lev&eacute;s des plus infimes fonctions
+aux plus hautes charges, et les transformations subies par le nom
+patronymique sont le meilleur t&eacute;moignage de cette &eacute;volution commune &agrave; la
+majorit&eacute; des familles de la r&eacute;gion.</p>
+
+<p>C'est ainsi qu'au milieu du <span class="smcap">xvi</span><sup>e</sup> si&egrave;cle le chef de la famille &eacute;tait
+humble tanneur &agrave; Cluny; son fils, plus tard, fut un bourgeois influent
+de la ville et, &agrave; ce titre, charg&eacute; de pr&eacute;senter aux &Eacute;tats du M&acirc;connais
+les revendications du tiers; et tous signaient Alamartine. Au d&eacute;but du
+<span class="smcap">xvii</span><sup>e</sup> si&egrave;cle, son petit-fils remplissait les importantes fonctions de
+juge-mage et capitaine de l'abbaye de Cluny; quelques ann&eacute;es apr&egrave;s, il
+acquit la noblesse&mdash;noblesse de robe&mdash;par l'achat d'une charge de
+secr&eacute;taire du roi puis, par une ascension toute naturelle, ses fils
+acquirent des <i>terres nobles</i>, prirent l'&eacute;p&eacute;e, et virent alors s'ouvrir
+devant eux les chambres de la noblesse aux &Eacute;tats de Bourgogne; le nom
+devint de la Martine.</p>
+
+<p>Le po&egrave;te, pourtant, se montra toujours fort peu soucieux de ses
+origines; ses armes, m&ecirc;me enregistr&eacute;es avec tant de soin par son
+bisa&iuml;eul &agrave; l'Armorial g&eacute;n&eacute;ral, &eacute;taient timbr&eacute;es par lui d'une fa&ccedil;on
+fantaisiste; alors qu'&agrave; la fin du <span class="smcap">xvii</span><sup>e</sup> si&egrave;cle les Lamartine
+portaient: &laquo;de gueule &agrave; deux fasces d'or charg&eacute; d'un tr&egrave;fle de m&ecirc;me&raquo;, il
+substitua, on ne sait pourquoi, des bandes aux fasces<a name="FNanchor_5_5" id="FNanchor_5_5"></a><a href="#Footnote_5_5" class="fnanchor">[5]</a>; question
+purement esth&eacute;tique, sans doute, mais qui prouve &agrave; quel point la science
+h&eacute;raldique le pr&eacute;occupait peu; de m&ecirc;me, &agrave; ceux qui l'interrogeaient, il
+r&eacute;pondait invariablement qu'il descendait &laquo;d'une famille noble et
+catholique du M&acirc;connais&raquo;.</p>
+
+<p>Mais si tous ces petits d&eacute;tails le laissaient indiff&eacute;rent, il n'en
+allait pas de m&ecirc;me de son grand-p&egrave;re, Louis-Fran&ccedil;ois de la Martine qui,
+fort entich&eacute; de noblesse, fit admettre dans des actes officiels du
+milieu du <span class="smcap">xviii</span><sup>e</sup> si&egrave;cle plusieurs g&eacute;n&eacute;alogies assez inexactes de sa
+famille<a name="FNanchor_6_6" id="FNanchor_6_6"></a><a href="#Footnote_6_6" class="fnanchor">[6]</a>. Mais il avait l'excuse de vivre &agrave; une &eacute;poque o&ugrave; les titres
+d&eacute;cidaient plus que les m&eacute;rites. Pour faire admettre ses filles dans des
+chapitres nobles et ses fils dans des r&eacute;giments d'&eacute;lite, il fut donc
+contraint de fournir les titres requis par les statuts. Sa noblesse
+&eacute;tait incontestable, mais trop r&eacute;cente; c'est alors que, pour satisfaire
+aux r&egrave;glements, il se cr&eacute;a des anc&ecirc;tres plus ou moins authentiques. Tr&egrave;s
+inhabilement, d'ailleurs, il fit subir aux registres paroissiaux des
+grattages et des lavages chimiques, rendus parfaitement visibles par le
+contraste des encres et des &eacute;critures, et il faut croire que les deux
+gentilshommes charg&eacute;s de la v&eacute;rification des pi&egrave;ces furent tol&eacute;rants.
+Partout o&ugrave; cela fut possible, les &laquo;chevalier&raquo;, &laquo;messire&raquo;, &laquo;noble
+seigneur&raquo; remplac&egrave;rent les &laquo;maistre&raquo;; l'A de Alamartine se transforma en
+&laquo;de&raquo; au moyen de quelques grattages et l'on profita m&ecirc;me de ce qu'un
+anc&ecirc;tre avait &eacute;t&eacute; mari&eacute; deux fois pour donner un quartier de plus &agrave; la
+noblesse familiale.</p>
+
+<p>N&eacute;anmoins, malgr&eacute; ces falsifications plus courantes &agrave; l'&eacute;poque qu'on ne
+le croit ordinairement, il est possible de reconstituer la g&eacute;n&eacute;alogie
+exacte de la famille de Lamartine, &agrave; l'aide d'autres documents tels que
+les registres du bailliage, ceux-l&agrave; authentiques, et d'une autorit&eacute;
+incontestable.</p>
+
+<p>Au d&eacute;but du <span class="smcap">xvi</span><sup>e</sup> si&egrave;cle, les Alamartine vinrent s'&eacute;tablir &agrave; Cluny,
+sur les d&eacute;pendances de la c&eacute;l&egrave;bre abbaye qui faisait vivre toute une
+population, et o&ugrave; le premier d'entre eux dont on trouve mention vivait
+en 1550, exer&ccedil;ant la modeste profession de tanneur cordonnier. Avec son
+pr&eacute;nom&mdash;Beno&icirc;t&mdash;c'est l&agrave; tout ce qu'on sait de lui, mais ses enfants
+nous sont un peu mieux connus<a name="FNanchor_7_7" id="FNanchor_7_7"></a><a href="#Footnote_7_7" class="fnanchor">[7]</a>.</p>
+
+<p>Il eut une fille, Fran&ccedil;oise, mari&eacute;e le 4 janvier 1587 &agrave; Claude
+Tuppinier<a name="FNanchor_8_8" id="FNanchor_8_8"></a><a href="#Footnote_8_8" class="fnanchor">[8]</a>, et trois fils. L'a&icirc;n&eacute;, Gabriel, fut notaire au bailliage
+de M&acirc;con, par provisions du 15 septembre 1573, et &eacute;pousa une demoiselle
+Claude Morestel dont il eut une fille, Philiberte, mari&eacute;e en 1594 &agrave; Jean
+Durantel, notaire et procureur &agrave; Cluny. Le cadet, Beno&icirc;t, avocat &agrave;
+M&acirc;con, prit pour femme le 29 octobre 1595 Jeanne Fournier, fille de
+Guyot Fournier et de Jacqueline Descrivieux, dont il eut neuf
+enfants<a name="FNanchor_9_9" id="FNanchor_9_9"></a><a href="#Footnote_9_9" class="fnanchor">[9]</a>. Quant au plus jeune, Pierre, anc&ecirc;tre direct du po&egrave;te, on
+sait de lui peu de chose. Quelques actes de bapt&ecirc;me o&ugrave; sa femme et lui
+sign&egrave;rent comme marraine et parrain, nous apprennent qu'il &eacute;pousa
+Jehanne de la Ro&uuml;e, d'une famille bourgeoise du M&acirc;connais, sans que l'on
+puisse conna&icirc;tre ni sa profession ni quelque autre date pr&eacute;cise de son
+existence, si ce n'est qu'en 1604 il fut charg&eacute; de pr&eacute;senter aux &Eacute;tats
+du M&acirc;connais les revendications du Tiers.</p>
+
+<p>Vers 1575 quelques membres au moins de la famille Alamartine
+appartenaient &agrave; la religion r&eacute;form&eacute;e. Un pamphlet du temps, la <i>L&eacute;gende
+de dom Claude de Guise</i><a name="FNanchor_10_10" id="FNanchor_10_10"></a><a href="#Footnote_10_10" class="fnanchor">[10]</a>, &#339;uvre de Gilbert Regnault notable huguenot
+de Cluny, nous apprend en effet qu'ils eurent &agrave; subir des pers&eacute;cutions
+pour leur foi:</p>
+
+<div class="blockquot"><p>Quy voudrait, dit Regnault, sp&eacute;cifier les pers&eacute;cutions, les
+voleries, les larcins et brigandages que saint Nicaise et saint
+Barth&eacute;l&eacute;my<a name="FNanchor_11_11" id="FNanchor_11_11"></a><a href="#Footnote_11_11" class="fnanchor">[11]</a> ont exerc&eacute;es &agrave; l'encontre des pauvres fidelles de la
+Religion en la ville de Cluny, faudrait les prendre un par un, puis
+d&eacute;chiffrer les tours, les men&eacute;es, les piperies, cruaut&eacute;s et
+barbaries pour tirer les ran&ccedil;ons de ces pauvres, ainsy que descrire
+les sommes de deniers qu'il a tir&eacute;es des seigneurs Philibert
+Magnyn, Marin Arcelin, capitaine Rousset, Bolat, Division,
+Tuppinier, Holande, Alamartine, Corneloup, Fornier, et plusieurs
+autres signal&eacute;s de la ville de Cluny; et nous n'aurions jamais
+fait, non seulement sp&eacute;cifier les deniers qu'il a estorqu&eacute;s de ces
+personnages, mais aussi les moyens qu'il a tenus pour leur faire
+renoncer Dieu, c'est-&agrave;-dire r&eacute;volter la religion r&eacute;form&eacute;e.</p></div>
+
+<p>Il ne faut pas s'exag&eacute;rer la valeur de cette conversion des Lamartine
+aux id&eacute;es nouvelles qui dut &ecirc;tre extr&ecirc;mement passag&egrave;re. Le mouvement
+r&eacute;formiste en Bourgogne eut des causes tr&egrave;s diverses, suivant les
+endroits o&ugrave; il &eacute;clata: &agrave; M&acirc;con et &agrave; Cluny, les &eacute;meutes et les
+conversions en masse de 1562 et 1567 eurent en grande partie pour cause
+les exactions de Claude de Guise, abb&eacute; de Cluny, qui faisait lourdement
+peser son autorit&eacute; despotique sur les habitants.&mdash;Ceux-ci, plus par
+exasp&eacute;ration que par foi sinc&egrave;re, s'alli&egrave;rent aux huguenots et de ce
+nombre furent les Lamartine. L'abb&eacute; de Cluny obtint d'ailleurs
+finalement gain de cause, puisqu'au d&eacute;but du <span class="smcap">xvii</span><sup>e</sup> si&egrave;cle on trouve
+un fils de Pierre pourvu d'une charge &agrave; l'abbaye m&ecirc;me, ce qui suppose,
+bien entendu, un retour &agrave; la religion de ses p&egrave;res.</p>
+
+<p>Estienne Alamartine, en effet, bourgeois de Cluny, est qualifi&eacute; dans les
+actes le concernant de juge-mage et capitaine de l'abbaye de Cluny;
+fonctions importantes qui lui conf&eacute;raient des pouvoirs administratifs
+fort &eacute;tendus, puisqu'il &eacute;tait charg&eacute; de rendre la justice pour le compte
+du roi sur les terres eccl&eacute;siastiques. Peu &agrave; peu, il augmenta sa
+situation<a name="FNanchor_12_12" id="FNanchor_12_12"></a><a href="#Footnote_12_12" class="fnanchor">[12]</a>; le 25 octobre 1604, il fut nomm&eacute; avocat; en 1609 le roi
+ayant cr&eacute;&eacute; trois offices de conseiller au bailliage de M&acirc;con, il acquit
+une de ces charges et enfin, en 1651, celle de secr&eacute;taire du roi fort
+recherch&eacute;e alors puisqu'elle conf&eacute;rait la noblesse &agrave; son titulaire
+pourvu qu'il l'e&ucirc;t exerc&eacute;e vingt ans ou qu'il f&ucirc;t mort en &eacute;tant
+rev&ecirc;tu.&mdash;Estienne Alamartine ayant &eacute;t&eacute; re&ccedil;u en Parlement de Paris le 3
+juillet 1651 et &eacute;tant mort en fonction l'an 1656, la noblesse fut donc
+acquise &agrave; ses descendants.</p>
+
+<p>Estienne fut mari&eacute; deux fois: en premi&egrave;res noces il &eacute;pousa, le 12
+octobre 1605 &agrave; M&acirc;con, Aym&eacute;e de Pise, fille de noble Antoine de Pisz,
+pr&eacute;sident en l'&eacute;lection du M&acirc;connais, et de dame Antoinette de
+Rymon<a name="FNanchor_13_13" id="FNanchor_13_13"></a><a href="#Footnote_13_13" class="fnanchor">[13]</a>, dont il n'eut pas d'enfants; et, en deuxi&egrave;mes noces, le 18
+novembre 1619, &agrave; Chalon, Anne Galloche, fille de Guillaume Galloche,
+procureur du roi en la ch&acirc;tellenie de Sairt-Laurent-lez-Chalon, et de
+Nicole Gon.</p>
+
+<p>C'est &agrave; propos de ces deux mariages que commenc&egrave;rent les falsifications
+de Louis-Fran&ccedil;ois dont nous avons parl&eacute; plus haut. En effet, dans toutes
+les g&eacute;n&eacute;alogies qu'il fit &eacute;tablir &agrave; l'&eacute;poque, il eut soin, afin de
+donner un quartier de plus &agrave; sa noblesse, de profiter de ces deux
+mariages pour faire du seul Estienne deux personnages distincts: le
+premier fut mari&eacute; avec Aym&eacute;e de Pise, et le second avec Anne Galloche.</p>
+
+<p>Mais, devant l'invraisemblance des dates&mdash;le premier mariage &eacute;tant de
+1605 et le second de 1619, le fils pr&eacute;sum&eacute; d'Estienne aurait donc eu
+treize ans &agrave; l'&eacute;poque de son mariage!&mdash;il fallut d'abord reculer la
+date de 1605 &agrave; 1601, et avancer celle de 1619 &agrave; 1629, ce qui fut fait &agrave;
+l'aide de quelques grattages, et donnait alors environ vingt-sept ans au
+faux Estienne le jour de son mariage.</p>
+
+<p>Bien plus, comme il n'y avait de lui&mdash;et pour cause&mdash;aucun acte, aucune
+pi&egrave;ce authentique, il fallut au moins fournir une preuve soi-disant
+irr&eacute;futable de sa naissance: c'est alors qu'on cr&eacute;a, de toutes pi&egrave;ces,
+cette fois, un faux acte de bapt&ecirc;me au nom de cet imaginaire personnage.
+&Agrave; cet effet, &agrave; la date du 2 novembre et sur les registres paroissiaux de
+l'ann&eacute;e 1602, on fit simplement dispara&icirc;tre, &agrave; l'aide d'un lavage
+chimique, l'acte de bapt&ecirc;me d'un individu quelconque; puis, &agrave; cette
+place, on transcrivit le faux qui devait donner quelque vraisemblance &agrave;
+l'extraordinaire conception de Louis-Fran&ccedil;ois. Il est d'ailleurs heureux
+pour lui que les deux gentilshommes charg&eacute;s de l'examen des titres et
+preuves de noblesse, messire &Eacute;l&eacute;onor de Garnier, comte des Garets,
+gouverneur de la citadelle de Strasbourg, et le chevalier de Prisque de
+Besanceuil n'aient pas men&eacute; leur besogne jusqu'au bout, car la lecture
+des registres ou ces falsifications sont encore tr&egrave;s apparentes
+aujourd'hui les e&ucirc;t pleinement &eacute;difi&eacute;s. Sur les deux actes de mariage,
+les corrections grossi&egrave;rement dissimul&eacute;es sous de maladroites taches
+d'encre sont tr&egrave;s visibles; sur le faux acte de bapt&ecirc;me, le papier
+blanchi par l'acide et les mouillures, les signatures p&eacute;niblement
+d&eacute;calqu&eacute;es ou copi&eacute;es, l'encre encore noire, l'&eacute;criture enfin,
+contrastent trop &eacute;trangement avec les actes qui pr&eacute;c&egrave;dent ou suivent
+pour que le moins averti s'y soit tromp&eacute;.</p>
+
+<p>Louis-Fran&ccedil;ois avait compt&eacute; sans les registres du bailliage qu'il ne
+pouvait aussi ais&eacute;ment falsifier; ils font foi qu'il n'y eut pas deux
+Estienne Alamartine, mais un seul, mari&eacute; deux fois; de sa premi&egrave;re union
+il n'eut pas d'enfants, mais de l'autre il en eut cinq, trois filles et
+deux gar&ccedil;ons.</p>
+
+<p>L'a&icirc;n&eacute;e des filles, Philiberte, &eacute;pousa le 10 mars 1638 Antoine de la
+Bl&eacute;tonni&egrave;re<a name="FNanchor_14_14" id="FNanchor_14_14"></a><a href="#Footnote_14_14" class="fnanchor">[14]</a>; une autre, Anne, n&eacute;e en 1627, fut mari&eacute;e &agrave; Simon
+Dumont, &laquo;&eacute;lu en l'&eacute;lection<a name="FNanchor_15_15" id="FNanchor_15_15"></a><a href="#Footnote_15_15" class="fnanchor">[15]</a>&raquo;, et mourut le 16 mars 1709. La derni&egrave;re,
+Fran&ccedil;oise-Marie, devint religieuse &agrave; la Visitation de M&acirc;con.</p>
+
+<p>Quant aux deux fils, l'a&icirc;n&eacute;, Philippe-&Eacute;tienne, fut l'auteur de la
+branche a&icirc;n&eacute;e de Lamartine, dite d'Hurigny, &eacute;teinte dans les m&acirc;les &agrave; la
+fin du <span class="smcap">xviii</span><sup>e</sup> si&egrave;cle, et le cadet, Jean-Baptiste, de la branche de
+Montceau dont descend le po&egrave;te.</p>
+
+
+
+<hr />
+<h3>Lamartine d'Hurigny.</h3>
+
+
+<p>Hurigny est une ancienne ch&acirc;tellenie royale d&eacute;pendant des domaines du
+roi, situ&eacute;e dans le canton nord de M&acirc;con non loin de la ville. En 1510,
+la terre d'Hurigny avait &eacute;t&eacute; inf&eacute;od&eacute;e en faveur de Philippe Margot,
+conseiller ma&icirc;tre des comptes &agrave; Dijon. Au milieu du <span class="smcap">xvi</span><sup>e</sup> si&egrave;cle, la
+seigneurie passa aux mains de la famille Seyvert; en 1665, leur
+h&eacute;ritier, Jacques Lestouf de Pradines la vendit &agrave; Philippe-&Eacute;tienne, qui,
+en 1672, exer&ccedil;a une reprise de fief.</p>
+
+<p>Philippe-&Eacute;tienne naquit vraisemblablement &agrave; la fin de 1622. Il succ&eacute;da &agrave;
+son p&egrave;re en 1656 dans son office de conseiller et secr&eacute;taire du roi,
+mais r&eacute;signa ses fonctions quelques ann&eacute;es apr&egrave;s, le 14 janvier 1663. Il
+avait &eacute;pous&eacute;, le 14 juin 1657, Claudine de la Ro&uuml;e, fille de feu noble
+Antoine de la Ro&uuml;e, avocat &agrave; M&acirc;con, et de demoiselle Marie Galopin, sa
+veuve.</p>
+
+<p>De cette union naquirent deux fils et quatre filles: Ursule (3 janvier
+1677&mdash;7 mars 1746), mari&eacute;e le 7 novembre 1696 &agrave; Antoine Desbois, grand
+bailli d'&eacute;p&eacute;e du M&acirc;connais et capitaine du ch&acirc;teau de M&acirc;con<a name="FNanchor_16_16" id="FNanchor_16_16"></a><a href="#Footnote_16_16" class="fnanchor">[16]</a>; Marie,
+morte jeune (5&mdash;14 f&eacute;vrier 1602); Marie et Marie-Anne, l'une religieuse
+au couvent de la Bruy&egrave;re (1605&mdash;?), l'autre ursuline &agrave; M&acirc;con. Quant aux
+fils, l'a&icirc;n&eacute;, Philippe, n&eacute; le 26 ao&ucirc;t 1658, fut mari&eacute; le 7 juin 1704 &agrave;
+Anne Constant, fille d'Antoine Constant, &eacute;chevin de Lyon en 1697-98, et
+de Anne Mollien<a name="FNanchor_17_17" id="FNanchor_17_17"></a><a href="#Footnote_17_17" class="fnanchor">[17]</a>. Il n'en eut pas d'enfants, et mourut le 20 octobre
+1747. Tous les biens paternels qui devaient lui revenir en sa qualit&eacute;
+d'a&icirc;n&eacute;, furent transmis &agrave; son cadet, Jean-Baptiste, n&eacute; le 19 octobre
+1663.</p>
+
+<p>Ce fut Jean-Baptiste qui, le premier des Lamartine, rehaussa le nom du
+prestige, si grand &agrave; l'&eacute;poque, de la noblesse d'&eacute;p&eacute;e, puisqu'apr&egrave;s avoir
+servi quelque temps cornette dans Lande-dragons, il acheta le 25 octobre
+1689 une compagnie dans le r&eacute;giment de G&eacute;vaudan-dragons. Il quitta
+l'arm&eacute;e pour &eacute;pouser le 26 f&eacute;vrier 1696 &Eacute;l&eacute;onore Bernard, d'une tr&egrave;s
+ancienne famille m&acirc;connaise, fille de Philibert, seigneur de la
+Vernette, conseiller du roi au si&egrave;ge et pr&eacute;sidial de M&acirc;con<a name="FNanchor_18_18" id="FNanchor_18_18"></a><a href="#Footnote_18_18" class="fnanchor">[18]</a>, et de
+Jeanne Bollioud, qui lui donna une fille, Fran&ccedil;oise (1700&mdash;1720), et
+deux fils, dont l'a&icirc;n&eacute;, Philibert, n&eacute; le 15 juillet 1698, fut capitaine
+au r&eacute;giment de Pi&eacute;mont, et mourut chevalier de Saint-Louis le 8 janvier
+1789, sans avoir &eacute;t&eacute; mari&eacute;.</p>
+
+<p>Le cadet, Jean-Baptiste, dernier seigneur d'Hurigny, naquit en 1703. Il
+servit d'abord comme volontaire dans le r&eacute;giment de Villeroy o&ugrave; il
+devint capitaine et chevalier de Saint-Louis. Il &eacute;pousa, le 8 mars 1735,
+Anne de Lamartine de Montceau, sa cousine, et mourut le 10 avril 1757,
+n'ayant eu de son mariage qu'un fils, Louis Fran&ccedil;ois, n&eacute; le 26 f&eacute;vrier
+1748, mort jeune, et cinq filles.</p>
+
+<p>L'a&icirc;n&eacute;e, Jeanne-Sibylle-Philippine, n&eacute;e le 7 f&eacute;vrier 1736, &eacute;pousa le 16
+f&eacute;vrier 1756 Pierre de Montherot de Montferrands<a name="FNanchor_19_19" id="FNanchor_19_19"></a><a href="#Footnote_19_19" class="fnanchor">[19]</a>. La cadette,
+Marianne (31 oct. 1737&mdash;?) &eacute;pousa, le 25 f&eacute;vrier 1759, Pierre Desvignes
+de Davay&eacute;; une autre, Ursule (6 d&eacute;c. 1741&mdash;?), fut mari&eacute;e le 2 septembre
+1761 &agrave; Antoine Patissier de la Forestille, capitaine au r&eacute;giment de
+Pi&eacute;mont. Quant aux deux autres, Marie-Philiberte (7 f&eacute;vrier 1739&mdash;?) et
+Fran&ccedil;oise-Marie (15 nov. 1742&mdash;?), elles furent toutes deux religieuses
+&agrave; M&acirc;con.</p>
+
+<p>&Agrave; la mort de Philibert de Lamartine, survenue en 1789, la branche a&icirc;n&eacute;e
+se trouva donc &eacute;teinte dans les m&acirc;les; la seigneurie d'Hurigny, avec les
+domaines et ch&acirc;teau qui en d&eacute;pendaient, avait &eacute;t&eacute; constitu&eacute;e en dot &agrave;
+Jeanne-Sibylle, lors de son mariage avec Pierre de Montherot.</p>
+
+
+
+<hr />
+<h3>Lamartine de Montceau.</h3>
+
+
+<p>La branche cadette de Montceau, dont est issu le po&egrave;te, a pour auteur
+Jean-Baptiste, fils cadet d'Estienne Alamartine et d'Anne Galloche. Il
+naquit en 1640, fit ses &eacute;tudes de droit &agrave; l'universit&eacute; d'Orl&eacute;ans<a name="FNanchor_20_20" id="FNanchor_20_20"></a><a href="#Footnote_20_20" class="fnanchor">[20]</a>, et
+&agrave; la mort de son p&egrave;re h&eacute;rita de la charge de conseiller au bailliage de
+M&acirc;con. Il &eacute;pousa le 17 avril 1662 Fran&ccedil;oise Albert, fille d'Abel Albert,
+conseiller du roi, receveur des consignations, et de demoiselle
+Fran&ccedil;oise Moisson. C'est par l'alliance avec les Albert que la terre de
+Montceau entra dans la famille; c'&eacute;tait un beau domaine d'environ 50
+hectares, situ&eacute; sur les communes actuelles de Priss&eacute; et de Saint-Sorlin,
+&agrave; une dizaine de kilom&egrave;tres de M&acirc;con. Bien qu'on ne retrouve aucune
+reprise de fief pour Montceau, ses possesseurs s'en qualifiaient
+seigneurs, alors qu'en r&eacute;alit&eacute;, Montceau faisait partie de la terre et
+ch&acirc;tellenie de Priss&eacute;. On trouve en 1603 un d&eacute;nombrement de Priss&eacute; par
+&laquo;honorable Guyot Fournier&raquo;, dont une fille, on l'a vu plus haut, avait
+&eacute;pous&eacute; un Beno&icirc;t Alamartine; on y voit que &laquo;ladite ch&acirc;tellanie a de
+tout temps appartenu au roi et au seigneur r&eacute;v&eacute;rend &eacute;v&ecirc;que de M&acirc;con, par
+indivis, et &agrave; chacun d'eux la moiti&eacute;&raquo;. Le 17 juillet 1675 on rencontre
+une reprise de fief et d&eacute;nombrement par les h&eacute;ritiers de Pierre
+Fournier, au nombre desquels figure Abel Albert, beau-p&egrave;re de
+Jean-Baptiste de Lamartine. Non seulement dans cet acte Abel Albert se
+qualifie de seigneur de Montceau, mais il affirme encore que &laquo;si ladite
+ch&acirc;tellenie est au roi pour une moiti&eacute; et &agrave; l'&eacute;v&ecirc;que pour l'autre
+moiti&eacute;&raquo;, les rentes, toutefois, appartiennent pour un tiers au roi, un
+autre &agrave; l'&eacute;v&ecirc;que et le dernier au seigneur. En 1679 Abel Albert augmenta
+sa part en rachetant celles des deux co-h&eacute;ritiers Fournier, et &agrave; partir
+de cette date on ne retrouve plus de reprise de fief pour Priss&eacute;. Au
+d&eacute;but du <span class="smcap">xviii</span><sup>e</sup> si&egrave;cle, par suite de la mort du fils d'Abel Albert,
+sa s&#339;ur, Fran&ccedil;oise, femme de Jean-Baptiste, h&eacute;rita de Montceau. Ce n'est
+d'ailleurs pas Montceau qui permit aux Lamartine de la branche cadette
+d'entrer aux chambres de la noblesse du M&acirc;connais, puisque seule, on l'a
+vu, la ch&acirc;tellenie de Priss&eacute; qu'ils ne poss&eacute;daient pas &eacute;tait terre
+noble, mais bien le fief de la Tour de Mailly acquis au milieu du
+<span class="smcap">xviii</span><sup>e</sup> si&egrave;cle.</p>
+
+<p>Le testament de Jean-Baptiste et de sa femme, r&eacute;dig&eacute; le 1<sup>er</sup> mars
+1707, nous montre que, d&egrave;s cette &eacute;poque, la situation des Lamartine
+&eacute;tait d&eacute;j&agrave; solidement &eacute;tablie:</p>
+
+<div class="blockquot"><p>Nous l&eacute;guons, y est-il dit en effet, aux pauvres de l'H&ocirc;tel-Dieu et
+de la Charit&eacute; de cette ville, &agrave; chacun (<i>sic</i>), la somme de trois
+cents livres, les invitant &agrave; prier Dieu pour nous. &Agrave; notre fils
+Nicolas de la Martine, nous donnons et l&eacute;guons pour sa part et
+portion de nos biens et hoirie notre domaine situ&eacute; &agrave; Milly et lieux
+circonvoisins, et celui des Fortins, paroisse de Bertz&eacute;-la-Ville
+consistant en maison garnie des meubles qui y sont pr&eacute;sentement,
+caves, pressoirs, et g&eacute;n&eacute;ralement tout ce qui en d&eacute;pend, pr&eacute;s,
+terre, vignes, bois, maisons des grangers et vignerons et leurs
+d&eacute;pendances, avec les bestiaux qui servent &agrave; la culture. Plus, nous
+lui l&eacute;guons notre maison sise en cette ville, pr&egrave;s les religieuses
+Sainte-Ursule qui est habit&eacute;e pr&eacute;sentement par son fr&egrave;re a&icirc;n&eacute;,
+suivant qu'elle se comporte charg&eacute;e du passage qui y est
+pr&eacute;sentement pour la desserte de la grande maison que nous
+habitons. Nous lui donnons et l&eacute;guons de plus la charge de
+conseiller magistrat au bailliage et pr&eacute;sidial de M&acirc;con, avec tous
+les droits en d&eacute;pendant, la part que nous avons aux charges de
+receveur des &eacute;pices, et en tout ce que dessus, instituons ledit
+Nicolas de la Martine notre h&eacute;ritier particulier, &agrave; la charge de
+payer par lui, annuellement et par avance, &agrave; s&#339;ur Fran&ccedil;oise de la
+Martine, religieuse &agrave; la Visitation Sainte-Marie, et &agrave; s&#339;ur Anne de
+la Martine<a name="FNanchor_21_21" id="FNanchor_21_21"></a><a href="#Footnote_21_21" class="fnanchor">[21]</a>, religieuse Ursule, &agrave; chacune d'elles quinze livres
+de pension pendant leur vie.</p>
+
+<p>Item, nous donnons &agrave; Marie et &agrave; Marie-Anne de la Martine, nos
+filles, &agrave; chacune la somme de dix-huit mille livres.</p>
+
+<p>Item, nous l&eacute;guons et donnons &agrave; Fran&ccedil;ois de la Martine, notre fils,
+chanoine en l'&eacute;glise de M&acirc;con, la somme de quinze mille livres et,
+outre ce, nous lui l&eacute;guons la somme de mille livres que nous lui
+avons avanc&eacute;e pour fournir aux frais de son baccalaur&eacute;at en
+Sorbonne. Au r&eacute;sidu de nos autres biens desquels nous n'avons pas
+dispos&eacute; cy-devant, ni n'entendons disposer cy-apr&egrave;s, nous nommons
+et instituons notre h&eacute;ritier universel, seul et pour le tout,
+Philippe-&Eacute;tienne de la Martine, notre fils a&icirc;n&eacute;.</p>
+
+<p>Voulons de plus que si moi, ledit de la Martine, d&eacute;c&egrave;de le premier,
+qu'au moment de mon d&eacute;c&egrave;s, notre h&eacute;ritier entre en jouissance du
+domaine et vignoble de P&eacute;rone et des biens qui sont venus de
+monsieur Litaud depuis son mariage.</p></div>
+
+<p>Ce testament est curieux, &agrave; plus d'un titre. On y voit figurer en effet
+la petite maison de Milly, la maison natale de Lamartine situ&eacute;e rue des
+Ursulines, et l'h&ocirc;tel Lamartine, &eacute;lev&eacute; pr&egrave;s des remparts de M&acirc;con et qui
+portait alors le num&eacute;ro 87 de la rue de la Croix-Saint-Girard, devenue
+sous la R&eacute;volution rue Solon et au <span class="smcap">xix</span><sup>e</sup> si&egrave;cle rue Bauderon de
+Sen&eacute;c&eacute;.</p>
+
+<p>La petite maison de Milly date de 1705, &eacute;poque &agrave; laquelle elle fut
+solennellement b&eacute;nite par le cur&eacute; de la paroisse<a name="FNanchor_22_22" id="FNanchor_22_22"></a><a href="#Footnote_22_22" class="fnanchor">[22]</a>. Quant &agrave; la maison
+de la rue des Ursulines, acquise sans doute au d&eacute;but du <span class="smcap">xvii</span><sup>e</sup> si&egrave;cle,
+elle d&eacute;note une construction du <span class="smcap">xvi</span><sup>e</sup> si&egrave;cle. Les fen&ecirc;tres ont &eacute;t&eacute;
+remani&eacute;es depuis et l'int&eacute;rieur semble avoir subi de nombreuses
+transformations. Sa porte est surmont&eacute;e d'un &eacute;cu charg&eacute; d'une flamme en
+pointe et de deux &eacute;toiles &agrave; cinq rais en chef, qui se r&eacute;f&egrave;re &agrave; une
+famille actuellement inconnue dans le M&acirc;connais. Cette maison n'&eacute;tait
+pas, comme l'a dit Lamartine, une maison de retraite pour les vieux
+domestiques. Dans les testaments qui suivent celui de Jean-Baptiste on
+voit qu'elle &eacute;tait toujours l&eacute;gu&eacute;e au fils cadet, mais que, du vivant du
+chef de famille, elle &eacute;tait habit&eacute;e par l'a&icirc;n&eacute;. La maison de la rue des
+Ursulines communiquait par une cour et des jardins avec l'h&ocirc;tel
+Lamartine, belle construction &agrave; deux &eacute;tages qui, d'apr&egrave;s son
+architecture, dut &ecirc;tre &eacute;difi&eacute;e dans la deuxi&egrave;me moiti&eacute; du <span class="smcap">xvii</span><sup>e</sup>
+si&egrave;cle. Vers 1760, elle subit d'importants remaniements int&eacute;rieurs et
+l'on y voit encore une salle &agrave; manger d&eacute;cor&eacute;e de jolis trumeaux en
+cama&iuml;eu dans le go&ucirc;t des bergeries de Watteau. Sa porte est surmont&eacute;e
+d'une d&eacute;coration en fer forg&eacute; o&ugrave; l'on remarque deux L entrelac&eacute;s,
+manifestement inspir&eacute;e du chiffre royal.</p>
+
+<p>Quant &agrave; la propri&eacute;t&eacute; de P&eacute;rone, elle &eacute;tait situ&eacute;e non loin de M&acirc;con
+(canton actuel de Lugny) et d&eacute;pendait de la seigneurie d'Uchisy. Les
+Lamartine y poss&eacute;daient une maison de campagne, qui date &eacute;galement de la
+fin du <span class="smcap">xvii</span><sup>e</sup> si&egrave;cle.</p>
+
+<p>Ainsi, comme on peut s'en rendre compte, la plupart des biens&mdash;&agrave; part
+Saint-Point&mdash;qui composeront plus tard le patrimoine du po&egrave;te, se
+trouvaient d&egrave;s le d&eacute;but du <span class="smcap">xviii</span><sup>e</sup> si&egrave;cle en possession de sa
+famille.</p>
+
+<p>Jean-Baptiste de Lamartine mourut le 1<sup>er</sup> septembre 1707. De son
+mariage, tr&egrave;s prolifique, il avait eu seize enfants dont peu lui
+surv&eacute;curent<a name="FNanchor_23_23" id="FNanchor_23_23"></a><a href="#Footnote_23_23" class="fnanchor">[23]</a>. Des trois fils qu'il nomme dans son testament, l'un,
+Nicolas, &eacute;tait n&eacute; le 31 octobre 1668; il avait fait ses &eacute;tudes de droit
+&agrave; l'universit&eacute; d'Orl&eacute;ans comme son p&egrave;re, de 1687 &agrave; 1690, &eacute;poque &agrave;
+laquelle il fut re&ccedil;u licenci&eacute;<a name="FNanchor_24_24" id="FNanchor_24_24"></a><a href="#Footnote_24_24" class="fnanchor">[24]</a>. Puis, il succ&eacute;da &agrave; son p&egrave;re dans les
+fonctions de conseiller au bailliage, et mourut c&eacute;libataire &agrave; Vichy le
+19 mai 1714<a name="FNanchor_25_25" id="FNanchor_25_25"></a><a href="#Footnote_25_25" class="fnanchor">[25]</a>. &laquo;Il devait aller de l&agrave; aux eaux de Bourbon, dit Claude
+Bernard qui l'avait connu; mais la mort l'en emp&ecirc;cha; sa maladie &eacute;tait
+une phtisie pulmonaire, et on ne seconda pas assez l'effet des eaux par
+des purgatifs d&eacute;cid&eacute;s&raquo;.</p>
+
+<p>L'autre, Fran&ccedil;ois, n&eacute; le 20 mai 1677, fut chanoine de Saint-Pierre de
+M&acirc;con, et pourvu d'un archidiacon&eacute; en 1725: il fut &eacute;lu doyen par le
+chapitre de cette &eacute;glise le 29 mai 1728, et mourut &agrave; une date inconnue.</p>
+
+<p>Quant &agrave; l'a&icirc;n&eacute;, Philippe-&Eacute;tienne, n&eacute; le 26 mai 1665, il servit de 1689 &agrave;
+1702 comme capitaine dans Orl&eacute;ans-infanterie, d'o&ugrave; son p&egrave;re le retira
+pour le marier en 1703 &agrave; Sibylle Monteillet, d'une famille lyonnaise
+dont nous n'avons pu retrouver trace. Il mourut le 22 mars 1765 ayant eu
+de son mariage sept enfants, cinq filles<a name="FNanchor_26_26" id="FNanchor_26_26"></a><a href="#Footnote_26_26" class="fnanchor">[26]</a> et deux fils; le cadet, n&eacute;
+le 17 novembre 1717 embrassa comme son p&egrave;re la carri&egrave;re militaire: il
+fut lieutenant dans Tallard-infanterie le 1<sup>er</sup> d&eacute;cembre 1733,
+capitaine le 21 mai 1738, et mourut chevalier de Saint-Louis le 27
+octobre 1750, des suites de ses blessures.</p>
+
+<p>Quant &agrave; l'a&icirc;n&eacute;, Louis-Fran&ccedil;ois, propre grand-p&egrave;re du po&egrave;te, c'est une
+curieuse figure de gentilhomme, dont on a d&eacute;j&agrave; vu les pr&eacute;tentions
+nobiliaires. Il &eacute;tait n&eacute; le 4 octobre 1711 et, par le relev&eacute; de ses
+&eacute;tats de services, on voit qu'il fut enseigne le 3 octobre 1730 au
+r&eacute;giment de Tallard-infanterie&mdash;devenu par la suite r&eacute;giment de
+Monaco,&mdash;promu lieutenant le 22 ao&ucirc;t 1731, capitaine le 10 novembre
+1733, et qu'il quitta l'arm&eacute;e le 1<sup>er</sup> octobre 1748 avec la croix de
+Saint-Louis. Comme son corps fit les campagnes de 1733, 34, 35 sur le
+Rhin, celle de 1744 et 46 en Flandre et de 1745 en Allemagne, il prit
+donc part &agrave; la guerre de succession de Pologne et &agrave; la guerre de Sept
+ans.</p>
+
+<p>Lamartine, qui l'avait d'ailleurs &agrave; peine connu mais pouvait en parler
+d'apr&egrave;s les souvenirs de son p&egrave;re, nous en a laiss&eacute; un agr&eacute;able
+portrait, un peu inexact quant aux d&eacute;tails, puisqu'il en a fait un
+capitaine de cavalerie: &laquo;Il avait &eacute;t&eacute; superbe, dit il, dans sa premi&egrave;re
+jeunesse; en garnison &agrave; Lille, sous Louis XV, il avait frapp&eacute; les yeux
+de M<sup>lle</sup> Clairon qui y d&eacute;butait alors, et en avait &eacute;t&eacute; remarqu&eacute;. J'ai
+encore vu les restes de ses &eacute;quipages tels que sa magnifique argenterie
+de campagne... Il avait servi longtemps dans les arm&eacute;es de Louis XV, et
+avait re&ccedil;u la croix de Saint-Louis &agrave; la bataille de Fontenoy. Rentr&eacute;
+dans sa province avec le grade de capitaine de cavalerie, il y avait
+rapport&eacute; les habitudes d'&eacute;l&eacute;gance, de splendeur et de plaisirs
+contract&eacute;es &agrave; la Cour et dans les garnisons.&raquo;</p>
+
+<p>Si les M&eacute;moires de la Clairon sont muets sur son s&eacute;jour &agrave; Lille, tout au
+moins retrouve-t-on trace des &eacute;quipages dans le laissez-passer que lui
+d&eacute;livra le 27 juillet 1748, &agrave; Bruxelles, le mar&eacute;chal de Saxe<a name="FNanchor_27_27" id="FNanchor_27_27"></a><a href="#Footnote_27_27" class="fnanchor">[27]</a>. Quant
+&agrave; ses habitudes de luxe et de splendeur, nous en avons la preuve dans
+les embellissements qu'il apporta &agrave; ses propri&eacute;t&eacute;s et &agrave; sa belle
+biblioth&egrave;que o&ugrave; chaque volume &eacute;tait timbr&eacute; de ses armes<a name="FNanchor_28_28" id="FNanchor_28_28"></a><a href="#Footnote_28_28" class="fnanchor">[28]</a>.</p>
+
+<p>Quelques ann&eacute;es apr&egrave;s son retour &agrave; M&acirc;con, il &eacute;pousa le 23 ao&ucirc;t 1749
+Jeanne-Eug&eacute;nie Dronier, fille de Claude-Antoine Dronier, seigneur du
+Villard et de Pratz, conseiller au Parlement de Besan&ccedil;on, et de
+C&eacute;cile-Eug&eacute;nie Dolard, qui lui apporta en dot d'importants domaines dans
+le Jura<a name="FNanchor_29_29" id="FNanchor_29_29"></a><a href="#Footnote_29_29" class="fnanchor">[29]</a>. Ainsi, &agrave; la fin du <span class="smcap">xviii</span><sup>e</sup> si&egrave;cle, la famille de
+Lamartine &eacute;tait, on le voit, un des plus consid&eacute;rables du pays. Le 18
+novembre 1760, Louis-Fran&ccedil;ois fut m&ecirc;me &eacute;lu de la noblesse aux &Eacute;tats
+particuliers du M&acirc;connais, o&ugrave; les repr&eacute;sentants des trois ordres
+r&eacute;glaient les affaires de leur province<a name="FNanchor_30_30" id="FNanchor_30_30"></a><a href="#Footnote_30_30" class="fnanchor">[30]</a>.</p>
+
+<p>D'autre part, d'heureux mariages avaient augment&eacute; le patrimoine
+ancestral. En 1750, Louis-Fran&ccedil;ois avait acquis pr&egrave;s de Dijon la
+seigneurie d'Urcy avec le ch&acirc;teau de Montculot, admirablement situ&eacute; sur
+un plateau ravin&eacute; et tourment&eacute;, et entour&eacute; de magnifiques for&ecirc;ts;
+quatorze sources avaient &eacute;t&eacute; capt&eacute;es pour embellir le parc qui
+descendait en gradins sur les flancs de la colline, et les b&acirc;timents,
+aujourd'hui ruin&eacute;s, semblent avoir &eacute;t&eacute; &eacute;lev&eacute;s &agrave; cette &eacute;poque.</p>
+
+<p>En outre, il poss&eacute;dait en M&acirc;connais des vignobles importants: c'&eacute;tait
+P&eacute;ron&eacute;, Champagne et Collonges<a name="FNanchor_31_31" id="FNanchor_31_31"></a><a href="#Footnote_31_31" class="fnanchor">[31]</a>; La Tour de Mailly<a name="FNanchor_32_32" id="FNanchor_32_32"></a><a href="#Footnote_32_32" class="fnanchor">[32]</a>, Escole,
+Milly, dont les terres avaient presque doubl&eacute; depuis Jean-Baptiste, et
+enfin Montceau, o&ugrave; rien n'avait &eacute;t&eacute; &eacute;pargn&eacute; pour en faire une r&eacute;sidence
+seigneuriale; on y acc&eacute;dait par une all&eacute;e de noyers centenaires, longue
+d'un kilom&egrave;tre, et que plus tard Lamartine fit abattre comme donnant
+trop d'ombre &agrave; ses vignes. &Agrave; l'exemple du comte de Montrevel,
+Louis-Fran&ccedil;ois y avait m&ecirc;me fait &eacute;lever une salle de spectacle o&ugrave; l'on
+jouait la com&eacute;die. Les appartements &eacute;taient magnifiquement meubl&eacute;s et, &agrave;
+voir les inventaires dress&eacute;s sous la Terreur, on comprend l'acharnement
+que Louis-Fran&ccedil;ois mit alors &agrave; d&eacute;fendre son bien, sans gu&egrave;re se douter,
+semble-t-il, qu'il jouait l&agrave; sa t&ecirc;te.</p>
+
+
+<p class="e">Les gros revenus que n&eacute;cessitait un pareil train &eacute;taient tir&eacute;s, d'abord
+des terres de Bourgogne, mais principalement des biens consid&eacute;rables que
+M<sup>lle</sup> Dronier avait apport&eacute;s en dot, et situ&eacute;s en Franche-Comt&eacute;.
+C'&eacute;taient d'abord le ch&acirc;teau et les bois de Saint-Claude et Pratz; les
+for&ecirc;ts du Franois, dont les sapins s'&eacute;tendaient sur plusieurs centaines
+d'hectares, et qui vaudraient, dira plus tard Lamartine, &laquo;des millions&raquo;,
+mais qui, d'apr&egrave;s lui, furent vendues peu de temps avant la R&eacute;volution.
+Puis deux usines hydrauliques de fil de fer &agrave; Saint-Claude et &agrave; Morez en
+Jura, dont Louis-Fran&ccedil;ois s'occupait assid&ucirc;ment<a name="FNanchor_33_33" id="FNanchor_33_33"></a><a href="#Footnote_33_33" class="fnanchor">[33]</a>; enfin, la terre des
+Amorandes, avec les ruines d'un vieux ch&acirc;teau f&eacute;odal, et d'importants
+vignobles &agrave; Poligny.</p>
+
+<p>Toute cette fortune devait selon l'usage passer un jour aux mains du
+fils a&icirc;n&eacute;, Fran&ccedil;ois-Louis, n&eacute; le 6 juillet 1750. &Agrave; l'&acirc;ge de quatorze
+ans, il avait &eacute;t&eacute; inscrit a l'&eacute;cole de la compagnie des chevau-l&eacute;gers
+du roi, apr&egrave;s examen des fameuses preuves de noblesse &eacute;tablies par son
+p&egrave;re.</p>
+
+<p>Mais il &eacute;tait d'une sant&eacute; d&eacute;licate, et dut en 1776 quitter la compagnie
+o&ugrave; il n'avait fait d'ailleurs que de rares apparitions, &laquo;n'ayant tard&eacute; &agrave;
+venir faire ses exercices dit une note de son dossier, que par sa
+maladie dont il a donn&eacute; les preuves&raquo;. Il souffrait de la poitrine, et
+bient&ocirc;t son &eacute;tat s'aggrava &agrave; un tel point que les m&eacute;decins lui
+d&eacute;conseill&egrave;rent le mariage. Or le cadet, Jean-Baptiste, &eacute;tait entr&eacute; dans
+les ordres; pour assurer la post&eacute;rit&eacute;, il fallut donc chercher plus loin
+encore, et tirer de l'ombre, o&ugrave; il &eacute;tait destin&eacute; &agrave; v&eacute;g&eacute;ter, le troisi&egrave;me
+et dernier fils, le petit chevalier de Pratz, Pierre de Lamartine.</p>
+
+<p>Il &eacute;tait n&eacute; le 21 septembre 1751; selon l'usage du temps, il ne devait
+pas se marier, mais, comme l'a dit Lamartine, &laquo;vieillir dans le grade
+modeste de capitaine, gagner lentement la croix de Saint-Louis puis,
+dans un &acirc;ge avanc&eacute;, v&eacute;g&eacute;ter dans une chambre haute de quelque vieux
+ch&acirc;teau de son fr&egrave;re a&icirc;n&eacute;, surveiller le jardin, dresser les chevaux,
+jouer avec les enfants, aim&eacute; mais n&eacute;glig&eacute; de tout le monde, et achever
+ainsi sa vie, inaper&ccedil;u, sans biens, sans femme, sans post&eacute;rit&eacute;, jusqu'&agrave;
+ce que les infirmit&eacute;s et la maladie le rel&eacute;guassent dans la chambre nue
+o&ugrave; pendaient au mur son casque et sa vieille &eacute;p&eacute;e, et qu'on d&icirc;t un jour
+dans le ch&acirc;teau: Le chevalier est mort.&raquo;</p>
+
+<p>Cette triste et solitaire existence, Pierre de Lamartine semble l'avoir
+accept&eacute;e avec r&eacute;signation. &Agrave; dix-sept ans, apr&egrave;s avoir d&eacute;j&agrave; servi deux
+ans comme volontaire, il adressa au ministre de la Guerre une demande en
+vue d'obtenir un brevet de sous-lieutenant sans appointements dans le
+r&eacute;giment de Dauphin-cavalerie, o&ugrave; commandait le comte de Vibraye, ancien
+compagnon d'armes de son p&egrave;re.</p>
+
+<div class="blockquot"><p>Il ose esp&eacute;rer, terminait-il, qu'on lui accordera cette gr&acirc;ce en
+consid&eacute;ration de ses p&egrave;res et parents qui ont sacrifi&eacute; une partie
+de leur vie et de leur fortune au service du Roy, auquel &eacute;tant
+cadet de famille, il se propose lui-m&ecirc;me de sacrifier avec z&egrave;le sa
+vie.</p></div>
+
+<p>Le 11 mai 1769, la demande &eacute;tait accord&eacute;e; le 1<sup>er</sup> janvier 1772, il
+obtenait le grade de sous-lieutenant en pied, celui de lieutenant en
+second le 18 juin 1776, en premier le 14 f&eacute;vrier 1779, celui de
+capitaine en second le 12 juillet 1781, et de capitaine le 9 mars 1788.
+C'est &agrave; cette &eacute;poque qu'on s'occupa s&eacute;rieusement de le marier.</p>
+
+<p>Il en &eacute;tait question d&eacute;j&agrave; depuis longtemps, para&icirc;t-il, mais d'ann&eacute;e en
+ann&eacute;e on ajournait &laquo;cette &eacute;normit&eacute;&raquo;. Lamartine a racont&eacute;, avec une verve
+exquise, toutes les difficult&eacute;s que rencontra cette d&eacute;cision. C'&eacute;tait un
+soul&egrave;vement g&eacute;n&eacute;ral de tous les sentiments de famille. Les chevaliers ne
+sont pas faits pour se marier, disait la m&egrave;re r&eacute;volt&eacute;e: &laquo;c'est
+monstrueux&raquo;. Mais d'autre part, laisser s'&eacute;teindre le nom, c'e&ucirc;t &eacute;t&eacute;,
+a-t-il dit, un crime contre le sang. Il fallut se d&eacute;cider malgr&eacute; tout.</p>
+
+<p>Tout au moins lui laissa-t-on faire un mariage d'inclination, puisqu'il
+&eacute;pousa une jeune fille qu'il aimait depuis longtemps, mais peu dot&eacute;e, ce
+qui n'&eacute;tait gu&egrave;re dans les traditions de la famille: Fran&ccedil;oise-Alix Des
+Roys, chanoinesse-comtesse au chapitre de Salles en Beaujolais, fille
+d'un intendant des finances du Palais-Royal et d'une sous-gouvernante
+des enfants du duc de Chartres.</p>
+
+
+
+<hr />
+<h2><a name="CHAPITRE_IIa" id="CHAPITRE_IIa"></a><a href="#toc">CHAPITRE II</a></h2>
+
+<p class="c">LES DES ROYS<a name="FNanchor_34_34" id="FNanchor_34_34"></a><a href="#Footnote_34_34" class="fnanchor">[34]</a></p>
+
+
+<p>Les Des Roys, famille de juristes et de magistrats, n'ont gu&egrave;re laiss&eacute;
+de trace dans l'histoire de leur temps; comme les Lamartine en
+Bourgogne, ils v&eacute;curent tous en Auvergne la m&ecirc;me existence probe et
+obscure du gentilhomme provincial fid&egrave;le au pouvoir et aux traditions,
+sans qu'aucun grave &eacute;v&eacute;nement v&icirc;nt modifier leurs jours paisibles et
+bien occup&eacute;s. Avocats de p&egrave;re en fils d&egrave;s le d&eacute;but du <span class="smcap">xvi</span><sup>e</sup> si&egrave;cle,
+ils resteront toujours pauvres: ni leur carri&egrave;re peu fructueuse, ni le
+sol ingrat du Velay ne pouvaient les enrichir.</p>
+
+<p>Il est difficile d'attribuer des origines pr&eacute;cises &agrave; leur noblesse et &agrave;
+leur nom. Dans tous les actes les concernant ils sont bien qualifi&eacute;s de
+<i>nobles</i>, mais aucun d'eux, soit par la seigneurie d'une terre noble,
+soit par l'achat d'une charge conf&eacute;rant la noblesse, n'a jamais r&eacute;pondu
+aux conditions requises du noble pour justifier ses pr&eacute;rogatives. Reste
+l'hypoth&egrave;se du <i>fait acquis</i>, dont b&eacute;n&eacute;ficiaient les familles
+autochtones ou tr&egrave;s anciennement connues dans une r&eacute;gion: seule elle
+para&icirc;t applicable aux Des Roys dont le nom n'est pas celui d'un fief
+ajout&eacute; au nom patronymique et supprim&eacute; peu &agrave; peu par l'usage, puisqu'on
+rencontre au cours des <span class="smcap">xvi</span><sup>e</sup> et <span class="smcap">xvii</span><sup>e</sup> si&egrave;cles des Des Roys
+d'Eschandelys, Des Roys de L&eacute;dignan, Des Roys de Chazotte, Des Roys de
+la Sauvetat. Pourtant leur noblesse est incontestable. Le fait d'avoir
+suivi l'exemple des vieilles familles de France en ne profitant pas de
+l'&eacute;dit royal de 1696 pour faire enregistrer officiellement leurs armes
+prouve qu'en Auvergne ils n'avaient plus &agrave; fournir leurs preuves<a name="FNanchor_35_35" id="FNanchor_35_35"></a><a href="#Footnote_35_35" class="fnanchor">[35]</a>.</p>
+
+<p>Quant au nom m&ecirc;me, il est latin et ne provient pas, comme on serait
+port&eacute; &agrave; le croire, de <i>Regibus</i>, mais de <i>Rex</i>, d&eacute;clin&eacute; suivant sa
+fonction dans la phrase, transform&eacute; peu &agrave; peu en <i>Reis</i>, puis en <i>Roys</i>;
+l'&eacute;volution est d'ailleurs facile &agrave; suivre du <span class="smcap">xii</span><sup>e</sup> au <span class="smcap">xiii</span><sup>e</sup>
+si&egrave;cle. <i>De Regibus</i> n'appara&icirc;t qu'au <span class="smcap">xv</span><sup>e</sup> si&egrave;cle, alors que le nom
+tout &agrave; fait francis&eacute; est traduit alors sous son &eacute;quivalent le plus exact
+dans les actes latins.</p>
+
+<p>Des nombreux Rex, Regis, Rege ou Reis&mdash;la plupart notaires ou
+clercs&mdash;qui figurent dans les cartulaires ou polyptyques de la r&eacute;gion
+lyonnaise de 1100 &agrave; 1400<a name="FNanchor_36_36" id="FNanchor_36_36"></a><a href="#Footnote_36_36" class="fnanchor">[36]</a>, on peut conclure que l&agrave; est le v&eacute;ritable
+berceau de cette famille, plus tard divis&eacute;e en plusieurs branches, mais
+toute possessionn&eacute;e en Languedoc, en Auvergne ou en Bugey; celle qui
+nous occupe se fixa en Velay o&ugrave; la premi&egrave;re mention qu'on en rencontre
+remonte &agrave; 1279<a name="FNanchor_37_37" id="FNanchor_37_37"></a><a href="#Footnote_37_37" class="fnanchor">[37]</a>. &Agrave; partir de cette date les documents deviennent
+plus nombreux, sans qu'il soit possible, bien entendu, d'&eacute;tablir une
+filiation directe. Enfin, au d&eacute;but du <span class="smcap">xvi</span><sup>e</sup> si&egrave;cle, nous nous trouvons
+en pr&eacute;sence d'une famille Des Roys &eacute;tablie de longue date, semble-t-il,
+&agrave; Montfaucon pr&egrave;s du Puy et comptant de nombreuses alliances avec de
+vieilles maisons du pays. Jusqu'au milieu du <span class="smcap">xviii</span><sup>e</sup> si&egrave;cle elle
+demeura dans ce bourg d&eacute;sol&eacute;, situ&eacute; &agrave; 16 kilom&egrave;tres d'Yssingeaux sur un
+plateau balay&eacute; de coups de vent terribles, enfoui six mois de l'ann&eacute;e
+sous la neige, priv&eacute; de ressources naturelles, et sans autres v&eacute;g&eacute;tation
+que les bois de pins sombres qui dominent les gorges de la Duni&egrave;re.
+Point de mouvement sinon celui des p&egrave;lerinages &agrave; la Vierge noire du Puy,
+tr&egrave;s fr&eacute;quent&eacute;s alors, et au <span class="smcap">xvi</span><sup>e</sup> si&egrave;cle celui des bandes catholiques
+ou huguenotes qui ravageaient le pays avant d'entrer en Languedoc.</p>
+
+
+<p class="e">C'est l&agrave; que vers 1480 vivait le premier Des Roys auquel on puisse
+rattacher directement Lamartine, &laquo;v&eacute;n&eacute;rable et discr&egrave;te personne Denis
+Des Roys&raquo; dont nous savons m&ecirc;me fort peu de chose. Par son testament
+r&eacute;dig&eacute; le 25 f&eacute;vrier 1528 et o&ugrave; il est qualifi&eacute; de bachelier &egrave;s lois, on
+voit qu'il avait trois fr&egrave;res: Mathurin, cur&eacute; de Raucoules<a name="FNanchor_38_38" id="FNanchor_38_38"></a><a href="#Footnote_38_38" class="fnanchor">[38]</a>; Louis,
+cur&eacute; du Pailhet<a name="FNanchor_39_39" id="FNanchor_39_39"></a><a href="#Footnote_39_39" class="fnanchor">[39]</a>, et une s&#339;ur, Catherine, mari&eacute;e &agrave; Pierre Aurelle,
+dont elle &eacute;tait veuve &agrave; cette &eacute;poque. En premi&egrave;res noces Denis Des Roys
+&eacute;pousa Claude de Lagrevol et plus tard Isabelle Vacherelle; de ces deux
+mariages naquirent sept enfants, deux filles: Vidalle, Marthe, femme
+d'Antoine de Romezin, et cinq fils: Antoine et Aymard, les deux plus
+jeunes, entr&egrave;rent dans les ordres; un autre, Pierre, fut &laquo;apoticaire&raquo;;
+le cadet, S&eacute;bastien, alla s'&eacute;tablir &agrave; Toulouse et l'a&icirc;n&eacute;, Antoine,
+&eacute;pousa Marguerite de Baulmes et de Jussac. Quant aux biens qu'il
+poss&eacute;dait alors, ils comprenaient une maison &agrave; Montfaucon, et deux
+terres, le grand et le petit Rebecque.</p>
+
+<p>Mais si ce long document ne fournit que de tr&egrave;s vagues renseignements
+sur l'&eacute;tat et la situation des Des Roys au d&eacute;but du <span class="smcap">xvi</span><sup>e</sup> si&egrave;cle, sa
+r&eacute;daction soign&eacute;e et sa forme souvent recherch&eacute;e d&eacute;notent chez Denis une
+habitude de la langue polie peu commune &agrave; l'&eacute;poque; issu d'une lign&eacute;e
+&eacute;rudite, apparent&eacute; &agrave; des eccl&eacute;siastiques lettr&eacute;s<a name="FNanchor_40_40" id="FNanchor_40_40"></a><a href="#Footnote_40_40" class="fnanchor">[40]</a>, lui-m&ecirc;me docteur
+en droit, il avait tenu &agrave; pr&eacute;ciser &eacute;l&eacute;gamment les moindres d&eacute;tails de sa
+pompe fun&eacute;raire, parfois, il est vrai, avec un soin un peu macabre
+comme on peut en juger par ce d&eacute;but:</p>
+
+<div class="blockquot"><p>Pr&eacute;alablement &agrave; Dieu tout puissant et &agrave; la benoyste Vierge Marie sa
+m&egrave;re et par intercession de tous les saints et saintes du Paradis,
+je recommande mon &acirc;me et mon corps apr&egrave;s mon tr&eacute;passement et, avant
+toute &#339;uvre, je rends &agrave; Dieu mon cr&eacute;ateur gr&acirc;ces de ma nativit&eacute;,
+corps et membres dont il m'a cr&eacute;&eacute;, des cinq sens qu'il m'a prest&eacute;s,
+des beaux enfants qu'il m'a donn&eacute;s, et de tous les biens qu'il lui
+a pleu me donner durant ma vie en ce monde.</p>
+
+<p>Item je me confesse &agrave; lui et &agrave; la glorieuse Vierge Marie, &agrave;
+monsieur Saint Denis, Saint Christophe et &agrave; tous les saints et
+saintes du Paradis de tous les pesch&eacute;s et m&eacute;faits en quoy durant
+maditte vie je suis escheu et desquels je n'en aurais &eacute;t&eacute; autrefois
+confess&eacute;.</p>
+
+<p>Item veux et ordonne que mon &acirc;me s&eacute;par&eacute;e du corps, mon dit corps
+soit veill&eacute; par mes bons amis et puis dedans un tombeau port&eacute; dans
+l'&eacute;glise de Montfalcon et dessus la couverte apartenant au cur&eacute; de
+la dicte &Eacute;glise par ses droits accoutum&eacute;s; veux aussi m'estre mis
+un linceul blanc sur le chef avec une croix noire du long et de
+travers en m&eacute;moire de la Sainte Croix.</p>
+
+<p>Item que ceux qui porteront mondit corps, reconnaissant que suis
+venu en ce monde nud, seront pieds nuds; en contentement de leur
+peine je donne &agrave; chacun c'est &agrave; s&ccedil;avoir deux aulnes et demie de
+mandel noir et d&icirc;ner afin qu'ils prient Dieu pour mon &acirc;me.</p>
+
+<p>Item veux qu'&agrave; ma s&eacute;pulture soient convoqu&eacute;s tous les pr&ecirc;tres de
+cette ville de Montfalcon et de Raucoules et du Pailhet lesquels
+seront tenus de dire &agrave; haute voix le psautier ainsi qu'il est
+accoutum&eacute; et apr&egrave;s ledict psautier veux qu'ils disent les litanies
+et l&agrave; o&ugrave; on dit <i>ora pro nobis</i>, ils diront <i>ora pro eo</i>.</p></div>
+
+<p>Suivent, pendant quatre pages, l'ordre de son convoi; les noms des amis
+qu'il prie d'y assister, le nombre de messes qu'il requiert&mdash;autant
+qu'il aura v&eacute;cus d'ans &laquo;en ce mis&eacute;rable monde&raquo;&mdash;et jusqu'&agrave; la d&eacute;coration
+de l'&eacute;glise o&ugrave; il ordonne &laquo;qu'il soict faict lume de six livres de cire
+tant en quatre petites torches qu'en autres chandelles tellement que
+tout le chandellier neuf soit garny&raquo;.</p>
+
+<p>La question des legs &eacute;tait plus bri&egrave;vement trait&eacute;e; il laissait sa femme
+usufruiti&egrave;re de ses biens, lui donnait ses joyaux, anneaux, ceintures,
+et une tasse martell&eacute;e; abandonnait au cur&eacute; de Montfaucon une partie de
+sa garde-robe &laquo;comme robe, pourpoint, chausses et une bonne chemise&raquo;;
+ses fils h&eacute;ritaient chacun de cent livres et ses filles de dix sols
+tournois; enfin, &agrave; tous les membres de sa famille et &agrave; ses amis il
+l&eacute;guait &laquo;trois aulnes de bon mandel noir&raquo; pour porter son deuil, avec
+cette originale restriction que la qualit&eacute; de l'&eacute;toffe devait varier
+entre trente et cinquante sols l'aune, suivant le degr&eacute; de parent&eacute;.</p>
+
+<p>Le fils a&icirc;n&eacute; de Denis Des Roys, Antoine, fut &agrave; la fois l'ex&eacute;cuteur et le
+l&eacute;gataire universel de ce bizarre testament. Apr&egrave;s avoir fait ses &eacute;tudes
+de droit comme son p&egrave;re, il fut re&ccedil;u licenci&eacute;, titre auquel tous
+tenaient beaucoup puisqu'il est mentionn&eacute; dans leurs contrats jusqu'au
+milieu du <span class="smcap">xviii</span><sup>e</sup> si&egrave;cle. Il &eacute;pousa, le 21 juin 1533, Marguerite de
+Baulmes et de Jussac, fille de Charles et d'Anne de Meyre<a name="FNanchor_41_41" id="FNanchor_41_41"></a><a href="#Footnote_41_41" class="fnanchor">[41]</a>.</p>
+
+<p>Seuls de tous les Des Roys, Antoine connut des jours mouvement&eacute;s: nomm&eacute;
+en 1542 lieutenant criminel au bailliage de Velay, il fut victime d'une
+erreur judiciaire, qui lui valut en 1552 d'&ecirc;tre condamn&eacute; en cour du
+parlement de Toulouse au bannissement perp&eacute;tuel et &agrave; la confiscation de
+ses biens. Il aurait, para&icirc;t-il, apr&egrave;s avoir fait arr&ecirc;ter de faux
+monnayeurs, profit&eacute; de leurs d&eacute;pouilles avec quelques-uns de ses
+coll&egrave;gues qui partag&egrave;rent son sort. L'affaire demeure assez myst&eacute;rieuse,
+mais il semble avoir &eacute;t&eacute; d&eacute;nonc&eacute; &agrave; tort par des ennemis. Quoi qu'il en
+soit, il fut r&eacute;habilit&eacute; publiquement en 1558 et rentra en possession de
+son titre.</p>
+
+<p>&Agrave; sa mort, survenue entre 1575 et 1583, il ne laissait pas d'enfants et
+institua comme h&eacute;ritier son neveu S&eacute;bastien, fils de son fr&egrave;re Pierre.
+Celui-ci eut alors &agrave; soutenir un long proc&egrave;s contre les fr&egrave;res et s&#339;urs
+de Marguerite de Jussac, qui r&eacute;clam&egrave;rent la restitution des biens de
+Jussac et de Baulmes dont ils pr&eacute;tendaient qu'Antoine ne pouvait
+disposer par suite de sa condamnation. Finalement, apr&egrave;s dix-sept ans de
+plaidoiries et d'appels il obtint gain de cause; pourtant il se d&eacute;fit
+bient&ocirc;t de ces terres qui lui avaient co&ucirc;t&eacute; tant de mal, puisqu'en 1636
+Jussac, qui relevait de l'&eacute;v&ecirc;que du Puy, appartenait &agrave; Christophe de la
+Rivoire, sieur de Chadenac<a name="FNanchor_42_42" id="FNanchor_42_42"></a><a href="#Footnote_42_42" class="fnanchor">[42]</a>.</p>
+
+<p>Apr&egrave;s ces ann&eacute;es agit&eacute;es, aggrav&eacute;es encore par la guerre religieuse qui
+ravagea le pays de 1560 &agrave; 1595 et dont le Puy et Montfaucon eurent
+durement &agrave; souffrir, les Des Roys reprennent leur vie monotone et sans
+histoire. S&eacute;bastien, qui avait &eacute;pous&eacute; en 1588 demoiselle Claude de
+Guilhon<a name="FNanchor_43_43" id="FNanchor_43_43"></a><a href="#Footnote_43_43" class="fnanchor">[43]</a>, laissa quatre enfants: une fille, Marie, femme de Jean
+Pollenon, et trois fils: l'a&icirc;n&eacute;, Gaspard, mari&eacute; &agrave; Jeanne de Cohacy,
+mourut sans h&eacute;ritier; le plus jeune, Pierre, avocat au Puy, fut un
+avocat distingu&eacute; et qui connut en son temps une certaine notori&eacute;t&eacute;: on
+lui doit quelques ouvrages de droit qui sont d'une langue claire et
+furent utilis&eacute;s apr&egrave;s lui pendant de longues ann&eacute;es<a name="FNanchor_44_44" id="FNanchor_44_44"></a><a href="#Footnote_44_44" class="fnanchor">[44]</a>; de son mariage
+avec Catherine des Olmes, d'une tr&egrave;s vieille famille du pays<a name="FNanchor_45_45" id="FNanchor_45_45"></a><a href="#Footnote_45_45" class="fnanchor">[45]</a>, il
+laissa quatre filles, dont la descendance subsiste encore<a name="FNanchor_46_46" id="FNanchor_46_46"></a><a href="#Footnote_46_46" class="fnanchor">[46]</a>. Le
+cadet, Melchior, avocat comme ses p&egrave;res, eut de son union avec Fran&ccedil;oise
+de Marnans deux filles mortes religieuses, une autre mari&eacute;e &agrave; Pierre
+Roche, et un fils, Baltazar, n&eacute; en 1610, qui &eacute;pousa Claude des Olmes en
+1650. En mourant, il laissait un fils, Pons Gaspard, n&eacute; en 1652, mari&eacute;
+en 1681 &agrave; Louise de Mure, p&egrave;re lui-m&ecirc;me de deux fils, dont l'un, Claude,
+&eacute;pousa en 1722 Fran&ccedil;oise Pagey, et l'autre, Cristofle, sa cousine Marie
+de Romezin. Tous, continuant les traditions de la famille, avaient fait
+leurs &eacute;tudes de droit &agrave; Grenoble et &eacute;taient avocats.</p>
+
+<p>Il faut arriver jusqu'au milieu du <span class="smcap">xviii</span><sup>e</sup> si&egrave;cle pour rencontrer
+quelque vari&eacute;t&eacute; dans l'histoire de la famille Des Roys. Le grand-p&egrave;re de
+Lamartine nous est en effet mieux connu; son existence fut celle d'un
+homme de c&#339;ur et d'un fonctionnaire parfait.</p>
+
+
+<p class="e">Jean-Louis Des Roys &eacute;tait fils de Claude Des Roys, avocat au Parlement
+de Grenoble, et de Fran&ccedil;oise Pagey; il naquit &agrave; Champagne en Vivarais le
+27 ao&ucirc;t 1724 et de bonne heure se pr&eacute;para &agrave; suivre la carri&egrave;re de son
+p&egrave;re. Le 5 ao&ucirc;t 1745, il fut re&ccedil;u licenci&eacute; en droit &agrave; l'universit&eacute; de
+Valence et admis un an plus tard, le 20 juin 1746, comme avocat au
+Parlement de Grenoble. Il y fit ses d&eacute;buts au barreau, et, ayant acquis
+quelque r&eacute;putation, alla s'&eacute;tablir &agrave; Lyon en 1750. Bient&ocirc;t, sa notori&eacute;t&eacute;
+devint suffisante pour qu'il re&ccedil;&ucirc;t des lettres de bourgeoisie en 1764,
+et fut &eacute;lu &eacute;chevin de la ville en 1766, puis premier &eacute;chevin en 1767.</p>
+
+<p>Il abandonna le barreau en 1772 pour des fonctions infiniment plus
+importantes, ayant &eacute;t&eacute; appel&eacute; cette ann&eacute;e-l&agrave; &agrave; l'intendance des domaines
+de la maison d'Orl&eacute;ans. Dans ses lettres de nomination, le duc rendait
+hommage &agrave; ses talents, son activit&eacute;, sa probit&eacute; pendant sa gestion des
+affaires de la ville, si bien que les Lyonnais, tr&egrave;s satisfaits de ses
+services, lui offrirent aussit&ocirc;t une situation analogue &agrave; celle qu'on
+venait de lui assurer. Mais la nomination de sa femme comme
+sous-gouvernante des enfants du duc de Chartres acheva de le d&eacute;cider.</p>
+
+<p>Il avait &eacute;pous&eacute; &agrave; Lyon, le 12 avril 1757, M<sup>lle</sup> Marguerite Gavault,
+fille de Fran&ccedil;ois Gavault, receveur du grenier &agrave; sel de
+Saint-Symphorien, puis lieutenant civil et criminel de l'&eacute;lection de
+Lyon, et de Fran&ccedil;oise Mauverney. Cette alliance va donner lieu &agrave;
+quelques cousinages, qui, pour &ecirc;tre authentiques, n'en sont pas moins
+impr&eacute;vus. Fran&ccedil;oise Mauverney &eacute;tait fille de Fran&ccedil;ois Mauverney et de
+Marguerite Grimod, et ce nom de Grimod, illustr&eacute; au <span class="smcap">xviii</span><sup>e</sup> si&egrave;cle par
+toute une dynastie de puissants fermiers g&eacute;n&eacute;raux, est l'origine de
+curieuses parent&eacute;s entre Lamartine et plusieurs de ses contemporains
+c&eacute;l&egrave;bres &agrave; des litres divers<a name="FNanchor_47_47" id="FNanchor_47_47"></a><a href="#Footnote_47_47" class="fnanchor">[47]</a>.</p>
+
+<p>Antoine Grimod, n&eacute; en 1647, directeur g&eacute;n&eacute;ral des fermes unies de
+France, conseiller et secr&eacute;taire du Roi, avait &eacute;pous&eacute; &agrave; Lyon, le 13
+avril 1684, une demoiselle Marguerite le Juge, qui lui donna sept
+enfants, dont l'a&icirc;n&eacute;, Fran&ccedil;ois-Alexis Grimod de Beauregard (1685-1755),
+mourut sans post&eacute;rit&eacute;.</p>
+
+<p>Le cadet, Gaspard Grimod, seigneur de la Reyni&egrave;re, fut mari&eacute; deux fois:
+du premier lit il eut un fils, Jean-Gaspard (1733-1793), fermier
+g&eacute;n&eacute;ral, &eacute;poux de Fran&ccedil;oise de Jarente, dont il eut Baltazard-Laurent
+Grimod de la Reyni&egrave;re, fastueux &eacute;picurien et gastronome c&eacute;l&egrave;bre dont les
+bons mots et les petits soupers d&eacute;fray&egrave;rent longtemps la chronique
+scandaleuse &agrave; la fin du <span class="smcap">xviii</span><sup>e</sup> si&egrave;cle. Du second lit, il eut deux
+filles: l'une, Madeleine, mari&eacute;e au comte de L&eacute;vis; l'autre,
+Marie-Fran&ccedil;oise, qui &eacute;pousa Chr&eacute;tien-Guillaume de Lamoignon de
+Malesherbes, d&eacute;fenseur de Louis XVI aupr&egrave;s du tribunal r&eacute;volutionnaire;
+la fille de Malesherbes devint la femme du marquis Louis de Rosanbo,
+dont la premi&egrave;re fille, Th&eacute;r&egrave;se (1771-1794), &eacute;pousa
+Jean-Baptiste-Auguste de Chateaubriand, comte de Combourg, conseiller au
+parlement de Bretagne, puis capitaine au Royal-cavalerie, le fr&egrave;re de
+Ren&eacute;, et dont la cadette, Louise-Madeleine, fut mari&eacute;e au comte de
+Tocqueville, p&egrave;re du c&eacute;l&egrave;bre historien et philosophe.</p>
+
+<p>Le troisi&egrave;me fils d'Antoine Grimod et de Marguerite le Juge, Pierre
+Grimod de Dufort d'Orsay (1698-1748), fermier g&eacute;n&eacute;ral, fut tout aussi
+bien cas&eacute; que ses a&icirc;n&eacute;s; trois fois mari&eacute;, il n'eut d'enfant que de sa
+derni&egrave;re union avec Marie-Antoinette de Caulaincourt. L'a&icirc;n&eacute; fut
+Pierre-Gaspard-Marie, comte d'Orsay, qui &eacute;pousa d'abord la princesse
+Am&eacute;lie de Croy, puis, devenu veuf, la princesse Elisabeth de
+Hoenloe-Bartenstein. Un fils de son premier lit, Albert-Gaspard
+(1772-1843), prit pour femme &Eacute;l&eacute;onore de Franquemont, qui lui donna une
+fille, Anna Ida, mari&eacute;e en 1818 &agrave; H&eacute;raclius, duc de Grammont, et un
+fils, Gillion-Gaspard-Alfred, comte d'Orsay, surintendant des
+beaux-arts, le fameux &laquo;dandy&raquo; amant de la belle lady Blessington, &agrave; qui,
+en &eacute;change d'un buste, son cousin Lamartine d&eacute;dia l'<i>Ode au comte
+d'Orsay</i>.</p>
+
+<p>Le dernier fils d'Antoine Grimod, Gaspard Grimod de Verneuil, nous
+r&eacute;serve une surprise encore plus singuli&egrave;re: sa fille, mari&eacute;e &agrave; un
+certain Charles Bouvet, fut la m&egrave;re de Marie Bouvet, qui devint la femme
+de Charles-Jacob de Bleschamp, et la grand'm&egrave;re d'Alexandrine de
+Bleschamp (1778-1855); celle ci, apr&egrave;s son divorce d'avec un aventurier
+nomm&eacute; Jouberthon, &eacute;pousa en 1802 Lucien Bonaparte, prince de Canino,
+fr&egrave;re de Napol&eacute;on Ier, dont deux des petits-fils sont le prince Roland
+Bonaparte et le g&eacute;n&eacute;ral Wyse-Bonaparte, actuel ministre de la Guerre
+des &Eacute;tats-Unis d'Am&eacute;rique, et l'arri&egrave;re-petite-fille la princesse royale
+de Gr&egrave;ce. Quant &agrave; la fille a&icirc;n&eacute;e d'Antoine Grimod, Marguerite, elle fut
+mari&eacute;e: 1&ordm; &agrave; Fran&ccedil;ois Mauverney<a name="FNanchor_48_48" id="FNanchor_48_48"></a><a href="#Footnote_48_48" class="fnanchor">[48]</a> dont elle eut une fille, Fran&ccedil;oise;
+2&ordm; &agrave; Charles Gavault, veuf &eacute;galement et p&egrave;re d'un fils, Fran&ccedil;ois, qui
+&eacute;pousa la fille du premier mariage de sa belle-m&egrave;re. De cette union
+naquirent deux filles: l'a&icirc;n&eacute;e, Fran&ccedil;oise, &eacute;pousa en 1743 Charles
+Dareste de la Plagne, dont le fils fut directeur des tabacs &agrave; Naples
+sous le premier Empire et employa Graziella parmi ses cigari&egrave;res; la
+cadette, Marie Gavault &eacute;pousa, on l'a vu, Jean-Louis Des Roys, et leur
+fille, Alix, fut la m&egrave;re de Lamartine.</p>
+
+<p>Par les Grimod, celui-ci se trouvait donc alli&eacute; par le sang &agrave; Grimod de
+la Reyni&egrave;re, &agrave; Malesherbes, &agrave; Tocqueville, aux Bonaparte, aux
+Chateaubriand, aux Grammont, aux L&eacute;vis, aux de Croy et aux Montmorency.</p>
+
+<p>Cette alliance avec la puissante famille Grimod fut d'ailleurs
+extr&ecirc;mement pr&eacute;cieuse &agrave; Jean-Louis Des Roys lors de son s&eacute;jour &agrave; Paris
+comme intendant des finances du duc d'Orl&eacute;ans, car les innombrables
+relations de Laurent de la Reyni&egrave;re lui valurent bient&ocirc;t un petit
+cercle assidu aux r&eacute;ceptions de sa femme dans l'appartement qu'elle
+occupait au Palais-Royal.</p>
+
+
+<p class="e">Le peu que nous sachions de M<sup>me</sup> Des Roys la montre comme une femme
+pleine de simplicit&eacute;, vertueuse sans affectation et profond&eacute;ment d&eacute;vou&eacute;e
+aux d'Orl&eacute;ans. &laquo;M<sup>me</sup> Des Roys, dit Lamartine dans les <i>Confidences</i>,
+&eacute;tait une femme de m&eacute;rite; ses fonctions dans la maison du premier
+prince du sang attiraient et groupaient autour d'elle beaucoup de
+personnages c&eacute;l&egrave;bres &agrave; l'&eacute;poque. Voltaire, &agrave; son court et dernier voyage
+&agrave; Paris qui fut un triomphe, vint rendre visite aux jeunes princes: ma
+m&egrave;re, qui n'avait que de sept &agrave; huit ans, assista &agrave; la visite...
+D'Alembert, Laclos, M<sup>me</sup> de Genlis, Buffon, Florian, l'historien
+anglais Gibbon, Grimm, Morellet, Necker, les hommes d'&Eacute;tat, les gens de
+lettres, les philosophes du temps vivaient dans la soci&eacute;t&eacute; de M<sup>me</sup> Des
+Roys.&raquo; &Agrave; part le d&eacute;tail touchant Voltaire, ceci est suffisamment v&eacute;rifi&eacute;
+par les m&eacute;moires de M<sup>me</sup> de Genlis, sa perfide rivale, oblig&eacute;e de
+convenir elle-m&ecirc;me de la r&eacute;putation de M<sup>me</sup> Des Roys aupr&egrave;s de la
+soci&eacute;t&eacute; de leur temps.</p>
+
+<p>En 1773, &agrave; la naissance du duc de Valois, qui deviendra Louis-Philippe,
+M<sup>me</sup> Des Roys avait &eacute;t&eacute; nomm&eacute;e sa gouvernante, sous le contr&ocirc;le de la
+vieille marquise de Rochambeau, et cette faveur fut l'origine de la
+rancune tenace que lui voua la vindicative M<sup>me</sup> de Genlis. La belle
+F&eacute;licit&eacute;, alors ma&icirc;tresse en titre du duc de Chartres et son &Eacute;g&eacute;rie,
+avait ambitionn&eacute; ce poste qui aurait au moins donn&eacute; quelque excuse &agrave; sa
+pr&eacute;sence perp&eacute;tuelle aupr&egrave;s des princes, mais la duchesse s'y opposa.
+Sans &eacute;gards &agrave; la bienveillance dont M<sup>me</sup> Des Roys avait jadis fait
+preuve envers elle, puisqu'elle lui devait d'&ecirc;tre entr&eacute;e au service de
+la famille d'Orl&eacute;ans sur la recommandation de Grimod de la Reyni&egrave;re son
+cousin, elle commen&ccedil;a une violente campagne contre sa bienfaitrice et
+l'accusa aupr&egrave;s du duc d'&eacute;lever ses fils dans les id&eacute;es philosophiques
+de ses amis les plus habituels. Indign&eacute;e, la bonne M<sup>me</sup> Des Roys, qui,
+jusqu'alors avait trait&eacute; de calomnie la liaison de M<sup>me</sup> de Genlis et
+du duc de Chartres, en profita pour fermer sa porte &agrave; la dangereuse
+cr&eacute;ature en m&ecirc;me temps qu'&agrave; Grimod de la Reyni&egrave;re qui avait pris parti
+contre elle<a name="FNanchor_49_49" id="FNanchor_49_49"></a><a href="#Footnote_49_49" class="fnanchor">[49]</a>. Celle-ci s'en vengea comme elle put, et l'on sent, &agrave;
+lire ses <i>M&eacute;moires</i> r&eacute;dig&eacute;s plus de quarante ans apr&egrave;s, que sa haine
+n'&eacute;tait point encore &eacute;teinte. En 1781, en effet, elle fut nomm&eacute;e
+<i>gouverneur</i> des princes au grand scandale de la cour et, rapportant
+avec orgueil les souvenirs de ce temps, elle s'exprime ainsi sur le
+compte de celle qui l'avait pr&eacute;c&eacute;d&eacute;e aupr&egrave;s du duc de Valois:</p>
+
+<p>&laquo;J'ai le droit, dit-elle, de ne pas estimer certaines personnes, parce
+qu'elles ont &eacute;t&eacute; d'une tr&egrave;s noire ingratitude envers moi; telle, par
+exemple, M<sup>me</sup> Desrois<a name="FNanchor_50_50" id="FNanchor_50_50"></a><a href="#Footnote_50_50" class="fnanchor">[50]</a>&raquo;, et plus loin, &agrave; la fin d'une conversation
+avec ses &eacute;l&egrave;ves: &laquo;Il m'a paru que vous &eacute;tiez tr&egrave;s froids pour M<sup>me</sup>
+Desrois; vous lui parlez &agrave; peine. Vous ne lui montrez aucune amiti&eacute;,
+vous ne demandez jamais de ses nouvelles; cela est mal et ridicule.&raquo;
+Puis, elle ajoute ing&eacute;nument: &laquo;Ils avaient cette froideur pour elle
+parce qu'elle s'&eacute;tait brouill&eacute;e publiquement avec moi, sans motifs et
+sans explication, quoique je lui eusse rendu de tr&egrave;s grands services
+aupr&egrave;s de M. le duc d'Orl&eacute;ans&raquo;.</p>
+
+<p>En 1820, m&ecirc;me, elle reporta sur Lamartine toute la haine qu'elle avait
+vou&eacute;e &agrave; sa grand'm&egrave;re; devenue intransigeante sur le tard, elle s'&eacute;tait
+d&eacute;couvert un amour impr&eacute;vu de vertus qu'elle avait pourtant peu
+pratiqu&eacute;es: malgr&eacute; la respectueuse d&eacute;dicace que le po&egrave;te avait inscrite
+sur l'exemplaire des <i>M&eacute;ditations</i> qu'il lui fit parvenir, elle en
+r&eacute;digea dans <i>l'Intr&eacute;pide</i><a name="FNanchor_51_51" id="FNanchor_51_51"></a><a href="#Footnote_51_51" class="fnanchor">[51]</a> un compte rendu perfide et malveillant,
+o&ugrave; elle ne se fit pas faute de r&eacute;p&eacute;ter tout le mal qu'elle pensait,
+sinon de l'&#339;uvre, tout au moins de la famille de l'auteur.</p>
+
+<p>Le titre lui para&icirc;t impropre, car &laquo;la m&eacute;ditation doit &ecirc;tre paisible et
+profonde&raquo;; or elle a relev&eacute; des morceaux tels que <i>l'Enthousiasme</i> et
+<i>la Gloire</i>, qui sont au contraire &laquo;d'une inspiration soudaine, d'une
+exaltation remplie de d&eacute;sordre et de feu&raquo;; les souvenirs d'amour sont
+des <i>r&ecirc;veries</i> et non des <i>m&eacute;ditations</i>; enfin <i>le D&eacute;sespoir</i>,
+&laquo;impulsion coupable et forcen&eacute;e&raquo;, ne saurait non plus &ecirc;tre une
+m&eacute;ditation.</p>
+
+<p>Puis, elle entre dans le vif de l'&#339;uvre o&ugrave; le m&eacute;lange d'un amour profane
+et de sc&egrave;nes religieuses lui semble d'abord tout &agrave; fait d&eacute;plac&eacute;, &laquo;car il
+n'est ni vraisemblable ni d'un go&ucirc;t s&eacute;v&egrave;re de passer sans transition de
+l'exaltation de la pi&eacute;t&eacute; au souvenir de sa ma&icirc;tresse&raquo;; &laquo;Reste d'&acirc;me&raquo; la
+choque; le vers:</p>
+
+<p>
+<br /><span style="margin-left: 15%;">Et ces vieux panth&eacute;ons peupl&eacute;s de <i>dieux nouveaux</i></span><br />
+<br /></p>
+
+<p>est une expression &laquo;d'ath&eacute;e&raquo;, qu'elle souhaite de voir corrig&eacute;e dans la
+prochaine &eacute;dition; &laquo;fen&ecirc;tre&raquo; est un mot familier et &laquo;d&eacute;plac&eacute; dans le
+genre noble&raquo;; les vers:</p>
+
+<p>
+<br /><span style="margin-left: 15%;">Des th&eacute;&acirc;tres croulants dont les frontons superbes</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Dorment dans la poussi&egrave;re ou rampent dans les <i>herbes</i></span><br />
+<br /></p>
+
+<p>lui sugg&egrave;rent la m&ecirc;me r&eacute;flexion &laquo;parce qu'au pluriel, <i>herbe</i> rappelle
+l'usage journalier qu'on en fait dans la cuisine&raquo;. Pour terminer, elle
+accable le jeune homme de bons avis, lui conseillant de ne pas se
+laisser aller au d&eacute;couragement apr&egrave;s ses critiques, s&eacute;v&egrave;res sans doute,
+mais formul&eacute;es sans restriction dans son int&eacute;r&ecirc;t m&ecirc;me, et dict&eacute;es par
+une sympathie que tant de raisons lui commandaient.</p>
+
+<p>Ces v&eacute;tilles et ces chicanes, qui firent sourire, &agrave; l'&eacute;poque, ceux qui
+en connaissaient les motifs<a name="FNanchor_52_52" id="FNanchor_52_52"></a><a href="#Footnote_52_52" class="fnanchor">[52]</a>, t&eacute;moignaient d'une rancune toujours
+vivace.</p>
+
+<p>Pourtant, malgr&eacute; tout l'empire de M<sup>me</sup> de Genlis sur son amant, M<sup>me</sup>
+Des Roys continua ses fonctions jusqu'en octobre 1778, gr&acirc;ce &agrave; l'appui
+de la duchesse de Chartres, &agrave; laquelle elle voua, en cette circonstance,
+un d&eacute;vouement &eacute;ternel; elle abandonna m&ecirc;me le Palais-Royal sur un
+nouveau triomphe: le gouverneur qui la rempla&ccedil;a aupr&egrave;s des princes
+devenus grands fut propos&eacute; par elle; c'&eacute;tait le chevalier de Bonnard,
+son ami personnel, et qu'elle avait connu chez Buffon. Le frivole
+Bonnard, il est vrai, n'avait rien d'un &eacute;ducateur, mais il valait au
+moins M<sup>me</sup> de Genlis, qui le rempla&ccedil;a officiellement trois ans plus
+tard. Ainsi, M<sup>me</sup> Des Roys sortait victorieuse de cette lutte avec la
+favorite; bien mieux, la duchesse voulant lui prouver sa reconnaissance
+l'admit dans sa maison particuli&egrave;re et lui confia l'&eacute;ducation de sa
+fille la princesse Ad&eacute;la&iuml;de.</p>
+
+
+<p class="e">Tandis que sa femme se tirait avec dignit&eacute; de ces intrigues assez
+difficiles, Jean-Louis Des Roys, de son c&ocirc;te, avait su gagner la
+confiance et l'estime du duc d'Orl&eacute;ans en menant &agrave; bien un certain
+nombre d'op&eacute;rations juridiques et financi&egrave;res de la plus haute
+importance pour son ma&icirc;tre. &Agrave; ses fonctions d'intendant des finances, il
+joignit l'administration des terres de la F&egrave;re, Albert et Carignan; en
+1774, il avait pr&eacute;par&eacute; le r&egrave;glement des droits, de la duchesse de
+Bourbon, belle-fille du prince de Cond&eacute;, dans la succession de la
+duchesse d'Orl&eacute;ans, sa m&egrave;re; en 1781, il reprit les n&eacute;gociations de
+l'affaire des princes de Chimay, qui tra&icirc;naient depuis un si&egrave;cle et,
+apr&egrave;s plusieurs voyages en Belgique, il obtint la conclusion d'un trait&eacute;
+qui assurait la pairie d'Avesne &agrave; la maison d'Orl&eacute;ans.</p>
+
+<p>En 1785, M. et M<sup>me</sup> Des Roys demand&egrave;rent leur retraite qui leur fut
+accord&eacute;e; mais pour marquer la satisfaction qu'il avait des services de
+l'intendant de son p&egrave;re, le duc de Chartres lui conserva &agrave; titre de
+pension l'int&eacute;grit&eacute; de son traitement, et le pria d'accepter d'&ecirc;tre
+commissaire &agrave; la liquidation du duc d'Orl&eacute;ans qui venait de mourir, ce
+que Jean-Louis Des Roys ne put refuser.</p>
+
+<p>Il se retira alors dans sa propri&eacute;t&eacute; de Rieux<a name="FNanchor_53_53" id="FNanchor_53_53"></a><a href="#Footnote_53_53" class="fnanchor">[53]</a>, qu'il avait acquise
+en 1776, et o&ugrave;, ayant obtenu la cr&eacute;ation d'une p&eacute;pini&egrave;re royale, il se
+consacra enti&egrave;rement &agrave; l'agriculture. Il y vit philosophiquement
+commencer la R&eacute;volution, sans &ecirc;tre jamais inqui&eacute;t&eacute; malgr&eacute; un pass&eacute; qui
+pourtant aurait d&ucirc; le rendre suspect; quelques lettres de lui &eacute;crites &agrave;
+son fr&egrave;re de 1793 &agrave; 1795 nous le montrent parfaitement tranquille sur
+son sort, une entre autres, &eacute;crite de Paris le 26 mars 1793, o&ugrave; on
+lit<a name="FNanchor_54_54" id="FNanchor_54_54"></a><a href="#Footnote_54_54" class="fnanchor">[54]</a>:</p>
+
+<div class="blockquot"><p>Je suis las, rebut&eacute;, et tr&egrave;s impatient d'&ecirc;tre rendu &agrave; ma nullit&eacute;
+champ&ecirc;tre; ce n'est pas que je ne m'attende &agrave; trouver l&agrave; de
+nouveaux ennuis; et quel est le lieu ou la position dans laquelle
+un fran&ccedil;ais puisse aujourd'hui vivre dans le calme? le d&eacute;sir du
+sage doit se borner &agrave; exister hors des foyers de l'orage et &agrave;
+s'estimer heureux de ressentir que les battements des vagues
+amorties... Les bruits du moment sont que les r&eacute;voltes et
+attroupements arm&eacute;s des environs de Nantes et autres parties de la
+Bretagne ont &eacute;t&eacute; dissip&eacute;s avec grand carnage. Les arm&eacute;es du Rhin,
+de la Meuse, de l'Escaut se soutiennent aussi, dit-on, et disputent
+le terrain aux ennemis du dehors. Dieu veuille enfin nous donner la
+paix, la sant&eacute; et l'ordre; quand ces biens seront rendus &agrave; la
+France, il faudra encore bien des ann&eacute;es pour qu'elle recouvre
+l'embonpoint que cette fi&egrave;vre d&eacute;vore. Si je ne voyais que moi dans
+l'orage je serais peu pein&eacute;: je serais m&ecirc;me assez philosophe pour
+observer sans inqui&eacute;tude les agitations des hommes; mais mes
+enfants, mes parents, mon fr&egrave;re, mes amis! je ne puis pas &ecirc;tre
+indiff&eacute;rent et froid sur tant d'objets ch&eacute;ris...</p>
+
+<p>Tu me conseilles de vendre mes fonds; je sais tr&egrave;s bien que je me
+donnerais par l&agrave; de l'aisance, mais je vois aussi qu'elle ne
+pourrait &ecirc;tre que momentan&eacute;e. Je t'ai d&eacute;j&agrave; observ&eacute; sur cela que je
+ne trouverais en ce moment ni placement, ni emploi qui me donne
+s&ucirc;ret&eacute; et aisance; agioter n'est pas mon fait; placer en rentes ou
+obligations, rien de plus fragile; acqu&eacute;rir d'autres immeubles,
+rien &agrave; gagner dans ces revirements; les biens patrimoniaux se
+vendent &agrave; deux pour cent, j'ach&egrave;terais comme j'aurais vendu. Je
+conclus pour attendre que le mal soit instant ou que l'on sache
+mieux sur quoi compter. Tu vois comme moi que les R&eacute;volutions
+op&egrave;rent rarement un mieux-&ecirc;tre. Actuellement nous sommes &agrave; peu pr&egrave;s
+ma&icirc;tres de nos &acirc;mes et de nos sentiments; cela seul est &agrave; notre
+direction.</p></div>
+
+<p>Dans une autre lettre encore, du 16 avril, il appara&icirc;t toujours plus
+tourment&eacute; des autres que de lui m&ecirc;me et moins hostile qu'on n'aurait pu
+le pr&eacute;voir aux &eacute;v&eacute;nements du moment:</p>
+
+<div class="blockquot"><p>Le myst&egrave;re sur ce qui se passe &agrave; Lyon, m'inqui&egrave;te beaucoup; je
+tremble pour les parents et les amis, h&eacute;las! pour tout le monde,
+car je tiens &agrave; l'humanit&eacute; et &agrave; mon pays. Paris est pour le moment
+assez tranquille, mais l'on semble craindre la disette du pain. Il
+y a foule chez les boulangers, on s'y &eacute;touffe pour parvenir &agrave; s'y
+approvisionner. Le vrai malheur ou du moins le pire de tous est la
+division qui r&egrave;gne dans la Convention; elle est, par ses
+scandaleuses dissensions, distraite du bien ou dans l'impossibilit&eacute;
+de l'op&eacute;rer; sa consid&eacute;ration s'affaiblit et le d&eacute;sordre s'accro&icirc;t;
+cependant, cette Convention, toute orageuse qu'elle est, forme le
+seul lien, le seul pivot sur lequel tout roule. Le vaisseau s'ab&icirc;me
+si le pilote lui manque en ce moment de crise.</p></div>
+
+<p>Il cessa pourtant bient&ocirc;t de lui faire cr&eacute;dit et c'est tr&egrave;s d&eacute;sabus&eacute;
+qu'il &eacute;crivait le 22 ao&ucirc;t 1795:</p>
+
+<div class="blockquot"><p>S&ucirc;ret&eacute; personnelle et du pain: ces biens n'ont heureusement pas
+cess&eacute; d'exister ici, mais la mauvaise sant&eacute; de quelques-uns de ceux
+qui m'entourent et les inqui&eacute;tudes et les mis&egrave;res publiques et trop
+universelles ont toujours &eacute;cart&eacute; de moi la gaiet&eacute;.</p>
+
+<p>Il serait bien temps que nous aper&ccedil;ussions quelqu'&eacute;tincelle du
+bonheur que la R&eacute;volution nous a tant pr&eacute;sag&eacute;; Dieu veuille que la
+nouvelle Constitution qu'on nous pr&eacute;pare en jette enfin des
+fondements plus solides que ne l'ont &eacute;t&eacute; ceux des pr&eacute;c&eacute;dentes.</p></div>
+
+<p>Le calme r&eacute;tabli, Jean-Louis Des Roys et sa femme se retrouv&egrave;rent &agrave;
+nouveau dans leur propri&eacute;t&eacute; de Rieux o&ugrave; ils s'appr&ecirc;taient &agrave; finir
+paisiblement leurs jours lorsque la duchesse d'Orl&eacute;ans vint mettre une
+fois de plus leur d&eacute;vouement &agrave; l'&eacute;preuve. La princesse, transf&eacute;r&eacute;e &agrave; la
+pension du docteur Belhomme apr&egrave;s le 9 thermidor, essayait de s'y faire
+oublier, lorsque le 6 septembre 1797 le gouvernement d&eacute;cida la mise en
+vigueur d'un d&eacute;cret du 21 prairial an III, ordonnant l'expulsion
+imm&eacute;diate de tous les membres de la famille de Bourbon et la
+confiscation de leurs biens. Elle se mit en route pour l'Espagne et
+&eacute;crivit de Barcelone une lettre &agrave; M<sup>me</sup> Des Roys en la priant d'aller
+jusqu'en Hongrie chercher sa fille, la princesse Ad&eacute;la&iuml;de, pour la
+ramener pr&egrave;s d'elle. La jeune fille, &eacute;migr&eacute;e d&egrave;s 1791 avec M<sup>me</sup> de
+Genlis, avait &eacute;t&eacute; abandonn&eacute;e par elle &agrave; l'&eacute;tranger pendant que F&eacute;licit&eacute;
+voyant la cause royale perdue, gagnait Hambourg o&ugrave; elle se rendait vite
+insupportable &agrave; tous les Fran&ccedil;ais par son hypocrisie et ses calomnies.</p>
+
+<p>Heureuse de pouvoir prouver une derni&egrave;re fois son d&eacute;vouement &agrave; ses
+anciens ma&icirc;tres, la vieille M<sup>me</sup> Des Roys se mit en route &agrave; la fin de
+d&eacute;cembre 1799 et, apr&egrave;s un long et p&eacute;nible voyage qui dura pr&egrave;s de deux
+ans et demi, elle accomplit heureusement sa mission. Forc&eacute;es d'&eacute;viter la
+France interdite &agrave; la princesse Ad&eacute;la&iuml;de, les deux femmes avaient d&ucirc;
+descendre de Hongrie en Italie, o&ugrave; elles s'embarqu&egrave;rent &agrave; Livourne; le
+12 avril 1802, on lit dans le <i>Journal intime</i>:</p>
+
+<div class="blockquot"><p>J'ai re&ccedil;u une lettre de ma m&egrave;re qui m'annonce enfin son arriv&eacute;e &agrave;
+Barcelone; elle a &eacute;prouv&eacute; beaucoup d'&eacute;v&eacute;nements, entre autres une
+temp&ecirc;te dans la travers&eacute;e de Livourne en Espagne, qui a dur&eacute; trois
+jours et deux nuits; l'entrevue de M<sup>me</sup> d'Orl&eacute;ans et de sa fille
+a &eacute;t&eacute; des plus touchantes, il y avait onze ans qu'elles &eacute;taient
+s&eacute;par&eacute;es.</p></div>
+
+<p>La princesse Ad&eacute;la&iuml;de n'oublia pas cet admirable d&eacute;vouement; lorsqu'en
+1814 elle reprit le chemin de Paris, elle tint &agrave; s'arr&ecirc;ter &agrave; Lyon pour
+voir les deux filles de son ancienne gouvernante, M<sup>me</sup> de Lamartine et
+M<sup>me</sup> de Vaux, et leur offrit de merveilleuses dentelles qui avaient
+appartenu &agrave; sa m&egrave;re. Mais un an plus tard, lorsque le chevalier de
+Lamartine voulut obtenir, pour lui la croix de Saint-Louis, pour son
+fils un brevet de garde du corps, il eut du mal &agrave; voir sa requ&ecirc;te
+aboutir. En 1825, enfin, Lamartine trouva moyen de s'ali&eacute;ner
+compl&egrave;tement le duc d'Orl&eacute;ans par quelques vers vraiment maladroits de
+son <i>Chant du Sacre</i>, et d&egrave;s ses d&eacute;buts en politique le foss&eacute; se creusa
+encore plus profond: sa conscience, sa vision po&eacute;tique et grandiose de
+la libert&eacute; prim&egrave;rent en lui tous les autres sentiments. Mais n'y a-t-il
+pas quelque m&eacute;lancolie &agrave; penser que celui dont M<sup>me</sup> Des Roys avait
+berc&eacute; les premi&egrave;res ann&eacute;es avec tant de sollicitude devait &ecirc;tre chass&eacute;
+du tr&ocirc;ne par le petit-fils de sa vieille gouvernante?</p>
+
+<p>Jean-Louis Des Roys mourut le 14 octobre 1798, et sa femme le 10 juillet
+1804. De leur mariage &eacute;taient n&eacute;s six enfants; l'a&icirc;n&eacute;, Pierre-Fran&ccedil;ois,
+n&eacute; le 12 f&eacute;vrier 1738, fut conseiller &agrave; Rouen et mourut sans avoir &eacute;t&eacute;
+mari&eacute; le 8 mai 1810. &laquo;Il m'avait presque tenu lieu de p&egrave;re pendant mon
+enfance, &eacute;crira sa ni&egrave;ce en inscrivant la triste nouvelle, et avait
+contribu&eacute; &agrave; mon mariage en me donnant 10000 francs comptant et en m'en
+assurant 12000 apr&egrave;s lui.&raquo;</p>
+
+<p>Des quatre filles de M<sup>me</sup> Des Roys, l'a&icirc;n&eacute;e, Catherine Julie, n&eacute;e le 9
+janvier 1761, &eacute;pousa en 1778 Charles-Henrion de Saint Amand, fr&egrave;re du
+pr&eacute;sident Henrion de Pansey; la seconde, &Eacute;milie (22 janvier 1762-1827),
+fut mari&eacute;e &agrave; Louis Papon de Rochemont; la troisi&egrave;me, C&eacute;sarine, n&eacute;e le 29
+novembre 1763, devint la femme de Pierre-Beno&icirc;t Carra de Vaux Saint-Cyr,
+et la derni&egrave;re, Alix, devint M<sup>me</sup> de Lamartine<a name="FNanchor_55_55" id="FNanchor_55_55"></a><a href="#Footnote_55_55" class="fnanchor">[55]</a>. Enfin le dernier
+des fils, Lyon Des Roys, eut une triste existence d'homme de lettres
+manqu&eacute; qui fournit la v&eacute;ritable explication des terreurs de M<sup>me</sup> de
+Lamartine lorsqu'elle vit son fils tourment&eacute; lui aussi, &agrave; vingt ans, de
+la m&ecirc;me fi&egrave;vre po&eacute;tique.</p>
+
+<p>Il &eacute;tait n&eacute; &agrave; Lyon le 5 novembre 1768, et la ville qui, pour rendre
+hommage &agrave; son p&egrave;re alors &eacute;chevin, avait tenu &agrave; &ecirc;tre son parrain, d&eacute;l&eacute;gua
+le pr&eacute;v&ocirc;t des marchands au bapt&ecirc;me; la c&eacute;r&eacute;monie eut lieu en grande
+pompe le jour suivant en la cath&eacute;drale de Saint-Paul; la marraine fut,
+par procuration, Marie-Fran&ccedil;oise de Beaumont, fille de Gaspard Grimod de
+la Reyni&egrave;re et tante de M<sup>me</sup> Des Roys<a name="FNanchor_56_56" id="FNanchor_56_56"></a><a href="#Footnote_56_56" class="fnanchor">[56]</a>. Ainsi, l'enfant semblait
+promis &agrave; quelque belle destin&eacute;e alors que la r&eacute;alit&eacute; fut tout autre: ce
+qu'on sait de lui r&eacute;v&egrave;le un certain d&eacute;sordre mental, le d&eacute;lire de la
+pers&eacute;cution, un amour effr&eacute;n&eacute; de la publicit&eacute;, et surtout un v&eacute;ritable
+d&eacute;sespoir de ne pas d&eacute;passer la m&eacute;diocrit&eacute;.</p>
+
+<p>Il fit ses &eacute;tudes au coll&egrave;ge de Juilly, d'o&ugrave; il fut chass&eacute; en 1793 par
+la R&eacute;volution; en 1799 il &eacute;tait ma&icirc;tre r&eacute;p&eacute;titeur de math&eacute;matiques dans
+cet &eacute;tablissement qui venait de rouvrir sous une nouvelle direction.
+Pour occuper ses loisirs, il rima alors un po&egrave;me sur la g&eacute;om&eacute;trie, une
+trag&eacute;die en cinq actes, <i>la Mort de Caton</i>, une com&eacute;die,
+<i>l'Antiphilosophe</i>. Ce fut l'origine de tous ses malheurs: en juillet
+1799 il abandonna le coll&egrave;ge pour Paris, r&ecirc;vant la gloire litt&eacute;raire, et
+s'imaginant avec pr&eacute;somption que son g&eacute;nie suffirait &agrave; le faire vivre.
+La lutte qu'il soutint pendant trois ans pour arriver &agrave; la c&eacute;l&eacute;brit&eacute;,
+les railleries, les &eacute;pigrammes dont il fut accabl&eacute; eurent quelque
+retentissement &agrave; l'&eacute;poque, et un critique dramatique, qui l'avait pris
+en grippe, Salgues<a name="FNanchor_57_57" id="FNanchor_57_57"></a><a href="#Footnote_57_57" class="fnanchor">[57]</a>, mena m&ecirc;me contre lui une campagne de ridicule
+o&ugrave; il finit par succomber. On peut en juger par ces quelques extraits de
+<i>l'Observateur des spectacles</i>, o&ugrave; l'odyss&eacute;e de Lyon Des Roys fut
+l'occasion de plusieurs articles.</p>
+
+<div class="blockquot"><p>Le cit Desroys n'est point un de ces petits-ma&icirc;tres &agrave; la mode qui
+ont fond&eacute; leur succ&egrave;s sur les gr&acirc;ces de leur figure et l'&eacute;l&eacute;gance
+de leurs mani&egrave;res; c'est un homme simple, nourri &agrave; la campagne et
+dont la physionomie se rapproche un peu de celle de quelques
+personnages f&ecirc;t&eacute;s sur le th&eacute;&acirc;tre Montansier. Habitu&eacute; &agrave; composer des
+idylles pour les bergeries de Montmirail et des trag&eacute;dies pour le
+cur&eacute; de sa paroisse, il n'a gu&egrave;re connu jusqu'&agrave; pr&eacute;sent de plus
+grandes solennit&eacute;s que celles de la messe ou du pr&ocirc;ne... La nature,
+avare dans ses productions originales, n'enfante pas tous les jours
+de ces &ecirc;tres privil&eacute;gi&eacute;s destin&eacute;s &agrave; r&eacute;jouir les journalistes. Sous
+ce rapport, le cit. Desroys est une de ses conceptions les plus
+heureuses, et nous ne saurions trop nous empresser de le faire
+conna&icirc;tre.</p>
+
+<p>D&eacute;j&agrave; les deux nymphes<a name="FNanchor_58_58" id="FNanchor_58_58"></a><a href="#Footnote_58_58" class="fnanchor">[58]</a>, arriv&eacute;es au point o&ugrave; les soins paternels
+cessaient d'&ecirc;tre n&eacute;cessaires, aspiraient &agrave; se produire dans le
+grand monde, &agrave; &eacute;taler les charmes dont elles &eacute;taient par&eacute;es,
+lorsque le cit. Desroys, en p&egrave;re tendre et compatissant, s'est
+d&eacute;termin&eacute; &agrave; les transporter dans sa malle &agrave; Paris. Mais sur quel
+th&eacute;&acirc;tre exposera-t-il ces rares merveilles de la nature? Il a &agrave;
+choisir entre la salle Montansier, les boulevards ou la
+R&eacute;publique<a name="FNanchor_59_59" id="FNanchor_59_59"></a><a href="#Footnote_59_59" class="fnanchor">[59]</a>. La R&eacute;publique aura ses pr&eacute;f&eacute;rences. D&eacute;j&agrave; le cit.
+Desroys a mis son habit du dimanche: un bas de soie r&eacute;serv&eacute; pour le
+jour de P&acirc;ques a succ&eacute;d&eacute; &agrave; la gu&ecirc;tre qui d&eacute;guise la faiblesse de
+son mollet et l'&eacute;paisseur de ses orteils; une cravatte brod&eacute;e &agrave;
+cr&ecirc;te de coq enveloppe son long col et d&eacute;passe son menton; un linge
+mouill&eacute; dans un gobelet a fait dispara&icirc;tre les traces de poussi&egrave;re
+qui s'&eacute;tendent sur son front; sa main, blanchie par le savon,
+soutient avec orgueil ses deux filles ch&eacute;ries qu'il se h&acirc;te de
+pr&eacute;senter au s&eacute;v&egrave;re Florence<a name="FNanchor_60_60" id="FNanchor_60_60"></a><a href="#Footnote_60_60" class="fnanchor">[60]</a>.</p>
+
+<p>Illustre semainier qui r&eacute;digez l'annonce des spectacles et
+convoquez le conseil supr&ecirc;me qui, dans son indulgence ou ses
+rigueurs, &eacute;l&egrave;ve ou abaisse la puissance po&eacute;tique, g&eacute;n&eacute;reux
+Florence, soyez favorable au Sophocle de Montmirail!</p></div>
+
+<p>C'est dans cet appareil et pr&eacute;sent&eacute; par ces propos un peu lourds, que
+Lyon Des Roys aborda le comit&eacute; de lecture du Th&eacute;&acirc;tre-Fran&ccedil;ais, et une
+&eacute;pigramme complaisamment recueillie par son terrible ennemi nous apprend
+l'accueil qu'il en re&ccedil;ut:</p>
+
+<p>
+<br /><span style="margin-left: 15%;">Dieu paternel, quel d&eacute;dain, quel accueil!</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">De quelle &#339;illade alti&egrave;re, imp&eacute;rieuse,</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Le fier Batiste &eacute;crase ton orgueil,</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Pauvre Desroys! la Raucourt est moqueuse;</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Elle riait, Saint-Prix te regardait</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">D'un air de prince, et Dugazon dormait;</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Et renvoy&eacute;, penaud, par la cohue,</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Tu vas gronder et pleurer dans la rue.</span><br />
+<br /></p>
+
+<p>Le jeune auteur fut pourtant ravi de tant de bruit fait autour de son
+nom, et ce refus, loin d'abattre son courage, ne fit qu'exciter sa
+verve; lui-m&ecirc;me rendit publique sa m&eacute;saventure dans une <i>&Eacute;p&icirc;tre &agrave;
+Dazincour</i>, c&eacute;l&egrave;bre comique du temps, qui l'avait patronn&eacute; para&icirc;t-il
+aupr&egrave;s du comit&eacute; de lecture; c'est all&eacute;grement qu'il s'&eacute;criait:</p>
+
+<p>
+<br /><span style="margin-left: 15%;">Touch&eacute;s de mon discours modeste,</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Les premiers talents comme toi</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Se sont d&eacute;j&agrave; montr&eacute;s pour moi:</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Monvel, Talma, Mars et Devienne;</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Mais la f&acirc;cheuse et dure antienne</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">De l'implacable Grandm&eacute;nil</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">M'a renvoy&eacute; dans mon chenil!</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Va, ne crains pas que je m'y tue!</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Ma muse est &agrave; la fin connue,</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Ami, voil&agrave; ce qui m'en pla&icirc;t,</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">C'est pour cela que j'ai tout fait.</span><br />
+<br /></p>
+
+<p>L'&eacute;chec para&icirc;t n&eacute;anmoins lui avoir &eacute;t&eacute; plus p&eacute;nible qu'il ne le laissait
+entendre, puisque peu de temps apr&egrave;s il publia une <i>&Eacute;p&icirc;tre aux
+Com&eacute;diens</i> dont la pr&eacute;face est pleine d'amertume:</p>
+
+<div class="blockquot"><p>Je suis bien loin de pr&eacute;tendre, y lit-on, valoir mieux que les
+Legouv&eacute;, les Arnaud, les Collin; mais quand je vois jouer des
+pi&egrave;ces aussi froides que celles qu'on nous donne souvent, alors
+l'indignation s'empare de mon esprit et je trouve qu'on me fait
+injure de ne pas du moins essayer les miennes.</p></div>
+
+<p>Combien peu, pourtant, il &eacute;tait exigeant:</p>
+
+<div class="blockquot"><p>Que demandai-je aux com&eacute;diens? une lecture de la pi&egrave;ce enti&egrave;re?
+Non, mais une lecture du premier acte, de la premi&egrave;re sc&egrave;ne! Si
+j'avais &eacute;t&eacute; entendu, j'&eacute;tais content, je leur promettais un ennui
+tr&egrave;s court, mais ils n'ont pas voulu courir le danger.</p></div>
+
+<p>Il terminait enfin par le proc&egrave;s du comit&eacute; de lecture:</p>
+
+<div class="blockquot"><p>Comit&eacute; secret et invisible qui rend les r&eacute;ponses les plus
+r&eacute;barbatives; en se barricadant de la sorte, les acteurs de Paris
+ne peuvent &ecirc;tre abord&eacute;s que par un petit nombre de favoris dont la
+fortune est d&eacute;j&agrave; faite, et par cons&eacute;quent l'ardeur refroidie.</p></div>
+
+<p>Pour se venger des com&eacute;diens qui l'&eacute;vin&ccedil;aient, de la critique qui le
+raillait, et persuad&eacute; que l'opinion pr&eacute;venue contre lui ne demandait
+qu'&agrave; lui rendre justice, l'infortun&eacute; eut une id&eacute;e dont l'originalit&eacute; n'a
+certes jamais &eacute;t&eacute; atteinte depuis; il fit imprimer sa com&eacute;die, o&ugrave; on
+lisait ces simples mots &agrave; la fin du IV<sup>e</sup> acte:</p>
+
+<div class="blockquot"><p><i>Absence du V^{e} acte</i>. Cet acte n'est pas le plus mauvais, mais
+nous ne voulons pas nous d&eacute;pouiller de toutes nos richesses pour un
+public ingrat qui ne nous en saura aucun gr&eacute;. S'il a quelque
+curiosit&eacute; de conna&icirc;tre la pi&egrave;ce enti&egrave;re et d'en bien juger, il n'a
+qu'&agrave; l'appeler sur la sc&egrave;ne.</p></div>
+
+<p>Ce bizarre appel au peuple &eacute;choua compl&egrave;tement; plus ingrat que jamais,
+le public n'imposa pas la repr&eacute;sentation de <i>l'Antiphilosophe</i> dans un
+de ces grandioses mouvements de foule qu'avait r&ecirc;v&eacute; l'auteur; plein
+d'indiff&eacute;rence, il se contenta m&ecirc;me des quatre actes et n'exigea jamais
+leur d&eacute;nouement. Inlassable, Lyon reprit la lutte et, puisque le public
+n'allait pas &agrave; lui, il irait au public. &Agrave; cet effet, il fit placarder
+dans Paris de grandes affiches bleues et rouges o&ugrave; la conduite du comit&eacute;
+et des journalistes &eacute;tait durement appr&eacute;ci&eacute;e, et o&ugrave; il annon&ccedil;ait que le
+13 avril 1802 il ferait une lecture publique de son <i>Caton</i> dans une
+salle qu'il loua, &eacute;claira et meubla &agrave; ses frais. Le lendemain, Salgues,
+qui l'avait laiss&eacute; en paix d&eacute;j&agrave; depuis quelques mois, rendit ainsi
+compte de la soir&eacute;e dans son journal:</p>
+
+<div class="blockquot"><p>Il faut le dire, pour l'amiti&eacute; que nous portons au citoyen Desroys,
+cet auteur avait mal choisi son jour... Apr&egrave;s avoir &eacute;t&eacute; <i>crucifi&eacute;</i>
+par les Com&eacute;diens-Fran&ccedil;ais, c'&eacute;tait mal entendre ses int&eacute;r&ecirc;ts que
+de prendre le Vendredi-Saint pour ressusciter. D'ailleurs, les
+f&ecirc;tes de Longchamps et le concert de l'Op&eacute;ra, tout inf&eacute;rieurs qu'on
+puisse les supposer &agrave; la trag&eacute;die du <i>dernier des Romains</i>,
+devaient n&eacute;cessairement dans ce si&egrave;cle de frivolit&eacute; enlever un
+grand nombre d'amateurs au citoyen Desroys, et c'est ce qui est
+arriv&eacute;. Trente personnes au plus composaient son auditoire, et ce
+d&eacute;nument n'avait rien d'encourageant pour un po&egrave;te qui aspirait &agrave;
+l'honneur d'&ecirc;tre jug&eacute; par le public.</p>
+
+<p>Au reste, on doit cette justice au citoyen Desroys qu'il n'a
+employ&eacute; aucun des prestiges condamnables qui tendent &agrave; surprendre
+la religion des juges. Dans la crainte que l'&eacute;clat de ses yeux ne
+port&acirc;t trop d'&eacute;motion dans nos c&#339;urs il les a tenus constamment
+ferm&eacute;s; pour diminuer l'intensit&eacute; de sa voix et la gr&acirc;ce de son
+geste, il a arm&eacute; sa main droite d'un chandelier qu'il portait
+alternativement &agrave; sa bouche, &agrave; son nez, &agrave; ses yeux. Si quelques
+dents absentes de la bouche de l'auteur ne nuisaient pas &agrave; l'effet
+de sa prononciation, si les r&egrave;gles de la grammaire &eacute;taient
+observ&eacute;es dans ses vers, enfin si l'exposition du sujet ne manquait
+point au premier acte, il est &agrave; pr&eacute;sumer que le citoyen Desroys e&ucirc;t
+recueilli de la part de ses auditeurs quelques marques de
+satisfaction plus vives que celles qui lui ont &eacute;t&eacute; accord&eacute;es.</p>
+
+<p>Mais le citoyen Desroys a reconnu lui-m&ecirc;me qu'il manquait quelque
+chose &agrave; son d&eacute;bit, et le d&eacute;couragement m&ecirc;me allait le saisir,
+lorsque le citoyen Simien-Despr&eacute;aux s'est pr&eacute;sent&eacute; pour soutenir
+son courage et ranimer son audace. Le citoyen Simien-Despr&eacute;aux est
+un athl&egrave;te plus vigoureux que le citoyen Desroys; ses traits m&acirc;les,
+sa voix sonore et son geste imposant, ont soutenu le second acte
+et quelques passages bien lus ont obtenu les applaudissements du
+petit nombre d'amateurs qui &eacute;taient rest&eacute;s apr&egrave;s le premier acte.
+Le troisi&egrave;me, le quatri&egrave;me et le cinqui&egrave;me n'ont point &eacute;t&eacute; lus:
+rien n'a pu vaincre la timide r&eacute;sistance du citoyen Desroys: ce
+n'est qu'apr&egrave;s les plus vives instances qu'on a pu obtenir qu'il
+&eacute;gay&acirc;t l'assistance par la lecture du monologue de <i>Caton</i>. &Agrave;
+l'exception du premier h&eacute;mistiche, ce morceau est tout entier de la
+cr&eacute;ation du citoyen Desroys.</p></div>
+
+<p>Apr&egrave;s un tel coup de massue, un homme ordinaire aurait perdu la t&ecirc;te et
+fui Paris; Lyon n'en fit rien. Profitant de la menue notori&eacute;t&eacute; que
+l'incident lui avait value, il r&eacute;unit &agrave; la h&acirc;te quelques pi&egrave;ces
+fugitives, dont une <i>&eacute;p&icirc;tre aux journalistes</i>, qu'il mit en vente sans
+tarder; c'&eacute;tait aussi le seul moyen pour lui de r&eacute;pondre &agrave; Salgues, car
+tous les journaux demeuraient obstin&eacute;ment sourds aux v&eacute;h&eacute;mentes
+impr&eacute;cations qu'il leur offrait. Cette fois, pourtant, on voit par la
+pr&eacute;face, plus navrante encore qu'incoh&eacute;rente, qu'il avait perdu son
+&eacute;galit&eacute; d'humeur et que sous les cruelles railleries de Salgues sa
+raison commen&ccedil;ait &agrave; s'affaiblir; il &eacute;crivait tristement:</p>
+
+<div class="blockquot"><p>La qualit&eacute; de po&egrave;te est belle et honorable quand elle est conf&eacute;r&eacute;e
+par la voix publique, mais jusque-l&agrave; ce n'est qu'une enseigne
+fatale qui nous attire incessamment le cruel coup de pied de l'&acirc;ne.
+Il est facile de supporter les injures de la m&eacute;diocrit&eacute; quand on a
+pour soi les &eacute;loges des gens d'esprit, mais avaler le fiel tout
+pur, voil&agrave; ce qui r&eacute;volte et fait perdre la raison. Si mon
+extravagance a nui &agrave; ma r&eacute;putation, elle y a servi en m&ecirc;me temps:
+j'ai mieux aim&eacute; p&eacute;rir par la folie que de me laisser &eacute;craser par le
+ridicule. Tout n'est pas rose dans la litt&eacute;rature: il faut pourtant
+convenir que les &eacute;pines qu'on y rencontre viennent souvent moins
+de la nature du terrain que de la position de celui qui le cultive.
+Je sais que les journalistes que je provoque trouveront, s'ils
+veulent, mille pauvret&eacute;s et mille contradictions dans mes petits
+&eacute;crits; mais cela tient au projet insens&eacute; et opini&acirc;tre de faire
+parler la renomm&eacute;e malgr&eacute; elle. Les journalistes ne s'attaquent pas
+&agrave; mes &#339;uvres, ils d&eacute;figurent ma personne, et voil&agrave; ce qui est
+inf&acirc;me et ne devrait pas leur &ecirc;tre permis.</p></div>
+
+<p>Enfin, apr&egrave;s avoir ainsi stigmatis&eacute; son bourreau, il tenta une derni&egrave;re
+fois de l'apitoyer, mais d'une fa&ccedil;on si na&iuml;ve et si ridicule que Salgues
+ne put se tenir de reprendre la plume &agrave; la lecture de semblables vers:</p>
+
+<p>
+<br /><span style="margin-left: 15%;">Le public s'en rapporte aux gens qui font la loi,</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Il les croit de bon c&#339;ur plus habiles que soi.</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Mais enfin, t&ocirc;t ou tard, le bon go&ucirc;t les ram&egrave;ne;</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">La justice du temps est lente, mais certaine.</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">L'auteur modeste, en paix s'abandonne &agrave; son sort.</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">S'il n'est veng&eacute; vivant, il sera veng&eacute; mort.</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Vous riez des moyens que mon orgueil expose?</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Craignez pourtant, messieurs, qu'il n'en soit quelque chose;</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Et quelle honte, &ocirc; Ciel! n'&eacute;prouveriez-vous pas</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Si mon triomphe &eacute;tait l'effet de mon tr&eacute;pas!</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Rendez, pendant que l'heure est encore propice,</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">&Agrave; d'immenses travaux une faible justice;</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">R&eacute;gner sur les esprits est un plaisir si doux,</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Que les ma&icirc;tres du monde en sont souvent jaloux:</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Richelieu tout-puissant porte envie &agrave; Corneille.</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Je crains bien pour ma part quelque chance pareille:</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Bonaparte est plus grand, j'en conviens avec vous,</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Il triompha des rois conjur&eacute;s contre nous,</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Fit jouir de la paix l'Europe et sa patrie,</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Mais il n'a pas en vers mis la g&eacute;om&eacute;trie.</span><br /><br />
+</p>
+
+<p>Devant cette dangereuse exaltation, son cousin Dareste, chez qui il
+habitait alors, jugea prudent d'&eacute;crire &agrave; M<sup>me</sup> Des Roys et &agrave; la jeune
+M<sup>me</sup> de Lamartine. Nous n'avons pas la r&eacute;ponse de la m&egrave;re, mais on
+trouve trace dans le <i>Journal intime</i> de toutes les angoisses de la
+pauvre femme, lorsqu'elle eut sous les yeux les articles de Salgues,
+qu'un anonyme avait assez m&eacute;chamment fait parvenir &agrave; sa belle-s&#339;ur
+M<sup>lle</sup> de Lamartine. Qu'y pouvait-elle? elle &eacute;crivit &agrave; son fr&egrave;re une
+lettre tendre, mais tr&egrave;s ferme, en le suppliant de quitter Paris et
+d'essayer de trouver une situation en province ou &agrave; l'&eacute;tranger. Celui-ci
+n'en continua pas moins ses excentricit&eacute;s: le 7 juin 1802, on l'arr&ecirc;ta
+m&ecirc;me &agrave; l'Op&eacute;ra, o&ugrave; il causait un violent scandale en faisant pleuvoir
+sur la salle tout ce que le libraire n'avait pas vendu d'exemplaires de
+son <i>&Eacute;p&icirc;tre aux com&eacute;diens</i>; il fut remis en libert&eacute; quatre jours plus
+tard, mais ce petit incident avait sans doute refroidi son ardeur,
+puisque nous savons par sa s&#339;ur qu'il partit pour l'Angleterre en
+juillet; il entra, para&icirc;t-il, comme professeur de fran&ccedil;ais chez un
+pr&ecirc;tre anglais qui lui accordait la modeste allocation annuelle de cinq
+cents francs, le loyer et la nourriture.</p>
+
+<p>Au bout de dix mois, incapable de se r&eacute;signer &agrave; cette pitoyable
+existence, il regagna Paris o&ugrave; il v&eacute;g&eacute;ta encore quelque temps; puis,
+aigri, d&eacute;sesp&eacute;r&eacute;, la t&ecirc;te perdue, il se tua le 15 mars 1804 &agrave; Lagnieux,
+pr&egrave;s de Belley, au retour d'une visite qu'il avait faite &agrave; Lyon chez sa
+s&#339;ur M<sup>me</sup> de Vaux. Mais le destin qui l'avait poursuivi sa vie
+durant, lui fut encore impitoyable apr&egrave;s sa mort. Les autorit&eacute;s du
+d&eacute;partement de l'Ain s'inqui&eacute;t&egrave;rent de ce bizarre suicide&mdash;un coup de
+fusil dans le ventre&mdash;et comme les esprits &eacute;taient encore sous le coup
+de l'attentat de la rue Saint-Nicaise, on n'h&eacute;sita pas &agrave; reconna&icirc;tre
+dans le cadavre de Lyon Des Roys, malgr&eacute; les papiers qu'il avait sur
+lui, un certain Picot-Limodan, dit <i>Beaumont</i> ou <i>pour le Roi</i>,
+compromis dans l'affaire de la machine infernale et qui avait r&eacute;ussi &agrave;
+prendre la fuite. Le z&egrave;le des fonctionnaires alla m&ecirc;me jusqu'&agrave; ordonner
+huit jours apr&egrave;s l'exhumation du corps et &agrave; perquisitionner chez M<sup>me</sup>
+de Vaux qui ne comprenait rien &agrave; l'aventure<a name="FNanchor_61_61" id="FNanchor_61_61"></a><a href="#Footnote_61_61" class="fnanchor">[61]</a>. Quant &agrave; M<sup>me</sup> de
+Lamartine, elle ignora toujours la v&eacute;rit&eacute; sur la fin de son fr&egrave;re et le
+crut emport&eacute; par une congestion pulmonaire; mais la pseudo-conspiration
+arriva jusqu'&agrave; elle, et elle &eacute;crivait le 29 mars 1804:</p>
+
+<p>&laquo;L'on a imagin&eacute; que mon malheureux fr&egrave;re mort &eacute;tait impliqu&eacute; dans une
+affaire de conspiration qui a toujours &eacute;t&eacute; &agrave; cent lieues de son c&#339;ur et
+de ses moyens. Une ressemblance de nom et son arriv&eacute;e d'Angleterre ont
+produit cette erreur. On est all&eacute; faire des visites chez ma s&#339;ur, l'on a
+examin&eacute; ses papiers; il n'y avait rien du tout.&raquo;</p>
+
+<p>Telle fut l'existence de l'infortun&eacute; Lyon Des Roys, po&egrave;te incompris
+comme Gilbert, Chatterton et tant d'autres; elle n'aurait gu&egrave;re valu de
+s'y arr&ecirc;ter aussi longuement si, comme nous l'avons dit, son exemple
+n'avait influ&eacute; plus tard de fa&ccedil;on d&eacute;cisive sur l'attitude des Lamartine
+lorsqu'ils virent le jeune Alphonse tourment&eacute; du m&ecirc;me d&eacute;mon qui avait
+perdu son oncle. On comprend mieux et l'on excuse leur opposition,
+parfois violente, quand &agrave; vingt-cinq ans il partit pour Paris un <i>Sa&uuml;l</i>
+en poche, frapper &agrave; la porte du m&ecirc;me Talma qui dix-huit ans auparavant
+avait refus&eacute; le <i>Caton</i> de Lyon Des Roys<a name="FNanchor_62_62" id="FNanchor_62_62"></a><a href="#Footnote_62_62" class="fnanchor">[62]</a>. Le souvenir de son fr&egrave;re
+&eacute;tait encore trop pr&eacute;sent &agrave; la m&eacute;moire de M<sup>me</sup> de Lamartine pour
+qu'elle ne f&ucirc;t pas effray&eacute;e de voir son fils s&eacute;duit par une carri&egrave;re
+dont un de ses proches n'avait connu que les d&eacute;boires.</p>
+
+<p>Quant &agrave; son &#339;uvre po&eacute;tique, elle est aussi mince que m&eacute;diocre: une
+trag&eacute;die, une com&eacute;die, quelques pi&egrave;ces fugitives, un po&egrave;me sur le tabac,
+un autre sur la g&eacute;om&eacute;trie, deux ou trois fables et quatre &eacute;p&icirc;tres<a name="FNanchor_63_63" id="FNanchor_63_63"></a><a href="#Footnote_63_63" class="fnanchor">[63]</a>;
+c'&eacute;tait insuffisant pour la conqu&ecirc;te de Paris qu'il avait r&ecirc;v&eacute;e.
+Accordons-lui pourtant en tardive r&eacute;paration que <i>le Dernier des
+Romains</i> ne d&eacute;pare pas la s&eacute;rie des pauvres trag&eacute;dies qui encombr&egrave;rent
+la sc&egrave;ne fran&ccedil;aise de 1790 &agrave; 1815. Inspir&eacute;s du <i>Caton</i> d'Addison et des
+meilleurs souvenirs de Shakespeare, ses cinq actes sont correctement
+rim&eacute;s et bien conduits. Certains morceaux, comme la mort du h&eacute;ros
+pourraient m&ecirc;me supporter la comparaison avec <i>la Mort de Socrate</i> de
+son neveu. Tous deux, il est vrai, n'ont fait qu'interpr&eacute;ter Platon,
+mais le rapprochement est assez curieux pour &ecirc;tre not&eacute;<a name="FNanchor_64_64" id="FNanchor_64_64"></a><a href="#Footnote_64_64" class="fnanchor">[64]</a>.</p>
+
+
+<p class="e">Hasarder des conclusions &agrave; une &eacute;tude aussi br&egrave;ve et forc&eacute;ment incompl&egrave;te
+sur l'h&eacute;r&eacute;dit&eacute; de Lamartine est d&eacute;licat. Pourtant, dans ses grandes
+lignes, elle appara&icirc;t ainsi:</p>
+
+<p>Deux familles, l'une un peu rude, chez qui la carri&egrave;re des armes devient
+la tradition; l'autre, cultiv&eacute;e, affin&eacute;e par quatre si&egrave;cles d'&eacute;tude et
+qui ne connut jamais d'autre m&eacute;tier que celui d'&eacute;crire; mais toutes
+deux provinciales et s&eacute;dentaires, profond&eacute;ment religieuses et que les
+germes mat&eacute;rialistes du <span class="smcap">xviii</span><sup>e</sup> si&egrave;cle ont &eacute;pargn&eacute;es; &eacute;troitement
+attach&eacute;es au sol qui les a vues na&icirc;tre, elles y tiennent par toutes
+leurs alliances; au plus haut qu'on puisse remonter, elles sont fix&eacute;es
+non pas dans des r&eacute;gions extr&ecirc;mes de la France, mais au contraire dans
+deux provinces presque limitrophes, soumises aux m&ecirc;mes coutumes, et dont
+Lyon est le centre g&eacute;ographique. Leur vie est simple, leurs aspirations
+sont saines et n'ont d'autre objet que d'augmenter &agrave; chaque g&eacute;n&eacute;ration
+le patrimoine d'honneur et de bien-&ecirc;tre qu'elles tiennent de leurs
+p&egrave;res; de tout temps une vie &eacute;gale et sans histoire, presque sans
+efforts, comme si toutes les forces vives des deux races eussent d&ucirc;
+sommeiller pendant quatre si&egrave;cles pour s'&eacute;veiller et s'&eacute;panouir enfin
+dans leur dernier rameau.</p>
+
+
+
+<hr />
+<h2><a name="DEUXIEME_PARTIE" id="DEUXIEME_PARTIE"></a>DEUXI&Egrave;ME PARTIE</h2>
+
+<h3>LE MILIEU</h3>
+
+
+
+<hr />
+<h2><a name="CHAPITRE_Ib" id="CHAPITRE_Ib"></a><a href="#toc">CHAPITRE I</a></h2>
+
+<p class="c">LA FAMILLE<a name="FNanchor_65_65" id="FNanchor_65_65"></a><a href="#Footnote_65_65" class="fnanchor">[65]</a></p>
+
+
+<p>&Agrave; la naissance de Lamartine, sa famille se composait de
+Louis-Fran&ccedil;ois-;-alors &acirc;g&eacute; de quatre-vingts ans,--;de sa femme et de leurs
+six enfants: trois fils et trois filles. Si l'on en excepte les
+grands-parents qu'il conna&icirc;tra &agrave; peine, tous les autres joueront dans sa
+jeunesse un r&ocirc;le trop important pour ne pas pr&eacute;ciser un peu leurs
+figures tr&egrave;s effac&eacute;es aujourd'hui.</p>
+
+<p>L'a&icirc;n&eacute; des fils, Fran&ccedil;ois-Louis, &eacute;tait, on l'a vu, d'une sant&eacute; pr&eacute;caire.
+C'&eacute;tait un grand homme un peu vo&ucirc;t&eacute;, au teint p&acirc;le, au regard noir, &agrave;
+l'abord aust&egrave;re. Extr&ecirc;mement maniaque dans ses habitudes et son hygi&egrave;ne,
+il trouvera moyen de prolonger jusqu'&agrave; pr&egrave;s de quatre-vingts ans une
+existence que les m&eacute;decins avaient condamn&eacute;e d&egrave;s l'enfance. &laquo;Il avait
+&eacute;t&eacute; toute sa vie faible et d&eacute;licat, dira de lui sa belle-s&#339;ur, mais on
+&eacute;tait accoutum&eacute; &agrave; le voir ainsi.&raquo;</p>
+
+<p>Ce que son neveu a &eacute;crit de lui para&icirc;t tr&egrave;s exact; on sent que le po&egrave;te
+avait, comme il l'a dit, son image &laquo;bien grav&eacute;e dans la t&ecirc;te&raquo;. C'est que
+leurs deux natures &eacute;taient peu faites pour s'entendre. Dans le journal
+de sa s&#339;ur il appara&icirc;t comme un vieillard &eacute;nergique mais redoutable,
+despotique, rigide, aigri par ses infirmit&eacute;s et sa vie manqu&eacute;e: &laquo;Toute
+sa vie, &eacute;crira M<sup>me</sup> de Lamartine au lendemain de la mort de son
+beau-fr&egrave;re, il avait conserv&eacute; l'influence d'un chef de famille, et rien
+ne s'&eacute;tait jamais d&eacute;cid&eacute; dans la mienne que par lui ou d'apr&egrave;s lui;
+souvent cet empire avait contrari&eacute; nos vues et m'avait caus&eacute; des peines
+sensibles&raquo;. Ceci confirme enti&egrave;rement ce que Lamartine a &eacute;crit dans les
+<i>Confidences</i>.</p>
+
+<p>Lorsqu'il lui fallut &agrave; vingt-cinq ans renoncer &agrave; la carri&egrave;re militaire
+et &agrave; l'espoir de fonder &agrave; son tour une famille, Fran&ccedil;ois-Louis se
+confina enti&egrave;rement dans le monde de la pens&eacute;e, afin d'occuper un peu
+son activit&eacute;. Esprit m&eacute;thodique et pr&eacute;cis, les sciences eurent ses
+pr&eacute;f&eacute;rences: les math&eacute;matiques furent pour lui un v&eacute;ritable d&eacute;lassement,
+et il faut voir l&agrave; l'origine de tous les froissements que nous
+constaterons plus tard entre l'oncle et le neveu.</p>
+
+<p>La liste de ses &#339;uvres en dit long; l'Acad&eacute;mie de M&acirc;con, dont il fut d&egrave;s
+1806 un des membres les plus assidus, a recueilli dans ses bulletins
+annuels une cinquantaine de m&eacute;moires sur les sciences et l'agriculture
+dont il est l'auteur. On y remarque un <i>Examen du gleuco-&#339;nom&egrave;tre</i>, une
+<i>Dissertation sur une substance r&eacute;sineuse trouv&eacute;e &agrave; Louhans</i>, un <i>Trait&eacute;
+de l'oryctologie du M&acirc;connais</i>, dont le manuscrit subsiste encore &agrave; la
+biblioth&egrave;que de M&acirc;con, et d'importantes et minutieuses <i>Recherches sur
+les causes qui modifient ou alt&egrave;rent la coh&eacute;sion entre les parties de
+quelques substances</i>, sans compter d'innombrables communications sur la
+viticulture et l'&eacute;levage.</p>
+
+<p>&Agrave; sa mort, le <i>Journal de Sa&ocirc;ne-et-Loire</i> publia un long article
+n&eacute;crologique auquel il est permis d'accorder quelque valeur, puisque
+nous savons qu'il ne fut pas inspir&eacute; par sa famille<a name="FNanchor_66_66" id="FNanchor_66_66"></a><a href="#Footnote_66_66" class="fnanchor">[66]</a>, et dont le
+fragment suivant nous donne un portrait assez vivant de celui que
+Lamartine appelait &laquo;l'oncle terrible&raquo;:</p>
+
+<p>&laquo;Anim&eacute; d'un z&egrave;le ardent pour l'&eacute;tude, M. de Lamartine s'&eacute;tait consacr&eacute;
+d&egrave;s sa jeunesse au culte des sciences et des lettres, mais il avait
+montr&eacute; une pr&eacute;dilection particuli&egrave;re pour les sciences naturelles et les
+math&eacute;matiques. Uni par les liens de l'amiti&eacute; et d'une estime mutuelle
+avec le savant abb&eacute; de Sigorgne<a name="FNanchor_67_67" id="FNanchor_67_67"></a><a href="#Footnote_67_67" class="fnanchor">[67]</a>, en relations avec plusieurs autres
+hommes c&eacute;l&egrave;bres de son temps, il trouva ses plus ch&egrave;res d&eacute;lices &agrave;
+parcourir le vaste champ du d&eacute;couvertes que lui pr&eacute;sentait la science.</p>
+
+<p>&laquo;Dou&eacute; d'une imagination vive, brillante, et de cette fermet&eacute; de
+caract&egrave;re qui triomphe des difficult&eacute;s, aid&eacute; d'une m&eacute;moire facile qui
+lui rendait toujours pr&eacute;sentes les connaissances solides qu'il avait
+acquises, il ne lui eut fallu qu'un peu moins de modestie pour se faire
+un nom tr&egrave;s recommandable parmi les savants. Mais, loin de faire parade
+de son savoir, il le faisait servir &agrave; donner plus de charme &agrave; sa
+conversation, vive, piquante, et constamment assaisonn&eacute;e de cette douce
+urbanit&eacute; qui donne &agrave; la soci&eacute;t&eacute; tant de charmes.</p>
+
+<p>&laquo;Sujet fid&egrave;le et attach&eacute; sinc&egrave;rement au bien de son pays, on l'a vu,
+pendant le cours des troubles civils qui ont d&eacute;sol&eacute; notre patrie,
+toujours d&eacute;vou&eacute; &agrave; la cause de la l&eacute;gitimit&eacute; et de ne pas perdre de vue
+un seul instant les principes sur lesquels reposent l'ordre social et la
+prosp&eacute;rit&eacute; de la France.&raquo;</p>
+
+<p>Ainsi lorsque apr&egrave;s un romantique parall&egrave;le de leurs deux caract&egrave;res,
+Lamartine s'&eacute;criait: &laquo;Comment unir ce nombre et cette flamme<a name="FNanchor_68_68" id="FNanchor_68_68"></a><a href="#Footnote_68_68" class="fnanchor">[68]</a>&raquo;, il
+n'exag&eacute;rait pas les contrastes de ces natures dissemblables qui ne
+parvinrent jamais &agrave; trouver un terrain d'entente.</p>
+
+<p>&Agrave; toutes ses qualit&eacute;s de m&eacute;thode il joignait celle d'&ecirc;tre un homme
+d'affaires entendu, comme le furent tous les Lamartine, sauf toutefois
+le dernier du nom qui sur ce point se trouvait desservi par son
+imagination. Le souci de son bien s'affirme dans les moindres lettres
+que nous ayons rencontr&eacute;es de lui: tr&egrave;s processif, il n'h&eacute;sitait pas,
+d&egrave;s qu'il croyait y avoir quelque int&eacute;r&ecirc;t, &agrave; soutenir ses revendications
+par de longs <i>factums</i> &eacute;crits avec amour.</p>
+
+<p>Sa correspondance avec ses vignerons est curieuse &agrave; feuilleter: une fois
+de plus, elle confirme son esprit pr&eacute;cis et m&eacute;ticuleux.</p>
+
+<p>Lamartine ne l'aimait pas et cette antipathie se manifesta chaque fois
+qu'il avait &agrave; parler de lui. Cet oncle fut l'&eacute;pouvantail de sa jeunesse,
+celui &agrave; qui, bien plus qu'au p&egrave;re toujours indulgent, il fallait cacher
+les fredaines, les menues dettes et les aventures: intransigeant, s&eacute;v&egrave;re
+et glac&eacute;, presque sans tendresse, il ne tol&eacute;rait pas autour de lui la
+moindre infraction aux principes dans lesquels il avait &eacute;t&eacute; &eacute;lev&eacute; et
+qu'il pr&eacute;tendait immuables.</p>
+
+<p>La plupart du temps il contrecarrait opini&acirc;trement et avec sa m&eacute;thode
+habituelle les beaux projets de son neveu dont il voulait ainsi
+ma&icirc;triser la d&eacute;bordante imagination; aux r&ecirc;ves vagues mais fi&eacute;vreux
+d'&eacute;tude et de litt&eacute;rature il opposera froidement les sciences qui, selon
+lui, donneront quelque maturit&eacute; &agrave; ce cerveau vagabond.</p>
+
+<p>Pour comprendre cette domination qu'il imposera jusqu'&agrave; sa mort, il ne
+faut pas oublier la situation particuli&egrave;re du jeune homme dans ce milieu
+imbu des traditions du s&eacute;v&egrave;re <span class="smcap">xviii</span><sup>e</sup> si&egrave;cle: l'oncle ne verra en lui
+que l'unique h&eacute;ritier du nom et de la fortune et voudra, avant tout, le
+m&ucirc;rir pour en faire le chef de famille avis&eacute; et prudent que chacun de
+ses anc&ecirc;tres avait &eacute;t&eacute; avant lui. Tout le malentendu na&icirc;tra de l&agrave;.</p>
+
+<p>Dans le portrait de son oncle, Lamartine a pourtant commis une erreur
+lorsqu'il touche &agrave; ses id&eacute;es politiques<a name="FNanchor_69_69" id="FNanchor_69_69"></a><a href="#Footnote_69_69" class="fnanchor">[69]</a>; mais est-elle involontaire?
+Les <i>Confidences</i> furent &eacute;crites, on le sait, en pleine activit&eacute;
+r&eacute;publicaine, &agrave; une &eacute;poque o&ugrave; le chef de l'opposition n'&eacute;tait peut-&ecirc;tre
+pas f&acirc;ch&eacute; de se d&eacute;couvrir des origines lib&eacute;rales.</p>
+
+<p>La v&eacute;rit&eacute; est que, d&egrave;s le d&eacute;but de la R&eacute;volution, Fran&ccedil;ois-Louis, que
+son neveu nous a montr&eacute; condisciple et ami de Lafayette, n'eut m&ecirc;me pas
+ce r&eacute;publicanisme de la premi&egrave;re heure que connurent tant de
+gentilshommes s&eacute;duits pas les id&eacute;es nouvelles. Alors que dans une minute
+d'enthousiasme son fr&egrave;re Pierre signait avec le comte de Montrevel, le
+grand bailli d'&eacute;p&eacute;e Desbois, le marquis de Sainte-Huruge et d'autres
+seigneurs du M&acirc;connais la solennelle renonciation aux privil&egrave;ges
+nobiliaires, lui, plus froid et plus raisonn&eacute;, ne fut pas entra&icirc;n&eacute; par
+l'imagination et la fi&egrave;vre de l'&eacute;poque. La gravit&eacute; de la situation lui
+apparut enti&egrave;re et d&egrave;s le premier jour il en envisagea les suites.
+Aussi, en mars 1789, au moment des &eacute;meutes qui accompagn&egrave;rent &agrave; M&acirc;con
+l'&eacute;lection des d&eacute;put&eacute;s aux &Eacute;tats g&eacute;n&eacute;raux, on le vit avec MM. de
+Chaintr&eacute;, de Bordes, de Pierreclau et de Dr&eacute;e, d&eacute;fendre les int&eacute;r&ecirc;ts de
+sa caste &agrave; l'Assembl&eacute;e des trois ordres du bailliage et r&eacute;clamer m&ecirc;me la
+destitution du maire qui soutenait le Tiers, ce qui leur valut &agrave; tous
+d'&ecirc;tre fort malmen&eacute;s par la foule &agrave; l'issue de la r&eacute;union<a name="FNanchor_70_70" id="FNanchor_70_70"></a><a href="#Footnote_70_70" class="fnanchor">[70]</a>.</p>
+
+<p>En 1792 enfin, lorsqu'il sentit l'orage pr&ecirc;t d'&eacute;clater, il se h&acirc;ta
+d'&eacute;migrer; pour un temps tr&egrave;s court, il est vrai, car trois mois plus
+tard il &eacute;tait de retour et se constituait prisonnier ne voulant sans
+doute pas abandonner son p&egrave;re et ses fr&egrave;res que sa fuite avait fait
+arr&ecirc;ter.</p>
+
+<p>Par la suite, la Terreur et l'Empire l'abattirent sans le convaincre et
+jusqu'au bout il demeura fid&egrave;le &agrave; la l&eacute;gitimit&eacute;. Lamartine a racont&eacute;
+qu'en 1805, lors du passage de Napol&eacute;on &agrave; M&acirc;con, celui-ci aurait fait
+appeler Fran&ccedil;ois-Louis pour lui offrir un si&egrave;ge de s&eacute;nateur; mais M<sup>me</sup>
+de Lamartine n'a rien not&eacute; de tel dans son journal o&ugrave; ce s&eacute;jour de
+l'Empereur est pourtant longuement rapport&eacute;, ce qu'elle n'e&ucirc;t pas manqu&eacute;
+de faire si l'entrevue avait eu lieu.</p>
+
+<p>&Agrave; soixante dix-sept ans, une fluxion de poitrine emporta Fran&ccedil;ois-Louis
+en quelques jours. Sa mort fit un v&eacute;ritable vide dans la petite soci&eacute;t&eacute;
+m&acirc;connaise qui l'aimait et le respectait pour la droiture de sa vie et
+son &eacute;rudition &laquo;presque universelle&raquo;, dira sa belle-s&#339;ur; il laissait &agrave;
+tous le souvenir d'une intelligence remarquable et d'un causeur parfait,
+&agrave; qui l'on pardonnait son abord un peu farouche en m&eacute;moire d'une vie
+pr&eacute;matur&eacute;ment bris&eacute;e. Il mourut &agrave; Montceau le 25 avril 1827, et par son
+testament il instituait comme ses l&eacute;gataires universels, sa ni&egrave;ce a&icirc;n&eacute;e
+C&eacute;cile, devenue M<sup>me</sup> de Cessia, et son neveu Alphonse dont les
+triomphes po&eacute;tiques et surtout les fonctions d'attach&eacute; d'ambassade qu'il
+occupait alors avaient fini par lui rendre confiance. Celui-ci,
+pourtant, ne se jugea pas satisfait, et fut m&ecirc;me bless&eacute; par une clause
+de ces derni&egrave;res volont&eacute;s pourtant toutes en sa faveur; le 20 juin, il
+&eacute;crivait &agrave; l'abb&eacute; Dumont, son ami: &laquo;Le testament de mon oncle n'est pas
+sa plus belle &#339;uvre, mais j'aime toujours &agrave; croire qu'elle n'a pas &eacute;t&eacute;
+faite &agrave; mauvaise intention. Si je n'avais qu'un neveu, seul chef
+survivant de ma famille, et qu'il ne d&eacute;shonor&acirc;t pas mon nom, je lui
+ferais l'honneur de le nommer au moins mon h&eacute;ritier universel &agrave; ses
+risques et p&eacute;rils. Trop penser nuit, les grandes routes sont les plus
+droites<a name="FNanchor_71_71" id="FNanchor_71_71"></a><a href="#Footnote_71_71" class="fnanchor">[71]</a>&raquo;. Ce fut l&agrave; toute l'oraison fun&egrave;bre qu'il pronon&ccedil;a sur la
+tombe de cet oncle qu'il s'imaginait, sinc&egrave;rement, avoir opprim&eacute; sa
+jeunesse.</p>
+
+<p>Le cadet, l'abb&eacute; de Lamartine, &eacute;tait son vivant contraste. &Agrave; dix-sept
+ans il &eacute;tait entr&eacute; dans les ordres, un peu contre son gr&eacute;, assure sa
+belle-s&#339;ur. Bient&ocirc;t il prit go&ucirc;t pourtant &agrave; cette vie facile et sans
+soucis graves; cinq ann&eacute;es de dures &eacute;preuves qu'il eut &agrave; subir de 1792 &agrave;
+1797, lui donn&egrave;rent une souriante philosophie. En sage qu'il &eacute;tait, il
+se r&eacute;fugia aussit&ocirc;t dans sa belle retraite de Montculot, o&ugrave; il v&eacute;cut
+paisiblement et loin des siens, parmi la nature qu'il aimait. Il demeura
+l&agrave; jusqu'&agrave; sa mort avec une vieille intendante, travaillant en silence &agrave;
+de longs m&eacute;moires sur la th&eacute;ologie et la philosophie qui ne virent
+jamais le jour.</p>
+
+<p>Dans sa vieillesse, il aimait &agrave; voir sa solitude anim&eacute;e par les vingt
+ans et la vivacit&eacute; de son neveu, qu'il accueillit toujours avec bont&eacute;;
+Lamartine l'adorait, et chaque fois qu'il avait quelque dette &agrave; &eacute;teindre
+ou une petite fredaine &agrave; faire oublier, c'&eacute;tait &agrave; lui qu'il venait
+s'adresser. Montculot fut le refuge, &laquo;la Th&eacute;ba&iuml;de&raquo;, comme il l'appelait,
+de son adolescence. Il y fuyait l'oncle de Montceau et la contrainte de
+Milly; c'&eacute;tait la transition habituelle entre les plaisirs de Paris et
+la tristesse de sa campagne, et il y trouvait la paix et le
+recueillement sous les deux formes qu'il aimait le mieux: la nature et
+les livres; l'abb&eacute; avait r&eacute;uni une admirable et riche biblioth&egrave;que o&ugrave; le
+neveu pouvait puiser sans contr&ocirc;le, ce qui n'allait pas sans le changer
+un peu des habitudes de M&acirc;con et de Milly o&ugrave; sa m&egrave;re se montrait tr&egrave;s
+s&eacute;v&egrave;re. Lamartine, en m&eacute;moire des heures libres qu'il passa pr&egrave;s de
+lui, en a laiss&eacute; un portrait charmant: il aimait la bonhomie souriante
+de l'aimable vieillard demeur&eacute; toujours un peu frondeur, ce qui faisait
+dire ing&eacute;nument &agrave; sa belle s&#339;ur: &laquo;L'abb&eacute; est tr&egrave;s mal! pourvu, mon Dieu,
+qu'il pense &agrave; se confesser!&raquo; Une vieillesse accabl&eacute;e de cruelles
+infirmit&eacute;s n'alt&eacute;ra en rien sa belle humeur; frapp&eacute; le 10 septembre 1817
+d'une attaque d'apoplexie qui lui paralysa un bras et une jambe, il
+mourut &agrave; Montculot le 8 avril 1826, en brave homme qu'il avait toujours
+&eacute;t&eacute;, laissant sa fortune &agrave; son neveu pr&eacute;f&eacute;r&eacute;. Seul de tous les
+Lamartine, il avait compris la nature inqui&egrave;te de l'adolescent et devin&eacute;
+l'immense travail de ce jeune cerveau.</p>
+
+
+<p class="e">Quant aux trois tantes, elles jou&egrave;rent un r&ocirc;le assez effac&eacute; dans
+l'existence du po&egrave;te. L'a&icirc;n&eacute;e, Sophie, connue dans la famille sous le
+nom de M<sup>lle</sup> de Montceau, demeura toute sa vie faible d'esprit et
+v&eacute;cut &agrave; Milly des jours sans histoire entre son fr&egrave;re et sa belle-s&#339;ur:
+&laquo;Je dois la regarder comme mon sixi&egrave;me enfant&raquo;, dira d'elle M<sup>me</sup> de
+Lamartine, qui fit preuve &agrave; son &eacute;gard d'un patient d&eacute;vouement. La
+cadette, Suzanne, M<sup>me</sup> du Villard, habitait la petite propri&eacute;t&eacute; de
+P&eacute;ron&eacute;. Dans sa jeunesse elle avait &eacute;t&eacute; &eacute;lev&eacute;e au chapitre de Salles et
+en avait gard&eacute; le titre de chanoinesse-comtesse. C'est l&agrave; que la
+R&eacute;volution vint la surprendre pour la relever malgr&eacute; elle de ses v&#339;ux.
+Son c&#339;ur &eacute;tait in&eacute;puisable, comme sa bourse, et bien souvent on la verra
+venir &agrave; l'aide du prodigue neveu. D'apr&egrave;s M<sup>me</sup> de Lamartine qui lui
+avait vou&eacute; une profonde reconnaissance d'avoir facilit&eacute; jadis son
+mariage, elle &eacute;tait de bon conseil, tr&egrave;s bonne et tr&egrave;s pieuse, mais
+d'une nature assez difficile. Pour Lamartine, qu'elle tira souvent un
+peu vivement de ses r&ecirc;veries, elle avait un caract&egrave;re &laquo;plus imp&eacute;tueux
+qu'une bourrasque&raquo;. La derni&egrave;re, Charlotte, M<sup>lle</sup> de Lamartine, avait
+uni sa vie &agrave; celle de son fr&egrave;re a&icirc;n&eacute;; c'&eacute;tait une p&acirc;le et mystique
+cr&eacute;ature, qu'un amour malheureux avait attrist&eacute;e pour toujours. L'hiver,
+on se r&eacute;unissait &agrave; M&acirc;con dans son vieux salon d&eacute;mod&eacute;, avec quelques
+parents et voisins; c'&eacute;taient ces fameuses soir&eacute;es o&ugrave; Lamartine avouait
+plus tard avoir failli p&eacute;rir d'ennui et qui, selon son &eacute;nergique
+expression, &laquo;auraient fait croupir l'eau m&ecirc;me des cascades des Alpes&raquo;.
+Les trois vieilles filles moururent, Sophie en 1819, Charlotte en 1823,
+M<sup>me</sup> du Villard en 1842, celle-ci n'ayant jamais pardonn&eacute; &agrave; son neveu
+la politique d'opposition qu'il menait contre les d'Orl&eacute;ans &agrave; qui,
+disait-elle, leur famille devait tant.</p>
+
+
+<p class="e">Le plus jeune des fils de Louis-Fran&ccedil;ois &eacute;tait Pierre Lamartine, le
+chevalier de Pratz. On lui avait donn&eacute; ce titre dans sa jeunesse, pour
+le distinguer de son fr&egrave;re a&icirc;n&eacute; et, &agrave; M&acirc;con, il n'&eacute;tait gu&egrave;re connu que
+sous le nom de M. de Pratz. De l&agrave; l'erreur si commune que le nom
+v&eacute;ritable du po&egrave;te &eacute;tait de Pratz et non de Lamartine.</p>
+
+<p>Nous sommes malheureusement tr&egrave;s peu renseign&eacute;s sur lui. &Agrave; travers m&ecirc;me
+le journal de sa femme qui l'adore, il appara&icirc;t presque au second plan,
+se reposant sur elle de tous les soins du m&eacute;nage et des tracas
+quotidiens, heureux, semble-t-il, d'avoir abdiqu&eacute; entre les mains de son
+fr&egrave;re ses droits de chef de famille avec leurs responsabilit&eacute;s. Dans les
+<i>Confidences</i>, son fils en a parl&eacute; de fa&ccedil;on respectueuse mais quelque
+peu vague; le portrait, d'allure militaire, est joliment camp&eacute;, mais
+n'est pas tout &agrave; fait d'accord avec ce que nous savons de lui. Ce qu'il
+en a dit de plus juste est qu'il fut &laquo;le mod&egrave;le parfait du gentilhomme
+de province, p&egrave;re de famille, chasseur, cultivateur&raquo;. De m&ecirc;me, quelqu'un
+qui l'a beaucoup connu, &eacute;crit qu'il &eacute;tait &laquo;le type parfait de l'ancien
+gentilhomme; tr&egrave;s aim&eacute; de sa femme, qui le craignait un peu; il lui
+surv&eacute;cut et la regretta jusqu'&agrave; son dernier jour<a name="FNanchor_72_72" id="FNanchor_72_72"></a><a href="#Footnote_72_72" class="fnanchor">[72]</a>&raquo;.</p>
+
+<p>Comme il &eacute;tait extr&ecirc;mement aim&eacute; et respect&eacute; dans la r&eacute;gion pour sa
+droiture, on avait voulu souvent le diriger vers la politique, mais il
+s'en gardait, para&icirc;t-il, comme de la source de tous les maux. Il
+consentit seulement &agrave; accepter un si&egrave;ge de conseiller g&eacute;n&eacute;ral, qu'il
+occupa de 1803 &agrave; 1813. Pour le reste, ses scrupules monarchistes ne lui
+permirent jamais de passer outre, et sa femme a rapport&eacute; &agrave; ce sujet
+l'anecdote suivante qui date de 1809.</p>
+
+<p>Vivant-Denon, l'orientaliste qui avait suivi Bonaparte en &Eacute;gypte, se
+trouvait alors &agrave; M&acirc;con o&ugrave; il pr&eacute;sidait le coll&egrave;ge &eacute;lectoral. Il &eacute;tait
+li&eacute; avec Fran&ccedil;ois-Louis et, au cours d'une visite qu'il lui fit, il
+rencontra le chevalier de Pratz. &laquo;Il traita mon mari avec beaucoup de
+distinction, ajoute M<sup>me</sup> de Lamartine; il en a fait le premier
+scrutateur et, s'il avait voulu, l'aurait s&ucirc;rement fait nommer
+l&eacute;gislateur. Mais il craint, s'il accepte cette place, de se trouver
+dans des circonstances d&eacute;licates o&ugrave; la conscience et la fortune ne
+pourraient peut-&ecirc;tre pas s'accorder. Il aime mieux ne pas s'exposer &agrave;
+cette tentation, ce qui est assur&eacute;ment tr&egrave;s sage.&raquo;</p>
+
+<p>Jusqu'&agrave; trente-huit ans, il avait servi dans l'arm&eacute;e; apr&egrave;s son mariage,
+il se retira &agrave; Milly dont il ne bougea plus jusqu'&agrave; sa mort, si ce n'est
+&agrave; partir de 1805 pour aller passer l'hiver &agrave; M&acirc;con. C'&eacute;tait un bel
+homme, robuste et sain, qui ne d&eacute;rogea pas &agrave; cette &eacute;tonnante vitalit&eacute;
+des Lamartine puisqu'il mourut presque centenaire. Bourru d'apparence,
+il alliait des mani&egrave;res un peu rudes &agrave; une grande simplicit&eacute; et &agrave; un
+c&#339;ur excellent. Fix&eacute; &agrave; la campagne d'abord par n&eacute;cessit&eacute;, il finit par
+s'y trouver bien et perdit vite le go&ucirc;t des villes; pour lui faire
+acheter une maison &agrave; M&acirc;con, sa femme fut m&ecirc;me oblig&eacute;e de plaider la
+cause de leurs filles qui, devenues grandes, avaient besoin d'une
+&eacute;ducation moins villageoise. Jamais, on ne put vaincre dans sa famille
+cette horreur des cit&eacute;s bruyantes; de 1792 &agrave; 1844, date de sa mort, il
+ne consentit qu'une fois &agrave; s'arracher &agrave; sa ch&egrave;re solitude pour aller en
+1814 pr&eacute;senter &agrave; Louis XVIII les hommages de la ville et poursuivre avec
+opini&acirc;tret&eacute; la croix de Saint-Louis, unique ambition de cette &acirc;me fid&egrave;le
+aux Bourbons. Apr&egrave;s quoi, satisfait, il rentra &agrave; Milly sans vouloir
+jamais retourner &agrave; Paris par la suite, m&ecirc;me au plus fort des triomphes
+po&eacute;tiques et politiques de son fils.</p>
+
+<p>Au fond, il aimait la vie simple, la campagne et ses plaisirs, chasse,
+p&ecirc;che, cheval, se levait et se couchait t&ocirc;t, lisait peu. Son seul souci
+fut l'entretien et l'embellissement de ses vignes, il courait lui-m&ecirc;me
+les march&eacute;s vendre son vin et ses r&eacute;coltes et choisir soigneusement ses
+bestiaux. Pour le reste, il s'en remettait enti&egrave;rement &agrave; sa femme et &agrave;
+son fr&egrave;re, surtout en ce qui concernait son fils dont l'&acirc;me tourment&eacute;e
+et insatisfaite lui &eacute;chappait compl&egrave;tement. On chercherait en vain
+quelle influence il put avoir sur les destin&eacute;es et l'&eacute;ducation du po&egrave;te.
+Volontairement, il se tint toujours &agrave; l'&eacute;cart, se contenta d'approuver
+les d&eacute;cisions du chef de famille, lass&eacute;, surtout apr&egrave;s 1810, de cette
+d&eacute;tresse morale et de cette nature h&eacute;sitante qui cadrait si mal avec son
+propre temp&eacute;rament et dont il ne comprendra que beaucoup plus tard les
+mobiles secrets. Mais la m&egrave;re sera l&agrave; pour att&eacute;nuer les froissements
+entre ces deux caract&egrave;res si diff&eacute;rents.</p>
+
+
+
+<hr />
+<h2><a name="CHAPITRE_IIb" id="CHAPITRE_IIb"></a><a href="#toc">CHAPITRE II</a></h2>
+
+<p class="c">LA M&Egrave;RE</p>
+
+
+<p>En oubliant l'image que Lamartine a trac&eacute;e de sa m&egrave;re et en ne
+l'&eacute;tudiant qu'&agrave; travers son journal, ses lettres et les t&eacute;moignages de
+ceux qui l'ont connue, on peut arriver &agrave; pr&eacute;ciser cette figure que le
+po&egrave;te, dans son pieux amour, s'est appliqu&eacute; &agrave; id&eacute;aliser et &agrave; rendre
+presque immat&eacute;rielle.</p>
+
+<p>M<sup>me</sup> de Lamartine fut une femme simple, bonne, aimante, et
+profond&eacute;ment religieuse; sa vie se s&eacute;pare en quatre p&eacute;riodes in&eacute;galement
+remplies de joies et de douleurs. La premi&egrave;re s'&eacute;tend de sa jeunesse &agrave;
+son mariage; la seconde de son mariage &agrave; la majorit&eacute; de son fils; la
+troisi&egrave;me de 1811 aux <i>M&eacute;ditations</i>; la derni&egrave;re de 1820 &agrave; sa mort
+survenue en 1829. Ainsi, chacune de ces &eacute;tapes est li&eacute;e &agrave; quelque grand
+&eacute;v&eacute;nement de la vie de son fils: c'est que son premier-n&eacute; demeura
+toujours le plus aim&eacute;; elle le voyait diff&eacute;rent des autres et r&eacute;servait
+pour lui le meilleur de sa tendresse.</p>
+
+<p>Elle &eacute;tait n&eacute;e &agrave; Lyon le 8 novembre 1770, et sa premi&egrave;re enfance avait
+&eacute;t&eacute; confi&eacute;e &agrave; sa grand'm&egrave;re paternelle, car son p&egrave;re, en incessantes
+tourn&eacute;es d'inspections, et sa m&egrave;re, retenue au Palais-Royal par ses
+fonctions, n'habit&egrave;rent Lyon qu'&agrave; de rares intervalles. &Agrave; dix ans,
+M<sup>me</sup> Des Roys la garda quelque temps pr&egrave;s d'elle &agrave; Paris o&ugrave; la petite
+Alix devint la compagne de jeux du futur Louis-Philippe; puis quatre ans
+plus tard, redoutant qu'elle f&ucirc;t trop m&ecirc;l&eacute;e au monde de la cour, elle
+obtint du duc d'Orl&eacute;ans des lettres d'admission pour elle au chapitre
+noble de Saint-Martin de Salles, en Beaujolais, o&ugrave; sa fille a&icirc;n&eacute;e,
+C&eacute;sarine, se trouvait d&eacute;j&agrave;. Salles, situ&eacute; &agrave; quelques kilom&egrave;tres de
+Villefranche-sur-Sa&ocirc;ne, fut primitivement un prieur&eacute; d&eacute;pendant de
+l'abbaye de Cluny. &Agrave; la fin du <span class="smcap">xiii</span><sup>e</sup> si&egrave;cle des B&eacute;n&eacute;dictins s'y
+install&egrave;rent, et en 1782 le prieur&eacute; fut, par lettres royales, d&eacute;clar&eacute;
+chapitre noble, c'est-&agrave;-dire que, pour y &ecirc;tre admises, les religieuses
+devaient faire preuves d'au moins quatre quartiers du c&ocirc;t&eacute; maternel et
+de six du c&ocirc;t&eacute; paternel.</p>
+
+<p>Lorsque M<sup>lle</sup> Des Roys entra &agrave; Salles, le couvent &eacute;tait devenu une de
+ces institutions mi-mondaines, mi-religieuses de l'ancien r&eacute;gime, o&ugrave; les
+jeunes filles achevaient leur &eacute;ducation. La vie qu'on y menait n'avait
+rien d'aust&egrave;re, puisque chaque &eacute;l&egrave;ve y poss&eacute;dait une petite habitation
+et un jardinet qu'elle partageait avec une &laquo;m&egrave;re&raquo;. D'ailleurs Alix Des
+Roys, qui demeura &agrave; Salles de 1784 &agrave; 1789, venait chaque ann&eacute;e passer
+deux mois &agrave; Paris avec ses parents.</p>
+
+<p>Il nous reste deux portraits d'elle pendant ce s&eacute;jour au couvent. L'un
+est une miniature qui la repr&eacute;sente dans l'aust&egrave;re v&ecirc;tement noir des
+chanoinesses-comtesses, avec la fanchon de soie noire, la guimpe de
+broderie blanche et la croix d'&eacute;mail &eacute;pingl&eacute;e au corsage<a name="FNanchor_73_73" id="FNanchor_73_73"></a><a href="#Footnote_73_73" class="fnanchor">[73]</a>. Les
+cheveux sont d'un blond cendr&eacute;, les yeux noirs, la bouche fine, le
+menton un peu gros, et toute l'expression du visage refl&egrave;te une
+indicible et inqui&eacute;tante m&eacute;lancolie. L'on songe alors &agrave; ce joli passage
+de son journal &eacute;crit trente ans plus tard, un jour o&ugrave;, conduisant son
+fils &agrave; Lyon, elle passa devant l'ancien couvent de sa jeunesse:</p>
+
+<div class="blockquot"><p>J'&eacute;prouvais encore de douces &eacute;motions, dit-elle, en revoyant ce
+charmant Beaujolais o&ugrave; j'ai pass&eacute; une jeunesse si heureuse; mille
+souvenirs se succ&eacute;daient rapidement dans ma t&ecirc;te ou plut&ocirc;t dans mon
+c&#339;ur, car c'est l&agrave; que presque tous les moments de ce temps sont
+grav&eacute;s. Je me voyais, de quinze &agrave; vingt ans, simple, jolie,
+fra&icirc;che, plaisant &agrave; tout le monde...</p></div>
+
+<p>L'autre portrait est une longue &eacute;p&icirc;tre en vers du chevalier de Bonnard,
+po&egrave;te du duc de Chartres, et qui pr&eacute;c&eacute;da M<sup>me</sup> de Genlis comme
+gouverneur des enfants d'Orl&eacute;ans; elle fut adress&eacute;e &agrave; M<sup>me</sup> Des Roys,
+dont il fr&eacute;quentait le petit cercle et qu'il avait connue chez Buffon,
+pour c&eacute;l&eacute;brer la gr&acirc;ce et les m&eacute;rites de ses deux chanoinesses. Comme
+tous les vers de Bonnard, ceux-ci sont m&eacute;diocres, mais ils valent d'&ecirc;tre
+cit&eacute;s pour la spirituelle et vivante image qu'ils donnent de la jeune
+fille &agrave; quinze ans:</p>
+
+<p>
+<br /><span style="margin-left: 15%;">Quant &agrave; notre autre chanoinesse</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Que nous nommons Madame Alix,</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Elle a sans doute aussi son prix.</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Mais quoiqu'elle entende la messe</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Et chante l'office assez bien,</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Qu'elle soit de discret maintien</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Et m&ecirc;me qu'elle aille &agrave; confesse,</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">&Ocirc; m&egrave;re! tenez pour certain</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Qu'elle a le go&ucirc;t un peu mondain.</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">&Agrave; quinze ans elle &eacute;tait jolie,</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Et spirituelle et polie,</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">S'exprimait avec agr&eacute;ment</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Quoiqu'un peu trop rapidement;</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">&Eacute;tait tout yeux et tout oreille,</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Remarquait, citait &agrave; merveille,</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Marchait, dansait l&eacute;g&egrave;rement,</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Aimait la bonne compagnie,</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">La musique, la com&eacute;die,</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Soutenait, par le clavecin,</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Un son de voix tr&egrave;s argentin,</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Jugeait les Beaulard, les Bertin,</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Connaissait les moindres nuances</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Et l'effet et les diff&eacute;rences</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Des poufs, des chapeaux de satin;</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">...D'o&ugrave; je conclus, &agrave; juste titre,</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Qu'elle quittera son chapitre</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">T&ocirc;t ou tard, pour prendre un &eacute;poux,</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Beau, jeune, riche, aimable et doux<a name="FNanchor_74_74" id="FNanchor_74_74"></a><a href="#Footnote_74_74" class="fnanchor">[74]</a>.</span><br /><br />
+</p>
+
+<p>Le portrait est enjou&eacute; et on le sent fid&egrave;le; pourtant, il ne faudrait
+pas le prendre &agrave; la lettre et l'on peut se d&eacute;fier de l'esprit
+superficiel du chevalier de Bonnard qui ne pouvait juger la jeune fille
+que sur l'apparence de la vie brillante men&eacute;e au Palais-Royal. D'apr&egrave;s
+lui, elle &eacute;tait un peu coquette et tr&egrave;s mondaine: coquette, c'&eacute;tait une
+des exigences de son &acirc;ge; sans doute aussi aimait-elle le monde; toute
+sa vie m&ecirc;me elle le regrettera et le confessera souvent dans son journal
+au retour des petits bals o&ugrave; elle menait ses filles; M<sup>me</sup> Delahante
+nous apprend aussi que &laquo;M<sup>me</sup> de Prat tout en aimant le monde
+secr&egrave;tement, vivait tr&egrave;s s&eacute;dentaire, craignant ses belles-s&#339;urs et son
+beau-fr&egrave;re qui, &eacute;tant &acirc;g&eacute;s et s&eacute;v&egrave;res, avaient conserv&eacute; toutes les id&eacute;es
+d'&eacute;tiquette du si&egrave;cle pass&eacute;&raquo;. Ceci semble donc acquis, de m&ecirc;me que les
+talents pr&ecirc;t&eacute;s par Bonnard &agrave; M<sup>lle</sup> Des Roys.</p>
+
+<p>Pour compl&eacute;ter cette &eacute;tude de jeune fille, il reste encore &agrave; p&eacute;n&eacute;trer
+dans sa pens&eacute;e et, l&agrave;, on peut voir qu'&agrave; toutes ses qualit&eacute;s ext&eacute;rieures
+elle joignait un esprit d&eacute;j&agrave; singuli&egrave;rement m&ucirc;ri et r&eacute;fl&eacute;chi. D&egrave;s l'&acirc;ge
+de quinze ans, elle avait pris l'habitude de tenir un journal de sa vie;
+celui que nous poss&eacute;dons ne commence qu'en 1801, mais un fragment de ce
+premier d&eacute;but a &eacute;t&eacute; conserv&eacute; pr&eacute;cieusement par elle comme la ligne de
+conduite de son existence. Intercal&eacute; dans l'un des douze petits
+cahiers, il est dat&eacute; de mars 1786, et voici ce qu'on y lit:</p>
+
+<p>&laquo;...Il n'y a, apr&egrave;s tout, qu'une <i>seule chose</i> de n&eacute;cessaire: il n'est
+pas utile, en effet, que je me procure de la dissipation, que je prenne
+du plaisir, tout cela passe et ne fait pas le bonheur. Il n'est pas
+n&eacute;cessaire que je plaise au monde, que je sois aim&eacute;e et recherch&eacute;e; tout
+cela est une source de p&eacute;rils en tous genres, et les personnes qui se
+livrent le plus au monde et que le monde lui-m&ecirc;me f&ecirc;te le plus sont
+souvent par la suite les plus malheureuses...&raquo;</p>
+
+<p>Toute la vie de M<sup>me</sup> de Lamartine peut se r&eacute;sumer par ces quelques
+lignes, &eacute;crites &agrave; quinze ans; jusqu'&agrave; sa mort, ce fut une lutte
+perp&eacute;tuelle et inqui&egrave;te contre elle-m&ecirc;me, o&ugrave; elle s'effor&ccedil;ait de
+r&eacute;primer ce qu'elle appelait &laquo;les choses inutiles&raquo;, les tendances qui
+lui semblaient de nature &agrave; &eacute;loigner le but qu'elle s'&eacute;tait de tout temps
+fix&eacute;: la simplicit&eacute; et la v&eacute;rit&eacute;.</p>
+
+
+<p class="e">Tel &eacute;tait l'&eacute;tat d'&acirc;me de la jeune fille au moment o&ugrave; elle abordait le
+mariage que lui avait pr&eacute;dit malicieusement Bonnard. On en conna&icirc;t
+l'histoire romanesque.</p>
+
+<p>&Agrave; Salles, elle s'&eacute;tait li&eacute;e avec Suzanne de Lamartine, comme elle
+pensionnaire du couvent. Le chevalier de Pratz qui, de Montceau ou de
+M&acirc;con, venait souvent voir sa s&#339;ur pendant ses cong&eacute;s, connut ainsi
+M<sup>lle</sup> Des Roys, car le r&egrave;glement n'interdisait pas les visites. Tous
+deux se plurent et le chevalier que l'on songeait &agrave; marier sollicita
+l'autorisation de sa famille. Le p&egrave;re, tout d'abord refusa, trouvant la
+dot insuffisante. Mais il avait compt&eacute; sans le hasard et la pers&eacute;v&eacute;rance
+des jeunes gens. Le 6 octobre 1789, jour o&ugrave; les Parisiens ramen&egrave;rent la
+famille royale dans sa capitale, M<sup>me</sup> Des Roys et sa fille se
+trouvaient &agrave; Chatou. Devant la foule ameut&eacute;e, et les nouvelles qui leur
+parvinrent, les deux femmes prises de peur renonc&egrave;rent &agrave; regagner Paris
+et se d&eacute;cid&egrave;rent &agrave; rentrer &agrave; Lyon. En cours de route elles furent
+oblig&eacute;es, &agrave; la suite d'un accident de voiture que la jeune fille dut
+b&eacute;nir toute sa vie, de s'arr&ecirc;ter &agrave; M&acirc;con. Suzanne de Lamartine pr&eacute;venue,
+r&eacute;solut alors d'arranger les choses qui tra&icirc;naient depuis un an et
+annon&ccedil;a &agrave; son p&egrave;re que M<sup>me</sup> Des Roys &eacute;tait de passage et apportait des
+nouvelles graves de Paris. Le moyen, pour Fran&ccedil;ois-Louis, de ne pas
+offrir une hospitalit&eacute; provisoire aux deux femmes? Elles demeur&egrave;rent
+chez lui vingt-quatre heures et, &agrave; leur d&eacute;part, s&eacute;duit sans doute par le
+charme de la jeune fille, il finit, comme dans un roman, par accorder
+son consentement au mariage.</p>
+
+<p>Le 4 janvier 1790 enfin, le contrat fut sign&eacute; &agrave; Lyon, et l'on y voit que
+les jeunes &eacute;poux &eacute;taient plus riches de bonheur que d'argent: le
+chevalier avait l'usufruit de Milly jusqu'&agrave; la mort de son p&egrave;re, et
+c'&eacute;tait tout. Quant &agrave; M<sup>lle</sup> Des Roys elle apportait, outre quelques
+bijoux et meubles, la somme de 50 000 francs, dont 20 000 assur&eacute;s par un
+de ses oncles, et qui n'&eacute;taient pas encore vers&eacute;s en 1810 &agrave; la mort de
+celui-ci. Ainsi, les revenus du jeune m&eacute;nage se montaient &agrave; une douzaine
+de mille francs, assez al&eacute;atoires d'ailleurs, puisqu'ils &eacute;taient
+uniquement bas&eacute;s sur les r&eacute;coltes de Milly.</p>
+
+<p>Le mariage fut c&eacute;l&eacute;br&eacute; le 7 janvier 1790; aussit&ocirc;t apr&egrave;s, la jeune femme
+vint s'&eacute;tablir &agrave; Milly et de cette date jusqu'en 1808, elle connut une
+existence tr&egrave;s diff&eacute;rente.</p>
+
+<p>La jeune mondaine d'autrefois habite maintenant un village obscur et
+sans horizon. Sa maison est petite, sa vie plus que simple, sa fortune
+m&eacute;diocre. Deux ans &agrave; peine apr&egrave;s son mariage, son mari, ses beaux-fr&egrave;res
+et ses belles-s&#339;urs sont emprisonn&eacute;s et elle reste isol&eacute;e avec deux
+enfants au berceau, pr&egrave;s de ses beaux-parents. Puis, le calme r&eacute;tabli et
+le chevalier rendu &agrave; la libert&eacute;, elle regagne avec lui leur petite
+campagne o&ugrave; ils s'installent d&eacute;finitivement.</p>
+
+<p>D&egrave;s lors, elle devient enti&egrave;rement la m&egrave;re. Ses parents sont loin, les
+uns fid&egrave;lement attach&eacute;s &agrave; la fortune des d'Orl&eacute;ans qu'ils accompagnent
+en exil, les autres r&eacute;fugi&eacute;s en Angleterre o&ugrave; ils v&eacute;g&egrave;tent. Elle vivra
+seule &agrave; Milly, presque sans nouvelles d'eux. Son unique occupation va
+devenir l'&eacute;ducation de ses enfants.</p>
+
+<p>C'est dans ce r&ocirc;le, surtout, qu'il est attachant de la suivre. De 1800 &agrave;
+1808, son journal refl&egrave;te profond&eacute;ment ses d&eacute;tresses, ses d&eacute;faillances
+morales, et une analyse aigu&euml; d'elle-m&ecirc;me qu'elle pousse &agrave; un degr&eacute;
+incroyable. Chaque soir, elle se scrute impitoyablement, examine et
+r&eacute;sume sa vie quotidienne, les soucis de la journ&eacute;e, et en tire un
+enseignement pour l'avenir, sans pouvoir toutefois &ecirc;tre jamais
+satisfaite de ses actes qu'elle trouve perp&eacute;tuellement imparfaits et
+au-dessous de sa t&acirc;che. Chez elle, les accalmies sont rares et, m&ecirc;me
+dans les p&eacute;riodes d'apaisement et d'&eacute;quilibre, elle les environne
+toujours de l'inqui&egrave;te restriction qu'elle est trop heureuse et ne
+m&eacute;rite pas son bonheur.</p>
+
+
+<p class="e">&Agrave; partir de 1810 sa vie change encore et commence alors pour elle une
+&eacute;poque d'amertumes, de tristesses et de d&eacute;couragements encore plus
+profonds. Ses enfants la pr&eacute;occupent: ses quatre filles, d'abord,
+qu'elle mariera toutes &agrave; leur temps et heureusement, mais surtout ce
+fils, son pr&eacute;f&eacute;r&eacute;, dont l'oisivet&eacute;, dit-elle, la &laquo;tue&raquo;. L'existence vide
+qu'il tra&icirc;ne de M&acirc;con &agrave; Paris, sa fi&egrave;vre, sa sensibilit&eacute;, qu'il tient
+d'elle au fond, sont autant de tortures pour ce c&#339;ur de m&egrave;re qui ne
+demande qu'&agrave; &ecirc;tre fi&egrave;re de son fils. Son orgueil maternel souffre de
+voir la vie de son enfant lui &eacute;chapper, et elle pleure de n'&ecirc;tre plus
+comme autrefois sa confidente, elle qui jadis &eacute;crivait &agrave; propos de lui:
+&laquo;La chose la plus importante dans l'&eacute;ducation est d'inspirer une grande
+confiance &agrave; ses enfants et il faut pour cela les &eacute;couter toujours avec
+attention et l'air de l'int&eacute;r&ecirc;t, quelle que soit la chose dont ils
+veulent vous entretenir, parce qu'alors ils prennent l'habitude de vous
+parler de tout ce qui les occupe&raquo;.</p>
+
+<p>Aujourd'hui, il faut deviner plut&ocirc;t qu'apprendre de lui, les pens&eacute;es qui
+le hantent; il faut aussi br&ucirc;ler en cachette ses mauvais livres, ses
+mauvais vers, qui rappellent le malheureux fr&egrave;re qui s'est perdu ainsi,
+voir grossir ses dettes qu'elle essaye d'&eacute;teindre en r&eacute;duisant ses
+humbles d&eacute;penses. Car trop souvent elle sera forc&eacute;e d'avoir recours &agrave;
+l'oncle et aux tantes qui la trouveront faible et le lui diront
+durement. Toutes les petites ruses qu'il mettra en &#339;uvre pour lui cacher
+ses fredaines et ses aventures l'accableront sans lasser sa tendresse.
+&laquo;Il me tourmente bien par son caract&egrave;re inquiet, dira-t-elle un jour,
+mais je t&acirc;che de le ramener tout doucement; je supporte, c'est ma t&acirc;che
+actuelle.&raquo;</p>
+
+<p>Malgr&eacute; tout, sa bont&eacute; pour lui demeurera in&eacute;puisable, comme sa patience.
+En 1811, &agrave; la suite d'une amourette dont il s'exag&eacute;ra la valeur, les
+Lamartine furent oblig&eacute;s de le faire voyager; il se trouva un jour sans
+ressources &agrave; Livourne, ayant mang&eacute; en un mois ce qu'on lui avait donn&eacute;
+pour six. Les oncles et les tantes qui ont d&eacute;j&agrave; ouvert leur bourse,
+restent sourds, cette fois, aux lettres suppliantes, et d&eacute;cident le
+retour. Mais il est si heureux l&agrave;-bas! ses lettres sont si joyeuses et
+si tendres! &laquo;Il serait trop cruel, &eacute;crit-elle alors, de ne pas le
+laisser aller jusqu'&agrave; Rome dont il est si pr&egrave;s&raquo;, et elle lui envoie de
+quoi continuer son voyage.</p>
+
+<p>M<sup>me</sup> Delahante, enfant &agrave; cette &eacute;poque, mais qui quarante ans plus tard
+ne pouvait rappeler son souvenir sans &eacute;motion, nous a laiss&eacute; d'elle une
+image tr&egrave;s simple et tr&egrave;s &eacute;mouvante:</p>
+
+<p>&laquo;M<sup>me</sup> de Prat, &acirc;g&eacute;e de quarante-cinq ans, n'avait jamais &eacute;t&eacute; d'une
+beaut&eacute; remarquable, mais le charme qui &eacute;tait en elle tenait &agrave; une grande
+distinction et &agrave; une expression tr&egrave;s fine, tr&egrave;s spirituelle, en m&ecirc;me
+temps que tr&egrave;s douce et d'une bont&eacute; parfaite. Pour faire le portrait de
+sa figure il faudrait, avant tout, faire le portrait de son &acirc;me, car
+c'&eacute;tait de l'&acirc;me que venait chez elle le charme ext&eacute;rieur. Je crois que
+toutes les vertus solides et les qualit&eacute;s aimables &eacute;taient r&eacute;unies en
+cette charmante femme; elle &eacute;tait pieuse comme un ange et d'une pi&eacute;t&eacute;
+indulgente et &eacute;clair&eacute;e qui vous gagnait.</p>
+
+<p>&laquo;Elle &eacute;tait sans cesse occup&eacute;e des pauvres, et elle les visitait soit &agrave;
+M&acirc;con, soit &agrave; Milly. Son z&egrave;le ne connaissait pas de bornes, et, quand
+l'argent lui manquait (ce qui lui arrivait parfois, car sa fortune &eacute;tait
+plus que m&eacute;diocre, et sa famille tr&egrave;s nombreuse), elle cherchait &agrave; le
+remplacer par de douces paroles, de bons soins et de bons conseils.</p>
+
+<p>&laquo;Elle &eacute;levait elle-m&ecirc;me ses cinq filles, elle s'occupait extr&ecirc;mement de
+son mari et de son m&eacute;nage, elle aimait beaucoup le monde, ou plut&ocirc;t la
+soci&eacute;t&eacute;; elle &eacute;tait aimable pour tous, et quoiqu'elle ne p&ucirc;t recevoir
+qu'avec la plus extr&ecirc;me simplicit&eacute;, elle fut toujours &agrave; la t&ecirc;te de la
+soci&eacute;t&eacute; de M&acirc;con et y exer&ccedil;a une influence qui ne fut pas enti&egrave;rement
+remplac&eacute;e.</p>
+
+<p>&laquo;Son esprit &eacute;tait &agrave; la fois fin et &eacute;lev&eacute; et quoiqu'elle e&ucirc;t pass&eacute; sa vie
+&agrave; M&acirc;con, entour&eacute;e de toutes les petites passions de province, elle
+demeura au-dessus de tout pour la noblesse et l'extr&ecirc;me d&eacute;licatesse de
+son c&#339;ur comme par la distinction de son esprit et de ses mani&egrave;res. Sa
+vertu, je l'ai dit, n'avait rien de s&eacute;v&egrave;re et je n'en veux citer qu'un
+exemple: elle ne se permettait jamais la moindre m&eacute;disance, et souffrait
+mort et passion quand elle entendait dire la plus petite chose qui p&ucirc;t
+blesser le prochain; elle &eacute;tait gaie, cependant, et ne pouvait
+s'emp&ecirc;cher de sourire &agrave; un propos spirituel et quelque peu malin. Sa
+charit&eacute; et sa gaiet&eacute; se livraient alors un combat qui se lisait sur sa
+physionomie.</p>
+
+<p>&laquo;M<sup>me</sup> de Prat &eacute;tait de taille moyenne; elle &eacute;tait mince, sa taille
+&eacute;tait souple, sa figure longue et un peu p&acirc;le, ses yeux tr&egrave;s pr&egrave;s du nez
+et petits, mais vifs et doux, son nez droit et ses l&egrave;vres fort minces.
+Son sourire &eacute;tait tr&egrave;s gracieux. Je l'ai toujours vue mise de la m&ecirc;me
+mani&egrave;re: elle ne portait que des robes de taffetas puce.&raquo;</p>
+
+<p>&Agrave; partir de 1820 et jusqu'&agrave; sa mort, M<sup>me</sup> de Lamartine connut d'autres
+joies et d'autres chagrins: ce fut d'abord la gloire soudaine de son
+fils, son mariage inesp&eacute;r&eacute;, qui marque la fin de cette p&eacute;riode de
+d&eacute;s&#339;uvrement dont elle souffrit tant. &laquo;Il se dit plus heureux qu'un
+roi, &eacute;crira-t-elle un jour, et certes, ce n'est pas un langage auquel je
+suis accoutum&eacute;e de sa part.&raquo; Elle avoue aussi avoir ressenti &laquo;un grand
+mouvement de vanit&eacute;&raquo; en lisant dans les journaux le nom de son fils
+parmi les personnages illustres de passage &agrave; Aix. Puis ce fut la
+naissance de son petit-fils qui lui causa une immense joie: &laquo;On dit que
+cet enfant me ressemble, dira-t-elle avec orgueil; alors, je me
+l'imagine comme &eacute;tait son p&egrave;re...&raquo;.</p>
+
+<p>Bient&ocirc;t, pourtant, les soucis et les deuils l'accabl&egrave;rent de nouveau.
+Son fils l'inqui&eacute;tait toujours; &laquo;cette ardeur, cette inqui&eacute;tude de
+t&ecirc;te&raquo;, comme elle appelle dans son simple langage la fi&egrave;vre po&eacute;tique qui
+le d&eacute;vore, ne font que la d&eacute;soler. Presque coup sur coup elle eut &agrave;
+pleurer la mort de deux de ses filles, M<sup>me</sup> de Vignet et M<sup>me</sup> de
+Montherot, et celle de son petit-fils dont elle avait accueilli la
+naissance avec tant de bonheur. Puis, ses deux belles-s&#339;urs et ses deux
+beaux-fr&egrave;res disparurent &agrave; leur tour. De plus en plus elle se sentait
+isol&eacute;e &agrave; Milly.</p>
+
+<p>La derni&egrave;re joie que connut cet admirable c&#339;ur de m&egrave;re fut de para&icirc;tre
+au bras de son fils &agrave; l'Abbaye-au-Bois, dans les salons de M<sup>me</sup>
+R&eacute;camier o&ugrave;, en juillet 1829, Chateaubriand lut des fragments de son
+<i>Mo&iuml;se</i>; et voici ce qu'au retour elle &eacute;crivait dans son journal:</p>
+
+<p>&laquo;Je suis de plus en plus fi&egrave;re et heureuse des admirables qualit&eacute;s
+d'Alphonse, malgr&eacute; les inqui&eacute;tudes si fond&eacute;es que j'ai eues sur son
+compte. Sa r&eacute;putation s'agrandit tous les jours, mais ce n'est pas de
+son esprit que je dois le glorifier davantage, c'est de la bonne
+direction qu'il lui a donn&eacute;e, c'est de son excellent c&#339;ur, c'est de la
+beaut&eacute; de son &acirc;me qui se manifeste dans toutes les occasions.&raquo; Ainsi, ce
+qui la frappa au cours de cette soir&eacute;e, fut le murmure d'admiration
+sympathique qui avait accueilli l'entr&eacute;e de son fils, et tout le reste
+lui parut secondaire:</p>
+
+<p>&laquo;Il y avait beaucoup de gens c&eacute;l&egrave;bres que je fus bien aise de voir, et
+surtout M. de Chateaubriand lui-m&ecirc;me que je ne connaissais pas; il me
+parut vieux et faible, et les ambitions de ce monde sont bien
+mensong&egrave;res. Sa trag&eacute;die est de peu d'int&eacute;r&ecirc;t. M<sup>me</sup> R&eacute;camier a encore
+de la gr&acirc;ce et quelques souvenirs de beaut&eacute;.&raquo;</p>
+
+<p>Comme par un &eacute;trange pressentiment de sa fin prochaine, les derni&egrave;res
+lignes qu'elle ait trac&eacute;es dans son journal semblent le clore tout
+naturellement. Le 22 octobre 1829 elle &eacute;crivait de Milly:</p>
+
+<p>&laquo;Je suis seule ici, et cependant je ne m'ennuie pas trop. Je me reproche
+au contraire de prendre encore beaucoup trop d'int&eacute;r&ecirc;t aux choses de ce
+monde et d'avoir peut-&ecirc;tre plus de dissipation d'esprit en vieillissant
+que dans ma jeunesse, et pourtant je vieillis beaucoup! Que Dieu ait
+piti&eacute; de moi et me rende ce que je dois &ecirc;tre. J'aime &agrave; lui dire un
+verset d'un psaume qui me touche: Seigneur, vous &ecirc;tes mon esp&eacute;rance d&egrave;s
+ma jeunesse, ne me rejettez pas dans le temps de ma vieillesse, ne
+m'abandonnez pas lorsque les forces me manqueront.&raquo;</p>
+
+<p>Elle mourut moins d'un mois apr&egrave;s, le 16 novembre, et cette femme
+ang&eacute;lique en qui tout &eacute;tait douceur et sentiment eut une fin atroce:
+elle fut br&ucirc;l&eacute;e vive dans un bain qu'elle voulut r&eacute;chauffer, surprise
+par le jet bouillant qu'elle n'eut pas le temps d'arr&ecirc;ter et re&ccedil;ut en
+pleine poitrine. Elle trouva encore la force de sortir de l'eau, puis
+tomba &agrave; terre, &eacute;vanouie. Pendant les trois jours que dura son affreuse
+agonie elle ne reprit pas connaissance.</p>
+
+<p>Lamartine et son p&egrave;re &eacute;taient tous deux absents de Milly. &Agrave; leur retour,
+elle reposait d&eacute;j&agrave; dans le cimeti&egrave;re de M&acirc;con, mais comme son fils
+voulait l'avoir pr&egrave;s de lui dans la petite chapelle de Saint-Point, il
+obtint de la faire exhumer.</p>
+
+
+<p class="e">La douleur du po&egrave;te fut immense. Plus tard, lorsqu'il &eacute;crira ses
+souvenirs, la m&eacute;moire de sa m&egrave;re en illuminera toutes les pages. Mais &agrave;
+force d'id&eacute;aliser cette belle figure il a fini, d'abord par en donner
+une image assez inexacte, et surtout par persuader &agrave; lui-m&ecirc;me et &agrave; ses
+lecteurs qu'elle fut avec Elvire l'une des formes vivantes de son g&eacute;nie.</p>
+
+<p>Pourtant, si l'une eut sur son d&eacute;veloppement et son inspiration une
+profonde influence, il serait peu conforme &agrave; la v&eacute;rit&eacute; de croire que sa
+m&egrave;re tint le m&ecirc;me r&ocirc;le dans sa vie. Elle fut la m&egrave;re, dans tout ce que
+ce mot peut comporter d'amour, de tendresse et d'orgueil; tous deux
+s'adoraient, mais&mdash;et le journal de M<sup>me</sup> de Lamartine en est la
+meilleure preuve&mdash;la p&eacute;riode de l'adolescence du po&egrave;te qui s'&eacute;tend de
+1808 &agrave; 1820, p&eacute;riode d'isolement et de d&eacute;tresse morale, &eacute;chappe
+compl&egrave;tement &agrave; sa m&egrave;re qui s'en d&eacute;sole et pleure en silence de le voir
+sombre et renferm&eacute;, cachant jalousement son existence int&eacute;rieure.</p>
+
+<p>Elle ne participera en rien &agrave; cette solitude morale, &agrave; cette laborieuse
+gen&egrave;se qui pr&eacute;c&egrave;de les <i>M&eacute;ditations</i> sauf pour ce que son instinct
+maternel lui fera parfois deviner; un jour o&ugrave; elle le verra en proie &agrave;
+ce &laquo;feu divin&raquo; qu'il a d&eacute;crit dans l'<i>Enthousiasme</i>, elle &eacute;crira: &laquo;Je
+crains pour lui cette inqui&eacute;tude d'esprit qui le transporte toujours
+dans un avenir id&eacute;al et lui &ocirc;te la paisible jouissance du pr&eacute;sent et de
+ceux avec qui il est&raquo;, mais le plus souvent elle se d&eacute;sesp&eacute;rera de son
+apparente st&eacute;rilit&eacute; sans que son &acirc;me aimante et simple saisisse
+grand'chose des aspirations confuses, et des d&eacute;tresses incurables qu'il
+porte en lui. Elle se contentera de noter ce que son c&#339;ur de m&egrave;re
+appellera des &laquo;vivacit&eacute;s de caract&egrave;re&raquo;, des &laquo;m&eacute;lancolies de jeunesses&raquo;,
+elle verra avec angoisse cette &laquo;vie de dissipation&raquo;, ces gaspillages
+inutiles d'&eacute;nergie, et s'&eacute;puisera en supplications pour faire mener &agrave;
+son fils une existence r&eacute;guli&egrave;re et occup&eacute;e, celle dont il est alors le
+plus incapable.</p>
+
+<p>Plus tard Lamartine le regretta et en souffrit; avec amour, il
+s'efforcera alors dans ses souvenirs, ses commentaires et sa version du
+<i>Manuscrit de ma m&egrave;re</i> de lui faire jouer, dans son adolescence, un
+r&ocirc;le qu'elle n'a jamais tenu. Pieuse invention que cette lecture &agrave; Milly
+de l'<i>Isolement</i>, du <i>D&eacute;sespoir</i> ou de l'<i>&Eacute;p&icirc;tre &agrave; Byron</i>! M<sup>me</sup> de
+Lamartine, qui en 1808 notait avec un peu d'orgueil les premiers essais
+po&eacute;tiques de son fils, n'e&ucirc;t pas manqu&eacute; d'en transcrire le r&eacute;cit,
+surtout si, comme il l'a pr&eacute;tendu, la lecture du <i>D&eacute;sespoir</i> eut &eacute;t&eacute;
+entre eux la cause d'une grave discussion. Bien mieux, ce fut par une
+&eacute;trang&egrave;re qu'elle entendit parler pour la premi&egrave;re fois des futures
+<i>M&eacute;ditations</i>: le 9 juin 1819, en effet, M<sup>me</sup> de l'Arche, cousine de
+M<sup>me</sup> Haste sa ni&egrave;ce&mdash;c'est la fameuse &laquo;princesse italienne&raquo; qui soigna
+Lamartine &agrave; Paris pendant sa maladie,&mdash;&eacute;tait de passage &agrave; M&acirc;con. &laquo;<i>Elle
+m'a apport&eacute; des vers d'Alphonse</i>, dit M<sup>me</sup> de Lamartine, <i>qui sont des
+stances religieuses et des M&eacute;ditations m&eacute;lancoliques; il y a vraiment de
+tr&egrave;s belles choses</i>.&raquo; Une autre courte mention le 6 janvier 1820 o&ugrave; on
+lit: &laquo;<i>Alphonse va faire imprimer des vers; il en a fait vraiment de
+tr&egrave;s beaux et sur de beaux sujets tr&egrave;s religieux</i>&raquo;. C'est tout; &agrave; Milly
+l'apparition des <i>M&eacute;ditations</i> passa inaper&ccedil;ue, car la m&egrave;re avait alors
+en t&ecirc;te d'autres soucis plus s&eacute;rieux: le mariage de son fils et son
+&eacute;tablissement.</p>
+
+<p>Mais ce que Lamartine tient incontestablement de sa m&egrave;re, c'est cette
+&acirc;me inqui&egrave;te et tourment&eacute;e, cette sensibilit&eacute; rare que l'on retrouve &agrave;
+chaque page du <i>Journal intime</i>; ce sont surtout les germes de sa
+religion profonde et vivace qui s'&eacute;panouiront ensuite &agrave; Belley. Au
+cours de sa vie orageuse, sa foi subira bien des assauts et conna&icirc;tra
+bien des d&eacute;faillances, mais il y reviendra toujours comme &agrave; l'unique
+consolation. De bonne heure, la croyance de M<sup>me</sup> de Lamartine avait
+marqu&eacute; des traces ineffa&ccedil;ables dans l'&acirc;me de l'enfant, et l'on peut dire
+que le souffle chr&eacute;tien qui anime toute sa po&eacute;sie est l'&#339;uvre absolue et
+enti&egrave;re de sa m&egrave;re.</p>
+
+<p>Elle conservera aussi une influence indiscutable sur ses actes. La
+v&eacute;n&eacute;ration dont il l'entourait le fit souvent se courber, en pleine
+maturit&eacute;, devant les avis qu'elle lui donnait<a name="FNanchor_75_75" id="FNanchor_75_75"></a><a href="#Footnote_75_75" class="fnanchor">[75]</a>. Tout ce qui touchait
+&agrave; son g&eacute;nie qu'elle voulait purement chr&eacute;tien, l'affectait
+profond&eacute;ment: &laquo;Alphonse va faire imprimer des vers, &eacute;crit-elle le 10
+mars 1825, c'est une suite de <i>Childe-Harold</i>, esp&egrave;ce de po&egrave;me de lord
+Byron. Ce sujet m'inqui&eacute;tait et m'inqui&egrave;te encore beaucoup; j'ai dit ce
+que je croyais devoir dire, car je ne suis pas l&agrave; pour louer, mais pour
+avertir&raquo;. Jamais, de l'avis de ceux qui les connurent tous deux,
+Lamartine n'e&ucirc;t os&eacute; commencer du vivant de sa m&egrave;re sa politique
+d'opposition contre le gouvernement de Juillet car elle gardait aux
+d'Orl&eacute;ans un respect profond. En 1825, lors du retentissement caus&eacute; par
+deux malencontreux vers du <i>Chant du Sacre</i>, elle &eacute;crira s&eacute;v&egrave;rement &agrave;
+son fils et ne d&eacute;sarmera que devant les explications, assez confuses,
+semble-t-il, qu'il lui donna<a name="FNanchor_76_76" id="FNanchor_76_76"></a><a href="#Footnote_76_76" class="fnanchor">[76]</a>. De m&ecirc;me, M<sup>me</sup> Delahante est
+persuad&eacute;e que <i>Jocelyn</i> et <i>la Chute d'un Ange</i> auraient subi
+d'importants remaniements si la m&egrave;re du po&egrave;te avait &eacute;t&eacute; l&agrave;<a name="FNanchor_77_77" id="FNanchor_77_77"></a><a href="#Footnote_77_77" class="fnanchor">[77]</a>.</p>
+
+<p>Tel est le milieu o&ugrave; va cro&icirc;tre et se d&eacute;velopper l'&acirc;me de l'enfant, plus
+souvent arr&ecirc;t&eacute;e et contrari&eacute;e, &agrave; vrai dire, qu'encourag&eacute;e et comprise.
+Chacune des figures que nous venons d'esquisser jouera un r&ocirc;le dans sa
+jeunesse, influera plus ou moins sur sa pens&eacute;e et sur ses actes. Mais
+conclure de l&agrave;, comme il l'a laiss&eacute; entendre lui-m&ecirc;me, que certaines
+d'entre elles, &laquo;l'oncle terrible&raquo; surtout, par leur contrainte et leur
+mainmise sur son existence ont en quelque sorte retard&eacute; l'&eacute;closion des
+<i>M&eacute;ditations</i> serait une grave erreur. Lamartine fut ma&icirc;tre de sa vie &agrave;
+dix-huit ans, et libre de l'organiser &agrave; sa guise pourvu qu'il pr&icirc;t une
+occupation. Sans doute, les Lamartine n'encourageront nullement sa
+vocation po&eacute;tique et m&ecirc;me la contrarieront parfois; mais on conna&icirc;t
+leurs raisons, et d'ailleurs lui-m&ecirc;me en fut un peu responsable, car de
+bonne heure il se r&eacute;fugia dans la solitude morale, hautain et d&eacute;courag&eacute;.</p>
+
+<p>Cette adolescence difficile servit son g&eacute;nie: l'amertume, les heurts,
+stimulent Lamartine. Ses <i>M&eacute;ditations</i>, &eacute;crites fi&eacute;vreusement, en pleine
+crise, au moment des pires froissements avec sa famille, des maladies et
+des difficult&eacute;s qui l'accablent, en sont le meilleur t&eacute;moignage. De 1820
+&agrave; 1830, alors qu'il coule on paix des jours heureux, son &#339;uvre po&eacute;tique
+s'en ressent: les <i>Nouvelles M&eacute;ditations</i>&mdash;&agrave; part quelques pi&egrave;ces
+ant&eacute;rieures &agrave; 1820&mdash;n'&eacute;galent pas les premi&egrave;res: la <i>Mort de Socrate</i>,
+le <i>Chant du Sacre</i> ne sont que des &#339;uvres facilement rim&eacute;es et dont
+lui-m&ecirc;me ne pensait pas grand'chose. Les <i>Harmonies</i> m&ecirc;me, &eacute;crites au
+jour le jour de 1825 &agrave; 1830, sont d'une autre mani&egrave;re, adoucie et plus
+paisible. Il faut remonter jusqu'&agrave; <i>N&eacute;m&eacute;sis</i>, plus loin encore &agrave; l'<i>Ode
+au comte d'Orsay</i>, &agrave; <i>la Vigne et la Maison</i> et &agrave; cette admirable
+<i>Invocation &agrave; la Croix</i> qui ne fut publi&eacute;e qu'apr&egrave;s sa mort pour
+retrouver l'inspiration m&eacute;lancolique, d&eacute;sesp&eacute;r&eacute;e et hautaine des
+premi&egrave;res <i>M&eacute;ditations</i>.</p>
+
+
+
+<hr />
+<h2><a name="CHAPITRE_IIIb" id="CHAPITRE_IIIb"></a><a href="#toc">CHAPITRE III</a></h2>
+
+<p class="c">LES LAMARTINE PENDANT LA TERREUR.</p>
+
+<p class="c">LES PREMI&Egrave;RES ANN&Eacute;ES.</p>
+
+
+<p>&Agrave; s'en tenir au seul t&eacute;moignage de Lamartine, il serait difficile de
+conna&icirc;tre le v&eacute;ritable lieu de sa naissance, puisque dans ses po&egrave;mes et
+ses souvenirs il a tour &agrave; tour indiqu&eacute; Saint-Point, M&acirc;con et Milly comme
+son berceau<a name="FNanchor_78_78" id="FNanchor_78_78"></a><a href="#Footnote_78_78" class="fnanchor">[78]</a>. Toutefois, gr&acirc;ce &agrave; son acte de bapt&ecirc;me, on sait qu'il
+naquit &agrave; M&acirc;con le 10 octobre 1790, fut baptis&eacute; le lendemain par le cur&eacute;
+de Saint-Pierre, et eut pour parrain et marraine son grand-p&egrave;re de
+Lamartine, malade et repr&eacute;sent&eacute; par son fils a&icirc;n&eacute;, et sa grand'm&egrave;re
+maternelle M<sup>me</sup> Des Roys. M<sup>me</sup> de Lamartine nous apprend que
+quelques heures apr&egrave;s sa naissance l'enfant fut port&eacute; au couvent des
+Ursulines o&ugrave; la sup&eacute;rieure, M<sup>me</sup> de Luzy, une bonne vieille
+grand'tante, pr&eacute;senta l'enfant &agrave; la chapelle de la Vierge, et que toute
+la communaut&eacute; pria pour lui.</p>
+
+<p>Des doutes se sont &eacute;lev&eacute;s au sujet de la maison natale du po&egrave;te<a name="FNanchor_79_79" id="FNanchor_79_79"></a><a href="#Footnote_79_79" class="fnanchor">[79]</a>: en
+effet, les Lamartine poss&eacute;daient alors deux immeubles &agrave; M&acirc;con. L'un,
+l'h&ocirc;tel familial, &eacute;tait situ&eacute; au num&eacute;ro 3 de l'actuelle rue
+Bauderon-de-Senec&eacute;, au <span class="smcap">xviii</span><sup>e</sup> si&egrave;cle rue de la Croix-Saint-Girard, et
+sous la R&eacute;volution rue Solon; l'autre occupait le num&eacute;ro 18 de la rue
+des Ursulines, devenue pendant la Terreur rue Jean-Jacques-Rousseau.
+Dans laquelle de ces deux maisons Lamartine vit il le jour? La question
+en soi est de peu d'importance, car toutes deux ne formaient en r&eacute;alit&eacute;
+qu'un m&ecirc;me immeuble compris dans l'angle form&eacute; par les deux rues &agrave; leur
+intersection, et il existait entre elles une cour, un passage et des
+jardins communs. N&eacute;anmoins, la maison de la rue des Ursulines est bien
+la maison natale du po&egrave;te et il existe deux t&eacute;moignages qui devraient
+clore la discussion.</p>
+
+<p>Le 21 d&eacute;cembre 1819, M<sup>me</sup> de Lamartine a not&eacute; dans son journal que son
+mari, g&ecirc;n&eacute; par une mauvaise r&eacute;colte, songeait &agrave; vendre la maison qu'ils
+habitaient &agrave; M&acirc;con et &agrave; vivre d&eacute;sormais uniquement &agrave; Milly, <i>ou
+peut-&ecirc;tre</i>, ajouta-t-elle, <i>dans l'ancienne petite maison que nous avons
+habit&eacute;e les premiers temps de notre mariage et qui est &agrave; l'abb&eacute; de
+Lamartine</i>. Cette maison est bien celle de la rue des Ursulines: nous
+savons en effet, par le testament de Louis-Fran&ccedil;ois de Lamartine,
+qu'elle &eacute;chut &agrave; l'abb&eacute;; celui-ci, d'ailleurs, n'y logea jamais et la
+louait ordinairement. Le po&egrave;te la trouva en 1826 dans sa succession, et
+la vendit aussit&ocirc;t car elle &eacute;tait inhabitable. Enfin, on lit dans la
+d&eacute;claration d'immeubles faite en d&eacute;cembre 1790 par Louis-Fran&ccedil;ois au
+cadastre de M&acirc;con et parmi l'&eacute;num&eacute;ration de ses propri&eacute;t&eacute;s, <i>une maison
+rue des Ursulines occup&eacute;e par M. de Pra</i><a name="FNanchor_80_80" id="FNanchor_80_80"></a><a href="#Footnote_80_80" class="fnanchor">[80]</a>. Or, si le chevalier
+demeurait en d&eacute;cembre 1790 rue des Ursulines, il est fort probable qu'il
+y habitait d&eacute;j&agrave; en octobre et qu'il avait re&ccedil;u &agrave; son mariage la
+jouissance de cet immeuble jusqu'&agrave; la mort de son p&egrave;re, quoique son
+contrat n'en fasse pas mention. Il semble donc acquis que Lamartine vint
+au monde, non pas dans l'h&ocirc;tel de la rue Bauderon-de-Senec&eacute;, mais dans
+la petite maison de la rue des Ursulines.</p>
+
+
+<p class="e">&Agrave; sa naissance, l'enfant &eacute;tait d'une constitution d&eacute;licate qui donna,
+para&icirc;t-il, des inqui&eacute;tudes &agrave; sa famille. Il a racont&eacute; plus tard comment
+sa m&egrave;re, pour le changer d'air, alla passer avec lui l'&eacute;t&eacute; de 1791 &agrave;
+Lausanne. Nous n'avons sur ce s&eacute;jour que son seul t&eacute;moignage et le
+<i>Journal intime</i> n'en rappelle aucun souvenir. Pourtant, il demeure tr&egrave;s
+vraisemblable, car la plupart des familles du pays profitaient souvent
+de l'&eacute;t&eacute; pour se rendre en Suisse dont la fronti&egrave;re n'&eacute;tait &eacute;loign&eacute;e que
+de quelques journ&eacute;es. Quant aux d&eacute;tails abondants et pittoresques dont
+il a nourri son r&eacute;cit, nous sommes oblig&eacute;s de lui en faire cr&eacute;dit: &agrave;
+l'en croire, une intimit&eacute; tr&egrave;s grande existait entre les Lamartine et le
+vieil historien anglais Gibbon que M<sup>lle</sup> Des Roys aurait connu dans
+sa jeunesse au Palais-Royal; une haie de jasmin s&eacute;parait seule les deux
+jardins et, dira-t-il, en parlant de Gibbon, &laquo;ses genoux &eacute;taient devenus
+mon berceau<a name="FNanchor_81_81" id="FNanchor_81_81"></a><a href="#Footnote_81_81" class="fnanchor">[81]</a>&raquo;.</p>
+
+<p>Mais si l'historien &eacute;tait bien &agrave; Lausanne en 1791&mdash;il y s&eacute;journa de 1784
+&agrave; 1797,&mdash;le journal de Mary Holroyd fille de lord Scheffield, qui fut
+son h&ocirc;te de juin &agrave; octobre de la m&ecirc;me ann&eacute;e, ne mentionne nullement les
+Lamartine dans la liste tr&egrave;s d&eacute;taill&eacute;e qu'elle donne des habitu&eacute;s de la
+<i>Grotte</i>; la <i>Correspondance</i> et l'<i>Autobiographie</i> de Gibbon sont tout
+aussi muettes sur ce point. Enfin il est assez difficile d'admettre
+qu'il ait connu M<sup>lle</sup> Des Roys au Palais-Royal: il fut bien un assidu
+de la petite cour du duc d'Orl&eacute;ans, mais il quitta d&eacute;finitivement Paris
+en 1784. &Agrave; cette date, la jeune fille avait quatorze ans et n'&eacute;tait
+qu'une enfant. Quoi qu'il en soit, sans mettre en doute ce voyage &agrave;
+Lausanne, il est certain qu'il fut tr&egrave;s court. M<sup>me</sup> de Lamartine &eacute;tait
+en effet en novembre de retour &agrave; M&acirc;con, pour ses couches, et sa pr&eacute;sence
+nous y est attest&eacute;e par l'acte de bapt&ecirc;me de son second fils F&eacute;lix, mort
+deux ans plus tard<a name="FNanchor_82_82" id="FNanchor_82_82"></a><a href="#Footnote_82_82" class="fnanchor">[82]</a>.</p>
+
+<p>C'est &agrave; cette &eacute;poque que la situation commen&ccedil;a &agrave; devenir difficile pour
+les Lamartine: la royaut&eacute; &eacute;tant en p&eacute;ril, le chevalier fit aussit&ocirc;t son
+devoir de soldat et de gentilhomme, et ce fut le premier signal de la
+dispersion du foyer.</p>
+
+<p>Bien que d&eacute;missionnaire le 1<sup>er</sup> mai 1791 pour n'avoir pas &agrave; pr&ecirc;ter
+serment &agrave; la Constitution, il se rendit en mai 1792 &agrave; Paris offrir ses
+services au Roi. Un m&eacute;moire pr&eacute;sent&eacute; en 1814 &agrave; Louis XVIII en vue
+d'obtenir la croix de Saint-Louis et apostill&eacute; par un parent de sa
+femme, le pr&eacute;sident Henrion de Pensey alors ministre de la justice, nous
+donne quelques d&eacute;tails sur son d&eacute;vouement fid&egrave;le mais obscur, et qui
+confirment enti&egrave;rement le r&eacute;cit des <i>Confidences</i> et de l'<i>Histoire des
+Girondins</i><a name="FNanchor_83_83" id="FNanchor_83_83"></a><a href="#Footnote_83_83" class="fnanchor">[83]</a>.</p>
+
+<p>D&egrave;s son arriv&eacute;e, suivant en cela l'exemple de la noblesse de France, il
+fit demander au Roi ses ordres, soit pour &eacute;migrer, soit pour rester.
+Louis XVI, comme &agrave; tous, lui r&eacute;pondit de demeurer. Il ob&eacute;it et ne
+manqua aucune occasion de se rendre aux Tuileries chaque fois que le
+ch&acirc;teau fut menac&eacute;; il s'y trouvait m&ecirc;me le 10 ao&ucirc;t, resta jusqu'apr&egrave;s
+l'attaque, combattit l'un des derniers. Poursuivi par les vainqueurs, il
+&eacute;chappa aux massacres de la Force gr&acirc;ce &agrave; la complicit&eacute; d'un des
+jardiniers d'Henrion de Pensey qui se trouvait parmi les &eacute;meutiers et
+eut piti&eacute; de lui. Il le cacha et lui fournit des v&ecirc;tements qui lui
+permirent de circuler dans Paris sans &eacute;veiller l'attention. Le chevalier
+erra alors quelques jours, ne sachant quel parti prendre, puis reprit le
+chemin de M&acirc;con. &Agrave; son arriv&eacute;e, il trouva le pays en pleine &eacute;meute.</p>
+
+<p>D&eacute;j&agrave;, trois ans auparavant, dans les derniers jours de juillet 1789, une
+v&eacute;ritable Jacquerie avait &eacute;clat&eacute; dans le M&acirc;connais. &Agrave; Cormatin, &agrave; Cluny,
+&agrave; Hurigny, &agrave; Saint-Point surtout,&mdash;qui appartenait encore aux
+Castellane,&mdash;les paysans avaient envahi le ch&acirc;teau, br&ucirc;l&eacute; les terriers
+et les titres de redevances. Les Lamartine ne furent pas &eacute;pargn&eacute;s: le 27
+juillet, leur petite propri&eacute;t&eacute; de P&eacute;rone &eacute;tait d&eacute;vast&eacute;e et leur
+concierge qui tentait de s'opposer au pillage se noya dans le puits o&ugrave;
+on l'avait jet&eacute;. Le jour m&ecirc;me, le cur&eacute; de P&eacute;rone, &Eacute;tienne Moiroux, &eacute;tait
+assailli au presbyt&egrave;re, et brutalis&eacute;. Mais les ann&eacute;es 1790-1791 furent
+plus calmes; le mouvement ne reprit qu'en 1792, lors de la r&eacute;forme du
+clerg&eacute;.</p>
+
+<p>Lamartine, en divers endroits de son &#339;uvre, s'est longuement &eacute;tendu sur
+les pers&eacute;cutions que sa famille eut &agrave; subir pendant la Terreur. Si l'on
+en excepte l'&eacute;pisode d'apr&egrave;s lequel son p&egrave;re aurait &eacute;chang&eacute; des lettres
+avec sa m&egrave;re, de la prison aux fen&ecirc;tres de la maison de la rue des
+Ursulines situ&eacute;e en face, o&ugrave; elle se serait retir&eacute;e, tout ce qu'il y a
+racont&eacute; est exact, &agrave; quelques d&eacute;tails pr&egrave;s. Gr&acirc;ce aux Archives de
+Sa&ocirc;ne-et-Loire, il est d'ailleurs facile de r&eacute;tablir l'existence des
+Lamartine durant les ann&eacute;es 1792-1795.</p>
+
+<p>Ils ne commenc&egrave;rent gu&egrave;re &agrave; &ecirc;tre inqui&eacute;t&eacute;s qu'en 1792, &agrave; la suite de
+l'&eacute;migration du fils a&icirc;n&eacute; Fran&ccedil;ois-Louis, &eacute;migration qui dut &ecirc;tre
+extr&ecirc;mement courte, mais qu'il n'est gu&egrave;re possible de mettre en doute.
+Dans la <i>Liste g&eacute;n&eacute;rale des &eacute;migr&eacute;s</i><a name="FNanchor_84_84" id="FNanchor_84_84"></a><a href="#Footnote_84_84" class="fnanchor">[84]</a>, on trouve en effet &agrave; la lettre
+L un tableau o&ugrave; figurent Louis-Fran&ccedil;ois le p&egrave;re et Fran&ccedil;ois-Louis le
+fils, dont les biens furent mis sous s&eacute;questre les 5 juillet, 20
+septembre et 28 novembre 1792. Aussit&ocirc;t, le vieux seigneur de Montceau
+protesta avec &eacute;nergie et fit parvenir aux directoires de Sa&ocirc;ne-et-Loire
+et de la Haute-Sa&ocirc;ne des attestations de civisme et des certificats de
+r&eacute;sidence, mais pour lui seul, et sans jamais faire mention de son fils
+dont on ne trouve aucune r&eacute;clamation; ceci semble suffisamment prouver
+qu'il n'&eacute;tait pas alors en France. On ne tarda pas d'ailleurs &agrave; faire
+droit aux requ&ecirc;tes de Louis-Fran&ccedil;ois: le 12 avril 1793 il obtenait la
+mainlev&eacute;e des scell&eacute;s appos&eacute;s &agrave; Montceau et &agrave; Milly, le 24 mai celle des
+propri&eacute;t&eacute;s de Franche-Comt&eacute;<a name="FNanchor_85_85" id="FNanchor_85_85"></a><a href="#Footnote_85_85" class="fnanchor">[85]</a>.</p>
+
+<p>Pr&eacute;venu sans doute des cons&eacute;quences qu'allait entra&icirc;ner sa disparition,
+Fran&ccedil;ois-Louis revint &agrave; M&acirc;con, o&ugrave; on le trouve en octobre. Mais il
+para&icirc;t impossible de mettre en doute son &eacute;migration, contest&eacute;e par
+Lamartine, puisqu'il n'existe aucune protestation &eacute;manant de lui contre
+la qualit&eacute; qu'on lui pr&ecirc;tait, que son p&egrave;re n'agit qu'en son nom propre
+dans toutes ses revendications, et qu'&agrave; la fin de 1793 les Lamartine
+furent emprisonn&eacute;s comme parents d'&eacute;migr&eacute;.</p>
+
+<p>Contrairement &agrave; ce qu'on lit dans les <i>Confidences</i>, le grand-p&egrave;re du
+po&egrave;te ne fut pas d&eacute;tenu; sans doute, son &acirc;ge lui valut-il cette
+exception, car il avait alors quatre-vingt-trois ans. Sa femme et lui
+pass&egrave;rent toute la p&eacute;riode de la Terreur dans leur maison de P&eacute;rone,
+apr&egrave;s que l'h&ocirc;tel de M&acirc;con eut &eacute;t&eacute; mis sous s&eacute;questre le 13 ao&ucirc;t 1792.
+On ne les y aurait probablement gu&egrave;re inqui&eacute;t&eacute;s davantage, si avec un
+ent&ecirc;tement indomptable il n'avait &agrave; chaque instant attir&eacute; l'attention
+sur lui.</p>
+
+<p>En effet, le cur&eacute; de P&eacute;rone, qui en 1789 avait &eacute;t&eacute; &agrave; moiti&eacute; assomm&eacute; par
+les &eacute;meutiers, s'&eacute;tait empress&eacute; de pr&ecirc;ter serment &agrave; la constitution
+civile du clerg&eacute;, afin de s'&eacute;viter le retour de semblables d&eacute;sagr&eacute;ments.
+Imm&eacute;diatement, Louis-Fran&ccedil;ois, fid&egrave;le &agrave; ses principes, refusa les
+services de l'infortun&eacute;, et fit dire la messe chez lui par un pr&ecirc;tre non
+asserment&eacute; qu'il avait recueilli. L'habituelle d&eacute;nonciation ne se fit
+pas attendre: le 23 juin 1794, le directoire de Sa&ocirc;ne-et-Loire,
+<i>instruit que les biens des &eacute;poux Lamartine, ex-nobles, ne sont pas dans
+la main de la nation, bien qu'ils doivent &ecirc;tre s&eacute;questr&eacute;s</i>, fit apposer
+&agrave; nouveau les scell&eacute;s &agrave; Montceau, Milly, M&acirc;con et tous les biens que
+Louis-Fran&ccedil;ois avait fini par r&eacute;cup&eacute;rer &agrave; force de r&eacute;clamations. Le 25
+ao&ucirc;t on vendit sur pied leurs r&eacute;coltes au b&eacute;n&eacute;fice de la R&eacute;publique et
+cette vente produisit un total de 124 000 livres en assignats. Quant aux
+deux vieillards, on se contenta de les d&eacute;tenir &agrave; domicile, estimant sans
+doute que leur &acirc;ge les rendait peu redoutables, jusqu'&agrave; l'apaisement qui
+suivit la mort de Robespierre.</p>
+
+
+<p class="e">Les aventures des trois fils furent plus s&eacute;rieuses. L'a&icirc;n&eacute;, on l'a vu,
+avait &eacute;migr&eacute;, mais il &eacute;tait de retour &agrave; M&acirc;con en octobre 1793. Le
+registre d'&eacute;crou porte qu'il fut emprisonn&eacute; aux Ursulines le 13 de ce
+m&ecirc;me mois, et que son d&eacute;plorable &eacute;tat de sant&eacute; lui valut d'&ecirc;tre intern&eacute;
+&agrave; l'h&ocirc;pital. De ses fen&ecirc;tres il pouvait voir la demeure familiale, car
+la prison des Ursulines avait remplac&eacute; le couvent du m&ecirc;me nom qui
+faisait face &agrave; la maison natale du po&egrave;te. Il n'y resta que peu de temps:
+le 9 novembre il &eacute;tait avec ses fr&egrave;res et s&#339;urs transf&eacute;r&eacute; aux
+Visitandines d'Autun, &eacute;galement devenues prison nationale, et il n'en
+sortit que le 30 septembre 1794<a name="FNanchor_86_86" id="FNanchor_86_86"></a><a href="#Footnote_86_86" class="fnanchor">[86]</a>.</p>
+
+<p>Pour l'abb&eacute;, il figure sur une liste de d&eacute;nonciation dat&eacute;e du 21 octobre
+1793 et qui concernait 54 pr&ecirc;tres non asserment&eacute;s; le 25 il &eacute;tait arr&ecirc;t&eacute;
+&agrave; P&eacute;rone chez son p&egrave;re. D'apr&egrave;s une pi&egrave;ce de son dossier aux Archives
+Nationales, il aurait pr&ecirc;t&eacute; serment le 30 septembre 1792. Il y a l&agrave; une
+erreur, car la suite de ses tribulations et surtout l'attitude de son
+p&egrave;re d&eacute;mentent enti&egrave;rement cette assertion. Il figure au contraire au
+d&eacute;but de 1792 avec sa s&#339;ur Suzanne, l'ex-chanoinesse, &agrave; &laquo;l'&eacute;tat g&eacute;n&eacute;ral
+des pensionnaires de deux sexes jouissant d'une pension &agrave; la charge du
+tr&eacute;sor national&raquo;, ce qui confirme qu'il avait alors renonc&eacute; &agrave; ses
+fonctions pour ne pas pr&ecirc;ter le serment, et l'on a vu d&eacute;j&agrave; qu'il fut
+incarc&eacute;r&eacute; comme non asserment&eacute;.</p>
+
+<p>Arr&ecirc;t&eacute; le 25 octobre, il fut condamn&eacute; le 13 novembre &agrave; la d&eacute;portation;
+on le transfera alors de M&acirc;con &agrave; Autun, d'o&ugrave; il fut extrait le 25 avril
+1794 pour &ecirc;tre conduit &agrave; Cayenne avec 18 autres pr&ecirc;tres. &Agrave; Rochefort, on
+l'embarqua sur le <i>Washington</i>, vaisseau ponton o&ugrave; les prisonniers
+attendaient en cas de r&eacute;clamation que le gouvernement ait d&eacute;finitivement
+statu&eacute; sur leur sort. Il y demeura trois mois.</p>
+
+<p>Pendant ce temps, on proc&eacute;dait &agrave; M&acirc;con &agrave; la vente publique des meubles
+et effets lui ayant appartenu et qui se trouvaient dans sa chambre de
+l'h&ocirc;tel Lamartine mis sous scell&eacute;s. Le citoyen Durand acquit pour 112
+livres une commode en bois de rose; le citoyen Ducartel, un &laquo;bonheur du
+jour&raquo; pour 140 livres, et les citoyennes Ch&eacute;d&eacute; et Droit se disput&egrave;rent
+deux paires de chaussures, quatre bonnets de nuit, un habit de drap
+gris, un autre de kalmouck violet, une &laquo;anglaise&raquo; de drap gris et sa
+veste pour 65 livres, tandis que le citoyen Lacombe se voyait adjuger &agrave;
+21 livres 10 sols la petite pharmacie et les outils de tourneur de
+l'abb&eacute;.</p>
+
+<p>Il faut remarquer qu'on ne toucha &agrave; aucun des objets appartenant &agrave;
+Louis-Fran&ccedil;ois. Celui-ci, en effet, se montrait &eacute;nergique &agrave; un moment o&ugrave;
+le silence et la peur &eacute;taient les seuls moyens de se faire oublier. Fort
+de ce qu'il croyait &ecirc;tre son droit, indign&eacute; de ces com&eacute;dies judiciaires,
+il ne cessait d'adresser r&eacute;clamation sur r&eacute;clamation avec une
+invraisemblable incompr&eacute;hension des &eacute;v&eacute;nements auxquels il assistait.
+Lorsqu'il apprit le d&eacute;part de l'abb&eacute; pour Cayenne, il prit la plume une
+fois de plus et adressa au directoire de Sa&ocirc;ne-et-Loire un v&eacute;h&eacute;ment
+<i>factum</i> qui aurait pu l'entra&icirc;ner loin, car il n'&eacute;tait rien moins
+qu'une violente critique de la proc&eacute;dure exp&eacute;ditive alors en cours,
+agr&eacute;ment&eacute;e de consid&eacute;rations sur la situation g&eacute;n&eacute;rale du pays. On y lit
+des morceaux comme celui-ci:</p>
+
+<div class="blockquot"><p>Si le d&eacute;partement appelle d&eacute;nonciation une liste de proscription
+sans motif quelconque articul&eacute;, nous devons tous trembler. Cette
+d&eacute;nonciation telle qu'elle n'a m&ecirc;me pas &eacute;t&eacute; reconnue authentique,
+le d&eacute;partement n'a pas r&eacute;col&eacute; les d&eacute;nonciateurs sur leurs
+signatures, ne leur a pas demand&eacute; s'ils la reconnaissaient, s'ils
+persistaient. Voil&agrave; une liste, cela suffit. Suivons: le d&eacute;partement
+dit 1&ordm; qu'il est instruit particuli&egrave;rement. Grand Dieu! quelle
+instruction! des juges qui sont instruits non par la proc&eacute;dure,
+mais particuli&egrave;rement! cela fait fr&eacute;mir!</p>
+
+<p>2&ordm; Que les inculp&eacute;s ont &eacute;t&eacute; en partie pr&eacute;venus de suspicion; mais
+le comit&eacute; n'a pas fait la faute de d&eacute;clarer suspects des hommes
+domicili&eacute;s depuis dix ans hors du d&eacute;partement, des enfants de
+quinze ans qui n'ont jamais pass&eacute; &agrave; M&acirc;con que quarante-huit heures?
+il y en a cinq dans ce cas et le d&eacute;partement les condamne tous,
+sans les appeler, ni les entendre, &agrave; la d&eacute;portation!</p>
+
+<p>Pour ce qui regarde particuli&egrave;rement mon fils, c'est en vain que
+j'ai demand&eacute; extrait des motifs de son arrestation; pour tout
+extrait, on m'a donn&eacute; ces mots: &laquo;Lamartine, ex-chanoine, n'ayant
+pas donn&eacute; de preuves suffisantes d'attachement &agrave; la R&eacute;volution&raquo;,
+sans date, sans signature, ni rien qui donne de la force &agrave; ce vague
+&eacute;nonc&eacute;. Si c'est sur cela que le d&eacute;partement, <i>instruit
+particuli&egrave;rement</i>, le d&eacute;porte, lui, muni de certificats de civisme,
+&eacute;tranger au canton, on ferait un gros volume des vices de cet
+arr&ecirc;t&eacute; cruel.</p></div>
+
+<p>Un tel langage pouvait &ecirc;tre dangereux et pour celui qui le parlait et
+pour ceux qu'il mettait en cause. Mais Louis-Fran&ccedil;ois ne s'en tint pas
+l&agrave;: avec une pers&eacute;v&eacute;rance incroyable et un m&eacute;pris inou&iuml; des dangers
+qu'il courait, il finit par obtenir de tous les d&eacute;nonciateurs le d&eacute;saveu
+&eacute;crit de leur signature; plusieurs d'entre eux all&egrave;rent m&ecirc;me jusqu'&agrave;
+certifier qu'on la leur avait arrach&eacute;e par surprise et sign&egrave;rent la
+p&eacute;tition par laquelle, apr&egrave;s le 9 thermidor, il r&eacute;clama la mise en
+libert&eacute; de son fils.</p>
+
+<p>Le d&eacute;partement, cette fois, fit droit &agrave; sa requ&ecirc;te et s'inclina devant
+la volont&eacute; publique, car la p&eacute;tition s'&eacute;tait couverte d'une centaine de
+noms. Le 30 janvier 1795, <i>vu la demande des citoyens Lamartine, Dondin,
+Sombardin, etc., et les pi&egrave;ces y jointes par lesquelles il para&icirc;t que
+&laquo;ledit arr&ecirc;t&eacute; de d&eacute;portation n'a &eacute;t&eacute; sign&eacute; par personne&raquo;</i> (sic), le
+comit&eacute; arr&ecirc;ta que l'abb&eacute; serait mis en libert&eacute; et ray&eacute; de toute liste de
+d&eacute;port&eacute;s. Le 15 novembre 1795 il &eacute;tait de retour &agrave; M&acirc;con, apr&egrave;s deux
+ann&eacute;es d'&eacute;preuves, mais il ne fut d&eacute;finitivement ray&eacute; de la liste des
+&eacute;migr&eacute;s o&ugrave; il avait &eacute;t&eacute; port&eacute; par erreur, sans doute &agrave; la place de son
+fr&egrave;re a&icirc;n&eacute;, que le 3 f&eacute;vrier 1802.</p>
+
+
+<p class="e">Quant au chevalier, il fut incarc&eacute;r&eacute; aux Ursulines le 5 octobre 1793,
+puis transf&eacute;r&eacute; le 28 janvier 1794 aux Visitandines d'Autun et mis en
+libert&eacute; le 30 octobre de la m&ecirc;me ann&eacute;e, avec ses deux s&#339;urs<a name="FNanchor_87_87" id="FNanchor_87_87"></a><a href="#Footnote_87_87" class="fnanchor">[87]</a>. Dans la
+pr&eacute;face du <i>Manuscrit de ma m&egrave;re</i>, Lamartine a racont&eacute; que pendant toute
+la Terreur sa m&egrave;re avait habit&eacute; la maison de la rue des Ursulines, et
+c'est le motif d'un charmant &eacute;pisode o&ugrave; l'on voit &agrave; la nuit les jeunes
+&eacute;poux &eacute;changer de tendres lettres, des fen&ecirc;tres de la petite demeure &agrave;
+celles de la prison situ&eacute;e en face, par le romanesque moyen d'un arc et
+de fl&egrave;ches. L'histoire, pour joliment cont&eacute;e, n'en est pas moins tout &agrave;
+fait inexacte, car si un mur de la prison faisait bien vis-&agrave;-vis &agrave; la
+maison des Lamartine, celle-ci avait &eacute;t&eacute; mise sous s&eacute;questre en m&ecirc;me
+temps que l'h&ocirc;tel de la rue Croix-Saint-Girard, c'est-&agrave;-dire pr&egrave;s d'un
+an avant l'emprisonnement du chevalier. De plus, pendant la d&eacute;tention de
+son mari &agrave; M&acirc;con, la jeune femme n'habitait plus la ville; en effet,
+lorsqu'il avait vu ses trois fils sous les verrous, Louis-Fran&ccedil;ois avait
+exig&eacute; d'elle une incroyable d&eacute;marche: en novembre 1793, laissant &agrave;
+P&eacute;rone ses deux plus jeunes enfants, F&eacute;lix et M&eacute;lanie, celle-ci &agrave; peine
+sevr&eacute;e, M<sup>me</sup> de Lamartine dut prendre le chemin de Paris avec le petit
+Alphonse, alors &acirc;g&eacute; de trois ans et dont elle ne voulait pas se s&eacute;parer.
+Elle partait, raconte-t-elle dix ans plus tard<a name="FNanchor_88_88" id="FNanchor_88_88"></a><a href="#Footnote_88_88" class="fnanchor">[88]</a>, solliciter
+<i>d'anciennes relations</i> de son p&egrave;re pour obtenir la mise en libert&eacute; de
+son mari et de ses beaux-fr&egrave;res, car le vieux Lamartine, dans son
+inconscience absolue des dangers qu'il faisait courir &agrave; tous les siens
+avec sa terrible manie des r&eacute;clamations, s'imaginait toujours qu'il
+suffirait d'un mot pour se faire rendre justice; ainsi, le cr&eacute;dit des
+Des Roys qu'on lui avait tant vant&eacute; au moment du mariage de son fils
+finirait bien par rendre quelque service.</p>
+
+<p>En cours de route, la pauvre femme &agrave; moiti&eacute; morte de peur des p&eacute;rils
+qu'elle avait courus s'arr&ecirc;ta dans la Marne, chez son p&egrave;re, pour lui
+demander conseil et lui laisser l'enfant.</p>
+
+<p>&laquo;L&agrave;, dit elle, Dieu permit qu'on rend&icirc;t alors un d&eacute;cret qui d&eacute;fendait
+aux ci-devant nobles d'aller &agrave; Paris sous peine de mort; ce fut fort
+heureux, car les d&eacute;marches &eacute;taient fort dangereuses.&raquo; Elle demeura donc
+six mois &agrave; Rieux et ne regagna la Bourgogne qu'en ao&ucirc;t 1794. Elle se
+r&eacute;fugia alors &agrave; P&eacute;rone aupr&egrave;s de son beau-p&egrave;re et y demeura jusqu'&agrave; la
+lib&eacute;ration de son mari. Le calme revenu et les s&eacute;questres lev&eacute;s, tous
+deux vinrent habiter &agrave; nouveau la rue des Ursulines, o&ugrave; leur pr&eacute;sence
+nous est attest&eacute;e le 4 d&eacute;cembre 1795 par l'acte de d&eacute;c&egrave;s de leur petit
+gar&ccedil;on F&eacute;lix.</p>
+
+
+<p class="e">Peu &agrave; peu, l'apaisement se fit. &Agrave; la fin de 1795 les Lamartine se
+retrouv&egrave;rent sains et saufs dans la vieille demeure familiale. Mais trop
+d'alertes avaient &eacute;puis&eacute; les deux vieillards: la grand'm&egrave;re s'&eacute;teignit
+la premi&egrave;re le 4 septembre 1796, &agrave; l'&acirc;ge de soixante-quinze ans et
+Louis-Fran&ccedil;ois la suivit peu de mois apr&egrave;s, le 11 mai 1797; il venait
+d'atteindre sa quatre-vingt-sixi&egrave;me ann&eacute;e.</p>
+
+<p>Apr&egrave;s leur mort, le partage de terres commen&ccedil;a, et Lamartine rapporte
+qu'il fut long et &eacute;pineux: en effet la loi nouvelle sur les successions
+bouleversait leurs vieilles traditions de famille en exigeant un partage
+&eacute;gal entre tous les enfants. Le meilleur des terres de Franche-Comt&eacute;
+avait disparu pendant la Terreur, ruin&eacute; faute d'entretien ou ali&eacute;n&eacute;
+pr&eacute;matur&eacute;ment comme bien national. Les usines de Saint-Claude &eacute;taient
+d&eacute;labr&eacute;es; le reste ne comprenait plus que des parcelles &eacute;parses,
+difficiles &agrave; g&eacute;rer par suite des circonstances. M<sup>me</sup> de Lamartine
+raconte qu'on se h&acirc;ta de vendre les d&eacute;bris de ce magnifique patrimoine,
+et qu'on s'arrangea &agrave; l'amiable pour les terres de Bourgogne.</p>
+
+<p>L'abb&eacute; re&ccedil;ut Montculot et la maison de la rue des Ursulines; M<sup>me</sup> du
+Villars P&eacute;rone, Collonge et Champagne; Fran&ccedil;ois-Louis, en sa qualit&eacute; de
+chef de famille, h&eacute;rita de Montceau et ses d&eacute;pendances, de l'h&ocirc;tel de
+M&acirc;con et de la Tour de Mailly, dont l'ensemble demeura toutefois indivis
+entre lui et sa s&#339;ur a&icirc;n&eacute;e, M<sup>lle</sup> de Lamartine. Le chevalier dut se
+contenter de Milly qu'il poss&eacute;dait d&eacute;j&agrave; en fait depuis son mariage et o&ugrave;
+il se h&acirc;ta de se r&eacute;fugier avec sa femme et ses enfants d&egrave;s l'automne de
+1797.</p>
+
+
+
+<hr />
+<h2><a name="CHAPITRE_IVb" id="CHAPITRE_IVb"></a><a href="#toc">CHAPITRE IV</a></h2>
+
+<p class="c">LE D&Eacute;COR.&mdash;LES VOISINS</p>
+
+
+<p>Milly est un pauvre village d'une quarantaine de maisonnettes qui
+s'&eacute;tend en amphith&eacute;&acirc;tre &agrave; mi-flanc d'un vallon encaiss&eacute; de hautes
+collines, les unes cultiv&eacute;es, le Craz, les autres arides, le Monsard.
+Une solitude et une tristesse infinies s'en d&eacute;gagent au premier abord,
+mais &agrave; mieux conna&icirc;tre tous ses aspects on finit par lui d&eacute;couvrir un
+charme p&eacute;n&eacute;trant.</p>
+
+<p>Toute interpr&eacute;tation de la po&eacute;sie de Milly restera forc&eacute;ment imparfaite
+et surtout inutile, car la seule fa&ccedil;on dont Lamartine la comprit doit
+nous retenir. Nul jamais ne d&eacute;couvrira dans Milly tout ce qu'il y voyait
+et n'&eacute;prouvera, m&ecirc;me au cours de multiples visites dans ce coin sauvage
+de Bourgogne, les sentiments du foyer et de la terre natale, les
+souvenirs d'enfance avec leurs nuances invisibles qu'il est parvenu &agrave;
+rendre merveilleusement. M. Reyssi&eacute;, pourtant, qui avait une tr&egrave;s grande
+habitude du pays et connaissait le vallon sous tous ses aspects, est
+parvenu &agrave; les d&eacute;crire de mani&egrave;re tr&egrave;s fid&egrave;le et tr&egrave;s exacte.</p>
+
+<p>Tout au bas du village, en bordure de la route et domin&eacute;e par le Craz,
+se trouve la petite maison des Lamartine. Elle n'a point d'histoire:
+&eacute;lev&eacute;e au d&eacute;but du <span class="smcap">xviii</span><sup>e</sup> si&egrave;cle par Jean-Baptiste, premier seigneur
+de Montceau, c'&eacute;tait alors, plut&ocirc;t qu'une demeure, un pavillon o&ugrave; il
+venait l'automne surveiller ses vendanges. Rien n'y &eacute;tait &eacute;tabli en
+pr&eacute;vision de longs s&eacute;jours et au moment de son installation le chevalier
+fut m&ecirc;me oblig&eacute; d'y faire &eacute;lever deux chemin&eacute;es. Aujourd'hui, il est
+difficile de se la repr&eacute;senter dans son &eacute;tat primitif, car elle a subi
+des remaniements qui ont modifi&eacute; enti&egrave;rement son ancien aspect. Elle est
+situ&eacute;e en retrait de la route unique qui traverse le village, au fond
+d'une cour actuellement orn&eacute;e de massifs, mais qui autrefois servait,
+avec ses communs, &agrave; garer cuves, pressoirs et tombereaux. Derri&egrave;re,
+s'&eacute;tend un minuscule jardin dont les charmilles, les fr&ecirc;nes et les
+ch&ecirc;nes sont les seuls arbres de Milly, et finit en pente douce au pied
+du Craz par un potager. Aucune source, aucun cours d'eau n'arrose le
+pays.</p>
+
+<p>La maison n'a qu'un seul &eacute;tage; elle est petite, obscure, humide, et
+jamais le soleil n'y p&eacute;n&egrave;tre. Elle comprend en tout neuf pi&egrave;ces et l'on
+imagine mal comment sept personnes pouvaient y vivre. Des plantes
+grimpantes recouvrent enti&egrave;rement les murs jusqu'aux tuiles et les
+arbres viennent fr&ocirc;ler les vitres. En hiver, la tristesse et la
+d&eacute;solation sont impressionnantes; ce d&eacute;cor de Milly est une des sources
+les plus certaines de la m&eacute;lancolie de Lamartine et explique amplement
+la maladie de nerfs dont il souffrit lorsque ses vingt ans y furent
+clo&icirc;tr&eacute;s.</p>
+
+<p>Une grave erreur en effet serait de croire que l'amour de Lamartine pour
+Milly date de sa jeunesse; il contribua beaucoup &agrave; cette l&eacute;gende, mais
+on voit par sa <i>Correspondance</i> qu'il ne l'appelait gu&egrave;re alors que sa
+&laquo;d&eacute;testable patrie&raquo;. Il ne d&eacute;couvrit son charme que longtemps apr&egrave;s,
+lorsqu'il en fit avec le recul du temps le temple de ses souvenirs
+d'enfance. Milly devint alors pour lui un culte, celui de sa m&egrave;re dont
+il venait encore rechercher la trace trente ans plus tard. &laquo;C'est,
+disait-il un jour &acirc;prement, la seule chose que je ne pardonne pas &agrave; mes
+concitoyens que de m'avoir forc&eacute; de vendre Milly<a name="FNanchor_89_89" id="FNanchor_89_89"></a><a href="#Footnote_89_89" class="fnanchor">[89]</a>.&raquo;</p>
+
+<p>Le domaine comprenait une cinquantaine d'hectares plant&eacute;s en vignes. En
+1801, Pierre de Lamartine y ajouta Saint-Point, achet&eacute; partie sur ses
+&eacute;conomies, partie sur une somme qui lui revenait de la succession de son
+p&egrave;re.</p>
+
+
+<p class="e">Saint-Point bien plus que Milly fut aux yeux de ses contemporains la
+v&eacute;ritable demeure du po&egrave;te. C'&eacute;tait un vieux ch&acirc;teau f&eacute;odal b&acirc;ti sur la
+vall&eacute;e de la Valouze dans un joli site bois&eacute; et plus riant que Milly,
+dont il &eacute;tait &eacute;loign&eacute; d'une quinzaine de kilom&egrave;tres. Lorsqu'&agrave; son
+mariage Lamartine en acquit la jouissance, il lui fit subir plusieurs
+r&eacute;parations et sacrifiant lui aussi &agrave; la mode romantique, y fit ajouter
+des terrasses, des tourelles, des fen&ecirc;tres ogivales et dentel&eacute;es qui ne
+vont pas sans d&eacute;parer un peu l'aust&egrave;re simplicit&eacute; romane du b&acirc;timent.</p>
+
+<p>La partie orientale du ch&acirc;teau comprise entre les deux tours rondes
+remonte seule au moyen &acirc;ge; l'ensemble a &eacute;t&eacute; remani&eacute; &agrave; diff&eacute;rentes
+&eacute;poques et on voit par les inventaires ant&eacute;rieurs &agrave; la R&eacute;volution qu'il
+comprenait primitivement quatre grosses tours, des murailles &agrave; cr&eacute;neaux
+qui enfermaient une cour command&eacute;e par un pont-levis et entour&eacute;e de
+profonds foss&eacute;s. De l'histoire ancienne du ch&acirc;teau, on sait peu de
+chose; il fut assi&eacute;g&eacute; et pris par les Fran&ccedil;ais en 1471 lors des luttes
+entre Louis XI et Charles le T&eacute;m&eacute;raire; au cours des <span class="smcap">xvii</span><sup>e</sup> si&egrave;cle et
+<span class="smcap">xviii</span><sup>e</sup> si&egrave;cles, il demeura le plus souvent inhabit&eacute;, ce qui explique
+son d&eacute;labrement, achev&eacute; le 30 juillet 1789 par les &eacute;meutiers qui le
+mutil&egrave;rent et le pill&egrave;rent enti&egrave;rement.</p>
+
+<p>Ce jour-l&agrave;, tous les habitants de Saint-Point, vignerons, grangers et
+man&#339;uvres, assembl&eacute;s au son de la cloche, forc&egrave;rent la grande porte,
+d&eacute;couronn&egrave;rent les tours, d&eacute;molirent les charpentes et toitures,
+br&ucirc;l&egrave;rent les archives. L'affaire fut vite men&eacute;e, sans r&eacute;sistance
+possible de la part de l'intendant. Tout ce qu'il put obtenir d'eux fut
+qu'ils ne mettraient pas le feu au ch&acirc;teau, leur objectant que
+l'incendie pourrait gagner le village. Les choses rest&egrave;rent longtemps
+en l'&eacute;tat, et la Terreur vint achever la ruine du domaine. Au moment o&ugrave;
+le chevalier s'en rendit acqu&eacute;reur, la maison &eacute;tait inhabitable.</p>
+
+<p>La famille de Saint-Point poss&eacute;da le ch&acirc;teau&mdash;dont les seigneurs se
+qualifiaient marquis&mdash;du milieu du <span class="smcap">xii</span><sup>e</sup> si&egrave;cle &agrave; la fin du <span class="smcap">xvi</span><sup>e</sup>
+si&egrave;cle. L'un de ses membres, Guillaume de Saint-Point, seigneur de la
+Foretz, de Chanvantet de Clermatin, a laiss&eacute; quelque trace dans
+l'histoire en jouant un r&ocirc;le assez important pendant les guerres de
+religion o&ugrave; il se distingua par ses cruaut&eacute;s. En 1557, il fut &eacute;lu
+capitaine du ban et arri&egrave;re-ban de la noblesse du bailliage, et
+combattit dans les arm&eacute;es catholiques; mais le meilleur de sa c&eacute;l&eacute;brit&eacute;
+lui vient encore des farces de Saint-Point, jeu qui consistait &agrave; noyer
+en Sa&ocirc;ne ses prisonniers huguenots et o&ugrave; il conviait en grande pompe
+tous ses vassaux et amis. Il finit assassin&eacute; par un jeune gentilhomme
+m&acirc;connais dont il avait d&eacute;vast&eacute; les biens, et ses aventures sont
+relat&eacute;es dans un t&eacute;n&eacute;breux roman d&eacute;di&eacute; &agrave; Lamartine et qui fut accueilli
+avec succ&egrave;s en 1845, car le public y trouvait une occasion de p&eacute;n&eacute;trer
+dans ce fameux ch&acirc;teau de Saint-Point rendu populaire par la gloire de
+son propri&eacute;taire<a name="FNanchor_90_90" id="FNanchor_90_90"></a><a href="#Footnote_90_90" class="fnanchor">[90]</a>.</p>
+
+<p>Sa fille naturelle et l&eacute;gitim&eacute;e &eacute;pousa en 1564 Antoine de la Tour de
+Saint-Vidal qui, comme son beau-fr&egrave;re, fut un des capitaines
+catholiques les plus acharn&eacute;s contre les r&eacute;form&eacute;s; il eut la m&ecirc;me fin
+tragique et fut tu&eacute; en duel. Sa veuve se remaria en 1596 et &agrave; sa mort
+l&eacute;gua ses biens &agrave; son petit-fils, Claude de Rochefort d'Ally; il &eacute;pousa
+Anne de Lucinge et fut gouverneur de Saint-Jean de Losne qu'il d&eacute;fendit
+h&eacute;ro&iuml;quement contre les Imp&eacute;riaux en 1663.</p>
+
+<p>Saint-Point demeura propri&eacute;t&eacute; des Rochefort jusqu'au milieu du <span class="smcap">xviii</span><sup>e</sup>
+si&egrave;cle; &agrave; cette &eacute;poque il passa par mariage aux mains de Charles Testu
+de Balincourt qui, le 29 avril 1776, c&eacute;da le marquisat et ses
+d&eacute;pendances &agrave; Henry de Castellane, chevalier d'honneur de madame Sophie.
+Son fils en h&eacute;rita en 1789; il s'occupa un moment de politique et ce fut
+lui qui &agrave; la journ&eacute;e du 13 vend&eacute;miaire fit battre le rappel pour marcher
+contre la Convention. Condamn&eacute; &agrave; mort par contumace, il prit la fuite,
+mais revint l'ann&eacute;e suivante se constituer prisonnier et fut acquitt&eacute;. &Agrave;
+moiti&eacute; ruin&eacute;, il allait vendre Saint-Point en 1800 &agrave; des marchands de
+biens, lorsqu'&agrave; la requ&ecirc;te d'un cr&eacute;ancier on proc&eacute;da &agrave; une adjudication
+publique et, le 10 f&eacute;vrier 1801, Pierre de Lamartine s'en rendit
+acqu&eacute;reur au prix de 80 000 francs. L'op&eacute;ration fut tr&egrave;s fructueuse pour
+lui car les bois de Saint-Point n'avaient pas &eacute;t&eacute; taill&eacute;s depuis un
+si&egrave;cle: avec une coupe il rentra dans ses d&eacute;bours. Quant au vignoble, il
+&eacute;tait peu important et abandonn&eacute; depuis longtemps.</p>
+
+<p>&Agrave; ce moment, le ch&acirc;teau tombait en ruines. M<sup>me</sup> de Lamartine note
+dans son journal que c'est &laquo;un bon bien et un pays agr&eacute;able&raquo;; &laquo;c'est
+fort d&eacute;vast&eacute;, ajoute-t-elle, et rien ne peut y flatter l'amour-propre&raquo;.</p>
+
+<p>Au d&eacute;but, les Lamartine n'y feront que de rares et courts s&eacute;jours; plus
+tard, ils y passeront quelques semaines, en &eacute;t&eacute; ou au moment des
+vendanges, lorsque les r&eacute;parations indispensables auront &eacute;t&eacute; effectu&eacute;es
+peu &agrave; peu. Mais la m&egrave;re s'y rendra souvent dans la journ&eacute;e avec ses
+enfants, en char &agrave; bancs ou &agrave; &acirc;ne, au long des petits sentiers qui
+d&eacute;valent des coteaux et raccourcissent le chemin.</p>
+
+
+<p class="e">Dans la solitude de Milly et le d&eacute;labrement de Saint-Point, la jeune
+femme connut tout d'abord quelques heures de d&eacute;couragement et d'ennui.
+Tr&egrave;s vite, pourtant, et comme toujours en luttant contre elle m&ecirc;me, elle
+s'habitua &agrave; cette vie nouvelle. Ses devoirs de m&egrave;re vont l'absorber
+enti&egrave;rement et, la premi&egrave;re h&eacute;sitation pass&eacute;e, elle classera ses
+occupations, se d&eacute;vouera enti&egrave;rement &agrave; son m&eacute;nage et &agrave; l'&eacute;ducation de
+ses enfants.</p>
+
+<p>La vie &agrave; Milly &eacute;tait plus que simple, car les ressources, uniquement
+fond&eacute;es sur les vignes, &eacute;taient modestes. En 1801, M<sup>me</sup> de Lamartine
+qui assumait toutes les charges, encaissait les revenus et donnait 1600
+francs par an &agrave; son mari; en 1805, celui-ci reprit la direction du
+m&eacute;nage: il alloua &agrave; sa femme 600 francs par mois, douze pi&egrave;ces de vin et
+les petites r&eacute;serves de Milly et de Saint-Point. Avec cette somme elle
+assurait la vie quotidienne, payait l'entretien et l'&eacute;ducation de ses
+filles tandis que le chevalier s'occupait de la pension de leur fils et
+des charges g&eacute;n&eacute;rales. Leur fortune, on le voit, &eacute;tait modeste et on
+peut l'&eacute;valuer &agrave; une quinzaine de mille francs de rente.</p>
+
+<p>Le matin, on se levait &agrave; l'aube, le p&egrave;re partait dans ses vignes, ou
+chassait; sa femme commandait leurs huit vignerons et domestiques,
+surveillait la maison, la lessive, la basse-cour, le potager, et
+trouvait encore quelques instants pour commencer la premi&egrave;re &eacute;ducation
+de ses enfants.</p>
+
+<div class="blockquot"><p>La journ&eacute;e, &eacute;crit-elle, n'est jamais assez longue pour ce que je
+voudrais faire, et mes forces sont &eacute;puis&eacute;es avant que mon go&ucirc;t pour
+les occupations le soit. Je vais tous les jours &agrave; la messe de sept
+heures avec mes enfants; nous d&eacute;jeunons ensuite, puis quelques
+soins de m&eacute;nage, puis le travail en lisant tour &agrave; tour la Bible,
+une le&ccedil;on de grammaire et la lecture de l'histoire de France: tout
+cela nous conduit jusqu'au d&icirc;ner sans que personne ait trouv&eacute; le
+temps long. Apr&egrave;s le d&icirc;ner, je donne r&eacute;cr&eacute;ation une heure. Nous
+reprenons ensuite l'ouvrage avec une lecture agr&eacute;able que je t&acirc;che
+toujours de rendre instructive, jusqu'au go&ucirc;ter, apr&egrave;s lequel on
+apprend par c&#339;ur des vers, de l'histoire de France et de la
+grammaire. Puis nous nous promenons jusqu'&agrave; la nuit et &agrave; la veill&eacute;e
+pendant que je joue aux &eacute;checs avec mon mari, les enfants s'amusent
+et apprennent quelques vers des fables de Lafontaine. C'est
+toujours le plan ordinaire de notre journ&eacute;e &agrave; quelques diff&eacute;rences
+pr&egrave;s.</p></div>
+
+<p>Lorsque l'ann&eacute;e avait &eacute;t&eacute; bonne, les Lamartine allaient passer l'hiver &agrave;
+M&acirc;con: au d&eacute;but, ce fut dans une maison lou&eacute;e; en 1805, le chevalier,
+sur les instances de sa femme, se d&eacute;cida &agrave; l'acheter et la paya 29 615
+francs &agrave; M. Barthelot d'Ozenay un de leurs amis. Elle portait le num&eacute;ro
+15 de la rue de l'&Eacute;glise: c'est l&agrave; qu'&agrave; partir de 1805 ils passeront
+tous les hivers. &Agrave; c&ocirc;t&eacute; de la po&eacute;tique description qu'en a faite
+Lamartine, il faut rapprocher celle de M<sup>me</sup> Delahante, plus v&eacute;ridique:
+&laquo;L'entr&eacute;e, dit-elle, ressemblait fort &agrave; une cave et tout y &eacute;tait plus
+que simple et fort triste; nous avons fait bien des parties dans son
+jardin qui &eacute;tait affreux, mais dont les hautes murailles &eacute;taient
+tapiss&eacute;es de roses blanches&raquo;.</p>
+
+<p>Quelques voisins agr&eacute;ables animaient un peu cette vie solitaire.
+C'&eacute;taient les de Rambuteau, tr&egrave;s li&eacute;s au <span class="smcap">xviii</span><sup>e</sup> si&egrave;cle avec les
+Lamartine et dont deux membres sign&egrave;rent &agrave; l'acte de bapt&ecirc;me du po&egrave;te;
+le futur pr&eacute;fet de la Seine, Claude-Philibert, tout en &eacute;tant un peu plus
+&acirc;g&eacute; que lui puisqu'il &eacute;tait n&eacute; en 1781, fut son ami de jeunesse. Il
+avait &eacute;pous&eacute; M<sup>lle</sup> de Narbonne, fille du comte Louis, ministre de la
+guerre &agrave; la fin du r&egrave;gne de Louis XVI, et devint plus tard tr&egrave;s en
+faveur aupr&egrave;s de Napol&eacute;on. Leur grand luxe, leur fastueuse r&eacute;sidence de
+Champgrenon n'allaient pas parfois sans &eacute;craser un peu la pauvre M<sup>me</sup>
+de Lamartine qui &eacute;crivait un jour: &laquo;Apr&egrave;s d&icirc;ner M<sup>me</sup> de Rambuteau est
+venue avec ses enfants faire une visite; elle passe beaucoup de temps &agrave;
+Paris, elle a beaucoup de fortune et un grand train. Quand je vis son
+beau carrosse, ajoute-t-elle m&eacute;lancoliquement, ses superbes chevaux
+aupr&egrave;s de mon modeste &eacute;quipage, j'eus un petit moment de honte que je me
+reproche...&raquo;</p>
+
+<p>&Agrave; Bussi&egrave;re et &agrave; Milly, il y avait l'abb&eacute; Dumont, grand ami du chevalier
+et qui chassait avec lui; les du Sordet; M. de Valmont, vieux
+gentilhomme courtois et lettr&eacute;, et l'excellent M. de Vaudran: emprisonn&eacute;
+&agrave; Lyon pendant la Terreur il avait &eacute;t&eacute; rendu &agrave; la libert&eacute; apr&egrave;s
+Thermidor. Il s'&eacute;tablit alors &agrave; Bussi&egrave;re avec sa m&egrave;re et ses s&#339;urs et y
+demeura jusqu'&agrave; sa mort survenue en 1820. C'&eacute;tait, para&icirc;t-il, un &eacute;rudit
+et brillant causeur qui charmait l'enfant par de belles histoires et lui
+donna ses premi&egrave;res le&ccedil;ons de dessin et d'&eacute;criture. Plus tard, il le
+patronna &agrave; l'Acad&eacute;mie de M&acirc;con et s'int&eacute;ressa &agrave; ses premiers essais
+po&eacute;tiques, mais mourut sans conna&icirc;tre la gloire de son ancien &eacute;l&egrave;ve
+qu'il aimait beaucoup. Il &eacute;tait le grand-oncle de L&eacute;on Bruys d'Ouilly,
+l'ami d'enfance &agrave; qui sont d&eacute;di&eacute;s les <i>Recueillements</i>, romanesque et
+beau gar&ccedil;on qui succ&eacute;da &agrave; lord Byron dans le c&#339;ur de la comtesse
+Guccioli, pour laquelle il se ruina compl&egrave;tement<a name="FNanchor_91_91" id="FNanchor_91_91"></a><a href="#Footnote_91_91" class="fnanchor">[91]</a>.</p>
+
+
+<p class="e">Parfois on descendait en char &agrave; b&#339;ufs, raconte M<sup>me</sup> de Lamartine, la
+petite route en lacets qui serpente &agrave; travers les vignes de Milly &agrave;
+Pierreclos. L&agrave;, &agrave; l'abri d'un antique donjon f&eacute;odal qui commande une
+gorge &eacute;troite et fleurie, vivait le vieux comte Jean-Baptiste de
+Pierreclau, colosse d'un autre temps et qui, malgr&eacute; la R&eacute;volution,
+r&eacute;gnait toujours par la terreur sur ses anciens vassaux. Conseiller du
+roi et tr&eacute;sorier de France &agrave; Lyon &agrave; la fin du <span class="smcap">xviii</span><sup>e</sup> si&egrave;cle, il avait
+&eacute;pous&eacute; M<sup>lle</sup> de la Rochetaill&eacute;e et menait un train de prince &agrave; M&acirc;con
+o&ugrave; il poss&eacute;dait deux magnifiques h&ocirc;tels; la Terreur l'envoya en prison
+et dispersa sa famille.</p>
+
+<p>Le calme revenu, il rentra dans son ch&acirc;teau d&eacute;vast&eacute;, en proie &agrave; une
+fureur indicible: tant bien que mal il reprit sa vie, mais au point o&ugrave;
+on l'avait interrompue malgr&eacute; lui. Dans les <i>Confidences</i>, Lamartine
+nous a laiss&eacute; un pittoresque tableau de son existence, o&ugrave; revit
+l'&eacute;trange physionomie de ce vieux royaliste irr&eacute;ductible et hautain.
+&laquo;Figure des romans de Walter Scott, dit-il, vieillard illettr&eacute; et rude,
+sauvage, absolu sur sa famille, bon au fond, mais fier et dur de langage
+avec ses anciens vassaux qui avaient saccag&eacute; sa demeure pendant les
+premiers orages de la R&eacute;volution.&raquo;</p>
+
+<p>On jouait, para&icirc;t-il, &agrave; Pierreclos du matin au soir et c'&eacute;tait la seule
+mani&egrave;re de passer le temps; puis, le ma&icirc;tre du ch&acirc;teau arm&eacute; d'un
+porte-voix donnait les ordres &agrave; ses fermiers du haut de la terrasse
+escarp&eacute;e qui dominait la vall&eacute;e. Ses six enfants se mouraient d'ennui
+aupr&egrave;s de leur p&egrave;re. Un fils, apr&egrave;s de romanesques aventures, s'&eacute;tait
+mari&eacute; &agrave; la jeune fille d'un vieux chouan dangereux m&eacute;galomane qui eut
+son heure de c&eacute;l&eacute;brit&eacute;, le baron D&eacute;zoteux-Cormatin, et habitait la
+splendide r&eacute;sidence seigneuriale des anciens marquis d'Huxelles. Plus
+tard, Lamartine se liera intimement avec ce chevalier de Pierreclau, &acirc;me
+sentimentale et chevaleresque qui avait h&eacute;rit&eacute; des sentiments
+monarchistes de son p&egrave;re<a name="FNanchor_92_92" id="FNanchor_92_92"></a><a href="#Footnote_92_92" class="fnanchor">[92]</a>.</p>
+
+<p>&Agrave; Pierreclos, les Lamartine retrouvaient encore quelques d&eacute;bris de
+l'ancienne splendeur d'autrefois, car le vieux comte aimait la bonne
+ch&egrave;re et la musique. Demeur&eacute; tr&egrave;s grand seigneur malgr&eacute; sa fortune
+&eacute;br&eacute;ch&eacute;e, il recevait avec une urbanit&eacute; un peu bourrue, et sans jamais
+tol&eacute;rer qu'on parl&acirc;t politique. Lorsqu'on touchait &agrave; ce sujet, il
+entrait dans des col&egrave;res terribles et qui faisaient trembler les siens;
+mais il aimait &agrave; ressusciter la pompe et l'&eacute;tiquette de sa jeunesse.
+M<sup>me</sup> de Lamartine &eacute;voquait, en le voyant, le souvenir des grands
+seigneurs qu'elle avait connus au Palais-Royal.</p>
+
+<p>Les de Pierreclau &eacute;taient les voisins les plus habituels des Lamartine,
+et c'est avec eux souvent qu'on descendait jusqu'&agrave; Montceau et &agrave; P&eacute;rone,
+o&ugrave; vivaient, tr&egrave;s retir&eacute;s, Fran&ccedil;ois-Louis et sa s&#339;ur.</p>
+
+<p>Toute cette petite vie campagnarde, humble mais bien remplie, est
+relat&eacute;e quotidiennement dans le <i>Journal intime</i>. Point de grands
+&eacute;v&eacute;nements, surtout point de politique. Les bruits du monde ne leur
+parviennent que rarement, et tr&egrave;s affaiblis. Le nom de Bonaparte&mdash;sous
+lequel l'Empereur sera d&eacute;sign&eacute; par M<sup>me</sup> de Lamartine&mdash;est un objet
+d'ex&eacute;cration dans ce milieu. D'ailleurs, apr&egrave;s les vicissitudes qu'ils
+viennent d'&eacute;prouver, les Lamartine sont heureux du calme qu'ils
+poss&egrave;dent maintenant et ne regrettent point le pass&eacute;. Leur seul but
+d&eacute;sormais sera de vivre en repos et d'&eacute;lever leurs enfants simplement et
+chr&eacute;tiennement, dans le respect des vieilles traditions que rien chez
+eux n'est parvenu &agrave; effacer.</p>
+
+
+<p class="e">Ainsi, &agrave; r&eacute;sumer cette premi&egrave;re enfance de Lamartine, qui s'&eacute;tend de
+1790 &agrave; 1800, on voit qu'il eut quelque raison par la suite de s'&eacute;crier
+romantiquement: &laquo;Et l'on s'&eacute;tonne que les hommes dont la vie date de ces
+jours sinistres aient apport&eacute; en naissant un go&ucirc;t de tristesse et une
+empreinte de m&eacute;lancolie dans le g&eacute;nie fran&ccedil;ais! Que l'on songe au lait
+aigri de larmes que je re&ccedil;us moi-m&ecirc;me de ma m&egrave;re pendant que la famille
+enti&egrave;re &eacute;tait dans une captivit&eacute; qui ne s'ouvrait que pour la mort!&raquo; Il
+n'y a pas que de l'emphase dans cette lyrique exclamation: les
+premi&egrave;res impressions de l'enfant ne furent que tristesses et craintes,
+et il sera longtemps sans conna&icirc;tre la douceur et l'habitude d'un foyer.
+Plus tard, vers huit ans, il n'aura pas d'autres camarades &agrave; Milly que
+les petits paysans du village, dont M<sup>me</sup> de Lamartine redoutera un peu
+la soci&eacute;t&eacute;. Elle s'efforcera alors de le garder le plus possible pr&egrave;s
+d'elle, et veillera sur lui avec une inqui&egrave;te sollicitude. Son &acirc;me
+m&eacute;lancolique influera peu &agrave; peu sur celle de l'enfant dont elle essayera
+encore d'att&eacute;nuer le caract&egrave;re vif et bruyant, d'apr&egrave;s elle, et qui d&eacute;j&agrave;
+commen&ccedil;ait &agrave; la tourmenter pour l'avenir.</p>
+
+
+
+<hr />
+<h2><a name="TROISIEME_PARTIE" id="TROISIEME_PARTIE"></a>TROISI&Egrave;ME PARTIE</h2>
+
+<h3>LES ANN&Eacute;ES D'&Eacute;TUDE</h3>
+
+<hr />
+<h2><a name="CHAPITRE_Ic" id="CHAPITRE_Ic"></a><a href="#toc">CHAPITRE I</a></h2>
+
+<p class="c">L'ABB&Eacute; DUMONT<a name="FNanchor_93_93" id="FNanchor_93_93"></a><a href="#Footnote_93_93" class="fnanchor">[93]</a></p>
+
+
+<p>Lorsqu'&agrave; l'automne de 1797 les Lamartine vinrent s'&eacute;tablir &agrave; Milly, on
+imagine qu'au milieu de leurs &eacute;preuves la premi&egrave;re &eacute;ducation de l'enfant
+avait &eacute;t&eacute; tr&egrave;s n&eacute;glig&eacute;e. Mais les &eacute;coles manquaient dans cette campagne
+perdue d'o&ugrave; l'on ne pouvait chaque matin le conduire &agrave; M&acirc;con. M<sup>me</sup> de
+Lamartine, malgr&eacute; le petit programme &eacute;labor&eacute; par elle, n'avait pas, &agrave;
+l'entendre, beaucoup de temps pour l'appliquer rigoureusement.
+D'ailleurs elle avoue elle-m&ecirc;me qu'une fois pass&eacute;e l'ardeur des d&eacute;buts
+elle finit vite par en ressentir quelque lassitude et une certaine
+appr&eacute;hension. Son d&eacute;sir perp&eacute;tuel de trouver ce qu'elle nomme &laquo;le juste
+milieu&raquo; lui faisait craindre &agrave; la fois de montrer trop de mansu&eacute;tude ou
+trop de s&eacute;v&eacute;rit&eacute;. Elle se d&eacute;cida alors &agrave; chercher autre chose;
+conservant pour sa part les lectures &agrave; haute voix elle confia son fils
+au cur&eacute; de Bussi&egrave;re, petit village distant de quelques kilom&egrave;tres, et
+dont d&eacute;pendait Milly o&ugrave; le culte interrompu en 1792 n'avait pas &eacute;t&eacute;
+r&eacute;tabli.</p>
+
+
+<p class="e">L'abb&eacute; Dumont a laiss&eacute; sur son &eacute;l&egrave;ve une impression profonde et qui ne
+s'affaiblit jamais. Plus tard Lamartine cr&eacute;era autour de son ancien
+ma&icirc;tre une atmosph&egrave;re de l&eacute;gende et dans les <i>Nouvelles Confidences</i>,
+soul&egrave;vera un coin du voile: on sut alors que sa vie avait servi de th&egrave;me
+original au po&egrave;me de <i>Jocelyn</i>, mais comme les deux r&eacute;cits n'allaient
+pas sans se contredire fr&eacute;quemment, il devenait difficile de d&eacute;m&ecirc;ler
+quelle &eacute;tait la part de l'imagination et celle de la r&eacute;alit&eacute;. Pourtant
+quelques documents nouveaux, s'ils ne percent pas compl&egrave;tement le
+myst&egrave;re de son existence, l'&eacute;clairent tout au moins davantage et sur
+bien des points confirment le r&eacute;cit du po&egrave;te.</p>
+
+<p>D'apr&egrave;s Lamartine, l'abb&eacute; Dumont &eacute;tait n&eacute; d'une famille pl&eacute;b&eacute;ienne dans
+la maison m&ecirc;me de l'ancien cur&eacute; de Bussi&egrave;re, Fran&ccedil;ois-Antoine Destre. Au
+cours d'une visite au presbyt&egrave;re, l'&eacute;v&ecirc;que de M&acirc;con avait &eacute;t&eacute; frapp&eacute; de
+la tr&egrave;s belle figure et des aptitudes remarquables de l'enfant; il
+l'avait alors pris &agrave; l'&eacute;v&ecirc;ch&eacute;, en qualit&eacute; de secr&eacute;taire. Survint la
+R&eacute;volution, qui le surprit au moment o&ugrave; il allait prononcer ses v&#339;ux;
+mais quelques pages plus loin Lamartine contredit cette affirmation et
+nous apprend qu'il fut jet&eacute; malgr&eacute; lui dans le sacerdoce, la veille m&ecirc;me
+du jour o&ugrave; ce sacerdoce allait &ecirc;tre ruin&eacute; en France. On verra plus loin
+qu'aucune de ces deux versions n'est exacte. Au r&eacute;tablissement du culte,
+Dumont fut nomm&eacute; cur&eacute; de Bussi&egrave;re et c'est &agrave; cette &eacute;poque que Lamartine
+le connut.</p>
+
+<p>Le jeune pr&ecirc;tre n'avait pas la vocation; tous ses go&ucirc;ts &eacute;taient ceux
+d'un gentilhomme, toutes ses habitudes &eacute;taient celles d'un soldat. Beau
+de visage, grand de taille, fier d'attitude, grave et m&eacute;lancolique de
+physionomie, il parlait &agrave; sa m&egrave;re avec tendresse, au cur&eacute; avec respect,
+&agrave; ses &eacute;coliers avec d&eacute;dain et sup&eacute;riorit&eacute;. Son unique passion &eacute;tait la
+chasse, et l'on voyait chez lui des sabres, des couteaux, des fouets,
+des bottes &agrave; l'&eacute;cuy&egrave;re, tout un attirail de veneur qui voisinait avec
+des objets de go&ucirc;t. On sentait au son m&acirc;le et ferme de sa voix et &agrave; cet
+ameublement que son caract&egrave;re naturel se vengeait du contresens de son
+&eacute;tat.</p>
+
+<p>Il &eacute;tait instruit, et les nombreux volumes de sa biblioth&egrave;que
+attestaient sa culture. Mais les livres, comme les meubles, &eacute;taient tr&egrave;s
+peu canoniques: c'&eacute;taient Raynal, Jean-Jacques, Voltaire, des romans du
+temps, les encyclop&eacute;distes, en m&ecirc;me temps que des brochures et des
+journaux contre-r&eacute;volutionnaires, car il &eacute;tait l&eacute;gitimiste. &laquo;Toute cette
+haine de la R&eacute;volution et toute cette philosophie dont la R&eacute;volution
+avait &eacute;t&eacute; la cons&eacute;quence, dit Lamartine, se conciliaient tr&egrave;s bien alors
+dans la plupart des hommes de cette &eacute;poque; leur &acirc;me &eacute;tait un chaos,
+comme la soci&eacute;t&eacute; nouvelle. Ils ne s'y reconnaissaient plus.&raquo; Cette
+phrase fut sans doute l'excuse que trouva le po&egrave;te &agrave; la d&eacute;routante
+psychologie du cur&eacute; de Bussi&egrave;re; mais voici une plus grave r&eacute;v&eacute;lation:
+&laquo;Il &eacute;tait ais&eacute; de voir que l'abb&eacute; Dumont &eacute;tait philosophe comme le
+si&egrave;cle o&ugrave; il &eacute;tait n&eacute;. Les myst&egrave;res du christianisme qu'il accomplissait
+par honneur et par conformit&eacute; avec son &eacute;tat ne lui semblaient gu&egrave;re
+qu'un rituel sans cons&eacute;quences; cependant, bien que son esprit f&ucirc;t
+incr&eacute;dule, son &acirc;me amollie par l'infortune &eacute;tait pieuse.&raquo;</p>
+
+<p>Tel &eacute;tait l'abb&eacute; Dumont selon Lamartine, ath&eacute;e et pr&ecirc;tre. Quant aux
+causes de cet incoh&eacute;rent &eacute;tat d'&acirc;me, elles sont expliqu&eacute;es plus loin par
+un t&eacute;n&eacute;breux r&eacute;cit o&ugrave; le cur&eacute; de Bussi&egrave;re appara&icirc;t comme &eacute;chapp&eacute; d'un
+roman d'amour, aigri par ses infortunes et rel&eacute;gu&eacute; dans une mis&eacute;rable
+campagne loin du monde qu'il avait tant aim&eacute;.</p>
+
+<p>&Agrave; vrai dire, on comprend que ce portrait soit accueilli avec quelques
+r&eacute;serves. Comment admettre que les Lamartine aient confi&eacute; leur fils &agrave; un
+pr&ecirc;tre mi-soudard, mi-voltairien et dont toute la r&eacute;gion, au dire m&ecirc;me
+du po&egrave;te, connaissait les aventures? comment admettre que ses
+allures&mdash;car il &eacute;tait un des familiers de Milly&mdash;n'aient pas &eacute;veill&eacute;
+d'inquiets soup&ccedil;ons chez la pieuse M<sup>me</sup> de Lamartine? Comment
+admettre, enfin, cet invraisemblable roman esquiss&eacute; et po&eacute;tis&eacute; d'abord
+dans <i>Jocelyn</i>, r&eacute;tabli plus tard dans les <i>Confidences</i> et leur suite?</p>
+
+<p>Et pourtant, il faut reconna&icirc;tre que les pages consacr&eacute;es &agrave; l'abb&eacute;
+Dumont sont exactes: il est hors de doute qu'&agrave; une &eacute;poque difficile &agrave;
+pr&eacute;ciser Lamartine re&ccedil;ut de son premier ma&icirc;tre le d&eacute;p&ocirc;t d'un douloureux
+secret qui les lia l'un &agrave; l'autre d'une &eacute;troite amiti&eacute; et r&eacute;v&eacute;la alors
+au jeune homme les v&eacute;ritables motifs de la d&eacute;tresse morale, des allures
+&eacute;tranges et souvent inqui&eacute;tantes de l'abb&eacute; Dumont.</p>
+
+
+<p class="e">Antoine-Fran&ccedil;ois Dumont naquit &agrave; la cure de Bussi&egrave;re le 29 juin 1764 et
+d&eacute;j&agrave;, &agrave; relever les diff&eacute;rences d'&eacute;tat civil que l'on trouve dans deux
+ouvrages qui parlent de lui, on constate un premier myst&egrave;re. L'un le
+fait na&icirc;tre &agrave; Charnay le 24 juillet 1756<a name="FNanchor_94_94" id="FNanchor_94_94"></a><a href="#Footnote_94_94" class="fnanchor">[94]</a>, l'autre en fait le neveu
+et filleul de Fran&ccedil;ois Antoine Destre, alors cur&eacute; de Bussi&egrave;re et &agrave; qui
+il succ&eacute;da<a name="FNanchor_95_95" id="FNanchor_95_95"></a><a href="#Footnote_95_95" class="fnanchor">[95]</a>. Or, il serait aussi vain d'aller rechercher son acte de
+bapt&ecirc;me &agrave; Charnay, que d'essayer d'&eacute;tablir sur quelles pi&egrave;ces on a pu
+pr&eacute;tendre que sa m&egrave;re &eacute;tait la s&#339;ur de Destre. Lamartine, on l'a vu l'a
+fait na&icirc;tre &agrave; Bussi&egrave;re &laquo;dans la maison m&ecirc;me de l'ancien cur&eacute;&raquo; et il
+avait ses raisons pour parler ainsi. Car Antoine-Fran&ccedil;ois Dumont qui,
+suivant son acte de bapt&ecirc;me, &eacute;tait fils de Philippe Dumont et de Marie
+Charnay, tous deux au service du cur&eacute; Destre, &eacute;tait&mdash;et ce n'&eacute;tait
+alors, para&icirc;t-il, un myst&egrave;re pour personne&mdash;fils de Destre et de sa
+servante. Celui-ci, d'ailleurs, fut le parrain de l'enfant et lui imposa
+m&ecirc;me ses pr&eacute;noms; par la suite, il le logea chez lui sa vie durant, et
+lui assura une &eacute;ducation soign&eacute;e tr&egrave;s sup&eacute;rieure &agrave; son humble origine
+officielle. Deux lettres de Destre qu'on lira plus loin prouvent
+l'affection qu'il porta toujours au jeune homme: en mourant, il
+l'institua son l&eacute;gataire universel alors que le fils cadet et v&eacute;ritable
+de Philippe Dumont, n&eacute; en 1768, fut &eacute;lev&eacute; modestement par ses parents et
+devint huissier &agrave; M&acirc;con. Tout ceci, il est vrai, ne prouverait rien et
+pourrait s'expliquer ais&eacute;ment du fait que Destre s'attacha &agrave; l'enfant
+dont il &eacute;tait parrain; mais rapproch&eacute; de la tradition locale qui
+subsiste encore et surtout des deux erreurs, qui d'ailleurs ne
+s'accordent pas entre elles et dont on ne peut autrement s'expliquer
+l'origine dans des ouvrages tr&egrave;s soigneusement document&eacute;s, semble
+autoriser cette version, explicitement admise par Lamartine.</p>
+
+<p>Nous n'avons rien de pr&eacute;cis sur la jeunesse de Fran&ccedil;ois Dumont;
+toutefois un fait est certain: il n'&eacute;tait nullement entr&eacute; dans les
+ordres avant la R&eacute;volution, comme l'a pr&eacute;tendu l'abb&eacute; Chaumont apr&egrave;s
+Lamartine, et on chercherait inutilement trace de son serment &agrave; la
+constitution civile du clerg&eacute; ou de son emprisonnement comme non
+asserment&eacute;; il fut libre pendant la Terreur et dans tous les actes le
+concernant de 1791 &agrave; 1795 il est simplement qualifi&eacute; de n&eacute;gociant en
+vins &agrave; Bussi&egrave;re, se montrant partout et nullement inqui&eacute;t&eacute;.</p>
+
+<p>&Agrave; partir de 1793, Fran&ccedil;ois Dumont r&eacute;git avec un rare d&eacute;vouement ce qui
+restait des biens de la famille de Pierreclau. Le vieux comte
+Jean-Baptiste avait &eacute;t&eacute; tra&icirc;n&eacute; en prison; avant de partir, eut-il le
+temps de confier secr&egrave;tement une somme importante au jeune homme, avec
+des instructions pr&eacute;cises pour rassembler les d&eacute;bris du patrimoine qui
+allait &ecirc;tre vendu nationalement? cela para&icirc;t probable, car tous les
+achats de terres que fit alors en son nom propre Fran&ccedil;ois Dumont furent
+restitu&eacute;s plus tard par lui &agrave; leur ancien possesseur.</p>
+
+<p>Le 18 fructidor an II, il ach&egrave;te pour 13 100 livres les r&eacute;coltes
+provenant des &laquo;&eacute;migr&eacute;s, d&eacute;port&eacute;s, condamn&eacute;s et d&eacute;tenus Michon, cy devant
+Pierreclau&raquo;. Le 22 pluvi&ocirc;se, il est signal&eacute; dans un proc&egrave;s-verbal
+d'inventaire du ch&acirc;teau o&ugrave; il habitait depuis le pillage qui avait suivi
+la d&eacute;fense d&eacute;sesp&eacute;r&eacute;e de Jean-Baptiste lors de son arrestation; on y
+trouve, dans sa chambre et cach&eacute; soigneusement au fond de vieux
+tonneaux, tout ce qu'il a pu ramasser d'objets intacts. &Agrave; la m&ecirc;me date,
+les vignerons certifient que les vins de la derni&egrave;re r&eacute;colte consistant
+en 18 pi&egrave;ces ont &eacute;t&eacute; vendus &laquo;par le citoyen Antoine-Fran&ccedil;ois Dumont,
+marchand &agrave; Bussi&egrave;re, et pay&eacute;s par lui &agrave; la citoyenne Michon&raquo;; lui-m&ecirc;me
+exhibe ses quittances et ses pouvoirs en r&egrave;gle.</p>
+
+<p>Dans le courant de 1793, il rach&egrave;te ainsi en sous main la plupart des
+biens de Jean-Baptiste et les r&eacute;coltes qui sont vendues sur pied. Le 12
+fructidor an IV il est acqu&eacute;reur pour 3 650 livres de la maison &laquo;cy
+devant presbyt&eacute;rale&raquo; de Bussi&egrave;re, avec ses d&eacute;pendances; le 19 pluvi&ocirc;se
+an V, de la vieille &eacute;glise de Pierreclos et dans les deux actes de vente
+il est qualifi&eacute; de &laquo;n&eacute;gociant demeurant &agrave; Bussi&egrave;re&raquo;. Bref, pendant toute
+la Terreur, il appara&icirc;t comme le v&eacute;ritable fond&eacute; de pouvoirs de
+Jean-Baptiste, et d&eacute;positaire de tout ce que celui-ci a pu sauver d'or
+avant son emprisonnement. C'est un homme d'affaires prudent et actif, et
+rien en lui ne fait pr&eacute;voir une vocation religieuse.</p>
+
+<p>Lamartine, on l'a vu, a &eacute;crit qu'il avait &eacute;t&eacute; jet&eacute; &laquo;malgr&eacute; lui&raquo; dans le
+sacerdoce, la veille m&ecirc;me du jour o&ugrave; le sacerdoce allait &ecirc;tre ruin&eacute; en
+France. Malgr&eacute; lui, certes, mais apr&egrave;s la R&eacute;volution. En r&eacute;alit&eacute;
+Antoine-Fran&ccedil;ois Dumont fut ordonn&eacute; le 7 janvier 1798 et nomm&eacute; aussit&ocirc;t
+vicaire &agrave; Bussi&egrave;re, o&ugrave; le culte venait de recommencer sous la direction
+de l'ancien cur&eacute; Destre qui, ayant pr&ecirc;t&eacute; serment, n'avait pas &eacute;t&eacute;
+inqui&eacute;t&eacute;.</p>
+
+<p>Quel &eacute;v&eacute;nement soudain avait modifi&eacute; la vie du jeune homme? quelle
+volont&eacute; plus forte que la sienne &eacute;tait venue le contraindre de renoncer
+au monde? Ce n'est pas <i>de lui-m&ecirc;me</i> et dans un moment de d&eacute;tresse
+qu'il prit cette d&eacute;cision, comme l'a racont&eacute; aussi Lamartine, sans
+prendre garde qu'il se contredisait en l'espace de quelques pages. Mais
+le roman d'amour dont il a parl&eacute; est v&eacute;ridique, et s'il en a d&eacute;natur&eacute;
+quelques d&eacute;tails pour d&eacute;pister les curiosit&eacute;s et respecter l'honneur
+d'une famille, il est du moins exact que Fran&ccedil;ois-Antoine Dumont expia
+par trente-cinq ans d'une vie &agrave; laquelle il ne se plia jamais
+compl&egrave;tement, la faute d'avoir s&eacute;duit une jeune fille de la noblesse. La
+m&egrave;re de celle-ci et Destre parvinrent &agrave; &eacute;touffer le scandale que le p&egrave;re
+ignora toujours, &agrave; la condition que Fran&ccedil;ois Dumont dispara&icirc;trait du
+monde. Peu de temps apr&egrave;s la jeune fille fut mari&eacute;e &agrave; un vieillard, et
+l'enfant n&eacute; des amours de Jocelyn et de Laurence fut &eacute;lev&eacute; &agrave; la campagne
+o&ugrave; il mourut.</p>
+
+<p>Ici se place un probl&egrave;me qu'il semble assez d&eacute;licat de r&eacute;soudre:
+pourquoi Lamartine, sachant que la faute de l'abb&eacute; Dumont &eacute;tait
+ant&eacute;rieure &agrave; sa vie eccl&eacute;siastique, n'a-t-il pas d&eacute;charg&eacute; sa m&eacute;moire de
+ce qui, &agrave; ses yeux, devenait alors un crime? La figure du pauvre vicaire
+n'en serait-elle pas sortie grandie par une telle expiation et n'e&ucirc;t-il
+pas, du m&ecirc;me coup, donn&eacute; l'explication la meilleure des allures de
+l'abb&eacute; Dumont?</p>
+
+
+<p class="e">Celui-ci se r&eacute;signa mal &agrave; ses nouvelles fonctions. Aigri, bless&eacute;, rest&eacute;
+jeune et ardent, il fit en chaire de la propagande royaliste presque d&egrave;s
+son entr&eacute;e &agrave; la cure. Les autorit&eacute;s s'&eacute;murent et le 7 d&eacute;cembre 1798
+l'&eacute;glise de Bussi&egrave;re fut ferm&eacute;e &agrave; nouveau &laquo;pour cause du fanatisme
+anti-r&eacute;publicain du cur&eacute;&raquo;. Elle rouvrit en 1799 sur la demande,
+para&icirc;t-il, des paroissiens, mais cette fois Mgr Moreau devenu &eacute;v&ecirc;que
+d'Autun, dut recommander plus de pond&eacute;ration &agrave; son ancien &eacute;l&egrave;ve, et
+interdit &agrave; Destre de se faire remplacer par lui. Le vieux Destre,
+pourtant, accabl&eacute; par l'&acirc;ge et les infirmit&eacute;s, c&eacute;da bient&ocirc;t la place &agrave;
+son vicaire; &agrave; partir du 20 septembre 1801 les registres paroissiaux
+portent la signature de l'abb&eacute; Dumont, bien que Destre n'ait &eacute;t&eacute;
+officiellement remplac&eacute; par lui qu'en 1803.</p>
+
+<p>De cette date jusqu'&agrave; sa mort, survenue en 1832, l'abb&eacute; Dumont fut cur&eacute;
+de Bussi&egrave;re, et de Milly &agrave; partir de 1808, &eacute;poque o&ugrave; les deux villages
+furent r&eacute;unis sous la m&ecirc;me autorit&eacute;. Il habitait le petit presbyt&egrave;re o&ugrave;
+il &eacute;tait n&eacute; et qui en 1793 avait abrit&eacute; ses amours. D&egrave;s lors, on
+s'imagine ais&eacute;ment la vie du malheureux et tout ce qu'en a dit Lamartine
+s'&eacute;claire d'une &eacute;mouvante et douloureuse sinc&eacute;rit&eacute;. Cette cure existe
+toujours: c'est une maison bourgeoise, b&acirc;tie au d&eacute;but du <span class="smcap">xviii</span><sup>e</sup>
+si&egrave;cle par les soins de la famille de Pierreclau, et qu'il avait meubl&eacute;e
+sans l'habituelle simplicit&eacute; des cur&eacute;s de campagne; &agrave; sa mort on vendit
+un grand lit Louis XVI, une belle console dor&eacute;e, des chaises finement
+sculpt&eacute;es, un barom&egrave;tre en bois dor&eacute; et divers autres objets de valeur
+qui furent acquis &agrave; des prix d&eacute;risoires. Il l&eacute;guait &agrave; Lamartine, qu'il
+nommait &laquo;son bienfaiteur et ami&raquo;, sa biblioth&egrave;que, ses gravures&mdash;Louis
+XVI et Marie-Antoinette,&mdash;sa montre en or &laquo;et la petite pendule dont le
+prix a &eacute;t&eacute; acquitt&eacute; par M<sup>me</sup> de Lamartine m&egrave;re&raquo;. Pr&egrave;s de sa tombe,
+qu'on voit encore au cimeti&egrave;re de Bussi&egrave;re, son ancien &eacute;l&egrave;ve fit &eacute;lever
+une pierre avec ces quelques mots:</p>
+
+<div class="blockquot"><p>&Agrave; la m&eacute;moire de Dumont, cur&eacute; de Bussi&egrave;re et de Milly pendant pr&egrave;s
+de quarante ans, n&eacute; et mort pauvre comme son divin ma&icirc;tre, Alphonse
+de Lamartine, son ami, a consacr&eacute; cette pierre pr&egrave;s de l'&eacute;glise
+pour perp&eacute;tuer parmi le troupeau le souvenir du bon pasteur. 1832.</p></div>
+
+<p>Contradiction encore que cette &eacute;pitaphe! car, m&ecirc;me d'apr&egrave;s Lamartine,
+l'abb&eacute; Dumont ne fut pas un bon pasteur. Le fardeau d'une mission
+impos&eacute;e lui pesait lourdement, et ses r&eacute;voltes int&eacute;rieures &eacute;taient
+fr&eacute;quentes. De son ancienne vie, il avait gard&eacute; la flamme et l'ardeur,
+et le po&egrave;te a racont&eacute; ces longues courses avec ses chiens fid&egrave;les, dont
+la chasse &eacute;tait le pr&eacute;texte, mais o&ugrave; il essayait de briser ses longues
+d&eacute;tresses par la fatigue. Royaliste intransigeant il le demeura
+toujours, et c'est peut-&ecirc;tre l'origine de son amiti&eacute; avec Pierre de
+Lamartine dont il &eacute;tait le compagnon le plus habituel. Dans son journal,
+pourtant, M<sup>me</sup> de Lamartine en parle &agrave; peine, et comme d'un grand
+chasseur qui venait souvent s'asseoir &agrave; leur table et partager leur
+solitude. Mais on a vu que dans son testament l'abb&eacute; Dumont appelait
+Lamartine son ami; le po&egrave;te lui rendit le m&ecirc;me hommage sur sa tombe et
+le po&egrave;me de <i>Jocelyn</i> d&eacute;bute ainsi:</p>
+
+<p>
+<br /><span style="margin-left: 15%;">J'&eacute;tais le seul ami qu'il e&ucirc;t sur cette terre.</span><br />
+<br /></p>
+
+<p>Et Lamartine disait vrai: il fut le seul ami de l'abb&eacute; Dumont, le seul
+qui conn&ucirc;t jamais le douloureux secret de cette existence bris&eacute;e.</p>
+
+<p>L'abb&eacute; Dumont &eacute;tait l&eacute;gitimiste et cela appara&icirc;t surtout dans ses
+registres paroissiaux; comme Bussi&egrave;re et Milly ne comptaient gu&egrave;re que
+600 habitants, il n'avait pas grand'chose &agrave; y transcrire. Aussi avait-il
+pris l'habitude d'y tenir une sorte de journal des &eacute;v&eacute;nements auxquels
+il assistait et, machinalement, il les entrem&ecirc;lait de br&egrave;ves r&eacute;flexions
+personnelles o&ugrave; l'on trouve trace de sa haine violente contre Napol&eacute;on.
+En 1805 il &eacute;crivait:</p>
+
+<p>&laquo;Buonaparte est arriv&eacute; &agrave; M&acirc;con le dimanche 7 avril ayant avec lui
+Jos&eacute;phine. Cette belle majest&eacute; est sortie de la pr&eacute;fecture le lendemain
+&agrave; cheval.&raquo; De m&ecirc;me, on lit en 1811: &laquo;Marie-Louise est accouch&eacute;e d'un
+fils le 20 mars. Buonaparte e&ucirc;t-il jamais cru, lorsqu'il &eacute;tudiait &agrave;
+Brienne o&ugrave; notre bon roi Louis XVI payait sa pension, qu'il &eacute;pouserait
+un jour une fille des C&eacute;sars d'Autriche et qu'il serait assis sur le
+tr&ocirc;ne de France?&raquo; &Agrave; partir de 1815, il prendra l'habitude chaque 21
+janvier de c&eacute;l&eacute;brer en chaire la m&eacute;moire du roi-martyr, et de lire &agrave; ses
+paroissiens assembl&eacute;s le &laquo;testament du juste&raquo;, de &laquo;l'auguste victime&raquo;.
+Lamartine qui sur sa tombe rendit pourtant un hommage public &agrave; ses
+vertus chr&eacute;tiennes, nous a dit d'autre part combien sa foi &eacute;tait
+chancelante et faite de revirements. Les livres qu'il lui l&eacute;gua n'ont
+aucun caract&egrave;re religieux: &laquo;Rousseau, Diderot et Voltaire y voisinent
+avec Saint-Simon, les Lettres de la Palatine, Machiavel, l'Arioste et
+d'autres....&raquo;.</p>
+
+<p>&Agrave; l'&eacute;v&ecirc;ch&eacute;, on le jugeait mal et l'abb&eacute; Faraud, vicaire g&eacute;n&eacute;ral de
+M&acirc;con, connaissait ses aventures en m&ecirc;me temps que son caract&egrave;re
+difficile. En 1797 on ne l'avait admis dans les ordres qu'avec une
+certaine h&eacute;sitation et il &eacute;tait mal not&eacute;; les deux lettres qui suivent
+nous renseignent tr&egrave;s suffisamment &agrave; cet &eacute;gard: l'une &eacute;mane de Destre et
+fut &eacute;crite le 2 juin 1801 &agrave; l'abb&eacute; Faraud pour le prier d'excuser aupr&egrave;s
+de l'&eacute;v&ecirc;que le peu d'application et l'humeur de son filleul:</p>
+
+<p>&laquo;...Vous m'avez offert vos services aupr&egrave;s de M. l'&Eacute;v&ecirc;que: je vous prie
+de lui dire que je supplie Sa Grandeur de me confier la conduite de
+l'abb&eacute; Dumont qui ira de temps &agrave; autre lui pr&eacute;senter nos regrets
+lorsqu'il sera visible. Je connais son caract&egrave;re. En lui parlant avec
+douceur et sans tracasserie il exercera son minist&egrave;re &agrave; ma satisfaction
+et &agrave; celle de beaucoup de fid&egrave;les qui l'ont regrett&eacute; quand il a &eacute;t&eacute;
+oblig&eacute; d'abandonner ses fonctions et qui me demandent depuis longtemps
+quand ils le verront et l'entendront &agrave; l'autel et au confessionnal<a name="FNanchor_96_96" id="FNanchor_96_96"></a><a href="#Footnote_96_96" class="fnanchor">[96]</a>.
+Pour que je puisse le d&eacute;terminer, il faut que je puisse lui dire qu'il
+n'aura affaire qu'&agrave; M. l'&Eacute;v&ecirc;que et &agrave; moi. Je ne lui dirai de dire la
+messe que quand il se croira dispos&eacute;. En attendant, j'esp&egrave;re que le
+Seigneur me donnera des forces. Il y a bient&ocirc;t quarante ans que je sers
+cette paroisse, il me ferait bien de la peine d'y voir le service divin
+interrompu.</p>
+
+<p>&laquo;Monseigneur m'a permis et &agrave; l'abb&eacute; Dumont d'user des pouvoirs qu'il
+s'est r&eacute;serv&eacute;s et il m'a recommand&eacute; d'en user largement. Sans doute il
+l'a aussi recommand&eacute; &agrave; l'abb&eacute; Dumont: nous t&acirc;cherons de remplir ses
+instructions...&raquo;</p>
+
+<p>L'abb&eacute; Faraud, qui savait &eacute;videmment &agrave; quoi s'en tenir sur Dumont, fit
+parvenir &agrave; l'&eacute;v&ecirc;que la lettre de Destre qu'il accompagna de celle-ci:</p>
+
+<p>Ce mercredi matin 3 juin 1801.</p>
+
+<p>&laquo;Voici, Monseigneur, une lettre du cur&eacute; de Bussi&egrave;re qui serait
+probablement insolente si elle n'&eacute;tait essentiellement b&ecirc;te.</p>
+
+<p>&laquo;Nous avons pens&eacute;, puisqu'il annonce que pour ce qui le concerne ainsi
+que M. Dumont il ne reconna&icirc;t que ce qui &eacute;mane directement de vous,
+qu'il fallait que vous prissiez la peine de lui r&eacute;pondre, et j'ai
+l'honneur de vous envoyer la r&eacute;ponse que nous estimons devoir lui &ecirc;tre
+faite. Si vous daignez l'approuver, auriez-vous la bont&eacute; de la signer et
+de me la renvoyer pour que je la fasse parvenir &agrave; son destinataire?</p>
+
+<p>&laquo;M. Dumont est une esp&egrave;ce de houzard qui dans les temps ordinaires
+aurait &eacute;t&eacute; paralys&eacute;. Attendu le besoin qu'on a d'ouvriers, il faut bien
+se r&eacute;signer &agrave; l'employer, mais non &agrave; Bussi&egrave;re et dans les environs o&ugrave;
+sa conduite a &eacute;t&eacute; scandaleuse et ses jactances plus scandaleuses
+encore<a name="FNanchor_97_97" id="FNanchor_97_97"></a><a href="#Footnote_97_97" class="fnanchor">[97]</a>.&raquo;</p>
+
+<p>Mais Monseigneur Moreau qui gardait sans doute quelque souvenir &agrave; son
+ancien prot&eacute;g&eacute; et connaissait les causes de son humeur, le conserva &agrave;
+Bussi&egrave;re o&ugrave; il demeura jusqu'&agrave; sa mort.</p>
+
+
+<p class="e">Ces r&eacute;voltes et ces crises de d&eacute;couragement &eacute;taient fr&eacute;quentes chez
+l'abb&eacute; Dumont et, pour le ramener, on voit les moyens qu'il fallait
+employer: &laquo;lui parler avec douceur et sans tracasserie, ne lui faire
+dire la messe que quand il se croyait dispos&eacute;&raquo;. Ceci confirme tout ce
+que Lamartine a dit de sa nature hautaine et intraitable, et nous savons
+encore qu'il la garda toujours, puisqu'on en retrouve la trace dans ses
+registres o&ugrave; son &eacute;criture &eacute;l&eacute;gante et aristocratiquement saupoudr&eacute;e de
+paillettes d'or contraste &eacute;trangement avec les grossi&egrave;res signatures de
+ses pr&eacute;d&eacute;cesseurs.</p>
+
+<p>En 1803, il &eacute;crit: &laquo;Pie VII, souverain-pontife, est arriv&eacute; &agrave; M&acirc;con le
+lundi 22 avril.&mdash;<i>J'ai bais&eacute; sa mule</i>. Le clerg&eacute; romain qui le suivait
+&eacute;tait mis salement.&raquo; Ce sont l&agrave; toutes les r&eacute;flexions que lui sugg&eacute;ra
+l'arriv&eacute;e du pape accueillie en France avec tant d'all&eacute;gresse par le
+clerg&eacute;, qui y vit le triomphe d&eacute;finitif de la religion catholique.
+Lui-m&ecirc;me a soulign&eacute; les mots: &laquo;j'ai bais&eacute; sa mule&raquo;, comme s'il s'en
+&eacute;tonnait, et les mani&egrave;res de gentilhomme dont a parl&eacute; Lamartine se
+retrouvent dans la br&egrave;ve &eacute;pith&egrave;te qu'il applique &agrave; la suite du
+Saint-P&egrave;re.</p>
+
+<p>Enfin, en octobre 1812, l'abb&eacute; Dumont, plus d&eacute;concertant que jamais, se
+fit affilier &agrave; la loge franc-ma&ccedil;onnique de M&acirc;con, la Parfaite Union, et
+le 17 d&eacute;cembre il fut re&ccedil;u <i>ma&ccedil;on</i><a name="FNanchor_98_98" id="FNanchor_98_98"></a><a href="#Footnote_98_98" class="fnanchor">[98]</a>. &Agrave; quelle nouvelle d&eacute;route morale
+&eacute;tait-il donc en proie, lui royaliste et pr&ecirc;tre, pour s'unir au parti du
+lib&eacute;ralisme et de la libre pens&eacute;e? Lamartine n'a-t-il pas voulu l'en
+excuser lorsqu'il &eacute;crivait: &laquo;Son &acirc;me &eacute;tait un chaos comme la soci&eacute;t&eacute;
+nouvelle, lui-m&ecirc;me ne s'y reconnaissait plus&raquo;.</p>
+
+<p>&Agrave; tout cela, il faut ajouter que l'abb&eacute; Dumont avait conserv&eacute; des
+habitudes de d&eacute;pense et de luxe qui cadraient mal avec ses humbles
+fonctions. Dans toutes les lettres que Lamartine lui adressa et qui
+figurent dans la <i>Correspondance</i>, on voit qu'il ne s'agit que d'argent:
+&laquo;J'esp&egrave;re aller &agrave; la fin de l'automne vous d&eacute;livrer de vos huissiers...&raquo;
+&laquo;Permettez-moi de vous offrir une seconde petite offrande de cent &eacute;cus
+pour vous remettre &agrave; votre courant...&raquo; Et ceci, plus significatif
+encore: &laquo;Ma m&egrave;re m'a inform&eacute; de vos embarras que je pr&eacute;voyais bien t&ocirc;t
+ou tard devoir vous accabler, mais il y a rem&egrave;de: vous auriez d&ucirc;, au
+lieu d'attendre l'huissier, m'&eacute;crire: Je dois tant &agrave; tels et tels, &agrave;
+telle &eacute;poque...&raquo; La lamentable correspondance se poursuivit jusqu'au
+dernier jour: &laquo;Je continuerai mon petit suppl&eacute;ment, vos dettes seront
+pay&eacute;es peu &agrave; peu...&raquo; &laquo;Dites &agrave; tous vos cr&eacute;anciers &agrave; qui j'ai sign&eacute; vos
+petits billets qu'&agrave; mon arriv&eacute;e &agrave; Saint-Point ils pourront les apporter
+et seront pay&eacute;s<a name="FNanchor_99_99" id="FNanchor_99_99"></a><a href="#Footnote_99_99" class="fnanchor">[99]</a>...&raquo;</p>
+
+<p>Et ce n'&eacute;tait pas pour le bien de ses paroissiens que l'abb&eacute; Dumont se
+ruinait ainsi; il aimait le luxe et avait meubl&eacute; sa petite maison, toute
+pleine de douloureux et charmants souvenirs du pass&eacute;, comme un nid
+d'amoureux plut&ocirc;t que comme une cure de campagne. On a d&eacute;j&agrave; vu qu'&agrave; sa
+mort on vendit des objets de valeur, et voici une &eacute;p&icirc;tre en vers
+adress&eacute;e par M. de Montherot &agrave; Lamartine son beau-fr&egrave;re, et o&ugrave; l'on
+trouve un passage qui &eacute;claire encore la situation ob&eacute;r&eacute;e de l'abb&eacute;:</p>
+
+<p>
+<br /><span style="margin-left: 15%;">Ainsi, pour commencer, parlons de nos affaires,</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Ou de celles, plut&ocirc;t, du cur&eacute; de Bussi&egrave;res:</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Donc ce pauvre pasteur qu'un d&eacute;ficit chargeait</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Verra, gr&acirc;ce &agrave; vos soins, s'&eacute;claircir son budget.</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Vous avez bien raison: pour une faible somme,</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Il est doux d'assurer le repos d'un brave homme.</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Qu'il le doive &agrave; nous deux ou plut&ocirc;t &agrave; nous trois;</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Votre m&egrave;re fait mieux que vous et moi, je crois.</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">La douleur s'adoucit au miel de sa parole,</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Nous donnons des &eacute;cus, elle plaint et console;</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">&Agrave; la reconnaissance elle a bien plus de droits.</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">J'ai ri de bien bon c&#339;ur, je l'avoue, &agrave; la liste</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">De tous les cr&eacute;anciers qu'il tra&icirc;nait &agrave; sa piste:</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Entre autres y figure un marchand d'objets d'arts,</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Tr&eacute;sors qui de l'abb&eacute; fascinaient les regards,</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Des tableaux, des &eacute;maux....&mdash;Ah! que ma chemin&eacute;e,</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Pour quatre ou cinq cents francs, para&icirc;trait bien orn&eacute;e!</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Mais je ne les ai pas, ces quatre ou cinq cents francs!&mdash;</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">&mdash;Je vous ferai cr&eacute;dit, vous pa&icirc;rez dans quatre ans.&mdash;</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Et voil&agrave;, pauvre abb&eacute;, voil&agrave; comme on s'enfonce!</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">&mdash;Et voil&agrave; justement comme mon pauvre Alphonse,</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Dit votre bonne m&egrave;re, autrefois calculait:</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Il avait &agrave; Paris cheval, cabriolet,</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Lorsque 1 500 francs &eacute;taient, pour une ann&eacute;e,</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">La somme &agrave; l'&eacute;tourdi par son p&egrave;re donn&eacute;e<a name="FNanchor_100_100" id="FNanchor_100_100"></a><a href="#Footnote_100_100" class="fnanchor">[100]</a>!</span><br /><br />
+</p>
+
+<p>Mais, malgr&eacute; l'in&eacute;puisable c&#339;ur de Lamartine, l'abb&eacute; Dumont s'endettait
+toujours. &Agrave; sa mort, il laissait un passif de 4 252 francs qui ne fut
+pas enti&egrave;rement liquid&eacute; par la vente publique de ses meubles, d'autant
+qu'il avait d&eacute;j&agrave; pris soin de distraire l'argenterie de sa succession
+pour la remettre &agrave; son fr&egrave;re, huissier &agrave; M&acirc;con, en lui recommandant bien
+de r&eacute;pudier l'h&eacute;ritage.</p>
+
+
+<p class="e">La vie de l'abb&eacute; Dumont que nous venons seulement d'esquisser ici,
+m&eacute;riterait d'&ecirc;tre &eacute;tudi&eacute;e plus compl&egrave;tement le jour o&ugrave; les archives
+&eacute;piscopales d'Autun seront class&eacute;es et ouvertes au public. Comme l'a
+dit Lamartine, il fut le mod&egrave;le secret de <i>Jocelyn</i>, et surtout joua un
+r&ocirc;le tr&egrave;s grand dans la jeunesse du po&egrave;te.</p>
+
+<p>Nous savons qu'en 1798, lorsque le culte fut r&eacute;tabli &agrave; Bussi&egrave;re, Destre
+et Dumont ouvrirent une petite &eacute;cole pour les enfants du pays. Lamartine
+y fr&eacute;quenta trois ans&mdash;, sa m&egrave;re l'a mentionn&eacute; plus tard,&mdash;mais ces
+le&ccedil;ons furent insignifiantes.</p>
+
+<p>Par la suite il apprit &agrave; mieux conna&icirc;tre son ancien ma&icirc;tre et la fa&ccedil;on
+dont il en a parl&eacute; dans toute son &#339;uvre prouve que de 1810 &agrave; 1820,
+pendant les longues ann&eacute;es qu'il passa &agrave; Milly et &agrave; M&acirc;con en proie &agrave; un
+accablant malaise moral, le cur&eacute; de Bussi&egrave;re fut son confident habituel
+et connut tous les d&eacute;tails de cet &eacute;tat d'&acirc;me maladif que refl&egrave;te la
+<i>Correspondance</i>. Sans doute le pr&ecirc;tre sans vocation reconnut-il un peu
+de lui-m&ecirc;me dans cet adolescent inquiet, tour &agrave; tour d&eacute;vor&eacute; par
+l'activit&eacute; ou meurtri par la lassitude: toutes ses aspirations
+lointaines, tous ses r&ecirc;ves de jeunesse, ses &eacute;lans, ses r&ecirc;ves bris&eacute;s
+v&eacute;curent &agrave; nouveau devant ses yeux. De l&agrave; cette intimit&eacute; &eacute;troite, ces
+confidences de part et d'autre, transcrites par Lamartine avec tant de
+fid&eacute;lit&eacute;.</p>
+
+<p>Plus tard, en m&eacute;moire de ces heures communes, le po&egrave;te adoucit le plus
+qu'il put l'existence p&eacute;nible de l'abb&eacute; Dumont. Il le re&ccedil;ut &agrave;
+Saint-Point, l'invita &agrave; Paris, le fit participer &agrave; toutes ses joies, &agrave;
+toutes ses douleurs, et consacra enfin sa m&eacute;moire par un po&egrave;me o&ugrave; revit,
+purifi&eacute;e et grandie, la mis&eacute;rable vie du pauvre cur&eacute; de Bussi&egrave;re. La
+r&eacute;alit&eacute;, pourtant, fut autrement tragique et &eacute;mouvante.</p>
+
+<p>Peut-&ecirc;tre Stendhal en e&ucirc;t-il tir&eacute; un merveilleux d&eacute;nouement pour la vie
+de <i>Julien Sorel</i>. Mais les choses sont ainsi: deux &#339;uvres romantiques
+qui pourraient passer, l'une pour le type parfait du roman
+psychologique, l'autre pour celui du roman d'imagination, eurent
+pourtant un th&egrave;me commun; bien mieux, celle du po&egrave;te eut seule un mod&egrave;le
+vivant.</p>
+
+
+
+<hr />
+<h2><a name="CHAPITRE_IIc" id="CHAPITRE_IIc"></a><a href="#toc">CHAPITRE II</a></h2>
+
+<p class="c">L'INSTITUTION PUPPIER</p>
+
+<p class="c">(2 mars 1801-17 septembre 1803)</p>
+
+
+<p>L'abb&eacute; Dumont donna &agrave; Lamartine ses premi&egrave;res le&ccedil;ons de fran&ccedil;ais et de
+latin; mais au d&eacute;but de 1801, soit que ses allures aient fini par
+inqui&eacute;ter la famille, soit que l'enfant devenant, comme il l'a dit, de
+plus en plus imp&eacute;tueux et avide de libert&eacute;, les siens aient d&eacute;cid&eacute; de
+mettre fin &agrave; cette existence demi vagabonde et paysanne, on r&eacute;solut &agrave;
+Milly de le mettre en pension.</p>
+
+<p>La m&egrave;re, inqui&egrave;te de s'en s&eacute;parer, objecta ses dix ans, sa constitution
+d&eacute;licate; il lui fallut pourtant s'incliner comme toujours devant les
+volont&eacute;s de son beau-fr&egrave;re qui lui opposa, para&icirc;t-il, &laquo;le bien&raquo; de son
+fils.</p>
+
+<p>Il existe un petit portrait de Lamartine &agrave; dix ans<a name="FNanchor_101_101" id="FNanchor_101_101"></a><a href="#Footnote_101_101" class="fnanchor">[101]</a>: c'est un bel
+enfant joufflu et solide, &eacute;bouriff&eacute; par ses courses dans la montagne, et
+qui respire la sant&eacute;; il para&icirc;t &eacute;vident que l'existence au grand air lui
+a pleinement r&eacute;ussi, et les craintes maternelles ne semblent pas tr&egrave;s
+justifi&eacute;es.</p>
+
+<p>Il fallut alors s'occuper de lui trouver une pension. Les maisons
+d'&eacute;ducation ne manquaient pas &agrave; M&acirc;con, et l'enfant n'y aurait gu&egrave;re &eacute;t&eacute;
+d&eacute;pays&eacute;; mais les Lamartine tenaient sans doute &agrave; modifier compl&egrave;tement
+le syst&egrave;me adopt&eacute; jusqu'ici par sa m&egrave;re, puisqu'ils firent choix d'une
+institution &agrave; Lyon, et d'ordre tout &agrave; fait secondaire. M<sup>me</sup> de
+Lamartine, triste d'abord de voir son fils si loin d'elle, se consola en
+pensant qu'il serait surveill&eacute; de pr&egrave;s, car elle comptait &agrave; Lyon de
+nombreux parents et amis, entre autres M<sup>me</sup> de Roquemont, sa cousine
+germaine, qui devint la correspondante du petit Alphonse et se chargea
+de faire r&eacute;guli&egrave;rement parvenir de ses nouvelles &agrave; Milly.</p>
+
+<p>On manque de renseignements pr&eacute;cis sur la pension de la Caille, situ&eacute;e
+dans un faubourg de Lyon, la Croix-Rousse, o&ugrave; fut intern&eacute; l'enfant. Elle
+&eacute;tait tenue par deux vieilles filles, les demoiselles Puppier, aid&eacute;es
+par leur fr&egrave;re, et semble n'avoir &eacute;t&eacute; qu'une tr&egrave;s modeste institution o&ugrave;
+l'on prenait de jeunes enfants dont les parents habitaient la campagne.
+Dans son journal, M<sup>me</sup> de Lamartine l'appelle &laquo;l'Enfance&raquo;, constate
+qu'elle paye, pour son fils 420 francs par trimestre, mais n'en parle
+pas autrement. Pour Lamartine, il n'y a qu'&agrave; se reporter &agrave; ses
+M&eacute;moires<a name="FNanchor_102_102" id="FNanchor_102_102"></a><a href="#Footnote_102_102" class="fnanchor">[102]</a> pour voir le d&eacute;go&ucirc;t profond qu'il conserva toute sa vie de
+l'heure o&ugrave; il fut &laquo;lanc&eacute; dans ces cours comme un condamn&eacute; &agrave; mort dans
+l'&eacute;ternit&eacute;&raquo;. Avec l'horreur de la contrainte qu'on lui conna&icirc;t, on peut
+croire &agrave; la sinc&eacute;rit&eacute; des sentiments qu'il a exprim&eacute;s cinquante ans plus
+tard en rappelant cet odieux souvenir.</p>
+
+<p>On sait par sa m&egrave;re qu'il entra &agrave; l'institution Puppier le 2 mars 1801,
+mais les nouvelles qu'elle recevra de lui ne commencent &agrave; &ecirc;tre
+enregistr&eacute;es par elle qu'en juillet, &eacute;poque o&ugrave; s'ouvre le <i>Journal
+Intime</i>. Pourtant, une lettre de M. Dareste &agrave; sa cousine dat&eacute;e du 30
+mars, suppl&eacute;e &agrave; cette lacune et constitue un excellent bulletin de
+d&eacute;but.</p>
+
+<p>&laquo;Nous all&acirc;mes avant-hier dimanche avec M. de Roquemont rendre une petite
+visite dans sa pension &agrave; M. Alphonse. Nous le trouv&acirc;mes tr&egrave;s gai et bien
+en train de s'amuser; il nous a paru content et l'on est aussi content
+de lui; nous assist&acirc;mes &agrave; leur d&icirc;ner. Ils paraissent tr&egrave;s bien dans
+cette pension et les demoiselles Puppier nous ont promis de nous le
+confier quelquefois cet &eacute;t&eacute;: nous irons le chercher, mais ce ne sera que
+les jours de cong&eacute;<a name="FNanchor_103_103" id="FNanchor_103_103"></a><a href="#Footnote_103_103" class="fnanchor">[103]</a>.&raquo;</p>
+
+<p>Les nouvelles qui suivent sont satisfaisantes: en juillet c'est un &laquo;bon
+et aimable enfant&raquo;, et M<sup>lle</sup> de Lamartine, au retour d'un petit s&eacute;jour
+&agrave; Lyon, &laquo;rapporte tout plein de bien d'Alphonse&raquo;. Il est gai, appliqu&eacute;
+et apprend facilement, &eacute;crivent les ma&icirc;tres de leur c&ocirc;t&eacute;; mais tout cela
+ne concorde gu&egrave;re, trouve-t-elle, avec ses lettres qui sont tristes et
+navrantes. Le p&egrave;re alors, profite d'un voyage d'affaires pour s'arr&ecirc;ter
+&agrave; Lyon vers la mi-juillet: il le trouve &laquo;p&acirc;le et maigre&raquo;, &eacute;tiol&eacute; par
+l'air de la ville. Pourtant, on est toujours tr&egrave;s content de lui, &agrave; la
+pension: &laquo;Il fait tout ce qu'il peut et peut tout ce qu'il veut, ont dit
+ses ma&icirc;tres &agrave; mon mari&raquo;, constate la m&egrave;re avec quelque fiert&eacute;. Mais elle
+s'inqui&egrave;te encore de sa sant&eacute; et le laisse sans doute trop entendre, car
+les lettres de son fils se font de plus en plus d&eacute;sesp&eacute;r&eacute;es. Il supplie
+qu'on le rappelle &agrave; Milly, et, pr&eacute;tend-il sombrement, il a &laquo;grand besoin
+de venir&raquo;.</p>
+
+<p>&laquo;Je tremble, &eacute;crit M<sup>me</sup> de Lamartine le 17 septembre, de le voir
+arriver p&acirc;le et maigre et en mauvaise sant&eacute;.&raquo; Devant ses instances, son
+beau-fr&egrave;re consentit &agrave; avancer la date des vacances et, &agrave; la fin du
+mois, elle put elle-m&ecirc;me aller le guetter sur la route de Lyon.</p>
+
+<p>Toutes ses craintes tomb&egrave;rent en le voyant et elle devina vite la petite
+ruse dont il s'&eacute;tait servi pour l'apitoyer, puisqu'elle &eacute;crit le 19:</p>
+
+<p>&laquo;La diligence est arriv&eacute;e hier beaucoup plus tard que d'ordinaire, et le
+c&#339;ur me battait en pensant que dans quelques heures je reverrais mon
+cher enfant; il faisait presque nuit. Enfin elle arriva, avec mon
+Alphonse que je trouvai en tr&egrave;s bonne sant&eacute;, grandi, engraiss&eacute; et fort
+bien; il me para&icirc;t qu'il n'a rien perdu pour la pi&eacute;t&eacute;: c'&eacute;tait l&agrave; toute
+ma crainte, et je vais faire tout ce qui d&eacute;pendra de moi pendant son
+s&eacute;jour ici pour fortifier ce sentiment dans son c&#339;ur.&raquo;</p>
+
+<p>L'enfant, d'ailleurs, retrouva toute sa gaiet&eacute; &agrave; Milly o&ugrave; il demeura
+jusqu'&agrave; la mi octobre. La famille s'amusait, apr&egrave;s six mois d'absence,
+de le trouver chang&eacute; et r&eacute;fl&eacute;chi. &laquo;&Agrave; d&icirc;ner, note un jour M<sup>me</sup> de
+Lamartine, nous parl&acirc;mes beaucoup de lui, trop peut-&ecirc;tre; nous l&ucirc;mes un
+extrait de sa fa&ccedil;on et une petite composition que son p&egrave;re lui avait
+donn&eacute;s &agrave; faire; l'on fut tr&egrave;s content et mon orgueil bien flatt&eacute;.&raquo; &laquo;Je
+suis bien heureuse de son intelligence, ajoute-t-elle encore; j'ai &agrave; lui
+reprocher pourtant de manquer de douceur, vis-&agrave;-vis de ses s&#339;urs
+surtout, et je craindrais qu'il n'e&ucirc;t le caract&egrave;re un peu dur s'il ne se
+corrige pas.&raquo;</p>
+
+<p>Aussi s'efforcera-t-elle de ne pas lui laisser reprendre les habitudes
+d'autrefois, en le retenant le plus possible pr&egrave;s d'elle par des
+lectures et des causeries; comme il est plus grand, elle abordera m&ecirc;me
+des ouvrages s&eacute;rieux, <i>T&eacute;l&eacute;maque</i>, quelques passages de Bossuet et les
+trait&eacute;s d'&eacute;ducation de M<sup>me</sup> de Genlis. Le 15 octobre, elle le ramena
+enfin &agrave; Lyon, o&ugrave; elle demeura pr&egrave;s d'une semaine, en allant chaque jour
+l'embrasser pour qu'il ne pass&acirc;t pas trop brusquement de la vie de
+famille &agrave; l'internat.</p>
+
+<p>La seconde ann&eacute;e scolaire (novembre 1801-septembre 1802) fut encore
+excellente; le 25 f&eacute;vrier 1802, il assista &agrave; la grande revue donn&eacute;e en
+l'honneur du Premier Consul et cette r&eacute;compense &eacute;tait m&eacute;rit&eacute;e,
+para&icirc;t-il, par 18 exemptions. &Agrave; la fin de septembre, il &eacute;crivit
+triomphalement &agrave; Milly pour annoncer qu'il avait remport&eacute; deux prix de
+latin et de fran&ccedil;ais; M. Puppier confirmait, mais ajoutait qu'il en
+aurait eu un troisi&egrave;me &laquo;sans une vivacit&eacute; qui lui a fait d&eacute;chirer sa
+copie de th&egrave;me parce qu'on le pressait un peu pour la donner&raquo;.</p>
+
+<p>De fait, il &eacute;tait tr&egrave;s &eacute;nerv&eacute; et soupirait apr&egrave;s Milly dans toutes ses
+lettres. Il y arriva le 15 septembre et l'on partit bient&ocirc;t pour
+Saint-Point, d'o&ugrave; M<sup>me</sup> de Lamartine &eacute;crivait le 2 octobre: &laquo;Je suis
+ici depuis hier avec Alphonse, C&eacute;cile et Eug&eacute;nie, et ce voyage leur a
+fait un extr&ecirc;me plaisir. Alphonse est venu &agrave; cheval sur son &acirc;ne, il
+&eacute;tait combl&eacute; de joie.&raquo;</p>
+
+<p>Les vacances s'&eacute;coul&egrave;rent paisiblement en compagnie de l'abb&eacute; Dumont
+qui, venu pour passer quelques jours au moment de la chasse, fut
+&eacute;merveill&eacute; des progr&egrave;s de son ancien &eacute;colier. Mais apr&egrave;s deux mois de
+libert&eacute; o&ugrave; l'amour de l'ind&eacute;pendance s'affirmait sans cesse chez
+l'enfant, &agrave; la grande inqui&eacute;tude de la m&egrave;re, le retour &agrave; Lyon fut
+d&eacute;chirant. Une derni&egrave;re fois, il implora qu'on le gard&acirc;t et, devant le
+refus du p&egrave;re et de l'oncle, il partit &laquo;sombre et renferm&eacute;&raquo;, ce qui
+acheva de d&eacute;sesp&eacute;rer la pauvre femme.</p>
+
+
+<p class="e">Ses pressentiments &eacute;taient justes. La pension Puppier devint, cette fois
+pour tout de bon, insupportable &agrave; un enfant dont l'imagination
+commen&ccedil;ait &agrave; s'&eacute;veiller et qui jusqu'ici avait montr&eacute; une nature assez
+d&eacute;cid&eacute;e. Le 9 d&eacute;cembre 1802, deux mois &agrave; peine apr&egrave;s avoir quitt&eacute; Milly,
+il s'enfuit avec deux camarades, les petits de Veydel; on les rattrapa
+quatre heures apr&egrave;s sur la route de M&acirc;con. Les d&eacute;tails de cette &eacute;vasion
+sont plaisamment rapport&eacute;s par Lamartine, mais rappellent curieusement
+un &eacute;pisode des <i>Confessions</i> de Jean-Jacques.</p>
+
+<p>Faut-il croire &agrave; ce pugilat entre un professeur et l'&eacute;l&egrave;ve Siraudin?
+faut-il croire &agrave; cette arriv&eacute;e des domestiques et des cuisiniers, arm&eacute;s
+de broches et de pelles, et qui mirent ainsi fin au combat en
+contraignant Siraudin &agrave; la retraite? De m&ecirc;me, le massacre d'une oie
+vivante o&ugrave; tous les &eacute;l&egrave;ves furent convi&eacute;s &agrave; tour de r&ocirc;le acheva-t-il de
+d&eacute;cider &agrave; la fuite l'enfant &laquo;encore fr&eacute;missant d'horreur&raquo; de la bataille
+qui venait de se livrer en classe? Pauvres excuses en v&eacute;rit&eacute;, et
+n'e&ucirc;t-il pas mieux valu avouer qu'il &eacute;tait simplement avide de grand air
+et de libert&eacute;? Sa m&egrave;re, d'ailleurs, a not&eacute; l'escapade&mdash;qu'elle excuse
+presque&mdash;en des termes qui laissent entendre que la conduite de son fils
+laissait depuis longtemps &agrave; d&eacute;sirer, et qu'il n'eut pas besoin de tant
+d'incidents pour motiver sa d&eacute;cision; on lit en effet le 15 d&eacute;cembre:</p>
+
+<p>&laquo;Le 11, nous re&ccedil;&ucirc;mes des lettres de Lyon ou on nous apprenait
+qu'Alphonse s'&eacute;tait en all&eacute; de sa pension avec MM. de Veydel qu'il a
+engag&eacute;s dans sa fuite; on les a rattrapp&eacute;s &agrave; Fontaines. Cette faute nous
+a fait la plus grande peine parce qu'elle a &eacute;t&eacute; pr&eacute;c&eacute;d&eacute;e et suivie de
+plusieurs autres et soutenue avec beaucoup d'orgueil, ce qui m'afflige
+tr&egrave;s fort. J'attends avec impatience de ses nouvelles, j'ai un grand
+d&eacute;sir de le savoir relev&eacute; de cette chute; son caract&egrave;re d'ind&eacute;pendance
+m'effraye, et je crains beaucoup de l'avoir g&acirc;t&eacute;.&raquo;</p>
+
+<p>Trois jours apr&egrave;s, l'enfant &eacute;crivit spontan&eacute;ment une lettre de regret,
+c'est du moins la version du <i>Journal intime</i>; dans le <i>Manuscrit de ma
+m&egrave;re</i>, on lit au contraire: &laquo;On a eu de la peine &agrave; lui faire &eacute;crire une
+lettre d'excuse et de repentir &agrave; son p&egrave;re&raquo;. &laquo;Ainsi, tout est r&eacute;par&eacute;&raquo;,
+ajoute M<sup>me</sup> de Lamartine avec soulagement en transcrivant cette
+nouvelle. Pourtant, il continuait &agrave; implorer son p&egrave;re de le laisser
+revenir, arguant que depuis sa fuite il &eacute;tait mal vu de tous. On
+convint, pour ne pas sembler lui donner raison, de laisser s'achever
+l'ann&eacute;e scolaire et, si les choses n'&eacute;taient pas alors oubli&eacute;es, de le
+changer d'&eacute;tablissement.</p>
+
+<p>Mais, jusqu'&agrave; la fin de l'ann&eacute;e, l'enfant continuera d'envoyer des
+lettres d&eacute;sesp&eacute;r&eacute;es et suppliantes dont M<sup>me</sup> de Lamartine a transcrit
+les passages les plus inqui&eacute;tants pour elle; visiblement, il essayait
+d'apitoyer sa m&egrave;re qu'il savait faible sur le point de sa sant&eacute;. &Agrave; l'en
+croire, il &eacute;tait incapable de travailler, toussait et se sentait sans
+forces, ce qui ne l'emp&ecirc;cha pas de remporter en fin de classes un grand
+prix de fran&ccedil;ais, un prix de latin, un prix d'histoire et un accessit de
+dessin. Peut-&ecirc;tre les Puppier avaient-ils &eacute;t&eacute; un peu indulgents dans
+l'espoir de le r&eacute;concilier avec la pension, mais rien n'y fit. D&egrave;s son
+retour &agrave; Milly, l'enfant, dont la sensibilit&eacute; &eacute;tait d&eacute;j&agrave; tr&egrave;s d&eacute;licate,
+raisonna avec beaucoup de bon sens, objecta &agrave; son p&egrave;re que depuis son
+escapade il &eacute;tait demeur&eacute; g&ecirc;n&eacute; vis-&agrave;-vis de ses ma&icirc;tres et de ses
+camarades et, mettant comme toujours sa m&egrave;re avec lui, obtint presque
+aussit&ocirc;t la promesse qu'il ne retournerait plus &agrave; Lyon.</p>
+
+<p>M<sup>me</sup> de Lamartine, qui n'aimait gu&egrave;re les Puppier, s'&eacute;tait d&eacute;j&agrave; mise
+depuis six mois en campagne pour les remplacer; en f&eacute;vrier, alors
+qu'elle &eacute;tait &agrave; Rieux chez sa m&egrave;re, elle lui avait demand&eacute; conseil et
+M<sup>me</sup> Des Roys, qui datait d'une &eacute;poque o&ugrave; les enfants comptaient fort
+peu, avait indiqu&eacute; un coll&egrave;ge de J&eacute;suites &agrave; Radstadt. Sa fille, comme on
+peut le penser, ne voulut pas en entendre parler. Plus tard, il fut un
+instant question de Roanne et en mai elle se rendit tout expr&egrave;s &agrave; Beaune
+pour se renseigner elle-m&ecirc;me sur un lyc&eacute;e dont on lui avait parl&eacute;,
+&laquo;mais, dit-elle, il ne me plut pas infiniment&raquo;. Elle crut avoir trouv&eacute;
+en apprenant qu'un bon coll&egrave;ge allait s'ouvrir &agrave; Cluny: &laquo;J'esp&egrave;re que
+nous y mettrons Alphonse, &eacute;crira-t-elle aussit&ocirc;t, cela me fera grand
+plaisir&raquo;. On devine pourquoi: Cluny &eacute;tant &agrave; quelques kilom&egrave;tres de
+Milly, elle aurait ainsi son fils tout pr&egrave;s d'elle. C'est ce que l'oncle
+voulait &eacute;viter.</p>
+
+<p>Au d&eacute;but de septembre enfin, des amis qu'elle avait mis au courant de
+ses recherches lui parl&egrave;rent du coll&egrave;ge de Belley en Dauphin&eacute; et qui
+venait d'ouvrir ses portes. Malgr&eacute; l'&eacute;loignement, elle fut aussit&ocirc;t
+s&eacute;duite par cette id&eacute;e et elle a not&eacute; le 6 septembre dans son journal:</p>
+
+<p>&laquo;J'esp&egrave;re que mon mari consentira &agrave; mettre Alphonse &agrave; Belley o&ugrave; je
+d&eacute;sire fort qu'il soit parce que le coll&egrave;ge est tenu par les P&egrave;res de la
+Foi, institution &agrave; l'instar de celle des J&eacute;suites, et o&ugrave; les principes
+sont excellents. Dieu me fasse la gr&acirc;ce que mon enfant soit
+chr&eacute;tiennement &eacute;lev&eacute;, je sacrifierai &agrave; cela toutes les sciences de ce
+monde; mais dans ce coll&egrave;ge on r&eacute;unit tout, except&eacute; peut-&ecirc;tre la
+perfection des arts d'agr&eacute;ment.&raquo;</p>
+
+<p>Ses renseignements pris, elle fit part de sa d&eacute;couverte &agrave; la famille et,
+le 18 septembre, obtenait son consentement. Le jour m&ecirc;me le chevalier
+&eacute;crivit &agrave; Belley, un peu malgr&eacute; son fils tout &agrave; l'espoir qu'on le
+garderait &agrave; Milly; l'id&eacute;e d'&ecirc;tre emprisonn&eacute; &agrave; nouveau, et plus loin
+encore que Lyon, le chagrinait beaucoup et tout au plus se r&eacute;signait-il
+&agrave; Cluny. La m&egrave;re &eacute;branl&eacute;e commen&ccedil;ait &agrave; h&eacute;siter; mais il &eacute;tait trop tard:
+Fran&ccedil;ois-Louis ne voulait pas de Cluny, et une r&eacute;ponse affirmative de
+Belley parvint &agrave; Milly le 25.</p>
+
+<p>M<sup>me</sup> de Lamartine se d&eacute;cida alors &agrave; accompagner son fils. &laquo;Mon mari,
+dit-elle, ne se soucie pas de voyager et je serai bien aise de voir le
+lieu o&ugrave; mon enfant sera; il me semble que je sens moins vivement notre
+s&eacute;paration lorsque je le conduis moi-m&ecirc;me.&raquo; Ils se mirent en route le 24
+octobre pour arriver &agrave; Belley le 26 &agrave; deux heures de l'apr&egrave;s-midi.</p>
+
+<p>Elle note le lendemain: &laquo;Mon voyage a &eacute;t&eacute; heureux et pas trop p&eacute;nible;
+je n'ai pas pu &eacute;crire en route &agrave; cause d'Alphonse avec qui je causai et
+me promenai. Je viens de remettre ce cher enfant entre les mains des
+P&egrave;res de la Foi qui ont l'air de bien dignes gens. La maison est
+superbe, le pays est beau aussi; le chemin pour y arriver est fort
+extraordinaire: depuis Amb&eacute;rieu l'on suit une gorge de montagne qui est
+vraiment curieuse. Ce matin j'ai &eacute;t&eacute; &agrave; la pension et j'ai &eacute;t&eacute; fort aise
+de voir Alphonse. Il m'a dit qu'il &eacute;tait content.&raquo;</p>
+
+<p>Apr&egrave;s un bref s&eacute;jour de quarante-huit heures, M<sup>me</sup> de Lamartine reprit
+le chemin de Milly. La s&eacute;paration n'avait pas &eacute;t&eacute; trop p&eacute;nible, gr&acirc;ce &agrave;
+elle: &laquo;En passant une derni&egrave;re fois devant la pension, dira-t-elle, j'ai
+vu les &eacute;coliers qui jouaient dans la cour. Je n'ai fait aucun signe &agrave;
+Alphonse qui ne s'est pas approch&eacute;, heureusement.&raquo;</p>
+
+
+
+<hr />
+<h2><a name="CHAPITRE_IIIc" id="CHAPITRE_IIIc"></a><a href="#toc">CHAPITRE III</a></h2>
+
+<p class="c">LE COLL&Egrave;GE DE BELLEY</p>
+
+
+<p>Le coll&egrave;ge de Belley o&ugrave; l'enfant fera les seules &eacute;tudes r&eacute;guli&egrave;res qu'on
+lui connaisse, et pendant quatre ann&eacute;es seulement, avait &eacute;t&eacute; fond&eacute; au
+milieu du XVIII<sup>e</sup> si&egrave;cle par lettres patentes du 10 f&eacute;vrier 1753
+enregistr&eacute;es en parlement de Dijon. Ses constructions furent achev&eacute;es en
+1764 et l'&eacute;v&ecirc;que de Belley confia l'organisation des &eacute;tudes &agrave; la
+congr&eacute;gation des chanoines r&eacute;guliers de Saint-Antoine.</p>
+
+<p>En 1790, ceux-ci furent remplac&eacute;s par les Jos&eacute;phistes et, jusqu'en 1792,
+l'&eacute;tablissement fut tr&egrave;s florissant. &Agrave; cette date, la plupart des p&egrave;res
+refus&egrave;rent le serment &agrave; la constitution civile du clerg&eacute; et le coll&egrave;ge
+disparut. Il rouvrit en 1802 sous la direction des P&egrave;res de la Foi, qui
+r&eacute;tablirent enti&egrave;rement les locaux ruin&eacute;s par la R&eacute;volution et ouvrirent
+leurs classes &agrave; la fin de janvier 1803. Comme le coll&egrave;ge fut &agrave; nouveau
+ferm&eacute;, et cette fois d&eacute;finitivement, au d&eacute;but de 1809, on voit que le
+s&eacute;jour de Lamartine &agrave; Belley co&iuml;ncide &agrave; peu de chose pr&egrave;s avec son
+&eacute;ph&eacute;m&egrave;re existence sous la direction des p&egrave;res de la Foi.</p>
+
+<p>Dans son journal M<sup>me</sup> de Lamartine nomme Belley, &laquo;un &eacute;tablissement &agrave;
+l'instar de ceux des J&eacute;suites&raquo;; Lamartine, et apr&egrave;s lui la plupart de
+ses biographes, ont simplifi&eacute; en parlant seulement de J&eacute;suites. C'est la
+m&egrave;re qui a raison, puisqu'on sait que la Compagnie de J&eacute;sus ne fut
+r&eacute;tablie qu'en 1814. Toutefois, si les P&egrave;res n'&eacute;taient pas
+officiellement des J&eacute;suites, on les d&eacute;signait en r&eacute;alit&eacute; sous ce nom,
+car leurs doctrines et leurs principes d'&eacute;ducation &eacute;taient identiques &agrave;
+ceux de l'Ordre; la soci&eacute;t&eacute; des P&egrave;res de la Foi, fond&eacute;e en 1799 en
+Autriche, &eacute;tait en effet le r&eacute;sultat d'une fusion entre deux filiales
+des J&eacute;suites: celle du Sacr&eacute;-C&#339;ur de J&eacute;sus cr&eacute;&eacute;e en 1778 et celle de la
+Foi de J&eacute;sus qui datait de 1797.</p>
+
+<p>La congr&eacute;gation des P&egrave;res de la Foi profitant de l'apaisement qui
+commen&ccedil;ait &agrave; rena&icirc;tre en France vint fonder en 1802 plusieurs maisons
+d'&eacute;ducation enti&egrave;rement con&ccedil;ues d'apr&egrave;s les plans des anciens J&eacute;suites,
+au nombre desquelles figurait le coll&egrave;ge de Belley. Tr&egrave;s prot&eacute;g&eacute; au
+d&eacute;but par le cardinal Fesch, oncle de Napol&eacute;on, ce ne fut pourtant qu'au
+prix de mille difficult&eacute;s qu'il put prolonger son existence jusqu'au
+d&eacute;but de 1809, tant l'hostilit&eacute; &eacute;tait alors g&eacute;n&eacute;rale contre
+l'enseignement des J&eacute;suites et, finalement, Fouch&eacute; obtint de l'Empereur
+un d&eacute;cret de dissolution.</p>
+
+<p>Au moment o&ugrave; Lamartine entrait &agrave; Belley, l'&eacute;tablissement &eacute;tait loin
+d'&ecirc;tre &agrave; son apog&eacute;e; il connut sa plus belle ann&eacute;e en 1806, mais d&egrave;s
+1803 une centaines d'&eacute;l&egrave;ves y fr&eacute;quentaient, Italiens pour la plupart ou
+Fran&ccedil;ais de Savoie et de Dauphin&eacute;.</p>
+
+<p>Lamartine a, para&icirc;t-il, laiss&eacute; une description fid&egrave;le du coll&egrave;ge et du
+d&eacute;cor magnifique de Belley<a name="FNanchor_104_104" id="FNanchor_104_104"></a><a href="#Footnote_104_104" class="fnanchor">[104]</a> dont on verra plus loin l'ind&eacute;niable
+suggestion sur sa pens&eacute;e. Quant &agrave; ses ma&icirc;tres, nous en sommes uniquement
+r&eacute;duits &agrave; ses souvenirs pour conna&icirc;tre leurs noms et leurs fonctions.</p>
+
+<p>C'&eacute;tait d'abord le p&egrave;re Debrosses<a name="FNanchor_105_105" id="FNanchor_105_105"></a><a href="#Footnote_105_105" class="fnanchor">[105]</a>, sup&eacute;rieur, &laquo;qui n'&eacute;tait pas
+homme de premier m&eacute;rite mais de premi&egrave;re vertu&raquo;; le p&egrave;re
+Jenesseaux<a name="FNanchor_106_106" id="FNanchor_106_106"></a><a href="#Footnote_106_106" class="fnanchor">[106]</a>, &eacute;conome de la maison, &laquo;v&ecirc;tu moiti&eacute; en religieux, moiti&eacute;
+en mondain&raquo; et toujours en route &laquo;sur un cheval qui le portait dans tous
+les pays&raquo;; le p&egrave;re Varlet<a name="FNanchor_107_107" id="FNanchor_107_107"></a><a href="#Footnote_107_107" class="fnanchor">[107]</a>, qui cumulait, para&icirc;t-il, les fonctions
+de confesseur et de professeur de rh&eacute;torique, &laquo;savant homme de la nature
+des anciens moines&raquo;; le p&egrave;re Demouchel<a name="FNanchor_108_108" id="FNanchor_108_108"></a><a href="#Footnote_108_108" class="fnanchor">[108]</a>; le p&egrave;re Wrindts<a name="FNanchor_109_109" id="FNanchor_109_109"></a><a href="#Footnote_109_109" class="fnanchor">[109]</a>,
+professeur de sciences, &laquo;enfant amoureux de Mirabeau, qui se
+nourrissait d'illusions tendres et f&eacute;minines&raquo;, mais dont Lamartine n'a
+pas dit ce qu'il enseignait.</p>
+
+<p>C'est surtout le p&egrave;re B&eacute;quet<a name="FNanchor_110_110" id="FNanchor_110_110"></a><a href="#Footnote_110_110" class="fnanchor">[110]</a> qui fut le v&eacute;ritable professeur de
+Lamartine, puisque le jeune homme suivit ses cours de belles-lettres de
+1803 &agrave; la fin de 1807. Ici encore m&ecirc;me absence de d&eacute;tails chez
+Lamartine: un portrait vague et un peu fade dont on ne peut tirer rien
+de bien pr&eacute;cis: &laquo;Pr&ecirc;tre de bonne compagnie et d'estimable caract&egrave;re,...
+regard fin et doux, parler gracieux;... ses corrections &eacute;taient celles
+d'une m&egrave;re...&raquo;: Mais aucun de ces traits vivants et que l'on devine
+exacts par lesquels il peignait en peu de mots ceux qui jou&egrave;rent un r&ocirc;le
+dans sa jeunesse, comme l'oncle de Montceau ou le bon M. de Valmont.
+C'est que la v&eacute;ritable influence de Belley ne fut pas celle de
+l'&eacute;ducation qu'il y re&ccedil;ut: les P&egrave;res de la Foi ne vivaient pas dans sa
+m&eacute;moire comme personnalit&eacute;s, et leur souvenir se confondait en lui avec
+celui des heures d'extase religieuse et de qui&eacute;tude qu'il connut au
+coll&egrave;ge.</p>
+
+<p>Lamartine entra &agrave; Belley le 27 octobre 1803 et en sortit d&eacute;finitivement,
+le 17 janvier 1808. Comme il soutint sa th&egrave;se de philosophie en
+septembre 1807, on peut en d&eacute;duire qu'il d&eacute;buta par la troisi&egrave;me
+(novembre 1803-septembre 1804), fit sa seconde de 1804 &agrave; 1805, et sa
+rh&eacute;torique de 1805 &agrave; 1806. Quant au premier trimestre de l'ann&eacute;e
+scolaire 1807-1808, on ne sait trop ce qu'il devait y travailler:
+peut-&ecirc;tre quelques &eacute;tudes pr&eacute;paratoires de droit et de math&eacute;matiques.</p>
+
+<p>Il est difficile, dans les souvenirs de Lamartine sur Belley, de faire
+la part de l'imagination et celle de la r&eacute;alit&eacute;. L&agrave;, plus peut-&ecirc;tre que
+partout ailleurs, on sent l'id&eacute;alisation constante des hommes, des lieux
+et des choses. Aucun d&eacute;tail sur ses classes, mais de curieuses
+g&eacute;n&eacute;ralisations sur son &eacute;tat d'&acirc;me et, pourrait-on dire, sur
+l'atmosph&egrave;re de Belley; pr&eacute;cieux document psychologique dont nous
+essayerons plus loin de fixer la valeur et la port&eacute;e. Aussi les seules
+pr&eacute;cisions que nous puissions rencontrer sur les &eacute;tudes de Belley,
+puisque la <i>Correspondance</i> ne commence qu'en 1806 et ne comprend
+d'ailleurs que quelques lettres de vacances, sont emprunt&eacute;es au <i>Journal
+intime</i> o&ugrave; M<sup>me</sup> de Lamartine a transcrit soigneusement les nouvelles
+et les bulletins.</p>
+
+
+<p class="e">Les premiers temps furent p&eacute;nibles et la m&egrave;re n'enregistre gu&egrave;re que des
+dol&eacute;ances dont elle s'&eacute;meut. Visiblement l'enfant &eacute;tait d&eacute;pays&eacute; et cela
+tendrait peut-&ecirc;tre &agrave; confirmer ce qu'il a racont&eacute;: les p&egrave;res, para&icirc;t-il,
+&laquo;l'essay&egrave;rent&raquo; de classe en classe pour conna&icirc;tre sa v&eacute;ritable force;
+mais il &eacute;tait difficile de le mesurer au juste, &laquo;la raison &eacute;tait
+pr&eacute;coce, l'attention in&eacute;gale&raquo;. Finalement on le fixa en troisi&egrave;me,
+&laquo;cette classe ind&eacute;cise o&ugrave; l'on peut &ecirc;tre encore un enfant dans l'&eacute;tude
+des langues et un homme de go&ucirc;t dans la rh&eacute;torique&raquo;.</p>
+
+<p>Il ne semble, d'ailleurs, pas qu'il ait fait grand chose de bon cette
+ann&eacute;e-l&agrave;. Au d&eacute;but de mai, il entra &agrave; l'infirmerie avec une forte
+fi&egrave;vre, puis ce furent des maux de t&ecirc;te qui d'apr&egrave;s les p&egrave;res arr&ecirc;t&egrave;rent
+ses &eacute;tudes et les inqui&eacute;t&egrave;rent m&ecirc;me un moment. &Agrave; la fin d'ao&ucirc;t, la
+pauvre m&egrave;re n'y tint plus et partit pour Belley chercher son fils. &laquo;J'ai
+revu mon Alphonse, &eacute;crit-elle; il &eacute;tait dans la cour du coll&egrave;ge quand je
+suis arriv&eacute;; il a &eacute;t&eacute; fort saisi en me voyant et est demeur&eacute; si p&acirc;le que
+cela m'a bien inqui&eacute;t&eacute;e.&raquo; Sa sant&eacute; &eacute;tait toujours mauvaise; une
+croissance trop rapide l'avait beaucoup affaibli et ses douleurs de t&ecirc;te
+&eacute;taient encore violentes.</p>
+
+<p>La veille du d&eacute;part, elle assista &agrave; la distribution des prix, le c&#339;ur un
+peu gros, car son fils n'eut que deux accessits; elle se consola pendant
+la petite com&eacute;die qui termina la c&eacute;r&eacute;monie, o&ugrave; il joua le r&ocirc;le d'un
+avocat, dont il se tira &laquo;fort bien&raquo;. Puis elle causa avec ses
+professeurs, et le r&eacute;sultat de cette conversation fut &laquo;tout &agrave; fait
+satisfaisant&raquo;; on reprochait &agrave; l'enfant un peu de l&eacute;g&egrave;ret&eacute;, mais tous
+l'aimaient, et l'on &eacute;tait &laquo;assez content&raquo; de ses &eacute;tudes.</p>
+
+<p>Le 6 septembre, tous deux quitt&egrave;rent Belley apr&egrave;s un d&icirc;ner tr&egrave;s gai &agrave;
+l'auberge en compagnie de deux amis que M<sup>me</sup> de Lamartine ne nomme
+point, mais qui doivent &ecirc;tre Virieu et Guichard<a name="FNanchor_111_111" id="FNanchor_111_111"></a><a href="#Footnote_111_111" class="fnanchor">[111]</a>. Le 18, ils
+&eacute;taient &agrave; Saint-Point o&ugrave; les vacances s'&eacute;coul&egrave;rent paisiblement avec
+l'abb&eacute; Dumont et M. de Vaudran, venus s'y &eacute;tablir pour la chasse.
+L'oncle gronda bien un peu devant les fl&acirc;neries et l'indolence du neveu,
+mais la m&egrave;re objecta que les vacances seraient courtes et qu'il lui
+fallait m&eacute;nager sa sant&eacute;. Le 7 octobre, il quitta M&acirc;con avec son
+camarade Corcelette et le 10 se retrouvait &agrave; Belley.</p>
+
+<p>Deux jours apr&egrave;s parvenait &agrave; Milly le premier bulletin que M<sup>me</sup> de
+Lamartine a r&eacute;sum&eacute; ainsi: &laquo;Il en r&eacute;sulte que la nature, ou plut&ocirc;t la
+Providence, a tout fait pour lui, mais qu'il ne r&eacute;pond pas comme il
+devrait &agrave; tous ses bienfaits: il est dissip&eacute;, paresseux; mais je ne veux
+pas transcrire ici ce bulletin. Je le garde pour qu'il le voie quand il
+sera grand.&raquo;</p>
+
+<p>L'ann&eacute;e de seconde ne fut gu&egrave;re meilleure, car ses &eacute;tudes se
+ressentirent souvent d'une maladie nerveuse dont les p&egrave;res ne savaient
+que penser; au d&eacute;but d'ao&ucirc;t ils conseill&egrave;rent m&ecirc;me &agrave; sa famille de le
+rappeler avant les vacances, qu'il passa d'ailleurs presque enti&egrave;rement
+au lit. Le 6 novembre, enfin, un peu remont&eacute;, il regagna le coll&egrave;ge.</p>
+
+<p>Les premi&egrave;res nouvelles de 1806&mdash;l'ann&eacute;e de rh&eacute;torique&mdash;ne furent pas
+plus fameuses: en f&eacute;vrier, le p&egrave;re B&eacute;quet &eacute;crivit qu'il &eacute;tait &laquo;fort peu
+sage et appliqu&eacute; depuis les vacances&raquo; et qu'elles lui avaient fait
+beaucoup de tort. Le second trimestre fut meilleur: l'on est plus
+content de lui, note M<sup>me</sup> de Lamartine; il a paru avec succ&egrave;s aux
+exercices de P&acirc;ques et il a eu un t&eacute;moignage de diligence et un accessit
+de distinction; et, continuant de m&eacute;riter les &eacute;loges qu'on lui
+d&eacute;cernait, il arriva &agrave; M&acirc;con le 17 septembre, charg&eacute; de prix:
+amplification fran&ccedil;aise, amplification latine, vers latins, second prix
+de version latine, et celui dont la m&egrave;re est peut-&ecirc;tre la plus heureuse,
+le prix de sagesse &laquo;d'apr&egrave;s le jugement de ses ma&icirc;tres et l'approbation
+de ses condisciples<a name="FNanchor_112_112" id="FNanchor_112_112"></a><a href="#Footnote_112_112" class="fnanchor">[112]</a>&raquo;. Sa sant&eacute; aussi &eacute;tait excellente: &laquo;Il est plus
+grand que moi de deux pouces, &eacute;crit la m&egrave;re, quoiqu'un peu maigre, mais
+pas du tout &agrave; inqui&eacute;ter, il est fort, le teint est bon et il a fait de
+grands progr&egrave;s dans la vertu. C'est d'ailleurs un enfant charmant,
+conclut-elle ing&eacute;nument transport&eacute;e; il est malgr&eacute; cela fort modeste et
+ce qui me fait le plus de plaisir c'est qu'il para&icirc;t avoir beaucoup de
+pi&eacute;t&eacute;.&raquo;</p>
+
+<p>Les vacances s'&eacute;coul&egrave;rent &agrave; Milly, et &agrave; P&eacute;rone chez la tante du Villard,
+&agrave; Montceau chez l'oncle terrible. Le 4 novembre il abandonna ses douces
+r&ecirc;veries et arriva &agrave; Belley le 7, apr&egrave;s s'&ecirc;tre arr&ecirc;t&eacute; vingt-quatre
+heures &agrave; Lyon chez sa tante de Roquemont<a name="FNanchor_113_113" id="FNanchor_113_113"></a><a href="#Footnote_113_113" class="fnanchor">[113]</a>.</p>
+
+<p>Les classes de philosophie furent satisfaisantes, et sa nature
+enti&egrave;rement assouplie s'accommoda merveilleusement de l'enseignement des
+p&egrave;res; en f&eacute;vrier ceux-ci soulignaient sa maturit&eacute; pr&eacute;coce et sa douceur
+en m&ecirc;me temps que leur excellent r&eacute;sultat au point de vue des &eacute;tudes: en
+r&eacute;compense, ils le nomm&egrave;rent biblioth&eacute;caire du coll&egrave;ge. M<sup>me</sup> de
+Lamartine s'en r&eacute;jouit car, dit-elle, &laquo;cela l'occupe utilement et c'est
+une marque de confiance&raquo;.</p>
+
+<p>Nous avons quelques d&eacute;tails sur l'enseignement du p&egrave;re Wrindts, qui
+professait la philosophie au coll&egrave;ge de Belley: en effet, son cours,
+copi&eacute; alors par un condisciple de Lamartine, Jules Jenin, existe encore
+aujourd'hui, et le chanoine Dejey et l'abb&eacute; Rochet, qui ont pu le
+parcourir, l'analysent ainsi: &laquo;Sa r&eacute;daction faite en latin, &eacute;crit M.
+Rochet, est d'un style sobre et &eacute;l&eacute;gant; on voit que le p&egrave;re Wrindts
+s'est inspir&eacute; de l'enseignement que donnaient les P&egrave;res J&eacute;suites au
+<span class="smcap">xviii</span><sup>e</sup> si&egrave;cle; les nouveaut&eacute;s de la philosophie cart&eacute;sienne en sont
+&eacute;cart&eacute;es et au besoin r&eacute;fut&eacute;es. Sur la question du concours divin, le
+professeur, conform&eacute;ment &agrave; l'opinion g&eacute;n&eacute;ralement suivie dans la
+compagnie de J&eacute;sus, prend parti pour le syst&egrave;me de Molina et combat le
+<i>bannesianisme</i>. Au sortir de la R&eacute;volution, il &eacute;tait urgent de
+combattre les th&eacute;ories sociales de Rousseau: elles sont l'objet, dans
+l'&eacute;thique, d'une vigoureuse r&eacute;futation.&raquo;</p>
+
+<p>De son c&ocirc;t&eacute;, M. Dejey s'exprime ainsi:</p>
+
+<p>&laquo;Dans les cahiers de M. Jules Jenin, il manque une partie du cours,
+celle o&ugrave; il &eacute;tait question de la logique formelle et des r&egrave;gles de la
+m&eacute;thode. Les fondements de la certitude et la l&eacute;gitimit&eacute; des moyens de
+la connaissance sont seuls trait&eacute;s dans la partie conserv&eacute;e par la
+famille Jenin. Bien que les cahiers du p&egrave;re Wrindts ne soient qu'un
+r&eacute;sum&eacute; pr&eacute;cis, exact, &eacute;crit pour les &eacute;l&egrave;ves et mis &agrave; leur port&eacute;e, les
+principales questions de la philosophie s'y trouvent expos&eacute;es avec une
+grande hauteur de vue et une parfaite mesure. Attach&eacute; aux principes
+sup&eacute;rieurs de la doctrine, le professeur suit les grandes lignes de la
+philosophie spiritualiste. Il observe la plus sage prudence vis-&agrave;-vis
+des nouveaut&eacute;s mal &eacute;tablies et peu conformes &agrave; la nature humaine, se
+tenant &agrave; une &eacute;gale distance des propositions hasardeuses de l'&eacute;cole
+cart&eacute;sienne et des th&eacute;ories sensualistes de Locke et de Condillac. Sur
+l'accord du libre arbitre avec la gr&acirc;ce, le p&egrave;re Wrindts se conforme &agrave;
+l'opinion commun&eacute;ment admise dans la compagnie de J&eacute;sus: il se prononce
+pour le syst&egrave;me de Molina. Les th&eacute;ories sociales de Rousseau y sont
+vigoureusement r&eacute;fut&eacute;es.&raquo;</p>
+
+<p>Nous avons cit&eacute; ces deux fragments faute d'avoir pu prendre nous-m&ecirc;me
+connaissance des cahiers; ils ont l'avantage de concorder enti&egrave;rement
+entre eux et d'apporter ainsi la preuve que l'enseignement
+philosophique de Belley &eacute;tait fond&eacute; sur les doctrines molinistes; quant
+&agrave; la r&eacute;futation de Rousseau, elle n'eut sans doute pas d'autre r&eacute;sultat
+que d'&eacute;veiller au contraire la curiosit&eacute; de l'enfant: quelques mois plus
+tard, &agrave; Bienassis, il d&eacute;vorait <i>le Contrat social</i> et <i>la Nouvelle
+H&eacute;lo&iuml;se</i>.</p>
+
+<p>Le 7 septembre 1807, Lamartine soutint avec succ&egrave;s sa th&egrave;se de
+philosophie; le 16, il arriva &agrave; M&acirc;con, ayant fait, &agrave; l'en croire, la
+moiti&eacute; du chemin &agrave; pied, son baluchon sur le dos et chantant &laquo;comme un
+troubadour<a name="FNanchor_114_114" id="FNanchor_114_114"></a><a href="#Footnote_114_114" class="fnanchor">[114]</a>&raquo;. Le m&ecirc;me jour, parvenait &agrave; Milly le bulletin scolaire
+que M<sup>me</sup> de Lamartine a transcrit ainsi:</p>
+
+<p>&laquo;Beaucoup de choses qu'on y dit me font grand plaisir, et plusieurs
+autres m'effrayent infiniment. Je n'esp&egrave;re qu'en Dieu pour sauver ce
+cher enfant de tous les p&eacute;rils dont sa jeunesse va &ecirc;tre entour&eacute;e. On
+loue son esprit, sa facilit&eacute; d'apprendre, son imagination, mais en m&ecirc;me
+temps l'on se plaint de sa l&eacute;g&egrave;ret&eacute;, de son extr&ecirc;me r&eacute;pugnance &agrave; une
+application s&eacute;rieuse, et de son go&ucirc;t pour le plaisir. L'on ajoute que la
+religion qu'il aime, qu'il estime et qu'il pratique le fait vaincre ses
+dangereux ennemis, mais que, si elle venait &agrave; s'affaiblir dans son c&#339;ur,
+rien ne pourrait le pr&eacute;server de la corruption.&raquo;</p>
+
+<p>Ainsi, d&egrave;s l'&acirc;ge de dix-sept ans, les traits principaux du caract&egrave;re que
+nous conna&icirc;trons plus tard &agrave; Lamartine: imagination, mangue d'esprit de
+suite, go&ucirc;t du plaisir et mobilit&eacute; extr&ecirc;me des sentiments, sont
+nettement indiqu&eacute;s par ses professeurs.</p>
+
+<p>Son premier mot, au retour du coll&egrave;ge, fut pour supplier sa m&egrave;re
+d'obtenir qu'on le gard&acirc;t d&eacute;finitivement &agrave; Milly, puisque ses classes
+&eacute;taient termin&eacute;es; comme il &eacute;tait &laquo;extr&ecirc;mement grand, mais tr&egrave;s maigre&raquo;,
+M<sup>me</sup> de Lamartine, qui redoutait pour son fils le surmenage, se laissa
+presque &eacute;branler. Elle se heurta au refus formel du p&egrave;re et surtout de
+l'oncle, dit-elle, qui tenaient beaucoup &agrave; le voir commencer l'&eacute;tude des
+sciences. Il s'en consola avec assez de philosophie, dans ses lettres &agrave;
+Guichard, repoussant d'ailleurs autant qu'il le pouvait &laquo;toutes ces
+id&eacute;es de coll&egrave;ge pendant les vacances<a name="FNanchor_115_115" id="FNanchor_115_115"></a><a href="#Footnote_115_115" class="fnanchor">[115]</a>&raquo;.</p>
+
+<p>Apr&egrave;s un repos d'un mois &agrave; Milly, &agrave; Saint-Point, &agrave; P&eacute;rone chez la tante
+de Villard o&ugrave; on lut chaque jour en famille, d'apr&egrave;s lui, &laquo;une ou deux
+com&eacute;dies et autant de trag&eacute;dies&raquo;, apr&egrave;s les promenades &agrave; cheval, la
+chasse, la lecture, la musique et le dessin qui lui firent passer le
+temps &laquo;fort tranquillement&raquo;, il quitta Milly le 22 octobre, et regagna
+Belley en passant par Lyon o&ugrave; il s'arr&ecirc;ta quelques jours.</p>
+
+<p>&Agrave; cette date, M<sup>me</sup> de Lamartine a not&eacute; qu'il commen&ccedil;ait ses travaux de
+l'ann&eacute;e avec r&eacute;pugnance et d&eacute;couragement. La suite des &eacute;v&eacute;nements
+prouve qu'il repartait pour Belley malgr&eacute; lui et tr&egrave;s d&eacute;cid&eacute; &agrave; n'y plus
+rester longtemps. D&egrave;s son retour, ce furent de ces lettres &eacute;plor&eacute;es dont
+il avait le secret et qui lui r&eacute;ussissaient toujours aupr&egrave;s de sa m&egrave;re.
+&Agrave; la fin de d&eacute;cembre, les fameux maux de t&ecirc;te dont il savait si bien
+jouer l'accabl&egrave;rent &agrave; nouveau; &agrave; la mi-janvier 1808, ils devinrent
+&laquo;intol&eacute;rables&raquo;, &eacute;crit M<sup>me</sup> de Lamartine, et il se hasarda &agrave; demander
+la permission du retour &laquo;au moins pour quelque temps&raquo;. Ce qu'il ne
+disait pas mais qu'on devine bien qu'il pensait, c'est qu'une fois &agrave;
+M&acirc;con il saurait toujours s'arranger.</p>
+
+<p>La m&egrave;re, &laquo;bien inqui&egrave;te de tout cela&raquo;, s'en fut comme d'habitude
+implorer l'oncle terrible; celui-ci&mdash;&eacute;tait-ce un hasard?&mdash;venait de
+recevoir &agrave; point une lettre charmante du neveu; il d&eacute;clara &agrave; sa
+belle-s&#339;ur qu'il commen&ccedil;ait &agrave; aimer beaucoup le jeune homme et se laissa
+fl&eacute;chir. Aussit&ocirc;t elle lui fit parvenir elle-m&ecirc;me l'heureuse nouvelle,
+mais exigea qu'il pass&acirc;t par Lyon o&ugrave; M<sup>me</sup> de Roquemont, pr&eacute;venue, lui
+ferait consulter un bon m&eacute;decin. Celui-ci, qui l'examina le 26 janvier,
+ne lui d&eacute;couvrit naturellement rien de grave et diagnostiqua un peu de
+surmenage intellectuel: il ordonna des bains de jambes, du lait d'&acirc;nesse
+au printemps, &laquo;un r&eacute;gime doux et peu d'&eacute;tudes applicantes&raquo;; &agrave; tout
+prendre c'&eacute;tait pour le jeune malade un agr&eacute;able traitement.</p>
+
+<p>Lors de son arriv&eacute;e &agrave; M&acirc;con, le 20 janvier<a name="FNanchor_116_116" id="FNanchor_116_116"></a><a href="#Footnote_116_116" class="fnanchor">[116]</a>, M<sup>me</sup> de Lamartine
+devina bien sa petit ruse en constatant au contraire qu'il n'&eacute;tait pas
+du tout chang&eacute; et m&ecirc;me moins maigre qu'&agrave; l'automne. Au fond, elle fut si
+heureuse de l'avoir aupr&egrave;s d'elle qu'elle n'en laissa rien voir;
+d'ailleurs il avait &laquo;l'air fort doux et fort sage&raquo;, et c'&eacute;tait tout
+naturel puisqu'il avait quelque chose &agrave; obtenir. Habilement, profitant
+des bonnes dispositions de l'oncle adouci par sa conduite, il enleva
+l'affaire en trois jours et s'installa &agrave; M&acirc;con pour la fin de l'hiver,
+ayant obtenu, le 15 f&eacute;vrier, la promesse formelle qu'il ne retournerait
+plus &agrave; Belley.</p>
+
+<p>Sa m&egrave;re regretta bien qu'il ne termin&acirc;t pas cette ann&eacute;e d'&eacute;tudes,
+d'autant qu'elle &eacute;tait maintenant envahie par d'autres craintes, celles
+de le voir livr&eacute; &agrave; lui-m&ecirc;me &laquo;dans ce temps de dissipation&raquo;. Mais comme
+il continuait d'&ecirc;tre charmant pour elle et plein de bonnes dispositions,
+elle oublia vite toutes ses inqui&eacute;tudes.</p>
+
+<p>Telles furent les ann&eacute;es scolaires de Lamartine; apr&egrave;s 1808, l'influence
+des P&egrave;res de la Foi, qui parvinrent &agrave; assouplir cette jeune &acirc;me rebelle,
+ira s'effa&ccedil;ant peu &agrave; peu, et le vagabondage d'esprit remplacera l'ordre
+et l'aust&eacute;rit&eacute; morale de Belley: r&eacute;action normale et qui s'explique
+ais&eacute;ment puisque les tendances signal&eacute;es par les ma&icirc;tres et r&eacute;prim&eacute;es
+par eux vont se d&eacute;velopper dans l'oisivet&eacute;. Ces courtes &eacute;tudes
+classiques&mdash;les seules, il ne faut pas l'oublier, que fera jamais
+Lamartine&mdash;furent somme toute m&eacute;diocres et ne d&eacute;pass&egrave;rent pas la
+banalit&eacute; courante de l'&eacute;poque.</p>
+
+<p>Pourtant l'influence de Belley fut profonde et d&eacute;cisive sur le
+d&eacute;veloppement de Lamartine, mais elle s'exer&ccedil;a par des c&ocirc;t&eacute;s qui n'ont
+rien de scolaire. En effet, si les <i>M&eacute;ditations</i> ont leurs sources
+litt&eacute;raires, de courants tr&egrave;s divers, dans la p&eacute;riode qui s'&eacute;tend de
+1808 &agrave; 1817, deux de leurs sources morales, pourrait-on dire, datent du
+coll&egrave;ge de Belley: et ce sont les plus originales de l'&#339;uvre, celles
+qui, d'apr&egrave;s la critique du temps, fix&egrave;rent les conditions de la
+r&eacute;novation po&eacute;tique: po&eacute;sie religieuse et sentiment sinc&egrave;re de la
+nature.</p>
+
+<p>C'est &agrave; Belley que les germes laiss&eacute;s par la premi&egrave;re &eacute;ducation
+maternelle s'&eacute;panouirent compl&egrave;tement, aid&eacute;s par un &eacute;l&eacute;ment qu'il n'a
+pas manqu&eacute; de souligner lui-m&ecirc;me et qui a toute son importance chez une
+&acirc;me sensible et imaginative comme la sienne: celui du <i>d&eacute;cor</i> de la
+religion.</p>
+
+<p>Ce ne sont plus &agrave; Belley les cloches paysannes de Saint-Point et de
+Milly, ni les humbles et br&egrave;ves c&eacute;r&eacute;monies des &eacute;glises de campagne dont
+il ne go&ucirc;tera qu'infiniment plus tard le charme et la po&eacute;sie: au d&eacute;but,
+ce qui frappa d'abord le petit villageois &eacute;tonn&eacute; qu'il &eacute;tait, ce fut
+l'&eacute;crasante splendeur de la religion catholique et, comme il l'a dit,
+&laquo;les c&eacute;r&eacute;monies prolong&eacute;es, r&eacute;p&eacute;t&eacute;es, <i>rendues plus attrayantes</i> par la
+parure des autels, la magnificence des costumes, les chants, l'encens,
+les fleurs, la musique&raquo;, et nous savons que l'&eacute;v&ecirc;que de Belley officia
+souvent dans la chapelle, que le cardinal Fesch, protecteur du coll&egrave;ge,
+vint deux fois, avec un imposant et magnifique cort&egrave;ge de pr&eacute;lats.</p>
+
+<p>Qu'on ajoute &agrave; cela le cadre naturel de Belley, ses for&ecirc;ts, ses rocs,
+ses torrents, et o&ugrave; les P&egrave;res de la Foi proclament la grandeur de Dieu
+sans jamais perdre une occasion de frapper l'&acirc;me par les yeux, et l'on
+comprendra ces heures de contemplation et de vertige moral o&ugrave; s'ab&icirc;ma
+l'enfant et dont la description faite cinquante ans plus tard confine
+presque &agrave; l'extase mystique<a name="FNanchor_117_117" id="FNanchor_117_117"></a><a href="#Footnote_117_117" class="fnanchor">[117]</a>.</p>
+
+<p>Ainsi, au moment de la crise de l'adolescence, &agrave; l'&acirc;ge o&ugrave; les
+impressions nouvelles sont d&eacute;cisives, Lamartine se trouvait en pleine
+atmosph&egrave;re religieuse, dirig&eacute; par des hommes qui ram&egrave;nent &agrave; Dieu tous
+les actes et toutes les pens&eacute;es; il conservera l'empreinte ineffa&ccedil;able
+de cette pi&eacute;t&eacute; sinc&egrave;re et profonde, qu'affaibliront un instant ses
+premi&egrave;res crises morales.</p>
+
+<p>Si nous n'avions sur ce point que son seul t&eacute;moignage, peut-&ecirc;tre
+pourrait-on le mettre en doute et n'y voir que des souvenirs
+litt&eacute;raires, bien que chez lui les choses v&eacute;cues ou senties aient des
+accents qui ne trompent pas. D&eacute;j&agrave; on en trouve un &eacute;cho dans une lettre &agrave;
+Virieu o&ugrave; il rappelle, peu de mois apr&egrave;s son d&eacute;part de Belley, &laquo;cette
+pierre o&ugrave; nous allions prier Dieu trois ou quatre fois par jour<a name="FNanchor_118_118" id="FNanchor_118_118"></a><a href="#Footnote_118_118" class="fnanchor">[118]</a>&raquo;,
+mais sa m&egrave;re, surtout, nous donne d'autres d&eacute;tails.</p>
+
+<p>Outre les bulletins qui mentionnent, on l'a vu, sa grande pi&eacute;t&eacute;, elle
+note avec joie pendant les vacances de 1806 que son fils lui donne &laquo;de
+nouvelles consolations, et se porte de lui-m&ecirc;me &agrave; ses pieux exercices&raquo;;
+qu'en septembre 1807, au retour &agrave; Milly, il demande la permission de
+passer par Lyon &laquo;pour prier &agrave; Fourvi&egrave;res&raquo;, que chaque jour il &eacute;coute
+avec recueillement les lectures pieuses que sa vivacit&eacute; supportait mal
+autrefois, et, enfin, elle rapporte cette anecdote qu'il faut citer
+parce qu'elle est caract&eacute;ristique chez un jeune homme de dix sept ans
+dont la timidit&eacute; s'effarouche facilement.</p>
+
+<p>&laquo;Avant-hier, &eacute;crit-elle le dimanche 8 octobre 1807, Alphonse eut une
+petite &eacute;preuve, dont il se tira fort bien. En passant &agrave; Ig&eacute;, je
+l'envoyai faire une visite &agrave; M. d'Ig&eacute; et on voulut absolument qu'il
+rest&acirc;t &agrave; d&icirc;ner. Il y avait plusieurs hommes qui tous faisaient gras,
+mais point de maigre au premier service; Alphonse, sans respect humain,
+dit que sa sant&eacute; ne l'obligeait pas &agrave; faire gras et on lui fit une
+omelette...&raquo;</p>
+
+<p>On pourrait multiplier ces exemples et confirmer ainsi d'un commentaire
+pr&eacute;cis les pages o&ugrave; Lamartine a rappel&eacute; ses ferveurs de seize ans. On
+peut y voir la meilleure preuve d'une empreinte tr&egrave;s affaiblie sans
+doute pendant les ann&eacute;es 1809-1817, mais dont on retrouve trace &agrave; tous
+les grands moments de son existence.</p>
+
+<p>&Agrave; Belley, Lamartine comprit par lui-m&ecirc;me la religion qu'il avait connue
+par les autres, et ce fut l&agrave; le v&eacute;ritable enseignement de ses ann&eacute;es de
+coll&egrave;ge. Sa culture intellectuelle ne date que du jour ou il fut libre
+d'organiser sa vie &agrave; son gr&eacute;.</p>
+
+
+<p class="e">Peut-&ecirc;tre m&ecirc;me faut-il aller plus loin encore: les premiers essais
+po&eacute;tiques de Lamartine datent de Belley ou tout au moins de l'ann&eacute;e qui
+suivit son d&eacute;part, et nous poss&eacute;dons trois de ces pi&egrave;ces: <i>le Chant du
+rossignol</i>, le <i>Cantique sur le torrent de Thoys</i>, les <i>Adieux au
+coll&egrave;ge de Belley</i><a name="FNanchor_119_119" id="FNanchor_119_119"></a><a href="#Footnote_119_119" class="fnanchor">[119]</a>. &Agrave; comparer ces morceaux aux pi&egrave;ces l&eacute;g&egrave;res
+qu'il rima de 1808 &agrave; 1816, on s'aper&ccedil;oit qu'ils sont si diff&eacute;rents
+d'inspiration, et tellement proches au contraire des <i>M&eacute;ditations</i>,
+qu'il est permis de se demander si ces fameuses ann&eacute;es de fi&egrave;vre
+litt&eacute;raire dont l'influence sur la forme de son &#339;uvre est incontestable
+n'ont pas d&eacute;tourn&eacute; pendant huit ans un courant po&eacute;tique d&eacute;j&agrave; tr&egrave;s net en
+1807.</p>
+
+<p>Certes la forme de ces trois po&egrave;mes est loin d'&ecirc;tre parfaite, mais ils
+appartiennent &agrave; la m&ecirc;me source que les grandes <i>M&eacute;ditations</i> religieuses
+de 1819. Ce sont d&eacute;j&agrave; les images larges et simples, l'accent personnel
+et profond&eacute;ment sinc&egrave;re qu'il ne retrouvera que bien plus tard; m&ecirc;me,
+dans le <i>Cantique sur le torrent de Thoys</i>, appara&icirc;t &agrave; dix ans de
+distance la formule unique de sa po&eacute;sie: la grandeur de l'homme
+sup&eacute;rieur &agrave; tout ce qui l'environne, parce qu'il conna&icirc;t l'origine
+divine des choses. Et cette id&eacute;e qu'on pourrait croire emprunt&eacute;e &agrave;
+Young, il est curieux de constater que Lamartine la pr&eacute;sente sous une
+forme po&eacute;tique &agrave; une &eacute;poque o&ugrave; il ignore encore jusqu'au nom d'Young.</p>
+
+<p>Lui-m&ecirc;me, d'ailleurs, se rendit compte, avec son go&ucirc;t tr&egrave;s s&ucirc;r, que ces
+trois essais &eacute;taient ses premi&egrave;res <i>M&eacute;ditations</i>: en 1821, il publia les
+<i>Adieux au coll&egrave;ge de Belley</i>, et alors qu'il br&ucirc;lait sans regret tous
+les vers de sa jeunesse, dont la <i>Correspondance</i> ne contient que
+quelques fragments, il conserva le <i>Chant du Rossignol</i> et le <i>Cantique
+sur le torrent de Thoys</i>, qu'il publia de son vivant.</p>
+
+<p>Plus tard, Lamartine a rapport&eacute; ce d&eacute;but litt&eacute;raire en le pla&ccedil;ant sous
+l'invocation de Chateaubriand<a name="FNanchor_120_120" id="FNanchor_120_120"></a><a href="#Footnote_120_120" class="fnanchor">[120]</a>; c'est en effet &agrave; Belley, mais &agrave; une
+date malheureusement difficile &agrave; pr&eacute;ciser, tant ses souvenirs sur ce
+point sont confus et contradictoires, qu'il p&eacute;n&eacute;tra dans le monde
+immense et nouveau que fut pour lui <i>le G&eacute;nie du Christianisme</i>, et ce
+premier contact eut une telle influence sur sa pens&eacute;e qu'il m&eacute;rite mieux
+ici qu'une simple mention.</p>
+
+<p>&laquo;Lorsque parut <i>le G&eacute;nie du Christianisme</i>, a-t-il dit, j'&eacute;tais au
+coll&egrave;ge chez les J&eacute;suites... Tout en &eacute;laguant tr&egrave;s prudemment du livre
+les parties romanesques ou passionn&eacute;es,... ils le laiss&egrave;rent circuler &agrave;
+demi-dose dans leur coll&egrave;ge. Un abr&eacute;g&eacute; en deux volumes, &eacute;pur&eacute; d'<i>Atala</i>,
+de <i>Ren&eacute;</i>, et plusieurs autres chapitres trop remuants pour des &acirc;mes
+d&eacute;j&agrave; &eacute;mues, fut mis par eux entre les mains de leurs ma&icirc;tres d'&eacute;tudes. &Agrave;
+titre de professeur de belles-lettres, le p&egrave;re B&eacute;quet poss&eacute;da le premier
+exemplaire. Il &eacute;tait trop ravi pour renfermer en lui-m&ecirc;me son ivresse et
+trop communicatif pour ne pas nous associer &agrave; son bonheur.&raquo; Suit le
+r&eacute;cit de cette lecture faite en classe &laquo;un beau jour de printemps&raquo;.</p>
+
+<p>Ces affirmations, en apparence si pr&eacute;cises, sont en r&eacute;alit&eacute;
+inconciliables entre elles; toutefois, en &eacute;cartant ce qu'elles ont de
+nettement inexact et en serrant quelque peu le texte, il est possible
+d'aboutir &agrave; une hypoth&egrave;se vraisemblable.</p>
+
+<p>En premier lieu, le <i>G&eacute;nie</i> parut en 1802, &eacute;poque &agrave; laquelle Lamartine
+n'&eacute;tait pas encore &agrave; Belley, mais &agrave; l'institution Puppier, o&ugrave; une
+lecture de Chateaubriand faite par les deux vieilles filles &agrave; des
+enfants de douze ans est absolument inadmissible. Il reste donc &agrave;
+examiner maintenant si cette lecture peut se placer soit en famille
+pendant les vacances, soit &agrave; Belley, comme il l'a dit.</p>
+
+<p>Or, M<sup>me</sup> de Lamartine eut pour la premi&egrave;re fois l'&#339;uvre entre les
+mains le 19 juillet 1803, jour o&ugrave; elle a not&eacute; dans son journal: &laquo;Je lis
+un ouvrage que je trouve excellent et qui me fait grand plaisir: c'est
+<i>le G&eacute;nie du Christianisme</i>, par M. de Chateaubriand; je crois que cet
+ouvrage est propre &agrave; faire beaucoup de bien, et j'en trouve le style
+charmant&raquo;. Mais, &agrave; mesure que la lecture s'avance, les impressions
+changent, et elle &eacute;crit le 29 juillet: &laquo;J'ai achev&eacute; le troisi&egrave;me volume
+de <i>l'Esprit du Christianisme (sic)</i>, j'ai relu l'&eacute;pisode d'Atala, je le
+trouve trop passionn&eacute;; je crois que cela pourrait &eacute;chauffer la t&ecirc;te des
+jeunes gens et, en tout, cet ouvrage qui est cependant tr&egrave;s bon me
+para&icirc;t un peu trop propre &agrave; exalter l'imagination&raquo;.</p>
+
+<p>De ceci, il r&eacute;sulte que Lamartine n'a pas lu Chateaubriand pendant les
+vacances qu'il passa &agrave; Milly de 1804 &agrave; 1807, et pour deux motifs: le
+premier est que sa m&egrave;re redoutait l'influence de l'ouvrage sur une
+jeune t&ecirc;te comme la sienne; l'autre, qu'il &eacute;tait encore incapable &agrave;
+cette &eacute;poque de faire la moindre lecture en cachette de sa famille.
+Ainsi, l'hypoth&egrave;se de Belley reste la seule acceptable. Il reste &agrave;
+examiner maintenant, d'apr&egrave;s les d&eacute;tails qu'il a donn&eacute;s, s'il est
+possible que le p&egrave;re B&eacute;quet ait lu en classe, &agrave; une &eacute;poque &agrave; d&eacute;terminer,
+des fragments du <i>G&eacute;nie</i>.</p>
+
+<p>Il a parl&eacute;, on l'a vu, de deux volumes &eacute;pur&eacute;s; la premi&egrave;re &eacute;dition
+abr&eacute;g&eacute;e de Chateaubriand est bien en deux volumes, mais elle est de
+1808, ann&eacute;e o&ugrave; il avait quitt&eacute; Belley. Est-ce alors &agrave; Milly qu'il l'a
+lu, au retour du coll&egrave;ge? pas davantage, car il n'e&ucirc;t pas manqu&eacute; d'en
+faire part avec enthousiasme par de belles lettres &agrave; Virieu ou &agrave;
+Guichard. Or, la <i>Correspondance</i>, qui commence &agrave; l'automne de 1807, est
+absolument muette sur Chateaubriand: d'o&ugrave; il faut conclure que les amis
+s'&eacute;taient d&eacute;j&agrave; tout dit sur ce sujet et n'avaient plus &agrave; y revenir.
+Ainsi, si le d&eacute;tail inexact des deux volumes &eacute;pur&eacute;s doit &ecirc;tre &eacute;cart&eacute;,
+l'hypoth&egrave;se de Belley se confirme davantage.</p>
+
+<p>Mais le p&egrave;re B&eacute;quet fut le professeur de Lamartine de 1803 &agrave; 1806
+inclusivement, et c'est donc au cours de l'une de ces trois ann&eacute;es que
+dut &ecirc;tre faite la lecture de Chateaubriand, et comme en 1806 Lamartine
+&eacute;tait en rh&eacute;torique et tr&egrave;s pr&egrave;s de ses seize ans, il para&icirc;t infiniment
+probable que cette derni&egrave;re date est la vraie. Au d&eacute;but de l'ann&eacute;e
+suivante il &eacute;tait nomm&eacute; biblioth&eacute;caire du coll&egrave;ge et avait ainsi toutes
+facilit&eacute;s d'approfondir une d&eacute;couverte qui le laissait extasi&eacute;.</p>
+
+<p>Il est possible de s'imaginer, m&ecirc;me aujourd'hui, l'impression caus&eacute;e par
+le <i>G&eacute;nie</i> sur la jeune g&eacute;n&eacute;ration d'alors: traitant son propre cas,
+Lamartine l'a expos&eacute;e avec beaucoup de chaleur et nombre de restrictions
+dont les motifs sont bien post&eacute;rieurs &agrave; cette premi&egrave;re lecture: la
+froideur que Chateaubriand montra toujours au disciple dont la gloire
+balan&ccedil;ait la sienne, des divergences d'opinions politiques, firent qu'il
+att&eacute;nua en partie ce jugement par des consid&eacute;rations g&eacute;n&eacute;rales assez
+vives<a name="FNanchor_121_121" id="FNanchor_121_121"></a><a href="#Footnote_121_121" class="fnanchor">[121]</a>; mais il voulut bien convenir que Chateaubriand fut &laquo;une des
+mains puissantes&raquo; qui lui ouvrirent, d&egrave;s l'enfance, les grands horizons
+de la po&eacute;sie moderne.</p>
+
+<p>Apr&egrave;s cette lecture la curiosit&eacute; intellectuelle de Lamartine s'&eacute;veilla,
+et le <i>G&eacute;nie</i> devint pour lui une vaste encyclop&eacute;die o&ugrave; il puisa des
+notions vagues des litt&eacute;ratures qu'il ignorait: Chateaubriand touchait &agrave;
+tous les sujets, &agrave; tous les genres, &agrave; tous les hommes; de l&agrave; &agrave; courir
+aux sources, il n'y avait qu'un pas, et c'est ce que fit Lamartine. Il y
+a plus encore: est-il possible en effet de m&eacute;conna&icirc;tre les curieuses
+ressemblances qui existent entre l'inqui&egrave;te jeunesse de Ren&eacute; et celle de
+Lamartine? Comme Ren&eacute;, il est &laquo;tour &agrave; tour bruyant et joyeux, silencieux
+et triste, abandonnant soudain ses camarades, pour aller s'asseoir &agrave;
+l'&eacute;cart et contempler la nue fugitive ou entendre la pluie sur le
+feuillage<a name="FNanchor_122_122" id="FNanchor_122_122"></a><a href="#Footnote_122_122" class="fnanchor">[122]</a>&raquo;; son &acirc;me, comme celle de Ren&eacute; &laquo;qu'aucune passion n'a
+encore us&eacute;e&raquo;, cherche un objet qui puisse l'attacher et s'aper&ccedil;oit
+bient&ocirc;t qu'elle donne plus qu'elle ne re&ccedil;oit; comme Ren&eacute;, la solitude
+absolue, le spectacle de la nature le plongent dans un &eacute;tat impossible &agrave;
+d&eacute;crire&raquo; et la &laquo;surabondance de vie&raquo;, les &laquo;grandes lassitudes&raquo; de Ren&eacute;,
+Lamartine les &eacute;prouve &agrave; chaque instant. Le chapitre du <i>G&eacute;nie</i> intitul&eacute;:
+&laquo;Du Vague des passions&raquo; n'aura jamais de meilleur commentaire que
+certaines lettres &agrave; Virieu: &laquo;Plus les peuples avancent en civilisation,
+dit Chateaubriand, plus cet &eacute;tat du vague des passions augmente, car le
+grand nombre d'exemples qu'on a sous les yeux, la multitude des livres
+qui traitent de ces sentiments rendent habile sans exp&eacute;rience. On est
+d&eacute;tromp&eacute; sans avoir joui; il reste encore des d&eacute;sirs, et l'on n'a plus
+d'illusions. L'imagination est riche, abondante et merveilleuse,
+l'existence pauvre, s&egrave;che et d&eacute;senchant&eacute;e; on habite avec un c&#339;ur plein
+un monde vide et, sans avoir us&eacute; de rien, on est d&eacute;sabus&eacute; de tout<a name="FNanchor_123_123" id="FNanchor_123_123"></a><a href="#Footnote_123_123" class="fnanchor">[123]</a>.&raquo;
+Dans ces lignes qui r&eacute;sument avec une telle pr&eacute;cision son &eacute;tat d'&acirc;me
+habituel Lamartine retrouvait les sentiments confus qui l'animaient et
+c'&eacute;tait plus qu'il n'en fallait pour l'enthousiasmer.</p>
+
+<p>Ainsi, on trouve dans Chateaubriand l'&acirc;me m&ecirc;me de Lamartine; non pas
+froidement analys&eacute;e, mais m&eacute;lancoliquement d&eacute;crite et dans ses moindres
+nuances, avec le vague et la langueur qu'il aimait. L'adolescent
+mystique de Belley, enclin d&eacute;j&agrave; &agrave; la r&ecirc;verie et &agrave; la solitude, fut d&egrave;s
+la premi&egrave;re lecture soumis &agrave; l'irr&eacute;sistible attrait de cette prose
+harmonieuse, et domin&eacute; toute sa vie par ce grand souvenir. Beaucoup de
+ses po&egrave;mes ne sont que du Chateaubriand mis en vers, et ce ne fut pas
+une des moindres causes de son succ&egrave;s. Et plus il avance en &acirc;ge, plus
+l'empreinte devient saisissante: visible d&eacute;j&agrave; dans les <i>M&eacute;ditations</i>,
+elle s'affirme dans les <i>Harmonies</i>, pour s'&eacute;panouir dans le <i>Voyage en
+Orient</i> et certains morceaux de <i>Jocelyn</i> ou de <i>la Chute d'un ange</i>.</p>
+
+<p>Qu'est-ce, apr&egrave;s tout, que l'&eacute;pop&eacute;e con&ccedil;ue par Lamartine et dont nous
+poss&eacute;dons le plan et quelques fragments, sinon un gigantesque et
+po&eacute;tique <i>G&eacute;nie du Christianisme</i>, dont <i>Jocelyn</i> aurait &eacute;t&eacute; le Ren&eacute;,
+<i>la Chute d'un ange</i> l'Atala et dont <i>les P&ecirc;cheurs</i>, <i>les Chevaliers</i>,
+<i>les Patriarches</i> devaient &ecirc;tre le d&eacute;veloppement de certains morceaux?</p>
+
+<p>Quant aux r&eacute;miniscences de Chateaubriand, trop directes pour &ecirc;tre
+douteuses, elles sont innombrables dans son &#339;uvre et m&eacute;riteraient une
+&eacute;tude sp&eacute;ciale<a name="FNanchor_124_124" id="FNanchor_124_124"></a><a href="#Footnote_124_124" class="fnanchor">[124]</a>. Mais Lamartine, avec le go&ucirc;t parfait qu'il
+apportait dans ses enthousiasmes litt&eacute;raires, se garda de tomber dans la
+pompe et le Merveilleux chr&eacute;tien de Chateaubriand; les Martyrs lui
+d&eacute;plurent<a name="FNanchor_125_125" id="FNanchor_125_125"></a><a href="#Footnote_125_125" class="fnanchor">[125]</a>; le G&eacute;nie des R&ecirc;veries, les Anges de la lassitude, du
+matin, du myst&egrave;re, du temps et de la mort le choqu&egrave;rent. De
+Chateaubriand il ne conserva que les grandes images, la po&eacute;sie
+m&eacute;lancolique et simple des choses qui pass&egrave;rent sans effort dans sa
+po&eacute;sie avec le rythme et les nuances de la prose originale.</p>
+
+
+
+<hr />
+<h2><a name="QUATRIEME_PARTIE" id="QUATRIEME_PARTIE"></a>QUATRI&Egrave;ME PARTIE</h2>
+
+<h3>LA FORMATION DE LA PERSONNALIT&Eacute;</h3>
+
+
+<hr />
+<h2><a name="CHAPITRE_Id" id="CHAPITRE_Id"></a><a href="#toc">CHAPITRE I</a></h2>
+
+<p class="c">LA VIE SOLITAIRE<a name="FNanchor_126_126" id="FNanchor_126_126"></a><a href="#Footnote_126_126" class="fnanchor">[126]</a></p>
+
+
+<p>Au moment o&ugrave; il quittait le coll&egrave;ge de Belley, Lamartine venait d'avoir
+dix-sept ans. Ses projets, qu'il formulait alors tr&egrave;s nettement, &eacute;taient
+de trouver une situation<a name="FNanchor_127_127" id="FNanchor_127_127"></a><a href="#Footnote_127_127" class="fnanchor">[127]</a>; mais les pr&eacute;jug&eacute;s du temps et de son
+milieu ne lui tol&eacute;raient gu&egrave;re que deux carri&egrave;res: l'arm&eacute;e et la
+diplomatie.</p>
+
+<p>La diplomatie, dont le c&ocirc;t&eacute; mondain et la vie facile s&eacute;duisaient
+peut-&ecirc;tre sa jeune imagination, le tentait beaucoup; mais les siens,
+tr&egrave;s sagement, ne l'y poussaient pas: &agrave; son &acirc;ge, sans relations, sans
+&eacute;ducation solide, c'e&ucirc;t &eacute;t&eacute; manque de raison. Pour le m&eacute;tier militaire,
+malgr&eacute; les traditions de ses p&egrave;res et malgr&eacute; ce qu'il en a dit, il
+semble l'avoir eu toujours en horreur; ses parents, d'ailleurs, ne
+tenaient que m&eacute;diocrement &agrave; le voir servir dans les arm&eacute;es de
+l'Empereur: le p&egrave;re, pour l'occuper, songea bien un instant &agrave; l'&eacute;cole de
+Fontainebleau, mais y renon&ccedil;a vite devant les supplications de sa femme
+qui redoutait &laquo;le danger et la licence des arm&eacute;es<a name="FNanchor_128_128" id="FNanchor_128_128"></a><a href="#Footnote_128_128" class="fnanchor">[128]</a>&raquo;. Le jeune homme
+qui connaissait l'aversion maternelle s'en servira dans les grandes
+occasions, et cette menace sera pour lui le moyen supr&ecirc;me d'obtenir ce
+qu'il d&eacute;sire: le jour o&ugrave; on lui refusera l'autorisation de faire son
+droit &agrave; Lyon, il d&eacute;clarera aussit&ocirc;t sa r&eacute;solution d'entrer dans la garde
+imp&eacute;riale et, quelque temps apr&egrave;s, alors que sa famille accueillera
+assez mal un projet de mariage, il &eacute;crira tout net &agrave; Virieu qu'il est
+pr&ecirc;t d'entrer d&eacute;finitivement au service et d'essayer de se faire tuer.
+En 1814, c'est plut&ocirc;t par lassitude et devant les menaces de l'oncle
+irrit&eacute; de tant de paresse qu'il se d&eacute;cidera &agrave; entrer dans la Garde du
+corps. On sait par la <i>Correspondance</i> le plaisir qu'il y prit.</p>
+
+<p>Ainsi, devant les difficult&eacute;s que soulevait la question d'un
+&eacute;tablissement imm&eacute;diat, les Lamartine patient&egrave;rent, pr&eacute;f&eacute;rant attendre
+un peu plus de maturit&eacute;, et le laiss&egrave;rent enti&egrave;rement ma&icirc;tre d'organiser
+son existence &agrave; sa guise. Il en prit tr&egrave;s joyeusement son parti et, tout
+&agrave; la joie nouvelle de l'ind&eacute;pendance, organisa un plan d'&eacute;tudes o&ugrave; les
+arts d'agr&eacute;ment, musique, danse et dessin, avaient aussi leur
+place<a name="FNanchor_129_129" id="FNanchor_129_129"></a><a href="#Footnote_129_129" class="fnanchor">[129]</a>.</p>
+
+<p>C'&eacute;tait, &agrave; l'&eacute;poque, un grand gar&ccedil;on un peu gauche<a name="FNanchor_130_130" id="FNanchor_130_130"></a><a href="#Footnote_130_130" class="fnanchor">[130]</a>, rendu timide
+par quatre aust&egrave;res ann&eacute;es de coll&egrave;ge, et qui fuyait le monde faute d'y
+savoir figurer &agrave; l'aise. Il avouait &agrave; Virieu, de plus en plus son
+confident, qu'il &eacute;tait incapable de dire une chose aimable et de
+r&eacute;pondre &agrave; un compliment<a name="FNanchor_131_131" id="FNanchor_131_131"></a><a href="#Footnote_131_131" class="fnanchor">[131]</a>: comme Ch&eacute;rubin, il &eacute;tait amoureux de
+toutes les femmes, mais n'osait gu&egrave;re faire un pas vers une<a name="FNanchor_132_132" id="FNanchor_132_132"></a><a href="#Footnote_132_132" class="fnanchor">[132]</a>. Cette
+timidit&eacute; farouche d&eacute;solait un peu la m&egrave;re, mais lui, qui sans doute en
+connaissait les v&eacute;ritables motifs, s'en consolait philosophiquement en
+d&eacute;clarant que le temps, les voyages, l'habitude gu&eacute;riraient tout
+cela<a name="FNanchor_133_133" id="FNanchor_133_133"></a><a href="#Footnote_133_133" class="fnanchor">[133]</a>.</p>
+
+<p>Comme suite normale de cet &eacute;tat d'esprit dont Belley est &eacute;videmment
+responsable, il se confine dans une studieuse solitude, fuit la soci&eacute;t&eacute;,
+d&eacute;clare qu'il est &laquo;dans la jubilation&raquo; de n'&ecirc;tre pas encore amoureux,
+indice qu'il est pr&ecirc;t de le devenir: pour lui toutes les femmes sont &laquo;de
+petites effront&eacute;es, impudentes, coquettes, de petites ignorantes
+imb&eacute;ciles, malignes, m&eacute;disantes, sottes et laides<a name="FNanchor_134_134" id="FNanchor_134_134"></a><a href="#Footnote_134_134" class="fnanchor">[134]</a>&raquo;; son m&eacute;pris pour
+elles cro&icirc;t &laquo;de jour en jour&raquo; en d&eacute;pit, avoue-t-il ing&eacute;nument, de la
+bonne envie qu'il aurait de les trouver &laquo;aimables et fid&egrave;les&raquo;. Puis la
+philosophie s'en m&ecirc;le et il d&eacute;clare gravement &agrave; Guichard qu'il n'y a
+plus d'amour v&eacute;ritable dans le c&#339;ur des jeunes gens, &laquo;mais seulement un
+tissu de coquetteries de part et d'autre<a name="FNanchor_135_135" id="FNanchor_135_135"></a><a href="#Footnote_135_135" class="fnanchor">[135]</a>&raquo;.</p>
+
+<p>Aussi s'occupe-t-il surtout d'organiser son existence en gar&ccedil;on
+raisonnable, et de soumettre &agrave; Virieu un plan d'&eacute;tudes et de
+lectures<a name="FNanchor_136_136" id="FNanchor_136_136"></a><a href="#Footnote_136_136" class="fnanchor">[136]</a>; sa m&egrave;re profite alors de cette disposition, pour
+l'emmener de M&acirc;con &agrave; Saint-Point, car, dit-elle, &laquo;je ne suis pas f&acirc;ch&eacute;e
+de l'&eacute;loigner de la ville &agrave; un moment o&ugrave; ses seules r&eacute;cr&eacute;ations seraient
+des promenades le soir, fort tard, dans une soci&eacute;t&eacute; de jeunes gens dont
+il est impossible que l'on soit s&ucirc;r: ici il est plus en s&ucirc;ret&eacute; et a
+l'air assez content<a name="FNanchor_137_137" id="FNanchor_137_137"></a><a href="#Footnote_137_137" class="fnanchor">[137]</a>&raquo;.</p>
+
+<p>Et, de fait, ses lettres montrent quelle fut sa joie enfantine de se
+retrouver &agrave; Saint-Point, o&ugrave; il arriva le 26 mai<a name="FNanchor_138_138" id="FNanchor_138_138"></a><a href="#Footnote_138_138" class="fnanchor">[138]</a>: ce furent des
+fl&acirc;neries exquises dans les bois, des lectures s&eacute;rieuses, des promenades
+&agrave; cheval, le tout entrem&ecirc;l&eacute; d'un peu de musique et de quelques
+d&eacute;lassements po&eacute;tiques<a name="FNanchor_139_139" id="FNanchor_139_139"></a><a href="#Footnote_139_139" class="fnanchor">[139]</a>; il sentait surtout &laquo;un redoublement d'amour
+pour l'&eacute;tude et la po&eacute;sie<a name="FNanchor_140_140" id="FNanchor_140_140"></a><a href="#Footnote_140_140" class="fnanchor">[140]</a>&raquo;, et sa m&egrave;re avouait ne plus le
+reconna&icirc;tre devant une telle docilit&eacute;.</p>
+
+<p>Mais, avec la nature insatisfaite qu'on lui conna&icirc;t et dont voici
+peut-&ecirc;tre la premi&egrave;re manifestation, il se lassa vite de son nouveau
+bonheur, il en vint &agrave; regretter Belley o&ugrave;, pourtant, &agrave; l'en croire, il
+n'&eacute;tait pas heureux. &laquo;Il faut que je m'occupe beaucoup pour ne pas
+m'ennuyer&raquo;, confesse-t-il un jour &agrave; Virieu<a name="FNanchor_141_141" id="FNanchor_141_141"></a><a href="#Footnote_141_141" class="fnanchor">[141]</a>, et &agrave; Guichard, qui
+l'enviait et lui annon&ccedil;ait sa prochaine lib&eacute;ration, il &eacute;crivait
+tristement: &laquo;Nous te verrons dans quatre ou cinq mois commencer &agrave;
+t'ennuyer dans ta retraite, au milieu de tes livres, de tes bois et de
+tes pr&eacute;tendus plaisirs; tu regretteras dans peu la soci&eacute;t&eacute; de tes amis,
+les occupations et, que dis-je? peut-&ecirc;tre m&ecirc;me les peines du coll&egrave;ge....
+Tu m'en diras des nouvelles<a name="FNanchor_142_142" id="FNanchor_142_142"></a><a href="#Footnote_142_142" class="fnanchor">[142]</a>.&raquo; Si bien qu'&agrave; la mi-septembre il fut
+enchant&eacute; d'abandonner sa solitude pour se rendre &agrave; Cr&eacute;mieu, o&ugrave; Guichard
+l'avait invit&eacute;; la m&egrave;re, toujours prudente, s'arrangea pour qu'&agrave;
+l'aller et au retour il couch&acirc;t &agrave; Lyon chez M<sup>me</sup> de Roquemont. &laquo;Ainsi,
+point d'auberge, ce qui pourrait &ecirc;tre le plus dangereux.&raquo;</p>
+
+
+<p class="e">C'est avec beaucoup de d&eacute;tails que Lamartine a rapport&eacute; ce s&eacute;jour dans
+l'Is&egrave;re, tant il en avait gard&eacute; un profond souvenir<a name="FNanchor_143_143" id="FNanchor_143_143"></a><a href="#Footnote_143_143" class="fnanchor">[143]</a>: c'est en effet
+&agrave; Cr&eacute;mieu que pour la premi&egrave;re fois il se plongea en silence &laquo;dans un
+oc&eacute;an d'eau trouble&raquo;, ou, pour parler plus simplement, qu'il p&eacute;n&eacute;tra
+dans une biblioth&egrave;que bien garnie; mais il a n&eacute;glig&eacute; de nous donner la
+date exacte de cet &eacute;v&eacute;nement si important &agrave; fixer, puisqu'en huit jours
+tout l'&eacute;difice &eacute;lev&eacute; par les P&egrave;res de la Foi va &ecirc;tre d&eacute;truit pour
+longtemps. Nous savons par sa m&egrave;re qu'il quitta Milly le 27 septembre
+1808, et qu'il &eacute;tait de retour &agrave; M&acirc;con le 16 octobre. Il est certain que
+Lamartine revint en Bourgogne dans un tout autre &eacute;tat d'esprit qu'au
+d&eacute;part; sa m&egrave;re le constate elle-m&ecirc;me, mais sans bien pouvoir en
+comprendre les motifs, et le 15 d&eacute;cembre elle consigne dans son Journal
+cette petite anecdote qui, rapproch&eacute;e d'une lettre &agrave; Virieu<a name="FNanchor_144_144" id="FNanchor_144_144"></a><a href="#Footnote_144_144" class="fnanchor">[144]</a> nous
+fait assister &agrave; une transformation tr&egrave;s sensible de l'&eacute;tat d'esprit du
+d&eacute;but de l'ann&eacute;e:</p>
+
+<p>&laquo;Lundi nous din&acirc;mes &agrave; Bussi&egrave;re chez M. Verset, le notaire du lieu; il y
+avait beaucoup de monde du voisinage, l'on fut tr&egrave;s gai, l'on chanta,
+l'on fit des bouts-rim&eacute;s. Alphonse fit des couplets; il a une facilit&eacute;
+incroyable pour tout ce qu'il veut. Il est plus que jamais tourment&eacute; du
+d&eacute;sir de faire quelque chose, ce que je d&eacute;sire aussi beaucoup. Quand je
+serai &agrave; M&acirc;con, je t&acirc;cherai de lui trouver quelque ma&icirc;tre de langues; il
+aurait envie d'en apprendre, et je serai enchant&eacute;e qu'il p&ucirc;t s'occuper
+utilement. Je suis effray&eacute;e de son retour &agrave; la ville, soit pour lui,
+soit pour moi. Il m'a bien tourment&eacute;e par son caract&egrave;re inquiet, mais je
+t&acirc;che de le ramener tout doucement; je supporte, c'est ma t&acirc;che
+actuelle.&raquo;</p>
+
+<p>Pendant tout le mois de d&eacute;cembre M<sup>me</sup> de Lamartine constate encore le
+grand d&eacute;sir qu'il a de s'instruire, d'apprendre l'anglais et l'italien;
+elle note avec effroi son attitude lorsqu'&agrave; Pierreclos ou &agrave; Montceau on
+agite devant lui des questions litt&eacute;raires<a name="FNanchor_145_145" id="FNanchor_145_145"></a><a href="#Footnote_145_145" class="fnanchor">[145]</a>; elle se lamente sur son
+aspect de plus en plus renferm&eacute; et, indice plus grave, constate qu'il a
+beaucoup perdu de sa pi&eacute;t&eacute;<a name="FNanchor_146_146" id="FNanchor_146_146"></a><a href="#Footnote_146_146" class="fnanchor">[146]</a>; tout cela, rapproch&eacute; de la
+<i>Correspondance</i> o&ugrave; l'on voit qu'&agrave; cette m&ecirc;me &eacute;poque il commence &agrave;
+causer litt&eacute;rature&raquo; avec enthousiasme, confirme d&egrave;s lors ce qu'il a dit
+lui-m&ecirc;me de ce s&eacute;jour &agrave; Cr&eacute;mieu.</p>
+
+
+<p class="e">Au d&eacute;but de d&eacute;cembre, c'est une v&eacute;ritable fr&eacute;n&eacute;sie de travail qui le
+poss&egrave;de; il veut vivre uniquement avec lui-m&ecirc;me, au milieu des livres,
+renonce &laquo;&agrave; tout le train du monde<a name="FNanchor_147_147" id="FNanchor_147_147"></a><a href="#Footnote_147_147" class="fnanchor">[147]</a>&raquo; et profite de l'ennui qu'il
+&eacute;prouve pour mettre &agrave; profit sa solitude et sa jeunesse<a name="FNanchor_148_148" id="FNanchor_148_148"></a><a href="#Footnote_148_148" class="fnanchor">[148]</a>.</p>
+
+<p>Avec sa petite exp&eacute;rience des derniers mois, il se demande bien o&ugrave; tout
+cela va le mener, mais, pour s'encourager, il &eacute;voque Rousseau
+travaillant en silence et pr&eacute;parant &laquo;de loin&raquo; ses succ&egrave;s<a name="FNanchor_149_149" id="FNanchor_149_149"></a><a href="#Footnote_149_149" class="fnanchor">[149]</a>. Sans nul
+doute, Rousseau est une des d&eacute;couvertes de Cr&eacute;mieu. La m&egrave;re est
+enchant&eacute;e de ce programme, qu'elle approuve pleinement, car, dit elle,
+&laquo;dans l'&acirc;ge o&ugrave; il est, environn&eacute; de beaucoup de s&eacute;ductions, il faut un
+miracle pour le pr&eacute;server de tant d'&eacute;cueils&raquo;, et par tous les moyens
+elle encourage ce plan de travail.</p>
+
+<p>On avait compt&eacute; sans l'oncle terrible que cette belle vocation
+litt&eacute;raire laissa fort indiff&eacute;rent. Au d&eacute;but de d&eacute;cembre, il fit
+compara&icirc;tre son po&eacute;tique neveu pour lui enjoindre de renoncer &agrave; son
+petit programme qu'il entendait remplacer par l'&eacute;tude des sciences<a name="FNanchor_150_150" id="FNanchor_150_150"></a><a href="#Footnote_150_150" class="fnanchor">[150]</a>.
+Lamartine, on le sait, eut de tout temps les math&eacute;matiques en horreur:
+il supplia, pleura m&ecirc;me, mais l'oncle fut intraitable; de d&eacute;sespoir,
+puisque, disait-il, on voulait forcer son go&ucirc;t et son inclination, il
+commen&ccedil;a &agrave; jouer de la Garde imp&eacute;riale, mit la m&egrave;re de son c&ocirc;t&eacute; et la
+d&eacute;l&eacute;gua aupr&egrave;s de l'oncle<a name="FNanchor_151_151" id="FNanchor_151_151"></a><a href="#Footnote_151_151" class="fnanchor">[151]</a>; on finit alors par s'entendre: les
+langues &eacute;trang&egrave;res et les &eacute;tudes litt&eacute;raires furent conserv&eacute;es au
+programme, mais on y ajouta les sciences. Il &eacute;tait trop tard: l'enfant
+d&eacute;go&ucirc;t&eacute; avait perdu sa belle fi&egrave;vre. Il ira bien chez le professeur de
+math&eacute;matiques, mais &laquo;r&eacute;solu &agrave; n'y rien faire du tout qu'un peu
+semblant<a name="FNanchor_152_152" id="FNanchor_152_152"></a><a href="#Footnote_152_152" class="fnanchor">[152]</a>&raquo; et, puisqu'on le contraignait malgr&eacute; lui &agrave; mener &laquo;une vie
+de fain&eacute;ant&raquo;, il en profitera pour s'amuser: et le voil&agrave; qui sort le
+soir, se montre au concert, au th&eacute;&acirc;tre, qu'il aime maintenant &laquo;&agrave; la
+folie<a name="FNanchor_153_153" id="FNanchor_153_153"></a><a href="#Footnote_153_153" class="fnanchor">[153]</a>&raquo; et qu'il trouve, para&icirc;t-il, le seul amusement digne d'un
+homme de go&ucirc;t et de bon sens<a name="FNanchor_154_154" id="FNanchor_154_154"></a><a href="#Footnote_154_154" class="fnanchor">[154]</a>.</p>
+
+<p>Sa m&egrave;re, alors, s'effraye: &laquo;Son caract&egrave;re, &eacute;crit-elle, m'inqui&egrave;te chaque
+jour davantage: je lui ai fait promettre qu'il ne demanderait pas &agrave;
+aller au concert, moyennant quoi j'ai promis, de mon c&ocirc;t&eacute;, que je le
+m&egrave;nerais &agrave; Lyon pour quelques jours au mois de janvier.&raquo;</p>
+
+<p>L'intervention de l'oncle n'avait pas &eacute;t&eacute; heureuse: faute d'avoir pris
+au s&eacute;rieux son d&eacute;sir d'&eacute;tudier, il avait d&eacute;courag&eacute; toute son ardeur; au
+lieu de passer &agrave; M&acirc;con un hiver paisible, comme il le souhaitait, il va
+partir pour Lyon s'amuser, ce qui n'&eacute;tait gu&egrave;re son intention,
+contrairement &agrave; ce que l'on croyait autour de lui. Nous retrouverons
+souvent cette incompr&eacute;hension du caract&egrave;re de l'enfant.</p>
+
+
+<p class="e">La m&egrave;re et le fils arriv&egrave;rent &agrave; Lyon, chez M<sup>me</sup> de Roquemont, le 17
+janvier 1809 et de suite il organisa sa petite existence; s'il faut en
+croire une lettre &agrave; Virieu, il se levait tard, faisait un peu d'anglais,
+fl&acirc;nait l'apr&egrave;s-midi &agrave; la biblioth&egrave;que publique, et terminait sa soir&eacute;e
+au th&eacute;&acirc;tre o&ugrave; il avait pris un abonnement<a name="FNanchor_155_155" id="FNanchor_155_155"></a><a href="#Footnote_155_155" class="fnanchor">[155]</a>; &agrave; l'insu sans doute de
+sa m&egrave;re, qui pr&eacute;tend au contraire &agrave; la m&ecirc;me date avoir obtenu de lui
+qu'il n'irait &laquo;ni au spectacle, ni au bal masqu&eacute;&raquo;. La pauvre femme se
+plaint de n'avoir jamais men&eacute; un carnaval aussi &laquo;dissip&eacute;&raquo;; &laquo;mais, dit
+elle, c'&eacute;tait impossible autrement, car je voulais procurer quelques
+plaisirs &agrave; Alphonse&raquo;.</p>
+
+<p>Tous deux &eacute;taient de retour &agrave; M&acirc;con le 10 mars, lui enchant&eacute; de son
+voyage, elle moins; il constate alors avec un peu d'orgueil qu'il est
+beaucoup moins timide qu'au d&eacute;part, et qu'&agrave; M&acirc;con on a une certaine
+consid&eacute;ration pour un jeune homme qui a &eacute;t&eacute; passer l'hiver dans une
+grande ville: on le croit blas&eacute; sur tout et, dit-il, &laquo;cela donne une
+contenance<a name="FNanchor_156_156" id="FNanchor_156_156"></a><a href="#Footnote_156_156" class="fnanchor">[156]</a>&raquo;.</p>
+
+<p>D&egrave;s le retour, il avait repris ses projets d'&eacute;tude et de travail<a name="FNanchor_157_157" id="FNanchor_157_157"></a><a href="#Footnote_157_157" class="fnanchor">[157]</a>;
+le car&ecirc;me se passa tranquillement &agrave; M&acirc;con, dans la solitude et la
+lecture. Mais cette fois, s'y prenant un peu &agrave; l'avance, il demanda
+bient&ocirc;t l'autorisation d'aller &eacute;tudier le droit &agrave; Lyon, au cours de
+l'ann&eacute;e 1809<a name="FNanchor_158_158" id="FNanchor_158_158"></a><a href="#Footnote_158_158" class="fnanchor">[158]</a>. L'oncle et le p&egrave;re refus&egrave;rent d'abord; la m&egrave;re comme
+toujours s'interposa, apaisa les col&egrave;res naissantes, et chacun se fit
+des concessions r&eacute;ciproques: pour le droit, l'oncle r&eacute;servait sa
+r&eacute;ponse, mais on lui accordait soixante louis de pension annuelle, la
+nourriture, le logement, et la permission d'aller &agrave; ses frais passer
+l'hiver &agrave; Lyon ou &agrave; Dijon<a name="FNanchor_159_159" id="FNanchor_159_159"></a><a href="#Footnote_159_159" class="fnanchor">[159]</a>. De nouveau on le d&eacute;tournait de ses r&ecirc;ves
+d'&eacute;tude qui n'&eacute;taient peut-&ecirc;tre, il est, vrai, qu'un pr&eacute;texte pour aller
+s'amuser &agrave; Lyon. C'est que l'oncle, de plus en plus m&eacute;fiant, commen&ccedil;ait
+&agrave; s'inqui&eacute;ter de cette jeune imagination d&eacute;bordante.</p>
+
+<p>L'enfant finit par prendre son parti de cette demi-promesse, et se remit
+avec ardeur &agrave; la lecture et au travail; tout le printemps et l'&eacute;t&eacute; se
+pass&egrave;rent dans une solitude absolue, &agrave; M&acirc;con, &agrave; Milly et &agrave; Saint-Point.
+&laquo;Voici trois mois, &eacute;crit-il en juin &agrave; Virieu, que mon genre de vie est
+le m&ecirc;me absolument: travail, lecture, correspondance et petite promenade
+solitaire entre les huit ou neuf heures<a name="FNanchor_160_160" id="FNanchor_160_160"></a><a href="#Footnote_160_160" class="fnanchor">[160]</a>.&raquo; Un tel r&eacute;gime finit pas
+f&acirc;cheusement influer sur ses nerfs; des id&eacute;es tristes l'envahirent
+bient&ocirc;t; en ao&ucirc;t, m&ecirc;me, il tomba malade, crachant le sang, accabl&eacute; de
+violents maux de t&ecirc;te, et la crise morale se fit plus aigu&euml;: &laquo;Oui, j'ai
+pleur&eacute;, &eacute;crit-il un jour &agrave; Virieu, moi qui ne pleurais plus, un peu de
+regret de cette partie manqu&eacute;e, un peu en voyant la sympathie de nos
+peines, de nos id&eacute;es, de nos tourments, de nos d&eacute;sirs, et de ce feu
+sacr&eacute; qui commence &agrave; te br&ucirc;ler comme moi, ces projets vagues, cette
+tristesse, cette paresse, cette vie au milieu de la mort<a name="FNanchor_161_161" id="FNanchor_161_161"></a><a href="#Footnote_161_161" class="fnanchor">[161]</a>&raquo;. Et les
+lettres se suivent, de plus en plus d&eacute;sesp&eacute;r&eacute;es; le vague de son
+existence pr&eacute;sente et future le fait languir et mourir; il devient sage,
+indiff&eacute;rent, philosophe sur bien des choses, il est fou, d&eacute;sesp&eacute;r&eacute;,
+enrag&eacute; sur beaucoup d'autres...; il devient &laquo;ours&raquo; et parle de se br&ucirc;ler
+la cervelle, car il ne peut plus supporter la vie du plus plat, du plus
+ignorant bourgeois de petite ville: &laquo;&Ocirc; beaux r&ecirc;ves que nous faisions
+bien &eacute;veill&eacute;s &agrave; neuf heures du soir sous les tilleuls de Belley, riches
+projets, riante perspective, avenir incomparable, o&ugrave; &ecirc;tes-vous?...<a name="FNanchor_162_162" id="FNanchor_162_162"></a><a href="#Footnote_162_162" class="fnanchor">[162]</a>&raquo;</p>
+
+<p>Telle fut la premi&egrave;re crise morale; il en conna&icirc;tra d'autres jusqu'en
+1820 et toutes chez lui auront le m&ecirc;me d&eacute;nouement: dans les plus
+affreuses d&eacute;tresses, un rien suffira pour lui rendre l'&eacute;quilibre.</p>
+
+<p>Car Virieu finissait par s'inqui&eacute;ter de cette exaltation et de ce
+d&eacute;couragement; il lui proposa alors, pour le changer d'air, de venir
+passer quelques jours chez lui au Grand-Lemps et, brusquement, la
+correspondance change de th&egrave;me: &agrave; la m&eacute;lancolie la plus sombre, succ&egrave;de
+un enjouement impr&eacute;vu<a name="FNanchor_163_163" id="FNanchor_163_163"></a><a href="#Footnote_163_163" class="fnanchor">[163]</a>; toute la vie de Lamartine sera faite de ces
+contrastes et de ces revirements, dont il est parfois difficile de
+saisir les motifs. Mais, cette fois, il jouait de malheur: au moment du
+d&eacute;part son p&egrave;re se cassa la jambe, et il fut oblig&eacute; de le remplacer&mdash;car
+c'&eacute;tait l'&eacute;poque des vendanges&mdash;&laquo;en ayant l'air de trouver cela tout
+naturel<a name="FNanchor_164_164" id="FNanchor_164_164"></a><a href="#Footnote_164_164" class="fnanchor">[164]</a>&raquo;.</p>
+
+<p>Alors, il s'&eacute;tourdit, profita de l'animation passag&egrave;re du pays pour
+mener une &laquo;vraie vie de fain&eacute;ant et d'insouciant, une vie banale et
+commune comme celle de tous les d&eacute;s&#339;uvr&eacute;s et les imb&eacute;ciles du monde,
+visites, bals, soupers, promenades et je ne sais quoi<a name="FNanchor_165_165" id="FNanchor_165_165"></a><a href="#Footnote_165_165" class="fnanchor">[165]</a>&raquo;.</p>
+
+<p>Dans l'&eacute;tat o&ugrave; il se trouvait, il &eacute;tait &agrave; point pour devenir amoureux,
+et n'y manqua pas; cela d&eacute;noua la crise. Comme de juste, il aimait
+quelqu'un qui ne pouvait pas l'aimer; avec l'imagination qu'on lui
+conna&icirc;t, &laquo;le voil&agrave; pris, le voil&agrave; mort&raquo;. L'objet de sa passion n'&eacute;tait
+pas une beaut&eacute;, mais &laquo;toute l'amabilit&eacute;, toute la sagesse, toute la
+raison, tout l'esprit, toute la gr&acirc;ce, tout le talent imaginable ou
+plut&ocirc;t inimaginable&raquo;, et empruntant &agrave; nouveau le vocabulaire de
+Ch&eacute;rubin&mdash;c'&eacute;tait de son &acirc;ge,&mdash;il terminait lyriquement: &laquo;J'en mourrai!
+je le sais! aimer sans espoir, ah! comprends-tu un peu cela<a name="FNanchor_166_166" id="FNanchor_166_166"></a><a href="#Footnote_166_166" class="fnanchor">[166]</a>?&raquo;</p>
+
+<p>La pauvre m&egrave;re, qui elle-m&ecirc;me avait encourag&eacute; son fils &agrave; une innocente
+correspondance en vers avec la jeune fille de leur m&eacute;decin de Milly, le
+docteur Pascal, s'&eacute;pouvanta des suites de son imprudence, et elle
+&eacute;crivait le 16 d&eacute;cembre 1809: &laquo;Mes nuits ont &eacute;t&eacute; mauvaises, ce qui a &eacute;t&eacute;
+occasionn&eacute; par un chagrin que je ne puis mettre ici mais qui a &eacute;t&eacute; tr&egrave;s
+vif, et dont la cause n'est pas encore pass&eacute;e; c'est au sujet de mon
+fils, et ce qui me peine le plus, c'est que je ne peux demander conseil
+&agrave; personne, et que j'ai peut-&ecirc;tre quelque reproche &agrave; me faire...&raquo;; et
+quelques jours apr&egrave;s elle ajoutait encore: &laquo;Alphonse m'inqui&egrave;te toujours
+beaucoup, des passions commencent &agrave; se d&eacute;velopper, et je crains que sa
+jeunesse ne soit bien orageuse; il est agit&eacute;, triste, le trouble de son
+&acirc;me alt&egrave;re m&ecirc;me sensiblement sa sant&eacute;&raquo;.</p>
+
+<p>Pour couper court, on l'exp&eacute;dia &agrave; Lyon le 8 janvier 1810, avec
+permission d'y rester autant que ses moyens le lui permettraient; m&ecirc;me
+il pourra faire son droit. &laquo;Je vois, dit-elle encore, qu'on nous bl&acirc;me
+g&eacute;n&eacute;ralement de le laisser ainsi sur sa bonne foi, mais on ne conna&icirc;t
+pas nos raisons; je suis moins tourment&eacute;e depuis qu'il est parti.&raquo;</p>
+
+<p>Apr&egrave;s les huit jours d'usage chez M<sup>me</sup> de Roquemont, qui, pr&eacute;venue,
+veilla sur lui avec une inqui&egrave;te sollicitude, il r&eacute;clama plus de libert&eacute;
+et s'installa rue de l'Arsenal, au quatri&egrave;me, &laquo;avec une vue
+unique<a name="FNanchor_167_167" id="FNanchor_167_167"></a><a href="#Footnote_167_167" class="fnanchor">[167]</a>&raquo;.</p>
+
+
+<p class="e">Alors commen&ccedil;a une existence exquise, la vie d'&eacute;tudiant, mais sans
+&eacute;tudes: les beaux projets de travail &eacute;taient loin; il n'&eacute;tait plus
+question des professeurs d'anglais et d'italien; la trag&eacute;die qu'il
+voulait &eacute;crire fut remplac&eacute;e par un vaudeville; les huit heures de
+travail qu'il s'&eacute;tait impos&eacute;es au d&eacute;part, sans fr&eacute;quenter personne,
+&laquo;quoiqu'on dise&raquo;, furent occup&eacute;es &agrave; de petits voyages &agrave; Grenoble, &agrave; la
+grotte de Jean-Jacques, ou &agrave; des fl&acirc;neries chez les bouquinistes. De
+droit, point; au bout de deux mois, il avait &eacute;puis&eacute; ses ressources, et
+il fallut courir &agrave; Dijon, chez l'abb&eacute;. Le bon oncle se laissa arracher
+60 louis qui ne demeur&egrave;rent pas longtemps dans sa poche; force lui fut
+alors de retourner &agrave; Milly, sa &laquo;d&eacute;testable patrie&raquo;, o&ugrave; il obt&icirc;nt des
+tantes un peu d'argent sous pr&eacute;texte de payer des dettes; puis il revint
+encore &agrave; Lyon, et finalement, endett&eacute;, poursuivi, sans un sou, car on
+lui avait coup&eacute; les vivres, il regagna Milly le 18 mai<a name="FNanchor_168_168" id="FNanchor_168_168"></a><a href="#Footnote_168_168" class="fnanchor">[168]</a>, apr&egrave;s
+quatre mois de d&eacute;lices, relat&eacute;es avec une joie enfantine dans les
+lettres &agrave; Virieu.</p>
+
+<p>Elles sont juv&eacute;niles, prime-sauti&egrave;res et vives, d'un piquant contraste
+avec celles de l'ann&eacute;e pr&eacute;c&eacute;dente: &laquo;Voil&agrave; enfin une partie de mes d&eacute;sirs
+satisfaits! &eacute;crit-il &agrave; son arriv&eacute;e; je m'instruis, je suis libre, je
+suis ind&eacute;pendant, je le suis si fort que j'en deviens ridicule; mon
+livre, ma chambre, mon feu et le spectacle ont trop de charmes pour
+moi.&raquo; Puis c'est la description po&eacute;tique de sa petite installation:</p>
+
+<p>
+<br /><span style="margin-left: 15%;">Cellule inconnue et secr&egrave;te,</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">O&ugrave; jamais un oncle boudeur,</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">O&ugrave; jamais un mentor grondeur</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Ne viennent troubler le po&egrave;te.</span><br /><br />
+</p>
+
+<p>Ses amis sont des &laquo;artistes&raquo;, &laquo;des artistes surtout, mon cher ami! voil&agrave;
+ce que j'aime! de ces gens qui ne sont pas s&ucirc;rs de d&icirc;ner demain! Je leur
+ai dit que tu &eacute;tais <i>comme moi</i>, un artiste <i>universel</i>, artiste dans
+l'&acirc;me, artiste d'inclination!&raquo;</p>
+
+<p>C'est la vie de boh&egrave;me, au jour le jour, et sans souci du lendemain; les
+grisettes, le th&eacute;&acirc;tre, le concert, les vers, tout lui est bon, m&ecirc;me les
+dettes, dont il se tire en faisant un impromptu: <i>Mes dettes</i>, qui,
+d'apr&egrave;s lui, court la ville.</p>
+
+<p>Plus tard pour les payer, il s'adressa naturellement &agrave; sa m&egrave;re, qui
+cette fois s'en fut trouver l'oncle et les tantes plut&ocirc;t que son mari,
+car le chevalier n'aimait pas les dettes: &laquo;Son oncle et ses tantes ont
+eu la bont&eacute; de se charger de payer les dettes d'Alphonse, &eacute;crira-t-elle
+plus tard, et sans rien dire &agrave; mon mari, ce que j'ai demand&eacute; par-dessus
+tout, car j'aurais mieux aim&eacute; qu'on le laiss&acirc;t dans l'embarras o&ugrave; il
+&eacute;tait et dont le temps aurait toujours fini par le tirer, que de
+consentir qu'on d&eacute;truis&icirc;t absolument le repos et le bonheur de mon mari
+en lui apprenant les dettes de son fils. C'est une chose qu'il a
+toujours eue en si grande horreur qu'il l'aurait cru tout &agrave; fait perdu!&raquo;
+L'amusant de l'affaire fut que le pauvre chevalier paya lui-m&ecirc;me les
+dettes de son fils, &agrave; son insu. En effet, la tante du Villard se
+chargea, para&icirc;t-il, de la plus grande partie; mais, comme elle n'avait
+pas alors beaucoup d'argent disponible, elle demanda &agrave; son fr&egrave;re, sous
+un autre pr&eacute;texte, de l'argent qu'il lui devait et auquel il ne songeait
+gu&egrave;re, croyant qu'elle n'en avait nul besoin.</p>
+
+<p>Il fallut pourtant songer au d&eacute;part, car l'oncle, cette fois, mena&ccedil;ait
+tout &agrave; fait de se d&eacute;barrasser du prodigue neveu. Ce furent de touchants
+adieux &agrave; &laquo;Myrth&eacute;&raquo;, sa belle, mais surtout &agrave; la libert&eacute;, &laquo;l'impayable
+libert&eacute;&raquo;. &Agrave; ce moment, il jeta bien quelque vague coup d'&#339;il en arri&egrave;re,
+et ses projets de travail lui revinrent &agrave; l'esprit; il en prit son
+parti, ne regretta rien, mais ne s'en tint pas quitte, se r&eacute;servant pour
+Milly o&ugrave; il pr&eacute;voyait bien qu'un cruel ennui allait l'accabler &agrave;
+nouveau: l&agrave;-bas, &laquo;l'imagination et son livre anglais&raquo; le d&eacute;dommageraient
+de tout.</p>
+
+<p>Ce petit s&eacute;jour &agrave; Lyon marque une date dans la jeunesse de Lamartine; au
+retour, les derni&egrave;res traces laiss&eacute;es par l'enseignement de Belley ont
+disparu, remplac&eacute;es par le go&ucirc;t du plaisir, de la d&eacute;pense, et l'horreur
+de la contrainte familiale. &laquo;Les &eacute;bauches litt&eacute;raires vont se ressentir
+de ce nouvel &eacute;tat d'esprit.&raquo;</p>
+
+<p>Lamartine, on l'a vu, &eacute;tait de retour &agrave; M&acirc;con le 18 mai. Le 19, nous le
+trouvons &agrave; Milly, plus d&eacute;s&#339;uvr&eacute; et enfi&eacute;vr&eacute; que jamais, s'ennuyant dans
+son &laquo;trou&raquo;, seul avec ses livres, sa plume &laquo;que rien ne stimule&raquo;, son
+imagination qui le tourmente. La m&egrave;re, comme toujours, cherchait &agrave;
+excuser son humeur un peu vive, &laquo;car il est assez naturel &agrave; un jeune
+homme sans occupations forc&eacute;es de s'ennuyer &agrave; la campagne&raquo;. Mais, cette
+fois, c'&eacute;tait lui qui ne voulait plus s'occuper.</p>
+
+<p>Bient&ocirc;t, les id&eacute;es sombres l'envahirent &agrave; nouveau et ses lettres d'alors
+sont pleines d'une philosophie qu'il essaye de rendre r&eacute;sign&eacute;e, mais o&ugrave;
+percent le d&eacute;go&ucirc;t, l'amertume et la d&eacute;tresse<a name="FNanchor_169_169" id="FNanchor_169_169"></a><a href="#Footnote_169_169" class="fnanchor">[169]</a>: &agrave; Milly, &agrave;
+Saint-Point, &agrave; Montceau, il tra&icirc;ne son oisivet&eacute; sous l'&#339;il agac&eacute; du
+p&egrave;re. Enfin, nerveux, mal &agrave; l'aise, il partit le 2 juillet &agrave; Dijon chez
+l'abb&eacute;, o&ugrave; il retrouva un peu d'&eacute;quilibre et de tranquillit&eacute;. Ce furent
+des lectures sans ordre, comme toujours: Montaigne, M<sup>me</sup> de Sta&euml;l, le
+prince de Ligne, Young et Jean-Jacques; des paresses sans fin dans les
+herbages ou dans la th&eacute;ba&iuml;de. Les choses auraient &eacute;t&eacute; fort bien sans
+&laquo;les diables de soucis de l'avenir&raquo;, qui reviennent troubler sa paix de
+temps &agrave; autre, et &laquo;cette t&ecirc;te, &eacute;crit-il &agrave; Virieu, que tu connais aussi
+bien que moi<a name="FNanchor_170_170" id="FNanchor_170_170"></a><a href="#Footnote_170_170" class="fnanchor">[170]</a>&raquo;. Puis, apprenant que son p&egrave;re et sa m&egrave;re allaient
+arriver pour le mois d'ao&ucirc;t &agrave; Montculot, il s'empressa d'en d&eacute;guerpir,
+sous pr&eacute;texte de mettre en train les vendanges, mais en r&eacute;alit&eacute;,
+semble-t-il, pour chercher le repos et fuir sa famille.</p>
+
+<p>Seul &agrave; Milly, il reprit sa vie renferm&eacute;e; r&ecirc;veur, ennuy&eacute; de la vie, il
+fit ses d&eacute;lices du fade et math&eacute;matique <i>Trait&eacute; de la solitude</i> de
+Zimmermann, se plongea dans <i>Werther</i>, dont, &eacute;crit-il &agrave; Virieu, il est
+souvent tent&eacute; d'imiter la fin<a name="FNanchor_171_171" id="FNanchor_171_171"></a><a href="#Footnote_171_171" class="fnanchor">[171]</a>.</p>
+
+<p>Sans grand enthousiasme, il essaya aussi de prendre part au concours des
+Jeux floraux, mais l'affaire, comme toujours, ne fut qu'un projet<a name="FNanchor_172_172" id="FNanchor_172_172"></a><a href="#Footnote_172_172" class="fnanchor">[172]</a>.
+Enfin, quand les Lamartine regagn&egrave;rent Milly au d&eacute;but d'octobre, il
+partit pr&eacute;cipitamment pour Cr&eacute;mieu, chez Guichard, malgr&eacute; sa m&egrave;re, qui
+commen&ccedil;ait &agrave; s'inqui&eacute;ter de cette nouvelle co&iuml;ncidence de son d&eacute;part et
+de leur arriv&eacute;e<a name="FNanchor_173_173" id="FNanchor_173_173"></a><a href="#Footnote_173_173" class="fnanchor">[173]</a>. Il y demeura jusqu'au 7 novembre.</p>
+
+<p>Il revint du Dauphin&eacute; apais&eacute; et moins sauvage; en novembre, M<sup>me</sup> de
+Lamartine a not&eacute; quelques bals &agrave; Ma&ccedil;on o&ugrave; il reste &laquo;fort tard&raquo; et, pour
+le retenir, elle se d&eacute;cida un peu &agrave; contre c&#339;ur &agrave; organiser de petites
+soir&eacute;es &agrave; Milly, &laquo;heureuse, dit-elle, quand je le vois ainsi s'amuser
+sous mes yeux&raquo;. Puis il s'installa &agrave; M&acirc;con dans les premiers jours de
+d&eacute;cembre, bien &agrave; regret, mais il &eacute;tait sans ressources pour recommencer
+l'hiver de l'ann&eacute;e pr&eacute;c&eacute;dente. Il fl&acirc;nait le soir au th&eacute;&acirc;tre de la
+ville, se montrait assidu aux bals. Sa m&egrave;re, que l'exp&eacute;rience aurait
+peut-&ecirc;tre d&ucirc; rendre plus m&eacute;fiante, mais qui redoutait surtout de le voir
+vivre trop en lui-m&ecirc;me, l'y encourageait innocemment sans pr&eacute;voir les
+cons&eacute;quences f&acirc;cheuses pour son repos qui devaient suivre &laquo;cette petite
+dissipation d'esprit&raquo;.</p>
+
+
+
+<hr />
+<h2><a name="CHAPITRE_IId" id="CHAPITRE_IId"></a><a href="#toc">CHAPITRE II</a></h2>
+
+<p class="c">LA CRISE LITT&Eacute;RAIRE. LE PREMIER AMOUR</p>
+
+
+<p>Le 30 juin, Lamartine &eacute;crivait &agrave; Virieu:</p>
+
+<p>&laquo;Et moi aussi, mon ami, ne te disais-je point que je voyais s'&eacute;vanouir
+tous nos r&ecirc;ves? H&eacute;las! il est trop vrai, que ferons-nous donc? et
+pourquoi avons-nous tous deux ce je ne sais quoi dans l'&acirc;me qui ne nous
+laissera jamais un instant de repos avant que nous ne l'ayons satisfait
+ou &eacute;touff&eacute;? est-ce un besoin d'attachement ou d'amour? Non, j'ai &eacute;t&eacute;
+amoureux comme un fou, et ce cri de ma conscience ne s'est pas tu. J'ai
+toujours vu quelque chose avant et au-dessus de toutes les jouissances
+d'une passion m&ecirc;me vraie et pure. Est-ce l'ambition? pas tout &agrave; fait....</p>
+
+<p>&laquo;...Je dis et je pense qu'il n'est qu'un vrai malheur: c'est de ne pas
+satisfaire toutes nos facult&eacute;s, en un mot toutes les fois que nous le
+pouvons, fall&ucirc;t-il m&ecirc;me de p&eacute;nibles sacrifices. Quelqu'un qui me lirait
+s'imaginerait que je me fais de la morale; mais toi, tu m'entends, tu
+me comprends. Es-tu d'accord de ce que je viens de dire l&agrave;? Oui, eh
+bien! raisonnons l&agrave;-dessus et venons &agrave; la pratique. Es-tu pr&ecirc;t? je le
+suis, moi: nous allons faire notre code.</p>
+
+<p>&laquo;Nous renon&ccedil;ons pour le moment &agrave; toutes pr&eacute;tentions exag&eacute;r&eacute;es, du moins
+elles ne seront plus l'unique mobile de nos actions. Nous n'&eacute;couterons
+que notre propre conscience qui nous dit: Travaillez pour donner les
+int&eacute;r&ecirc;ts de ce que vous avez re&ccedil;u; travaillez pour &ecirc;tre utiles si vous
+le pouvez; travaillez pour conna&icirc;tre ce que vous &ecirc;tes capables de voir
+dans la vie; travaillez pour vous dire au dernier moment: J'ai v&eacute;cu peu,
+mais j'ai v&eacute;cu assez pour observer et conna&icirc;tre tout ce que ce petit
+globe contient, tout ce qui &eacute;tait &agrave; ma port&eacute;e; j'ai sacrifi&eacute; &agrave; ce d&eacute;sir
+de m'instruire une fortune pr&eacute;caire, quelques jouissances des sens,
+quelque chose dans la sotte opinion d'un certain monde; si j'ai obtenu
+quelque gloire, tant mieux! si je suis malgr&eacute; cela rest&eacute; ignor&eacute;, je m'en
+console, j'ai &eacute;t&eacute; utile &agrave; moi-m&ecirc;me, j'ai accru mes id&eacute;es, j'ai go&ucirc;t&eacute; de
+tout, j'ai vu les quatre parties du monde; si je meurs dans un foss&eacute; de
+grande route, si mon corps n'est pas port&eacute; &agrave; l'&eacute;glise par quatre bedeaux
+et suivi d'une foule d'h&eacute;ritiers pleurant tout haut et riant tout bas,
+j'ai &eacute;t&eacute; aim&eacute;, je serai pleur&eacute; par un ou deux amis qui ont partag&eacute; mes
+peines, mes &eacute;tudes et mes travaux; et je rendrai &agrave; celui qui sans doute
+a fait mon esprit et mon &acirc;me un ouvrage perfectionn&eacute; de mes mains. Mais
+votre patrie?&mdash;Ce n'est plus qu'un mot, du moins en Europe.&mdash;Mais la
+soci&eacute;t&eacute;?&mdash;Elle n'a pas besoin d'un financier, d'un usurier ou d'un
+boucher de plus et, en travaillant pour moi, peut-&ecirc;tre aurai-je
+travaill&eacute; pour elle<a name="FNanchor_174_174" id="FNanchor_174_174"></a><a href="#Footnote_174_174" class="fnanchor">[174]</a>.&raquo;</p>
+
+<p>Si ces lignes prouvent la parfaite clairvoyance avec laquelle Lamartine
+se jugeait &agrave; vingt ans, elles montrent &eacute;galement jusqu'&agrave; l'&eacute;vidence le
+d&eacute;plorable r&eacute;sultat moral de ces deux premi&egrave;res ann&eacute;es d'ind&eacute;pendance
+dont il augurait tant au sortir de Belley. Certes, elles sont l'aveu des
+juv&eacute;niles chim&egrave;res dont il s'est nourri jusqu'alors, et m&ecirc;me leur amende
+honorable, mais avec de hautaines restrictions qui portent l'empreinte
+de la philosophie orgueilleuse et sentimentale de Rousseau. Cette
+nouvelle conception de l'existence, tout aussi litt&eacute;raire que la
+premi&egrave;re, est infiniment plus dangereuse: le doute, l'&eacute;go&iuml;sme et
+l'amertume en sont les cons&eacute;quences in&eacute;vitables.</p>
+
+<p>Les premi&egrave;res d&eacute;sillusions de sa jeunesse sont vraiment insuffisantes
+pour motiver cet &eacute;tat d'&acirc;me du moment que des influences litt&eacute;raires
+peuvent seules expliquer. Il payait ainsi deux ann&eacute;es d'un incessant
+vertige intellectuel contre lequel sa sensibilit&eacute; et son imagination le
+laissaient d&eacute;sarm&eacute;; livr&eacute; &agrave; lui m&ecirc;me, sans direction, sans contr&ocirc;le, il
+n'avait eu gu&egrave;re d'autres ressources que les lectures pour occuper ses
+loisirs &agrave; Milly: l'abus qu'il en fit, leur choix, les conditions de sa
+vie, sa nature &agrave; la fois fi&eacute;vreuse et m&eacute;lancolique, tout le pr&eacute;disposait
+&agrave; &ecirc;tre une proie facile au mal litt&eacute;raire qui ravagea sa
+g&eacute;n&eacute;ration<a name="FNanchor_175_175" id="FNanchor_175_175"></a><a href="#Footnote_175_175" class="fnanchor">[175]</a>.</p>
+
+
+<p class="e">Ce que Lamartine d&eacute;vora en trois ans&mdash;de 1808 &agrave; 1812&mdash;est prodigieux, et
+cela, p&ecirc;le-m&ecirc;le, sans plan organis&eacute;, au hasard des biblioth&egrave;ques et des
+cabinets de lecture. Ici, la <i>Correspondance</i> devient v&eacute;ritablement
+pr&eacute;cieuse pour la spontan&eacute;it&eacute; des renseignements qu'elle nous fournit,
+puisque les impressions caus&eacute;es par le nouveau livre sont imm&eacute;diatement
+traduites dans une lettre &agrave; Virieu, froidement ou avec enthousiasme,
+selon l'effet produit. Plus tard, soit dans ses pr&eacute;faces, soit dans son
+<i>Cours de litt&eacute;rature</i>, il reviendra sur beaucoup de ces appr&eacute;ciations
+de la premi&egrave;re heure: l'exp&eacute;rience de la vie, des raisons morales,
+politiques ou litt&eacute;raires dont il ne se souciait pas alors modifi&egrave;rent
+ses jugements de jeunesse; mais la fa&ccedil;on dont il les formula &agrave; vingt ans
+doit seule nous importer.</p>
+
+<p>L'impression devait &ecirc;tre d'autant plus profonde que M<sup>me</sup> de Lamartine
+exer&ccedil;a longtemps un contr&ocirc;le s&eacute;v&egrave;re sur les lectures de son fils, qui
+prenaient ainsi la valeur du fruit d&eacute;fendu. Avec un pieux sentiment
+d'amour maternel, le po&egrave;te qui sentit combien il avait &eacute;t&eacute; soumis aux
+influences litt&eacute;raires lui fit plus tard une part qu'elle n'eut jamais
+dans sa direction intellectuelle: les <i>Confidences</i>, les <i>Commentaires</i>,
+certains passages remani&eacute;s du <i>Manuscrit de ma m&egrave;re</i> la montrent lisant
+Hom&egrave;re, Tacite, Virgile, M<sup>me</sup> de S&eacute;vign&eacute;, F&eacute;nelon, Moli&egrave;re, et m&ecirc;me
+les trag&eacute;dies de Voltaire.</p>
+
+<p>La v&eacute;rit&eacute; est que M<sup>me</sup> de Lamartine lisait peu par manque de temps
+d'abord, mais surtout par m&eacute;fiance de soi-m&ecirc;me et crainte de ce qu'elle
+appelle &laquo;de s&eacute;duisantes id&eacute;es fausses&raquo;. Son Journal nous r&eacute;v&egrave;le ses
+pr&eacute;f&eacute;rences, qui vont &agrave; saint Augustin, &agrave; Bossuet, aux Chroniques de
+Joinville, &agrave; F&eacute;nelon, &agrave; La Fontaine, &agrave; Laharpe, &agrave; M<sup>me</sup> de Genlis; elle
+y puisait les principes moraux n&eacute;cessaires &agrave; l'&eacute;ducation de ses enfants,
+et ce sont l&agrave; les auteurs le plus souvent nomm&eacute;s par elle.</p>
+
+<p>Parfois, quelque nouveaut&eacute; c&eacute;l&egrave;bre arrivait jusqu'&agrave; elle; mais elle
+avait gard&eacute; de son &eacute;ducation religieuse l'horreur de la litt&eacute;rature
+romanesque ou sentimentale, de &laquo;l'abominable philosophie destructrice de
+la religion&raquo;. C'est ainsi que Chateaubriand lui para&icirc;tra &laquo;trop
+passionn&eacute;&raquo;, <i>Atala</i> &laquo;capable d'&eacute;chauffer la t&ecirc;te des jeunes gens&raquo;, <i>les
+Martyrs</i> &laquo;loin d'&ecirc;tre aussi bons moralement que beaucoup de gens le
+jugent&raquo;. &laquo;En tout, dira-t-elle apr&egrave;s la lecture du <i>G&eacute;nie</i>, cet ouvrage
+qui est pourtant tr&egrave;s bien me para&icirc;t un peu trop propre &agrave; exalter
+l'imagination.&raquo; <i>Corinne</i> sera pour elle &laquo;un roman invraisemblablement
+&eacute;crit et avec beaucoup de pr&eacute;tention&raquo;; cependant elle s'y int&eacute;ressera,
+&laquo;quoiqu'il y ait bien des choses &agrave; dire&raquo;. De m&ecirc;me, <i>Roland Furieux</i>
+qu'elle lira seulement en 1808, lui inspirera les r&eacute;flexions suivantes:
+&laquo;Il y a des choses plaisantes, mais il y en a de mauvaises que je passe,
+et il ne faudrait pas que des jeunes gens le lisent&raquo;.</p>
+
+<p>Mais le <span class="smcap">xviii</span><sup>e</sup> si&egrave;cle, surtout, sera pour elle un objet d'&eacute;pouvante:
+elle interdira s&eacute;v&egrave;rement &agrave; son fils les <i>M&eacute;moires de M<sup>me</sup> Roland</i>,
+&laquo;quoiqu'il en e&ucirc;t tr&egrave;s grande envie&raquo;: &laquo;Je sais bien, ajoute-t-elle
+m&eacute;lancoliquement, qu'il peut se procurer &agrave; mon insu tous les livres
+qu'il voudra, mais au moins je n'aurai pas &agrave; me reprocher de l'avoir
+autoris&eacute; &agrave; cela&raquo;. &laquo;On se permet trop, dira-t-elle aussi, de lire toutes
+sortes de livres sous pr&eacute;texte qu'il n'y a plus de danger: cela est fort
+mal fait.&raquo;</p>
+
+<p>Elle ira plus loin encore: en 1813&mdash;Lamartine avait donc vingt-trois
+ans,&mdash;elle profita d'un de ses voyages &agrave; Paris pour br&ucirc;ler ses livres,
+et par hasard elle ouvrira l'<i>&Eacute;mile</i> dont elle se laissera aller &agrave; lire
+quelques passages &laquo;qui sont superbes et m'ont fait du bien&raquo;; mais
+bient&ocirc;t le danger qu'elle a couru en s'abandonnant au charme de tant
+d'id&eacute;es qu'elle sait condamn&eacute;es, la remplit de terreur et elle
+terminera: &laquo;Cela me r&eacute;volte, je br&ucirc;lerai ce livre, malgr&eacute; ce qu'il y a
+de bon, et <i>la Nouvelle H&eacute;lo&iuml;se</i> aussi, bien plus dangereux encore parce
+qu'il anime davantage les passions et qu'il est plus s&eacute;duisant&raquo;.
+Rousseau l'effrayera toujours pour des motifs qu'elle n'explique pas,
+mais qu'on devine: sa vie priv&eacute;e, l'anarchie politique et religieuse
+dont elle le rend responsable, et son &laquo;abominable philosophie&raquo; qui
+synth&eacute;tise &agrave; ses yeux l'esprit du <span class="smcap">xviii</span><sup>e</sup> si&egrave;cle.</p>
+
+<p>Lamartine, on le voit, eut donc quelque mal &agrave; faire ses lectures
+ouvertement; d'ordinaire, il emportait son livre en promenade ou
+s'enfermait dans sa chambre. &Agrave; Milly et &agrave; Saint-Point d'ailleurs, il n'y
+avait pas de biblioth&egrave;que; &agrave; M&acirc;con et &agrave; Montceau, celles de son oncle
+&eacute;taient importantes, mais il n'en avait pas la disposition; il lui
+restait le cabinet de lecture de Myard, &agrave; M&acirc;con, o&ugrave; sa m&egrave;re nous apprend
+qu'il &eacute;tait abonn&eacute; en 1808, et Montculot, o&ugrave; l'abb&eacute; avait entass&eacute; deux
+mille volumes qu'il l&eacute;gua plus tard &agrave; son neveu. Il y ajoutera les
+contemporains, les nouveaut&eacute;s, bons ou mauvais livres, et en g&eacute;n&eacute;ral
+tout ce qui lui tombera sous la main.</p>
+
+<p>C'est le s&eacute;jour &agrave; Cr&eacute;mieu, en octobre 1808, qui marqua le d&eacute;but de sa
+fi&egrave;vre litt&eacute;raire. Dans quelles conditions, maintenant, va-t-il
+s'assimiler ces lectures faites sans direction et sans critique, et
+quelle influence vont-elles avoir sur la formation de sa personnalit&eacute;?
+Une th&eacute;orie s&eacute;duisante et facile m&ecirc;me &agrave; appuyer sur des faits serait de
+pr&eacute;tendre qu'il en go&ucirc;ta seulement les mauvais c&ocirc;t&eacute;s, se dirigea surtout
+vers Parny et son &eacute;cole et qu'il lui fallut la crise morale des ann&eacute;es
+1817-1819 pour se lib&eacute;rer enti&egrave;rement de leurs derniers souvenirs.
+Pourtant, &agrave; y regarder de plus pr&egrave;s, il semble que la v&eacute;rit&eacute; soit
+ailleurs.</p>
+
+<p>Certes, une des contradictions les plus singuli&egrave;res de la
+<i>Correspondance</i> est assur&eacute;ment ce m&eacute;lange, &agrave; premi&egrave;re vue inconciliable
+et quelque peu incoh&eacute;rent, d'impromptus, de pi&egrave;ces d'almanach, d'&eacute;p&icirc;tres
+pompeuses, et de peintures m&eacute;lancoliques ou d&eacute;sesp&eacute;r&eacute;es de ses
+souffrances morales. Mais c'est qu'&agrave; cette &eacute;poque, et pour longtemps
+encore, Lamartine qui, on l'a vu, r&ecirc;va tr&egrave;s t&ocirc;t de se faire un nom dans
+les lettres, tenait pour bonne la fameuse formule que les classiques
+opposeront plus tard &agrave; la d&eacute;bordante facilit&eacute; des romantiques: hors de
+l'ordre moral, point de v&eacute;ritable m&eacute;rite litt&eacute;raire; il ne pourra donc
+s'imaginer la gloire sous une autre forme que celle de pi&egrave;ces fugitives,
+toujours &agrave; la mode, d'interpr&eacute;tations plus ou moins fid&egrave;les d'un po&egrave;te
+&eacute;tranger, d'une trag&eacute;die bien r&eacute;guli&egrave;re, d'un po&egrave;me &eacute;pique
+laborieusement rim&eacute;. Et nous avons la preuve de cette conception du
+m&eacute;tier litt&eacute;raire par quelques odes intercal&eacute;es plus tard dans les
+<i>M&eacute;ditations</i>: le G&eacute;nie, l'Enthousiasme, et le Po&egrave;te exil&eacute;.</p>
+
+<p>Le contraste ne manque pas aujourd'hui d'un certain piquant lorsqu'on
+voit na&icirc;tre peu &agrave; peu dans la <i>Correspondance</i> les premi&egrave;res
+<i>M&eacute;ditations</i>, jalousement cach&eacute;es comme des essais intimes et trop
+personnels, tandis que Lamartine court Paris un <i>Sa&uuml;l</i> ou une <i>M&eacute;d&eacute;e</i>
+sous le bras: &laquo;Je vais me remettre au grand ouvrage de ma vie, &eacute;crit-il
+en 1816 &agrave; son ami Vaugelas; si je r&eacute;ussis, je serai un grand homme;
+sinon la France aura un Chapelain ou un Cottin de plus&raquo;<a name="FNanchor_176_176" id="FNanchor_176_176"></a><a href="#Footnote_176_176" class="fnanchor">[176]</a>. Le grand
+ouvrage, ce n'&eacute;tait pas, comme on pourrait le croire, ses <i>M&eacute;ditations</i>,
+mais un po&egrave;me &eacute;pique sur Clovis, qui l'occupa jusqu'en 1820. Bien mieux,
+au moment o&ugrave; il se d&eacute;cidera &agrave; publier, presqu'&agrave; contre-c&#339;ur<a name="FNanchor_177_177" id="FNanchor_177_177"></a><a href="#Footnote_177_177" class="fnanchor">[177]</a>, les
+<i>M&eacute;ditations</i>, ce fut sans les soins amoureux du po&egrave;te pour son
+premier-n&eacute;<a name="FNanchor_178_178" id="FNanchor_178_178"></a><a href="#Footnote_178_178" class="fnanchor">[178]</a>, et pour essayer de &laquo;lancer&raquo; ses trag&eacute;dies<a name="FNanchor_179_179" id="FNanchor_179_179"></a><a href="#Footnote_179_179" class="fnanchor">[179]</a>.</p>
+
+<p>Que conclure de cette perp&eacute;tuelle violence &agrave; ses sentiments v&eacute;ritables,
+sinon que ses premiers essais furent con&ccedil;us seulement dans le but d&eacute;fini
+d'atteindre &agrave; la c&eacute;l&eacute;brit&eacute;, et qu'il renfermait soigneusement en lui
+les troubles et les d&eacute;tresses dont d&eacute;bordent ses lettres?</p>
+
+<p>C'est pourquoi, au cours de ses lectures, il ne s'enthousiasmera pas
+pour ceux qu'il imitait par m&eacute;tier; au contraire son ardeur, lorsqu'il
+s'agit de Rousseau, d'Young, d'Ossian, de M<sup>me</sup> de Sta&euml;l et de
+Chateaubriand, prouve que ceux-l&agrave; furent les v&eacute;ritables &eacute;ducateurs de sa
+pens&eacute;e et qu'il leur doit presque tout de ses aspirations tourment&eacute;es et
+insatisfaites<a name="FNanchor_180_180" id="FNanchor_180_180"></a><a href="#Footnote_180_180" class="fnanchor">[180]</a>.</p>
+
+<p>Il faut noter aussi son incompr&eacute;hension absolue des &#339;uvres d'analyse et
+de pr&eacute;cision qui ne r&eacute;pondent chez lui &agrave; aucun &eacute;tat d'&acirc;me. Les seuls
+Allemands qu'il nomme sont G&#339;the et Zimmermann, l'un pour son <i>Werther</i>,
+l'autre pour son <i>Trait&eacute; de la solitude</i>; mais les deux sujets qui
+pourtant semblaient faits pour lui plaire n'eurent pas sur lui l'effet
+qu'on pourrait supposer: &laquo;Je viens de lire <i>Werther</i>, &eacute;crit-il en 1809,
+il m'a fait la chair de poule: je l'aime pas mal non plus. Il m'a
+redonn&eacute; de l'&acirc;me, du go&ucirc;t pour le travail, le grec; il m'a un peu
+<i>attrist&eacute; et assombri</i><a name="FNanchor_181_181" id="FNanchor_181_181"></a><a href="#Footnote_181_181" class="fnanchor">[181]</a>.&raquo; R&eacute;sultat impr&eacute;vu et qu'on n'attendait
+gu&egrave;re d'une lecture qui d&eacute;moralisa la jeunesse romantique; tout au moins
+peut-on l'expliquer du fait que <i>Werther</i>, &#339;uvre documentaire et assez
+froide, ne fut jamais v&eacute;cue par G&#339;the; instinctivement peut-&ecirc;tre,
+Lamartine ne s'y trompa point et n'y d&eacute;couvrit pas l'accent de
+sinc&eacute;rit&eacute; qu'il lui fallait. &laquo;Vive les Allemands pour la raison!<a name="FNanchor_182_182" id="FNanchor_182_182"></a><a href="#Footnote_182_182" class="fnanchor">[182]</a>&raquo;
+s'&eacute;criait-il apr&egrave;s la lecture du <i>Trait&eacute; de la solitude</i> o&ugrave; Zimmermann a
+m&eacute;thodiquement catalogu&eacute; les inconv&eacute;nients et les avantages de cet &eacute;tat
+d'&acirc;me: il ne rencontrait en effet chez eux gu&egrave;re autre chose que la
+raison, l'esprit brutal et sec d'analyse ou de classification, choses
+qu'il ignore et qui cadrent mal avec sa nature mouvante et pleine de
+revirements.</p>
+
+<p>&Agrave; cet &eacute;gard, encore, l'exemple de Montaigne est tout aussi typique. La
+premi&egrave;re rencontre fut mauvaise<a name="FNanchor_183_183" id="FNanchor_183_183"></a><a href="#Footnote_183_183" class="fnanchor">[183]</a>, mais Virieu, d'un esprit aussi
+froid et m&eacute;thodique que le sien l'&eacute;tait peu, voulut lui faire partager
+son admiration pour celui qu'il appelait son ma&icirc;tre et Lamartine s'y
+employa de bon c&#339;ur: &laquo;Je lis l'ami Montaigne, lui r&eacute;pond-il, que
+j'apprends tous les jours &agrave; mieux conna&icirc;tre et par cons&eacute;quent &agrave; aimer
+davantage; veux-tu que je te dise ce qui m'y attache plus encore? c'est
+que je trouve une certaine analogie entre son caract&egrave;re et le
+tien<a name="FNanchor_184_184" id="FNanchor_184_184"></a><a href="#Footnote_184_184" class="fnanchor">[184]</a>&raquo;. On sent alors que, bien plus par amiti&eacute; que par go&ucirc;t, il
+s'&eacute;vertue &agrave; l'admirer, &laquo;l'adore&raquo;, l'aime &laquo;infiniment plus
+qu'autrefois<a name="FNanchor_185_185" id="FNanchor_185_185"></a><a href="#Footnote_185_185" class="fnanchor">[185]</a>&raquo;. Pourtant, la premi&egrave;re impression &eacute;tait la bonne et
+en 1811 il &eacute;crivait &laquo;...Ses id&eacute;es m'amusent, mais ses opinions me
+fatiguent et me blessent... il faut &ecirc;tre froid pour se plaire &agrave;
+Montaigne; je l'ai aim&eacute; tant que je n'ai rien eu dans le c&#339;ur;... tout
+ce que j'aime en lui, c'est son amiti&eacute; pour La Bo&euml;tie<a name="FNanchor_186_186" id="FNanchor_186_186"></a><a href="#Footnote_186_186" class="fnanchor">[186]</a>&raquo;. Tel avait
+&eacute;t&eacute; le vrai motif de son admiration passag&egrave;re: un seul point lui plut,
+o&ugrave; il retrouvait un sentiment personnel, son amiti&eacute; pour Virieu; le
+reste lui &eacute;chappa.</p>
+
+<p>Ainsi, chez, lui, tout se r&eacute;sume dans la premi&egrave;re impression, et c'est
+la seule qui doive compter lorsqu'il s'agit de l'&eacute;tudier, d'autant qu'il
+n'apportait aucun esprit critique dans ses lectures, aucune mesure dans
+ses admirations et qu'il lui suffisait pour go&ucirc;ter une &#339;uvre d'y
+retrouver la description d'un de ses &eacute;tats d'&acirc;me, un sentiment d&eacute;j&agrave;
+&eacute;prouv&eacute;, ou l'&eacute;cho d'un souvenir; exasp&eacute;r&eacute;es ainsi, son imagination, sa
+sensibilit&eacute;, l'imagination maladive qu'il portait en toutes choses
+faisaient le reste.</p>
+
+<p>Domin&eacute; par tant d'influences litt&eacute;raires, il se trouvait &agrave; la merci de
+toutes les chim&egrave;res qu'elles allaient faire na&icirc;tre et la moindre
+&eacute;tincelle devait enflammer le brasier qu'il portait en lui. Mais il
+&eacute;tait fatal aussi que sa premi&egrave;re &eacute;motion du c&#339;ur d&ucirc;t y gagner en
+violence plut&ocirc;t qu'en sinc&eacute;rit&eacute;, et le tr&egrave;s romantique amour de
+Lamartine pour la jeune Henriette Pommier, inconsciente tentative
+d'appliquer &agrave; la vie les id&eacute;es dont il &eacute;tait nourri, eut le bref
+d&eacute;nouement que sa nature changeante laissait pr&eacute;voir<a name="FNanchor_187_187" id="FNanchor_187_187"></a><a href="#Footnote_187_187" class="fnanchor">[187]</a>.</p>
+
+<p>Marie-Henriette Pommier, n&eacute;e &agrave; M&acirc;con le 1<sup>er</sup> mai 1790, &eacute;tait fille de
+Pierre Pommier, conseiller au bailliage avant la R&eacute;volution, puis juge
+de paix &agrave; M&acirc;con, et de Philiberte Patissier de la Presle, d'une vieille
+famille du pays. Elle &eacute;tait donc un peu plus &acirc;g&eacute;e que Lamartine et c'est
+ainsi, sans doute, qu'il faut entendre la disparit&eacute; d'&acirc;ge dont il a
+parl&eacute; comme du premier obstacle au mariage qu'il avait projet&eacute;. D'autre
+part, sa naissance confirme ce qu'il a dit lui-m&ecirc;me en &eacute;crivant qu'elle
+tenait d'un c&ocirc;t&eacute; &agrave; la noblesse du pays et de l'autre &agrave; la bourgeoisie.</p>
+
+<p>Au dire de ceux qui les ont connus, les Pommier &eacute;taient d'honn&ecirc;tes et
+simples gens: M<sup>me</sup> Pommier &eacute;tait une excellente femme tr&egrave;s vive et
+tr&egrave;s spirituelle et qui, &agrave; quatre-vingts ans, montrait encore dans le
+monde de fort belles &eacute;paules. Sa demeure &eacute;tait situ&eacute;e face &agrave; l'h&ocirc;tel de
+ville de M&acirc;con devant lequel une sentinelle montait alors la garde; pour
+se d&eacute;lasser de ses longues insomnies, elle entamait parfois une
+conversation avec le factionnaire et ces duos nocturnes faisaient la
+joie des salons m&acirc;connais.</p>
+
+<p>Sa fille &eacute;tait &agrave; vingt ans une merveilleuse cr&eacute;ature: M. Dur&eacute;ault, qui a
+tenu entre les mains sa miniature ex&eacute;cut&eacute;e &agrave; l'&eacute;poque, et m&ecirc;me un de ses
+souliers de bal, affirme que le portrait laiss&eacute; d'elle par Lamartine
+est fort ressemblant et que &laquo;sa beaut&eacute; pensive, sa taille mince, sa
+d&eacute;marche svelte, la gr&acirc;ce de ses bras, l'inimitable d&eacute;licatesse de ses
+pieds, la langueur morbide de son cou, son sourire &agrave; la fois charmant et
+m&eacute;lancolique&raquo; sont autant de d&eacute;tails fid&egrave;les et qui n'ont pas &eacute;t&eacute;
+exag&eacute;r&eacute;s par le po&egrave;te.</p>
+
+<p>Les jeunes gens se rencontr&egrave;rent en soir&eacute;e, &agrave; l'un de ces bals o&ugrave; nous
+avons vu fr&eacute;quenter le jeune homme pendant l'hiver 1810-1811. Dans les
+<i>M&eacute;moires in&eacute;dits</i>, Lamartine n'a nomm&eacute; leur h&ocirc;tesse que de son
+initiale: c'&eacute;tait M<sup>me</sup> de la Vernette, femme de Pierre-Bernard de la
+Vernette, ancien capitaine au r&eacute;giment de Navarre et chevalier de
+Saint-Louis, qui, tr&egrave;s mondaine et lettr&eacute;e, recevait dans ses salons
+l'&eacute;lite de la soci&eacute;t&eacute; de la ville; les jeunes dansaient, disaient des
+vers; les hommes causaient litt&eacute;rature et politique: un soir, Henriette
+Pommier dont la voix &eacute;tait fort belle se mit au piano, et Lamartine c&eacute;da
+au charme<a name="FNanchor_188_188" id="FNanchor_188_188"></a><a href="#Footnote_188_188" class="fnanchor">[188]</a>.</p>
+
+<p>C'est au d&eacute;but de f&eacute;vrier 1811 que Guichard re&ccedil;ut la confidence de cette
+passion naissante<a name="FNanchor_189_189" id="FNanchor_189_189"></a><a href="#Footnote_189_189" class="fnanchor">[189]</a> et il faut noter que, d'apr&egrave;s la
+<i>Correspondance</i>, l'aust&egrave;re Virieu ne fut pas tenu au courant de tous
+les d&eacute;tails de l'aventure. &Agrave; cette date, l'amoureux n'avait pas encore
+os&eacute; se d&eacute;clarer et le roman en &eacute;tait d'ailleurs &agrave; ses premi&egrave;res pages,
+puisqu'il annon&ccedil;ait &agrave; son ami qu'il allait faire &laquo;un de ces jours&raquo; une
+path&eacute;tique d&eacute;claration et serait ensuite soulag&eacute; &laquo;en grande partie&raquo;.
+Mais, incapable qu'il &eacute;tait de se ma&icirc;triser, les salons de M&acirc;con
+commenc&egrave;rent &agrave; s'&eacute;tonner de son assiduit&eacute; aupr&egrave;s de la jeune fille.
+Faut-il croire ici que l'oncle, connaissant le caract&egrave;re fantasque du
+neveu, ait tent&eacute; une diversion en le faisant admettre &agrave; l'Acad&eacute;mie de
+M&acirc;con malgr&eacute; ses vingt ans<a name="FNanchor_190_190" id="FNanchor_190_190"></a><a href="#Footnote_190_190" class="fnanchor">[190]</a>? L'hypoth&egrave;se n'aurait rien
+d'invraisemblable, en tenant compte des id&eacute;es de Louis-Fran&ccedil;ois, qui
+jusqu'ici n'avait gu&egrave;re encourag&eacute; les go&ucirc;ts litt&eacute;raires de l'adolescent.
+Quoi qu'il en soit ce fut peine perdue, sa devise du jour &eacute;tant: <i>Rien
+ne m'est tout</i> (?), <i>tout ne m'est rien</i><a name="FNanchor_191_191" id="FNanchor_191_191"></a><a href="#Footnote_191_191" class="fnanchor">[191]</a>. Sa d&eacute;tresse, qu'il
+exposait avec complaisance, entra alors dans la phase m&eacute;lancolique:
+Ossian, Young et Shakespeare voisin&egrave;rent sur sa table et il errait, &agrave;
+l'en croire, &agrave; travers la campagne avec son chien, pleurant &laquo;comme un
+enfant&raquo; &agrave; la lecture de Sterne<a name="FNanchor_192_192" id="FNanchor_192_192"></a><a href="#Footnote_192_192" class="fnanchor">[192]</a>. Virieu&mdash;qui semble ignorer encore
+les causes de cette nouvelle d&eacute;sesp&eacute;rance&mdash;s'en inqui&eacute;ta et lui arracha
+le serment de ne pas mettre fin &agrave; ses jours, ce qui lui fut accord&eacute;
+somme toute avec assez de bonne volont&eacute;<a name="FNanchor_193_193" id="FNanchor_193_193"></a><a href="#Footnote_193_193" class="fnanchor">[193]</a>.</p>
+
+<p>Il faut croire que mars avait vu sa d&eacute;claration; le 2 avril, en effet,
+il &eacute;crivait &agrave; Guichard une lettre enflamm&eacute;e: &laquo;Oui, mon ami, plains-moi,
+pleure sur moi! je suis bien digne de quelque piti&eacute;. J'aime pour la vie,
+je ne m'appartiens plus et je n'ai nulle esp&eacute;rance de bonheur
+quoiqu'&eacute;tant pay&eacute; du plus tendre retour; tout nous s&eacute;pare, quoique tout
+nous unisse, je vais prendre incessamment un parti violent pour obtenir
+sa main &agrave; vingt-cinq ans<a name="FNanchor_194_194" id="FNanchor_194_194"></a><a href="#Footnote_194_194" class="fnanchor">[194]</a>.&raquo; Le &laquo;parti violent&raquo; fut de s'ouvrir &agrave; la
+famille de ses projets, et l'on peut penser, comme il l'a dit, qu'ils
+furent mal accueillis. Il &eacute;tait sans position, la dot de la jeune fille
+assez mince, et l'alliance Pommier ne tentait gu&egrave;re l'aristocratique
+Louis-Fran&ccedil;ois. Les Lamartine furent in&eacute;branlables, et il n'obtint pas
+m&ecirc;me, cette fois, la demi-promesse qu'on lui accordait d'habitude, en
+laissant au temps ou &agrave; quelque nouvelle chim&egrave;re le soin d'apaiser son
+imagination.</p>
+
+<p>Voici pourtant chez lui l'indice d'une passion s&eacute;rieuse: malgr&eacute; tout son
+amour de l'ind&eacute;pendance, &eacute;crivait-il &agrave; Guichard, il se d&eacute;cidera &agrave;
+travailler<a name="FNanchor_195_195" id="FNanchor_195_195"></a><a href="#Footnote_195_195" class="fnanchor">[195]</a>. Le projet &eacute;tait encore assez vague puisqu'il s'agissait
+de solliciter &agrave; l'automne un emploi quelconque dans le gouvernement.
+Mais l'intention connut m&ecirc;me un semblant d'ex&eacute;cution. Le 24 avril, sa
+m&egrave;re a en effet not&eacute; qu'au cours d'une visite &agrave; Champgrenon chez les
+Rambuteau il se fit pr&eacute;senter au comte Louis de Narbonne, ministre de
+France en Bavi&egrave;re, qui le re&ccedil;ut avec amabilit&eacute; et l'engagea &agrave; venir &agrave;
+Paris, o&ugrave; il lui trouverait une situation. &laquo;Tout cela peut avoir plus de
+danger, peut-&ecirc;tre encore, que d'utilit&eacute;&raquo;, ajoute M<sup>me</sup> de Lamartine.
+Ainsi, bien qu'elle semble s'&ecirc;tre fait un scrupule de rester neutre dans
+la question,&mdash;c'est la seule allusion &agrave; M<sup>lle</sup> Pommier que l'on
+rencontre dans son journal&mdash;on voit qu'elle n'&eacute;tait pas favorable &agrave; ce
+mariage et pr&eacute;f&eacute;rait encore voir son fils inactif.</p>
+
+<p>La r&eacute;sistance qu'il rencontrait ne fit qu'aggraver, comme toujours, son
+exaltation, et il d&eacute;cida d'employer la supr&ecirc;me ressource: ne pouvant
+rien obtenir qui lui donn&acirc;t l'assurance d'une &laquo;libre aisance&raquo;, il
+entrera dans l'arm&eacute;e &laquo;et essaiera de se faire tuer, ou du moins,
+ajoute-t-il prudemment, d'acqu&eacute;rir un grade qui le fera vivre, sa femme
+et lui<a name="FNanchor_196_196" id="FNanchor_196_196"></a><a href="#Footnote_196_196" class="fnanchor">[196]</a>&raquo;. Il disait <i>sa femme</i>, &laquo;parce que je la regarde comme telle
+et que rien au monde ne peut nous s&eacute;parer&raquo;.</p>
+
+<p>L'affaire devenait s&eacute;rieuse, mais les Lamartine tinrent bon. Usant d'une
+tactique qui leur avait d&eacute;j&agrave; r&eacute;ussi, ils l'exp&eacute;di&egrave;rent bon gr&eacute; mal gr&eacute; &agrave;
+Montculot vers la fin d'avril. Le 20 mai il &eacute;tait de retour, d&eacute;go&ucirc;t&eacute; de
+la Bourgogne qu'un &laquo;tendre attachement&raquo; ne parvenait m&ecirc;me pas &agrave; lui
+faire aimer, toujours cruellement amoureux<a name="FNanchor_197_197" id="FNanchor_197_197"></a><a href="#Footnote_197_197" class="fnanchor">[197]</a>, et proclamant tout haut
+l'&eacute;ternit&eacute; de ses sentiments en m&ecirc;me temps que la barbarie de sa
+famille. &Agrave; l'en croire m&ecirc;me, M<sup>me</sup> Pommier serait venue alors trouver
+les Lamartine pour leur soumettre avec beaucoup de loyaut&eacute; une lettre
+d'Alphonse &agrave; <i>sa femme</i>, o&ugrave; il jurait que rien ne pourrait les d&eacute;sunir.
+&Agrave; tout prix, cette fois, il fallait l'&eacute;loigner; mais sur ce point il
+&eacute;tait intraitable, &agrave; moins, sans doute, d'une occasion exceptionnelle.
+Il s'en pr&eacute;senta une qui le fit r&eacute;fl&eacute;chir.</p>
+
+
+<p class="e">Le 22 mai, M<sup>me</sup> de Roquemont et sa fille M<sup>me</sup> Haste, qui revenaient
+de Paris, s'arr&ecirc;t&egrave;rent quelques jours &agrave; M&acirc;con. M<sup>me</sup> de Roquemont, de
+tout temps la confidente de sa cousine, fut mise au courant de la
+situation: M<sup>me</sup> de Lamartine lui repr&eacute;senta &laquo;la maladie de nerfs&raquo;
+d'Alphonse, &laquo;la vivacit&eacute; de son &acirc;ge et son imagination&raquo;, en m&ecirc;me temps
+que ses cons&eacute;quences actuelles. Mais que faire? elle ne voulait pas
+entendre parler d'un long voyage sans contr&ocirc;le possible, et pr&eacute;f&eacute;rait
+encore le voir &agrave; M&acirc;con pr&egrave;s d'elle; que deviendrait-il, une fois seul,
+avec cette imagination ardente?</p>
+
+<p>M. et M<sup>me</sup> Haste, pr&ecirc;ts &agrave; partir pour l'Italie, s'offrirent alors avec
+beaucoup de bonne gr&acirc;ce &agrave; tirer leurs cousins d'embarras en emmenant le
+jeune homme avec eux, et tous les Lamartine furent d'accord pour saisir
+une telle occasion; les deux oncles et les trois tantes fournirent
+chacun vingt-cinq louis, et cette fois avec empressement, tandis que le
+p&egrave;re compl&eacute;tait de son mieux la somme n&eacute;cessaire. Le plus difficile
+restait &agrave; faire: il s'agissait maintenant de d&eacute;cider le jeune amoureux.</p>
+
+<p>Au premier mot qu'on lui en toucha, il n'eut pas, d'apr&egrave;s sa m&egrave;re, la
+moindre h&eacute;sitation, et sauta litt&eacute;ralement de joie. Depuis deux ans
+l'Italie &eacute;tait un de ses r&ecirc;ves, et il sacrifia sans regret l'autre pour
+celui-l&agrave;, plus neuf et imm&eacute;diatement r&eacute;alisable. &laquo;Il faut bien que je
+rompe les liens les plus doux, &eacute;crit-il aussit&ocirc;t &agrave; Guichard, que je me
+condamne pendant sept ou huit mois &agrave; une douleur mille fois pire que la
+mort, que j'abandonne tout ce qui m'est le plus cher dans le monde apr&egrave;s
+mes deux amis. N'en parlons plus, ne rouvrons pas les blessures trop
+fra&icirc;ches et trop cruelles<a name="FNanchor_198_198" id="FNanchor_198_198"></a><a href="#Footnote_198_198" class="fnanchor">[198]</a>....&raquo; &Agrave; Milly on pouvait respirer, car la
+diversion &eacute;tait trouv&eacute;e.</p>
+
+<p>Certes, dans l'intention un peu excusable de ne pas para&icirc;tre trop
+inconstant aux yeux de Guichard qui avait re&ccedil;u la confidence de ses
+d&eacute;sespoirs, son ancienne passion figurera par des rappels de ton dans
+les premi&egrave;res lettres d'Italie: &laquo;&Ocirc; mon cher ami! tu ne sais donc pas
+tout ce que j'ai laiss&eacute; en France? s'&eacute;criera-t-il lyriquement; tu ne
+sais donc pas que toute esp&eacute;rance est morte dans mon c&#339;ur et que, plus
+&agrave; plaindre que Saint-Preux, je n'aurai connu qu'une passion sans aucune
+jouissance, et qui va me pr&eacute;cipiter dans un ab&icirc;me sans fond<a name="FNanchor_199_199" id="FNanchor_199_199"></a><a href="#Footnote_199_199" class="fnanchor">[199]</a>?&raquo; Les
+lettres &agrave; Virieu sont d'une autre d&eacute;sinvolture: &laquo;Que de larmes vont
+couler! lui dit-il, combien j'aurai d'assauts &agrave; soutenir pour ne pas me
+d&eacute;dire! mais j'ai du c&#339;ur (!) et toutes les Armides de ma patrie ne
+retiendront pas un pauvre chevalier qui va courir les aventures<a name="FNanchor_200_200" id="FNanchor_200_200"></a><a href="#Footnote_200_200" class="fnanchor">[200]</a>&raquo;.</p>
+
+<p>Le moyen, en effet, de r&eacute;sister au plaisir tr&egrave;s litt&eacute;raire d'aller
+tra&icirc;ner sa m&eacute;lancolie sous le ciel de Rome ou de Florence? Bien avant le
+d&eacute;part, l'amour d'Henriette n'&eacute;tait plus qu'un souvenir, et rien ne
+peint mieux cette extr&ecirc;me mobilit&eacute; de sentiments, cette &acirc;me changeante
+et si vite rassasi&eacute;e, soumise qu'elle est &agrave; toutes les influences
+ext&eacute;rieures, cette imagination vagabonde que rien ne peut fixer.</p>
+
+<p>L'imagination qui venait en effet de jouer le premier r&ocirc;le dans cette
+aventure va trouver un aliment nouveau dans ce projet de voyage. Tout y
+sera pr&eacute;vu minutieusement, organis&eacute; d'apr&egrave;s un plan, rigoureux et pr&eacute;cis
+au d&eacute;part, mais qui, pas davantage que les pr&eacute;c&eacute;dents, ne rencontrera
+d'ex&eacute;cution. C'&eacute;tait l&agrave; son v&eacute;ritable plaisir, et la r&eacute;alisation lui
+importait peu. Un jour, il demandait &agrave; Virieu des recommandations &laquo;pour
+des gens instruits ou des maisons agr&eacute;ables<a name="FNanchor_201_201" id="FNanchor_201_201"></a><a href="#Footnote_201_201" class="fnanchor">[201]</a>&raquo;, un autre il
+&eacute;chafaudait les travaux les plus magnifiques: &laquo;Moi aussi, je ferai mon
+voyage, mon itin&eacute;raire&raquo;, s'exclamait-il en &eacute;voquant ses souvenirs
+litt&eacute;raires; et il devait revenir parlant l'italien le plus pur et le
+grec<a name="FNanchor_202_202" id="FNanchor_202_202"></a><a href="#Footnote_202_202" class="fnanchor">[202]</a>.</p>
+
+<p>Tous furent enchant&eacute;s de cette diversion inesp&eacute;r&eacute;e. Mais la m&egrave;re avait
+fini par acqu&eacute;rir un peu d'exp&eacute;rience de son fils; elle saisissait bien
+les motifs de ce revirement soudain, et lorsqu'elle &eacute;crivait: &laquo;Ce voyage
+est au moins tr&egrave;s utile en ce moment pour occuper l'activit&eacute; de sa t&ecirc;te
+et de son imagination de vingt ans&raquo;, elle voyait juste, l'imagination
+seule &eacute;tait responsable; craignant m&ecirc;me que ce beau feu ne s'&eacute;teign&icirc;t
+comme les autres elle pressa le d&eacute;part et l'exp&eacute;dia &agrave; Lyon le 1<sup>er</sup>
+juillet. &laquo;Enfin, note-t-elle ce jour-l&agrave; avec soulagement, tout a fini
+par s'arranger &agrave; notre satisfaction et surtout &agrave; celle d'Alphonse.&raquo;</p>
+
+<p>Ainsi se termina ce petit roman dont Vignet, &eacute;tonn&eacute; d'un si rapide
+oubli, lui reprochait au retour de Naples d'avoir perdu la m&eacute;moire<a name="FNanchor_203_203" id="FNanchor_203_203"></a><a href="#Footnote_203_203" class="fnanchor">[203]</a>.
+La fin en est conforme &agrave; ce qu'il a racont&eacute;: le 25 ao&ucirc;t 1813, Henriette
+Pommier &eacute;pousait &agrave; M&acirc;con Jean-Baptiste Leschenault du Villard ancien
+capitaine de chasseurs, sans que son premier et volage fianc&eacute; s'en soit
+d&eacute;sesp&eacute;r&eacute;; il &eacute;tait alors &agrave; Paris o&ugrave; d'autres plaisirs avaient remplac&eacute;
+cet innocent commentaire de Jean-Jacques. De part et d'autre les deux
+familles avaient tenu peu compte de ces enfantillages, puisque
+Fran&ccedil;ois-Louis de Lamartine fut t&eacute;moin au mariage de la jeune fille.</p>
+
+<p>Henriette v&eacute;cut aux environs de M&acirc;con, et elle repose aujourd'hui dans
+la petite chapelle triste de la demeure o&ugrave; elle coula des jours sans
+histoire. Regretta-t-elle, aux heures triomphales que connut Lamartine,
+de ne pas partager sa gloire et de n'avoir pas r&eacute;alis&eacute; son r&ecirc;ve de jeune
+fille? La post&eacute;rit&eacute;, elle, n'a pas &agrave; le d&eacute;plorer: Lamartine mari&eacute; &agrave;
+vingt et un ans n'e&ucirc;t pas &eacute;t&eacute; le po&egrave;te des <i>M&eacute;ditations</i>.</p>
+
+
+
+<hr />
+<h2><a name="CHAPITRE_IIId" id="CHAPITRE_IIId"></a><a href="#toc">CHAPITRE III</a></h2>
+
+<p class="c">LE VOYAGE D'ITALIE</p>
+
+
+<p>Le voyage d'Italie, suite impr&eacute;vue mais agr&eacute;able de tant d'infortunes,
+n'eut pas sur le d&eacute;veloppement po&eacute;tique de Lamartine l'influence qu'on
+lui a trop souvent pr&ecirc;t&eacute;e.</p>
+
+<p>Florence et Rome &eacute;taient pourtant le cadre parfait d'un amour malheureux
+et le soup&ccedil;on de m&eacute;lancolie qu'il emportait avec lui &eacute;tait &agrave; l'&eacute;poque un
+&eacute;l&eacute;ment indispensable pour go&ucirc;ter pleinement le charme des ruines et des
+monuments. Au fond, ce voyage &eacute;tait tr&egrave;s litt&eacute;raire, ce qui l'enchanta,
+tout p&eacute;n&eacute;tr&eacute; qu'il &eacute;tait alors de l'Oswald de <i>Corinne</i>. Mais il partait
+pour l'Italie en touriste, le crayon &agrave; la main, plus soucieux au d&eacute;but
+de chercher des impressions que de les laisser venir &agrave; lui
+d'elles-m&ecirc;mes; sa <i>Correspondance</i> et son bref carnet de voyage sont l&agrave;
+pour en t&eacute;moigner. Huit ans plus tard, Lamartine m&ucirc;ri et d&eacute;senchant&eacute; e&ucirc;t
+&eacute;t&eacute; s&eacute;duit par bien des d&eacute;tails qui en 1811 le laiss&egrave;rent indiff&eacute;rent.
+Ce qu'il aima surtout dans ce s&eacute;jour fut l'ind&eacute;pendance qu'il lui
+procura; les nuances, la po&eacute;sie un peu triste des choses lui &eacute;chapp&egrave;rent
+compl&egrave;tement. Parfois on rencontre dans ses notes quelque froide
+r&eacute;miniscence de Chateaubriand ou de Volney dont sa prose essouffl&eacute;e
+essaye en vain d'imiter le rythme; &agrave; Naples enfin, la contrainte qu'il
+s'&eacute;tait impos&eacute;e lui devint insupportable et il abandonna P&eacute;trarque,
+qu'il s'effor&ccedil;ait de lire sans y comprendre grand'chose<a name="FNanchor_204_204" id="FNanchor_204_204"></a><a href="#Footnote_204_204" class="fnanchor">[204]</a>; gris&eacute; de
+lumi&egrave;re et de libert&eacute;, il fut jeune, insouciant, avide de plaisir et se
+laissa vivre indolemment. Nous retrouverons cet &eacute;tat d'&acirc;me en 1822:
+<i>Ischia</i>, <i>Philosophie</i>, <i>le Pass&eacute;</i>, la suave <i>&Eacute;l&eacute;gie</i> des Nouvelles
+M&eacute;ditations, appartiennent &agrave; la m&ecirc;me inspiration que l'<i>Hymne au
+Soleil</i>, <i>&Agrave; Elvire</i> et <i>le Golfe de Baia</i>.</p>
+
+<p>Sans doute, on peut faire avec justesse des rapprochements entre divers
+passages du <i>Carnet</i> et certains fragments des <i>M&eacute;ditations</i>; mais ces
+r&eacute;miniscences nous paraissent trop directes, surtout si l'on tient
+compte du peu de pr&eacute;cision de Lamartine, pour ne pas admettre qu'ayant
+eu en 1819 &agrave; d&eacute;crire quelques monuments ou aspects d'Italie, il ait
+alors fait appel &agrave; ses notes de voyage, r&eacute;dig&eacute;es autrefois dans un vague
+but litt&eacute;raire. Quoi qu'on puisse dire, P&eacute;trarque et Lamartine n'ont pas
+de rapports. P&eacute;trarque chanta l'amour id&eacute;al; apr&egrave;s <i>le Lac</i>, Lamartine
+pleura l'amour impossible et par la force des choses finit par tourner
+au p&eacute;trarquisme, p&eacute;trarquisme infiniment plus humain, pourrait-on dire,
+que celui du ma&icirc;tre italien. Du fait que nous poss&eacute;dions un petit
+P&eacute;trarque ayant appartenu au po&egrave;te, dont un sonnet au moins fut traduit
+par lui, il serait imprudent de conclure &agrave; une influence aussi profonde
+que celle d'Young, car les traductions de po&egrave;tes &eacute;trangers, auxquelles
+il s'astreignit souvent dans sa jeunesse, ne furent jamais pour lui que
+des exercices de versification. Il n'existe dans son &#339;uvre aucune
+ambiance italienne m&eacute;lancolique ou douloureuse, car il ne connut
+l'Italie qu'&agrave; des moments d'accalmie et d'insouciance o&ugrave; ses ma&icirc;tres
+furent Horace ou Catulle et non pas P&eacute;trarque.</p>
+
+<p>En 1811, Lamartine quittait la France obs&eacute;d&eacute; par les souvenirs de
+Chateaubriand et de M<sup>me</sup> de Sta&euml;l et cet &eacute;tat d'esprit persista
+pendant la premi&egrave;re partie du voyage; &agrave; Rome, on voit par le <i>Carnet</i>
+qu'il commen&ccedil;ait d&eacute;j&agrave; &agrave; lutter contre eux; &agrave; Naples, enfin, il s'en
+lib&eacute;ra compl&egrave;tement et ses vingt ans reprirent le dessus. Il
+s'abandonna, &eacute;bloui, enchant&eacute;, et au th&egrave;me de la vie trop longue succ&eacute;da
+celui de l'heure trop br&egrave;ve. Il est regrettable qu'il ait br&ucirc;l&eacute; plus
+tard toutes les po&eacute;sies &eacute;crites &agrave; cette &eacute;poque, mais cet autodaf&eacute;
+indique qu'elles devaient diff&eacute;rer de sa seconde mani&egrave;re; pourtant les
+trois <i>M&eacute;ditations</i> que nous avons nomm&eacute;es, les seules qu'il conserva,
+prouvent suffisamment qu'au cours de ce s&eacute;jour en Italie il lut, go&ucirc;ta
+et comprit surtout les &eacute;l&eacute;giaques latins.</p>
+
+<p>Lamartine et ses compagnons de route quitt&egrave;rent Lyon le 15 juillet et la
+veille M<sup>me</sup> de Lamartine &eacute;crivait dans son journal:</p>
+
+<p>&laquo;Alphonse doit demain partir pour l'Italie; ils vont en voiture &agrave;
+Livourne o&ugrave; M. de Roquemont a une maison de commerce; ils y resteront
+deux &agrave; trois mois. De l&agrave;, ils iront &agrave; Rome et peut-&ecirc;tre &agrave; Naples. C'est
+un charmant voyage pour mon fils et j'esp&egrave;re qu'il sera profitable &agrave; sa
+sant&eacute; qui n'est toujours pas tr&egrave;s forte. Mais il sera au moins tr&egrave;s
+utile en ce moment pour occuper un peu l'activit&eacute; de sa t&ecirc;te et de son
+imagination de vingt ans.&raquo;</p>
+
+<p>&Agrave; Chamb&eacute;ry o&ugrave; il s'arr&ecirc;ta trois jours, il rencontra Virieu et se rendit
+avec lui en p&egrave;lerinage aux Charmettes<a name="FNanchor_205_205" id="FNanchor_205_205"></a><a href="#Footnote_205_205" class="fnanchor">[205]</a>; puis, les voyageurs prirent
+le chemin de Livourne en passant par Turin, Milan, Bologne, Parme et
+Florence<a name="FNanchor_206_206" id="FNanchor_206_206"></a><a href="#Footnote_206_206" class="fnanchor">[206]</a>.</p>
+
+<p>Les premi&egrave;res impressions sont assez d&eacute;cevantes: &laquo;Ah! le triste pays que
+l'Italie, &eacute;crit-il &agrave; Virieu, si on veut y vivre avec les vivants! aucune
+politesse, aucune pr&eacute;venance, personne qui r&eacute;ponde aux v&ocirc;tres. Voil&agrave; du
+moins ce que j'ai vu jusqu'&agrave; Bologne. Quand je trouve un Fran&ccedil;ais, je
+l'embrasserais volontiers. Je parle &agrave; tous nos soldats que je rencontre,
+ils sont plus aimables qu'un seigneur italien<a name="FNanchor_207_207" id="FNanchor_207_207"></a><a href="#Footnote_207_207" class="fnanchor">[207]</a>.&raquo; Il oubliait qu'&ecirc;tre
+Fran&ccedil;ais, &agrave; cette &eacute;poque d'oppression fran&ccedil;aise, n'&eacute;tait pas un titre
+de recommandation &agrave; l'&eacute;tranger.</p>
+
+<p>Arriv&eacute; &agrave; Livourne au d&eacute;but de septembre, il demeura deux mois dans cette
+ville anti-artistique s'il en fut, assez d&eacute;sabus&eacute; et regrettant comme
+toujours ce qu'il avait fui si joyeusement<a name="FNanchor_208_208" id="FNanchor_208_208"></a><a href="#Footnote_208_208" class="fnanchor">[208]</a>. Pendant que M. Haste
+s'occupait des affaires de son beau-p&egrave;re, il poussa quelques pointes &agrave;
+Florence, &agrave; Pise, &agrave; Vienne, guettant l'arriv&eacute;e prochaine de Virieu pour
+entreprendre le voyage de Rome<a name="FNanchor_209_209" id="FNanchor_209_209"></a><a href="#Footnote_209_209" class="fnanchor">[209]</a>. Mais celui-ci se faisait attendre
+et un &eacute;v&eacute;nement impr&eacute;vu vint encore retarder le projet. M. Haste perdit
+son p&egrave;re et fut oblig&eacute; avec sa femme de regagner Lyon sans retard.</p>
+
+<p>&laquo;Alphonse est alors rest&eacute; seul, &eacute;crit la m&egrave;re le 9 novembre. Ses oncles
+et tantes &eacute;taient d'avis qu'il rev&icirc;nt aussi, mais nous avons trouv&eacute; avec
+mon mari qu'il serait trop cruel de ne pas le laisser aller jusqu'&agrave; Rome
+dont il est si pr&egrave;s et nous lui avons permis de continuer jusque-l&agrave;. Il
+a aussi demand&eacute; d'aller passer huit jours &agrave; Naples chez M. de
+Fr&eacute;minville, auditeur sous-pr&eacute;fet &agrave; Livourne, avec qui il s'est fort
+li&eacute;, et nous avons accord&eacute;. Le seul obstacle &agrave; la prolongation de son
+voyage est l'argent: ses oncles et tantes ont donn&eacute; entre eux
+soixante-douze louis, et nous, ce que nous avons pu, ce qui n'est pas
+bien consid&eacute;rable. Enfin, il m&eacute;nagera de son mieux pour pouvoir aller
+plus loin; cela l'accoutumera &agrave; l'&eacute;conomie dont il avait grand besoin.&raquo;</p>
+
+<p>Ainsi, gr&acirc;ce &agrave; l'exquise bont&eacute; de sa m&egrave;re, Lamartine triomphait encore;
+aussit&ocirc;t il quitta Livourne pour se rendre &agrave; Rome o&ugrave; il arriva le 1<sup>er</sup>
+novembre, sans Virieu retenu toujours au Grand-Lemps<a name="FNanchor_210_210" id="FNanchor_210_210"></a><a href="#Footnote_210_210" class="fnanchor">[210]</a>.</p>
+
+<p>Ici, la documentation devient difficile; nous avons bien plusieurs
+lettres de lui qui exposent sa vie et ses impressions dans la Ville
+&eacute;ternelle, mais elles se contredisent parfaitement. Le carnet de voyage
+refl&egrave;te le d&eacute;senchantement le plus absolu; la <i>Correspondance</i> est vive,
+spontan&eacute;e, pleine d'enthousiasme: c'est que l'un fut &eacute;crit, on le sait,
+avec l'id&eacute;e vague d'une publication future, tandis que les lettres nous
+donnent l'expression de ses v&eacute;ritables sentiments.</p>
+
+<p>La description qu'il a laiss&eacute;e de Rome dans son carnet est s&egrave;che et
+soign&eacute;e; c'est un tableau banal, sans plus, mais la seule note
+personnelle qu'on y rencontre m&eacute;rite une mention, car elle prouve une
+connaissance avertie de la nature perp&eacute;tuellement insatisfaite qu'il
+poss&egrave;de. On a vu sa joie enfantine au d&eacute;part de M&acirc;con, et tout ce qu'il
+a mis en &#339;uvre &agrave; Livourne pour atteindre Rome; une fois au but, voici ce
+qu'il en pense: &laquo;Je m'&eacute;tais trop accoutum&eacute;, dit-il, &agrave; l'id&eacute;e de voir
+Rome, ce nom-l&agrave; avait perdu pour moi de son enchantement; je l'avais
+prononc&eacute; trop souvent, l'illusion &eacute;tait diminu&eacute;e. C'est un malheureux
+effet qu'avec mon caract&egrave;re j'&eacute;prouve partout et pour tout. De loin
+c'est quelque chose, et de pr&egrave;s... c'est moins que ne me promettait mon
+imagination qui va toujours trop loin et me m&eacute;nage sans cesse de tristes
+surprises; elle promet plus que la r&eacute;alit&eacute; ne peut donner et, ici comme
+ailleurs, elle m'avait tromp&eacute;.&raquo; Il n'y a pas dans cet aveu que des
+souvenirs litt&eacute;raires.</p>
+
+<p>Le reste des impressions de voyage est quelconque, les clairs de lune,
+les ombres vaporeuse s'y m&ecirc;lent &agrave; des souvenirs classiques et &agrave; de
+pompeuses r&eacute;flexions; les lettres ont un autre prix.</p>
+
+<p>&laquo;Je suis &agrave; pr&eacute;sent fou de Rome, &eacute;crit-il &agrave; M<sup>me</sup> Haste le 15 novembre;
+c'est un paradis pour moi. Le matin, je cours, et j'ai bien de quoi
+m'occuper, je vous assure; je d&icirc;ne &agrave; quatre heures avec d'aimables
+compagnons de course, et puis une longue le&ccedil;on d'italien et puis des
+artistes &agrave; aller voir, et le spectacle et quelques <i>converzationi</i> ne me
+laissent pas une minute d'ennuy.... Florence n'est rien aupr&egrave;s de Rome,
+je me pendrais si je ne l'avais pas vue. Je forme l'agr&eacute;able projet d'y
+venir passer une bonne partie de ma vie, c'est le paradis des artistes
+et des oisifs<a name="FNanchor_211_211" id="FNanchor_211_211"></a><a href="#Footnote_211_211" class="fnanchor">[211]</a>.&raquo;</p>
+
+<p>&laquo;Po&egrave;te&raquo; et &laquo;artiste&raquo;, au sens assez vague qu'il donnait alors &agrave; ces
+mots, Lamartine ne crut jamais l'&ecirc;tre plus sinc&egrave;rement qu'&agrave; cette
+&eacute;poque. Artiste, depuis le s&eacute;jour &agrave; Lyon, voulait dire bien des choses:
+cela signifiait qu'on m&eacute;prisait le reste du monde et ses banales
+coutumes, qu'on vivait &agrave; sa guise, au gr&eacute; du moment et sans l'accablant
+souci du lendemain. Pour &ecirc;tre un parfait artiste, encore fallait-il une
+condition essentielle &agrave; ses yeux de vingt ans: l'oisivet&eacute;, la d&eacute;licieuse
+libert&eacute;, loin de la famille antipo&eacute;tique.</p>
+
+<p>On retrouve le m&ecirc;me enthousiasme dans une lettre &agrave; Virieu; elle est
+dat&eacute;e du 18 novembre, soit de trois jours seulement post&eacute;rieure &agrave; la
+premi&egrave;re; mais comme on rel&egrave;ve entre les deux de notables diff&eacute;rences de
+d&eacute;tails, il devient assez difficile de conna&icirc;tre exactement quel genre
+de vie mena Lamartine &agrave; Rome:</p>
+
+<p>&laquo;...Tu sais que je suis &agrave; Rome depuis un certain temps, <i>j'y m&egrave;ne la vie
+d'un ermite</i>, j'erre le matin dans ses vastes solitudes, <i>tout seul le
+plus souvent</i>; je visite, un livre dans ma poche, ces belles et d&eacute;sertes
+galeries des palais romains, le soir je travaille ou vais visiter
+quelques artistes;... <i>il y a huit jours que je n'ai mis les pieds au
+spectacle</i>. Rome me pla&icirc;t au del&agrave; de toute expression: son aspect, ses
+m&#339;urs, son silence, sa tranquillit&eacute; me font du bien. Si jamais des
+malheurs irr&eacute;parables m'arrivaient, je viendrais me fixer ici. Je crois
+que c'est le lieu qui convient le mieux &agrave; la douleur, &agrave; la r&ecirc;verie, aux
+chagrins sans espoir<a name="FNanchor_212_212" id="FNanchor_212_212"></a><a href="#Footnote_212_212" class="fnanchor">[212]</a>.&raquo;</p>
+
+<p>C'est le th&egrave;me m&eacute;lancolique du Carnet; mais si les deux lettres
+t&eacute;moignent de la m&ecirc;me admiration, on voit aussi qu'elles offrent un
+certain contraste. Laquelle est sinc&egrave;re? probablement les deux. Comme &agrave;
+M&acirc;con, Lamartine connut &agrave; Rome des revirements soudains, et chaque fois
+qu'il exprimait un &eacute;tat d'&acirc;me sa bonne foi &eacute;tait absolue. De son c&ocirc;t&eacute;,
+M<sup>me</sup> de Lamartine recevait des lettres fi&eacute;vreuses, et elle &eacute;crivait le
+3 novembre:</p>
+
+<p>&laquo;Alphonse m'a &eacute;crit une lettre de Rome, dans le premier enthousiasme,
+sur toutes les beaut&eacute;s qu'il voyait. Il &eacute;tait vraiment enchant&eacute;, et il
+m'a fait partager son bonheur. Si j'&eacute;tais plus riche, ajoute-t-elle
+m&eacute;lancoliquement, je voudrais aller voir cette ville si c&eacute;l&egrave;bre, mais je
+dois &agrave; pr&eacute;sent renoncer &agrave; toutes les satisfactions de ce monde.&raquo;</p>
+
+<p>Ainsi, il semble que Lamartine go&ucirc;ta tr&egrave;s profond&eacute;ment la splendeur de
+Rome et s'y plut m&ecirc;me au point d'h&eacute;siter &agrave; partir pour Naples. Il s'y
+d&eacute;cida pourtant &agrave; la fin de novembre<a name="FNanchor_213_213" id="FNanchor_213_213"></a><a href="#Footnote_213_213" class="fnanchor">[213]</a>.</p>
+
+
+<p class="e">De tout le voyage d'Italie, c'est assur&eacute;ment le s&eacute;jour &agrave; Naples qui lui
+laissa les plus fortes impressions. La <i>Correspondance</i>, les
+<i>Confidences</i>, les <i>M&eacute;moires in&eacute;dits</i> t&eacute;moignent de l'inoubliable
+souvenir qu'il en conserva. Cette fois, les projets d'&eacute;tude &eacute;taient
+loin, la prose fut abandonn&eacute;e et la po&eacute;sie reprit ses droits: odes
+l&eacute;g&egrave;res, pa&iuml;ennes, latines, pleines de la joie de vivre, qui figurent
+par des rappels de ton dans des strophes exquises du <i>Pass&eacute;</i>; par elles
+on peut se rendre compte de ce que furent ces premiers po&egrave;mes, d&eacute;truits
+plus tard parce qu'ils portaient l'empreinte de la vie indolente et
+facile de Naples qu'il go&ucirc;ta sous ses deux formes les plus habituelles,
+l'amour et le jeu.</p>
+
+<p>Si l'on parvient &agrave; combler les lacunes de la <i>Correspondance</i>,
+manifestement tr&egrave;s importantes pour 1811, il sera alors possible de
+conna&icirc;tre en d&eacute;tail la v&eacute;rit&eacute; sur ce s&eacute;jour &agrave; Naples qui demeure encore
+tr&egrave;s myst&eacute;rieux. Peut-&ecirc;tre l'&eacute;pisode de <i>Graziella</i> contient-il des
+morceaux autobiographiques aussi v&eacute;ridiques que <i>Rapha&euml;l</i>, peut-&ecirc;tre les
+<i>M&eacute;moires in&eacute;dits</i> sont-ils exacts sur bien des points; actuellement,
+pourtant, nous manquons de contr&ocirc;le et, connaissant la po&eacute;tique mani&egrave;re
+dont Lamartine a souvent trait&eacute; ses souvenirs, il serait hasardeux ici
+de les accepter &agrave; la lettre.</p>
+
+<p>Mais Graziella, n&eacute;anmoins, n'est pas qu'une h&eacute;ro&iuml;ne de roman. Nous
+savons en effet par une des lettres publi&eacute;es par M. Doumic, qu'elle
+exista r&eacute;ellement, bien mieux m&ecirc;me, qu'elle porta la premi&egrave;re ce nom
+d'Elvire qui devait plus tard immortaliser M<sup>me</sup> Charles<a name="FNanchor_214_214" id="FNanchor_214_214"></a><a href="#Footnote_214_214" class="fnanchor">[214]</a>.
+Aujourd'hui, le seul renseignement pr&eacute;cis que nous poss&eacute;dions sur la
+petite cigari&egrave;re de Naples est celui-ci: En 1816, Lamartine avait fait
+parvenir &agrave; M<sup>me</sup> Charles quelques-uns de ses po&egrave;mes; ils faisaient
+partie, sans doute, de ces deux volumes d'&eacute;l&eacute;gies compos&eacute;es de 1811 &agrave;
+1813, et inspir&eacute;es, pr&eacute;tend Lamartine, par la m&eacute;moire de Graziella
+d&eacute;sign&eacute;e sous le nom d'Elvire. Aussit&ocirc;t, M<sup>me</sup> Charles interrogea
+Virieu sur cette premi&egrave;re Elvire et celui-ci r&eacute;pondit avec assez de
+d&eacute;sinvolture: <i>Oui, c'&eacute;tait une excellente petite personne pleine de
+c&#339;ur et qui a bien regrett&eacute; Alphonse; mais elle est morte, la
+malheureuse! elle l'aimait avec idol&acirc;trie! elle n'a pu survivre &agrave; son
+d&eacute;part.</i> Et M<sup>me</sup> Charles, en rapportant ces paroles &agrave; Lamartine,
+ajoute: &laquo;Oh, mon Alphonse! qui vous rendra jamais Elvire? qui fut aim&eacute;e
+comme elle? qui le m&eacute;rite autant? Cette femme ang&eacute;lique m'inspire jusque
+dans son tombeau une terreur religieuse. Je la vois telle que vous
+l'avez peinte et je me demande ce que je suis pour pr&eacute;tendre &agrave; la place
+qu'elle occupait dans votre c&#339;ur&raquo;.</p>
+
+<p>De ceci on peut d&eacute;duire que la fin de Graziella, tout au moins, est
+exacte; mais M<sup>me</sup> Charles ne s'exag&eacute;rait-elle pas la passion de
+Lamartine pour la jeune fille? Par Graziella, comme par elle plus tard,
+comme par toutes les femmes, il se laissa sans doute doucement adorer,
+avec quelque cruaut&eacute;, et quitte &agrave; pleurer plus tard ce qu'il avait
+perdu.</p>
+
+<p>Lamartine arriva &agrave; Naples le 1<sup>er</sup> d&eacute;cembre 1811; encore tout &eacute;bloui
+des merveilles de Rome, son intention &eacute;tait de n'y demeurer que peu de
+jours. Log&eacute; chez un cousin de sa m&egrave;re, M. Dareste de la Chavanne,
+directeur des Tabacs, il pensait s'y ennuyer. Mais, dix jours apr&egrave;s son
+arriv&eacute;e, il reconnut que Rome &eacute;tait d&eacute;pass&eacute;e. Les notes de
+voyage&mdash;&laquo;l'itin&eacute;raire&raquo; qu'il s'&eacute;tait impos&eacute;&mdash;furent abandonn&eacute;es le 13
+d&eacute;cembre, et ses lettres &agrave; Virieu montrent &agrave; l'&eacute;vidence l'intensit&eacute;
+voluptueuse des sensations nouvelles qu'il connut sous le ciel de
+Naples. Le 15 d&eacute;cembre, il &eacute;crit: &laquo;Je suis ici peut-&ecirc;tre encore pour un
+petit mois, et qui sait? peut-&ecirc;tre plus. Je n'ai fait aucune &eacute;conomie
+parce que &eacute;tant tout seul je n'ai pas le courage d'en faire. J'ai tout
+jet&eacute; par les fen&ecirc;tres et je suis &agrave; sec<a name="FNanchor_215_215" id="FNanchor_215_215"></a><a href="#Footnote_215_215" class="fnanchor">[215]</a>.&raquo; Un mois apr&egrave;s son arriv&eacute;e
+il &eacute;tait encore soumis au charme, ce qui peut para&icirc;tre rare chez lui. La
+lettre est trop r&eacute;v&eacute;latrice de cet &eacute;tat d'&acirc;me pour ne pas la citer:</p>
+
+<p>&laquo;Sais-tu que dans ma belle indiff&eacute;rence j'&eacute;tais tent&eacute; de ne pas venir &agrave;
+Naples? J'aurais perdu le plus beau spectacle du monde entier qui ne
+sortira plus de mon imagination, j'aurais manqu&eacute; ce qu'il y a de plus
+int&eacute;ressant en Italie pour une t&ecirc;te faite comme la n&ocirc;tre. Les mots me
+manquent pour te d&eacute;crire cette ville enchant&eacute;e, ce golfe, ces paysages,
+ces montagnes uniques sur la terre, cet horizon, ce ciel, ces teintes
+merveilleuses. Viens vite, te dis-je, et tu crieras plus haut que moi.</p>
+
+<p>&laquo;Je suis solitaire, je vis seul, partout seul, avec mon domestique et un
+guide. Je suis mont&eacute; seul au V&eacute;suve, j'ai d&eacute;jeun&eacute; seul dans l'int&eacute;rieur
+du crat&egrave;re, je suis all&eacute; seul &agrave; Pomp&eacute;i, &agrave; Herculanum, &agrave; Pouzzoles,
+partout; demain je vais seul &agrave; Ba&iuml;a. Ah! que n'es-tu ici! Pourquoi le
+ciel a-t-il refus&eacute; &agrave; mes pri&egrave;res un compagnon tel que toi? mais je me
+soumets et me tais. Respectons les d&eacute;crets de cette Providence inconnue
+que je cherche toujours et que je crois sentir quelquefois, surtout dans
+le malheur, Qu'en penses-tu?</p>
+
+<p>&laquo;Je me trouve en ce moment-ci sans le sol et avec des dettes &agrave; Naples.
+Je ne pourrai pas en partir si je ne trouvais pas une &acirc;me <i>charitable</i>
+qui e&ucirc;t la complaisance de me pr&ecirc;ter quelques ducats. Je ne sais trop si
+je les trouverai. Je m'endors l&agrave;-dessus et fais une d&eacute;pense de fol en
+attendant. Tu ne saurais croire &agrave; pr&eacute;sent &agrave; quel point je porte
+l'insouciance et l'impr&eacute;voyance partout, c'est l'air du pays: Je deviens
+un vrais lazzarone. J'ai gagn&eacute; enfin le sommet &eacute;lev&eacute; du haut duquel je
+vois tout sans que rien m'atteigne. Je dors, j'oublie le beau toscan, le
+majestueux romain, je parle napolitain, c'est une autre langue; je ne
+fais rien, rien du tout, je lis &agrave; peine des b&ecirc;tises que j'ai lues cent
+fois; je ne vais ni dans la soci&eacute;t&eacute; ni m&ecirc;me aux th&eacute;&acirc;tres; je ne suis
+plus qu'un lourd compos&eacute; de paresse, de mollesse, de fiert&eacute; et de
+petitesse, &ccedil;a m'est &eacute;gal<a name="FNanchor_216_216" id="FNanchor_216_216"></a><a href="#Footnote_216_216" class="fnanchor">[216]</a>.&raquo;</p>
+
+<p>Ainsi Florence et ses monuments, Rome et ses ruines, tout le charme
+m&eacute;lancolique de l'Italie, c&eacute;d&egrave;rent, de son propre aveu, devant le
+paysage et le soleil de Naples, <i>ce qu'il y a de plus int&eacute;ressant en
+Italie pour une t&ecirc;te faite comme la n&ocirc;tre</i>. Ainsi la simple nature
+l'emporta cette fois sur le d&eacute;cor, mais toujours avec l'indispensable
+&eacute;l&eacute;ment sans lequel &agrave; ses yeux toute jouissance &eacute;tait imparfaite: la
+solitude. Ainsi l'indiff&eacute;rence la plus absolue fit vite place &agrave;
+l'inqui&eacute;tude de cet insatisfait.</p>
+
+<p>&Agrave; Naples, Lamartine connut les seules minutes d'apaisement et
+d'&eacute;quilibre moral de toute sa jeunesse. Il y lut &laquo;des b&ecirc;tises&raquo; et en fit
+pas mal; il &eacute;crivit des vers agr&eacute;ables mais dans le go&ucirc;t du temps, et il
+appara&icirc;t encore ici pleinement que chez lui, les grandes choses, ne
+s'engendreront jamais que dans la tristesse. &Agrave; ne consid&eacute;rer strictement
+que ses r&eacute;sultats, ce voyage d'Italie ne lui fournit que des th&egrave;mes
+lyriques un peu factices et d&eacute;pourvus d'originalit&eacute;; il ne fut jamais
+fait pour chanter l'all&eacute;gresse, mais la douleur.</p>
+
+
+<p class="e">&Agrave; la fin de janvier 1812 pourtant, il en arriva &agrave; &ecirc;tre satur&eacute; de
+plaisirs, &laquo;sans &eacute;mulation et sans curiosit&eacute; pour rien<a name="FNanchor_217_217" id="FNanchor_217_217"></a><a href="#Footnote_217_217" class="fnanchor">[217]</a>&raquo;. &laquo;Sans
+l'espoir de te voir arriver, &eacute;crit-il alors &agrave; Virieu, il y a longtemps
+que j'aurais secou&eacute; la poussi&egrave;re de mes pieds. Je suis sans le sol, je
+viens de me mettre &agrave; jouer, j'ai gagn&eacute; en deux jours une quarantaine de
+piastres. Je vais peut-&ecirc;tre les reperdre ce soir en voulant pousser plus
+loin. Je maudis tout.&raquo; C'&eacute;tait la r&eacute;action habituelle; la lassitude
+succ&eacute;dant sans transition &agrave; l'enthousiasme.</p>
+
+<p>Sous l'empire d'un tel &eacute;tat d'esprit et dans la situation p&eacute;cuniaire o&ugrave;
+il se trouvait, rien ne le retenait plus &agrave; Naples, si ce n'est l'id&eacute;e de
+reprendre sa vie monotone &agrave; Milly. Il regagna pourtant la France, mais
+sans h&acirc;te, s'attardant quelques semaines encore &agrave; Florence, puis &agrave; Rome.
+Apr&egrave;s un court arr&ecirc;t sur les bords du lac Majeur il traversa la Suisse
+et arriva &agrave; M&acirc;con au d&eacute;but de mai<a name="FNanchor_218_218" id="FNanchor_218_218"></a><a href="#Footnote_218_218" class="fnanchor">[218]</a>.</p>
+
+<p>L'accueil qu'on lui fit fut assez froid; on en trouve la preuve tacite
+dans la disparition de quelques feuillets du <i>Journal intime</i>, feuillets
+qui sont cit&eacute;s &agrave; la table du petit cahier avec la mention: <i>retour
+d'Alphonse, oisivet&eacute;, d&eacute;couragement</i>. Cette mutilation, comme beaucoup
+d'autres, est l'&#339;uvre de Lamartine. Lorsqu'il r&eacute;digea &agrave; la fin de sa vie
+<i>le Manuscrit de ma m&egrave;re</i>, il n'h&eacute;sita pas, craignant sans doute que la
+post&eacute;rit&eacute; ne les retourn&acirc;t contre lui, &agrave; d&eacute;truire plusieurs pages o&ugrave; sa
+m&egrave;re avait not&eacute; en pleurant toutes les manifestations de son caract&egrave;re
+ombrageux et difficile.</p>
+
+<p>Car le jeune homme s'accommoda mal de la petite vie r&eacute;guli&egrave;re et simple
+qu'il lui fallut reprendre au retour. Apr&egrave;s dix mois d'ind&eacute;pendance, le
+contraste fut violent et insupportable, d'autant qu'il avait pris en
+Italie le go&ucirc;t de plaisirs insoup&ccedil;onn&eacute;s jusqu'alors et l'habitude de
+d&eacute;penses qu'il ne pouvait gu&egrave;re satisfaire sous l'&#339;il s&eacute;v&egrave;re de l'oncle
+de Montceau. Apr&egrave;s le golfe de Naples et sa lumi&egrave;re, les collines de
+Milly lui parurent grises, sans horizon. Il devint sombre, incapable
+d'un effort pour se reprendre, s'enferma dans sa chambre &agrave; pleurer<a name="FNanchor_219_219" id="FNanchor_219_219"></a><a href="#Footnote_219_219" class="fnanchor">[219]</a>.</p>
+
+<p>&Agrave; tra&icirc;ner ainsi son d&eacute;s&#339;uvrement et sa m&eacute;lancolie, il finit par
+inqui&eacute;ter m&ecirc;me son p&egrave;re qui, pour l'occuper un peu et l'attacher
+davantage &agrave; ce pays qu'il avait pris en horreur, le fit nommer maire du
+village<a name="FNanchor_220_220" id="FNanchor_220_220"></a><a href="#Footnote_220_220" class="fnanchor">[220]</a>. &Agrave; la fin de mai, n'y tenant plus, il se sauva &agrave; Montculot,
+sa retraite habituelle lorsqu'il voulait vivre avec ses souvenirs, car
+le brave abb&eacute; n'&eacute;tait pas g&ecirc;nant et le laissait libre<a name="FNanchor_221_221" id="FNanchor_221_221"></a><a href="#Footnote_221_221" class="fnanchor">[221]</a>. L&agrave;, il lui
+emprunta quelques louis et hant&eacute; par Paris o&ugrave; il pensait retrouver un
+peu des plaisirs de Naples, il partit s'y installer les trois premi&egrave;res
+semaines d'ao&ucirc;t. En cette saison, la ville &eacute;tait vide et il s'y ennuya
+mortellement<a name="FNanchor_222_222" id="FNanchor_222_222"></a><a href="#Footnote_222_222" class="fnanchor">[222]</a>. Le 20, on le retrouve &agrave; Milly, insupportable &agrave; tous,
+m&ecirc;me &agrave; sa m&egrave;re qui le trouve &laquo;nerveux et un peu dur&raquo;; on devine ce que
+&laquo;un peu dur&raquo; signifie sous cette plume.</p>
+
+<p>Comme toujours dans ces crises, fr&eacute;quentes on l'a vu, depuis trois ans,
+il se r&eacute;fugia dans la solitude, &eacute;c&#339;ur&eacute; de cette vie &laquo;trop longue&raquo;<a name="FNanchor_223_223" id="FNanchor_223_223"></a><a href="#Footnote_223_223" class="fnanchor">[223]</a>.
+Puis l'imagination se mit &agrave; vagabonder et lui rendit quelque force: il
+r&ecirc;va d'un ermitage &agrave; la Rousseau o&ugrave; Virieu et Guichard seraient ses
+compagnons<a name="FNanchor_224_224" id="FNanchor_224_224"></a><a href="#Footnote_224_224" class="fnanchor">[224]</a> et, pour se distraire, il rima en quinze jours le
+premier acte d'un <i>Sa&uuml;l</i>, fuyant le monde non plus cette fois par
+timidit&eacute;, mais par d&eacute;go&ucirc;t et m&eacute;pris; le mariage de sa s&#339;ur le
+&laquo;d&eacute;rangeait&raquo; et le &laquo;cher beau-fr&egrave;re&raquo; l'ennuyait<a name="FNanchor_225_225" id="FNanchor_225_225"></a><a href="#Footnote_225_225" class="fnanchor">[225]</a>. Petite vanit&eacute;
+d'adolescent qui vient de d&eacute;couvrir le monde et m&eacute;dit de sa mesquine
+province. Il ne faut pas s'exag&eacute;rer la port&eacute;e de ce nouvel &eacute;tat
+d'esprit, mais on doit constater seulement qu'au retour d'Italie,
+Lamartine souffrit d'une rechute aigu&euml; de sa neurasth&eacute;nie.</p>
+
+
+
+<hr />
+<h2><a name="CONCLUSION" id="CONCLUSION"></a>CONCLUSION</h2>
+
+<p class="c">LAMARTINE &Agrave; VINGT ET UN ANS</p>
+
+
+<p>Les enfants qui naquirent du d&eacute;but de la R&eacute;volution &agrave; la fin de l'Empire
+connurent tous une jeunesse &agrave; peu pr&egrave;s identique; elle influera
+profond&eacute;ment sur leurs destin&eacute;es futures et d&eacute;terminera jusqu'en 1830 le
+malaise g&eacute;n&eacute;ral appel&eacute; romantisme et qu'il ne faut pas limiter &agrave; la
+seule litt&eacute;rature.</p>
+
+<p>Cette jeune g&eacute;n&eacute;ration a &eacute;t&eacute; jug&eacute;e de trois mani&egrave;res diff&eacute;rentes, mais
+qui toutes se justifient ais&eacute;ment pour peu que nous nous replacions dans
+les conditions o&ugrave; ces opinions contradictoires ont &eacute;t&eacute; formul&eacute;es.</p>
+
+<p>Aux yeux de leurs parents, gens du <span class="smcap">xviii</span><sup>e</sup> si&egrave;cle et endurcis par les
+rudes &eacute;preuves de la R&eacute;volution, ces adolescents appara&icirc;tront le plus
+souvent comme des incapables et des inutiles, d&eacute;sarm&eacute;s devant
+l'existence, amollis par leur &eacute;ducation toute f&eacute;minine et qui rompent
+avec les saines traditions de la famille. Les m&egrave;res les ont &eacute;lev&eacute;s
+jalousement, avec la crainte &eacute;ternelle de les voir parcourir l'Europe &agrave;
+la suite du conqu&eacute;rant: ainsi tenus &agrave; l'&eacute;cart de la seule activit&eacute; que
+connurent les hommes d'alors, puisque la politique &eacute;tait musel&eacute;e, ils se
+r&eacute;fugi&egrave;rent enti&egrave;rement dans le monde de la pens&eacute;e; l'&eacute;nergie virile
+finit par s'user chez cette jeunesse contemplative et c&acirc;lin&eacute;e et leur
+&acirc;me n'exista bient&ocirc;t plus comme volont&eacute;, mais comme sensibilit&eacute;.</p>
+
+<p>&Agrave; leurs propres yeux, ce qu'ils parviendront &agrave; voir de plus clair en
+eux-m&ecirc;mes sera l'ind&eacute;cision de leur nature, incapable de rien fixer,
+d&eacute;rout&eacute;e qu'elle est par le contraste absolu du milieu et de leur
+personnalit&eacute;. Les principes du pass&eacute; dans lesquels ils ont &eacute;t&eacute; &eacute;lev&eacute;s
+leur p&egrave;sent durement, car ils ne cadrent plus avec les conditions de la
+vie nouvelle et surtout avec l'&acirc;me que les &eacute;v&eacute;nements leur ont faite. Il
+en r&eacute;sultera un conflit perp&eacute;tuel de sentiments int&eacute;rieurs, une
+incertitude du but &agrave; atteindre, en un mot un v&eacute;ritable d&eacute;s&eacute;quilibre
+moral o&ugrave; le d&eacute;couragement et la lassitude finiront par dominer. &Agrave; force
+de ne voir personne autour d'eux r&eacute;pondre aux passions, d'ailleurs
+ind&eacute;cises, qui les tourmentent, ils en arriveront vite &agrave; se croire
+diff&eacute;rents du reste du monde, les uns avec orgueil, les autres avec
+tristesse; de bonne heure tout effort leur para&icirc;tra vain, et ils vivront
+d&egrave;s lors enti&egrave;rement en eux-m&ecirc;mes, dans une solitude m&eacute;lancolique qui
+ach&egrave;vera d'exasp&eacute;rer leur sensibilit&eacute; et de ruiner leur &eacute;nergie morale.</p>
+
+<p>Aux yeux de la post&eacute;rit&eacute; enfin, ils seront des individus encore
+h&eacute;sitants et isol&eacute;s, doutant de leur destin&eacute;e jusqu'au jour o&ugrave; le
+groupement en commun les r&eacute;v&eacute;lera &agrave; eux-m&ecirc;mes en apportant &agrave; chacun la
+preuve que les sentiments confus et contradictoires qui l'agitent ne lui
+sont pas particuliers.</p>
+
+<p>Lamartine &agrave; vingt et un ans r&eacute;sume en lui tous les caract&egrave;res de ces
+jeunes &acirc;mes inqui&egrave;tes o&ugrave; le pass&eacute; et le pr&eacute;sent se livrent une lutte de
+tous les instants. &Agrave; consid&eacute;rer le romantisme comme une expansion
+d&eacute;bordante de l'individu, il est en date et en fait le premier des
+romantiques; il devient au contraire le dernier des classiques si l'on
+&eacute;tudie le mouvement litt&eacute;raire de son &eacute;poque en tant qu'affranchissement
+des vieilles formules. C'est qu'en r&eacute;alit&eacute; son &#339;uvre refl&egrave;te sa vie
+m&ecirc;me, classique de forme, romantique de pens&eacute;e, comme toute son
+adolescence o&ugrave; l'on assiste au conflit quotidien de ses aspirations tr&egrave;s
+romantiques et de son &eacute;ducation tr&egrave;s classique.</p>
+
+
+<p class="e">Dans toute destin&eacute;e, il est une part dont l'homme n'est pas responsable,
+faite de trois &eacute;l&eacute;ments infiniment d&eacute;licats et qu'il est difficile
+d'appr&eacute;cier &agrave; leur valeur. L'un comporte ce que les anc&ecirc;tres lui ont
+transmis d'instincts ataviques, peu &agrave; peu an&eacute;antis, modifi&eacute;s ou
+d&eacute;velopp&eacute;s selon les circonstances ou les conditions nouvelles de la
+vie; l'autre est l'&#339;uvre de ceux dont il d&eacute;pend pendant son enfance et
+qui assument la t&acirc;che de fa&ccedil;onner son &acirc;me au moment o&ugrave; elle est encore
+molle; le dernier, enfin, comprend la mani&egrave;re dont la soci&eacute;t&eacute;
+l'accueille le jour o&ugrave; il est forc&eacute; d'avoir recours &agrave; elle, avec
+sympathie, piti&eacute;, m&eacute;pris ou indiff&eacute;rence. C'est leur &eacute;tude que nous
+avons tent&eacute;e pour Lamartine dans les pages qui pr&eacute;c&egrave;dent et il nous
+semble que si on voulait maintenant les r&eacute;sumer bri&egrave;vement il serait
+possible de le faire ainsi:</p>
+
+<p>Une h&eacute;r&eacute;dit&eacute; saine et attach&eacute;e au sol natal, fonci&egrave;rement religieuse et
+point corrompue par les th&eacute;ories mat&eacute;rialistes du <span class="smcap">xviii</span><sup>e</sup> si&egrave;cle; un
+milieu intransigeant et formaliste qui s'efforce de perp&eacute;tuer
+tardivement les traditions du pass&eacute;, et redoute d'autant plus les id&eacute;es
+du temps qu'il les croit issues d'une &eacute;poque dont il a souffert et d'un
+r&eacute;gime qu'il abhorre; une m&egrave;re profond&eacute;ment pieuse, aimante et tendre,
+mais sentimentale &agrave; l'exc&egrave;s, inqui&egrave;te et doutant d'elle-m&ecirc;me; un p&egrave;re
+excellent, quoique indiff&eacute;rent aux nuances de l'&acirc;me; un d&eacute;cor
+naturellement m&eacute;lancolique, mais qui le deviendra davantage encore aux
+yeux d'un adolescent avide de sensations nouvelles, de plaisirs et de
+libert&eacute;.</p>
+
+<p>Puis un enfant dont les premi&egrave;res ann&eacute;es ont &eacute;t&eacute; assombries et
+silencieuses, d'une nature tendre, comme celle de sa m&egrave;re, d&eacute;cid&eacute;e et
+volontaire, comme celle des Lamartine; une premi&egrave;re &eacute;ducation toute
+paysanne et maternelle, remplac&eacute;e sans transition par l'internat loin du
+foyer et dont la contrainte l'affecte profond&eacute;ment; plus tard, des
+&eacute;tudes peu solides et exclusivement religieuses chez les J&eacute;suites de
+Belley o&ugrave; s'exalte encore sa pr&eacute;coce sensibilit&eacute;.</p>
+
+<p>Enfin, &agrave; dix-huit ans, le retour dans la famille, d&eacute;but d'une p&eacute;riode de
+long d&eacute;s&#339;uvrement. D&egrave;s cette &eacute;poque, sinon une vocation litt&eacute;raire tr&egrave;s
+nette, du moins une extr&ecirc;me facilit&eacute; pour la po&eacute;sie; mais aucune
+direction dans ses go&ucirc;ts qu'il lui faut cacher, aucun plan d'&eacute;tudes
+s&eacute;rieusement organis&eacute;, en un mot une d&eacute;pense inutile d'&eacute;nergie accrue
+encore par une imagination impossible &agrave; ma&icirc;triser et des lectures
+d'autant plus impressionnantes qu'elles sont faites en secret; une &acirc;me
+mobile et pleine de contrastes, &agrave; la merci de toutes les chim&egrave;res,
+prompte &agrave; s'enthousiasmer mais qu'un rien rebute, et faite de
+revirements brusques comme si elle &eacute;tait perp&eacute;tuellement &agrave; la recherche
+de l'&eacute;quilibre qui lui manque; des froissements avec le chef de famille,
+dont il sort aigri et d&eacute;courag&eacute;; des amis qu'il voit de loin en loin et
+dont le meilleur des confidences s'&eacute;change par lettres toujours plus
+exag&eacute;r&eacute;es et moins soulageantes que les paroles; quelques amourettes
+plus c&eacute;r&eacute;brales que physiques, des &eacute;bauches po&eacute;tiques qui l'enflamment
+encore: en tout, enfin, une conception uniquement litt&eacute;raire et
+romanesque de l'existence.</p>
+
+<p>La famille s'inqui&egrave;te de ces tendances et commence alors &agrave; les combattre
+par tous les moyens dont elle dispose; elle d&eacute;cide enfin de l'&eacute;loigner,
+et c'est le voyage d'Italie pour changer d'air ce grand gar&ccedil;on dont
+l'oisivet&eacute; irrite sourdement les siens. Mais les cons&eacute;quences n'en
+furent pas celles qu'ils avaient pr&eacute;vues, puisqu'au retour de Naples le
+foss&eacute; va s'approfondir encore entre le jeune homme et son milieu.</p>
+
+<p>Ici se termine la jeunesse de Lamartine; dans une seconde partie, qui
+comprendra les ann&eacute;es 1812-1820, nous &eacute;tudierons prochainement les deux
+grandes crises morales qui le m&ucirc;riront en modifiant compl&egrave;tement sa
+nature et d'o&ugrave; na&icirc;tront les <i>M&eacute;ditations</i>.</p>
+
+<p><span style="margin-left: 2em;">M&acirc;con-Paris, 1908-1910.</span></p>
+
+
+
+<hr />
+<h2><a name="APPENDICE" id="APPENDICE"></a>APPENDICE</h2>
+
+
+<h3>G&Eacute;N&Eacute;ALOGIE ET BIBLIOGRAPHIE DE LA FAMILLE DES ROYS</h3>
+<table summary="rameau_1" cellpadding="0" cellspacing="0" style="font-size: 75%;text-align:center;">
+
+<tr valign="top">
+<td colspan="4">Descendance d'<b>Antoine Grimod</b> et de <b>Marguerite le Juge</b>.<br />
+(Sept enfants.)</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td colspan="4">I<sup>er</sup> Rameau: <b>de la Reyni&egrave;re</b>, fondu dans les familles <span class="smcap">de Mac-Mahon</span>,
+<span class="smcap">de Rosanbo</span>, <span class="smcap">de la Tour du Pin-Verclause</span> et <span class="smcap">de Tocqueville</span>.</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td colspan="4">&nbsp;</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td colspan="4">Gaspard Grimod (1687-?), &eacute;p.: 1&deg; Jeanne Labb&eacute; (?); 2&deg; Marie Mazade
+(1719) (remari&eacute;e &agrave; Honor&eacute; de la Ferri&egrave;re).</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td colspan="4" class="bb g">|</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td class="g">|</td>
+<td class="g">|</td>
+<td class="g">|</td>
+<td class="g">|</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td><i>1<sup>er</sup> lit.</i><br />
+Jean-Gaspard
+G. de la Reyni&egrave;re
+(1723-1797), &eacute;p.
+Fran&ccedil;oise de
+Jarente (1753).</td>
+<td><i>1<sup>er</sup> lit.</i><br />
+Marie-Fran&ccedil;oise
+G. de la Reyni&egrave;re,
+&eacute;p. Jean-Louis
+Moreau de Beaumont
+(1743). S.&nbsp;P.</td>
+<td><i>2<sup>e</sup> lit.</i><br />
+Fran&ccedil;oise-th&eacute;r&egrave;se
+G. de la Reyni&egrave;re,
+&eacute;p. Chr&eacute;tien
+Guillaume de
+Lamoignon de Malesherbes.</td>
+<td><i>2<sup>e</sup> lit.</i><br />
+Marie-Madeleine G.
+de la Reyni&egrave;re, &eacute;p.
+Marc-Antoine de
+L&eacute;vis-Lugny.</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td class="g">|</td>
+<td>&nbsp;</td>
+<td class="g">|</td>
+<td>&nbsp;</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td>Alexis-Baltazar
+Laurent G. de la
+Reyni&egrave;re
+(1785-1837) &eacute;p.
+Ad&egrave;le Th&eacute;r&egrave;se
+Feuch&egrave;re. S. P.</td>
+<td>&nbsp;</td>
+<td>Marguerite-Th&eacute;r&egrave;se
+de Lamoignon
+&eacute;p. Louis le
+Peletier de Rosanbo.</td>
+<td>&nbsp;</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td>&nbsp;</td>
+<td class="bb">&nbsp;</td>
+<td class="bb g">|</td>
+<td class="bb">&nbsp;</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td>&nbsp;</td>
+<td class="g">|</td>
+<td class="g">|</td>
+<td class="g">|</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td>&nbsp;</td>
+<td>
+Jean-Marie-Louis
+de Rosanbo
+(1777-1856), &eacute;p.
+Henriette-Genevi&egrave;ve
+d'Andlau (1798).</td>
+<td>
+Th&eacute;r&egrave;se de Rosanbo
+(1771-1794),
+&eacute;p. J.-B.-Auguste
+de Chateaubriand
+(1786).</td>
+<td>
+Louise-Madeleine
+de Rosanbo
+(1771-1856), &eacute;p.
+J. Bonaventure de
+Tocqueville (1796).</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td class="bb">&nbsp;</td>
+<td class="bb g">|</td>
+<td class="g">|</td>
+<td class="g">|</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td class="g">|</td>
+<td class="g">|</td>
+<td class="g">|</td>
+<td class="g">|</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td>Henriette-Madeleine
+de Rosanbo, &eacute;p.
+Charles, marquis
+de Mac-Mahon.</td>
+<td>Ludovic de Rosanbo
+(1805-1862),
+&eacute;p. Elisabeth-Agla&eacute;
+de M&eacute;nard.</td>
+<td>Louis-Geoffroy de
+Chateaubriand
+(1790-1878), &eacute;p.
+Henriette-Z&eacute;lie
+d'Orglandes.</td>
+<td>Alexis-Charles-Henry
+de Tocqueville
+(1805-1859).</td></tr>
+</table>
+
+<hr class="full" />
+
+<table summary="rameau_2" cellpadding="0" cellspacing="0" style="font-size: 75%;text-align:center;">
+
+<tr valign="top">
+<td colspan="7">II<sup>e</sup> Rameau: fondu dans les familles <span class="smcap">Dareste</span>, <span class="smcap">d'Hauteroche</span>, <span class="smcap">Carra De
+Vaux</span>, et par les <span class="smcap">Lamartine</span> dans les familles <span class="smcap">de Cessiat</span>, <span class="smcap">de Coppens</span>, <span class="smcap">de
+Ligonn&egrave;s</span>, <span class="smcap">de Montherot</span> et leur post&eacute;rit&eacute;.</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td colspan="7">&nbsp;</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td>&nbsp;</td>
+<td>&nbsp;</td>
+<td>&nbsp;</td>
+<td>Marguerite Grimod,<br />
+&eacute;p. 1&deg; Fran&ccedil;ois Mauverney;<br />
+2&deg; Charles Gavault.</td>
+<td>&nbsp;</td>
+<td>&nbsp;</td>
+<td>&nbsp;</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td>&nbsp;</td>
+<td>&nbsp;</td>
+<td>&nbsp;</td>
+<td class="g">|</td>
+<td>&nbsp;</td>
+<td>&nbsp;</td>
+<td>&nbsp;</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td>&nbsp;</td>
+<td>&nbsp;</td>
+<td>&nbsp;</td>
+<td>Fran&ccedil;oise Mauverney,
+&eacute;p. Charles Gavault
+(fils d'un premier lit
+du pr&eacute;c&eacute;dent),</td>
+<td>&nbsp;</td>
+<td>&nbsp;</td>
+<td>&nbsp;</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td>&nbsp;</td>
+<td class="bb">&nbsp;</td>
+<td class="bb">&nbsp;</td>
+<td class="bb g">|</td>
+<td>&nbsp;</td>
+<td>&nbsp;</td>
+<td>&nbsp;</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td>&nbsp;</td>
+<td class="g">|</td>
+<td>&nbsp;</td>
+<td class="g">|</td>
+<td>&nbsp;</td>
+<td>&nbsp;</td>
+<td>&nbsp;</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td>&nbsp;</td>
+<td>Fran&ccedil;oise Gavault,
+&eacute;p. Jacques Dareste de la Plagne
+(1743).</td>
+<td>&nbsp;</td>
+<td>Marie-Marguerite
+Gavault,
+&eacute;p. Jean-Louis
+Des Roys (1757).</td>
+<td>&nbsp;</td>
+<td>&nbsp;</td>
+<td>&nbsp;</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td class="bb">&nbsp;</td>
+<td class="bb g">|</td>
+<td class="bb">&nbsp;</td>
+<td class="bb g">|</td>
+<td class="bb">&nbsp;</td>
+<td class="bb">&nbsp;</td>
+<td class="bb">&nbsp;</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td class="g">|</td>
+<td class="g">|</td>
+<td class="g">|</td>
+<td class="g">|</td>
+<td class="g">|</td>
+<td class="g">|</td>
+<td class="g">|</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td>Antoine Dareste
+de la Chavanne,
+&eacute;p. 1&deg; Jeanne
+Palais (1784);
+2&deg; Charlotte
+Charvait (1799).</td>
+
+<td>Marie-Antoinette
+Dareste
+de la Chavanne, &eacute;p.
+Fran&ccedil;ois-Pierre
+Boussard
+d'Hauteroche (1774)</td>
+
+<td>Claudine
+Dareste de la
+Chavanne, &eacute;p.
+Auguste Vasse
+de Roquemont
+(1782)</td>
+
+<td>C&eacute;sarine<br />Des Roys,&eacute;p.<br />Pierre-Beno&icirc;t<br />
+Carra de Vaux<br />
+(1788).</td>
+<td>Catherine<br />Fran&ccedil;oise<br />
+Des Roys. &eacute;p.<br />
+Charles Henrion de<br />
+Saint-Amand (1778).</td>
+<td>&Eacute;milie<br />Des Roys,
+&eacute;p. X. Papon<br />
+de Rochemont<br />
+(1783).</td>
+<td>Alix Des Roys<br />
+&eacute;p. Pierre<br />
+de Lamartine<br />
+(1790).</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td class="g">|</td>
+<td>&nbsp;</td>
+<td>&nbsp;</td>
+<td class="g">|</td>
+<td class="g">|</td>
+<td class="g">|</td>
+<td class="g">|</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td>J.-B. Dareste
+de la Chavanne
+(1789-1879),
+&eacute;p. Claire-Marie
+Dareste, sa cousine
+(1820).
+</td>
+<td>&nbsp;</td>
+<td>&nbsp;</td>
+<td>Alexandre
+Carra de Vaux,
+&eacute;p. Nathalie
+Marchand (1832).</td>
+<td>Ang&eacute;lique Henrion
+de Saint-Amand
+(1781-1810),<br />
+&eacute;p. 1&deg; Claude
+Amable, marquis de
+Prez;<br />
+2&deg; Joseph-Marie,
+vicomte Pernetty.<br />S. P.</td>
+<td>Fran&ccedil;oise Papon
+de Rochemont,
+religieuse.</td>
+<td>Alphonse
+de Lamartine
+(1790-1869).<br />S. P.</td></tr>
+</table>
+
+<hr class="full" />
+
+<table summary="rameau_3" cellpadding="0" cellspacing="0" style="font-size: 75%;text-align:center;">
+
+<tr valign="top">
+<td colspan="4">III<sup>e</sup> Rameau: <b>de Dufort d'Orsay</b>, fondu dans la famille ducale <span class="smcap">de
+Gramont</span>.</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td colspan="4">&nbsp;</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td>&nbsp;</td>
+<td colspan="2">Pierre Grimod de Dufort d'Orsay<br />
+(1692-1748),<br />
+&eacute;p. 1&deg; Florimonde Savalette (1736);<br />
+2&deg; Elisabeth de Gourtin (1745);<br />
+3&deg; M. A. F&eacute;licit&eacute; de Caulaincourt (1748).</td>
+<td>&nbsp;</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td>&nbsp;</td>
+<td colspan="2" class="g">|</td>
+<td>&nbsp;</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td>&nbsp;</td>
+<td colspan="2"><i>3<sup>e</sup> lit.</i><br />
+Albert Gaspard Marie, comte d'Orsay (1748-?),<br />
+&eacute;p. 1&deg; Am&eacute;lie, princesse de Cro&yuml;;<br />
+2&deg; Jos&egrave;phe de Hoenloe Bartenstein (1784).</td>
+<td>&nbsp;</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td>&nbsp;</td>
+<td colspan="2" class="g">|</td>
+<td>&nbsp;</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td>&nbsp;</td>
+<td colspan="2">Marie-Albert Gaspard,<br />
+comte d'Orsay (1772-1843),<br />
+&eacute;p. &Eacute;l&eacute;onore de Franquemont (1792).</td>
+<td>&nbsp;</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td>&nbsp;</td>
+<td colspan="2" class="bb g">|</td>
+<td>&nbsp;</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td>&nbsp;</td>
+<td class="g">|</td>
+<td class="g">|</td>
+<td>&nbsp;</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td>&nbsp;</td>
+<td>Gillion Gaspard Alfred,<br />
+comte d'Orsay (1801-1852),<br />
+&eacute;p. Anne-Fran&ccedil;oise<br />
+Gardiner (1827).<br />
+S. P.</td>
+<td>Anna-Ida d'Orsay<br />
+(1802-1882),<br />
+&eacute;p. H&eacute;raclius,<br />
+duc de Gramont<br />
+(1818).</td>
+<td>&nbsp;</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td class="bb">&nbsp;</td>
+<td class="bb">&nbsp;</td>
+<td class="bb g">|</td>
+<td class="bb">&nbsp;</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td>Antoine-Alfred<br />
+Ag&eacute;nor de Gramont<br />
+(1819-1880),<br />
+&eacute;p. Marie<br />
+Mac Kinnon (1848).</td>
+<td>Antoine-Auguste<br />
+de Gramont,<br />
+duc de Lesparre<br />
+&eacute;p. Marie-Sophie<br />
+de S&eacute;gur (1844),<br />
+branche &eacute;teinte<br />
+dans les m&acirc;les</td>
+<td>Alfred-Th&eacute;ophile<br />
+de Gramont<br />
+(1823-1881), &eacute;p.<br />
+Charlotte-C&eacute;cile<br />
+de Choiseul-Praslin<br />
+(1848).</td>
+<td>Agla&eacute;-Ida de Gramont<br />
+(1836-1875),<br />
+&eacute;p. Th&eacute;odore,<br />
+marquis du Praz<br />
+(1850).</td>
+</tr>
+</table>
+
+<hr class="full" />
+
+<table summary="rameau_4" cellpadding="0" cellspacing="0" style="font-size: 75%;text-align:center;">
+
+<tr valign="top">
+<td colspan="4">IV<sup>e</sup> Rameau: <b>de Verneuil</b>, fondu dans la descendance de <span class="smcap">Lucien
+Bonaparte</span>, prince de <span class="smcap">Canino</span>.</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td colspan="4">&nbsp;</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td>&nbsp;</td>
+<td colspan="2">Antoine-Fran&ccedil;ois Grimod de Verneuil<br />
+(1696-1765),<br />
+&eacute;p. Henriette-Ad&eacute;la&iuml;de de Tilly (1736).</td>
+<td>&nbsp;</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td>&nbsp;</td>
+<td colspan="2" class="g">|</td>
+<td>&nbsp;</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td>&nbsp;</td>
+<td colspan="2">Marie-Gasparde Grimod de Verneuil<br />
+(1738-1804),<br />
+&eacute;p. Jean-Charles Bouvet (1759).</td>
+<td>&nbsp;</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td>&nbsp;</td>
+<td colspan="2" class="g">|</td>
+<td>&nbsp;</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td>&nbsp;</td>
+<td colspan="2">Jeanne-Louise-Bouvet<br />
+(1759-1817),<br />
+&eacute;p. Charles-Jacob de Bleschamp (1777).</td>
+<td>&nbsp;</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td>&nbsp;</td>
+<td colspan="2" class="g">|</td>
+<td>&nbsp;</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td>&nbsp;</td>
+<td colspan="2">Alexandrine de Bleschamp<br />
+(1778-1855),<br />
+ep. 1&deg; Henry Jouberthon (1797);<br />
+2&deg; Lucien-Bonaparte (1802).</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td class="bb">&nbsp;</td>
+<td class="bb g" colspan="2">|</td>
+<td class="bb">&nbsp;</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td>Charles-Lucien-Jules<br />
+Bonaparte (1802-1857),<br />&eacute;p.
+Charlotte Bonaparte<br />
+(1822).</td>
+<td>L&aelig;titia Bonaparte<br />
+(1804-1862),<br />&eacute;p.
+Thomas Wyse<br />
+(1834).</td>
+<td>Louis-Lucien Bonaparte<br />
+(1813-95),<br />
+&eacute;p. Marianne Cecchi<br />
+(1832). S. P.</td>
+<td>Pierre Napol&eacute;on Bonaparte
+<br />(1815-81), &eacute;p.<br />
+Justine-&Eacute;l&eacute;onore Ruflin.</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td colspan="3">&nbsp;</td>
+<td class="g">|</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td colspan="3">&nbsp;</td>
+<td>Roland Bonaparte,<br />
+&eacute;p. Marie Blanc<br />
+(1880).</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td colspan="3">&nbsp;</td>
+<td class="g">|</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td colspan="3">&nbsp;</td>
+<td>Marie Bonaparte,<br />
+&eacute;p. prince George
+de Gr&egrave;ce.</td></tr>
+</table>
+
+<hr class="full" />
+
+<table summary="desroys" cellpadding="0" cellspacing="0" style="font-size: 75%;text-align:center;">
+
+<tr valign="top">
+<td colspan="8">Tableau g&eacute;n&eacute;alogique de la famille <b>Des Roys</b> (1500-1790).</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td colspan="8">&nbsp;</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td colspan="2">&nbsp;</td>
+<td>
+Mathurin<br />
+Des Roys,
+religieux.</td>
+<td>Louis<br />
+Des Roy,
+religieux</td>
+<td>Denis Des Roys
+&eacute;p.<br />
+1&deg; Claude de Lagrevol;
+2&deg;Isabelle Vacherelle.</td>
+<td>Catherine<br />
+Des Roys,<br />&eacute;p.
+Pierre Aurelle.</td>
+<td colspan="2">&nbsp;</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td colspan="4" class="bb">&nbsp;</td>
+<td class="bb g">|</td>
+<td colspan="3" class="bb">&nbsp;</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td class="g">|</td>
+<td>&nbsp;</td>
+<td class="g">|</td>
+<td>&nbsp;</td>
+<td class="g">|</td>
+<td class="g">|</td>
+<td class="g">|</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td>
+Antoine Des Roys, &eacute;p.
+Marguerite de Jussac&nbsp;de Baulmes (1533).</td>
+<td>&nbsp;</td>
+<td>Pierre Des Roys,
+ &eacute;p.?</td>
+<td>&nbsp;</td>
+<td>
+Antoine Des Roys
+(le jeune),<br />
+religieux.</td>
+<td>
+Aymard Des Roys,<br />
+religieux.</td>
+<td>
+Marthe Des Roys,
+&eacute;p. Antoine&nbsp;de Romezin&nbsp;d'o&ugrave;&nbsp;post&eacute;rit&eacute;, &eacute;teinte
+au cours du <span style="font-size: 80%;">XVIII</span><sup>e</sup> si&egrave;cle.</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td>&nbsp;</td>
+<td class="bb">&nbsp;</td>
+<td class="bb g">|</td>
+<td class="bb">&nbsp;</td>
+<td colspan="4">&nbsp;</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td>&nbsp;</td>
+<td>&nbsp;</td>
+<td class="g">|</td>
+<td class="g">|</td>
+<td colspan="4">&nbsp;</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td>&nbsp;</td>
+<td>&nbsp;</td>
+<td>
+S&eacute;bastien Des Roys,
+&eacute;p. Claude de Guilhon
+(1588).</td>
+<td>
+Claude Des Roys,
+mort sans alliance.</td>
+<td colspan="4">&nbsp;</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td>&nbsp;</td>
+<td class="bb">&nbsp;</td>
+<td class="bb g">|</td>
+<td colspan="2" class="bb">&nbsp;</td>
+<td colspan="2">&nbsp;</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td>&nbsp;</td>
+<td class="g">|</td>
+<td class="g">|</td>
+<td class="g">|</td>
+<td class="g">|</td>
+<td colspan="2">&nbsp;</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td>&nbsp;</td>
+<td>
+Gaspard Des Roys,
+&eacute;p. Jeanne
+de Cohacy (1588)
+(sans post&eacute;rit&eacute;).</td>
+<td>
+Melchior Des Roys,
+&eacute;p. Françoise
+Faure de Marnans
+(1619).</td>
+<td>
+Marie
+Des Roys,
+&eacute;p. Jean Pollenon
+d'o&ugrave; post&eacute;rit&eacute;.</td>
+<td>
+Pierre Des Roys,
+&eacute;p. Catherine
+Des Olmes<br />
+(1618).</td>
+<td>&nbsp;</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td class="bb">&nbsp;</td>
+<td class="bb">&nbsp;</td>
+<td class="bb g">|</td>
+<td class="bb">&nbsp;</td>
+<td class="bb">&nbsp;</td>
+<td class="bb">&nbsp;</td>
+<td class="bb">&nbsp;</td>
+<td class="bb">&nbsp;</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td class="g">|</td>
+<td class="g">|</td>
+<td class="g">|</td>
+<td class="g">|</td>
+<td class="g">|</td>
+<td class="g">|</td>
+<td class="g">|</td>
+<td class="g">|</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td>
+Baltazar Des Roys,
+&eacute;p.
+Claude des Olmes<br />
+(1650).</td>
+<td>
+Marie Des Roys,
+&eacute;p.
+Pierre Roche
+(sans post&eacute;rit&eacute;).</td>
+<td>
+Marie Magdeleine
+Des Roys,<br />
+religieuse.</td>
+<td>
+Marie Amable
+Des Roys
+religieuse.</td>
+<td>Marie Des Roys,
+&eacute;p.
+Jacques Rochet
+d'o&ugrave; post&eacute;rit&eacute;.</td>
+<td>
+Philiberte<br />
+Des Roys, &eacute;p.<br />
+Louis de Romezin<br />
+du Sarzier.</td>
+<td>
+Claude Des Roys,
+mort
+sans alliance.</td>
+<td>Jeanne Des Roys, ep.
+Antoine Varillon d'o&ugrave; post&eacute;rit&eacute;.</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td class="bb g">|</td>
+<td class="bb">&nbsp;</td>
+<td colspan="3">&nbsp;</td>
+<td class="g">|</td>
+<td colspan="2">&nbsp;</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td class="g">|</td>
+<td class="g">|</td>
+<td colspan="3">&nbsp;</td>
+<td>Marie&nbsp;de&nbsp;Rornezin,&nbsp;&eacute;p. 1&deg;&nbsp;Claude&nbsp;Ferrapie (1685);
+2&deg; Cristofle
+Des Roys,&nbsp;son cousin.</td>
+<td colspan="2">&nbsp;</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td>Pons Gaspard<br />
+Des Roys,<br />
+&eacute;p. Louise Demeure<br />
+(1679).</td>
+<td>Cristofle
+Des Roys, &eacute;p.
+Marie de Romezin,
+veuve de Claude
+Ferrapie (1701).</td>
+<td colspan="6">&nbsp;</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td class="g">|</td>
+<td colspan="7">&nbsp;</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td>Claude Des Roys,
+&eacute;p. Françoise
+Pagey (1717).</td>
+<td colspan="7">&nbsp;</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td class="g">|</td>
+<td colspan="7">&nbsp;</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td>Jean-Louis
+Des Roys, &eacute;p.
+Marguerite Gavault
+(1757)</td>
+<td colspan="7">&nbsp;</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td class="bb g">|</td>
+<td class="bb">&nbsp;</td>
+<td colspan="6">&nbsp;</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td class="g">|</td>
+<td class="g">|</td>
+<td colspan="6">&nbsp;</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td>
+C&eacute;sarine Des Roys,
+&eacute;p. Pierre Carra
+De Vaux (1788).</td>
+<td>Alix Des Roys, &eacute;p.
+Pierre de Lamartine
+(1790).</td>
+<td colspan="6">&nbsp;</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td class="g">|</td>
+<td class="g">|</td>
+<td colspan="6">&nbsp;</td></tr>
+
+<tr valign="top">
+<td>
+Alexandre Carra
+de Vaux.</td>
+<td>Alphonse
+de Lamartine.</td>
+<td colspan="6">&nbsp;</td></tr>
+</table>
+
+<hr class="full" />
+
+<h3><a name="bib" id="bib"></a>Bibliographie des &#339;uvres de Lyon Des Roys.</h3>
+
+<p>L'ILLUSION, vers couronn&eacute;s, in-8 de 6 p. (s. l. s. d.).</p>
+
+<p>L'ANESSE, moralit&eacute;, in-8 de 3 p. (s. 1. s. d.).</p>
+
+<p>LE TABAC, po&egrave;me, au C<sup>n</sup> D*** fabricant de tabac, in-8 de 5 p. (s. 1.
+s. d.).</p>
+
+<p>LA G&Eacute;OM&Eacute;TRIE en vers techniques-; <i>il existe deux &eacute;ditions de cet
+opuscule.</i> 1&ordm;: par D. R. ancien doyen de Mortain (?), ma&icirc;tre de
+math&eacute;matiques. &Agrave; Paris, chez les libraires du Palais. -; Egalit&eacute; an
+IX-1801 (in-8 de 18 p.); 2&ordm;: par Desrois ancien doyen de Mortain. &Agrave;
+Paris, chez l'auteur rue de la loi maison du C<sup>n</sup> Dareste n&ordm; 74, pr&egrave;s
+la rue Feydau, an IX-1801 (in-8 de 20 p.).</p>
+
+<p>EPITRE AUX COM&Eacute;DIENS, par Desroys [<i>avec cette &eacute;pigraphe</i>:] facit
+indignatio versum. -; Se vend au Palais du Tribunal, galerie de la Foi,
+n&ordm; 50, o&ugrave; l'on trouve la trag&eacute;die du Dernier des Romains, la G&eacute;om&eacute;trie
+envers, l'Illusion. An X (in-8 de 6 p.).</p>
+
+<p>EPITRES &agrave; Dazincour, &agrave; Madame D. L. V. jouant de la harpe, etc., par
+Desroys auteur de l'&eacute;pitre aux com&eacute;diens -; prix; 50 centimes. &Agrave; Paris
+chez Desenne, libraire du Tribunal, n&ordm; 2, et chez les marchands de
+nouveaut&eacute;. An X-1802 (in-8 de 8 p.).</p>
+
+<p>LE DERNIER DES ROMAINS, trag&eacute;die en cinq actes par D. R. [<i>avec cette
+&eacute;pigraphe</i>:] Quam dulcis sit libertas... ostendam. Prix. 1 fr. 65. &Agrave;
+Paris chez Barba et Desenne au septi&egrave;me (in-8 de 74 p.).</p>
+
+<p>&#338;UVRES DRAMATIQUES de ***. Le dernier des Romains, trag&eacute;die en cinq
+actes. L'anti-philosophe, com&eacute;die en cinq actes et en vers. &Agrave; Paris an
+VIII (1800) (in-8 de 162 p.).</p>
+
+
+
+<p class="c">1811-10, -; Coulommiers. Imp. PAUL BRODARD.&mdash;3-11.</p>
+
+
+<div class="footnotes"><h3>NOTES:</h3>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_1_1" id="Footnote_1_1"></a><a href="#FNanchor_1_1"><span class="label">[1]</span></a> Sainte-Beuve, <i>Portraits contemporains</i>, t. I (Lamartine).</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_2_2" id="Footnote_2_2"></a><a href="#FNanchor_2_2"><span class="label">[2]</span></a> <i>Le Manuscrit de ma m&egrave;re</i>, prologue et &eacute;pilogue par A. de
+Lamartine (Paris, 1871, in-8).</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_3_3" id="Footnote_3_3"></a><a href="#FNanchor_3_3"><span class="label">[3]</span></a> Voici la description des 12 petits cahiers&mdash;et non pas 22,
+comme l'a &eacute;crit Lamartine dans la pr&eacute;face des <i>Confidences</i>&mdash;du <i>Journal
+intime</i> qui s'&eacute;tend de 1800 &agrave; 1829:
+</p>
+<table summary="foot3" cellspacing="0" cellpadding="4">
+<tr><td>Tome</td><td align="right">I</td><td>:</td><td>13 d&eacute;c. 1800-24 ao&ucirc;t 1801. 81 p., in-16.</td></tr>
+<tr><td>&nbsp;</td><td align="right">II</td><td>:</td><td>20 ao&ucirc;t 1801-8 avril 1802. 140 p., in-16.</td></tr>
+<tr><td>&nbsp;</td><td align="right">III</td><td>:</td><td>16 avril 1802-21 juin 1803. 153 p. plus 8 p. de comptes, in-6.</td></tr>
+<tr><td>&nbsp;</td><td align="right">IV</td><td>:</td><td>23 juin 1803-22 octobre 1804. 118 p., plus 4 p. de table, in-16.</td></tr>
+<tr><td>&nbsp;</td><td align="right"> V</td><td>:</td><td>1<sup>er</sup> nov. 1804-3 juillet 1806. 99 p., in-8.</td></tr>
+<tr><td>&nbsp;</td><td align="right">VI</td><td>:</td><td>12 juillet 1800-19 d&eacute;c. 1808. 139 p., plus 2 p. de table, in-8.</td></tr>
+<tr><td>&nbsp;</td><td align="right">VII</td><td>:</td><td>27 janvier 1809-7 mars 1811. 99 p., plus 4 p. de table, in-8.</td></tr>
+<tr><td>&nbsp;</td><td align="right">VIII</td><td>:</td><td>10 mars 1812-28 f&eacute;vrier 1813. 193 p., in-4&ordm;.</td></tr>
+<tr><td>&nbsp;</td><td align="right">IX</td><td>:</td><td>7 mars 1815-3 mai 1821. 198 p. plus 2 feuillets volants intercal&eacute;s dans le texte, in-4&ordm;.</td></tr>
+<tr><td>&nbsp;</td><td align="right"> X</td><td>:</td><td>14 juin 1821-13 oct. 1822. 87 p., in-4&ordm;.</td></tr>
+<tr><td>&nbsp;</td><td align="right">XI</td><td>:</td><td>11 nov. 1822-21 juin 1824. 88 p., in-4&ordm;.</td></tr>
+<tr><td>&nbsp;</td><td align="right">XII</td><td>:</td><td>19 juin 1824-22 oct. 1829. 80 p., plus 30 feuillets demeur&eacute;s blancs, in-4&ordm;.</td></tr>
+</table>
+</div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_4_4" id="Footnote_4_4"></a><a href="#FNanchor_4_4"><span class="label">[4]</span></a> Sources et bibliographie: <i>Archives municipales de M&acirc;con</i>:
+Registres des bapt&ecirc;mes, mariages et d&eacute;c&egrave;s de la paroisse
+Saint-Pierre.&mdash;<i>Archives d&eacute;partementales de Sa&ocirc;ne-et-Loire</i> (S&eacute;rie B,
+1324-1371): Registres du bailliage de M&acirc;con o&ugrave; sont conserv&eacute;s de
+nombreux contrats, testaments et donations.&mdash;<i>Archives municipales de
+Cluny</i>: Registres des bapt&ecirc;mes, mariages et d&eacute;c&egrave;s de la paroisse
+Saint-Marcel.&mdash;<i>Archives de la Guerre</i> (section administrative): &Eacute;tats
+de services des membres de la famille qui furent
+officiers.&mdash;<i>Biblioth&egrave;que Nationale</i> (manuscrits): Armorial g&eacute;n&eacute;ral,
+g&eacute;n&eacute;ralit&eacute; de Bourgogne. D'Hozier, pi&egrave;ces originales, vol. 504 et 1873,
+dossiers bleus, vol. 7.&mdash;<i>Biblioth&egrave;que de M&acirc;con</i>: Claude Bernard,
+g&eacute;n&eacute;alogie des familles de M&acirc;con (mss).
+</p><p>
+Tessereau, <i>Histoire chronologique de la grande chancellerie de France</i>
+(Paris, 1710).&mdash;Arcelin, <i>Indicateur h&eacute;raldique du M&acirc;connais</i> (M&acirc;con,
+1865).&mdash;R&eacute;v&eacute;rend Du Mesnil, <i>Lamartine et sa famille</i> (Lyon,
+1869).&mdash;Lex, <i>Lamartine, souvenirs et documents</i> (M&acirc;con, 1890).&mdash;Lex,
+<i>les Fiefs du M&acirc;connais</i> (M&acirc;con, 1897).</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_5_5" id="Footnote_5_5"></a><a href="#FNanchor_5_5"><span class="label">[5]</span></a> Dans l'Armorial g&eacute;n&eacute;ral de d'Hozier, &eacute;tabli en 1696, on
+voit que les Lamartine portaient: &laquo;de gueules &agrave; deux fasces d'or,
+accompagn&eacute;es en c&#339;ur d'un tr&egrave;fle de m&ecirc;me&raquo;. La branche cadette de
+Montceau &laquo;brisait en chef d'un lambel d'argent&raquo;. Le cachet de Lamartine,
+que nous avons pu voir, ne porte pas de lambel, puisque la branche a&icirc;n&eacute;e
+&eacute;tait &eacute;teinte &agrave; la fin du <span class="smcap">xviii</span><sup>e</sup> si&egrave;cle, et les &laquo;fasces&raquo; ont &eacute;t&eacute;
+remplac&eacute;es par des &laquo;bandes&raquo;.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_6_6" id="Footnote_6_6"></a><a href="#FNanchor_6_6"><span class="label">[6]</span></a> Il existe, &agrave; notre connaissance, au moins trois de ces
+g&eacute;n&eacute;alogies. L'une figure &agrave; la Biblioth&egrave;que Nationale (<i>Manuscrits,
+ancien fonds fran&ccedil;ais</i>) et occupe les pages 1-5 du vol. 790 de la
+collection Moreau (t. XXXIII de l'ancien recueil Fontette). Elle a &eacute;t&eacute;
+publi&eacute;e par nous dans la <i>Revue des Annales romantiques</i>, fasc. V de
+l'ann&eacute;e 1905. La seconde figure au minist&egrave;re de la Guerre. La troisi&egrave;me
+se trouve aux Archives de Sa&ocirc;ne-et-Loire, et a &eacute;t&eacute; publi&eacute;e par M.
+Reyssi&eacute;: <i>la Jeunesse de Lamartine</i>, in-18, 1892, p. 9.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_7_7" id="Footnote_7_7"></a><a href="#FNanchor_7_7"><span class="label">[7]</span></a> M. Abel Jeandet (<i>Annales de l'Acad&eacute;mie de M&acirc;con</i>, 2<sup>e</sup>
+s&eacute;rie, t. V, p. 117) a publi&eacute; un acte en date du 14 octobre 1544,
+concernant un Estienne Alamartine, &laquo;bourgeois et marchand de Cluny&raquo;,
+propri&eacute;taire &agrave; Az&eacute;. Il s'agit l&agrave; sans doute d'un fr&egrave;re de Beno&icirc;t, ou
+peut-&ecirc;tre de son p&egrave;re, mais il nous a &eacute;t&eacute; impossible de l'identifier de
+fa&ccedil;on certaine.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_8_8" id="Footnote_8_8"></a><a href="#FNanchor_8_8"><span class="label">[8]</span></a> La famille Tuppinier, dont une branche subsiste encore en
+Bourgogne, est originaire de Cluny, o&ugrave; l'on trouve en 1544 un Jacques
+Tuppinier, bourgeois de la ville, marchand drapier, mari&eacute; &agrave; Antoinette
+de Gordon. Il est le p&egrave;re de Claude, mari&eacute; &agrave; Fran&ccedil;oise Alamartine.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_9_9" id="Footnote_9_9"></a><a href="#FNanchor_9_9"><span class="label">[9]</span></a> Guyot Fournier, p&egrave;re de Jeanne, exer&ccedil;a, le 31 ao&ucirc;t 1601,
+une reprise de fief pour la ch&acirc;tellenie de Priss&eacute;. La famille
+Descrivieux &eacute;tait originaire de Bresse; Charles Descrivieux &eacute;tait
+&eacute;chevin de M&acirc;con en 1466; &agrave; la fin du <span class="smcap">xviii</span><sup>e</sup> si&egrave;cle, les Descrivieux,
+seigneurs de Charbonni&egrave;res, prirent s&eacute;ance en la Chambre de la noblesse
+du M&acirc;connais.
+</p><p>
+Beno&icirc;t Alamartine et Jeanne Fournier eurent de leur mariage: 1&ordm;
+<i>Charles</i> (9 mai 1598&mdash;?); 2&ordm; <i>Guyot</i> (31 d&eacute;c. 1601&mdash;?), mari&eacute; &agrave;
+Philiberte Paillet; 3&ordm; <i>Claude</i> (28 oct. 1602&mdash;3 oct. 1609); 4&ordm;
+<i>Marguerite</i> (16 ao&ucirc;t 1604&mdash;3 oct. 1608); 5&ordm; &Eacute;tienne (12 nov. 1600&mdash;?);
+6&ordm; Jacques (9 ao&ucirc;t 1609&mdash;?); 7&ordm; <i>Avoye</i> (23 f&eacute;vrier 1612&mdash;?); 8&ordm; <i>Aim&eacute;e</i>
+(8 juin 1613&mdash;?); 9&ordm; <i>Suzanne</i> (27 sept. 1614&mdash;?).
+</p><p>
+C'est vraisemblablement d'un des fils de Gabriel ou de Beno&icirc;t Alamartine
+que sont issus les nombreux Alamartine existant encore dans le
+Charollais, et un &Eacute;milien Alamartine, notaire &agrave; Cluny au milieu du
+<span class="smcap">xviii</span><sup>e</sup> si&egrave;cle. &Agrave; signaler &eacute;galement un acte de mariage du 21 janvier
+1782, entre Philippe Cartillet, marchand forain, et Jeanne Lamartine,
+tailleur <i>(sic)</i>, fille de Fran&ccedil;ois Lamartine, tisserand, &laquo;lesquels ont
+d&eacute;clar&eacute; ne savoir signer&raquo;. Bien que l'acte ait &eacute;t&eacute; enregistr&eacute; &agrave; M&acirc;con,
+ces Lamartine n'ont aucune parent&eacute;, m&ecirc;me lointaine, avec ceux qui nous
+occupent, la forme roturi&egrave;re du nom &eacute;tant Alamartine et non Lamartine.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_10_10" id="Footnote_10_10"></a><a href="#FNanchor_10_10"><span class="label">[10]</span></a> <i>La L&eacute;gende de domp Claude de Guize...</i> s. I. 1582, in-8,
+r&eacute;imprim&eacute;e en 1744, au tome IV des <i>M&eacute;moires de la Ligue</i>.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_11_11" id="Footnote_11_11"></a><a href="#FNanchor_11_11"><span class="label">[11]</span></a> Surnoms donn&eacute;s par Regnault &agrave; l'abb&eacute; de Cluny et &agrave; son
+vicaire.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_12_12" id="Footnote_12_12"></a><a href="#FNanchor_12_12"><span class="label">[12]</span></a> Le 8 avril 1626, &agrave; l'assembl&eacute;e des &Eacute;tats du M&acirc;connais, il
+fut charg&eacute; de pr&eacute;senter les &laquo;m&eacute;moire et dol&eacute;ances&raquo; du Tiers-&Eacute;tat.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_13_13" id="Footnote_13_13"></a><a href="#FNanchor_13_13"><span class="label">[13]</span></a> La famille de Pise est originaire de M&acirc;con. On trouve un
+Antoine de Pise &eacute;chevin de cette ville en 1450; Philippe de Pise, garde
+du scel des contrats du bailliage de M&acirc;con (par provisions du 15 juin
+1544), eut pour fils Antoine, p&egrave;re d'Aym&eacute;e de Pise. Les de Pise
+devinrent en 1603 seigneurs de Flac&eacute;, par acquisition des Maugiron. Les
+de Ryrmon, seigneurs de Champgrenon, la Moussi&egrave;re, la Serve et la
+Rochette sont originaires de Saint-Gengoux, d'o&ugrave; &eacute;tait Hugues de Rymon,
+capitaine de la ville et du ch&acirc;teau, mari&eacute; &agrave; Fran&ccedil;oise Bourgeois.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_14_14" id="Footnote_14_14"></a><a href="#FNanchor_14_14"><span class="label">[14]</span></a> La famille de la Bl&eacute;tonni&egrave;re est originaire de Cluny. Un
+Antoine de la Bl&eacute;tonni&egrave;re, procureur du roi, puis juge royal en la
+ch&acirc;tellenie de Saint-Gengoux par provisions du 11 ao&ucirc;t 1617. Son fils
+Antoine, lieutenant en l'&eacute;lection du M&acirc;connais. D'apr&egrave;s le contrat de
+mariage de Philiberte, o&ugrave; les &eacute;poux sont qualifi&eacute;s &laquo;habitants de Cluny&raquo;,
+on voit que les Alamartine ne r&eacute;sidaient pas encore &agrave; M&acirc;con. &Eacute;tienne s'y
+&eacute;tait n&eacute;anmoins mari&eacute; en 1605, mais ce n'est qu'&agrave; partir de 1650 qu'on
+les trouve d&eacute;finitivement install&eacute;s &agrave; M&acirc;con, paroisse Saint-Pierre.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_15_15" id="Footnote_15_15"></a><a href="#FNanchor_15_15"><span class="label">[15]</span></a> Jean Dumont, bourgeois de M&acirc;con &agrave; la fin du <span class="smcap">xvi</span><sup>e</sup>
+si&egrave;cle, mari&eacute; &agrave; Fran&ccedil;oise Foillard. La famille fut anoblie en 1723, en
+la personne d'&Eacute;milien Dumont, secr&eacute;taire du roi.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_16_16" id="Footnote_16_16"></a><a href="#FNanchor_16_16"><span class="label">[16]</span></a> La famille Desbois, actuellement repr&eacute;sent&eacute;e par les
+familles de Murard, de Surigny et de la Forestille, est issue de Gabriel
+Desbois, bourgeois de Cluny &agrave; la fin du <span class="smcap">xvi</span><sup>e</sup> si&egrave;cle, dont le
+petit-fils, Pierre Desbois, seigneur de la Cailloterie, fut anobli en
+16435 par l'achat d'une charge de secr&eacute;taire du roi.
+</p><p>
+&Agrave; partir d'Antoine Desbois, la charge de grand bailli d'&eacute;p&eacute;e du
+M&acirc;connais se transmit de p&egrave;re en fils dans la famille jusqu'&agrave; la
+R&eacute;volution.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_17_17" id="Footnote_17_17"></a><a href="#FNanchor_17_17"><span class="label">[17]</span></a> Anne Constant (?&mdash;27 sept. 1757) &eacute;tait fille d'Antoine
+Constant (1641-1716), &eacute;chevin de Lyon en 1697-98, et de Anne Mollien.
+(Cf. Jouvencel, <i>l'Assembl&eacute;e de la noblesse de la s&eacute;n&eacute;chauss&eacute;e de Lyon
+en 1789</i>. Lyon, 1907.)</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_18_18" id="Footnote_18_18"></a><a href="#FNanchor_18_18"><span class="label">[18]</span></a> La famille Bernard est une des plus vieilles du pays. Un
+Philippe Bernard, conseiller au parlement de Paris, seigneur de la
+Vernette, fut envoy&eacute; en 1583 par Henri III comme ambassadeur aupr&egrave;s de
+la r&eacute;publique de Venise. Nicolas Bernard &eacute;tait capitaine de M&acirc;con en
+1502; Jean Bernard, son fils, &eacute;tait &eacute;cuyer de Catherine de M&eacute;dicis par
+brevet du 30 juin 1580.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_19_19" id="Footnote_19_19"></a><a href="#FNanchor_19_19"><span class="label">[19]</span></a> M. Charles de Montherot, petit-neveu du po&egrave;te et
+possesseur du ch&acirc;teau de Saint-Point, descend donc &agrave; la fois des
+Lamartine d'Hurigny et des Lamartine de Montceau, puisqu'un petit-fils
+de Jeanne-Sibylle de Lamartine &eacute;pousa en 1820 une des s&#339;urs du po&egrave;te.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_20_20" id="Footnote_20_20"></a><a href="#FNanchor_20_20"><span class="label">[20]</span></a> Arch. d&eacute;p. du Loiret. D. 98 (communication de M.
+Jagebien).</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_21_21" id="Footnote_21_21"></a><a href="#FNanchor_21_21"><span class="label">[21]</span></a> Une de ses s&#339;urs et une de ses tantes.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_22_22" id="Footnote_22_22"></a><a href="#FNanchor_22_22"><span class="label">[22]</span></a> M. Lex a retrouv&eacute; et publi&eacute; le premier (<i>Lamartine,
+souvenirs et documents</i>), l'acte de b&eacute;n&eacute;diction de la maison de Milly:
+&laquo;L'an de N. S. 1705, le 15 juillet, je soussign&eacute; ay b&eacute;nit la maison de
+M. Jean-Baptiste de la Martine, conseiller du Roy au bailliage et si&egrave;ge
+pr&eacute;sidial de M&acirc;con, &agrave; six heures du soir. A. D. Dauthon, cur&eacute; de Milly&raquo;
+(Arch. municipales de Milly). Les terres avaient &agrave; cette &eacute;poque une
+superficie d'environ cinquante-deux hectares et s'&eacute;tendaient sur les
+communes de Milly, Bertz&eacute;-la-Ville et Saint-Sorlin. La seigneurie de
+Milly &eacute;tait entre les mains de la famille de Pierreclau.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_23_23" id="Footnote_23_23"></a><a href="#FNanchor_23_23"><span class="label">[23]</span></a> 1&ordm; <i>Abel</i> (4 f&eacute;vrier&mdash;13 nov. 1663); 2&ordm;
+<i>Philippe-&Eacute;tienne</i>; 3&ordm; <i>Fran&ccedil;oise</i> (10 mai 1666&mdash;?); 4&ordm; <i>Antoine</i> (10-28
+mai 1666); 5&ordm; <i>Claudine</i> (26 avril 1667&mdash;22 sept. 1672); 6&ordm; <i>Nicolas</i>;
+7&ordm; <i>Claude</i> (31 novembre 1669&mdash;?); 8&ordm; <i>Marie</i> (11 nov. 1670&mdash;2 f&eacute;vrier
+1750); 9&ordm; <i>Antoine</i> (11 nov. 1670&mdash;1690), mort &agrave; Paris &eacute;tudiant en
+Sorbonne; 10&ordm; <i>Marianne</i> (21 juin 1673&mdash;16 mars 1758), mari&eacute;e le 9 avril
+1712 &agrave; Claude Chambre, receveur des &Eacute;tats du M&acirc;connais; 11&ordm; <i>Louis</i> (16
+mars 1776&mdash;1719): il reprit en 1703 la compagnie de son fr&egrave;re a&icirc;n&eacute; dans
+Orl&eacute;ans-infanterie, et mourut au si&egrave;ge de Barcelone; 12&ordm; <i>Fran&ccedil;ois</i>; 13&ordm;
+<i>Fran&ccedil;oise</i> (4 janvier 1678&mdash;?); 14&ordm; <i>Fran&ccedil;oise</i> (15 avril 1679&mdash;?); 15&ordm;
+<i>Jean-Baptiste</i> (10 sept. 1680&mdash;9 juillet 1720), noy&eacute; en se baignant
+dans la Sa&ocirc;ne.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_24_24" id="Footnote_24_24"></a><a href="#FNanchor_24_24"><span class="label">[24]</span></a> Arch. d&eacute;p. du Loiret, D. 138 et 187 (communiqu&eacute; par M.
+Jagebien).</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_25_25" id="Footnote_25_25"></a><a href="#FNanchor_25_25"><span class="label">[25]</span></a> Arch. municipales de Vichy. S&eacute;rie G. G.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_26_26" id="Footnote_26_26"></a><a href="#FNanchor_26_26"><span class="label">[26]</span></a> 1&ordm; <i>Anne</i> (8 janvier 1710&mdash;25 mai 1781), mari&eacute;e en 1735 &agrave;
+Jean-Baptiste de Lamartine d'Hurigny; 2&ordm; <i>Louise-Fran&ccedil;oise</i> (21 ao&ucirc;t
+1707&mdash;?); 3&ordm; <i>Marie-Anne</i> (21 mai 1713&mdash;?), religieuse aux Ursulines de
+M&acirc;con, et connue dans la famille sous le nom de M<sup>me</sup> de Luzy. Elle
+vivait encore en 1790; 4&ordm; <i>Marie-Claudine</i> (19 f&eacute;vrier 1714&mdash;?); 5&ordm;
+<i>Charlotte</i>, n&eacute;e le 21 f&eacute;vrier 1716, mari&eacute;e le 26 nov. 1736 &agrave; Pierre de
+Boyer, seigneur de Ruff&eacute; et de Trades, morte le 13 juillet 1757.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_27_27" id="Footnote_27_27"></a><a href="#FNanchor_27_27"><span class="label">[27]</span></a> &laquo;Maurice de Saxe, duc de Gourlande et de Semigalie,
+mar&eacute;chal g&eacute;n&eacute;ral des camps et arm&eacute;es du roi, commandant g&eacute;n&eacute;ral des
+Pays-Bas, etc. Laissez librement et s&ucirc;rement passer le sieur de la
+Martine, capitaine au r&eacute;giment de Monaco, pour aller en France avec ses
+domestiques et &eacute;quipages sans lui donner aucun trouble ni emp&ecirc;chement.
+Fait &agrave; Bruxelles le 17 juillet 1748 (bon pour un mois).&mdash;M. de Saxe. Par
+Monseigneur, de Bonneville.&raquo; Communication de M. Loiseau.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_28_28" id="Footnote_28_28"></a><a href="#FNanchor_28_28"><span class="label">[28]</span></a> Toute cette biblioth&egrave;que fut dispers&eacute;e, soit pendant la
+R&eacute;volution, soit au moment de la vente de Montceau. On en rencontre
+parfois des volumes chez les amateurs.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_29_29" id="Footnote_29_29"></a><a href="#FNanchor_29_29"><span class="label">[29]</span></a> Les Dronier, seigneurs du Villard et de Pratz sont
+originaires de Saint-Claude (Jura). Jean-Claude Dronier, ma&icirc;tre en la
+chambre des comptes de Dole, &eacute;pousa le 6 juin 1692 Marie-Claudine
+Chevassu. Leur fils, Claude-Antoine, conseiller au Parlement de
+Besan&ccedil;on, &eacute;pousa, le 19 novembre 1719, C&eacute;cile-Eug&eacute;nie Dolard.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_30_30" id="Footnote_30_30"></a><a href="#FNanchor_30_30"><span class="label">[30]</span></a> Les Lamartine prirent s&eacute;ance aux chambres de la noblesse
+du M&acirc;connais &agrave; partir du 27 d&eacute;cembre 1676.
+</p><p>
+Dans la liste &eacute;lectorale pour les &Eacute;tats g&eacute;n&eacute;raux de 1789, tenue le 18
+mars en l'&eacute;glise Saint-Pierre de M&acirc;con, Louis-Fran&ccedil;ois y est nomm&eacute; pour
+la ch&acirc;tellenie d'Ig&eacute; et Domange; Fran&ccedil;ois-Louis et Pierre, ses deux
+fils, pour la pr&eacute;voie de Saint-Andr&eacute;-le-D&eacute;sert (Arch. Nat., B. III 105,
+et de la Roque et Barth&eacute;l&eacute;my, <i>Catalogue des gentilshommes de Bourgogne
+aux &Eacute;tats g&eacute;n&eacute;raux de 1789</i>, Paris, 1862). Le 28 mars, il figura
+&eacute;galement &agrave; l'assembl&eacute;e des trois ordres du bailliage de Dijon, comme
+seigneur d'Urey, de Montculot, Charmoy, Poissot, Fleurey et Qu&eacute;migny.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_31_31" id="Footnote_31_31"></a><a href="#FNanchor_31_31"><span class="label">[31]</span></a> <i>Collonges</i>, hameau de la commune de Prisse, non loin de
+M&acirc;con; <i>Champagne</i>, hameau de la commune de P&eacute;rone.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_32_32" id="Footnote_32_32"></a><a href="#FNanchor_32_32"><span class="label">[32]</span></a> La Tour de Mailly, nom aujourd'hui disparu, &eacute;tait situ&eacute; &agrave;
+Ig&eacute; (canton de Lugny), pr&egrave;s du chemin de cette paroisse &agrave; Bertz&eacute;. Ce
+fief d&eacute;pendait de la seigneurie d'Escole, et consistait en un ch&acirc;teau,
+&laquo;plusieurs cens et h&eacute;ritages&raquo; et le droit d'usage de la for&ecirc;t de
+Malessard, domaine royal. Louis-Fran&ccedil;ois l'acquit en 1730 de Melchior
+Cochet, et exer&ccedil;a une reprise de fief le 4 mai 1748.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_33_33" id="Footnote_33_33"></a><a href="#FNanchor_33_33"><span class="label">[33]</span></a> Cf. Arch. Nat., F. 12/107, p. 854. &laquo;M&eacute;moire du sieur de
+Lamartine par lequel il sollicite divers privil&egrave;ges et faveurs pour les
+deux manufactures de fil de fer et de fers noirs qu'il poss&egrave;de aux
+Combes, pr&egrave;s Saint-Claude-sur-Bienne, et &agrave; Morez du Jura, et o&ugrave; il
+demande qu'il soit interdit au sieur Muller de maintenir l'&eacute;tablissement
+analogue aux siens qu'il a commenc&eacute; d'installer au village de
+Champagnole.&raquo; (1<sup>er</sup> sept. 1789).</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_34_34" id="Footnote_34_34"></a><a href="#FNanchor_34_34"><span class="label">[34]</span></a> Sources et bibliographie: <i>Titres et papiers de la famille
+Des Roys</i> (<span class="smcap">xv</span><sup>e</sup>-<span class="smcap">xix</span><sup>e</sup> si&egrave;cle), communiqu&eacute;s par M. le baron Carra de
+Vaux.&mdash;<i>Archives d&eacute;p. de la Haute-Loire.&mdash;Archives municipales de
+Montfaucon.</i>
+</p><p>
+<i>Obituarium Lugdunensis ecclesi&aelig;</i> (Lyon, 1867, &eacute;d.
+Guignes).&mdash;<i>Obituarium Sancti-Pauli Lugdunensis</i> (1872,
+id.).&mdash;<i>Obituarium Sancti-Petri Lugd.</i> (1880, <i>id.</i>,
+<i>ibid.</i>).&mdash;<i>Cartulaire des hospitaliers du Velay</i> (Le Puy,
+1888).&mdash;<i>Cartulaire des Templiers du Velay</i> (<i>id.</i>, 1882).&mdash;R&eacute;pertoire
+g&eacute;n&eacute;ral des hommages de l'&eacute;v&ecirc;ch&eacute; du Puy (1887).&mdash;<i>Recueil des
+chroniqueurs du Puy</i> (&eacute;d. Chassaing, 3 vol. 1869-75).&mdash;<i>Notes sur le
+monast&egrave;re de Montfaucon</i>, par l'abb&eacute; Theill&egrave;re (1876).&mdash;<i>Nobiliaire
+d'Auvergne</i>, par Bouillet (7 vol., 1846-53).&mdash;<i>Le Livre d'or du
+Lyonnais</i> (Lyon, 1866).&mdash;<i>Jean-Louis Des Roys</i>, par Al. Carra de Vaux
+(<i>l'Investigateur</i>, revue de l'institut historique, ann&eacute;e
+1850).&mdash;<i>M&eacute;moires in&eacute;dits</i> de M<sup>e</sup> de Genlis (10 vol.,
+1825-27).&mdash;<i>L'Assembl&eacute;e de la noblesse de la s&eacute;n&eacute;chauss&eacute;e de Lyon en
+1789</i>, par H. de Jouvencel (Lyon, 1907).&mdash;<i>Grimod de la Reyni&egrave;re et son
+groupe</i>, par Desnoiresterres (1875).&mdash;<i>Lucien Bonaparte</i>, par Ch. Iung
+(t. II, 1882).&mdash;<i>Lucien Bonaparte et sa famille</i> (Paris, 1889).&mdash;<i>The
+marriages of the Bonapartes</i>, par Bingham (Londres, 1881).&mdash;<i>Armorial du
+premier Empire</i>, par A. R&eacute;v&eacute;rend (Paris, 1894, 4 vol.).&mdash;<i>Titres et
+anoblissements de la Restauration</i> (Paris, 1901, 6 vol.).</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_35_35" id="Footnote_35_35"></a><a href="#FNanchor_35_35"><span class="label">[35]</span></a> Aucun Des Roys ne figure &agrave; l'<i>Armorial g&eacute;n&eacute;ral du Cabinet
+des titres</i>.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_36_36" id="Footnote_36_36"></a><a href="#FNanchor_36_36"><span class="label">[36]</span></a> <i>Bonardus Rex</i>, acte de 1147 (<i>Obit. S.-P. Lugd.</i>, p. 59),
+c'est la plus ancienne mention. <i>Guigo Regis</i> (1239), domicili&eacute; &agrave;
+Saint-Laurent de Lyon, etc. On rencontre environ une vingtaine de
+personnages de ce nom auxquels on doit rattacher les Des Roys; en effet
+dans les papiers de la famille on trouve mention au <span class="smcap">xvi</span><sup>e</sup> si&egrave;cle d'une
+pr&eacute;bende fond&eacute;e en l'&eacute;glise Saint-Andr&eacute; de Montbrison, en 1361, par
+ma&icirc;tre Jean Regis, licenci&eacute;e en droit.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_37_37" id="Footnote_37_37"></a><a href="#FNanchor_37_37"><span class="label">[37]</span></a> Charte du 10 janvier 1279 o&ugrave; <i>Petrus Regis</i> est cit&eacute; comme
+clerc (<i>Cart. des Templiers</i>, p. 385). &Eacute;change entre Pons de Brion et
+Raymond du Pont, dat&eacute; du 1<sup>er</sup> mai 1324, d'une rente sur des fonds
+contigus au couvent des Carmes contre une rente sur un champ situ&eacute; aux
+Combes, pr&egrave;s d'Espaly, &laquo;juxta campum <i>Johannis Regis</i> civis anisiensis&raquo;
+(citoyen du Puy) (<i>Cart. des hospitaliers du Velay</i>, p. 188). Sentence
+de l'official du Puy, condamnant Jean Regis, damoizeau, p&egrave;re de
+Paulette, femme de noble Hugues de Chandorasse, &agrave; payer &agrave; Dalmas, prieur
+de Saint-Martin de Polignac, les arr&eacute;rages de biens sis &agrave; Soleihac, 13
+mars 1382 (Arch. d&eacute;p. Haute-Loire, G. 651).</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_38_38" id="Footnote_38_38"></a><a href="#FNanchor_38_38"><span class="label">[38]</span></a> Raucoules. Il existe trois villages de ce nom dans la
+Haute-Loire; celui des Des Roys est situ&eacute; dans le canton de Montfaucon.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_39_39" id="Footnote_39_39"></a><a href="#FNanchor_39_39"><span class="label">[39]</span></a> Nom disparu; aujourd'hui Montregard.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_40_40" id="Footnote_40_40"></a><a href="#FNanchor_40_40"><span class="label">[40]</span></a> D'apr&egrave;s la <i>Bibliographie de la Haute-Loire</i>, par Sauzet,
+un Mathurin Des Roys, prieur de Saint-Didier, aurait compos&eacute; une
+histoire du Puy, en vers et en prose, et d&eacute;di&eacute;e &agrave; Am&eacute;d&eacute;e de Saluce,
+doyen de la cath&eacute;drale; l'ouvrage aurait &eacute;t&eacute; imprim&eacute; en 1519 chez Claude
+le Noury. Ce volume ne figure &agrave; notre connaissance dans aucune autre
+bibliographie; il nous a &eacute;t&eacute; impossible de l'identifier.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_41_41" id="Footnote_41_41"></a><a href="#FNanchor_41_41"><span class="label">[41]</span></a> Contrat pass&eacute; &agrave; Baulmes (paroisse de Saint-Andr&eacute; et
+dioc&egrave;se de Valence); t&eacute;moins: Arnaud de la Rochaing, &eacute;cuyer; Guillaume
+de Montagnet, seigneur de Montgu&eacute;rin; Jehan des Champs (de Campis),
+lieutenant de Mautfaucon; Jehan des Roys (de Regibus); noble Antoine de
+Bronac. La pr&eacute;sence de ce dernier parmi les t&eacute;moins prouve que les Des
+Roys devaient tenir un certain rang dans la ville, car les Bronac,
+coseigneurs de Mautfaucon et de Vazeilles, &eacute;taient consid&eacute;r&eacute;s alors
+comme de hauts personnages.
+</p><p>
+Charles de Jussac, &eacute;cuyer, seigneur de Baulmes et de Jussac (canton de
+Retornac). De son mariage avec Anne de Meyre il eut deux filles
+religieuses: Anne et Alice; un fils, Gaspard, mort sans post&eacute;rit&eacute;; deux
+fils: Bernard et Jean, pr&ecirc;tres; une fille Isabeau, mari&eacute;e &agrave; Arnaud de la
+Rochaing; une autre enfin, devint la femme d'Antoine Des Roys. &Agrave; la mort
+de Charles de Baulmes, tous ses biens revinrent &agrave; sa fille Marguerite,
+dont Antoine h&eacute;rita.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_42_42" id="Footnote_42_42"></a><a href="#FNanchor_42_42"><span class="label">[42]</span></a> Cf. <i>R&eacute;pertoire des hommages de l'&eacute;v&ecirc;ch&eacute; du Puy</i> (p.
+385).</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_43_43" id="Footnote_43_43"></a><a href="#FNanchor_43_43"><span class="label">[43]</span></a> Veuve en premi&egrave;res noces de Denis de Cohacy, procureur
+royal; les Guilhon &eacute;taient alli&eacute;s &agrave; la famille de Gerlande.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_44_44" id="Footnote_44_44"></a><a href="#FNanchor_44_44"><span class="label">[44]</span></a> Il est l'auteur de: 1&ordm; <i>Livret contenant les principales
+questions et d&eacute;cisions qu'on peut rechercher en mati&egrave;re de l&eacute;gitime</i>
+(Lyon, 1644); 2&ordm; <i>Traict&eacute; des substitutions</i> (Lyon, 1644).</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_45_45" id="Footnote_45_45"></a><a href="#FNanchor_45_45"><span class="label">[45]</span></a> Des Olmes, aujourd'hui famille de Veyrac. En 1588, Denis
+des Olmes &eacute;pousa Catherine Dufours, dont Antoine, mari&eacute; en 1587 avec
+Marguerite de la Franch&egrave;re. Leur fils Louis, mari&eacute; en 1622 &agrave; Florie de
+Lagrevol, &eacute;tait le p&egrave;re de Catherine des Olmes.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_46_46" id="Footnote_46_46"></a><a href="#FNanchor_46_46"><span class="label">[46]</span></a> Marie, femme de Jacques Hochet; Philiberte, femme de Louis
+de Romezin, d'o&ugrave; une fille, qui &eacute;pouse Claude Ferrapie, d'une ancienne
+famille de Mautfaucon; Jeanne, mari&eacute;e &agrave; Antoine Varilhon; Claude et
+Marguerite, mortes filles.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_47_47" id="Footnote_47_47"></a><a href="#FNanchor_47_47"><span class="label">[47]</span></a> Ces alliances, que Lamartine n'ignorait pas (cf.
+<i>Souvenirs et Portraits</i>, t. II, <i>les Bonaparte</i>), ont &eacute;t&eacute; constamment
+n&eacute;glig&eacute;es par les g&eacute;n&eacute;alogistes de la famille Grimod; l'omission doit
+provenir de ce que les notes de d'Hozier (Cabinet des titres, pi&egrave;ces
+originales, vol. 141; Dossiers bleus, vol. 333; Nouveau d'Hozier, vol.
+165) ont &eacute;t&eacute; &eacute;tablies sur une collection de <i>factums</i> de 1754, r&eacute;dig&eacute;s
+pour Marguerite le Juge et qui ne l'ont mention, ni de la branche
+Bonaparte, ni de la branche de Vaux-Lamartine.
+</p><p>
+Pourtant, l'acte de bapt&ecirc;me d'Alexandrine de Bleschamp, princesse de
+Canino, dissipe toute &eacute;quivoque, ainsi que le testament d'Antoine Grimod
+enregistr&eacute; &agrave; Paris le 7 avril 1718, et o&ugrave; il est fait &eacute;galement mention
+de deux autres filles: Beno&icirc;te et Philiberte, mari&eacute;e l'une &agrave; J.-B. Dumas
+de Corbeville, l'autre au marquis de Pranse.
+</p><p>
+Voici enfin un fragment du <i>Journal intime</i>, qui, malgr&eacute; quelques
+erreurs, confirme la parent&eacute; des Des Roys avec les divers personnages
+que nous avons cit&eacute;s.
+</p><p>
+&laquo;<i>23 janvier 1803</i> {de Rieux}. Je voudrais pouvoir &eacute;crire tout ce que ma
+m&egrave;re me conte de ses voyages, ce serait bien int&eacute;ressant, et mille
+anecdotes curieuses de gens marquants. Malheureusement, ce serait trop
+long. Ma m&egrave;re conte &agrave; merveille, elle a infiniment d'esprit et de
+m&eacute;rite. Elle m'a rapport&eacute; beaucoup de choses de M. de la Reyni&egrave;re, le
+fermier de Lyon, etc., &agrave; qui nous &eacute;tions parents par ma grand'm&egrave;re;
+M<sup>me</sup> de la Ferri&egrave;re avait &eacute;pous&eacute; en premi&egrave;res noces M. Grimod de la
+Reyni&egrave;re, dont elle a eu M. de la Reyni&egrave;re, fermier g&eacute;n&eacute;ral, qui avait
+&eacute;pous&eacute; M<sup>lle</sup> de Jarente, qui vit encore et qui est tr&egrave;s li&eacute;e avec ma
+m&egrave;re. M. de la Ferri&egrave;re a eu aussi deux filles: l'a&icirc;n&eacute;e &eacute;tait M<sup>me</sup> de
+Malesherbes, qui est morte tr&egrave;s malheureusement fort jeune, laissant
+deux filles: M<sup>me</sup> de Rosanbo qui a &eacute;t&eacute; guillotin&eacute;e, et M<sup>me</sup> de
+Montboissier; la seconde &eacute;tait M<sup>me</sup> de L&eacute;vis, amie intime de ma m&egrave;re
+qui est morte assez jeune. M. de la Reyni&egrave;re le p&egrave;re avait eu d'un
+premier mariage M<sup>me</sup> de Beaumont, c'est par l&agrave; que nous lui sommes
+parents [<i>&agrave; M<sup>me</sup> de Beaumont</i>]. Nous l'&eacute;tions aussi par les Grimod &agrave;
+la femme du baron de Breteuil et aux Cipierre; la fille du baron de
+Breteuil a &eacute;pous&eacute; M. de Matignon, dont la fille a &eacute;pous&eacute; un Montmorency.
+</p><p>
+&laquo;M. d'Orsay s'appelle aussi Grimod, toujours de la m&ecirc;me famille; il a
+&eacute;pous&eacute;, en secondes noces, une princesse d'Allemagne assez proche
+parente du roi de Prusse, et le fils de M. d'Orsay a &eacute;pouse une
+princesse d'Italie assez peu consid&eacute;rable.&raquo;
+</p><p>
+Cette M<sup>me</sup> de la Ferri&egrave;re, dont il est ici question &eacute;tait Marie
+Mazade, seconde femme de Gaspard Grimod de la Reyni&egrave;re; devenue veuve,
+elle &eacute;pousa Honor&eacute; de la Ferri&egrave;re.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_48_48" id="Footnote_48_48"></a><a href="#FNanchor_48_48"><span class="label">[48]</span></a> Fran&ccedil;ois Mauverney, receveur du grenier au sel de
+Saint-Symphorien-le-Ch&acirc;teau, puis lieutenant criminel et civil de
+l'&eacute;lection de Lyon, &eacute;tait fils de Pierre Mauverney, conseiller du Roi,
+&eacute;lu en l'&eacute;lection de Saint-&Eacute;tienne, et de Jaqueline Dilbert. Pierre
+Mauverney &eacute;tait lui-m&ecirc;me fils de Jean-Baptiste et de Jeanne Coignet.
+(Cf. Cab. des titres: pi&egrave;ces originales, vol. 1902.)</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_49_49" id="Footnote_49_49"></a><a href="#FNanchor_49_49"><span class="label">[49]</span></a> Cf., sur les suites de cette brouille entre Grimod de la
+Reyni&egrave;re et sa cousine, &laquo;<i>copie d'une lettre de M. Grimod de la
+Reyni&egrave;re, n&eacute;gociant &agrave; Lyon, etc., &agrave; M<sup>me</sup> Des Roys, ancienne
+sous-gouvernante des ci-devant princes d'Orl&eacute;ans. Lyon, 7 d&eacute;c. 1791</i> (s.
+l. n. d., mais Lyon, 1791).
+</p><p>
+Dans cette brochure extr&ecirc;mement rare, Laurent s'effor&ccedil;ait d'abord
+d'attirer &agrave; sa cousine des ennuis que son ancienne situation pouvait
+rendre graves, mais il l'accusait surtout d'avoir capt&eacute; l'h&eacute;ritage de sa
+grand'm&egrave;re, morte en 1773, et d'avoir pris un grand empire sur son p&egrave;re.
+Il terminait ainsi: &laquo;Maintenant, permettez-moi de vous offrir la paix ou
+la guerre, mais surtout point de neutralit&eacute;, point de tergiversation.
+Une r&eacute;ponse claire et nette, s'il vous pla&icirc;t. Si c'est la guerre, je la
+ferai courageusement et de mon mieux; si vous pr&eacute;f&eacute;rez la paix,
+sacrifiez-moi mes ennemis, agissons de concert, et nous nous en
+trouverons bien l'un et l'autre. Vous avez su prendre un grand cr&eacute;dit
+sur l'esprit de mes parents: j'ai dans mes mains de quoi vous d&eacute;masquer
+&agrave; leurs yeux; je ne le ferai pas si vous voulez employer ce cr&eacute;dit &agrave; me
+servir.&raquo;
+</p><p>
+Cette publique tentative d'intimidation se perdit dans la tourmente de
+1792 qui engloutit la fortune colossale des Grimod. Mais les Des Roys
+aussi bien que les Lamartine cess&egrave;rent d&egrave;s lors et pour jamais toute
+relation avec leur cousin, qui n'est pas nomm&eacute; une fois dans le <i>Journal
+intime</i>; on sait que depuis 1780 ses excentricit&eacute;s et son mauvais renom
+l'avaient rendu intol&eacute;rable &agrave; tous ses parents, et que seul il &eacute;tait
+responsable d'un &eacute;tat de choses o&ugrave; M<sup>me</sup> Des Roys n'&eacute;tait pour rien
+(cf. <i>Desnoiresterres</i>).</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_50_50" id="Footnote_50_50"></a><a href="#FNanchor_50_50"><span class="label">[50]</span></a> Cf. <i>M&eacute;moires in&eacute;dits de M<sup>me</sup> la comtesse de Genlis</i>
+(Paris 10 vol., 1825-26), vol. III, p. 483-85, et IV, p. 29.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_51_51" id="Footnote_51_51"></a><a href="#FNanchor_51_51"><span class="label">[51]</span></a> <i>L'Intr&eacute;pide</i>, revue par M<sup>me</sup> de Genlis (Paris, 2 vol.,
+1820), I, pp. 81-110.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_52_52" id="Footnote_52_52"></a><a href="#FNanchor_52_52"><span class="label">[52]</span></a> Cf. <i>Lettres &agrave; Lamartine</i>, p. 19 (lettre de la duchesse de
+Broglie).</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_53_53" id="Footnote_53_53"></a><a href="#FNanchor_53_53"><span class="label">[53]</span></a> Dans la Marne, &agrave; quelques kilom&egrave;tres de Montmirail.
+Jean-Louis l'avait acquise du chevalier de Belle-Joyeuse. C'&eacute;tait alors
+un b&acirc;timent tr&egrave;s simple, ayant successivement appartenu aux familles de
+Pastoret, de Disques et de Boubers, et qu'il fit d&eacute;molir pour le
+remplacer par un ch&acirc;teau plus vaste. (Cf. <i>Alexandre Carra de Vaux</i>, op.
+cit.)</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_54_54" id="Footnote_54_54"></a><a href="#FNanchor_54_54"><span class="label">[54]</span></a> Les lettres qui suivent sont cit&eacute;es d'apr&egrave;s
+<i>l'Investigateur</i>, o&ugrave; elles ont paru pour la premi&egrave;re fois.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_55_55" id="Footnote_55_55"></a><a href="#FNanchor_55_55"><span class="label">[55]</span></a> Voir, &agrave; l'Appendice, le tableau de la descendance Grimod.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_56_56" id="Footnote_56_56"></a><a href="#FNanchor_56_56"><span class="label">[56]</span></a> Dans les papiers de la famille Des Roys, on trouve une
+petite note de la main de Jean-Louis qui rapporte les d&eacute;tails de la
+c&eacute;r&eacute;monie:
+</p><p>
+&laquo;Le 26 juillet 1768, procuration de M<sup>me</sup> de Beaumont marraine de
+l'enfant dont M<sup>me</sup> Des Roys &eacute;tait grosse, et dont la ville de Lyon
+devait &ecirc;tre le parrain.
+</p><p>
+&laquo;L'enfant est n&eacute; le samedi 5 novembre: &ccedil;'a &eacute;t&eacute; un fils, qui a &eacute;t&eacute;
+baptis&eacute; le dimanche 6 dudit &agrave; Saint-Paul par M. Crupisson,
+sacristain-cur&eacute;. Il a &eacute;t&eacute; nomm&eacute; Lyon-Fran&ccedil;ois, et tenu par M. de la
+Verpilli&egrave;re, Prevost des marchands, accompagn&eacute; du Consulat, pour la
+ville, et par M<sup>me</sup> de la Verpilli&egrave;re pour M<sup>me</sup> de Beaumont Des
+Roys.&raquo;</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_57_57" id="Footnote_57_57"></a><a href="#FNanchor_57_57"><span class="label">[57]</span></a> Cf. <i>l'Observateur des spectacles</i> des 28 germinal, 2, 21,
+23 et 29 flor&eacute;al an X. Jacques-Barth&eacute;l&eacute;my Salgues (1760-1830), un des
+bons journalistes de l'Empire et de la Restauration. Pr&ecirc;tre d'abord, il
+fut choisi en 1789 pour la r&eacute;daction du cahier des dol&eacute;ances de la ville
+de Sens o&ugrave; il &eacute;tait n&eacute;; peu &agrave; peu, il finit par organiser la
+contre-R&eacute;volution dans son d&eacute;partement. Poursuivi, il ne r&eacute;apparut &agrave;
+Paris qu'en 1794, fut traduit alors en justice apr&egrave;s le 18 fructidor,
+mais acquitt&eacute; par le tribunal d'Auxerre. &Agrave; partir de 1798, il se
+consacra exclusivement aux lettres, et fonda deux journaux th&eacute;&acirc;traux.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_58_58" id="Footnote_58_58"></a><a href="#FNanchor_58_58"><span class="label">[58]</span></a> Sa trag&eacute;die et sa com&eacute;die.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_59_59" id="Footnote_59_59"></a><a href="#FNanchor_59_59"><span class="label">[59]</span></a> Nom que portait alors l'ancien Th&eacute;&acirc;tre-Fran&ccedil;ais.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_60_60" id="Footnote_60_60"></a><a href="#FNanchor_60_60"><span class="label">[60]</span></a> Un des semainiers du Th&eacute;&acirc;tre-Fran&ccedil;ais.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_61_61" id="Footnote_61_61"></a><a href="#FNanchor_61_61"><span class="label">[61]</span></a> <i>Moniteur</i> du 4 avril 1804.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_62_62" id="Footnote_62_62"></a><a href="#FNanchor_62_62"><span class="label">[62]</span></a> Il est curieux de constater que le sujet de Caton,
+emprunt&eacute; &agrave; <i>la Mort de Caton</i>, d'Addison, tenta &eacute;galement Lamartine &agrave;
+vingt ans: il &eacute;crivait en effet le 30 septembre 1810 &agrave; Virieu: &laquo;Je
+traduis de l'anglais quelques Nuits d'Young et la superbe trag&eacute;die
+d'Addison <i>the Death of Cato</i>, le tout en vile prose, except&eacute; quelques
+morceaux qui me s&eacute;duisent et que je versifie.&raquo; (<i>Corresp.</i>, I, p. 272.)</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_63_63" id="Footnote_63_63"></a><a href="#FNanchor_63_63"><span class="label">[63]</span></a> Voir, &agrave; l'Appendice, la bibliographie des &#339;uvres de Lyon
+Des Roys.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_64_64" id="Footnote_64_64"></a><a href="#FNanchor_64_64"><span class="label">[64]</span></a>
+</p><p>
+</p><p><br />
+<span style="margin-left: 15%;">L'&acirc;me est inaccessible et rien n'agit sur elle;</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Que la mort au m&eacute;chant soit un objet d'horreur,</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">L'homme de bien y voit l'aurore du bonheur.</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Mais je ne sais, mes yeux paraissent s'obscurcir,</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Mes membres fatigu&eacute;s semblent s'appesantir,</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Je ne puis surmonter la langueur o&ugrave; je tombe...</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Mes enfants, mes amis, approchez, je vous prie.</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Quoi? d'o&ugrave; viennent ces cris? qu'avez-vous &agrave; fr&eacute;mir?</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Qu'est-ce donc, mes amis, ai-je tort de mourir?</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Voulez-vous que j'attende &agrave; sortir de la vie</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Que je me sois couvert de quelqu'ignominie,</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Que j'aie abandonn&eacute; le chemin de l'honneur?</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">La mort n'a rien d'affreux, n'en ayez point d'horreur.</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Elle vient,... je la vois, je la sens,... je la touche...</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Elle obscurcit mes yeux,... elle glace ma bouche...</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Je finis,... je m'&eacute;teins... sans douleurs, sans effort...</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">L'&acirc;me pleine d'espoir se d&eacute;gage du corps.</span><br />
+</p><p><br />
+<span style="margin-left: 15%;">(<i>Le Dernier des Romains</i>, acte V, sc. I et IX.)</span><br />
+<br />
+</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_65_65" id="Footnote_65_65"></a><a href="#FNanchor_65_65"><span class="label">[65]</span></a> Sources et bibliographie de la II&ordm; partie: <i>Journal
+intime</i> (passim).-;-<i>Archives d&eacute;partementales de Sa&ocirc;ne-et-Loire</i>, tr&egrave;s
+riches en documents sur les Lamartine pendant la Terreur.&mdash;<i>C&eacute;sarine et
+Alix, un &eacute;pisode de la jeunesse de M<sup>me</sup> de Lamartine la m&egrave;re</i>, par le
+baron Alexandre Carra de Vaux (publi&eacute; dans <i>l'Investigateur</i>, journal de
+l'institut historique, 1853).&mdash;<i>Histoire de Saint-Point</i>, par L. Lex
+(M&acirc;con, 1898, in-8).&mdash;<i>La Jeunesse de Lamartine</i>, par F. Reyssi&eacute; (Paris,
+1892, in-16).&mdash;<i>La Pers&eacute;cution religieuse en Sa&ocirc;ne-et-Loire</i> (t. IV,
+arrondissement de M&acirc;con), par l'abb&eacute; Louis S.-M. Chaumont
+(Chalon-sur-Sa&ocirc;ne, 1903, in-8).&mdash;<i>La R&eacute;volution dans l'ancien dioc&egrave;se de
+M&acirc;con</i>, par Mgr B. Rameau (M&acirc;con, 1900, in-8).&shy;&mdash;<i>Souvenirs de M<sup>me</sup>
+Delahante</i> (&Eacute;vreux, 1906, 2 vol. hors commerce). Les souvenirs de M<sup>me</sup>
+Delahante, qui dans sa jeunesse habita longtemps M&acirc;con et fut tr&egrave;s li&eacute;e
+avec les Lamartine, ont &eacute;t&eacute; publi&eacute;s par sa petite-fille M<sup>me</sup> de Blic.
+Ils contiennent de nombreux et curieux d&eacute;tails nouveaux sur la vie
+familiale du po&egrave;te, ainsi qu'une trentaine de lettres in&eacute;dites de divers
+membres de sa famille.
+</p><p>
+Toutes les r&eacute;f&eacute;rences aux &#339;uvres de Lamartine sont faites d'apr&egrave;s
+l'&eacute;dition de l'auteur; c'est la derni&egrave;re parue de son vivant et la plus
+compl&egrave;te (Paris, 1860-66, 41 vol. gr. in-8).--;Pour les publications
+posthumes, d'apr&egrave;s les &eacute;ditions originales: <i>M&eacute;moires in&eacute;dits</i> (Paris,
+1870, in-8); <i>Manuscrits de ma m&egrave;re</i> (<i>id</i>., 1871, in-8); <i>Souvenirs et
+Portraits</i> (<i>id</i>., 1871-72, 3 vol. in-18): <i>Correspondance</i> (<i>id</i>.,
+1873-75, 6 vol. in-8).</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_66_66" id="Footnote_66_66"></a><a href="#FNanchor_66_66"><span class="label">[66]</span></a> Journal de Sa&ocirc;ne-et-Loire du 4 mai 1827. Cet article,
+r&eacute;dig&eacute; par Alexis Mottin, secr&eacute;taire perp&eacute;tuel de l'Acad&eacute;mie de M&acirc;con,
+ne satisfit qu'&agrave; moiti&eacute; Pierre de Lamartine qui y r&eacute;pondit par la lettre
+suivante, ins&eacute;r&eacute;e dans le num&eacute;ro du 7 mai:
+</p><p>
+&laquo;Monsieur, je commence par rendre gr&acirc;ce &agrave; l'estimable auteur de
+l'article n&eacute;crologique ins&eacute;r&eacute; dans votre pr&eacute;c&eacute;dent num&eacute;ro. Je serai
+d&eacute;sesp&eacute;r&eacute; que ma juste r&eacute;clamation put l'affliger, mais je crois le
+devoir &agrave; la m&eacute;moire de mon fr&egrave;re. Sans doute, si votre journal n'&eacute;tait
+lu qu'&agrave; M&acirc;con, o&ugrave; M. de Lamartine &eacute;tait si parfaitement connu, il e&ucirc;t
+&eacute;t&eacute; peut-&ecirc;tre superflu de dire un mot sur ses sentiments religieux: nul
+ne peut les y mettre en doute. Mais comme la sph&egrave;re de votre estimable
+journal ne se borne pas &agrave; cette ville, je d&eacute;sire que partout o&ugrave; elle
+s'&eacute;tend on sache que mon fr&egrave;re mettait fort au-dessus de toutes les
+connaissances humaines celle de la religion, et que, jusqu'au dernier
+instant de sa vie, il en a constamment rempli les devoirs avec z&egrave;le et
+la plus sinc&egrave;re conviction.&mdash;LAMARTINE.&raquo;</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_67_67" id="Footnote_67_67"></a><a href="#FNanchor_67_67"><span class="label">[67]</span></a> Pierre Sigorgne (1719-1809), vicaire g&eacute;n&eacute;ral de M&acirc;con,
+puis archidiacre et doyen du chapitre de Saint-Vincent, auteur de
+plusieurs volumes de philosophie. On a de lui: <i>Institutions
+newtonniennes</i> (1747); <i>Lettres &eacute;crites de la plaine</i> (1765), o&ugrave; il
+r&eacute;fute les <i>Lettres de la montagne</i> de Rousseau; <i>Institutions
+leibnitziennes</i> (1768); <i>le Philosophe chr&eacute;tien</i> (1776), etc.
+</p><p>
+Cf. Abb&eacute; Rameau, <i>Notice sur l'abb&eacute; Sigorgne</i> (M&acirc;con, 1895, in-8).</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_68_68" id="Footnote_68_68"></a><a href="#FNanchor_68_68"><span class="label">[68]</span></a> <i>Nouv. Confidences</i>, p. 455. Le portrait de l'oncle
+terrible occupe les pages 447-457 (T. 29).</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_69_69" id="Footnote_69_69"></a><a href="#FNanchor_69_69"><span class="label">[69]</span></a> Bien qu'inexactes, les id&eacute;es politiques que Lamartine a
+pr&ecirc;t&eacute;es &agrave; son oncle sont curieuses, parce qu'elles correspondent tr&egrave;s
+exactement &agrave; son propre programme sous les derni&egrave;res ann&eacute;es de la
+monarchie de Juillet.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_70_70" id="Footnote_70_70"></a><a href="#FNanchor_70_70"><span class="label">[70]</span></a> Cf. Demaizi&egrave;res, Un incident populaire &agrave; M&acirc;con en 1789
+(<i>Ann. de l'Acad&eacute;mie de M&acirc;con</i>, <span class="smcap">ii</span><sup>e</sup> si&egrave;cle s&eacute;rie, t. XI).</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_71_71" id="Footnote_71_71"></a><a href="#FNanchor_71_71"><span class="label">[71]</span></a> Cf. <i>Corresp.</i>, III, p. 41. Voici d'autre part une lettre
+de Pierre de Lamartine &agrave; son fils o&ugrave; nous trouvons quelques d&eacute;tails sur
+cette succession:
+</p>
+<div class="blockquot"><p>&laquo;Ma&ccedil;on, le 1^{er} mai 1827.
+</p><p>
+&laquo;Voil&agrave;, mon cher ami, une malheureuse circonstance qui me fait
+encore plus regretter que tu ne sois pas ici o&ugrave; ta pr&eacute;sence serait
+d'une grande utilit&eacute;. Mon pauvre fr&egrave;re n'est plus; il a succomb&eacute;,
+dimanche &agrave; onze heures du matin, &agrave; cette maudite fi&egrave;vre catharale.
+Tu sens tout ce que nous avons eu tous &agrave; souffrir dans ce malheur.
+M<sup>lle</sup> de Lamartine l'a pourtant support&eacute; avec tout le calme de sa
+grande pi&eacute;t&eacute;.
+</p><p>
+&laquo;Voici les principales dispositions de son testament par lequel il
+a fait cesser l'indivision qui &eacute;tait dans leur bien. M<sup>lle</sup> de
+Lamartine garde Montceau et les M&eacute;lards, elle a tout le mobilier
+quelconque, argent, denr&eacute;es, sans aucun frais de sa part, pas m&ecirc;me
+ceux du fisc dont ses h&eacute;ritiers sont charg&eacute;s. C'est C&eacute;cile et toi
+qui l'&ecirc;tes, pour &eacute;gale part et portion, de Champagne, Saint-Pierre
+et Saint-Oyen en rapportant ce que vous avez eu par contrat de
+mariage. La biblioth&egrave;que est &agrave; toi par principal et voici en quoi
+consistera l'actif de la succession:
+</p>
+
+<table summary="voici" cellspacing="0" cellpadding="3">
+<tr><td colspan="4">&Agrave; pr&eacute;sent Champagne estim&eacute; &agrave; peu pr&egrave;s</td><td align="right">160000</td><td>francs.</td></tr>
+<tr><td>&nbsp;</td><td align="center">Saint-Oyen</td><td>&mdash;</td><td>environ</td><td align="right">80000</td><td>&mdash;&mdash;</td></tr>
+<tr><td colspan="4">Apr&egrave;s la mort de ma s&#339;ur, trois inscriptions de mille francs chacune, valant</td><td align="right">60000</td><td>&mdash;&mdash;</td></tr>
+<tr><td colspan="4">&nbsp;</td><td>&mdash;&mdash;&mdash;</td><td>&nbsp;</td></tr>
+<tr><td colspan="4">&nbsp;</td><td align="right">300000</td><td>francs.</td></tr>
+</table>
+
+<p>
+&laquo;Mon fr&egrave;re a fait bon march&eacute; &agrave; M<sup>lle</sup> de Lamartine, en faisant son
+partage, mais il y assuj&eacute;tit ses h&eacute;ritiers par son testament.
+L'argent, les vins, le mobilier sont tr&egrave;s consid&eacute;rables; je pense
+que ma s&#339;ur aura dix-sept ou dix-huit mille livres de rente.&raquo;
+(<i>Lettre in&eacute;dite</i> provenant des archives de Saint-Point.)</p></div>
+<p>
+Comme on peut s'en rendre compte, Pierre de Lamartine &eacute;tait donc du m&ecirc;me
+avis que son fils touchant le testament de Fran&ccedil;ois-Louis.
+</p><p>
+Une lettre du 5 juillet, toujours du chevalier au po&egrave;te, nous apprend
+que, sur la tombe de Fran&ccedil;ois-Louis de Lamartine, on fit graver un vers
+de son neveu choisi par M<sup>me</sup> de Lamartine:
+</p><p>
+&laquo;La mort m'a tout ravi, la mort doit tout me rendre&raquo;, extrait de la
+<i>M&eacute;ditation</i>: la Semaine sainte &agrave; la Roche-Guyon.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_72_72" id="Footnote_72_72"></a><a href="#FNanchor_72_72"><span class="label">[72]</span></a> M<sup>me</sup> Delahante.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_73_73" id="Footnote_73_73"></a><a href="#FNanchor_73_73"><span class="label">[73]</span></a> Ce portrait, que M. Reyssi&eacute; a cru perdu, appartient
+aujourd'hui &agrave; M<sup>me</sup> Fr&eacute;d&eacute;ric de Parseval, arri&egrave;re-petite-fille de
+M<sup>me</sup> de Lamartine. Le po&egrave;te, qui en a fait une description assez
+fid&egrave;le dans les <i>Confidences</i>, l'avait fait mouler en couvercle sur une
+petite bo&icirc;te d'argent.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_74_74" id="Footnote_74_74"></a><a href="#FNanchor_74_74"><span class="label">[74]</span></a> Ces vers du chevalier de Bonnard ne figurent dans aucune
+&eacute;dition de ses &#339;uvres. Ils sont cit&eacute;s d'apr&egrave;s <i>l'Investigateur</i> de 1853,
+o&ugrave; la pi&egrave;ce a paru en entier.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_75_75" id="Footnote_75_75"></a><a href="#FNanchor_75_75"><span class="label">[75]</span></a> Le 23 f&eacute;vrier 1823, M<sup>me</sup> de Lamartine note dans son
+journal: &laquo;Alphonse travaille &agrave; son nouveau volume de M&eacute;ditations; j'ai
+toujours peur qu'il ne profane son talent en parlant le langage des
+passions. Je lui ai &eacute;crit justement l&agrave;-dessus.&raquo;
+</p><p>
+M<sup>me</sup> de Lamartine venait en effet de lire dans la 9<sup>e</sup> &eacute;dition des
+<i>M&eacute;ditations</i>, parue un mois auparavant, une pi&egrave;ce nouvelle intitul&eacute;e
+<i>Philosophie</i>, et d&eacute;di&eacute;e au marquis de la Maisonfort. Aussit&ocirc;t, elle
+&eacute;crivit &agrave; son fils la lettre suivante:
+</p>
+<div class="blockquot"><p>Ton p&egrave;re, mon cher Alphonse, me lit sa lettre. J'y vois avec
+plaisir qu'il te dit aussi mon opinion. Oui, cette pi&egrave;ce &agrave; M. de
+Maisonfort m'a beaucoup tourment&eacute;e. J'ai une si grande horreur de
+cette abominable philosophie que je fr&eacute;mis de tout ce qui en a
+l'apparence, venant de toi surtout. Tu es n&eacute; pour &ecirc;tre religieux,
+essentiellement religieux, ton talent n'est beau que parce qu'il
+vient de l&agrave;. Ne le profane point, mon enfant; que ta reconnaissance
+pour les gr&acirc;ces dont Dieu te comble rappelle toujours toutes tes
+pens&eacute;es &agrave; lui, ne travaille que pour sa gloire, ne transige point
+avec l'esprit et les passions du monde, d&eacute;daigne ce moyen de
+succ&egrave;s, comme tu le fais s&ucirc;rement dans ton &acirc;me.
+</p><p>
+&Ocirc; mon enfant, tu &eacute;teindrais dans la <i>boue</i> le brillant flambeau que
+le ciel t'a donn&eacute; pour r&eacute;pandre la vraie lumi&egrave;re; n'&eacute;cris rien de
+ce que tu jugeras bien s&eacute;v&egrave;rement un jour, et que tu voudras
+peut-&ecirc;tre effacer au prix de tout ton sang, quand il ne sera plus
+temps.
+</p>
+
+<p>
+Adieu, j'en ai assez dit.
+<br /><br />
+<span style="margin-left: 15%;">[<i>Lettre in&eacute;dite.</i>]</span></p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_76_76" id="Footnote_76_76"></a><a href="#FNanchor_76_76"><span class="label">[76]</span></a> Les deux vers incrimin&eacute;s visaient le duc d'Orl&eacute;ans &agrave; qui,
+au sacre de Reims, Lamartine faisait dire par Charles X:
+</p><p>
+</p><p><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Ce grand nom est couvert du pardon de mon fr&egrave;re.</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Le fils a rachet&eacute; les fautes de son p&egrave;re.</span><br />
+</p>
+<p>
+M<sup>me</sup> de Lamartine a consacr&eacute; &agrave; cet incident deux pages de son journal,
+ce qui prouve &agrave; quel point elle l'eut &agrave; c&#339;ur. Malheureusement, Lamartine
+a d&eacute;chir&eacute; et noirci le feuillet, dont quelques fragments seulement sont
+encore lisibles. On y voit que le po&egrave;te donna pour excuse &agrave; sa m&egrave;re, une
+&laquo;inadvertance&raquo;, une &laquo;n&eacute;gligence po&eacute;tique&raquo;, explication qui satisfit
+peut-&ecirc;tre M<sup>me</sup> de Lamartine, mais parut insuffisante au duc d'Orl&eacute;ans,
+car sur sa demande les exemplaires du <i>Chant du Sacre</i> furent retir&eacute;s du
+commerce, et il fallut proc&eacute;der &agrave; un second tirage o&ugrave; les vers &eacute;taient
+corrig&eacute;s et adoucis.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_77_77" id="Footnote_77_77"></a><a href="#FNanchor_77_77"><span class="label">[77]</span></a> Cf. <i>Souv. de M<sup>me</sup> Delahante</i>, I, p. 106.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_78_78" id="Footnote_78_78"></a><a href="#FNanchor_78_78"><span class="label">[78]</span></a> Cf. <i>Harmonies</i>: Milly ou la <span class="smcap">terre natale</span>. <i>Confidences</i>
+(p. 65): <span class="smcap">le village obscur o&ugrave; le ciel m'a fait na&icirc;tre</span>. Dans <i>Souvenirs
+et Portraits</i> (Comment on devient po&egrave;te), il termine &eacute;galement une
+description de Milly par ces mots: &laquo;<span class="smcap">c'est l&agrave; que je suis n&eacute;</span>, et que je
+grandissais&raquo;. Voil&agrave; pour Milly. Dans les <i>Recueillements</i> (vers &eacute;crits &agrave;
+l'Ermitage), on lit:
+</p><p>
+</p><p><br />
+<span style="margin-left: 15%;">&Ocirc; vallons de Saint-Point, &ocirc; cachez mieux ma cendre</span><br />
+<span style="margin-left: 15%;">Sous le ch&ecirc;ne NATAL de mon obscur vallon.</span><br />
+</p>
+<p>
+Enfin, dans les <i>Confidences</i> (p. 24), Lamartine d&eacute;clare qu'il est n&eacute; &agrave;
+M&acirc;con, dans l'h&ocirc;tel Lamartine, par cons&eacute;quent rue Bauderon-de-Senec&eacute;.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_79_79" id="Footnote_79_79"></a><a href="#FNanchor_79_79"><span class="label">[79]</span></a> On trouvera le d&eacute;tail de la question dans une &eacute;tude de M.
+Paul Maritain, la Maison natale de Lamartine (<i>Annales de l'Acad&eacute;mie de
+M&acirc;con</i>, <span class="smcap">iii</span><sup>e</sup> s&eacute;rie, t. VI). M. Maritain, qui ignorait l'existence des
+documents que nous citons plus loin, a conclu que la maison natale du
+po&egrave;te &eacute;tait l'h&ocirc;tel de la rue Bauderon-de-Senec&eacute;.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_80_80" id="Footnote_80_80"></a><a href="#FNanchor_80_80"><span class="label">[80]</span></a> Nous donnons ici le texte complet de cette pi&egrave;ce, copi&eacute;
+sur le brouillon de Louis-Fran&ccedil;ois de Lamartine, et qui donne quelques
+d&eacute;tails curieux sur son train de maison au d&eacute;but de la R&eacute;volution.
+</p><p>
+</p><p><br />
+D&eacute;claration de maison, etc., faite en 1790. D&eacute;cembre.<br />
+Maison rue des Ursulines, <i>occup&eacute;e par M. de Pra</i>.<br />
+32 pieds de face sur ladite rue.<br />
+80 pieds en petite cour.<br />
+En partie un seul &eacute;tage, partie deux &eacute;tages. Sans locataires, ni magasins, etc.<br />
+Contenance totale: une coup&eacute;e et demie ou trois toises.<br />
+Propri&eacute;taire M. L.-Fr. de La Martine, mari&eacute;, ayant six enfants dont cinq &agrave; sa charge.<br />
+Domestiques m&acirc;les, 4.<br />
+Domestiques femelles, 3.<br />
+Chevaux de carosse, 2.<br />
+Maison par luy occup&eacute;e sur les remparts [<i>h&ocirc;tel de la rue de Sen&eacute;c&eacute;</i>], fa&ccedil;ade 60 pieds.<br />
+3 980 pieds superficiels pour la maison.<br />
+1 020 pieds pour les &eacute;curies qui ont 30 pieds de face environ.<br />
+1 230 pieds en cour.<br />
+</p><p><br />
+Les deux tiers &agrave; deux &eacute;tages, l'autre tiers &agrave; un &eacute;tage. Sans aucun locataire, boutique ni magasin.<br />
+</p>
+</div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_81_81" id="Footnote_81_81"></a><a href="#FNanchor_81_81"><span class="label">[81]</span></a> M. H. Remsen Whitehouse, un &eacute;rudit am&eacute;ricain &agrave; qui rien de
+ce qui touche Lamartine n'est &eacute;tranger, a bien voulu se charger pour
+nous d'obligeantes recherches &agrave; Lausanne, mais qui sont rest&eacute;es vaines.
+On en trouvera le d&eacute;tail sous sa signature dans la revue <i>l'&Eacute;cho des
+Alpes</i> de septembre 1908.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_82_82" id="Footnote_82_82"></a><a href="#FNanchor_82_82"><span class="label">[82]</span></a> Le petit F&eacute;lix fut le second des enfants de Pierre de
+Lamartine. Il mourut &agrave; M&acirc;con &agrave; l'&acirc;ge de deux ans et demi. Le <i>Journal
+intime</i> ne fait jamais mention de ce fils, dont Lamartine n'ignorait pas
+l'existence; en effet, alors que dans le <i>Journal intime</i> on lit, &agrave; la
+date du 11 juin 1801: &laquo;J'en ai d&eacute;j&agrave; cinq actuellement [enfants], quatre
+filles et un fils&raquo;, il ajouta dans sa version du <i>Manuscrit de ma m&egrave;re</i>:
+&laquo;apr&egrave;s en avoir perdu un&raquo;.
+</p><p>
+En r&eacute;alit&eacute;, M<sup>me</sup> de Lamartine eut neuf enfants: deux fils, Alphonse et
+F&eacute;lix, et six filles, M&eacute;lanie, C&eacute;lenie (mortes toutes deux &agrave; quelques
+mois), C&eacute;cile, C&eacute;sarine, Eug&eacute;nie, Sophie et Suzanne.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_83_83" id="Footnote_83_83"></a><a href="#FNanchor_83_83"><span class="label">[83]</span></a> <i>Arch. de la guerre</i> (section administrative), dossier
+Pierre de Lamartine. Pierre-Paul Henrion de Pensey, premier pr&eacute;sident de
+la Cour de cassation (1742-1829), &eacute;tait le fr&egrave;re d'Henrion de
+Saint-Amand, beau-fr&egrave;re de M<sup>me</sup> de Lamartine.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_84_84" id="Footnote_84_84"></a><a href="#FNanchor_84_84"><span class="label">[84]</span></a> Paris, Imprimerie nationale, an II.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_85_85" id="Footnote_85_85"></a><a href="#FNanchor_85_85"><span class="label">[85]</span></a> Ces deux arr&ecirc;t&eacute;s ont &eacute;t&eacute; publi&eacute;s par M. Reyssi&eacute; (<i>la
+Jeunesse de Lamartine</i>, 24-25).</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_86_86" id="Footnote_86_86"></a><a href="#FNanchor_86_86"><span class="label">[86]</span></a> Cf. Arch. d&eacute;p. de Sa&ocirc;ne-et-Loire: &laquo;Liste d'hommes et de
+femmes d&eacute;tenus &agrave; M&acirc;con, Autun, etc.&raquo;. Ce document, retrouv&eacute; et acquis
+r&eacute;cemment par M. Lex, confirme une fois de plus l'exactitude de certains
+petits d&eacute;tails des <i>Confidences</i>, puisqu'on y lit que la famille de
+Lamartine fut emprisonn&eacute;e &agrave; Autun. M. Reyssi&eacute; avait mis en doute cette
+assertion. Sur cette liste, figurent les noms de Pierre, Fran&ccedil;ois-Louis,
+l'abb&eacute;, Suzanne et Charlotte. M<sup>lle</sup> de Montceau, qui &eacute;tait faible
+d'esprit, &eacute;vita ainsi les poursuites, et fut d&eacute;tenue &agrave; P&eacute;rone avec son
+p&egrave;re et sa m&egrave;re.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_87_87" id="Footnote_87_87"></a><a href="#FNanchor_87_87"><span class="label">[87]</span></a> Arch. Nat., A. F. II, 259.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_88_88" id="Footnote_88_88"></a><a href="#FNanchor_88_88"><span class="label">[88]</span></a> Ces souvenirs sont rapport&eacute;s par M<sup>me</sup> de Lamartine, en
+mai 1803, &eacute;poque o&ugrave; elle passa trois mois &agrave; Rieux, chez sa m&egrave;re.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_89_89" id="Footnote_89_89"></a><a href="#FNanchor_89_89"><span class="label">[89]</span></a> <i>Cours familier de litt&eacute;rature</i>, entretien 101, p. 320.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_90_90" id="Footnote_90_90"></a><a href="#FNanchor_90_90"><span class="label">[90]</span></a> <i>Guillaume de Saint-Point</i>, par J.-M. Grosset (3 vol.
+in-8).</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_91_91" id="Footnote_91_91"></a><a href="#FNanchor_91_91"><span class="label">[91]</span></a> Cf., sur la famille Bruys, <i>Ann. de l'Acad&eacute;mie de M&acirc;con</i>,
+3<sup>e</sup> s&eacute;rie, vol. IX: la Famille Bruys, par Paul Maritain.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_92_92" id="Footnote_92_92"></a><a href="#FNanchor_92_92"><span class="label">[92]</span></a> Jean-Baptiste Michon de Pierreclau, baron de Cenves, comte
+de Bertz&eacute;, seigneur de Pierreclos, n&eacute; le 20 septembre 1737, mari&eacute; &agrave;
+Saint-&Eacute;tienne en Forez, le 27 avril 1767, &agrave; Marguerite Bernon de
+Rochetaill&eacute;e; il eut pour enfants: 1&ordm; Jean-Gabriel, mari&eacute; &agrave;
+Jeanne-Th&eacute;odore Laborier; 2&ordm; Guillaume, mari&eacute; &agrave; Nina D&eacute;zoteux; 3&ordm;
+Marguerite, mari&eacute;e &agrave; M. Mongeis; 4&ordm; Jeanne, mari&eacute;e au comte de
+Champmartin; 5&ordm; Antoinette, mari&eacute;e au comte de Regnold de S&eacute;rezin; 6&ordm;
+Catherine, morte fille.
+</p><p>
+Une fille de Jean-Gabriel et de Jeanne-Th&eacute;odore Laborier fut la baronne
+de Montailleur-Ruffo, amie de Chateaubriand, et la fille unique de M. de
+Champmartin &eacute;pousa Niepce, l'un des inventeurs de la daguerr&eacute;otypie.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_93_93" id="Footnote_93_93"></a><a href="#FNanchor_93_93"><span class="label">[93]</span></a> Sources et bibliographie de la troisi&egrave;me partie: <i>Journal
+intime</i> (passim), <i>Archives de Saint-Point</i>.&mdash;Pour l'abb&eacute; Dumont:
+<i>Archives municipales de Bussi&egrave;res et de Pierreclos</i>, <i>Archives
+d&eacute;partementales de Sa&ocirc;ne-et-Loire</i>, et les notes in&eacute;dites de M. Paul
+Maritain conserv&eacute;es aujourd'hui &agrave; l'Acad&eacute;mie de M&acirc;con: nous en devons la
+communication &agrave; M. A. Dur&eacute;ault, secr&eacute;taire perp&eacute;tuel de cette soci&eacute;t&eacute;,
+que nous remercions ici de son obligeance.
+</p><p>
+Pour le coll&egrave;ge de Belley: <i>le S&eacute;jour de Lamartine &agrave; Belley</i>, par M.
+Dejey (3<sup>e</sup> &eacute;d., compl&eacute;t&eacute;e, 1901). <i>Histoire du coll&egrave;ge-s&eacute;minaire de
+Belley</i>, par l'abb&eacute; Rochet (Lyon, 1898, in-8).&mdash;Les Vies des P&egrave;res
+Varin, Debrosses et Jenesseaux, par le p&egrave;re Guid&eacute;e (Paris, 1859-60).</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_94_94" id="Footnote_94_94"></a><a href="#FNanchor_94_94"><span class="label">[94]</span></a> Abb&eacute; Chaumont, <i>op. cit.</i></p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_95_95" id="Footnote_95_95"></a><a href="#FNanchor_95_95"><span class="label">[95]</span></a> Mgr Rameau, <i>op. cit.</i></p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_96_96" id="Footnote_96_96"></a><a href="#FNanchor_96_96"><span class="label">[96]</span></a> On a vu que l'&eacute;glise avait &eacute;t&eacute; ferm&eacute;e en 1798, et que
+l'abb&eacute; Dumont re&ccedil;ut, lorsqu'elle rouvrit, l'interdiction d'y dire la
+messe r&eacute;guli&egrave;rement, comme il en avait pris l'habitude.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_97_97" id="Footnote_97_97"></a><a href="#FNanchor_97_97"><span class="label">[97]</span></a> Ces deux lettres, qui sont conserv&eacute;es aux archives
+&eacute;piscopales d'Autun, ont &eacute;t&eacute; communiqu&eacute;es &agrave; l'Acad&eacute;mie de M&acirc;con par M.
+le chanoine Muguet, cur&eacute; de Sully. (Cf. proc&egrave;s-verbal de la s&eacute;ance du 10
+janvier 1907.)</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_98_98" id="Footnote_98_98"></a><a href="#FNanchor_98_98"><span class="label">[98]</span></a> Les proc&egrave;s-verbaux des deux s&eacute;ances ont &eacute;t&eacute; copi&eacute;s par M.
+Maritain et figurent dans le dossier qu'il avait r&eacute;uni sur Dumont.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_99_99" id="Footnote_99_99"></a><a href="#FNanchor_99_99"><span class="label">[99]</span></a> Cf. <i>Correspondance</i>, t. IV, p. 41, 69, 84, 134, 203,
+271.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_100_100" id="Footnote_100_100"></a><a href="#FNanchor_100_100"><span class="label">[100]</span></a> <i>Archives de Saint-Point</i>. La lettre est dat&eacute;e du 25 mars
+1828. <i>Suscription:</i> &laquo;&Agrave; monsieur de Lamartine, charg&eacute; des affaires de
+France, Florence, Toscane&raquo;.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_101_101" id="Footnote_101_101"></a><a href="#FNanchor_101_101"><span class="label">[101]</span></a> Appartient &agrave; M<sup>me</sup> Fournier, n&eacute;e de Belleroche,
+petite-ni&egrave;ce de Lamartine. Il a &eacute;t&eacute; reproduit par M. Lex dans son album
+<i>Lamartine, souvenirs et documents</i> (M&acirc;con, 1890).</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_102_102" id="Footnote_102_102"></a><a href="#FNanchor_102_102"><span class="label">[102]</span></a> <i>M&eacute;moires in&eacute;dits</i> (p. 58-76).</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_103_103" id="Footnote_103_103"></a><a href="#FNanchor_103_103"><span class="label">[103]</span></a> <i>Archives de Saint-Point</i>. Suscription: &laquo;&Agrave; madame Depra
+de Lamartine &agrave; M&acirc;con, Sa&ocirc;ne-et-Loire&raquo;. (<i>Lettre in&eacute;dite</i>.)</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_104_104" id="Footnote_104_104"></a><a href="#FNanchor_104_104"><span class="label">[104]</span></a> Dejey, <i>op. cit.</i></p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_105_105" id="Footnote_105_105"></a><a href="#FNanchor_105_105"><span class="label">[105]</span></a> Robert Debrosses, n&eacute; &agrave; Chatel (Ardennes) le 26 mars 1765,
+pr&ecirc;tre en 1798, mort &agrave; Laval en 1848.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_106_106" id="Footnote_106_106"></a><a href="#FNanchor_106_106"><span class="label">[106]</span></a> Nicolas Jenesseaux (et non G&eacute;nisseaux, comme l'a &eacute;crit
+Lamartine), n&eacute; &agrave; Reims le 9 avril 1769, pr&ecirc;tre en 1795, mort &agrave; Paris en
+1842.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_107_107" id="Footnote_107_107"></a><a href="#FNanchor_107_107"><span class="label">[107]</span></a> Jean-Pierre Varlet, n&eacute; &agrave; Reims le 11 mars 1771, pr&ecirc;tre en
+1796, mort &agrave; Poitiers en 1854.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_108_108" id="Footnote_108_108"></a><a href="#FNanchor_108_108"><span class="label">[108]</span></a> &Eacute;tienne Demouchel, n&eacute; &agrave; Montfort-l'Amaury le 10 juillet
+1772, pr&ecirc;tre en 1802, mort &agrave; Rome en 1840.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_109_109" id="Footnote_109_109"></a><a href="#FNanchor_109_109"><span class="label">[109]</span></a> Jean-Pierre Wrindts, n&eacute; &agrave; Anvers le 6 f&eacute;vrier 1781,
+pr&ecirc;tre en 1801, mort &agrave; Poitiers en 1852.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_110_110" id="Footnote_110_110"></a><a href="#FNanchor_110_110"><span class="label">[110]</span></a> Pierre B&eacute;quet, n&eacute; &agrave; Paris le 9 janvier 1771, pr&ecirc;tre en
+1799, mort &agrave; Toulouse en 1849.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_111_111" id="Footnote_111_111"></a><a href="#FNanchor_111_111"><span class="label">[111]</span></a> Aymon de Virieu, Prosper Guichard de Bienassis et Louis
+de Vignet seront l'objet d'un chapitre sp&eacute;cial dans notre second volume
+sur la jeunesse de Lamartine qui comprendra les ann&eacute;es 1813-1820.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_112_112" id="Footnote_112_112"></a><a href="#FNanchor_112_112"><span class="label">[112]</span></a> Cf. &eacute;galement abb&eacute; Rochet (<i>op. cit.</i>, p. 208-209), o&ugrave;
+l'on trouve le d&eacute;tail du palmar&egrave;s.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_113_113" id="Footnote_113_113"></a><a href="#FNanchor_113_113"><span class="label">[113]</span></a> C'est au cours du mois d'octobre 1806 qu'il faut placer
+l'&eacute;pisode de Lucy L. sur lequel Lamartine s'est longuement &eacute;tendu dans
+les <i>Confidences</i>. La v&eacute;rit&eacute; semble extr&ecirc;mement plus simple que son
+romanesque r&eacute;cit; elle a &eacute;t&eacute; tr&egrave;s heureusement r&eacute;tablie par M. De Riaz,
+membre de l'Acad&eacute;mie de M&acirc;con, dont le travail vient d'&ecirc;tre publi&eacute; dans
+le dernier volume des Annales de cette soci&eacute;t&eacute;. M. De Riaz, au prix
+d'une incroyable patience et de minutieuses investigations, est parvenu,
+en s'aidant des rares pr&eacute;cisions du texte de Lamartine, &agrave; &eacute;tablir que le
+manoir d&eacute;crit par le po&egrave;te n'&eacute;tait autre que le ch&acirc;teau de Byonne, situ&eacute;
+&agrave; deux kilom&egrave;tres de Milly. Or, de 1800 &agrave; 1820, une seule jeune fille y
+habita, dont ni le pr&eacute;nom ni le nom ne se rapprochent de ceux donn&eacute;s par
+Lamartine, puisqu'elle s'appelait &Eacute;lisa de Villeneuve d'Ansouis; bien
+mieux, c'&eacute;tait une enfant qui mourut en 1807 &agrave; l'&acirc;ge de treize ans;
+comme l'unique s&eacute;jour qu'elle fit &agrave; Byonne se place pendant l'automne de
+1806, M. de Riaz en a conclu avec vraisemblance qu'elle fut la premi&egrave;re
+h&eacute;ro&iuml;ne de Lamartine.
+</p><p>
+On voit par l&agrave; avec quelle pr&eacute;caution il faut utiliser les souvenirs de
+Lamartine, et ce qu'il faut penser en particulier des trente pages qu'il
+a consacr&eacute;es &agrave; la pseudo-Lucy L. et &agrave; leurs conversations litt&eacute;raires
+dont Ossian, para&icirc;t-il, faisait le fonds. Quant aux vers <i>ossianesques</i>
+qu'il lui adressa et qu'il a dat&eacute;s, dans les <i>Confidences</i> de Milly: &laquo;16
+d&eacute;cembre 1805&raquo;, il est impossible d'admettre qu'ils aient &eacute;t&eacute; compos&eacute;s
+en l'honneur de la petite fille. Il est d'abord &eacute;vident qu'ils sont
+post-dat&eacute;s, puisqu'en d&eacute;cembre 1805 Lamartine &eacute;tait &agrave; Belley et non &agrave;
+Milly. De plus, il ressort d'une lettre de la <i>Correspondance</i>&mdash;lettre
+douteuse, il est vrai, puisqu'elle ne porte point de date bien qu'elle
+figure &agrave; la fin de l'ann&eacute;e 1808&mdash;que Lamartine connut Ossian beaucoup
+plus tard. Enfin, ils sont d'une facture qui permet &agrave; notre avis de
+fixer leur composition &agrave; 1810-1811. Il nous para&icirc;t probable qu'au moment
+o&ugrave; Lamartine &eacute;crivit les <i>Confidences</i> il retrouva cette pi&egrave;ce parmi ses
+papiers et, soit d&eacute;faut de m&eacute;moire, soit d&eacute;sir de grossir l'&eacute;pisode
+assez mince de Lucy L., il l'intercala dans son r&eacute;cit, en assignant &agrave;
+ces vers une date qui correspondait approximativement avec le fonds de
+l'anecdote; puis, pour mettre le tout en valeur, il laissa r&ecirc;ver sa
+d&eacute;licieuse imagination et broda autour de Lucy L. un commentaire
+<i>ossianesque</i> o&ugrave; l'on voit cette enfant de douze ans agitant le soir une
+&eacute;charpe de soie blanche &agrave; la fen&ecirc;tre de sa tour, et sachant &laquo;par c&#339;ur&raquo;
+tous les po&egrave;tes.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_114_114" id="Footnote_114_114"></a><a href="#FNanchor_114_114"><span class="label">[114]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 4, du 27 sept. 1807.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_115_115" id="Footnote_115_115"></a><a href="#FNanchor_115_115"><span class="label">[115]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 8, du 3 oct. 1807.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_116_116" id="Footnote_116_116"></a><a href="#FNanchor_116_116"><span class="label">[116]</span></a> Nous donnons cette date d'apr&egrave;s le <i>Journal intime</i>, bien
+qu'on trouve dans la <i>Correspondance</i> trois lettres, dat&eacute;es de M&acirc;con 4
+et 10 janvier, et de Lyon 30 janvier; elles furent r&eacute;ellement &eacute;crites &agrave;
+ces dates, mais en 1809. En effet, Lamartine parle dans l'une d'elles de
+la conscription qui retarde son voyage &agrave; Lyon; or, nous savons, toujours
+par le <i>Journal intime</i>, qu'il tira au sort le 23 janvier 1809. De plus
+on rencontre dans la lettre du 10 janvier un fragment po&eacute;tique qui fut
+adress&eacute; &agrave; Virieu et n'est ici que recopi&eacute; pour Guichard; comme ce
+morceau fut compos&eacute; &agrave; la fin de 1808, ainsi que nous l'apprend une
+lettre de d&eacute;cembre de la m&ecirc;me ann&eacute;e &agrave; Virieu, il devient &eacute;vident que la
+copie en fut faite en janvier 1809 et non 1808.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_117_117" id="Footnote_117_117"></a><a href="#FNanchor_117_117"><span class="label">[117]</span></a> <i>Souvenirs et Portraits</i>, 1, p. 69-72.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_118_118" id="Footnote_118_118"></a><a href="#FNanchor_118_118"><span class="label">[118]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 63, du 12 nov. 1808.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_119_119" id="Footnote_119_119"></a><a href="#FNanchor_119_119"><span class="label">[119]</span></a> Les <i>Adieux au coll&egrave;ge de Belley</i> ont paru pour la
+premi&egrave;re fois dans l'<i>Almanach des Muses</i> de 1821; les deux autres
+pi&egrave;ces ont &eacute;t&eacute; recueillies par lui dans ses &#338;uvres (&eacute;dition de
+l'auteur), apr&egrave;s avoir &eacute;t&eacute; publi&eacute;es dans le Cours de litt&eacute;rature; les
+<i>Adieux</i> figurent aujourd'hui &agrave; la suite des <i>M&eacute;ditations</i>, mais on ne
+trouve le <i>Rossignol</i> et le <i>Cantique</i> que dans les <i>Souvenirs et
+Portraits</i>, t. I, chap. III: &laquo;Comment je suis devenu po&egrave;te&raquo;.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_120_120" id="Footnote_120_120"></a><a href="#FNanchor_120_120"><span class="label">[120]</span></a> Cf. <i>Souvenirs et Portraits</i>, I: &laquo;Comment je suis devenu
+po&egrave;te&raquo;, et II: &laquo;Chateaubriand&raquo;.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_121_121" id="Footnote_121_121"></a><a href="#FNanchor_121_121"><span class="label">[121]</span></a> Cf. <i>Souvenirs et Portraits</i>, t. I: &laquo;Comment Je suis
+devenu po&egrave;te&raquo;; t. II: &laquo;Chateaubriand&raquo;.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_122_122" id="Footnote_122_122"></a><a href="#FNanchor_122_122"><span class="label">[122]</span></a> Cf. <i>Chateaubriand, &#338;uvres</i>, t. II (&eacute;d. Garnier, Paris,
+1859), p. 82.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_123_123" id="Footnote_123_123"></a><a href="#FNanchor_123_123"><span class="label">[123]</span></a> <i>Id., ibid.</i>, t. I, p. 218.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_124_124" id="Footnote_124_124"></a><a href="#FNanchor_124_124"><span class="label">[124]</span></a> La plupart ont &eacute;t&eacute; d&eacute;j&agrave; signal&eacute;es par M. Zyromski dans sa
+th&egrave;se sur <i>Lamartine po&egrave;te lyrique</i> (1897).</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_125_125" id="Footnote_125_125"></a><a href="#FNanchor_125_125"><span class="label">[125]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 111, du 12 mars 1809.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_126_126" id="Footnote_126_126"></a><a href="#FNanchor_126_126"><span class="label">[126]</span></a> Sources et bibliographie de la quatri&egrave;me partie: <i>Journal
+intime</i> (passim).&mdash;<i>Correspondance</i> (t. I).&mdash;<i>&laquo;Carnet de voyage de
+Lamartine&raquo;</i> (publi&eacute; par M. R. Doumie), <i>Correspondant</i> du 25 juillet
+1008.&mdash;Nous devons &agrave; l'obligeance de M. Dur&eacute;ault d'avoir pris
+connaissance de l'important dossier qu'il a r&eacute;uni sur Henriette Pommier,
+et d'une curieuse &eacute;tude, lue par lui en s&eacute;ance publique &agrave; l'Acad&eacute;mie de
+M&acirc;con et qui doit &ecirc;tre publi&eacute;e prochainement. Nous lui avons emprunt&eacute;
+toute la documentation du chapitre III.
+</p><p>
+Une fois de plus, nous avons &agrave; d&eacute;plorer le classement d&eacute;fectueux de la
+<i>Correspondance</i> et il serait &agrave; souhaiter qu'une main autoris&eacute;e donn&acirc;t
+promptement une &eacute;dition compl&egrave;te et v&eacute;rifi&eacute;e de cet inestimable
+document; gr&acirc;ce au <i>Journal intime</i>, pourtant, nous avons pu r&eacute;tablir &agrave;
+leur v&eacute;ritable date des lettres arbitrairement ou mal dat&eacute;es par
+l'&eacute;diteur, une dizaine environ, pour les ann&eacute;es 1807-1813.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_127_127" id="Footnote_127_127"></a><a href="#FNanchor_127_127"><span class="label">[127]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 23, du 22 f&eacute;vrier 1808.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_128_128" id="Footnote_128_128"></a><a href="#FNanchor_128_128"><span class="label">[128]</span></a> <i>J. I.</i>, 25 sept. 1806.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_129_129" id="Footnote_129_129"></a><a href="#FNanchor_129_129"><span class="label">[129]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 23, du 22 f&eacute;vrier; p. 26, du 13 mars 1808.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_130_130" id="Footnote_130_130"></a><a href="#FNanchor_130_130"><span class="label">[130]</span></a> <i>Id.</i>, p. 93, du 14 d&eacute;c. 1808.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_131_131" id="Footnote_131_131"></a><a href="#FNanchor_131_131"><span class="label">[131]</span></a> <i>Id.</i>, p. 41, du 10 sept.; p. 95, du 14 d&eacute;c. 1808.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_132_132" id="Footnote_132_132"></a><a href="#FNanchor_132_132"><span class="label">[132]</span></a> <i>Id.</i>, p. 95, du 14 d&eacute;c. 1808.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_133_133" id="Footnote_133_133"></a><a href="#FNanchor_133_133"><span class="label">[133]</span></a> <i>Id.</i>, p. 95, du 14 d&eacute;c. 1808.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_134_134" id="Footnote_134_134"></a><a href="#FNanchor_134_134"><span class="label">[134]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 53, du 29 oct. 1808; p. 139, du 4 ao&ucirc;t 1809.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_135_135" id="Footnote_135_135"></a><a href="#FNanchor_135_135"><span class="label">[135]</span></a> <i>Id.</i>, p. 139, du 4 ao&ucirc;t 1809.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_136_136" id="Footnote_136_136"></a><a href="#FNanchor_136_136"><span class="label">[136]</span></a> <i>Id.</i>, p. 25-27, du 13 mars 1808.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_137_137" id="Footnote_137_137"></a><a href="#FNanchor_137_137"><span class="label">[137]</span></a> <i>J. I.</i>, 26 mai 1808. Elle &eacute;crivait de M&acirc;con le 24
+f&eacute;vrier: &laquo;La sant&eacute; d'Alphonse n'est pas mauvaise; il s'occupe beaucoup
+et a plusieurs ma&icirc;tres, entre autres un de danse et un de basse. Il est
+assez raisonnable, mais son caract&egrave;re me para&icirc;t toujours fort l&eacute;ger, ce
+qui rend les dangers du monde bien plus graves pour lui. Nous l'en
+tenons encore &eacute;loign&eacute; cette ann&eacute;e, mais je fr&eacute;mis pour le moment o&ugrave; il
+sera expos&eacute; &agrave; cette contagion affreuse.&raquo;</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_138_138" id="Footnote_138_138"></a><a href="#FNanchor_138_138"><span class="label">[138]</span></a> <i>J. I.</i>, 26 mai 1808.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_139_139" id="Footnote_139_139"></a><a href="#FNanchor_139_139"><span class="label">[139]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 31-33, du 8 juillet 1808.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_140_140" id="Footnote_140_140"></a><a href="#FNanchor_140_140"><span class="label">[140]</span></a> <i>Id.</i>, p. 28, du 20 avril 1808.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_141_141" id="Footnote_141_141"></a><a href="#FNanchor_141_141"><span class="label">[141]</span></a> <i>Id.</i>, p. 62, du 12 nov. 1808.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_142_142" id="Footnote_142_142"></a><a href="#FNanchor_142_142"><span class="label">[142]</span></a> <i>Id.</i>, p. 31, du 8 juillet 1808; p. 35, du 26 juillet
+1808.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_143_143" id="Footnote_143_143"></a><a href="#FNanchor_143_143"><span class="label">[143]</span></a> Cf. sur ce s&eacute;jour &agrave; Cr&eacute;mieu: <i>M&eacute;moires in&eacute;dits</i>, p.
+116-123. Mais il a &eacute;t&eacute; dat&eacute; par Lamartine de 1807 au lieu de 1808.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_144_144" id="Footnote_144_144"></a><a href="#FNanchor_144_144"><span class="label">[144]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 84, du 12 d&eacute;cembre 1808, et <i>id.</i>, p. 122,
+lettre sur <i>Corinne</i> du 1<sup>er</sup> juin 1809.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_145_145" id="Footnote_145_145"></a><a href="#FNanchor_145_145"><span class="label">[145]</span></a> <i>J. I.</i>, 12 octobre. &laquo;Mercredi, nous avons d&icirc;n&eacute; &agrave;
+Pierreclos. Il y eut une conversation sur J.-J. Rousseau; deux personnes
+de la soci&eacute;t&eacute; &eacute;taient ses z&eacute;l&eacute;s partisans, d'autres les r&eacute;futaient.
+Alphonse les &eacute;coutait attentivement et je craignais toujours qu'il ne
+pr&icirc;t les mauvaises impressions de pr&eacute;f&eacute;rence aux bonnes.&raquo;</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_146_146" id="Footnote_146_146"></a><a href="#FNanchor_146_146"><span class="label">[146]</span></a> <i>J. I.</i>, 9 octobre, en parlant de son fils: &laquo;H&eacute;las! comme
+il est loin du seul bien qui pourrait contenter mon c&#339;ur&raquo;; et 26
+octobre.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_147_147" id="Footnote_147_147"></a><a href="#FNanchor_147_147"><span class="label">[147]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 77, du 10 d&eacute;c. 1808.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_148_148" id="Footnote_148_148"></a><a href="#FNanchor_148_148"><span class="label">[148]</span></a> <i>Id.</i>, <i>ibid.</i></p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_149_149" id="Footnote_149_149"></a><a href="#FNanchor_149_149"><span class="label">[149]</span></a> <i>Id.</i>, p. 68, du 28 nov. 1808.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_150_150" id="Footnote_150_150"></a><a href="#FNanchor_150_150"><span class="label">[150]</span></a> <i>Id.</i>, p. 80, du 12 d&eacute;c. 1808.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_151_151" id="Footnote_151_151"></a><a href="#FNanchor_151_151"><span class="label">[151]</span></a> <i>J. I.</i>, du 17 d&eacute;c. 1808.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_152_152" id="Footnote_152_152"></a><a href="#FNanchor_152_152"><span class="label">[152]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 86, du 12 d&eacute;c. 1808. &laquo;J'avais fait les plus
+beaux plans du monde de plaisirs litt&eacute;raires. Mon oncle et mon p&egrave;re de
+concert ont voulu tout d&eacute;truire.&raquo;</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_153_153" id="Footnote_153_153"></a><a href="#FNanchor_153_153"><span class="label">[153]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 92, du 14 d&eacute;c.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_154_154" id="Footnote_154_154"></a><a href="#FNanchor_154_154"><span class="label">[154]</span></a> <i>Id.</i>, <i>ibid.</i></p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_155_155" id="Footnote_155_155"></a><a href="#FNanchor_155_155"><span class="label">[155]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 103, du 24 janvier 1809.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_156_156" id="Footnote_156_156"></a><a href="#FNanchor_156_156"><span class="label">[156]</span></a> <i>Id.</i>, p. 100, du 26 f&eacute;vrier 1809.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_157_157" id="Footnote_157_157"></a><a href="#FNanchor_157_157"><span class="label">[157]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 106, du 26 f&eacute;vrier 1809; et p. 110, du 12
+mars 1809.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_158_158" id="Footnote_158_158"></a><a href="#FNanchor_158_158"><span class="label">[158]</span></a> <i>J. I.</i>, 7 juillet 1809.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_159_159" id="Footnote_159_159"></a><a href="#FNanchor_159_159"><span class="label">[159]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 139, du 4 ao&ucirc;t 1809.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_160_160" id="Footnote_160_160"></a><a href="#FNanchor_160_160"><span class="label">[160]</span></a> <i>Id.</i>, p. 127, du 10 juin 1809; et p. 140, du 4 ao&ucirc;t.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_161_161" id="Footnote_161_161"></a><a href="#FNanchor_161_161"><span class="label">[161]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 143. du 4 ao&ucirc;t 1809.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_162_162" id="Footnote_162_162"></a><a href="#FNanchor_162_162"><span class="label">[162]</span></a> <i>Id.</i>, p. 148-152, du 19 ao&ucirc;t 1809.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_163_163" id="Footnote_163_163"></a><a href="#FNanchor_163_163"><span class="label">[163]</span></a> <i>C.</i> I, p. 170, du 21 octobre 1809.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_164_164" id="Footnote_164_164"></a><a href="#FNanchor_164_164"><span class="label">[164]</span></a> <i>Id.</i>, p. 175, du 9 nov. 1809.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_165_165" id="Footnote_165_165"></a><a href="#FNanchor_165_165"><span class="label">[165]</span></a> <i>Id.</i>, p. 176.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_166_166" id="Footnote_166_166"></a><a href="#FNanchor_166_166"><span class="label">[166]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 181, du 24 nov. 1809, et p. 188, du 10 d&eacute;c.
+1809.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_167_167" id="Footnote_167_167"></a><a href="#FNanchor_167_167"><span class="label">[167]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 203, du 1<sup>er</sup> mars 1810. Sur le s&eacute;jour &agrave;
+Lyon, cf. <i>id.</i>, p. 193-240.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_168_168" id="Footnote_168_168"></a><a href="#FNanchor_168_168"><span class="label">[168]</span></a> Nous donnons cette date d'apr&egrave;s le <i>Journal intime</i>, bien
+qu'elle ne soit pas d'accord avec la <i>Correspondance</i>, o&ugrave; figure une
+lettre dat&eacute;e de &laquo;Saint-Point 14 mai&raquo;; nous lui donnons la pr&eacute;f&eacute;rence.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_169_169" id="Footnote_169_169"></a><a href="#FNanchor_169_169"><span class="label">[169]</span></a> &laquo;Beaucoup de mes r&ecirc;ves, toutes mes esp&eacute;rances
+s'&eacute;vanouissent chaque jour, c'est comme les fant&ocirc;mes qu'on se fait la
+nuit et que le premier rayon du jour dissipe ou r&eacute;duit &agrave; leur juste
+valeur. Et toi, mon cher ami, tu es donc aussi comme moi, tu vois que
+nous avions r&ecirc;v&eacute;, r&ecirc;v&eacute; d'une soci&eacute;t&eacute; &agrave; notre guise, r&ecirc;v&eacute; la gloire, r&ecirc;v&eacute;
+l'amour, r&ecirc;v&eacute; des femmes comme il devrait y en avoir, r&ecirc;v&eacute; des hommes
+comme il n'y en aura jamais....&raquo; (<i>C.</i>, I, p. 243.) Cette lettre, dat&eacute;e
+de Milly, 14 mai 1810, est mal class&eacute;e: en effet, nous savons par le
+<i>Journal intime</i> que le 14 mai Lamartine &eacute;tait encore &agrave; Lyon; mais comme
+il &eacute;crit &agrave; Virieu dans le courant de cette lettre: &laquo;Je vais partir dans
+une quinzaine de jours passer quelques semaines &agrave; Dijon&raquo;, et qu'il y
+arriva le 2 juillet, on peut en conclure qu'elle est du 14 juin.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_170_170" id="Footnote_170_170"></a><a href="#FNanchor_170_170"><span class="label">[170]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 256, du 26 juillet 1810</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_171_171" id="Footnote_171_171"></a><a href="#FNanchor_171_171"><span class="label">[171]</span></a> <i>Id.</i>, p. 276, du 30 sept. 1810.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_172_172" id="Footnote_172_172"></a><a href="#FNanchor_172_172"><span class="label">[172]</span></a> <i>Id.</i>, p. 264, du 30 ao&ucirc;t 1810.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_173_173" id="Footnote_173_173"></a><a href="#FNanchor_173_173"><span class="label">[173]</span></a> <i>J. I.</i>, 8 oct. 1810.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_174_174" id="Footnote_174_174"></a><a href="#FNanchor_174_174"><span class="label">[174]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 248.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_175_175" id="Footnote_175_175"></a><a href="#FNanchor_175_175"><span class="label">[175]</span></a> Les causes de ce &laquo;mal du si&egrave;cle&raquo; sont surtout
+litt&eacute;raires; &eacute;cart&eacute;s pour la plupart de la guerre&mdash;seul mode d'activit&eacute;
+qu'on conn&ucirc;t alors,&mdash;ces jeunes gens se r&eacute;fugi&egrave;rent avec d&eacute;lices dans le
+monde des id&eacute;es, ils lurent trop. Cf. <i>G&eacute;nie du Christianisme</i>, chapitre
+du Vague des passions, et Ballanche, o&ugrave; le cas est pr&eacute;vu avec une
+parfaite nettet&eacute;, lorsqu'il dit: &laquo;Mon fils, vous portez dans votre sein
+une secr&egrave;te inqui&eacute;tude qui vous d&eacute;vore. Les livres seuls vous ont tout
+appris. Les plus hautes conceptions des sages, qui pour y parvenir ont
+eu besoin de vivre de longs jours, sont devenues le lait des enfants.&raquo;
+(<i>Le Vieillard et le jeune homme.</i>) Cf. &eacute;galement une lettre de
+Lamartine apr&egrave;s sa premi&egrave;re lecture de <i>Corinne</i> (<i>C.</i>, I, p. 117, du
+1<sup>er</sup> juin 1809).</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_176_176" id="Footnote_176_176"></a><a href="#FNanchor_176_176"><span class="label">[176]</span></a> <i>C.</i>, II, p. 97; du 28 juin 1816.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_177_177" id="Footnote_177_177"></a><a href="#FNanchor_177_177"><span class="label">[177]</span></a> <i>Id.</i>, p. 337, du 25 avril 1819.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_178_178" id="Footnote_178_178"></a><a href="#FNanchor_178_178"><span class="label">[178]</span></a> Toute l'ann&eacute;e 1819 fut occup&eacute;e par des projets de
+trag&eacute;dies et de po&egrave;mes &eacute;piques: <i>Sa&uuml;l</i>, <i>Clovis</i>, <i>Jept&eacute;</i>, <i>Sapho</i>,
+etc.; enfin sa maladie et son mariage accrurent encore l'indiff&eacute;rence
+qui accompagna la publication des <i>M&eacute;ditations</i>, en sorte que l'&eacute;dition
+fut tr&egrave;s peu soign&eacute;e; des vers furent tronqu&eacute;s et d'autres omis.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_179_179" id="Footnote_179_179"></a><a href="#FNanchor_179_179"><span class="label">[179]</span></a> <i>C.</i>, II, p. 358, du 27 mai 1819.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_180_180" id="Footnote_180_180"></a><a href="#FNanchor_180_180"><span class="label">[180]</span></a> Cf., sur les influences litt&eacute;raires subies par Lamartine,
+l'excellent ouvrage de M. Zyromski, <i>Lamartine, po&egrave;te lyrique</i>.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_181_181" id="Footnote_181_181"></a><a href="#FNanchor_181_181"><span class="label">[181]</span></a> Soulign&eacute; par Lamartine. <i>C.</i>, I, p. 177, du 9 nov. 1809.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_182_182" id="Footnote_182_182"></a><a href="#FNanchor_182_182"><span class="label">[182]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 260, du 10 ao&ucirc;t 1810.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_183_183" id="Footnote_183_183"></a><a href="#FNanchor_183_183"><span class="label">[183]</span></a> <i>Id.</i>, p. 148, du 19 ao&ucirc;t 1809.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_184_184" id="Footnote_184_184"></a><a href="#FNanchor_184_184"><span class="label">[184]</span></a> <i>Id.</i>, p. 253, du 26 juillet 1810.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_185_185" id="Footnote_185_185"></a><a href="#FNanchor_185_185"><span class="label">[185]</span></a> <i>Id.</i>, p. 260, du 10 ao&ucirc;t 1810.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_186_186" id="Footnote_186_186"></a><a href="#FNanchor_186_186"><span class="label">[186]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 301, du 21 mai 1811.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_187_187" id="Footnote_187_187"></a><a href="#FNanchor_187_187"><span class="label">[187]</span></a> Lamartine, qui se connaissait parfaitement, et souffrait
+de sa mobilit&eacute; de sentiments, &eacute;crivait un jour &agrave; Virieu: &laquo;Nous sommes
+vraiment de singuliers instruments, mont&eacute;s aujourd'hui sur un ton,
+demain sur un autre; et moi surtout, qui change d'id&eacute;es et de go&ucirc;t selon
+le vent qu'il fait ou le plus ou moins d'&eacute;lasticit&eacute; de l'air&raquo;. (<i>C.</i>,
+II, p. 16, du 28 mars 1813.)</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_188_188" id="Footnote_188_188"></a><a href="#FNanchor_188_188"><span class="label">[188]</span></a> Les <i>M&eacute;moires in&eacute;dits</i> nous apprennent qu'un certain M.
+F. C., domicili&eacute; &agrave; Saint-Cl&eacute;ment-l&egrave;s-M&acirc;con, aurait jou&eacute; un r&ocirc;le assez
+&eacute;trange dans l'aventure, soit qu'il favoris&acirc;t les entrevues des jeunes
+gens chez lui, soit qu'il se propos&acirc;t comme ambassadeur. Les souvenirs
+de Lamartine sont-ils en d&eacute;faut sur ce point? Il n'y avait en effet, en
+1811, aucun M. F. C., propri&eacute;taire &agrave; Saint-Cl&eacute;ment.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_189_189" id="Footnote_189_189"></a><a href="#FNanchor_189_189"><span class="label">[189]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 289-90, du 1<sup>er</sup> f&eacute;vrier 1811.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_190_190" id="Footnote_190_190"></a><a href="#FNanchor_190_190"><span class="label">[190]</span></a> Sur Lamartine &agrave; l'Acad&eacute;mie de M&acirc;con, cf. Reyssi&eacute; (<i>op.
+cit.</i>), qui a publi&eacute; les proc&egrave;s-verbaux de sa r&eacute;ception, et le <i>Compte
+rendu</i> des travaux de cette soci&eacute;t&eacute; pour 1811, o&ugrave; l'on trouve une
+analyse de son discours; il avait pris pour sujet: De l'&eacute;tude des
+langues &eacute;trang&egrave;res.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_191_191" id="Footnote_191_191"></a><a href="#FNanchor_191_191"><span class="label">[191]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 291, du 24 mars 1811.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_192_192" id="Footnote_192_192"></a><a href="#FNanchor_192_192"><span class="label">[192]</span></a> <i>Id.</i>, <i>ibid.</i></p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_193_193" id="Footnote_193_193"></a><a href="#FNanchor_193_193"><span class="label">[193]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 291, du 24 mars 1811.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_194_194" id="Footnote_194_194"></a><a href="#FNanchor_194_194"><span class="label">[194]</span></a> <i>Id.</i>, p. 296, du 2 avril.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_195_195" id="Footnote_195_195"></a><a href="#FNanchor_195_195"><span class="label">[195]</span></a> <i>Id.</i>, p. 296-97, du 2 avril 1811.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_196_196" id="Footnote_196_196"></a><a href="#FNanchor_196_196"><span class="label">[196]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 296-97, du 2 avril 1811.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_197_197" id="Footnote_197_197"></a><a href="#FNanchor_197_197"><span class="label">[197]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 299, du 20 mai.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_198_198" id="Footnote_198_198"></a><a href="#FNanchor_198_198"><span class="label">[198]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 310, du 10 juin 1811.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_199_199" id="Footnote_199_199"></a><a href="#FNanchor_199_199"><span class="label">[199]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 323-24, du 13 oct. 1811.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_200_200" id="Footnote_200_200"></a><a href="#FNanchor_200_200"><span class="label">[200]</span></a> <i>Id.</i>, p. 306, du 30 mai 1811 o&ugrave; l'on trouve: &laquo;...Une
+occasion charmante et unique s'est pr&eacute;sent&eacute;e: ils l'ont saisie et, tout
+malheureux que je me trouve de quitter pour sept ou huit mois, tout ce
+que j'aime, j'en profite. La fortune ne sourit pas deux fois dans la
+vie, et l'occasion n'a qu'un cheveu&raquo;. Toute la lettre est d'ailleurs
+incroyable de contrastes et quelque peu incoh&eacute;rente.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_201_201" id="Footnote_201_201"></a><a href="#FNanchor_201_201"><span class="label">[201]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 306, du 30 mai 1811.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_202_202" id="Footnote_202_202"></a><a href="#FNanchor_202_202"><span class="label">[202]</span></a> <i>Id.</i>, <i>ibid.</i></p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_203_203" id="Footnote_203_203"></a><a href="#FNanchor_203_203"><span class="label">[203]</span></a> Cf. <i>Correspondant</i>, <i>op.</i> <i>cit.</i></p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_204_204" id="Footnote_204_204"></a><a href="#FNanchor_204_204"><span class="label">[204]</span></a> <i>C.</i>, II, p. 15, du 28 mars 1813.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_205_205" id="Footnote_205_205"></a><a href="#FNanchor_205_205"><span class="label">[205]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 316, du 8 sept. 1811.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_206_206" id="Footnote_206_206"></a><a href="#FNanchor_206_206"><span class="label">[206]</span></a> <i>Id.</i>, p. 318, <i>id.</i></p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_207_207" id="Footnote_207_207"></a><a href="#FNanchor_207_207"><span class="label">[207]</span></a> <i>Id.</i>, p. 314, s. d.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_208_208" id="Footnote_208_208"></a><a href="#FNanchor_208_208"><span class="label">[208]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 316-319, du 8 sept.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_209_209" id="Footnote_209_209"></a><a href="#FNanchor_209_209"><span class="label">[209]</span></a> <i>Id.</i>, <i>ibid.</i></p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_210_210" id="Footnote_210_210"></a><a href="#FNanchor_210_210"><span class="label">[210]</span></a> <i>Carnet de voyage</i>.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_211_211" id="Footnote_211_211"></a><a href="#FNanchor_211_211"><span class="label">[211]</span></a> Lettre publi&eacute;e par M. Doumic, dans le <i>Correspondant</i>
+(<i>op. cit.</i>).</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_212_212" id="Footnote_212_212"></a><a href="#FNanchor_212_212"><span class="label">[212]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 330, du 18 nov. 1811. C'est d'ailleurs un
+ph&eacute;nom&egrave;ne fr&eacute;quent dans la <i>Correspondance</i>: Lamartine ne se montrait
+pas sous le m&ecirc;me jour &agrave; Virieu qu'&agrave; Guichard; mais il &eacute;tait,
+croyons-nous, plus sinc&egrave;re avec Virieu.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_213_213" id="Footnote_213_213"></a><a href="#FNanchor_213_213"><span class="label">[213]</span></a> <i>Carnet de voyage</i>. <i>C.</i>, I, p. 344, du 8 d&eacute;c. 1811.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_214_214" id="Footnote_214_214"></a><a href="#FNanchor_214_214"><span class="label">[214]</span></a> Cf. R. Doumic, <i>Lettres d'Elvire &agrave; Lamartine</i> (1 vol.,
+1905).</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_215_215" id="Footnote_215_215"></a><a href="#FNanchor_215_215"><span class="label">[215]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 342, du 15 d&eacute;c. 1811.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_216_216" id="Footnote_216_216"></a><a href="#FNanchor_216_216"><span class="label">[216]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 343-46, du 28 d&eacute;c. 1811.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_217_217" id="Footnote_217_217"></a><a href="#FNanchor_217_217"><span class="label">[217]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 355, du 22 janvier 1812.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_218_218" id="Footnote_218_218"></a><a href="#FNanchor_218_218"><span class="label">[218]</span></a> <i>J. I.</i>, table des mati&egrave;res.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_219_219" id="Footnote_219_219"></a><a href="#FNanchor_219_219"><span class="label">[219]</span></a> <i>J. I.</i>, 16 juin 1812.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_220_220" id="Footnote_220_220"></a><a href="#FNanchor_220_220"><span class="label">[220]</span></a> <i>Id.</i>, 25 juin, et archives communales de Milly. Il
+demeura maire jusqu'en 1815, mais s'occupa rarement des affaires du
+village, sauf au moment de l'invasion de 1814 o&ugrave; il dut fournir les
+r&eacute;quisitions de l'arm&eacute;e autrichienne.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_221_221" id="Footnote_221_221"></a><a href="#FNanchor_221_221"><span class="label">[221]</span></a> <i>Id.</i>, 27 mai 1812.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_222_222" id="Footnote_222_222"></a><a href="#FNanchor_222_222"><span class="label">[222]</span></a> <i>C.</i>, I, p. 364, du 20 ao&ucirc;t 1812.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_223_223" id="Footnote_223_223"></a><a href="#FNanchor_223_223"><span class="label">[223]</span></a> <i>C</i>., I, p. 364, du 20 ao&ucirc;t 1812.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_224_224" id="Footnote_224_224"></a><a href="#FNanchor_224_224"><span class="label">[224]</span></a> <i>Id</i>., <i>ibid.</i></p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_225_225" id="Footnote_225_225"></a><a href="#FNanchor_225_225"><span class="label">[225]</span></a> <i>Id</i>., p. 371, du 17 nov. 1812.</p></div>
+</div></div>
+
+<p class="c">DU M&Ecirc;ME AUTEUR</p>
+
+<p class="c">&Agrave; LA M&Ecirc;ME LIBRAIRIE</p>
+
+<p class="c">L'Elvire de Lamartine et les M&eacute;ditations. Un volume.</p>
+
+<p class="c">(<i>En pr&eacute;paration</i>.)</p>
+
+<p class="c">1811 10.&mdash;Coulommiers. Imp. PAUL BRODARD.&mdash;311.</p>
+<hr />
+
+
+
+
+
+
+
+<pre>
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of Les Origines et la Jeunesse de
+Lamartine 1790-1812, by Pierre de Lacretelle
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LAMARTINE ***
+
+***** This file should be named 22077-h.htm or 22077-h.zip *****
+This and all associated files of various formats will be found in:
+ http://www.gutenberg.org/2/2/0/7/22077/
+
+Produced by Chuck Greif and the Online Distributed
+Proofreading Team at DP Europe (http://dp.rastko.net)
+
+
+Updated editions will replace the previous one--the old editions
+will be renamed.
+
+Creating the works from public domain print editions means that no
+one owns a United States copyright in these works, so the Foundation
+(and you!) can copy and distribute it in the United States without
+permission and without paying copyright royalties. Special rules,
+set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to
+copying and distributing Project Gutenberg-tm electronic works to
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+Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you
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+such as creation of derivative works, reports, performances and
+research. They may be modified and printed and given away--you may do
+practically ANYTHING with public domain eBooks. Redistribution is
+subject to the trademark license, especially commercial
+redistribution.
+
+
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+*** START: FULL LICENSE ***
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+THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE
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+works. See paragraph 1.E below.
+
+1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the Foundation"
+or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project
+Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual works in the
+collection are in the public domain in the United States. If an
+individual work is in the public domain in the United States and you are
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+1.E.8. You may charge a reasonable fee for copies of or providing
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+that
+
+- You pay a royalty fee of 20% of the gross profits you derive from
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+ Project Gutenberg Literary Archive Foundation. Royalty payments
+ must be paid within 60 days following each date on which you
+ prepare (or are legally required to prepare) your periodic tax
+ returns. Royalty payments should be clearly marked as such and
+ sent to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation at the
+ address specified in Section 4, "Information about donations to
+ the Project Gutenberg Literary Archive Foundation."
+
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+ does not agree to the terms of the full Project Gutenberg-tm
+ License. You must require such a user to return or
+ destroy all copies of the works possessed in a physical medium
+ and discontinue all use of and all access to other copies of
+ Project Gutenberg-tm works.
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+ money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the
+ electronic work is discovered and reported to you within 90 days
+ of receipt of the work.
+
+- You comply with all other terms of this agreement for free
+ distribution of Project Gutenberg-tm works.
+
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+1.F.
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+receive the work electronically in lieu of a refund. If the second copy
+is also defective, you may demand a refund in writing without further
+opportunities to fix the problem.
+
+1.F.4. Except for the limited right of replacement or refund set forth
+in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS' WITH NO OTHER
+WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT LIMITED TO
+WARRANTIES OF MERCHANTIBILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE.
+
+1.F.5. Some states do not allow disclaimers of certain implied
+warranties or the exclusion or limitation of certain types of damages.
+If any disclaimer or limitation set forth in this agreement violates the
+law of the state applicable to this agreement, the agreement shall be
+interpreted to make the maximum disclaimer or limitation permitted by
+the applicable state law. The invalidity or unenforceability of any
+provision of this agreement shall not void the remaining provisions.
+
+1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the
+trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone
+providing copies of Project Gutenberg-tm electronic works in accordance
+with this agreement, and any volunteers associated with the production,
+promotion and distribution of Project Gutenberg-tm electronic works,
+harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees,
+that arise directly or indirectly from any of the following which you do
+or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm
+work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any
+Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause.
+
+
+Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm
+
+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
+electronic works in formats readable by the widest variety of computers
+including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
+because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
+people in all walks of life.
+
+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need, is critical to reaching Project Gutenberg-tm's
+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at http://www.pglaf.org.
+
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
+http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
+permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
+
+The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
+Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
+throughout numerous locations. Its business office is located at
+809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
+business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
+information can be found at the Foundation's web site and official
+page at http://pglaf.org
+
+For additional contact information:
+ Dr. Gregory B. Newby
+ Chief Executive and Director
+ gbnewby@pglaf.org
+
+
+Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation
+
+Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
+spread public support and donations to carry out its mission of
+increasing the number of public domain and licensed works that can be
+freely distributed in machine readable form accessible by the widest
+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
+
+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
+with these requirements. We do not solicit donations in locations
+where we have not received written confirmation of compliance. To
+SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
+particular state visit http://pglaf.org
+
+While we cannot and do not solicit contributions from states where we
+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
+against accepting unsolicited donations from donors in such states who
+approach us with offers to donate.
+
+International donations are gratefully accepted, but we cannot make
+any statements concerning tax treatment of donations received from
+outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
+
+Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including checks, online payments and credit card donations.
+To donate, please visit: http://pglaf.org/donate
+
+
+Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
+works.
+
+Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
+
+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
+keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
+
+
+Most people start at our Web site which has the main PG search facility:
+
+ http://www.gutenberg.org
+
+This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
+including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
+subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
+
+
+</pre>
+
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+This eBook, including all associated images, markup, improvements,
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+Procedures for determining public domain status are described in
+the "Copyright How-To" at https://www.gutenberg.org.
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+No investigation has been made concerning possible copyrights in
+jurisdictions other than the United States. Anyone seeking to utilize
+this eBook outside of the United States should confirm copyright
+status under the laws that apply to them.
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