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+The Project Gutenberg EBook of Pour cause de fin de bail, by Alphonse Allais
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
+
+
+Title: Pour cause de fin de bail
+ OEuvres anthumes
+
+Author: Alphonse Allais
+
+Release Date: July 20, 2007 [EBook #22111]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: ISO-8859-1
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK POUR CAUSE DE FIN DE BAIL ***
+
+
+
+
+Produced by Laurent Vogel, Pierre Lacaze and the Online
+Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This
+file was produced from images generously made available
+by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at
+http://gallica.bnf.fr)
+
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+
+
+
+ALPHONSE ALLAIS
+
+(OEUVRES ANTHUMES)
+
+POUR CAUSE DE FIN DE BAIL
+
+PARIS
+
+ÉDITIONS DE LA REVUE BLANCHE
+
+23, BOULEVARD DES ITALIENS, 23
+
+1899
+
+
+
+DU MÊME AUTEUR:
+
+Volumes in-18 jésus, à 3 fr. 50
+
+OEUVRES ANTHUMES
+
+ À SE TORDRE.
+ PAS DE BILE.
+ VIVE LA VIE!
+ LE PARAPLUIE DE L'ESCOUADE.
+ ROSE ET VERT POMME.
+ ON N'EST PAS DES BOEUFS.
+ AMOURS, DÉLICES ET ORGUES.
+ DEUX ET DEUX FONT CINQ.
+ LE BEC EN L'AIR.
+
+
+
+
+CE LIVRE EST RESPECTUEUSEMENT DÉDIÉ À LA PATRONNE DU CAFÉ DE LA POSTE
+À LUZARCHES[1]
+
+(ORNE)
+
+[Note 1: Luzarches n'est pas dans l'Orne mais bien en
+Seine-et-Oise. Quand les Français se décideront-ils à apprendre la
+géographie?
+
+(NOTE DE L'ÉDITEUR.)]
+
+
+
+
+PRÉFACE
+
+
+Beaucoup de personnes, lesquelles feraient, d'ailleurs, bien mieux de
+se mêler de leurs propres affaires, m'ont souvent objecté:
+
+--Monsieur, vous donnez à vos ouvrages des titres qui n'ont aucun
+rapport avec la matière qui constitue le livre, comme par exemple _On
+n'est pas des Boeufs_, _Le Parapluie de l'Escouade_ ou _Amours, Délices et
+Orgues_. Cette façon d'agir n'est point l'indice d'une mentalité bien
+sérieuse.
+
+À la longue, ce reproche me piquait au vif et bientôt je m'efforçais à
+ne plus l'encourir.
+
+Je n'y suis qu'à mi parvenu; pourtant il y a du progrès, jugez plutôt:
+
+J'ai intitulé ce livre _Pour cause de fin de bail_, non pas qu'il y
+soit question de rien qui effleure ce sujet, mais simplement parce que
+je vais déménager au terme d'avril prochain.
+
+Je devais cette explication au lecteur, je la lui ai donnée.
+
+Nous sommes quittes.
+
+L'AUTEUR.
+
+
+
+
+UN POINT D'HISTOIRE RECTIFIÉ
+
+
+À la prochaine réunion de l'Automobile Club, je me lèverai pour
+proposer une timide motion qui ne manquera pas d'ahurir, tout d'abord,
+les membres présents du comité.
+
+Je demanderai qu'on élève, dans le jardin de notre nouvel hôtel, une
+statue, ou plutôt un _groupe_ à Diogène, le regretté philosophe.
+
+Vous aussi, graves lecteurs, vous aussi, frivoles lectrices,
+vous écarquillez vos pupilles en gens qui ne _voient pas bien le
+rapport_...
+
+Suit l'explication:
+
+De nos longs travaux sur la civilisation grecque au temps d'Alexandre
+le Grand résulte ceci qu'on peut considérer à bon droit le vieux
+Diogène comme père de l'automobilisme, ou, pour parler plus juste, de
+_l'autonneaumobilisme_, ou encore du _tonneautomobilisme_.
+
+Le tonneau qui servait de demeure à Diogène peut être admis comme la
+première roulotte connue, une roulotte sans chevaux, bien entendu[2].
+
+[Note 2: N'existe-t-il pas de nos jours une voiture fort à la mode
+qui répond au propre nom de _tonneau_.]
+
+Quant au mode de traction, ou, pour être tout à fait exact, de
+_propulsion_, c'est là que j'apporte ce qu'il y a de plus fraîchement
+débarqué en fait de documents.
+
+Dans tous les traités d'histoire, mesdames et messieurs, il est
+question du _cynisme_ de Diogène.
+
+Ce mot _cynisme_, jusqu'à l'heure présente, fut interprété dans le
+plus faux des sens.
+
+Un grand nombre de personnes et même de professeurs sont persuadés
+que Diogène était surnommé le _Cynique_ parce que, n'ayant pas plus
+de pudeur qu'un chien, il se conduisait comme un cochon, si j'ose
+m'exprimer ainsi.
+
+Biffez, bonnes gens, cette erreur, de vos tablettes.
+
+Le mot _cynisme_, en ce qui regarde Diogène, doit être interprété
+dans un esprit purement sportif, comme, par exemple, _hippisme_,
+_cyclisme_, etc.
+
+Le vieux philosophe grec pratiquait le _cynisme_ comme le comte de
+Dion la voiture à vapeur, et Jacquelin le vélo, c'est-à-dire que,
+dans ses déplacements, il faisait rouler son tonneau par deux de ces
+molosses de Rhodes si réputés pour:
+
+ Leur vigueur à la fois et leur docilité.
+
+Les bons toutous prenaient, si j'en crois mes documents, un vif
+plaisir à pousser de leurs pattes agiles la roulante demeure de leur
+très sage patron, cependant que le philosophe cheminait derrière eux
+avec, entre les dents, la pipe morale du mépris de l'humanité.
+
+Ce patriarchal appareil ne rappelle évidemment que de très loin les
+moto-cars de chez Comiot, mais pour l'époque!...
+
+Dans une prochaine causerie, car je crains, aujourd'hui, d'abuser de
+vos instants, je parlerai de la fameuse lanterne de Diogène, et je
+vous démontrerai, clair comme le jour, que l'acétylène n'est pas de
+création si récente qu'on le croit généralement.
+
+
+
+
+GEORGETTE S'EST TUEE!
+
+
+Le jour du Grand Prix, à Deauville, il fut convenu qu'on se rendrait
+le lendemain aux courses de Pont-l'Évêque, dans l'_auto_ de Roseburn.
+
+On partirait de bonne heure, dix heures au plus tard, et on
+déjeunerait en route, à la petite auberge du Douet de la Taille.
+
+Un mot, en passant, sur ce modeste établissement dans lequel on
+savoure, soit dit sans reproche, la meilleure cuisine de tout le
+Calvados.
+
+Située sur la route de Trouville à Caen, à l'intersection d'une autre
+voie dont j'oublie la provenance et la destination, tenue par les
+braves époux Morel, l'auberge du Douet de la Taille s'intitula
+d'abord: «_Au rendez-vous des jockeys_», pour cette raison qu'il
+existe, tout près de là, une vaste piste d'entraînement dont la
+clientèle constituait aussi celle de ladite maison.
+
+Plus tard, beaucoup d'herbagers et de bouchers, qui se rendent
+chaque jeudi au marché de Beaumont-en-Auge, ayant pris l'habitude de
+s'arrêter chez Morel pour y boire un verre ou y déjeuner, l'enseigne
+s'allongea et devint: «_Au rendez-vous des jockeys et des marchands de
+bestiaux_.»
+
+Plus tard encore, l'enseigne subit l'adjonction de MM. les cyclistes
+et, en ce moment, Constant Morel, grattant fièrement sa tête, se
+demande s'il ne siérait point d'adopter cette formule définitive
+alors: _Au rendez-vous des jockeys, des marchands de bestiaux, des
+cyclistes, des automobilistes et autres_.
+
+Au rendez-vous de tout le monde, quoi!
+
+Brave Constant Morel!
+
+Nous dîmes à Roseburn:
+
+--Tu emmènes Georgette!
+
+--Jamais de la vie, par exemple!
+
+Roseburn adore Georgette et jamais il ne l'emmène avec lui, nulle
+part! Expliquez cela.
+
+Georgette adore Roseburn et, alors, dam! elle rage de ce que Roseburn
+ne l'emmène pas partout où va Roseburn.
+
+Les scènes qui résultent de cette situation, vous les contemplez
+d'ici, n'est-ce pas?
+
+Roseburn n'allègue qu'un motif pour expliquer son attitude, mais c'est
+un mauvais motif:
+
+--Je ne t'emmène pas, parce que là où nous allons, ça n'est pas la
+place d'une femme.
+
+--Les courses de Pont-l'Évêque, pourtant?
+
+--Raison de plus!
+
+Allez donc raisonner avec un tel dialecticien!
+
+On avait pris rendez-vous chez Deschamps, au bar, et comme tout le
+monde était en retard, chacun en attendant les autres s'était vu
+contraint d'absorber plus de «John Collins» qu'il ne convenait
+réellement.
+
+Et puis, il y avait aussi la chaleur!
+
+Bref, quand nous arrivâmes au Douet de la Taille, la bonne Mme
+Morel ne put s'empêcher de remarquer:
+
+--Voilà des messieurs qui ont l'air de prendre la vie par le bon bout!
+
+On se mit à table.
+
+Le canard au sang (oh! ce canard!) ne fut qu'une bouchée pour nous,
+qu'une bouchée de petit enfant.
+
+Nous allions passer à la suite quand, nageant dans sa sueur, un jeune
+groom cycliste de l'Hôtel de Paris apporta une lettre à Roseburn, une
+lettre de madame.
+
+--Oh! la raseuse! fit notre ami. Vous permettez...
+
+Décachetant la missive, Roseburn y jeta un regard distrait.
+
+Soudain, nous le vîmes se lever, pâlir, chanceler...
+
+--Ah! mon Dieu!
+
+--Quoi? Qu'y a-t-il?
+
+--Il y a que Georgette s'est tuée! Pauvre enfant! Et c'est moi qui
+suis cause de sa mort!... Georgette s'est tuée!
+
+--Que racontes-tu là?
+
+--Lisez plutôt.
+
+Et du doigt, nous désignant un passage de la lettre, il lut «...
+L'existence m'est devenue impossible, je me tue...»
+
+--Peut-être y a-t-il encore de l'espoir? (_Au jeune groom_.) Qui t'a
+remis cette lettre?
+
+--Madame elle-même.
+
+--Comment était-elle habillée?
+
+--En mousseline blanche.
+
+--C'est bien cela! Romanesque comme elle est, la pauvre enfant a voulu
+se vêtir de blanc pour attendre la mort!
+
+Cependant l'un de nous ramassait la lettre tombée à terre et en
+prenait une connaissance plus complète.
+
+Voici ce qu'il lut: «... Dans ces conditions-là, mon cher ami,
+l'existence m'est devenue impossible. Je me tue à te le répéter, je
+finirai par te planter là, etc.»
+
+Nous poussâmes tous un vif soupir de soulagement et reprîmes notre
+repas interrompu, non sans avoir dégusté un de ces vieux calvados,
+comme dit l'autre, qui vous remettent le coeur en place.
+
+
+
+
+TRISTE FIN D'UN TOUT PETIT GROOM
+
+
+C'est un fait-divers à la fois banal et navrant.
+
+Beaucoup de Parisiens connaissaient le petit groom de Maxim's, le plus
+petit des grooms de Maxim's, celui qui était de taille si menue qu'un
+soir une horizontale des plus grises, abusée par l'uniforme écarlate
+de l'enfant, le prit pour une écrevisse et voulait, à toute force, lui
+arracher une patte.
+
+(Sans l'énergie du peintre Paul Robert, le jeune groom passait un
+mauvais moment.)
+
+Eh bien, le pauvre petit n'est plus: il a mis lui-même fin à ses jours
+vendredi matin à l'aube.
+
+Jeudi dernier--nos lecteurs s'en souviennent probablement
+encore--c'était la Mi-Carême.
+
+Or, précisément, ce jour-là, plusieurs clubmen déjeunaient au célèbre
+restaurant de la rue Royale.
+
+Au dessert, l'un de ces messieurs, ne trouvant pas dans
+l'établissement les cigares qu'il désirait, pria le jeune groom
+d'aller lui en quérir une boîte au _Tobacco-shop_ du Grand-Hôtel et
+lui remit, en vue de cette acquisition, un billet de cent francs.
+
+L'enfant arriva sans encombres, mais le retour fut plus pénible.
+
+Déjà une foule compacte et tumultueuse encombrait le boulevard,
+ardente au combat des confetti.
+
+Parmi les rares masques qui émaillaient cette tourbe, quatre jeunes
+gens se faisaient particulièrement remarquer.
+
+Déguisés en famille anglaise, l'un représentait le père, flanqué,
+naturellement, de longs favoris jaunes; le second était attifé en
+vieille _milady_ à tire-bouchons; les deux autres portaient les
+costumes d'un ridicule _boy_ et d'une burlesque _girl_.
+
+Apercevant soudain le petit groom de Maxim's fendant péniblement la
+foule avec, sous son bras, sa précieuse boîte de cigares, le quatuor
+se précipita sur le jeune infortuné.
+
+--Aôh! fit le vieux pseudo-Britishman affectant un dérisoire accent
+anglais, môa aimer bâocoup les bonnes cigares! Et mon fame aussi les
+bonnes cigares! Et ma baby aussi aimer les bonnes cigares! Et mon
+petit miss aussi aimer les bonnes cigares!
+
+Malheureusement, les jeunes gens ne s'en tenaient pas à ce discours
+de mascarade; en moins de temps qu'il n'en faut pour l'écrire, ils
+avaient ouvert la boîte et saisi, chacun, un excellent spécimen de
+cette coûteuse marchandise.
+
+Le pauvre petit avait beau se débattre, que faire contre une foule
+absurde à qui l'infortune d'autrui jette un aliment de plus dans le
+foyer des déchaînements et des folies!
+
+Rien de contagieux comme l'exemple!
+
+(J'ai stipulé dans mon testament une récompense de 100,000 fr. au
+savant qui découvrira le microbe de l'exemple.)
+
+Encouragés par les mignonnes dimensions du petit groom, quelques
+intrépides gaillards achevaient de piller la boîte de cigares.
+
+Comme de juste, le pauvre gosse n'osa point rentrer (ce en quoi il
+eut bien tort, car les clubmen étaient tellement saouls qu'ils ne se
+souvenaient plus de rien).
+
+Tout le reste de la journée et toute la nuit, il erra sur les
+boulevards, dépensant les trois louis qu'on lui avait rendus sur son
+billet de cent francs en confetti, en _rigolos_, en toutes sortes de
+divertissements.
+
+Au petit matin, après un court sommeil dans un massif des
+Champs-Élysées, le petit groom fut la proie pantelante du cruel
+désespoir.
+
+Un long serpentin pendait de la branche d'un arbre presque jusqu'au
+sol.
+
+L'enfant grimpa sur une chaise, fit un noeud coulant au ruban de
+papier, y passa la tête et, d'un coup de pied, s'envoya dans le
+paradis des tout petits grooms à qui les cohues stupides font de
+vilaines blagues...
+
+Comme je le disais en commençant, c'est un fait-divers à la fois banal
+et triste.
+
+
+
+
+GAUDISSART S'AMUSE
+
+
+Et il a bien raison de s'amuser Gaudissart, pendant qu'il est jeune!
+
+La vie est un pont, morne pont qui réunit les deux néants, celui
+d'avant, celui d'après.
+
+Or, que faire sur un pont, à moins que l'on n'y danse tous en rond,
+ainsi que cela se pratique notoirement sur le pont d'Avignon?
+
+_Gaudeamus igitur_, mes frères, et laissons les gens graves souffler
+ridiculement dans de ridicules baudruches qu'ils considèrent ensuite
+tels des blocs de Paros.
+
+Voilà pourquoi j'aime les voyageurs de commerce, gens gais,
+philosophes et qui s'arrangent toujours pour _take a smile with life_,
+comme disent les Anglais.
+
+Nous nous trouvions donc réunis, quelques-uns de ces messieurs,
+plusieurs chasseurs et moi, un récent soir, dans l'estaminet de la
+bonne auberge d'un voisin gros bourg.
+
+Le patron du lieu est un fort brave homme légèrement candide et d'une
+indérapable complaisance.
+
+Chacun le surnomme--je n'ai jamais su pourquoi--le père Becquenfleur.
+
+Nul d'entre nous n'avait sommeil, et bien qu'on dût se lever de fort
+bonne heure le lendemain, personne ne se souciait d'aller se coucher.
+
+Vite conclue, la connaissance entre les voyageurs et nous tourna plus
+vite encore à la cordialité parfaite.
+
+Ces messieurs, d'ailleurs, étaient tous charmants.
+
+L'un deux proposa:
+
+--Voulez-vous qu'on fasse une bonne blague au père Becquenfleur?
+
+Assentiment unanime.
+
+Voilà notre farceur qui se pose juste en face de la vieille et
+ancestrale horloge et qui, dodelinant de la tête, l'index tendu,
+accompagne d'un balancement rythmique de tout son corps le mouvement
+du balancier.
+
+Entre le père Becquenfleur?
+
+--Zut! s'écrie le fumiste, c'est trop difficile!... C'est même
+impossible.
+
+--Quoi donc qu'est impossible? s'informe l'ingénu bonhomme.
+
+--Se mettre en face d'une horloge et suivre, le doigt tendu et en
+balançant le corps, le mouvement du pendule, tout cela, pendant cinq
+minutes, et sans ouvrir la bouche.
+
+--C'est si difficile que ça?
+
+--Je vous dis que c'est impossible.
+
+--Allons donc!
+
+--Voulez-vous parier?... Tenez, je vous parie du champagne pour toute
+la compagnie que vous n'y arrivez pas.
+
+Le père Becquenfleur se gratte la tête, suppute et tient la gageure.
+
+Pas un spectacle au monde ne me semblera jamais d'un comique
+comparable à celui que nous eûmes alors sous les yeux.
+
+Le père Becquenfleur, serrant les lèvres farouchement, pour ne pas
+parler, avait contracté un mouvement qui rappelait celui de ces ours
+assis sur leur derrière et qui se balancent en mesure.
+
+Pendant ce temps, l'un de ces messieurs courait à la cuisine et
+prévenait la mère Becquenfleur.
+
+--Je ne sais pas ce qu'a votre mari... un coup de folie subite
+probablement. Il vient de s'installer devant son horloge, et il se
+balance comme cela, regardez, sans dire un mot... Vous devriez bien
+venir, nous sommes tous inquiets!
+
+Un peu sceptique--elle en a tant vu, la pauvre femme!--la mère
+Becquenfleur consent tout de même à se déranger, et quelle n'est point
+son épouvante en constatant la parfaite véracité du récit du voyageur!
+
+Elle se précipite sur son mari:
+
+--Eh bien! quoi, mon bonhomme, qu'est-ce qu'il y a? Qu'est-ce qui te
+prend? Mais parle donc!
+
+Tout à l'idée de gagner son pari, le père Becquenfleur continue son
+dandinement et s'opiniâtre dans son mutisme.
+
+La mère Becquenfleur se démente alors et clame:
+
+--Maria! Augustine! Allez vite quérir le médecin! Mon pauvre bonhomme
+qu'est devenu fou!
+
+Épouse dévouée, elle se jette en larmes sur son mari, le serre dans
+ses bras!
+
+--Bougre de vieille g...! s'écrie alors le père Becquenfleur. Tu viens
+de me faire perdre au moins six bouteilles de champagne!
+
+Et tous de rire.
+
+
+
+
+DE L'INUTILITÉ DE LA MATIÈRE
+
+
+Un fait des plus curieux et--je crois--sans précédent, vient de
+s'accomplir à l'Hôtel des Invalides, non sans jeter une énorme stupeur
+dans le petit monde de ces glorieux débris.
+
+Deux pensionnaires de l'établissement, le nommé A... et le nommé
+B..., s'étaient pris, depuis longtemps, l'un pour l'autre, d'une vive
+animosité.
+
+A... qui, au siège de Sébastopol, eut les deux cuisses gelées et, par
+la suite, amputées, est bien entendu, cul-de-jatte.
+
+B..., lui, s'est vu, à Magenta, emporter les deux bras par un boulet
+(d'origine que tout porte à croire autrichienne): il est donc manchot.
+
+Sempiternel motif de leurs discussions: la supériorité de la campagne
+de Crimée sur la guerre d'Italie, et réciproquement.
+
+Dimanche dernier, vers le soir, les deux vieux braves, qui, des
+boissons fermentées, avaient fait usage excessif, redoublèrent
+d'acrimonie dans leurs propos.
+
+B..., le manchot, alla même jusqu'à insinuer que le siège de
+Sébastopol n'était pas autre chose qu'une plaisanterie franco-russe
+des plus anodines et que, d'ailleurs, les Russes, c'est bien connu,
+aiment tant les Français qu'il leur répugnerait de tirer le moindre
+coup de fusil sur leurs alliés. Et puis, ajoutait-il, avoir les
+cuisses gelées, voilà-t-il pas une grande gloire! Un accident, tout au
+plus, à peine digne d'un hôpital civil.
+
+A.... le cul-de-jatte, perdit patience:
+
+--Si tu répètes ça, s'écria-t-il, je te f... mon pied dans le c...
+
+B... le répéta.
+
+Il n'avait pas plutôt terminé sa phrase que A... oubliant ses deux
+jambes restées là-bas, se levait, et avec une prestesse qu'on n'aurait
+pas attendue de lui, faisait le tour de B... et lui flanquait _son
+pied_ dans le derrière.
+
+Le manchot pâlit sous l'injure, puis, grinçant des dents, fou de rage,
+gratifia par deux fois son insulteur de soufflets retentissants; après
+quoi, se précipitant sur lui, il se disposait à l'étrangler de ses
+_deux poings_ crispés.
+
+Les témoins de cette scène pénible intervinrent alors et mirent fin au
+scandale.
+
+Hein! Qu'est-ce que vous pensez de ma petite histoire?
+
+Un cul-de-jatte qui flanque des coups de pieds dans le derrière d'un
+manchot lequel riposte par des giffles!!!
+
+Vous haussez les épaules.
+
+Fort bien, c'est si facile de hausser les épaules!
+
+Mais de ces autres et suivantes histoires, que direz-vous?
+
+Je vous laisse la parole, mon colonel:
+
+«Je connais une jeune personne dont on avait amputé la cuisse;
+plusieurs fois elle s'est tenue et a fait quelques pas _sur ses deux
+jambes_, c'est-à-dire sur la jambe non amputée et sur la jambe de
+fluide vital; c'était ordinairement en sortant de son lit. Sa mère,
+témoin, était obligée de s'écrier:
+
+«_Ah! malheureuse! Tu n'as pas ta jambe de bois!_»
+
+» Un médecin de mes amis m'a assuré avoir vu un officier, dont la
+cuisse avait été amputée, marcher jusqu'au milieu de sa chambre sans
+s'apercevoir qu'il n'avait pas sa jambe de bois, et ne s'arrêter que
+lorsqu'il en faisait la réflexion; alors la jambe de fluide vital
+n'avait plus la force de supporter le poids de son corps.»
+
+Haussez-vous encore les épaules?
+
+Oui.
+
+Eh bien! vous n'êtes pas poli pour l'armée, car ces deux dernières
+histoires de jambes de bois sont textuellement extraites du livre de
+M. le lieutenant-colonel Albert de Rochas sur _l'Extériorisation de la
+sensibilité_.
+
+Ah! ah! vous ne rigolez plus, mes drôles!
+
+Vive l'armée!
+
+
+
+
+LA SÉCURITÉ DANS LE CHANTAGE
+
+
+Je reçois d'un _fidèle lecteur_ la lettre suivante à laquelle je ne
+veux pas changer le moindre _iota_, bien que j'en réprouve hautement
+l'immorale tendance.
+
+Le sujet que recèle cette missive m'a semblé assez ingénieux pour
+amuser, durant quelques minutes, la masse croissante et si fine de nos
+lecteurs.
+
+«Cher monsieur Allais,
+
+» Malgré tous vos louables efforts pour imprimer à l'industrie
+un mouvement ascensionnel, pour engrener la science sur des rails
+inédits, pour,--en un mot--renouveler la face du monde actif, les
+affaires--(il est lamentable de le constater)--marchent de mal en pis,
+le commerce ne bat plus que d'une aile, le marché devient de plus en
+plus lourd, comme disent les agioteurs.
+
+» Pour peu qu'ils soient probes, les trafiquants se voient destinés à
+une ruine certaine doublée d'un déshonneur imminent.
+
+» C'est, pénétré de ces tristes remarques que je me suis décidé, dans
+ma hâte de jouir des bienfaits de la vie, à me mettre voleur.
+
+» Tout aussi propre à exercer que n'importe quel commerce, le vol
+possède l'avantage d'enrichir plus vite celui qui le pratique et
+d'apporter à l'existence plus d'imprévu que ne saurait le faire le
+métier le moins monotone.
+
+» Je me suis composé, monsieur, une moralité aussi haute que celle
+émanant du Code Napoléon.
+
+(Napoléon! Ça lui allait bien, à celui-là, de codifier la protection
+de la vie humaine et de la propriété!)
+
+» Je ne vole que les riches, et c'est du superflu de ces messieurs que
+je forge mon nécessaire.
+
+» Jusqu'à présent, n'est-ce pas, mon cher Allais, rien
+d'extraordinaire; mais voici éclater mon originalité:
+
+» Non seulement je me moque du Code, mais aussi je me ris de la
+maréchaussée.
+
+» Je me suis rendu imprenable, ou à peu près (car, en ce bas-monde, on
+ne peut répondre de rien).
+
+» Aidé d'une femme remarquablement intelligente, ma maîtresse, je
+dérobe (et rien n'est plus facile) les enfants en bas âge appartenant
+à des familles riches.
+
+» Le soir même de ce rapt, la famille riche du bébé reçoit, par
+une voie mystérieuse, une lettre et un panier renfermant un pigeon
+voyageur.
+
+» La lettre dit en substance: « Famille riche, si tu veux revoir ton
+pauvre enfant, insère dans la pochette attachée au cou du présent
+pigeon, dix jolis billets de mille francs, et demain matin, à la
+première heure, ton pauvre sale gosse te sera rendu.»
+
+» Ce truc si simple ne rate jamais; allez donc suivre un pigeon
+voyageur dans les hautains firmaments!
+
+» Mon pigeonnier est établi dans une nation voisine de la France, en
+un petit endroit plutôt écarté dont vous m'excuserez de ne pas vous
+indiquer l'adresse exacte.
+
+» Et puis, tout cela, entre nous, n'est-ce pas, car ce genre
+d'industrie un peu spéciale ne gagne rien à une publicité, si
+intelligente soit-elle.
+
+» Je serre, cher monsieur Allais, votre rude main caleuse de
+travailleur opiniâtre.
+
+ Signature illisible,
+ _Pas d'adresse_.
+
+Où s'arrêteront l'audace et l'ingéniosité des malfaiteurs? C'est
+ce que se demandent les honnêtes gens, non sans une certaine
+appréhension.
+
+
+
+
+SENTINELLES, VEILLEZ!
+
+
+Aux yeux de tous les personnages compétents, le chien est appelé à
+jouer un rôle considérable dans les grandes guerres européennes.
+
+Chiens sentinelles, chiens éclaireurs, chiens anticyclistes, chiens
+estafettes, on les met à toutes les sauces, les pauvres toutous.
+
+Dans ce curieux sport, l'Allemagne, sans contredit, marche à la tête
+des autres nations militaires, et, chaque jour, c'est à qui de MM. les
+officiers prussiens imaginera une nouvelle application du chien à un
+emploi militaire.
+
+Me promenant récemment dans les environs les moins explorés de
+Koenigsberg, j'ai été assez heureux pour assister (par le plus
+grand des hasards, d'ailleurs, car je m'étais trompé de route) à des
+exercices infiniment suggestifs et qu'il importe de dévoiler au plus
+tôt.
+
+On jugera de la stupeur qui m'envahit quand, d'un petit bois où je me
+trouvais égaré, j'aperçus la scène suivante:
+
+Des soldats français et des soldats russes (je crus rêver!) ou
+plutôt--disons-le dès maintenant--des Allemands déguisés en Français
+et en Russes, fantassins, cavaliers, artilleurs, etc., etc., donnaient
+à manger à une forte meute de chiens, de ces gros chiens comme on en
+rencontre dans les Flandres, qui traînent des voitures à lait.
+
+Et c'étaient des caresses, et c'étaient des bonnes paroles et de gros
+morceaux de viande!
+
+Quand les chiens furent bien gavés, tous ces faux Français, tous ces
+pseudo-Russes les attelèrent à de petits chariots, les attachèrent à
+des piquets, grimpèrent à cheval et disparurent bientôt au loin.
+
+Quelques instants plus tard surgissaient d'autres soldats, d'uniforme
+allemand ceux-là, qui se précipitèrent sur les chiens à coups de pied,
+à coups de fouet, et arrachant aux pauvres animaux les quelques os
+qu'ils rongeaient encore.
+
+Après quoi, ils les détachèrent au son de mille horribles clameurs.
+
+Comme bien vous le pensez, les infortunées bêtes n'attendirent point
+leur reste: en quelques minutes, tous les chiens, au grand galop,
+avaient rejoint leurs bienfaiteurs français et russes, là-bas, dans la
+campagne.
+
+Qu'est-ce que cet étrange manège pouvait bien signifier?
+
+Je résolus d'en avoir le coeur net et, au risque de me faire coffrer,
+je prolongeai mon séjour à Koenigsberg, poursuivant sans relâche et
+avec une remarquable intelligence mes patriotiques investigations.
+
+La conversation d'un lieutenant pris de boisson me mit bientôt au
+courant.
+
+Les chiens dont je viens de parler sont en cas de guerre, dressés
+à fuir, eux et leurs attelages, les troupes allemandes, pour aller
+rejoindre ces Français, ces Russes, dont ils n'ont jamais reçu que de
+bons traitements.
+
+Les petites voitures qu'ils traînent derrière eux seront alors
+chargées d'effroyables substances dont l'explosion mettra fin à des
+milliers d'existences.
+
+Le moment de la détonation peut être déterminé à une seconde près,
+grâce à un système d'horlogerie qu'on règle selon la distance qui
+sépare de l'ennemi.
+
+Et ça n'est pas plus difficile que ça!
+
+J'ajouterai que, ces chiens étant rendus aphones par une opération
+chirurgicale et les roulements des chariots se faisant sur caoutchouc,
+pas un bruit ne saurait révéler l'approche de cette terrible et
+ambulante machine infernale.
+
+Messieurs les Français, vous voilà avertis!
+
+
+
+
+UN BIZARRE ACCIDENT
+
+
+Voulez-vous, mes petits amis, pour nous délasser un instant de la
+fixité de nos regards vers l'Est, jeter un léger coup d'oeil sur
+le laps de ces trente derniers ans passés, et alors, nous serons
+stupéfaits en considérant les progrès énormes accomplis par la
+pratique du vélocipède.
+
+Avant les regrettables événements de 70-71, le vélocipède existait
+bien, mais sous la forme de rares spécimens. (Vous êtes trop jeunes
+pour vous rappeler cela.)
+
+Il n'avait pas, d'ailleurs, revêtu la forme que nous lui connaissons
+actuellement, et même il prêtait au sourire de la grande majorité des
+Français d'alors.
+
+Quelques rares originaux et qui ne craignaient point d'affronter les
+ricanements de leurs contemporains faisaient, seuls, usage de bicycles
+(comme on désignait les dites machines) et s'attiraient des piétons la
+spirituelle appellation _d'imbéciles à roulettes_!
+
+Comme c'est loin, tout ça!
+
+Aujourd'hui, en dépit de quelques grincheux, le cyclisme semble être
+entré définitivement en nos moeurs.
+
+Dans les bourgades les plus reculées, on rencontre de nombreux
+vélocipédistes dont certains appartiennent parfois à d'humbles
+conditions, car, ainsi que la démocratie, la bicyclette coule à pleins
+bords.
+
+Je n'entreprendrai pas l'apologie de ce nouveau mode de locomotion:
+des plumes autrement autorisées que la mienne l'ont déjà fait avec
+un rare bonheur. (Avez-vous lu _Voici des ailes_, de Maurice Leblanc?
+Non. Eh bien, lisez-le, et vous me remercierez du tuyau.)
+
+Ah! dame! la bécane procure quelquefois de petits ennuis. Cette
+médaille a un côté pile, ou plutôt _pelle_, pas toujours drôle, sans
+compter le passage du sportsman sous la roue de pesants camions, ou
+le piquage de tête dans les gouffres embusqués au coin d'insidieux
+tournants.
+
+Ou des accidents plus étranges encore, témoin celui que voici:
+
+Dimanche dernier, un groupe joyeux d'environ vingt vélocipédistes
+de l'A. T. C. H. O. U. M. (_Association des Terrassiers Cyclistes du
+Havre et des Organistes Unis de Montivilliers_) remontait, en peloton
+compact, le chemin creux qui, partant de la route de Cabourg à
+Étretat, aboutit au plateau de Notre-Dame de Grâce, près Honfleur.
+
+Tout à coup, pareillement au crépitus d'un canon à tir rapide, une
+série de détonations déchira l'air.
+
+Les vingt pneux des camarades venaient d'éclater.
+
+(Accident? Malveillance? C'est ce que l'enquête ouverte par
+l'A.T.C.H.O.U.M. établira.)
+
+Nos gaillards eurent bientôt fait de réparer le désastre, mais au
+moment où, d'un énergique et simultané travail, ils regonflaient leurs
+pneumatiques, voici qu'ils tombèrent tous sur le sol, en proie à des
+mouvements spasmodiques, et comme asphyxiés, les pauvres!
+
+L'explication du phénomène est bien simple: les vingt-cinq pompes de
+ces messieurs, absorbant l'air ambiant pour l'enfourner au sein
+des caoutchoucs, avaient fait le vide dans le chemin creux et les
+cyclistes subissaient les affres du petit oiseau que, dans les
+laboratoires, on met sous la cloche de la machine pneumatique.
+
+L'accident, par bonheur, n'eut pas de suite, une forte brise
+ayant ramené de l'air dans ces parages; mais tous les affiliés de
+l'A.T.C.H.O.U.M. ont bien juré que cette mésaventure leur servirait de
+leçon.
+
+
+
+
+PÉNIBLES DÉBUTS
+
+
+Une des premières visites que fit ce jeune homme, débarquant à Paris,
+fut pour moi, moi son vieux concitoyen.
+
+--Une place? lui répondis-je, une belle place? Vous cherchez une belle
+place?
+
+--Dam! aussi belle que possible.
+
+--Eh bien, mon cher ami, je puis vous en indiquer une superbe!
+
+--Ah! vraiment. Laquelle?
+
+--La place de la Concorde.
+
+Cette facile plaisanterie, vieille déjà de pas mal d'années, continue
+à m'enchanter comme aux premiers jours (ainsi certains vieillards
+conservent jusqu'au seuil du sépulcre la plus réjouissante
+allégresse).
+
+Le jeune homme consentit à sourire, mais je vis bien qu'il ne goûtait
+pas intégralement ma petite facétie.
+
+Pour le remettre en joie, je l'entraînai vers un bar voisin que je
+connais et où l'on rencontre le seul gin buvable de Paris.
+
+Un vieux camarade, étrange type et fertile en avatars, s'y trouvait
+déjà.
+
+--Comment va?
+
+--Et toi?... Rien de neuf?
+
+Je présentai mon jeune ami au personnage.
+
+Justement cela tombait bien, le personnage venant d'acquérir un
+journal du soir et recrutant pour son organe une rédaction jeune,
+ardente et pas encore compromise. C'était touchant d'entendre le
+monsieur parler de la sorte.
+
+Il fut convenu que mon protégé ferait partie du vespéral canard en
+question et qu'il écrirait chaque jour un _Croquis de Paris_ de vingt
+ou trente lignes.
+
+--Mais, protestait mollement le jouvenceau, je ne sais pas si je
+saurai, moi d'hier à Paris, écrire des choses bien parisiennes.
+
+--Au contraire, mon garçon! affirmait l'autre. Ce sera bien mieux
+ainsi. Vous verrez Paris sous l'angle charmant de vos yeux ingénus
+et vous le décrirez d'une plume non encore souillée des mille
+compromissions de la capitale!
+
+(Mon vieux camarade use parfois de ces termes grandiloquents.)
+
+--Alors, entendu.
+
+--Quant aux appointements,--je vous avoue que je suis pour l'instant
+un peu serré,--je ne saurais donc vous gorger d'or. Je vous offre
+150 fr. par mois--somme dérisoire, je le sais... Ce sera pour vos
+cigares...
+
+--Je ne fume pas.
+
+--Tous mes compliments, jeune homme; je voudrais pouvoir en dire
+autant.
+
+Ce fut donc convenu.
+
+Dès le lendemain, le jeune homme entrait en fonctions.
+
+Chaque jour, il abattit son petit _Croquis de Paris_, pas plus mal
+qu'un autre, ma foi, et même souvent de fort gentille tournure.
+
+À la fin du mois, un peu ému, il se présentait à la caisse.
+
+--Vous désirez? fit l'argentier.
+
+--Je suis M. Un Tel, j'appartiens depuis un mois à la rédaction du
+journal, à raison de 150 fr. par mois, lesquels cent cinquante francs
+j'aimerais bien toucher à cette heure.
+
+--Je n'ai pas d'ordre, monsieur. Voyez le directeur.
+
+D'un bond, le jeune homme était chez le directeur.
+
+--On refuse à la caisse de me régler mon traitement de ce mois.
+
+--Quel traitement?
+
+--Les 150 fr. que vous m'avez promis.
+
+--Pardon, jeune homme, je vous ai, en effet, promis 150 fr.; mais,
+avais-je ajouté, c'était pour vos cigares. Or, vous m'avez déclaré
+vous-même que vous ne fumiez pas.
+
+--!!!!!
+
+
+
+
+LA SCIENCE ET LA RELIGION--ENFIN--MARCHENT LA MAIN DANS LA MAIN
+
+
+(_Panneau allégorique_)
+
+Vous souvient-il de cette amusante scène d'une vieille opérette
+d'Hervé, dans laquelle, un homme venant d'avoir l'oeil crevé par
+accident, arrive le médecin mandé à la hâte?
+
+Au lieu de se ruer vers le plus immédiat des pansements, l'homme de
+l'art s'assied dans un fauteuil, et, doctoralement, s'informe des
+antécédents, et surtout des ascendances du blessé.
+
+--N'auriez-vous pas eu, s'enquiert-il, dans vos parents, quelqu'un qui
+fût sujet aux affections des yeux?
+
+Aux temps héroïques de l'admirable Hervé, les microbes n'existaient
+pas, ou plutôt ils existaient mais n'avaient pas encore essuyé
+l'effroyable publicité qui sévit sur eux depuis quelques années et
+dont ils se passeraient si bien, d'ailleurs.
+
+Sans cela, Hervé eût complété sa plaisanterie et, sur des rythmes
+loufoques, expliqué que l'accident du bonhomme provenait, non point
+d'un cruel traumatisme comme on aurait pu se l'imaginer, mais bien
+de l'existence préalable d'un virulent microbe, le microbe de l'oeil
+crevé.
+
+Ne riez pas, frivoles lecteurs!
+
+Si nous n'avons pas encore le microbe de l'oeil crevé, nous détenons,
+au moins, celui du coup de soleil!
+
+Ne continuez pas à rire, captivantes lectrices!
+
+Le microbe de l'insolation vient d'être découvert et isolé par un
+médecin autrichien, si j'en crois (et j'en crois) la docte Causerie
+scientifique de notre savant et pittoresque confrère Henry de Varigny
+(le _Temps_, de samedi dernier).
+
+Oui, mesdames et messieurs, l'insolation n'est plus un accident dû
+à la chaleur, il devient l'effet d'une infection microbienne que--le
+savant autrichien consent à admettre ce léger détail--favorisent les
+hautes températures.
+
+«Cette méchante bestiole--je copie mon auteur--se tient avec
+prédilection dans la poussière du sol; elle hante surtout les routes
+un peu encaissées où elle guette le passant pour se précipiter dans
+ses poumons, tandis qu'il halète, et l'infecter.
+
+» Il est vrai que le nombre et la variété des microbes qui se peuvent
+rencontrer dans la poussière de nos routes sont grands, et, dès lors,
+le signalement manque de précision. Apprenez alors que ce microbe
+présente encore ce caractère de ressembler beaucoup au microbe de la
+petite vérole.»
+
+Suivent quelques lignes sceptiques de notre chroniqueur physiologiste.
+
+Je ne partage pas, moi, l'affreux doute de M. de Varigny, et je me
+rallie à cette doctrine panmicrobiste qui rassemble déjà tant de
+passionnés adhérents.
+
+Et celui qui tient en moi ce langage, ce n'est pas tant le savant
+austère que le catholique fervent.
+
+La prescience de Dieu, l'intégrale prescience de Dieu, n'est-ce point
+le dogme indiscutable, fondamental et sacré?
+
+Alors quoi d'étonnant à ce que Dieu, lequel a créé les microbes, comme
+il a créé toutes choses et tous êtres, quoi d'étonnant à ce que
+Dieu opère d'avance une sage distribution, bien raisonnée, de ces
+bestioles? À qui doit mourir du choléra, Dieu dépêche les microbes du
+choléra, de même qu'il décerne le microbe du coup de pied dans le cul
+à celui qui doit recevoir un coup de pied dans le cul.
+
+Et maintenant, tas de francs-maçons, ne me parlez plus des conflits de
+la Science et de la Religion!
+
+
+
+
+LE DROIT DE BOUCHON
+
+
+Selon l'usage et comme tous mes confrères, j'ai fermé Vendredi-Saint
+dernier, ma boutique de charcuterie, et suis parti vers la banlieue,
+du côté de Saint-Ouen, hameau réputé pour sa riche floraison en
+tessons de bouteilles.
+
+Il faisait un temps superbe, et même un peu trop chaud pour la saison;
+mais qu'importe la haute température, si l'on est libre!
+
+Être libre, tout est là!
+
+Il vaut mieux rôtir au soleil de l'indépendance que de goûter la
+fraîcheur au sein des cachots du despotisme et de la tyrannie.
+
+Du moins, c'est mon avis.
+
+Donc, nous voilà partis, toute ma famille et moi, la joie au coeur,
+la chanson aux lèvres, en bras de chemise (les messieurs), en léger
+corsage d'indienne (les dames et les demoiselles).
+
+Une guinguette attira soudain nos regards, et surtout nos gosiers, car
+il commençait à faire une soif terrible.
+
+Imaginez une de ces guinguettes à tonnelles, à balançoires, à toutes
+sortes de jeux et divertissements, une de ces guinguettes dont la
+seule vue vous fait pousser aux pieds des ailes de pigeon.
+
+Une grosse enseigne: _Au rendez-vous des Rigolos_ se complétait de
+cette condescendance: _On peut apporter son manger_.
+
+Ayant déjeuné à la maison avant le départ, nous n'avions pas cru
+devoir emporter d'aliments avec nous, et nous le regrettâmes, car,
+grâce au manger dont il nous eût été si facile de nous lotir, nous
+aurions accompli une collation à la fois économique et réconfortante.
+
+C'est le patron lui-même de l'établissement qui nous servit.
+
+Pour dire quelque chose:
+
+--Alors, on peut apporter son manger? dis-je.
+
+--Parfaitement, monsieur, le monde sont libre d'apporter leur manger.
+
+--Et leur _boire_?
+
+--Ah! ça non, par exemple! Si le monde apportaient leur manger et leur
+boire, alors, moi, avec quoi que je me les calerais? Avec des briques?
+
+--C'est trop juste.
+
+--Il y a bien, parbleu, des gens qui ont le culot d'apporter leur vin,
+leur saint-galmier, leur cognac et tout le tremblement. Mais, moi,
+je n'entends pas de cette oreille-là; je leur fais payer un droit de
+bouchon de dix sous par bouteille introduite dans mon établissement.
+
+--C'est un peu cher.
+
+--Si ils ne sont pas contents, ils n'ont qu'à ne pas revenir.
+
+À ce moment, un homme et une femme, cette dernière chargée d'un bébé,
+s'installèrent à une table du _Rendez-vous des Rigolos_.
+
+L'homme demanda une chopine à cinquante et deux verres.
+
+Pendant qu'ils buvaient, la femme allaita l'enfant.
+
+--Patron, cria l'homme désaltéré, payez-vous!
+
+Et il jeta une pièce d'un franc sur la table.
+
+--Ça fait le compte, répondit le patron.
+
+--Comment, ça fait le compte? Mais je vous donne vingt sous!
+
+--Eh bien! justement, une chopine cinquante, plus cinquante pour le
+bouchon de votre petit jeune homme!
+
+Le prolétaire fit une tête!
+
+
+
+
+UNE ÉTRANGE COMPLEXION
+
+
+PROLOGUE
+
+Ayant perdu, fort jeune, son père et sa mère, Georges vivait avec sa
+vieille grand'-maman dont il était la dernière consolation, l'unique
+souci, la seule joie.
+
+
+I
+
+Or, un matin, Georges rencontra dans la rue le type même du charme
+féminin et de l'irrésistible séduction.
+
+Georges ne songea même pas à résister: abandonnant son itinéraire, il
+suivit la jeune personne jusqu'au moment où elle s'engouffra dans un
+établissement dit de bouillon.
+
+Une minute ne s'écoula certainement point avant que Georges ne
+pénétrât lui-même dans le restaurant.
+
+Déjà, la jeune personne ne s'y trouvait plus mais, bientôt, elle
+réapparaissait, affublée d'un joli petit bonnet blanc et d'un tablier
+de même couleur.
+
+Georges (qui n'est pas une bête) conclut que la jeune femme servait
+comme bonne dans la maison.
+
+S'asseyant à l'une des tables dont le service semblait dévolu à la
+petite, il commanda, quoi donc! un bouillon, naturellement.
+
+... Abrégeons.
+
+Dès lors, le coeur de notre pauvre Georges fut pris dans le pire des
+engrenages.
+
+Vingt fois par jour, il revenait s'asseoir à l'une des tables
+d'Eugénie (car vous avez deviné, n'est-ce pas, qu'elle s'appelait
+Eugénie) pour absorber mille aliments divers qu'il s'appliquait à
+choisir aussi légers que possible, mais dont l'ensemble ne laissait
+point que de le gaver tout de même, et solidement.
+
+Ce qu'on peut appeler _se nourrir de prétextes_.
+
+Aussi, c'était, à chaque repas familial, des désolations sans trêve:
+
+--Tu ne manges pas, mon pauvre petit!
+
+--Je n'ai pas faim, bonne maman.
+
+--Il faut se forcer, mon chéri.
+
+--Ça me ferait mal.
+
+--Le plus drôle, c'est que tu ne maigris pas, depuis le temps que tu
+ne manges plus... Tu n'as pas mal quelque part?
+
+--Mais non, bonne maman.
+
+--Tu dors bien?
+
+--Comme le peintre Luigi Loir lui-même.
+
+--Ah! tu as une étrange complexion!
+
+Et comme, en somme, Georges conservait sa bonne mine et sa belle
+humeur, la vieille grand'maman ne s'inquiétait pas outre mesure de cet
+inexplicable manque d'appétit.
+
+
+II
+
+Un jour, la petite bonne du restaurant dit à Georges:
+
+--Il y a du nouveau.
+
+--Ah!
+
+--Je quitte la boîte.
+
+--Ah!
+
+--Oui, on m'a offert une place dans un magasin du boulevard où l'on
+vend un apéritif grec, le Kina Passonrigolo. C'est moi qui tiendrai le
+comptoir de dégustation. Vous me viendrez voir?
+
+Le reste, vous le devinez! (Vous avez bien deviné que la petite
+s'appelait Eugénie.)
+
+Georges remplaça son absorption d'aliments solides par une égale
+consommation d'apéritif breuvage.
+
+Et sa bonne vieille grand'mère fut radieuse de lui voir tant d'appétit
+revenu!
+
+Oui, mais voilà!
+
+(Ou plutôt voici:)
+
+Eugénie, en changeant de fonction, également changea d'âme. De
+vertueuse qu'elle était, elle devint la plus lubrique des maîtresses,
+et le pauvre Georges en vit de dures!
+
+(Eugénie aussi, comme de juste, mais n'insistons pas, rapport à notre
+clientèle de jeunes filles.)
+
+Georges maigrit, maigrit, maigrit!
+
+Et la bonne vieille maman disait tout éplorée:
+
+--Je n'y comprends rien, mon pauvre Georges! Tant que tu ne mangeais
+pas, tu avais une mine superbe, et maintenant que tu dévores, tu as
+l'air d'un déterré! Quelle drôle de complexion!
+
+
+ÉPILOGUE
+
+(_Pour rassurer les familles_)
+
+Un beau jour, Georges s'aperçut qu'Eugénie le trompait avec le Grec
+commanditaire du Kina Passonrigolo. Il plaqua froidement l'infâme
+et se maria avec une jeune fille qui ne le poussa ni à la
+suralimentation, ni à l'extrême apéritivité, ni à autre chose itou,
+comme disent les villageois.
+
+Et la pauvre vieille grand'maman fut joliment contente.
+
+Maintenant, elle peut mourir en paix, dit-elle.
+
+Sans empressement, d'ailleurs.
+
+
+
+
+SCEPTIQUE ENFANCE
+
+
+--Eh bien! mon vieux Georges?
+
+--Eh bien! mon vieux Fifi?
+
+L'appellation de «vieux Georges» désigne un jeune gentleman, mon
+filleul, lequel cingle allègrement vers son huitième printemps.
+
+Le «vieux Fifi» n'est autre que l'honorable signataire de ces propres
+lignes.
+
+--Et le niveau des études?
+
+--Ça se maintient à peu près... Ça ne casse rien, mais ça se
+maintient.
+
+--À quelle branche de la science te voues-tu plus particulièrement?
+
+--Je n'ai pas de préférence, tu sais. C'est bien le même rasoir, tout
+ça... Pourtant, il y a un truc qui m'a vraiment fait rigoler, l'autre
+jour. Imagine-toi que nous avons commencé l'Histoire Sainte.
+
+--Et c'est l'Histoire Sainte...
+
+--Qui m'a gondolé? Oui, c'est ça.
+
+--Il n'y a pourtant pas de quoi.
+
+--Tu crois ça, toi? Eh bien, moi je dis qu'il faut que les curés nous
+prennent sérieusement pour des poires, de nous envoyer des boniments
+comme ça!
+
+--Mon cher Georges, ton âge ne t'autorise pas à tenir un tel langage!
+
+--Qu'est-ce que tu veux, c'est mon caractère, à moi!... Ainsi, la
+création du monde, crois-tu que ça s'est passé comme on le raconte
+dans l'Histoire Sainte?
+
+--Évidemment.
+
+--Tiens, voilà l'effet que tu me fais. (_Il hausse les épaules_).
+Mais, mon pauvre vieux, ça ne tient pas debout, tout ça!--Par exemple,
+les lions, les tigres, les jaguars, de quoi qu'ils se sont nourris, un
+coup que le bon Dieu les a eu créés?
+
+--Ma foi, je t'avouerai...
+
+--Tu ne vas pas me dire qu'ils ont brouté de l'herbe, et mangé du
+pissenlit.
+
+--Je ne dis pas cela.
+
+--Alors quoi! Ils se sont donc mis à boulotter les pauvres moutons,
+les pauvres antilopes que le Seigneur venait de créer. En voilà une
+administration!
+
+--Il y a évidemment là...
+
+--Et les asticots qu'on trouve dans le fromage, et les espèces de
+petites anguilles que tu m'as montrées avec ton microscope dans le
+vinaigre! Où qu'ils étaient, tous ces petits animaux ridicules, avant
+qu'on ait inventé le fromage, le vinaigre et tout le reste?
+
+--Bien sûr que...
+
+--Et tous les sales microbes qui vous fichent un tas de maladies, ça a
+beau être tout petit, c'est des bêtes comme les autres, créées par le
+bon Dieu en même temps que tous les animaux. Eh bien! qu'est-ce qu'ils
+faisaient, où nichaient-ils quand Adam et Ève étaient bien portants,
+car sûr qu'ils en avaient, une santé, ces deux-là!
+
+--Je ne sais pas.
+
+--Et puis, il y a encore quelque chose qui me chiffonne dans toute
+cette histoire-là... Seulement, promets-moi de ne pas dire à maman que
+je t'ai causé de ça.
+
+--Je te le jure.
+
+--Abel et Caïn, ils n'avaient pas de femmes, dis?
+
+--Je ne crois pas.
+
+--Alors, dis-moi comment qu'ils ont fait pour avoir des gosses?
+
+
+
+
+AU PAYS DE L'OR
+
+
+(_Extrait d'une lettre que je reçois à l'instant même d'un de mes amis
+qui est au Klondyke_.)
+
+ * * * * *
+
+«Mais c'est surtout dans les industries à côté qu'on réalise
+d'incroyables et rapides fortunes.
+
+» Tel trafiquant de marchandises rares, tel tenancier de music-hall ou
+de maison de jeu et même tel porteur de colis, gagne plus d'argent que
+certains détenteurs d'excellents _claims_.
+
+» Une bonne idée qui vous vient, et vous voilà une fortune parfois!
+
+» C'est le cas d'un joyeux luron de Canadien français, installé ici
+depuis deux ou trois ans, un nommé Antoine Lescarbille, dont tu as
+peut-être connu jadis le père qui était charretier[3] à Cap-à-l'Aigle.
+
+[Note 3: Au Canada, on appelle _charretier_ les cochers de fiacre,
+et les fiacres, on les appelle des calèches.]
+
+» Ce Lescarbille, après avoir gratté pendant quelques mois le rude
+terrain de Klondyke, s'était vite dégoûté de cette besogne: se
+rappelant son ancienne profession, il se construisit une hutte sur le
+bord du Greenpig Lake et s'établit pêcheur et marchand de poisson.
+
+» Ses affaires prospéraient assez bien, quand un véritable coup de
+génie qu'il eut mit sa fortune au pinacle.
+
+» Il faut te dire que, dans ce damné Klondyke, l'éclairage est une des
+plus fantastiques dépenses auxquelles on ait à faire face.
+
+» Dawson-City est onéreusement éclairé à l'électricité et à
+l'acétylène; mais, en d'autres agglomérations moins importantes, ces
+moyens font défaut, et quand tu sauras qu'on a quatre bougies pour
+un dollar et que le pétrole ne se paye pas moins de cinq dollars le
+gallon, tu ne manqueras pas de reculer d'horreur.
+
+» Notre ami Lescarbille roulait probablement ces pénibles réflexions
+dans sa tête quand, triant son poisson, ses yeux tombèrent sur une
+sorte d'anguille qui, jusqu'à présent, avait causé son désespoir.
+
+» Ce poisson dont je ne saurais préciser le nom ni la classification
+(l'Alaska n'est pas fertile en Lacépèdes) est tellement gras, en
+effet, tellement saturé d'huile qu'il échappe à toute comestibilité,
+et, par conséquent, à tout trafic.
+
+» Mais un éclair de génie venait de fulgurer le crâne de Lescarbille.
+
+»--Ah! cochon, s'écria-t-il, tu ne veux pas nous nourrir! eh bien, tu
+serviras à nous éclairer.
+
+» Antoine Lescarbille avait son idée.
+
+Il fuma, il _boucana_, comme on dit ici, un certain nombre de ces
+anguilles, et puis, quand elles furent bien sèches, certain d'avance
+du résultat, il fit sa petite expérience.
+
+» Allumée à la queue, l'anguille brûla, se consumant lentement,
+produisant la lumière d'une excellente carcel et ne dégageant que peu
+d'odeur et une très légère fumée.
+
+» À cette constatation, Lescarbille bondit de joie si prodigieusement
+qu'il en défonça le rustique plafond de sa hutte, mais les Canadiens
+français ont, Dieu merci, le crâne dur.
+
+» Peu de jours après sa découverte et sans en parler à personne,
+Lescarbille avait obtenu du gouvernement la _charte_ qui lui donnait
+le monopole exclusif de la pêche dans le Greenpig Lake, seul endroit
+où se trouve l'anguille-chandelle.
+
+» Un an après, la vogue de ce nouvel éclairage avait été telle que
+Lescarbille possédait un capital de cent mille piastres qui ne devait
+rien à personne.
+
+» Aujourd'hui, il songe à aller retrouver son joli pays de
+Cap-à-l'Aigle; mais toujours pratique, il est en pourparlers avec une
+maison de banque de Vancouver pour mettre son affaire en actions.
+
+» Je t'envoie ci-inclus un prospectus de _The natural fish candle
+light C° Limited_, si le coeur t'en dit.
+
+» Prétendre qu'introduite à Paris, l'anguille-chandelle deviendrait
+l'éclairage des salons, je ne vais pas jusque-là; mais, tout de même,
+l'affaire me paraît excellente, et si le coeur t'en dit...
+
+» Etc., etc., etc.»
+
+
+
+
+L'INCORRIGIBLE SNOB
+
+
+Un poète a dit excellemment (en termes plus choisis que les ci-joints,
+mais j'en oubliai la teneur exacte) que, si l'on désire se modeler sur
+un grand homme, c'est par ses bons côtés qu'il faut surtout chercher à
+l'imiter.
+
+Réflexion fort sensée, car concevez-vous un monsieur qui s'imaginerait
+égaler Napoléon Ier parce qu'il prise du tabac ou Benjamin Franklin
+parce qu'il parle du nez?
+
+Ce serait grotesque, et rien de plus!
+
+Mon ami Leveau-Sauvage vient pourtant d'être la proie d'une erreur
+aussi stupide.
+
+Mon ami Leveau-Sauvage est un brave garçon d'une trentaine d'années
+dont la laborieuse jeunesse se passa surtout à l'étude approfondie
+des cravates, des chapeaux, des cannes, des chemises et autres pièces
+d'habillement ou d'ornement.
+
+Ayant hérité de sa famille d'une fortune assez considérable, il
+dissipa son patrimoine en moins de temps qu'il n'en faut pour
+l'écrire.
+
+Pendant un an, ce fut le garçon le mieux vêtu de Paris, poussant le
+snobisme jusqu'à faire blanchir à Londres non seulement son linge,
+mais encore le jeune nègre qui lui servait de groom.
+
+Ajoutons que diverses demoiselles haut cotées lui donnèrent un joyeux
+coup de main en vue d'activer l'immanquable déconfiture.
+
+Voilà donc, un matin, mon pauvre ami Leveau-Sauvage sans un sou,
+presque.
+
+Très courageusement, il s'embarqua pour la Nouvelle-Zélande où l'on
+venait de découvrir des champs d'émeraudes.
+
+La fortune lui sourit; toute sa vieille réserve d'énergie, jusqu'à
+ce jour inutilisée, lui vint en aide: bref, en trois ans, il avait
+reconstitué quelques millions.
+
+Le mois dernier, il débarquait au Havre où j'avais l'occasion de le
+rencontrer en je ne sais plus quel music-hall.
+
+Grande joie mutuelle à se revoir!
+
+Le croiriez-vous? depuis son départ de Paris, il n'avait pas lu un
+seul journal français, et je le trouvai barbotant dans l'inconcevable
+marécage de l'ignorance de tous événements modernes, même
+sensationnels.
+
+D'ailleurs, n'est-ce pas, il s'en fichait: un vieux Parisien comme
+lui, on est pas long à reprendre pied dans la vie du boulevard.
+
+(La vie du boulevard!).
+
+--Tu retournes à Paris?
+
+--Pas immédiatement. La traversée m'a beaucoup fatigué; le médecin du
+bord, un charmant garçon très bien élevé, m'a conseillé de passer une
+huitaine de jours en Normandie avant de regagner Paris.
+
+--Où?
+
+--Dans une auberge rustique, située non loin de Trouville, sur le
+bord de la mer. On déjeune sous les pommiers... Viens me voir, c'est
+exquis.
+
+Et il me donna son adresse champêtre.
+
+Quelques jours après, j'arrivai, j'arrivai même légèrement en retard.
+
+Et qu'est-ce que je vis?
+
+Leveau-Sauvage attablé seul, en train de déjeuner, les jambes
+enveloppées d'une couverture, les pieds reposant sur deux autres
+couvertures, dont l'une, celle de dessus, marquée à ses initiales.
+
+Près de lui, debout, se tenait une femme d'un certain âge, qui
+recevait les plats des bonnes de l'auberge, les posait sur la table et
+coupait la nourriture de mon ami en petits morceaux.
+
+--Quoi donc! m'écriai-je, cela ne va donc pas mieux?
+
+--Au contraire, cela va très bien! Je suis entièrement retapé et je
+file, demain, sur Paris.
+
+--Ah!
+
+--Oui, oui... Je vois ce qui t'étonne: ces couvertures, cette femme
+qui me coupe ma viande... mais, mon ami, tu ne sais donc pas que c'est
+le grand chic, aujourd'hui?
+
+--???
+
+--Oui, un tuyau que j'ai eu la veine de piger avant-hier. Le Prince de
+S.... est venu ici même où il a déjeuné exactement dans ce cérémonial
+qui semble te paraître si bizarre!
+
+ * * * * *
+
+Ainsi, mon ami Leveau-Sauvage croyait toujours au _Prince_!
+
+Il ignorait la maladie qui avait frappé le pauvre ex-arbitre des
+élégances parisiennes, et ce qu'il prenait pour une mode nouvelle,
+c'était tout simplement, hélas! la fâcheuse hémiplégie.
+
+
+
+
+FÂCHEUSE ERREUR
+
+
+Appuyée par le mot pressant d'un ami commun, je reçois la supplique
+suivante trop légitime pour que je ne lui offre point l'intégrale
+hospitalité de nos colonnes.
+
+«Cher et bon maître,
+
+» Vous excuserez, j'en suis sûr, la liberté que je prends de vous
+arracher à vos importants travaux quand vous connaîtrez le mobile qui
+me fait agir.
+
+» Vous êtes le défenseur né des nobles causes et vous détenez la
+tribune du haut de laquelle on s'adresse à l'humanité, certain d'être
+entendu.
+
+» Accordez-moi pour quelques instants, s'il vous plaît, un strapontin
+dans cette tribune.
+
+» Peut-être, au cas où vos chères études vous en ont laissé le loisir,
+avez-vous lu dans les journaux de ce matin le fait-divers suivant,
+relatant une scène dont je fus le témoin:
+
+» _Un fou à la gare Saint-Lazare_.--Hier, vers quatre heures de
+l'après-midi, dans un compartiment de seconde classe d'un train de
+Ceinture, un monsieur correctement vêtu, portant à la boutonnière la
+rosette d'officier du Mérite Piscicole, racontait à ses compagnons
+de voyage qu'il venait de se brûler les doigts en déplaçant l'une des
+bouillottes destinées à faire croire au chauffage du compartiment.
+Devant une affirmation aussi invraisemblable, faite sur le ton du plus
+grand sang-froid, les compagnons de voyage du malheureux, devinant
+à qui ils avaient affaire, remirent le pauvre fou aux mains du
+commissaire spécial qui, après un sommaire interrogatoire, le fit
+conduire à l'infirmerie du Dépôt.
+
+» J'assistai, comme je l'ai dit plus haut, à cette pénible scène.
+
+» Dans le premier moment, personne ne songea, démarche pourtant bien
+naturelle, à vérifier le dire du monsieur décoré. Ce n'est que lorsque
+le train eut quitté la gare que l'idée me vint de tâter la bouillotte,
+cause première de l'incident.
+
+» Phénomène étrange et pourtant véridique--je le jure!--_ma main
+s'échauffa à ce contact_.
+
+» Le malheureux que nous avions fait arrêter n'était pas fou. Tout au
+plus s'il avait légèrement exagéré.
+
+» Ma conscience d'honnête homme m'obligeant à réparer, dans la mesure
+du possible, l'erreur que j'ai contribué à commettre, je viens vous
+demander, cher et bon maître, de mettre votre plume si autorisée au
+service de cette petite cause; mais en matière de justice est-il de
+petites causes?
+
+» Par la même occasion, vous pourrez prémunir vos lecteurs contre
+cette nouvelle sorte d'accidents de chemins de fer non prévue chez les
+Compagnies d'assurances: _la brûlure par bouillottes_.
+
+» Veuillez agréez, etc., etc.
+
+ » Eleuthère Melon, herboriste,
+ » 69, rue Malthus.»
+
+Mon honorable correspondant s'est trop éloquemment exprimé pour que
+j'éprouve le besoin d'ajouter un mot.
+
+L'éprouverais-je, d'ailleurs, que le temps matériel m'en ferait
+défaut.
+
+Alors!...
+
+
+
+
+MORALES RELATIVES
+
+
+La scène se passe au tribunal correctionnel d'Andouilly-sur-Tourte:
+
+LE PRÉSIDENT.--Noms et prénoms?
+
+LE PRÉVENU.--Duculot (Georges-Adrien).
+
+LE PRÉSIDENT.--Votre âge?
+
+LE PRÉVENU.--Vingt-six ans.
+
+LE PRÉSIDENT.--Profession?
+
+LE PRÉVENU.--Marchand de journaux.
+
+LE PRÉSIDENT, _méprisant_.--Si nous disions _camelot_, plutôt?
+
+LE PRÉVENU, _non offusqué_.--Disons _camelot_, si ça peut vous faire
+plaisir, mon président. Le métier de camelot est une profession
+d'homme libre de laquelle il n'y a pas à rougir.
+
+LE PRÉSIDENT.--Vous êtes accusé d'avoir volé un lapin au préjudice
+du sieur Lapoire (Placide), fermier à Coquinville. Qu'avez-vous à
+répondre?
+
+LE PRÉVENU.--Rien de bien intéressant. J'ai, en effet, dérobé le dit
+lapin audit Lapoire.
+
+LE PRÉSIDENT.--Les renseignements recueillis sur vous sont favorables.
+Vous n'avez jamais subi de condamnation. Votre passage dans l'armée
+s'est accompli sans punitions graves et même vous avez eu la médaille
+militaire à la suite de plusieurs campagnes au Sénégal.
+
+LE PRÉVENU.--Je ne cherche pas à le nier.
+
+LE PRÉSIDENT.--Et c'est un bon soldat comme vous qui va se déshonorer,
+qui va traîner sa médaille dans la boue en volant le lapin d'un
+honnête cultivateur! Vous ne rougissez pas, Duculot?
+
+LE PRÉVENU.--Je ne rougis pas, monsieur le président, ou si je rougis,
+c'est au souvenir du peu d'importance de ma _razzia_.
+
+LE PRÉSIDENT.--Votre _razzia_! Ce que vous appelez votre _razzia_
+n'est autre chose qu'un excellent vol.
+
+LE PRÉVENU.--En Europe, je ne dis pas; mais en Afrique, nous appelons
+ça une _razzia_. Quand un poste avancé manque de provisions: à cheval,
+messieurs! on s'en va à la recherche d'une centaine de boeufs qu'on
+trouve dans les villages noirs des environs. Si les nègres font de
+la rouspétance, on leur envoie quelques pruneaux Lebel qui leur
+inculquent vite la notion du silence. Les messieurs qui commandent ces
+_razzias_ sont couverts de galons et d'honneurs. Plus ils ont tué de
+nègres et raflé de bestiaux, plus ils sont galonnés et décorés.
+
+LE PRÉSIDENT.--Où voulez-vous en venir?
+
+LE PRÉVENU.--À ceci, monsieur le président, qu'à force d'avoir
+pratiqué ce métier pendant trois ans en Afrique, je suis arrivé à me
+créer une _mentalité_ nouvelle et à voir mes idées sur la propriété
+tant soi peu embrumées. Quand j'ai volé le lapin du petzouille en
+question, je me croyais encore dans la boucle du Niger..........
+Heureusement que je n'avais pas de flingot, j'aurais été fichu de le
+dégringoler, l'honnête cultivateur... L'habitude, vous savez!
+
+Le tribunal, après avoir délibéré quelques instants, décerne à
+notre ami Duculot une jolie pièce de trois mois de prison, en
+regrettant--étant donné le cynisme et le mauvais esprit dont l'inculpé
+a fait preuve au cours de son interrogatoire--de ne pas le faire
+bénéficier de la loi Bérenger.
+
+Duculot se retire entre ses deux gendarmes et murmure joyeusement:
+
+--Trois mois pour un lapin, ça n'est pas fichtre donné!... Alors, si
+j'avais volé un éléphant, qu'est-ce que je prendrais!...
+
+
+
+
+NOUVELLES ET GRAVES COMPLICATIONS DIPLOMATIQUES
+
+
+Le conflit égypto-anglo-français, loin d'entrer dans la voie
+d'apaisement si souhaitée par tous les bons esprits, vient, au
+contraire, de s'aviver cruellement d'un élément nouveau.
+
+Laissant aux diplomates des deux côtés de la Manche le soin d'arranger
+cette regrettable et cuisante affaire, contentons-nous de relater les
+faits, sans y ajouter la moindre passion personnelle.
+
+Le sirdar Kitchener, débarqué, hier, à Paris, en vue d'y passer
+quelques jours, fit, au débotté, une visite à l'ambassade britannique.
+
+Les propos qui s'échangèrent entre lord Kitchener et sir Edmund
+Monson, nous les ignorons: ils n'ont, très probablement d'ailleurs,
+aucun rapport avec ce qui se passa ensuite.
+
+Le Sirdar sortit, vers quatre heures, de l'ambassade et gagna l'avenue
+des Champs-Élysées qu'il descendit jusqu'à la place de la Concorde.
+
+Dès qu'il fut arrivé là, les regards de notre gentleman furent attirés
+par ce monolithe si connu des Parisiens et qu'on désigne sous le nom
+un peu arbitraire, d'ailleurs, d'Obélisque de Louqsor.
+
+D'un coup d'oeil, l'Anglais devina l'origine du monument.
+
+Il s'en approcha, en fit le tour, remarqua la présence, en dedans de
+la grille, d'un homme entre deux ou trois âges, vêtu de l'uniforme
+classique de nos gardiens de monuments.
+
+Le chapeau à la main, et sur le ton de la plus exquise politesse:
+
+--Pardon, monsieur, s'enquit le sirdar, comment nommez-vous ce bloc de
+granit?
+
+--C'est l'Obélisque de Louqsor, monsieur.
+
+--Et vous, monsieur, s'il vous plaît, qui êtes-vous?
+
+--Moi?... Je suis le concierge de l'Obélisque.
+
+--Pour le compte de quel gouvernement gardez-vous l'Obélisque?
+
+--C'te question!... Pour le compte du gouvernement français, pardi!
+
+--Alors, cher monsieur, je vous prierai de déguerpir au plus vite.
+
+--Déguerpir! Et pourquoi déguerpir?
+
+--Parce que, cher monsieur, l'Obélisque de Louqsor ayant appartenu
+jadis à l'Égypte, appartient maintenant et désormais à l'Angleterre.
+
+--Allons donc!
+
+--C'est comme j'ai l'honneur de vous le dire.
+
+--Je ne prétends pas le contraire, cher monsieur, mais je ne quitterai
+mon poste que lorsque j'en aurai reçu l'ordre de ceux qui me l'ont
+confié, de mes chefs hiérarchiques.
+
+--Rassurez-vous, je ne vous ferai pas violence, mais je vais aviser
+immédiatement de cette situation les grosses légumes anglaises (_the
+big british vegetables_). Cet incident se videra, sans nul doute,
+diplomatiquement; mais, en attendant, vous ne trouverez pas offensant,
+j'espère, que je vous juxtapose deux autres concierges, l'un égyptien,
+l'autre anglais.
+
+--Faites comme vous voudrez, cher monsieur.
+
+Les deux hommes se quittèrent le plus cordialement du monde et, même,
+on observa que le concierge de l'Obélisque, remarquant l'extinction
+du cigare de lord Kitchener, offrit à ce dernier une allumette,
+gracieuseté à laquelle l'Anglais répondit par le cadeau d'une
+cigarette... turque, naturellement.
+
+Les choses en sont là.
+
+Rien n'a transpiré du quai d'Orsay; on sait seulement que ces
+messieurs n'en semblent pas mener large.
+
+
+
+
+LES HOTES DE CASTELFÊLÉ
+
+
+Tout de suite, ce jeune homme rencontré chez des amis communs m'avait
+énormément plu.
+
+Son évident bon coeur, sa soif un peu candide de justice, et surtout
+la ravissante simplicité de son esprit, m'inculquèrent le désir de
+faire sa connaissance plus ample, comme on dit.
+
+À l'instar, peut-être, des animaux qui aiment qui les aime, le jeune
+homme, de son côté, me manifesta une prompte sympathie.
+
+--Venez, dit-il, passer une journée chez moi, ou plutôt chez nous,
+car je vis avec ma vieille bonne-maman qui m'a élevé, une femme de
+beaucoup d'esprit qui vous plaira, j'en suis sûr.
+
+--Vous n'avez plus vos parents?
+
+--Non. Mon père, je ne l'ai jamais connu; c'était, paraît-il, le
+cocher de mes grands-parents. Quant à ma mère, elle mourut de honte,
+je crois, peu de temps après ma naissance.
+
+Quelques jours après cet entretien, je sonnais à la grille de
+Castelfêlé.
+
+Ce fut le jeune homme lui-même qui, m'ayant aperçu du perron, accourut
+m'ouvrir.
+
+--Bonne-maman! Bonne-maman! Voilà le monsieur dont je t'ai parlé
+l'autre jour... Ah! que c'est gentil à vous!... Justement, hier, j'ai
+tué un beau lièvre...
+
+La vieille dame appartenait à cette race de vieilles dames qui
+parlent, parlent sans interruption, comme un moulin tourne, tourne.
+
+Dès les premières paroles qu'elle dit, je crus n'avoir pas bien
+saisi et attribuai tout d'abord à ma propre incompréhension l'espèce
+d'ahurissement en lequel me plongeaient ses propos.
+
+Mais non, c'était bien sa faute à elle, et ses dires respiraient, à
+n'en pas douter, la plus formelle incohérence.
+
+En voici un échantillon:
+
+«... Ce jour-là, mon enfant, comme le Vendredi-Saint tombait
+précisément un jeudi, nous en profitâmes pour aller manger la galette
+des Rois chez la vieille filleule de notre petite grand'mère qui se
+trouvait en nourrice chez la femme d'un bûcheron veuf dont j'ai oublié
+le nom.
+
+» La pluie ne cessait pas de tomber, une de ces pluies d'orage, tièdes
+qu'on a souvent, dans ces pays-là, quand le temps est sec et froid.
+
+» Nous partîmes dès le tout petit jour et nous arrivâmes à la nuit
+tombante, car il faut vous dire que la maison était à l'autre bout du
+village.
+
+» La bonne femme nous reçut d'un air revêche: Entrez, mes petits
+enfants, nous disait-elle, entrez, et mettez-vous bien à l'abri au
+milieu du champ d'orge.
+
+» Mais bientôt, sa figure s'adoucit. Un bon sourire éclaira ses yeux
+et elle nous mit tous à la porte à grands coups de serpe.
+
+» Cinq minutes après, nous étions tous rentrés à la maison, tassés
+autour d'un grand feu de sarment devant lequel rôtissait un petit
+morceau de veau froid qu'on préparait pour le réveillon de la
+Toussaint.
+
+» Oh! cette nuit-là, je ne l'oublierai jamais tant on s'est amusé!
+
+» Seulement on avait tant bu à la santé du petit Jésus qu'on faillit
+manquer la grand'-messe.
+
+» Et, à cette époque-là, manquer la grand'-messe le jour de Pâques,
+c'était péché mortel!
+
+» Nous eûmes juste le temps d'arriver; toute la paroisse était
+déjà là, et je crois même que la première partie de quilles était
+commencée...»
+
+ * * * * *
+
+La bonne vieille dame continua longtemps à causer de la sorte.
+
+Elle aurait pu continuer davantage encore: la macédoine impétueuse de
+ses discours incohérents m'avait jeté dans une telle stupeur, que je
+ne percevais plus qu'une sorte de bourdonnement lointain.
+
+Le déjeuner par bonheur, se composait de mets copieux et succulents;
+les vins surtout me plurent, jouissant d'une vieillesse qui touchait à
+la sénilité.
+
+--Ce sont, en effet, de très vieux vins, me fit observer le jeune
+homme, car ils datent de mon grand-père, et ni bonne-maman, ni moi, ne
+faisons grand tort à notre cave,--n'est-ce pas, bonne-maman?--car nous
+ne buvons que de l'eau. Voici, entre autres, du malvoisie qui pourrait
+bien avoir un siècle d'existence.
+
+La vieille dame s'écria:
+
+--Ah! le malvoisie! Dire que s'est dans un tonneau de ce vin-là
+que s'est noyé le duc d'Orléans. Vous n'avez pas connu le duc
+d'Orléans?... Non, vous êtes trop jeune. Dieu! quel beau garçon
+c'était! Je l'ai vu, la première fois que je suis allée à Paris
+avec mes parents. Il était à cheval, à côté de Charles X qui passait
+l'armée en revue. Tout le monde criait: _Vive l'empereur!..._ C'était
+très beau!...
+
+Après déjeuner, nous allâmes, le jeune homme et moi, faire un tour
+dans le parc.
+
+--Comment trouvez-vous bonne-maman?
+
+--Charmante, charmante... Une grande dame, pour tout dire.
+
+--Je savais bien qu'elle vous plairait. N'avez-vous pas remarqué
+parfois de légères confusions dans ses souvenirs.
+
+--Ma foi, non! La mémoire de Madame votre aïeule m'a semblé, au
+contraire, d'une précision remarquable et fort rare chez une personne
+de son âge.
+
+--Ah! tant mieux!... j'avais cru remarquer...
+
+Nous nous approchions d'une volière, d'une immense volière, en très
+bon état, mais complètement vide.
+
+--Tiens, observai-je, vous ne mettez pas d'oiseaux dans cette si
+magnifique volière?
+
+Je vis alors les yeux du jeune homme, lesquels n'avaient reflété
+jusqu'ici qu'une ingénuité céleste, se voiler d'une mélancolie
+intense:
+
+--Cette volière? Oui... C'est toute une histoire. Je vais vous la
+dire, parce que je vous aime beaucoup et que j'ai grande confiance en
+vous, mais je n'aime pas qu'on me rappelle cette horrible chose.
+
+Il essuya ses yeux.
+
+--L'an passé, elle était pleine d'oiseaux, cette volière, d'oiseaux
+venus de tous les pays du monde et jolis comme on n'en peut pas
+rêver... Il a fait très froid, l'année dernière. Les pauvres oiseaux
+sauvages ne trouvant plus rien à manger par cette neige qui tombait
+si fort--vous vous souvenez?--tournaient autour de la volière, quêtant
+les vagues bribes de nourriture qui pouvaient s'en échapper. Un jour,
+j'assistai à cette scène: un petit bouvreuil s'en venant picorer dans
+une branche de millet, accrochée à l'intérieur du treillage, reçut
+d'un gros canari un si violent coup de bec au crâne qu'il en fut tué
+du coup... Vous dire la colère que je ressentis à cette vue serait
+impossible. Alors, furieux, j'ouvris les portes de la volière et en
+chassai tous ces mauvais hôtes. Puis, avec des pièges posés dans
+tout le parc, je capturai les pauvres petits oiseaux sauvages que
+j'enfermai à la place des égoïstes... Quelques jours après cette
+opération, ils étaient tous morts, les oiseaux privés, inhabitués à
+trouver pitance et abri, trépassèrent de faim et de froid; les autres,
+les petits oiseaux, fiers et libres, moururent d'ennui et peut-être
+même d'indigestion... Et voilà comment, dans la vie, avec les
+meilleures intentions, on cause du dommage à tout le monde... Vous
+nous restez à dîner, bon ami?
+
+--Volontiers, mon cher.
+
+
+
+
+LE PETIT GARÇON ET L'ANGUILLE
+
+
+Les imaginations exorbitantes des mélodramaturges les plus en
+délire, de même que les irrésistibles cocasseries de nos meilleurs
+vaudevillistes, tout cela n'est rien auprès de l'imprévu, de l'inouï
+que la vie, la vie toute nue, nous apporte quelquefois dans les plis
+de son fruste tablier.
+
+Comme le dit fort bien M. Francisque Sarcey, chaque fois qu'il lui
+arrive un événement tant soit peu étrange: _On mettrait ça dans les
+journaux, que personne ne le croirait._
+
+..... Ce petit préambule est placé là pour préparer mon honorable
+clientèle au récit d'un fait que beaucoup de nos lecteurs et
+lectrices accueilleront avec un sourire d'incrédulité coupé de quelque
+haussement d'épaules (une interjection désobligeante, peut-être même,
+brochant sur le tout).
+
+Je ne saurais en vouloir à ces sceptiques, vu le bizarre des
+circonstances, et j'avoue que moi-même, si je ne connaissais les gens
+à qui advint l'histoire, je me refuserais franchement à y apporter la
+moindre foi.
+
+Vendredi dernier, vers dix heures et quart du matin (je tiens à
+préciser), la femme de mon jardinier dit à son petit garçon:
+
+--Tiens, Julien, voilà cinq francs, tu vas aller à la poissonnerie
+me chercher une anguille... Il paraît qu'il y en a de superbes,
+aujourd'hui, à ce que vient de me dire la veuve Pointu... Une anguille
+dans les vingt sous, et tâche de ne pas te faire voler!
+
+Fort intelligent, Julien, dès son plus tendre âge, fut habitué par sa
+mère à faire les mille petites commissions du modeste ménage.
+
+Ajoutons que l'enfant s'en tirait à merveille, dirait Coppée dans un
+vers immortel.
+
+Voilà donc mon bambin parti dans la direction de la poissonnerie, tout
+fier de la confiance qu'on lui témoigne, car c'est la première fois
+qu'il a mission d'acquérir une anguille.
+
+Chemin faisant, il s'amuse avec sa pièce de cinq francs, la faisant
+sauteler dans sa main, la jetant en l'air et la rattrapant, non sans
+une certaine prestesse.
+
+Malheureusement, à un moment, il manqua son coup: la pièce, après
+avoir roulé sur le quai, s'en vint choir dans l'eau du bassin dit du
+Nord, par sept ou huit mètres de fond.
+
+Voyez-vous d'ici la détresse du pauvre petit bougre?
+
+Comble de malheur: comme il se penchait, hébété, sur le parapet,
+contemplant l'endroit fatal de la disparition de son argent, un coup
+de vent lui enlève son béret!
+
+Crac, voilà sa coiffure à l'eau!
+
+Sauter dans un canot et godiller vers le béret fut, pour l'enfant,
+l'affaire d'une minute.
+
+Il était temps: complètement humecté, l'objet était sur le point de
+sombrer à jamais.
+
+Quelle ne fut point la stupeur de notre jeune ami en constatant qu'au
+fond du béret grouillait une anguille, une magnifique anguille qui
+pouvait bien peser--je n'exagère pas--dans les une livre et demie, une
+livre trois quarts.
+
+Cette pêche aussi miraculeuse qu'inattendue consola légèrement Julien
+de sa mésaventure.
+
+Mais voici où la chose se corse.
+
+En écorchant l'anguille, en lui ouvrant l'estomac, que pensez-vous que
+trouva la femme de mon jardinier?
+
+Une pièce de cinq francs?
+
+Non.
+
+L'anguille, un poisson plutôt en longueur, n'est nullement outillée
+pour avaler de gros écus: ni son orifice buccal, ni son estomac, ne se
+prêteraient à pareille prouesse.
+
+Ce que la femme du jardinier rencontra dans l'intérieur de l'anguille,
+c'est, ou plutôt ce sont huit pièces de cinquante centimes, soit un
+total de quatre francs, représentant exactement ce que la brave femme
+comptait voir revenir sur sa pièce de cent sous.
+
+Comme coïncidence (car il ne faut voir dans tout cela qu'une simple
+coïncidence), avouez que c'est assez coquet!
+
+Et cette aventure ne vous rappelle-t-elle pas certaines légendes
+génoises et vénitiennes où des jeunes filles (à Venise, c'était
+souvent la demoiselle du doge qui se livrait à ce sport, par esprit
+d'imitation sans doute) où des jeunes filles, dis-je, après avoir jeté
+leur anneau dans la mer, le retrouvaient dans le ventre des poissons
+qu'on leur servait à table?
+
+À Florence, pareils faits ne se produisirent point, sans doute à cause
+de la distance qui sépare cette magnifique cité de la mer.
+
+
+
+
+LE THÉATRE DE M. BIGFUN
+
+
+Fidèle à mon engagement, je n'ai pas soufflé mot de cette entreprise
+tant que tout n'a pas été conclu, signé, paraphé, enregistré.
+
+Aujourd'hui, je puis parler et ma satisfaction n'est point mince
+d'être le premier à donner la sensationnelle nouvelle.
+
+Il s'agit, vous le devinez, d'un nouveau clou pour l'Exposition de
+1900...
+
+Après mille démarches, mille refus, M. Bigfun, le grand imprésario
+australien si connu, vient enfin d'obtenir l'autorisation d'ouvrir
+et... d'exploiter son théâtre, ce théâtre dont les débuts soulevèrent
+aux antipodes tant d'indignations, tant de colères.
+
+Contrairement à cette Compagnie d'assurances qui s'appelle _The
+Mutual Life_, le théâtre de M. Bigfun pourrait s'intituler _The Mutual
+Death_.
+
+Comme dans les autres théâtres, on y joue des drames humains et des
+mélos surhumains. Mais, détail qui corse l'intérêt du spectacle, les
+victimes sont de vraies victimes, et il ne se passe pas une seule
+représentation, chez M. Bigfun, sans, au moins, un réel meurtre ou un
+suicide véritable.
+
+Le plus étrange, dans cette étrange entreprise, c'est que, depuis
+l'ouverture de son théâtre, M. Bigfun ne s'est jamais trouvé à court
+de victimes volontaires.
+
+Tout d'abord ce furent de pauvres diables qui, pour laisser quelque
+argent à leur famille indigente, n'hésitèrent pas à faire le sacrifice
+de leur vie.
+
+Puis, vinrent des désespérés des deux sexes, amants malheureux, jeunes
+filles délaissées, que tentèrent ce cabotinage et cette mise en scène
+dans le trépas.
+
+Enfin, le snobisme s'en mêla et beaucoup de personnes, sans raison
+apparente, s'offrirent au rôle de victimes, simplement pour épater la
+galerie.
+
+Les gageures se mirent aussi à sévir, et il n'est pas rare de voir,
+dans les bars de Melbourne et de Sydney, d'excellents pochards tenir
+des paris dont l'enjeu est, tout bêtement, leur mort violente, mais
+décorative, sur la scène du bon Bigfun.
+
+Malgré ses frais énormes (certains de ces macabres protagonistes
+touchant un millier de livres), notre imprésario a fait une fortune
+considérable.
+
+Quand la victime volontaire possède quelque talent et surtout une
+jolie voix, le prix des places ne connaît plus de limites.
+
+Ainsi, lorsque miss Th. K... consentit à jouer Juliette dans _Roméo_,
+représentation qui se termina par son vrai suicide, les places les
+plus modestes atteignirent des prix de vertige. (Un strapontin de
+quatrième galerie fut payé par notre sympathique confrère de la presse
+française M. Brandinbourg, pas loin de douze mille francs.)
+
+Reste à savoir si le théâtre de M. Bigfun rencontrera à Paris sa vogue
+de là-bas.
+
+Je le crois, pour ma part, à moins qu'une campagne de sentimentalerie
+niaise ne soit menée contre lui dans une certaine presse.
+
+
+
+
+CLARA OU LE BON ACCUEIL PRINCIÈREMENT RÉCOMPENSÉ
+
+
+(_Drame lyrique en deux actes_)
+
+
+PREMIER ACTE
+
+_La scène représente la grand'place d'un modeste village. Un vieillard
+péniblement appuyé sur un bâton vient d'y arriver. Des enfants, les
+uns goguenards, les autres pitoyables, contemplent le bonhomme et
+l'entourent._
+
+LES ENFANTS, _animés de sentiments divers_
+
+ Où vas-tu, blanc vieillard, par ces tristes novembres?
+ Cherches-tu quelque endroit où reposer tes membres?
+ Vas-tu chez l'Espagnol ou bien chez le Kroumir?
+
+LE VIEILLARD, _bien las, si las_...
+
+ L'épave choisit-elle un lieu pour y dormir?
+ Que sais-je? Ah! mes enfants, voici la nuit qui tombe,
+ Peut-être, au lieu d'un toit, trouverai-je une tombe!
+
+PREMIER ENFANT, _hypocrite_
+
+ Pourquoi ne viens-tu pas, alors, chez mes parents?
+ (Demande à mes amis qui s'en portent garants)
+ Ils te réserveront une place à leur table.
+
+DEUXIÈME ENFANT, _rageur, au premier_
+
+ Dis plutôt, camarade, une place à l'étable;
+ Car ton père fort dur et ta mère sans coeur
+ Recevront ce pauvre homme avec un air moqueur.
+
+TROISIÈME ENFANT, _fier_
+
+ Vieillard viens chez mon oncle. Il est garde champêtre.
+ Vois ces riches troupeaux qui s'en vont aux champs paître:
+ À leurs maîtres, il peut dresser procès-verbal.
+
+QUATRIÈME ENFANT, _cossu_
+
+ Papa tient cabaret, épicerie et bal.
+ Chez lui, sans crainte, avant de reprendre ta route;
+ O pâle voyageur, viens-t'en boire une goutte.
+
+CINQUIÈME ENFANT, _une petite fille_
+
+ Vivant d'une pension de veuve de sergent,
+ Ma mère, cher Monsieur, n'a pas beaucoup d'argent.
+ Mais, ce qui vaut bien mieux, elle est jeune et jolie.
+
+LE VIEILLARD, _enthousiaste, à la petite fille_
+
+ De tous ces galopins, c'est toi la plus polie,
+ Blonde enfant! Conduis-moi jusques à ta maman
+ Car (je le sens déjà) je l'aime énormément.
+
+_Le vieillard, tenant l'enfant par la main, s'éloigne dans la
+direction de la maison de la petite.--Rideau._
+
+FIN DU PREMIER ACTE
+
+
+DEUXIÈME ACTE
+
+_La scène représente un perron orné d'une vigne vierge rouge, devant
+une maison rustique. Au lever du rideau, ils sont rangés là, tous les
+trois, le vieillard tenant dans sa main gauche la main de l'enfant
+et, du bras droit, enlaçant la taille de la jeune femme qui (la petite
+fille n'a nullement exagéré) est en effet fort jolie._
+
+LE VIEILLARD, _véhément_
+
+ Accourez tous, enfants, vieillards et hommes mûrs!
+ Celui que vous voyez aujourd'hui dans vos murs
+ N'est pas--et tant s'en faut!--ce qu'un vain peuple pense.
+ La bonté, tôt ou tard, trouve sa récompense.
+
+_Désignant la jeune femme._
+
+ J'épouse cette dame au si charmant accueil.
+ Pour elle, ils sont finis, les sombres jours de deuil!
+
+_Il l'embrasse._
+
+ Du bonheur mérité, Clara, voici l'aurore!
+
+_Il la rembrasse._
+
+ Qu'un beau soleil d'amour te caresse et nous dore!
+
+_Il l'embrasse de nouveau; puis, comme devenu la proie subite d'une
+inconcevable frénésie, il arrache sa perruque, sa fausse barbe et
+les guenilles dont il était revêtu. Il apparaît alors en joli homme,
+sanglé dans une tunique de la meilleure coupe avec, sur la poitrine,
+les palmes d'officier d'Académie, et au côté, une épée administrative.
+Puis, il s'écrie:_
+
+ Si haut placé qu'il soit, honte à celui qui ment!
+ Je suis le sous-préfet de l'arrondissement.
+
+_Tableau--Rideau_
+
+FIN
+
+
+
+
+DE QUELQUES RÉFORMES COSMIQUES
+
+
+Dans un article récent de M. Sarcey, je relève le passage suivant:
+
+«...Du reste, on ne saurait s'imaginer à quel point d'ingénuité, de
+superstition, pour ne pas dire plus, en sont restés les gens de mer.
+
+» N'ai-je point entendu, cet été, entendu de mes propres oreilles, à
+Concarneau où je passai quinze jours avec ma famille, un brave homme
+de pêcheur m'affirmer sans rire que le va-et-vient des marées n'était
+dû qu'à l'influence de la lune, de la lune, oui, vous avez bien lu!
+
+» Tous les efforts que je fis pour détromper ce naïf furent en pure
+perte.
+
+» Qu'est-ce que la lune venait faire là-dedans? m'acharnais-je à lui
+demander. On ne s'attendait guère à voir la lune en cette affaire.
+
+» Je ne sais pas si cette bizarre croyance, qui doit remonter aux
+vieux Druides, est répandue chez tous les marins français, mais en
+Bretagne et en particulier à Concarneau, elle est admise comme parole
+d'évangile, et si d'aventure vous essayez de démontrer leur erreur à
+ces nigauds, ils vous feront comme à moi, ils vous traiteront de vieil
+imbécile...»
+
+ * * * * *
+
+Mon cher oncle, je suis au désespoir de prendre parti contre vous,
+mais ils avaient raison, les gens du Concarneau et d'ailleurs: c'est
+vous qui avez tort.
+
+Le mécanisme des marées ne connaît point d'autre ressort que
+l'attraction lunaire.
+
+Et ce sujet fut même, au cours de l'été passé, la thèse d'une fort
+belle conférence que proféra M. Tristan Bernard au casino d'Étretat,
+sous ce titre: _La terre aux terriens_.
+
+M. Tristan Bernard y déplorait qu'une planète de l'importance de la
+terre eût à compter pour la réglementation de ses marées avec--je ne
+veux froisser personne, mais enfin!--avec ce pâle satellite qu'est la
+lune.
+
+Le savant cosmographe étudia les différents moyens proposés pour
+échapper à cette influence et pour devenir maîtres chez nous, que
+diable!
+
+Un système de barrages fut celui qui me parut le plus pratique, mais
+voici où je diffère d'avis avec M. Bernard: cette question qui n'est,
+en somme, qu'affaire de vanité assez mesquine, mérite-t-elle tant
+d'efforts et de si fortes dépenses?
+
+Une autre entreprise, autrement intéressante celle-là et combien plus
+pratique, pourrait se réaliser presque sans bourse délier.
+
+Ne serait nécessaire que la parfaite entente d'un Congrès
+international, composé de savants, de géographes, de calculateurs,
+etc.
+
+Suivez-moi bien.
+
+Les deux pôles jouissent d'une basse température, chacun sait ça,
+comme dit la chanson.
+
+À quoi tient ce frigide état de choses?
+
+Tout le monde vous le dira: à leur éloignement de l'équateur.
+
+Si les pôles étaient près de l'équateur, on n'y verrait plus
+d'icebergs, et les ours blancs se transformeraient en lamas.
+
+Or, voulez-vous avoir l'obligeance de me dire ce que c'est que
+l'équateur?
+
+C'est une ligne _fictive_ (n'oubliez pas ce détail), _fictive_ et
+périmétrique d'un grand cercle perpendiculaire à l'axe des pôles.
+
+Qui nous empêcherait--je vous le demande un peu,--qui nous empêcherait
+de la déplacer, cette ligne, puisqu'elle est fictive?
+
+Car s'il y a quelque chose de facile à déplacer au monde, c'est bien
+une ligne fictive, nom d'un chien!
+
+On la ferait alors passer par les pôles qui dégèleraient bientôt et
+offriraient plus de confortable aux navigateurs.
+
+Voilà un projet pratique, simple, peu coûteux; mais les régions
+équatoriales consentiront-elles?
+
+Au nom de l'humanité, on saura les y contraindre à coups de canon.
+
+
+
+
+LA QUESTION DES CHAPEAUX FÉMININS AU THÉÂTRE
+
+
+Je possède une cousine, jeune encore, mais que le ciel a gratifiée du
+plus exorbitant des sang-froids et d'un peu commun esprit de répartie.
+
+Ajoutons qu'elle est veuve et qu'elle jouit d'une vingtaine de mille
+livres de rente, ce qui n'a jamais rien gâté, n'est-ce pas? (Rien des
+agences.)
+
+La petite histoire qui vient de lui arriver n'est pas de nature, pour
+vrai dire, à déranger l'ordre établi du firmament; mais comme elle
+relève du tapis de l'actualité, je vais me permettre de vous la
+narrer, si toutefois vous voulez bien m'y autoriser. Vous en mourez
+d'envie, dites-vous.
+
+Allons-y.
+
+Il y a peu de jours, ou plutôt peu de soirs, ma cousine se trouvait au
+théâtre en société de l'une de ses amies.
+
+Ces deux dames occupaient chacune un fauteuil d'orchestre.
+
+Tout à coup, elles se retournèrent, attirées par du vacarme.
+
+Un gros monsieur, placé juste derrière ma cousine, menait un tapage
+d'enfer.
+
+--Y a-t-il du bon sens, hurlait-il, y a-t-il du bon sens, je vous le
+demande, messieurs, à venir au théâtre avec un chapeau pareil!
+
+(Ma cousine--elle est, d'ailleurs, la première à le reconnaître--était
+affublée, ce soir-là, d'un chapeau un peu excessif pour assister à la
+comédie.)
+
+--Mais, madame, insistait le monsieur de plus en plus furibond, quand
+on a un chapeau comme cela, on le laisse au vestiaire.
+
+Et autres aménités semblables.
+
+Ma cousine, laquelle se sentait légèrement dans son tort, ne répliqua
+rien et, pour avoir la paix, se contenta de changer de place.
+
+À quelques jours de là, ces deux mêmes dames se trouvèrent dans un
+autre théâtre, toujours aux fauteuils d'orchestre.
+
+Soudain, qui ma cousine aperçut-elle, installé juste dans le fauteuil
+devant elle?
+
+Vous l'avez deviné, astucieuses lectrices, c'était le gros et
+tumultueux monsieur de l'autre soir.
+
+Ce gros monsieur, non satisfait d'être de corps énorme, aggravait son
+cas par une tête plus énorme encore, une tête énorme, énorme, qu'une
+toison crépue hissait au fantastique dans l'énorme!
+
+Et cela n'était encore rien, si on n'avait pas vu ses oreilles!
+
+Oh! ses oreilles!
+
+Imaginez-vous deux éventails plantés dans cette tête et plantés bien
+perpendiculairement au plan des joues.
+
+C'est alors que ma cousine sentit éclater au meilleur creux de son
+coeur l'allègre fanfare des justes revanches.
+
+--Y a-t-il du bon sens, s'écria-t-elle, empruntant au monsieur les
+propres termes de son trivial répertoire, y a-t-il du bon sens, je
+vous le demande, messieurs et mesdames, à venir au théâtre avec une
+tête pareille et de telles _esgourdes_!
+
+Ce fut au tour du monsieur à en mener beaucoup moins large que ses
+oreilles.
+
+--Madame, balbutia-t-il, madame.
+
+--Mais, monsieur, insista ma cousine! quand on a une tête et des
+oreilles comme cela, on les laisse au vestiaire. Madame l'ouvreuse,
+veuillez débarrasser monsieur de sa tête et de ses oreilles, car,
+interposés entre la scène et moi, ces appendices me prohibent en
+totalité la vue du spectacle.
+
+Le monsieur passa par toutes les couleurs de l'arc-en-ciel, sans
+oublier les fameux rayons ultra-violets.
+
+Après le premier acte, il prit son air de rien, et disparut sans qu'on
+le revit par la suite.
+
+Encore un, je le parie, qui n'osera plus hurler contre les chapeaux
+féminins au théâtre, ou s'il hurle, ce sera tout bas.
+
+
+
+
+LE PAUVRE GENDRE[4]
+
+[Note 4: Cette histoire fut, bien entendu, écrite avant le trépas
+du regretté M. Félix Faure.]
+
+
+--Oui, monsieur, si le Président de la République savait ce que j'ai
+été malheureux grâce à lui, il n'hésiterait pas à me décorer.
+
+--Grâce à lui?
+
+--C'est une façon de parler; je ne lui en veux pas, d'ailleurs, car,
+à vraiment dire, Félix Faure n'a jamais rien fait contre moi; mais si
+notre Président n'avait jamais existé ou si, seulement, il n'était pas
+parvenu aux honneurs, moi, je serais le plus heureux des hommes.
+
+--Daignez vous expliquer.
+
+--Oh! mon Dieu, c'est bien simple: Je suis marié à une charmante
+femme que j'aime beaucoup et qui me le rend bien. Malheureusement, mon
+épouse a une mère...
+
+--Et cette mère est votre belle-mère?
+
+--On ne peut rien vous cacher à vous!.......
+
+Ce détail n'aurait, à la rigueur, que peu d'importance; mais voici le
+terrible de la chose: jadis, alors qu'elle n'était qu'une simple jeune
+fille comme vous et moi, ma belle-mère fut demandée en mariage, par un
+jeune homme qui s'en trouvait, paraît-il, éperdument amoureux et qui
+ne lui était pas du tout indifférent. Les parents de ma belle-mère,
+jugeant la situation du jeune homme pas en rapport avec la fortune de
+leur demoiselle, s'opposèrent au mariage.
+
+--Jusqu'à présent, je ne vois pas bien...
+
+--Vous comprendrez tout, monsieur, quand j'aurai ajouté que le jeune
+homme en question n'était autre qu'un nommé Félix Faure, employé dans
+une grande maison de cuirs du faubourg Saint-Martin.
+
+--L'histoire est, en effet, des plus piquantes.
+
+--Mon supplice commença peu de temps après mon mariage. Les débuts
+de notre union avaient été des plus cordiaux, des plus paisibles, des
+plus patriarcaux, oserai-je dire. Un beau jour, un lundi, lendemain
+d'élections générales, nous lûmes dans le journal qu'un nommé Félix
+Faure, négociant, venait d'être élu député du Havre.--«Tiens! s'écria
+ma belle-mère, Félix Faure, ce doit être mon ancien amoureux. J'ai dû,
+dans le temps, épouser un garçon qui portait ce nom-là.»
+
+--Et alors?
+
+--Elle s'informa et acquit bientôt la certitude que le nouveau député
+ne faisait qu'un avec son ancienne passion.
+
+L'humeur de ma belle-mère s'altéra légèrement à cette découverte: «Si
+mes parents, répétait-elle, ne s'étaient point opposés à ce mariage,
+je serais, aujourd'hui, la femme d'un député!...» Quelques années
+plus tard, Félix Faure devenait ministre de la marine. Cette fois,
+le caractère de la bonne femme tourna franchement à l'aigre, et comme
+elle n'avait plus ses parents à qui adresser de sanglants reproches,
+ce fut moi qui écopai: «Si, tout de même, j'avais épousé cet homme-là,
+quel beau mariage tu aurais pu faire, ma pauvre fille!»
+
+--Et quand Félix Faure fut nommé Président de la République?
+
+--Oh! alors, mon pauvre monsieur!... De telles scènes ne sauraient
+se raconter... Et quand il a reçu le tsar et la tsarine, donc!... Et
+quand il a été en Russie!... Et encore l'autre jour, quand il a reçu
+la Toison d'or!... Ma vie n'est plus tenable!... Quelquefois je perds
+patience et j'eng... la pauvre femme comme un pied!
+
+--Que dit-elle?
+
+--Elle tombe sur une chaise d'un air accablé et gémit: «Ce n'est pas
+M. Berge qui se conduirait comme ça avec moi!»
+
+
+
+
+LA DOULEUR MARCHE, BRAS DESSUS BRAS DESSOUS, AVEC L'ÉCONOMIE (PANNEAU
+DÉCORATIF)
+
+
+Les personnes qui m'ont conté l'anecdote ci-dessous m'en garantissent
+la rigide authenticité: ces gens se trouvant être d'honorables
+commerçants prospères et jouissant, dans leur quartier, de la
+considération générale, je n'hésite pas à nantir cette aventure d'une
+flatteuse publicité.
+
+..... Le charbonnier qui occupe la petite boutique au coin de la
+rue Legendre et de l'avenue de l'Observatoire vint à mourir d'une
+bronchite aiguë qui l'enleva sans qu'il eût le temps de dire _bougri_!
+
+La veuve désolée télégraphia au frère du défunt qui arriva aussi
+rapidement que le permet le train omnibus qui va de Saint-Flour à
+Paris.
+
+Ce fut une scène déchirante quand le voyageur fut mis en présence du
+pauvre défunt, une scène véritablement déchirante! (Car ce serait un
+grand tort de croire que les instincts du lucre, si fertiles en l'âme
+de certains Auvergnats, abolissent chez eux tout sentiment du coeur.)
+
+--Avez-vous au moins un portrait de lui? fit-il à sa belle-soeur.
+
+--_Hélache_, non! je n'en ai _poigne_.
+
+(Pour le restant du dialogue, prière au lecteur d'apporter lui-même
+l'accent auvergnat duquel la notation exacte me coûterait trop de
+peine et deviendrait, à la longue, monotone.)
+
+--Pauvre frère! je vais aller chercher un photographe pour qu'il nous
+tire un souvenir de Pierre...
+
+Le photographe manifesta de terribles exigences: il ne parlait de
+pas moins de trente francs pour se transporter à domicile, lui et son
+matériel.
+
+--Mais, disait l'autre, il y a sur votre tableau en bas: _Portraits
+depuis 10 francs la douzaine_.
+
+--Les portraits que je fais ici, dans mon atelier, oui! Mais à
+domicile, c'est forcément plus cher.
+
+Notre homme se gratte la tête, ainsi que font les Auvergnats pour
+exprimer leurs sentiments perplexes.
+
+(Cette coutume ne date pas d'hier, car César, dans ses _Commentaires_,
+raconte que Vercingétorix n'arrêta pas de se gratter la tête pendant
+tout le siège d'Alésia.)
+
+Trente francs, dame, c'est une somme, pour de pauvres charbonniers!
+
+Puis, brusquement:
+
+--Bon, fit-il.
+
+Et le voilà, revenu au domicile funéraire, qui raconte la chose à sa
+belle-soeur.
+
+--Donnez-moi un grand sac à braise, dit-il en matière de conclusion.
+
+Quelques minutes après, le médecin des morts s'amène et très
+désinvolte, demande le défunt.
+
+--Le défunt! répond tranquillement la femme. Il faut que vous
+l'attendiez un petit instant; il est chez le photographe avec son
+frère.
+
+
+
+
+BOTTONS NOS ANIMAUX DOMESTIQUES, MAIS BOTTONS-LES BIEN
+
+
+Pour peu qu'on soit affublé de la moindre fille, ou de la moindre
+jeune soeur, ou de la moindre pas très âgée cousine ou de toute autre
+gracieuse et analogue parente, on connaît la _Revue pour les jeunes
+filles_.
+
+Chaque fois qu'il m'arrive de feuilleter cet aimable périodique--bien
+que n'étant point jouvencelle--je suis certain d'y enrichir mon esprit
+de quelque connaissance nouvelle.
+
+C'est ainsi que, ayant lu _Sur les routes de Russie_, une relation
+des plus intéressantes, signée Mme Stanislas Meunier, j'ai appris
+l'existence, du côté de Bakou, des _oies bottées_.
+
+Je laisse la parole à la charmante et littéraire femme du savant
+géologiste bien connu:
+
+
+ LES OIES BOTTÉES
+
+ Ces oies sont très abondantes dans le steppe: tout comme les
+ chameaux, les chevaux, les moutons, elles y font des bandes
+ nombreuses; et quelquefois toutes ces bêtes disparates de
+ forme, mais également végétariennes et paisibles, sont réunies
+ en un troupeau commun.
+
+ Les oies ne sont pas créées pour pâturer éternellement, toutes
+ blanches sur des terres noires. Elles doivent achever leur
+ destinée, dorées dans un plat. Mais pour arriver du steppe
+ dans le plat, il faut faire bien des étapes, car les distances
+ sont longues, et cinq cents kilomètres séparent quelquefois le
+ nid du four. Transporter les oies en chemin de fer, vous n'y
+ songez pas! On ne voiture là-bas que les chrétiens, ou tout
+ au plus les musulmans, quand ils sont riches. Les oies vont à
+ pied. Mais comme elles ont les pattes tendres, on les botte.
+
+ On les botte!... Ne vous récriez pas. Les fausses nouvelles du
+ Congrès, rarement absurdes, s'appuient ordinairement sur de la
+ vraisemblance. Les bottes des oies ne sont pas de celles
+ qu'on fabrique dans les cordonneries; elles sont une invention
+ simple et sublime, comme celle des tuyaux à pétrole et des
+ wagons-citernes. Donc, on chasse les oies, à coup de trique,
+ sur une aire résineuse, puis sur une aire de petits cailloux;
+ les pattes poissées se recouvrent de gravier; l'enduit
+ s'agglutine et sèche. Comprenez-vous?... Les oies ayant
+ la palmature protégée par des brodequins pierreux à double
+ semelle, peuvent hardiment aller de l'avant, ce qu'elles
+ font à grand bruit, comme autant de statues du Commandeur en
+ marche.
+
+ Je crois que le journaliste scientifique bien connu, _M.
+ Alphonse Allais_, était membre du Congrès.
+
+ * * * * *
+
+Non, madame Stanislas Meunier, je ne faisais pas partie du Congrès
+de Bakou, ces messieurs organisateurs ayant totalement négligé de
+m'inviter, et moi n'ayant pas coutume de me rendre aux endroits où je
+ne suis pas mandé.
+
+Je le regrette, car sur ces questions des _oies bottées_, j'aurais pu
+émettre quelques idées tant personnelles qu'acquises et singulièrement
+perfectionner le système russe.
+
+Écoutez plutôt:
+
+ En Nouvelle-Zélande un procédé analogue est appliqué aux
+ pattes des autruches, mais combien plus scientifique et plus
+ ingénieux! Suivez-moi bien.
+
+ On fait barboter les volatiles dans une auge contenant une
+ solution de caoutchouc mélangée à du carbonate de magnésie.
+
+ Au bout de quelques séances successives de trempages et de
+ dessications, les pattes des autruches se trouvent enfermées
+ dans une grosse boule de substance élastique.
+
+ Mais ce n'est pas tout!
+
+ Pour rendre cette substance plus élastique encore, on promène
+ nos autruches sur du sable surchauffé.
+
+ Qu'arrive-t-il?
+
+ Le carbonate de magnésie se décompose sous l'influence de la
+ chaleur: de grosses bulles d'acide carbonique se forment dans
+ la masse de caoutchouc, produisant autant de petits pneux et
+ augmentant incroyablement l'élasticité de la matière.
+
+ D'autre part, la magnésie devenue libre n'a plus qu'une
+ ressource, c'est de vulcaniser notre caoutchouc, mission dont
+ elle s'acquitte à la satisfaction générale.
+
+ Les autruches se trouvent ainsi bottées pour la vie et bottées
+ d'admirables pneux qui donnent à leur allure une légèreté,
+ une grâce inexprimables, sans compter que la vitesse des bêtes
+ s'en trouve presque doublée et la fatigue pour ainsi dire
+ abolie.
+
+ Voilà du progrès ou je ne m'y connais pas!
+
+
+
+
+LE TALENT FINIT TOUJOURS PAR TROUVER SON EMPLOI
+
+
+Bien entendu, il s'appelait Legrand.
+
+Et même Alexandre Legrand.
+
+Enfant, il était déjà tout petit et en grandissant, il devint plus
+petit encore.
+
+Je m'explique: dès le jeune âge, sa taille était fort exiguë; mais à
+mesure que vinrent les années, le torse seul et la tête consentirent à
+croître normalement, cependant que les bras et les jambes conservaient
+leurs menues dimensions longitudinales, de sorte que l'ensemble de
+notre ami Legrand à l'âge viril constitue le corps d'un excessivement
+petit bonhomme.
+
+Ce qui désole le plus Alexandre dans cette disgrâce, c'est qu'elle
+lui interdit toute apparition sur la plus quelconque de nos scènes
+lyriques.
+
+Et cela est fort dommage, mes pauvres amis, car Legrand possède
+un organe comme on en souhaiterait à plus d'un pensionnaire de M.
+Gailhard.
+
+Une voix de basse taille, bien entendu.
+
+Et même une superbe voix de basse taille.
+
+À quoi diable a pu penser le bon Dieu le jour où il enferma un tant
+merveilleux instrument au sein d'une si piètre enveloppe?
+
+Voulut-il s'amuser un brin, le Maître de toute chose?
+
+Peut-être... Est-ce qu'on sait!
+
+Notre pauvre Alexandre, tout en déplorant chaque jour sa triste
+situation, n'a point cessé de cultiver l'art lyrique comme s'il devait
+un jour en être l'une des étoiles.
+
+L'Opéra, l'Opéra-Comique et tous les concerts sérieux ne pourraient
+compter de plus fidèle spectateur et les partitions des maîtres
+s'entassent sur son piano.
+
+Quelques rares occasions s'offrent à notre ami de faire sonner le
+splendide métal de son beau creux: fêtes de famille (de la sienne,
+comme de juste), banquets entre camarades (les siens) et surtout
+les concerts dans les établissements de jeunes aveugles (public peu
+préoccupé de la plastique des protagonistes).
+
+À part ces chauves circonstances, Legrand en est réduit à chanter pour
+lui, chez lui, sans gloire.
+
+Ne pouvant charmer les abonnés de l'Opéra, Legrand gagne sa vie comme
+employé dans une banque de la place Vendôme.
+
+Il occupe une table installée près d'une fenêtre, situation qui lui
+permet, avec une bonne jumelle, de voir le prince de Galles entrer
+à l'hôtel Bristol et en sortir, les jours naturellement où ce blond
+présomptif est à Paris.
+
+Maigre dédommagement!
+
+ * * * * *
+
+Aussi, quelle ne fut point ma légitime stupeur en apercevant, hier, au
+café de Suède, mon ami Alexandre Legrand!
+
+Mais quel Legrand!
+
+La face entièrement rasée à la façon des acteurs, un chapeau à bords
+plats légèrement incliné sur l'oreille, une cravate dite Lavallière,
+un mac-ferlane, bref tout à fait l'aspect de ces artistes lyriques de
+provenance souvent toulousaine.
+
+En plus, il appelait, non sans affectation, les garçons du café par
+leur petit nom, et deux un peu trop grosses bagues étincelaient à ses
+doigts.
+
+Il tint à m'offrir un quinquina Dubonnet et m'expliqua:
+
+--Oui, mon cher, j'ai balancé la finance! À bas les bureaux! Vive le
+Répertoire!
+
+--Tu as un engagement?
+
+--Superbe!
+
+--Ah bah! Et où ça?
+
+--Tu peux m'entendre partout, mon vieux, à Paris, en province, à
+l'étranger!...
+
+J'ai cru qu'il devenait fou.
+
+--Parfaitement, mon ami, je chante des morceaux d'opéra dans les
+phonographes de la maison Lioret!
+
+
+
+
+DOMESTIQUONS
+
+
+Mon vieux camarade Bourdarie ne se contente pas, comme voudrait
+l'insinuer l'oncle Francisque, à collectionner des chaussettes pour
+nos joyeux Congolais, mais il applique encore toute son énergie au
+salut et à la conservation de l'éléphant d'Afrique. Il en démontre
+la facile domesticabilité et décrit les mille services que ce robuste
+animal pourrait rendre à la grande cause de la colonisation.
+
+La voix de Bourdarie sera-t-elle écoutée?
+
+J'en doute: les gens sont si bêtes!
+
+Comme c'est intelligent, n'est-ce pas? d'avoir sous la main des
+serviteurs gratuits, vigoureux, et de les tuer au lieu de s'en servir.
+
+Et pourtant, que serait l'humanité sans les bêtes, je vous le demande
+un peu?
+
+Voyez-vous d'ici les bénéfices du pari mutuel, si les chevaux ne
+consentaient parfois à donner un petit coup de main à cette entreprise
+(un petit coup de pied plutôt).
+
+Et la charcuterie? Dites-moi un peu à quoi se réduirait cette
+florissante industrie sans le concours infatigable que n'a cessé de
+lui apporter--avec quel désintéressement!--le cochon, depuis tant de
+siècles[5].
+
+[Note 5: Je m'aperçois un peu tardivement que cet exemple marche
+à l'encontre de ma thèse. Il sera supprimé dans les prochaines
+éditions.]
+
+Je pourrais multiplier les exemples, mais le temps me manque (le train
+qui emporte ce papier part à 10 h. 41 et il est en ce moment, 10 h.
+30, sans compter que je suis à cinq bonnes minutes de la gare).
+
+Je voulais en arriver à la baleine.
+
+La baleine n'est pas ce qu'un vain peuple pense: un gros poisson qui
+sert à fabriquer des baleines de parapluie ou de corset.
+
+La baleine est un mammifère des plus avisés doublé d'un cétacé qui,
+mieux employé et utilisé vivant, rendrait à l'homme d'ineffables
+services, lui traînerait ses esquifs à des vitesses inconnues jusqu'à
+ce jour et à des tarifs parfaitement rémunérateurs.
+
+L'expérience en a été faite il y a deux ans par M. Adrien de Gerlache,
+le hardi marin belge qui explore actuellement les rives enchanteresses
+du Pôle Sud.
+
+Il y a deux ans, M. de Gerlache fit un voyage vers ces régions, à bord
+de son trois-mâts le _Jules Renard_.
+
+Un jour qu'il se promenait sur une banquise de _Moeterlinckland_, il
+aperçut une pauvre baleine qui venait de s'y échouer, à bout de force
+et portant à son flanc une large blessure déterminée par le contact un
+peu vif de quelque harpon.
+
+Bref, elle avait sur elle tout ce qu'il faut pour injustifier
+l'expression si connue: rigoler comme une baleine.
+
+Loin d'achever l'infortunée, M. de Gerlache, n'écoutant en lui qu'une
+clameur de pitié, pansa la pauvre bête et parvint à la guérir.
+
+Mais, auparavant, elle avait mis bas deux petits baleineaux, ou
+plutôt un petit baleineau et une petite baleinelle, deux amours, que
+l'équipage baptisa gaiement Léopold et Cléo.
+
+ * * * * *
+
+Les personnes qui n'ont jamais connu de baleine en bas âge ne
+peuvent point se faire une idée de la douceur, de l'espièglerie et de
+l'intelligence de ces jeunes êtres.
+
+La baleine, même parvenue à l'âge adulte, n'a qu'un défaut, son
+extrême timidité.
+
+Connaissant par expérience la grossièreté et la trivialité des
+matelots de tout pavillon, les baleines ne voient pas plutôt surgir
+près d'elles quelque pirogue chargée de ces personnages sans retenue,
+que, le rouge au front, elles plongent immédiatement au plus profond
+des eaux.
+
+Grosses bêtes!
+
+Les animaux qui nous occupent en ce moment, la mère et ses deux petits
+n'échappaient point à la loi commune.
+
+D'une timidité de jouvencelle, ils eurent beaucoup de peine à prendre
+un contact sérieux avec l'équipage du _Jules Renard_.
+
+Et Dieu sait pourtant si les braves marins y mirent de la
+complaisance!
+
+Très éprouvée par sa blessure et sa double maternité, la mère baleine
+n'arrivait pas à allaiter suffisamment ses rejetons.
+
+Ce fut alors un spectacle touchant.
+
+Les rudes hommes de mer, touchés de tant d'infortune, n'hésitèrent pas
+à prélever sur leur nécessaire de quoi alimenter l'intéressant trio.
+
+Tout le lait concentré du bord y passa.
+
+On essaya bien de procurer aux bébés quelques nourrices sous forme de
+vaches marines, mais ces dernières y mirent si peu d'entrain qu'on dut
+bientôt renoncer à l'entreprise.
+
+Cependant, les baleineaux croissaient et prenaient de la force.
+
+Tout effarouchement de leur part disparut, et, même, ils accouraient
+au moindre appel de leur nom.
+
+Le capitaine Adrien de Gerlache eut un jour l'idée d'utiliser ses
+élèves au remorquage de ses canots et de faire ainsi concurrence à ses
+propres _bear-boats_.
+
+(Le _bear-boat_ est un léger bâtiment fort en usage dans les contrées
+arctiques et même antarctiques. Imaginez une barque propulsée par une
+hélice qu'actionne la rotation d'une cage circulaire mue par un ours
+blanc qui se trouve à l'intérieur, dispositif analogue aux engins de
+nos climats actionnés par des écureuils.)
+
+En moins de temps qu'il n'en faut pour l'écrire, un ingénieux matelot
+avait taillé, dans la peau des morses, deux superbes harnais qui
+allèrent, tel un gant, à Léopold et à Cléo.
+
+Et les voilà partis au large avec une vitesse de quinze à vingt noeuds
+à l'heure, pendant des cinq ou six heures sans dételer.
+
+Malheureusement, la campagne prit fin et le _Jules Renard_ dut
+regagner Anvers, son port d'attache.
+
+Les adieux furent littéralement déchirants, mais il fallait se
+quitter, car on apercevait déjà l'embouchure de l'Escaut, rivière
+universellement connue pour son manque d'hospitalité à l'égard de la
+baleine.
+
+Mais qu'importe! L'expérience était faite et le premier jalon posé.
+
+M. de Gerlache est retourné au Pôle Sud, il s'y trouve actuellement
+pour encore deux ans.
+
+Quand il reviendra, nul doute que la question ne soit définitivement
+résolue.
+
+La civilisation en général, et la navigation en particulier, auront
+fait un grand pas.
+
+
+
+
+AUTRE MODE D'UTILISATION DE LA BALEINE
+
+
+N'est-ce point inconcevable que l'homme si habile à faire des animaux
+ses utiles auxiliaires n'ait jamais songé à utiliser, autrement que
+pour ses parapluies, cet énorme et vigoureux cétacé qui a nom baleine?
+
+Ce n'est pas seulement par ses fortes dimensions et par sa vélocité
+peu commune que se recommande la baleine; les navigateurs sont
+d'accord pour proclamer sa vive intelligence et son attachement
+sincère à tout être humain non pourvu de harpon.
+
+Donc, messieurs, de grâce, ne tuons plus la baleine, faisons-en plutôt
+notre alliée fidèle, notre grosse amie.
+
+Comment utiliser la baleine?
+
+1° En l'attelant à des navires comme on attelle un cheval à une
+voiture.
+
+L'expérience en a été faite avec la plus complète réussite au Pôle Sud
+par le capitaine Adrien de Gerlache, avec ses deux baleineaux
+Léopold et Cléo (j'ai raconté cette piquante aventure, en de récentes
+colonnes).
+
+2° En se servant de la baleine elle-même comme bateau.
+
+Tout de suite, vous pensez à Jonas, n'est-ce pas, mes amis, et vous
+vous imaginez que je vais vous raconter des histoires de l'Ancien
+Testament.
+
+Détrompez-vous, je n'eus jamais la prétention d'enfourner des marins
+dans les estomacs méphitiques des baleines. La position y serait
+malpropre et dénuée de confort. Non, le procédé dont je vais avoir
+l'honneur d'entretenir ma riche clientèle est infiniment plus moderne.
+
+Il est dû à l'heureuse initiative, couronnée de succès, du capitaine
+américain Moonson, un brave garçon dont le nom est bien connu de tous
+nos lecteurs.
+
+Voici de quelle façon manoeuvre l'ami Moonson.
+
+Dès qu'il a capturé une baleine, il l'enferme dans un bassin assez
+étroit pour qu'elle ne puisse prendre aucun exercice, et il la gorge
+de nourriture.
+
+À ce régime, la pauvre bête a bientôt fait d'engraisser terriblement.
+
+Quand elle se trouve au mieux de sa forme (quelques baleines arrivent
+ainsi à doubler de volume), le capitaine Moonson la délarde en prenant
+toutefois la précaution de l'endormir au chloroforme.
+
+Il la délarde, comprenez-vous bien?
+
+C'est-à-dire qu'il lui enlève les énormes paquets de graisse qu'elle a
+sous la peau, aux deux flancs.
+
+Moonson obtient de la sorte des espaces vides dans lesquels il
+introduit deux vastes coffres en ébonite épousant la forme exacte de
+la cavité produite.
+
+Au bout de quelques jours, notre baleine, soigneusement pansée, est
+guérie de sa petite opération et ne demande qu'à reprendre la mer.
+
+Moonson prend place alors dans un des coffres, son matelot dans
+l'autre, et adieu va! Vogue la galère.
+
+La direction se fait électriquement, les deux nageoires pouvant être
+immobilisées par un courant.
+
+Une supposition: Vous voulez virer tribord, vous n'avez qu'à faire
+passer votre courant dans la nageoire gauche et réciproquement. Rien
+n'est plus simple, comme vous voyez.
+
+La baleine est mise dans l'impossibilité de plonger, grâce à des
+flotteurs adaptés de chaque côté.
+
+D'ailleurs, les plus petits détails sont prévus, et nul doute que ce
+nouveau mode de navigation ne se généralise bientôt.
+
+Moonson se propose de venir prochainement de New-York à Paris sur son
+curieux appareil. Je lui prédis un vif succès de curiosité.
+
+
+
+
+BLACK AND WHITE
+
+
+Mon Dieu! qu'elle était jolie, la première fois que je la rencontrai
+dans je ne sais plus quelle rue des Batignolles!
+
+Oh! ses grands yeux d'un noir si profond!
+
+Oh! la copieuse torsade de sa chevelure d'un noir également si
+profond!
+
+Oh! sa toilette toute noire de grand, grand deuil!
+
+Une supposition que cette jeune fille eût été négresse: alors, elle
+eût été toute noire, toute noire.
+
+Heureusement que non.
+
+Sa peau, au contraire--oh! sa peau!--était d'un blanc!...
+
+Imaginez-vous du lait dans lequel, un tout petit moment, on aurait
+fait macérer un menu fragment d'ambre clair.
+
+C'est ainsi qu'elle m'apparut, blanche et noire, évoquant l'idée d'une
+magnifique épreuve de gravure à l'eau-forte, due au burin de quelque
+maître génial et charmant.
+
+Elle me plut beaucoup.
+
+Je ne le lui envoyai point dire, et, peu de semaines après cette
+rencontre, je devenais l'heureux époux de celle que j'avais
+baptisée, déjà en l'ignorance provisoire de son état civil, miss
+Black-and-White.
+
+Tout le temps que dura son deuil[6], ma vie s'étira en extase
+incessée.
+
+[Note 6: Elle était en deuil d'un sien oncle, colonel belge,
+lequel mourut héroïquement d'une pneumonie aiguë, après avoir eu un
+cheval tué sous lui d'un chaud et froid.]
+
+Au bout de l'époque indiquée par le code des convenances, son grand
+deuil subit un déchet de cinquante pour cent.
+
+(Je veux ainsi dire qu'elle prit le demi-deuil, et je ne suis pas
+fâché de protester, en passant, contre cette anomalie. On ne devrait,
+selon moi, porter le demi-deuil que pour les parents qui sont à moitié
+morts, ne vous semble-t-il pas?)
+
+Puis vint le jour où ce dernier demi-deuil tomba de lui-même.
+
+Alors, ce fut l'innommable torture.
+
+L'ex-miss Black-and-White révéla des goûts de la plus criarde
+polychromie.
+
+Véritablement, certaines pièces de sa toilette se réclamaient de
+couleurs inconnues chez les pires aras des forêts brésiliennes.
+
+Le tout assorti avec un parti pris d'inharmonie et de mauvais goût
+fort agressifs.
+
+Mes observations, douces ou rageuses, obtinrent le même résultat,
+à savoir celui que récolterait un tout petit enfant décochant des
+chiquenaudes sur le pilier N.-O. de la Tour Eiffel.
+
+Parfois, je m'indignais:
+
+--C'est dégoûtant! j'ai épousé une eau-forte et voici qu'aujourd'hui
+j'ai pour femme une image d'Épinal!
+
+Mais ma petite compagne était butée.
+
+--Je ne reprendrai du noir, se plaisait-elle à répéter, que le jour où
+je serai veuve.
+
+--J'eus la très forte envie de me tuer... pour voir.
+
+Une courte réflexion me fit revenir à une attitude plus sensée.
+
+Et puis, sacrifier une existence humaine uniquement pour la simple
+couleur d'une toilette de dame, me parut excessif.
+
+Je me contentai alors de tuer sa mère, démarche qui produisit,
+d'ailleurs, le même effet, à ce point de vue un peu spécial.
+
+Depuis ce jour, j'ai retrouvé ma petite Black-and-White de l'année
+dernière, et je suis bien heureux.
+
+
+
+
+RÉSULTAT INESPÉRÉ
+
+
+Je reçois de ma très gracieuse amie miss Sarah Vigott, fille du
+major Vigott, actuellement en garnison à Malte, la lettre suivante de
+laquelle je me ferais scrupule de changer la plus pâle intonation.
+
+«Bien cher camarade,
+
+» Il faut que je vous raconte une chose qui va vous émerveiller
+excessivement fort.
+
+» Quinze jours passés environ, après souper, la nuit paraissait
+splendid avec une claire de lune si belle que nous pensions tous à
+faire un léger promenade dans le jardin, avant le lit.
+
+» Alors, combien forte était notre stupéfaction quand nous voyons
+notre jardin tout noir, tout plein de ténèbres obscures, tant que nous
+cognons contre nous-mêmes!
+
+» Pourtant, partout ailleurs, le temps était tout à fait lumineux et
+si bien nous apercevions dans la mer les bateaux pêchants que nous
+pouvions compter leurs plus petites cordages.
+
+» Alors, voilà que la frayeur de cette mystère refroidit notre sang et
+frissonne notre peau.
+
+» Le petit Fred pleurait, car il disait que c'était la fin du monde.
+
+» Oh! si noir, ça était partout dans notre parc, si noir!
+
+» Notre parc, c'est une terrasse située en haut qui voit sur la mer et
+qui n'a pas des murs autour pour faire l'ombre.
+
+» Papa aussi devenait très ennuyé, quand nous entendions subit Jim (le
+plus vieux de mes frères) qui riait avec grands éclats.
+
+»--Quelle matière avez vous, Jim, disait papa, de rier si fort en
+cette instant?
+
+»--Je ris, répondait Jim, parce que, en cette instant, c'est la plus
+comique chose de tout l'univers.
+
+» Et comme il nous voyait chacun si inquiète, il expliquait nous la
+terrible mystère.
+
+ * * * * *
+
+» Vous savez, bien cher camarade, quelle attention nous payons à tous
+vos travaux scientifiques, à vos si intéressantes découvertes.
+
+» Chaque fois que vous publiez une nouvelle idée, immédiatement nous
+la pratiquons à la maison.
+
+» Quelquefois, ça ne réussit pas, d'autres fois, le résultat dépasse
+l'espérance.
+
+» Pour cette chose de vers-luisants que vous vous êtes occupé cet été,
+l'affaire était tout à fait bonne.
+
+» Nous suivions attentivement votre recommandation et nous obtiennons
+maintenant de magnifiques bêtes avec une lumière très forte et très
+durante.
+
+» Quand vous disiez que les vers-luisants éclairent vert parce qu'ils
+nourrissent avec la verdure et qu'ils pouvaient éclairer rouge
+quand ils mangent la rougure ou mauve quand c'est la mauvure, cette
+observation est positivement exacte.
+
+» Plus de cent fois nous faisions cette amusante expérience et
+toujours le résultat n'était jamais contraire.
+
+» Ainsi cette fameuse nuit que vous disais que notre pauvre jardin
+était si ténébreux malgré cette magnifique claire de lune, eh bien!
+c'est mon frère Jim qui avait amusé à donner aux vers-luisants toute
+la journée avant, à manger des tulipes noires que nous avons dans
+notre jardin, des tulipes si noires!
+
+» Tout le monde dans notre maison vous embrasse et moi aussi deux
+fois, et même si vous voulez, un peu plus.
+
+» Heartly yours,
+
+» SARAH VIGOTT.»
+
+Toute la question maintenant est de savoir si miss Sarah Vigott ne
+s'aurait pas payé ma fiole, comme disent les gens.
+
+Oh! ces Anglaises!
+
+
+
+
+NOUVEAU TRAITEMENT DU VER SOLITAIRE
+
+
+Au risque de passer pour un cosmopolite de bas étage, pour un
+sans-patrie, pour un Gannelon, je vais publier ici la lettre d'un
+Allemand.
+
+En certains cas, la voix de l'humanité doit couvrir toute autre
+clameur, même celle de notre chère nation. N'est-ce point votre avis?
+
+Et puis, il s'agit de médecine, question qui, tel l'art, ne comporte
+point de frontières.
+
+Voici le principal fragment de la lettre en question de mon Bavarois.
+(On voudra bien en excuser les légères incorrections grammaticales).
+
+ * * * * *
+
+«Je voulais vous voir à mon passage dans Paris, mais le temps manque
+et je vous écris ce billet pour vous faire savoir le moyen qu'un
+de mes amis, qui est un médecin à Anspach, vient de trouver pour
+débarrasser ses malades du ver solitaire, si ils l'ont.
+
+» Mon intention avait été de l'envoyer à ma revue de médecine de
+Paris, si j'aurais écrit français mieux et comme un médecin ici.
+
+» Comme on m'a dit que vous êtes très influent, peut-être vous
+pourriez le publier, ce serait un bon service à rendre pour
+l'humanité.
+
+» Donc, Herr Professor Ruhlmann, mon ami, a chez lui un gros ver
+solitaire qu'il nourrit richement et qu'il est en train d'habituer.
+
+» Si un malade en a un dans le corps, il ordonne une sévère diète
+pendant quatorze jours.
+
+» Le ver du malade dépérit, il n'a plus bientôt aucune force.
+
+» Alors H. Prof. Ruhlmann, fait avaler au malade le gros sien, la tête
+en avant, mais pas tout entier, car il garde la queue dans sa main.
+
+» Le gros rencontre l'autre qui est très faible, il se bat avec lui et
+le mange.
+
+» Puis, H. Prof. Ruhlmann le retire doucement en arrière et le malade
+est débarrassé.
+
+» À la vérité, ce système a réussi mal au premier essai, parce que le
+gros s'est fixé dans l'intestin du malade et il n'a pas voulu sortir,
+le pauvre homme a fallu le garder complètement, de sorte que il en a
+deux maintenant.
+
+» Mais c'était sans doute que le gros n'avait encore aucune habitude
+de ce qu'il devait faire et H. Prof. Ruhlmann fera un nouveau essai
+bientôt.
+
+» Je vous ferai connaître le résultat.»
+
+ * * * * *
+
+Je ne sais pas au juste ce que pensera l'Académie de Médecine de ce
+bien curieux procédé, mais je crois être l'interprète de tous nos
+lecteurs en remerciant Herr Professor Ruhlmann (de Munich) de son
+intéressante communication.
+
+
+
+
+LA GRAPHOLOGIE MISE EN DÉFAUT PAR UNE SIMPLE JEUNE FILLE AMOUREUSE, IL
+EST VRAI
+
+
+La graphologie, longtemps considérée comme une science à côté, prend
+aujourd'hui une éclatante revanche.
+
+Ça durera ce que ça durera, mais, pour le moment, les graphologues
+sont bien contents.
+
+La cause de cette agitation? Inutile, n'est-ce pas d'y insister;
+d'autres que moi s'en chargent, et j'ai juré de ne, tant que je serai
+vivant, écrire plus jamais le mot _bordereau_.
+
+ * * * * *
+
+Ah! la graphologie!
+
+J'ai raconté jadis qu'un graphologue fut poussé, par la conscience
+qu'il mettait à son art, jusqu'aux extrémités les plus regrettables.
+
+Ayant un beau jour découvert dans sa propre écriture les signes
+indéniables auxquels on reconnaît l'assassin, le voilà qui s'en va
+vers le commissaire de police le plus voisin et le prie de le mettre
+en état d'arrestation.
+
+--Vous arrêter, fait le magistrat, pourquoi?
+
+--Parce que je suis un meurtrier.
+
+--Vous avez tué quelqu'un?
+
+--Pas encore, mais je tuerai.
+
+--Qui?
+
+--Je n'en sais rien, mais je tuerai. Je tuerai puisque je suis,
+graphologiquement et, à n'en point douter, un terrible assassin.
+
+Le commissaire envoya coucher le maniaque.
+
+Qu'arriva-t-il?
+
+Il arriva que notre graphologue, irrité de n'être pas pris au sérieux,
+tua, en rentrant, son concierge, avec un fort couteau à découper et
+revint, couvert de sang, vers l'incrédule magistrat:
+
+--Me croirez-vous une autre fois? disait-il d'un air triomphant.
+
+Les histoires arrivées aux graphologues ne sont pas toutes d'aussi
+funèbre ton.
+
+J'en connais une, entre autres, en laquelle il apparaît clair comme
+le jour que le plus subtil devin en écritures peut être roulé par une
+innocente fillette à peine ornée de vingt et un printemps.
+
+Un vieux graphologue était le père de la délicieuse jeune fille en
+question.
+
+À plusieurs reprises, la pauvre enfant avait éperdument adoré
+différents fiancés, mais, chaque fois, son vieux maboul de père lui
+avait fait le coup de l'écriture.
+
+--Tu n'épouseras pas ce garçon-là, ma fille!
+
+--Pourquoi, papa?
+
+--Parce que, ma chérie, à sa façon de mettre les points sur les i, je
+devine qu'il ne tarderait pas à te mettre les siens sur la figure.
+
+--Il a l'air si doux, pourtant!
+
+--L'air n'est rien, l'écriture est tout.
+
+La pauvre petite commençait à se désespérer sombrement, car douze
+fiancés avaient été balancés déjà.
+
+Un treizième soupirant se déclara.
+
+--Celui-là, décida la jouvencelle, celui-là, il n'y a pas de tonnerre
+de Dieu qui m'empêchera de l'épouser!
+
+Et elle fit comme elle l'avait dit.
+
+Un soir, le vieux têtu était à dîner en compagnie de sa charmante
+fille, quand la bonne apporta une lettre.
+
+--Je n'ai pas mes lunettes, dit le bonhomme, lis-moi cette missive.
+
+--Tiens!... C'est un mot de Monsieur Albert.
+
+(Monsieur Albert était le nouveau fiancé.)
+
+--Monsieur Albert, continua la jeune fille, s'excuse de ne pouvoir
+venir ce soir, comme il l'avait promis.
+
+--Attends un instant, fifille, je vais quérir mes bésicles et étudier
+de près l'écriture de ce gaillard.
+
+Fifille pâlissait.
+
+Ce qui d'abord sautait aux yeux dans l'écriture de Monsieur Albert,
+c'en était l'extraordinaire déclivité.
+
+Signe de dépression, de faiblesse, de manque d'énergie.
+
+ * * * * *
+
+... De même que l'amour donne des ailes, il procure du génie.
+
+Les trois ou quatre lignes de Monsieur Albert étaient tracées non
+point sur du papier à lettres, mais sur un de ces cartons dont se
+servent les personnes qui n'ont que quelques mots à écrire.
+
+En quatre coups de ciseaux, pendant que le bonhomme cherchait ses
+toujours égarées lunettes, la jeune fille avait modifié la forme du
+carton de telle sorte que l'écriture du fiancé, au lieu de tomber au
+bas de la page, se relevait, au contraire, conquérante, luronne...
+
+--À la bonne heure! fit le vieux papa. Voilà enfin l'écriture d'un
+lascar! Qui est-ce qui aurait dit ça, à le voir!
+
+Ajoutons, pour rassurer toute la partie saine de nos lecteurs, que le
+mariage eut lieu peu après et que les deux jeunes gens, parfaitement
+heureux, rigolent beaucoup quand on parle chez eux de la graphologie
+infaillible.
+
+
+
+
+SOURIS MYOPHAGES
+
+
+Consultez nos excellentes ménagères, elles seront unanimes à vous
+affirmer que les souris sont la plaie des maisons et _plaie_ ne me
+semble pas trop fort.
+
+Mille procédés sont en usage en vue de supprimer ces intolérables
+parasites.
+
+Quelques personnes arrivent à ce résultat en infligeant subrepticement
+aux souris une alimentation des plus toxiques, tord-boyaux,
+mort-aux-rats ou autres.
+
+D'autres attirent insidieusement la gent trotte-menue en des pièges
+d'où elle ne sort que pour être livrée au trépas.
+
+Le chat est également fort employé, son instinct le poussant à la
+destruction de nos petits ennemis.
+
+Certains inventeurs ont préconisé différents systèmes qui se signalent
+surtout par leur originalité.
+
+Rappellerai-je brièvement le procédé de M. de Gautier de la
+Hulinière, le célèbre créateur de _l'air factice des montagnes_ (dont
+j'entretiendrai prochainement mes lecteurs)?
+
+M. Gautier de la Hulinière fait périr ses souris, rats, cancrelats,
+punaises et autres nuisances au moyen d'un simple chaud et froid.
+
+De grands feux allumés durant quelques jours par toute sa maison sont
+brusquement éteints un beau soir, les portes et fenêtres sont alors
+ouvertes à tous ballants et la pleurésie fait son oeuvre.
+
+Quelle bête résisterait à ce régime?
+
+(Inutile d'ajouter que ces messieurs et dames habitent, pendant cette
+expérience, un autre séjour.)
+
+Évidemment, l'idée est ingénieuse, mais la pratique en est-elle bien
+commode? Je ne le crois pas.
+
+Je travaille la question de la destruction des souris depuis bientôt
+un an, je la travaille sans relâche, et je puis affirmer que mon âme
+ignore le découragement autant que s'il était encore à naître.
+
+Je crois modestement avoir réussi.
+
+Le fruit de mes veilles, je vous le livre, sans espoir d'autre
+récompense que ma conscience satisfaite et la joie de nos ménagères
+enfin rassurées sur leurs provisions.
+
+Le système consiste à capturer quelques souris qu'on enferme dans une
+boîte de fer blanc (autant que possible) et auxquelles on fait suivre
+un traitement spécial.
+
+Pas de pain, pas de grain, en un mot rien de végétal dans leur
+alimentation.
+
+De la viande, rien que de la viande.
+
+La souris, qui, à l'état libre, est éminemment panphage, devient
+carnivore avec une facilité surprenante.
+
+Non seulement carnivore, mais carnassière, dois-je dire, et
+cruellement carnassière.
+
+Au bout d'un mois, toute souris soumise au régime exclusif de la
+viande s'est transformée en une sorte de petit animal féroce qui
+n'hésite pas à tuer ses congénères pour s'abreuver de leur sang et se
+repaître de leur chair.
+
+C'est à ce moment qu'on remet en liberté ces inexorables barbares.
+
+Alors, se produit un indicible carnage, un massacre général qui
+rappelle les plus tristes pages de notre histoire.
+
+Puis, soudain, un grand silence.
+
+Les vainqueurs repus s'endorment sur les cadavres mi-rongés des
+victimes: l'ordre règne à Varsovie.
+
+Recommandation importante: Pour arriver à créer une race de ces souris
+fratricides il faut, bien entendu, se servir d'animaux des deux sexes,
+mais pour accomplir l'oeuvre de la destruction, ne lâcher que des
+femelles, beaucoup plus féroces que les autres et incapables ensuite
+de procréer des lignées de rongeurs qui se retourneraient un jour
+contre nous.
+
+Si l'année prochaine, il subsiste une seule souris en France, avouez
+que ce ne sera pas de ma faute.
+
+
+
+
+UTILISATION MILITARO-VÉHICULAIRE DU MOUVEMENT OSCILLATOIRE DU BRAS
+GAUCHE CHEZ LES TROUPES EN MARCHE.
+
+Ce titre seul, à la rigueur, me dispenserait d'en dire plus long, si
+mon contrat avec mon éditeur ne stipulait point, de ma part, un
+nombre minimum de lignes, et si, d'ailleurs et surtout, ma conscience
+exigeuse ne m'incitait à pousser davantage une aussi pâle ébauche.
+
+La vérité, c'est que j'arrive de Montargis, bourgade dont le nom seul
+nous dispense d'en dire plus long sur le sublime dévouement de sa race
+canine.
+
+Pour ce qui est de la Fidélité poussée jusqu'au Sacrifice, le chien de
+Montargis tient, sur l'échelle de l'estime générale, le même rang que
+l'oie du Capitole dans le domaine de la Vigilance.
+
+(Et même--pourquoi ne le dirait-on pas puisque voici justement une
+parenthèse?--quels admirables résultats ne donnerait-il pas, le
+croisement de ces deux sortes de bestiaux pour la création d'une race
+spécialement applicable à la garde et à la défense des habitations
+isolées!)
+
+Mais toutes ces considérations nous entraînent loin de notre sentier.
+Ainsi que l'a dit notre digne maître Franc-Nohain:
+
+ _Revenons
+ À nos moutons_.
+
+Or donc, pour employer la forte expression de Chincholle, j'assistai
+récemment, _comme par une sorte de hasard prémédité_, à une expérience
+des plus intéressantes accomplie au 89° d'infanterie sous les ordres
+et d'après l'inspiration du bien connu lieutenant Th. Machin.
+
+... Les personnes qui habitent une ville de garnison ne sont point
+sans avoir remarqué le mouvement oscillatoire et même _pendulaire_,
+dirait l'ami Serpollet, qu'imprime la marche au bras gauche du
+vaillant petit pioupiou français.
+
+Il va sans dire que si ces messieurs portaient l'arme sur l'épaule
+gauche, ce serait le bras droit qui profiterait de ce balancement.
+
+Après une dizaine d'années d'un labeur opiniâtre, le lieutenant
+Th. Machin est arrivé à utiliser ce phénomène, et cela le plus
+ingénieusement du monde.
+
+Des cordes tendues que les hommes tiennent de la main gauche, cordes
+qui correspondent à un treuil placé sur une voiture, lequel treuil met
+en mouvement des bielles, lesquelles bielles, finalement, actionnent
+les roues de la dite voiture.
+
+C'est désormais la suppression des chevaux et mulets attelés aux
+voitures régimentaires: et voilà, du coup, une énorme économie
+réalisée sans que les hommes en aient le moins du monde à pâtir, car
+il est démontré qu'ainsi employé, le travail d'une trentaine d'hommes
+correspond, sans trace de fatigue pour ces derniers, à l'effort d'un
+cheval.
+
+Pour plus de détails, consulter le numéro de _l'Illustration_ de la
+semaine prochaine qui publiera, sur ce sujet, d'intéressants croquis
+et dessins avec le portrait du lieutenant Th. Machin.
+
+
+
+
+SUPPRESSION DE LA BOUE PAR UN PROCÉDÉ FORT SIMPLE, MAIS AUQUEL IL NE
+FALLAIT PAS MOINS SONGER.
+
+
+J'ai raconté, dans le temps, à quelques centimètres de la place où
+vous lisez ces lignes, le curieux accident dont je fus témoin et
+auquel beaucoup de personnes ne crurent point devoir fournir la
+moindre foi.
+
+Un immense chaland, relatais-je, chargé de papier buvard, s'étant
+heurté contre une des piles du Pont-au-Change, une voie d'eau se
+déclarait et aussitôt le chaland coulait, lui et sa marchandise, au
+fond de la Seine.
+
+En moins de temps qu'il n'en faut pour l'écrire, le chargement de
+papier buvard absorbait l'eau de la rivière, d'où brusque et énorme
+abaissement du niveau de la Seine, abaissement qui faillit un instant
+friser la dessication complète.
+
+Mais bientôt arrivèrent les pompiers, et la Seine ne fut pas longue à
+reprendre son étiage normal.
+
+Tel est le fait divers que j'avais fidèlement raconté à mon million et
+demi de lecteurs.
+
+Beaucoup de ces messieurs et dames protestèrent.
+
+Les uns m'accusèrent formellement d'être un «blagueur» (sic), et
+de relater à plaisir des désastres qui n'avaient lieu que dans mon
+imagination.
+
+D'autres se refusèrent à croire que le papier buvard fut d'un
+emploi assez considérable pour provoquer à lui seul d'aussi fortes
+cargaisons.
+
+L'épithète de «blagueur», je la renvoie à ceux qui m'en affublèrent.
+
+Quant aux personnes qui m'accusèrent d'exagérer les transactions
+en matière de papier buvard, je les prie seulement d'assister aux
+expériences qui vont avoir lieu sur la chaussée des boulevards, à
+partir de lundi prochain.
+
+Elles y verront de gigantesques rouleaux semblables, en plus grand,
+à ceux dont se servent les bureaucrates pour sécher l'encre de leur
+écriture.
+
+Ces rouleaux, de 1m 80 de diamètre, traînés par des chevaux, seront
+promenés sur nos principales artères à seule fin d'éponger la boue qui
+les souille.
+
+Dire qu'il a fallu quatre-vingt-trois ans (ce papier a été inventé en
+1804 par le vénérable abbé Buvard qui lui donna son nom), pour penser
+à une application si simple et pourtant si avantageuse d'un produit
+tellement connu!
+
+Ne récriminons pas trop, mais félicitons-nous au contraire d'en finir
+avec la boue, cet humide fléau qui souille nos souliers, le bas de nos
+pantalons et celui des jupes de nos compagnes.
+
+Et pourquoi n'élèverait-on point une statue à feu Buvard, à ce modeste
+et utile citoyen?
+
+
+
+
+LE CAMBRIOLAGE DE L'OBÉLISQUE
+
+(Fait-Divers)
+
+
+Dans la nuit de mercredi à jeudi, deux gardiens de la paix, opérant
+leur ronde, place de la Concorde, ne furent pas peu surpris en
+apercevant de la lumière qui filtrait à travers l'une des crevasses de
+l'Obélisque de Louqsor.
+
+Tout d'abord, ils se crurent le jouet d'une illusion.
+
+Mais, en s'approchant, aucun doute ne leur fut permis et les braves
+agents se virent forcés de se rendre à l'évidence: une lueur filtrait
+par la crevasse.
+
+Positivement, une lueur filtrait.
+
+Un peu ahuris, les agents firent le tour du monument et ne purent que
+se convaincre de cette étrange réalité: il y avait de la lumière dans
+l'Obélisque.
+
+À grands pas, ils rentrèrent au poste, signalèrent le fait au
+brigadier qui n'hésita pas à envoyer quérir le commissaire de police.
+
+Ce magistrat crut d'abord à une mystification.
+
+--C'est probablement, dit-il en ricanant, le concierge de l'Obélisque
+qui aura oublié de souffler sa chandelle.
+
+Sur l'insistance du brigadier, le commissaire se décida à se porter
+sur les lieux, et force lui fut bien de constater que les agents
+n'avaient point la berlue.
+
+D'un bond, ces messieurs franchirent la grille et vinrent appuyer leur
+oreille contre la paroi extérieure de l'édifice.
+
+Dans l'intérieur du vieux monument égyptien, résonnaient des
+bruits d'orgie, des chocs de verres, des propos sacrilèges et
+blasphématoires, des refrains populaciers, d'obcènes poésies.
+
+Un rapide examen permit à ces messieurs de constater qu'aucune porte,
+dissimulée ou non, ne permettait l'accès dans l'Obélisque.
+
+Les malfaiteurs avaient donc dû pénétrer par en dessous.
+
+ * * * * *
+
+Ce n'est pas une petite affaire que de réveiller les agents du Service
+des Égouts à trois heures du matin.
+
+Il le fallut bien, pourtant.
+
+Ajoutons que ces braves fonctionnaires ne regrettèrent point leur
+repos interrompu, car le spectacle qu'ils eurent à contempler sortait
+véritablement du banal.
+
+Partant d'une petite branche d'égout (rarement explorée), des
+malfaiteurs avaient pratiqué un long trou qui venait aboutir juste
+au-dessous de l'Obélisque.
+
+De là, et verticalement, grâce à des instruments _ad hoc_, une
+patience inaltérable et une énergie qui, mieux appliquée, aurait
+produit de grandes choses, ces bizarres cambrioleurs avaient réussi
+à évider l'antique bloc de granit, ne lui réservant qu'une épaisseur
+d'un centimètre à peine.
+
+ * * * * *
+
+Quand, précédés du commissaire ceint du son écharpe, les braves agents
+pénétrèrent dans l'Obélisque, quatre individus, deux hommes à
+face patibulaire et deux filles dites de barrière, s'y trouvaient,
+s'adonnant à la plus crapuleuse orgie.
+
+Pour ne point mentir, ces personnages n'étaient point rangés autour
+d'une table circulaire.
+
+L'exiguïté du local les avait contraints à s'espacer sur une échelle
+verticale en fer creux, dérobée dans un grand magasin non loin du pont
+Notre-Dame.
+
+Pour se communiquer aliments ou breuvages, ces indélicats personnages
+employaient le système américain dit _up and down_, c'est-à-dire
+que celui d'en bas passait litre ou charcuterie variée à son voisin
+d'au-dessus, lequel en faisait autant, et ainsi de suite.
+
+ * * * * *
+
+Tout ce joli monde a été envoyé au Dépôt.
+
+
+
+
+GRANDE INTELLIGENCE D'UNE TOUTE PETITE CHIENNE
+
+
+J'ai dit assez de mal des chiens, j'ai assez blâmé leur platitude et
+leur servilité, j'ai assez souvent bafoué ces pauvres cabots pour leur
+rendre, aujourd'hui, un semblant de tardive justice.
+
+Je proclame donc que les chiens sont très intelligents et même plus
+intelligents qu'on ne croit.
+
+Les exemples de chiens malicieux foisonnent dans les traités spéciaux
+où il est question de l'esprit des bêtes, mais je ne crois point qu'un
+cas pareil à celui qui suit ait jamais figuré dans un de ces recueils.
+
+L'histoire m'en a été contée par une jeune femme dont l'excessive
+frivolité n'enlève rien au charme de son commerce.
+
+Je laisse la parole à cette évaporée:
+
+--Imaginez-vous, mon pauvre monsieur, que j'ai failli perdre Jip, ma
+petite Jijip, la petite Jijip à sa mémère (_baisers répétés sur
+le noir et frais museau de Jip, dérisoire échantillon de la race
+canine_).
+
+Oui, monsieur, Jip avait pris la clef des champs. Oh la vilaine qui a
+fait de la peine à sa mémère! Jip s'était tiré des papattes, un beau
+matin, et sans son collier, encore!
+
+Ah! mon pauvre monsieur, si vous m'aviez vue! Une folle, monsieur, une
+vraie folle!
+
+Immédiatement, j'envoie tout mon monde dans les environs. Jip! Jip!
+Jip!
+
+Pendant toute la journée, on n'entendit que ce cri dans le quartier!
+
+La nuit vient: pas de Jip!
+
+Ah! mon pauvre monsieur, la nuit que j'ai passée! Je n'en souhaiterais
+pas une semblable à mes pires ennemis.
+
+Dès le lendemain, on va chez l'imprimeur et on lui commande des tas
+d'affiches: «Il a été perdu une petite chienne, etc., etc., répondant
+au nom de Jip, etc., etc., le signalement, etc., etc., l'adresse,
+etc., etc., récompense, etc., etc.,» enfin, tout ce qu'il fallait
+pour retrouver cette petite horreur. (_Baisers frénétiques comme plus
+haut._)
+
+En deux heures, toutes ces affiches étaient collées sur les murs de
+Paris (je croyais même que c'était plus long à exécuter, ce travail).
+
+La journée se passe, nulle Jip! Le soir tombe, nulle Jip! Sur nous la
+nuit se prépare à étendre ses voiles, pas plus de Jip que sur la main!
+
+Tout à coup, je pousse un cri d'horreur!
+
+Mes yeux venaient de se fixer sur un spécimen de l'affiche en
+question: _Il a été perdu_... etc...
+
+Cet imbécile d'imprimeur n'avait-il pas écrit Gyp au lieu de Jip, vous
+savez bien Gyp, comme le nom de cette dame qui écrit des choses si
+amusantes!
+
+Tout était à refaire.
+
+J'allais me jeter sur un canapé eu poussant des sanglots inarticulés
+quand voilà ma femme de chambre qui entre en criant: «Jip! Jip! Jip
+est retrouvée!»
+
+Et cette abomination de Jip qui se jette à moi, folle de joie!
+
+Dans l'antichambre, il y avait un homme mal mis, un individu, je
+crois, qui me dit avoir trouvé Jip dans un quartier perdu, du côté de
+la rue de Rivoli. Il l'avait reconnue d'après le signalement donné par
+l'affiche, l'avait appelée Gyp! Gyp! et rapportée docile à sa pauvre
+mémère en pleurs. Et voilà!
+
+Ainsi, cette petite bête avait parfaitement compris, quand on
+l'appelait _Gyp_, qu'il se commettait une erreur, et que c'est bien
+d'elle, _Jip_, qu'il s'agissait.
+
+Combien d'hommes qui s'appellent Durand ne se retourneraient pas si on
+les appelait Martin, même s'il s'agissait de leur salut!
+
+
+
+
+CONTE DE NOËL
+
+_A Georges Darien, auteur de cet admirable_ Voleur _qu'on devrait voir
+dans toutes les mains vraiment dignes de ce nom._
+
+
+Notre meilleur jour, à nous autres cambrioleurs, ou, pour parler plus
+exactement notre meilleure nuit, c'est la nuit de Noël.
+
+Surtout dans les départements.
+
+Principalement dans certains.
+
+Dans ceux (vous l'avez deviné) où la foi subsiste, fervente, candide,
+au coeur de ces bons vieux vrais Français, comme les aime Drumont
+(Édouard).
+
+En ces naïfs districts, c'est encore plus par allégresse que par
+devoir religieux que les fidèles accourent à la messe de minuit,
+et, dans cette assemblée, c'est plus des poètes qui rêvent que des
+chrétiens qui prient.
+
+L'étoile... les rois mages... l'étable... le Bébé-Dieu sur son dodo
+de fins copeaux... la jolie petite Maman-Vierge rose d'émoi et un peu
+pâle, tout de même, et fatiguée de recevoir tant de monde qui n'en
+finit pas d'arriver, d'entrer, de sortir, de bavarder... et dans un
+coin, le menuisier Josef, quelque peu effaré, un tantinet ridicule
+(d'ailleurs, amplement dédommagé depuis par un fort joli poste fixe au
+Séjour des Bienheureux).
+
+ * * * * *
+
+C'était le mille-huit-cent-nonante-troisième anniversaire de cette
+date bénie.
+
+Et cela se passait à A. sur B. (département de C. et D.).
+
+Une sale nuit!
+
+Un ciel gorgé d'étoiles.
+
+Pas un nuage.
+
+Une pleine lune, toute ronde, aveuglante, bête comme elle-même.
+
+On se croirait dans quelque hall monstrueux éclairé par une
+électricité en délire.
+
+Ah! oui, ça va être commode tout à l'heure de travailler, dans ces
+conditions-là!
+
+Un joli coup, pourtant:
+
+Rien que des bijoux, de l'argent, des valeurs au porteur, dont--les
+imbéciles!--ils ont noté les numéros sur un petit carnet enfermé dans
+le même tiroir que les valeurs.
+
+Je vais être forcé d'entrer par le jardin, derrière.
+
+Il y a un chien.
+
+Heureusement, les boulettes à la strychnine n'ont pas été inventées
+pour les... je suis bête... elles ont été justement inventées pour les
+chiens.
+
+En attendant que la messe sonne, je pioche mon plan.
+
+Une merveille de plan, dressé par un camarade, lieutenant de génie
+fraîchement démissionné pour raisons qui ne regardent que lui.
+
+Oh! le joli plan, si précis!
+
+Un aveugle s'y reconnaîtrait.
+
+Et il y a des gens qui veulent supprimer l'École Polytechnique!
+
+Enfin, minuit!
+
+Voici la messe qui sonne.
+
+Un silence.
+
+Tout le monde est à l'église.
+
+ * * * * *
+
+Ouah! ouah! ouah!
+
+Te tairas-tu, sale cabot!
+
+Tu as faim? Tiens, boulotte cette boulette, boulette cette boulotte!
+
+Pattes en l'air, le fidèle chien de garde bientôt contracte un silence
+religieux.
+
+Me voilà dans la place!
+
+ * * * * *
+
+Me voilà dans la place!
+
+Mais, plus vite encore, me voilà sur le toit!
+
+Car a surgi, revolver au poing, un homme sur lequel je n'étais pas
+en droit de compter, un homme qui faisait des réussites au lieu
+d'acclamer la venue du Sauveur!
+
+Cet homme gueule comme un putois.
+
+Je me trotte!
+
+--Par ici! par ici! crie l'homme.
+
+Des sergots, des pompiers me pourchassent.
+
+... La balade sur les toits n'est généralement pas d'un irrésistible
+attrait; mais, par la neige, ce sport revêt je ne sais quelle
+mélancolie.
+
+Tout à coup, des cris de triomphe: «Nous le tenons! Nous le tenons!
+Ah! vieille fripouille, ton compte est bon!»
+
+Ce n'est pas moi qu'ils tiennent.
+
+Alors qui?
+
+Je risque un oeil derrière la cheminée où je me cramponne.
+
+Les hommes de police étreignent les bras, la tête, la torse d'un
+pauvre vieux qui se débat.
+
+Et une grande pitié me saisit.
+
+Celui qu'ils ont pris pour moi, pour le cambrioleur, c'est le Bonhomme
+Noël, en train d'apporter dans les cheminées des cadeaux pour les
+gosses, de la part du petit Jésus.
+
+
+
+
+LA MAISON VRAIMENT MODERNE
+
+
+--Eh bien, mon vieux Cap, que pensez-vous de cela?
+
+--De quoi?
+
+Je tendis au Captain le numéro du _Journal_ en lequel Marcel Prévost
+traitait, avec son autorité et son charme coutumiers, la question de
+la maison moderne.
+
+D'un rapide coup d'oeil, d'un de ces coups d'oeil que l'aigle le plus
+perspicace n'hésiterait pas à signer, notre vaillant camarade eut
+bientôt fait de dévorer la dite chronique.
+
+Puis il haussa les épaules, et d'une attitude qui lui est familière:
+
+--Votre ami Prévost, dit-il, me semble bien ingénu de tant s'effarer
+pour un monte-charge à ordures ménagères et pour le chauffage des
+W.-C.
+
+--Vous avez vu mieux que cela, Cap?
+
+--Enfant!
+
+--Dans les Nouvelles-Galles du Sud, sans doute?
+
+--Pas si loin, dans la région Nord du Canada, à Winnipeg; j'ai vu la
+maison idéalement construite pour ce climat, glacial l'hiver, torride
+l'été.
+
+--Calorifères? Ventilateurs?
+
+--Mieux que cela! J'habitai l'immeuble qui, durant la rude saison, se
+trouve toujours du côté du soleil...
+
+--Ah! mon vieux Cap!... On ne me la fait plus, celle-là! je la
+connais!
+
+--Qu'est-ce que vous connaissez?
+
+--Il y a à San-Remo un hôtel qui, entre autres alléchances, met sur
+son prospectus cette curieuse indication: «_Grâce à une ingénieuse
+combinaison, toutes les chambres de l'hôtel sont exposées au Midi._»
+Or, l'ingénieuse combinaison, la voici: L'hôtel, fort mince, ne
+comporte qu'une épaisseur de chambres, lesquelles, naturellement, ont
+toute la même orientation, celle du Midi. Si c'est ça que vous appelez
+la maison idéale!
+
+--Quand vous aurez fini de parler, je causerai.
+
+--Allez.
+
+--Semblable à votre hôtel de San-Remo, ma maison de Winnipeg est assez
+étroite, puisqu'elle ne comporte que l'épaisseur de deux pièces; mais
+ce qui fait sa singularité, c'est qu'elle est posée sur un immense
+chariot qui tourne sur des rails circulaires.
+
+--Je commence à comprendre.
+
+--Ma maison est une maison tournante. Sur le devant, sont placées
+chambres de maîtres, salles à manger, salons, etc.; sur le derrière,
+cuisines, chambres de domestiques, niches à belles-mères, etc. Pendant
+l'hiver, saison où le moindre rayon de soleil est ardemment béni, ma
+maison, dès le matin exposée au ponent, tourne, tourne, jusqu'au soir,
+où elle se trouve virée vers le plein couchant, pour recommencer le
+lendemain.
+
+--Très ingénieux.
+
+--Pendant l'été, l'été torride de ces parages, on opère le manège
+contraire et l'on peut ainsi fuir l'horreur des calcinants midis.
+
+--Admirable!
+
+--Nous voilà loin, n'est-ce pas, mon cher, de la maison moderne et
+Marcel Prévost, aux tuyaux émaillés qui empêchent les microbes de
+remonter dans l'appartement!
+
+ * * * * *
+
+--Un petit _corpse reviver_, Captain?
+
+--Volontiers! fit Cap.
+
+
+
+
+SUPPRESSION DES OCÉANS, MERS, FLEUVES ET, EN GÉNÉRAL, DES DIFFÉRENTES
+PIÈCES D'EAU QUI GARNISSENT LA SURFACE DU GLOBE.
+
+
+--Moi, dit une dame, avec un accent anglais, je l'ai visité le
+_Hohenzollern_. C'est un magnifique bateau.
+
+Suit la description détaillée de l'impérial bâtiment.
+
+Tous, dans le wagon, nous écoutions la dame, n'épargnant aucun effort
+pour donner à nos physionomies l'apparence de l'intérêt le plus
+passionné.
+
+Seul, dans un coin, un monsieur âgé ne semblait goûter aucun plaisir
+au détail de cette tudesque et flottante splendeur.
+
+Bientôt, même, il perdit patience, haussa les épaules et grommela:
+
+--Des bateaux! Ah! oui, parlons-en! Quelque chose de propre, les
+bateaux! Et à quoi ça sert-il, je vous le demande un peu?
+
+--Pardon, monsieur, l'interrompis-je poliment: les bateaux, c'est
+encore ce qu'on a trouvé de mieux pour aller sur l'eau.
+
+--Pardon vous-même! répliqua le vieux monsieur. J'ai trouvé mieux que
+cela, moi qui vous parle!
+
+--Mieux que des bateaux?... pour aller sur l'eau?
+
+--Oui, monsieur, pour aller sur l'eau!
+
+--Ah! par exemple!... Je ne suis pas curieux, mais je voudrais bien
+savoir...
+
+--Il ne tient qu'à vous, monsieur. Si vous voulez me faire l'honneur
+de venir chez moi, je vous ferai assister à de curieuses expériences.
+
+Et il me tendit sa carte: _Duc de Pauvrelieu, château de Pauvrelieu,
+près Salbec-en-Auge_.
+
+J'avais beaucoup entendu signaler ce vieux gentilhomme comme un
+fier original, mais c'est la première fois que je me trouvais en sa
+présence.
+
+Je n'eus garde, comme vous pensez bien, de manquer à son alléchante
+invitation.
+
+Le domaine de Pauvrelieu, comme tous les domaines qui appartiennent à
+des gens lotis d'une idée fixe, est un domaine fort négligé.
+
+De l'herbe pousse emmy les allées, et les vieux arbres séculaires ne
+perdraient rien à être ébranchés en de plus fréquents laps.
+
+.... Nous étions arrivés au fond du parc devant une assez grande
+surface plane dont je ne m'expliquai pas, tout d'abord, la nature.
+
+Un immense manège, eût-on dit, un manège à air libre et couvert d'une
+forte couche de sciure de bois.
+
+--Qu'est-ce que c'est que ça, d'après vous, me demanda brusquement mon
+hôte.... Ne cherchez pas, vous ne trouveriez pas: c'est un étang.
+
+--Un étang?... Un étang sans eau, alors.
+
+--Un étang plein d'eau, au contraire mais dont l'eau est recouverte
+d'une couche de liège grossièrement pulvérisé.
+
+--Je commence à comprendre.
+
+--Cette couche de liège pulvérisé a une épaisseur de trente
+centimètres, épaisseur suffisante pour supporter, non seulement le
+passage des gens, mais encore la circulation des voitures.
+
+--C'est à peine croyable.
+
+--L'expérience en est à votre portée.
+
+En effet, nous nous acheminâmes sur le liège du bonhomme et je
+constatai que nous n'enfoncions nullement.
+
+On avait la sensation de marcher sur un tapis élastique, sur un
+matelas de caoutchouc, et _on n'enfonçait pas_.
+
+Le duc de Pauvrelieu enfourcha un vieux tricycle et fit plusieurs
+tours sur la pièce d'eau.
+
+Même résultat.
+
+--Eh bien! triompha le bonhomme, êtes-vous convaincu, maintenant?...
+Car, ce qu'on fait sur un étang, rien n'empêche de le réaliser en
+grand sur la mer.
+
+--Oh! permettez...
+
+--Je prévois vos objections et je vais les démolir l'une après
+l'autre, ainsi que le ferait un tireur habile pour les pipes d'un
+établissement forain.
+
+Et, en effet, ce diable d'inventeur me convainquit totalement.
+
+Seulement, dame, il eu faudrait du liège, pour couvrir toute la
+surface liquide du globe, il en faudrait!
+
+Le duc a calculé qu'en mettant de la bonne volonté dans tous les pays
+civilisés de la terre, en contraignant tous les citoyens du monde
+entier à cultiver du liège dans leurs propriétés, sur le bord des
+routes, partout enfin où peut pousser le liège, il suffirait d'une
+vingtaine d'années pour arriver à un résultat définitif.
+
+Mais aussi, quel résultat!
+
+Plus de marine! Plus de ces coûteux et fragiles bateaux à la merci
+d'un coup de vent ou d'une collision!
+
+Et le railway direct entre Paris et New-York (trois jours et demi de
+voyage).
+
+Je n'insiste pas sur tous les progrès, sur tous les avantages
+qu'apporterait à l'humanité la réussite de cette magnifique
+entreprise.
+
+Malheureusement, l'Angleterre est là, l'Angleterre moins disposée que
+jamais à négliger sa toute-puissance maritime, l'Angleterre égoïste et
+mercantile, l'Angleterre, en un mot, toute prête à étrangler dans son
+oeuf l'idée splendide et civilisatrice du duc de Pauvrelieu!
+
+POST-SCRIPTUM
+
+Un monsieur qui s'intitule ingénieur international m'adresse une
+lettre en laquelle il reproche aigrement au duc de Pauvrelieu,
+l'auteur de ce projet, de s'être inspiré d'une idée à lui, idée qu'il
+développa jadis dans les journaux spéciaux.
+
+Il s'agit des _routes flottantes_, dont le souvenir est encore vivace
+(c'est l'ingénieur international qui l'affirme) chez toutes les
+personnes qui s'occupent sérieusement (_sérieusement_ est souligné)
+des progrès de l'humanité.
+
+Comme son nom l'indique, la _route flottante est une longue queue de
+solides radeaux mis bout à bout, mouillés en mer au moyen d'ancres et
+de chaînes à ressort.
+
+Ces chaînes à ressort permettent à nos radeaux de se disjoindre
+momentanément pour donner passage aux bateaux; après quoi lesdits
+radeaux n'ont plus qu'à se rabouter[7].
+
+[Note 7: Le vrai mot français est _raboutir_; mais, je ne sais pas
+pourquoi, ce mot-là me dégoûte.]
+
+De forts bourrelets _ad hoc_ atténuent les inconvénients du heurt et
+du frottage.
+
+L'ingénieur international affirme que rien n'est plus pratique que son
+idée et, dans un post-scriptum véritablement touchant, il m'offre, si
+je veux préconiser son entreprise et lui procurer, par moi (!) ou mes
+amis, la dizaine de millions nécessaire à établir une route flottante
+Calais-Douvres, il m'offre, dis-je, une forte part dans les bénéfices.
+
+Avis aux amateurs.
+
+En plus des énormes profits que rapportera l'affaire, MM. les
+actionnaires auront droit à une carte de circulation sur les routes
+flottantes, pour eux et leur famille.
+
+Avouez que c'est tentant.
+
+D'autres communications me sont parvenues sur le même sujet.
+
+J'y reviendrai, la chose en vaut la peine.
+
+
+
+
+SAUVEGARDE DES BICYCLETTES
+
+
+De même que, sous la blouse d'un humble campagnard ou d'un modeste
+artisan, peuvent se percevoir les battements d'un coeur d'homme, de
+même aussi, sous la casquette élimée d'un simple contremaître, peut-on
+constater le grouillement sourd d'un cerveau de génie.
+
+Si ces messieurs et dames veulent bien m'accorder une petite minute
+d'attention, on s'apercevra que mes paroles ne sont nullement
+mensongères, ni même exagératoires.
+
+... Un des gros ennuis de la bicyclette réside en l'étrange facilité
+de son larcin.
+
+Le cycle, en effet, a ceci de particulier qu'il sert à favoriser la
+fuite rapide de qui vient de le dérober, ce qui n'arrive point dans
+mille autres cas, comme, par exemple, le vol d'un sac de farine ou
+d'un lot d'escargots.
+
+Frappés de cet inconvénient, les bécaniciens les plus en vogue
+cherchent depuis longtemps le moyen d'en pallier les funestes effets.
+
+Ayons le courage de reconnaître que rien de sérieux ne fut encore
+accompli dans cette voie.
+
+Il fallut qu'arrivât le simple contremaître à qui j'ai fait allusion
+un peu plus haut.
+
+Le temps de se frapper le front, cet homme avait résolu la question,
+grâce à son petit appareil qu'il a baptisé le _Pique-Cul_.
+
+... Pourquoi, mesdames, cacher vos pudiques roseurs derrière vos
+éventails?
+
+Et en quoi le mot de _Pique-Cul_ vous effarouche-t-il tant?
+
+Si élevées aux Oiseaux que vous puissiez avoir été, n'avez-vous donc
+jamais prononcé les mots _gratte-cul_, _cul-blanc_, _cul-de-sac_,
+etc., etc?
+
+Eh bien! alors?
+
+ * * * * *
+
+Je continue:
+
+Sans entrer dans des détails de construction trop techniques, qu'il
+vous suffise de savoir que le nouvel appareil se compose d'une forte
+aiguille longue d'environ 5 centimètres et dissimulée sous la selle
+de telle façon qu'elle peut prendre, grâce à un ressort, la position
+verticale ou horizontale.
+
+Une légère ouverture circulaire, pratiquée dans le pégamoïd de la
+selle, permet le passage à pointe.
+
+L'engin est complété par une bobine d'induction, dont un pôle
+correspond au guidon et l'autre à l'aiguille.
+
+Et voilà!
+
+Dès que vous êtes contraint d'abandonner votre machine, vous faites
+prendre à votre aiguille la position verticale, et vous vaquez
+tranquillement à vos occupations ou à vos besoins (cela ne regarde que
+vous).
+
+Survient le voleur qui, d'un bond, saute sur votre machine avec
+l'agilité du sapajou lancé d'une main sûre.
+
+Sous son poids, la selle fléchit et l'aiguille pénètre dans les
+parties les plus charnues de l'indélicat personnage.
+
+Un courant électrique s'établit à travers son corps...
+
+Ah! le pauvre, il ne va guère loin, car une pelle prochaine a bientôt
+fait de le livrer à la justice de son pays!
+
+Alors, vous, après avoir remis en état inoffensif votre cruel petit
+instrument, vous continuez votre route par les campagnes embaumées.
+
+Est-ce pas simple à la fois et charmant?
+
+Présentez-vous de ma part chez notre vieux Comiot, représentant du
+_Pique-Cul_ pour toute la France.
+
+Amenez, sans le prévenir, un de vos amis auquel vous ferez jouer le
+rôle de voleur, et vous vous amuserez bien.
+
+
+
+
+ASTUCES D'UN PÊCHEUR
+
+
+La pêche, c'est-à-dire la capture des poissons de mer et d'eau
+douce, est un de ces sports qui n'ont accompli aucun progrès depuis
+l'antiquité.
+
+Du temps de Pline le Jeune et même de Pline l'Ancien (ce qui ne nous
+rajeunit pas) les pêcheurs employaient des procédés identiques à ceux
+d'au jour d'aujourd'hui.
+
+Pourquoi ce croupissement dans les vieux stratagèmes?
+
+Je ne saurais dire, n'ayant point encore approfondi la question.
+
+Mais ce que je crois pouvoir affirmer, c'est que ce déplorable état de
+choses pourrait bien cesser prochainement.
+
+Et cela, grâce aux efforts incessants et à l'imagination toujours en
+éveil d'un modeste et brave homme qui m'a prié de taire son nom (à
+cause de la police, je crois, car il a une bonne tête vénérable de
+forçat évadé).
+
+Cet excellent gentleman habite une petite propriété sise au bord d'une
+rivière coquette, frais asile de toutes sortes de poissons.
+
+Comme mon bonhomme est paresseux, tel défunt Fainéant lui-même, et
+que le lançage de l'épervier le fatigue, et que la ligne le rase très
+vite, et que patati, et que patata, et que tout de même, il adore le
+poisson, tant pour le déguster personnellement que pour en tirer un
+mercenaire profit, ce type a imaginé un certain nombre de trucs forts
+ingénieux, ma foi, desquels je vais avoir l'honneur de vous citer
+quelques-uns.
+
+_Le coup de la poêle à frire_:
+
+Sur une manière de petit radeau de bois, notre industriel installe une
+poêle à frire à moitié remplie d'huile d'olive laquelle est aromatisée
+d'une goutte d'huile d'aspic.
+
+Très friands de ce parfum, les poissons accourent (si j'ose m'exprimer
+ainsi) autour de la poêle, s'enhardissent bientôt et, finalement,
+bondissent dans l'huile où ils trouvent la mort, trépas d'autant plus
+rapide que le bonhomme n'hésite pas à transporter son récipient sur un
+feu relativement assez vif.
+
+_La pêche à la montre_:
+
+Ce sport se pratique la nuit.
+
+Vous prenez une de ces montres si fort à la mode depuis quelque temps
+et dont le cadran (grâce au sulfure de zinc) est lumineux par les plus
+épaisses ténèbres.
+
+Cette montre, vous la mettez au fond d'un grand sac et vous immergez
+le tout dans votre rivière, en ayant soin de tenir à la main la corde
+qui s'attache au sac.
+
+Les poissons, fort curieux de leur nature, ne tardent point à
+s'approcher et à pénétrer dans le sac pour voir l'heure qu'il est.
+
+Quand le sac est à peu près plein, ce que vous sentez à la traction
+de la ficelle, vous tirez à vous et vous allez chez les riches
+particulières leur demander si elles n'auraient pas besoin de beau
+poisson aujourd'hui, et pas cher, ma bonne dame.
+
+Recommandation importante: essuyez immédiatement votre montre, dont
+les rouages sont bien connus pour s'accommoder mal des fluviaux
+séjours.
+
+Le faible espace qui m'est départi dans cette publication me contraint
+à écourter mon récit.
+
+Je terminerai par une révélation dont l'importance n'échappera à nul
+de ceux dans la poitrine desquels bat un coeur de vrai pêcheur.
+
+Mon bonhomme a réussi à apprivoiser le brochet et à le dresser aussi
+bien que n'importe quel chien de chasse.
+
+Grâce à lui, le brochet va devenir le faucon des rivières, de même que
+le faucon sauvage est le brochet des airs.
+
+C'est ainsi, qu'à force de patience, l'homme arrive à asservir
+la nature entière et, de ses anciens ennemis, faire de fidèles
+serviteurs.
+
+
+
+
+CHARCUTAGE ESTHÉTIQUE
+
+
+La chirurgie, dont le seul mot effrayait tant naguère la pauvre
+humanité, tend à devenir d'un emploi courant, aimable et recherché.
+
+Avec les anesthésiques nouveaux, plus de souffrance; avec les
+pansements antiseptiques, plus de suites dangereuses.
+
+Alors, on serait bien bête de se gêner, n'est-ce pas?
+
+C'est ainsi que les chirurgiens modernes enlèvent aux dames, et cela
+sans la moindre urgence, des organes indispensables à la génération
+(je ne sais pas si je me fais bien comprendre).
+
+L'ovariotomie est aujourd'hui pratiquée sur une vaste échelle, dans
+les meilleures familles de France.
+
+(La vaste échelle est spécialement indiquée pour ce genre d'opération.
+L'aération y est plus aisée que dans les salles de nos antiques
+hôpitaux.)
+
+Et il n'est point rare d'entendre, entre chères madames, ce dialogue:
+
+--Qu'est-ce que votre mari vous a donné pour vos étrennes?
+
+--Oh! il a été très chic! Il m'a fait enlever les ovaires.
+
+La désinvolture de certains chirurgiens apparaît aux esprits lucides
+comme un facteur important du dépeuplement français.
+
+Beaucoup de maris, heureusement, opposent à ce _dilettantisme de la
+chirurgie_, comme dit Mirbeau, la digue du bon sens et la barrière de
+la saine indignation.
+
+L'un de ces derniers, perdant patience un jour, interpella, dans ces
+termes, un célèbre praticien qui voulait absolument enlever quelques
+organes dans le ventre de sa bien portante épouse:
+
+--Dites donc, si vous continuez à vouloir ainsi charcuter ma femme,
+savez-vous ce que je vais vous enlever, à vous?
+
+--Non.
+
+--Eh bien! je vais vous enlever le c..., et sans chloroforme, encore!
+
+Le prince de la science n'insista point.
+
+... Les chirurgiens allemands se sont, le mois dernier, réunis en
+congrès, à Berlin.
+
+Les propos tenus dans cette assemblée relèvent, en grande partie, de
+l'affreux cauchemar.
+
+Et ce qui ajoute encore à la stupeur qu'on éprouve à lire le récit
+de ces terrifiantes opérations, c'est le ton naturel et si tranquille
+qu'emploient ces messieurs!
+
+Quelquefois même, on se demande si tous ces gens ne se moquent pas
+de nous; témoin, ce petit extrait du compte rendu que j'emprunte à la
+_Revue de chirurgie_:
+
+CZERNY (d'Heidelberg), SUBSTITUTION D'UN LIPOME À UNE GLANDE MAMMAIRE.
+
+_» Une dame portait une mammite intersticielle avec noyaux
+d'adénofibrome. Comme elle présentait des seins très développés et
+avait dans la région lombaire, un lipome du volume du poing, Czerny
+transplanta celui-ci dans la loge qu'occupait la mamelle extirpée.
+
+» Réunion par première intention au bout de huit jours. Résultat
+esthétique excellent.»_
+
+Et allez donc! Ça n'est pas plus malin que ça!
+
+Moi, je connais une jeune fille légèrement bossue et qui n'a pas plus
+de seins que sur ma main.
+
+J'ai bien envie de la conduire à Heidelberg, chez Czerny.
+
+Nul doute que ce type extraordinaire ne réussisse à transformer la
+fâcheuse gibbosité de la jeune fille en deux agréables petits nichons,
+et que l'opérée, sortant de chez lui, n'aille tout de suite poser chez
+Chaplin.
+
+Le seul empêchement à ce rêve, c'est que Chaplin est mort depuis
+quelques années.
+
+Hein! mon vieux Brunetière, parleras-tu encore de la banqueroute de la
+chirurgie?
+
+
+
+
+CHACUN SON MÉTIER
+
+
+Quelle ne fut point la stupéfaction des ingénieurs du pont Alexandre
+III lorsque, arrivant mardi matin sur les chantiers, ils s'aperçurent
+que les constructions jusqu'à présent accomplies étaient la proie de
+la déformation, du gauchissement et du gondolage!
+
+C'est eux qui ne se gondolaient pas!
+
+Non loin de ces messieurs, un vieux contremaître ricanait:
+
+--Je l'avais bien dit, moi, je l'avais bien dit!
+
+--Quoi? fit un ingénieur d'un ton vif. Qu'est-ce que vous aviez bien
+dit? Expliquez-vous!
+
+Le contremaître s'expliqua, et, dame! on fut bientôt forcé de convenir
+que cet homme avait pronostiqué juste.
+
+... Si nos lecteurs veulent bien s'en souvenir, le commencement des
+travaux du pont Alexandre III coïncidait avec le passage à Paris de
+Leurs Majestés Impériales Russes.
+
+On pria le tsar--idée touchante--de poser la première pierre de ce
+pont qui devait porter le nom de son regretté père.
+
+Malheureusement (émotion bien légitime, manque d'entraînement
+technique, maladresse personnelle? on ne sait), l'empereur posa tout
+de travers cet important moellon.
+
+Par révérence, personne n'osa rectifier l'auguste ouvrage, et les
+travaux commencèrent sur ce fâcheux début.
+
+Ce fut une lourde faute, car aujourd'hui tout est à refaire, et voilà
+quelques millions de francs à la rivière, c'est le cas de le dire.
+
+Mais aussi quelle fichue idée de confier à un empereur, excellent
+politique (nous n'en doutons pas), mais fort peu au courant du génie
+civil, une tâche aussi délicate!
+
+Si encore, au lieu de la première pierre, on l'avait prié de poser la
+première ferme en bois, peut-être,--si l'atavisme n'est pas un vain
+mot,--s'en serait-il mieux tiré, ce brave Nicolas, en digne neveu de
+l'impérial charpentier Pierre le Grand?
+
+Mais on ne pense pas à tout.
+
+Qu'au moins cette leçon nous serve d'exemple, et, puisqu'il est
+question de reconstruire l'édifice social, confions cette entreprise,
+depuis a jusqu'à z, à des gens du métier, et non pas à certains
+monarques, lesquels, d'ailleurs, n'apporteraient à cette tâche qu'un
+entrain bien pâlot, je pense.
+
+«... L'exemple du pont Alexandre III est loin d'être un cas isolé.
+Croiriez-vous, entre autres, cher monsieur, que, contrairement à
+l'opinion publique qui s'accorde à croire la Tour Eiffel toute en fer,
+ce monument est composé, au moins pour les trois quarts, de lattes en
+simple sapin?
+
+» C'est incroyable, mais c'est ainsi!
+
+» Comment le fait a-t-il pu se produire? je l'ignore.
+
+» Fut-ce erreur de calcul de la part des ingénieurs qui ne prévirent
+pas l'énorme quantité de pièces nécessaire à la construction d'une
+tour de trois cents mètres?
+
+» N'y eut-il point cambriolage dans les chantiers où les dites pièces
+se trouvaient réunies en attendant l'heure de l'édification?
+
+» Je ne sais pas, mais ce que je puis garantir, c'est que, en cours
+de construction on s'aperçut bientôt qu'on n'aurait jamais assez de
+matériaux pour aller jusqu'au bout.
+
+» Que faire? Il était trop tard pour se mettre à confectionner tant de
+métallurgie:
+
+»--Ma foi, tant pis, dit M. Eiffel, remplaçons provisoirement les
+croisillons de fer par de bonnes lattes en excellent sapin.
+
+» Malheureusement, en France, a dit si bien le jeune et intelligent
+Paul Leroy-Beaulieu, c'est le provisoire qui dure le plus, et
+aujourd'hui, à l'heure où je griffonne ces lignes (10 h. 20), la Tour
+Eiffel est toujours en bois, et en quel bois, grand Dieu, en bois
+pourri, en bois vermoulu, en bois qui va s'effondrer un de ces quatre
+matins.»
+
+ * * * * *
+
+Lecteur, s'il t'arrive un malheur, tu ne diras pas qu'on ne t'a pas
+prévenu!
+
+
+
+
+L'EDEN-BOAT
+
+
+ * * * * *
+
+Le matin du 17, au petit jour, nous fûmes réveillés par un événement
+si extraordinaire que tout le monde, à bord, se crut le jouet d'une
+hallucination.
+
+En un clin d'oeil, couchettes et hamacs étaient vides. Jamais on
+n'avait vu pareil branle-bas.
+
+Alors chacun, équipage ou passager, de s'interroger pour être bien sûr
+qu'on ne rêvait pas:
+
+--Vous entendez?
+
+--Parbleu, si j'entends!... Faudrait être sourd!
+
+--On dirait un orgue.
+
+--Un orchestre, plutôt, un immense orchestre!
+
+--D'où ça peut-il venir?
+
+Oui, d'où pouvait-elle bien venir, cette mystérieuse musique qui
+charmait nos oreilles, cette harmonie lointaine, singulièrement
+intense et pourtant si douce qu'elle semblait un chant du ciel.
+
+D'où pouvait-elle bien venir? Pas de la terre, bien sûr, puisque nous
+étions du moindre îlot loin d'une vingtaine de milles, au bas mot.
+D'un bateau voisin, alors?
+
+Sans doute.
+
+Malheureusement, une forte brume du matin nous masquait tout objet à
+plus d'une encâblure.
+
+Et la musique continuait, divinement énervante et déchaînant dans nos
+coeurs je ne sais quelle folle angoisse.
+
+--Que pensez-vous de cela, docteur? fis-je au médecin du bord.
+
+--Ça, répondit-il, c'est le plus curieux cas d'hallucination
+collective que j'aie jamais constaté.
+
+À ce moment, le soleil se mit à briller, la brume eut une violente
+déchirure et brusquement se volatilisa dégageant une mer de miroir.
+
+C'était féerique.
+
+Alors, sur tout le pont, ce fut une grande clameur.
+
+À un mille, environ, par bâbord, un grand vapeur naviguait sur nous.
+
+Un beau bateau, ma foi, mais étrangement peinturluré; la coque toute
+bariolée de vives couleurs, les mâts et les cheminées pareils à des
+mirlitons.
+
+Un immense pavois de fantaisie complétait le tout.
+
+Bientôt, on put lire son nom à l'avant: _Eden-Boat_.
+
+J'avais souvent entendu parler de l'_Eden-Boat_, mais, je l'avoue,
+jamais je n'avais cru à son existence, pas plus qu'à celle du vaisseau
+fantôme. (Ceux qui naviguent dans les mers du Sud sont connus pour
+leur grande imagination et leur éternel bluffage.)
+
+Cependant, l'_Eden-Boat_ arrivait sur nous.
+
+On distinguait facilement des gens installés sur les passerelles, et
+parmi ces personnes des dames vêtues de toilettes claires.
+
+La grande musique mystérieuse s'était tue et maintenant nous
+entendions un bizarre orchestre qui jouait, diablement, _Tararaboum de
+hay_.
+
+On distinguait de tout dans cet orchestre, des binious, des
+castagnettes, des banjos, des instruments de cuivre, des mandolines,
+etc.
+
+Une chaloupe à vapeur aussi drôlement accoutrée que l'_Eden-Boat_ nous
+accosta.
+
+Un monsieur sauta à notre bord et après avoir présenté ses hommages
+au commandant, nous adressa un boniment extraordinaire sur le ton
+qu'emploient les managers de cirques forains pour faire valoir leurs
+«numéros exceptionnels».
+
+L'_Eden-Boat_ était bien ce qu'on nous avait raconté déjà: un endroit
+de plaisir flottant où toutes les _rigolades_ (comme disent les
+Parisiens) se trouvent réunies: comédie, serio-comic concert,
+pantomime et bars servis par de fort jolies filles volontiers peu
+farouches.
+
+Pas un homme dans cet équipage, d'ailleurs cosmopolite, qui ne joue
+supérieurement d'un instrument de son pays: des nègres du banjo, des
+Espagnols de la guitare, etc., etc.
+
+Ce qui me toucha le plus, ce fut de voir deux pauvres Bretons
+(déserteurs de la flotte française, disait-on), qui soufflaient du
+biniou avec, parfois, des larmes dans les yeux.
+
+Quant à la grande et étrange musique qui nous avait si fort affolés le
+matin, c'était un orgue, mais un orgue tel qu'il nous émerveilla tous.
+
+L'air comprimé, qui sert ordinairement à ces instruments, se trouve
+remplacé, dans celui-là, par de la vapeur à très haute pression.
+
+Selon la forme et la dimension des trous par lesquels s'échappe
+cette vapeur, on obtient tous les sons de la gamme, depuis les plus
+suraiguës stridences jusqu'à des contrebasses inconnues dans n'importe
+quel orchestre.
+
+L'_Eden-Boat_ est, en somme, une institution d'une moralité
+contestable, mais offrant néanmoins de grandes ressources pour la
+distraction de ces pauvres longs courriers qui restent souvent des
+mois sans toucher terre.
+
+Pour ma part, je ne regrettai point les vingt-cinq dollars que me
+coûtèrent mes deux heures de séjour à bord de ce curieux bâtiment.
+
+ * * * * *
+
+_(Passage supprimé pour faire plaisir à M. Bérenger.)_
+
+
+
+
+LE NOUVEAU RECRUTEMENT
+
+
+Tous les journaux ont récemment parlé du projet qu'on avait, au
+ministère de la guerre, d'abaisser de quelques centimètres la taille
+des conscrits bons pour le service.
+
+La nouvelle est exacte, mais incomplète, et les travaux qui agitent en
+ce moment les bureaux de la guerre sont d'une telle envergure, que nos
+bons ronds-de-cuir ne peuvent se défendre de quelque vertige.
+
+Et il y a quoi!
+
+Je tiens de M. Bertillon, fonctionnaire dont l'indiscrétion est
+généralement reconnue (surtout de ceux qu'il a mensurés), de curieux
+détails sur cette réforme militaire dans laquelle il joue un important
+rôle consultatif.
+
+... Vous savez qu'actuellement le classement par rang de taille se
+fait dans les compagnies, de sorte que chaque compagnie de l'armée
+française se compose de petits hommes, de moyens hommes et de grands
+hommes.
+
+Cet état de choses n'est pas sans causer mille difficultés dans
+l'habillement des militaires, chaque magasin de compagnie devant
+recéler des effets de toutes les tailles et de toutes les pointures,
+d'où encombrement, fouillis, et perte énorme de temps dans
+l'équipement des troupes en cas de mobilisation.
+
+C'est à ces multiples inconvénients que va obvier le nouveau système.
+
+Dorénavant, le classement se fera sur l'ensemble des régiments.
+
+Un certain nombre de _types_ d'hommes, correspondant au nombre des
+régiments, sera établi _anthropométriquement_, de telle façon que
+_tous_ les hommes du même régiment auront _tous_ l'ensemble des mêmes
+pointures, depuis les godillots jusqu'au képi.
+
+Les voyez-vous d'ici, les avantages du nouveau système.
+
+La guerre éclate, les hommes rallient leur dépôt: cinq minutes après,
+voilà tout mon monde habillé, équipé, armé, prêt à marcher. Vive la
+France!
+
+Je vois sur vos lèvres s'épanouir la fleur de l'objection grincheuse:
+
+--Oui, me dites-vous, cela est fort joli; mais le temps gagné à ce
+rapide équipement ne sera-t-il pas compensé par celui perdu à courir
+après des régiments forcément éparpillés?
+
+Si le soldat dunkerquois jouit d'une pointure qui le désigne pour la
+garnison de Biarritz, par exemple? le trajet ne le rapprochera pas
+sensiblement de la frontière, dites-vous.
+
+Cela est prévu, bonnes gens, et des dépôts seront organisés, pour le
+cas de mobilisation tout le long d'une frontière que je crois inutile
+de désigner plus clairement.
+
+Tout est prévu, d'ailleurs, même le cas où le réserviste grandit,
+grossit, maigrit, etc., etc.
+
+Chaque année, une revue _anthropométrique_ aura lieu dans les
+chefs-lieux de canton, et, selon les modifications survenues dans la
+pointure de l'homme, ce dernier sera affecté dans un régiment adéquat.
+
+Avais-je point raison de dire, en commençant, que nous allions
+assister à une des plus importantes réformes militaires que nous ayons
+vues depuis la suppression du service de sept ans?
+
+Ne quittons pas le ministère de la guerre sans signaler le bruit qui
+court de la suppression du sabre pour les officiers d'infanterie.
+
+Cet ustensile serait remplacé par une forte canne à épée, beaucoup
+moins encombrante que le sabre et rendant, pendant la marche, de réels
+services.
+
+Très appuyée par certains, cette modification rencontre également
+beaucoup de détracteurs.
+
+
+
+
+LÉGÈRE MODIFICATION À APPORTER DANS LE COURS DE LA SEINE
+
+
+L'hygiène de notre capitale au cours des hautes températures,
+provoquées par l'été, est, au dire des meilleurs connaisseurs,
+déplorable en tous points, déplorable, déplorable...
+
+Un des facteurs les plus importants de cet affligeant état de choses
+consiste en la traversée de Paris par la Seine (la _malseine_, comme
+dit notre vaillant maître Aurélien Scholl).
+
+Contaminée par les égouts, dès son entrée dans Paris, la rivière
+charrie les miasmes les plus putrides, les brouillards les plus
+pernicieux avec, brochant sur le tout, un petit fumet de bouillon de
+culture peu piqué des hannetons.
+
+Il y a longtemps que j'ai proposé la suppression radicale de cet
+inconvénient, et combien simple!
+
+1° Établir à Charenton un barrage qui prohibe à la Seine son entrée
+dans Paris;
+
+2° Diviser le fleuve en deux courants qu'on canalisera dans les fossés
+des fortifications (élargis au besoin);
+
+3° Réunir au Point-du-Jour ces deux courants qui, à partir de ce
+moment, reprendront en commun leur ancien cours.
+
+Les avantages que présenterait la réalisation de ce projet sont
+innombrables et, peut-être même, incalculables.
+
+D'abord, assainissement de Paris.
+
+Ensuite, importance énorme et plus-value données à toute cette zone
+inutile, ridicule et périphérique qui enserre les fortifs.
+
+Et puis (c'est là le clou charmant de l'entreprise), quel parc
+miraculeux, unique au monde, ce serait pour Paris que celui qu'on
+pourrait ainsi créer dans le lit abandonné de la Seine, depuis
+Charenton jusqu'à Auteuil!
+
+Sans compter qu'en cas de siège, ce parc servirait à la culture de
+mille céréales et autres légumes nutritifs, ainsi qu'à la pâture de
+toutes sortes de bestiaux alimentaires.
+
+Je vous entends d'ici, les gros malins, ricaner et me foudroyer de
+votre objection:
+
+--Et les égouts? Les ferez-vous couler dans votre magnifique parc,
+cher monsieur Allais? Eh bien, alors, il sera chouette, votre
+magnifique parc, et parfumé!
+
+Calmez-vous, bonnes gens, calmez-vous.
+
+Rien de ce qui est humain ne saurait me demeurer étranger, même la
+question des égouts.
+
+Loin d'être une nuisance, les égouts de Paris, dans mon nouveau
+projet, joueront un rôle décoratif, d'agrément et de charme.
+
+Connaissez-vous ces filtres au charbon qui transforment le barbotage
+le plus nauséeux en onde cristalline?
+
+Voilà ce que j'utiliserai (en plus grand, naturellement).
+
+Je filtrerai les égouts et j'amènerai l'eau claire ainsi obtenue
+dans de gracieux ruisselets au doux murmure, émaillés de coquettes
+rocailles.
+
+Si ces messieurs des ponts et chaussées veulent se mettre, dès lundi
+prochain, à l'ouvrage, le travail pourra se trouver terminé au jour de
+l'ouverture de l'Exposition, en 1900.
+
+Oui, mais voilà, la routine, les bureaux!...
+
+
+
+
+RÉFORMES IMPORTANTES DANS LE RÉGIME POSTAL
+
+
+Nous fûmes assez fréquemment sévères à l'égard de l'Administration
+des postes et télégraphes pour ne pas lui marchander, aujourd'hui,
+les félicitations que lui méritent ses récentes et heureuses
+modifications.
+
+Citons d'abord les perfectionnements apportés dans la confection de la
+colle des timbres-poste.
+
+Jusqu'à présent, cette colle était constituée par de la gomme
+arabique, substance insipide et quelque peu ridicule.
+
+Dorénavant, la gomme arabique sera additionnée d'une légère quantité
+de sucre et aromatisée à des parfums divers, vanille, fraise, citron,
+etc., selon le prix du timbre; ainsi le timbre d'un centime sera
+simplement édulcoré avec de la réglisse, de l'économique réglisse.
+
+Mieux encore:
+
+Diverses substances hygiéniques et même pharmaceutiques seront
+incorporées dans la colle du timbre et permettront à maint employé de
+grande administration de suivre un traitement sans manquer son bureau.
+
+La liste de ces drogues vient d'être définitivement arrêtée par un
+commission spéciale de médecins présidée par un praticien dont nul
+ne songera, je crois, à discuter la haute compétence: j'ai nommé le
+docteur Pelet.
+
+Nous aurons des timbres au baume de tolu pour ceux qui toussent,
+d'autres au bicarbonate de soude pour les gastralgiques, à la digitale
+pour les cardiaques, etc., etc.
+
+Messieurs les pharmaciens ne seront pas contents. Je le regrette pour
+eux; mais citez-moi, je vous prie, un progrès quelconque qui ne fasse
+pas des victimes.
+
+La dépense entraînée par toute cette droguerie philatéliste sera
+amplement compensée par un accroissement notable dans le chiffre des
+affaires.
+
+Quels parents,--pour ne citer que cet exemple,--hésiteront à pousser
+leur jeune fille chlorotique dans la voie d'une correspondance
+effrénée, quand ils sauront que, grâce aux timbres ferrugineux, la
+santé est au bout et que, bientôt, la chère enfant verra refleurir sur
+ses pauvres petites joues pâles les vives couleurs d'antan?
+
+Une autre réforme dont il convient de féliciter M. le ministre des
+postes et télégraphes, c'est le remplacement de la _Caisse d'Épargne
+Postale_ par la _Caisse d'Epargne Télégraphique_.
+
+Avec l'ancien système, un capital exigeait environ quinze ans pour se
+doubler.
+
+Télégraphiquement, la même somme sera doublée en cinq ou six mois
+(selon la saison).
+
+Une bonne nouvelle, pour terminer:
+
+L'administration se voyant à la tête d'un énorme stock de timbres de
+vingt centimes, dont la mévente a été particulièrement accentuée cette
+année, prend le parti de le liquider à perte.
+
+Donc les 1er, 2, 3 et 4 juillet, Grande Liquidation de timbres de
+_vingt centimes_, un peu défraîchis, au prix véritablement incroyable
+de..................... 0 fr. 05
+
+Pas une ménagère soucieuse de ses intérêts ne voudra manquer une telle
+aubaine.
+
+
+
+
+LA FABLE «LE SINGE ET LE PERROQUET»
+
+
+À propos de perroquets, connaissez-vous la fable persane «le Singe
+et le Perroquet», fiction si ingénieuse à la fois et si fertile en
+enseignements de toutes sortes?
+
+Vous ne la connaissez pas, dites-vous; je l'aurais parié.
+
+Malheureusement, pour la bien dire, c'est la plume du vieux La
+Fontaine qu'il faudrait ou celle du jeune Franc-Nohain, et je n'ai à
+ma disposition aucun de ces deux ustensiles.
+
+Contentons-nous donc pour cette fois d'une excellente prose à la
+Fléchier, si j'ose m'exprimer ainsi:
+
+Il y avait une fois dans le même palais un singe et un perroquet.
+
+Et c'étaient, entre ces deux bêtes, d'éternelles discussions sur leurs
+mérites personnels.
+
+--Moi, disait le singe, je fais des grimaces comme l'homme. Comme
+l'homme, je gesticule. Mes pattes de derrière sont des jambes et des
+pieds, celles de devant des bras terminés par des mains. D'un peu
+loin, on me prendrait pour un homme, un homme petit, mais un homme.
+
+--Moi, disait le perroquet, je n'ai jamais eu la sotte prétention de
+me faire passer pour un homme, mais de l'homme je possède le plus bel
+apanage, la parole! Je puis dire de beaux vers et chanter d'ineffables
+musiques.
+
+--Je puis jouer la pantomime, ripostait le singe.
+
+--La pantomime? ricanait le perroquet en haussant les épaules. La
+pantomime, art inférieur, suprême ressource pour cabots aphones!
+
+--Art inférieur! s'indignait le singe. Vous n'avez donc par lu la
+dernière chronique de Mendès sur la pantomime?
+
+--Non! répliquait le perroquet d'un ton sec.
+
+Bref, le singe en tenait pour le Geste, le perroquet pour le Verbe.
+
+Lequel était supérieur et plus près de l'humanité, du Geste ou du
+Verbe? _That was the question._
+
+Un jour, la querelle prit des proportions démesurées et nos deux
+animaux furent bien près d'en venir aux... pattes!
+
+Par bonheur, ce scandale fut évité grâce à un trait d'esprit de notre
+singe, lequel eut le dernier mot:
+
+--Vous grimacez, moi je parle! répétait le perroquet pour la millième
+fois.
+
+--Tu parles, tu parles, s'impatienta le singe; eh bien, et moi,
+qu'est-ce que je fais, espèce d'imbécile, depuis une heure que nous
+sommes là à discuter bêtement?
+
+C'est pour le coup que le perroquet eut le bec cloué.
+
+
+
+
+INGÉNIEUX TOURING
+
+
+--Et vous, où allez-vous, cet été?
+
+--En Afrique.
+
+--En Afrique???
+
+--En Afrique, oui. Nous allons, de part en part, traverser l'Afrique,
+la très sombre Afrique, comme dit Stanley.
+
+--Et ta famille, pendant ce temps-là?
+
+--Ma famille m'accompagne.
+
+--Ta femme?
+
+--Ma femme.
+
+--Tes petits garçons? Tes petites filles?
+
+--Mes petits garçons, mes petites filles.
+
+--Allons, tu es fou?
+
+--Je suis sage.
+
+--Tu es fou à lier.
+
+--Chef-lieu Moulins... En quoi donc suis-je tant fou?
+
+--Mais les fatigues d'une telle entreprise!... les dangers!...
+
+--Tout prévu, mon ami. Ni dangers, ni fatigues... Simple balade en
+voiture.
+
+--En voiture?
+
+--Une confortable et solide roulotte.
+
+--Automobile?
+
+--Non, à cause du difficile ravitaillement en combustibles.
+
+--Traînée par des chevaux?
+
+--Serin! Les tigres n'auraient bientôt fait qu'une bouchée de mes doux
+solipèdes.
+
+--Alors?
+
+--Suis bien mon raisonnement: les chevaux connus sont pour être
+volontiers dévorés par les tigres; mais le cas d'un tigre boulotté par
+un cheval est infiniment plus rare.
+
+--Je te l'accorde.
+
+--Partant de ce principe, je fais remorquer ma roulotte par de braves
+et vigoureux tigres.
+
+--Admirable!
+
+--Et pratique, mon vieux! La grosse affaire, c'était l'attelage,
+c'était le harnais, quoiqu'en somme les vieux Romains aient déjà
+résolu la question depuis des mille et des mille ans. Pour nous
+autres, gentilshommes des temps modernes, fiers détenteurs des aciers
+trempés et des pégamoïds, ce fut un jeu d'enfant que d'atteler ces
+douze tigres à notre char.
+
+--C'est égal, je ne serais pas rassuré.
+
+--L'électricité est là pour un coup. Au moindre écart, au plus simple
+bond, une solide décharge vient inculquer au turbulent camarade des
+sentiments meilleurs. Nos tigres, d'ailleurs, comprennent vite la
+haute noblesse de leur mission et la parfaite inutilité de leur
+résistance.
+
+--Pauvres bêtes!
+
+--Pourquoi _pauvres bêtes_? Le travail qu'on exige d'eux est
+insignifiant, leur nourriture régulière, grâce à la justesse
+impeccable et à la longue portée de nos armes.
+
+--Vous ne craignez pas d'être attaqués par d'autres fauves?
+
+--À ses vertus d'infatigable tracteur, le tigre joint l'inconsciente,
+mais réelle qualité de chien de garde. Dans un campement de tigres, on
+n'a qu'à dormir sur les deux oreilles.
+
+--Tous mes compliments! Peut-on jeter un coup d'oeil sur
+l'installation?
+
+--Les tigres nous attendent à Trieste, mais la roulotte est là, dans
+la cour.
+
+Très élégante, très bien comprise, garnie de ces meubles en bambou
+si solides et légers à la fois qu'on trouve chez Perret et Vibert,
+la roulotte de mon ami n'attendait plus pour filer que son étrange
+attelage.
+
+Tant il est vrai qu'au jour d'aujourd'hui, les conceptions les plus
+paradoxales sont le plus près de la réalisation!
+
+
+
+
+VENGEANCE FUNÈBRE
+
+
+Après une torpeur de cinquante et des années, la petite ville de
+Salbec se décida, par un beau matin d'été, à se réveiller, enfin.
+
+Salbec, cité jadis florissante, douée par la nature d'une admirable
+situation et de mille agréments divers, possède un grave inconvénient:
+c'est d'être habitée par des Salbecquois, répugnante et morne
+peuplade.
+
+Aussi, Salbec, en ces derniers temps, connut-il les affres de la
+dégringolade industrielle, commerciale et financière.
+
+L'esprit de la population y est mesquin, incompréhensif, haineux.
+
+Tout verbe initial, tout geste nouveau, toute idée un peu fraîche
+trouvent en le Salbecquois un ennemi farouche et résolu.
+
+Soyez seulement vêtu pas tout à fait comme lui, le Salbecquois dira de
+vous: _Ça ne doit pas être grand'chose de propre, ces gens-là!_
+
+Si vous vous occupez d'art ou de littérature, oh! alors, vous êtes
+réputé du coup dangereuse canaille et faiseur de dupes!
+
+Sorti de ces accès de méchanceté bête, et d'une fâcheuse tendance à se
+mêler des affaires des autres, le Salbecquois retombe dans sa torpeur.
+
+Et pourtant, par une belle journée d'été, Salbec se réveilla.
+
+Quelques habitants grouillèrent, se réunirent dans les cafés,
+nommèrent des présidents d'honneur et décrétèrent qu'il fallait faire
+quelque chose.
+
+Quelque chose! Oui, mais quoi?
+
+Organiser des fêtes! Oui, mais quelles fêtes?
+
+Les uns voulaient un concours d'orphéons, les autres des régates;
+certains parlaient de courses de vélocipèdes, et chacun n'entendait
+pas démordre de son idée.
+
+Pour en finir, on décida de convoquer dans une salle de la mairie
+toutes les personnes que la question intéressait, et de nommer un
+comité des fêtes chargé de ramener dans Salbec l'animation, la gaieté
+et les affaires.
+
+Parmi les candidats aux fonctions de comitard, se trouvait un monsieur
+fort riche et récemment installé dans le pays.
+
+Pour une raison ou pour une autre, ce gros rentier ne fut point élu,
+déboire qui lui causa une irritation plus vive que ne le comportait un
+aussi mince sujet.
+
+--Ah! c'est comme ça, vitupéra le monsieur riche. Eh bien! je me
+vengerai.
+
+Et le monsieur riche se vengea.
+
+--Les Salbecquois, raisonna-t-il, ne veulent pas de moi pour organiser
+des divertissements; alors, je vais leur organiser des enterrements.
+
+N'allez pas croire trop vite qu'il tua des citoyens de sa main: le
+procédé eût été excessif.
+
+Il se contente de payer aux plus humbles trépassés de riches
+et décoratives obsèques avec les grosses cloches qui ne vibrent
+d'habitude que pour les opulents trépas.
+
+À chaque décès, avisé par un employé de la mairie, il se présente dans
+la famille du mort et, sous un fallacieux prétexte, lui fait cadeau
+d'un enterrement de première classe avec tout le tralala de prêtres,
+de chantres, d'enfant de choeur clamant par les rues de Salbec leurs
+funèbres psaumes.
+
+Et _bing, bang, beng!_ on n'entend plus que le gros bourdon désolant
+de la paroisse.
+
+Complètement démoralisé, le comité des fêtes a donné sa démission.
+
+Ce n'est pas encore cette année que les affaires reprendront à Salbec.
+
+
+
+
+TABLE DES MATIÈRES
+
+ * * * * *
+
+ Pages
+
+ Un point d'histoire rectifié 1
+
+ Georgette s'est tuée! 5
+
+ Triste fin d'un tout petit groom 11
+
+ Gaudissart s'amuse 17
+
+ De l'inutilité de la matière 23
+
+ La sécurité dans le chantage 29
+
+ Sentinelles, veillez! 35
+
+ Un bizarre accident 41
+
+ Pénibles débuts 47
+
+ La science et la religion--enfin--marchant la
+ main dans la main 53
+
+ Le droit de bouchon 59
+
+ Une étrange complexion 63
+
+ Sceptique enfance 69
+
+ Au pays de l'or 73
+
+ L'incorrigible Snob 79
+
+ Fâcheuse erreur 85
+
+ Morales relatives 89
+
+ Nouvelles et graves complications diplomatiques 95
+
+ Les hôtes de Castelfêlé 101
+
+ Le petit garçon et l'anguille 111
+
+ Le théâtre de Bigfun 117
+
+ Clara ou le bon accueil princièrement récompensé 121
+
+ De quelques réformes cosmiques 127
+
+ La question des chapeaux féminins au théâtre 133
+
+ Le pauvre gendre 139
+
+ La douleur marche, bras dessus bras dessous, avec
+ l'économie (panneau décoratif) 145
+
+ Bottons nos animaux domestiques, mais bottons-les
+ bien 149
+
+ Le talent finit toujours par trouver son emploi 155
+
+ Domestiquons 161
+
+ Autre mode d'utilisation de la baleine 169
+
+ Black and White 175
+
+ Résultat inespéré 179
+
+ Nouveau traitement du ver solitaire 185
+
+ La graphologie mise en défaut par une simple jeune
+ fille amoureuse, il est vrai 189
+
+ Souris myophages 195
+
+ Utilisation militaro-véhiculaire du mouvement oscillatoire
+ du bras gauche chez les troupes en marche 201
+
+ Suppression de la boue par un procédé fort simple,
+ mais auquel il ne fallait pas moins songer 205
+
+ Le cambriolage de l'obélisque (fait-divers) 209
+
+ Grande intelligence d'une toute petite chienne 215
+
+ Conte de Noël 221
+
+ La maison vraiment moderne 227
+
+ Suppression des océans, mers, fleuves et en général
+ des différentes pièces d'eau qui garnissent la surface
+ du globe 231
+
+ Sauvegarde des bicyclettes 241
+
+ Astuces d'un pêcheur 247
+
+ Charcutage esthétique 253
+
+ Chacun son métier 259
+
+ L'Éden-Boat 265
+
+ Le nouveau recrutement 273
+
+ Légère modification à apporter dans le cours de la
+ Seine 279
+
+ Réformes importantes dans le régime postal 283
+
+ La fable «le singe et le perroquet» 287
+
+ Ingénieux Touring 291
+
+ Vengeance funèbre 297
+
+
+
+
+
+
+End of Project Gutenberg's Pour cause de fin de bail, by Alphonse Allais
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK POUR CAUSE DE FIN DE BAIL ***
+
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+
+Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm
+
+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
+electronic works in formats readable by the widest variety of computers
+including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
+because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
+people in all walks of life.
+
+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need, is critical to reaching Project Gutenberg-tm's
+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at http://www.pglaf.org.
+
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
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+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
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+business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
+information can be found at the Foundation's web site and official
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+
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+ Chief Executive and Director
+ gbnewby@pglaf.org
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+Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation
+
+Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
+spread public support and donations to carry out its mission of
+increasing the number of public domain and licensed works that can be
+freely distributed in machine readable form accessible by the widest
+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
+
+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
+with these requirements. We do not solicit donations in locations
+where we have not received written confirmation of compliance. To
+SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
+particular state visit http://pglaf.org
+
+While we cannot and do not solicit contributions from states where we
+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
+against accepting unsolicited donations from donors in such states who
+approach us with offers to donate.
+
+International donations are gratefully accepted, but we cannot make
+any statements concerning tax treatment of donations received from
+outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
+
+Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including checks, online payments and credit card donations.
+To donate, please visit: http://pglaf.org/donate
+
+
+Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
+works.
+
+Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
+
+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
+keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
+
+
+Most people start at our Web site which has the main PG search facility:
+
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+
+This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
+including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
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