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| author | Roger Frank <rfrank@pglaf.org> | 2025-10-15 02:32:55 -0700 |
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You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: Gamiani + ou Une nuit d'excès + +Author: Alfred de Musset + +Release Date: October 7, 2008 [EBook #26806] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK GAMIANI *** + + + + +Produced by Daniel Fromont + + + + + + + + +[Transcriber's note: Alfred de Musset (1810-1857)], +_Gamiani ou Une nuit d'excès_ (1833) édition de 1833 + +A French classic erotic story] + + + + +Opinion de l'auteur anonyme [peut-être Joris-Karl Huysmans] de +la préface de _Gamiani_ édition de 1876: + +"Tout le monde sait que Musset se trouvant, une nuit, à souper +en joyeuse compagnie, paria - à l'heure où les bougies font +éclater leurs collerettes de cristal - qu'en évitant toute +expression crue ou érotique, il écrirait à l'encontre des +Anciens, le volume le plus _Cela_ que l'on pourrait rêver dans +ce genre! Inutile de dire qu'il gagna son pari." + + +Opinion de l'auteur anonyme [Jules Gay] de la _Bibliographie +des ouvrages relatifs à l'amour, aux femmes, au mariage et des +livres facétieux pantagruéliques, scatologiques, satyrique par +M. Le C. D'I***_: + +"Dans _Gamiani_, la passion domine tout en souveraine, passion +complexe de l'esprit, du coeur et des sens arrivant au +paroxysme de la fièvre hystérique, à la folie et même jusqu'au +crime. Cette production étrange restera pour compléter la +littérature d'une époque qui a fourni tant d'oeuvres +excentriques dans tous les genres. Après avoir répétés les +on-dit sur l'auteur présumé de cet ouvrage, nous nous permettons +d'ajouter que la première partie nous parait écrite +d'abondances sous l'inspiration d'un récit ou d'un souvenir. +Il n'en est pas de la deuxième, dont le style est plus +travaillé, l'action plus extravagante, et semble tout à fait +rentrer dans le domaine de la collaboration; on y sent l'effet +de l'imagination qui cherche à s'échauffer et ne parvient à +produire que l'horrible. La première partie en question est +l'oeuvre de Musset; mais la seconde partie, celle qui concerne +les femmes, est attribuée à la personne à laquelle fait +allusion le roman de _Lui et Elle_ de M. Paul de Musset [i.e. +George Sand]." + + +Opinion de l'auteur anonyme [PH. J. .G. B. i.e. Vital-Puisant] +de la _Notice anecdotico-bibliographique sur le Gamiani d'Alfred +de Musset_ (1874): + +"Quelque temps après la Révolution de 1830, une dizaine de +jeunes gens, pour la plupart destinés à devenir célèbres dans +les lettres, la médecine ou le barreau, se trouvaient réunis +dans un des plus brillants restaurants du Palais-Royal. Les +reliefs d'un splendide souper et le nombre de flacons vides +témoignaient en faveur du robuste estomac, et partant, de la +gaieté des convives. On était arrivé au dessert, et tout en +faisant pétiller le champagne, on avait épuisé la conversation +sur la politique d'abord, et ensuite sur les mille sujets à +l'ordre du jour à cette époque. La littérature devait +nécessairement avoir son tour. Après avoir passé en revue les +divers genres d'ouvrages qui, depuis l'antiquité, ont tour à +tour été l'objet d'une admiration plus ou moins passagère, on +en vint à parler du genre érotique. Aussi, depuis les +_Pastorales_ de Longus, jusqu'aux cruautés luxurieuses du +Marquis de Sade, depuis les _Epigrammes_ de Martial et les +_Satires_ de Juvénal jusqu'aux _Sonnets_ de I'Arétin, tout fut +passé en revue. Après avoir comparé la liberté d'expression de +Martial, Properce, Horace, Juvénal, Térence, en un mot, des +auteurs latins, avec la gêne que s'étaient imposée les divers +écrivains érotiques français, quelqu'un fut amené à dire qu'il +était impossible d'écrire un ouvrage de ce genre sans appeler +les choses par leur nom; l'exemple de La Fontaine était une +exception; que, d'ailleurs la poésie française admettait ces +sortes de réticences et savait même, par la finesse et une +heureuse tournure de phrase, s'en créer un charme de plus, +mais qu'en prose on ne pouvait rien produire de passionné ni +d'attrayant. Un jeune homme qui, jusqu'alors, s'était contenté +d'écouter la conversation d'un air rêveur, sembla s'éveiller à +ces derniers mots, et prenant la parole: Messieurs, dit-il, si +vous consentez à vous réunir de nouveau ici, dans trois jours, +j'espère vous convaincre qu'il est facile de produire un +ouvrage de très haut goût sans employer les grossièretés qu'on +a coutume d'appeler des naïvetés chez nos bons aïeux, tels que +Rabelais, Brantôme, Béroalde de Verville, Bonaventure Des +Periers et tant d'autres, chez lesquels l'esprit gaulois +brillerait d'un éclat tout aussi vif, s'il était débarrassé +des mots orduriers qui salissent notre vieux langage. La +proposition fut acceptée par acclamation, et trois jours +après, notre jeune auteur apportait le manuscrit de l'ouvrage +que nous présentons aux amateurs. Chacun des assistants voulut +en posséder une copie, et l'indiscrétion de l'un d'entre eux +permit à un éditeur étranger de l'imprimer, en 1833, dans le +format in-4° et orné de grandes gravures coloriées. (...) A +l'époque de la publication de cet ouvrage, des gens de lettres +très-sérieux et à même de ne point se tromper, ont prétendu +que l'illustre romancière contemporaine, qui écrit sous le nom +de *** *** [i.e. George Sand], avait collaboré avec Alfred de +Musset à la rédaction de ce roman de _haut goût_. Nous ne sommes +guère compétent pour nous poser en juge dans cette +attribution; si pourtant nous en référant à ce que l'on ajoute +sur ce sujet (cette dame avait la passion de l'amour lesbien) +nous ne serions pas taxé de témérité en accordant un certain +degré de foi à cette allégation." + + + +Observation: Les éditions ultérieures de _Gamiani ou une nuit +d'excès_ sont intitulées _Gamiani ou deux nuits d'excès_. + + +Note: l'orthographe de l'édition 1833 a été conservée. + + + + +Gamiani + +ou + +UNE NUIT D'EXCES + + +Bruxelles + +1833 + + + + + + +Gamiani. + + + + +Minuit sonnait, et les salons de la Comtesse Gamiani +resplendissaient encore de l'éclat des lumières. + +Les rondes, les quadrilles s'animaient, s emportaient aux sons +d'un orchestre enivrant. Les toilettes étaient merveilleuses, +les parures étincelaient. + +Gracieuse, empressée, la maîtresse du bal semblait jouir du +succès d'une fête préparée, annoncée à grands frais. On la +voyait sourire agréablement à tous les mots flatteurs, aux +paroles d'usage que chacun lui prodiguait pour payer sa +présence. + +Renfermé dans mon rôle habituel d'observateur, j'avais déjà +fait plus d'une remarque qui me dispensait d'accorder à la +Comtesse Gamiani le mérite qu'on lui supposait. Comme femme du +monde, je l'eus bientôt jugée, il me restait à disséquer son +être moral, à porter le scalpel dans les régions du coeur; et +je ne sais quoi d'étrange, d'inconnu, me gênait, m'arrêtait +dans mon examen. J'éprouvais une peine infinie à démêler le +fond de l'existence de cette femme dont la conduite +n'expliquait rien. + +Jeune encore avec une immense fortune, jolie au goût du grand +nombre, cette femme sans parens, sans amis avoués, s'était en +quelque sorte individualisée dans le monde. Elle dépensait +seule, une existence capable, en toute apparence, de supporter +plus d'un partage + +Bien des langues avaient glosé, finissant toujours par médire: +mais, faute de preuve, la Comtesse demeurait impénétrable. + +Les uns l'appelaient une _Foedora_ (1) [(1) _Foedora_ - La femme +sans coeur, Roman de Balzac.], une femme sans coeur et sans +tempérament; d'autres lui supposaient une âme profondément +blessée et qui veut désormais se soustraire aux déceptions +cruelles. + +Je voulais sortir du doute: Je mis à contribution toutes les +ressources de ma logique; mais ce fut en vain, je n'arrivai +jamais à une conclusion satisfaisante. + +Dépité, j'allais quitter mon sujet, lorsque, derrière moi, un +vieux libertin, élevant la voix, jeta cette exclamation: Bah! +c'est une Tribade. + +Ce mot fut un éclair, tout s'enchaînait, s'expliquait, il n'y +avait plus de contradiction possible. + +Une Tribade! Oh! ce mot retentit à l'oreille, d'une manière +étrange: puis, il élève en vous je ne sais quelles images +confuses de voluptés inouïes, lascives à l'excès. C'est la +rage luxurieuse, la lubricité forcenée, la jouissance horrible +qui reste inachevée. + +Vainement j'écartai ces idées, elles mirent en un instant mon +imagination en débauche. Je voyais déjà la Comtesse nue, dans +les bras d'une autre femme, les cheveux épars, pantelante, +abattue et que tourmente encore un plaisir avorté. + +Mon sang était de feu, mes sens grondaient, je tombai comme +étourdi sur un sopha. + +Revenu de cette émotion, je calculai froidement ce que javais +à faire pour surprendre la Comtesse: il le fallait à tout +prix. + +Je me décidai à l'observer pendant la nuit, à me cacher dans +sa chambre à coucher. La porte vitrée d'un cabinet de toilette +faisait face au lit. Je compris tout l'avantage de cette +position; et, me dérobant, à l'aide de quelques robes +suspendues, je me résignai patiemment à attendre l'heure du +Sabbat. + +J'étais à peine blotti, que la Comtesse parut, appelant sa +Camériste, jeune fille au teint brun, aux formes accusées. + +"Julie, je me passerai de vous ce soir. Couchez-vous.... ah! +si vous entendiez du bruit dans ma chambre, ne vous dérangez +pas, je veux être seule." + +Ces paroles promettaient presque un Drame. Je m'applaudissais +de mon audace. + +Peu-à-peu, les voix du salon s'affaiblirent, la comtesse resta +seule avec une de ses amies, Melle _Fanny_ B***. Toutes deux se +trouvèrent bientôt dans la chambre et devant mes yeux. + +Fanny. Quel fâcheux contre-temps! la pluie tombe à torrents, +et pas une voiture. + +Gamiani. Je suis désolée comme vous; par malencontre ma +voiture est chez le sellier. + +"F. -- Ma mère sera inquiète. + +"G. -- Soyez sans crainte, ma chère Fanny, votre mère est +prévenue, elle sait que vous passez la nuit chez moi. Je vous +donne l'hospitalité. + +"F. -- Vous êtes trop bonne, en vérité. Je vais vous causer de +l'embarras. + +"G. -- Dites, un vrai plaisir. C'est une aventure qui me +divertit...... je ne veux pas vous envoyer coucher seule dans +une autre chambre, nous resterons ensemble. + +"F. -- Pourquoi? Je dérangerai votre sommeil. + +"G. -- Vous êtes trop cérémonieuse.... voyons! Soyons comme +deux jeunes amies, comme deux pensionnaires." + +Un doux baiser vint appuyer ce tendre épanchement. + +"G. -- Je vais vous aider à vous deshabiller. Ma femme de +chambre est couchée, nous pouvons nous en passer.... + +"Comme elle est faite! heureuse fille! J'admire votre taille. + +"F. -- Vous trouvez qu'elle est bien? + +"G. -- Ravissante! + +"F. -- Vous voulez me flatter.... + +"G. -- O merveilleuse! quelle blancheur! c'est à en être +jalouse. + +"F. -- Pour celui-là, je ne vous le passe pas, franchement vous +êtes plus blanche que moi. + +"G. -- Vous n'y pensez pas, enfant!... otez donc tout, comme +moi. Quel embarras! on vous dirait devant un homme. Là! voyez +dans la glace.... comme Pâris vous jetterait la pomme. +Friponne! elle sourit de se voir si belle. -- Vous méritez bien +un baiser sur votre front, sur vos joues, sur vos lèvres. Elle +est belle partout partout....." + +La bouche de la comtesse se promenait, lascive, ardente sur le +corps de Fanny. Interdite, tremblante, Fanny laissait tout +faire et ne comprenait pas. + +C'était bien un couple délicieux de volupté, de grâces, +d'abandon lascif, de pudeur craintive. On eut dit une Vierge, +une Ange, aux bras d'une Bacchante en fureur. + +Que de beautés livrées à mon regard, quel spectacle à soulever +mes sens. + +F. -- Oh! que faites-vous? laissez, Madame, je vous prie.... + +G. -- Non, non, ma Fanny, mon enfant ma vie, ma joie. Tu es +trop belle, vois-tu! je t'aime! je t'aime d'amour, je suis +folle!..." + +Vainement l'enfant se débattait. Les baisers étouffaient ses +cris. Pressée, enlacée, sa résistance était vaine La comtesse +dans son etreinte fougueuse l'emportait sur son lit, l'y +jetait comme une proie à dévorer. + +"F. -- Qu'avez-vous! O dieu! Madame; mais c'est affreux!.... Je +crie, laissez-moi.... vous me faites peur....." + +Et des baisers plus vifs, plus pressés, répondaient à ces +cris. Les bras enlacaient plus fort, les deux corps n'en +faisaient qu'un. + +"G. Fanny, à moi! à moi tout entière! viens! voila ma vie. +Tiens!.... c'est du plaisir.... comme tu trembles, enfant.... +Ah! tu cèdes.... + +"F: -- C'est mal! C'est mal! vous me tuez.. ah!.... je meurs. + +"G. -- Oui, serres-moi, ma petite, mon amour. Serres bien; plus +fort. Qu'elle est belle dans le plaisir!... Lascive!... tu +jouis, tu es heureuse... oh! Dieu! + +Ce fut alors un spectacle étrange. La Comtesse, I'oeil en feu, +les cheveux épars, se ruait, se tordait sur sa victime que les +sens agitaient à son tour. Toutes deux se tenaient, +s'étreignaient avec force. Toutes deux se renvoyaient leurs +bonds, leurs élans, étouffaient leurs cris, leurs soupirs dans +des baisers de feu. + +Le lit craquait aux secousses furieuses de la Comtesse. + +Bientôt épuisée, abattue, Fanny laissa tomber ses bras. Pâle, +elle restait immobile comme une belle morte. + +La Comtesse délirait. Le plaisir la tuait et ne l'achevait +pas. Furieuse, bondissante, elle s'élança au milieu de la +chambre, se roûla sur le tapis, s'excitant par des poses +lascives, bien follement lubriques, provoquant avec ses doigts +tout l'excès des plaisirs.... + +Cette vue acheva d'égarer ma tête. + +Un instant, le dégoût, l'indignation m'avaient dominé; je +voulais me montrer à la Comtesse, l'accabler du poids de mon +mépris. Les sens furent plus forts que la raison. La chair +triompha superbe, frémissante. J'étais étourdi, comme fou. Je +m'élançai sur la belle Fanny, nû, tout en feu, pourpré, +terrible. Elle eut à peine le temps de comprendre cette +nouvelle attaque que, déjà triomphant, je sentais son corps +souple et frêle trembler, s'agiter sous le mien répondre à +chacun de mes coups. Nos langues se croisaient brûlantes, +acérées, nos âmes se fondaient dans une seule. + +"F. -- Ah! Dieu!.... on me tue....." + +A ces mots, la belle se raidit, soupire et puis retombe en +m'inondant de ses faveurs. + +Ah Fanny, m'écriai-je, attends... à toi... ah!.... + +A mon tour, je crus rendre toute ma vie. + +Quel excès!.... Anéanti, perdu dans les bras de Fanny, je +n'avais rien senti des attaques terribles de la Comtesse. + +Rappelée à elle par nos cris, nos soupirs, transportée de +fureur et d'envie, elle s'était jetée sur moi pour m'arracher +à son amie. Ses bras m'étreignaient en me secouant, ses doigts +creusaient ma chair, ses dents mordaient. + +Ce double contact de deux corps suant le plaisir, tout +brulants de luxure, me ravivait encore, redoublait mes désirs. + +Le feu me touchait partout. Je demeurai ferme, victorieux au +pouvoir de Fanny; puis, sans rien perdre de ma position, dans +ce désordre étrange de trois corps se mêlant, se croisant, +s'enchevêtrant l'un dans l'autre, je parvins à saisir +fortement les cuisses de la Comtesse, à les tenir écartées au +dessus de ma tête. + +"Gamiani! à moi! portez-vous en avant, ferme sur vos bras! + +Gamiani me comprit, et je pus à loisir poser ma langue active, +dévorante sur sa partie en feu. + +Fanny insensée, éperdue, caressait amoureusement la gorge +palpitante qui se mouvait au dessus d'elle. + +En un instant la comtesse fut vaincue, achevée. + +"G. Quel feu vous allumez! C'est trop...... grâce!... oh!.... +quel jeu lubrique! vous me tuez.... Dieu! j'étouffe." + +Le corps de la Comtesse retomba lourdement de côté comme une +masse morte. + +Fanny plus exaltée encore, jette ses bras à mon cou, m'enlace, +me serre, croise ses jambes sur mes reins. + +"F. -- Cher ami! à moi... tout à moi. Modère un peu... +arrête.... là.... ah!..... va plus vite... va donc..... oh! je +sens!... je nage!.... je......" + +Et nous restâmes l'un sur l'autre étendus, raides, sans +mouvement; nos bouches entrouvertes, mêlées, se renvoyaient à +peine nos haleines presque éteintes. + +Peu à peu nous revînmes. Tous trois nous nous relevâmes et +nous fûmes un instant à nous regarder stupidement.... + +Surprise, honteuse de ses emportements, la Comtesse se couvrit +à la hâte. Fanny se déroba sous les draps; puis comme un +enfant, qui comprend sa faute quand elle est commise et +irréparable, elle se mit à pleurer: la Comtesse ne tarda pas à +m'apostropher. + +"G. -- Monsieur, c'est une bien misérable surprise. Votre +action n'est qu'un odieux guet-à-pens, une lâcheté infâme.... +vous me forcez à rougir." + +Je voulus me défendre, + +"G. -- Oh! Monsieur, sachez qu'une femme ne pardonne jamais à +qui surprend sa faiblesse." + +Je ripostai de mon mieux. Je déclarai une passion funeste, +irrésistible; que sa froideur avait désespérée, réduite à la +ruse, à la violence.... + +"D'ailleurs, ajoutai-je, + +"Pouvez vous croire, Gamiani, que j'abuse jamais d'un secret +que je dois plus au hasard qu'à ma témérité. Oh! non, ce +serait trop ignoble. Je n'oublierai, de ma vie, l'excès de nos +plaisirs, mais j'en garderai pour moi seul le souvenir. Si je +fus coupable, songez que j'avais le délire dans le coeur, ou +plutôt ne gardez qu'une pensée, celle des plaisirs que nous +avons goûtés ensemble, que nous pouvons goûter encore. + +M'adressant ensuite à Fanny, tandis que la Comtesse dérobait +sa tête, feignait de se désoler + +"Calmez vous, Mademoiselle. Des larmes dans le plaisir! oh! ne +songez qu'à la douce félicité qui nous unissait tout à +l'heure; qu'elle reste dans vos souvenirs comme un rève +heureux, qui n'appartient qu'à vous, que vous seule savez. Je +vous le jure, je ne gâterai jamais la pensée de mon bonheur en +la confiant à d'autres." + +La colère s'apaisa, les larmes se tarirent insensiblement, +nous nous retrouvâmes tous les trois entrelacés, disputant de +folies, de baisers, de caresses.... "Oh! mes belles amies, que +nulle crainte ne vienne nous troubler. Livrons-nous sans +réserve..... comme si cette nuit était la dernière A la joie, +à la volupté. + +Et Gamiani de s'écrier: "Le sort en est jeté, au plaisir. +Viens Fanny..... baise donc, folle!.. tiens!... que je te +morde.... que je te suce; que Je t'aspire jusqu'à la moëlle. +Alcide, en devoir... Oh! le superbe animal! quelle +richesse!.... + +Vous l'enviez, Gamiani, à vous donc. Vous dédaignez ce +plaisir, vous le bénirez quand vous l'aurez bien goûté. Restez +couchée Portez en avant la partie que je vais attaquer. Ah! +que de beautés! quelle posture! Vîte, Fanny, enjambez la +Comtesse, conduisez vous-même cette arme terrible, cette arme +de feu; battez en brèche, ferme!. trop fort, trop vîte.... +Gamiani!... ah..... vous escamotez le plaisir...." + +La Comtesse s'agitait comme une possédée, plus occupée des +baisers de Fanny que de mes efforts. Je profitai d'un +mouvement qui dérangea tout, pour renverser Fanny sur le corps +de la Comtesse, pour l'attaquer avec fureur. En un instant, +nous fûmes tous les trois confondus, abîmés de plaisir....... + +................................. + +"G. -- Quel caprice, Alcide. Vous avez tourné subitement à +l'ennemi...... oh! je vous pardonne, vous avez compris que +c'était perdre trop de plaisir pour une insensible. Que +voulez-vous? j'ai la triste condition d'avoir divorcé avec la +nature. Je ne rève, je ne sens plus que l'horrible, +l'extravagant. Je poursuis l'impossible. Oh! C'est bien +affreux. Se consumer, s'abrutir dans des déceptions. Désirer +toujours, n'être jamais satisfaite. Mon imagination me +tue..... C'est être bien malheureuse!" + +Il y avait dans tout ce discours une action si vive, une +expression si forte de désespoir, que je me sentis ému de +pitié. Cette femme souffrait à faire mal. -- "Cet état n'est +peut-être que passager Gamiani; vous vous nourrissez trop de +lectures funestes" + +"G. -- Oh! non! non! ce n'est pas moi.... + +"Ecoutez: vous me plaindrez, vous m'excuserez peut-être. + +"J'ai été élevée en Italie, par une tante restée veuve de +bonne heure. J'avais atteint ma quinzième année et je ne +savais, des choses de ce monde, que les terreurs de la +religion. Toute en Dieu, je passais ma vie à supplier le Ciel +de m'éviter les peines de l'Enfer. + +"Ma tante m'inspirait ces craintes, sans les tempérer jamais +par la moindre preuve de tendresse. Je n'avais d'autre douceur +que mon sommeil. Mes jours passaient tristes comme les nuits +d'un condamné. + +"Parfois seulement, ma tante m'appelait le matin dans son lit. +Alors, ses regards étaient doux, ses paroles flatteuses. Elle +m'attirait sur son sein, sur ses cuisses et m'étreignait +tout-à-coup dans des embrassements convulsifs; je la voyais se +torde, renverser sa tête et se pâmer avec un rire de folle. + +"Epouvantée, je la contemplais, immobile, je la croyais +atteinte d'épilepsie. + +"A la suite d'un long entretien qu'elle eut avec un Moine +franciscain, je fus appelée et le révérend père me tint ce +discours: + +"Ma fille, vous grandissez. Déjà le démon tentateur peut vous +voir. Bientôt vous sentirez ses attaques. Si vous n'êtes pure +et sans tache, ses traits pourront vous atteindre; si vous +êtes exempte de souillure, vous resterez invulnérable. Par des +douleurs notre Seigneur a racheté le monde; par les +souffrances vous racheterez aussi vos propres péchés. +Préparez-vous à subir le martyr de la rédemption. Demandez à +Dieu la force et le courage nécessaires: ce soir vous serez +éprouvée.... Allez en paix, ma fille." + + +"Ma tante m'avait déjà parlé depuis quelques jours, de +souffrances, de tortures à endurer pour racheter ses péchés, +je me retirai, effrayée des paroles du Moine. -- Seule, je +voulus prier, m'occuper de Dieu, mais je ne pouvais voir que +l'image du supplice qui m'attendait. + +"Ma tante vint me retrouver au milieu de la nuit. Elle +m'ordonna de me mettre nue, me lava de la tête aux pieds et me +fit prendre une grande robe noire serrée autour du cou et +entièrement fendue par derrière. Elle s'habilla de même et +nous partîmes de la maison en voiture. + +"Au bout d'une heure, je me vis dans une vaste salle tendue de +noir, éclairee par une seule lampe suspendue au plafond. + +"Au milieu s'élevait un prie-Dieu environne de coussins. + +"Agenouillez-vous, ma Nièce: préparez-vous par la prière, et +supportez avec courage tout le mal que Dieu veut vous infliger + +"J'avais à peine obéi, qu'une porte secrète s'ouvrit, un +Moine, vêtu comme nous, s'approcha de moi, marmota quelques +paroles: puis, écartant ma robe et faisant tomber les pans de +chaque côté, il mit à découvert toute la partie postérieure de +mon corps. + +"Un léger frémissement échappa au Moine, extasié sans doute à +la vue de ma chair; sa main se promena partout, s'arrêta sur +mes fesses et finit par se poser plus bas. + +"C'est par là que la femme pêche, c'est par là qu'elle doit +souffrir, dit une voix sépulchrale... + +Ces paroles étaient à peine prononcées, que je me sentis +battue de verges, de noeuds de corde garnis de pointes en fer. +Je me cramponnai au prie-Dieu, je m'efforçai d'étouffer mes +cris, mais en vain, la douleur était trop forte. -- Je +m'élançai dans la salle, criant: Grâce! grâce! je ne puis plus +supporter ce supplice -- Tuez-moi plutôt. Pitié! je vous +prie...... + +"Misérable lâche, s'écria ma tante indignée; Il vous faut mon +exemple! + +"A ces mots, elle s'exposa bravement toute nue, écartant les +cuisses, les tenant élevées. + +"Les coups pleuvaient; le bourreau était impassible. En un +instant les cuisses furent en sang + +"Ma tante restait inébranlable, criant par moments "plus +fort... ah!.... plus fort encore!. + +Cette vue me transporta, je me sentis un courage surnaturel, +je m'écriai, que j'étais préte à tout souffrir. + +"Ma tante se releva aussitôt et me couvrit de baisers +brulants, tandis que le Moine liait mes mains, plaçait un +bandeau sur mes yeux. + +"Que vous dirai-je enfin. Mon supplice recommença, plus +terrible: Engourdie bientôt par la douleur, j'étais sans +mouvement, je ne sentais plus. Seulement, à travers le bruit +de mes coups, j'entendais confusément des cris, des éclats, +des mains frappant sur des chairs. C'étaient aussi des rires +insensés, rires nerveux, convulsifs, précurseurs de la joie +des sens. Par moment, la voix de ma tante, qui râlait la +volupté, dominait cette harmonie étrange, ce concert d'orgie, +cette saturnale de sang. + +"Plus tard, j'ai compris que le spectacle de mon supplice +servait à réveiller des désirs; chacun de mes soupirs étouffés +provoquait un élan de volupté. + +"Lassé sans doute, mon bourreau avait fini. Toujours immobile, +j'étais dans l'épouvante, résignée à mourir, et, cependant, à +mesure que l'usage de mes sens revenait, j'éprouvais une +démangeaison singulière mon corps frémissait, était en feu. Je +m'agitais lubriquement comme pour satisfaire un désir +insatiable. Tout-à-coup deux bras nerveux m'enlacent; je ne +savais quoi de chaud, de tendu, vint battre mes cuisses, se +glisser plus bas et me pénétrer subitement. A ce moment, je +crus être fendue en deux. Je poussai un cri affreux que +couvrirent aussitôt des éclats de rire. Deux ou trois +secousses terribles achevèrent d'introduire en entier le rude +fléau qui m'abîmait. Mes cuisses saignantes se collaient aux +cuisses de mon adversaire; il me semblait que nos chairs +s'entremêlaient pour se fondre en un seul corps Toutes mes +veines étaient gonflées, mes nerfs tendus. Le frottement +vigoureux que je subissais, et qui s'opérait avec une +incroyable agilité, m'échauffa tellement, que je crus avoir +reçu un fer rouge. + +"Je tombai bientôt dans l'extase, je me vis au Ciel. Une +liqueur visqueuse et brûlante vint m'inonder rapidement, +pénétra jusqu'à mes os, chatouilla jusqu'à la moëlle.... oh! +c'était trop.... je fondais comme une lave ardente.... Je +sentais courir en moi un fluide actif dévorant, j'en +provoquais l'éjaculation par secousses furieuses et je tombai +épuisée dans un abîme sans fin de volupté inouïe. + +F -- Gamiani, quelle peinture! vous nous mettez le diable au +corps. + +"G. -- Ce n'est pas tout. + +"Ma volupté se changea en douleur atroce. Je fus horriblement +brutalisée. Plus de vingt Moines se ruèrent à leur tour en +cannibales effrénés. Ma tête retomba de côté, mon corps brisé, +rompu, gisait sur les coussins, pareil à un cadavre. Je fus +emportée morte dans mon lit. + +"F. -- Quelle cruauté infâme! + +"G. -- Oh! oui, infâme et plus funeste encore. + +"Revenue à la vie, à la santé, je compris l'horrible +perversité de ma tante et de ses horribles compagnons de +débauche, que l'image de tortures affreuses aiguillonnaient +seule encore. Je leur jurai une haîne mortelle et cette haîne, +dans ma vengeance au désespoir, je la portai sur tous les +hommes. + +L'idée de subir leurs caresses m'a toujours révoltée. Je n'ai +pas voulu servir de vil jouet à leurs désirs. + +"Mon tempérament était de feu, il fallut le satisfaire. Je ne +fus guérie plus tard de l'onanisme que par les doctes leçons +des filles du couvent de la rédemption. Leur science fatale +m'a perdue pour jamais." + +Ici les sanglots étouffèrent la voix altérée de la Comtesse. + +Les caresses ne pouvaient rien faire sur cette femme. -- Pour +faire diversion je m'adressai à Fanny. + +Al. -- A votre tour, belle étonnée! vous voilà, en une nuit, +initiée à bien des mystères. Voyons! racontez nous comment +vous avez ressenti les premiers plaisirs des sens. + +F. -- Moi! je n'oserai, je vous l'avoue. + +Al -- Votre pudeur est au moins hors de saison. + +F. -- Non, mais après le récit de la Comtesse, ce que je +pourrais dire serait trop insignifiant. + +Al. -- Vous n'y pensez pas, pauvre ingénu! Pourquoi hésiter? ne +sommes nous pas confondus par le plaisir et les sens. Nous +n'avons plus à rougir. Nous avons tout fait, nous pouvons tout +dire. + +G. -- Voyons, ma belle, un baiser, deux, cent s'il le faut, +pour vous décider. Et Alcide, comme il est amoureux! vois! il +te menace. + +F. -- Non, non, laissez, Alcide, je n'ai plus de force, Grâce! +je vous prie..... Gamiani que vous êtes lubrique..... Alcide +ôtez-vous.... oh!.... + +Al. -- Pas de quartier, morbleu! ou Curtius se précipite +tout-armé, ou vous allez nous donner l'Odyssée de votre pucelage. + +F. -- Vous m'y forcez.... + +G. et Al. -- Oui. Oui. + +F. -- Je suis arrivée à 15 ans, bien innocente, je vous jure. +Ma pensée même ne s'était jamais arrêtée sur tout ce qui tient +à la différence des sexes. + +Je vivais insouciante, heureuse, sans doute; lorsqu'un jour de +grande chaleur, étant seule à la maison, j'éprouvai comme un +besoin de me dilater de me mettre à l'aise. + +Je me deshabillai, je m'étendis presque nue sur un divan.... +oh! j'ai honte!.... Je m'allongeais, j'écartais mes cuisses, +je m'agitais en tous les sens. A mon insu, je formais les +postures les plus indécentes. + +L'étoffe du divan était glacée. Sa fraîcheur me causa une +sensation agréable, un frôlement voluptueux par tout le corps. +Oh! comme je respirais librement, entourée d'une atmosphère +tiède, doucement pénétrante. Quelle volupté suave et +ravissante! j'étais dans une délicieuse extase. Il me +semblait, qu'une vie nouvelle inondait mon être, que j'étais +plus forte, plus grande, que j'aspirais un souffle divin, que +je m'épanouissais aux rayons d'un beau Ciel! + +Alc. -- Vous êtes poëtique, Fanny. + +F. -- Oh! je vous décris exactement mes sensations Mes yeux +erraient complaisamment sur moi, mes mains volaient sur mon +cou, sur mon sein. Plus bas, elles s'arrêtèrent et je tombai +malgré moi dans une rêverie profonde. + +Les mots d'amour, d'amant, me revenaient sans cesse avec leur +sens inexplicable. Je finis par me trouver seule. J'oubliais +que j'avais des parents, des amis, j'éprouvai un vide affreux. + +Je me levai, regardant tristement autour de moi. + +Je restai quelque temps pensive, la tête melancoliquement +penchée, Les mains jointes, les bras pendants. Puis, +m'examinant, me touchant de nouveau; je me demandai si tout +cela n'avait pas un but, une fin.... Jnstinctivement je +comprenais qu'il me manquait quelque chose, que je ne pouvais +définir, mais que je voulais, que je désirais de toute mon +âme. + +Je devais avoir l'air égaré, car je riais parfois +frénétiquement; mes bras s'ouvraient comme pour saisir l'objet +de mes voeux; j'allais jusqu'à m'étreindre moi-même. Je +m'enlacais, je me caressais, il me fallait absolument une +réalité, un corps à saisir, à presser; Dans mon étrange +hallucination, je m'emparais de moi-même, croyant m'attacher à +un autre. + +A travers les vitraux, on découvrait au loin les arbres, les +gazons, et j'étais tentée d'aller me roûler à terre, ou de me +perdre aërienne dans les feuilles. Je contemplais le Ciel, et +j'aurais voulu voler dans l'air, me fondre dans l'azur, me +mêler aux vapeurs, au Ciel, aux Anges. + +Je pouvais devenir folle: mon sang refluait brûlant vers ma +tête. + +Eperdue, transportée, je m'étais précipitée sur les coussins. +J'en tenais un serré entre mes cuisses, j'en pressais un autre +dans mes bras; je le baisais follement, je l'entourais avec +passion, je lui souriais même, je crois, tant j'étais ivre, +dominée par les sens. Tout-à-coup, je m'arrête, je frémis, il +me semble que je fonds, que je m'abîme. ah! m'écriai-je; mon +Dieu! ah! ah! et je me relevai subitement, épouvantée. + +J'étais toute mouillée. + +Ne pouvant rien comprendre a ce qui m'était arrivé, je crus +être blessée, j'eus peur. Je me jetai à genoux, suppliant Dieu +de me pardonner si j'avais fait mal. + +Alc. -- Aimable innocente! vous n'avez confié à personne ce qui +vous avait si fort effrayée? + +F. -- Non! Jamais! je ne l'aurais pas osé. J'étais encore +ignorante, il y a une heure; vous m'avez révélé le mot de la +Charade. + +Alc. O! Fanny! cet aveu me met au comble de la félicité. Mon +amie, reçois encore cette preuve de mon amour. -- Gamiani, +excitez-moi, que j'inonde cette jeune fleur, de la rosée +Céleste. + +G . -- Quel feu, quelle ardeur, Fanny, tu te pames déjà.... oh! +elle jouit.... elle jouit.... + +F. -- Alcide! Alcide!... J'expire,..... je..... + +Et la douce volupté nous abîmait d'ivresse, nous portait tous +les deux au Ciel. + +Après un instant de repos, calme des sens, je parlai moi-même +en ces termes: + +Je suis né de parens jeunes et robustes. Mon enfance fut +heureuse, exempte de pleurs et de maladie. Aussi, des l'âge de +13 ans, étais-je un homme fait. Les aiguillons de la chair se +faisaient déjà vivement sentir + +Destiné à l'état ecclésiastique, élevé dans toute la rigueur +des principes de chastete, je combattais de toutes mes forces +les premiers désirs des sens. Ma chair s'éveillait, s'irritait +puissante, impérieuse et je la macérais impitoyablement. + +Je me condamnais au jeune le plus rigoureux. La nuit, dans mon +sommeil, la nature obtenait un soulagement, et je m'en +effrayais comme d'un désordre dont j'étais coupable. Je +redoublais d'abstinence et d'attention à écarter une main +funeste. Cette opposition, ce combat intérieur, finirent par +me rendre lourd et comme hébété. Ma continence forcée porta +dans tous mes sens une sensibilité, ou plutôt une irritation +que je n'avais jamais sentie. + +J'avais souvent le vertige. Il me semblait que les objets +tournaient et moi avec eux. Si une jeune femme s'offrait par +hazard à ma vue, elle me paraissait vivement enluminée et +resplendissante d'un feu pareil à des étincelles électriques. + +L'humeur échauffée de plus en plus, et trop abondante, se +portait dans ma tête et les parties de feu dont elle était +remplie, frappant vivement contre la vitre de mes yeux, y +causait une sorte de mirage éblouissant. + +Cet état durait depuis plusieurs mois, lorsqu'un matin, je +sentis tout-à-coup dans tous mes membres une contraction et +une tension violentes, suivies d'un mouvement affreux et +convulsif pareil à ceux qui accompagnent ordinairement des +transports épileptiques...... Mes éblouissements lumineux +revinrent avec plus de force que jamais.... je vis d'abord un +cercle noir tourner rapidement devant moi, s'agrandir et +devenir immense: une lumière vive et rapide s'échappa de l'axe +du cercle et remplit de lumière toute l'étendue. + +Je découvrais un horizon sans fin; de vastes cieux enflammés, +traversés par mille fusées volantes qui toutes retombaient +éblouissantes en pluie dorée, en étincelles de saphir, +d'émeraude et d'azur. + +Le feu s'éteignit, un jour bleuâtre et velouté vint le +remplacer: Il me semblait que je nageais dans une lumière +limpide et douce, suave comme un pâle reflet de la Lune dans +une belle nuit d'été. et, voilà que du point le plus éloigné, +accourent à moi, vaporeuses, aëriennes comme un essaim de +papillons dorés, des myriades infinies de jeunes filles nues, +éblouissantes de fraîcheur, transparentes comme des statues +d'albâtre. + +Je m'élançais devant mes Sylphides, mais elles s'échappaient +rieuses et folâtres. Leurs groupes délicieux se fondaient un +instant dans l'azur et puis reparaissaient plus vifs, plus +joyeux. Bouquets charmants de figures ravissantes qui toutes +me donnaient un fin sourire, un regard malicieux. + +Peu-à-peu, les jeunes filles s'éclipsèrent. alors, vinrent à +moi des femmes dans l'âge de l'amour et des tendres passions. + +Les unes vives, animées, au regard de feu, aux gorges +palpitantes: les autres pâles et penchées, comme des vierges +d'Ossian. Leurs corps frêles, voluptueux, se dérobaient sous +la gaze. Elles semblaient mourir de langueur et d'attente: +elles m'ouvraient leurs bras et me fuyaient toujours. + +Je m'agitais lubriquement sur ma couche; je m'élevais sur mes +jambes et mes mains, secouant frénétiquement mon glorieux +Priape. Je parlais d'amour, de plaisir. dans les termes les +plus indécents,: -- mes souvenirs classiques se mêlant un +instant à mes rêves; je vis Jupiter en feu, Junon maniant sa +foudre; je vis tout l'Olympe en rut dans un désordre, un pèle-mèle +étranges; après, j'assistai à une orgie, une bacchanale +d'enfer: Dans une caverne sombre et profonde, éclairée par des +torches puantes, aux lueurs rougeâtres; des teintes bleues et +vertes se refluaient hideusement sur les corps de cent Diables +aux figures de bouc, aux formes grotesquement lubriques. + +Les uns lancés sur une escarpolette, superbement armés, +allaient fondre sur une femme, la pénétraient subitement de +tout leur dard et lui causaient l'horrible convulsion d'une +jouissance rapide, inattendue. D'autres, plus lutins, +renversaient une prude, la tête en bas, et tous, avec un rire +fou, à l'aide d'un mouton, lui enfonçaient un riche priape de +feu, lui martelant à plaisir l'excès des voluptés. On en +voyait encore quelques-uns, la mèche en main, allumant un +canon d'où sortait un membre foudroyant que recevait +inébranlable, les cuisses écartées, une Diablesse frénétique. + +Les plus méchants de la bande attachaient une Messaline par +les quatre membres et se livraient devant-elle à toutes les +joies, aux plaisirs les plus expressifs. La malheureuse se +tortillait, furieuse écumante, avide d'un plaisir qui ne +pouvait lui arriver + + +Cà et là, mille petits Diabloteaux, plus laids, plus +sautillants, plus rampants les uns que les autres, allaient, +venaient, suçant, pinçant, mordant, dansant en rond, se mêlant +entr'eux. Partout, c'étaient des rires, des éclats, des +convulsions, des frénésies, des cris, des soupirs, des +évanouissements de volupté. + +Dans un espace plus élevé, les diables du premier rang se +divertissaient jovialement à parodier les mystères de notre +sainte religion + +Une Nonne toute nue, prosternée, l'oeil béatifiquement tourné +vers la voûte, recevait avec une dévotieuse ardeur la blanche +communion que lui donnait, au bout d'un fort honnête +goupillon, un grand diable crossé, mîtré tout à l'envers. Plus +loin, une Diablotine recevait à flots sur son front le baptême +de vie; tandis qu'une autre, feignant la moribonde, était +expédiée avec une effroyable profusion de Saint Viatique. + +Un maître diable, porté sur quatre épaules, balançait +fièrement la plus énergique démonstration de sa jouissance +érotico-satanique et, dans ses moments d'humeur répandait a +flots la liqueur bénite. Chacun se prosternait à son passage. +C'était la procession du Saint Sacrement. + +Mais voilà qu'une heure sonne, et aussitôt, tous les Diables +s'appellent, se prennent par la main et forment une ronde +immense. + +Le branle se donne; ils tournent, s'emportent, volent comme +l'éclair. + +Les plus faibles succombent dans ce tournoiement rapide, ce +galop insensé. Leur chute fait culbuter les autres, ce n'est +plus qu'une horrible confusion, un pèle-mèle affreux +d'enclavements grotesques, d'accouplements hideux. Cahos +immonde de corps abîmés, tout tâchés de luxure, que vient +dérober une fumée épaisse. + +G. -- Vous brodez à merveille, Alcide, votre rève irait bien +dans un livre.... + +Alc. -- Que voulez-vous? il faut passer la nuit... Ecoutez +encore, la suite n'est plus que réalité. + +Lorsque je fus revenu de ces accès terribles, je me sentis +moins lourd, mais plus abattu. Trois femmes jeunes encore et +vêtues d'un simple peignoir blanc, étaient assises près de mon +lit. Je crus que mon vertige durait encore, mais on m'apprit +bientôt que mon Médecin, comprenant ma maladie, avait jugé à +propos de m'appliquer le seul remède qui m'était convenable. + +Je pris d'abord une main blanche et potelée que je couvris de +baisers. Une lèvre fraîche et rose vint se poser sur ma +bouche. Ce contact délicieux m'électrisa. J'avais toute +l'ardeur d'un fou égaré. + +"O mes belles amies! m'écriai-je, je veux être heureux, +heureux à l'excès, je veux mourir dans vos bras. Prêtez-vous à +mes transports, à ma folie" + +Aussitôt, je jette loin de moi ce qui me couvre encore, je +m'étends sur mon lit. Un coussin placé sous mes reins me tient +dans la position la plus avantageuse. Mon Priape se dresse +superbe, radieux. + +"Toi, brune piquante, à la gorge si ferme et si blanche, +sieds-toi au pied du lit, les jambes étendues près des +miennes. Bien! porte mes pieds sur ton sein, frotte-les +doucement sur tes jolis boutons d'amour, -- à ravir! oh! tu es +délicieuse. + +La blonde aux yeux bleus, à moi! tu seras ma reine.... viens +te placer à cheval sur le trône. Prends d'une main le sceptre +enflammé, cache-le tout-entier dans ton empire.... Ouf! pas si +vite. Attends... sois lente, cadencée, comme un Cavalier au +petit trôt. Prolonge le plaisir. + +Et toi, si grande, si belle, aux formes ravissantes, enjambe +ici par dessus ma tête.... à merveille! tu me devines. Ecarte +bien les cuisses.... Encore! que mon oeil puisse bien te voir, +ma bouche te dévorer, ma langue te pénétrer à loisir. Que +fais-tu droite et debout? abaisse toi donc, donne ta gorge à +baiser..... + +"A moi! à moi! lui dit la brune, (en lui montrant sa langue +agile, aigue comme un stylet de Venise) viens! que je mange +tes yeux, ta bouche. Je t'aime de la sorte. Oh! Lubrique... +Mets ta main là.... va! doucement! doucement!.. + +Et voilà que chacun se meut, s'agite, s'excite au plaisir. + +Je dévore des yeux cette scène animée, ces mouvements lascifs, +ces poses insensées. Les cris, les soupirs se croisent, se +confondent: bientôt le feu circule dans mes veines. Je +frissonne tout-entier. Mes deux mains battent une gorge +brûlante, ou se portent frénétiques, crispées, sur des charmes +plus secrets encore. Ma bouche les remplace. Je suce +avidement, je ronge, je mords. On me crie d'arrêter, que je +tue, et je redouble encore. + +Cet excès m'acheva. Ma tête retomba lourdement. Je n'avais +plus de force. "-- Assez! assez! criai-je: oh! mes pieds! quel +chatouillement voluptueux. Tu me fais mal...... tu me crispes +mes nerfs se tendent, se tordent.... oh. --" + +-- Je sentais le délire approcher une troisième fois Je poussai +avec fureur. Mes trois belles perdirent à la fois l'équilibre +et leurs sens. Je les reçus dans mes bras, pamées, expirantes +et je me sentis abîmé, inondé. + +Joies du Ciel ou de l'Enfer! c'étaient des torrens de feu qui +ne finissaient pas. + +"G. -- Quels plaisirs vous avez goûtés, Alcide, oh! je les +envie -- Et toi, Fanny: l'insensible! elle dort, je crois. + +F. -- Laissez-moi, Gamiani, ôtez votre main, elle me pèse. Je +suis accablée.... morte... Quelle nuit! Mon Dieu!... +Dormons.... je..... + +La pauvre enfant baillait, se détournait, se dérobait toute +petite dans un coin du lit. + +Je voulus la ramener + +"Non, non, me dit la Comtesse; je comprends ce qu'elle +éprouve. Pour moi, je suis d'une humeur bien autre que la +sienne. Je sens une irritation.... Je suis tourmentée, je +désire! oh! voyez-vous! j'en veux jusqu'à rester morte...... +vos deux corps qui me touchent, vos discours, nos fureurs, +tout cela m'excite, me transporte. J'ai l'enfer dans l'esprit, +j'ai le feu dans le corps. Je ne sais qu'inventer, -- oh! rage! + +"Alc. -- Que faites vous, Gamiani? vous vous levez? + +G. -- Je n'y tiens plus, je brule... je voudrais... Mais +fatiguez moi donc. Qu'on me presse, qu'on me batte.... Oh! ne +pas jouir...... + +Les dents de la Comtesse claquaient avec force: ses yeux +roulaient effrayants dans leur orbite. Tout en elle s'agitait, +se tordait, c'était horrible à voir. + +Fanny se releva, saisie, épouvantée. Pour moi, je m'attendais +à une attaque de nerfs. + +En vain, je couvrais de baisers les parties les plus tendres. +Mes mains étaient lasses de torturer cette furie indomptable. +Les canaux spermatiques étaient fermés ou épuisés. J'amenais +du sang, et le délire n'arrivait pas. + +"G. -- Je vous laisse, dormez!" + +A ces mots, Gamiani s'élance hors du lit, ouvre une porte et +disparait.... + +Alc. -- que veut-elle? comprenez-vous Fanny? + +F. -- Chut, Alcide, écoutez.... quels cris!.... + +"Elle se tue.... Dieu! la porte est fermée.... Ah! elle est +dans la chambre de Julie. Attendez il y a là une ouverture +vitrée, nous pourrons tout voir. Approchez le canapé, voici +deux chaises, montez." + +Quel spectacle! à la lueur d'une veilleuse pâle, vacillante, +la Comtesse, les yeux horriblement tournés de coté, une salive +écumeuse sur les lèvres, du sang, du sperme le long des +cuisses, se roulait en rugissant sur un large tapis de peaux +de chat (1) [(1) La peau du Chat, comme on le sait, excite +singulièrement, à cause sans doute de la grande quantité +d'électricité qu'elle contient. Les Femmes de Lesbos, s'en +servaient toujours dans leurs saturnales.]. Ses reins +frottaient le poil avec une agilité sans pareille. Par moment, +la Comtesse agitait ses jambes en l'air, se soulevait presque +droite sur sa tête, exposant tout son dos à notre vue, pour +retomber ensuite avec un rire affreux. + +G. "Julie, à moi! viens! ma tête tourne.... Ah! damnée folle, +je vais te mordre," + +Et Julie nue aussi, mais forte, puissante, s'emparait des +mains de la Comtesse, les liait ensemble, ainsi que les pieds. + +L'excès fut alors à son comble, la convulsion m'épouvantait. + +Julie, sans marquer le moindre étonnement, dansait, sautait +comme une folle, s'excitant au plaisir se renversai pamée sur +un fauteuil. + +La Comtesse suivait de l'oeil tous ses mouvements. Son +impuissance à tenter les mêmes fureurs, à goûter la même +ivresse, redoublait encore sa rage: C'était bien un Promethée +femelle déchiré par cent vautours a la fois. + +G. -- Médor! Médor! prends moi! Prends! + +A ce cri un chien énorme sort d'une cache, s'élance sur la +Comtesse et se met en train de lécher ardemment un clitoris +dont la pointe sortait rouge et enflammée. + +La Comtesse criait à haute voix: hai! hai! hai! forçant +toujours le ton à proportion de la vivacité du plaisir. On +aurait pu calculer les gradations du chatouillement que +ressentait cette effrénée Calymanthe (1) [(1) Thyade fougueuse +que la Mythologie représente se livrant aux bêtes.] + +G. -- Du lait! du lait! Oh! du lait! + +Je ne pouvais comprendre cette exclamation, véritable cri de +détresse et d'agonie, lorsque Julie parut armée d'un énorme +godmiché rempli d'un lait chaud, qu'un ressort faisait à +volonté jaillir à six pas. Au moyen de deux courroies, elle +s'adapte, à la place voulue, l'ingénieux instrument. Le plus +généreux étalon, dans toute sa puissance, ne se fut pas +montré, en grosseur du moins, avec plus d'avantage. Je ne +pouvais croire, qu'il y aurait introduction, lorsqu'à ma +grande surprise, cinq ou six attaques forcenées, au milieu de +cris aigus et déchirants, suffirent pour engloutir et dérober +cette énorme machine. La Comtesse souffrait comme une damnée: +raide, sans mouvement, pareille à un marbre, on eut dit la +Cassandre de Casani (1) [(1) Statue qui représente Cassandre +violée par les soldats d'Ajax, et remarquable surtout par une +expression de douleur horrible.] + +Le va-et-vient s'opérait avec une habileté consommée, lorsque +Médor dépossédé, et toujours docile à sa leçon, se jette +incontinent sur la mâle Julie, dont les cuisses entr'ouvertes +et en mouvement, laissaient à découvert le plus délicieux +régal. Médor fit tant-et-si bien, que Julie s'arrêta +subitement, se pâma abîmée de plaisir. + +Cette jouissance doit être bien forte, car son expression chez +une femme, n'a rien de pareil. + +Irritée d'un retard qui prolongeait sa douleur et différait +son plaisir, la malheureuse Comtesse jurait, maugréait comme +une perdue. + +Revenue à elle, Julie recommence bientôt et avec plus de +force. A une secousse fougueuse de la Comtesse, à ses yeux +clos, à sa bouche béante, elle comprend que l'instant +approche, son doigt lache le ressort. + +G. Ah! ah!... arrête... je fonds.... hai! hai! je jouis!.... +oh!.................... + +.................................... + +Infernale lubricité!..... je n'avais plus la force de m'ôter +de ma place. Ma raison était perdue, mes regards fascinés. + +Ces transports furibonds, ces volontés brutales me donnaient +le vertige. Il n'y avait plus en moi qu'un sang brûlant, +désordonné, que luxure et débauche. J'étais bestialement +furieux d'amour. La figure de Fanny était aussi singulièrement +changée. Son regard était fixe, ses bras raides et +nerveusement allongés sur moi. Les lèvres mi-entr'ouvertes et +ses dents serrées indiquaient toute l'attente d'une sensualité +délirante, qui touche au paroxisme de la rage du plaisir, qui +demande l'excès. + +A peine arrivés près du lit, nous nous jetâmes bondissants +l'un sur l'autre. Comme deux bêtes acharnées. Partout nos +corps se touchaient, se frottaient, s'électrisaient +rapidement. Ce fut au milieu d'étreintes convulsives, de cris +forcenés, de morsures frénétiques, un accouplement hideux, +accouplement de chair et d'os, jouissance de brute, rapide, +dévorante, mais qui ne venait que du sang. + +Le sommeil arrêta enfin toutes ces fureurs. + +Après cinq heures d'un calme bienfaisant, je me réveillai le +premier. + +Le soleil brillait déjà de tous ses feux. Les rayons percaient +joyeusement les rideaux et se jouaient en reflets dorés sur +les riches tapis, les étoffes soyeuses. + +Ce réveil enchanteur, coloré, poëtique, après une nuit +immonde, me rendait à moi-même; il me semblait que j'échappais +à un cauchemar affreux, et j'avais près de moi, dans mes bras +sous ma main, un sein doucement agité, sein de lys et de +roses, si jeune, si frêle et si pur, qu'à l'effleurer +seulement du bout des lèvres, on eut pu craindre de le +flétrir. O la délicieuse créature! Fanny dans les bras du +sommeil, demi-nue, sur un lit à l'orientale réalisait tout +l'idéal des plus beaux rêves. Sa tête reposait, gracieusement +penchée sur un bras arrondi, son profil se dessinait suave et +pur comme un dessin de Raphaël; son corps dans chacune de ses +parties, comme dans son ensemble, était d'une beauté +prestigieuse. + +C'était une volupté bien grande de savourer à loisir la vue de +tant de charmes, et c'était pitié aussi de songer que, vierge +depuis quinze printemps, une seule nuit avait suffi pour les +flétrir. + +Fraîcheur, grâce jeunesse, la main de l'orgie avait tout sali, +tout souillé, tout plongé dans l'ordure et la fange. + +Cette âme, si naïve et si tendre! cette ame, jusque là, si +doucement bercée par la main des Anges, livrée désormais aux +démons impurs; plus d'illusions, plus de rève, point de +premier amour, point de douces surprises; toute une vie +poëtique de jeune fille à jamais perdue! + +Elle s'éveilla, la pauvre enfant, presque riante Elle croyait +retrouver son matin accoutumé. Ses doux pensers, son +innocence; hélas! Elle me vit. Ce n'était plus son lit, ce +n'était plus sa chambre. Oh! sa douleur faisait mal. Les +pleurs l'étouffaient. Je la contemplais ému, honteux de +moi-même. Je la tenais serrée dans mes bras. Chacune de ses +larmes, je la buvais avec ivresse. + +Les sens ne parlaient plus, mon ame seule s'épanchait tout +entière, mon amour se peignait vif, brûlant dans mon langage +et dans mes yeux. + +Fanny m'écoutait, muette, étonnée, ravie: elle respirait mon +souffle, mon regard, me pressait par moment et semblait me +dire: "-- Oh! oui, encore à toi! toute à toi!. -- Comme elle +avait livré son corps, credule innocente, elle livrait aussi +son ame confiante, enivrée. Je crus dans un baiser la prendre +sur ses lèvres, je lui donnai toute la mienne. Ce fut le Ciel, +et ce fut tout. + +Nous nous levâmes enfin. + +-- Je voulus voir encore la Comtesse. Elle était ignoblement +renversée: la figure défaite, le corps sale, taché. Comme une +femme ivre jetée nue, près d'une borne. Elle semblait cuver sa +luxure. + +Oh! sortons, m'écriai-je,... sortons, Fanny! quittons cet +ignoble séjour. + + +Gamiani + +ou DEUX NUITS D'EXCES. + + +Bruxelles + +1833 + + +Gamiani, + +deuxième partie. + + +Je pensais que Fanny jeune encore, innocente de coeur, ne +conserverait de Gamiani qu'un souvenir d'horreur et de dégoût. +Je l'accablais de tendresse et d'amour, je lui prodiguais les +plus douces les plus enivrantes caresses: parfois je l'abîmais +de plaisir, dans l'espoir qu'elle ne concevrait plus désormais +d'autre passion que celle avouée par la nature, qui confond +les deux sexes dans la joie des sens et de l'âme. Hélas! je me +trompais. L'imagination était frappée, elle dépassait tous nos +plaisirs. Rien n'égalait aux yeux de Fanny les transports de +son amie. Nos plus forts excès lui semblaient de froides +caresses, comparés aux fureurs qu'elle avait connues dans +cette nuit funeste. + +Elle m'avait juré de ne plus revoir Gamiani, mais son serment +n'éteignait pas le désir qu'elle nourrissait en secret. +Vainement elle luttait, ce combat intérieur ne servait qu'à +l'irriter d'avantage. Je compris bientôt qu'elle ne +résisterait pas. J'avais perdu sa confiance; il fallut me +cacher pour l'observer. + +A l'aide d'une ouverture habilement pratiquée, je pouvais la +contempler chaque soir à son coucher La malheureuse! Je la vis +souvent pleurer sur son divan, se tordre, se rouler +désespérée, et tout-à-coup, déchirer, jeter ses vêtements, se +mettre nue devant une glace, l'oeil égaré, comme une folle. +Elle se touchait se frappait, s'excitait au plaisir avec une +frénésie insensée et brutale. Je ne pouvais plus la guérir, +mais je voulus voir jusqu'où se porterait ce délire des sens. + +Un soir, j'étais à mon poste, Fanny allait se coucher, lorsque +je l'entendis s'écrier: + +F -- Qui est là? Est-ce vous Angélique?... Gamiani... Oh! +madame, j'étais loin.... + +G -- Sans doute, vous me fuyez, vous me repoussez: j'ai du +recourir à la ruse. J'ai trompé, éloigné vos gens et me voici. + +F -- Je ne puis vous comprendre, encore moins qualifier votre +obstination; mais si j'ai tenu secret ce que je sais de vous, +mon refus formel de vous recevoir devait vous dire assez que +votre présence m'est importune.... odieuse.... Je vous +rejette, je vous abhorre... Laissez-moi par grâce! éloignez-vous, +évitez un scandale. + +G -- Mes mesures et ma résolution sont prises, vous ne les +changerez pas, Fanny. Oh ma patience était usée. + +F -- Eh bien! Que prétendez-vous faire? Me forcer encore, me +violenter, me salir.... Oh! non madame, vous sortirez, ou +j'appelle mes gens. + +G -- Enfant! nous sommes seules; les portes sont fermées, les +clefs jetées par la fenêtre. Vous êtes à moi.... Mais calmez-vous, +soyez sans crainte. + +F -- Pour Dieu! ne me touchez pas. + +G -- Fanny, toute résistance est vaine. Vous succomberez +toujours Je suis plus forte et la passion m'anime. Un homme ne +me vaincrait pas. Allons! Elle tremble.... elle pâlit.... mon +Dieu! Fanny! ma Fanny!.... Elle se trouve mal, oh! qu'ai-je +fait? Reviens à toi, reviens..... Si je te presse ainsi sur +moi, c'est par amour. Je t'aime tant, toi, ma vie, toi, mon +âme. Tu ne peux donc pas me comprendre.... Va! je ne suis pas +méchante, ma petite, ma chérie.... non, je suis bonne, bien +bonne, puisque j'aime. Vois dans mes yeux, sens comme mon +coeur bât. C'est pour toi, pour toi seule. Je ne veux que ta +joie, ton ivresse en mes bras. Reviens à toi, reviens sous mes +baisers. Oh! folie! Je l'idolâtre cette enfant. + +F -- Vous me tuerez. Mon Dieu! laissez-moi. Laissez-moi donc +enfin; vous êtes horrible. + +G -- Horrible! horrible! qui peut donc inspirer tant d'horreur? +Ne suis-je pas jeune encore? Ne suis-je pas belle aussi? On me +le dit partout. Et mon coeur! En est-il un plus capable +d'aimer? Le feu qui me consume, qui me dévore, ce feu brûlant +de l'Italie qui redouble mes sens et me fait triompher, alors +que tous les autres cèdent, est-ce donc chose horrible? +Dis..... un homme, un amant, qu'est-ce près de moi! deux ou +trois luttes l'abattent, le renversent; à la quatrième, il +râle impuissant et ses reins plient dans le spasme du plaisir. +C'est pitié! moi je reste encore forte, frémissante, +inassouvie. Oh! oui, je personnifie les joies ardentes de la +matière, les joies brûlantes de la chair. Luxurieuse +implacable, je donne un plaisir sans fin, je suis l'amour qui +tue. + +F -- Assez, Gamiani, assez! + +G -- Non, non, écoute encore, écoute Fanny. Etre nues, se +sentir jeunes et belles, suaves, embaumées, brûler d'amour et +trembler de plaisir; se toucher, se mêler, s'exhaler corps et +âme en un soupir, un seul cri, un cri d'amour.... Fanny! +Fanny! c'est le ciel. + +F -- Quel discours! quels regards.... et je vous écoute, je +vous regarde... Oh! grace pour moi. Je suis si faible. Vous me +fascinez..... Quelle puissance as-tu donc?.... Tu te mêles à +ma chair, tu te mêles à mes os, tu es un poison.... oh! oui, +tu es horrible et.... je t'aime..... + +G -- Je t'aime! je t'aime! dis encore, dis encore, mais c'est +un mot qui brûle.. -- Gamiani était pâle, immobile, les yeux +ouverts, les mains jointes, à genoux devant Fanny. On eut dit +que le ciel l'avait soudainement frappée pour la changer en +marbre. Elle était sublime d'anéantissement et d'extase. + +F -- Oui! oui! je t'aime de toutes les forces de mon corps. Je +te veux, je te désire. Oh! j'en perdrai la tête. + +G -- Que dis-tu, bien-aimée? Que dis-tu.... Je suis +heureuse!.... Tes cheveux sont beaux, qu'ils sont doux! ils +glissent dans mes doigts, fins, dorés comme de la soie. Ton +front est bien pur, plus blanc qu'un lys. Tes yeux sont beaux, +ta bouche est belle. Tu es blanche, satinée, parfumée, céleste +de la tête aux pieds. Tu es un ange, tu es la volupté. Oh! ces +robes! ces lacets! Sois donc nue.... Vite, à moi.... je suis +nue déjà moi... Tiens! ah! bien. Eblouissante!.... Reste +debout, Que je t'admire. Si je pouvais te peindre, te rendre +d'un seul trait... Attends que je baise tes pieds, tes genoux, +ton sein, ta bouche. Embrasse-moi. Serre-moi. Plus fort Quelle +joie! quelle joie! Elle m'aime... -- Les deux corps n'en +faisaient qu'un. Seulement les têtes se tenaient séparées et +se regardaient avec une expression ravissante. Les yeux +étaient de feu, les joues d'un rouge ardent Les bouches +frémissaient, riaient, ou se mélaient avec transport. +J'entendis un soupir s'exhaler, un autre lui répondre: après, +ce fut un cri, un cri étouffé et les deux femmes restèrent +immobiles. + +F -- J'ai été heureuse, bien heureuse. + +G -- Moi aussi, ma Fanny, et d'un bonheur qui m'était inconnu. +C'était l'âme et les sens réunis sur tes lèvres.... Viens sur +ton lit, viens goûter une nuit d'ivresse. + +A ces mots, elles s'entraînent mutuellement vers l'alcove. +Fanny s'élance sur le lit, s'étend, se couche voluptueusement. +Gamiani à genoux sur un tapis l'attire sur son sein, l'entoure +de ses bras. + +Silencieuse, elle la contemple avec langueur..... Bientôt les +agaceries recommencent. Les baisers se répondent, les mains +volent habiles au toucher. Les yeux de Fanny expriment le +désir et l'attente, ceux de Gamiani le désordre des sens. +Colorées, animées par le feu du plaisir toutes deux semblaient +étinceler à mes yeux, ces furies délirantes à force de rage et +de passion poëtisaient en quelque sorte l'excès de leur +débauche, elles parlaient à la fois aux sens et à +l'imagination. + +J'avais beau me raisonner, condamner en moi ces absurdes +folies, je fus bientôt ému, échauffé, posséde de désirs. Dans +l'impossibilité où j'étais d'aller me mêler à ces deux femmes +nues, je ressemblais à la bête fauve que tourmente le rut et +qui des yeux dévore sa femelle à travers les barreaux de sa +cage. Je restais stupidement immobile, la tête clouée près de +l'ouverture d'où jaspirais, pour ainsi dire, ma torture, vraie +torture de damné, horrible, insupportable, qui frappe d'abord +la tête, se mêle ensuite au sang, dans les os, jusques à la +moelle qu'elle brûle. Je souffrais trop à force de sentir. Il +me semblait que mes nerfs tendus, irrités finissaient par se +rompre. Mes mains crispées s'accrochaient au parquet. Je ne +respirais plus, j'écumais. Ma tête se perdit. Je devins fou, +furieux, et m'empoignant avec rage, je sentis toute ma force +d'homme s'agiter furibonde entre mes doigts serrés, +tressaillir un instant, puis fondre et s'échapper en saillies +brûlantes comme une rosée de feu. Jouissance étrange qui vous +brise, vous renverse à terre. + +Revenu à moi, je me vis énervé. Mes paupières étaient lourdes. +Ma tête se tenait à peine. Je voulus m'arracher de ma place; +un soupir de Fanny m'y retint. J'appartenais au démon de la +chair. Tandis que mes mains se lassaient à ranimer ma +puissance éteinte, je m'abîmais les yeux à contempler la scène +qui me jettait dans un si horrible désordre. + +Les poses étaient changées. Mes tribades se tenaient +enfourchées l'une dans l'autre, cherchant à mêler leurs duvets +touffus, à frotter leurs parties ensemble. Elles +s'attaquaient, se refoulaient avec un acharnement et une +vigueur que l'approche du plaisir peut seul donner à des +femmes. On aurait dit qu'elles voulaient se fendre, se croiser +tant leurs efforts étaient violents, tant leur respiration +haletait bruyante. Ai! ai! s'écriait Fanny, je n'en puis plus, +cela me tue. Va seule. Va!.... encore, répondait Gamiani Je +touche au bonheur. Pousse! Tiens donc! tiens.... Je m'écorche, +je crois. Ah! je sens, je coule.... Ah! ah! ah!... La tête de +Fanny retombait sans force. Gamiani roulait la sienne, mordait +les draps, mâchait ses cheveux flottant sur elle. Je suivais +leurs élans, leurs soupirs; j'arrivai comme elles au comble de +la volupté. + +F -- Quelle fatigue! Je suis rompue; mais quel plaisir j'ai +goûté..... + +G -- Plus l'effort dure, plus il est pénible, plus aussi la +jouissance est vive et prolongée. + +F -- Je l'ai éprouvé J'ai été plus de cinq minutes plongée dans +une sorte de vertige énivrant. L'irritation se portait dans +tous mes membres. Ce frottement des poils contre une peau si +tendre me causait une démangeaison dévorante. Je me roulais +dans le feu, dans la joie des sens. O folie! ô bonheur! +jouir!..... Oh! je comprends ce mot. + +Une chose m'étonne, Gamiani. Comment si jeune encore as-tu +cette expérience des sens? Je n'aurais jamais supposé toutes +nos extravagances. D'où te vient ta science? D'où vient ta +passion qui me confond, qui parfois m'épouvante? La nature ne +nous a pas faites de la sorte. + +G -- Tu veux donc me connaître. Eh bien! enlace moi dans tes +bras, croisons nos jambes, pressons-nous. Je vais te raconter +ma vie de couvent. C'est une histoire qui pourra nous monter à +la tête, nous donner de nouveaux désirs. + +F -- Je t'écoute, Gamiani. + +G -- Tu n'as pas oublié le supplice atroce que me fit subir ma +tante, pour servir sa lubricite. Je n'eus pas plutôt compris +l'horreur de sa conduite, que je m'emparai de quelques papiers +qui garantissaient ma fortune. Je pris aussi des bijoux, de +l'argent et, profitant d'une absence de ma digne parente, +j'allai me réfugier dans le couvent des soeurs de la +rédemption. La Supérieure, touchée sans doute de mon jeune âge +et de mon apparente timidité, me fit l'accueil le plus propre +à dissiper mes craintes et mon embarras. + +Je lui racontai ce qui m'était arrivé, je lui demandai un +asyle et sa protection. Elle me prit dans ses bras, me serra +affectueusement et m'appela sa fille. Après, elle m'entretint +de la vie tranquille et douce du couvent; elle réchauffa +encore ma haine pour les hommes et termina par une exhortation +pieuse, qui me parut le langage d'une âme divine. Pour rendre +moins sensible la transition subite de la vie du monde à la +vie du cloître, il fut convenu que je resterai près de la +Supérieure et que je coucherai chaque soir dans son alcove. +Dès la seconde nuit nous en étions à causer le plus +familièrement du monde. La supérieure se retournait, s'agitait +sans cesse dans son lit. Elle se plaignait du froid et me pria +de me coucher avec elle pour la réchauffer. Je la trouvai +absolument nue. On dort mieux, disait-elle, sans chemise. Elle +m'engagea à ôter la mienne; ce que je fis pour lui être +agréable. Oh! ma petite, s'écria-t-elle, en me touchant, tu es +brûlante. Comme ta peau est douce. Les barbares! oser te +martyriser de la sorte. Tu as dû bien souffrir. Raconte moi +donc ce qu'ils t'ont fait. Ils t'ont battue; dis. Je lui +répétai mon histoire, avec tous les détails, appuyant sur ceux +qui paraissaient l'intéresser davantage. Le plaisir qu'elle +prenait à m'entendre parler fut si vif qu'elle en éprouvait +des tressaillements extraordinaires. Pauvre enfant! pauvre +enfant! répétait-elle en me serrant de toutes ses forces. + +Insensiblement je me trouvai étendue sur elle. Ses jambes +étaient croisées sur mes reins, ses bras m'entouraient. Une +chaleur tiède et pénétrante se répandait par tout mon corps. +J'éprouvais un bien-être inconnu, délicieux qui communiquait à +mes os, à ma chair je ne sais quelle sueur d'amour qui faisait +couler en moi comme une douceur de lait. Vous êtes bonne, bien +bonne, dis-je à la supérieure. Je vous aime, je suis heureuse +près de vous. Je ne voudrais jamais vous quitter. Ma bouche se +collait sur ses lèvres, et je reprenais avec ardeur, oh! oui, +je vous aime à en mourir.... je ne sais.... Mais je sens.... + +La main de la Supérieure me flattait avec lenteur. Son corps +s'agitait doucement sous le mien. Sa toison dure et touffue se +mêlait à la mienne, me piquait au vif et me causait un +chatouillement diabolique. J'étais hors de moi dans un +frémissement si grand que tout mon corps tremblait. A un +baiser violent que me donna la supérieure, je m'arrêtai +subitement. Mon Dieu! m'écriai-je, laissez-moi.... ah!.... +Jamais rosée plus abondante, plus délicieuse ne suivit un +combat d'amour. + +L'extase passée, loin d'être abattue, je me précipite de plus +belle sur mon habile compagne; je la mange de caresses. Je +prends sa main, je la porte à cette même place qu'elle vient +d'irriter si fort. La Supérieure me voyant de la sorte, +s'oublie elle même, s'emporte comme une bacchante. Toutes deux +nous disputons d'ardeur de baisers, de morsures.... quelle +agilité, quelle souplesse cette femme avait dans ses membres. +Son corps se pliait, s'étendait, se roulait à m'étourdir. Je +n'y étais plus. J'avais à peine le temps de rendre un seul +baiser à tous ceux qui me pleuvaient de la tête aux pieds. II +me semblait que j'étais mangée, dévorée en mille endroits +Cette incroyable activité d'attouchemens lubriques me mit dans +un état qu'il est impossible de décrire. O Fanny! que n'etais-tu +témoin de nos assauts, de nos élans. Si tu nous avais vues +toutes deux furibondes, haletantes, tu aurais compris tout ce +que peut l'empire des sens sur deux femmes amoureuses. Un +instant ma tête se trouva prise entre les cuisses de ma +lutteuse. Je crus deviner ses désirs. Inspirée par ma +lubricité, je me mis à la ronger dans ses parties les plus +tendres. Mais je répondais mal à ses voeux. Elle me ramène +bien vite sur elle, glisse, s'échappe sous mon corps et, +m'entr'ouvrant subtilement les cuisses, elle m'attaque +aussitôt avec la bouche. Sa langue agile et pointue me pique, +me sonde comme un stylet qu'on pousse et retire rapidement. +Ses dents me prennent et semblent vouloir me déchirer. J'en +vins à m'agiter comme une perdue. Je repoussais la tête de la +Supérieure, je la tirais par les cheveux. Alors elle lachait +prise: elle me touchait doucement, m'injectait sa salive, me +léchait avec lenteur, ou me mordillait le poil et la chair +avec une raffinerie si délicate, si sensuelle à la fois que ce +seul souvenir me fait suinter de plaisir. Oh! quelles délices +m'enivraient! quelle rage me possédait! Je hurlais sans +mesure; je m'abatais abîmée, ou je m'élevais égarée, et +toujours la pointe rapide, aigue m'atteignait, me percait avec +raideur. Deux lèvres minces et fermes prenaient mon clitoris, +le pincaient, le pressaient à me détacher l'âme. Non Fanny, il +est impossible de sentir, de jouir de la sorte, ce n'est +qu'une fois en sa vie. Quelle tension dans mes nerfs! quel +battement dans mes artères! quelle ardeur dans la chair et le +sang. Je brûlais, je fondais et je sentais une bouche avide, +insatiable, aspirer jusqu'à l'essence de ma vie. Je te +l'assure je fus desséchée et j'aurais dû être inondée de sang +et de liqueur. Mais que je fus heureuse! Fanny Fanny! Je n'y +tiens plus. Quand je parle de ces excès je crois éprouver +encore ces mêmes titillations dévorantes. Achève-moi.... Plus +vite, plus fort.... bien! ah! bien! las! je meurs.... + +Fanny était pire qu'une Louve affamée. + +Assez, assez, répétait Gamiani. Tu m'épuises. Démon de fille! +Je te supposais moins habile, moins passionnée. Je le vois, tu +te développes. Le feu te pénètre. + +F -- Cela se peut-il autrement. Il faudrait être dépourvue de +sang et de vie, pour rester insensible avec toi. -- Que fis-tu +ensuite? + +G -- Plus savante alors, je rendis avec usure, j'abîmai mon +ardente compagne. Toute gêne fut désormais bannie entre nous +et j'appris bientôt que les soeurs du couvent de la Rédemption +s'adonnaient entr'elles aux fureurs des sens, qu'elles avaient +un lieu secret de réunion et d'orgie pour s'ébattre à leur +aise. Ce Sabbat infame s'ouvrait à complies et se terminait à +matines. + +La Supérieure déroula ensuite sa philosophie. J'en fus +épouvantée au point de voir en elle un Satan incarné. +Cependant elle me rassura par quelques plaisanteries et me +divertit surtout en me racontant la perte de son pucelage. Tu +ne devinerais jamais à qui fut donné ce précieux trésor. +L'histoire est singulière et vaut la peine d'être contée. + +La supérieure que j'appellerai maintenant Sainte était fille +d'un capitaine de vaisseau. Sa mère, femme d'esprit et de +raison, l'avait élevée dans tous les principes de la saine +religion, ce qui n'empêcha point que le tempérâment de la +jeune Sainte ne se développât pas de très bonne heure. Dès +l'âge de douze ans elle ressentait des désirs insupportables, +qu'elle cherchait à satisfaire par tout ce qu'une imagination +ignorante peut inventer de plus bizarre. La malheureuse se +travaillait chaque nuit. Ses doigts insuffisants gaspillaient +en pure perte sa jeunesse et sa santé. Un jour elle appercut +deux chiens qui s'accouplaient. Sa curiosité lubrique observa +si bien le mécanisme et l'action de chaque sexe, qu'elle +comprit mieux désormais ce qui lui manquait. Sa science acheva +son supplice. Vivant dans une maison solitaire, entourée de +vieilles servantes sans jamais voir un homme, pouvait-elle +espérer de rencontrer jamais cette flêche animée, si rouge, si +rapide qui l'avait si fort émerveillée et qu'elle supposait +devoir exister pareillement pour la femme. A force de se +tourmenter l'esprit, ma nymphomane se rémemoria que le singe +est de tous les animaux celui qui ressemble le plus à l'homme. +Son père avait précisément un superbe orang-outang. Elle fut +le voir, l'étudier et comme elle restait long-temps à +l'examiner, l'animal, échauffé sans doute par la présence +d'une jeune fille, se développa tout-à-coup de la façon la +plus brillante. Sainte se mit à bondir de joie. Elle trouvait +enfin ce qu'elle cherchait tous les jours, ce qu'elle rêvait +chaque nuit. Son idéal lui apparaissait réel et bien palpable. +Pour comble d'enchantement l'indicible joyau s'élançait plus +ferme, plus ardent, plus menaçant qu'elle ne l'eut jamais +ambitionné. Ses yeux le dévoraient. Le singe s'approcha, se +pendit aux barreaux et s'agita si bien que la pauvre Sainte en +perdit la tête. Poussée par sa folie, elle force un des +barreaux de sa cage et pratique un espace facile que la +lubrique bête met de suite à profit. Huit pouces francs, bien +prononcés, saillaient à ravir. Tant de richesse épouvanta +d'abord notre pucelle. Toutefois le diable la pressant, elle +ose voir de plus près; sa main toucha, caressa. Le singe +tressaillit à tout rompre. Sa grimace était horrible. Sainte +effrayée crut voir Satan devant elle. La peur la retint. Elle +allait se retirer, lorsqu'un dernier regard jeté sur la +flamboyante amorce reveille tous ses désirs. Elle s'enhardit +aussitôt, relève ses jupes d'un air décidé et marche bravement +à reculons, le dos penché contre la pointe redoutable. La +lutte s'engage, les coups se portent. La bête devient l'égal +de l'homme. -- Sainte est embestialisée, dévirginée, +ensinginée. Sa joie ses transports éclatent en une gamme de +oh! et de ah! mais sur un ton si élevé que la mère entend, +accourt et vous surprend sa fille bien nettement enchevillée, +se tortillant, se débattant et déjectant son âme + +F -- La farce est impayable! + +G -- Pour guérir la pauvre fille de sa manie singesque on la +place dans le couvent. + +F -- Mieux eut valu la laisser à tous les singes. + +G -- Tu vas mieux juger combien tu as raison. Mon tempérament +s'accommodait volontiers d'une vie de fêtes et de plaisirs. Je +consentis joyeusement à être initiée aux mystères des +Saturnales monastiques. Mon admission ayant été adoptée au +chapitre, je fus présentée deux jours après. J'arrivai nue +selon la règle. Je fis un serment exigé et, pour achever la +cérémonie, je me prostituai courageusement à un énorme Priape +de bois disposé à cet effet. J'achevais à peine une +douloureuse libation que la bande des soeurs se rua sur moi +plus pressée qu'une troupe de cannibales. Je me prétai à tous +les caprices, je pris les poses les plus lubriquement +énergiques, enfin je terminai par une danse obscène et je fus +proclamée victorieuse. J'étais exténuée. Une petite nonne, +bien vive, bien éveillée, plus raffinée que la supérieure, +m'entraina dans son lit: C'était bien la plus damnée Tribade +que l'enfer put créer. Je conçus pour elle une vraie passion +de chair et nous fumes presque toujours ensemble pendant les +grandes orgies nocturnes. + +F -- Dans quel lieu se tenaient vos Lupercales? + +G -- Dans une vaste salle que l'art et l'esprit de la débauche +s'étaient plu à embellir. On y arrivait par deux grandes +portes fermées à la façon des orientaux avec de riches +draperies, bordées de franges d'or, ornées de mille dessins +bizarres. Les murs étaient tendus en velours bleu foncé +qu'encadrait une large plaque en bois de citronnier habilement +ciselée. A distance égale de grandes glaces partaient du +plafond et touchaient au parquet. Dans les scènes d'orgie les +grouppes nuds des nonnes en délire se réflétaient sous mille +formes, ou bien se détachaient vifs ou brillans: Sur les +panneaux tapissés. Des coussins, des divans tenaient lieu de +sièges et servaient mieux encore les ébats de la volupté, les +poses de la lubricite. Un double tapis, d'un tissu délicat, +délicieux au toucher, recouvrait le parquet. On y voyait +représentés avec une magie surprenante de couleurs vingt +groupes amoureux dans des attitudes lascives bien propres à +rallumer les désirs éteints. Ailleurs, sur des tableaux, dans +le plafond, la peinture offrait à l'oeil les images les plus +expressives de la folie et de la débauche. Je me rappelle +toujours une thyade fougueuse que tourmentait un corybante. Je +ne regardais jamais ce tableau sans me provoquer aussitôt au +plaisir. + +F -- Ce devait être délicieux à voir! + +G -- Ajoute encore à ce luxe de décoration l'enivrement des +parfums et des fleurs. Une chaleur égale, tempérée, puis une +lumière tendre, mystérieuse qui s'échappait, de six lampes +d'albâtre, plus douce qu'un reflet d'opale. Tout cela faisait +naître en vous je ne sais quel vague enchantement, mêlé de +désir inquiet, de rêverie sensuelle. C'était l'Orient, son +luxe, sa poësie, sa nonchalante volupté. C'était le mystère du +harem. Ses secret délices et par dessus tout son inéfable +langueur. + +F -- Qu'il eut été doux de passer là des nuits d'ivresse près +d'un objet aimé. + +G -- Sans doute, l'amour en eut fait volontiers son temple, si +la bruyante et sale orgie ne l'avait transformée chaque soit +en repaire immonde. + +F -- Comment cela? + +G -- Dès que minuit sonnait, les nonnes entraient vêtues d'une +simple tunique noire, pour faire ressortir la blancheur des +chairs. Toutes avaient les pieds nuds, les cheveux flottans, +Un service splendide paraissait bientôt comme par +enchantement. La supérieure donnait le signal et l'on y +répondait à l'envi. Les unes se tenaient assises, les autres +couchées sur les coussins. Les mets exquis, les vins chauds +irritans étaient enlevés avec un appétit dévorant. Ces figures +de femmes usées par la débauche, froides, pâles aux rayons du +jour, se coloraient, s'échauffaient peu-à-peu. Les vapeurs +bacchiques, les apprêts cantharidés portaient le feu dans le +corps, le trouble dans la tête. La conversation s'animait, +bruissait confuse et se terminait toujours par des propos +obscènes, des provocations délirantes lancées, rendues au +milieu des chansons, des rires, des éclats, du choc des verres +et des flacons Celle des nonnes le plus pressée, le plus +emportée tombait tout-à-coup sur sa voisine et lui donnait un +baiser violent qui électrisait la bande entière. Les couples +se formaient, s'enlaçaient se tordaient dans de fougueuses +étreintes. On entendait le bruit des lèvres s'appliquant sur +la chair, ou s'entremelant avec fureur. Puis partaient des +soupirs étouffés, des paroles mourantes, des cris d'ardeur ou +d'abattement. Bientôt les joues, les seins, les épaules, ne +suffisaient plus aux baisers sans frein. Les robes se +relevaient ou se jetaient de côté. Alors, c'était un spectacle +unique que tous ces corps de femmes, souples, gracieux, +enchainés nuds l'un à l'autre, s'agitant, se pressant avec la +raffinerie, l'impétuosité d'une lubricité consommée. Si +l'excès du plaisir différait trop au gré de l'impatient désir, +on se détachait un instant pour reprendre haleine. On se +contemplait avec des yeux de feu, et on luttait à qui rendrait +la pose la plus lascive la plus entrainante. Celle des deux +qui triomphait par ses gestes et sa débauche, voyait tout-à-coup +sa rivale éperdue fondre sur elle, la culbuter, la +couvrir de baisers, la manger de caresses, la dévorer jusqu'au +centre le plus secret des plaisirs, se plaçant toujours de +manière à recevoir les mêmes attaques. Les deux têtes se +dérobaient entre les cuisses, ce n'était plus qu'un seul +corps, agité, tourmenté convulsivement, d'où s'échappait un +râle sourd de volupté lubrique suivi d'un double cri de joie. + +Elles jouissent! elles jouissent! répétaient aussitôt les +nonnes damnées. Et les folles de se ruer égarées les unes sur +les autres plus furieuses que des bêtes qu'on lache dans une +arène. + +Pressées de jouir à leur tour, elles tentaient les efforts les +plus fougueux. A force de bonds et d'élans, les groupes se +heurtaient entr'eux et tombaient pêle mêle à terre, haletans, +rendus, lassés d'orgie et de luxure; confusion grotesque de +femmes nues, pamées, expirantes, entassées dans le plus +ignoble désordre et que venait souvent éclairer les premiers +feux du jour. + +F -- Quelles folies! + +G -- Elles ne se bornaient point là: elles variaient encore à +l'infini. Privées d'hommes, nous n'en étions que plus +ingénieuses à inventer des extravagances. Toutes les priapées, +toutes les histoires obscènes de l'antiquité et des temps +modernes nous étaient connues. Nous les avions dépassées. +Elephantis et l'Arétin avaient moins d'imagination que nous. +Il serait trop long de dire nos artifices, nos ruses, nos +philtres merveilleux pour ranimer nos forces, éveiller nos +désirs et les satisfaire. Tu pourras en juger par le +traitement singulier qu'on faisait subir à l'une de nous pour +aiguillonner sa chair. On la plongeait d'abord dans un bain de +sang chaud pour rappeler sa vigueur. Après elle prenait une +potion cantharidée, se couchait sur un lit et se laissait +frictionner par tout le corps. A l'aide du magnétisme, on +tachait de l'endormir. Sitôt que le sommeil l'avait gagnée, on +l'exposait d'une manière avantageuse, on la fouettait jusqu'au +sang, on la piquait de même. La patiente s'éveillait au milieu +de son supplice. Elle se relevait égarée, nous regardait d'un +air de folle et entrait aussitôt dans les plus violentes +convulsions. Six personnes avaient peine à la comprimer. Il +n'y avait que la léchement d'un chien qui put la calmer. Sa +fureur s'épanchait à flots; mais si le soulagement n'arrivait +pas, la malheureuse devenait plus terrible et demandait à +grands cris un ane. + +F -- Un âne, misérable! + +G -- Oui, ma chère, un âne. Nous en avions deux bien dressés, +bien dociles. Nous ne voulions le céder en rien aux dames +Romaines qui s'en servaient dans leurs saturnales. + +La première fois que je fus mise à l'épreuve, j'étais dans le +délire du vin. Je me précipitai violemment sur la selette, +défiant toutes les nonnes. L'âne fut à l'instant dressé devant +moi, à l'aide d'une courroie. Son braquemarre terrible, +échauffé par les mains des soeurs, battait lourdement sur mon +flanc. Je le pris à deux mains, je le plaçai à l'orifice: et, +après un chatouillement de quelques secondes, je cherchai à +l'introduire. Mes mouvements aidant, ainsi que mes doigts et +une pommade dilattante, je fus bientôt maîtresse de cinq +pouces au moins. Je voulus pousser encore, mais je manquai de +forces, je retombai. Il me semblait que ma peau se déchirait, +que j'étais fendue, écartelée. C'était une douleur sourde, +étouffante, à laquelle se mêlait pourtant une irritation +chaleureuse, titillante et sensuelle. La bête remuant toujours +produisait un frottement si vigoureux que toute ma charpente +vertébrale était ébranlée. Mes canaux spermatiques s'ouvrirent +et débondèrent. Ma Cyprine brûlante tressaillit un instant +dans mes reins Oh! quelle jouissance! Je la sentais courir en +jets de flamme et tomber goutte à goutte au fond de ma +matrice. Tout en moi ruisselait d'amour. Je poussai un long +cri d'énervement et je fus soulagée.... Dans mes élans +lubriques j'avais gagné deux pouces; toutes les mesures +étaient passées, mes compagnes étaient vaincues. Je touchais +aux bourrelets, sans lesquels on se serait éventrée. + +Epuisée, endolorie dans tous les membres, je croyais mes +voluptés finies lorsque l'intraitable fléau se roidit de plus +belle, me sonde, me travaille et me tient presque levée. Mes +nerfs se gonflent, mes dents se serrent et grincent. Mes bras +se tendent sur mes deux poings crispés. Tout-à-coup un jet +violent s'échappe et m'inonde d'une pluie chaude et glueuse, +si forte, si abondante, qu'elle semble regorger dans toutes +mes veines et toucher jusqu'au coeur. Mes chairs lachées, +détendues par ce baume exubérant, ne me laissent plus sentir +que des félicités poignantes qui me piquent les os, la moelle, +la cervelle et les nerfs, dissolvent mes jointures et me +mettent en fusion brûlante.... torture délicieuse! intolérable +volupté qui défait les liens de la vie et vous fait mourir +avec ivresse. + +F -- Quels transports tu me causes, Gamiani. Bientôt je n'y +tiens plus.... Enfin, comment es-tu sortie de ce couvent du +diable? + +G -- Le voici: après une grande orgie, nous eumes l'idée de +nous transformer en hommes, à l'aide d'un godemiché attaché, +de nous embrocher de la sorte à la suite les unes des autres; +et de courir ensuite comme des folles. Je formais le dernier +anneau de la chaîne, j'étais la seule par conséquent qui +chevaucha sans être chevauchée. Quelle fut ma surprise lorsque +je me sentis vigoureusement assaillie par un homme nu qui +s'était, je ne sais comment, introduit parmi nous. Au cri +d'effroi qui m'échappa, toutes les nonnes se débandèrent et +vinrent s'abattre incontinent sur le malheureux intrus: +Chacune voulait finir en réalité un plaisir commencé par un +fatigant simulacre. L'animal trop fêté fut bientôt épuisé. Il +fallait voir son état de torpeur et d'abattement, son +elytroïde flasque et pendant, toute sa virilité dans la plus +négative démonstration. J'eus grande peine à ravitailler +toutes ses miseres quand mon tour fut venu de goûter aussi de +l'élixir prolifique. J'y parvins néanmoins. Couchée sur mon +moribond, ma tête entre ses cuisses, je suçai si habilement +messer Priape endormi qu'il s'éveilla rubicond, vivace à faire +plaisir. Caressée moi-même par une langue agile, je sentis +bientôt approcher un incroyable plaisir que j'achevai, en +masseyant glorieusement et avec délices sur le sceptre que je +venais de conquérir. Je donnai et je reçus un déluge de +volupté. + +Ce dernier excès acheva notre homme. Tout fut inutile pour le +ranimer. Le croirais-tu? Dès que les nonnes comprirent que ce +malheureux n'était plus bon à rien, elles décidèrent sans +hésiter qu'il fallait le tuer et l'ensevelir dans une cave, de +peur que ses indiscrétions ne vinssent à compromettre le +couvent. Je combattis vainement ce parti criminel; en moins +d'une seconde, une lampe fut détachée et la victime enlevée +dans un noeud coulant. Je détournai la vue de cet horrible +spectacle.... Mais voilà, à la grande surprise de ces furies, +que la pendaison produit son effet ordinaire. Emerveillée de +la démonstration nerveuse, la Supérieure monte sur un +marchepied et, aux applaudissemens frénétiques de ses dignes +complices, elle s'accouple dans l'air avec la mort et +s'encheville à un cadavre. -- Ce n'est pas la fin de +l'histoire. Trop mince ou trop usée pour soutenir ce double +poids, la corde cède et se rompt Mort et vivant tombent à +terre et si rudement que la nonne en a les os rompus et que le +pendu dont la strangulation s'était mal opérée revient à la +vie et menace dans sa tension nerveuse d'étouffer la +supérieure. + +La foudre tombant sur une foule produirait moins d'effet que +cette scène, sur les nonnes. Toutes s'enfuirent épouvantées +croyant que le diable était avec elles; la supérieure resta +seule à se débatte avec l'intempestif ressuscité. L'aventure +devait entrainer des suites terribles, pour les prévenir je +m'echappai le soir même de ce repaire de débauche et de +crime..... Je me réfugiai quelque-temps à Florence, pays +d'amour et de prestige. Un jeune Anglais, Sir Edward, +enthousiaste et rêveur comme un Osvald, concut pour moi une +passion violente. J'étais lasse de plaisirs immondes. Jusques-là +mon corps seul s'était agité, avait vécu; mon âme +sommeillait encore. Elle s'éveilla doucement aux accents purs, +enchanteurs d'un amour noble et élevé. Dès lors, je compris +une existence nouvelle; j'éprouvai ces désirs vagues +ineffables qui donnent le bonheur et poëtisent la vie... Les +corps combustibles ne brûlent pas d'eux-mêmes: qu'une +étincelle approche, et tout part. Ainsi prit feu mon coeur aux +transports de celui qui m'aimait. A ce langage nouveau pour +moi, je sentis un frémissement délicieux. Je prêtai une +oreille attentive, mes avides regards ne laissaient rien +échapper. La flamme humide qui sortait des yeux de mon amant +pénétrait dans les miens jusqu'au fond de mon âme, y portait +le trouble, le délire et la joie. La voix d'Edward avait un +accent qui m'agitait, le sentiment me semblait peint dans +chacun de ses gestes; tous ses traits animés par la passion, +me la faisaient ressentir. Ainsi la première image de l'amour +me fit aimer l'objet qui me l'avait offerte Extrême en tout, +je fus aussi ardente à vivre du coeur que je l'avais été à +vivre des sens. Edward avait une de ces âmes fortes qui +entrainent les autres dans leur sphère. Je m'élevai à sa +hauteur. Mon amour s'exalta: d'enthousiaste il devint sublime. +La seule pensée du plaisir grossier me révoltait. Si l'ont +m'eut forcée, je serais morte de rage. Cette barrière +volontaire irritant l'amour des deux côtés, il en devint plus +ardent par la contrainte. Edward succomba le premier. Fatigué +d'un platonisme dont il ne pouvait deviner la cause, il n'eut +plus assez de force pour combattre les sens. Il me surprit un +jour endormie et me posséda.... Je m'éveillai au milieu des +plus chaudes étreintes: éperdue, je mêlai mes transports aux +transports que je causais; je fus trois fois au ciel, Edward +fut trois fois dieu, mais quand il fut tombé, je le pris en +horreur; ce n'était plus pour moi qu'un homme de chair et +d'os, c'était un moine!.... Je m'échappai subitement de ses +bras avec un rire affreux. Le prisme était brisé; un souffle +impur avait éteint ce rayon d'amour, ce rayon des cieux qui ne +brille qu'une fois en la vie; mon âme n'existait plus. Les +sens surgirent seuls et je repris ma vie première. + +F -- Tu revins aux femmes? + +G -- Non! je voulus auparavant rompre avec les hommes. Pour +n'avoir plus de désir ou de regret, j'épuisai tout le plaisir +qu'ils peuvent nous donner. Par le moyen d'une célèbre +entremetteuse, je fus exploitée tour-à-tour par les plus +habiles, les plus vigoureux hercules de Florence. Il m'arriva +dans une matinée, de fournir jusqu'à trente deux courses et de +désirer encore. Six athlètes furent vaincus et abîmés. Un soir +je fis mieux. J'étais avec trois de mes plus vaillans +champions. Mes gestes et mes discours les mirent en si belle +humeur, qu'il me vint une idée diabolique, pour la mettre à +profit je priai le plus fort de se coucher à la renverse et +tandis que je festoyais à loisir sur sa rude machine, je fus +lestement gomorhisée par un second: ma bouche s'empara du +troisième et lui causa un chatouillement si vif qu'il se +demena en vrai démon et poussa les exclamations les plus +passionnées Tous trois à la fois nous éclatames de plaisir en +roidissant nos quatre membres. Quelle ardeur dans mon palais! +quelle jouissance délicieuse au fond de mes entrailles!.... +Conçois-tu cet excès? Aspirer par sa bouche toute une forme +d'homme: d'une soif impatiente la boire, l'engloutir en flots +d'écume chaude et âcre et sentir à la fois un double jet de +feu vous traverser dans les deux sens et creuser votre +chair.... C'est une jouissance triple, infinie qu'il n'est pas +donné de décrire. Mes incomparables lutteurs eurent la +généreuse vaillantise de la renouveler jusqu'à extinction de +leurs forces. + +Depuis, fatiguée, dégoutée des hommes, je n'ai plus compris +d'autre désir, d'autre bonheur, que celui de s'entrelacer nue +au corps frêle et tremblant d'une jeune fille timide, vierge +encore, qu'on instruit, qu'on étonne, qu'on abîme de plaisir, +qu'on assouvit de volupté.... Mais!.... Fanny qu'as-tu donc? +que fais-tu? + +F -- Je suis dans un état affreux. J'éprouve des désirs +horribles, monstrueux, Tout ce que tu as senti de plaisir ou +de douleur, je voudrais le sentir aussi, de suite, à +présent.... Tu ne pourras plus me satisfaire.... ma tête +brûle.... elle tourne... Oh! j'ai peur de devenir folle. +Voyons! que peux-tu? Je veux mourir d'excès, je veux jouir +enfin!..... jouir!.... jouir! + +G -- Calme-toi, Fanny! calme-toi! tu m'épouvantes par tes +regards. Je t'obéirai, je ferai tout;: que veux-tu? + +Eh bien! que ta bouche me prenne, qu'elle m'aspire.... là! +fais-moi rendre l'âme. Je veux te saisir après, te fouiller +jusqu'aux entrailles et te faire crier.... Oh! cet âne! il me +tourmente aussi. Je voudrais un membre énorme, dut-il me +fendre et me créver. + +G -- Folle! folle! tu seras satisfaite. Ma bouche est habile et +j'ai de plus apporté un instrument.... Tiens! regarde.... Il +vaut bien l'action d'un âne. + +F -- Ah! quel monstre! donne vite, que je tente..... ai! +ai!..... ouf! impossible! cela m'étouffe. + +G -- Tu ne sais pas le conduire. C'est mon affaire. Sois ferme +seulement. + +F -- Quand je devrais y rester, je veux tout l'engloutir; la +rage me possède. + +G -- Couche toi donc sur le dos, bien étendue, les cuisses +écartées, les cheveux au vent laisse tes bras tomber +nonchalamment. Livre toi sans crainte et sans réserve. + +F -- Oh! oui, je me livre avec transport. Viens dans mes bras, +viens vite. + +G -- Patience, enfant! Ecoute: pour bien sentir tout le plaisir +dont je veux t'enivrer il faut t'oublier un instant; te +perdre, te fondre en une seule pensée, une pensée d'amour +sensuel, de jouissance charnelle et délirante; quels que +soient mes assauts quelles que soient mes fureurs, garde-toi +de remuer ou dagir. Reste sans mouvement, reçois mes baisers +sans les rendre. Si je mords, si je déchire, comprime l'élan +et la douleur aussi bien que celle du plaisir jusqu'au moment +suprême ou toutes deux nous lutterons ensemble pour mourir à +la fois. + +F -- Oui! oui! je te comprends, Gamiani. Allons! Je suis comme +endormie, je te rève à présent. Je suis à toi, viens!.... +Suis-je bien? attends, cette pose sera je crois plus +lubrique..... + +G -- Débauchée! tu me dépasses. Que tu es belle, exposée de la +sorte.... impatiente! tu désires déjà, je le vois.... + +F -- Je brûle plutôt. Commence, commence, je t'en prie. + +G -- Oh! prolongeons encore cette attente irritée, c'est +presque une volupté. Laisse-toi donc aller d'avantage. Ah! +bien! bien! Je te voulais ainsi; on la dirait morte..... +délicieux abandon.... C'est cela! Je vais m'emparer de toi, je +vais te réchauffer, te ranimer peu-à-peu, je vais te mettre en +feu, te porter au comble de la vie sensuelle. Tu retomberas +morte encore, mais morte de plaisirs et d'excès. Délices +inouies! à les goûter seulement la durée de deux éclairs ce +serait la joie de Dieu. + +F -- Tes discours me brûlent: A l'oeuvre, à l'oeuvre, Gamiani! A +ces mots Gamiani noue précipitamment ses cheveux flottans qui +la gênent. Elle porte la main entre ses cuisses, s'excite un +instant, puis, d'un seul bond, elle s'élance sur le corps de +Fanny qu'elle touche, qu'elle couvre partout. Ses lèvres +entr'ouvrent une bouche vermeille, sa langue y pompe le +plaisir. Fanny soupire; Gamiani boit son souffle et s'arrête. +A voir ces deux femmes nues immobiles, soudées, pour ainsi +dire, l'une à l'autre, on eut dit qu'il s'opérait entre elles +une fusion mystérieuse, que leurs âmes se mêlaient en silence. + +Insensiblement Gamiani se détache et se relève. Ses doigts +jouent capricieusement dans les cheveux de Fanny qu'elle +contemple avec un sourire ineffable de langueur et de volupté. +Sa main se promène indiscrète, elle touche, caresse, manie +chaque trésor. Les baisers, les tendres morsures volent de la +tête aux pieds qu'elle chatouille du bout de ses mains, du +bout de sa langue. Elle se précipite ensuite à corps perdu, se +redresse, retombe encore haletante, acharnée. Sa tête, ses +mains se multiplient. Fanny est baisée, frottée, manipulée +dans toutes ses parties, on la pince, on la presse, on la +mord. Son courage cède: elle pousse des cris aigus; mais un +toucher délicieux vient calmer à l'instant sa douleur et +provoque un long soupir. -- Plus ardente, plus empressée +Gamiani jette sa tête à travers les cuisses de sa victime. Ses +doigts écartent, violentent deux nymphes délicates. Sa langue +plonge dans le calice et lentement elle épuise toutes les +raffineries du chatouillement le plus irritant qu'une femme +peut sentir. Attentive aux progrès du délire qu'elle cause, +elle s'arrête ou redouble selon que l'excès du plaisir ou +s'éloigne ou s'approche. Fanny nerveusement saisie, part +tout-à coup d'un élan furieux. + +F -- C'est trop! oh!... je meurs... heu!.... + +G -- Prends! prends!.... lui crie Gamiani, en lui présentant +une fiole qu'elle vient de vuider a moitié. Bois! c'est +l'elixir de vie. Tes forces vont renaître. ---- Fanny sans +forces, incapable de résister avale la liqueur qu'on verse +dans sa bouche entr'ouverte. + +Ah! ah! s'écrie Gamiani? d'une voix éclatante, tu es à moi. +Son regard avait quelque chose d'infernal. + +A genoux entre les jambes de Fanny, elle s'attachait son +redoutable instrument et le brandissait d'un air menaçant. + +A cette vue les transports de Fanny redoublent plus violents, +il semble qu'un feu intérieur la tourmente et la pousse à la +rage. Ses cuisses écartées se prêtent avec effort aux attaques +du simulacre monstrueux. L'insensée! elle eut à peine commencé +cet horrible supplice qu'une étrange convulsion la fit bondir +en tous sens. + +F -- Oi! oï! Ta liqueur brûle, oi! mes entrailles. Mais cela +pique, cela perce... oh! je vais mourir.... Vile et damnée +sorcière tu me tiens.... Tu me tiens.... ah!.... -- Gamiani +insensible à ces cris d'angoisse et de torture, redouble ses +élans. Elle brise, déchire et s'abime à travers des flots de +sang; mais voilà que ses yeux tournent. Ses membres se +tordent, les os de ses doigts craquent. Je ne doute plus +qu'elle n'ait avalé et donné un poison ardent. --Epouvanté je +me précipite à son secours. Je brise les portes dans ma +violence, j'arrive. Hélas! Fanny n'existait plus. Ses bras ses +jambes horriblement contournés s'accrochaient à ceux de +Gamiani qui luttait seule encore avec la mort. + +Je voulus les séparer. + +Tu ne vois pas, me dit une voix de râle que le poison me +tourmente.... mes nerfs se tordent.... Va-t-en!...... Cette +femme est à moi.... oi! oi! + +C'est affreux, m'écriai-je, transporté. + +G -- Oui! Mais j'ai connu tous les excès des sens. Comprends +donc, fou! il me restait à savoir si dans la torture du +poison, si dans l'agonie d'une femme mêlee à ma propre agonie, +il y avait une sensualité possible!.... Elle est atroce! +Entends-tu? Je meurs dans la rage du plaisir, dans la rage de +la douleur....... Je n'en puis plus...... heu!...... A ce cri +prolongé venu du creux de la poitrine, l'horrible furie +retombe morte sur son cadavre. + + + + + + + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of Gamiani, by Alfred de Musset + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK GAMIANI *** + +***** This file should be named 26806-8.txt or 26806-8.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + https://www.gutenberg.org/2/6/8/0/26806/ + +Produced by Daniel Fromont + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. 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