diff options
| author | Roger Frank <rfrank@pglaf.org> | 2025-10-15 02:32:56 -0700 |
|---|---|---|
| committer | Roger Frank <rfrank@pglaf.org> | 2025-10-15 02:32:56 -0700 |
| commit | 9492f470372574d1d693a88b81d84e55c618f41e (patch) | |
| tree | f3c92391f33f54bc980f5044da2d8f10481e1192 | |
| -rw-r--r-- | .gitattributes | 3 | ||||
| -rw-r--r-- | 26812-8.txt | 2026 | ||||
| -rw-r--r-- | 26812-8.zip | bin | 0 -> 36478 bytes | |||
| -rw-r--r-- | LICENSE.txt | 11 | ||||
| -rw-r--r-- | README.md | 2 |
5 files changed, 2042 insertions, 0 deletions
diff --git a/.gitattributes b/.gitattributes new file mode 100644 index 0000000..6833f05 --- /dev/null +++ b/.gitattributes @@ -0,0 +1,3 @@ +* text=auto +*.txt text +*.md text diff --git a/26812-8.txt b/26812-8.txt new file mode 100644 index 0000000..58c0b8b --- /dev/null +++ b/26812-8.txt @@ -0,0 +1,2026 @@ +The Project Gutenberg EBook of Un coeur simple, by Gustave Flaubert + +This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with +almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: Un coeur simple + +Author: Gustave Flaubert + +Release Date: October 7, 2008 [EBook #26812] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK UN COEUR SIMPLE *** + + + + +Produced by Daniel Fromont + + + + + + + + + + +[Transcriber's note: Gustave FLAUBERT (1821-1880), +_Un coeur simple_, 1877, édition de 1910] + + + + + +OEUVRES COMPLETES + +DE + +GUSTAVE FLAUBERT + + +(...) + + +UN COEUR SIMPLE + + +(...) + + +PARIS + +LOUIS CONARD, LIBRAIRE-EDITEUR + +17, BOULEVARD DE LA MADELEINE, 17 + +MDCCCCX + + +(...) + + +UN COEUR SIMPLE + + + + + + +I + + +Pendant un demi-siècle, les bourgeoises de Pont l'Evêque +envièrent à Mme Aubain sa servante Félicité. + +Pour cent francs par an, elle faisait la cuisine et le ménage, +cousait, lavait, repassait, savait brider un cheval, +engraisser les volailles, battre le beurre, et resta fidèle à +sa maîtresse, -- qui cependant n'était pas une personne +agréable. + +Elle avait épousé un beau garçon sans fortune, mort au +commencement de 1809, en lui laissant deux enfants très jeunes +avec une quantité de dettes. Alors elle vendit ses immeubles, +sauf la ferme de Toucques et la ferme de Geffosses, dont les +rentes montaient à 5, 000 francs tout au plus, et elle quitta +sa maison de Saint-Melaine pour en habiter une autre moins +dispendieuse, ayant appartenu à ses ancêtres et placée +derrière les halles. + +Cette maison, revêtue d'ardoises, se trouvait entre un passage +et une ruelle aboutissant à la rivière. Elle avait +intérieurement des différences de niveau qui faisaient +trébucher. Un vestibule étroit séparait la cuisine de la _salle_ +où Mme Aubain se tenait tout le long du jour, assise près de +la croisée dans un fauteuil de paille. Contre le lambris, +peint en blanc, s'alignaient huit chaises d'acajou. Un vieux +piano supportait, sous un baromètre, un tas pyramidal de +boîtes et de cartons. Deux bergères de tapisserie flanquaient +la chemisée en marbre jaune et de style Louis XV. La pendule, +au milieu, représentait un temple de Vesta, -- et tout +l'appartement sentait un peu le moisi, car le plancher était +plus bas que le jardin. + +Au premier étage, il y avait d'abord la chambre de "Madame", +très grande, tendue d'un papier à fleurs pâles, et contenant +le portrait de "Monsieur" en costume de muscadin. Elle +communiquait avec une chambre plus petite, où l'on voyait deux +couchettes d'enfants, sans matelas. Puis venait le salon, +toujours fermé, et rempli de meubles recouverts d'un drap. +Ensuite un corridor menait à un cabinet d'études; des livres +et des paperasses garnissaient les rayons d'une bibliothèque +entourant de ses trois côtés un large bureau de bois noir. Les +deux panneaux en retour disparaissaient sous des dessins à la +plume, des paysages à la gouache et des gravures d'Audran, +souvenirs d'un temps meilleur et d'un luxe évanoui. Une +lucarne au second étage éclairait la chambre de Félicité, +ayant vue sur les prairies. + +Elle se levait dès l'aube, pour ne pas manquer la messe, et +travaillait jusqu'au soir sans interruption; puis, le dîner +étant fini, la vaisselle en ordre et la porte bien close, elle +enfouissait la bûche sous les cendres et s'endormait devant +l'âtre, son rosaire à la main. Personne, dans les +marchandages, ne montrait plus d'entêtement. Quant à la +propreté, le poli de ses casseroles faisait le désespoir des +autres servantes. Econome, elle mangeait avec lenteur, et +recueillait du doigt sur la table les miettes de son pain, -- +un pain de douze livres, cuit exprès pour elle, et qui durait +vingt jours. + +En toute saison, elle portait un mouchoir d'indienne fixé dans +le dos par une épingle, un bonnet lui cachant les cheveux, des +bas gris, un jupon rouge, et par-dessus sa camisole un tablier +à bavette, comme les infirmières d'hôpital. + +Son visage était maigre et sa voix aiguë. A vingt-cinq ans, on +lui en donnait quarante. Dès la cinquantaine, elle ne marqua +plus aucun âge; -- et, toujours silencieuse, la taille droite +et les gestes mesurés, semblait une femme en bois, +fonctionnant d'une manière automatique. + + + + +II + + +Elle avait eu, comme une autre, son histoire d'amour. + +Son père, un maçon, s'était tué en tombant d'un échafaudage. +Puis sa mère mourut, ses soeurs se dispersèrent, un fermier la +recueillit, et l'employa toute petite à garder les vaches dans +la campagne. Elle grelottait sous des haillons, buvait à plat +ventre l'eau des mares, à propos de rien était battue, et +finalement fut chassée pour un vol de trente sols, qu'elle +n'avait pas commis. Elle entra dans une autre ferme, y devint +fille de basse-cour, et, comme elle plaisait aux patrons, ses +camarades la jalousaient. + +Un soir du mois d'août (elle avait alors dix-huit ans), ils +l'entraînèrent à l'assemblée de Colleville. Tout de suite elle +fut étourdie, stupéfaite par le tapage des ménétriers, les +lumières dans les arbres, la bigarrure des costumes, les +dentelles, les croix d'or, cette masse de monde sautant à la +fois. Elle se tenait à l'écart modestement, quand un jeune +homme d'apparence cossue, et qui fumait sa pipe les deux +coudes sur le timon d'un banneau, vint l'inviter à la danse. +Il lui paya du cidre, du café, de la galette, un foulard, et, +s'imaginant qu'elle le devinait, offrit de la reconduire. Au +bord d'un champ d'avoine, il la renversa brutalement. Elle eut +peur et se mit à crier. Il s'éloigna. + +Un autre soir, sur la route de Beaumont, elle voulut dépasser +un grand chariot de foin qui avançait lentement, et en frôlant +les roues elle reconnut Théodore. + +Il l'aborda d'un air tranquille, disant qu'il fallait tout +pardonner, puisque c'était "la faute de la boisson ". + +Elle ne sut que répondre et avait envie de s'enfuir. + +Aussitôt il parla des récoltes et des notables de la commune, +car son père avait abandonné Colleville pour la ferme des +Ecots, de sorte que maintenant ils se trouvaient voisins. + +-- Ah! dit-elle. + +Il ajouta qu'on désirait l'établir. Du reste, il n'était pas +pressé, et attendait une femme à son goût. Elle baissa la +tête. Alors il lui demanda si elle pensait au mariage. Elle +reprit, en souriant, que c'était mal de se moquer. + +-- Mais non, je vous jure! + +Et du bras gauche il lui entoura la taille; elle marchait +soutenue par son étreinte; ils se ralentirent. Le vent était +mou, les étoiles brillaient, l'énorme charretée de foin +oscillait devant eux; et les quatre chevaux, en traînant leurs +pas, soulevaient de la poussière. Puis, sans commandement, ils +tournèrent à droite. Il l'embrassa encore une fois. Elle +disparut dans l'ombre. + +Théodore, la semaine suivante, en obtint des rendez-vous. + +Ils se rencontraient au fond des cours, derrière un mur, sous +un arbre isolé. Elle n'était pas innocente à la manière des +demoiselles, -- les animaux l'avaient instruite; -- mais la +raison et l'instinct de l'honneur l'empêchèrent de faillir. +Cette résistance exaspéra l'amour de Théodore, si bien que +pour le satisfaire (ou naïvement peut-être) il proposa de +l'épouser. Elle hésitait à le croire. Il fit de grands +serments. + +Bientôt il avoua quelque chose de fâcheux: ses parents, +l'année dernière, lui avaient acheté un homme; mais d'un jour +à l'autre on pourrait le reprendre; l'idée de servir +l'effrayait. Cette couardise fut pour Félicité une preuve de +tendresse; la sienne en redoubla. Elle s'échappait la nuit, +et, parvenue au rendez-vous, Théodore la torturait avec ses +inquiétudes et ses instances. + +Enfin, il annonça qu'il irait lui-même à la Préfecture prendre +des informations, et les apporterait dimanche prochain, entre +onze heures et minuit. + +Le moment arrivé, elle courut vers l'amoureux. + +A sa place, elle trouva un de ses amis. + +Il lui apprit qu'elle ne devait plus le revoir. Pour se +garantir de la conscription, Théodore avait épousé une vieille +femme très riche, Mme Lehoussais, de Toucques. + +Ce fut un chagrin désordonné. Elle se jeta par terre, poussa +des cris, appela le bon Dieu, et gémit toute seule dans la +campagne jusqu'au soleil levant. Puis elle revint à la ferme, +déclara son intention d'en partir; et, au bout du mois, ayant +reçu ses comptes, elle enferma tout son petit bagage dans un +mouchoir, et se rendit à Pont-l'Evêque. + +Devant l'auberge, elle questionna une bourgeoise en capeline +de veuve, et qui précisément cherchait une cuisinière. La +jeune fille ne savait pas grand'chose, mais paraissait avoir +tant de bonne volonté et si peu d'exigences, que Mme Aubain +finit par dire: + + +-- Soit, je vous accepte! + +Félicité, un quart d'heure après, était installée chez elle. + +D'abord elle y vécut dans une sorte de tremblement que lui +causaient "le genre de la maison" et le souvenir de +"Monsieur", planant sur tout! Paul et Virginie, l'un âgé de +sept ans, l'autre de quatre à peine, lui semblaient formés +d'une matière précieuse; elle les portait sur son dos comme un +cheval, et Mme Aubain lui défendit de les baiser à chaque +minute, ce qui la mortifia. Cependant elle se trouvait +heureuse. La douceur du milieu avait fondu sa tristesse. + +Tous les jeudis, des habitués venaient faire une partie de +boston. Félicité préparait d'avance les cartes et les +chaufferettes. Ils arrivaient à huit heures bien juste, et se +retiraient avant le coup de onze. + +Chaque lundi matin, le brocanteur qui logeait sous l'allée +étalait par terre ses ferrailles. Puis la ville se remplissait +d'un bourdonnement de voix, où se mêlaient des hennissements +de chevaux, des bêlements d'agneaux, des grognements de +cochons, avec le bruit sec des carrioles dans la rue. Vers +midi, au plus fort du marché, on voyait paraître sur le seuil +un vieux paysan de haute taille, la casquette en arrière, le +nez crochu, et qui était Robelin, le fermier de Geffosses. Peu +de temps après, -- c'était Liébard, le fermier de Toucques, +petit, rouge, obèse, portant une veste grise et des houseaux +armés d'éperons. + +Tous deux offraient à leur propriétaire des poules ou des +fromages. Félicité invariablement déjouait leurs astuces; et +ils s'en allaient pleins de considération pour elle. + +A des époques indéterminées, Mme Aubain recevait la visite du +marquis de Gremanville, un de ses oncles, ruiné par la crapule +et qui vivait à Falaise sur le dernier lopin de ses terres. Il +se présentait toujours à l'heure du déjeuner, avec un affreux +caniche dont les pattes salissaient tous les meubles. Malgré +ses efforts pour paraître gentilhomme jusqu'à soulever son +chapeau chaque fois qu'il disait: "Feu mon père", l'habitude +l'entraînant, il se versait à boire coup sur coup, et lâchait +des gaillardises. Félicité le poussait dehors poliment: + +-- Vous en avez assez, M. de Gremanville! A une autre fois! + +Et elle refermait la porte. + +Elle l'ouvrait avec plaisir devant M. Bourais, ancien avoué. +Sa cravate blanche et sa calvitie, le jabot de sa chemise, son +ample redingote brune, sa façon de priser en arrondissant le +bras, tout son individu lui produisait ce trouble où nous +jette le spectacle des hommes extraordinaires. + +Comme il gérait les propriétés de "Madame", il s'enfermait +avec elle pendant des heures dans le cabinet de "Monsieur", et +craignait toujours de se compromettre, respectait infiniment +la magistrature, avait des prétentions au latin. + +Pour instruire les enfants d'une manière agréable, il leur fit +cadeau d'une géographie en estampes. Elles représentaient +différentes scènes du monde, des anthropophages coiffés de +plumes, un singe enlevant une demoiselle, des Bédouins dans le +désert, une baleine qu'on harponnait, etc. + +Paul donna l'explication de ces gravures à Félicité. Ce fut +même toute son éducation littéraire. + +Celle des enfants était faite par Guyot, un pauvre diable +employé à la Mairie, fameux pour sa belle main, et qui +repassait son canif sur sa botte. + +Quand le temps était clair, on s'en allait de bonne heure à la +ferme de Geffosses. + +La cour est en pente, la maison dans le milieu; et la mer, au +loin, apparaît comme une tache grise. + +Félicité retirait de son cabas des tranches de viande froide; +et on déjeunait dans un appartement faisant suite à la +laiterie. Il était le seul reste d'une habitation de +plaisance, maintenant disparue. Le papier de la muraille en +lambeaux tremblait aux courants d'air. Mme Aubain penchait son +front, accablée de souvenirs, les enfants n'osaient plus +parler. + +-- Mais jouez donc! disait-elle. + +Ils décampaient. + +Paul montait dans la grange, attrapait des oiseaux, faisait +des ricochets sur la mare, ou tapait avec un bâton les grosses +futailles qui résonnaient comme des tambours. + +Virginie donnait à manger aux lapins, se précipitait pour +cueillir des bleuets, et la rapidité de ses jambes découvrait +ses petits pantalons brodés. + +Un soir d'automne, on s'en retourna par les herbages. + +La lune à son premier quartier éclairait une partie du ciel, +et un brouillard flottait comme une écharpe sur les sinuosités +de la Toucques. Des boeufs, étendus au milieu du gazon, +regardaient tranquillement ces quatre personnes passer. Dans +la troisième pâture quelques-uns se levèrent, puis se mirent +en rond devant elles. + +-- Ne craignez rien! dit Félicité. + +Et, murmurant une sorte de complainte, elle flatta sur +l'échine celui qui se trouvait le plus près; il fit volte-face, +les autres l'imitèrent. Mais, quand l'herbage suivant +fut traversé, un beuglement formidable s'éleva. C'était un +taureau, que cachait le brouillard. Il avança vers les deux +femmes. Mme Aubain allât courir. + +-- Non! non! moins vite! + +Elles pressaient le pas cependant, et entendaient par-derrière +un souffle sonore qui se rapprochait. Ses sabots, comme des +marteaux, battaient l'herbe de la prairie; voilà qu'il +galopait maintenant! Félicité se retourna, et elle arrachait à +deux mains des plaques de terre qu'elle lui jetait dans les +yeux. Il baissait le mufle, secouait les cornes et tremblait +de fureur en beuglant horriblement. Mme Aubain, au bout de +l'herbage avec ses deux petits, cherchait éperdue comment +franchir le haut bord. Félicité reculait toujours devant le +taureau, et continuellement lançait des mottes de gazon qui +l'aveuglaient, tandis qu'elle criait: + +-- Dépêchez-vous! dépêchez-vous! + +Mme Aubain descendit le fossé, poussa Virginie, Paul ensuite, +tomba plusieurs fois en tâchant de gravir le talus, et à force +de courage y parvint. + +Le taureau avait acculé Félicité contre une claire voie; sa +bave lui rejaillissait à la figure, une seconde de plus il +l'éventrait. Elle eut le temps de se couler entre deux +barreaux, et la grosse bête, toute surprise, s'arrêta. + +Cet événement, pendant bien des années, fut un sujet de +conversation à Pont-l'Evêque. Félicité n'en tira aucun +orgueil, ne se doutant même pas qu'elle eût rien fait +d'héroïque. + +Virginie l'occupait exclusivement; -- car elle eut à la suite +de son effroi, une affection nerveuse, et M. Poupart, le +docteur, conseilla les bains de mer de Trouville. + +Dans ce temps-là, ils n'étaient pas fréquentés. Mme Aubain +prit des renseignements, consulta Bourais, fit des préparatifs +comme pour un long voyage. + +Ses colis partirent la veille, dans la charrette de Liébard. +Le lendemain, il amena deux chevaux dont un avait une selle de +femme, munie d'un dossier de velours; et sur la croupe du +second un manteau roulé formait une manière de siège. Mme +Aubain y monta, derrière lui. Félicité se chargea de Virginie, +et Paul enfourcha l'âne de M. Lechaptois, prêté sous la +condition d'en avoir grand soin. + +La route était si mauvaise que ses huit kilomètres exigèrent +deux heures. Les chevaux enfonçaient jusqu'aux paturons dans +la boue, et faisaient pour en sortir de brusques mouvements +des hanches; ou bien ils butaient contre les ornières; +d'autres fois, il leur l'allait sauter. La jument de Liébard, +à de certains endroits, s'arrêtait tout à coup. Il attendait +patiemment qu'elle se remît en marche; et il parlait des +personnes dont les propriétés bordaient la route, ajoutant à +leur histoire des réflexions morales. Ainsi, au milieu de +Toucques, comme on passait sous des fenêtres entourées de +capucines, il dit, avec un haussement d'épaules: + +-- En voilà une Mme Lehoussais, qui au lieu de prendre un jeune +homme... + +Félicité n'entendit pas le reste; les chevaux trottaient, +l'âne galopait; tous enfilèrent un sentier, une barrière +tourna, deux garçons parurent, et l'on descendit devant le +purin, sur le seuil même de la porte. + +La mère Liébard, en apercevant sa maîtresse, prodigua les +démonstrations de joie. Elle lui servit un déjeuner où il y +avait un aloyau, des tripes, du boudin, une fricassée de +poulet, du cidre mousseux, une tarte aux compotes et des +prunes à l'eau-de-vie, accompagnant le tout de politesses à +Madame qui paraissait en meilleure santé, à Mademoiselle +devenue "magnifique", à M. Paul singulièrement "forci", sans +oublier leurs grands-parents défunts que les Liébard avaient +connus, étant au service de la famille depuis plusieurs +générations. La ferme avait, comme eux, un caractère +d'ancienneté. Les poutrelles du plafond étaient vermoulues, +les murailles noires de fumée, les carreaux gris de poussière. +Un dressoir en chêne supportait toutes sortes d'ustensiles, +des brocs, des assiettes, des écuelles d'étain, des pièges à +loup, des forces pour les moutons; une seringue énorme fit +rire les enfants. Pas un arbre des trois cours qui n'eût des +champignons à sa base, ou dans ses rameaux une touffe de gui. + +Le vent en avait jeté bas plusieurs. Ils avaient repris par le +milieu; et tous fléchissaient sous la quantité de leurs +pommes. Les toits de paille, pareils à du velours brun et +inégaux d'épaisseur, résistaient aux plus fortes bourrasques. +Cependant la charreterie tombait en ruines. Mme Aubain dit +qu'elle aviserait, et commanda de reharnacher les bêtes. + +On fut encore une demi-heure avant d'atteindre Trouville. La +petite caravane mit pied à terre pour passer les _Ecores;_ +c'était une falaise surplombant des bateaux; et trois minutes +plus tard, au bout du quai, on entra dans la cour de l'_Agneau +d'or_, chez la mère David. + +Virginie, dès les premiers jours, se sentit moins faible, +résultat du changement d'air et de l'action des bains. Elle +les prenait en chemise, à défaut de costume; et sa bonne la +rhabillait dans une cabane de douanier qui servait aux +baigneurs. + +L'après-midi, on s'en allait avec l'âne au-delà des Roches-Noires, +du côté d'Hennequeville. Le sentier, d'abord, montait +entre des terrains vallonnés comme la pelouse d'un parc, puis +arrivait sur un plateau où alternaient des pâturages et des +champs en labour. A la lisière du chemin, dans le fouillis des +ronces, des houx se dressaient; çà et là, un grand arbre mort +faisait sur l'air bleu des zigzags avec ses branches. + +Presque toujours on se reposait dans un pré, ayant Deauville à +gauche, Le Havre à droite et en face la pleine mer. Elle était +brillante de soleil, lisse comme un miroir, tellement douce +qu'on entendait à peine son murmure; des moineaux cachés +pépiaient, et la voûte immense du ciel recouvrait tout cela. +Mme Aubain, assise, travaillait à son ouvrage de couture; +Virginie près d'elle tressait des joncs; Félicité sarclait des +fleurs de lavande; Paul, qui s'ennuyait, voulait partir. + +D'autres fois, ayant passé la Toucques en bateau, ils +cherchaient des coquilles. La marée basse laissât à découvert +des oursins, des godefiches, des méduses; et les enfants +couraient, pour saisir des flocons d'écume que le vent +emportait. Les flots endormis, en tombant sur le sable, se +déroulaient le long de la grève; elle s'étendait à perte de +vue, mais du côté de la terre avait pour limite les dunes la +séparant du _Marais_, large prairie en forme d'hippodrome. Quand +ils revenaient par là, Trouville, au fond sur la pente du +coteau, à chaque pas grandissait, et avec toutes ses maisons +inégales semblait s'épanouir dans un désordre gai. + +Les jours qu'il faisait trop chaud, ils ne sortaient pas de +leur chambre. L'éblouissante clarté du dehors plaquait des +barres de lumière entre les lames des jalousies. Aucun bruit +dans le village. En bas, sur le trottoir, personne. Ce silence +épandu augmentait la tranquillité des choses. Au loin, les +marteaux des calfats tamponnaient des carènes, et une brise +lourde apportait la senteur du goudron. + +Le principal divertissement était le retour des barques. Dès +qu'elles avaient dépassé les balises, elles commençaient à +louvoyer. Leurs voiles descendaient aux deux tiers des mâts; +et, la misaine gonflée comme un ballon, elles avançaient, +glissaient dans le clapotement des vagues, jusqu'au milieu du +port, où l'ancre tout à coup tombait. Ensuite le bateau se +plaçait contre le quai. Les matelots jetaient par-dessus le +bordage des poissons palpitants; une file de charrettes les +attendait, et des femmes en bonnet de coton s'élançaient pour +prendre les corbeilles et embrasser leurs hommes. + +Une d'elles, un jour, aborda Félicité, qui peu de temps après +entra dans la chambre, toute joyeuse. Elle avait retrouvé une +soeur; et Nastasie Barette, femme Leroux, apparut, tenant un +nourrisson à sa poitrine, de la main droite un autre enfant, +et à sa gauche un petit mousse les poings sur les hanches et +le béret sur l'oreille. + +Au bout d'un quart d'heure, Mme Aubain la congédia. + +On les rencontrait toujours aux abords de la cuisine, ou dans +les promenades que l'on faisait. Le mari ne se montrait pas. + +Félicité se prit d'affection pour eux. Elle leur acheta une +couverture, des chemises, un fourneau; évidemment ils +l'exploitaient. Cette faiblesse agaçait Mme Aubain, qui +d'ailleurs n'aimait pas les familiarités du neveu, -- car il +tutoyait son fils; -- et, comme Virginie toussait et que la +saison n'était plus bonne, elle revint à Pont-l'Evêque. + +M. Bourais l'éclaira sur le choix d'un collège. Celui de Caen +passait pour le meilleur. Paul y fut envoyé; et fit bravement +ses adieux, satisfait d'aller vivre dans une maison où il +aurait des camarades. + +Mme Aubain se résigna à l'éloignement de son fils, parce qu'il +était indispensable. Virginie y songea de moins en moins. +Félicité regrettait son tapage. Mais une occupation vint la +distraire; à partir de Noël, elle mena tous les jours la +petite fille au catéchisme. + + + + +III + + +Quand elle avait fait à la porte une génuflexion, elle +s'avançait sous la haute nef entre la double ligne des +chaises, ouvrait le banc de Mme Aubain, s'asseyait et +promenait ses yeux autour d'elle. + +Les garçons à droite, les filles à gauche, emplissaient les +stalles du choeur; le curé se tenait debout près du lutrin; +sur un vitrail de l'abside, le Saint-Esprit dominait la +Vierge; un autre la montrait à genoux devant l'Enfant-Jésus, +et, derrière le tabernacle, un groupe en bois représentait +saint Michel terrassant le dragon. + +Le prêtre fit d'abord un abrégé de l'Histoire Sainte. Elle +croyait voir le paradis, le déluge, la tour de Babel, des +villes tout en flammes, des peuples qui mouraient, des idoles +renversées; et elle garda de cet éblouissement le respect du +Très-Haut et la crainte de sa colère. Puis, elle pleura en +écoutant la Passion. Pourquoi l'avaient-ils crucifié, lui qui +chérissait les enfants, nourrissait les foules, guérissait les +aveugles, et avait voulu, par douceur, naître au milieu des +pauvres, sur le fumier d'une étable? Les semailles, les +moissons, les pressoirs, toutes ces choses familières dont +parle l'Evangile, se trouvaient dans sa vie; le passage de +Dieu les avait sanctifiées; et elle aima plus tendrement les +agneaux par amour de l'Agneau, les colombes à cause du Saint-Esprit. + +Elle avait peine à imaginer sa personne; car il n'était pas +seulement oiseau, mais encore un feu, et d'autres fois un +souffle. C'est peut-être sa lumière qui voltige la nuit aux +bords des marécages, son haleine qui pousse les nuées, sa voix +qui rend les cloches harmonieuses; et elle demeurait dans une +adoration, jouissant de la fraîcheur des murs et de la +tranquillité de l'église. + +Quant aux dogmes, elle n'y comprenait rien, ne tâcha même pas +de comprendre. Le curé discourait, les enfants récitaient, +elle finissait par s'endormir; et se réveillait tout à coup, +quand ils faisaient en s'en allant claquer leurs sabots sur +les dalles. + +Ce fut de cette manière, à force de l'entendre, qu'elle apprit +le catéchisme, son éducation religieuse ayant été négligée +dans sa jeunesse; et dès lors elle imita toutes les pratiques +de Virginie, jeûnait comme elle, se confessait avec elle. A la +Fête-Dieu, elles firent ensemble un reposoir. + +La première communion la tourmentait d'avance. Elle s'agita +pour les souliers, pour le chapelet, pour le livre, pour les +gants. Avec quel tremblement elle aida sa mère à l'habiller! + +Pendant toute la messe, elle éprouva une angoisse. M. Bourais +lui cachait un côté du choeur; mais juste en face, le troupeau +des vierges portant des couronnes blanches par-dessus leurs +voiles abaissés formait comme un champ de neige; et elle +reconnaissait de loin la chère petite à son cou plus mignon et +à son attitude recueillie. La cloche tinta. Les têtes se +courbèrent; il y eut un silence. Aux éclats de l'orgue, les +chantres et la foule entonnèrent l'_Agnus Dei;_ puis le défilé +des garçons commença; et, après eux, les filles se levèrent. +Pas à pas, et les mains jointes, elles allaient vers l'autel +tout illuminé, s'agenouillaient sur la première marche, +recevaient l'hostie successivement, et dans le même ordre +revenaient à leurs prie-Dieu. Quand ce fut le tour de +Virginie, Félicité se pencha pour la voir; et, avec +l'imagination que donnent les vraies tendresses, il lui sembla +qu'elle était elle-même cette enfant; sa figure devenait la +sienne, sa robe l'habillait, son coeur lui battait dans la +poitrine; au moment d'ouvrir la bouche, en fermant les +paupières, elle manqua de s'évanouir. + +Le lendemain, de bonne heure, elle se présenta dans la +sacristie, pour que M. le curé lui donnât la communion. Elle +la reçut dévotement, mais n'y goûta pas les mêmes délices. + +Mme Aubain voulait faire de sa fille une personne accomplie; +et, comme Guyot ne pouvait lui montrer ni l'anglais ni la +musique, elle résolut de la mettre en pension chez les +Ursulines d'Honfleur. + +L'enfant n'objecta rien. Félicité soupirait, trouvant Madame +insensible. Puis elle songea que sa maîtresse, peut-être, +avait raison. Ces choses dépassaient sa compétence. + +Enfin, un jour, une vieille tapissière s'arrêta devant la +porte; et il en descendit une religieuse qui venait chercher +Mademoiselle. Félicité monta les bagages sur l'impériale, fit +des recommandations au cocher, et plaça dans le coffre six +pots de confiture et une douzaine de poires, avec un bouquet +de violettes. + +Virginie, au dernier moment, fut prise d'un grand sanglot; +elle embrassait sa mère qui la baisait au front en répétant: + +-- Allons! du courage! du courage! + +Le marchepied se releva, la voiture partit. + +Alors Mme Aubain eut une défaillance; et le soir tous ses +amis, le ménage Lormeau, Mme Lechaptois, _ces_ demoiselles +Rochefeuille, M. de Houppeville et Bourais se présentèrent +pour la consoler. + +La privation de sa fille lui fut d'abord très douloureuse. +Mais trois fois la semaine, elle en recevait une lettre, les +autres jours lui écrivait, se promenait dans son jardin, +lisait un peu, et de cette façon comblait le vide des heures. + +Le matin, par habitude, Félicité entrait dans la chambre de +Virginie, et regardait les murailles. Elle s'ennuyait de +n'avoir plus à peigner ses cheveux, à lui lacer ses bottines, +à la border dans son lit, -- et de ne plus voir continuellement +sa gentille figure, de ne plus la tenir par la main quand +elles sortaient ensemble. Dans son désoeuvrement, elle essaya +de faire de la dentelle. Ses doigts trop lourds cassaient les +fils; elle n'entendait à rien, avait perdu le sommeil, suivant +son mot, était "minée". + +Pour "se dissiper", elle demanda la permission de recevoir son +neveu Victor. + +Il arrivait le dimanche après la messe, les joues roses, la +poitrine nue, et sentant l'odeur de la campagne qu'il avait +traversée. Tout de suite, elle dressait son couvert. Ils +déjeunaient l'un en face de l'autre; et, mangeant elle-même le +moins possible pour épargner la dépense, elle le bourrait +tellement de nourriture qu'il finissait par s'endormir. Au +premier coup des vêpres, elle le réveillait, brossait son +pantalon, nouait sa cravate, et se rendait à l'église, appuyée +sur son bras dans un orgueil maternel. + +Ses parents le chargeaient toujours d'en tirer quelque chose, +soit un paquet de cassonade, du savon, de l'eau-de-vie, +parfois même de l'argent. Il apportait ses nippes à +raccommoder; et elle acceptait cette besogne, heureuse d'une +occasion qui le forçait à revenir. + +Au mois d'août, son père l'emmena au cabotage. + +C'était l'époque des vacances. L'arrivée des enfants la +consola. Mais Paul devenait capricieux, et Virginie n'avait +plus l'âge d'être tutoyée, ce qui mettait une gêne, une +barrière entre elles. + +Victor alla successivement à Morlaix, à Dunkerque et à +Brighton; au retour de chaque voyage, il lui offrait un +cadeau. La première fois, ce fut une boîte en coquilles; la +seconde, une tasse à café; la troisième, un grand bonhomme en +pain d'épice. Il embellissait, avait la taille bien prise, un +peu de moustache, de bons yeux francs, et un petit chapeau de +cuir, placé en amère comme un pilote. Il l'amusait en lui +racontant des histoires mêlées de termes marins. + +Un lundi, 14 juillet 1819 (elle n'oublia pas la date), Victor +annonça qu'il était engagé au long cours, et, dans la nuit du +surlendemain, par le paquebot de Honfleur irait rejoindre sa +goélette, qui devait démarrer du Havre prochainement. Il +serait, peut-être, deux ans parti. + +La perspective d'une telle absence désola Félicité; et, pour +lui dire encore adieu, le mercredi soir, après le dîner de +Madame, elle chaussa des galoches, et avala les quatre lieues +qui séparent Pont-l'Evêque de Honfleur. + +Quand elle fut devant le Calvaire, au lieu de prendre à +gauche, elle prit à droite, se perdit dans des chantiers, +revint sur ses pas; des gens qu'elle accosta l'engagèrent à se +hâter. Elle fit le tour du bassin rempli de navires, se +heurtait contre les amarres; puis le terrain s'abaissa, des +lumières s'entrecroisèrent, et elle se crut folle, en +apercevant des chevaux dans le ciel. + +Au bord du quai, d'autres hennissaient, effrayés par la mer. +Un palan qui les enlevait les descendait dans un bateau, où +des voyageurs se bousculaient entre les barriques de cidre, +les paniers de fromage, les sacs de grain; on entendait +chanter des poules, le capitaine jurait; et un mousse restait +accoudé sur le bossoir, indifférent à tout cela. Félicité, qui +ne l'avait pas reconnu, criait: "Victor!" Il leva la tête; +elle s'élançait, quand on retira l'échelle tout à coup. + +Le paquebot, que des femmes halaient en chantant, sortit du +port. Sa membrure craquait, les vagues pesantes fouettaient sa +proue. La voile avait tourné, on ne vit plus personne; -- et, +sur la mer argentée par la lune, il faisait une tache noire +qui pâlissait toujours, s'enfonça, disparut. + +Félicité, en passant près du Calvaire, voulut recommander à +Dieu ce qu'elle chérissait le plus; et elle pria pendant +longtemps, debout, la face baignée de pleurs, les yeux vers +les nuages. La ville dormait, des douaniers se promenaient; et +de l'eau tombait sans discontinuer par les trous de l'écluse, +avec un bruit de torrent. Deux heures sonnèrent. + +Le parloir n'ouvrirait pas avant le jour. Un retard, bien sûr, +contrarierait Madame; et malgré son désir d'embrasser l'autre +enfant, elle s'en retourna. Les filles de l'auberge +s'éveillaient, comme elle entrait dans Pont-l'Evêque. + +Le pauvre gamin, durant des mois, allait donc rouler sur les +flots! Ses précédents voyages ne l'avaient pas effrayée. De +l'Angleterre et de la Bretagne, on revenait; mais l'Amérique, +les Colonies, les Iles, cela était perdu dans une région +incertaine, à l'autre bout du monde. + +Dès lors, Félicité pensa exclusivement à son neveu. Les jours +de soleil, elle se tourmentait de la soif; quand il faisait de +l'orage, craignait pour lui la foudre. En écoutant le vent qui +grondait dans la cheminée et emportait les ardoises, elle le +voyait battu par cette même tempête, au sommet d'un mât +fracassé, tout le corps en amère, sous une nappe d'écume; ou +bien, -- souvenirs de la géographie en estampes, -- il était +mangé par les sauvages, pris dans un bois par des singes, se +mourait le long d'une plage déserte. Et jamais elle ne parlait +de ses inquiétudes. + +Mme Aubain en avait d'autres sur sa fille. + +Les bonnes soeurs trouvaient qu'elle était affectueuse, mais +délicate. La moindre émotion l'énervait. Il fallut abandonner +le piano. + +Sa mère exigeait du couvent une correspondance réglée. Un +matin que le facteur n'était pas venu, elle s'impatienta; et +elle marchait dans la salle, de son fauteuil à la fenêtre. +C'était vraiment extraordinaire! depuis quatre jours, pas de +nouvelles! + +Pour qu'elle se consolât par son exemple, Félicité lui dit: + +-- Moi, Madame, voilà six mois que je n'en ai reçu!... + +-- De qui donc?... + +La servante répliqua doucement: + +-- Mais... de mon neveu! + +-- Ah! votre neveu! + +Et, haussant les épaules, Mme Aubain reprit sa promenade, ce +qui voulait dire: "Je n'y pensais pas!... Au surplus, je m'en +moque! un mousse, un gueux, belle affaire!... tandis que ma +fille... Songez donc!..." + +Félicité, bien que nourrie dans la rudesse, fut indignée +contre Madame, puis oublia. + +Il lui paraissait tout simple de perdre la tête à l'occasion +de la petite. + +Les deux enfants avaient une importance égale; un lien de son +coeur les unissait, et leur destinée devait être la même. + +Le pharmacien lui apprit que le bateau de Victor était arrivé +à la Havane. Il avait lu ce renseignement dans une gazette. + +A cause des cigares, elle imaginait la Havane un pays où l'on +ne fait pas autre chose que de fumer, et Victor circulait +parmi les nègres dans un nuage de tabac. Pouvait-on "en cas de +besoin" s'en retourner par terre? A quelle distance était-ce +de Pont-l'Evêque? Pour le savoir, elle interrogea M. Bourais. + +Il atteignit son atlas, puis commença des explications sur les +longitudes; et il avait un beau sourire de cuistre devant +l'ahurissement de Félicité. Enfin, avec son porte-crayon, il +indiqua dans les découpures d'une tache ovale un point noir, +imperceptible, en ajoutant: "Voici." + +Elle se pencha sur la carte; ce réseau de lignes coloriées +fatiguait sa vue, sans lui rien apprendre; et Bourais, +l'invitant à dire ce qui l'embarrassait, elle le pria de lui +montrer la maison où demeurait Victor. Bourais leva les bras, +il éternua, rit énormément; une candeur pareille excitait sa +joie; et Félicité n'en comprenait pas le motif, -- elle qui +s'attendait peut-être à voir jusqu'au portrait de son neveu, +tant son intelligence était bornée! + +Ce fut quinze jours après que Liébard, à l'heure du marché +comme d'habitude, entra dans la cuisine, et lui remit une +lettre qu'envoyait son beau-frère. Ne sachant lire aucun des +deux, elle eut recours à sa maîtresse. + +Mme Aubain, qui comptait les mailles d'un tricot, le posa près +d'elle, décacheta la lettre, tressaillit, et, d'une voix +basse, avec un regard profond: + +-- C'est un malheur... qu'on vous annonce. Votre neveu... + +Il était mort. On n'en disait pas davantage. + +Félicité tomba sur une chaise, en s'appuyant la tête à la +cloison, et ferma ses paupières, qui devinrent roses tout à +coup. Puis, le front baissé, les mains pendantes, l'oeil fixe, +elle répétait par intervalles: + +-- Pauvre petit gars! pauvre petit gars! + +Liébard la considérait en exhalant des soupirs. Mme Aubain +tremblait un peu. + +Elle lui proposa d'aller voir sa soeur, à Trouville. + +Félicité répondit, par un geste, qu'elle n'en avait pas +besoin. + +Il y eut un silence. Le bonhomme Liébard jugea convenable de +se retirer. + +Alors elle dit: + +-- Ça ne leur fait rien, à eux! + +Sa tête retomba; et machinalement elle soulevait, de temps à +autre, les longues aiguilles sur la table à ouvrage. + +Des femmes passèrent dans la cour avec un bard d'où +dégouttelait du linge. + +En les apercevant par les carreaux, elle se rappela sa +lessive; l'ayant coulée la veille, il fallait aujourd'hui la +rincer; et elle sortit de l'appartement. + +Sa planche et son tonneau étaient au bord de la Toucques. Elle +jeta sur la berge un tas de chemises, retroussa ses manches, +prit son battoir; et les coups forts qu'elle donnait +s'entendaient dans les autres jardins à côté. Les prairies +étaient vides, le vent agitait la rivière; au fond, de grandes +herbes s'y penchaient, comme des chevelures de cadavres +flottant dans l'eau. Elle retenait sa douleur, jusqu'au soir +fut très brave; mais dans sa chambre, elle s'y abandonna, à +plat ventre sur son matelas, le visage dans l'oreiller, et les +deux poings contre les tempes. + +Beaucoup plus tard, par le capitaine de Victor lui même, elle +connut les circonstances de sa fin. + +On l'avait trop saigné à l'hôpital, pour la fièvre jaune. +Quatre médecins le tenaient à la fois. Il était mort +immédiatement, et le chef avait dit: + +-- Bon! encore un! + +Ses parents l'avaient toujours traité avec barbarie. Elle aima +mieux ne pas les revoir; et ils ne firent aucune avance, par +oubli, ou endurcissement des misérables. + +Virginie s'affaiblissait. + +Des oppressions, de la toux, une fièvre continuelle et des +marbrures aux pommettes décelaient quelque affection profonde. +M. Poupart avait conseillé un séjour en Provence. Mme Aubain +s'y décida, et eût tout de suite repris sa fille à la maison, +sans le climat de Pont-l'Evêque. + +Elle fit un arrangement avec un loueur de voitures, qui la +menait au couvent chaque mardi. Il y a dans le jardin une +terrasse d'où l'on découvre la Seine. Virginie s'y promenait à +son bras, sur les feuilles de pampre tombées. Quelquefois le +soleil traversant les nuages la forçait à cligner ses +paupières, pendant qu'elle regardait les voiles au loin et +tout l'horizon, depuis le château de Tancarville jusqu'aux +phares du Havre. Ensuite on se reposait sous la tonnelle. Sa +mère s'était procuré un petit fût d'excellent vin du Malaga; +et riant à l'idée d'être grise, elle en buvait deux doigts, +pas davantage. + +Ses forces reparurent. L'automne s'écoula doucement. Félicité +rassurait Mme Aubain. Mais, un soir qu'elle avait été aux +environs faire une course, elle rencontra devant la porte le +cabriolet de M. Poupart; et il était dans le vestibule. Mme +Aubain nouait son chapeau. + +-- Donnez-moi ma chaufferette, ma bourse, mes gants; plus vite +donc! + +Virginie avait une fluxion de poitrine; c'était peut-être +désespéré. + +-- Pas encore! dit le médecin. + +Et tous deux montèrent dans la voiture, sous des flocons de +neige qui tourbillonnaient. La nuit allait venir. Il faisait +très froid. + +Félicité se précipita dans l'église, pour allumer un cierge. +Puis elle courut après le cabriolet, qu'elle rejoignit une +heure plus tard, sauta légèrement par derrière, où elle se +tenait aux torsades, quand une réflexion lui vint: "La cour +n'était pas fermée! si des voleurs s'introduisaient?" Et elle +descendit. + +Le lendemain, dès l'aube, elle se présenta chez le docteur. Il +était rentré et reparti à la campagne. Puis elle resta dans +l'auberge, croyant que des inconnus apporteraient une lettre. +Enfin, au petit jour, elle prit la diligence de Lisieux. + +Le couvent se trouvait au fond d'une ruelle escarpée. Vers le +milieu, elle entendit des sons étranges, un glas de mort. +"C'est pour d'autres," pensa-t-elle; et Félicité tira +violemment le marteau. + +Au bout de plusieurs minutes, des savates se traînèrent, la +porte s'entre-bâilla, et une religieuse parut. + +La bonne soeur avec un air de componction dit qu' "elle venait +de passer." En même temps, le glas de Saint-Léonard +redoublait. + +Félicité parvint au second étage. + +Dès le seuil de la chambre, elle aperçut Virginie étalée sur +le dos, les mains jointes, la bouche ouverte, et la tête en +arrière sous une croix noire s'inclinant vers elle, entre les +rideaux immobiles, moins pâles que sa figure. Mme Aubain, au +pied de la couche qu'elle tenait dans ses bras, poussait des +hoquets d'agonie. La supérieure était debout, à droite. Trois +chandeliers sur la commode faisaient des taches rouges, et le +brouillard blanchissait les fenêtres. Des religieuses +emportèrent Mme Aubain. + +Pendant deux nuits, Félicité ne quitta pas la morte. Elle +répétait les mêmes prières, jetait de l'eau bénite sur les +draps, revenait s'asseoir, et la contemplait. A la fin de la +première veille, elle remarqua que la figure avait jauni, les +lèvres bleuirent, le nez se pinçait, les yeux s'enfonçaient. +Elle les baisa plusieurs fois; et n'eût pas éprouvé un immense +étonnement si Virginie les eût rouverts; pour de pareilles +âmes le surnaturel est tout simple. Elle fit sa toilette, +l'enveloppa de son linceul, la descendit dans sa bière, lui +posa une couronne, étala ses cheveux. Ils étaient blonds, et +extraordinaires de longueur à son âge. Félicité en coupa une +grosse mèche, dont elle glissa la moitié dans sa poitrine, +résolue à ne jamais s'en dessaisir. + +Le corps fut ramené à Pont-l'Evêque, suivant les intentions de +Mme Aubain, qui suivait le corbillard, dans une voiture +fermée. + +Après la messe, il fallut encore trois quarts d'heure pour +atteindre le cimetière. Paul marchait en tête et sanglotait. +M. Bourais était derrière, ensuite les principaux habitants, +les femmes, couvertes de mantes noires, et Félicité. Elle +songeait à son neveu, et, n'ayant pu lui rendre ces honneurs, +avait un surcroît de tristesse, comme si on l'eût enterré avec +l'autre. + +Le désespoir de Mme Aubain fut illimité. + +D'abord elle se révolta contre Dieu, le trouvant injuste de +lui avoir pris sa fille, -- elle qui n'avait jamais fait de +mal, et dont la conscience était si pure! Mais non! elle +aurait dû l'emporter dans le Midi. D'autres docteurs +l'auraient sauvée!. Elle s'accusait, voulait la rejoindre, +criait en détresse au milieu de ses rêves. Un, surtout, +l'obsédât. Son mari, costumé comme un matelot, revenait d'un +long voyage, et lui disait en pleurant qu'il avait reçu +l'ordre d'emmener Virginie. Alors ils se concertaient pour +découvrir une cachette quelque part. + +Une fois, elle rentra du jardin, bouleversée. Tout à l'heure +(elle montrait l'endroit) le père et la fille lui étaient +apparus l'un auprès de l'autre, et ils ne faisaient rien; ils +la regardaient. + +Pendant plusieurs mois, elle resta dans sa chambre, inerte. +Félicité la sermonnait doucement; il fallait se conserver pour +son fils, et pour l'autre, en souvenir d' "elle". + +-- Elle? reprenait Mme Aubain, comme se réveillant. "Ah! +oui!... oui!... Vous ne l'oubliez pas!" + +Allusion au cimetière, qu'on lui avait scrupuleusement +défendu. + +Félicité tous les jours s'y rendait. + +A quatre heures précises, elle passait au bord des maisons, +montait la côte, ouvrait la barrière, et arrivait devant la +tombe de Virginie. C'était une petite colonne de marbre rose, +avec une dalle dans le bas, et des chaînes autour enfermant un +jardinet. Les plates-bandes disparaissaient sous une +couverture de fleurs. Elle arrosait leurs feuilles, +renouvelait le sable, se mettait à genoux pour mieux labourer +la terre. Mme Aubain, quand elle put y venir, en éprouva un +soulagement, une espèce de consolation. + + +Puis des années s'écoulèrent, toutes pareilles et sans autres +épisodes que le retour des grandes fêtes: Pâques, +l'Assomption, la Toussaint. Des événements intérieurs +faisaient une date, où l'on se reportait plus tard. Ainsi, en +1825, deux vitriers badigeonnèrent le vestibule; en 1827, une +portion du toit, tombant dans la cour, faillit tuer un homme. +L'été de 1828, ce fut à Madame d'offrir le pain bénit; +Bourais, vers cette époque, s'absenta mystérieusement; et les +anciennes connaissances peu à peu s'en allèrent: Guyot, +Liébard, Mme Lechaptois, Robelin, l'oncle Gremanville, +paralysé depuis longtemps. + +Une nuit, le conducteur de la malle-poste annonça dans +Pont-l'Evêque la Révolution de Juillet. Un sous-préfet nouveau, peu +de jours après, fut nommé: le baron de Larsonnière, ex-consul +en Amérique, et qui avait chez lui, outre sa femme, sa belle-soeur +avec trois demoiselles, assez grandes déjà. On les +apercevait sur leur gazon, habillées de blouses flottantes; +elles possédaient un nègre et un perroquet. Mme Aubain eut +leur visite, et ne manqua pas de la rendre. Du plus loin +qu'elles paraissaient, Félicité accourait pour la prévenir. +Mais une chose était seule capable de l'émouvoir, les lettres +de son fils. + +Il ne pouvait suivre aucune carrière, étant absorbé dans les +estaminets. Elle lui payait ses dettes; il en refaisait +d'autres; et les soupirs que poussait Mme Aubain, en tricotant +près de la fenêtre, arrivaient à Félicité, qui tournait son +rouet dans la cuisine. + +Elles se promenaient ensemble le long de l'espalier; et +causaient toujours de Virginie, se demandant si telle chose +lui aurait plu, en telle occasion ce qu'elle eût dit +probablement. + +Toutes ses petites affaires occupaient un placard dans la +chambre à deux lits. Mme Aubain les inspectait le moins +souvent possible. Un jour d'été, elle se résigna; et des +papillons s'envolèrent de l'armoire. + +Ses robes étaient en ligne sous une planche où il y avait +trois poupées, des cerceaux, un ménage, la cuvette qui lui +servait. Elles retirèrent également les jupons, les bas, les +mouchoirs, et les étendirent sur les deux couches, avant de +les replier. Le soleil éclairait ces pauvres objets, en +faisait voir les taches, et des plis formés par les mouvements +du corps. L'air était chaud et bleu, un merle gazouillait, +tout semblait vivre dans une douceur profonde. Elles +retrouvèrent un petit chapeau de peluche, à longs poils, +couleur marron; mais il était tout mangé de vermine. Félicité +le réclama pour elle-même. Leurs yeux se fixèrent l'une sur +l'autre, s'emplirent de larmes; enfin la maîtresse ouvrit ses +bras, la servante s'y jeta; et elles s'étreignirent, +satisfaisant leur douleur dans un baiser qui les égalisait. + +C'était la première fois de leur vie, Mme Aubain n'étant pas +d'une nature expansive. Félicité lui en fut reconnaissante +comme d'un bienfait, et désormais la chérit avec un dévouement +bestial et une vénération religieuse. + +La bonté de son coeur se développa. + +Quand elle entendait dans la rue les tambours d'un régiment en +marche, elle se mettait devant la porte avec une cruche de +cidre et offrait à boire aux soldats. Elle soigna des +cholériques. Elle protégeait les Polonais; et même il y en eut +un qui déclarait la vouloir épouser. Mais ils se fâchèrent; +car un matin, en rentrant de l'angélus, elle le trouva dans sa +cuisine, où il s'était introduit, et accommodé une vinaigrette +qu'il mangeait tranquillement. + +Après les Polonais, ce fut le père Colmiche, un vieillard +passant pour avoir fait des horreurs en 93. Il vivait au bord +de la rivière, dans les décombres d'une porcherie. Les gamins +le regardaient par les fentes du mur, et lui jetaient des +cailloux qui tombaient sur son grabat, où il gisait +continuellement secoué par un catarrhe, avec des cheveux très +longs, les paupières enflammées, et au bras une tumeur plus +grosse que sa tête. Elle lui procura du linge, tâcha de +nettoyer son bouge, rêvât à l'établir dans le fournil, sans +qu'il gênât Madame. Quand le cancer eut crevé, elle le pansa +tous les jours, quelquefois lui apportait de la galette, le +plaçait au soleil sur une botte de paille; et le pauvre vieux, +en bavant et en tremblant, la remerciait de sa voix éteinte, +craignait de la perdre, allongeait les mains dès qu'il la +voyait s'éloigner. Il mourut; elle fit dire une messe pour le +repos de son âme. + +Ce jour-là, il lui advint un grand bonheur: au moment du +dîner, le nègre de Mme de Larsonnière se présenta, tenant le +perroquet dans sa cage, avec le bâton, la chaîne et le +cadenas. Un billet de la baronne annonçait à Mme Aubain que, +son mari étant élevé à une préfecture, ils partaient le soir; +et elle la priait d'accepter cet oiseau, comme un souvenir, et +en témoignage de ses respects. + +Il occupait depuis longtemps l'imagination de Félicité, car il +venait d'Amérique; et ce mot lui rappelait Victor, si bien +qu'elle s'en informait auprès du nègre. Une fois même elle +avait dit: + +-- C'est Madame qui serait heureuse de l'avoir! + +Le nègre avait redit le propos à sa maîtresse, qui, ne pouvant +l'emmener, s'en débarrassait de cette façon. + + + + +IV + + +Il s'appelait Loulou. Son corps était vert, le bout de ses +ailes rose, son front bleu, et sa gorge dorée. + +Mais il avait la fatigante manie de mordre son bâton, +s'arrachait les plumes, éparpillait ses ordures, répandait +l'eau de sa baignoire; Mme Aubain, qu'il ennuyait, le donna +pour toujours à Félicité. + +Elle entreprit de l'instruire; bientôt il répéta: "Charmant +garçon! Serviteur, monsieur! Je vous salue, Marie!" Il était +placé auprès de la porte, et plusieurs s'étonnaient qu'il ne +répondît pas au nom de Jacquot, puisque tous les perroquets +s'appellent Jacquot. On le comparait à une dinde, à une bûche +: autant de coups de poignard pour Félicité! Etrange +obstination de Loulou, ne parlant plus du moment qu'on le +regardait! + +Néanmoins il recherchait la compagnie; car le dimanche, +pendant que _ces_ demoiselles Rochefeuille, monsieur de +Houppeville et de nouveaux habitués: Onfroy l'apothicaire, M. +Varin et le capitaine Mathieu, faisaient leur partie de +cartes, il cognait les vitres avec ses ailes, et se démenait +si furieusement qu'il était impossible de s'entendre. + +La figure de Bourais, sans doute, lui paraissait très drôle. +Dès qu'il l'apercevait, il commençait à rire, à rire de toutes +ses forces. Les éclats de sa voix bondissaient dans la cour, +l'écho les répétait, les voisins se mettaient à leurs +fenêtres, riaient aussi; et, pour n'être pas vu du perroquet, +M. Bourais se coulait le long du mur, en dissimulant son +profil avec son chapeau, atteignait la rivière, puis entrait +par la porte du jardin; et les regards qu'il envoyait à +l'oiseau manquaient de tendresse. + +Loulou avait reçu du garçon boucher une chiquenaude, s'étant +permis d'enfoncer la tête dans sa corbeille; et depuis lors il +tâchait toujours de le pincer à travers sa chemise. Fabu +menaçait de lui tordre le cou, bien qu'il ne fût pas cruel, +malgré le tatouage de ses bras et ses gros favoris. Au +contraire! il avait plutôt du penchant pour le perroquet, +jusqu'à vouloir, par humeur joviale, lui apprendre des jurons. +Félicité, que ces manières effrayaient, le plaça dans la +cuisine. Sa chaînette fut retirée, et il circulait par la +maison. + +Quand il descendait l'escalier, il appuyait sur les marches la +courbe de son bec, levait la patte droite, puis la gauche; et +elle avait peur qu'une telle gymnastique ne lui causât des +étourdissements. Il devint malade, ne pouvant plus parler ni +manger. C'était sous sa langue une épaisseur comme en ont les +poules quelquefois. Elle le guérit en arrachant cette +pellicule avec ses ongles. M. Paul, un jour, eut l'imprudence +de lui souffler aux narines la fumée d'un cigare; une autre +fois que Mme Lormeau l'agaçait du bout de son ombrelle, il en +happa la virole; enfin, il se perdit. + +Elle l'avait posé sur l'herbe pour le rafraîchir, s'absenta +une minute; et, quand elle revint, plus de perroquet! D'abord +elle le chercha dans les buissons, au bord de l'eau et sur les +toits, sans écouter sa maîtresse qui lui criait: + +-- Prenez donc garde! vous êtes folle! + +Ensuite elle inspecta tous les jardins de Pont l'Evêque; et +elle arrêtait les passants. + +-- Vous n'auriez pas vu, quelquefois, par hasard, mon +perroquet? + +A ceux qui ne connaissaient pas le perroquet, elle en faisait +la description. Tout à coup, elle crut distinguer derrière les +moulins, au bas de la côte, une chose verte qui voltigeait. +Mais au haut de la côte, rien! Un porte-balle lui affirma +qu'il l'avait rencontré tout à l'heure, à Sainte-Melaine, dans +la boutique de la mère Simon. Elle y courut. On ne savait pas +ce qu'elle voulait dire. Enfin elle rentra, épuisée, les +savates en lambeaux, la mort dans l'âme; et, assise au milieu +du banc, près de Madame, elle racontait toutes ses démarches +quand un poids léger lui tomba sur l'épaule: Loulou! Que +diable avait-il fait? Peut être qu'il s'était promené aux +environs? + +Elle eut du mal à s'en remettre, ou plutôt ne s'en remit +jamais. + +Par suite d'un refroidissement, il lui vint une angine; peu de +temps après, un mal d'oreilles. Trois ans plus tard, elle +était sourde; et elle parlait très haut, même à l'église. Bien +que ses péchés auraient pu sans déshonneur pour elle, ni +inconvénient pour le monde, se répandre à tous les coins du +diocèse, M. le curé jugea convenable de ne plus recevoir sa +confession que dans la sacristie. + +Des bourdonnements illusoires achevaient de la troubler. +Souvent sa maîtresse lui disait: + +-- Mon Dieu! comme vous êtes bête! + +Elle répliquait: + +-- Oui, Madame, en cherchant quelque chose autour d'elle. + +Le petit cercle de ses idées se rétrécit encore, et le +carillon des cloches, le mugissement des boeufs n'existaient +plus. Tous les êtres fonctionnaient avec le silence des +fantômes. Un seul bruit arrivait maintenant à ses oreilles, la +voix du perroquet. + +Comme pour la distraire, il reproduisait le tic tac du +tournebroche, l'appel aigu d'un vendeur de poisson, la scie du +menuisier qui logeait en face; et, aux coups de la sonnette, +imitait Mme Aubain. + +-- Félicité! la porte! la porte! + +Ils avaient des dialogues, lui, débitant à satiété les trois +phrases de son répertoire, et elle, y répondant par des mots +sans plus de suite, mais où son coeur s'épanchait. Loulou, +dans son isolement, était presque un fils, un amoureux. Il +escaladait ses doigts, mordillait ses lèvres, se cramponnait à +son fichu; et, comme elle penchait son front en branlant la +tête à la manière des nourrices, les grandes ailes du bonnet +et les ailes de l'oiseau frémissaient ensemble. + +Quand des nuages s'amoncelaient et que le tonnerre grondait, +il poussait des cris, se rappelant peut être les ondées de ses +forêts natales. Le ruissellement de l'eau excitait son délire; +il voletait éperdu, montait au plafond, renversait tout, et +par la fenêtre allait barboter dans le jardin; mais revenait +vite sur un des chenets, et, sautillant pour sécher ses +plumes, montrait tantôt sa queue, tantôt son bec. + +Un matin du terrible hiver de 1837, qu'elle l'avait mis devant +la cheminée, à cause du froid, elle le trouva mort, au milieu +de sa cage, la tête en bas, et les ongles dans les fils de +fer. Une congestion l'avait tué, sans doute? Elle crut à un +empoisonnement par le persil; et malgré l'absence de toutes +preuves, ses soupçons portèrent sur Fabu. + +Elle pleura tellement que sa maîtresse lui dit: + +-- Eh bien! faites-le empailler! + +Elle demanda conseil au pharmacien, qui avait toujours été bon +pour le perroquet. + +Il écrivit au Havre. Un certain Fellacher se chargea de cette +besogne. Mais, comme la diligence égarait parfois les colis, +elle résolut de le porter elle-même jusqu'à Honfleur. + +Les pommiers sans feuilles se succédaient aux bords de la +route. De la glace couvrait les fossés. Des chiens aboyaient +autour des fermes; et les mains sous son mantelet, avec ses +petits sabots noirs et son cabas, elle marchait prestement, +sur le milieu du pavé. + +Elle traversa la forêt, dépassa le Haut-Chêne, atteignit +Saint-Gatien. + +Derrière elle, dans un nuage de poussière et emportée par la +descente, une malle-poste au grand galop se précipitait comme +une trombe. En voyant cette femme qui ne se dérangeait pas, le +conducteur se dressa par-dessus la capote, et le postillon +criait aussi, pendant que ses quatre chevaux qu'il ne pouvait +retenir accéléraient leur train; les deux premiers la +frôlaient; d'une secousse de ses guides, il les jeta dans le +débord, mais furieux releva le bras, et à pleine volée, avec +son grand fouet, lui cingla du ventre au chignon un tel coup +qu'elle tomba sur le dos. + +Son premier geste, quand elle reprit connaissance, fut +d'ouvrir son panier. Loulou n'avait rien, heureusement. Elle +sentit une brûlure à la joue droite; ses mains qu'elle y porta +étaient rouges. Le sang coulait. + +Elle s'assit sur un mètre de cailloux, se tamponna le visage +avec son mouchoir, puis elle mangea une croûte de pain, mise +dans son panier par précaution, et se consolait de sa blessure +en regardant l'oiseau. + +Arrivée au sommet d'Ecquemauville, elle aperçut les lumières +de Honfleur qui scintillaient dans la nuit comme une quantité +d'étoiles; la mer, plus loin, s'étalait confusément. Alors une +faiblesse l'arrêta; et la misère de son enfance, la déception +du premier amour, le départ de son neveu, la mort de Virginie, +comme les flots d'une marée, revinrent à la fois, et, lui +montant à la gorge, l'étouffaient. + +Puis elle voulut parler au capitaine du bateau; et, sans dire +ce qu'elle envoyait, lui fit des recommandations. + +Fellacher garda longtemps le perroquet. Il le promettait +toujours pour la semaine prochaine; au bout de six mois, il +annonça le départ d'une caisse; et il n'en fut plus question. +C'était à croire que jamais Loulou ne reviendrait. "Ils me +l'auront volé!" pensait-elle. + +Enfin il arriva, -- et splendide, droit sur une branche +d'arbre, qui se vissait dans un socle d'acajou, une patte en +l'air, la tête oblique, et mordant une noix, que l'empailleur +par amour du grandiose avait dorée. + +Elle l'enferma dans sa chambre. + +Cet endroit, où elle admettait peu de monde, avait l'air tout +à la fois d'une chapelle et d'un bazar, tant il contenait +d'objets religieux et de choses hétéroclites. + +Une grande armoire gênait pour ouvrir la porte. En face de la +fenêtre surplombant le jardin, un oeil-de-boeuf regardait la +cour; une table, près du lit de sangle, supportait un pot à +l'eau, deux peignes, et un cube de savon bleu dans une +assiette ébréchée. On voyait contre les murs: des chapelets, +des médailles, plusieurs bonnes Vierges, un bénitier en noix +de coco; sur la commode, couverte d'un drap comme un autel, la +boîte en coquillages que lui avait donnée Victor; puis un +arrosoir et un ballon, des cahiers d'écriture, la géographie +en estampes, une paire de bottines; et au clou du miroir, +accroché par ses rubans, le petit chapeau de peluche! Félicité +poussait même ce genre de respect si loin, qu'elle conservait +une des redingotes de Monsieur. Toutes les vieilleries dont ne +voulait plus Mme Aubain, elle les prenait pour sa chambre. +C'est ainsi qu'il y avait des fleurs artificielles au bord de +la commode, et le portrait du comte d'Artois dans +l'enfoncement de la lucarne. + +Au moyen d'une planchette, Loulou fut établi sur un corps de +cheminée qui avançait dans l'appartement. Chaque matin, en +s'éveillant, elle l'apercevait à la clarté de l'aube, et se +rappelait alors les jours disparus, et d'insignifiantes +actions jusqu'en leurs moindres détails, sans douleur, pleine +de tranquillité. + +Ne communiquant avec personne, elle vivait dans une torpeur de +somnambule. Les processions de la Fête-Dieu la ranimaient. +Elle allait quêter chez les voisines des flambeaux et des +paillassons afin d'embellir le reposoir que l'on dressait dans +la rue. + +A l'église, elle contemplait toujours le Saint Esprit, et +observa qu'il avait quelque chose du perroquet. Sa +ressemblance lui parut encore plus manifeste sur une image +d'Epinal, représentant le baptême de Notre-Seigneur. Avec ses +ailes de pourpre et son corps d'émeraude, c'était vraiment le +portrait de Loulou. + +L'ayant acheté, elle le suspendit à la place du comte +d'Artois, -- de sorte que, du même coup d'oeil, elle les voyait +ensemble. Ils s'associèrent dans sa pensée, le perroquet se +trouvant sanctifié par ce rapport avec le Saint-Esprit, qui +devenait plus vivant à ses yeux et intelligible. Le Père, pour +s'énoncer, n'avait pu choisir une colombe, puisque ces bêtes-là +n'ont pas de voix, mais plutôt un des ancêtres de Loulou. +Et Félicité priait en regardant l'image, mais de temps à autre +se tournait un peu vers l'oiseau. + +Elle eut envie de se mettre dans les demoiselles de la Vierge. +Mme Aubain l'en dissuada. + +Un événement considérable surgit: le mariage de Paul. + +Après avoir été d'abord clerc de notaire, puis dans le +commerce, dans la douane, dans les contributions, et même +avoir commencé des démarches pour les eaux et forêts, à +trente-six ans, tout à coup, par une inspiration du ciel, il +avait découvert sa voie: l'enregistrement! et y montrait de si +hautes facultés qu'un vérificateur lui avait offert sa fille, +en lui promettant sa protection. + +Paul, devenu sérieux, l'amena chez sa mère. + +Elle dénigra les usages de Pont-l'Evêque, fit la princesse, +blessa Félicité. Mme Aubain, à son départ, sentit un +allégement. + +La semaine suivante, on apprit la mort de M. Bourais, en basse +Bretagne, dans une auberge. La rumeur d'un suicide se +confirma; des doutes s'élevèrent sur sa probité. Mme Aubain +étudia ses comptes, et ne tarda pas à connaître la kyrielle de +ses noirceurs: détournements d'arrérages, ventes de bois +dissimulées, fausses quittances, etc. De plus, il avait un +enfant naturel, et "des relations avec une personne de +Dozulé". + +Ces turpitudes l'affligèrent beaucoup. Au mois de mars 1853, +elle fut prise d'une douleur dans la poitrine; sa langue +paraissait couverte de fumée, les sangsues ne calmèrent pas +l'oppression; et le neuvième soir elle expira, ayant juste +soixante-douze ans. + +On la croyait moins vieille à cause de ses cheveux bruns, dont +les bandeaux entouraient sa figure blême, marquée de petite +vérole. Peu d'amis la regrettèrent, ses façons étant d'une +hauteur qui éloignait. + +Félicité la pleura, comme on ne pleure pas les maîtres. Que +Madame mourût avant elle, cela troublait ses idées, lui +semblait contraire à l'ordre des choses, inadmissible et +monstrueux. + +Dix jours après (le temps d'accourir de Besançon), les +héritiers survinrent. La bru fouilla les tiroirs, choisit des +meubles, vendit les autres, puis ils regagnèrent +l'enregistrement. + +Le fauteuil de Madame, son guéridon, sa chaufferette, les huit +chaises, étaient partis! La place des gravures se dessinait en +carrés jaunes au milieu des cloisons. Ils avaient emporté les +deux couchettes, avec leurs matelas, et dans le placard on ne +voyait plus rien de toutes les affaires de Virginie. Félicité +remonta les étages, ivre de tristesse. + +Le lendemain il y avait sur la porte une affiche; +l'apothicaire lui cria dans l'oreille que la maison était à +vendre. + +Elle chancela, et fut obligée de s'asseoir. + +Ce qui la désolait principalement, c'était d'abandonner sa +chambre, -- si commode pour le pauvre Loulou. En l'enveloppant +d'un regard d'angoisse, elle implorait le Saint-Esprit, et +contracta l'habitude idolâtre de dire ses oraisons agenouillée +devant le perroquet. Quelquefois, le soleil entrant par la +lucarne frappait son oeil de verre, et en faisait jaillir un +grand rayon lumineux qui la mettait en extase. + +Elle avait une rente de trois cent quatre-vingts francs, +léguée par sa maîtresse. Le jardin lui fournissait des +légumes. Quant aux habits, elle possédait de quoi se vêtir +jusqu'à la fin de ses jours, et épargnait l'éclairage en se +couchant dès le crépuscule. + +Elle ne sortait guère, afin d'éviter la boutique du +brocanteur, où s'étalaient quelques-uns des anciens meubles. +Depuis son étourdissement, elle traînait une jambe; et, ses +forces diminuant, la mère Simon, ruinée dans l'épicerie, +venait tous les matins fendre son bois et pomper de l'eau. + +Ses yeux s'affaiblirent. Les persiennes n'ouvraient plus. Bien +des années se passèrent. Et la maison ne se louait pas, et ne +se vendait pas. + +Dans la crainte qu'on ne la renvoyât, Félicité ne demandait +aucune réparation. Les lattes du toit pourrissaient; pendant +tout un hiver son traversin fut mouillé. Après Pâques, elle +cracha du sang. + +Alors la mère Simon eut recours à un docteur. Félicité voulut +savoir ce qu'elle avait. Mais, trop sourde pour entendre, un +seul mot lui parvint: "Pneumonie." Il lui était connu, et elle +répliqua doucement: + +-- Ah! comme Madame, trouvant naturel de suivre sa maîtresse. + +Le moment des reposoirs approchait. + +Le premier était toujours au bas de la côte, le second devant +la poste, le troisième vers le milieu de la rue. Il y eut des +rivalités à propos de celui-là; et les paroissiennes +choisirent finalement la cour de Mme Aubain. + +Les oppressions et la fièvre augmentaient. Félicité se +chagrinait de ne rien faire pour le reposoir. Au moins, si +elle avait pu y mettre quelque chose! Alors elle songea au +perroquet. Ce n'était pas convenable, objectèrent les +voisines. Mais le curé accorda cette permission; elle en fut +tellement heureuse qu'elle le pria d'accepter, quand elle +serait morte, Loulou, sa seule richesse. + +Du mardi au samedi, veille de la Fête-Dieu, elle toussa plus +fréquemment. Le soir son visage était grippé, ses lèvres se +collaient à ses gencives, des vomissements parurent; et le +lendemain, au petit jour, se sentant très bas, elle fit +appeler un prêtre. + +Trois bonnes femmes l'entouraient pendant l'extrême-onction. +Puis elle déclara qu'elle avait besoin de parler à Fabu. + +Il arriva en toilette des dimanches, mal à son aise dans cette +atmosphère lugubre. + +-- Pardonnez-moi, dit-elle avec un effort pour étendre le bras, +je croyais que c'était vous qui l'aviez tué! + +Que signifiaient des potins pareils? L'avoir soupçonné d'un +meurtre, un homme comme lui! et il s'indignait, allait faire +du tapage. + +-- Elle n'a plus sa tête, vous voyez bien! + +Félicité de temps à autre parlait à des ombres. + +Les bonnes femmes s'éloignèrent. La Simonne déjeuna. + +Un peu plus tard, elle prit Loulou, et, l'approchant de +Félicité: + +-- Allons! dites-lui adieu! + +Bien qu'il ne fût pas un cadavre, les vers le dévoraient; une +de ses ailes était cassée, l'étoupe lui sortait du ventre. +Mais, aveugle à présent, elle le baisa au front, et le gardait +contre sa joue. La Simonne le reprit, pour le mettre sur le +reposoir. + + + + +V + + +Les herbages envoyaient l'odeur de l'été; des mouches +bourdonnaient; le soleil faisait luire la rivière, chauffait +les ardoises. La mère Simon, revenue dans la chambre, +s'endormait doucement. + +Des coups de cloche la réveillèrent; on sortait des vêpres. Le +délire de Félicité tomba. En songeant à la procession, elle la +voyait, comme si elle l'eût suivie. + +Tous les enfants des écoles, les chantres et les pompiers +marchaient sur les trottoirs tandis qu'au milieu de la rue, +s'avançaient premièrement: le suisse armé de sa hallebarde, le +bedeau avec une grande croix, l'instituteur surveillant les +gamins, la religieuse inquiète de ses petites filles; trois +des plus mignonnes, frisées comme des anges, jetaient dans +l'air des pétales de roses; le diacre, les bras écartés, +modérait la musique; et deux encenseurs se retournaient à +chaque pas vers le Saint-Sacrement, que portait, sous un dais +de velours ponceau tenu par quatre fabriciens, M. le curé, +dans sa belle chasuble. Un flot de monde se poussait derrière, +entre les nappes blanches couvrant le mur des maisons; et l'on +arriva au bas de la côte. + +Une sueur froide mouillait les tempes de Félicité. La Simonne +l'épongeait avec un linge, en se disant qu'un jour il lui +faudrait passer par là. + +Le murmure de la foule grossit, fut un moment très fort, +s'éloignait. + +Une fusillade ébranla les carreaux. C'était les postillons +saluant l'ostensoir. Félicité roula ses prunelles, et elle +dit, le moins bas qu'elle put: + +-- Est il bien? tourmentée du perroquet. + +Son agonie commença. Un râle, de plus en plus précipité, lui +soulevait les côtes. Des bouillons d'écume venaient aux coins +de sa bouche, et tout son corps tremblait. + +Bientôt, on distingua le ronflement des ophicléides, les voix +claires des enfants, la voix profonde des hommes. Tout se +taisait par intervalles, et le battement des pas, que des +fleurs amortissaient, faisait le bruit d'un troupeau sur du +gazon. + +Le clergé parut dans la cour. La Simonne grimpa sur une chaise +pour atteindre à l'oeil-de-boeuf, et de cette manière dominait +le reposoir. + +Des guirlandes vertes pendaient sur l'autel, orné d'un falbala +en point d'Angleterre. Il y avait au milieu un petit cadre +enfermant des reliques, deux orangers dans les angles, et, +tout le long, des flambeaux d'argent et des vases en +porcelaine, d'où s'élançaient des tournesols, des lis, des +pivoines, des digitales, des touffes d'hortensias. Ce monceau +de couleurs éclatantes descendait obliquement, du premier +étage jusqu'au tapis se prolongeant sur les pavés; et des +choses rares tiraient les yeux. Un sucrier de vermeil avait +une couronne de violettes, des pendeloques en pierres +d'Alençon brillaient sur de la mousse, deux écrans chinois +montraient leurs paysages. Loulou, caché sous des roses, ne +laissait voir que son front bleu, pareil à une plaque de +lapis. + + +Les fabriciens, les chantres, les enfants se rangèrent sur les +trois côtés de la cour. Le prêtre gravit lentement les +marches, et posa sur la dentelle son grand soleil d'or qui +rayonnait. Tous s'agenouillèrent. Il se fit un grand silence. +Et les encensoirs, allant à pleine volée, glissaient sur leurs +chaînettes. + +Une vapeur d'azur monta dans la chambre de Félicité. Elle +avança les narines, en la humant avec une sensualité mystique; +puis ferma les paupières. Ses lèvres souriaient. Les +mouvements de son coeur se ralentirent un à un, plus vagues +chaque fois, plus doux, comme une fontaine s'épuise, comme un +écho disparaît; et, quand elle exhala son dernier souffle, +elle crut voir, dans les cieux entr'ouverts, un perroquet +gigantesque, planant au-dessus de sa tête. + + + + +Erreurs typographiques: + +=buttaient= remplacé par =butaient= + + + + + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of Un coeur simple, by Gustave Flaubert + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK UN COEUR SIMPLE *** + +***** This file should be named 26812-8.txt or 26812-8.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + https://www.gutenberg.org/2/6/8/1/26812/ + +Produced by Daniel Fromont + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. Special rules, +set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to +copying and distributing Project Gutenberg-tm electronic works to +protect the PROJECT GUTENBERG-tm concept and trademark. Project +Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you +charge for the eBooks, unless you receive specific permission. If you +do not charge anything for copies of this eBook, complying with the +rules is very easy. You may use this eBook for nearly any purpose +such as creation of derivative works, reports, performances and +research. They may be modified and printed and given away--you may do +practically ANYTHING with public domain eBooks. Redistribution is +subject to the trademark license, especially commercial +redistribution. + + + +*** START: FULL LICENSE *** + +THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE +PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK + +To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free +distribution of electronic works, by using or distributing this work +(or any other work associated in any way with the phrase "Project +Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full Project +Gutenberg-tm License (available with this file or online at +https://gutenberg.org/license). + + +Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg-tm +electronic works + +1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm +electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to +and accept all the terms of this license and intellectual property +(trademark/copyright) agreement. If you do not agree to abide by all +the terms of this agreement, you must cease using and return or destroy +all copies of Project Gutenberg-tm electronic works in your possession. +If you paid a fee for obtaining a copy of or access to a Project +Gutenberg-tm electronic work and you do not agree to be bound by the +terms of this agreement, you may obtain a refund from the person or +entity to whom you paid the fee as set forth in paragraph 1.E.8. + +1.B. "Project Gutenberg" is a registered trademark. It may only be +used on or associated in any way with an electronic work by people who +agree to be bound by the terms of this agreement. There are a few +things that you can do with most Project Gutenberg-tm electronic works +even without complying with the full terms of this agreement. See +paragraph 1.C below. There are a lot of things you can do with Project +Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this agreement +and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic +works. See paragraph 1.E below. + +1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the Foundation" +or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project +Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual works in the +collection are in the public domain in the United States. If an +individual work is in the public domain in the United States and you are +located in the United States, we do not claim a right to prevent you from +copying, distributing, performing, displaying or creating derivative +works based on the work as long as all references to Project Gutenberg +are removed. Of course, we hope that you will support the Project +Gutenberg-tm mission of promoting free access to electronic works by +freely sharing Project Gutenberg-tm works in compliance with the terms of +this agreement for keeping the Project Gutenberg-tm name associated with +the work. You can easily comply with the terms of this agreement by +keeping this work in the same format with its attached full Project +Gutenberg-tm License when you share it without charge with others. + +1.D. The copyright laws of the place where you are located also govern +what you can do with this work. Copyright laws in most countries are in +a constant state of change. If you are outside the United States, check +the laws of your country in addition to the terms of this agreement +before downloading, copying, displaying, performing, distributing or +creating derivative works based on this work or any other Project +Gutenberg-tm work. The Foundation makes no representations concerning +the copyright status of any work in any country outside the United +States. + +1.E. Unless you have removed all references to Project Gutenberg: + +1.E.1. The following sentence, with active links to, or other immediate +access to, the full Project Gutenberg-tm License must appear prominently +whenever any copy of a Project Gutenberg-tm work (any work on which the +phrase "Project Gutenberg" appears, or with which the phrase "Project +Gutenberg" is associated) is accessed, displayed, performed, viewed, +copied or distributed: + +This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with +almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + +1.E.2. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is derived +from the public domain (does not contain a notice indicating that it is +posted with permission of the copyright holder), the work can be copied +and distributed to anyone in the United States without paying any fees +or charges. If you are redistributing or providing access to a work +with the phrase "Project Gutenberg" associated with or appearing on the +work, you must comply either with the requirements of paragraphs 1.E.1 +through 1.E.7 or obtain permission for the use of the work and the +Project Gutenberg-tm trademark as set forth in paragraphs 1.E.8 or +1.E.9. + +1.E.3. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is posted +with the permission of the copyright holder, your use and distribution +must comply with both paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 and any additional +terms imposed by the copyright holder. Additional terms will be linked +to the Project Gutenberg-tm License for all works posted with the +permission of the copyright holder found at the beginning of this work. + +1.E.4. Do not unlink or detach or remove the full Project Gutenberg-tm +License terms from this work, or any files containing a part of this +work or any other work associated with Project Gutenberg-tm. + +1.E.5. Do not copy, display, perform, distribute or redistribute this +electronic work, or any part of this electronic work, without +prominently displaying the sentence set forth in paragraph 1.E.1 with +active links or immediate access to the full terms of the Project +Gutenberg-tm License. + +1.E.6. You may convert to and distribute this work in any binary, +compressed, marked up, nonproprietary or proprietary form, including any +word processing or hypertext form. However, if you provide access to or +distribute copies of a Project Gutenberg-tm work in a format other than +"Plain Vanilla ASCII" or other format used in the official version +posted on the official Project Gutenberg-tm web site (www.gutenberg.org), +you must, at no additional cost, fee or expense to the user, provide a +copy, a means of exporting a copy, or a means of obtaining a copy upon +request, of the work in its original "Plain Vanilla ASCII" or other +form. Any alternate format must include the full Project Gutenberg-tm +License as specified in paragraph 1.E.1. + +1.E.7. Do not charge a fee for access to, viewing, displaying, +performing, copying or distributing any Project Gutenberg-tm works +unless you comply with paragraph 1.E.8 or 1.E.9. + +1.E.8. You may charge a reasonable fee for copies of or providing +access to or distributing Project Gutenberg-tm electronic works provided +that + +- You pay a royalty fee of 20% of the gross profits you derive from + the use of Project Gutenberg-tm works calculated using the method + you already use to calculate your applicable taxes. The fee is + owed to the owner of the Project Gutenberg-tm trademark, but he + has agreed to donate royalties under this paragraph to the + Project Gutenberg Literary Archive Foundation. Royalty payments + must be paid within 60 days following each date on which you + prepare (or are legally required to prepare) your periodic tax + returns. Royalty payments should be clearly marked as such and + sent to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation at the + address specified in Section 4, "Information about donations to + the Project Gutenberg Literary Archive Foundation." + +- You provide a full refund of any money paid by a user who notifies + you in writing (or by e-mail) within 30 days of receipt that s/he + does not agree to the terms of the full Project Gutenberg-tm + License. You must require such a user to return or + destroy all copies of the works possessed in a physical medium + and discontinue all use of and all access to other copies of + Project Gutenberg-tm works. + +- You provide, in accordance with paragraph 1.F.3, a full refund of any + money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the + electronic work is discovered and reported to you within 90 days + of receipt of the work. + +- You comply with all other terms of this agreement for free + distribution of Project Gutenberg-tm works. + +1.E.9. If you wish to charge a fee or distribute a Project Gutenberg-tm +electronic work or group of works on different terms than are set +forth in this agreement, you must obtain permission in writing from +both the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and Michael +Hart, the owner of the Project Gutenberg-tm trademark. Contact the +Foundation as set forth in Section 3 below. + +1.F. + +1.F.1. Project Gutenberg volunteers and employees expend considerable +effort to identify, do copyright research on, transcribe and proofread +public domain works in creating the Project Gutenberg-tm +collection. Despite these efforts, Project Gutenberg-tm electronic +works, and the medium on which they may be stored, may contain +"Defects," such as, but not limited to, incomplete, inaccurate or +corrupt data, transcription errors, a copyright or other intellectual +property infringement, a defective or damaged disk or other medium, a +computer virus, or computer codes that damage or cannot be read by +your equipment. + +1.F.2. LIMITED WARRANTY, DISCLAIMER OF DAMAGES - Except for the "Right +of Replacement or Refund" described in paragraph 1.F.3, the Project +Gutenberg Literary Archive Foundation, the owner of the Project +Gutenberg-tm trademark, and any other party distributing a Project +Gutenberg-tm electronic work under this agreement, disclaim all +liability to you for damages, costs and expenses, including legal +fees. YOU AGREE THAT YOU HAVE NO REMEDIES FOR NEGLIGENCE, STRICT +LIABILITY, BREACH OF WARRANTY OR BREACH OF CONTRACT EXCEPT THOSE +PROVIDED IN PARAGRAPH F3. YOU AGREE THAT THE FOUNDATION, THE +TRADEMARK OWNER, AND ANY DISTRIBUTOR UNDER THIS AGREEMENT WILL NOT BE +LIABLE TO YOU FOR ACTUAL, DIRECT, INDIRECT, CONSEQUENTIAL, PUNITIVE OR +INCIDENTAL DAMAGES EVEN IF YOU GIVE NOTICE OF THE POSSIBILITY OF SUCH +DAMAGE. + +1.F.3. LIMITED RIGHT OF REPLACEMENT OR REFUND - If you discover a +defect in this electronic work within 90 days of receiving it, you can +receive a refund of the money (if any) you paid for it by sending a +written explanation to the person you received the work from. If you +received the work on a physical medium, you must return the medium with +your written explanation. The person or entity that provided you with +the defective work may elect to provide a replacement copy in lieu of a +refund. If you received the work electronically, the person or entity +providing it to you may choose to give you a second opportunity to +receive the work electronically in lieu of a refund. If the second copy +is also defective, you may demand a refund in writing without further +opportunities to fix the problem. + +1.F.4. Except for the limited right of replacement or refund set forth +in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS' WITH NO OTHER +WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT LIMITED TO +WARRANTIES OF MERCHANTIBILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE. + +1.F.5. Some states do not allow disclaimers of certain implied +warranties or the exclusion or limitation of certain types of damages. +If any disclaimer or limitation set forth in this agreement violates the +law of the state applicable to this agreement, the agreement shall be +interpreted to make the maximum disclaimer or limitation permitted by +the applicable state law. The invalidity or unenforceability of any +provision of this agreement shall not void the remaining provisions. + +1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the +trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone +providing copies of Project Gutenberg-tm electronic works in accordance +with this agreement, and any volunteers associated with the production, +promotion and distribution of Project Gutenberg-tm electronic works, +harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees, +that arise directly or indirectly from any of the following which you do +or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm +work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any +Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause. + + +Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm + +Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of +electronic works in formats readable by the widest variety of computers +including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists +because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from +people in all walks of life. + +Volunteers and financial support to provide volunteers with the +assistance they need, is critical to reaching Project Gutenberg-tm's +goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will +remain freely available for generations to come. In 2001, the Project +Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure +and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. +To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation +and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 +and the Foundation web page at https://www.pglaf.org. + + +Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive +Foundation + +The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit +501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the +state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal +Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification +number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at +https://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent +permitted by U.S. federal laws and your state's laws. + +The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. +Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered +throughout numerous locations. Its business office is located at +809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email +business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact +information can be found at the Foundation's web site and official +page at https://pglaf.org + +For additional contact information: + Dr. Gregory B. Newby + Chief Executive and Director + gbnewby@pglaf.org + + +Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation + +Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide +spread public support and donations to carry out its mission of +increasing the number of public domain and licensed works that can be +freely distributed in machine readable form accessible by the widest +array of equipment including outdated equipment. Many small donations +($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt +status with the IRS. + +The Foundation is committed to complying with the laws regulating +charities and charitable donations in all 50 states of the United +States. Compliance requirements are not uniform and it takes a +considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up +with these requirements. We do not solicit donations in locations +where we have not received written confirmation of compliance. To +SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any +particular state visit https://pglaf.org + +While we cannot and do not solicit contributions from states where we +have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition +against accepting unsolicited donations from donors in such states who +approach us with offers to donate. + +International donations are gratefully accepted, but we cannot make +any statements concerning tax treatment of donations received from +outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff. + +Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation +methods and addresses. Donations are accepted in a number of other +ways including including checks, online payments and credit card +donations. To donate, please visit: https://pglaf.org/donate + + +Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic +works. + +Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm +concept of a library of electronic works that could be freely shared +with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project +Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support. + + +Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed +editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S. +unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily +keep eBooks in compliance with any particular paper edition. + + +Most people start at our Web site which has the main PG search facility: + + https://www.gutenberg.org + +This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, +including how to make donations to the Project Gutenberg Literary +Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to +subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. diff --git a/26812-8.zip b/26812-8.zip Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..c7ad6e7 --- /dev/null +++ b/26812-8.zip diff --git a/LICENSE.txt b/LICENSE.txt new file mode 100644 index 0000000..6312041 --- /dev/null +++ b/LICENSE.txt @@ -0,0 +1,11 @@ +This eBook, including all associated images, markup, improvements, +metadata, and any other content or labor, has been confirmed to be +in the PUBLIC DOMAIN IN THE UNITED STATES. + +Procedures for determining public domain status are described in +the "Copyright How-To" at https://www.gutenberg.org. + +No investigation has been made concerning possible copyrights in +jurisdictions other than the United States. Anyone seeking to utilize +this eBook outside of the United States should confirm copyright +status under the laws that apply to them. diff --git a/README.md b/README.md new file mode 100644 index 0000000..61c7c22 --- /dev/null +++ b/README.md @@ -0,0 +1,2 @@ +Project Gutenberg (https://www.gutenberg.org) public repository for +eBook #26812 (https://www.gutenberg.org/ebooks/26812) |
