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+The Project Gutenberg EBook of Un coeur simple, by Gustave Flaubert
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
+
+
+Title: Un coeur simple
+
+Author: Gustave Flaubert
+
+Release Date: October 7, 2008 [EBook #26812]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: ISO-8859-1
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK UN COEUR SIMPLE ***
+
+
+
+
+Produced by Daniel Fromont
+
+
+
+
+
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+
+
+
+[Transcriber's note: Gustave FLAUBERT (1821-1880),
+_Un coeur simple_, 1877, édition de 1910]
+
+
+
+
+
+OEUVRES COMPLETES
+
+DE
+
+GUSTAVE FLAUBERT
+
+
+(...)
+
+
+UN COEUR SIMPLE
+
+
+(...)
+
+
+PARIS
+
+LOUIS CONARD, LIBRAIRE-EDITEUR
+
+17, BOULEVARD DE LA MADELEINE, 17
+
+MDCCCCX
+
+
+(...)
+
+
+UN COEUR SIMPLE
+
+
+
+
+
+
+I
+
+
+Pendant un demi-siècle, les bourgeoises de Pont l'Evêque
+envièrent à Mme Aubain sa servante Félicité.
+
+Pour cent francs par an, elle faisait la cuisine et le ménage,
+cousait, lavait, repassait, savait brider un cheval,
+engraisser les volailles, battre le beurre, et resta fidèle à
+sa maîtresse, -- qui cependant n'était pas une personne
+agréable.
+
+Elle avait épousé un beau garçon sans fortune, mort au
+commencement de 1809, en lui laissant deux enfants très jeunes
+avec une quantité de dettes. Alors elle vendit ses immeubles,
+sauf la ferme de Toucques et la ferme de Geffosses, dont les
+rentes montaient à 5, 000 francs tout au plus, et elle quitta
+sa maison de Saint-Melaine pour en habiter une autre moins
+dispendieuse, ayant appartenu à ses ancêtres et placée
+derrière les halles.
+
+Cette maison, revêtue d'ardoises, se trouvait entre un passage
+et une ruelle aboutissant à la rivière. Elle avait
+intérieurement des différences de niveau qui faisaient
+trébucher. Un vestibule étroit séparait la cuisine de la _salle_
+où Mme Aubain se tenait tout le long du jour, assise près de
+la croisée dans un fauteuil de paille. Contre le lambris,
+peint en blanc, s'alignaient huit chaises d'acajou. Un vieux
+piano supportait, sous un baromètre, un tas pyramidal de
+boîtes et de cartons. Deux bergères de tapisserie flanquaient
+la chemisée en marbre jaune et de style Louis XV. La pendule,
+au milieu, représentait un temple de Vesta, -- et tout
+l'appartement sentait un peu le moisi, car le plancher était
+plus bas que le jardin.
+
+Au premier étage, il y avait d'abord la chambre de "Madame",
+très grande, tendue d'un papier à fleurs pâles, et contenant
+le portrait de "Monsieur" en costume de muscadin. Elle
+communiquait avec une chambre plus petite, où l'on voyait deux
+couchettes d'enfants, sans matelas. Puis venait le salon,
+toujours fermé, et rempli de meubles recouverts d'un drap.
+Ensuite un corridor menait à un cabinet d'études; des livres
+et des paperasses garnissaient les rayons d'une bibliothèque
+entourant de ses trois côtés un large bureau de bois noir. Les
+deux panneaux en retour disparaissaient sous des dessins à la
+plume, des paysages à la gouache et des gravures d'Audran,
+souvenirs d'un temps meilleur et d'un luxe évanoui. Une
+lucarne au second étage éclairait la chambre de Félicité,
+ayant vue sur les prairies.
+
+Elle se levait dès l'aube, pour ne pas manquer la messe, et
+travaillait jusqu'au soir sans interruption; puis, le dîner
+étant fini, la vaisselle en ordre et la porte bien close, elle
+enfouissait la bûche sous les cendres et s'endormait devant
+l'âtre, son rosaire à la main. Personne, dans les
+marchandages, ne montrait plus d'entêtement. Quant à la
+propreté, le poli de ses casseroles faisait le désespoir des
+autres servantes. Econome, elle mangeait avec lenteur, et
+recueillait du doigt sur la table les miettes de son pain, --
+un pain de douze livres, cuit exprès pour elle, et qui durait
+vingt jours.
+
+En toute saison, elle portait un mouchoir d'indienne fixé dans
+le dos par une épingle, un bonnet lui cachant les cheveux, des
+bas gris, un jupon rouge, et par-dessus sa camisole un tablier
+à bavette, comme les infirmières d'hôpital.
+
+Son visage était maigre et sa voix aiguë. A vingt-cinq ans, on
+lui en donnait quarante. Dès la cinquantaine, elle ne marqua
+plus aucun âge; -- et, toujours silencieuse, la taille droite
+et les gestes mesurés, semblait une femme en bois,
+fonctionnant d'une manière automatique.
+
+
+
+
+II
+
+
+Elle avait eu, comme une autre, son histoire d'amour.
+
+Son père, un maçon, s'était tué en tombant d'un échafaudage.
+Puis sa mère mourut, ses soeurs se dispersèrent, un fermier la
+recueillit, et l'employa toute petite à garder les vaches dans
+la campagne. Elle grelottait sous des haillons, buvait à plat
+ventre l'eau des mares, à propos de rien était battue, et
+finalement fut chassée pour un vol de trente sols, qu'elle
+n'avait pas commis. Elle entra dans une autre ferme, y devint
+fille de basse-cour, et, comme elle plaisait aux patrons, ses
+camarades la jalousaient.
+
+Un soir du mois d'août (elle avait alors dix-huit ans), ils
+l'entraînèrent à l'assemblée de Colleville. Tout de suite elle
+fut étourdie, stupéfaite par le tapage des ménétriers, les
+lumières dans les arbres, la bigarrure des costumes, les
+dentelles, les croix d'or, cette masse de monde sautant à la
+fois. Elle se tenait à l'écart modestement, quand un jeune
+homme d'apparence cossue, et qui fumait sa pipe les deux
+coudes sur le timon d'un banneau, vint l'inviter à la danse.
+Il lui paya du cidre, du café, de la galette, un foulard, et,
+s'imaginant qu'elle le devinait, offrit de la reconduire. Au
+bord d'un champ d'avoine, il la renversa brutalement. Elle eut
+peur et se mit à crier. Il s'éloigna.
+
+Un autre soir, sur la route de Beaumont, elle voulut dépasser
+un grand chariot de foin qui avançait lentement, et en frôlant
+les roues elle reconnut Théodore.
+
+Il l'aborda d'un air tranquille, disant qu'il fallait tout
+pardonner, puisque c'était "la faute de la boisson ".
+
+Elle ne sut que répondre et avait envie de s'enfuir.
+
+Aussitôt il parla des récoltes et des notables de la commune,
+car son père avait abandonné Colleville pour la ferme des
+Ecots, de sorte que maintenant ils se trouvaient voisins.
+
+-- Ah! dit-elle.
+
+Il ajouta qu'on désirait l'établir. Du reste, il n'était pas
+pressé, et attendait une femme à son goût. Elle baissa la
+tête. Alors il lui demanda si elle pensait au mariage. Elle
+reprit, en souriant, que c'était mal de se moquer.
+
+-- Mais non, je vous jure!
+
+Et du bras gauche il lui entoura la taille; elle marchait
+soutenue par son étreinte; ils se ralentirent. Le vent était
+mou, les étoiles brillaient, l'énorme charretée de foin
+oscillait devant eux; et les quatre chevaux, en traînant leurs
+pas, soulevaient de la poussière. Puis, sans commandement, ils
+tournèrent à droite. Il l'embrassa encore une fois. Elle
+disparut dans l'ombre.
+
+Théodore, la semaine suivante, en obtint des rendez-vous.
+
+Ils se rencontraient au fond des cours, derrière un mur, sous
+un arbre isolé. Elle n'était pas innocente à la manière des
+demoiselles, -- les animaux l'avaient instruite; -- mais la
+raison et l'instinct de l'honneur l'empêchèrent de faillir.
+Cette résistance exaspéra l'amour de Théodore, si bien que
+pour le satisfaire (ou naïvement peut-être) il proposa de
+l'épouser. Elle hésitait à le croire. Il fit de grands
+serments.
+
+Bientôt il avoua quelque chose de fâcheux: ses parents,
+l'année dernière, lui avaient acheté un homme; mais d'un jour
+à l'autre on pourrait le reprendre; l'idée de servir
+l'effrayait. Cette couardise fut pour Félicité une preuve de
+tendresse; la sienne en redoubla. Elle s'échappait la nuit,
+et, parvenue au rendez-vous, Théodore la torturait avec ses
+inquiétudes et ses instances.
+
+Enfin, il annonça qu'il irait lui-même à la Préfecture prendre
+des informations, et les apporterait dimanche prochain, entre
+onze heures et minuit.
+
+Le moment arrivé, elle courut vers l'amoureux.
+
+A sa place, elle trouva un de ses amis.
+
+Il lui apprit qu'elle ne devait plus le revoir. Pour se
+garantir de la conscription, Théodore avait épousé une vieille
+femme très riche, Mme Lehoussais, de Toucques.
+
+Ce fut un chagrin désordonné. Elle se jeta par terre, poussa
+des cris, appela le bon Dieu, et gémit toute seule dans la
+campagne jusqu'au soleil levant. Puis elle revint à la ferme,
+déclara son intention d'en partir; et, au bout du mois, ayant
+reçu ses comptes, elle enferma tout son petit bagage dans un
+mouchoir, et se rendit à Pont-l'Evêque.
+
+Devant l'auberge, elle questionna une bourgeoise en capeline
+de veuve, et qui précisément cherchait une cuisinière. La
+jeune fille ne savait pas grand'chose, mais paraissait avoir
+tant de bonne volonté et si peu d'exigences, que Mme Aubain
+finit par dire:
+
+
+-- Soit, je vous accepte!
+
+Félicité, un quart d'heure après, était installée chez elle.
+
+D'abord elle y vécut dans une sorte de tremblement que lui
+causaient "le genre de la maison" et le souvenir de
+"Monsieur", planant sur tout! Paul et Virginie, l'un âgé de
+sept ans, l'autre de quatre à peine, lui semblaient formés
+d'une matière précieuse; elle les portait sur son dos comme un
+cheval, et Mme Aubain lui défendit de les baiser à chaque
+minute, ce qui la mortifia. Cependant elle se trouvait
+heureuse. La douceur du milieu avait fondu sa tristesse.
+
+Tous les jeudis, des habitués venaient faire une partie de
+boston. Félicité préparait d'avance les cartes et les
+chaufferettes. Ils arrivaient à huit heures bien juste, et se
+retiraient avant le coup de onze.
+
+Chaque lundi matin, le brocanteur qui logeait sous l'allée
+étalait par terre ses ferrailles. Puis la ville se remplissait
+d'un bourdonnement de voix, où se mêlaient des hennissements
+de chevaux, des bêlements d'agneaux, des grognements de
+cochons, avec le bruit sec des carrioles dans la rue. Vers
+midi, au plus fort du marché, on voyait paraître sur le seuil
+un vieux paysan de haute taille, la casquette en arrière, le
+nez crochu, et qui était Robelin, le fermier de Geffosses. Peu
+de temps après, -- c'était Liébard, le fermier de Toucques,
+petit, rouge, obèse, portant une veste grise et des houseaux
+armés d'éperons.
+
+Tous deux offraient à leur propriétaire des poules ou des
+fromages. Félicité invariablement déjouait leurs astuces; et
+ils s'en allaient pleins de considération pour elle.
+
+A des époques indéterminées, Mme Aubain recevait la visite du
+marquis de Gremanville, un de ses oncles, ruiné par la crapule
+et qui vivait à Falaise sur le dernier lopin de ses terres. Il
+se présentait toujours à l'heure du déjeuner, avec un affreux
+caniche dont les pattes salissaient tous les meubles. Malgré
+ses efforts pour paraître gentilhomme jusqu'à soulever son
+chapeau chaque fois qu'il disait: "Feu mon père", l'habitude
+l'entraînant, il se versait à boire coup sur coup, et lâchait
+des gaillardises. Félicité le poussait dehors poliment:
+
+-- Vous en avez assez, M. de Gremanville! A une autre fois!
+
+Et elle refermait la porte.
+
+Elle l'ouvrait avec plaisir devant M. Bourais, ancien avoué.
+Sa cravate blanche et sa calvitie, le jabot de sa chemise, son
+ample redingote brune, sa façon de priser en arrondissant le
+bras, tout son individu lui produisait ce trouble où nous
+jette le spectacle des hommes extraordinaires.
+
+Comme il gérait les propriétés de "Madame", il s'enfermait
+avec elle pendant des heures dans le cabinet de "Monsieur", et
+craignait toujours de se compromettre, respectait infiniment
+la magistrature, avait des prétentions au latin.
+
+Pour instruire les enfants d'une manière agréable, il leur fit
+cadeau d'une géographie en estampes. Elles représentaient
+différentes scènes du monde, des anthropophages coiffés de
+plumes, un singe enlevant une demoiselle, des Bédouins dans le
+désert, une baleine qu'on harponnait, etc.
+
+Paul donna l'explication de ces gravures à Félicité. Ce fut
+même toute son éducation littéraire.
+
+Celle des enfants était faite par Guyot, un pauvre diable
+employé à la Mairie, fameux pour sa belle main, et qui
+repassait son canif sur sa botte.
+
+Quand le temps était clair, on s'en allait de bonne heure à la
+ferme de Geffosses.
+
+La cour est en pente, la maison dans le milieu; et la mer, au
+loin, apparaît comme une tache grise.
+
+Félicité retirait de son cabas des tranches de viande froide;
+et on déjeunait dans un appartement faisant suite à la
+laiterie. Il était le seul reste d'une habitation de
+plaisance, maintenant disparue. Le papier de la muraille en
+lambeaux tremblait aux courants d'air. Mme Aubain penchait son
+front, accablée de souvenirs, les enfants n'osaient plus
+parler.
+
+-- Mais jouez donc! disait-elle.
+
+Ils décampaient.
+
+Paul montait dans la grange, attrapait des oiseaux, faisait
+des ricochets sur la mare, ou tapait avec un bâton les grosses
+futailles qui résonnaient comme des tambours.
+
+Virginie donnait à manger aux lapins, se précipitait pour
+cueillir des bleuets, et la rapidité de ses jambes découvrait
+ses petits pantalons brodés.
+
+Un soir d'automne, on s'en retourna par les herbages.
+
+La lune à son premier quartier éclairait une partie du ciel,
+et un brouillard flottait comme une écharpe sur les sinuosités
+de la Toucques. Des boeufs, étendus au milieu du gazon,
+regardaient tranquillement ces quatre personnes passer. Dans
+la troisième pâture quelques-uns se levèrent, puis se mirent
+en rond devant elles.
+
+-- Ne craignez rien! dit Félicité.
+
+Et, murmurant une sorte de complainte, elle flatta sur
+l'échine celui qui se trouvait le plus près; il fit volte-face,
+les autres l'imitèrent. Mais, quand l'herbage suivant
+fut traversé, un beuglement formidable s'éleva. C'était un
+taureau, que cachait le brouillard. Il avança vers les deux
+femmes. Mme Aubain allât courir.
+
+-- Non! non! moins vite!
+
+Elles pressaient le pas cependant, et entendaient par-derrière
+un souffle sonore qui se rapprochait. Ses sabots, comme des
+marteaux, battaient l'herbe de la prairie; voilà qu'il
+galopait maintenant! Félicité se retourna, et elle arrachait à
+deux mains des plaques de terre qu'elle lui jetait dans les
+yeux. Il baissait le mufle, secouait les cornes et tremblait
+de fureur en beuglant horriblement. Mme Aubain, au bout de
+l'herbage avec ses deux petits, cherchait éperdue comment
+franchir le haut bord. Félicité reculait toujours devant le
+taureau, et continuellement lançait des mottes de gazon qui
+l'aveuglaient, tandis qu'elle criait:
+
+-- Dépêchez-vous! dépêchez-vous!
+
+Mme Aubain descendit le fossé, poussa Virginie, Paul ensuite,
+tomba plusieurs fois en tâchant de gravir le talus, et à force
+de courage y parvint.
+
+Le taureau avait acculé Félicité contre une claire voie; sa
+bave lui rejaillissait à la figure, une seconde de plus il
+l'éventrait. Elle eut le temps de se couler entre deux
+barreaux, et la grosse bête, toute surprise, s'arrêta.
+
+Cet événement, pendant bien des années, fut un sujet de
+conversation à Pont-l'Evêque. Félicité n'en tira aucun
+orgueil, ne se doutant même pas qu'elle eût rien fait
+d'héroïque.
+
+Virginie l'occupait exclusivement; -- car elle eut à la suite
+de son effroi, une affection nerveuse, et M. Poupart, le
+docteur, conseilla les bains de mer de Trouville.
+
+Dans ce temps-là, ils n'étaient pas fréquentés. Mme Aubain
+prit des renseignements, consulta Bourais, fit des préparatifs
+comme pour un long voyage.
+
+Ses colis partirent la veille, dans la charrette de Liébard.
+Le lendemain, il amena deux chevaux dont un avait une selle de
+femme, munie d'un dossier de velours; et sur la croupe du
+second un manteau roulé formait une manière de siège. Mme
+Aubain y monta, derrière lui. Félicité se chargea de Virginie,
+et Paul enfourcha l'âne de M. Lechaptois, prêté sous la
+condition d'en avoir grand soin.
+
+La route était si mauvaise que ses huit kilomètres exigèrent
+deux heures. Les chevaux enfonçaient jusqu'aux paturons dans
+la boue, et faisaient pour en sortir de brusques mouvements
+des hanches; ou bien ils butaient contre les ornières;
+d'autres fois, il leur l'allait sauter. La jument de Liébard,
+à de certains endroits, s'arrêtait tout à coup. Il attendait
+patiemment qu'elle se remît en marche; et il parlait des
+personnes dont les propriétés bordaient la route, ajoutant à
+leur histoire des réflexions morales. Ainsi, au milieu de
+Toucques, comme on passait sous des fenêtres entourées de
+capucines, il dit, avec un haussement d'épaules:
+
+-- En voilà une Mme Lehoussais, qui au lieu de prendre un jeune
+homme...
+
+Félicité n'entendit pas le reste; les chevaux trottaient,
+l'âne galopait; tous enfilèrent un sentier, une barrière
+tourna, deux garçons parurent, et l'on descendit devant le
+purin, sur le seuil même de la porte.
+
+La mère Liébard, en apercevant sa maîtresse, prodigua les
+démonstrations de joie. Elle lui servit un déjeuner où il y
+avait un aloyau, des tripes, du boudin, une fricassée de
+poulet, du cidre mousseux, une tarte aux compotes et des
+prunes à l'eau-de-vie, accompagnant le tout de politesses à
+Madame qui paraissait en meilleure santé, à Mademoiselle
+devenue "magnifique", à M. Paul singulièrement "forci", sans
+oublier leurs grands-parents défunts que les Liébard avaient
+connus, étant au service de la famille depuis plusieurs
+générations. La ferme avait, comme eux, un caractère
+d'ancienneté. Les poutrelles du plafond étaient vermoulues,
+les murailles noires de fumée, les carreaux gris de poussière.
+Un dressoir en chêne supportait toutes sortes d'ustensiles,
+des brocs, des assiettes, des écuelles d'étain, des pièges à
+loup, des forces pour les moutons; une seringue énorme fit
+rire les enfants. Pas un arbre des trois cours qui n'eût des
+champignons à sa base, ou dans ses rameaux une touffe de gui.
+
+Le vent en avait jeté bas plusieurs. Ils avaient repris par le
+milieu; et tous fléchissaient sous la quantité de leurs
+pommes. Les toits de paille, pareils à du velours brun et
+inégaux d'épaisseur, résistaient aux plus fortes bourrasques.
+Cependant la charreterie tombait en ruines. Mme Aubain dit
+qu'elle aviserait, et commanda de reharnacher les bêtes.
+
+On fut encore une demi-heure avant d'atteindre Trouville. La
+petite caravane mit pied à terre pour passer les _Ecores;_
+c'était une falaise surplombant des bateaux; et trois minutes
+plus tard, au bout du quai, on entra dans la cour de l'_Agneau
+d'or_, chez la mère David.
+
+Virginie, dès les premiers jours, se sentit moins faible,
+résultat du changement d'air et de l'action des bains. Elle
+les prenait en chemise, à défaut de costume; et sa bonne la
+rhabillait dans une cabane de douanier qui servait aux
+baigneurs.
+
+L'après-midi, on s'en allait avec l'âne au-delà des Roches-Noires,
+du côté d'Hennequeville. Le sentier, d'abord, montait
+entre des terrains vallonnés comme la pelouse d'un parc, puis
+arrivait sur un plateau où alternaient des pâturages et des
+champs en labour. A la lisière du chemin, dans le fouillis des
+ronces, des houx se dressaient; çà et là, un grand arbre mort
+faisait sur l'air bleu des zigzags avec ses branches.
+
+Presque toujours on se reposait dans un pré, ayant Deauville à
+gauche, Le Havre à droite et en face la pleine mer. Elle était
+brillante de soleil, lisse comme un miroir, tellement douce
+qu'on entendait à peine son murmure; des moineaux cachés
+pépiaient, et la voûte immense du ciel recouvrait tout cela.
+Mme Aubain, assise, travaillait à son ouvrage de couture;
+Virginie près d'elle tressait des joncs; Félicité sarclait des
+fleurs de lavande; Paul, qui s'ennuyait, voulait partir.
+
+D'autres fois, ayant passé la Toucques en bateau, ils
+cherchaient des coquilles. La marée basse laissât à découvert
+des oursins, des godefiches, des méduses; et les enfants
+couraient, pour saisir des flocons d'écume que le vent
+emportait. Les flots endormis, en tombant sur le sable, se
+déroulaient le long de la grève; elle s'étendait à perte de
+vue, mais du côté de la terre avait pour limite les dunes la
+séparant du _Marais_, large prairie en forme d'hippodrome. Quand
+ils revenaient par là, Trouville, au fond sur la pente du
+coteau, à chaque pas grandissait, et avec toutes ses maisons
+inégales semblait s'épanouir dans un désordre gai.
+
+Les jours qu'il faisait trop chaud, ils ne sortaient pas de
+leur chambre. L'éblouissante clarté du dehors plaquait des
+barres de lumière entre les lames des jalousies. Aucun bruit
+dans le village. En bas, sur le trottoir, personne. Ce silence
+épandu augmentait la tranquillité des choses. Au loin, les
+marteaux des calfats tamponnaient des carènes, et une brise
+lourde apportait la senteur du goudron.
+
+Le principal divertissement était le retour des barques. Dès
+qu'elles avaient dépassé les balises, elles commençaient à
+louvoyer. Leurs voiles descendaient aux deux tiers des mâts;
+et, la misaine gonflée comme un ballon, elles avançaient,
+glissaient dans le clapotement des vagues, jusqu'au milieu du
+port, où l'ancre tout à coup tombait. Ensuite le bateau se
+plaçait contre le quai. Les matelots jetaient par-dessus le
+bordage des poissons palpitants; une file de charrettes les
+attendait, et des femmes en bonnet de coton s'élançaient pour
+prendre les corbeilles et embrasser leurs hommes.
+
+Une d'elles, un jour, aborda Félicité, qui peu de temps après
+entra dans la chambre, toute joyeuse. Elle avait retrouvé une
+soeur; et Nastasie Barette, femme Leroux, apparut, tenant un
+nourrisson à sa poitrine, de la main droite un autre enfant,
+et à sa gauche un petit mousse les poings sur les hanches et
+le béret sur l'oreille.
+
+Au bout d'un quart d'heure, Mme Aubain la congédia.
+
+On les rencontrait toujours aux abords de la cuisine, ou dans
+les promenades que l'on faisait. Le mari ne se montrait pas.
+
+Félicité se prit d'affection pour eux. Elle leur acheta une
+couverture, des chemises, un fourneau; évidemment ils
+l'exploitaient. Cette faiblesse agaçait Mme Aubain, qui
+d'ailleurs n'aimait pas les familiarités du neveu, -- car il
+tutoyait son fils; -- et, comme Virginie toussait et que la
+saison n'était plus bonne, elle revint à Pont-l'Evêque.
+
+M. Bourais l'éclaira sur le choix d'un collège. Celui de Caen
+passait pour le meilleur. Paul y fut envoyé; et fit bravement
+ses adieux, satisfait d'aller vivre dans une maison où il
+aurait des camarades.
+
+Mme Aubain se résigna à l'éloignement de son fils, parce qu'il
+était indispensable. Virginie y songea de moins en moins.
+Félicité regrettait son tapage. Mais une occupation vint la
+distraire; à partir de Noël, elle mena tous les jours la
+petite fille au catéchisme.
+
+
+
+
+III
+
+
+Quand elle avait fait à la porte une génuflexion, elle
+s'avançait sous la haute nef entre la double ligne des
+chaises, ouvrait le banc de Mme Aubain, s'asseyait et
+promenait ses yeux autour d'elle.
+
+Les garçons à droite, les filles à gauche, emplissaient les
+stalles du choeur; le curé se tenait debout près du lutrin;
+sur un vitrail de l'abside, le Saint-Esprit dominait la
+Vierge; un autre la montrait à genoux devant l'Enfant-Jésus,
+et, derrière le tabernacle, un groupe en bois représentait
+saint Michel terrassant le dragon.
+
+Le prêtre fit d'abord un abrégé de l'Histoire Sainte. Elle
+croyait voir le paradis, le déluge, la tour de Babel, des
+villes tout en flammes, des peuples qui mouraient, des idoles
+renversées; et elle garda de cet éblouissement le respect du
+Très-Haut et la crainte de sa colère. Puis, elle pleura en
+écoutant la Passion. Pourquoi l'avaient-ils crucifié, lui qui
+chérissait les enfants, nourrissait les foules, guérissait les
+aveugles, et avait voulu, par douceur, naître au milieu des
+pauvres, sur le fumier d'une étable? Les semailles, les
+moissons, les pressoirs, toutes ces choses familières dont
+parle l'Evangile, se trouvaient dans sa vie; le passage de
+Dieu les avait sanctifiées; et elle aima plus tendrement les
+agneaux par amour de l'Agneau, les colombes à cause du Saint-Esprit.
+
+Elle avait peine à imaginer sa personne; car il n'était pas
+seulement oiseau, mais encore un feu, et d'autres fois un
+souffle. C'est peut-être sa lumière qui voltige la nuit aux
+bords des marécages, son haleine qui pousse les nuées, sa voix
+qui rend les cloches harmonieuses; et elle demeurait dans une
+adoration, jouissant de la fraîcheur des murs et de la
+tranquillité de l'église.
+
+Quant aux dogmes, elle n'y comprenait rien, ne tâcha même pas
+de comprendre. Le curé discourait, les enfants récitaient,
+elle finissait par s'endormir; et se réveillait tout à coup,
+quand ils faisaient en s'en allant claquer leurs sabots sur
+les dalles.
+
+Ce fut de cette manière, à force de l'entendre, qu'elle apprit
+le catéchisme, son éducation religieuse ayant été négligée
+dans sa jeunesse; et dès lors elle imita toutes les pratiques
+de Virginie, jeûnait comme elle, se confessait avec elle. A la
+Fête-Dieu, elles firent ensemble un reposoir.
+
+La première communion la tourmentait d'avance. Elle s'agita
+pour les souliers, pour le chapelet, pour le livre, pour les
+gants. Avec quel tremblement elle aida sa mère à l'habiller!
+
+Pendant toute la messe, elle éprouva une angoisse. M. Bourais
+lui cachait un côté du choeur; mais juste en face, le troupeau
+des vierges portant des couronnes blanches par-dessus leurs
+voiles abaissés formait comme un champ de neige; et elle
+reconnaissait de loin la chère petite à son cou plus mignon et
+à son attitude recueillie. La cloche tinta. Les têtes se
+courbèrent; il y eut un silence. Aux éclats de l'orgue, les
+chantres et la foule entonnèrent l'_Agnus Dei;_ puis le défilé
+des garçons commença; et, après eux, les filles se levèrent.
+Pas à pas, et les mains jointes, elles allaient vers l'autel
+tout illuminé, s'agenouillaient sur la première marche,
+recevaient l'hostie successivement, et dans le même ordre
+revenaient à leurs prie-Dieu. Quand ce fut le tour de
+Virginie, Félicité se pencha pour la voir; et, avec
+l'imagination que donnent les vraies tendresses, il lui sembla
+qu'elle était elle-même cette enfant; sa figure devenait la
+sienne, sa robe l'habillait, son coeur lui battait dans la
+poitrine; au moment d'ouvrir la bouche, en fermant les
+paupières, elle manqua de s'évanouir.
+
+Le lendemain, de bonne heure, elle se présenta dans la
+sacristie, pour que M. le curé lui donnât la communion. Elle
+la reçut dévotement, mais n'y goûta pas les mêmes délices.
+
+Mme Aubain voulait faire de sa fille une personne accomplie;
+et, comme Guyot ne pouvait lui montrer ni l'anglais ni la
+musique, elle résolut de la mettre en pension chez les
+Ursulines d'Honfleur.
+
+L'enfant n'objecta rien. Félicité soupirait, trouvant Madame
+insensible. Puis elle songea que sa maîtresse, peut-être,
+avait raison. Ces choses dépassaient sa compétence.
+
+Enfin, un jour, une vieille tapissière s'arrêta devant la
+porte; et il en descendit une religieuse qui venait chercher
+Mademoiselle. Félicité monta les bagages sur l'impériale, fit
+des recommandations au cocher, et plaça dans le coffre six
+pots de confiture et une douzaine de poires, avec un bouquet
+de violettes.
+
+Virginie, au dernier moment, fut prise d'un grand sanglot;
+elle embrassait sa mère qui la baisait au front en répétant:
+
+-- Allons! du courage! du courage!
+
+Le marchepied se releva, la voiture partit.
+
+Alors Mme Aubain eut une défaillance; et le soir tous ses
+amis, le ménage Lormeau, Mme Lechaptois, _ces_ demoiselles
+Rochefeuille, M. de Houppeville et Bourais se présentèrent
+pour la consoler.
+
+La privation de sa fille lui fut d'abord très douloureuse.
+Mais trois fois la semaine, elle en recevait une lettre, les
+autres jours lui écrivait, se promenait dans son jardin,
+lisait un peu, et de cette façon comblait le vide des heures.
+
+Le matin, par habitude, Félicité entrait dans la chambre de
+Virginie, et regardait les murailles. Elle s'ennuyait de
+n'avoir plus à peigner ses cheveux, à lui lacer ses bottines,
+à la border dans son lit, -- et de ne plus voir continuellement
+sa gentille figure, de ne plus la tenir par la main quand
+elles sortaient ensemble. Dans son désoeuvrement, elle essaya
+de faire de la dentelle. Ses doigts trop lourds cassaient les
+fils; elle n'entendait à rien, avait perdu le sommeil, suivant
+son mot, était "minée".
+
+Pour "se dissiper", elle demanda la permission de recevoir son
+neveu Victor.
+
+Il arrivait le dimanche après la messe, les joues roses, la
+poitrine nue, et sentant l'odeur de la campagne qu'il avait
+traversée. Tout de suite, elle dressait son couvert. Ils
+déjeunaient l'un en face de l'autre; et, mangeant elle-même le
+moins possible pour épargner la dépense, elle le bourrait
+tellement de nourriture qu'il finissait par s'endormir. Au
+premier coup des vêpres, elle le réveillait, brossait son
+pantalon, nouait sa cravate, et se rendait à l'église, appuyée
+sur son bras dans un orgueil maternel.
+
+Ses parents le chargeaient toujours d'en tirer quelque chose,
+soit un paquet de cassonade, du savon, de l'eau-de-vie,
+parfois même de l'argent. Il apportait ses nippes à
+raccommoder; et elle acceptait cette besogne, heureuse d'une
+occasion qui le forçait à revenir.
+
+Au mois d'août, son père l'emmena au cabotage.
+
+C'était l'époque des vacances. L'arrivée des enfants la
+consola. Mais Paul devenait capricieux, et Virginie n'avait
+plus l'âge d'être tutoyée, ce qui mettait une gêne, une
+barrière entre elles.
+
+Victor alla successivement à Morlaix, à Dunkerque et à
+Brighton; au retour de chaque voyage, il lui offrait un
+cadeau. La première fois, ce fut une boîte en coquilles; la
+seconde, une tasse à café; la troisième, un grand bonhomme en
+pain d'épice. Il embellissait, avait la taille bien prise, un
+peu de moustache, de bons yeux francs, et un petit chapeau de
+cuir, placé en amère comme un pilote. Il l'amusait en lui
+racontant des histoires mêlées de termes marins.
+
+Un lundi, 14 juillet 1819 (elle n'oublia pas la date), Victor
+annonça qu'il était engagé au long cours, et, dans la nuit du
+surlendemain, par le paquebot de Honfleur irait rejoindre sa
+goélette, qui devait démarrer du Havre prochainement. Il
+serait, peut-être, deux ans parti.
+
+La perspective d'une telle absence désola Félicité; et, pour
+lui dire encore adieu, le mercredi soir, après le dîner de
+Madame, elle chaussa des galoches, et avala les quatre lieues
+qui séparent Pont-l'Evêque de Honfleur.
+
+Quand elle fut devant le Calvaire, au lieu de prendre à
+gauche, elle prit à droite, se perdit dans des chantiers,
+revint sur ses pas; des gens qu'elle accosta l'engagèrent à se
+hâter. Elle fit le tour du bassin rempli de navires, se
+heurtait contre les amarres; puis le terrain s'abaissa, des
+lumières s'entrecroisèrent, et elle se crut folle, en
+apercevant des chevaux dans le ciel.
+
+Au bord du quai, d'autres hennissaient, effrayés par la mer.
+Un palan qui les enlevait les descendait dans un bateau, où
+des voyageurs se bousculaient entre les barriques de cidre,
+les paniers de fromage, les sacs de grain; on entendait
+chanter des poules, le capitaine jurait; et un mousse restait
+accoudé sur le bossoir, indifférent à tout cela. Félicité, qui
+ne l'avait pas reconnu, criait: "Victor!" Il leva la tête;
+elle s'élançait, quand on retira l'échelle tout à coup.
+
+Le paquebot, que des femmes halaient en chantant, sortit du
+port. Sa membrure craquait, les vagues pesantes fouettaient sa
+proue. La voile avait tourné, on ne vit plus personne; -- et,
+sur la mer argentée par la lune, il faisait une tache noire
+qui pâlissait toujours, s'enfonça, disparut.
+
+Félicité, en passant près du Calvaire, voulut recommander à
+Dieu ce qu'elle chérissait le plus; et elle pria pendant
+longtemps, debout, la face baignée de pleurs, les yeux vers
+les nuages. La ville dormait, des douaniers se promenaient; et
+de l'eau tombait sans discontinuer par les trous de l'écluse,
+avec un bruit de torrent. Deux heures sonnèrent.
+
+Le parloir n'ouvrirait pas avant le jour. Un retard, bien sûr,
+contrarierait Madame; et malgré son désir d'embrasser l'autre
+enfant, elle s'en retourna. Les filles de l'auberge
+s'éveillaient, comme elle entrait dans Pont-l'Evêque.
+
+Le pauvre gamin, durant des mois, allait donc rouler sur les
+flots! Ses précédents voyages ne l'avaient pas effrayée. De
+l'Angleterre et de la Bretagne, on revenait; mais l'Amérique,
+les Colonies, les Iles, cela était perdu dans une région
+incertaine, à l'autre bout du monde.
+
+Dès lors, Félicité pensa exclusivement à son neveu. Les jours
+de soleil, elle se tourmentait de la soif; quand il faisait de
+l'orage, craignait pour lui la foudre. En écoutant le vent qui
+grondait dans la cheminée et emportait les ardoises, elle le
+voyait battu par cette même tempête, au sommet d'un mât
+fracassé, tout le corps en amère, sous une nappe d'écume; ou
+bien, -- souvenirs de la géographie en estampes, -- il était
+mangé par les sauvages, pris dans un bois par des singes, se
+mourait le long d'une plage déserte. Et jamais elle ne parlait
+de ses inquiétudes.
+
+Mme Aubain en avait d'autres sur sa fille.
+
+Les bonnes soeurs trouvaient qu'elle était affectueuse, mais
+délicate. La moindre émotion l'énervait. Il fallut abandonner
+le piano.
+
+Sa mère exigeait du couvent une correspondance réglée. Un
+matin que le facteur n'était pas venu, elle s'impatienta; et
+elle marchait dans la salle, de son fauteuil à la fenêtre.
+C'était vraiment extraordinaire! depuis quatre jours, pas de
+nouvelles!
+
+Pour qu'elle se consolât par son exemple, Félicité lui dit:
+
+-- Moi, Madame, voilà six mois que je n'en ai reçu!...
+
+-- De qui donc?...
+
+La servante répliqua doucement:
+
+-- Mais... de mon neveu!
+
+-- Ah! votre neveu!
+
+Et, haussant les épaules, Mme Aubain reprit sa promenade, ce
+qui voulait dire: "Je n'y pensais pas!... Au surplus, je m'en
+moque! un mousse, un gueux, belle affaire!... tandis que ma
+fille... Songez donc!..."
+
+Félicité, bien que nourrie dans la rudesse, fut indignée
+contre Madame, puis oublia.
+
+Il lui paraissait tout simple de perdre la tête à l'occasion
+de la petite.
+
+Les deux enfants avaient une importance égale; un lien de son
+coeur les unissait, et leur destinée devait être la même.
+
+Le pharmacien lui apprit que le bateau de Victor était arrivé
+à la Havane. Il avait lu ce renseignement dans une gazette.
+
+A cause des cigares, elle imaginait la Havane un pays où l'on
+ne fait pas autre chose que de fumer, et Victor circulait
+parmi les nègres dans un nuage de tabac. Pouvait-on "en cas de
+besoin" s'en retourner par terre? A quelle distance était-ce
+de Pont-l'Evêque? Pour le savoir, elle interrogea M. Bourais.
+
+Il atteignit son atlas, puis commença des explications sur les
+longitudes; et il avait un beau sourire de cuistre devant
+l'ahurissement de Félicité. Enfin, avec son porte-crayon, il
+indiqua dans les découpures d'une tache ovale un point noir,
+imperceptible, en ajoutant: "Voici."
+
+Elle se pencha sur la carte; ce réseau de lignes coloriées
+fatiguait sa vue, sans lui rien apprendre; et Bourais,
+l'invitant à dire ce qui l'embarrassait, elle le pria de lui
+montrer la maison où demeurait Victor. Bourais leva les bras,
+il éternua, rit énormément; une candeur pareille excitait sa
+joie; et Félicité n'en comprenait pas le motif, -- elle qui
+s'attendait peut-être à voir jusqu'au portrait de son neveu,
+tant son intelligence était bornée!
+
+Ce fut quinze jours après que Liébard, à l'heure du marché
+comme d'habitude, entra dans la cuisine, et lui remit une
+lettre qu'envoyait son beau-frère. Ne sachant lire aucun des
+deux, elle eut recours à sa maîtresse.
+
+Mme Aubain, qui comptait les mailles d'un tricot, le posa près
+d'elle, décacheta la lettre, tressaillit, et, d'une voix
+basse, avec un regard profond:
+
+-- C'est un malheur... qu'on vous annonce. Votre neveu...
+
+Il était mort. On n'en disait pas davantage.
+
+Félicité tomba sur une chaise, en s'appuyant la tête à la
+cloison, et ferma ses paupières, qui devinrent roses tout à
+coup. Puis, le front baissé, les mains pendantes, l'oeil fixe,
+elle répétait par intervalles:
+
+-- Pauvre petit gars! pauvre petit gars!
+
+Liébard la considérait en exhalant des soupirs. Mme Aubain
+tremblait un peu.
+
+Elle lui proposa d'aller voir sa soeur, à Trouville.
+
+Félicité répondit, par un geste, qu'elle n'en avait pas
+besoin.
+
+Il y eut un silence. Le bonhomme Liébard jugea convenable de
+se retirer.
+
+Alors elle dit:
+
+-- Ça ne leur fait rien, à eux!
+
+Sa tête retomba; et machinalement elle soulevait, de temps à
+autre, les longues aiguilles sur la table à ouvrage.
+
+Des femmes passèrent dans la cour avec un bard d'où
+dégouttelait du linge.
+
+En les apercevant par les carreaux, elle se rappela sa
+lessive; l'ayant coulée la veille, il fallait aujourd'hui la
+rincer; et elle sortit de l'appartement.
+
+Sa planche et son tonneau étaient au bord de la Toucques. Elle
+jeta sur la berge un tas de chemises, retroussa ses manches,
+prit son battoir; et les coups forts qu'elle donnait
+s'entendaient dans les autres jardins à côté. Les prairies
+étaient vides, le vent agitait la rivière; au fond, de grandes
+herbes s'y penchaient, comme des chevelures de cadavres
+flottant dans l'eau. Elle retenait sa douleur, jusqu'au soir
+fut très brave; mais dans sa chambre, elle s'y abandonna, à
+plat ventre sur son matelas, le visage dans l'oreiller, et les
+deux poings contre les tempes.
+
+Beaucoup plus tard, par le capitaine de Victor lui même, elle
+connut les circonstances de sa fin.
+
+On l'avait trop saigné à l'hôpital, pour la fièvre jaune.
+Quatre médecins le tenaient à la fois. Il était mort
+immédiatement, et le chef avait dit:
+
+-- Bon! encore un!
+
+Ses parents l'avaient toujours traité avec barbarie. Elle aima
+mieux ne pas les revoir; et ils ne firent aucune avance, par
+oubli, ou endurcissement des misérables.
+
+Virginie s'affaiblissait.
+
+Des oppressions, de la toux, une fièvre continuelle et des
+marbrures aux pommettes décelaient quelque affection profonde.
+M. Poupart avait conseillé un séjour en Provence. Mme Aubain
+s'y décida, et eût tout de suite repris sa fille à la maison,
+sans le climat de Pont-l'Evêque.
+
+Elle fit un arrangement avec un loueur de voitures, qui la
+menait au couvent chaque mardi. Il y a dans le jardin une
+terrasse d'où l'on découvre la Seine. Virginie s'y promenait à
+son bras, sur les feuilles de pampre tombées. Quelquefois le
+soleil traversant les nuages la forçait à cligner ses
+paupières, pendant qu'elle regardait les voiles au loin et
+tout l'horizon, depuis le château de Tancarville jusqu'aux
+phares du Havre. Ensuite on se reposait sous la tonnelle. Sa
+mère s'était procuré un petit fût d'excellent vin du Malaga;
+et riant à l'idée d'être grise, elle en buvait deux doigts,
+pas davantage.
+
+Ses forces reparurent. L'automne s'écoula doucement. Félicité
+rassurait Mme Aubain. Mais, un soir qu'elle avait été aux
+environs faire une course, elle rencontra devant la porte le
+cabriolet de M. Poupart; et il était dans le vestibule. Mme
+Aubain nouait son chapeau.
+
+-- Donnez-moi ma chaufferette, ma bourse, mes gants; plus vite
+donc!
+
+Virginie avait une fluxion de poitrine; c'était peut-être
+désespéré.
+
+-- Pas encore! dit le médecin.
+
+Et tous deux montèrent dans la voiture, sous des flocons de
+neige qui tourbillonnaient. La nuit allait venir. Il faisait
+très froid.
+
+Félicité se précipita dans l'église, pour allumer un cierge.
+Puis elle courut après le cabriolet, qu'elle rejoignit une
+heure plus tard, sauta légèrement par derrière, où elle se
+tenait aux torsades, quand une réflexion lui vint: "La cour
+n'était pas fermée! si des voleurs s'introduisaient?" Et elle
+descendit.
+
+Le lendemain, dès l'aube, elle se présenta chez le docteur. Il
+était rentré et reparti à la campagne. Puis elle resta dans
+l'auberge, croyant que des inconnus apporteraient une lettre.
+Enfin, au petit jour, elle prit la diligence de Lisieux.
+
+Le couvent se trouvait au fond d'une ruelle escarpée. Vers le
+milieu, elle entendit des sons étranges, un glas de mort.
+"C'est pour d'autres," pensa-t-elle; et Félicité tira
+violemment le marteau.
+
+Au bout de plusieurs minutes, des savates se traînèrent, la
+porte s'entre-bâilla, et une religieuse parut.
+
+La bonne soeur avec un air de componction dit qu' "elle venait
+de passer." En même temps, le glas de Saint-Léonard
+redoublait.
+
+Félicité parvint au second étage.
+
+Dès le seuil de la chambre, elle aperçut Virginie étalée sur
+le dos, les mains jointes, la bouche ouverte, et la tête en
+arrière sous une croix noire s'inclinant vers elle, entre les
+rideaux immobiles, moins pâles que sa figure. Mme Aubain, au
+pied de la couche qu'elle tenait dans ses bras, poussait des
+hoquets d'agonie. La supérieure était debout, à droite. Trois
+chandeliers sur la commode faisaient des taches rouges, et le
+brouillard blanchissait les fenêtres. Des religieuses
+emportèrent Mme Aubain.
+
+Pendant deux nuits, Félicité ne quitta pas la morte. Elle
+répétait les mêmes prières, jetait de l'eau bénite sur les
+draps, revenait s'asseoir, et la contemplait. A la fin de la
+première veille, elle remarqua que la figure avait jauni, les
+lèvres bleuirent, le nez se pinçait, les yeux s'enfonçaient.
+Elle les baisa plusieurs fois; et n'eût pas éprouvé un immense
+étonnement si Virginie les eût rouverts; pour de pareilles
+âmes le surnaturel est tout simple. Elle fit sa toilette,
+l'enveloppa de son linceul, la descendit dans sa bière, lui
+posa une couronne, étala ses cheveux. Ils étaient blonds, et
+extraordinaires de longueur à son âge. Félicité en coupa une
+grosse mèche, dont elle glissa la moitié dans sa poitrine,
+résolue à ne jamais s'en dessaisir.
+
+Le corps fut ramené à Pont-l'Evêque, suivant les intentions de
+Mme Aubain, qui suivait le corbillard, dans une voiture
+fermée.
+
+Après la messe, il fallut encore trois quarts d'heure pour
+atteindre le cimetière. Paul marchait en tête et sanglotait.
+M. Bourais était derrière, ensuite les principaux habitants,
+les femmes, couvertes de mantes noires, et Félicité. Elle
+songeait à son neveu, et, n'ayant pu lui rendre ces honneurs,
+avait un surcroît de tristesse, comme si on l'eût enterré avec
+l'autre.
+
+Le désespoir de Mme Aubain fut illimité.
+
+D'abord elle se révolta contre Dieu, le trouvant injuste de
+lui avoir pris sa fille, -- elle qui n'avait jamais fait de
+mal, et dont la conscience était si pure! Mais non! elle
+aurait dû l'emporter dans le Midi. D'autres docteurs
+l'auraient sauvée!. Elle s'accusait, voulait la rejoindre,
+criait en détresse au milieu de ses rêves. Un, surtout,
+l'obsédât. Son mari, costumé comme un matelot, revenait d'un
+long voyage, et lui disait en pleurant qu'il avait reçu
+l'ordre d'emmener Virginie. Alors ils se concertaient pour
+découvrir une cachette quelque part.
+
+Une fois, elle rentra du jardin, bouleversée. Tout à l'heure
+(elle montrait l'endroit) le père et la fille lui étaient
+apparus l'un auprès de l'autre, et ils ne faisaient rien; ils
+la regardaient.
+
+Pendant plusieurs mois, elle resta dans sa chambre, inerte.
+Félicité la sermonnait doucement; il fallait se conserver pour
+son fils, et pour l'autre, en souvenir d' "elle".
+
+-- Elle? reprenait Mme Aubain, comme se réveillant. "Ah!
+oui!... oui!... Vous ne l'oubliez pas!"
+
+Allusion au cimetière, qu'on lui avait scrupuleusement
+défendu.
+
+Félicité tous les jours s'y rendait.
+
+A quatre heures précises, elle passait au bord des maisons,
+montait la côte, ouvrait la barrière, et arrivait devant la
+tombe de Virginie. C'était une petite colonne de marbre rose,
+avec une dalle dans le bas, et des chaînes autour enfermant un
+jardinet. Les plates-bandes disparaissaient sous une
+couverture de fleurs. Elle arrosait leurs feuilles,
+renouvelait le sable, se mettait à genoux pour mieux labourer
+la terre. Mme Aubain, quand elle put y venir, en éprouva un
+soulagement, une espèce de consolation.
+
+
+Puis des années s'écoulèrent, toutes pareilles et sans autres
+épisodes que le retour des grandes fêtes: Pâques,
+l'Assomption, la Toussaint. Des événements intérieurs
+faisaient une date, où l'on se reportait plus tard. Ainsi, en
+1825, deux vitriers badigeonnèrent le vestibule; en 1827, une
+portion du toit, tombant dans la cour, faillit tuer un homme.
+L'été de 1828, ce fut à Madame d'offrir le pain bénit;
+Bourais, vers cette époque, s'absenta mystérieusement; et les
+anciennes connaissances peu à peu s'en allèrent: Guyot,
+Liébard, Mme Lechaptois, Robelin, l'oncle Gremanville,
+paralysé depuis longtemps.
+
+Une nuit, le conducteur de la malle-poste annonça dans
+Pont-l'Evêque la Révolution de Juillet. Un sous-préfet nouveau, peu
+de jours après, fut nommé: le baron de Larsonnière, ex-consul
+en Amérique, et qui avait chez lui, outre sa femme, sa belle-soeur
+avec trois demoiselles, assez grandes déjà. On les
+apercevait sur leur gazon, habillées de blouses flottantes;
+elles possédaient un nègre et un perroquet. Mme Aubain eut
+leur visite, et ne manqua pas de la rendre. Du plus loin
+qu'elles paraissaient, Félicité accourait pour la prévenir.
+Mais une chose était seule capable de l'émouvoir, les lettres
+de son fils.
+
+Il ne pouvait suivre aucune carrière, étant absorbé dans les
+estaminets. Elle lui payait ses dettes; il en refaisait
+d'autres; et les soupirs que poussait Mme Aubain, en tricotant
+près de la fenêtre, arrivaient à Félicité, qui tournait son
+rouet dans la cuisine.
+
+Elles se promenaient ensemble le long de l'espalier; et
+causaient toujours de Virginie, se demandant si telle chose
+lui aurait plu, en telle occasion ce qu'elle eût dit
+probablement.
+
+Toutes ses petites affaires occupaient un placard dans la
+chambre à deux lits. Mme Aubain les inspectait le moins
+souvent possible. Un jour d'été, elle se résigna; et des
+papillons s'envolèrent de l'armoire.
+
+Ses robes étaient en ligne sous une planche où il y avait
+trois poupées, des cerceaux, un ménage, la cuvette qui lui
+servait. Elles retirèrent également les jupons, les bas, les
+mouchoirs, et les étendirent sur les deux couches, avant de
+les replier. Le soleil éclairait ces pauvres objets, en
+faisait voir les taches, et des plis formés par les mouvements
+du corps. L'air était chaud et bleu, un merle gazouillait,
+tout semblait vivre dans une douceur profonde. Elles
+retrouvèrent un petit chapeau de peluche, à longs poils,
+couleur marron; mais il était tout mangé de vermine. Félicité
+le réclama pour elle-même. Leurs yeux se fixèrent l'une sur
+l'autre, s'emplirent de larmes; enfin la maîtresse ouvrit ses
+bras, la servante s'y jeta; et elles s'étreignirent,
+satisfaisant leur douleur dans un baiser qui les égalisait.
+
+C'était la première fois de leur vie, Mme Aubain n'étant pas
+d'une nature expansive. Félicité lui en fut reconnaissante
+comme d'un bienfait, et désormais la chérit avec un dévouement
+bestial et une vénération religieuse.
+
+La bonté de son coeur se développa.
+
+Quand elle entendait dans la rue les tambours d'un régiment en
+marche, elle se mettait devant la porte avec une cruche de
+cidre et offrait à boire aux soldats. Elle soigna des
+cholériques. Elle protégeait les Polonais; et même il y en eut
+un qui déclarait la vouloir épouser. Mais ils se fâchèrent;
+car un matin, en rentrant de l'angélus, elle le trouva dans sa
+cuisine, où il s'était introduit, et accommodé une vinaigrette
+qu'il mangeait tranquillement.
+
+Après les Polonais, ce fut le père Colmiche, un vieillard
+passant pour avoir fait des horreurs en 93. Il vivait au bord
+de la rivière, dans les décombres d'une porcherie. Les gamins
+le regardaient par les fentes du mur, et lui jetaient des
+cailloux qui tombaient sur son grabat, où il gisait
+continuellement secoué par un catarrhe, avec des cheveux très
+longs, les paupières enflammées, et au bras une tumeur plus
+grosse que sa tête. Elle lui procura du linge, tâcha de
+nettoyer son bouge, rêvât à l'établir dans le fournil, sans
+qu'il gênât Madame. Quand le cancer eut crevé, elle le pansa
+tous les jours, quelquefois lui apportait de la galette, le
+plaçait au soleil sur une botte de paille; et le pauvre vieux,
+en bavant et en tremblant, la remerciait de sa voix éteinte,
+craignait de la perdre, allongeait les mains dès qu'il la
+voyait s'éloigner. Il mourut; elle fit dire une messe pour le
+repos de son âme.
+
+Ce jour-là, il lui advint un grand bonheur: au moment du
+dîner, le nègre de Mme de Larsonnière se présenta, tenant le
+perroquet dans sa cage, avec le bâton, la chaîne et le
+cadenas. Un billet de la baronne annonçait à Mme Aubain que,
+son mari étant élevé à une préfecture, ils partaient le soir;
+et elle la priait d'accepter cet oiseau, comme un souvenir, et
+en témoignage de ses respects.
+
+Il occupait depuis longtemps l'imagination de Félicité, car il
+venait d'Amérique; et ce mot lui rappelait Victor, si bien
+qu'elle s'en informait auprès du nègre. Une fois même elle
+avait dit:
+
+-- C'est Madame qui serait heureuse de l'avoir!
+
+Le nègre avait redit le propos à sa maîtresse, qui, ne pouvant
+l'emmener, s'en débarrassait de cette façon.
+
+
+
+
+IV
+
+
+Il s'appelait Loulou. Son corps était vert, le bout de ses
+ailes rose, son front bleu, et sa gorge dorée.
+
+Mais il avait la fatigante manie de mordre son bâton,
+s'arrachait les plumes, éparpillait ses ordures, répandait
+l'eau de sa baignoire; Mme Aubain, qu'il ennuyait, le donna
+pour toujours à Félicité.
+
+Elle entreprit de l'instruire; bientôt il répéta: "Charmant
+garçon! Serviteur, monsieur! Je vous salue, Marie!" Il était
+placé auprès de la porte, et plusieurs s'étonnaient qu'il ne
+répondît pas au nom de Jacquot, puisque tous les perroquets
+s'appellent Jacquot. On le comparait à une dinde, à une bûche
+: autant de coups de poignard pour Félicité! Etrange
+obstination de Loulou, ne parlant plus du moment qu'on le
+regardait!
+
+Néanmoins il recherchait la compagnie; car le dimanche,
+pendant que _ces_ demoiselles Rochefeuille, monsieur de
+Houppeville et de nouveaux habitués: Onfroy l'apothicaire, M.
+Varin et le capitaine Mathieu, faisaient leur partie de
+cartes, il cognait les vitres avec ses ailes, et se démenait
+si furieusement qu'il était impossible de s'entendre.
+
+La figure de Bourais, sans doute, lui paraissait très drôle.
+Dès qu'il l'apercevait, il commençait à rire, à rire de toutes
+ses forces. Les éclats de sa voix bondissaient dans la cour,
+l'écho les répétait, les voisins se mettaient à leurs
+fenêtres, riaient aussi; et, pour n'être pas vu du perroquet,
+M. Bourais se coulait le long du mur, en dissimulant son
+profil avec son chapeau, atteignait la rivière, puis entrait
+par la porte du jardin; et les regards qu'il envoyait à
+l'oiseau manquaient de tendresse.
+
+Loulou avait reçu du garçon boucher une chiquenaude, s'étant
+permis d'enfoncer la tête dans sa corbeille; et depuis lors il
+tâchait toujours de le pincer à travers sa chemise. Fabu
+menaçait de lui tordre le cou, bien qu'il ne fût pas cruel,
+malgré le tatouage de ses bras et ses gros favoris. Au
+contraire! il avait plutôt du penchant pour le perroquet,
+jusqu'à vouloir, par humeur joviale, lui apprendre des jurons.
+Félicité, que ces manières effrayaient, le plaça dans la
+cuisine. Sa chaînette fut retirée, et il circulait par la
+maison.
+
+Quand il descendait l'escalier, il appuyait sur les marches la
+courbe de son bec, levait la patte droite, puis la gauche; et
+elle avait peur qu'une telle gymnastique ne lui causât des
+étourdissements. Il devint malade, ne pouvant plus parler ni
+manger. C'était sous sa langue une épaisseur comme en ont les
+poules quelquefois. Elle le guérit en arrachant cette
+pellicule avec ses ongles. M. Paul, un jour, eut l'imprudence
+de lui souffler aux narines la fumée d'un cigare; une autre
+fois que Mme Lormeau l'agaçait du bout de son ombrelle, il en
+happa la virole; enfin, il se perdit.
+
+Elle l'avait posé sur l'herbe pour le rafraîchir, s'absenta
+une minute; et, quand elle revint, plus de perroquet! D'abord
+elle le chercha dans les buissons, au bord de l'eau et sur les
+toits, sans écouter sa maîtresse qui lui criait:
+
+-- Prenez donc garde! vous êtes folle!
+
+Ensuite elle inspecta tous les jardins de Pont l'Evêque; et
+elle arrêtait les passants.
+
+-- Vous n'auriez pas vu, quelquefois, par hasard, mon
+perroquet?
+
+A ceux qui ne connaissaient pas le perroquet, elle en faisait
+la description. Tout à coup, elle crut distinguer derrière les
+moulins, au bas de la côte, une chose verte qui voltigeait.
+Mais au haut de la côte, rien! Un porte-balle lui affirma
+qu'il l'avait rencontré tout à l'heure, à Sainte-Melaine, dans
+la boutique de la mère Simon. Elle y courut. On ne savait pas
+ce qu'elle voulait dire. Enfin elle rentra, épuisée, les
+savates en lambeaux, la mort dans l'âme; et, assise au milieu
+du banc, près de Madame, elle racontait toutes ses démarches
+quand un poids léger lui tomba sur l'épaule: Loulou! Que
+diable avait-il fait? Peut être qu'il s'était promené aux
+environs?
+
+Elle eut du mal à s'en remettre, ou plutôt ne s'en remit
+jamais.
+
+Par suite d'un refroidissement, il lui vint une angine; peu de
+temps après, un mal d'oreilles. Trois ans plus tard, elle
+était sourde; et elle parlait très haut, même à l'église. Bien
+que ses péchés auraient pu sans déshonneur pour elle, ni
+inconvénient pour le monde, se répandre à tous les coins du
+diocèse, M. le curé jugea convenable de ne plus recevoir sa
+confession que dans la sacristie.
+
+Des bourdonnements illusoires achevaient de la troubler.
+Souvent sa maîtresse lui disait:
+
+-- Mon Dieu! comme vous êtes bête!
+
+Elle répliquait:
+
+-- Oui, Madame, en cherchant quelque chose autour d'elle.
+
+Le petit cercle de ses idées se rétrécit encore, et le
+carillon des cloches, le mugissement des boeufs n'existaient
+plus. Tous les êtres fonctionnaient avec le silence des
+fantômes. Un seul bruit arrivait maintenant à ses oreilles, la
+voix du perroquet.
+
+Comme pour la distraire, il reproduisait le tic tac du
+tournebroche, l'appel aigu d'un vendeur de poisson, la scie du
+menuisier qui logeait en face; et, aux coups de la sonnette,
+imitait Mme Aubain.
+
+-- Félicité! la porte! la porte!
+
+Ils avaient des dialogues, lui, débitant à satiété les trois
+phrases de son répertoire, et elle, y répondant par des mots
+sans plus de suite, mais où son coeur s'épanchait. Loulou,
+dans son isolement, était presque un fils, un amoureux. Il
+escaladait ses doigts, mordillait ses lèvres, se cramponnait à
+son fichu; et, comme elle penchait son front en branlant la
+tête à la manière des nourrices, les grandes ailes du bonnet
+et les ailes de l'oiseau frémissaient ensemble.
+
+Quand des nuages s'amoncelaient et que le tonnerre grondait,
+il poussait des cris, se rappelant peut être les ondées de ses
+forêts natales. Le ruissellement de l'eau excitait son délire;
+il voletait éperdu, montait au plafond, renversait tout, et
+par la fenêtre allait barboter dans le jardin; mais revenait
+vite sur un des chenets, et, sautillant pour sécher ses
+plumes, montrait tantôt sa queue, tantôt son bec.
+
+Un matin du terrible hiver de 1837, qu'elle l'avait mis devant
+la cheminée, à cause du froid, elle le trouva mort, au milieu
+de sa cage, la tête en bas, et les ongles dans les fils de
+fer. Une congestion l'avait tué, sans doute? Elle crut à un
+empoisonnement par le persil; et malgré l'absence de toutes
+preuves, ses soupçons portèrent sur Fabu.
+
+Elle pleura tellement que sa maîtresse lui dit:
+
+-- Eh bien! faites-le empailler!
+
+Elle demanda conseil au pharmacien, qui avait toujours été bon
+pour le perroquet.
+
+Il écrivit au Havre. Un certain Fellacher se chargea de cette
+besogne. Mais, comme la diligence égarait parfois les colis,
+elle résolut de le porter elle-même jusqu'à Honfleur.
+
+Les pommiers sans feuilles se succédaient aux bords de la
+route. De la glace couvrait les fossés. Des chiens aboyaient
+autour des fermes; et les mains sous son mantelet, avec ses
+petits sabots noirs et son cabas, elle marchait prestement,
+sur le milieu du pavé.
+
+Elle traversa la forêt, dépassa le Haut-Chêne, atteignit
+Saint-Gatien.
+
+Derrière elle, dans un nuage de poussière et emportée par la
+descente, une malle-poste au grand galop se précipitait comme
+une trombe. En voyant cette femme qui ne se dérangeait pas, le
+conducteur se dressa par-dessus la capote, et le postillon
+criait aussi, pendant que ses quatre chevaux qu'il ne pouvait
+retenir accéléraient leur train; les deux premiers la
+frôlaient; d'une secousse de ses guides, il les jeta dans le
+débord, mais furieux releva le bras, et à pleine volée, avec
+son grand fouet, lui cingla du ventre au chignon un tel coup
+qu'elle tomba sur le dos.
+
+Son premier geste, quand elle reprit connaissance, fut
+d'ouvrir son panier. Loulou n'avait rien, heureusement. Elle
+sentit une brûlure à la joue droite; ses mains qu'elle y porta
+étaient rouges. Le sang coulait.
+
+Elle s'assit sur un mètre de cailloux, se tamponna le visage
+avec son mouchoir, puis elle mangea une croûte de pain, mise
+dans son panier par précaution, et se consolait de sa blessure
+en regardant l'oiseau.
+
+Arrivée au sommet d'Ecquemauville, elle aperçut les lumières
+de Honfleur qui scintillaient dans la nuit comme une quantité
+d'étoiles; la mer, plus loin, s'étalait confusément. Alors une
+faiblesse l'arrêta; et la misère de son enfance, la déception
+du premier amour, le départ de son neveu, la mort de Virginie,
+comme les flots d'une marée, revinrent à la fois, et, lui
+montant à la gorge, l'étouffaient.
+
+Puis elle voulut parler au capitaine du bateau; et, sans dire
+ce qu'elle envoyait, lui fit des recommandations.
+
+Fellacher garda longtemps le perroquet. Il le promettait
+toujours pour la semaine prochaine; au bout de six mois, il
+annonça le départ d'une caisse; et il n'en fut plus question.
+C'était à croire que jamais Loulou ne reviendrait. "Ils me
+l'auront volé!" pensait-elle.
+
+Enfin il arriva, -- et splendide, droit sur une branche
+d'arbre, qui se vissait dans un socle d'acajou, une patte en
+l'air, la tête oblique, et mordant une noix, que l'empailleur
+par amour du grandiose avait dorée.
+
+Elle l'enferma dans sa chambre.
+
+Cet endroit, où elle admettait peu de monde, avait l'air tout
+à la fois d'une chapelle et d'un bazar, tant il contenait
+d'objets religieux et de choses hétéroclites.
+
+Une grande armoire gênait pour ouvrir la porte. En face de la
+fenêtre surplombant le jardin, un oeil-de-boeuf regardait la
+cour; une table, près du lit de sangle, supportait un pot à
+l'eau, deux peignes, et un cube de savon bleu dans une
+assiette ébréchée. On voyait contre les murs: des chapelets,
+des médailles, plusieurs bonnes Vierges, un bénitier en noix
+de coco; sur la commode, couverte d'un drap comme un autel, la
+boîte en coquillages que lui avait donnée Victor; puis un
+arrosoir et un ballon, des cahiers d'écriture, la géographie
+en estampes, une paire de bottines; et au clou du miroir,
+accroché par ses rubans, le petit chapeau de peluche! Félicité
+poussait même ce genre de respect si loin, qu'elle conservait
+une des redingotes de Monsieur. Toutes les vieilleries dont ne
+voulait plus Mme Aubain, elle les prenait pour sa chambre.
+C'est ainsi qu'il y avait des fleurs artificielles au bord de
+la commode, et le portrait du comte d'Artois dans
+l'enfoncement de la lucarne.
+
+Au moyen d'une planchette, Loulou fut établi sur un corps de
+cheminée qui avançait dans l'appartement. Chaque matin, en
+s'éveillant, elle l'apercevait à la clarté de l'aube, et se
+rappelait alors les jours disparus, et d'insignifiantes
+actions jusqu'en leurs moindres détails, sans douleur, pleine
+de tranquillité.
+
+Ne communiquant avec personne, elle vivait dans une torpeur de
+somnambule. Les processions de la Fête-Dieu la ranimaient.
+Elle allait quêter chez les voisines des flambeaux et des
+paillassons afin d'embellir le reposoir que l'on dressait dans
+la rue.
+
+A l'église, elle contemplait toujours le Saint Esprit, et
+observa qu'il avait quelque chose du perroquet. Sa
+ressemblance lui parut encore plus manifeste sur une image
+d'Epinal, représentant le baptême de Notre-Seigneur. Avec ses
+ailes de pourpre et son corps d'émeraude, c'était vraiment le
+portrait de Loulou.
+
+L'ayant acheté, elle le suspendit à la place du comte
+d'Artois, -- de sorte que, du même coup d'oeil, elle les voyait
+ensemble. Ils s'associèrent dans sa pensée, le perroquet se
+trouvant sanctifié par ce rapport avec le Saint-Esprit, qui
+devenait plus vivant à ses yeux et intelligible. Le Père, pour
+s'énoncer, n'avait pu choisir une colombe, puisque ces bêtes-là
+n'ont pas de voix, mais plutôt un des ancêtres de Loulou.
+Et Félicité priait en regardant l'image, mais de temps à autre
+se tournait un peu vers l'oiseau.
+
+Elle eut envie de se mettre dans les demoiselles de la Vierge.
+Mme Aubain l'en dissuada.
+
+Un événement considérable surgit: le mariage de Paul.
+
+Après avoir été d'abord clerc de notaire, puis dans le
+commerce, dans la douane, dans les contributions, et même
+avoir commencé des démarches pour les eaux et forêts, à
+trente-six ans, tout à coup, par une inspiration du ciel, il
+avait découvert sa voie: l'enregistrement! et y montrait de si
+hautes facultés qu'un vérificateur lui avait offert sa fille,
+en lui promettant sa protection.
+
+Paul, devenu sérieux, l'amena chez sa mère.
+
+Elle dénigra les usages de Pont-l'Evêque, fit la princesse,
+blessa Félicité. Mme Aubain, à son départ, sentit un
+allégement.
+
+La semaine suivante, on apprit la mort de M. Bourais, en basse
+Bretagne, dans une auberge. La rumeur d'un suicide se
+confirma; des doutes s'élevèrent sur sa probité. Mme Aubain
+étudia ses comptes, et ne tarda pas à connaître la kyrielle de
+ses noirceurs: détournements d'arrérages, ventes de bois
+dissimulées, fausses quittances, etc. De plus, il avait un
+enfant naturel, et "des relations avec une personne de
+Dozulé".
+
+Ces turpitudes l'affligèrent beaucoup. Au mois de mars 1853,
+elle fut prise d'une douleur dans la poitrine; sa langue
+paraissait couverte de fumée, les sangsues ne calmèrent pas
+l'oppression; et le neuvième soir elle expira, ayant juste
+soixante-douze ans.
+
+On la croyait moins vieille à cause de ses cheveux bruns, dont
+les bandeaux entouraient sa figure blême, marquée de petite
+vérole. Peu d'amis la regrettèrent, ses façons étant d'une
+hauteur qui éloignait.
+
+Félicité la pleura, comme on ne pleure pas les maîtres. Que
+Madame mourût avant elle, cela troublait ses idées, lui
+semblait contraire à l'ordre des choses, inadmissible et
+monstrueux.
+
+Dix jours après (le temps d'accourir de Besançon), les
+héritiers survinrent. La bru fouilla les tiroirs, choisit des
+meubles, vendit les autres, puis ils regagnèrent
+l'enregistrement.
+
+Le fauteuil de Madame, son guéridon, sa chaufferette, les huit
+chaises, étaient partis! La place des gravures se dessinait en
+carrés jaunes au milieu des cloisons. Ils avaient emporté les
+deux couchettes, avec leurs matelas, et dans le placard on ne
+voyait plus rien de toutes les affaires de Virginie. Félicité
+remonta les étages, ivre de tristesse.
+
+Le lendemain il y avait sur la porte une affiche;
+l'apothicaire lui cria dans l'oreille que la maison était à
+vendre.
+
+Elle chancela, et fut obligée de s'asseoir.
+
+Ce qui la désolait principalement, c'était d'abandonner sa
+chambre, -- si commode pour le pauvre Loulou. En l'enveloppant
+d'un regard d'angoisse, elle implorait le Saint-Esprit, et
+contracta l'habitude idolâtre de dire ses oraisons agenouillée
+devant le perroquet. Quelquefois, le soleil entrant par la
+lucarne frappait son oeil de verre, et en faisait jaillir un
+grand rayon lumineux qui la mettait en extase.
+
+Elle avait une rente de trois cent quatre-vingts francs,
+léguée par sa maîtresse. Le jardin lui fournissait des
+légumes. Quant aux habits, elle possédait de quoi se vêtir
+jusqu'à la fin de ses jours, et épargnait l'éclairage en se
+couchant dès le crépuscule.
+
+Elle ne sortait guère, afin d'éviter la boutique du
+brocanteur, où s'étalaient quelques-uns des anciens meubles.
+Depuis son étourdissement, elle traînait une jambe; et, ses
+forces diminuant, la mère Simon, ruinée dans l'épicerie,
+venait tous les matins fendre son bois et pomper de l'eau.
+
+Ses yeux s'affaiblirent. Les persiennes n'ouvraient plus. Bien
+des années se passèrent. Et la maison ne se louait pas, et ne
+se vendait pas.
+
+Dans la crainte qu'on ne la renvoyât, Félicité ne demandait
+aucune réparation. Les lattes du toit pourrissaient; pendant
+tout un hiver son traversin fut mouillé. Après Pâques, elle
+cracha du sang.
+
+Alors la mère Simon eut recours à un docteur. Félicité voulut
+savoir ce qu'elle avait. Mais, trop sourde pour entendre, un
+seul mot lui parvint: "Pneumonie." Il lui était connu, et elle
+répliqua doucement:
+
+-- Ah! comme Madame, trouvant naturel de suivre sa maîtresse.
+
+Le moment des reposoirs approchait.
+
+Le premier était toujours au bas de la côte, le second devant
+la poste, le troisième vers le milieu de la rue. Il y eut des
+rivalités à propos de celui-là; et les paroissiennes
+choisirent finalement la cour de Mme Aubain.
+
+Les oppressions et la fièvre augmentaient. Félicité se
+chagrinait de ne rien faire pour le reposoir. Au moins, si
+elle avait pu y mettre quelque chose! Alors elle songea au
+perroquet. Ce n'était pas convenable, objectèrent les
+voisines. Mais le curé accorda cette permission; elle en fut
+tellement heureuse qu'elle le pria d'accepter, quand elle
+serait morte, Loulou, sa seule richesse.
+
+Du mardi au samedi, veille de la Fête-Dieu, elle toussa plus
+fréquemment. Le soir son visage était grippé, ses lèvres se
+collaient à ses gencives, des vomissements parurent; et le
+lendemain, au petit jour, se sentant très bas, elle fit
+appeler un prêtre.
+
+Trois bonnes femmes l'entouraient pendant l'extrême-onction.
+Puis elle déclara qu'elle avait besoin de parler à Fabu.
+
+Il arriva en toilette des dimanches, mal à son aise dans cette
+atmosphère lugubre.
+
+-- Pardonnez-moi, dit-elle avec un effort pour étendre le bras,
+je croyais que c'était vous qui l'aviez tué!
+
+Que signifiaient des potins pareils? L'avoir soupçonné d'un
+meurtre, un homme comme lui! et il s'indignait, allait faire
+du tapage.
+
+-- Elle n'a plus sa tête, vous voyez bien!
+
+Félicité de temps à autre parlait à des ombres.
+
+Les bonnes femmes s'éloignèrent. La Simonne déjeuna.
+
+Un peu plus tard, elle prit Loulou, et, l'approchant de
+Félicité:
+
+-- Allons! dites-lui adieu!
+
+Bien qu'il ne fût pas un cadavre, les vers le dévoraient; une
+de ses ailes était cassée, l'étoupe lui sortait du ventre.
+Mais, aveugle à présent, elle le baisa au front, et le gardait
+contre sa joue. La Simonne le reprit, pour le mettre sur le
+reposoir.
+
+
+
+
+V
+
+
+Les herbages envoyaient l'odeur de l'été; des mouches
+bourdonnaient; le soleil faisait luire la rivière, chauffait
+les ardoises. La mère Simon, revenue dans la chambre,
+s'endormait doucement.
+
+Des coups de cloche la réveillèrent; on sortait des vêpres. Le
+délire de Félicité tomba. En songeant à la procession, elle la
+voyait, comme si elle l'eût suivie.
+
+Tous les enfants des écoles, les chantres et les pompiers
+marchaient sur les trottoirs tandis qu'au milieu de la rue,
+s'avançaient premièrement: le suisse armé de sa hallebarde, le
+bedeau avec une grande croix, l'instituteur surveillant les
+gamins, la religieuse inquiète de ses petites filles; trois
+des plus mignonnes, frisées comme des anges, jetaient dans
+l'air des pétales de roses; le diacre, les bras écartés,
+modérait la musique; et deux encenseurs se retournaient à
+chaque pas vers le Saint-Sacrement, que portait, sous un dais
+de velours ponceau tenu par quatre fabriciens, M. le curé,
+dans sa belle chasuble. Un flot de monde se poussait derrière,
+entre les nappes blanches couvrant le mur des maisons; et l'on
+arriva au bas de la côte.
+
+Une sueur froide mouillait les tempes de Félicité. La Simonne
+l'épongeait avec un linge, en se disant qu'un jour il lui
+faudrait passer par là.
+
+Le murmure de la foule grossit, fut un moment très fort,
+s'éloignait.
+
+Une fusillade ébranla les carreaux. C'était les postillons
+saluant l'ostensoir. Félicité roula ses prunelles, et elle
+dit, le moins bas qu'elle put:
+
+-- Est il bien? tourmentée du perroquet.
+
+Son agonie commença. Un râle, de plus en plus précipité, lui
+soulevait les côtes. Des bouillons d'écume venaient aux coins
+de sa bouche, et tout son corps tremblait.
+
+Bientôt, on distingua le ronflement des ophicléides, les voix
+claires des enfants, la voix profonde des hommes. Tout se
+taisait par intervalles, et le battement des pas, que des
+fleurs amortissaient, faisait le bruit d'un troupeau sur du
+gazon.
+
+Le clergé parut dans la cour. La Simonne grimpa sur une chaise
+pour atteindre à l'oeil-de-boeuf, et de cette manière dominait
+le reposoir.
+
+Des guirlandes vertes pendaient sur l'autel, orné d'un falbala
+en point d'Angleterre. Il y avait au milieu un petit cadre
+enfermant des reliques, deux orangers dans les angles, et,
+tout le long, des flambeaux d'argent et des vases en
+porcelaine, d'où s'élançaient des tournesols, des lis, des
+pivoines, des digitales, des touffes d'hortensias. Ce monceau
+de couleurs éclatantes descendait obliquement, du premier
+étage jusqu'au tapis se prolongeant sur les pavés; et des
+choses rares tiraient les yeux. Un sucrier de vermeil avait
+une couronne de violettes, des pendeloques en pierres
+d'Alençon brillaient sur de la mousse, deux écrans chinois
+montraient leurs paysages. Loulou, caché sous des roses, ne
+laissait voir que son front bleu, pareil à une plaque de
+lapis.
+
+
+Les fabriciens, les chantres, les enfants se rangèrent sur les
+trois côtés de la cour. Le prêtre gravit lentement les
+marches, et posa sur la dentelle son grand soleil d'or qui
+rayonnait. Tous s'agenouillèrent. Il se fit un grand silence.
+Et les encensoirs, allant à pleine volée, glissaient sur leurs
+chaînettes.
+
+Une vapeur d'azur monta dans la chambre de Félicité. Elle
+avança les narines, en la humant avec une sensualité mystique;
+puis ferma les paupières. Ses lèvres souriaient. Les
+mouvements de son coeur se ralentirent un à un, plus vagues
+chaque fois, plus doux, comme une fontaine s'épuise, comme un
+écho disparaît; et, quand elle exhala son dernier souffle,
+elle crut voir, dans les cieux entr'ouverts, un perroquet
+gigantesque, planant au-dessus de sa tête.
+
+
+
+
+Erreurs typographiques:
+
+=buttaient= remplacé par =butaient=
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of Un coeur simple, by Gustave Flaubert
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK UN COEUR SIMPLE ***
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+If you paid a fee for obtaining a copy of or access to a Project
+Gutenberg-tm electronic work and you do not agree to be bound by the
+terms of this agreement, you may obtain a refund from the person or
+entity to whom you paid the fee as set forth in paragraph 1.E.8.
+
+1.B. "Project Gutenberg" is a registered trademark. It may only be
+used on or associated in any way with an electronic work by people who
+agree to be bound by the terms of this agreement. There are a few
+things that you can do with most Project Gutenberg-tm electronic works
+even without complying with the full terms of this agreement. See
+paragraph 1.C below. There are a lot of things you can do with Project
+Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this agreement
+and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic
+works. See paragraph 1.E below.
+
+1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the Foundation"
+or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project
+Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual works in the
+collection are in the public domain in the United States. If an
+individual work is in the public domain in the United States and you are
+located in the United States, we do not claim a right to prevent you from
+copying, distributing, performing, displaying or creating derivative
+works based on the work as long as all references to Project Gutenberg
+are removed. Of course, we hope that you will support the Project
+Gutenberg-tm mission of promoting free access to electronic works by
+freely sharing Project Gutenberg-tm works in compliance with the terms of
+this agreement for keeping the Project Gutenberg-tm name associated with
+the work. You can easily comply with the terms of this agreement by
+keeping this work in the same format with its attached full Project
+Gutenberg-tm License when you share it without charge with others.
+
+1.D. The copyright laws of the place where you are located also govern
+what you can do with this work. Copyright laws in most countries are in
+a constant state of change. If you are outside the United States, check
+the laws of your country in addition to the terms of this agreement
+before downloading, copying, displaying, performing, distributing or
+creating derivative works based on this work or any other Project
+Gutenberg-tm work. The Foundation makes no representations concerning
+the copyright status of any work in any country outside the United
+States.
+
+1.E. Unless you have removed all references to Project Gutenberg:
+
+1.E.1. The following sentence, with active links to, or other immediate
+access to, the full Project Gutenberg-tm License must appear prominently
+whenever any copy of a Project Gutenberg-tm work (any work on which the
+phrase "Project Gutenberg" appears, or with which the phrase "Project
+Gutenberg" is associated) is accessed, displayed, performed, viewed,
+copied or distributed:
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+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
+
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+work, you must comply either with the requirements of paragraphs 1.E.1
+through 1.E.7 or obtain permission for the use of the work and the
+Project Gutenberg-tm trademark as set forth in paragraphs 1.E.8 or
+1.E.9.
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+1.E.3. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is posted
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+terms imposed by the copyright holder. Additional terms will be linked
+to the Project Gutenberg-tm License for all works posted with the
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+
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+License terms from this work, or any files containing a part of this
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+
+1.E.5. Do not copy, display, perform, distribute or redistribute this
+electronic work, or any part of this electronic work, without
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+compressed, marked up, nonproprietary or proprietary form, including any
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+posted on the official Project Gutenberg-tm web site (www.gutenberg.org),
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+License as specified in paragraph 1.E.1.
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+1.E.7. Do not charge a fee for access to, viewing, displaying,
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+
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+
+- You pay a royalty fee of 20% of the gross profits you derive from
+ the use of Project Gutenberg-tm works calculated using the method
+ you already use to calculate your applicable taxes. The fee is
+ owed to the owner of the Project Gutenberg-tm trademark, but he
+ has agreed to donate royalties under this paragraph to the
+ Project Gutenberg Literary Archive Foundation. Royalty payments
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+ prepare (or are legally required to prepare) your periodic tax
+ returns. Royalty payments should be clearly marked as such and
+ sent to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation at the
+ address specified in Section 4, "Information about donations to
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+
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+ you in writing (or by e-mail) within 30 days of receipt that s/he
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+ License. You must require such a user to return or
+ destroy all copies of the works possessed in a physical medium
+ and discontinue all use of and all access to other copies of
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+
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+ money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the
+ electronic work is discovered and reported to you within 90 days
+ of receipt of the work.
+
+- You comply with all other terms of this agreement for free
+ distribution of Project Gutenberg-tm works.
+
+1.E.9. If you wish to charge a fee or distribute a Project Gutenberg-tm
+electronic work or group of works on different terms than are set
+forth in this agreement, you must obtain permission in writing from
+both the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and Michael
+Hart, the owner of the Project Gutenberg-tm trademark. Contact the
+Foundation as set forth in Section 3 below.
+
+1.F.
+
+1.F.1. Project Gutenberg volunteers and employees expend considerable
+effort to identify, do copyright research on, transcribe and proofread
+public domain works in creating the Project Gutenberg-tm
+collection. Despite these efforts, Project Gutenberg-tm electronic
+works, and the medium on which they may be stored, may contain
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+opportunities to fix the problem.
+
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+in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS' WITH NO OTHER
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+WARRANTIES OF MERCHANTIBILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE.
+
+1.F.5. Some states do not allow disclaimers of certain implied
+warranties or the exclusion or limitation of certain types of damages.
+If any disclaimer or limitation set forth in this agreement violates the
+law of the state applicable to this agreement, the agreement shall be
+interpreted to make the maximum disclaimer or limitation permitted by
+the applicable state law. The invalidity or unenforceability of any
+provision of this agreement shall not void the remaining provisions.
+
+1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the
+trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone
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+with this agreement, and any volunteers associated with the production,
+promotion and distribution of Project Gutenberg-tm electronic works,
+harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees,
+that arise directly or indirectly from any of the following which you do
+or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm
+work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any
+Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause.
+
+
+Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm
+
+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
+electronic works in formats readable by the widest variety of computers
+including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
+because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
+people in all walks of life.
+
+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need, is critical to reaching Project Gutenberg-tm's
+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at https://www.pglaf.org.
+
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
+https://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
+permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
+
+The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
+Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
+throughout numerous locations. Its business office is located at
+809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
+business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
+information can be found at the Foundation's web site and official
+page at https://pglaf.org
+
+For additional contact information:
+ Dr. Gregory B. Newby
+ Chief Executive and Director
+ gbnewby@pglaf.org
+
+
+Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation
+
+Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
+spread public support and donations to carry out its mission of
+increasing the number of public domain and licensed works that can be
+freely distributed in machine readable form accessible by the widest
+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
+
+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
+with these requirements. We do not solicit donations in locations
+where we have not received written confirmation of compliance. To
+SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
+particular state visit https://pglaf.org
+
+While we cannot and do not solicit contributions from states where we
+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
+against accepting unsolicited donations from donors in such states who
+approach us with offers to donate.
+
+International donations are gratefully accepted, but we cannot make
+any statements concerning tax treatment of donations received from
+outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
+
+Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including including checks, online payments and credit card
+donations. To donate, please visit: https://pglaf.org/donate
+
+
+Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
+works.
+
+Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
+
+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
+keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
+
+
+Most people start at our Web site which has the main PG search facility:
+
+ https://www.gutenberg.org
+
+This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
+including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
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