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diff --git a/.gitattributes b/.gitattributes new file mode 100644 index 0000000..6833f05 --- /dev/null +++ b/.gitattributes @@ -0,0 +1,3 @@ +* text=auto +*.txt text +*.md text diff --git a/26816-8.txt b/26816-8.txt new file mode 100644 index 0000000..5a77c26 --- /dev/null +++ b/26816-8.txt @@ -0,0 +1,8089 @@ +The Project Gutenberg EBook of Le roman d'un jeune homme pauvre (Play), by +Octave Feuillet + +This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with +almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: Le roman d'un jeune homme pauvre (Play) + +Author: Octave Feuillet + +Release Date: October 7, 2008 [EBook #26816] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LE ROMAN D'UN JEUNE HOMME PAUVRE *** + + + + +Produced by Daniel Fromont + + + + + + + + + + +[Transcriber's note: Octave Feuillet, _Le roman d'un jeune homme +pauvre - comédie_ (1858), édition 1885] + + + + + +THEATRE COMPLET + +DE + +OCTAVE FEUILLET + +DE L'ACADEMIE FRANCAISE + + +I + + +LE ROMAN + +D'UN JEUNE HOMME PAUVRE + +COMEDIE + +Représentée pour la première fois à Paris, sur le THEATRE DU +VAUDEVILLE + +le 22 novembre 1858. + + +CALMANN LEVY, EDITEUR + + +OEUVRES COMPLETES + +D'OCTAVE FEUILLET + +Format grand in-18. + + +LES AMOURS DE PHILIPPE 1 vol. + +BELLAH 1 vol. + +HISTOIRE DE SIBYLLE 1 vol. + +HISTOIRE D'UNE PARISIENNE 1 vol. + +HONNEUR D'ARTISTE 1 vol. + +LE JOURNAL D'UNE FEMME 1 vol. + +JULIA DE TRECOEUR 1 vol. + +UN MARIAGE DANS LE MONDE 1 vol. + +MONSIEUR DE CAMORS 1 vol. + +LA PETITE COMTESSE, LE PARC, ONESTA 1 vol. + +LE ROMAN D'UN JEUNE HOMME PAUVRE 1 vol. + +UN ROMAN PARISIEN 1 vol. + +SCENES ET COMEDIES 1 vol. + +SCENES ET PROVERBES 1 vol. + +LA VEUVE 1 vol. + + +L'ACROBATE, comédie en un acte. + +LA BELLE AU BOIS DORMANT, comédie en cinq actes. + +LE CAS DE CONSCIENCE, comédie en un acte. + +LE CHEVEU BLANC, comédie en un acte. + +CIRCE, proverbe en un acte. + +LA CRISE, comédie en quatre actes. + +DALILA, drame en quatre actes, six parties. + +LA FEE, comédie en un acte. + +JULIE, drame en trois actes. + +MONTJOYE, comédie en cinq actes. + +PERIL EN LA DEMEURE, comédie en deux actes. + +LE POUR ET LE CONTRE, comédie en un acte. + +REDEMPTION, comédie en cinq actes. + +LE ROMAN D'UN JEUNE HOMME PAUVRE, comédie en cinq actes. + +UN ROMAN PARISIEN, pièce en cinq actes. + +LE SPHINX, drame en quatre actes. + +LA TENTATION, comédie en cinq actes, six tableaux. + +LE VILLAGE, comédie en un acte. + + +_Paris. -- Imp. N.-M. DUVAL, 17, rue de l'Echiquier_ + + + + +LE ROMAN + +D'UN + +JEUNE HOMME PAUVRE + + +COMEDIE + +EN CINQ ACTES EN SEPT TABLEAUX + + +PAR + +OCTAVE FEUILLET + +DE L'ACADEMIE FRANCAISE + + +NOUVELLE EDITION + + +PARIS + +CALMANN LEVY, EDITEUR + +ANCIENNE MAISON MICHEL LEVY FRERES + +3, RUE AUBER, 3 + + +1885 + +Droits de reproduction et de traduction réservés. + + +PERSONNAGES + + +MAXIME ODIOT, marquis de Champcey. M. LAFONTAINE. + +M. DE BEVALLAN, 38 ans. M. FELIX. + +M. LAROQUE, octogénaire. M. PARADE. + +LAUBEPIN, notaire honoraire. M. CHAUMONT. + +ALAIN, vieux domestique. M. GALABERT. + +LE DOCTEUR DESMARETS. M. LINGE. + +GASTON DE LUSSAC. M. NERTANN. + +VAUBERGER, concierge. M. BASTIEN. + +CHAMPLEIN. M. ROGER. + +YVONNET. M. SCHAUBB. + +MARGUERITE, fille de madame LAROQUE. Mme JANE ESSLER. + +MADAME LAROQUE, belle-fille de M. Laroque, 56 ans. Mme +GUILLEMIN. + +MADEMOISELLE HELOUIN, institutrice. Mme SAINT-MARC. + +MADAME AUBRY, parente ruinée, recueillie dans le château. Mme +CAYOT. + +CHRISTINE. Mme PIERSON. + +MADAME VAUBERGER. Mme ALEXIS. + +JEUNES FILLES. + + +La scène se passe à Paris et en Bretagne. + + +Les indications de mise en scène sont prises de la salle: le +premier personnage inscrit occupe la gauche du spectateur. + + +LE ROMAN + +D'UN + +JEUNE HOMME PAUVRE + + + + +ACTE PREMIER + + +1ER TABLEAU + + +L'intérieur d'une mansarde dans l'hôtel de Champcey à Paris. +Ameublement très-simple: commode, secrétaire, une petite +table, une étagère, un vieux fauteuil en velours d'Utrecht. +Porte au fond. + + +SCENE I. + + +MADAME VAUBERGER, tenant un époussetoir et entr'ouvrant la +porte avec précaution. + +Il n'est pas rentré, j'en étais sûre. (Elle entre.) Il faut +absolument que j'en aie le coeur net. (Regardant sur la +cheminée.) Une bourse... vide... (S'approchant du secrétaire.) +Il a laissé la clef; c'est déjà mauvais signe... (Elle ouvre +le secrétaire et les tiroirs.) Comme dans la bourse, rien et +rien, pas l'ombre d'un centime... Vauberger a beau dire: c'est +clair... (Entendant du bruit, elle referme le secrétaire à la +hâte et se met à épousseter les meubles; Maxime entre, il est +pâle, vêtu de noir.) + + +SCENE II. + + +MADAME VAUBERGER, MAXIME. + + +MAXIME, l'observant d'un air mécontent. + +Qu'est-ce que vous faites là, madame Vauberger? + + +MADAME VAUBERGER. + +Vous voyez, monsieur Maxime, je nettoie, je range... + + +MAXIME. + +Vous avez déjà nettoyé et rangé ce matin; il me semble que +vous prenez beaucoup trop de peine. + + +MADAME VAUBERGER. + +Pardon, monsieur Maxime, je croyais bien faire; je m'en +vais... + + +MAXIME. + +Allez, Madame, allez. (Elle sort.) + + +SCENE III. + + +MAXIME seul, puis MADAME VAUBERGER. + + +MAXIME + +Est-ce que cette misérable femme m'espionne? son oeil ne me +quitte pas... et il me semble avoir vu son fils acharné à me +suivre dans les rues hier soir et ce matin... Quel intérêt +pourrait-elle avoir? Bah! un intérêt de curiosité, un intérêt +de commère... La chute du puissant, l'humiliation du riche, +n'est-ce pas de tout temps le plus doux objet d'entretien pour +ces gens-là?... et cependant cette femme, elle a été comblée +des bienfaits de ma mère; elle m'a vu naître; elle affichait +une passion exaltée pour ma famille... Enfin il faut me faire +à ces choses-là! (Madame Vauberger rentre.) Encore!... Qu'y a-t-il? + + +MADAME VAUBERGER. + +C'est un monsieur à qui je n'ai pas pu dire que vous n'y étiez +pas, il vous a vu rentrer; voici sa carte. + + +MAXIME, regardant la carte. + +Gaston de Lussac!... Faites monter. (Madame Vauberger sort.) +Gaston! Eh bien, je ne suis pas fâché de le voir... c'est un +étourdi, mais un brave coeur, je crois. Il y a si longtemps que +je n'ai touché une main amie... Nous étions très-liés il y a +deux ans. (Souriant.) S'il me rendait ce que je lui ai +prêté... seulement la moitié, il serait deux fois le bienvenu +en ce dur moment. (La porte s'ouvre.) Ah! bonjour, Gaston! + + +SCENE IV. + + +MASIME, GASTON. + + +GASTON, de la porte. + +Avant tout, mon ami, rassure-toi, je n'ai pas besoin d'argent! + + +MAXIME. + +Vrai? + + +GASTON. + +Ma parole... je suis riche, mon cher, je viens te dire cela. +Tu vois un homme orné de cinquante mille francs de rente. + + +MAXIME. + +Bah! ton oncle? + + +GASTON, simplement. + +Eh! mon Dieu, oui... Pauvre bonhomme!... Enfin, je ne l'ai pas +tué!... que veux-tu!... Mais d'où arrives-tu donc, toi, cher +ami? J'ai été vingt fois tenté depuis deux ans de partir pour +Grenoble et d'aller te relancer au fond de tes forêts... J'ai +cru rêver quand je t'ai aperçu sur le boulevard tout à +l'heure! Que diable es-tu revenu? + + +MAXIME. + +J'ai voyagé, mon ami. + + +GASTON. + +Ah! (Il regarde autour de lui.) Tiens! tu es drôlement +installé ici... Je croyais que vous vous réserviez le +rez-de-chaussée de votre hôtel? + + +MAXIME. + +Autrefois, oui. + + +GASTON. + +Ah çà... mais... qu'y a-t-il donc? mon ami! Je te trouve pâle, +changé... tu es en grand deuil... est-ce que?... + + +MAXIME, avec un triste sourire. + +Mon ami, tu tombes mal; je suis malheureux; j'ai besoin d'un +confident, tu te présentes: tant pis pour toi. + + +GASTON. + +Comment, cher ami!... Mais parle bien vite... Je suis une tête +un peu folle... mais tu ne doutes pas de mon coeur, j'espère? + + +MAXIME. + +Non, je n'en doute pas, et je vais te le prouver; mets-toi là. +(Ils s'asseoient1 [1. Gaston, Maxime.].) Le malheur qui me +frappe, mon ami, j'aurais dû le prévoir depuis de longues +années, si l'habitude, la dissipation de ma vie, et surtout le +respect filial, ne m'eussent aveuglé... Voyons, toi, tu es +venu deux ou trois fois au château passer la saison de chasse, +n'es-tu jamais remarqué rien de mystérieux, rien +d'extraordinaire dans l'intérieur de notre famille? + + +GASTON. + +Mais rien... c'est-à-dire, j'ai bien remarqué que ta mère +était un peu bizarre; elle était charmante, ta mère... mais +elle paraissait triste, elle vivait très-retirée, et affectait +même dans sa toilette une simplicité extrême, presque +religieuse. + + +MAXIME. + +Oui, et cependant elle avait, dans sa première jeunesse, aimé +le monde avec passion... puis tout à coup nous l'avions vue +s'en détacher et se vouer à une vie de réclusion, de solitude, +d'où les instances de mon père, qu'elle adorait pourtant, ne +purent jamais la faire sortir... Tu te rappelles mon père? + + +GASTON. + +Ton père? je crois bien! Quel charmant vieillard! quel feu! +quel entrain! toujours le premier au plaisir! un convive +admirable, un écuyer sans égal, un causeur éblouissant! un +vrai type de gentilhomme! + + +MAXIME. + +Oui, ces brillantes qualités que j'admirais comme toi +l'attiraient invinciblement dans toutes les fêtes de la vie +mondaine dont il était le héros. Ma mère refusait obstinément +de l'y suivre: elle refusa même bientôt de paraître dans son +propre salon quand on recevait au château. J'attribuais à ces +refus, qui exaspéraient mon père, les scènes pénibles, +violentes parfois, dont les échos arrivaient jusqu'à moi. Je +croyais la pauvre femme atteinte d'une affection nerveuse, +d'une espèce de maladie noire, et mon père, d'ailleurs, me le +donnait à entendre. Cependant, mon ami... tu sais que j'ai une +soeur beaucoup plus jeune que moi? + + +GASTON. + +Mademoiselle Hélène! Oui. + + +MAXIME. + +Peu de jours après sa naissance, il y a sept ans de cela, mon +père m'appela chez lui et me fit part avec un certain embarras +d'un désir singulier que manifestait ma mère: c'était de me +voir suivre un cours de droit. Alors, pour la première fois, +mon ami, la pensée me vint que les goûts mondains de mon père, +sa répugnance et son dédain pour le côté positif et ennuyeux +de la vie avaient pu introduire dans notre fortune quelque +secret désordre; peut-être, me disais-je, ma mère veut-elle +que je sois en état de suppléer à la négligence de mon père, +de réparer ses erreurs. + + +GASTON. + +Eh bien? + + +MAXIME. + +Je ne pus m'arrêter à cette idée... j'avais bien, à la vérité, +entendu mon père se plaindre parfois des désastres que notre +fortune avait subis pendant la révolution, mais ces plaintes +m'avaient toujours paru assez injustes. Tu as vu toi-même +quelle était notre situation, notre genre de vie. + + +GASTON. + +Mais c'était tout ce qu'il y avait de plus confortable. Un +hôtel à Paris, un château seigneurial, des écuries immenses +peuplées de chevaux de prix. + + +MAXIME. + +Cependant, j'obéis à ma mère, je fis mon droit; mais en même +temps je commençai, j'avais vingt ans, à la fuir, à +l'éviter... elle était toujours souffrante, et malheur à ceux +qui souffrent toujours! oui, cette pauvre femme qui m'aimait +tant, et que j'aimais aussi, je t'assure, je l'abandonnai +chaque jour davantage; nous nous disions, mon père et moi, +qu'elle n'était pas malade, qu'elle avait des manies. Nous +n'étions jamais si heureux que quand nous nous élancions hors +de cette pauvre maison où languissait cette malade éternelle! +Allons, Maxime, criait gaiement mon père, un temps de +galop!... et nous courions!... Un jour en recevant d'une de +ces courses, nous trouvâmes... elle était morte, mon ami, me +laissant un remords qui ne finira pas! (Il se lève.) + + +GASTON. + +Maxime! + + +MAXIME. + +Deux mois plus tard, sur le désir formel de mon père, je +partis pour l'Italie, et je commençai une série de voyages +dont il avait lui-même fixé le terme. Pendant plusieurs +années, sa correspondance affectueuse, mais brève, ne témoigna +jamais la moindre impatience au sujet de mon retour... Je n'en +fus que plus alarmé, il y a deux mois, quand je trouvai, en +débarquant à Marseille, plusieurs lettres de mon père qui, +toutes, me rappelaient avec une hâte fébrile. + + +GASTON. + +Ah! est-ce que vraiment...? il me semble avoir entendu le nom +de ton père mêlé à des spéculations de Bourse l'an passé? + + +MAXIME. + +J'arrivai le soir: il y avait une légère couche de neige sur +le sol, et en traversant l'avenue j'entendais les flocons de +givre se détacher des arbres, et tomber autour de moi comme +des larmes... Comme j'approchais du château, je vis derrière +les fenêtres à demi éclairées du grand salon une ombre qui me +parut être celle de mon père. A peine j'eus franchi le seuil, +il accourut, il me saisit dans ses bras avec une effusion de +sensibilité à laquelle il ne m'avait pas habitué, et je sentis +son coeur battre contre le mien avec une violence effrayante; +il me montra un siège et s'assit brusquement en face de moi. +(Maxime s'asseoit.) Alors comme s'il eût désiré de parler sans +en trouver le courage, ses yeux s'arrêtèrent sur les miens +avec une expression d'angoisse, d'humilité et de prière, qui +de la part d'un homme aussi fier que l'était mon père, me +toucha, me navra profondément! Ah! ce tort qu'il avait tant de +peine à confesser, je l'avais compris déjà, et Dieu sait que +du fond de l'âme j'étais prêt à lui crier: Je vous pardonne! +je vous pardonne! quand soudain ce regard qui ne me quittait +pas prit une fixité grave, étonnée et terrible; la main se mon +père se crispa sur mon bras, il se souleva sur son fauteuil et +retomba lourdement sur le parquet, il n'était plus! + + +GASTON, se levant. + +Pauvre ami... mais quoi?... qu'y a-t-il encore?... parle... +est-ce la ruine? + + +MAXIME. + +Tu l'as dit. (Il se lève1 [1. Maxime, Gaston.].) La Bourse +l'avait achevé. De sorte que je me trouve avec ma soeur en face +d'un abîme dont je ne connais même pas le fond, car le +désordre était immense, et j'avais à peine, d'ailleurs, essayé +de mettre un peu de lumière dans ce chaos que je tombai +gravement malade. J'ai été pendant deux mois entre la vie et +la mort; dès que j'ai pu marcher, je suis accouru à Paris, et +me voilà. + + +GASTON. + +Mais tes affaires pendant ce temps? La liquidation... + + +MAXIME. + +Grâce à Dieu, un ami s'en était chargé dès la première heure, +un ami que je connais à peine, mais en qui cependant j'ai +pleine confiance, parce que ma mère l'estimait profondément; +c'est un vieillard, un monsieur Laubépin, autrefois notaire de +notre famille. + + +GASTON. + +Ah! je crois l'avoir vu chez vous, un ébouriffé un peu +fantasque? + + +MAXIME. + +Oui, un peu... Je l'avais perdu de vue depuis des années... +mon père ne l'aimait pas; il se moquait de ses formes +solennelles et respectueuses, sous lesquelles il prétendait +flairer un vieux levain bourgeois, roturier, et même jacobin, +disait-il. J'ai ri moi-même plus d'une fois aux dépens de ce +bonhomme, ne me doutant guère que j'attendrais un jour, de sa +bouche, le dernier mot de ma destinée. + + +GASTON. + +Mais enfin, vous aviez cent mille francs de rente... Les +morceaux en sont bons, que diable! + + +MAXIME. + +Tu penses, n'est-ce pas, que je sauverai quelque épave? Eh! +mon Dieu, si seulement l'existence de ma soeur était +assurée!... mais cette incertitude est affreuse!... + + +GASTON. + +Et comment n'as-tu pas encore vu ton Laubépin? + + +MAXIME. + +Tu peux croire qu'à peine arrivé j'ai couru chez lui, mais +bah! il n'y était pas! Il était à la campagne, en province, je +ne sais où... aussi je suis là depuis deux jours dans un état +de misère, de détresse morale... et physique... dont j'ose à +peine te donner l'idée. + + +GASTON, avec distraction et embarras. + +Pauvre ami! Ah! voilà... voilà la vie!... c'est atroce! c'est +atroce! (Regardant l'heure à sa montre.) Ah çà, mon ami, je te +demande mille fois pardon, mais j'ai un rendez-vous au +tattersall pour trois heures; voilà trois heures et demie... + + +MAXIME, froidement. + +Va, mon ami, va. (Avec une nuance d'ironie.) Tu reviendras, +n'est-ce pas? + + +GASTON. + +Parbleu, en doutes-tu? Diable! ce n'est pas dans des moments +pareils qu'on abandonne ses amis. (Il tire son porte-cigare.) +Ah çà, tu vas bien me permettre de t'offrir un cigare, mon +ami, j'en ai d'excellents; il n'y en a plus que deux... nous +allons partager en frères... A revoir, Maxime, à bientôt, bon +courage! + + +MAXIME, qui s'est laissé mettre le cigare dans la main, avec +un sourire triste. + +Je vais le fumer! + + +SCENE V. + + +MAXIME, MADAME VAUBERGER. + + +MADAME VAUBERGER. + +Monsieur! c'est monsieur Laubépin. + + +MAXIME. + +Laubépin!... Ah! faites entrer! faites entrer! (A part.) Dieu +soit loué! Je vais du moins être tiré de cette angoisse! +(Entre Laubépin.) + + +SCENE VI. + + +MAXIME, LAUBEPIN. + + +MAXIME. + +Ah! cher Monsieur, je vous attendais avec impatience... + + +LAUBEPIN, s'inclinant. + +Monsieur le marquis! Votre santé, monsieur le marquis? + + +MAXIME. + +Meilleure, monsieur Laubépin, je vous remercie... + + +LAUBEPIN. + +Et mademoiselle Hélène de Champcey? + + +MAXIME. + +Elle va bien, elle est toujours ici, dans sa pension. La +pauvre enfant ignore nos désastres; moi-même, monsieur +Laubépin, vous le savez, je n'en connais pas exactement +l'étendue, et c'est de votre bouche... + + +LAUBEPIN. + +Pardon, monsieur le marquis, mais il entre dans mes habitudes +de procéder avec méthode. + + +MAXIME. + +Ah! veuillez vous asseoir, Monsieur. (Ils s'asseoient à +droite1 [1. Laubépin, Maxime.].) + + +LAUBEPIN. + +Ce fut, monsieur, en l'année 1820, que mademoiselle Louise-Hélène +Dugald Delatouche d'Erouville fut recherchée en mariage +par Charles-Christian Odiot, marquis de Champcey d'Hauterive. +Vous n'ignorez pas, Monsieur, que j'étais enchaîné à la +famille Dugald Delatouche par les liens d'un dévouement en +quelque sorte héréditaire, et que, de plus, la jeune héritière +de cette maison m'avait inspiré, par ses aimables vertus, une +affection aussi profonde que respectueuse. Je dus employer +tous les arguments de la raison pour détourner mademoiselle +Dugald de la funeste alliance qui lui était proposée. Je dis +funeste alliance, Monsieur, parce que tout en rendant justice +aux qualités chevaleresques et trop séduisantes qui +distinguaient monsieur le marquis de Champcey, comme tous ceux +de sa maison, j'apercevais déjà clairement sous ces dehors +brillants l'irréflexion et la frivolité obstinées, la fureur +du plaisir, et finalement le barbare égoïsme... + + +MAXIME. + +Monsieur, la mémoire de mon père m'est sacrée, et j'entends +qu'elle le soit à tous ceux qui parlent de mon père devant +moi. + + +LAUBEPIN, avec émotion. + +Monsieur, je respecte ce sentiment; mais quand je parle de +votre père, comment oublier, Monsieur, que je parle de l'homme +qui a tué votre mère, une enfant héroïque, une martyre! + + +MAXIME, se levant. + +Monsieur Laubépin! + + +LAUBEPIN, se levant aussi et posant une main sur le bras de +Maxime. + +Pardon, jeune homme; mais j'étais l'ami de votre mère... je +l'ai pleurée. Veuillez me pardonner!... Au surplus (se +rasseyant), si vous l'exigez, je ne parlerai que du présent. + + +MAXIME. + +Je vous en prie. (Ils s'asseyent.) + + +LAUBEPIN. + +Monsieur, vous verre le détail de mes opérations dans le +dossier volumineux que le concierge de cet hôtel est allé +chercher chez moi: mais pour résumer ces opérations en un mot, +il se trouve qu'après la vente de votre château, de vos terres +et de cet hôtel même, à des conditions inespérées, vous +resterez redevable envers les créanciers de Monsieur votre +père, d'une somme de 45,000 fr. + + +MAXIME. + +Est-il possible! + + +LAUBEPIN. + +Monsieur, cela est certain. + + +MAXIME. + +Comment! non-seulement il ne nous reste rien, mais... + + +LAUBEPIN. + +Vous devez quarante-cinq mille francs... + + +MAXIME, se levant. Faisant quelques pas dans la chambre. A +part. + +Mon Dieu! pauvre Hélène1 [1. Maxime, Laubépin.]! + + +LAUBEPIN, qui l'observe, se levant. + +Maintenant, monsieur le marquis, je dois vous dire que Madame +votre mère, en prévision de ce qui arrive, avait daigné me +remettre en dépôt quelques bijoux et joyaux d'une valeur de +50,000 francs environ. + + +MAXIME. + +Ah! + + +LAUBEPIN. + +Pour empêcher que cette faible somme, votre unique fortune +désormais, ne tombe aux mains des créanciers, nous pouvons +user d'un subterfuge légal que je vais avoir l'honneur de vous +soumettre. + + +MAXIME, simplement. + +Comment? mais c'est tout à fait inutile. Je suis trop heureux +de pouvoir, à l'aide de cette somme, dégager entièrement +l'honneur de mon père. + + +LAUBEPIN, qui ne cesse d'observer Maxime avec une attention +marquée. + +Ah! -- soit, monsieur le marquis; mais comme en ce cas vous +restez absolument sans ressources, puis-je vous demander, à +titre confidentiel et respectueux, si vous avez avisé à +quelque moyen d'assurer votre existence et celle de votre soeur +et pupille? + + +MAXIME. + +Mon Dieu! Monsieur, tous mes projets sont bouleversés, je vous +l'avoue. Je ne m'attendais pas à ce complet dénûment. Si +j'étais seul au monde, je me ferais soldat; mais j'ai ma soeur. +Je ne puis souffrir le pensée de la voir condamnée au travail, +aux privations, aux dangers de la pauvreté. Elle est heureuse +dans sa pension; elle est assez jeune pour y demeurer quelques +années encore. Si je pouvais trouver quelque occupation qui me +permît, en me réduisant moi-même à l'existence la plus +étroite, de payer la pension de ma soeur, et de lui amasser une +dot, je serais heureux!... + + +LAUBEPIN. + +Ah! -- dans notre cadre social, monsieur le marquis, une +occupation assez lucrative pour répondre à vos honorables +attentions, ne se trouve guère du jour au lendemain... +Heureusement j'ai à vous communiquer quelques propositions +qui, sans aucun effort de votre part, sont de nature à +modifier votre situation. En premier lieu, je serai près de +vous l'interprète d'un spéculateur riche et influent; cet +individu a conçu l'idée d'une entreprise considérable qui doit +réussir surtout par le concours de la classe aristocratique de +ce pays. Il pense qu'un nom comme le vôtre, monsieur le +marquis, figurant en tête de son prospectus, aiderait +puissamment à lancer l'entreprise. + + +MAXIME. + +Oui, vraiment? + + +LAUBEPIN. + +Il vous offre, en retour d'une facile complaisance, d'abord +une forte prime, ensuite... + + +MAXIME. + +En voilà assez, monsieur Laubépin; en voilà trop1 [1. +Laubépin, Maxime.]! + + +LAUBEPIN, haussant la voix. + +Si la proposition ne vous plaît pas, monsieur le marquis, elle +ne me plaît pas plus qu'à vous. Mais j'ai cru devoir vous la +soumettre. En voici une autre qui, j'espère, vous sourira +davantage: j'ai parmi mes anciens clients un honorable +commerçant qui s'est retiré des affaires avec une fortune +assez ronde: sa fille, monsieur le marquis, fille unique et +conséquemment adorée, a été par hasard informée de votre +situation, et je sais, je suis certain qu'elle serait prête et +disposée à recevoir de votre main le titre de marquise de +Champcey. Le père consent, et je n'attends qu'un mot de vous +pour vous dire le nom et la demeure de cette famille +intéressante. + + +MAXIME. + +Mon nom n'est pas plus à vendre qu'à louer. D'ailleurs, dans +l'état de ma fortune, mon titre est dérisoire, et comme il +paraît devoir en outre m'exposer à toutes les entreprises de +l'intrigue, je suis déterminé à le quitter; le nom originaire +de ma famille est Odiot: c'est le seul que je porterai +désormais. + + +LAUBEPIN. + +Ah! (se frottant les mains gaiement et amicalement.) Savez-vous +que vous serez difficile à caser, très-difficile à caser, +jeune homme, avec ces idées-là? C'est étonnant, Monsieur, +comme je suis frappé depuis un moment de votre ressemblance +avec madame votre mère. + + +MAXIME, souriant tristement. + +Avec ma mère? Je ne pensais pas... On m'a toujours dit que +j'étais le portrait vivant de mon aïeul paternel... Jacques de +Champcey. + + +LAUBEPIN. + +Oh!... cependant... les yeux et le sourire... Mais c'est assez +abuser de vos instants. Monsieur le marquis... je vous laisse. + + +SCENE VII. + + +LES MEMES, VAUBERGER. + + +VAUBERGER. + +Voilà les papiers, Monsieur. + + +LAUBEPIN. + +Ah! c'est votre dossier que j'ai envoyé prendre; il y a encore +deux ou trois pièces importantes qui sont déposées chez le +notaire, chez mon successeur. C'est à deux pas d'ici. Si vous +voulez venir les prendre, vous donneriez en même temps +quelques signatures indispensables. + + +MAXIME. + +Soit. Je vous accompagne. (A Vauberger.) Rangez ces papiers +sur cette étagère. Allons, Monsieur. (Ils sortent après +quelques cérémonies de Laubépin.) + + +SCENE VIII. + + +VAUBERGER, puis MADAME VAUBERGER. + + +VAUGERGER, rangeant les papiers1 [1. Vauberger, madame +Vauberger.] . + +Il ne me remercierait pas seulement de la peine. + + +MADAME VAUBERGER. + +Dis donc, Vauberger, sais-tu si le vieux l'a invité à dîner? + + +VAUBERGER. + +Je n'en sais rien, je n'ai pas entendu... qu'est-ce que ça me +fait, d'ailleurs! + + +MADAME VAUBERGER. + +Pauvre M. Maxime! + + +VAUBERGER. + +T'y voilà encore! Ecoute, tu m'ennuies à la fin avec ton +Maxime! Est-ce ma faute à moi s'il est ruiné, tiens! + + +MADAME VAUBERGER. + +Tu verras, Vauberger, tu verras qu'un de ces matins il se +tuera, ce garçon-là. + + +VAUBERGER. + +Eh bien! s'il se tue, on l'enterra, quoi! + + +MADAME VAUBERGER. + +Je te dis, Vauberger, que ça t'aurait fendu le coeur si tu +l'avais vu, comme je l'ai vu ce matin, avaler sa carafe d'eau +claire pour déjeuner. Songe donc, Vauberger, manquer de feu et +de pain! un garçon qui a été élevé dans des fourrures et +nourri toute sa vie avec du blanc-manger! Ca n'est pas une +honte et une indignité, ça! et ça n'est pas un drôle de +gouvernement que ton gouvernement qui permet des choses +pareilles!... + + +VAUBERGER, avec un profond dédain. + +Mais ça ne regarde pas du tout le gouvernement! Mon Dieu! que +les femmes sont bêtes! et puis, c'est pas vrai, il n'en est +pas là, il ne manque pas de pain... ce n'est pas possible. + + +MADAME VAUBERGER. + +Puisque j'en suis sûre! puisqu'il n'a plus un sou, puisque +Edouard l'a espionné... Je te dis qu'il n'a pas déjeuné ce +matin, à preuve que ses pauvres jambes ne peuvent plus le +soutenir... et je parie qu'il ne va pas encore dîner ce +soir... car il est trop fier pour mendier un dîner! + + +VAUBERGER. + +Eh bien, tant pis pour lui! Quand on est pauvre, faut pas être +fier! + + +MADAME VAUBERGER, indignée. + +Vauberger! tu es un concierge, tu veux qu'on t'appelle +concierge... eh bien, tu as les sentiments d'un portier! + + +VAUBERGER. + +Madame Vauberger! (Maxime paraît au fond.) + + +SCENE IX. + + +LES MEMES, MAXIME. + + +VAUBERGER, servilement. + +Monsieur le marquis, je rangeais ces papiers... Monsieur le +marquis n'a pas d'autre ordre à nous donner? + + +MAXIME, froidement. + +Allez-vous-en. + + +VAUBERGER. + +Oui, monsieur le marquis. (Se retournant près de sortir.) +Ruiné, va! + + +SCENE X. + + +MAXIME, seul. + +Je n'ai pas osé... je n'ai pas osé lui demander l'aumône... et +pourtant ce n'eût pas été une aumône, puisqu'il a de l'argent +à moi... mais je n'ai pas osé... Je le verrai demain matin, et +j'espère qu'il m'offrira de lui-même... on ne meurt pas pour +un jour de jeûne... Ah! si je pèche par orgueil, je suis +puni... car réellement je souffre... Si j'allais dîner tout +bonnement n'importe où... on me connaît... je pourrais dire +que j'ai oublié ma bourse... j'ai fait cela cent fois, sans +scrupule, dans d'autres temps... Non! tous ces expédients, qui +sentent la misère et la tricherie, me répugnent trop... Pour +les pauvres, cette pente est glissante; je n'y mettrai pas le +pied! Si je pouvais dormir. (Il s'asseoit dans le fauteuil.) +La faim! ce n'est donc pas un vain mot... la faim! Il y a donc +vraiment une maladie de ce nom-là... il y a vraiment des +créatures humaines qui souffrent presque chaque jour ce que je +souffre en ce moment?... et encore, moi, je souffre seul; le +seul être qui m'intéresse au monde, ma soeur, je vois son cher +visage, heureux, souriant... Mais ceux qui entendent le cri +déchirant de leurs entrailles répété par des voix aimées, +suppliantes... ceux qu'attendent dans leur froid logis des +femmes aux joues pâles et des petits enfants sans sourire... +pauvres gens... O sainte charité! (Il sommeille. -- Musique +jusqu'au réveil de Maxime.) + + +SCENE XI. + + +MAXIME, MADAME VAUBERGER. + + +Elle entre doucement, portant quelques plats sur un plateau. +Elle pose le plateau sur la cheminée, approche une petite +table et la couvre d'une nappe. + + +MAXIME, s'éveillant à demi. + +Triste sommeil! Je fais de vrais rêves de naufragé... je ne +vois que des mirages de festins, de banquets! (Apercevant le +plateau.) Tiens! (Il voit madame Vauberger.) Qu'est-ce que +c'est? qu'est-ce que vous faites? + + +MADAME VAUBERGER, affectant la surprise. + +Est-ce que Monsieur n'a pas demandé à dîner? + + +MAXIME. + +Pas du tout. + + +MADAME VAUBERGER. + +Edouard m'a pourtant dit que Monsieur... + + +MAXIME. + +Edouard s'est trompé: c'est quelque locataire à côté; voyez. + + +MADAME VAUBERGER. + +Il n'y a pas de locataire sur le palier de Monsieur... Je ne +comprends pas... + + +MAXIME. + +Enfin, ce n'est pas moi! Qu'est-ce que cela veut donc dire?... +Vous me fatiguez! Emportez cela!... + + +MADAME VAUBERGER. Elle replie tristement la nappe, et reprend +timidement après une pause. + +Monsieur a probablement dîné? + + +MAXIME. + +Probablement. + + +MADAME VAUBERGER. + +C'est dommage, car le dîner est prêt... il va être perdu, et +le petit va être grondé par son père... Si Monsieur n'avait +pas dîné, par hasard, il m'aurait vraiment bien obligée... + + +MAXIME, violemment. + +Allez-vous-en, vous dis-je! sortez!... (Il se lève et +s'approche d'elle avec douceur.) Louison... je vous +comprends... je vous remercie: mais je suis un peu souffrant +ce soir: je n'ai pas faim. + + +MADAME VAUBERGER, avec émotion. Elle se rapproche, portant le +plateau qu'elle dépose doucement sur la table devant Maxime. + +Ah! monsieur Maxime! si vous saviez comme vous me mortifiez! +Eh bien, vous me paierez mon dîner, là; vous me mettrez de +l'argent dans la main quand il vous en reviendra; mais vous +pouvez être bien sûr que quand vous me donneriez cent mille +francs, ça ne me ferait pas autant de plaisir que de vous voir +manger mon pauvre dîner! Ce serait une fière charité que vous +me feriez, allez! vous devez pourtant bien comprendre ça, +monsieur Maxime, vous qui avez de l'esprit. + + +MAXIME. + +Eh bien, ma chère Louison, que voulez-vous? je ne peux pas +vous donner cent mille francs... mais je vais manger votre +dîner. (Il s'asseoit brusquement devant la table.) + + +MADAME VAUBERGER. + +Oh! merci, monsieur Maxime, merci... vous avez bon coeur. + + +MAXIME. + +Et bon appétit aussi, Louison, je vous jure... mais laissez-moi, +n'est-ce pas?... + + +MADAME VAUBERGER + +Oui, monsieur Maxime... merci, Monsieur. + + +MAXIME, la rappelant. + +Louison... donnez-moi votre main... soyez tranquille, ce n'est +pas pour y mettre de l'argent... (Lui prenant la main.) Là... +à revoir. (Madame Vauberger sort en pleurant.) + + +SCENE XII. + + +MAXIME, puis LAUBEPIN. + + +MAXIME, portant son mouchoir à ses yeux. + +Allons! pas d'enfantillage! et dînons puisque dîner il y a!... +Ce que c'est que le fruit défendu! j'ai moins faim que tout à +l'heure! Cette pauvre femme, que j'accusais, cette portière... +c'est un ange!... Enfin me voilà toujours assuré de vivre +jusqu'à demain... c'est quelque chose. (On entend Madame +Vauberger qui parle à Laubépin dans l'escalier. La porte +s'ouvre. Laubépin paraît conduit par Madame Vauberger qui se +retire aussitôt. Maxime se lève un peu interdit.) + + +LAUBEPIN, d'un air consterné. + +Au nom du ciel, monsieur le marquis, comment ne m'avez-vous +pas dit...? (S'avançant.) Jeune homme, c'est mal; vous avez +blessé un ami! vous faites rougir un vieillard!... + + +MAXIME, ému. + +Monsieur! + + +LAUBEPIN, l'attirant sur sa poitrine. + +Mon pauvre enfant! Allons! n'y pensons plus! Dînez, mon ami, +et dînez gaiement... car Dieu merci, je vous apporte une bonne +nouvelle... + + +MAXIME. + +Bah! (Il lui donne une chaise1 [1. Laubépin, Maxime.].) + + +LAUBEPIN. + +J'ai un emploi à vous offrir. + + +MAXIME. + +Un emploi? + + +LAUBEPIN. + +Mais, dame! je ne sais s'il vous agréera. Je suis arrivé ce +matin de Bretagne, comme vous savez, mon ami. Il y a là, au +fond du Morbihan, une famille considérable et très-opulente, +la famille Laroque d'Arz dont je possède toute la confiance. +Les Laroque avaient, depuis vingt ans, un homme d'affaires, un +intendant, nommé Yvart, qui était un fripon. J'ai appris ces +jours-ci que cet individu était fort malade; je suis +immédiatement parti pour le château de Laroque, et j'ai +demandé pour un ami à moi, que je n'ai point nommé, l'emploi +qui, suivant toute apparence, allait devenir vacant. + + +MAXIME. + +Mais tantôt vous ne m'aviez pas dit un mot... + + +LAUBEPIN. + +D'abord, mon ami, j'avais à peine l'honneur de vous connaître, +et je tenais à savoir avant tout quelle espèce d'homme vous +étiez. Ensuite, c'est en rentrant chez moi seulement qu'une +lettre de mon excellente amie, madame Laroque, m'a appris le +décès définitif du sieur Yvart. Maintenant, voici les +conditions: vous serez uniquement connu dans le château sous +le nom de Maxime Odiot; vous habiterez un pavillon +particulier. Quant à vos appointements, ils seront réglés +chaque année de façon à vous permettre de penser à la dot de +votre soeur. Cela vous convient-il? + + +MAXIME. + +A merveille, et je ne sais comment vous remercier de votre +prévoyante bonté... Seulement je crains d'être un homme +d'affaires un peu neuf. + + +LAUBEPIN. + +N'êtes-vous pas avocat, c'est-à-dire un peu propre à tout? Et +puis, comme je l'écris à madame Laroque, ce qui vous manque +peut s'apprendre en deux mois, et vous avez ce que cinquante +ans d'expérience n'avaient pu apprendre à votre +prédécesseur... la probité... je vous ai vu au feu, j'en +réponds. + + +MAXIME. + +Eh bien, Monsieur, je suis prêt. (Il se lève.) + + +LAUBEPIN. + +Prêt à partir demain? + + +MAXIME. + +Demain? + + +LAUBEPIN. + +Mon Dieu, il le faut, car ces gens-là sont ne sont pas +capables à eux tous de faire une quittance. Mon excellente +amie madame Laroque en particulier est, en affaires, d'une +enfance... c'est une créole. + + +MAXIME, vivement. + +Ah! c'est une créole! + + +LAUBEPIN, sèchement. + +Oui, jeune homme, une vieille créole. De son côté, sa fille... + + +MAXIME. + +Ah! elle a une fille? + + +LAUBEPIN. + +Oui, qui est plus jeune. + + +MAXIME. + +Naturellement... + + +LAUBEPIN. + +Au surplus, vous les verrez, vous les jugerez vous-même. + + +MAXIME. + +Si je pouvais pourtant sans indiscrétion vous demander, pour +ma gouverne, quelques renseignements sur le caractère des +personnes avec qui je vais me trouver en contact? + + +LAUBEPIN, avec réserve. + +Mon Dieu, jeune homme, l'article personnel est toujours fort +délicat. Cependant, voyons... Il y a dans le château, en +résidence permanente, sans parler des voisins, des amis, il y +a, dis-je, cinq personnes: d'abord monsieur Laroque le père, +célèbre au commencement de ce siècle en qualité de corsaire +autorisé, source de la fortune... aujourd'hui plus +qu'octogénaire... intelligence un peu flottante; ensuite, +madame Laroque, sa belle-fille, veuve, créole d'origine... +quelques manies... mais belle âme; mademoiselle Marguerite, sa +fille, créole et bretonne... une petite tête, quelques +chimères, mais belle âme; puis, en sous-ordre, une madame +Aubry, cousine au deuxième degré recueillie dans la maison, +veuve d'une banquier décédé en Belgique... esprit aigri; et +enfin une demoiselle Hélouin, institutrice, demoiselle de +compagnie, esprit cultivé... caractère... (Il hésite et +reprend.) Esprit cultivé!... c'est tout! vous voyez... + + +MAXIME. + +Comment, mais sur cinq habitants il y a deux belles âmes... +c'est une proportion magnifique! + + +LAUBEPIN. + +N'est-ce pas? ah çà! Maxime, vous penserez à la dot d'Hélène? + + +MAXIME. + +Je ne penserai qu'à cela, Monsieur! + + +LAUBEPIN. + +Bien! allons! bon courage, mon ami! Demain matin je vous +attends à déjeuner, et demain soir en route pour la Bretagne. +(Sérieux.) Mon enfant, je ne vous connais que depuis quelques +heures, et je me porte votre caution, vous voyez: je réponds +de vous... à tous les points de vue: je n'aurai jamais à m'en +repentir, n'est-ce pas?... + + +MAXIME. + +Monsieur, j'ai fait, à la mémoire de celle que j'avais connue +trop tard, un serment que je tiendrai. J'ai juré de ne jamais +commettre aucune action dont aurait pu rougir la sainte qui +fut ma mère. + + +LAUBEPIN. + +Je suis tranquille; à demain. + + +MAXIME. + +A demain... (Seul.) Intendant!... allons, frère, courage! + + +FIN DU PREMIER TABLEAU + + + + +IIe TABLEAU + + +Un riche salon d'été, largement ouvert sur une terrasse ornée +de statues et de grands vases: une balustrade ferme, dans le +fond, cette terrasse, d'où l'on descend par un escalier de +deux ou trois marches dans une autre partie des jardins. A +gauche une fenêtre, un piano. -- A droite une table couverte de +livres et de journaux, jardinières, vases pleins de fleurs, un +brasero allumé. + + +SCENE I. + + +M. DE BEVALLAN, LE DOCTEUR DESMARETS, MADAME LAROQUE, +MARGUERITE, MADEMOISELLE HELOUIN, MADAME AUBRY. + + +Au lever de rideau, quelques jeunes filles en toilette d'été +se promènent sur la terrasse, M. de Bévallan cause et rit avec +elles. Le docteur Desmarets lit un journal: Madame Laroque, +enveloppée de fourrures et entourée de coussins en velours et +en tapisserie, est assise à droite, lisant et approchant sa +main de temps à autre de la flamme du brasero. Marguerite, +assise près de sa mère, fait de la tapisserie. Mademoiselle +Hélouin arrange des fleurs dans un vase. Madame Aubry, assise +à gauche, tricote. + + +BEVALLAN, après un cri de joie poussé par les jeunes filles +qui battent des mains, entre dans le salon. -- Aux jeunes +filles en dehors. + +Mesdemoiselles, c'est entendu!... (Dans le salon.) Mesdames, +ces demoiselles désirent faire un tour de valse sur la +terrasse. + + +MADAME LAROQUE. + +Comment? en plein soleil, comme cela? + + +BEVALLAN. + +Oui, Madame, attendu que les fleurs ne craignent pas le +soleil. (Mettant ses gants et s'approchant de Marguerite.) +Mademoiselle Marguerite, oserai-je vous demander?... + + +MARGUERITE. + +Oh! moi, je crains le soleil... Je vous remercie, je préfère +jouer. (Elle se lève et se dirige vers le piano.) + + +BEVALLAN, comme elle passe près de lui, lui dit à demi-voix. + +Toujours barbare! (A mademoiselle Hélouin qui arrange des +fleurs.) Et vous, Mademoiselle, puis-je espérer...? + + +MADEMOISELLE HELOUIN. + +Volontiers. (Elle prend le bras de Bévallan.) + + +BEVALLAN, à demi-voix. + +Toujours charmante! (Haut, se dirigeant vers la terrasse.) +Allons, Mesdemoiselles, allons! (Marguerite commence à jouer +la valse. Bévallan, mademoiselle Hélouin et les jeunes filles +tourbillonnent et disparaissent.) + + +MADAME LAROQUE. + +Avez-vous vu ma nouvelle serre, docteur? + + +DESMARETS, se levant1 [1. Marguerite au piano, madame Aubry, +Desmarets, madame Laroque.]. + +Non, Madame. + + +MADAME LAROQUE. + +Ah! Eh bien, mais il va falloir que je vous montre cela... si +je puis me traîner jusque-là. + + +DESMARETS. + +Comment, vous traîner?... mais vous êtes éblouissante de +santé, ce matin, vous êtes fraîche comme la rosée! + + +MADAME LAROQUE. + +Fraîche... c'est-à-dire que je suis gelée... C'est une chose +extraordinaire... Depuis vingt ans que j'ai quitté les +Antilles et que je suis en France, je n'ai pas encore pu me +réchauffer. + + +DESMARETS. + +Tant mieux! Madame, tant mieux! Le froid converse!... (Passant +à gauche.) Et vous, madame Aubry, voyons... la santé? + + +MADAME AUBRY, dolente. + +Oh! toujours bien faible, docteur... j'ai eu des vertiges tout +le matin. + + +DESMARETS. + +Tant mieux! parfait, cela! signe de force! + + +MADAME AUBRY, confidentiellement. + +Oh! le chagrin me mine, voyez-vous, docteur. On me traite si +indignement ici. + + +DESMARETS. + +Encore! comment ça? + + +MADAME AUBRY. + +Vous n'avez pas vu encore ce matin au déjeuner... du potage +froid... pas de chaufferette... toutes les indignités +possibles... je suis voir le jouet des domestiques... et +songez donc, docteur, quand on a été dans ma position, quand +on a mangé dans de l'argenterie à ses armes!... Ah! on ne sait +pas tout ce que je souffre dans cette maison... et on ne le +saura jamais, car quand on a de la fierté on souffre sans se +plaindre; aussi je me tais, docteur, mais je n'en pense pas +moins. + + +DESMARETS, impatienté. + +C'est cela, Madame, n'en parlons plus. Et croyez-moi, buvez +frais... cela vous calmera. + + +MADAME AUBRY. + +Ah! rien ne me calmera, docteur... rien que la mort! + + +DESMARETS. + +Eh bien, Madame, quand vous voudrez! (Les danseurs +reparaissent en ce moment. Desmarets se retournant.) Ce diable +de Bévallan est infatigable... Après avoir couru à cheval tout +le matin, le voilà... (Tout à coup la danse s'interrompt: les +jeunes filles poussent un cri et s'arrêtent. On aperçoit au +fond Maxime, il porte un album sous le bras et un petit sac de +voyage à la main, et paraît assez embarrassé de sa contenance. +Alain l'accompagne.) + + +SCENE II. + + +LES MEMES, MAXIME, ALAIN. + + +MARGUERITE, se levant, de sa place. + +Eh bien, qu'est-ce qu'il y a donc? + + +ALAIN, s'avançant seul pendant que Maxime attend au fond. + +Madame, c'est M. Odiot, le nouvel intendant. + + +MADAME LAROQUE, qui s'est soulevée pour regarder Maxime. + +Comment?... ça? + + +ALAIN. + +Oui, Madame, à ce qu'il dit1 [1. Marguerite revient prendre sa +place à côté de sa mère.]. + + +MADAME LAROQUE. + +Faites entrer. (Pendant qu'Alain va chercher Maxime et le +débarrasse de son sac.) Ah çà, comprend-on ce Laubépin, qui +m'annonce un garçon d'un certain âge, très-simple, très-mûr, +et qui m'envoie un monsieur comme ça? + + +BEVALLAN. + +Il est positif que voilà un intendant... original. + + +MADEMOISELLE HELOUIN, à gauche, qui observe Maxime, avec +surprise, à part. + +Mais c'est le marquis de Champcey... je l'ai vu dix fois à la +pension... (Maxime entre et salue2 [2. Mademoiselle Hélouin, +madame Aubry, Maxime. -- Desmarets, Bévallan, un peu en +arrière. -- Madame Laroque, Marguerite.].) + + +MADAME LAROQUE. + +Pardon... vous êtes, Monsieur...? + + +MAXIME. + +Odiot, Madame. + + +MADAME LAROQUE, n'en revenant pas. + +Maxime Odiot, le régisseur, l'intendant que monsieur +Laubépin...? + + +MAXIME. + +Oui, Madame. + + +MADAME LAROQUE. + +Vous êtes bien sûr? + + +MAXIME, souriant. + +Mais oui, Madame, parfaitement. + + +MADAME LAROQUE. + +Enfin, très-bien, Monsieur! Nous vous remercions beaucoup de +vouloir bien nous consacrer vos talents... nous en avons grand +besoin... car nous avons le malheur d'être extrêmement riches. +(Madame Aubry lève les épaules.) Oui, ma chère cousine, je dis +le malheur, vous avez beau lever les épaules... La richesse +est pour moi un fardeau, c'est la pure vérité... moi, j'étais +née pour la pauvreté, pour le dévouement, le sacrifice... +j'aurais été, par exemple, une excellente soeur de charité... +ou bien encore j'aurais aimé à courir le monde en bohémienne, +comme ces pauvres femmes qu'on voit faire leur pauvre cuisine +à l'abri des haies... C'est poétique, ça m'aurait plu... +Enfin, Monsieur, le ciel en a disposé autrement; d'ailleurs +cette fortune n'est pas à moi, et mon devoir est de la +conserver pour ma fille, quoique la pauvre enfant n'y tienne +pas plus que moi-même, n'est-ce pas, Marguerite? (Marguerite +répond par un mouvement dédaigneux des sourcils.) Alain va +vous montrer, Monsieur, le pavillon qui vous est destiné... +Mais, auparavant, il serait bon de vous présenter à mon beau-père. +Voyez, Alain, si M. Laroque peut recevoir Monsieur. Ouf! +(Elle se lève péniblement en se drapant.) Eh bien, docteur, +venez-vous voir ma serre? + + +DESMARETS. + +Volontiers, Madame. + + +MADAME LAROQUE. + +Venez donc aussi, Bévallan. + + +BEVALLAN. + +Madame! + + +ALAIN, rentrant. + +Madame, M. Laroque va descendre. + + +MADAME LAROQUE. + +Ah! Eh bien, Monsieur, veuillez l'attendre ici... (A sa fille +à demi-voix.) Dis-moi, Marguerite, si tu restais pour le +présenter à ton grand-père? + + +MARGUERITE. + +Oui, ma mère. + + +MADAME LAROQUE. + +A revoir, Monsieur, à bientôt. (Elle prend le bras de +Desmarets.) + + +BEVALLAN, à part. + +Singulier intendant! (Il offre le bras à madame Aubry.) + + +MADEMOISELLE HELOUIN, à part. + +Soit! gardons-lui son secret... jusqu'à nouvel ordre! (Elle +sort avec les autres.) + + +SCENE III. + + +MAXIME, MARGUERITE, sur le devant. ALAIN, dans le fond. + + +MARGUERITE1 [1. Maxime, Marguerite, s'occupant de sa +tapisserie.], après une pause embarrassée. + +C'est la première fois, Monsieur, que vous venez en Bretagne? + + +MAXIME. + +Oui, Mademoiselle. + + +MARGUERITE, avec insouciance. + +C'est un pays intéressant pour les étrangers. + + +MAXIME. + +Oh! très-intéressant, Mademoiselle... Je n'ai fait que le +traverser rapidement... mais ce que j'ai entrevu m'a charmé... +Ces vieilles forêts, ces grandes landes sauvages, avec ces +horizons étagés à perte de vue; c'est vraiment... + + +MARGUERITE, avec une nuance de dédain. + +Ah! vous êtes artiste, Monsieur! Je vois que vous aimez ce qui +est beau, ce qui parle à l'imagination et à l'âme... la belle +nature, les bruyères, les pierres... les beaux-arts... Allons, +tant mieux!... vous vous entendrez à merveille avec +mademoiselle Hélouin, qui adore aussi toutes ces choses... que +je n'aime guère, pour mon compte. + + +MAXIME, gaiement. + +Mon Dieu! qu'est-ce donc que vous aimez, Mademoiselle, si vous +me permettez?... + + +MARGUERITE, après un regard hautain qui lui coupe la parole. -- +Elle laisse sa tapisserie, et s'éloignant. + +Je vais au-devant de mon grand-père, Alain. (Elle sort. Alain +descend la scène lentement.) + + +SCENE IV. + + +MAXIME, ALAIN. + + +MAXIME. + +Allons! J'oublie que je n'ai pas le droit ici de parler en +égal (Se retournant vers Alain.) excepté à cet homme... Ah! +c'est amer! Dites-moi, mon ami, M. Laroque est très-âgé, +n'est-ce pas? + + +ALAIN. + +Oh! très-âgé, Monsieur, oui. + + +MAXIME. + +Il a été marin, je crois, autrefois. + + +ALAIN. + +Oui, Monsieur... et un fier marin, allez!... Vous verrez, +Monsieur, dans la galerie, là-haut, quelques-unes de ses +batailles en peinture... Ah! c'était un homme terrible! +Toujours la hache d'abordage à la main! Ah! il en a fait voir +de cruelles aux Anglais, celui-là, je vous en réponds. Aussi, +ils ne l'aimaient pas... Ah çà, ils ne l'aimaient pas! S'ils +l'avaient tenu... + + +MAXIME. + +Enfin, ils n'ont pas pu le prendre. + + +ALAIN. + +Oh! jamais, Monsieur! ça leur était défendu!... Ah! c'était un +homme terrible!... et encore à présent... tenez, Monsieur, il +y a des moments, comme ça, où il se promène tout seul, le +soir, dans la galerie, en rêvant tout haut à ses batailles et +aux Anglais... car il a des espèces d'absences par instants... +Eh bien! il me fait peur, à moi, Monsieur. Je n'en suis pas +maître... il me fait peur! + + +MAXIME. + +Ah! + + +ALAIN. + +Le voilà, Monsieur. + + +MAXIME, à part. + +Pauvre vieillard, il n'a pas l'air si terrible! + + +SCENE V. + + +LES MEMES, MARGUERITE, M. LAROQUE. + + +MARGUERITE. + +Par ici, mon père... là! (Elle le fait asseoir. -- A Maxime.) +C'est mon grand-père, Monsieur. (A M. Laroque.) M. Odiot, le +nouvel intendant, mon père. + + +M. LAROQUE, s'asseyant. Il regarde Maxime, et paraît +subitement étonné, inquiet; Maxime, surpris de ce regard, se +tait. + +Bien, bien, mon enfant... Bonjour, Monsieur, bonjour. + + +MARGUERITE, après une pause. + +Mais, Monsieur, veuillez parler, dites quelque chose. + + +MAXIME, avec embarras. + +Mon Dieu! Mademoiselle... + + +MARGUERITE. + +Mais parlez donc. (A son père.) M. Odiot, le nouvel intendant, +mon père. + + +MAXIME. + +Monsieur, je suis heureux de pouvoir vous consacrer mes +services. + + +M. LAROQUE, le regardant toujours avec un air d'égarement +croissant. + +Mais il est mort! + + +MAXIME, s'adressant à Marguerite. + +Comment? + + +MARGUERITE. + +L'autre intendant. (Elle fait signe à Maxime de continuer.) + + +MAXIME. + +Ah! -- d'autant plus heureux, Monsieur, que j'ai souvent +entendu citer vos glorieux faits d'armes, et que je compte +moi-même dans ma famille des marins qui, comme vous, ont eu +souvent l'honneur de combattre les Anglais.... + + +M. LAROQUE, se dressant. + +Ah! les Anglais! Oui! ce sont eux... Mais ils l'ont payé. Il y +a du sang, je ne veux pas... + + +MARGUERITE. + +Mon père!... (A Maxime.) Veuillez vous retirer, Monsieur... +Allez rejoindre ma mère. + + +MAXIME, après s'être incliné, à part. + +Joli début! (Il sort.) + + +SCENE VI. + + +MARGUERITE, M. LAROQUE. + + +MARGUERITE. + +Mon père!... mon père!... Quelles pensées vous troublent!... +Voyons! revenez à vous... c'est moi... Marguerite... votre +fille... + + +M. LAROQUE, revenant à lui peu à peu. + +Toi... c'est toi... petite... oui... Eh bien, quoi? qu'y +a-t-il?... Tu es seule... Qui était donc là, tout à l'heure? + + +MARGUERITE. + +C'était notre nouveau régisseur, mon père, M. Maxime Odiot. + + +M. LAROQUE. + +Maxime Odiot?... je ne connais pas... C'est bizarre... il +m'avait semblé connaître ce visage. Je suis si vieux, ma +fille... J'ai connu tant de monde... Il y a tant de visages +qui passent comme des fantômes dans ma pauvre mémoire +séculaire... Eh bien, ce jeune homme, il a l'air très-comme il +faut, il me semble. + + +MARGUERITE. + +Oui, mon père. + + +M. LAROQUE. + +Je crois qu'il me plaira. Fait-il le piquet? + + +MARGUERITE. + +Je ne sais pas encore, mon père. + + +M. LAROQUE, riant. + +Espérons-le, ma fille, espérons-le. (Madame Aubry arrive à la +hâte) + + +SCENE VII. + + +LES MEMES, MADAME AUBRY. + + +MADAME AUBRY. + +Eh bien, comment vous trouvez-vous, mon cher cousin? On vient +de me dire que vous étiez souffrant... et je suis accourue +plus morte que vive... + + +M. LAROQUE, un peu railleur. + +Trop bonne, cousine, trop bonne... Ce n'était rien... un peu +de faiblesse. + + +MADAME AUBRY. + +Ah! tant mieux! tant mieux!... Venez faire un tour sur la +terrasse... Cela vous fera du bien... Prenez mon bras, je vous +en prie. + + +M. LAROQUE. + +Soit! je veux bien... Allons! (A Marguerite.) Au revoir, ma +chérie... (Se retournant.) Demande-lui s'il fait le piquet. + + +MARGUERITE. + +Oui, grand-père. + + +M. LAROQUE. + +Espérons-le! + + +MADAME AUBRY, pendant qu'elle s'éloigne soutenant M. Laroque. + +Appuyez-vous, appuyez-vous. + + +SCENE VIII. + + +MARGUERITE, un instant seule, puis MAXIME, MADAME LAROQUE, +MADEMOISELLE HELOUIN, BEVALLAN, et les jeunes filles qui +restent au fond. + + +MARGUERITE, seule. + +Cette scène me fait mal... et puis elle m'a troublée... Ces +paroles étranges... Ah! c'est la faiblesse d'esprit d'un +vieillard!... Vraiment, il y a des moments où j'ai moi-même +des pensées folles... (Se retournant, elle aperçoit sa mère +qui revient donnant le bras à Maxime et paraissant engagée +avec lui dans une conversation animée.) Comment! ma mère donne +le bras à ce monsieur? (Entrent Maxime et madame Laroque, +Bévallan, mademoiselle Hélouin et les jeunes filles restent en +vue sur la terrasse.) + + +MADAME LAROQUE, d'un ton très-gracieux, à Maxime. + +Exactement comme moi, Monsieur! exactement mon impression! +C'est extraordinaire comme nous nous rencontrons! (Quittant +son bras et le saluant.) Monsieur!... (Maxime reste un peu en +arrière, parcourant des brochures; madame Laroque descend vers +sa fille, et lui dit:) Tu es étonnée, ma fille... n'est-[ce] +pas? Eh bien, je le suis encore plus que toi!... Il est tout à +fait homme du monde, ce jeune homme... Il cause très-bien... +et puis il a beaucoup voyagé... et, chose extraordinaire, il a +exactement ma manière de voir, mes impressions... Enfin, tout +en babillant, j'ai oublié entièrement sa position, et je lui +ai pris le bras sans y penser... Entre nous, ma fille, je +crois bien que c'est un très-mauvais intendant, mais vraiment +c'est un homme très-agréable. (Elle s'asseoit dans son +fauteuil à droite.) + + +MARGUERITE. + +Tant mieux, ma mère. (Elle reprend sa tapisserie.) + + +BEVALLAN, aux jeunes filles. + +Vous voulez donc ma mort, Mesdemoiselles?... Mais enfin, soit! +je m'exécute! (Il s'avance.) On réclame avec enthousiasme la +fin de la valse interrompue. + + +MARGUERITE. + +Ah! comment? encore! Mais jamais je ne pourrai finir cette +tapisserie, et il faut que je l'envoie ce soir à Rennes pour +la faire monter... + + +BEVALLAN. + +Ah! en ce cas... je vais perdre ma danseuse, moi! (Il remonte +vers le fond.) + + +MAXIME. + +Mon Dieu! si vous le voulez, Madame, je puis à la rigueur +jouer une valse ou deux? + + +MARGUERITE, échange un regard de surprise avec sa mère. + +Vous nous obligerez, Monsieur. (Maxime se place devant le +piano et joue.) + + +MADAME LAROQUE. + +Comment! il touche du piano, maintenant! + + +BEVALLAN, à part. + +Singulier intendant! (Allant sur la terrasse.) Mesdemoiselles, +je suis à vous... mais pas longtemps; car il fait une chaleur +atroce, vraiment! (Les jeunes filles disparaissent en +valsant.) + + +MADAME LAROQUE. + +Ma fille, sais-tu que cela commence à m'inquiéter? + + +MARGUERITE, gravement. + +Pourquoi, ma mère? On peu toucher du piano et être honnête +homme. + + +MADAME LAROQUE. + +Je ne te dis pas le contraire, mon enfant... mais enfin, ce +n'est pas là un intendant, franchement... jamais je n'oserai +lui donner mes ordres... et puis comment veux-tu qu'un +Monsieur comme ça aille trotter en sabots dans les terres +labourées et dans la boue de nos chemins? c'est impossible! +(Remarquant tout à coup l'album que Maxime a posé sur un +guéridon.) Qu'est-ce que c'est donc que cet album-là? + + +MARGUERITE. + +Mais il me semble qu'il l'avait à la main quand il est arrivé. + + +MADAME LAROQUE, ouvrant l'album. + +Il ne manquait plus que cela... il dessine! et il dessine à +merveille... Tiens, vois! + + +MARGUERITE. + +Oui, c'est bien fait. + + +BEVALLAN. + +Ah! ma foi, mesdemoiselles, décidément, je n'y tiens plus! Je +me rends! Je renonce!... (il se jette dans un fauteuil. A +Maxime.) Merci, Monsieur, merci bien. Vous avez un vrai +talent. + + +MAXIME, se levant et le saluant. + +Monsieur! (Il quitte le piano.) + + +MADAME LAROQUE. + +Vous nous pardonnerez notre indiscrétion, M. Odiot... C'est +vous qui dessinez comme cela? + + +MAXIME. + +Madame... je dessine... un peu... mais cet album est bien +pauvre. + + +MADAME LAROQUE. + +Pas du tout... Voyez donc, M. de Bévallan... ce petit coin +sombre, c'est délicieux! + + +BEVALLAN. + +Oui, ma foi!... Salvator! tout à fait! + + +MADAME LAROQUE. + +Où est-ce donc pris, cette vue-là, Monsieur? + + +MAXIME. + +C'est, Madame, dans le parc du prince de Villa-Franca, en +Sicile. + + +BEVALLAN. + +De Villa-Franca?... Tiens! j'ai passé par là, moi... Mais je +n'ai pu voir le parc... je croyais que le prince ne l'ouvrait +pas aux étrangers? + + +MAXIME. + +C'est vrai, Monsieur, en général... (Il s'arrête avec +embarras.) Mais, Madame, votre bienveillance m'a fait oublier +trop longtemps mes devoirs! Avec votre permission, je vais +entrer en fonctions dès ce moment, et aller visiter votre +ferme de Langoat, dont nous parlions tout à l'heure, et qui +n'est, je crois, qu'à une lieue d'ici. + + +MADAME LAROQUE, visiblement embarrassée. + +Ma ferme de Langoat?... Mais, Monsieur... pardon... c'est +impossible... Il y a des chemins affreux... Attendez que la +saison soit plus avancée. (A part.) C'est très-gênant, un +intendant comme cela. + + +MAXIME, gaiement. + +Non, madame, je n'attendrai pas un seul jour... On est +intendant, ou on ne l'est pas! + + +MADAME LAROQUE. + +Mais, voyons... Ne pourrait-on pas... (Alain est au fond, +plaçant une jardinière.) Alain? + + +ALAIN, descendant la scène1 [1. Alain, madame Laroque, Maxime, +Bévallan, Marguerite.]. + +On pourrait, madame, atteler pour M. Odiot le vieux berlingot +du père Yvart... Il n'est pas suspendu, mais... + + +MADAME LAROQUE, qui lui fait signe de se taire. + +Non... non!... Est-ce que l'américaine ne passerait pas dans +le chemin? + + +MAXIME. + +Madame, je vous en supplie... + + +ALAIN. + +L'américaine, Madame?... Ma foi, non!... Il n'y a pas risque, +qu'elle y passe... ou si elle y passe, elle n'y passera pas +tout entière... et encore... je ne crois pas qu'elle y passe! + + +MAXIME. + +Je vous proteste, Madame, que j'irai parfaitement à pied. + + +MADAME LAROQUE. + +Je vous assure, Monsieur, que je ne le souffrirai pas... Mais +voyons donc... nous avons bien une demi-douzaine de chevaux de +selle qui ne demandent qu'à se promener... mais probablement +nous ne montez pas à cheval? + + +MAXIME. + +Je vous demande pardon, madame; mais, véritablement... + + +MADAME LAROQUE. + +Alain, faites seller un cheval... Lequel, dis, Marguerite? + + +BEVALLAN. + +Donnez Proserpine? + + +MARGUERITE. + +Non, non! pas Proserpine! gardez-vous-en bien! + + +MAXIME. + +Et pourquoi pas donc, Mademoiselle? + + +MARGUERITE. + +Parce qu'elle vous jetterait par terre, Monsieur. + + +MAXIME, souriant. + +Oh! si ce n'est que cela, ne craignez rien... vous pouvez +faire seller Proserpine, Alain. (Alain sort. A Bévallan.) Est-ce +que celle bête est si terrible? + + +BEVALLAN. + +Oh! non! pas tant! Un peu verte au montoir, simplement! Mais +quand une fois on est dessus, si on y reste, ça va bien... +Voulez-vous des éperons? j'en ai une paire à votre service. + + +MARGUEITE, à demi-voix, d'un ton de reproche, à Bévallan. + +Monsieur de Bévallan! (Bévallan s'éloigne et se dirige vers la +fenêtre.) + + +MAXIME. + +Je vous suis obligé, Monsieur; j'accepte. + + +BEVALLAN, à la fenêtre de gauche. + +Donnez mes éperons à Monsieur! + + +MAXIME, saluant. + +Mesdames! (Il s'éloigne.) + + +MADAME LAROQUE. + +Vous nous ferez l'honneur de dîner avec nous, Monsieur? + + +MAXIME. + +Madame! (Il sort.) + + +BEVALLAN. + +Singulier intendant! + + +SCENE IX. + + +LES MEMES, excepté MAXIME. + + +MARGUERITE. + +Monsieur de Bévallan, je ne vous comprends pas... vous voulez +donc qu'il se tue? + + +BEVALLAN, se rapprochant un peu. + +Laissez donc, Mademoiselle! + + +MADAME LAROQUE. + +Comment! Mais s'il y a du danger, je n'entends pas du tout, +moi!... + + +BEVALLAN. + +Aucun danger, Madame... D'ailleurs, c'est sur l'herbe... et +puis, franchement, il mérite une petite leçon! + + +MADAME LAROQUE. + +Et pourquoi donc? + + +BEVALLAN. + +Il est trop avantageux. -- Ne veut-il pas nous faire croire +qu'il est l'ami du prince de Villa-Franca, à présent! + + +MADAME LAROQUE. + +Mais il n'a pas dit un mot de ça!... c'est vous qui le +poussez!... Ah çà, s'il y a du danger, je veux qu'on le +rappelle! (Elle va vers la fenêtre, où Marguerite +l'accompagne1 [1. Madame Laroque, Marguerite, près de la +fenêtre, Bévallan un peu en retour, mademoiselle Hélouin.].) + + +BEVALLAN, à la fenêtre. + +Soyez donc tranquille, Madame!... Tenez, la voilà... voyez... +c'est un vrai mouton... Ah! par exemple, s'il la touche!... +Voyons, je parie dix louis contre un qu'il ne peut pas se +mettre en selle? Personne ne tient? + + +MARGUERITE. + +Moi, si vous voulez. + + +BEVALLAN. + +Soit, Mademoiselle... + + +MADAME LAROQUE. + +Monsieur de Bévallan, je n'aime pas du tout cette +plaisanterie... je suis au martyre!... + + +BEVALLAN. + +Ah! il met le pied à l'étrier... Bon! paf! patapan! en voilà +une ruade! Elle ne lui fera pas de mal, allez! seulement, il +ne montera pas, voilà tout!... il ne montera pas! paf! +encore!... vous avez perdu, Mademoiselle. + + +MARGUERITE, tout à coup. + +J'ai gagné. + + +BEVALLAN. + +Comment! en selle... sans toucher l'étrier! Eh bien, alors +c'est un clown! c'est un clown! faites-lui de la musique! il +va danser! + + +MARGUERITE. + +Vous avez beau dire: il est notre maître... (Elle applaudit, +et les autres femmes battent aussi des mains.) + + +BEVALLAN, applaudissant. + +Oui, ma foi, c'est très-bien! bravo! bravo!... (Se +retournant.) Il me déplaît passablement, ce monsieur! + + +MADAME LAROQUE, à Bévallan. + +Je ne sais pas pourquoi, mais je l'adore, moi, ce garçon-là. + + +BEVALLAN. + +N'est-ce pas? Il est adorable! adorable!... + + +MARGUERITE, rêveuse, à part. + +Qu'est-ce que c'est que ce jeune homme? + + +MADEMOISELLE HELOIN, de même. + +Quand donc ai-je rêvé que j'étais marquise? + + +FIN DU PREMIER ACTE. + + + + +ACTE DEUXIEME + + +IIIe TABLEAU + + +Une espèce de rond-point, ou de carrefour dans le parc du +château de Laroque. La futaie est percée par plusieurs allées; +sous les arbres, au fond, un dolmen très-apparent. Un banc de +pierre au pied d'un arbre à gauche. Chaises et bancs +rustiques. + + +SCENE I. + + +MAXIME, ALAIN, portant une chaise rustique et une espèce de +guéridon. + + +MAXIME, un album sous le bras. + +Mettez ce pliant ici; puisque je n'ai rien de mieux à faire +cette après-midi, je m'en vais dessiner ces arbres et ce +dolmen. + + +ALAIN. + +Ah! oui... le dolmen... M. le curé aurait bien voulu le faire +enlever d'ici. + + +MAXIME. + +Et pourquoi cela? + + +ALAIN. + +Ah! monsieur, parce qu'il y a encore des vieilles gens qui ont +une idée sur ces tas de pierres et qui viennent s'agenouiller +autour. C'est ce qui faisait que M. le curé... Mais +mademoiselle Marguerite n'a jamais voulu... Elle dit que +c'était le plus bel ornement du parc... et voilà comment c'est +resté là. + + +MAXIME1 [1. Alain, Maxime.]. + +Je crois que vous avez fait ce matin une promenade à cheval +avec mademoiselle Marguerite, Alain? + + +ALAIN, souriant. + +Oui, monsieur. + + +MAXIME, taillant son crayon. + +Vous avez bonne mine à cheval, Alain! + + +ALAIN. + +Monsieur est trop bon... Mademoiselle a meilleure mine que +moi... Vraiment, Monsieur, quand j'ai l'honneur d'accompagner +Mademoiselle... + + +MAXIME. + +Est-ce que vous ne l'accompagnez pas toujours, Alain? + + +ALAIN. + +Oh! non, Monsieur!... Mademoiselle se promène seule bien +souvent... C'est une idée de Madame... Madame, qui a été +élevée dans les Antilles anglaises, à Sainte-Lucie, a voulu +donner à Mademoiselle l'éducation qui est à la mode dans ces +pays-là, où il paraît que les jeunes filles, avant leur +mariage, ont bien plus de liberté que chez nous... Après ça, +pas de danger, Monsieur, qu'il lui arrive malheur, allez! Elle +fait tant de charités qu'il n'y a pas de cabane à dix lieues à +la ronde où on ne la vénère comme un ange! + + +MAXIME, à part. + +Etrange fille! + + +ALAIN. + +Je disais donc à Monsieur que quand j'ai l'honneur +d'accompagner Mademoiselle, je passe mon temps à l'admirer. +Elle a si bonne tournure sur son cheval, avec sa plume noire +et son air fier... on dirait une reine, Monsieur. + + +MAXIME, dessinant. + +Mais pourquoi donc, Alain, est-elle toujours grave et sombre +comme on la voit? + + +ALAIN. + +Ah! voilà, Monsieur, voilà!... Elle était gaie comme un oiseau +autrefois, et puis, tout d'un coup, ça a changé... Pourquoi? +On ne sait pas... Moi, je croirais qu'elle a quelque chose +dans le coeur... Eh! mon dieu, les jeunes filles!... + + +MAXIME. + +Mais si vous voulez dire, Alain, qu'elle aime M. de Bévallan, +il me semble qu'il ne tiendrait qu'à elle de l'épouser? + + +ALAIN. + +Ah! certainement, Monsieur, il ne tiendrait qu'à elle, car M. +de Bévallan l'a demandée assez de fois; et il faut dire que +d'un côté ce serait un bon mariage... puisque M. de Bévallan +est, après les Laroque, le plus riche du pays... Aussi, quand +Monsieur est arrivé au château, il y a trois mois, on disait +que Mademoiselle avait consenti... et puis, tout d'un coup +elle s'est ravisée et a encore demandé du temps pour +réfléchir. + + +MAXIME. + +Vous devez désirer ce mariage, Alain... + + +ALAIN. + +Pourquoi? + + +MAXIME. + + +de Bévallan a un beau nom, et vous qui avez un faible pour la +noblesse... + + +ALAIN. + +Mon Dieu! Monsieur, j'ai un faible pour la noblesse... c'est +vrai... parce que j'ai été élevé dans ces idées-là... et +qu'avant de servir ces dames, j'avais toujours servi dans la +noblesse... aussi pourquoi ai-je tant de plaisir à servir +Monsieur? Parce que Monsieur a l'air gentilhomme. + + +MAXIME. + +Oh! vous me flattez, Alain. + + +ALAIN. + +Non, Monsieur, vous avez l'air gentilhomme, moralement et +physiquement. Eh bien, je dis moi qu'il vaut mieux avoir l'air +gentilhomme et ne l'être pas, que de l'être, et de ne pas en +avoir l'air... Ainsi voilà M. de Bévallan qui dit qu'il aime +mademoiselle Marguerite, qu'il veut l'épouser, et Monsieur +peut voir comme moi qu'en attendant il ne se gênerait pas pour +faire le sultan dans le château! il y a mademoiselle +Hélouin... + + +MAXIME. + +Allons, allons, pas de jugements téméraires, Alain! + + +ALAIN. + +Sans doute, Monsieur, sans doute... Monsieur a raison, +Monsieur a raison... (Il s'éloigne de quelques pas, et se +retournant.) Ah! dommage que Monsieur n'ait pas seulement cent +mille livres de rente. + + +MAXIME. + +Pourquoi cela, Alain? + + +ALAIN, souriant en vieillard. + +Parce que... Monsieur n'a plus besoin de moi? + + +MAXIME. + +Non, merci, mon ami. (Alain s'éloigne.) Ah! dites-moi... Voilà +bien de l'encre et une plume... Mais cette lettre... cette +lettre commencée que je comptais achever ici et que je vous +avais prié d'apporter? + + +ALAIN. + +Monsieur, je ne l'ai pas trouvée. + + +MAXIME. + +Comment? mais je l'avais laissée sur mon bureau tout à fait en +évidence. + + +ALAIN. + +Monsieur... j'ai eu beau retourner les papiers. + + +MAXIME. + +Tiens!... Où diable ai-je pu la mettre? je vais la chercher. + + +ALAIN, lui prenant l'album des mains. + +Monsieur me permet de jeter un coup d'oeil sur ses plans +pendant ce temps-là? + + +MAXIME. + +Certainement. (Il s'éloigne à gauche.) + + +SCENE II. + + +ALAIN, seul un moment, puis BEVALLAN et MADEMOISELLE HELOUIN +arrivant par le fond à droite. + + +ALAIN, seul. + +Ah! brave jeune homme!... lui et mademoiselle, deux vraies +créatures du bon Dieu! seulement ils ne peuvent pas se +souffrir tous les deux... Quand l'un va à droite, l'autre va à +gauche; quand l'un dit blanc, l'autre dit noir... En tout cas +ça serait impossible! ainsi tout est pour le mieux... +(Apercevant Bévallan et Mademoiselle Hélouin. ) Bon, voilà les +autres... Encore ensemble. (Bévallan et Mademoiselle Hélouin +entrent en scène par la droite, deuxième plan; Alain sort à +droite, premier plan.) + + +BEVALLAN. + +C'est de la barbarie, Mademoiselle, de la barbarie, tout +bonnement! + + +MADEMOISELLE HELOUIN, riant. + +M. de Bévallan, quel homme êtes-vous donc, voyons? car je n'y +comprends plus rien. + + +BEVALLAN, légèrement. + +Quel homme je suis, Mademoiselle? mais je suis un aimable +scélérat. + + +MADEMOISELLE HELOUIN. + +Scélérat, je le crois; mais... aimable; si on entend par là +digne d'être aimé, c'est une autre question. + + +BEVALLAN. + +Mais c'est abominablement dur, cela, Mademoiselle! Savez-vous +que vous m'affligez sérieusement. + + +MADEMOISELLE HELOUIN. + +Enfin, voyons, Monsieur, pourquoi me faites-vous la cour? + + +BEVALLAN. + +Parce que je vous aime. + + +MADEMOISELLE HELOUIN. + +Et c'est pour la même raison que vous voulez épouser +Marguerite. + + +BEVALLAN. + +Mademoiselle Marguerite!... Et où prenez-vous que je veuille +l'épouser? + + +MADEMOISELLE HELOUIN. + +Comment! vous demandez sa main tous les huit jours. + + +BEVALLAN. + +Eh! mon Dieu! c'est... par... contenance! pour avoir un pied +dans le château. + + +MADEMOISELLE HELOUIN. + +Oh! persuadez-moi cela. + + +BEVALLAN. + +Ah! Mademoiselle, je vois avec peine que vous ne connaissez +pas le coeur de l'homme. + + +MADEMOISELLE HELOUIN. + +C'est qu'au contraire j'ai grand'peur de le connaître, le coeur +de l'homme! + + +BEVALLAN. + +Vous ne connaissez pas le mien, en tout cas. Eh! mon Dieu! +Certainement, je ne le nie pas... la raison me conseillerait +d'épouser mademoiselle Marguerite, mais le coeur n'est peut-être +pas du même avis... et quand le coeur parle contre la +raison, il court grand risque de triompher, Mademoiselle, +surtout chez moi, qui ai toujours été le jouet de mes +sentiments, qui suis un homme d'inspiration! Car on ne me +connaît réellement pas. Je suis au fond d'une naïveté presque +incroyable pour mon âge! J'ai encore toute l'ardeur +irréfléchie, toute la démence de la vingtième année. Enfin, je +suis capable, moi, encore aujourd'hui, d'enlever une jeune +fille par une fenêtre et de me sauver avec elle dans les +savanes d'Amérique, dans les pampas! + + +MADEMOISELLE HELOUIN. + +Eh bien, je ne crois pas ça. + + +BEVALLAN. + +Vous ne croyez pas ça? + + +MADEMOISELLE HELOUIN. + +Du tout. + + +BEVALLAN. + +Mais enfin, au nom du ciel, que faudrait-il faire pour vous +convaincre... + + +MADEMOISELLE HELOUIN. + +Il faudrait le faire. (Bévallan paraît un peu décontenancé; +elle part d'un éclat de rire.) Bonjour, monsieur de Bévallan, +je vais faire ma provision de fleurs pour ce soir... A revoir, +Monsieur. (Elle sort à droite.) + + +BEVALLAN, seul. + +Elle est très-amusante; elle me pique, ma foi! Je vais me +faufiler par là et la rejoindre dans le jardin. (Il sort par +le fond.) + + +SCENE III. + + +ALAIN, qui est entré en scène avant la sortie de Bévallan, +puis MAXIME. + + +ALAIN, seul. + +Je ne sais pas ce qu'ils se disent... mais je m'en méfie de +cette demoiselle-là, je m'en suis toujours méfié d'ailleurs... +(Entre Maxime à gauche.) Ah! eh bien, Monsieur, cette lettre? + + +MAXIME. + +Je ne l'ai pas trouvée, je n'y comprends rien. Heureusement +elle était insignifiante... C'était une lettre à Laubépin... +Il n'y a pas grand mal... + + +ALAIN. + +C'est égal, si je la retrouve en rangeant, je viendrai +l'apporter à Monsieur... + + +MAXIME. + +Bien, merci... mon ami. (Il dessine. Alain sort à gauche.) + + +SCENE IV. + + +MAXIME, MADEMOISELLE HELOUIN, revenant à droite et portant des +fleurs. + + +MADEMOISELLE HELOUIN. + +Ah! vous voilà, Monsieur? quel miracle! + + +MAXIME, saluant. + +Mademoiselle! + + +MADEMOISELLE HELOUIN. + +Vous dessinez? moi, je viens de cueillir quelques fleurs pour +me coiffer ce soir... Vous savez que nous avons un bal ce soir +chez madame de Castennec? + + +MAXIME. + +Je l'ignorais. + + +MADEMOISELLE HELUOIN. + +Au fait, vous ne savez rien de ce qui se passe, vous. (Elle +pose ses fleurs sur le banc, à gauche, et en garde seulement +quelques-unes dont elle s'occupe à détacher les feuilles +fanées tout en parlant.) + + +MAXIME. + +Je suis si souvent absent! mon métier m'y oblige. + + +MADEMOISELLE HELOUIN. + +Oh! et puis vous êtes sauvage! + + +MAXIME. + +Je ne suis pas sauvage; seulement, je me tiens à ma place... +pour qu'on ne soit jamais tenté de m'y remettre. + + +MADEMOISELLE HELOUIN, étonnée de sa froideur. + +Monsieur Maxime? + + +MAXIME. + +Mademoiselle? + + +MADEMOISELLE HELOUIN. + +Qu'est-ce que j'ai dit, ou qu'est-ce que j'ai fait qui vous +ait déplu? + + +MAXIME. + +Mais, rien, Mademoiselle, pourquoi? + + +MADEMOISELLE HELOUIN. + +Parce que vous paraissiez autrefois avoir un peu d'amitié pour +moi. + + +MAXIME, plus ouvert. + +J'en ai toujours, Mademoiselle... et ce sentiment de ma part +est tout naturel... notre état de fortune n'est-il pas le +même, ou à peu près? Nous sommes tous deux déshérités des +biens de ce monde... isolés... sans appui, sans amis: pour une +femme cette situation, je le sais, a plus d'ennuis, plus de +dangers encore qu'elle n'en a pour moi! Aussi, vous pouvez +compter sur la sympathie très-sincère, et je regrette +seulement de ne pouvoir vous en offrir d'autre témoignage que +quelques conseils... qui peut-être seraient mal reçus. + + +MADEMOISELLE HELOUIN. + +Je vous assure que non! parlez, je vous en prie. + + +MAXIME, avec bonté. + +C'est que c'est terrible, ce que j'ai à vous dire! + + +MADEMOISELLE HELOUIN. + +C'est égal, parlez. + + +MAXIME. + +Eh bien, mademoiselle, vous êtes charmante, mais vous avez un +défaut. + + +MADEMOISELLE HELOUIN. + +Un seul? Mais vous m'enchantez! + + +MAXIME. + +Un seul. + + +MADEMOISELLE HELOUIN. + +Nommez-le? + + +MAXIME. + +Le faut-il? + + +MADEMOISELLE HELOUIN. + +Je vous en supplie! + + +MAXIME. + +Eh bien, vous êtes un peu... + + +MADEMOISELLE HELOUIN, gracieusement. + +Quoi? + + +MAXIME. + +Coquette, n'est-ce pas? + + +MADEMOISELLE HELOUIN. + +Je ne m'en suis jamais aperçue. + + +MAXIME. + +Eh bien, faites-y attention... vous verrez! (Mademoiselle +Hélouin, un peu intimidée, baisse la tête. -- Il continue avec +grâce et bonté.) Mademoiselle, c'est là un travers... bien +léger... et bien innocent... mais, hélas! nous sommes +condamnées à la perfection, nous deux... ce qui serait +innocent chez d'autres, chez nous est coupable... En ce monde, +tous les malheureux sont des suspects... + + +MADEMOISELLE HELOUIN, relevant la tête après une pause. + +Vous êtes bon, monsieur Maxime... Vous êtes un véritable ami. + + +MAXIME. + +J'essaie, Mademoiselle. + + +MADEMOISELLE HELOUIN. + +Mais un ami, comment? + + +MAXIME. + +Véritable, vous l'avez dit. + + +MADEMOISELLE HELOUIN. + +Sérieusement?... un ami qui m'aime... Voyons. (Elle effeuille +les pétales d'une fleur d'oranger.) Un peu? + + +MAXIME, devinant. + +Mais sans doute. + + +MADEMOISELLE HELOUIN, très-coquette. + +Beaucoup? + + +MAXIME, surpris du ton de mademoiselle Hélouin, lève la tête. + +Non! (Mademoiselle Hélouin jette avec dépit la fleur +d'oranger. -- Madame Aubry paraît à gauche.) + + +SCENE V. + + +LES MEMES, MADAME AUBRY. + + +MADAME AUBRY. + +Ah! mademoiselle Hélouin, Marguerite vous cherchait... elle +attend des fleurs pour faire une couronne, je crois. + + +MADEMOISELLE HELOUIN. + +Bien, Madame, j'y vais... (A Maxime.) Nous restons bons amis, +j'espère? (Elle lui tend la main.) + + +MAXIME, saluant et prenant la main de mademoiselle Hélouin. + +Pour mon compte, Mademoiselle, n'en doutez pas. (Elle sort à +droite.) + + +SCENE VI. + + +MAXIME, MADAME AUBRY. + + +MADAME AUBRY, regardant par-dessus l'épaule de Maxime.1 [1. +Maxime, Madame Aubry.] + +Vous faites quelque chose de bien joli, là, Monsieur. + + +MAXIME. + +Vous trouvez, Madame? + + +MADAME AUBRY. + +Oui, ça me rappelle mon portrait... (Maxime la regarde avec +étonnement.) que j'avais fait faire quand j'étais riche... ça +me coûtait les yeux de la tête... deux mille francs;... mais +c'est que c'était un artiste très-connu qui l'avait fait; je +ne me rappelle pas au juste si c'était Delaroche ou Jadin1 [1. +Madame Aubry, Maxime.]. + + +MAXIME, gravement. + +Ce devait être Jadin, Madame. + + +MADAME AUBRY. + +Je ne me rappelle pas; mais, dites-moi, monsieur Maxime, +savez-vous que je trouve mon pauvre cousin Laroque très +baissé, moi... je l'ai vu ce matin... il avait la parole +très-embarrassée. + + +MAXIME. + +Oui, Madame, je crains beaucoup que dans un avenir prochain... + + +MADAME AUBRY. + +Ah! Monsieur, quel malheur pour moi quand je me verrai +abandonnée à la charité des étrangers... à moins que M. +Laroque n'ait bien voulu penser à moi... et je le mériterais +bien, je crois, après toutes les peines que je me suis +données... Vous ne savez pas, par hasard, monsieur Maxime, +s'il a fait quelques dispositions? + + +MAXIME. + +Je n'en sais rien, Madame. + + +MADAME AUBRY. + +Cependant, il vous aime beaucoup... vous avez toute sa +confiance; il ne ferait rien sans vous consulter. + + +MAXIME. + +J'ai eu le bonheur en effet de lui rendre mes services +agréables. + + +MADAME AUBRY. + +Moi... je ne demanderais pas grand'chose... de quoi vivre +indépendante seulement. (Confidentiellement.) Eh bien, +monsieur Maxime, voyons... + + +MAXIME. + +Quoi, Madame? + + +MADAME AUBRY. + +Vous n'auriez pas affaire à une ingrate, je vous assure; vous +seriez content de moi. + + +MAXIME, très-tranquillement. + +Madame Aubry, je crains de vous comprendre: si vous m'offrez +de l'argent pour vous aider à dépouiller, en partie du moins, +vos bienfaitrices et les miennes, eh bien, je ne veux pas. +Voilà tout. + + +MADAME AUBRY, après un mouvement marqué de dépit. + +Mais, monsieur Maxime, je ne l'entends pas du tout comme +cela... Je voulais seulement vous prier de ne pas me nuire... + + +MAXIME. + +Je ne nuis à personne volontairement, Madame. + + +MADAME AUBRY. + +Eh bien, c'est tout ce que je demande... vous voyez... Il +suffit de s'entendre... nous ne sommes plus fâchés... + + +MAXIME. + +Nous ne l'avons jamais été, Madame. + + +MADAME AUBRY. + +Nous restons bons amis, n'est-ce pas? + + +SCENE VII. + + +MES MEMES, BEVALLAN. + + +BEVALLAN, arrivant à droite. + +Ma chère madame Aubry, M. Laroque réclame vos soins... je suis +chargé de vous le dire. + + +MADAME AUBRY. + +Bien! bien! j'y cours! + + +BEVALLAN, lui prenant les deux mains comme elle passe. + +Chère madame Aubry! toujours dévouée, toujours prête à +obliger! Ah! quand les femmes sont bonnes, elles sont +excellentes! Mais aussi on les aime, vous savez qu'on les +aime, j'espère, madame Aubry? Allons, à bientôt, chère Madame! + + +MADAME AUBRY. + +A bientôt. (Elle sort à gauche.) + + +SCENE VIII. + + +MAXIME, BEVALLAN. + + +BEVALLAN.1 [1. Maxime, Bévallan.] + +Ah! sapristi! que c'est délicieux, ce que vous faites là! + + +MAXIME. + +Vous êtes indulgent. + + +BEVALLAN. + +Non, vous avez un coup de crayon, vraiment!... Ah çà, il +paraît qu'il va mal aujourd'hui, ce pauvre bonhomme? + + +MAXIME. + +Oui... la paralysie le gagne. + + +BEVALLAN. + +Oh! là, là! Ah! que ça fait bien cet arbre!... Il serait temps +cependant, dites-moi, qu'il pensât à ses affaires? + + +MAXIME. + +Je suppose qu'il y a pensé. + + +BEVALLAN. + +Croyez-vous? + + +MAXIME. + +Je suppose. + + +BEVALLAN. + +Ah çà, j'espère bien qu'il n'a pas fait de legs à cette +affreuse harpie qui sort d'ici. + + +MAXIME. + +J'ignore! + + +BEVALLAN. + +Ce serait atroce! Vous connaissez la créature... vous savez à +quel point elle est indigne de toute espèce de sympathie! (Il +prend une chaise et s'assied près de Maxime.1 [1. Bévallan, +Maxime.] ) + + +MAXIME. + +Elle m'en inspire peu. + + +BEVALLAN. + +Bravo! alors, si vous êtes consulté... + + +MAXIME. + +Oh! je ne le serai pas. + + +BEVALLAN, s'asseyant. + +Si, si, vous le serez... il vous porte dans son coeur... il +vous consultera... et même, tenez, vous pouvez dans la +circonstance être utile à mademoiselle Marguerite. + + +MAXIME, avec intérêt. + +Comment cela? + + +BEVALLAN. + +Mon Dieu, mon cher monsieur Maxime, je m'en vais m'ouvrir +très-franchement avec vous là-dessus. Vous n'ignorez pas ma +situation dans la maison... mon mariage avec mademoiselle +Marguerite est à peu près arrêté; par conséquent, c'est un +devoir pour moi de veiller aux intérêts de la jeune personne, +et de vous les recommander... Eh bien, il serait très-désirable, +en premier lieu, que madame Aubry fût complètement +distancée... ensuite, j'ignore quel douaire M. Laroque compte +assurer à madame Laroque, ma future belle-mère... Mais vous la +connaissez comme moi... c'est une femme excellente, que j'aime +et que j'estime profondément... mais enfin elle a des goûts +très-simples: elle vivrait de rien... un gros douaire +l'embarrasserait... + + +MAXIME. + +Monsieur, je ne sais pas bien où vous voulez en venir! mais je +vous dirai nettement que toute intervention de ma part dans +les volontés testamentaires de M. Laroque me paraîtrait un +abus grave de la confiance qu'on me témoigne ici. + + +BEVALLAN, indécis. + +Ah! voilà comment vous répondez à la mienne? + + +MAXIME. + +Monsieur, je ne vous l'ai pas demandée! + + +BEVALLAN. + +Eh bien, bravo! touchez-là! c'est un trait d'honnête homme! +Vous m'avez mal compris... mais c'est un trait d'honnête +homme; vous ne m'avez pas compris du tout. (Se levant.) Ah çà, +je vous laisse travailler. Mais comptez sur ce que je vous +dis... je ne vous en estime que davantage... et mon amitié +vous est acquise. + + +MAXIME. + +Monsieur! + + +BEVALLAN. + +A tout à l'heure! Ne vous dérangez pas! ne vous dérangez pas. +(Il sort à gauche.) + + +SCENE IX. + + +MAXIME, seul; puis MARGUERITE. + + +MAXIME, seul. + +Cela me fait trois amis!... Encore quelques-uns dans ce +genre-là... et on me mettra à la porte. (Marguerite arrive lentement +par la gauche, portant des fleurs; il se lève et salue.) +Mademoiselle! + + +MARGUERITE, avec une nuance de raillerie. + +Ah! vous dessinez le dolmen, Monsieur... Au fait, cela doit +vous charmer, cet endroit-ci! Vous êtes là à merveille pour +évoquer de poétiques souvenirs. Les Druides en robe blanche... +Velléda... le gui sacré... Je suis sûre que dans chaque rayon +de soleil vous croyez voir reluire une faucille d'or. + + +MAXIME. + +Oui, Mademoiselle. (Il s'assied.) + + +MARGUERITE, s'asseyant à gauche. + +Je vous croyais mort, moi. + + +MAXIME. + +Non, pas encore, Mademoiselle. + + +MARGUERITE. + +Vous êtes plus rare de jour en jour. + + +MAXIME. + +J'ai voyagé toute la semaine dernière. + + +MARGUETITE. + +Oh! et puis vous avez une passion qui vous absorbe. Nous +savons cela... Vous passez presque toutes vos soirées chez +notre noble cousine, mademoiselle de Porhoët-Gaël! + + +MAXIME. + +C'est vrai, Mademoiselle. Et je m'en défends d'autant moins +que mademoiselle de Porhoët touchant à son quatre-vingt-septième +printemps, je ne pense pas... Au reste il est très-vrai +que je l'aime beaucoup... Ses ancêtres ont régné, je +crois, dans ce pays... elle reste seule de sa race, pauvre et +vieille... et elle porte si dignement la majesté de son nom, +celle de l'âge et celle du malheur, que je lui ai voué un +attachement filial... Au surplus, c'est vous-même et Madame +votre mère qui me l'avez recommandée. + + +MARGUERITE. + +Oh! on ne vous reproche rien... ma mère vous est même +extrêmement reconnaissante de vos attentions pour celle digne +femme. (Elle se lève.) + + +MAXIME, souriant. + +Et la fille de Madame votre mère? + + +MARGUERITE. + +Oh! moi! je m'exalte moins facilement; si vous avez la +prétention que je vous admire, il faut avoir la bonté +d'attendre encore un peu. Je sais trop que les actions +humaines ont généralement deux faces, et que la plus brillante +n'est pas toujours la plus authentique... Ainsi, mademoiselle +de Porhoët a encore une sorte de petite fortune, elle n'a pas +d'héritier, et je ne sais pas du tout, moi... + + +MAXIME, se levant brusquement. + +Permettez-moi, mademoiselle, de vous plaindre sincèrement. + + +MARGUERITE. + +De me plaindre, monsieur? + + +MAXIME. + +Oui, mademoiselle! souffrez que je vous exprime la pitié +respectueuse que vous m'inspirez. + + +MARGUERITE, avec une colère contenue. + +La pitié! + + +MAXIME. + +Oui, Mademoiselle, car si le doute et le désenchantement du +bien sont les fruits les plus amers de l'expérience, rien ne +mérite plus de compassion qu'un coeur flétri par la défiance +avant d'avoir vécu. + + +MARGUERITE, violente. + +Monsieur... vous ne savez pas de quoi vous parlez!... et vous +oubliez à qui vous parlez! + + +MAXIME. + +C'est vrai, mademoiselle! je parle un peu sans savoir, et +j'oublie un peu à qui je parle: mais vous m'en avez donné +l'exemple! + + +MARGUERITE, amèrement. + +Il faudrait peut-être vous demander pardon? + + +MAXIME, ferme. + +Assurément, Mademoiselle, si l'un de nous deux avait ici un +pardon à demander, ce serait vous... vous êtes riche, et je +suis pauvre... vous pouvez vous humilier... je ne le puis pas! + + +MARGUERITE. + +Ah! (Elle traverse la scène comme pour sortir, puis se +retournant, elle ajoute avec un geste d'humilité hautaine.) Eh +bien! pardon! (Elle sort à droite.) + + +SCNE X. + + +MAXIME, seul, avec une colère douloureuse. + +Elle aussi! ah! c'est mal. Jusqu'ici j'avais remarqué sans +doute de l'éloignement, de l'antipathie, mais maintenant c'est +de la haine, de la persécution. Qu'est-ce donc que cette +enfant? que lui ai-je fait? que lui a fait le monde entier? +Oh! je ne sais, mais ce que je vois assez clairement, c'est +qu'elle veut me chasser d'ici! Eh bien...! + + +SCENE XI. + + +MADEMOISELLE HELOUIN, MAXIME, BEVALLAN. + + +MADEMOISELLE HELOUIN, hors de vue. + +Alain! Préparez des sièges: madame Laroque va venir s'asseoir +ici un moment. (Entrant à gauche.) Monsieur Maxime, je vous +annonce que votre ami, M. Laubépin, vient d'arriver. + + +MAXIME. + +Laubépin! ah! merci, Mademoiselle. + + +MADEMOISELLE HELOUIN. + +C'est fini, ce dessin! voyons! c'est parfait! + + +MADAME AUBRY. + +Exquis! + + +BEVALLAN. + +D'une poésie... + + +MADEMOISELLE HELOUIN. + +Vous m'en donnerez une copie, n'est-ce pas? + + +MAXIME. + +Volontiers, Mademoiselle; pardon... (Il sort à gauche.) + + +SCENE XII. + + +BEVALLAN, MADAME AUBRY, MADEMOISELLE HELOUIN. + + +BEVALLAN.1 [1. Madame Aubry, Bévallan, mademoiselle Hélouin.]. + +Charmant garçon. + + +MADAME AUBRY. + +Charmant. + + +MADEMOISELLE HELOUIN. + +Oh! charmant! + + +BEVALLAN. + +Il a tous les talents... tous les mérites... et il est avec +cela d'une modestie... + + +MADEMOISELLE HELOUIN. + +Et d'une réserve... + + +MADAME AUBRY. + +Et d'une complaisance... + + +BEVALLAN. + +Il a tout pour lui! + + +LES DEUX FEMMES. + +Tout! + + +BEVALLAN. + +Absolument tout... Quel dommage qu'il y ait autour de sa +personne cette espèce de mystère... + + +MADAME AUBRY. + +Ah! voilà!... C'est ce que je me dis... c'est ce mystère... + + +MADEMOISELLE HELOUIN. + +Oh! pour du mystère, il y en a... + + +BEVALLAN. + +N'est-ce pas!... car enfin il ne faut pas être dupe des +apparences, non plus... On voit tous les jours comme cela dans +le monde des gens revêtus des plus beaux dehors, et qui au +fond ne sont que des... + + +MADEMOISELLE HELOUIN. + +Des aventuriers!... + + +MADAME AUBRY. + +Oh! mon Dieu! des chevaliers d'industrie! + + +BEVALLAN. + +Hein? Voyons... là... franchement, entre nous, est-ce qu'il ne +vous fait pas l'effet d'un pur intrigant, ce charmant garçon-là? + + +MADEMOISELLE HELOUIN. + +Moi! j'en ai peur!... + + +MADAME AUBRY, confidentiellement. + +Moi, j'en suis sûre! + + +BEVALLAN. + +Vous en êtes sûre!... (A mademoiselle Hélouin.) Elle en est +sûre!... Eh bien, mais, si vous en êtes sûre, madame Aubry... +savez-vous, dites-moi, que nous aurions là, nous autres vieux +amis de la famille, un devoir sacré à remplir... celui +d'ouvrir les yeux de ces dames sur le véritable caractère de +cet individu... de ce quidam... Mais enfin, madame Aubry, +êtes-vous bien sûre, voyons?... + + +MADAME AUBRY. + +J'ai des preuves! + + +BEVALLAN. + +Vous avez des preuves... (A mademoiselle Hélouin.) Il paraît +qu'elle a des preuves!... Ah! si elle a des preuves... Mais +enfin, quelles preuves, madame Aubry? + + +MADAME AUBRY. + +Mon Dieu!... c'est tout simplement un fragment de lettre... +que le hasard... le vent, je pense, a fait tomber à mes pieds +ce matin, comme je passais sous les fenêtres de M. Odiot... + + +BEVALLAN. + +Ah! Dieu, madame Aubry!... toujours du bonheur!... elle trouve +toujours quelque chose!... Eh bien, cette lettre?... + + +MADEMOISELLE HELOUIN. + +Voyons. + + +MADAME AUBRY. + +Eh bien!... cette lettre, destinée je crois à M. Laubépin, est +de nature à édifier complètement ces dames... et en +particulier Marguerite, sur les projets, sur le +désintéressement de ce jeune puritain... + + +BEVALLAN. + +Bah! Est-ce que par hasard monsieur l'intendant...? + + +MADAME AUBRY, riant. + +Tout bonnement! + + +BEVALLAN. + +Ah! bravo! c'est fort, ça! + + +MADEMOISELLE HELOUIN. + +Je m'en doutais! + + +MADAME AUBRY. + +J'ai cette lettre chez moi... mais je vous avoue que je ne +sais si je dois... Ce monsieur a pris un tel pied dans la +maison que j'hésite, moi, dans ma position, à entrer en lutte +ouverte... D'ailleurs mes chères cousines ont une tournure +d'esprit si singulière... + + +MADEMOISELLE HELOUIN, regardant à gauche. + +Chut!... Marguerite!... (Madame Aubry remonte un peu la +scène.) + + +BEVALLAN, à mademoiselle Hélouin. + +Voyons donc cette lettre, mademoiselle... il ne faut pas ici +de fausse démarche, vous connaissez notre amie. (Il montre +madame Aubry.) Elle a de l'esprit comme un prunier... +exactement... et... (Madame Aubry se rapproche.) N'est-ce pas, +madame Aubry?... + + +MADAME AUBRY. + +Quoi? + + +BEVALLAN. + +Montrez ce papier à mademoiselle Hélouin... elle connaît ces +dames... elle verra si... (Marguerite paraît à gauche, +rêvant.) + + +MADEMOISELLE HELOUIN. + +Soit!... mais laissez-moi avec elle... je puis toujours +préparer le terrain. Pauvre enfant! si elle allait tomber dans +ce piège!... + + +BEVALLAN. + +Venez-vous, madame Aubry?... (Il lui prend le bras.) C'est +incroyable, vous trouvez toujours quelque chose. Vous avez des +yeux de lynx. (Ils sortent.) + + +SCENE XIII. + + +MARGUERITE, MADEMOISELLE HELOUIN. + + +MARGUERITE. + +Je viens d'assister à une scène touchante. + + +MADEMOISELLE HELOUIN. + +Comment? + + +MARGUERITE. + +Oui! M. Laubépin et M. Maxime se sont embrassés avec une +effusion! + + +MADEMOISELLE HELOUIN. + +Ah? + + +MARGUERITE. + +Et maintenant ils causent ensemble avec un feu!... Ne seriez-vous +pas curieuse, Mademoiselle, de savoir ce que disent ces +deux mystérieux personnages1 [1. Marguerite assise, +mademoiselle Hélouin.]? + + +MADEMOISELLE HELOUIN. + +Non; car je m'en doute. + + +MARGUERITE. + +Ah! (Elle la regarde.) + + +MADEMOISELLE HELOUIN. + +Mon Dieu! ma chère enfant, vous allez peut-être me reprocher +de n'avoir pas parlé plus tôt!... mais à tort ou à raison, je +m'étais fait un devoir jusqu'ici de garder à M. Odiot son +secret... + + +MARGUERITE. + +Son secret? + + +MADEMOISELLE HELOUIN. + +Et ce n'est qu'en voyant ses projets se développer trop +clairement que je me décide à rompre un silence qui +deviendrait coupable... Cependant, Mademoiselle, c'est à vous +seule jusqu'à présent que je crois devoir... + + +MARGUERITE. + +Parlez. + + +MADEMOISELLE HELOUIN. + +Pendant le séjour que vous fîtes à Paris, il y a quatre ans, +vous savez que j'allai voir d'anciennes amies dans la pension +où j'avais été élevée. + + +MARGUERITE. + +Oui. Eh bien? + + +MADEMOISELLE HELOUIN. + +Eh bien, j'eus l'occasion d'y rencontrer plusieurs fois au +parloir M. Odiot, dont le père s'appelait alors le marquis de +Champcey d'Hauterive. + + +MARGUERITE. + +Ah! + + +MADEMOISELLE HELOUIN. + +On disait déjà, dès cette époque, que cette famille était à +demi ruinée; maintenant elle l'est tout à fait; le père est +mort, et le fils a été mis, par un vieil ami de sa famille, en +situation de recouvrer une belle fortune par des moyens que je +vous laisse le soin d'apprécier. + + +MARGUERITE, douloureusement. + +Oh! (Après une pause.) Mais, Mademoiselle, si je vous +comprends bien, la conduite de ce jeune homme ne semble guère +justifier... je le vois à peine... il nous fuit. + + +MADEMOISELLE HELOUIN. + +Ah! son ami Laubépin, qui vous connaît bien, ma pauvre enfant, +n'aura pas manqué de lui dicter la discrétion politique, la +réserve calculée, qui vous touchent si fort... + + +MARGUERITE, se levant. + +C'est bien, Mademoiselle, c'est assez, je vous remercie. +(Entre Bévallan donnant le bras à madame Laroque.) + + +SCENE XIV. + + +MARGUERITE, MADEMOISELLE HELOUIN, puis BEVALLAN, MADAME +LAROQUE, DESMARETS, MADAME AUBRY, ensuite MAXIME et LAUBEPIN. + + +BEVALLAN, entrant par la gauche. + +C'est convenu, Madame... c'est l'oiseau rare... le phénix!... +On le cherchait, vous l'avez trouvé! + + +MADAME LAROQUE. + +Enfin, que voulez-vous, je l'adore!... (Elle s'asseoit à +gauche.) + + +BEVALLAN. + +Eh bien, épousez-le, chère voisine; épousez-le, mon Dieu! + + +MADAME LAROQUE. + +Oh! non! Je n'irai pas jusque-là! Soyez tranquille, voisin! +(Entrent Laubépin et Maxime, à droite.) Eh bien, M. Maxime, +avez-vous eu plus de succès que moi? Avez-vous décidé ce +vilain homme à nous rester jusqu'à demain? + + +MAXIME. + +Hélas, non, Madame!... + + +LAUBEPIN. + +Impossible, Madame... Je suis venu seulement vous serrer la +main en passant... mais je suis attendu ce soir à Rennes, et +demain à Paris... + + +MADAME LAROQUE. + +Eh bien, ne venez pas alors, mon ami! J'aime mieux ne pas vous +voir positivement... + + +LAUBEPIN, saluant. + +Madame... + + +DESMARETS, entrant à droite, donnant le bras à madame Aubry. + +Ah! tenez, décidément, madame Aubry, vous me feriez sauter +par-dessus ces arbres-là, voyez-vous? + + +MADAME AUBRY, qui continue une conversation avec Desmarets. + +Bah! vous avez beau dire, docteur... ce sont de belles +phrases, pas autre chose... (Elle s'assied à droite.) +L'honneur, la gloire, et tout ça... c'est bon dans les +romans... Mais moi, j'aime mieux une bonne voiture! + + +DESMARETS, debout derrière elle. + +Chacun son goût, Madame! + + +MADAME AUBRY. + +Voyez-vous, docteur, il n'y a que l'argent, après tout. Moi, +j'ai toujours vu dans le monde qu'on respectait les gens, en +proportion de l'argent qu'ils avaient... Ainsi, moi, on me +méprise à présent. Oh! je le sais parfaitement! (Elle regarde +Maxime avec intention.) Mais je m'en console en pensant que si +je redevenais ce que j'ai été, je verrais à mes pieds, oui, à +mes pieds, tous les gens qui me méprisent! + + +DESMARTES, brusquement. + +Eh bien, excepté moi, Madame! vous auriez cent millions de +rente que vous ne me verriez pas à vos pieds; je vous en donne +ma parole d'honneur! + + +MAXIME, gaiement. + +Et je vous supplierai, Madame, de vouloir bien faire également +une exception en ma faveur. (Madame Aubry lève les épaules.) + + +MARGUERITE, avec amertume. + +Oh! sans doute! J'étais bien sûre que M. Odiot ne manquerait +pas cette occasion de protester contre la vulgarité... la +bassesse de nos idées bourgeoises! L'argent! fi donc! Qu'est-ce +que c'est que cela, bon Dieu! Les nuages, le ciel bleu, les +choses idéales, à la bonne heure! Hors de là, il n'y a rien +qui soit digne d'occuper un instant les pensées d'un poëte, +d'un artiste comme M. Odiot! + + +MAXIME, avec une fermeté respectueuse. + +Mademoiselle, j'ignore absolument en vertu de quel privilège +je me vois sans cesse honoré de vos railleries à ce sujet... +Je ne suis pas plus poëte qu'un autre. Seulement, j'en +conviens, je conçois d'autres plaisirs, d'autres admirations, +d'autres ambitions en ce monde, que celles dont l'argent peut +être la source ou l'objet! Je prends la liberté de penser que +sans être un rêveur, un homme peut s'enthousiasmer quelquefois +pour quelque chose... pour un beau livre, pour un beau ciel, +pour une action héroïque! Cette poésie-là, je le crois +sincèrement, est non-seulement permise à chacun, mais +commandée!... Je suis confus, Mademoiselle, de ce plaidoyer +peut-être déplacé, mais ces choses idéales, comme vous les +appelez, sont les seuls trésors de ceux qui n'en ont pas de +plus positifs, et on m'excusera d'avoir défendu mon bien. (Il +se retire de quelques pas, et prenant le bras de Laubépin.) +Venez, mon ami. (Il s'éloigne et disparaît à droite avec +Laubépin.) + + +SCENE XV. + + +LES MEMES, excepté MAXIME et LAUPEPIN. + + +BEVALLAN. + +Hem! il me semble, Madame, que monsieur votre intendant +devient bien familier! + + +MADAME AUBRY. + +Oh! cela! + + +MADAME LAROQUE. + +Mais aussi, c'est votre faute à tous!... Vous le provoquez! +vous le poussez à bout! Et puis enfin il a raison! Moi, je +suis parfaitement de son avis! (Alain et la petite Christine +paraissent au fond à gauche.) + + +SCENE XVI. + + +LES MEMES, ALAIN, CHRISTINE, au fond; elle a le costume des +paysannes bretonnes, des sabots. + + +ALAIN. + +Avance donc, petite! + + +MADAME LAROQUE. + +Eh bien, qu'y a-t-il, Alain? + + +ALAIN. + +Madame, c'est cette fillette qui veut absolument parler aux +gens du château, à ce qu'elle dit. + + +MADAME LAROQUE. + +Que veut-elle? Approche, mon enfant. + + +BEVALLAN. + +Approche donc, jeune pastourelle... Elle est gentillette, +cette petite. + + +MADAME LAROQUE. + +Approche, mon enfant? Comment t'appelles-tu? + + +CHRISTINE. + +Christine Oyadec, Madame... la fille du père Oyadec, +l'aveugle. + + +MADAME LAROQUE. + +Ah! Eh bien, que veux-tu? + + +CHRISTINE, regardant autour d'elle avec curiosité. + +Madame... j'étais venue... pour la chose d'hier au soir. + + +MADAME LAROQUE. + +Qu'est-ce que c'est que la chose d'hier au soir? + + +CHRISTINE. + +Madame ne sait donc pas? + + +MADAME LAROQUE. + +Mais non, je ne sais pas... Parle donc... tu m'intéresses... +j'adore ces scènes champêtres. + + +CHRISTINE. + +C'est que... Madame... nous avons un chien.. un vieux chien +qui s'appelle Bidoux... le vieux Bidoux... + + +MADAME LAROQUE. + +Eh bien, quoi,... Bidoux? qu'est-ce qu'il a fait? + + +CHRISTINE. + +C'est lui, Madame, qui conduit mon pauvre bonhomme de grand-père +quand il va chercher son pain... + + +BEVALLAN, riant. + +Ah, très-touchant!... Le Convoi du pauvre!... + + +CHRISTINE. + +Et, comme nous étions assis tous trois, à la brune, grand-père, +Bidoux et moi, sur le bord de l'eau, voilà que les +petits garçons du village, qui sont tous des mauvais gas... +Ah, Madame! quels mauvais gas ça fait! + + +MADAME LAROQUE. + +Ils ont jeté ton chien à l'eau, ces petits misérables? + + +CHRISTINE. + +Oui, Madame... juste sous l'écluse, et la pauvre bête s'en +allait se périr sous les roues du moulin, quand voilà un +monsieur qui passait... (Elle s'arrête tout à coup en +apercevant Maxime qui reparaît avec Laubépin.) + + +SCENE XVII. + + +LES MEMES, MAXIME, LAUBEPIN. + + +MAXIME, avec colère. + +Comment, c'est toi! petite malheureuse. Est-ce que je ne +t'avais pas défendu... Tu veux donc me rendre tout à fait +ridicule, voyons? + + +BEVALLAN? riant. + +Comment... c'était vous? Ah, bravo! Prix Monthyon, alors! + + +MAXIME, riant avec humeur. + +Eh bien! oui, quoi! c'était moi. Je suis le sauveur de Bidoux! +C'est absurde... Que voulez-vous? Mais cette enfant poussait +des cris de paon!... (Rires.) Tu vois à quoi tu m'exposes, +petite sotte!... Allons, va-t'en!... Tu n'as qu'à tomber à +l'eau, toi, tu peux être tranquille!... Veux-tu t'en aller? + + +MADAME LARQOUE. + +Ne la brusquez donc pas, cette enfant! Qu'est-ce que tu veux, +ma petite? Qu'est-ce que tu venais faire? + + +CHRISTINE, avec embarras. + +Madame, c'est que le monsieur s'est ensauvé si vite... je ne +l'ai pas seulement remercié... et... + + +BEVALLAN. + +Oui! Je te vois venir!... voilà ces gens-là! Rendez-leur un +service et ils vous en demanderont quatre! (Tirant une pièce +d'or de sa poche.) Allons! tiens! voilà vingt francs!... + + +CHRISTINE. + +Je ne vous demande rien, à vous... c'est à Monsieur. + + +MAXIME, furieux. + +Enfin! qu'est-ce que tu veux? + + +CHRISTINE. + +Monsieur, je voudrais bien vous embrasser. (On rit.) + + +MAXIME. + +Petite sotte, va! veux-tu te sauver! + + +MADAME LAROQUE. + +Voyons, embrassez-la, embrassez-la, je le veux. + + +MAXIME, riant. + +Allons! (Il tend la joue à Christine qui l'embrasse gaiement.) +Elle embrasse bien! + + +MADAME LAROQUE. + +Et embrasse-moi aussi, ma mignonne. (Elle l'embrasse.) + + +BEVALLAN, voyant Christine s'éloigner. + +Et mes vingt francs, prends-les donc! + + +CHRISTINE, les prenant. + +Merci, Monsieur. + + +BEVALLAN. + +Eh bien, tu ne m'embrasses pas, moi? + + +CHRISTINE. + +Ma foi, non!... votre servante... (Elle fait une révérence et +s'en va suivie par Alain.) + + +SCENE XVIII. + + +LES MEMES, excepté CHRISTINE et ALAIN. + + +Tous se lèvent. + + +MADAME LAROQUE. + +Tu t'occuperas de ces pauvres gens, n'est-ce pas, Marguerite? + + +MARGUERITE. + +Bien, ma mère. + + +MADAME LAROQUE, la prenant à part. Laubépin seul les observe +et paraît écouter. + +Et puis, écoute, ma fille. (Sévèrement.) Je ne suis pas +contente: tu finiras par chasser ce jeune homme, dont les +services me sont agréables; pourquoi donc le railler, le +blesser sans cesse? Un homme qui ne peut te répondre sans +risquer son pain! ce n'est pas généreux. + + +MARGUERITE. + +Ma mère! (Elle regarde Laubépin comme si elle désirait lui +parler, puis, voyant Maxime près de lui, elle s'éloigne comme +à regret.) + + +MADAME LAROQUE. + +Votre bras, Bévallan. (Tous sortent à gauche, excepté Laubépin +et Maxime.) + + +SCENE XIX. + + +LAUBEPIN, MAXIME. + + +LAUBEPIN, à part. + +Maxime ne veut rien dire, il me semble que tout va mal... +(Haut.) Ah çà, Maxime, que se passe-t-il donc ici? + + +MAXIME. + +Mon ami!... je vous écrivais hier une lettre... que votre +arrivée me dispense d'achever... Je vous disais que ma +situation dans cette maison n'était pas sans quelque +amertume... Vous avez pu en juger vous-même. Je vous supplie, +mon ami, de me tirer d'ici, le plus tôt que vous pourrez. + + +LAUBEPIN. + +Ah! Eh bien, mon enfant, j'essaierai. + + +MAXIME. + +Je vous en prie; allons, je vous dis adieu, puisque vous +partez, Laubépin. Moi-même, je suis attendu à Elven, pour une +coupe de bois. + + +LAUBEPIN. + +A Elven... mais, c'est sur ma route... j'ai une voiture... je +puis vous conduire... + + +MAXIME. + +Bravo! Ah! mais, comment reviendrais-je? + + +LAUBEPIN. + +C'est juste! + + +MAXIME. + +Ma foi, je le regrette, et d'autant plus qu'il y a là, à peu +de distance... dans les bois... des ruines superbes, dit-on; +nous aurions vu cela ensemble... Enfin, que voulez-vous! +Allons, adieu, mon ami, et pensez à moi. (Marguerite revient +par la gauche, les observant.) + + +LAUBEPIN. + +Adieu, Maxime. (Maxime salue Marguerite et sort.) + + +SCENE XX. + + +LAUBEPIN, MARGUERITE. + + +MARGUERITE. + +Monsieur Laubépin, je cherchais l'occasion de vous trouver +seul. + + +LAUBEPIN. + +Qu'est-ce qu'il y a, mon enfant? (Il regarde l'heure à sa +montre.) Dépêchons, la voiture m'attend. + + +MARGUETITE. + +Monsieur Laubépin, j'ai toujours cru que vous étiez un honnête +homme! + + +LAUBEPIN, la regardant étonné. + +Moi aussi, Mademoiselle. + + +MARGUERITE. + +Cependant, que signifie cette intrigue à laquelle vous vous +êtes prêté? + + +LAUBEPIN. + +Quelle intrigue? + + +MARGUERITE. + +Ce jeune homme, cet intendant que vous nous avez envoyé... +mademoiselle Hélouin l'a rencontré autrefois à Paris... elle +le connaît... me direz-vous pourquoi il ne porte pas son nom? + + +LAUBEPIN. + +Mais il porte son nom, Mademoiselle; le véritable nom de sa +famille! S'il ne porte pas son titre, c'est par un motif de +convenance, de juste fierté que vous devez comprendre. Et +puisqu'il vous déplaît si fort, vous n'avez qu'à lui jeter ce +titre au visage, vous en serez débarrassée, je vous le +garantis. + + +MARGUERITE. + +Enfin... qu'est-il venu faire ici? + + +LAUBEPIN. + +Mais... gagner sa vie, puisqu'il y est réduit. Eh bien, où est +l'intrigue? Je ne la vois pas, moi! Ce que je vois, c'est que +vos procédés à l'égard de ce jeune homme sont étranges. Vous +lui faites acheter cher vos bienfaits, mon enfant. (Fausse +sortie.) + + +MARGUERITE. + +Monsieur Laubépin... je vous crois... je vous remercie... Il +est si douloureux de croire au mal... Grâce à vous, me voilà +plus gaie, plus heureuse; je vous aime, monsieur Laubépin! + + +LAUBEPIN, gaiement. + +Ah! mon Dieu!... ne dites donc pas cela au moment où je pars, +Mademoiselle! Ah! c'est cruel! (Il regarde sa montre.) car, je +pars... je n'ai que le temps de dire adieu à votre mère... + + +MARGUERITE. + +Eh bien, savez-vous ce que je vais faire pour vous remercier? +Je vais prendre mon cheval et vous accompagner un peu sur la +route. + + +LAUBEPIN. + +Ah bah! mon enfant! + + +MARGUETITE. + +Cela va me promener... + + +LAUBEPIN. + +Non! laissez donc, je ferais trop de jaloux. + + +MARGUERITE. + +Je le veux! D'ailleurs, cela m'arrange, je vous assure... Je +vous conduirai jusqu'à Elven... + + +LAUBEPIN, avec intention, à part. + +A Elven? + + +MARGUERITE. + +Oui... et puis, je reviendrai par les ruines du vieux +château... à travers les bois... et cela me fera une promenade +ravissante. + + +LAUBEPIN, qui semble préoccupé. + +Eh bien, dame! ma chère enfant... ce que femme veut... + + +MARGUERITE. + +Eh bien, partons! (Elle prend le bras de Laubépin.) + + +LAUBEPIN. + +Partons!... Oh! les ruines, les vieux châteaux!... Prenez +garde, mon enfant, c'est hanté quelquefois... (Chantant +gaiement en vieillard.) + + +Prenez garde, + +Prenez garde... + +La Dame Blanche vous regarde... + + +FIN DU TROISIEME TABLEAU. + + +IVe TABLEAU + + +L'intérieur d'une salle octogonale dans la vieille tour +d'Elven. Architecture sombre et sévère. Les voûtes de la salle +sont en partie effondrées. En face du public, dans la profonde +embrasure d'une fenêtre ruinée, un pan de la muraille est +presque entièrement écroulé; une large brèche, revêtue de +lierre, laisse apercevoir la cime de quelques arbres qui +croissent dans les fossés, et plus loin un haut donjon à demi +ruiné qui se détache sur le ciel et sur la masse des bois +lointains. Cette brèche ne s'ouvre point au niveau de l'aire +de la salle: quelques pierres restées debout, et semblant +former les assises d'une ancienne fenêtre, permettent de +monter sur une espèce de balcon ou de plate-forme extérieure +qui est praticable, et qui surplombe le précipice. A droite un +escalier de deux ou trois marches, au bas duquel on voit la +porte étroite et massive de la tour. Le soir commence. + + +SCENE I. + + +YVONNET, puis MAXIME. + + +Au lever du rideau, Yvonnet, debout sur le balcon, regarde au +dehors et paraît écouter: on entend au loin quelques notes de +hautbois répétées par l'écho. Des voix chantent au loin dans +la campagne. + + +Le soir répand ses pleurs sur les bruyères... + +Sonnez, braves sonneurs! + +Au fond des bois passent les lavandières... + +Priez, bons moissonneurs! + +Les spectres gris sur la lande voisine + +Semblent grandir encor... + +Jusqu'à demain daignez, vierge divine, + +Veiller nos gerbes d'or! + + +(Au moment où le choeur finit, Maxime entre et s'approche du +balcon.) + + +MAXIME. + +Qu'est-ce que tu fais là, mon petit bonhomme? + + +YVONNET, un peu effrayé. + +J'écoutais les chanteurs, Monsieur. + + +MAXIME. + +Qui est-ce qui chante donc comme cela? + + +YVONNET. + +Les moissonneurs, Monsieur, qui reviennent tous les soirs à +travers les bois. + + +MAXIME. + +Ah! Et, dis-moi, c'est toi, mon garçon, qui es le gardien des +ruines? + + +YVONNET. + +Oui, Monsieur. Je suis le petit berger de la ferme de M. le +comte... je passe toutes mes journées dans les bois, là +auprès, avec mes bêtes... et quand il vient des étrangers pour +voir la vieille tour, c'est moi qui leur ouvre la porte. (Il +montre la clé de la tour.) + + +MAXIME. + +Ah! Eh bien, tiens, mon garçon. (Il lui donne de l'argent.) + + +YVONNET. + +Merci, Monsieur. + + +MAXIME. + +Tu n'as jamais peur, là, tout seul? + + +YVONNET. + +Oh! pendant le jour, non, Monsieur; mais quand vient le soir, +je ne suis pas très-fier. (Il passe.) + + +MAXIME. + +Ah! ah! il y a donc des fées, par ici, des sorciers, des +lavandières... quoi? + + +YVONNET, dédaigneux. + +Oh! Monsieur, ce sont des bêtises, tout ça... c'était bon +autrefois... mais on ne croit plus à ces choses-là. + + +MAXIME. + +Ah! tu ne crois donc à rien, toi? + + +YVONNET. + +Je ne crois pas à ces bêtises-là... Ah! si vous me parliez de +la dame noire! à la bonne heure! La dame noire, ça, c'est +autre chose! + + +MAXIME. + +Ah! il y a une dame noire? + + +YVONNET. + +Ah! oui, dame! Il y en a une, Monsieur, qu'on voit se promener +avec ses grandes jupes, jusque sur le haut du donjon là-bas... +où il n'y a pas d'escalier pourtant... mais ce n'est jamais +pendant le jour, c'est toujours la nuit qu'on la voit. + + +MAXIME, riant. + +Oui... quand on n'y voit pas. + + +YVONNET, qui regarde au dehors par la brèche. + +Ah! bon, voilà le rouge qui fait des siennes!... Ce mouton-là, +tenez, Monsieur, il n'a pas son pareil pour la malice; faut +toujours qu'il grimpe... Ohé! Veux-tu descendre, méchant +rougeaud? (Il lui jette une pierre.) Attends va! (Il court +vers la porte.) + + +MAXIME, montrant la brèche. + +Eh bien, saute par là! + + +YVONNET. + +Sautez-y donc un peu pour voir, vous, Parisien!... Eh! dites +donc! Est-ce que vous allez rester longtemps, Monsieur? c'est +que la nuit va tomber... + + +MAXIME. + +Sois tranquille. Je m'en vais dans deux minutes. + + +YVONNET. + +Bien! car je ne suis pas fier, moi, à ces heures-là. C'est pas +que j'aie peur, mais je ne suis pas fier. (Il sort.) + + +SCENE II. + + +MAXIME, seul, regardant autour de lui. + +C'est beau, cela!... Comment n'avais-je pas encore eu l'idée +d'entrer ici?... Il faudra que je vienne un jour... +(Tristement.) Un jour! Ah! j'oublie qu'il n'y a plus pour moi +d'avenir, plus de lendemain dans ce pays... Ce sont des adieux +que je dois faire à tous ces sites aimés... où j'ai tant +pensé... où j'ai trop pensé à elle... Misérable coeur, c'est +donc parce que tout me défend de l'aimer, la raison et +l'honneur, c'est pour cela que... Ah! si je n'avais la charge +d'une autre existence plus précieuse que la mienne, j'aurais +déjà fui au bout du monde ce supplice de chaque jour, de +chaque heure... (Marguerite entre.) Elle! Dieu! + + +SCENE III. + + +MAXIME, MARGUERITE. + + +MARGUERITE, fait quelques pas en regardant autour d'elle; +apercevant Maxime tout à coup, avec trouble. + +Monsieur!... je vous demande pardon... j'ignorais... +absolument... je vous laisse. + + +MAXIME, souriant. + +Mon Dieu, Mademoiselle, je ne suis pas ici chez moi... et +c'est à moi de sortir... Je vous en prie... (Il fait quelques +pas vers la porte.) + + +MARGUERITE, traversant1 [1. Marguerite, Maxime.]. + +Monsieur Maxime... je comptais vous parler ce soir même... et +puisque je vous rencontre ici... Eh bien, voyons, dites, +Monsieur, est-il vrai que j'aie envers vous les torts graves +qu'on me prête? + + +MAXIME. + +Mademoiselle, je ne pense pas m'être plaint. + + +MARGUERITE. + +Mais vous voulez partir? + + +MAXIME. + +Mademoiselle! + + +MARGUERITE. + +Et l'on assure que j'en suis la cause... Votre départ, +Monsieur, serait pour ma mère un chagrin sensible... que je +désire lui épargner, s'il dépend de moi... Mais enfin, quelle +explication souhaitez-vous? Que faut-il vous dire? Que le +langage... dont vous vous êtes offensé... n'est pas toujours +sincère... que j'étais née peut-être pour comprendre comme une +autre des joies, des fêtes, plus nobles que celles dont la +richesse et le monde disposent? Eh bien... cela est +possible... Mais suis-je donc si blâmable de consacrer tout ce +que j'ai de volonté et de courage à étouffer en moi des +idées... des sentiments... qui me sont interdits?... + + +MAXIME. + +Interdits! + + +MARGUERITE. + +Interdits, sans doute! Mon Dieu, Monsieur, il est fort +ridicule peut-être de nous plaindre d'une destinée que tant de +gens nous envient, mais enfin, par un travers d'esprit que je +tiens apparemment de ma pauvre mère, et qui a du moins +l'excuse de la bonne foi, je sens que, si j'étais moins riche, +je serais plus heureuse. Vous m'avez reproché ma défiance +éternelle. Mais à quoi donc pourrai-je me fier, dites? moi +qui, depuis que je me connais, ne suis entourée... est-ce que +je ne le vois pas?... que de faux amis, de parents avides, de +prétendants suspects...? Eh! grand Dieu! pensez-vous que je +prenne pour moi les soins, les tendresses dont tous ces +parasites nous fatiguent? les hommages dont tant de... lâches +m'importunent?... Et si jamais, enfin, quelque âme grande et +généreuse... s'il y en a!... était capable de me rechercher, +de m'aimer pour ce que je suis... non pour ce que je vaux... +je ne le saurais pas... (Avec intention.) Je ne le croirais +pas! jamais! non! jamais je ne risquerai de donner à un coeur +vil, indigne, vénal... un coeur tel que le mien!... Et voilà +pourquoi j'éloigne... je repousse... je veux haïr tout ce qui +est beau... tout ce qui fait penser... tout ce qui me parle +d'un ciel... défendu! (Le choeur des moissonneurs a repris sur +les dernières paroles de Marguerite. Elle dit à demi-voix:) +Qu'est-ce là! (Puis elle se rapproche du fond, écoute, penche +la tête et pleure.) + + +MAXIME. + +Mademoiselle!... Cette émotion, des larmes! + + +MARGUERITE, avec élan. + +Eh bien, oui, je puis pleurer!... j'ai une âme! (Elle fait +deux pas avec confusion, et reprend:) Monsieur, je ne vous +avais pas destiné tant de confiance; mais enfin, vous me +connaissez maintenant, et si jamais j'ai pu blesser votre +coeur, j'espère que vous me pardonnez (Maxime s'incline vers la +main qu'elle lui tend, et y pose ses lèvres: elle reprend +aussitôt): Partons! (Elle fait un pas, et se retournant); Et +plus un mot jamais sur ce sujet! + + +MAXIME. + +Jamais! + + +MARGUERITE, troublée. + +On ne peut sortir par là? par cette brèche? + + +MAXIME. + +Oh! Mademoiselle, il y a un abîme! + + +MARGUERITE. + +Il faut que je voie cela avant de partir... Est-ce qu'il n'y a +pas une espèce de balcon, là, au dehors? + + +MAXIME. + +Je vous en prie, Mademoiselle, prenez garde, cela ne tient à +rien. + + +MARGUERITE. + +Oh! je n'ai pas peur! + + +MAXIME. + +Veuillez au moins prendre ma main. (Elle monte sur la plate-forme +extérieure. Il commence à faire nuit.) + +MARGUERITE. + +Oh! c'est vrai. C'est assez effrayant ce précipice, mais +très-beau d'ailleurs. On resterait là une éternité. + + +SCENE IV. + + +MAXIME, MARGUERITE, au fond, YVONNET. + + +YVONNET, entrant; il reste sur l'escalier, et regarde +timidement dans l'intérieur de la tour. + +Ah!... il est parti! bon, je ne vais pas être longtemps à me +sauver, moi, maintenant! (Il sort.) + + +SCENE V. + + +MAXIME, MARGUERITE. + + +La nuit tombe: des rayons de lune blanchissent les déchirures +de la fenêtre et éclairent au loin les arceaux du donjon +ruiné. + + +MAXIME, descendant du balcon. + +C'est étrange! j'avais cru entendre!... + + +MARGUERITE. + +Mais voilà la nuit pour tout de bon; heureusement elle est +claire, nous pourrons retrouver nos chevaux. Allons vite, +Monsieur, je vous en prie... (Elle descend les degrés de la +fenêtre ruinée, soutenue par Maxime; musique douce à +l'orchestre; ils s'approchent de la porte, que Maxime essaie +en vain d'ouvrir. Marguerite reprend): Comment! cette porte +est fermée? + + +MAXIME. + +Ce n'est pas possible!... (Il fait de vains efforts pour +ouvrir la porte.) C'est la tour enchantée!... Il faut que cet +imbécile de berger l'ait fermée pendant que nous étions sur le +balcon!... + + +MARGUERITE, remontant soucieuse. + +Essayons de l'appeler. Il ne doit pas être bien loin... N'est-ce +pas lui qui court là-bas? + + +MADIME, sur la plate-forme. + +Eh! petit! veux-tu revenir?... Bon! il vous a vue... Il n'en +court que plus fort... Sa sotte superstition!... + + +MARGUERITE, descendant et regardant autour d'elle. + +Aucune autre issue!... Que faire?... on va mourir d'inquiétude +chez moi!... Et puis... enfin... C'est impossible!... chercher +un moyen, Monsieur! il faut que nous sortions! + + +MAXIME. + +Mon Dieu! Mademoiselle... j'ai beau chercher... cette porte... +de prison... résiste à tous mes efforts... je suis vraiment +désespéré... + + +MARGUERIE, pendant que Maxime remonte vers la brèche, à part. + +Dieu!... quelle pensée!... (A Maxime avec une colère +contenue.) Monsieur le marquis de Champcey! + + +MAXIME, se retournant vivement. + +Mon nom! + + +MARGUERITE, lentement. + +Dites-moi, y a-t-il eu avant vous beaucoup de lâches dans +votre famille? + + +MAXIME. + +Marguerite! + + +MARGUERITE, violemment. + +C'est vous... c'est vous qui avez payé cet enfant pour nous +enfermer ici! + + +MAXIME. + +Moi? grand Dieu! + + +MARGUERITE. + +Vous!... Ah! je devine tout, allez!... Je comprends votre +calcul! Demain... je serai diffamée, perdue dans l'opinion... +et je ne pourrai plus appartenir qu'à vous! Mais ce calcul +honteux... qui couronne toutes vos manoeuvres... je le +tromperai!... Certes vous me connaissez mal encore, si vous +croyez que je ne préférerai pas tout... le déshonneur... le +cloître, la mort même au désespoir, à l'abjection d'unir ma +vie à la vôtre! + + +MAXIME, avec calme. + +Mademoiselle, je vous supplie de revenir à vous, à la raison. +Je comprends les inquiétudes qui vous agitent en ce moment... +mais je vous atteste que vous me faites outrage. Je n'ai pu en +aucune façon préparer cette perfidie. (Avec élan.) Et quand je +l'aurais pu, enfin, comment vous ai-je jamais donné le droit +de m'en croire capable? + + +MARGUERITE, passant à gauche. + +Tout ce que je sais de vous m'en donne le droit. Qu'êtes-vous +venu faire dans notre maison, sous un nom, sous un caractère +empruntés? Nous vivions heureuses... vous nous avez apporté +des troubles, des chagrins que nous ignorions... Pour +atteindre votre but, pour réparer les brèches de votre +fortune! vous avez usurpé notre confiance, vous avez joué avec +nos sentiments les plus purs, les plus sacrés... Eh bien, je +suis profondément lasse et ulcérée de tout cela, je vous le +dis! Et quand vous m'offrez en gage, à cette heure, votre +honneur de gentilhomme... qui vous a déjà permis tant de +choses indignes... certes j'ai le droit de n'y pas croire... +et je n'y crois pas! + + +MAXIME, allant rapidement vers la brèche de la muraille, et +revenant aussitôt. + +Marguerite... ma pauvre enfant! écoutez bien! Je vous aime, +c'est vrai, et jamais amour plus ardent, plus désintéressé, +plus saint n'est entré dans le coeur d'un homme!... mais vous +aussi, vous m'aimez... vous m'aimez, malheureuse!... et vous +me tuez!... vous me brisez le coeur!... mais ce coeur, il est à +vous! vous pouvez en faire ce qu'il vous plaît... Quant à mon +honneur, il est à moi, et je le garde! Et sur cet honneur, je +vous fais serment que si je meurs, vous me pleurerez... que si +je vis, jamais... tout adorée que vous êtes... quand vous +seriez à deux genoux devant moi... jamais je n'accepterai une +fortune de votre main... jamais!... Et maintenant priez!... +demandez à Dieu un miracle... Il en est temps! (Il court vers +le balcon.) + + +MARGUERITE, qui s'est précipitée vers la brèche, étendant les +bras et l'arrêtant. + +Dieu du ciel! je ne veux pas, je ne veux pas! + + +MAXIME. + +Oh! rassurez-vous... ces branches... ces arbres me +soutiendront... A reste, que m'importe! + + +MARGUERITE. + +Je ne veux pas! Je vous en supplie, oubliez ce que j'ai dit, +par grâce, par pitié!... Je ne veux pas! + + +MAXIME, se défendant. + +Non! laissez-moi! (Il la repousse et s'élance sur le balcon. -- +Le choeur recommence au loin.) + + +MARGUERITE, tombant à genoux sur les degrés de la fenêtre. + +Malheureux! c'est la mort! + + +MAXIME, sur le balcon. + +C'est l'honneur! (Il se précipite.) + + +MARGUERITE, poussant un cri terrible. + +Ah! (Elle tombe sur le sol.) + + +FIN DU DEUXIEME ACTE + + + + +ACTE TROISIEME + + +Ve TABLEAU. + + +Un boudoir dans le château des Laroque. -- Porte à droite. -- +Porte à gauche. -- Porte au fond. Table, fauteuils, le brasero +allumé devant le fauteuil de madame Laroque. -- Lampes ou +flambeaux allumés.1 [1. A gauche: madame Aubry, madame +Laroque, Bévallan; à droite, mademoiselle Hélouin, Desmarets; +Alain, au fond.] + + +SCENE I. + + +M. DE BEVALLAN, LE DOCTEUR DESMARETS, MADAME LAROQUE, MADAME +AUBRY, MADEMOISELLE HELOUIN, ALAIN, près de la porte au fond. + +Tous paraissent inquiets et préoccupés. + + +MADAME LAROQUE. + +Elle est sortie à cheval, dites-vous, Alain? + + +ALAIN. + +Oui, Madame. + + +MADAME LAROQUE. + +Seule? + + +ALAIN. + +Seule. + + +MADAME LAROQUE. + +A quelle heure? + + +ALAIN. + +Vers quatre heures et demie, Madame. + + +BEVALLAN. + +Mais mademoiselle Marguerite ne comptait-elle pas aller ce +soir à ce bal chez madame de Castennec? + + +MADAME LAROQUE. + +Mon Dieu, oui! et c'est ce qui rend ce retard encore plus +inexplicable... Je vous assure que je meurs d'inquiétude. + + +DESMARETS. + +Tranquillisez-vous, Madame, vous savez que mademoiselle +Marguerite prolonge quelquefois ses promenades fort tard. + + +MADAME LAROQUE. + +Jamais jusqu'à la nuit!... Mais ne peut-on savoir de quel côté +elle est allée? + + +MADEMOISELLE HELOIN. + +Si l'on demandait à M. Odiot... Il pourrait peut-être... + + +MADAME LAROQUE. + +Vous avez raison, mon enfant... Alain, dites à M. Odiot que je +le prie de venir. + + +ALAIN. + +Madame, M. Odiot est lui-même sorti à cheval cette après-midi, +et il n'est pas rentré. + + +BEVALLAN, avec une nuance de soupçon. + +Ah! et à quelle heure est-il sorti, M. Odiot? + + +ALAIN. + +Mais... un peu avant quatre heures, je crois. + + +BEVALLAN. + +Ah! (Il échange un regard avec mademoiselle Hélouin et madame +Aubry.) + + +MADAME LAROQUE, préoccupée, à part. + +Mon Dieu! quelle idée!... (Un silence d'embarras: Maxime +paraît tout à coup au fond. Il est très-pâle: il a sur le +front quelques gouttes de sang.) + + +SCENE II. + + +LES MEMES, MAXIME. + + +MAXIME, riant, et parlant au dehors. + +Ce n'est rien. + + +DESMARETS. + +Mon ami! que vous êtes pâle... et puis, qu'est-ce que vous +avez au front? Du sang, je crois? + + +MAXIME. + +Oh! rien... c'est mon cheval qui a eu peur de son ombre, et +qui vient de me jeter dans le fossé au bout de l'avenue. + + +MADAME LAROQUE. + +Ah! mon Dieu! Monsieur!... + + +MAXIME. + +Oh! Madame, j'en suis quitte pour la peur et un peu +d'étourdissement. + + +MADAME LAROQUE. + +Mais c'est donc une soirée de malheur! + + +MAXIME. + +Une soirée de malheur? Comment! qu'y a-t-il donc? + + +MADAME LAROQUE. + +Croiriez-vous que ma fille n'est pas encore rentrée à cette +heure-ci? + + +MAXIME. + +Mademoiselle Marguerite? Mais je l'ai rencontrée. + + +MADAME LAROQUE. + +Vous l'avez rencontrée... où, Monsieur... je vous en prie... à +quelle heure? + + +MAXIME. + +Mais à cinq heures environ... sur la route de Vannes... elle +allait... je venais... nous nous sommes croisés. + + +MADAME LAROQUE. + +Et elle ne vous a pas parlé? Elle ne vous a pas dit...? + + +MAXIME. + +Elle m'a dit qu'elle allait voir les ruines du château +d'Elven. + + +MADAME LAROQUE. + +Les ruines d'Elven... ah! grand Dieu! mais il y a par là des +bois... des marais dangereux... la pauvre enfant se sera +égarée... il faut y courir... je veux y aller moi-même... +Alain, faites atteler promptement... mon châle, mon chapeau, +Mademoiselle, je vous prie.. + + +MADAME AUBRY. + +Je vais avec vous, ma chère cousine. + + +BEVALLAN. + +Et je vais vous accompagner à cheval, Madame, si vous le +permettez... + + +MADAME LAROQUE. + +Oui, oui, mon ami... venez aussi, docteur, je vous en prie... +Allons, vite, partons. (Tous sortent, excepté Maxime.) + + +SCENE III. + + +MAXIME, seul, puis ALAIN, portant une aiguière sur un plateau. + + +MAXIME. + +Ah! il était temps. (Il se laisse tomber sur un siège. -- Entre +Alain.) + + +ALAIN. + +Voici de l'eau, monsieur Maxime... Comment vous trouvez-vous? + + +MAXIME. + +Mieux, mon ami, merci. (Il trempe son mouchoir dans l'aiguière +et se lave le front.) + + +ALAIN. + +Oh! ce ne sera rien, Monsieur... Une chute de cheval, quand ça +ne tue pas... c'est égal, ça doit vous secouer fièrement tout +de même... J'ai eu une drôle de chance, moi, Monsieur... +depuis quarante ans que je monte à cheval, je ne suis jamais +tombé... je ne me doute pas de l'effet que ça peut faire. + + +MAXIME. + +As-tu jamais rêvé que tu tombais du haut d'une tour? + + +ALAIN. + +Oh! oui, Monsieur, bien souvent. + + +MAXIME. + +Eh bien, c'est cela... voilà l'effet que cela fait, tiens! + + +ALAIN. + +Ah! (Mystérieusement.) Eh bien, Monsieur, pendant que vous +receviez ce mauvais coup-là, j'en recevais un, moi, de mon +côté, qui ne me faisait pas de bien non plus! + + +MAXIME. + +Comment? + + +ALAIN. + +Il faut que je dise cela à Monsieur, et que je lui demande +conseil... car vraiment il y a des choses qui sont un peu trop +dures à digérer... Il y a une heure à peu près, Monsieur, +comme je passais auprès de la serre, voilà que j'entends le +sable de l'allée qui craquait tout doucement, et puis deux +voix qui chuchotaient... Je me dis: Qui est-ce qui chuchote +comme cela la nuit dans le parc? Je me tapis dans le massif, +Monsieur, et qu'est-ce que je vois? + + +MAXIME. + +Qu'est-ce que tu vois? + + +ALAIN. + +L'institutrice, Monsieur, avec M. de Bévallan... qui se +parlaient dans l'oreille, et de très-près, et de si près qu'à +la fin j'ai entendu, sauf le respect que je dois à Monsieur... + + +MAXIME. + +Quoi? (Alain baise sa propre main avec bruit.) Ah! + + +ALAIN. + +Comme j'ai l'honneur, Monsieur!... Eh bien, Monsieur, ça ne +fait pas bouillir le sang sous les ongles, ça? Ce monsieur qui +veut épouser mademoiselle, et qui, en attendant, +tranquillement, sans se gêner... Mais ça ne peut pas durer, et +je vais tout conter à madame. + + +MAXIME. + +Non, Alain, non... Il ne faut jamais dénoncer.. Ne dis rien. +(A part.) Cette folle! (Haut.) Mademoiselle Hélouin est-elle +au château? + + +ALAIN. + +Oui, Monsieur. + + +MAXIME. + +Eh bien, prie-la... dis-lui que je désire... (Mademoiselle +Hélouin entre.) Laisse-nous, et tais-toi. (Alain sort.) + + +SCENE IV. + + +MAXIME, MADEMOISELLE HELOUIN. + + +MADEMOISELLE HELOUIN. + +Madame Laroque, Monsieur, m'a recommandé de veiller... Vous +n'avez besoin de rien? + + +MAXIME. + +De rien, merci, Mademoiselle... Mais j'ai à vous parler. + + +MADEMOISELLE HELOUIN. + +A moi? + + +MAXIME. + +Oui, Mademoiselle... Vous m'avez retiré votre amitié, mais la +mienne vous est restée tout entière, et si vous le permettez, +je vais vous le prouver. + + +MADEMOISELLE HELOUIN. + +Parlez. + + +MAXIME, simplement. + +Eh bien, ma pauvre enfant vous vous perdez. + + +MADEMOISELLE HELOUIN. + +Monsieur! + + +MAXIME. + +Quelqu'un vous a vue, vous a entendue, dans le parc... Il y a +une heure... + + +MADEMOISELLE HELOUIN. + +Dieu!... ah! Monsieur Maxime... je vous jure... + + +MAXIME. + +Oh! je suis bien convaincu, Mademoiselle, que ce petit roman +est très-innocent de votre part! mais de l'autre, il l'est +peut-être moins1 [1. Les passages guillemetés se coupent à la +représentation.], " et je vous supplie d'y réfléchir. Je ne +pourrais pas toujours arrêter les suites... + + +MADEMOISELLE HELOUIN, cachant sa tête dans ses mains. + +Mon Dieu! + + +MAXIME. + +Allons! remettez-vous!... que puis-je faire pour vous, dites? +Y a-t-il quelque gage, quelque lettre que je puisse retirer +des mains de cet homme? Parlez, disposez de moi comme d'un +frère. + + +MADEMOISELLE HELOUIN. + +Un frère! Vous parlez de me sauver, et c'est vous qui me +perdez! Oui, vous êtes la cause unique de ce qui arrive... +après m'avoir témoigné une affection feinte, vous m'avez +humiliée, désespérée... Eh bien... + + +MAXIME/ + +Humiliée! désespérée? Comment? parce que j'ai tenu dans les +limites que la loyauté me commandait les sentiments que votre +situation, votre beauté, vos talents, m'inspiraient? Je ne +vois rien là de fort humiliant pour vous, Mademoiselle; ce qui +pourrait à plus juste titre vous humilier, ce serait de vous +voir aimée très-résolûment par un homme très-résolu à ne pas +vous épouser... " + + +MADEMOISELLE HELOUIN, avec colère. + +Qu'en savez-vous? Tous les hommes ne sont pas des coureurs de +fortune! + + +MAXIME, froidement. + +Ah! Est-ce que vous seriez une méchante personne, mademoiselle +Hélouin? En ce cas, j'aurais l'honneur... (Il la salue comme +pour se retirer.) + + +MADEMOISELLE HELOUIN. + +Monsieur Maxime! de grâce!... Ah! pardonnez-moi! ayez pitié de +moi! Figurez-vous donc ce que peut être la pensée d'une pauvre +créature comme moi, à qui on a eu la cruauté de donner un +coeur, une âme, une intelligence... et qui ne peut se servir de +tout cela que pour souffrir... et pour haïr! " Vous parliez de +mes talents! Eh bien, ces talents, si péniblement acquis, ils +ne sont pas à moi!... J'aurai passé toute ma jeunesse à en +parer une autre femme, pour qu'elle soit plus belle, plus +adorée... et plus insolente encore! et quand elle s'en ira, +elle, au bras d'un heureux époux, prendre sa part des plus +belles fêtes de la vie, je l'en irai, moi, seule, abandonnée, +vieillir dans quelque coin avec une pension de femme de +chambre!... " Eh bien, qu'est-ce que j'avais fait au ciel pour +mériter cette destinée-là? Pourquoi moi plutôt que ces femmes? +Certes, j'étais née aussi bien qu'elles pour être bonne, +aimante, charitable. Eh! mon Dieu! les bienfaits coûtent peu +quand on est riche, et la bonté est facile aux heureux! Si +j'étais à leur place, et elles à la mienne, elles ne +m'aimeraient pas plus que je ne les aime... on n'aime pas ses +maîtres! + + +MAXIME. + +Mademoiselle... de grâce! + + +MADEMOISELLE HELOUIN. + +Ah! oui, oui! Je vous révolte, n'est-ce pas? je vous indigne? +Vous allez me mépriser maintenant plus que jamais... vous qui +auriez pu d'un mot me rendre la paix... l'estime de moi-même... +Vous, à qui j'ai dû pour la première fois une pensée +de bonheur... d'avenir... de fierté... Ah! malheureuse!... +(Elle pleure.) + + +MAXIME, lui prenant la main. + +Mademoiselle, je vous en supplie!... Je vous serai toute ma +vie reconnaissant de votre affection!... mais je ne +m'appartiens pas... J'ai des devoirs qui m'enchaînent... Et +quand je le voudrais, enfin, je ne puis songer à me marier... + + +MADEMOISELLE HELOUIN, avec amertume. + +Même avec Marguerite? + + +MAXIME. + +Je ne vois pas ce que vient faire ici le nom de mademoiselle +Marguerite. + + +MADEMOISELLE HELOUIN. + +Ah! je lis clairement dans votre pensée... et depuis +longtemps, je vous l'assure... je sais qui vous êtes... je +sais quelle proie vous convoitez ici. Mais j'ai les moyens de +vous démasquer, de vous perdre, et j'en userai! + + +MAXIME. + +Vous le pouvez, Mademoiselle, et avec d'autant plus de sûreté +que sur le terrain de la calomnie, de la diffamation... je ne +vous suivrai jamais. Je vous en donne ma parole, et je vous +salue. (Il sort à droite.) + + +SCENE V. + + +MADEMOISELLE HELOUIN, seule; puis MARGUERITE, BEVALLAN, MADAME +LAROQUE. + + +MADEMOISELLE HELOUIN, seule. + +Oui, quand je devrais me perdre avec lui... je le perdrai!... +Et puis je blesserai au coeur cette insolente fille, et je +serai heureuse un moment, du moins! (Entrent madame Laroque, +Bévallan et Marguerite.) + + +MADAME LAROQUE. + +Eh bien, la voilà retrouvée; Dieu merci! + + +MADEMOISELLE HELOUIN, courant au-devant de Marguerite. + +Ah! chère enfant! vous voilà donc! Quelle joie! Je mourais +d'inquiétude! Et où étiez-vous? qu'est-il arrivé? + + +MADAME LAROQUE. + +Nous l'avons rencontrée à une lieue d'ici... Figurez-vous que +le gardien des ruines l'avait enfermée dans le donjon par +mégarde... et si un paysan n'était venu à passer par hasard, +elle restait là toute la nuit. + + +MADEMOISELLE HELOUIN. + +Ah! Dieu! quelle peur vous avez dû avoir! + + +MARGUERITE, sombre et grave. + +Oui, j'ai eu grand'peur. + + +BEVALLAN. + +Mademoiselle, je vous le répète, je regretterai éternellement +de ne pas m'être trouvé là avec vous. (Baissant un peu la +voix.) C'est dans de telles situations qu'on apprécie le coeur +d'un homme. + + +MARGUERITE. + +Qu'auriez-vous fait? + + +BEVALLAN, avec enthousiasme. + +Ce que j'aurais fait? Mais je... (Plus calme.) Je ne sais pas. + + +MARGUERITE. + +Eh bien, cherchez. + + +MADAME LAROQUE, qui a ôté son chapeau et son châle. + +Et maintenant, allons souper... n'est-ce pas? Madame Aubry est +déjà à table et nous attend. + + +MARGUERITE. + +Moi, ma mère, je ne souperai pas... Cette alerte m'a ôté +l'appétit. + + +MADAME LAROQUE. + +Pauvre petite!... Eh bien, venez-vous, Bévallan? (Elle prend +le bras de Bévallan.) Et vous, Mademoiselle? + + +MARGUERITE, bas à mademoiselle Hélouin. + +J'ai deux mots à vous dire. + + +MADEMOISELLE HELOUIN. + +Bien, Mademoiselle. (Madame Laroque et Bévallan sortent à +droite.) + + +SCENE VI. + + +MARGUERITE, MADEMOISELLE HELOUIN. + + +MARGUERITE, d'un accent sombre. + +Etes-vous sûre, Mademoiselle, de ne pas vous tromper quand +vous donnez à M. Odiot le nom de marquis de Champcey? + + +MADEMOISELLE HELOUIN. + +Sans doute Mademoiselle, pourquoi? + + +MARGUETITE. + +C'est que vous vous abusez si étrangement sur son caractère, +que vous pourriez commettre quelque autre méprise. + + +MADEMOISELLE HELOUIN. + +Je ne vous comprends pas. + + +MARGUERITE. + +En tous cas, s'il est noble de nom, il l'est aussi de coeur; je +puis vous en répondre. + + +MADEMOISELLE HELOUIN. + +C'est une découverte que vous avez faite récemment? + + +MARGUERITE. + +Oui, Mademoiselle... ce jeune homme, peu m'importe qu'on le +sache, se trouvait près de moi, quand j'ai été emprisonnée +dans ces ruines: et pour sauver mon honneur et le sien... car +je l'accusais! il a risqué sa vie... il s'est précipité dans +un abîme! + + +MADEMOISELLE HELOUIN. + +Ah, c'est héroïque, en effet! M. de Champcey entend à +merveille l'art d'utiliser ses talents... hier c'était la +natation... qui nous a valu cette mise en scène si habilement +préparée... ce soir, c'est la gymnastique... Il a reçu une +très-brillante éducation ce jeune homme. + + +MARGUERITE, soupçonneuse. + +Vous le haïssez beaucoup, ce jeune homme... mais je vous serai +obligée d'appuyer par des preuves sérieuses, formelles, des +accusations un peu trop passionnées pour n'être pas suspectes! + + +MADEMOISELLE HELOUIN. + +Ah, c'est moi qui suis suspecte!... Vous voulez des +preuves?... (Elle tire un papier de son sein.) Eh bien, en +voilà une que vous ne récuserez pas... elle est écrite de sa +main... + + +MARGUERITE. + +Quoi donc! + + +MADEMOISELLE HELOUIN. + +Ecoutez, écoutez... il en est temps. (Elle lit.) "Mon cher +Laubépin... Je suis à la lettre toutes vos instructions. Mais +je vous l'avoue, je plie quelquefois sous le fardeau vingt +fois chaque jour; pour supporter le présent, je suis forcé de +me remettre sous les yeux l'avenir qui doit payer toutes mes +misères; cette chère dot..." + + +MARGUERITE, saisissant la lettre. + +Dieu! + + +MADEMOISELLE HELOUIN, reprenant le lettre et continuant de +lire. + +"Cette chère dot que j'ai juré de reconquérir. Je servirai +comme le pasteur biblique, quarante ans, s'il le faut!..." +C'est dommage qu'il se soit arrêté là! Cette lettre a été +trouvée et m'a été remise par madame Aubry. -- Eh bien qu'en +dites-vous? + + +MARGUERITE. + +Appelez ma mère: je veux à l'instant même...! -- Non, restez; +pas un mot; je me charge de tout. (La porte de gauche s'ouvre: +entrent Bévallan, Maxime, madame Laroque, madame Aubry.) + + +SCENE VII. + + +LES MEMES, BEVALLAN, MAXIME, MADAME LAROQUE, MADAME AUBRY. + + +MADAME LAROQUE, à Maxime. + +Ainsi, vous ne vous ressentez plus... + + +MAXIME. + +Non, Madame. + + +MADAME LAROQUE, à Marguerite. + +Et toi, mon enfant, es-tu un peu remise? + + +MARGUERITE, avec une gaieté fiévreuse1 [1. Madame Laroque et +Maxime descendent à gauche; Marguerite et Bévallan au milieu; +mademoiselle Hélouin à droite.]. + +Oh! parfaitement, ma mère... et si bien même que je me sens +capable d'aller à ce bal, et de danser toute la nuit... Vous +venez avec nous, monsieur de Bévallan? + + +BEVALLAN. + +Désolé, Mademoiselle, mais mon costume, comme vous voyez... + + +MARGUERITE. + +Oh! il faut que vous veniez, Monsieur... il n'y a pas de bonne +fête sans vous, vous savez... Voyons, je vous en prie, +monsieur de Bévallan! + + +BEVALLAN. + +Mademoiselle, je vous suis profondément reconnaissant de votre +insistance, mais véritablement... + + +MARGUERITE. + +Je vous en supplie... vous ne pouvez me refuser!... Eh bien, +retournez chez vous promptement... changez de costume... et +revenez nous prendre... Je vous promets de vous attendre +jusqu'à minuit, s'il le faut... + + +BEVALAN. + +Vous me comblez, Mademoiselle... mais pour vous dire la +vérité, tous mes chevaux d'attelage sont sur la litière... et +il m'est impossible de cavalcader en toilette de bal. + + +MARGUERITE, vivement. + +Eh bien, on va vous faire conduire et ramener dans +l'américaine; voyons, je le veux. (Se tournant vers Maxime et +lui lançant un regard foudroyant.) Monsieur Odiot, allez dire +qu'on attelle... allez! (Cet ordre et le ton de Marguerite +éveillent dans l'assistance une surprise qui se trahit par un +silence embarrassé.) + + +MADAME LAROQUE. + +Ma fille! (Maxime, un moment interdit, se lève avec gravité, +et, s'approchant de la table, il appuie le doigt sur un +timbre: Alain paraît au fond.) + + +MAXIME, à Alain. + +Je crois que Mademoiselle a des ordres à vous donner. + + +MARGUETITE. + +Aucun; sortez! + + +BEVALLAN, regardant Maxime. + +Ma foi! voilà quelque chose d'assez particulier. + + +MARGUERITE, à demi-voix comme pour le contenir. + +Monsieur de Bévallan! + + +BEVALLAN, provoquant. + +Soit, Mademoiselle, mais qu'il me soit au moins permis de +regretter... de n'avoir pas le droit d'intervenir ici. + + +MAXIME, s'avançant d'un pas vers lui. + +Mais, Monsieur, vos regrets sont très-superflus!... Car si je +n'ai pas cru devoir obéir aux ordres de Mademoiselle, je suis +entièrement aux vôtres, et je les attends. + + +BEVALLAN. + +Ah! pardieu, Monsieur!.. + + +MADAME LAROQUE, se précipitant. + +Messieurs, de grâce!... + + +MARGUERITE. + +Monsieur de Bévallan, il faut que je vous parle à l'instant; +veuillez me suivre dans le salon. Venez ma mère. + + +BEVALLAN, s'inclinant. + +Mademoiselle... (Près de sortir, il fait un signe de la main à +Maxime.) Je suis à vous, Monsieur! (Madame Laroque, +Marguerite, Bévallan, sortent à gauche: Mademoiselle Hélouin, +à droite, après avoir lancé un regard à Maxime.) + + +SCENE VIII. + + +MAXIME, ALAIN, qui est resté au fond, en dehors, témoin de la +scène précédente. + + +MAXIME, à part. + +Cette malheureuse m'a tenu parole. Mais qu'a-t-elle pu +dire?... Eh! que m'importe! Il ne s'agit pas de cela +maintenant. Alain, tu es là, mon bon Alain, écoute! + + +ALAIN, s'approchant. + +Ah! Monsieur, quel malheur! + + +MAXIME. + +Sans doute, c'est un malheur... mais que veux-tu? Dis-moi, mon +ami, le percepteur du bourg est un ancien officier, je +crois... il a servi? + + +ALAIN. + +Oui, monsieur! Il a même été blessé en Crimée... + + +MAXIME, se plaçant devant la table et écrivant. + +Bien! C'est cela... Attends!... Voilà un billet que je te vais +prier de lui faire porter sans retard, n'est-ce pas? + + +ALAIN. + +Oui, Monsieur... Mais quel malheur, Monsieur! Et dire, +Monsieur, qu'à l'épée comme au pistolet il n'a pas son maître +dans tout le pays, ce grand traître-là. + + +MAXIME. + +Sois tranquille, sois donc tranquille, il ne me mangera pas. + + +ALAIN. + +Ah! si Monsieur voulait seulement me permettre de dire à ces +dames ce que j'ai vu dans le parc! + + +MAXIME. + +Malheureux!... Est-ce que tu veux qu'on me prenne pour un +misérable, un lâche? + + +ALAIN. + +C'est vrai, Monsieur, ce n'est pas le moment. + + +MAXIME. + +Allons! va vite, va! + + +ALAIN, s'en allant. + +Mais quel malheur, mon Dieu! (Il sort par le fond.) + + +SCENE IX. + + +MAXIME, seul un moment, puis BEVALLAN. + + +MAXIME, réfléchissant. + +Ma soeur! Oui, sans doute, c'est dur, mais l'honneur domine +tout. Un mot à Laubépin, seulement, à tout événement. +(Bévallan paraît à gauche. Maxime se lève.) + + +BEVALLAN, avec gravité. + +Monsieur, je viens faire près de vous une démarche un peu +irrégulière, et qui ne laisse pas que de me coûter... mais +j'obéis à des ordres qui doivent m'être sacrés.... De plus, +j'ai par devers moi des états de service qui, je crois, +mettent mon courage à l'abri du soupçon... Bref, je suis +chargé par ces dames de vous exprimer leurs regrets; +mademoiselle Marguerite, dans un moment de distraction, vous a +donné tout à l'heure quelques instructions qui, évidemment, +n'étaient pas de votre ressort! Votre susceptibilité s'en est +justement émue: nous le reconnaissons. + + +MAXIME. + +Monsieur, c'est assez. + + +BEVALLAN. + +Votre main? + + +MACIME, lui donnant la main. + +Monsieur! + + +BEVALLAN, avec moins de roideur. + +Et maintenant, monsieur Maxime, ces dames espèrent qu'un +malentendu d'un instant ne les privera pas de vos bons +offices, dont elles apprécient toute la valeur. Pour moi, je +suis infiniment heureux d'avoir acquis, depuis quelques +minutes, le droit de joindre mes instances aux leurs... Les +voeux que je formais depuis longtemps viennent d'être agréés. + + +MAXIME. + +Ah! + + +BEVALLAN. + +Et je vous serai personnellement obligé de ne pas nous refuser +votre concours, à la veille d'un événement que des +circonstances de famille, la santé de M. Laroque, nous +engagent à précipiter... + + +MAXIME. + +Ah! + + +BEVALLAN. Alain entre par le fond apportant un gros +portefeuille. + +Ah! merci... (Il prend le portefeuille des mains d'Alain et le +dépose sur la table. Alain sort aussitôt.) Ce sont +précisément, Monsieur, les papiers particuliers de M. +Laroque... Ces dames, en témoignage de leur entière confiance, +vous prient de vouloir bien, en respectant, bien entendu, ce +qui doit être respecté, y puiser les renseignements dont nous +aurons besoin pour dresser le modèle du contrat sauf à prendre +plus tard les dispositions légales. + + +MAXIME. + +C'est bien, Monsieur. Comptez sur moi. + + +BEVALLAN, avec une bonhomie enjouée. + +J'y compte, monsieur Maxime... et permettez-moi d'espérer que +toute glace est rompue entre nous... n'est-ce pas? Mon Dieu! +nous nous sommes assez mal connus, jusqu'ici... Moi, je +l'avoue, j'avais conçu contre vous quelques préventions, qui, +Dieu merci, n'existent plus... Vous, de votre côté, vous avez +pu me juger un peu témérairement... mais maintenant vous me +connaîtrez mieux, et vous verrez là franchement... je ne suis +pas un méchant diable... je suis un bon garçon... Ah! +certainement, j'ai des défauts... j'en ai eu surtout: j'ai +aimé les jolies femmes... Mais quoi! c'est preuve qu'on a un +bon coeur, n'est-ce pas? Et puis, d'ailleurs, me voilà au +port... et même, entre nous, j'en suis ravi... parce que je +commençais à me... roussir un peu... mais je ne veux plus +penser qu'à ma femme et à mes enfants..., et vous pouvez en +être sûr, cher Monsieur, ma femme sera parfaitement +heureuse... c'est-à-dire autant qu'elle peut l'être avec une +tête comme la sienne... car enfin je serai charmant pour +elle... j'irai au-devant de ses moindres fantaisies... Mais si +elle me demande d'aller décrocher la lune et les étoiles pour +lui être agréable, dame! je n'irai pas... ça c'est impossible! +Ah çà, votre main encore une fois. (Maxime lui donne la main.) + + +BEVALLAN. + +Et je cours dire à ces dames que vous nous restez à +perpétuité. (Près de sortir, il ajoute, à part.) Jusqu'après +le contrat. (Il sort à gauche.) + + +SCENE X. + + +MAXIME, seul. + + +Et voilà l'homme qu'elle juge digne d'elle! Oui, je comprends! +Lui, du moins, il apporte une fortune presque égale... il est +moins suspect... malheureuse enfant! Elle ignore qu'en ce +monde les plus mendiants ne sont pas toujours les plus +pauvres!... Enfin! Ah! et puis, elle est femme!... Elle se +croit offensée, et la première vengeance qui se présente, elle +la saisit. Elle veut voir de quel front je supporterai les +tortures qu'elle m'inflige! Eh bien, ce front, je le jure, +elle le verra impassible jusqu'au pied de l'autel: sa fierté +pâlira devant la mienne! (Douloureusement.) Quant au coeur, +elle ne le verra pas!... Allons! voyons!... (Il s'asseoit.) +Occupons-nous de son contrat!... Voyons ces papiers... +voyons... (Il ouvre le portefeuille et parcourt les +différentes pièces qu'il contient.) Rien de nouveau pour moi +dans tout cela... des titres de propriétés... rien de +secret... quelques recommandations... à mes enfants!!! (Tout à +coup avec stupeur.) Mon nom! que veut dire ceci! le nom de mon +père!... (Il saisit vivement une des pièces du portefeuille et +lit à la hâte.) Le marquis Jacques de Champcey... mon aïeul... +oui... aux Antilles, à Sainte-Lucie, nous avions là, à cette +époque, d'immenses propriétés... et, je m'en souviens, oui... +un régisseur du nom de Laroque! Mais il a péri, avec son fils, +dans cette fatale nuit où mon aïeul livra son dernier +combat... voyons donc... (Il lit.) "A l'approche des +événements, la plantation avait été vendue par les soins de +mon père!" Son père!... Ce vieillard serait... (Il lit.) "Nous +avions ordre de rejoindre pendant la nuit la flottille que +devait escorter en France la frégate du commandant de +Champcey!!! Dans le trajet, nous tombâmes dans la croisière +anglaise... mon père fut tué en se défendant... moi, on me +donna le choix d'être fusillé sur-le-champ ou de révéler le +secret de la passe inconnue où s'était réfugiée la flottille +française. En récompense de cette trahison, on m'abandonnait +le prix des propriétés vendues, les sommes considérables dont +j'étais porteur..." Dieu! "j'étais jeune, presque enfant... je +succombai! Une heure plus tard, le marquis de Champcey avait +péri sur son bord!" Misérable! Ah! et puis des remords, oui... +"Dieu sait que depuis j'ai lavé dans le sang ennemi et dans le +mien la tache imprimée dans une heure de faiblesse au pavillon +de mon pays..." et pour ne pas rougir devant ses enfants il a +gardé le fruit de son crime... Providence!... Mais alors c'est +à moi de parler en maître ici. (Il se lève. Avec emportement.) +Et je parlerai! Oui, je parlerai! J'ai assez souffert... j'ai +assez dévoré d'affronts!... Eh! je ne suis pas un saint, après +tout!... Il y a du sang dans ce coeur qu'on écrase... on va +l'apprendre! Cette enfant barbare va savoir à son tour ce que +c'est que l'humiliation! Sa tête superbe va connaître le poids +de la honte! Ce n'est qu'une femme, soit! mais elle a un +défenseur, maintenant... Eh bien, tant mieux, qu'il la +défende! (La porte de gauche s'ouvre: on entend la voix de +Marguerite, qui dit: "J'y vais, ma mère. -- Maxime: Ah! Dieu!" +Marguerite entre et traverse lentement la scène, regardant +Maxime. La résolution de Maxime se détend sous ce regard. -- +Marguerite sort par le fond à droite.) + + +SCENE XI. + + +MAXIME, seul. + +Jamais! non, jamais, s'il dépend de moi, la rougeur de la +honte ne passera sur ce noble front! Ce secret, ce secret +terrible, il n'appartient qu'à moi... ce vieillard, déjà muet +comme s'il était dans sa tombe, ne peut plus lui-même le +révéler... Eh bien, ce secret... qu'il soit détruit! (Il jette +le papier dans la flamme du brasero.) Ma mère, si mes fautes +envers vous ne sont pas encore expiées, acceptez ce sacrifice! +Je vous le consacre!... allons! tout est dit, sortons d'ici! +(Pendant qu'il prend le portefeuille, comme s'apprêtant à +partir, madame Aubry ouvre la porte du fond, voit le papier +qui brûle dans le brasero, et s'arrête étonnée. La toile +tombe.) + + +FIN DU TROISIEME ACTE. + + + + +ACTE QUATRIEME + + +VIe TABLEAU. + + +Un vaste salon communiquant de plain-pied avec le parc. On +voit à travers les fenêtres et les arcades du fond une partie +des jardins. -- On entend au loin les sons d'un orchestre qui +joue des airs de danse bretons. -- La musique ne cesse de se +faire entendre qu'à l'arrivée de Desmarets. -- (Scène VIII). +Portes à gauche et à droite. -- Le salon est éclairé comme pour +une fête. -- A gauche, une table préparée pour la signature du +contrat. -- Une lampe sur la table. -- A droite, canapé, +fauteuils, rangés pour une cérémonie. + + +SCENE I. + + +BEVALLAN, en grande toilette, ALAIN. + + +BEVALLAN, entrant. + +Tout est prêt, n'est-ce pas? La table ici... bien! Et les +fauteuils pour ces dames, c'est très-bien... Le notaire est +arrivé? + + +ALAIN. + +Oui, Monsieur. Il se promène là, devant, avec M. Maxime. + + +BEVALLAN. + +Bien! bravo! Ah çà, Alain, faites-moi boire ces braves gens-là +jusqu'à ce que mort s'ensuive!... et grisez l'orchestre, +surtout, entièrement... Et puis, vous connaissez le +programme... à neuf heures précises, la signature du +contrat... et le feu d'artifice sur la pelouse... + + +ALAIN. +Mais, Monsieur, j'ai réfléchi à une chose, si M. Laroque +demande ce qui se passe? + + +BEVALLAN, baissant la voix. + +Comment? Est-ce qu'il entend? + + +ALAIN. + +Il entend ferme, Monsieur... mais si ça fait trop de bruit... + + +BEVALLAN. + +Ah! diable!... Eh bien, mais supprimez les pétards! Ah! Alain, +quand ces dames seront descendues, vous introduirez cette +députation villageoise... mais les femmes seulement, vous +entendez? Nous n'avons pas besoin de figures de sauvages +ici... Les femmes seulement, et les plus jeunes. Dans une +fête, il faut que tout soit gracieux... Alain! + + +ALAIN. + +Monsieur! + + +BEVALLAN. + +Supprimez les pétards, c'est convenu! + + +ALAIN. + +Oui, Monsieur. (Comme Alain se retire, mademoiselle Hélouin +entre.) + + +BEVALLAN. + +Ah! diantre!... (Il chantonne et cherche à s'esquiver.) + + +SCENE II. + + +BEVALLAN, MADEMOISELLE HELOUIN. + + +MADEMOISELLE HELOUIN. + +Ah! Monsieur, je vous trouve seul enfin! + + +BEVALLAN. + +Ah! c'est vous, Mademoiselle? Eh bien, voilà une soirée +assez... une soirée qui... n'est-ce pas? + + +MADEMOISELLE HELOUIN. + +Qui couronne vos voeux et votre perfidie, n'est-il pas vrai? + + +BEVALLAN. + +Ah! de grâce, Mademoiselle, laissez-moi mon calme... j'en ai +grand besoin. Si vous pouviez lire dans mon coeur! + + +MADEMOISELLE HELOUIN. + +Comment! cette plaisanterie dure encore! Vous prétendez me +faire croire même à cette heure... + + +BEVALLAN. + +Mais enfin, Mademoiselle, vous êtes étonnamment injuste! Que +s'est-il passé? Vous le savez comme moi... longtemps avant +d'avoir conçu des sentiments... qui ne seront jamais +oubliés... je m'étais engagé... témérairement... d'un autre +côté... On m'a mis en demeure tout à coup de m'exécuter... + + +MADEMOISELLE HELOUIN. + +Oui, vous vous sacrifiez, je comprends. + + +SCENE III. + + +LES MEMES, MAXIME, entrant par le fond. + + +MAXIME. + +Monsieur de Bévallan, le notaire désire avoir deux minutes +d'entretien avec vous. + + +BEVALLAN., avec empressement. + +Bien, merci, j'y vais! j'y vais! (A mademoiselle Hélouin.) +Vous êtes cruelle, vraiment! + + +SCENE IV. + + +MADEMOISELLE HELOUIN, MAXIME. + + +MADEMOISELLE HELOUIN, à Maxime qui va pour se retirer. + +Monsieur Maxime!... Comme vous devez me maudire en ce moment! +(Maxime ne répond pas.) Et vous n'avez pas dit un mot pour +m'accuser, vous qui le pouviez si bien!... Ah! qu'une parole +de bonté de vous me serait douce!... + + +MAXIME, avec effort. + +Je vous plains, et je vous pardonne. + + +MADEMOISELLE HELOUIN. + +Merci! (Madame Laroque, Marguerite et Madame Aubry, toutes en +toilettes de fête, entrent par le fond: Maxime les salue et se +tient à l'écart. Alain au fond.) + + +SCENE V. + + +MAXIME, ALAIN, MADAME LAROQUE, MARGUERITE, MADEMOISELLE +HELOUIN, MADAME AUBRY. + + +MADAME LAROQUE, en entrant avec Alain. + +Je ne vois pas Desmarets... Est-ce qu'il n'est pas arrivé? + + +ALAIN. + +Je vous demande pardon, Madame: mais il est entré d'abord chez +Monsieur. + + +MADAME LAROQUE. + +Ah! très-bien. (Madame Laroque, Marguerite et madame Aubry se +dirigent vers des sièges préparés à droite.) + + +MADEMOISELLE HELOUIN, à Marguerite qui passe près d'elle. + +Pardon, Mademoiselle, vous avez une fleur de votre coiffure +qui tombe... (Marguerite s'arrête, mademoiselle Hélouin, tout +en s'occupant de réparer la coiffure dit à demi-voix, avec +émotion.) Mademoiselle, nous nous étions abusés: M. Odiot a +une soeur, je viens de l'apprendre... et c'est certainement à +la dot de sa soeur qu'il faisait allusion dans cette lettre... + + +MARGUERITE, saisie tout à coup et lui lançant un regard +terrible. + +Ah! il fallait me tuer... c'eût été plus généreux! + + +MADEMOISELLE HELOUIN. + +Mais j'étais trompée moi-même... + + +MARGUERITE, avec une violence contenue. + +Vous l'aimiez!... Eh! ne le niez pas!... c'est votre seule +excuse! + + +MADEMOISELLE HELOUIN. + +Peut-être serait-il temps encore... + + +MARGUERITE, fièrement. + +Temps encore! Et sa parole! et la mienne! Ah! nous sommes gens +d'honneur, nous autres! (Elle la quitte et va prendre +gravement se place auprès de sa mère.) + + +SCENE VI. + + +LES MEMES, BEVALLAN, LE NOTAIRE, ALAIN, au fond. + + +BEVALLAN, au notaire. + +C'est parfait, mon cher ami... vous êtes un parfait notaire... +entrez, entrez donc!... Mesdames, je viens prendre vos ordres. +Il y a là une députation rustique qui désire être admise à +vous présenter ses hommages et ses voeux. + + +MADAME LAROQUE. + +Eh bien, faites entrer, mon ami. + + +BEVALLAN. + +Alain, introduisez... mais les femmes seulement, et les plus +jeunes... Dans une fête tout doit être gracieux. + + +SCENE VII. + + +LES MEMES, puis quelques jeunes filles en costume breton, et, +à leur tête, CHRISTINE OYADEC; elles portent des fleurs. +CHAMPLAIN, vieux paysan à l'air niais, entre au milieu +d'elles. + + +BEVALLAN, remarquant Champlain. + +Eh bien!... eh bien!... les femmes seulement!... Qu'est-ce que +c'est que ce dadais-là?... Qu'est-ce que vous venez faire ici, +vous? + + +CHAMPLAIN. + +Monsieur, je suis avec ces demoiselles. + + +BEVALLAN. + +Mais, je le vois bien... que vous êtes avec ces demoiselles... +et c'est ce dont je me plains... Vous n'êtes pas une +demoiselle, vous, n'est-ce pas? + + +CHAMPLAIN. + +Ah! non, Monsieur. + + +BEVALLAN. + +Ah! non! Eh bien, allez-vous-en... Il est absurde ce +villageois! + + +CHAMPLAIN. + +C'est que je suis le maître d'école, Monsieur... c'est moi qui +ai fait le discours... et je venais, dans le cas où la mémoire +leur manquerait... + + +BEVALLAN. + +Ah! c'est le souffleur! c'est différent! Entrez, mon brave! +(Aux dames.) C'est le souffleur!... Et quel est l'orateur de +l'aimable troupe? + + +CHAMPLAIN, montrant Christine. + +C'est celle-là, Monsieur... + + +BEVALLAN. + +Ah! la petite au chien... oui, je la reconnais!... Eh bien, +venez mon enfant; je vais moi-même vous présenter à ces dames. +(Il la conduit par la main vers la droite; à part.) Elle est +gentille tout à fait cette petite... elle a encore embelli... +(Galamment, à Christine): Comment donc vous appelez-vous, mon +enfant, je ne me souviens pas... + + +CHRISTINE. + +Christine Oyadec, Monsieur. + + +BEVALLAN. + +Ah! bien... Et vous demeurez près d'ici, sans doute? + + +CHRISTINE. + +Auprès du moulin, oui, Monsieur. + + +BEVALLAN. + +Ah! très-bien! (Christine s'arrête devant Marguerite; +Champlain derrière Christine; le groupe des jeunes filles un +peu en arrière.) + + +CHAMPLAIN, à Christine. + +Mais va... va donc! + + +CHRISTINE. + +Il faut commencer? + + +CHAMPLAIN. + +Mais oui... va donc... (Lui soufflant.) "Mademoiselle... + + +CHRISTINE, récitant avec trouble. + +"Mademoiselle, les anciens, dans cette belle fête de +l'hyménée, avaient la coutume ingénieuse d'allumer un +flambeau: ce flambeau... (Elle s'arrête.) + + +CHAMPLAIN, lui soufflant. + +"Symbolique! + + +CHRISTINE. + +"Symbolique... ce flambeau symbolique... Mademoiselle... + + +CHAMPLAIN. + +"Deux fois symbolique!" + + +CHRISTINE, à Champlain. + +Mais, je l'ai dit deux fois... + + +CHAMPLAIN. + +Petite bête! + + +CHRISTINE. + +Quoi!... Ah! je ne sais plus... je ne me rappelle plus: +Mademoiselle... excusez... mais je vous assure... que nous +vous aimons bien, et que nous prions le bon Dieu de tout notre +coeur... que vous soyez heureuse... avec votre épouseux. + + +BEVALLAN, riant. + +Brava! brava! + + +MARGUERITE. + +C'est très-bien, va; merci, mon enfant. + + +CHRISTINE, montrant Maxime, avec curiosité. + +C'est-il Monsieur que vous épousez? + + +MARGUERITE. + +Non, mon enfant. + + +CHRISTINE, montrant Bévallan. + +C'est donc Monsieur? + + +MARGUERITE. + +Oui. + + +CHRISTINE. + +Ah! tant pis! + + +BEVALLAN, affectant de rire. + +Brava!... brava!... charmante!... naïveté agreste! + + +MADAME LAROQUE. + +Vous viendrez me trouver toutes demain matin, Mesdemoiselles. + + +LES JEUNES FILLES ET CHAMPLAIN, à l'unisson. + +Oui, Madame. + + +BEVALLAN. + +C'est cela, c'est convenu... Allez, enfants, allez... (Les +jeunes filles se retirent au fond.) Et maintenant, mon cher +notaire, si vous voulez faire votre petite installation... +Là... très-bien... (Comme le notaire vient de s'asseoir, il se +fait au dehors une certaine agitation; Bévallan se retourne.) +Eh bien, qu'est-ce qu'il y a donc? qu'est-ce qui arrive? +(Desmarets se présente au fond; Bévallan va au-devant de lui; +madame Laroque se lève.) + + +SCENE VIII. + + +LES PRECEDENTS, DESMARETS + + +(Bévallan échange quelques mots à voix basse avec Desmarets.) + + +MADAME LAROQUE. + +Eh bien... qu'y a-t-il?... De grâce, Messieurs! + + +BEVALLAN. + +Mon Dieu, Madame... je suis désespéré... Monsieur votre père +est plus souffrant... + + +MADAME LAROQUE. + +Plus souffrant? + + +DESMARETS. + +Oui, Madame... Il a été pris subitement d'une grande agitation +fiévreuse... et ces brusques changements dans l'état d'un +malade sont toujours des symptômes graves... + + +MADAME LAROQUE. + +Ah! mon Dieu!... mais j'y cours... Marguerite, mon enfant... +allons... vite!... ah!... (Les jeunes filles restées au fond +s'écartent avec un mouvement de terreur; M. Laroque paraît, +marchant d'un pas roide et sinistre; il s'arrête et s'appuie +contre les piliers de la porte. Alain le suit. Madame Laroque, +sa fille et Desmarets s'approchent du vieillard.) + + +SCENE IX. + + +LES PRECEDENTS, M. LAROQUE, ALAIN. + + +DESMARETS, à demi-voix, à Alain. + +Comment, Alain... vous l'avez laissé... + + +ALAIN. + +Monsieur a voulu sortir... je n'ai pu l'en empêcher... + + +MARGUERITE, allant au-devant du vieillard. + +Mon père... me reconnaissez-vous? (M. Laroque fait un signe de +tête grave et affectueux.) Voulez-vous mon bras? (Le vieillard +refuse.) Vous êtes fatigué?... Vous voulez vous reposer? (M. +Laroque consent d'un signe de tête.) + + +DESMARETS. + +Eh bien, approchez ce fauteuil... fermez ces fenêtres... Vous +devez vous trouver mieux ici, Monsieur... On y respire au +moins, n'est-ce pas?... (M. Laroque, après une faible signe de +tête, s'assoit dans le fauteuil. Desmarets continue, +s'adressant aux femmes.) Tant qu'il se trouvera bien ici, il +faut l'y laisser... Et quant à vous, Mesdames, vous ferez bien +de vous retirer. Il est plus calme maintenant... il n'y a +aucun danger immédiat... réservez vos forces: vous en aurez +besoin bientôt, je le crains... + + +MADAME LAROQUE. + +Oh! nous ne pouvons le quitter maintenant... mon ami... Nous +allons seulement, Marguerite et moi, changer ces toilettes, +qui font un trop cruel contraste, et nous revenons aussitôt... + + +DESMARETS. + +Eh bien, Madame, allez... M. Maxime et moi nous veillerons +pendant ce temps-là. + + +MAXIME. + +De grand coeur. + + +BEVALLAN. + +Mon Dieu, je m'offre également. + + +DESMARETS. + +Plus tard, Monsieur, plus tard... il ne faut pas top de monde +à la fois... pas de bruit!... il dort... vous voyez. (Il sort +par le fond. Elles sortent à gauche.) + + +SCENE X. + + + +LAROQUE, à demi renversé et endormi dans le fauteuil, à +droite, MAXIME, DESMARETS. + + +(Demi-nuit: on a enlevé ou éteint les bougies; il ne reste +plus qu'une lampe posée sur la table à gauche.) + + +MAXIME. + +Eh bien? + + +DESMARETS. + +Eh bien... c'est la fin, je crois... mais pas immédiatement; +la lutte... peut être fort longue. + + +MAXIME. + +Rien à faire? + + +DESMARETS. + +Rien! Seulement on peut essayer de quelque potion calmante... +Je vais vous laisser deux minutes pour faire préparer cela. + + +MAXIME. + +Allez, mon ami... + + +DESMARETS. + +Dites à ces dames que je suis là. + + +MAXIME. + +Bien. (Desmarets sort à droite.) + + +SCENE XI. + + +MAXIME, M. LAROQUE. + + +MAXIME, regardant le vieillard endormi. + +Ce malheureux!... Après tout, il s'est repenti... il a +souffert... il a expié!... et c'est moi que la Providence +charge de veiller sur son dernier sommeil! Etrange destin! Ah! +ce sommeil, je le lui envie!... Cette journée m'a brisé! (Il +s'asseoit près de la table.) Que je suis las! (Il appuie sa +tête sur sa main: la lumière de la lampe éclaire son visage. +Le vieillard s'éveille: ses yeux, troublés, s'arrêtent sur le +visage de Maxime; il paraît frappé d'étonnement et de terreur; +il se lève avec effort. Maxime, épouvanté, se lève en même +temps. La porte du fond s'ouvre: Marguerite paraît, et regarde +son père d'un oeil étonné et bientôt terrifié.) + + +SCENE XII. + + +MAXIME, M. LAROQUE, MARGUERITE. + + +MONSIEUR LAROQUE, d'une voix suppliante. + +Monsieur le marquis, pardonnez-moi! + + +MARGUERITE, à part. + +Ciel! (Maxime, glacé d'effroi, reste immobile et muet.) + + +MONSIEUR LAROQUE, avançant de deux pas vers Maxime, avec une +solennité de spectre. + +Monsieur le marquis, pardonnez-moi! + + +MARGUERITE, avec terreur. + +Mon Dieu! que dit-il? + + +MAXIME, comprenant tout à coup marche sur le vieillard, et +s'arrêtant devant lui, il lève une main sur sa tête. + +Soyez en paix, Monsieur, je vous pardonne! (Le visage du +vieillard exprime soudain une joie exaltée. Il chancelle. -- +Maxime le soutient.) + + +MARGUERITE, accourant à Maxime.1 [1. Maxime, Laroque, +Marguerite.] + +Monsieur, que signifie cela? Parlez! Dites! Vous connaissez +quelque secret terrible! + + +MAXIME. + +Moi! Aucun... je me prête à son délire, voilà tout. + + +MARGUERITE. + +Mon père... mon père chéri... parlez... parlez encore... je +vous en supplie... Vous avez quelque pensée... quelque +souvenir qui vous tourmente... n'est-ce pas? n'est-ce pas? +dites... mon père... parlez... au nom du ciel... au nom du +Dieu de miséricorde! (Le vieillard entr'ouvre les lèvres comme +pour parler. Marguerite écoute avec angoisse. Tout à coup, il +étend les bras, pousse un soupir profond et retombe sans +mouvement dans le fauteuil.) + + +MARGUERITE, poussant un cri. + +Ah! ma mère! (Elle tombe à genoux.) + + +SCENE XIII. + + +LES MEMES, DESMARETS, arrivant à la hâte. + + +DESMARETS, après avoir touché le coeur du vieillard. + +Mademoiselle, priez! + + +FIN DU QUATRIEME ACTE. + + + + +ACTE CINQUIEME + + +VIIe TABLEAU + + +Même décor qu'au tableau précédent. -- Une table au milieu du +salon. -- Bougies allumées. + + +SCENE I. + + +MAXIME, BEVALLAN, debout près de la table; LAUBEPIN, assis au +milieu; MADAME LAROQUE, MARGUERITE, MADEMOISELLE HELOUIN, +assises autour de la table. + + +LAUBEPIN. + +Vous ne jugez pas à propos, Madame, de convoquer ici les +domestiques de cette maison? + + +MADAME LAROQUE. + +Est-ce nécessaire; mon ami? + + +LAUBEPIN. + +Nullement, Madame. + + +MADAME LAROQUE. + +Eh bien, restons entre nous, je préfère cela. + + +LAUBEPIN. + +Soit! Madame et Mademoiselle, vous avez bien voulu, il y a +huit jours, en m'annonçant la perte douloureuse que vous +veniez de subir, m'inviter à me rendre près de vous, et +m'investir d'une mission de haute confiance, celle de procéder +à l'inventaire officiel des papiers particuliers de feu M. +Laroque, votre beau-père et grand-père. Je vous rendrai compte +sommairement d'abord des résultats de mon examen, après quoi +nous entrerons dans le détail des chiffres. Et d'abord, +Mesdames, bien que toutes les pièces relatives aux volontés +testamentaires de M. Laroque fussent étiquetées et numérotées +avec soin, je dois vous dire que je n'ai pu mettre la main +jusqu'ici sur la pièce n° 1. La pièce n° 1 manque. (Madame +Aubry jette un regard sur Maxime.) La pièce n° 2 règle +très-honorablement le domaine de madame Laroque. + + +MADAME LAROQUE. + +Bien, bien, passez, mon ami; je suppose que ma fille ne me +laissera pas mourir de faim: ainsi je suis parfaitement +tranquille. + + +BEVALLAN. + +Quant à cela, chère Madame, je suis là, moi! (A demi-voix à +Laubépin.) Quel est le chiffre? + + +LAUBEPIN. + +Un peu de patience, Monsieur, s'il vous plaît... La pièce n° 3 +pourvoit aux intérêts de Mademoiselle Hélouin. (Mademoiselle +Hélouin regarde Maxime comme pour le remercier.) + + +MADAME LAROQUE. + +J'en suis enchantée, ma chère petite... + + +MADEMOISELLE HELOUIN. + +Madame! + + +LAUBEPIN. + +La pièce n° 4 contient divers legs en faveur des domestiques, +et c'est tout. + + +MADAME AUBRY. + +Vous êtes sûr que c'est tout, Monsieur? + + +LAUBEPIN. + +Parfaitement, Madame. + + +MADAME AUBRY. + +Ainsi, il n'y a rien pour moi? + + +MADAME LAROQUE. + +Voyons, ma chère cousine, tranquillisez-vous; nous partagerons +la même chaumière. + + +MADAME AUBRY, avec aigreur. + +Je vous remercie, ma cousine, mais il n'en est pas moins +extraordinaire... Au surplus, je sais à qui je dois tout cela. +(Elle regarde Maxime.) Monsieur que voilà m'a toujours honorée +de son amitié particulière... et je crois comprendre... + + +MAXIME. + +Moi, Madame, je ne comprends pas. + + +MADAME AUBRY. + +Vous comprendriez peut-être mieux, Monsieur, si je vous +demandais ce qu'est devenue la pièce n° 1. + + +MAXIME, troublé. + +Madame... (Tous les regards se fixent sur lui.) + + +MADAME LAROQUE. + +Qu'est-ce que vous voulez dire, ma cousine? + + +LAUBEPIN. + +Oui... Madame... que voulez-vous dire? Daignez vous expliquer. + + +MADAME AUBRY. + +Je veux dire qu'un certain jour j'ai vu, de mes deux yeux, +Monsieur brûler une pièce détournée de ce portefeuille, et que +l'enveloppe de cette pièce que j'ai trouvée au pied de votre +brasero et que j'ai eu soin de recueillir, porte précisément +le numéro qui manque ici, et pour preuve je vais vous chercher +cette enveloppe. (Elle se lève: tous se lèvent en même temps: +des domestiques emportent la table au fond.) + + +LAUBEPIN. + +Restez, Madame... Maxime, répondez. + + +MADAME LAROQUE. + +Monsieur Maxime? + + +BEVALLAN. + +Eh bien, Monsieur! + + +MAXIME, avec embarras. + +Madame dit vrai... seulement, elle s'abuse sur le caractère de +cette pièce; elle ne contenait aucune disposition en sa +faveur, c'était une pièce insignifiante que j'ai cru pouvoir +brûler. (Laubépin le regarde avec stupeur.) + + +BEVALLAN, à part. + +Ma foi! c'est un peu trop fort, ça! + + +MADAME LAROQUE, à Maxime. + +Comment, c'est vous qui avez fait un tel abus de notre +confiance? + + +MAXIME. + +Madame, vous vous trompez, je le répète, sur le caractère... + + +LAUBEPIN. + +Mais enfin, cette pièce, quel en était le contenu? + + +MAXIME, avec contrainte. + +Je ne saurais le dire. (Mouvement dans l'assistance.) + + +MADAME LAROQUE. + +Monsieur, je le regrette profondément, mais vous devez +reconnaître que dès ce moment nous ne pouvons vivre sous le +même toit. + + +MAXIME. + +Madame, je le reconnais. (Il s'incline.) Adieu... (Il +s'éloigne.) + + +MARGUERITE. + +Monsieur Maxime, n'avez-vous donc rien... rien à dire pour +votre défense? + + +MAXIME. + +Rien. (Il salue de nouveau et sort par le fond.) + + +SCENE II. + + +LES MEMES, excepté MAXIME. + + +LAUBEPIN, à part. + +Oui... oui... je comprends! c'est cela! + + +MADAME LAROQUE. + +Eh bien, mon pauvre Laubépin, voilà une déception! + + +LAUBEPIN. + +Oui, Madame, oui. + + +BEVALLAN. + +Moi, je déclare que le fait ne me surprend nullement... Ce +Monsieur-là, dès le principe... + + +MADAME AUBRY. + +Oui, c'est très-bien... mais tout cela ne me rend pas mon +legs... car je suis bien convaincue que ce papier... + + +LAUBEPIN. + +Calmez-vous, madame Aubry... Si cette pièce contenait votre +legs, en effet, rien n'est perdu... car cette pièce, j'en ai +le double: le voici! + + +TOUS. + +Comment? + + +LAUBEPIN. + +Par un surcroît de précautions, bien justifié aujourd'hui, M. +Laroque m'avait confié ce secret qu'il m'était interdit de +révéler tant qu'il a vécu... que j'espérais ne révéler +jamais... Mais il le faut... (A Marguerite et à sa mère.) +Lisez! + + +MARGUERITE, parcourant le papier à la hâte. + +Le marquis de Champcey... Sainte-Lucie... Quoi!... Est-ce +possible... Oh! Dieu... oui, ces paroles mystérieuses... +suprêmes! Je les comprends maintenant, ah! quelle honte! + + +MADAME LAROQUE. + +Ma fille! chère enfant! + + +LAUBEPIN, à Marguerite. + +Voulez-vous que je le rappelle? + + +MARGUERITE. + +Lui! jamais!... Rougir devant lui! jamais! qu'il reste! qu'il +reste ici!... Monsieur! C'est à nous... c'est à nous de +partir!... Venez, ma mère, venez... Sortons d'ici. (A +Laubépin.) Vous entendez! jamais! Oh! quelle honte! (Elle sort +à gauche. Madame Laroque et mademoiselle Hélouin la +soutiennent et sortent avec elle.) + + +SCENE III. + + +MADAME AUBRY, LAUBEPIN, BEVALLAN. + + +BEVALLAN. + +Eh bien, cher Monsieur... qu'est-ce qu'il y a donc? ne peut-on +savoir...? + + +MADAME AUBRY. + +Oui, parlez, de grâce. + + +LAUBEPIN. + +Il y a, que la fortune de M. Laroque, par suite d'événements +de famille relatés dans cette pièce, appartient à M. Maxime, +et que mademoiselle Marguerite paraît disposée à la lui +restituer. + + +BEVALLAN. + +Ah çà... qu'est-ce que vous me contez là? + + +LAUBEPIN. + +Je n'ai pas à vous expliquer le fait; mais quant au fait je +vous l'atteste. + + +MADAME AUBRY. + +Eh bien, mais alors, dites-moi... il n'y a qu'une chose à +faire, je vais le leur dire... (Se retournant, près de sortir +à gauche.) Il y a assez longtemps qu'ils s'aiment d'ailleurs! + + +SCENE IV. + + +BEVALLAN, LAUBEPIN. + + +BEVALLAN, qui a réfléchi. + +Ah, çà... que dit-elle donc!... Est-ce vrai qu'ils s'aiment, +ces jeunes gens, vraiment? Mais alors, je vais dire comme +elle, moi... + + +LAUBEPIN, un peu railleur. + +Mais non... rassurez-vous... Vous avez la parole de +Marguerite, et on ne peut pas vous demander non plus d'immoler +vos sentiments! + + +BEVALLAN, affectant la générosité. + +On ne peut pas me demander d'immoler! mais, ma parole, je ne +sais pas comment on me juge, moi... je ne sais pas ce que j'ai +fait... on me juge tout de travers, on me prend pour un +misérable, sans âme, sans coeur... mais je suis un homme de +sacrifice, moi, au contraire, de dévouement... je... + + +SCENE V. + + +LES MEMES, ALAIN. + + +ALAIN, entrant à la hâte par le fond. + +M. Laubépin, si vous pouviez venir près de ces dames... +Mademoiselle Marguerite est dans un état qui fait pitié... et +Madame vous supplie... + + +LAUBEPIN. + +J'y vais... + + +BEVALLAN. + +Eh bien, je vous accompagne, moi; je vais dire qu'on fasse +comme si je n'existais pas. Qu'est-ce que je demande, moi, +qu'on fasse comme si je n'existais pas... voilà tout! On en me +connaît réellement pas! (Laubépin et Bévallan sortent à +gauche.) + + +SCENE VI. + + +ALAIN, puis MAXIME. + + +ALAIN, éteignant les bougies. + +Ah! qu'est-ce qui se passe donc, mon Dieu! M. Maxime qui s'en +va... et mademoiselle qui veut s'en aller aussi... à pied... +la nuit... + + +MAXIME, entrant par le fond, timidement. + +Alain! + + +ALAIN. + +Ah! Monsieur! que je suis content de vous voir encore une +fois!... + + +MAXIME. + +Rends-moi un dernier service, mon ami... Il y a dans ma +chambre deux ou trois paquets que je te prie de faire porter +au bout de l'avenue... où le voiturier va les prendre dans +quelques minutes... Va, mon ami... je te suis... + + +ALAIN. + +Monsieur! + + +MAXIME. + +Est-ce que tu me refuses? + + +ALAIN. + +Ah! grand Dieu! Non, Monsieur. + + +MAXIME. + +Allons, va. (Alain part par le fond en murmurant tristement.) + + +SCENE VII. + + +MAXIME, seul. + +Allons! il faut partir. C'est la dernière épreuve, mais la +plus amère aussi. Partir! En ce moment, il me semble que je +n'ai rien souffert. Ce lieu de continuelles tortures, à +l'instant où je le quitte pour jamais, c'est un paradis!... +Ah! qu'on est faible! j'étais là tout à l'heure dans ce +jardin, comme un enfant, épiant le moment où je pourrais me +glisser dans ce salon... pour être une minute encore près +d'elle... Oui, c'est là que toute cette journée je l'ai vue +près de sa mère... Cette broderie, sa main l'a touchée. (Il +prend la broderie et la presse sur ses lèvres.) Ah! que je +l'aimais! Adieu! adieu! (Marguerite paraît à gauche et +s'arrête.) + + +SCENE VIII. + + +MAXIME, MARGUERITE. + + +MAXIME, sans la voir. + +Ah! c'est trop de faiblesse! partons. (En se retournant, il +aperçoit Marguerite.) Ah! + + +MARGUERITE, s'inclinant. + +Monsieur le marquis, pardonnez-moi! + + +MAXIME, avec une profonde émotion. + +Vous pardonner... (Il s'approche, et pliant le genou.) mais je +t'adore!... + + +SCENE IX. + + +MAXIME, MARGUERITE, BEVALLAN, LAUBEPIN, MADAME LAROQUE, MADAME +AUBRY, MADEMOISELLE HELOUIN, ALAIN. + + +MADAME LAROQUE. + +Maxime, mon fils. + + +MAXIME. + +Madame... (A Laubépin.) Mon ami... + + +BEVALLAN. + +Monsieur de Champcey... j'avais toujours senti vers vous un +attrait que je m'explique maintenant! + + +MAXIME. + +Monsieur!... + + +ALAIN. + +Il est gentilhomme... j'en étais sûr!1 [1. Alain, mademoiselle +Hélouin, madame Laroque, Marguerite, Maxime, Laubépin, +Bévallan, madame Aubry.] + + +MADAME LAROQUE. + +Marguerite, dis-lui... + + +MARGUERITE, l'attirant un peu sur le devant de la scène. + +Vous savez que je ne puis accepter de vous que la moitié de +votre fortune, et que votre soeur... + + +MAXIME. + +Marguerite! + + +MARGUERITE, avec âme. + +Ah! que je l'aime, votre soeur! + + + + +FIN + + + + + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of Le roman d'un jeune homme pauvre (Play), by +Octave Feuillet + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LE ROMAN D'UN JEUNE HOMME PAUVRE *** + +***** This file should be named 26816-8.txt or 26816-8.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + https://www.gutenberg.org/2/6/8/1/26816/ + +Produced by Daniel Fromont + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. 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Redistribution is +subject to the trademark license, especially commercial +redistribution. + + + +*** START: FULL LICENSE *** + +THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE +PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK + +To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free +distribution of electronic works, by using or distributing this work +(or any other work associated in any way with the phrase "Project +Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full Project +Gutenberg-tm License (available with this file or online at +https://gutenberg.org/license). + + +Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg-tm +electronic works + +1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm +electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to +and accept all the terms of this license and intellectual property +(trademark/copyright) agreement. 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It exists +because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from +people in all walks of life. + +Volunteers and financial support to provide volunteers with the +assistance they need, is critical to reaching Project Gutenberg-tm's +goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will +remain freely available for generations to come. In 2001, the Project +Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure +and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. +To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation +and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 +and the Foundation web page at https://www.pglaf.org. + + +Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive +Foundation + +The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit +501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the +state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal +Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification +number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at +https://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent +permitted by U.S. federal laws and your state's laws. + +The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. +Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered +throughout numerous locations. Its business office is located at +809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email +business@pglaf.org. 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Donations are accepted in a number of other +ways including including checks, online payments and credit card +donations. To donate, please visit: https://pglaf.org/donate + + +Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic +works. + +Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm +concept of a library of electronic works that could be freely shared +with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project +Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support. + + +Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed +editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S. +unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily +keep eBooks in compliance with any particular paper edition. + + +Most people start at our Web site which has the main PG search facility: + + https://www.gutenberg.org + +This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, +including how to make donations to the Project Gutenberg Literary +Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to +subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. diff --git a/26816-8.zip b/26816-8.zip Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..46e4852 --- /dev/null +++ b/26816-8.zip diff --git a/LICENSE.txt b/LICENSE.txt new file mode 100644 index 0000000..6312041 --- /dev/null +++ b/LICENSE.txt @@ -0,0 +1,11 @@ +This eBook, including all associated images, markup, improvements, +metadata, and any other content or labor, has been confirmed to be +in the PUBLIC DOMAIN IN THE UNITED STATES. + +Procedures for determining public domain status are described in +the "Copyright How-To" at https://www.gutenberg.org. + +No investigation has been made concerning possible copyrights in +jurisdictions other than the United States. 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