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+The Project Gutenberg EBook of Le roman d'un jeune homme pauvre (Play), by
+Octave Feuillet
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
+
+
+Title: Le roman d'un jeune homme pauvre (Play)
+
+Author: Octave Feuillet
+
+Release Date: October 7, 2008 [EBook #26816]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: ISO-8859-1
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LE ROMAN D'UN JEUNE HOMME PAUVRE ***
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+
+
+
+Produced by Daniel Fromont
+
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+[Transcriber's note: Octave Feuillet, _Le roman d'un jeune homme
+pauvre - comédie_ (1858), édition 1885]
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+THEATRE COMPLET
+
+DE
+
+OCTAVE FEUILLET
+
+DE L'ACADEMIE FRANCAISE
+
+
+I
+
+
+LE ROMAN
+
+D'UN JEUNE HOMME PAUVRE
+
+COMEDIE
+
+Représentée pour la première fois à Paris, sur le THEATRE DU
+VAUDEVILLE
+
+le 22 novembre 1858.
+
+
+CALMANN LEVY, EDITEUR
+
+
+OEUVRES COMPLETES
+
+D'OCTAVE FEUILLET
+
+Format grand in-18.
+
+
+LES AMOURS DE PHILIPPE 1 vol.
+
+BELLAH 1 vol.
+
+HISTOIRE DE SIBYLLE 1 vol.
+
+HISTOIRE D'UNE PARISIENNE 1 vol.
+
+HONNEUR D'ARTISTE 1 vol.
+
+LE JOURNAL D'UNE FEMME 1 vol.
+
+JULIA DE TRECOEUR 1 vol.
+
+UN MARIAGE DANS LE MONDE 1 vol.
+
+MONSIEUR DE CAMORS 1 vol.
+
+LA PETITE COMTESSE, LE PARC, ONESTA 1 vol.
+
+LE ROMAN D'UN JEUNE HOMME PAUVRE 1 vol.
+
+UN ROMAN PARISIEN 1 vol.
+
+SCENES ET COMEDIES 1 vol.
+
+SCENES ET PROVERBES 1 vol.
+
+LA VEUVE 1 vol.
+
+
+L'ACROBATE, comédie en un acte.
+
+LA BELLE AU BOIS DORMANT, comédie en cinq actes.
+
+LE CAS DE CONSCIENCE, comédie en un acte.
+
+LE CHEVEU BLANC, comédie en un acte.
+
+CIRCE, proverbe en un acte.
+
+LA CRISE, comédie en quatre actes.
+
+DALILA, drame en quatre actes, six parties.
+
+LA FEE, comédie en un acte.
+
+JULIE, drame en trois actes.
+
+MONTJOYE, comédie en cinq actes.
+
+PERIL EN LA DEMEURE, comédie en deux actes.
+
+LE POUR ET LE CONTRE, comédie en un acte.
+
+REDEMPTION, comédie en cinq actes.
+
+LE ROMAN D'UN JEUNE HOMME PAUVRE, comédie en cinq actes.
+
+UN ROMAN PARISIEN, pièce en cinq actes.
+
+LE SPHINX, drame en quatre actes.
+
+LA TENTATION, comédie en cinq actes, six tableaux.
+
+LE VILLAGE, comédie en un acte.
+
+
+_Paris. -- Imp. N.-M. DUVAL, 17, rue de l'Echiquier_
+
+
+
+
+LE ROMAN
+
+D'UN
+
+JEUNE HOMME PAUVRE
+
+
+COMEDIE
+
+EN CINQ ACTES EN SEPT TABLEAUX
+
+
+PAR
+
+OCTAVE FEUILLET
+
+DE L'ACADEMIE FRANCAISE
+
+
+NOUVELLE EDITION
+
+
+PARIS
+
+CALMANN LEVY, EDITEUR
+
+ANCIENNE MAISON MICHEL LEVY FRERES
+
+3, RUE AUBER, 3
+
+
+1885
+
+Droits de reproduction et de traduction réservés.
+
+
+PERSONNAGES
+
+
+MAXIME ODIOT, marquis de Champcey. M. LAFONTAINE.
+
+M. DE BEVALLAN, 38 ans. M. FELIX.
+
+M. LAROQUE, octogénaire. M. PARADE.
+
+LAUBEPIN, notaire honoraire. M. CHAUMONT.
+
+ALAIN, vieux domestique. M. GALABERT.
+
+LE DOCTEUR DESMARETS. M. LINGE.
+
+GASTON DE LUSSAC. M. NERTANN.
+
+VAUBERGER, concierge. M. BASTIEN.
+
+CHAMPLEIN. M. ROGER.
+
+YVONNET. M. SCHAUBB.
+
+MARGUERITE, fille de madame LAROQUE. Mme JANE ESSLER.
+
+MADAME LAROQUE, belle-fille de M. Laroque, 56 ans. Mme
+GUILLEMIN.
+
+MADEMOISELLE HELOUIN, institutrice. Mme SAINT-MARC.
+
+MADAME AUBRY, parente ruinée, recueillie dans le château. Mme
+CAYOT.
+
+CHRISTINE. Mme PIERSON.
+
+MADAME VAUBERGER. Mme ALEXIS.
+
+JEUNES FILLES.
+
+
+La scène se passe à Paris et en Bretagne.
+
+
+Les indications de mise en scène sont prises de la salle: le
+premier personnage inscrit occupe la gauche du spectateur.
+
+
+LE ROMAN
+
+D'UN
+
+JEUNE HOMME PAUVRE
+
+
+
+
+ACTE PREMIER
+
+
+1ER TABLEAU
+
+
+L'intérieur d'une mansarde dans l'hôtel de Champcey à Paris.
+Ameublement très-simple: commode, secrétaire, une petite
+table, une étagère, un vieux fauteuil en velours d'Utrecht.
+Porte au fond.
+
+
+SCENE I.
+
+
+MADAME VAUBERGER, tenant un époussetoir et entr'ouvrant la
+porte avec précaution.
+
+Il n'est pas rentré, j'en étais sûre. (Elle entre.) Il faut
+absolument que j'en aie le coeur net. (Regardant sur la
+cheminée.) Une bourse... vide... (S'approchant du secrétaire.)
+Il a laissé la clef; c'est déjà mauvais signe... (Elle ouvre
+le secrétaire et les tiroirs.) Comme dans la bourse, rien et
+rien, pas l'ombre d'un centime... Vauberger a beau dire: c'est
+clair... (Entendant du bruit, elle referme le secrétaire à la
+hâte et se met à épousseter les meubles; Maxime entre, il est
+pâle, vêtu de noir.)
+
+
+SCENE II.
+
+
+MADAME VAUBERGER, MAXIME.
+
+
+MAXIME, l'observant d'un air mécontent.
+
+Qu'est-ce que vous faites là, madame Vauberger?
+
+
+MADAME VAUBERGER.
+
+Vous voyez, monsieur Maxime, je nettoie, je range...
+
+
+MAXIME.
+
+Vous avez déjà nettoyé et rangé ce matin; il me semble que
+vous prenez beaucoup trop de peine.
+
+
+MADAME VAUBERGER.
+
+Pardon, monsieur Maxime, je croyais bien faire; je m'en
+vais...
+
+
+MAXIME.
+
+Allez, Madame, allez. (Elle sort.)
+
+
+SCENE III.
+
+
+MAXIME seul, puis MADAME VAUBERGER.
+
+
+MAXIME
+
+Est-ce que cette misérable femme m'espionne? son oeil ne me
+quitte pas... et il me semble avoir vu son fils acharné à me
+suivre dans les rues hier soir et ce matin... Quel intérêt
+pourrait-elle avoir? Bah! un intérêt de curiosité, un intérêt
+de commère... La chute du puissant, l'humiliation du riche,
+n'est-ce pas de tout temps le plus doux objet d'entretien pour
+ces gens-là?... et cependant cette femme, elle a été comblée
+des bienfaits de ma mère; elle m'a vu naître; elle affichait
+une passion exaltée pour ma famille... Enfin il faut me faire
+à ces choses-là! (Madame Vauberger rentre.) Encore!... Qu'y a-t-il?
+
+
+MADAME VAUBERGER.
+
+C'est un monsieur à qui je n'ai pas pu dire que vous n'y étiez
+pas, il vous a vu rentrer; voici sa carte.
+
+
+MAXIME, regardant la carte.
+
+Gaston de Lussac!... Faites monter. (Madame Vauberger sort.)
+Gaston! Eh bien, je ne suis pas fâché de le voir... c'est un
+étourdi, mais un brave coeur, je crois. Il y a si longtemps que
+je n'ai touché une main amie... Nous étions très-liés il y a
+deux ans. (Souriant.) S'il me rendait ce que je lui ai
+prêté... seulement la moitié, il serait deux fois le bienvenu
+en ce dur moment. (La porte s'ouvre.) Ah! bonjour, Gaston!
+
+
+SCENE IV.
+
+
+MASIME, GASTON.
+
+
+GASTON, de la porte.
+
+Avant tout, mon ami, rassure-toi, je n'ai pas besoin d'argent!
+
+
+MAXIME.
+
+Vrai?
+
+
+GASTON.
+
+Ma parole... je suis riche, mon cher, je viens te dire cela.
+Tu vois un homme orné de cinquante mille francs de rente.
+
+
+MAXIME.
+
+Bah! ton oncle?
+
+
+GASTON, simplement.
+
+Eh! mon Dieu, oui... Pauvre bonhomme!... Enfin, je ne l'ai pas
+tué!... que veux-tu!... Mais d'où arrives-tu donc, toi, cher
+ami? J'ai été vingt fois tenté depuis deux ans de partir pour
+Grenoble et d'aller te relancer au fond de tes forêts... J'ai
+cru rêver quand je t'ai aperçu sur le boulevard tout à
+l'heure! Que diable es-tu revenu?
+
+
+MAXIME.
+
+J'ai voyagé, mon ami.
+
+
+GASTON.
+
+Ah! (Il regarde autour de lui.) Tiens! tu es drôlement
+installé ici... Je croyais que vous vous réserviez le
+rez-de-chaussée de votre hôtel?
+
+
+MAXIME.
+
+Autrefois, oui.
+
+
+GASTON.
+
+Ah çà... mais... qu'y a-t-il donc? mon ami! Je te trouve pâle,
+changé... tu es en grand deuil... est-ce que?...
+
+
+MAXIME, avec un triste sourire.
+
+Mon ami, tu tombes mal; je suis malheureux; j'ai besoin d'un
+confident, tu te présentes: tant pis pour toi.
+
+
+GASTON.
+
+Comment, cher ami!... Mais parle bien vite... Je suis une tête
+un peu folle... mais tu ne doutes pas de mon coeur, j'espère?
+
+
+MAXIME.
+
+Non, je n'en doute pas, et je vais te le prouver; mets-toi là.
+(Ils s'asseoient1 [1. Gaston, Maxime.].) Le malheur qui me
+frappe, mon ami, j'aurais dû le prévoir depuis de longues
+années, si l'habitude, la dissipation de ma vie, et surtout le
+respect filial, ne m'eussent aveuglé... Voyons, toi, tu es
+venu deux ou trois fois au château passer la saison de chasse,
+n'es-tu jamais remarqué rien de mystérieux, rien
+d'extraordinaire dans l'intérieur de notre famille?
+
+
+GASTON.
+
+Mais rien... c'est-à-dire, j'ai bien remarqué que ta mère
+était un peu bizarre; elle était charmante, ta mère... mais
+elle paraissait triste, elle vivait très-retirée, et affectait
+même dans sa toilette une simplicité extrême, presque
+religieuse.
+
+
+MAXIME.
+
+Oui, et cependant elle avait, dans sa première jeunesse, aimé
+le monde avec passion... puis tout à coup nous l'avions vue
+s'en détacher et se vouer à une vie de réclusion, de solitude,
+d'où les instances de mon père, qu'elle adorait pourtant, ne
+purent jamais la faire sortir... Tu te rappelles mon père?
+
+
+GASTON.
+
+Ton père? je crois bien! Quel charmant vieillard! quel feu!
+quel entrain! toujours le premier au plaisir! un convive
+admirable, un écuyer sans égal, un causeur éblouissant! un
+vrai type de gentilhomme!
+
+
+MAXIME.
+
+Oui, ces brillantes qualités que j'admirais comme toi
+l'attiraient invinciblement dans toutes les fêtes de la vie
+mondaine dont il était le héros. Ma mère refusait obstinément
+de l'y suivre: elle refusa même bientôt de paraître dans son
+propre salon quand on recevait au château. J'attribuais à ces
+refus, qui exaspéraient mon père, les scènes pénibles,
+violentes parfois, dont les échos arrivaient jusqu'à moi. Je
+croyais la pauvre femme atteinte d'une affection nerveuse,
+d'une espèce de maladie noire, et mon père, d'ailleurs, me le
+donnait à entendre. Cependant, mon ami... tu sais que j'ai une
+soeur beaucoup plus jeune que moi?
+
+
+GASTON.
+
+Mademoiselle Hélène! Oui.
+
+
+MAXIME.
+
+Peu de jours après sa naissance, il y a sept ans de cela, mon
+père m'appela chez lui et me fit part avec un certain embarras
+d'un désir singulier que manifestait ma mère: c'était de me
+voir suivre un cours de droit. Alors, pour la première fois,
+mon ami, la pensée me vint que les goûts mondains de mon père,
+sa répugnance et son dédain pour le côté positif et ennuyeux
+de la vie avaient pu introduire dans notre fortune quelque
+secret désordre; peut-être, me disais-je, ma mère veut-elle
+que je sois en état de suppléer à la négligence de mon père,
+de réparer ses erreurs.
+
+
+GASTON.
+
+Eh bien?
+
+
+MAXIME.
+
+Je ne pus m'arrêter à cette idée... j'avais bien, à la vérité,
+entendu mon père se plaindre parfois des désastres que notre
+fortune avait subis pendant la révolution, mais ces plaintes
+m'avaient toujours paru assez injustes. Tu as vu toi-même
+quelle était notre situation, notre genre de vie.
+
+
+GASTON.
+
+Mais c'était tout ce qu'il y avait de plus confortable. Un
+hôtel à Paris, un château seigneurial, des écuries immenses
+peuplées de chevaux de prix.
+
+
+MAXIME.
+
+Cependant, j'obéis à ma mère, je fis mon droit; mais en même
+temps je commençai, j'avais vingt ans, à la fuir, à
+l'éviter... elle était toujours souffrante, et malheur à ceux
+qui souffrent toujours! oui, cette pauvre femme qui m'aimait
+tant, et que j'aimais aussi, je t'assure, je l'abandonnai
+chaque jour davantage; nous nous disions, mon père et moi,
+qu'elle n'était pas malade, qu'elle avait des manies. Nous
+n'étions jamais si heureux que quand nous nous élancions hors
+de cette pauvre maison où languissait cette malade éternelle!
+Allons, Maxime, criait gaiement mon père, un temps de
+galop!... et nous courions!... Un jour en recevant d'une de
+ces courses, nous trouvâmes... elle était morte, mon ami, me
+laissant un remords qui ne finira pas! (Il se lève.)
+
+
+GASTON.
+
+Maxime!
+
+
+MAXIME.
+
+Deux mois plus tard, sur le désir formel de mon père, je
+partis pour l'Italie, et je commençai une série de voyages
+dont il avait lui-même fixé le terme. Pendant plusieurs
+années, sa correspondance affectueuse, mais brève, ne témoigna
+jamais la moindre impatience au sujet de mon retour... Je n'en
+fus que plus alarmé, il y a deux mois, quand je trouvai, en
+débarquant à Marseille, plusieurs lettres de mon père qui,
+toutes, me rappelaient avec une hâte fébrile.
+
+
+GASTON.
+
+Ah! est-ce que vraiment...? il me semble avoir entendu le nom
+de ton père mêlé à des spéculations de Bourse l'an passé?
+
+
+MAXIME.
+
+J'arrivai le soir: il y avait une légère couche de neige sur
+le sol, et en traversant l'avenue j'entendais les flocons de
+givre se détacher des arbres, et tomber autour de moi comme
+des larmes... Comme j'approchais du château, je vis derrière
+les fenêtres à demi éclairées du grand salon une ombre qui me
+parut être celle de mon père. A peine j'eus franchi le seuil,
+il accourut, il me saisit dans ses bras avec une effusion de
+sensibilité à laquelle il ne m'avait pas habitué, et je sentis
+son coeur battre contre le mien avec une violence effrayante;
+il me montra un siège et s'assit brusquement en face de moi.
+(Maxime s'asseoit.) Alors comme s'il eût désiré de parler sans
+en trouver le courage, ses yeux s'arrêtèrent sur les miens
+avec une expression d'angoisse, d'humilité et de prière, qui
+de la part d'un homme aussi fier que l'était mon père, me
+toucha, me navra profondément! Ah! ce tort qu'il avait tant de
+peine à confesser, je l'avais compris déjà, et Dieu sait que
+du fond de l'âme j'étais prêt à lui crier: Je vous pardonne!
+je vous pardonne! quand soudain ce regard qui ne me quittait
+pas prit une fixité grave, étonnée et terrible; la main se mon
+père se crispa sur mon bras, il se souleva sur son fauteuil et
+retomba lourdement sur le parquet, il n'était plus!
+
+
+GASTON, se levant.
+
+Pauvre ami... mais quoi?... qu'y a-t-il encore?... parle...
+est-ce la ruine?
+
+
+MAXIME.
+
+Tu l'as dit. (Il se lève1 [1. Maxime, Gaston.].) La Bourse
+l'avait achevé. De sorte que je me trouve avec ma soeur en face
+d'un abîme dont je ne connais même pas le fond, car le
+désordre était immense, et j'avais à peine, d'ailleurs, essayé
+de mettre un peu de lumière dans ce chaos que je tombai
+gravement malade. J'ai été pendant deux mois entre la vie et
+la mort; dès que j'ai pu marcher, je suis accouru à Paris, et
+me voilà.
+
+
+GASTON.
+
+Mais tes affaires pendant ce temps? La liquidation...
+
+
+MAXIME.
+
+Grâce à Dieu, un ami s'en était chargé dès la première heure,
+un ami que je connais à peine, mais en qui cependant j'ai
+pleine confiance, parce que ma mère l'estimait profondément;
+c'est un vieillard, un monsieur Laubépin, autrefois notaire de
+notre famille.
+
+
+GASTON.
+
+Ah! je crois l'avoir vu chez vous, un ébouriffé un peu
+fantasque?
+
+
+MAXIME.
+
+Oui, un peu... Je l'avais perdu de vue depuis des années...
+mon père ne l'aimait pas; il se moquait de ses formes
+solennelles et respectueuses, sous lesquelles il prétendait
+flairer un vieux levain bourgeois, roturier, et même jacobin,
+disait-il. J'ai ri moi-même plus d'une fois aux dépens de ce
+bonhomme, ne me doutant guère que j'attendrais un jour, de sa
+bouche, le dernier mot de ma destinée.
+
+
+GASTON.
+
+Mais enfin, vous aviez cent mille francs de rente... Les
+morceaux en sont bons, que diable!
+
+
+MAXIME.
+
+Tu penses, n'est-ce pas, que je sauverai quelque épave? Eh!
+mon Dieu, si seulement l'existence de ma soeur était
+assurée!... mais cette incertitude est affreuse!...
+
+
+GASTON.
+
+Et comment n'as-tu pas encore vu ton Laubépin?
+
+
+MAXIME.
+
+Tu peux croire qu'à peine arrivé j'ai couru chez lui, mais
+bah! il n'y était pas! Il était à la campagne, en province, je
+ne sais où... aussi je suis là depuis deux jours dans un état
+de misère, de détresse morale... et physique... dont j'ose à
+peine te donner l'idée.
+
+
+GASTON, avec distraction et embarras.
+
+Pauvre ami! Ah! voilà... voilà la vie!... c'est atroce! c'est
+atroce! (Regardant l'heure à sa montre.) Ah çà, mon ami, je te
+demande mille fois pardon, mais j'ai un rendez-vous au
+tattersall pour trois heures; voilà trois heures et demie...
+
+
+MAXIME, froidement.
+
+Va, mon ami, va. (Avec une nuance d'ironie.) Tu reviendras,
+n'est-ce pas?
+
+
+GASTON.
+
+Parbleu, en doutes-tu? Diable! ce n'est pas dans des moments
+pareils qu'on abandonne ses amis. (Il tire son porte-cigare.)
+Ah çà, tu vas bien me permettre de t'offrir un cigare, mon
+ami, j'en ai d'excellents; il n'y en a plus que deux... nous
+allons partager en frères... A revoir, Maxime, à bientôt, bon
+courage!
+
+
+MAXIME, qui s'est laissé mettre le cigare dans la main, avec
+un sourire triste.
+
+Je vais le fumer!
+
+
+SCENE V.
+
+
+MAXIME, MADAME VAUBERGER.
+
+
+MADAME VAUBERGER.
+
+Monsieur! c'est monsieur Laubépin.
+
+
+MAXIME.
+
+Laubépin!... Ah! faites entrer! faites entrer! (A part.) Dieu
+soit loué! Je vais du moins être tiré de cette angoisse!
+(Entre Laubépin.)
+
+
+SCENE VI.
+
+
+MAXIME, LAUBEPIN.
+
+
+MAXIME.
+
+Ah! cher Monsieur, je vous attendais avec impatience...
+
+
+LAUBEPIN, s'inclinant.
+
+Monsieur le marquis! Votre santé, monsieur le marquis?
+
+
+MAXIME.
+
+Meilleure, monsieur Laubépin, je vous remercie...
+
+
+LAUBEPIN.
+
+Et mademoiselle Hélène de Champcey?
+
+
+MAXIME.
+
+Elle va bien, elle est toujours ici, dans sa pension. La
+pauvre enfant ignore nos désastres; moi-même, monsieur
+Laubépin, vous le savez, je n'en connais pas exactement
+l'étendue, et c'est de votre bouche...
+
+
+LAUBEPIN.
+
+Pardon, monsieur le marquis, mais il entre dans mes habitudes
+de procéder avec méthode.
+
+
+MAXIME.
+
+Ah! veuillez vous asseoir, Monsieur. (Ils s'asseoient à
+droite1 [1. Laubépin, Maxime.].)
+
+
+LAUBEPIN.
+
+Ce fut, monsieur, en l'année 1820, que mademoiselle Louise-Hélène
+Dugald Delatouche d'Erouville fut recherchée en mariage
+par Charles-Christian Odiot, marquis de Champcey d'Hauterive.
+Vous n'ignorez pas, Monsieur, que j'étais enchaîné à la
+famille Dugald Delatouche par les liens d'un dévouement en
+quelque sorte héréditaire, et que, de plus, la jeune héritière
+de cette maison m'avait inspiré, par ses aimables vertus, une
+affection aussi profonde que respectueuse. Je dus employer
+tous les arguments de la raison pour détourner mademoiselle
+Dugald de la funeste alliance qui lui était proposée. Je dis
+funeste alliance, Monsieur, parce que tout en rendant justice
+aux qualités chevaleresques et trop séduisantes qui
+distinguaient monsieur le marquis de Champcey, comme tous ceux
+de sa maison, j'apercevais déjà clairement sous ces dehors
+brillants l'irréflexion et la frivolité obstinées, la fureur
+du plaisir, et finalement le barbare égoïsme...
+
+
+MAXIME.
+
+Monsieur, la mémoire de mon père m'est sacrée, et j'entends
+qu'elle le soit à tous ceux qui parlent de mon père devant
+moi.
+
+
+LAUBEPIN, avec émotion.
+
+Monsieur, je respecte ce sentiment; mais quand je parle de
+votre père, comment oublier, Monsieur, que je parle de l'homme
+qui a tué votre mère, une enfant héroïque, une martyre!
+
+
+MAXIME, se levant.
+
+Monsieur Laubépin!
+
+
+LAUBEPIN, se levant aussi et posant une main sur le bras de
+Maxime.
+
+Pardon, jeune homme; mais j'étais l'ami de votre mère... je
+l'ai pleurée. Veuillez me pardonner!... Au surplus (se
+rasseyant), si vous l'exigez, je ne parlerai que du présent.
+
+
+MAXIME.
+
+Je vous en prie. (Ils s'asseyent.)
+
+
+LAUBEPIN.
+
+Monsieur, vous verre le détail de mes opérations dans le
+dossier volumineux que le concierge de cet hôtel est allé
+chercher chez moi: mais pour résumer ces opérations en un mot,
+il se trouve qu'après la vente de votre château, de vos terres
+et de cet hôtel même, à des conditions inespérées, vous
+resterez redevable envers les créanciers de Monsieur votre
+père, d'une somme de 45,000 fr.
+
+
+MAXIME.
+
+Est-il possible!
+
+
+LAUBEPIN.
+
+Monsieur, cela est certain.
+
+
+MAXIME.
+
+Comment! non-seulement il ne nous reste rien, mais...
+
+
+LAUBEPIN.
+
+Vous devez quarante-cinq mille francs...
+
+
+MAXIME, se levant. Faisant quelques pas dans la chambre. A
+part.
+
+Mon Dieu! pauvre Hélène1 [1. Maxime, Laubépin.]!
+
+
+LAUBEPIN, qui l'observe, se levant.
+
+Maintenant, monsieur le marquis, je dois vous dire que Madame
+votre mère, en prévision de ce qui arrive, avait daigné me
+remettre en dépôt quelques bijoux et joyaux d'une valeur de
+50,000 francs environ.
+
+
+MAXIME.
+
+Ah!
+
+
+LAUBEPIN.
+
+Pour empêcher que cette faible somme, votre unique fortune
+désormais, ne tombe aux mains des créanciers, nous pouvons
+user d'un subterfuge légal que je vais avoir l'honneur de vous
+soumettre.
+
+
+MAXIME, simplement.
+
+Comment? mais c'est tout à fait inutile. Je suis trop heureux
+de pouvoir, à l'aide de cette somme, dégager entièrement
+l'honneur de mon père.
+
+
+LAUBEPIN, qui ne cesse d'observer Maxime avec une attention
+marquée.
+
+Ah! -- soit, monsieur le marquis; mais comme en ce cas vous
+restez absolument sans ressources, puis-je vous demander, à
+titre confidentiel et respectueux, si vous avez avisé à
+quelque moyen d'assurer votre existence et celle de votre soeur
+et pupille?
+
+
+MAXIME.
+
+Mon Dieu! Monsieur, tous mes projets sont bouleversés, je vous
+l'avoue. Je ne m'attendais pas à ce complet dénûment. Si
+j'étais seul au monde, je me ferais soldat; mais j'ai ma soeur.
+Je ne puis souffrir le pensée de la voir condamnée au travail,
+aux privations, aux dangers de la pauvreté. Elle est heureuse
+dans sa pension; elle est assez jeune pour y demeurer quelques
+années encore. Si je pouvais trouver quelque occupation qui me
+permît, en me réduisant moi-même à l'existence la plus
+étroite, de payer la pension de ma soeur, et de lui amasser une
+dot, je serais heureux!...
+
+
+LAUBEPIN.
+
+Ah! -- dans notre cadre social, monsieur le marquis, une
+occupation assez lucrative pour répondre à vos honorables
+attentions, ne se trouve guère du jour au lendemain...
+Heureusement j'ai à vous communiquer quelques propositions
+qui, sans aucun effort de votre part, sont de nature à
+modifier votre situation. En premier lieu, je serai près de
+vous l'interprète d'un spéculateur riche et influent; cet
+individu a conçu l'idée d'une entreprise considérable qui doit
+réussir surtout par le concours de la classe aristocratique de
+ce pays. Il pense qu'un nom comme le vôtre, monsieur le
+marquis, figurant en tête de son prospectus, aiderait
+puissamment à lancer l'entreprise.
+
+
+MAXIME.
+
+Oui, vraiment?
+
+
+LAUBEPIN.
+
+Il vous offre, en retour d'une facile complaisance, d'abord
+une forte prime, ensuite...
+
+
+MAXIME.
+
+En voilà assez, monsieur Laubépin; en voilà trop1 [1.
+Laubépin, Maxime.]!
+
+
+LAUBEPIN, haussant la voix.
+
+Si la proposition ne vous plaît pas, monsieur le marquis, elle
+ne me plaît pas plus qu'à vous. Mais j'ai cru devoir vous la
+soumettre. En voici une autre qui, j'espère, vous sourira
+davantage: j'ai parmi mes anciens clients un honorable
+commerçant qui s'est retiré des affaires avec une fortune
+assez ronde: sa fille, monsieur le marquis, fille unique et
+conséquemment adorée, a été par hasard informée de votre
+situation, et je sais, je suis certain qu'elle serait prête et
+disposée à recevoir de votre main le titre de marquise de
+Champcey. Le père consent, et je n'attends qu'un mot de vous
+pour vous dire le nom et la demeure de cette famille
+intéressante.
+
+
+MAXIME.
+
+Mon nom n'est pas plus à vendre qu'à louer. D'ailleurs, dans
+l'état de ma fortune, mon titre est dérisoire, et comme il
+paraît devoir en outre m'exposer à toutes les entreprises de
+l'intrigue, je suis déterminé à le quitter; le nom originaire
+de ma famille est Odiot: c'est le seul que je porterai
+désormais.
+
+
+LAUBEPIN.
+
+Ah! (se frottant les mains gaiement et amicalement.) Savez-vous
+que vous serez difficile à caser, très-difficile à caser,
+jeune homme, avec ces idées-là? C'est étonnant, Monsieur,
+comme je suis frappé depuis un moment de votre ressemblance
+avec madame votre mère.
+
+
+MAXIME, souriant tristement.
+
+Avec ma mère? Je ne pensais pas... On m'a toujours dit que
+j'étais le portrait vivant de mon aïeul paternel... Jacques de
+Champcey.
+
+
+LAUBEPIN.
+
+Oh!... cependant... les yeux et le sourire... Mais c'est assez
+abuser de vos instants. Monsieur le marquis... je vous laisse.
+
+
+SCENE VII.
+
+
+LES MEMES, VAUBERGER.
+
+
+VAUBERGER.
+
+Voilà les papiers, Monsieur.
+
+
+LAUBEPIN.
+
+Ah! c'est votre dossier que j'ai envoyé prendre; il y a encore
+deux ou trois pièces importantes qui sont déposées chez le
+notaire, chez mon successeur. C'est à deux pas d'ici. Si vous
+voulez venir les prendre, vous donneriez en même temps
+quelques signatures indispensables.
+
+
+MAXIME.
+
+Soit. Je vous accompagne. (A Vauberger.) Rangez ces papiers
+sur cette étagère. Allons, Monsieur. (Ils sortent après
+quelques cérémonies de Laubépin.)
+
+
+SCENE VIII.
+
+
+VAUBERGER, puis MADAME VAUBERGER.
+
+
+VAUGERGER, rangeant les papiers1 [1. Vauberger, madame
+Vauberger.] .
+
+Il ne me remercierait pas seulement de la peine.
+
+
+MADAME VAUBERGER.
+
+Dis donc, Vauberger, sais-tu si le vieux l'a invité à dîner?
+
+
+VAUBERGER.
+
+Je n'en sais rien, je n'ai pas entendu... qu'est-ce que ça me
+fait, d'ailleurs!
+
+
+MADAME VAUBERGER.
+
+Pauvre M. Maxime!
+
+
+VAUBERGER.
+
+T'y voilà encore! Ecoute, tu m'ennuies à la fin avec ton
+Maxime! Est-ce ma faute à moi s'il est ruiné, tiens!
+
+
+MADAME VAUBERGER.
+
+Tu verras, Vauberger, tu verras qu'un de ces matins il se
+tuera, ce garçon-là.
+
+
+VAUBERGER.
+
+Eh bien! s'il se tue, on l'enterra, quoi!
+
+
+MADAME VAUBERGER.
+
+Je te dis, Vauberger, que ça t'aurait fendu le coeur si tu
+l'avais vu, comme je l'ai vu ce matin, avaler sa carafe d'eau
+claire pour déjeuner. Songe donc, Vauberger, manquer de feu et
+de pain! un garçon qui a été élevé dans des fourrures et
+nourri toute sa vie avec du blanc-manger! Ca n'est pas une
+honte et une indignité, ça! et ça n'est pas un drôle de
+gouvernement que ton gouvernement qui permet des choses
+pareilles!...
+
+
+VAUBERGER, avec un profond dédain.
+
+Mais ça ne regarde pas du tout le gouvernement! Mon Dieu! que
+les femmes sont bêtes! et puis, c'est pas vrai, il n'en est
+pas là, il ne manque pas de pain... ce n'est pas possible.
+
+
+MADAME VAUBERGER.
+
+Puisque j'en suis sûre! puisqu'il n'a plus un sou, puisque
+Edouard l'a espionné... Je te dis qu'il n'a pas déjeuné ce
+matin, à preuve que ses pauvres jambes ne peuvent plus le
+soutenir... et je parie qu'il ne va pas encore dîner ce
+soir... car il est trop fier pour mendier un dîner!
+
+
+VAUBERGER.
+
+Eh bien, tant pis pour lui! Quand on est pauvre, faut pas être
+fier!
+
+
+MADAME VAUBERGER, indignée.
+
+Vauberger! tu es un concierge, tu veux qu'on t'appelle
+concierge... eh bien, tu as les sentiments d'un portier!
+
+
+VAUBERGER.
+
+Madame Vauberger! (Maxime paraît au fond.)
+
+
+SCENE IX.
+
+
+LES MEMES, MAXIME.
+
+
+VAUBERGER, servilement.
+
+Monsieur le marquis, je rangeais ces papiers... Monsieur le
+marquis n'a pas d'autre ordre à nous donner?
+
+
+MAXIME, froidement.
+
+Allez-vous-en.
+
+
+VAUBERGER.
+
+Oui, monsieur le marquis. (Se retournant près de sortir.)
+Ruiné, va!
+
+
+SCENE X.
+
+
+MAXIME, seul.
+
+Je n'ai pas osé... je n'ai pas osé lui demander l'aumône... et
+pourtant ce n'eût pas été une aumône, puisqu'il a de l'argent
+à moi... mais je n'ai pas osé... Je le verrai demain matin, et
+j'espère qu'il m'offrira de lui-même... on ne meurt pas pour
+un jour de jeûne... Ah! si je pèche par orgueil, je suis
+puni... car réellement je souffre... Si j'allais dîner tout
+bonnement n'importe où... on me connaît... je pourrais dire
+que j'ai oublié ma bourse... j'ai fait cela cent fois, sans
+scrupule, dans d'autres temps... Non! tous ces expédients, qui
+sentent la misère et la tricherie, me répugnent trop... Pour
+les pauvres, cette pente est glissante; je n'y mettrai pas le
+pied! Si je pouvais dormir. (Il s'asseoit dans le fauteuil.)
+La faim! ce n'est donc pas un vain mot... la faim! Il y a donc
+vraiment une maladie de ce nom-là... il y a vraiment des
+créatures humaines qui souffrent presque chaque jour ce que je
+souffre en ce moment?... et encore, moi, je souffre seul; le
+seul être qui m'intéresse au monde, ma soeur, je vois son cher
+visage, heureux, souriant... Mais ceux qui entendent le cri
+déchirant de leurs entrailles répété par des voix aimées,
+suppliantes... ceux qu'attendent dans leur froid logis des
+femmes aux joues pâles et des petits enfants sans sourire...
+pauvres gens... O sainte charité! (Il sommeille. -- Musique
+jusqu'au réveil de Maxime.)
+
+
+SCENE XI.
+
+
+MAXIME, MADAME VAUBERGER.
+
+
+Elle entre doucement, portant quelques plats sur un plateau.
+Elle pose le plateau sur la cheminée, approche une petite
+table et la couvre d'une nappe.
+
+
+MAXIME, s'éveillant à demi.
+
+Triste sommeil! Je fais de vrais rêves de naufragé... je ne
+vois que des mirages de festins, de banquets! (Apercevant le
+plateau.) Tiens! (Il voit madame Vauberger.) Qu'est-ce que
+c'est? qu'est-ce que vous faites?
+
+
+MADAME VAUBERGER, affectant la surprise.
+
+Est-ce que Monsieur n'a pas demandé à dîner?
+
+
+MAXIME.
+
+Pas du tout.
+
+
+MADAME VAUBERGER.
+
+Edouard m'a pourtant dit que Monsieur...
+
+
+MAXIME.
+
+Edouard s'est trompé: c'est quelque locataire à côté; voyez.
+
+
+MADAME VAUBERGER.
+
+Il n'y a pas de locataire sur le palier de Monsieur... Je ne
+comprends pas...
+
+
+MAXIME.
+
+Enfin, ce n'est pas moi! Qu'est-ce que cela veut donc dire?...
+Vous me fatiguez! Emportez cela!...
+
+
+MADAME VAUBERGER. Elle replie tristement la nappe, et reprend
+timidement après une pause.
+
+Monsieur a probablement dîné?
+
+
+MAXIME.
+
+Probablement.
+
+
+MADAME VAUBERGER.
+
+C'est dommage, car le dîner est prêt... il va être perdu, et
+le petit va être grondé par son père... Si Monsieur n'avait
+pas dîné, par hasard, il m'aurait vraiment bien obligée...
+
+
+MAXIME, violemment.
+
+Allez-vous-en, vous dis-je! sortez!... (Il se lève et
+s'approche d'elle avec douceur.) Louison... je vous
+comprends... je vous remercie: mais je suis un peu souffrant
+ce soir: je n'ai pas faim.
+
+
+MADAME VAUBERGER, avec émotion. Elle se rapproche, portant le
+plateau qu'elle dépose doucement sur la table devant Maxime.
+
+Ah! monsieur Maxime! si vous saviez comme vous me mortifiez!
+Eh bien, vous me paierez mon dîner, là; vous me mettrez de
+l'argent dans la main quand il vous en reviendra; mais vous
+pouvez être bien sûr que quand vous me donneriez cent mille
+francs, ça ne me ferait pas autant de plaisir que de vous voir
+manger mon pauvre dîner! Ce serait une fière charité que vous
+me feriez, allez! vous devez pourtant bien comprendre ça,
+monsieur Maxime, vous qui avez de l'esprit.
+
+
+MAXIME.
+
+Eh bien, ma chère Louison, que voulez-vous? je ne peux pas
+vous donner cent mille francs... mais je vais manger votre
+dîner. (Il s'asseoit brusquement devant la table.)
+
+
+MADAME VAUBERGER.
+
+Oh! merci, monsieur Maxime, merci... vous avez bon coeur.
+
+
+MAXIME.
+
+Et bon appétit aussi, Louison, je vous jure... mais laissez-moi,
+n'est-ce pas?...
+
+
+MADAME VAUBERGER
+
+Oui, monsieur Maxime... merci, Monsieur.
+
+
+MAXIME, la rappelant.
+
+Louison... donnez-moi votre main... soyez tranquille, ce n'est
+pas pour y mettre de l'argent... (Lui prenant la main.) Là...
+à revoir. (Madame Vauberger sort en pleurant.)
+
+
+SCENE XII.
+
+
+MAXIME, puis LAUBEPIN.
+
+
+MAXIME, portant son mouchoir à ses yeux.
+
+Allons! pas d'enfantillage! et dînons puisque dîner il y a!...
+Ce que c'est que le fruit défendu! j'ai moins faim que tout à
+l'heure! Cette pauvre femme, que j'accusais, cette portière...
+c'est un ange!... Enfin me voilà toujours assuré de vivre
+jusqu'à demain... c'est quelque chose. (On entend Madame
+Vauberger qui parle à Laubépin dans l'escalier. La porte
+s'ouvre. Laubépin paraît conduit par Madame Vauberger qui se
+retire aussitôt. Maxime se lève un peu interdit.)
+
+
+LAUBEPIN, d'un air consterné.
+
+Au nom du ciel, monsieur le marquis, comment ne m'avez-vous
+pas dit...? (S'avançant.) Jeune homme, c'est mal; vous avez
+blessé un ami! vous faites rougir un vieillard!...
+
+
+MAXIME, ému.
+
+Monsieur!
+
+
+LAUBEPIN, l'attirant sur sa poitrine.
+
+Mon pauvre enfant! Allons! n'y pensons plus! Dînez, mon ami,
+et dînez gaiement... car Dieu merci, je vous apporte une bonne
+nouvelle...
+
+
+MAXIME.
+
+Bah! (Il lui donne une chaise1 [1. Laubépin, Maxime.].)
+
+
+LAUBEPIN.
+
+J'ai un emploi à vous offrir.
+
+
+MAXIME.
+
+Un emploi?
+
+
+LAUBEPIN.
+
+Mais, dame! je ne sais s'il vous agréera. Je suis arrivé ce
+matin de Bretagne, comme vous savez, mon ami. Il y a là, au
+fond du Morbihan, une famille considérable et très-opulente,
+la famille Laroque d'Arz dont je possède toute la confiance.
+Les Laroque avaient, depuis vingt ans, un homme d'affaires, un
+intendant, nommé Yvart, qui était un fripon. J'ai appris ces
+jours-ci que cet individu était fort malade; je suis
+immédiatement parti pour le château de Laroque, et j'ai
+demandé pour un ami à moi, que je n'ai point nommé, l'emploi
+qui, suivant toute apparence, allait devenir vacant.
+
+
+MAXIME.
+
+Mais tantôt vous ne m'aviez pas dit un mot...
+
+
+LAUBEPIN.
+
+D'abord, mon ami, j'avais à peine l'honneur de vous connaître,
+et je tenais à savoir avant tout quelle espèce d'homme vous
+étiez. Ensuite, c'est en rentrant chez moi seulement qu'une
+lettre de mon excellente amie, madame Laroque, m'a appris le
+décès définitif du sieur Yvart. Maintenant, voici les
+conditions: vous serez uniquement connu dans le château sous
+le nom de Maxime Odiot; vous habiterez un pavillon
+particulier. Quant à vos appointements, ils seront réglés
+chaque année de façon à vous permettre de penser à la dot de
+votre soeur. Cela vous convient-il?
+
+
+MAXIME.
+
+A merveille, et je ne sais comment vous remercier de votre
+prévoyante bonté... Seulement je crains d'être un homme
+d'affaires un peu neuf.
+
+
+LAUBEPIN.
+
+N'êtes-vous pas avocat, c'est-à-dire un peu propre à tout? Et
+puis, comme je l'écris à madame Laroque, ce qui vous manque
+peut s'apprendre en deux mois, et vous avez ce que cinquante
+ans d'expérience n'avaient pu apprendre à votre
+prédécesseur... la probité... je vous ai vu au feu, j'en
+réponds.
+
+
+MAXIME.
+
+Eh bien, Monsieur, je suis prêt. (Il se lève.)
+
+
+LAUBEPIN.
+
+Prêt à partir demain?
+
+
+MAXIME.
+
+Demain?
+
+
+LAUBEPIN.
+
+Mon Dieu, il le faut, car ces gens-là sont ne sont pas
+capables à eux tous de faire une quittance. Mon excellente
+amie madame Laroque en particulier est, en affaires, d'une
+enfance... c'est une créole.
+
+
+MAXIME, vivement.
+
+Ah! c'est une créole!
+
+
+LAUBEPIN, sèchement.
+
+Oui, jeune homme, une vieille créole. De son côté, sa fille...
+
+
+MAXIME.
+
+Ah! elle a une fille?
+
+
+LAUBEPIN.
+
+Oui, qui est plus jeune.
+
+
+MAXIME.
+
+Naturellement...
+
+
+LAUBEPIN.
+
+Au surplus, vous les verrez, vous les jugerez vous-même.
+
+
+MAXIME.
+
+Si je pouvais pourtant sans indiscrétion vous demander, pour
+ma gouverne, quelques renseignements sur le caractère des
+personnes avec qui je vais me trouver en contact?
+
+
+LAUBEPIN, avec réserve.
+
+Mon Dieu, jeune homme, l'article personnel est toujours fort
+délicat. Cependant, voyons... Il y a dans le château, en
+résidence permanente, sans parler des voisins, des amis, il y
+a, dis-je, cinq personnes: d'abord monsieur Laroque le père,
+célèbre au commencement de ce siècle en qualité de corsaire
+autorisé, source de la fortune... aujourd'hui plus
+qu'octogénaire... intelligence un peu flottante; ensuite,
+madame Laroque, sa belle-fille, veuve, créole d'origine...
+quelques manies... mais belle âme; mademoiselle Marguerite, sa
+fille, créole et bretonne... une petite tête, quelques
+chimères, mais belle âme; puis, en sous-ordre, une madame
+Aubry, cousine au deuxième degré recueillie dans la maison,
+veuve d'une banquier décédé en Belgique... esprit aigri; et
+enfin une demoiselle Hélouin, institutrice, demoiselle de
+compagnie, esprit cultivé... caractère... (Il hésite et
+reprend.) Esprit cultivé!... c'est tout! vous voyez...
+
+
+MAXIME.
+
+Comment, mais sur cinq habitants il y a deux belles âmes...
+c'est une proportion magnifique!
+
+
+LAUBEPIN.
+
+N'est-ce pas? ah çà! Maxime, vous penserez à la dot d'Hélène?
+
+
+MAXIME.
+
+Je ne penserai qu'à cela, Monsieur!
+
+
+LAUBEPIN.
+
+Bien! allons! bon courage, mon ami! Demain matin je vous
+attends à déjeuner, et demain soir en route pour la Bretagne.
+(Sérieux.) Mon enfant, je ne vous connais que depuis quelques
+heures, et je me porte votre caution, vous voyez: je réponds
+de vous... à tous les points de vue: je n'aurai jamais à m'en
+repentir, n'est-ce pas?...
+
+
+MAXIME.
+
+Monsieur, j'ai fait, à la mémoire de celle que j'avais connue
+trop tard, un serment que je tiendrai. J'ai juré de ne jamais
+commettre aucune action dont aurait pu rougir la sainte qui
+fut ma mère.
+
+
+LAUBEPIN.
+
+Je suis tranquille; à demain.
+
+
+MAXIME.
+
+A demain... (Seul.) Intendant!... allons, frère, courage!
+
+
+FIN DU PREMIER TABLEAU
+
+
+
+
+IIe TABLEAU
+
+
+Un riche salon d'été, largement ouvert sur une terrasse ornée
+de statues et de grands vases: une balustrade ferme, dans le
+fond, cette terrasse, d'où l'on descend par un escalier de
+deux ou trois marches dans une autre partie des jardins. A
+gauche une fenêtre, un piano. -- A droite une table couverte de
+livres et de journaux, jardinières, vases pleins de fleurs, un
+brasero allumé.
+
+
+SCENE I.
+
+
+M. DE BEVALLAN, LE DOCTEUR DESMARETS, MADAME LAROQUE,
+MARGUERITE, MADEMOISELLE HELOUIN, MADAME AUBRY.
+
+
+Au lever de rideau, quelques jeunes filles en toilette d'été
+se promènent sur la terrasse, M. de Bévallan cause et rit avec
+elles. Le docteur Desmarets lit un journal: Madame Laroque,
+enveloppée de fourrures et entourée de coussins en velours et
+en tapisserie, est assise à droite, lisant et approchant sa
+main de temps à autre de la flamme du brasero. Marguerite,
+assise près de sa mère, fait de la tapisserie. Mademoiselle
+Hélouin arrange des fleurs dans un vase. Madame Aubry, assise
+à gauche, tricote.
+
+
+BEVALLAN, après un cri de joie poussé par les jeunes filles
+qui battent des mains, entre dans le salon. -- Aux jeunes
+filles en dehors.
+
+Mesdemoiselles, c'est entendu!... (Dans le salon.) Mesdames,
+ces demoiselles désirent faire un tour de valse sur la
+terrasse.
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Comment? en plein soleil, comme cela?
+
+
+BEVALLAN.
+
+Oui, Madame, attendu que les fleurs ne craignent pas le
+soleil. (Mettant ses gants et s'approchant de Marguerite.)
+Mademoiselle Marguerite, oserai-je vous demander?...
+
+
+MARGUERITE.
+
+Oh! moi, je crains le soleil... Je vous remercie, je préfère
+jouer. (Elle se lève et se dirige vers le piano.)
+
+
+BEVALLAN, comme elle passe près de lui, lui dit à demi-voix.
+
+Toujours barbare! (A mademoiselle Hélouin qui arrange des
+fleurs.) Et vous, Mademoiselle, puis-je espérer...?
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+Volontiers. (Elle prend le bras de Bévallan.)
+
+
+BEVALLAN, à demi-voix.
+
+Toujours charmante! (Haut, se dirigeant vers la terrasse.)
+Allons, Mesdemoiselles, allons! (Marguerite commence à jouer
+la valse. Bévallan, mademoiselle Hélouin et les jeunes filles
+tourbillonnent et disparaissent.)
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Avez-vous vu ma nouvelle serre, docteur?
+
+
+DESMARETS, se levant1 [1. Marguerite au piano, madame Aubry,
+Desmarets, madame Laroque.].
+
+Non, Madame.
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Ah! Eh bien, mais il va falloir que je vous montre cela... si
+je puis me traîner jusque-là.
+
+
+DESMARETS.
+
+Comment, vous traîner?... mais vous êtes éblouissante de
+santé, ce matin, vous êtes fraîche comme la rosée!
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Fraîche... c'est-à-dire que je suis gelée... C'est une chose
+extraordinaire... Depuis vingt ans que j'ai quitté les
+Antilles et que je suis en France, je n'ai pas encore pu me
+réchauffer.
+
+
+DESMARETS.
+
+Tant mieux! Madame, tant mieux! Le froid converse!... (Passant
+à gauche.) Et vous, madame Aubry, voyons... la santé?
+
+
+MADAME AUBRY, dolente.
+
+Oh! toujours bien faible, docteur... j'ai eu des vertiges tout
+le matin.
+
+
+DESMARETS.
+
+Tant mieux! parfait, cela! signe de force!
+
+
+MADAME AUBRY, confidentiellement.
+
+Oh! le chagrin me mine, voyez-vous, docteur. On me traite si
+indignement ici.
+
+
+DESMARETS.
+
+Encore! comment ça?
+
+
+MADAME AUBRY.
+
+Vous n'avez pas vu encore ce matin au déjeuner... du potage
+froid... pas de chaufferette... toutes les indignités
+possibles... je suis voir le jouet des domestiques... et
+songez donc, docteur, quand on a été dans ma position, quand
+on a mangé dans de l'argenterie à ses armes!... Ah! on ne sait
+pas tout ce que je souffre dans cette maison... et on ne le
+saura jamais, car quand on a de la fierté on souffre sans se
+plaindre; aussi je me tais, docteur, mais je n'en pense pas
+moins.
+
+
+DESMARETS, impatienté.
+
+C'est cela, Madame, n'en parlons plus. Et croyez-moi, buvez
+frais... cela vous calmera.
+
+
+MADAME AUBRY.
+
+Ah! rien ne me calmera, docteur... rien que la mort!
+
+
+DESMARETS.
+
+Eh bien, Madame, quand vous voudrez! (Les danseurs
+reparaissent en ce moment. Desmarets se retournant.) Ce diable
+de Bévallan est infatigable... Après avoir couru à cheval tout
+le matin, le voilà... (Tout à coup la danse s'interrompt: les
+jeunes filles poussent un cri et s'arrêtent. On aperçoit au
+fond Maxime, il porte un album sous le bras et un petit sac de
+voyage à la main, et paraît assez embarrassé de sa contenance.
+Alain l'accompagne.)
+
+
+SCENE II.
+
+
+LES MEMES, MAXIME, ALAIN.
+
+
+MARGUERITE, se levant, de sa place.
+
+Eh bien, qu'est-ce qu'il y a donc?
+
+
+ALAIN, s'avançant seul pendant que Maxime attend au fond.
+
+Madame, c'est M. Odiot, le nouvel intendant.
+
+
+MADAME LAROQUE, qui s'est soulevée pour regarder Maxime.
+
+Comment?... ça?
+
+
+ALAIN.
+
+Oui, Madame, à ce qu'il dit1 [1. Marguerite revient prendre sa
+place à côté de sa mère.].
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Faites entrer. (Pendant qu'Alain va chercher Maxime et le
+débarrasse de son sac.) Ah çà, comprend-on ce Laubépin, qui
+m'annonce un garçon d'un certain âge, très-simple, très-mûr,
+et qui m'envoie un monsieur comme ça?
+
+
+BEVALLAN.
+
+Il est positif que voilà un intendant... original.
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN, à gauche, qui observe Maxime, avec
+surprise, à part.
+
+Mais c'est le marquis de Champcey... je l'ai vu dix fois à la
+pension... (Maxime entre et salue2 [2. Mademoiselle Hélouin,
+madame Aubry, Maxime. -- Desmarets, Bévallan, un peu en
+arrière. -- Madame Laroque, Marguerite.].)
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Pardon... vous êtes, Monsieur...?
+
+
+MAXIME.
+
+Odiot, Madame.
+
+
+MADAME LAROQUE, n'en revenant pas.
+
+Maxime Odiot, le régisseur, l'intendant que monsieur
+Laubépin...?
+
+
+MAXIME.
+
+Oui, Madame.
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Vous êtes bien sûr?
+
+
+MAXIME, souriant.
+
+Mais oui, Madame, parfaitement.
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Enfin, très-bien, Monsieur! Nous vous remercions beaucoup de
+vouloir bien nous consacrer vos talents... nous en avons grand
+besoin... car nous avons le malheur d'être extrêmement riches.
+(Madame Aubry lève les épaules.) Oui, ma chère cousine, je dis
+le malheur, vous avez beau lever les épaules... La richesse
+est pour moi un fardeau, c'est la pure vérité... moi, j'étais
+née pour la pauvreté, pour le dévouement, le sacrifice...
+j'aurais été, par exemple, une excellente soeur de charité...
+ou bien encore j'aurais aimé à courir le monde en bohémienne,
+comme ces pauvres femmes qu'on voit faire leur pauvre cuisine
+à l'abri des haies... C'est poétique, ça m'aurait plu...
+Enfin, Monsieur, le ciel en a disposé autrement; d'ailleurs
+cette fortune n'est pas à moi, et mon devoir est de la
+conserver pour ma fille, quoique la pauvre enfant n'y tienne
+pas plus que moi-même, n'est-ce pas, Marguerite? (Marguerite
+répond par un mouvement dédaigneux des sourcils.) Alain va
+vous montrer, Monsieur, le pavillon qui vous est destiné...
+Mais, auparavant, il serait bon de vous présenter à mon beau-père.
+Voyez, Alain, si M. Laroque peut recevoir Monsieur. Ouf!
+(Elle se lève péniblement en se drapant.) Eh bien, docteur,
+venez-vous voir ma serre?
+
+
+DESMARETS.
+
+Volontiers, Madame.
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Venez donc aussi, Bévallan.
+
+
+BEVALLAN.
+
+Madame!
+
+
+ALAIN, rentrant.
+
+Madame, M. Laroque va descendre.
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Ah! Eh bien, Monsieur, veuillez l'attendre ici... (A sa fille
+à demi-voix.) Dis-moi, Marguerite, si tu restais pour le
+présenter à ton grand-père?
+
+
+MARGUERITE.
+
+Oui, ma mère.
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+A revoir, Monsieur, à bientôt. (Elle prend le bras de
+Desmarets.)
+
+
+BEVALLAN, à part.
+
+Singulier intendant! (Il offre le bras à madame Aubry.)
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN, à part.
+
+Soit! gardons-lui son secret... jusqu'à nouvel ordre! (Elle
+sort avec les autres.)
+
+
+SCENE III.
+
+
+MAXIME, MARGUERITE, sur le devant. ALAIN, dans le fond.
+
+
+MARGUERITE1 [1. Maxime, Marguerite, s'occupant de sa
+tapisserie.], après une pause embarrassée.
+
+C'est la première fois, Monsieur, que vous venez en Bretagne?
+
+
+MAXIME.
+
+Oui, Mademoiselle.
+
+
+MARGUERITE, avec insouciance.
+
+C'est un pays intéressant pour les étrangers.
+
+
+MAXIME.
+
+Oh! très-intéressant, Mademoiselle... Je n'ai fait que le
+traverser rapidement... mais ce que j'ai entrevu m'a charmé...
+Ces vieilles forêts, ces grandes landes sauvages, avec ces
+horizons étagés à perte de vue; c'est vraiment...
+
+
+MARGUERITE, avec une nuance de dédain.
+
+Ah! vous êtes artiste, Monsieur! Je vois que vous aimez ce qui
+est beau, ce qui parle à l'imagination et à l'âme... la belle
+nature, les bruyères, les pierres... les beaux-arts... Allons,
+tant mieux!... vous vous entendrez à merveille avec
+mademoiselle Hélouin, qui adore aussi toutes ces choses... que
+je n'aime guère, pour mon compte.
+
+
+MAXIME, gaiement.
+
+Mon Dieu! qu'est-ce donc que vous aimez, Mademoiselle, si vous
+me permettez?...
+
+
+MARGUERITE, après un regard hautain qui lui coupe la parole. --
+Elle laisse sa tapisserie, et s'éloignant.
+
+Je vais au-devant de mon grand-père, Alain. (Elle sort. Alain
+descend la scène lentement.)
+
+
+SCENE IV.
+
+
+MAXIME, ALAIN.
+
+
+MAXIME.
+
+Allons! J'oublie que je n'ai pas le droit ici de parler en
+égal (Se retournant vers Alain.) excepté à cet homme... Ah!
+c'est amer! Dites-moi, mon ami, M. Laroque est très-âgé,
+n'est-ce pas?
+
+
+ALAIN.
+
+Oh! très-âgé, Monsieur, oui.
+
+
+MAXIME.
+
+Il a été marin, je crois, autrefois.
+
+
+ALAIN.
+
+Oui, Monsieur... et un fier marin, allez!... Vous verrez,
+Monsieur, dans la galerie, là-haut, quelques-unes de ses
+batailles en peinture... Ah! c'était un homme terrible!
+Toujours la hache d'abordage à la main! Ah! il en a fait voir
+de cruelles aux Anglais, celui-là, je vous en réponds. Aussi,
+ils ne l'aimaient pas... Ah çà, ils ne l'aimaient pas! S'ils
+l'avaient tenu...
+
+
+MAXIME.
+
+Enfin, ils n'ont pas pu le prendre.
+
+
+ALAIN.
+
+Oh! jamais, Monsieur! ça leur était défendu!... Ah! c'était un
+homme terrible!... et encore à présent... tenez, Monsieur, il
+y a des moments, comme ça, où il se promène tout seul, le
+soir, dans la galerie, en rêvant tout haut à ses batailles et
+aux Anglais... car il a des espèces d'absences par instants...
+Eh bien! il me fait peur, à moi, Monsieur. Je n'en suis pas
+maître... il me fait peur!
+
+
+MAXIME.
+
+Ah!
+
+
+ALAIN.
+
+Le voilà, Monsieur.
+
+
+MAXIME, à part.
+
+Pauvre vieillard, il n'a pas l'air si terrible!
+
+
+SCENE V.
+
+
+LES MEMES, MARGUERITE, M. LAROQUE.
+
+
+MARGUERITE.
+
+Par ici, mon père... là! (Elle le fait asseoir. -- A Maxime.)
+C'est mon grand-père, Monsieur. (A M. Laroque.) M. Odiot, le
+nouvel intendant, mon père.
+
+
+M. LAROQUE, s'asseyant. Il regarde Maxime, et paraît
+subitement étonné, inquiet; Maxime, surpris de ce regard, se
+tait.
+
+Bien, bien, mon enfant... Bonjour, Monsieur, bonjour.
+
+
+MARGUERITE, après une pause.
+
+Mais, Monsieur, veuillez parler, dites quelque chose.
+
+
+MAXIME, avec embarras.
+
+Mon Dieu! Mademoiselle...
+
+
+MARGUERITE.
+
+Mais parlez donc. (A son père.) M. Odiot, le nouvel intendant,
+mon père.
+
+
+MAXIME.
+
+Monsieur, je suis heureux de pouvoir vous consacrer mes
+services.
+
+
+M. LAROQUE, le regardant toujours avec un air d'égarement
+croissant.
+
+Mais il est mort!
+
+
+MAXIME, s'adressant à Marguerite.
+
+Comment?
+
+
+MARGUERITE.
+
+L'autre intendant. (Elle fait signe à Maxime de continuer.)
+
+
+MAXIME.
+
+Ah! -- d'autant plus heureux, Monsieur, que j'ai souvent
+entendu citer vos glorieux faits d'armes, et que je compte
+moi-même dans ma famille des marins qui, comme vous, ont eu
+souvent l'honneur de combattre les Anglais....
+
+
+M. LAROQUE, se dressant.
+
+Ah! les Anglais! Oui! ce sont eux... Mais ils l'ont payé. Il y
+a du sang, je ne veux pas...
+
+
+MARGUERITE.
+
+Mon père!... (A Maxime.) Veuillez vous retirer, Monsieur...
+Allez rejoindre ma mère.
+
+
+MAXIME, après s'être incliné, à part.
+
+Joli début! (Il sort.)
+
+
+SCENE VI.
+
+
+MARGUERITE, M. LAROQUE.
+
+
+MARGUERITE.
+
+Mon père!... mon père!... Quelles pensées vous troublent!...
+Voyons! revenez à vous... c'est moi... Marguerite... votre
+fille...
+
+
+M. LAROQUE, revenant à lui peu à peu.
+
+Toi... c'est toi... petite... oui... Eh bien, quoi? qu'y
+a-t-il?... Tu es seule... Qui était donc là, tout à l'heure?
+
+
+MARGUERITE.
+
+C'était notre nouveau régisseur, mon père, M. Maxime Odiot.
+
+
+M. LAROQUE.
+
+Maxime Odiot?... je ne connais pas... C'est bizarre... il
+m'avait semblé connaître ce visage. Je suis si vieux, ma
+fille... J'ai connu tant de monde... Il y a tant de visages
+qui passent comme des fantômes dans ma pauvre mémoire
+séculaire... Eh bien, ce jeune homme, il a l'air très-comme il
+faut, il me semble.
+
+
+MARGUERITE.
+
+Oui, mon père.
+
+
+M. LAROQUE.
+
+Je crois qu'il me plaira. Fait-il le piquet?
+
+
+MARGUERITE.
+
+Je ne sais pas encore, mon père.
+
+
+M. LAROQUE, riant.
+
+Espérons-le, ma fille, espérons-le. (Madame Aubry arrive à la
+hâte)
+
+
+SCENE VII.
+
+
+LES MEMES, MADAME AUBRY.
+
+
+MADAME AUBRY.
+
+Eh bien, comment vous trouvez-vous, mon cher cousin? On vient
+de me dire que vous étiez souffrant... et je suis accourue
+plus morte que vive...
+
+
+M. LAROQUE, un peu railleur.
+
+Trop bonne, cousine, trop bonne... Ce n'était rien... un peu
+de faiblesse.
+
+
+MADAME AUBRY.
+
+Ah! tant mieux! tant mieux!... Venez faire un tour sur la
+terrasse... Cela vous fera du bien... Prenez mon bras, je vous
+en prie.
+
+
+M. LAROQUE.
+
+Soit! je veux bien... Allons! (A Marguerite.) Au revoir, ma
+chérie... (Se retournant.) Demande-lui s'il fait le piquet.
+
+
+MARGUERITE.
+
+Oui, grand-père.
+
+
+M. LAROQUE.
+
+Espérons-le!
+
+
+MADAME AUBRY, pendant qu'elle s'éloigne soutenant M. Laroque.
+
+Appuyez-vous, appuyez-vous.
+
+
+SCENE VIII.
+
+
+MARGUERITE, un instant seule, puis MAXIME, MADAME LAROQUE,
+MADEMOISELLE HELOUIN, BEVALLAN, et les jeunes filles qui
+restent au fond.
+
+
+MARGUERITE, seule.
+
+Cette scène me fait mal... et puis elle m'a troublée... Ces
+paroles étranges... Ah! c'est la faiblesse d'esprit d'un
+vieillard!... Vraiment, il y a des moments où j'ai moi-même
+des pensées folles... (Se retournant, elle aperçoit sa mère
+qui revient donnant le bras à Maxime et paraissant engagée
+avec lui dans une conversation animée.) Comment! ma mère donne
+le bras à ce monsieur? (Entrent Maxime et madame Laroque,
+Bévallan, mademoiselle Hélouin et les jeunes filles restent en
+vue sur la terrasse.)
+
+
+MADAME LAROQUE, d'un ton très-gracieux, à Maxime.
+
+Exactement comme moi, Monsieur! exactement mon impression!
+C'est extraordinaire comme nous nous rencontrons! (Quittant
+son bras et le saluant.) Monsieur!... (Maxime reste un peu en
+arrière, parcourant des brochures; madame Laroque descend vers
+sa fille, et lui dit:) Tu es étonnée, ma fille... n'est-[ce]
+pas? Eh bien, je le suis encore plus que toi!... Il est tout à
+fait homme du monde, ce jeune homme... Il cause très-bien...
+et puis il a beaucoup voyagé... et, chose extraordinaire, il a
+exactement ma manière de voir, mes impressions... Enfin, tout
+en babillant, j'ai oublié entièrement sa position, et je lui
+ai pris le bras sans y penser... Entre nous, ma fille, je
+crois bien que c'est un très-mauvais intendant, mais vraiment
+c'est un homme très-agréable. (Elle s'asseoit dans son
+fauteuil à droite.)
+
+
+MARGUERITE.
+
+Tant mieux, ma mère. (Elle reprend sa tapisserie.)
+
+
+BEVALLAN, aux jeunes filles.
+
+Vous voulez donc ma mort, Mesdemoiselles?... Mais enfin, soit!
+je m'exécute! (Il s'avance.) On réclame avec enthousiasme la
+fin de la valse interrompue.
+
+
+MARGUERITE.
+
+Ah! comment? encore! Mais jamais je ne pourrai finir cette
+tapisserie, et il faut que je l'envoie ce soir à Rennes pour
+la faire monter...
+
+
+BEVALLAN.
+
+Ah! en ce cas... je vais perdre ma danseuse, moi! (Il remonte
+vers le fond.)
+
+
+MAXIME.
+
+Mon Dieu! si vous le voulez, Madame, je puis à la rigueur
+jouer une valse ou deux?
+
+
+MARGUERITE, échange un regard de surprise avec sa mère.
+
+Vous nous obligerez, Monsieur. (Maxime se place devant le
+piano et joue.)
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Comment! il touche du piano, maintenant!
+
+
+BEVALLAN, à part.
+
+Singulier intendant! (Allant sur la terrasse.) Mesdemoiselles,
+je suis à vous... mais pas longtemps; car il fait une chaleur
+atroce, vraiment! (Les jeunes filles disparaissent en
+valsant.)
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Ma fille, sais-tu que cela commence à m'inquiéter?
+
+
+MARGUERITE, gravement.
+
+Pourquoi, ma mère? On peu toucher du piano et être honnête
+homme.
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Je ne te dis pas le contraire, mon enfant... mais enfin, ce
+n'est pas là un intendant, franchement... jamais je n'oserai
+lui donner mes ordres... et puis comment veux-tu qu'un
+Monsieur comme ça aille trotter en sabots dans les terres
+labourées et dans la boue de nos chemins? c'est impossible!
+(Remarquant tout à coup l'album que Maxime a posé sur un
+guéridon.) Qu'est-ce que c'est donc que cet album-là?
+
+
+MARGUERITE.
+
+Mais il me semble qu'il l'avait à la main quand il est arrivé.
+
+
+MADAME LAROQUE, ouvrant l'album.
+
+Il ne manquait plus que cela... il dessine! et il dessine à
+merveille... Tiens, vois!
+
+
+MARGUERITE.
+
+Oui, c'est bien fait.
+
+
+BEVALLAN.
+
+Ah! ma foi, mesdemoiselles, décidément, je n'y tiens plus! Je
+me rends! Je renonce!... (il se jette dans un fauteuil. A
+Maxime.) Merci, Monsieur, merci bien. Vous avez un vrai
+talent.
+
+
+MAXIME, se levant et le saluant.
+
+Monsieur! (Il quitte le piano.)
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Vous nous pardonnerez notre indiscrétion, M. Odiot... C'est
+vous qui dessinez comme cela?
+
+
+MAXIME.
+
+Madame... je dessine... un peu... mais cet album est bien
+pauvre.
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Pas du tout... Voyez donc, M. de Bévallan... ce petit coin
+sombre, c'est délicieux!
+
+
+BEVALLAN.
+
+Oui, ma foi!... Salvator! tout à fait!
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Où est-ce donc pris, cette vue-là, Monsieur?
+
+
+MAXIME.
+
+C'est, Madame, dans le parc du prince de Villa-Franca, en
+Sicile.
+
+
+BEVALLAN.
+
+De Villa-Franca?... Tiens! j'ai passé par là, moi... Mais je
+n'ai pu voir le parc... je croyais que le prince ne l'ouvrait
+pas aux étrangers?
+
+
+MAXIME.
+
+C'est vrai, Monsieur, en général... (Il s'arrête avec
+embarras.) Mais, Madame, votre bienveillance m'a fait oublier
+trop longtemps mes devoirs! Avec votre permission, je vais
+entrer en fonctions dès ce moment, et aller visiter votre
+ferme de Langoat, dont nous parlions tout à l'heure, et qui
+n'est, je crois, qu'à une lieue d'ici.
+
+
+MADAME LAROQUE, visiblement embarrassée.
+
+Ma ferme de Langoat?... Mais, Monsieur... pardon... c'est
+impossible... Il y a des chemins affreux... Attendez que la
+saison soit plus avancée. (A part.) C'est très-gênant, un
+intendant comme cela.
+
+
+MAXIME, gaiement.
+
+Non, madame, je n'attendrai pas un seul jour... On est
+intendant, ou on ne l'est pas!
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Mais, voyons... Ne pourrait-on pas... (Alain est au fond,
+plaçant une jardinière.) Alain?
+
+
+ALAIN, descendant la scène1 [1. Alain, madame Laroque, Maxime,
+Bévallan, Marguerite.].
+
+On pourrait, madame, atteler pour M. Odiot le vieux berlingot
+du père Yvart... Il n'est pas suspendu, mais...
+
+
+MADAME LAROQUE, qui lui fait signe de se taire.
+
+Non... non!... Est-ce que l'américaine ne passerait pas dans
+le chemin?
+
+
+MAXIME.
+
+Madame, je vous en supplie...
+
+
+ALAIN.
+
+L'américaine, Madame?... Ma foi, non!... Il n'y a pas risque,
+qu'elle y passe... ou si elle y passe, elle n'y passera pas
+tout entière... et encore... je ne crois pas qu'elle y passe!
+
+
+MAXIME.
+
+Je vous proteste, Madame, que j'irai parfaitement à pied.
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Je vous assure, Monsieur, que je ne le souffrirai pas... Mais
+voyons donc... nous avons bien une demi-douzaine de chevaux de
+selle qui ne demandent qu'à se promener... mais probablement
+nous ne montez pas à cheval?
+
+
+MAXIME.
+
+Je vous demande pardon, madame; mais, véritablement...
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Alain, faites seller un cheval... Lequel, dis, Marguerite?
+
+
+BEVALLAN.
+
+Donnez Proserpine?
+
+
+MARGUERITE.
+
+Non, non! pas Proserpine! gardez-vous-en bien!
+
+
+MAXIME.
+
+Et pourquoi pas donc, Mademoiselle?
+
+
+MARGUERITE.
+
+Parce qu'elle vous jetterait par terre, Monsieur.
+
+
+MAXIME, souriant.
+
+Oh! si ce n'est que cela, ne craignez rien... vous pouvez
+faire seller Proserpine, Alain. (Alain sort. A Bévallan.) Est-ce
+que celle bête est si terrible?
+
+
+BEVALLAN.
+
+Oh! non! pas tant! Un peu verte au montoir, simplement! Mais
+quand une fois on est dessus, si on y reste, ça va bien...
+Voulez-vous des éperons? j'en ai une paire à votre service.
+
+
+MARGUEITE, à demi-voix, d'un ton de reproche, à Bévallan.
+
+Monsieur de Bévallan! (Bévallan s'éloigne et se dirige vers la
+fenêtre.)
+
+
+MAXIME.
+
+Je vous suis obligé, Monsieur; j'accepte.
+
+
+BEVALLAN, à la fenêtre de gauche.
+
+Donnez mes éperons à Monsieur!
+
+
+MAXIME, saluant.
+
+Mesdames! (Il s'éloigne.)
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Vous nous ferez l'honneur de dîner avec nous, Monsieur?
+
+
+MAXIME.
+
+Madame! (Il sort.)
+
+
+BEVALLAN.
+
+Singulier intendant!
+
+
+SCENE IX.
+
+
+LES MEMES, excepté MAXIME.
+
+
+MARGUERITE.
+
+Monsieur de Bévallan, je ne vous comprends pas... vous voulez
+donc qu'il se tue?
+
+
+BEVALLAN, se rapprochant un peu.
+
+Laissez donc, Mademoiselle!
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Comment! Mais s'il y a du danger, je n'entends pas du tout,
+moi!...
+
+
+BEVALLAN.
+
+Aucun danger, Madame... D'ailleurs, c'est sur l'herbe... et
+puis, franchement, il mérite une petite leçon!
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Et pourquoi donc?
+
+
+BEVALLAN.
+
+Il est trop avantageux. -- Ne veut-il pas nous faire croire
+qu'il est l'ami du prince de Villa-Franca, à présent!
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Mais il n'a pas dit un mot de ça!... c'est vous qui le
+poussez!... Ah çà, s'il y a du danger, je veux qu'on le
+rappelle! (Elle va vers la fenêtre, où Marguerite
+l'accompagne1 [1. Madame Laroque, Marguerite, près de la
+fenêtre, Bévallan un peu en retour, mademoiselle Hélouin.].)
+
+
+BEVALLAN, à la fenêtre.
+
+Soyez donc tranquille, Madame!... Tenez, la voilà... voyez...
+c'est un vrai mouton... Ah! par exemple, s'il la touche!...
+Voyons, je parie dix louis contre un qu'il ne peut pas se
+mettre en selle? Personne ne tient?
+
+
+MARGUERITE.
+
+Moi, si vous voulez.
+
+
+BEVALLAN.
+
+Soit, Mademoiselle...
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Monsieur de Bévallan, je n'aime pas du tout cette
+plaisanterie... je suis au martyre!...
+
+
+BEVALLAN.
+
+Ah! il met le pied à l'étrier... Bon! paf! patapan! en voilà
+une ruade! Elle ne lui fera pas de mal, allez! seulement, il
+ne montera pas, voilà tout!... il ne montera pas! paf!
+encore!... vous avez perdu, Mademoiselle.
+
+
+MARGUERITE, tout à coup.
+
+J'ai gagné.
+
+
+BEVALLAN.
+
+Comment! en selle... sans toucher l'étrier! Eh bien, alors
+c'est un clown! c'est un clown! faites-lui de la musique! il
+va danser!
+
+
+MARGUERITE.
+
+Vous avez beau dire: il est notre maître... (Elle applaudit,
+et les autres femmes battent aussi des mains.)
+
+
+BEVALLAN, applaudissant.
+
+Oui, ma foi, c'est très-bien! bravo! bravo!... (Se
+retournant.) Il me déplaît passablement, ce monsieur!
+
+
+MADAME LAROQUE, à Bévallan.
+
+Je ne sais pas pourquoi, mais je l'adore, moi, ce garçon-là.
+
+
+BEVALLAN.
+
+N'est-ce pas? Il est adorable! adorable!...
+
+
+MARGUERITE, rêveuse, à part.
+
+Qu'est-ce que c'est que ce jeune homme?
+
+
+MADEMOISELLE HELOIN, de même.
+
+Quand donc ai-je rêvé que j'étais marquise?
+
+
+FIN DU PREMIER ACTE.
+
+
+
+
+ACTE DEUXIEME
+
+
+IIIe TABLEAU
+
+
+Une espèce de rond-point, ou de carrefour dans le parc du
+château de Laroque. La futaie est percée par plusieurs allées;
+sous les arbres, au fond, un dolmen très-apparent. Un banc de
+pierre au pied d'un arbre à gauche. Chaises et bancs
+rustiques.
+
+
+SCENE I.
+
+
+MAXIME, ALAIN, portant une chaise rustique et une espèce de
+guéridon.
+
+
+MAXIME, un album sous le bras.
+
+Mettez ce pliant ici; puisque je n'ai rien de mieux à faire
+cette après-midi, je m'en vais dessiner ces arbres et ce
+dolmen.
+
+
+ALAIN.
+
+Ah! oui... le dolmen... M. le curé aurait bien voulu le faire
+enlever d'ici.
+
+
+MAXIME.
+
+Et pourquoi cela?
+
+
+ALAIN.
+
+Ah! monsieur, parce qu'il y a encore des vieilles gens qui ont
+une idée sur ces tas de pierres et qui viennent s'agenouiller
+autour. C'est ce qui faisait que M. le curé... Mais
+mademoiselle Marguerite n'a jamais voulu... Elle dit que
+c'était le plus bel ornement du parc... et voilà comment c'est
+resté là.
+
+
+MAXIME1 [1. Alain, Maxime.].
+
+Je crois que vous avez fait ce matin une promenade à cheval
+avec mademoiselle Marguerite, Alain?
+
+
+ALAIN, souriant.
+
+Oui, monsieur.
+
+
+MAXIME, taillant son crayon.
+
+Vous avez bonne mine à cheval, Alain!
+
+
+ALAIN.
+
+Monsieur est trop bon... Mademoiselle a meilleure mine que
+moi... Vraiment, Monsieur, quand j'ai l'honneur d'accompagner
+Mademoiselle...
+
+
+MAXIME.
+
+Est-ce que vous ne l'accompagnez pas toujours, Alain?
+
+
+ALAIN.
+
+Oh! non, Monsieur!... Mademoiselle se promène seule bien
+souvent... C'est une idée de Madame... Madame, qui a été
+élevée dans les Antilles anglaises, à Sainte-Lucie, a voulu
+donner à Mademoiselle l'éducation qui est à la mode dans ces
+pays-là, où il paraît que les jeunes filles, avant leur
+mariage, ont bien plus de liberté que chez nous... Après ça,
+pas de danger, Monsieur, qu'il lui arrive malheur, allez! Elle
+fait tant de charités qu'il n'y a pas de cabane à dix lieues à
+la ronde où on ne la vénère comme un ange!
+
+
+MAXIME, à part.
+
+Etrange fille!
+
+
+ALAIN.
+
+Je disais donc à Monsieur que quand j'ai l'honneur
+d'accompagner Mademoiselle, je passe mon temps à l'admirer.
+Elle a si bonne tournure sur son cheval, avec sa plume noire
+et son air fier... on dirait une reine, Monsieur.
+
+
+MAXIME, dessinant.
+
+Mais pourquoi donc, Alain, est-elle toujours grave et sombre
+comme on la voit?
+
+
+ALAIN.
+
+Ah! voilà, Monsieur, voilà!... Elle était gaie comme un oiseau
+autrefois, et puis, tout d'un coup, ça a changé... Pourquoi?
+On ne sait pas... Moi, je croirais qu'elle a quelque chose
+dans le coeur... Eh! mon dieu, les jeunes filles!...
+
+
+MAXIME.
+
+Mais si vous voulez dire, Alain, qu'elle aime M. de Bévallan,
+il me semble qu'il ne tiendrait qu'à elle de l'épouser?
+
+
+ALAIN.
+
+Ah! certainement, Monsieur, il ne tiendrait qu'à elle, car M.
+de Bévallan l'a demandée assez de fois; et il faut dire que
+d'un côté ce serait un bon mariage... puisque M. de Bévallan
+est, après les Laroque, le plus riche du pays... Aussi, quand
+Monsieur est arrivé au château, il y a trois mois, on disait
+que Mademoiselle avait consenti... et puis, tout d'un coup
+elle s'est ravisée et a encore demandé du temps pour
+réfléchir.
+
+
+MAXIME.
+
+Vous devez désirer ce mariage, Alain...
+
+
+ALAIN.
+
+Pourquoi?
+
+
+MAXIME.
+
+
+de Bévallan a un beau nom, et vous qui avez un faible pour la
+noblesse...
+
+
+ALAIN.
+
+Mon Dieu! Monsieur, j'ai un faible pour la noblesse... c'est
+vrai... parce que j'ai été élevé dans ces idées-là... et
+qu'avant de servir ces dames, j'avais toujours servi dans la
+noblesse... aussi pourquoi ai-je tant de plaisir à servir
+Monsieur? Parce que Monsieur a l'air gentilhomme.
+
+
+MAXIME.
+
+Oh! vous me flattez, Alain.
+
+
+ALAIN.
+
+Non, Monsieur, vous avez l'air gentilhomme, moralement et
+physiquement. Eh bien, je dis moi qu'il vaut mieux avoir l'air
+gentilhomme et ne l'être pas, que de l'être, et de ne pas en
+avoir l'air... Ainsi voilà M. de Bévallan qui dit qu'il aime
+mademoiselle Marguerite, qu'il veut l'épouser, et Monsieur
+peut voir comme moi qu'en attendant il ne se gênerait pas pour
+faire le sultan dans le château! il y a mademoiselle
+Hélouin...
+
+
+MAXIME.
+
+Allons, allons, pas de jugements téméraires, Alain!
+
+
+ALAIN.
+
+Sans doute, Monsieur, sans doute... Monsieur a raison,
+Monsieur a raison... (Il s'éloigne de quelques pas, et se
+retournant.) Ah! dommage que Monsieur n'ait pas seulement cent
+mille livres de rente.
+
+
+MAXIME.
+
+Pourquoi cela, Alain?
+
+
+ALAIN, souriant en vieillard.
+
+Parce que... Monsieur n'a plus besoin de moi?
+
+
+MAXIME.
+
+Non, merci, mon ami. (Alain s'éloigne.) Ah! dites-moi... Voilà
+bien de l'encre et une plume... Mais cette lettre... cette
+lettre commencée que je comptais achever ici et que je vous
+avais prié d'apporter?
+
+
+ALAIN.
+
+Monsieur, je ne l'ai pas trouvée.
+
+
+MAXIME.
+
+Comment? mais je l'avais laissée sur mon bureau tout à fait en
+évidence.
+
+
+ALAIN.
+
+Monsieur... j'ai eu beau retourner les papiers.
+
+
+MAXIME.
+
+Tiens!... Où diable ai-je pu la mettre? je vais la chercher.
+
+
+ALAIN, lui prenant l'album des mains.
+
+Monsieur me permet de jeter un coup d'oeil sur ses plans
+pendant ce temps-là?
+
+
+MAXIME.
+
+Certainement. (Il s'éloigne à gauche.)
+
+
+SCENE II.
+
+
+ALAIN, seul un moment, puis BEVALLAN et MADEMOISELLE HELOUIN
+arrivant par le fond à droite.
+
+
+ALAIN, seul.
+
+Ah! brave jeune homme!... lui et mademoiselle, deux vraies
+créatures du bon Dieu! seulement ils ne peuvent pas se
+souffrir tous les deux... Quand l'un va à droite, l'autre va à
+gauche; quand l'un dit blanc, l'autre dit noir... En tout cas
+ça serait impossible! ainsi tout est pour le mieux...
+(Apercevant Bévallan et Mademoiselle Hélouin. ) Bon, voilà les
+autres... Encore ensemble. (Bévallan et Mademoiselle Hélouin
+entrent en scène par la droite, deuxième plan; Alain sort à
+droite, premier plan.)
+
+
+BEVALLAN.
+
+C'est de la barbarie, Mademoiselle, de la barbarie, tout
+bonnement!
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN, riant.
+
+M. de Bévallan, quel homme êtes-vous donc, voyons? car je n'y
+comprends plus rien.
+
+
+BEVALLAN, légèrement.
+
+Quel homme je suis, Mademoiselle? mais je suis un aimable
+scélérat.
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+Scélérat, je le crois; mais... aimable; si on entend par là
+digne d'être aimé, c'est une autre question.
+
+
+BEVALLAN.
+
+Mais c'est abominablement dur, cela, Mademoiselle! Savez-vous
+que vous m'affligez sérieusement.
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+Enfin, voyons, Monsieur, pourquoi me faites-vous la cour?
+
+
+BEVALLAN.
+
+Parce que je vous aime.
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+Et c'est pour la même raison que vous voulez épouser
+Marguerite.
+
+
+BEVALLAN.
+
+Mademoiselle Marguerite!... Et où prenez-vous que je veuille
+l'épouser?
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+Comment! vous demandez sa main tous les huit jours.
+
+
+BEVALLAN.
+
+Eh! mon Dieu! c'est... par... contenance! pour avoir un pied
+dans le château.
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+Oh! persuadez-moi cela.
+
+
+BEVALLAN.
+
+Ah! Mademoiselle, je vois avec peine que vous ne connaissez
+pas le coeur de l'homme.
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+C'est qu'au contraire j'ai grand'peur de le connaître, le coeur
+de l'homme!
+
+
+BEVALLAN.
+
+Vous ne connaissez pas le mien, en tout cas. Eh! mon Dieu!
+Certainement, je ne le nie pas... la raison me conseillerait
+d'épouser mademoiselle Marguerite, mais le coeur n'est peut-être
+pas du même avis... et quand le coeur parle contre la
+raison, il court grand risque de triompher, Mademoiselle,
+surtout chez moi, qui ai toujours été le jouet de mes
+sentiments, qui suis un homme d'inspiration! Car on ne me
+connaît réellement pas. Je suis au fond d'une naïveté presque
+incroyable pour mon âge! J'ai encore toute l'ardeur
+irréfléchie, toute la démence de la vingtième année. Enfin, je
+suis capable, moi, encore aujourd'hui, d'enlever une jeune
+fille par une fenêtre et de me sauver avec elle dans les
+savanes d'Amérique, dans les pampas!
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+Eh bien, je ne crois pas ça.
+
+
+BEVALLAN.
+
+Vous ne croyez pas ça?
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+Du tout.
+
+
+BEVALLAN.
+
+Mais enfin, au nom du ciel, que faudrait-il faire pour vous
+convaincre...
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+Il faudrait le faire. (Bévallan paraît un peu décontenancé;
+elle part d'un éclat de rire.) Bonjour, monsieur de Bévallan,
+je vais faire ma provision de fleurs pour ce soir... A revoir,
+Monsieur. (Elle sort à droite.)
+
+
+BEVALLAN, seul.
+
+Elle est très-amusante; elle me pique, ma foi! Je vais me
+faufiler par là et la rejoindre dans le jardin. (Il sort par
+le fond.)
+
+
+SCENE III.
+
+
+ALAIN, qui est entré en scène avant la sortie de Bévallan,
+puis MAXIME.
+
+
+ALAIN, seul.
+
+Je ne sais pas ce qu'ils se disent... mais je m'en méfie de
+cette demoiselle-là, je m'en suis toujours méfié d'ailleurs...
+(Entre Maxime à gauche.) Ah! eh bien, Monsieur, cette lettre?
+
+
+MAXIME.
+
+Je ne l'ai pas trouvée, je n'y comprends rien. Heureusement
+elle était insignifiante... C'était une lettre à Laubépin...
+Il n'y a pas grand mal...
+
+
+ALAIN.
+
+C'est égal, si je la retrouve en rangeant, je viendrai
+l'apporter à Monsieur...
+
+
+MAXIME.
+
+Bien, merci... mon ami. (Il dessine. Alain sort à gauche.)
+
+
+SCENE IV.
+
+
+MAXIME, MADEMOISELLE HELOUIN, revenant à droite et portant des
+fleurs.
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+Ah! vous voilà, Monsieur? quel miracle!
+
+
+MAXIME, saluant.
+
+Mademoiselle!
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+Vous dessinez? moi, je viens de cueillir quelques fleurs pour
+me coiffer ce soir... Vous savez que nous avons un bal ce soir
+chez madame de Castennec?
+
+
+MAXIME.
+
+Je l'ignorais.
+
+
+MADEMOISELLE HELUOIN.
+
+Au fait, vous ne savez rien de ce qui se passe, vous. (Elle
+pose ses fleurs sur le banc, à gauche, et en garde seulement
+quelques-unes dont elle s'occupe à détacher les feuilles
+fanées tout en parlant.)
+
+
+MAXIME.
+
+Je suis si souvent absent! mon métier m'y oblige.
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+Oh! et puis vous êtes sauvage!
+
+
+MAXIME.
+
+Je ne suis pas sauvage; seulement, je me tiens à ma place...
+pour qu'on ne soit jamais tenté de m'y remettre.
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN, étonnée de sa froideur.
+
+Monsieur Maxime?
+
+
+MAXIME.
+
+Mademoiselle?
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+Qu'est-ce que j'ai dit, ou qu'est-ce que j'ai fait qui vous
+ait déplu?
+
+
+MAXIME.
+
+Mais, rien, Mademoiselle, pourquoi?
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+Parce que vous paraissiez autrefois avoir un peu d'amitié pour
+moi.
+
+
+MAXIME, plus ouvert.
+
+J'en ai toujours, Mademoiselle... et ce sentiment de ma part
+est tout naturel... notre état de fortune n'est-il pas le
+même, ou à peu près? Nous sommes tous deux déshérités des
+biens de ce monde... isolés... sans appui, sans amis: pour une
+femme cette situation, je le sais, a plus d'ennuis, plus de
+dangers encore qu'elle n'en a pour moi! Aussi, vous pouvez
+compter sur la sympathie très-sincère, et je regrette
+seulement de ne pouvoir vous en offrir d'autre témoignage que
+quelques conseils... qui peut-être seraient mal reçus.
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+Je vous assure que non! parlez, je vous en prie.
+
+
+MAXIME, avec bonté.
+
+C'est que c'est terrible, ce que j'ai à vous dire!
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+C'est égal, parlez.
+
+
+MAXIME.
+
+Eh bien, mademoiselle, vous êtes charmante, mais vous avez un
+défaut.
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+Un seul? Mais vous m'enchantez!
+
+
+MAXIME.
+
+Un seul.
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+Nommez-le?
+
+
+MAXIME.
+
+Le faut-il?
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+Je vous en supplie!
+
+
+MAXIME.
+
+Eh bien, vous êtes un peu...
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN, gracieusement.
+
+Quoi?
+
+
+MAXIME.
+
+Coquette, n'est-ce pas?
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+Je ne m'en suis jamais aperçue.
+
+
+MAXIME.
+
+Eh bien, faites-y attention... vous verrez! (Mademoiselle
+Hélouin, un peu intimidée, baisse la tête. -- Il continue avec
+grâce et bonté.) Mademoiselle, c'est là un travers... bien
+léger... et bien innocent... mais, hélas! nous sommes
+condamnées à la perfection, nous deux... ce qui serait
+innocent chez d'autres, chez nous est coupable... En ce monde,
+tous les malheureux sont des suspects...
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN, relevant la tête après une pause.
+
+Vous êtes bon, monsieur Maxime... Vous êtes un véritable ami.
+
+
+MAXIME.
+
+J'essaie, Mademoiselle.
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+Mais un ami, comment?
+
+
+MAXIME.
+
+Véritable, vous l'avez dit.
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+Sérieusement?... un ami qui m'aime... Voyons. (Elle effeuille
+les pétales d'une fleur d'oranger.) Un peu?
+
+
+MAXIME, devinant.
+
+Mais sans doute.
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN, très-coquette.
+
+Beaucoup?
+
+
+MAXIME, surpris du ton de mademoiselle Hélouin, lève la tête.
+
+Non! (Mademoiselle Hélouin jette avec dépit la fleur
+d'oranger. -- Madame Aubry paraît à gauche.)
+
+
+SCENE V.
+
+
+LES MEMES, MADAME AUBRY.
+
+
+MADAME AUBRY.
+
+Ah! mademoiselle Hélouin, Marguerite vous cherchait... elle
+attend des fleurs pour faire une couronne, je crois.
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+Bien, Madame, j'y vais... (A Maxime.) Nous restons bons amis,
+j'espère? (Elle lui tend la main.)
+
+
+MAXIME, saluant et prenant la main de mademoiselle Hélouin.
+
+Pour mon compte, Mademoiselle, n'en doutez pas. (Elle sort à
+droite.)
+
+
+SCENE VI.
+
+
+MAXIME, MADAME AUBRY.
+
+
+MADAME AUBRY, regardant par-dessus l'épaule de Maxime.1 [1.
+Maxime, Madame Aubry.]
+
+Vous faites quelque chose de bien joli, là, Monsieur.
+
+
+MAXIME.
+
+Vous trouvez, Madame?
+
+
+MADAME AUBRY.
+
+Oui, ça me rappelle mon portrait... (Maxime la regarde avec
+étonnement.) que j'avais fait faire quand j'étais riche... ça
+me coûtait les yeux de la tête... deux mille francs;... mais
+c'est que c'était un artiste très-connu qui l'avait fait; je
+ne me rappelle pas au juste si c'était Delaroche ou Jadin1 [1.
+Madame Aubry, Maxime.].
+
+
+MAXIME, gravement.
+
+Ce devait être Jadin, Madame.
+
+
+MADAME AUBRY.
+
+Je ne me rappelle pas; mais, dites-moi, monsieur Maxime,
+savez-vous que je trouve mon pauvre cousin Laroque très
+baissé, moi... je l'ai vu ce matin... il avait la parole
+très-embarrassée.
+
+
+MAXIME.
+
+Oui, Madame, je crains beaucoup que dans un avenir prochain...
+
+
+MADAME AUBRY.
+
+Ah! Monsieur, quel malheur pour moi quand je me verrai
+abandonnée à la charité des étrangers... à moins que M.
+Laroque n'ait bien voulu penser à moi... et je le mériterais
+bien, je crois, après toutes les peines que je me suis
+données... Vous ne savez pas, par hasard, monsieur Maxime,
+s'il a fait quelques dispositions?
+
+
+MAXIME.
+
+Je n'en sais rien, Madame.
+
+
+MADAME AUBRY.
+
+Cependant, il vous aime beaucoup... vous avez toute sa
+confiance; il ne ferait rien sans vous consulter.
+
+
+MAXIME.
+
+J'ai eu le bonheur en effet de lui rendre mes services
+agréables.
+
+
+MADAME AUBRY.
+
+Moi... je ne demanderais pas grand'chose... de quoi vivre
+indépendante seulement. (Confidentiellement.) Eh bien,
+monsieur Maxime, voyons...
+
+
+MAXIME.
+
+Quoi, Madame?
+
+
+MADAME AUBRY.
+
+Vous n'auriez pas affaire à une ingrate, je vous assure; vous
+seriez content de moi.
+
+
+MAXIME, très-tranquillement.
+
+Madame Aubry, je crains de vous comprendre: si vous m'offrez
+de l'argent pour vous aider à dépouiller, en partie du moins,
+vos bienfaitrices et les miennes, eh bien, je ne veux pas.
+Voilà tout.
+
+
+MADAME AUBRY, après un mouvement marqué de dépit.
+
+Mais, monsieur Maxime, je ne l'entends pas du tout comme
+cela... Je voulais seulement vous prier de ne pas me nuire...
+
+
+MAXIME.
+
+Je ne nuis à personne volontairement, Madame.
+
+
+MADAME AUBRY.
+
+Eh bien, c'est tout ce que je demande... vous voyez... Il
+suffit de s'entendre... nous ne sommes plus fâchés...
+
+
+MAXIME.
+
+Nous ne l'avons jamais été, Madame.
+
+
+MADAME AUBRY.
+
+Nous restons bons amis, n'est-ce pas?
+
+
+SCENE VII.
+
+
+MES MEMES, BEVALLAN.
+
+
+BEVALLAN, arrivant à droite.
+
+Ma chère madame Aubry, M. Laroque réclame vos soins... je suis
+chargé de vous le dire.
+
+
+MADAME AUBRY.
+
+Bien! bien! j'y cours!
+
+
+BEVALLAN, lui prenant les deux mains comme elle passe.
+
+Chère madame Aubry! toujours dévouée, toujours prête à
+obliger! Ah! quand les femmes sont bonnes, elles sont
+excellentes! Mais aussi on les aime, vous savez qu'on les
+aime, j'espère, madame Aubry? Allons, à bientôt, chère Madame!
+
+
+MADAME AUBRY.
+
+A bientôt. (Elle sort à gauche.)
+
+
+SCENE VIII.
+
+
+MAXIME, BEVALLAN.
+
+
+BEVALLAN.1 [1. Maxime, Bévallan.]
+
+Ah! sapristi! que c'est délicieux, ce que vous faites là!
+
+
+MAXIME.
+
+Vous êtes indulgent.
+
+
+BEVALLAN.
+
+Non, vous avez un coup de crayon, vraiment!... Ah çà, il
+paraît qu'il va mal aujourd'hui, ce pauvre bonhomme?
+
+
+MAXIME.
+
+Oui... la paralysie le gagne.
+
+
+BEVALLAN.
+
+Oh! là, là! Ah! que ça fait bien cet arbre!... Il serait temps
+cependant, dites-moi, qu'il pensât à ses affaires?
+
+
+MAXIME.
+
+Je suppose qu'il y a pensé.
+
+
+BEVALLAN.
+
+Croyez-vous?
+
+
+MAXIME.
+
+Je suppose.
+
+
+BEVALLAN.
+
+Ah çà, j'espère bien qu'il n'a pas fait de legs à cette
+affreuse harpie qui sort d'ici.
+
+
+MAXIME.
+
+J'ignore!
+
+
+BEVALLAN.
+
+Ce serait atroce! Vous connaissez la créature... vous savez à
+quel point elle est indigne de toute espèce de sympathie! (Il
+prend une chaise et s'assied près de Maxime.1 [1. Bévallan,
+Maxime.] )
+
+
+MAXIME.
+
+Elle m'en inspire peu.
+
+
+BEVALLAN.
+
+Bravo! alors, si vous êtes consulté...
+
+
+MAXIME.
+
+Oh! je ne le serai pas.
+
+
+BEVALLAN, s'asseyant.
+
+Si, si, vous le serez... il vous porte dans son coeur... il
+vous consultera... et même, tenez, vous pouvez dans la
+circonstance être utile à mademoiselle Marguerite.
+
+
+MAXIME, avec intérêt.
+
+Comment cela?
+
+
+BEVALLAN.
+
+Mon Dieu, mon cher monsieur Maxime, je m'en vais m'ouvrir
+très-franchement avec vous là-dessus. Vous n'ignorez pas ma
+situation dans la maison... mon mariage avec mademoiselle
+Marguerite est à peu près arrêté; par conséquent, c'est un
+devoir pour moi de veiller aux intérêts de la jeune personne,
+et de vous les recommander... Eh bien, il serait très-désirable,
+en premier lieu, que madame Aubry fût complètement
+distancée... ensuite, j'ignore quel douaire M. Laroque compte
+assurer à madame Laroque, ma future belle-mère... Mais vous la
+connaissez comme moi... c'est une femme excellente, que j'aime
+et que j'estime profondément... mais enfin elle a des goûts
+très-simples: elle vivrait de rien... un gros douaire
+l'embarrasserait...
+
+
+MAXIME.
+
+Monsieur, je ne sais pas bien où vous voulez en venir! mais je
+vous dirai nettement que toute intervention de ma part dans
+les volontés testamentaires de M. Laroque me paraîtrait un
+abus grave de la confiance qu'on me témoigne ici.
+
+
+BEVALLAN, indécis.
+
+Ah! voilà comment vous répondez à la mienne?
+
+
+MAXIME.
+
+Monsieur, je ne vous l'ai pas demandée!
+
+
+BEVALLAN.
+
+Eh bien, bravo! touchez-là! c'est un trait d'honnête homme!
+Vous m'avez mal compris... mais c'est un trait d'honnête
+homme; vous ne m'avez pas compris du tout. (Se levant.) Ah çà,
+je vous laisse travailler. Mais comptez sur ce que je vous
+dis... je ne vous en estime que davantage... et mon amitié
+vous est acquise.
+
+
+MAXIME.
+
+Monsieur!
+
+
+BEVALLAN.
+
+A tout à l'heure! Ne vous dérangez pas! ne vous dérangez pas.
+(Il sort à gauche.)
+
+
+SCENE IX.
+
+
+MAXIME, seul; puis MARGUERITE.
+
+
+MAXIME, seul.
+
+Cela me fait trois amis!... Encore quelques-uns dans ce
+genre-là... et on me mettra à la porte. (Marguerite arrive lentement
+par la gauche, portant des fleurs; il se lève et salue.)
+Mademoiselle!
+
+
+MARGUERITE, avec une nuance de raillerie.
+
+Ah! vous dessinez le dolmen, Monsieur... Au fait, cela doit
+vous charmer, cet endroit-ci! Vous êtes là à merveille pour
+évoquer de poétiques souvenirs. Les Druides en robe blanche...
+Velléda... le gui sacré... Je suis sûre que dans chaque rayon
+de soleil vous croyez voir reluire une faucille d'or.
+
+
+MAXIME.
+
+Oui, Mademoiselle. (Il s'assied.)
+
+
+MARGUERITE, s'asseyant à gauche.
+
+Je vous croyais mort, moi.
+
+
+MAXIME.
+
+Non, pas encore, Mademoiselle.
+
+
+MARGUERITE.
+
+Vous êtes plus rare de jour en jour.
+
+
+MAXIME.
+
+J'ai voyagé toute la semaine dernière.
+
+
+MARGUETITE.
+
+Oh! et puis vous avez une passion qui vous absorbe. Nous
+savons cela... Vous passez presque toutes vos soirées chez
+notre noble cousine, mademoiselle de Porhoët-Gaël!
+
+
+MAXIME.
+
+C'est vrai, Mademoiselle. Et je m'en défends d'autant moins
+que mademoiselle de Porhoët touchant à son quatre-vingt-septième
+printemps, je ne pense pas... Au reste il est très-vrai
+que je l'aime beaucoup... Ses ancêtres ont régné, je
+crois, dans ce pays... elle reste seule de sa race, pauvre et
+vieille... et elle porte si dignement la majesté de son nom,
+celle de l'âge et celle du malheur, que je lui ai voué un
+attachement filial... Au surplus, c'est vous-même et Madame
+votre mère qui me l'avez recommandée.
+
+
+MARGUERITE.
+
+Oh! on ne vous reproche rien... ma mère vous est même
+extrêmement reconnaissante de vos attentions pour celle digne
+femme. (Elle se lève.)
+
+
+MAXIME, souriant.
+
+Et la fille de Madame votre mère?
+
+
+MARGUERITE.
+
+Oh! moi! je m'exalte moins facilement; si vous avez la
+prétention que je vous admire, il faut avoir la bonté
+d'attendre encore un peu. Je sais trop que les actions
+humaines ont généralement deux faces, et que la plus brillante
+n'est pas toujours la plus authentique... Ainsi, mademoiselle
+de Porhoët a encore une sorte de petite fortune, elle n'a pas
+d'héritier, et je ne sais pas du tout, moi...
+
+
+MAXIME, se levant brusquement.
+
+Permettez-moi, mademoiselle, de vous plaindre sincèrement.
+
+
+MARGUERITE.
+
+De me plaindre, monsieur?
+
+
+MAXIME.
+
+Oui, mademoiselle! souffrez que je vous exprime la pitié
+respectueuse que vous m'inspirez.
+
+
+MARGUERITE, avec une colère contenue.
+
+La pitié!
+
+
+MAXIME.
+
+Oui, Mademoiselle, car si le doute et le désenchantement du
+bien sont les fruits les plus amers de l'expérience, rien ne
+mérite plus de compassion qu'un coeur flétri par la défiance
+avant d'avoir vécu.
+
+
+MARGUERITE, violente.
+
+Monsieur... vous ne savez pas de quoi vous parlez!... et vous
+oubliez à qui vous parlez!
+
+
+MAXIME.
+
+C'est vrai, mademoiselle! je parle un peu sans savoir, et
+j'oublie un peu à qui je parle: mais vous m'en avez donné
+l'exemple!
+
+
+MARGUERITE, amèrement.
+
+Il faudrait peut-être vous demander pardon?
+
+
+MAXIME, ferme.
+
+Assurément, Mademoiselle, si l'un de nous deux avait ici un
+pardon à demander, ce serait vous... vous êtes riche, et je
+suis pauvre... vous pouvez vous humilier... je ne le puis pas!
+
+
+MARGUERITE.
+
+Ah! (Elle traverse la scène comme pour sortir, puis se
+retournant, elle ajoute avec un geste d'humilité hautaine.) Eh
+bien! pardon! (Elle sort à droite.)
+
+
+SCNE X.
+
+
+MAXIME, seul, avec une colère douloureuse.
+
+Elle aussi! ah! c'est mal. Jusqu'ici j'avais remarqué sans
+doute de l'éloignement, de l'antipathie, mais maintenant c'est
+de la haine, de la persécution. Qu'est-ce donc que cette
+enfant? que lui ai-je fait? que lui a fait le monde entier?
+Oh! je ne sais, mais ce que je vois assez clairement, c'est
+qu'elle veut me chasser d'ici! Eh bien...!
+
+
+SCENE XI.
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN, MAXIME, BEVALLAN.
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN, hors de vue.
+
+Alain! Préparez des sièges: madame Laroque va venir s'asseoir
+ici un moment. (Entrant à gauche.) Monsieur Maxime, je vous
+annonce que votre ami, M. Laubépin, vient d'arriver.
+
+
+MAXIME.
+
+Laubépin! ah! merci, Mademoiselle.
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+C'est fini, ce dessin! voyons! c'est parfait!
+
+
+MADAME AUBRY.
+
+Exquis!
+
+
+BEVALLAN.
+
+D'une poésie...
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+Vous m'en donnerez une copie, n'est-ce pas?
+
+
+MAXIME.
+
+Volontiers, Mademoiselle; pardon... (Il sort à gauche.)
+
+
+SCENE XII.
+
+
+BEVALLAN, MADAME AUBRY, MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+
+BEVALLAN.1 [1. Madame Aubry, Bévallan, mademoiselle Hélouin.].
+
+Charmant garçon.
+
+
+MADAME AUBRY.
+
+Charmant.
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+Oh! charmant!
+
+
+BEVALLAN.
+
+Il a tous les talents... tous les mérites... et il est avec
+cela d'une modestie...
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+Et d'une réserve...
+
+
+MADAME AUBRY.
+
+Et d'une complaisance...
+
+
+BEVALLAN.
+
+Il a tout pour lui!
+
+
+LES DEUX FEMMES.
+
+Tout!
+
+
+BEVALLAN.
+
+Absolument tout... Quel dommage qu'il y ait autour de sa
+personne cette espèce de mystère...
+
+
+MADAME AUBRY.
+
+Ah! voilà!... C'est ce que je me dis... c'est ce mystère...
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+Oh! pour du mystère, il y en a...
+
+
+BEVALLAN.
+
+N'est-ce pas!... car enfin il ne faut pas être dupe des
+apparences, non plus... On voit tous les jours comme cela dans
+le monde des gens revêtus des plus beaux dehors, et qui au
+fond ne sont que des...
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+Des aventuriers!...
+
+
+MADAME AUBRY.
+
+Oh! mon Dieu! des chevaliers d'industrie!
+
+
+BEVALLAN.
+
+Hein? Voyons... là... franchement, entre nous, est-ce qu'il ne
+vous fait pas l'effet d'un pur intrigant, ce charmant garçon-là?
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+Moi! j'en ai peur!...
+
+
+MADAME AUBRY, confidentiellement.
+
+Moi, j'en suis sûre!
+
+
+BEVALLAN.
+
+Vous en êtes sûre!... (A mademoiselle Hélouin.) Elle en est
+sûre!... Eh bien, mais, si vous en êtes sûre, madame Aubry...
+savez-vous, dites-moi, que nous aurions là, nous autres vieux
+amis de la famille, un devoir sacré à remplir... celui
+d'ouvrir les yeux de ces dames sur le véritable caractère de
+cet individu... de ce quidam... Mais enfin, madame Aubry,
+êtes-vous bien sûre, voyons?...
+
+
+MADAME AUBRY.
+
+J'ai des preuves!
+
+
+BEVALLAN.
+
+Vous avez des preuves... (A mademoiselle Hélouin.) Il paraît
+qu'elle a des preuves!... Ah! si elle a des preuves... Mais
+enfin, quelles preuves, madame Aubry?
+
+
+MADAME AUBRY.
+
+Mon Dieu!... c'est tout simplement un fragment de lettre...
+que le hasard... le vent, je pense, a fait tomber à mes pieds
+ce matin, comme je passais sous les fenêtres de M. Odiot...
+
+
+BEVALLAN.
+
+Ah! Dieu, madame Aubry!... toujours du bonheur!... elle trouve
+toujours quelque chose!... Eh bien, cette lettre?...
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+Voyons.
+
+
+MADAME AUBRY.
+
+Eh bien!... cette lettre, destinée je crois à M. Laubépin, est
+de nature à édifier complètement ces dames... et en
+particulier Marguerite, sur les projets, sur le
+désintéressement de ce jeune puritain...
+
+
+BEVALLAN.
+
+Bah! Est-ce que par hasard monsieur l'intendant...?
+
+
+MADAME AUBRY, riant.
+
+Tout bonnement!
+
+
+BEVALLAN.
+
+Ah! bravo! c'est fort, ça!
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+Je m'en doutais!
+
+
+MADAME AUBRY.
+
+J'ai cette lettre chez moi... mais je vous avoue que je ne
+sais si je dois... Ce monsieur a pris un tel pied dans la
+maison que j'hésite, moi, dans ma position, à entrer en lutte
+ouverte... D'ailleurs mes chères cousines ont une tournure
+d'esprit si singulière...
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN, regardant à gauche.
+
+Chut!... Marguerite!... (Madame Aubry remonte un peu la
+scène.)
+
+
+BEVALLAN, à mademoiselle Hélouin.
+
+Voyons donc cette lettre, mademoiselle... il ne faut pas ici
+de fausse démarche, vous connaissez notre amie. (Il montre
+madame Aubry.) Elle a de l'esprit comme un prunier...
+exactement... et... (Madame Aubry se rapproche.) N'est-ce pas,
+madame Aubry?...
+
+
+MADAME AUBRY.
+
+Quoi?
+
+
+BEVALLAN.
+
+Montrez ce papier à mademoiselle Hélouin... elle connaît ces
+dames... elle verra si... (Marguerite paraît à gauche,
+rêvant.)
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+Soit!... mais laissez-moi avec elle... je puis toujours
+préparer le terrain. Pauvre enfant! si elle allait tomber dans
+ce piège!...
+
+
+BEVALLAN.
+
+Venez-vous, madame Aubry?... (Il lui prend le bras.) C'est
+incroyable, vous trouvez toujours quelque chose. Vous avez des
+yeux de lynx. (Ils sortent.)
+
+
+SCENE XIII.
+
+
+MARGUERITE, MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+
+MARGUERITE.
+
+Je viens d'assister à une scène touchante.
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+Comment?
+
+
+MARGUERITE.
+
+Oui! M. Laubépin et M. Maxime se sont embrassés avec une
+effusion!
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+Ah?
+
+
+MARGUERITE.
+
+Et maintenant ils causent ensemble avec un feu!... Ne seriez-vous
+pas curieuse, Mademoiselle, de savoir ce que disent ces
+deux mystérieux personnages1 [1. Marguerite assise,
+mademoiselle Hélouin.]?
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+Non; car je m'en doute.
+
+
+MARGUERITE.
+
+Ah! (Elle la regarde.)
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+Mon Dieu! ma chère enfant, vous allez peut-être me reprocher
+de n'avoir pas parlé plus tôt!... mais à tort ou à raison, je
+m'étais fait un devoir jusqu'ici de garder à M. Odiot son
+secret...
+
+
+MARGUERITE.
+
+Son secret?
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+Et ce n'est qu'en voyant ses projets se développer trop
+clairement que je me décide à rompre un silence qui
+deviendrait coupable... Cependant, Mademoiselle, c'est à vous
+seule jusqu'à présent que je crois devoir...
+
+
+MARGUERITE.
+
+Parlez.
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+Pendant le séjour que vous fîtes à Paris, il y a quatre ans,
+vous savez que j'allai voir d'anciennes amies dans la pension
+où j'avais été élevée.
+
+
+MARGUERITE.
+
+Oui. Eh bien?
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+Eh bien, j'eus l'occasion d'y rencontrer plusieurs fois au
+parloir M. Odiot, dont le père s'appelait alors le marquis de
+Champcey d'Hauterive.
+
+
+MARGUERITE.
+
+Ah!
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+On disait déjà, dès cette époque, que cette famille était à
+demi ruinée; maintenant elle l'est tout à fait; le père est
+mort, et le fils a été mis, par un vieil ami de sa famille, en
+situation de recouvrer une belle fortune par des moyens que je
+vous laisse le soin d'apprécier.
+
+
+MARGUERITE, douloureusement.
+
+Oh! (Après une pause.) Mais, Mademoiselle, si je vous
+comprends bien, la conduite de ce jeune homme ne semble guère
+justifier... je le vois à peine... il nous fuit.
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+Ah! son ami Laubépin, qui vous connaît bien, ma pauvre enfant,
+n'aura pas manqué de lui dicter la discrétion politique, la
+réserve calculée, qui vous touchent si fort...
+
+
+MARGUERITE, se levant.
+
+C'est bien, Mademoiselle, c'est assez, je vous remercie.
+(Entre Bévallan donnant le bras à madame Laroque.)
+
+
+SCENE XIV.
+
+
+MARGUERITE, MADEMOISELLE HELOUIN, puis BEVALLAN, MADAME
+LAROQUE, DESMARETS, MADAME AUBRY, ensuite MAXIME et LAUBEPIN.
+
+
+BEVALLAN, entrant par la gauche.
+
+C'est convenu, Madame... c'est l'oiseau rare... le phénix!...
+On le cherchait, vous l'avez trouvé!
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Enfin, que voulez-vous, je l'adore!... (Elle s'asseoit à
+gauche.)
+
+
+BEVALLAN.
+
+Eh bien, épousez-le, chère voisine; épousez-le, mon Dieu!
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Oh! non! Je n'irai pas jusque-là! Soyez tranquille, voisin!
+(Entrent Laubépin et Maxime, à droite.) Eh bien, M. Maxime,
+avez-vous eu plus de succès que moi? Avez-vous décidé ce
+vilain homme à nous rester jusqu'à demain?
+
+
+MAXIME.
+
+Hélas, non, Madame!...
+
+
+LAUBEPIN.
+
+Impossible, Madame... Je suis venu seulement vous serrer la
+main en passant... mais je suis attendu ce soir à Rennes, et
+demain à Paris...
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Eh bien, ne venez pas alors, mon ami! J'aime mieux ne pas vous
+voir positivement...
+
+
+LAUBEPIN, saluant.
+
+Madame...
+
+
+DESMARETS, entrant à droite, donnant le bras à madame Aubry.
+
+Ah! tenez, décidément, madame Aubry, vous me feriez sauter
+par-dessus ces arbres-là, voyez-vous?
+
+
+MADAME AUBRY, qui continue une conversation avec Desmarets.
+
+Bah! vous avez beau dire, docteur... ce sont de belles
+phrases, pas autre chose... (Elle s'assied à droite.)
+L'honneur, la gloire, et tout ça... c'est bon dans les
+romans... Mais moi, j'aime mieux une bonne voiture!
+
+
+DESMARETS, debout derrière elle.
+
+Chacun son goût, Madame!
+
+
+MADAME AUBRY.
+
+Voyez-vous, docteur, il n'y a que l'argent, après tout. Moi,
+j'ai toujours vu dans le monde qu'on respectait les gens, en
+proportion de l'argent qu'ils avaient... Ainsi, moi, on me
+méprise à présent. Oh! je le sais parfaitement! (Elle regarde
+Maxime avec intention.) Mais je m'en console en pensant que si
+je redevenais ce que j'ai été, je verrais à mes pieds, oui, à
+mes pieds, tous les gens qui me méprisent!
+
+
+DESMARTES, brusquement.
+
+Eh bien, excepté moi, Madame! vous auriez cent millions de
+rente que vous ne me verriez pas à vos pieds; je vous en donne
+ma parole d'honneur!
+
+
+MAXIME, gaiement.
+
+Et je vous supplierai, Madame, de vouloir bien faire également
+une exception en ma faveur. (Madame Aubry lève les épaules.)
+
+
+MARGUERITE, avec amertume.
+
+Oh! sans doute! J'étais bien sûre que M. Odiot ne manquerait
+pas cette occasion de protester contre la vulgarité... la
+bassesse de nos idées bourgeoises! L'argent! fi donc! Qu'est-ce
+que c'est que cela, bon Dieu! Les nuages, le ciel bleu, les
+choses idéales, à la bonne heure! Hors de là, il n'y a rien
+qui soit digne d'occuper un instant les pensées d'un poëte,
+d'un artiste comme M. Odiot!
+
+
+MAXIME, avec une fermeté respectueuse.
+
+Mademoiselle, j'ignore absolument en vertu de quel privilège
+je me vois sans cesse honoré de vos railleries à ce sujet...
+Je ne suis pas plus poëte qu'un autre. Seulement, j'en
+conviens, je conçois d'autres plaisirs, d'autres admirations,
+d'autres ambitions en ce monde, que celles dont l'argent peut
+être la source ou l'objet! Je prends la liberté de penser que
+sans être un rêveur, un homme peut s'enthousiasmer quelquefois
+pour quelque chose... pour un beau livre, pour un beau ciel,
+pour une action héroïque! Cette poésie-là, je le crois
+sincèrement, est non-seulement permise à chacun, mais
+commandée!... Je suis confus, Mademoiselle, de ce plaidoyer
+peut-être déplacé, mais ces choses idéales, comme vous les
+appelez, sont les seuls trésors de ceux qui n'en ont pas de
+plus positifs, et on m'excusera d'avoir défendu mon bien. (Il
+se retire de quelques pas, et prenant le bras de Laubépin.)
+Venez, mon ami. (Il s'éloigne et disparaît à droite avec
+Laubépin.)
+
+
+SCENE XV.
+
+
+LES MEMES, excepté MAXIME et LAUPEPIN.
+
+
+BEVALLAN.
+
+Hem! il me semble, Madame, que monsieur votre intendant
+devient bien familier!
+
+
+MADAME AUBRY.
+
+Oh! cela!
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Mais aussi, c'est votre faute à tous!... Vous le provoquez!
+vous le poussez à bout! Et puis enfin il a raison! Moi, je
+suis parfaitement de son avis! (Alain et la petite Christine
+paraissent au fond à gauche.)
+
+
+SCENE XVI.
+
+
+LES MEMES, ALAIN, CHRISTINE, au fond; elle a le costume des
+paysannes bretonnes, des sabots.
+
+
+ALAIN.
+
+Avance donc, petite!
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Eh bien, qu'y a-t-il, Alain?
+
+
+ALAIN.
+
+Madame, c'est cette fillette qui veut absolument parler aux
+gens du château, à ce qu'elle dit.
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Que veut-elle? Approche, mon enfant.
+
+
+BEVALLAN.
+
+Approche donc, jeune pastourelle... Elle est gentillette,
+cette petite.
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Approche, mon enfant? Comment t'appelles-tu?
+
+
+CHRISTINE.
+
+Christine Oyadec, Madame... la fille du père Oyadec,
+l'aveugle.
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Ah! Eh bien, que veux-tu?
+
+
+CHRISTINE, regardant autour d'elle avec curiosité.
+
+Madame... j'étais venue... pour la chose d'hier au soir.
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Qu'est-ce que c'est que la chose d'hier au soir?
+
+
+CHRISTINE.
+
+Madame ne sait donc pas?
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Mais non, je ne sais pas... Parle donc... tu m'intéresses...
+j'adore ces scènes champêtres.
+
+
+CHRISTINE.
+
+C'est que... Madame... nous avons un chien.. un vieux chien
+qui s'appelle Bidoux... le vieux Bidoux...
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Eh bien, quoi,... Bidoux? qu'est-ce qu'il a fait?
+
+
+CHRISTINE.
+
+C'est lui, Madame, qui conduit mon pauvre bonhomme de grand-père
+quand il va chercher son pain...
+
+
+BEVALLAN, riant.
+
+Ah, très-touchant!... Le Convoi du pauvre!...
+
+
+CHRISTINE.
+
+Et, comme nous étions assis tous trois, à la brune, grand-père,
+Bidoux et moi, sur le bord de l'eau, voilà que les
+petits garçons du village, qui sont tous des mauvais gas...
+Ah, Madame! quels mauvais gas ça fait!
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Ils ont jeté ton chien à l'eau, ces petits misérables?
+
+
+CHRISTINE.
+
+Oui, Madame... juste sous l'écluse, et la pauvre bête s'en
+allait se périr sous les roues du moulin, quand voilà un
+monsieur qui passait... (Elle s'arrête tout à coup en
+apercevant Maxime qui reparaît avec Laubépin.)
+
+
+SCENE XVII.
+
+
+LES MEMES, MAXIME, LAUBEPIN.
+
+
+MAXIME, avec colère.
+
+Comment, c'est toi! petite malheureuse. Est-ce que je ne
+t'avais pas défendu... Tu veux donc me rendre tout à fait
+ridicule, voyons?
+
+
+BEVALLAN? riant.
+
+Comment... c'était vous? Ah, bravo! Prix Monthyon, alors!
+
+
+MAXIME, riant avec humeur.
+
+Eh bien! oui, quoi! c'était moi. Je suis le sauveur de Bidoux!
+C'est absurde... Que voulez-vous? Mais cette enfant poussait
+des cris de paon!... (Rires.) Tu vois à quoi tu m'exposes,
+petite sotte!... Allons, va-t'en!... Tu n'as qu'à tomber à
+l'eau, toi, tu peux être tranquille!... Veux-tu t'en aller?
+
+
+MADAME LARQOUE.
+
+Ne la brusquez donc pas, cette enfant! Qu'est-ce que tu veux,
+ma petite? Qu'est-ce que tu venais faire?
+
+
+CHRISTINE, avec embarras.
+
+Madame, c'est que le monsieur s'est ensauvé si vite... je ne
+l'ai pas seulement remercié... et...
+
+
+BEVALLAN.
+
+Oui! Je te vois venir!... voilà ces gens-là! Rendez-leur un
+service et ils vous en demanderont quatre! (Tirant une pièce
+d'or de sa poche.) Allons! tiens! voilà vingt francs!...
+
+
+CHRISTINE.
+
+Je ne vous demande rien, à vous... c'est à Monsieur.
+
+
+MAXIME, furieux.
+
+Enfin! qu'est-ce que tu veux?
+
+
+CHRISTINE.
+
+Monsieur, je voudrais bien vous embrasser. (On rit.)
+
+
+MAXIME.
+
+Petite sotte, va! veux-tu te sauver!
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Voyons, embrassez-la, embrassez-la, je le veux.
+
+
+MAXIME, riant.
+
+Allons! (Il tend la joue à Christine qui l'embrasse gaiement.)
+Elle embrasse bien!
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Et embrasse-moi aussi, ma mignonne. (Elle l'embrasse.)
+
+
+BEVALLAN, voyant Christine s'éloigner.
+
+Et mes vingt francs, prends-les donc!
+
+
+CHRISTINE, les prenant.
+
+Merci, Monsieur.
+
+
+BEVALLAN.
+
+Eh bien, tu ne m'embrasses pas, moi?
+
+
+CHRISTINE.
+
+Ma foi, non!... votre servante... (Elle fait une révérence et
+s'en va suivie par Alain.)
+
+
+SCENE XVIII.
+
+
+LES MEMES, excepté CHRISTINE et ALAIN.
+
+
+Tous se lèvent.
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Tu t'occuperas de ces pauvres gens, n'est-ce pas, Marguerite?
+
+
+MARGUERITE.
+
+Bien, ma mère.
+
+
+MADAME LAROQUE, la prenant à part. Laubépin seul les observe
+et paraît écouter.
+
+Et puis, écoute, ma fille. (Sévèrement.) Je ne suis pas
+contente: tu finiras par chasser ce jeune homme, dont les
+services me sont agréables; pourquoi donc le railler, le
+blesser sans cesse? Un homme qui ne peut te répondre sans
+risquer son pain! ce n'est pas généreux.
+
+
+MARGUERITE.
+
+Ma mère! (Elle regarde Laubépin comme si elle désirait lui
+parler, puis, voyant Maxime près de lui, elle s'éloigne comme
+à regret.)
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Votre bras, Bévallan. (Tous sortent à gauche, excepté Laubépin
+et Maxime.)
+
+
+SCENE XIX.
+
+
+LAUBEPIN, MAXIME.
+
+
+LAUBEPIN, à part.
+
+Maxime ne veut rien dire, il me semble que tout va mal...
+(Haut.) Ah çà, Maxime, que se passe-t-il donc ici?
+
+
+MAXIME.
+
+Mon ami!... je vous écrivais hier une lettre... que votre
+arrivée me dispense d'achever... Je vous disais que ma
+situation dans cette maison n'était pas sans quelque
+amertume... Vous avez pu en juger vous-même. Je vous supplie,
+mon ami, de me tirer d'ici, le plus tôt que vous pourrez.
+
+
+LAUBEPIN.
+
+Ah! Eh bien, mon enfant, j'essaierai.
+
+
+MAXIME.
+
+Je vous en prie; allons, je vous dis adieu, puisque vous
+partez, Laubépin. Moi-même, je suis attendu à Elven, pour une
+coupe de bois.
+
+
+LAUBEPIN.
+
+A Elven... mais, c'est sur ma route... j'ai une voiture... je
+puis vous conduire...
+
+
+MAXIME.
+
+Bravo! Ah! mais, comment reviendrais-je?
+
+
+LAUBEPIN.
+
+C'est juste!
+
+
+MAXIME.
+
+Ma foi, je le regrette, et d'autant plus qu'il y a là, à peu
+de distance... dans les bois... des ruines superbes, dit-on;
+nous aurions vu cela ensemble... Enfin, que voulez-vous!
+Allons, adieu, mon ami, et pensez à moi. (Marguerite revient
+par la gauche, les observant.)
+
+
+LAUBEPIN.
+
+Adieu, Maxime. (Maxime salue Marguerite et sort.)
+
+
+SCENE XX.
+
+
+LAUBEPIN, MARGUERITE.
+
+
+MARGUERITE.
+
+Monsieur Laubépin, je cherchais l'occasion de vous trouver
+seul.
+
+
+LAUBEPIN.
+
+Qu'est-ce qu'il y a, mon enfant? (Il regarde l'heure à sa
+montre.) Dépêchons, la voiture m'attend.
+
+
+MARGUETITE.
+
+Monsieur Laubépin, j'ai toujours cru que vous étiez un honnête
+homme!
+
+
+LAUBEPIN, la regardant étonné.
+
+Moi aussi, Mademoiselle.
+
+
+MARGUERITE.
+
+Cependant, que signifie cette intrigue à laquelle vous vous
+êtes prêté?
+
+
+LAUBEPIN.
+
+Quelle intrigue?
+
+
+MARGUERITE.
+
+Ce jeune homme, cet intendant que vous nous avez envoyé...
+mademoiselle Hélouin l'a rencontré autrefois à Paris... elle
+le connaît... me direz-vous pourquoi il ne porte pas son nom?
+
+
+LAUBEPIN.
+
+Mais il porte son nom, Mademoiselle; le véritable nom de sa
+famille! S'il ne porte pas son titre, c'est par un motif de
+convenance, de juste fierté que vous devez comprendre. Et
+puisqu'il vous déplaît si fort, vous n'avez qu'à lui jeter ce
+titre au visage, vous en serez débarrassée, je vous le
+garantis.
+
+
+MARGUERITE.
+
+Enfin... qu'est-il venu faire ici?
+
+
+LAUBEPIN.
+
+Mais... gagner sa vie, puisqu'il y est réduit. Eh bien, où est
+l'intrigue? Je ne la vois pas, moi! Ce que je vois, c'est que
+vos procédés à l'égard de ce jeune homme sont étranges. Vous
+lui faites acheter cher vos bienfaits, mon enfant. (Fausse
+sortie.)
+
+
+MARGUERITE.
+
+Monsieur Laubépin... je vous crois... je vous remercie... Il
+est si douloureux de croire au mal... Grâce à vous, me voilà
+plus gaie, plus heureuse; je vous aime, monsieur Laubépin!
+
+
+LAUBEPIN, gaiement.
+
+Ah! mon Dieu!... ne dites donc pas cela au moment où je pars,
+Mademoiselle! Ah! c'est cruel! (Il regarde sa montre.) car, je
+pars... je n'ai que le temps de dire adieu à votre mère...
+
+
+MARGUERITE.
+
+Eh bien, savez-vous ce que je vais faire pour vous remercier?
+Je vais prendre mon cheval et vous accompagner un peu sur la
+route.
+
+
+LAUBEPIN.
+
+Ah bah! mon enfant!
+
+
+MARGUETITE.
+
+Cela va me promener...
+
+
+LAUBEPIN.
+
+Non! laissez donc, je ferais trop de jaloux.
+
+
+MARGUERITE.
+
+Je le veux! D'ailleurs, cela m'arrange, je vous assure... Je
+vous conduirai jusqu'à Elven...
+
+
+LAUBEPIN, avec intention, à part.
+
+A Elven?
+
+
+MARGUERITE.
+
+Oui... et puis, je reviendrai par les ruines du vieux
+château... à travers les bois... et cela me fera une promenade
+ravissante.
+
+
+LAUBEPIN, qui semble préoccupé.
+
+Eh bien, dame! ma chère enfant... ce que femme veut...
+
+
+MARGUERITE.
+
+Eh bien, partons! (Elle prend le bras de Laubépin.)
+
+
+LAUBEPIN.
+
+Partons!... Oh! les ruines, les vieux châteaux!... Prenez
+garde, mon enfant, c'est hanté quelquefois... (Chantant
+gaiement en vieillard.)
+
+
+Prenez garde,
+
+Prenez garde...
+
+La Dame Blanche vous regarde...
+
+
+FIN DU TROISIEME TABLEAU.
+
+
+IVe TABLEAU
+
+
+L'intérieur d'une salle octogonale dans la vieille tour
+d'Elven. Architecture sombre et sévère. Les voûtes de la salle
+sont en partie effondrées. En face du public, dans la profonde
+embrasure d'une fenêtre ruinée, un pan de la muraille est
+presque entièrement écroulé; une large brèche, revêtue de
+lierre, laisse apercevoir la cime de quelques arbres qui
+croissent dans les fossés, et plus loin un haut donjon à demi
+ruiné qui se détache sur le ciel et sur la masse des bois
+lointains. Cette brèche ne s'ouvre point au niveau de l'aire
+de la salle: quelques pierres restées debout, et semblant
+former les assises d'une ancienne fenêtre, permettent de
+monter sur une espèce de balcon ou de plate-forme extérieure
+qui est praticable, et qui surplombe le précipice. A droite un
+escalier de deux ou trois marches, au bas duquel on voit la
+porte étroite et massive de la tour. Le soir commence.
+
+
+SCENE I.
+
+
+YVONNET, puis MAXIME.
+
+
+Au lever du rideau, Yvonnet, debout sur le balcon, regarde au
+dehors et paraît écouter: on entend au loin quelques notes de
+hautbois répétées par l'écho. Des voix chantent au loin dans
+la campagne.
+
+
+Le soir répand ses pleurs sur les bruyères...
+
+Sonnez, braves sonneurs!
+
+Au fond des bois passent les lavandières...
+
+Priez, bons moissonneurs!
+
+Les spectres gris sur la lande voisine
+
+Semblent grandir encor...
+
+Jusqu'à demain daignez, vierge divine,
+
+Veiller nos gerbes d'or!
+
+
+(Au moment où le choeur finit, Maxime entre et s'approche du
+balcon.)
+
+
+MAXIME.
+
+Qu'est-ce que tu fais là, mon petit bonhomme?
+
+
+YVONNET, un peu effrayé.
+
+J'écoutais les chanteurs, Monsieur.
+
+
+MAXIME.
+
+Qui est-ce qui chante donc comme cela?
+
+
+YVONNET.
+
+Les moissonneurs, Monsieur, qui reviennent tous les soirs à
+travers les bois.
+
+
+MAXIME.
+
+Ah! Et, dis-moi, c'est toi, mon garçon, qui es le gardien des
+ruines?
+
+
+YVONNET.
+
+Oui, Monsieur. Je suis le petit berger de la ferme de M. le
+comte... je passe toutes mes journées dans les bois, là
+auprès, avec mes bêtes... et quand il vient des étrangers pour
+voir la vieille tour, c'est moi qui leur ouvre la porte. (Il
+montre la clé de la tour.)
+
+
+MAXIME.
+
+Ah! Eh bien, tiens, mon garçon. (Il lui donne de l'argent.)
+
+
+YVONNET.
+
+Merci, Monsieur.
+
+
+MAXIME.
+
+Tu n'as jamais peur, là, tout seul?
+
+
+YVONNET.
+
+Oh! pendant le jour, non, Monsieur; mais quand vient le soir,
+je ne suis pas très-fier. (Il passe.)
+
+
+MAXIME.
+
+Ah! ah! il y a donc des fées, par ici, des sorciers, des
+lavandières... quoi?
+
+
+YVONNET, dédaigneux.
+
+Oh! Monsieur, ce sont des bêtises, tout ça... c'était bon
+autrefois... mais on ne croit plus à ces choses-là.
+
+
+MAXIME.
+
+Ah! tu ne crois donc à rien, toi?
+
+
+YVONNET.
+
+Je ne crois pas à ces bêtises-là... Ah! si vous me parliez de
+la dame noire! à la bonne heure! La dame noire, ça, c'est
+autre chose!
+
+
+MAXIME.
+
+Ah! il y a une dame noire?
+
+
+YVONNET.
+
+Ah! oui, dame! Il y en a une, Monsieur, qu'on voit se promener
+avec ses grandes jupes, jusque sur le haut du donjon là-bas...
+où il n'y a pas d'escalier pourtant... mais ce n'est jamais
+pendant le jour, c'est toujours la nuit qu'on la voit.
+
+
+MAXIME, riant.
+
+Oui... quand on n'y voit pas.
+
+
+YVONNET, qui regarde au dehors par la brèche.
+
+Ah! bon, voilà le rouge qui fait des siennes!... Ce mouton-là,
+tenez, Monsieur, il n'a pas son pareil pour la malice; faut
+toujours qu'il grimpe... Ohé! Veux-tu descendre, méchant
+rougeaud? (Il lui jette une pierre.) Attends va! (Il court
+vers la porte.)
+
+
+MAXIME, montrant la brèche.
+
+Eh bien, saute par là!
+
+
+YVONNET.
+
+Sautez-y donc un peu pour voir, vous, Parisien!... Eh! dites
+donc! Est-ce que vous allez rester longtemps, Monsieur? c'est
+que la nuit va tomber...
+
+
+MAXIME.
+
+Sois tranquille. Je m'en vais dans deux minutes.
+
+
+YVONNET.
+
+Bien! car je ne suis pas fier, moi, à ces heures-là. C'est pas
+que j'aie peur, mais je ne suis pas fier. (Il sort.)
+
+
+SCENE II.
+
+
+MAXIME, seul, regardant autour de lui.
+
+C'est beau, cela!... Comment n'avais-je pas encore eu l'idée
+d'entrer ici?... Il faudra que je vienne un jour...
+(Tristement.) Un jour! Ah! j'oublie qu'il n'y a plus pour moi
+d'avenir, plus de lendemain dans ce pays... Ce sont des adieux
+que je dois faire à tous ces sites aimés... où j'ai tant
+pensé... où j'ai trop pensé à elle... Misérable coeur, c'est
+donc parce que tout me défend de l'aimer, la raison et
+l'honneur, c'est pour cela que... Ah! si je n'avais la charge
+d'une autre existence plus précieuse que la mienne, j'aurais
+déjà fui au bout du monde ce supplice de chaque jour, de
+chaque heure... (Marguerite entre.) Elle! Dieu!
+
+
+SCENE III.
+
+
+MAXIME, MARGUERITE.
+
+
+MARGUERITE, fait quelques pas en regardant autour d'elle;
+apercevant Maxime tout à coup, avec trouble.
+
+Monsieur!... je vous demande pardon... j'ignorais...
+absolument... je vous laisse.
+
+
+MAXIME, souriant.
+
+Mon Dieu, Mademoiselle, je ne suis pas ici chez moi... et
+c'est à moi de sortir... Je vous en prie... (Il fait quelques
+pas vers la porte.)
+
+
+MARGUERITE, traversant1 [1. Marguerite, Maxime.].
+
+Monsieur Maxime... je comptais vous parler ce soir même... et
+puisque je vous rencontre ici... Eh bien, voyons, dites,
+Monsieur, est-il vrai que j'aie envers vous les torts graves
+qu'on me prête?
+
+
+MAXIME.
+
+Mademoiselle, je ne pense pas m'être plaint.
+
+
+MARGUERITE.
+
+Mais vous voulez partir?
+
+
+MAXIME.
+
+Mademoiselle!
+
+
+MARGUERITE.
+
+Et l'on assure que j'en suis la cause... Votre départ,
+Monsieur, serait pour ma mère un chagrin sensible... que je
+désire lui épargner, s'il dépend de moi... Mais enfin, quelle
+explication souhaitez-vous? Que faut-il vous dire? Que le
+langage... dont vous vous êtes offensé... n'est pas toujours
+sincère... que j'étais née peut-être pour comprendre comme une
+autre des joies, des fêtes, plus nobles que celles dont la
+richesse et le monde disposent? Eh bien... cela est
+possible... Mais suis-je donc si blâmable de consacrer tout ce
+que j'ai de volonté et de courage à étouffer en moi des
+idées... des sentiments... qui me sont interdits?...
+
+
+MAXIME.
+
+Interdits!
+
+
+MARGUERITE.
+
+Interdits, sans doute! Mon Dieu, Monsieur, il est fort
+ridicule peut-être de nous plaindre d'une destinée que tant de
+gens nous envient, mais enfin, par un travers d'esprit que je
+tiens apparemment de ma pauvre mère, et qui a du moins
+l'excuse de la bonne foi, je sens que, si j'étais moins riche,
+je serais plus heureuse. Vous m'avez reproché ma défiance
+éternelle. Mais à quoi donc pourrai-je me fier, dites? moi
+qui, depuis que je me connais, ne suis entourée... est-ce que
+je ne le vois pas?... que de faux amis, de parents avides, de
+prétendants suspects...? Eh! grand Dieu! pensez-vous que je
+prenne pour moi les soins, les tendresses dont tous ces
+parasites nous fatiguent? les hommages dont tant de... lâches
+m'importunent?... Et si jamais, enfin, quelque âme grande et
+généreuse... s'il y en a!... était capable de me rechercher,
+de m'aimer pour ce que je suis... non pour ce que je vaux...
+je ne le saurais pas... (Avec intention.) Je ne le croirais
+pas! jamais! non! jamais je ne risquerai de donner à un coeur
+vil, indigne, vénal... un coeur tel que le mien!... Et voilà
+pourquoi j'éloigne... je repousse... je veux haïr tout ce qui
+est beau... tout ce qui fait penser... tout ce qui me parle
+d'un ciel... défendu! (Le choeur des moissonneurs a repris sur
+les dernières paroles de Marguerite. Elle dit à demi-voix:)
+Qu'est-ce là! (Puis elle se rapproche du fond, écoute, penche
+la tête et pleure.)
+
+
+MAXIME.
+
+Mademoiselle!... Cette émotion, des larmes!
+
+
+MARGUERITE, avec élan.
+
+Eh bien, oui, je puis pleurer!... j'ai une âme! (Elle fait
+deux pas avec confusion, et reprend:) Monsieur, je ne vous
+avais pas destiné tant de confiance; mais enfin, vous me
+connaissez maintenant, et si jamais j'ai pu blesser votre
+coeur, j'espère que vous me pardonnez (Maxime s'incline vers la
+main qu'elle lui tend, et y pose ses lèvres: elle reprend
+aussitôt): Partons! (Elle fait un pas, et se retournant); Et
+plus un mot jamais sur ce sujet!
+
+
+MAXIME.
+
+Jamais!
+
+
+MARGUERITE, troublée.
+
+On ne peut sortir par là? par cette brèche?
+
+
+MAXIME.
+
+Oh! Mademoiselle, il y a un abîme!
+
+
+MARGUERITE.
+
+Il faut que je voie cela avant de partir... Est-ce qu'il n'y a
+pas une espèce de balcon, là, au dehors?
+
+
+MAXIME.
+
+Je vous en prie, Mademoiselle, prenez garde, cela ne tient à
+rien.
+
+
+MARGUERITE.
+
+Oh! je n'ai pas peur!
+
+
+MAXIME.
+
+Veuillez au moins prendre ma main. (Elle monte sur la plate-forme
+extérieure. Il commence à faire nuit.)
+
+MARGUERITE.
+
+Oh! c'est vrai. C'est assez effrayant ce précipice, mais
+très-beau d'ailleurs. On resterait là une éternité.
+
+
+SCENE IV.
+
+
+MAXIME, MARGUERITE, au fond, YVONNET.
+
+
+YVONNET, entrant; il reste sur l'escalier, et regarde
+timidement dans l'intérieur de la tour.
+
+Ah!... il est parti! bon, je ne vais pas être longtemps à me
+sauver, moi, maintenant! (Il sort.)
+
+
+SCENE V.
+
+
+MAXIME, MARGUERITE.
+
+
+La nuit tombe: des rayons de lune blanchissent les déchirures
+de la fenêtre et éclairent au loin les arceaux du donjon
+ruiné.
+
+
+MAXIME, descendant du balcon.
+
+C'est étrange! j'avais cru entendre!...
+
+
+MARGUERITE.
+
+Mais voilà la nuit pour tout de bon; heureusement elle est
+claire, nous pourrons retrouver nos chevaux. Allons vite,
+Monsieur, je vous en prie... (Elle descend les degrés de la
+fenêtre ruinée, soutenue par Maxime; musique douce à
+l'orchestre; ils s'approchent de la porte, que Maxime essaie
+en vain d'ouvrir. Marguerite reprend): Comment! cette porte
+est fermée?
+
+
+MAXIME.
+
+Ce n'est pas possible!... (Il fait de vains efforts pour
+ouvrir la porte.) C'est la tour enchantée!... Il faut que cet
+imbécile de berger l'ait fermée pendant que nous étions sur le
+balcon!...
+
+
+MARGUERITE, remontant soucieuse.
+
+Essayons de l'appeler. Il ne doit pas être bien loin... N'est-ce
+pas lui qui court là-bas?
+
+
+MADIME, sur la plate-forme.
+
+Eh! petit! veux-tu revenir?... Bon! il vous a vue... Il n'en
+court que plus fort... Sa sotte superstition!...
+
+
+MARGUERITE, descendant et regardant autour d'elle.
+
+Aucune autre issue!... Que faire?... on va mourir d'inquiétude
+chez moi!... Et puis... enfin... C'est impossible!... chercher
+un moyen, Monsieur! il faut que nous sortions!
+
+
+MAXIME.
+
+Mon Dieu! Mademoiselle... j'ai beau chercher... cette porte...
+de prison... résiste à tous mes efforts... je suis vraiment
+désespéré...
+
+
+MARGUERIE, pendant que Maxime remonte vers la brèche, à part.
+
+Dieu!... quelle pensée!... (A Maxime avec une colère
+contenue.) Monsieur le marquis de Champcey!
+
+
+MAXIME, se retournant vivement.
+
+Mon nom!
+
+
+MARGUERITE, lentement.
+
+Dites-moi, y a-t-il eu avant vous beaucoup de lâches dans
+votre famille?
+
+
+MAXIME.
+
+Marguerite!
+
+
+MARGUERITE, violemment.
+
+C'est vous... c'est vous qui avez payé cet enfant pour nous
+enfermer ici!
+
+
+MAXIME.
+
+Moi? grand Dieu!
+
+
+MARGUERITE.
+
+Vous!... Ah! je devine tout, allez!... Je comprends votre
+calcul! Demain... je serai diffamée, perdue dans l'opinion...
+et je ne pourrai plus appartenir qu'à vous! Mais ce calcul
+honteux... qui couronne toutes vos manoeuvres... je le
+tromperai!... Certes vous me connaissez mal encore, si vous
+croyez que je ne préférerai pas tout... le déshonneur... le
+cloître, la mort même au désespoir, à l'abjection d'unir ma
+vie à la vôtre!
+
+
+MAXIME, avec calme.
+
+Mademoiselle, je vous supplie de revenir à vous, à la raison.
+Je comprends les inquiétudes qui vous agitent en ce moment...
+mais je vous atteste que vous me faites outrage. Je n'ai pu en
+aucune façon préparer cette perfidie. (Avec élan.) Et quand je
+l'aurais pu, enfin, comment vous ai-je jamais donné le droit
+de m'en croire capable?
+
+
+MARGUERITE, passant à gauche.
+
+Tout ce que je sais de vous m'en donne le droit. Qu'êtes-vous
+venu faire dans notre maison, sous un nom, sous un caractère
+empruntés? Nous vivions heureuses... vous nous avez apporté
+des troubles, des chagrins que nous ignorions... Pour
+atteindre votre but, pour réparer les brèches de votre
+fortune! vous avez usurpé notre confiance, vous avez joué avec
+nos sentiments les plus purs, les plus sacrés... Eh bien, je
+suis profondément lasse et ulcérée de tout cela, je vous le
+dis! Et quand vous m'offrez en gage, à cette heure, votre
+honneur de gentilhomme... qui vous a déjà permis tant de
+choses indignes... certes j'ai le droit de n'y pas croire...
+et je n'y crois pas!
+
+
+MAXIME, allant rapidement vers la brèche de la muraille, et
+revenant aussitôt.
+
+Marguerite... ma pauvre enfant! écoutez bien! Je vous aime,
+c'est vrai, et jamais amour plus ardent, plus désintéressé,
+plus saint n'est entré dans le coeur d'un homme!... mais vous
+aussi, vous m'aimez... vous m'aimez, malheureuse!... et vous
+me tuez!... vous me brisez le coeur!... mais ce coeur, il est à
+vous! vous pouvez en faire ce qu'il vous plaît... Quant à mon
+honneur, il est à moi, et je le garde! Et sur cet honneur, je
+vous fais serment que si je meurs, vous me pleurerez... que si
+je vis, jamais... tout adorée que vous êtes... quand vous
+seriez à deux genoux devant moi... jamais je n'accepterai une
+fortune de votre main... jamais!... Et maintenant priez!...
+demandez à Dieu un miracle... Il en est temps! (Il court vers
+le balcon.)
+
+
+MARGUERITE, qui s'est précipitée vers la brèche, étendant les
+bras et l'arrêtant.
+
+Dieu du ciel! je ne veux pas, je ne veux pas!
+
+
+MAXIME.
+
+Oh! rassurez-vous... ces branches... ces arbres me
+soutiendront... A reste, que m'importe!
+
+
+MARGUERITE.
+
+Je ne veux pas! Je vous en supplie, oubliez ce que j'ai dit,
+par grâce, par pitié!... Je ne veux pas!
+
+
+MAXIME, se défendant.
+
+Non! laissez-moi! (Il la repousse et s'élance sur le balcon. --
+Le choeur recommence au loin.)
+
+
+MARGUERITE, tombant à genoux sur les degrés de la fenêtre.
+
+Malheureux! c'est la mort!
+
+
+MAXIME, sur le balcon.
+
+C'est l'honneur! (Il se précipite.)
+
+
+MARGUERITE, poussant un cri terrible.
+
+Ah! (Elle tombe sur le sol.)
+
+
+FIN DU DEUXIEME ACTE
+
+
+
+
+ACTE TROISIEME
+
+
+Ve TABLEAU.
+
+
+Un boudoir dans le château des Laroque. -- Porte à droite. --
+Porte à gauche. -- Porte au fond. Table, fauteuils, le brasero
+allumé devant le fauteuil de madame Laroque. -- Lampes ou
+flambeaux allumés.1 [1. A gauche: madame Aubry, madame
+Laroque, Bévallan; à droite, mademoiselle Hélouin, Desmarets;
+Alain, au fond.]
+
+
+SCENE I.
+
+
+M. DE BEVALLAN, LE DOCTEUR DESMARETS, MADAME LAROQUE, MADAME
+AUBRY, MADEMOISELLE HELOUIN, ALAIN, près de la porte au fond.
+
+Tous paraissent inquiets et préoccupés.
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Elle est sortie à cheval, dites-vous, Alain?
+
+
+ALAIN.
+
+Oui, Madame.
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Seule?
+
+
+ALAIN.
+
+Seule.
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+A quelle heure?
+
+
+ALAIN.
+
+Vers quatre heures et demie, Madame.
+
+
+BEVALLAN.
+
+Mais mademoiselle Marguerite ne comptait-elle pas aller ce
+soir à ce bal chez madame de Castennec?
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Mon Dieu, oui! et c'est ce qui rend ce retard encore plus
+inexplicable... Je vous assure que je meurs d'inquiétude.
+
+
+DESMARETS.
+
+Tranquillisez-vous, Madame, vous savez que mademoiselle
+Marguerite prolonge quelquefois ses promenades fort tard.
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Jamais jusqu'à la nuit!... Mais ne peut-on savoir de quel côté
+elle est allée?
+
+
+MADEMOISELLE HELOIN.
+
+Si l'on demandait à M. Odiot... Il pourrait peut-être...
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Vous avez raison, mon enfant... Alain, dites à M. Odiot que je
+le prie de venir.
+
+
+ALAIN.
+
+Madame, M. Odiot est lui-même sorti à cheval cette après-midi,
+et il n'est pas rentré.
+
+
+BEVALLAN, avec une nuance de soupçon.
+
+Ah! et à quelle heure est-il sorti, M. Odiot?
+
+
+ALAIN.
+
+Mais... un peu avant quatre heures, je crois.
+
+
+BEVALLAN.
+
+Ah! (Il échange un regard avec mademoiselle Hélouin et madame
+Aubry.)
+
+
+MADAME LAROQUE, préoccupée, à part.
+
+Mon Dieu! quelle idée!... (Un silence d'embarras: Maxime
+paraît tout à coup au fond. Il est très-pâle: il a sur le
+front quelques gouttes de sang.)
+
+
+SCENE II.
+
+
+LES MEMES, MAXIME.
+
+
+MAXIME, riant, et parlant au dehors.
+
+Ce n'est rien.
+
+
+DESMARETS.
+
+Mon ami! que vous êtes pâle... et puis, qu'est-ce que vous
+avez au front? Du sang, je crois?
+
+
+MAXIME.
+
+Oh! rien... c'est mon cheval qui a eu peur de son ombre, et
+qui vient de me jeter dans le fossé au bout de l'avenue.
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Ah! mon Dieu! Monsieur!...
+
+
+MAXIME.
+
+Oh! Madame, j'en suis quitte pour la peur et un peu
+d'étourdissement.
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Mais c'est donc une soirée de malheur!
+
+
+MAXIME.
+
+Une soirée de malheur? Comment! qu'y a-t-il donc?
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Croiriez-vous que ma fille n'est pas encore rentrée à cette
+heure-ci?
+
+
+MAXIME.
+
+Mademoiselle Marguerite? Mais je l'ai rencontrée.
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Vous l'avez rencontrée... où, Monsieur... je vous en prie... à
+quelle heure?
+
+
+MAXIME.
+
+Mais à cinq heures environ... sur la route de Vannes... elle
+allait... je venais... nous nous sommes croisés.
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Et elle ne vous a pas parlé? Elle ne vous a pas dit...?
+
+
+MAXIME.
+
+Elle m'a dit qu'elle allait voir les ruines du château
+d'Elven.
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Les ruines d'Elven... ah! grand Dieu! mais il y a par là des
+bois... des marais dangereux... la pauvre enfant se sera
+égarée... il faut y courir... je veux y aller moi-même...
+Alain, faites atteler promptement... mon châle, mon chapeau,
+Mademoiselle, je vous prie..
+
+
+MADAME AUBRY.
+
+Je vais avec vous, ma chère cousine.
+
+
+BEVALLAN.
+
+Et je vais vous accompagner à cheval, Madame, si vous le
+permettez...
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Oui, oui, mon ami... venez aussi, docteur, je vous en prie...
+Allons, vite, partons. (Tous sortent, excepté Maxime.)
+
+
+SCENE III.
+
+
+MAXIME, seul, puis ALAIN, portant une aiguière sur un plateau.
+
+
+MAXIME.
+
+Ah! il était temps. (Il se laisse tomber sur un siège. -- Entre
+Alain.)
+
+
+ALAIN.
+
+Voici de l'eau, monsieur Maxime... Comment vous trouvez-vous?
+
+
+MAXIME.
+
+Mieux, mon ami, merci. (Il trempe son mouchoir dans l'aiguière
+et se lave le front.)
+
+
+ALAIN.
+
+Oh! ce ne sera rien, Monsieur... Une chute de cheval, quand ça
+ne tue pas... c'est égal, ça doit vous secouer fièrement tout
+de même... J'ai eu une drôle de chance, moi, Monsieur...
+depuis quarante ans que je monte à cheval, je ne suis jamais
+tombé... je ne me doute pas de l'effet que ça peut faire.
+
+
+MAXIME.
+
+As-tu jamais rêvé que tu tombais du haut d'une tour?
+
+
+ALAIN.
+
+Oh! oui, Monsieur, bien souvent.
+
+
+MAXIME.
+
+Eh bien, c'est cela... voilà l'effet que cela fait, tiens!
+
+
+ALAIN.
+
+Ah! (Mystérieusement.) Eh bien, Monsieur, pendant que vous
+receviez ce mauvais coup-là, j'en recevais un, moi, de mon
+côté, qui ne me faisait pas de bien non plus!
+
+
+MAXIME.
+
+Comment?
+
+
+ALAIN.
+
+Il faut que je dise cela à Monsieur, et que je lui demande
+conseil... car vraiment il y a des choses qui sont un peu trop
+dures à digérer... Il y a une heure à peu près, Monsieur,
+comme je passais auprès de la serre, voilà que j'entends le
+sable de l'allée qui craquait tout doucement, et puis deux
+voix qui chuchotaient... Je me dis: Qui est-ce qui chuchote
+comme cela la nuit dans le parc? Je me tapis dans le massif,
+Monsieur, et qu'est-ce que je vois?
+
+
+MAXIME.
+
+Qu'est-ce que tu vois?
+
+
+ALAIN.
+
+L'institutrice, Monsieur, avec M. de Bévallan... qui se
+parlaient dans l'oreille, et de très-près, et de si près qu'à
+la fin j'ai entendu, sauf le respect que je dois à Monsieur...
+
+
+MAXIME.
+
+Quoi? (Alain baise sa propre main avec bruit.) Ah!
+
+
+ALAIN.
+
+Comme j'ai l'honneur, Monsieur!... Eh bien, Monsieur, ça ne
+fait pas bouillir le sang sous les ongles, ça? Ce monsieur qui
+veut épouser mademoiselle, et qui, en attendant,
+tranquillement, sans se gêner... Mais ça ne peut pas durer, et
+je vais tout conter à madame.
+
+
+MAXIME.
+
+Non, Alain, non... Il ne faut jamais dénoncer.. Ne dis rien.
+(A part.) Cette folle! (Haut.) Mademoiselle Hélouin est-elle
+au château?
+
+
+ALAIN.
+
+Oui, Monsieur.
+
+
+MAXIME.
+
+Eh bien, prie-la... dis-lui que je désire... (Mademoiselle
+Hélouin entre.) Laisse-nous, et tais-toi. (Alain sort.)
+
+
+SCENE IV.
+
+
+MAXIME, MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+Madame Laroque, Monsieur, m'a recommandé de veiller... Vous
+n'avez besoin de rien?
+
+
+MAXIME.
+
+De rien, merci, Mademoiselle... Mais j'ai à vous parler.
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+A moi?
+
+
+MAXIME.
+
+Oui, Mademoiselle... Vous m'avez retiré votre amitié, mais la
+mienne vous est restée tout entière, et si vous le permettez,
+je vais vous le prouver.
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+Parlez.
+
+
+MAXIME, simplement.
+
+Eh bien, ma pauvre enfant vous vous perdez.
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+Monsieur!
+
+
+MAXIME.
+
+Quelqu'un vous a vue, vous a entendue, dans le parc... Il y a
+une heure...
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+Dieu!... ah! Monsieur Maxime... je vous jure...
+
+
+MAXIME.
+
+Oh! je suis bien convaincu, Mademoiselle, que ce petit roman
+est très-innocent de votre part! mais de l'autre, il l'est
+peut-être moins1 [1. Les passages guillemetés se coupent à la
+représentation.], " et je vous supplie d'y réfléchir. Je ne
+pourrais pas toujours arrêter les suites...
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN, cachant sa tête dans ses mains.
+
+Mon Dieu!
+
+
+MAXIME.
+
+Allons! remettez-vous!... que puis-je faire pour vous, dites?
+Y a-t-il quelque gage, quelque lettre que je puisse retirer
+des mains de cet homme? Parlez, disposez de moi comme d'un
+frère.
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+Un frère! Vous parlez de me sauver, et c'est vous qui me
+perdez! Oui, vous êtes la cause unique de ce qui arrive...
+après m'avoir témoigné une affection feinte, vous m'avez
+humiliée, désespérée... Eh bien...
+
+
+MAXIME/
+
+Humiliée! désespérée? Comment? parce que j'ai tenu dans les
+limites que la loyauté me commandait les sentiments que votre
+situation, votre beauté, vos talents, m'inspiraient? Je ne
+vois rien là de fort humiliant pour vous, Mademoiselle; ce qui
+pourrait à plus juste titre vous humilier, ce serait de vous
+voir aimée très-résolûment par un homme très-résolu à ne pas
+vous épouser... "
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN, avec colère.
+
+Qu'en savez-vous? Tous les hommes ne sont pas des coureurs de
+fortune!
+
+
+MAXIME, froidement.
+
+Ah! Est-ce que vous seriez une méchante personne, mademoiselle
+Hélouin? En ce cas, j'aurais l'honneur... (Il la salue comme
+pour se retirer.)
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+Monsieur Maxime! de grâce!... Ah! pardonnez-moi! ayez pitié de
+moi! Figurez-vous donc ce que peut être la pensée d'une pauvre
+créature comme moi, à qui on a eu la cruauté de donner un
+coeur, une âme, une intelligence... et qui ne peut se servir de
+tout cela que pour souffrir... et pour haïr! " Vous parliez de
+mes talents! Eh bien, ces talents, si péniblement acquis, ils
+ne sont pas à moi!... J'aurai passé toute ma jeunesse à en
+parer une autre femme, pour qu'elle soit plus belle, plus
+adorée... et plus insolente encore! et quand elle s'en ira,
+elle, au bras d'un heureux époux, prendre sa part des plus
+belles fêtes de la vie, je l'en irai, moi, seule, abandonnée,
+vieillir dans quelque coin avec une pension de femme de
+chambre!... " Eh bien, qu'est-ce que j'avais fait au ciel pour
+mériter cette destinée-là? Pourquoi moi plutôt que ces femmes?
+Certes, j'étais née aussi bien qu'elles pour être bonne,
+aimante, charitable. Eh! mon Dieu! les bienfaits coûtent peu
+quand on est riche, et la bonté est facile aux heureux! Si
+j'étais à leur place, et elles à la mienne, elles ne
+m'aimeraient pas plus que je ne les aime... on n'aime pas ses
+maîtres!
+
+
+MAXIME.
+
+Mademoiselle... de grâce!
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+Ah! oui, oui! Je vous révolte, n'est-ce pas? je vous indigne?
+Vous allez me mépriser maintenant plus que jamais... vous qui
+auriez pu d'un mot me rendre la paix... l'estime de moi-même...
+Vous, à qui j'ai dû pour la première fois une pensée
+de bonheur... d'avenir... de fierté... Ah! malheureuse!...
+(Elle pleure.)
+
+
+MAXIME, lui prenant la main.
+
+Mademoiselle, je vous en supplie!... Je vous serai toute ma
+vie reconnaissant de votre affection!... mais je ne
+m'appartiens pas... J'ai des devoirs qui m'enchaînent... Et
+quand je le voudrais, enfin, je ne puis songer à me marier...
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN, avec amertume.
+
+Même avec Marguerite?
+
+
+MAXIME.
+
+Je ne vois pas ce que vient faire ici le nom de mademoiselle
+Marguerite.
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+Ah! je lis clairement dans votre pensée... et depuis
+longtemps, je vous l'assure... je sais qui vous êtes... je
+sais quelle proie vous convoitez ici. Mais j'ai les moyens de
+vous démasquer, de vous perdre, et j'en userai!
+
+
+MAXIME.
+
+Vous le pouvez, Mademoiselle, et avec d'autant plus de sûreté
+que sur le terrain de la calomnie, de la diffamation... je ne
+vous suivrai jamais. Je vous en donne ma parole, et je vous
+salue. (Il sort à droite.)
+
+
+SCENE V.
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN, seule; puis MARGUERITE, BEVALLAN, MADAME
+LAROQUE.
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN, seule.
+
+Oui, quand je devrais me perdre avec lui... je le perdrai!...
+Et puis je blesserai au coeur cette insolente fille, et je
+serai heureuse un moment, du moins! (Entrent madame Laroque,
+Bévallan et Marguerite.)
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Eh bien, la voilà retrouvée; Dieu merci!
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN, courant au-devant de Marguerite.
+
+Ah! chère enfant! vous voilà donc! Quelle joie! Je mourais
+d'inquiétude! Et où étiez-vous? qu'est-il arrivé?
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Nous l'avons rencontrée à une lieue d'ici... Figurez-vous que
+le gardien des ruines l'avait enfermée dans le donjon par
+mégarde... et si un paysan n'était venu à passer par hasard,
+elle restait là toute la nuit.
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+Ah! Dieu! quelle peur vous avez dû avoir!
+
+
+MARGUERITE, sombre et grave.
+
+Oui, j'ai eu grand'peur.
+
+
+BEVALLAN.
+
+Mademoiselle, je vous le répète, je regretterai éternellement
+de ne pas m'être trouvé là avec vous. (Baissant un peu la
+voix.) C'est dans de telles situations qu'on apprécie le coeur
+d'un homme.
+
+
+MARGUERITE.
+
+Qu'auriez-vous fait?
+
+
+BEVALLAN, avec enthousiasme.
+
+Ce que j'aurais fait? Mais je... (Plus calme.) Je ne sais pas.
+
+
+MARGUERITE.
+
+Eh bien, cherchez.
+
+
+MADAME LAROQUE, qui a ôté son chapeau et son châle.
+
+Et maintenant, allons souper... n'est-ce pas? Madame Aubry est
+déjà à table et nous attend.
+
+
+MARGUERITE.
+
+Moi, ma mère, je ne souperai pas... Cette alerte m'a ôté
+l'appétit.
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Pauvre petite!... Eh bien, venez-vous, Bévallan? (Elle prend
+le bras de Bévallan.) Et vous, Mademoiselle?
+
+
+MARGUERITE, bas à mademoiselle Hélouin.
+
+J'ai deux mots à vous dire.
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+Bien, Mademoiselle. (Madame Laroque et Bévallan sortent à
+droite.)
+
+
+SCENE VI.
+
+
+MARGUERITE, MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+
+MARGUERITE, d'un accent sombre.
+
+Etes-vous sûre, Mademoiselle, de ne pas vous tromper quand
+vous donnez à M. Odiot le nom de marquis de Champcey?
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+Sans doute Mademoiselle, pourquoi?
+
+
+MARGUETITE.
+
+C'est que vous vous abusez si étrangement sur son caractère,
+que vous pourriez commettre quelque autre méprise.
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+Je ne vous comprends pas.
+
+
+MARGUERITE.
+
+En tous cas, s'il est noble de nom, il l'est aussi de coeur; je
+puis vous en répondre.
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+C'est une découverte que vous avez faite récemment?
+
+
+MARGUERITE.
+
+Oui, Mademoiselle... ce jeune homme, peu m'importe qu'on le
+sache, se trouvait près de moi, quand j'ai été emprisonnée
+dans ces ruines: et pour sauver mon honneur et le sien... car
+je l'accusais! il a risqué sa vie... il s'est précipité dans
+un abîme!
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+Ah, c'est héroïque, en effet! M. de Champcey entend à
+merveille l'art d'utiliser ses talents... hier c'était la
+natation... qui nous a valu cette mise en scène si habilement
+préparée... ce soir, c'est la gymnastique... Il a reçu une
+très-brillante éducation ce jeune homme.
+
+
+MARGUERITE, soupçonneuse.
+
+Vous le haïssez beaucoup, ce jeune homme... mais je vous serai
+obligée d'appuyer par des preuves sérieuses, formelles, des
+accusations un peu trop passionnées pour n'être pas suspectes!
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+Ah, c'est moi qui suis suspecte!... Vous voulez des
+preuves?... (Elle tire un papier de son sein.) Eh bien, en
+voilà une que vous ne récuserez pas... elle est écrite de sa
+main...
+
+
+MARGUERITE.
+
+Quoi donc!
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+Ecoutez, écoutez... il en est temps. (Elle lit.) "Mon cher
+Laubépin... Je suis à la lettre toutes vos instructions. Mais
+je vous l'avoue, je plie quelquefois sous le fardeau vingt
+fois chaque jour; pour supporter le présent, je suis forcé de
+me remettre sous les yeux l'avenir qui doit payer toutes mes
+misères; cette chère dot..."
+
+
+MARGUERITE, saisissant la lettre.
+
+Dieu!
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN, reprenant le lettre et continuant de
+lire.
+
+"Cette chère dot que j'ai juré de reconquérir. Je servirai
+comme le pasteur biblique, quarante ans, s'il le faut!..."
+C'est dommage qu'il se soit arrêté là! Cette lettre a été
+trouvée et m'a été remise par madame Aubry. -- Eh bien qu'en
+dites-vous?
+
+
+MARGUERITE.
+
+Appelez ma mère: je veux à l'instant même...! -- Non, restez;
+pas un mot; je me charge de tout. (La porte de gauche s'ouvre:
+entrent Bévallan, Maxime, madame Laroque, madame Aubry.)
+
+
+SCENE VII.
+
+
+LES MEMES, BEVALLAN, MAXIME, MADAME LAROQUE, MADAME AUBRY.
+
+
+MADAME LAROQUE, à Maxime.
+
+Ainsi, vous ne vous ressentez plus...
+
+
+MAXIME.
+
+Non, Madame.
+
+
+MADAME LAROQUE, à Marguerite.
+
+Et toi, mon enfant, es-tu un peu remise?
+
+
+MARGUERITE, avec une gaieté fiévreuse1 [1. Madame Laroque et
+Maxime descendent à gauche; Marguerite et Bévallan au milieu;
+mademoiselle Hélouin à droite.].
+
+Oh! parfaitement, ma mère... et si bien même que je me sens
+capable d'aller à ce bal, et de danser toute la nuit... Vous
+venez avec nous, monsieur de Bévallan?
+
+
+BEVALLAN.
+
+Désolé, Mademoiselle, mais mon costume, comme vous voyez...
+
+
+MARGUERITE.
+
+Oh! il faut que vous veniez, Monsieur... il n'y a pas de bonne
+fête sans vous, vous savez... Voyons, je vous en prie,
+monsieur de Bévallan!
+
+
+BEVALLAN.
+
+Mademoiselle, je vous suis profondément reconnaissant de votre
+insistance, mais véritablement...
+
+
+MARGUERITE.
+
+Je vous en supplie... vous ne pouvez me refuser!... Eh bien,
+retournez chez vous promptement... changez de costume... et
+revenez nous prendre... Je vous promets de vous attendre
+jusqu'à minuit, s'il le faut...
+
+
+BEVALAN.
+
+Vous me comblez, Mademoiselle... mais pour vous dire la
+vérité, tous mes chevaux d'attelage sont sur la litière... et
+il m'est impossible de cavalcader en toilette de bal.
+
+
+MARGUERITE, vivement.
+
+Eh bien, on va vous faire conduire et ramener dans
+l'américaine; voyons, je le veux. (Se tournant vers Maxime et
+lui lançant un regard foudroyant.) Monsieur Odiot, allez dire
+qu'on attelle... allez! (Cet ordre et le ton de Marguerite
+éveillent dans l'assistance une surprise qui se trahit par un
+silence embarrassé.)
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Ma fille! (Maxime, un moment interdit, se lève avec gravité,
+et, s'approchant de la table, il appuie le doigt sur un
+timbre: Alain paraît au fond.)
+
+
+MAXIME, à Alain.
+
+Je crois que Mademoiselle a des ordres à vous donner.
+
+
+MARGUETITE.
+
+Aucun; sortez!
+
+
+BEVALLAN, regardant Maxime.
+
+Ma foi! voilà quelque chose d'assez particulier.
+
+
+MARGUERITE, à demi-voix comme pour le contenir.
+
+Monsieur de Bévallan!
+
+
+BEVALLAN, provoquant.
+
+Soit, Mademoiselle, mais qu'il me soit au moins permis de
+regretter... de n'avoir pas le droit d'intervenir ici.
+
+
+MAXIME, s'avançant d'un pas vers lui.
+
+Mais, Monsieur, vos regrets sont très-superflus!... Car si je
+n'ai pas cru devoir obéir aux ordres de Mademoiselle, je suis
+entièrement aux vôtres, et je les attends.
+
+
+BEVALLAN.
+
+Ah! pardieu, Monsieur!..
+
+
+MADAME LAROQUE, se précipitant.
+
+Messieurs, de grâce!...
+
+
+MARGUERITE.
+
+Monsieur de Bévallan, il faut que je vous parle à l'instant;
+veuillez me suivre dans le salon. Venez ma mère.
+
+
+BEVALLAN, s'inclinant.
+
+Mademoiselle... (Près de sortir, il fait un signe de la main à
+Maxime.) Je suis à vous, Monsieur! (Madame Laroque,
+Marguerite, Bévallan, sortent à gauche: Mademoiselle Hélouin,
+à droite, après avoir lancé un regard à Maxime.)
+
+
+SCENE VIII.
+
+
+MAXIME, ALAIN, qui est resté au fond, en dehors, témoin de la
+scène précédente.
+
+
+MAXIME, à part.
+
+Cette malheureuse m'a tenu parole. Mais qu'a-t-elle pu
+dire?... Eh! que m'importe! Il ne s'agit pas de cela
+maintenant. Alain, tu es là, mon bon Alain, écoute!
+
+
+ALAIN, s'approchant.
+
+Ah! Monsieur, quel malheur!
+
+
+MAXIME.
+
+Sans doute, c'est un malheur... mais que veux-tu? Dis-moi, mon
+ami, le percepteur du bourg est un ancien officier, je
+crois... il a servi?
+
+
+ALAIN.
+
+Oui, monsieur! Il a même été blessé en Crimée...
+
+
+MAXIME, se plaçant devant la table et écrivant.
+
+Bien! C'est cela... Attends!... Voilà un billet que je te vais
+prier de lui faire porter sans retard, n'est-ce pas?
+
+
+ALAIN.
+
+Oui, Monsieur... Mais quel malheur, Monsieur! Et dire,
+Monsieur, qu'à l'épée comme au pistolet il n'a pas son maître
+dans tout le pays, ce grand traître-là.
+
+
+MAXIME.
+
+Sois tranquille, sois donc tranquille, il ne me mangera pas.
+
+
+ALAIN.
+
+Ah! si Monsieur voulait seulement me permettre de dire à ces
+dames ce que j'ai vu dans le parc!
+
+
+MAXIME.
+
+Malheureux!... Est-ce que tu veux qu'on me prenne pour un
+misérable, un lâche?
+
+
+ALAIN.
+
+C'est vrai, Monsieur, ce n'est pas le moment.
+
+
+MAXIME.
+
+Allons! va vite, va!
+
+
+ALAIN, s'en allant.
+
+Mais quel malheur, mon Dieu! (Il sort par le fond.)
+
+
+SCENE IX.
+
+
+MAXIME, seul un moment, puis BEVALLAN.
+
+
+MAXIME, réfléchissant.
+
+Ma soeur! Oui, sans doute, c'est dur, mais l'honneur domine
+tout. Un mot à Laubépin, seulement, à tout événement.
+(Bévallan paraît à gauche. Maxime se lève.)
+
+
+BEVALLAN, avec gravité.
+
+Monsieur, je viens faire près de vous une démarche un peu
+irrégulière, et qui ne laisse pas que de me coûter... mais
+j'obéis à des ordres qui doivent m'être sacrés.... De plus,
+j'ai par devers moi des états de service qui, je crois,
+mettent mon courage à l'abri du soupçon... Bref, je suis
+chargé par ces dames de vous exprimer leurs regrets;
+mademoiselle Marguerite, dans un moment de distraction, vous a
+donné tout à l'heure quelques instructions qui, évidemment,
+n'étaient pas de votre ressort! Votre susceptibilité s'en est
+justement émue: nous le reconnaissons.
+
+
+MAXIME.
+
+Monsieur, c'est assez.
+
+
+BEVALLAN.
+
+Votre main?
+
+
+MACIME, lui donnant la main.
+
+Monsieur!
+
+
+BEVALLAN, avec moins de roideur.
+
+Et maintenant, monsieur Maxime, ces dames espèrent qu'un
+malentendu d'un instant ne les privera pas de vos bons
+offices, dont elles apprécient toute la valeur. Pour moi, je
+suis infiniment heureux d'avoir acquis, depuis quelques
+minutes, le droit de joindre mes instances aux leurs... Les
+voeux que je formais depuis longtemps viennent d'être agréés.
+
+
+MAXIME.
+
+Ah!
+
+
+BEVALLAN.
+
+Et je vous serai personnellement obligé de ne pas nous refuser
+votre concours, à la veille d'un événement que des
+circonstances de famille, la santé de M. Laroque, nous
+engagent à précipiter...
+
+
+MAXIME.
+
+Ah!
+
+
+BEVALLAN. Alain entre par le fond apportant un gros
+portefeuille.
+
+Ah! merci... (Il prend le portefeuille des mains d'Alain et le
+dépose sur la table. Alain sort aussitôt.) Ce sont
+précisément, Monsieur, les papiers particuliers de M.
+Laroque... Ces dames, en témoignage de leur entière confiance,
+vous prient de vouloir bien, en respectant, bien entendu, ce
+qui doit être respecté, y puiser les renseignements dont nous
+aurons besoin pour dresser le modèle du contrat sauf à prendre
+plus tard les dispositions légales.
+
+
+MAXIME.
+
+C'est bien, Monsieur. Comptez sur moi.
+
+
+BEVALLAN, avec une bonhomie enjouée.
+
+J'y compte, monsieur Maxime... et permettez-moi d'espérer que
+toute glace est rompue entre nous... n'est-ce pas? Mon Dieu!
+nous nous sommes assez mal connus, jusqu'ici... Moi, je
+l'avoue, j'avais conçu contre vous quelques préventions, qui,
+Dieu merci, n'existent plus... Vous, de votre côté, vous avez
+pu me juger un peu témérairement... mais maintenant vous me
+connaîtrez mieux, et vous verrez là franchement... je ne suis
+pas un méchant diable... je suis un bon garçon... Ah!
+certainement, j'ai des défauts... j'en ai eu surtout: j'ai
+aimé les jolies femmes... Mais quoi! c'est preuve qu'on a un
+bon coeur, n'est-ce pas? Et puis, d'ailleurs, me voilà au
+port... et même, entre nous, j'en suis ravi... parce que je
+commençais à me... roussir un peu... mais je ne veux plus
+penser qu'à ma femme et à mes enfants..., et vous pouvez en
+être sûr, cher Monsieur, ma femme sera parfaitement
+heureuse... c'est-à-dire autant qu'elle peut l'être avec une
+tête comme la sienne... car enfin je serai charmant pour
+elle... j'irai au-devant de ses moindres fantaisies... Mais si
+elle me demande d'aller décrocher la lune et les étoiles pour
+lui être agréable, dame! je n'irai pas... ça c'est impossible!
+Ah çà, votre main encore une fois. (Maxime lui donne la main.)
+
+
+BEVALLAN.
+
+Et je cours dire à ces dames que vous nous restez à
+perpétuité. (Près de sortir, il ajoute, à part.) Jusqu'après
+le contrat. (Il sort à gauche.)
+
+
+SCENE X.
+
+
+MAXIME, seul.
+
+
+Et voilà l'homme qu'elle juge digne d'elle! Oui, je comprends!
+Lui, du moins, il apporte une fortune presque égale... il est
+moins suspect... malheureuse enfant! Elle ignore qu'en ce
+monde les plus mendiants ne sont pas toujours les plus
+pauvres!... Enfin! Ah! et puis, elle est femme!... Elle se
+croit offensée, et la première vengeance qui se présente, elle
+la saisit. Elle veut voir de quel front je supporterai les
+tortures qu'elle m'inflige! Eh bien, ce front, je le jure,
+elle le verra impassible jusqu'au pied de l'autel: sa fierté
+pâlira devant la mienne! (Douloureusement.) Quant au coeur,
+elle ne le verra pas!... Allons! voyons!... (Il s'asseoit.)
+Occupons-nous de son contrat!... Voyons ces papiers...
+voyons... (Il ouvre le portefeuille et parcourt les
+différentes pièces qu'il contient.) Rien de nouveau pour moi
+dans tout cela... des titres de propriétés... rien de
+secret... quelques recommandations... à mes enfants!!! (Tout à
+coup avec stupeur.) Mon nom! que veut dire ceci! le nom de mon
+père!... (Il saisit vivement une des pièces du portefeuille et
+lit à la hâte.) Le marquis Jacques de Champcey... mon aïeul...
+oui... aux Antilles, à Sainte-Lucie, nous avions là, à cette
+époque, d'immenses propriétés... et, je m'en souviens, oui...
+un régisseur du nom de Laroque! Mais il a péri, avec son fils,
+dans cette fatale nuit où mon aïeul livra son dernier
+combat... voyons donc... (Il lit.) "A l'approche des
+événements, la plantation avait été vendue par les soins de
+mon père!" Son père!... Ce vieillard serait... (Il lit.) "Nous
+avions ordre de rejoindre pendant la nuit la flottille que
+devait escorter en France la frégate du commandant de
+Champcey!!! Dans le trajet, nous tombâmes dans la croisière
+anglaise... mon père fut tué en se défendant... moi, on me
+donna le choix d'être fusillé sur-le-champ ou de révéler le
+secret de la passe inconnue où s'était réfugiée la flottille
+française. En récompense de cette trahison, on m'abandonnait
+le prix des propriétés vendues, les sommes considérables dont
+j'étais porteur..." Dieu! "j'étais jeune, presque enfant... je
+succombai! Une heure plus tard, le marquis de Champcey avait
+péri sur son bord!" Misérable! Ah! et puis des remords, oui...
+"Dieu sait que depuis j'ai lavé dans le sang ennemi et dans le
+mien la tache imprimée dans une heure de faiblesse au pavillon
+de mon pays..." et pour ne pas rougir devant ses enfants il a
+gardé le fruit de son crime... Providence!... Mais alors c'est
+à moi de parler en maître ici. (Il se lève. Avec emportement.)
+Et je parlerai! Oui, je parlerai! J'ai assez souffert... j'ai
+assez dévoré d'affronts!... Eh! je ne suis pas un saint, après
+tout!... Il y a du sang dans ce coeur qu'on écrase... on va
+l'apprendre! Cette enfant barbare va savoir à son tour ce que
+c'est que l'humiliation! Sa tête superbe va connaître le poids
+de la honte! Ce n'est qu'une femme, soit! mais elle a un
+défenseur, maintenant... Eh bien, tant mieux, qu'il la
+défende! (La porte de gauche s'ouvre: on entend la voix de
+Marguerite, qui dit: "J'y vais, ma mère. -- Maxime: Ah! Dieu!"
+Marguerite entre et traverse lentement la scène, regardant
+Maxime. La résolution de Maxime se détend sous ce regard. --
+Marguerite sort par le fond à droite.)
+
+
+SCENE XI.
+
+
+MAXIME, seul.
+
+Jamais! non, jamais, s'il dépend de moi, la rougeur de la
+honte ne passera sur ce noble front! Ce secret, ce secret
+terrible, il n'appartient qu'à moi... ce vieillard, déjà muet
+comme s'il était dans sa tombe, ne peut plus lui-même le
+révéler... Eh bien, ce secret... qu'il soit détruit! (Il jette
+le papier dans la flamme du brasero.) Ma mère, si mes fautes
+envers vous ne sont pas encore expiées, acceptez ce sacrifice!
+Je vous le consacre!... allons! tout est dit, sortons d'ici!
+(Pendant qu'il prend le portefeuille, comme s'apprêtant à
+partir, madame Aubry ouvre la porte du fond, voit le papier
+qui brûle dans le brasero, et s'arrête étonnée. La toile
+tombe.)
+
+
+FIN DU TROISIEME ACTE.
+
+
+
+
+ACTE QUATRIEME
+
+
+VIe TABLEAU.
+
+
+Un vaste salon communiquant de plain-pied avec le parc. On
+voit à travers les fenêtres et les arcades du fond une partie
+des jardins. -- On entend au loin les sons d'un orchestre qui
+joue des airs de danse bretons. -- La musique ne cesse de se
+faire entendre qu'à l'arrivée de Desmarets. -- (Scène VIII).
+Portes à gauche et à droite. -- Le salon est éclairé comme pour
+une fête. -- A gauche, une table préparée pour la signature du
+contrat. -- Une lampe sur la table. -- A droite, canapé,
+fauteuils, rangés pour une cérémonie.
+
+
+SCENE I.
+
+
+BEVALLAN, en grande toilette, ALAIN.
+
+
+BEVALLAN, entrant.
+
+Tout est prêt, n'est-ce pas? La table ici... bien! Et les
+fauteuils pour ces dames, c'est très-bien... Le notaire est
+arrivé?
+
+
+ALAIN.
+
+Oui, Monsieur. Il se promène là, devant, avec M. Maxime.
+
+
+BEVALLAN.
+
+Bien! bravo! Ah çà, Alain, faites-moi boire ces braves gens-là
+jusqu'à ce que mort s'ensuive!... et grisez l'orchestre,
+surtout, entièrement... Et puis, vous connaissez le
+programme... à neuf heures précises, la signature du
+contrat... et le feu d'artifice sur la pelouse...
+
+
+ALAIN.
+Mais, Monsieur, j'ai réfléchi à une chose, si M. Laroque
+demande ce qui se passe?
+
+
+BEVALLAN, baissant la voix.
+
+Comment? Est-ce qu'il entend?
+
+
+ALAIN.
+
+Il entend ferme, Monsieur... mais si ça fait trop de bruit...
+
+
+BEVALLAN.
+
+Ah! diable!... Eh bien, mais supprimez les pétards! Ah! Alain,
+quand ces dames seront descendues, vous introduirez cette
+députation villageoise... mais les femmes seulement, vous
+entendez? Nous n'avons pas besoin de figures de sauvages
+ici... Les femmes seulement, et les plus jeunes. Dans une
+fête, il faut que tout soit gracieux... Alain!
+
+
+ALAIN.
+
+Monsieur!
+
+
+BEVALLAN.
+
+Supprimez les pétards, c'est convenu!
+
+
+ALAIN.
+
+Oui, Monsieur. (Comme Alain se retire, mademoiselle Hélouin
+entre.)
+
+
+BEVALLAN.
+
+Ah! diantre!... (Il chantonne et cherche à s'esquiver.)
+
+
+SCENE II.
+
+
+BEVALLAN, MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+Ah! Monsieur, je vous trouve seul enfin!
+
+
+BEVALLAN.
+
+Ah! c'est vous, Mademoiselle? Eh bien, voilà une soirée
+assez... une soirée qui... n'est-ce pas?
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+Qui couronne vos voeux et votre perfidie, n'est-il pas vrai?
+
+
+BEVALLAN.
+
+Ah! de grâce, Mademoiselle, laissez-moi mon calme... j'en ai
+grand besoin. Si vous pouviez lire dans mon coeur!
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+Comment! cette plaisanterie dure encore! Vous prétendez me
+faire croire même à cette heure...
+
+
+BEVALLAN.
+
+Mais enfin, Mademoiselle, vous êtes étonnamment injuste! Que
+s'est-il passé? Vous le savez comme moi... longtemps avant
+d'avoir conçu des sentiments... qui ne seront jamais
+oubliés... je m'étais engagé... témérairement... d'un autre
+côté... On m'a mis en demeure tout à coup de m'exécuter...
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+Oui, vous vous sacrifiez, je comprends.
+
+
+SCENE III.
+
+
+LES MEMES, MAXIME, entrant par le fond.
+
+
+MAXIME.
+
+Monsieur de Bévallan, le notaire désire avoir deux minutes
+d'entretien avec vous.
+
+
+BEVALLAN., avec empressement.
+
+Bien, merci, j'y vais! j'y vais! (A mademoiselle Hélouin.)
+Vous êtes cruelle, vraiment!
+
+
+SCENE IV.
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN, MAXIME.
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN, à Maxime qui va pour se retirer.
+
+Monsieur Maxime!... Comme vous devez me maudire en ce moment!
+(Maxime ne répond pas.) Et vous n'avez pas dit un mot pour
+m'accuser, vous qui le pouviez si bien!... Ah! qu'une parole
+de bonté de vous me serait douce!...
+
+
+MAXIME, avec effort.
+
+Je vous plains, et je vous pardonne.
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+Merci! (Madame Laroque, Marguerite et Madame Aubry, toutes en
+toilettes de fête, entrent par le fond: Maxime les salue et se
+tient à l'écart. Alain au fond.)
+
+
+SCENE V.
+
+
+MAXIME, ALAIN, MADAME LAROQUE, MARGUERITE, MADEMOISELLE
+HELOUIN, MADAME AUBRY.
+
+
+MADAME LAROQUE, en entrant avec Alain.
+
+Je ne vois pas Desmarets... Est-ce qu'il n'est pas arrivé?
+
+
+ALAIN.
+
+Je vous demande pardon, Madame: mais il est entré d'abord chez
+Monsieur.
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Ah! très-bien. (Madame Laroque, Marguerite et madame Aubry se
+dirigent vers des sièges préparés à droite.)
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN, à Marguerite qui passe près d'elle.
+
+Pardon, Mademoiselle, vous avez une fleur de votre coiffure
+qui tombe... (Marguerite s'arrête, mademoiselle Hélouin, tout
+en s'occupant de réparer la coiffure dit à demi-voix, avec
+émotion.) Mademoiselle, nous nous étions abusés: M. Odiot a
+une soeur, je viens de l'apprendre... et c'est certainement à
+la dot de sa soeur qu'il faisait allusion dans cette lettre...
+
+
+MARGUERITE, saisie tout à coup et lui lançant un regard
+terrible.
+
+Ah! il fallait me tuer... c'eût été plus généreux!
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+Mais j'étais trompée moi-même...
+
+
+MARGUERITE, avec une violence contenue.
+
+Vous l'aimiez!... Eh! ne le niez pas!... c'est votre seule
+excuse!
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+Peut-être serait-il temps encore...
+
+
+MARGUERITE, fièrement.
+
+Temps encore! Et sa parole! et la mienne! Ah! nous sommes gens
+d'honneur, nous autres! (Elle la quitte et va prendre
+gravement se place auprès de sa mère.)
+
+
+SCENE VI.
+
+
+LES MEMES, BEVALLAN, LE NOTAIRE, ALAIN, au fond.
+
+
+BEVALLAN, au notaire.
+
+C'est parfait, mon cher ami... vous êtes un parfait notaire...
+entrez, entrez donc!... Mesdames, je viens prendre vos ordres.
+Il y a là une députation rustique qui désire être admise à
+vous présenter ses hommages et ses voeux.
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Eh bien, faites entrer, mon ami.
+
+
+BEVALLAN.
+
+Alain, introduisez... mais les femmes seulement, et les plus
+jeunes... Dans une fête tout doit être gracieux.
+
+
+SCENE VII.
+
+
+LES MEMES, puis quelques jeunes filles en costume breton, et,
+à leur tête, CHRISTINE OYADEC; elles portent des fleurs.
+CHAMPLAIN, vieux paysan à l'air niais, entre au milieu
+d'elles.
+
+
+BEVALLAN, remarquant Champlain.
+
+Eh bien!... eh bien!... les femmes seulement!... Qu'est-ce que
+c'est que ce dadais-là?... Qu'est-ce que vous venez faire ici,
+vous?
+
+
+CHAMPLAIN.
+
+Monsieur, je suis avec ces demoiselles.
+
+
+BEVALLAN.
+
+Mais, je le vois bien... que vous êtes avec ces demoiselles...
+et c'est ce dont je me plains... Vous n'êtes pas une
+demoiselle, vous, n'est-ce pas?
+
+
+CHAMPLAIN.
+
+Ah! non, Monsieur.
+
+
+BEVALLAN.
+
+Ah! non! Eh bien, allez-vous-en... Il est absurde ce
+villageois!
+
+
+CHAMPLAIN.
+
+C'est que je suis le maître d'école, Monsieur... c'est moi qui
+ai fait le discours... et je venais, dans le cas où la mémoire
+leur manquerait...
+
+
+BEVALLAN.
+
+Ah! c'est le souffleur! c'est différent! Entrez, mon brave!
+(Aux dames.) C'est le souffleur!... Et quel est l'orateur de
+l'aimable troupe?
+
+
+CHAMPLAIN, montrant Christine.
+
+C'est celle-là, Monsieur...
+
+
+BEVALLAN.
+
+Ah! la petite au chien... oui, je la reconnais!... Eh bien,
+venez mon enfant; je vais moi-même vous présenter à ces dames.
+(Il la conduit par la main vers la droite; à part.) Elle est
+gentille tout à fait cette petite... elle a encore embelli...
+(Galamment, à Christine): Comment donc vous appelez-vous, mon
+enfant, je ne me souviens pas...
+
+
+CHRISTINE.
+
+Christine Oyadec, Monsieur.
+
+
+BEVALLAN.
+
+Ah! bien... Et vous demeurez près d'ici, sans doute?
+
+
+CHRISTINE.
+
+Auprès du moulin, oui, Monsieur.
+
+
+BEVALLAN.
+
+Ah! très-bien! (Christine s'arrête devant Marguerite;
+Champlain derrière Christine; le groupe des jeunes filles un
+peu en arrière.)
+
+
+CHAMPLAIN, à Christine.
+
+Mais va... va donc!
+
+
+CHRISTINE.
+
+Il faut commencer?
+
+
+CHAMPLAIN.
+
+Mais oui... va donc... (Lui soufflant.) "Mademoiselle...
+
+
+CHRISTINE, récitant avec trouble.
+
+"Mademoiselle, les anciens, dans cette belle fête de
+l'hyménée, avaient la coutume ingénieuse d'allumer un
+flambeau: ce flambeau... (Elle s'arrête.)
+
+
+CHAMPLAIN, lui soufflant.
+
+"Symbolique!
+
+
+CHRISTINE.
+
+"Symbolique... ce flambeau symbolique... Mademoiselle...
+
+
+CHAMPLAIN.
+
+"Deux fois symbolique!"
+
+
+CHRISTINE, à Champlain.
+
+Mais, je l'ai dit deux fois...
+
+
+CHAMPLAIN.
+
+Petite bête!
+
+
+CHRISTINE.
+
+Quoi!... Ah! je ne sais plus... je ne me rappelle plus:
+Mademoiselle... excusez... mais je vous assure... que nous
+vous aimons bien, et que nous prions le bon Dieu de tout notre
+coeur... que vous soyez heureuse... avec votre épouseux.
+
+
+BEVALLAN, riant.
+
+Brava! brava!
+
+
+MARGUERITE.
+
+C'est très-bien, va; merci, mon enfant.
+
+
+CHRISTINE, montrant Maxime, avec curiosité.
+
+C'est-il Monsieur que vous épousez?
+
+
+MARGUERITE.
+
+Non, mon enfant.
+
+
+CHRISTINE, montrant Bévallan.
+
+C'est donc Monsieur?
+
+
+MARGUERITE.
+
+Oui.
+
+
+CHRISTINE.
+
+Ah! tant pis!
+
+
+BEVALLAN, affectant de rire.
+
+Brava!... brava!... charmante!... naïveté agreste!
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Vous viendrez me trouver toutes demain matin, Mesdemoiselles.
+
+
+LES JEUNES FILLES ET CHAMPLAIN, à l'unisson.
+
+Oui, Madame.
+
+
+BEVALLAN.
+
+C'est cela, c'est convenu... Allez, enfants, allez... (Les
+jeunes filles se retirent au fond.) Et maintenant, mon cher
+notaire, si vous voulez faire votre petite installation...
+Là... très-bien... (Comme le notaire vient de s'asseoir, il se
+fait au dehors une certaine agitation; Bévallan se retourne.)
+Eh bien, qu'est-ce qu'il y a donc? qu'est-ce qui arrive?
+(Desmarets se présente au fond; Bévallan va au-devant de lui;
+madame Laroque se lève.)
+
+
+SCENE VIII.
+
+
+LES PRECEDENTS, DESMARETS
+
+
+(Bévallan échange quelques mots à voix basse avec Desmarets.)
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Eh bien... qu'y a-t-il?... De grâce, Messieurs!
+
+
+BEVALLAN.
+
+Mon Dieu, Madame... je suis désespéré... Monsieur votre père
+est plus souffrant...
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Plus souffrant?
+
+
+DESMARETS.
+
+Oui, Madame... Il a été pris subitement d'une grande agitation
+fiévreuse... et ces brusques changements dans l'état d'un
+malade sont toujours des symptômes graves...
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Ah! mon Dieu!... mais j'y cours... Marguerite, mon enfant...
+allons... vite!... ah!... (Les jeunes filles restées au fond
+s'écartent avec un mouvement de terreur; M. Laroque paraît,
+marchant d'un pas roide et sinistre; il s'arrête et s'appuie
+contre les piliers de la porte. Alain le suit. Madame Laroque,
+sa fille et Desmarets s'approchent du vieillard.)
+
+
+SCENE IX.
+
+
+LES PRECEDENTS, M. LAROQUE, ALAIN.
+
+
+DESMARETS, à demi-voix, à Alain.
+
+Comment, Alain... vous l'avez laissé...
+
+
+ALAIN.
+
+Monsieur a voulu sortir... je n'ai pu l'en empêcher...
+
+
+MARGUERITE, allant au-devant du vieillard.
+
+Mon père... me reconnaissez-vous? (M. Laroque fait un signe de
+tête grave et affectueux.) Voulez-vous mon bras? (Le vieillard
+refuse.) Vous êtes fatigué?... Vous voulez vous reposer? (M.
+Laroque consent d'un signe de tête.)
+
+
+DESMARETS.
+
+Eh bien, approchez ce fauteuil... fermez ces fenêtres... Vous
+devez vous trouver mieux ici, Monsieur... On y respire au
+moins, n'est-ce pas?... (M. Laroque, après une faible signe de
+tête, s'assoit dans le fauteuil. Desmarets continue,
+s'adressant aux femmes.) Tant qu'il se trouvera bien ici, il
+faut l'y laisser... Et quant à vous, Mesdames, vous ferez bien
+de vous retirer. Il est plus calme maintenant... il n'y a
+aucun danger immédiat... réservez vos forces: vous en aurez
+besoin bientôt, je le crains...
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Oh! nous ne pouvons le quitter maintenant... mon ami... Nous
+allons seulement, Marguerite et moi, changer ces toilettes,
+qui font un trop cruel contraste, et nous revenons aussitôt...
+
+
+DESMARETS.
+
+Eh bien, Madame, allez... M. Maxime et moi nous veillerons
+pendant ce temps-là.
+
+
+MAXIME.
+
+De grand coeur.
+
+
+BEVALLAN.
+
+Mon Dieu, je m'offre également.
+
+
+DESMARETS.
+
+Plus tard, Monsieur, plus tard... il ne faut pas top de monde
+à la fois... pas de bruit!... il dort... vous voyez. (Il sort
+par le fond. Elles sortent à gauche.)
+
+
+SCENE X.
+
+
+
+LAROQUE, à demi renversé et endormi dans le fauteuil, à
+droite, MAXIME, DESMARETS.
+
+
+(Demi-nuit: on a enlevé ou éteint les bougies; il ne reste
+plus qu'une lampe posée sur la table à gauche.)
+
+
+MAXIME.
+
+Eh bien?
+
+
+DESMARETS.
+
+Eh bien... c'est la fin, je crois... mais pas immédiatement;
+la lutte... peut être fort longue.
+
+
+MAXIME.
+
+Rien à faire?
+
+
+DESMARETS.
+
+Rien! Seulement on peut essayer de quelque potion calmante...
+Je vais vous laisser deux minutes pour faire préparer cela.
+
+
+MAXIME.
+
+Allez, mon ami...
+
+
+DESMARETS.
+
+Dites à ces dames que je suis là.
+
+
+MAXIME.
+
+Bien. (Desmarets sort à droite.)
+
+
+SCENE XI.
+
+
+MAXIME, M. LAROQUE.
+
+
+MAXIME, regardant le vieillard endormi.
+
+Ce malheureux!... Après tout, il s'est repenti... il a
+souffert... il a expié!... et c'est moi que la Providence
+charge de veiller sur son dernier sommeil! Etrange destin! Ah!
+ce sommeil, je le lui envie!... Cette journée m'a brisé! (Il
+s'asseoit près de la table.) Que je suis las! (Il appuie sa
+tête sur sa main: la lumière de la lampe éclaire son visage.
+Le vieillard s'éveille: ses yeux, troublés, s'arrêtent sur le
+visage de Maxime; il paraît frappé d'étonnement et de terreur;
+il se lève avec effort. Maxime, épouvanté, se lève en même
+temps. La porte du fond s'ouvre: Marguerite paraît, et regarde
+son père d'un oeil étonné et bientôt terrifié.)
+
+
+SCENE XII.
+
+
+MAXIME, M. LAROQUE, MARGUERITE.
+
+
+MONSIEUR LAROQUE, d'une voix suppliante.
+
+Monsieur le marquis, pardonnez-moi!
+
+
+MARGUERITE, à part.
+
+Ciel! (Maxime, glacé d'effroi, reste immobile et muet.)
+
+
+MONSIEUR LAROQUE, avançant de deux pas vers Maxime, avec une
+solennité de spectre.
+
+Monsieur le marquis, pardonnez-moi!
+
+
+MARGUERITE, avec terreur.
+
+Mon Dieu! que dit-il?
+
+
+MAXIME, comprenant tout à coup marche sur le vieillard, et
+s'arrêtant devant lui, il lève une main sur sa tête.
+
+Soyez en paix, Monsieur, je vous pardonne! (Le visage du
+vieillard exprime soudain une joie exaltée. Il chancelle. --
+Maxime le soutient.)
+
+
+MARGUERITE, accourant à Maxime.1 [1. Maxime, Laroque,
+Marguerite.]
+
+Monsieur, que signifie cela? Parlez! Dites! Vous connaissez
+quelque secret terrible!
+
+
+MAXIME.
+
+Moi! Aucun... je me prête à son délire, voilà tout.
+
+
+MARGUERITE.
+
+Mon père... mon père chéri... parlez... parlez encore... je
+vous en supplie... Vous avez quelque pensée... quelque
+souvenir qui vous tourmente... n'est-ce pas? n'est-ce pas?
+dites... mon père... parlez... au nom du ciel... au nom du
+Dieu de miséricorde! (Le vieillard entr'ouvre les lèvres comme
+pour parler. Marguerite écoute avec angoisse. Tout à coup, il
+étend les bras, pousse un soupir profond et retombe sans
+mouvement dans le fauteuil.)
+
+
+MARGUERITE, poussant un cri.
+
+Ah! ma mère! (Elle tombe à genoux.)
+
+
+SCENE XIII.
+
+
+LES MEMES, DESMARETS, arrivant à la hâte.
+
+
+DESMARETS, après avoir touché le coeur du vieillard.
+
+Mademoiselle, priez!
+
+
+FIN DU QUATRIEME ACTE.
+
+
+
+
+ACTE CINQUIEME
+
+
+VIIe TABLEAU
+
+
+Même décor qu'au tableau précédent. -- Une table au milieu du
+salon. -- Bougies allumées.
+
+
+SCENE I.
+
+
+MAXIME, BEVALLAN, debout près de la table; LAUBEPIN, assis au
+milieu; MADAME LAROQUE, MARGUERITE, MADEMOISELLE HELOUIN,
+assises autour de la table.
+
+
+LAUBEPIN.
+
+Vous ne jugez pas à propos, Madame, de convoquer ici les
+domestiques de cette maison?
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Est-ce nécessaire; mon ami?
+
+
+LAUBEPIN.
+
+Nullement, Madame.
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Eh bien, restons entre nous, je préfère cela.
+
+
+LAUBEPIN.
+
+Soit! Madame et Mademoiselle, vous avez bien voulu, il y a
+huit jours, en m'annonçant la perte douloureuse que vous
+veniez de subir, m'inviter à me rendre près de vous, et
+m'investir d'une mission de haute confiance, celle de procéder
+à l'inventaire officiel des papiers particuliers de feu M.
+Laroque, votre beau-père et grand-père. Je vous rendrai compte
+sommairement d'abord des résultats de mon examen, après quoi
+nous entrerons dans le détail des chiffres. Et d'abord,
+Mesdames, bien que toutes les pièces relatives aux volontés
+testamentaires de M. Laroque fussent étiquetées et numérotées
+avec soin, je dois vous dire que je n'ai pu mettre la main
+jusqu'ici sur la pièce n° 1. La pièce n° 1 manque. (Madame
+Aubry jette un regard sur Maxime.) La pièce n° 2 règle
+très-honorablement le domaine de madame Laroque.
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Bien, bien, passez, mon ami; je suppose que ma fille ne me
+laissera pas mourir de faim: ainsi je suis parfaitement
+tranquille.
+
+
+BEVALLAN.
+
+Quant à cela, chère Madame, je suis là, moi! (A demi-voix à
+Laubépin.) Quel est le chiffre?
+
+
+LAUBEPIN.
+
+Un peu de patience, Monsieur, s'il vous plaît... La pièce n° 3
+pourvoit aux intérêts de Mademoiselle Hélouin. (Mademoiselle
+Hélouin regarde Maxime comme pour le remercier.)
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+J'en suis enchantée, ma chère petite...
+
+
+MADEMOISELLE HELOUIN.
+
+Madame!
+
+
+LAUBEPIN.
+
+La pièce n° 4 contient divers legs en faveur des domestiques,
+et c'est tout.
+
+
+MADAME AUBRY.
+
+Vous êtes sûr que c'est tout, Monsieur?
+
+
+LAUBEPIN.
+
+Parfaitement, Madame.
+
+
+MADAME AUBRY.
+
+Ainsi, il n'y a rien pour moi?
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Voyons, ma chère cousine, tranquillisez-vous; nous partagerons
+la même chaumière.
+
+
+MADAME AUBRY, avec aigreur.
+
+Je vous remercie, ma cousine, mais il n'en est pas moins
+extraordinaire... Au surplus, je sais à qui je dois tout cela.
+(Elle regarde Maxime.) Monsieur que voilà m'a toujours honorée
+de son amitié particulière... et je crois comprendre...
+
+
+MAXIME.
+
+Moi, Madame, je ne comprends pas.
+
+
+MADAME AUBRY.
+
+Vous comprendriez peut-être mieux, Monsieur, si je vous
+demandais ce qu'est devenue la pièce n° 1.
+
+
+MAXIME, troublé.
+
+Madame... (Tous les regards se fixent sur lui.)
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Qu'est-ce que vous voulez dire, ma cousine?
+
+
+LAUBEPIN.
+
+Oui... Madame... que voulez-vous dire? Daignez vous expliquer.
+
+
+MADAME AUBRY.
+
+Je veux dire qu'un certain jour j'ai vu, de mes deux yeux,
+Monsieur brûler une pièce détournée de ce portefeuille, et que
+l'enveloppe de cette pièce que j'ai trouvée au pied de votre
+brasero et que j'ai eu soin de recueillir, porte précisément
+le numéro qui manque ici, et pour preuve je vais vous chercher
+cette enveloppe. (Elle se lève: tous se lèvent en même temps:
+des domestiques emportent la table au fond.)
+
+
+LAUBEPIN.
+
+Restez, Madame... Maxime, répondez.
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Monsieur Maxime?
+
+
+BEVALLAN.
+
+Eh bien, Monsieur!
+
+
+MAXIME, avec embarras.
+
+Madame dit vrai... seulement, elle s'abuse sur le caractère de
+cette pièce; elle ne contenait aucune disposition en sa
+faveur, c'était une pièce insignifiante que j'ai cru pouvoir
+brûler. (Laubépin le regarde avec stupeur.)
+
+
+BEVALLAN, à part.
+
+Ma foi! c'est un peu trop fort, ça!
+
+
+MADAME LAROQUE, à Maxime.
+
+Comment, c'est vous qui avez fait un tel abus de notre
+confiance?
+
+
+MAXIME.
+
+Madame, vous vous trompez, je le répète, sur le caractère...
+
+
+LAUBEPIN.
+
+Mais enfin, cette pièce, quel en était le contenu?
+
+
+MAXIME, avec contrainte.
+
+Je ne saurais le dire. (Mouvement dans l'assistance.)
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Monsieur, je le regrette profondément, mais vous devez
+reconnaître que dès ce moment nous ne pouvons vivre sous le
+même toit.
+
+
+MAXIME.
+
+Madame, je le reconnais. (Il s'incline.) Adieu... (Il
+s'éloigne.)
+
+
+MARGUERITE.
+
+Monsieur Maxime, n'avez-vous donc rien... rien à dire pour
+votre défense?
+
+
+MAXIME.
+
+Rien. (Il salue de nouveau et sort par le fond.)
+
+
+SCENE II.
+
+
+LES MEMES, excepté MAXIME.
+
+
+LAUBEPIN, à part.
+
+Oui... oui... je comprends! c'est cela!
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Eh bien, mon pauvre Laubépin, voilà une déception!
+
+
+LAUBEPIN.
+
+Oui, Madame, oui.
+
+
+BEVALLAN.
+
+Moi, je déclare que le fait ne me surprend nullement... Ce
+Monsieur-là, dès le principe...
+
+
+MADAME AUBRY.
+
+Oui, c'est très-bien... mais tout cela ne me rend pas mon
+legs... car je suis bien convaincue que ce papier...
+
+
+LAUBEPIN.
+
+Calmez-vous, madame Aubry... Si cette pièce contenait votre
+legs, en effet, rien n'est perdu... car cette pièce, j'en ai
+le double: le voici!
+
+
+TOUS.
+
+Comment?
+
+
+LAUBEPIN.
+
+Par un surcroît de précautions, bien justifié aujourd'hui, M.
+Laroque m'avait confié ce secret qu'il m'était interdit de
+révéler tant qu'il a vécu... que j'espérais ne révéler
+jamais... Mais il le faut... (A Marguerite et à sa mère.)
+Lisez!
+
+
+MARGUERITE, parcourant le papier à la hâte.
+
+Le marquis de Champcey... Sainte-Lucie... Quoi!... Est-ce
+possible... Oh! Dieu... oui, ces paroles mystérieuses...
+suprêmes! Je les comprends maintenant, ah! quelle honte!
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Ma fille! chère enfant!
+
+
+LAUBEPIN, à Marguerite.
+
+Voulez-vous que je le rappelle?
+
+
+MARGUERITE.
+
+Lui! jamais!... Rougir devant lui! jamais! qu'il reste! qu'il
+reste ici!... Monsieur! C'est à nous... c'est à nous de
+partir!... Venez, ma mère, venez... Sortons d'ici. (A
+Laubépin.) Vous entendez! jamais! Oh! quelle honte! (Elle sort
+à gauche. Madame Laroque et mademoiselle Hélouin la
+soutiennent et sortent avec elle.)
+
+
+SCENE III.
+
+
+MADAME AUBRY, LAUBEPIN, BEVALLAN.
+
+
+BEVALLAN.
+
+Eh bien, cher Monsieur... qu'est-ce qu'il y a donc? ne peut-on
+savoir...?
+
+
+MADAME AUBRY.
+
+Oui, parlez, de grâce.
+
+
+LAUBEPIN.
+
+Il y a, que la fortune de M. Laroque, par suite d'événements
+de famille relatés dans cette pièce, appartient à M. Maxime,
+et que mademoiselle Marguerite paraît disposée à la lui
+restituer.
+
+
+BEVALLAN.
+
+Ah çà... qu'est-ce que vous me contez là?
+
+
+LAUBEPIN.
+
+Je n'ai pas à vous expliquer le fait; mais quant au fait je
+vous l'atteste.
+
+
+MADAME AUBRY.
+
+Eh bien, mais alors, dites-moi... il n'y a qu'une chose à
+faire, je vais le leur dire... (Se retournant, près de sortir
+à gauche.) Il y a assez longtemps qu'ils s'aiment d'ailleurs!
+
+
+SCENE IV.
+
+
+BEVALLAN, LAUBEPIN.
+
+
+BEVALLAN, qui a réfléchi.
+
+Ah, çà... que dit-elle donc!... Est-ce vrai qu'ils s'aiment,
+ces jeunes gens, vraiment? Mais alors, je vais dire comme
+elle, moi...
+
+
+LAUBEPIN, un peu railleur.
+
+Mais non... rassurez-vous... Vous avez la parole de
+Marguerite, et on ne peut pas vous demander non plus d'immoler
+vos sentiments!
+
+
+BEVALLAN, affectant la générosité.
+
+On ne peut pas me demander d'immoler! mais, ma parole, je ne
+sais pas comment on me juge, moi... je ne sais pas ce que j'ai
+fait... on me juge tout de travers, on me prend pour un
+misérable, sans âme, sans coeur... mais je suis un homme de
+sacrifice, moi, au contraire, de dévouement... je...
+
+
+SCENE V.
+
+
+LES MEMES, ALAIN.
+
+
+ALAIN, entrant à la hâte par le fond.
+
+M. Laubépin, si vous pouviez venir près de ces dames...
+Mademoiselle Marguerite est dans un état qui fait pitié... et
+Madame vous supplie...
+
+
+LAUBEPIN.
+
+J'y vais...
+
+
+BEVALLAN.
+
+Eh bien, je vous accompagne, moi; je vais dire qu'on fasse
+comme si je n'existais pas. Qu'est-ce que je demande, moi,
+qu'on fasse comme si je n'existais pas... voilà tout! On en me
+connaît réellement pas! (Laubépin et Bévallan sortent à
+gauche.)
+
+
+SCENE VI.
+
+
+ALAIN, puis MAXIME.
+
+
+ALAIN, éteignant les bougies.
+
+Ah! qu'est-ce qui se passe donc, mon Dieu! M. Maxime qui s'en
+va... et mademoiselle qui veut s'en aller aussi... à pied...
+la nuit...
+
+
+MAXIME, entrant par le fond, timidement.
+
+Alain!
+
+
+ALAIN.
+
+Ah! Monsieur! que je suis content de vous voir encore une
+fois!...
+
+
+MAXIME.
+
+Rends-moi un dernier service, mon ami... Il y a dans ma
+chambre deux ou trois paquets que je te prie de faire porter
+au bout de l'avenue... où le voiturier va les prendre dans
+quelques minutes... Va, mon ami... je te suis...
+
+
+ALAIN.
+
+Monsieur!
+
+
+MAXIME.
+
+Est-ce que tu me refuses?
+
+
+ALAIN.
+
+Ah! grand Dieu! Non, Monsieur.
+
+
+MAXIME.
+
+Allons, va. (Alain part par le fond en murmurant tristement.)
+
+
+SCENE VII.
+
+
+MAXIME, seul.
+
+Allons! il faut partir. C'est la dernière épreuve, mais la
+plus amère aussi. Partir! En ce moment, il me semble que je
+n'ai rien souffert. Ce lieu de continuelles tortures, à
+l'instant où je le quitte pour jamais, c'est un paradis!...
+Ah! qu'on est faible! j'étais là tout à l'heure dans ce
+jardin, comme un enfant, épiant le moment où je pourrais me
+glisser dans ce salon... pour être une minute encore près
+d'elle... Oui, c'est là que toute cette journée je l'ai vue
+près de sa mère... Cette broderie, sa main l'a touchée. (Il
+prend la broderie et la presse sur ses lèvres.) Ah! que je
+l'aimais! Adieu! adieu! (Marguerite paraît à gauche et
+s'arrête.)
+
+
+SCENE VIII.
+
+
+MAXIME, MARGUERITE.
+
+
+MAXIME, sans la voir.
+
+Ah! c'est trop de faiblesse! partons. (En se retournant, il
+aperçoit Marguerite.) Ah!
+
+
+MARGUERITE, s'inclinant.
+
+Monsieur le marquis, pardonnez-moi!
+
+
+MAXIME, avec une profonde émotion.
+
+Vous pardonner... (Il s'approche, et pliant le genou.) mais je
+t'adore!...
+
+
+SCENE IX.
+
+
+MAXIME, MARGUERITE, BEVALLAN, LAUBEPIN, MADAME LAROQUE, MADAME
+AUBRY, MADEMOISELLE HELOUIN, ALAIN.
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Maxime, mon fils.
+
+
+MAXIME.
+
+Madame... (A Laubépin.) Mon ami...
+
+
+BEVALLAN.
+
+Monsieur de Champcey... j'avais toujours senti vers vous un
+attrait que je m'explique maintenant!
+
+
+MAXIME.
+
+Monsieur!...
+
+
+ALAIN.
+
+Il est gentilhomme... j'en étais sûr!1 [1. Alain, mademoiselle
+Hélouin, madame Laroque, Marguerite, Maxime, Laubépin,
+Bévallan, madame Aubry.]
+
+
+MADAME LAROQUE.
+
+Marguerite, dis-lui...
+
+
+MARGUERITE, l'attirant un peu sur le devant de la scène.
+
+Vous savez que je ne puis accepter de vous que la moitié de
+votre fortune, et que votre soeur...
+
+
+MAXIME.
+
+Marguerite!
+
+
+MARGUERITE, avec âme.
+
+Ah! que je l'aime, votre soeur!
+
+
+
+
+FIN
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of Le roman d'un jeune homme pauvre (Play), by
+Octave Feuillet
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LE ROMAN D'UN JEUNE HOMME PAUVRE ***
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+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
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+including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
+because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
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+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at https://www.pglaf.org.
+
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
+https://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
+permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
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+Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
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+works.
+
+Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
+
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+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
+keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
+
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+Most people start at our Web site which has the main PG search facility:
+
+ https://www.gutenberg.org
+
+This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
+including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
+subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
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+This eBook, including all associated images, markup, improvements,
+metadata, and any other content or labor, has been confirmed to be
+in the PUBLIC DOMAIN IN THE UNITED STATES.
+
+Procedures for determining public domain status are described in
+the "Copyright How-To" at https://www.gutenberg.org.
+
+No investigation has been made concerning possible copyrights in
+jurisdictions other than the United States. Anyone seeking to utilize
+this eBook outside of the United States should confirm copyright
+status under the laws that apply to them.
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+Project Gutenberg (https://www.gutenberg.org) public repository for
+eBook #26816 (https://www.gutenberg.org/ebooks/26816)