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authorRoger Frank <rfrank@pglaf.org>2025-10-15 02:32:56 -0700
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+The Project Gutenberg EBook of Ourika, by Madame de Duras
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
+
+
+Title: Ourika
+
+Author: Madame de Duras
+
+Release Date: October 7, 2008 [EBook #26820]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: ISO-8859-1
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK OURIKA ***
+
+
+
+
+Produced by Daniel Fromont
+
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+
+
+[Transcriber's note: Madame de Duras (Claire-Louisa-Rose-Bonne Lechal
+de Kersaint; duchesse de Duras) (1778-1828), Ourika (1823), édition
+de 1878]
+
+
+
+
+
+MME DE DURAS
+
+OURIKA
+
+AVEC UNE NOTICE
+
+PAR
+
+DE LESCURE
+PARIS
+
+LIBRAIRIE DES BIBLIOPHILES
+
+Rue Saint-Honoré, 358
+
+M DCCC LXXVIII
+
+(...)
+
+
+
+INTRODUCTION
+
+J'étais arrivé depuis peu de mois de Montpellier, et je
+suivais à Paris la profession de la médecine, lorsque je fus
+appelé un matin au faubourg Saint-Jacques pour voir dans un
+couvent une jeune religieuse malade. L'empereur Napoléon avait
+permis depuis peu le rétablissement de quelques-uns de ces
+couvents. Celui où je me rendais était destiné à l'éducation
+de la jeunesse et appartenait à l'ordre des ursulines. La
+Révolution avait ruiné une partie de l'édifice; le cloître
+était à découvert d'un côté par la démolition de l'antique
+église, dont on ne voyait plus que quelques arceaux. Une
+religieuse m'introduisit dans ce cloître, que nous traversâmes
+en marchant sur de longues pierres plates qui formaient le
+pavé de ces galeries. Je m'aperçus que c'étaient des tombes,
+car elles portaient toutes des inscriptions pour la plupart
+effacées par le temps. Quelques-unes de ces pierres avaient
+été brisées pendant la Révolution. La soeur me le fit remarquer
+en me disant qu'on n'avait pas encore eu le temps de les
+réparer. Je n'avais jamais vu l'intérieur d'un couvent: ce
+spectacle était tout nouveau pour moi. Du cloître nous
+passâmes dans le jardin, où la religieuse me dit qu'on avait
+porté la soeur malade. En effet, je l'aperçus à l'extrémité
+d'une longue allée de charmille; elle était assise, et son
+grand voile noir l'enveloppait presque tout entière. "Voici le
+médecin," dit la soeur; et elle s'éloigna au même moment. Je
+m'approchai timidement, car mon coeur s'était serré en voyant
+ces tombes, et je me figurais que j'allais contempler une
+nouvelle victime des cloîtres: les préjugés de ma jeunesse
+venaient de se réveiller, et mon intérêt s'exaltait pour celle
+que j'allais visiter en proportion du genre de malheur que je
+lui supposais. Elle se tourna vers moi, et je fus étrangement
+surpris en apercevant une négresse! Mon étonnement s'accrut
+encore par la politesse de son accueil et le choix des
+expressions dont elle se servait. "Vous venez voir une
+personne bien malade! me dit-elle. A présent, je désire
+guérir, mais je ne l'ai pas toujours souhaité, et c'est peut-être
+ce qui m'a fait tant de mal." Je la questionnai sur sa
+maladie. "J'éprouve, me dit-elle, une oppression continuelle;
+je n'ai plus de sommeil, et la fièvre ne me quitte pas." Son
+aspect ne confirmait que trop cette triste description de son
+état: sa maigreur était excessive; ses yeux brillants et fort
+grands, ses dents d'une blancheur éblouissante, éclairaient
+seuls sa physionomie. L'âme vivait encore, mais le corps était
+détruit, et elle portait toutes les marques d'un long et
+violent chagrin. Touché au delà de l'expression, je résolus de
+tout tenter pour la sauver. Je commençai à lui parler de la
+nécessité de calmer son imagination, de se distraire,
+d'éloigner des sentiments pénibles. "Je suis heureuse, me
+dit-elle; jamais je n'ai éprouvé tant de calme et de bonheur."
+L'accent de sa voix était sincère: cette douce voix ne pouvait
+tromper; mais mon étonnement s'accroissait à chaque instant.
+"Vous n'avez pas toujours pensé ainsi, lui dis-je, et vous
+portez la trace de bien longues souffrances. -- Il est vrai,
+dit-elle, j'ai trouvé bien tard le repos de mon coeur; mais à
+présent je suis heureuse. -- Eh bien! s'il en est ainsi,
+repris-je, c'est le passé qu'il faut guérir: espérons que nous
+en viendrons à bout; mais ce passé, je ne puis le guérir sans
+le connaître. -- Hélas! répondit-elle, ce sont des folies!" En
+prononçant ces mots, une larme vint mouiller le bord de sa
+paupière. "Et vous dites que vous êtes heureuse? m'écriai-je.
+-- Oui, je le suis, reprit-elle avec fermeté, et je ne
+changerais pas mon bonheur contre le sort qui m'a fait
+autrefois tant d'envie. Je n'ai point de secret: mon malheur,
+c'est l'histoire de toute ma vie. J'ai tant souffert jusqu'au
+jour où je suis entrée dans cette maison que peu à peu ma
+santé s'est ruinée. Je me sentais dépérir avec joie, car je ne
+voyais dans l'avenir aucune espérance. Cette pensée était bien
+coupable! Vous le voyez, j'en suis punie; et, lorsque enfin je
+souhaite de vivre, peut-être que je ne le pourrai plus!" Je la
+rassurai, je lui donnai des espérances de guérison prochaine;
+mais, en prononçant ces paroles consolantes, en lui promettant
+la vie, je ne sais quel triste pressentiment m'avertissait
+qu'il était trop tard et que la mort avait marqué sa victime.
+
+Je revis plusieurs fois cette jeune religieuse; l'intérêt que
+je lui montrais parut la toucher. Un jour, elle revint d'elle-même
+au sujet où je désirais la conduire. "Les chagrins que
+j'ai éprouvés, dit-elle, doivent paraître si étranges que j'ai
+toujours senti une grande répugnance à les confier: il n'y a
+point de juge des peines des autres, et les confidents sont
+presque toujours des accusateurs. -- Ne craignez pas cela de
+moi, lui dis-je; je vois assez le ravage que le chagrin a fait
+en vous pour croire le vôtre sincère. -- Vous le trouverez
+sincère, dit-elle, mais il vous paraîtra déraisonnable. -- Et,
+en admettant ce que vous dites, repris-je, cela exclut-il la
+sympathie? -- Presque toujours répondit-elle; cependant, si
+pour me guérir vous avez besoin de connaître les peines qui
+ont détruit ma santé, je vous les confierai quand nous nous
+connaîtrons un peu davantage."
+
+Je rendis mes visites au couvent de plus en plus fréquentes.
+Le traitement que j'indiquai parut produire quelque effet.
+Enfin, un jour de l'été dernier, la retrouvant seule dans le
+même berceau, sur le même banc où je l'avais vue la première
+fois, nous reprîmes la même conversation, et elle me conta ce
+qui suit.
+
+
+
+
+OURIKA
+
+
+Je fus rapportée du Sénégal, à l'âge de deux ans, par M. le
+chevalier de B., qui en était gouverneur. Il eut pitié de moi,
+un jour qu'il voyait embarquer des esclaves sur un bâtiment
+négrier qui allait bientôt quitter le port. Ma mère était
+morte, et on m'emportait dans le vaisseau, malgré mes cris. M.
+de B. m'acheta, et, à son arrivée en France, il me donna à
+madame la maréchale de B., sa tante, la personne la plus
+aimable de son temps et celle qui sut réunir aux qualités les
+plus élevées la bonté la plus touchante.
+
+Me sauver de l'esclavage, me choisir pour bienfaitrice madame
+de B., c'était me donner deux fois la vie. Je fus ingrate
+envers la Providence en n'étant point heureuse, et cependant
+le bonheur résulte-t-il toujours de ces dons de
+l'intelligence? Je croirais plutôt le contraire: il faut payer
+le bienfait de savoir par le désir d'ignorer, et la fable ne
+nous dit pas si Galatée trouva le bonheur après avoir reçu la
+vie.
+
+Je ne sus que longtemps après l'histoire des premiers jours de
+mon enfance. Mes plus anciens souvenirs ne me retracent que le
+salon de madame de B.: j'y passais ma vie, aimée d'elle,
+caressée, gâtée par tous ses amis, accablée de présents,
+vantée, exaltée comme l'enfant le plus spirituel et le plus
+aimable.
+
+Le ton de cette société était l'enjouement, mais un enjouement
+dont le bon goût savait exclure tout ce qui ressemblait à
+l'exagération: on louait tout ce qui prêtait à la louange, on
+excusait tout ce qui prêtait au blâme, et souvent, par une
+adresse encore plus aimable, on transformait en qualités les
+défauts mêmes. Le succès donne du courage; on valait près de
+madame de B. tout ce qu'on pouvait valoir, et peut-être un peu
+plus, car elle prêtait quelque chose d'elle à ses amis sans
+s'en douter elle-même: en la voyant, en l'écoutant, on croyait
+lui ressembler.
+
+Vêtue à l'orientale, assise aux pieds de madame de B.,
+j'écoutais, sans la comprendre encore, la conversation des
+hommes les plus distingués de ce temps-là. Je n'avais rien de
+la turbulence des enfants; j'étais pensive avant de penser,
+j'étais heureuse à côté de madame de B. Aimer, pour moi,
+c'était être là, c'était l'entendre, lui obéir, la regarder
+surtout: je ne désirais rien de plus. Je ne pouvais m'étonner
+de vivre au milieu du luxe, de n'être entourée que des
+personnes les plus spirituelles et les plus aimables: je ne
+connaissais pas autre chose; mais, sans le savoir, je prenais
+un grand dédain pour tout ce qui n'était pas ce monde où je
+passais ma vie. Le bon goût est à l'esprit ce qu'une oreille
+juste est aux sons. Encore tout enfant, le manque de goût me
+blessait; je le sentais avant de pouvoir le définir, et
+l'habitude me l'avait rendu comme nécessaire. Cette
+disposition eût été dangereuse si j'avais eu un avenir; mais
+je n'avais pas d'avenir, et je ne m'en doutais pas.
+
+J'arrivai jusqu'à l'âge de douze ans sans avoir eu l'idée
+qu'on pouvait être heureuse autrement que je ne l'étais. Je
+n'étais pas fâchée d'être une négresse: on me disait que
+j'étais charmante; d'ailleurs, rien ne m'avertissait que ce
+fût un désavantage; je ne voyais presque pas d'autres enfants;
+un seul était mon ami, et ma couleur noire ne l'empêchait pas
+de m'aimer.
+
+Ma bienfaitrice avait deux petits-fils, enfants d'une fille
+qui était morte jeune. Charles, le cadet, était à peu près de
+mon âge. Elevé avec moi, il était mon protecteur, mon conseil
+et mon soutien dans toutes mes petites fautes. A sept ans, il
+alla au collège; je pleurai en le quittant: ce fut ma première
+peine. Je pensais souvent à lui, mais je ne le voyais presque
+plus; il étudiait, et moi, de mon côté, j'apprenais, pour
+plaire à madame de B., tout ce qui devait former une éducation
+parfaite. Elle voulut que j'eusse tous les talents: j'avais de
+la voix, les maîtres les plus habiles l'exercèrent; j'avais le
+goût de la peinture, et un peintre célèbre, ami de madame de
+B., se chargea de diriger mes efforts. J'appris l'anglais,
+l'italien, et madame de B. elle-même s'occupait de mes
+lectures; elle guidait mon esprit, formait mon jugement. En
+causant avec elle, en découvrant tous les trésors de son âme,
+je sentais la mienne s'élever, et c'était l'admiration qui
+m'ouvrait les voies de l'intelligence. Hélas! je ne prévoyais
+pas que ces douces études seraient suivies de jours si amers!
+Je ne pensais qu'à plaire à madame de B.; un sourire
+d'approbation sur ses lèvres était tout mon avenir.
+
+Cependant des lectures multipliées, celle des poëtes surtout,
+commençaient à occuper ma jeune imagination; mais, sans but,
+sans projet, je promenais au hasard mes pensées errantes, et,
+avec la confiance de mon jeune âge, je me disais que madame de
+B. saurait bien me rendre heureuse... Sa tendresse pour moi,
+la vie que je menais, tout prolongeait mon erreur et
+autorisait mon aveuglement. Je vais vous donner un exemple des
+soins et des préférences dont j'étais l'objet.
+
+Vous aurez peut-être de la peine à croire, en me voyant
+aujourd'hui, que j'aie été citée pour l'élégance et la beauté
+de ma taille. madame de B. vantait souvent ce qu'elle appelait
+ma grâce, et elle avait voulu que je susse parfaitement
+danser. Pour faire briller ce talent, ma bienfaitrice donna un
+bal dont ses petits-fils furent le prétexte, mais dont le
+véritable motif était de me montrer fort à mon avantage dans
+un quadrille des quatre parties du monde où je devais
+représenter l'Afrique. On consulta les voyageurs, on feuilleta
+les livres de costumes, on lut des ouvrages savants sur la
+musique africaine, enfin on choisit une _comba_, danse nationale
+de mon pays. Mon danseur mit un crêpe sur son visage. Hélas!
+je n'eus pas besoin d'en mettre sur le mien; mais je ne fis
+pas alors cette réflexion. Tout entière au plaisir du bal, je
+dansais la _comba_, et j'eus tout le succès qu'on pouvait
+attendre de la nouveauté du spectacle et du choix des
+spectateurs, dont la plupart, amis de madame de B.,
+s'enthousiasmaient pour moi et croyaient lui faire plaisir en
+se laissant aller à toute la vivacité de ce sentiment. La
+danse, d'ailleurs, était piquante: elle se composait d'un
+mélange d'attitudes et de pas mesurés; on y peignait l'amour,
+la douleur, le triomphe et le désespoir. Je ne connaissais
+encore aucun de ces mouvements violents de l'âme; mais je ne
+sais quel instinct me les faisait deviner. Enfin je réussis.
+On m'applaudit, on m'entoura, on m'accabla d'éloges. Ce
+plaisir fut sans mélange: rien ne troublait alors ma sécurité.
+Ce fut peu de jours après ce bal qu'une conversation, que
+j'entendis par hasard, ouvrit mes yeux et finit ma jeunesse.
+
+Il y avait dans le salon de madame de B. un grand paravent de
+laque. Ce paravent cachait une porte, mais il s'étendait aussi
+près d'une des fenêtres, et entre le paravent et la fenêtre se
+trouvait une table où je dessinais quelquefois. Un jour, je
+finissais avec application une miniature. Absorbée par mon
+travail, j'étais restée longtemps immobile, et sans doute
+madame de B. me croyait sortie, lorsqu'on annonça une de ses
+amies, la marquise de ***. C'était une personne d'une raison
+froide, d'un esprit tranchant, positive jusqu'à la sécheresse;
+elle portait ce caractère dans l'amitié: les sacrifices ne lui
+coûtaient rien pour le bien et pour l'avantage de ses amis;
+mais elle leur faisait payer cher ce grand attachement.
+Inquisitive et difficile, son exigence égalait son dévouement,
+et elle était la moins aimable des amies de madame de B. Je la
+craignais, quoiqu'elle fût bonne pour moi; mais elle l'était à
+sa manière: examiner, et même assez sévèrement, était pour
+elle un signe d'intérêt. Hélas! j'étais si accoutumée à la
+bienveillance que la justice me semblait toujours redoutable.
+"Pendant que nous sommes seules, dit Mme de *** à madame de
+B., je veux vous parler d'Ourika. Elle devient charmante, son
+esprit est tout à fait formé, elle causera comme vous, elle
+est pleine de talents, elle est piquante, naturelle; mais que
+deviendra-t-elle? et enfin qu'en ferez-vous? -- Hélas! dit
+madame de B., cette pensée m'occupe souvent, et, je vous
+l'avoue, toujours avec tristesse. Je l'aime comme si elle
+était ma fille; je ferais tout pour la rendre heureuse, et
+cependant, lorsque je réfléchis à sa position, je la trouve
+sans remède. Pauvre Ourika! je la vois seule, pour toujours
+seule dans la vie!"
+
+Il me serait impossible de vous peindre l'effet que produisit
+en moi ce peu de paroles. L'éclair n'est pas plus prompt: je
+vis tout; je me vis négresse, dépendante, méprisée, sans
+fortune, sans appui, sans un être de mon espèce à qui unir mon
+sort, jusqu'ici un jouet, un amusement pour ma bienfaitrice,
+bientôt rejetée d'un monde où je n'étais pas faite pour être
+admise. Une affreuse palpitation me saisit, mes yeux
+s'obscurcirent, le battement de mon coeur m'ôta un instant la
+faculté d'écouter encore; enfin je me remis assez pour
+entendre la suite de cette conversation.
+
+"Je crains, disait Mme de ***., que vous ne la rendiez
+malheureuse. Que voulez-vous qui la satisfasse, maintenant
+qu'elle a passé sa vie dans l'intimité de votre société? --
+Mais elle y restera, dit madame de B. -- Oui, reprit Mme de
+***, tant qu'elle est une enfant; mais elle a quinze ans: à
+qui la marierez-vous, avec l'esprit qu'elle a et l'éducation
+que vous lui avez donnée? Qui voudra jamais épouser une
+négresse? Et si, à force d'argent, vous trouvez quelqu'un qui
+consente à avoir des enfants nègres, ce sera un homme d'une
+condition inférieure, et avec qui elle se trouvera
+malheureuse. Elle ne peut vouloir que de ceux qui ne voudront
+pas d'elle. -- Tout cela est vrai, dit madame de B.; mais
+heureusement elle ne s'en doute point encore, et elle a pour
+moi un attachement qui, j'espère, la préservera longtemps de
+juger sa position. Pour la rendre heureuse, il eût fallu en
+faire une personne commune: je crois sincèrement que cela
+était impossible. Eh bien! peut-être sera-t-elle assez
+distinguée pour se placer au-dessus de son sort, n'ayant pu
+rester au dessous. -- Vous vous faites des chimères, dit Mme de
+***; la philosophie nous place au-dessus des maux de la
+fortune, mais elle ne peut rien contre les maux qui viennent
+d'avoir brisé l'ordre de la nature. Ourika n'a pas rempli sa
+destinée; elle s'est placée dans la société sans sa
+permission; la société se vengera. -- Assurément, dit madame de
+B., elle est bien innocente de ce crime; mais vous êtes sévère
+pour cette pauvre enfant. -- Je lui veux plus de bien que vous,
+reprit Mme de ***; je désire son bonheur, et vous la perdez."
+Madame de B. répondit avec impatience, et j'allais être la
+cause d'une querelle entre les deux amies, quand on annonça
+une visite. Je me glissai derrière le paravent, je m'échappai;
+je courus dans ma chambre, où un déluge de larmes soulagea un
+instant mon pauvre coeur.
+
+C'était un grand changement dans ma vie que la perte de ce
+prestige qui m'avait environnée jusqu'alors! Il y a des
+illusions qui sont comme la lumière du jour: quand on les
+perd, tout disparaît avec elles. Dans la confusion des
+nouvelles idées qui m'assaillaient, je ne retrouvais plus rien
+de ce qui m'avait occupée jusqu'alors: c'était un abîme avec
+toutes ses terreurs. Ce mépris dont je me voyais poursuivie,
+cette société où j'étais déplacée, cet homme qui, à prix
+d'argent, consentirait peut-être que ses enfants fussent
+nègres, toutes ces pensées s'élevaient successivement comme
+des fantômes et s'attachaient sur moi comme des furies,
+l'isolement surtout, cette conviction que j'étais seule, pour
+toujours seule dans la vie, madame de B. l'avait dit; et à
+chaque instant je me répétais: "Seule! pour toujours seule!"
+La veille encore, que m'importait d'être seule? Je n'en savais
+rien, je ne le sentais pas; j'avais besoin de ce que j'aimais,
+je ne songeais pas que ce que j'aimais n'avait pas besoin de
+moi. Mais à présent mes yeux étaient ouverts, et le malheur
+avait déjà fait entrer la défiance dans mon âme.
+
+Quand je revins chez madame de B., tout le monde fut frappé de
+mon changement. On me questionna: je dis que j'étais malade;
+on le crut. Madame de B. envoya chercher Barthez, qui
+m'examina avec soin, me tâta le pouls et dit brusquement que
+je n'avais rien. Madame de B. se rassura et essaya de me
+distraire et de m'amuser. Je n'ose dire combien j'étais
+ingrate pour ces soins de ma bienfaitrice: mon âme s'était
+comme resserrée en elle-même. Les bienfaits qui sont doux à
+recevoir sont ceux dont le coeur s'acquitte: le mien était
+rempli d'un sentiment trop amer pour se répandre au dehors.
+Des combinaisons infinies des mêmes pensées occupaient tout
+mon temps; elles se reproduisaient sous mille formes
+différentes; mon imagination leur prêtait les couleurs les
+plus sombres; souvent mes nuits entières se passaient à
+pleurer. J'épuisais ma pitié sur moi-même: ma figure me
+faisait horreur, je n'osais plus me regarder dans une glace;
+lorsque mes yeux se portaient sur mes mains noires, je croyais
+voir celles d'un singe; je m'exagérais ma laideur, et cette
+couleur me paraissait comme le signe de ma réprobation: c'est
+elle qui me séparait de tous les êtres de mon espèce, qui me
+condamnait à être seule, toujours seule, jamais aimée! Un
+homme, à prix d'argent, consentirait peut-être que ses enfants
+fussent nègres!... Tout mon sang se soulevait d'indignation à
+cette pensée. J'eus un moment l'idée de demander à madame de
+B. de me renvoyer dans mon pays; mais là encore j'aurais été
+isolée... Qui m'aurait entendue? qui m'aurait comprise? Hélas!
+je n'appartenais plus à personne! j'étais étrangère à la race
+humaine tout entière!
+
+Ce n'est que bien longtemps après que je compris la
+possibilité de me résigner à un tel sort. Madame de B. n'était
+point dévote: je devais à un prêtre respectable, qui m'avait
+instruite pour ma première communion, ce que j'avais de
+sentiments religieux; ils étaient sincères comme tout mon
+caractère, mais je ne savais pas que, pour être profitable, la
+piété a besoin d'être mêlée à toutes les actions de la vie. La
+mienne avait occupé quelques instants de mes journées, mais
+elle était demeurée étrangère à tout le reste. Mon confesseur
+était un saint vieillard, peu soupçonneux; je le voyais deux
+ou trois fois par an, et, comme je n'imaginais pas que des
+chagrins fussent des fautes, je ne lui parlais pas de mes
+peines; elles altéraient sensiblement ma santé, mais, chose
+étrange, elles perfectionnaient mon esprit. Un sage d'Orient a
+dit: "Celui qui n'a pas souffert, que sait-il?" Je vis que je
+ne savais rien avant mon malheur; mes impressions étaient
+toutes des sentiments: je ne jugeais pas, j'aimais; les
+discours, les actions, les personnes, plaisaient ou
+déplaisaient à mon coeur. A présent, mon esprit s'était séparé
+de ces mouvements involontaires: le chagrin est comme
+l'éloignement, il fait juger l'ensemble des objets. Depuis que
+je me sentais étrangère à tout, j'étais devenue plus
+difficile, et j'examinais, en le critiquant, presque tout ce
+qui m'avait plu jusqu'alors.
+
+Cette disposition ne pouvait échapper à madame de B. Je n'ai
+jamais su si elle en devina la cause: elle craignait peut-être
+d'exalter ma peine en me permettant de la confier; mais elle
+me montrait encore plus de bonté que de coutume; elle me
+parlait avec un entier abandon, et, pour me distraire de mes
+chagrins, elle m'occupait de ceux qu'elle avait elle-même.
+Elle jugeait bien mon coeur: je ne pouvais, en effet, me
+rattacher à la vie que par l'idée d'être nécessaire ou du
+moins utile à ma bienfaitrice. La pensée qui me poursuivait le
+plus, c'est que j'étais isolée sur la terre, et que je pouvais
+mourir sans laisser de regrets dans le coeur de personne.
+J'étais injuste pour madame de B.; elle m'aimait, elle me
+l'avait assez prouvé; mais elle avait des intérêts qui
+passaient bien avant moi. Je n'enviais pas sa tendresse à ses
+petits-fils, surtout à Charles; mais j'aurais voulu pouvoir
+dire comme eux: "Ma mère!"
+
+Les liens de famille surtout me faisaient faire des retours
+bien douloureux sur moi-même, moi qui jamais ne devais être la
+soeur, la femme, la mère de personne! Je me figurais dans ces
+liens plus de douceur qu'ils n'en ont peut-être, et je
+négligeais ceux qui m'étaient permis parce que je ne pouvais
+atteindre à ceux-là. Je n'avais point d'amie, personne n'avait
+ma confiance. Ce que j'avais pour madame de B. était plutôt un
+culte qu'une affection; mais je crois que je sentais pour
+Charles tout ce qu'on éprouve pour un frère.
+
+Il était toujours au collège, qu'il allait bientôt quitter
+pour commencer ses voyages; il partait avec son frère aîné et
+son gouverneur, et ils devaient visiter l'Allemagne,
+l'Angleterre et l'Italie. Leur absence devait durer deux ans.
+Charles était charmé de partir, et moi je ne fus affligée
+qu'au dernier moment: car j'étais toujours bien aise de ce qui
+lui faisait plaisir. Je ne lui avais rien dit de toutes les
+idées qui m'occupaient; je ne le voyais jamais seul, et il
+m'aurait fallu bien du temps pour lui expliquer ma peine. Je
+suis sûre qu'alors il m'aurait comprise; mais il avait, avec
+son air doux et grave, une disposition à la moquerie qui me
+rendait timide. Il est vrai qu'il ne l'exerçait guère que sur
+les ridicules de l'affectation: tout ce qui était sincère le
+désarmait. Enfin je ne lui dis rien. Son départ, d'ailleurs,
+était une distraction, et je crois que cela me faisait du bien
+de m'affliger d'autre chose que de ma douleur habituelle.
+
+Ce fut peu de temps après le départ de Charles que la
+Révolution prit un caractère plus sérieux. Je n'entendais
+parler tout le jour, dans le salon de madame de B., que des
+grands intérêts moraux et politiques que cette révolution
+remua jusque dans leur source; ils se rattachaient à ce qui
+avait occupé les esprits supérieurs de tous les temps. Rien
+n'était plus capable d'étendre et de former mes idées que le
+spectacle de cette arène où des hommes distingués remettaient
+chaque jour en question tout ce qu'on avait pu croire jugé
+jusqu'alors. Ils approfondissaient tous les sujets,
+remontaient à l'origine de toutes les institutions, mais trop
+souvent pour tout ébranler et pour tout détruire.
+
+Croiriez-vous que, jeune comme j'étais, étrangère à tous les
+intérêts de la société, nourrissant à part ma plaie secrète,
+la Révolution apporta un changement dans mes idées, fit naître
+dans mon coeur quelques espérances et suspendit un moment mes
+maux? tant on cherche vite ce qui peut consoler! J'entrevis
+donc que dans ce grand désordre je pourrais trouver une place,
+que toutes les fortunes renversées, tous les rangs confondus,
+tous les préjugés évanouis, amèneraient peut-être un état de
+choses où je serais moins étrangère, et que, si j'avais
+quelque supériorité d'âme, quelque qualité cachée, on
+l'apprécierait lorsque ma couleur ne m'isolerait plus au
+milieu du monde, comme elle avait fait jusqu'alors. Mais il
+arriva que ces qualités mêmes que je pouvais me trouver
+s'opposèrent vite à mon illusion: je ne pus désirer longtemps
+beaucoup de mal pour un peu de bien personnel. D'un autre
+côté, j'apercevais les ridicules de ces personnages qui
+voulaient maîtriser les événements; je jugeais les petitesses
+de leurs caractères, je devinais leurs vues secrètes. Bientôt
+leur fausse philanthropie cessa de m'abuser, et je renonçai à
+l'espérance en voyant qu'il resterait encore assez de mépris
+pour moi au milieu de tant d'adversités. Cependant je
+m'intéressais toujours à ces discussions animées; mais elles
+ne tardèrent pas à perdre ce qui faisait leur plus grand
+charme. Déjà le temps n'était plus où l'on ne songeait qu'à
+plaire, et où la première condition, pour y réussir, était
+l'oubli des succès de son amour-propre: lorsque la Révolution
+cessa d'être une belle théorie et qu'elle toucha aux intérêts
+intimes de chacun, les conversations dégénérèrent en disputes,
+et l'aigreur, l'amertume et les personnalités prirent la place
+de la raison. Quelquefois, malgré ma tristesse, je m'amusais
+de toutes ces violentes opinions, qui n'étaient au fond
+presque jamais que des prétentions, des affectations ou des
+peurs; mais la gaieté qui vient de l'observation des ridicules
+ne fait pas de bien: il y a trop de malignité dans cette
+gaieté pour qu'elle puisse réjouir le coeur qui ne se plaît que
+dans les joies innocentes. On peut avoir cette gaieté moqueuse
+sans cesser d'être malheureux; peut-être même le malheur rend-il
+plus susceptible de l'éprouver, car l'amertume dont l'âme
+se nourrit fait l'aliment habituel de ce triste plaisir.
+
+L'espoir sitôt détruit que m'avait inspiré la Révolution
+n'avait point changé la situation de mon âme. Toujours
+mécontente de mon sort, mes chagrins n'étaient adoucis que par
+la confiance et les bontés de madame de B. Quelquefois, au
+milieu de ces conversations politiques dont elle ne pouvait
+réussir à calmer l'aigreur, elle me regardait tristement. Ce
+regard était un baume pour mon coeur; il semblait me dire:
+"Ourika, vous seule m'entendrez!"
+
+On commençait à parler de la liberté des nègres. Il était
+impossible que cette question ne me touchât pas vivement:
+c'était une illusion que j'aimais encore à me faire
+qu'ailleurs, du moins, j'avais des semblables. Comme ils
+étaient malheureux, je les croyais bons, et je m'intéressais à
+leur sort. Hélas! je fus promptement détrompée! Les massacres
+de Saint-Domingue me causèrent une douleur nouvelle et
+déchirante. Jusqu'ici je m'étais affligée d'appartenir à une
+race proscrite; maintenant j'avais honte d'appartenir à une
+race de barbares et d'assassins.
+
+Cependant la Révolution faisait des progrès rapides; on
+s'effrayait en voyant les hommes les plus violents s'emparer
+de toutes les places. Bientôt il parut que ces hommes étaient
+décidés à ne rien respecter: les affreuses journées du 20 juin
+et du 10 août durent préparer à tout. Ce qui restait de la
+société de madame de B. se dispersa à cette époque: les uns
+fuyaient les persécutions dans les pays étrangers; les autres
+se cachaient ou se retiraient en province. Madame de B. ne fit
+ni l'un ni l'autre; elle était fixée chez elle par
+l'occupation constante de son coeur: elle resta avec un
+souvenir et près d'un tombeau.
+
+Nous vivions depuis quelques mois dans la solitude, lorsque, à
+la fin de l'année 1792, parut le décret de confiscation des
+biens des émigrés. Au milieu de ce désastre général, madame de
+B. n'aurait pas compté la perte de sa fortune si elle n'eût
+appartenu à ses petits-fils; mais, par des arrangements de
+famille, elle n'en avait que la jouissance. Elle se décida
+donc à faire revenir Charles, le plus jeune des deux frères,
+et à envoyer l'aîné, âgé de près de vingt ans, à l'armée de
+Condé. Ils étaient alors en Italie, et achevaient ce grand
+voyage, entrepris, deux ans auparavant, dans des circonstances
+bien différentes. Charles arriva à Paris au commencement de
+février 1793, peu de temps après la mort du roi.
+
+Ce grand crime avait causé à madame de B. la plus violente
+douleur; elle s'y livrait tout entière, et son âme était assez
+forte pour proportionner l'horreur du forfait à l'immensité du
+forfait même. Les grandes douleurs, dans la vieillesse, ont
+quelque chose de frappant: elles ont pour elles l'autorité de
+la raison. Madame de B. souffrait avec toute l'énergie de son
+caractère; sa santé en était altérée, mais je n'imaginais pas
+qu'on pût essayer de la consoler, ou même de la distraire. Je
+pleurais, je m'unissais à ses sentiments, j'essayais d'élever
+mon âme pour la rapprocher de la sienne, pour souffrir du
+moins autant qu'elle et avec elle.
+
+Je ne pensai presque pas à mes peines tant que dura la
+Terreur: j'aurais eu honte de me trouver malheureuse en
+présence de ces grandes infortunes: d'ailleurs, je ne me
+sentais plus isolée depuis que tout le monde était malheureux.
+L'opinion est comme une patrie: c'est un bien dont on jouit
+ensemble; on est frère pour la soutenir et pour la défendre.
+Je me disais quelquefois que moi, pauvre négresse, je tenais
+pourtant à toutes les âmes élevées par le besoin de la justice
+que j'éprouvais en commun avec elles: le jour du triomphe de
+la vertu et de la vérité serait un jour de triomphe pour moi
+comme pour elles; mais, hélas! ce jour était bien loin.
+
+Aussitôt que Charles fut arrivé, madame de B. partit pour la
+campagne. Tous ses amis étaient cachés ou en fuite; sa société
+se trouvait presque réduite à un vieil abbé que, depuis dix
+ans, j'entendais tous les jours se moquer de la religion, et
+qui à présent s'irritait qu'on eût vendu les biens du clergé,
+parce qu'il y perdait vingt mille livres de rente. Cet abbé
+vint avec nous à Saint-Germain. Sa société était douce, ou
+plutôt elle était tranquille, car son calme n'avait rien de
+doux: il venait de la tournure de son esprit plutôt que de la
+paix de son coeur.
+
+Madame de B. avait été toute sa vie dans la position de rendre
+beaucoup de services. Liée avec M. de Choiseul, elle avait pu,
+pendant ce long ministère, être utile à bien des gens. Deux
+des hommes les plus influents pendant la Terreur avaient des
+obligations à madame de B.; ils s'en souvinrent et se
+montrèrent reconnaissants. Veillant sans cesse sur elle, ils
+ne permirent pas qu'elle fût atteinte; ils risquèrent
+plusieurs fois leurs vies pour dérober la sienne aux fureurs
+révolutionnaires: car on doit remarquer qu'à cette époque
+funeste les chefs mêmes des partis les plus violents ne
+pouvaient faire un peu de bien sans danger; il semblait que
+sur cette terre désolée on ne pût régner que par le mal, tant
+lui seul donnait et ôtait la puissance. Madame de B. n'alla
+point en prison; elle fut gardée chez elle, sous prétexte de
+sa mauvaise santé. Charles, l'abbé et moi, nous restâmes
+auprès d'elle, et nous lui donnions tous nos soins.
+
+Rien ne peut peindre l'état d'anxiété et de terreur des
+journées que nous passâmes alors, lisant chaque soir, dans les
+journaux, la condamnation et la mort des amis de madame de B.,
+et tremblant à tout instant que ses protecteurs n'eussent plus
+le pouvoir de la garantir du même sort. Nous sûmes qu'en effet
+elle était au moment de périr, lorsque la mort de Robespierre
+mit un terme à tant d'horreurs. On respira; les gardes
+quittèrent la maison de madame de B., et nous restâmes tous
+quatre dans la même solitude, comme on se retrouve, j'imagine,
+après une grande calamité à laquelle on a échappé ensemble. On
+aurait cru que tous les liens s'étaient resserrés par le
+malheur: j'avais senti que là, du moins, je n'étais pas
+étrangère.
+
+Si j'ai connu quelques instants doux dans ma vie depuis la
+perte des illusions de mon enfance, c'est l'époque qui suivit
+ces temps désastreux. Madame de B. possédait au suprême degré
+ce qui fait le charme de la vie intérieure. Indulgente et
+facile, on pouvait tout dire devant elle; elle savait deviner
+ce que voulait dire ce qu'on avait dit. Jamais une
+interprétation sévère ou infidèle ne venait glacer la
+confiance; les pensées passaient pour ce qu'elles valaient: on
+n'était responsable de rien. Cette qualité eût fait le bonheur
+des amis de madame de B., quand bien même elle n'eût possédé
+que celle-là. Mais combien d'autres grâces n'avait-elle pas
+encore! Jamais on ne sentait de vide ni d'ennui dans sa
+conversation; tout lui servait d'aliment; l'intérêt qu'on
+prend aux petites choses, qui est de la futilité dans les
+personnes communes, est la source de mille plaisirs avec une
+personne distinguée: car c'est le propre des esprits
+supérieurs de faire quelque chose de rien. L'idée la plus
+ordinaire devenait féconde si elle passait par la bouche de
+madame de B.; son esprit et sa raison savaient la revêtir de
+mille nouvelles couleurs.
+
+Charles avait des rapports de caractère avec madame de B., et
+son esprit aussi ressemblait au sien, c'est-à-dire qu'il était
+ce que celui de madame de B. avait dû être, juste, ferme,
+étendu, mais sans modifications: la jeunesse ne les connaît
+pas: Pour elle, tout est bien ou tout est mal, tandis que
+l'écueil de la vieillesse est souvent de trouver que rien
+n'est tout à fait bien et rien tout à fait mal. Charles avait
+les deux belles passions de son âge: la justice et la vérité.
+J'ai dit qu'il haïssait jusqu'à l'ombre de l'affectation; il
+avait le défaut d'en voir quelquefois où il n'y en avait pas.
+Habituellement contenu, sa confiance était flatteuse; on
+voyait qu'il la donnait, qu'elle était le fruit de l'estime,
+et non le penchant de son caractère: tout ce qu'il accordait
+avait du prix, car presque rien en lui n'était involontaire,
+et tout cependant était naturel. Il comptait tellement sur moi
+qu'il n'avait pas une pensée qu'il ne me dît aussitôt. Le
+soir, assis autour d'une table, les conversations étaient
+infinies. Notre vieil abbé y tenait sa place; il s'était fait
+un enchaînement si complet d'idées fausses, et il les
+soutenait avec tant de bonne foi, qu'il était une source
+inépuisable d'amusement pour madame de B., dont l'esprit juste
+et lumineux faisait admirablement ressortir les absurdités du
+pauvre abbé, qui ne se fâchait jamais; elle jetait tout au
+travers de son _ordre d'idées_ de grands traits de bon sens que
+nous comparions aux grands coups d'épée de Roland ou de
+Charlemagne.
+
+Madame de B. aimait à marcher: elle se promenait tous les
+matins dans la forêt de Saint-Germain, donnant le bras à
+l'abbé; Charles et moi nous la suivions de loin. C'est alors
+qu'il me parlait de tout ce qui l'occupait, de ses projets, de
+ses espérances, de ses idées sur tout, sur les choses, sur les
+hommes, sur les événements; il ne me cachait rien, et il ne se
+doutait pas qu'il me confiât quelque chose. Depuis si
+longtemps il comptait sur moi que mon amitié était pour lui
+comme sa vie; il en jouissait sans la sentir; il ne me
+demandait ni intérêt ni attention; il savait bien qu'en me
+parlant de lui il me parlait de moi, et que j'étais plus _lui_
+que lui-même. Charme d'une telle confiance, vous pouvez tout
+remplacer, remplacer le bonheur même!
+
+Je ne pensais jamais à parler à Charles de ce qui m'avait tant
+fait souffrir; je l'écoutais, et ces conversations avaient sur
+moi je ne sais quel effet magique qui amenait l'oubli de mes
+peines. S'il m'eût questionnée, il m'en eût fait souvenir:
+alors je lui aurais tout dit; mais il n'imaginait pas que
+j'avais aussi un secret. On était accoutumé à me voir
+souffrante, et madame de B. faisait tant pour mon bonheur
+qu'elle devait me croire heureuse. J'aurais dû l'être, je me
+le disais souvent; je m'accusais d'ingratitude ou de folie. Je
+ne sais si j'aurais osé avouer jusqu'à quel point ce mal sans
+remède de ma couleur me rendait malheureuse. Il y a quelque
+chose d'humiliant à ne pas savoir se soumettre à la nécessité:
+aussi ces douleurs, quand elles maîtrisent l'âme, ont tous les
+caractères du désespoir. Ce qui m'intimidait aussi avec
+Charles, c'est cette tournure un peu sévère de ses idées. Un
+soir, la conversation s'était établie sur la pitié, et on se
+demandait si les chagrins inspirent plus d'intérêt par leurs
+résultats ou par leurs causes. Charles s'était prononcé pour
+la cause: il pensait donc qu'il fallait que toutes les
+douleurs fussent raisonnables. Mais qui peut dire ce que c'est
+que la raison? Est-elle la même pour tout le monde? tous les
+coeurs ont-ils tous les mêmes besoins, et le malheur n'est-il
+pas la privation des besoins du coeur?
+
+Il était rare cependant que nos conversations du soir me
+ramenassent ainsi à moi-même: je tâchais d'y penser le moins
+que je pouvais; j'avais ôté de ma chambre tous les miroirs, je
+portais toujours des gants; mes vêtements cachaient mon cou et
+mes bras, et j'avais adopté, pour sortir, un grand chapeau
+avec un voile, que souvent même je gardais dans la maison.
+Hélas! je me trompais ainsi moi-même: comme les enfants, je
+fermais les yeux, et je croyais qu'on ne me voyait pas.
+
+Vers la fin de l'année 1795, la Terreur était finie, et l'on
+commençait à se retrouver. Les débris de la société de madame
+de B. se réunirent autour d'elle, et je vis avec peine le
+cercle de ses amis s'augmenter. Ma position était si fausse
+dans le monde que plus la société rentrait dans son ordre
+naturel, plus je m'en sentais dehors. Toutes les fois que je
+voyais arriver chez madame de B. des personnes qui n'y étaient
+pas encore venues, j'éprouvais un nouveau tourment.
+L'expression de surprise mêlée de dédain que j'observais sur
+leur physionomie commençait à me troubler; j'étais sûre d'être
+bientôt l'objet d'un aparté dans l'embrasure de la fenêtre ou
+d'un conversation à voix basse, car il fallait bien se faire
+expliquer comment une négresse était admise dans la société
+intime de madame de B. Je souffrais le martyre pendant ces
+éclaircissements; j'aurais voulu être transportée dans ma
+patrie barbare, au milieu des sauvages qui l'habitent, moins à
+craindre pour moi que cette société cruelle qui me rendait
+responsable du mal qu'elle seule avait fait. J'étais
+poursuivie plusieurs jours de suite par le souvenir de cette
+physionomie dédaigneuse: je la voyais en rêve, je la voyais à
+chaque instant; elle se plaçait devant moi comme ma propre
+image. Hélas! elle était celle des chimères dont je me
+laissais obséder! Vous ne m'aviez pas encore appris, ô mon
+Dieu! à conjurer ces fantômes; je ne savais pas qu'il n'y a de
+repos qu'en vous.
+
+A présent, c'était dans le coeur de Charles que je cherchais un
+abri; j'étais fière de son amitié, je l'étais encore plus de
+ses vertus; je l'admirais comme ce que je connaissais de plus
+parfait sur la terre. J'avais cru autrefois aimer Charles
+comme un frère; mais, depuis que j'étais toujours souffrante,
+il me semblait que j'étais vieillie et que ma tendresse pour
+lui ressemblait plutôt à celle d'une mère. Une mère, en effet,
+pouvait seule éprouver ce désir passionné de son bonheur, de
+ses succès; j'aurais volontiers donné ma vie pour lui épargner
+un moment de peine. Je voyais bien avant lui l'impression
+qu'il produisait sur les autres; il était assez heureux pour
+ne s'en pas soucier. C'est tout simple: il n'avait rien à en
+redouter; rien ne lui avait donné cette inquiétude habituelle
+que j'éprouvais sur les pensées des autres; tout était
+harmonie dans son sort, tout était désaccord dans le mien.
+
+Un matin, un ancien ami de madame de B. vint chez elle; il
+était chargé d'une proposition de mariage pour Charles.
+Mademoiselle de Thémines était devenue, d'une manière bien
+cruelle, une riche héritière; elle avait perdu le même jour,
+sur l'échafaud, sa famille entière; il ne lui restait plus
+qu'une grande tante, autrefois religieuse, et qui, devenue
+tutrice de mademoiselle de Thémines, regardait comme un devoir
+de la marier, et voulait se presser, parce qu'ayant plus de
+quatre-vingts ans, elle craignait de mourir et de laisser
+ainsi sa nièce seule et sans appui dans le monde. Mademoiselle
+de Thémines réunissait tous les avantages de la naissance, de
+la fortune et de l'éducation; elle avait seize ans: elle était
+belle comme le jour: on ne pouvait hésiter. Madame de B. en
+parla à Charles, qui d'abord fut un peu effrayé de se marier
+si jeune. Bientôt il désira voir mademoiselle de Thémines.
+L'entrevue eut lieu, et alors il n'hésita plus. Anaïs de
+Thémines possédait en effet tout ce qui pouvait plaire à
+Charles: jolie sans s'en douter, et d'une modestie si
+tranquille qu'on voyait qu'elle ne devait qu'à la nature cette
+charmante vertu. Madame de Thémines permit à Charles d'aller
+chez elle, et bientôt il devint passionnément amoureux. Il me
+racontait les progrès de ses sentiments: j'étais impatiente de
+voir cette belle Anaïs, destinée à faire le bonheur de
+Charles. Elle vint enfin à Saint-Germain. Charles lui avait
+parlé de moi: je n'eus point à supporter d'elle ce coup d'oeil
+dédaigneux et scrutateur qui me faisait toujours tant de mal;
+elle avait l'air d'un ange de bonté. Je lui promis qu'elle
+serait heureuse avec Charles; je la rassurai sur sa jeunesse,
+je lui dis qu'à vingt et un ans il avait la raison solide d'un
+âge bien plus avancé. Je répondis à toutes ses questions; elle
+m'en fit beaucoup, parce qu'elle savait que je connaissais
+Charles depuis son enfance, et il m'était si doux d'en dire du
+bien que je ne me lassais pas d'en parler.
+
+Les arrangements d'affaires retardèrent de quelques semaines
+la conclusion du mariage. Charles continuait à aller chez
+madame de Thémines, et souvent il restait à Paris deux ou
+trois jours de suite. Ces absences m'affligeaient, et j'étais
+mécontente de moi-même en voyant que je préférais mon bonheur
+à celui de Charles. Ce n'est pas ainsi que j'étais accoutumée
+à aimer. Les jours où il revenait étaient des jours de fête;
+il me racontait ce qui l'avait occupé, et, s'il avait fait
+quelques progrès dans le coeur d'Anaïs, je m'en réjouissais
+avec lui. Un jour pourtant il me parla de la manière dont il
+voulait vivre avec elle. "Je veux obtenir toute sa confiance,
+me dit-il, et lui donner toute la mienne; je ne lui cacherai
+rien, elle saura toutes mes pensées, elle connaîtra tous les
+mouvements secrets de mon coeur; je veux qu'il y ait entre elle
+et moi une confiance comme la nôtre, Ourika." Comme la nôtre!
+Ce mot me fit mal; il me rappela que Charles ne savait pas le
+seul secret de ma vie, et il m'ôta le désir de le lui confier.
+Peu à peu les absences de Charles devinrent plus longues; il
+n'était presque plus à Saint-Germain que des instants; il
+venait à cheval pour mettre moins de temps en chemin; il
+retournait l'après-dînée à Paris: de sorte que tous les soirs
+se passaient sans lui. Madame de B. plaisantait souvent de ces
+longues absences... J'aurais bien voulu faire comme elle!
+
+Un jour, nous nous promenions dans la forêt. Charles avait été
+absent presque toute la semaine; je l'aperçus tout à coup à
+l'extrémité de l'allée où nous marchions: il venait à cheval,
+et très-vite. Quand il fut près de l'endroit où nous étions,
+il sauta à terre et se mit à se promener avec nous. Après
+quelques minutes de conversation générale, il resta en arrière
+avec moi, et nous recommençâmes à causer comme autrefois. J'en
+fis la remarque. "Comme autrefois! s'écria-t-il; ah! quelle
+différence! Avais-je donc quelque chose à dire dans ce temps-là?
+Il me semble que je n'ai commencé à vivre que depuis deux
+mois. Ourika, je ne vous dirai jamais ce que j'éprouve pour
+elle! Quelquefois je crois sentir que mon âme tout entière va
+passer dans la sienne. Quand elle me regarde, je ne respire
+plus; quand elle rougit, je voudrais me prosterner à ses pieds
+pour l'adorer. Quand je pense que je vais être le protecteur
+de cet ange, qu'elle me confie sa vie, sa destinée, ah! que je
+suis glorieux de la mienne! Que je la rendrai heureuse! Je
+serai pour elle le père, la mère qu'elle a perdus; mais je
+serai aussi son mari, son amant! Elle me donnera son premier
+amour, tout son coeur s'épanchera dans le mien; nous vivrons de
+la même vie, et je ne veux pas que dans le cours de nos
+longues années elle puisse dire qu'elle ait passé une heure
+sans être heureuse. Quelles délices, Ourika, de penser qu'elle
+sera la mère de mes enfants, qu'ils puiseront la vie dans le
+sein d'Anaïs! Ah! ils seront doux et beaux comme elle! Qu'ai-je
+fait, ô Dieu! pour mériter tant de bonheur?"
+
+Hélas! j'adressais en ce moment au Ciel une question toute
+contraire! Depuis quelques instants j'écoutais ces paroles
+passionnées avec un sentiment indéfinissable. Grand Dieu! vous
+êtes témoin que j'étais heureuse du bonheur de Charles; mais
+pourquoi avez-vous donné la vie à la pauvre Ourika? pourquoi
+n'est-elle pas morte sur ce bâtiment négrier d'où elle fut
+arrachée, ou sur le sein de sa mère? Un peu de sable d'Afrique
+eût recouvert son corps, et ce fardeau eût été bien léger!
+Qu'importait au monde qu'Ourika vécût? Pourquoi était-elle
+condamnée à la vie? C'était donc pour vivre seule, toujours
+seule, jamais aimée! O mon Dieu! ne le permettez pas! Retirez
+de la terre la pauvre Ourika! Personne n'a besoin d'elle:
+n'est-elle pas seule dans la vie? Cette affreuse pensée me
+saisit avec plus de violence qu'elle n'avait encore fait. Je
+me sentis fléchir, je tombai sur les genoux, mes yeux se
+fermèrent, et je crus que j'allais mourir.
+
+
+En achevant ces paroles, l'oppression de la pauvre religieuse
+parut s'augmenter; sa voix s'altéra, et quelques larmes
+coulèrent le long de ses joues flétries. Je voulus l'engager à
+suspendre son récit; elle s'y refusa.
+
+
+"Ce n'est rien, me dit-elle; maintenant le chagrin ne dure pas
+dans mon coeur: la racine en est coupée. Dieu a eu pitié de
+moi; il m'a retirée lui-même de cet abîme où je n'étais tombée
+que faute de le connaître et de l'aimer. N'oubliez donc pas
+que je suis heureuse; mais, hélas! ajouta-t-elle, je ne
+l'étais point alors."
+
+Jusqu'à l'époque dont je viens de vous parler, j'avais
+supporté mes peines; elles avaient altéré ma santé, mais
+j'avais conservé ma raison et une sorte d'empire sur moi-même.
+Mon chagrin, comme le ver qui dévore le fruit, avait commencé
+par le coeur; je portais dans mon sein le germe de la
+destruction, lorsque tout était encore plein de vie au dehors
+de moi. La conversation me plaisait, la discussion m'animait;
+j'avais même conservé une sorte de gaieté d'esprit; mais
+j'avais perdu les joies du coeur. Enfin, jusqu'à l'époque dont
+je viens de vous parler, j'étais plus forte que mes peines; je
+sentais qu'à présent mes peines seraient plus fortes que moi.
+
+Charles me rapporta dans ses bras jusqu'à la maison. Là tous
+les secours me furent donnés, et je repris connaissance. En
+ouvrant les yeux, je vis madame de B. à côté de mon lit;
+Charles me tenait une main. Ils m'avaient soignée eux-mêmes,
+et je vis sur leurs visages un mélange d'anxiété et de douleur
+qui pénétra jusqu'au fond de mon âme: je sentis la vie revenir
+en moi; mes pleurs coulèrent. Madame de B. les essuyait
+doucement; elle ne me disait rien, elle ne me faisait point de
+questions: Charles m'en accabla. Je ne sais ce que je lui
+répondis; je donnai pour cause à mon accident le chaud, la
+longueur de la promenade. Il me crut, et l'amertume entra dans
+mon âme en voyant qu'il me croyait: mes larmes se séchèrent;
+je me dis qu'il était donc bien facile de tromper ceux dont
+l'intérêt était ailleurs. Je retirai ma main, qu'il tenait
+encore, et je cherchai à paraître tranquille. Charles partit,
+comme de coutume, à cinq heures. J'en fus blessée; j'aurais
+voulu qu'il fût inquiet de moi: je souffrais tant! Il serait
+parti de même, je l'y aurais forcé; mais je me serais dit
+qu'il me devait le bonheur de sa soirée, et cette pensée m'eût
+consolée. Je me gardai bien de montrer à Charles ce mouvement
+de mon coeur: les sentiments délicats ont une sorte de pudeur;
+s'ils ne sont devinés, ils sont incomplets: on dirait qu'on ne
+peut les éprouver qu'à deux.
+
+A peine Charles fut-il parti que la fièvre me prit avec une
+grande violence; elle augmenta les deux jours suivants. Madame
+de B. me soignait avec sa bonté accoutumée; elle était
+désespérée de mon état et de l'impossibilité de me faire
+transporter à Paris, où le mariage de Charles l'obligeait à se
+rendre le lendemain. Les médecins dirent à madame de B. qu'ils
+répondaient de ma vie si elle me laissait à Saint-Germain;
+elle s'y résolut, et elle me montra en partant une affection
+si tendre qu'elle calma un moment mon coeur. Mais, après son
+départ, l'isolement complet, réel, où je me trouvais pour la
+première fois de ma vie, me jeta dans un profond désespoir. Je
+voyais se réaliser cette situation que mon imagination s'était
+peinte tant de fois; je mourais loin de ce que j'aimais, et
+mes tristes gémissements ne parvenaient pas même à leurs
+oreilles. Hélas! ils eussent troublé leur joie. Je les voyais
+s'abandonnant à toute l'ivresse du bonheur, loin d'Ourika
+mourante. Ourika n'avait qu'eux dans la vie; mais eux
+n'avaient pas besoin d'Ourika: personne n'avait besoin d'elle!
+Cet affreux sentiment de l'inutilité de l'existence est celui
+qui déchire le plus profondément le coeur; il me donna un tel
+dégoût de la vie que je souhaitai sincèrement mourir de la
+maladie dont j'étais attaquée. Je ne parlais pas, je ne
+donnais presque aucun signe de connaissance, et cette seule
+pensée était bien distincte en moi: _Je voudrais mourir_. Dans
+d'autres moments, j'étais plus agitée; je me rappelais tous
+les mots de cette dernière conversation que j'avais eue avec
+Charles dans la forêt; je le voyais nageant dans cette mer de
+délices qu'il m'avait dépeinte, tandis que je mourais
+abandonnée, seule dans la mort comme dans la vie. Cette idée
+me donnait une irritation plus pénible encore que la douleur.
+Je me créais des chimères pour satisfaire à ce nouveau
+sentiment; je me représentais Charles arrivant à Saint-Germain.
+On lui disait: "Elle est morte." Eh bien! le
+croiriez-vous? je jouissais de sa douleur; elle me vengeait,
+et de quoi, grand Dieu? de ce qu'il avait été l'ange
+protecteur de ma vie! Cet affreux sentiment me fit bientôt
+horreur; j'entrevis que, si la douleur n'était pas une faute,
+s'y livrer comme je le faisais pouvait être criminel. Mes
+idées prirent alors un autre cours: j'essayai de me vaincre,
+de trouver en moi-même une force pour combattre les sentiments
+qui m'agitaient; mais je ne la cherchais point, cette force,
+où elle était. Je me fit honte de mon ingratitude. "Je
+mourrai, me disais-je, je veux mourir; mais je ne veux pas
+laisser les passions haineuses approcher de mon coeur. Ourika
+est un enfant déshérité, mais l'innocence lui reste: je ne la
+laisserai pas se flétrir en moi par l'ingratitude. Je passerai
+sur la terre comme une ombre, mais dans le tombeau j'aurai la
+paix. O mon Dieu! ils sont déjà bien heureux: eh bien! donnez-leur
+encore la part d'Ourika, et laissez-la mourir comme la
+feuille tombe en automne. N'ai-je donc pas assez souffert?"
+
+Je ne sortis de la maladie qui avait mis ma vie en danger, que
+pour tomber dans un état de langueur où le chagrin avait
+beaucoup de part. Madame de B. s'établit à Saint-Germain après
+le mariage de Charles; il y venait souvent accompagné d'Anaïs,
+jamais sans elle. Je souffrais toujours davantage quand ils
+étaient là. Je ne sais si l'image du bonheur me rendait plus
+sensible ma propre infortune, ou si la présence de Charles
+réveillait le souvenir de notre ancienne amitié; je cherchais
+quelquefois à le retrouver, et je ne le reconnaissais plus. Il
+me disait pourtant à peu près tout ce qu'il me disait
+autrefois; mais son amitié présente ressemblait à son amitié
+passée comme la fleur artificielle ressemble à la fleur
+véritable: c'est la même chose, hors la vie et le parfum.
+
+Charles attribuait au dépérissement de ma santé le changement
+de mon caractère; je crois que madame de B. jugeait mieux le
+triste état de mon âme, qu'elle devinait mes tourments secrets
+et qu'elle en était vivement affligée; mais le temps n'était
+plus où je consolais les autres: je n'avais plus pitié que de
+moi-même.
+
+Anaïs devint grosse, et nous retournâmes à Paris. Ma tristesse
+augmentait chaque jour. Ce bonheur intérieur si paisible, ces
+liens de famille si doux, cet amour dans l'innocence toujours
+aussi tendre, aussi passionné, quel spectacle pour une
+malheureuse destinée à passer sa triste vie dans l'isolement,
+à mourir sans avoir été aimée, sans avoir connu d'autres liens
+que ceux de la dépendance et de la pitié! Les jours, les mois
+se passaient ainsi; je ne prenais part à aucune conversation,
+j'avais abandonné tous mes talents; si je supportais quelques
+lectures, c'étaient celles où je croyais retrouver la peinture
+imparfaite des chagrins qui me dévoraient. Je m'en faisais un
+nouveau poison, je m'enivrais de mes larmes, et, seule dans ma
+chambre pendant des heures entières, je m'abandonnais à ma
+douleur.
+
+La naissance d'un fils mit le comble au bonheur de Charles; il
+accourut pour me le dire, et dans les transports de sa joie je
+reconnus quelques accents de son ancienne confiance. Qu'ils me
+firent mal! Hélas! c'était la voix de l'ami que je n'avais
+plus! et tous les souvenirs du passé venaient à cette voix
+déchirer de nouveau ma plaie.
+
+L'enfant de Charles était beau comme Anaïs. Le tableau de
+cette jeune mère avec son fils touchait tout le monde; moi
+seule, par un sort bizarre, j'étais condamnée à le voir avec
+amertume. Mon coeur dévorait cette image d'un bonheur que je ne
+devais jamais connaître, et l'envie, comme le vautour, se
+nourrissait dans mon sein. Qu'avais-je fait à ceux qui crurent
+me sauver en m'amenant sur cette terre d'exil? pourquoi ne me
+laissait-on pas suivre mon sort? Eh bien! je serais la
+négresse esclave de quelque riche colon; brûlée par le soleil,
+je cultiverais la terre d'un autre; mais j'aurais mon humble
+cabane pour me retirer le soir; j'aurais un compagnon de ma
+vie et des enfants de ma couleur qui m'appelleraient: "Ma
+mère!" Ils appuieraient sans dégoût leur petite bouche sur mon
+front; ils reposeraient leur tête sur mon cou et
+s'endormiraient dans mes bras! Qu'ai-je fait pour être
+condamnée à n'éprouver jamais les affections pour lesquelles
+seules mon coeur est créé! O mon Dieu! ôtez-moi de ce monde...
+Je sens que je ne puis plus supporter la vie.
+
+A genoux dans ma chambre, j'adressais au Créateur cette prière
+impie, quand j'entendis ouvrir ma porte: c'était l'amie de
+madame de B., la marquise de ***, qui était revenue depuis peu
+d'Angleterre, où elle avait passé plusieurs années. Je la vis
+avec effroi arriver près de moi: sa vue me rappelait toujours
+que, la première, elle m'avait révélé mon sort; qu'elle
+m'avait ouvert cette mine de douleurs où j'avais tant puisé.
+Depuis qu'elle était à Paris, je ne la voyais qu'avec un
+sentiment pénible.
+
+"Je viens vous voir et causer avec vous, ma chère Ourika, me
+dit-elle; vous savez combien je vous aime depuis votre
+enfance, et je ne puis voir sans une véritable peine la
+mélancolie dans laquelle vous vous plongez. Est-il possible,
+avec l'esprit que vous avez, que vous ne sachiez pas tirer un
+meilleur parti de votre situation? -- L'esprit, Madame, lui
+répondis-je, ne sert guère qu'à augmenter les maux véritables;
+il les fait voir sous tant de formes diverses! -- Mais reprit-elle,
+lorsque les maux sont sans remède, n'est-ce pas une
+folie de refuser de s'y soumettre et de lutter ainsi contre la
+nécessité, car enfin nous ne sommes pas les plus forts? -- Cela
+est vrai, dis-je; mais il semble que dans ce cas la nécessité
+est un mal de plus. -- Vous conviendrez pourtant, Ourika, que
+la raison conseille alors de se résigner et de se distraire. --
+Oui, Madame; mais, pour se distraire, il faut entrevoir
+ailleurs l'espérance. -- Vous pourriez du moins vous faire des
+goûts et des occupations pour remplir votre temps. -- Ah!
+Madame, les goûts qu'on se fait sont un effort et ne sont pas
+un plaisir. -- Mais, dit-elle encore, vous êtes remplie de
+talents. -- Pour que les talents soient une ressource, Madame,
+lui répondis-je, il faut se proposer un but; mes talents
+seraient comme la fleur du poëte anglais, qui perdait son
+parfum dans le désert. -- Vous oubliez vos amis, qui en
+jouiraient. -- Je n'ai point d'amis, Madame; j'ai des
+protecteurs, et cela est bien différent! -- Ourika, dit-elle,
+vous vous rendez bien malheureuse, et bien inutilement! -- Tout
+est inutile dans ma vie, Madame, même ma douleur. -- Comment
+pouvez-vous prononcer un mot si amer, vous, Ourika, qui vous
+êtes montrée si dévouée lorsque vous restiez seule à madame de
+B. pendant la Terreur? -- Hélas! Madame, je suis comme ces
+génies malfaisants qui n'ont de pouvoir que dans les temps de
+calamités, et que le bonheur fait fuir. -- Confiez-moi votre
+secret, ma chère Ourika; ouvrez-moi votre coeur. Personne ne
+prend à vous plus d'intérêt que moi, et peut-être que je vous
+ferai du bien. -- Je n'ai point de secret, Madame, lui
+répondis-je; ma position et ma couleur sont tout mon mal, vous
+le savez. -- Allons donc, reprit-elle, pouvez-vous nier que
+vous renfermez au fond de votre âme une grande peine? Il ne
+faut que vous voir un instant pour en être sûr." Je persistai
+à lui dire ce que je lui avais déjà dit; elle s'impatienta,
+éleva la voix. Je vis que l'orage allait éclater. "Est-ce là
+votre bonne foi, dit-elle, cette sincérité pour laquelle on
+vous vante? Ourika, prenez-y garde, la réserve quelquefois
+conduit à la fausseté. -- Eh! que pourrais-je vous confier,
+Madame, lui dis-je, à vous surtout qui depuis si longtemps
+avez prévu quel serait le malheur de ma situation? A vous,
+moins qu'à personne, je n'ai rien de nouveau à dire là-dessus.
+-- C'est ce que vous ne me persuaderez jamais, répliqua-t-elle;
+mais, puisque vous me refusez votre confiance et que vous
+assurez que vous n'avez point de secret, eh bien! Ourika, je
+me chargerai de vous apprendre que vous en avez un. Oui,
+Ourika, tous vos regrets, toutes vos douleurs, ne viennent que
+d'une passion malheureuse, d'une passion insensée, et, si vous
+n'étiez pas folle d'amour pour Charles, vous prendriez fort
+bien votre parti d'être négresse. Adieu, Ourika; je m'en vais,
+et, je vous le déclare, avec bien moins d'intérêt pour vous
+que je n'en avais apporté en venant ici." Elle sortit en
+achevant ces paroles. Je demeurai anéantie. Que venait-elle de
+me révéler! quelle lumière affreuse avait-elle jetée sur
+l'abîme de mes douleurs! Grand Dieu! c'était comme la lumière
+qui pénétra une fois au fond des enfers et qui fit regretter
+les ténèbres à ses malheureux habitants. Quoi! j'avais une
+passion criminelle! C'est elle qui jusqu'ici dévorait mon
+coeur! Ce désir de tenir ma place dans la chaîne des êtres, ce
+besoin des affections de la nature, cette douleur de
+l'isolement, c'étaient les regrets d'un amour coupable! Et,
+lorsque je croyais envier l'image du bonheur, c'est le bonheur
+lui-même qui était l'objet de mes voeux impies! Mais qu'ai-je
+donc fait pour qu'on puisse me croire atteinte de cette
+passion sans espoir? Est-il donc impossible d'aimer plus que
+sa vie avec innocence? Cette mère qui se jeta dans la gueule
+du lion pour sauver son fils, quel sentiment l'animait? Ces
+frères, ces soeurs qui voulurent mourir ensemble sur
+l'échafaud, et qui priaient Dieu avant d'y monter, était-ce
+donc un amour coupable qui les unissait? L'humanité seule ne
+produit-elle pas tous les jours des dévouements sublimes?
+Pourquoi donc ne pourrais-je aimer ainsi Charles, le compagnon
+de mon enfance, le protecteur de ma jeunesse?... Et cependant
+je ne sais quelle voix crie au fond de moi-même qu'on a raison
+et que je suis criminelle. Grand Dieu! je vais donc recevoir
+aussi le remords dans mon coeur désolé! Il faut qu'Ourika
+connaisse tous les genres d'amertumes, qu'elle épuise toutes
+les douleurs! Quoi! mes larmes désormais seront coupables! il
+me sera défendu de penser à lui! Quoi! je n'oserai plus
+souffrir!
+
+Ces affreuses pensées me jetèrent dans un accablement qui
+ressemblait à la mort. La même nuit, la fièvre me prit, et en
+moins de trois jours on désespéra de ma vie. Le médecin
+déclara que, si l'on voulait me faire recevoir mes sacrements,
+il n'y avait pas un instant à perdre. On envoya chercher mon
+confesseur; il était mort depuis peu de jours. Alors madame de
+B. fit avertir un prêtre de la paroisse. Il vint et
+m'administra l'extrême-onction, car j'étais hors d'état de
+recevoir le viatique: je n'avais aucune connaissance, et on
+attendait ma mort à chaque instant. C'est sans doute alors que
+Dieu eut pitié de moi; il commença par me conserver la vie:
+contre toute attente, mes forces se soutinrent. Je luttai
+ainsi environ quinze jours; ensuite la connaissance me revint.
+Madame de B. ne me quittait pas, et Charles paraissait avoir
+retrouvé pour moi son ancienne affection. Le prêtre continuait
+à venir me voir chaque jour, car il voulait profiter du
+premier moment pour me confesser. Je le désirais moi-même; je
+ne sais quel mouvement me portait vers Dieu et me donnait le
+besoin de me jeter dans ses bras et d'y chercher le repos. Le
+prêtre reçut l'aveu de mes fautes; il ne fut point effrayé de
+l'état de mon âme: comme un vieux matelot, il connaissait
+toutes ces tempêtes. Il commença par me rassurer sur cette
+passion dont j'étais accusée. "Votre coeur est pur, me dit-il:
+c'est à vous seule que vous avez fait du mal; mais vous n'en
+êtes pas moins coupable. Dieu vous demandera compte de votre
+propre bonheur, qu'il vous avait confié... Qu'en avez-vous
+fait? Ce bonheur était entre vos mains, car il réside dans
+l'accomplissement de nos devoirs: les avez-vous seulement
+connus? Dieu est le but de l'homme: quel a été le vôtre? Mais
+ne perdez pas courage; priez Dieu, Ourika: il est là, il vous
+tend les bras; il n'y a pour lui ni nègres ni blancs: tous les
+coeurs sont égaux devant ses yeux, et le vôtre mérite de
+devenir digne de lui." C'est ainsi que cet homme respectable
+encourageait la pauvre Ourika. Ces paroles simples portaient
+dans mon âme je ne sais quelle paix que je n'avais jamais
+connue; je les méditais sans cesse, et comme d'une mine
+féconde j'en tirais toujours quelque nouvelle réflexion. Je
+vis qu'en effet je n'avais point connu mes devoirs: Dieu en a
+prescrit aux personnes isolées comme à celles qui tiennent au
+monde; s'il les a privées des liens du sang, il leur a donné
+l'humanité tout entière pour la famille. "La soeur de la
+charité, me disais-je, n'est point seule dans la vie,
+quoiqu'elle ait renoncé à tout: elle s'est créé une famille de
+choix; elle est la mère de tous les orphelins, la fille de
+tous les pauvres vieillards, la soeur de tous les malheureux.
+Des hommes du monde n'ont-ils pas souvent cherché un isolement
+volontaire? Ils voulaient être seuls avec Dieu; ils
+renonçaient à tous les plaisirs pour adorer, dans la solitude,
+la source pure de tout bien et de tout bonheur; ils
+travaillaient, dans le secret de leur pensée, à rendre leur
+âme digne de se présenter devant le Seigneur. C'est pour vous,
+ô mon Dieu! qu'il est doux d'embellir ainsi son coeur, de le
+parer, comme pour un jour de fête, de toutes les vertus qui
+vous plaisent. Hélas! qu'avais-je fait? Jouet insensé des
+mouvements involontaires de mon âme, j'avais couru après les
+jouissances de la vie, et j'en avais négligé le bonheur. Mais
+il n'est pas encore trop tard: Dieu, en me jetant sur cette
+terre étrangère, voulut peut-être me prédestiner à lui; il
+m'arracha à la barbarie, à l'ignorance; par un miracle de sa
+bonté, il me déroba aux vices de l'esclavage et me fit
+connaître sa loi. Cette loi me montre tous mes devoirs, elle
+m'enseigne ma route. Je la suivrai, ô mon Dieu! je ne me
+servirai plus de vos bienfaits pour vous offenser, je ne vous
+accuserai plus de mes fautes."
+
+Ce nouveau jour sous lequel j'envisageai ma position fit
+rentrer le calme dans mon coeur. Je m'étonnais de la paix qui
+succédait à tant d'orages: on avait ouvert une issue à ce
+torrent qui dévastait ses rivages, et maintenant il portait
+ses flots apaisés dans une mer tranquille.
+
+Je me décidai à me faire religieuse. J'en parlai à madame de
+B. Elle s'en affligea, mais elle me dit: "Je vous ai fait tant
+de mal en voulant vous faire du bien que je ne me sens pas le
+droit de m'opposer à votre résolution." Charles fut plus vif
+dans sa résistance; il me pria, il me conjura de rester. Je
+lui dis: "Laissez-moi aller, Charles, dans le seul lieu où il
+me soit permit de penser sans cesse à vous..."
+
+
+Ici la jeune religieuse finit brusquement son récit. Je
+continuai à lui donner des soins: malheureusement ils furent
+inutiles: elle mourut à la fin d'octobre; elle tomba avec les
+dernières feuilles de l'automne.
+
+
+
+
+Imprimé par D. JOUAUST
+
+POUR LA COLLECTION
+
+DES PETITS CHEFS-D'OEUVRE
+
+M DCCC LXXVIII
+
+
+
+
+
+Erreurs typographiques corrigées:
+
+
+=de ses idées sur tout= remplacé =par de ses idées surtout=
+
+=c'était la voix de L'ami= remplacé par =c'était la voix de l'ami=
+
+=le tableau de cette jeune mère= remplacé par =Le tableau de
+cette jeune mère=
+
+
+
+
+
+
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+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of Ourika, by Madame de Duras
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+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK OURIKA ***
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+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
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+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at https://www.pglaf.org.
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+
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+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
+https://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
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+Literary Archive Foundation
+
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+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
+
+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
+with these requirements. We do not solicit donations in locations
+where we have not received written confirmation of compliance. To
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+
+While we cannot and do not solicit contributions from states where we
+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
+against accepting unsolicited donations from donors in such states who
+approach us with offers to donate.
+
+International donations are gratefully accepted, but we cannot make
+any statements concerning tax treatment of donations received from
+outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
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+ways including including checks, online payments and credit card
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+
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+works.
+
+Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
+
+
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+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
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+
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