diff options
| author | Roger Frank <rfrank@pglaf.org> | 2025-10-15 02:32:56 -0700 |
|---|---|---|
| committer | Roger Frank <rfrank@pglaf.org> | 2025-10-15 02:32:56 -0700 |
| commit | a0d020d25d9958595b0703862f87defdaee82dca (patch) | |
| tree | 365c1e81c9b83a0225c4905a51238e75b593baab | |
| -rw-r--r-- | .gitattributes | 3 | ||||
| -rw-r--r-- | 26820-8.txt | 1621 | ||||
| -rw-r--r-- | 26820-8.zip | bin | 0 -> 33431 bytes | |||
| -rw-r--r-- | LICENSE.txt | 11 | ||||
| -rw-r--r-- | README.md | 2 |
5 files changed, 1637 insertions, 0 deletions
diff --git a/.gitattributes b/.gitattributes new file mode 100644 index 0000000..6833f05 --- /dev/null +++ b/.gitattributes @@ -0,0 +1,3 @@ +* text=auto +*.txt text +*.md text diff --git a/26820-8.txt b/26820-8.txt new file mode 100644 index 0000000..20c3bd0 --- /dev/null +++ b/26820-8.txt @@ -0,0 +1,1621 @@ +The Project Gutenberg EBook of Ourika, by Madame de Duras + +This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with +almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: Ourika + +Author: Madame de Duras + +Release Date: October 7, 2008 [EBook #26820] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK OURIKA *** + + + + +Produced by Daniel Fromont + + + + + + + + + +[Transcriber's note: Madame de Duras (Claire-Louisa-Rose-Bonne Lechal +de Kersaint; duchesse de Duras) (1778-1828), Ourika (1823), édition +de 1878] + + + + + +MME DE DURAS + +OURIKA + +AVEC UNE NOTICE + +PAR + +DE LESCURE +PARIS + +LIBRAIRIE DES BIBLIOPHILES + +Rue Saint-Honoré, 358 + +M DCCC LXXVIII + +(...) + + + +INTRODUCTION + +J'étais arrivé depuis peu de mois de Montpellier, et je +suivais à Paris la profession de la médecine, lorsque je fus +appelé un matin au faubourg Saint-Jacques pour voir dans un +couvent une jeune religieuse malade. L'empereur Napoléon avait +permis depuis peu le rétablissement de quelques-uns de ces +couvents. Celui où je me rendais était destiné à l'éducation +de la jeunesse et appartenait à l'ordre des ursulines. La +Révolution avait ruiné une partie de l'édifice; le cloître +était à découvert d'un côté par la démolition de l'antique +église, dont on ne voyait plus que quelques arceaux. Une +religieuse m'introduisit dans ce cloître, que nous traversâmes +en marchant sur de longues pierres plates qui formaient le +pavé de ces galeries. Je m'aperçus que c'étaient des tombes, +car elles portaient toutes des inscriptions pour la plupart +effacées par le temps. Quelques-unes de ces pierres avaient +été brisées pendant la Révolution. La soeur me le fit remarquer +en me disant qu'on n'avait pas encore eu le temps de les +réparer. Je n'avais jamais vu l'intérieur d'un couvent: ce +spectacle était tout nouveau pour moi. Du cloître nous +passâmes dans le jardin, où la religieuse me dit qu'on avait +porté la soeur malade. En effet, je l'aperçus à l'extrémité +d'une longue allée de charmille; elle était assise, et son +grand voile noir l'enveloppait presque tout entière. "Voici le +médecin," dit la soeur; et elle s'éloigna au même moment. Je +m'approchai timidement, car mon coeur s'était serré en voyant +ces tombes, et je me figurais que j'allais contempler une +nouvelle victime des cloîtres: les préjugés de ma jeunesse +venaient de se réveiller, et mon intérêt s'exaltait pour celle +que j'allais visiter en proportion du genre de malheur que je +lui supposais. Elle se tourna vers moi, et je fus étrangement +surpris en apercevant une négresse! Mon étonnement s'accrut +encore par la politesse de son accueil et le choix des +expressions dont elle se servait. "Vous venez voir une +personne bien malade! me dit-elle. A présent, je désire +guérir, mais je ne l'ai pas toujours souhaité, et c'est peut-être +ce qui m'a fait tant de mal." Je la questionnai sur sa +maladie. "J'éprouve, me dit-elle, une oppression continuelle; +je n'ai plus de sommeil, et la fièvre ne me quitte pas." Son +aspect ne confirmait que trop cette triste description de son +état: sa maigreur était excessive; ses yeux brillants et fort +grands, ses dents d'une blancheur éblouissante, éclairaient +seuls sa physionomie. L'âme vivait encore, mais le corps était +détruit, et elle portait toutes les marques d'un long et +violent chagrin. Touché au delà de l'expression, je résolus de +tout tenter pour la sauver. Je commençai à lui parler de la +nécessité de calmer son imagination, de se distraire, +d'éloigner des sentiments pénibles. "Je suis heureuse, me +dit-elle; jamais je n'ai éprouvé tant de calme et de bonheur." +L'accent de sa voix était sincère: cette douce voix ne pouvait +tromper; mais mon étonnement s'accroissait à chaque instant. +"Vous n'avez pas toujours pensé ainsi, lui dis-je, et vous +portez la trace de bien longues souffrances. -- Il est vrai, +dit-elle, j'ai trouvé bien tard le repos de mon coeur; mais à +présent je suis heureuse. -- Eh bien! s'il en est ainsi, +repris-je, c'est le passé qu'il faut guérir: espérons que nous +en viendrons à bout; mais ce passé, je ne puis le guérir sans +le connaître. -- Hélas! répondit-elle, ce sont des folies!" En +prononçant ces mots, une larme vint mouiller le bord de sa +paupière. "Et vous dites que vous êtes heureuse? m'écriai-je. +-- Oui, je le suis, reprit-elle avec fermeté, et je ne +changerais pas mon bonheur contre le sort qui m'a fait +autrefois tant d'envie. Je n'ai point de secret: mon malheur, +c'est l'histoire de toute ma vie. J'ai tant souffert jusqu'au +jour où je suis entrée dans cette maison que peu à peu ma +santé s'est ruinée. Je me sentais dépérir avec joie, car je ne +voyais dans l'avenir aucune espérance. Cette pensée était bien +coupable! Vous le voyez, j'en suis punie; et, lorsque enfin je +souhaite de vivre, peut-être que je ne le pourrai plus!" Je la +rassurai, je lui donnai des espérances de guérison prochaine; +mais, en prononçant ces paroles consolantes, en lui promettant +la vie, je ne sais quel triste pressentiment m'avertissait +qu'il était trop tard et que la mort avait marqué sa victime. + +Je revis plusieurs fois cette jeune religieuse; l'intérêt que +je lui montrais parut la toucher. Un jour, elle revint d'elle-même +au sujet où je désirais la conduire. "Les chagrins que +j'ai éprouvés, dit-elle, doivent paraître si étranges que j'ai +toujours senti une grande répugnance à les confier: il n'y a +point de juge des peines des autres, et les confidents sont +presque toujours des accusateurs. -- Ne craignez pas cela de +moi, lui dis-je; je vois assez le ravage que le chagrin a fait +en vous pour croire le vôtre sincère. -- Vous le trouverez +sincère, dit-elle, mais il vous paraîtra déraisonnable. -- Et, +en admettant ce que vous dites, repris-je, cela exclut-il la +sympathie? -- Presque toujours répondit-elle; cependant, si +pour me guérir vous avez besoin de connaître les peines qui +ont détruit ma santé, je vous les confierai quand nous nous +connaîtrons un peu davantage." + +Je rendis mes visites au couvent de plus en plus fréquentes. +Le traitement que j'indiquai parut produire quelque effet. +Enfin, un jour de l'été dernier, la retrouvant seule dans le +même berceau, sur le même banc où je l'avais vue la première +fois, nous reprîmes la même conversation, et elle me conta ce +qui suit. + + + + +OURIKA + + +Je fus rapportée du Sénégal, à l'âge de deux ans, par M. le +chevalier de B., qui en était gouverneur. Il eut pitié de moi, +un jour qu'il voyait embarquer des esclaves sur un bâtiment +négrier qui allait bientôt quitter le port. Ma mère était +morte, et on m'emportait dans le vaisseau, malgré mes cris. M. +de B. m'acheta, et, à son arrivée en France, il me donna à +madame la maréchale de B., sa tante, la personne la plus +aimable de son temps et celle qui sut réunir aux qualités les +plus élevées la bonté la plus touchante. + +Me sauver de l'esclavage, me choisir pour bienfaitrice madame +de B., c'était me donner deux fois la vie. Je fus ingrate +envers la Providence en n'étant point heureuse, et cependant +le bonheur résulte-t-il toujours de ces dons de +l'intelligence? Je croirais plutôt le contraire: il faut payer +le bienfait de savoir par le désir d'ignorer, et la fable ne +nous dit pas si Galatée trouva le bonheur après avoir reçu la +vie. + +Je ne sus que longtemps après l'histoire des premiers jours de +mon enfance. Mes plus anciens souvenirs ne me retracent que le +salon de madame de B.: j'y passais ma vie, aimée d'elle, +caressée, gâtée par tous ses amis, accablée de présents, +vantée, exaltée comme l'enfant le plus spirituel et le plus +aimable. + +Le ton de cette société était l'enjouement, mais un enjouement +dont le bon goût savait exclure tout ce qui ressemblait à +l'exagération: on louait tout ce qui prêtait à la louange, on +excusait tout ce qui prêtait au blâme, et souvent, par une +adresse encore plus aimable, on transformait en qualités les +défauts mêmes. Le succès donne du courage; on valait près de +madame de B. tout ce qu'on pouvait valoir, et peut-être un peu +plus, car elle prêtait quelque chose d'elle à ses amis sans +s'en douter elle-même: en la voyant, en l'écoutant, on croyait +lui ressembler. + +Vêtue à l'orientale, assise aux pieds de madame de B., +j'écoutais, sans la comprendre encore, la conversation des +hommes les plus distingués de ce temps-là. Je n'avais rien de +la turbulence des enfants; j'étais pensive avant de penser, +j'étais heureuse à côté de madame de B. Aimer, pour moi, +c'était être là, c'était l'entendre, lui obéir, la regarder +surtout: je ne désirais rien de plus. Je ne pouvais m'étonner +de vivre au milieu du luxe, de n'être entourée que des +personnes les plus spirituelles et les plus aimables: je ne +connaissais pas autre chose; mais, sans le savoir, je prenais +un grand dédain pour tout ce qui n'était pas ce monde où je +passais ma vie. Le bon goût est à l'esprit ce qu'une oreille +juste est aux sons. Encore tout enfant, le manque de goût me +blessait; je le sentais avant de pouvoir le définir, et +l'habitude me l'avait rendu comme nécessaire. Cette +disposition eût été dangereuse si j'avais eu un avenir; mais +je n'avais pas d'avenir, et je ne m'en doutais pas. + +J'arrivai jusqu'à l'âge de douze ans sans avoir eu l'idée +qu'on pouvait être heureuse autrement que je ne l'étais. Je +n'étais pas fâchée d'être une négresse: on me disait que +j'étais charmante; d'ailleurs, rien ne m'avertissait que ce +fût un désavantage; je ne voyais presque pas d'autres enfants; +un seul était mon ami, et ma couleur noire ne l'empêchait pas +de m'aimer. + +Ma bienfaitrice avait deux petits-fils, enfants d'une fille +qui était morte jeune. Charles, le cadet, était à peu près de +mon âge. Elevé avec moi, il était mon protecteur, mon conseil +et mon soutien dans toutes mes petites fautes. A sept ans, il +alla au collège; je pleurai en le quittant: ce fut ma première +peine. Je pensais souvent à lui, mais je ne le voyais presque +plus; il étudiait, et moi, de mon côté, j'apprenais, pour +plaire à madame de B., tout ce qui devait former une éducation +parfaite. Elle voulut que j'eusse tous les talents: j'avais de +la voix, les maîtres les plus habiles l'exercèrent; j'avais le +goût de la peinture, et un peintre célèbre, ami de madame de +B., se chargea de diriger mes efforts. J'appris l'anglais, +l'italien, et madame de B. elle-même s'occupait de mes +lectures; elle guidait mon esprit, formait mon jugement. En +causant avec elle, en découvrant tous les trésors de son âme, +je sentais la mienne s'élever, et c'était l'admiration qui +m'ouvrait les voies de l'intelligence. Hélas! je ne prévoyais +pas que ces douces études seraient suivies de jours si amers! +Je ne pensais qu'à plaire à madame de B.; un sourire +d'approbation sur ses lèvres était tout mon avenir. + +Cependant des lectures multipliées, celle des poëtes surtout, +commençaient à occuper ma jeune imagination; mais, sans but, +sans projet, je promenais au hasard mes pensées errantes, et, +avec la confiance de mon jeune âge, je me disais que madame de +B. saurait bien me rendre heureuse... Sa tendresse pour moi, +la vie que je menais, tout prolongeait mon erreur et +autorisait mon aveuglement. Je vais vous donner un exemple des +soins et des préférences dont j'étais l'objet. + +Vous aurez peut-être de la peine à croire, en me voyant +aujourd'hui, que j'aie été citée pour l'élégance et la beauté +de ma taille. madame de B. vantait souvent ce qu'elle appelait +ma grâce, et elle avait voulu que je susse parfaitement +danser. Pour faire briller ce talent, ma bienfaitrice donna un +bal dont ses petits-fils furent le prétexte, mais dont le +véritable motif était de me montrer fort à mon avantage dans +un quadrille des quatre parties du monde où je devais +représenter l'Afrique. On consulta les voyageurs, on feuilleta +les livres de costumes, on lut des ouvrages savants sur la +musique africaine, enfin on choisit une _comba_, danse nationale +de mon pays. Mon danseur mit un crêpe sur son visage. Hélas! +je n'eus pas besoin d'en mettre sur le mien; mais je ne fis +pas alors cette réflexion. Tout entière au plaisir du bal, je +dansais la _comba_, et j'eus tout le succès qu'on pouvait +attendre de la nouveauté du spectacle et du choix des +spectateurs, dont la plupart, amis de madame de B., +s'enthousiasmaient pour moi et croyaient lui faire plaisir en +se laissant aller à toute la vivacité de ce sentiment. La +danse, d'ailleurs, était piquante: elle se composait d'un +mélange d'attitudes et de pas mesurés; on y peignait l'amour, +la douleur, le triomphe et le désespoir. Je ne connaissais +encore aucun de ces mouvements violents de l'âme; mais je ne +sais quel instinct me les faisait deviner. Enfin je réussis. +On m'applaudit, on m'entoura, on m'accabla d'éloges. Ce +plaisir fut sans mélange: rien ne troublait alors ma sécurité. +Ce fut peu de jours après ce bal qu'une conversation, que +j'entendis par hasard, ouvrit mes yeux et finit ma jeunesse. + +Il y avait dans le salon de madame de B. un grand paravent de +laque. Ce paravent cachait une porte, mais il s'étendait aussi +près d'une des fenêtres, et entre le paravent et la fenêtre se +trouvait une table où je dessinais quelquefois. Un jour, je +finissais avec application une miniature. Absorbée par mon +travail, j'étais restée longtemps immobile, et sans doute +madame de B. me croyait sortie, lorsqu'on annonça une de ses +amies, la marquise de ***. C'était une personne d'une raison +froide, d'un esprit tranchant, positive jusqu'à la sécheresse; +elle portait ce caractère dans l'amitié: les sacrifices ne lui +coûtaient rien pour le bien et pour l'avantage de ses amis; +mais elle leur faisait payer cher ce grand attachement. +Inquisitive et difficile, son exigence égalait son dévouement, +et elle était la moins aimable des amies de madame de B. Je la +craignais, quoiqu'elle fût bonne pour moi; mais elle l'était à +sa manière: examiner, et même assez sévèrement, était pour +elle un signe d'intérêt. Hélas! j'étais si accoutumée à la +bienveillance que la justice me semblait toujours redoutable. +"Pendant que nous sommes seules, dit Mme de *** à madame de +B., je veux vous parler d'Ourika. Elle devient charmante, son +esprit est tout à fait formé, elle causera comme vous, elle +est pleine de talents, elle est piquante, naturelle; mais que +deviendra-t-elle? et enfin qu'en ferez-vous? -- Hélas! dit +madame de B., cette pensée m'occupe souvent, et, je vous +l'avoue, toujours avec tristesse. Je l'aime comme si elle +était ma fille; je ferais tout pour la rendre heureuse, et +cependant, lorsque je réfléchis à sa position, je la trouve +sans remède. Pauvre Ourika! je la vois seule, pour toujours +seule dans la vie!" + +Il me serait impossible de vous peindre l'effet que produisit +en moi ce peu de paroles. L'éclair n'est pas plus prompt: je +vis tout; je me vis négresse, dépendante, méprisée, sans +fortune, sans appui, sans un être de mon espèce à qui unir mon +sort, jusqu'ici un jouet, un amusement pour ma bienfaitrice, +bientôt rejetée d'un monde où je n'étais pas faite pour être +admise. Une affreuse palpitation me saisit, mes yeux +s'obscurcirent, le battement de mon coeur m'ôta un instant la +faculté d'écouter encore; enfin je me remis assez pour +entendre la suite de cette conversation. + +"Je crains, disait Mme de ***., que vous ne la rendiez +malheureuse. Que voulez-vous qui la satisfasse, maintenant +qu'elle a passé sa vie dans l'intimité de votre société? -- +Mais elle y restera, dit madame de B. -- Oui, reprit Mme de +***, tant qu'elle est une enfant; mais elle a quinze ans: à +qui la marierez-vous, avec l'esprit qu'elle a et l'éducation +que vous lui avez donnée? Qui voudra jamais épouser une +négresse? Et si, à force d'argent, vous trouvez quelqu'un qui +consente à avoir des enfants nègres, ce sera un homme d'une +condition inférieure, et avec qui elle se trouvera +malheureuse. Elle ne peut vouloir que de ceux qui ne voudront +pas d'elle. -- Tout cela est vrai, dit madame de B.; mais +heureusement elle ne s'en doute point encore, et elle a pour +moi un attachement qui, j'espère, la préservera longtemps de +juger sa position. Pour la rendre heureuse, il eût fallu en +faire une personne commune: je crois sincèrement que cela +était impossible. Eh bien! peut-être sera-t-elle assez +distinguée pour se placer au-dessus de son sort, n'ayant pu +rester au dessous. -- Vous vous faites des chimères, dit Mme de +***; la philosophie nous place au-dessus des maux de la +fortune, mais elle ne peut rien contre les maux qui viennent +d'avoir brisé l'ordre de la nature. Ourika n'a pas rempli sa +destinée; elle s'est placée dans la société sans sa +permission; la société se vengera. -- Assurément, dit madame de +B., elle est bien innocente de ce crime; mais vous êtes sévère +pour cette pauvre enfant. -- Je lui veux plus de bien que vous, +reprit Mme de ***; je désire son bonheur, et vous la perdez." +Madame de B. répondit avec impatience, et j'allais être la +cause d'une querelle entre les deux amies, quand on annonça +une visite. Je me glissai derrière le paravent, je m'échappai; +je courus dans ma chambre, où un déluge de larmes soulagea un +instant mon pauvre coeur. + +C'était un grand changement dans ma vie que la perte de ce +prestige qui m'avait environnée jusqu'alors! Il y a des +illusions qui sont comme la lumière du jour: quand on les +perd, tout disparaît avec elles. Dans la confusion des +nouvelles idées qui m'assaillaient, je ne retrouvais plus rien +de ce qui m'avait occupée jusqu'alors: c'était un abîme avec +toutes ses terreurs. Ce mépris dont je me voyais poursuivie, +cette société où j'étais déplacée, cet homme qui, à prix +d'argent, consentirait peut-être que ses enfants fussent +nègres, toutes ces pensées s'élevaient successivement comme +des fantômes et s'attachaient sur moi comme des furies, +l'isolement surtout, cette conviction que j'étais seule, pour +toujours seule dans la vie, madame de B. l'avait dit; et à +chaque instant je me répétais: "Seule! pour toujours seule!" +La veille encore, que m'importait d'être seule? Je n'en savais +rien, je ne le sentais pas; j'avais besoin de ce que j'aimais, +je ne songeais pas que ce que j'aimais n'avait pas besoin de +moi. Mais à présent mes yeux étaient ouverts, et le malheur +avait déjà fait entrer la défiance dans mon âme. + +Quand je revins chez madame de B., tout le monde fut frappé de +mon changement. On me questionna: je dis que j'étais malade; +on le crut. Madame de B. envoya chercher Barthez, qui +m'examina avec soin, me tâta le pouls et dit brusquement que +je n'avais rien. Madame de B. se rassura et essaya de me +distraire et de m'amuser. Je n'ose dire combien j'étais +ingrate pour ces soins de ma bienfaitrice: mon âme s'était +comme resserrée en elle-même. Les bienfaits qui sont doux à +recevoir sont ceux dont le coeur s'acquitte: le mien était +rempli d'un sentiment trop amer pour se répandre au dehors. +Des combinaisons infinies des mêmes pensées occupaient tout +mon temps; elles se reproduisaient sous mille formes +différentes; mon imagination leur prêtait les couleurs les +plus sombres; souvent mes nuits entières se passaient à +pleurer. J'épuisais ma pitié sur moi-même: ma figure me +faisait horreur, je n'osais plus me regarder dans une glace; +lorsque mes yeux se portaient sur mes mains noires, je croyais +voir celles d'un singe; je m'exagérais ma laideur, et cette +couleur me paraissait comme le signe de ma réprobation: c'est +elle qui me séparait de tous les êtres de mon espèce, qui me +condamnait à être seule, toujours seule, jamais aimée! Un +homme, à prix d'argent, consentirait peut-être que ses enfants +fussent nègres!... Tout mon sang se soulevait d'indignation à +cette pensée. J'eus un moment l'idée de demander à madame de +B. de me renvoyer dans mon pays; mais là encore j'aurais été +isolée... Qui m'aurait entendue? qui m'aurait comprise? Hélas! +je n'appartenais plus à personne! j'étais étrangère à la race +humaine tout entière! + +Ce n'est que bien longtemps après que je compris la +possibilité de me résigner à un tel sort. Madame de B. n'était +point dévote: je devais à un prêtre respectable, qui m'avait +instruite pour ma première communion, ce que j'avais de +sentiments religieux; ils étaient sincères comme tout mon +caractère, mais je ne savais pas que, pour être profitable, la +piété a besoin d'être mêlée à toutes les actions de la vie. La +mienne avait occupé quelques instants de mes journées, mais +elle était demeurée étrangère à tout le reste. Mon confesseur +était un saint vieillard, peu soupçonneux; je le voyais deux +ou trois fois par an, et, comme je n'imaginais pas que des +chagrins fussent des fautes, je ne lui parlais pas de mes +peines; elles altéraient sensiblement ma santé, mais, chose +étrange, elles perfectionnaient mon esprit. Un sage d'Orient a +dit: "Celui qui n'a pas souffert, que sait-il?" Je vis que je +ne savais rien avant mon malheur; mes impressions étaient +toutes des sentiments: je ne jugeais pas, j'aimais; les +discours, les actions, les personnes, plaisaient ou +déplaisaient à mon coeur. A présent, mon esprit s'était séparé +de ces mouvements involontaires: le chagrin est comme +l'éloignement, il fait juger l'ensemble des objets. Depuis que +je me sentais étrangère à tout, j'étais devenue plus +difficile, et j'examinais, en le critiquant, presque tout ce +qui m'avait plu jusqu'alors. + +Cette disposition ne pouvait échapper à madame de B. Je n'ai +jamais su si elle en devina la cause: elle craignait peut-être +d'exalter ma peine en me permettant de la confier; mais elle +me montrait encore plus de bonté que de coutume; elle me +parlait avec un entier abandon, et, pour me distraire de mes +chagrins, elle m'occupait de ceux qu'elle avait elle-même. +Elle jugeait bien mon coeur: je ne pouvais, en effet, me +rattacher à la vie que par l'idée d'être nécessaire ou du +moins utile à ma bienfaitrice. La pensée qui me poursuivait le +plus, c'est que j'étais isolée sur la terre, et que je pouvais +mourir sans laisser de regrets dans le coeur de personne. +J'étais injuste pour madame de B.; elle m'aimait, elle me +l'avait assez prouvé; mais elle avait des intérêts qui +passaient bien avant moi. Je n'enviais pas sa tendresse à ses +petits-fils, surtout à Charles; mais j'aurais voulu pouvoir +dire comme eux: "Ma mère!" + +Les liens de famille surtout me faisaient faire des retours +bien douloureux sur moi-même, moi qui jamais ne devais être la +soeur, la femme, la mère de personne! Je me figurais dans ces +liens plus de douceur qu'ils n'en ont peut-être, et je +négligeais ceux qui m'étaient permis parce que je ne pouvais +atteindre à ceux-là. Je n'avais point d'amie, personne n'avait +ma confiance. Ce que j'avais pour madame de B. était plutôt un +culte qu'une affection; mais je crois que je sentais pour +Charles tout ce qu'on éprouve pour un frère. + +Il était toujours au collège, qu'il allait bientôt quitter +pour commencer ses voyages; il partait avec son frère aîné et +son gouverneur, et ils devaient visiter l'Allemagne, +l'Angleterre et l'Italie. Leur absence devait durer deux ans. +Charles était charmé de partir, et moi je ne fus affligée +qu'au dernier moment: car j'étais toujours bien aise de ce qui +lui faisait plaisir. Je ne lui avais rien dit de toutes les +idées qui m'occupaient; je ne le voyais jamais seul, et il +m'aurait fallu bien du temps pour lui expliquer ma peine. Je +suis sûre qu'alors il m'aurait comprise; mais il avait, avec +son air doux et grave, une disposition à la moquerie qui me +rendait timide. Il est vrai qu'il ne l'exerçait guère que sur +les ridicules de l'affectation: tout ce qui était sincère le +désarmait. Enfin je ne lui dis rien. Son départ, d'ailleurs, +était une distraction, et je crois que cela me faisait du bien +de m'affliger d'autre chose que de ma douleur habituelle. + +Ce fut peu de temps après le départ de Charles que la +Révolution prit un caractère plus sérieux. Je n'entendais +parler tout le jour, dans le salon de madame de B., que des +grands intérêts moraux et politiques que cette révolution +remua jusque dans leur source; ils se rattachaient à ce qui +avait occupé les esprits supérieurs de tous les temps. Rien +n'était plus capable d'étendre et de former mes idées que le +spectacle de cette arène où des hommes distingués remettaient +chaque jour en question tout ce qu'on avait pu croire jugé +jusqu'alors. Ils approfondissaient tous les sujets, +remontaient à l'origine de toutes les institutions, mais trop +souvent pour tout ébranler et pour tout détruire. + +Croiriez-vous que, jeune comme j'étais, étrangère à tous les +intérêts de la société, nourrissant à part ma plaie secrète, +la Révolution apporta un changement dans mes idées, fit naître +dans mon coeur quelques espérances et suspendit un moment mes +maux? tant on cherche vite ce qui peut consoler! J'entrevis +donc que dans ce grand désordre je pourrais trouver une place, +que toutes les fortunes renversées, tous les rangs confondus, +tous les préjugés évanouis, amèneraient peut-être un état de +choses où je serais moins étrangère, et que, si j'avais +quelque supériorité d'âme, quelque qualité cachée, on +l'apprécierait lorsque ma couleur ne m'isolerait plus au +milieu du monde, comme elle avait fait jusqu'alors. Mais il +arriva que ces qualités mêmes que je pouvais me trouver +s'opposèrent vite à mon illusion: je ne pus désirer longtemps +beaucoup de mal pour un peu de bien personnel. D'un autre +côté, j'apercevais les ridicules de ces personnages qui +voulaient maîtriser les événements; je jugeais les petitesses +de leurs caractères, je devinais leurs vues secrètes. Bientôt +leur fausse philanthropie cessa de m'abuser, et je renonçai à +l'espérance en voyant qu'il resterait encore assez de mépris +pour moi au milieu de tant d'adversités. Cependant je +m'intéressais toujours à ces discussions animées; mais elles +ne tardèrent pas à perdre ce qui faisait leur plus grand +charme. Déjà le temps n'était plus où l'on ne songeait qu'à +plaire, et où la première condition, pour y réussir, était +l'oubli des succès de son amour-propre: lorsque la Révolution +cessa d'être une belle théorie et qu'elle toucha aux intérêts +intimes de chacun, les conversations dégénérèrent en disputes, +et l'aigreur, l'amertume et les personnalités prirent la place +de la raison. Quelquefois, malgré ma tristesse, je m'amusais +de toutes ces violentes opinions, qui n'étaient au fond +presque jamais que des prétentions, des affectations ou des +peurs; mais la gaieté qui vient de l'observation des ridicules +ne fait pas de bien: il y a trop de malignité dans cette +gaieté pour qu'elle puisse réjouir le coeur qui ne se plaît que +dans les joies innocentes. On peut avoir cette gaieté moqueuse +sans cesser d'être malheureux; peut-être même le malheur rend-il +plus susceptible de l'éprouver, car l'amertume dont l'âme +se nourrit fait l'aliment habituel de ce triste plaisir. + +L'espoir sitôt détruit que m'avait inspiré la Révolution +n'avait point changé la situation de mon âme. Toujours +mécontente de mon sort, mes chagrins n'étaient adoucis que par +la confiance et les bontés de madame de B. Quelquefois, au +milieu de ces conversations politiques dont elle ne pouvait +réussir à calmer l'aigreur, elle me regardait tristement. Ce +regard était un baume pour mon coeur; il semblait me dire: +"Ourika, vous seule m'entendrez!" + +On commençait à parler de la liberté des nègres. Il était +impossible que cette question ne me touchât pas vivement: +c'était une illusion que j'aimais encore à me faire +qu'ailleurs, du moins, j'avais des semblables. Comme ils +étaient malheureux, je les croyais bons, et je m'intéressais à +leur sort. Hélas! je fus promptement détrompée! Les massacres +de Saint-Domingue me causèrent une douleur nouvelle et +déchirante. Jusqu'ici je m'étais affligée d'appartenir à une +race proscrite; maintenant j'avais honte d'appartenir à une +race de barbares et d'assassins. + +Cependant la Révolution faisait des progrès rapides; on +s'effrayait en voyant les hommes les plus violents s'emparer +de toutes les places. Bientôt il parut que ces hommes étaient +décidés à ne rien respecter: les affreuses journées du 20 juin +et du 10 août durent préparer à tout. Ce qui restait de la +société de madame de B. se dispersa à cette époque: les uns +fuyaient les persécutions dans les pays étrangers; les autres +se cachaient ou se retiraient en province. Madame de B. ne fit +ni l'un ni l'autre; elle était fixée chez elle par +l'occupation constante de son coeur: elle resta avec un +souvenir et près d'un tombeau. + +Nous vivions depuis quelques mois dans la solitude, lorsque, à +la fin de l'année 1792, parut le décret de confiscation des +biens des émigrés. Au milieu de ce désastre général, madame de +B. n'aurait pas compté la perte de sa fortune si elle n'eût +appartenu à ses petits-fils; mais, par des arrangements de +famille, elle n'en avait que la jouissance. Elle se décida +donc à faire revenir Charles, le plus jeune des deux frères, +et à envoyer l'aîné, âgé de près de vingt ans, à l'armée de +Condé. Ils étaient alors en Italie, et achevaient ce grand +voyage, entrepris, deux ans auparavant, dans des circonstances +bien différentes. Charles arriva à Paris au commencement de +février 1793, peu de temps après la mort du roi. + +Ce grand crime avait causé à madame de B. la plus violente +douleur; elle s'y livrait tout entière, et son âme était assez +forte pour proportionner l'horreur du forfait à l'immensité du +forfait même. Les grandes douleurs, dans la vieillesse, ont +quelque chose de frappant: elles ont pour elles l'autorité de +la raison. Madame de B. souffrait avec toute l'énergie de son +caractère; sa santé en était altérée, mais je n'imaginais pas +qu'on pût essayer de la consoler, ou même de la distraire. Je +pleurais, je m'unissais à ses sentiments, j'essayais d'élever +mon âme pour la rapprocher de la sienne, pour souffrir du +moins autant qu'elle et avec elle. + +Je ne pensai presque pas à mes peines tant que dura la +Terreur: j'aurais eu honte de me trouver malheureuse en +présence de ces grandes infortunes: d'ailleurs, je ne me +sentais plus isolée depuis que tout le monde était malheureux. +L'opinion est comme une patrie: c'est un bien dont on jouit +ensemble; on est frère pour la soutenir et pour la défendre. +Je me disais quelquefois que moi, pauvre négresse, je tenais +pourtant à toutes les âmes élevées par le besoin de la justice +que j'éprouvais en commun avec elles: le jour du triomphe de +la vertu et de la vérité serait un jour de triomphe pour moi +comme pour elles; mais, hélas! ce jour était bien loin. + +Aussitôt que Charles fut arrivé, madame de B. partit pour la +campagne. Tous ses amis étaient cachés ou en fuite; sa société +se trouvait presque réduite à un vieil abbé que, depuis dix +ans, j'entendais tous les jours se moquer de la religion, et +qui à présent s'irritait qu'on eût vendu les biens du clergé, +parce qu'il y perdait vingt mille livres de rente. Cet abbé +vint avec nous à Saint-Germain. Sa société était douce, ou +plutôt elle était tranquille, car son calme n'avait rien de +doux: il venait de la tournure de son esprit plutôt que de la +paix de son coeur. + +Madame de B. avait été toute sa vie dans la position de rendre +beaucoup de services. Liée avec M. de Choiseul, elle avait pu, +pendant ce long ministère, être utile à bien des gens. Deux +des hommes les plus influents pendant la Terreur avaient des +obligations à madame de B.; ils s'en souvinrent et se +montrèrent reconnaissants. Veillant sans cesse sur elle, ils +ne permirent pas qu'elle fût atteinte; ils risquèrent +plusieurs fois leurs vies pour dérober la sienne aux fureurs +révolutionnaires: car on doit remarquer qu'à cette époque +funeste les chefs mêmes des partis les plus violents ne +pouvaient faire un peu de bien sans danger; il semblait que +sur cette terre désolée on ne pût régner que par le mal, tant +lui seul donnait et ôtait la puissance. Madame de B. n'alla +point en prison; elle fut gardée chez elle, sous prétexte de +sa mauvaise santé. Charles, l'abbé et moi, nous restâmes +auprès d'elle, et nous lui donnions tous nos soins. + +Rien ne peut peindre l'état d'anxiété et de terreur des +journées que nous passâmes alors, lisant chaque soir, dans les +journaux, la condamnation et la mort des amis de madame de B., +et tremblant à tout instant que ses protecteurs n'eussent plus +le pouvoir de la garantir du même sort. Nous sûmes qu'en effet +elle était au moment de périr, lorsque la mort de Robespierre +mit un terme à tant d'horreurs. On respira; les gardes +quittèrent la maison de madame de B., et nous restâmes tous +quatre dans la même solitude, comme on se retrouve, j'imagine, +après une grande calamité à laquelle on a échappé ensemble. On +aurait cru que tous les liens s'étaient resserrés par le +malheur: j'avais senti que là, du moins, je n'étais pas +étrangère. + +Si j'ai connu quelques instants doux dans ma vie depuis la +perte des illusions de mon enfance, c'est l'époque qui suivit +ces temps désastreux. Madame de B. possédait au suprême degré +ce qui fait le charme de la vie intérieure. Indulgente et +facile, on pouvait tout dire devant elle; elle savait deviner +ce que voulait dire ce qu'on avait dit. Jamais une +interprétation sévère ou infidèle ne venait glacer la +confiance; les pensées passaient pour ce qu'elles valaient: on +n'était responsable de rien. Cette qualité eût fait le bonheur +des amis de madame de B., quand bien même elle n'eût possédé +que celle-là. Mais combien d'autres grâces n'avait-elle pas +encore! Jamais on ne sentait de vide ni d'ennui dans sa +conversation; tout lui servait d'aliment; l'intérêt qu'on +prend aux petites choses, qui est de la futilité dans les +personnes communes, est la source de mille plaisirs avec une +personne distinguée: car c'est le propre des esprits +supérieurs de faire quelque chose de rien. L'idée la plus +ordinaire devenait féconde si elle passait par la bouche de +madame de B.; son esprit et sa raison savaient la revêtir de +mille nouvelles couleurs. + +Charles avait des rapports de caractère avec madame de B., et +son esprit aussi ressemblait au sien, c'est-à-dire qu'il était +ce que celui de madame de B. avait dû être, juste, ferme, +étendu, mais sans modifications: la jeunesse ne les connaît +pas: Pour elle, tout est bien ou tout est mal, tandis que +l'écueil de la vieillesse est souvent de trouver que rien +n'est tout à fait bien et rien tout à fait mal. Charles avait +les deux belles passions de son âge: la justice et la vérité. +J'ai dit qu'il haïssait jusqu'à l'ombre de l'affectation; il +avait le défaut d'en voir quelquefois où il n'y en avait pas. +Habituellement contenu, sa confiance était flatteuse; on +voyait qu'il la donnait, qu'elle était le fruit de l'estime, +et non le penchant de son caractère: tout ce qu'il accordait +avait du prix, car presque rien en lui n'était involontaire, +et tout cependant était naturel. Il comptait tellement sur moi +qu'il n'avait pas une pensée qu'il ne me dît aussitôt. Le +soir, assis autour d'une table, les conversations étaient +infinies. Notre vieil abbé y tenait sa place; il s'était fait +un enchaînement si complet d'idées fausses, et il les +soutenait avec tant de bonne foi, qu'il était une source +inépuisable d'amusement pour madame de B., dont l'esprit juste +et lumineux faisait admirablement ressortir les absurdités du +pauvre abbé, qui ne se fâchait jamais; elle jetait tout au +travers de son _ordre d'idées_ de grands traits de bon sens que +nous comparions aux grands coups d'épée de Roland ou de +Charlemagne. + +Madame de B. aimait à marcher: elle se promenait tous les +matins dans la forêt de Saint-Germain, donnant le bras à +l'abbé; Charles et moi nous la suivions de loin. C'est alors +qu'il me parlait de tout ce qui l'occupait, de ses projets, de +ses espérances, de ses idées sur tout, sur les choses, sur les +hommes, sur les événements; il ne me cachait rien, et il ne se +doutait pas qu'il me confiât quelque chose. Depuis si +longtemps il comptait sur moi que mon amitié était pour lui +comme sa vie; il en jouissait sans la sentir; il ne me +demandait ni intérêt ni attention; il savait bien qu'en me +parlant de lui il me parlait de moi, et que j'étais plus _lui_ +que lui-même. Charme d'une telle confiance, vous pouvez tout +remplacer, remplacer le bonheur même! + +Je ne pensais jamais à parler à Charles de ce qui m'avait tant +fait souffrir; je l'écoutais, et ces conversations avaient sur +moi je ne sais quel effet magique qui amenait l'oubli de mes +peines. S'il m'eût questionnée, il m'en eût fait souvenir: +alors je lui aurais tout dit; mais il n'imaginait pas que +j'avais aussi un secret. On était accoutumé à me voir +souffrante, et madame de B. faisait tant pour mon bonheur +qu'elle devait me croire heureuse. J'aurais dû l'être, je me +le disais souvent; je m'accusais d'ingratitude ou de folie. Je +ne sais si j'aurais osé avouer jusqu'à quel point ce mal sans +remède de ma couleur me rendait malheureuse. Il y a quelque +chose d'humiliant à ne pas savoir se soumettre à la nécessité: +aussi ces douleurs, quand elles maîtrisent l'âme, ont tous les +caractères du désespoir. Ce qui m'intimidait aussi avec +Charles, c'est cette tournure un peu sévère de ses idées. Un +soir, la conversation s'était établie sur la pitié, et on se +demandait si les chagrins inspirent plus d'intérêt par leurs +résultats ou par leurs causes. Charles s'était prononcé pour +la cause: il pensait donc qu'il fallait que toutes les +douleurs fussent raisonnables. Mais qui peut dire ce que c'est +que la raison? Est-elle la même pour tout le monde? tous les +coeurs ont-ils tous les mêmes besoins, et le malheur n'est-il +pas la privation des besoins du coeur? + +Il était rare cependant que nos conversations du soir me +ramenassent ainsi à moi-même: je tâchais d'y penser le moins +que je pouvais; j'avais ôté de ma chambre tous les miroirs, je +portais toujours des gants; mes vêtements cachaient mon cou et +mes bras, et j'avais adopté, pour sortir, un grand chapeau +avec un voile, que souvent même je gardais dans la maison. +Hélas! je me trompais ainsi moi-même: comme les enfants, je +fermais les yeux, et je croyais qu'on ne me voyait pas. + +Vers la fin de l'année 1795, la Terreur était finie, et l'on +commençait à se retrouver. Les débris de la société de madame +de B. se réunirent autour d'elle, et je vis avec peine le +cercle de ses amis s'augmenter. Ma position était si fausse +dans le monde que plus la société rentrait dans son ordre +naturel, plus je m'en sentais dehors. Toutes les fois que je +voyais arriver chez madame de B. des personnes qui n'y étaient +pas encore venues, j'éprouvais un nouveau tourment. +L'expression de surprise mêlée de dédain que j'observais sur +leur physionomie commençait à me troubler; j'étais sûre d'être +bientôt l'objet d'un aparté dans l'embrasure de la fenêtre ou +d'un conversation à voix basse, car il fallait bien se faire +expliquer comment une négresse était admise dans la société +intime de madame de B. Je souffrais le martyre pendant ces +éclaircissements; j'aurais voulu être transportée dans ma +patrie barbare, au milieu des sauvages qui l'habitent, moins à +craindre pour moi que cette société cruelle qui me rendait +responsable du mal qu'elle seule avait fait. J'étais +poursuivie plusieurs jours de suite par le souvenir de cette +physionomie dédaigneuse: je la voyais en rêve, je la voyais à +chaque instant; elle se plaçait devant moi comme ma propre +image. Hélas! elle était celle des chimères dont je me +laissais obséder! Vous ne m'aviez pas encore appris, ô mon +Dieu! à conjurer ces fantômes; je ne savais pas qu'il n'y a de +repos qu'en vous. + +A présent, c'était dans le coeur de Charles que je cherchais un +abri; j'étais fière de son amitié, je l'étais encore plus de +ses vertus; je l'admirais comme ce que je connaissais de plus +parfait sur la terre. J'avais cru autrefois aimer Charles +comme un frère; mais, depuis que j'étais toujours souffrante, +il me semblait que j'étais vieillie et que ma tendresse pour +lui ressemblait plutôt à celle d'une mère. Une mère, en effet, +pouvait seule éprouver ce désir passionné de son bonheur, de +ses succès; j'aurais volontiers donné ma vie pour lui épargner +un moment de peine. Je voyais bien avant lui l'impression +qu'il produisait sur les autres; il était assez heureux pour +ne s'en pas soucier. C'est tout simple: il n'avait rien à en +redouter; rien ne lui avait donné cette inquiétude habituelle +que j'éprouvais sur les pensées des autres; tout était +harmonie dans son sort, tout était désaccord dans le mien. + +Un matin, un ancien ami de madame de B. vint chez elle; il +était chargé d'une proposition de mariage pour Charles. +Mademoiselle de Thémines était devenue, d'une manière bien +cruelle, une riche héritière; elle avait perdu le même jour, +sur l'échafaud, sa famille entière; il ne lui restait plus +qu'une grande tante, autrefois religieuse, et qui, devenue +tutrice de mademoiselle de Thémines, regardait comme un devoir +de la marier, et voulait se presser, parce qu'ayant plus de +quatre-vingts ans, elle craignait de mourir et de laisser +ainsi sa nièce seule et sans appui dans le monde. Mademoiselle +de Thémines réunissait tous les avantages de la naissance, de +la fortune et de l'éducation; elle avait seize ans: elle était +belle comme le jour: on ne pouvait hésiter. Madame de B. en +parla à Charles, qui d'abord fut un peu effrayé de se marier +si jeune. Bientôt il désira voir mademoiselle de Thémines. +L'entrevue eut lieu, et alors il n'hésita plus. Anaïs de +Thémines possédait en effet tout ce qui pouvait plaire à +Charles: jolie sans s'en douter, et d'une modestie si +tranquille qu'on voyait qu'elle ne devait qu'à la nature cette +charmante vertu. Madame de Thémines permit à Charles d'aller +chez elle, et bientôt il devint passionnément amoureux. Il me +racontait les progrès de ses sentiments: j'étais impatiente de +voir cette belle Anaïs, destinée à faire le bonheur de +Charles. Elle vint enfin à Saint-Germain. Charles lui avait +parlé de moi: je n'eus point à supporter d'elle ce coup d'oeil +dédaigneux et scrutateur qui me faisait toujours tant de mal; +elle avait l'air d'un ange de bonté. Je lui promis qu'elle +serait heureuse avec Charles; je la rassurai sur sa jeunesse, +je lui dis qu'à vingt et un ans il avait la raison solide d'un +âge bien plus avancé. Je répondis à toutes ses questions; elle +m'en fit beaucoup, parce qu'elle savait que je connaissais +Charles depuis son enfance, et il m'était si doux d'en dire du +bien que je ne me lassais pas d'en parler. + +Les arrangements d'affaires retardèrent de quelques semaines +la conclusion du mariage. Charles continuait à aller chez +madame de Thémines, et souvent il restait à Paris deux ou +trois jours de suite. Ces absences m'affligeaient, et j'étais +mécontente de moi-même en voyant que je préférais mon bonheur +à celui de Charles. Ce n'est pas ainsi que j'étais accoutumée +à aimer. Les jours où il revenait étaient des jours de fête; +il me racontait ce qui l'avait occupé, et, s'il avait fait +quelques progrès dans le coeur d'Anaïs, je m'en réjouissais +avec lui. Un jour pourtant il me parla de la manière dont il +voulait vivre avec elle. "Je veux obtenir toute sa confiance, +me dit-il, et lui donner toute la mienne; je ne lui cacherai +rien, elle saura toutes mes pensées, elle connaîtra tous les +mouvements secrets de mon coeur; je veux qu'il y ait entre elle +et moi une confiance comme la nôtre, Ourika." Comme la nôtre! +Ce mot me fit mal; il me rappela que Charles ne savait pas le +seul secret de ma vie, et il m'ôta le désir de le lui confier. +Peu à peu les absences de Charles devinrent plus longues; il +n'était presque plus à Saint-Germain que des instants; il +venait à cheval pour mettre moins de temps en chemin; il +retournait l'après-dînée à Paris: de sorte que tous les soirs +se passaient sans lui. Madame de B. plaisantait souvent de ces +longues absences... J'aurais bien voulu faire comme elle! + +Un jour, nous nous promenions dans la forêt. Charles avait été +absent presque toute la semaine; je l'aperçus tout à coup à +l'extrémité de l'allée où nous marchions: il venait à cheval, +et très-vite. Quand il fut près de l'endroit où nous étions, +il sauta à terre et se mit à se promener avec nous. Après +quelques minutes de conversation générale, il resta en arrière +avec moi, et nous recommençâmes à causer comme autrefois. J'en +fis la remarque. "Comme autrefois! s'écria-t-il; ah! quelle +différence! Avais-je donc quelque chose à dire dans ce temps-là? +Il me semble que je n'ai commencé à vivre que depuis deux +mois. Ourika, je ne vous dirai jamais ce que j'éprouve pour +elle! Quelquefois je crois sentir que mon âme tout entière va +passer dans la sienne. Quand elle me regarde, je ne respire +plus; quand elle rougit, je voudrais me prosterner à ses pieds +pour l'adorer. Quand je pense que je vais être le protecteur +de cet ange, qu'elle me confie sa vie, sa destinée, ah! que je +suis glorieux de la mienne! Que je la rendrai heureuse! Je +serai pour elle le père, la mère qu'elle a perdus; mais je +serai aussi son mari, son amant! Elle me donnera son premier +amour, tout son coeur s'épanchera dans le mien; nous vivrons de +la même vie, et je ne veux pas que dans le cours de nos +longues années elle puisse dire qu'elle ait passé une heure +sans être heureuse. Quelles délices, Ourika, de penser qu'elle +sera la mère de mes enfants, qu'ils puiseront la vie dans le +sein d'Anaïs! Ah! ils seront doux et beaux comme elle! Qu'ai-je +fait, ô Dieu! pour mériter tant de bonheur?" + +Hélas! j'adressais en ce moment au Ciel une question toute +contraire! Depuis quelques instants j'écoutais ces paroles +passionnées avec un sentiment indéfinissable. Grand Dieu! vous +êtes témoin que j'étais heureuse du bonheur de Charles; mais +pourquoi avez-vous donné la vie à la pauvre Ourika? pourquoi +n'est-elle pas morte sur ce bâtiment négrier d'où elle fut +arrachée, ou sur le sein de sa mère? Un peu de sable d'Afrique +eût recouvert son corps, et ce fardeau eût été bien léger! +Qu'importait au monde qu'Ourika vécût? Pourquoi était-elle +condamnée à la vie? C'était donc pour vivre seule, toujours +seule, jamais aimée! O mon Dieu! ne le permettez pas! Retirez +de la terre la pauvre Ourika! Personne n'a besoin d'elle: +n'est-elle pas seule dans la vie? Cette affreuse pensée me +saisit avec plus de violence qu'elle n'avait encore fait. Je +me sentis fléchir, je tombai sur les genoux, mes yeux se +fermèrent, et je crus que j'allais mourir. + + +En achevant ces paroles, l'oppression de la pauvre religieuse +parut s'augmenter; sa voix s'altéra, et quelques larmes +coulèrent le long de ses joues flétries. Je voulus l'engager à +suspendre son récit; elle s'y refusa. + + +"Ce n'est rien, me dit-elle; maintenant le chagrin ne dure pas +dans mon coeur: la racine en est coupée. Dieu a eu pitié de +moi; il m'a retirée lui-même de cet abîme où je n'étais tombée +que faute de le connaître et de l'aimer. N'oubliez donc pas +que je suis heureuse; mais, hélas! ajouta-t-elle, je ne +l'étais point alors." + +Jusqu'à l'époque dont je viens de vous parler, j'avais +supporté mes peines; elles avaient altéré ma santé, mais +j'avais conservé ma raison et une sorte d'empire sur moi-même. +Mon chagrin, comme le ver qui dévore le fruit, avait commencé +par le coeur; je portais dans mon sein le germe de la +destruction, lorsque tout était encore plein de vie au dehors +de moi. La conversation me plaisait, la discussion m'animait; +j'avais même conservé une sorte de gaieté d'esprit; mais +j'avais perdu les joies du coeur. Enfin, jusqu'à l'époque dont +je viens de vous parler, j'étais plus forte que mes peines; je +sentais qu'à présent mes peines seraient plus fortes que moi. + +Charles me rapporta dans ses bras jusqu'à la maison. Là tous +les secours me furent donnés, et je repris connaissance. En +ouvrant les yeux, je vis madame de B. à côté de mon lit; +Charles me tenait une main. Ils m'avaient soignée eux-mêmes, +et je vis sur leurs visages un mélange d'anxiété et de douleur +qui pénétra jusqu'au fond de mon âme: je sentis la vie revenir +en moi; mes pleurs coulèrent. Madame de B. les essuyait +doucement; elle ne me disait rien, elle ne me faisait point de +questions: Charles m'en accabla. Je ne sais ce que je lui +répondis; je donnai pour cause à mon accident le chaud, la +longueur de la promenade. Il me crut, et l'amertume entra dans +mon âme en voyant qu'il me croyait: mes larmes se séchèrent; +je me dis qu'il était donc bien facile de tromper ceux dont +l'intérêt était ailleurs. Je retirai ma main, qu'il tenait +encore, et je cherchai à paraître tranquille. Charles partit, +comme de coutume, à cinq heures. J'en fus blessée; j'aurais +voulu qu'il fût inquiet de moi: je souffrais tant! Il serait +parti de même, je l'y aurais forcé; mais je me serais dit +qu'il me devait le bonheur de sa soirée, et cette pensée m'eût +consolée. Je me gardai bien de montrer à Charles ce mouvement +de mon coeur: les sentiments délicats ont une sorte de pudeur; +s'ils ne sont devinés, ils sont incomplets: on dirait qu'on ne +peut les éprouver qu'à deux. + +A peine Charles fut-il parti que la fièvre me prit avec une +grande violence; elle augmenta les deux jours suivants. Madame +de B. me soignait avec sa bonté accoutumée; elle était +désespérée de mon état et de l'impossibilité de me faire +transporter à Paris, où le mariage de Charles l'obligeait à se +rendre le lendemain. Les médecins dirent à madame de B. qu'ils +répondaient de ma vie si elle me laissait à Saint-Germain; +elle s'y résolut, et elle me montra en partant une affection +si tendre qu'elle calma un moment mon coeur. Mais, après son +départ, l'isolement complet, réel, où je me trouvais pour la +première fois de ma vie, me jeta dans un profond désespoir. Je +voyais se réaliser cette situation que mon imagination s'était +peinte tant de fois; je mourais loin de ce que j'aimais, et +mes tristes gémissements ne parvenaient pas même à leurs +oreilles. Hélas! ils eussent troublé leur joie. Je les voyais +s'abandonnant à toute l'ivresse du bonheur, loin d'Ourika +mourante. Ourika n'avait qu'eux dans la vie; mais eux +n'avaient pas besoin d'Ourika: personne n'avait besoin d'elle! +Cet affreux sentiment de l'inutilité de l'existence est celui +qui déchire le plus profondément le coeur; il me donna un tel +dégoût de la vie que je souhaitai sincèrement mourir de la +maladie dont j'étais attaquée. Je ne parlais pas, je ne +donnais presque aucun signe de connaissance, et cette seule +pensée était bien distincte en moi: _Je voudrais mourir_. Dans +d'autres moments, j'étais plus agitée; je me rappelais tous +les mots de cette dernière conversation que j'avais eue avec +Charles dans la forêt; je le voyais nageant dans cette mer de +délices qu'il m'avait dépeinte, tandis que je mourais +abandonnée, seule dans la mort comme dans la vie. Cette idée +me donnait une irritation plus pénible encore que la douleur. +Je me créais des chimères pour satisfaire à ce nouveau +sentiment; je me représentais Charles arrivant à Saint-Germain. +On lui disait: "Elle est morte." Eh bien! le +croiriez-vous? je jouissais de sa douleur; elle me vengeait, +et de quoi, grand Dieu? de ce qu'il avait été l'ange +protecteur de ma vie! Cet affreux sentiment me fit bientôt +horreur; j'entrevis que, si la douleur n'était pas une faute, +s'y livrer comme je le faisais pouvait être criminel. Mes +idées prirent alors un autre cours: j'essayai de me vaincre, +de trouver en moi-même une force pour combattre les sentiments +qui m'agitaient; mais je ne la cherchais point, cette force, +où elle était. Je me fit honte de mon ingratitude. "Je +mourrai, me disais-je, je veux mourir; mais je ne veux pas +laisser les passions haineuses approcher de mon coeur. Ourika +est un enfant déshérité, mais l'innocence lui reste: je ne la +laisserai pas se flétrir en moi par l'ingratitude. Je passerai +sur la terre comme une ombre, mais dans le tombeau j'aurai la +paix. O mon Dieu! ils sont déjà bien heureux: eh bien! donnez-leur +encore la part d'Ourika, et laissez-la mourir comme la +feuille tombe en automne. N'ai-je donc pas assez souffert?" + +Je ne sortis de la maladie qui avait mis ma vie en danger, que +pour tomber dans un état de langueur où le chagrin avait +beaucoup de part. Madame de B. s'établit à Saint-Germain après +le mariage de Charles; il y venait souvent accompagné d'Anaïs, +jamais sans elle. Je souffrais toujours davantage quand ils +étaient là. Je ne sais si l'image du bonheur me rendait plus +sensible ma propre infortune, ou si la présence de Charles +réveillait le souvenir de notre ancienne amitié; je cherchais +quelquefois à le retrouver, et je ne le reconnaissais plus. Il +me disait pourtant à peu près tout ce qu'il me disait +autrefois; mais son amitié présente ressemblait à son amitié +passée comme la fleur artificielle ressemble à la fleur +véritable: c'est la même chose, hors la vie et le parfum. + +Charles attribuait au dépérissement de ma santé le changement +de mon caractère; je crois que madame de B. jugeait mieux le +triste état de mon âme, qu'elle devinait mes tourments secrets +et qu'elle en était vivement affligée; mais le temps n'était +plus où je consolais les autres: je n'avais plus pitié que de +moi-même. + +Anaïs devint grosse, et nous retournâmes à Paris. Ma tristesse +augmentait chaque jour. Ce bonheur intérieur si paisible, ces +liens de famille si doux, cet amour dans l'innocence toujours +aussi tendre, aussi passionné, quel spectacle pour une +malheureuse destinée à passer sa triste vie dans l'isolement, +à mourir sans avoir été aimée, sans avoir connu d'autres liens +que ceux de la dépendance et de la pitié! Les jours, les mois +se passaient ainsi; je ne prenais part à aucune conversation, +j'avais abandonné tous mes talents; si je supportais quelques +lectures, c'étaient celles où je croyais retrouver la peinture +imparfaite des chagrins qui me dévoraient. Je m'en faisais un +nouveau poison, je m'enivrais de mes larmes, et, seule dans ma +chambre pendant des heures entières, je m'abandonnais à ma +douleur. + +La naissance d'un fils mit le comble au bonheur de Charles; il +accourut pour me le dire, et dans les transports de sa joie je +reconnus quelques accents de son ancienne confiance. Qu'ils me +firent mal! Hélas! c'était la voix de l'ami que je n'avais +plus! et tous les souvenirs du passé venaient à cette voix +déchirer de nouveau ma plaie. + +L'enfant de Charles était beau comme Anaïs. Le tableau de +cette jeune mère avec son fils touchait tout le monde; moi +seule, par un sort bizarre, j'étais condamnée à le voir avec +amertume. Mon coeur dévorait cette image d'un bonheur que je ne +devais jamais connaître, et l'envie, comme le vautour, se +nourrissait dans mon sein. Qu'avais-je fait à ceux qui crurent +me sauver en m'amenant sur cette terre d'exil? pourquoi ne me +laissait-on pas suivre mon sort? Eh bien! je serais la +négresse esclave de quelque riche colon; brûlée par le soleil, +je cultiverais la terre d'un autre; mais j'aurais mon humble +cabane pour me retirer le soir; j'aurais un compagnon de ma +vie et des enfants de ma couleur qui m'appelleraient: "Ma +mère!" Ils appuieraient sans dégoût leur petite bouche sur mon +front; ils reposeraient leur tête sur mon cou et +s'endormiraient dans mes bras! Qu'ai-je fait pour être +condamnée à n'éprouver jamais les affections pour lesquelles +seules mon coeur est créé! O mon Dieu! ôtez-moi de ce monde... +Je sens que je ne puis plus supporter la vie. + +A genoux dans ma chambre, j'adressais au Créateur cette prière +impie, quand j'entendis ouvrir ma porte: c'était l'amie de +madame de B., la marquise de ***, qui était revenue depuis peu +d'Angleterre, où elle avait passé plusieurs années. Je la vis +avec effroi arriver près de moi: sa vue me rappelait toujours +que, la première, elle m'avait révélé mon sort; qu'elle +m'avait ouvert cette mine de douleurs où j'avais tant puisé. +Depuis qu'elle était à Paris, je ne la voyais qu'avec un +sentiment pénible. + +"Je viens vous voir et causer avec vous, ma chère Ourika, me +dit-elle; vous savez combien je vous aime depuis votre +enfance, et je ne puis voir sans une véritable peine la +mélancolie dans laquelle vous vous plongez. Est-il possible, +avec l'esprit que vous avez, que vous ne sachiez pas tirer un +meilleur parti de votre situation? -- L'esprit, Madame, lui +répondis-je, ne sert guère qu'à augmenter les maux véritables; +il les fait voir sous tant de formes diverses! -- Mais reprit-elle, +lorsque les maux sont sans remède, n'est-ce pas une +folie de refuser de s'y soumettre et de lutter ainsi contre la +nécessité, car enfin nous ne sommes pas les plus forts? -- Cela +est vrai, dis-je; mais il semble que dans ce cas la nécessité +est un mal de plus. -- Vous conviendrez pourtant, Ourika, que +la raison conseille alors de se résigner et de se distraire. -- +Oui, Madame; mais, pour se distraire, il faut entrevoir +ailleurs l'espérance. -- Vous pourriez du moins vous faire des +goûts et des occupations pour remplir votre temps. -- Ah! +Madame, les goûts qu'on se fait sont un effort et ne sont pas +un plaisir. -- Mais, dit-elle encore, vous êtes remplie de +talents. -- Pour que les talents soient une ressource, Madame, +lui répondis-je, il faut se proposer un but; mes talents +seraient comme la fleur du poëte anglais, qui perdait son +parfum dans le désert. -- Vous oubliez vos amis, qui en +jouiraient. -- Je n'ai point d'amis, Madame; j'ai des +protecteurs, et cela est bien différent! -- Ourika, dit-elle, +vous vous rendez bien malheureuse, et bien inutilement! -- Tout +est inutile dans ma vie, Madame, même ma douleur. -- Comment +pouvez-vous prononcer un mot si amer, vous, Ourika, qui vous +êtes montrée si dévouée lorsque vous restiez seule à madame de +B. pendant la Terreur? -- Hélas! Madame, je suis comme ces +génies malfaisants qui n'ont de pouvoir que dans les temps de +calamités, et que le bonheur fait fuir. -- Confiez-moi votre +secret, ma chère Ourika; ouvrez-moi votre coeur. Personne ne +prend à vous plus d'intérêt que moi, et peut-être que je vous +ferai du bien. -- Je n'ai point de secret, Madame, lui +répondis-je; ma position et ma couleur sont tout mon mal, vous +le savez. -- Allons donc, reprit-elle, pouvez-vous nier que +vous renfermez au fond de votre âme une grande peine? Il ne +faut que vous voir un instant pour en être sûr." Je persistai +à lui dire ce que je lui avais déjà dit; elle s'impatienta, +éleva la voix. Je vis que l'orage allait éclater. "Est-ce là +votre bonne foi, dit-elle, cette sincérité pour laquelle on +vous vante? Ourika, prenez-y garde, la réserve quelquefois +conduit à la fausseté. -- Eh! que pourrais-je vous confier, +Madame, lui dis-je, à vous surtout qui depuis si longtemps +avez prévu quel serait le malheur de ma situation? A vous, +moins qu'à personne, je n'ai rien de nouveau à dire là-dessus. +-- C'est ce que vous ne me persuaderez jamais, répliqua-t-elle; +mais, puisque vous me refusez votre confiance et que vous +assurez que vous n'avez point de secret, eh bien! Ourika, je +me chargerai de vous apprendre que vous en avez un. Oui, +Ourika, tous vos regrets, toutes vos douleurs, ne viennent que +d'une passion malheureuse, d'une passion insensée, et, si vous +n'étiez pas folle d'amour pour Charles, vous prendriez fort +bien votre parti d'être négresse. Adieu, Ourika; je m'en vais, +et, je vous le déclare, avec bien moins d'intérêt pour vous +que je n'en avais apporté en venant ici." Elle sortit en +achevant ces paroles. Je demeurai anéantie. Que venait-elle de +me révéler! quelle lumière affreuse avait-elle jetée sur +l'abîme de mes douleurs! Grand Dieu! c'était comme la lumière +qui pénétra une fois au fond des enfers et qui fit regretter +les ténèbres à ses malheureux habitants. Quoi! j'avais une +passion criminelle! C'est elle qui jusqu'ici dévorait mon +coeur! Ce désir de tenir ma place dans la chaîne des êtres, ce +besoin des affections de la nature, cette douleur de +l'isolement, c'étaient les regrets d'un amour coupable! Et, +lorsque je croyais envier l'image du bonheur, c'est le bonheur +lui-même qui était l'objet de mes voeux impies! Mais qu'ai-je +donc fait pour qu'on puisse me croire atteinte de cette +passion sans espoir? Est-il donc impossible d'aimer plus que +sa vie avec innocence? Cette mère qui se jeta dans la gueule +du lion pour sauver son fils, quel sentiment l'animait? Ces +frères, ces soeurs qui voulurent mourir ensemble sur +l'échafaud, et qui priaient Dieu avant d'y monter, était-ce +donc un amour coupable qui les unissait? L'humanité seule ne +produit-elle pas tous les jours des dévouements sublimes? +Pourquoi donc ne pourrais-je aimer ainsi Charles, le compagnon +de mon enfance, le protecteur de ma jeunesse?... Et cependant +je ne sais quelle voix crie au fond de moi-même qu'on a raison +et que je suis criminelle. Grand Dieu! je vais donc recevoir +aussi le remords dans mon coeur désolé! Il faut qu'Ourika +connaisse tous les genres d'amertumes, qu'elle épuise toutes +les douleurs! Quoi! mes larmes désormais seront coupables! il +me sera défendu de penser à lui! Quoi! je n'oserai plus +souffrir! + +Ces affreuses pensées me jetèrent dans un accablement qui +ressemblait à la mort. La même nuit, la fièvre me prit, et en +moins de trois jours on désespéra de ma vie. Le médecin +déclara que, si l'on voulait me faire recevoir mes sacrements, +il n'y avait pas un instant à perdre. On envoya chercher mon +confesseur; il était mort depuis peu de jours. Alors madame de +B. fit avertir un prêtre de la paroisse. Il vint et +m'administra l'extrême-onction, car j'étais hors d'état de +recevoir le viatique: je n'avais aucune connaissance, et on +attendait ma mort à chaque instant. C'est sans doute alors que +Dieu eut pitié de moi; il commença par me conserver la vie: +contre toute attente, mes forces se soutinrent. Je luttai +ainsi environ quinze jours; ensuite la connaissance me revint. +Madame de B. ne me quittait pas, et Charles paraissait avoir +retrouvé pour moi son ancienne affection. Le prêtre continuait +à venir me voir chaque jour, car il voulait profiter du +premier moment pour me confesser. Je le désirais moi-même; je +ne sais quel mouvement me portait vers Dieu et me donnait le +besoin de me jeter dans ses bras et d'y chercher le repos. Le +prêtre reçut l'aveu de mes fautes; il ne fut point effrayé de +l'état de mon âme: comme un vieux matelot, il connaissait +toutes ces tempêtes. Il commença par me rassurer sur cette +passion dont j'étais accusée. "Votre coeur est pur, me dit-il: +c'est à vous seule que vous avez fait du mal; mais vous n'en +êtes pas moins coupable. Dieu vous demandera compte de votre +propre bonheur, qu'il vous avait confié... Qu'en avez-vous +fait? Ce bonheur était entre vos mains, car il réside dans +l'accomplissement de nos devoirs: les avez-vous seulement +connus? Dieu est le but de l'homme: quel a été le vôtre? Mais +ne perdez pas courage; priez Dieu, Ourika: il est là, il vous +tend les bras; il n'y a pour lui ni nègres ni blancs: tous les +coeurs sont égaux devant ses yeux, et le vôtre mérite de +devenir digne de lui." C'est ainsi que cet homme respectable +encourageait la pauvre Ourika. Ces paroles simples portaient +dans mon âme je ne sais quelle paix que je n'avais jamais +connue; je les méditais sans cesse, et comme d'une mine +féconde j'en tirais toujours quelque nouvelle réflexion. Je +vis qu'en effet je n'avais point connu mes devoirs: Dieu en a +prescrit aux personnes isolées comme à celles qui tiennent au +monde; s'il les a privées des liens du sang, il leur a donné +l'humanité tout entière pour la famille. "La soeur de la +charité, me disais-je, n'est point seule dans la vie, +quoiqu'elle ait renoncé à tout: elle s'est créé une famille de +choix; elle est la mère de tous les orphelins, la fille de +tous les pauvres vieillards, la soeur de tous les malheureux. +Des hommes du monde n'ont-ils pas souvent cherché un isolement +volontaire? Ils voulaient être seuls avec Dieu; ils +renonçaient à tous les plaisirs pour adorer, dans la solitude, +la source pure de tout bien et de tout bonheur; ils +travaillaient, dans le secret de leur pensée, à rendre leur +âme digne de se présenter devant le Seigneur. C'est pour vous, +ô mon Dieu! qu'il est doux d'embellir ainsi son coeur, de le +parer, comme pour un jour de fête, de toutes les vertus qui +vous plaisent. Hélas! qu'avais-je fait? Jouet insensé des +mouvements involontaires de mon âme, j'avais couru après les +jouissances de la vie, et j'en avais négligé le bonheur. Mais +il n'est pas encore trop tard: Dieu, en me jetant sur cette +terre étrangère, voulut peut-être me prédestiner à lui; il +m'arracha à la barbarie, à l'ignorance; par un miracle de sa +bonté, il me déroba aux vices de l'esclavage et me fit +connaître sa loi. Cette loi me montre tous mes devoirs, elle +m'enseigne ma route. Je la suivrai, ô mon Dieu! je ne me +servirai plus de vos bienfaits pour vous offenser, je ne vous +accuserai plus de mes fautes." + +Ce nouveau jour sous lequel j'envisageai ma position fit +rentrer le calme dans mon coeur. Je m'étonnais de la paix qui +succédait à tant d'orages: on avait ouvert une issue à ce +torrent qui dévastait ses rivages, et maintenant il portait +ses flots apaisés dans une mer tranquille. + +Je me décidai à me faire religieuse. J'en parlai à madame de +B. Elle s'en affligea, mais elle me dit: "Je vous ai fait tant +de mal en voulant vous faire du bien que je ne me sens pas le +droit de m'opposer à votre résolution." Charles fut plus vif +dans sa résistance; il me pria, il me conjura de rester. Je +lui dis: "Laissez-moi aller, Charles, dans le seul lieu où il +me soit permit de penser sans cesse à vous..." + + +Ici la jeune religieuse finit brusquement son récit. Je +continuai à lui donner des soins: malheureusement ils furent +inutiles: elle mourut à la fin d'octobre; elle tomba avec les +dernières feuilles de l'automne. + + + + +Imprimé par D. JOUAUST + +POUR LA COLLECTION + +DES PETITS CHEFS-D'OEUVRE + +M DCCC LXXVIII + + + + + +Erreurs typographiques corrigées: + + +=de ses idées sur tout= remplacé =par de ses idées surtout= + +=c'était la voix de L'ami= remplacé par =c'était la voix de l'ami= + +=le tableau de cette jeune mère= remplacé par =Le tableau de +cette jeune mère= + + + + + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of Ourika, by Madame de Duras + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK OURIKA *** + +***** This file should be named 26820-8.txt or 26820-8.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + https://www.gutenberg.org/2/6/8/2/26820/ + +Produced by Daniel Fromont + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. Special rules, +set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to +copying and distributing Project Gutenberg-tm electronic works to +protect the PROJECT GUTENBERG-tm concept and trademark. Project +Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you +charge for the eBooks, unless you receive specific permission. If you +do not charge anything for copies of this eBook, complying with the +rules is very easy. You may use this eBook for nearly any purpose +such as creation of derivative works, reports, performances and +research. They may be modified and printed and given away--you may do +practically ANYTHING with public domain eBooks. Redistribution is +subject to the trademark license, especially commercial +redistribution. + + + +*** START: FULL LICENSE *** + +THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE +PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK + +To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free +distribution of electronic works, by using or distributing this work +(or any other work associated in any way with the phrase "Project +Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full Project +Gutenberg-tm License (available with this file or online at +https://gutenberg.org/license). + + +Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg-tm +electronic works + +1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm +electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to +and accept all the terms of this license and intellectual property +(trademark/copyright) agreement. If you do not agree to abide by all +the terms of this agreement, you must cease using and return or destroy +all copies of Project Gutenberg-tm electronic works in your possession. +If you paid a fee for obtaining a copy of or access to a Project +Gutenberg-tm electronic work and you do not agree to be bound by the +terms of this agreement, you may obtain a refund from the person or +entity to whom you paid the fee as set forth in paragraph 1.E.8. + +1.B. "Project Gutenberg" is a registered trademark. It may only be +used on or associated in any way with an electronic work by people who +agree to be bound by the terms of this agreement. There are a few +things that you can do with most Project Gutenberg-tm electronic works +even without complying with the full terms of this agreement. See +paragraph 1.C below. There are a lot of things you can do with Project +Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this agreement +and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic +works. See paragraph 1.E below. + +1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the Foundation" +or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project +Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual works in the +collection are in the public domain in the United States. If an +individual work is in the public domain in the United States and you are +located in the United States, we do not claim a right to prevent you from +copying, distributing, performing, displaying or creating derivative +works based on the work as long as all references to Project Gutenberg +are removed. Of course, we hope that you will support the Project +Gutenberg-tm mission of promoting free access to electronic works by +freely sharing Project Gutenberg-tm works in compliance with the terms of +this agreement for keeping the Project Gutenberg-tm name associated with +the work. You can easily comply with the terms of this agreement by +keeping this work in the same format with its attached full Project +Gutenberg-tm License when you share it without charge with others. + +1.D. The copyright laws of the place where you are located also govern +what you can do with this work. Copyright laws in most countries are in +a constant state of change. If you are outside the United States, check +the laws of your country in addition to the terms of this agreement +before downloading, copying, displaying, performing, distributing or +creating derivative works based on this work or any other Project +Gutenberg-tm work. The Foundation makes no representations concerning +the copyright status of any work in any country outside the United +States. + +1.E. Unless you have removed all references to Project Gutenberg: + +1.E.1. The following sentence, with active links to, or other immediate +access to, the full Project Gutenberg-tm License must appear prominently +whenever any copy of a Project Gutenberg-tm work (any work on which the +phrase "Project Gutenberg" appears, or with which the phrase "Project +Gutenberg" is associated) is accessed, displayed, performed, viewed, +copied or distributed: + +This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with +almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + +1.E.2. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is derived +from the public domain (does not contain a notice indicating that it is +posted with permission of the copyright holder), the work can be copied +and distributed to anyone in the United States without paying any fees +or charges. If you are redistributing or providing access to a work +with the phrase "Project Gutenberg" associated with or appearing on the +work, you must comply either with the requirements of paragraphs 1.E.1 +through 1.E.7 or obtain permission for the use of the work and the +Project Gutenberg-tm trademark as set forth in paragraphs 1.E.8 or +1.E.9. + +1.E.3. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is posted +with the permission of the copyright holder, your use and distribution +must comply with both paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 and any additional +terms imposed by the copyright holder. Additional terms will be linked +to the Project Gutenberg-tm License for all works posted with the +permission of the copyright holder found at the beginning of this work. + +1.E.4. Do not unlink or detach or remove the full Project Gutenberg-tm +License terms from this work, or any files containing a part of this +work or any other work associated with Project Gutenberg-tm. + +1.E.5. Do not copy, display, perform, distribute or redistribute this +electronic work, or any part of this electronic work, without +prominently displaying the sentence set forth in paragraph 1.E.1 with +active links or immediate access to the full terms of the Project +Gutenberg-tm License. + +1.E.6. You may convert to and distribute this work in any binary, +compressed, marked up, nonproprietary or proprietary form, including any +word processing or hypertext form. However, if you provide access to or +distribute copies of a Project Gutenberg-tm work in a format other than +"Plain Vanilla ASCII" or other format used in the official version +posted on the official Project Gutenberg-tm web site (www.gutenberg.org), +you must, at no additional cost, fee or expense to the user, provide a +copy, a means of exporting a copy, or a means of obtaining a copy upon +request, of the work in its original "Plain Vanilla ASCII" or other +form. Any alternate format must include the full Project Gutenberg-tm +License as specified in paragraph 1.E.1. + +1.E.7. Do not charge a fee for access to, viewing, displaying, +performing, copying or distributing any Project Gutenberg-tm works +unless you comply with paragraph 1.E.8 or 1.E.9. + +1.E.8. You may charge a reasonable fee for copies of or providing +access to or distributing Project Gutenberg-tm electronic works provided +that + +- You pay a royalty fee of 20% of the gross profits you derive from + the use of Project Gutenberg-tm works calculated using the method + you already use to calculate your applicable taxes. The fee is + owed to the owner of the Project Gutenberg-tm trademark, but he + has agreed to donate royalties under this paragraph to the + Project Gutenberg Literary Archive Foundation. Royalty payments + must be paid within 60 days following each date on which you + prepare (or are legally required to prepare) your periodic tax + returns. Royalty payments should be clearly marked as such and + sent to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation at the + address specified in Section 4, "Information about donations to + the Project Gutenberg Literary Archive Foundation." + +- You provide a full refund of any money paid by a user who notifies + you in writing (or by e-mail) within 30 days of receipt that s/he + does not agree to the terms of the full Project Gutenberg-tm + License. You must require such a user to return or + destroy all copies of the works possessed in a physical medium + and discontinue all use of and all access to other copies of + Project Gutenberg-tm works. + +- You provide, in accordance with paragraph 1.F.3, a full refund of any + money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the + electronic work is discovered and reported to you within 90 days + of receipt of the work. + +- You comply with all other terms of this agreement for free + distribution of Project Gutenberg-tm works. + +1.E.9. If you wish to charge a fee or distribute a Project Gutenberg-tm +electronic work or group of works on different terms than are set +forth in this agreement, you must obtain permission in writing from +both the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and Michael +Hart, the owner of the Project Gutenberg-tm trademark. Contact the +Foundation as set forth in Section 3 below. + +1.F. + +1.F.1. Project Gutenberg volunteers and employees expend considerable +effort to identify, do copyright research on, transcribe and proofread +public domain works in creating the Project Gutenberg-tm +collection. Despite these efforts, Project Gutenberg-tm electronic +works, and the medium on which they may be stored, may contain +"Defects," such as, but not limited to, incomplete, inaccurate or +corrupt data, transcription errors, a copyright or other intellectual +property infringement, a defective or damaged disk or other medium, a +computer virus, or computer codes that damage or cannot be read by +your equipment. + +1.F.2. LIMITED WARRANTY, DISCLAIMER OF DAMAGES - Except for the "Right +of Replacement or Refund" described in paragraph 1.F.3, the Project +Gutenberg Literary Archive Foundation, the owner of the Project +Gutenberg-tm trademark, and any other party distributing a Project +Gutenberg-tm electronic work under this agreement, disclaim all +liability to you for damages, costs and expenses, including legal +fees. YOU AGREE THAT YOU HAVE NO REMEDIES FOR NEGLIGENCE, STRICT +LIABILITY, BREACH OF WARRANTY OR BREACH OF CONTRACT EXCEPT THOSE +PROVIDED IN PARAGRAPH F3. YOU AGREE THAT THE FOUNDATION, THE +TRADEMARK OWNER, AND ANY DISTRIBUTOR UNDER THIS AGREEMENT WILL NOT BE +LIABLE TO YOU FOR ACTUAL, DIRECT, INDIRECT, CONSEQUENTIAL, PUNITIVE OR +INCIDENTAL DAMAGES EVEN IF YOU GIVE NOTICE OF THE POSSIBILITY OF SUCH +DAMAGE. + +1.F.3. LIMITED RIGHT OF REPLACEMENT OR REFUND - If you discover a +defect in this electronic work within 90 days of receiving it, you can +receive a refund of the money (if any) you paid for it by sending a +written explanation to the person you received the work from. If you +received the work on a physical medium, you must return the medium with +your written explanation. The person or entity that provided you with +the defective work may elect to provide a replacement copy in lieu of a +refund. If you received the work electronically, the person or entity +providing it to you may choose to give you a second opportunity to +receive the work electronically in lieu of a refund. If the second copy +is also defective, you may demand a refund in writing without further +opportunities to fix the problem. + +1.F.4. Except for the limited right of replacement or refund set forth +in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS' WITH NO OTHER +WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT LIMITED TO +WARRANTIES OF MERCHANTIBILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE. + +1.F.5. Some states do not allow disclaimers of certain implied +warranties or the exclusion or limitation of certain types of damages. +If any disclaimer or limitation set forth in this agreement violates the +law of the state applicable to this agreement, the agreement shall be +interpreted to make the maximum disclaimer or limitation permitted by +the applicable state law. The invalidity or unenforceability of any +provision of this agreement shall not void the remaining provisions. + +1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the +trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone +providing copies of Project Gutenberg-tm electronic works in accordance +with this agreement, and any volunteers associated with the production, +promotion and distribution of Project Gutenberg-tm electronic works, +harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees, +that arise directly or indirectly from any of the following which you do +or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm +work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any +Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause. + + +Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm + +Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of +electronic works in formats readable by the widest variety of computers +including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists +because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from +people in all walks of life. + +Volunteers and financial support to provide volunteers with the +assistance they need, is critical to reaching Project Gutenberg-tm's +goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will +remain freely available for generations to come. In 2001, the Project +Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure +and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. +To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation +and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 +and the Foundation web page at https://www.pglaf.org. + + +Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive +Foundation + +The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit +501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the +state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal +Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification +number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at +https://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent +permitted by U.S. federal laws and your state's laws. + +The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. +Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered +throughout numerous locations. Its business office is located at +809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email +business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact +information can be found at the Foundation's web site and official +page at https://pglaf.org + +For additional contact information: + Dr. Gregory B. Newby + Chief Executive and Director + gbnewby@pglaf.org + + +Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation + +Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide +spread public support and donations to carry out its mission of +increasing the number of public domain and licensed works that can be +freely distributed in machine readable form accessible by the widest +array of equipment including outdated equipment. Many small donations +($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt +status with the IRS. + +The Foundation is committed to complying with the laws regulating +charities and charitable donations in all 50 states of the United +States. Compliance requirements are not uniform and it takes a +considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up +with these requirements. We do not solicit donations in locations +where we have not received written confirmation of compliance. To +SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any +particular state visit https://pglaf.org + +While we cannot and do not solicit contributions from states where we +have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition +against accepting unsolicited donations from donors in such states who +approach us with offers to donate. + +International donations are gratefully accepted, but we cannot make +any statements concerning tax treatment of donations received from +outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff. + +Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation +methods and addresses. Donations are accepted in a number of other +ways including including checks, online payments and credit card +donations. To donate, please visit: https://pglaf.org/donate + + +Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic +works. + +Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm +concept of a library of electronic works that could be freely shared +with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project +Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support. + + +Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed +editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S. +unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily +keep eBooks in compliance with any particular paper edition. + + +Most people start at our Web site which has the main PG search facility: + + https://www.gutenberg.org + +This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, +including how to make donations to the Project Gutenberg Literary +Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to +subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. diff --git a/26820-8.zip b/26820-8.zip Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..b92594d --- /dev/null +++ b/26820-8.zip diff --git a/LICENSE.txt b/LICENSE.txt new file mode 100644 index 0000000..6312041 --- /dev/null +++ b/LICENSE.txt @@ -0,0 +1,11 @@ +This eBook, including all associated images, markup, improvements, +metadata, and any other content or labor, has been confirmed to be +in the PUBLIC DOMAIN IN THE UNITED STATES. + +Procedures for determining public domain status are described in +the "Copyright How-To" at https://www.gutenberg.org. + +No investigation has been made concerning possible copyrights in +jurisdictions other than the United States. Anyone seeking to utilize +this eBook outside of the United States should confirm copyright +status under the laws that apply to them. diff --git a/README.md b/README.md new file mode 100644 index 0000000..fe9f421 --- /dev/null +++ b/README.md @@ -0,0 +1,2 @@ +Project Gutenberg (https://www.gutenberg.org) public repository for +eBook #26820 (https://www.gutenberg.org/ebooks/26820) |
