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authorRoger Frank <rfrank@pglaf.org>2025-10-15 02:32:57 -0700
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+Project Gutenberg's Michel Strogoff, by Jules Verne and A. D'Ennery
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
+
+
+Title: Michel Strogoff
+ Pièce à grand spectacle en 5 actes et 16 tableaux
+
+Author: Jules Verne
+ A. D'Ennery
+
+Release Date: October 7, 2008 [EBook #26823]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: ISO-8859-1
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK MICHEL STROGOFF ***
+
+
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+
+Produced by Daniel Fromont
+
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+
+[Transcriber's note: Jules Verne (1828-1905) et A. D'Ennery (1811-1899),
+_Michel Strogoff -- pièce à grand spectacle en 5 actes et 16 tableaux_
+(1880), édition Hetzel]
+
+
+
+
+
+PRIX 50 CENTIMES
+
+Tous droits de traduction et de reproduction réservés
+
+J. HETZEL ET Cie, 18 RUE JACOB, PARIS
+
+
+MICHEL STROGOFF
+
+
+PIECE A GRAND SPECTACLE EN 5 ACTES ET 16 TABLEAUX
+
+DE MM. A. D'ENNERY ET JULES VERNE
+
+MUSIQUE DE M. ARTUS. -- DECORS DE MM. CHERET, BUDE, CHAPRON,
+
+LAVASTRE, NEZEL.
+
+
+_représentée pour la première fois à Paris, sur le théâtre du
+Châtelet, le 17 novembre 1880_.
+
+
+DISTRIBUTION DE LA PIECE A LA 1RE REPRESENTATION
+
+
+MICHEL STROGOFF M. MARAIS
+
+IVAN OGAREFF M. PAUL DESHAYES
+
+BLOUNT M. DAILLY
+
+JOLLIVET M. JOUBARD
+
+LE GRAND-DUC M. BOUVER
+
+LE GOUVERNEUR DE MOSCOU M. ROSNY
+
+WASSILI FEDOR M. COULOMBIER
+
+LE MAITRE DE POLICE M. DONATO
+
+L'EMIR FEOFAR M. ROMANI
+
+LE GENERAL KISOFF M. FRUGERCE
+
+UN CAPITAINE TARTARE M. VIALDI
+
+LE MAITRE DE POSTE M. VIVIER
+
+LE GENERAL VORONZOFF M. RAYMOND
+
+UN EMPLOYE DU TELEGRAPHE M.DEBRAY
+
+PREMIER FUGITIF M. SAMSON
+
+DEUXIEME FUGITIF M. ANDRIEU
+
+UN AIDE DE CAMP M. DEGUY
+
+UN AGENT DE POLICE M. BRANCHE
+
+UN GRAND PRETRE M. MAILLART
+
+DEUXIEME AIDE DE CAMP M. ALFRED
+
+UN SERGENT TARTARE M. JULES
+
+PREMIER VOYAGEUR M. AUGUSTE
+
+DEUXIEME VOYAGEUR M. CARTEREAU
+
+UN BOHEMIEN M. AUDUREAU
+
+MARFA STROGOFF Mme Marie LAURENT
+
+NADIA FEDOR Mme AUGE
+
+SANGARRE Mme PAUL DESHAYES
+
+
+DESIGNATION DES TABLEAUX.
+
+1er. -- Le Palais Neuf.
+
+2e. -- Moscou illuminé.
+
+3e. -- Le Relai de poste.
+
+4e. -- L'Isba du télégraphe.
+
+5e. -- Le Champ de bataille de Kolyvan.
+
+7e. -- La Tente d'Ivan Ogareff.
+
+8e. -- Le Camp de l'Emir.
+
+9e. -- La Fête tartare.
+
+10e. -- La Clairière.
+
+11e. -- Le Radeau.
+
+12e. -- Les Rives de l'Angara.
+
+13e. -- Le Fleuve de naphte.
+
+14e. -- La Ville en feu.
+
+15e. -- Le Palais du Grand-Duc.
+
+16e. -- L'Assaut d'Irkoutsk.
+
+
+DEUX GRANDS BALLETS REGLES PAR M. A. FUCHS.
+
+
+
+
+ACTE PREMIER.
+
+
+PREMIER TABLEAU.
+
+Le Palais Neuf.
+
+Une galerie à arcades, splendidement parée et éclairée,
+attenant à droite aux salons de réception du palais, à gauche
+au cabinet du gouverneur de Moscou. Portes à droite et à
+gauche dans les pans coupés. A gauche, la vaste baie d'une
+fenêtre à large balcon.
+
+
+SCENE I.
+
+JOLLIVET, GENERAL KISSOFF, AIDES DE CAMP, OFFICIERS, INVITES
+CIVILS, ETC.
+
+
+(Ces divers personnages, groupés à droite, près de la porte du
+salon, regardent danser. On entend l'orchestre du bal.)
+
+L'AIDE DE CAMP.
+Les salons peuvent à peine contenir la foule des invités!
+
+LE GENERAL.
+Oui, et les groupes de danseurs finiront par refluer jusque
+dans cette galerie... C'est magnifique!
+
+JOLLIVET.
+Quel est donc le voyageur qui a osé parler des froids de la
+Russie, général?
+
+LE GENERAL.
+La Russie de juillet n'est pas la Russie de janvier, monsieur
+Jollivet.
+
+JOLLIVET.
+Non, certes, mais on croirait que monsieur le gouverneur a
+pour cette nuit transporté Moscou sous les tropiques! Ce
+jardin d'hiver, qui relie les appartements privés de Son
+Excellence avec les grands salons de réception, est vraiment
+merveilleux!
+
+LE GENERAL.
+Que pensez-vous de cette fête, monsieur le reporter?
+
+JOLLIVET, montrant son carnet.
+Voici ce que je viens de télégraphier, général:
+_Fête que gouverneur de Moscou donne en honneur de Sa Majesté
+Empereur de toutes Russies, splendide!_
+
+LE GENERAL.
+A merveille! Les journaux français parleront de nous en bons
+termes. Il en sera de même des journaux anglais, je pense,
+grâce à M. Blount, votre confrère.
+
+JOLLIVET.
+L'orgueilleux et irascible M. Blount, qui prétend que
+l'Angleterre, cette reine de l'univers, comme il l'appelle, et
+le _Morning-Post_, ce roi des journaux, comme il le nomme aussi,
+doivent toujours être informés les premiers de tout ce qui se
+passe sur le globe terrestre!
+
+LE GENERAL.
+Ah! tenez, le voici.
+
+
+SCENE II.
+
+LES MEMES, BLOUNT.
+
+
+JOLLIVET.
+Je parlais précisément de vous, monsieur Blount!
+
+BLOUNT.
+Oh! c'était une grande honneur que vous faisiez...
+
+JOLLIVET.
+Mais non, mais non!
+
+BLOUNT.
+Que vous faisiez à vous-même!
+
+JOLLIVET, riant.
+Merci! Il est charmant. Avouez, monsieur Blount, que si vous
+avez, comme je n'en doute pas, un excellent coeur, l'écorce est
+furieusement rude!
+
+BLOUNT.
+Mister Jollivet, quand une bonne reporter anglaise quittait
+son pétrie, il devait emporter beaucoup de guinées, de bons
+yeux, de bons oreilles, une bonne estomac, et laisser son coeur
+dans son fémille!
+
+JOLLIVET.
+Et c'est ainsi que vous voyagez, monsieur Blount?
+
+BLOUNT.
+Yes!... si vous permettez...
+
+JOLLIVET.
+Sans la moindre sympathie pour un confrère d'outre-Manche?
+
+BLOUNT.
+Si vous permettez, mister Jollivet!... Et si vous permettez
+pas,... ce était tout à fait la même chose!
+
+JOLLIVET.
+Vous êtes admirable de franchise et de bonhomie!
+
+(Musique au dehors.)
+
+LE GENERAL.
+Si je ne me trompe, messieurs, ces Tsiganes qui ont demandé à
+se faire entendre au bal du gouverneur, vont commencer leur
+concert. Je vous engage à écouter cela! C'est fort curieux!
+
+JOLLIVET.
+Certainement, certainement, général...
+
+(Le général se dirige vers le salon et les invités se
+rapprochent de la porte. Blount et Jollivet restent en scène.)
+
+JOLLIVET, s'asseyant.
+Ma foi, il fait trop chaud par là, je reste ici. (Blount
+s'assied de l'autre côté, tire son carnet et se met à écrire.)
+Permettez-moi, monsieur Blount, de risquer une phrase toute
+française! "Cette petite fête est vraiment charmante."
+
+BLOUNT, froidement.
+J'avais déjà télégraphié: "splendide," aux lecteurs du
+_Morning-Post_.
+
+JOLLIVET.
+Très bien. Mais, au milieu de cette splendeur, il y a un point
+noir. On parle tout bas d'un soulèvement tartare qui menace
+les provinces sibériennes!... Aussi ai-je cru devoir écrire à
+ma cousine...
+
+BLOUNT, froidement.
+Cousine... Ah!... c'est avec son cousine... que M. Jollivet
+correspondait?
+
+JOLLIVET.
+Oui, monsieur Blount, oui!... Vous correspondez avec votre
+journal, moi avec ma cousine Madeleine! C'est plus galant! Or,
+elle aime à être informée vite et bien, ma cousine! J'ai donc
+cru devoir lui marquer que, pendant cette fête, une sorte de
+nuage avait obscurci le front du gouverneur!...
+
+BLOUNT.
+Il avait une front rayonnante, au contraire!
+
+JOLLIVET, riant.
+Et vous l'avez fait rayonner dans les colonnes du
+_Morning-Post?_...
+
+BLOUNT.
+Ce que je télégraphie intéresse mon journal et moi, seulement,
+mister Jollivet.
+
+JOLLIVET.
+Votre journal et vous seulement, monsieur Blount. Eh bien,
+mais c'est avouer alors que cela n'intéresse guère vos
+lecteurs!
+
+BLOUNT, furieux.
+Mister Jollivet!
+
+JOLLIVET souriant.
+Monsieur Blount!
+
+BLOUNT.
+Vous moquez toujours de moi, et je permettais pas, entendez-vous...
+Je permettais pas!
+
+JOLLIVET.
+Mais non... mais non!...
+
+
+SCENE III.
+
+LES MEMES, LE GENERAL, LE GOUVERNEUR, OFFICIERS,
+INVITES.
+
+
+LE GOUVERNEUR.
+Bravo! Bravo! Ces Tsiganes sont vraiment pleines d'originalité
+et méritent leur réputation! (Aux reporters.) Ah! messieurs,
+vous étiez à votre poste pour les entendre!
+
+JOLLIVET.
+Elles sont charmantes, monsieur le gouverneur!... C'est ce que
+me disait à l'instant mon excellent confrère et ami, M.
+Blount.
+
+BLOUNT.
+Confrère, oui... Ami, non.
+
+LE GOUVERNEUR, riant.
+Il y a là quelques jolies filles qui feront fortune!... (Il
+passe vers la gauche, après avoir pris le bras du général
+Kissoff.)
+
+JOLLIVET.
+Dites donc, monsieur Blount, il a l'air bien joyeux, M. le
+gouverneur! Il faut qu'il soit terriblement inquiet!... Qu'en
+pensez-vous, monsieur Blount?...
+
+BLOUNT, sèchement.
+Ce que je pensai ne regardait pas vous! (Ils se séparent et se
+mêlent aux divers groupes.)
+
+LE GOUVERNEUR, au général.
+Parle-t-on du soulèvement tartare, général?
+
+LE GENERAL.
+Oui, et peut-être plus qu'il ne conviendrait! Je ne serais pas
+étonné qu'au sortir du bal, ces deux reporters n'allassent
+exercer leur métier de chroniqueurs de l'autre côté de la
+frontière.
+
+LE GOUVERNEUR.
+Ils connaissent, sans aucun doute, cette grave nouvelle d'un
+soulèvement qui jette une moitié de l'Asie sur l'autre! -- Le
+fil fonctionne toujours entre Moscou et Irkoutsk?
+
+LE GENERAL.
+Oui! Votre Excellence peut le réquisitionner pour le compte du
+gouvernement et l'interdire au public.
+
+LE GOUVERNEUR.
+C'est inutile. L'important était que le Grand-Duc, en ce
+moment à Irkoutsk, fût averti. Il sait que Féofar-Khan, l'émir
+de Bouckhara, a soulevé les populations tartares, qu'à sa voix,
+elles ont envahi la Sibérie; mais il sait aussi, par notre
+dernier télégramme, que nos troupes des provinces du nord sont
+maintenant parties pour le secourir. Il sait le jour exact où
+cette armée arrivera en vue d'Irkoutsk, et où il devra faire
+une sortie générale pour écraser les Tartares!...
+
+LE GENERAL.
+Nos troupes auront facilement raison de ces hordes sauvages!
+
+LE GOUVERNEUR.
+Ce qui m'étonne, c'est que ce Féofar ait pu concevoir le plan
+de ce soulèvement et le mettre à exécution. Lorsqu'il a tenté
+une première fois d'envahir nos provinces sibériennes, il
+avait, pour le seconder, ce général Ivan Ogareff, qui,
+maintenant, expie sa trahison dans la citadelle de Polstock;
+mais, cette fois, le khan de Tartarie, livré à ses propres
+inspirations, n'a plus Ogareff auprès de lui... et je ne puis
+m'expliquer...
+
+
+SCENE IV.
+
+LES MEMES, IVAN, SANGARRE, TSIGANES.
+
+
+Ivan est sorti du salon et s'est rapproché du gouverneur.
+Sangarre et ses Tsiganes sont restées au fond. -- Les reporters
+et les officiers causent avec elles.
+
+IVAN, déguisé en vieux bohémien et parlant du ton le plus
+humble.
+Monsieur le gouverneur... monseigneur...
+
+LE GOUVERNEUR.
+Qu'est-ce?... Ah! c'est toi, vieux bohémien! Que me veux-tu?
+
+IVAN.
+Je viens demander à Votre Excellence si elle est satisfaite
+des Tsiganes, auxquelles on a bien voulu réserver une place
+dans le programme de cette fête?
+
+LE GOUVERNEUR.
+Enchanté,... et j'aime à croire que, de ton côté, tu n'auras
+pas à te plaindre!... Bien rafraîchis, bien payés?...
+
+IVAN.
+Oui, monseigneur, oui!... Aussi, je ne voulais pas prendre
+congé de Votre Excellence, sans l'avoir humblement remerciée!
+Sangarre se joint à moi!...
+
+LE GOUVERNEUR.
+Sangarre?... Ah! cette belle fille que j'aperçois là?
+
+IVAN, faisant signe à Sangarre de s'approcher.
+Oui... Sangarre est la véritable directrice de ces Tsiganes,
+Excellence!... A elle revient la meilleure part des
+compliments que vous avez dédaigné leur adresser! (Sangarre
+reste fièrement campée sans mot dire.)
+
+LE GOUVERNEUR.
+Elle ne parle pas le russe?
+
+IVAN.
+Hélas! non, monseigneur. Aussi, moi, le vieux bohémien, je
+suis leur factotum, j'organise les concerts, je traite pour
+les fêtes. Sans moi, la petite troupe serait souvent
+embarrassée. C'est même à ce propos que je venais solliciter
+une faveur de Votre Excellence...
+
+LE GOUVERNEUR.
+De quoi s'agit-il?...
+
+IVAN.
+C'est demain que finissent les fêtes en l'honneur du czar.
+Nous n'avons donc plus rien à faire ici, et notre intention
+est de repasser la frontière.
+
+LE GOUVERNEUR.
+Ah! vous voulez retourner en Sibérie?
+
+IVAN.
+C'est un peu notre pays... Excellence. Or, la frontière va
+être encombrée par tous ces marchands d'origine asiatique, qui
+retournent dans leurs provinces. On sera arrêté à chaque
+instant aux postes de police, et...
+
+LE GOUVERNEUR.
+Eh bien! n'as-tu pas un passeport en règle?
+
+IVAN.
+Sans doute, monseigneur; mais, Votre excellence le sait mieux
+que moi, un passeport en règle, ça n'existe guère en Russie.
+Il y manque toujours quelque petite chose!... tandis que si
+Votre excellence, qui a daigné se montrer satisfaite de nous,
+voulait bien m'en donner un... spécial, revêtu de sa
+signature..., avec ce précieux talisman, nul obstacle à
+redouter... et... je pourrais partir en avant, afin de préparer
+les étapes de notre troupe!
+
+LE GOUVERNEUR.
+Soit! Toi et les tiens, vous êtes de braves gens qui avez fait
+grand plaisir au Palais Neuf, et je ne refuse pas de vous être
+agréable.
+
+IVAN.
+Je baise humblement les mains de Votre Excellence.
+
+LE GOUVERNEUR.
+Et quand comptes-tu quitter Moscou?
+
+IVAN.
+Moi?... demain... au lever du soleil, monseigneur, avant que
+les portes de la ville ne soient encombrées par les milliers
+d'étrangers qui vont partir.
+
+LE GOUVERNEUR.
+Eh bien! dis à cette belle fille, ta compagne, que rien ne
+retardera ton voyage, ni le sien. Je vais d'abord faire
+préparer ton passeport, et celui-là... sera bien en règle. (Le
+gouverneur sort par la gauche. Le général remonte vers les
+groupes d'invités.)
+
+
+SCENE V.
+
+IVAN, SANGARRE.
+
+
+IVAN, se redressant après avoir regardé si personne ne
+l'observe.
+Et dans quelques jours, j'aurai passé la frontière!
+
+SANGARRE.
+Et c'est alors, Ivan, que tu seras réellement libre.
+
+IVAN.
+Libre!... je le suis déjà, grâce à toi, qui m'as fait évader
+de la forteresse de Polstock, où le czar, que je hais, me
+retenait prisonnier! C'est par toi, par tes Tsiganes dévouées,
+que j'ai pu correspondre avec Féofar-Khan! C'est grâce à toi,
+enfin, que j'ai pu pénétrer dans le palais du gouverneur, et
+que je vais obtenir ce passeport, sans lequel je n'aurais
+jamais pu franchir la frontière pour aller rejoindre les
+armées de l'émir!... Sangarre, je ne l'oublierai pas.
+
+SANGARRE.
+Depuis le jour où tu m'as sauvée, pendant cette guerre de
+Khiva, depuis que le colonel Ivan Ogareff a ramené à la vie la
+Tsigane que les Russes venaient de knouter comme espionne, la
+Tsigane t'appartient corps et âme! Elle est devenue la
+mortelle ennemie de ces Russes qu'elle hait autant que tu les
+hais toi-même! Ivan, il n'y a plus rien de moscovite en toi!
+Que ton épaule saigne toujours à l'endroit où l'on a arraché
+l'épaulette comme mon épaule saignera toujours à l'endroit où
+le knout l'a déchirée!
+
+IVAN.
+Ne crains rien!... ma vengeance sera de pair avec la
+tienne!...
+
+SANGARRE.
+Ah! je la retrouverai cette Sibérienne,... cette Marfa
+Strogoff qui m'a dénoncée aux Russes!... Je la retrouverai,
+dussé-je aller la saisir jusque dans Kolyvan dont les Tartares
+vont bientôt s'emparer!...
+
+IVAN.
+Comme ils s'empareront d'Irkoutsk, conduits par moi à l'assaut
+de cette capitale! Ah! Grand-Duc maudit, en me cassant de mon
+grade, en me faisant emprisonner, tu as fait manquer ce
+premier soulèvement que j'avais organisé! Mais, je suis libre
+maintenant! Rien ne pourra sauver Irkoutsk, et là, tu périras,
+d'une mort infamante, sur les murs mêmes de la ville en
+flammes!
+
+SANGARRE.
+Oui, mais il faudrait éviter tout retard, et ce passeport
+promis par le gouverneur...
+
+IVAN.
+Dans cinq minutes je l'aurai, et je m'élancerai, d'un seul
+vol, de Moscou aux avant-postes de l'émir! Prends garde, on
+vient!...
+
+
+SCENE VI.
+
+LES MEMES, LE GOUVERNEUR, puis UN AIDE DE CAMP.
+
+
+Le gouverneur rentre par la gauche, tenant un passeport à la
+main.
+
+LE GOUVERNEUR.
+Tiens, es-tu content? Regarde. (Il remet le passeport à Ivan.)
+
+IVAN, après avoir lu.
+Ah! Excellence, avec un pareil permis, on passe partout! Il
+n'y manque plus...
+
+LE GOUVERNEUR.
+Que ma signature, et je vais à l'instant même... (Il
+s'approche de la table, s'assied et prend la plume. Un aide de
+camp entre.)
+
+L'AIDE DE CAMP.
+Un pli pour Son Excellence! (Il remet un pli cacheté. Le
+gouverneur le lit.)
+
+SANGARRE, à Ivan.
+Mais il ne signera donc pas!
+
+IVAN, bas.
+Patience!
+
+LE GOUVERNEUR, au général qu'il emmène à gauche.
+Général, nous parlions tout à l'heure du colonel Ivan Ogareff.
+
+SANGARRE, à part.
+Ton nom!
+
+IVAN, bas.
+Tais-toi!
+
+LE GOUVERNEUR.
+Ce traître qui fut cassé de son grade et condamné à mort pour
+avoir fomenté, une fois déjà, le soulèvement des Tartares...
+
+LE GENERAL.
+Oui, Ogareff, dont l'empereur a commué la peine en une
+perpétuelle détention dans la forteresse de Polstock.
+
+LE GOUVERNEUR.
+Il s'est échappé récemment de sa prison. Voilà ce qu'on
+m'écrit du cabinet de Pétersbourg: _Ivan Ogareff s'est
+enfui!_... Il faut mettre toute notre police sur sa trace.
+
+LE GENERAL.
+Nous ferons très sévèrement garder la frontière que, sans
+passeport, il ne pourra franchir.
+
+LE GOUVERNEUR, s'asseyant à la table et écrivant.
+Que les ordres soient transmis sans retard. Il importe que le
+Grand-Duc soit prévenu au plus tôt, car cette lettre du
+ministre me marque que, d'après une correspondance, saisie
+depuis l'évasion d'Ivan Ogareff, le plan de ce traître serait
+de pénétrer dans Irkoutsk, et s'il y parvient, c'est la mort
+du Grand-Duc, objet de sa haine personnelle!
+
+IVAN, à Sangarre.
+Mais ils savent donc tout?... Allons... (S'approchant.)
+Excellence!
+
+LE GOUVERNEUR.
+Que me veut-on?... Qui ose se permettre?...
+
+IVAN.
+Pardon, monseigneur...
+
+LE GOUVERNEUR.
+Ah! c'est toi!... Eh bien!... Eh bien!...attends! (Il continue
+d'écrire.)
+
+IVAN, bas.
+Que va-t-il décider?
+
+LE GOUVERNEUR, se levant. Au général.
+Faites partir cette dépêche. Grâce à elle ce misérable ne
+passera pas la frontière, et toi... (Ivan s'incline.) tiens,
+voici ton permis... Personne n'entravera ta route!
+
+IVAN, avec ironie.
+Monseigneur, vous ne saurez jamais tout ce que je vous dois de
+reconnaissance!
+
+LE GOUVERNEUR.
+C'est bon, c'est bon!... Va!
+
+IVAN, à part.
+Viens, Sangarre... Libre maintenant, et bientôt vengé!
+(Ivan, Sangarre et les Tsiganes sortent par la porte de
+gauche, en même temps que Jollivet et Blount entrent par la
+droite.)
+
+
+SCENE VII.
+
+LE GOUVERNEUR, LE GENERAL, JOLLIVET, BLOUNT, INVITES.
+
+
+LE GOUVERNEUR, aux invités.
+Eh bien, messieurs, n'entendez-vous pas l'orchestre qui vous
+appelle? Voulez-vous autoriser les journaux étrangers à dire
+qu'une fête donner en l'honneur de Sa Majesté n'a pas duré
+jusqu'au jour? Nous avons là des correspondants qui, j'en suis
+sûr, notent nos moindres impressions!
+
+JOLLIVET.
+Monsieur le gouverneur, les reporters sont curieux, mais non
+des indiscrets.
+
+BLOUNT.
+Curiousses toujours, indiscrètes jamais... les reporters
+anglais... jamais!
+
+JOLLIVET.
+D'ailleurs, en ce qui me concerne, je compte quitter Moscou
+après le bal, et je prie Votre Excellence de recevoir mes
+sincères remerciements.
+
+BLOUNT.
+Je priai de recevoir aussi les miennes... avant...
+
+JOLLIVET, riant.
+Oui, ceux de monsieur... avant, pour votre bienveillant
+accueil...
+
+LE GOUVERNEUR.
+Et de quel côté dirigez-vous vos pas, messieurs?
+
+BLOUNT.
+Moi... côté de Sibérie.
+
+JOLLIVET.
+Moi, de même!... Nous allons voyager ensemble, cher collègue!
+
+BLOUNT.
+Dans le même temps, oui... ensemblement... non!
+
+JOLLIVET.
+Toujours charmant, M. Blount!
+
+LE GOUVERNEUR.
+Bon, je comprends!... On a parlé d'un mouvement en Tartarie...
+Mais cela ne vaut pas la peine que vous vous dérangiez!
+
+JOLLIVET.
+Pardon, Excellence, mon métier est de tout voir...
+
+BLOUNT.
+Le mienne, de tout voir et de tout entendre... avant!
+
+JOLLIVET.
+Et mon journal... je veux dire... ma cousine, est très friande
+de ces nouvelles, dont elle recevra la primeur.
+
+BLOUNT.
+Le _Morning-Post_ recevra...
+
+JOLLIVET.
+Avant?... Impossible, cher confrère... Les dames sont toujours
+servies les premières!
+
+LE GOUVERNEUR.
+En tout cas, messieurs, vous m'appartenez jusqu'au jour, et je
+veux qu'après avoir assisté à la fête officielle, vous
+assistiez, du haut de ce balcon, à la fête populaire qui va
+commencer à minuit.
+
+JOLLIVET.
+Soit, nous partirons demain!... Si vous me le permettez, je
+vous ferai une proposition, monsieur Blount! Nous sommes
+rivaux.
+
+BLOUNT.
+Ennemis, mister!
+
+LE GOUVERNEUR, riant.
+Ennemis!
+
+JOLLIVET.
+Ennemis, c'est convenu!... Mais, attendons, pour ouvrir les
+hostilités, que nous soyons sur le théâtre de la guerre... et
+une fois là, chacun pour soi, et Dieu pour...
+
+BLOUNT.
+Et Dieu pour moi.
+
+JOLLIVET.
+Et Dieu pour vous!... Pour vous tout seul!... Très bien. Cela
+va-t-il?
+
+BLOUNT.
+Non!... cela ne allait pas!
+
+JOLLIVET.
+Alors, la guerre tout de suite... mais je suis bon prince.
+(Lui prenant le bras et l'emmenant à l'écart.) Je vous annonce,
+petit père, comme disent les Russes, que les Tartares ont
+descendu le cours de l'Irtyche.
+
+BLOUNT.
+Ah! vous pensez que les Tertères...
+
+JOLLIVET, riant.
+Et si je vous le dis, mon cher ennemi, c'est que j'en ai
+télégraphié la nouvelle à ma cousine, hier soir, à huit heures
+moins un quart! (Riant.) Ah! ah! ah!
+
+BLOUNT.
+Et moi, hier, je l'avais télégraphié au _Morning-Post_, à sept
+heures et demie... Ah! ah! ah!
+
+JOLLIVET.
+L'animal!... Je vous revaudrai ça, mon bon gros monsieur
+Blount!
+
+BLOUNT.
+Vous moquez-vous encore, monsieur?...
+
+JOLLIVET.
+Eh bien, non, mon bon petit monsieur Blount!... là!
+
+BLOUNT.
+Vous moquez toujours!
+
+JOLLIVET.
+Non...
+
+BLOUNT, furieux.
+Vous moquez, je vous dis!... Vous moquez, monsieur, vous êtes
+une mauvaise vilaine homme!... une méchante personnage!...
+vous êtes une... (Tranquillement) Comment vous appelez une
+personne qui parle sans politesse?...
+
+JOLLIVET.
+Un impertinent.
+
+BLOUNT, tranquillement.
+Impertinente... Very well... merci! (Reprenant un ton
+furieux.) Vous êtes une impertinente, entendez-vous!...
+
+JOLLIVET.
+Très bien!
+
+BLOUNT.
+Et si vous continouyez!...
+
+JOLLIVET.
+Et si je continouye?...
+
+BLOUNT.
+Je finissais un jour par touyer vous!
+
+JOLLIVET.
+Me touyer?... Comprends pas.
+
+BLOUNT.
+Oui!... touyer avec une épi...
+
+JOLLIVET.
+Un épi de blé?
+
+BLOUNT.
+Non... une épi ou une pistolette...
+
+JOLLIVET.
+Epée! On dit une épée... ou un pistolet.
+
+BLOUNT.
+Epée vous dites?
+
+JOLLIVET.
+Oui.
+
+BLOUNT.
+Et pistolet?
+
+JOLLIVET.
+Oui.
+
+BLOUNT.
+Oh! Very well, merci. (Avec colère.) Eh bien, je tuerai vous,
+avec une épi... épée ou un pistolet!
+
+JOLLIVET.
+A la bonne heure!... Vous faites des progrès, élève Blount!...
+Je suis content de vous!
+
+BLOUNT.
+Mister Jollivette.
+
+JOLLIVET.
+Jollivet, s'il vous plaît!... Jollivette est ridicule.
+
+BLOUNT.
+Alors, j'appelai vous toujours Jollivette. (Avec force.)
+Jollivette!... Jollivette!... Jollivette!... Ah!...
+
+LE GOUVERNEUR, rentrant.
+Messieurs, j'entends les premiers accords de l'orchestre...
+C'est notre danse nationale.
+
+JOLLIVET.
+Nous sommes à la disposition de Votre Excellence.
+
+(Tous deux entrent dans le salon. Au moment où le gouverneur
+et le général vont franchir la porte, l'aide de camp rentre
+précipitamment par la gauche.)
+
+
+SCENE VIII.
+
+LE GOUVERNEUR, LE GENERAL, L'AIDE DE CAMP.
+
+
+L'AIDE DE CAMP, à demi-voix.
+Excellence, le fil télégraphique de Moscou à Irkoutsk est
+coupé!
+
+LE GOUVERNEUR.
+Que me dites-vous là?
+
+L'AIDE DE CAMP.
+Les dépêches s'arrêtent à Kolyvan, à mi-chemin de la route
+sibérienne, dont les Tartares sont les maitres!
+
+(Sur un signe du gouverneur les portières retombent.)
+
+LE GOUVERNEUR.
+En sorte que la dépêche que nous avons transmise au Grand-Duc,
+celle qui désignait le jour où doit arriver, en vue
+d'Irkoutsk, l'armée de secours?...
+
+L'AIDE DE CAMP.
+Cette dépêche n'a pu parvenir à Son Altesse.
+
+LE GOUVERNEUR.
+Ainsi, les Tartares,maitres de la route! La Sibérie orientale
+séparée du reste de l'empire moscovite! Le Grand-Duc, non
+prévenu du jour où il doit être secouru, où il doit opérer sa
+sortie!... Il faut à tout prix... (Au général.) Général, n'y
+a-t-il pas au palais une compagnie de courriers du czar?
+
+LE GENERAL.
+Oui, Excellence.
+
+LE GOUVERNEUR, se mettant à écrire.
+Connaissez-vous, dans cette compagnie, un homme qui puisse, à
+travers mille dangers, porter une lettre à Irkoutsk?
+
+LE GENERAL.
+Il en est un dont je répondrais à Votre Excellence, et qui a
+plusieurs fois rempli, avec succès, des missions difficiles.
+
+LE GOUVERNEUR.
+A l'étranger?
+
+LE GENERAL.
+En Sibérie même.
+
+LE GOUVERNEUR
+Qu'il vienne. (Le général dit un mot à l'aide de camp qui sort
+par la droite.) Il a du sang-froid, de l'intelligence, du
+courage?...
+
+LE GENERAL.
+Il a tout ce qu'il faut pour réussir là où d'autres
+échoueraient.
+
+LE GOUVERNEUR.
+Son âge?
+
+LE GENERAL.
+Trente ans.
+
+LE GOUVERNEUR.
+C'est un homme vigoureux?
+
+LE GENERAL.
+Il a déjà prouvé qu'il peut supporter jusqu'aux dernières
+limites le froid, la faim et la fatigue! Il a un corps de fer,
+un coeur d'or!
+
+LE GOUVERNEUR.
+Il se nomme?
+
+LE GENERAL.
+Michel Strogoff.
+
+LE GOUVERNEUR.
+Il faut que ce courrier arrive jusqu'au Grand-Duc, ou la
+Sibérie est perdue!
+
+
+SCENE IX.
+
+LES MEMES, STROGOFF.
+
+
+(Michel Strogoff entre, et reste immobile, militairement. Le
+gouverneur l'observe un moment sans parler.)
+
+LE GOUVERNEUR.
+Tu te nommes Michel Strogoff?
+
+STROGOFF.
+Oui, Excellence.
+
+LE GOUVERNEUR.
+Ton grade?
+
+STROGOFF.
+Capitaine au corps des courriers du czar.
+
+LE GOUVERNEUR.
+Tu connais la Sibérie?
+
+STROGOFF
+Je suis né à Kolyvan.
+
+LE GOUVERNEUR.
+As-tu encore des parents dans cette ville?
+
+STROGOFF.
+Oui... ma mère!
+
+LE GOUVERNEUR.
+Tu ne l'as pas vue depuis?...
+
+STROGOFF.
+Depuis deux ans!... mais je viens d'obtenir un congé pour
+aller la revoir, et je vais partir.
+
+LE GOUVERNEUR.
+Il n'est plus question de congé! Il n'est plus question de ta
+mère! Je vais te remettre une lettre que je te charge, toi,
+Michel Strogoff, de porter au Grand-Duc, frère du czar.
+
+STROGOFF.
+Je porterai cette lettre.
+
+LE GOUVERNEUR.
+Le Grand-Duc est à Irkoutsk.
+
+STROGOFF.
+J'irai à Irkoutsk.
+
+LE GOUVERNEUR.
+Mais, tu ignores que le pays est envahi par les Tartares, qui
+auront intérêt à intercepter ta lettre, et il faudra traverser
+ce pays!
+
+STROGOFF.
+Je le traverserai.
+
+LE GOUVERNEUR.
+Passeras-tu par Kolyvan?
+
+STROGOFF.
+Oui, puisque c'est la route la plus directe.
+
+LE GOUVERNEUR.
+Mais, si tu vois ta mère, tu risques d'être reconnu!
+
+STROGOFF.
+Je ne la verrai pas.
+
+LE GOUVERNEUR.
+Tu seras pourvu d'argent et muni d'un passeport au nom de
+Nicolas Korpanoff, marchand sibérien. Ce passeport te
+permettra de requérir les chevaux de poste. Il autorisera, en
+outre, Nicolas Korpanoff à se faire accompagner, s'il le juge
+à propos, d'une ou plusieurs personnes, et il sera respecté
+même dans le cas où tout gouverneur ou maitre de police
+prétendrait entraver ton passage. Tu voyageras donc sous le
+nom de Korpanoff.
+
+STROGOFF.
+Oui, Excellence.
+
+LE GOUVERNEUR.
+Voici cette lettre de laquelle dépend, avec la vie du Grand-Duc,
+le salut de toute la Sibérie!
+
+STROGOFF.
+Elle sera remise à Son Altesse.
+
+LE GOUVERNEUR.
+Il se peut que dans quelque circonstance grave, désespérée, tu
+sois contraint de l'anéantir!... Il faut donc que tu saches ce
+qu'elle renferme, afin de pouvoir le redire au Grand-Duc, si
+tu arrives jusqu'à lui.
+
+STROGOFF.
+J'écoute.
+
+LE GOUVERNEUR, lisant la lettre.
+_Le colonel Ivan Ogareff s'est enfui de la forteresse de
+Polstock. Il veut pénétrer dans Irkoutsk, et livrer la ville
+aux Tartares. Il importe donc de se défier de ce traître. Si,
+comme nous l'espérons, ce message arrive en temps utile à Son
+Altesse, le Grand-Duc est prévenu qu'une armée de secours sera
+en vue d'Irkoutsk, le 24 septembre, et qu'une sortie générale,
+exécutée ce jour-là, écrasera les ennemis entre deux feux_... (Il
+referme la lettre. A Strogoff.) Tu as entendu et tu te
+souviendras?
+
+STROGOFF.
+J'ai entendu et je me souviendrai.
+
+LE GOUVERNEUR.
+Tu traverseras les lignes tartares! Tu passeras quand même!
+
+STROGOFF.
+Je passerai ou l'on me tuera.
+
+LE GOUVERNEUR.
+Le czar a besoin que tu vives!
+
+STROGOFF.
+Je vivrai... et je passerai.
+
+LE GOUVERNEUR.
+Jure-moi que rien ne pourra te faire avouer, ni qui tu es, ni
+où tu vas!
+
+STROGOFF.
+Je le jure.
+
+LE GOUVERNEUR.
+Pars donc, et quand il s'agira de surmonter les plus grands
+obstacles, de braver les plus menaçants périls, redis-toi ces
+paroles sacrées: "Pour Dieu, pour le czar...
+
+STROGOFF.
+Pour la patrie!"
+
+Strogoff sort par la droite, après avoir salué militairement.
+
+Alors les portières se relèvent, les invités rentrent dans le
+salon.
+
+LE GOUVERNEUR.
+La fête populaire va commencer. Mesdames, prenez place à ce
+balcon.
+
+(Tous se dirigent vers le balcon.)
+
+
+DEUXIEME TABLEAU.
+
+Moscou illuminé.
+
+Grand concours de monde sur la place que domine le balcon du
+palais.
+
+BALLET.
+
+
+TROISIEME TABLEAU.
+
+La Retraite aux flambeaux.
+
+Retraite aux flambeaux avec les tambours, les fifres et les
+trompettes des chevaliers-gardes du régiment de Préobrajinski.
+
+
+ACTE DEUXIEME.
+
+
+QUATRIEME TABLEAU.
+
+Le relai de poste.
+
+La scène représente la cour d'un relai de poste à la
+frontière. A droite la maison de relai qui est en même temps
+une auberge. A gauche la maison du maître de police. Au fond
+la grande route, qui va se perdre dans les montagnes.
+
+
+SCENE I.
+
+LE MAITRE DE POSTE, LE MAITRE DE POLICE, UN AGENT, VOYAGEURS.
+
+Un certain nombre de voyageurs sont groupés dans la cour du
+relai.
+
+
+L'HOTELIER.
+Les routes de l'Oural sont encombrées! C'est à peine si je
+peux fournir des chevaux!
+
+PREMIER VOYAGEUR.
+Et quels chevaux! Fourbus des quatre jambes!
+
+L'AGENT.
+Allons! Allons! les passeports! les passeports! On vous les
+rendra après qu'ils auront été visés!... (Il recueille les
+passeports des divers voyageurs et rentre à gauche.)
+
+LE MAITRE DE POLICE.
+Il y a encombrement.
+
+LE MAITRE DE POSTE.
+Oui, monsieur le maître de police, et vous aurez fort à faire
+pour expédier tous ces gens-là... presque autant que moi à
+leur fournir des chevaux! Il ne m'en reste plus qu'un au
+relai, et encore a-t-il fait cinquante verstes la nuit
+dernière!
+
+LE MAITRE DE POLICE.
+Un seul?
+
+LE MAITRE DE POSTE.
+Et il est retenu par un voyageur, arrivé il y a une heure.
+
+LE MAITRE DE POLICE.
+Quel est ce voyageur?
+
+LE MAITRE DE POSTE.
+Un marchand qui se rend à Irkoutsk!
+
+LE MAITRE DE POLICE.
+Je vais viser les passeports et donner la volée à tous ces
+gens-là!... (Il rentre dans la maison à gauche.)
+
+LE MAITRE DE POSTE.
+On aurait cent chevaux dans les écuries qu'on ne pourrait
+suffire à tout!
+
+
+SCENE II.
+
+LE MAITRE DE POSTE, STROGOFF.
+
+
+STROGOFF.
+Le cheval que j'ai retenu?
+
+LE MAITRE DE POSTE.
+On le fait manger et boire.
+
+STROGOFF.
+Il faut que, dans une demi-heure, il soit attelé à mon
+tarentass.
+
+LE MAITRE DE POSTE.
+Il le sera. Tu seras en règle avec le maître de police?
+
+STROGOFF.
+Oui!
+
+LE MAITRE DE POSTE.
+Tu peux lui faire remettre ton passeport d'avance! Il le
+visera avec les autres.
+
+STROGOFF.
+Non! je le ferai viser moi-même.
+
+LE MAITRE DE POSTE.
+Comme tu voudras, petit père.
+
+STROGOFF.
+Une bouteille de kwass.
+
+LE MAITRE DE POSTE.
+A l'instant!
+
+(Strogoff s'asseoit près d'une table à droite, et le maître de
+poste sort.)
+
+
+SCENE III.
+
+LES MEMES, JOLLIVET.
+
+
+(Jollivet entre en scène par le fond. Il est exténué, et porte
+une valise de chaque main.)
+
+JOLLIVET.
+Ouf!... Cent pas de plus et j'abandonnais mes valises sur la
+grande route... surtout celle-ci qui n'est pas à moi! (Il
+dépose une des valises dans un coin, garde l'autre et va
+s'asseoir devant la table, en face de Strogoff.) Excusez-moi,
+monsieur... Eh! mais, je vous reconnais... Vous êtes?...
+
+STROGOFF.
+Nicolas Korpanoff, marchand.
+
+JOLLIVET.
+Marchand... marchant comme l'éclair!... C'est bien vous qui
+m'avez dépassé, il y a deux heures, sur la route! Nous étions,
+vous en tarentass, et moi en télègue... ou plutôt je n'y étais
+plus, et une petite place dans votre voiture aurait joliment
+fait mon affaire, car je me trouvais en pleine détresse!
+
+STROGOFF.
+Pardon,... monsieur?...
+
+JOLLIVET.
+Alcide Jollivet, correspondant de journaux français, en quête
+de chroniques!...
+
+STROGOFF.
+Eh bien, monsieur Jollivet, je regrette vivement de ne pas
+vous avoir aperçu! Entre voyageurs, on se doit de ces petits
+services.
+
+JOLLIVET.
+On se doit, mais on ne se paye pas toujours. J'ai fait vingt
+verstes à pied, et je l'ai mérité! Une mauvaise action ne
+profite jamais! Le ciel m'a puni en m'inspirant la pensée de
+prendre une télègue au lieu d'un tarentass.
+
+(Le maître de poste rentre apportant un broc et des verres.)
+
+STROGOFF.
+Un verre de bière, monsieur?
+
+JOLLIVET.
+Volontiers.
+
+LE MAITRE DE POSTE, à Jollivet.
+Dois-je vous garder une chambre et prendre vos valises?
+
+JOLLIVET.
+Pas celle-là!... Elle n'est pas à moi.
+
+LE MAITRE DE POSTE.
+A qui donc?
+
+JOLLIVET.
+A mon ennemi intime, mon confrère Blount, qui doit, en ce
+moment, courir après moi!... Mais j'espère bien être parti
+avant qu'il arrive au relai!... A propos, une voiture et des
+chevaux dans une heure!
+
+LE MAITRE DE POSTE.
+Il n'y a plus ni chevaux, ni voiture disponibles!
+
+JOLLIVET.
+Bon! il ne manquait plus que cela! Eh bien, gardez-moi les
+premiers qui rentreront au relai!
+
+LE MAITRE DE POSTE.
+C'est entendu!... mais ce ne sera pas avant demain. Je vais
+vous retenir une chambre.
+
+JOLLIVET, au maître de poste qui rentre à droite.
+Oui!... Heureusement, j'ai une belle avance sur Blount!
+
+STROGOFF.
+Votre ennemi?
+
+JOLLIVET.
+Mon ennemi, mon rival! Un reporter anglais, qui veut me
+devancer sur la route d'Irkoutsk, et défraîchir mes nouvelles!
+Figurez-vous, monsieur Korpanoff, que je n'ai trouvé que ce
+moyen pour le distancer, lui voler sa voiture, qui était tout
+attelée, quand je suis arrivé au relai! Il n'y en avait pas
+d'autre, et pendant qu'il réglait sa note, j'ai glissé un
+paquet de roubles dans la poche de son cocher, -- disons son
+iemskik, pour faire un peu de couleur locale,... et en
+route!... Naturellement, j'emportais la valise de mon Anglais,
+mais je la lui renverrai intacte!... Ah! par exemple, il n'y a
+que sa voiture que je ne pourrai pas lui renvoyer!
+
+STROGOFF.
+Pourquoi donc?
+
+JOLLIVET.
+Parce que c'est... ou plutôt c'était une télègue! Vous savez,
+une télègue... une voiture à quatre roues?...
+
+STROGOFF.
+Parfaitement!... Mais je ne comprends pas...
+
+JOLLIVET.
+Vous allez comprendre. Nous partons... mon iemskik sur le
+siège de devant et moi sur le banc d'arrière! Trois bons
+chevaux dans les brancards! Nous filons comme l'ouragan! A
+peine s'il est nécessaire de stimuler du bout du fouet nos
+trois excellentes bêtes! De temps à autre seulement, quelques
+bonne paroles jetées par mon iemskik! Hardi, mes colombes!...
+Volez, mes doux agneaux! Houp, mon petit père de gauche!...
+Enfin l'attelage tirait, tant et si bien que, la nuit
+dernière, un fort cahot se produit... crac! les deux trains de
+la voiture s'étaient séparés... et mon iemskik... sans
+entendre mes cris, continuait à courir sur le train de
+devant, tandis que je restais en détresse sur le train de
+derrière! Et voilà comment je dus faire vingt verstes à pied,
+ma valise d'une main, celle de l'Anglais de l'autre, et voilà
+pourquoi je ne pourrai lui renvoyer qu'une demi-voiture!
+
+LE MAITRE DE POSTE, rentrant.
+Votre chambre est prête, monsieur.
+
+JOLLIVET, se dirigeant vers la porte.
+C'est bien... Au revoir, monsieur Korpanoff.
+
+STROGOFF.
+Au revoir, monsieur.
+
+JOLLIVET, revenant.
+Ah! j'ai trouvé!
+
+STROGOFF.
+Qui donc?
+
+JOLLIVET.
+La véritable définition de la télègue!... Ce sera le mot de la
+fin de ma prochaine chronique! (Ecrivant sur son carnet.)
+"_Télègue, voiture russe... à quatre roues quand elle part,...
+et à deux quand elle arrive!_..." Au revoir, monsieur
+Korpanoff! (Il entre à droite.)
+
+STROGOFF, se levant.
+Au revoir, monsieur. Un joyeux compagnon, ce Français!
+
+
+SCENE IV.
+
+STROGOFF, NADIA.
+
+
+(Nadia arrive, à droite, par la grande route. Elle est épuisée
+et tombe à demi sur un banc, à gauche.)
+
+NADIA.
+La fatigue m'accable!... Impossible d'aller plus loin...
+(Essayant de se lever.) Monsieur..., monsieur!...
+
+STROGOFF, se retournant.
+C'est à moi que vous parlez, mon enfant?... (A part.) La
+charmante jeune fille!
+
+NADIA.
+Pardonnez-moi... Je voulais vous demander... Où sommes-nous
+ici?
+
+STROGOFF.
+Nous sommes à la frontière, et là est la maison de police...
+
+NADIA.
+Où se délivrent les visas pour passer en Sibérie?
+
+STROGOFF.
+Oui, et de ce côté, le relai de poste.
+
+NADIA, se levant.
+Le relai de poste... Je vais d'abord m'assurer...
+
+STROGOFF.
+C'est inutile, mon enfant. Il n'y a plus ni chevaux, ni
+voitures, et bien des heures s'écouleront avant que le maître
+de poste puisse en tenir à votre disposition.
+
+NADIA.
+Eh bien, j'irai à pied, alors!...
+
+STROGOFF.
+A pied!...
+
+NADIA.
+Une charrette m'a amenée à quelques verstes de ce relai, et,
+pour aller plus loin, Dieu ne m'abandonnera pas!
+
+STROGOFF, à part.
+Pauvre enfant! (Haut.) D'où venez-vous ainsi?
+
+NADIA.
+De Riga.
+
+STROGOFF.
+Et vous allez?...
+
+NADIA.
+A Irkoutsk!
+
+STROGOFF.
+A Irkoutsk!... Seule... vous allez sans ami, sans guide,
+accomplir un aussi long, un aussi pénible voyage!
+
+NADIA.
+Je n'ai personne pour m'accompagner. De toute ma famille, il
+ne me reste que mon père que je vais rejoindre en Sibérie.
+
+STROGOFF.
+A Irkoutsk, avez-vous dit! Mais c'est quinze cents verstes à
+faire!
+
+NADIA.
+Oui!... C'est là que, pour un délit politique, mon père a été
+exilé, il y a deux ans. Jusqu'alors, à Riga, nous avions vécu
+heureux tous trois, lui, ma mère et moi, dans notre humble
+maison, ne demandant à Dieu que d'y rester toujours, puisqu'il
+l'avait emplie de bonheur... Mais l'épreuve allait venir! Mon
+père fut arrêté, et, malgré les supplications de ma mère
+malade, malgré mes prières, il fut arraché de sa demeure et
+entraîné au delà de la frontière. Hélas! ma mère ne devait
+plus le revoir! Cette séparation aggrava sa maladie!...
+Quelques mois après, elle s'éteignait, et sa dernière pensée
+fut que j'allais être seule au monde!
+
+STROGOFF.
+Malheureuse enfant!...
+
+NADIA.
+J'étais seule, en effet, dans cette ville, sans parents, sans
+amis! Je demandai alors et j'obtins l'autorisation d'aller
+retrouver le pauvre exilé au fond de la Sibérie. Je lui ai
+écrit que je partais!... Il m'attend. Après avoir réuni le peu
+dont je pouvais disposer, j'ai quitté Riga, et me voici
+maintenant sur la route que mon père a suivie deux années
+avant moi!
+
+STROGOFF.
+Mais il vous faudra traverser les montagnes de l'Oural, qui
+ont été funestes à tant de voyageurs!
+
+NADIA.
+Je le sais.
+
+STROGOFF.
+Et après l'Oural, les interminables steppes de la Sibérie! Ce
+sont d'écrasantes fatigues à subir, de terribles dangers à
+affronter!
+
+NADIA.
+Vous avez subi ces fatigues?... Vous avez affronté ces
+dangers?
+
+STROGOFF.
+Oui, mais je suis un homme... j'ai mon énergie, mon courage.
+
+NADIA.
+Moi, j'ai pour me soutenir l'espérance et la prière!
+
+STROGOFF?
+Ne savez-vous pas que le pays est envahi par les Tartares?
+
+NADIA.
+L'invasion n'était pas connue, quand j'ai quitté Riga. C'est à
+Nijni seulement que j'ai appris cette funeste nouvelle!
+
+STROGOFF.
+Et, malgré cela, vous avez continué votre route?
+
+NADIA.
+Pourquoi vous-même avez-vous déjà traversé l'Oural?
+
+STROGOFF.
+Pour aller revoir et embrasser ma mère, une vaillante
+Sibérienne qui demeure à Kolyvan!
+
+NADIA.
+Eh bien, moi, je vais revoir et embrasser mon père! Vous
+faisiez votre devoir, je fais le mien, et le devoir est tout.
+
+STROGOFF
+Oui!... tout!... (A part.) Cette jeune fille, si belle...
+seule... sans défenseur!... (A Nadia qui se dirige vers la
+gauche.) Où allez-vous?
+
+NADIA.
+Je vais faire viser mon permis! Des retards sont toujours à
+craindre, et si je ne partais pas aujourd'hui, qui sait si je
+pourrais partir demain!
+
+STROGOFF.
+Attendez donc. Il faut que, moi aussi, je fasse viser le mien.
+Peut-être obtiendrai-je du maître de police qu'il consente à
+vous expédier plus promptement, avant que la cloche ne rassemble
+tous les voyageurs qui attendent. Venez donc!... Nous sommes
+destinés, sans doute, à ne jamais nous revoir, mais je penserai
+souvent à vous, et je voudrais savoir votre nom.
+
+NADIA.
+Nadia Fédor.
+
+STROGOFF.
+Nadia.
+
+NADIA.
+Et le vôtre?...
+
+STROGOFF.
+Moi... je... je m'appelle Nicolas Korpanoff.
+
+(Ils entrent au bureau de police.)
+
+
+SCENE V.
+
+BLOUNT, LE MAITRE DE POSTE.
+
+
+(Blount, couvert de poussière, la tête enveloppée d'un voile à
+la mode anglaise, et monté sur un âne, arrive au fond par la
+grande route. Il entre dans la cour.)
+
+BLOUNT, au fond et appelant.
+Mister hôtelière! mister hôtelière! (Descendant sur le
+devant.) Dans quel déploreble situéchion nous étions, cette
+pauvre hâne et moi!... Impossibel de continouyer notre voyage!
+-- (Appelant.) Mister hôtelière!... J'avais été forcé de
+prendre cette malheureuse animèle, parce qu'on avait volé mon
+voiture et mon chivaux!... Et nous avons fait une si longue
+trajette, nous étions si fatigués toutes les deux, que lui ne
+pouvait plus porter moi, et que moi je pouvais plus descendre
+de lui!... (Appelant.) Mister hôtelière!... Nous étions collés
+ensemble, et ce hâne et moi, nous ne faisions plus qu'une
+seule ani... Non!... une seul person... (Appelant plus fort.)
+Mister hôtel...! J'avais un grand mal de reins... C'était une
+cour... une courbé... -- (S'adressant à l'âne.) Comment vous
+appelez... Oh! non... il ne sait pas... une courbétioure...
+Mais je pouvais pourtant pas rester toujours sur lui...
+(Appelant très fort.) Mister hôtelière... mister hôtelière!...
+
+LE MAITRE DE POSTE, entrant, suivi d'un garçon.
+Tiens!... un voyageur?
+
+BLOUNT.
+Yes!... Une voyageur abandonné toute seule!
+
+LE MAITRE DE POSTE
+Pourquoi n'appeliez-vous pas, monsieur?
+
+BLOUNT, très outré.
+Pourquoi je appelai pas?... Mais je criai plus qu'une heure:
+mister hôtelière!
+
+LE MAITRE DE POSTE.
+Ah! je vais vous dire: c'est que j'étais occupé en ma qualité
+de maître de poste pour vous servir.
+
+BLOUNT.
+Oh! very well... Alors, mister maître de poste, aidez à moi,
+pour descendre une peu.
+
+LE MAITRE DE POSTE.
+Voilà, monsieur, voilà! (Il le fait descendre non sans peine
+et avec toutes sortes de précautions.)
+
+BLOUNT.
+All right... merci!...
+
+LE MAITRE DE POSTE.
+
+Faut-il bassiner un lit?
+BLOUNT, étonné et regardant l'âne.
+Qu'est-ce que vous dites? bassiner un lit pour... (A lui-même.)
+bassiner une lit?
+
+LE MAITRE DE POSTE.
+Un lit pour vous, monsieur, car je suis aussi hôtelier.
+
+BLOUNT.
+Oh! very well, une lit pour moi, et...
+
+LE MAITRE DE POSTE, montrant l'âne.
+Et une litière pour lui?
+
+BLOUNT, riant.
+Yes. Maintenant, je voulai déjeuner d'abord. Ensuite vous
+donner à moi une voiture et une chivau. (Il entraîne son âne
+que le garçon emmène.)
+
+LE MAITRE DE POSTE.
+Il n'en reste plus, monsieur.
+
+BLOUNT.
+Vous avez pas des chivaux?
+
+LE MAITRE DE POSTE.
+Pas avant demain ou après-demain.
+
+BLOUNT.
+Oh! si je tenais celui qui avait volé moi!
+
+LE MAITRE DE POSTE.
+On vous a volé, monsieur?
+
+BLOUNT.
+Yes, mon voiture et mon valise... et si je découvrais mon
+coquine de voleur...
+
+LE MAITRE DE POSTE.
+Que désire monsieur pour son déjeuner?
+
+BLOUNT.
+Vous servez à moi, là, sur ce table, vous servez...
+(Cherchant.) Vous servez... beefsteack, stockfish, côtelettes
+de mottonn, poum de terre, plumpudding, ale, porter et
+clarette... Vous avez bien entendu?
+
+LE MAITRE DE POSTE.
+J'ai très bien entendu. Monsieur a dit: beefsteack, stockfish,
+côtelettes...
+
+BLOUNT.
+Poum de terre, plumpudding, ale, porter et clarette!
+
+LE MAITRE DE POSTE.
+Mais... c'est que nous n'avons rien de tout cela, monsieur!
+
+BLOUNT.
+Vous avez rien, et vous faites dire à moi ce que je préférais!
+
+LE MAITRE DE POSTE.
+Je puis offrir à monsieur du koulbat.
+
+BLOUNT.
+Quelle est cette chose... koulbat?
+
+LE MAITRE DE POSTE.
+Un pâté fait avec de la viande pilée et des oeufs.
+
+BLOUNT, notant sur son carnet.
+Oh! very well, koulbat... vous écrivez cela: C, o, u, l...
+
+LE MAITRE DE POSTE.
+Non, non, par un K.
+
+BLOUNT, étonné.
+Oh! per oune K!... et c'était bonne tout de même!
+
+LE MAITRE DE POSTE.
+Excellent!
+
+BLOUNT.
+Alors, servez koulbat. Et vous avez encore?
+
+LE MAITRE DE POSTE.
+Du kwass.
+
+BLOUNT.
+Kwass... Vous écrivez: C, v, a...
+
+LE MAITRE DE POSTE.
+Non, par un K!
+
+BLOUNT.
+Encore une K?
+
+LE MAITRE DE POSTE
+Du caviar.
+
+BLOUNT.
+Par une K... toujours?
+
+LE MAITRE DE POSTE.
+Non, par un C.
+
+BLOUNT.
+Per oune C à présent! Et c'était toujours bonne tout...
+
+LE MAITRE DE POSTE, riant.
+Et c'est très bon tout de même...
+
+BLOUNT, très sérieux.
+Oh! vous êtes une joyeuse hôtelière... Vous avez une chambre
+pour le toilette à moi?
+
+LE MAITRE DE POSTE.
+On va la préparer.
+
+BLOUNT.
+Attendez, attendez... Je payais d'avance pour être bien sûr.
+
+LE MAITRE DE POSTE.
+Comme vous voudrez.
+
+BLOUNT.
+Combien?
+
+LE MAITRE DE POSTE.
+Deux roubles pour le déjeuner, deux roubles pour la chambre.
+
+BLOUNT.
+Voilà! -- Ah! mon hâne! Faites bouchonner, manger et buver lui.
+Je reprenai lui jusqu'au prochain relai. (En ce moment,
+Blount, qui s'est dirigé vers l'auberge, se trouve devant la
+valise qui a été déposée par Jollivet.) Aoh!
+
+LE MAITRE DE POSTE.
+Qu'est-ce donc?
+
+BLOUNT.
+Ce vélise, mister, ce vélise!
+
+LE MAITRE DE POSTE.
+Elle appartient à un voyageur qui l'a déposée là en arrivant.
+
+BLOUNT.
+Mais c'était la mienne!...
+
+LE MAITRE DE POSTE.
+La vôtre?
+
+BLOUNT.
+Et cette voyageur?...
+
+LE MAITRE DE POSTE.
+Le voilà, monsieur.
+
+
+SCENE VI.
+
+LES MEMES, JOLLIVET.
+
+
+JOLLIVET, sortant de la maison.
+Blount! mon ennemi!...
+
+BLOUNT, furieux.
+Ce vélise, monsieur, ce vélise!...
+
+JOLLIVET, tranquillement.
+Elle est à vous, monsieur Blount. Ah! j'ai eu assez de mal à
+la porter!
+
+BLOUNT.
+A l'emporter, vous voulez dire!
+
+JOLLIVET.
+Oh! une erreur! J'allais vous la renvoyer par la petite
+vitesse!
+
+BLOUNT, furieux.
+Petite vitesse!... Mister...
+
+JOLLIVET, à part.
+Dieu que c'est beau, un Anglais furieux!
+
+BLOUNT.
+Et le voiture, monsieur?...
+
+JOLLIVET.
+J'allais vous en renvoyer la moitié!
+
+BLOUNT?
+Le moitié?
+
+JOLLIVET.
+L'autre court encore!
+
+BLOUNT.
+Ah! c'est comme ça, mister. Eh bien, je ferai un procès à
+vous!...
+
+JOLLIVET.
+Un procès!... me faire un procès,... en Russie!... Mais vous ne
+connaissez donc pas l'histoire de cette nourrice qui
+réclamait des gages pour la nourriture de son nourrisson
+qu'elle rendait à ses parents?...
+
+BLOUNT, hors de lui.
+Je connais pas!...
+
+JOLLIVET.
+Eh bien, le nourrisson qui avait dix mois, lorsqu'on entama le
+procès... était colonel, lorsqu'il fut jugé... Ainsi je vous
+engage à ne pas plaider contre moi!...
+
+LE MAITRE DE POSTE, entrant, à Blount.
+Votre chambre est prête, monsieur.
+
+BLOUNT.
+Je vais faire mon toilette, et je revenai régler ma compte
+avec vous, mister!
+
+JOLLIVET.
+Je suis tout prêt à vous rembourser, monsieur.
+
+BLOUNT.
+Non, pas avec argent... Vous payer autrement, mister
+Jollivette.
+
+JOLLIVET.
+Jollivet, s'il vous plaît.
+
+BLOUNT, avec colère.
+Jollivette! Jollivette! Jollivette! (Il sort.)
+
+
+SCENE VII.
+
+LE MAITRE DE POSTE, JOLLIVET.
+
+
+(Le maître de poste commence à servir le déjeuner de Blount.)
+
+LE MAITRE DE POSTE.
+Il s'en va furieux, le gentleman.
+
+JOLLIVET.
+Et il reviendra de même!... Il y a de quoi!... A sa place, je
+serais hors de moi!... (Au maître de poste.) Qu'est-ce que
+vous servez donc là!...
+
+LE MAITRE DE POSTE.
+Le déjeuner du gentleman.
+
+JOLLIVET.
+Ah! c'est son déjeuner... cela a l'air d'être bon. (Il
+s'asseoit à la table.)
+
+LE MAITRE DE POSTE.
+Permettez, monsieur, je vous l'ai dit. C'est le déjeuner du
+gentleman!
+
+JOLLIVET.
+Eh bien?... (Il se met à manger.)
+
+LE MAITRE DE POSTE.
+Mais, monsieur, il a payé d'avance.
+
+JOLLIVET.
+Ah! il a payé d'avance. Alors vous ne risquez plus rien!...
+
+LE MAITRE DE POSTE.
+Mais le gentleman?
+
+JOLLIVET.
+Nous sommes en compte... C'est très bon!
+
+LE MAITRE DE POSTE.
+Mais monsieur, monsieur!...
+
+JOLLIVET, mangeant.
+Soyez donc tranquille, je me charge de tout. Décidément, vous
+cuisinez très bien, mon cher.
+
+LE MAITRE DE POSTE, flatté.
+Merci du compliment, monsieur.
+
+JOLLIVET.
+Ah! c'est que nous sommes connaisseurs en cuisine, nous autres
+Français.
+
+LE MAITRE DE POSTE.
+Oui, oui, de grands connaisseurs!
+
+JOLLIVET, mangeant.
+Et la vôtre, mon cher, est exquise!
+
+LE MAITRE DE POSTE.
+Exquise... en vérité?... Vous trouvez cela?
+
+JOLLIVET.
+Exquise, vous dis-je!
+
+LE MAITRE DE POSTE.
+Eh bien, si monsieur veut goûter ceci... je crois qu'il le
+trouvera encore meilleur. (Il lui présente un second plat.)
+
+JOLLIVET.
+Excellent, en effet... c'est fin, c'est délicat, c'est...
+
+LE MAITRE DE POSTE, présentant un troisième plat.
+Vous me direz encore ce que vous pensez de celui-ci.
+
+JOLLIVET, riant.
+Avec plaisir... Mais, dites donc... Eh bien, et le
+gentleman?...
+
+LE MAITRE DE POSTE.
+Tiens, c'est vrai!... j'oubliais que c'est son déjeuner... Ah!
+bah!... tant pis.
+
+JOLLIVET.
+A propos, que dit-on des Tartares?
+
+LE MAITRE DE POSTE.
+Que le pays est envahi tout entier, et que les troupes russes
+du Nord ne seront pas en force pour les repousser... On
+s'attend à une bataille avant deux jours.
+
+JOLLIVET.
+De quel côté?
+
+LE MAITRE DE POSTE.
+Près de Kolyvan.
+
+
+SCENE VIII.
+
+LES MEMES, BLOUNT.
+
+
+(A ce moment, Blount sort de la maison de poste.)
+
+BLOUNT.
+Aoh! mon toilette était faite... je mourais de faim... je...
+(Voyant Jollivet.) Aoh!
+
+JOLLIVET.
+A votre santé, monsieur Blount.
+
+BLOUNT, au maître de poste.
+Et ma déjeuner? Vous avez donc pas servi ma déjeuner?
+
+JOLLIVET, montrant les plats vides.
+Si fait, il est servi, monsieur Blount, et voilà ce qu'il en
+reste!
+
+BLOUNT.
+Alors, c'était ma déjeuner que vous aviez mangé?
+
+JOLLIVET.
+Il était excellent.
+
+BLOUNT.
+C'était ma koulbat?
+
+JOLLIVET.
+Exquis, le koulbat!
+
+BLOUNT.
+Vous me rendez raison ici même!...
+
+JOLLIVET.
+Non, pas ici... plus tard, après la bataille qui va avoir lieu
+et dont je tiens à rendre compte à ma cousine Madeleine.
+
+BLOUNT, étonné.
+La bataille?
+
+JOLLIVET.
+Apprenez, cher confrère, que les armées russe et tartare vont
+se rencontrer dans deux jours.
+
+BLOUNT.
+Ah! très biène!... Attendez un minute... (Ecrivant.)
+"_Rencontre prochain des armées ennemies_..." Continouyez,
+mister!... je tourai vous après.
+
+JOLLIVET.
+Merci... _Cette bataille aura lieu à Kolyvan_.
+
+BLOUNT, écrivant.
+"_A Kolyvan_" Kolyvan... per une K?
+
+JOLLIVET.
+Par oune K?... oui.
+
+BLOUNT.
+Well, merci... C'était à l'épée, n'est-ce pas?...
+
+JOLLIVET.
+La bataille?
+
+BLOUNT.
+Notre douel. Mais je voulais être générouse, et puisque vous
+donnez à moi une renseignement pour mon journal, je laissai à
+vous le choix des armes.
+
+JOLLIVET.
+Du tout, du tout, je ne veux pas de faveur. Quelle est l'arme
+que vous préférez?
+
+BLOUNT.
+L'épée, mister.
+
+JOLLIVET.
+Très bien!... Moi, j'aime mieux le pistolet. Alors nous
+choisissons l'épée pour vous, le pistolet pour moi, et nous
+nous battrons à quinze pas.
+
+BLOUNT.
+Yes! comment vous arrangez cette chose. Vous disiez: une
+épée...
+
+JOLLIVET.
+Une épée pour vous...
+
+BLOUNT.
+Et une pistolet?...
+
+JOLLIVET.
+Le pistolet pour moi,... et nous nous battons à quinze pas... (Il
+éclate de rire.)
+
+BLOUNT.
+Mais vous moquez encore, mister Jollivet?
+
+JOLLIVET.
+Croyez-moi, petit père, rendons-nous d'abord à Kolyvan, et
+nous nous battrons, quand nous aurons informé nos
+correspondants de l'issue de la bataille.
+
+BLOUNT.
+Yes!... Je attendrai vous là-bas.
+
+JOLLIVET.
+Si vous y arrivez avant moi!... ce dont je doute un peu!
+
+
+SCENE IX.
+
+LES MEMES, NADIA, LE MAITRE DE POLICE, VOYAGEURS, UN AGENT.
+
+
+(La cloche sonne en ce moment, et tous les voyageurs accourent.
+Nadia sort de la maison de police, tenant son permis à la
+main.)
+
+L'AGENT, criant.
+Les passeports, les passeports...
+
+PREMIER VOYAGEUR.
+On dit les nouvelles bien mauvaises, et le moindre retard nous
+perdrait!
+
+(L'agent distribue les passeports.)
+
+NADIA.
+J'irai à pied jusqu'au prochain relai.
+(Au moment où les voyageurs vont quitter la cour, coup de
+trompette. Des Cosaques paraissent sur la route et ferment
+toute issue. Le maitre de police sort de la maison, à gauche,
+et s'arrête sur les marches de la porte. Un des Cosaques lui
+remet un pli. Un roulement de tambour se fait entendre.)
+
+LE MAITRE DE POLICE: Silence! Ecoutez tous! (Lisant.) "Par
+arrêté du gouverneur de Moscou, défense à tout sujet russe, et
+sous quelque prétexte que ce soit, de passer la frontière."
+(Cri de désappointement dans la foule.)
+
+NADIA.
+Mon Dieu! que dit-il?
+
+JOLLIVET, à Blount.
+Cela ne nous regarde pas!...
+
+BLOUNT.
+Je passai toujours, moi.
+
+NADIA, au maître de police.
+Monsieur... monsieur... mon passeport est en règle, je puis
+passer, n'est-il pas vrai?
+
+LE MAITRE DE POLICE.
+Vous êtes russe... C'est impossible.
+
+NADIA.
+Monsieur... Je vais rejoindre mon père à Irkoutsk!... Il
+m'attend!... Chaque jour de retard, c'est un jour de douleur
+pour lui!... Il me sait partie!... Il peut me croire perdue,
+dans ce pays soulevé, au milieu de l'invasion tartare!...
+Laissez-moi passer, je vous en conjure!... Que peut faire au
+gouverneur qu'une pauvre fille comme moi se jette dans la
+steppe!... Si j'étais partie, il y a une heure, personne ne
+m'eût arrêtée!... Par pitié, monsieur, par pitié!
+
+LE MAITRE DE POLICE.
+Prières inutiles. L'ordre est formel. (Aux Cosaques.) Placez-vous
+à l'entrée de la route, et, à moins d'un permis spécial,
+que personne ne passe.
+
+NADIA, se traînant à ses pieds.
+Monsieur!... monsieur!... Je vous en conjure, à mains jointes
+et à genoux, ayez pitié!... Ne nous condamnez pas, mon père et
+moi, à mourir désespérés et si loin l'un de l'autre!...
+
+BLOUNT.
+Oh! j'étais très émou...
+
+(A ce moment, Strogoff sort de la maison de police.)
+
+
+SCENE X.
+
+LES MEMES, STROGOFF.
+
+
+STROGOFF, allant à Nadia.
+Pourquoi ces supplications et ces larmes, Nadia?... Qu'importe
+que ton passeport soit valable ou non,... puisque nous avons le
+mien qui est en règle.
+
+NADIA, à part.
+Que dit-il?
+
+STROGOFF, montrant son permis au maître de police.
+Et personne, entendez-vous, personne n'a le droit de nous
+empêcher de partir!
+
+NADIA, avec joie.
+Ah!
+
+LE MAITRE DE POLICE.
+Votre permis?...
+
+STROGOFF.
+Signé par le gouverneur général lui-même... Droit de passer
+partout, quelles que soient les circonstances, et sans que nul
+puisse s'y opposer!...
+
+(Le tarentass est amené au fond sur la route.)
+
+LE MAITRE DE POLICE.
+Vous avez en effet le droit de passer... Mais elle...
+STROGOFF, montrant le permis.
+
+Autorisation d'être accompagné... Eh bien! quoi de plus
+naturel que... ma soeur m'accompagne!
+
+LE MAITRE DE POLICE.
+Votre?...
+
+STROGOFF, tendant la main à Nadia.
+Oui, ma soeur... Viens, Nadia.
+
+NADIA, la saisissant.
+Je te suis, frère!
+
+BLOUNT.
+Très fier... cette marchande!...
+
+JOLLIVET.
+Et très énergique... ami Blount.
+
+BLOUNT.
+Je n'étais pas votre ami, mister Jollivette.
+
+JOLLIVET.
+Jollivet!
+
+BLOUNT.
+Jollivette! Jollivette... for ever!
+
+
+SCENE XI.
+
+LES MEMES, IVAN.
+
+
+(Ivan est revêtu d'un uniforme militaire russe, en petite
+tenue, comme un officier qui voyage.)
+
+IVAN, au maître de police.
+Permis spécial! (Il lui montre son permis.)
+
+LE MAITRE DE POLICE.
+Encore un signé par le gouverneur lui-même!
+
+IVAN.
+Un cheval!
+
+LE MAITRE DE POSTE.
+Il n'y en a plus.
+
+JOLLIVET.
+S'il y en avait...
+
+BLOUNT, à Jollivet.
+J'aurais retenu eux, d'abord.
+
+JOLLIVET.
+Et je vous les aurais pris, ensuite.
+(Blount lui tourne le dos avec colère.)
+
+IVAN.
+A qui ce tarentass?
+
+LE MAITRE DE POSTE, montrant Strogoff.
+A ce voyageur.
+
+IVAN, à Strogoff.
+Camarade, j'ai besoin de ta voiture et de ton cheval.
+
+JOLLIVET, à part.
+Il est sans gêne, ce monsieur...
+
+STROGOFF.
+Ce cheval est retenu par moi et pour moi. Je ne puis, ni ne
+veux le céder à personne.
+
+IVAN.
+Il me le faut, te dis-je.
+
+STROGOFF.
+Et je vous dis que vous ne l'aurez pas.
+
+IVAN.
+Prends garde!... Je suis homme à m'en emparer... fût-ce...
+
+STROGOFF, avec colère.
+Fût-ce malgré moi?
+
+IVAN.
+Oui... malgré toi... Pour la dernière fois, veux-tu me céder
+ce cheval et cette voiture.
+
+STROGOFF.
+Non! vous dis-je, non!
+
+IVAN.
+Non? Eh bien, ils seront à celui de nous deux qui saura les
+garder!
+
+NADIA.
+Mon Dieu!
+
+IVAN, tirant son épée.
+Qu'on donne un sabre à cet homme et qu'il se défende!
+
+STROGOFF, avec force.
+Eh bien!... (A part.) Un duel!... et ma mission, si je suis
+blessé!... (Haut et se croisant les bras.) Je ne me battrai
+pas!
+
+IVAN, avec colère.
+Tu ne te battras pas?
+
+STROGOFF.
+Non!... et vous n'aurez pas mon cheval!
+
+IVAN, avec plus de force.
+Tu ne te battras pas, dis-tu?
+
+STROGOFF.
+Non.
+
+IVAN.
+Non... même après ceci. (Il le frappe d'un coup de fouet.) Eh
+bien, te battras-tu, lâche?
+
+STROGOFF, s'élançant sur Ivan.
+Miséra... (S'arrêtant et se maîtrisant.) Je ne me battrai pas!
+
+TOUS.
+Ah!
+
+IVAN.
+Tu subiras cette honte sans te venger?
+
+STROGOFF.
+Je la subirai... (A part.) Pour Dieu... pour le czar... pour
+la patrie!
+
+IVAN.
+Allons! à moi ton cheval! (Il saute dans le tarentass.) (A
+l'hôtelier.) Paye-toi! (Le tarentass sort par la gauche.)
+
+LE MAITRE DE POSTE.
+Merci, Excellence.
+JOLLIVET.
+
+Je n'aurais pas cru qu'il dévorerait une pareille honte!
+
+BLOUNT.
+Aoh! je sentais bouillir mon sang dans mon veine.
+
+
+SCENE XII.
+
+LES MEMES, moins IVAN.
+
+
+STROGOFF.
+Oh! cet homme... Je le retrouverai. (A l'hôtelier.) Quel est
+cet homme?
+
+LE MAITRE DE POSTE.
+Je ne le connais pas...mais c'est un seigneur qui sait se
+faire respecter!
+
+STROGOFF, bondissant.
+Tu te permets de me juger!
+
+LE MAITRE DE POSTE.
+Oui, car il est des choses qu'un homme de coeur ne reçoit
+jamais sans les rendre!
+
+STROGOFF, saisissant le maître de poste avec violence.
+Malheureux!... (Froidement.) Va-t'en, mon ami, va-t'en, je te
+tuerais!...
+
+LE MAITRE DE POSTE.
+Eh bien, vrai, je t'aime mieux ainsi!
+
+JOLLIVET.
+Moi aussi!... Le courage a-t-il donc ses heures!
+
+BLOUNT.
+Jamais d'heure pour le couragé anglaise!... Il était toujours
+prête!... toujours!
+
+JOLLIVET.
+Nous verrons cela à Kolyvan, confrère! (Il se dirige vers
+l'auberge et y entre.)
+
+NADIA, à part.
+Cette fureur qui éclatait dans ses yeux au moment de
+l'insulte!... cette lutte contre lui-même en refusant de se
+battre!... et maintenant... ce désespoir profond!...
+
+STROGOFF, assis près de la table.
+Oh! je ne croyais pas que l'accomplissement du devoir pût
+jamais coûter aussi cher!...
+
+NADIA, le regardant.
+Il pleure!... Oh! il doit y avoir un mystère que je ne puis
+comprendre... un secret qui enchaînait son courage! (Allant à
+lui.) Frère! (Strogoff relève la tête.) Il y a parfois des
+affronts qui élèvent, et celui-là t'a grandi à mes yeux!
+
+(En ce moment, Blount pousse un cri. On voit passer au fond
+Jollivet sur l'âne de Blount.)
+
+BLOUNT.
+Ah! mon hâne! Arrêtez!... Il emportait mon hâne!...
+
+JOLLIVET.
+Je vous le rendrai à Kolyvan, confrère, à Kolyvan!
+
+BLOUNT, accablé.
+Aoh!
+
+
+CINQUIEME TABLEAU
+
+L'Isba du télégraphe.
+
+La scène représente un poste télégraphique près de Kolyvan, en
+Sibérie. Porte au fond, donnant sur la campagne; à droite un
+petit cabinet avec guichet, où se tient l'employé du
+télégraphe. Porte à gauche.
+
+
+SCENE I.
+
+L'EMPLOYE, JOLLIVET.
+
+
+(On entend le bruit, sourd encore, de la bataille de Kolyvan.)
+
+JOLLIVET, entrant par le fond.
+L'affaire est chaude! Une balle dans mon toquet!... Une autre
+dans ma casaque!... Le ville de Kolyvan va être emportée par
+ces Tartares! Enfin, j'aurai toujours la primeur de cette
+nouvelle... Il faut l'expédier à Paris!... Voici le bureau du
+télégraphe! (Regardant.) Bon! l'employé est à son poste, et
+Blount est au diable!... Ca va bien! (A l'employé.) Le
+télégraphe fonctionne toujours?
+
+L'EMPLOYE.
+Il fonctionne du côté de la Russie, mais le fil est coupé du
+côté d'Irkoutsk.
+
+JOLLIVET.
+Ainsi les dépêches passent encore?
+
+L'EMPLOYE.
+Entre Kolyvan et Moscou, oui.
+
+JOLLIVET.
+Pour le gouvernement?...
+
+L'EMPLOYE.
+Pour le gouvernement, s'il en a besoin... pour le public,
+lorsqu'il paye! C'est dix kopeks par mot.
+
+JOLLIVET.
+
+Et que savez-vous?
+L'EMPLOYE.
+Rien.
+
+JOLLIVET.
+Mais les dépêches que vous...
+
+L'EMPLOYE.
+Je transmets les dépêches, mais je ne les lis jamais.
+
+JOLLIVET, à part.
+Un bon type! (Haut.) Mon ami, je désire envoyer à ma cousine
+Madeleine une dépêche relatant toutes les péripéties de la
+bataille.
+
+L'EMPLOYE.
+C'est facile... Dix kopeks par mot.
+
+JOLLIVET.
+Oui... je sais...mais une fois ma dépêche commencée, pouvez-vous
+me garder ma place, pendant que j'irai aux nouvelles?
+
+L'EMPLOYE.
+Tant que vous êtes au guichet, la place vous appartient... à
+dix ko-peks par mot; mais si vous quittez la place, elle
+appartient à celui qui la prend... à dix...
+
+JOLLIVET
+A dix kopeks par mot!... oui... je sais!...Je suis seul!...
+commençons. (Il écrit sur la tablette du guichet.)
+"_Mademoiselle Madeleine, faubourg Montmartre, Paris. -- De
+Kolyvan, Sibérie_...
+
+L'EMPLOYE.
+Ca fait déjà quatre-vingts kopeks!
+
+JOLLIVET.
+C'est pour rien. (Il lui remet une liasse de roubles papier,
+et continue à écrire.) _Engagement des troupes russes et
+tartares_... (A ce moment, la fusillade se fait entendre avec
+plus de force.) Ah! ah! voilà du nouveau!
+(Jollivet quittant le guichet, court à la porte du fond pour
+voir ce qui se passe.)
+
+
+SCENE II.
+
+LES MEMES, BLOUNT.
+
+
+(Blount arrive par la porte de gauche.)
+
+BLOUNT.
+C'est ici le bioureau télégraphique... (Apercevant Jollivet.)
+Jollivette!... (Il va pour le saisir au collet, mais arrivé
+près de lui, il se met à lire tranquillement par-dessus son
+épaule ce que celui-ci à écrit.) Aoh!... Il transmettait des
+nouvelles plus anciennes que les miennes!
+
+JOLLIVET, écrivant.
+_Onze heures douze. -- La bataille est engagée depuis ce
+matin_...
+
+BLOUNT, à part.
+Très bien... Je faisais ma profit. (Il va au guichet, pendant
+que Jollivet continue d'observer ce qui se passe. A
+l'employé.) Fil fonctionne?
+
+L'EMPLOYE.
+Toujours.
+
+BLOUNT.
+All right!
+
+L'EMPLOYE.
+Dix kopeks par mot.
+
+BLOUNT.
+Biène, très biène!... (Ecrivant sur la tablette.) _Morning-Post,
+Londres. -- De Kolyvan, Sibérie_...
+
+JOLLIVET, écrivant sur son carnet.
+_Grande fumée s'élève au-dessus de Kolyvan_...
+
+BLOUNT, écrivant au guichet et riant.
+Oh! bonne! _Grande fioumée s'élève au-dessus de Kolyvan_...
+
+JOLLIVET.
+Ah! ah! ah! _Le château est en flammes!_...
+
+BLOUNT, écrivant.
+Ah! ah! _Le château il est en flammes_...
+
+JOLLIVET.
+_Les Russes abandonnent la ville_.
+
+BLOUNT, écrivant.
+_Rousses abandonnent le ville_.
+
+JOLLIVET.
+Continuons notre dépêche. (Jollivet quitte la fenêtre, revient
+au guichet et trouve sa place prise.) Blount!
+
+BLOUNT.
+Yes, mister Blount!... Tout à l'heure... après mon dépêche,...
+vous rendez raison à moi et mon hâne!
+
+JOLLIVET.
+Mais vous avez pris ma place!
+
+BLOUNT.
+La place il était libre.
+
+JOLLIVET.
+Ma dépêche était commencée.
+
+BLOUNT.
+Et le mien il commence.
+
+JOLLIVET, à l'employé.
+Mais vous savez bien que j'étais là avant monsieur.
+
+L'EMPLOYE.
+Place libre, place prise. Dix kopeks par mot.
+
+BLOUNT, payant.
+Et je payai pour mille mots d'avance.
+
+JOLLIVET.
+Mille mots!...
+
+BLOUNT, continuant d'écrire et à mesure qu'il écrit de passer
+ses dépêches à l'employé qui les transmet.
+_Bruit de la bataille se rapprochait... Au poste télégraphique,
+correspondant français guettait mon place, mais lui ne le aura
+pas_...
+
+JOLLIVET, furieux.
+Ah! monsieur, à la fin...
+
+BLOUNT.
+Il n'y avait de fin, mister. _Yvan Ogareff à la tête des
+Tartares, va rejoindre l'émir_...
+
+JOLLIVET.
+Est-ce fini?
+
+BLOUNT.
+Jamais fini.
+
+JOLLIVET.
+Vous n'avez plus rien à dire...
+
+BLOUNT.
+Toujours à dire... pour pas perdre la place. (Ecrivant.) _Au
+commencement, Dieu créa le ciel et le terre_...
+
+JOLLIVET.
+Ah! il télégraphie la Bible maintenant!
+
+BLOUNT.
+Yes! le Bible, et il contenait deux cent soixante-treize mille
+mots!...
+
+L'EMPLOYE.
+A dix kopeks par...
+
+BLOUNT.
+J'ai donné une à-compte... (Il remet une nouvelle liasse de
+roubles.) _Le terre était informe et_...
+
+JOLLIVET.
+Ah! l'animal! Je saurai bien te faire déguerpir! (Il sort par
+le fond.)
+
+BLOUNT.
+_Les ténèbres couvraient le face de le abîme_... (Continuant.)
+_Onze heures vingt. -- Cris des fouyards redoublent... Mêlée
+furiouse_.
+
+(Cris au dehors que Jollivet vient pousser à travers la
+fenêtre.)
+
+[JOLLIVET.]
+Mort aux Anglais!... Tue! pille!... A bas l'Angleterre.
+
+BLOUNT.
+Aoh!... Qu'est-ce qu'on criait donc?... A bas l'Angleterre!
+Angleterre, jamais à bas! (Il tire un revolver de sa ceinture
+et sort par la porte du fond. Jollivet rentre alors par la
+porte de gauche et prend la place de Blount au guichet.)
+
+JOLLIVET.
+Pas plus difficile que cela!... A bas l'Angleterre, et
+l'Anglais quitte le guichet. (Dictant.) _Onze heures
+vingt-cinq. -- Les obus tartares commencent à dépasser Kolyvan_...
+
+BLOUNT, revenant.
+Personne! Je avais bien cru entendre... (Apercevant Jollivet.)
+Aoh!
+
+JOLLIVET, saluant.
+Vive l'Angleterre, monsieur, vivent les Anglais!
+
+BLOUNT.
+Vous avez pris mon place.
+
+JOLLIVET.
+C'est comme cela.
+
+BLOUNT
+Vous allez me le rendre, mister.
+
+JOLLIVET.
+Quand j'aurai fini.
+
+BLOUNT.
+Et vous aurez fini?...
+
+JOLLIVET.
+Plus tard... beaucoup plus tard. (Dictant.) _Les Russes sont
+forcés de se replier encore_... (Imitant l'accent de Blount.)
+_Correspondant anglais guette ma place au télégraphe, mais lui
+ne le aura pas_...
+
+BLOUNT.
+Est-ce fini, mister?
+
+JOLLIVET.
+Jamais fini... (Dictant.)
+Il était un p'tit homme.
+Tout habillé de gris
+Dans Paris...
+
+BLOUNT, furieux.
+Des chansons!...
+
+JOLLIVET.
+Du Béranger! Après le sacré, le profane!
+
+BLOUNT.
+
+Monsieur, battons-nous à l'instant!
+JOLLIVET, dictant.
+Joufflu comme une pomme,
+Qui sans un sou comptant...
+
+L'EMPLOYE, refermant brusquement le guichet.
+Ah!
+
+JOLLIVET.
+Quoi donc?
+
+L'EMPLOYE, sortant de son bureau.
+Le fil est coupé! Il ne fonctionne plus! Messieurs, j'ai bien
+l'honneur de vous saluer... (Il salue et s'en va
+tranquillement. -- Grands cris au dehors.)
+
+BLOUNT.
+Plus dépêches possibles, à nous deux, mister. Sortons!
+
+JOLLIVET.
+Oui, sortons, et venez me touyer!...
+
+BLOUNT.
+On dit touer!... Il ne sait même pas son langue!
+(Ils sortent par le fond, en se provoquant.)
+
+
+SCENE III.
+
+SANGARRE, UN BOHEMIEN.
+
+
+SANGARRE, arrivant par la gauche avec un bohémien.
+Les Tartares sont vainqueurs!
+
+LE BOHEMIEN.
+Ivan Ogareff les a menés à l'assaut de Kolyvan.
+
+SANGARRE.
+Russes et Sibériens, ils ont tout écrasé!... La ville brûle,
+et les fuyards s'échappent de toutes parts!...
+
+LE BOHEMIEN, regardant.
+Ils vont gagner de ce côté!
+
+SANGARRE.
+Oui, mais cette vieille Sibérienne, que j'ai enfin revue,
+cette Marfa Strogoff, qu'est-elle devenue? Elle était là,
+regardant sa maison qui brûlait!... Puis tout à coup, elle a
+disparu!... Oh! je la retrouverai et alors!... Ah! tu m'as
+dénoncée, Marfa, tu m'as fait knouter par les Russes!...
+Malheur à toi!...
+
+
+SCENE IV.
+
+LES MEMES, MARFA, FUGITIFS.
+
+
+(Grand tumulte au dehors. -- Le bruit de la fusillade se
+rapproche! Les fugitifs se précipitent dans le poste.)
+
+
+PREMIER FUGITIF.
+Tout est perdu!
+
+DEUXIEME FUGITIF.
+La cavalerie tartare sabre tous les malheureux qui sortent de
+Kolyvan!
+
+TOUS.
+Fuyons! Fuyons!
+(Ils vont quitter le poste en désordre.)
+
+MARFA, paraissant au fond.
+Arrêtez! arrêtez.
+
+TOUS.
+Marfa Strogoff!
+
+MARFA.
+Lâches, qui fuyez devant les Tartares!
+
+SANGARRE.
+Ah! cette fois, tu ne m'échapperas pas!
+
+MARFA.
+Arrêtez! vous dis-je, n'êtes-vous plus les enfants de notre
+Sibérie?...
+
+PREMIER FUGITIF.
+Est-il encore une Sibérie? Les Tartares n'ont-ils pas envahi
+la province entière?
+
+MARFA, sombre.
+Hélas! oui! puisque la province entière est dévastée!
+
+DEUXIEME FUGITIF.
+N'est-ce pas toute une armée de barbares qui s'est jetée sur
+nos villages?
+
+MARFA.
+Oui, puisque si loin que la vue s'étende, nous ne voyons que
+des villages en flammes!
+
+PREMIER FUGITIF.
+Et cette armée n'est-elle pas commandée par le cruel Féofar?
+
+MARFA.
+Oui! puisque nos rivières roulent des flots de sang!
+
+PREMIER FUGITIF.
+Eh bien! que pouvons-nous faire?
+
+MARFA.
+Résister encore, résister toujours, et mourir s'il le faut!
+
+PREMIER FUGITIF.
+Résister quand le Père ne vient pas à nous, et quand Dieu nous
+abandonne?
+
+MARFA.
+Dieu est bien haut, et le Père est bien loin! Il ne peut ni
+diminuer les distances, ni hâter davantage le pas de ses
+soldats! Les troupes sont en marche, elles arriveront! mais
+jusque-là, il faut résister!... Dût la vie d'un Tartare coûter
+la vie de dix Sibériens, que ces dix meurent en combattant!
+Qu'on ne puisse pas dire que Kolyvan s'est rendue, tant qu'il
+restait un de ses enfants pour la défendre!...
+
+DEUXIEME FUGITIF.
+Ces gargares étaient vingt contre un!
+
+PREMIER FUGITIF.
+Et maintenant Kolyvan est en flammes!
+
+MARFA.
+Eh bien, si vous ne pouvez rentrer dans la ville, combattez
+au-dehors! Chaque heure gagnée peut donner aux troupes russes
+le temps de se rallier!... Barricadez ce poste! Fortifiez-le!
+Arrêtez ici cette tourbe! Tenez encore à l'abri de ces
+murs!... Mes amis, écoutez la voix de la vieille Sibérienne,
+qui demande à mourir avec vous, pour la défense de son pays!
+
+SANGARRE, à part.
+Non! ce n'est pas ici que tu mourras. (Au bohémien qui
+l'accompagne.) Reste et observe. (Elle sort par le fond.)
+
+MARFA.
+Mes amis! vous m'entendez, moi, la veuve de Pierre Strogoff
+que vous avez connu!... Ah! s'il était encore là, il se
+mettrait à votre tête! Il vous ramènerait au combat!...
+Ecoutez-le! Mes amis! c'est lui qui vous parle par ma voix!
+
+PREMIER FUGITIF.
+Pierre Strogoff n'est plus! Peut-être avec un tel chef que lui
+aurions-nous pu tenir dans la steppe, harceler les soldats de
+l'émir...
+
+LES FUGITIFS.
+Oui, un chef! Il nous faudrait un chef!
+
+MARFA.
+Ah! tout est donc perdu!
+
+(Violente détonation au dehors.)
+
+
+SCENE V.
+
+LES MEMES, STROGOFF, NADIA, BLOUNT, JOLLIVET, FUGITIFS.
+
+
+JOLLIVET, entrant par le fond.
+Les balles pleuvent sur la route.
+
+BLOUNT, le suivant.
+Forcés de remettre notre duel.
+
+STROGOFF, entrant par le fond avec Nadia.
+Ici, Nadia!... Ici, du moins, tu seras à l'abri, mais je suis
+forcé de me séparer de toi!
+
+NADIA.
+Tu vas m'abandonner?...
+
+STROGOFF.
+Ecoute, les Tartares avancent!... ils marchent sur
+Irkoutsk!... Il faut que j'y sois avant eux!... Un devoir
+impérieux et sacré m'y appelle! Il faut que je passe, fût-ce à
+travers la mitraille, fût-ce au prix de mon sang, fût-ce au
+prix de ma vie!...
+
+NADIA.
+S'il en est ainsi, frère, pars, et que Dieu te protège!
+
+STROGOFF.
+Adieu, Nadia. (Il va s'élancer vers la porte du fond, et se
+trouve face à face avec Marfa.)
+
+MARFA, l'arrêtant.
+Mon fils!
+
+JOLLIVET.
+Tiens!... Nicolas Korpanoff!
+
+MARFA.
+Mon enfant!... (Aux Sibériens.) C'est lui, mes amis! C'est mon
+fils... C'est Michel Strogoff!
+
+TOUS.
+Michel Strogoff!
+
+MARFA.
+Ah! vous demandiez un chef pour vous conduire dans la steppe,
+un chef digne de vous commander! Le voilà!... Michel, embrasse-moi!
+prends ce fusil, et sus aux Tartares.
+
+STROGOFF, à part.
+Non! non! Je ne peux pas... j'ai juré...
+
+MARFA.
+Eh bien, ne m'entends-tu pas? Michel! Tu me regardes sans
+répondre?
+
+STROGOFF, froidement.
+Qui êtes-vous?... Je ne vous connais pas.
+
+MARFA.
+Qui je suis? Tu le demandes? Tu ne me reconnais plus...
+Michel! mon fils!...
+
+STROGOFF.
+Je ne vous connais pas.
+
+MARFA.
+Tu ne reconnais pas ta mère?
+
+STROGOFF.
+Je ne vous reconnais pas!
+
+MARFA.
+Tu n'es pas le fils de Pierre et de Marfa Strogoff?
+
+STROGOFF.
+Je suis Nicolas Korpanoff, et voici ma soeur Nadia.
+
+MARFA.
+Sa soeur! (Allant à Nadia.) Toi! sa soeur?
+
+STROGOFF, avec force.
+Oui, oui, réponds!... réponds, Nadia.
+
+NADIA.
+Je suis sa soeur!...
+
+MARFA.
+Tu mens!... Je n'ai pas de fille!... Je n'ai qu'un fils, et le
+voilà!
+
+STROGOFF.
+Vous vous trompez!... laissez-moi. (Il va vers la porte.)
+
+MARFA.
+Tu ne sortiras pas!
+
+STROGOFF.
+Laissez-moi... Laissez-moi!...
+
+MARFA, le ramenant.
+Tu ne sortiras pas! Ecoute, tu n'es pas mon fils!... Une
+ressemblance m'égare, je me trompe, je suis folle, et tu n'es
+pas mon fils!... Pour cela, Dieu te jugera! Mais tu es un
+enfant de notre Sibérie. Eh bien, l'ennemi est là et je te
+tends cette arme!... Est-ce qu'après avoir renié ta mère, tu
+vas aussi renier ton pays? Michel, tu peux me déchirer l'âme,
+tu peux me briser le coeur, mais la patrie, c'est la première
+mère, plus sainte et plus sacrée mille fois!... Tu peux me
+tuer, moi, Michel, mais pour elle tu dois mourir!
+
+STROGOFF, à part.
+Oui!... c'est un devoir sacré... oui... mais je ne dois ni
+m'arrêter, ni combattre... Je n'ai pas une heure, pas une
+minute à perdre! (A Marfa.) Je ne vous connais pas!... et je
+pars!
+
+MARFA: Ah! malheureux qui es devenu à la fois fils dénaturé,
+et traître à la patrie!
+
+(Forte détonation au dehors. Un obus tombe près de Marfa,
+mèche fumante.)
+
+STROGOFF, s'élançant.
+Prenez garde, Marfa!
+
+MARFA.
+Que cet obus me tue, puisque mon fils est un lâche!
+
+STROGOFF.
+Un lâche! moi! Vois si j'ai peur! (Il prend l'obus et le jette
+dehors. Il s'élance par le fond.) Adieu, Nadia.
+
+MARFA.
+Ah! je le disais bien!... C'est mon fils! c'est Michel
+Strogoff, le courrier du czar!
+
+TOUS.
+Le courrier du czar!
+
+MARFA.
+Quelque secrète mission l'entraîne sans doute loin de moi!...
+Nous combattrons sans lui! Barricadons cette porte, et
+défendons-nous!...
+
+(Coups de fusils qui éclatent au dehors.)
+
+BLOUNT, portant la main à sa jambe.
+Ah! blessé!...
+
+JOLLIVET, lui bandant sa blessure malgré lui.
+Ah! pauvre Blount.
+
+MARFA.
+Courage! mes amis!... Que chacun de nous sache mourir
+bravement, non plus pour le salut, mais pour l'honneur de la
+Russie!
+
+TOUS.
+Hurrah! Pour la Russie!
+
+(Le combat s'engage avec les Tartares qui apparaissent. Un
+brouillard de fumée emplit le poste qui s'effondre.)
+
+
+SIXIEME TABLEAU.
+
+Le Champ de bataille de Kolyvan.
+
+
+Vue du champ de bataille de Kolyvan. Horizon en feu, au
+coucher du soleil. Morts et blessés étendus, cadavres de
+chevaux. Au-dessus du champ de bataille, des oiseaux de proie
+qui planent et s'abattent sur les cadavres.
+
+STROGOFF, paraissant au fond et traversant le champ de
+bataille.
+Ma mère! Nadia!... Elles sont ici peut-être, là parmi les
+blessés et les morts!... Et l'implacable devoir impose silence
+à mon coeur... Et je ne puis les rechercher ni les
+secourir!... Non... (Se redressant.) Non! Pour Dieu, pour le
+czar, pour la patrie!...
+(Il continue à marcher vers la droite et le rideau baisse.)
+
+
+ACTE TROISIEME.
+
+
+SEPTIEME TABLEAU.
+
+La Tente d'Ivan Ogareff.
+
+
+SCENE I.
+JOLLIVET, BLOUNT.
+
+(Blount est à demi couché, et Jollivet s'occupe à le soigner.)
+
+BLOUNT, le repoussant.
+Mister Jollivet, je priai vous de laisser moi tranquille!
+
+JOLLIVET.
+Monsieur Blount, je vous soignerai quand même, et je vous
+guérirai malgré vous, s'il le faut.
+
+BLOUNT.
+Ces bons soins de vous étaient odieuses!
+
+JOLLIVET.
+Odieux, mais salutaires! Et si je vous abandonnais, qui donc
+vous soignerait dans ce camp tartare?
+
+BLOUNT.
+Je prévenai vous que je n'étais pas reconnaissante du tout
+pour ce que vous faisiez!
+
+JOLLIVET.
+Est-ce que je vous demande de la reconnaissance?
+
+BLOUNT.
+Vous avez volé mon voiture, ma déjeuner, mon hâne et mon place
+au guichet du télégraphe! J'étais votre ennemi mortel, et je
+voulais...
+
+JOLLIVET.
+Et vous voulez touyer moi, c'est convenu! mais pour que vous
+puissiez me touyer, il faut d'abord que je vous guérisse!
+
+BLOUNT.
+Ah! c'était un grand malheur que le obus il ait été pour moi!
+
+JOLLIVET.
+Ce n'était pas un obus, c'était un biscaïen.
+
+BLOUNT.
+Un bis...?
+
+JOLLIVET.
+Caïen!
+
+BLOUNT.
+Par oune K?
+
+JOLLIVET.
+Non par un C.
+
+BLOUNT.
+Par oune C. Oh! c'était mauvais tout de même!
+
+JOLLIVET.
+Voyons, prenez mon bras, et marchez un peu.
+
+BLOUNT, avec force.
+Non! Je marchai pas!
+
+JOLLIVET.
+Prenez mon bras, vous dis-je, ou je vous emporte sur mes
+épaules, comme un sac de farine!
+
+BLOUNT.
+Oh! sac de farine!...Vous insultez moi encore!
+
+JOLLIVET.
+Ne dites donc pas de bêtises! (Il veut l'emmener. Un Tartare
+entre et les arrête.)
+
+LE TARTARE.
+Restez. Le seigneur Ivan Ogareff veut vous interroger. (Il
+sort.)
+
+JOLLIVET.
+Nous interroger?... Lui, Ogareff!... ce traître!
+
+BLOUNT.
+Cette brigande!... cette bandite voulait interroger moi!
+(Ivan paraît, s'arrête à l'entrée de la tente et parle bas à
+deux Tartares qui l'accompagnent et sortent.)
+
+JOLLIVET.
+Que vois-je? l'homme qui insultait brutalement le marchand
+Korpanoff?...
+
+BLOUNT.
+C'était cette colonel Ogareff!... Oh! je sentai une grosse
+indignéchione!
+
+
+SCENE II.
+
+LES MEMES, IVAN, TARTARES.
+
+
+IVAN.
+Approchez et répondez moi. Qui êtes-vous?
+
+JOLLIVET.
+Alcide Jollivet, citoyen français, que personne n'a le droit
+de retenir prisonnier.
+
+IVAN.
+Peut-être. (A Blount.) Et vous?
+
+BLOUNT.
+Harry Blount!... une honnête homme, entendez-vous, une fidèle
+sujette de le Angleterre, entendez-vous, une loyale serviteur
+de son pétrie, entendez-vous!
+
+IVAN.
+Vous avez été pris, dit-on, parmi nos ennemis?
+
+JOLLIVET, avec ironie.
+Non, on vous a trompé.
+
+IVAN.
+Vous osez dire?...
+
+JOLLIVET.
+Je dis que ce ne peut être parmi les ennemis d'un colonel
+russe, puisque c'est au milieu de ses compatriotes, parmi les
+Russes eux-mêmes, qu'on nous a arrêtés! Vous voyez bien,
+monsieur, que l'on vous a trompé.
+
+BLOUNT, à part.
+Very well!... Très bon réponse!...
+
+IVAN.
+Quel motif vous a conduits sur le théâtre de la guerre?
+
+JOLLIVET.
+Nous sommes journalistes, monsieur,... deux reporters.
+
+IVAN, avec mépris.
+Ah! oui, je sais, des reporters... c'est-à-dire une sorte
+d'espions!...
+
+BLOUNT, furieux.
+Espionne! nous, espionne!
+
+JOLLIVET, avec force.
+Monsieur, ce que vous dites est infâme, et j'en prends à
+témoin l'Europe tout entière!
+
+IVAN.
+Que m'importe l'opinion de l'Europe! Je vous traite comme il
+me plaît, parce qu'on vous a pris parmi les Russes, qui sont
+mes ennemis, vous le savez bien!
+
+JOLLIVET.
+J'ignorais que la patrie devînt jamais l'ennemi d'un loyal
+soldat!
+
+BLOUNT.
+C'était le soldat déloyal qui devenait le ennemi de son
+pétrie!
+
+JOLLIVET.
+Et celui-là est un traître!
+
+IVAN, avec colère.
+Prenez garde et souvenez-vous que je suis tout-puissant ici!
+
+JOLLIVET.
+Vous devriez tâcher de le faire oublier.
+
+IVAN, avec colère.
+Monsieur... (Se calmant.) L'insulte d'un homme de votre sorte
+ne peut arriver jusqu'à moi!
+
+JOLLIVET.
+C'est naturel, colonel Ogareff, la voix ne descend pas, elle
+monte.
+
+IVAN, avec colère.
+C'en est trop!
+
+BLOUNT, à part.
+Il n'était pas satisfaite du tout!
+
+IVAN.
+Vous me payerez ce nouvel outrage et vous le payerez cher.
+(Appelant.) Gardes! (Un Tartare entre.) Que l'Anglais soit
+conduit hors du camp, avant une heure,... et qu'avant une heure,
+l'autre soit fusillé! (Il sort avec le Tartare.)
+
+
+SCENE III.
+
+BLOUNT, JOLLIVET.
+
+
+BLOUNT, avec terreur.
+Fousillé! fousillé! fousillé!...
+
+JOLLIVET.
+Je n'ai pas était maître de mon indignation!
+
+BLOUNT.
+Fousillé!... Cette misérable coquine faisait fousiller vous!
+
+JOLLIVET.
+Hélas! oui!... Rien ne peut me sauver et le mieux est de me
+résigner courageusement!
+
+BLOUNT.
+Ah! Jollivet!
+
+JOLLIVET.
+Vous voilà débarrassé de votre rival, de votre ennemi!
+
+BLOUNT, se récriant.
+Débarrassé de mon hennemi!
+
+JOLLIVET.
+Et il était écrit que notre duel n'aurait jamais lieu!
+
+BLOUNT, ému.
+Notre douel?... Est-ce que vous aviez pensé que je battais
+jamais moi avec vous, Jollivet?
+
+JOLLIVET.
+Je sais qu'il y avait en vous plus d'emportement que de haine!
+
+BLOUNT.
+Oh! non!... je vous haïssais pas, Jollivet, et si vous avez un
+peu moqué, vous avez défendu moi dans le bataille, vous avez
+soigné mon blessure, vous avez sauvé moi comme une bonne et
+brave gentleman, Jollivet.
+
+JOLLIVET, souriant tristement.
+Tiens! vous ne m'appelez plus Jollivette, monsieur Blount.
+
+BLOUNT.
+Et je demandai pardone à vous pour cette méchante
+plaisanterie!
+
+JOLLIVET.
+Alors nous voilà amis... tout à fait?
+
+BLOUNT.
+Oh! yes, amis jusqu'à la m...
+
+JOLLIVET.
+Jusqu'à la mort!... Ce ne sera pas long, hélas!... et je
+voudrais... avant... de mourir... vous demander un service,
+ami Blount.
+
+BLOUNT, vivement.
+Une service! Oh! je promettai, je jurai d'avance!...
+
+JOLLIVET.
+Nous sommes ici, mon ami, comme deux sentinelles perdues et
+chargées l'une et l'autre d'éclairer notre pays sur les graves
+événements qui s'accomplissent. Eh bien, le devoir que je ne
+pourrai plus remplir, je vous demande de le remplir à ma
+place.
+
+BLOUNT, très ému.
+Oh! yes! yes!...
+
+JOLLIVET.
+Voulez-vous me promettre, Blount, qu'après avoir adressé
+chacune de vos correspondances en Angleterre, vous l'enverrez
+ensuite en France?
+
+BLOUNT.
+Ensuite! non!... Jollivet, non... pas ensuite. Je voulais
+remplacer vous, tout à faite, et comme vous étiez plus adroite
+que moi, vous aviez envoyé toujours les nouvelles le première,
+eh bien, je promettai que j'envoyai en France... d'abord!
+
+JOLLIVET.
+En même temps, Blount, en même temps... je le veux!...
+
+BLOUNT.
+Yes!... en même temps!... d'abord!... Etes-vous satisfaite,
+Jollivet?
+
+JOLLIVET.
+Oui, mais ce n'est pas tout, Blount.
+
+BLOUNT.
+Parlez, je écoutai vous.
+
+JOLLIVET.
+Mon ami, j'ai laissé là-bas une femme!...
+
+BLOUNT.
+Une femme!
+
+JOLLIVET.
+Une jeune femme... et un petit enfant. Elle, bonne comme une
+sainte! lui, beau comme un ange!...
+
+BLOUNT, avec reproche.
+Oh! vous aviez une femme et une toute petite bébé, et vous
+avez quitté eux!... Oh! Jollivet, Jollivet.
+
+JOLLIVET, tristement.
+Que voulez-vous?... Nous étions pauvres, mon ami!
+
+BLOUNT, pleurant.
+Pauvres!... Et alors vous étiez forcé pour abandonner eux, et
+moi je reprochai à vous... j'accusai vous... Oh! my friend, my
+dear friend!... I am a very bad man,... your pardon... for...
+having spoken as... I have done!... Je demandai pardone à
+vous. Jollivet, yes!... je demandai pardone, et quand le
+guerre était finie ici, je jurai que j'allai en France, je
+cherchai votre fémille, je servai pour père à votre pauvre
+petite bébé, et je servai pour méri,... non!... je servai pour
+frère à votre bonne jolie femme... je promettai... je jurai...
+je... (Il lui serre la main, se jette à son cou et
+l'embrasse. -- On entend un bruit de fanfare.)
+
+JOLLIVET.
+Qu'est-ce que cela?
+
+UN TARTARE, entrant.
+C'est l'arrivée de l'émir Féofar. Tous les prisonniers doivent
+se prosterner devant lui... Venez.
+
+BLOUNT.
+Prosterner!... je prosternerai pas!... je prosternerai
+jamais!... (Ils sortent.)
+
+(Le décor change à vue et représente le camp tartare.)
+
+
+HUITIEME TABLEAU.
+
+Le Camp de l'émir.
+
+La scène représente une place, ornée de pylones, recouverte
+d'un splendide velum. A droite, un trône magnifiquement orné;
+à gauche une tente.
+
+
+SCENE I.
+
+FEOFAR, IVAN, LES TARTARES.
+
+
+(Grand fracas de trompettes et de tambours. Superbe cortège
+qui défile devant le trône.
+Féofar, accompagné d'Ivan et de toute sa maison militaire,
+arrive au camp. Réception solennelle.)
+
+IVAN.
+Gloire à toi, puissant émir, qui viens commander en personne
+cette armée triomphante!
+
+TOUS.
+Gloire à Féofar! Gloire à l'émir!
+
+IVAN.
+Les provinces de la Sibérie sont maintenant en ton pouvoir. Tu
+peux pousser tes colonnes victorieuses aussi bien vers les
+contrées où se lève le soleil que dans celles où il se couche.
+
+FEOFAR.
+Et si je marche avec le soleil?
+
+IVAN.
+C'est te jeter vers l'Europe, et c'est rapidement conquérir le
+pays jusqu'aux montagnes de l'Oural!
+
+FEOFAR.
+Et si je vais au-devant du faisceau de lumière?
+
+IVAN.
+C'est soumettre à ta domination Irkoutsk et les plus riches
+provinces de l'Asie centrale.
+
+FEOFAR.
+Quel avis t'inspire ton dévouement à notre cause?
+
+IVAN.
+Prendre Irkoutsk, la capitale, et avec elle l'otage précieux
+dont la possession vaut une province! Emir, il faut que le
+Grand-Duc tombe entre tes mains.
+
+FEOFAR.
+Il sera fait ainsi.
+
+IVAN.
+Quel jour l'émir quittera-t-il ce camp?
+
+FEOFAR.
+Demain, car aujourd'hui c'est fête pour les vainqueurs.
+
+TOUS.
+Gloire à l'émir!
+
+
+SCENE II.
+
+LES MEMES, BLOUNT, puis JOLLIVET.
+
+
+BLOUNT.
+L'émir! je voulais parler à l'émir.
+
+FEOFAR.
+Qu'est-ce donc?
+
+IVAN.
+Que voulez-vous?
+
+BLOUNT.
+Je voulais parler à l'émir.
+
+L'EMIR.
+Parle.
+
+BLOUNT.
+Emir Féofar, je suppliai... non!... je conseillai à toi de
+entendre moi!
+
+FEOFAR.
+Approche.
+
+BLOUNT.
+Je demandai au puissante Féofar d'empêcher le fousillement
+d'un gentleman!
+
+FEOFAR.
+Que signifie?
+
+IVAN.
+Un étranger qui a osé m'insulter et dont j'ai ordonné le
+châtiment!
+
+L'EMIR.
+Qu'on amène cet homme.
+
+(Jollivet est amené et se place près de Blount.)
+
+BLOUNT.
+Et si je conseillai à toi, grande Féofar, de rendre son
+liberté à mister Jollivet, c'était dans le intérêt de toi, de
+ton sécourité, car si une seule cheveu tombait de son tête à
+lui, il mettait en danger ton tête à toi!
+
+FEOFAR.
+Et qui donc aurai-je à redouter?
+
+BLOUNT.
+Le France!
+
+FEOFAR.
+La France!
+
+BLOUNT.
+Oui, le France qui ne laisserait pas impiouni le assassinat
+d'une enfant à elle! Et je avertis toi, que si on ne rendait
+pas la liberté à lui, je restai prisonnier avec! Je prévenai
+toi que si on touyait lui, il fallait me touyer avec, et qu'au
+lieu de le France tout seule, tu auras sur les bras le France
+et le Angleterre avec!... Voilà ce que j'avais à dire à toi, émir
+Féofar. A présent, fais touyer nous si tu voulais!
+
+FEOFAR.
+Ivan, que les paroles de cet homme s'effacent de ta mémoire et
+qu'on épargne sa vie!
+
+IVAN.
+Mais il m'a insulté!
+
+FEOFAR.
+Je le veux.
+
+IVAN.
+Soit! Qu'on le chasse du camp à l'instant même.
+
+JOLLIVET.
+Vous prévenez mes désirs, monsieur Ogareff!... J'ai hâte de
+n'être plus en votre honorable compagnie!... Blount, je
+n'oublierai pas ce que vous venez de faire pour moi!
+
+BLOUNT.
+Nous étions quittes et très bonnes amis, Jollivet!
+
+JOLLIVET.
+Et nous continuerons la campagne ensemble!
+
+BLOUNT.
+All right!
+
+(Tous deux sortent par le fond.
+Féofar et ses officiers entrent avec lui sous une tente à
+gauche.)
+
+
+SCENE III.
+
+IVAN, SANGARRE.
+
+
+IVAN, voyant entrer Sangarre.
+Sangarre! Tu le vois, elle s'achèvera bientôt la tâche que je
+me suis imposée!
+
+SANGARRE.
+Parles-tu de ta vengeance?
+
+IVAN.
+Oui, oui, de cette vengeance qui est maintenant assurée!
+
+SANGARRE.
+Elle t'échappera, si le Grand-Duc est prévenu à temps, si un
+courrier russe parvient jusqu'à lui!
+
+IVAN.
+Comment un courrier passerait-il à travers nos armées?
+
+SANGARRE.
+Il en est un qui, sans moi, serait en ce moment sur la route
+d'Irkoutsk!
+
+IVAN.
+Parle, explique-toi.
+
+SANGARRE.
+Ivan, je suis près que toi du but que chacun de nous veut
+atteindre! Le Grand-Duc n'est pas encore entre tes mains,
+tandis que j'ai en mon pouvoir cette Marfa Strogoff, dont j'ai
+juré la mort!
+
+IVAN.
+Achève.
+
+SANGARRE.
+La vieille Sibérienne a été prise au poste de Kolyvan, avec
+beaucoup d'autres. Mais, dans ce poste, Marfa n'était pas la
+seule qui portât ce nom de Strogoff!
+
+IVAN.
+Que veux-tu dire?
+
+SANGARRE.
+Hier, un homme a refusé de reconnaître Marfa, qui l'appelait
+son fils!... Il l'a reniée publiquement. Mais une mère ne se
+trompe pas à une prétendue ressemblance. Cet homme qui ne
+voulait pas être reconnu était bien Michel Strogoff, un des
+courriers du czar.
+
+IVAN.
+Où est-il? Qu'est-il devenu? A-t-on pu s'emparer de lui?
+
+SANGARRE.
+Après la victoire, tous ceux qui fuyaient le champ de bataille
+ont été arrêtés. Pas un des fugitifs n'a pu nous échapper, et
+Michel Strogoff doit être parmi les prisonniers!
+
+IVAN.
+Le reconnaîtrais-tu? Pourrais-tu le désigner?
+
+SANGARRE.
+Non.
+
+IVAN.
+Il me faut cet homme! Il doit être porteur de quelque
+important message. Qui donc pourra me le faire connaître?
+
+SANGARRE.
+Sa mère!
+
+IVAN.
+Sa mère?
+
+SANGARRE.
+Elle refusera de parler, mais...
+
+IVAN.
+Mais je saurai bien l'y forcer... Qu'on l'amène. (Sangarre
+s'éloigne par le fond.) Un courrier évidemment envoyé vers le
+Grand-Duc! Il est porteur d'un message! Ce message, je
+l'aurai!...
+
+
+SCENE IV.
+
+IVAN, SANGARRE, MARFA, NADIA, puis DES PRISONNIERS, SOLDATS,
+ETC.
+
+
+NADIA, bas.
+Pourquoi nous conduit-on ici?
+
+MARFA, bas.
+Pour m'interroger, sans doute, sur le compte de mon fils, mais
+j'ai compris qu'il ne voulait pas être reconnu!... il est déjà
+loin... Ils ne m'arracheront pas mon secret.
+
+SANGARRE.
+Regarde-moi, Marfa, regarde-moi bien!... Sais-tu qui je suis?
+
+MARFA, regardant Sangarre.
+Oui! l'espionne tartare que j'ai fait châtier!
+
+SANGARRE.
+Et qui te tient à son tour en son pouvoir!
+
+NADIA, lui prenant la main.
+Marfa!
+
+MARFA, bas.
+Ne crains rien pour moi, ma fille!
+
+IVAN, à Marfa.
+Tu te nommes?...
+
+MARFA.
+Marfa Strogoff.
+
+IVAN.
+Tu as un fils?
+
+MARFA.
+Oui!
+
+IVAN.
+Où est-il maintenant?
+
+MARFA.
+A Moscou, je suppose.
+
+IVAN.
+Tu es sans nouvelles de lui?
+
+MARFA.
+Sans nouvelles.
+
+IVAN.
+Quel est donc cet homme que tu appelais ton fils, hier, au
+poste de Kolyvan?
+
+MARFA.
+Un Sibérien que j'ai pris pour lui. C'est le deuxième en qui
+je crois retrouver mon fils, depuis que Kolyvan est rempli
+d'étrangers.
+
+IVAN.
+Ainsi ce jeune homme n'était pas Michel Strogoff?
+
+MARFA.
+Ce n'était pas lui.
+
+IVAN.
+Et tu ignores ce que ton fils est devenu?
+
+MARFA.
+Je l'ignore.
+
+IVAN.
+Et depuis hier, tu ne l'as pas vu parmi les prisonniers?
+
+MARFA.
+Non!
+
+IVAN.
+Ecoute. Ton fils est ici, car aucun des fugitifs n'a pu
+échapper à ceux de nos soldats qui cernaient le poste de
+Kolyvan. Tous ces prisonniers vont passer devant tes yeux, et
+si tu ne me désignes pas ce Michel Strogoff, je te ferai périr
+sous le knout!
+
+NADIA.
+Grand Dieu!
+
+MARFA.
+Quand tu voudras, Ivan Ogareff. J'attends.
+
+NADIA.
+Pauvre Marfa!
+
+MARFA.
+Je serai courageuse!... je n'ai rien à craindre pour lui!
+
+IVAN.
+Qu'on amène les prisonniers. (A Sangarre.) Et toi, observe
+bien si l'un deux se trahit!
+
+(Les prisonniers défilent. -- Michel Strogoff est parmi eux,
+mais quand il passe devant elle, Marfa ne bouge pas.)
+
+IVAN.
+Eh bien! ton fils?
+
+MARFA.
+Mon fils n'est pas parmi ces prisonniers!
+
+IVAN.
+Tu mens!... désigne-le... parle...je le veux.
+
+MARFA, résolument.
+Je n'ai rien à vous dire.
+
+SANGARRE, bas.
+Oh! je la connais, cette femme!... Sous le fouet, même
+expirante, elle ne parlera pas!...
+
+IVAN.
+Elle ne parlera pas, dis-tu!... Eh bien, il parlera lui!...
+Saisissez cette femme, qu'elle soit frappée du knout jusqu'à
+ce qu'elle en meure!
+
+(Marfa est saisie par deux soldats et jetée à genoux sur le
+sol. Un soldat portant le knout se place derrière elle.)
+
+IVAN, au soldat.
+Frappe!
+
+(Le knout est levé sur Marfa, Strogoff se précipite, arrache
+le knout et en frappe Ivan au visage.)
+
+STROGOFF.
+Coup pour coup, Ogareff!
+
+MARFA.
+Qu'as-tu fait, malheureux!
+
+IVAN.
+L'homme du relai!
+
+SANGARRE.
+Michel Strogoff!
+
+STROGOFF.
+Moi-même! Oui, moi, que tu as insulté, outragé! moi dont tu
+veux assassiner la mère!
+
+TOUS.
+A mort! à mort!
+
+IVAN.
+Ne tuez pas cet homme! Qu'on prévienne l'émir!
+
+MARFA.
+Mon fils!... Ah! pourquoi t'es-tu trahi!
+
+STROGOFF.
+J'ai pu me contenir quand ce traître m'a frappé!... Mais le
+fouet levé sur toi, ma mère!... oh! c'était impossible!
+
+IVAN.
+Eloignez donc cette femme!... et qu'on le fouille!
+
+(Les soldats exécutent cet ordre.)
+
+STROGOFF, résistant.
+Me fouiller! Lâche! misérable!
+
+IVAN, lui prend la lettre qu'il portait sur sa poitrine et la
+lit.
+Oh! il était temps!... Cette lettre perdait tout!...
+Maintenant le Grand-Duc est à moi!
+
+
+SCENE V.
+
+LES MEMES, FEOFAR, ET SA SUITE.
+
+
+IVAN.
+Emir Féofar, tu as un acte de justice à accomplir.
+
+FEOFAR.
+Contre cet homme?
+
+IVAN.
+Contre lui.
+
+FEOFAR.
+Quel est-il?
+
+IVAN.
+Un espion russe.
+
+TOUS.
+Un espion!...
+
+MARFA.
+Non, non... mon fils n'est pas un espion! Cet homme a
+menti!...
+
+IVAN.
+Cette lettre, trouvée sur lui, indiquait le jour où une armée
+de secours doit arriver en vue d'Irkoutsk... le jour où
+faisant une sortie, le Grand-Duc nous aurait pris entre deux
+feux!
+
+TOUS.
+A mort! à mort!
+
+NADIA.
+Grâce pour lui!
+
+MARFA.
+Vous ne le tuerez pas!
+
+TOUS.
+A mort! à mort!
+
+IVAN, à Strogoff.
+Tu les entends?
+
+STROGOFF, à Ivan.
+Je mourrai, mais ta face de traître, Ivan, n'en portera pas
+moins, et à jamais, la marque infamante du knout!
+
+IVAN.
+Emir, nous attendons que ta justice prononce.
+
+FEOFAR.
+Qu'on apporte le Koran.
+
+TOUS.
+Le Koran! le Koran!
+
+FEOFAR.
+Ce livre saint a des peines pour les traîtres et les
+espions!... C'est lui-même qui prononcera la sentence!
+
+(Des prêtres tartares apportent le livre sacré et le
+présentent à Féofar.)
+
+FEOFAR, à l'un des prêtres.
+Ouvre ce livre, à l'endroit où il édicte les peines et
+châtiments. Mon doigt touchera un des versets,... et ce verset
+contiendra sa sentence!
+
+(Le Koran est ouvert. Le doigt de Féofar se pose sur une des
+pages, et un prêtre lit à haute voix le verset touché par
+l'émir.)
+
+LE PRETRE, lisant.
+"Ses yeux s'obscurciront comme les étoiles sous le nuage, et
+il ne verra plus les choses de la terre!"
+
+TOUS.
+Ah!
+
+FEOFAR, à Strogoff: Tu es venu pour voir ce qui se passe au
+camp tartare! Regarde! Maintenant que notre armée triomphante
+se réjouisse, que la fête ait lieu qui doit célébrer nos
+victoires!
+
+TOUS.
+Gloire à l'émir!
+
+FEOFAR, prenant place sur son trône.
+Et toi, espion, pour la dernière fois de ta vie, regarde de
+tous tes yeux!... regarde!
+
+(Strogoff est conduit au pied de l'estrade. Marfa est à demi
+couchée sur le sol. Nadia est agenouillée près d'elle.)
+
+
+NEUVIEME TABLEAU.
+
+La Fête tartare.
+
+BALLET
+
+(Après la première reprise, la voix d'un prêtre se fait
+entendre et répète les paroles de l'émir.)
+
+LE PRETRE.
+Regarde de tous tes yeux... regarde!
+
+(Après la deuxième reprise, la voix du prêtre se fait encore
+entendre.)
+
+LE PRETRE.
+Regarde de tous tes yeux! regarde!
+
+(Le ballet fini, Strogoff est amené au milieu de la scène. Un
+trépied, portant des charbons ardents, est apporté près de
+lui, et le sabre de l'exécuteur est posé en travers sur les
+charbons.
+Sur un signe de Féofar, l'exécuteur s'approche de Strogoff. Il
+prend le sabre qui est chauffé à blanc.)
+
+FEOFAR.
+Dieu a condamné cet homme! Il a dit que l'espion soit privé de
+la lumière!... Que son regard soit brûlé par cette lame
+ardente!
+
+NADIA.
+Michel! Michel!
+
+STROGOFF, se tournant vers Ivan.
+Ivan! Ivan le traître! la dernière menace de mes yeux sera
+pour toi!
+
+MARFA, se précipitant vers son fils.
+Mon fils! mon fils!...
+
+STROGOFF.
+Ma mère!... ma mère! oui! oui! à toi mon suprême regard!...
+Reste là, devant moi!... Que je voie encore ta figure
+bien-aimée!... Que mes yeux se ferment en te regardant!
+
+IVAN, à Strogoff.
+Ah! tu pleures! Tu pleures comme une femme!
+
+STROGOFF, se redressant.
+Non! comme un fils!
+
+IVAN.
+Bourreau, accomplis ton oeuvre!
+
+(Les bras de Strogoff ont été saisis pas des soldats; il est
+tenu agenouillé de manière à ne pouvoir faire un mouvement. La
+lance incandescente passe devant ses yeux.)
+
+STROGOFF, poussant un cri terrible.
+Ah!!!!
+
+(Marfa tombe évanouie. Nadia se précipite sur elle.)
+
+IVAN.
+A mort maintenant, à mort l'espion!
+
+TOUS.
+A mort! à mort!
+
+(Des soldats se jettent sur Strogoff pour le massacrer.)
+
+FEOFAR.
+Arrêtez!... arrêtez!... Prêtre, achève le verset commencé.
+
+LE PRETRE.
+.... "Et aveugle, il sera comme l'enfant, et comme l'être
+privé de raison, sacré pour tous!..."
+
+FEOFAR.
+Que nul ne touche désormais à cet homme, car le Koran l'a dit:
+"Vous tiendrez pour sacrés les enfants, les fous et les
+aveugles."
+
+IVAN, à Sangarre.
+Il n'est plus à craindre maintenant.
+
+(Féofar, Ivan et tout le cortège sortent par le fond. Une
+demi-nuit s'est faite, et il ne reste plus en scène que
+Strogoff, Marfa et Nadia.)
+
+(Strogoff se relève et se dirige en tâtonnant vers l'endroit
+où est tombée sa mère.)
+
+STROGOFF.
+Ma mère! Ma mère!... Ma mère!... ma pauvre mère!...
+
+NADIA, venant à lui.
+Frère! frère! mes yeux seront désormais tes yeux!... je te
+conduirai...
+
+STROGOFF.
+A Irkoutsk! (Il embrasse une dernière fois sa mère.) A
+Irkoutsk!
+
+
+ACTE QUATRIEME.
+
+
+DIXIEME TABLEAU.
+
+La Clairière.
+
+La scène représente une berge sur la rive droite de l'Angara.
+Il fait encore jour.
+
+
+SCENE I.
+
+IVAN, SANGARRE, UN CHEF TARTARE, SOLDATS.
+
+
+IVAN, au chef.
+C'est ici que nous allons nous séparer de toi et de tes
+soldats, et tu suivras fidèlement ensuite toutes mes
+instructions.
+
+LE CHEF.
+Compte sur nous, Ivan Ogareff.
+
+SANGARRE.
+Où donc irons-nous maintenant?
+
+IVAN.
+Ecoutez! L'énergie de ce Grand-Duc renverse tous mes calculs,
+déjoue toutes mes prévisions. Chaque jour il opère de
+nouvelles sorties, dont la plus prochaine coïncidera peut-être
+avec l'apparition d'une armée de secours, et nous serons ainsi
+placés entre deux feux!... Il faut donc que sans tarder
+j'exécute le projet hardi que j'ai conçu.
+
+SANGARRE.
+Et ce projet, quel est-il?
+
+IVAN.
+Sangarre, j'entrerai seul aujourd'hui dans Irkoutsk. Les
+Russes accueilleront avec des transports de joie celui qui se
+présentera sous le nom de Michel Strogoff, le courrier du
+czar. Va! tout est bien combiné et ma vengeance sera prompte à
+frapper! A l'heure convenue entre l'émir et moi, les Tartares
+attaqueront la porte de Tchernaïa qu'une main amie, la mienne,
+saura leur ouvrir.
+
+SANGARRE.
+Espères-tu donc que les Russes ne défendront pas cette porte?
+
+IVAN.
+Une terrible diversion les en empêchera et attirera tous les
+bras valides au quartier de l'Angara!
+
+LE CHEF.
+Cette diversion, quelle sera-t-elle?
+
+IVAN.
+Un incendie!
+
+TOUS.
+Un incendie?
+
+IVAN.
+Que vous autres, soldats, vous aurez allumé!
+
+LE CHEF.
+Nous! que veux-tu dire?
+
+IVAN, montrant l'Angara.
+Voyez ce fleuve qui coule et traverse la ville. C'est l'Angara
+et c'est lui... lui-même... qui va dévorer Irkoutsk!
+
+SANGARRE.
+Ce fleuve?
+
+IVAN.
+Au moment convenu, ce fleuve va rouler un torrent incendiaire.
+Des sources de naphte sont exploitées à trois verstes d'ici.
+Nous sommes maîtres des immenses réservoirs de Baïkal, qui
+contiennent tout un lac de ce liquide inflammable!... Un pan
+de mur démoli par vous, et un torrent de naphte se répandra à
+la surface de l'Angara. Alors il suffira d'une étincelle pour
+l'enflammer et porter l'incendie jusqu'au coeur d'Irkoutsk! Les
+maisons bâties sur pilotis, le palais du Grand-Duc lui-même
+seront dévorés, anéantis!... Ah! Russes maudits! vous m'avez
+jeté dans le camp des Tartares! Eh bien, c'est en Tartare que
+je vous fais la guerre!
+
+LE CHEF.
+Tes ordres seront exécutés, Ivan, mais quel moment choisirons-nous
+pour renverser la muraille des réservoirs de Baïkal?
+
+IVAN.
+L'heure où le soleil aura disparu de l'horizon.
+
+SANGARRE.
+A cette heure la capitale de la Sibérie sera en flammes!
+
+IVAN.
+Et ma vengeance s'accomplira! Partons maintenant. (Au chef.)
+Tu te souviendras?
+
+LE CHEF.
+Je me souviendrai.
+
+(Ivan et Sangarre sortent.)
+
+
+SCENE II.
+
+LE CHEF, LES SOLDATS, LE SERGENT.
+
+
+LE CHEF.
+Prenons ici une demi-heure de repos, avant l'instant où nous
+devons remplir notre mission.
+
+LE SERGENT.
+Les hommes peuvent aller et venir?
+
+L'OFFICIER.
+Oui, mais qu'ils ne s'éloignent pas! Nous n'aurons pas trop de
+tous nos bras pour renverser le mur des réservoirs de naphte!
+
+LE SERGENT.
+C'est bien!... Allez vous autres.
+
+(Tous disparaissent après avoir déposé çà et là leurs fusils.)
+
+
+SCENE III.
+
+MARFA, PUIS LES TARTARES.
+
+
+MARFA, entrant par la droite appuyée sur un bâton.
+Mon pauvre enfant, toi, dont le regard s'est éteint en se
+fixant pour la dernière fois sur ta mère, où es-tu?... Qu'es-tu
+devenu? (Elle s'assied.) Une jeune fille, m'a-t-on dit,...
+Nadia, sans doute,... guide les pas de l'aveugle!... Tous deux
+se sont dirigés vers Irkoutsk, et, depuis un mois, j'ai suivi
+la grande route sibérienne... Mon fils bien-aimé, c'est moi
+qui t'ai perdu! Je n'ai pu me contenir, en te retrouvant...
+là... devant moi... et tu n'as pas été maître de toi-même en
+voyant le knout levé sur ta mère! Ah! pourquoi n'as-tu pas
+laissé déchirer mes épaules! Aucune torture ne m'aurait
+arraché ton secret!... Allons! il faut marcher encore!... Je
+ne suis plus ici qu'à quelques verstes d'Irkoutsk! C'est là
+peut-être que je le retrouverai... Allons! (Elle se lève et va
+sortir.) Les Tartares!
+
+L'OFFICIER, voyant Marfa.
+Quelle est cette femme?
+
+LE SERGENT.
+Quelque mendiante!
+
+MARFA.
+Je ne tends pas la main! Je ne réclame pas la pitié d'un
+Tartare!
+
+L'OFFICIER.
+Tu es bien fière!... Que fais-tu ici? où vas-tu?
+
+MARFA.
+Je vais où vont ceux qui n'ont plus de patrie, qui n'ont plus
+de maison et qui fuient les envahisseurs! Je vais devant moi
+jusqu'à ce que les forces me manquent!...jusqu'à ce que je
+tombe... et que je meure!
+
+LE SERGENT, au capitaine.
+C'est une folle, capitaine.
+
+L'OFFICIER.
+Qui a de bons yeux et de bonnes oreilles! Je n'aime pas ces
+rôdeurs qui suivent notre arrière-garde!... Ce sont autant
+d'espions. (A Marfa.) Pars, et que je ne te revoie pas, ou je
+te ferai attacher au pied d'un arbre, et là les loups affamés
+ne te feront pas grâce!
+
+MARFA.
+Loup ou Tartare, c'est tout un!... Mourir d'un coup de dent ou
+d'un coup de fusil, peu m'importe!
+
+L'OFFICIER.
+Oh! la vie a peu de prix à tes yeux!
+
+MARFA.
+Oui, depuis que j'ai perdu celui que je cherche vainement, mon
+fils que les tiens ont cruellement martyrisé!
+
+(Marfa a repris son bâton et va s'enfoncer à droite.)
+
+LE SERGENT, à l'officier.
+Capitaine, encore des fugitifs, sans doute.
+
+(Il montre Strogoff et Nadia qui apparaissent au fond.)
+
+
+SCENE IV.
+
+LES MEMES, NADIA, STROGOFF.
+
+
+MARFA, à part et continuant.
+Lui!... mon fils!... mon fils!...
+
+STROGOFF, à Nadia.
+Qu'est-ce donc?
+
+NADIA.
+Des Tartares?
+
+STROGOFF.
+Ils nous ont vus?
+
+NADIA.
+Oui!...
+
+MARFA, à part.
+Oh! cette fois je ne me trahirai pas devant eux. (Elle se
+cache au fond.)
+
+L'OFFICIER.
+Faites approcher ces gens.
+
+LE SERGENT.
+Allons! approchez... approchez!
+
+L'OFFICIER.
+Qui êtes-vous?...
+
+NADIA.
+Mon frère est aveugle, et nous avons parcouru, malgré les
+terribles souffrances qu'il a subies, une route si pénible et
+si longue qu'il peut à peine se soutenir!
+
+L'OFFICIER.
+D'où venez-vous?
+
+STROGOFF.
+D'Irkoutsk, où nous n'avons pu pénétrer parce que les Tartares
+l'investissent.
+
+L'OFFICIER.
+Et vous allez?
+
+STROGOFF.
+Vers le lac Baïkal, où nous attendrons que la Sibérie soit
+redevenue tranquille.
+
+L'OFFICIER.
+Et elle le sera sous la domination tartare!
+
+LE SERGENT, observant Nadia.
+Elle est jolie, cette fille, capitaine!
+
+L'OFFICIER, à Strogoff.
+C'est vrai, tu as là une belle compagne!
+
+(Le sergent veut s'approcher de Nadia.)
+
+NADIA, s'éloignant.
+Ah! (Elle reprend la main de Strogoff.)
+
+STROGOFF.
+C'est ma soeur!
+
+LE SERGENT.
+On pourrait donner un autre guide à l'aveugle, et cette belle
+fille resterait au bivouac! (Il s'approche d'elle.)
+
+NADIA.
+Laissez-moi, laissez-moi!
+
+STROGOFF, à part.
+Misérables!
+
+LE SERGENT.
+Elle est farouche, la jeune Sibérienne! Nous nous reverrons
+plus tard, la belle.
+
+UN SOLDAT, entrant.
+Capitaine, en montant sur une colline, à cent pas d'ici, on
+peut voir de grandes fumées qui s'élèvent dans l'air, et, en
+prêtant l'oreille, on entend au loin, le bruit du canon.
+
+L'OFFICIER.
+C'est que les nôtres donnent l'assaut à Irkoutsk!
+
+STROGOFF, à part.
+
+L'assaut à Irkoutsk!
+L'OFFICIER.
+Voyons cela. (Aux soldats.) Dans une heure le moment sera venu
+d'accomplir notre tâche, et, cela fait, nous rejoindrons les
+assaillants.
+
+(Il sort, les soldats l'accompagnent. Le sergent regarde une
+dernière fois Nadia et sort.)
+
+
+SCENE V.
+
+NADIA, STROGOFF, puis MARFA.
+
+
+NADIA.
+Ils sont partis, frère, nous pouvons continuer notre route.
+
+STROGOFF.
+Non!... j'ai dit que nous allions du côté du lac Baïkal!... Il
+ne faut pas qu'ils nous voient prendre un autre chemin!
+
+NADIA.
+Nous attendrons alors qu'ils soient tout à fait éloignés.
+
+STROGOFF.
+C'est aujourd'hui le 24 septembre, et aujourd'hui,... je
+devrais être à Irkoutsk.
+
+NADIA.
+Espérons encore!... Ces Tartares vont partir... Cette nuit,
+quand on ne pourra plus nous voir, nous chercherons le moyen
+de descendre le fleuve... et tu pourras, avant demain, entrer
+dans la ville!... Essaye de prendre un peu de repos en
+attendant!
+(Elle le conduit au pied d'un arbre.)
+
+STROGOFF.
+Me reposer... et toi... pauvre Nadia, n'es-tu pas plus brisée
+par la fatigue que je ne le suis moi-même?
+
+NADIA.
+Non... non... Je suis forte... tandis que toi, cette blessure
+que tu as reçue, cette fièvre qui te dévore!...
+
+(Strogoff s'asseoit au pied de l'arbre.)
+
+STROGOFF.
+Ah! qu'importe, Nadia, qu'importe! Que j'arrive à temps auprès
+du Grand-Duc et je n'aurais plus rien à vous demander, mon
+Dieu, si ma mère existait encore!
+
+NADIA.
+Devant son fils que ces barbares allaient martyriser, elle est
+tombée... inanimée!... Mais qui te dit que la vie s'était brisée
+en elle?... Qui te dit qu'elle était morte?... Frère,... je
+crois que tu la reverras... (Se reprenant et le regardant avec
+douleur.) Je crois, frère, que tu la presseras encore dans tes
+bras... et qu'elle couvrira de baisers et de larmes ces
+pauvres yeux où la lumière s'est éteinte!
+
+STROGOFF.
+Quand j'ai posé mes lèvres sur son front, je l'ai senti
+glacé!... Quand j'ai interrogé son coeur, il n'a pas battu
+sous ma main!... (Marfa, qui a reparu, s'est approchée de son
+fils.) Hélas! ma mère est morte!
+
+NADIA, apercevant Marfa.
+Ah!
+
+STROGOFF.
+Qu'est-ce donc? qu'as-tu, Nadia?
+
+NADIA.
+Rien. Rien!
+
+(Marfa, qui s'est agenouillée, fait signe à Nadia, prête à se
+trahir, de garder le silence; puis, prenant une des mains de
+son fils, elle la porte en pleurant à ses lèvres. Strogoff,
+qui a étendu l'autre bras, s'est assuré que Nadia est bien à
+sa droite.)
+
+STROGOFF.
+Oh!... Nadia!... Nadia!... ces baisers, ces larmes!... les
+sanglots que j'entends!... Ah! c'est elle!... c'est elle,
+c'est ma mère!
+
+MARFA.
+Mon fils! mon fils! (Ils tombent dans les bras l'un de
+l'autre.)
+
+NADIA.
+Marfa...
+
+MARFA.
+Oui, oui, c'est moi, mon enfant bien-aimé, c'est moi, mon
+noble et courageux martyr!... laisse-moi les baiser mille fois
+ces yeux, ces pauvres yeux éteints!... Et c'est pour moi,
+c'est parce qu'il a voulu défendre sa mère qu'ils l'ont ainsi
+torturé!... Ah! pourquoi ne suis-je pas morte avant ce jour
+fatal!... Pourquoi ne suis-je pas morte, mon Dieu?
+
+STROGOFF.
+Mourir!... toi, non... non!... Ne pleure pas, ma mère, et
+souviens-toi des paroles que je dis ici: Dieu réserve à ceux
+qui souffrent d'ineffables consolations!
+
+MARFA.
+De quelles consolations me parles-tu, à moi, dont les yeux ne
+doivent plus, sans pleurer, se fixer sur les tiens?
+
+STROGOFF.
+Le bonheur peut renaître en ton âme.
+
+MARFA.
+Le bonheur?
+
+STROGOFF.
+Dieu fait des miracles, ma mère...
+
+MARFA.
+Des miracles! Que signifie?... Réponds, réponds, au nom du
+ciel!
+
+STROGOFF.
+Eh bien! apprends donc!... je, je... Ah! la joie! l'émotion de
+te retrouver... ma mère... ma...
+
+MARFA.
+Mon Dieu! la parole expire sur ses lèvres... Il pâlit... il
+perd connaissance!...
+
+NADIA.
+C'est l'émotion après tant de fatigues!
+
+MARFA.
+Il faudrait pour le ranimer!... Ah! cette gourde! (Elle prend
+la gourde que Strogoff porte à son côté.) Rien! elle est
+vide... Là-bas, de l'eau!... Va... va... Nadia! (Nadia prend
+la gourde et s'élance au fond sur le chemin qui monte vers la
+droite.) Michel, mon enfant, entends-moi, parle-moi,
+Michel!... Dis encore que tu me pardonnes tout ce que, par
+moi, tu as souffert!...
+
+STROGOFF, d'une voix éteinte.
+Mère! mère!...
+
+MARFA.
+Ah!... il revient à lui!... (A ce moment Nadia qui a rempli la
+gourde se relève, mais aussitôt le sergent tartare reparaît et
+se précipite vers elle.)
+
+LE SERGENT.
+A moi, la belle fille!...
+
+NADIA.
+Laissez-moi.
+
+LE SERGENT.
+Non!... tu viendras de gré ou de force!... (Il veut
+l'entraîner.)
+
+NADIA.
+Laissez-moi!... Laissez-moi!
+
+MARFA, apercevant Nadia.
+Le misérable... Nadia!... (Elle court à Nadia.)
+
+LE SERGENT.
+Arrière!... (Il repousse Marfa, saisit Nadia dans ses bras et
+va l'enlever.)
+
+NADIA, poussant un cri.
+A moi, pitié!... à moi!
+
+STROGOFF.
+Nadia!... (Il se redresse, se lève; puis, par un mouvement
+irrésistible, il se jette sur un des fusils déposés près de
+l'arbre, il l'arme, il ajuste le sergent et fait feu. Le
+sergent tombe mort.)
+
+MARFA ET NADIA.
+Oh!... (Toutes deux, après être restées stupéfaites un instant,
+redescendent en courant auprès de Strogoff.)
+
+STROGOFF.
+Que Dieu et le czar me pardonnent!... Cette contrainte
+nouvelle était au-dessus de mes forces!
+
+MARFA.
+Ah! Michel, mon fils, tes yeux voient la lumière du ciel!
+
+NADIA.
+Frère! Frère!... C'est donc vrai?
+
+STROGOFF.
+Oui, oui, je te vois, ma mère!... Oui, je te vois, Nadia!...
+
+MARFA.
+Mon enfant, mon enfant!... Quelle joie, quel bonheur, quelle
+ivresse!... Ah!... Je comprends tes paroles maintenant: Dieu
+garde aux affligés d'ineffables consolations...
+
+NADIA.
+Mais comment se fait-il?
+
+MARFA.
+Et d'où vient ce miracle?...
+
+STROGOFF.
+Quand je croyais te regarder pour la dernière fois, ma mère,
+mes yeux se sont inondés de tant de pleurs, que le fer rougi
+n'a pu que les sécher sans brûler mon regard!... Et comme il
+me fallait, pour sauver notre Sibérie, traverser les lignes
+tartares: "Je suis aveugle, disais-je. Le Koran me protège...
+Je suis aveugle..." et je passais!
+
+NADIA.
+Mais pourquoi ne m'avoir pas dit... à moi?...
+
+STROGOFF.
+Parce qu'un instant d'imprudence ou d'oubli aurait pu te
+perdre avec moi, Nadia!...
+
+MARFA.
+Silence!... Ils reviennent.
+
+
+SCENE VI.
+
+LES MEMES, LE CAPITAINE, SOLDATS.
+
+
+Le capitaine, suivi des soldats, arrive par le fond. On relève
+le cadavre du sergent.
+
+LE CAPITAINE.
+
+Qui a tué cet homme?
+UN SOLDAT, montrant Strogoff.
+Il n'y a ici que ce mendiant.
+
+L'OFFICIER.
+Qu'on s'empare de lui. Nous l'emmènerons au camp.
+
+STROGOFF, à part.
+M'emmener!... Et ma mission! tout est perdu!...
+
+NADIA.
+Ne savez-vous pas que mon frère est aveugle?...
+
+MARFA.
+Et qu'il n'a pu se servir de cette arme!
+
+L'OFFICIER.
+Aveugle?... Nous allons bien savoir s'il l'est réellement!
+
+MARFA, bas.
+Que va-t-il faire?
+
+L'OFFICIER.
+Tes yeux sont éteints, as-tu dit.
+
+STROGOFF.
+Oui.
+
+L'OFFICIER.
+Eh bien! je veux te voir marcher sans guide, sans appui!...
+Eloignez ces deux femmes, et toi, marche! (Il tire son épée.)
+
+STROGOFF.
+De quel côté?
+
+L'OFFICIER, tendant son épée en face de la poitrine de
+Strogoff.
+Droit devant toi.
+
+NADIA.
+Mon Dieu!
+
+MARFA, pousse un cri en fermant la bouche.
+Ah!...
+
+STROGOFF, marchant sur l'épée, et s'arrêtant au moment où la
+pointe lui entre dans la poitrine.
+Ah!... vous m'avez blessé!
+
+MARFA, s'élançant vers lui.
+Michel! mon pauvre enfant!...
+
+NADIA.
+Frère!
+
+MARFA, à l'officier.
+Vous êtes un assassin!
+
+L'OFFICIER
+Alors, c'est une de ces femmes qui a tué ce soldat!
+
+MARFA.
+C'est moi.
+
+STROGOFF, à Marfa.
+Non, ma mère! je ne veux pas... je ne veux pas...
+
+MARFA, à part, à Strogoff.
+Pour sauver notre Sibérie, il faut que tu sois libre!... Je te
+défends de parler!
+
+L'OFFICIER.
+Saisissez cette femme!... Attachez-la au pied de cet arbre, et
+qu'on la fusille!
+
+STROGOFF.
+Fusillée!... toi!...
+
+NADIA.
+Grâce!... pour elle!...
+
+MARFA.
+Dieu a compté mes jours!... Ils lui appartiennent!
+
+(Des soldats attachent Marfa à l'arbre; d'autres entraînent
+Strogoff et Nadia.)
+
+STROGOFF.
+Ma mère! ma mère!...
+
+
+ONZIEME TABLEAU.
+
+Le Radeau.
+
+
+SCENE VII.
+
+LES MEMES, JOLLIVET, BLOUNT, UN BATELIER, PLUSIEURS FUGITIFS.
+
+
+(Au moment où les Tartares vont fusiller Marfa, un radeau
+venant de la gauche apparaît sur l'Angara.)
+
+JOLLIVET.
+Une femme que des Tartares veulent assassiner!... Arrière,
+misérables!
+
+STROGOFF.
+A moi!... mes amis!
+
+L'OFFICIER, aux tartares.
+Feu! vous autres!
+
+BLOUNT.
+Jollivet, tirez sur les soldats!... Je me charge, moi, du
+capitaine! (Il tire.)
+
+L'OFFICIER, blessé.
+Ah!
+
+BLOUNT.
+Je avais bien visé, n'est-ce pas?
+
+JOLLIVET.
+Très bien visé, ami Blount!
+
+(Les Tartares entourent leur chef, pendant que Strogoff et
+Nadia détachent Marfa.)
+
+L'OFFICIER.
+Emmenez-moi aux réservoirs!... C'est l'ordre d'Ogareff!
+(Les Tartares l'emmènent.)
+
+BLOUNT, JOLLIVET.
+Vive la France! vive l'Angleterre! hurrah! hip! hip!
+
+JOLLIVET.
+Tiens! Michel Strogoff!
+
+STROGOFF.
+Merci, monsieur Jollivet! Merci, monsieur Blount!
+
+BLOUNT.
+C'était nous, infortuné aveugle!
+
+STROGOFF.
+Ne perdons pas une minute!... Ce radeau vous conduisait...
+
+JOLLIVET.
+A Irkoutsk.
+
+STROGOFF.
+A Irkoutsk!... C'est le ciel qui vous envoie.
+
+BLOUNT.
+Oui, toujours très maligne, le ciel!
+
+MARFA.
+Vous nous emmenez avec vous!
+
+JOLLIVET.
+Certes!... En descendant le cours de l'Angara, nous
+pénétrerons dans Irkoutsk à la faveur de la nuit!
+
+STROGOFF.
+Embarquons!
+
+JOLLIVET.
+Il n'est donc pas aveugle!
+
+MARFA.
+Sa tendresse filiale a sauvé mon enfant! Ses yeux, en
+m'adressant un dernier adieu, étaient inondés de tant de
+larmes!...
+
+BLOUNT.
+Ah bonne! très bien! je comprends, et je voulais instruire de
+cette chose notre Académie de médecine!
+
+JOLLIVET.
+Oui, oui, écrivez, Blount: Fer rouge excellent pour sécher les
+larmes...
+
+BLOUNT.
+Mais insiouffisant pour brûler la vue!
+
+TOUS.
+Embarquons!
+
+(Ils s'embarquent.)
+
+
+DOUZIEME TABLEAU.
+
+Les Rives de l'Angara.
+
+
+Le panorama du fond se déplace peu à peu, pendant que le
+radeau est immobile, et montre divers sites des rives du
+fleuve.
+
+
+TREIZIEME TABLEAU.
+
+Le Fleuve de naphte.
+
+La nuit est venue. Le courant de naphte s'enflamme à la
+surface du fleuve, et le radeau, vigoureusement repoussé passe
+à travers.
+
+
+QUATORZIEME TABLEAU.
+
+La Ville en feu.
+
+Irkoutsk est en feu. La population se précipite de tous côtés.
+Strogoff apparaît et s'élance à travers une porte embrasée.
+
+
+ACTE CINQUIEME
+
+
+QUINZIEME TABLEAU.
+
+Le Palais du Grand-Duc.
+
+Une chambre basse de la casemate de la porte Tchernaïa, à
+Irkoutsk. Porte au fond, portes latérales. Large fenêtre à
+droite, éclairée par le reflet de l'incendie. Tocsin sonnant à
+toute volée.
+
+
+SCENE I.
+
+LE GRAND-DUC, LE GENERAL VORONZOFF, OFFICIERS.
+
+
+LE GRAND-DUC.
+Il a fallu la main d'un barbare pour répandre sur la surface
+du fleuve tout un courant de naphte.
+
+VORONZOFF.
+Les soldats de l'émir ont, sans doute, renversé la muraille de
+l'immense réservoir du Baïkal.
+
+LE GRAND-DUC.
+Et une étincelle a suffi pour embraser ce naphte et incendier
+les maisons dont les pilotis baignent dans le fleuve! Les
+misérables! employer de pareils moyens de destruction!
+VORONZOFF.
+
+C'est une guerre de sauvages qu'ils veulent nous faire!
+Altesse, ils ont juré l'extermination de la ville!
+
+LE GRAND-DUC.
+Ils ne sont pas encore les maîtres d'Irkoutsk. Général, le feu
+a-t-il fait de nombreuses victimes?
+
+VORONZOFF.
+Presque tous les habitants sont parvenus à se sauver.
+
+LE GRAND-DUC.
+Que l'on secoure ces pauvres gens,... qu'ils soient logés dans
+mon palais, dans les établissements publics, chez tous ceux
+que l'incendie a épargnés!...
+
+VORONZOFF.
+Tous leur viennent en aide, Altesse, et rien ne leur manquera!
+Le dévouement de notre population égale son patriotisme!
+
+LE GRAND-DUC.
+Bien! Bien! Cet incendie doit être un moyen de diversion! Dès
+que le feu sera localisé que tous les défenseurs retournent
+aux remparts!
+
+VORONZOFF.
+A ce sujet, Altesse, j'ai à vous faire connaître une supplique
+pour laquelle a été invoqué mon intermédiaire.
+
+LE GRAND-DUC.
+
+Par qui m'est-elle adressée?
+VORONZOFF.
+Par tous les exilés politiques qui au début de l'invasion ont
+reçu l'ordre de rentrer dans la ville. Votre Altesse sait
+qu'il se sont bravement battus déjà et qu'elle peut compter
+sur leur patriotisme.
+
+LE GRAND-DUC.
+Je le sais!... Que demandent-ils?
+
+VORONZOFF.
+Ils demandent que Votre Altesse daigne leur faire l'honneur de
+recevoir une députation d'entre eux.
+
+LE GRAND-DUC.
+Quel est le chef de cette députation?
+
+VORONZOFF.
+Un exilé qui s'est particulièrement distingué depuis
+l'investissement de la ville.
+
+LE GRAND-DUC.
+Son nom!
+
+VORONZOFF.
+Wasili Fédor! Homme de valeur et de courage, son influence sur
+ses compagnons a toujours été très grande!
+
+LE GRAND-DUC.
+Faites entrer cette députation. (On introduit Wasili Fédor et
+ses compagnons.)
+
+
+SCENE II.
+
+LES MEMES, FEDOR, EXILES.
+
+
+LE GRAND-DUC.
+Wasili Fédor, tes compagnons et toi, vous vous êtes bravement
+battus depuis le commencement du siège! Votre patriotisme n'a
+jamais failli! La Russie ne l'oubliera pas!
+
+FEDOR.
+Nous venons demander à Votre Altesse qu'elle nous permette de
+faire plus encore pour le salut de la patrie.
+
+LE GRAND-DUC.
+Que voulez-vous?
+
+FEDOR.
+L'autorisation de former un corps spécial et le droit de
+marcher au premier rang.
+
+LE GRAND-DUC.
+Soit! Mais à un corps d'élite il faut un chef digne de le
+commander. Quel sera ce chef?
+
+TOUS.
+Wasili Fédor!
+
+FEDOR.
+Moi?
+
+TOUS.
+Oui! oui!
+
+LE GRAND-DUC.
+Tu les entends! C'est toi qu'ils ont choisi! Acceptes-tu?
+
+FEDOR.
+Oui... si le bien du pays l'exige! L'amour de la patrie est
+toujours vivace au coeur d'un exilé, et nous vous demandons à
+marcher en avant à la première sortie!
+
+TOUS.
+Oui! oui! en avant!
+
+LE GRAND-DUC.
+Wasili Fédor, tes compagnons sont courageux et forts! Je
+doublerai leur courage et leur force! Je leur donnerai à tous
+l'arme la plus puissante: la liberté!
+
+TOUS.
+La liberté!
+
+LE GRAND-DUC.
+A dater de ce moment il n'y a plus de proscrits en Sibérie!
+
+TOUS.
+Hurrah pour le Grand-Duc! Hurrah! pour la Russie.
+
+FEDOR.
+Altesse, je ne serai pas seul de ma famille à bénir votre
+nom. J'ai ma fille Nadia, qui en ce moment traverse mille
+périls pour arriver jusqu'à moi!...
+
+LE GRAND-DUC.
+Et au lieu d'un proscrit, ta fille trouvera un homme libre!
+
+UN AIDE DE CAMP, entrant précipitamment.
+Altesse, un courrier du czar!
+
+TOUS.
+Un courrier!
+
+LE GRAND-DUC.
+Un courrier qui a pu arriver jusqu'à nous! Enfin!... Qu'il
+entre! qu'il entre!...
+
+
+SCENE III.
+
+LES MEMES, IVAN.
+
+
+LE GRAND-DUC.
+Qui es-tu? Parle! parle vite.
+
+IVAN.
+Michel Strogoff, courrier du czar.
+
+LE GRAND-DUC.
+D'où viens-tu?
+
+IVAN.
+De Moscou.
+
+LE GRAND-DUC.
+Tu as quitté Moscou?
+
+IVAN.
+Le 22 août.
+
+LE GRAND-DUC.
+Et qui me prouve que tu es bien un courrier du czar, et que tu
+m'es envoyé de Russie?
+
+IVAN, tirant un papier.
+Ce permis signé du gouverneur de Moscou, et qui assurait mon
+passage à travers la Sibérie.
+
+LE GRAND-DUC.
+Mais ce permis porte le nom de Nicolas Korpanoff?
+
+IVAN.
+Je voyageais sous ce nom en qualité de marchand sibérien.
+
+LE GRAND-DUC.
+Tu as une lettre pour moi?
+
+IVAN.
+J'en avais une écrite de la main du gouverneur de Moscou, mais
+j'ai dû la détruire pour la soustraire aux Tartares qui
+m'avaient fait prisonnier.
+
+LE GRAND-DUC.
+Approche!... Que contenait cette lettre?
+
+IVAN.
+Ceci: Une armée de secours venue des provinces du Nord
+arrivera le 28 septembre.
+
+LE GRAND-DUC.
+Le 28 septembre!
+
+IVAN.
+Que Son Altesse fasse ce jour-là, -- mais ce jour-là seulement,
+-- une vigoureuse sortie, et les Tartares seront écrasés!
+
+LE GRAND-DUC.
+Ainsi celle que nous devions tenter aujourd'hui, demain... et
+chaque jour, ne pourrait que nous être funeste?... C'est dans
+quatre jours seulement!... Eh bien, quoi qu'il arrive, nous
+tiendrons jusque-là!
+
+IVAN, à part.
+Et demain les Tartares seront maîtres d'Irkoutsk!
+
+LE GRAND-DUC.
+
+Est-ce tout ce que contenait cette lettre du gouverneur de
+Moscou?
+
+IVAN.
+Non!... Il était aussi question d'un homme dont Votre Altesse
+doit se défier..., un officier russe.
+
+LE GRAND-DUC.
+Un Russe! un officier! Quel est le nom de ce traître?
+
+IVAN.
+Ivan Ogareff, maintenant le lieutenant de Féodar et
+organisateur de cette invasion.
+
+LE GRAND-DUC.
+Ivan Ogareff, jadis condamné par moi à la dégradation!
+
+IVAN.
+Il a juré de se venger de Votre Altesse et de livrer la ville
+aux Tartares!
+
+LE GRAND-DUC.
+Qu'il vienne donc, je l'attends! Ah! qu'il méritait bien, ce
+misérable, le châtiment qui l'a frappé, lui qui devait
+provoquer plus tard l'envahissement de son pays!
+
+IVAN, froidement.
+Il le méritait!
+
+LE GRAND-DUC.
+Mais, dis-moi, comment as-tu fait pour pénétrer dans Irkoutsk?
+
+IVAN.
+Pendant le dernier engagement qui vient d'avoir lieu, je me
+suis mêlé aux défenseurs de la ville, je me suis nommé, et
+l'on m'a conduit aussitôt devant Votre Altesse.
+
+LE GRAND-DUC.
+Tu as montré un grand courage, Michel Strogoff. Que demandes-tu
+pour prix de tes services?
+
+IVAN.
+Le droit de combattre pour la défense d'Irkoutsk.
+
+LE GRAND-DUC.
+Tu commanderas une des portes de la ville.
+
+IVAN.
+La porte Tchernaïa, Altesse, celle que les Tartares menacent
+le plus?
+
+LE GRAND-DUC.
+Soit! La porte Tchernaïa!
+
+VORONZOFF, qui s'est approché de la fenêtre.
+Altesse!
+
+LE GRAND-DUC.
+Qu'y a-t-il?
+
+VORONZOFF.
+Il semble que l'ennemi cherche à se rapprocher de nos
+murailles
+
+LE GRAND-DUC.
+Il nous trouvera prêts à le recevoir! Venez, messieurs!
+
+(Tous sortent excepté Ivan.)
+
+
+SCENE IV.
+
+
+IVAN, seul.
+Oui, oui, nobles défenseurs de la patrie! Allez, invincibles
+héros! L'heure de la défaite et de la mort sonnera bientôt
+pour vous! Et toi brûle, cité maudite, que tes palais soient
+anéantis par le feu! Que de tes maisons il ne reste plus que
+des cendres! Ce n'est pas une ville qu'il faut aux Tartares,
+c'est un monceau de ruines! Brûle donc, Irkoutsk, et périsse
+avec toi tout ce qui porte le nom détesté de Russe et de
+Sibérien!
+
+
+SCENE V.
+
+IVAN, STROGOFF, UN OFFICIER.
+
+
+L'OFFICIER, à Strogoff.
+Attendez ici!... Je vais aller prévenir Son Altesse le Grand-Duc
+de votre arrivée.
+
+STROGOFF.
+J'attends... Mais hâtez-vous.
+
+IVAN, à part au fond.
+Michel Strogoff. (L'officier sort.) Comment aveugle a-t-il pu
+arriver jusqu'ici?
+
+STROGOFF.
+Il n'y a pas un instant à perdre!...
+
+IVAN.
+Oh! non, pas un instant. (Appuyant sa main sur l'épaule de
+Strogoff.) Michel Strogoff, reconnais-tu ma voix?
+
+STROGOFF.
+Oui, c'est la voix d'un traître!... C'est la voix d'Ivan Ogareff.
+
+IVAN.
+Ogareff, auquel tu n'échapperas pas, cette fois!... Ogareff,
+que n'arrêtera pas ce vain commandement du Koran qui protège
+les aveugles!... Ah! tu te réjouis, n'est-ce pas? d'avoir pu
+arriver à temps pour accomplir ta mission et sauver à la fois
+Irkoutsk et le Grand-Duc?
+
+STROGOFF.
+Peut-être!
+
+IVAN.
+Tu espère encore!... mais sache donc que nous sommes seuls
+ici! Avant que nul ne vienne, mon poignard, fouillant dans ta
+poitrine, t'en arrachera le coeur.
+
+STROGOFF, froidement.
+Essaye.
+
+IVAN.
+Tu oses me braver... quand je te tiens seul et sans défense!...,
+quand je n'ai qu'à choisir la place pour te frapper! Ah!
+comme je vais bien te tuer!
+
+STROGOFF.
+J'attends! (Ivan s'approche de Strogoff, mais le coup est
+détourné, et Strogoff lui arrache son poignard.)
+
+STROGOFF.
+Eh bien, j'attends toujours.
+
+IVAN.
+Est-ce un rêve!... Un miracle n'a pu se faire pour ce
+misérable!...
+
+STROGOFF, avançant vers lui et lui prenant le bras.
+Alors, pourquoi trembles-tu?
+
+IVAN, voulant se dégager.
+Non!... C'est impossible!...
+
+STROGOFF.
+Ivan Ogareff, ton heure suprême est arrivée!... Regarde de
+tous tes yeux, regarde!...
+
+IVAN.
+Miséricorde! Il voit! il voit! il voit!
+
+STROGOFF.
+Oui, je vois sur ton visage de traître la pâleur et
+l'épouvante! Je vois la trace du knout, le stigmate de honte
+dont j'ai marqué ton front! Je vois la place où je vais te
+frapper, misérable! Ah! comme je vais bien te tuer!
+
+IVAN, se redressant.
+Soit! mais tu me frapperas debout! Je mourrai du moins en
+soldat!
+
+STROGOFF.
+En soldat, toi?... Non. Tu vas mourir comme doit mourir un
+traître, à genoux! Allons, à genoux! pour expier l'outrage
+que tu m'as infligé, à genoux! pour avoir fait honteusement
+knouter ma mère, à genoux! pour avoir trahi ta patrie... A
+genoux! misérable, à genoux!
+
+(Ivan cherche à s'emparer du poignard pour en frapper
+Strogoff, et parvient à le lui prendre. Mais Strogoff lui
+saisit la main et la dirige de telle sorte qu'Ivan se frappe
+lui-même et tombe.)
+
+
+SCENE VI.
+
+LES MEMES, LE GRAND-DUC, OFFICIERS, VORONZOFF, JOLLIVET,
+BLOUNT, MARFA, NADIA, FEDOR.
+
+
+LE GRAND-DUC.
+Emparez-vous de cet homme. (A Strogoff.) Qui es-tu, toi qui as
+assassiné un courrier du czar?
+
+STROGOFF.
+Michel Strogoff, Altesse, et voici Ivan Ogareff.
+
+MARFA, entrant.
+Oui! Michel Strogoff, mon enfant! Altesse, vous avez devant
+vous le dévouement et la trahison!
+
+JOLLIVET, montrant Strogoff.
+Et le dévouement, le voici!
+
+BLOUNT, montrant Ivan.
+Et le trahison, le voilà!
+
+LE GRAND-DUC.
+Quels sont ces hommes?
+
+STROGOFF.
+Mes braves compagnons de périls!
+
+JOLLIVET, désignant Blount.
+J'ai l'honneur de présenter à Votre Altesse monsieur Blount,
+un courageux Anglais!
+
+BLOUNT, même jeu.
+Mister Jollivet, une Française aussi coura... bien plus
+courageuse!
+
+LE GRAND-DUC.
+Et vous affirmez?...
+
+BLOUNT.
+Que celui-là était Ivan Ogareff!
+
+JOLLIVET.
+Et celui-ci est Michel Strogoff!
+
+FEDOR.
+Le sauveur de ma fille, Altesse! (Coups de canons rapprochés.)
+
+STROGOFF.
+Ecoutez! C'est le canon qui tonne!
+
+LE GRAND-DUC.
+Oui!... Les colonnes ennemies attaquent la ville! Il faut
+défendre les remparts!
+
+STROGOFF.
+Non!... Ecoutez encore!... Au canon qui gronde sous nos murs
+répond le canon plus lointain!... C'est aujourd'hui le 24
+septembre!... Voilà l'armée de secours qui arrive!...
+
+TOUS.
+L'armée de secours!
+
+STROGOFF.
+Que Votre Altesse ordonne une sortie générale, et l'armée
+tartare sera anéantie!
+
+LE GRAND-DUC.
+Allons, mes amis, au combat!
+
+TOUS.
+Au combat! (Tous sortent.)
+
+
+SEIZIEME TABLEAU.
+
+L'Assaut d'Irkoutsk.
+
+La scène représente une plaine sous les murs d'Irkoutsk. Les
+Tartares ont été écrasés, et toute l'armée russe est en scène.
+
+
+SCENE I.
+
+LE GRAND-DUC, STROGOFF, NADIA, MARFA, JOLLIVET, BLOUNT,
+VORONZOFF, FEDOR, TROUPES, ETC., ETC.
+
+
+LE GRAND-DUC.
+Soldats, grâce au courage et au dévouement de Michel Strogoff,
+nos troupes ont pu opérer leur jonction avec l'armée de
+secours! Les Tartares sont en déroute, l'émir Féofar est
+prisonnier, et Irkoutsk est délivrée!
+
+TOUS.
+Hurrah! hurrah!
+
+LE GRAND-DUC.
+Michel Strogoff, quelle récompense demandes-tu?
+
+STROGOFF;
+Je ne veux rien!... Altesse, je n'ai fait que mon devoir de
+soldat... pour Dieu, pour le Czar, pour la Patrie.
+
+(Les fanfares éclatent et les drapeaux russes se balancent
+dans les airs au milieu des hurrahs.)
+
+
+FIN.
+
+
+Typographie Firmin-Didot. -- Mesnil (Eure).
+
+
+
+
+
+
+
+End of Project Gutenberg's Michel Strogoff, by Jules Verne and A. D'Ennery
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK MICHEL STROGOFF ***
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+
+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
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+including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
+because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
+people in all walks of life.
+
+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need, is critical to reaching Project Gutenberg-tm's
+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at https://www.pglaf.org.
+
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
+https://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
+permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
+
+The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
+Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
+throughout numerous locations. Its business office is located at
+809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
+business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
+information can be found at the Foundation's web site and official
+page at https://pglaf.org
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+ Dr. Gregory B. Newby
+ Chief Executive and Director
+ gbnewby@pglaf.org
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+Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation
+
+Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
+spread public support and donations to carry out its mission of
+increasing the number of public domain and licensed works that can be
+freely distributed in machine readable form accessible by the widest
+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
+
+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
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+SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
+particular state visit https://pglaf.org
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+While we cannot and do not solicit contributions from states where we
+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
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+approach us with offers to donate.
+
+International donations are gratefully accepted, but we cannot make
+any statements concerning tax treatment of donations received from
+outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
+
+Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including including checks, online payments and credit card
+donations. To donate, please visit: https://pglaf.org/donate
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+Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
+works.
+
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+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
+
+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
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+Project Gutenberg (https://www.gutenberg.org) public repository for
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