diff options
| author | Roger Frank <rfrank@pglaf.org> | 2025-10-15 02:32:57 -0700 |
|---|---|---|
| committer | Roger Frank <rfrank@pglaf.org> | 2025-10-15 02:32:57 -0700 |
| commit | ba8ec3fa7772501a399e18b151b5c012917eac04 (patch) | |
| tree | c34a11f702acbb95060b8061c8883d501b0c65e4 | |
| -rw-r--r-- | .gitattributes | 3 | ||||
| -rw-r--r-- | 26823-8.txt | 5689 | ||||
| -rw-r--r-- | 26823-8.zip | bin | 0 -> 52761 bytes | |||
| -rw-r--r-- | LICENSE.txt | 11 | ||||
| -rw-r--r-- | README.md | 2 |
5 files changed, 5705 insertions, 0 deletions
diff --git a/.gitattributes b/.gitattributes new file mode 100644 index 0000000..6833f05 --- /dev/null +++ b/.gitattributes @@ -0,0 +1,3 @@ +* text=auto +*.txt text +*.md text diff --git a/26823-8.txt b/26823-8.txt new file mode 100644 index 0000000..8d819e5 --- /dev/null +++ b/26823-8.txt @@ -0,0 +1,5689 @@ +Project Gutenberg's Michel Strogoff, by Jules Verne and A. D'Ennery + +This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with +almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: Michel Strogoff + Pièce à grand spectacle en 5 actes et 16 tableaux + +Author: Jules Verne + A. D'Ennery + +Release Date: October 7, 2008 [EBook #26823] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK MICHEL STROGOFF *** + + + + +Produced by Daniel Fromont + + + + + + + + + +[Transcriber's note: Jules Verne (1828-1905) et A. D'Ennery (1811-1899), +_Michel Strogoff -- pièce à grand spectacle en 5 actes et 16 tableaux_ +(1880), édition Hetzel] + + + + + +PRIX 50 CENTIMES + +Tous droits de traduction et de reproduction réservés + +J. HETZEL ET Cie, 18 RUE JACOB, PARIS + + +MICHEL STROGOFF + + +PIECE A GRAND SPECTACLE EN 5 ACTES ET 16 TABLEAUX + +DE MM. A. D'ENNERY ET JULES VERNE + +MUSIQUE DE M. ARTUS. -- DECORS DE MM. CHERET, BUDE, CHAPRON, + +LAVASTRE, NEZEL. + + +_représentée pour la première fois à Paris, sur le théâtre du +Châtelet, le 17 novembre 1880_. + + +DISTRIBUTION DE LA PIECE A LA 1RE REPRESENTATION + + +MICHEL STROGOFF M. MARAIS + +IVAN OGAREFF M. PAUL DESHAYES + +BLOUNT M. DAILLY + +JOLLIVET M. JOUBARD + +LE GRAND-DUC M. BOUVER + +LE GOUVERNEUR DE MOSCOU M. ROSNY + +WASSILI FEDOR M. COULOMBIER + +LE MAITRE DE POLICE M. DONATO + +L'EMIR FEOFAR M. ROMANI + +LE GENERAL KISOFF M. FRUGERCE + +UN CAPITAINE TARTARE M. VIALDI + +LE MAITRE DE POSTE M. VIVIER + +LE GENERAL VORONZOFF M. RAYMOND + +UN EMPLOYE DU TELEGRAPHE M.DEBRAY + +PREMIER FUGITIF M. SAMSON + +DEUXIEME FUGITIF M. ANDRIEU + +UN AIDE DE CAMP M. DEGUY + +UN AGENT DE POLICE M. BRANCHE + +UN GRAND PRETRE M. MAILLART + +DEUXIEME AIDE DE CAMP M. ALFRED + +UN SERGENT TARTARE M. JULES + +PREMIER VOYAGEUR M. AUGUSTE + +DEUXIEME VOYAGEUR M. CARTEREAU + +UN BOHEMIEN M. AUDUREAU + +MARFA STROGOFF Mme Marie LAURENT + +NADIA FEDOR Mme AUGE + +SANGARRE Mme PAUL DESHAYES + + +DESIGNATION DES TABLEAUX. + +1er. -- Le Palais Neuf. + +2e. -- Moscou illuminé. + +3e. -- Le Relai de poste. + +4e. -- L'Isba du télégraphe. + +5e. -- Le Champ de bataille de Kolyvan. + +7e. -- La Tente d'Ivan Ogareff. + +8e. -- Le Camp de l'Emir. + +9e. -- La Fête tartare. + +10e. -- La Clairière. + +11e. -- Le Radeau. + +12e. -- Les Rives de l'Angara. + +13e. -- Le Fleuve de naphte. + +14e. -- La Ville en feu. + +15e. -- Le Palais du Grand-Duc. + +16e. -- L'Assaut d'Irkoutsk. + + +DEUX GRANDS BALLETS REGLES PAR M. A. FUCHS. + + + + +ACTE PREMIER. + + +PREMIER TABLEAU. + +Le Palais Neuf. + +Une galerie à arcades, splendidement parée et éclairée, +attenant à droite aux salons de réception du palais, à gauche +au cabinet du gouverneur de Moscou. Portes à droite et à +gauche dans les pans coupés. A gauche, la vaste baie d'une +fenêtre à large balcon. + + +SCENE I. + +JOLLIVET, GENERAL KISSOFF, AIDES DE CAMP, OFFICIERS, INVITES +CIVILS, ETC. + + +(Ces divers personnages, groupés à droite, près de la porte du +salon, regardent danser. On entend l'orchestre du bal.) + +L'AIDE DE CAMP. +Les salons peuvent à peine contenir la foule des invités! + +LE GENERAL. +Oui, et les groupes de danseurs finiront par refluer jusque +dans cette galerie... C'est magnifique! + +JOLLIVET. +Quel est donc le voyageur qui a osé parler des froids de la +Russie, général? + +LE GENERAL. +La Russie de juillet n'est pas la Russie de janvier, monsieur +Jollivet. + +JOLLIVET. +Non, certes, mais on croirait que monsieur le gouverneur a +pour cette nuit transporté Moscou sous les tropiques! Ce +jardin d'hiver, qui relie les appartements privés de Son +Excellence avec les grands salons de réception, est vraiment +merveilleux! + +LE GENERAL. +Que pensez-vous de cette fête, monsieur le reporter? + +JOLLIVET, montrant son carnet. +Voici ce que je viens de télégraphier, général: +_Fête que gouverneur de Moscou donne en honneur de Sa Majesté +Empereur de toutes Russies, splendide!_ + +LE GENERAL. +A merveille! Les journaux français parleront de nous en bons +termes. Il en sera de même des journaux anglais, je pense, +grâce à M. Blount, votre confrère. + +JOLLIVET. +L'orgueilleux et irascible M. Blount, qui prétend que +l'Angleterre, cette reine de l'univers, comme il l'appelle, et +le _Morning-Post_, ce roi des journaux, comme il le nomme aussi, +doivent toujours être informés les premiers de tout ce qui se +passe sur le globe terrestre! + +LE GENERAL. +Ah! tenez, le voici. + + +SCENE II. + +LES MEMES, BLOUNT. + + +JOLLIVET. +Je parlais précisément de vous, monsieur Blount! + +BLOUNT. +Oh! c'était une grande honneur que vous faisiez... + +JOLLIVET. +Mais non, mais non! + +BLOUNT. +Que vous faisiez à vous-même! + +JOLLIVET, riant. +Merci! Il est charmant. Avouez, monsieur Blount, que si vous +avez, comme je n'en doute pas, un excellent coeur, l'écorce est +furieusement rude! + +BLOUNT. +Mister Jollivet, quand une bonne reporter anglaise quittait +son pétrie, il devait emporter beaucoup de guinées, de bons +yeux, de bons oreilles, une bonne estomac, et laisser son coeur +dans son fémille! + +JOLLIVET. +Et c'est ainsi que vous voyagez, monsieur Blount? + +BLOUNT. +Yes!... si vous permettez... + +JOLLIVET. +Sans la moindre sympathie pour un confrère d'outre-Manche? + +BLOUNT. +Si vous permettez, mister Jollivet!... Et si vous permettez +pas,... ce était tout à fait la même chose! + +JOLLIVET. +Vous êtes admirable de franchise et de bonhomie! + +(Musique au dehors.) + +LE GENERAL. +Si je ne me trompe, messieurs, ces Tsiganes qui ont demandé à +se faire entendre au bal du gouverneur, vont commencer leur +concert. Je vous engage à écouter cela! C'est fort curieux! + +JOLLIVET. +Certainement, certainement, général... + +(Le général se dirige vers le salon et les invités se +rapprochent de la porte. Blount et Jollivet restent en scène.) + +JOLLIVET, s'asseyant. +Ma foi, il fait trop chaud par là, je reste ici. (Blount +s'assied de l'autre côté, tire son carnet et se met à écrire.) +Permettez-moi, monsieur Blount, de risquer une phrase toute +française! "Cette petite fête est vraiment charmante." + +BLOUNT, froidement. +J'avais déjà télégraphié: "splendide," aux lecteurs du +_Morning-Post_. + +JOLLIVET. +Très bien. Mais, au milieu de cette splendeur, il y a un point +noir. On parle tout bas d'un soulèvement tartare qui menace +les provinces sibériennes!... Aussi ai-je cru devoir écrire à +ma cousine... + +BLOUNT, froidement. +Cousine... Ah!... c'est avec son cousine... que M. Jollivet +correspondait? + +JOLLIVET. +Oui, monsieur Blount, oui!... Vous correspondez avec votre +journal, moi avec ma cousine Madeleine! C'est plus galant! Or, +elle aime à être informée vite et bien, ma cousine! J'ai donc +cru devoir lui marquer que, pendant cette fête, une sorte de +nuage avait obscurci le front du gouverneur!... + +BLOUNT. +Il avait une front rayonnante, au contraire! + +JOLLIVET, riant. +Et vous l'avez fait rayonner dans les colonnes du +_Morning-Post?_... + +BLOUNT. +Ce que je télégraphie intéresse mon journal et moi, seulement, +mister Jollivet. + +JOLLIVET. +Votre journal et vous seulement, monsieur Blount. Eh bien, +mais c'est avouer alors que cela n'intéresse guère vos +lecteurs! + +BLOUNT, furieux. +Mister Jollivet! + +JOLLIVET souriant. +Monsieur Blount! + +BLOUNT. +Vous moquez toujours de moi, et je permettais pas, entendez-vous... +Je permettais pas! + +JOLLIVET. +Mais non... mais non!... + + +SCENE III. + +LES MEMES, LE GENERAL, LE GOUVERNEUR, OFFICIERS, +INVITES. + + +LE GOUVERNEUR. +Bravo! Bravo! Ces Tsiganes sont vraiment pleines d'originalité +et méritent leur réputation! (Aux reporters.) Ah! messieurs, +vous étiez à votre poste pour les entendre! + +JOLLIVET. +Elles sont charmantes, monsieur le gouverneur!... C'est ce que +me disait à l'instant mon excellent confrère et ami, M. +Blount. + +BLOUNT. +Confrère, oui... Ami, non. + +LE GOUVERNEUR, riant. +Il y a là quelques jolies filles qui feront fortune!... (Il +passe vers la gauche, après avoir pris le bras du général +Kissoff.) + +JOLLIVET. +Dites donc, monsieur Blount, il a l'air bien joyeux, M. le +gouverneur! Il faut qu'il soit terriblement inquiet!... Qu'en +pensez-vous, monsieur Blount?... + +BLOUNT, sèchement. +Ce que je pensai ne regardait pas vous! (Ils se séparent et se +mêlent aux divers groupes.) + +LE GOUVERNEUR, au général. +Parle-t-on du soulèvement tartare, général? + +LE GENERAL. +Oui, et peut-être plus qu'il ne conviendrait! Je ne serais pas +étonné qu'au sortir du bal, ces deux reporters n'allassent +exercer leur métier de chroniqueurs de l'autre côté de la +frontière. + +LE GOUVERNEUR. +Ils connaissent, sans aucun doute, cette grave nouvelle d'un +soulèvement qui jette une moitié de l'Asie sur l'autre! -- Le +fil fonctionne toujours entre Moscou et Irkoutsk? + +LE GENERAL. +Oui! Votre Excellence peut le réquisitionner pour le compte du +gouvernement et l'interdire au public. + +LE GOUVERNEUR. +C'est inutile. L'important était que le Grand-Duc, en ce +moment à Irkoutsk, fût averti. Il sait que Féofar-Khan, l'émir +de Bouckhara, a soulevé les populations tartares, qu'à sa voix, +elles ont envahi la Sibérie; mais il sait aussi, par notre +dernier télégramme, que nos troupes des provinces du nord sont +maintenant parties pour le secourir. Il sait le jour exact où +cette armée arrivera en vue d'Irkoutsk, et où il devra faire +une sortie générale pour écraser les Tartares!... + +LE GENERAL. +Nos troupes auront facilement raison de ces hordes sauvages! + +LE GOUVERNEUR. +Ce qui m'étonne, c'est que ce Féofar ait pu concevoir le plan +de ce soulèvement et le mettre à exécution. Lorsqu'il a tenté +une première fois d'envahir nos provinces sibériennes, il +avait, pour le seconder, ce général Ivan Ogareff, qui, +maintenant, expie sa trahison dans la citadelle de Polstock; +mais, cette fois, le khan de Tartarie, livré à ses propres +inspirations, n'a plus Ogareff auprès de lui... et je ne puis +m'expliquer... + + +SCENE IV. + +LES MEMES, IVAN, SANGARRE, TSIGANES. + + +Ivan est sorti du salon et s'est rapproché du gouverneur. +Sangarre et ses Tsiganes sont restées au fond. -- Les reporters +et les officiers causent avec elles. + +IVAN, déguisé en vieux bohémien et parlant du ton le plus +humble. +Monsieur le gouverneur... monseigneur... + +LE GOUVERNEUR. +Qu'est-ce?... Ah! c'est toi, vieux bohémien! Que me veux-tu? + +IVAN. +Je viens demander à Votre Excellence si elle est satisfaite +des Tsiganes, auxquelles on a bien voulu réserver une place +dans le programme de cette fête? + +LE GOUVERNEUR. +Enchanté,... et j'aime à croire que, de ton côté, tu n'auras +pas à te plaindre!... Bien rafraîchis, bien payés?... + +IVAN. +Oui, monseigneur, oui!... Aussi, je ne voulais pas prendre +congé de Votre Excellence, sans l'avoir humblement remerciée! +Sangarre se joint à moi!... + +LE GOUVERNEUR. +Sangarre?... Ah! cette belle fille que j'aperçois là? + +IVAN, faisant signe à Sangarre de s'approcher. +Oui... Sangarre est la véritable directrice de ces Tsiganes, +Excellence!... A elle revient la meilleure part des +compliments que vous avez dédaigné leur adresser! (Sangarre +reste fièrement campée sans mot dire.) + +LE GOUVERNEUR. +Elle ne parle pas le russe? + +IVAN. +Hélas! non, monseigneur. Aussi, moi, le vieux bohémien, je +suis leur factotum, j'organise les concerts, je traite pour +les fêtes. Sans moi, la petite troupe serait souvent +embarrassée. C'est même à ce propos que je venais solliciter +une faveur de Votre Excellence... + +LE GOUVERNEUR. +De quoi s'agit-il?... + +IVAN. +C'est demain que finissent les fêtes en l'honneur du czar. +Nous n'avons donc plus rien à faire ici, et notre intention +est de repasser la frontière. + +LE GOUVERNEUR. +Ah! vous voulez retourner en Sibérie? + +IVAN. +C'est un peu notre pays... Excellence. Or, la frontière va +être encombrée par tous ces marchands d'origine asiatique, qui +retournent dans leurs provinces. On sera arrêté à chaque +instant aux postes de police, et... + +LE GOUVERNEUR. +Eh bien! n'as-tu pas un passeport en règle? + +IVAN. +Sans doute, monseigneur; mais, Votre excellence le sait mieux +que moi, un passeport en règle, ça n'existe guère en Russie. +Il y manque toujours quelque petite chose!... tandis que si +Votre excellence, qui a daigné se montrer satisfaite de nous, +voulait bien m'en donner un... spécial, revêtu de sa +signature..., avec ce précieux talisman, nul obstacle à +redouter... et... je pourrais partir en avant, afin de préparer +les étapes de notre troupe! + +LE GOUVERNEUR. +Soit! Toi et les tiens, vous êtes de braves gens qui avez fait +grand plaisir au Palais Neuf, et je ne refuse pas de vous être +agréable. + +IVAN. +Je baise humblement les mains de Votre Excellence. + +LE GOUVERNEUR. +Et quand comptes-tu quitter Moscou? + +IVAN. +Moi?... demain... au lever du soleil, monseigneur, avant que +les portes de la ville ne soient encombrées par les milliers +d'étrangers qui vont partir. + +LE GOUVERNEUR. +Eh bien! dis à cette belle fille, ta compagne, que rien ne +retardera ton voyage, ni le sien. Je vais d'abord faire +préparer ton passeport, et celui-là... sera bien en règle. (Le +gouverneur sort par la gauche. Le général remonte vers les +groupes d'invités.) + + +SCENE V. + +IVAN, SANGARRE. + + +IVAN, se redressant après avoir regardé si personne ne +l'observe. +Et dans quelques jours, j'aurai passé la frontière! + +SANGARRE. +Et c'est alors, Ivan, que tu seras réellement libre. + +IVAN. +Libre!... je le suis déjà, grâce à toi, qui m'as fait évader +de la forteresse de Polstock, où le czar, que je hais, me +retenait prisonnier! C'est par toi, par tes Tsiganes dévouées, +que j'ai pu correspondre avec Féofar-Khan! C'est grâce à toi, +enfin, que j'ai pu pénétrer dans le palais du gouverneur, et +que je vais obtenir ce passeport, sans lequel je n'aurais +jamais pu franchir la frontière pour aller rejoindre les +armées de l'émir!... Sangarre, je ne l'oublierai pas. + +SANGARRE. +Depuis le jour où tu m'as sauvée, pendant cette guerre de +Khiva, depuis que le colonel Ivan Ogareff a ramené à la vie la +Tsigane que les Russes venaient de knouter comme espionne, la +Tsigane t'appartient corps et âme! Elle est devenue la +mortelle ennemie de ces Russes qu'elle hait autant que tu les +hais toi-même! Ivan, il n'y a plus rien de moscovite en toi! +Que ton épaule saigne toujours à l'endroit où l'on a arraché +l'épaulette comme mon épaule saignera toujours à l'endroit où +le knout l'a déchirée! + +IVAN. +Ne crains rien!... ma vengeance sera de pair avec la +tienne!... + +SANGARRE. +Ah! je la retrouverai cette Sibérienne,... cette Marfa +Strogoff qui m'a dénoncée aux Russes!... Je la retrouverai, +dussé-je aller la saisir jusque dans Kolyvan dont les Tartares +vont bientôt s'emparer!... + +IVAN. +Comme ils s'empareront d'Irkoutsk, conduits par moi à l'assaut +de cette capitale! Ah! Grand-Duc maudit, en me cassant de mon +grade, en me faisant emprisonner, tu as fait manquer ce +premier soulèvement que j'avais organisé! Mais, je suis libre +maintenant! Rien ne pourra sauver Irkoutsk, et là, tu périras, +d'une mort infamante, sur les murs mêmes de la ville en +flammes! + +SANGARRE. +Oui, mais il faudrait éviter tout retard, et ce passeport +promis par le gouverneur... + +IVAN. +Dans cinq minutes je l'aurai, et je m'élancerai, d'un seul +vol, de Moscou aux avant-postes de l'émir! Prends garde, on +vient!... + + +SCENE VI. + +LES MEMES, LE GOUVERNEUR, puis UN AIDE DE CAMP. + + +Le gouverneur rentre par la gauche, tenant un passeport à la +main. + +LE GOUVERNEUR. +Tiens, es-tu content? Regarde. (Il remet le passeport à Ivan.) + +IVAN, après avoir lu. +Ah! Excellence, avec un pareil permis, on passe partout! Il +n'y manque plus... + +LE GOUVERNEUR. +Que ma signature, et je vais à l'instant même... (Il +s'approche de la table, s'assied et prend la plume. Un aide de +camp entre.) + +L'AIDE DE CAMP. +Un pli pour Son Excellence! (Il remet un pli cacheté. Le +gouverneur le lit.) + +SANGARRE, à Ivan. +Mais il ne signera donc pas! + +IVAN, bas. +Patience! + +LE GOUVERNEUR, au général qu'il emmène à gauche. +Général, nous parlions tout à l'heure du colonel Ivan Ogareff. + +SANGARRE, à part. +Ton nom! + +IVAN, bas. +Tais-toi! + +LE GOUVERNEUR. +Ce traître qui fut cassé de son grade et condamné à mort pour +avoir fomenté, une fois déjà, le soulèvement des Tartares... + +LE GENERAL. +Oui, Ogareff, dont l'empereur a commué la peine en une +perpétuelle détention dans la forteresse de Polstock. + +LE GOUVERNEUR. +Il s'est échappé récemment de sa prison. Voilà ce qu'on +m'écrit du cabinet de Pétersbourg: _Ivan Ogareff s'est +enfui!_... Il faut mettre toute notre police sur sa trace. + +LE GENERAL. +Nous ferons très sévèrement garder la frontière que, sans +passeport, il ne pourra franchir. + +LE GOUVERNEUR, s'asseyant à la table et écrivant. +Que les ordres soient transmis sans retard. Il importe que le +Grand-Duc soit prévenu au plus tôt, car cette lettre du +ministre me marque que, d'après une correspondance, saisie +depuis l'évasion d'Ivan Ogareff, le plan de ce traître serait +de pénétrer dans Irkoutsk, et s'il y parvient, c'est la mort +du Grand-Duc, objet de sa haine personnelle! + +IVAN, à Sangarre. +Mais ils savent donc tout?... Allons... (S'approchant.) +Excellence! + +LE GOUVERNEUR. +Que me veut-on?... Qui ose se permettre?... + +IVAN. +Pardon, monseigneur... + +LE GOUVERNEUR. +Ah! c'est toi!... Eh bien!... Eh bien!...attends! (Il continue +d'écrire.) + +IVAN, bas. +Que va-t-il décider? + +LE GOUVERNEUR, se levant. Au général. +Faites partir cette dépêche. Grâce à elle ce misérable ne +passera pas la frontière, et toi... (Ivan s'incline.) tiens, +voici ton permis... Personne n'entravera ta route! + +IVAN, avec ironie. +Monseigneur, vous ne saurez jamais tout ce que je vous dois de +reconnaissance! + +LE GOUVERNEUR. +C'est bon, c'est bon!... Va! + +IVAN, à part. +Viens, Sangarre... Libre maintenant, et bientôt vengé! +(Ivan, Sangarre et les Tsiganes sortent par la porte de +gauche, en même temps que Jollivet et Blount entrent par la +droite.) + + +SCENE VII. + +LE GOUVERNEUR, LE GENERAL, JOLLIVET, BLOUNT, INVITES. + + +LE GOUVERNEUR, aux invités. +Eh bien, messieurs, n'entendez-vous pas l'orchestre qui vous +appelle? Voulez-vous autoriser les journaux étrangers à dire +qu'une fête donner en l'honneur de Sa Majesté n'a pas duré +jusqu'au jour? Nous avons là des correspondants qui, j'en suis +sûr, notent nos moindres impressions! + +JOLLIVET. +Monsieur le gouverneur, les reporters sont curieux, mais non +des indiscrets. + +BLOUNT. +Curiousses toujours, indiscrètes jamais... les reporters +anglais... jamais! + +JOLLIVET. +D'ailleurs, en ce qui me concerne, je compte quitter Moscou +après le bal, et je prie Votre Excellence de recevoir mes +sincères remerciements. + +BLOUNT. +Je priai de recevoir aussi les miennes... avant... + +JOLLIVET, riant. +Oui, ceux de monsieur... avant, pour votre bienveillant +accueil... + +LE GOUVERNEUR. +Et de quel côté dirigez-vous vos pas, messieurs? + +BLOUNT. +Moi... côté de Sibérie. + +JOLLIVET. +Moi, de même!... Nous allons voyager ensemble, cher collègue! + +BLOUNT. +Dans le même temps, oui... ensemblement... non! + +JOLLIVET. +Toujours charmant, M. Blount! + +LE GOUVERNEUR. +Bon, je comprends!... On a parlé d'un mouvement en Tartarie... +Mais cela ne vaut pas la peine que vous vous dérangiez! + +JOLLIVET. +Pardon, Excellence, mon métier est de tout voir... + +BLOUNT. +Le mienne, de tout voir et de tout entendre... avant! + +JOLLIVET. +Et mon journal... je veux dire... ma cousine, est très friande +de ces nouvelles, dont elle recevra la primeur. + +BLOUNT. +Le _Morning-Post_ recevra... + +JOLLIVET. +Avant?... Impossible, cher confrère... Les dames sont toujours +servies les premières! + +LE GOUVERNEUR. +En tout cas, messieurs, vous m'appartenez jusqu'au jour, et je +veux qu'après avoir assisté à la fête officielle, vous +assistiez, du haut de ce balcon, à la fête populaire qui va +commencer à minuit. + +JOLLIVET. +Soit, nous partirons demain!... Si vous me le permettez, je +vous ferai une proposition, monsieur Blount! Nous sommes +rivaux. + +BLOUNT. +Ennemis, mister! + +LE GOUVERNEUR, riant. +Ennemis! + +JOLLIVET. +Ennemis, c'est convenu!... Mais, attendons, pour ouvrir les +hostilités, que nous soyons sur le théâtre de la guerre... et +une fois là, chacun pour soi, et Dieu pour... + +BLOUNT. +Et Dieu pour moi. + +JOLLIVET. +Et Dieu pour vous!... Pour vous tout seul!... Très bien. Cela +va-t-il? + +BLOUNT. +Non!... cela ne allait pas! + +JOLLIVET. +Alors, la guerre tout de suite... mais je suis bon prince. +(Lui prenant le bras et l'emmenant à l'écart.) Je vous annonce, +petit père, comme disent les Russes, que les Tartares ont +descendu le cours de l'Irtyche. + +BLOUNT. +Ah! vous pensez que les Tertères... + +JOLLIVET, riant. +Et si je vous le dis, mon cher ennemi, c'est que j'en ai +télégraphié la nouvelle à ma cousine, hier soir, à huit heures +moins un quart! (Riant.) Ah! ah! ah! + +BLOUNT. +Et moi, hier, je l'avais télégraphié au _Morning-Post_, à sept +heures et demie... Ah! ah! ah! + +JOLLIVET. +L'animal!... Je vous revaudrai ça, mon bon gros monsieur +Blount! + +BLOUNT. +Vous moquez-vous encore, monsieur?... + +JOLLIVET. +Eh bien, non, mon bon petit monsieur Blount!... là! + +BLOUNT. +Vous moquez toujours! + +JOLLIVET. +Non... + +BLOUNT, furieux. +Vous moquez, je vous dis!... Vous moquez, monsieur, vous êtes +une mauvaise vilaine homme!... une méchante personnage!... +vous êtes une... (Tranquillement) Comment vous appelez une +personne qui parle sans politesse?... + +JOLLIVET. +Un impertinent. + +BLOUNT, tranquillement. +Impertinente... Very well... merci! (Reprenant un ton +furieux.) Vous êtes une impertinente, entendez-vous!... + +JOLLIVET. +Très bien! + +BLOUNT. +Et si vous continouyez!... + +JOLLIVET. +Et si je continouye?... + +BLOUNT. +Je finissais un jour par touyer vous! + +JOLLIVET. +Me touyer?... Comprends pas. + +BLOUNT. +Oui!... touyer avec une épi... + +JOLLIVET. +Un épi de blé? + +BLOUNT. +Non... une épi ou une pistolette... + +JOLLIVET. +Epée! On dit une épée... ou un pistolet. + +BLOUNT. +Epée vous dites? + +JOLLIVET. +Oui. + +BLOUNT. +Et pistolet? + +JOLLIVET. +Oui. + +BLOUNT. +Oh! Very well, merci. (Avec colère.) Eh bien, je tuerai vous, +avec une épi... épée ou un pistolet! + +JOLLIVET. +A la bonne heure!... Vous faites des progrès, élève Blount!... +Je suis content de vous! + +BLOUNT. +Mister Jollivette. + +JOLLIVET. +Jollivet, s'il vous plaît!... Jollivette est ridicule. + +BLOUNT. +Alors, j'appelai vous toujours Jollivette. (Avec force.) +Jollivette!... Jollivette!... Jollivette!... Ah!... + +LE GOUVERNEUR, rentrant. +Messieurs, j'entends les premiers accords de l'orchestre... +C'est notre danse nationale. + +JOLLIVET. +Nous sommes à la disposition de Votre Excellence. + +(Tous deux entrent dans le salon. Au moment où le gouverneur +et le général vont franchir la porte, l'aide de camp rentre +précipitamment par la gauche.) + + +SCENE VIII. + +LE GOUVERNEUR, LE GENERAL, L'AIDE DE CAMP. + + +L'AIDE DE CAMP, à demi-voix. +Excellence, le fil télégraphique de Moscou à Irkoutsk est +coupé! + +LE GOUVERNEUR. +Que me dites-vous là? + +L'AIDE DE CAMP. +Les dépêches s'arrêtent à Kolyvan, à mi-chemin de la route +sibérienne, dont les Tartares sont les maitres! + +(Sur un signe du gouverneur les portières retombent.) + +LE GOUVERNEUR. +En sorte que la dépêche que nous avons transmise au Grand-Duc, +celle qui désignait le jour où doit arriver, en vue +d'Irkoutsk, l'armée de secours?... + +L'AIDE DE CAMP. +Cette dépêche n'a pu parvenir à Son Altesse. + +LE GOUVERNEUR. +Ainsi, les Tartares,maitres de la route! La Sibérie orientale +séparée du reste de l'empire moscovite! Le Grand-Duc, non +prévenu du jour où il doit être secouru, où il doit opérer sa +sortie!... Il faut à tout prix... (Au général.) Général, n'y +a-t-il pas au palais une compagnie de courriers du czar? + +LE GENERAL. +Oui, Excellence. + +LE GOUVERNEUR, se mettant à écrire. +Connaissez-vous, dans cette compagnie, un homme qui puisse, à +travers mille dangers, porter une lettre à Irkoutsk? + +LE GENERAL. +Il en est un dont je répondrais à Votre Excellence, et qui a +plusieurs fois rempli, avec succès, des missions difficiles. + +LE GOUVERNEUR. +A l'étranger? + +LE GENERAL. +En Sibérie même. + +LE GOUVERNEUR +Qu'il vienne. (Le général dit un mot à l'aide de camp qui sort +par la droite.) Il a du sang-froid, de l'intelligence, du +courage?... + +LE GENERAL. +Il a tout ce qu'il faut pour réussir là où d'autres +échoueraient. + +LE GOUVERNEUR. +Son âge? + +LE GENERAL. +Trente ans. + +LE GOUVERNEUR. +C'est un homme vigoureux? + +LE GENERAL. +Il a déjà prouvé qu'il peut supporter jusqu'aux dernières +limites le froid, la faim et la fatigue! Il a un corps de fer, +un coeur d'or! + +LE GOUVERNEUR. +Il se nomme? + +LE GENERAL. +Michel Strogoff. + +LE GOUVERNEUR. +Il faut que ce courrier arrive jusqu'au Grand-Duc, ou la +Sibérie est perdue! + + +SCENE IX. + +LES MEMES, STROGOFF. + + +(Michel Strogoff entre, et reste immobile, militairement. Le +gouverneur l'observe un moment sans parler.) + +LE GOUVERNEUR. +Tu te nommes Michel Strogoff? + +STROGOFF. +Oui, Excellence. + +LE GOUVERNEUR. +Ton grade? + +STROGOFF. +Capitaine au corps des courriers du czar. + +LE GOUVERNEUR. +Tu connais la Sibérie? + +STROGOFF +Je suis né à Kolyvan. + +LE GOUVERNEUR. +As-tu encore des parents dans cette ville? + +STROGOFF. +Oui... ma mère! + +LE GOUVERNEUR. +Tu ne l'as pas vue depuis?... + +STROGOFF. +Depuis deux ans!... mais je viens d'obtenir un congé pour +aller la revoir, et je vais partir. + +LE GOUVERNEUR. +Il n'est plus question de congé! Il n'est plus question de ta +mère! Je vais te remettre une lettre que je te charge, toi, +Michel Strogoff, de porter au Grand-Duc, frère du czar. + +STROGOFF. +Je porterai cette lettre. + +LE GOUVERNEUR. +Le Grand-Duc est à Irkoutsk. + +STROGOFF. +J'irai à Irkoutsk. + +LE GOUVERNEUR. +Mais, tu ignores que le pays est envahi par les Tartares, qui +auront intérêt à intercepter ta lettre, et il faudra traverser +ce pays! + +STROGOFF. +Je le traverserai. + +LE GOUVERNEUR. +Passeras-tu par Kolyvan? + +STROGOFF. +Oui, puisque c'est la route la plus directe. + +LE GOUVERNEUR. +Mais, si tu vois ta mère, tu risques d'être reconnu! + +STROGOFF. +Je ne la verrai pas. + +LE GOUVERNEUR. +Tu seras pourvu d'argent et muni d'un passeport au nom de +Nicolas Korpanoff, marchand sibérien. Ce passeport te +permettra de requérir les chevaux de poste. Il autorisera, en +outre, Nicolas Korpanoff à se faire accompagner, s'il le juge +à propos, d'une ou plusieurs personnes, et il sera respecté +même dans le cas où tout gouverneur ou maitre de police +prétendrait entraver ton passage. Tu voyageras donc sous le +nom de Korpanoff. + +STROGOFF. +Oui, Excellence. + +LE GOUVERNEUR. +Voici cette lettre de laquelle dépend, avec la vie du Grand-Duc, +le salut de toute la Sibérie! + +STROGOFF. +Elle sera remise à Son Altesse. + +LE GOUVERNEUR. +Il se peut que dans quelque circonstance grave, désespérée, tu +sois contraint de l'anéantir!... Il faut donc que tu saches ce +qu'elle renferme, afin de pouvoir le redire au Grand-Duc, si +tu arrives jusqu'à lui. + +STROGOFF. +J'écoute. + +LE GOUVERNEUR, lisant la lettre. +_Le colonel Ivan Ogareff s'est enfui de la forteresse de +Polstock. Il veut pénétrer dans Irkoutsk, et livrer la ville +aux Tartares. Il importe donc de se défier de ce traître. Si, +comme nous l'espérons, ce message arrive en temps utile à Son +Altesse, le Grand-Duc est prévenu qu'une armée de secours sera +en vue d'Irkoutsk, le 24 septembre, et qu'une sortie générale, +exécutée ce jour-là, écrasera les ennemis entre deux feux_... (Il +referme la lettre. A Strogoff.) Tu as entendu et tu te +souviendras? + +STROGOFF. +J'ai entendu et je me souviendrai. + +LE GOUVERNEUR. +Tu traverseras les lignes tartares! Tu passeras quand même! + +STROGOFF. +Je passerai ou l'on me tuera. + +LE GOUVERNEUR. +Le czar a besoin que tu vives! + +STROGOFF. +Je vivrai... et je passerai. + +LE GOUVERNEUR. +Jure-moi que rien ne pourra te faire avouer, ni qui tu es, ni +où tu vas! + +STROGOFF. +Je le jure. + +LE GOUVERNEUR. +Pars donc, et quand il s'agira de surmonter les plus grands +obstacles, de braver les plus menaçants périls, redis-toi ces +paroles sacrées: "Pour Dieu, pour le czar... + +STROGOFF. +Pour la patrie!" + +Strogoff sort par la droite, après avoir salué militairement. + +Alors les portières se relèvent, les invités rentrent dans le +salon. + +LE GOUVERNEUR. +La fête populaire va commencer. Mesdames, prenez place à ce +balcon. + +(Tous se dirigent vers le balcon.) + + +DEUXIEME TABLEAU. + +Moscou illuminé. + +Grand concours de monde sur la place que domine le balcon du +palais. + +BALLET. + + +TROISIEME TABLEAU. + +La Retraite aux flambeaux. + +Retraite aux flambeaux avec les tambours, les fifres et les +trompettes des chevaliers-gardes du régiment de Préobrajinski. + + +ACTE DEUXIEME. + + +QUATRIEME TABLEAU. + +Le relai de poste. + +La scène représente la cour d'un relai de poste à la +frontière. A droite la maison de relai qui est en même temps +une auberge. A gauche la maison du maître de police. Au fond +la grande route, qui va se perdre dans les montagnes. + + +SCENE I. + +LE MAITRE DE POSTE, LE MAITRE DE POLICE, UN AGENT, VOYAGEURS. + +Un certain nombre de voyageurs sont groupés dans la cour du +relai. + + +L'HOTELIER. +Les routes de l'Oural sont encombrées! C'est à peine si je +peux fournir des chevaux! + +PREMIER VOYAGEUR. +Et quels chevaux! Fourbus des quatre jambes! + +L'AGENT. +Allons! Allons! les passeports! les passeports! On vous les +rendra après qu'ils auront été visés!... (Il recueille les +passeports des divers voyageurs et rentre à gauche.) + +LE MAITRE DE POLICE. +Il y a encombrement. + +LE MAITRE DE POSTE. +Oui, monsieur le maître de police, et vous aurez fort à faire +pour expédier tous ces gens-là... presque autant que moi à +leur fournir des chevaux! Il ne m'en reste plus qu'un au +relai, et encore a-t-il fait cinquante verstes la nuit +dernière! + +LE MAITRE DE POLICE. +Un seul? + +LE MAITRE DE POSTE. +Et il est retenu par un voyageur, arrivé il y a une heure. + +LE MAITRE DE POLICE. +Quel est ce voyageur? + +LE MAITRE DE POSTE. +Un marchand qui se rend à Irkoutsk! + +LE MAITRE DE POLICE. +Je vais viser les passeports et donner la volée à tous ces +gens-là!... (Il rentre dans la maison à gauche.) + +LE MAITRE DE POSTE. +On aurait cent chevaux dans les écuries qu'on ne pourrait +suffire à tout! + + +SCENE II. + +LE MAITRE DE POSTE, STROGOFF. + + +STROGOFF. +Le cheval que j'ai retenu? + +LE MAITRE DE POSTE. +On le fait manger et boire. + +STROGOFF. +Il faut que, dans une demi-heure, il soit attelé à mon +tarentass. + +LE MAITRE DE POSTE. +Il le sera. Tu seras en règle avec le maître de police? + +STROGOFF. +Oui! + +LE MAITRE DE POSTE. +Tu peux lui faire remettre ton passeport d'avance! Il le +visera avec les autres. + +STROGOFF. +Non! je le ferai viser moi-même. + +LE MAITRE DE POSTE. +Comme tu voudras, petit père. + +STROGOFF. +Une bouteille de kwass. + +LE MAITRE DE POSTE. +A l'instant! + +(Strogoff s'asseoit près d'une table à droite, et le maître de +poste sort.) + + +SCENE III. + +LES MEMES, JOLLIVET. + + +(Jollivet entre en scène par le fond. Il est exténué, et porte +une valise de chaque main.) + +JOLLIVET. +Ouf!... Cent pas de plus et j'abandonnais mes valises sur la +grande route... surtout celle-ci qui n'est pas à moi! (Il +dépose une des valises dans un coin, garde l'autre et va +s'asseoir devant la table, en face de Strogoff.) Excusez-moi, +monsieur... Eh! mais, je vous reconnais... Vous êtes?... + +STROGOFF. +Nicolas Korpanoff, marchand. + +JOLLIVET. +Marchand... marchant comme l'éclair!... C'est bien vous qui +m'avez dépassé, il y a deux heures, sur la route! Nous étions, +vous en tarentass, et moi en télègue... ou plutôt je n'y étais +plus, et une petite place dans votre voiture aurait joliment +fait mon affaire, car je me trouvais en pleine détresse! + +STROGOFF. +Pardon,... monsieur?... + +JOLLIVET. +Alcide Jollivet, correspondant de journaux français, en quête +de chroniques!... + +STROGOFF. +Eh bien, monsieur Jollivet, je regrette vivement de ne pas +vous avoir aperçu! Entre voyageurs, on se doit de ces petits +services. + +JOLLIVET. +On se doit, mais on ne se paye pas toujours. J'ai fait vingt +verstes à pied, et je l'ai mérité! Une mauvaise action ne +profite jamais! Le ciel m'a puni en m'inspirant la pensée de +prendre une télègue au lieu d'un tarentass. + +(Le maître de poste rentre apportant un broc et des verres.) + +STROGOFF. +Un verre de bière, monsieur? + +JOLLIVET. +Volontiers. + +LE MAITRE DE POSTE, à Jollivet. +Dois-je vous garder une chambre et prendre vos valises? + +JOLLIVET. +Pas celle-là!... Elle n'est pas à moi. + +LE MAITRE DE POSTE. +A qui donc? + +JOLLIVET. +A mon ennemi intime, mon confrère Blount, qui doit, en ce +moment, courir après moi!... Mais j'espère bien être parti +avant qu'il arrive au relai!... A propos, une voiture et des +chevaux dans une heure! + +LE MAITRE DE POSTE. +Il n'y a plus ni chevaux, ni voiture disponibles! + +JOLLIVET. +Bon! il ne manquait plus que cela! Eh bien, gardez-moi les +premiers qui rentreront au relai! + +LE MAITRE DE POSTE. +C'est entendu!... mais ce ne sera pas avant demain. Je vais +vous retenir une chambre. + +JOLLIVET, au maître de poste qui rentre à droite. +Oui!... Heureusement, j'ai une belle avance sur Blount! + +STROGOFF. +Votre ennemi? + +JOLLIVET. +Mon ennemi, mon rival! Un reporter anglais, qui veut me +devancer sur la route d'Irkoutsk, et défraîchir mes nouvelles! +Figurez-vous, monsieur Korpanoff, que je n'ai trouvé que ce +moyen pour le distancer, lui voler sa voiture, qui était tout +attelée, quand je suis arrivé au relai! Il n'y en avait pas +d'autre, et pendant qu'il réglait sa note, j'ai glissé un +paquet de roubles dans la poche de son cocher, -- disons son +iemskik, pour faire un peu de couleur locale,... et en +route!... Naturellement, j'emportais la valise de mon Anglais, +mais je la lui renverrai intacte!... Ah! par exemple, il n'y a +que sa voiture que je ne pourrai pas lui renvoyer! + +STROGOFF. +Pourquoi donc? + +JOLLIVET. +Parce que c'est... ou plutôt c'était une télègue! Vous savez, +une télègue... une voiture à quatre roues?... + +STROGOFF. +Parfaitement!... Mais je ne comprends pas... + +JOLLIVET. +Vous allez comprendre. Nous partons... mon iemskik sur le +siège de devant et moi sur le banc d'arrière! Trois bons +chevaux dans les brancards! Nous filons comme l'ouragan! A +peine s'il est nécessaire de stimuler du bout du fouet nos +trois excellentes bêtes! De temps à autre seulement, quelques +bonne paroles jetées par mon iemskik! Hardi, mes colombes!... +Volez, mes doux agneaux! Houp, mon petit père de gauche!... +Enfin l'attelage tirait, tant et si bien que, la nuit +dernière, un fort cahot se produit... crac! les deux trains de +la voiture s'étaient séparés... et mon iemskik... sans +entendre mes cris, continuait à courir sur le train de +devant, tandis que je restais en détresse sur le train de +derrière! Et voilà comment je dus faire vingt verstes à pied, +ma valise d'une main, celle de l'Anglais de l'autre, et voilà +pourquoi je ne pourrai lui renvoyer qu'une demi-voiture! + +LE MAITRE DE POSTE, rentrant. +Votre chambre est prête, monsieur. + +JOLLIVET, se dirigeant vers la porte. +C'est bien... Au revoir, monsieur Korpanoff. + +STROGOFF. +Au revoir, monsieur. + +JOLLIVET, revenant. +Ah! j'ai trouvé! + +STROGOFF. +Qui donc? + +JOLLIVET. +La véritable définition de la télègue!... Ce sera le mot de la +fin de ma prochaine chronique! (Ecrivant sur son carnet.) +"_Télègue, voiture russe... à quatre roues quand elle part,... +et à deux quand elle arrive!_..." Au revoir, monsieur +Korpanoff! (Il entre à droite.) + +STROGOFF, se levant. +Au revoir, monsieur. Un joyeux compagnon, ce Français! + + +SCENE IV. + +STROGOFF, NADIA. + + +(Nadia arrive, à droite, par la grande route. Elle est épuisée +et tombe à demi sur un banc, à gauche.) + +NADIA. +La fatigue m'accable!... Impossible d'aller plus loin... +(Essayant de se lever.) Monsieur..., monsieur!... + +STROGOFF, se retournant. +C'est à moi que vous parlez, mon enfant?... (A part.) La +charmante jeune fille! + +NADIA. +Pardonnez-moi... Je voulais vous demander... Où sommes-nous +ici? + +STROGOFF. +Nous sommes à la frontière, et là est la maison de police... + +NADIA. +Où se délivrent les visas pour passer en Sibérie? + +STROGOFF. +Oui, et de ce côté, le relai de poste. + +NADIA, se levant. +Le relai de poste... Je vais d'abord m'assurer... + +STROGOFF. +C'est inutile, mon enfant. Il n'y a plus ni chevaux, ni +voitures, et bien des heures s'écouleront avant que le maître +de poste puisse en tenir à votre disposition. + +NADIA. +Eh bien, j'irai à pied, alors!... + +STROGOFF. +A pied!... + +NADIA. +Une charrette m'a amenée à quelques verstes de ce relai, et, +pour aller plus loin, Dieu ne m'abandonnera pas! + +STROGOFF, à part. +Pauvre enfant! (Haut.) D'où venez-vous ainsi? + +NADIA. +De Riga. + +STROGOFF. +Et vous allez?... + +NADIA. +A Irkoutsk! + +STROGOFF. +A Irkoutsk!... Seule... vous allez sans ami, sans guide, +accomplir un aussi long, un aussi pénible voyage! + +NADIA. +Je n'ai personne pour m'accompagner. De toute ma famille, il +ne me reste que mon père que je vais rejoindre en Sibérie. + +STROGOFF. +A Irkoutsk, avez-vous dit! Mais c'est quinze cents verstes à +faire! + +NADIA. +Oui!... C'est là que, pour un délit politique, mon père a été +exilé, il y a deux ans. Jusqu'alors, à Riga, nous avions vécu +heureux tous trois, lui, ma mère et moi, dans notre humble +maison, ne demandant à Dieu que d'y rester toujours, puisqu'il +l'avait emplie de bonheur... Mais l'épreuve allait venir! Mon +père fut arrêté, et, malgré les supplications de ma mère +malade, malgré mes prières, il fut arraché de sa demeure et +entraîné au delà de la frontière. Hélas! ma mère ne devait +plus le revoir! Cette séparation aggrava sa maladie!... +Quelques mois après, elle s'éteignait, et sa dernière pensée +fut que j'allais être seule au monde! + +STROGOFF. +Malheureuse enfant!... + +NADIA. +J'étais seule, en effet, dans cette ville, sans parents, sans +amis! Je demandai alors et j'obtins l'autorisation d'aller +retrouver le pauvre exilé au fond de la Sibérie. Je lui ai +écrit que je partais!... Il m'attend. Après avoir réuni le peu +dont je pouvais disposer, j'ai quitté Riga, et me voici +maintenant sur la route que mon père a suivie deux années +avant moi! + +STROGOFF. +Mais il vous faudra traverser les montagnes de l'Oural, qui +ont été funestes à tant de voyageurs! + +NADIA. +Je le sais. + +STROGOFF. +Et après l'Oural, les interminables steppes de la Sibérie! Ce +sont d'écrasantes fatigues à subir, de terribles dangers à +affronter! + +NADIA. +Vous avez subi ces fatigues?... Vous avez affronté ces +dangers? + +STROGOFF. +Oui, mais je suis un homme... j'ai mon énergie, mon courage. + +NADIA. +Moi, j'ai pour me soutenir l'espérance et la prière! + +STROGOFF? +Ne savez-vous pas que le pays est envahi par les Tartares? + +NADIA. +L'invasion n'était pas connue, quand j'ai quitté Riga. C'est à +Nijni seulement que j'ai appris cette funeste nouvelle! + +STROGOFF. +Et, malgré cela, vous avez continué votre route? + +NADIA. +Pourquoi vous-même avez-vous déjà traversé l'Oural? + +STROGOFF. +Pour aller revoir et embrasser ma mère, une vaillante +Sibérienne qui demeure à Kolyvan! + +NADIA. +Eh bien, moi, je vais revoir et embrasser mon père! Vous +faisiez votre devoir, je fais le mien, et le devoir est tout. + +STROGOFF +Oui!... tout!... (A part.) Cette jeune fille, si belle... +seule... sans défenseur!... (A Nadia qui se dirige vers la +gauche.) Où allez-vous? + +NADIA. +Je vais faire viser mon permis! Des retards sont toujours à +craindre, et si je ne partais pas aujourd'hui, qui sait si je +pourrais partir demain! + +STROGOFF. +Attendez donc. Il faut que, moi aussi, je fasse viser le mien. +Peut-être obtiendrai-je du maître de police qu'il consente à +vous expédier plus promptement, avant que la cloche ne rassemble +tous les voyageurs qui attendent. Venez donc!... Nous sommes +destinés, sans doute, à ne jamais nous revoir, mais je penserai +souvent à vous, et je voudrais savoir votre nom. + +NADIA. +Nadia Fédor. + +STROGOFF. +Nadia. + +NADIA. +Et le vôtre?... + +STROGOFF. +Moi... je... je m'appelle Nicolas Korpanoff. + +(Ils entrent au bureau de police.) + + +SCENE V. + +BLOUNT, LE MAITRE DE POSTE. + + +(Blount, couvert de poussière, la tête enveloppée d'un voile à +la mode anglaise, et monté sur un âne, arrive au fond par la +grande route. Il entre dans la cour.) + +BLOUNT, au fond et appelant. +Mister hôtelière! mister hôtelière! (Descendant sur le +devant.) Dans quel déploreble situéchion nous étions, cette +pauvre hâne et moi!... Impossibel de continouyer notre voyage! +-- (Appelant.) Mister hôtelière!... J'avais été forcé de +prendre cette malheureuse animèle, parce qu'on avait volé mon +voiture et mon chivaux!... Et nous avons fait une si longue +trajette, nous étions si fatigués toutes les deux, que lui ne +pouvait plus porter moi, et que moi je pouvais plus descendre +de lui!... (Appelant.) Mister hôtelière!... Nous étions collés +ensemble, et ce hâne et moi, nous ne faisions plus qu'une +seule ani... Non!... une seul person... (Appelant plus fort.) +Mister hôtel...! J'avais un grand mal de reins... C'était une +cour... une courbé... -- (S'adressant à l'âne.) Comment vous +appelez... Oh! non... il ne sait pas... une courbétioure... +Mais je pouvais pourtant pas rester toujours sur lui... +(Appelant très fort.) Mister hôtelière... mister hôtelière!... + +LE MAITRE DE POSTE, entrant, suivi d'un garçon. +Tiens!... un voyageur? + +BLOUNT. +Yes!... Une voyageur abandonné toute seule! + +LE MAITRE DE POSTE +Pourquoi n'appeliez-vous pas, monsieur? + +BLOUNT, très outré. +Pourquoi je appelai pas?... Mais je criai plus qu'une heure: +mister hôtelière! + +LE MAITRE DE POSTE. +Ah! je vais vous dire: c'est que j'étais occupé en ma qualité +de maître de poste pour vous servir. + +BLOUNT. +Oh! very well... Alors, mister maître de poste, aidez à moi, +pour descendre une peu. + +LE MAITRE DE POSTE. +Voilà, monsieur, voilà! (Il le fait descendre non sans peine +et avec toutes sortes de précautions.) + +BLOUNT. +All right... merci!... + +LE MAITRE DE POSTE. + +Faut-il bassiner un lit? +BLOUNT, étonné et regardant l'âne. +Qu'est-ce que vous dites? bassiner un lit pour... (A lui-même.) +bassiner une lit? + +LE MAITRE DE POSTE. +Un lit pour vous, monsieur, car je suis aussi hôtelier. + +BLOUNT. +Oh! very well, une lit pour moi, et... + +LE MAITRE DE POSTE, montrant l'âne. +Et une litière pour lui? + +BLOUNT, riant. +Yes. Maintenant, je voulai déjeuner d'abord. Ensuite vous +donner à moi une voiture et une chivau. (Il entraîne son âne +que le garçon emmène.) + +LE MAITRE DE POSTE. +Il n'en reste plus, monsieur. + +BLOUNT. +Vous avez pas des chivaux? + +LE MAITRE DE POSTE. +Pas avant demain ou après-demain. + +BLOUNT. +Oh! si je tenais celui qui avait volé moi! + +LE MAITRE DE POSTE. +On vous a volé, monsieur? + +BLOUNT. +Yes, mon voiture et mon valise... et si je découvrais mon +coquine de voleur... + +LE MAITRE DE POSTE. +Que désire monsieur pour son déjeuner? + +BLOUNT. +Vous servez à moi, là, sur ce table, vous servez... +(Cherchant.) Vous servez... beefsteack, stockfish, côtelettes +de mottonn, poum de terre, plumpudding, ale, porter et +clarette... Vous avez bien entendu? + +LE MAITRE DE POSTE. +J'ai très bien entendu. Monsieur a dit: beefsteack, stockfish, +côtelettes... + +BLOUNT. +Poum de terre, plumpudding, ale, porter et clarette! + +LE MAITRE DE POSTE. +Mais... c'est que nous n'avons rien de tout cela, monsieur! + +BLOUNT. +Vous avez rien, et vous faites dire à moi ce que je préférais! + +LE MAITRE DE POSTE. +Je puis offrir à monsieur du koulbat. + +BLOUNT. +Quelle est cette chose... koulbat? + +LE MAITRE DE POSTE. +Un pâté fait avec de la viande pilée et des oeufs. + +BLOUNT, notant sur son carnet. +Oh! very well, koulbat... vous écrivez cela: C, o, u, l... + +LE MAITRE DE POSTE. +Non, non, par un K. + +BLOUNT, étonné. +Oh! per oune K!... et c'était bonne tout de même! + +LE MAITRE DE POSTE. +Excellent! + +BLOUNT. +Alors, servez koulbat. Et vous avez encore? + +LE MAITRE DE POSTE. +Du kwass. + +BLOUNT. +Kwass... Vous écrivez: C, v, a... + +LE MAITRE DE POSTE. +Non, par un K! + +BLOUNT. +Encore une K? + +LE MAITRE DE POSTE +Du caviar. + +BLOUNT. +Par une K... toujours? + +LE MAITRE DE POSTE. +Non, par un C. + +BLOUNT. +Per oune C à présent! Et c'était toujours bonne tout... + +LE MAITRE DE POSTE, riant. +Et c'est très bon tout de même... + +BLOUNT, très sérieux. +Oh! vous êtes une joyeuse hôtelière... Vous avez une chambre +pour le toilette à moi? + +LE MAITRE DE POSTE. +On va la préparer. + +BLOUNT. +Attendez, attendez... Je payais d'avance pour être bien sûr. + +LE MAITRE DE POSTE. +Comme vous voudrez. + +BLOUNT. +Combien? + +LE MAITRE DE POSTE. +Deux roubles pour le déjeuner, deux roubles pour la chambre. + +BLOUNT. +Voilà! -- Ah! mon hâne! Faites bouchonner, manger et buver lui. +Je reprenai lui jusqu'au prochain relai. (En ce moment, +Blount, qui s'est dirigé vers l'auberge, se trouve devant la +valise qui a été déposée par Jollivet.) Aoh! + +LE MAITRE DE POSTE. +Qu'est-ce donc? + +BLOUNT. +Ce vélise, mister, ce vélise! + +LE MAITRE DE POSTE. +Elle appartient à un voyageur qui l'a déposée là en arrivant. + +BLOUNT. +Mais c'était la mienne!... + +LE MAITRE DE POSTE. +La vôtre? + +BLOUNT. +Et cette voyageur?... + +LE MAITRE DE POSTE. +Le voilà, monsieur. + + +SCENE VI. + +LES MEMES, JOLLIVET. + + +JOLLIVET, sortant de la maison. +Blount! mon ennemi!... + +BLOUNT, furieux. +Ce vélise, monsieur, ce vélise!... + +JOLLIVET, tranquillement. +Elle est à vous, monsieur Blount. Ah! j'ai eu assez de mal à +la porter! + +BLOUNT. +A l'emporter, vous voulez dire! + +JOLLIVET. +Oh! une erreur! J'allais vous la renvoyer par la petite +vitesse! + +BLOUNT, furieux. +Petite vitesse!... Mister... + +JOLLIVET, à part. +Dieu que c'est beau, un Anglais furieux! + +BLOUNT. +Et le voiture, monsieur?... + +JOLLIVET. +J'allais vous en renvoyer la moitié! + +BLOUNT? +Le moitié? + +JOLLIVET. +L'autre court encore! + +BLOUNT. +Ah! c'est comme ça, mister. Eh bien, je ferai un procès à +vous!... + +JOLLIVET. +Un procès!... me faire un procès,... en Russie!... Mais vous ne +connaissez donc pas l'histoire de cette nourrice qui +réclamait des gages pour la nourriture de son nourrisson +qu'elle rendait à ses parents?... + +BLOUNT, hors de lui. +Je connais pas!... + +JOLLIVET. +Eh bien, le nourrisson qui avait dix mois, lorsqu'on entama le +procès... était colonel, lorsqu'il fut jugé... Ainsi je vous +engage à ne pas plaider contre moi!... + +LE MAITRE DE POSTE, entrant, à Blount. +Votre chambre est prête, monsieur. + +BLOUNT. +Je vais faire mon toilette, et je revenai régler ma compte +avec vous, mister! + +JOLLIVET. +Je suis tout prêt à vous rembourser, monsieur. + +BLOUNT. +Non, pas avec argent... Vous payer autrement, mister +Jollivette. + +JOLLIVET. +Jollivet, s'il vous plaît. + +BLOUNT, avec colère. +Jollivette! Jollivette! Jollivette! (Il sort.) + + +SCENE VII. + +LE MAITRE DE POSTE, JOLLIVET. + + +(Le maître de poste commence à servir le déjeuner de Blount.) + +LE MAITRE DE POSTE. +Il s'en va furieux, le gentleman. + +JOLLIVET. +Et il reviendra de même!... Il y a de quoi!... A sa place, je +serais hors de moi!... (Au maître de poste.) Qu'est-ce que +vous servez donc là!... + +LE MAITRE DE POSTE. +Le déjeuner du gentleman. + +JOLLIVET. +Ah! c'est son déjeuner... cela a l'air d'être bon. (Il +s'asseoit à la table.) + +LE MAITRE DE POSTE. +Permettez, monsieur, je vous l'ai dit. C'est le déjeuner du +gentleman! + +JOLLIVET. +Eh bien?... (Il se met à manger.) + +LE MAITRE DE POSTE. +Mais, monsieur, il a payé d'avance. + +JOLLIVET. +Ah! il a payé d'avance. Alors vous ne risquez plus rien!... + +LE MAITRE DE POSTE. +Mais le gentleman? + +JOLLIVET. +Nous sommes en compte... C'est très bon! + +LE MAITRE DE POSTE. +Mais monsieur, monsieur!... + +JOLLIVET, mangeant. +Soyez donc tranquille, je me charge de tout. Décidément, vous +cuisinez très bien, mon cher. + +LE MAITRE DE POSTE, flatté. +Merci du compliment, monsieur. + +JOLLIVET. +Ah! c'est que nous sommes connaisseurs en cuisine, nous autres +Français. + +LE MAITRE DE POSTE. +Oui, oui, de grands connaisseurs! + +JOLLIVET, mangeant. +Et la vôtre, mon cher, est exquise! + +LE MAITRE DE POSTE. +Exquise... en vérité?... Vous trouvez cela? + +JOLLIVET. +Exquise, vous dis-je! + +LE MAITRE DE POSTE. +Eh bien, si monsieur veut goûter ceci... je crois qu'il le +trouvera encore meilleur. (Il lui présente un second plat.) + +JOLLIVET. +Excellent, en effet... c'est fin, c'est délicat, c'est... + +LE MAITRE DE POSTE, présentant un troisième plat. +Vous me direz encore ce que vous pensez de celui-ci. + +JOLLIVET, riant. +Avec plaisir... Mais, dites donc... Eh bien, et le +gentleman?... + +LE MAITRE DE POSTE. +Tiens, c'est vrai!... j'oubliais que c'est son déjeuner... Ah! +bah!... tant pis. + +JOLLIVET. +A propos, que dit-on des Tartares? + +LE MAITRE DE POSTE. +Que le pays est envahi tout entier, et que les troupes russes +du Nord ne seront pas en force pour les repousser... On +s'attend à une bataille avant deux jours. + +JOLLIVET. +De quel côté? + +LE MAITRE DE POSTE. +Près de Kolyvan. + + +SCENE VIII. + +LES MEMES, BLOUNT. + + +(A ce moment, Blount sort de la maison de poste.) + +BLOUNT. +Aoh! mon toilette était faite... je mourais de faim... je... +(Voyant Jollivet.) Aoh! + +JOLLIVET. +A votre santé, monsieur Blount. + +BLOUNT, au maître de poste. +Et ma déjeuner? Vous avez donc pas servi ma déjeuner? + +JOLLIVET, montrant les plats vides. +Si fait, il est servi, monsieur Blount, et voilà ce qu'il en +reste! + +BLOUNT. +Alors, c'était ma déjeuner que vous aviez mangé? + +JOLLIVET. +Il était excellent. + +BLOUNT. +C'était ma koulbat? + +JOLLIVET. +Exquis, le koulbat! + +BLOUNT. +Vous me rendez raison ici même!... + +JOLLIVET. +Non, pas ici... plus tard, après la bataille qui va avoir lieu +et dont je tiens à rendre compte à ma cousine Madeleine. + +BLOUNT, étonné. +La bataille? + +JOLLIVET. +Apprenez, cher confrère, que les armées russe et tartare vont +se rencontrer dans deux jours. + +BLOUNT. +Ah! très biène!... Attendez un minute... (Ecrivant.) +"_Rencontre prochain des armées ennemies_..." Continouyez, +mister!... je tourai vous après. + +JOLLIVET. +Merci... _Cette bataille aura lieu à Kolyvan_. + +BLOUNT, écrivant. +"_A Kolyvan_" Kolyvan... per une K? + +JOLLIVET. +Par oune K?... oui. + +BLOUNT. +Well, merci... C'était à l'épée, n'est-ce pas?... + +JOLLIVET. +La bataille? + +BLOUNT. +Notre douel. Mais je voulais être générouse, et puisque vous +donnez à moi une renseignement pour mon journal, je laissai à +vous le choix des armes. + +JOLLIVET. +Du tout, du tout, je ne veux pas de faveur. Quelle est l'arme +que vous préférez? + +BLOUNT. +L'épée, mister. + +JOLLIVET. +Très bien!... Moi, j'aime mieux le pistolet. Alors nous +choisissons l'épée pour vous, le pistolet pour moi, et nous +nous battrons à quinze pas. + +BLOUNT. +Yes! comment vous arrangez cette chose. Vous disiez: une +épée... + +JOLLIVET. +Une épée pour vous... + +BLOUNT. +Et une pistolet?... + +JOLLIVET. +Le pistolet pour moi,... et nous nous battons à quinze pas... (Il +éclate de rire.) + +BLOUNT. +Mais vous moquez encore, mister Jollivet? + +JOLLIVET. +Croyez-moi, petit père, rendons-nous d'abord à Kolyvan, et +nous nous battrons, quand nous aurons informé nos +correspondants de l'issue de la bataille. + +BLOUNT. +Yes!... Je attendrai vous là-bas. + +JOLLIVET. +Si vous y arrivez avant moi!... ce dont je doute un peu! + + +SCENE IX. + +LES MEMES, NADIA, LE MAITRE DE POLICE, VOYAGEURS, UN AGENT. + + +(La cloche sonne en ce moment, et tous les voyageurs accourent. +Nadia sort de la maison de police, tenant son permis à la +main.) + +L'AGENT, criant. +Les passeports, les passeports... + +PREMIER VOYAGEUR. +On dit les nouvelles bien mauvaises, et le moindre retard nous +perdrait! + +(L'agent distribue les passeports.) + +NADIA. +J'irai à pied jusqu'au prochain relai. +(Au moment où les voyageurs vont quitter la cour, coup de +trompette. Des Cosaques paraissent sur la route et ferment +toute issue. Le maitre de police sort de la maison, à gauche, +et s'arrête sur les marches de la porte. Un des Cosaques lui +remet un pli. Un roulement de tambour se fait entendre.) + +LE MAITRE DE POLICE: Silence! Ecoutez tous! (Lisant.) "Par +arrêté du gouverneur de Moscou, défense à tout sujet russe, et +sous quelque prétexte que ce soit, de passer la frontière." +(Cri de désappointement dans la foule.) + +NADIA. +Mon Dieu! que dit-il? + +JOLLIVET, à Blount. +Cela ne nous regarde pas!... + +BLOUNT. +Je passai toujours, moi. + +NADIA, au maître de police. +Monsieur... monsieur... mon passeport est en règle, je puis +passer, n'est-il pas vrai? + +LE MAITRE DE POLICE. +Vous êtes russe... C'est impossible. + +NADIA. +Monsieur... Je vais rejoindre mon père à Irkoutsk!... Il +m'attend!... Chaque jour de retard, c'est un jour de douleur +pour lui!... Il me sait partie!... Il peut me croire perdue, +dans ce pays soulevé, au milieu de l'invasion tartare!... +Laissez-moi passer, je vous en conjure!... Que peut faire au +gouverneur qu'une pauvre fille comme moi se jette dans la +steppe!... Si j'étais partie, il y a une heure, personne ne +m'eût arrêtée!... Par pitié, monsieur, par pitié! + +LE MAITRE DE POLICE. +Prières inutiles. L'ordre est formel. (Aux Cosaques.) Placez-vous +à l'entrée de la route, et, à moins d'un permis spécial, +que personne ne passe. + +NADIA, se traînant à ses pieds. +Monsieur!... monsieur!... Je vous en conjure, à mains jointes +et à genoux, ayez pitié!... Ne nous condamnez pas, mon père et +moi, à mourir désespérés et si loin l'un de l'autre!... + +BLOUNT. +Oh! j'étais très émou... + +(A ce moment, Strogoff sort de la maison de police.) + + +SCENE X. + +LES MEMES, STROGOFF. + + +STROGOFF, allant à Nadia. +Pourquoi ces supplications et ces larmes, Nadia?... Qu'importe +que ton passeport soit valable ou non,... puisque nous avons le +mien qui est en règle. + +NADIA, à part. +Que dit-il? + +STROGOFF, montrant son permis au maître de police. +Et personne, entendez-vous, personne n'a le droit de nous +empêcher de partir! + +NADIA, avec joie. +Ah! + +LE MAITRE DE POLICE. +Votre permis?... + +STROGOFF. +Signé par le gouverneur général lui-même... Droit de passer +partout, quelles que soient les circonstances, et sans que nul +puisse s'y opposer!... + +(Le tarentass est amené au fond sur la route.) + +LE MAITRE DE POLICE. +Vous avez en effet le droit de passer... Mais elle... +STROGOFF, montrant le permis. + +Autorisation d'être accompagné... Eh bien! quoi de plus +naturel que... ma soeur m'accompagne! + +LE MAITRE DE POLICE. +Votre?... + +STROGOFF, tendant la main à Nadia. +Oui, ma soeur... Viens, Nadia. + +NADIA, la saisissant. +Je te suis, frère! + +BLOUNT. +Très fier... cette marchande!... + +JOLLIVET. +Et très énergique... ami Blount. + +BLOUNT. +Je n'étais pas votre ami, mister Jollivette. + +JOLLIVET. +Jollivet! + +BLOUNT. +Jollivette! Jollivette... for ever! + + +SCENE XI. + +LES MEMES, IVAN. + + +(Ivan est revêtu d'un uniforme militaire russe, en petite +tenue, comme un officier qui voyage.) + +IVAN, au maître de police. +Permis spécial! (Il lui montre son permis.) + +LE MAITRE DE POLICE. +Encore un signé par le gouverneur lui-même! + +IVAN. +Un cheval! + +LE MAITRE DE POSTE. +Il n'y en a plus. + +JOLLIVET. +S'il y en avait... + +BLOUNT, à Jollivet. +J'aurais retenu eux, d'abord. + +JOLLIVET. +Et je vous les aurais pris, ensuite. +(Blount lui tourne le dos avec colère.) + +IVAN. +A qui ce tarentass? + +LE MAITRE DE POSTE, montrant Strogoff. +A ce voyageur. + +IVAN, à Strogoff. +Camarade, j'ai besoin de ta voiture et de ton cheval. + +JOLLIVET, à part. +Il est sans gêne, ce monsieur... + +STROGOFF. +Ce cheval est retenu par moi et pour moi. Je ne puis, ni ne +veux le céder à personne. + +IVAN. +Il me le faut, te dis-je. + +STROGOFF. +Et je vous dis que vous ne l'aurez pas. + +IVAN. +Prends garde!... Je suis homme à m'en emparer... fût-ce... + +STROGOFF, avec colère. +Fût-ce malgré moi? + +IVAN. +Oui... malgré toi... Pour la dernière fois, veux-tu me céder +ce cheval et cette voiture. + +STROGOFF. +Non! vous dis-je, non! + +IVAN. +Non? Eh bien, ils seront à celui de nous deux qui saura les +garder! + +NADIA. +Mon Dieu! + +IVAN, tirant son épée. +Qu'on donne un sabre à cet homme et qu'il se défende! + +STROGOFF, avec force. +Eh bien!... (A part.) Un duel!... et ma mission, si je suis +blessé!... (Haut et se croisant les bras.) Je ne me battrai +pas! + +IVAN, avec colère. +Tu ne te battras pas? + +STROGOFF. +Non!... et vous n'aurez pas mon cheval! + +IVAN, avec plus de force. +Tu ne te battras pas, dis-tu? + +STROGOFF. +Non. + +IVAN. +Non... même après ceci. (Il le frappe d'un coup de fouet.) Eh +bien, te battras-tu, lâche? + +STROGOFF, s'élançant sur Ivan. +Miséra... (S'arrêtant et se maîtrisant.) Je ne me battrai pas! + +TOUS. +Ah! + +IVAN. +Tu subiras cette honte sans te venger? + +STROGOFF. +Je la subirai... (A part.) Pour Dieu... pour le czar... pour +la patrie! + +IVAN. +Allons! à moi ton cheval! (Il saute dans le tarentass.) (A +l'hôtelier.) Paye-toi! (Le tarentass sort par la gauche.) + +LE MAITRE DE POSTE. +Merci, Excellence. +JOLLIVET. + +Je n'aurais pas cru qu'il dévorerait une pareille honte! + +BLOUNT. +Aoh! je sentais bouillir mon sang dans mon veine. + + +SCENE XII. + +LES MEMES, moins IVAN. + + +STROGOFF. +Oh! cet homme... Je le retrouverai. (A l'hôtelier.) Quel est +cet homme? + +LE MAITRE DE POSTE. +Je ne le connais pas...mais c'est un seigneur qui sait se +faire respecter! + +STROGOFF, bondissant. +Tu te permets de me juger! + +LE MAITRE DE POSTE. +Oui, car il est des choses qu'un homme de coeur ne reçoit +jamais sans les rendre! + +STROGOFF, saisissant le maître de poste avec violence. +Malheureux!... (Froidement.) Va-t'en, mon ami, va-t'en, je te +tuerais!... + +LE MAITRE DE POSTE. +Eh bien, vrai, je t'aime mieux ainsi! + +JOLLIVET. +Moi aussi!... Le courage a-t-il donc ses heures! + +BLOUNT. +Jamais d'heure pour le couragé anglaise!... Il était toujours +prête!... toujours! + +JOLLIVET. +Nous verrons cela à Kolyvan, confrère! (Il se dirige vers +l'auberge et y entre.) + +NADIA, à part. +Cette fureur qui éclatait dans ses yeux au moment de +l'insulte!... cette lutte contre lui-même en refusant de se +battre!... et maintenant... ce désespoir profond!... + +STROGOFF, assis près de la table. +Oh! je ne croyais pas que l'accomplissement du devoir pût +jamais coûter aussi cher!... + +NADIA, le regardant. +Il pleure!... Oh! il doit y avoir un mystère que je ne puis +comprendre... un secret qui enchaînait son courage! (Allant à +lui.) Frère! (Strogoff relève la tête.) Il y a parfois des +affronts qui élèvent, et celui-là t'a grandi à mes yeux! + +(En ce moment, Blount pousse un cri. On voit passer au fond +Jollivet sur l'âne de Blount.) + +BLOUNT. +Ah! mon hâne! Arrêtez!... Il emportait mon hâne!... + +JOLLIVET. +Je vous le rendrai à Kolyvan, confrère, à Kolyvan! + +BLOUNT, accablé. +Aoh! + + +CINQUIEME TABLEAU + +L'Isba du télégraphe. + +La scène représente un poste télégraphique près de Kolyvan, en +Sibérie. Porte au fond, donnant sur la campagne; à droite un +petit cabinet avec guichet, où se tient l'employé du +télégraphe. Porte à gauche. + + +SCENE I. + +L'EMPLOYE, JOLLIVET. + + +(On entend le bruit, sourd encore, de la bataille de Kolyvan.) + +JOLLIVET, entrant par le fond. +L'affaire est chaude! Une balle dans mon toquet!... Une autre +dans ma casaque!... Le ville de Kolyvan va être emportée par +ces Tartares! Enfin, j'aurai toujours la primeur de cette +nouvelle... Il faut l'expédier à Paris!... Voici le bureau du +télégraphe! (Regardant.) Bon! l'employé est à son poste, et +Blount est au diable!... Ca va bien! (A l'employé.) Le +télégraphe fonctionne toujours? + +L'EMPLOYE. +Il fonctionne du côté de la Russie, mais le fil est coupé du +côté d'Irkoutsk. + +JOLLIVET. +Ainsi les dépêches passent encore? + +L'EMPLOYE. +Entre Kolyvan et Moscou, oui. + +JOLLIVET. +Pour le gouvernement?... + +L'EMPLOYE. +Pour le gouvernement, s'il en a besoin... pour le public, +lorsqu'il paye! C'est dix kopeks par mot. + +JOLLIVET. + +Et que savez-vous? +L'EMPLOYE. +Rien. + +JOLLIVET. +Mais les dépêches que vous... + +L'EMPLOYE. +Je transmets les dépêches, mais je ne les lis jamais. + +JOLLIVET, à part. +Un bon type! (Haut.) Mon ami, je désire envoyer à ma cousine +Madeleine une dépêche relatant toutes les péripéties de la +bataille. + +L'EMPLOYE. +C'est facile... Dix kopeks par mot. + +JOLLIVET. +Oui... je sais...mais une fois ma dépêche commencée, pouvez-vous +me garder ma place, pendant que j'irai aux nouvelles? + +L'EMPLOYE. +Tant que vous êtes au guichet, la place vous appartient... à +dix ko-peks par mot; mais si vous quittez la place, elle +appartient à celui qui la prend... à dix... + +JOLLIVET +A dix kopeks par mot!... oui... je sais!...Je suis seul!... +commençons. (Il écrit sur la tablette du guichet.) +"_Mademoiselle Madeleine, faubourg Montmartre, Paris. -- De +Kolyvan, Sibérie_... + +L'EMPLOYE. +Ca fait déjà quatre-vingts kopeks! + +JOLLIVET. +C'est pour rien. (Il lui remet une liasse de roubles papier, +et continue à écrire.) _Engagement des troupes russes et +tartares_... (A ce moment, la fusillade se fait entendre avec +plus de force.) Ah! ah! voilà du nouveau! +(Jollivet quittant le guichet, court à la porte du fond pour +voir ce qui se passe.) + + +SCENE II. + +LES MEMES, BLOUNT. + + +(Blount arrive par la porte de gauche.) + +BLOUNT. +C'est ici le bioureau télégraphique... (Apercevant Jollivet.) +Jollivette!... (Il va pour le saisir au collet, mais arrivé +près de lui, il se met à lire tranquillement par-dessus son +épaule ce que celui-ci à écrit.) Aoh!... Il transmettait des +nouvelles plus anciennes que les miennes! + +JOLLIVET, écrivant. +_Onze heures douze. -- La bataille est engagée depuis ce +matin_... + +BLOUNT, à part. +Très bien... Je faisais ma profit. (Il va au guichet, pendant +que Jollivet continue d'observer ce qui se passe. A +l'employé.) Fil fonctionne? + +L'EMPLOYE. +Toujours. + +BLOUNT. +All right! + +L'EMPLOYE. +Dix kopeks par mot. + +BLOUNT. +Biène, très biène!... (Ecrivant sur la tablette.) _Morning-Post, +Londres. -- De Kolyvan, Sibérie_... + +JOLLIVET, écrivant sur son carnet. +_Grande fumée s'élève au-dessus de Kolyvan_... + +BLOUNT, écrivant au guichet et riant. +Oh! bonne! _Grande fioumée s'élève au-dessus de Kolyvan_... + +JOLLIVET. +Ah! ah! ah! _Le château est en flammes!_... + +BLOUNT, écrivant. +Ah! ah! _Le château il est en flammes_... + +JOLLIVET. +_Les Russes abandonnent la ville_. + +BLOUNT, écrivant. +_Rousses abandonnent le ville_. + +JOLLIVET. +Continuons notre dépêche. (Jollivet quitte la fenêtre, revient +au guichet et trouve sa place prise.) Blount! + +BLOUNT. +Yes, mister Blount!... Tout à l'heure... après mon dépêche,... +vous rendez raison à moi et mon hâne! + +JOLLIVET. +Mais vous avez pris ma place! + +BLOUNT. +La place il était libre. + +JOLLIVET. +Ma dépêche était commencée. + +BLOUNT. +Et le mien il commence. + +JOLLIVET, à l'employé. +Mais vous savez bien que j'étais là avant monsieur. + +L'EMPLOYE. +Place libre, place prise. Dix kopeks par mot. + +BLOUNT, payant. +Et je payai pour mille mots d'avance. + +JOLLIVET. +Mille mots!... + +BLOUNT, continuant d'écrire et à mesure qu'il écrit de passer +ses dépêches à l'employé qui les transmet. +_Bruit de la bataille se rapprochait... Au poste télégraphique, +correspondant français guettait mon place, mais lui ne le aura +pas_... + +JOLLIVET, furieux. +Ah! monsieur, à la fin... + +BLOUNT. +Il n'y avait de fin, mister. _Yvan Ogareff à la tête des +Tartares, va rejoindre l'émir_... + +JOLLIVET. +Est-ce fini? + +BLOUNT. +Jamais fini. + +JOLLIVET. +Vous n'avez plus rien à dire... + +BLOUNT. +Toujours à dire... pour pas perdre la place. (Ecrivant.) _Au +commencement, Dieu créa le ciel et le terre_... + +JOLLIVET. +Ah! il télégraphie la Bible maintenant! + +BLOUNT. +Yes! le Bible, et il contenait deux cent soixante-treize mille +mots!... + +L'EMPLOYE. +A dix kopeks par... + +BLOUNT. +J'ai donné une à-compte... (Il remet une nouvelle liasse de +roubles.) _Le terre était informe et_... + +JOLLIVET. +Ah! l'animal! Je saurai bien te faire déguerpir! (Il sort par +le fond.) + +BLOUNT. +_Les ténèbres couvraient le face de le abîme_... (Continuant.) +_Onze heures vingt. -- Cris des fouyards redoublent... Mêlée +furiouse_. + +(Cris au dehors que Jollivet vient pousser à travers la +fenêtre.) + +[JOLLIVET.] +Mort aux Anglais!... Tue! pille!... A bas l'Angleterre. + +BLOUNT. +Aoh!... Qu'est-ce qu'on criait donc?... A bas l'Angleterre! +Angleterre, jamais à bas! (Il tire un revolver de sa ceinture +et sort par la porte du fond. Jollivet rentre alors par la +porte de gauche et prend la place de Blount au guichet.) + +JOLLIVET. +Pas plus difficile que cela!... A bas l'Angleterre, et +l'Anglais quitte le guichet. (Dictant.) _Onze heures +vingt-cinq. -- Les obus tartares commencent à dépasser Kolyvan_... + +BLOUNT, revenant. +Personne! Je avais bien cru entendre... (Apercevant Jollivet.) +Aoh! + +JOLLIVET, saluant. +Vive l'Angleterre, monsieur, vivent les Anglais! + +BLOUNT. +Vous avez pris mon place. + +JOLLIVET. +C'est comme cela. + +BLOUNT +Vous allez me le rendre, mister. + +JOLLIVET. +Quand j'aurai fini. + +BLOUNT. +Et vous aurez fini?... + +JOLLIVET. +Plus tard... beaucoup plus tard. (Dictant.) _Les Russes sont +forcés de se replier encore_... (Imitant l'accent de Blount.) +_Correspondant anglais guette ma place au télégraphe, mais lui +ne le aura pas_... + +BLOUNT. +Est-ce fini, mister? + +JOLLIVET. +Jamais fini... (Dictant.) +Il était un p'tit homme. +Tout habillé de gris +Dans Paris... + +BLOUNT, furieux. +Des chansons!... + +JOLLIVET. +Du Béranger! Après le sacré, le profane! + +BLOUNT. + +Monsieur, battons-nous à l'instant! +JOLLIVET, dictant. +Joufflu comme une pomme, +Qui sans un sou comptant... + +L'EMPLOYE, refermant brusquement le guichet. +Ah! + +JOLLIVET. +Quoi donc? + +L'EMPLOYE, sortant de son bureau. +Le fil est coupé! Il ne fonctionne plus! Messieurs, j'ai bien +l'honneur de vous saluer... (Il salue et s'en va +tranquillement. -- Grands cris au dehors.) + +BLOUNT. +Plus dépêches possibles, à nous deux, mister. Sortons! + +JOLLIVET. +Oui, sortons, et venez me touyer!... + +BLOUNT. +On dit touer!... Il ne sait même pas son langue! +(Ils sortent par le fond, en se provoquant.) + + +SCENE III. + +SANGARRE, UN BOHEMIEN. + + +SANGARRE, arrivant par la gauche avec un bohémien. +Les Tartares sont vainqueurs! + +LE BOHEMIEN. +Ivan Ogareff les a menés à l'assaut de Kolyvan. + +SANGARRE. +Russes et Sibériens, ils ont tout écrasé!... La ville brûle, +et les fuyards s'échappent de toutes parts!... + +LE BOHEMIEN, regardant. +Ils vont gagner de ce côté! + +SANGARRE. +Oui, mais cette vieille Sibérienne, que j'ai enfin revue, +cette Marfa Strogoff, qu'est-elle devenue? Elle était là, +regardant sa maison qui brûlait!... Puis tout à coup, elle a +disparu!... Oh! je la retrouverai et alors!... Ah! tu m'as +dénoncée, Marfa, tu m'as fait knouter par les Russes!... +Malheur à toi!... + + +SCENE IV. + +LES MEMES, MARFA, FUGITIFS. + + +(Grand tumulte au dehors. -- Le bruit de la fusillade se +rapproche! Les fugitifs se précipitent dans le poste.) + + +PREMIER FUGITIF. +Tout est perdu! + +DEUXIEME FUGITIF. +La cavalerie tartare sabre tous les malheureux qui sortent de +Kolyvan! + +TOUS. +Fuyons! Fuyons! +(Ils vont quitter le poste en désordre.) + +MARFA, paraissant au fond. +Arrêtez! arrêtez. + +TOUS. +Marfa Strogoff! + +MARFA. +Lâches, qui fuyez devant les Tartares! + +SANGARRE. +Ah! cette fois, tu ne m'échapperas pas! + +MARFA. +Arrêtez! vous dis-je, n'êtes-vous plus les enfants de notre +Sibérie?... + +PREMIER FUGITIF. +Est-il encore une Sibérie? Les Tartares n'ont-ils pas envahi +la province entière? + +MARFA, sombre. +Hélas! oui! puisque la province entière est dévastée! + +DEUXIEME FUGITIF. +N'est-ce pas toute une armée de barbares qui s'est jetée sur +nos villages? + +MARFA. +Oui, puisque si loin que la vue s'étende, nous ne voyons que +des villages en flammes! + +PREMIER FUGITIF. +Et cette armée n'est-elle pas commandée par le cruel Féofar? + +MARFA. +Oui! puisque nos rivières roulent des flots de sang! + +PREMIER FUGITIF. +Eh bien! que pouvons-nous faire? + +MARFA. +Résister encore, résister toujours, et mourir s'il le faut! + +PREMIER FUGITIF. +Résister quand le Père ne vient pas à nous, et quand Dieu nous +abandonne? + +MARFA. +Dieu est bien haut, et le Père est bien loin! Il ne peut ni +diminuer les distances, ni hâter davantage le pas de ses +soldats! Les troupes sont en marche, elles arriveront! mais +jusque-là, il faut résister!... Dût la vie d'un Tartare coûter +la vie de dix Sibériens, que ces dix meurent en combattant! +Qu'on ne puisse pas dire que Kolyvan s'est rendue, tant qu'il +restait un de ses enfants pour la défendre!... + +DEUXIEME FUGITIF. +Ces gargares étaient vingt contre un! + +PREMIER FUGITIF. +Et maintenant Kolyvan est en flammes! + +MARFA. +Eh bien, si vous ne pouvez rentrer dans la ville, combattez +au-dehors! Chaque heure gagnée peut donner aux troupes russes +le temps de se rallier!... Barricadez ce poste! Fortifiez-le! +Arrêtez ici cette tourbe! Tenez encore à l'abri de ces +murs!... Mes amis, écoutez la voix de la vieille Sibérienne, +qui demande à mourir avec vous, pour la défense de son pays! + +SANGARRE, à part. +Non! ce n'est pas ici que tu mourras. (Au bohémien qui +l'accompagne.) Reste et observe. (Elle sort par le fond.) + +MARFA. +Mes amis! vous m'entendez, moi, la veuve de Pierre Strogoff +que vous avez connu!... Ah! s'il était encore là, il se +mettrait à votre tête! Il vous ramènerait au combat!... +Ecoutez-le! Mes amis! c'est lui qui vous parle par ma voix! + +PREMIER FUGITIF. +Pierre Strogoff n'est plus! Peut-être avec un tel chef que lui +aurions-nous pu tenir dans la steppe, harceler les soldats de +l'émir... + +LES FUGITIFS. +Oui, un chef! Il nous faudrait un chef! + +MARFA. +Ah! tout est donc perdu! + +(Violente détonation au dehors.) + + +SCENE V. + +LES MEMES, STROGOFF, NADIA, BLOUNT, JOLLIVET, FUGITIFS. + + +JOLLIVET, entrant par le fond. +Les balles pleuvent sur la route. + +BLOUNT, le suivant. +Forcés de remettre notre duel. + +STROGOFF, entrant par le fond avec Nadia. +Ici, Nadia!... Ici, du moins, tu seras à l'abri, mais je suis +forcé de me séparer de toi! + +NADIA. +Tu vas m'abandonner?... + +STROGOFF. +Ecoute, les Tartares avancent!... ils marchent sur +Irkoutsk!... Il faut que j'y sois avant eux!... Un devoir +impérieux et sacré m'y appelle! Il faut que je passe, fût-ce à +travers la mitraille, fût-ce au prix de mon sang, fût-ce au +prix de ma vie!... + +NADIA. +S'il en est ainsi, frère, pars, et que Dieu te protège! + +STROGOFF. +Adieu, Nadia. (Il va s'élancer vers la porte du fond, et se +trouve face à face avec Marfa.) + +MARFA, l'arrêtant. +Mon fils! + +JOLLIVET. +Tiens!... Nicolas Korpanoff! + +MARFA. +Mon enfant!... (Aux Sibériens.) C'est lui, mes amis! C'est mon +fils... C'est Michel Strogoff! + +TOUS. +Michel Strogoff! + +MARFA. +Ah! vous demandiez un chef pour vous conduire dans la steppe, +un chef digne de vous commander! Le voilà!... Michel, embrasse-moi! +prends ce fusil, et sus aux Tartares. + +STROGOFF, à part. +Non! non! Je ne peux pas... j'ai juré... + +MARFA. +Eh bien, ne m'entends-tu pas? Michel! Tu me regardes sans +répondre? + +STROGOFF, froidement. +Qui êtes-vous?... Je ne vous connais pas. + +MARFA. +Qui je suis? Tu le demandes? Tu ne me reconnais plus... +Michel! mon fils!... + +STROGOFF. +Je ne vous connais pas. + +MARFA. +Tu ne reconnais pas ta mère? + +STROGOFF. +Je ne vous reconnais pas! + +MARFA. +Tu n'es pas le fils de Pierre et de Marfa Strogoff? + +STROGOFF. +Je suis Nicolas Korpanoff, et voici ma soeur Nadia. + +MARFA. +Sa soeur! (Allant à Nadia.) Toi! sa soeur? + +STROGOFF, avec force. +Oui, oui, réponds!... réponds, Nadia. + +NADIA. +Je suis sa soeur!... + +MARFA. +Tu mens!... Je n'ai pas de fille!... Je n'ai qu'un fils, et le +voilà! + +STROGOFF. +Vous vous trompez!... laissez-moi. (Il va vers la porte.) + +MARFA. +Tu ne sortiras pas! + +STROGOFF. +Laissez-moi... Laissez-moi!... + +MARFA, le ramenant. +Tu ne sortiras pas! Ecoute, tu n'es pas mon fils!... Une +ressemblance m'égare, je me trompe, je suis folle, et tu n'es +pas mon fils!... Pour cela, Dieu te jugera! Mais tu es un +enfant de notre Sibérie. Eh bien, l'ennemi est là et je te +tends cette arme!... Est-ce qu'après avoir renié ta mère, tu +vas aussi renier ton pays? Michel, tu peux me déchirer l'âme, +tu peux me briser le coeur, mais la patrie, c'est la première +mère, plus sainte et plus sacrée mille fois!... Tu peux me +tuer, moi, Michel, mais pour elle tu dois mourir! + +STROGOFF, à part. +Oui!... c'est un devoir sacré... oui... mais je ne dois ni +m'arrêter, ni combattre... Je n'ai pas une heure, pas une +minute à perdre! (A Marfa.) Je ne vous connais pas!... et je +pars! + +MARFA: Ah! malheureux qui es devenu à la fois fils dénaturé, +et traître à la patrie! + +(Forte détonation au dehors. Un obus tombe près de Marfa, +mèche fumante.) + +STROGOFF, s'élançant. +Prenez garde, Marfa! + +MARFA. +Que cet obus me tue, puisque mon fils est un lâche! + +STROGOFF. +Un lâche! moi! Vois si j'ai peur! (Il prend l'obus et le jette +dehors. Il s'élance par le fond.) Adieu, Nadia. + +MARFA. +Ah! je le disais bien!... C'est mon fils! c'est Michel +Strogoff, le courrier du czar! + +TOUS. +Le courrier du czar! + +MARFA. +Quelque secrète mission l'entraîne sans doute loin de moi!... +Nous combattrons sans lui! Barricadons cette porte, et +défendons-nous!... + +(Coups de fusils qui éclatent au dehors.) + +BLOUNT, portant la main à sa jambe. +Ah! blessé!... + +JOLLIVET, lui bandant sa blessure malgré lui. +Ah! pauvre Blount. + +MARFA. +Courage! mes amis!... Que chacun de nous sache mourir +bravement, non plus pour le salut, mais pour l'honneur de la +Russie! + +TOUS. +Hurrah! Pour la Russie! + +(Le combat s'engage avec les Tartares qui apparaissent. Un +brouillard de fumée emplit le poste qui s'effondre.) + + +SIXIEME TABLEAU. + +Le Champ de bataille de Kolyvan. + + +Vue du champ de bataille de Kolyvan. Horizon en feu, au +coucher du soleil. Morts et blessés étendus, cadavres de +chevaux. Au-dessus du champ de bataille, des oiseaux de proie +qui planent et s'abattent sur les cadavres. + +STROGOFF, paraissant au fond et traversant le champ de +bataille. +Ma mère! Nadia!... Elles sont ici peut-être, là parmi les +blessés et les morts!... Et l'implacable devoir impose silence +à mon coeur... Et je ne puis les rechercher ni les +secourir!... Non... (Se redressant.) Non! Pour Dieu, pour le +czar, pour la patrie!... +(Il continue à marcher vers la droite et le rideau baisse.) + + +ACTE TROISIEME. + + +SEPTIEME TABLEAU. + +La Tente d'Ivan Ogareff. + + +SCENE I. +JOLLIVET, BLOUNT. + +(Blount est à demi couché, et Jollivet s'occupe à le soigner.) + +BLOUNT, le repoussant. +Mister Jollivet, je priai vous de laisser moi tranquille! + +JOLLIVET. +Monsieur Blount, je vous soignerai quand même, et je vous +guérirai malgré vous, s'il le faut. + +BLOUNT. +Ces bons soins de vous étaient odieuses! + +JOLLIVET. +Odieux, mais salutaires! Et si je vous abandonnais, qui donc +vous soignerait dans ce camp tartare? + +BLOUNT. +Je prévenai vous que je n'étais pas reconnaissante du tout +pour ce que vous faisiez! + +JOLLIVET. +Est-ce que je vous demande de la reconnaissance? + +BLOUNT. +Vous avez volé mon voiture, ma déjeuner, mon hâne et mon place +au guichet du télégraphe! J'étais votre ennemi mortel, et je +voulais... + +JOLLIVET. +Et vous voulez touyer moi, c'est convenu! mais pour que vous +puissiez me touyer, il faut d'abord que je vous guérisse! + +BLOUNT. +Ah! c'était un grand malheur que le obus il ait été pour moi! + +JOLLIVET. +Ce n'était pas un obus, c'était un biscaïen. + +BLOUNT. +Un bis...? + +JOLLIVET. +Caïen! + +BLOUNT. +Par oune K? + +JOLLIVET. +Non par un C. + +BLOUNT. +Par oune C. Oh! c'était mauvais tout de même! + +JOLLIVET. +Voyons, prenez mon bras, et marchez un peu. + +BLOUNT, avec force. +Non! Je marchai pas! + +JOLLIVET. +Prenez mon bras, vous dis-je, ou je vous emporte sur mes +épaules, comme un sac de farine! + +BLOUNT. +Oh! sac de farine!...Vous insultez moi encore! + +JOLLIVET. +Ne dites donc pas de bêtises! (Il veut l'emmener. Un Tartare +entre et les arrête.) + +LE TARTARE. +Restez. Le seigneur Ivan Ogareff veut vous interroger. (Il +sort.) + +JOLLIVET. +Nous interroger?... Lui, Ogareff!... ce traître! + +BLOUNT. +Cette brigande!... cette bandite voulait interroger moi! +(Ivan paraît, s'arrête à l'entrée de la tente et parle bas à +deux Tartares qui l'accompagnent et sortent.) + +JOLLIVET. +Que vois-je? l'homme qui insultait brutalement le marchand +Korpanoff?... + +BLOUNT. +C'était cette colonel Ogareff!... Oh! je sentai une grosse +indignéchione! + + +SCENE II. + +LES MEMES, IVAN, TARTARES. + + +IVAN. +Approchez et répondez moi. Qui êtes-vous? + +JOLLIVET. +Alcide Jollivet, citoyen français, que personne n'a le droit +de retenir prisonnier. + +IVAN. +Peut-être. (A Blount.) Et vous? + +BLOUNT. +Harry Blount!... une honnête homme, entendez-vous, une fidèle +sujette de le Angleterre, entendez-vous, une loyale serviteur +de son pétrie, entendez-vous! + +IVAN. +Vous avez été pris, dit-on, parmi nos ennemis? + +JOLLIVET, avec ironie. +Non, on vous a trompé. + +IVAN. +Vous osez dire?... + +JOLLIVET. +Je dis que ce ne peut être parmi les ennemis d'un colonel +russe, puisque c'est au milieu de ses compatriotes, parmi les +Russes eux-mêmes, qu'on nous a arrêtés! Vous voyez bien, +monsieur, que l'on vous a trompé. + +BLOUNT, à part. +Very well!... Très bon réponse!... + +IVAN. +Quel motif vous a conduits sur le théâtre de la guerre? + +JOLLIVET. +Nous sommes journalistes, monsieur,... deux reporters. + +IVAN, avec mépris. +Ah! oui, je sais, des reporters... c'est-à-dire une sorte +d'espions!... + +BLOUNT, furieux. +Espionne! nous, espionne! + +JOLLIVET, avec force. +Monsieur, ce que vous dites est infâme, et j'en prends à +témoin l'Europe tout entière! + +IVAN. +Que m'importe l'opinion de l'Europe! Je vous traite comme il +me plaît, parce qu'on vous a pris parmi les Russes, qui sont +mes ennemis, vous le savez bien! + +JOLLIVET. +J'ignorais que la patrie devînt jamais l'ennemi d'un loyal +soldat! + +BLOUNT. +C'était le soldat déloyal qui devenait le ennemi de son +pétrie! + +JOLLIVET. +Et celui-là est un traître! + +IVAN, avec colère. +Prenez garde et souvenez-vous que je suis tout-puissant ici! + +JOLLIVET. +Vous devriez tâcher de le faire oublier. + +IVAN, avec colère. +Monsieur... (Se calmant.) L'insulte d'un homme de votre sorte +ne peut arriver jusqu'à moi! + +JOLLIVET. +C'est naturel, colonel Ogareff, la voix ne descend pas, elle +monte. + +IVAN, avec colère. +C'en est trop! + +BLOUNT, à part. +Il n'était pas satisfaite du tout! + +IVAN. +Vous me payerez ce nouvel outrage et vous le payerez cher. +(Appelant.) Gardes! (Un Tartare entre.) Que l'Anglais soit +conduit hors du camp, avant une heure,... et qu'avant une heure, +l'autre soit fusillé! (Il sort avec le Tartare.) + + +SCENE III. + +BLOUNT, JOLLIVET. + + +BLOUNT, avec terreur. +Fousillé! fousillé! fousillé!... + +JOLLIVET. +Je n'ai pas était maître de mon indignation! + +BLOUNT. +Fousillé!... Cette misérable coquine faisait fousiller vous! + +JOLLIVET. +Hélas! oui!... Rien ne peut me sauver et le mieux est de me +résigner courageusement! + +BLOUNT. +Ah! Jollivet! + +JOLLIVET. +Vous voilà débarrassé de votre rival, de votre ennemi! + +BLOUNT, se récriant. +Débarrassé de mon hennemi! + +JOLLIVET. +Et il était écrit que notre duel n'aurait jamais lieu! + +BLOUNT, ému. +Notre douel?... Est-ce que vous aviez pensé que je battais +jamais moi avec vous, Jollivet? + +JOLLIVET. +Je sais qu'il y avait en vous plus d'emportement que de haine! + +BLOUNT. +Oh! non!... je vous haïssais pas, Jollivet, et si vous avez un +peu moqué, vous avez défendu moi dans le bataille, vous avez +soigné mon blessure, vous avez sauvé moi comme une bonne et +brave gentleman, Jollivet. + +JOLLIVET, souriant tristement. +Tiens! vous ne m'appelez plus Jollivette, monsieur Blount. + +BLOUNT. +Et je demandai pardone à vous pour cette méchante +plaisanterie! + +JOLLIVET. +Alors nous voilà amis... tout à fait? + +BLOUNT. +Oh! yes, amis jusqu'à la m... + +JOLLIVET. +Jusqu'à la mort!... Ce ne sera pas long, hélas!... et je +voudrais... avant... de mourir... vous demander un service, +ami Blount. + +BLOUNT, vivement. +Une service! Oh! je promettai, je jurai d'avance!... + +JOLLIVET. +Nous sommes ici, mon ami, comme deux sentinelles perdues et +chargées l'une et l'autre d'éclairer notre pays sur les graves +événements qui s'accomplissent. Eh bien, le devoir que je ne +pourrai plus remplir, je vous demande de le remplir à ma +place. + +BLOUNT, très ému. +Oh! yes! yes!... + +JOLLIVET. +Voulez-vous me promettre, Blount, qu'après avoir adressé +chacune de vos correspondances en Angleterre, vous l'enverrez +ensuite en France? + +BLOUNT. +Ensuite! non!... Jollivet, non... pas ensuite. Je voulais +remplacer vous, tout à faite, et comme vous étiez plus adroite +que moi, vous aviez envoyé toujours les nouvelles le première, +eh bien, je promettai que j'envoyai en France... d'abord! + +JOLLIVET. +En même temps, Blount, en même temps... je le veux!... + +BLOUNT. +Yes!... en même temps!... d'abord!... Etes-vous satisfaite, +Jollivet? + +JOLLIVET. +Oui, mais ce n'est pas tout, Blount. + +BLOUNT. +Parlez, je écoutai vous. + +JOLLIVET. +Mon ami, j'ai laissé là-bas une femme!... + +BLOUNT. +Une femme! + +JOLLIVET. +Une jeune femme... et un petit enfant. Elle, bonne comme une +sainte! lui, beau comme un ange!... + +BLOUNT, avec reproche. +Oh! vous aviez une femme et une toute petite bébé, et vous +avez quitté eux!... Oh! Jollivet, Jollivet. + +JOLLIVET, tristement. +Que voulez-vous?... Nous étions pauvres, mon ami! + +BLOUNT, pleurant. +Pauvres!... Et alors vous étiez forcé pour abandonner eux, et +moi je reprochai à vous... j'accusai vous... Oh! my friend, my +dear friend!... I am a very bad man,... your pardon... for... +having spoken as... I have done!... Je demandai pardone à +vous. Jollivet, yes!... je demandai pardone, et quand le +guerre était finie ici, je jurai que j'allai en France, je +cherchai votre fémille, je servai pour père à votre pauvre +petite bébé, et je servai pour méri,... non!... je servai pour +frère à votre bonne jolie femme... je promettai... je jurai... +je... (Il lui serre la main, se jette à son cou et +l'embrasse. -- On entend un bruit de fanfare.) + +JOLLIVET. +Qu'est-ce que cela? + +UN TARTARE, entrant. +C'est l'arrivée de l'émir Féofar. Tous les prisonniers doivent +se prosterner devant lui... Venez. + +BLOUNT. +Prosterner!... je prosternerai pas!... je prosternerai +jamais!... (Ils sortent.) + +(Le décor change à vue et représente le camp tartare.) + + +HUITIEME TABLEAU. + +Le Camp de l'émir. + +La scène représente une place, ornée de pylones, recouverte +d'un splendide velum. A droite, un trône magnifiquement orné; +à gauche une tente. + + +SCENE I. + +FEOFAR, IVAN, LES TARTARES. + + +(Grand fracas de trompettes et de tambours. Superbe cortège +qui défile devant le trône. +Féofar, accompagné d'Ivan et de toute sa maison militaire, +arrive au camp. Réception solennelle.) + +IVAN. +Gloire à toi, puissant émir, qui viens commander en personne +cette armée triomphante! + +TOUS. +Gloire à Féofar! Gloire à l'émir! + +IVAN. +Les provinces de la Sibérie sont maintenant en ton pouvoir. Tu +peux pousser tes colonnes victorieuses aussi bien vers les +contrées où se lève le soleil que dans celles où il se couche. + +FEOFAR. +Et si je marche avec le soleil? + +IVAN. +C'est te jeter vers l'Europe, et c'est rapidement conquérir le +pays jusqu'aux montagnes de l'Oural! + +FEOFAR. +Et si je vais au-devant du faisceau de lumière? + +IVAN. +C'est soumettre à ta domination Irkoutsk et les plus riches +provinces de l'Asie centrale. + +FEOFAR. +Quel avis t'inspire ton dévouement à notre cause? + +IVAN. +Prendre Irkoutsk, la capitale, et avec elle l'otage précieux +dont la possession vaut une province! Emir, il faut que le +Grand-Duc tombe entre tes mains. + +FEOFAR. +Il sera fait ainsi. + +IVAN. +Quel jour l'émir quittera-t-il ce camp? + +FEOFAR. +Demain, car aujourd'hui c'est fête pour les vainqueurs. + +TOUS. +Gloire à l'émir! + + +SCENE II. + +LES MEMES, BLOUNT, puis JOLLIVET. + + +BLOUNT. +L'émir! je voulais parler à l'émir. + +FEOFAR. +Qu'est-ce donc? + +IVAN. +Que voulez-vous? + +BLOUNT. +Je voulais parler à l'émir. + +L'EMIR. +Parle. + +BLOUNT. +Emir Féofar, je suppliai... non!... je conseillai à toi de +entendre moi! + +FEOFAR. +Approche. + +BLOUNT. +Je demandai au puissante Féofar d'empêcher le fousillement +d'un gentleman! + +FEOFAR. +Que signifie? + +IVAN. +Un étranger qui a osé m'insulter et dont j'ai ordonné le +châtiment! + +L'EMIR. +Qu'on amène cet homme. + +(Jollivet est amené et se place près de Blount.) + +BLOUNT. +Et si je conseillai à toi, grande Féofar, de rendre son +liberté à mister Jollivet, c'était dans le intérêt de toi, de +ton sécourité, car si une seule cheveu tombait de son tête à +lui, il mettait en danger ton tête à toi! + +FEOFAR. +Et qui donc aurai-je à redouter? + +BLOUNT. +Le France! + +FEOFAR. +La France! + +BLOUNT. +Oui, le France qui ne laisserait pas impiouni le assassinat +d'une enfant à elle! Et je avertis toi, que si on ne rendait +pas la liberté à lui, je restai prisonnier avec! Je prévenai +toi que si on touyait lui, il fallait me touyer avec, et qu'au +lieu de le France tout seule, tu auras sur les bras le France +et le Angleterre avec!... Voilà ce que j'avais à dire à toi, émir +Féofar. A présent, fais touyer nous si tu voulais! + +FEOFAR. +Ivan, que les paroles de cet homme s'effacent de ta mémoire et +qu'on épargne sa vie! + +IVAN. +Mais il m'a insulté! + +FEOFAR. +Je le veux. + +IVAN. +Soit! Qu'on le chasse du camp à l'instant même. + +JOLLIVET. +Vous prévenez mes désirs, monsieur Ogareff!... J'ai hâte de +n'être plus en votre honorable compagnie!... Blount, je +n'oublierai pas ce que vous venez de faire pour moi! + +BLOUNT. +Nous étions quittes et très bonnes amis, Jollivet! + +JOLLIVET. +Et nous continuerons la campagne ensemble! + +BLOUNT. +All right! + +(Tous deux sortent par le fond. +Féofar et ses officiers entrent avec lui sous une tente à +gauche.) + + +SCENE III. + +IVAN, SANGARRE. + + +IVAN, voyant entrer Sangarre. +Sangarre! Tu le vois, elle s'achèvera bientôt la tâche que je +me suis imposée! + +SANGARRE. +Parles-tu de ta vengeance? + +IVAN. +Oui, oui, de cette vengeance qui est maintenant assurée! + +SANGARRE. +Elle t'échappera, si le Grand-Duc est prévenu à temps, si un +courrier russe parvient jusqu'à lui! + +IVAN. +Comment un courrier passerait-il à travers nos armées? + +SANGARRE. +Il en est un qui, sans moi, serait en ce moment sur la route +d'Irkoutsk! + +IVAN. +Parle, explique-toi. + +SANGARRE. +Ivan, je suis près que toi du but que chacun de nous veut +atteindre! Le Grand-Duc n'est pas encore entre tes mains, +tandis que j'ai en mon pouvoir cette Marfa Strogoff, dont j'ai +juré la mort! + +IVAN. +Achève. + +SANGARRE. +La vieille Sibérienne a été prise au poste de Kolyvan, avec +beaucoup d'autres. Mais, dans ce poste, Marfa n'était pas la +seule qui portât ce nom de Strogoff! + +IVAN. +Que veux-tu dire? + +SANGARRE. +Hier, un homme a refusé de reconnaître Marfa, qui l'appelait +son fils!... Il l'a reniée publiquement. Mais une mère ne se +trompe pas à une prétendue ressemblance. Cet homme qui ne +voulait pas être reconnu était bien Michel Strogoff, un des +courriers du czar. + +IVAN. +Où est-il? Qu'est-il devenu? A-t-on pu s'emparer de lui? + +SANGARRE. +Après la victoire, tous ceux qui fuyaient le champ de bataille +ont été arrêtés. Pas un des fugitifs n'a pu nous échapper, et +Michel Strogoff doit être parmi les prisonniers! + +IVAN. +Le reconnaîtrais-tu? Pourrais-tu le désigner? + +SANGARRE. +Non. + +IVAN. +Il me faut cet homme! Il doit être porteur de quelque +important message. Qui donc pourra me le faire connaître? + +SANGARRE. +Sa mère! + +IVAN. +Sa mère? + +SANGARRE. +Elle refusera de parler, mais... + +IVAN. +Mais je saurai bien l'y forcer... Qu'on l'amène. (Sangarre +s'éloigne par le fond.) Un courrier évidemment envoyé vers le +Grand-Duc! Il est porteur d'un message! Ce message, je +l'aurai!... + + +SCENE IV. + +IVAN, SANGARRE, MARFA, NADIA, puis DES PRISONNIERS, SOLDATS, +ETC. + + +NADIA, bas. +Pourquoi nous conduit-on ici? + +MARFA, bas. +Pour m'interroger, sans doute, sur le compte de mon fils, mais +j'ai compris qu'il ne voulait pas être reconnu!... il est déjà +loin... Ils ne m'arracheront pas mon secret. + +SANGARRE. +Regarde-moi, Marfa, regarde-moi bien!... Sais-tu qui je suis? + +MARFA, regardant Sangarre. +Oui! l'espionne tartare que j'ai fait châtier! + +SANGARRE. +Et qui te tient à son tour en son pouvoir! + +NADIA, lui prenant la main. +Marfa! + +MARFA, bas. +Ne crains rien pour moi, ma fille! + +IVAN, à Marfa. +Tu te nommes?... + +MARFA. +Marfa Strogoff. + +IVAN. +Tu as un fils? + +MARFA. +Oui! + +IVAN. +Où est-il maintenant? + +MARFA. +A Moscou, je suppose. + +IVAN. +Tu es sans nouvelles de lui? + +MARFA. +Sans nouvelles. + +IVAN. +Quel est donc cet homme que tu appelais ton fils, hier, au +poste de Kolyvan? + +MARFA. +Un Sibérien que j'ai pris pour lui. C'est le deuxième en qui +je crois retrouver mon fils, depuis que Kolyvan est rempli +d'étrangers. + +IVAN. +Ainsi ce jeune homme n'était pas Michel Strogoff? + +MARFA. +Ce n'était pas lui. + +IVAN. +Et tu ignores ce que ton fils est devenu? + +MARFA. +Je l'ignore. + +IVAN. +Et depuis hier, tu ne l'as pas vu parmi les prisonniers? + +MARFA. +Non! + +IVAN. +Ecoute. Ton fils est ici, car aucun des fugitifs n'a pu +échapper à ceux de nos soldats qui cernaient le poste de +Kolyvan. Tous ces prisonniers vont passer devant tes yeux, et +si tu ne me désignes pas ce Michel Strogoff, je te ferai périr +sous le knout! + +NADIA. +Grand Dieu! + +MARFA. +Quand tu voudras, Ivan Ogareff. J'attends. + +NADIA. +Pauvre Marfa! + +MARFA. +Je serai courageuse!... je n'ai rien à craindre pour lui! + +IVAN. +Qu'on amène les prisonniers. (A Sangarre.) Et toi, observe +bien si l'un deux se trahit! + +(Les prisonniers défilent. -- Michel Strogoff est parmi eux, +mais quand il passe devant elle, Marfa ne bouge pas.) + +IVAN. +Eh bien! ton fils? + +MARFA. +Mon fils n'est pas parmi ces prisonniers! + +IVAN. +Tu mens!... désigne-le... parle...je le veux. + +MARFA, résolument. +Je n'ai rien à vous dire. + +SANGARRE, bas. +Oh! je la connais, cette femme!... Sous le fouet, même +expirante, elle ne parlera pas!... + +IVAN. +Elle ne parlera pas, dis-tu!... Eh bien, il parlera lui!... +Saisissez cette femme, qu'elle soit frappée du knout jusqu'à +ce qu'elle en meure! + +(Marfa est saisie par deux soldats et jetée à genoux sur le +sol. Un soldat portant le knout se place derrière elle.) + +IVAN, au soldat. +Frappe! + +(Le knout est levé sur Marfa, Strogoff se précipite, arrache +le knout et en frappe Ivan au visage.) + +STROGOFF. +Coup pour coup, Ogareff! + +MARFA. +Qu'as-tu fait, malheureux! + +IVAN. +L'homme du relai! + +SANGARRE. +Michel Strogoff! + +STROGOFF. +Moi-même! Oui, moi, que tu as insulté, outragé! moi dont tu +veux assassiner la mère! + +TOUS. +A mort! à mort! + +IVAN. +Ne tuez pas cet homme! Qu'on prévienne l'émir! + +MARFA. +Mon fils!... Ah! pourquoi t'es-tu trahi! + +STROGOFF. +J'ai pu me contenir quand ce traître m'a frappé!... Mais le +fouet levé sur toi, ma mère!... oh! c'était impossible! + +IVAN. +Eloignez donc cette femme!... et qu'on le fouille! + +(Les soldats exécutent cet ordre.) + +STROGOFF, résistant. +Me fouiller! Lâche! misérable! + +IVAN, lui prend la lettre qu'il portait sur sa poitrine et la +lit. +Oh! il était temps!... Cette lettre perdait tout!... +Maintenant le Grand-Duc est à moi! + + +SCENE V. + +LES MEMES, FEOFAR, ET SA SUITE. + + +IVAN. +Emir Féofar, tu as un acte de justice à accomplir. + +FEOFAR. +Contre cet homme? + +IVAN. +Contre lui. + +FEOFAR. +Quel est-il? + +IVAN. +Un espion russe. + +TOUS. +Un espion!... + +MARFA. +Non, non... mon fils n'est pas un espion! Cet homme a +menti!... + +IVAN. +Cette lettre, trouvée sur lui, indiquait le jour où une armée +de secours doit arriver en vue d'Irkoutsk... le jour où +faisant une sortie, le Grand-Duc nous aurait pris entre deux +feux! + +TOUS. +A mort! à mort! + +NADIA. +Grâce pour lui! + +MARFA. +Vous ne le tuerez pas! + +TOUS. +A mort! à mort! + +IVAN, à Strogoff. +Tu les entends? + +STROGOFF, à Ivan. +Je mourrai, mais ta face de traître, Ivan, n'en portera pas +moins, et à jamais, la marque infamante du knout! + +IVAN. +Emir, nous attendons que ta justice prononce. + +FEOFAR. +Qu'on apporte le Koran. + +TOUS. +Le Koran! le Koran! + +FEOFAR. +Ce livre saint a des peines pour les traîtres et les +espions!... C'est lui-même qui prononcera la sentence! + +(Des prêtres tartares apportent le livre sacré et le +présentent à Féofar.) + +FEOFAR, à l'un des prêtres. +Ouvre ce livre, à l'endroit où il édicte les peines et +châtiments. Mon doigt touchera un des versets,... et ce verset +contiendra sa sentence! + +(Le Koran est ouvert. Le doigt de Féofar se pose sur une des +pages, et un prêtre lit à haute voix le verset touché par +l'émir.) + +LE PRETRE, lisant. +"Ses yeux s'obscurciront comme les étoiles sous le nuage, et +il ne verra plus les choses de la terre!" + +TOUS. +Ah! + +FEOFAR, à Strogoff: Tu es venu pour voir ce qui se passe au +camp tartare! Regarde! Maintenant que notre armée triomphante +se réjouisse, que la fête ait lieu qui doit célébrer nos +victoires! + +TOUS. +Gloire à l'émir! + +FEOFAR, prenant place sur son trône. +Et toi, espion, pour la dernière fois de ta vie, regarde de +tous tes yeux!... regarde! + +(Strogoff est conduit au pied de l'estrade. Marfa est à demi +couchée sur le sol. Nadia est agenouillée près d'elle.) + + +NEUVIEME TABLEAU. + +La Fête tartare. + +BALLET + +(Après la première reprise, la voix d'un prêtre se fait +entendre et répète les paroles de l'émir.) + +LE PRETRE. +Regarde de tous tes yeux... regarde! + +(Après la deuxième reprise, la voix du prêtre se fait encore +entendre.) + +LE PRETRE. +Regarde de tous tes yeux! regarde! + +(Le ballet fini, Strogoff est amené au milieu de la scène. Un +trépied, portant des charbons ardents, est apporté près de +lui, et le sabre de l'exécuteur est posé en travers sur les +charbons. +Sur un signe de Féofar, l'exécuteur s'approche de Strogoff. Il +prend le sabre qui est chauffé à blanc.) + +FEOFAR. +Dieu a condamné cet homme! Il a dit que l'espion soit privé de +la lumière!... Que son regard soit brûlé par cette lame +ardente! + +NADIA. +Michel! Michel! + +STROGOFF, se tournant vers Ivan. +Ivan! Ivan le traître! la dernière menace de mes yeux sera +pour toi! + +MARFA, se précipitant vers son fils. +Mon fils! mon fils!... + +STROGOFF. +Ma mère!... ma mère! oui! oui! à toi mon suprême regard!... +Reste là, devant moi!... Que je voie encore ta figure +bien-aimée!... Que mes yeux se ferment en te regardant! + +IVAN, à Strogoff. +Ah! tu pleures! Tu pleures comme une femme! + +STROGOFF, se redressant. +Non! comme un fils! + +IVAN. +Bourreau, accomplis ton oeuvre! + +(Les bras de Strogoff ont été saisis pas des soldats; il est +tenu agenouillé de manière à ne pouvoir faire un mouvement. La +lance incandescente passe devant ses yeux.) + +STROGOFF, poussant un cri terrible. +Ah!!!! + +(Marfa tombe évanouie. Nadia se précipite sur elle.) + +IVAN. +A mort maintenant, à mort l'espion! + +TOUS. +A mort! à mort! + +(Des soldats se jettent sur Strogoff pour le massacrer.) + +FEOFAR. +Arrêtez!... arrêtez!... Prêtre, achève le verset commencé. + +LE PRETRE. +.... "Et aveugle, il sera comme l'enfant, et comme l'être +privé de raison, sacré pour tous!..." + +FEOFAR. +Que nul ne touche désormais à cet homme, car le Koran l'a dit: +"Vous tiendrez pour sacrés les enfants, les fous et les +aveugles." + +IVAN, à Sangarre. +Il n'est plus à craindre maintenant. + +(Féofar, Ivan et tout le cortège sortent par le fond. Une +demi-nuit s'est faite, et il ne reste plus en scène que +Strogoff, Marfa et Nadia.) + +(Strogoff se relève et se dirige en tâtonnant vers l'endroit +où est tombée sa mère.) + +STROGOFF. +Ma mère! Ma mère!... Ma mère!... ma pauvre mère!... + +NADIA, venant à lui. +Frère! frère! mes yeux seront désormais tes yeux!... je te +conduirai... + +STROGOFF. +A Irkoutsk! (Il embrasse une dernière fois sa mère.) A +Irkoutsk! + + +ACTE QUATRIEME. + + +DIXIEME TABLEAU. + +La Clairière. + +La scène représente une berge sur la rive droite de l'Angara. +Il fait encore jour. + + +SCENE I. + +IVAN, SANGARRE, UN CHEF TARTARE, SOLDATS. + + +IVAN, au chef. +C'est ici que nous allons nous séparer de toi et de tes +soldats, et tu suivras fidèlement ensuite toutes mes +instructions. + +LE CHEF. +Compte sur nous, Ivan Ogareff. + +SANGARRE. +Où donc irons-nous maintenant? + +IVAN. +Ecoutez! L'énergie de ce Grand-Duc renverse tous mes calculs, +déjoue toutes mes prévisions. Chaque jour il opère de +nouvelles sorties, dont la plus prochaine coïncidera peut-être +avec l'apparition d'une armée de secours, et nous serons ainsi +placés entre deux feux!... Il faut donc que sans tarder +j'exécute le projet hardi que j'ai conçu. + +SANGARRE. +Et ce projet, quel est-il? + +IVAN. +Sangarre, j'entrerai seul aujourd'hui dans Irkoutsk. Les +Russes accueilleront avec des transports de joie celui qui se +présentera sous le nom de Michel Strogoff, le courrier du +czar. Va! tout est bien combiné et ma vengeance sera prompte à +frapper! A l'heure convenue entre l'émir et moi, les Tartares +attaqueront la porte de Tchernaïa qu'une main amie, la mienne, +saura leur ouvrir. + +SANGARRE. +Espères-tu donc que les Russes ne défendront pas cette porte? + +IVAN. +Une terrible diversion les en empêchera et attirera tous les +bras valides au quartier de l'Angara! + +LE CHEF. +Cette diversion, quelle sera-t-elle? + +IVAN. +Un incendie! + +TOUS. +Un incendie? + +IVAN. +Que vous autres, soldats, vous aurez allumé! + +LE CHEF. +Nous! que veux-tu dire? + +IVAN, montrant l'Angara. +Voyez ce fleuve qui coule et traverse la ville. C'est l'Angara +et c'est lui... lui-même... qui va dévorer Irkoutsk! + +SANGARRE. +Ce fleuve? + +IVAN. +Au moment convenu, ce fleuve va rouler un torrent incendiaire. +Des sources de naphte sont exploitées à trois verstes d'ici. +Nous sommes maîtres des immenses réservoirs de Baïkal, qui +contiennent tout un lac de ce liquide inflammable!... Un pan +de mur démoli par vous, et un torrent de naphte se répandra à +la surface de l'Angara. Alors il suffira d'une étincelle pour +l'enflammer et porter l'incendie jusqu'au coeur d'Irkoutsk! Les +maisons bâties sur pilotis, le palais du Grand-Duc lui-même +seront dévorés, anéantis!... Ah! Russes maudits! vous m'avez +jeté dans le camp des Tartares! Eh bien, c'est en Tartare que +je vous fais la guerre! + +LE CHEF. +Tes ordres seront exécutés, Ivan, mais quel moment choisirons-nous +pour renverser la muraille des réservoirs de Baïkal? + +IVAN. +L'heure où le soleil aura disparu de l'horizon. + +SANGARRE. +A cette heure la capitale de la Sibérie sera en flammes! + +IVAN. +Et ma vengeance s'accomplira! Partons maintenant. (Au chef.) +Tu te souviendras? + +LE CHEF. +Je me souviendrai. + +(Ivan et Sangarre sortent.) + + +SCENE II. + +LE CHEF, LES SOLDATS, LE SERGENT. + + +LE CHEF. +Prenons ici une demi-heure de repos, avant l'instant où nous +devons remplir notre mission. + +LE SERGENT. +Les hommes peuvent aller et venir? + +L'OFFICIER. +Oui, mais qu'ils ne s'éloignent pas! Nous n'aurons pas trop de +tous nos bras pour renverser le mur des réservoirs de naphte! + +LE SERGENT. +C'est bien!... Allez vous autres. + +(Tous disparaissent après avoir déposé çà et là leurs fusils.) + + +SCENE III. + +MARFA, PUIS LES TARTARES. + + +MARFA, entrant par la droite appuyée sur un bâton. +Mon pauvre enfant, toi, dont le regard s'est éteint en se +fixant pour la dernière fois sur ta mère, où es-tu?... Qu'es-tu +devenu? (Elle s'assied.) Une jeune fille, m'a-t-on dit,... +Nadia, sans doute,... guide les pas de l'aveugle!... Tous deux +se sont dirigés vers Irkoutsk, et, depuis un mois, j'ai suivi +la grande route sibérienne... Mon fils bien-aimé, c'est moi +qui t'ai perdu! Je n'ai pu me contenir, en te retrouvant... +là... devant moi... et tu n'as pas été maître de toi-même en +voyant le knout levé sur ta mère! Ah! pourquoi n'as-tu pas +laissé déchirer mes épaules! Aucune torture ne m'aurait +arraché ton secret!... Allons! il faut marcher encore!... Je +ne suis plus ici qu'à quelques verstes d'Irkoutsk! C'est là +peut-être que je le retrouverai... Allons! (Elle se lève et va +sortir.) Les Tartares! + +L'OFFICIER, voyant Marfa. +Quelle est cette femme? + +LE SERGENT. +Quelque mendiante! + +MARFA. +Je ne tends pas la main! Je ne réclame pas la pitié d'un +Tartare! + +L'OFFICIER. +Tu es bien fière!... Que fais-tu ici? où vas-tu? + +MARFA. +Je vais où vont ceux qui n'ont plus de patrie, qui n'ont plus +de maison et qui fuient les envahisseurs! Je vais devant moi +jusqu'à ce que les forces me manquent!...jusqu'à ce que je +tombe... et que je meure! + +LE SERGENT, au capitaine. +C'est une folle, capitaine. + +L'OFFICIER. +Qui a de bons yeux et de bonnes oreilles! Je n'aime pas ces +rôdeurs qui suivent notre arrière-garde!... Ce sont autant +d'espions. (A Marfa.) Pars, et que je ne te revoie pas, ou je +te ferai attacher au pied d'un arbre, et là les loups affamés +ne te feront pas grâce! + +MARFA. +Loup ou Tartare, c'est tout un!... Mourir d'un coup de dent ou +d'un coup de fusil, peu m'importe! + +L'OFFICIER. +Oh! la vie a peu de prix à tes yeux! + +MARFA. +Oui, depuis que j'ai perdu celui que je cherche vainement, mon +fils que les tiens ont cruellement martyrisé! + +(Marfa a repris son bâton et va s'enfoncer à droite.) + +LE SERGENT, à l'officier. +Capitaine, encore des fugitifs, sans doute. + +(Il montre Strogoff et Nadia qui apparaissent au fond.) + + +SCENE IV. + +LES MEMES, NADIA, STROGOFF. + + +MARFA, à part et continuant. +Lui!... mon fils!... mon fils!... + +STROGOFF, à Nadia. +Qu'est-ce donc? + +NADIA. +Des Tartares? + +STROGOFF. +Ils nous ont vus? + +NADIA. +Oui!... + +MARFA, à part. +Oh! cette fois je ne me trahirai pas devant eux. (Elle se +cache au fond.) + +L'OFFICIER. +Faites approcher ces gens. + +LE SERGENT. +Allons! approchez... approchez! + +L'OFFICIER. +Qui êtes-vous?... + +NADIA. +Mon frère est aveugle, et nous avons parcouru, malgré les +terribles souffrances qu'il a subies, une route si pénible et +si longue qu'il peut à peine se soutenir! + +L'OFFICIER. +D'où venez-vous? + +STROGOFF. +D'Irkoutsk, où nous n'avons pu pénétrer parce que les Tartares +l'investissent. + +L'OFFICIER. +Et vous allez? + +STROGOFF. +Vers le lac Baïkal, où nous attendrons que la Sibérie soit +redevenue tranquille. + +L'OFFICIER. +Et elle le sera sous la domination tartare! + +LE SERGENT, observant Nadia. +Elle est jolie, cette fille, capitaine! + +L'OFFICIER, à Strogoff. +C'est vrai, tu as là une belle compagne! + +(Le sergent veut s'approcher de Nadia.) + +NADIA, s'éloignant. +Ah! (Elle reprend la main de Strogoff.) + +STROGOFF. +C'est ma soeur! + +LE SERGENT. +On pourrait donner un autre guide à l'aveugle, et cette belle +fille resterait au bivouac! (Il s'approche d'elle.) + +NADIA. +Laissez-moi, laissez-moi! + +STROGOFF, à part. +Misérables! + +LE SERGENT. +Elle est farouche, la jeune Sibérienne! Nous nous reverrons +plus tard, la belle. + +UN SOLDAT, entrant. +Capitaine, en montant sur une colline, à cent pas d'ici, on +peut voir de grandes fumées qui s'élèvent dans l'air, et, en +prêtant l'oreille, on entend au loin, le bruit du canon. + +L'OFFICIER. +C'est que les nôtres donnent l'assaut à Irkoutsk! + +STROGOFF, à part. + +L'assaut à Irkoutsk! +L'OFFICIER. +Voyons cela. (Aux soldats.) Dans une heure le moment sera venu +d'accomplir notre tâche, et, cela fait, nous rejoindrons les +assaillants. + +(Il sort, les soldats l'accompagnent. Le sergent regarde une +dernière fois Nadia et sort.) + + +SCENE V. + +NADIA, STROGOFF, puis MARFA. + + +NADIA. +Ils sont partis, frère, nous pouvons continuer notre route. + +STROGOFF. +Non!... j'ai dit que nous allions du côté du lac Baïkal!... Il +ne faut pas qu'ils nous voient prendre un autre chemin! + +NADIA. +Nous attendrons alors qu'ils soient tout à fait éloignés. + +STROGOFF. +C'est aujourd'hui le 24 septembre, et aujourd'hui,... je +devrais être à Irkoutsk. + +NADIA. +Espérons encore!... Ces Tartares vont partir... Cette nuit, +quand on ne pourra plus nous voir, nous chercherons le moyen +de descendre le fleuve... et tu pourras, avant demain, entrer +dans la ville!... Essaye de prendre un peu de repos en +attendant! +(Elle le conduit au pied d'un arbre.) + +STROGOFF. +Me reposer... et toi... pauvre Nadia, n'es-tu pas plus brisée +par la fatigue que je ne le suis moi-même? + +NADIA. +Non... non... Je suis forte... tandis que toi, cette blessure +que tu as reçue, cette fièvre qui te dévore!... + +(Strogoff s'asseoit au pied de l'arbre.) + +STROGOFF. +Ah! qu'importe, Nadia, qu'importe! Que j'arrive à temps auprès +du Grand-Duc et je n'aurais plus rien à vous demander, mon +Dieu, si ma mère existait encore! + +NADIA. +Devant son fils que ces barbares allaient martyriser, elle est +tombée... inanimée!... Mais qui te dit que la vie s'était brisée +en elle?... Qui te dit qu'elle était morte?... Frère,... je +crois que tu la reverras... (Se reprenant et le regardant avec +douleur.) Je crois, frère, que tu la presseras encore dans tes +bras... et qu'elle couvrira de baisers et de larmes ces +pauvres yeux où la lumière s'est éteinte! + +STROGOFF. +Quand j'ai posé mes lèvres sur son front, je l'ai senti +glacé!... Quand j'ai interrogé son coeur, il n'a pas battu +sous ma main!... (Marfa, qui a reparu, s'est approchée de son +fils.) Hélas! ma mère est morte! + +NADIA, apercevant Marfa. +Ah! + +STROGOFF. +Qu'est-ce donc? qu'as-tu, Nadia? + +NADIA. +Rien. Rien! + +(Marfa, qui s'est agenouillée, fait signe à Nadia, prête à se +trahir, de garder le silence; puis, prenant une des mains de +son fils, elle la porte en pleurant à ses lèvres. Strogoff, +qui a étendu l'autre bras, s'est assuré que Nadia est bien à +sa droite.) + +STROGOFF. +Oh!... Nadia!... Nadia!... ces baisers, ces larmes!... les +sanglots que j'entends!... Ah! c'est elle!... c'est elle, +c'est ma mère! + +MARFA. +Mon fils! mon fils! (Ils tombent dans les bras l'un de +l'autre.) + +NADIA. +Marfa... + +MARFA. +Oui, oui, c'est moi, mon enfant bien-aimé, c'est moi, mon +noble et courageux martyr!... laisse-moi les baiser mille fois +ces yeux, ces pauvres yeux éteints!... Et c'est pour moi, +c'est parce qu'il a voulu défendre sa mère qu'ils l'ont ainsi +torturé!... Ah! pourquoi ne suis-je pas morte avant ce jour +fatal!... Pourquoi ne suis-je pas morte, mon Dieu? + +STROGOFF. +Mourir!... toi, non... non!... Ne pleure pas, ma mère, et +souviens-toi des paroles que je dis ici: Dieu réserve à ceux +qui souffrent d'ineffables consolations! + +MARFA. +De quelles consolations me parles-tu, à moi, dont les yeux ne +doivent plus, sans pleurer, se fixer sur les tiens? + +STROGOFF. +Le bonheur peut renaître en ton âme. + +MARFA. +Le bonheur? + +STROGOFF. +Dieu fait des miracles, ma mère... + +MARFA. +Des miracles! Que signifie?... Réponds, réponds, au nom du +ciel! + +STROGOFF. +Eh bien! apprends donc!... je, je... Ah! la joie! l'émotion de +te retrouver... ma mère... ma... + +MARFA. +Mon Dieu! la parole expire sur ses lèvres... Il pâlit... il +perd connaissance!... + +NADIA. +C'est l'émotion après tant de fatigues! + +MARFA. +Il faudrait pour le ranimer!... Ah! cette gourde! (Elle prend +la gourde que Strogoff porte à son côté.) Rien! elle est +vide... Là-bas, de l'eau!... Va... va... Nadia! (Nadia prend +la gourde et s'élance au fond sur le chemin qui monte vers la +droite.) Michel, mon enfant, entends-moi, parle-moi, +Michel!... Dis encore que tu me pardonnes tout ce que, par +moi, tu as souffert!... + +STROGOFF, d'une voix éteinte. +Mère! mère!... + +MARFA. +Ah!... il revient à lui!... (A ce moment Nadia qui a rempli la +gourde se relève, mais aussitôt le sergent tartare reparaît et +se précipite vers elle.) + +LE SERGENT. +A moi, la belle fille!... + +NADIA. +Laissez-moi. + +LE SERGENT. +Non!... tu viendras de gré ou de force!... (Il veut +l'entraîner.) + +NADIA. +Laissez-moi!... Laissez-moi! + +MARFA, apercevant Nadia. +Le misérable... Nadia!... (Elle court à Nadia.) + +LE SERGENT. +Arrière!... (Il repousse Marfa, saisit Nadia dans ses bras et +va l'enlever.) + +NADIA, poussant un cri. +A moi, pitié!... à moi! + +STROGOFF. +Nadia!... (Il se redresse, se lève; puis, par un mouvement +irrésistible, il se jette sur un des fusils déposés près de +l'arbre, il l'arme, il ajuste le sergent et fait feu. Le +sergent tombe mort.) + +MARFA ET NADIA. +Oh!... (Toutes deux, après être restées stupéfaites un instant, +redescendent en courant auprès de Strogoff.) + +STROGOFF. +Que Dieu et le czar me pardonnent!... Cette contrainte +nouvelle était au-dessus de mes forces! + +MARFA. +Ah! Michel, mon fils, tes yeux voient la lumière du ciel! + +NADIA. +Frère! Frère!... C'est donc vrai? + +STROGOFF. +Oui, oui, je te vois, ma mère!... Oui, je te vois, Nadia!... + +MARFA. +Mon enfant, mon enfant!... Quelle joie, quel bonheur, quelle +ivresse!... Ah!... Je comprends tes paroles maintenant: Dieu +garde aux affligés d'ineffables consolations... + +NADIA. +Mais comment se fait-il? + +MARFA. +Et d'où vient ce miracle?... + +STROGOFF. +Quand je croyais te regarder pour la dernière fois, ma mère, +mes yeux se sont inondés de tant de pleurs, que le fer rougi +n'a pu que les sécher sans brûler mon regard!... Et comme il +me fallait, pour sauver notre Sibérie, traverser les lignes +tartares: "Je suis aveugle, disais-je. Le Koran me protège... +Je suis aveugle..." et je passais! + +NADIA. +Mais pourquoi ne m'avoir pas dit... à moi?... + +STROGOFF. +Parce qu'un instant d'imprudence ou d'oubli aurait pu te +perdre avec moi, Nadia!... + +MARFA. +Silence!... Ils reviennent. + + +SCENE VI. + +LES MEMES, LE CAPITAINE, SOLDATS. + + +Le capitaine, suivi des soldats, arrive par le fond. On relève +le cadavre du sergent. + +LE CAPITAINE. + +Qui a tué cet homme? +UN SOLDAT, montrant Strogoff. +Il n'y a ici que ce mendiant. + +L'OFFICIER. +Qu'on s'empare de lui. Nous l'emmènerons au camp. + +STROGOFF, à part. +M'emmener!... Et ma mission! tout est perdu!... + +NADIA. +Ne savez-vous pas que mon frère est aveugle?... + +MARFA. +Et qu'il n'a pu se servir de cette arme! + +L'OFFICIER. +Aveugle?... Nous allons bien savoir s'il l'est réellement! + +MARFA, bas. +Que va-t-il faire? + +L'OFFICIER. +Tes yeux sont éteints, as-tu dit. + +STROGOFF. +Oui. + +L'OFFICIER. +Eh bien! je veux te voir marcher sans guide, sans appui!... +Eloignez ces deux femmes, et toi, marche! (Il tire son épée.) + +STROGOFF. +De quel côté? + +L'OFFICIER, tendant son épée en face de la poitrine de +Strogoff. +Droit devant toi. + +NADIA. +Mon Dieu! + +MARFA, pousse un cri en fermant la bouche. +Ah!... + +STROGOFF, marchant sur l'épée, et s'arrêtant au moment où la +pointe lui entre dans la poitrine. +Ah!... vous m'avez blessé! + +MARFA, s'élançant vers lui. +Michel! mon pauvre enfant!... + +NADIA. +Frère! + +MARFA, à l'officier. +Vous êtes un assassin! + +L'OFFICIER +Alors, c'est une de ces femmes qui a tué ce soldat! + +MARFA. +C'est moi. + +STROGOFF, à Marfa. +Non, ma mère! je ne veux pas... je ne veux pas... + +MARFA, à part, à Strogoff. +Pour sauver notre Sibérie, il faut que tu sois libre!... Je te +défends de parler! + +L'OFFICIER. +Saisissez cette femme!... Attachez-la au pied de cet arbre, et +qu'on la fusille! + +STROGOFF. +Fusillée!... toi!... + +NADIA. +Grâce!... pour elle!... + +MARFA. +Dieu a compté mes jours!... Ils lui appartiennent! + +(Des soldats attachent Marfa à l'arbre; d'autres entraînent +Strogoff et Nadia.) + +STROGOFF. +Ma mère! ma mère!... + + +ONZIEME TABLEAU. + +Le Radeau. + + +SCENE VII. + +LES MEMES, JOLLIVET, BLOUNT, UN BATELIER, PLUSIEURS FUGITIFS. + + +(Au moment où les Tartares vont fusiller Marfa, un radeau +venant de la gauche apparaît sur l'Angara.) + +JOLLIVET. +Une femme que des Tartares veulent assassiner!... Arrière, +misérables! + +STROGOFF. +A moi!... mes amis! + +L'OFFICIER, aux tartares. +Feu! vous autres! + +BLOUNT. +Jollivet, tirez sur les soldats!... Je me charge, moi, du +capitaine! (Il tire.) + +L'OFFICIER, blessé. +Ah! + +BLOUNT. +Je avais bien visé, n'est-ce pas? + +JOLLIVET. +Très bien visé, ami Blount! + +(Les Tartares entourent leur chef, pendant que Strogoff et +Nadia détachent Marfa.) + +L'OFFICIER. +Emmenez-moi aux réservoirs!... C'est l'ordre d'Ogareff! +(Les Tartares l'emmènent.) + +BLOUNT, JOLLIVET. +Vive la France! vive l'Angleterre! hurrah! hip! hip! + +JOLLIVET. +Tiens! Michel Strogoff! + +STROGOFF. +Merci, monsieur Jollivet! Merci, monsieur Blount! + +BLOUNT. +C'était nous, infortuné aveugle! + +STROGOFF. +Ne perdons pas une minute!... Ce radeau vous conduisait... + +JOLLIVET. +A Irkoutsk. + +STROGOFF. +A Irkoutsk!... C'est le ciel qui vous envoie. + +BLOUNT. +Oui, toujours très maligne, le ciel! + +MARFA. +Vous nous emmenez avec vous! + +JOLLIVET. +Certes!... En descendant le cours de l'Angara, nous +pénétrerons dans Irkoutsk à la faveur de la nuit! + +STROGOFF. +Embarquons! + +JOLLIVET. +Il n'est donc pas aveugle! + +MARFA. +Sa tendresse filiale a sauvé mon enfant! Ses yeux, en +m'adressant un dernier adieu, étaient inondés de tant de +larmes!... + +BLOUNT. +Ah bonne! très bien! je comprends, et je voulais instruire de +cette chose notre Académie de médecine! + +JOLLIVET. +Oui, oui, écrivez, Blount: Fer rouge excellent pour sécher les +larmes... + +BLOUNT. +Mais insiouffisant pour brûler la vue! + +TOUS. +Embarquons! + +(Ils s'embarquent.) + + +DOUZIEME TABLEAU. + +Les Rives de l'Angara. + + +Le panorama du fond se déplace peu à peu, pendant que le +radeau est immobile, et montre divers sites des rives du +fleuve. + + +TREIZIEME TABLEAU. + +Le Fleuve de naphte. + +La nuit est venue. Le courant de naphte s'enflamme à la +surface du fleuve, et le radeau, vigoureusement repoussé passe +à travers. + + +QUATORZIEME TABLEAU. + +La Ville en feu. + +Irkoutsk est en feu. La population se précipite de tous côtés. +Strogoff apparaît et s'élance à travers une porte embrasée. + + +ACTE CINQUIEME + + +QUINZIEME TABLEAU. + +Le Palais du Grand-Duc. + +Une chambre basse de la casemate de la porte Tchernaïa, à +Irkoutsk. Porte au fond, portes latérales. Large fenêtre à +droite, éclairée par le reflet de l'incendie. Tocsin sonnant à +toute volée. + + +SCENE I. + +LE GRAND-DUC, LE GENERAL VORONZOFF, OFFICIERS. + + +LE GRAND-DUC. +Il a fallu la main d'un barbare pour répandre sur la surface +du fleuve tout un courant de naphte. + +VORONZOFF. +Les soldats de l'émir ont, sans doute, renversé la muraille de +l'immense réservoir du Baïkal. + +LE GRAND-DUC. +Et une étincelle a suffi pour embraser ce naphte et incendier +les maisons dont les pilotis baignent dans le fleuve! Les +misérables! employer de pareils moyens de destruction! +VORONZOFF. + +C'est une guerre de sauvages qu'ils veulent nous faire! +Altesse, ils ont juré l'extermination de la ville! + +LE GRAND-DUC. +Ils ne sont pas encore les maîtres d'Irkoutsk. Général, le feu +a-t-il fait de nombreuses victimes? + +VORONZOFF. +Presque tous les habitants sont parvenus à se sauver. + +LE GRAND-DUC. +Que l'on secoure ces pauvres gens,... qu'ils soient logés dans +mon palais, dans les établissements publics, chez tous ceux +que l'incendie a épargnés!... + +VORONZOFF. +Tous leur viennent en aide, Altesse, et rien ne leur manquera! +Le dévouement de notre population égale son patriotisme! + +LE GRAND-DUC. +Bien! Bien! Cet incendie doit être un moyen de diversion! Dès +que le feu sera localisé que tous les défenseurs retournent +aux remparts! + +VORONZOFF. +A ce sujet, Altesse, j'ai à vous faire connaître une supplique +pour laquelle a été invoqué mon intermédiaire. + +LE GRAND-DUC. + +Par qui m'est-elle adressée? +VORONZOFF. +Par tous les exilés politiques qui au début de l'invasion ont +reçu l'ordre de rentrer dans la ville. Votre Altesse sait +qu'il se sont bravement battus déjà et qu'elle peut compter +sur leur patriotisme. + +LE GRAND-DUC. +Je le sais!... Que demandent-ils? + +VORONZOFF. +Ils demandent que Votre Altesse daigne leur faire l'honneur de +recevoir une députation d'entre eux. + +LE GRAND-DUC. +Quel est le chef de cette députation? + +VORONZOFF. +Un exilé qui s'est particulièrement distingué depuis +l'investissement de la ville. + +LE GRAND-DUC. +Son nom! + +VORONZOFF. +Wasili Fédor! Homme de valeur et de courage, son influence sur +ses compagnons a toujours été très grande! + +LE GRAND-DUC. +Faites entrer cette députation. (On introduit Wasili Fédor et +ses compagnons.) + + +SCENE II. + +LES MEMES, FEDOR, EXILES. + + +LE GRAND-DUC. +Wasili Fédor, tes compagnons et toi, vous vous êtes bravement +battus depuis le commencement du siège! Votre patriotisme n'a +jamais failli! La Russie ne l'oubliera pas! + +FEDOR. +Nous venons demander à Votre Altesse qu'elle nous permette de +faire plus encore pour le salut de la patrie. + +LE GRAND-DUC. +Que voulez-vous? + +FEDOR. +L'autorisation de former un corps spécial et le droit de +marcher au premier rang. + +LE GRAND-DUC. +Soit! Mais à un corps d'élite il faut un chef digne de le +commander. Quel sera ce chef? + +TOUS. +Wasili Fédor! + +FEDOR. +Moi? + +TOUS. +Oui! oui! + +LE GRAND-DUC. +Tu les entends! C'est toi qu'ils ont choisi! Acceptes-tu? + +FEDOR. +Oui... si le bien du pays l'exige! L'amour de la patrie est +toujours vivace au coeur d'un exilé, et nous vous demandons à +marcher en avant à la première sortie! + +TOUS. +Oui! oui! en avant! + +LE GRAND-DUC. +Wasili Fédor, tes compagnons sont courageux et forts! Je +doublerai leur courage et leur force! Je leur donnerai à tous +l'arme la plus puissante: la liberté! + +TOUS. +La liberté! + +LE GRAND-DUC. +A dater de ce moment il n'y a plus de proscrits en Sibérie! + +TOUS. +Hurrah pour le Grand-Duc! Hurrah! pour la Russie. + +FEDOR. +Altesse, je ne serai pas seul de ma famille à bénir votre +nom. J'ai ma fille Nadia, qui en ce moment traverse mille +périls pour arriver jusqu'à moi!... + +LE GRAND-DUC. +Et au lieu d'un proscrit, ta fille trouvera un homme libre! + +UN AIDE DE CAMP, entrant précipitamment. +Altesse, un courrier du czar! + +TOUS. +Un courrier! + +LE GRAND-DUC. +Un courrier qui a pu arriver jusqu'à nous! Enfin!... Qu'il +entre! qu'il entre!... + + +SCENE III. + +LES MEMES, IVAN. + + +LE GRAND-DUC. +Qui es-tu? Parle! parle vite. + +IVAN. +Michel Strogoff, courrier du czar. + +LE GRAND-DUC. +D'où viens-tu? + +IVAN. +De Moscou. + +LE GRAND-DUC. +Tu as quitté Moscou? + +IVAN. +Le 22 août. + +LE GRAND-DUC. +Et qui me prouve que tu es bien un courrier du czar, et que tu +m'es envoyé de Russie? + +IVAN, tirant un papier. +Ce permis signé du gouverneur de Moscou, et qui assurait mon +passage à travers la Sibérie. + +LE GRAND-DUC. +Mais ce permis porte le nom de Nicolas Korpanoff? + +IVAN. +Je voyageais sous ce nom en qualité de marchand sibérien. + +LE GRAND-DUC. +Tu as une lettre pour moi? + +IVAN. +J'en avais une écrite de la main du gouverneur de Moscou, mais +j'ai dû la détruire pour la soustraire aux Tartares qui +m'avaient fait prisonnier. + +LE GRAND-DUC. +Approche!... Que contenait cette lettre? + +IVAN. +Ceci: Une armée de secours venue des provinces du Nord +arrivera le 28 septembre. + +LE GRAND-DUC. +Le 28 septembre! + +IVAN. +Que Son Altesse fasse ce jour-là, -- mais ce jour-là seulement, +-- une vigoureuse sortie, et les Tartares seront écrasés! + +LE GRAND-DUC. +Ainsi celle que nous devions tenter aujourd'hui, demain... et +chaque jour, ne pourrait que nous être funeste?... C'est dans +quatre jours seulement!... Eh bien, quoi qu'il arrive, nous +tiendrons jusque-là! + +IVAN, à part. +Et demain les Tartares seront maîtres d'Irkoutsk! + +LE GRAND-DUC. + +Est-ce tout ce que contenait cette lettre du gouverneur de +Moscou? + +IVAN. +Non!... Il était aussi question d'un homme dont Votre Altesse +doit se défier..., un officier russe. + +LE GRAND-DUC. +Un Russe! un officier! Quel est le nom de ce traître? + +IVAN. +Ivan Ogareff, maintenant le lieutenant de Féodar et +organisateur de cette invasion. + +LE GRAND-DUC. +Ivan Ogareff, jadis condamné par moi à la dégradation! + +IVAN. +Il a juré de se venger de Votre Altesse et de livrer la ville +aux Tartares! + +LE GRAND-DUC. +Qu'il vienne donc, je l'attends! Ah! qu'il méritait bien, ce +misérable, le châtiment qui l'a frappé, lui qui devait +provoquer plus tard l'envahissement de son pays! + +IVAN, froidement. +Il le méritait! + +LE GRAND-DUC. +Mais, dis-moi, comment as-tu fait pour pénétrer dans Irkoutsk? + +IVAN. +Pendant le dernier engagement qui vient d'avoir lieu, je me +suis mêlé aux défenseurs de la ville, je me suis nommé, et +l'on m'a conduit aussitôt devant Votre Altesse. + +LE GRAND-DUC. +Tu as montré un grand courage, Michel Strogoff. Que demandes-tu +pour prix de tes services? + +IVAN. +Le droit de combattre pour la défense d'Irkoutsk. + +LE GRAND-DUC. +Tu commanderas une des portes de la ville. + +IVAN. +La porte Tchernaïa, Altesse, celle que les Tartares menacent +le plus? + +LE GRAND-DUC. +Soit! La porte Tchernaïa! + +VORONZOFF, qui s'est approché de la fenêtre. +Altesse! + +LE GRAND-DUC. +Qu'y a-t-il? + +VORONZOFF. +Il semble que l'ennemi cherche à se rapprocher de nos +murailles + +LE GRAND-DUC. +Il nous trouvera prêts à le recevoir! Venez, messieurs! + +(Tous sortent excepté Ivan.) + + +SCENE IV. + + +IVAN, seul. +Oui, oui, nobles défenseurs de la patrie! Allez, invincibles +héros! L'heure de la défaite et de la mort sonnera bientôt +pour vous! Et toi brûle, cité maudite, que tes palais soient +anéantis par le feu! Que de tes maisons il ne reste plus que +des cendres! Ce n'est pas une ville qu'il faut aux Tartares, +c'est un monceau de ruines! Brûle donc, Irkoutsk, et périsse +avec toi tout ce qui porte le nom détesté de Russe et de +Sibérien! + + +SCENE V. + +IVAN, STROGOFF, UN OFFICIER. + + +L'OFFICIER, à Strogoff. +Attendez ici!... Je vais aller prévenir Son Altesse le Grand-Duc +de votre arrivée. + +STROGOFF. +J'attends... Mais hâtez-vous. + +IVAN, à part au fond. +Michel Strogoff. (L'officier sort.) Comment aveugle a-t-il pu +arriver jusqu'ici? + +STROGOFF. +Il n'y a pas un instant à perdre!... + +IVAN. +Oh! non, pas un instant. (Appuyant sa main sur l'épaule de +Strogoff.) Michel Strogoff, reconnais-tu ma voix? + +STROGOFF. +Oui, c'est la voix d'un traître!... C'est la voix d'Ivan Ogareff. + +IVAN. +Ogareff, auquel tu n'échapperas pas, cette fois!... Ogareff, +que n'arrêtera pas ce vain commandement du Koran qui protège +les aveugles!... Ah! tu te réjouis, n'est-ce pas? d'avoir pu +arriver à temps pour accomplir ta mission et sauver à la fois +Irkoutsk et le Grand-Duc? + +STROGOFF. +Peut-être! + +IVAN. +Tu espère encore!... mais sache donc que nous sommes seuls +ici! Avant que nul ne vienne, mon poignard, fouillant dans ta +poitrine, t'en arrachera le coeur. + +STROGOFF, froidement. +Essaye. + +IVAN. +Tu oses me braver... quand je te tiens seul et sans défense!..., +quand je n'ai qu'à choisir la place pour te frapper! Ah! +comme je vais bien te tuer! + +STROGOFF. +J'attends! (Ivan s'approche de Strogoff, mais le coup est +détourné, et Strogoff lui arrache son poignard.) + +STROGOFF. +Eh bien, j'attends toujours. + +IVAN. +Est-ce un rêve!... Un miracle n'a pu se faire pour ce +misérable!... + +STROGOFF, avançant vers lui et lui prenant le bras. +Alors, pourquoi trembles-tu? + +IVAN, voulant se dégager. +Non!... C'est impossible!... + +STROGOFF. +Ivan Ogareff, ton heure suprême est arrivée!... Regarde de +tous tes yeux, regarde!... + +IVAN. +Miséricorde! Il voit! il voit! il voit! + +STROGOFF. +Oui, je vois sur ton visage de traître la pâleur et +l'épouvante! Je vois la trace du knout, le stigmate de honte +dont j'ai marqué ton front! Je vois la place où je vais te +frapper, misérable! Ah! comme je vais bien te tuer! + +IVAN, se redressant. +Soit! mais tu me frapperas debout! Je mourrai du moins en +soldat! + +STROGOFF. +En soldat, toi?... Non. Tu vas mourir comme doit mourir un +traître, à genoux! Allons, à genoux! pour expier l'outrage +que tu m'as infligé, à genoux! pour avoir fait honteusement +knouter ma mère, à genoux! pour avoir trahi ta patrie... A +genoux! misérable, à genoux! + +(Ivan cherche à s'emparer du poignard pour en frapper +Strogoff, et parvient à le lui prendre. Mais Strogoff lui +saisit la main et la dirige de telle sorte qu'Ivan se frappe +lui-même et tombe.) + + +SCENE VI. + +LES MEMES, LE GRAND-DUC, OFFICIERS, VORONZOFF, JOLLIVET, +BLOUNT, MARFA, NADIA, FEDOR. + + +LE GRAND-DUC. +Emparez-vous de cet homme. (A Strogoff.) Qui es-tu, toi qui as +assassiné un courrier du czar? + +STROGOFF. +Michel Strogoff, Altesse, et voici Ivan Ogareff. + +MARFA, entrant. +Oui! Michel Strogoff, mon enfant! Altesse, vous avez devant +vous le dévouement et la trahison! + +JOLLIVET, montrant Strogoff. +Et le dévouement, le voici! + +BLOUNT, montrant Ivan. +Et le trahison, le voilà! + +LE GRAND-DUC. +Quels sont ces hommes? + +STROGOFF. +Mes braves compagnons de périls! + +JOLLIVET, désignant Blount. +J'ai l'honneur de présenter à Votre Altesse monsieur Blount, +un courageux Anglais! + +BLOUNT, même jeu. +Mister Jollivet, une Française aussi coura... bien plus +courageuse! + +LE GRAND-DUC. +Et vous affirmez?... + +BLOUNT. +Que celui-là était Ivan Ogareff! + +JOLLIVET. +Et celui-ci est Michel Strogoff! + +FEDOR. +Le sauveur de ma fille, Altesse! (Coups de canons rapprochés.) + +STROGOFF. +Ecoutez! C'est le canon qui tonne! + +LE GRAND-DUC. +Oui!... Les colonnes ennemies attaquent la ville! Il faut +défendre les remparts! + +STROGOFF. +Non!... Ecoutez encore!... Au canon qui gronde sous nos murs +répond le canon plus lointain!... C'est aujourd'hui le 24 +septembre!... Voilà l'armée de secours qui arrive!... + +TOUS. +L'armée de secours! + +STROGOFF. +Que Votre Altesse ordonne une sortie générale, et l'armée +tartare sera anéantie! + +LE GRAND-DUC. +Allons, mes amis, au combat! + +TOUS. +Au combat! (Tous sortent.) + + +SEIZIEME TABLEAU. + +L'Assaut d'Irkoutsk. + +La scène représente une plaine sous les murs d'Irkoutsk. Les +Tartares ont été écrasés, et toute l'armée russe est en scène. + + +SCENE I. + +LE GRAND-DUC, STROGOFF, NADIA, MARFA, JOLLIVET, BLOUNT, +VORONZOFF, FEDOR, TROUPES, ETC., ETC. + + +LE GRAND-DUC. +Soldats, grâce au courage et au dévouement de Michel Strogoff, +nos troupes ont pu opérer leur jonction avec l'armée de +secours! Les Tartares sont en déroute, l'émir Féofar est +prisonnier, et Irkoutsk est délivrée! + +TOUS. +Hurrah! hurrah! + +LE GRAND-DUC. +Michel Strogoff, quelle récompense demandes-tu? + +STROGOFF; +Je ne veux rien!... Altesse, je n'ai fait que mon devoir de +soldat... pour Dieu, pour le Czar, pour la Patrie. + +(Les fanfares éclatent et les drapeaux russes se balancent +dans les airs au milieu des hurrahs.) + + +FIN. + + +Typographie Firmin-Didot. -- Mesnil (Eure). + + + + + + + +End of Project Gutenberg's Michel Strogoff, by Jules Verne and A. D'Ennery + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK MICHEL STROGOFF *** + +***** This file should be named 26823-8.txt or 26823-8.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + https://www.gutenberg.org/2/6/8/2/26823/ + +Produced by Daniel Fromont + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. Special rules, +set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to +copying and distributing Project Gutenberg-tm electronic works to +protect the PROJECT GUTENBERG-tm concept and trademark. Project +Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you +charge for the eBooks, unless you receive specific permission. If you +do not charge anything for copies of this eBook, complying with the +rules is very easy. You may use this eBook for nearly any purpose +such as creation of derivative works, reports, performances and +research. They may be modified and printed and given away--you may do +practically ANYTHING with public domain eBooks. Redistribution is +subject to the trademark license, especially commercial +redistribution. + + + +*** START: FULL LICENSE *** + +THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE +PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK + +To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free +distribution of electronic works, by using or distributing this work +(or any other work associated in any way with the phrase "Project +Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full Project +Gutenberg-tm License (available with this file or online at +https://gutenberg.org/license). + + +Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg-tm +electronic works + +1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm +electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to +and accept all the terms of this license and intellectual property +(trademark/copyright) agreement. If you do not agree to abide by all +the terms of this agreement, you must cease using and return or destroy +all copies of Project Gutenberg-tm electronic works in your possession. +If you paid a fee for obtaining a copy of or access to a Project +Gutenberg-tm electronic work and you do not agree to be bound by the +terms of this agreement, you may obtain a refund from the person or +entity to whom you paid the fee as set forth in paragraph 1.E.8. + +1.B. "Project Gutenberg" is a registered trademark. It may only be +used on or associated in any way with an electronic work by people who +agree to be bound by the terms of this agreement. There are a few +things that you can do with most Project Gutenberg-tm electronic works +even without complying with the full terms of this agreement. See +paragraph 1.C below. There are a lot of things you can do with Project +Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this agreement +and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic +works. See paragraph 1.E below. + +1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the Foundation" +or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project +Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual works in the +collection are in the public domain in the United States. If an +individual work is in the public domain in the United States and you are +located in the United States, we do not claim a right to prevent you from +copying, distributing, performing, displaying or creating derivative +works based on the work as long as all references to Project Gutenberg +are removed. Of course, we hope that you will support the Project +Gutenberg-tm mission of promoting free access to electronic works by +freely sharing Project Gutenberg-tm works in compliance with the terms of +this agreement for keeping the Project Gutenberg-tm name associated with +the work. You can easily comply with the terms of this agreement by +keeping this work in the same format with its attached full Project +Gutenberg-tm License when you share it without charge with others. + +1.D. The copyright laws of the place where you are located also govern +what you can do with this work. Copyright laws in most countries are in +a constant state of change. If you are outside the United States, check +the laws of your country in addition to the terms of this agreement +before downloading, copying, displaying, performing, distributing or +creating derivative works based on this work or any other Project +Gutenberg-tm work. The Foundation makes no representations concerning +the copyright status of any work in any country outside the United +States. + +1.E. Unless you have removed all references to Project Gutenberg: + +1.E.1. The following sentence, with active links to, or other immediate +access to, the full Project Gutenberg-tm License must appear prominently +whenever any copy of a Project Gutenberg-tm work (any work on which the +phrase "Project Gutenberg" appears, or with which the phrase "Project +Gutenberg" is associated) is accessed, displayed, performed, viewed, +copied or distributed: + +This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with +almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + +1.E.2. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is derived +from the public domain (does not contain a notice indicating that it is +posted with permission of the copyright holder), the work can be copied +and distributed to anyone in the United States without paying any fees +or charges. If you are redistributing or providing access to a work +with the phrase "Project Gutenberg" associated with or appearing on the +work, you must comply either with the requirements of paragraphs 1.E.1 +through 1.E.7 or obtain permission for the use of the work and the +Project Gutenberg-tm trademark as set forth in paragraphs 1.E.8 or +1.E.9. + +1.E.3. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is posted +with the permission of the copyright holder, your use and distribution +must comply with both paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 and any additional +terms imposed by the copyright holder. Additional terms will be linked +to the Project Gutenberg-tm License for all works posted with the +permission of the copyright holder found at the beginning of this work. + +1.E.4. Do not unlink or detach or remove the full Project Gutenberg-tm +License terms from this work, or any files containing a part of this +work or any other work associated with Project Gutenberg-tm. + +1.E.5. Do not copy, display, perform, distribute or redistribute this +electronic work, or any part of this electronic work, without +prominently displaying the sentence set forth in paragraph 1.E.1 with +active links or immediate access to the full terms of the Project +Gutenberg-tm License. + +1.E.6. You may convert to and distribute this work in any binary, +compressed, marked up, nonproprietary or proprietary form, including any +word processing or hypertext form. However, if you provide access to or +distribute copies of a Project Gutenberg-tm work in a format other than +"Plain Vanilla ASCII" or other format used in the official version +posted on the official Project Gutenberg-tm web site (www.gutenberg.org), +you must, at no additional cost, fee or expense to the user, provide a +copy, a means of exporting a copy, or a means of obtaining a copy upon +request, of the work in its original "Plain Vanilla ASCII" or other +form. Any alternate format must include the full Project Gutenberg-tm +License as specified in paragraph 1.E.1. + +1.E.7. Do not charge a fee for access to, viewing, displaying, +performing, copying or distributing any Project Gutenberg-tm works +unless you comply with paragraph 1.E.8 or 1.E.9. + +1.E.8. You may charge a reasonable fee for copies of or providing +access to or distributing Project Gutenberg-tm electronic works provided +that + +- You pay a royalty fee of 20% of the gross profits you derive from + the use of Project Gutenberg-tm works calculated using the method + you already use to calculate your applicable taxes. The fee is + owed to the owner of the Project Gutenberg-tm trademark, but he + has agreed to donate royalties under this paragraph to the + Project Gutenberg Literary Archive Foundation. Royalty payments + must be paid within 60 days following each date on which you + prepare (or are legally required to prepare) your periodic tax + returns. Royalty payments should be clearly marked as such and + sent to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation at the + address specified in Section 4, "Information about donations to + the Project Gutenberg Literary Archive Foundation." + +- You provide a full refund of any money paid by a user who notifies + you in writing (or by e-mail) within 30 days of receipt that s/he + does not agree to the terms of the full Project Gutenberg-tm + License. You must require such a user to return or + destroy all copies of the works possessed in a physical medium + and discontinue all use of and all access to other copies of + Project Gutenberg-tm works. + +- You provide, in accordance with paragraph 1.F.3, a full refund of any + money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the + electronic work is discovered and reported to you within 90 days + of receipt of the work. + +- You comply with all other terms of this agreement for free + distribution of Project Gutenberg-tm works. + +1.E.9. If you wish to charge a fee or distribute a Project Gutenberg-tm +electronic work or group of works on different terms than are set +forth in this agreement, you must obtain permission in writing from +both the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and Michael +Hart, the owner of the Project Gutenberg-tm trademark. Contact the +Foundation as set forth in Section 3 below. + +1.F. + +1.F.1. Project Gutenberg volunteers and employees expend considerable +effort to identify, do copyright research on, transcribe and proofread +public domain works in creating the Project Gutenberg-tm +collection. Despite these efforts, Project Gutenberg-tm electronic +works, and the medium on which they may be stored, may contain +"Defects," such as, but not limited to, incomplete, inaccurate or +corrupt data, transcription errors, a copyright or other intellectual +property infringement, a defective or damaged disk or other medium, a +computer virus, or computer codes that damage or cannot be read by +your equipment. + +1.F.2. LIMITED WARRANTY, DISCLAIMER OF DAMAGES - Except for the "Right +of Replacement or Refund" described in paragraph 1.F.3, the Project +Gutenberg Literary Archive Foundation, the owner of the Project +Gutenberg-tm trademark, and any other party distributing a Project +Gutenberg-tm electronic work under this agreement, disclaim all +liability to you for damages, costs and expenses, including legal +fees. YOU AGREE THAT YOU HAVE NO REMEDIES FOR NEGLIGENCE, STRICT +LIABILITY, BREACH OF WARRANTY OR BREACH OF CONTRACT EXCEPT THOSE +PROVIDED IN PARAGRAPH F3. YOU AGREE THAT THE FOUNDATION, THE +TRADEMARK OWNER, AND ANY DISTRIBUTOR UNDER THIS AGREEMENT WILL NOT BE +LIABLE TO YOU FOR ACTUAL, DIRECT, INDIRECT, CONSEQUENTIAL, PUNITIVE OR +INCIDENTAL DAMAGES EVEN IF YOU GIVE NOTICE OF THE POSSIBILITY OF SUCH +DAMAGE. + +1.F.3. LIMITED RIGHT OF REPLACEMENT OR REFUND - If you discover a +defect in this electronic work within 90 days of receiving it, you can +receive a refund of the money (if any) you paid for it by sending a +written explanation to the person you received the work from. If you +received the work on a physical medium, you must return the medium with +your written explanation. The person or entity that provided you with +the defective work may elect to provide a replacement copy in lieu of a +refund. If you received the work electronically, the person or entity +providing it to you may choose to give you a second opportunity to +receive the work electronically in lieu of a refund. If the second copy +is also defective, you may demand a refund in writing without further +opportunities to fix the problem. + +1.F.4. Except for the limited right of replacement or refund set forth +in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS' WITH NO OTHER +WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT LIMITED TO +WARRANTIES OF MERCHANTIBILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE. + +1.F.5. Some states do not allow disclaimers of certain implied +warranties or the exclusion or limitation of certain types of damages. +If any disclaimer or limitation set forth in this agreement violates the +law of the state applicable to this agreement, the agreement shall be +interpreted to make the maximum disclaimer or limitation permitted by +the applicable state law. The invalidity or unenforceability of any +provision of this agreement shall not void the remaining provisions. + +1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the +trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone +providing copies of Project Gutenberg-tm electronic works in accordance +with this agreement, and any volunteers associated with the production, +promotion and distribution of Project Gutenberg-tm electronic works, +harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees, +that arise directly or indirectly from any of the following which you do +or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm +work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any +Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause. + + +Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm + +Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of +electronic works in formats readable by the widest variety of computers +including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists +because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from +people in all walks of life. + +Volunteers and financial support to provide volunteers with the +assistance they need, is critical to reaching Project Gutenberg-tm's +goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will +remain freely available for generations to come. In 2001, the Project +Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure +and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. +To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation +and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 +and the Foundation web page at https://www.pglaf.org. + + +Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive +Foundation + +The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit +501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the +state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal +Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification +number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at +https://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent +permitted by U.S. federal laws and your state's laws. + +The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. +Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered +throughout numerous locations. Its business office is located at +809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email +business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact +information can be found at the Foundation's web site and official +page at https://pglaf.org + +For additional contact information: + Dr. Gregory B. Newby + Chief Executive and Director + gbnewby@pglaf.org + + +Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation + +Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide +spread public support and donations to carry out its mission of +increasing the number of public domain and licensed works that can be +freely distributed in machine readable form accessible by the widest +array of equipment including outdated equipment. Many small donations +($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt +status with the IRS. + +The Foundation is committed to complying with the laws regulating +charities and charitable donations in all 50 states of the United +States. Compliance requirements are not uniform and it takes a +considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up +with these requirements. We do not solicit donations in locations +where we have not received written confirmation of compliance. To +SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any +particular state visit https://pglaf.org + +While we cannot and do not solicit contributions from states where we +have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition +against accepting unsolicited donations from donors in such states who +approach us with offers to donate. + +International donations are gratefully accepted, but we cannot make +any statements concerning tax treatment of donations received from +outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff. + +Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation +methods and addresses. Donations are accepted in a number of other +ways including including checks, online payments and credit card +donations. To donate, please visit: https://pglaf.org/donate + + +Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic +works. + +Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm +concept of a library of electronic works that could be freely shared +with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project +Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support. + + +Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed +editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S. +unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily +keep eBooks in compliance with any particular paper edition. + + +Most people start at our Web site which has the main PG search facility: + + https://www.gutenberg.org + +This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, +including how to make donations to the Project Gutenberg Literary +Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to +subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. diff --git a/26823-8.zip b/26823-8.zip Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..4419de7 --- /dev/null +++ b/26823-8.zip diff --git a/LICENSE.txt b/LICENSE.txt new file mode 100644 index 0000000..6312041 --- /dev/null +++ b/LICENSE.txt @@ -0,0 +1,11 @@ +This eBook, including all associated images, markup, improvements, +metadata, and any other content or labor, has been confirmed to be +in the PUBLIC DOMAIN IN THE UNITED STATES. + +Procedures for determining public domain status are described in +the "Copyright How-To" at https://www.gutenberg.org. + +No investigation has been made concerning possible copyrights in +jurisdictions other than the United States. Anyone seeking to utilize +this eBook outside of the United States should confirm copyright +status under the laws that apply to them. diff --git a/README.md b/README.md new file mode 100644 index 0000000..1c7a014 --- /dev/null +++ b/README.md @@ -0,0 +1,2 @@ +Project Gutenberg (https://www.gutenberg.org) public repository for +eBook #26823 (https://www.gutenberg.org/ebooks/26823) |
