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+The Project Gutenberg EBook of Mémoires de Marmontel (3 of 3), by
+Jean-François Marmontel
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
+
+
+Title: Mémoires de Marmontel (3 of 3)
+ Mémoires d'un père pour servir à l'Instruction de ses enfans
+
+Author: Jean-François Marmontel
+
+Release Date: January 14, 2009 [EBook #27807]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: ISO-8859-1
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK MÉMOIRES DE MARMONTEL (3 OF 3) ***
+
+
+
+
+Produced by Mireille Harmelin, Eric Vautier and the Online
+Distributed Proofreaders Europe at http://dp.rastko.net.
+This file was produced from images generously made available
+by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica)
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+MÉMOIRES DE MARMONTEL
+
+PUBLIÉS
+
+AVEC PRÉFACE, NOTES ET TABLES PAR MAURICE TOURNEUX
+
+TOME TROISIÈME
+
+PARIS
+
+LIBRAIRIE DES BIBLIOPHILES
+
+Rue de Lille, 7
+
+M DCCC XCI
+
+
+
+
+TABLE ANALYTIQUE DES MÉMOIRES
+
+TOME PREMIER
+
+LIVRE I
+
+But de l'auteur en écrivant ses _Mémoires_.--Description de Bort et de
+ses environs.--Souvenirs d'enfance.--Première éducation.--Défaut de
+mémoire.--Portrait de la mère de Marmontel et des autres membres de la
+famille.--Entrée au collège de Mauriac.--Examen et admission à ce
+collège.--Réflexions de Marmontel sur ses premières études.--Le P.
+Bourzes, continuateur du P. Vanière.--Moeurs des écoliers de Mauriac,
+leurs travaux et leurs plaisirs.--Amalvy, modèle des écoliers.--Querelle
+de Marmontel avec le régent du collège.--Studieux emploi des
+vacances.--Premières amours.--Marmontel est placé par son père dans une
+maison de commerce à Clermont-Ferrand.--Il la quitte presque aussitôt et
+se croit une vocation ecclésiastique.--Son admission dans la classe de
+philosophie du collège de Clermont.--Velléité de passer chez les
+oratoriens de Riom.--Les jésuites lui procurent tout aussitôt des
+répétitions.--Promenade à Beauregard et bienveillant accueil de
+Massillon.--Nouvelles vacances sous le costume ecclésiastique.--Mort du
+père de Marmontel.--Désespoir et maladie de l'auteur.
+
+LIVRE II
+
+Séjour de Marmontel à Saint-Bonnet, et au château de Linars, comme
+précepteur.--Retraite au séminaire de Limoges.--Entretiens littéraires
+de Marmontel avec les directeurs du séminaire.--Présentation à l'évêque
+(Coetlosquet).--Plaisanterie du comte de Linars et ses
+conséquences.--Hospitalité d'un curé de campagne et de sa
+nièce.--Comment les jésuites de Clermont entendaient agrandir leur
+collège.--Démarches du P. Nolhac auprès de Marmontel pour l'engager à
+entrer dans la société.--Voyage de Bort à Toulouse; proposition de
+mariage avec la fille d'un muletier.--Au moment d'entrer au noviciat des
+jésuites, Marmontel consulte sa mère; réponse de celle-ci.--Premiers
+succès de l'auteur comme répétiteur de philosophie.--Il obtient une
+bourse au collège Sainte-Catherine.--Concours aux Jeux floraux.--Lettre
+de Voltaire.--Succès académiques.--Soutenance brillante de
+thèse.--Démêlés d'un boursier de Sainte-Catherine et d'un grand
+vicaire.--Pénitence au séminaire de Calvet.--Hésitation sur le choix
+d'une carrière.--Nouveau voyage à Bort.--Entretien de l'auteur et de sa
+mère; triste état de la santé de celle-ci.--Billet de Voltaire.--La
+Petite académie.--Départ de Toulouse.--Incidents de voyage.--Arrivée à
+Paris.
+
+LIVRE III
+
+Première visite à Voltaire et conseils de celui-ci.--Premier logement et
+premières ressources.--Vauvenargues.--Bauvin.--L'_Observateur
+littéraire_.--Prix à l'Académie française.--Grande pénurie.--Procédé
+délicat de Voltaire.--Marmontel précepteur du jeune Gilly, et introduit
+dans la famille Harenc.--Société choisie de Mme Harenc.--Nouveau prix de
+poésie à l'Académie française.--Mort de la mère de Marmontel.--Lecture
+de _Denys le tyran_, tragédie, aux acteurs de la
+Comédie-Française.--Rivalité de Mlle Gaussin et de Mlle Clairon au sujet
+d'un des principaux rôles.--Distribution des autres rôles et
+répétitions.--Lecture de _Denys_ devant les conseillers favoris de
+Voltaire et de Mlle Clairon.--Résultat de leur délibération.--Tour d'un
+escroc gascon.--Plaidoyer de Boubée, avocat de Toulouse, pour Cammas,
+peintre de la ville, accusé de séduction.--Favier.--Générosité de Mme
+Harenc--Première représentation et succès de _Denys_.--Épître à Voltaire
+sur la mort de Vauvenargues.--Monet présente Marmontel à Mlle
+Navarre.--Séjour à Avenay.--Singulier aveu échappé à Mlle
+Navarre.--Fureur et départ de Marmontel.--Retour à Paris; réception que
+lui font ses amis.--Inquiétudes, chagrin et désespoir d'un amant
+trahi.--Visite du chevalier de Mirabeau.--Autre visite du même et de
+Mlle Navarre.--Consolations prodiguées à l'auteur par Mlle
+Clairon.--Reprise de _Denys le tyran_.--Un caprice de Clairon.--Démarche
+délicate de la part de Mlle Broquin.--Tentatives de rapprochement de la
+part de Clairon; refus de Marmontel.--Bons procédés du duc de Duras
+envers lui.--Lecture d'_Aristomène_ à Voltaire.--Première
+représentation.--Action dramatique et maladie de Roselly.--Interruption
+et reprise d'_Aristomène_.
+
+LIVRE IV
+
+Liaison de Marmontel et de Mlle Marie Verrière.--Colère du maréchal de
+Saxe.--Double rupture.--Mariage de La Popelinière.--Son train de maison
+à Passy.--Lecture d'_Aristomène_ chez Mme de Tencin.--Découverte de la
+cheminée secrète de Mme de La Popelinière, et conséquences de cette
+découverte.--Plaisirs, spectacles et distractions de tout genre offerts
+par La Popelinière à ses hôtes.--_Cléopâtre_, tragédie de
+Marmontel.--_Les Héraclides_, autre tragédie.--Incident de la première
+représentation.--Liaison de Marmontel avec d'Alembert, Mlle de
+Lespinasse, Diderot, d'Holbach, Helvétius, Grimm et J.-J.
+Rousseau.--Faveur de Marmontel auprès de Mme de Pompadour.--Elle lui
+conseille de tenter de nouveau la fortune dramatique.--_Égyptus_,
+tragédie.--Sa chute.--L'auteur obtient de M. de Marigny l'emploi de
+secrétaire des bâtiments du roi.--Le prince de
+Kaunitz.--Mercy-Argenteau, Starhemberg, Seckendorf.--Milord d'Albemarle
+et Mlle Gaucher, dite _Lolotte_.--Liaison de Lolotte avec le comte
+d'Hérouville; son mariage et sa fin.--Conseils de Mme de Tencin à
+Marmontel.--Livrets de divers ballets ou divertissements pour
+Rameau.--Liaison avec Cury et les autres intendants des
+Menus-Plaisirs.--Tribou.--Lolotte.--Contraste de cette société avec
+celle des philosophes.--Voltaire et la mort de Mme du Châtelet.--Son
+désir de plaire à la cour.--Motifs de sa disgrâce.--Faveur de Crébillon
+auprès du roi et de Mme de Pompadour.--Rivalité dramatique de Voltaire
+et de Crébillon (_Sémiramis_, _Oreste_, _Rome sauvée_).--Départ de
+Voltaire pour la Prusse ajourné, puis brusquement décidé; causes de ces
+retards et de ce revirement.--Discussion de Voltaire et d'un
+coutelier.--Départ de Marmontel pour Versailles.
+
+TOME DEUXIÈME
+
+LIVRE V
+
+Entrée en fonctions de l'auteur auprès de M. de Marigny.--Qualités et
+défauts de celui-ci.--Vie de Marmontel à Versailles, à Marly, à
+Fontainebleau, à Compiègne.--Nouvelles liaisons; l'abbé de La Ville,
+Dubois, premier commis de la guerre, Cromot du Bourg, Bouret, Mme
+Filleul.--Mariage de la soeur aînée de Marmontel avec M. Odde.--Emploi
+qu'obtient celui-ci.--Mme de Chalut.--Vers faits, à sa prière, pour la
+convalescence du Dauphin.--Plaisant embarras des jeunes époux au moment
+de remercier l'auteur.--Éducation d'Aurore de Saxe faite aux frais du
+Dauphin.--Portrait de Quesnay.--Mme de Marchais.--Réforme du costume au
+théâtre tentée par Mlle Clairon.--Remarques de Marmontel sur ses
+rapports avec Marigny.--Sur l'exil de Voltaire.--Sa collaboration à
+l'_Encyclopédie_.--Entrevue avec Mme de Pompadour, sollicitations et
+conseils.--Origine et fortune politique de Bernis.--Rapports de l'auteur
+avec lui durant son passage au ministère des affaires
+étrangères.--Singulière maladie guérie par un singulier remède de
+Genson.--Attribution de la direction du _Mercure_ à Louis de Boissy, sur
+le conseil de Marmontel.--Reconnaissance, puis embarras de
+Boissy.--Origine des _Contes moraux_.--Marmontel titulaire du brevet, à
+la mort de Boissy.--Autre place de secrétaire du comte de Gisors,
+proposée à Marmontel, refusée par Suard et acceptée par Deleyre.--Retour
+de l'auteur à Paris.
+
+LIVRE VI
+
+Changements et progrès apportés à la composition du _Mercure_;
+collaborateurs recrutés par Marmontel: Malfilâtre, Colardeau, Thomas,
+J.-D. Le Roy, C.-N. Cochin.--Gallet et Panard.--Portrait de Mme
+Geoffrin.--Principaux habitués de son salon: d'Alembert, Dortous de
+Mairan, Marivaux, Chastellux, Morellet, Saint-Lambert, Thomas, Mlle de
+Lespinasse, Raynal, Galiani, Caraccioli, le comte de Creutz, Carle Van
+Loo, Soufflot, Boucher, Le Moyne, La Tour, le comte de Caylus.--Autres
+convives des petits soupers de Mme Geoffrin: Gentil-Bernard, Mme de
+Brionne, Mme de Duras, Mme d'Egmont, le prince Louis de Rohan.--Soupers
+chez Pelletier, fermier général, avec Gentil-Bernard, Monticourt,
+Collé.--Séjour de Marmontel à Chennevières, chez Cury.--Parodie de
+_Cinna_, rimée par celui-ci.--Marmontel en cite quelques vers chez Mme
+Geoffrin.--Il est accusé d'en être l'auteur, et s'en défend inutilement
+auprès des ducs d'Aumont et de Choiseul.--Lettre de cachet qui l'envoie
+à la Bastille.--Préparatifs de sa captivité.--Accueil bienveillant du
+gouverneur.--Installation et premier repas.--Un menu maigre et un menu
+gras.--Prévenances de M. d'Abadie.--Interrogatoire subi par Marmontel au
+sujet d'un sieur Durand, familier du salon de Mme Harenc.--Inquiétude
+que cette formalité cause à Marmontel.--Lettre de Mlle S** [Sau***?], et
+réponse du prisonnier.--Sa sortie et sa première visite à M. de
+Sartine.--Sermon de Mme Geoffrin, et regrets qu'elle en témoigne le
+lendemain.--Entrevue avec Choiseul.--Réponses de Marmontel aux
+inculpations dont il est l'objet.--Vains efforts du premier ministre
+pour lui faire rendre le brevet du _Mercure_.--Ce que ce journal devint
+sous l'abbé de La Garde et ses successeurs.
+
+LIVRE VII
+
+Réflexions de Marmontel sur son passé à cette date et sur ses projets
+d'avenir.--Sa situation et celle de sa famille.--Voyage en compagnie de
+Gaulard.--Séjour à Bordeaux.--Mésaventures de Le Franc de
+Pompignan.--Arrêts à Toulouse, Béziers, Montpellier, Nîmes, Avignon,
+Aix, Marseille.--Retour par Lyon et Genève.--Visite à Voltaire.--Son
+enthousiasme pour l'acteur L'Écluse.--Mme Denis comparée par son oncle à
+Mlle Clairon.--Genève et J.-J. Rousseau.--Huber et Cramer.--Le théâtre
+de Voltaire à Tournay.--Lecture de _Tancrède_ et de _la
+Pucelle_.--Rentrée à Paris.--L'_Épître aux poètes_, de Marmontel, est
+couronnée par l'Académie française.--Origine d'_Annette et
+Lubin_.--Séjours à la Malmaison, à Croix-Fontaine, à Sainte-Assise, à
+Saint-Cloud, à Maisons-Alfort.--Intrigues académiques.--Présentation par
+Marmontel de sa _Poétique française_ au roi, au Dauphin, à Mme de
+Pompadour, à Choiseul et à Praslin.--Candidature au fauteuil de
+Bougainville.--Conduite généreuse de Thomas dans cette
+circonstance.--Caractère ombrageux de Marivaux.--Singuliers griefs du
+président Hénault et de Moncrif contre Marmontel.--Mort de Cury.--Mlle
+de Lespinasse, ses origines, sa société, ses amours, sa mort.--Société
+du baron d'Holbach.--Motifs respectifs qui avaient éloigné Buffon et
+J.-J. Rousseau du parti encyclopédique.--Promenades de d'Holbach et de
+ses amis aux environs de Paris.
+
+LIVRE VIII
+
+Récit fait par Diderot à Marmontel des origines de sa rupture avec
+Rousseau.--Relations de Jean-Jacques avec le baron d'Holbach et avec
+Hume.--Séjour de Marmontel à Saumur, près de sa soeur et de son
+beau-frère.--Visite au comte d'Argenson, exilé aux Ormes.--Un bel esprit
+de l'académie d'Angers, et ses habiletés oratoires.--Maladies de
+l'auteur.--Conception de _Bélisaire_.--Lectures faite par l'auteur à
+Diderot et au prince héréditaire de Brunswick.--Démêlés de l'auteur avec
+les censeurs de la Sorbonne.--Conférence avec M. de Beaumont, archevêque
+de Paris, et les docteurs de la Sorbonne.--Plaisanteries de Voltaire et
+de Turgot au sujet des propositions condamnables extraites de
+_Bélisaire_ par les casuistes.--Succès du livre dans diverses cours
+étrangères.--Voyage de Mmes Filleul et de Séran aux eaux
+d'Aix-la-Chapelle, où Marmontel les accompagne.--M. et Mme de Marigny
+(née Filleul) les y rejoignent.--Entretiens de Marmontel et des évêques
+de Noyon (Broglie) et d'Autun (Marbeuf).--_Discours en faveur des
+paysans du Nord_.--Portrait de Mme de Séran.--Sa présentation à la
+cour.--Tête-à-tête avec le roi.--Correspondance de Louis XV et de la
+jeune comtesse.--Rencontre de Marmontel avec le prince et la princesse
+de Brunswick.--Voyage à Spa avec Mme de Séran, M. et Mme de
+Marigny.--Imprudences funestes commises par Mme Filleul.--Politesses
+faites à Marmontel par Bassompierre, contrefacteur de ses oeuvres, à
+Liège.--Cabinet du chevalier Verhulst à Bruxelles.--Mort de Mme
+Filleul.--Son caractère, sa philosophie.--Déception de Marmontel au
+sujet d'une nièce de Mme Gaulard.
+
+LIVRE IX
+
+Séjours à Ménars.--Séjour à Maisons.--Le comte de Creutz présente Grétry
+à Marmontel.--_Le Huron_.--_Lucile_, _Sylvain_, _l'Ami de la maison_,
+_Zémire et Azor_.--_Le Connaisseur_.--Épilogue des relations de Louis XV
+et de Mme de Séran.--Marmontel vient loger dans l'hôtel de Mlle
+Clairon.--Encore la parodie de _Cinna_.--Entrevue de Marmontel et du duc
+d'Aumont.--Séjour du prince royal de Suède (Gustave III) à
+Paris.--Maladie de l'auteur.--Soins que lui prodiguent Bouvart et Mlle
+Clairon.--Rapports de Marmontel et du duc d'Aiguillon; retouches à un
+mémoire de Linguet, fureur de celui-ci.--Nomination de Marmontel au
+poste d'historiographe de France.--Succès de _Zémire et Azor_ sur le
+théâtre de la cour, à Fontainebleau.--Discussion de l'auteur et du
+costumier.--_L'Ami de la maison_ est moins bien accueilli.--_La Fausse
+Magie_.--_La Voix des pauvres, épître sur l'incendie de
+l'Hôtel-Dieu_.--_Ode à la louange de Voltaire_.--Séjour de Marmontel
+chez Mme de Séran, au château de La Tour, en Normandie.--Liaison avec
+Mme de L. P ***.--Matériaux recueillis par l'auteur pour une histoire du
+règne de Louis XV.--Rapprochement opéré par Marmontel entre le duc de
+Richelieu et plusieurs membres de l'Académie française.--Communication
+des manuscrits de Saint-Simon.--Nouvelle collaboration à
+l'_Encyclopédie_.--Suicide de Bouret.--Sacre de Louis XV.--Portrait de
+la maréchale de Beauvau.--Querelle des gluckistes et des
+piccinistes.--Marmontel se range parmi ceux-ci.--_Roland_,
+opéra.--Liaison de l'auteur et des frères Morellet.
+
+TOME TROISIÈME
+
+LIVRE X
+
+Mort de Mme Odde et de ses enfants.--Inquiétudes de Marmontel sur son
+propre avenir.--Mme et Mlle de Montigny, soeur et nièce de MM.
+Morellet.--Prédiction de l'abbé Maury à Marmontel.--Projets de
+bonheur.--Mariage de l'auteur et de Mlle de Montigny.--Liaison des
+nouveaux époux avec Mme d'Houdetot et Saint-Lambert.--Portrait de Mme
+Necker.--Mort du premier né de Mme Marmontel.--Inquiétude pour le second
+enfant.--Séjour à Saint-Brice.--Promenades à Montmorency.--Réflexions
+sur les ouvrages et le caractère de Rousseau.--Mort de
+Voltaire.--_Polymnie_, poème satirique sur la querelle des gluckistes et
+des piccinistes.--Retraite de Necker.--Mme de Vermenoux.--_Atys_,
+opéra.--Rapports de l'auteur avec Turgot.--Départ du comte de Creutz et
+du marquis de Caraccioli.--Mort de d'Alembert.--Nouvelle maladie de
+Marmontel et nouveaux soins de Bouvart.--_Didon_, opéra, musique de
+Piccini.--Son succès à la cour et à Paris.
+
+LIVRE XI
+
+Élection de Marmontel comme secrétaire perpétuel de l'Académie
+française.--Concert de M. de La Borde.--Réunion des amis de l'auteur à
+sa maison de campagne.--Mort d'un troisième enfant.--_Pénélope_,
+opéra.--_Le Dormeur éveillé_.--Succès de «lecteur» obtenus par Marmontel
+aux séances publiques de l'Académie française.--Candidature de l'abbé
+Maury.--Son différend avec La Harpe.--Son élection.--Mort et portrait de
+Thomas.--Élection de Morellet.--_Éloge de Colardeau_.--Poème sur la mort
+du duc de Brunswick.--Présents du comte d'Artois et du prince de
+Brunswick à ce sujet.--Situation prospère du ménage de
+Marmontel.--Liaison avec M. et Mme Desèze.--Procédés généreux de Calonne
+à l'égard de l'Académie française.--Plan général d'instruction publique
+demandé par Lamoignon à Marmontel.--Éloge de Sainte-Barbe et de ses
+méthodes d'enseignement.
+
+LIVRE XII
+
+Coup d'oeil sur les causes de la Révolution.--Portrait de Louis
+XVI.--Rentrée en grâce du comte de Maurepas; son passé, ses vues, sa
+politique, ses principes.--Renvoi de Terray.--Vues de Turgot, son
+successeur.--Émeute de 1775.--Renvoi de Turgot.--Passage aux affaires de
+Clugny et de Taboureau.--Ils sont remplacés par Necker.--Plans et vues
+de celui-ci; ses discussions avec Turgot.--Compte rendu au roi par
+Necker (1781).--Réfutation de Bourboulon.--Disgrâce de Sartine.--Ligue
+de Maurepas et de toute la cour contre Necker.--Sa démission est
+acceptée.--Ses successeurs, Joly de Fleury, d'Ormesson,
+Calonne.--Réputation, caractère et imprévoyance de celui-ci.--Première
+assemblée des notables (22 février 1787).--Discussion, sur le déficit,
+entre Necker et Calonne.--Exil de Necker.--Disgrâce de Calonne et de
+Miroménil.--Bouvard de Fourqueux est nommé contrôleur général, et
+Lamoignon garde des sceaux.--Notes confidentielles de Montmorin
+communiquées à Marmontel--Loménie de Brienne est nommé ministre des
+finances.
+
+LIVRE XIII Portrait de Brienne.--Ses luttes contre le Parlement au sujet
+des édits sur le timbre et sur l'impôt territorial.--Lit de
+justice.--Exil du Parlement à Troyes.--Continuation de la lutte.--Séance
+royale.--Mouvement d'opinion en faveur de la réunion des Etats
+généraux.--Exil du duc d'Orléans à Villers-Cotterets.--Lit de justice (8
+mai 1788).--Examen du nouveau système judiciaire.--Résistance des Etats
+de Bretagne et de Dauphiné.--Ressources désastreuses imaginées par
+Brienne.--Sa démission.--Situation déplorable du Trésor et de
+l'agriculture.--Impopularité et suicide de Lamoignon.--Projets de
+Necker.--Seconde convocation des notables (3 novembre 1788).--Opinion de
+six bureaux touchant le mode de représentation du tiers aux Etats
+généraux.--Conseil d'État du 27 décembre 1788.--Choix de Versailles pour
+lieu de réunion des États.--Ce que voulait Necker et ce qui aurait pu
+arriver.
+
+LIVRE XIV
+
+Marmontel membre de l'assemblée primaire du district des Feuillants et
+de l'assemblée électorale.--Rôle de Duport.--Influence des avocats dans
+ces réunions préliminaires.--Target élu président de l'assemblée
+électorale aux Heu et place d'Angran d'Alleray.--Échec de Marmontel
+contre Sieyès.--Dialogue de l'auteur et de Chamfort.--Ouverture des
+États généraux.--Discours du roi.--Exposé présenté par Necker.
+
+LIVRE XV
+
+Contestation entre le tiers et les deux autres ordres au sujet du mode
+de délibération et de la vérification des pouvoirs.--Arrêté pris le 10
+juin par le tiers touchant cette vérification.--Autre arrêté (17 juin)
+spécifiant que le tiers s'appellerait désormais Assemblée
+nationale.--Embarras de Necker.--Projet d'une séance royale et d'une
+déclaration que devait lire le roi.--Discours du duc de Luxembourg,
+président de l'ordre de la noblesse, au roi.--Serment du Jeu de
+paume.--Adhésion de deux archevêques, de deux évêques et de cent
+quarante-cinq députés du clergé au tiers.--Séance royale du 23.--Motifs
+de l'abstention de Necker.--Disparates sensibles dans la déclaration lue
+par le roi.--Décret du tiers touchant l'inviolabilité des
+députés.--Necker offre sa démission.--Il est acclamé par le peuple, et
+par l'Assemblée.--Union des communes.--Division des deux autres
+ordres.--Réunion plénière (27 juin).--Ovation à la famille royale et à
+Necker.--Symptômes d'agitation et bruits alarmants.--Rassemblements et
+motions au Palais-Royal.--Délivrance des gardes-françaises enfermés à
+l'Abbaye.--Adresse du peuple à l'Assemblée.
+
+LIVRE XVI
+
+Imprévoyance de la cour.--Adresse au roi (rédigée par
+Mirabeau).--Réponse du roi.--Du droit de veto.--Renvoi des
+ministres.--Agitation dans Paris.--Charge du prince de
+Lambesc.--L'agitation redouble; on court aux armes.--Promesse imprudente
+de Flesselles.--Formation d'une armée citoyenne et adoption d'une
+cocarde.--Pillage du magasin d'armes des Invalides.
+
+LIVRE XVII
+
+Attaque et reddition de la Bastille.--Récit d'Élie, l'un des vainqueurs,
+recueilli par Marmontel.--Massacre de de Launey, de ses principaux
+officiers et de Flesselles.--Motion du baron de Marguerittes à
+l'Assemblée nationale.--Discours du roi.--Réception, à Paris, de la
+députation choisie par l'Assemblée.--Discours de La Fayette et de
+Lally-Tolendal.--Visite du roi à l'Hôtel de ville.--Discours de
+Lally-Tolendal.
+
+LIVRE XVIII
+
+Discussion de la prérogative royale touchant la nomination des
+ministres.--Meurtre de Foulon et de Bertier.--Massacres commis en
+province.--Retour de Necker et arrêté d'amnistie qu'il obtient des
+électeurs de Paris.--Improbation des districts.--Épuisement des
+finances.--Abandon des privilèges (4 août).--Journées des 5 et 6
+octobre.--Retour du roi et de l'Assemblée à Paris.--Précis des autres
+événements accomplis jusqu'à la séparation de la Constituante.--Départ
+et adieux de l'abbé Maury.--Entrée en fonctions de l'Assemblée
+législative.--Départ de Marmontel et de sa famille pour la
+Normandie.--Journée du 10 août et ses conséquences.--Lorry, ancien
+évèque d'Angers, vient chercher un abri auprès de Marmontel.--Sommaire
+des événements depuis la réunion de la Convention nationale (21
+septembre 1792) jusqu'à la mort du Dauphin (20 prairial an III-8 juin
+1795).
+
+LIVRE XIX
+
+Commencement de la Terreur.--Maladie et mort de Charpentier, précepteur
+des enfants de Marmontel.--Dom Honorat.--Retour à Abbeville; réflexions
+de l'auteur sur sa situation actuelle.--Gravité croissante des
+événements publics.--Lois du 10 mars 1793, du 22 prairial an II (10 juin
+1794).--Excès commis par Carrier, Collot d'Herbois et Le Bon.--Le 9
+thermidor.--Fermeture du club des Jacobins.--Journée du 1er
+prairial.--Constitution des deux Conseils et du Directoire.--Pouvoirs
+étendus confiés à celui-ci.
+
+LIVRE XX
+
+Retour de Marmontel sur lui-même.--Nouveaux _Contes moraux_.--Cours de
+grammaire, de logique, de métaphysique et de morale, rédigés pour ses
+enfants.--Rédaction des présents _Mémoires_.--Aveu de l'auteur à ce
+sujet.--Assemblée primaire du canton de Gaillon.
+
+
+
+
+MÉMOIRES D'UN PÈRE POUR SERVIR À L'INSTRUCTION DE SES ENFANS
+
+
+
+
+LIVRE X
+
+Tant que le Ciel m'avoit laissé dans Mme Odde une soeur tendrement
+chérie, et qui m'aimoit plutôt d'un amour filial que d'une amitié
+fraternelle, sûr d'avoir dans son digne et vertueux époux un véritable
+ami, dont la maison seroit la mienne, dont les enfans seroient les
+miens, je savois où vieillir en paix. L'estime et la confiance qu'Odde
+s'étoit acquises, l'excellente réputation dont il jouissoit dans son
+état, me rendoient son avancement facile et assuré; et, n'eût-il fait
+que conserver l'emploi qu'il avoit à Saumur, ma petite fortune ajoutée à
+la sienne nous auroit fait vivre dans une honnête aisance. Ainsi,
+lorsque le monde et moi nous aurions été las, ennuyés l'un de l'autre,
+ma vieillesse avoit un asile honorable et plein de douceur. Dans cette
+heureuse confiance, je me laissois aller, comme vous avez vu, au courant
+de la vie, et sans inquiétude je me voyois sur mon déclin.
+
+Mais lorsque j'eus perdu ma soeur et ses enfans; lorsque, dans sa
+douleur, Odde, abandonnant une ville où il ne voyoit plus que des
+tombeaux, et, renonçant à son emploi, se fut retiré dans sa patrie, mon
+avenir, si serein jusqu'alors, s'obscurcit à mes yeux; je ne vis plus
+pour moi que les dangers du mariage, ou que la solitude d'un triste
+célibat et d'une vieillesse abandonnée.
+
+Je redoutois dans le mariage des chagrins domestiques qu'il m'auroit été
+impossible d'essuyer sans mourir, et dont je voyois mille exemples; mais
+un malheur plus effrayant encore étoit celui d'un vieillard obligé, ou
+d'être le rebut du monde, en y traînant une ennuyeuse et infirme
+caducité, ou de rester seul, délaissé, à la merci de ses valets, livré à
+leur dure insolence et à leur servile domination.
+
+Dans cette situation pénible, j'avois tenté plus d'une fois de me donner
+une compagne, et d'adopter une famille qui me tînt lieu de celle que la
+mort avoit moissonnée autour de moi; mais, par une heureuse fatalité,
+aucun de mes projets ne m'avoit réussi, lorsque je vis arriver à Paris
+la soeur et la nièce de mes amis MM. Morellet. Ce fut un coup du Ciel.
+
+Cependant, tout aimables qu'elles me sembloient l'une et l'autre: la
+mère, par un caractère de franchise, de cordialité, de bonté; la fille,
+par un air de candeur et de modestie qui, joint à la beauté,
+l'embellissoit encore; toutes les deux, par un langage où j'aperçus sans
+peine autant d'esprit que de raison, je n'imaginois pas qu'à cinquante
+ans passés je fusse un mari convenable à une personne qui n'avoit guère
+que dix-huit ans. Ce qui m'éblouissoit en elle, cette fleur de jeunesse,
+cet éclat de beauté, tant de charmes que la nature avoit à peine achevé
+de former, étoit ce qui devoit éloigner de moi l'espérance, et, avec
+l'espérance, le désir de la posséder.
+
+Je ne vis donc pour moi, dans cette agréable aventure, que l'avantage
+d'une nouvelle et charmante société.
+
+Soit que Mme de Montigny fût prévenue en ma faveur, soit que ma bonhomie
+lui convînt au premier abord, elle fut bientôt avec l'ami de ses frères
+comme avec un ancien ami qu'elle-même auroit retrouvé. Nous soupâmes
+ensemble. La joie qu'ils avoient tous d'être réunis, anima ce souper.
+J'y pris la même part que si j'eusse été l'un des leurs. Je fus invité à
+dîner pour le lendemain, et successivement se forma l'habitude de nous
+voir presque tous les jours.
+
+Plus je causois avec la mère, plus j'entendois parler la fille, plus je
+trouvois à l'une et à l'autre ce naturel aimable qui m'a toujours
+charmé. Mais, encore une fois, mon âge, mon peu de fortune, ne me
+laissoient voir pour moi aucune apparence au bonheur que je présageois à
+l'époux de Mlle de Montigny, et plus de deux mois s'étoient écoulés sans
+que l'idée me fût venue d'aspirer à ce bonheur-là.
+
+Un matin, l'un de mes amis, et des amis de MM. Morellet, l'abbé Maury,
+vint me voir, et me dit: «Voulez-vous que je vous apprenne une nouvelle?
+Mlle de Montigny se marie.--Elle se marie? avec qui?--Avec vous.--Avec
+moi?--Oui, avec vous-même.--Vous êtes fou, ou vous rêvez.--Je ne rêve
+point, et ce n'est point une folie; c'est une chose très sensée, et dont
+aucun de vos amis ne doute.--Écoutez-moi, lui dis-je, et croyez-moi, car
+je vous parle sérieusement. Mlle de Montigny est charmante; je la crois
+accomplie, et c'est pour cela même que je n'ai jamais eu la folle idée
+de prétendre au bonheur d'être son époux.--Eh bien! vous le serez sans y
+avoir prétendu.--À mon âge?--Bon! à votre âge! Vous êtes jeune encore,
+et en pleine santé.» Alors le voilà qui déploie toute son éloquence à me
+prouver que rien n'étoit plus convenable; que je serois aimé; que nous
+ferions un bon ménage; et, d'un ton de prophète, il m'annonça que nous
+aurions de beaux enfans.
+
+Après cette saillie, il me laissa livré à mes réflexions; et, tout en me
+disant à moi-même qu'il étoit fou, je commençai à n'être pas plus sage.
+
+Mes cinquante-quatre ans ne me semblèrent plus un obstacle si effrayant;
+la santé, à cet âge, pouvoit tenir lieu de jeunesse. Je commençai à
+croire que je pouvois inspirer non pas de l'amour, mais une bonne et
+tendre amitié; et je me rappelai ce que disoient les sages: que l'amitié
+fait plus de bons ménages que l'amour.
+
+Je croyois avoir remarqué, dans cette jeune et belle personne, du
+plaisir à me voir, du plaisir à m'entendre: ses beaux yeux, en me
+regardant, avoient un caractère d'intérêt et de bienveillance. J'allai
+jusqu'à penser que, dans les attentions dont m'honoroit sa mère, dans le
+plaisir que témoignoient ses oncles à me voir assidu chez eux, il
+entroit peut-être quelque disposition favorable au voeu que je n'osois
+former. Je n'étois pas riche; mais cent trente mille francs, solidement
+placés, étoient le fruit de mes épargnes. Enfin, puisqu'un ami sincère,
+l'abbé Maury, trouvoit cette union non seulement raisonnable, mais
+désirable des deux côtés, pourquoi moi-même aurois-je pensé qu'elle fût
+si mal assortie?
+
+J'étois engagé ce jour-là à dîner chez MM. Morellet. Je m'y rendis avec
+une émotion qui m'étoit inconnue. Je crois même me souvenir que je mis
+un peu plus de soin à ma toilette; et dès lors je donnai une attention
+sérieuse à ce qui commençoit à m'intéresser vivement. Aucun mot n'étoit
+négligé, aucun regard ne m'échappoit; je faisois délicatement des
+avances imperceptibles, et des tentatives légères sur les esprits et sur
+les âmes. L'abbé ne sembloit pas y faire attention; mais sa soeur, son
+frère et sa nièce, me paroissoient sensibles à tout ce qui venoit de
+moi.
+
+Vers ce temps, l'abbé fit un voyage à Brienne en Champagne, chez les
+malheureux Loménie, avec lesquels il étoit lié depuis sa jeunesse; et,
+en son absence, la société devint plus familière et plus intime.
+
+Je savois bien que de flatteuses apparences pouvoient rendre trompeur
+l'attrait d'une première liaison; je savois quelle illusion pouvoit
+faire la grâce unie à la beauté; deux ou trois mois de connoissance et
+de société étoient bien peu pour s'assurer du caractère d'une jeune
+personne. J'en avois vu plus d'une dans le monde que l'on n'avoit
+instruite qu'à feindre et à dissimuler; mais on m'avoit dit tant de bien
+du naturel de celle-ci, et ce naturel me sembloit si naïf, si pur et si
+vrai, si éloigné de toute espèce de dissimulation, de feinte et
+d'artifice; la bonté, l'innocence, la tendre modestie, en étoient si
+visiblement exprimées dans son air et dans son langage, que je me
+sentois invinciblement porté à le croire tel qu'il s'annonçoit; et, si
+je n'ajoutois pas foi à tant de vraisemblance, il falloit donc me défier
+de tout, et ne croire jamais à rien.
+
+Une promenade aux jardins de Sceaux acheva de me décider. Jamais ce lieu
+ne m'a paru si beau, jamais je n'avois respiré l'air de la campagne avec
+tant de délices; la présence de Mlle de Montigny avoit tout embelli: ses
+regards répandoient je ne sais quoi d'enchanteur autour d'elle. Ce que
+j'éprouvois n'étoit pas ce délire des sens que l'on appelle amour:
+c'étoit une volupté calme, et telle qu'on nous peint celle des purs
+esprits. Le dirai-je? il me semble que je connus alors pour la première
+fois le vrai sentiment de l'amour.
+
+Jusque-là le plaisir des sens avoit été le seul attrait qui m'eût
+conduit. Ici je me sentis enlevé hors de moi par de plus invincibles
+charmes; c'étoient la candeur, l'innocence, la douce sensibilité, la
+chaste et timide pudeur, une honnêteté dont le voile ornoit la grâce et
+la beauté; c'étoit la vertu, couronnée des fleurs de la jeunesse, qui
+ravissoit mon âme encore plus que mes yeux; sorte d'enchantement mille
+fois au-dessus de tous ceux des Armides que j'avois cru voir dans le
+monde.
+
+Mon émotion étoit d'autant plus vive qu'elle étoit retenue... Je brûlois
+d'en faire l'aveu; mais à qui l'adresser? et comment seroit-il reçu? La
+bonne mère y donna lieu. Dans l'allée où nous nous promenions, elle
+étoit à deux pas de nous avec son frère.
+
+«Il faut, me dit-elle en souriant, que j'aie bien de la confiance en
+vous pour vous laisser ainsi causer avec ma fille tête à tête.--Madame,
+lui dis-je, il est juste que je réponde à cette confiance, en vous
+disant de quoi nous nous entretenions. Mademoiselle me faisoit la
+peinture du bonheur que vous goûtez à vivre ensemble tous les quatre en
+famille; et moi, à qui cela faisoit envie, j'allois vous demander si un
+cinquième, comme moi, par exemple, gâteroit la société.--Je ne le crois
+pas, me répondit-elle; demandez plutôt à mon frère.--Moi, dit le frère
+avec franchise, je trouverois cela très bon.--Et vous,
+Mademoiselle?--Moi, dit-elle, j'espère que mon oncle l'abbé sera de
+l'avis de maman; mais, jusqu'à son retour, permettez-moi de garder le
+silence.»
+
+Comme on ne doutoit pas qu'il ne fût de l'avis commun, mon intention une
+fois déclarée, et la mère, la fille et l'oncle étant d'accord, je ne
+dissimulai plus rien. Je crus même m'apercevoir qu'un sentiment qui
+m'occupoit sans cesse trouvoit quelque accès dans le coeur de celle qui
+en étoit l'objet.
+
+L'abbé se fit attendre, enfin il arriva; et, quoique tout se fût arrangé
+sans son aveu, il le donna. Le lendemain, le contrat fut signé. Il y
+institua sa nièce son héritière après sa mort et après la mort de sa
+soeur; et moi, dans cet acte dressé et rédigé par leur notaire, je ne
+pris d'autre soin que de rendre, après moi, ma femme heureuse et
+indépendante de ses enfans.
+
+Jamais mariage ne s'est fait sous de meilleurs auspices. Comme la
+confiance entre Mlle de Montigny et moi étoit mutuelle et parfaite, et
+que nous nous étions bien persuadés l'un l'autre du voeu que nous allions
+faire à l'autel, nous l'y prononçâmes sans trouble et sans aucune
+inquiétude[1].
+
+Au retour de l'église, où Chastellux et Thomas avoient tenu sur nous le
+voile nuptial, on voulut bien nous laisser seuls quelques momens; et ces
+momens furent employés à nous bien assurer l'un l'autre du désir de nous
+rendre mutuellement heureux. Cette première effusion de deux coeurs que
+la bonne foi d'un côté, l'innocence de l'autre, et des deux côtés
+l'amitié la plus tendre, unissent à jamais, est peut-être l'instant le
+plus délicieux de la vie.
+
+Le dîner, après la toilette, fut animé d'une gaieté du bon vieux temps.
+Les convives étoient d'Alembert, Chastellux, Thomas, Saint-Lambert, un
+cousin de MM. Morellet, et quelques autres amis communs. Tous étoient
+occupés de la nouvelle épouse; et, comme moi, ils en étoient si charmés,
+si joyeux, qu'à les voir on eût dit que chacun en étoit l'époux.
+
+Au sortir de table, on passa dans un salon en galerie, dont la riche
+bibliothèque de l'abbé Morellet formoit la décoration. Là, un clavecin,
+des pupitres, annonçoient bien de la musique; mais quelle musique
+nouvelle et ravissante on alloit entendre! L'opéra de _Roland[2]_, le
+premier opéra françois qui eût été mis en musique italienne, et, pour
+l'exécuter, les plus belles voix et l'élite de l'orchestre de l'Opéra.
+
+L'émotion qu'excita cette nouveauté eut tout le charme de la surprise.
+Piccini étoit au clavecin; il animoit l'orchestre et les acteurs du feu
+de son génie et de son âme. L'ambassadeur de Suède et l'ambassadeur de
+Naples assistèrent à ce concert; ils en étoient ravis. Le maréchal de
+Beauvau fut aussi de la fête. Cette espèce d'enchantement dura jusqu'au
+souper, où furent invités les chanteurs et les symphonistes.
+
+Ainsi se passa ce beau jour, l'époque et le présage du bonheur qui s'est
+répandu sur tout le reste de ma vie, à travers les adversités qui l'ont
+troublé souvent, mais qui ne l'ont point corrompu.
+
+Il étoit convenu que nous habiterions ensemble, les deux oncles, la mère
+et nous, que nous payerions un cinquième par tête dans la dépense du
+ménage; et cet arrangement me convenoit à tous égards. Il réunissoit
+l'avantage de la société domestique à celui d'une société toute formée
+du dehors, et dont nous n'avions qu'à jouir.
+
+J'ai fait connoître une partie de ceux que nous pouvions appeler nos
+amis; mais il en est encore dont je n'ai pas voulu parler comme en
+passant, et sur lesquels mes souvenirs se plaisent à se reposer.
+
+Vous avez, mes enfans, entendu dire mille fois par votre mère, et dans
+sa famille, quel étoit pour nous l'agrément de vivre avec M. de
+Saint-Lambert et Mme la comtesse d'Houdetot, son amie; et quel étoit le
+charme d'une société où l'esprit, le goût, l'amour des lettres, toutes
+les qualités du coeur les plus essentielles et les plus désirables, nous
+attiroient, nous attachoient, soit auprès du sage d'Eaubonne, soit dans
+l'agréable retraite de la Sévigné de Sannois. Jamais deux esprits et
+deux âmes n'ont formé un plus parfait accord de sentimens et de pensées;
+mais ils se ressembloient surtout par un aimable empressement à bien
+recevoir leurs amis. Politesse à la fois libre, aisée, attentive;
+politesse d'un goût exquis, qui vient du coeur, qui va au coeur, et qui
+n'est bien connue que des âmes sensibles.
+
+Nous avions été, Saint-Lambert et moi, des sociétés du baron d'Holbach,
+d'Helvétius, de Mme Geoffrin; nous fûmes aussi constamment de celle de
+Mme Necker; mais, dans celle-ci, je datois de plus loin que lui: j'en
+étois presque le doyen.
+
+C'est dans un bal bourgeois, circonstance assez singulière, que j'avois
+fait connoissance avec Mme Necker, jeune alors, assez belle, et d'une
+fraîcheur éclatante, dansant mal, mais de tout son coeur.
+
+À peine m'eut-elle entendu nommer qu'elle vint à moi avec l'air naïf de
+la joie. «En arrivant à Paris, me dit-elle, l'un de mes désirs a été de
+connoître l'auteur des _Contes moraux_. Je ne croyois pas faire au bal
+une si heureuse rencontre. J'espère que ce ne sera pas une aventure
+passagère. Necker, dit-elle à son mari en l'appelant, venez vous joindre
+à moi pour engager M. Marmontel, l'auteur des _Contes moraux_, à nous
+faire l'honneur de nous venir voir.» M. Necker fut très civil dans son
+invitation; je m'y rendis. Thomas étoit le seul homme de lettres qu'ils
+eussent connu avant moi; mais bientôt, dans le bel hôtel où ils allèrent
+s'établir, Mme Necker, sur le modèle de la société de Mme Geoffrin,
+choisit et composa la sienne.
+
+Étrangère aux moeurs de Paris, Mme Necker n'avoit aucun des agrémens
+d'une jeune Françoise. Dans ses manières, dans son langage, ce n'étoit
+ni l'air, ni le ton d'une femme élevée à l'école des arts, formée à
+l'école du monde. Sans goût dans sa parure, sans aisance dans son
+maintien, sans attrait dans sa politesse, son esprit, comme sa
+contenance, étoit trop ajusté pour avoir de la grâce.
+
+Mais un charme plus digne d'elle étoit celui de la décence, de la
+candeur, de la bonté. Une éducation vertueuse et des études solitaires
+lui avoient donné tout ce que la culture peut ajouter dans l'âme à un
+excellent naturel. Le sentiment en elle étoit parfait; mais, dans sa
+tête, la pensée étoit souvent confuse et vague. Au lieu d'éclaircir ses
+idées, la méditation les troubloit; en les exagérant, elle croyoit les
+agrandir; pour les étendre, elle s'égaroit dans des abstractions ou dans
+des hyperboles. Elle sembloit ne voir certains objets qu'à travers un
+brouillard qui les grossissoit à ses yeux; et alors son expression
+s'enfloit tellement que l'emphase en eût été risible, si l'on n'avoit
+pas su qu'elle étoit ingénue.
+
+Le goût étoit moins en elle un sentiment qu'un résultat d'opinions
+recueillies et transcrites sur ses tablettes. Sans qu'elle eût cité ses
+exemples, il eût été facile de dire d'après qui et sur quoi son jugement
+s'étoit formé. Dans l'art d'écrire, elle n'estimoit que l'élévation, la
+majesté, la pompe; les gradations, les nuances, les variétés de couleur
+et de ton, la touchoient foiblement. Elle avoit entendu louer la naïveté
+de La Fontaine, le naturel de Sévigné; elle en parloit par ouï-dire,
+mais elle y étoit peu sensible.. Les grâces de la négligence, la
+facilité, l'abandon, lui étoient inconnus. Dans la conversation même, la
+familiarité lui déplaisoit. Je m'amusois souvent à voir jusqu'où elle
+portoit cette délicatesse. Un jour, je lui citois quelques expressions
+familières que je croyois, disois-je, pouvoir être reçues dans le style
+élevé, comme: _faire l'amour, aller voir ses amours, commencer à voir
+clair; prenez votre parti; pour bien faire, il faudroit; non, vois-tu:
+faisons mieux_, etc. Elle les rejeta comme indignes du style noble.
+«Racine, lui dis-je, a été moins difficile que vous: il les a toutes
+employées», et je lui en fis voir les exemples. Mais son opinion, une
+fois établie, étoit invariable; et l'autorité de Thomas ou celle de
+Buffon étoient pour elle un article de foi.
+
+On eût dit qu'elle réservoit la rectitude et la justesse pour la règle
+de ses devoirs. Là, tout étoit précis et sévèrement compassé; les
+amusemens même qu'elle sembloit vouloir se procurer avoient leur raison,
+leur méthode.
+
+On la voyoit tout occupée à se rendre agréable à sa société, empressée à
+bien recevoir ceux qu'elle y avoit admis, attentive à dire à chacun ce
+qui pouvoit lui plaire davantage; mais tout cela étoit prémédité, rien
+ne couloit de source, rien ne faisoit illusion.
+
+Ce n'étoit point pour nous, ce n'étoit point pour elle qu'elle se
+donnoit tous ces soins: c'étoit pour son mari. Nous le faire connoître,
+lui concilier nos esprits, faire parler de lui avec éloge dans le monde,
+et commencer sa renommée, tel fut le principal objet de la fondation de
+sa société littéraire. Mais il falloit encore que son salon, que son
+dîner, fussent pour son mari un délassement, un spectacle: car, en
+effet, il n'étoit là qu'un spectateur silencieux et froid. Hormis
+quelques mots fins qu'il plaçoit çà et là, personnage muet, il laissoit
+à sa femme le soin de soutenir la conversation. Elle y faisoit bien son
+possible; mais son esprit n'avoit rien d'avenant à des propos de table.
+Jamais une saillie, jamais un mot piquant, jamais un trait qui pût
+réveiller les esprits. Soucieuse, inquiète, sitôt qu'elle voyoit la
+scène et le dialogue languir, ses regards en cherchoient la cause dans
+nos yeux. Elle avoit même quelquefois la naïveté de s'en plaindre à moi.
+«Que voulez-vous, Madame, lui disois-je, on n'a pas de l'esprit quand on
+veut, et l'on n'est pas toujours en humeur d'être aimable. Voyez M.
+Necker lui-même, s'il est tous les jours amusant.»
+
+Les attentions de Mme Necker et tout son désir de nous plaire n'auroient
+pu vaincre le dégoût de n'être à ses dîners que pour amuser son mari.
+Mais il en étoit de ces dîners comme de beaucoup d'autres, où la
+société, jouissant d'elle-même, dispense l'hôte d'être aimable, pourvu
+qu'il la dispense de s'occuper de lui.
+
+Lorsque Necker a été ministre, ceux qui ne l'avoient pas connu dans sa
+vie privée ont attribué son silence, sa gravité, son air de tête, à
+l'arrogance de son nouvel état. Mais je puis attester qu'avant même
+qu'il eût fait fortune, simple associé du banquier Thélusson, il avoit
+le même air, le même caractère silencieux et grave, et qu'il n'étoit ni
+plus liant, ni plus familier avec nous. Il recevoit civilement sa
+compagnie; mais il n'avoit avec aucun de nous cette cordialité qui
+flatte, et qui donne à la politesse une apparence d'amitié.
+
+Sa fille a dit de lui qu'il _savoit tenir son monde à distance_. Si
+telle avoit été l'intention de son père, en le disant elle auroit trahi
+bien légèrement le secret d'un orgueil au moins ridicule. Mais la vérité
+simple étoit qu'un homme accoutumé dès sa jeunesse aux opérations
+mystérieuses d'une banque, et enfoncé dans les calculs des spéculations
+commerciales, connoissant peu le monde, fréquentant peu les hommes, très
+peu même les livres, superficiellement et vaguement instruit de ce qui
+n'étoit pas la science de son état, devoit, par discrétion, par
+prudence, par amour-propre, se tenir réservé pour ne pas donner sa
+mesure; aussi parloit-il librement et abondamment de ce qu'il savoit
+bien, mais sobrement de tout le reste. Il étoit donc adroit et sage, et
+non pas arrogant. Sa fille est quelquefois une aimable étourdie.
+
+À l'égard de Mme Necker, elle avoit parmi nous des amis qu'elle
+distinguoit; et je fus toujours de ce nombre. Ce n'étoit pas que nos
+esprits et nos goûts fussent bien d'accord: j'affectois même d'opposer
+mes idées simples et vulgaires à ses hautes conceptions; et il falloit
+qu'elle descendît de ces hauteurs inaccessibles pour communiquer avec
+moi. Mais, quoique indocile à la suivre dans la région de ses pensées,
+et plus dominé par mes sens qu'elle n'auroit voulu, elle ne m'en aimoit
+pas moins.
+
+Sa société avoit pour moi un agrément bien précieux, celui d'y retrouver
+l'ambassadeur de Naples et celui de Suède, deux hommes dont j'ai le plus
+regretté l'absence et la perte. L'un, par sa bonhomie et sa cordialité,
+autant que par ses goûts et ses lumières, me rendoit tous les jours son
+commerce plus désirable; l'autre, par sa tendre amitié, par sa douce
+philosophie, par je ne sais quelle suave odeur de vertu naïve et
+modeste, par je ne sais quoi de mélancolique et d'attendrissant dans son
+langage et dans son caractère, m'attachoit plus intimement encore. Je
+les voyois chez moi, chez eux, chez nos amis, le plus souvent qu'il
+m'étoit possible, et jamais assez à mon gré.
+
+Heureux dans mes sociétés, plus heureux dans mon intérieur domestique,
+j'attendois, après dix-huit mois de mariage, les premières couches de ma
+femme, comme l'événement qui mettroit le comble à mes voeux. Hélas!
+combien cruellement je fus trompé dans mes espérances! Cet enfant, si
+ardemment désiré, étoit mort en venant au monde. Sa mère, étonnée,
+inquiète de ne pas entendre ses cris, demandoit à le voir; et moi,
+immobile et tremblant, j'étois encore dans le salon voisin à attendre sa
+délivrance, lorsque ma belle-mère vint me dire: «Venez embrasser votre
+femme et la sauver du désespoir; votre enfant est mort en naissant.» Je
+crus sentir mon coeur meurtri du coup que ces mots y portèrent. Pâle et
+glacé, me soutenant à peine, je me traînai jusqu'au lit de ma femme, et
+là, faisant un effort sur moi-même: «Ma bonne amie, lui dis-je, voici le
+moment de me prouver que vous vivez pour moi. Notre enfant n'est plus,
+il est mort avant d'avoir vu la lumière.» La malheureuse jeta un cri qui
+me perça le coeur, et tomba évanouie entre mes bras. Comme elle lira ces
+_Mémoires_, passons sur ces momens cruels, pour ne pas rouvrir sa
+blessure, qui n'a que trop longtemps saigné.
+
+À son second enfant, je la vis résolue à le nourrir de son lait; je m'y
+opposai: je la croyois trop foible encore. La nourrice que nous avions
+choisie étoit, en apparence, la meilleure possible: l'air de la santé,
+la fraîcheur, un teint, une bouche de rose, de belles dents, le plus
+beau sein, elle avoit tout, hormis du lait. Ce sein étoit de marbre,
+l'enfant dépérissoit; il étoit à Saint-Cloud; et, en attendant que sa
+mère fût en état d'aller le voir, le curé du village nous avoit promis
+d'y veiller: il nous en donnoit des nouvelles; mais le cruel nous
+abusoit.
+
+En arrivant chez la nourrice, nous fûmes douloureusement détrompés. «Mon
+enfant pâtit, me dit sa mère; vois comme ses mains sont flétries; il me
+regarde avec des yeux qui implorent ma pitié. Je veux que cette femme me
+l'apporte à Paris, et que mon accoucheur la voie.» Elle vint; il fut
+appelé, il visita son sein, il n'y trouva point de lait. Sur-le-champ il
+alla nous chercher une autre nourrice; et aussitôt que l'enfant eut pris
+ce nouveau sein, où il puisoit à pleine source, il en trouva le lait si
+bon qu'il ne pouvoit s'en rassasier.
+
+Quelle fut notre joie de le voir revenir à vue d'oeil et se ranimer comme
+une plante desséchée et mourante que l'on arrose! Ce cher enfant étoit
+Albert, et nous semblions avoir un doux pressentiment des consolations
+qu'il nous donne.
+
+Ma femme, pour garder la nourrice auprès d'elle et faire respirer un air
+pur à l'enfant, désira d'avoir une maison de campagne; et un ami de MM.
+Morellet nous prêta la sienne à Saint-Brice.
+
+Dans ce village étoient deux hommes estimables, intimement unis
+ensemble, et avec qui moi-même je fus bientôt lié. L'un étoit le curé,
+frère aîné de l'abbé Maury, homme d'un esprit sage et d'un caractère
+excellent; l'autre étoit un ancien libraire appelé Latour[3], homme
+doux, paisible, modeste, d'une probité délicate, et aussi obligeant pour
+moi qu'il étoit charitable envers les pauvres du village. Sa
+bibliothèque fut la mienne.
+
+Je travaillois à l'_Encyclopédie_. Je me levois avec le soleil; et,
+après avoir employé huit ou dix heures de la matinée à répandre sur le
+papier cette foule d'observations que j'avois faites dans mes études, je
+donnois le reste du jour à ma femme et à mon enfant. Il faisoit déjà nos
+délices.
+
+À mesure que le bon lait de notre jeune Bourguignonne faisoit couler la
+santé dans ses veines, nous voyions sur son petit corps, sur tous ses
+membres délicats, les chairs s'arrondir, s'affermir; nous voyions ses
+yeux s'animer; nous voyions son visage se colorer et s'embellir. Nous
+croyions voir aussi sa petite âme se développer, et son intelligence
+éclore. Déjà il sembloit nous entendre, et commençoit à nous connoître;
+son sourire et sa voix répondoient au sourire, à la voix de sa mère; je
+le voyois aussi se réjouir de mes caresses. Bientôt sa langue essaya ces
+premiers mots de la nature, ces noms si doux qui, des lèvres de
+l'enfant, vont droit au coeur du père et de la mère.
+
+Je n'oublierai jamais le moment où, dans le jardin de notre petite
+maison, mon enfant, qui n'avoit encore osé marcher sans ses lisières, me
+voyant à trois pas de lui à genoux, lui tendant les mains, se détacha
+des bras de sa nourrice, et, d'un pied chancelant, mais résolu, vint se
+jeter entre mes bras. Je sais bien que l'émotion que j'éprouvai dans ce
+moment est un plaisir que la bonne nature a rendu populaire; mais
+malheur à ces coeurs blasés à qui, pour être émus, il faut des
+impressions artificielles et rares! Une femme de nos amis disoit de moi
+assez plaisamment: «Il croit qu'il n'y a que lui au monde qui soit
+père.» Non, je ne prétends pas que, pour moi, l'amour paternel ait des
+douceurs particulières; mais, ce bonheur commun ne fût-il accordé qu'à
+moi, je n'y serois pas plus sensible. Ma femme ne l'étoit pas moins aux
+premières délices de l'amour maternel; et vous concevez qu'auprès de
+notre enfant nous n'avions l'un et l'autre à désirer aucun autre
+spectacle, aucune autre société.
+
+Notre famille, cependant, et quelques-uns de nos amis, venoient nous
+voir tous les jours de fêtes. L'abbé Maury étoit du nombre, et il
+falloit entendre comme il se glorifioit d'avoir présagé mon bonheur.
+
+Nous voyions aussi quelquefois nos voisins, le curé de Saint-Brice, le
+bon Latour et sa digne femme, qui aimoit la mienne.
+
+Nous faisions assez fréquemment des promenades solitaires; et le but de
+ces promenades étoit communément cette châtaigneraie de Montmorency que
+Rousseau a rendue célèbre.
+
+«C'est ici, disois-je à ma femme, qu'il a rêvé ce roman d'_Héloïse_,
+dans lequel il a mis tant d'art et d'éloquence à farder le vice d'une
+couleur d'honnêteté et d'une teinte de vertu.»
+
+Ma femme avoit du foible pour Rousseau; elle lui savoit un gré infini
+d'avoir persuadé aux femmes de nourrir leurs enfans, et d'avoir pris
+soin de rendre heureux ce premier âge de la vie. «Il faut, disoit-elle,
+pardonner quelque chose à celui qui nous a appris à être mères.»
+
+Mais moi qui n'avois vu, dans la conduite et dans les écrits de
+Rousseau, qu'un contraste perpétuel de beau langage et de vilaines
+moeurs; moi qui l'avois vu s'annoncer pour être l'apôtre et le martyr de
+la vérité, et s'en jouer sans cesse avec d'adroits sophismes; se
+délivrer par la calomnie du fardeau de la reconnoissance; prendre dans
+son humeur farouche et dans ses visions sinistres les plus fausses
+couleurs pour noircir ses amis; diffamer ceux des gens de lettres dont
+il avoit le plus à se louer, pour se signaler seul et les effacer tous,
+je faisois sentir à ma femme, par le bien même que Rousseau avoit fait,
+tout le mal qu'il auroit pu s'abstenir de faire si, au lieu d'employer
+son art à servir ses passions, à colorer ses haines, ses vengeances, ses
+cruelles ingratitudes, à donner à ses calomnies des apparences
+spécieuses, il eût travaillé sur lui-même à dompter son orgueil, son
+humeur irascible, ses sombres défiances, ses tristes animosités, et à
+redevenir ce que l'avoit fait la nature, innocemment sensible,
+équitable, sincère et bon.
+
+Ma femme m'écoutoit tristement. Un jour elle me dit: «Mon ami, je suis
+fâchée de vous entendre parler souvent mal de Rousseau. L'on vous
+accusera d'être ému contre lui de quelque inimitié personnelle, et
+peut-être d'un peu d'envie.
+
+--Pour de la personnalité dans mon aversion, elle seroit, lui dis-je,
+très injuste, car il ne m'a jamais offensé, et il ne m'a fait aucun mal.
+Il seroit plus possible qu'il y eût de l'envie, car je l'admire assez
+dans ses écrits pour en être envieux, et je m'accuserois de l'être si je
+me surprenois à médire de lui; mais j'éprouve au contraire, en vous
+parlant des maladies de son âme, cette tristesse amère que vous
+ressentez à m'entendre.--Pourquoi donc, reprit-elle, dans vos écrits,
+dans vos discours, le traiter si sévèrement? Pourquoi insister sur ses
+vices? N'y a-t-il pas de l'impiété à troubler la cendre des morts?--Oui,
+la cendre des morts qui n'ont, lui dis-je, laissé aucun exemple, aucun
+souvenir pernicieux pour les vivans; mais des poisons assaisonnés dans
+les écrits d'un éloquent sophiste et d'un corrupteur séduisant; mais des
+impressions funestes qu'il a faites sur les esprits par de spécieuses
+calomnies; mais tout ce qu'un talent célèbre a laissé de contagieux
+doit-il passer à la faveur du respect que l'on doit aux morts, et se
+perpétuer d'âge en âge? Certainement j'y opposerai, soit en
+préservatifs, soit en contre-poisons, tous les moyens qui sont en mon
+pouvoir; et, ne fût-ce que pour laver la mémoire de mes amis des taches
+dont il l'a souillée, je ne laisserai, si je puis, à ce qui lui reste de
+prosélytes et d'enthousiastes, que le choix de penser que Rousseau a été
+méchant ou qu'il a été fou. Ils m'accuseront, moi, d'être envieux; mais
+tant d'hommes illustres à qui j'ai rendu le plus juste et le plus pur
+hommage attesteront que jamais l'envie n'a obscurci dans mes écrits la
+justice et la vérité. J'ai épargné Rousseau tant qu'il a vécu, parce
+qu'il avoit besoin des hommes, et que je ne voulois pas lui nuire. Il
+n'est plus; je ne dois aucun ménagement à la réputation d'un homme qui
+n'en a ménagé aucune, et qui, dans ses Mémoires, a diffamé les gens qui
+l'ont le plus aimé.»
+
+À l'égard d'_Héloise_, ma femme convenoit du danger de cette lecture; et
+ce que j'en ai dit dans un _Essai sur les romans_ n'eut pas besoin
+d'apologie. Mais moi-même avois-je toujours aussi sévèrement jugé l'art
+qu'avoit mis Rousseau à rendre intéressant le crime de Saint-Preux, le
+crime de Julie, l'un séduisant son écolière, l'autre abusant de la bonne
+foi, de la probité de Wolmar? Non, je l'avoue, et ma morale, dans ma
+nouvelle position, se ressentoit de l'influence qu'ont nos intérêts
+personnels sur nos opinions et sur nos sentimens.
+
+En vivant dans un monde dont les moeurs publiques sont corrompues, il est
+difficile de ne pas contracter au moins de l'indulgence pour certains
+vices à la mode. L'opinion, l'exemple, les séductions de la vanité, et
+surtout l'attrait du plaisir, altèrent dans de jeunes âmes la rectitude
+du sens intime: l'air et le ton léger dont de vieux libertins savent
+tourner en badinage les scrupules de la vertu, et en ridicule les règles
+d'une honnêteté délicate, font que l'on s'accoutume à ne pas y attacher
+une sérieuse importance. Ce fut surtout de cette mollesse de conscience
+que me guérit mon nouvel état.
+
+Le dirai-je? il faut être époux, il faut devenir père, pour juger
+sainement de ces vices contagieux qui attaquent les moeurs dans leur
+source, de ces vices doux et perfides qui portent le trouble, la honte,
+la haine, la désolation, le désespoir, dans le sein des familles.
+
+Un célibataire, insensible à ces afflictions qui lui sont étrangères, ne
+pense ni aux larmes qu'il fera répandre, ni aux fureurs et aux
+vengeances qu'il allumera dans les coeurs. Tout occupé, comme l'araignée,
+à tendre ses filets et à guetter l'instant d'y envelopper sa proie, ou
+il retranche de sa morale le respect des droits les plus saints, ou,
+s'il lui en revient quelque souvenir, il les regarde comme des lois
+tombées en désuétude. Ce que tant d'autres se permettent de faire, ou
+s'applaudissent d'avoir fait, lui paroît, sinon légitime, du moins très
+excusable: il croit pouvoir jouir de la licence des moeurs du temps.
+
+Mais, lorsque lui-même il s'est mis au nombre de ceux que les séductions
+d'un adroit corrupteur peuvent rendre malheureux pour toute la vie;
+lorsqu'il voit que les artifices, le langage flatteur et attrayant d'un
+jeune fat, n'ont qu'à surprendre ou l'innocence d'une fille, ou la
+foiblesse d'une femme, pour désoler le plus honnête homme, et lui-même
+peut-être un jour; averti par son intérêt personnel, il sent combien
+l'honneur, la foi, la sainteté des moeurs conjugales et domestiques, sont
+pour un époux, pour un père, des propriétés inviolables; et c'est alors
+qu'il voit d'un oeil sévère ce qu'il y a de criminel et de honteux dans
+de mauvaises moeurs, de quelque décoration que le revête l'éloquence, et
+sous quelques dehors de bienséance et d'honnêteté que le déguise un
+industrieux écrivain.
+
+Je blâmois donc Rousseau, mais, en le blâmant, je m'affligeois que de
+tristes passions, un sombre orgueil et une vaine gloire eussent gâté le
+fond d'un si beau naturel.
+
+Si j'avois eu la passion de la célébrité, deux grands exemples m'en
+auroient guéri, celui de Voltaire et celui de Rousseau; exemples
+différens, opposés sous bien des rapports, mais pareils en ce point que
+la même soif de louange et de renommée avoit été le tourment de leur
+vie.
+
+Voltaire, que je venois de voir mourir, avoit cherché la gloire par
+toutes les routes ouvertes au génie, et l'avoit méritée par d'immenses
+travaux et par des succès éclatans; mais sur toutes ces routes il avoit
+rencontré l'envie et toutes les furies dont elle est escortée. Jamais
+homme de lettres n'avoit essuyé tant d'outrages, sans autre crime que de
+grands talens et l'ardeur de les signaler. On croyoit être ses rivaux en
+se montrant ses ennemis; ceux qu'en passant il fouloit aux pieds
+l'insultoient encore dans leur fange. Sa vie entière fut une lutte, et
+il y fut infatigable. Le combat ne fut pas toujours digne de lui, et il
+eut encore plus d'insectes à écraser que de serpens à étouffer. Mais il
+ne sut jamais ni dédaigner ni provoquer l'offense: les plus vils de ses
+agresseurs ont été flétris de sa main; l'arme du ridicule fut
+l'instrument de ses vengeances, et il s'en fit un jeu redoutable et
+cruel. Mais le plus grand des biens, le repos, lui fut inconnu. Il est
+vrai que l'envie parut enfin lasse de le poursuivre, et l'épargner au
+moins sur le bord du tombeau. Dans le voyage qu'on lui permit de faire à
+Paris, après un long exil, il jouit de sa renommée et de l'enthousiasme
+de tout un peuple reconnoissant des plaisirs qu'il lui avoit donnés. Le
+débile et dernier effort qu'il faisoit pour lui plaire, _Irène_ fut
+applaudie comme l'avoit été _Zaïre_; et ce spectacle, où il fut
+couronné, fut pour lui le plus beau triomphe. Mais dans quel moment lui
+venoit cette consolation, ce prix de tant de veilles? Le lendemain je le
+vis dans son lit. «Eh bien! lui dis-je, enfin êtes-vous rassasié de
+gloire?--Ah! mon ami, s'écria-t-il, vous me parlez de gloire, et je suis
+au supplice, et je me meurs dans des tourmens affreux!»
+
+Ainsi finit l'un des hommes les plus illustres dans les lettres, et l'un
+des plus aimables dans la société. Il étoit sensible à l'injure, mais il
+l'étoit à l'amitié. Celle dont il a honoré ma jeunesse fut la même
+jusqu'à sa mort; et un dernier témoignage qu'il m'en donna fut l'accueil
+plein de grâce et de bonté qu'il fit à ma femme, lorsque je la lui
+présentai. Sa maison ne désemplissoit pas du monde qui venoit le voir,
+et nous étions témoins de la fatigue qu'il se donnoit pour répondre
+convenablement à chacun. Cette attention continuelle épuisoit ses
+forces; et, pour ses vrais amis, c'étoit un spectacle pénible. Mais nous
+étions de ses soupers, et là nous jouissions des dernières lueurs de cet
+esprit qui alloit s'éteindre.
+
+Rousseau étoit malheureux comme lui et par la même passion; mais
+l'ambition de Voltaire avoit un fond de modestie, vous pouvez le voir
+dans ses lettres; au lieu que celle de Rousseau étoit pétrie d'orgueil,
+la preuve en est dans ses écrits.
+
+Je l'avois vu dans la société des gens de lettres les plus estimables
+accueilli et considéré: ce ne fut pas assez pour lui, leur célébrité
+l'offusquoit; il les crut jaloux de la sienne. Leur bienveillance lui
+fut suspecte. Il commença par les soupçonner, et il finit par les
+noircir. Il eut, malgré lui, des amis; ces amis lui firent du bien, leur
+bonté lui fut importune. Il reçut leurs bienfaits; mais il les accusa
+d'avoir voulu l'humilier, le déshonorer, l'avilir; et la plus odieuse
+diffamation fut le prix de leur bienfaisance.
+
+On ne parloit de lui dans le monde qu'avec un intérêt sensible. La
+critique elle-même étoit pour lui pleine d'égards et tempérée par des
+éloges. Elle n'en étoit, disoit-il, que plus adroite et plus perfide.
+Dans le repos le plus tranquille, il vouloit toujours ou se croire, ou
+se dire persécuté. Sa maladie étoit d'imaginer dans les événemens les
+plus fortuits, dans les rencontres les plus communes, quelque intention
+de lui nuire, comme si dans le monde tous les yeux de l'envie avoient
+été attachés sur lui. Si le duc de Choiseul avoit fait conquérir la
+Corse, ç'avoit été pour lui ôter la gloire d'en être le législateur; si
+le même duc alloit souper, à Montmorency, chez la maréchale de
+Luxembourg, c'étoit pour usurper la place qu'il avoit coutume d'occuper
+auprès d'elle à table. Hume, à l'entendre, avoit été envieux de
+l'accueil que lui avoit fait le prince de Conti. Il ne pardonnoit pas à
+Grimm d'avoir eu sur lui quelque préséance chez Mme d'Épinay; et l'on
+peut voir dans ses Mémoires comment son âpre vanité s'est vengée de
+cette offense.
+
+Ainsi, pour Voltaire et pour lui, la vie avoit été perpétuellement, mais
+diversement agitée. Elle avoit eu pour l'un des peines souvent bien
+cuisantes, mais des jouissances très vives; pour l'autre, ce n'étoient
+que des flots d'amertume, sans presque aucun mélange de joie et de
+douceur. Assurément à aucun prix je n'aurois voulu de la condition de
+Rousseau; il n'avoit pu l'endurer lui-même, et, après avoir empoisonné
+ses jours, je ne suis point surpris qu'il en ait volontairement abrégé
+la triste durée.
+
+Pour Voltaire, j'avoue que je trouvois sa gloire encore trop chèrement
+payée par toutes les tribulations qu'elle lui avoit fait éprouver, et je
+disois encore: «Moins d'éclat et plus de repos.»
+
+Restreint dans mon ambition, d'abord par le besoin de mesurer mon vol à
+la foiblesse de mes ailes, et puis encore par l'amour de ce repos de
+l'esprit et de l'âme qui accompagne un travail paisible, et que je
+croyois le partage de l'humble médiocrité, j'aurois été content de cet
+heureux état. Ainsi, renonçant de bonne heure à des tentatives
+présomptueuses, j'avois, pour ainsi dire, capitulé avec l'envie, et je
+m'étois réduit à des genres d'écrire dont on pouvoit sans peine
+pardonner le succès. Je n'en fus pas plus épargné; et j'éprouvai que les
+petites choses trouvent encore, dans de petites âmes, une envieuse
+malignité.
+
+Mais je m'étois fait deux principes: l'un, de ne jamais provoquer dans
+mes écrits l'offense par l'offense; l'autre, d'en mépriser l'attaque et
+de n'y répondre jamais. Je fus trente ans inébranlable dans ma
+résolution; et toute la rage des Fréron, des Palissot, des Linguet, des
+Aubert et de leurs semblables, n'avoit pu m'irriter contre eux.
+
+Pourquoi donc, au moment de la querelle sur la musique, avois-je été
+moins impassible? C'est que je n'étois pas le seul insulté par mes
+adversaires, et que j'avois à venger un artiste inhumainement attaqué
+dans ses intérêts les plus chers.
+
+Piccini étoit père de famille, et d'une famille nombreuse qui subsistoit
+du fruit de son travail; son caractère paisible et doux le rendoit plus
+intéressant encore. Je le voyois seul, sans intrigue, travailler de son
+mieux à plaire à un nouveau public; et je voyois en même temps une
+cabale impitoyable l'assaillir avec furie, comme un essaim de guêpes.
+J'en témoignai mon indignation; la cabale en fut irritée, et les guêpes
+tournèrent contre moi tous leurs aiguillons.
+
+Les chefs de la cabale avoient une presse à leurs ordres pour imprimer
+leurs facéties, et un journal pour les répandre. J'y étois insulté tous
+les jours. Je n'avois pas la même commodité pour me défendre; et, quand
+je l'aurois eue, cette petite guerre n'auroit pas été de mon goût.
+Cependant je voulois m'égayer à mon tour, car me fâcher contre des
+railleurs, c'eût été faire un triste personnage.
+
+J'imaginai de mettre en action leur intrigue et de les peindre au
+naturel, n'ayant, pour les rendre plaisans, qu'à rimer leur propre
+langage. Ils imprimoient leur prose, je récitois mes vers; et tous les
+jours c'étoit à qui feroit mieux rire son monde.
+
+C'est ainsi que fut composé mon poème sur la musique pour la défense de
+Piccini; peut-être aurois-je mieux fait de laisser parler _Roland, Atys,
+Didon_, etc.; mais je n'ai pas toujours fait ce qu'il y avoit de mieux à
+faire; et j'avoue que, cette fois, je ne crus pas son injure et la
+mienne assez vengées par le silence du mépris. Au reste, si d'une
+dispute aussi frivole et aussi éphémère j'ai fait un poème en douze
+chants, ce sont les incidens qui m'y ont engagé, et par une pente
+insensible. J'aurois pu, je l'avoue, mieux employer mon temps; mais mon
+travail habituel exigeoit du relâche, et c'étoient ces momens de
+dissipation et de délassement que je donnois à _Polymnie_.
+
+Le temps de mon séjour à Saint-Brice fut marqué par un événement d'un
+intérêt plus sérieux: ce fut la retraite de M. Necker du ministère des
+finances[4]. J'ai déjà dit que son caractère n'étoit rien moins que
+séduisant. Il ne m'avoit jamais donné lieu de croire qu'il fût mon ami.
+Je n'étois pas le sien; mais, comme il me marquoit autant d'estime et de
+bienveillance que j'en pouvois attendre d'un homme aussi froidement
+poli, et que, de mon côté, j'avois une haute opinion de ses talens, de
+ses lumières, de l'ambition qu'il avoit eue de se signaler dans sa place
+en faisant le bien de l'État, je m'affligeai de sa retraite.
+
+J'avois d'ailleurs pour Mme Necker la plus sincère vénération, car je
+n'avois vu en elle que bonté, sagesse et vertu; et l'affection
+particulière dont elle m'honoroit méritoit bien que je prisse part à un
+événement dont je ne doutois pas qu'elle ne fût très affectée.
+
+Lorsque je l'appris à Saint-Brice, les croyant déjà retirés dans leur
+maison de campagne à Saint-Ouen, je m'y rendis sur l'heure. Ils n'y
+étoient pas arrivés encore, et, poursuivant ma route, j'allois les
+trouver à Paris. Je les rencontrai en chemin. «Vous veniez nous voir? me
+dit Necker; montez dans notre voiture, et venez à Saint-Ouen.» Je les y
+accompagnai. Nous fûmes seuls toute la soirée avec Germany[5], frère de
+Necker, et ni le mari ni la femme ne me dissimulèrent leur profonde
+tristesse. Je tâchai de la diminuer en parlant des regrets qu'ils
+laisseroient dans le public, et de la juste considération qui les
+suivroit dans leur retraite; en quoi je ne les flattois pas. «Je ne
+regrette, me dit Necker, que le bien que j'avois à faire, et que
+j'aurois fait si l'on m'en eût laissé le temps.»
+
+Pour moi, je ne voyois alors, dans sa situation, qu'une retraite
+honorable, une fortune indépendante, du repos, de la liberté, des
+occupations dont il auroit le choix, une société qui n'étoit pas de
+celles que la faveur attire et que la défaveur éloigne; et, dans son
+intérieur, tout ce que la vie privée et domestique pouvoit avoir de
+douceur pour un homme sage. Mais j'avoue que je parlois d'après mes
+goûts plus que d'après les siens: car je pensois bien que, sans
+l'occupation des affaires publiques et l'influence qu'elles donnent, il
+ne pouvoit être content. Sa femme parut sensible au soin que je prenois
+d'affoiblir l'impression du coup dont il étoit frappé. Ainsi ma liaison
+avec eux, bien loin d'être affoiblie par cet événement, n'en fut que
+plus étroite.
+
+Ma femme, pour l'amour de moi, répondoit à leurs prévenances et à leurs
+invitations, mais elle avoit pour M. Necker une aversion insurmontable.
+Elle avoit apporté de Lyon la persuasion que M. Necker étoit la cause de
+la disgrâce de M. Turgot, le bienfaiteur de sa famille; et, à l'égard de
+Mme Necker, elle ne trouvoit pas en elle cet air attrayant qu'elle avoit
+elle-même avec ses amis.
+
+Bien différente et bien plus aimable étoit une autre Genevoise, la belle
+Vermenoux[6], la plus intime amie de M. et Mme Necker. Depuis que
+j'avois fait connoissance avec elle, chez ces époux dont elle avoit
+formé les noeuds, je l'avois toujours cultivée; mais son amitié pour ma
+femme depuis mon mariage fut pour nous un nouveau lien.
+
+Mme de Vermenoux, au premier abord, étoit l'image de Minerve; mais sur
+ce visage imposant brilloit bientôt cet air de bonté, de douceur, cette
+sérénité, cette gaieté naïve et décente qui embellit la raison, et qui
+rend la sagesse aimable. L'inclination dont elle et ma femme se prirent
+mutuellement fut de la sympathie, si l'on n'entend par là que le parfait
+accord des esprits, des goûts et des moeurs. Avec quel plaisir cette
+femme, habituellement solitaire et naturellement recueillie, nous voyoit
+arriver à sa maison de campagne de Sèvres! avec quelle joie son âme se
+livroit aux douceurs de l'intimité, et s'épanouissoit dans les petits
+soupers que nous allions faire à Paris avec elle! Assez jeune encore
+pour goûter les charmes de la vie, la mort nous l'enleva; mais, en la
+regrettant, j'ai reconnu depuis que, pour elle, de plus longs jours
+n'auroient été remplis que de tristesse et d'amertume. Plus tard, elle
+auroit trop vécu.
+
+J'en reviens à Saint-Brice et au tendre intérêt qui nous y occupoit,
+dans ce temps-là, ma femme et moi: c'étoit sa nouvelle grossesse. Le bon
+air, l'exercice, la vie réglée de la campagne, lui avoient été
+favorables; et, l'hiver nous ayant ramenés à Paris, elle y mit au monde
+le plus beau de nos enfans. Ainsi, pour nous encore, tout sembloit
+prospérer; et, jusque-là, rien de plus doux que la vie que nous menions.
+
+_Atys_[7], en dépit de l'envie, avoit le même succès qu'avoit eu
+_Roland_. Les beaux airs de ces deux opéras, chantés au clavecin,
+faisoient les délices de notre société dans les concerts de la comtesse
+d'Houdetot et de sa belle-soeur, Mme de La Briche.
+
+Celle-ci, bonne musicienne et chantant avec goût, quoiqu'avec une foible
+voix, avoit la rare modestie de réunir chez elle des talens qui
+effaçoient les siens; et, loin d'en témoigner la moindre jalousie, elle
+étoit la première à les faire briller. Parfait modèle de bienséance,
+sans aucune affectation, aisée dans sa politesse, facile dans ses
+entretiens, ingénue dans sa gaieté, contant bien, causant bien, elle
+étoit simplement et naturellement aimable. Son langage et son style
+étoient purs et même élégans: mais, sensible jusqu'à l'amitié, rien de
+passionné n'altéroit la douceur et l'égalité de son âme. Ce n'étoit
+point la femme que l'on auroit désirée pour être vivement ému, mais
+c'étoit celle qu'on auroit choisie pour jouir d'un bonheur tranquille.
+
+En parlant de mes anciennes sociétés, j'ai dit que j'y avois vu M.
+Turgot; mais, soit que nos moeurs et nos caractères ne se convinssent pas
+assez, soit que ma liaison avec M. Necker lui déplût encore davantage,
+il ne m'avoit jamais témoigné que de la froideur. Cependant, comme
+ancien ami de l'abbé Morellet, il avoit pris part à mon mariage, et je
+dus à ma femme quelques marques de ses bontés: j'y répondis avec
+d'autant plus de respect qu'il étoit disgracié, et que je le voyois
+sensible à sa disgrâce.
+
+Cependant je perdois successivement mes anciens amis. L'ambassadeur de
+Suède, rappelé auprès de son roi pour être son ministre de confiance, me
+fut enlevé pour toujours. Celui de Naples nous quitta pour aller être
+vice-roi en Sicile. L'une et l'autre séparation me fut d'autant plus
+douloureuse qu'elle devoit être éternelle. Les lettres de Caraccioli
+étoient remplies de ses regrets. Il ne cessoit de m'appeler en Sicile
+avec ma famille, offrant de m'envoyer à Marseille un navire pour nous
+transporter à Palerme.
+
+J'ai dit quelle étoit, depuis quarante ans, mon amitié pour d'Alembert,
+et quel prix je devois attacher à la sienne. Depuis la mort de Mlle de
+Lespinasse, il étoit consumé d'ennui et de tristesse. Mais quelquefois
+encore il laissoit couler, dans la profonde plaie de son coeur, quelques
+gouttes du baume de cette amitié consolante. C'étoit surtout avec ma
+femme qu'il se plaisoit à faire diversion à ses peines. Ma femme y
+prenoit l'intérêt le plus tendre. Lui et Thomas, les deux hommes de
+lettres dont les talens et les lumières auroient dû lui en imposer le
+plus, étoient ceux avec qui elle étoit le plus à son aise. Il n'y avoit
+pour elle aucun amusement préférable à leur entretien.
+
+Thomas sembloit encore avoir longtemps à vivre pour la gloire et pour
+l'amitié.
+
+Mais d'Alembert commençoit à sentir les déchiremens de la pierre; et
+bientôt il n'exista plus que pour souffrir et mourir lentement dans les
+plus cruelles douleurs.
+
+Dans une foible esquisse de son éloge[8], j'ai essayé de peindre la
+douce égalité de ce caractère, toujours vrai, toujours simple, parce
+qu'il étoit naturel, éloigné de toute jactance, de toute dissimulation,
+_mêlé de force et de foiblesse, mais dont la force étoit de la vertu, et
+la foiblesse de la bonté_.
+
+En le pleurant, j'étois loin de penser à lui succéder dans la place de
+secrétaire perpétuel de l'Académie françoise. Je fus moi-même sur le
+point de le suivre au tombeau, frappé d'une fièvre maligne semblable à
+celle dont Bouvart m'avoit déjà sauvé, et dont il me guérit encore.
+Combien ne dois-je pas bénir la mémoire d'un homme à qui deux fois j'ai
+dû la vie, et qui, jusqu'à la défaillance de ses esprits et de ses
+forces, n'a cessé de donner les soins les plus tendres à mes enfans!
+
+À peine étois-je en convalescence qu'il fallut aller donner à
+Fontainebleau le nouvel opéra que j'avois fait avec Piccini. Cet opéra
+étoit _Didon_. Comme il étoit tout entier de moi, je l'avois construit à
+mon gré; et, pour y faire faire un pas de plus à notre nouvelle musique,
+j'avois profité du moment où une marque de faveur que Piccini venoit
+d'obtenir avoit ranimé son génie. Voici ce qui s'étoit passé.
+
+Cette année (1783), le maréchal de Duras, gentilhomme de la chambre en
+exercice, me demanda si je n'avois rien fait de nouveau, et me témoigna
+le désir d'avoir à donner à la reine, à Fontainebleau, la nouveauté d'un
+bel opéra. «Mais je veux, me dit-il, que ce soit votre ouvrage. On ne
+vous sait pas assez de gré de ce que vous faites pour rajeunir les vieux
+opéras de Quinault.» Je reconnus à ce langage mon confrère à l'Académie,
+et ses anciennes bontés pour moi.
+
+«Monsieur le maréchal, lui dis-je, tant que mon musicien Piccini sera
+découragé comme il l'est, je ne puis rien promettre. Vous savez avec
+quelle rage on lui a disputé le succès de _Roland_ et d'_Atys_; ils ont
+réussi l'un et l'autre, et jusque-là le vrai talent a triomphé de la
+cabale; mais, dans l'_Iphigénie en Tauride_, il a succombé, quoiqu'il
+s'y fût surpassé lui-même.
+
+«L'entrepreneur de l'Opéra, de Vismes, pour grossir sa recette par le
+concours des deux partis, a imaginé de faire jouter Gluck et Piccini sur
+un même sujet: il leur a fourni deux poèmes de l'_Iphigénie en Tauride_.
+Gluck, dans le poème barbare qui lui est échu en partage, a trouvé des
+horreurs analogues à l'énergie de son style, et il les a fortement
+exprimées. Le poème remis à Piccini, tout mal fabriqué qu'il étoit, se
+trouvoit susceptible d'un intérêt plus doux; et, au moyen des
+corrections que l'auteur y a faites sous mes yeux, il a pu donner lieu à
+une musique touchante. Mais, après la forte impression qu'avoit faite
+sur les yeux et sur les oreilles le féroce opéra de Gluck, les émotions
+qu'a produites l'opéra de Piccini ont paru foibles et légères.
+L'_Iphigénie_ de Gluck est restée au théâtre dont elle s'étoit emparée;
+celle de Piccini n'a pu s'y soutenir, il en est consterné; et vous seul,
+Monsieur le maréchal, pouvez le relever de son abattement.--Que faut-il
+faire pour cela? me demanda-t-il.--Une chose, lui dis-je, très facile et
+très juste: changer en pension la gratification annuelle qui lui a été
+promise lorsqu'on l'a fait venir en France, et lui en accorder le
+brevet.--Très volontiers, me dit le maréchal. Je demanderai pour lui
+cette grâce à la reine, et j'espère l'obtenir.»
+
+Il la demanda, il l'obtint; et, lorsque Piccini alla avec moi l'en
+remercier: «C'est à la reine, lui dit-il, qu'il faut marquer votre
+reconnoissance en composant pour elle cette année un bel opéra.--Je ne
+demande pas mieux, me dit Piccini en nous en allant; mais quel opéra
+ferons-nous?--Il faut faire, lui dis-je, l'opéra de _Didon_; j'en ai
+depuis longtemps le projet dans la tête. Mais je vous préviens que je
+veux m'y développer; que vous aurez de longues scènes à mettre en
+musique, et que dans ces scènes je vous demanderai un récitatif aussi
+naturel que la simple déclamation. Vos cadences italiennes sont
+monotones: la parole est plus variée, plus soutenue dans ses accens, et
+je vous prierai de la noter comme je vous la déclamerai.--Eh bien! me
+dit-il, nous verrons.» Ainsi fut formé le dessein de donner au récitatif
+cette facilité, cette vérité d'expression, qui fut si favorable au jeu
+de la célèbre actrice à qui le rôle de Didon étoit destiné.
+
+Le temps nous pressoit: j'écrivis très rapidement le poème; et, pour
+dérober Piccini aux distractions de Paris, je l'engageai à venir
+travailler près de moi dans ma maison de campagne: car j'en avois acquis
+une très agréable, où nous vivions réunis en famille dans la belle
+saison. En y arrivant, il se mit à l'ouvrage; et, lorsqu'il l'eut
+achevé, l'actrice qui devoit jouer le rôle de Didon, Saint-Huberty, fut
+invitée à venir dîner avec nous. Elle chanta son rôle d'un bout à
+l'autre à livre ouvert, et l'exprima si bien que je crus la voir au
+théâtre.
+
+Elle alloit faire un voyage en Provence: elle voulut y emporter son rôle
+pour l'étudier chemin faisant; et, pendant son absence, on s'occupa des
+répétitions. Ce fut dans ce temps-là que j'essuyai cette maladie qui me
+mit au bord du tombeau. Quand vint le moment de me rendre à
+Fontainebleau, je n'étois pas encore bien rétabli, et ma femme, inquiète
+sur ma convalescence, voulut m'accompagner.
+
+Ce fut là qu'en dînant chez Mme de Beauvau nous entendîmes parler pour
+la première fois des vues qu'on avoit sur moi pour cette place de
+secrétaire de l'Académie, que d'Alembert avoit rendue si difficile à
+remplir après lui.
+
+Cette difficulté, dont l'homme le plus vain auroit pu être intimidé,
+n'étoit pas la seule qui me retînt. La place demandoit une assiduité
+dont je me croyois incapable. C'étoit donc bien sincèrement que je me
+refusois à l'honneur qu'on vouloit me faire; mais on m'opposa des motifs
+auxquels je crus devoir me rendre, et il fut décidé que je serois du
+nombre des aspirans à cette place. Seulement je me réservai de ne pas la
+solliciter.
+
+La circonstance m'étoit favorable pour les suffrages de la cour. Le
+succès de _Didon_ y fut complet[9]; et aux éloges que l'on donnoit à la
+musique de Piccini on mêloit aussi quelques mots de louanges pour
+l'auteur du poème. «C'est le seul opéra, disoit le roi, qui m'ait
+intéressé.» Il le redemanda deux fois.
+
+Ce succès me fut très sensible; ma femme en jouissoit, et c'étoit là
+pour moi l'objet le plus intéressant. Le voyage eut pour elle un
+agrément inexprimable. Les promenades dans la forêt, les rendez-vous de
+chasse, les courses de chevaux, les parties de plaisir à Thomery, où, à
+dîner, l'on nous donnoit de somptueuses matelotes, et pour fruits
+d'excellens raisins; tous les jours de spectacle, des places dans la
+loge de Mme d'Angiviller, dont la maison étoit la nôtre, et qui, à
+l'envi de son époux, mettoit une grâce touchante à nous attirer;
+l'attention de la nombreuse et bonne compagnie qui sans cesse abondoit
+chez elle; enfin tous les plaisirs que pouvoit réunir une cour jeune et
+magnifique, et tout ce qui personnellement pouvoit témoigner à ma femme
+qu'elle étoit estimée et chérie dans la société qui environnoit la cour:
+tout cela, dis-je, fit pour elle et pour moi, du séjour de
+Fontainebleau, un continuel enchantement.
+
+Deux incidens nous y causèrent un peu d'inquiétude: le premier fut une
+apparence de rechute et quelque ressentiment de fièvre que j'éprouvai au
+commencement du voyage. Les médecins de la cour en auroient fait une
+maladie, si ma femme eût voulu les croire; mais, sans aucun de leurs
+remèdes, et en me faisant déjeuner tous les jours avec un panier de beau
+raisin bien mûr, elle me rendit la santé. L'autre incident fut la petite
+vérole d'Albert, que nous avions amené avec nous; mais, l'éruption ne
+s'étant déclarée qu'à la fin du voyage, sur-le-champ nous partîmes, et
+Albert fut remis dans les mains de notre ami Bouvart, qui prit de lui le
+même soin qu'il auroit eu de son enfant.
+
+
+
+
+LIVRE XI
+
+
+À notre retour à Paris, l'Académie françoise ayant été convoquée pour
+l'élection de son secrétaire perpétuel, sur vingt-quatre voix électives
+j'en réunis dix-huit. Mes deux concurrens étoient Beauzée et Suard.
+
+Le succès de _Didon_ fut le même à Paris qu'il avoit été à la cour; et
+cet opéra fit pour nous les plaisirs de l'hiver, comme avoient fait
+_Roland_ et _Atys_ dans leur nouveauté.
+
+L'ancien banquier de la cour, M. de La Borde, ajouta ses concerts à ceux
+de la comtesse d'Houdetot et de Mme de La Briche[10]: ce fut l'occasion
+de ma connoissance avec lui.
+
+Il avoit deux filles à qui la nature avoit accordé tous les charmes de
+la figure et de la voix, et qui, écolières de Piccini, rendoient
+l'expression de son chant plus douce et plus touchante encore.
+
+Prévenu par les politesses de M. de La Borde, j'allois le voir, j'allois
+dîner quelquefois avec lui; je le voyois honorable, mais simple, jouir
+de ses prospérités sans orgueil, sans jactance, avec une égalité d'âme
+d'autant plus estimable qu'il est bien difficile d'être aussi fortuné
+sans un peu d'étourdissement. De combien de faveurs le Ciel l'avoit
+comblé! Une grande opulence, une réputation universelle de droiture et
+de loyauté, la confiance de l'Europe, un crédit sans bornes; et, dans
+son intérieur, six enfans bien nés, une femme d'un esprit sage et doux,
+d'un naturel aimable, d'une décence et d'une modestie qui n'avoient rien
+d'étudié, excellente épouse, excellente mère, telle enfin que l'envie
+elle-même la trouvoit irrépréhensible.
+
+ Che non trova l'invidia ove l'emende.
+
+ ARIOSTE.
+
+Que manquoit-il aux voeux d'un homme aussi complètement heureux? Il a
+péri sur un échafaud, sans autre crime que sa richesse, et dans cette
+foule de gens de bien qu'un vil scélérat envoyoit à la mort. Cette
+affreuse calamité ne nous menaçoit point encore, et, dans mon humble
+médiocrité, je me croyois heureux moi-même. Ma maison de campagne avoit
+pour moi, dans la belle saison, encore plus d'agrément que n'avoit eu la
+ville. Une société choisie, composée au gré de ma femme, y venoit
+successivement varier nos loisirs, et jouir avec nous de cette opulence
+champêtre que nous offroient, dans nos jardins, l'espalier, le verger,
+la treille, les légumes, les fruits de toutes les saisons: présens dont
+la nature couvroit sans frais une table frugale, et qui changeoient un
+dîner modique, en un délicieux festin.
+
+Là régnoient une innocente joie, une confiance, une sécurité, une
+liberté de penser dont on connoissoit les limites, et dont on n'abusoit
+jamais.
+
+Vous nommerai-je tous les convives que l'amitié y rassembloit? Raynal,
+le plus affectueux, le plus animé des vieillards; Célésia[11], ce Génois
+philosophe qui ressembloit à Vauvenargues; Barthélemy[12], qui, dans nos
+promenades, faisoit penser à celles de Platon avec ses disciples;
+Bréquigny[13], qui avoit aussi de cette aménité et de cette sagesse
+antique; Carbury[14], l'homme de tous les temps et de tous les pays par
+la riche variété de son esprit et de ses connoissances; Boismont[15],
+tout François dans ses moeurs, mais singulier par le contraste de ses
+agrémens dans le monde et de ses talens dans la chaire; Maury, plus fier
+de nous divertir par un conte plaisant que de nous étonner par un trait
+d'éloquence, et qui, dans la société, nous faisoit oublier l'homme
+supérieur pour ne montrer que l'homme aimable; Godard[16], qui avoit
+aussi la verve d'une gaieté pleine d'esprit; Desèze, qui bientôt vint
+donner à nos entretiens encore plus d'essor et de charmes.
+
+«Nous sommes trop heureux, me disoit ma femme, il nous arrivera quelque
+malheur.» Elle avoit bien raison! Apprenez, mes enfans, combien, dans
+toutes les situations de la vie, la douleur est près de la joie.
+
+Cette bonne et sensible mère avoit nourri le troisième de ses enfans. Il
+étoit beau, plein de santé; nous croyions n'avoir plus qu'à le voir
+croître et s'embellir encore, quand tout à coup il est frappé d'une
+stupeur mortelle. Bouvart accourt; il emploie, il épuise tous les
+secours de l'art, sans pouvoir le tirer de ce funeste assoupissement.
+L'enfant avoit les yeux ouverts; mais Bouvart s'aperçut que la prunelle
+étoit dilatée; il fit passer une lumière: les yeux et la paupière
+restèrent immobiles. «Ah! me dit-il, l'organe de la vue est paralysé; le
+dépôt est formé dans le cerveau; il n'y a plus de remède.» Et, en disant
+ces mots, le bon vieillard pleuroit; il ressentoit le coup qu'il portoit
+à l'âme d'un père.
+
+Dans ce moment cruel, j'aurois voulu éloigner la mère; mais, à genoux au
+bord du lit de son enfant, les yeux remplis de larmes, les bras étendus
+vers le ciel, et suffoquée de sanglots: «Laissez-moi, disoit-elle, ah!
+laissez-moi du moins recevoir son dernier soupir.» Et combien ses
+sanglots, ses larmes, ses cris, redoublèrent lorsqu'elle le vit expirer!
+Je ne vous parle point de ma douleur; je ne puis penser qu'à la sienne.
+Elle fut si profonde que de plusieurs années elle n'a pas eu la force
+d'en entendre nommer l'objet. Si elle en parloit elle-même, ce n'étoit
+qu'en termes confus: _Depuis mon malheur_, disoit-elle, sans pouvoir se
+résoudre à dire: _Depuis la mort de mon enfant_.
+
+Dans la triste situation où étoient mon esprit et mon âme, de quoi
+pouvois-je m'occuper qui ne fût analogue à l'amour maternel et à la
+tendresse conjugale? Le coeur plein de ces sentimens dont j'avois devant
+moi le plus touchant modèle, je conçus le dessein de l'opéra de
+_Pénélope_. Ce sujet me saisit; plus je le méditois, plus je le trouvois
+susceptible des grands effets de la musique et de l'intérêt théâtral.
+
+Je l'écrivis de verve, et dans toute l'illusion que peut causer un sujet
+pathétique à celui qui en peint le tableau. Mais ce fut cette illusion
+qui me trompa. D'abord je me persuadai que la fidélité de l'amour
+conjugal auroit sur la scène lyrique le même intérêt que l'ivresse et le
+désespoir de l'amour de Didon; je me persuadai encore que, dans un sujet
+tout en situations, en tableaux, en effets de théâtre, tout
+s'exécuteroit comme dans ma pensée, et que les convenances, les
+vraisemblances, la dignité de l'action, y seroient observées comme dans
+les programmes que j'en avois tracés à de mauvais décorateurs et à des
+acteurs maladroits. Le contraire arriva; et, dans les momens les plus
+intéressans, toute illusion fut détruite. Ainsi la belle musique de
+Piccini manqua presque tous ses effets. Saint-Huberty la relevoit, aussi
+admirable dans le rôle de Pénélope qu'elle l'avoit été dans celui de
+Didon; mais, quoiqu'elle y fût applaudie toutes les fois qu'elle
+occupoit la scène, elle fut si mal secondée que, ni à la cour, ni à
+Paris[17], cet opéra n'eut le succès dont je m'étois flatté; et c'est à
+moi qu'en fut la faute. Je devois savoir de quelles gens ineptes je
+faisois dépendre le succès d'un pareil ouvrage, et ne pas y compter
+après ce que j'ai dit de _Zémire et Azor_.
+
+Je n'avois pas été plus heureux dans le choix d'un sujet d'opéra-comique
+que j'avois fait avec Piccini pour le Théâtre-Italien; et, quand j'y
+pense, j'ai peine à concevoir comment je fus séduit par ce sujet du
+_Dormeur éveillé_, qui, dans les _Mille et une Nuits_, pouvoit être
+amusant, mais qui n'avoit rien de comique: car le véritable comique
+consiste à se jouer d'un personnage ridicule; et celui d'Assan ne l'est
+pas[18].
+
+En général, après des succès, on doit s'attendre à trouver le public
+plus difficile et plus sévère. C'est une réflexion que je ne faisois pas
+assez; je devenois plus confiant quand j'aurois dû être plus timide, et
+au théâtre ma vanité en fut punie par des disgrâces.
+
+On m'accordoit plus d'indulgence aux assemblées publiques de l'Académie
+françoise; là je ne briguois point des applaudissemens; je n'y parlois
+que pour remplir les simples fonctions de ma place, ou pour suppléer les
+absens. Si quelquefois j'y payois à mon tour le tribut de l'homme de
+lettres, c'étoit sans ostentation. Les morceaux de littérature que j'y
+lisois n'avoient rien de brillant, mais n'avoient rien d'ambitieux.
+C'étoit le fruit de mes études et de mes réflexions sur le goût, sur la
+langue, sur les caprices de l'usage, sur le style, sur l'éloquence, tous
+sujets convenables à l'esprit d'un auditoire académique et habitué parmi
+nous. Aussi cet auditoire étoit-il bénévole; et je croyois m'y voir au
+milieu d'un cercle d'amis.
+
+Cette faveur dont je jouissois dans nos assemblées publiques, jointe à
+l'exacte discipline que je faisois observer, sans aucune partialité,
+dans nos séances particulières, m'y donnoit quelque poids et assez de
+crédit. Le clergé me savoit bon gré des égards qu'on y avoit pour lui;
+la haute noblesse n'étoit pas moins contente de ces respects d'usage
+qu'on lui rendoit à mon exemple; et, à l'égard des gens de lettres, ils
+me savoient assez jaloux de l'égalité académique pour me laisser le soin
+d'en rappeler les droits, si quelqu'un les eût oubliés. Plusieurs même,
+persuadés que, dans nos élections, je ne cherchois que le mieux
+possible, me consultoient pour joindre leur suffrage à ma voix. Ainsi,
+sans brigue et sans intrigue, j'avois de l'influence, et j'en usai,
+comme il étoit juste, pour vaincre les obstacles que l'on s'efforçoit
+d'opposer à l'élection de l'un de mes amis.
+
+L'abbé Maury, dans sa jeunesse, ayant prêché au Louvre, avec un grand
+succès, le panégyrique de saint Louis devant l'Académie françoise, et,
+depuis, celui de saint Augustin à l'assemblée du clergé de France,
+bientôt célèbre dans les chaires de Paris, et appelé à prêcher à
+Versailles l'Avent et le Carême devant le roi, avoit acquis des droits
+incontestables à l'Académie françoise, et il ne dissimula point que tel
+étoit l'objet de son ambition.
+
+Ce fut alors que s'élevèrent contre lui les rumeurs de la calomnie; et,
+comme c'étoit aux oreilles de l'Académie que ces bruits devoient
+parvenir, on avoit soin de les adresser en droiture à son secrétaire.
+J'écoutai tout le mal qu'on voulut me dire de lui; et, quand j'eus tout
+bien entendu, le prenant en particulier: «Vous êtes attaqué, lui dis-je,
+et c'est à moi de vous défendre; mais c'est à vous de me donner des
+armes pour repousser vos ennemis.» Alors je lui expliquai, article par
+article, tous les torts qu'on lui attribuoit. Il m'écouta sans
+s'émouvoir; et, avec une facilité qui m'étonna, il réfuta ces
+accusations, me démontrant la fausseté des unes, et, pour les autres, me
+mettant sur la voie de tout vérifier moi-même.
+
+La seule qu'il ne put d'abord démentir que vaguement, parce qu'elle
+étoit vague, lui étoit intentée par un académicien qui l'accusoit de
+perfidie et de noirceur. L'accusateur étoit La Harpe, avec lequel il
+avoit été en grande liaison.
+
+«Puisqu'il m'accuse de perfidie, j'aurois droit, me dit l'abbé Maury, de
+lui en demander la preuve. Je l'en dispense, et c'est moi qui me charge
+de prouver qu'il me calomnie, pourvu toutefois qu'il s'explique et qu'il
+articule des faits. Mettez-moi vis-à-vis de lui.»
+
+Je proposai cette entrevue, et l'accusateur l'accepta; mais je ne voulus
+pas être seul témoin et arbitre; et, en les invitant tous les deux à
+dîner, je demandai qu'il me fût permis d'admettre à ce dîner deux
+académiciens des plus intègres et des plus sages, M. Thomas et M.
+Gaillard.
+
+Le dîner se passa paisiblement et décemment; mais, au sortir de table,
+nous étant retirés tous les cinq dans un cabinet: «Messieurs, dis-je à
+nos deux arbitres, M. La Harpe croit avoir à se plaindre de M. l'abbé
+Maury; celui-ci prétend que la plainte n'est pas fondée; nous allons les
+entendre. Parlez, Monsieur de La Harpe, vous serez écouté en silence; et
+de même en silence M. l'abbé Maury sera entendu après vous.»
+
+L'accusation étoit grave. Il s'agissoit d'une satire que l'abbé Maury
+auroit conseillée à un Russe, ami de La Harpe, de faire contre lui, dans
+le temps qu'ils étoient tous les trois de la même société. Le comte de
+Shouvalof, le seul témoin que La Harpe auroit pu produire, étoit
+retourné en Russie; et, comme on ne pouvoit l'entendre, on ne pouvoit le
+réfuter.
+
+L'abbé Maury, dans sa défense, fut donc réduit à discuter l'accusation
+elle-même, et ce fut par les circonstances qu'il fallut démontrer
+qu'elle se démentoit. C'est ce qu'il fit avec tant d'ordre, de
+précision, de clarté, avec une présence d'esprit et de mémoire si
+merveilleuse que nous en fûmes confondus. Enfin, dans cette discussion,
+il serra de si près son adversaire, et avec tant de force, que celui-ci
+resta muet. L'avis unanime des trois témoins fut donc que La Harpe
+n'avoit aucun reproche à faire à l'abbé Maury; et il y eut devant nous,
+entre eux, une apparence de réconciliation.
+
+«Je n'en crois pas moins, me dit La Harpe, ce que m'a certifié mon ami
+Shouvalof.--Vous pouvez le croire, lui dis-je; mais, en honnête homme,
+vous n'avez plus droit de le dire; et, sans compter mon opinion, celle
+de deux hommes aussi justes, aussi impartiaux que Thomas et Gaillard,
+doit vous fermer la bouche. Pour moi, si, dans le monde, j'entendois
+répéter vos plaintes, trouvez bon que je rende compte de ce qui vient de
+se passer chez moi.»
+
+Je pris le même soin d'éclaircir tous les autres faits imputés à l'abbé
+Maury. Je les trouvai tous supposés, et non seulement dénués de preuves,
+mais dépourvus de vraisemblance. Dès lors on eut beau s'obstiner à me
+dire du mal de lui, je répondis que, dans la louange comme dans la
+satire, les épithètes gratuites ne prouvoient que la bassesse du
+flatteur ou la malice du médisant; je défiai même les malveillans
+d'articuler un fait que je ne fusse en état de détruire; et, de tout mon
+crédit, j'engageai mes confrères à consoler un grand talent d'une grande
+persécution en le recevant à l'Académie. Il fut reçu, et dès lors rien
+ne fut plus intime que notre mutuelle amitié.
+
+L'abbé Maury avoit, dans le caractère, un excès d'énergie et de
+véhémence qu'il contenoit difficilement, mais qu'il me laissoit modérer.
+Quand je trouvois en lui des mouvemens impétueux à réprimer, je les lui
+reprochois avec une franchise qui le soulevoit quelquefois, mais qui ne
+l'irritoit jamais. Il étoit violent et doux, et aussi juste que
+sensible.
+
+Un jour, dans son impatience, il me dit que j'abusois trop de
+l'ascendant que j'avois pris sur lui. «Je n'ai, lui dis-je, et ne veux
+avoir sur vous d'autre ascendant que celui de la raison animée par
+l'amitié; et, si j'en use, ce n'est que pour vous empêcher de vous nuire
+à vous-même. Je connois la bonté, la droiture de votre coeur; mais vous
+avez encore trop de feu et trop de verdeur dans la tête. Votre esprit
+n'est pas mûr, et cette sève qui en fait la force a besoin d'être
+tempérée. Vous savez avec quel plaisir je loue en vous ce qui est
+louable; avec la même sincérité je reprendrai ce qui sera répréhensible;
+et, lorsque je croirai qu'une vérité dure vous sera nécessaire, je vous
+estime trop pour croire avoir besoin de l'adoucir. Au reste, c'est ainsi
+que j'entends être votre ami. Si la condition vous déplaît, vous n'avez
+qu'à le dire, je cesserai de l'être.» Pour toute réponse, il m'embrassa.
+
+«Ce n'est pas tout, repris-je: cette sévérité dont je me fais un devoir
+envers vous en est un pour vous envers moi; vous avez les défauts qui
+sont naturels à la force, et moi j'ai ceux de la foiblesse. La trempe de
+votre âme peut donner à la mienne plus de vigueur et de ressort; et
+j'exige de vous de ne me passer rien qui sente la mollesse et la
+timidité. Ainsi, dans l'occasion, je pourrai vous donner des conseils de
+prudence et de modération, et vous m'en donnerez de résolution et de
+fermeté courageuse.» La convention fut réciproque, et par là furent
+écartés les nuages qu'auroit élevés entre nous l'amour-propre ou la
+vanité.
+
+La même année que mon ami fut reçu à l'Académie, elle perdit Thomas,
+l'un de ses plus illustres membres, et l'un des hommes les plus
+recommandables par l'intégrité de ses moeurs et l'excellence de ses
+écrits.
+
+L'_intégrité_, l'égalité d'une vie irrépréhensible: le rare éloge, mes
+enfans! et qui l'a mérité, cet éloge, mieux que Thomas? Il est bien vrai
+qu'une partie en étoit due à la nature: il étoit né sage, et il eut la
+sagesse de tous les âges de la vie. Tempérant, sobre et chaste, aucun
+des vices de la mollesse, du luxe et de la volupté, n'eut accès dans son
+âme. Aucune passion violente n'en troubla la tranquillité, il ne connut
+des plaisirs sensuels que ce qui en étoit innocent; encore n'en
+jouissoit-il qu'avec une extrême réserve. Toute la force et la vigueur
+qu'avoit en lui l'organe de la pensée et du sentiment s'étoient réunies
+en un point, l'amour du vrai, du juste et de l'honnête, et la passion de
+la gloire. Ce fut là le mobile, le ressort de son âme, le foyer de son
+éloquence.
+
+Il vécut dans le monde, sans jamais s'y livrer ni à des goûts frivoles,
+ni à de vains amusemens: il ménageoit toutes les foiblesses; il n'en
+avoit aucune. Sensible à l'amitié, il la cultivoit avec soin, mais il la
+vouloit modérée; il en chérissoit les liens, il en auroit redouté la
+chaîne; elle occupoit les intervalles de ses travaux, de ses études,
+mais elle ne lui en déroboit rien, et une solitude silencieuse avoit
+pour lui des charmes qu'il préféroit souvent au commerce de ses amis. Il
+se laissoit aimer, et autant qu'on vouloit, mais il aimoit à sa mesure.
+
+Dans la société commune, il paroissoit timide; il n'y étoit
+qu'indifférent. Rarement l'entretien y fixoit son attention. Étoit-il
+tête à tête, ou dans un petit cercle, lorsqu'on lui cédoit la parole sur
+quelqu'un des objets qu'il avoit médités, il étonnoit par l'élévation et
+l'abondance de ses idées, et par la dignité de son élocution; mais dans
+la foule il s'effaçoit, et son âme sembloit alors se retirer en
+elle-même. Aux propos légers et plaisans il sourioit quelquefois, il ne
+rioit jamais. Il ne voyoit les femmes qu'en observateur froid, comme un
+botaniste voit les fleurs d'une plante, jamais en amateur des grâces et
+de la beauté. Aussi les femmes disoient-elles que ses éloges les
+flattoient moins que les injures passionnées et véhémentes de Rousseau.
+
+Thomas étoit, par complexion et par principes, un stoïcien, à la vertu
+duquel il n'auroit fallu que de grandes épreuves. Il auroit été, je le
+crois, un Rutilius dans l'exil, un Thraséas ou un Séranus sous Tibère,
+mieux qu'un Sénèque sous Néron, un Marc-Aurèle sur le trône; mais, placé
+dans un temps de calme et sous des règnes modérés, la fortune lui refusa
+et ses hautes faveurs et ses rigueurs extrêmes. Sa sagesse et sa
+modestie n'eurent à se garantir d'aucune des séductions de la
+prospérité; aucune adversité n'éprouva sa constance. Libre, exempt des
+inquiétudes auxquelles on s'expose en devenant époux et père, il ne fut
+éprouvé par aucun des grands intérêts de la nature. Isolé autant que
+peut l'être, dans l'état social, un simple individu, il n'eut pas même
+un ennemi qui fût digne de sa colère.
+
+Ce n'est donc que par ses écrits que l'on peut se former une haute idée
+de son caractère. C'est là qu'on trouve partout l'empreinte d'un coeur
+droit, d'une âme élevée; c'est là que se montrent le courage de la
+vérité, l'amour de la justice, l'éloquence de la vertu.
+
+L'Académie françoise jeta les fondemens de la réputation de Thomas en
+proposant, pour le prix d'éloquence, les éloges de nos grands hommes.
+Personne, dans cette carrière, ne put le passer ni l'atteindre; et il se
+surpassa lui-même dans l'éloge de Marc-Aurèle. L'élévation et la
+profondeur étoient les caractères de sa pensée. Jamais orateur n'a mieux
+embrassé ni mieux pénétré ses sujets. Avant d'entamer un éloge, il
+commençoit par étudier la profession, l'emploi, l'art dans lequel son
+héros s'étoit signalé; et c'est ainsi qu'il louoit Maurice de Saxe en
+militaire instruit, Duguay-Trouin en homme de mer, Descartes en
+physicien, d'Aguesseau en jurisconsulte, Sully en administrateur,
+Marc-Aurèle en philosophe moraliste, égal en sagesse à Apollonius et à
+Marc-Aurèle lui-même. C'est ainsi qu'en ne voulant faire qu'une préface
+à ces éloges, il composa, sous le nom d'_Essais_, le plus savant et le
+plus beau traité de morale historique, à propos des éloges donnés dans
+tous les temps avec plus ou moins de justice et de vérité, selon les
+moeurs des siècles et le génie des orateurs: ouvrage qui n'a pas la
+célébrité qu'il mérite.
+
+Vous concevez qu'une tension continuelle et une hauteur monotone
+devoient être le défaut des écrits de Thomas. Il manquoit à son
+éloquence ce qui fait le charme de l'éloquence de Fénelon et de
+Massillon dans la prose, de l'éloquence de Virgile et de Racine dans les
+vers; l'effusion d'une âme sensible et l'intérêt qu'elle répand. Son
+style étoit grave, imposant, et n'étoit point aimable. On y admiroit
+tous les caractères d'une beauté virile; les femmes y auroient désiré
+quelques traits de la leur. Il avoit de l'ampleur, de la magnificence,
+jamais de la variété, de la facilité; jamais la souplesse des grâces; et
+ce qui le rendoit admirable quelques momens le rendoit fatigant et
+pénible à la longue. On lui reprochoit particulièrement d'épuiser ses
+sujets, et de ne rien laisser à penser au lecteur: ce qui pouvoit bien
+être en lui un manque de goût et d'adresse, mais ce qui n'en étoit pas
+moins un très rare excès d'abondance.
+
+Dans un temps où j'aurois eu moi-même si grand besoin d'un censeur
+rigide et sincère, Thomas, bien plus jeune que moi, m'avoit pris pour le
+sien. Je le louois avec franchise et souvent même avec transport; mais
+je ne lui dissimulois pas que j'aurois voulu dans son style plus de
+modulation, moins de monotonie. «Vous ne touchez qu'une corde, lui
+disois-je; il est vrai qu'elle rend de beaux sons, mais sont-ils assez
+variés?» Il m'écoutoit d'un air triste et modeste, et peut-être se
+disoit-il que ma critique étoit fondée; mais l'austérité de ses moeurs
+avoit passé dans son éloquence; pour la rendre plus souple, il auroit
+craint de l'amollir.
+
+Il ne tint pas à moi qu'il n'employât plus utilement les années qu'il
+donna au poème du czar. Je lui faisois voir clairement que ce poème
+manqueroit d'unité et d'intérêt du côté de l'action; et, en lui mettant
+sous les yeux tous les modèles de l'épopée: «Homère, lui disois-je, a
+chanté la colère d'Achille dans l'_Iliade_, le retour d'Ulysse à Ithaque
+dans l'_Odyssée_; Virgile, la fondation de l'empire romain; le Tasse, la
+délivrance de la cité sainte; Milton, la chute du premier homme;
+Voltaire, la conquête de la France par Henri de Bourbon, héritier des
+Valois. Vous, qu'allez-vous chanter? quel événement, quelle action
+principale sera le terme de vos récits? Vous raconterez les voyages du
+czar, sa guerre contre Charles XII, la désobéissance et la mort de son
+fils, les factions détruites dans ses États, la discipline militaire
+établie dans ses armées, les arts et les sciences transplantés dans son
+empire, la ville de Pétersbourg fondée au bord de la Baltique: et ce
+sont bien là les matériaux d'un poème historique, d'un éloge oratoire,
+mais je n'y vois point le sujet unique et simple d'un poème épique.» Il
+convenoit qu'il n'y avoit point de réponse à mon objection; mais, s'il
+n'avoit pas, disoit-il, une action dramatique à nouer et à dénouer, il
+avoit dans le czar un très grand caractère à peindre. Avant que de me
+consulter, il avoit déjà composé quatre chants des voyages du czar en
+Hollande, en Angleterre, en France, en Italie. Ce magnifique vestibule
+renfermoit de grandes beautés; il espéra trouver les moyens d'achever
+l'édifice; il reconnut enfin qu'il tentoit l'impossible; et, au bout de
+neuf ans, il me témoigna le regret de n'avoir pas suivi le conseil que
+je lui donnois d'abandonner son entreprise.
+
+Un projet que je lui connoissois, et qu'il auroit supérieurement bien
+rempli, étoit d'écrire, sur l'histoire de France, des discours dans le
+genre de ceux de Bossuet sur l'histoire universelle. Il n'auroit pas eu,
+comme Bossuet, l'avantage de donner aux événemens une chaîne mystérieuse
+dans l'ordre de la Providence; mais, sans sortir de l'ordre politique et
+moral, il en auroit tiré des leçons salutaires et des résultats
+importans.
+
+Thomas a laissé en mourant une haute opinion de lui plutôt qu'une
+renommée éclatante; et l'on doit le compter parmi les écrivains
+illustres plutôt que dans le nombre des écrivains célèbres. Les femmes
+contribuent essentiellement à la célébrité, et il ne les eut pas pour
+lui.
+
+J'eus, cette même année de la mort de Thomas, la consolation de voir
+entrer à l'Académie l'abbé Morellet, avec des titres moins brillans que
+l'abbé Maury, mais non pas moins solides. Esprit juste, ferme, éclairé,
+nourri d'une saine littérature, et plein de connoissances rares sur les
+objets d'utilité publique, il s'étoit distingué par des écrits d'un
+style sage et pur, d'une raison sévère, d'une méthode exacte. Dans un
+autre genre, on connoissoit de lui des ouvrages de plaisanterie d'un ton
+excellent, pleins de goût et d'un sel très fin et très piquant. Lucien,
+Rabelais et Swift, lui avoient appris à manier l'ironie et la raillerie,
+et leur disciple étoit devenu leur rival. Ainsi mes amis les plus chers
+venoient s'asseoir auprès de moi et remplacer à l'Académie ceux que je
+perdois tous les ans.
+
+En voyant cette foule de gens de lettres passer successivement chez les
+morts, je fis réflexion que je pouvois bientôt les suivre, et qu'il
+étoit temps de songer à mon testament littéraire, et de choisir ce que
+je voulois qui restât de moi après moi. Ce fut dans cet esprit que je
+rédigeai l'édition de mes oeuvres. J'en ai suffisamment parlé dans mes
+préfaces; il ne reste qu'à indiquer l'occasion et l'intention de
+quelques-uns de mes écrits.
+
+Dans le temps que d'Alembert étoit secrétaire de l'Académie françoise,
+il avoit fort à coeur de rendre intéressantes nos assemblées publiques,
+et celles de nos séances particulières où les souverains assistoient.
+Personne ne contribuoit autant que lui à les bien remplir. Cependant
+quelquefois il n'y pouvoit suffire, et c'étoit pour lui un chagrin
+véritable que de s'y voir abandonné. Alors il recouroit à moi, se
+plaignant de la négligence de tant de gens de lettres qui composoient
+l'Académie, et me conjurant de l'aider à soutenir l'honneur du corps.
+
+Dans ces occasions pressantes, je composois des morceaux de poésie ou de
+prose, que j'adaptois aux circonstances, comme les trois discours en
+vers sur l'éloquence, sur l'histoire, sur l'espérance de se
+survivre[19]. Ce dernier, lu à la réception de Ducis, successeur de
+Voltaire, eut le mérite de l'à-propos, et fit sur l'assemblée une vive
+impression.
+
+Des morceaux de prose que je lisois, celui dont le public parut le plus
+content, ce fut l'éloge de Colardeau, à la réception de La Harpe[20];
+mais ce qui me toucha bien plus moi-même fut le succès qu'obtint
+l'esquisse de l'éloge de d'Alembert, et celui du petit poème sur le
+dévouement et la mort de Léopold de Brunswick. Je crois devoir, sur
+celui-ci, me permettre quelque détail, pour exposer nettement ma
+conduite.
+
+Le trait d'humanité et de dévouement héroïque du jeune prince Léopold de
+Brunswick ayant sensiblement touché le jeune comte d'Artois, ce prince
+avoit proposé à l'Académie françoise un prix de mille écus pour le poème
+où cette belle action seroit le plus dignement célébrée.
+
+J'étois alors secrétaire perpétuel de l'Académie, et, en ma qualité de
+juge, il m'étoit interdit de me présenter au concours; mais, comme il
+arrivoit assez souvent que le prix même de poésie, dont nous laissions
+le sujet libre et au choix des poètes, n'étoit pas accordé, j'eus
+quelque inquiétude qu'il ne se présentât rien d'assez digne de celui-ci;
+et alors quelle honte et quelle humiliation pour la littérature
+françoise! quel dégoût même pour l'Académie d'avouer aux yeux de
+l'Europe qu'un si beau sujet auroit été manqué!
+
+Comme j'en étois plein et fortement ému, je ne pus résister au désir de
+le traiter moi-même, bien résolu à ne laisser connoître mon ouvrage
+qu'après qu'il seroit décidé que nul autre n'auroit le prix.
+
+Je laissai donc passer sous les yeux de l'Académie tous les poèmes mis
+au concours; mais ils furent tous rejetés. Enfin, voyant qu'on
+s'affligeoit que le plus vertueux héroïsme ne fût pas dignement loué, je
+confiai à l'Académie l'essai que j'avois fait, sans aspirer au prix.
+Elle voulut bien l'approuver; et le comte d'Artois, à qui l'on fut
+obligé d'annoncer le mauvais succès du concours, apprit en même temps ce
+que l'un des membres de l'Académie avoit fait pour y suppléer. Le prince
+ordonna que le même concours fût encore ouvert pour l'année suivante;
+mais il voulut connoître en secret mon ouvrage, et il me permit de
+l'envoyer au prince régnant de Brunswick.
+
+Peu de jours après, le comte d'Artois me fit dire, par M. de Vaudreuil,
+qu'il avoit commandé pour moi une très riche boîte d'or. Je répondis
+que, dans toute autre occasion, je recevrois avec respect les présens du
+frère du roi, mais que dans celle-ci je ne pouvois rien accepter qui me
+fît soupçonner d'avoir voulu m'attirer une récompense; que cette riche
+boîte ne seroit qu'un _prix_ déguisé; que, si le prince avoit la bonté
+de m'en donner une de carton sur laquelle fût son portrait, je la
+recevrois comme un don très précieux pour moi; mais que je n'en voulois
+point d'autre. M. de Vaudreuil insista; mais il me vit si ferme dans ma
+résolution qu'il renonça à l'espérance de l'ébranler; et ce fut la
+réponse qu'il rapporta à M. le comte d'Artois.
+
+«Marmontel ne consulte les bienséances que pour lui-même, lui dit le
+prince; mais il ne me convient pas à moi de lui faire un présent
+mesquin»; et, après avoir réfléchi un moment: «Eh bien! reprit-il, je
+lui donnerai mon portrait en grand.»
+
+Le bailli de Crussol, son gentilhomme de la chambre, fut chargé d'en
+faire faire une belle copie, et le cadre en fut décoré des attributs les
+plus honorables pour moi.
+
+Le prince régnant de Brunswick ne reçut pas moins favorablement mon
+hommage; il y répondit par une lettre de sa main et pleine de bonté, à
+laquelle étoient jointes deux médailles d'or frappées en mémoire de son
+vertueux frère.
+
+Ce fut vers ce temps-là qu'à sa quatrième grossesse ma femme convint
+avec moi de la nécessité de prendre son ménage; mais, comme la
+séparation se fit de bon accord avec ses oncles et sa mère, nous nous
+éloignâmes le moins qu'il fut possible. Ma femme ne fut pas insensible à
+l'agrément d'être chez elle à la tête de sa maison. Pour moi j'éprouvai,
+je l'avoue, un grand soulagement de vivre avec l'abbé Morellet dans une
+pleine indépendance, et il en fut lui-même bien plus à son aise avec
+moi. Il avoit fait venir auprès de lui une autre nièce jeune, aimable,
+pleine de talent et d'esprit, aujourd'hui Mme Chéron[21], à qui ma femme
+cédoit son logement. Ainsi tout se passa de la meilleure intelligence.
+
+Ce qui rendoit notre nouvelle situation encore plus agréable, c'étoit
+l'aisance où nous avoit mis un accroissement de fortune. Sans parler du
+casuel assez considérable que me procuroient mes ouvrages, la place de
+secrétaire de l'Académie françoise, jointe à celle d'historiographe des
+bâtimens, que mon ami M. d'Angiviller m'avoit fait accorder à la mort de
+Thomas, me valoient un millier d'écus. Mon assiduité à l'Académie y
+doubloit mon droit de présence. J'avois hérité, à la mort de Thomas, de
+la moitié de la pension de deux mille livres qu'il avoit eue, et qui fut
+partagée entre Gaillard et moi, comme l'avoit été celle de l'abbé
+Batteux. Mes logemens de secrétaire au Louvre et d'historiographe de
+France à Versailles, que j'avois cédés volontairement, me valoient
+ensemble dix-huit cents livres. Je jouissois de mille écus sur le
+_Mercure_. Mes fonds dans l'entreprise de l'île des Cygnes[22] étoient
+avantageusement placés; ceux que j'avois mis dans les octrois de la
+ville de Lyon me rendoient l'intérêt légal, comme ceux que j'avois
+placés dans d'autres caisses. Je me voyois donc en état de vivre
+agréablement à Paris et à la campagne; et dès lors je me chargeai seul
+de la dépense de Grignon[23]. La mère de ma femme, sa cousine et ses
+oncles, y avoient leurs logemens lorsqu'il leur plaisoit d'y venir; mais
+c'étoit chez moi qu'ils venoient.
+
+Je me donnai une voiture, qui, trois fois la semaine, dans une heure et
+demie, me menoit de ma campagne au Louvre, et, après la séance de
+l'Académie, me ramenoit du Louvre à ma campagne.
+
+Dès lors, jusqu'à l'époque de la Révolution, je ne puis exprimer combien
+la vie et la société eurent pour nous d'agrément et de charme. Ma femme
+étoit heureusement accouchée de son quatrième enfant. M. et Mme
+d'Angiviller l'avoient tenu sur les fonts de baptême; ils s'en étoient
+fait une fête, et nous avoient donné, dans cette occasion, les plus vifs
+témoignages d'une tendre amitié. Leur filleul Charles leur devint cher
+comme s'il eût été leur enfant.
+
+Nous fîmes, peu de temps après, l'heureuse acquisition d'une autre
+société d'amis dans M. et Mme Desèze. Tout ce qu'un naturel aimable peut
+avoir d'attrayant, ma femme le trouva dans Mme Desèze; aussi se
+prirent-elles de cette inclination qui naît de la conformité de deux
+bonnes et belles âmes.
+
+À l'égard de M. Desèze[24], je ne crois pas qu'il y ait au monde une
+société plus désirable que la sienne. Une gaieté naïve, piquante,
+ingénieuse; une éloquence naturelle, qui, dans la conversation même la
+plus familière, coule de source avec abondance; une prestesse, une
+justesse de pensée et d'expression qui, à tout moment, semble inspirée;
+et, mieux que tout cela, un coeur ouvert, plein de droiture, de
+sensibilité, de bonté, de candeur: tel étoit l'ami que l'abbé Maury me
+faisoit désirer depuis longtemps, et que me procura le voisinage de nos
+campagnes.
+
+De Brevannes, où Desèze, dans la belle saison, passoit ses momens de
+repos, de Brevannes, dis-je, à Grignon, il n'y avoit guère que la Seine
+à passer, et que la plaine qu'elle arrose; nos deux coteaux se
+regardoient. Un jeune homme que nous aimions, et qui nous aimoit l'un et
+l'autre, nous fit confidence à tous les deux du désir mutuel que nous
+avions de nous connoître. Dès nos premières entrevues, nous voir, nous
+goûter, nous chérir, désirer de nous voir encore, en fut l'effet
+simultané; et, tout éloignés que nous sommes, cet attachement est le
+même. Au moins, de mon côté, rien, dans ma solitude, ne m'a plus occupé
+ni plus intéressé que lui. Desèze est l'un des hommes rares dont on peut
+dire: Il faut l'aimer, si on ne l'a point aimé encore; il faut l'aimer
+toujours dès qu'on l'aime une fois. _Cras amet qui nunquam amavit, qui
+jam amavit cras amet._ (CATUL.)
+
+Le jeune homme qui avoit pris soin de nous lier ensemble étoit ce
+Laborie[25], connu dès l'âge de dix-neuf ans par des écrits qu'on eût
+attribués sans peine à la maturité de l'esprit et du goût; nouvel ami,
+qui, de son plein gré, et par le mouvement d'une âme ingénue et
+sensible, étoit venu s'offrir à moi, et que j'avois bientôt appris à
+estimer et à chérir moi-même.
+
+Dans cet aimable et heureux caractère, le besoin de se rendre utile est
+une passion habituelle et dominante. Plein de volonté pour tout ce qui
+lui semble honnête, la vitesse de son action égale celle de sa pensée.
+Je n'ai jamais connu personne d'aussi économe du temps; il le divise par
+minutes, et chaque instant en est employé ou utilement pour lui-même, ou
+plus souvent encore utilement pour ses amis.
+
+Les changemens de ministres apportèrent encore quelques améliorations
+dans ma fortune.
+
+Le traitement d'historiographe de France, qui autrefois étoit de mille
+écus, avoit été réduit à dix-huit cents livres par je ne sais quelle
+mesquine économie. Le contrôleur général d'Ormesson trouva juste de le
+remettre sur l'ancien pied.
+
+L'on sait qu'en arrivant au contrôle général, M. de Calonne annonça son
+mépris pour une étroite parcimonie. Il vouloit, en particulier, que les
+travaux des gens de lettres fussent honorablement récompensés. En ma
+qualité de secrétaire perpétuel de l'Académie françoise, il me fit prier
+de l'aller voir. Il me témoigna l'intention de bien traiter l'Académie;
+me demanda s'il y avoit pour elle des pensions, comme il y en avoit pour
+l'Académie des sciences et pour l'Académie des belles-lettres: je lui
+répondis qu'il n'y en avoit aucune; à quoi pouvoit monter, pour les plus
+assidus, le produit du droit de présence: je l'assurai qu'il ne pouvoit
+aller qu'à huit ou neuf cents livres, le jeton n'étant que de trente
+sous. Il me promit d'en doubler la valeur. Il voulut savoir quel étoit
+le traitement du secrétaire: je répondis qu'il étoit de douze cents
+livres. Il trouva que c'étoit trop peu. En conséquence, il obtint du roi
+que le jeton seroit de trois livres, et que le traitement du secrétaire
+seroit de mille écus. Ainsi mon revenu d'académicien put se monter à
+quatre mille cinq ou six cents livres.
+
+J'obtins encore un nouveau degré de faveur et de nouvelles espérances
+sous le ministère de M. de Lamoignon, garde des sceaux. Voici quelle en
+fut l'occasion.
+
+L'une des vues de ce ministre étoit de réformer l'instruction publique
+et de la rendre florissante; mais, comme il n'avoit pas lui-même les
+connoissances nécessaires pour se former un plan, un système d'études
+qui remplît ses intentions, il consulta l'abbé Maury, pour lequel il
+avoit beaucoup d'estime et d'amitié. Celui-ci, ne se croyant pas assez
+instruit sur des objets dont il ne s'étoit pas spécialement occupé; lui
+conseilla de s'adresser à moi; et le ministre le pria de m'engager à
+l'aller voir.
+
+Dans l'entretien que nous eûmes ensemble, je vis qu'en général il
+concevoit en homme d'État et dans toute son étendue le projet qu'il
+avoit formé. Mais les difficultés, les moyens, les détails, ne lui en
+étoient pas assez connus: pour nous assurer l'un et l'autre si j'avois
+bien saisi son plan, je le priai de me permettre de le développer dans
+un mémoire que je lui mettrois sous les yeux; mais je le prévins que,
+dans les réformes, rien ne me sembloit plus à craindre que l'ambition de
+tout détruire et de tout innover; que j'avois beaucoup de respect pour
+les anciennes institutions; que je déférois volontiers aux leçons de
+l'expérience, et que je regardois les abus, les erreurs, les fautes
+passées, comme ces mauvaises herbes qui se mêlent au pur froment, mais
+qu'il faut extirper d'une main légère et prudente pour ne pas nuire à la
+moisson.
+
+Mon mémoire fut divisé en huit articles principaux: la distribution des
+écoles et des objets de l'enseignement selon l'utilité commune ou les
+convenances locales; les établissemens relatifs à l'un et à l'autre de
+ces objets; la discipline; la méthode; les relations graduelles, et
+l'exacte correspondance des extrémités à leur centre; la surveillance
+générale; les moyens d'encouragement; la connoissance et l'emploi des
+hommes que l'instruction auroit formés.
+
+Dans l'ensemble et dans les rapports de cette vaste composition, j'avois
+pris pour modèle l'institut des jésuites, où tout étoit soumis à une
+règle unique, surveillé, maintenu, régi par une autorité centrale, et
+mis en action par un mobile universel. La plus grande difficulté étoit
+de substituer au lien d'une société religieuse, et à l'esprit de corps
+qui l'avoit animée, un motif d'intérêt et un ressort d'émulation qui
+réduisît la liberté aux termes de l'obéissance: car les moeurs et la
+discipline à établir dans la classe des maîtres comme dans celle des
+disciples devoient être la base de cette institution. Il falloit donc
+que, non seulement dans leur état actuel, mais dans leur perspective et
+dans leurs espérances, les places y fussent désirables; et, afin que
+l'exclusion ou le renvoi fût une peine, je demandai que la persévérance
+et la durée de ces fonctions honorables eussent progressivement des
+avantages assurés.
+
+Le garde des sceaux approuva mon plan dans toutes ses parties; et, pour
+ce qui demanderoit des récompenses encourageantes, il m'assura que rien
+n'y seroit épargné. «Nul professeur homme de mérite ne vieillira dans
+l'obscurité, me dit-il; nul écolier distingué dans son cours d'études ne
+demeurera sans emploi. Vous promettez de me faire connoître, des
+extrémités du royaume, l'élite des talens; moi, je m'engage à les
+placer. Je vois que nous nous entendons, ajouta-t-il en me serrant la
+main; nous nous accorderons ensemble; je compte sur vous, Marmontel;
+comptez sur moi de même, et pour la vie.»
+
+Comme l'abbé Maury m'avoit assuré que le garde des sceaux étoit un homme
+droit et franc, je n'eus aucune peine à prendre avec lui l'engagement
+qu'il me proposoit; et, en achevant de développer et de perfectionner
+mon plan, je crus travailler pour sa gloire.
+
+J'avois formé à la campagne une liaison qui, dans ce travail, me fournit
+de grandes lumières.
+
+Le cinquième de mes enfans, Louis, venoit de naître, et sa mère étoit sa
+nourrice. L'aîné des trois qui me restoient, Albert, étoit dans sa
+neuvième année; Charles avoit quatre ans accomplis, lorsque je pris la
+résolution de les faire élever chez moi; et, sur la réputation du
+collège de Sainte-Barbe, ce fut là que je cherchai, pour eux, un
+précepteur formé aux moeurs et à la discipline de cette maison, renommée
+tant par la vie laborieuse et frugale qu'on y menoit que par la
+supériorité des études que l'on faisoit à cet école.
+
+L'excellent jeune homme que j'y avois pris, et que la mort m'a enlevé,
+Charpentier[26], nous faisoit sans cesse l'éloge de Sainte-Barbe. Car
+une singularité remarquable de cette maison étoit la tendre affection
+que conservoient pour elle ceux qui en étoient sortis. Il ne parloit
+qu'avec enthousiasme des moeurs, de la discipline, des études de
+Sainte-Barbe. Il ne parloit qu'avec une profonde estime des supérieurs
+de la maison et des professeurs qu'il y avoit laissés. Ils étoient ses
+amis; il désiroit que j'en fisse les miens. Je lui permis de me les
+amener, et la cordialité avec laquelle je les reçus leur rendit ma
+maison de campagne agréable.
+
+Sainte-Barbe avoit une annexe à Gentilly, village voisin de Grignon. Les
+supérieurs, les professeurs de l'une et de l'autre maisons, se
+réunissoient quelquefois pour venir dîner avec moi. Ils s'intéressoient
+aux études de mes enfans. Les jours où la jeune école de Gentilly avoit
+des exercices publics, mes enfans y étoient invités, et ils étoient
+admis à cet examen des études. C'étoit pour eux un bon exemple et un
+objet d'émulation; mais, pour moi, c'étoit une source d'observations et
+de lumières: car, dans ce cours facile, régulier et constant des études
+de Sainte-Barbe, je devois trouver une cause, et cette cause ne pouvoit
+être qu'une bonne et solide organisation.
+
+C'est de quoi je me fis instruire dans le plus grand détail; et, au
+moyen de ces conférences, je me croyois en état de mettre la dernière
+main à mon plan de l'instruction nationale, quand tout à coup, par des
+mouvemens qui bouleversoient le ministère, M. de Lamoignon en fut
+écarté, et fut exilé à Bâville.
+
+Bientôt les intérêts de la chose publique et les inquiétudes sur le sort
+de l'État s'emparèrent de mes esprits; ma vie privée changea de face, et
+prit une couleur qui, nécessairement, va se répandre sur le reste de mes
+_Mémoires_.
+
+
+
+
+LIVRE XII
+
+
+Je n'écris pas l'histoire de la Révolution. _Quæ contentio divina et
+humana cuncta permiscuit, eoque vecordiæ processit uti studiis civilibus
+bellum finem faceret_ (SALLUST., _Jug_.). Mais, si la vie de l'homme est
+un voyage, puis-je vous raconter la mienne sans dire à travers quels
+événemens, et par quels torrens, quels abîmes, quels lieux peuplés de
+tigres et de serpens, elle a passé? Car c'est ainsi que je me retrace
+les dix années de nos malheurs, presqu'en doutant si ce n'est pas un
+violent et funeste songe.
+
+Cette effroyable calamité sera partout décrite en traits de sang: les
+souvenirs n'en sont que trop ineffaçables; mais elle a eu des causes
+dont on ne peut assez observer la nature, car il en est des maladies du
+corps politique comme de celles du corps humain: pour juger avec
+vraisemblance quel en sera le terme, ou quel en eût été le préservatif,
+il faut remonter à leur source; et c'est ainsi que des lumières du passé
+l'on peut éclairer l'avenir.
+
+Quoique depuis longtemps la situation des affaires publiques et la
+fermentation des esprits dans tous les ordres de l'État parussent le
+menacer d'une crise prochaine, il est vrai cependant qu'elle n'est
+arrivée que par l'imprudence de ceux qui se sont obstinés à la croire
+impossible.
+
+La nation, constamment fidèle à ses lois, à ses rois, à son ancienne
+constitution, contente, par instinct, de la portion de liberté, de
+propriété, de prospérité, de gloire et de puissance dont elle jouissoit,
+ne se lassoit point d'espérer dans les vices et les erreurs de
+l'ancienne administration quelque amendement salutaire.
+
+Cette espérance avoit surtout repris courage à l'avènement de Louis XVI
+à la couronne; et, en effet, dès lors, si la volonté d'un jeune roi
+plein de droiture et de candeur eût été secondée comme elle devoit
+l'être, tout étoit réparé sans aucune convulsion.
+
+Louis XVI, élevé au trône à l'âge de vingt ans, y apportoit un sentiment
+bien précieux lorsqu'il est modéré, bien dangereux quand il est
+excessif, la défiance de soi-même. Le vice de son éducation avoit été
+tout le contraire de celui qu'on reproche à l'éducation des princes: on
+l'avoit trop intimidé; et, tant qu'avoit vécu son aîné, le duc de
+Bourgogne, on lui avoit trop fait sentir, du côté de l'intelligence, la
+supériorité qu'avoit sur lui ce prince réellement prématuré.
+
+La situation du Dauphin étoit donc l'inquiétude et la perplexité d'une
+âme qui pressent sa destinée et ses devoirs, et qui n'ose espérer de
+pouvoir les remplir, lorsqu'il se vit tout à coup chargé du gouvernement
+d'un empire. Son premier sentiment fut la frayeur de se trouver roi à
+vingt ans; son premier mouvement fut de chercher un homme assez sage et
+assez habile pour l'éclairer et le conduire. De tels hommes sont
+toujours rares; et pour un choix peut-être alors plus difficile que
+jamais, ce fut de sa famille que le jeune roi prit conseil. Rien de plus
+important, et pour l'État et pour lui-même, que l'avis qui résulteroit
+de cette délibération. Il s'agissoit de commencer son éducation
+politique, de diriger ses vues, de former son esprit; et en lui la
+nature avoit tout disposé pour recevoir les impressions du bien. Un sens
+droit, une raison saine, une âme neuve, ingénue et sensible, aucun vice,
+aucune passion, le mépris du luxe et du faste, la haine du mensonge et
+de la flatterie, la soif de la justice et de la vérité, et, avec un peu
+de rudesse et de brusquerie dans le caractère, ce fonds de rectitude et
+de bonté morale qui est la base de la vertu; en un mot, un roi de vingt
+ans, détaché de lui-même, disposé à vouloir tout ce qui seroit bon et
+juste; et, autour de lui, un royaume à régénérer dans toutes ses
+parties, les plus grands biens à faire, les plus grands maux à réparer;
+c'est là ce qui attendoit l'homme de confiance que Louis XVI auroit
+choisi pour guide. Il prit le comte de Maurepas (mai 1774).
+
+Après trente ans de ministère, un long exil, et un plus long temps de
+disgrâce sous le feu roi pour une faute assez légère, et dont la famille
+royale ne lui avoit jamais su mauvais gré, Maurepas avoit acquis dans sa
+retraite la considération que donnent la vieillesse et un malheur peu
+mérité, soutenu avec bienséance. Son ancien ministère n'avoit été marqué
+que par le dépérissement de la marine militaire; mais, comme la timide
+politique du cardinal de Fleury avoit frappé de paralysie cette partie
+de nos forces, la négligence de Maurepas avoit pu être commandée; et,
+dans une place fictive, dispensé d'être homme d'État, il n'avoit eu à
+déployer que ses qualités naturelles, les agrémens d'un homme du monde
+et les talens d'un homme de cour.
+
+Superficiel et incapable d'une application sérieuse et profonde, mais
+doué d'une facilité de perception et d'intelligence qui démêloit dans un
+instant le noeud le plus compliqué d'une affaire, il suppléoit dans les
+conseils par l'habitude et la dextérité à ce qui lui manquoit d'étude et
+de méditation. Aussi accueillant, aussi doux que son père étoit dur et
+brusque; un esprit souple, insinuant, flexible, fertile en ruses pour
+l'attaque, en adresses pour la défense, en faux-fuyans pour éluder, en
+détours pour donner le change, en bons mots pour déconcerter le sérieux
+par la plaisanterie, en expédiens pour se tirer d'un pas difficile et
+glissant; un oeil de lynx pour saisir le foible ou le ridicule des
+hommes; un art imperceptible pour les attirer dans le piège, ou les
+amener à son but; un art plus redoutable encore de se jouer de tout, et
+du mérite même, quand il vouloit le dépriser; enfin l'art d'égayer, de
+simplifier le travail du cabinet, faisoit de Maurepas le plus séduisant
+des ministres; et, s'il n'avoit fallu qu'instruire un jeune roi à manier
+légèrement et adroitement les affaires, à se jouer des hommes et des
+choses, et à se faire un amusement du devoir de régner, Maurepas eût
+été, sans aucune comparaison, l'homme qu'on auroit dû choisir. Peut-être
+avoit-on espéré que l'âge et le malheur auroient donné à son caractère
+plus de solidité, de consistance et d'énergie; mais, naturellement
+foible, indolent, personnel; aimant ses aises et son repos; voulant que
+sa vieillesse fût honorée, mais tranquille; évitant tout ce qui pouvoit
+attrister ses soupers ou inquiéter son sommeil; croyant à peine aux
+vertus pénibles, et regardant le pur amour du bien public comme une
+duperie ou comme une jactance; peu jaloux de donner de l'éclat à son
+ministère, et faisant consister l'art du gouvernement à tout mener sans
+bruit, en consultant toujours les considérations plutôt que les
+principes, Maurepas fut dans sa vieillesse ce qu'il avoit été dans ses
+jeunes années, un homme aimable, occupé de lui-même, et un ministre
+courtisan.
+
+Une attention vigilante à conserver son ascendant sur l'esprit du roi et
+sa prédominance dans les conseils le rendoient aisément jaloux des choix
+même qu'il avoit faits, et cette inquiétude étoit la seule passion qui
+dans son âme eût de l'activité. Du reste, aucun ressort, aucune vigueur
+de courage, ni pour le bien ni pour le mal, de la foiblesse sans bonté,
+de la malice sans noirceur, des ressentimens sans colère, l'insouciance
+d'un avenir qui ne devoit pas être le sien; peut-être assez sincèrement
+la volonté du bien public, lorsqu'il pouvoit le procurer sans risque
+pour lui-même; mais cette volonté aussitôt refroidie, dès qu'il y voyoit
+compromis ou son crédit ou son repos: tel fut jusqu'à la fin le
+vieillard qu'on avoit donné pour guide et pour conseil au jeune roi.
+
+Comme il lui fut aisé de voir que le fond du caractère de ce prince
+étoit la franchise et la bonté, il s'étudia d'abord à lui paroître bon
+et simple. Le roi ne lui déguisoit pas cette excessive timidité que les
+premières impressions de l'enfance lui avoient laissée. Il sentit donc
+que le plus sûr moyen de captiver sa bienveillance étoit de lui rendre
+faciles ces devoirs qui l'épouvantoient. Il employa le talent qu'il
+avoit de simplifier les affaires à lui en alléger le fardeau; mais, soit
+qu'il regardât les maux invétérés comme n'ayant plus de remède, soit que
+son indolence et sa légèreté ne lui eussent pas permis de les
+approfondir, soit qu'il les négligeât comme des maladies provenant d'un
+excès de force et de santé, ou comme des vices de complexion inhérens au
+corps politique, il dispensa le jeune roi de s'en fatiguer la pensée,
+l'assurant que tout iroit bien, pourvu que tout fût sagement et
+modérément dirigé.
+
+L'excuse du cardinal de Fleury dans ses inquiétudes pusillanimes étoit
+qu'un édifice qui avoit duré plus de treize cents ans devoit pencher
+vers sa ruine, et qu'il falloit, en l'étayant, craindre de l'ébranler;
+le prétexte de Maurepas, dans son indolente sécurité, étoit, au
+contraire, qu'un royaume aussi vigoureusement constitué n'avoit besoin,
+pour se rétablir, que de ses forces naturelles, et qu'il falloit le
+laisser subsister avec ses vices et ses abus.
+
+Mais le mauvais état des finances n'est pas un mal qui se laisse
+longtemps pallier et dissimuler; la détresse et le discrédit accusent
+bientôt le ministre qui le cache et qui le néglige, et, tant qu'on n'en
+a pas trouvé le vrai remède, il empire au lieu de guérir.
+
+On avoit donné à Louis XV l'abbé Terray pour un ministre habile. Vingt
+ans d'exercice au Palais, au milieu d'une foule de plaideurs mécontens,
+l'avoient endurci à la plainte; il ne l'étoit guère moins au blâme, et
+il se croyoit obligé par état d'être en butte à la haine publique.
+Maurepas l'éloigna, et mit à sa place Turgot, également recommandé par
+ses lumières et ses vertus.
+
+Celui-ci sentoit vivement que la réduction des dépenses, l'économie des
+revenus et des frais de perception, l'abolition des privilèges onéreux
+au commerce et à l'agriculture, et une plus égale distribution de
+l'impôt sur toutes les classes, étoient les vrais remèdes qu'il falloit
+appliquer à la grande plaie de l'État, et il le persuadoit sans peine à
+un roi qui ne respiroit que la justice et l'amour de ses peuples; mais
+bientôt Maurepas, voyant que cette estime et cette confiance du jeune
+roi pour son nouveau ministre alloient trop loin, fut jaloux de son
+propre ouvrage, et s'empressa de le briser.
+
+Dans un pays où tant de monde vivoit d'abus et de désordres, un homme
+qui portoit la règle et l'épargne dans les finances, un homme inflexible
+au crédit, incorruptible à la faveur, devoit avoir autant d'ennemis
+qu'il faisoit de mécontens et qu'il en alloit faire encore. Turgot avoit
+trop de fierté et de candeur dans le caractère pour s'abaisser aux
+manèges de cour: on lui trouva de la roideur, on lui attribua des
+maladresses; et le ridicule, qui, parmi nous, dégrade tout, l'ayant une
+fois attaqué, Maurepas se sentit à son aise pour le détruire. Il
+commença par écouter, par encourager d'un sourire la malice des
+courtisans. Bientôt lui-même il avoua que, dans les vues de Turgot, il
+entroit plus de l'esprit de système que du solide esprit
+d'administration; que l'opinion publique s'étoit méprise sur l'habileté
+de ce prétendu sage; qu'il n'avoit dans la tête que des spéculations et
+des rêves philosophiques, nulle pratique des affaires, nulle
+connoissance des hommes, nulle capacité pour le maniement des finances,
+nulles ressources pour subvenir aux besoins pressans de l'État; un
+système de perfection qui n'étoit pas de ce monde et n'existoit que dans
+les livres; une recherche minutieuse de ce mieux idéal auquel on
+n'arrive jamais; et, au lieu des moyens de pourvoir au présent, des
+projets vagues et fantastiques pour un avenir éloigné; beaucoup d'idées,
+mais confuses; un grand savoir, mais étranger à l'objet de son
+ministère; l'orgueil de Lucifer, et, dans sa présomption, le plus
+inflexible entêtement.
+
+Ces confidences du vieillard, divulguées de bouche en bouche pour les
+faire arriver à l'oreille du roi, avoient d'autant plus de succès
+qu'elles n'étoient pas absolument dénuées de vraisemblance. Turgot avoit
+autour de lui des hommes studieux, qui, s'étant adonnés à la science
+économique, formoient comme une secte, estimable sans doute quant à
+l'objet de ses travaux, mais dont le langage emphatique, le ton
+sentencieux, quelquefois les chimères enveloppées d'un style obscur et
+bizarrement figuré, donnoient prise à la raillerie. Turgot les
+accueilloit et leur témoignoit une estime dont ils faisoient eux-mêmes
+trop de bruit en l'exagérant. Il ne fut donc pas difficile à ses ennemis
+de le faire passer pour le chef de la secte, et le ridicule attaché au
+nom d'_économistes_ rejaillissoit sur lui.
+
+D'ailleurs il étoit assez vrai que, fier de la droiture de ses
+intentions, Turgot ne se piquoit ni de dextérité dans le maniement des
+affaires, ni de souplesse et de liant dans ses relations à la cour. Son
+accueil étoit doux et poli, mais froid. On étoit sûr de le trouver
+juste, mais inflexible dans ses principes; et le crédit et la faveur ne
+s'accommodoient pas de la tranquillité inébranlable de ses refus.
+
+Quoiqu'en deux ans, par le moyen des réductions et des économies, il eût
+considérablement diminué la masse des anticipations dont le Trésor étoit
+chargé, on trouvoit encore qu'il traitoit en maladie chronique
+l'épuisement et la ruine des finances et du crédit. La sagesse de son
+régime, ses moyens d'amélioration, les encouragemens et les soulagemens
+qu'il donnoit à l'agriculture, la liberté rendue au commerce et à
+l'industrie, ne promettoient que des succès lents et que des ressources
+tardives, lorsqu'il y avoit des besoins urgens auxquels il falloit
+subvenir.
+
+Son système de liberté pour toute espèce de commerce n'admettoit dans
+son étendue ni restriction ni limites; et, à l'égard de l'aliment de
+première nécessité, quand même cette liberté absolue n'auroit eu que des
+périls momentanés, le risque de laisser tarir pour tout un peuple les
+sources de la vie n'étoit point un hasard à courir sans inquiétude.
+L'obstination de Turgot à écarter du commerce des grains toute espèce de
+surveillance ressembloit trop à de l'entêtement. Ce fut par là que son
+crédit sur l'esprit du roi reçut une atteinte mortelle.
+
+Dans une émeute populaire qu'excita la cherté du pain en 1775, le roi,
+qui avoit pour lui encore cette estime dont Maurepas étoit jaloux, lui
+donna toute confiance, et lui laissa tout pouvoir d'agir. Turgot n'eut
+pas la politique de demander que Maurepas fût appelé à ce conseil secret
+où le roi se livrait à lui, et, de plus, il eut l'imprudence de
+s'engager hautement à prouver que l'émeute étoit commandée. Le Noir,
+lieutenant de police, fut renvoyé sur le soupçon d'avoir été
+d'intelligence avec les auteurs du complot. Il est certain que le
+pillage des boutiques de boulangers avoit été libre et tranquille.
+L'émeute avoit aussi une marche préméditée qui sembloit accuser un plan;
+et, quant au personnage à qui Turgot l'attribuoit, je n'oserois pas dire
+que ce fût sans raison. Dissipateur nécessiteux, le prince de Conti,
+plein du vieil esprit de la Fronde, ne remuoit au Parlement que pour
+être craint à la cour; et, accoutumé dans ses demandes à des
+complaisances timides, un respect aussi ferme que celui de Turgot devoit
+lui paraître offensant. Il étoit donc possible que, par un mouvement du
+peuple de la ville et de la campagne, il eût voulu semer le bruit de la
+disette, en répandre l'alarme, et ruiner dans l'esprit du roi le
+ministre importun dont il n'attendoit rien. Mais, qu'il y eût plus ou
+moins d'apparence dans cette cause de l'émeute, Turgot n'en put donner
+la preuve qu'il avoit promise; ce faux pas décida sa chute.
+
+Maurepas fit entendre au roi que cette invention d'un complot chimérique
+n'étoit que la mauvaise excuse d'un homme vain, qui ne vouloit ni
+convenir ni revenir de son erreur; et que, dans une place qui demandoit
+toutes les précautions de l'esprit de calcul et toute la souplesse de
+l'esprit de conduite, une tête systématique, entière et obstinée dans
+ses opinions, n'étoit pas ce qu'il lui falloit.
+
+Turgot fut renvoyé (mai 1776), et les finances furent livrées à Clugny,
+lequel parut n'être venu que pour y faire le dégât avec ses compagnons
+et ses filles de joie, et qui mourut dans le ministère, après quatre ou
+cinq mois d'un pillage impudent, dont le roi seul ne savoit rien.
+Taboureau prit sa place, et, en honnête homme qu'il étoit, il s'avoua
+bientôt incapable de la remplir. On lui avoit donné pour second, sous le
+titre de directeur du Trésor royal, un homme dont lui-même il reconnut
+la supériorité. Sa modestie honora sa retraite. Et, en qualité de
+directeur général des finances, Necker lui succéda.
+
+Ce Genevois, qui depuis a été le jouet de l'opinion, et si diversement
+célèbre, étoit alors l'un des banquiers les plus renommés de l'Europe.
+Il jouissoit dans son état de la confiance publique et d'un crédit très
+étendu. Du côté des talens, il avoit fait ses preuves, et, sur des
+objets analogues au Ministère des finances, ses écrits avoient annoncé
+un esprit sage et réfléchi; mais, pour lui, un autre mérite auprès de
+Maurepas étoit la haine de Turgot. Voici la cause de cette haine.
+
+Turgot, pour le commerce, l'industrie et l'agriculture, ne pouvoit
+souffrir le régime réglementaire de Colbert; il regardoit comme un droit
+inhérent à la propriété une liberté sans réserve de disposer, chacun à
+son gré, de son bien et de ses talens; il vouloit qu'on laissât
+l'intérêt personnel se consulter lui-même et se conduire, persuadé qu'il
+se conduirait bien, et que de l'action réciproque des intérêts
+particuliers résulterait le bien général. Necker, plus timide, pensoit
+que l'intérêt, dans presque tous les hommes, avoit besoin d'être conduit
+et modéré; qu'en attendant qu'il eût reçu les leçons de l'expérience, il
+seroit bon d'y suppléer par la sagesse des règlemens; que ce n'étoit
+point à la cupidité privée qu'il falloit confier le soin du bien public;
+que, si, pour la tranquillité et pour la sûreté d'une nation entière, la
+liberté civile, la liberté morale, devoient être restreintes et soumises
+à des lois, il étoit juste aussi que la liberté du commerce pût être
+modérée, et même suspendue, toutes les fois surtout qu'il y alloit du
+salut commun; que la propriété des biens de première nécessité n'étoit
+pas assez absolument individuelle pour donner à une partie de la nation
+le droit de laisser périr l'autre, et qu'autant il seroit injuste de
+tenir ces biens à vil prix, autant il le seroit de les laisser monter à
+une valeur excessive; qu'enfin, laisser le riche avare dicter au pauvre
+avec trop d'empire la dure loi de la nécessité, ce seroit mettre la
+multitude à la merci du petit nombre, et qu'il étoit de la sagesse et du
+devoir de l'administration de tenir entre eux la balance.
+
+«L'avarice, disoit Turgot, ne sera point à craindre où régnera la
+liberté, et le moyen d'assurer l'abondance, c'est de laisser aux objets
+de commerce une pleine circulation. Le blé sera cher quelquefois; mais
+la main-d'oeuvre sera chère, et tout sera mis au niveau.»
+
+«Quand le prix du blé montera progressivement, disoit Necker, sans doute
+il réglera le prix de l'industrie et de tous les salaires, et personne
+n'en souffrira; mais, quand le blé s'élèvera subitement à une valeur
+excessive, le peuple aura longtemps à souffrir avant que tout soit de
+niveau.»
+
+Dans ce système de surveillance et de liberté modérée, Necker avoit fait
+l'éloge de Colbert, et cet éloge avoit eu du succès. C'étoit un double
+crime que Turgot ne pardonnoit pas. Ce zélateur de la liberté, du
+commerce et de l'industrie se croyoit infaillible dans son opinion, et,
+lui attribuant toujours le caractère de l'évidence, il regardoit celui
+qui ne s'y rendoit pas comme étant de mauvaise foi[27].
+
+Jusque-là cependant les principes de Necker ne s'étoient point
+développés; mais, lorsque Turgot donna sa loi en faveur de la libre
+exportation des grains, non seulement de province à province, mais au
+dehors et dans tous les temps, Necker se permit de lui dire qu'il y
+voyoit quelque danger, et qu'il auroit à lui communiquer, sur cette
+branche de commerce, des observations qui peut-être méritoient son
+attention. Ces mots réveillèrent l'antipathie de Turgot pour le système
+des lois prohibitives. Il répondit que, sur cet objet, son opinion étoit
+invariable, mais qu'au surplus chacun étoit le maître d'en dire sa
+pensée et de la publier.
+
+Necker lui répondit que ce n'avoit pas été son intention, mais que,
+puisqu'il lui en laissoit la liberté, peut-être en feroit-il usage. À
+quelque temps de là parut son livre sur les lois relatives au commerce
+des grains; et, au moment de la nouveauté de ce livre, survint l'émeute
+dont je viens de parler. Turgot ne douta point que l'un n'eût contribué
+à l'autre, quoiqu'il sût bien que le peuple qui pille les boutiques de
+boulangers n'en prend pas conseil dans les livres.
+
+Les amis de Turgot, plus animés que lui, auroient voulu qu'il se vengeât
+de Necker en le renvoyant à Genève; il le pouvoit, car il avoit encore
+toute la confiance du roi. Sa droiture et son équité le sauvèrent de
+cette honte; mais il a conservé jusqu'au tombeau sa haine contre un
+homme dont le seul tort avoit été d'avoir accepté son défi et combattu
+son opinion.
+
+Du moment que Necker eut en main l'administration des finances, son
+premier soin et son premier, travail furent d'en débrouiller le chaos.
+Clugny y avoit laissé un déficit annuel de vingt-quatre millions[28];
+et, dans ce temps-là, ce vide paroissoit énorme; il falloit le remplir.
+Necker en sut trouver les moyens. Ces moyens étoient, d'un côté, de
+simplifier la perception des revenus publics, et d'en nettoyer les
+canaux; de l'autre, de voir quels étoient les faux-fuyans de la dépense,
+et d'en réformer les abus.
+
+Le roi, pour être aussi économe que son ministre, n'avoit qu'à se
+défendre d'une trop facile bonté. Ce fut donc pour le préserver des
+séductions journalières que Necker obtint de lui de suspendre et de
+différer, jusqu'à la fin de chaque année, la décision des grâces qu'il
+auroit à répandre, afin d'en voir la somme entière avant de la
+distribuer.
+
+Ainsi Necker alloit s'assurer, par de simples économies, un superflu qui
+l'eût mis en état de soulager le Trésor public, lorsque le signal de la
+guerre l'avertit qu'il auroit besoin de ressources plus abondantes, tant
+pour former incessamment une marine respectable que pour l'armer et la
+pourvoir. Ces dépenses urgentes devoient monter, par an, à cent
+cinquante millions. Le crédit seul pouvoit y faire face, et le crédit
+étoit perdu: les infidélités de l'administration l'avoient ruiné pendant
+la paix; il falloit ou le rétablir, ou succomber, car l'impôt même le
+plus onéreux ne peut suffire aux frais d'une guerre dispendieuse; et
+l'Angleterre, notre ennemie, trouvoit alors à emprunter jusqu'à deux et
+trois cents millions à un intérêt modéré. On a depuis fait un reproche à
+Necker de ses emprunts; il falloit l'adresser, ce reproche, à la guerre,
+qui les rendoit indispensables, et qui, elle-même, ne l'étoit pas.
+
+L'art de Necker, pour relever et pour soutenir le crédit, fut d'éclairer
+la confiance, en faisant voir dans les réserves que lui assuroit
+l'économie une base solide et un gage assuré des emprunts qu'il alloit
+ouvrir. Le même plan qu'il s'étoit tracé pour les épargnes de la paix
+lui servit à se procurer les fonds que demandoit la guerre. On savoit
+qu'il avoit sans cesse sous les yeux des tableaux complets et précis de
+la situation des finances, et, pour ainsi dire, la balance à la main
+dans toutes ses opérations, pour n'excéder jamais, dans ses engagemens,
+ses facultés et ses ressources. Ce fut avec cet esprit d'ordre qu'ayant
+trouvé le crédit détruit après quinze ans de paix, il sut le rétablir au
+milieu d'une guerre qui exigeoit les plus grands efforts, et que, malgré
+le déficit de 1776, malgré les dépenses de cette guerre, et quatre cent
+douze millions d'emprunts faits pour la soutenir, il fut en état
+d'annoncer au roi, en 1781, dans le compte qu'il lui rendit, que les
+revenus ordinaires excédaient alors de dix millions deux cent mille
+livres la dépense ordinaire et annuelle de l'État. C'étoit avertir les
+Anglois que, sans aucun nouvel impôt, et même sans aucune nouvelle
+économie, la France alloit avoir des fonds pour deux campagnes: car dix
+millions de revenus libres suffisoient pour avoir deux cents millions
+d'emprunts, résultat bien capable de hâter une bonne paix. Necker n'en
+fut pas moins taxé de vanité pour avoir publié ce compte.
+
+Dans un ministre habile, cette manière ouverte d'exposer ses opérations
+et la situation des affaires a sans doute ses avantages, et le succès en
+est infaillible chez une nation réfléchie et capable d'application;
+mais, pour une nation légère, qui, sur parole et sans examen, juge les
+hommes et les choses, cette méthode a ses périls; et Necker dut bien les
+prévoir. Il n'y a de sûreté à prendre un tel public pour juge que
+lorsque les objets que l'on met sous ses yeux sont d'une évidence
+palpable: or, pour la multitude, les états de finance n'auront jamais
+cette clarté. Personne, dans le monde, ne veut pâlir sur des calculs. Il
+est donc bien facile de troubler l'opinion sur l'exactitude d'un compte;
+et, dès que le doute s'élève, c'est un nuage que la malignité ne manque
+jamais de grossir. Necker, en faisant une chose exemplaire pour les
+ministres à venir, satisfaisante pour le roi, imposante pour
+l'Angleterre, encourageante pour la nation, rassurante pour le crédit,
+en fit donc une très hardie, très périlleuse pour lui-même.
+
+Je l'ai vu, dans le temps, muni de pièces justificatives; tous les
+articles de son compte en étoient appuyés; l'estime publique sembloit
+même le dispenser de les produire, et le premier élan de l'opinion fut
+pour lui, et tout à sa gloire.
+
+Mais, aussitôt qu'il se trouva un homme assez audacieux pour l'attaquer,
+cet agresseur fut accueilli par l'envie et la malveillance avec une
+pleine faveur. Dans un mémoire il accusoit Necker d'infidélité dans son
+compte, et ce mémoire passoit de main en main, d'autant plus recherché
+qu'il étoit manuscrit[29]. Un ministre économe ne manque jamais
+d'ennemis: Necker en avoit en foule, et il en avoit de puissans.
+Maurepas, sans se déclarer, les rallioit autour de lui; et c'est ici
+l'un des exemples des misérables intérêts d'amour-propre auxquels tient
+si souvent le destin des États.
+
+Maurepas étoit président du conseil des finances, et, dans un compte où
+Necker exposoit la situation des finances d'une manière si honorable
+pour lui-même, Maurepas n'étoit pas nommé. Ce fut aux yeux du vieux
+ministre une réticence injurieuse: il la dissimula, mais il ne la
+pardonna point.
+
+Un autre grief fut la disgrâce d'un ministre, créature de Maurepas, ou
+plutôt de sa femme, et que Necker fit renvoyer. Maurepas, qui n'avoit
+jamais eu d'excuse pour se laisser dominer par les femmes, étoit
+pourtant subjugué par la sienne. Cette complaisance assidue, qui est
+l'adulation de tous les momens, et qui, surtout pour la vieillesse et
+dans l'adversité, a tant de douceur et d'empire, l'avoit soumis et
+captivé comme auroit fait l'amour. Il s'étoit fait une habitude d'aimer
+ou de haïr tout ce qu'aimoit ou haïssoit la compagne de sa disgrâce; et
+Sartine étoit l'un des hommes qu'affectionnoit le plus la comtesse de
+Maurepas.
+
+Sartine, ci-devant lieutenant de police, possédoit en circonspection, en
+discrétion, en souplesse, tous les menus talens de la médiocrité; mais
+du détail obscur de la police de Paris au ministère de la marine, au
+milieu des hasards d'une guerre de mer, la distance étoit effrayante:
+jamais Sartine n'avoit acquis la plus légère des connoissances
+qu'exigeoit cette grande place; et, s'il y avoit un homme à opposer à
+l'amirauté d'Angleterre, au fort de cette guerre qui embrasoit les deux
+mondes, assurément ce n'étoit pas lui. Le mauvais succès des opérations
+répondit à la profonde incapacité de celui qui les dirigeoit: nul plan,
+nul accord, nul ensemble; des dépenses énormes, des revers désastreux;
+autant de flottes sorties de nos ports, autant de proies pour l'ennemi;
+le commerce et les colonies à l'abandon, les convois enlevés, les
+escadres détruites; et, sans compter la perte irréparable de nos
+matelots et la ruine de nos chantiers, plus de cent millions de dépenses
+extraordinaires jetés tous les ans dans la mer, pour nous en voir
+honteusement chassés, malgré tout le courage et tout le dévouement de
+notre marine guerrière: tels étoient les droits de Sartine pour être
+soutenu et protégé par Maurepas.
+
+Necker, qui gémissoit de voir le déplorable usage qu'on faisoit de tant
+de trésors, et à quelles mains la fortune et la gloire d'une grande
+nation étoient abandonnées, n'en redoubloit pas moins d'efforts pour
+subvenir aux besoins de la guerre et pour en soutenir le poids. Il étoit
+convenu avec Sartine qu'au delà des fonds que le Trésor royal lui
+faisoit tous les ans, celui-ci, dans les cas pressans, pourroit user du
+crédit personnel du trésorier de la marine jusqu'à la concurrence de
+cinq à six millions; et il comptoit sur son exactitude à se tenir dans
+ces limites, lorsqu'il apprit du trésorier lui-même que, par obéissance
+pour son ministre, il avoit porté la somme de ses avances et de ses
+billets sur la place à vingt-quatre millions payables dans trois mois.
+Ce fut comme un coup de massue pour le directeur des finances: car,
+n'ayant pris aucune mesure pour faire face à un engagement qu'on lui
+avoit dissimulé, il alloit arriver au terme sans savoir comment le
+remplir. Il y pourvut; mais, soit qu'il y eût de la part de Sartine de
+la mauvaise volonté, ou seulement de l'imprudence, Necker ne vit plus
+pour lui-même de sûreté à travailler avec un tel homme; il s'en plaignit
+au roi, et lui demanda décidément ou sa retraite, ou celle de Sartine.
+
+Maurepas étoit à Paris, retenu par la goutte. Le roi, avant de prendre
+une résolution, lui écrivit pour le consulter. «Lorsqu'il reçut la
+lettre du roi, m'a dit le duc de Nivernois, nous étions auprès de son
+lit, sa femme et moi. Il nous la lut. L'alternative fut longtemps
+débattue; mais enfin, se décidant lui-même: «Il faut, nous dit-il,
+sacrifier Sartine; nous ne pouvons nous passer de Necker.»
+
+Le roi, en renvoyant Sartine, consulta Necker sur le choix du successeur
+qu'il devoit lui donner, et Necker lui indiqua le maréchal de Castries.
+L'on sait combien les événemens et la conduite de la guerre firent
+applaudir un tel choix. Le vieux ministre n'en fut que plus jaloux; et
+son cabinet fut dès lors comme un centre d'activité pour la cabale
+ennemie de Necker. Elle croyoit avoir aussi une protection dans les
+princes frères du roi.
+
+Quelque réservée que fût à leur égard la conduite de Necker, on avoit
+cru s'apercevoir qu'elle leur sembloit trop rigide; mais, ce qui étoit
+bien plus vrai, cette rigidité déplaisoit à leur cour, et, les échanges,
+les cessions, les ventes, toutes les affaires que les gens en crédit
+avoient coutume de négocier avec le roi, ayant à redouter, dans ce
+directeur des finances, un examinateur clairvoyant et sévère, il leur
+tardoit à tous d'en être délivrés.
+
+Plus de pièges tendus à la facilité du roi, plus de faveurs surprises,
+plus de grâces légèrement et furtivement échappées; surtout plus de
+moyens de cacher, comme dans les recoins du portefeuille des ministres,
+les articles secrets d'un bail, d'un marché ou d'un privilège, et dans
+tous les réduits obscurs du labyrinthe des finances les bénéfices
+clandestins que l'on se seroit procurés. L'homme qui coupoit la racine à
+tant d'abus ne pouvoit manquer d'être haï. Le mémoire qui l'accusoit
+d'en avoir imposé au roi fut donc vivement appuyé.
+
+Malheur à moi si je faisois tomber sur les princes frères du roi le plus
+léger soupçon d'avoir voulu favoriser la calomnie! mais le mensonge
+savoit prendre à leurs yeux les couleurs de la vérité, comme les plus
+vils intérêts avoient pris les couleurs du zèle.
+
+Bourboulon, l'auteur du mémoire, trésorier du comte d'Artois, s'étoit
+rendu agréable à ce prince. Fier de sa protection, il alloit donc tête
+levée, et, s'avouant l'accusateur de Necker, il le défioit de lui
+répondre. Tant d'assurance avoit un air de vérité, et en imposoit au
+public. Bien des gens avoient peine à croire que Necker eût tout à coup
+changé si merveilleusement la situation des finances; et, sans lui faire
+un crime du compte spécieux qu'il en avoit rendu, ils pensoient que ce
+compte avoit été fait avec art pour entretenir le crédit, annoncer des
+moyens de soutenir la guerre et nous faciliter la paix. Maurepas
+accueilloit cette opinion d'un air d'intelligence, et sembloit applaudir
+à la pénétration de ceux qui devinoient si bien.
+
+Mais Necker ne crut pas devoir s'accommoder d'une semblable apologie,
+et, incapable de composer avec l'opinion sur l'article de son honneur,
+il demanda au roi qu'il lui permît de mettre sous ses yeux, en présence
+de ses ministres, le mémoire de Bourboulon, et d'y répondre article par
+article. Le roi y consentit, et Maurepas, Miroménil, Vergennes, trois
+ennemis de Necker, assistèrent à ce travail. Le mémoire y fut lu et
+démenti, d'un bout à l'autre, par des pièces qui constatoient la
+situation des finances, et dont le compte rendu au roi n'étoit qu'un
+développement.
+
+À ces preuves incontestables les trois ministres n'eurent pas l'ombre
+d'un doute à opposer; mais, lorsque le roi demanda en confidence à
+Maurepas ce qu'il pensoit de ces calculs et de ce compte de finance: «Je
+le trouve, Sire, aussi plein de vérité que de modestie», répondit le
+vieux courtisan.
+
+Après cet examen, il falloit que la fausseté de l'accusation fût punie,
+ou que Necker fût soupçonné de s'en être mal défendu. Il avoit méprisé
+les libelles injurieux qui n'attaquoient que sa personne; mais devoit-il
+négliger de même celui qui décrioit son administration? Plus le roi
+étoit juste et reconnu pour l'être, plus on devoit croire impossible que
+Bourboulon fût encore souffert dans la maison des princes, s'il étoit
+convaincu de mensonge et de calomnie. Or, après cette conviction, il
+restoit dans sa place, et se montroit partout, même au souper du roi.
+
+Dans cette conjoncture, sur laquelle j'insiste, à cause des suites
+funestes que la résolution de Necker alloit avoir, il avoit trois partis
+à prendre: l'un de se fier davantage à sa propre réputation, de tout
+dissimuler, et de tout endurer jusqu'à la mort de Maurepas, qui n'étoit
+pas bien éloignée; l'autre de se défendre tout simplement en faisant
+imprimer sur deux colonnes le mémoire de Bourboulon et les pièces qui
+démentoient ce mémoire calomnieux; l'autre de demander au roi que son
+accusateur, convaincu de calomnie, en fût puni. Le premier eût été
+l'avis des esprits les plus sages. «Que n'a-t-il attendu? (me dit le duc
+de Nivernois lui-même, après la mort de Maurepas) six mois de patience
+nous l'auroient conservé»; et la paix fût venue, et les finances,
+rétablies par un bon économe sous le meilleur des rois, nous auroient
+fait longtemps jouir de son règne et de ses vertus. Le second eût été
+encore un parti raisonnable, car, le public ayant les pièces sous les
+yeux, la vérité eût été manifeste et le détracteur confondu. Mais de
+prétendus amis de Necker ne pensèrent pas qu'il fût digne de lui
+d'entrer en lice avec un pareil agresseur. Il falloit, selon moi, le
+mépriser ou le combattre. Il demanda qu'il fût puni. Il est vrai qu'il
+étoit tous les jours menacé de libelles encore plus atroces et plus
+infâmes; et, si on ne faisoit pas un exemple de Bourboulon, il étoit
+impossible que Necker, abandonné par la haine du vieux ministre à
+l'insolence et à la rage d'une cabale autorisée, ne perdît pas au moins
+une partie de cette considération qui étoit l'âme de son crédit. Ce fut
+au nom de ce crédit, de cette opinion puissante, sans laquelle il ne
+pouvoit rien, qu'il demanda, pour toute peine, que son détracteur fût
+chassé de la maison du comte d'Artois. La réponse de Maurepas fut qu'il
+demandoit l'impossible. «C'est donc, insista Necker, au roi lui-même à
+rendre témoignage à la vérité par quelque marque de la confiance dont il
+m'honore», et ce qu'il demanda fut l'entrée au Conseil d'État. Je dois
+dire qu'il regardoit comme un grand mal que dans ce conseil, où se
+délibéroit ce qui dépend le plus de la situation des finances,
+l'administrateur des finances ne fût pas admis de plein droit; et il
+avoit raison d'y croire sa présence au moins très utile. Mais Maurepas
+ne vit ou feignit de ne voir dans une demande si juste qu'une vanité
+déplacée. «Qui? vous, lui dit-il, au Conseil? Et vous n'allez point à la
+messe.--Monsieur le comte, répondit Necker, cette raison n'est bonne ni
+pour vous ni pour moi. Sully n'alloit pas à la messe, et Sully entroit
+au conseil.» Maurepas, dans cette réponse, ne saisit que le ridicule de
+se comparer à Sully; et, au lieu de l'entrée au Conseil, il lui offrit
+de demander pour lui les entrées du cabinet. Necker ne dissimula point
+qu'il regardoit cette offre comme une dérision, et il demanda sa
+retraite.
+
+C'étoit là ce qu'on attendoit avec une vive impatience dans le salon de
+Maurepas; et la marquise de Flamarens, sa nièce, ne me l'a pas
+dissimulé. Mais lui, feignant de ne pas consentir à ce qu'il désiroit le
+plus, refusa de présenter au roi la démission de Necker, et finit par
+lui dire que c'étoit à la reine qu'il falloit la remettre, s'il étoit
+résolu décidément à la donner.
+
+La reine, qui l'écoutoit favorablement et qui lui marquoit de l'estime,
+sentit la perte que le roi alloit faire, et, voyant que Necker
+persistoit dans sa résolution, elle exigea qu'il prît au moins
+vingt-quatre heures pour y réfléchir mûrement.
+
+Necker, en se consultant lui-même, se retraça le bien qu'il avoit fait,
+pensa au bien qu'il auroit fait encore, sentit d'avance l'amertume des
+regrets qu'il auroit après y avoir renoncé; et, ne pouvant se persuader
+qu'un vieillard au bord de la tombe voulût être envers lui obstinément
+injuste, il se détermina à le voir encore une fois.
+
+«Monsieur, lui dit-il, si le roi veut bien me témoigner qu'il est
+content de mes services, il peut m'en donner une marque qui ne sera pour
+moi qu'un moyen de le mieux servir: c'est la direction des marchés de la
+guerre et de la marine.--Ce que vous demandez, dit Maurepas, offenseroit
+les deux ministres.--Je ne le crois pas, reprit Necker; mais, au
+surplus, tant pis pour le ministre qui, dans l'examen des dépenses qu'il
+lui est impossible d'apprécier lui-même, m'envieroit un travail qu'il
+abandonne à ses commis.» Le dernier mot de l'un fut que cela n'étoit pas
+proposable; la dernière résolution de l'autre fut d'aller supplier la
+reine de faire agréer sa démission. La reine la reçut et le roi
+l'accepta. Voilà de quelle source ont dérivé tous nos malheurs. Nous
+allons les voir se grossir et se déborder par torrens, jusqu'à nous
+entraîner dans la plus profonde ruine.
+
+On peut trouver peu vraisemblable la facilité qu'eut le roi à se priver
+d'un homme habile et qui l'avoit si bien servi; mais ce bien étoit
+altéré par des insinuations adroites et perfides. Necker lui étoit peint
+comme un homme rempli d'orgueil, et d'un orgueil inexorable. On avoit,
+disoit-on, voulu lui faire entendre qu'en supposant dans le mémoire de
+Bourboulon des erreurs de calculs, ces erreurs n'étoient pas des crimes;
+qu'il n'y avoit pas lieu d'exiger qu'un prince, qu'un frère du roi,
+déshonorât un homme à lui, en le chassant pour avoir déplu à un ministre
+des finances; mais rien n'avoit pu l'apaiser. On lui avoit offert de
+demander pour lui et d'obtenir de Sa Majesté une faveur dont s'honoroit
+la plus haute noblesse, les entrées du cabinet; mais il les avoit
+dédaignées. Comme il se croyoit nécessaire, il prétendoit faire la loi;
+il se comparoit à Sully, et ne demandoit rien de moins qu'à dominer dans
+les conseils, à surveiller tous les ministres, en un mot, _à s'asseoir
+sur le trône à côté du roi_.
+
+Le désintéressement avec lequel Necker avoit voulu servir l'État
+contribuoit encore à le faire passer pour un altier républicain, qui
+vouloit qu'on lui dût sans rien devoir lui-même; et, pour en dire ma
+pensée, en refusant, comme il avoit fait, les appointemens de sa place,
+Necker avoit dû s'attendre qu'on expliqueroit mal cette fierté,
+humiliante pour tous ceux qui ne l'avoient pas, et qui ne pouvoient pas
+l'avoir.
+
+Enfin, pour ne laisser au roi aucun regret sur le renvoi de Necker, on
+avoit trouvé le moyen de lui persuader que, si c'étoit un mal, ce mal
+étoit inévitable.
+
+L'un des projets de Necker étoit, comme l'on sait, d'établir dans tout
+le royaume des assemblées provinciales. Or, pour faire sentir au roi
+l'utilité de ces assemblées, Necker, dans un mémoire qu'il lui avoit lu
+dans son travail, et qui n'étoit que pour lui seul, avoit exposé d'un
+côté les inconvéniens de l'autorité arbitraire confiée à des intendans,
+et l'abus qu'en faisoient leurs agens subalternes; de l'autre côté,
+l'avantage qu'il y auroit pour le roi à se rapprocher de ses peuples, et
+à gagner leur confiance personnelle et immédiate, afin de moins dépendre
+de l'entremise des parlemens. Ce mémoire, surpris et divulgué en même
+temps que Bourboulon faisoit courir le sien, déplut à la magistrature,
+et l'indisposa contre Necker autant qu'il le falloit pour donner lieu au
+vieux ministre de faire entendre au roi que, dans l'esprit des
+parlemens, Necker étoit un homme perdu; que les corps ne pardonnoient
+point; que celui qui les avoit une fois offensés les trouveroit à jamais
+intraitables; que cette mésintelligence seroit une hydre à combattre
+sans cesse; que Necker le sentoit lui-même, et qu'en se retirant pour
+d'autres causes simulées, il reconnoissoit que la place n'étoit plus
+tenable pour lui.
+
+Une singularité remarquable, et qui seule feroit connoître l'insouciance
+de Maurepas, c'est que, lorsqu'il rentra dans son salon, tout joyeux du
+départ de Necker, ses amis lui ayant demandé quel homme il mettroit à sa
+place, il avoua qu'il n'y avoit point pensé.
+
+«Ce fut, m'a dit sa nièce, le cardinal de Rohan qui, se trouvant là par
+hasard, lui désigna Fleury»; et Fleury[30] fut nommé.
+
+Cet ancien conseiller d'État, esprit fin, souple, insinuant, avoit pour
+lui ses relations et ses affinités dans la magistrature; c'étoit, aux
+yeux de Maurepas, un avantage considérable: car, ne voyant dans les
+finances qu'une guerre de chicane entre la cour et le Parlement, pour
+lui, le plus habile contrôleur général seroit celui qui sauroit le mieux
+se ménager des véhicules et des facilités pour faire passer les édits.
+Il s'étoit fait lui-même un point capital d'acquérir la bienveillance
+des parlemens, et il vouloit qu'à son exemple un administrateur des
+finances eût avec eux cette souplesse qui, par des moyens doux, obtient
+ce que l'autorité commanderoit à peine.
+
+Fleury, sous ce rapport, remplit assez bien son attente. Il fit passer,
+sans aucun obstacle, pour cinquante millions d'impôts. Necker lui avoit
+laissé deux cents millions de fonds dans les coffres du roi. C'en étoit
+plus qu'il n'en auroit fallu à un ministre habile et bien famé pour être
+dans l'aisance; mais, avec ces secours, Fleury tomba dans la détresse,
+manqua de ce crédit que l'estime publique n'accorde qu'à la bonne foi.
+
+Six mois après la mort de Maurepas, Fleury fut renvoyé; et le roi, pour
+avoir au moins un honnête homme à la tête des finances, y appela
+d'Ormesson[31].
+
+Malheureusement celui-ci n'avoit que de la probité. Médiocre en tout le
+reste, étranger aux finances, dépourvu de moyens, assailli de
+nécessités, pressé par des gens en crédit, et réduit à l'alternative ou
+de se retirer ou de se soutenir par d'indignes condescendances, il
+n'hésita point dans le choix, et, avec son intégrité, il aima mieux
+descendre du ministère que de s'y dégrader.
+
+Un poste aussi glissant, où l'on ne faisoit que des chutes, auroit dû,
+ce semble, effrayer l'ambition des aspirans; elle n'en étoit que plus
+âpre; et, dans toutes les avenues de la faveur, il n'y avoit pas un
+intrigant qui, avec quelque légère teinture des affaires, ne crût
+pouvoir prétendre à remplacer celui qui venoit de tomber.
+
+Dans cette foule, un homme d'esprit et de talent se distinguoit, c'étoit
+Calonne. Il avoit pris, pour réussir, une manière d'autant plus
+singulière qu'elle étoit simple. Loin de dissimuler son ambition, il
+l'avoit annoncée; et, au lieu de l'austérité dont s'étoient armés
+quelques-uns de ses prédécesseurs, il s'étoit paré d'agrément,
+d'aménité, surtout de complaisance pour les femmes; il étoit connu
+d'elles pour le plus obligeant des hommes, et, dans les confidences
+qu'il faisoit de ses vues à celles qui étoient en crédit, il n'est point
+d'espérances dont il ne fût prodigue pour se concilier leurs voix. Aussi
+ne cessoient-elles de vanter ses lumières, son habileté, son génie. Il
+n'étoit guère moins attrayant pour les hommes, par une politesse aisée
+et naturelle qui marquoit les distinctions, sans en rendre aucune
+offensante, et par un air de bienveillance qui sembloit être favorable à
+toutes les ambitions. À chaque mutation nouvelle, c'étoit lui
+qu'appeloient toutes les voix des gens du monde. Enfin il fut nommé, et,
+en arrivant à Fontainebleau, où étoit la cour, on eût dit qu'il tenoit
+en main la corne d'abondance; on l'accompagnoit en triomphe (9 novembre
+1783).
+
+D'abord, se croyant à la source d'une richesse intarissable, sans
+calculer ni les besoins ni les dépenses qui l'attendoient; ivre de sa
+prospérité, dans laquelle il s'imaginoit voir bientôt celle de l'État;
+dédaignant toute prévoyance, négligeant toute économie, comme indigne
+d'un roi puissant; persuadé que le premier art d'un homme en place étoit
+l'art de plaire; livrant à la faveur le soin de sa fortune, et ne
+songeant qu'à se rendre agréable à ceux qui se font craindre pour se
+faire acheter, il se vit tout à coup environné de louange et de vaine
+gloire. On ne parloit que des grâces de son accueil et des charmes de
+son langage. Ce fut pour peindre son caractère qu'on emprunta des arts
+l'expression de _formes élégantes_; et _l'obligeance_, ce mot nouveau,
+parut être inventé pour lui. Jamais, disait-on, le ministère des
+finances n'avoit été rempli avec autant d'enjouement, d'aisance et de
+noblesse. La facilité de son esprit dans l'expédition des affaires
+étonnoit tout le monde, et la gaieté avec laquelle il traitoit les plus
+sérieuses le faisoit admirer comme un talent prodigieux. Ceux même enfin
+qui osoient douter qu'il fût le meilleur des ministres étoient forcés de
+convenir qu'il en étoit le plus charmant. On publioit que son travail
+avec le roi n'étoit qu'un jeu, tant sa légèreté y semoit d'agrément;
+rien d'épineux, rien de pénible, nul embarras pour le présent, nulle
+inquiétude pour l'avenir. Le roi étoit tranquille, et tout le monde
+étoit content, lorsqu'au bout de trois ans et quelques mois de ce
+brillant et riant ministère, fut révélé le secret funeste de la ruine de
+l'État.
+
+Ce fut alors que l'on vit dans Calonne des ressources et du courage.
+Après avoir inutilement épuisé tous les moyens de ranimer le crédit
+expirant, il vit que sa seule espérance étoit dans quelque coup d'éclat
+qui donnât aux édits l'aspect d'une restauration de la chose publique;
+et, pour les montrer revêtus d'une autorité imposante, il demanda au roi
+une assemblée de notables, où il exposeroit la situation des finances,
+afin d'aviser avec elle au moyen de remplir le vide qu'il y avoit
+trouvé, disoit-il, et que la guerre dans les deux Indes avoit dû
+augmenter encore.
+
+Cette assemblée fut ouverte à Versailles le 22 février 1787. Le travail
+que Calonne y présenta étoit vaste et hardi; et peut-être méritoit-il
+plus de faveur qu'il n'en obtint, car il touchoit aux grands moyens
+d'accroître la somme de l'impôt, et en même temps de la rendre plus
+légère en la divisant. Mais les notables étoient du nombre de ceux
+qu'alloient frapper les nouvelles impositions; et c'est à quoi, bien
+malheureusement pour eux et pour l'État, ils n'avoient jamais pu
+consentir. Des projets de Calonne, les uns furent jugés confus et
+captieux, d'autres pleins de difficultés qui les rendoient
+impraticables, d'autres enfin mauvais, quand même ils auroient pu
+s'exécuter. Tel fut le résultat des observations des notables sur la
+partie de son travail qui avoit subi leur examen, car il ne fut pas même
+discuté jusqu'au bout.
+
+Sa base étoit l'impôt territorial en nature, dont l'avantage auroit été
+de suivre l'accroissement progressif des valeurs. Si cependant on
+l'avoit trouvé trop difficile à percevoir, il en auroit changé le mode,
+pourvu qu'il eût été perçu également sur tous les biens-fonds. Mais on
+ne voulut pas même entrer en conciliation avec lui; et, pour le fond
+ainsi que pour la forme, les notables articulèrent que cet impôt étoit
+inadmissible, et en même temps déclarèrent que sur toute espèce d'impôt
+ils refusoient de délibérer, à moins qu'on ne mît sous leurs yeux des
+états détaillés de la recette et de la dépense, dans lesquels on pût
+voir comment s'étoit formé le _déficit_; que si, d'après l'examen des
+comptes, une subvention nouvelle étoit indispensable, ils consentiroient
+que l'imposition en fût égale sur tous les biens.
+
+La réponse du roi fut telle qu'ils l'avoient prévue. Il leur fut défendu
+d'insister sur cet examen; mais l'éclaircissement que refusoit Calonne,
+lui-même il l'avoit provoqué, en se faisant un procès avec Necker sur
+l'origine du déficit. Voici comment il s'étoit engagé dans ce défilé
+périlleux.
+
+En 1787, à l'ouverture de l'assemblée, le déficit, de l'aveu de Calonne,
+montoit à cent quinze millions; et, comme il avoit besoin de croire
+qu'une partie considérable de ce déficit existoit avant lui, il le crut
+et l'avança dans l'assemblée des notables.
+
+Necker, averti que, dans cette assemblée, Calonne devoit accuser
+d'infidélité tous les comptes rendus avant son ministère, lui écrivit
+qu'ayant donné l'attention la plus scrupuleuse au compte qu'il avoit
+rendu en 1781, il le tenoit pour parfaitement juste; «et comme j'ai
+rassemblé, ajoutoit-il, les pièces justificatives de tous les articles
+qui en étoient susceptibles, je me trouve heureusement en état de prêter
+à la vérité toute sa force. Je crois donc, Monsieur, être en droit de
+vous demander ou de n'altérer en aucune manière la confiance due à
+l'exactitude de ce compte, ou d'éclairer vos doutes en me les
+communiquant.»
+
+Calonne, avec une promesse assez légère de ne point attaquer ce compte,
+éluda l'éclaircissement. Necker insista, et, pour réponse à la lettre la
+plus pressante, il reçut un billet poliment ironique, avec un exemplaire
+du discours que Calonne venoit de prononcer dans l'assemblée des
+notables, et dans lequel il avoit avancé qu'en 1781 il y avoit un
+déficit considérable entre les revenus et les dépenses ordinaires.
+Necker, en même temps, fut instruit que, dans le grand comité des
+notables qui s'étoit tenu chez _Monsieur_, Calonne avoit expressément
+dit que cette somme étoit de cinquante-six millions.
+
+Alors ce fut au roi que Necker se plaignit que, sans avoir voulu
+l'entendre, le contrôleur général des finances se fût permis de
+l'accuser. «Sire, disoit-il dans sa lettre, je serois l'homme du monde
+le plus digne de mépris si une pareille inculpation avoit le moindre
+fondement; je dois la repousser au péril de mon repos et de mon bonheur,
+et je viens supplier humblement Votre Majesté de vouloir bien permettre
+que je paroisse devant mon accusateur public, ou à l'assemblée des
+notables, ou dans le grand comité de cette assemblée, et toujours en
+présence de Votre Majesté.» Cette lettre fut sans réponse; mais Necker
+ne se crut pas obligé d'entendre ce silence du roi comme on vouloit
+qu'il l'entendît. «Le roi, dit-il dans le mémoire qu'il publia, n'a pas
+jugé à propos d'adhérer à ma demande; mais, pénétré de l'étendue de sa
+bonté et de sa justice, je me soumets avec confiance à l'obligation qui
+m'est imposée par l'honneur et la vérité.»
+
+Dans ce mémoire il convenoit qu'en 1776 Clugny avoit laissé dans les
+finances un vide de vingt-quatre millions; il convenoit aussi que,
+depuis la mort de Clugny (en octobre 1776) jusqu'au mois de mai 1781,
+époque où il s'étoit lui-même retiré des finances, l'accroissement des
+charges avoit monté à quarante-cinq millions; mais, en même temps, il
+montroit comment il avoit rempli ce vide, tant en économie qu'en
+bonifications dans les revenus de l'État. C'étoit à discuter et à
+réfuter ces calculs que les notables prétendoient que Calonne étoit
+obligé; et il faut convenir que, trop légèrement, il s'y étoit engagé
+lui-même.
+
+Necker avoit rendu ses calculs les plus clairs qu'il étoit possible; sa
+véracité reconnue y ajoutoit encore un grand poids. Le livre qu'il
+venoit de publier sur les finances avoit fortifié sa réputation
+personnelle; ses moeurs, ses talens, ses lumières, avoient dans l'opinion
+publique une consistance d'estime qu'il n'auroit pas fallu essayer
+d'ébranler sans de forts et puissans moyens.
+
+Necker fut exilé pour avoir osé se défendre. Ce fut encore un tort que
+se donna Calonne; il falloit ou l'entendre avant de l'attaquer, ou
+trouver juste et bon qu'il eût repoussé son attaque. Il lui imputoit son
+mauvais succès dans l'assemblée des notables; mais il devoit savoir que,
+dans cette assemblée, un ennemi bien plus réel travailloit à le ruiner.
+
+Le roi avoit de la répugnance à se détacher de Calonne: il goûtoit son
+travail, il étoit persuadé de la bonté de ses projets; mais, prévoyant
+qu'ils seroient rebutés par le Parlement comme ils l'étoient par les
+notables, il se fit violence, et il le renvoya. Il savoit que Miroménil,
+le garde des sceaux, étoit l'ennemi de Calonne, et qu'il avoit de tout
+son pouvoir contrarié ses opérations; il le congédia en même temps que
+lui, comme en le lui sacrifiant (Calonne le 8 avril, Miroménil le 9).
+Fourqueux[32] fut appelé au ministère des finances; les sceaux furent
+donnés au président de Lamoignon.
+
+Il n'étoit pas possible que Fourqueux tînt longtemps en place; mais on
+l'avoit indiqué au roi en attendant qu'on eût achevé de détruire ses
+préventions contre un homme qu'on vouloit lui donner pour ministre de
+confiance, et dont on attendoit le salut de l'État.
+
+La situation de l'esprit du roi, en ce moment, est exprimée au naturel
+dans les détails que je vais transcrire.
+
+«Lorsque le roi me chargea de sa lettre pour M. de Fourqueux (dit le
+comte de Montmorin dans les notes qu'il m'a remises), je crus devoir lui
+représenter que je trouvois le fardeau des finances trop au-dessus des
+forces de ce bon magistrat. Le roi parut sentir que mes inquiétudes
+étoient fondées. «Mais qui donc prendre?» me dit-il. Je lui répondis
+qu'il m'étoit impossible de ne pas être étonné de cette question, tandis
+qu'il existoit un homme qui réunissoit sur lui les voeux de tout le
+public; que, dans tous les temps, il étoit nécessaire de ne pas
+contrarier l'opinion publique en choisissant un administrateur des
+finances; mais que, dans les circonstances critiques où il se trouvoit,
+il ne suffisoit pas de ne pas la contrarier, et qu'il étoit
+indispensable de la suivre. J'ajoutai que, tant que M. Necker
+existeroit, il étoit impossible qu'il eût un autre ministre des
+finances, parce que le public verroit toujours avec humeur et avec
+chagrin cette place occupée par un autre que lui. Le roi convint des
+talens de M. Necker; mais il m'objecta les défauts de son caractère, et
+je reconnus facilement les impressions qu'avoit données contre lui M. de
+Maurepas dans l'origine, et que MM. de Vergennes, de Calonne, de
+Miroménil et de Breteuil, avoient gravées plus profondément. Je ne
+connoissois pas personnellement M. Necker; je n'avois que des doutes à
+opposer à ce que le roi me disoit de son caractère, de sa hauteur et de
+son esprit de domination. Il y a apparence que, si je l'eusse connu
+alors, j'eusse décidé son rappel. J'aurois peut-être dû insister
+davantage, même en ne le connoissant pas; mais j'arrivois à peine dans
+le ministère, il n'y avoit pas six semaines que j'y étois entré; et
+d'ailleurs un peu de timidité, pas assez d'énergie, m'empêcha d'être
+aussi pressant que j'aurois pu l'être. Que de maux j'aurois évités à la
+France! que de chagrins j'aurois épargnés au roi! (Qu'auroit-il dit s'il
+avoit prévu que, pour avoir manqué ce moment de changer le cours de nos
+funestes destinées, il seroit massacré lui-même par un peuple rendu
+féroce, et que, trois mois après sa mort, le roi périroit sur un
+échafaud?) Il fallut, poursuit-il, aller remettre à M. de Fourqueux la
+lettre qui lui étoit adressée, et même vaincre sa résistance; j'en avois
+l'ordre positif. Cependant, il est certain qu'on avoit offert la place à
+M. de La Millière: la reine l'avoit fait venir; le roi s'étoit trouvé
+chez elle à l'heure qu'elle lui avoit donnée; et tous les deux le
+pressèrent fort d'accepter; mais il eut assez de bon sens pour ne pas
+céder à leurs instances. M. de Fourqueux fit d'abord assez de
+difficultés; mais enfin il se détermina. À peine fut-il en place que
+l'opinion modeste qu'il avoit de lui-même ne fut que trop bien
+confirmée.
+
+«Cependant, les affaires étoient dans un état de stagnation absolue,
+ajoute M. de Montmorin; le crédit achevoit de se détruire de jour en
+jour; les moyens factices et dispendieux que M. de Calonne avoit
+employés pour soutenir la Bourse, venant à manquer tout à coup,
+produisoient une baisse journalière et considérable dans les effets; le
+Trésor royal étoit vide; on voyoit comme très prochaine la suspension
+des payemens, on n'imaginoit d'autre ressource qu'un emprunt, et il
+étoit impossible de le tenter dans un moment de détresse aussi
+désespérant. L'humeur gagnoit dans l'assemblée des notables, l'esprit en
+devenoit mauvais, et déjà on commençoit à y murmurer: «les _États
+généraux_». Dans ces circonstances, il étoit nécessaire d'avoir un homme
+qui dominât l'opinion. M. de Lamoignon et moi nous nous communiquâmes
+nos idées, et nous convînmes que le seul homme sur qui l'on pût fonder
+quelque espérance étoit M. Necker; mais je lui parlai des obstacles que
+j'avois déjà trouvés dans l'esprit du roi, et je lui annonçai que ces
+obstacles deviendroient encore plus insurmontables par la présence du
+baron de Breteuil. Nous conférâmes avec celui-ci, essayant de le
+convertir, mais inutilement. Enfin, après une longue séance, nous nous
+décidâmes à monter chez le roi; et, lorsque tous les trois nous fûmes
+entrés en matière sur le changement qu'exigeoit le ministère des
+finances, je parlai avec force de la nécessité de rappeler celui que
+demandoit la voix publique. Le roi me répondit (à la vérité avec l'air
+de la plus profonde douleur): «Eh bien! il n'y a qu'à le «rappeler.»
+Mais alors le baron de Breteuil s'éleva avec une extrême chaleur contre
+cette résolution à moitié arrachée; il représenta l'inconséquence qu'il
+y auroit à rappeler, pour le mettre à la tête de l'administration, un
+homme qui étoit à peine arrivé au lieu qu'on lui avoit prescrit pour son
+exil: «Combien une pareille conduite auroit de foiblesse! quelle force
+elle donneroit à celui qui, placé ainsi par l'opinion, n'en auroit
+l'obligation qu'à elle et à lui-même!» Il s'étendit longuement et
+fortement sur l'abus que M. Necker ne manquerait pas de faire d'une
+semblable position. Il peignit son caractère des couleurs les plus
+propres à faire impression sur un roi naturellement jaloux de son
+autorité, et qui avoit un pressentiment confus qu'on vouloit la lui
+arracher, mais qui la croyoit encore entière dans ses mains, et qui
+vouloit la conserver. Il y avoit des raisons fort spécieuses dans ce que
+venoit de dire le baron de Breteuil; mais elles l'auroient été moins
+qu'elles auroient encore produit l'effet qu'elles obtinrent sur le roi,
+qui n'avoit cédé à mon avis qu'avec une extrême répugnance, peut-être
+uniquement parce qu'il nous croyoit tous les trois d'accord.
+L'archevêque de Toulouse fut donc proposé et accepté sans résistance.
+Cependant le roi nous dit qu'il passoit pour avoir un caractère inquiet
+et ambitieux, et que peut-être nous nous repentirions de lui avoir
+indiqué ce choix; mais il ajouta qu'il avoit lieu de croire qu'on lui
+avoit exagéré les défauts de ce prélat; que, depuis quelque temps, les
+préventions qu'il avoit eues contre lui s'étoient affoiblies, et qu'il
+avoit été content de plusieurs mémoires sur l'administration qu'il lui
+avoit fait parvenir.»
+
+Je n'ai rien omis de ces détails, soit parce qu'ils feront connoître
+l'âme du roi, son caractère un peu trop facile peut-être, mais simple,
+naturel et bon; soit surtout parce qu'on y voit se former l'anneau
+principal de la chaîne de nos malheurs.
+
+
+
+
+LIVRE XIII
+
+
+Brienne s'étoit distingué dans les états de Languedoc; il y avoit montré
+le talent de sa place, et, dans un petit cercle d'administration, on
+avoit pu le croire habile. Comme Calonne, il avoit cet esprit vif,
+léger, résolu, qui en impose à la multitude. Il avoit aussi quelque
+chose de l'adresse de Maurepas; mais il n'avoit ni la souplesse et
+l'agrément de l'un, ni l'air de bonhomie et d'affabilité de l'autre.
+Naturellement fin, délié, pénétrant, il ne savoit ni ne vouloit cacher
+l'intention de l'être. Son regard, en vous observant, vous épioit; sa
+gaieté même avoit quelque chose d'inquiétant, et, dans sa physionomie,
+je ne sais quoi de trop rusé disposoit à la méfiance. Du côté du talent,
+une sagacité qui ressembloit à de l'astuce; de la netteté dans les
+idées, et assez d'étendue, mais en superficie; quelques lumières, mais
+éparses; des aperçus plutôt que des vues; un esprit à facettes, si je
+puis m'exprimer ainsi; et, dans les grands objets, de la facilité à
+saisir les petits détails, nulle capacité pour embrasser l'ensemble; du
+côté des moeurs, l'égoïsme ecclésiastique dans toute sa vivacité, et
+l'âpreté de l'avarice réunie au plus haut degré à celle de l'ambition.
+Dans un monde qui effleure tout et n'approfondit rien, Brienne savoit
+employer un certain babil politique, concis, rapide, entrecoupé de ces
+réticences mystérieuses qui font supposer, au delà de ce que l'on dit,
+ce qu'on auroit à dire encore, et laissent un vague indéfini à l'opinion
+que l'on donne de soi. Cette manière de se produire en feignant de se
+dérober, cette suffisance mêlée de discrétion et de réserve, cette
+alternative de demi-mots et de silences affectés, et quelquefois une
+censure légère et dédaigneuse de ce qui se faisoit sans lui, en
+s'étonnant qu'on ne vît pas ce qu'il y avoit de mieux à faire, c'étoit
+là bien réellement l'art et le secret de Brienne. Il ne montrait de lui
+que des échantillons: encore bien souvent n'étoient-ils pas de son
+étoffe. Cependant, presque dans tous les cercles d'où partoient les
+réputations, personne ne doutoit qu'il n'arrivât au ministère la tête
+pleine de grandes vues et le portefeuille rempli des projets les plus
+lumineux. Il arriva; et son portefeuille et sa tête, tout se trouva
+également vide.
+
+Dans le naufrage de Calonne, ce furent ses débris qu'il parut avoir
+ramassés; ce furent ses édits du timbre et de l'impôt territorial qu'il
+présenta au Parlement. Il pouvoit se faire un appui de l'autorité des
+notables; et, entre les deux grands écueils des États généraux et de la
+banqueroute, il avoit un puissant moyen de les réduire à reconnoître la
+nécessité des impôts. Il ne sut que les renvoyer. Rien ne fut statué ni
+conclu dans cette assemblée.
+
+Il entendoit le cri de la nation qui demandoit le rappel de Necker; et,
+en le sollicitant lui-même auprès du roi, il se fût honoré, il se fût
+affermi dans la place éminente qu'il occupoit, il se fût soulagé du
+fardeau des finances, il eût assuré son repos, fait bénir son élévation,
+couvert d'un voile de dignité l'indécence de sa fortune, dissimulé tout
+à son aise son oisive incapacité; en un mot, il se fût conduit en homme
+habile et en honnête homme. Il n'en eut jamais le courage. Cette fatale
+peur d'être effacé, d'être primé, le lui ôta. Inutilement ses amis le
+pressoient d'appeler à son secours l'homme invoqué par la voix publique:
+il répondoit: «Le roi et la reine n'en veulent pas.--Il dépend de vous,
+lui dit Montmorin, de persuader à la reine que Necker vous est
+nécessaire, et moi je me fais fort de le persuader au roi.» Brienne,
+pressé de si près, répondit: «Je puis m'en passer.» Ainsi périssent les
+empires.
+
+Importuné d'entendre le public demander Necker avec instance, il se
+plaisoit à le voir en butte à des écrivains faméliques, qu'il payoit,
+disoit-on, pour le calomnier. Cependant il se voyoit perdu dans le vide
+de ses idées. En moins de cinq mois, il essaya de deux contrôleurs
+généraux, Villedeuil et Lambert; tous les deux furent sans ressource. Un
+nouveau conseil des finances, un comité consultatif, tout lui étoit bon,
+excepté Necker, et tout lui étoit inutile. Jusqu'aux dernières
+extrémités, il crut pouvoir user d'expédiens; rien ne lui réussit.
+Égaré, flottant sans boussole, et ne sachant quel mouvement donner au
+timon de l'État, enfin, dans sa conduite et dans son caractère, toujours
+opposé à lui-même, irrésolu dans sa témérité, pusillanime dans son
+audace; osant tout, abandonnant tout presque aussitôt après l'avoir osé,
+il ne cessa de compromettre et d'affoiblir l'autorité royale, et se
+rendit à la fois lui-même odieux par son despotisme, méprisable par son
+étourderie et par son instabilité.
+
+Pour gagner la faveur publique, il débuta par vouloir établir des
+assemblées provinciales; et, en les rendant électives et dépendantes de
+la commune, il fit légèrement et sans aucune réflexion ce qui en auroit
+demandé le plus. Tout despotique qu'il étoit, il eût voulu se montrer
+populaire et passer pour républicain. Il soutint mal ce personnage.
+
+Après avoir congédié les notables, il envoya au Parlement ses deux édits
+du timbre et de l'impôt territorial, comme s'ils avoient dû passer de
+prime abord, sans aucune difficulté. Ce fut là cependant que de jeunes
+têtes bouillantes commencèrent à remuer ces bornes respectables, ces
+questions de droit public, si critiques, si délicates, qu'on agita
+bientôt avec tant de chaleur et de témérité; mais il ne s'en mit point
+en peine. Il parut même, durant les séances et les débats du Parlement,
+avoir oublié son talent favori, l'adresse et l'insinuation. Nulle
+négociation, aucune conférence, aucune voie ouverte aux moyens de
+conciliation; il voulut tout franchir, tout enlever de vive force. Tant
+d'arrogance et de roideur souleva la magistrature, et, dans tous les
+parlemens du royaume, fut prise en même temps la résolution de rebuter
+les nouveaux édits avant qu'on les y eût envoyés; mais à cette
+insurrection qui menaçoit l'autorité royale Brienne n'opposa que le
+dédain des voies conciliatrices, et l'abandon de la chose publique au
+hasard des événemens.
+
+Le Parlement de Paris lui demandoit la communication des états de
+finance: cette demande étoit fondée. Pour déterminer les subsides dans
+leur somme et dans leur durée sur les vrais besoins de l'État, le
+Parlement devoit savoir quels étoient ces besoins: le droit de
+remontrances emportoit le droit d'examen; et, à moins d'exiger de lui
+une obéissance d'esclave, on ne pouvoit lui refuser de l'éclairer sur
+ses devoirs. Ce fut ce que Brienne ne voulut point entendre; il ne vit
+pas qu'il étoit plus nécessaire que jamais qu'il y eût au nom du peuple
+une forme de délibération et d'acceptation des impôts, et que, si on
+disputoit aux parlemens le droit, tel quel, de vérifier et de consentir
+les édits, la nation se donneroit des représentans moins traitables.
+C'étoit là ce que le ministre et le Parlement, d'intelligence, devoient
+prévoir et prévenir.
+
+Pour trancher la difficulté, Brienne fit tenir au roi un lit de justice
+à Versailles, où, par exprès commandement, furent enregistrés l'édit du
+timbre et celui de l'impôt territorial; ce vieil enfant étoit étranger à
+son siècle. Le lendemain, le Parlement ayant déclaré nulle et illégale
+la transcription des deux édits sur ses registres, l'expédient que
+trouva Brienne fut d'exiler le Parlement et d'en disperser tous les
+membres.
+
+Le garde des sceaux Lamoignon, homme d'un caractère ferme et franc, mais
+d'un esprit sage, combattit victorieusement dans le conseil cet avis de
+Brienne: il fit sentir que des magistrats dispersés seroient
+inaccessibles à toute négociation, et il conclut en disant au roi que,
+si la translation des cours souveraines pouvoit quelquefois être utile,
+l'exil individuel des magistrats seroit toujours une imprudence du
+ministère.
+
+Brienne, pour qui cette idée de translation parut toute nouvelle,
+l'adopta sur-le-champ, et fit signer au roi des lettres patentes qui
+transféroient le Parlement de Paris à Troyes. Le garde des sceaux
+demanda quelque délai; il fut mal écouté; et Brienne, en présence du
+roi, lui dit: «Vos idées sont excellentes, mais vous êtes trop lent dans
+vos résolutions.» À peine le Parlement fut-il arrivé à Troyes que
+Brienne, en conférant avec le garde des sceaux, se souvint, comme par
+hasard, que la présence de cette cour lui seroit nécessaire pour ses
+emprunts du mois de novembre. «Si j'y avois pensé plus tôt,
+s'écria-t-il, je ne l'aurois pas exilé; il faut le rappeler bien vite.»
+Et aussitôt ses émissaires furent mis en activité. (C'est du garde des
+sceaux que je tiens ces détails.)
+
+Lamoignon, membre du Parlement avant d'être garde des sceaux, avoit fait
+connoître ses vues pour la réforme de nos lois; on le savoit occupé des
+moyens de simplifier la procédure et d'en diminuer les longueurs et les
+frais; c'étoit, aux yeux de son ancien corps, une espèce d'hostilité qui
+l'y faisoit craindre et haïr. Brienne, instruit de cette aversion du
+Parlement pour le garde des sceaux, imagina de lui en promettre le
+renvoi s'il vouloit se rendre traitable. «Ma lettre de créance est
+partie, dit-il à Lamoignon après avoir écrit.--Quelle lettre? demanda
+Lamoignon.--Celle, lui répondit Brienne, où j'ai promis votre disgrâce
+si l'on se met à la raison; mais n'en soyez pas moins tranquille.»
+
+La lettre arrive à Troyes; elle est communiquée, et une révolution
+soudaine s'opère dans tous les esprits. On se persuade que l'exil, les
+coups d'autorité, le despotisme du ministre, viennent de celui qui
+médite dès longtemps la ruine de la magistrature. «_Brienne, livré à
+lui-même, auroit été plus foible et plus timide; ce caractère de vigueur
+qu'on lui voyoit prendre et quitter à tous momens n'étoit pas le sien;
+il l'empruntoit de Lamoignon; c'étoit lui qu'il falloit détruire; rien
+ne devoit coûter pour perdre l'ennemi commun._» Ce fut à cette condition
+que passa l'édit des vingtièmes: car, pour ceux de l'impôt territorial
+et du timbre, il avoit fallu que Brienne consentît à les retirer. Mais
+il comptoit sur un emprunt considérable; et c'étoit pour lui un triomphe
+que d'avoir abusé et ramené le Parlement. Je ne dois pas omettre que,
+pour se donner plus de poids et de dignité dans sa négociation, il avoit
+voulu engager le roi à le nommer premier ministre, et que l'issue de
+cette tentative, d'abord assez mal accueillie, fut d'être déclaré
+ministre principal.
+
+Le Parlement se rendit à Versailles; tout parut réconcilié; et Brienne,
+le même jour, dit au garde des sceaux: «J'ai bien fait, comme vous
+voyez; et, si je n'avois pas promis à ces gens-là votre disgrâce, nous
+courions risque, vous et moi, de n'être pas longtemps ici.» Mais, en
+croyant s'être joué du Parlement, Brienne s'abusoit lui-même.
+
+Aux termes de l'édit qu'on devoit lui passer, il comptoit que les deux
+vingtièmes seroient perçus exactement sur tous les biens-fonds, sans
+exception aucune, et dans la proportion de leurs revenus effectifs. Le
+Parlement prétendit, au contraire, que cet édit ne devoit rien changer à
+l'ancienne perception; qu'il n'autorisoit ni recherche, ni vérification
+nouvelle; et tous les parlemens se liguèrent ensemble pour déclarer que,
+si on exerçoit sur les biens une inquisition fiscale, ils s'y
+opposeroient hautement. Ils étoient appuyés dans cette opposition par un
+parti considérable; le clergé, la noblesse, tous les gens en crédit,
+faisoient cause commune avec la haute magistrature. Misérable avarice
+qui les a tous perdus! Ce fut là ce qui, tout à coup, lia ce parti
+redoutable des corps privilégiés contre le ministère; et, pour
+l'intimider, leur cri de guerre fut: _les États généraux_.
+
+Comme parmi les vices de l'esprit personnel se trouvent quelquefois les
+vertus de l'esprit public, il est possible que, dans le nombre des têtes
+exaltées dans le clergé et dans la noblesse, il en y eût quelques-unes à
+qui les vieux abus d'une autorité déréglée fissent vouloir de bonne foi,
+comme un remède unique et nécessaire, la convocation des États généraux;
+mais, à considérer la masse et l'ensemble des hommes, cet appel à la
+nation ne pouvoit être qu'une menace feinte, ou qu'une résolution
+aveuglément passionnée. On devoit bien savoir que, pour les corps
+privilégiés et les classes favorisées, le plus redoutable des tribunaux
+étoit celui du peuple; que, surchargé d'impôts, ce ne seroit pas lui qui
+leur accorderoit d'en être exempts plus que lui-même; et, ces corps
+ayant tout à craindre de la discussion de leurs privilèges, il est peu
+vraisemblable qu'ils eussent mieux aimé les livrer aux débats d'une
+assemblée populaire que d'en traiter avec un ministre raisonnable et
+conciliant. Brienne, au lieu de faire sentir au Parlement combien sa
+demande étoit hasardeuse, ne songea qu'à lui échapper, et fit proposer
+aux provinces de s'abonner pour les vingtièmes. Plusieurs y
+consentirent; d'autres, encouragées par la résistance des parlemens, ne
+voulurent entendre à aucune composition.
+
+Le combat s'engageoit: les forces de réserve des parlemens, les arrêts
+de défense, alloient paroître et menaçoient de poursuivre comme exacteur
+et comme concussionnaire quiconque, dans l'imposition et la perception
+des vingtièmes, se conformeroit aux édits; tout alloit être en feu d'une
+extrémité du royaume à l'autre, lorsque, tout à coup, affectant une
+autre espèce d'assurance, le ministre fit rendre un arrêt du conseil par
+lequel le roi déclarait que le bon état de ses finances lui permettoit
+de n'exiger, dans les vingtièmes, aucune nouvelle extension. En même
+temps, il fit rédiger un édit de soixante millions d'emprunt, à dix pour
+cent de rente viagère, et il fut décidé que le roi en personne iroit au
+Parlement faire enregistrer cet édit.
+
+Deux jours avant la séance royale, le garde des sceaux, s'étant rendu à
+Paris, y reçut la visite d'un homme qu'un esprit turbulent et audacieux
+avoit fait remarquer à la tête de la jeune magistrature, dont il s'étoit
+fait l'orateur. C'étoit Duval d'Épréménil, conseiller aux enquêtes. Il
+dit à Lamoignon qu'un emprunt de soixante millions ne remédieroit à
+rien; qu'il falloit en ouvrir un de cinq cents millions, distribué en
+cinq années, employer ce temps et ces fonds à rétablir l'ordre dans les
+finances, et convoquer après les États généraux.
+
+Brienne, en recevant la lettre où Lamoignon lui faisoit part de cet
+avis, en tressaillit de joie; et, ne doutant pas que le message ne lui
+vînt des enquêtes, il répondit qu'il «ne balançoit point à profiter de
+cette ouverture. Par là, je n'aurai plus d'ici à cinq ans, disoit-il,
+aucun démêlé avec le Parlement.» Incontinent il ordonna de dresser un
+édit de quatre cent vingt millions d'emprunts, qui se succéderaient dans
+l'espace de cinq années, au bout desquelles il promettoit la convocation
+des États généraux. En attendant, il annonçoit pour cinquante millions
+d'économies, tant en réduction de dépense qu'en bénéfice de recette; ce
+qui feroit face à l'emprunt. Mais, comme si, dans la séance qu'il alloit
+faire tenir au roi, il eût voulu soulever les esprits au lieu de les
+calmer, il y fit prendre au roi et au garde des sceaux le ton le plus
+sévère; il y fit rappeler au Parlement ses anciennes maximes sur le
+pouvoir absolu des rois et sur leur pleine indépendance; il lui opposa
+les paroles consignées dans ses arrêts, «qu'au roi seul appartenoit la
+puissance souveraine dans le royaume; qu'il n'étoit comptable qu'à Dieu
+seul de l'exercice du pouvoir suprême; que le pouvoir législatif
+résidoit dans la personne du souverain, sans dépendance et sans
+partage»; et, quant aux États généraux, l'on se tint sur la défensive,
+en disant «qu'au roi seul appartenoit le droit de les convoquer; que lui
+seul devoit juger si cette convocation étoit utile ou nécessaire; que
+les trois ordres assemblés ne seroient pour lui qu'un conseil plus
+étendu, et qu'il seroit toujours l'arbitre souverain de leurs
+représentations et de leurs doléances». Rien de plus inutile dans cette
+circonstance que la hauteur de ce langage. L'effervescence des esprits
+n'en devint que plus vive; les têtes s'enflammèrent, la séance fut
+orageuse. Le roi, croyant n'y recueillir que des conseils et des
+lumières, avoit permis qu'on opinât à haute voix; nombre d'opinans
+abusèrent de cette liberté jusqu'à l'indécence; et une censure amère et
+violente, se mêlant aux opinions, fit trop sentir au roi qu'au lieu de
+ses édits, c'étoit sa conduite et son règne qu'on prétendoit avoir le
+droit d'examiner. Il se contint durant l'espace de sept heures que
+tinrent les opinions; et, affecté jusqu'au fond de l'âme de la licence
+qu'on se donnoit, il ne laissa pas échapper un seul mouvement
+d'impatience. Ainsi dès lors s'éprouvoit cette patience dont il a eu
+tant de besoin.
+
+Cependant le grand nombre des opinions se terminoit à demander la
+convocation des États généraux pour le mois de mai de l'année suivante;
+et d'Épréménil disoit au roi: «Je le vois, ce mot désiré, prêt à
+échapper de vos lèvres; prononcez-le, Sire, et votre Parlement souscrit
+à vos édits.» Si le roi eût cédé, il est indubitable que les édits
+auroient passé; mais Brienne lui avoit recommandé de n'entendre à aucune
+condition, et de s'en tenir au principe que, «partout où le roi étoit
+présent, sa volonté faisoit la loi».
+
+Enfin, malgré le silence du roi et le refus qu'exprimoit ce silence, on
+a cru que, s'il avoit permis de recueillir les voix, le plus grand
+nombre auroit encore été pour l'acceptation des édits. Mais,
+ponctuellement exact à observer ce qui lui étoit prescrit par son
+ministre, il ordonna l'inscription des édits sans aller aux opinions, et
+fit enregistrer de même une déclaration qui mettoit en vacance tous les
+parlemens du royaume. Le duc d'Orléans, qui dès lors commençoit à jouer
+son rôle, protesta, en présence du roi, contre cet acte d'autorité; et,
+dès que le roi fut sorti, l'assemblée, où les pairs étoient encore,
+adhéra, par un arrêté, à la protestation du prince.
+
+Le lendemain, la grande députation du Parlement fut mandée à Versailles.
+Le roi biffa l'arrêté de la veille, défendit sur le même objet toute
+nouvelle délibération, exila le duc d'Orléans à Villers-Cotterets, et
+deux conseillers de grand'chambre, Fréteau et Sabatier, l'un au château
+de Ham, l'autre au Mont-Saint-Michel.
+
+Dès lors la ligue des parlemens fut générale contre le ministère; et
+Brienne, désespérant de les soumettre, résolut de les anéantir. À ce
+hardi projet, qu'il porta au conseil, étoit joint celui d'une cour
+plénière et permanente pour l'enregistrement des lois.
+
+Dans ce conseil, Lamoignon combattit l'idée de la cour plénière, mais
+inutilement. Avec plus de succès, il s'opposa à la destruction de la
+haute magistrature; «moyen trop violent, dit-il, et que Maupeou avait
+déshonoré». Il y substitua le projet d'affoiblir l'influence du
+Parlement de Paris et sa force de résistance, en érigeant dans son
+ressort des bailliages considérables, dont la compétence éteindroit le
+plus grand nombre des procès, et rendroit inutiles les chambres des
+enquêtes, tumultueuses et bruyantes, dont on vouloit se délivrer. Cette
+manière simple et sûre de réduire les parlemens par l'accroissement des
+bailliages, devoit être agréable aux peuples; elle abrégeoit la
+procédure, épargnoit aux plaideurs les frais des longs voyages, les
+lenteurs des appels, les rapines de la chicane; et, à l'égard d'un
+ressort aussi vaste que celui de Paris, ce projet portoit avec lui
+l'évidence de sa bonté. Brienne y voulut englober tous les parlemens du
+royaume, et, sans calculer quelle masse de résistance il auroit à
+vaincre, il chargea le garde des sceaux d'en rédiger le plan et d'en
+dresser l'édit. En même temps il lui traça une forme de cour plénière
+qu'il croyoit assez imposante pour assurer aux lois le respect et
+l'obéissance. Cette grande opération fut le secret du lit de justice du
+8 mai 1788. Mais le silence que l'on gardoit sur ce qui devoit s'y
+passer, l'ordre donné aux gouverneurs des provinces de se rendre à leurs
+postes, les paquets envoyés aux commandans des villes où résidoient les
+parlemens, peut-être aussi quelque infidélité des imprimeurs ayant
+éventé le projet d'attaquer la magistrature, elle se mit en garde; et,
+trois jours avant le lit de justice (le 5 mai), le Parlement assemblé
+protesta contre tout ce qui s'y feroit, avec promesse et sous le serment
+le plus saint de ne reprendre ses fonctions que dans le même lieu, et
+tout le corps ensemble, sans souffrir qu'aucun de ses membres en fût
+exclu ni séparé.
+
+Dès qu'à Versailles on fut averti de la résolution et de l'engagement
+que le Parlement avoit pris, et que d'Épréménil en étoit le moteur,
+Brienne obtint du roi l'ordre pour arrêter cet homme dangereux; et
+d'Épréménil, au moment qu'on venoit l'enlever chez lui, s'étant sauvé
+dans la grand'chambre, qui étoit alors en séance, il y fut pris, et
+conduit prisonnier aux îles Sainte-Marguerite.
+
+Le lit de justice qui, le 8 mai, fut tenu à Versailles, le fut le même
+jour par les gouverneurs des provinces dans tous les parlemens du
+royaume; et les lois qu'on y promulgua, presque toutes conformes aux
+voeux de la nation, y trouvèrent partout la même résistance.
+
+L'administration de la justice mieux distribuée dans les provinces, les
+tribunaux moins éloignés, les appels moins fréquens, les grandes causes
+réservées aux cours supérieures, les moindres terminées en moins de
+temps et à moins de frais, la réforme de l'ordonnance criminelle promise
+et déjà commencée, un mois de surséance accordé au coupable après sa
+sentence de mort, la torture abolie et la sellette supprimée, un
+dédommagement accordé par la loi à l'innocent qu'elle auroit poursuivi,
+l'obligation imposée au juge, en infligeant la peine, de qualifier le
+délit, tout cela sembloit désirable; les États généraux promis avant le
+terme de cinq ans, la parole donnée du roi de les rendre périodiques;
+toutes les lois bursales acceptées et consenties par la nation
+elle-même, et, pour la vérification des autres lois, un tribunal exprès,
+où ne seroient jugées que les causes de forfaiture: il n'y avoit encore
+là rien qui, pour l'avenir, parût devoir être alarmant. Mais, d'un côté,
+en attendant la convocation des États généraux, l'on voyoit, dans les
+parlemens, renverser la seule barrière qui jusque-là pût s'opposer au
+despotisme des ministres; de l'autre, cette cour plénière, dont le nom
+seul auroit été une cause de défaveur, présentoit une idée de tribunal
+oligarchique, d'autant plus redoutable qu'il seroit revêtu de toute la
+force publique et de tout l'appareil des lois.
+
+Ce tribunal, où siégeroient les officiers de la couronne et les
+commandans des armées, les pairs et les grands du royaume, des
+magistrats choisis au gré du roi dans ses conseils, et cette
+grand'chambre du Parlement, de tous temps fidèle et soumise à l'autorité
+souveraine, paraissoit devoir être un contre-poids trop fort pour
+l'assemblée des États.
+
+Ainsi, dans ce lit de justice, la nation ne vit qu'un despotisme déguisé
+sous de spécieux avantages. Le cours de la justice suspendu dans tout le
+royaume y excitoit un murmure universel; et, dans Paris, cette milice
+praticienne (la basoche), qui étoit dévouée au Parlement, inondoit les
+cours du palais. La bourgeoisie étoit tranquille; elle savoit que la
+querelle du Parlement avec la cour venoit d'un refus de souscrire à
+l'égale imposition des vingtièmes sur tous les biens, et ce refus ne la
+disposoit pas à se liguer avec la classe privilégiée. Mais il y a dans
+Paris une masse de peuple qui, observant d'un oeil envieux et chagrin les
+jouissances qui l'environnent, souffre impatiemment de n'avoir en
+partage que le travail et la pauvreté, et qui, dans l'espérance vague de
+quelque changement heureux pour lui, s'empresse d'accourir au premier
+signal du désordre, et de se rallier au premier factieux qui lui promet
+un sort plus doux. Ce fut par cette multitude que fut fortifié à
+l'entour du palais, en présence du Parlement, le parti de ses
+défenseurs. La magistrature se fit protéger par la populace, et sous les
+yeux de la grande police furent impunément commis tous les excès de la
+plus grossière licence: pernicieux exemple, que l'on n'a que trop imité!
+Ce fut donc par le Parlement que fut d'abord provoquée l'insurrection et
+la révolte. La bonté du roi ne se lassa point d'épargner les voies de
+rigueur. Il fit poster des gardes aux avenues du palais; mais il leur
+fit prescrire de n'employer leurs armes qu'à mettre en sûreté la vie et
+le repos des citoyens. Ce fut ainsi que le tumulte fut contenu et
+réprimé sans violence. Cependant, soit par l'inaction d'une police
+timide et foible, soit par l'impulsion de ceux qui, en excitant le
+trouble, répondoient de l'impunité, les mouvemens séditieux parmi le
+peuple de Paris alloient toujours croissant.
+
+Dans les provinces, le despotisme des parlemens, chacun dans son
+ressort, la sécurité dont jouissoient leurs membres dans les vexations
+qu'ils exerçoient sur leurs voisins, leur arrogance, leur orgueil,
+n'étoient pas faits pour rendre leur cause intéressante; mais, par leurs
+relations et leurs intelligences dans la classe privilégiée, ils
+formoient avec elle un parti nombreux et puissant. Le peuple même
+s'étoit laissé persuader que la cause des parlemens étoit la sienne. Il
+croyoit en Bretagne qu'il s'agissoit d'un impôt sur les salins; on lui
+disoit ailleurs qu'il étoit menacé de nouvelles concussions; et les
+magistrats s'abaissoient jusqu'à répandre eux-mêmes ces mensonges.
+
+Brienne, au milieu de ces agitations, apprit que la noblesse de Bretagne
+envoyoit douze députés pour dénoncer au roi l'iniquité de son lit de
+justice. Aussitôt le ministre de la maison du roi, le baron de Breteuil,
+eut ordre de faire avancer la maréchaussée jusqu'à Senlis pour les y
+attendre et pour les renvoyer. L'ordre fut mal exécuté, les députés
+passèrent; mais, à peine arrivés, ils furent mis à la Bastille.
+Incontinent la noblesse bretonne, au lieu de douze députés, en envoya
+cinquante-quatre. Ceux-ci furent admis à l'audience du roi, et les douze
+autres relâchés. Le baron de Breteuil, accusé par Brienne de le mal
+seconder, ne dissimula point sa répugnance à faire ce qu'il n'approuvoit
+pas, et il demanda sa retraite.
+
+Dans ce même temps, la province de Dauphiné leva l'étendard de la
+liberté, en se donnant à elle-même cette constitution qui, vantée comme
+un modèle, a eu depuis tant d'influence. Dans la nouvelle forme que le
+Dauphiné donnoit à ses états, le tiers avoit la moitié des voix.
+Brienne, avec sa légèreté naturelle, autorisa cette disposition, ne
+voyant jamais rien au delà du moment. Enfin, réduit par sa foiblesse et
+par l'insurrection générale des parlemens à capituler avec eux, il
+consentit à ce qu'il avoit refusé avec le plus de résistance, et, par un
+arrêt du conseil du 8 août, il fit promettre au roi de convoquer les
+États généraux le mois de mai suivant, résolution tardive, qui ne fit
+qu'annoncer la fin d'un ministre aux abois.
+
+Les finances étoient ruinées, les coffres du roi vides, plus de nouvel
+impôt, plus de nouvel emprunt, plus d'espérance de crédit, et de tous
+côtés les besoins les plus urgens; les rentes sur la ville, le prêt même
+des troupes, tout alloit manquer à la fois. Il n'en falloit pas moins
+pour forcer Brienne à reconnoître son incapacité, ou du moins
+l'impuissance où il étoit de tirer la chose publique de cet abîme de
+misère. Il voulut achever de se déshonorer, et, par un arrêt du conseil
+du 16 août, il déclara que les deux cinquièmes des payemens sur le
+Trésor royal se feroient en billets d'État. La malédiction publique
+fondit sur lui comme un déluge. Alors enfin il se résolut à demander le
+rappel de Necker; mais Necker refusa de s'associer avec lui. Il répondit
+que, «s'il avoit encore quelque espérance d'être utile à l'État, cette
+espérance étoit fondée sur la confiance dont la nation l'honoroit, et
+que, pour conserver quelque crédit lui-même, on savoit quelle condition
+il étoit obligé de mettre à son retour». «Cette réponse est mon arrêt,
+dit Brienne au garde des sceaux; il faut céder la place»; et il donna sa
+démission (23 août 1788).
+
+Il ne laissoit au Trésor royal que quatre cent mille livres de fonds,
+soit en argent, soit en autres valeurs; et, la veille de son départ, il
+y envoya prendre les vingt mille livres de son mois de ministre, qui
+n'étoit point encore échu: exactitude d'autant plus remarquable que,
+sans compter les appointemens de sa place, et six mille livres de
+pension attachée à son cordon bleu, il possédoit en bénéfices six cent
+soixante-dix-huit mille livres de rente, et que, tout récemment encore,
+une coupe de bois dans l'une de ses abbayes lui avoit valu un million.
+
+La considération dont Necker avoit joui s'étoit accrue dans sa disgrâce;
+mais autant l'estime publique devoit l'encourager, autant devoit
+l'inquiéter la situation du royaume.
+
+Alentour de la capitale, soixante lieues carrées de pays, et du pays le
+plus fertile, absolument dévastées par la grêle à la veille de la
+moisson; la récolte mauvaise dans tout le reste du royaume; le prix des
+blés exagéré encore par la crainte de la famine, et, dans l'urgente
+nécessité d'en faire venir du dehors, aucun fonds ni aucun crédit; tous
+les effets royaux décriés sur la place et presque sans valeur; toute
+voie interdite et aux emprunts et aux impôts; d'un côté, la recette
+nécessairement appauvrie; de l'autre, la dépense forcément augmentée,
+et, au lieu des contributions auxquelles sont soumis les habitans de la
+campagne, des secours pressans à répandre dans les lieux que la grêle
+venoit de ruiner; les tribunaux dans l'inaction; partout la licence
+impunie et la police intimidée; la discipline même chancelante parmi les
+troupes, et attaquée dans ce principe d'obéissance et de fidélité qui en
+est le nerf et le ressort; tout l'ancien droit public discuté et mis en
+problème; enfin toutes les classes et tous les ordres de l'État, sans
+convenir les uns avec les autres, ni chacun d'eux avec lui-même, sur ce
+que devoient être les États généraux, s'accordant à les demander avec
+les plus vives instances, et jusque-là ne voulant entendre à aucune
+subvention: telle étoit la crise effrayante où Necker trouvoit le
+royaume.
+
+Son premier soin fut de rétablir l'ordre; l'interdiction des parlemens
+fut révoquée, la justice reprit son cours, et les lois de la police leur
+force et leur action. Le Trésor, vide à l'arrivée de Necker, parut tout
+à coup se remplir; les caisses en furent ouvertes; et, si le désolant
+arrêt du 16 août ne fut pas révoqué d'abord, au moins fut-il comme
+annulé: tout fut payé en espèces sonnantes; et, quelques semaines après,
+un nouvel arrêt du conseil acheva d'effacer la honte de la faillite de
+Brienne.
+
+En laissant tomber ce ministre disgracié dans le mépris, la haine
+publique s'étoit jetée sur Lamoignon, regardé comme son complice; il
+fallut le sacrifier. Cependant, comme je dois plus à la vérité qu'à
+l'opinion, j'oserai dire que le roi perdit dans Lamoignon un bon
+ministre, et l'État un bon citoyen. Trompé par la réputation que Brienne
+avoit usurpée, Lamoignon n'avoit vu d'abord rien de meilleur à faire que
+de se lier avec lui, sous la promesse réciproque d'agir ensemble et de
+concert. Il ne fut pas longtemps à reconnoître en lui une tête vide et
+légère; mais, en le voyant s'engager dans des défilés dangereux, il
+l'avertit souvent, l'arrêta quelquefois, et ne l'abandonna jamais. Le
+tort ou le malheur de Lamoignon fut d'être mal associé. Il vouloit
+ardemment le bien, il aimoit tendrement le roi: il m'a dit à moi-même
+qu'il ne connoissoit pas un meilleur ni un plus honnête homme; et lui,
+plein de ce vieil esprit d'intégrité de ses ancêtres, il sembloit avoir
+pris pour ses vertus de caractère le courage et la loyauté. La haine
+même des parlemens étoit un éloge pour lui. L'estime, et, en secret, la
+confiance du roi, l'avoient suivi dans sa retraite de Bâville. Mais, ou
+le chagrin de l'exil, ou quelque peine domestique, lui fit abandonner la
+vie (le 18 mai 1789), et lui épargna des spectacles dont il seroit mort
+de douleur.
+
+Necker avoit pris dans le conseil un ascendant qu'on n'aura point de
+peine à concevoir en voyant ce qu'avoit produit son retour dans le
+ministère. Un hiver aussi rude et plus long que celui de 1709 faisoit
+paroître encore plus étonnantes les ressources de ce ministre. Aucun
+nouvel impôt, aucun nouvel emprunt connu; et, au moyen d'un peu de
+lenteur qui n'excitoit aucune plainte, les rentes, les pensions, les
+dettes exigibles, régulièrement acquittées; et, de tous les pays du
+monde, les blés affluant dans nos ports pour nous sauver de la famine;
+des secours accordés aux malheureux dans les campagnes; des soulagemens
+aux malades, aux vieillards, aux enfans délaissés dans les hôpitaux; des
+frais immenses pour assurer, pour accélérer l'arrivée des subsistances:
+tels étoient les services que Necker rendoit à l'État; et il est
+vraisemblable que, si, sans intervalle, conservé dans le ministère, on
+lui eût laissé mettre à profit le bénéfice de la paix, dans la situation
+prospère où l'on auroit vu le royaume, personne n'eût pensé aux États
+généraux, personne au moins n'en eût parlé.
+
+Mais, la parole du roi une fois engagée de les assembler au mois de mai,
+il étoit difficile à Necker de l'y faire manquer sans s'aliéner les
+esprits. D'ailleurs, il ne l'a pas dissimulé lui-même, il souhaitoit
+dans le fond de son âme la convocation des États.
+
+«Je pensai, dit-il en parlant de sa conduite à cette époque, je pensai
+qu'en entretenant la tranquillité dans le royaume, en soutenant
+l'édifice chancelant des finances, en subvenant à la disette des
+subsistances, et en aplanissant ainsi toutes les voies au plus grand et
+au plus désiré des événemens, j'aurois rempli suffisamment ma tâche,
+j'aurois acquitté mes devoirs d'homme public, de bon citoyen et de
+fidèle serviteur d'un roi qui vouloit le bien de l'État.» Quant aux
+motifs qui l'animoient, il nous les a expliqués de même. «J'avois connu,
+dit-il[33], mieux que personne, combien étoit instable et passager le
+bien qu'on pouvoit faire sous un gouvernement où les principes
+d'administration changeoient au gré des ministres, et les ministres au
+gré de l'intrigue. J'avois observé que, dans le cours passager de
+l'administration des hommes publics, aucune idée générale n'avoit le
+temps de s'établir, aucun bienfait ne pouvoit se consolider.» Il se
+souvenoit de ce cabinet de Maurepas, où lui-même _il montoit avec
+crainte et mélancolie, lorsqu'il falloit entretenir de réforme et
+d'économie un ministre vieilli dans le faste et les usages de la cour_.
+C'étoit la vive impression qu'avoient faite sur lui _les contrariétés,
+les dégoûts, les obstacles qu'il avoit essuyés lui-même et les combats
+qu'il avoit eus à livrer et à soutenir_, qui lui faisoit regarder les
+États généraux comme un port de salut pour la chose publique.
+
+Mais, si cette convocation avoit ses avantages, elle avoit aussi ses
+dangers; et la forme surtout qu'on lui auroit donnée pouvoit être d'une
+importance grave et d'une extrême conséquence.
+
+Necker parut d'abord ne pas vouloir prendre sur lui le risque de cette
+première opération. Il demanda au roi de rappeler auprès de lui cette
+assemblée de notables dont il avoit éprouvé le zèle, pour se consulter
+avec eux.
+
+Les exemples du temps passé, pour la composition des États généraux,
+étoient inconstans et divers; mais le plus grand nombre de ces exemples
+étoient favorables à la classe privilégiée, et, si celui de 1614 étoit
+suivi, comme le Parlement le demandoit et croyoit l'obtenir, l'ordre de
+la noblesse et celui du clergé s'assuroient la prépondérance. Leurs
+droits, leurs privilèges, leur seroient conservés et garantis pour
+l'avenir; et, en échange du service que le Parlement leur auroit rendu,
+il seroit constitué lui-même, dans l'intervalle des assemblées, leur
+représentant perpétuel. Mais, dans la classe populaire, l'esprit public
+avoit pris un caractère qui ne s'accordoit plus avec les prétentions de
+la classe parlementaire et féodale. Le laboureur dans les campagnes,
+l'artisan dans les villes, l'honnête bourgeois occupé de son négoce, ou
+de son industrie, ne demandoient qu'à être soulagés; et, livrés à
+eux-mêmes, ils n'auroient député que des gens paisibles comme eux. Mais
+dans les villes, et surtout à Paris, il existe une classe d'hommes qui,
+quoique distingués par l'éducation, tiennent au peuple par la naissance,
+font cause commune avec lui, et, lorsqu'il s'agit de leurs droits,
+prennent ses intérêts, lui prêtent leurs lumières, et lui donnent leurs
+passions. C'étoit dans cette classe que se formoit depuis longtemps cet
+esprit novateur, contentieux, hardi, qui acquéroit tous les jours plus
+de force et plus d'influence.
+
+L'exemple tout récent de l'Amérique septentrionale, rendue à elle-même
+par son propre courage et par le secours de nos armes, nous étoit sans
+cesse vanté. Le voisinage des Anglois, l'usage plus fréquent de voyager
+dans leur pays, l'étude de leur langue, la vogue de leurs livres, la
+lecture assidue de leurs papiers publics, l'avide curiosité de ce qui
+s'étoit dit et passé dans leur Parlement, la vivacité des éloges qu'on
+donnoit à leurs orateurs, l'intérêt qu'on prenoit à leurs débats, enfin
+jusqu'à l'affectation de se donner leurs goûts, leurs modes, leurs
+manières, tout annonçoit une disposition prochaine à s'assimiler avec
+eux; et véritablement ce spectacle de liberté publique et de sûreté
+personnelle, ce noble et digne usage du droit de propriété dans
+l'acceptation volontaire et l'équitable répartition de l'impôt
+nécessaire aux besoins de l'État, avoit droit d'exciter en nous des
+mouvemens d'émulation. C'étoit d'après de tels exemples que des hommes
+instruits, remuans et audacieux avertissoient partout le peuple de ne
+pas oublier ses droits, et le ministre d'en prendre soin.
+
+Le ministre ne demandoit qu'à maintenir les droits du peuple, car la
+ligue des parlemens, du clergé et de la noblesse contre l'autorité
+royale l'avoit réduit à regarder le peuple comme le refuge du roi. Mais,
+contre une si grande masse de résistance et de crédit, il se sentoit
+trop foible, et il avoit besoin d'être fortement appuyé.
+
+Il n'étoit pas bien sûr de l'être par l'assemblée des notables. Cette
+assemblée où domineroient l'église, l'épée et la robe, et dans laquelle
+les notables des villes n'auroient pas même le tiers des voix, ne devoit
+guère être favorable aux communes.
+
+Mais, quel que fût le résultat des délibérations, le mouvement seroit
+donné aux esprits dans tout le royaume, et les grands intérêts de la
+chose publique, agités dans cette assemblée, le seroient encore plus
+vivement au dehors. C'étoit de là surtout que le ministre attendoit sa
+force, et peut-être cet appareil de consultation n'étoit-il qu'une lice
+ouverte à l'opinion nationale, ou qu'un signal pour elle de se
+manifester. Le roi l'y avoit invitée par un arrêt du conseil, avant le
+renvoi de Brienne. Il étoit donc probable que l'opinion publique en
+imposeroit aux notables. Déjà se montrant populaires dans leur première
+assemblée de 1787, non seulement ils avoient consenti, mais ils avoient
+demandé eux-mêmes que, dans les assemblées provinciales que proposoit
+Calonne, le nombre des membres du tiers état fût égal à celui des
+membres du clergé et de la noblesse réunis. La question sembloit donc
+jugée par eux-mêmes, et Necker ne faisoit que leur laisser l'honneur de
+confirmer leur décision. La même disposition, dans les états de
+Dauphiné, avoit été hautement louée et proclamée comme un modèle. Ainsi,
+de tous côtés, les notables étoient avertis d'être populaires; et il n'y
+avoit aucune apparence qu'ils voulussent ou qu'ils osassent cesser de
+l'être après l'avoir été.
+
+Ce fut dans cette confiance que la même assemblée de 1787 fut convoquée
+de nouveau le 5 octobre 1788, et se réunit à Versailles le 3 novembre de
+la même année.
+
+Mais, lorsqu'il y fut question de composer dans les États ce conseil
+national, ce tribunal suprême où seraient discutés leurs droits, leurs
+privilèges, et tous les plus grands intérêts de leur rang et de leur
+fortune, chacun des ordres ne s'occupa que des dangers qu'il alloit
+courir.
+
+Les objets sur lesquels on avoit à délibérer furent proposés en
+questions, dont les principales étoient: Quel devoit être le nombre
+respectif des députés de chaque ordre? Quelle avoit été et quelle
+pouvoit être leur forme de délibérer? Quelles conditions seroient
+nécessaires pour être électeur et pour être éligible dans l'ordre du
+clergé et dans celui du tiers, soit dans les communautés des campagnes,
+soit dans celles des villes? Ces deux qualités devoient-elles avoir pour
+titre une mesure de propriété réelle, ou seulement une quotité? et
+quelle quotité dans l'imposition?
+
+L'assemblée étoit divisée en six bureaux, présidés chacun par un prince;
+et le roi demandoit que, sur chacune des questions proposées, les
+bureaux ayant formé chacun leur voeu définitif, ces avis motivés et
+suffisamment développés lui fussent tous remis, avec le compte des
+suffrages qu'auroit eus chaque opinion.
+
+Dans le bureau présidé par _Monsieur_, les opinions se partagèrent sur
+le nombre des députés que chaque ordre devoit avoir; et, à la pluralité
+de treize contre douze, il fut décidé que chaque députation seroit
+composée de quatre députés, un de l'église, un de la noblesse, et deux
+du tiers état.
+
+Les cinq autres bureaux, les uns à l'unanimité, les autres à la grande
+pluralité des voix, demandèrent que le nombre des représentans fût égal
+pour chacun des trois ordres, et que le roi fût supplié de ne pas
+laisser porter atteinte à cette égalité de suffrages, qu'ils regardoient
+comme la sauvegarde de l'État et comme le plus ferme appui de la
+constitution et de la liberté civile et politique. Ils reconnoissoient
+tous qu'aucune délibération ne pouvoit être prise légalement sans le
+concours des trois ordres; que deux n'auroient pas droit d'engager le
+troisième, et qu'ainsi le _veto_ d'un seul lui suffiroit pour garantir
+sa liberté; mais ce principe même fondoit pour eux le droit de l'égalité
+respective. «Telle est en France, disoient-ils, la balance des forces
+publiques; elle ne donne pas au tiers état un ascendant injuste sur les
+deux autres ordres, mais elle lui assigne la même mesure de pouvoir;
+elle ne l'autorise pas à leur donner la loi, mais elle ne permet pas
+qu'il la reçoive. Or la députation double, si elle lui étoit accordée,
+détruiroit ce rapport d'égalité et d'indépendance: elle conduiroit à la
+forme de délibérer par tête; elle en inspireroit la pensée; elle en
+feroit chercher les moyens; et qui pourroit en calculer les pernicieuses
+conséquences? Vers cet objet seroit dirigée la première délibération des
+États, et son effet seroit d'y produire la plus dangereuse
+fermentation.»
+
+Ainsi la seconde question, savoir: quelle seroit la forme de délibérer?
+ne fut pas même mise en doute; et, à l'exception du bureau de
+_Monsieur_, qui en laissoit le choix aux États, tous demandèrent
+l'opinion par ordre.
+
+Les raisons du parti de la minorité pour demander en faveur du tiers la
+double représentation étoient qu'en supposant qu'on opinât par ordre, il
+étoit juste et naturel que, dans une assemblée où les lois, les arts,
+l'industrie, le commerce, l'agriculture, les finances, seroient sans
+cesse mis en délibération, la classe instruite par état de tous ces
+objets fût au moins d'égale force avec la classe qui n'en faisoit pas
+son étude; qu'il devoit arriver souvent que l'objet de la délibération
+fût de nature à exiger l'opinion par tête; qu'alors surtout le droit
+qu'auroit le tiers de pouvoir opposer deux voix aux deux autres voix
+réunies étoit aussi incontestable que le droit qu'il avoit de ne pas se
+laisser éternellement dominer.
+
+Personne, ajoute-t-on, ne peut disputer aux États généraux le droit de
+régler leur police intérieure et de déterminer la manière dont les
+suffrages seront donnés et recueillis. Or, par exemple, sur l'impôt, il
+seroit impossible, à moins d'une injustice manifeste, qu'on prît la voix
+de l'opinion par tête, si de trois voix le tiers n'en avoit qu'une: car,
+la noblesse et le clergé étant sur cet article inséparables d'intérêts,
+ils le seroient d'opinions, et il n'y auroit plus que deux partis, dont
+l'un seroit double de l'autre.
+
+À l'égard des élections, tous les bureaux, séduits par ce principe que
+la confiance devoit seule déterminer le choix, rendirent les conditions
+du droit d'élire et d'être élu les plus légères qu'il fût possible: nul
+égard à la propriété; et, moyennant une contribution modique, tout
+domicilié auroit dans son bailliage le droit d'être électeur et seroit
+éligible. De même tout ecclésiastique ayant en bénéfice ou en propriété
+le revenu d'un curé de village pouvoit être électeur et pouvoit être
+élu.
+
+Cependant les mêmes questions s'agitoient hors de l'assemblée; le public
+s'en étoit saisi, et, dans les entretiens comme dans les écrits, la
+cause du peuple étoit plaidée avec chaleur et véhémence.
+
+Dès l'ouverture de l'assemblée des notables, dans le comité que
+_Monsieur_ présidoit, le prince de Conti dénonçant ces écrits dont la
+France étoit inondée: «Veuillez, _Monsieur_, avoit-il dit, représenter
+au roi combien il est important pour la stabilité de son trône, pour les
+lois et pour le bon ordre, que tous les nouveaux systèmes soient
+proscrits à jamais, et que la constitution et ses formes anciennes
+soient maintenues dans leur intégrité.» Si Necker avoit été frappé de
+cette prévoyance comme il auroit dû l'être, il n'eût pas fait répondre
+par le roi que cet objet n'étoit pas l'un de ceux pour lesquels il avoit
+assemblé les notables.
+
+Toutes les villes du royaume s'occupant de l'objet des députations, on y
+faisoit valoir, en faveur du tiers état, non seulement le droit des neuf
+dixièmes de la nation, en concurrence avec les deux vingtièmes, mais le
+droit plus incontestable que donnoit dans l'État à cette classe
+laborieuse l'importance de ses travaux. Brave et docile dans les armées,
+infatigable dans les campagnes, industrieuse dans les villes; sûreté,
+richesse, abondance, force, lumière, jouissance de toute espèce, tout
+venoit d'elle; et à cette classe productrice et conservatrice de tous
+les biens un petit nombre d'hommes, pour la plupart oisifs et richement
+dotés, disputoient le droit d'être admise en nombre égal avec leurs
+députés dans le conseil national; et, pour la tenir subjuguée, ils se
+seroient arrogé sur elle l'éternel ascendant de la pluralité. C'étoit
+ainsi que les sociétés populaires s'animoient elles-mêmes à défendre
+leurs droits; et cette liberté naissante, qu'il eût été aussi nécessaire
+que difficile de réprimer, gagnoit tous les esprits.
+
+Vint enfin le moment où des opinions de l'assemblée des notables, et des
+réclamations des villes et des provinces du royaume, il fallut que le
+roi formât une résolution. Ce fut l'objet du conseil d'État du 27
+décembre 1788. Necker y fit le rapport des opinions des bureaux sur les
+points les plus importans, singulièrement sur le nombre des députés pour
+chacun des trois ordres; et, après avoir mis dans la balance les
+autorités, les exemples, les réflexions, les motifs pour et contre,
+donnant lui-même son opinion: «Je pense, dit-il, que le roi peut et doit
+appeler aux États généraux un nombre de députés du tiers état égal au
+nombre des députés des deux autres ordres réunis, non pour forcer, comme
+on pourroit le craindre, la délibération par tête, mais pour satisfaire
+le voeu général et raisonnable des communes de son royaume.»
+
+L'avis de Necker fut celui du conseil, et le roi décida qu'on y
+conformeroit les lettres de convocation. Ainsi, sur l'article essentiel,
+Necker parut n'avoir consulté les notables que pour s'autoriser de leur
+opinion si elle étoit favorable au peuple, ou pour la rejeter si elle ne
+l'étoit pas, et pour donner le temps à celle des provinces de se
+déclarer hautement.
+
+Necker ne dissimula point qu'il souhaitoit de voir établir, et d'une
+manière durable, un juste rapport entre les revenus et les dépenses de
+l'État, un prudent emploi du crédit, une égale distribution des impôts,
+un plan général de bienfaisance, un système éclairé de législation;
+par-dessus tout une garantie continuelle de la liberté civile et de la
+liberté politique; et tous ces avantages, il ne les espéroit des États
+généraux qu'autant que les communes y feroient respecter leurs justes
+réclamations. Le _veto_ de l'un des trois ordres, s'ils opinoient par
+chambre, lui sembloit un obstacle invincible et perpétuel aux meilleures
+résolutions. Il vouloit donc que l'on pût recourir à l'opinion par tête:
+ce qui ne seroit équitable qu'autant que les communes seroient en nombre
+égal avec l'église et la noblesse. C'étoit de ces deux ordres ligués
+avec les parlemens qu'étoit venue la résistance à la perception des
+vingtièmes; c'étoit pour rompre cette ligue qu'on avoit recours aux
+communes. Alors encore le langage des communes étoit l'expression des
+sentimens les plus convenables et pour l'autorité royale et pour la
+personne du roi. Ce fut à ce langage que le ministre fut trompé.
+
+On vient de voir que les notables, en réduisant à une contribution
+modique le droit d'élire et d'être élu, l'avoient rendu indépendant de
+toute propriété réelle, au risque d'y laisser introduire un grand nombre
+d'hommes indifférens sur le sort de l'État. Necker, dans l'illusion
+qu'il avoit le malheur de se faire à lui-même sur l'attention qu'auroit
+le peuple à bien choisir ses députés, et sur le caractère de sagesse et
+de probité qu'un saint respect pour leurs fonctions imprimeroit aux
+députés du peuple, crut devoir, comme les notables, gêner le moins
+possible la liberté des élections, et fixer au plus bas la quotité
+d'imposition qui donnerait droit d'être élu. Ce fut l'une de ses
+erreurs. En accordant au tiers état l'égalité du nombre, il devoit bien
+prévoir qu'une partie du clergé se rangeroit du côté du peuple; et à ce
+clergé populaire il donna cependant tous les moyens de se trouver en
+force dans les premières élections: tous les curés y étoient admis,
+tandis qu'il n'accordoit aux collégiales qu'un représentant par
+chapitre. Les curés devoient donc être élus en grand nombre, et aller
+grossir aux États le parti auquel ils tenoient, et par les noeuds du
+sang, et par leurs habitudes, et surtout par la vieille haine qu'ils
+couvoient pour le haut clergé.
+
+Cependant, comme cet avantage étoit trop évident s'il étoit décidé que
+l'on opineroit par tête, le ministre accordoit aux premiers ordres la
+liberté de n'opiner ainsi que de leur plein consentement, source de
+dissensions où infailliblement les plus foibles succomberoient.
+
+C'est ici le moment critique où la conduite de ce ministre cesse d'être
+irrépréhensible et a besoin d'apologie. Jamais homme ne fut plus éloigné
+que lui de l'infidélité perfide dont l'a fait accuser l'iniquité des
+temps; mais, quant à la sécurité de sa confiance en un peuple que la
+Ligue et la Fronde lui avoient dû faire assez connoître, il est trop
+vrai que rien ne sauroit l'excuser.
+
+Sans doute, pour remplir et les devoirs d'homme public, et ceux de
+citoyen, et ceux de serviteur d'un roi jeune et vertueux, comme il le
+dit lui-même, il falloit «éclairer sa justice, diriger ses inclinations,
+et le faire jouir de la première des faveurs du trône, de la félicité
+des peuples et de leurs touchantes bénédictions». Mais il falloit
+éclairer sa sagesse en même temps que sa justice; l'avertir, en le
+conduisant, des risques qu'il alloit courir; ne pas couvrir de fleurs le
+bord du précipice, prendre soin de l'en garantir, et voir si, au lieu de
+bénédictions, ce ne seroient pas des outrages et des affronts sanglans
+qu'il l'exposoit à recevoir. Le roi s'abandonnoit à la prudence de son
+ministre; c'étoit pour celui-ci une obligation sacrée d'être
+précautionné, timide et méfiant. Necker ne le fut pas assez. Il y avoit
+de grands maux à craindre; il ne sut prévoir que le bien.
+
+Cet esprit solitaire, abstrait, recueilli en lui-même, naturellement
+exalté, se communiquoit peu aux hommes, et peu d'hommes étoient tentés
+de se communiquer à lui; il ne les connoissoit que par des aperçus ou
+trop isolés, ou trop vagues; et de là ses illusions sur le caractère du
+peuple, à la merci duquel il mettoit l'État et le roi.
+
+La lutte continuelle qu'il avoit eue à soutenir contre toutes les
+factions de l'intérêt particulier lui avoit donné de la cour et du monde
+une opinion peu favorable, et il en jugeoit sainement; mais du gros de
+la nation il s'étoit fait, comme à plaisir, une opinion fantastique et
+infiniment trop flatteuse. Il s'étoit entendu louer, bénir, exalter par
+ce peuple; il avoit joui de sa confiance, de son amour, de ses regrets:
+c'étoit lui qui l'avoit vengé des noirceurs de la calomnie; c'étoit sa
+voix qui de l'exil l'avoit rappelé au ministère, et qui l'y soutenoit
+encore. Lié par la reconnoissance, il ne l'étoit pas moins par ses
+propres bienfaits; et, personnellement obligé envers le peuple à le
+croire sensible et juste, il se persuadoit qu'il le seroit toujours.
+Ainsi son propre exemple lui en fit oublier d'autres qui l'auroient
+averti de l'inconstance de ce peuple, de sa légèreté, de sa facilité à
+passer d'un excès à l'autre, à se laisser corrompre, égarer, irriter,
+jusqu'à la frénésie et la plus brutale fureur.
+
+Dans une classe au-dessus du peuple, mais attenant au peuple, il ne
+voulut pas voir combien de passions obscures et timides n'attendoient,
+pour se déceler, s'allumer, éclater ensemble, qu'un foyer qui les
+réunît. La vanité, l'orgueil, l'envie, l'ambition de dominer, ou du
+moins d'abaisser ceux que d'un oeil jaloux on voyoit au-dessus de soi;
+des intérêts plus vils et des vices plus bas encore, les spéculations de
+la cupidité, les calculs des âmes vénales, tous germes éternels de
+factions et de discordes, étoient des élémens que Necker sembloit
+n'avoir point démêlés. L'idée abstraite et séduisante d'une nation
+douce, aimable, généreuse, préoccupoit tous ses esprits.
+
+Dans cette espèce d'enivrement, il ne crut point accorder trop de faveur
+au parti populaire. Après lui avoir assuré une pluralité constante, il
+voulut ajouter l'avantage du lieu à cet avantage du nombre. La sûreté,
+la liberté, la tranquillité des délibérations demandoient
+essentiellement un lieu inaccessible aux insultes du peuple, un lieu
+aisé à garantir de toute espèce de tumulte; et lui, sa première pensée
+fut de placer les États généraux dans Paris, au milieu du peuple le plus
+nombreux, le plus facile à émouvoir, à soulever, et le plus redoutable
+dans ses soulèvemens: ce ne fut que par déférence pour l'avis du conseil
+qu'il se contenta de les établir à Versailles, _statio malefida
+carinis_.
+
+Celle des salles qu'on destinoit aux assemblées générales, et dans
+laquelle, entre les trois ordres, s'agiteroient les plus grands intérêts
+de l'État, fut entourée de galeries, comme pour inviter le peuple à
+venir assister aux délibérations, appuyer son parti, insulter, menacer,
+effrayer le parti contraire, et changer la tribune en une scène de
+théâtre, où par ses applaudissemens il exciteroit ses acteurs. Je marque
+ces détails, parce qu'ils ont été de l'importance la plus grave. Mais M.
+Necker ne vouloit se figurer les assemblées des États que comme un
+spectacle paisible, imposant, solennel, auguste, dont le peuple auroit à
+jouir. Ses espérances ne laissoient pas d'être mêlées d'inquiétudes;
+mais, comme il attribuoit un grand pouvoir aux idées morales, il se
+flattoit que le plus sûr moyen de prévenir les troubles qui pouvoient
+naître de la dissension des ordres étoit de les animer tous de cet
+enthousiasme du bien public qui rend facile et doux le plus grand
+sacrifice des intérêts de corps et des intérêts personnels. Il en fit le
+premier essai dans la publication de son rapport au Conseil d'État du 27
+décembre 1788; et ce fut par l'exemple du roi lui-même qu'il espéra
+d'exciter dès lors cette émulation généreuse.
+
+En rappelant l'aveu que le roi lui avoit fait _qu'il n'avoit eu depuis
+quelques années que des instans de bonheur_: «Vous le retrouverez, Sire,
+ce bonheur, lui dit-il, et vous en jouirez; vous commandez à une nation
+qui sait aimer. Si des nouveautés politiques, auxquelles elle n'est pas
+faite encore, l'ont pu distraire pour un temps de son caractère naturel,
+bientôt fixée par vos bienfaits, et affermie dans sa confiance par la
+pureté de vos intentions, elle ne pensera plus qu'à jouir de l'ordre
+heureux et constant dont elle vous sera redevable. Elle ne sait pas
+encore, cette nation reconnoissante, tout ce que vous avez dessein de
+faire pour son bonheur. Vous l'avez dit, Sire, aux ministres qui sont
+honorés de votre confiance: non seulement vous voulez ratifier la
+promesse que vous avez faite de ne mettre aucun nouvel impôt sans le
+consentement des États, mais vous voulez encore n'en proroger aucun sans
+cette condition. Vous voulez de plus assurer le retour des États
+généraux, en les consultant sur l'intervalle des convocations et sur les
+moyens de donner à ces dispositions une stabilité durable. Pour former
+un lien solide entre l'administration particulière de chaque province et
+la législation générale, vous voulez que les députés de chaque partie du
+royaume se concertent ensemble sur le plan le plus convenable, et Votre
+Majesté est disposée à y donner son assentiment. Votre Majesté veut
+encore prévenir de la manière la plus efficace le désordre que
+l'inconduite ou l'incapacité de ses ministres pourroit introduire dans
+les finances; et, dans le nombre des dépenses que vous voulez fixer,
+vous n'exceptez pas même celles qui tiennent plus particulièrement à
+votre personne. Votre Majesté se propose d'aller au-devant du voeu bien
+légitime de ses sujets, en invitant les États généraux à examiner
+eux-mêmes la grande question qui s'est élevée sur les lettres de cachet.
+Vous ne souhaitez, Sire, que le maintien de l'ordre, et vous voulez
+abandonner à la loi tout ce qu'elle peut exécuter. C'est par le même
+principe que Votre Majesté est impatiente de recevoir les avis des États
+généraux sur la mesure de liberté qu'il convient d'accorder à la presse
+et la publication des ouvrages relatifs à l'administration. Enfin, Sire,
+vous préférez, avec raison, aux conseils passagers de vos ministres, les
+délibérations durables des États généraux de votre royaume; et, quand
+vous aurez éprouvé leur sagesse, vous ne craindrez pas de leur donner
+une stabilité qui puisse produire la confiance, et les mettre à l'abri
+des variations dans les sentimens des rois vos successeurs.»
+
+Ce discours du ministre, imprimé, publié, répandu dans tout le royaume
+comme le gage solennel des intentions du roi, lui donnoit un droit
+légitime à la confiance des peuples; et si, d'après ces dispositions,
+les États avoient bien voulu se constituer le conseil suprême d'un roi
+qui ne vouloit que ce qui étoit juste, et qui vouloit tout ce qui étoit
+juste; d'un roi qui, de concert avec la nation, étoit déterminé à poser
+sur des bases inébranlables les bornes mêmes de son pouvoir et la
+colonne de la liberté, de la félicité publique, la monarchie françoise,
+sans changer de nature, devenoit le gouvernement le plus doux, le plus
+modéré, le plus stable qui fût jamais. Le roi, dans ce conseil
+législatif de la nation, alloit présider comme un père, consulter avec
+ses enfans, régler, concilier leurs droits en ami plutôt qu'en arbitre,
+et rédiger avec eux en lois les moyens de les rendre heureux. C'étoit
+dans cet esprit que le ministre croyoit tout disposer pour donner à la
+nation et conserver à la couronne ce caractère de grandeur, de puissance
+et de majesté, qu'elles devoient avoir ensemble, et que l'une sans
+l'autre ne pouvoit avoir pleinement (car c'est ainsi que le roi
+l'annonçoit).
+
+Mais, dans une nation pétulante et légère, qui tout à coup veut être
+libre avant d'avoir appris à l'être, il n'est que trop naturel que la
+première fougue des esprits les emporte au delà des bornes de cette
+liberté; et, ces bornes franchies, le reste est le domaine des passions,
+de l'erreur et du crime.
+
+
+
+
+LIVRE XIV
+
+
+Quoique Paris fût comme le foyer de la fermentation excitée dans le
+royaume, les assemblées primaires y furent assez tranquilles, et ne
+parurent occupées qu'à se donner de bons électeurs pour avoir de bons
+députés.
+
+J'étois du nombre des électeurs nommés par la section[34] des Feuillans;
+je fus aussi l'un des commissaires chargés de la rédaction du cahier des
+demandes, et je puis dire que, dans ces demandes, il n'y avoit rien que
+d'utile et de juste. Ainsi l'esprit de cette section fut raisonnable et
+modéré.
+
+Il n'en fut pas de même de l'assemblée électorale[35]; la majeure partie
+en étoit saine en arrivant; mais nous y vîmes fondre une nuée
+d'intrigans qui venoient souffler parmi nous l'air contagieux qu'ils
+avoient respiré aux conférences de Duport, l'un des factieux du
+Parlement.
+
+Soit que Duport fût de bonne foi dans son dangereux fanatisme, soit
+qu'ayant mieux calculé que sa compagnie les hasards qu'elle alloit
+courir, il eût voulu se donner à lui-même une existence politique, on
+savoit que, chez lui, dès l'hiver précédent, il avoit ouvert comme une
+école de républicisme, où ses amis prenoient soin d'attirer les esprits
+les plus exaltés ou les plus disposés à l'être.
+
+J'observai cette espèce d'hommes remuans et bruyans qui se disputoient
+la parole, impatiens de se produire, aspirant à se faire inscrire sur la
+liste des orateurs. Je ne fus pas longtemps à voir quelle seroit leur
+influence; et, en élevant ma pensée d'un exemple particulier à une
+induction générale, je reconnus que c'étoit là, de même que dans toutes
+les communes, les organes de la faction, gens de palais et de chicane,
+et tous accoutumés à parler en public.
+
+C'est une vérité connue qu'aucun peuple ne se gouverne; que l'opinion,
+la volonté d'une multitude assemblée, n'est jamais, ou presque jamais,
+qu'une impulsion qu'elle reçoit d'un petit nombre d'hommes, et
+quelquefois d'un seul, qui la fait penser et vouloir, qui la meut et qui
+la conduit. Le peuple a ses passions; mais ces passions, comme
+endormies, attendent une voix qui les réveille et les irrite. On les a
+comparées aux voiles d'un navire, lesquelles resteroient oisives et
+flottantes si quelque vent ne les enfloit.
+
+Or, on sait qu'émouvoir les passions du peuple fut de tout temps
+l'office de l'éloquence de la tribune; et, parmi nous, la seule école de
+cette éloquence populaire étoit le barreau. Ceux même qui, dans la
+plaidoirie, n'en avoient pris que la hardiesse, les mouvemens et les
+clameurs, avoient sur le vulgaire un très grand avantage. Une raison
+froide, un esprit solide et pensant, auquel l'abondance et la facilité
+de l'élocution manqueroient au besoin, ne tiendroit pas contre la
+véhémence d'un déclamateur aguerri.
+
+Le moyen le plus sûr de propager dans le royaume la doctrine
+révolutionnaire avoit donc été d'engager dans son parti le corps des
+avocats, et rien n'avoit été plus facile. Républicain par caractère,
+fier et jaloux de sa liberté, enclin à la domination par l'habitude de
+tenir dans ses mains le sort de ses cliens, répandu dans tout le
+royaume, en possession de l'estime et de la confiance publique, en
+relation continuelle avec toutes les classes de la société, exercé dans
+l'art d'émouvoir et de maîtriser les esprits, l'ordre des avocats devoit
+avoir sur la multitude un ascendant irrésistible; et, les uns par la
+force d'une véritable éloquence, les autres par cette affluence et ce
+bruit de paroles qui étourdit des têtes foibles et leur en impose avec
+des mots, ils ne pouvoient manquer de primer dans les assemblées
+populaires et d'y gouverner l'opinion, surtout en s'annonçant pour les
+vengeurs des injures du peuple et les défenseurs de ses droits.
+
+On sent quel intérêt ce corps avoit lui-même à voir changer la réforme
+en révolution, la monarchie en république; c'étoit pour lui une
+aristocratie perpétuelle qu'il s'agissoit d'organiser. Successivement
+destinés à être les moteurs de la faction républicaine, rien ne
+convenoit mieux à des hommes ambitieux qui, partout en autorité de
+lumières et de talens, seroient, à tour de rôle, appelés aux fonctions
+publiques, et seuls, ou presque seuls, les législateurs de la France:
+d'abord ses premiers magistrats, et bientôt ses vrais souverains.
+
+Cette perspective étoit la même non seulement pour les gens de loi, mais
+pour toutes les classes de citoyens instruits, où chacun présumoit assez
+de ses talens pour avoir la même espérance, avec la même ambition.
+
+Je ne dispute point à cette ambition un prétexte honnête et louable.
+Dans les institutions humaines, il est impossible que tout soit bien; il
+est même infiniment rare que tout soit le mieux ou le moins mal
+possible. Un gouvernement n'est jamais qu'une machine plus ou moins
+sujette à de fréquentes altérations. Il est donc nécessaire, au moins
+par intervalles, ou d'en régler les mouvemens, ou d'en remonter les
+ressorts; et, quel que soit l'État, monarchique ou républicain, dont on
+examine la forme, il n'en est aucun dont la condition ne paroisse
+effrayante lorsque dans un même tableau l'on voit accumulés tous les
+vices, tous les abus, tous les crimes des temps passés. C'étoit ainsi
+que l'on calomnioit le règne de Louis XVI. Quelles que fussent les
+erreurs et les fautes qu'il n'avoit pu éviter, lui-même, il ne demandoit
+qu'à n'en laisser aucune trace, et personne ne souhaitoit plus vivement
+que lui cette réforme salutaire; mais c'étoit sous ce nom vague et
+captieux de réforme qu'on déguisoit une révolution; et cette erreur
+explique le succès presque universel d'un plan qui, présentant sous
+divers aspects l'honnête, l'utile et le juste, s'accommodoit à tous les
+caractères et concilioit tous les voeux.
+
+Les meilleurs citoyens se croyoient d'accord de volonté et d'intention
+avec les plus médians; les esprits animés soit de l'amour du bien
+public, soit d'un désir de gloire et de domination, soit d'une basse
+envie ou d'une infâme ardeur de rapine et de brigandage, suivoient tous
+la même impulsion, et de ces mouvemens divers le résultat étoit le même:
+la subversion de l'État. C'est là ce qui me semble faire l'apologie d'un
+grand nombre d'hommes que l'on a crus pervers, et qui n'ont été
+qu'égarés.
+
+Qu'en effet quelques hommes du naturel des tigres eussent prémédité la
+Révolution comme elle s'est exécutée, cela est concevable; mais que la
+nation françoise, que le bas peuple même, avant que d'être dépravé, eût
+consenti à ce complot barbare, impie et sacrilège, c'est ce que
+personne, je crois, n'oseroit soutenir. Il est donc faux que les crimes
+de la Révolution aient été les crimes de la nation, et je suis loin de
+supposer qu'aucun de mes collègues à l'assemblée électorale ait pu
+seulement les prévoir.
+
+Ce fut, je le crois, avec un aveugle enthousiasme du bien public que
+nous arriva cette troupe de gens de loi, soutenue d'un cortège
+d'ambitieux républicains qui, comme eux, aspiroient à se rendre célèbres
+dans les conseils d'un peuple libre. Target, distingué au barreau,
+d'ailleurs bien famé parmi nous, y vint jouer le premier rôle.
+
+Le gouvernement nous avoit envoyé pour président le lieutenant
+civil[36]. Ce fut une fausse démarche, car elle étoit insoutenable. Une
+assemblée essentiellement libre devoit avoir un président pris dans son
+sein et de son choix. Ce magistrat soutint dignement sa mission: il nous
+fit admirer sa fermeté et sa sagesse, mais inutilement. La cause fut
+plaidée contradictoirement avec lui par l'avocat Target; et celui-ci,
+pour avoir défendu les droits de l'assemblée, en fut proclamé président.
+
+Athlète exercé dès longtemps dans le pugilat du barreau, armé
+d'assurance et d'audace, dévoré d'ambition, et environné d'une escorte
+d'applaudisseurs bruyans, il commença par s'insinuer dans les esprits en
+homme conciliant et pacifique; mais, lorsqu'il se fut emparé de cette
+assemblée de citoyens nouveaux encore dans les fonctions d'hommes
+publics, il leva la tête, et se prononça hautement. Au lieu de s'en
+tenir, comme il étoit du devoir de sa place, à exposer fidèlement l'état
+des questions soumises à l'examen de l'assemblée, à recueillir, à
+résumer, à énoncer l'opinion, il la dicta.
+
+Nos fonctions ne se bornoient pas à élire des députés, nous avions
+encore à former, dans leurs mandats, des réclamations, des plaintes, des
+demandes; et chacun de ces griefs donnoit lieu à de nouvelles
+déclamations. Les mots indéfinis d'égalité, de liberté, de souveraineté
+du peuple, retentissoient à nos oreilles; chacun les entendoit, les
+appliquoit à sa façon. Dans les règlemens de police, dans les édits sur
+les finances, dans les autorités graduelles, sur lesquelles reposoient
+l'ordre et la tranquillité publique, il n'y avoit rien où l'on ne
+trouvât un caractère de tyrannie, et l'on attachoit une ridicule
+importance aux détails les plus minutieux. Je n'en citerai qu'un
+exemple.
+
+Il s'agissoit du mur d'enceinte et des barrières de Paris, qu'on
+dénonçoit comme un enclos de bêtes fauves, trop injurieux pour des
+hommes.
+
+«J'ai vu, nous dit l'un des orateurs, oui, citoyens, j'ai vu à la
+barrière Saint-Victor, sur l'un des piliers, en sculpture, le
+croirez-vous? j'ai vu l'énorme tête d'un lion, gueule béante, et
+vomissant des chaînes dont il menace les passans. Peut-on imaginer un
+emblème plus effrayant du despotisme et de la servitude?» L'orateur
+lui-même imitoit le rugissement du lion. Tout l'auditoire étoit ému; et
+moi, qui passois si souvent à la barrière Saint-Victor, je m'étonnois
+que cette image horrible ne m'eût point frappé. J'y fis donc ce jour-là
+une attention particulière; et, sur le pilastre, je vis pour ornement un
+bouclier pendu à une chaîne mince que le sculpteur avoit attachée à un
+petit mufle de lion, comme on en voit à des marteaux de porte ou à des
+robinets de fontaine.
+
+L'intrigue avoit aussi ses comités secrets, où l'on dépouilloit tout
+respect pour nos maximes les plus saintes, pour nos objets les plus
+sacrés. Ni les moeurs ni le culte n'y étoient épargnés. On y montroit,
+selon la doctrine de Mirabeau, comme inconciliables et comme
+incompatibles, la politique avec la morale, l'esprit religieux avec
+l'esprit patriotique, et les vieux préjugés avec les nouvelles vertus.
+On y faisoit regarder comme inséparables sous le gouvernement d'un seul
+la royauté et la tyrannie, l'obéissance et la servitude, la puissance et
+l'oppression.
+
+Au contraire, dès que le peuple rentreroit dans ses droits d'égalité,
+d'indépendance, on exagéroit follement les espérances et les promesses.
+Il sembloit que c'étoit par des hommes de l'âge d'or qu'on alloit être
+gouverné. Ce peuple libre, juste et sage, toujours d'accord avec
+lui-même, toujours éclairé dans le choix de ses conseils, de ses
+ministres, modéré dans l'usage de sa force et de sa puissance, ne seroit
+jamais égaré, jamais trompé, jamais dominé, asservi par les autorités
+qu'il auroit confiées. Ses volontés feroient ses lois, et ses lois
+feroient son bonheur.
+
+Quoique je fusse presque isolé, et que, de jour en jour, mon parti
+s'affoiblît dans l'assemblée électorale, je ne cessois de dire à qui
+vouloit m'entendre combien cet art d'en imposer par d'impudentes
+déclamations me sembloit grossier et facile. Mes principes étoient
+connus, je n'en dissimulois aucun; et l'on prenoit soin de divulguer à
+l'oreille que j'étois ami des ministres et comblé des bienfaits du roi.
+Les élections se firent, je ne fus point élu: on me préféra l'abbé
+Sieyès[37]. Je remerciai le Ciel de mon exclusion, car je croyois
+prévoir ce qui alloit se passer à l'Assemblée nationale, et dans peu
+j'en fus mieux instruit.
+
+Nous avions à l'Académie françoise un des plus outrés partisans de la
+faction républicaine: c'étoit Chamfort, esprit fin, délié, plein d'un
+sel très piquant lorsqu'il s'égayoit sur les vices et sur les ridicules
+de la société, mais d'une humeur âcre et mordante contre les
+supériorités de rang et de fortune, qui blessoient son orgueil jaloux.
+De tous les envieux répandus dans le monde, Chamfort étoit celui qui
+pardonnoit le moins aux riches et aux grands l'opulence de leurs maisons
+et les délices de leurs tables, dont il étoit lui-même fort aise de
+jouir. Présens, et en particulier, il les ménageoit, les flattoit, et
+s'ingénioit à leur plaire; il sembloit même qu'il en aimoit, qu'il en
+estimoit quelques-uns dont il faisoit de pompeux éloges. Bien entendu
+pourtant que, s'il avoit la complaisance d'être leur commensal et de
+loger chez eux, il falloit que, par leur crédit, il obtînt de la cour
+des récompenses littéraires, et il ne les en tenoit pas quittes pour
+quelques mille écus de pension dont il jouissoit: c'étoit trop peu pour
+lui. «Ces gens-là, disoit-il à Florian, doivent me procurer vingt mille
+livres de rente; je ne vaux pas moins que cela.»
+
+À ce prix, il avoit des grands de prédilection qu'il exceptoit de ses
+satires; mais, pour la caste en général, il la déchiroit sans pitié; et,
+lorsqu'il crut voir ces fortunes et ces grandeurs au moment d'être
+renversées, aucun ne lui étant plus bon à rien, il fit divorce avec eux
+tous, et se rangea du côté du peuple.
+
+Dans nos sociétés, nous nous amusions quelquefois des saillies de son
+humeur, et, sans l'aimer, je le voyois avec précaution et avec
+bienséance, comme ne voulant pas m'en faire un ennemi.
+
+Un jour donc que nous étions restés seuls au Louvre, après la séance
+académique: «Eh bien! me dit-il, vous n'êtes donc pas député?--Non,
+répondis-je, et je m'en console, comme le renard des raisins auxquels il
+ne pouvoit atteindre: _Ils sont trop verts_.--En effet, reprit-il, je ne
+les crois pas assez mûrs pour vous. Votre âme est d'une trempe trop
+douce et trop flexible pour l'épreuve où elle seroit mise. On fait bien
+de vous réserver à une autre législature. Excellent pour édifier, vous
+ne valez rien pour détruire.»
+
+Comme je savois que Chamfort étoit ami et confident de Mirabeau, l'un
+des chefs de la faction, je crus être à la source des instructions que
+je voulois avoir; et, pour l'engager à s'expliquer, je feignis de ne pas
+l'entendre. «Vous m'effrayez, lui dis-je, en parlant de détruire; il me
+sembloit à moi qu'on ne vouloit que réparer.
+
+--Oui, me dit-il, mais les réparations entraînent souvent des ruines: en
+attaquant un vieux mur, on ne peut pas répondre qu'il n'écroule sous le
+marteau, et, franchement, ici l'édifice est si délabré que je ne serois
+pas étonné qu'il fallût le démolir de fond en comble.--De fond en
+comble! m'écriai-je.--Pourquoi pas? repartit Chamfort, et sur un autre
+plan moins gothique et plus régulier. Seroit-ce, par exemple, un si
+grand mal qu'il n'y eût pas tant d'étages, et que tout y fût de
+plain-pied? Vous désoleriez-vous de ne plus entendre parler d'éminences,
+ni de grandeurs, ni de titres, ni d'armoiries, ni de noblesse, ni de
+roture, ni du haut ni du bas clergé?» J'observai que l'égalité avoit
+toujours été la chimère des républiques, et le leurre que l'ambition
+présentoit à la vanité; mais ce nivellement est surtout impossible dans
+une vaste monarchie; «et, en voulant tout abolir, il me semble,
+ajoutai-je, qu'on va plus loin que la nation ne l'entend, et plus loin
+qu'elle ne demande.
+
+--Bon! reprit-il, la nation sait-elle ce qu'elle veut? On lui fera
+vouloir et on lui fera dire ce qu'elle n'a jamais pensé; et, si elle en
+doute, on lui répondra comme Crispin au légataire[38]: _C'est votre
+léthargie_. La nation est un grand troupeau qui ne songe qu'à paître, et
+qu'avec de bons chiens les bergers mènent à leur gré. Après tout, c'est
+son bien que l'on veut faire à son insu: car, mon ami, ni votre vieux
+régime, ni votre culte, ni vos moeurs, ni toutes vos antiquailles de
+préjugés, ne méritent qu'on les ménage. Tout cela fait honte et pitié à
+un siècle comme le nôtre; et, pour tracer un nouveau plan, on a toute
+raison de vouloir faire place nette.
+
+--Place nette! insistai-je, et le trône? et l'autel?--Et le trône, et
+l'autel, me dit-il, tomberont ensemble: ce sont deux arcs-boutans
+appuyés l'un par l'autre; et, que l'un des deux soit brisé, l'autre va
+fléchir.»
+
+Je dissimulai l'impression que me faisoit sa confidence, et, pour
+l'attirer plus avant: «Vous m'annoncez, lui dis-je, une entreprise où je
+crois voir plus de difficultés que de moyens.
+
+--Croyez-moi, reprit-il, les difficultés sont prévues et les moyens sont
+calculés.» Alors il se développa, et j'appris que les calculs de la
+faction étoient fondés sur le caractère du roi, si éloigné de toute
+violence qu'on le croyoit pusillanime; sur l'état actuel du clergé, où
+il n'y avoit plus, disoit-il, que quelques vertus sans talens, et
+quelques talens dégradés et déshonorés par des vices; enfin, sur l'état
+même de la haute noblesse, que l'on disoit dégénérée, et dans laquelle
+peu de grands caractères soutenoient l'éclat d'un grand nom.
+
+Mais c'étoit surtout en lui-même que le tiers état devoit mettre sa
+confiance. Cet ordre, dès longtemps fatigué d'une autorité arbitraire et
+graduellement oppressive jusque dans ses derniers rameaux, avoit sur les
+deux autres ordres non seulement l'avantage du nombre, mais celui de
+l'ensemble, mais celui du courage et de l'audace à tout braver. «Enfin,
+disoit Chamfort, ce long amas d'impatience et d'indignation, formé comme
+un orage, et cet orage prêt à crever; partout la confédération et
+l'insurrection déclarées, et, au signal donné par la province du
+Dauphiné, tout le royaume prêt à répondre par acclamation qu'il prétend
+être libre; les provinces liguées, leur correspondance établie, et de
+Paris comme de leur centre l'esprit républicain allant porter au loin sa
+chaleur avec sa lumière: voilà l'état des choses. Sont-ce là des projets
+en l'air?»
+
+J'avouai qu'en spéculation tout cela étoit imposant; mais j'ajoutai
+qu'au delà des bornes d'une réforme désirable la meilleure partie de la
+nation ne laisseroit porter aucune atteinte aux lois de son pays et aux
+principes fondamentaux de la monarchie.
+
+Il convint que, dans ses foyers, à ses comptoirs, à ses bureaux, à ses
+ateliers d'industrie, une bonne partie de ces citadins casaniers
+trouveroient peut-être hardis des projets qui pourroient troubler leur
+repos et leurs jouissances. «Mais, s'ils les désapprouvent, ce ne sera,
+dit-il, que timidement et sans bruit, et l'on a, pour leur en imposer,
+cette classe déterminée qui ne voit rien pour elle à perdre au
+changement, et croit y voir tout à gagner. Pour l'ameuter, on a les plus
+puissans mobiles: la disette, la faim, l'argent, des bruits d'alarme et
+d'épouvante, et le délire de frayeur et de rage dont on frappera ses
+esprits. Vous n'avez entendu parmi la bourgeoisie que d'élégans
+parleurs. Sachez que tous nos orateurs de tribune ne sont rien en
+comparaison des Démosthènes à un écu par tête, qui, dans les cabarets,
+dans les places publiques, dans les jardins et sur les quais, annoncent
+des ravages, des incendies, des villages saccagés, inondés de sang, des
+complots d'assiéger et d'affamer Paris. C'est là ce que j'appelle des
+hommes éloquens. L'argent surtout et l'espoir du pillage sont
+tout-puissans parmi ce peuple. Nous venons d'en faire l'essai au
+faubourg Saint-Antoine; et vous ne sauriez croire combien peu il en a
+coûté au duc d'Orléans pour faire saccager la manufacture de cet honnête
+Réveillon, qui dans ce même peuple faisoit subsister cent familles.
+Mirabeau soutient plaisamment qu'avec un millier de louis on peut faire
+une jolie sédition.
+
+--Ainsi, lui dis-je, vos essais sont des crimes, et vos milices sont des
+brigands.--Il le faut bien, me répondit-il froidement. Que feriez-vous
+de tout ce peuple en le muselant de vos principes de l'honnête et du
+juste? Les gens de bien sont foibles, personnels et timides; il n'y a
+que les vauriens qui soient déterminés. L'avantage du peuple, dans les
+révolutions, est de n'avoir point de morale. Comment tenir contre des
+hommes à qui tous les moyens sont bons? Mirabeau a raison: il n'y a pas
+une seule de nos vieilles vertus qui puisse nous servir; il n'en faut
+point au peuple, ou il lui en faut d'une autre trempe. Tout ce qui est
+nécessaire à la révolution, tout ce qui lui est utile, est juste: c'est
+là le grand principe.
+
+--C'est peut-être celui du duc d'Orléans, répliquai-je; mais je ne vois
+que lui pour chef à ce peuple en insurrection, et je n'ai pas, je vous
+l'avoue, grande opinion de son courage.--Vous avez raison, me dit-il, et
+Mirabeau, qui le connoît bien, dit que ce seroit bâtir sur de la boue
+que de compter sur lui. Mais il s'est montré populaire, il porte un nom
+qui en impose, il a des millions à répandre, il déteste le roi, il
+déteste encore plus la reine; et, si le courage lui manque, on lui en
+donnera: car, dans le peuple même, on aura des chefs intrépides, surtout
+dès le moment qu'ils se seront montrés rebelles et qu'ils se croiront
+criminels: car il n'y a plus à reculer quand on n'a derrière soi pour
+retraite que l'échafaud. La peur, sans espérance de salut, est le vrai
+courage du peuple. On aura des forces immenses si l'on peut obtenir une
+immense complicité. Mais, ajouta-t-il, je vois que mes espérances vous
+attristent: vous ne voulez pas d'une liberté qui coûtera beaucoup d'or
+et de sang. Voulez-vous qu'on vous fasse des révolutions à l'eau rose?»
+
+Là finit l'entretien, et nous nous séparâmes, lui sans doute plein de
+mépris pour mes minutieux scrupules, et moi peu satisfait de sa fière
+immoralité. Le malheureux s'en est puni en s'égorgeant lui-même,
+lorsqu'il a connu ses erreurs.
+
+Je fis part de cet entretien à l'abbé Maury le soir même. «Il n'est que
+trop vrai, me dit-il, que dans leurs spéculations ils ne se trompent
+guère, et que, pour trouver peu d'obstacles, la faction a bien pris son
+temps. J'ai observé les deux partis. Ma résolution est prise de périr
+sur la brèche; mais je n'en ai pas moins la triste certitude qu'ils
+prendront la place d'assaut, et qu'elle sera mise au pillage.
+
+--S'il est ainsi, lui dis-je, quelle est donc la démence du clergé et
+de la noblesse, de laisser le roi s'engager dans cette guerre?--Que
+voulez-vous qu'ils fassent?--Ce qu'on fait dans un incendie: je veux
+qu'ils fassent la part au feu; qu'ils remplissent le déficit en se
+chargeant de la dette publique; qu'ils remettent à flot le vaisseau de
+l'État; enfin qu'ils retirent le roi du milieu des écueils où ils l'ont
+engagé eux-mêmes, et qu'à quelque prix que ce soit ils obtiennent de lui
+de renvoyer les États généraux avant qu'ils ne soient assemblés. Je veux
+qu'on leur annonce qu'ils sont perdus si les États s'assemblent, et
+qu'il n'y a pas un moment à perdre pour dissiper l'orage qui va fondre
+sur eux.» Maury me fit des objections; je n'en voulus entendre aucune.
+«Vous l'exigez, me dit-il; eh bien! je vais faire cette démarche. Je ne
+serai point écouté.»
+
+Malheureusement il s'adressa à l'évêque D'***, tête pleine de vent,
+lequel traita mes avis de chimère. Il répondit «qu'on n'en étoit pas où
+l'on croyoit en être, et que, l'épée dans une main, le crucifix dans
+l'autre, le clergé défendroit ses droits».
+
+Libre de ma députation de l'assemblée électorale, j'allai chercher dans
+ma maison de campagne le repos dont j'avois besoin, et par là je me
+dérobai à une société nouvelle qui se formoit chez moi. Elle étoit
+composée de gens que je me serois plu à réunir dans des temps plus
+paisibles: c'étoient l'abbé de Périgord, récemment évêque d'Autun[39],
+le comte de Narbonne et le marquis de La Fayette. Je les avois vus, dans
+le monde, aussi libres que moi d'intrigues et de soins: l'un, d'un
+esprit sage, liant et doux; l'autre, d'une gaieté vive, brillante,
+ingénieuse; le dernier, d'une cordialité pleine d'agrémens et de grâces,
+et tous les trois du commerce le plus aimable.
+
+Mais, dans leurs rendez-vous chez moi, je vis leur humeur rembrunie
+d'une teinte de politique; et, à quelques traits échappés, je soupçonnai
+des causes de cette altération dont mes principes ne s'accommodoient
+pas. Ils s'aperçurent comme moi que, dans leurs relations et dans leurs
+conférences, ma maison n'étoit pas un rendez-vous pour eux. Ma retraite
+nous sépara.
+
+Les jours de la semaine où j'allois à l'Académie, je couchois à Paris,
+et je passois assez fréquemment les soirées chez M. Necker. Là, me
+trouvant au milieu des ministres, je leur parlois à coeur ouvert de ce
+que j'avois vu et de ce que j'avois appris.
+
+Je les trouvois tout stupéfaits, et comme ne sachant où donner de la
+tête. Ce qui se passoit à Versailles avoit détrompé M. Necker, et je le
+voyois consterné. Invité à dîner chez lui avec les principaux députés
+des communes, je crus remarquer, à l'air froid dont ils répondoient à
+ses attentions et à ses prévenances, qu'ils vouloient bien de lui pour
+leur intendant, mais non pas pour leur directeur.
+
+M. de Montmorin, à qui je parlai d'engager le roi à se retirer dans
+l'une de ses places fortes, et à la tête de ses armées, m'objecta le
+manque d'argent, la banqueroute, la guerre civile.
+
+«Vous croyez donc, ajouta-t-il, le péril bien pressant pour aller si
+vite aux extrêmes?--Je le crois si pressant, lui dis-je, que, dans un
+mois d'ici, je ne répondrais plus ni de la liberté du roi, ni de sa
+tête, ni de la vôtre.»
+
+Hélas! Chamfort m'avoit rendu prophète; mais je ne fus point écouté, ou
+plutôt je le fus par un ministre foible, qui lui-même ne le fut pas.
+
+Cependant les députés des trois ordres s'étoient rendus à Versailles à
+peu près au nombre prescrit: trois cents de l'ordre du clergé, trois
+cents de l'ordre de la noblesse et six cents de l'ordre du tiers état, y
+compris ceux de la commune de Paris, qui n'arrivèrent que quelques jours
+après.
+
+Ce fut le 5 mai que se fit l'ouverture de l'assemblée. Jamais la nation
+n'avoit été si pleinement représentée, jamais tant de si graves intérêts
+n'avoient été remis à ses représentans, jamais aussi tant de talens et
+de lumières ne s'étoient réunis pour travailler ensemble au grand
+ouvrage du bien public; jamais enfin un roi ni meilleur, ni plus juste,
+ne s'étoit offert pour y contribuer. Que de bonheur un système aveugle
+de révolution a détruit!
+
+Le roi, dans tout l'appareil de sa majesté, accompagné de la reine et
+des deux princes ses frères, des princes de son sang, des pairs de son
+royaume, des officiers de sa couronne, de son garde des sceaux et du
+ministre de ses finances, se rendit à la salle des États assemblés.
+
+Il parut avec une dignité simple, sans orgueil, sans timidité, portant
+sur le visage le caractère de bonté qu'il avoit dans le coeur, doucement
+ému du spectacle et du sentiment que la vue des députés d'une nation
+fidèle devoit inspirer à son roi.
+
+Rien de plus vrai que l'air, le ton, l'accent de l'âme, l'expression
+simple et sensible dont il prononça le discours que je vais
+transcrire[40].
+
+«Messieurs, ce jour que mon coeur attendoit depuis longtemps est enfin
+arrivé, et je me vois entouré des représentans de la nation à laquelle
+je me fais gloire de commander. Un long intervalle s'étoit écoulé depuis
+la dernière tenue des États généraux; et, quoique la convocation de ces
+assemblées parût être tombée en désuétude, je n'ai point balancé à
+rétablir un usage dont le royaume peut tirer une nouvelle force et qui
+peut ouvrir à la nation une nouvelle source de bonheur.
+
+«La dette de l'État, déjà immense à mon avènement au trône, s'est encore
+accrue sous mon règne; une guerre dispendieuse, mais honorable, en a été
+la cause; l'augmentation des impôts en a été la suite nécessaire, et a
+rendu plus sensible leur inégale répartition. Une inquiétude générale,
+un désir immodéré d'innovation, se sont emparés des esprits et
+finiroient par égarer totalement les opinions si l'on ne se hâtoit de
+les fixer par une réunion d'avis sages et modérés.
+
+«C'est dans cette confiance, Messieurs, que je vous ai rassemblés, et je
+vois avec sensibilité qu'elle a déjà été justifiée par des dispositions
+que les deux premiers ordres ont montrées à renoncer à leurs intérêts
+pécuniaires. L'espérance que j'ai eue de voir tous les ordres, réunis de
+sentimens, concourir avec moi au bien général de l'État, ne sera point
+trompée.
+
+«J'ai déjà ordonné dans les dépenses des retranchemens considérables.
+Vous me présenterez à cet égard des idées que je recevrai avec
+empressement; mais, malgré les ressources que peut offrir l'économie la
+plus sévère, je crains, Messieurs, de ne pouvoir pas soulager mes sujets
+aussi promptement que je le désirerois.
+
+«Je ferai mettre sous vos yeux la situation exacte des finances; et,
+quand vous l'aurez examinée, je suis assuré d'avance que vous me
+proposerez les moyens les plus efficaces pour y établir un ordre
+permanent et affermir le crédit public. Ce grand et salutaire ouvrage,
+qui assurera le bonheur du royaume au dedans et sa considération au
+dehors, vous occupera essentiellement.
+
+«Les esprits sont dans l'agitation; mais une assemblée des représentans
+de la nation n'écoutera sans doute que les conseils de la sagesse et de
+la prudence. Vous aurez jugé vous-mêmes, Messieurs, qu'on s'en est
+écarté dans plusieurs occasions récentes; mais l'esprit dominant de vos
+délibérations répondra aux véritables sentimens d'une nation généreuse,
+et dont l'amour pour ses rois a toujours fait le caractère distinctif.
+J'éloignerai tout autre souvenir.
+
+«Je connois l'autorité et la puissance d'un roi juste, au milieu d'un
+peuple fidèle et attaché de tout temps aux principes de la monarchie.
+Ils ont fait la gloire et l'éclat de la France; je dois en être le
+soutien, et je le serai constamment. Mais tout ce qu'on peut attendre du
+plus tendre intérêt au bonheur public, tout ce qu'on peut demander à un
+souverain, premier ami de ses peuples, vous pouvez, vous devez l'espérer
+de mes sentimens.
+
+«Puisse, Messieurs, un heureux accord régner dans cette assemblée, et
+cette époque devenir à jamais mémorable pour le bonheur et la prospérité
+du royaume! C'est le souhait de mon coeur; c'est le plus ardent de mes
+voeux; c'est enfin le prix que j'attends de la droiture de mes intentions
+et de mon amour pour mes peuples.»
+
+Ces paroles du roi firent sur l'assemblée la plus favorable impression.
+
+Le garde des sceaux, selon l'usage, développa les intentions du roi; il
+observa que dans l'ancien temps le service militaire étant aux frais de
+la noblesse, et la subsistance des veuves, des orphelins, des indigens,
+étant prise alors sur les biens du clergé, ce genre de contribution les
+acquittoit envers l'État; mais qu'aujourd'hui que le clergé avoit des
+richesses considérables, et que la noblesse obtenoit des récompenses
+honorifiques et pécuniaires, les possessions de ces deux ordres devoient
+subir la loi commune de l'impôt. Parmi les objets qui devoient fixer
+l'attention de l'assemblée, il indiqua les changemens utiles que
+pouvoient exiger la législation civile et la procédure criminelle; et,
+en reconnoissant la nécessité de rendre l'administration de la justice
+plus facile, d'en corriger les abus, d'en restreindre les frais, de
+tarir la source de ces discussions interminables qui ruinoient les
+familles, et de mettre les justiciables à portée d'obtenir un prompt
+jugement, il rendit tacitement hommage aux principes de Lamoignon.
+
+Enfin, par ordre exprès du roi, le directeur général des finances, ayant
+pris la parole, en exposa la situation; et, sans dissimuler le mal, il
+en indiqua les remèdes. Sur ce tableau, si effrayant dans l'ombre, il
+répandit une lumière rassurante, et aux aveux les plus affligeans il
+mêla les consolations d'une espérance courageuse. Il fit voir que
+l'objet le plus pressant et le plus difficile, l'égalité à établir entre
+les revenus et les dépenses fixes, ne demandoit pas même le secours d'un
+nouvel impôt; que ce vide seroit rempli par de simples réductions et de
+légères économies. Quant aux ressources qui lui restoient pour les
+besoins de la présente année, pour les dépenses extraordinaires des deux
+suivantes, pour l'amortissement successif des anciennes dettes, pour
+diminuer la somme des anticipations, enfin pour acquitter quelques
+dettes pressantes et actuellement exigibles, il les indiqua, ces
+ressources, dans le casuel progressif des extinctions des rentes
+viagères, dans le produit des économies et des nouvelles améliorations,
+dans l'accroissement des subsides plus également imposés, plus
+régulièrement perçus. Enfin, sûr d'obtenir du temps et du crédit
+national le seul moyen légitime et permis d'alléger les charges
+publiques, il n'en vouloit point d'autres, et il répudioit, comme
+indigne d'un roi et d'une nation magnanime, toute espèce d'altération
+dans la foi des engagemens.
+
+«Que de plus grandes précautions, dit-il, soient prises pour l'avenir,
+le roi le désire, le roi le veut; mais à une époque si solennelle, où la
+nation est appelée par son souverain à l'environner non pas pour un
+moment, mais pour toujours; à une époque où cette nation est appelée à
+s'associer en quelque manière aux pensées et aux volontés de son roi, ce
+qu'elle désirera de seconder avec le plus d'empressement, ce sont les
+sentimens d'honneur et de fidélité dont il est rempli. Ce sera un jour,
+Messieurs, un grand monument du caractère moral de Sa Majesté que cette
+protection accordée aux créanciers de l'État, que cette longue et
+constante fidélité, car, en y renonçant, le roi n'avoit besoin d'aucun
+secours; et c'est là peut-être le premier conseil que les machiavélistes
+modernes n'auroient pas manqué de lui donner.»
+
+À ces maximes de justice et de probité Necker ajouta le grand intérêt de
+la puissance politique, dont ces principes étoient la base; et, avec la
+même éloquence dont il avoit plaidé la cause des créanciers de l'État,
+il plaida celle des pensionnaires. Sa loyauté fut applaudie.
+
+Mais, lorsqu'en parlant de certains mandats conditionnels, où les
+engagemens à prendre à l'égard des finances étoient considérés comme un
+objet secondaire, qui devoit être précédé de toutes les concessions et
+de toutes les assurances que la nation demanderoit, le ministre observa
+que les besoins des finances n'étoient que les besoins publics; que les
+dépenses de l'État ne concernoient pas moins la nation que le monarque;
+qu'il y alloit de sa sûreté, de son repos, de sa défense, de toutes les
+commodités de son existence publique, et qu'une obligation aussi absolue
+que celle d'y pourvoir ne laissoit pas la liberté de la rendre
+conditionnelle; enfin, lorsqu'en supposant même que le roi eût plus
+d'intérêt que la nation au rétablissement de l'ordre et du crédit et à
+l'acquittement de la dette publique, Necker osa dire aux députés: «Non,
+Messieurs (et il est bon de vous le faire observer, afin que vous aimiez
+davantage votre auguste monarque), non, ce n'est pas à la nécessité
+absolue d'un secours d'argent que vous devez le précieux avantage d'être
+assemblés par Sa Majesté en États généraux»; et qu'il leur fit voir,
+article par article, que le plus grand nombre des moyens de subvenir aux
+besoins de l'État et de remplir le déficit auroient été dans les mains
+du roi sans commettre aucune injustice, et par de simples retranchemens
+soumis à sa puissance et à sa volonté, alors ceux qui, dans leur système
+de domination, vouloient faire subir au roi la loi de la nécessité,
+s'offensèrent que son ministre parût vouloir l'en affranchir. On leur
+avoit entendu dire que la nation devroit lapider l'homme qui
+enseigneroit au roi à se passer de nouveaux secours.
+
+Necker, il est vrai, vouloit dissuader l'assemblée du droit qu'elle
+croyoit avoir de refuser son assistance; mais, en faisant soutenir au
+roi la dignité de sa couronne, il laissoit à la nation tous les moyens
+de contenir son autorité légitime dans les bornes de l'équité.
+
+Et en effet, par un commun accord entre le monarque et les peuples, les
+dépenses étant fixées, les impôts consentis, les ministres comptables,
+les états de recettes et de dépenses publiés, mis sous les jeux de la
+nation et vérifiés par elle-même, enfin les abus réformés, et
+l'administration soumise aux règles de la plus exacte économie, que
+vouloit-on de plus? Et si l'égalité de l'impôt étoit convenue, si le
+retour des États généraux étoit réglé, la presse libre comme elle
+pouvoit l'être, les lettres de cachet abolies ou confiées à la sagesse
+d'un tribunal; si la liberté, la sûreté publique et personnelle, la
+propriété, l'égalité de tous les citoyens devant la loi et sous la loi,
+étoient rendues inviolables; si tous ces biens étoient non seulement
+offerts, mais assurés à la nation, que manquoit-il au succès inouï de
+cette première assemblée? Il y manquoit ce caractère d'indépendance et
+de domination que les partisans fanatiques d'une démocratie absolue et
+despotique vouloient avoir dans leurs décrets.
+
+«Lorsqu'il en sera temps, leur disoit M. Necker, Sa Majesté appréciera
+justement le caractère de vos délibérations; et, s'il est tel qu'elle
+l'espère, s'il est tel qu'elle a droit de l'attendre, s'il est tel enfin
+que la plus saine partie de la nation le veut et le demande, le roi
+secondera vos intentions et vos travaux; il mettra sa gloire à les
+couronner, et, l'esprit du meilleur des princes se mêlant, pour ainsi
+dire, à celui qui inspirera la plus fidèle des nations, on verra naître
+de cet accord le plus grand des biens, la plus solide des puissances.»
+
+C'étoit ce langage d'une autorité qui se réservoit l'examen et le libre
+consentement, c'étoit là ce qui blessoit l'orgueil de la ligue
+démocratique. Jaloux de voir le souverain vouloir de son pur mouvement
+ce qu'ils prétendoient commander, ils accusoient Necker de revêtir le
+despotisme des formes de la bienfaisance. Ils vouloient un roi qui ne
+fût plus un roi.
+
+Cependant, malgré Mirabeau et malgré le libelle violent qu'il publia, le
+discours du roi et celui du ministre eurent, dans l'assemblée comme dans
+le public, le suffrage des gens de bien.
+
+L'affluence la plus nombreuse des habitans de Paris s'étoit pressée en
+foule jusqu'à Versailles, pour jouir du spectacle de l'ouverture des
+États. Et lorsque le roi, à la tête des députés de la nation, se rendit
+après l'assemblée à l'église de Saint-Louis, la pompe, l'ordre, la
+majesté de cette marche auguste, le silence respectueux d'une foule de
+spectateurs dont elle étoit bordée; le roi, au milieu de cette cour
+nationale, plein d'une douce et crédule joie, et autour de lui sa
+famille, heureuse du même bonheur; tout cela, dis-je, ensemble, fit sur
+les âmes une impression si vive et si profonde que des larmes
+involontaires couloient de tous les yeux. On croyoit voir les espérances
+précéder la marche des États généraux, et les prospérités la suivre;
+mais, au milieu de cet appareil de patriotisme et de concorde, le
+mouvement sourd qui précède les dissensions orageuses agitoit déjà les
+esprits.
+
+
+
+
+LIVRE XV
+
+
+D'abord, entre les ordres, la contestation s'éleva, comme on l'avoit
+prévu, sur la manière de se former. Leur première résolution fut, du
+côté du tiers état, de ne jamais délibérer par chambre, et, du côté de
+la noblesse et du clergé, de ne jamais délibérer par tête: résolution
+qui rompoit dès l'entrée la convocation des États, si chacun des partis
+se fût tenu inébranlable.
+
+Mais le parti des premiers ordres, déjà trop foible, s'affoiblit encore
+en prenant mal son point d'appui. Le tiers, pour l'engager à délibérer
+en commun, commença par lui demander la vérification des pouvoirs; et il
+étoit évidemment fondé à vouloir que ce fût ensemble et en commun que
+s'en fît l'examen: ne falloit-il pas se connoître? À quoi s'engageoit-on
+en se communiquant les titres de sa légation? Chacun, après cet examen,
+n'eût-il pas été libre encore? Les premiers ordres s'y refusèrent. Au
+lieu d'attendre le moment et l'occasion de prendre un poste ferme, ils
+crurent pouvoir pied à pied disputer le terrain; et une mauvaise
+difficulté en débutant fut pour eux une fausse position où ils ne purent
+se soutenir.
+
+Le motif de cette conduite étoit la connoissance que les deux premiers
+ordres avoient de leur députation.
+
+Parmi les nobles, un assez grand nombre de têtes exaltées, les uns par
+un esprit de liberté, d'indépendance, les autres par des vues et des
+calculs d'ambition, penchoient vers le parti du peuple, où ils
+espéroient être honorés, distingués, élevés aux premiers emplois. Dans
+le clergé, un plus grand nombre encore, et, comme je l'ai dit, toute la
+foule des curés, tenoit au parti des communes par toutes sortes de
+liens. Le plus populaire des hommes, c'est un curé, s'il est homme de
+bien. Mais un sentiment moins louable, quoiqu'aussi naturel, étoit leur
+aversion d'abord pour les évêques, dont la sévérité leur étoit souvent
+importune, et puis pour cette classe mitoyenne d'abbés qui étoient
+l'objet de leur envie: classe inutile, disoient-ils, et la seule
+favorisée; oisive, et fière encore de son oisiveté; dédaigneuse du
+ministère, et insultant avec l'orgueil d'une fastueuse opulence à
+l'humble médiocrité, quelquefois même à la détresse du pénible état de
+pasteur. C'étoit là surtout ce qui aliénoit le bas clergé, et le
+repoussoit vers un ordre où l'avoit placé la nature, lequel d'ailleurs
+ne négligeoit pas de lui promettre un sort plus doux.
+
+Or, tant que chacun dans son corps seroit contenu par l'exemple et
+retenu par la pudeur, on avoit lieu de croire qu'il y resteroit attaché;
+mais si, une fois en délibération et en communauté avec le tiers état,
+ils se voyoient enveloppés du parti populaire, il étoit à craindre
+qu'ils n'y restassent; et c'étoit ce premier abord qu'on vouloit éviter.
+Mais le seul moyen d'empêcher la désertion auroit été de la rendre
+honteuse et déshonorante dans l'opinion publique, en se donnant un
+caractère de franchise et de loyauté qui ne laissât aucun prétexte à la
+bassesse des transfuges. Des commissaires conciliateurs furent nommés
+par les trois ordres, et de leurs conférences il ne résulta rien.
+
+Un monarque plus occupé de lui-même que de l'État, et qui, jaloux de sa
+puissance, auroit vu qu'on venoit au moins la restreindre et la
+subjuguer, auroit laissé les ordres se fatiguer de leurs débats, et la
+discorde rebuter et dissoudre cette dangereuse assemblée; mais le roi,
+qui vouloit sincèrement le bien public, espérant engager les ordres à
+l'opérer de concert avec lui, ne craignoit rien tant que de les voir se
+séparer; et, avec la même bonne foi qu'il les avoit appelés à son aide,
+il cherchoit les moyens de les concilier, les pressant _de tout son
+amour_ d'y donner leur consentement.
+
+Le clergé accepta la médiation du roi. La noblesse, se défiant des
+conseils du ministre, ne donna son consentement qu'avec des restrictions
+qui valoient un refus. Le tiers se dispensa de répondre à l'offre du
+roi, attendu, disoit-il, que la noblesse modifiant par des réserves
+l'acquiescement qu'elle y sembloit donner, ce ne pouvoit plus s'appeler
+un moyen conciliatoire. Le clergé sentoit sa foiblesse; la noblesse prit
+son courage pour de la force; le tiers sentit la sienne, il en usa, et
+il en abusa.
+
+L'arrêté qu'il prit le 10 juin, à la presque unanimité, fut de terminer
+des délais inutiles, et de passer de l'attente à l'action, toutefois
+après avoir fait une dernière tentative et de nouvelles instances au
+clergé et à la noblesse d'assister et de concourir à la vérification des
+pouvoirs, en les avertissant qu'on y procéderoit tant en l'absence qu'en
+présence des classes privilégiées. On ajouta que les communes
+exposeroient au roi les motifs de cette grande délibération.
+
+Le nom de _communes_ que le tiers avoit pris, et le nom de _classes_
+qu'il donnoit aux deux premiers ordres, annonçoit qu'il ne vouloit plus
+entre eux et lui de distinction de grades; ainsi, pour la noblesse et le
+clergé, plus de milieu à prendre ni de délai à obtenir. Il falloit ou se
+réunir au tiers, comme ils l'ont fait depuis, ou, après la vérification
+des pouvoirs faite en commun, se retirer chacun des deux ordres de son
+côté, se constituer l'un et l'autre parties intégrantes des États
+généraux; faire d'eux-mêmes au bien public les plus généreux sacrifices,
+se déclarer soumis aux impositions dans la plus exacte équité,
+reconnoître l'obligation de garantir la dette nationale et de subvenir
+aux besoins de l'État, tenir pour abolie la servitude personnelle,
+accorder le rachat de tous les droits onéreux au peuple, améliorer le
+sort du clergé inférieur, consacrer les principes d'égalité devant la
+loi, de propriété, de sûreté personnelle et publique, de tolérance à
+l'égard des cultes; du reste, professer un inviolable attachement aux
+principes fondamentaux de la monarchie françoise; porter au pied du
+trône et signifier au tiers état ses engagemens solennels, et demander
+sur tout le reste la délibération par chambres, en réservant au roi le
+droit inaliénable d'accorder ou de refuser sa sanction aux décrets des
+États; en même temps, protester contre tous les actes qui les
+supposeroient absens; déclarer nuls tous ceux qui les engageroient sans
+le concours de leurs suffrages, publier ces résolutions, et, d'après
+celles des communes, opérer avec elles; ou, si le tiers s'y refusoit, se
+retirer avec la dignité convenable à des hommes qui auroient rempli leur
+tâche et fait librement leur devoir. Leur conduite, manifestée dans les
+provinces, y auroit rendu odieuse l'ambition du tiers, d'autant que la
+chaire évangélique n'étoit pas encore interdite à la vérité courageuse,
+et qu'elle y auroit pu retentir. Cet heureux moment fut perdu.
+
+La noblesse se constitua, mais se tint sur la défensive. Le clergé crut
+pouvoir garder une neutralité simulée. «Il attendit, dit Tolendal, qu'il
+y eût un vainqueur pour se faire un allié.»
+
+Depuis leur arrêté du 10, les communes s'étoient occupées à vérifier
+leurs pouvoirs. Cette opération finie, ayant jugé que l'oeuvre de la
+restauration nationale pouvoit et devoit être commencée sans retard par
+les députés présens, il fut décrété (le 15 juin) de la suivre sans
+interruption, sans obstacle; et néanmoins que, si les députés absens se
+présentoient durant le cours de la session qui alloit s'ouvrir,
+l'assemblée les recevroit avec joie, et s'empresseroit, après la
+vérification de leurs pouvoirs, de partager avec eux ses travaux. On eut
+soin d'ajouter que la représentation nationale seroit une et
+indivisible, et qu'il n'appartiendroit qu'à des représentans, légalement
+vérifiés et légitimement reconnus, de concourir à former le voeu
+national.
+
+Il ne s'agissoit plus que de savoir quel nom l'assemblée se donneroit.
+Celui d'_Assemblée nationale_, le plus ambitieux de tous, fut celui
+qu'elle préféra (le 17 juin); et ceux qui n'étoient pas d'avis que les
+communes usurpassent le titre de _nation_ furent inscrits sur une liste
+qu'on fit circuler dans Paris, forme de dénonciation qui, depuis, a été
+mortelle à la liberté des suffrages.
+
+Le second acte de la toute-puissance que les communes s'attribuèrent fut
+de déclarer nulles toutes les contributions qui avoient existé
+jusqu'alors, et de poser en principe que, pour le passé même, il avoit
+fallu non pas l'assentiment tacite, mais le consentement formel de la
+nation pour légitimer les impôts.
+
+Dès ce moment, le ministre devoit tenir le roi en garde contre cette
+usurpation de puissance, et l'engager à rompre une assemblée factieuse,
+comme excédant les bornes de ses fonctions, et comme s'arrogeant un
+pouvoir qu'elle n'avoit pas.
+
+Mais le conseil, bien loin d'être en état de prendre une résolution,
+n'avoit pas même un plan de conduite et de résistance. Je tiens de l'un
+des hommes qui, dans cette Assemblée, ont montré le plus de courage, de
+lumières et de talens; je tiens de Malouet qu'ayant lui-même un jour
+demandé à Necker, en présence de deux autres ministres, si, contre les
+attaques dont le trône étoit menacé, il avoit un plan de défense, Necker
+lui répondit qu'il n'en avoit aucun. «S'il est ainsi, répondit Malouet,
+tout est perdu.»
+
+Necker n'étoit déjà plus le ministre que demandoient les circonstances.
+Il avoit engagé l'État dans un détroit, et parmi des écueils dont il ne
+sut point le tirer.
+
+Cependant il ne put dissimuler au roi que l'Assemblée s'arrogeoit une
+puissance exorbitante; et ce fut pour la contenir que, le 20 du mois,
+fut proclamée, pour le 22, une séance royale. Jusque-là il fut ordonné
+que les salles seroient fermées et que les États vaqueroient: foible
+moyen pour empêcher la réunion d'une partie du clergé avec les communes,
+car on en étoit menacé.
+
+La cour et le conseil étoient remplis d'agitation. La noblesse et le
+haut clergé voyoient leur ruine prochaine si le roi les abandonnoit, et
+lui demandoient son appui. Il fut donc résolu dans le conseil que le roi
+iroit en personne marquer aux députés du peuple les limites de leurs
+pouvoirs; les engager à la concorde, au nom du salut de l'État, et, pour
+y concourir, manifester lui-même ses intentions bienfaisantes.
+
+Cette déclaration à rédiger demandoit beaucoup de prudence. Il falloit
+éviter, comme deux écueils, de céder aux communes et de les soulever.
+Necker, chargé de ce travail, s'appliqua, selon ses principes, à
+tempérer sans l'affoiblir le caractère de l'autorité, à ne rien faire
+vouloir au roi qui ne fût juste et désirable, et à concilier ce qui
+appartenoit à la majesté du monarque avec ce qui lui sembloit dû à la
+dignité des représentans de la nation. Son travail fut d'abord adopté;
+mais, en son absence, et dans un conseil qui se tint à Marly, on y fit
+quelques altérations légères, à ce qu'on assure, mais telles, m'a-t-il
+dit lui-même, que la déclaration ne pouvoit plus avoir l'effet qu'on
+s'étoit proposé.
+
+Quel qu'eût été le changement, que je n'ai pu vérifier, il est certain
+que le discours manquoit d'ensemble, et qu'il alloit mal à son but.
+
+Le 20, l'ordre de la noblesse avoit obtenu du roi une audience, dans
+laquelle son président, le duc de Luxembourg, portant la parole: «Sire,
+lui avoit-il dit, les députés de l'ordre du tiers état ont cru pouvoir
+concentrer en eux seuls l'autorité des États généraux. Sans attendre le
+concours des deux autres ordres et la sanction de Votre Majesté, ils ont
+cru pouvoir convertir leurs décrets en lois. Ils en ont ordonné
+l'impression et l'envoi dans les provinces. Ils ont déclaré nulles et
+illégales les contributions actuellement existantes; ils les ont
+consenties provisoirement pour la nation, mais en limitant leur durée.
+Ils ont pensé sans doute pouvoir s'attribuer les droits réunis du roi et
+des trois ordres. C'est entre les mains de Votre Majesté que nous
+déposons nos protestations à de pareilles entreprises.»
+
+La noblesse ajoutoit les assurances les plus fortes de zèle, de
+fidélité, de courage et de dévouement.
+
+«Je connois, répondit le roi, les droits attachés à ma naissance; je
+saurai les défendre; je saurai maintenir, pour l'intérêt de tous mes
+sujets, l'autorité qui m'est confiée, et je ne permettrai jamais qu'on
+l'altère. Je compte sur votre zèle pour la patrie, sur votre attachement
+à ma personne; et j'attends avec confiance de votre fidélité que vous
+adopterez les vues de conciliation dont je suis occupé pour le bonheur
+de mes peuples.»
+
+Et la harangue et la réponse supposoient des mesures et des moyens dont
+il eût fallu s'assurer. On oublia trop cette maxime, que l'autorité qui
+s'expose à montrer sa faiblesse achève de s'anéantir.
+
+En attendant la séance royale, les communes n'ayant aucun endroit décent
+où s'assembler prirent le premier qui s'offrit. Ce fut un jeu de paume,
+rendu célèbre par le serment qu'elles y prononcèrent de ne jamais être
+séparées, et de se rassembler partout où les circonstances
+l'exigeroient, jusqu'à ce que la constitution du royaume et la
+régénération de l'ordre fussent rétablies et affermies sur des bases
+solides. On étoit loin de s'être mis en garde contre ces actes de
+vigueur.
+
+La séance annoncée pour le lundi 22 ayant été remise au lendemain,
+l'assemblée se transféra du jeu de paume dans l'église de Saint-Louis,
+sans doute afin que la sainteté du lieu donnât un caractère plus
+imposant à ce qui alloit s'y passer.
+
+À peine fut-elle établie que, les portes du sanctuaire s'étant ouvertes,
+elle en vit sortir et s'avancer au milieu d'elle les archevêques de
+Bordeaux[41] et de Vienne[42], l'évêque de Chartres[43] et celui de
+Rodez[44], à la tête de cent quarante-cinq députés du clergé. Les
+communes les reçurent avec une joie de sacrificateurs à qui on amenoit
+des victimes; et le peuple qui remplissoit l'église sembla vouloir, en
+les applaudissant, achever de les étourdir sur le sort qui les
+attendoit. Le corps des communes, grossi de ce renfort, redoubla
+d'assurance et de résolution pour la séance du lendemain.
+
+Necker se dispensa d'y accompagner le roi. Je dois, sans l'approuver,
+expliquer le motif d'une conduite si étrange. Il avoit soutenu
+ouvertement, dans le conseil, que la réunion des trois chambres en une
+seule étoit inévitable, et qu'il y auroit à la différer le plus grand
+danger pour l'État; qu'on devoit voir que les communes étoient
+irrévocablement décidées à ne pas reconnoître la délibération par ordre,
+et que l'autorité du roi seroit inutilement compromise à les y
+contraindre; que, si la résistance étoit la même du côté des deux
+premiers ordres, il en arriveroit ou que les États seroient tenus sans
+leur concours, ou qu'ils seraient dissous; que l'un entraîneroit la
+ruine du clergé et de la noblesse, et l'autre celle du royaume; que,
+dans l'épuisement de toutes les ressources, on touchoit au moment fatal
+où les payemens même les plus instamment exigibles, ceux du Trésor
+royal, ceux de l'Hôtel de ville, le prêt même des troupes, la
+subsistance de Paris, tout alloit manquer; que la famine, la
+banqueroute, peut-être la guerre civile, menaçoient le royaume, si les
+États étoient rompus, ou n'étoient pas incessamment d'accord; et, après
+avoir frappé le roi et le conseil de ces vérités alarmantes, il leur
+avoit fait adopter une déclaration où il avoit tâché de ménager en même
+temps la dignité royale et la fierté républicaine.
+
+Or, c'étoit là surtout ce qu'on avoit changé dans la déclaration. On
+avoit supposé comme principe incontestable ce qui seroit le plus
+vivement contesté; on y avoit fait vouloir au roi tout ce que vouloit la
+noblesse; on lui faisoit annuler ou défendre tout ce qu'elle ne vouloit
+pas. C'étoit lui supposer et la puissance actuelle et la ferme
+résolution de rompre et de dissoudre sur-le-champ l'Assemblée en cas de
+résistance à son autorité. Or, l'une étoit aussi chancelante que
+l'autre. La banqueroute et la guerre civile étoient comme deux spectres
+qui épouvantoient le roi.
+
+Necker, ayant donc appris que son ouvrage étoit changé, et qu'on mettoit
+aux prises l'autorité royale avec la liberté publique, crut devoir
+s'abstenir de paroître à cette séance, où sa présence eût laissé croire
+qu'il adhéroit à ce qui s'étoit fait malgré lui. Sa conduite a fait dire
+aux uns qu'il avoit voulu attirer à lui seul la faveur du peuple, aux
+autres qu'il avoit donné le signal de la rébellion, et aux plus modérés
+qu'uniquement occupé de sa réputation, il avoit tout sacrifié à son
+intérêt personnel.
+
+La déclaration fut lue à l'Assemblée en présence du roi, et l'on n'eut
+pas de peine à y reconnoître deux caractères incohérens. Elle étoit
+divisée en deux parties. Dans la première se déployoit, comme je l'ai
+dit, le pouvoir le plus absolu. Dans l'autre, et à la suite de ces
+formules de despotisme, déjà trop rigoureusement employées dans les lits
+de justice, venoit un exposé touchant des bonnes intentions du roi, et
+des mesures qu'il vouloit prendre pour produire et pour assurer la
+prospérité du royaume; et, après avoir appelé les États généraux à
+s'occuper avec lui des grands objets d'utilité publique, le roi vouloit
+que toutes les lois qu'il auroit sanctionnées dans la tenue actuelle des
+États ne pussent jamais être changées sans le consentement des ordres
+réunis. Seulement, à l'égard de la force publique, protectrice de
+l'ordre et de la sûreté, soit au dedans, soit au dehors, il déclaroit
+expressément qu'il vouloit conserver en son entier, et sans la moindre
+altération, l'institution de l'armée, ainsi que toute autorité de police
+et de discipline sur le militaire, telle que les monarques françois en
+avoient constamment joui.
+
+Si les États avoient voulu devoir au roi une monarchie réglée et
+tempérée, le roi la leur donnoit; mais ils ne croyoient pas digne d'eux
+de la tenir de lui; et, quelle que fût la nouvelle constitution qu'ils
+n'avoient pas méditée encore, ils entendoient qu'elle fût leur ouvrage,
+et non pas un bienfait du roi. Ainsi, toute l'attention des esprits se
+porta sur la partie de la déclaration qui rappeloit le pouvoir
+arbitraire. Ce qu'on y avoit ajouté de plus doux et de plus sensible fut
+regardé comme un appât pour amorcer l'obéissance, et comme un foible et
+vain palliatif à des actes de despotisme que le roi venoit exercer.
+
+Les communes furent surtout blessées de cette conclusion du roi,
+lorsque, prenant lui-même la parole, il dit:
+
+«Vous venez, Messieurs, d'entendre le résultat de mes dispositions et de
+mes vues. Elles sont conformes au vif désir que j'ai d'opérer le bien
+public; et si, par une fatalité qui est loin de ma pensée, vous
+m'abandonniez dans une si belle entreprise, seul je ferai le bien de mes
+peuples, seul je me considérerai comme leur véritable représentant, et,
+connoissant vos cahiers, connoissant l'accord parfait qui existe entre
+le voeu le plus général de la nation et mes intentions bienfaisantes,
+j'aurai toute la confiance que doit inspirer une si rare harmonie, et je
+marcherai vers le but auquel je veux atteindre avec tout le courage et
+la fermeté que je dois avoir... C'est moi, jusqu'à présent, qui fais
+tout pour le bonheur de mes peuples, et il est rare peut-être que
+l'unique ambition d'un souverain soit d'obtenir de ses sujets qu'ils
+s'entendent enfin pour accepter ses bienfaits.»
+
+Ce ton d'autorité, ces mots de _souverain_, de _sujets_, de _bienfaits_,
+parurent offensans pour des oreilles républicaines; et, quand le roi
+finit par ordonner aux trois ordres de se retirer chacun dans leur
+chambre, la résolution tacite des communes fut de ne pas lui obéir.
+Ainsi fut perdu tout le fruit des bonnes volontés du roi, et la discorde
+s'accrut dans une séance destinée à l'étouffer.
+
+La séance finie, les communes, dans un silence respectueux, mais sombre,
+laissèrent l'ordre de la noblesse accompagner le roi, et se tinrent dans
+cette salle, qui, dès ce moment, fut la leur. Inutilement, de la part du
+roi, leur ordonna-t-on d'en sortir. Là même, et sur-le-champ, il fut
+résolu de persister dans leurs précédens arrêtés, et celui-ci fut pris
+tout d'une voix. En même temps on décréta que la personne des députés
+seroit inviolable, qu'aucun d'eux, pour ce qu'il auroit dit ou fait dans
+l'Assemblée, ne pourroit être poursuivi, arrêté, détenu par le pouvoir
+exécutif, ni durant ni après la session; ce décret déclarant infâmes et
+traîtres envers la patrie les auteurs, instigateurs ou exécuteurs de
+pareils attentats. On y ajouta que, durant la session, la personne des
+députés seroit à l'abri de toute poursuite criminelle et même civile, à
+moins que l'Assemblée ne fît cesser l'exemption. L'avis en fut ouvert
+par Mirabeau, homme intéressé plus que personne à mettre une barrière
+entre les lois et lui.
+
+Un peuple nombreux, envoyé de Paris à Versailles, avoit environné la
+salle des États durant la séance royale. Il l'entouroit encore lorsqu'on
+lui apprit que Necker alloit demander sa retraite. Ce bruit étoit fondé.
+
+Le roi, frappé d'étonnement de n'avoir pas vu à sa suite le ministre des
+finances, et plus surpris encore de ne pas le trouver dans le palais à
+son retour, avoit demandé avec inquiétude à Montmorin si Necker vouloit
+le quitter; et, Montmorin lui ayant fait entendre qu'il le croyoit, le
+roi l'avoit chargé d'aller lui dire qu'il l'attendoit.
+
+Ce fut à sept heures du soir, dans le moment où Necker étoit renfermé
+seul avec le roi, que le peuple inonda les cours et l'intérieur du
+palais, en criant que le roi étoit trompé, et que le peuple redemandoit
+M. Necker.
+
+L'entretien du roi avec son ministre dura une heure entière. Le peuple
+en attendit l'issue. Enfin il vit partir le roi pour Trianon sans le
+saluer de ce cri de _Vive le roi!_ qu'il méritoit si bien, et, l'instant
+d'après, il vit Necker descendre l'escalier et monter dans sa chaise. Ce
+fut pour lui qu'en ce moment éclatèrent les voeux et les bénédictions. On
+a reproché au ministre d'avoir voulu jouir de son triomphe, et il est
+vrai qu'il y aurait eu de l'insolence s'il y avoit eu de l'intention;
+mais quoique, par les galeries, Necker pût retourner modestement chez
+lui sans se montrer au peuple, il y a eu, ce me semble, trop de rigueur
+à lui faire un crime de n'avoir pas eu pour le roi cette respectueuse
+attention.
+
+Necker, assailli par la reconnoissance du peuple et par ses
+applaudissemens, accompagné jusqu'à son hôtel, que la même foule
+investit, n'y fut pas plus tôt arrivé qu'il y vit accourir non pas une
+députation de l'Assemblée, mais l'Assemblée entière, qui, se pressant
+autour de lui, le supplioit, au nom de la patrie, au nom du roi
+lui-même, au nom du salut de l'État, de ne pas les abandonner. Ce
+n'étoit là qu'un jeu de théâtre pour rendre le parti royaliste odieux;
+et le dessein d'anéantir le ministre lui-même, s'il n'étoit pas voué au
+parti populaire, n'en étoit pas moins pris dans le conseil de la
+faction.
+
+Necker voulut leur faire entendre que, seul, il n'avoit plus le pouvoir
+de faire aucun bien. «Nous vous aiderons, s'écria Target, se donnant le
+droit de parler au nom de tous, et, pour cela, il n'est point d'efforts,
+de sacrifices même, que nous ne soyons disposés à faire.--Monsieur, lui
+dit Mirabeau avec le masque de la franchise, je ne vous aime point, mais
+je me prosterne devant la vertu.--Restez, Monsieur Necker, s'écria la
+foule, restez, nous vous en conjurons.» Le ministre, sensiblement ému:
+«Parlez pour moi, Monsieur Target, dit-il, car je ne puis parler
+moi-même.--Eh bien, Messieurs, je reste, s'écria alors Target; c'est la
+réponse de M. Necker.» On a su depuis combien le coup que cette scène
+portoit au coeur du roi lui fut sensible; et cela même entroit dans
+l'intention des acteurs.
+
+Il n'y avoit aucune espérance de rompre l'union des communes, ni de
+vaincre leur résistance. Tous les jours il leur arrivoit des différentes
+villes du royaume des félicitations de commande sur leur fermeté
+courageuse. Dans ces adresses il étoit dit que, si on semoit des pièges
+autour de l'Assemblée nationale, elle n'avoit qu'à tourner ses regards,
+qu'elle apercevroit derrière elle vingt-cinq millions de François, qui,
+les yeux attachés sur sa conduite, attendoient en silence quel seroit
+leur sort et celui de leur postérité. Il ne falloit pas s'attendre à
+voir un parti aussi déclaré reculer d'un pas, ni fléchir.
+
+Il s'en falloit bien que dans l'autre parti la résolution fût aussi
+unanime, ni la résistance aussi ferme. On a vu la division arrivée dans
+le clergé. La noblesse n'étoit guère plus sûre d'elle-même; déjà
+soixante députés de cet ordre avoient désavoué hautement dans leur
+chambre le refus que l'on avoit fait de la médiation du roi. Du côté du
+clergé, le lendemain de la séance royale, cent soixante curés s'étoient
+rendus dans la salle commune. Deux jours après, deux évêques encore,
+celui d'Orange[45] et celui d'Autun[46], y avoient passé. Le même jour,
+l'humble et doux archevêque de Paris[47] y avoit présenté ses pouvoirs.
+Du côté de la noblesse, quarante-sept gentilshommes, et, dans ce nombre,
+des hommes remarquables, s'étoient réunis aux communes. Le reste des
+deux premiers ordres ne pouvoit différer de suivre cet exemple; et, dans
+l'état de crise où étoient les affaires, tout délai étoit dangereux. Le
+roi fit pour les décider ce qu'il auroit fallu qu'il fît avant la séance
+royale. La lettre qu'il leur adressa, en leur sauvant l'humiliation de
+céder aux communes, leur donna lieu de s'honorer d'un sentiment d'amour
+pour lui et de respect pour sa volonté. Ce fut à lui qu'ils se
+rendirent, et ce jour (le 27 juin) fut marqué par la réunion des trois
+ordres dans la salle commune des États généraux.
+
+Cette réunion solennelle se fit d'abord dans un profond silence; mais,
+lorsqu'elle fut consommée, à ce silence respectueux succéda tout à coup
+une explosion de joie qui se communiqua et se répandit au dehors.
+
+Le peuple, susceptible encore de sentimens honnêtes et de douces
+émotions, vient d'apprendre que son triomphe est l'ouvrage du roi, et,
+doublement heureux de l'obtenir et de le lui devoir, se presse vers ce
+palais où quelques jours auparavant l'avoient emporté ses alarmes. Il le
+fait retentir du voeu le plus doux des François. Il demande à voir ce bon
+roi, à lui montrer comme il sait l'aimer, à le rendre témoin des
+transports qu'il lui cause.
+
+Le roi paroît sur le balcon de son appartement, la reine est avec lui;
+et tous les deux entendent leurs noms retentir jusqu'au ciel. De douces
+larmes coulent dans leurs embrassemens, et, par un mouvement dont tous
+les coeurs sont attendris, la reine serre dans ses bras l'objet de leur
+reconnoissance. Alors ce peuple, qui depuis s'est montré si féroce, et
+qui étoit encore bon (j'aime à le répéter), saisit l'instant de payer à
+la reine ses sentimens d'épouse par un bonheur de mère. Il lui demande à
+voir son fils, il demande à voir le Dauphin. Ce précieux et foible
+enfant, porté dans les bras de la reine, est présenté par l'amour
+maternel à la tendresse nationale. Heureux de ne devoir pas vivre assez
+pour voir quels seroient les retours de cette trompeuse faveur!
+
+«Après le bon roi, le bon ministre», s'écrie alors la multitude; et
+d'une commune impulsion elle se précipite vers l'hôtel des finances,
+qu'elle fait retentir encore de bénédictions et de voeux.
+
+Durant la nuit de ce grand jour, Versailles illuminé ne présenta partout
+que le tableau de la félicité publique.
+
+Rien de plus doux que le spectacle d'une nation exaltée par des
+sentimens généreux. Mais l'enthousiasme dans le peuple est dangereux
+lors même qu'il est le plus louable: car le peuple ne connoît point
+d'intervalle entre les extrêmes, et, d'un excès à l'autre, il se laisse
+emporter par la passion du moment. Il sentoit alors tout le prix de la
+liberté. Mais cette liberté récente, dont il étoit comme enivré, alloit
+bientôt le dépraver, en faisant fermenter en lui les élémens de tous les
+vices.
+
+Déjà, sous le nom spécieux de bien public, étoit répandu dans la foule
+un esprit de licence, de faction et d'anarchie. L'indépendance et la
+perpétuité d'une Assemblée nationale où dominoient les communes, et,
+dans cette Assemblée, la souveraineté du peuple transmise et concentrée
+dans la volonté de ses représentans, avec le caractère du plus effrayant
+despotisme; une constitution qui feroit du royaume une démocratie armée,
+sous une ombre de monarchie, gouvernée en réalité par un corps
+aristocratique, périodiquement électif, mais toujours élu au gré du
+parti dominant: tel étoit le projet formé par la faction républicaine.
+Or, on avoit bien calculé qu'on y trouveroit des obstacles, et dans les
+assauts qu'on avoit à livrer, ou qu'on avoit à soutenir, on prévoyoit
+qu'on auroit besoin d'un peuple ivre de liberté et forcené de rage.
+
+Ce fut alors que je compris ce que m'avoit prédit Chamfort du système
+des factieux pour livrer le bas peuple aux furies de la discorde, et le
+tenir sans cesse dans des mouvemens convulsifs de frayeur ou d'aveugle
+audace.
+
+Au chagrin du malaise dans un temps de disette, à la cherté du pain, à
+la peur d'en manquer, à cette inquiétude que motivoit assez la
+difficulté des convois et qu'on exagéroit encore, on ajoutoit, pour
+irriter le peuple, les plus noires suppositions de complots tramés
+contre lui. On l'effrayoit pour le rendre terrible, et tous les jours il
+devenoit plus ombrageux et plus farouche de défiance et de soupçon.
+
+Les brigands connus sous le nom de Marseillois, appelés à Paris pour y
+être les suppôts de la faction républicaine, gens de rapine et de
+carnage, et aussi altérés de sang qu'affamés de butin, en se mêlant
+parmi le peuple, lui inspiroient leur férocité[48].
+
+La présence des tribunaux le contenoit encore et lui ôtoit l'audace du
+crime; mais on croyoit à tous momens le voir franchir cette foible
+barrière, et la foule des vagabonds mêlés parmi les factieux et prêts à
+les servir augmentoit tous les jours: les ports, les quais, en étoient
+couverts, l'Hôtel de ville en étoit investi; ils sembloient, autour du
+Palais, insulter à l'inaction de la justice désarmée; on en tenoit douze
+mille occupés inutilement à creuser la butte de Montmartre, et payés à
+vingt sous par jour. On les y avoit postés comme une arrière-garde qu'on
+feroit marcher au besoin. La nuit, une multitude égarée et menaçante se
+rassembloit au Palais-Royal. Ses portiques en étoient comblés, le jardin
+en étoit rempli, cent groupes s'y formoient pour entendre des délations
+calomnieuses et des motions incendiaires. Les plus fougueux déclamateurs
+y étoient les mieux écoutés. Mille noirceurs, qu'imaginoit et que
+répandoit l'imposture, étoient dans cette enceinte l'aliment des
+esprits. C'étoit là qu'on déclamoit avec fureur contre l'autorité
+royale, qu'on lui faisoit un crime de la cherté du blé et de la misère
+du peuple. C'étoit là qu'aux séditieux, enivrés de folles espérances, ou
+troublés de noires terreurs, on marquoit les victimes que l'on dévouoit
+à la mort. Nuls hommes publics, non pas même les plus intègres et les
+plus respectables, n'étoient sûrs d'y être épargnés. C'étoit de là que
+partoient en foule ou des gens effrayés eux-mêmes, ou des gens soudoyés
+pour répandre l'alarme et la sédition dans Paris.
+
+Mais, ce qui passe la vraisemblance, c'est qu'à Versailles même un
+peuple qui tenoit toute son existence de la cour se montrât le plus
+entêté des maximes républicaines.
+
+On l'avoit vu, ce peuple, tandis qu'une partie du clergé délibéroit
+encore sur la réunion des ordres, insulter ceux des prêtres qu'il
+croyoit opposans, et, sur de fausses délations, attaquer le bon
+archevêque de Paris, et le poursuivre à coups de pierres dans son
+carrosse; on avoit observé que les gardes-françoises, loin de contenir
+les mutins, les encourageoient par des signes d'intelligence; et l'on
+savoit que dans Paris ces soldats, accueillis, caressés au Palais-Royal,
+et défrayés dans les cafés, se disoient les amis du peuple. Le roi, sans
+avoir pour lui-même aucune inquiétude, put donc vouloir que, dans Paris
+et dans Versailles, le peuple fût soumis à la police accoutumée, et que,
+rentré dans l'ordre, il se livrât paisiblement à ses travaux.
+
+Le roi put croire qu'une faction toujours présente et menaçante ne
+laissoit pas aux délibérations de l'Assemblée nationale la liberté qui
+devoit en être l'essence; que la sûreté personnelle étoit le fondement
+de cette liberté; que la sûreté devoit être pour tous également
+inviolable, et que le souverain en étoit le garant. Il put penser que la
+salle des assemblées, ouverte comme un théâtre, ne devoit pas être un
+foyer de sédition. Il trouva donc à la fois juste et sage de faire
+protéger par une garde respectueuse la liberté des opinions et la sûreté
+des personnes. En même temps il ordonna que les soldats aux
+gardes-françoises, vagabonds dans Paris, fussent remis sous la
+discipline, et punis s'ils s'en écartoient.
+
+Mais le peuple ni ses moteurs ne voulurent souffrir de gêne. La garde
+qui entouroit la salle fut forcée, et l'Assemblée fit vers le roi une
+députation pour déclarer que les États convoqués libres ne pouvoient
+opérer librement au milieu des troupes qui les environnoient. La garde
+fut levée, et il fallut laisser la salle ouverte à l'affluence du
+public.
+
+Le roi sentit que le désordre ne feroit qu'aller en croissant, si on
+laissoit le peuple exempt de toute crainte; que ce ne seroit plus qu'en
+lui cédant qu'on pourroit l'apaiser; qu'au moins, en usant d'indulgence
+envers les factieux, falloit-il leur montrer qu'on pouvoit user de
+rigueur, et que, n'étant pas sûr d'être obéi par les gardes-françoises,
+il étoit temps de faire avancer quelques troupes sur lesquelles on pût
+compter. Il en fit donc venir, mais d'abord en très petit nombre, et
+bien sincèrement dans l'unique intention de protéger l'ordre public et
+le repos des citoyens. Personne n'en doutoit; mais ce repos, cet ordre
+même, étoit le coup mortel pour la révolution qu'on vouloit produire.
+
+On a entendu le roi répondre à la noblesse qu'il connoissoit les droits
+attachés à sa naissance et qu'il sauroit les maintenir. Il avoit dit aux
+États généraux qu'aucun de leurs projets, aucune de leurs délibérations,
+ne pouvoient avoir force de loi sans son approbation spéciale, et que
+tous les ordres de l'État pouvoient se reposer sur son équitable
+impartialité. Or, dans ce système d'autorité et de puissance
+protectrice, et en opposition avec une faction populaire qui se
+regardoit elle-même comme le corps législatif unique, absolu et suprême,
+et comme le dépositaire de la volonté nationale, le roi, pour tenir ce
+langage, ne devoit pas être désarmé; et, dans le cas où il seroit forcé
+d'agir comme il avoit parlé, en bon roi, mais en vrai monarque, il étoit
+nécessaire qu'il en eût le pouvoir. C'étoit là déterminément ce que le
+parti factieux et révolutionnaire ne vouloit pas souffrir. Ses forces
+résidoient dans ce ramas de peuple qui suit aveuglément ceux qui se
+déclarent pour lui; et, si Versailles étoit gardé, si Paris étoit calme,
+ou réprimé par des troupes de ligne, les factieux restoient sans moyens
+et sans espérance.
+
+Ce n'étoit pas encore à des forfaits qu'on excitoit le peuple.
+L'anarchie avoit ses dangers qu'on ne se dissimuloit pas; mais, pour
+intimider le roi et le parti des gens de bien, dût-il en coûter d'abord
+quelque ravage, même un peu de sang innocent, la liberté républicaine
+étoit d'un si grand prix qu'il falloit bien lui faire de légers
+sacrifices: telles étoient la politique et la morale du plus grand
+nombre, et c'étoient les plus modérés; les autres se croyoient permis
+tout ce qui leur étoit utile; et, à leur tête, Mirabeau professoit
+hautement comme vertus modernes le mépris des devoirs et des droits les
+plus saints.
+
+Il falloit, disoit-on, nourrir le feu du patriotisme; et, pour
+l'entretenir, la liberté accordée à la presse faisoit éclore tous les
+jours des libelles calomnieux, où l'on dévouoit à la haine et à la
+vengeance publique quiconque osoit disputer au peuple le pouvoir de tout
+opprimer. Le noble qui, avec quelque chaleur, défendoit la cause des
+nobles, un membre du clergé qui, avec quelque éloquence, plaidoit la
+cause du clergé, n'étoient rien de moins, dans ces délations, que des
+traîtres à la patrie. Dans le tiers état même, l'opinion modérée passoit
+pour lâcheté et rendoit suspect son auteur. Ainsi, du côté des communes,
+la contrainte et la violence environnoient les deux premiers ordres, et
+c'étoient les communes qui sembloient repousser la contrainte et la
+violence. Tout ce qui pouvoit animer, irriter, soulever le peuple, étoit
+permis et provoqué; tout ce qui pouvoit contenir ou réprimer ses
+mouvemens excitoit dans les États même les plus vives réclamations. On
+appeloit liberté le droit d'éteindre toute liberté. Le sens de ces
+réclamations n'étoit pas équivoque: nous voulons tout pouvoir par le
+moyen du peuple, et qu'on ne puisse rien qu'avec nous et par nous.
+
+Mais, en convoquant les États généraux, le roi avoit-il entendu former
+une démocratie, et attribuer aux communes le despotisme menaçant
+qu'elles prétendoient exercer? «Que devient, Sire, lui disoient les
+ordres opprimés, que devient cette sûreté que vous nous avez garantie?
+que devient cette égalité que les communes ont demandée? En
+existeroit-il une ombre pour deux ordres qui s'entendroient dénoncer,
+dévouer à la fureur du peuple, s'ils ne consentoient pas sans
+réclamation à ce que le tiers auroit voulu? Sans doute, autour de cette
+salle d'une assemblée législative, il n'auroit point fallu de garde
+militaire; mais il n'y falloit pas non plus des troupes de brigands
+prêts à nous lapider» Cette garde paisible qu'on disoit offensante pour
+l'assemblée des États n'étoit là que pour garantir le calme des opinions
+et la liberté des suffrages. Vouloit-on que toute contrainte en fût
+bannie? Il falloit éloigner les troupes, et, en même temps, il falloit
+écarter ce peuple qui venoit jusque dans l'Assemblée encourager ses
+partisans, choisir et marquer ses victimes, et rendre effrayante pour
+les foibles la redoutable épreuve de l'appel nominal.
+
+Les orateurs du peuple faisoient l'éloge de sa bonté, de son équité
+naturelle, et cet éloge étoit dû sans doute à une classe de citoyens qui
+est l'élite de la commune. Mais au-dessous de cette classe ne voyoit-on
+pas ces brigands qui, dans Paris naguère, avoient saccagé la maison d'un
+paisible et bon citoyen? et ceux qui, dans l'enceinte des jardins du
+Palais-Royal, semoient la calomnie et souffloient la révolte? et ceux
+qui, à Versailles, avoient voulu lapider un charitable et pieux
+archevêque? et ceux qui avoient enlevé au supplice un fils meurtrier de
+son père? et ceux qui depuis, dans Paris, aux portes de l'Hôtel de ville
+et à Versailles même, dans le palais du roi, ont commis tant
+d'atrocités? et ceux qui les ont applaudies après les avoir provoquées,
+et se sont réjouis en voyant promener au bout des lances toutes ces
+têtes de citoyens inhumainement massacrés?
+
+C'étoit donc, disoient les deux ordres qui réclamoient la sûreté
+commune, c'étoit donc une dérision cruelle que de confondre ainsi le
+peuple qu'il falloit contenir avec celui qu'il falloit protéger. Par un
+grossier abus des mots, de la populace on faisoit le peuple, et de ce
+peuple la nation, que l'on déclaroit souveraine.
+
+Les communes demandoient à Paris une garde bourgeoise; mais, en
+attendant qu'elle fût organisée, qu'avoit d'inquiétant le petit nombre
+de troupes réglées que le roi y avoit fait venir? Tout y étoit
+tranquille depuis leur arrivée; mais cette police militaire n'étoit pas
+du goût des communes. Leurs émissaires ne cessoient d'agiter le
+Palais-Royal, l'infâme repaire du crime; ils y attiroient les soldats
+aux gardes, et les y retenoient la nuit. Ce fut ce que le duc du
+Châtelet, leur colonel, ne put dissimuler; il y fit prendre à une heure
+indue deux de ces soldats vagabonds, et ils furent conduits à la prison
+de l'Abbaye. Ce fut le signal d'un soulèvement. L'acte le plus commun de
+l'autorité militaire fut traité d'attentat contre la liberté, et, en
+moins d'une heure, la prison des deux soldats (qu'on appeloit amis du
+peuple) fut assiégée par vingt mille hommes. Les geôliers ayant fait
+résistance, on prit des haches et des leviers, les portes furent
+enfoncées, et tous les prisonniers, même les criminels, s'échappèrent
+pendant la nuit.
+
+Le lendemain, à l'ouverture de l'Assemblée nationale, arrivent à
+Versailles les députés de cette foule mutinée. Dans leur adresse, qui
+fut remise au président, il étoit dit que ces deux malheureuses victimes
+du despotisme avoient été arrachées de leurs fers; qu'au bruit des
+acclamations ils avoient été ramenés au Palais-Royal, où ils étoient
+sous la garde du peuple, qui s'en étoit rendu responsable. «Nous
+attendons, ajoutoient-ils, votre réponse, pour rendre le calme à nos
+concitoyens et la liberté à nos frères.»
+
+La réponse du président fut qu'en invoquant la clémence du roi
+l'Assemblée donnerait l'exemple du respect dû à l'autorité royale, et
+qu'elle conjuroit les habitans de Paris de rentrer sur-le-champ dans
+l'ordre. Cette réponse foible étoit au moins sincère et conforme au voeu
+des communes: car l'Assemblée ne savoit pas que, par les plus insignes
+et les plus infâmes brigands, on soulevoit la populace, et que cette
+furie qu'on lui avoit inspirée, on l'employoit à faire craindre à la
+cour des soulèvemens. L'Assemblée elle-même étoit mue par des ressorts
+qui lui étoient inconnus. En son nom et par elle on remuoit le peuple,
+par le peuple on la dominoit. Tel a été le mécanisme de la Révolution.
+
+Le roi fut donc supplié, au nom de l'Assemblée, de vouloir bien employer
+au rétablissement de l'ordre les moyens infaillibles de la clémence et
+de la bonté, si naturels à son coeur, et il y consentit sans peine; mais,
+avant de céder à un mouvement de bonté, il vouloit que l'ordre fût
+rétabli. Il ne le fut en aucune manière. Le peuple, sans remettre les
+deux soldats dans leur prison, sans renoncer lui-même à ses attroupemens
+nocturnes, et en redoublant au contraire de tumulte et de violence,
+réclama la promesse du roi d'un ton à ne souffrir aucun retardement, et
+il fallut que la discipline et que l'autorité royale fléchissent devant
+sa volonté.
+
+Ce fut alors que les résolutions du conseil parurent prendre quelque
+énergie; mais la foiblesse ne sort jamais de son caractère qu'à demi,
+d'un pied chancelant, et pour y rentrer plus timide après un inutile
+effort.
+
+L'aventure des soldats aux gardes, l'esprit d'insubordination que le
+peuple leur inspiroit, l'audace de ce peuple, le ton qu'il avoit pris,
+cette manière de commander en suppliant, cette impatience fougueuse
+d'obtenir ce qu'il demandoit, et ce mérite qu'on lui faisoit de
+s'apaiser après qu'on lui avoit obéi, enfin ce caractère de liberté
+impérieuse et menaçante qu'il annonçoit à tout propos, avoient été dans
+les conseils des moyens vivement saisis de faire entendre au roi que le
+plus grand des maux, et pour l'État et pour lui-même, seroit de laisser
+mépriser l'autorité qu'il avoit en main, et qu'infailliblement on la
+mépriseroit si on la voyoit désarmée; qu'on osoit déjà l'attaquer parce
+qu'elle se montroit foible, et que des forces redoutables lui pouvoient
+seules obtenir le respect et assurer l'obéissance; qu'il falloit que la
+multitude tremblât, ou qu'elle fît trembler; que ce n'étoit pas
+seulement par des lois que se gouvernoient les États, surtout des États
+aussi vastes; que la justice avoit besoin de l'épée et du bouclier; que
+la sagesse et l'équité consistoient à savoir user et à ne jamais abuser
+de la force; que c'étoit par là que les bons rois se distinguoient des
+rois foibles et des tyrans; qu'il eût été à souhaiter, sans doute, que
+la tenue des États se fût passée dans une pleine sécurité sans avoir
+autour d'eux aucun appareil militaire; qu'il en étoit ainsi dans les
+pays où le peuple veut bien se reposer sur la sagesse et la fidélité de
+ses représentans; qu'il en seroit de même en France dès que l'ordre et
+le calme y seroient rétablis; mais que, tant que le peuple, et la classe
+du peuple la plus séditieuse et la plus violente, viendroit mêler
+l'insulte et la menace aux délibérations des États généraux, la force
+publique avoit droit de s'armer pour le contenir.
+
+«On croit pouvoir, Sire, ajoutoient ceux qui demandoient l'usage de
+l'autorité réprimante, on croit pouvoir apaiser le bas peuple aussi
+aisément qu'on l'irrite; après qu'on l'aura fait servir au dessein d'une
+subversion générale dans le royaume, on voudra ramener le tigre dans sa
+cage et lui faire oublier combien il est terrible quand il veut l'être;
+il ne sera plus temps: la bête féroce aura connu sa force et la
+foiblesse de ses liens. Que sera-ce, surtout si elle a goûté du sang?
+Elle fera trembler longtemps peut-être ceux qui auront osé la déchaîner.
+Apprenez-lui donc à ce peuple que, dans vos mains, il est pour lui
+encore une justice à redouter.
+
+«Dès le commencement de votre règne, Sire, on vous a fait réduire et
+affoiblir votre maison militaire; et vous, qui vous flattiez de n'avoir
+à régner que sur un peuple fidèle et bon, vous avez consenti, dans la
+droiture de votre coeur, à cette réduction funeste; mais la discipline et
+l'obéissance ne sont pas détruites dans vos armées, et il vous reste
+encore assez de forces à opposer à l'audace des factieux. Le despotisme
+seroit l'usage de ces forces contre les lois; mais, employées à
+maintenir l'ordre et les lois, elles sont le digne cortège de l'autorité
+légitime, la sauvegarde de l'État et le soutien de la royauté.
+
+«Si les membres de l'Assemblée nationale avoient tous votre loyauté,
+Sire, ils s'accorderoient tous à demander autour du sanctuaire de la
+législation une barrière impénétrable, inaccessible même, d'un côté pour
+les troupes, de l'autre pour le peuple; et alors tout seroit égal. Mais
+non, c'est pour laisser à cette populace une pleine licence et une
+pleine impunité qu'on veut que les troupes s'éloignent. On craint
+qu'elle ne soit refroidie et intimidée; on veut qu'elle ose tout sans
+avoir rien à craindre; c'est par elle qu'on veut régner. N'avons-nous
+pas vu que, du centre aux extrémités du royaume, ce nom de liberté, ce
+nom qui, pour la populace, ne veut dire que la licence, a retenti comme
+un signal d'insurrection et d'anarchie? La police parmi le peuple, la
+discipline dans les armées, partout les lois de l'ordre ont été
+dénoncées comme des restes de servitude. L'indépendance et le mépris de
+toute espèce d'autorité, voilà ce que présente la face du royaume; et
+c'est sur les ruines de la monarchie et avec ses débris que l'on se
+vante de créer un empire démocratique. C'est un vil ramas de vagabonds
+sans moeurs, sans état, sans aveu, qu'on appelle le peuple souverain.
+Mais la nation désire, elle demande que la constitution du royaume soit
+réglée et fixée sur des bases fondamentales, et il s'agit de la rendre à
+la fois plus régulière et plus constante. C'est à quoi, Sire, les États
+sont chargés de travailler avec vous. Par cette ancienne et vénérable
+constitution de la monarchie, vous êtes roi; l'autorité suprême, la
+force exécutive a été remise en vos mains; vos ancêtres, à qui la nation
+l'a confiée, vous l'ont transmise en héritage. La nation ne veut ni
+n'entend dépouiller, déposer, déshériter son roi. Et que seroit-ce qu'un
+monarque, si ce n'étoit pas le protecteur de tous les droits et de
+toutes les libertés?
+
+«Protégez, Sire, celle de tous les ordres, et n'en laissez opprimer
+aucun. Protégez celle des États eux-mêmes; et protégez surtout dans les
+villes, dans les campagnes, celle de ces citoyens honnêtes, de ces
+cultivateurs paisibles, qui, menacés dans leurs foyers par une populace
+oisive et vagabonde, tremblent avec raison que bientôt il ne soit plus
+temps de lui remettre le frein des lois. Non, Sire, ce n'est plus au nom
+du clergé ni de la noblesse, c'est au nom d'un bon peuple dont vous êtes
+le père que nous vous conjurons de ne pas le livrer à la plus cruelle
+des tyrannies, à celle de la populace et de ses perfides moteurs.»
+
+C'étoit ainsi qu'on persuadoit au roi qu'en déployant aux yeux du peuple
+une puissance militaire il ne feroit que réprimer et contenir la force
+par la force, et laisser au milieu la liberté publique protégée et hors
+de danger.
+
+
+
+
+LIVRE XVI
+
+
+Le roi fit donc avancer des troupes; mais, en prenant une résolution
+vigoureuse, il falloit en prévoir les suites, calculer pas à pas les
+forces et les résistances, les obstacles et les dangers, et, selon les
+événemens, déterminer d'avance sa marche et ses positions. On ne calcula
+rien, on ne pourvut à rien, on ne songea pas même à garantir les troupes
+de la corruption du peuple de Paris. On ne fit aucune disposition pour
+mettre le roi et sa famille à l'abri de l'insulte dans un cas de
+révolte; et, dans les faubourgs de Paris, le seul poste imposant, la
+Bastille, ne fut pourvue ni de garnison suffisante, ni de vivres pour y
+nourrir le peu de soldats qu'il y avoit. Enfin, jusqu'à la subsistance
+des troupes que l'on assembloit fut négligée au point que leur pain
+n'étoit fait qu'avec des farines gâtées, tandis que les femmes du peuple
+venoient leur en offrir d'excellent, avec du vin et des viandes en
+abondance, sans compter leurs autres moyens de débauche et de
+corruption.
+
+À cette espèce d'étourdissement où étoient la cour et le conseil le
+parti contraire opposoit une conduite raisonnée, progressive et
+constante, s'acheminant de poste en poste vers la domination, sans
+jamais perdre un temps ni reculer d'un pas. Résolu donc à ne souffrir ni
+autour de Versailles, ni autour de Paris, aucun rassemblement, on
+délibéra une adresse au roi le 8 juillet (1789). Ce fut l'ouvrage de
+Mirabeau, le principal orateur des communes, homme doué par la nature de
+tous les talens d'un tribun; bouillant de caractère, mais aussi souple
+dans sa conduite que fougueux dans ses passions; habile à pressentir
+l'opinion dominante, et, pour paroître la conduire, diligent à la
+devancer; lâche de coeur, mais fort de tête et intrépide d'impudence;
+corrompu à l'excès et se vantant de l'être; déshonoré dès sa jeunesse
+par les vices les plus honteux, mais n'attachant aucun prix à l'honneur;
+calculant bien qu'un homme dangereux ne pouvoit être méprisé même en se
+rendant méprisable, et résolu à se passer de l'estime attachée aux
+moeurs, s'il obtenoit celle qu'arrachent de grands talens devenus
+redoutables.
+
+Voici l'adresse qu'il proposa d'adresser au roi, chef-d'oeuvre
+d'éloquence artificieuse et perfide, et qui, applaudie comme elle devoit
+l'être, fut adoptée par acclamation (le 9 juillet).
+
+«Sire, vous avez invité l'Assemblée nationale à vous témoigner sa
+confiance; c'étoit aller au-devant du plus cher de ses voeux. Nous venons
+déposer dans le sein de Votre Majesté les plus vives alarmes. Si nous en
+étions l'objet, si nous avions la foiblesse de craindre pour nous-mêmes,
+votre bonté daigneroit encore nous rassurer; et même, en nous blâmant
+d'avoir douté de vos intentions, vous accueilleriez nos inquiétudes,
+vous en dissiperiez la cause, vous ne laisseriez point d'incertitude sur
+la position de l'Assemblée nationale.
+
+«Mais, Sire, nous n'implorons pas votre protection: ce seroit offenser
+votre justice. Nous avons conçu des craintes, et, nous l'osons dire,
+elles tiennent au patriotisme le plus pur, à l'intérêt de nos
+commettans, à la tranquillité publique, au bonheur du monarque chéri
+qui, en nous aplanissant la route de la félicité, mérite bien d'y
+marcher lui-même sans obstacle. (Détestable hypocrite!)
+
+«Les mouvemens de votre coeur, Sire, voilà le vrai salut des François.
+Lorsque des troupes s'avancent de toutes parts, que des camps se forment
+autour de nous, que la capitale est investie, nous nous demandons avec
+étonnement: Le roi s'est-il méfié de la fidélité de ses peuples? S'il
+avoit pu en douter, n'auroit-il pas versé dans notre coeur ses chagrins
+paternels? Que veut dire cet appareil menaçant?
+
+«Où sont les ennemis de l'État et du roi qu'il faut subjuguer? où sont
+les ligueurs qu'il faut réduire? Une voix unanime répond dans la
+capitale et dans l'étendue du royaume: Nous chérissons notre roi; nous
+bénissons le Ciel du don qu'il nous a fait de son amour.
+
+«Sire, la religion de Votre Majesté ne peut être surprise que sous le
+prétexte du bien public. Si ceux qui ont donné ce conseil à notre roi
+avoient assez de confiance dans leurs principes pour les exposer devant
+nous, ce moment amèneroit le plus beau triomphe de la vérité.
+
+«L'État n'a rien à redouter que des mauvais principes qui osent assiéger
+le trône même, et ne respectent pas la couronne du plus pur et du plus
+vertueux des princes; et comment s'y prend-on, Sire, pour vous faire
+douter de l'attachement et de l'amour de vos sujets?
+
+«Avez-vous prodigué leur sang? êtes-vous cruel, implacable? avez-vous
+abusé de la justice? le peuple vous impute-t-il ses malheurs? vous
+nomme-t-il dans ses calamités? ont-ils pu vous dire que le peuple est
+impatient de votre joug? Non, non, ils ne l'ont pas fait. La calomnie
+n'est du moins pas absurde: elle cherche un peu de vraisemblance pour
+colorer ses noirceurs.
+
+«Votre Majesté a vu tout récemment ce qu'elle peut sur son peuple. La
+subordination s'est établie dans la capitale agitée; les prisonniers mis
+en liberté par le peuple, d'eux-mêmes ont pris leurs fers; et l'ordre
+public, qui peut-être eût coûté des torrens de sang si l'on eût employé
+la force, un mot de votre bouche l'a rétabli; mais ce mot étoit un mot
+de paix, il étoit l'expression de votre coeur, et vos sujets se font
+gloire de n'y résister jamais. Qu'il est beau d'exercer cet empire!
+c'est celui de Louis IX, de Louis XII, de Henri IV, c'est le seul qui
+soit digne de vous. Nous vous tromperions, Sire, si nous n'ajoutions
+pas, forcés par les circonstances: Cet empire est le seul qu'il soit
+aujourd'hui possible en France d'exercer. La France ne souffrira pas
+qu'on abuse du meilleur des rois, et qu'on l'écarte, par des voies
+sinistres, du noble plan qu'il a lui-même tracé. Vous nous appelez pour
+fixer, de concert avec vous, la constitution, pour opérer la
+régénération du royaume. L'Assemblée nationale vient de vous déclarer
+solennellement que vos voeux seront remplis, que vos promesses ne seront
+point vaines, que les pièges, les difficultés, les terreurs, ne
+retarderont point sa marche et n'intimideront point son courage.
+
+«Où donc est le danger des troupes? affecteront de dire nos ennemis; et
+que veulent dire leurs plaintes, puisqu'ils sont inaccessibles au
+découragement? Le danger, Sire, est pressant et universel; il est au
+delà de tous les calculs de la prudence humaine.
+
+«Le danger est pour le peuple des provinces; une fois alarmé sur notre
+liberté, nous ne connoissons plus de frein qui puisse le retenir. La
+distance seule grossit, exagère tout, double les inquiétudes, les
+aigrit, les envenime. Le danger est pour la capitale. De quel oeil le
+peuple, au sein de l'indigence, et tourmenté des angoisses les plus
+cruelles, se verra-t-il disputer le reste de sa subsistance par une
+foule de soldats menaçans? La présence des troupes ameutera, produira
+une fermentation universelle; et le premier acte de violence exercé,
+sous prétexte de police, peut commencer une suite horrible de malheurs.
+
+«Le danger est pour les troupes. Des soldats françois, approchés du
+centre des discussions, participant aux passions comme aux intérêts des
+peuples, pourront oublier qu'un engagement les a faits soldats pour se
+souvenir que la nature les fit hommes.
+
+«Le danger, Sire, menace les travaux qui sont notre premier devoir, et
+qui n'auront un plein succès, une véritable permanence, qu'autant que
+les peuples les regarderont comme entièrement libres. Il est d'ailleurs
+une contagion dans les mouvemens passionnés. Nous ne sommes que des
+hommes: la défiance de nous-mêmes, la crainte de paroître foibles,
+peuvent nous entraîner au delà du but. Nous serons obsédés d'ailleurs de
+conseils violens et démesurés; et la raison calme, la tranquille
+sagesse, ne rendent pas leurs oracles au milieu du tumulte, du désordre
+et des scènes factieuses. Le danger, Sire, est plus terrible encore, et
+jugez de son étendue par les alarmes qui nous amènent devant vous. De
+grandes révolutions ont eu des causes bien moins éclatantes: plus d'une
+entreprise fatale aux nations s'est annoncée d'une manière moins
+sinistre et moins formidable.
+
+«Ne croyez pas ceux qui vous parlent légèrement de la nation, et qui ne
+savent que vous la représenter selon leurs vues: tantôt insolente,
+rebelle, séditieuse; tantôt soumise, docile au joug, prompte à courber
+la tête pour le recevoir. Ces deux tableaux sont également infidèles.
+Toujours prêts à vous obéir, Sire, parce que vous commandez au nom des
+lois, notre fidélité est sans bornes comme sans atteinte. Prêts à
+résister à tous les commandemens arbitraires de ceux qui abusent de
+votre nom, parce qu'ils sont ennemis des lois, notre fidélité même nous
+ordonne cette résistance, et nous nous honorerons toujours de mériter
+les reproches que notre fermeté nous attire.
+
+«Sire, nous vous en conjurons au nom de la patrie, au nom de votre
+bonheur et de votre gloire, renvoyez vos soldats aux postes d'où vos
+conseillers les ont tirés; renvoyez cette artillerie destinée à couvrir
+vos frontières; renvoyez surtout les troupes étrangères, ces alliés de
+la nation que nous payons pour nous défendre, et non pour troubler nos
+foyers: Votre Majesté n'en a pas besoin. Et pourquoi un roi adoré de
+vingt millions de François feroit-il accourir à grands frais autour du
+trône quelques milliers d'étrangers? Sire, au milieu de vos enfans,
+soyez gardé par leur amour. Les députés de la nation sont appelés à
+consacrer avec vous les droits éminens de la royauté sur la base
+immuable de la liberté du peuple; mais, lorsqu'ils remplissent leur
+devoir, lorsqu'ils cèdent à la raison, à leurs sentimens, les
+exposeriez-vous au soupçon de n'avoir cédé qu'à la crainte? Ah!
+l'autorité que tous les coeurs vous défèrent est la seule pure, la seule
+inébranlable; elle est le juste retour de vos bienfaits et l'immortel
+apanage des princes dont vous êtes le modèle.»
+
+Cette harangue insolemment flatteuse, cette menace éloquemment tournée
+d'un soulèvement général si le roi, pour la sûreté des bons et l'effroi
+des méchans, gardoit auprès de lui une partie de ses armées, s'il
+n'abandonnoit pas sa ville capitale à tous les excès de la licence et du
+brigandage, et l'Assemblée nationale aux insultes et aux menaces d'une
+populace ameutée; cette affectation d'englober des mutins et des
+vagabonds révoltés dans les éloges d'un bon peuple; cet avis arrogant
+qu'il importoit au roi de leur céder, de leur complaire, et la
+déclaration formelle que cet empire étoit le seul qu'il lui fût
+désormais possible d'exercer, ne firent pas sur l'esprit du roi l'effet
+qu'on en attendoit. À travers ces menaces respectueuses et ces alarmes
+hypocrites, il vit trop bien qu'il s'agissoit d'abandonner ou de
+maintenir son autorité légitime, qu'on l'exhortoit à se laisser désarmer
+et lier les mains; il vit surtout qu'en glissant sur l'article de ses
+bonnes intentions, on évitoit de toucher aux faits qui rendoient justes
+et nécessaires les précautions qu'il avoit prises. Il fallut donc qu'il
+s'expliquât lui-même, et à ce langage plein d'artifice il répondit par
+des raisons pleines de force et de candeur.
+
+«Personne n'ignore, dit-il aux députés, les désordres et les scènes
+scandaleuses qui se sont passés et renouvelés à Paris et à Versailles
+sous mes yeux et sous les yeux des États généraux. Il est nécessaire que
+je fasse usage des moyens qui sont en ma puissance pour remettre et
+maintenir l'ordre dans la capitale et dans les environs. C'est un de mes
+devoirs principaux que de veiller à la sûreté publique. Ce sont ces
+motifs qui m'ont engagé à faire un rassemblement de troupes autour de
+Paris. Vous pouvez assurer les États généraux qu'elles ne sont destinées
+qu'à réprimer, ou plutôt qu'à prévenir de pareils désordres, à maintenir
+l'exercice des lois, à assurer et à protéger même la liberté qui doit
+régner dans vos délibérations. Toute espèce de contrainte en doit être
+bannie; de même que toute appréhension de tumulte et de violence en doit
+être écartée. Ce ne seroient que des gens malintentionnés qui pourroient
+égarer mes peuples sur les vrais motifs des mesures de précaution que je
+prends. J'ai constamment cherché à faire tout ce qui pouvoit tendre à
+leur bonheur, et j'ai toujours eu lieu d'être assuré de leur amour et de
+leur fidélité.
+
+«Si cependant la présence nécessaire des troupes dans les environs de
+Paris causoit encore de l'ombrage, je me porterois, sur la demande de
+l'Assemblée, à transférer les États généraux à Noyon ou à Soissons, et
+je me rendrois à Compiègne.»
+
+C'est ce qu'il étoit bien sûr que l'on ne demanderoit pas. Rien n'étoit
+plus contraire au plan formé que de se séparer du peuple de Paris. Il
+étoit donc plus qu'inutile d'en témoigner l'intention; et si, par un
+nouveau tumulte, le roi étoit forcé à cette translation, que ne
+l'ordonnoit-il? que ne se rendoit-il à Compiègne avec sa maison et une
+garde respectable, en déclarant nulle et contraire au droit de sûreté et
+de liberté des suffrages toute délibération prise au milieu du trouble
+qui agitoit Versailles et Paris?
+
+Le parti populaire n'eut garde de quitter son poste. Il avoit besoin
+d'être soutenu de la populace; c'étoit en l'agitant qu'il se rendoit
+lui-même puissant et redoutable. Aussi répondit-il, par l'organe de
+Mirabeau, que «c'étoit aux troupes à s'éloigner de l'Assemblée, et non
+pas à l'Assemblée à s'éloigner des troupes. Nous avons, dit-il, réclamé
+une translation pour l'armée, et non pas pour nous.»
+
+Dès lors, au moins fut-il bien évident que c'étoit par le peuple que les
+communes vouloient agir; et, dans cette lutte d'autorité qui alloit
+s'engager, elles vouloient toutes leurs forces et n'en laisser aucune au
+roi.
+
+Il étoit juste cependant que le roi conservât au moins une force de
+résistance. Dans les monarchies les plus tempérées, le roi a le droit du
+_veto_, et jamais on n'avoit douté de la nécessité de la sanction royale
+pour donner aux décrets des députés du peuple la forme et la force des
+lois. En effet, comme dépositaire de la puissance exécutive, le roi
+avoit le droit d'examiner les lois qu'il devoit faire exécuter; et, par
+sa qualité de premier représentant de la nation, il étoit constitué le
+surveillant des autres. Dans le tumulte et dans le choc des passions
+diverses et des intérêts opposés qui pouvoient diviser une assemblée
+politique, il étoit fréquemment à craindre que le résultat d'une
+discussion orageuse ne fût pas la résolution la plus sage et la plus
+utile. Souvent il en pouvoit passer de contraires au bien public. Une
+seule voix au-dessus de l'égalité numérique pouvoit faire une loi d'un
+injuste et violent décret. Toutes les fois que l'éloquence passionnée et
+la saine raison seroient aux prises, il y avoit peu de sûreté pour le
+plus équitable et le meilleur parti. Le roi, dans la législation, étoit
+donc un modérateur, un régulateur nécessaire; ce n'étoit donc ni dans la
+volonté du roi seul, ni dans celle des députés du peuple, que devoit
+résider la plénitude de la puissance législative, mais dans l'accord de
+ces deux volontés, et le consentement de l'un aux résolutions de l'autre
+formoit cette sanction royale.
+
+Or, si ce droit d'examiner et de sanctionner les lois, d'y donner son
+consentement ou d'y apposer son _veto_, étoit méconnu, contesté, refusé
+au monarque; s'il se voyoit ravir son autorité légitime; s'il voyoit son
+trône ébranlé, sa couronne avilie, le sceptre de ses pères prêt à se
+briser dans ses mains, ne seroit-il pas nécessaire qu'il fût armé pour
+les défendre? ne seroit-il pas juste, aux yeux même de la nation, qu'il
+apprît aux communes à se renfermer dans les bornes qui leur étoient
+marquées, même par leur mandat?
+
+Ces questions agitées dans le conseil effrayoient les ministres.
+
+«Tout acte de rigueur, disoient-ils, seroit une démarche également
+funeste, soit qu'il fallût la soutenir, soit qu'il fallût l'abandonner;
+une hostilité contraire aux sentimens du roi, capable d'allumer entre
+son peuple et lui les feux de la guerre civile, et qui rendroit odieux
+le pouvoir qu'elle auroit rendu redoutable ou qui l'aviliroit s'il se
+laissoit braver.»
+
+Placés eux-mêmes entre deux écueils, dans un détroit où alloit périr
+l'autorité royale, ou ce qu'on appeloit la liberté publique, n'ayant
+pour sauver l'une et l'autre ni assez de crédit, ni assez d'influence,
+ils employoient auprès du roi tous les moyens de discussion que leur
+donnoient son estime et leur zèle: ils ne lui faisoient voir
+qu'imprudence et péril dans ce rassemblement de troupes mécontentes et
+corruptibles dont on se croyoit assuré. Mais, fussent-elles plus
+affermies dans la volonté d'obéir, qui répondroit que c'en seroit assez
+de leur approche pour rétablir l'ordre et le calme? Et si on manquoit le
+but d'intimider le peuple, si, au lieu de le contenir, on alloit
+l'irriter encore, que feroit-on pour le réduire? que feroit-on pour
+l'apaiser? Ils voyoient, à la tête du parti populaire, des hommes d'un
+naturel pervers; ils y voyoient aussi des fourbes profondément
+dissimulés, mais ils présumoient bien encore du caractère national; ils
+comptoient un grand nombre de gens de bien dans les communes; et
+l'exemple du roi, sa modération, sa loyauté, sa bonté généreuse, y
+pouvoient faire prévaloir des sentimens analogues aux siens. Leur
+espérance étoit la même que celle de Lally-Tolendal, lorsqu'en parlant à
+la noblesse de son bailliage, il lui disoit: «Ils vous trompent,
+citoyens nobles, ceux qui vous disent que le tiers n'a réclamé la
+justice que pour être injuste, et n'a voulu cesser d'être opprimé que
+pour être oppresseur.» Ce bon jeune homme ne tarda point à reconnoître
+que lui-même il étoit dans l'illusion; mais ce qu'il espéroit de bonne
+foi, Necker, Montmorin, La Luzerne, Saint-Priest, l'espéroient comme
+lui. Ainsi, également fidèles à l'État et au roi, les moyens de
+conciliation leur sembloient les seuls praticables: car ceux de
+corruption n'étoient pas de leur goût, et le roi les eût rebutés.
+
+L'on conçoit quelle devoit être la perplexité de ce prince; mais tout
+l'avertissoit qu'il étoit temps de prendre une conduite ferme, et cette
+conduite nouvelle demandoit de nouveaux ministres.
+
+Le renvoi de ceux-ci fut décidé le 11 juillet.
+
+Le 12 on en sut, dès le matin, la nouvelle à Paris; mais elle ne fut
+divulguée que le soir, à l'heure des spectacles. Une sombre indignation
+s'empara de tous les esprits. On ne douta plus qu'à la cour la
+résolution d'agir à force ouverte ne fût prise à l'insu du roi, et qu'on
+ne voulût malgré lui l'entraîner dans ce dessein funeste, en éloignant
+de ses conseils des hommes sages et modérés. Le renvoi de Necker
+surtout, dans la crise où étoit le royaume, parut être la preuve qu'on
+vouloit ruiner et affamer Paris. À l'instant les spectacles furent
+interrompus. On y vit arriver des hommes égarés qui crioient aux
+acteurs: «Cessez, retirez-vous, le royaume est en deuil; Paris est
+menacé, nos ennemis l'emportent. Necker n'est plus en place, on le
+renvoie, il est parti; et avec lui sont renvoyés tous les ministres amis
+du peuple.»
+
+Une frayeur soudaine se répand dans les salles, les acteurs
+disparoissent, le public se retire tremblant et consterné; et déjà dans
+toute la ville la résolution est formée de demander que Necker et tous
+les bons ministres qui pensent comme lui soient rendus à l'État.
+
+Dans tous les lieux où le peuple a coutume de s'assembler les jours de
+fête, la fermentation fut extrême. Le Palais-Royal étoit rempli d'une
+foule agitée, comme les flots de la mer le sont dans la tourmente.
+D'abord un triste et long murmure, bientôt une rumeur plus redoutable,
+s'y fit entendre. On y prit la cocarde verte; les feuilles d'arbres en
+tinrent lieu; et, pour signal du soulèvement, le peuple ayant imaginé de
+prendre dans la boutique d'un modeleur en cire[49] le buste de Necker et
+celui du duc d'Orléans, il les promena dans Paris.
+
+Une autre foule s'amassoit dans la place de Louis XV, et le tumulte
+alloit croissant. Pour le dissiper, on fit avancer quelques troupes.
+Leur commandant, le baron de Besenval, s'y étoit rendu avec une
+compagnie de grenadiers de gardes-suisses. Le prince de Lambesc vint l'y
+joindre à la tête de cinquante dragons de Royal-Allemand. La présence
+des troupes acheva d'irriter le peuple. Il se mit à les insulter. Ils
+négligèrent ses clameurs; mais, assaillis à coups de pierres, dont
+quelques-uns furent blessés, les dragons perdoient patience, lorsque
+Besenval donna l'ordre au prince de Lambesc de faire un mouvement pour
+obliger le peuple à reculer dans les Tuileries. Ce mouvement se fit avec
+tant de mesure que personne du peuple n'en fut renversé ni froissé. Ce
+ne fut qu'au moment de la retraite des dragons que fut blessé
+légèrement, et de la main du prince, un forcené qui s'obstinoit à lui
+fermer le Pont-Tournant.
+
+Aussitôt dans Paris se répandit le bruit d'un massacre de citoyens dans
+le jardin des Tuileries, où couroient, disoit-on, les dragons de Lambesc
+à cheval, le sabre à la main, et le colonel à leur tête, égorgeant les
+vieillards, écrasant les enfans, renversant les femmes enceintes, ou les
+faisant avorter de frayeur.
+
+En même temps, sur le faux bruit que leur régiment étoit insulté, les
+grenadiers des gardes-françoises forcèrent le duc du Châtelet, leur
+colonel, à les laisser sortir du jardin de l'hôtel de Richelieu, où il
+les tenoit enfermés. Dès lors le régiment aux gardes fut tout entier
+livré au peuple; et c'étoit là ce que les factieux désiroient le plus
+ardemment.
+
+Ainsi Paris, sans tribunaux, sans police, sans garde, à la merci de cent
+mille hommes errant au milieu de la nuit, et la plupart manquant de
+pain, croyoit être au moment d'être assiégé au dehors, d'être saccagé au
+dedans. Vingt-cinq mille hommes de troupes étoient postés autour de son
+enceinte, à Saint-Denis, à Courbevoie, à Charenton, à Sèvres, à la
+Muette, au Champ-de-Mars; et; tandis qu'on le bloqueroit et qu'on lui
+couperoit les vivres, il alloit être en proie à un peuple affamé. Telle
+fut l'image terrible qui, dans la nuit du 12 au 13 juillet, fut présente
+à tous les esprits.
+
+Mais les brigands eux-mêmes, saisis de la terreur commune, ne commirent
+aucun dégât. Les boutiques des armuriers furent les seules qu'on fit
+ouvrir, et l'on n'y prit rien que des armes.
+
+Dès que le jour parut, la ville se trouva remplie d'une populace égarée,
+qui, frappant à toutes les portes, demandoit à grands cris des armes et
+du pain, et qui, croyant qu'il y avoit un dépôt de fusils et d'épées
+dans les souterrains de l'Hôtel de ville, s'y porta pour les faire
+ouvrir. Je m'arrête pour expliquer par qui, dans ce moment, l'Hôtel de
+ville étoit occupé, et par quelle espèce de tribunal la police y étoit
+exercée.
+
+Le 10 mai, les élections de la commune étant achevées, Target, président
+de l'assemblée des électeurs, leur persuada de se tenir en permanence
+durant la session des États généraux. La délibération en fut prise du
+consentement et au gré de la faction populaire. Ainsi, lorsqu'à la fin
+de juin, après la séance royale, les électeurs trouvèrent leur salle
+fermée à l'archevêché, ils se firent ouvrir l'Hôtel de ville, et s'y
+établirent les agens de l'Assemblée nationale auprès du peuple de Paris.
+
+Je dois leur rendre ce témoignage que, dans des circonstances difficiles
+et périlleuses, chargés du soin de la chose publique, ils s'acquittèrent
+de leurs fonctions en bons et braves citoyens.
+
+Ce fut donc à cette assemblée que, le 13 juillet, le peuple s'adressa
+pour demander des armes, dont il y avoit, disoit-il, un amas dans les
+caveaux de l'Hôtel de ville; mais, comme ce dépôt n'existoit point, le
+peuple eut beau forcer les portes, les fusils de la garde furent les
+seuls qu'il y trouva, et ceux-là furent enlevés.
+
+Cependant, au bruit du tocsin qu'on fit sonner dans toutes les églises,
+les districts s'assemblèrent pour aviser aux moyens de pourvoir à la
+sûreté de la ville au dedans ainsi qu'au dehors, car il n'étoit pas
+moins instant de la défendre des brigands dont elle étoit pleine que des
+troupes qui l'entouroient. Dès ce moment, la bourgeoisie forma des
+bandes de volontaires qui, dans les places et les jardins publics,
+venoient se ranger d'elles-mêmes; mais on manque d'armes; on ne cesse
+d'en demander à l'Hôtel de ville. Le prévôt des marchands, le malheureux
+Flesselles, y est appelé; il y arrive à travers la foule; il se dit le
+père du peuple, et il est applaudi dans cette même place où demain son
+corps sanglant sera traîné.
+
+Les électeurs nomment un comité permanent à l'Hôtel de ville, pour y
+être jour et nuit accessible à ce peuple tourmenté de frayeurs.
+Flesselles, à la tête du comité, annonce imprudemment qu'il va lui
+arriver dix mille fusils de Charleville, et trente mille bientôt après.
+Il eut même, dit-on, la funeste légèreté de se jouer des plus impatiens
+en les envoyant çà et là dans des lieux où il leur fit croire qu'ils
+trouveroient des armes. On y courut, on se vit trompé, et l'on revint le
+dénoncer au peuple comme un fourbe qui, en le trahissant, l'insultoit.
+
+Le comité des électeurs, pour rassurer le peuple, décida qu'une armée
+parisienne seroit incontinent formée au nombre de quarante-huit mille
+hommes. Tous les districts vinrent s'offrir pour la composer le jour
+même. On quitta la livrée verte, et la rouge et bleue prit la place (le
+vert étoit la couleur d'un prince qui n'étoit pas républicain[50]).
+
+Le peuple cependant s'étoit porté au Garde-Meuble, et il en avoit enlevé
+les armes précieuses que l'on y conservoit comme des raretés, soit par
+la beauté du travail dont elles étoient enrichies, soit à cause de
+l'antiquité et par respect pour les héros dont elles rappeloient la
+gloire. L'épée de Henri IV fut le butin d'un vagabond.
+
+Mais, pour tant de milliers d'hommes, ce petit nombre d'armes étoit une
+foible ressource. Ils revinrent furieux en demander à l'Hôtel de ville,
+disant qu'il y en avoit et accusant les électeurs d'être d'intelligence
+avec les ennemis du peuple pour laisser Paris sans défense. Pressé par
+ces reproches, que les menaces accompagnoient, le comité imagina
+d'autoriser tous les districts à faire fabriquer des piques et autres
+armes de cette espèce, et le peuple fut satisfait.
+
+Mais un meilleur expédient, que les districts prirent d'eux-mêmes, fut
+d'envoyer le soir aux Invalides sommer le gouverneur Sombreuil de leur
+livrer les armes qu'ils savoient être en dépôt dans l'hôtel. Le
+commandant général des troupes, qui avoit un camp tout près de là, et à
+qui Sombreuil les adressa, leur demanda le temps d'envoyer à Versailles
+pour demander l'ordre du roi, et ce temps lui fut accordé.
+
+La terreur de la nuit suivante, plus profonde et plus réfléchie, prit un
+caractère lugubre; l'enceinte de la ville fut fermée et gardée; des
+patrouilles déjà formées en imposoient aux vagabonds. Des feux allumés
+dans les rues éclairoient l'épouvante, intimidoient le crime, et
+faisoient voir partout des pelotons d'hommes du peuple errant comme des
+spectres. Ce silence vaste et funèbre n'étoit interrompu que par la voix
+étouffée et terrible de ces gens qui de porte en porte crioient: _Des
+armes et du pain!_
+
+Au faubourg Saint-Laurent, la maison des religieux de Saint-Lazare fut
+incendiée et saccagée. On croyoit y trouver un magasin de blés.
+
+Cependant le Palais-Royal étoit plein de ces factieux mercenaires qu'on
+employoit à attiser le feu de la sédition; et la nuit s'y passoit en
+délations et en motions atroces non seulement contre Flesselles, mais
+contre le comité des électeurs, qu'on dénonçoit comme traîtres à la
+patrie.
+
+La veille, cinq milliers de poudre qui sortoient de Paris avoient été
+saisis aux barrières et déposés à l'Hôtel de ville, sous la salle des
+électeurs. Au milieu de la nuit, le petit nombre de surveillans qui
+étoient restés dans cette salle est averti que, du côté du faubourg
+Saint-Antoine, quinze mille hommes, la milice affidée des moteurs du
+Palais-Royal, viennent forcer l'Hôtel de ville. Parmi les surveillans
+étoit un citoyen, Le Grand de Saint-René, homme d'une complexion foible
+et valétudinaire, mais d'un fort et ferme courage. «Qu'ils viennent nous
+attaquer, dit-il, nous sauterons ensemble.» Aussitôt il ordonna aux
+gardes de l'Hôtel d'apporter six barils de poudre dans le salon voisin.
+Sa résolution fut connue. Le premier baril apporté fit pâlir les plus
+intrépides, et le peuple se retira. Ainsi par un seul homme l'Hôtel de
+ville fut gardé. Le royaume eût de même été sauvé si, à la tête des
+conseils et des camps, le roi avoit eu de tels hommes; mais lui-même il
+recommandoit qu'on épargnât le peuple, et contre lui jamais il ne put
+consentir à aucun acte de vigueur; foiblesse vertueuse qui a fait tomber
+sa tête sous la hache de ses bourreaux.
+
+Durant cette nuit effrayante, la bourgeoisie se tenoit enfermée, chacun
+tremblant chez soi pour soi et pour les siens; mais, le 14 au matin, ces
+frayeurs personnelles cédant à l'alarme publique, la ville entière ne
+fut qu'un seul et même peuple: Paris eut une armée; cette armée,
+spontanément assemblée à la hâte, connoissoit mal encore les règles de
+la discipline, mais l'esprit public lui en tint lieu. Seul il ordonna
+tout comme une puissance invisible. Ce qui donnoit ce grand caractère à
+l'esprit public, c'étoit l'adresse qu'on avoit eue de fasciner
+l'opinion. Les meilleurs citoyens ne voyoient dans les troupes qui
+venoient protéger Paris que des ennemis qui portoient la flamme et le
+fer dans ses murs, croyoient tous avoir à combattre pour leurs foyers,
+pour leurs femmes et leurs enfans. La nécessité, le péril, le soin de la
+défense et du salut commun, la résolution de périr ou de sauver ce
+qu'ils avoient de plus cher au monde, occupoient seuls toutes les âmes,
+et formoient de tous les courages et de toutes les volontés cet accord
+surprenant qui, d'une ville immense et violemment agitée, fit une armée
+obéissante à l'intention de tous, sans recevoir l'ordre d'aucun: en
+sorte qu'une fois tout le monde sut obéir où personne ne commandoit.
+
+Les armes à feu et la poudre manquoient encore à cette armée, et, le
+comité de la ville ayant protesté de nouveau qu'on n'en trouveroit pas
+même à l'Arsenal, on retourna aux Invalides. L'ordre que Sombreuil
+attendoit de Versailles n'arrivoit point. Le peuple alloit employer la
+force; et telle étoit l'irrésolution de la cour, ou telle étoit plutôt
+la répugnance du roi pour toute espèce de violence, que dans le
+Champ-de-Mars, à deux pas de l'hôtel que l'on venoit forcer, les troupes
+n'eurent pas l'ordre de le défendre. Sans vouloir rien céder, on
+abandonnoit tout; moyen de tout perdre avec honte.
+
+Ce fut donc sous les yeux de six bataillons suisses et de huit cents
+hommes de cavalerie, tant dragons que hussards, tous immobiles dans leur
+camp, que fut ouvert au peuple l'hôtel des Invalides: preuve bien
+positive, comme l'a depuis affirmé Besenval, qu'il étoit défendu aux
+troupes de tirer sur les citoyens; et ce fut là le grand avantage du
+peuple, que le consentement du roi se bornoit à le contenir, sans
+permettre de le traiter ni en ennemi, ni en rebelle. On le vit, ce même
+ordre, observé dans Paris, aux barrières, aux boulevards, dans la place
+de Louis XV. C'étoit aussi ce qui rendoit dans tous les postes
+d'alentour les troupes accessibles à la corruption, par la facilité que
+l'on donnoit au peuple de communiquer avec elles.
+
+Ce peuple, hommes et femmes, accostoit le soldat, et, le verre à la
+main, lui présentoit l'attrait de la joie et de la licence. «Eh quoi!
+lui disoit-il, venez-vous nous faire la guerre? Venez-vous verser notre
+sang? Auriez-vous le courage de tirer l'épée contre vos frères, de faire
+feu sur vos amis? N'êtes-vous pas, comme nous, François et citoyens?
+N'êtes-vous pas, comme nous, les enfans de ce peuple qui ne demande qu'à
+être libre et à n'être plus opprimé? Vous servez le roi, vous l'aimez,
+et nous aussi nous l'aimons, ce bon roi; nous sommes prêts à le servir.
+Il n'est pas l'ennemi de son peuple; mais on le trompe, et l'on vous
+commande, en son nom, ce qu'il ne veut pas. Vous servez non pas lui,
+mais ces nobles injustes, ces nobles qui vous déshonorent en vous
+traitant comme des esclaves. Venez, braves soldats, venez et vengez-vous
+du plat de sabre qui vous flétrit. Vive le roi! vive la liberté!
+Périssent les aristocrates, nos oppresseurs et vos tyrans!»
+
+Le soldat, naturellement ami du peuple, n'étoit pas sourd à ce langage.
+Il ne voyoit qu'un pas à faire de la misère à l'abondance, de la gêne à
+la liberté. Il en désertoit un grand nombre; et, si près de Paris, il
+étoit impossible qu'ils ne fussent pas corrompus.
+
+Le peuple, en présence des troupes du Champ-de-Mars, eut donc toute
+licence de fouiller l'hôtel des Invalides. Il y trouva, dans les caveaux
+du dôme, vingt-huit mille fusils; et, avec ce butin et les canons de
+l'Esplanade traînés dans Paris en triomphe, il revint à l'Hôtel de
+ville. Là, il apprit que le gouverneur de la Bastille, le marquis de
+Launey, sommé de fournir à son tour des munitions et des armes,
+répondoit qu'il n'en avoit point. À l'instant un cri général se fit
+entendre dans la place de Grève: «Allons attaquer la Bastille!»
+
+
+
+
+LIVRE XVII
+
+
+Cette résolution parut inopinée et soudaine parmi le peuple; mais elle
+étoit préméditée dans le conseil des chefs de la Révolution. La
+Bastille, comme prison d'État, n'avoit cessé d'être odieuse par l'usage
+souvent inique qu'en avoit fait, sous les précédens règnes, le
+despotisme des ministres; et, comme forteresse, elle étoit redoutable,
+surtout à ces faubourgs populeux et mutins que dominoient ses murs, et
+qui, dans leurs émeutes, se voyoient sous le feu du canon de ses tours.
+Pour remuer à son gré ce peuple et le faire agir hardiment, la faction
+républicaine vouloit donc qu'il fût délivré de ce voisinage importun.
+Les gens de bien les plus paisibles et même les plus éclairés vouloient
+aussi que la Bastille fût détruite, en haine de ce despotisme dont elle
+étoit le boulevard; en quoi ils s'occupoient bien plus de leur sécurité
+que de leur sûreté réelle: car le despotisme de la licence est mille
+fois plus redoutable que celui de l'autorité, et la populace effrénée
+est le plus cruel des tyrans. Il ne falloit donc pas que la Bastille fût
+détruite, mais que les clefs en fussent déposées dans le sanctuaire des
+lois.
+
+La cour la croyoit imprenable; elle l'auroit été, ou l'attaque et le
+siège en auroient coûté bien du sang, si elle avoit été défendue; mais
+l'homme à qui la garde en étoit confiée, le marquis de Launey, ne
+voulut, ou n'osa, ou ne sut faire usage des moyens qu'il avoit d'en
+rendre la résistance meurtrière; et cette populace, qui l'a si lâchement
+assassiné, lui devoit des actions de grâces.
+
+De Launey avoit espéré d'intimider le peuple; mais il est évident qu'il
+voulut l'épargner. Il avoit quinze pièces de canon sur les tours; et,
+quoi qu'en ait dit la calomnie pour pallier le crime de son assassinat,
+pas un seul coup de canon de ces tours ne fut tiré. Il y avoit de plus,
+dans l'intérieur du château, trois canons chargés à mitraille, braqués
+en face du pont-levis. Ceux-ci auroient fait du carnage dans le moment
+que le peuple vint se jeter en foule dans la première cour; il n'en fit
+tirer qu'un, et qu'une seule fois. Il étoit pourvu d'armes à feu de
+toute espèce, de six cents mousquetons, de douze fusils de rempart d'une
+livre et demie de balle, et de quatre cents biscaïens. Il avoit fait
+venir de l'Arsenal des caissons, des boulets, quinze mille cartouches et
+vingt milliers de poudre. Enfin, pour écraser les assiégeans, s'ils
+s'avançoient jusqu'au pied des murs de la place, il avoit fait porter
+sur les deux tours du pont-levis un amas de pavés et de débris de fer;
+mais, dans tous ces apprêts pour soutenir un siège, il avoit oublié les
+vivres; et, enfermé dans son château avec quatre-vingts invalides,
+trente-deux soldats suisses et son état-major, il n'avoit, le jour de
+l'attaque, pour toutes provisions de bouche, que deux sacs de farine et
+un peu de riz; preuve que tout le reste n'étoit rien qu'un épouvantail.
+
+Le petit nombre de soldats suisses qu'on lui avoit envoyés étoient des
+hommes sûrs et disposés à se défendre; les invalides ne l'étoient pas,
+il devoit bien le savoir; mais du moins n'auroit-il pas dû les exposer à
+la peur de mourir de faim. Trop inférieur à sa position, et dans cet
+étourdissement dont la présence du péril frappe une tête foible, il le
+regardoit d'un oeil fixe, mais trouble, et plutôt immobile d'étonnement
+que de résolution. Malheureusement, cette prévoyance qui lui manquoit,
+personne dans les conseils ne l'eut pour lui.
+
+Pour enivrer un peuple de son premier succès, on a outrément exalté,
+comme un exploit, l'attaque et la prise de la Bastille. Voici ce que
+j'en ai appris de la bouche même de celui qui fut proclamé et porté en
+triomphe comme ayant conduit l'entreprise et comme en étant le héros.
+
+«La Bastille n'a point été prise de vive force, m'a dit le brave Élie;
+elle s'est rendue avant même d'être attaquée; elle s'est rendue sur la
+parole que j'ai donnée, foi d'officier françois, et de la part du
+peuple, qu'il ne seroit fait aucun mal à personne si on se rendoit.»
+Voilà le fait dans sa simplicité, et tel qu'Élie me l'a attesté; en
+voici les détails écrits sous sa dictée.
+
+Les avant-cours de la Bastille avoient été abandonnées. Quelques hommes
+déterminés ayant osé rompre les chaînes du pont-levis qui fermoit la
+première, le peuple en foule y étoit entré. De là, sourd à la voix des
+soldats qui, du haut des tours, s'abstenoient de tirer sur lui et lui
+crioient de s'éloigner, il voulut se porter vers les murs du château. Ce
+fut alors qu'on fit feu sur lui; et, mis en fuite, il se sauva sous les
+abris des avant-cours. Un seul mort et quelques blessés jetèrent
+l'épouvante jusqu'à l'Hôtel de ville, et l'on y vint, au nom du peuple,
+demander instamment que l'on fît cesser le carnage en employant la voie
+des députations. Il en arriva deux, l'une par l'Arsenal et l'autre du
+côté du faubourg Saint-Antoine. «Avancez, leur crioient les invalides du
+haut des tours, nous ne tirerons pas sur vous, avancez avec vos
+drapeaux. Le gouverneur va descendre, on va baisser le pont du château
+pour vous introduire, et nous donnerons des otages.» Déjà le drapeau
+blanc étoit arboré sur les tours, et les soldats y tenoient leurs fusils
+renversés en signe de paix; mais ni l'une ni l'autre députation n'osa
+s'avancer jusqu'à la dernière avant-cour. Cependant la foule du peuple
+s'y pressoit vers le pont-levis, en faisant feu de tous côtés. Les
+assiégés eurent donc lieu de croire que ces apparences de députation
+n'étoient qu'une ruse pour les surprendre; et, après avoir inutilement
+crié au peuple de ne pas avancer, ils se virent contraints de tirer à
+leur tour.
+
+Le peuple, repoussé une seconde fois, et furieux d'avoir vu tomber
+quelques-uns des siens sous le feu de la place, s'en vengea selon sa
+coutume. Les casernes et les boutiques de l'avant-cour furent pillées,
+le logement du gouverneur fut livré aux flammes. Un coup de canon à
+mitraille et une décharge de mousqueterie avoient écarté cette foule de
+pillards et d'incendiaires, lorsqu'à la tête d'une douzaine de braves
+citoyens, Élie, s'avançant jusqu'au bord du fossé, cria qu'on se rendît,
+et qu'il ne seroit fait aucun mal à personne. Alors il vit, par une
+ouverture du tablier du pont-levis, une main passer et lui présenter un
+billet. Ce billet fut reçu au moyen d'une planche qu'on étendit sur le
+fossé; il étoit conçu en ces mots:
+
+ _Nous avons vingt milliers de poudre; nous ferons sauter le château
+ si vous n'acceptez pas la capitulation._
+
+ Signé: DE LAUNEY.
+
+Élie, après avoir lu le billet, cria qu'il acceptoit; et, du côté du
+fort, toutes hostilités cessèrent. De Launey cependant, avant de se
+livrer au peuple, vouloit que la capitulation fût ratifiée et signée à
+l'Hôtel de ville, et que, pour garantir sa sûreté et celle de sa troupe,
+une garde imposante les reçût et les protégeât; mais les malheureux
+invalides, croyant hâter leur délivrance, firent violence au gouverneur,
+en criant de la cour: «La Bastille se rend!»
+
+Ce fut alors que de Launey, saisissant la mèche d'un canon, menaça,
+résolut peut-être d'aller mettre le feu aux poudres. Les sentinelles qui
+les gardoient lui présentèrent la baïonnette; et, malgré lui, sans plus
+de précaution ni de délai, il se vit forcé de se rendre.
+
+D'abord, le petit pont-levis du fort étant ouvert, Élie entra avec ses
+compagnons, tous braves gens, et bien déterminé à tenir sa parole. En le
+voyant, le gouverneur vint à lui, l'embrassa, et lui présenta son épée
+avec les clefs de la Bastille.
+
+«Je refusai, m'a-t-il dit, son épée, et je n'acceptai que les clefs.»
+Les compagnons d'Élie accueillirent l'état-major et les officiers de la
+place avec la même cordialité, jurant de leur servir de garde et de
+défense; mais ils le jurèrent en vain.
+
+Dès que le grand pont fut baissé (et il le fut sans qu'on ait su par
+quelle main), le peuple se jeta dans la cour du château, et, plein de
+furie, il se saisit de la troupe des invalides. Les Suisses, qui
+n'étoient vêtus que de sarraux de toile, s'échappèrent parmi la foule;
+tout le reste fut arrêté. Élie et les honnêtes gens qui étoient entrés
+les premiers avec lui firent tous leurs efforts pour arracher des mains
+du peuple les victimes qu'eux-mêmes ils lui avoient livrées; mais sa
+férocité se tint obstinément attachée à sa proie. Plusieurs de ces
+soldats à qui on avoit promis la vie furent assassinés, d'autres furent
+traînés dans Paris comme des esclaves. Vingt-deux furent amenés à la
+Grève, et, après des humiliations et des traitemens inhumains, ils
+eurent la douleur de voir pendre deux de leurs camarades. Présentés à
+l'Hôtel de ville, un forcené leur dit: «Vous avez fait feu sur vos
+concitoyens; vous méritez d'être pendus, et vous le serez sur-le-champ.»
+Heureusement les gardes-françoises demandèrent grâce pour eux; le peuple
+se laissa fléchir; mais il fut sans pitié pour les officiers de la
+place. De Launey, arraché des bras de ceux qui vouloient le sauver, eut
+la tête tranchée sous les murs de l'Hôtel de ville. Au milieu de ses
+assassins, il défendit sa vie avec le courage du désespoir; mais il
+succomba sous le nombre. Delosme-Salbray, son major, fut égorgé de même.
+L'aide-major, Mirai, l'avoit été près de la Bastille. Person, vieux
+lieutenant des invalides, fut assassiné sur le port Saint-Paul, comme il
+retournoit à l'hôtel. Un autre lieutenant, Caron, fut couvert de
+blessures. La tête du marquis de Launey fut promenée dans Paris par
+cette même populace qu'il auroit foudroyée s'il n'en avoit pas eu pitié.
+
+Tels furent les exploits de ceux qu'on a depuis appelés les héros et les
+vainqueurs de la Bastille. Le 14 juillet 1789, vers les onze heures du
+matin, le peuple s'y étoit assemblé; à quatre heures quarante minutes,
+elle s'étoit rendue; à six heures et demie, on portoit la tête du
+gouverneur en triomphe au Palais-Royal. Au nombre des vainqueurs, qu'on
+a fait monter à huit cents, ont été mis des gens qui n'avoient pas même
+approché de la place.
+
+Le peuple, après cette conquête, ivre de son pouvoir, mais sans cesse
+nourri de soupçons et d'inquiétudes, et d'autant plus farouche qu'il
+frémissoit encore des dangers qu'il avoit courus, ne montra plus que le
+caractère d'un tyran ombrageux et cruel. On devoit savoir que, pour lui,
+de la licence au crime il n'y avoit de barrière que la crainte des
+châtimens; et, dans un temps de trouble et de sédition, la défense de la
+Bastille étoit, pour le repos public, un objet de haute importance. On
+vient de voir à quel excès elle avoit été délaissée. Ni Broglie,
+ministre et général, ni le conseil du roi, ni le parti des nobles,
+personne ne s'étoit avisé de savoir si la garnison en étoit sûre et
+suffisante, si elle avoit du pain et des vivres, et si le commandant
+étoit un homme d'un courage assez froid et assez ferme pour la défendre.
+On l'avoit supposée inutile ou inattaquable, ou plutôt on sembloit
+l'avoir mise en oubli.
+
+Il n'en est pas moins vrai que, si de Launey avoit fait usage de son
+artillerie, il eût épouvanté Paris. Il se souvint sans doute qu'il
+servoit un bon roi, et, parmi le peuple, chacun le savoit comme lui.
+
+Paris, au moment de l'attaque, s'étoit porté vers la Bastille. Les sexes
+et les âges, tout venoit se confondre autour de ces remparts hérissés de
+canons. Qu'est-ce donc qui les rassuroit? Le roi permet qu'on menace son
+peuple, mais le roi ne veut pas que son peuple soit écrasé. Quelle leçon
+funeste on a donnée aux rois par l'exemple de celui-ci!
+
+Le soir, le peuple, encore plus altéré de sang, poussé au crime par le
+crime, demande la tête de Flesselles, qui, le matin, dit-il, lui a
+refusé des armes, et qui, d'intelligence avec la cour, l'a trahi, l'a
+trompé, et s'est joué de lui avec la dernière insolence; et la Grève et
+l'Hôtel de ville retentissoient de ces clameurs; mais le foyer de la
+fermentation et de la rage populaire, ce n'étoit point la Grève, c'étoit
+le district de Saint-Roch, le quartier du Palais-Royal: c'étoit là que
+Flesselles avoit été proscrit.
+
+Durant l'attaque de la Bastille, le malheureux avoit assisté au comité
+de l'Hôtel de ville, assailli d'une troupe de brigands qui l'accabloient
+d'injures et qui lui annonçoient la mort. Après deux heures de silence
+et d'angoisses, il avoit résolu de passer de la salle du comité dans la
+grande salle, pour demander au peuple à être entendu et jugé par
+l'assemblée générale des électeurs, las de vivre, et voulant mourir
+plutôt que d'endurer une si cruelle agonie. En effet, c'étoit se livrer
+à une mort certaine que d'aller se jeter dans cette foule impitoyable.
+Il y passa, et il y prit séance dans le cercle des électeurs. Il se
+voyoit couché en joue de toutes parts; mais, d'autres incidens ayant
+fait diversion à la fureur dont il étoit l'objet, il profita de ce
+relâche; et, se penchant vers un ecclésiastique qui étoit auprès de lui
+(c'étoit l'abbé Fauchet), il lui tendit la main, le conjurant tout bas
+de se rendre à la hâte au district de Saint-Roch. «On y veut ma tête,
+ajouta-t-il, et c'est de là que partent toutes les accusations intentées
+contre moi. Allez, et dites-leur que je ne demande que le temps de me
+justifier.» Fauchet, s'étant ému pour lui d'un sentiment de compassion,
+alla implorer cette grâce, et l'implora inutilement. Il s'agissoit
+d'épouvanter ceux qui, comme Flesselles, se croiroient par devoir
+attachés au parti du roi; et, pour vaincre la probité par la terreur, il
+falloit encore des victimes. Le peuple n'étoit pas encore assez habitué
+au crime; et, pour l'y aguerrir, on vouloit l'y exercer. Le district,
+conducteur de l'insurrection, fut donc inexorable, et Flesselles ne
+revit plus celui dont il attendoit son salut.
+
+Ici je dois faire observer quels étoient, à l'Hôtel de ville, ceux qu'on
+y envoyoit demander la tête de Flesselles. «C'étoient, nous dit un
+fidèle témoin[51], des hommes armés comme des sauvages; et quels hommes?
+de ceux qu'on ne se souvient pas d'avoir jamais rencontrés au grand
+jour. D'où sortoient-ils? qui les avoit tirés de leurs réduits
+ténébreux?
+
+«À la tête du comité des électeurs, nous dit le même témoin, Flesselles
+marquoit encore quelque assurance: on le vit jusqu'au moment fatal
+écoutant tout le monde avec un air d'empressement et d'affabilité si
+naturel qu'il s'en seroit tiré, si le parti de le faire périr n'avoit
+pas été pris irrévocablement. Il fut témoin de la joie féroce qu'on fit
+éclater à la vue de cette lance au bout de laquelle étoit la tête du
+gouverneur de la Bastille. Il fut témoin des efforts que firent, dans
+ces momens, quelques bons citoyens pour arracher au peuple quelques-unes
+de ses victimes. Il entendit les cris de ceux qui demandoient que
+lui-même il leur fût livré.
+
+«Cependant, parmi tant d'horreurs, hasardant tout pour échapper, et se
+croyant oublié un moment, il osa sortir de sa place et se glisser parmi
+la foule. Il l'avoit percée en effet; mais ceux qui l'avoient poursuivi
+dans cette salle, et qui sans doute avoient promis sa mort, le
+poursuivoient encore en lui criant: «Au Palais-Royal! au
+Palais-Royal!--Soit», leur dit-il en sortant; et, le moment d'après, sur
+l'escalier de l'Hôtel de ville, un de ces brigands lui cassa la tête
+d'un coup de pistolet. Cette tête fut aussi promenée dans Paris en
+triomphe, et ce triomphe fut applaudi. Il en fut de même du meurtre des
+soldats invalides que l'on voyoit égorger dans les rues, tant le délire
+de la fureur avoit étouffé dans les âmes tout sentiment d'humanité!
+
+«J'ai remarqué, ajoute mon témoin en se servant d'une expression de
+Tacite, que, si, parmi le peuple, peu de gens alors osoient le crime,
+plusieurs le vouloient, et tout le monde le souffroit. Ils n'étoient pas
+de la nation, ces brigands qu'on voyoit remplir l'Hôtel de ville, les
+uns presque nus, et les autres bizarrement vêtus d'habits de diverses
+couleurs, hors d'eux-mêmes, et la plupart ou ne sachant ce qu'ils
+vouloient, ou demandant la mort des proscrits qu'on leur désignoit, et
+la demandant d'un ton auquel, plus d'une fois, il ne fut pas possible de
+résister.»
+
+Si l'Assemblée nationale eût voulu pressentir les maux dont le royaume
+étoit menacé par cette effroyable anarchie; si elle avoit prévu
+l'impuissance où elle seroit elle-même de faire rentrer dans les liens
+d'une autorité légitime cette bête féroce qu'elle auroit déchaînée; si
+ceux qui la flattoient avoient pensé qu'un jour peut-être eux-mêmes ils
+en seroient la proie, ils en auroient frémi d'une salutaire frayeur.
+Mais, pour se donner à soi-même une autorité dominante, on ne songea
+qu'à désarmer celle qui seule auroit pu tout sauver.
+
+La bourgeoisie de Paris, se laissant aveugler sur ses intérêts
+véritables, se livra aux transports d'une joie insensée quand il fut
+décidé que la Bastille seroit détruite. On n'eût pas vu avec plus
+d'allégresse, sous le règne de Louis XI, les cages de fer se briser.
+L'histoire rendra cependant ce témoignage à la mémoire de Louis XVI que,
+de sept prisonniers qui se trouvèrent à la Bastille, aucun n'y avoit été
+enfermé sous son règne.
+
+Tandis que la ville de Paris se déclaroit hautement soulevée contre
+l'autorité royale, les moteurs de la rébellion triomphoient à
+Versailles, en paroissant gémir des malheurs et des crimes qu'ils
+avoient commandés; et, pour en effrayer le roi, ils l'en affligeoient
+tous les jours. «Vous déchirez de plus en plus mon coeur, leur dit-il
+enfin, par le récit que vous me faites des malheurs de Paris. Il n'est
+pas possible de croire que les ordres que j'ai donnés aux troupes en
+soient la cause.» Non, ils ne l'étoient pas, car ils se réduisoient à
+maintenir la police et la paix.
+
+Cependant l'Assemblée demandoit au roi, avec les plus vives instances,
+l'éloignement des troupes, le renvoi des nouveaux ministres et le rappel
+des précédens. Il commença par ordonner le renvoi des troupes qui
+étoient au Champ-de-Mars; mais le départ des autres camps n'étoit pas
+ordonné, et dans Paris, qui se croyoit toujours menacé d'un assaut,
+cette nuit du 14 au 15 juillet fut terrible encore. Le peuple, toujours
+plus farouche, frémissoit de peur et de rage; les motions du
+Palais-Royal étoient des listes de proscription. Le lendemain, à travers
+une foule d'opinions diverses qui agitoient l'Assemblée nationale, la
+voix du baron de Marguerittes[52] se fit entendre. «Ce n'est pas,
+dit-il, dans une circonstance aussi affligeante qu'il faut discourir:
+toute parole superflue est un crime de lèse-humanité. Je persiste dans
+l'avis que je proposai hier d'envoyer au roi sur-le-champ de nouveaux
+députés, lesquels lui diront: «Sire, le sang coule, et c'est celui de
+vos sujets. Chaque jour, chaque instant, ajoute aux désordres affreux
+qui règnent dans la capitale et dans tout le royaume. Sire, le mal est à
+son comble; c'est en éloignant les troupes de Paris et de Versailles,
+c'est en chargeant les députés de la nation de porter en votre nom des
+paroles de paix, que le calme peut se rétablir. Oui, Sire, il est un
+moyen digne de vous, et surtout de vos vertus personnelles: ce moyen,
+fondé sur l'amour inaltérable des François pour leur roi, est de mettre
+en ce jour toute votre confiance dans les représentans de votre fidèle
+nation. Nous vous conjurons, Sire, de vous réunir sans délai à
+l'Assemblée nationale pour y entendre la vérité, et aviser, avec le
+conseil naturel de Votre Majesté, aux mesures les plus promptes pour
+rétablir le calme et l'union, et assurer le salut de l'État.»
+
+Cet avis adopté par acclamation, une députation nouvelle alloit se
+rendre auprès du roi, lorsque le duc de Liancourt vint annoncer que le
+roi lui-même alloit venir, et qu'il apportoit les dispositions les plus
+favorables.
+
+Cette nouvelle causoit dans l'Assemblée la plus sensible joie, et tous
+les gens de bien la faisoient éclater, lorsque Mirabeau se hâta de la
+réprimer: «Le sang de nos frères coule à Paris, dit Mirabeau; cette
+bonne ville est dans les horreurs des convulsions pour défendre sa
+liberté et la nôtre; et nous pourrions nous abandonner à quelque
+allégresse avant de savoir qu'on va rétablir le calme, la paix et le
+bonheur! Quand tous les maux du peuple devroient finir, serions-nous
+insensibles à ceux qu'il a déjà soufferts? Qu'un morne respect soit le
+premier accueil fait au monarque par les représentans d'un peuple
+malheureux. Le silence des peuples est la leçon des rois.»
+
+Comme si le sang répandu, comme si les crimes du peuple, les crimes
+commandés par lui-même et par ses complices, avoient pu s'imputer au
+roi! Cependant, malgré l'évidence d'une si noire calomnie, la véhémence
+de ce discours replongeoit l'Assemblée dans un triste silence, lorsque
+le roi parut; et, debout, au milieu des députés qui, debout comme lui,
+l'écoutoient, il leur parla ainsi:
+
+«Messieurs, je vous ai assemblés pour vous consulter sur les affaires
+les plus importantes de l'État. Il n'en est point de plus instante et
+qui affecte plus sensiblement mon coeur que les désordres affreux qui
+règnent dans la capitale. Le chef de la nation vient avec confiance au
+milieu de ses représentans leur témoigner sa peine, et les inviter à
+trouver les moyens de ramener l'ordre et le calme. Je sais qu'on a donné
+d'injustes préventions; je sais qu'on a osé publier que vos personnes
+n'étoient point en sûreté. Seroit-il donc nécessaire de vous rassurer
+sur des bruits aussi coupables, démentis d'avance par mon caractère
+connu? Eh bien! c'est moi qui ne suis qu'un avec ma nation; c'est moi
+qui me fie à vous. Aidez-moi dans cette circonstance à assurer le salut
+de l'État; je l'attends de l'Assemblée nationale. Le zèle des
+représentans de mon peuple, réunis pour le salut commun, m'en est un sûr
+garant; et, comptant sur la fidélité et l'amour de mes sujets, j'ai
+donné ordre aux troupes de s'éloigner de Paris et de Versailles. Je vous
+autorise et vous invite même à faire connoître mes intentions à la
+capitale.»
+
+Après la réponse du président, qui se terminoit à demander au roi pour
+l'Assemblée une communication toujours libre et immédiate avec sa
+personne, le roi s'étant retiré, l'Assemblée entière se mit en foule à
+sa suite, et forma son cortège depuis la salle jusqu'au palais.
+
+Ce fut sans doute un spectacle majestueux que ce cortège national
+accompagnant le roi à travers une multitude qui faisoit retentir les
+airs d'acclamations et de voeux, tandis que, du haut du balcon de la
+façade du château, la reine, embrassant le Dauphin, le présentoit au
+peuple, et sembloit le recommander aux députés de la nation; mais ce
+triomphe étoit réellement celui des factieux, auxquels le roi venoit de
+se livrer. Les confidens de la Révolution étoient encore en petit
+nombre; le reste étoit de bonne foi; mais les fourbes, au fond de leur
+coeur, insultant à la noble sincérité du roi et à la crédule simplicité
+de la multitude, s'applaudissoient des pas rapides qu'ils faisoient
+faire à leur puissance, et laissoient exhaler ces sentimens de joie et
+d'amour mutuel qu'ils sauroient réprimer lorsqu'il en seroit temps.
+
+La nombreuse députation que l'on fit partir pour Paris y fut reçue, dès
+la barrière jusqu'à l'Hôtel de ville, par une armée de cent mille hommes
+diversement armés d'instrumens de carnage: scène évidemment préparée,
+comme pour étaler les moyens qu'on avoit de se faire obéir si le roi
+n'avoit point cédé; et à cet appareil terrible se mêloit une joie de
+conquérans de cette liberté sans frein qui n'avoit produit que des
+crimes, et dont les meilleurs citoyens eux-mêmes se laissoient encore
+enivrer. Un blocus, un siège, une famine, un massacre, étoient les noirs
+fantômes dont on les avoit effrayés; et, en voyant éloignées les troupes
+que l'on croyoit chargées de commettre ces crimes, Paris ne croyoit plus
+rien avoir à craindre.
+
+Arrivés à l'Hôtel de ville, les députés furent applaudis, couronnés
+comme les sauveurs et les libérateurs d'une ville assiégée; calomnie
+perpétuelle que le marquis de La Fayette, dans le discours qu'il
+prononça, se dispensa de démentir, n'osant rendre hommage aux intentions
+du roi, dans la crainte d'offenser le peuple.
+
+Il eût été naturel, il eût été juste de rappeler dans ce moment ce que
+le roi avoit dit tant de fois, qu'il n'avoit assemblé des troupes que
+pour maintenir dans Paris l'ordre, la sûreté, le calme, et pour servir
+de sauvegarde au repos des bons citoyens. Ce fut là ce que La Fayette
+passa sous silence.
+
+«Messieurs, dit-il, voici enfin le moment le plus désiré par l'Assemblée
+nationale: _le roi étoit trompé_, il ne l'est plus. Il est venu
+aujourd'hui au milieu de nous, sans armes, sans troupes, sans cet
+appareil inutile aux bons rois. Il nous a dit qu'il avoit donné ordre
+aux troupes de se retirer: _oublions nos malheurs_, ou plutôt ne les
+rappelons que pour en éviter à jamais de pareils.»
+
+À son tour, le sincère et courageux Lally-Tolendal se fit entendre; et,
+pour donner à mon récit toute la vérité qu'il peut avoir, c'est le sien
+que je vais transcrire[53].
+
+«Dans la salle où nous fûmes reçus, il y avoit, dit-il, des citoyens de
+toutes les classes. Un peuple immense étoit sur la place, et j'éprouvai
+qu'on eût pu facilement, si tout le monde s'étoit accordé à le vouloir,
+tourner toute leur exaltation du côté de l'ordre et de la justice. Ils
+tressailloient en m'entendant parler de l'honneur du nom françois.
+Lorsque je leur dis qu'ils seroient libres, que le roi l'avoit promis,
+qu'il étoit venu se jeter dans nos bras, qu'il se fioit à eux, qu'il
+renvoyoit ses troupes, ils m'interrompirent par des cris de _Vive le
+roi!_ Lorsque je leur dis: «Nous venons de vous apporter la paix de la
+part du roi et de l'Assemblée nationale», ce fut à qui répéteroit: _La
+paix! la paix!_ Lorsque j'ajoutai: «Vous aimez vos femmes, vos enfans,
+votre roi, votre patrie», tous répondirent mille fois: _Oui_. Lorsque
+enfin, les pressant davantage, je hasardai de leur dire: «N'est-ce pas
+que vous ne voudriez pas déchirer tout ce que vous aimez par des
+discordes sanglantes? n'est-ce pas qu'il n'y aura plus de proscriptions?
+La loi seule en doit prononcer. Plus de mauvais citoyens; votre exemple
+les rendra bons», ils répétèrent encore: «_La paix, et plus de
+proscriptions!_»
+
+Ainsi dès lors rien n'étoit plus facile que de rétablir l'ordre et que
+d'entretenir la plus heureuse intelligence entre le monarque et son
+peuple. Le roi ne désiroit rien tant que d'être aimé, et à ce prix rien
+ne lui étoit pénible. La ville de Paris venoit de se donner Bailly pour
+maire, et La Fayette pour commandant de sa milice. Le roi, qui seul
+auroit dû nommer à ces deux places, agréa sans difficulté les choix que
+la ville avoit faits. Elle avoit demandé le rappel de Necker: Necker fut
+rappelé, ainsi que Montmorin, La Luzerne et Saint-Priest, qui avoient
+partagé sa disgrâce; et les nouveaux ministres prévinrent leur renvoi en
+donnant leur démission. Enfin Paris, de nouveau travaillé par ses
+perfides _agitateurs_, désira que le roi vînt lui-même à l'Hôtel de
+ville dissiper ses fausses alarmes, et le roi s'y rendit (le 17 juillet
+1789), sans autre garde que la milice bourgeoise de Versailles et de
+Paris, au milieu de deux cent mille hommes armés de faux, de pioches, de
+fusils et de lances, traînant des canons avec eux.
+
+À l'arrivée du roi, et sur son passage, toute acclamation en sa faveur
+étoit défendue, et, si aux cris de _Vive la nation!_ quelques-uns
+ajoutoient _Vive le roi!_ des brigands apostés leur imposoient silence.
+Le roi s'en aperçut, et il dévora cette injure. Après avoir entendu à la
+barrière la harangue du maire Bailly, dans laquelle il lui disoit que,
+si Henri IV avoit conquis sa ville, cette ville à son tour venoit de
+conquérir son roi, il reçut à l'Hôtel de ville la cocarde républicaine,
+il la reçut sans répugnance; et, comme sa réconciliation avec son peuple
+étoit sincère, il lui montra tant de candeur et de bonté qu'enfin tous
+les coeurs en furent émus. Les félicitations des orateurs portèrent
+l'émotion jusqu'à l'enthousiasme, et, lorsque Lally-Tolendal prit la
+parole, ce ne furent plus que des élans de sensibilité et des transports
+d'amour.
+
+«Eh bien, citoyens, leur dit-il, êtes-vous satisfaits? Le voilà, ce roi
+que vous demandiez à grands cris, et dont le nom seul excitoit vos
+transports lorsqu'il y a deux jours nous le proférions au milieu de
+vous. Jouissez de sa présence et de ses bienfaits. Voilà celui qui vous
+a rendu vos assemblées nationales, et qui veut les perpétuer; voilà
+celui qui a voulu établir vos libertés, vos propriétés, sur des bases
+inébranlables; voilà celui qui vous a offert, pour ainsi dire, d'entrer
+avec lui en partage de son autorité, ne se réservant que celle qui lui
+étoit nécessaire pour votre bonheur, celle qui doit à jamais lui
+appartenir, et que vous-mêmes devez le conjurer de ne jamais perdre. Ah!
+qu'il recueille enfin des consolations! que son coeur noble et pur
+emporte d'ici la paix dont il est si digne! et puisque, surpassant les
+vertus de ses prédécesseurs, il a voulu placer sa puissance et sa
+grandeur dans votre amour, n'être obéi que par l'amour, n'être gardé que
+par l'amour, ne soyons ni moins sensibles, ni moins généreux, que notre
+roi, et prouvons-lui que même sa puissance, que même sa grandeur, ont
+plus gagné mille fois qu'elles n'ont sacrifié.
+
+«Et vous, Sire, permettez à un sujet qui n'est ni plus fidèle ni plus
+dévoué que tous ceux qui vous environnent, mais qui l'est autant
+qu'aucun de ceux qui vous obéissent, permettez-lui d'élever sa voix vers
+vous, et de vous dire: «Le voilà, ce peuple qui vous idolâtre, ce peuple
+que votre seule présence enivre, et dont les sentimens pour votre
+personne sacrée ne peuvent jamais être l'objet d'un doute. Regardez,
+Sire, consolez-vous en regardant tous les citoyens de votre capitale;
+voyez leurs yeux, écoutez leurs voix, pénétrez dans leurs coeurs qui
+volent au-devant de vous. Il n'est pas ici un seul homme qui ne soit
+prêt à verser pour vous, pour votre autorité légitime, jusqu'à la
+dernière goutte de son sang. Non, Sire, cette génération françoise n'est
+pas assez malheureuse pour qu'il lui ait été réservé de démentir
+quatorze siècles de fidélité. Nous périrons tous, s'il le faut, pour
+défendre un trône qui nous est aussi sacré qu'à vous et à l'auguste
+famille que nous y avons placée il y a huit cents ans. Croyez, Sire,
+croyez que nous n'avons jamais porté à votre coeur une atteinte
+douloureuse qu'elle n'ait déchiré le nôtre; qu'au milieu des calamités
+publiques, c'en est une de vous affliger, même par une plainte qui vous
+avertit, qui vous implore et qui ne vous accuse jamais. Enfin, tous les
+chagrins vont disparoître, tous les troubles vont s'apaiser. Un seul mot
+de votre bouche a tout calmé. Notre vertueux roi a rappelé ses vertueux
+conseils; périssent les ennemis publics qui vouloient encore semer la
+division entre la nation et son chef! Roi, sujets, citoyens, confondons
+nos coeurs, nos voeux, nos efforts, et déployons aux yeux de l'univers le
+spectacle magnifique d'une de ses plus belles nations, libre, heureuse,
+triomphante sous un roi juste, chéri, révéré, qui, ne devant plus rien à
+la force, devra tout à ses vertus et à notre amour.»
+
+Tolendal fut vingt fois interrompu par des cris de _Vive le roi!_ Le
+peuple étoit ravi d'être rendu à ses sentimens naturels; le roi les
+partageoit, et son émotion les lui exprimoit plus vivement que n'eût
+fait l'éloquence. Mais, si ces sentimens avoient été durables entre son
+peuple et lui, il auroit été trop puissant au gré des factieux qui
+vouloient le réduire à n'être plus qu'un fantôme de roi.
+
+
+
+
+LIVRE XVIII
+
+
+Dans l'Assemblée nationale, du côté ides communes, il y avoit comme dans
+le peuple deux esprits et deux caractères: l'un, modéré, foible et
+timide: c'étoit celui du plus grand nombre; l'autre, fougueux, outré,
+violent et hardi: c'étoit celui des factieux. On avoit vu d'abord
+celui-ci, pour ménager l'autre, n'annoncer que des vues raisonnables et
+pacifiques. On avoit entendu l'un de ses organes conjurer le clergé, _au
+nom d'un Dieu de paix,_ de se réunir avec l'ordre où l'on méditoit sa
+ruine. Nous venons de voir Mirabeau, dans sa harangue au roi, affecter
+un respect et un zèle hypocrites; mais, lorsque après s'être assuré de
+la résolution et du dévouement du bas peuple, de la mollesse, de la
+nonchalance, de la timidité, de la classe aisée et paisible, ce parti se
+vit en état de maîtriser l'opinion, il cessa de dissimuler.
+
+Dès le lendemain du jour où le roi étoit allé de si bonne foi se livrer
+à l'Assemblée nationale, on entreprit de poser en principe qu'elle avoit
+droit de s'ingérer dans la formation du ministère; et les deux orateurs
+qui sur ce point attaquèrent de front la prérogative royale furent
+Mirabeau et Barnave, l'un et l'autre doués d'une éloquence populaire:
+Mirabeau, avec plus de fougue et par élans passionnés, souvent aussi en
+fourbe et avec artifice; Barnave, avec plus de franchise, plus de nerf
+et plus de vigueur. Tous les deux avoient appuyé l'avis d'ôter au roi le
+libre choix de ses ministres, droit que Tolendal et Mounier avoient
+fortement défendu en soutenant que, sans cette liberté dans le choix des
+objets de sa confiance, le roi ne seroit plus rien. Le décret résultant
+de cette discussion l'avoit laissée irrésolue; mais la question, une
+fois engagée, n'en étoit pas moins le signal de la lutte des deux
+pouvoirs.
+
+Pour ce combat, il falloit aux communes une force toujours active et
+menaçante. De là tous les obstacles qu'éprouva Tolendal dans sa motion
+du 20 juillet. C'est encore lui qu'il faut entendre.
+
+«À partir du point où nous étions, il étoit évident, dit-il, qu'il n'y
+avoit plus à redouter pour la liberté que les projets des factieux ou
+les dangers de l'anarchie. L'Assemblée nationale n'avoit à se mettre en
+garde que contre l'excès même de sa propre puissance. Il n'y avoit pas
+un moment à perdre pour rétablir l'ordre public. Déjà l'on avoit la
+nouvelle que la commotion éprouvée dans la capitale s'étoit fait sentir
+non seulement dans les villes voisines, mais dans les provinces
+lointaines. Les troubles s'annonçoient dans la Bretagne; ils existoient
+dans la Normandie et dans la Bourgogne; ils menaçoient de se répandre
+dans tout le royaume. Des émissaires, partis évidemment d'un point
+central, couroient par les chemins, traversant les villes et les
+villages sans y séjourner, faisant sonner le tocsin, et annonçant tantôt
+des troupes étrangères et tantôt des brigands, criant partout aux armes,
+plusieurs répandant de l'argent.»
+
+En effet, j'en voyois moi-même traversant à cheval le hameau où j'étois
+alors, et nous criant qu'autour de nous des hussards portoient le ravage
+et incendioient les moissons, que tel village étoit en feu et tel autre
+inondé de sang. Il n'en étoit rien, mais dans l'âme du peuple la peur
+excitoit la furie, et c'étoit ce qu'on demandoit.
+
+Les mains pleines de lettres qui attestoient les excès impunément commis
+de toutes parts, Tolendal se rendit à l'Assemblée nationale, et y
+proposa un projet de proclamation, qui, après avoir présenté à tous les
+François le tableau de leur situation, de leurs devoirs et de leurs
+espérances, les invitoit tous à la paix, mettoit en sûreté leur vie et
+leurs propriétés, menaçoit les méchans, protégeoit les bons, maintenoit
+les lois en vigueur et les tribunaux en activité.
+
+«Ce projet, nous dit-il, fut couvert d'applaudissemens: on demanda une
+seconde lecture, et les acclamations redoublèrent. Mais quel fut mon
+étonnement lorsque je vis un parti s'élever pour le combattre!...
+Suivant l'un, ma sensibilité avoit séduit ma raison. Ces incendies, ces
+emprisonnemens, ces assassinats, étoient des contrariétés qu'il falloit
+savoir supporter, comme nous avions dû nous y attendre. Suivant l'autre,
+mon imagination avoit créé des dangers qui n'existoient pas. Il n'y
+avoit de danger que dans ma motion...: danger pour la liberté, parce
+qu'on ôteroit au peuple une inquiétude salutaire qu'il falloit lui
+laisser; danger pour l'Assemblée, qui alloit voir Paris se déclarer
+contre elle si elle acceptoit la motion; danger pour le pouvoir
+législatif, qui, après avoir brisé l'action si redoutable de l'autorité,
+alloit lui en rendre une plus redoutable encore.»
+
+Le meurtre de Bertier, intendant de Paris, celui de Foulon, son
+beau-père, massacrés à la Grève, leurs têtes promenées, et le corps de
+Foulon traîné et déchiré dans le Palais-Royal, faisoient voir que la
+populace, ivre de sang, en étoit encore altérée, et sembloient crier à
+l'Assemblée de se hâter d'admettre la motion de Tolendal. Lui-même il va
+nous dire le peu d'impression que fit cet horrible incident.
+
+«Le lendemain (21 juillet), je fus éveillé par des cris de douleur. Je
+vis entrer dans ma chambre un jeune homme pâle, défiguré, qui vint se
+précipiter sur moi, et qui me dit en sanglotant: «Monsieur, vous avez
+passé quinze ans de votre vie à défendre la mémoire de votre père,
+sauvez la vie du mien, et qu'on lui donne des juges. Présentez-moi à
+l'Assemblée nationale, et que je lui demande des juges pour mon père.
+«C'étoit le fils du malheureux Bertier. Je le conduisis sur-le-champ
+chez le président de l'Assemblée. Le malheur voulut qu'il n'y eût point
+de séance dans la matinée. Le soir, il n'y avoit plus rien à faire pour
+cet infortuné. Le beau-père et le gendre avoient été mis en pièces.
+
+«On croit bien, poursuit Tolendal, qu'à la première séance je me hâtai
+de fixer l'attention générale sur cet horrible événement. Je parlai au
+nom d'un fils dont le père venoit d'être massacré, et un fils qui étoit
+en deuil du sien (c'étoit Barnave) osa me reprocher de sentir lorsqu'il
+ne falloit que penser. Il ajouta ce que je ne veux même pas répéter (_le
+sang qu'on a versé étoit-il donc si précieux?_), et, chaque fois qu'il
+élevoit les bras au milieu de ses déclamations sanguinaires, il montroit
+à tous les regards les marques lugubres de son malheur récent (_les
+pleureuses_), et les témoins incontestables de son insensibilité
+barbare.»
+
+Mais telle étoit parmi les factieux la dépravation des esprits qu'une
+cruauté froide y passoit pour vertu et l'humanité pour foiblesse.
+Trente-six châteaux démolis ou brûlés dans une seule province; en
+Languedoc, un M. de Barras coupé par morceaux devant sa femme enceinte
+et prête d'accoucher; en Normandie, un vieillard paralytique jeté sur un
+bûcher ardent, et tant d'autres excès commis, étoient ou passés sous
+silence dans l'Assemblée, ou traités d'épisodes, si quelqu'un les y
+dénonçoit.
+
+Il étoit de la politique des factieux de ne laisser au peuple faire
+aucun retour sur lui-même. Refroidi un moment, il auroit pu sentir qu'on
+l'égaroit, qu'on le trompoit; que ces ambitieux ne faisoient de lui leur
+complice que pour en faire leur esclave, et que, de crime en crime, ils
+vouloient le réduire au point de ne plus voir pour lui de salut qu'en
+exécutant tous ceux qu'ils lui commanderoient. Aussi la proclamation
+proposée par Tolendal ne passa-t-elle enfin que lorsqu'on en eut
+retranché ce qui pouvoit modérer le peuple. Encore, de peur de donner
+trop d'authenticité à cette proclamation pacifique, tout affoiblie
+qu'elle étoit, ne voulut-on pas qu'elle fût envoyée par le roi dans les
+provinces du royaume, et lue en chaire dans les églises, mais seulement
+qu'on s'en remît aux députés du soin de la faire passer, chacun d'eux, à
+leurs commettans.
+
+Le 31 juillet fut un jour remarquable par le retour de Necker, et par
+l'espèce de triomphe qu'il obtint à l'Hôtel de ville.
+
+En revenant de Bâle, où il avoit reçu les deux lettres de son rappel,
+l'une du roi, l'autre de l'Assemblée nationale, Necker avoit sur sa
+route vu les excès auxquels les peuples se livroient; il avoit tâché de
+les calmer, de répandre sur son passage des sentimens plus doux, et
+d'inspirer partout l'horreur de l'injustice et de la violence. Il
+trouvoit les chemins couverts de François que les événemens de Paris,
+que les assassinats commis près de l'Hôtel de ville, avoient glacés
+d'horreur et d'effroi, et qui s'en alloient chercher une autre contrée.
+Instruit de ces scènes sanglantes, dès lors son voeu le plus aident avoit
+été de détourner le peuple de Paris de ses aveugles barbaries, de le
+ramener à des sentimens d'humanité, et de lui faire effacer la tache que
+ces criminelles violences imprimoient au caractère de la nation. Je
+parle ici d'après lui-même; et, quelques erreurs, quelques fautes,
+quelques torts, qu'on lui attribue, personne au moins ici ne doutera de
+sa sincérité. Dans cette confiance, je lui cède la parole pour un récit
+qui, sans être moins vrai, en sera plus intéressant.
+
+«Heureuse et grande journée pour moi (le 28 juillet 1789), nous a-t-il
+dit[54], belle et mémorable époque de ma vie, où, après avoir reçu les
+plus touchantes marques d'affection de la part d'un peuple immense,
+j'obtins de ses nombreux députés rassemblés à l'Hôtel de ville, et de
+lui-même ensuite, avec des cris de joie, non seulement l'entière liberté
+du prisonnier que j'avois défendu (le baron de Besenval), niais une
+amnistie générale, un oubli complet des motifs de plainte et de
+défiance, une généreuse renonciation aux sentimens de haine et de
+vengeance dont on étoit si fort animé, enfin une sorte de paix et de
+réunion avec ce grand nombre de citoyens qui, les uns, avoient déjà fui
+de leur pays, les autres étoient prêts à s'en éloigner! Cette honorable
+détermination fut le prix de mes larmes: je l'avois demandée au nom de
+l'intérêt que j'inspirois dans ce moment; je l'avois demandée comme une
+reconnoissance de mon dernier sacrifice; je l'avois demandée comme la
+seule et unique récompense à laquelle je voulois jamais prétendre. Je me
+prosternai, je m'humiliai de toutes les manières pour réussir. Je fis
+agir enfin toutes les puissances de mon âme; et, secondé de l'éloquence
+d'un citoyen généreux et sensible (Clermont-Tonnerre), j'obtins l'objet
+de mes voeux; et cette première faveur me fut accordée d'une voix
+unanime, et avec tous les élans d'enthousiasme et de bonté qui pouvoient
+me la rendre plus chère.»
+
+Voici quelle fut la délibération de l'assemblée générale des électeurs à
+l'Hôtel de ville, le même jour 31 juillet.
+
+«Sur le discours vrai, sublime et attendrissant de M. Necker,
+l'assemblée des électeurs, pénétrée des sentimens de justice et
+d'humanité qu'il respire, a arrêté que le jour que ce ministre si cher,
+si nécessaire, a été rendu à la Fiance, devoit être un jour de fête. En
+conséquence elle déclare, au nom des habitans de cette capitale,
+certaine de n'être pas désavouée, qu'elle pardonne à tous ses ennemis,
+qu'elle proscrit tout acte de violence contraire au présent arrêté, et
+qu'elle regarde désormais comme les seuls ennemis de la nation ceux qui
+troubleront par aucun excès la tranquillité publique.
+
+«Arrête en outre que le présent arrêté sera lu au prône de toutes les
+paroisses, publié à son de trompe dans toutes les rues et carrefours, et
+envoyé à toutes les municipalités du royaume, et les applaudissemens
+qu'il obtiendra distingueront les bons François.»
+
+C'étoit le salut de l'État, mais la ruine de projets qui ne pouvoient
+réussir que par le trouble et la terreur.
+
+«Dès la nuit même de ce jour mémorable, poursuit Necker, tout fut
+changé. Les chefs de la démocratie avoient d'autres pensées. Nuls ne
+vouloient encore de bonté, ni d'oubli, ni d'amnistie; ils avoient besoin
+de toutes les passions du peuple; ils avoient besoin surtout de ses
+défiances, et ils ne vouloient non plus, à aucun prix, qu'un grand
+événement important pût être rapporté à mes voeux et à mon influence. On
+assembla donc les districts, et l'on sut les animer contre une
+déclaration que leurs représentans, que les anciens électeurs nommés par
+eux, qu'une assemblée générale de l'Hôtel de ville, avoient adoptée
+d'une voix unanime, et que le premier voeu du peuple avoit ratifiée.
+L'Assemblée nationale étoit mon espérance dans cette malheureuse
+contrariété; mais elle accueillit l'opinion des districts, et je vis
+renverser de fond en comble l'édifice de mon bonheur. À quoi cependant
+ce bonheur s'étoit-il attaché? À retenir au milieu de nous ceux qui, par
+leurs richesses et par leurs dépenses, entretenoient le travail et
+encourageoient l'industrie; à voir les idées de persécution remplacées
+par un sentiment de confiance et de magnanimité; à prévenir cette
+exaspération, suite inévitable des craintes et des alarmes que l'on
+dédaigne de calmer; à préserver la nation Françoise de ces effrayans
+tribunaux d'inquisition désignés sous le nom de Comités des recherches;
+à rendre enfin la liberté plus aimable en lui donnant un air moins
+farouche, et en montrant comme elle peut s'allier aux sentimens de
+douceur, d'indulgence et de bonté, le plus bel ornement de la nature
+humaine et son premier besoin. Ah! combien de malheurs auroient été
+prévenus si la délibération prise à l'Hôtel de ville n'avoit pas été
+détruite, si le premier voeu du peuple, si ce saint mouvement n'avoit pas
+été méprisé!»
+
+Lorsque Necker parloit ainsi, il étoit loin de prévoir quels attentats,
+quelles atrocités, mettroient le comble aux forfaits passés.
+
+Mais dès lors il devoit sentir combien lui-même il seroit déplacé et
+misérablement inutile parmi des hommes dédaigneux de tous principes de
+morale et de tous sentimens de justice et d'humanité.
+
+C'étoit en exerçant le plus violent despotisme qu'on avoit fait annuler
+l'arrêté de l'Hôtel de ville; et ce que Necker a passé sous silence, cet
+autre témoin que personne n'a osé démentir, Tolendal, l'a dit hautement.
+
+«À l'entrée de la nuit, les factieux s'étoient rassemblés dans ce
+Palais-Royal, fameux désormais par tous les genres de crimes, après
+l'avoir été par tous les genres de dépravation; dans ce Palais-Royal, où
+l'histoire sera obligée de dire que l'on corrompoit les moeurs, que l'on
+débauchoit les troupes, que l'on traînoit les cadavres des morts, et que
+l'on proscrivoit les têtes des vivans. Là ils avoient juré de faire
+révoquer l'arrêté de l'Hôtel de ville, et ils s'étoient mis en marche.
+Un district effrayé avoit communiqué son effroi à plusieurs autres; le
+tocsin avoit sonné; la troupe avoit grossi; l'Hôtel de ville avoit
+craint de se voir assiégé; enfin, sur la réclamation de plusieurs
+districts seulement, la commune de Paris avoit été forcée de céder, et
+l'assemblée des électeurs, par un nouvel arrêté, avoit rétracté celui du
+matin, en disant qu'elle l'expliquoit.»
+
+Le 1er août, lorsqu'à l'élection du président, Thouret fut nommé au
+scrutin, à l'instant même le frémissement des factieux et leur menace se
+firent entendre dans l'Assemblée. L'élection fut dénoncée au
+Palais-Royal comme une trahison; Thouret y fut proscrit s'il acceptoit
+la présidence; on le menaça de venir l'assassiner dans sa maison; il se
+démit, et ce fut comme le coup mortel pour la liberté de l'Assemblée, le
+plus grand nombre étant celui des âmes foibles à qui la peur imposoit
+silence ou commandoit l'opinion.
+
+Les tribunaux étoient eux-mêmes épouvantés; les lois étoient sans force,
+et le peuple les méprisoit. Il avoit entendu déclarer nuls les anciens
+édits; il refusoit de payer des impôts antérieurement établis; personne
+n'osoit l'y contraindre, et la faction lui laissoit croire qu'elle l'en
+avoit délivré.
+
+Cependant les fonds des finances étoient tous épuisés et leurs sources
+presque taries. Necker vint exposer à l'Assemblée la détresse où il se
+trouvoit, et demander qu'elle autorisât un emprunt de trente millions à
+cinq pour cent. Cet intérêt modique fut malignement chicané; on le
+morcela d'un cinquième; et, le public ne voyant plus dans Necker qu'un
+ministre contrarié et mal voulu dans les communes, le signal de sa
+décadence fut le terme de son crédit.
+
+Une contribution patriotique fut la ressource momentanée que l'Assemblée
+mit en usage; et, au surplus, laissant le ministre se travailler
+d'inquiétudes pour subvenir aux besoins de l'État, elle entama l'ouvrage
+d'une constitution qu'elle s'autorisa elle-même à créer, non seulement
+sans les pouvoirs et l'aveu de la nation, mais au mépris des défenses
+expresses que la nation elle-même lui avoit faites dans ses mandats de
+toucher aux anciennes bases et aux principes fondamentaux de la
+monarchie existante.
+
+Jusque-là on n'avoit cessé d'espérer mettre un terme aux usurpations des
+communes, et tous les moyens de conciliation avoient été mis en usage.
+Le 4 août, la séance du soir avoit été marquée par des résolutions et
+par des sacrifices qui auroient dû tout pacifier. Le clergé et la
+noblesse avoient fait, par acclamation, l'abandon de leurs privilèges.
+Ces renonciations, faites avec une sorte d'enthousiasme, avoient été
+reçues de même, et la très grande pluralité de l'Assemblée les regardoit
+comme le sceau d'une pleine et durable réconciliation. Le bon archevêque
+de Paris avoit proposé qu'un _Te Deum_ en fût chanté en actions de
+grâces; Tolendal, qui ne perdoit jamais de vue le salut de l'État, avoit
+fait la motion que Louis XVI fût proclamé _restaurateur de la liberté
+françoise_; l'une et l'autre proposition avoient enlevé toutes les voix.
+Enfin, le roi lui-même avoit consenti sans réserve à toutes les
+renonciations faites et rédigées en décret dans la séance du 4 août;
+mais il refusoit son acceptation pure et simple à la déclaration ambiguë
+des droits de l'homme et aux dix-neuf articles de la constitution qui
+lui avoient été présentés. Il y avoit même d'autres articles auxquels on
+prévoyoit qu'il refuseroit sa sanction; et, quoique le veto qu'il se
+réservoit ne fût que suspensif, c'en étoit assez pour arrêter le
+mouvement révolutionnaire. Il falloit franchir cet obstacle; et, si on
+vouloit forcer sa résistance, le roi pouvoit bien prendre une résolution
+à laquelle il s'étoit longtemps refusé.
+
+Ce fut là bien réellement ce qui fit former le projet d'avoir le roi à
+Paris, et ce qui fit envoyer à Versailles (le 5 octobre 1789) trente
+mille séditieux avec des canons à leur tête, et une foule de ces femmes
+immondes que l'on fait marcher en avant dans toutes les émeutes. Le
+prétexte de leur mission étoit d'aller se plaindre de la cherté du pain.
+
+Je ne décrirai point la brutalité de cette populace conduite à
+Versailles pour enlever le roi et sa famille. La procédure du Châtelet a
+révélé cet horrible mystère, ce crime dont l'Assemblée eut beau vouloir
+laver le duc d'Orléans et Mirabeau. Les faits en sont consignés dans les
+mémoires du temps que mes enfans liront. Ils y verront, en frémissant,
+les fidèles gardes, du corps, à qui le roi avoit défendu de tirer sur le
+peuple, massacrés jusque sur le seuil de l'appartement de la reine, et
+leurs têtes portées au bout des piques sous les fenêtres du palais; ils
+verront cette reine, éperdue et tremblante pour le roi et pour ses
+enfans, s'enfuir de son lit, qu'on vient percer à coups de baïonnettes,
+et allant se jeter dans les bras du roi, où elle croyoit mourir; ils les
+verront, ces augustes époux, au milieu d'un peuple farouche, opposer à
+sa rage la plus magnanime douceur, lui montrer leurs enfans afin de
+l'attendrir, et lui demander ce qu'il veut que l'on fasse pour
+l'apaiser: Que le roi vienne avec nous à Paris. Ce fut la réponse du
+peuple, et l'aveu du complot qu'on lui faisoit exécuter.
+
+Ce qu'on ne peut oublier, c'est que la nuit où cette horde sanguinaire
+remplissoit les cours du château, quelques voix s'étant élevées dans la
+salle des députés pour proposer d'aller en corps se ranger à côté du roi
+et réprimer les mouvemens du peuple, Mirabeau réfuta insolemment cette
+motion, en disant qu'il ne seroit pas de la dignité de l'Assemblée
+nationale de se déplacer: il n'avoit garde de vouloir s'opposer à son
+propre ouvrage.
+
+Le roi pouvoit encore s'éloigner; tout étoit préparé pour son départ;
+ses carrosses, ses gardes, l'attendoient, lui et sa famille, aux grilles
+de l'Orangerie; quelques amis fidèles le pressoient de saisir le temps
+où le peuple, dispersé dans Versailles, alloit se livrer au sommeil;
+mais un plus grand nombre, tremblans et larmoyans, le conjuroient à
+genoux de ne pas les abandonner. Trompé par la sécurité de La Fayette,
+qui répondoit que tout seroit bientôt tranquille, le roi, par la
+fatalité de son étoile ou de son caractère, se livra à sa destinée, et
+perdit le moment qu'il ne devoit plus retrouver.
+
+Dès qu'il fut arrivé aux Tuileries avec sa famille, l'Assemblée déclara
+qu'elle ne pouvoit rester séparée de la personne du roi; elle vint
+elle-même s'établir à Paris (le 19 octobre 1789); et, dans ces
+translations, le bon peuple crut voir le gage de sa sûreté.
+
+Le premier acte du roi, à Paris, fut son acceptation des premiers
+articles de la constitution et la sanction des droits de l'homme.
+
+Ces Mémoires ne sont point l'histoire de la Révolution; vous la lirez
+ailleurs, mes enfans, et vous verrez, depuis cette époque du 19 octobre,
+la suite de tant d'événemens mémorables, et tous faciles à prévoir après
+les premiers succès d'un parti vainqueur: les biens du clergé déclarés
+nationaux le 2 novembre; la création des assignats le 21 décembre; le
+nombre, la forme et la fabrication de cette monnaie, déterminés le 17
+avril 1790; la noblesse et tous les titres abolis le 19 juin suivant; la
+fuite du roi le 21 juin 1791; son retour à Paris le 25; enfin
+l'acceptation de la constitution entière par le roi le 3 septembre, et
+la promulgation de cet acte le 28 du même mois.
+
+Là se termina la session de l'Assemblée constituante; et ce fut alors
+que s'éloigna de moi cet ami qui, dans les travaux et les périls de la
+tribune, avoit si dignement rempli ses devoirs et mes espérances, et qui
+venoit d'être appelé à Rome pour y être comblé d'honneurs, l'abbé Maury,
+cet homme d'un talent si rare et d'un courage égal à ce rare talent.
+
+En vous parlant de lui, je ne vous ai donné, mes enfans, que l'idée d'un
+bon ami, d'un homme aimable; je dois vous le faire connoître en qualité
+d'homme public, et tel que ses ennemis eux-mêmes n'ont pu s'empêcher de
+le voir: invariable dans les principes de la justice et de l'humanité;
+défenseur intrépide du trône et de l'autel; aux prises tous les jours
+avec les Mirabeau et les Barnave; en butte aux clameurs menaçantes du
+peuple des tribunes; exposé aux insultes et aux poignards du peuple du
+dehors, et assuré que les principes dont il plaidoit la cause
+succomberoient sous le plus grand nombre; tous les jours repoussé, tous
+les jours sous les armes, sans que la certitude d'être vaincu, le danger
+d'être lapidé, les clameurs, les outrages d'une populace effrénée,
+l'eussent jamais ébranlé ni lassé. Il sourioit aux menaces du peuple; il
+répondoit par un mot plaisant ou énergique aux invectives des tribunes,
+et revenoit à ses adversaires avec un sang-froid imperturbable. L'ordre
+de ses discours, faits presque tous à l'improviste, et durant des heures
+entières, l'enchaînement de ses idées, la clarté de ses raisonnemens, le
+choix et l'affluence de son expression, juste, correcte, harmonieuse, et
+toujours animée sans aucune hésitation, rendoient comme impossible de se
+persuader que son éloquence ne fût pas étudiée et préméditée; et
+cependant la promptitude avec laquelle il s'élançoit à la tribune et
+saisissoit l'occasion de parler forçoit de croire qu'il parloit
+d'abondance.
+
+J'ai moi-même plus d'une fois été témoin qu'il dictoit de mémoire le
+lendemain ce qu'il avoit prononcé la veille, en se plaignant que dans
+ses souvenirs sa vigueur étoit affoiblie et sa chaleur éteinte. «Il n'y
+a, disoit-il, que le feu et la verve de la tribune qui puissent nous
+rendre éloquens.» Ce phénomène, dont on a vu si peu d'exemples, n'est
+explicable que par la prodigieuse capacité d'une mémoire à laquelle rien
+n'échappoit, et par des études immenses; il est vrai qu'à ce magasin de
+connoissances et d'idées, que Cicéron a regardé comme l'arsenal de
+l'orateur, Maury ajoutoit l'habitude et la très grande familiarité de la
+langue oratoire; avantage inappréciable que la chaire lui avoit donné.
+
+Quant à la fermeté de son courage, elle avoit pour principe le mépris de
+la mort et cet abandon de la vie, sans lequel, disoit-il, une nation ne
+peut avoir de bons représentans, non plus que de bons militaires.
+
+Tel s'étoit montré l'homme qui a été constamment mon ami, qui l'est
+encore et le sera toujours sans que les révolutions de sa fortune et de
+la mienne apportent aucune altération dans cette mutuelle et solide
+amitié.
+
+Le moment où, peut-être pour la dernière fois nous embrassant, nous nous
+dîmes adieu, eut quelque chose d'une tristesse religieuse et
+mélancolique. «Mon ami, me dit-il, en défendant la bonne cause, j'ai
+fait ce que j'ai pu; j'ai épuisé mes forces, non pas pour réussir dans
+une assemblée où j'étois inutilement écouté, mais pour jeter de
+profondes idées de justice et de vérité dans les esprits de la nation et
+de l'Europe entière. J'ai eu même l'ambition d'être entendu de la
+postérité. Ce n'est pas sans un déchirement de coeur que je m'éloigne de
+ma patrie et de mes amis; mais j'emporte la ferme espérance que la
+puissance révolutionnaire sera détruite.»
+
+J'admirai cette infatigable persévérance de mon ami; mais, après l'avoir
+vu lutter inutilement contre cette force qui entraînoit ou qui
+renversoit tout ce qui s'opposoit à ses progrès rapides, je conservois
+peu d'espérance de vivre assez pour voir la fin de nos malheurs.
+
+L'Assemblée législative, installée le 1er octobre 1791, suivit et même
+exagéra l'esprit de l'Assemblée constituante. Je ne fais encore que
+rappeler des dates pour arriver à ce qui m'est personnel.
+
+Le 29 novembre, décret qui invite le roi à requérir les princes de
+l'Empire de ne pas souffrir les armemens des princes fugitifs.
+
+Le 14 décembre, le roi prononce, sur sa déclaration à ces princes, un
+discours applaudi.
+
+Le 1er janvier 1792, décret d'accusation contre les frères de Louis XVI.
+
+Le 1er mars, mort de l'empereur Léopold.
+
+Le 29 mai, assassinat de Gustave III, roi de Suède.
+
+Le 20 avril, déclaration de guerre de la France au nouveau roi de
+Hongrie et de Bohême.
+
+Au mois de juin, le roi refuse sa sanction à deux décrets; et c'est là
+le prétexte du soulèvement des faubourgs que l'on envoie en masse et en
+tumulte aux Tuileries.
+
+Le roi, qui les entend menacer avec des cris sauvages et par d'horribles
+imprécations d'enfoncer les portes de son appartement, ordonne qu'on les
+ouvre. Il se présente d'un air calme pour entendre leur pétition. On lui
+demande de sanctionner les décrets auxquels il a refusé son acceptation.
+«Ma sanction est libre, répond le roi; et ce n'est ici le moment ni de
+la solliciter, ni de l'obtenir.»
+
+Deux jours après, dans sa proclamation contre cet acte de violence, il
+déclara qu'on n'auroit jamais à lui arracher son consentement pour ce
+qu'il croiroit juste et convenable au bien public, mais qu'il
+exposeroit, s'il le falloit, sa tranquillité et sa sûreté même pour
+faire son devoir.
+
+Cette résistance auroit été le frein du despotisme populaire. La libre
+acceptation des lois, et le droit que le roi s'étoit réservé de
+suspendre celles qu'il n'approuveroit pas, étoit l'article fondamental
+d'une monarchie tempérée, et du serment qu'on avoit prêté librement,
+dans tout le royaume, à la nation, à la loi et au roi; mais cela seul
+eût arrêté le mouvement révolutionnaire, et la faction ne vouloit pas
+que son pouvoir fût limité.
+
+Le 31 juillet fut marqué par l'arrivée des Marseillois à Paris, sorte de
+satellites qu'on avoit à ses ordres pour les grandes exécutions.
+
+Le 3 août, au nom des sections de Paris, Pétion présente à l'Assemblée
+une pétition pour la déchéance du roi.
+
+Le 6, on fait répandre aux Tuileries le bruit que le roi veut s'enfuir.
+
+Ce fut alors que, par un pressentiment trop fidèle de ce qui alloit se
+passer, ma femme me pressa de quitter cette maison de campagne qu'elle
+avoit tant aimée, et d'aller chercher loin de Paris une retraite où,
+dans l'obscurité, nous pussions respirer en paix.
+
+Nous ne savions où diriger nos pas; le précepteur de nos enfans décida
+notre irrésolution. Ce fut lui qui nous assura qu'en Normandie, où il
+étoit né, nous trouverions sans peine un asile paisible et sûr; mais il
+falloit du temps pour nous le procurer, et, en arrivant à Évreux, nous
+ne savions encore où aller reposer notre tête. Le maître de l'auberge où
+nous descendîmes avoit, à deux pas de la ville, dans le hameau de
+Saint-Germain, une maison assez jolie, située au bord de l'Iton, et à la
+porte des jardins de Navarre; il nous l'offrit. Charmés de cette
+position, ce fut là que nous nous logeâmes, en attendant que plus près
+de Gaillon, lieu natal de Charpentier, sa famille nous eût trouvé une
+demeure convenable.
+
+Si, dans l'état pénible où étoient nos esprits, un séjour pouvoit être
+délicieux, celui-là l'eût été pour nous; mais à peine étions-nous
+arrivés à Évreux que nous apprîmes l'épouvantable événement du 10 août.
+
+À Paris, dès le point du jour, de ce jour qui devoit en amener de si
+funestes, les places et les rues adjacentes aux Tuileries s'étoient
+remplies d'hommes armés avec un train d'artillerie. C'étoit le peuple
+des faubourgs, soutenu par la bande des Marseillois, qui venoit assiéger
+le roi dans son palais.
+
+Ce malheureux prince n'avoit pour défense qu'un petit nombre de gardes
+suisses, et, quoiqu'on ait dit qu'il y avoit dans le jardin des
+Tuileries une foule de braves gens qui se seroient rangés autour de sa
+personne s'il avoit voulu se montrer, sans doute il ne crut pas la
+résistance ou permise ou possible; on lui conseilla de se rendre avec sa
+famille au sein de l'Assemblée nationale; il s'y réfugia.
+
+Cependant ses braves soldats suisses, qui, fidèles à leurs consignes,
+défendoient dans les cours l'approche du palais, se virent obligés de
+tirer sur le peuple. Ils l'avoient repoussé, et tenoient ferme dans leur
+poste, lorsqu'ils apprirent que le roi s'étoit retiré. Alors ils
+perdirent courage, et, s'étant dispersés, ils furent presque tous
+massacrés dans Paris.
+
+Le roi fut transféré et enfermé avec sa femme, ses enfans et sa soeur,
+dans la prison de la tour du Temple (le 13 août).
+
+Le 31 août, le maire et le procureur-syndic de la ville (Pétion et
+Manuel) se présentèrent à l'Assemblée, à la tête d'une députation, au
+nom de laquelle Tallien, son orateur, annonça «qu'on avoit enfermé
+nombre de prêtres perturbateurs, et que, sous peu de jours, le sol de la
+liberté seroit purgé de leur présence».
+
+Le 2 septembre, au couvent des Carmes du Luxembourg, au séminaire de
+Saint-Firmin, rue Saint-Victor, à l'abbaye Saint-Germain-des-Prés,
+plusieurs prélats et un grand nombre de prêtres furent égorgés. Le
+carnage dura jusqu'au 6 à l'hôtel de la Force.
+
+Le 8, les prisonniers d'Orléans, envoyés à Versailles, y furent
+massacrés.
+
+Ce fut dans ces jours d'épouvante et de frémissement que vint loger
+auprès de nous, dans le hameau de Saint-Germain, un homme que je croyois
+m'être inconnu. Dans son déguisement, j'eus tant de peine à me rappeler
+où j'avois pu le voir qu'il fut obligé de se nommer: c'étoit Lorry[55],
+évêque d'Angers. Notre reconnoissance fut attendrie par le malheur de sa
+situation, qu'il ne laissoit pas de soutenir avec un courage assez
+ferme.
+
+Nous voilà donc en société et en communauté de table, comme il le désira
+lui-même; et, dans un meilleur temps, cette liaison fortuite nous auroit
+été réciproquement agréable. Logés ensemble au bord d'une jolie rivière,
+dans la plus belle saison de l'année, ayant pour promenades des jardins
+enchantés et une superbe forêt, parfaitement d'accord dans nos opinions,
+dans nos goûts et dans nos principes, les souvenirs d'un monde où nous
+avions vécu étoient pour nous des sujets d'entretien d'une abondance
+inépuisable; mais toutes ces douceurs étoient empoisonnées par les
+chagrins dont nous étions continuellement abreuvés.
+
+La Convention prit, le 11 septembre, la place de la Législative. Son
+premier décret fut l'abolition de la royauté.
+
+Cependant, au nom de la liberté républicaine, des colonnes de
+volontaires accouroient aux armes; nous nous trouvions sur leur passage,
+et notre repos en étoit troublé. D'ailleurs, l'approche de l'hiver
+rendoit humide et malsain le lieu où nous étions: il fallut le quitter,
+et ce ne fut pas sans regret que nous y laissâmes le bon évêque. Nous
+nous retirâmes, ma femme et moi, à Couvicourt.
+
+Le 11 décembre, le roi comparut à la barre de la Convention; il y fut
+interrogé. Il demanda deux avocats, Tronchet et Target, pour conseils.
+
+Target refusa son ministère à ces fonctions vénérables; le vertueux
+Malesherbes s'empressa de s'offrir pour le remplacer; on y consentit.
+
+Tronchet et Malesherbes demandèrent à se donner pour adjoint l'honnête
+et sensible Desèze, et l'on y consentit encore.
+
+Le 26, le roi comparut pour la seconde fois et avec ses trois
+défenseurs. Desèze porta la parole, mais le roi ne lui avoit permis,
+dans sa défense, aucun appareil oratoire. En lui obéissant, Desèze n'en
+fut que plus touchant.
+
+Le 17 janvier 1793, la peine de mort fut prononcée à la pluralité de 366
+voix contre 353.
+
+Le roi interjeta l'appel à la nation. L'appel fut rejeté.
+
+Le 19, il fut décidé, à la pluralité de 380 voix contre 310, qu'il ne
+seroit point sursis à l'exécution de la sentence, et, le 21, Louis XVI
+eut la tête tranchée sur la place de Louis XV.
+
+Son confesseur, au pied de l'échafaud, lui dit ces mots à jamais
+mémorables: «Fils de saint Louis, montez au ciel.»
+
+Le roi sur l'échafaud voulut parler au peuple; Santerre, commandant
+l'exécution, et l'un des moteurs du faubourg Saint-Antoine, ordonna aux
+tambours de battre ensemble pour étouffer sa voix.
+
+Cette exécution fut suivie, à peu d'intervalle, de celle des trois
+autres prisonniers du Temple. Le 21 janvier, le roi avoit péri sur
+l'échafaud; le 16 octobre, la reine, son épouse, éprouva le même sort;
+le 21 floréal (10 mai) de l'année suivante, Élisabeth, soeur du roi,
+termina, sous la même hache, son innocente vie, et, le 20 prairial (8
+juin) de la même année, le Dauphin mourut au Temple.
+
+
+
+
+LIVRE XIX
+
+
+La Révolution françoise auroit eu, dans l'ancienne Rome, un exemple
+honorable à suivre. Louis XVI n'avoit aucun des vices des Tarquins, et
+l'on n'avoit à l'accuser ni d'orgueil ni de violence; sans autre raison
+que d'être lasse de ses rois, la France pouvoit les expatrier avec toute
+leur race.
+
+Mais le 21 janvier 1793 commença et dut commencer le règne de la
+Terreur.
+
+On parut concevoir le vaste, l'infernal projet de dépraver le peuple en
+masse, d'associer les vices et les crimes, de propager de mauvaises
+moeurs par de mauvaises lois, et de réaliser, dans la corruption
+générale, tout ce qu'on attribue aux ténébreux génies du genre humain.
+
+Les opinions religieuses, la croyance en un Dieu, la pensée d'un avenir,
+pouvoient retenir l'homme sur la pente du crime; l'autorité des pères
+pouvoit réprimer les enfans; la morale, par ses principes d'humanité,
+d'équité, de pudeur, pouvoit régénérer des races corrompues. Le projet
+de dépravation fut formé sous tous ces rapports. Nous entendîmes
+proclamer l'incrédulité, le blasphème; nous vîmes le libertinage
+affecter le mépris d'un Dieu, le sacrilège insulter les autels, et le
+crime s'enorgueillir de l'espérance du néant; nous vîmes rompre tous les
+noeuds de subordination formés par la nature; les enfans, rendus par les
+lois indépendans des pères, n'eurent qu'à souhaiter leur mort pour être
+sûrs, sans leur aveu et en dépit de leur volonté, de se partager leur
+dépouille. Le noeud conjugal étoit encore le moyen de perpétuer les
+vertus domestiques, et de tenir liés ensemble les époux l'un à l'autre
+et avec leurs enfans: on rendit ce lien fragile à volonté; le mariage ne
+fut plus qu'une prostitution légale, qu'une liaison passagère, que le
+libertinage, le caprice, l'inconstance, pouvoient former et dissoudre à
+leur gré. Enfin, l'honnêteté, la foi publique, la décence, le respect de
+soi-même et de l'opinion, la vénération qu'inspiroit la sainte image de
+la vertu, offroient encore un point de ralliement aux âmes susceptibles
+des mouvemens du repentir, des impressions de l'exemple. Tout cela fut
+détruit. On professa, on érigea en maximes de moeurs républicaines
+l'impudence du vice, l'audace de la honte, l'émulation de la licence,
+jusqu'à la plus effrénée dissolution; et le système de Mirabeau et du
+duc d'Orléans, ce système dépravateur d'une génération entière, parut
+régner en France. Ainsi s'étoit formé ce despotisme révolutionnaire, ce
+colosse de fange pétri et cimenté de sang.
+
+Tout confinés que nous étions dans notre chaumière d'Abloville, où nous
+avions passé en quittant Couvicourt, nous ne laissions pas de redouter
+un siècle si corrompu pour nos enfans, et nous employions tous nos soins
+à les prémunir d'une éducation salutaire et préservative, lorsque la
+mort presque soudaine de leur fidèle instituteur vint ajouter à nos
+chagrins une affliction domestique qui acheva de nous accabler. Une
+fièvre pourprée, d'une extrême malignité, nous enleva cet excellent
+jeune homme. Nos enfans doivent se souvenir de la douleur que nous causa
+sa perte, et de la frayeur que nous eûmes de les voir exposés eux-mêmes
+à l'air contagieux d'une maladie pestilentielle.
+
+Nous ne savions que devenir, leur mère et moi, et notre dernière
+ressource étoit d'aller chercher un refuge dans quelque hôtellerie de
+Vernon, lorsqu'on nous suggéra l'idée de demander l'asile à un vénérable
+vieillard qui, dans le village d'Aubevoie, peu éloigné du nôtre,
+habitoit une maison assez considérable pour nous y loger tous sans qu'il
+en fût incommodé. Cette circonstance de ma vie a quelque chose de
+romanesque.
+
+Le vieillard, qui, touché de notre situation, s'empressa de nous
+accueillir, étoit l'un des religieux qu'on avoit expulsés de la
+chartreuse voisine. Son nom étoit dom Honorat. Il étoit plus âgé que
+moi. Ses moeurs rappelaient celles des solitaires de la Thébaïde. Cet
+homme de bien sembloit être envoyé du ciel pour nous édifier et pour
+nous consoler. Il respirait la piété, mais une piété douce, indulgente,
+affectueuse et charitable, une piété évangélique. Il se permettoit
+rarement de dîner avec nous; mais une heure l'après-dînée, et un peu
+plus longtemps le soir, il venoit nous entretenir des grands objets
+qu'il méditoit sans cesse, de la Providence divine, de l'immortalité de
+l'âme, de la vie à venir, de la morale de l'Évangile; et tout cela
+couloit de source, simplement et du fond du coeur, avec une foi vive et
+une onction touchante. Il y auroit eu de la cruauté à lui marquer des
+doutes sur ce qui faisoit la consolation de sa vieillesse et de sa
+solitude. L'âme du bon vieillard étoit sans cesse dans le ciel, et il
+nous étoit aussi doux de nous y élever avec lui qu'il auroit été
+inhumain de vouloir l'en faire descendre. Il nous releva de l'abattement
+où nous avoit mis la mort du roi; et, en rappelant les mots du
+confesseur, _Fils de saint Louis, montez au ciel_: «Oui, disoit-il avec
+confiance, il est à présent devant Dieu, et je suis bien sûr qu'il
+implore le pardon de ses ennemis.» Il pensoit de même des vertueux
+martyrs du 2 septembre.
+
+L'adoucissement qu'un pieux solitaire pouvoit trouver à sa situation en
+communiquant avec nous importuna le maire d'Aubevoie. Au bout de
+dix-huit jours il vint me faire entendre qu'il seroit temps de nous
+retirer. Heureusement l'air de notre maison étoit purifié; et, après
+avoir convenablement témoigné notre reconnoissance à celui qui nous
+avoit si bien reçus, nous retournâmes dans nos foyers.
+
+Elle étoit à moi, cette humble et modique demeure; j'en avois fait
+l'acquisition; mais quelle décadence elle annonçoit dans notre fortune
+passée! Je venois de quitter, près de Paris, une maison de campagne qui
+faisoit mes délices, un jardin où tout abondoit; et, comme d'un coup de
+baguette, ce riant séjour se changeoit en une espèce de chaumière bien
+étroite et bien délabrée! C'étoit là qu'il falloit tâcher de nous
+accommoder à notre situation, et, s'il étoit possible, vivre aussi
+honorablement dans la détresse que nous avions vécu dans l'abondance.
+L'épreuve étoit pénible: mes places littéraires étoient supprimées,
+l'Académie françoise alloit être détruite[56]; la pension d'homme de
+lettres, qui étoit le fruit de mes travaux, n'étoit plus d'aucune
+valeur. Le seul bien solide qui me restât étoit cette modique ferme de
+Paray, que la sage prévoyance de ma femme m'avoit fait acquérir. Il
+avoit fallu mettre bas ma voiture, et renvoyer jusqu'au domestique dont
+ma vieillesse auroit eu besoin. Mais, dans cette masure, où nous avions
+à peine l'indispensable nécessaire, ma femme avoit le bon esprit et
+l'art de restreindre notre dépense en simplifiant nos besoins, et je
+puis dire que ce malaise de notre état nous touchoit foiblement en
+comparaison de la calamité publique. Le soin que je donnois à
+l'instruction de mes enfans, la tendre part que prenoit leur mère à leur
+éducation morale, et, s'il m'est permis de le dire, la bonté de leur
+naturel, étoient pour nous, dans notre solitude, une ressource
+inexprimable. Ils nous consoloient d'un malheur qui n'étoit pas le
+malheur de leur âge. Au moins évitions-nous de les en affliger. «L'orage
+passe sur leur tête, disions-nous en leur souriant, et nous avons pour
+eux l'espérance d'un temps plus calme et plus serein.»
+
+Mais l'orage alloit en croissant: nous le voyions s'étendre sur la
+nation entière; ce n'étoit point une guerre civile, car l'un des deux
+partis étoit soumis et désarmé; mais, d'un côté, c'étoit une haine
+ombrageuse; de l'autre, une sombre terreur.
+
+Des millions d'hommes à soudoyer dans les armées, beaucoup d'autres
+dépenses excessives, absorboient infiniment plus de richesses que n'en
+pouvoient fournir les contributions de l'État, ni la vente des biens du
+clergé et des émigrés. Le papier-monnoie, multiplié par milliards, se
+détruisoit lui-même; sa chute accélérée entraînoit celle du crédit. Le
+commerce étoit ruiné. La guerre ne donnoit pas assez de ressources dans
+les pays conquis. Il fut décrété (le 10 mars 1793) que les biens des
+condamnés seroient acquis à la République; et ce fut ce qu'on appela
+battre monnoie avec la guillotine sur cette place de la Révolution, que
+l'on fit regorger de sang.
+
+C'est pour cela que la richesse fut une cause de proscription, et que
+non seulement des hommes recommandables par leur mérite, les
+Malesherbes, les Nicolaï, les Gilbert de Voisin, mais des hommes
+notables pour leur fortune, un Magon, un La Borde, un Duruey, un
+Serilly, une foule de financiers, furent envoyés à la mort. Aussi,
+lorsque le vieux Magon fut amené devant le tribunal révolutionnaire, et
+qu'on lui demanda son nom: «Je suis riche», répondit-il, et il ne daigna
+pas en dire davantage.
+
+Pour donner plus de latitude aux tables de proscriptions, les dénoncés
+étoient désignés sous des qualifications vagues d'ennemis du peuple,
+d'ennemis de la liberté, d'ennemis de la Révolution, enfin sous le nom
+de _suspects;_ et l'on tenoit pour _suspects_ tous ceux qui, soit par
+leur conduite, soit par leurs relations, soit par leurs propos, se
+seroient montrés partisans de la tyrannie (c'est-à-dire de la royauté)
+ou ennemis de la République, et en général ceux à qui l'on auroit refusé
+des certificats de _civisme_. Or, en les refusant, ces certificats, on
+étoit dispensé d'expliquer le motif et la cause de ce refus (décret du
+30 janvier 1793); l'accusation et le jugement étoient aussi dispensés de
+la preuve. Dans un décret portant peine de mort contre _les ennemis du
+peuple_ (du 22 prairial an II), il étoit dit: «Sont réputés _tels_ ceux
+qui cherchent à anéantir la liberté par force ou par ruse, à avilir la
+Convention nationale et le gouvernement révolutionnaire dont elle est le
+centre, à égarer l'opinion et empêcher l'instruction du peuple, à
+dépraver les moeurs et corrompre la conscience publique, enfin à altérer
+la pureté des principes révolutionnaires. La preuve nécessaire pour les
+condamner, ajoutoit ce décret, sera toute espèce de document matériel ou
+moral qui peut naturellement obtenir l'assentiment d'un esprit juste et
+raisonnable. La règle des jugemens est la conscience des jurés éclairés
+par l'amour de la patrie. Leur but est le triomphe de la patrie, la
+ruine de ses ennemis. S'il existe des documens du genre ci-dessus, il ne
+sera point entendu de témoins.»
+
+C'est avec ce langage équivoque et perfide qu'une charlatanerie
+hypocrite institua la jurisprudence et la procédure arbitraire de nos
+tribunaux criminels. Point de preuves, point de témoins, la conscience
+des jurés; et de quels jurés! des organes et des suppôts de Robespierre,
+de Lebon, de Carrier, de Francastel, et de tant d'autres tigres
+insatiables de sang humain.
+
+L'un des bourreaux ambulans de la faction avoit fait graver sur son
+cachet, pour emblème, une guillotine; un autre, à son dîner, en avoit
+une sur une table, avec laquelle il s'amusoit à trancher la tête au
+poulet qu'on lui avoit servi; et, tandis que ceux-là se faisoient un jeu
+de l'instrument de leur barbarie, d'autres se vantoient à la Convention
+de leur économie et de leur diligence à exécuter ses décrets. «Fusiller,
+c'est trop long, lui écrivoit l'un d'eux; on y dépense de la poudre et
+des balles. On a pris le parti de les mettre (les prisonniers) dans de
+grands bateaux au milieu de la rivière; à demi-lieue de la ville, on
+coule le bateau à fond. Saint-Florent et les autres endroits,
+ajoutoit-il, sont pleins de prisonniers. Ils auront aussi le baptême
+patriotique.» Je n'ai pas besoin de dire quels frissonnemens d'horreur
+nous causoient ces railleries de cannibales. Ce qui faisoit frémir
+l'humanité, les noyades de Carrier sur la Loire, les canonnades à
+mitraille de Collot d'Herbois à Lyon, obtenoient la mention honorable au
+bulletin. Les atrocités de Lebon dans le Pas-de-Calais n'étoient que des
+formes _un peu acerbes_ qu'il falloit lui passer, et on les lui passoit.
+
+Un parti formidable se forma tout à coup dans le sein de la Convention
+contre Robespierre; Tallien le dénonça. Sur-le-champ il fut mis hors de
+la loi (le 9 thermidor), surpris, arraché de l'Hôtel de ville où il
+s'étoit réfugié, et traîné sur cet échafaud (le 10) où tous les jours il
+faisoit périr tant d'innocens.
+
+Après la mort de Robespierre, les comités, le tribunal révolutionnaire,
+furent renouvelés, et la Convention désavoua leurs cruautés passées;
+mais elle déclara (22 frimaire an III) «qu'elle ne recevroit aucune
+demande en revision de jugemens rendus par les tribunaux criminels,
+portant confiscation de biens au profit de la République et exécutés
+pendant la Révolution».
+
+Cependant la fermentation des esprits n'étoit pas éteinte. La société
+des Jacobins n'oublioit pas qu'elle avoit été toute-puissante; elle se
+voyoit écartée, et ne pouvoit souffrir que cette puissance anarchique,
+qui étoit sa sanglante conquête, fût usurpée par un parti qui n'étoit
+plus le sien. On avoit beau la ménager, elle sentoit le frein, elle le
+rongeoit en silence. On voulut l'affoiblir en l'épurant, et les comités
+réunis furent chargés de présenter le mode de cette épuration (le 13
+vendémiaire). On défendit toute correspondance et toute relation entre
+les sociétés populaires (le 25 vendémiaire); mais le feu couvoit sous la
+cendre, et empêcher ce feu de se communiquer étoit encore un vain
+projet.
+
+On se mit en défense contre les dénonciations par un décret de garantie
+qui régloit la manière dont il seroit dorénavant procédé au jugement
+d'un membre de la représentation nationale (le 8 brumaire); mais cette
+garantie dans un soulèvement n'étoit pas une sûreté, et le tumulte
+commençoit à être menaçant autour de la salle des Jacobins (le 19). On
+ordonna que cette salle fût fermée, et ce décret fut envoyé aux armées
+et aux sociétés populaires (le 10). Les mouvemens du peuple au centre de
+Paris et dans le faubourg Saint-Antoine n'en furent que plus furieux.
+
+Pour fortifier le parti contraire à la ligue des Jacobins, on fit
+rentrer dans la Convention, le 18 frimaire, les soixante-dix députés mis
+en arrestation le 3 octobre 1793, et trois des anciens terroristes,
+convaincus des excès qu'ils avoient commis à Nantes, furent condamnés à
+la peine de mort. L'acte d'accusation fut prononcé contre
+Fouquier-Tainville, accusateur public, et il fut condamné avec quinze de
+ses complices. En même temps Collot d'Herbois, Barère et Billaud de
+Varenne furent mis en jugement.
+
+Enfin la Convention tout entière prêta le serment de poursuivre jusqu'à
+la mort les continuateurs de Robespierre.
+
+Les Jacobins sembloient aux abois. Des jeunes gens rassemblés dans le
+jardin du Palais-Royal y avoient brûlé un mannequin dans le costume du
+jacobinisme, et en avoient porté les cendres dans l'égout Montmartre,
+avec cette inscription sur l'urne funéraire: _Panthéon des Jacobins du 9
+Thermidor_.
+
+Telle étoit cependant l'inquiétude de l'Assemblée que, parmi tous ces
+actes de vigueur, elle ne laissa pas de donner un signal d'alarme et de
+détresse. Car j'appelle ainsi le décret où, prévoyant le cas de sa
+dissolution, elle arrêtoit que, «ce cas arrivant, tous les représentas
+qui auroient pu échapper au fer parricide se réuniroient au plus tôt à
+Châlons-sur-Marne». L'événement prouva qu'il avoit été bien prévu.
+
+Le 1er prairial, des femmes du peuple ayant forcé les portes de la salle
+de l'Assemblée, avec des cris et des insultes qui interrompirent les
+délibérations, à l'instant les hommes en foule y pénétrèrent avec elles,
+et la tête d'un des députés fut portée sur le bureau. C'en étoit fait si
+le peuple avoit profité du moment d'épouvante qu'il avoit répandue;
+mais, les révoltés s'amusant à s'emparer des sièges qu'on leur
+abandonnoit, l'un d'eux, appelé Romme, eut l'imprudente vanité de
+s'asseoir sur le fauteuil du président, et de perdre le temps à y
+prononcer des décrets. Par ces décrets, il ordonnoit l'arrestation des
+membres des comités du gouvernement, l'élargissement de tous les détenus
+depuis le 9 thermidor, le rappel de Barère, de Collot d'Herbois et de
+Billaud de Varenne. Cette folle jactance d'autorité endormit la fureur
+du peuple; et, tandis qu'il donnoit des lois, l'un des députés entre
+dans la salle à la tête de la force armée, chasse et disperse la
+multitude, et rend à l'Assemblée le courage et la liberté.
+
+Dès lors le sang des terroristes recommença de couler à grands flots, et
+les moteurs de la sédition populaire furent exécutés en présence du
+peuple.
+
+Ainsi, entre le despotisme et l'anarchie, la force armée étoit le seul
+arbitre, et les chefs du parti vaincu alloient périr sur l'échafaud.
+
+Ce ne fut qu'un spectacle pour la saine partie de la nation, qui
+redoutoit également l'anarchie et le despotisme.
+
+On sentit enfin la nécessité de régénérer la République, en changeant
+non le fond, mais la forme d'un gouvernement républicain de nom et
+réellement despotique, et en feignant de diviser les pouvoirs pour les
+balancer. Tel fut l'objet et l'artifice de la nouvelle constitution.
+Dans ce simulacre des lois fondamentales, qu'une commission fut chargée
+de fabriquer, et qu'elle présenta le 5 messidor de l'an III, deux
+conseils de législation et un directoire exécutif composoient le corps
+dépositaire de la puissance nationale.
+
+Les deux conseils, l'un de cinq cents et l'autre de deux cent cinquante
+députés, choisis tous les ans à la pluralité des voix dans les
+assemblées électorales, étoient revêtus du pouvoir, l'un de proposer, et
+l'autre d'accepter, de sanctionner les lois ou de les refuser, comme
+étant le régulateur, le modérateur de celui qui en avoit seul
+l'initiative. Jusque-là l'intérêt public, si les choix étoient libres et
+assez éclairés, pouvoit être en de bonnes mains; mais à ces deux
+conseils on ajouta un directoire exécutif, armé de la force publique,
+pour maintenir l'ordre et les lois; et ce fut là que s'établit et se
+retrancha le despotisme le plus absolu et le plus tyrannique dont on ait
+jamais vu d'exemple.
+
+Les cinq membres qui composoient le directoire devoient être pris dans
+le nombre de cinquante candidats que proposeroit le conseil des cinq
+cents, et c'étoit au conseil des deux cent cinquante (dit des Anciens)
+qu'il appartenoit de les choisir.
+
+Ces pentarques seroient successivement amovibles; d'abord, un tous les
+ans devoit être exclu et remplacé par la voie du sort, et dans la suite
+chacun ne sortiroit qu'au bout de ses cinq ans de règne et dans l'ordre
+de succession.
+
+De là vint, pour le dire en passant, que les habiles ne se pressèrent
+pas d'être du nombre des élus, que le sort pouvoit exclure au bout d'un
+ou deux ans, et qui, d'ailleurs, devoient courir les risques d'une
+première tentative.
+
+Mais tous avoient droit de prétendre à ces éminentes dignités de l'État,
+et d'y passer plus d'une fois. Aussi leur premier soin avoit-il été de
+composer la commission des rédacteurs de l'acte constitutionnel des plus
+ardens, des plus adroits, des plus ambitieux républicains; et ceux-ci
+s'étoient appliqués à donner à cette oligarchie roulante le plus
+d'autorité, de force et de consistance possible.
+
+La gestion des plus grandes affaires de l'État, la politique, les
+finances, les relations au dehors, le commerce et les alliances, la
+guerre et la paix, les armées, leur formation, leur conduite, le choix
+des généraux et leur destitution, la nomination aux emplois militaires,
+appartenoient exclusivement à ce conseil des cinq. Au dedans, la police,
+l'usage de la force armée, le droit de la faire agir, le droit
+d'inspection sur la trésorerie et sur les préposés à la perception des
+impôts, le maniement des deniers publics, leur distribution aux besoins
+de l'État, sans jamais en être comptables; le choix et l'emploi des
+ministres, travaillant sous leurs ordres et révocables à leur gré, la
+surveillance des tribunaux, la dépendance immédiate des autorités
+constituées et des agens qu'ils emploieroient dans toutes les parties de
+l'Administration; enfin le droit d'avoir dans les départemens, jusque
+dans les moindres communes, des commissaires attitrés, et le droit de
+casser les élections que le peuple auroit faites de ses magistrats, de
+ses juges: telles étoient les attributions prodiguées au Directoire par
+l'acte constitutionnel, sans compter ce qu'il y ajouta.
+
+Ainsi tous les moyens de dominer, d'intimider et de corrompre: l'usage
+de la force armée; la disposition du trésor de l'État; l'intérêt qu'on
+auroit dans les armées, dans les finances, dans tous les emplois
+mercenaires, de gagner la faveur de ces pentarques tout-puissans; le
+dévouement des chefs pour les auteurs de leur fortune, l'exemple qu'ils
+en donneroient aux soldats et aux subalternes; parmi les magistrats du
+peuple, la crainte d'être déposés, le désir d'être maintenus; dans
+l'assemblée nationale, l'ambition d'avoir pour amis les promoteurs aux
+grandes places et ceux qui tenoient dans leurs mains les récompenses et
+les peines, selon qu'on les auroit bien ou mal servis: tout cela,
+dis-je, fit pour le Directoire une puissance devant laquelle les
+conseils furent anéantis.
+
+Mais il falloit d'abord que la constitution fût reçue, et les peuples
+pouvoient s'apercevoir qu'on ne leur proposoit qu'une tyrannie
+habilement masquée et savamment organisée; il falloit de plus prendre
+garde que l'esprit n'en fût changé dans l'Assemblée qu'alloient former
+les prochaines élections; et ce fut à quoi l'on pourvut de la manière la
+plus hardie.
+
+
+
+
+LIVRE XX.
+
+
+Les événemens dont je viens de rappeler le souvenir ont tellement occupé
+ma pensée qu'à travers tant de calamités publiques je me suis presque
+oublié moi-même. L'impression que faisoit sur moi cette foule de
+malheureux étoit si vive et si profonde qu'il est bien naturel que ce
+qui ne touchoit que moi me soit très souvent échappé. Ce n'est pas
+cependant que; par des diversions de travail et d'études, je n'eusse
+tâché de me défendre de ces réflexions fatigantes dont la continuité
+pouvoit se terminer par une noire mélancolie ou par une fixité d'idées,
+plus dangereuse encore pour le foible et fragile organe du bon sens.
+
+Tant que mon imagination put me distraire par d'amusantes rêveries, je
+fis de nouveaux _Contes_, moins enjoués que ceux que j'avois faits dans
+les plus beaux jours de ma vie et les rians loisirs de la prospérité,
+mais un peu plus philosophiques et d'un ton qui convenoit mieux aux
+bienséances de mon âge et aux circonstances du temps[57].
+
+Lorsque ces songes me manquèrent, je fis usage de ma raison, et
+j'essayois de mieux employer le temps de ma retraite et de ma solitude
+en composant, pour l'instruction de mes enfans, un _Cours élémentaire_
+en petits traités de _grammaire_, de _logique_, de _métaphysique_ et de
+_morale_, où je recueillis avec soin ce que j'avois appris dans mes
+lectures en divers genres, pour leur en transmettre les fruits.
+
+Quelquefois, pour les égayer ou pour les instruire d'exemples,
+j'employois nos soirées d'hiver à leur raconter, au coin du feu, de
+petites aventures de ma jeunesse, et ma femme, s'apercevant que ces
+récits les intéressoient, me pressa d'écrire pour eux les événemens de
+ma vie.
+
+Ce fut ainsi que je fus engagé à écrire ces volumes de mes _Mémoires_.
+J'avouerai bien, comme Mme de Stael, que je ne m'y suis peint qu'en
+buste; mais j'écrivois pour mes enfans.
+
+Ces souvenirs étoient pour moi un soulagement véritable, en ce qu'ils
+effaçoient, au moins pour des momens, les tristes images du présent par
+les doux songes du passé.
+
+Cependant je touche à l'époque où l'intérêt de la chose publique vint me
+saisir plus fortement, plus étroitement que jamais. Par mon devoir de
+citoyen, je fus appelé à cette assemblée primaire du canton de Gaillon,
+où alloit être proposée la nouvelle constitution. C'étoit le moment
+d'observer où en étoit l'esprit national, et ce moment étoit
+intéressant: car le problème alloit être mis en délibération et résolu
+simultanément par la pluralité des voix dans la totalité des assemblées
+primaires.
+
+Dans celle où j'assistai, il me fut évident que deux partis se
+balançoient...
+
+
+
+
+NOTES
+
+[1: D'après une note relevée sur les registres de Saint-Roch avant 1871,
+le mariage fut célébré le 11 octobre 1777. L'acte, dont M. Bégis possède
+une copie, énonce ainsi l'état civil de la fiancée: Marie-Adélaïde
+Lerein de Montigny, fille de Louis-René de Montigny et de Françoise
+Morellet, rue Saint-Honoré, ci-devant paroisse Saint-Pierre de la ville
+de Lyon.]
+
+[2: _Roland_, tragédie lyrique de Quinault, réduite en trois actes par
+Marmontel, musique de Piccini, représentée le 17 janvier 1778.]
+
+[3: Louis-François Delatour, imprimeur et bibliographe (1727-1807),
+auteur, entre autres travaux, du _Catalogue des livres imprimés et
+manuscrits de la bibliothèque de M. de Lamoignon_ (1770, in-folio), dont
+il effectua la revision précisément «dans sa solitude chérie de
+Saint-Brice», ainsi que le constatait une note jointe à un exemplaire
+possédé depuis par Barbier.]
+
+[4: Le 21 mai 1781.]
+
+[5: Louis Necker (1730-1804) avait pris, pour se distinguer de son
+frère, le nom d'une propriété qu'il possédait aux environs de Genève.]
+
+[6: Anne-Germaine Larrivée, dame Girardot de Vermenoux, née à Genève en
+1740, morte à Montpellier le 27 décembre 1783. Un pastel de Liotard,
+conservé dans la famille de Tronchin, la représente offrant un sacrifice
+à Esculape, et une terre cuite de son buste a été vendue en 1828 à la
+vente posthume de Houdon.]
+
+[7: _Atys_, tragédie lyrique de Quinault, réduite en trois actes par
+Marmontel, musique de Piccini, représentée le 22 février 1780, et
+fréquemment reprise jusqu'en 1792.]
+
+[8: Voyez tome II, note 74.]
+
+[9: _Didon_, tragédie lyrique en trois actes, représentée à
+Fontainebleau le 16 octobre 1783, et, sur le théâtre de l'Opéra, le 1er
+décembre suivant. Selon M. Th. de Lajarte, _Didon_ fut jouée deux cent
+cinquante fois de 1783 à 1826.]
+
+[10: Mlle Adélaïde-Edmée Prévost, nièce de Lemaistre, trésorier de
+l'ordinaire des guerres, qui la dota richement et lui fit épouser, en
+1780, Alexis-Janvier de La Live de La Briche, frère de La Live de Jully,
+de La Live d'Épinay et de Mme d'Houdetot. De cette union naquit, en
+1781, une fille qui épousa M. Molé, plus tard premier ministre sous le
+règne de Louis-Philippe.]
+
+[11: Pierre-Paul Célésia (les anciennes éditions portent Silesia), dont
+il est plusieurs fois question dans les lettres de Galiani à Mme
+d'Épinay, et qui fit un séjour en France en 1781.]
+
+[12: L'auteur du _Voyage du jeune Anacharsis._]
+
+[13: L.-G. Oudart Feudrix de Bréquigny, célèbre érudit, membre de
+l'Académie française (1714-1794).]
+
+[14: Le comte Marin Carbury de Céphalonie, lieutenant-colonel au service
+de la Russie et directeur du corps des cadets, auteur du _Monument de
+Pierre le Grand_ (Paris, Nyon, 1777, in-folio, 12 pl.), relation des
+travaux employés pour transporter à Saint-Pétersbourg le rocher sur
+lequel fut érigée la statue équestre due à Falconet et à son élève, Mlle
+Collot.]
+
+[15: L'abbé Nicolas Thyrel de Boismont (1715-1786), membre de l'Académie
+française.]
+
+[16: Jacques Godard, avocat au Parlement (1762-1791), député de Paris à
+l'Assemblée législative.]
+
+[17: _Pénélope_ fut représentée le 2 novembre 1785 à Fontainebleau, et,
+le 9 décembre suivant, à Paris.]
+
+[18: Un opéra-comique portant le même titre, paroles de M. de
+Ménilglaise, musique de J.-B. de La Borde, avait été joué sans succès à
+Fontainebleau, aux spectacles de la cour, en novembre 1764; _le Dormeur
+éveillé_ de Marmontel, musique de Piccini, y fut mieux accueilli le 14
+novembre 1783, ainsi que, le 22 juin suivant, à la Comédie-Italienne.]
+
+[19: Ces trois discours sont reproduits dans le tome XVII des _Oeuvres_
+de l'auteur (1787).]
+
+[20: J'ignore où a paru cet _Éloge de Colardeau_, dont aucun
+bibliographe n'a parlé.]
+
+[21: Mlle Beltz, mariée à Louis-Claude Chéron, littérateur, député à
+l'Assemblée législative, mort préfet de la Vienne le 13 novembre 1807.]
+
+[22: Cette entreprise était une boyauderie, autorisée par lettres
+patentes du 29 janvier 1766, et sur laquelle on trouvera des
+renseignements curieux dans le _Guide des étrangers_ de Thiéry (II,
+620).]
+
+[23: Ce fut au mois de juin 1782 que Collé, veuf depuis un an, vendit
+«bon marché», dit-il, sa maison de Grignon à Marmontel, et qu'il loua un
+appartement meublé à Saint-Cloud. Il mourut à Paris le 3 novembre 1783.
+(_Correspondance inédite_ de Collé, publiée par H. Bonhomme, 1864, p.
+261.)]
+
+[24: Le futur défenseur de Louis XVI.]
+
+[25: Antoine-Athanase Roux de Laborie (1769-1840) s'était vu couronner
+dès 1788, par l'Académie de Rouen, pour un _Éloge du cardinal
+d'Estouteville_, imprimé la même année. Il a joué depuis, sous le
+premier Empire et la Restauration, un rôle diplomatique assez équivoque,
+au sujet duquel on peut consulter la _Biographie_ Rabbe.]
+
+[26: Jules Quicherat, qui a cité ce passage dans son _Histoire de
+Sainte-Barbe_ (II, 386), ne donne aucun renseignement sur Charpentier.
+Il signale, en revanche, un article de Marmontel, dans le _Mercure_ du
+13 février 1790, en faveur de Sainte-Barbe et des avantages que
+présentaient ses méthodes d'enseignement.]
+
+[27: Dupont (de Nemours) a réfuté tout ce passage dans la première des
+deux lettres qu'il adressa, en 1805, au _Publiciste_, au _Journal de
+Paris_ et au _Journal du Commerce_, et qui furent réunies sous ce litre:
+_Sur quelques erreurs de M. Marmontel relatives à M. Turgot_. Paris,
+Delance, an XIII, in-8, 18 p.]
+
+[28: La seconde lettre de Dupont (de Nemours) a pour objet de démontrer
+l'inexactitude de cette assertion.]
+
+[29: Il fut imprimé peu après sous ce titre: _Réponse du sieur
+Bourboulon, officier employé dans les finances de Mgr le comte d'Artois,
+au «Compte rendu au roi par M. Necker»_. Londres, 1781, in-8.]
+
+[30: Jean-François Joly de Fleury (1718-1802), fils du procureur général
+au Parlement, contrôleur général de mai 1781 à avril 1783.]
+
+[31: Henri-François Lefèvre d'Ormesson (1787-1807) ne garda le
+portefeuille que jusqu'au 8 novembre 1783.]
+
+[32: Bouvard de Fourqueux ne fut contrôleur général que pendant vingt et
+un jours, ce qui fit dire qu'il avait perdu sa place au «vingt et un».]
+
+[33: _Sur l'administration de M. Necker par lui-même_ (Amsterdam, 1791,
+in-12), p. 10.]
+
+[34: Paris était alors divisé en soixante districts, réduits par la loi
+du 22 juin 1790 à quarante-huit sections.]
+
+[35: C'est dans cette assemblée que Marmontel eut le courage de voter
+seul contre la dénonciation de l'arrêt du Conseil qui supprimait le
+_Journal des États généraux_ de Mirabeau. Le trait a été signalé par
+Bailly dans ses _Mémoires_ et relevé par Sainte-Beuve.]
+
+[36: Denis-François Angran d'Alleray (1715-1794), conseiller d'État,
+ancien procureur au grand Conseil, lieutenant civil depuis 1774.]
+
+[37: M. Jules Flammermont me fait observer qu'il y a une contradiction
+flagrante entre l'allusion de Marmontel à son échec, qui eut lieu le 19
+mai, et le passage du dialogue avec Maury, où l'auteur demande qu'on
+empêche à tout prix la réunion des États généraux, ouverts le 5 du même
+mois.]
+
+[38: De Regnard.]
+
+[39: Talleyrand.]
+
+[40: Le tome Ier des _Miscellanies of Philobiblon Society_ (Londres,
+1854, petit in-4°) renferme les divers brouillons de ce discours; les
+cinq premiers sont de la main de Necker, Rayneval, Saint-Priest,
+Nivernois et Barentin, dont les noms ont été inscrits par le roi en tête
+de chacune de ces minutes. Louis XVI avait lui-même jeté sur le papier
+trois autres projets: le premier est remanié par la reine, le second
+annoté par Montmorin, le troisième ne porte pas d'observations. Le texte
+définitivement adopté est pour les cinq premiers paragraphes, et à part
+quelques variantes insignifiantes, celui que Montmorin avait amendé, et
+pour les trois derniers, celui du troisième brouillon de Louis XVI, sauf
+les deux lignes de la fin.
+
+Ces curieux autographes, communiqués à la _Philobiblon Society_ par B.
+Mouckton Milnes, provenaient, paraît-il, de Danby Seymour, frère de
+Henry Seymour, qui avait épousé en 1775 la comtesse de Paothou, née de
+La Martellière, attachée à la cour de Marie-Antoinette.]
+
+[41: Jérôme-Marie Champion de Cicé (1735-1810), archevêque de Bordeaux
+en 1781, et garde des sceaux du 5 août 1789 au 21 novembre 1790.]
+
+[42: Jean-Georges Le Franc de Pompignan (1715-1790), évêque du Puy et
+archevêque de Vienne, que Voltaire n'épargna pas plus que son frère en
+1760. Voyez tome II, livre VII.]
+
+[43: Jean-Baptiste-Joseph de Lubersac (1740-1822), évêque de Chartres de
+1780 à 1790.]
+
+[44: Colbert de Seignelay de Castlehill (1736-1808), évêque de Rodez en
+1784, émigré en 1793.]
+
+[45: Guillaume-Louis du Tillet, évêque d'Orange de 1774 à 1790.]
+
+[46: Talleyrand.]
+
+[47: Antoine-Éléonore-Léon Leclerc de Juigné de Neuchelles (1728-1811),
+archevêque de Paris de 1781 à 1790.]
+
+[48: Ce passage est, à la date où le place Marmontel, un véritable
+anachronisme: le bataillon de fédérés connu sous le nom de _Marseillais_
+ne fut recruté qu'après le 20 juin 1792, et ne fit son entrée à Paris
+que quelques jours avant le 10 août.]
+
+[49: Le célèbre Curtius.]
+
+[50: Le comte d'Artois.]
+
+[51: Les premières lignes de cette citation sont empruntées à la
+relation bien connue de J. Dusaulx: _De l'insurrection parisienne et de
+la prise de la Bastille_. Mais la suite n'est pas de l'écrivain auquel
+Marmontel l'attribue, et je n'ai pas retrouvé le texte qu'il avait sous
+les yeux.]
+
+[52: J.-A. Teissier, baron de Marguerittes (1745-1794), député de la
+noblesse de la sénéchaussée de Nîmes et de Beaucaire.]
+
+[53: Ce passage, ainsi que les trois autres que l'on trouvera plus loin,
+sont extraits du _Mémoire de M. le comte de Lally-Tolendal, ou Seconde
+Lettre à ses commettants_, Paris, Desenne, janvier 1792, in-8.]
+
+[54: _Sur l'administration de M. Necker, par lui-même_ (Amsterdam, 1791,
+in-12), p. 87.]
+
+[55: Michel-François Couet du Vivier de Lorry, évêque d'Angers de 1782 à
+1791.]
+
+[56: Elle le fut le 10 août 1792.]
+
+[57: Publiés après la mort de l'auteur sous le titre de _Nouveaux Contes
+moraux_: Paris, J.-B. Garnery et Maradan; Strasbourg, les frères
+Levrault, an IX (1801), 4 vol. in-8 et in-12; portrait gravé par
+Tassaert, d'après Boilly, et quatre figures de Monnet, gravées par
+L'Épine. Une partie de ces contes avait paru dans le _Mercure_, de 1789
+à 1792. Le premier est intitulé _la Veillée_; c'est celui auquel
+l'auteur a fait deux fois allusion (voyez tome II, livre VII).]
+
+
+
+
+INDEX ALPHABÉTIQUE
+
+
+
+
+Abadie (François-Jérôme d'), ou de l'Abadie, gouverneur de la Bastille.
+II.
+
+_Abloville_ (ou plus exactement _Habloville_) (Eure), III.
+
+Académie des Jeux floraux. I.
+
+Académie française. I, II, III.
+
+_Académie (La petite)_, société littéraire de Toulouse. I.
+
+_Acanthe et Céphise_, pastorale, musique de Rameau, paroles de
+Marmontel. I.
+
+Aiguillon (Armand de Vignerot, duc d'). II.
+
+_Aix-la-Chapelle_. II.
+
+Albemarle (Guillaume-Anne Keppel, milord). I.
+
+Albois (Mme d'), tante de Marmontel. I, II.
+
+_Alcibiade_, conte, par Marmontel. II.
+
+Alembert (Jean-François Le Rond, dit d'). I, II, III.
+
+_Amadis_, opéra, musique de Lully, paroles de Quinault. II.
+
+Amalvy, camarade de Marmontel. I.
+
+Ambelot (Chevalier d'). I.
+
+_Ami de la maison (L')_, opéra, paroles de Marmontel, musique de Grétry.
+II.
+
+Angiviller (Charles-Claude de Flahaut de La Billarderie, comte d'). I,
+II, III.
+
+Angran d'Alleray (Denis-François). III.
+
+_Annette et Lubin_, conte, par Marmontel. II.
+
+Ansely, négociant anglais établi à Bordeaux. II.
+
+Argenson (Marc-Pierre de Voyer de Paulmy, comte d'). II.
+
+Argental (Charles-Augustin de Ferriol, comte d'). I, II.
+
+_Aristomène_, tragédie de Marmontel. I.
+
+Armagnac (Françoise-Adélaïde de Noailles, princesse d'). II.
+
+Arnaud (D'). Voyez Baculard.
+
+Artois (Charles-Philippe, comte d'). III.
+
+_Alys_, opéra de Quinault, réduit par Marmontel, musique de Piccini.
+III.
+
+_Aubevoie_ (Eure). III.
+
+Aumont (Louis-Marie-Augustin, duc d'). I, II.
+
+Aurore, fille naturelle de Maurice de Saxe et de Marie Rinteau, dite
+Verrière. I, II.
+
+_Avenay_ (Marne). I, 186.
+
+
+
+
+B*** (Mlle). V. Broquin.
+
+Baculard d'Arnaud (François-Thomas Marie). I.
+
+Balme (Le P. Jean-Pierre), jésuite. I.
+
+Balot de Sauvot. I.
+
+Barbot (Le président Jean de). II.
+
+Barère (Bertrand). III.
+
+Barnave (Antoine-Pierre-Joseph-Marie). III.
+
+Bassompierre, libraire et imprimeur liégeois. II.
+
+Bauvin (Jean-Grégoire). I.
+
+Beauménard (Mlle). I.
+
+Barthélemy (L'abbé Jean-Jacques). II, III.
+
+Beaumont (Christophe de), archevêque de Paris. II.
+
+_Beauregard_, maison de campagne de l'évêché de Clermont. I.
+
+Beauvau (Charles-Juste, maréchal, prince de). II.
+
+Beauvau (Marie-Charlotte de Rohan-Chabot, princesse de), femme du
+précédent. II.
+
+Beauzée (Nicolas). II, III.
+
+_Belle (La), et la Bête_, conte, par Marmontel. V. _Zémire et Azor_.
+
+_Bélisaire_, par Marmontel. II.
+
+Belle-Isle (Charles-Louis Auguste Fouquet, maréchal, duc de). II.
+
+_Bergère des Alpes (La)_, conte, par Marmontel. II.
+
+Bernard (Pierre-Joseph), dit Gentil-Bernard. II.
+
+Bernis (François-Joachim de Pierres, abbé, puis cardinal de). I, II.
+
+Bertier de Sauvigny (Louis-Bénigne-François). III.
+
+Besenval (Pierre-Victor, baron de). III.
+
+Billaud-Varenne (Jacques-Nicolas). III.
+
+Biron (Duc de). I.
+
+Bissy (Claude de Thiard, comte de). II.
+
+Blois (Mme de). II.
+
+Blondel de Gagny (Barthélemy-Augustin). II.
+
+Boismont (L'abbé Nicolas Thyrel de). III.
+
+Boissy (Louis, de). II.
+
+_Bordeaux_. II.
+
+_Bort_ (Corrèze). I.
+
+Boubée, avocat à Toulouse. I.
+
+Boucher (François). II.
+
+_Boucle (La) de cheveux enlevée_, poème de Pope, traduit par Marmontel.
+I.
+
+Bourboulon (De). III.
+
+Bourdaloue (Sermons du P. Louis). I.
+
+Bouret (Michel-Étienne). II.
+
+Bouret de Villaumont (Mme), née Gaillard. II.
+
+_Bourges_ (Archevêque de). V. La Rochefoucauld.
+
+Bournon (M. Fernand), cité. II.
+
+Bourzis (Le P. Jean), jésuite. I.
+
+Bouvart (Michel-Philippe). II, III.
+
+Brancas (Buffile-Hyacinthe-Toussaint de), comte de Céreste. I.
+
+Brancas-Céreste (Louis, marquis de). I.
+
+Bréquigny (Louis-Georges Oudart Feudrix de). II, III.
+
+Breteuil (Louis-Auguste Le Tonnelier, baron de). III.
+
+Brienne. V. Loménie.
+
+Brionne (Louise-Charlotte de Grammont, comtesse de). II.
+
+Broglie (Charles de), évêque, comte de Noyon. II.
+
+Broglie (Charles-François, comte de). II.
+
+Brogue (Victor-François, maréchal, duc de). III.
+
+Broquin (Mlle). I.
+
+Brunswick-Wolfenbuttel (Karl-Wilhelm, duc de). II, III.
+
+Brunswick-Wolfenbuttel (Princesse Auguste de Hanovre, duchesse de),
+femme du précédent. II.
+
+Buffon (Georges-Louis Leclerc, comte de). II.
+
+Bury, domestique de Marmontel. II.
+
+Bussy, commis des affaires étrangères. II.
+
+
+
+
+Caillot (Joseph). II.
+
+Calonne (Charles-Alexandre de). III.
+
+_Calvet_ (Séminaire de). I.
+
+Cammas, peintre toulousain. I.
+
+Campardon (M. Émile), cité. I.
+
+Caraccioli (Dominique, marquis de). II, III.
+
+Carbury de Céphalonie (Marin). III.
+
+Caron, lieutenant des invalides de la Bastille. III.
+
+Carrier (J.-B.). III.
+
+Castries (Charles-Eugène-Gabriel de La Croix, marquis de). I, II.
+
+Catherine II, impératrice de Russie. II.
+
+Caylus (Ch.-Ph. de Tubières de Pestels de Levi, comte de). II.
+
+Celésia (Pierre-Paul). III.
+
+Chabrillant (N... Desfourniels, comtesse de). I.
+
+Chalut de Vérin (Geoffroy). I, II.
+
+Chalut de Vérin (Élisabeth de Varanchan, dame). I, II.
+
+Chamfort (Sébastien-Roch-Nicolas). III.
+
+Champion de Cicé (Jérôme-Marie), archevêque de Bordeaux. III.
+
+Chantilly (La). V. Favart (Mme).
+
+Charpentier, précepteur des enfants de Marmontel. III.
+
+Chastellux (François-Jean, chevalier, puis marquis de). II, III.
+
+Chauvelin (Henri-Philippe, abbé de). I.
+
+Chauvelin (Jacques-Bernard de). I.
+
+Cheminais (_Sermons_ du P. Timoléon). I.
+
+_Chennevières-lès-Louvres_ (Seine-et-Oise). II.
+
+Chéron (Mlle Beltz, dame), nièce de Morellet. III.
+
+Chevrier (L'abbé), censeur. II.
+
+Choiseul (César-Gabriel, comte de), duc de Praslin. I, II.
+
+Choiseul (Étienne-François, comte de Stainville, puis duc de). II.
+
+Choiseul-Beaupré (François-Martial, comte de). I.
+
+Choiseul-Beaupré (Charlotte-Rosalie de Romanet, comtesse de). II.
+
+Cideville (Pierre-Robert Lecornier de). I.
+
+Clairon (Claire-Joseph Lerys, dite). I, II.
+
+Clairval (J.-B. Guinard, dit). II.
+
+Clément (Mme). I.
+
+_Cléopâtre_, tragédie de Marmontel. I.
+
+_Clermont-Ferrand_. I.
+
+Clugny de Muy (Jean-Étienne-Bernard de). III.
+
+Cochin (Charles-Nicolas). II.
+
+Coetlosquet (Jean-Gilles du), évêque de Limoges. I.
+
+Cogé (L'abbé François-Marie). II.
+
+Colardeau (Ch.-Pierre). II.
+
+Colbert de Seignelay de Castelhill, évêque de Rodez. III.
+
+Colin, homme d'affaires de Mme de Pompadour. II.
+
+Collé (Charles). II.
+
+Collot d'Herbois (Jean-Marie). III.
+
+_Connaisseur (Le)_, livret d'opéra-comique écrit puis détruit par
+Marmontel. II.
+
+Contades (Louis-Georges-Érasme, marquis de), maréchal de France, II.
+
+Contades (Marquis de), fils du précédent. II.
+
+Conti (Louis-François, prince de). III.
+
+Coste de Pujolas (Louis). III.
+
+_Couvicourt_ (Eure). III.
+
+Cramer (Gabriel). II.
+
+Crébillon (Prosper Jolyot de). I.
+
+Crébillon (Claude-Prosper Jolyot de), fils du précédent. II.
+
+Creutz (Charles-Philippe, comte de). II, III.
+
+_Croix-Fontaine_ (Château de Bouret à). II.
+
+Cromot du Bourg (Jules-David). II.
+
+Crussol (Le bailli de). III.
+
+Curtius (Kreutz, dit). III.
+
+
+
+
+Dancourt (Mlle). V. La Popelinière (Mme de).
+
+Darimath (La). V. Durancy.
+
+Dauphin (Le). V. Louis de France.
+
+Dauphine (La). V. Marie-Josèphe de Saxe.
+
+Debon (L'abbé). I.
+
+Decebié (Le P. Ignace), jésuite. I.
+
+Delatour (Louis-François). III.
+
+Deleyre (Alexandre). II.
+
+Delille (L'abbé Jacques). II.
+
+Denis (Marie Mignot, dame), nièce de Voltaire. I, II.
+
+_Denys le Tyran_, tragédie de Marmontel. I.
+
+Desfourniels (Mme). I.
+
+Destouches (Mme Lobreau-), directrice du théâtre de Lyon. II.
+
+Desèze (Raymond). III.
+
+Diderot (Denis). I, II.
+
+_Didon_, opéra, paroles de Marmontel, musique de Piccini. III.
+
+Dorlif. II.
+
+_Dormeur éveillé (Le)_, opéra-comique, paroles de Marmontel, musique de
+Piccini.
+
+Du Bocage (Marie-Anne Le Page, dame Fiquet). II.
+
+Dubois, premier commis au ministère de la guerre. II.
+
+Du Chatelet (Émilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise). I.
+
+Du Chatelet (Duc), colonel des gardes-françaises. III.
+
+Duclos (Charles Pinot-). I, II.
+
+Du Deffand (Marie-Anne de Vichy-Chamrond, dame). I, II.
+
+Duménil (Marie-Françoise Marchand, dite). I.
+
+Dupin de Francueil (Claude-Louis de). I.
+
+Dupont (de Nemours). III.
+
+Duport (Adrien). III.
+
+Du Puget (Henri-Gabriel). II.
+
+Durancy (François Fieuzal, dit). I.
+
+Durancy (Françoise-Marine Dessuslefour, dite Darimath, dame). I.
+
+Durancy (Madeleine-Céleste Fieuzal, dite), fille des précédents. II.
+
+Durand (M.). ami de Mme Harenc et de Marmontel. II.
+
+Durant, camarade de Marmontel. I.
+
+Duras (Emmanuel-Félicité de Durfort, duc de). I, II, III.
+
+Duras (Louise-Henriette-Philippine, marquise, puis duchesse de). II.
+
+Durif, camarade de Marmontel. I.
+
+Duruey (Joseph), ancien receveur général. III.
+
+Du Tillet (Guillaume-Louis), évèque d'Orange. III.
+
+
+
+
+Edgeworth de Firmont (L'abbé). III I.
+
+Egmont (Jeanne-Sophie-Louise-Armande-Septimanie de Richelieu, comtesse
+d'). II.
+
+_Egyptus_, tragédie, par Marmontel. I.
+
+Eue, vainqueur de la Bastille. III.
+
+Élisabeth (Madame). III.
+
+_Encyclopédie_ (Supplément à l'). II.
+
+_Épitre aux poètes_, par Marmontel. II.
+
+Épréménil (Jean-Jacques Duval d'). III.
+
+_Esquille_ (Collège de l'), à Toulouse. I.
+
+Estrades (Élisabeth-Charlotte Huguet de Sémonville, comtesse d'). II.
+
+
+
+
+_Fausse Magie (la)_, opéra-comique, paroles de Marmontel, musique de
+Grétry. II.
+
+Favart (Marie-Justine-Benoîte Cabaret-Duronceray, dame). I.
+
+Favier (Jean). I.
+
+Filleul (Marie-Catherine-Irène du Buisson de Longpré, dame). II.
+
+Flavacourt (Fr.-Marie de Fouilleuse, marquis de). I.
+
+Flamarens (Mme de). III.
+
+Flammermont (M. Jules), cité. III.
+
+Flesselles (Jacques de). III.
+
+Fleurieu (Jacques-Annibal et Marc-Antoine-Louis Claret de). II.
+
+Fleury (Le bailli de). I.
+
+Fleury (André-Hercule, cardinal de). I.
+
+Fontenelle (Bernard Le Bovier de). I.
+
+Forest (L'abbé). I.
+
+Foulon (Joseph-François). III.
+
+Fourqueux (Bouvard de). III.
+
+Francastel (Marie-Pierre-Adrien). III.
+
+Frédéric II, roi de Prusse. I, II.
+
+Frétéau de Saint-Just (Emmanuel-Marie). III.
+
+Friesen (Henri-Auguste, comte de). I.
+
+
+
+
+Gagny. V. Blondel de Gagny.
+
+Gaillard (Gabriel-Henri). III.
+
+Galiani (L'abbé Ferdinand). II.
+
+Gallet, épicier et convive du Caveau. II.
+
+_Garches_ (Seine-et-Oise). II.
+
+_Garges_. V. Garches.
+
+Garville, ami de Mlle Clairon. II.
+
+Gatti (Angelo). II.
+
+Gaucher (Mme Louise, dite Lolotte, plus tard comtesse d'Hérouville). I.
+
+Gaulard (Catherine-Suzanne Josset, dame). II.
+
+Gaulard, fils de la précédente. II.
+
+Gaussin (Jeanne-Catherine Gaussem, dite). I.
+
+Genson, vétérinaire. II.
+
+Geoffrin (Marie-Thérèse Rodet, dame). I, II.
+
+Germani. V. Necker (Louis).
+
+Gevigland (Noël-Marie de). II.
+
+Gilbert de Voisin (Pierre), ancien président à mortier au Parlement de
+Paris. III.
+
+Gilly, directeur de la compagnie des Indes. I.
+
+Gisors (Comte de). II.
+
+_Gloire (La) de Louis XIV, perpétuée dans le roi son successeur_, poème
+par Marmontel. I.
+
+Godard (Jacques). III.
+
+Goutelongue, promoteur de l'archevêché de Toulouse. I.
+
+Grandval (François-Charles Racot de). I.
+
+Grétry (André-Ernest-Modeste). II.
+
+Grimm (Frédéric-Melchior). I.
+
+Guiffrey (M. Jules), cité. I.
+
+_Guirlande (La), ou les Fleurs enchantées_, ballet, musique de Rameau,
+paroles de Marmontel. I.
+
+Gustave III, roi de Suède. II, III.
+
+
+
+
+Harenc (Mme). I.
+
+Harenc de Presle. I.
+
+Helvétius (Claude-Adrien). I, II.
+
+Hénault (Charles-Jean-François). II.
+
+_Henriade (La)_, de Voltaire, préface par Marmontel. I.
+
+_Héraclides (Les)_, tragédie, par Marmontel. I.
+
+Hérouville (Antoine de Ricouard, comte d'). I.
+
+Hérouville (Mme d'). V. Gaucher.
+
+Hertzberg (Comte de). II.
+
+Holbach (Paul-Henri Thiry, baron d'). I, II.
+
+Honorat (Dom). III.
+
+Houdetot (Élisabeth-Sophie-Françoise de La Live, comtesse d'). II, III.
+
+Huber (Jean). II.
+
+Hume (David). II.
+
+_Huron (Le)_, opéra-comique, paroles de Marmontel, musique de Grétry.
+II.
+
+
+
+
+_Incas (Les)_, par Marmontel. II.
+
+_Irène_, tragédie, par Voltaire. III.
+
+
+
+
+Jaucourt (Louis, chevalier de). II.
+
+Jélyotte (Pierre). I.
+
+Joly de Fleury (Jean-François). III.
+
+Juigné (Ant.-Éléonore-Léon Leclerc de), archevêque de Paris. III.
+
+Jullien (M. Ad.), cité. I.
+
+
+
+
+Kaunitz (Wenceslas-Antoine, comte de Rietberg, prince de). I.
+
+
+
+
+La Borde (J.-B. Benjamin de). III.
+
+Laborie (Antoine-Athanase Roux de). III.
+
+La Briche (Adélaïde-Edmée Prévost, dame de La Live de). III.
+
+La Bruère (Charles-Antoine Le Clerc de). II.
+
+Lacome (Mlle). I.
+
+La Fayette (M.-J.-P. Roch-Yves-Gilbert Motier, marquis de). III.
+
+La Ferté (Denis-Pierre-Jean Papillon de). II.
+
+La Garde (Philippe Bridard de). II.
+
+La Harpe (Jean-François de). III.
+
+Lally-Tolendal (Trophime-Gérard, comte de). III.
+
+Lambesc (Charles-Eugène de Lorraine-d'Elbeuf, prince de). III.
+
+Lamoignon (Chrétien-François II de). III.
+
+_Languedoc_ (Canal du). II.
+
+Lantage (M. de). II.
+
+Lany. I.
+
+La Popelinière (Alexandre-Jean-Joseph Le Riche de). I, II.
+
+La Popelinière (Thérèse des Hayes, dame Le Riche de). I.
+
+La Roche-Aymon (Charles-Antoine de), archevêque de Toulouse. I.
+
+La Rochefoucauld de Roye (Frédéric-Jérôme de), archevêque de Bourges. I.
+
+La Ruette (J.-L.). II.
+
+La Ruette (Mme). II.
+
+La Sablière (M. de). II.
+
+La Rue (_Sermons_ du P. de). I.
+
+La Tour (Maurice-Quentin de). II.
+
+_La Tour_ (Château de), appartenant à Mme de Séran. II.
+
+Latour. V. Delatour.
+
+Lattaignant (Gabriel-Charles, abbé de). I.
+
+Launey (Bernard-René Jourdan de), gouverneur de la Bastille. III.
+
+La Ville (L'abbé Jean-Ignace de). II.
+
+Lavirotte (Louis-Anne de). I.
+
+Le Bon (Joseph). III.
+
+L'Écluze, dentiste et acteur de l'Opéra-Comique. II.
+
+Le Fèvre (L'abbé), docteur de Sorbonne. II.
+
+Le Franc de Pompignan (Jean-Jacques, marquis). II.
+
+Le Franc de Pompignan (Jean-Georges), évèque du Puy et archevêque de
+Vienne. III.
+
+Le Grand de Saint-René. III.
+
+Le Kain (Henri-Louis Cain, dit). II.
+
+Lemierre (Antoine-Martin). II.
+
+Lemoyne (Jean-Baptiste). II.
+
+Le Noir (Jean-Charles-Pierre). III.
+
+Léopold II, empereur d'Autriche. III.
+
+Le Roy (Julien-David). II.
+
+Lespinasse (Julie-Jeanne-Éléonore Lespinasse, dite de). I, II.
+
+Lessart. V. Valdec.
+
+_Limoges_ (Évèque de). V. Coëtlosquet.
+
+Linars (Claude-Anne, comte de). I.
+
+Linars (Annet-Charles, marquis de). I.
+
+Linguet (Simon-Nicolas-Henri). II.
+
+Lolotte. V. Gaucher.
+
+Loménie de Brienne (Étienne-Charles), archevêque de Toulouse. II, III.
+
+Lorry (Michel-François Couet du Vivier de). III.
+
+L'Osiliére (M. de). I.
+
+Losme-Salbray (De), major de la Bastille. III.
+
+Louis XV. II.
+
+Louis de France, dauphin. II.
+
+Louis XVI. II, III.
+
+Lowendal (Ulric-Frédéric Woldemar, comte de), maréchal de France. I.
+
+L. P*** (Mme de). II.
+
+Lubersac (J.-B. Joseph de), évèque de Chartres. III.
+
+_Lucile_, opéra-comique, paroles de Marmontel, musique de Grétry. II.
+
+Luxembourg (Le duc de). III.
+
+
+
+
+Magon de La Balue (J.-B.), négociant. III.
+
+Mailubois (Yves-Marie Desmarets, comte de). II.
+
+Mairan (J.-J. Dortous de). I, II.
+
+Malesherbes (Chrétien-Guillaume de Lamoignon de). III.
+
+Maleseigne (M. de). II.
+
+Malfilatre (Jacques-Ch.-L. Clinchamp de). II.
+
+_Malmaison (La)_, propriété de Mme Harenc. II.
+
+Maloet (Dr P.-L.-M.). I.
+
+Malosse (Le P. Jacques-Antoine), jésuite. I.
+
+Malouin (Paul-Jacques). II.
+
+Maniban (Jean-Gaspard de), président au parlement de Toulouse. I.
+
+Manuel (Pierre). III.
+
+Marbeuf (Yves-Alexandre de), évêque d'Autun. II.
+
+Marchais (Élisabeth-Josèphe de Laborde, baronne de), plus tard comtesse
+d'Angiviller. II.
+
+Margueritte (J.-A. Teissier, baron de). III.
+
+Marie-Antoinette. II, III.
+
+Marie-Josèphe de Saxe, dauphine de France. II.
+
+Marigny (Abel-François Poisson, marquis de). I, II.
+
+Marigny (Marie-Françoise-Julie-Constance Filleul, marquise-de), femme du
+précédent. II.
+
+Marivaux (Pierre Carlet Chamblain de). I, II.
+
+Marmontel (Mme), femme de l'auteur. V. Montigny (Mlle Leyrin de).
+
+Massillon (_Sermons_ de Jean-Baptiste). I.
+
+Masson (M. Frédéric), cité. II.
+
+Maurepas (Jean-Frédéric Phélypeaux, comte de). III.
+
+Maurepas (Mme de). III.
+
+_Mauriac_ (Collège de). I.
+
+Maury (Jean-Siffrein, abbé). III.
+
+Maury (L'abbé), curé de Saint-Brice, frère du précédent.
+
+_Ménars_ (Château de). II.
+
+Mercy-Argenteau (Florimond-Claude, comte de). I.
+
+Mirabeau (Louis-Antoine Riquetti, chevalier de). I.
+
+Mirabeau (Victor Riquetti marquis de), dit l'_Ami des hommes_. I.
+
+Mirabeau (Gabriel-Honoré Riquetti, marquis de). III.
+
+Miray, aide-major de la Bastille. III.
+
+Miroménil (Armand-Thomas Hue de). III.
+
+Monclar (J.-P.-Fr. de Ripert de). II.
+
+Moncrif (François-Augustin Paradis de). II.
+
+Monet (Jean). I.
+
+Monsieur. V. Provence (Comte de).
+
+_Montauban_ (Académie des belles-lettres, ou Société littéraire de). I.
+
+Montesquieu (Charles de Secondat, baron de). I.
+
+Montgaillard (Marquis de). I.
+
+Monticourt. II.
+
+Montigny (Mme Leyrin de), soeur de Morellet, et belle-mère de Marmontel.
+II, III.
+
+Montigny (Mlle Marie-Adélaïde Leyrin de), fille de la précédente et
+femme de Marmontel. II, III.
+
+Montmorin Saint-Herem (Armand-Marc de), III.
+
+Montullé (Jean-Baptiste-François de). II.
+
+Montullé (Mme de). II.
+
+Mora (Pignatelli, marquis de). II.
+
+Morellet (L'abbé André). II, III.
+
+Morin, répétiteur au collège de Toulouse. I.
+
+
+
+
+Narbonne-Lara (Comte Louis de). III.
+
+Navarre (Marie-Gabrielle Hévin de). I.
+
+Necker (Jacques). III.
+
+Necker (Sophie Curchod de Nasse, dame), femme du précédent. III.
+
+Necker (Louis), dit de Germani, frère et beau-frère des précédents. III.
+
+Nicolai (Famille de). III.
+
+Nolhac (Le P.), jésuite. I.
+
+
+
+
+_Observateur littéraire (L')_, journal fondé par Marmontel et Bauvin. I.
+
+Odde, camarade, et plus tard beau-frère de Marmontel. I, II, III.
+
+Odde (Mme), soeur de Marmontel et femme du précédent. II, III.
+
+_Ode à la louange de Voltaire_, par Marmontel. II.
+
+Olivet (L'abbé Joseph Thoulier d'). II.
+
+Orléans (Louis-Philippe-Joseph, duc d'), plus tard Philippe-Égalité.
+III.
+
+_Ormes_ (Château des), propriété de la famille d'Argenson. II.
+
+Ormesson (Henri-François Lefèvre d'). III.
+
+Orry (Philibert), marquis de Fulvy. I.
+
+
+
+
+Paar (Comte de). I.
+
+Panard (Charles-François). II.
+
+Panckoucke (Charles-Joseph). II.
+
+Parrenin (Le P. Dominique). II.
+
+Pattulo, Irlandais. II.
+
+Paulmy (Marc-Antoine-René de), marquis d'Argenson. II.
+
+Pelletier, fermier général. II.
+
+_Pénélope_, opéra, paroles de Marmontel, musique de Piccini. III.
+
+Person, lieutenant des invalides de la Bastille. III.
+
+Pétion (Jérôme). III.
+
+Piccini (Nicolo). II, III.
+
+Pompadour (Jeanne-Antoinette Poisson, dame Lenormant d'Étioles, marquise
+de). I, II.
+
+Portail (Jacques-André). II.
+
+Provence (Louis-Xavier, comte de). III.
+
+Poultier de Nainville (Pierre), intendant de Lyon. II.
+
+Prades (Jean-Martin, abbé de). I.
+
+Praslin. V. Choiseul.
+
+_Pucelle (La)_, poème par Voltaire. II.
+
+Pujalou, étudiant du collège Sainte-Catherine à Toulouse. I.
+
+Puvigné (Mlle). I.
+
+
+
+
+Quesnay (François). II.
+
+
+
+
+Radonvilliers (L'abbé Claude-François Lizarde de). II.
+
+Rameau (Jean-Philippe). I.
+
+Raynal (L'abbé Guillaume-Thomas). I, II.
+
+Regewski (M.-M.). II.
+
+Reynal (Jean). I.
+
+Riballier (L'abbé Ambroise). II.
+
+Ribou. I.
+
+Richelieu (Louis-François-Armand Du Plessis, duc de). I, II.
+
+Rigal, avocat. I.
+
+_Riom_ (Collège des Oratoriens de). I.
+
+Robespierre (Maximilien-Marie-Isidore de). III.
+
+Robinet (J.-B. René). II.
+
+Rohan (Louis, prince et cardinal de). II.
+
+Rohan (Marie-Sophie de Courcillon de Dangeau, duchesse de Pecquigny,
+puis de). II.
+
+_Roland_, opéra, paroles de Marmontel, musique de Piccini. II, III.
+
+Romme (Gilbert). III.
+
+Roquelaure (Jean-Armand de Bossuejouls, comte de), évêque de Senlis. II.
+
+Roselly (Raisouche-Montet, dit). I.
+
+Rosetti (Mlle), maîtresse de Papillon de La Ferté. II.
+
+Rousseau (Jean-Jacques). I, II, III.
+
+Roussille (L'abbé), de l'Académie d'Angers. II.
+
+Roux (Augustin). II.
+
+Rupin (M. Ernest), cité. I..
+
+
+
+
+S*** [Sau...?] (Mlle). II.
+
+Sabatier de Cabres (L'abbé). III.
+
+Saint-Amand, receveur général du tabac à Toulouse. II.
+
+_Saint-Bonet_ (Corrèze). I.
+
+_Saint-Brice_ (Seine-et-Oise). III.
+
+_Saint-Ferréol_ (Bassin de). II.
+
+Saint-Florentin (Louis Phélypeaux, comte de), duc de La Vrillière. II.
+
+_Saint-Germain_ (Eure). III.
+
+Saint-Hilaire (Mlle), maîtresse de Blondel de Gagny. II.
+
+Saint-Huberty (Anne-Antoinette Clavel, dite). III.
+
+Saint-Lambert (Charles-François de), I, II, III.
+
+Saint-Simon (_Mémoires_ du duc de). II.
+
+_Sainte-Assise_ (Château de), appartenant à M. de Montullé. II.
+
+_Sainte-Barbe_ (Collège). III.
+
+_Sainte-Catherine_ (Collège), à Toulouse. I.
+
+Saldern (M. de), ministre de Russie. II.
+
+Sartine (Antoine-Raymond-Jean-Gualbert, comte de). II, III.
+
+Saurin (Bernard-Joseph). II.
+
+Saxe (Hermann-Maurice, comte de), maréchal de France. I.
+
+_Scrupule (Le)_, conte, par Marmontel. II.
+
+Seckendorf (comte de). I.
+
+Séguier (Antoine-Louis). II.
+
+Séguier (Jean-François). II.
+
+Séran (Adélaïde de Bullioud, comtesse de). II.
+
+Serilly (Ant. Megret de), ancien trésorier général de la guerre. III.
+
+_Soliman II_, conte, par Marmontel. II.
+
+Sombreuil (Charles-François Vérot, marquis de). III.
+
+Soufflot (Jacques-Germain). II.
+
+Sourdis (René-Louis d'Escoubleau, marquis de). I.
+
+Stael-Holstein (Anne-Louise-Germaine Necker, baronne de). III.
+
+Starhemberg (Georges-Adam, comte de). I.
+
+Stuart (Mlle). II.
+
+Suard (J.-B. Antoine). II, III.
+
+_Sybarites (Les), ou Sybaris_ (troisième acte des _Surprises de
+l'Amour_), paroles de Marmontel, musique de Rameau. I.
+
+_Sylvain_, opéra-comique, paroles de Marmontel, musique de Grétry. II.
+
+
+
+
+Taboureau des Réaux, contrôleur général. III.
+
+_Tancrède_, tragédie de Voltaire. II.
+
+Target (Guy-Joseph). III.
+
+Tencin (Claudine-Alexandrine Guéfin, marquise de). I.
+
+Terray (Labbé Joseph-Marie). II, III.
+
+Thermes de Julien, à Paris. I.
+
+Thibouville (Henri de Lambert d'Herbigny, marquis de). I.
+
+Thiriot (Nicolas-Claude). I.
+
+Thomas (Antoine-Léonard). II, III.
+
+Thouret (Jacques-Guillaume). III.
+
+_Tournay_ (Château de), ou des _Délices_. II.
+
+Toury, camarade de Marmontel. I.
+
+Tribou (Pierre). I.
+
+Tronchet (François-Denis). III.
+
+Talleyrand-Périgord (Charles-Maurice de). III.
+
+Tallien (Jean-Lambert). III.
+
+Turgot (Anne-Robert-Jacques). II, III.
+
+
+
+
+Vaissière (L'abbé). I.
+
+Valarché, camarade de Marmontel. I.
+
+Valdec de Lessart (J.-M. Antoine-Claude). I.
+
+_Valenciennes_ (Nord). II.
+
+Vanière (Le P. Jacques), jésuite. I.
+
+Van Loo (Charles-André, dit Carle). I, II.
+
+Van Loo (Anne-Antoinette-Charlotte Somis, dame), femme du précédent. I.
+
+Vaucanson (Jacques de). I.
+
+Vaudesir (Georges-Nicolas Baudard de). II.
+
+Vaudreuil (Comte de). III.
+
+Vauvenargues (Luc de Clapiers, marquis de). I.
+
+_Venceslas_, tragédie de Rotrou, retouchée par Marmontel. II.
+
+Vermenoux (Anne-Germaine Larrivée, dame Girardot de). III.
+
+Vernet (Joseph). II.
+
+Verhulst (Gabriel-François-Joseph de). II.
+
+Verrière (Marie Rinteau, dite). I.
+
+Villars (Honoré-Armand, duc de). II.
+
+Villaumont. V. Bouret.
+
+Villeroy (Duchesse de). II.
+
+_Voix (La) des pauvres, épître sur l'incendie de l'Hôtel-Dieu_, par
+Marmontel. II.
+
+Voltaire (François-Marie Arouet de). I, II, III.
+
+
+
+
+Watelet (Claude-Henri). II.
+
+
+
+
+_Zémire et Azor_, opéra-comique, paroles de Marmontel, musique de
+Grétry. II.
+
+
+
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of Mémoires de Marmontel (3 of 3), by
+Jean-François Marmontel
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK MÉMOIRES DE MARMONTEL (3 OF 3) ***
+
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+by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica)
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+(and you!) can copy and distribute it in the United States without
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+such as creation of derivative works, reports, performances and
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+ money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the
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+1.F.
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+
+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
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+including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
+because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
+people in all walks of life.
+
+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need, are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at http://www.pglaf.org.
+
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
+http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
+permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
+
+The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
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+throughout numerous locations. Its business office is located at
+809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
+business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
+information can be found at the Foundation's web site and official
+page at http://pglaf.org
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+For additional contact information:
+ Dr. Gregory B. Newby
+ Chief Executive and Director
+ gbnewby@pglaf.org
+
+
+Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation
+
+Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
+spread public support and donations to carry out its mission of
+increasing the number of public domain and licensed works that can be
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+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
+
+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
+with these requirements. We do not solicit donations in locations
+where we have not received written confirmation of compliance. To
+SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
+particular state visit http://pglaf.org
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+While we cannot and do not solicit contributions from states where we
+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
+against accepting unsolicited donations from donors in such states who
+approach us with offers to donate.
+
+International donations are gratefully accepted, but we cannot make
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+
+Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including checks, online payments and credit card donations.
+To donate, please visit: http://pglaf.org/donate
+
+
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+works.
+
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+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
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+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
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+This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
+including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
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