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You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: Poésies complètes + +Author: Arthur Rimbaud + +Commentator: Paul Verlaine + +Release Date: July 3, 2009 [EBook #29302] +[Last updated: August 2, 2014] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK POÉSIES COMPLÈTES *** + + + + +Produced by Laurent Vogel, Robert Connal and the Online +Distributed Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This +file was produced from images generously made available +by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at +http://gallica.bnf.fr) + + + + + + + + + +[Notes sur cette version électronique: + +Le texte a été établi sur la base des épreuves de l'imprimerie de Ch. +Herissey à Évreux, revues avec les corrections de la main de Paul +Verlaine en 1895. Certains passages illisibles ou d'une reconstitution +hypothétique ont été signalés entre crochets. + +On donne ici le texte après application des corrections; le texte +original de la préface avec les corrections se trouve en annexe à la fin +de la version HTML.] + + + + + +ARTHUR RIMBAUD + + +POÉSIES + +COMPLÈTES + +AVEC PRÉFACE DE PAUL VERLAINE + +ET NOTES DE L'ÉDITEUR + +[Marque d'éditeur: L. V.] + +PARIS + +LÉON VANIER, LIBRAIRE-ÉDITEUR + +19, QUAI SAINT-MICHEL, 19 + +1895 + +Tous droits réservés + + + + +DU MÊME AUTEUR + +MÊME ÉDITEUR + + +Les Illuminations, Une Saison en Enfer. . . 3 50 + +TIRAGE DE LUXE: + +25 exemplaires numérotés sur Hollande, 6 fr. + + + + +PRÉFACE + +ARTHUR RIMBAUD + +SES POÉSIES COMPLÈTES + + +À mon avis tout à fait intime, j'eusse préféré, en dépit de tant +d'intérêt s'attachant intrinsèquement presque aussi bien que +chronologiquement à beaucoup de pièces du présent recueil, que celui-ci +fût allégé pour, surtout, des causes littéraires: trop de jeunesse +décidément, d'inexpériences mal savoureuses, point d'assez heureuses +naïvetés. J'eusse, si le maître, donné juste un dessus de panier, quitte +à regretter que le reste dût disparaître, ou, alors, ajouté ce reste à +la fin du livre, après la table des matières et sans table des matières +quant à ce qui l'eût concerné, sous la rubrique «pièces attribuées à +l'auteur», encore excluant de cette peut-être trop indulgente déjà +hospitalité les tout à fait apocryphes sonnets publiés, sous le nom +glorieux et désormais sacré, par de spirituels parodistes. + +Quoi qu'il en soit, voici, seulement expurgé des apocryphes en question +et classé aussi soigneusement que possible par ordre de dates, mais, +hélas! privé de trop de choses qui furent, aux déplorables fins de +puériles et criminelles rancunes, sans même d'excuses suffisamment +bêtes, confisquées, confisquées? volées! pour tout et mieux dire, dans +les tiroirs fermés d'un absent, voici _le livre des poésies complètes +d'Arthur Rimbaud_, avec ses additions inutiles à mon avis et ses +déplorables mutilations irréparables à jamais, il faut le craindre. + +Justice est donc faite, et bonne et complète, car en outre du présent +fragment de l'[illisible], il y a eu des reproductions par la Presse et +la Librairie des choses en prose si inappréciables, peut-être même si +supérieures aux vers, dont quelques-uns pourtant incomparables, que je +sache! + +Ici, avant de procéder plus avant, dans ce très sérieux et très sincère +et pénible et douloureux travail, il me sied et me plaît de remercier +mes amis Dujardin et Kahn, Fénéon, et ce trop méconnu, trop modeste +Anatole Baju, de leur intervention en un cas si beau, mais à l'époque +périculeux, je vous l'assure, car je ne le sais que trop. + +Kahn et Dujardin disposaient néanmoins de revues jeunes et d'aspect +presque imposant, un peu d'outre-Rhin et parfois, pour ainsi dire, +pédantesques; depuis il y a eu encore du plomb dans l'aile de ces +périodiques changés de direction--et Baju, naïf, eut aussi son +influence, vraiment. + +Tous trois firent leur devoir en faveur de mes efforts pour Rimbaud, +Baju avec le tort, peut-être inconscient, de publier, à l'appui de la +bonne thèse, des gloses farceuses de gens de talent et surtout d'esprit +qui auraient mieux fait certainement de travailler pour leur compte, qui +en valait, je le leur dis en toute sincérité, + + La peine assurément! + +Mais un devoir sacré m'incombe, en dehors de toute diversion même +quasiment nécessaire, vite. C'est de rectifier des faits d'abord--et +ensuite d'élucider un peu la disposition, à mon sens, mal littéraire, +mais conçue dans un but tellement respectable! du présent volume des +_Poésies complètes d'Arthur Rimbaud._ + +On a tout dit, en une préface abominable que la Justice a châtiée, +d'ailleurs par la saisie, sur la requête d'un galant homme de qui la +signature avait été escroquée, M. Rodolphe Darzens, on a dit tout le +mauvais sur Rimbaud, homme et poète. + +Ce mauvais-là, il faut malheureusement, mais carrément, l'amalgamer avec +celui qu'a écrit, pensé sans nul doute, un homme de talent dans un +journal d'irréprochable tenue. Je veux parler de M. Charles Maurras et +en appeler de lui à lui mieux informé. + +Je lis, par exemple, ceci de lui, M. Charles Maurras: + +«Au dîner du Bon Bock», or il n'y avait pas alors, de _dîner du Bon +Bock_ où nous allassions, Valade, Mérat, Silvestre, quelques autres +Parnassiens [et] moi, ni par conséquent Rimbaud avec nous, mais bien un +dîner mensuel des _Vilains Bonshommes_ [note illisible], fondé avant la +guerre et qu'avaient honoré quelquefois Théodore de Banville et, de la +part de Sainte-Beuve, le secrétaire de celui-ci, M. Jules Troubat. Au +moment dont il est question, fin 1871, nos «assises» se tenaient au +premier étage d'un marchand de vins établi au coin de la rue Bonaparte +et de la place Saint-Sulpice, vis-à-vis d'un libraire d'occasion (rue +Bonaparte) et (rue du Vieux-Colombier) d'un négociant [en] objets +religieux. «Au dîner du Bon Bock, dit donc M. Maurras, ses reparties (à +Rimbaud) causaient de grands scandales. Ernest d'Hervilly le rappelait +en vain à la raison. CARJAT LE MIT À LA PORTE. Rimbaud attendit +_patiemment_ à la porte et Carjat reçut à la sortie un «bon» (je retiens +«bon») coup de canne à épée DANS LE VENTRE.» + +Je n'ai pas à invoquer le témoignage de d'Hervilly qui est un cher poète +et un cher ami, parce qu'il n'a jamais été plus l'auteur d'une +intervention absurdement inutile que l'objet d'une insulte ignoble +publiée sans la plus simple pudeur, non plus que sans la moindre +conscience du faux ou du vrai dans la préface de l'édition Genonceaux; +ni celui de M. Carjat lui-même, par trop juge et partie, ni celui des +encore assez nombreux survivants d'une scène assurément peu glorieuse +pour Rimbaud, mais démesurément grossie et dénaturée jusqu'à la plus +complète calomnie. + +Voici donc un récit succinct, mais vrai jusque dans le moindre détail, +du «drame» en question: ce soir-là, aux _Vilains Bonshommes_, on avait +lu beaucoup de vers après le dessert et le café. Beaucoup de vers, même +à la fin d'un dîner (plutôt modeste), ce n'est pas toujours des moins +fatigants, particulièrement quand ils sont un peu bien déclamatoires +comme ceux dont _vraiment_ il s'agissait (et non du bon poète Jean +Aicard). Ces vers étaient d'un monsieur qui faisait beaucoup de sonnets +à l'époque et de qui le nom m'échappe. + +Et, sur le début suivant, après passablement d'autres choses d'autres +gens: + + _On dirait des soldats d'Agrippa d'Aubigné + Alignés au cordeau par Philibert Delorme..._ + +Rimbaud eut le tort incontestable de protester d'abord entre haut et bas +contre la prolongation d'à la fin abusives récitations. Sur quoi M. +Etienne Carjat, le photographe poète de qui le récitateur était l'ami +littéraire et artistique, s'interposa trop vite et trop vivement à mon +gré, traitant l'interrupteur de gamin. Rimbaud qui ne savait supporter +la boisson, et que l'on avait contracté dans ces «agapes» pourtant +modérées, la mauvaise habitude de gâter au point de vue du vin et des +liqueurs,--Rimbaud qui se trouvait gris, prit mal la chose, se saisit +d'une canne à épée à moi qui était derrière nous, voisins immédiats et, +par-dessus la table large de près de deux mètres, dirigea vers M. Carjat +qui se trouvait en face ou tout comme, la lame dégainée qui ne fit pas +heureusement de très grands ravages, puisque le sympathique ex-directeur +du _Boulevard_ ne reçut, si j'en crois ma mémoire qui est excellente +dans ce cas, qu'une éraflure très légère à une main. + +Néanmoins l'alarme fut grande et la tentative très regrettable, vite et +plus vite encore réprimée. J'arrachai la lame au furieux, la brisai sur +mon genou et confiai, devant rentrer de très bonne heure chez moi, le +[«gamin»] à moitié dégrisé maintenant, au peintre bien connu, Michel de +l'Hay, alors déjà un solide gaillard en outre d'un tout jeune homme des +plus remarquablement beaux qu'il soit donné de voir, qui eut tôt fait de +reconduire à son domicile de la rue Campagne-Première, en le chapitrant +d'importance, notre jeune intoxiqué de qui l'accès de colère ne tarda +pas à se dissiper tout à fait, avec les fumées du vin et de l'alcool, +dans le sommeil réparateur de la seizième année. + +Avant de «lâcher» tout à fait M. Charles Maurras, je lui demanderai de +expliquer sur un malheureux membre de phrase de lui me concernant. + +À propos de la question d'ailleurs subsidiaire de savoir si Rimbaud +était beau ou laid, M. Maurras qui ne l'a jamais vu et qui le trouve +laid, d'après des témoins «plus rassis» que votre serviteur, me +blâmerait presque, ma parole d'honneur! d'avoir dit qu'il avait +(Rimbaud) un visage parfaitement ovale d'ange en exil, une forte bouche +rouge au pli amer et (_in cauda venenum!_) des «jambes sans rivales». + +Ça c'est, je veux bien le croire, idiot sans plus, autrement, quoi? +Voici toujours _ma_ phrase sur les jambes en question, extraite des +_Homme d'aujourd'hui_. Au surplus, lisez toute la petite biographie. +Elle répond à tout d'_avance_, et coûte deux sous. + +«... Des projets pour la Russie, une anicroche à Vienne (Autriche), +quelques mois en France, d'Arras et Douai à Marseille, et le Sénégal +vers lequel bercé par un naufrage[;] puis la Hollande, 1879-80; vu +décharger des voitures de moisson dans une ferme à sa mère, entre +Attigny et Vouziers, et arpenter ces routes maigres de ses «JAMBES SANS +RIVALES». + +Voyons, M. Maurras, est-ce bien de bonne foi votre confusion entre +infatigabilité... et autre chose? + +--Ouf! j'en ai fini avec les petites (et grosses) infamies qui, de +régions prétendues uniquement littéraires, s'insinueraient dans la vie +privée pour s'y installer, et veuillez, lecteur, me permettre de +m'étendre un peu, maintenant qu'on a brûlé quelque sucre, sur le pur +plaisir intellectuel de vous parler du présent ouvrage qu'on peut ne pas +aimer, ni même admirer, mais qui a droit à tout respect en tout +consciencieux examen? + +On a laissé les pièces objectionables au point de vue bourgeois, car le +point de vue chrétien et surtout catholique dont je m'honore d'être un +des plus indignes peut-être mais à coup sûr le plus sincère tenant, me +semble supérieur et doit être écarté--j'entends, notamment les +_Premières Communions_, les _Pauvres à l'église_ (pour mon compte, +j'eusse négligé cette pièce brutale ayant pourtant ceci: + + _... Les malades du foie + Font baiser leurs longs doigts jaunes aux bénitiers._ + + +Quant aux _Premières Communions_ dont j'ai sévèrement parlé dans mes +_Poètes maudits_ à cause de certains vers affreusement blasphémateurs, +c'est si beau!... n'est-ce pas? à travers tant de coup[ables] choses... +n'est ce pas? + +Pour le reste de ce que j'aime parfaitement, le _Bateau ivre_, les +_Effarés_, les _Chercheuses de poux_ et, bien après, les _Assis_ aussi, +parbleu! un peu fumiste, mais si beau de détails; _Sonnet de Voyelles_ +qui a fait faire à M. Réné Ghill de ses mirobolantes théories, et +l'ardent _Faune_ [illisible] est parfait de fauves,--en liberté! et +encore une fois, je vous le présente, ce «numéro», comme autrefois dans +ce petit journal de combat mort en pleine brèche _Lutèce_, de tout mon +coeur, de toute mon âme et de toutes mes forces. + +On a cru devoir, évidemment dans un but de réhabilitation qui n'a rien à +voir ni avec la vie honorable ni avec l'oeuvre très intéressante, +[illisible] ouvrir le volume par une pièce intitulée _Étrennes des +Orphelins_, laquelle assez longue pièce, dans le goût un peu Guiraud +avec déjà des beautés tout autres. Ceci qui vaut du Desbordes-Valmore: + + _Les tout petits enfants ont le coeur si sensible!_ + +Cela: + + _La bise sous le seuil a fini par se taire..._ + +qui est d'un net et d'un vrai, quant à ce qui concerne un beau jour de +premier janvier. Surtout une facture solide, même un peu trop, qui dit +l'extrême jeunesse de l'auteur quand il s'en servit d'après la formule +parnassienne exagérée. + +On a cru aussi devoir intercaler de gré ou de force un trop long poème: +_Le Forgeron_, daté des _Tuileries vers le 10 août 1792_, où vraiment +c'est trop démoc-soc [illisible], par trop démodé, même en 1870 où ce +fut écrit; mais l'auteur, direz-vous, était si, si jeune! Mais, +répondrais-je, était-ce une raison pour publier cette chose faite à +coups de «mauvaises lectures» dans des manuels surannés ou de trop +moisis historiens? Je ne m'empresse pas moins d'ajouter qu'il y a là +encore de très beaux vers. Parbleu! avec cet être-là! + +Cette caricature de Louis XVI, d'abord: + + _Et prenant ce gros-là dans son regard farouche._ + +Cette autre encore; + + _Or le bon roi, debout sur son ventre, était pâle._ + +Ce cri bien dans le ton juste, trop rare ici: + + _On ne veut pas de nous dans les boulangeries_ + +Mais j'avoue préférer telles pièces purement jolies, mais alors très +jolies, d'une joliesse sauvageonne ou sauvage tout à fait alors presque +aussi belles que les _Effarés_ ou que les Assis. + +Il y a, dans ce ton, _Ce qui relient Nina_, vingt-neuf strophes, plus de +cent vers, sur un [rh]ythme sautilleur avec des gentillesse à tout bout +de champ: + + _Dix-sept ans! tu seras heureuse! + Ô les grands prés, + La grande campagne amoureuse! + --Dis, viens plus près!... + . . . . . . . . . . . . . . + Puis comme une petite morte + Le coeur pâmé + Tu me dirais que je te porte + L'oeil mi-fermé..._ + +Et, après la promenade au bois... et la résurrection de la _petite +morte_, l'entrée dans le village où _çà sentirait le laitage_, une +étable pleine d'un rhythme lent d'haleine, et de grands dos, un +intérieur à la Téniers: + + _Les lunettes de la grand-mère + Et son nez long + Dans son missel..._ + . . . . . . . . . . . . . . + +Aussi la _Comédie en trois baisers:_ + + . . . . . . . . . . . . . . + _Elle était fort déshabillée + Et de grands arbres indiscrets. + Aux vitres penchaient leur feuillée + Malinement, tout près, tout près._ + +_Sensation_, où le poète adolescent va loin, bien loin, «comme un +bohémien» + + _Par la nature, heureux comme avec une femme..._ + +Roman: + + _On n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans._ + +Ce qu'il y a d'amusant, c'est que Rimbaud, quand il écrivait ce vers, +n'avait pas encore seize ans. Évidemment il se «vieillissait» pour mieux +plaire à quelque belle... de, très probablement, son imagination. + +_Ma Bohème_, la plus gentille sans doute de ces gentilles choses: + + _Comme des lyres je tirai les élastiques + De mes souliers blessés, un pied près de mon coeur_... + +Mes _Petites amoureuses_, les _Poètes de sept ans_, frères franchement +douloureux des _Chercheuses de poux_: + + _Et la mère fermant le livre du devoir + S'en allait satisfaite et très fière sans voir + Dans les yeux bleus et sous le front plein d'éminences + L'âme de son enfant livrée aux répugnances._ + . . . . . . . . . . . . . . + +Quant aux quelques morceaux en prose qui terminent le volume, je les +eusse retenus pour les publier dans une nouvelle édition des oeuvres en +prose. Ils sont d'ailleurs merveilleux, mais tout à fait dans la note +des _Illuminations_ et de la _Saison en Enfer_. Je l'ai dit tout à +l'heure et je sais que je ne suis pas le seul à le penser: Rimbaud en +prose est peut-être supérieur à celui en vers... + +J'ai terminé, je crois avoir terminé ma tâche de préfacier. De la vie de +l'homme j'ai parlé suffisamment. De son oeuvre je reparlerai peut-être +encore. + +Mon dernier mot ne peut-être ici que ceci: Rimbaud fut un poète mort +jeune (à dix-huit ans, puisque né à Charleville[--le 20] Octobre +1854--nous n'avons pas de vers de lui [postérieur] à 1872.) mais vierge +de toute platitude ou décadence--comme il fut un homme mort jeune aussi +[(à trente] sept ans [le] 10 Novembre 1891 à l'hôpital de la Conception +de Marseille), mais dans son voeu bien formulé d'indépendance et de haut +dédain de n'importe quelle adhésion à ce qu'il ne lui plaisait pas de +faire ni d'être. + + Paul VERLAINE. + + + + +POESIES COMPLÈTES + + +DE CE LIVRE + +IL A ÉTÉ TIRÉ + +_25 exemplaires numérotés sur hollande._ + + + + +ARTHUR RIMBAUD + +POÉSIES + +COMPLÈTES + +PARIS + +LÉON VANIER, LIBRAIRE-ÉDITEUR 19, QUAI SAINT-MICHEL, 19 + +1895 + +Tous droits réservés. + + + + +LES ÉTRENNES DES ORPHELlNS + + +I + + La chambre est pleine d'ombre; on entend vaguement + De deux enfants le triste et doux chuchotement. + Leur front se penche, encor, alourdi par le rêve, + Sous le long rideau blanc qui tremble et se soulève... + --Au dehors les oiseaux se rapprochent frileux; + Leur aile s'engourdit sous le ton gris des cieux; + Et la nouvelle année, à la suite brumeuse, + Laissant traîner les plis de sa robe neigeuse, + Sourit avec des pleurs, et chante en grelottant... + + +II + + Or les petits enfants, sous le rideau flottant, + Parlent bas comme on fait dans une nuit obscure. + Ils écoutent, pensifs, comme un lointain murmure... + Ils tressaillent souvent à la claire voix d'or + Du timbre matinal, qui frappe et frappe encor + Son refrain métallique en son globe de verre... + --Puis, la chambre est glacée... on voit traîner à terre, + Épars autour des lits, des vêtements de deuil: + L'âpre bise d'hiver qui se lamente au seuil, + Souffle dans le logis son haleine morose! + On sent, dans tout cela, qu'il manque quelque chose... + --Il n'est donc point de mère à ces petits enfants, + De mère au frais sourire, aux regards triomphants? + Elle a donc oublié, le soir, seule et penchée, + D'exciter une flamme à la cendre arrachée, + D'amonceler sur eux la laine et l'édredon + Avant de les quitter en leur criant: pardon. + Elle n'a point prévu la froideur matinale, + Ni bien fermé le seuil à la bise hivernale?... + --Le rêve maternel, c'est le tiède tapis, + C'est le nid cotonneux où les enfants tapis, + Comme de beaux oiseaux que balancent les branches, + Dorment leur doux sommeil plein de visions blanches. + --Et là,--c'est comme un nid sans plumes, sans chaleur + Où les petits ont froid, ne dorment pas, ont peur; + Un nid que doit avoir glacé la bise amère... + + +III + + Votre coeur l'a compris:--ces enfants sont sans mère, + Plus de mère au logis!--et le père est bien loin!... + --Une vieille servante, alors, en a pris soin: + Les petits sont tout seuls en la maison glacée; + Orphelins de quatre ans, voilà qu'en leur pensée + S'éveille, par degrés, un souvenir riant... + C'est comme un chapelet qu'on égrène en priant: + --Ah! quel beau matin, que ce matin des étrennes! + Chacun, pendant la nuit, avait rêvé des siennes + Dans quelque songe étrange où l'on voyait joujoux, + Bonbons habillés d'or, étincelants bijoux, + Tourbillonner, danser une danse sonore, + Puis fuir sous les rideaux, puis reparaître encore! + On s'éveillait matin, on se levait joyeux, + La lèvre affriandée, en se frottant les yeux... + On allait, les cheveux emmêlés sur la tête, + Les yeux tout rayonnants, comme aux grands jours de fête + Et les petits pieds nus effleurant le plancher, + Aux portes des parents tout doucement toucher... + On entrait!... Puis alors les souhaits... en chemise, + Les baisers répétés, et la gaîté permise? + + +IV + + Ah! c'était si charmant, ces mots dits tant de fois! + --Mais comme il est changé, le logis d'autrefois: + Un grand feu pétillait, clair, dans la cheminée, + Toute la vieille chambre était illuminée; + Et les reflets vermeils, sortis du grand foyer, + Sur les meubles vernis aimaient à tournoyer... + --L'armoire était sans clefs!... sans clefs, la grande armoire + On regardait souvent sa porte brune et noire... + Sans clefs!... c'était étrange!... On rêvait bien des fois + Aux mystères dormant entre ses flancs de bois, + Et l'on croyait ouïr, au fond de la serrure + Béante, un bruit lointain, vague et joyeux murmure + --La chambre des parents est bien vide, aujourd'hui + Aucun reflet vermeil sous la porte n'a lui; + Il n'est point de parents, de foyer, de clefs prises: + Partant point de baisers, point de douces surprises! + Oh! que le jour de l'an sera triste pour eux! + --Et, tout pensifs, tandis que de leurs grands yeux bleus + Silencieusement tombe une larme amère, + ils murmurent: «Quand donc reviendra notre mère?» + . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . + + +V + + Maintenant, les petits sommeillent tristement: + Vous diriez, à les voir, qu'ils pleurent en dormant, + Tant leurs yeux sont gonflés et leur souffle pénible! + Les tout petits enfants ont le coeur si sensible! + --Mais l'ange des berceaux vient essuyer leurs yeux, + Et dans ce lourd sommeil mit un rêve joyeux, + Un rêve si joyeux, que leur lèvre mi-close, + Souriante, semblait murmurer quelque chose... + Ils rêvent que, penchés sur leur petit bras rond, + Doux geste du réveil, ils avancent le front, + Et leur vague regard tout autour d'eux repose... + Ils se croient endormis dans un paradis rose... + Au foyer plein d'éclairs chante gaîment le feu... + Par la fenêtre on voit là-bas un beau ciel bleu; + La nature s'éveille et de rayons s'enivre... + La terre, demi-nue, heureuse de revivre, + A des frissons de joie aux baisers du soleil... + Et dans le vieux logis tout est tiède et vermeil: + Des sombres vêtements ne jonchent plus la terre, + La bise sous le seuil a fini par se taire. + On dirait qu'une fée a passé dans cela!... + --Les enfants, tout joyeux, ont jeté deux cris... Là, + Près du lit maternel, sous un beau rayon rose, + Là, sur le grand tapis, resplendit quelque chose... + Ce sont des médaillons argentés, noirs et blancs, + De la nacre et du jais aux reflets scintillants: + Des petits cadres noirs, des couronnes de verre, + Ayant trois mots gravés en or: «À NOTRE MÈRE!» + . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . + + 2 janvier 1870 + + + + +VOYELLES + + + A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu, voyelles, + Je dirai quelque jour vos naissances latentes, + A, noir corset velu des mouches éclatantes + Qui bombillent autour des puanteurs cruelles, + + Golfe d'ombre: E, candeur des vapeurs et des tentes, + Lance des glaciers fiers, rois blancs, frissons d'ombelles + I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles + Dans la colère ou les ivresses pénitentes; + + U, cycles, vibrements divins des mers virides, + Paix des pâtis semés d'animaux, paix des rides + Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux; + + O, suprême Clairon plein de strideurs étranges, + Silences traversés des Mondes et des Anges: + --O l'Oméga, rayon violet de Ses Yeux! + + + + +ORAISON DU SOIR + + + Je vis assis tel qu'un ange aux mains d'un barbier, + Empoignant une chope à fortes cannelures, + L'hypogastre et le col cambrés, une Gambier + Aux dents, sous l'air gonflé d'impalpables voilures. + + Tels que les excréments chauds d'un vieux colombier + Mille rêves en moi font de douces brûlures; + Puis par instants mon coeur triste est comme un aubier + Qu'ensanglante l'or jaune et sombre des coulures. + + Puis quand j'ai ravalé mes rêves avec soin, + Je me tourne, ayant bu trente ou quarante chopes, + Et me recueille pour lâcher l'âcre besoin. + + Doux comme le Seigneur du cèdre et des hysopes, + Je pisse vers les cieux bruns très haut et très loin, + Avec l'assentiment des grands héliotropes. + + + + +LES ASSIS + + + Noirs de loupes, grêlés, les yeux cerclés de bagues + Vertes, leurs doigts boulus crispés à leurs fémurs, + Le sinciput plaqué de hargnosités vagues + Comme les floraisons lépreuses des vieux murs, + + Ils ont greffé dans des amours épileptiques + Leur fantasque ossature aux grands squelettes noirs + De leurs chaises; leurs pieds aux barreaux rachitiques + S'entrelacent pour les matins et pour les soirs. + + Ces vieillards ont toujours fait tresse avec leurs sièges, + Sentant les soleils vifs percaliser leur peaux, + Ou les yeux à la vitre où se fanent les neiges, + Tremblant du tremblement douloureux des crapauds. + + Et les Sièges leur ont des bontés; culottée + De brun, la paille cède aux angles de leurs reins. + L'âme des vieux soleils s'allume, emmaillotée + Dans ces tresses d'épis où fermentaient les grains. + + Et les Assis, genoux aux dents, verts pianistes, + Les dix doigts sous leur siège aux rumeurs de tambour + S'écoutent clapoter des barcarolles tristes + Et leurs caboches vont dans des roulis d'amour. + + Oh! ne les faites pas lever! C'est le naufrage. + Ils surgissent, grondant comme des chats gifflés, + Ouvrant lentement leurs omoplates, ô rage! + Tout leur pantalon bouffe à leurs reins boursouflés. + + Et vous les écoutez cognant leurs têtes chauves + Aux murs sombres, plaquant et plaquant leurs pieds tors + Et leurs boutons d'habit sont des prunelles fauves + Qui vous accrochent l'oeil du fond des corridors. + + Puis ils ont une main invisible qui tue; + Au retour, leur regard filtre ce venin noir + Qui charge l'oeil souffrant de la chienne battue, + Et vous suez, pris dans un atroce entonnoir. + + Assis, les poings crispés dans des manchettes sales, + Ils songent à ceux-là qui les ont fait lever, + Et de l'aurore au soir des grappes d'amygdales + Sous leurs mentons chétifs s'agitent à crever. + + Quand l'austère sommeil a baissé leurs visières + Ils rêvent sur leurs bras de sièges fécondés, + De vrais petits amours de chaises en lisières + Sur lesquelles de fiers bureaux seront bordés. + + Les fleurs d'encre, crachant des pollens en virgules, + Les bercent le long des calices accroupis, + Tels qu'au fil des glaïeuls le vol des libellules, + --Et leur membre s'agace à des barbes d'épis! + + + + +LES EFFARÉS + + Noirs dans la neige et dans la brume, + Au grand soupirail qui s'allume, + Leurs culs en rond, + + À genoux, cinq petits,--misère!-- + Regardent le boulanger faire + Le lourd pain blond... + + Ils voient le fort bras blanc qui tourne + La pâte grise, et qui l'enfourne + Dans un trou clair. + + Ils écoutent le bon pain cuire + Le boulanger au gras sourire + Chante un vieil air. + + Ils sont blottis, pas un ne bouge, + Au souffle du soupirail rouge, + Chaud comme un sein. + + Et quand, pendant que minuit sonne, + Façonné, pétillant et jaune, + On sort le pain; + + Quand, sous les poutres enfumées, + Chantent les croûtes parfumées, + Et les grillons; + + Que ce trou chaud souffle la vie; + Ils ont leur âme si ravie + Sous leurs haillons, + + Ils se ressentent si bien vivre, + Les pauvres petits pleins de givre! + --Qu'ils sont là, tous, + + Collant leurs petits museaux roses + Au grillage, chantant des choses, + Entre les trous, + + Mais bien bas,--comme une prière... + Repliés vers cette lumière + Du ciel rouvert, + + --Si fort, qu'ils crèvent leur culotte, + --Et que leur lange blanc tremblotte + Au vent d'hiver... + +20 septembre 1870. + + + + +LES CHERCHEUSES DE POUX + + + Quand le front de l'enfant plein de rouges tourmentes, + Implore l'essaim blanc des rêves indistincts, + Il vient près de son lit deux grandes soeurs charmantes + Avec de frêles doigts aux ongles argentins. + + Elles assoient l'enfant devant une croisée + Grande ouverte où l'air bleu baigne un fouillis de fleurs, + Et dans ses lourds cheveux où tombe la rosée + Promènent leurs doigts fins, terribles et charmeurs. + + Il écoute chanter leurs haleines craintives + Qui fleurent de longs miels végétaux et rosés + Et qu'interrompt parfois un sifflement, salives + Reprises sur la lèvre ou désirs de baisers. + + Il entend leurs cils noirs battant sous les silences + Parfumés; et leurs doigts électriques et doux + Font crépiter parmi ses grises indolences + Sous leurs ongles royaux la mort des petits poux. + + Voilà que monte en lui le vin de la Paresse, + Soupir d'harmonica qui pourrait délirer; + L'enfant se sent, selon la lenteur des caresses, + Sourdre et mourir sans cesse un désir de pleurer. + + + + +BATEAU IVRE + + + Comme je descendais des Fleuves impassibles + Je ne me sentis plus guidé par les haleurs; + Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles, + Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs. + + J'étais insoucieux de tous les équipages, + Porteur de blés flamands ou de cotons anglais. + Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages, + Les Fleuves m'ont laissé descendre où je voulais. + + Dans les clapotements furieux des marées, + Moi, l'autre hiver, plus sourd que les cerveaux d'enfants, + Je courus! Et les Péninsules démarrées, + N'ont pas subi tohu-bohus plus triomphants. + + La tempête a béni mes éveils maritimes. + Plus léger qu'un bouchon j'ai dansé sur les flots + Qu'on appelle rouleurs éternels de victimes, + Dix nuits, sans regretter l'oeil niais des falots. + + Plus douce qu'aux enfants la chair des pommes sures + L'eau verte pénétra ma coque de sapin + Et des taches de vins bleus et des vomissures + Me lava, dispersant gouvernail et grappin. + + Et dès lors je me suis baigné dans le poème + De la mer, infusé d'astres et latescent, + Dévorant les azurs verts où, flottaison blême + Et ravie, un noyé pensif parfois descend, + + Où, teignant tout à coup les bleuités, délires + Et rythmes lents sous les rutilements du jour, + Plus fortes que l'alcool, plus vastes que vos lyres, + Fermentent les rousseurs amères de l'amour. + + Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes, + Et les ressacs, et les courants, je sais le soir, + L'aube exaltée ainsi qu'un peuple de colombes, + Et j'ai vu quelquefois ce que l'homme a cru voir. + + J'ai vu le soleil bas taché d'horreurs mystiques + Illuminant de longs figements violets, + Pareils à des acteurs de drames très antiques, + Les flots roulant au loin leurs frissons de volets; + + J'ai rêvé la nuit verte aux neiges éblouies, + Baisers montant aux yeux des mers avec lenteur, + La circulation des sèves inouïes + Et l'éveil jaune et bleu des phosphores chanteurs. + + J'ai suivi des mois pleins, pareille aux vacheries + Hystériques, la houle à l'assaut des récifs, + Sans songer que les pieds lumineux des Maries + Pussent forcer le muffle aux Océans poussifs; + + J'ai heurté, savez-vous? d'incroyables Florides, + Mêlant aux fleurs des yeux de panthères, aux peaux + D'hommes, des arcs-en-ciel tendus comme des brides, + Sous l'horizon des mers, à de glauques troupeaux; + + J'ai vu fermenter les marais énormes, nasses + Où pourrit dans les joncs tout un Léviathan, + Des écroulements d'eaux au milieu des bonaces + Et les lointains vers les gouffres cataractant! + + Glaciers, soleils d'argent, flots nacreux, cieux de braises! + Échouages hideux au fond des golfes bruns + Où les serpents géants dévorés des punaises + Choient des arbres tordus avec de noirs parfums! + + J'aurais voulu montrer aux enfants ces dorades + Du flot bleu, ces poissons d'or, ces poissons chantants, + Des écumes de fleurs ont béni mes dérades + Et d'ineffables vents m'ont ailé par instants. + + Parfois, martyr lassé des pôles et des zones, + La mer dont le sanglot faisait mon roulis doux + Montait vers moi ses fleurs d'ombre aux ventouses jaunes + Et je restais ainsi qu'une femme à genoux, + + Presqu'île ballottant sur mes bords les querelles + Et les fientes d'oiseaux clabaudeurs aux yeux blonds, + Et je voguais lorsqu'à travers mes liens frêles + Des noyés descendaient dormir à reculons. + + Or moi, bateau perdu sous les cheveux des anses, + Jeté par l'ouragan dans l'éther sans oiseau, + Moi dont les Monitors et les voiliers des Hanses + N'auraient pas repêché la carcasse ivre d'eau, + + Libre, fumant, monté de brumes violettes, + Moi qui trouais le ciel rougeoyant comme un mur + Qui porte, confiture exquise aux bons poètes, + Des lichens de soleil et des morves d'azur, + + Qui courais taché de lunules électriques, + Plante folle, escorté des hippocampes noirs, + Quand les Juillets faisaient croûler à coups de triques + Les cieux ultramarins aux ardents entonnoirs, + + Moi qui tremblais, sentant geindre à cinquante lieues + Le rut des Béhémots et des Maelstroms épais, + Fileur éternel des immobilités bleues, + Je regrette l'Europe aux anciens parapets. + + J'ai vu des archipels sidéraux! Et des îles + Dont les cieux délirants sont ouverts au vogueur: + --Est-ce en ces nuits sans fond que tu dors et t'exiles, + Million d'oiseaux d'or, ô future Vigueur? + + Mais, vrai, j'ai trop pleuré! Les aubes sont navrantes, + Toute lune est atroce et tout soleil amer. + L'âcre amour m'a gonflé de torpeurs enivrantes. + Oh! que ma quille éclate! Oh! que j'aille à la mer! + + Si je désire une eau d'Europe, c'est la flache + Noire et froide où, vers le crépuscule embaumé, + Un enfant accroupi, plein de tristesse, lâche + Un bateau frêle comme un papillon de mai. + + Je ne puis plus, baigné de vos langueurs, ô lames, + Enlever leur sillage aux porteurs de cotons, + Ni traverser l'orgueil des drapeaux et des flammes, + Ni nager sous les yeux horribles des pontons! + + + + +LES PREMIÈRES COMMUNIONS + + +I + + Vraiment, c'est bête, ces églises de villages + Où quinze laids marmots, encrassant les piliers, + Écoutent, grasseyant les divins babillages, + Un noir grotesque dont fermentent les souliers. + Mais le soleil éveille, à travers les feuillages, + Les vieilles couleurs des vitraux ensoleillés, + + La pierre sent toujours la terre maternelle, + Vous verrez des monceaux de ces cailloux terreux + Dans la campagne en rut qui frémit, solennelle, + Portant, près des blés lourds, dans les sentiers séreux, + Ces arbrisseaux brûlés où bleuit la prunelle, + Des noeuds de mûriers noirs ou de rosiers furieux. + + Tous les cent ans, on rend ces granges respectables + Par un badigeon d'eau bleue et de lait caillé. + Si des mysticités grotesques sont notables + Près de la Notre-Dame ou du saint empaillé, + Des mouches sentant bon l'auberge et les étables + Se gorgent de cire au plancher ensoleillé. + + L'enfant se doit surtout à la maison, famille + Des soins naïfs, des bons travaux abrutissants, + Ils sortent, oubliant que la peau leur fourmille + Où le Prêtre du Christ a mis ses doigts puissants. + On paie au Prêtre un toit ombré d'une charmille + Pour qu'il laisse au soleil tous ces fronts bruissants. + + Le premier habit noir, le plus beau jour de tartes + Sous le Napoléon ou le Petit Tambour, + Quelque enluminure où les Josephs et les Marthes + Tirent la langue avec un excessif amour + Et qui joindront aux jours de science deux cartes, + Ces deux seuls souvenirs lui restent du grand jour. + + Les filles vont toujours à l'église, contentes + De s'entendre appeler garces par les garçons + Qui font du genre, après messe et vêpres chantantes, + Eux, qui sont destinés au chic des garnisons, + Ils narguent au café les maisons importantes, + Blousés neuf et gueulant d'effroyables chansons. + + Cependant le curé choisit, pour les enfances, + Des dessins; dans son clos, les vêpres dites, quand + L'air s'emplit du lointain nasillement des danses, + Il se sent, en dépit des célestes défenses, + Les doigts de pied ravis et le mollet marquant... + --La nuit vient, noir pirate au ciel noir débarquant. + + +II + + Le prêtre a distingué, parmi les catéchistes + Congrégés des faubourgs ou des riches quartiers, + Cette petite fille inconnue, aux yeux tristes, + Front jaune. Ses parents semblent de doux portiers. + Au grand jour, la marquant parmi les catéchistes, + Dieu fera, sur son front, neiger ses bénitiers. + + La veille du grand jour, l'enfant se fait malade + Mieux qu'à l'église haute aux funèbres rumeurs. + D'abord le frisson vient, le lit n'étant pas fade, + Un frisson surhumain qui retourne: Je meurs... + + Et, comme un vol d'amour fait à ses soeurs stupides, + Elle compte, abattue et les mains sur son coeur, + Ses Anges, ses Jésus et ses Vierges nitides, + Et, calmement, son âme a bu tout son vainqueur. + + Adonaï!... Dans les terminaisons latines + Des cieux moirés de vert baignent les Fronts vermeils + Et tachés du sang pur des célestes poitrines, + De grands linges neigeux tombent sur les soleils. + + Pour ses virginités présentes et futures + Elle mord aux fraîcheurs de ta Rémission; + Mais plus que les lys d'eau, plus que les confitures + Tes pardons sont glacés, ô Reine de Sion. + + +III + + Puis la Vierge n'est plus que la Vierge du livre; + Les mystiques élans se cassent quelquefois, + Et vient la pauvreté des images que cuivre + L'ennui, l'enluminure atroce et les vieux bois. + + Des curiosités vaguement impudiques + Épouvantent le rêve aux chastes bleuités + Qui sont surpris autour des célestes tuniques + Du linge dont Jésus voile ses nudités. + + Elle veut, elle veut pourtant, l'âme en détresse, + Le front dans l'oreiller creusé par les cris sourds, + Prolonger les éclairs suprêmes de tendresse + Et bave...--L'ombre emplit les maisons et les cours, + + Et l'enfant ne peut plus. Elle s'agite et cambre + Les reins, et d'une main ouvre le rideau bleu + Pour amener un peu la fraîcheur de la chambre + Sous le drap, vers son ventre et sa poitrine en feu. + + +IV + + À son réveil,--minuit,--la fenêtre était blanche + Devant le soleil bleu des rideaux illunés; + La vision la prit des langueurs du Dimanche, + Elle avait rêvé rouge. Elle saigna du nez, + + Et se sentant bien chaste et pleine de faiblesse, + Pour savourer en Dieu son amour revenant, + Elle eut soif de la nuit où s'exalte et s'abaisse + Le coeur, sous l'oeil des cieux doux, en les devinant; + + De la nuit, Vierge-Mère impalpable qui baigne + Tous les jeunes émois de ses silences gris; + Elle eut soif de la nuit forte où le coeur qui saigne + Écoute sans témoin sa révolte sans cris. + + Et, faisant la victime et la petite épouse, + Son étoile la vit, une chandelle aux doigts, + Descendre dans la cour où séchait une blouse, + Spectre blanc, et lever les spectres noirs des toits. + + +V + + Elle passa sa nuit Sainte dans les latrines. + Vers la chandelle, aux trous du toit, coulait l'air blanc + Et quelque vigne folle aux noirceurs purpurines + En deçà d'une cour voisine s'écroulant. + + La lucarne faisait un coeur de lueur vive + Dans la cour où les cieux bas plaquaient d'ors vermeils + Les vitres; les pavés puant l'eau de lessive + Souffraient l'ombre des toits bordés de noirs sommeils. + + +VI + + Qui dira ces langueurs et ces pitiés immondes + Et ce qui lui viendra de haine, ô sales fous, + Dont le travail divin déforme encor les mondes + Quand la lèpre, à la fin, rongera ce corps doux, + + Et quand, ayant rentré tous ces noeuds d'hystéries + Elle verra, sous les tristesses du bonheur, + L'amant rêver au blanc million de Maries + Au matin de la nuit d'amour, avec douleur! + + +VII + + Sais-tu que je t'ai fait mourir? J'ai pris ta bouche, + Ton coeur, tout ce qu'on a, tout ce que vous avez, + Et moi je suis malade. Oh! je veux qu'on me couche + Parmi les Morts des eaux nocturnes abreuvés! + + J'étais bien jeune, et Christ a souillé mes haleines, + Il me bonda jusqu'à la gorge de dégoûts; + Tu baisais mes cheveux profonds comme des laines, + Et je me laissais faire!... Oh! va... c'est bon pour vous, + + Hommes! qui songez peu que la plus amoureuse + Est, dans sa conscience, aux ignobles terreurs + La plus prostituée et la plus douloureuse + Et que tous nos élans vers vous sont des erreurs. + + Car ma communion première est bien passée! + Tes baisers, je ne puis jamais les avoir bus. + Et mon coeur et ma chair par ta chair embrassée + Fourmillent du baiser putride de Jésus... + + +VIII + + Alors l'âme pourrie et l'âme désolée + Sentiront ruisseler tes malédictions. + --Ils avaient couché sur ta haine inviolée + Echappés, pour la mort, des justes passions. + + Christ, ô Christ, éternel voleur des énergies, + Dieu qui, pour deux mille ans, vouas, à ta pâleur, + Cloués au sol, de honte et de céphalalgies, + Ou renversés, les fronts des Femmes de douleur. + +Juillet 1871. + + + + +L'ORGIE PARISIENNE + +OU + +PARIS SE REPEUPLE + + + Ô lâches, la voilà! dégorgez dans les gares! + Le soleil expia de ses poumons ardents + Les boulevards qu'un soir comblèrent les Barbares + Voilà la Cité belle assise à l'occident! + + Allez! on préviendra les reflux d'incendie, + Voilà les quais! voilà les boulevards! voilà, + Sur les maisons, l'azur léger qui s'irradie, + Et qu'un soir la rougeur des bombes étoila. + + Cachez les palais morts dans des niches de planches + L'ancien jour effaré rafraîchit vos regards. + Voici le troupeau roux des tordeuses de hanches, + Soyez fous, vous serez drôles, étant hagards! + + Tas de chiennes en rut mangeant des cataplasmes, + Le cri des maisons d'or vous réclame. Volez! + Mangez! voici la nuit de joie aux profonds spasmes + Qui descend dans la rue, ô buveurs désolés, + + Buvez. Quand La lumière arrive intense et folle + Fouillant à vos côtés les luxes ruisselants, + Vous n'allez pas baver, sans geste, sans parole, + Dans vos verres, les yeux perdus aux lointains blancs, + + Avalez, pour la Reine aux fesses cascadantes! + Écoutez l'action des stupides hoquets + Déchirants. Écoutez, sauter aux nuits ardentes + Les idiots râleux, vieillards, pantins, laquais! + + Ô coeurs de saleté, bouches épouvantables, + Fonctionnez plus fort, bouches de puanteurs! + Un vin pour ces torpeurs ignobles, sur ces tables... + Vos ventres sont fondus de hontes, ô Vainqueurs! + + Ouvrez votre narine aux superbes nausées! + Trempez de poisons forts les cordes de vos cous! + Sur vos nuques d'enfants baissant ses mains croisées + Le Poète vous dit: ô lâches, soyez fous! + + Parce que vous fouillez le ventre de la Femme + Vous craignez d'elle encore une convulsion + Qui crie, asphyxiant votre nichée infâme + Sur sa poitrine, en une horrible pression. + + Syphilitiques, fous, rois, pantins, ventriloques, + Qu'est-ce que ça peut faire à la pudeur Paris, + Vos âmes et vos corps, vos poisons et vos loques? + Elle se secouera de vous, hargneux pourris! + + Et quand vous serez bas, geignant sur vos entrailles + Les flancs morts, réclamant votre argent, éperdus, + La rouge courtisane aux seins gros des batailles, + Loin de votre stupeur tordra ses poings ardus! + + Quand tes pieds ont dansé si fort dans les colères, + Paris! quand tu reçus tant de coups de couteau, + Quand tu gis, retenant dans tes prunelles claires, + Un peu de la bonté du fauve renouveau, + + Ô cité douloureuse, ô cité quasi morte, + La tête et les deux seins jetés vers l'Avenir + Ouvrant sur ta pâleur ses milliards de portes, + Cité que le Passé sombre pourrait bénir: + + Corps remagnétisé pour les énormes peines, + Tu rebois donc la vie effroyable! tu sens + Sourdre le flux des vers livides en tes veines, + Et sur ton clair amour rôder les doigts glaçants! + + Et ce n'est pas mauvais. Tes vers, tes vers livides + Ne gêneront pas plus ton souffle de Progrès + Que les Stryx n'éteignaient l'oeil des Cariatides + Où des pleurs d'or astral tombaient des bleus degrés. + + Quoique ce soit affreux de te revoir couverte + Ainsi; quoiqu'on n'ait fait jamais d'une cité + Ulcère plus puant à la Nature verte, + Le Poète te dit «Splendide est ta Beauté!» + + L'orage t'a sacrée suprême poésie; + L'immense remuement des forces te secourt; + Ton oeuvre bout, la mort gronde, Cité choisie! + Amasse les strideurs au coeur du clairon lourd. + + Le Poète prendra le sanglot des Infâmes, + La haine des Forçats, la clameur des maudits; + Et ses rayons d'amour flagelleront les Femmes. + Ses strophes bondiront, voilà! voilà! bandits! + + --Société, tout est rétabli:--les orgies + Pleurent leur ancien râle aux anciens lupanars: + Et les gaz en délire aux murailles rougies + Flambent sinistrement vers les azurs blafards! + +Mai 1871. + + + + +ACCROUPISSEMENTS + + + Bien tard, quand il se sent l'estomac écoeuré, + Le frère Milotus un oeil à la lucarne + D'où le soleil, clair comme un chaudron récuré, + Lui darde une migraine et fait son regard darne, + Déplace dans les draps son ventre de curé. + + Il se démène sous sa couverture grise + Et descend ses genoux à son ventre tremblant, + Effaré comme un vieux qui mangerait sa prise, + Car il lui faut, le poing à l'anse d'un pot blanc, + À ses reins largement retrousser sa chemise! + + Or, il s'est accroupi frileux, les doigts de pied + Repliés grelottant au clair soleil qui plaque + Des jaunes de brioches aux vitres de papiers, + Et le nez du bonhomme où s'allume la laque + Renifle aux rayons, tel qu'un charnel polypier. + + . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . + + Le bonhomme mijote au feu, bras tordus, lippe + Au ventre: il sent glisser ses cuisses dans le feu + Et ses chausses roussir et s'éteindre sa pipe; + Quelque chose comme un oiseau remue un peu + À son ventre serein comme un morceau de tripe! + + Autour, dort un fouillis de meubles abrutis + Dans des haillons de crasse et sur de sales ventres, + Des escabeaux, crapauds étranges, sont blottis + Aux coins noirs: des buffets ont des gueules de chantres + Qu'entr'ouvre un sommeil plein d'horribles appétits. + + L'écoeurante chaleur gorge la chambre étroite, + Le cerveau du bonhomme est bourré de chiffons, + Il écoute les poils pousser dans sa peau moite + Et parfois en hoquets fort gravement bouffons + S'échappe, secouant son escabeau qui boite... + + . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . + + Et le soir aux rayons de lune qui lui font + Aux contours du cul des bavures de lumière, + Une ombre avec détails s'accroupit sur un fond + De neige rose ainsi qu'une rose trémière... + Fantasque, un nez poursuit Vénus au ciel profond. + + + + +LES PAUVRES À L'ÉGLISE + + + Parqués entre des bancs de chêne, aux coins d'église + Qu'attiédit puamment leur souffle, tous leurs yeux + Vers le coeur ruisselant d'orrie et la maîtrise + Aux vingt gueules gueulant les cantiques pieux; + + Comme un parfum de pain humant l'odeur de cire, + Heureux, humiliés comme des chiens battus, + Les Pauvres au bon Dieu, le patron et le sire, + Tendent leurs oremus risibles et têtus. + + Aux femmes, c'est bien bon de faire des bancs lisses; + Après les six jours noirs où Dieu les fait souffrir! + Elles bercent, tordus dans d'étranges pelisses, + Des espèces d'enfants qui pleurent à mourir; + + Leurs seins crasseux dehors, ces mangeuses de soupe, + Une prière aux yeux et ne priant jamais, + Regardent parader mauvaisement un groupe + De gamines avec leurs chapeaux déformés. + + Dehors, le froid, la faim, l'homme en ribote: + C'est bon. Encore une heure; après, les maux sans nom + --Cependant, alentour, geint, nazille, chuchote + Une collection de vieilles à fanons; + + Ces effarés y sont et ces épileptiques + Dont on se détournait hier aux carrefours; + Et, fringalant du nez dans des missels antiques + Ces aveugles qu'un chien introduit dans les cours. + + Et tous, bavant la foi mendiante et stupide, + Récitent la complainte infinie à Jésus + Qui rêve en haut, jauni par le vitrail livide, + Loin des maigres mauvais et des méchants pansus, + + Loin des senteurs de viande et d'étoffes moisies, + Farce prostrée et sombre aux gestes repoussants; + --Et l'oraison fleurit d'expressions choisies, + Et les mysticités prennent des tons pressants, + + Quand, des nefs où périt le soleil, plis de soie + Banals, sourires verts, les Dames des quartiers + Distingués,--ô Jésus!--les malades du foie + Font baiser leurs longs doigts jaunes aux bénitiers. + +1871 + + + + +CE QUI RETIENT NINA + + +LUI + + Ta poitrine sur ma poitrine, + Hein? nous irions, + Ayant de l'air plein la narine, + Aux frais rayons + + Du bon matin bleu qui vous baigne + Du vin de jour?... + Quand tout le bois frissonnant saigne + Muet d'amour + + De chaque branche, gouttes vertes, + Des bourgeons clairs, + On sent dans les choses ouvertes + Frémir des chairs; + + Tu plongerais dans la luzerne + Ton long peignoir, + Divine avec ce bleu qui cerne + Ton grand oeil noir, + + Amoureuse de la campagne, + Semant partout, + Comme une mousse de champagne, + Ton rire fou! + + Riant à moi, brutal d'ivresse, + Qui te prendrais + Comme cela,--la belle tresse, + Oh!--qui boirais + + Ton goût de framboise et de fraise, + Ô chair de fleur! + Riant au vent vif qui te baise + Comme un voleur! + + Au rose églantier qui t'embête + Aimablement... + Riant surtout, ô folle tête, + À ton amant!... + + Dix-sept ans! Tu seras heureuse! + Oh! les grands prés, + La grande campagne amoureuse! + --Dis, viens plus près!... + + Ta poitrine sur ma poitrine, + Mêlant nos voix, + Lents, nous gagnerions la ravine, + Puis les grands bois!... + + Puis, comme une petite morte, + Le coeur pâmé, + Tu me dirais que je te porte, + L'oeil mi-fermé... + + Je te porterais, palpitante + Dans le sentier... + L'oiseau filerait son andante, + Joli portier... + + Je te parlerais dans ta bouche: + J'irais, pressant + Ton corps, comme une enfant qu'on couche + Ivre du sang + + Qui coule, bleu, sous ta peau blanche + Aux tons rosés, + Te parlant bas la langue franche... + Tiens!... que tu sais... + + Nos grands bois sentiraient la sève, + Et le soleil + Sablerait d'or fin leur grand rêve + Sombre et vermeil! + + Le soir?... Nous reprendrons la route + Blanche qui court, + Flânant, comme un troupeau qui broute, + Tout à l'entour... + + Les bons vergers à l'herbe bleue + Aux pommiers tors! + Comme on les sent tout une lieue, + Leurs parfums forts! + + Nous regagnerions le village + Au ciel mi-noir; + Et ça sentirait le laitage + Dans l'air du soir: + + Ça sentirait l'étable pleine + De fumiers chauds, + Pleine d'un rythme lent d'haleine, + Et de grands dos + + Blanchissant sous quelque lumière; + Et, tout là-bas, + Une vache fienterait fière, + À chaque pas!... + + --Les lunettes de la grand'mère + Et son nez long + Dans son missel, le pot de bière + Cerclé de plomb + + Moussant entre trois larges pipes + Qui, crânement, + Fument: dix, quinze, immenses lippes + Qui, tout fumant, + + Happent le jambon aux fourchettes + Tant, tant et plus; + Le feu qui claire les couchettes, + Et les bahuts: + + Les fesses luisantes et grasses + D'un gros enfant + Qui fourre, à genoux, dans des tasses, + Son museau blanc + + Frolé par un mufle qui gronde + D'un ton gentil, + Et pourlèche la face ronde + Du cher petit... + + Noire, rogue au bord de sa chaise, + Affreux profil, + Une vieille devant la braise + Qui fait du fil; + + Que de choses nous verrions, chère, + Dans ces taudis, + Quand la flamme illumine, claire, + Les carreaux gris!... + + --Et puis, fraîche et toute nichée + Dans les lilas, + La maison, la vitre cachée + Qui rit là-bas... + + Tu viendras, tu viendras, je t'aime, + Ce sera beau! + Tu viendras, n'est-ce pas? et même... + +ELLE + + Mais le bureau? + +15 août 1870. + + + + +VÉNUS ANADYOMÈNE + + + Comme d'un cercueil vert en fer-blanc, une tête + De femme à cheveux bruns fortement pommadés + D'une vieille baignoire émerge, lente et bête, + Montrant des déficits assez mal ravaudés; + + Puis le col gras et gris, les larges omoplates + Qui saillent; le dos court qui rentre et qui ressort. + --La graisse sous la peau paraît en feuilles plates; + Et les rondeurs des reins semblent prendre l'essor... + + L'échine est un peu rouge, et le tout sent un goût + Horrible étrangement,--on remarque surtout + Des singularités qu'il faut voir à la loupe... + + Les reins portent deux mots gravés: _Clara Vénus_ + --Et tout ce corps remue et tend sa large croupe + Belle hideusement d'un ulcère à l'anus. + +27 juillet 1870. + + + + + «Français de soixante-dix, bonapartistes, républicains, souvenez-vous + de vos pères en 92, etc...» + + PAUL DE CASSAGNAC _(Le Pays)_ + + + Morts de quatre-vingt-douze et de quatre-vingt-treize + Qui, pâles du baiser fort de la liberté, + Calmes, sous vos sabots, brisiez le joug qui pèse + Sur l'âme et sur le front de toute humanité; + + Hommes extasiés et grands dans la tourmente, + Vous dont les coeurs sautaient d'amour sous les haillons, + Ô soldats que la Mort a semés, noble Amante, + Pour les régénérer, dans tous les vieux sillons; + + Vous dont le sang lavait toute grandeur salie, + Morts de Valmy, Morts de Fleurus, Morts d'Italie, + Ô Million de Christs aux yeux sombres et doux; + + Nous vous laissions dormir avec la République, + Nous, courbés sous les rois comme sous une trique: + --Messieurs de Cassagnac nous reparlent de vous! + +3 septembre 1870. + + + + +COMÉDIE EN TROIS BAISERS + + + Elle était fort déshabillée, + Et de grands arbres indiscrets + Aux vitres penchaient leur feuillée + Malinement, tout près, tout près. + + Assise sur ma grande chaise, + Mi-nue elle joignait les mains. + Sur le plancher frissonnaient d'aise + Ses petits pieds si fins, si fins. + + --Je regardai, couleur de cire + Un petit rayon buissonnier + Papillonner, comme un sourire, + Sur son beau sein, mouche au rosier, + + --Je baisai ses fines chevilles. + Elle eut un long rire tris-mal + Qui s'égrenait en claires trilles, + Une risure de cristal... + + Les petits pieds sous la chemise + Se sauvèrent: «Veux-tu finir!» + --La première audace permise, + Le rire feignait de punir! + + --Pauvrets palpitant sous ma lèvre, + Je baisai doucement ses yeux: + --Elle jeta sa tête mièvre + En arrière: «Oh! c'est encor mieux!...» + + «Monsieur, j'ai deux mots à te dire...» + --Je lui jetai le reste au sein + Dans un baiser, qui la fit rire + D'un bon rire qui voulait bien... + + --Elle était fort déshabillée + Et de grands arbres indiscrets + Aux vitres penchaient leur feuillée + Malinement, tout près, tout près. + + + + +SENSATION + + + Par les soirs bleus d'été, j'irai dans les sentiers, + Picoté par les blés, fouler l'herbe menue: + Rêveur, j'en sentirai la fraîcheur à mes pieds. + Je laisserai le vent baigner ma tête nue! + + Je ne parlerai pas, je ne penserai rien; + Mais l'amour infini me montera dans l'âme, + Et j'irai loin, bien loin, comme un bohémien + Par la Nature,--heureux comme avec une femme. + +Mars 1870. + + + + +BAL DES PENDUS + + + Au gibet noir, manchot aimable, + Dansent, dansent les paladins, + Les maigres paladins du diable, + Les squelettes de Saladins. + + Messire Belzebuth tire par la cravate + Ses petits pantins noirs grimaçant sur le ciel, + Et, leur claquant au front un revers de savate, + Les fait danser, danser aux sons d'un vieux Noël! + + Et les pantins choqués enlacent leurs bras grêles: + Comme des orgues noirs, les poitrines à jour + Que serraient autrefois les gentes damoiselles, + Se heurtent longuement dans un hideux amour. + + Hurrah! les gais danseurs, qui n'avez plus de panse! + On peut cabrioler, les tréteaux sont si longs! + Hop! qu'on ne sache plus si c'est bataille ou danse! + Belzebuth enragé râcle ses violons! + + Ô durs talons, jamais on n'use sa sandale! + Presque tous ont quitté la chemise de peau: + Le reste est peu gênant et se voit sans scandale. + Sur les crânes, la neige applique un blanc chapeau: + + Le corbeau fait panache à ces têtes fêlées, + Un morceau de chair tremble à leur maigre menton: + On dirait, tournoyant dans les sombres mêlées, + Des preux, raides, heurtant armures de carton. + + Hurrah! la bise siffle au grand bal des squelettes! + Le gibet noir mugit comme un orgue de fer! + Les loups vont répondant des forêts violettes: + À l'horizon, le ciel est d'un rouge d'enfer... + + Holà, secouez-moi ces capitans funèbres + Qui défilent, sournois, de leurs gros doigts cassés + Un chapelet d'amour sur leurs pâles vertèbres: + Ce n'est pas un monstier ici, les trépassés! + + Oh! voilà qu'au milieu de la danse macabre + Bondit dans le ciel rouge un grand squelette fou + Emporté par l'élan, comme un cheval se cabre: + Et, se sentant encor la corde raide au cou, + + Crispe ses petits doigts sur son fémur qui craque + Avec des cris pareils à des ricanements, + Et, comme un baladin rentre dans la baraque, + Rebondit dans le bal au chant des ossements. + + Au gibet noir, manchot aimable, + Dansent, dansent les paladins, + Les maigres paladins du diable, + Les squelettes de Saladins. + + + + +ROMAN + + +I + + On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans. + --Un beau soir, foin des bocks et de la limonade, + Ces cafés tapageurs aux lustres éclatants! + --On va sous les tilleuls verts de la promenade, + + Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin! + L'air est parfois si doux, qu'on ferme la paupière; + Le vent chargé de bruits,--la ville n'est pas loin,-- + A des parfums de vigne et des parfums de bière... + + +II + + --Voilà qu'on aperçoit un tout petit chiffon + D'azur sombre, encadré d'une petite branche, + Piqué d'une mauvaise étoile, qui se fond + Avec de doux frissons, petite et toute blanche... + + Nuit de juin! Dix-sept ans!--On se laisse griser. + La sève est du champagne et vous monte à la tête... + On divague; on se sent aux lèvres un baiser + Qui palpite là, comme une petite bête... + + +III + + Le coeur fou Robinsonne à travers les romans, + --Lorsque, dans la clarté d'un pâle réverbère, + Passe une demoiselle aux petits airs charmants, + Sous l'ombre du faux-col effrayant de son père... + + Et, comme elle vous trouve immensément naïf, + Tout en faisant trotter ses petites bottines, + Elle se tourne, alerte et d'un mouvement vif... + --Sur vos lèvres alors meurent les cavatines... + + +IV + + Vous êtes amoureux. Loué jusqu'au moi d'août. + Vous êtes amoureux.--Vos sonnets la font rire. + Tous vos amis s'en vont, vous êtes mauvais goût. + --Puis l'adorée, un soir, a daigné vous écrire...! + + --Ce soir-là, ...--vous rentrez aux cafés éclatants, + Vous demandez des bocks ou de la limonade... + --On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans + Et qu'on a des tilleuls verts sur la promenade. + +23 septembre 1870. + + + + +RAGES DE CÉSARS + + + L'Homme pâle, le long des pelouses fleuries, + Chemine, en habit noir, et le cigare aux dents: + L'Homme pâle repense aux fleurs des Tuileries + --Et parfois son oeil terne a des regards ardents...! + + Car l'Empereur est saoûl de ses vingt ans d'orgie! + Il s'était dit: «Je vais souffler la Liberté + Bien délicatement, ainsi qu'une bougie!» + La Liberté revit! Il se sent éreinté! + + Il est pris.--Oh! quel nom sur ses lèvres muettes + Tressaille? Quel regret incapable le mord? + On ne le saura pas. L'Empereur a l'oeil mort. + + Il repense peut-être au Compère en lunettes... + --Et regarde filer de son cigare en feu, + Comme aux soirs de Saint-Cloud, un fin nuage bleu + + + + +LE MAL + + + Tandis que les crachats rouges de la mitraille + Sifflent tout le jour par l'infini du ciel bleu; + Qu'écarlates ou verts, près du Roi qui les raille, + Croulent les bataillons en masse dans le feu; + + Tandis qu'une folie épouvantable, broie + Et fait de cent milliers d'hommes un tas fumant; + --Pauvres morts! dans l'été, dans l'herbe, dans ta joie, + Nature! ô toi qui fis ces hommes saintement!...-- + + --Il est un Dieu, qui rit aux nappes damassées + Des autels, à l'encens, aux grands calices d'or; + Qui dans le bercement des hosannah s'endort, + + Et se réveille, quand des mères, ramassées + Dans l'angoisse et pleurant sous leur vieux bonnet noir, + Lui donnent un gros sou lié dans leur mouchoir! + + + + +OPHÉLIE + + +I + + Sur l'onde calme et noire où dorment les étoiles, + La blanche Ophélia flotte comme un grand lys, + Flotte très lentement, couchée en ses longs voiles... + --On entend dans les bois de lointains hallalis... + + Voici plus de mille ans que la triste Ophélie + Passe, fantôme blanc, sur le long fleuve noir; + Voici plus de mille ans que sa douce folie + Murmure sa romance à la brise du soir. + + Le vent baise ses seins et déploie en corolle + Ses longs voiles bercés mollement par les eaux; + Les saules frissonnants pleurent sur son épaule, + Sur son grand front rêveur s'inclinent les roseaux. + + Les nénuphars froissés soupirent autour d'elle; + Elle éveille parfois, dans un aune qui dort, + Quelque nid, d'où s'échappe un petit frisson d'aile. + --Un chant mystérieux tombe des astres d'or. + + +II + + Ô pâle Ophélia! belle comme la neige, + Oui, tu mourus, enfant, par un fleuve emporté! + --C'est que les vents tombant des grands monts de Norwège + T'avaient parlé tout bas de l'âpre liberté! + + C'est qu'un souffle inconnu, fouettant ta chevelure, + À ton esprit rêveur portait d'étranges bruits; + Que ton coeur entendait la voix de la Nature + Dans les plaintes de l'arbre et les soupirs des nuits! + + C'est que la voix des mers, comme un immense râle, + Brisait ton sein d'enfant, trop humain et trop doux; + C'est qu'un matin d'avril, un beau cavalier pâle, + Un pauvre fou s'assit, muet, à tes genoux! + + Ciel! Amour! Liberté! Quel rêve, ô pauvre Follet + Tu te fondais à lui comme une neige au feu. + Tes grandes visions étranglaient ta parole: + --Un Infini terrible effara ton oeil bleu! + + +III + + --Et le Poète dit qu'aux rayons des étoiles + Tu viens chercher, la nuit, les fleurs que tu cueillis; + Et qu'il a vu sur l'eau, couchée en ses longs voiles, + La blanche Ophélia flotter, comme un grand lys. + + + + +LE CHÂTIMENT DE TARTUFE + + + Tisonnant, tisonnant son coeur amoureux sous + Sa chaste robe noire, heureux, la main gantée, + Un jour qu'il s'en allait, effroyablement doux, + Jaune, bavant la foi de sa bouche édentée, + + Un jour qu'il s'en allait, «Orémus»,--un Méchant + Le prit rudement par son oreille benoite + Et lui jeta des mots affreux, en arrachant + Sa chaste robe noire autour de sa peau moite! + + Châtiment!... Ses habits étaient déboutonnés, + Et le long chapelet des péchés pardonnés + S'égrenant dans son coeur, Saint Tartufe était pâle!... + + Donc, il se confessait, priait, avec un râle! + L'homme se contenta d'emporter ses rabats... + --Peuh! Tartufe était nu du haut jusques en bas! + + + + +À LA MUSIQUE + + + _Place de la Gare, à Charleville._ + + Sur la place taillée en mesquines pelouses, + Square où tout est correct, les arbres et les fleurs, + Tous les bourgeois poussifs qu'étranglent les chaleurs + Portent, les jeudis soirs, leurs bêtises jalouses. + + Un orchestre guerrier, au milieu du jardin, + Balance ses schakos dans la Valse des fifres: + On voit, aux premiers rangs, parader le gandin, + Les notaires montrent leurs breloques à chiffres: + + Des rentiers à lorgnons soulignent tous les couacs; + Les gros bureaux bouffis traînent leurs grosses dames, + Auprès desquelles vont, officieux cornacs, + Celles dont les volants ont des airs de réclames; + + Sur les bancs verts, des clubs d'épiciers retraités + Qui tisonnent le sable avec leur canne à pomme, + Fort sérieusement discutent des traités, + Puis prisent en argent, mieux que monsieur Prud'homme! + + Étalant sur un banc les rondeurs de ses reins, + Un bourgeois bienheureux, à bedaine flamande, + Savoure, s'abîmant en des rêves divins, + La musique française et la pipe allemande! + + Au bord des gazons frais ricanent les voyous; + Et, rendus amoureux par le chant des trombones, + Très naïfs, et fumant des roses, des pioupious + Caressent les bébés pour enjôler les bonnes... + + --Moi, je suis, débraillé comme un étudiant, + Sous les marronniers verts les alertes fillettes: + Elles le savent bien, et tournent en riant, + Vers moi, leurs yeux tout pleins de choses indiscrètes. + + Je ne dis pas un mot: je regarde toujours + La chair de leurs cous blancs brodés de mèches folles; + Je suis, sous leur corsage et les frêles atours, + Le dos divin après la courbe des épaules... + + Je cherche la bottine... et je vais jusqu'aux bas; + Je reconstruis le corps, brûlé de belles fièvres. + Elles me trouvent drôle et se parlent tout bas... + --Et je sens les baisers qui me viennent aux lèvres... + + + + +LE FORGERON + + _Palais des Tuileries, vers le 10 août 92._ + + Le bras sur un marteau gigantesque, effrayant + D'ivresse et de grandeur, le front vaste, riant + Comme un clairon d'airain, avec toute sa bouche, + Et prenant ce gros-là dans son regard farouche, + Le Forgeron parlait à Louis Seize, un jour + Que le Peuple était là, se tordant tout autour, + Et sur les lambris d'or traînant sa veste sale. + Or le bon roi, debout sur son ventre, était pâle, + Pâle comme un vaincu qu'on prend pour le gibet, + Et, soumis comme un chien, jamais ne regimbait, + Car ce maraud de forge aux énormes épaules + Lui disait de vieux mots et des choses si drôles, + Que cela l'empoignait au front, comme cela! + «Or, tu sais bien, Monsieur, nous chantions tra la la + Et nous piquions les boeufs vers les sillons des autres: + Le Chanoine au soleil filait des patenôtres + Sur des chapelets clairs grenés de pièces d'or. + Le Seigneur, à cheval, passait, sonnant du cor + Et l'un avec la hart, l'autre avec la cravache + Nous fouillaient.--Hébétés comme des yeux de vache, + Nos yeux ne pleuraient plus; nous allions, nous allions + Et quand nous avions mis le pays en sillons, + Quand nous avions laissée dans cette terre noire + Un peu de notre chair... nous avions un pourboire: + On nous faisait flamber nos taudis dans la nuit, + Nos petits y faisaient un gâteau fort bien cuit. + + ... «Oh! je ne me plains pas. Je te dis mes bêtises, + C'est entre nous. J'admets que tu me contredises, + Or, n'est-ce pas joyeux de voir, au mois de juin + Dans les granges entrer des voitures de foin + Énormes? De sentir l'odeur de ce qui pousse, + Des vergers quand il pleut un peu, de l'herbe rousse? + De voir des blés, des blés, des épis pleins de grain, + De penser que cela prépare bien du pain... + Oh! plus fort, on irait, au fourneau qu'il s'allume, + Chanter joyeusement en martelant l'enclume, + Si l'on était certain de pouvoir prendre un peu, + Étant homme, à la fin! de ce que donne Dieu! + «Mais voilà, c'est toujours la même vieille histoire!... + Mais je sais, maintenant! Moi je ne peux plus croire, + Quand j'ai deux bonnes mains, mon front et mon marteau + Qu'un homme vienne là, dague sur le manteau, + Et me dise: Mon gars, ensemence ma terre; + Que l'on arrive encor, quand ce serait la guerre, + De prendre mon garçon comme cela, chez moi! + --Moi, je serais un homme, et toi, tu serais roi, + Tu me dirais: Je veux!...--Tu vois bien, c'est stupide. + Tu crois que j'aime voir ta baraque splendide, + Tes officiers dorés, tes mille chenapans, + Tes palsembleu bâtards tournant comme des paons: + Ils ont rempli ton nid de l'odeur de nos filles + Et de petits billets pour nous mettre aux Bastilles + Et nous dirons: C'est bien; les pauvres à genoux! + Nous dorerons ton Louvre en donnant nos gros sous! + Et tu te soûleras, tu feras belle fête. + --Et ces Messieurs riront, les reins sur notre tête! + «Non. Ces saletés-là datent de nos papas! + Oh! Le Peuple n'est plus une putain. Trois pas + Et, tous, nous avons mis ta Bastille en poussière. + Cette bête suait du sang à chaque pierre + Et c'était dégoûtant, la Bastille debout + Avec ses murs lépreux qui nous racontaient tout + Et, toujours, nous tenaient enfermés dans leur ombre! + --Citoyen! citoyen! c'était le passé sombre + Qui croulait, qui râlait, quand nous prîmes la tour + Nous avions quelque chose au coeur comme l'amour. + Nous avions embrassé nos fils sur nos poitrines. + Et, comme des chevaux, en soufflant des narines + Nous allions, fiers et forts, et ça nous battait là... + Nous marchions au soleil, front haut; comme cela, + Dans Paris! On venait devant nos vestes sales. + Enfin! Nous nous sentions Hommes! Nous étions pâles + Sire, nous étions soûls de terribles espoirs: + Et quand nous fûmes là, devant les donjons noirs, + Agitant nos clairons et nos feuilles de chêne, + Les piques à la main; nous n'eûmes pas de haine, + --Nous nous sentions si forts, nous voulions être doux! + . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . + . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . + + «Et depuis ce jour-là, nous sommes comme fous! + Le tas des ouvriers a monté dans la rue, + Et ces maudits s'en vont, foule toujours accrue + De sombres revenants, aux portes des richards. + Moi, je cours avec eux assommer les mouchards: + Et je vais dans Paris, noir, marteau sur l'épaule, + Farouche, à chaque coin balayant quelque drôle, + Et, si tu me riais au nez, je te tuerais! + --Puis, tu peux y compter, tu te feras des frais + Avec tes hommes noirs, qui prennent nos requêtes + Pour se les renvoyer comme sur des raquettes + Et, tout bas, les malins se disent; «Qu'ils sont sots!» + Pour mitonner des lois, coller de petits pots + Pleins de jolis décrets roses et de droguailles, + S'amuser à couper proprement quelques tailles, + Puis se boucher le nez quand nous marchons près d'eux + --Nos doux représentants qui nous trouvent crasseux! + Pour ne rien redouter, rien, que les baïonnettes..., + C'est très bien. Foin de leur tabatière à sornettes! + Nous en avons assez, là, de ces cerveaux plats + Et de ces ventres-dieux. Ah! ce sont là les plats + Que tu nous sers bourgeois, quand nous sommes féroces + Quand nous brisons déjà les sceptres et les crosses!... + . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . + + Il le prend par le bras, arrache le velours + Des rideaux, et lui montre en bas les larges cours + Où fourmille, où fourmille, où se lève la foule, + La foule épouvantable avec des bruits de houle + Hurlant comme une chienne, hurlant comme une mer, + Avec ses bâtons forts et ses piques de fer, + Ses tambours, ses grands cris de halles et de bouges, + Tas sombre de haillons saignants de bonnets rouges; + L'Homme, par la fenêtre ouverte, montre tout + Au roi pâle, et suant qui chancelle debout, + Malade à regarder cela! + + «C'est la crapule, + Sire. Ça bave aux murs, ça monte, ça pullule: + --Puisqu'ils ne mangent pas, Sire, ce sont des gueux! + Je suis un forgeron: ma femme est avec eux, + Folle! Elle croit trouver du pain aux Tuileries! + --On ne veut pas de nous dans les boulangeries. + J'ai trois petits. Je suis crapule.--Je connais + Des vieilles qui s'en vont pleurant sous leurs bonnets + Parce qu'on leur a pris leur garçon ou leur fille: + C'est la crapule.--Un homme était à la Bastille, + Un autre était forçat: et, tous deux, citoyens + Honnêtes. Libérés, ils sont comme des chiens: + On les insulte! Alors, ils ont là quelque chose + Qui leur fait mal, allez! C'est terrible, et c'est cause + Que, se sentant brisés, que, se sentant damnés, + Ils sont là, maintenant, hurlant sous votre nez! + Crapule.--Là dedans sont des filles, infâmes + Parce que,--vous saviez que c'est faible, les femmes, + Messeigneurs de la cour,--que ça veut toujours bien, + Vous avez craché sur l'âme, comme rien! + Vos belles, aujourd'hui, sont là. C'est la crapule. + . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . + + «Oh! tous les malheureux, tous ceux dont le dos brûle + Sous le soleil féroce, et qui vont, et qui vont, + Qui dans ce travail-là sentent crever leur front. + Chapeau bas, mes bourgeois! Oh! ceux-là sont les Hommes! + Nous sommes Ouvriers, Sire! Ouvriers! Nous sommes + Pour les grands temps nouveaux où l'on voudra savoir, + Où l'Homme forgera du matin jusqu'au soir, + Chasseur des grands effets, chasseur des grandes causes + Ou, lentement vainqueur, il domptera les choses + Et montera sur Tout, comme sur un cheval! + Oh! splendides lueurs des forges! Plus de mal, + Plus!--Ce qu'on ne sait pas, c'est peut-être terrible: + Nous saurons!--Nos marteaux en main; passons au crible + Tout ce que nous savons: puis, Frères, en avant! + Nous faisons quelquefois ce grand rêve émouvant + De vivre simplement, ardemment, sans rien dire + De mauvais, travaillant sous l'auguste sourire + D'une femme qu'on aime avec un noble amour: + Et l'on travaillerait fièrement tout le jour, + Écoutant le devoir comme un clairon qui sonne: + Et l'on se sentirait très heureux: et personne + Oh! personne, surtout, ne vous ferait ployer! + On aurait un fusil au-dessus du foyer... + . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . + + Oh! mais l'air est tout plein d'une odeur de bataille! + Que te disais-je donc? Je suis de la canaille! + Il reste des mouchards et des accapareurs. + Nous sommes libres, nous! Nous avons des terreurs + Où nous nous sentons grands, oh! si grands! Tout à l'heure + Je parlais de devoir calme, d'une demeure... + Regarde donc le ciel!--C'est trop petit pour nous, + Nous crèverions de chaud, nous serions à genoux! + Regarde donc le ciel!--Je rentre dans la foule + Dans la grande canaille effroyable qui roule, + Sire, tes vieux canons sur les sales pavés; + --Oh! quand nous serons morts, nous les aurons lavés. + --Et si, devant nos cris, devant notre vengeance, + Les pattes des vieux rois mordorés, sur la France + Poussaient leurs régiments en habits de gala, + Eh bien, n'est-ce pas, vous tous? Merde à ces chiens-là + . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . + + --Il reprit son marteau sur l'épaule. + + La foule + Près de cet homme-là se sentait l'âme soûle, + Et, dans la grande cour, dans les appartements, + Où Paris haletait avec des hurlements, + Un frisson secoua l'immense populace. + Alors, de sa main large et superbe de crasse + Bien que le roi ventru suât, le Forgeron, + Terrible, lui jeta le bonnet rouge au front! + + + + +SOLEIL ET CHAIR + + + Le Soleil, le foyer de tendresse et de vie, + Verse l'amour brûlant à la terre ravie, + Et, quand on est couché sur la vallée, on sent + Que la terre est nubile et déborde de sang; + Que son immense sein, soulevé par une âme, + Est d'amour comme dieu, de chair comme la femme, + Et qu'il renferme, gros de sève et de rayons, + Le grand fourmillement de tous les embryons! + + Et tout croît, et tout monte! + Ô Vénus, ô Déesse! + Je regrette les temps de l'antique jeunesse, + Des satyres lascifs, des faunes animaux, + Dieux qui mordaient d'amour l'écorce des rameaux + Et dans les nénufars baisaient la Nymphe blonde! + Je regrette les temps où la sève du monde, + L'eau du fleuve, le sang rose des arbres verts + Dans les veines de Pan mettaient un univers! + Où le sol palpitait, vert, sous ses pieds de chèvre; + Où, baisant mollement le clair syrinx, sa lèvre + Modulait sous le ciel le grand hymne d'amour; + Où, debout sur la plaine, il entendait autour + Répondre à son appel la Nature vivante; + Où, les arbres muets, berçant l'oiseau qui chante, + La terre berçant l'homme, et tout l'Océan bleu + Et tous les animaux, aimaient, aimaient en Dieu! + Je regrette les temps de la grande Cybèle + Qu'on disait parcourir, gigantesquement belle, + Sur un grand char d'airain, les splendides cités; + Son double sein versait dans les immensités + Le pur ruissellement de la vie infinie. + L'Homme suçait, heureux, sa mamelle bénie, + Comme un petit enfant, jouant sur ses genoux. + --Parce qu'il était fort, l'Homme était chaste et doux. + + Misère! Maintenant il dit: Je sais les choses, + Et va, les yeux fermés et les oreilles closes; + --Et pourtant, plus de dieux! plus de dieux! l'Homme est Roi! + L'Homme est Dieu! Mais l'Amour, voilà la grande Foi! + Oh! si l'homme puisait encore à ta mamelle, + Grande mère des dieux et des hommes, Cybèle; + S'il n'avait pas laissé l'immortelle Astarté + Qui jadis, émergeant dans l'immense clarté + Des flots bleus, fleur de chair que la vague parfume, + Montra son nombril rose où vint neiger l'écume, + Et fit chanter, Déesse aux grands yeux noirs vainqueurs, + Le rossignol aux bois et l'amour dans les coeurs! + + +II + + Je crois en toi! Je crois en toi! Divine mère, + Aphrodite marine!--Oh! la route est amère + Depuis que l'autre Dieu nous attelle à sa croix; + Chair, Marbre, Fleur, Vénus, c'est en toi que je crois! + --Oui l'Homme est triste et laid, triste sous le ciel vaste, + Il a des vêtements, parce qu'il n'est plus chaste, + Parce qu'il a sali son fier buste de Dieu, + Et qu'il a rabougri, comme une idole au feu, + Son corps olympien aux servitudes sales! + Oui, même après la mort, dans les squelettes pâles + Il veut vivre, insultant la première beauté! + --Et l'Idole où tu mis tant de virginité, + Où tu divinisas notre argile, la Femme, + Afin que l'homme pût éclairer sa pauvre âme + Et monter lentement, dans un immense amour, + De la prison terrestre à la beauté du jour, + La femme ne sait plus même être courtisane! + --C'est une bonne farce! et le monde ricane + Au nom doux et sacré de la grande Vénus! + + +III + + Si les temps revenaient, les temps qui sont venus! + --Car l'Homme a fini! l'Homme a joué tous les rôles! + Au grand jour, fatigué de briser des idoles + Il ressuscitera, libre de tous ses Dieux, + Et, comme il est du ciel, il scrutera les cieux! + L'Idéal, la pensée invincible, éternelle, + Tout le dieu qui vit, sous son argile charnelle, + Montera, montera, brûlera sous son front! + Et quand tu le verras sonder tout l'horizon, + Contempteur des vieux jougs, libre de toute crainte, + Tu viendras lui donner la Rédemption sainte! + --Splendide, radieuse, au sein des grandes mers + Tu surgiras, jetant sur le vaste Univers + L'Amour infini dans un infini sourire! + Le Monde vibrera comme une immense lyre + Dans le frémissement d'un immense baiser: + + --Le Monde a soif d'amour: tu viendras l'apaiser. + . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . + + +IV + + Ô splendeur de la chair! ô splendeur idéale! + Ô renouveau d'amour, aurore triomphale + Où, courbant à leurs pieds les Dieux et les Héros + Kallipige la blanche et le petit Éros + Effleureront, couverts de la neige des roses, + Les femmes et les fleurs sous leurs beaux pieds écloses! + Ô grande Ariadné, qui jettes tes sanglots + Sur la rive, en voyant fuir là-bas sur les flots, + Blanche sous le soleil, la voile de Thésée, + Ô douce vierge enfant qu'une nuit a brisée, + Tais-toi! Sur son char d'or brodé de noirs raisins, + Lysios, promené dans les champs Phrygiens + Par les tigres lascifs et les panthères rousses, + Le long des fleuves bleus rougit les sombres mousses. + Zeus, Taureau, sur son cou berce comme un enfant + Le corps nu d'Europé, qui jette son bras blanc + Au cou nerveux du Dieu frissonnant dans la vague, + Il tourne lentement vers elle son oeil vague; + Elle, laisse traîner sa pâle joue en fleur + Au front de Zeus; ses yeux sont fermés; elle meurt + Dans un divin baiser, et le flot qui murmure + De son écume d'or fleurit sa chevelure. + --Entre le laurier-rose et le lotus jaseur + Glisse amoureusement le grand Cygne rêveur + Embrassant la Léda des blancheurs de son aile; + --Et tandis que Cypris passe, étrangement belle, + Et, cambrant les rondeurs splendides de ses reins, + Étale fièrement l'or de ses larges seins + Et son ventre neigeux brodé de mousse noire, + --Héraclès, le Dompteur, qui, comme d'une gloire + Fort, ceint son vaste corps de la peau du lion, + S'avance, front terrible et doux, à l'horizon! + + Par la lune d'été vaguement éclairée, + Debout, nue, et rêvant dans sa pâleur dorée + Que tache le flot lourd de ses longs cheveux bleus, + Dans la clairière sombre où la mousse s'étoile, + La Dryade regarde au ciel silencieux... + --La blanche Séléné laisse flotter son voile, + Craintive, sur les pieds du bel Endymion, + Et lui jette un baiser dans un pâle rayon... + --La Source pleure au loin dans une longue extase... + C'est la Nymphe qui rêve, un coude sur son vase, + Au beau jeune homme blanc que son onde a pressé. + --Une brise d'amour dans la nuit a passé, + Et, dans les bois sacrés, dans l'horreur des grands arbres, + Majestueusement debout, les sombres Marbres, + Les Dieux, au front desquels le Bouvreuil fait son nid, + --Les Dieux écoutent l'Homme et le Monde infini! + +7 mai 1870. + + + + +LE DORMEUR DU VAL + + + C'est un trou de verdure où chante une rivière + Accrochant follement aux herbes des haillons + D'argent; où le soleil, de la montagne fière, + Luit: c'est un petit aval qui mousse de rayons. + + Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue, + Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu, + Dort; il est étendu dans l'herbe, sous la nue, + Pâle dans son lit vert où la lumière pleut. + + Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme + Sourirait un enfant malade, il fait un somme: + Nature, berce-le chaudement: il a froid. + + Les parfums ne font pas frissonner sa narine; + Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine + Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit. + +7 octobre 1870. + + + + +AU CABARET-VERT + + + _Cinq heures du soir._ + + Depuis huit jours, j'avais déchiré mes bottines + Aux cailloux des chemins. J'entrais à Charleroi, + --_Au Cabaret-Vert_: je demandai des tartines + De beurre et du jambon qui fût à moitié froid. + + Bienheureux, j'allongeai les jambes sous la table + Verte: je contemplai les sujets très naïfs + De la tapisserie.--Et ce fut adorable, + Quand la fille aux tétons énormes, aux yeux vifs, + + --Celle-là, ce n'est pas un baiser qui l'épeure!-- + Rieuse, m'apporta des tartines de beurre, + Du jambon tiède, dans un plat colorié, + + Du jambon rose et blanc parfumé d'une gousse + D'ail,--et m'emplit la chope immense, avec sa mousse + Que dorait un rayon de soleil arriéré. + +Octobre 1870. + + + + +LA MALINE + + + Dans la salle à manger brune, que parfumait + Une odeur de vernis et de fruits, à mon aise + Je ramassais un plat de je ne sais quel met + Belge, et je m'épatais dans mon immense chaise. + + En mangeant, j'écoutais l'horloge,--heureux et coi. + La cuisine s'ouvrit avec une bouffée + --Et la servante vint, je ne sais pas pourquoi, + Fichu moitié défait, malinement coiffée. + + Et tout en promenant son petit doigt tremblant + Sur sa joue, un velours de pêche rose et blanc, + En faisant, de sa lèvre enfantine, une moue, + + Elle arrangeait les plats, près de moi, pour m'aiser; + --Puis, comme ça,--bien sûr pour avoir un baiser,-- + Tout bas: «Sens donc: j'ai pris une froid sur la joue...» + +Charleroi, octobre 1870. + + + + +L'ÉCLATANTE VICTOIRE + +DE SARREBRUCK + +REMPORTÉE AUX CRIS DE VIVE L'EMPEREUR! + +(Gravure belge brillamment coloriée, se vend à Charleroi, 35 centimes.) + + + Au milieu, l'Empereur, dans une apothéose + Bleue et jaune, s'en va, raide, sur son dada + Flamboyant; très heureux,--car il voit tout en rose, + Féroce comme Zeus et doux comme un papa; + + En bas, les bons Pioupious qui faisaient la sieste + Près des tambours dorés et des rouges canons, + Se lèvent gentiment. Pitou remet sa veste, + Et, tourné vers le Chef, s'étourdit de grands noms + + À droite, Dumanet, appuyé sur la crosse + De son chassepot, sent frémir sa nuque en brosse, + Et: «Vive l'Empereur!!»--Son voisin reste coi... + + Un schako surgit, comme un soleil noir...--Au centre + Boquillon, rouge et bleu, très naïf, sur son ventre + Se dresse, et,--présentant ses derrières: «De quoi?...» + +Octobre 1870. + + + + +RÊVÉ POUR L'HIVER + + + _À Elle._ + + L'hiver, nous irons dans un petit wagon rose + Avec des coussins bleus. + Nous serons bien. Un nid de baisers fous repose + Dans chaque coin moelleux. + + Tu fermeras l'oeil, pour ne point voir, par la glace, + Grimacer les ombres des soirs, + Ces monstruosités hargneuses, populace + De démons noirs et de loups noirs. + + Puis tu te sentiras la joue égratignée... + Un petit baiser, comme une folle araignée, + Te courra par le cou... + + Et tu me diras: «Cherche!» en inclinant la tête; + --Et nous prendons du temps à trouver cette bête! + --Qui voyage beaucoup... + +En wagon, le 7 octobre 1870. + + + + +LE BUFFET + + + C'est un large buffet sculpté; le chêne sombre, + Très vieux, a pris cet air si bon des vieilles gens; + Le buffet est ouvert, et verse dans son ombre + Comme un flot de vin vieux, des parfums engageants; + + Tout plein, c'est un fouillis de vieilles vieilleries, + De linges odorants et jaunes, de chiffons + De femmes ou d'enfants, de dentelles flétries, + De fichus de grand'mère où sont peints des griffons; + + --C'est là qu'on trouverait les médaillons, les mèches + De cheveux blancs ou blonds, les portraits, les fleurs sèches + Dont le parfum se mêle à des parfums de fruits. + + --Ô buffet du vieux temps, tu sais bien des histoires, + Et tu voudrais conter tes contes, et tu bruis + Quand s'ouvrent lentement tes grands portes noires. + +Octobre 1870. + + + + +MA BOHÈME + +(_Fantaisie_) + + + Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées; + Mon paletot aussi devenait idéal; + J'allais sous le ciel, Muse! et j'étais ton féal; + Oh! là là! que d'amours splendides j'ai rêvées! + + Mon unique culotte avait un large trou. + --Petit Poucet rêveur, j'égrenais dans ma course + Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse; + --Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou. + + Et je les écoutais, assis au bord des routes, + Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes + De rosée à mon front, comme un vin de vigueur; + + Où, rimant au milieu des ombres fantastiques, + Comme des lyres, je tirais les élastiques + De mes souliers blessés, un pied près de mon coeur! + +Octobre 1870. + + + + +ENTENDS COMME BRAME + + + Entends, comme brame + près des acacias + en avril la rame + viride du pois! + + Dans sa vapeur nette, + Vers Phoebé! tu vois + s'agiter la tête + de saints d'autrefois... + + Loin des claires meules + des caps, des beaux toits, + ces chers Anciens veulent + ce philtre sournois... + + Or ni feriale + ni astrale! n'est + la brume qu'exhale + ce nocturne effet. + + Néanmoins ils restent, + --Sicile, Allemagne, + dans ce brouillard triste + et blêmi, justement! + + + + +CHANT DE GUERRE PARISIEN + + + Le printemps est évident, car + Du coeur des Propriétés vertes + Le vol de Thiers et de Picard + Tient ses splendeurs grandes ouvertes. + + Ô mai! Quels délirants cul-nus! + Sèvres, Meudon, Bagneux, Asnières, + Écoutez donc les bienvenus + Semer les choses printanières! + + Ils ont schako, sabre et tamtam + Non la vieille boîte à bougies + Et des yoles qui n'ont jam... jam... + Fendent le lac aux eaux rougies!... + + Plus que jamais nous bambochons + Quand arrivent sur nos tanières[1] + Crouler les jaunes cabochons + Dans des aubes particulières. + + Thiers et Picard sont des Éros + Des enleveurs d'héliotropes + Au pétrole ils font des Corots. + Voici hannetonner leurs tropes... + + Ils sont familiers du grand turc!... + Et couché dans les glaïeuls, Favre, + Fait son cillement aqueduc + Et ses reniflements à poivre! + + La Grand-Ville a le pavé chaud + Malgré vos douches de pétrole + Et décidément il nous faut + Nous secouer dans votre rôle... + + Et les ruraux qui se prélassent + Dans de longs accroupissements + Entendront des rameaux qui cassent + Parmi les rouges froissements. + + [1] Quand viennent sur nos fourmilières (_var. de l'auteur_). + + + + +MES PETITES AMOUREUSES + + + Un hydrolat lacrymal lave + Les cieux vert-chou: + Sous l'arbre tendronnier qui bave + Vos caoutchoucs. + + Blancs de lunes particulières + Aux pialats ronds, + Entrechoquez vos genouillères + Mes laiderons! + + Nous nous aimions à cette époque, + Bleu laideron: + On mangeait des oeufs à la coque + Et du mouron! + + Un soir tu me sacras poète, + Blond laideron. + Descends ici que je te fouette + En mon giron; + + J'ai dégueulé ta bandoline + Noir laideron; + Tu couperais ma mandoline + Au fil du front. + + Pouah! nos salives desséchées + Roux laideron + Infectent encor les tranchées + De ton sein rond! + + Ô mes petites amoureuses + Que je vous hais! + Plaquez de fouffes douloureuses, + Vos tétons laids! + + Piétinez mes vieilles terrines + De sentiment; + Hop donc soyez-moi ballerines + Pour un moment!... + + Vos omoplates se déboîtent + Ô mes amours! + Une étoile à vos reins qui boîtent + Tournez vos tours. + + Est-ce pourtant pour ces éclanches + Que j'ai rimé! + Je voudrais vous casser les hanches + D'avoir aimé! + + Fade amas d'étoiles ratées + Comblez les coins + --Vous creverez en Dieu, bâtées + D'ignobles soins! + + Sous les lunes particulières + Aux pialats ronds + Entrechoquez vos genouillières, + Mes laiderons! + + + + +LES POÈTES DE SEPT ANS + + + _A M. P. Demeny._ + + Et la Mère, fermant le livre du devoir, + S'en allait satisfaite et très fière sans voir, + Dans les yeux bleus et sous le front plein d'éminence, + L'âme de son enfant livrée aux répugnances. + + Tout le jour il suait d'obéissance; très + Intelligent; pourtant des tics noirs, quelques traits, + Semblaient prouver en lui d'âcres hypocrisies. + Dans l'ombre des couloirs aux tentures moisies, + En passant il tirait la langue, les deux poings + À l'aine, et dans ses yeux fermés voyait des points. + Une porte s'ouvrait sur le soir; à la lampe + On le voyait, là-haut qui râlait sur la rampe, + Sous un golfe de jour pendant du toit. L'été + Surtout, vaincu, stupide, il était entêté + À se renfermer dans la fraîcheur des latrines: + Il pensait là, tranquille et livrant ses narines. + Quand, lavé des odeurs du jour, le jardinet + Derrière la maison, en hiver s'illunait, + Gisant au pied d'un mur, enterré dans la marne + Et pour des visions écrasant son oeil darne, + Il écoutait grouiller les galeux espaliers. + Pitié! Ces enfants seuls étaient ses familiers + Qui, chétifs, fronts nus, oeil déteignant sur la joue, + Cachant de maigres doigts jaunes et noirs de boue, + Sous des habits puant la foire et tout vieillots, + Conversaient avec la douceur des idiots! + Et si, l'ayant surpris à des pitiés immondes, + Sa mère s'effrayait; les tendresses profondes + De l'enfant se jetaient sur cet étonnement. + C'était bon. Elle avait le bleu regard,--qui ment! + + À sept ans, il faisait des romans sur la vie + Du grand désert, où luit la Liberté ravie, + Forêts, soleils, rives, savanes!--Il s'aidait + De journaux illustrés où, rouge, il regardait + Des Espagnoles rire et des Italiennes. + Quand venait, l'oeil brun, folle, en robes d'indiennes, + --Huit ans,--la fille des ouvriers d'à côté, + La petite brutale, et qu'elle avait sauté, + Dans un coin, sur son dos, en secouant ses tresses, + Et qu'il était sous elle, il lui mordait les fesses, + Car elle ne portait jamais de pantalons; + --Et, par elle meurtri des poings et des talons + Remportait les saveurs de sa peau dans sa chambre. + + Il craignait les blafards dimanches de décembre, + Où, pommadé, sur un guéridon d'acajou, + Il lisait une Bible à la tranche vert-chou; + Des rêves l'oppressaient chaque nuit dans l'alcôve. + Il n'aimait pas Dieu; mais les hommes, qu'au soir fauve, + Noirs, en blouse, il voyait rentrer dans le faubourg + Où les crieurs, en trois roulements de tambour + Font autour des édits rire et gronder les foules. + --Il rêvait la prairie amoureuse, où des houles + Lumineuses, parfums sains, pubescences d'or, + Font leur remuement calme et prennent leur essor! + + Et comme il savourait surtout les sombres choses, + Quand, dans la chambre nue aux persiennes closes, + Haute et bleue, âcrement prise d'humidité, + Il lisait son roman sans cesse médité, + Plein de lourds ciels ocreux et de forêts noyées, + De fleurs de chair aux bois sidérals déployées, + Vertige, écroulements, déroutes et pitié! + --Tandis que se faisait la rumeur du quartier, + En bas,--seul, et couché sur des pièces de toile + Écrue, et pressentant violemment le voile! + +26 mai 1871. + +[Note (Project Gutenberg). + +On nous a fait savoir que le terme "le voile" dans la dernière ligne du +poème «LES POÈTES DE SEPT ANS», doit être corrigée en "la voile". + +D'après nos recherches, le poème écrit en 1871 se terminait en effet sur +les mots "la voile". + +La présente édition de 1895 a été corrigée de la main de Verlaine, sur +des épreuves fournies par l'imprimerie Ch. Herissey à Évreux. Il nous +est difficile de savoir pourquoi Verlaine a corrigé «la voile» en «le +voile», ou s'agit-il d'un moment d'inattention? + +Ce qui est certain, notre édition marque bien «le voile».] + + + + +LE COEUR VOLÉ + + + Mon pauvre coeur bave à la poupe, + Mon coeur est plein de caporal; + Ils lui lancent des jets de soupe, + Mon triste coeur bave à la poupe. + Sous les quolibets de la troupe + Qui pousse un rire général, + Mon triste coeur brave à la poupe + Mon coeur est plein de caporal! + + Ithyphalliques et pioupiesques, + Leurs insultes l'ont dépravé. + À la vesprée, ils font des fresques + Ithyphalliques et pioupiesques, + Ô flots abracadabrantesques + Prenez mon coeur, qu'il soit sauvé! + Ithyphalliques et pioupiesques + Leurs insultes l'ont dépravé! + + Quand ils auront tari leurs chiques, + Comment agir, ô coeur volé? + Ce seront des refrains bachiques + Quand ils auront tari leurs chiques. + J'aurai des sursauts stomachiques + Si mon coeur triste est ravalé: + Quand ils auront tari leurs chiques, + Comment agir, ô coeur volé? + + + + +TÊTE DE FAUNE + + + Dans la feuillée, écrin vert taché d'or, + Dans la feuillée incertaine et fleurie, + D'énormes fleurs où l'âcre baiser dort + Vif et devant l'exquise broderie, + + Le Faune affolé montre ses grands yeux + Et mord la fleur rouge avec ses dents blanches + Brunie et sanglante ainsi qu'un vin vieux, + Sa lèvre éclate en rires par les branches; + + Et quand il a fui, tel un écureuil, + Son rire perle encore à chaque feuille + Et l'on croit épeuré par un bouvreuil + Le baiser d'or du bois qui se recueille. + + + + +POISON PERDU + + + Des nuits du blond et de la brune + Pas un souvenir n'est resté; + Pas une dentelle d'été, + Pas une cravate commune. + + Et sur le balcon, où le thé + Se prend aux heures de la lune, + Il n'est resté de trace aucune, + Aucun souvenir n'est resté, + + Au bord d'un rideau bleu piquée, + Luit une épingle à tête d'or + Comme un gros insecte qui dort, + + Pointe d'un fin poison trempée, + Je te prends, sois-moi préparée + Aux heures des désirs de mort. + + + + +LES CORBEAUX + + + Seigneur, quand froide est la prairie, + Quand dans les hameaux abattus, + Les longs angelus se sont tus + Sur la nature défleurie, + Faites s'abattre des grands cieux + Les chers corbeaux délicieux. + + Armée étrange aux cris sévères, + Les vents froids attaquent vos nids! + Vous, le long des fleuves jaunis, + Sur les routes aux vieux calvaires, + Sur les fossés et sur les trous, + Dispersez-vous, ralliez-vous! + + Par milliers, sur les champs de France, + Où dorment les morts d'avant-hier, + Tournoyez, n'est-ce pas, l'hiver, + Pour que chaque passant repense! + Sois donc le crieur du devoir, + Ô notre funèbre oiseau noir! + + Mais, saints du ciel, en haut du chêne, + Mât perdu dans le soir charmé, + Laissez les fauvettes de mai + Pour ceux qu'au fond du bois enchaîne, + Dans l'herbe d'où l'on ne peut fuir, + La défaite sans avenir. + +1872. + + + + +PATIENCE + + + _D'un été._ + + Aux branches claires des tilleurs + Meurt un maladif hallali. + Mais des chansons spirituelles + Voltigent partout les groseilles. + Que notre sang rie en nos veines, + Voici s'enchevêtrer les vignes. + Le ciel est joli comme un ange, + Azur et Onde communient. + Je sors! Si un rayon me blesse, + Je succomberai sur la mousse. + + Qu'on patiente et qu'on s'ennuie, + C'est si simple!... Fi de ces peines! + Je veux que l'été dramatique + Me lie à son char de fortune. + Que par toi beaucoup, ô Nature, + --Ah! moins nul et moins seul! je meure, + Au lieu que les bergers, c'est drôle, + Meurent à peu près par le monde. + + Je veux bien que les saisons m'usent. + À toi, Nature! je me rends, + Et ma faim et toute ma soif; + Et s'il te plaît, nourris, abreuve. + Rien de rien ne m'illusionne; + C'est rire aux parents qu'au soleil; + Mais moi je ne veux rire à rien, + Et libre soit cette infortune. + + + + +JEUNE MÉNAGE + + + La chambre est ouverte au ciel bleu turquin; + Pas de place: des coffrets et des huches! + Dehors le mur est plein d'aristoloches + Où vibrent les gencives des lutins. + + Que ce sont bien intrigues de génies + Cette dépense et ces désordres vains! + C'est la fée africaine qui fournit + La mûre, et les résilles dans les coins. + + Plusieurs entrent, marraines mécontentes, + En pans de lumière dans les buffets, + Puis y restent! le ménage s'absente + Peu sérieusement, et rien ne se fait. + + Le marié a le vent qui le floue + Pendant son absence, ici, tout le temps. + Même des esprits des eaux malfaisants + Entrent vaguer aux sphères de l'alcôve. + + La nuit, l'amie oh, la lune de miel + Cueillera leur sourire et remplira + De mille bandeaux de cuivre le ciel. + Puis ils auront affaire au malin rat. + + --S'il n'arrive pas un feu follet blême, + Comme un coup de fusil, après des vêpres. + --Ô spectres saints et blancs de Bethléem, + Charmez plutôt le bleu de leur fenêtre! + +27 juin 1872. + + + + +MÉMOIRE + + +I + + L'eau claire; comme le sel des larmes d'enfance; + L'assaut au soleil des blancheurs des corps de femmes; + La soie, en foule et de lys pur des oriflammes + Sous les murs dont quelque pucelle eut la défense; + + L'ébat des anges;--non... le courant d'or en marche, + Meut ses bras, noirs, et lourds, et frais surtout, d'herbe. Elle, + Sombre, ayant le ciel bleu pour ciel de lit, appelle + Pour rideaux l'ombre de la colline et de l'arche. + + +II + + Eh! l'humide carreau tend ses bouillons limpides! + L'eau meuble d'or pâle et sans fond les couches prêtes. + Les robes vertes et déteintes des fillettes + Font les saules, d'où sautent les oiseaux sans brides. + + Plus pure qu'un louis, jaune et chaude paupière + Le souci d'eau--ta foi conjugale, ô l'Épouse!-- + Au midi prompt, de son terne miroir, jalouse + Au ciel gris de chaleur la sphère rose et chère. + + +III + + Madame se tient trop debout dans la prairie + Prochaine où neigent les fils du travail; l'ombrelle + Aux doigts; foulant l'ombelle; trop fière pour elle + Des enfants lisant dans la verdure fleurie + + Leur livre de maroquin rouge! Hélas, Lui, comme + Mille anges blancs qui se séparent sur la route, + S'éloigne par delà la montagne! Elle, toute + Froide, et noire, court! après le départ de l'homme! + + +IV + + Regrets des bras épais et jeunes d'herbe pure! + Or des lunes d'avril au coeur du saint lit! Joie + Des chantiers riverains à l'abandon, en proie + Aux soirs d'août qui faisaient germer ces pourritures! + + Qu'elle pleure à présent sous les remparts: l'haleine + Des peupliers d'en haut est pour la seule brise. + Amis, c'est la nappe, sans reflets, sans source, grise-- + Un vieux dragueur, dans sa barque immobile, peine. + + +V + + Jouet de cet oeil d'eau morne, je n'y puis prendre, + Ô canot immobile! ô bras trop courts! ni l'une + Ni l'autre fleur; ni la jaune qui m'importune, + Là; ni la bleue, amis, à l'eau couleur de cendre. + + Ah! la poudre des saules qu'une aile secoue! + Les roses des roseaux dès longtemps dévorées!... + Mon canot toujours fixe; et sa chaîne tirée + Au fond de cet oeil d'eau sans bords--à quelle boue? + + + + + Est-elle almée?... aux premières heures bleues + Se détruira-t-elle comme les fleurs feues... + Devant la splendide étendue où l'on sente + Souffler la ville énormément florissante! + + C'est trop beau! c'est trop beau! mais c'est nécessaire + --Pour la Pêcheuse et la chanson du corsaire, + Et aussi puisque les derniers masques crurent + Encore aux fêtes de nuit sur la mer pure! + +Juillet 1872 + + + + +FÊTES DE LA FAIM + + + Ma faim, Anne, Anne, + Fuis sur ton âne. + + Si j'ai du goût, ce n'est guères + Que pour la terre et les pierres + Dinn! dinn! dinn! dinn! Mangeons l'air, + Le roc, les terres, le fer, + Charbons. + + Mes faims, tournez. Paissez, faims, + Le pré des sons! + Attirez le gai venin + Des liserons; + + Mangez les cailloux qu'un pauvre brise, + Les vieilles pierres d'églises, + Les galets, fils des déluges, + Pains couchés aux vallées grises! + + Des faims, c'est les bouts d'air noir; + L'azur sonneur; + --C'est l'estomac qui me tire, + C'est le malheur. + + Sur terre ont paru les feuilles: + Je vais aux chairs de fruit blettes, + Au sein du sillon je cueille + La doucette et la violette. + + Ma faim, Anne, Anne! + Fuis sur ton âne. + +Août 1872. + + + + +PROSE + + + + +I + +FLAIRY + + +Pour Hélène se conjurèrent les sèves ornementales dans les ombres +vierges et les clartés impassibles dans le silence astral. L'ardeur de +l'été fut confiée à des oiseaux muets et l'indolence requise à une +barque de deuils sans prix par des anses d'amours morts et de parfums +affaissés. + +Après le moment de l'air des bûcheronnes à la rumeur du torrent sous la +ruine des bois, de la sonnerie des bestiaux à l'écho des vals, et des +cris des steppes. + +Pour l'enfance d'Hélène frissonnèrent les fourrés et les ombres, et le +sein des pauvres, et les légendes du ciel. + +Et ses yeux et sa danse supérieurs encore aux éclats précieux, aux +influences froides, au plaisir du décor et de l'heure uniques. + + + + +II + +GUERRE + + +Enfant, certains ciels ont affiné mon optique, tous les caractères +nuancèrent ma physionomie. Les phénomènes s'émurent. À présent +l'inflexion éternelle des moments de l'infini des mathématiques me +chassent par ce monde où je subis tous les succès civils, respecté de +l'enfance étrange et des affections énormes. Je songe à une guerre, de +droit ou de force, de logique bien imprévue. + +C'est aussi simple qu'une phrase musicale. + + + + +III + +GÉNIE + + +Il est l'affection et le présent puisqu'il a fait la maison ouverte à +l'hiver écumeux et à la rumeur de l'été, lui qui a purifié les boissons +et les aliments, lui qui est le charme des lieux fuyant et le délice +surhumain des stations. Il est l'affection et l'avenir, la force et +l'amour que nous, debout dans les rages et les ennuis, nous voyons +passer dans le ciel de tempête et les drapeaux d'extase. + +Il est l'amour, mesure parfaite et réinventée, raison merveilleuse et +imprévue, et l'éternité: machine aimée des qualités fatales. Nous avons +tous eu l'épouvante de sa concession et de la nôtre: ô jouissance de +notre santé, élan de nos facultés, affection égoïste et passion pour +lui, lui qui nous aime pour sa vie infinie... + +Et nous nous le rappelons et il voyage... Et si l'Adoration s'en va, +sonne, sa promesse sonne: «Arrière ces superstitions, ces anciens corps, +ces ménages et ces âges. C'est cette époque-ci qui a sombré!» + +Il ne s'en ira pas, il ne redescendra pas d'un ciel, il n'accomplira pas +la rédemption des colères de femmes et des gaîtés des hommes et de tout +ce péché: car c'est fait, lui étant, et étant aimé. + +Ô ses souffles, ses têtes, ses courses; la terrible célérité de la +perfection des formes et de l'action. + +Ô fécondité de l'esprit et immensité de l'univers! + +Son corps! Le dégagement rêvé le brisement de la grâce croisée de +violence nouvelle! sa vue, sa vue! tous les agenouillages anciens et les +peines _relevés_ à sa suite. + +Son jour! l'abolition de toutes souffrances sonores et mouvantes dans la +musique plus intense. + +Son pas! les migrations plus énormes que les anciennes invasions. + +Ô Lui et nous! l'orgueil plus bienveillant que les charités perdues. + +Ô monde! et le chant clair des malheurs nouveaux! + +Il nous a connus tous et nous a tous tous aimé. Sachons, cette nuit +d'hiver, de cap en cap, du pôle tumultueux au château, de la foule à la +plage, de regards en regards, forces et sentiments las, le héler et le +voir, et le renvoyer, et sous les marées et au haut des déserts de +neige, suivre ses vues, ses souffles, son corps, son jour. + + + + +IV + +JEUNESSE + + +I + +DIMANCHE + +Les calculs de côté, l'inévitable descente du ciel, la visite des +souvenirs et la séance des rythmes occupent la demeure, la tête et le +monde de l'esprit. + +--Un cheval détale sur le turf suburbain, le long des cultures et des +boisements, percé par la peste carbonique. Une misérable femme de drame, +quelque part dans le monde soupire après les abandons improbables. Les +desperadves languissent après l'orage, l'ivresse et les blessures. De +petits enfants étouffent des malédictions le long des rivières. + +Reprenons l'étude au bruit de l'oeuvre dévorante qui se rassemble et se +monte dans les masses. + + +II + +SONNET + +_Homme_ de constitution ordinaire, la chair n'était-elle pas un fruit +pendu dans le verger, ô journées enfantes! le corps un trésor à +prodiguer; ô aimer, le péril ou la force de Psyché? La terre avait des +versants fertiles en princes et en artistes, et la descendance et la +race nous poussaient aux crimes et aux deuils: ce monde votre fortune et +votre péril. Mais à présent, le labeur comblé, toi, tes calculs, toi, +tes impatiences, ne sont plus que votre danse et votre voix, non fixées +et point forcées, quoique d'un double événement d'invention et de succès +une liaison, en l'humanité fraternelle est discrète par l'univers sans +images;--la force et le droit réfléchissent la danse et la voix à +présent seulement appréciées. + + +III + +VINGT ANS + +Les voix instructives exilées... L'ingénuité physique amèrement +rassise... Adagio. Ah! l'égoïsme infini de l'adolescence, l'optimisme +studieux: que le monde était plein de fleurs cet été! Les airs et les +formes mourant... Un choeur, pour calmer l'impuissance et l'absence! Un +choeur de verres de mélodies nocturnes... En effet les nerfs vont vite +chasser. + + +IV + +Tu en es encore à la tentation d'Antoine. L'ébat du zèle écourté, les +tics d'orgueil, l'affaissement et l'effroi. Mais tu te mettras à ce +travail: toutes les possibilités harmoniques et architecturales +s'émouvront autour de ton siège. Des êtres parfaits, imprévus, +s'offriront à tes expériences. Dans tes environs affluera rêveusement la +curiosité d'anciennes foules et de luxes oisifs. Ta mémoire et tes sens +ne seront que la nourriture de ton impulsion créatrice. Quant au monde, +quand tu sortiras, que sera-t-il devenu? En tout cas, rien des +apparences actuelles. + + + + +V + +SOLDES + + +À vendre ce que les Juifs n'ont pas vendus, ce que noblesse ni crime +n'ont goûté, ce qu'ignorent l'amour maudit et la probité infernale des +masses; ce que le temps ni la science n'ont pas à reconnaître: + +Les voix reconstituées; l'éveil fraternel de toutes les énergies +chorales et orchestrales, et leurs applications instantanées, +l'occasion, unique, de dégager nos sens! + +À vendre les corps sans prix, hors de toute race, de tout monde, de tout +sexe, de toute descendance! Les richesses jaillissant à chaque démarche! +Solde de diamants sans contrôle! + +À vendre l'anarchie pour les masses; la satisfaction irrépréssible pour +les amateurs supérieurs; la mort atroce pour les fidèles et les amants! + +À vendre les habitations et les migrations, sports, féeries et conforts +parfaits, et le bruit, le mouvement et l'avenir qu'ils font: + +À vendre les applications de calcul et sauts d'harmonie inouïs. Les +trouvailles et les termes non soupçonnés, possession immédiate. + +Élan insensé et infini aux splendeurs et invisibles aux délices +insensibles, et ses secrets affolants pour chaque vice, et sa gaîté +effroyante pour la foule. + +À vendre les corps, les voix, l'immense opulence inquestionable, ce +qu'on ne vendra jamais. Les vendeurs ne sont pas à bout de solde! Les +voyageurs n'ont pas à rendre leur commission de sitôt! + + + + +TABLE + + + PRÉFACE + Les étrennes des orphelins + Voyelles + Oraison du soir + Les assis + Les effarés + Les chercheuses de poux + Bateau ivre + Premières communions + L'orgie parisienne ou Paris se repeuple + Accroupissements + Les pauvres à l'église + Ce qui retient Nina + Vénus Anadyomène + Morts de quatre-vingt-douze + Comédie en trois baisers + Sensation + Bal des pendus + Roman + Rages de Césars + Le mal + Ophélie + Le châtiment de Tartufe + À la musique + Le forgeron + Soleil et chair + Le dormeur du Val + Au Cabaret Vert + La Maline + L'éclatante victoire de Sarrebruck + Rêvé pour l'hiver + Le buffet + Ma bohème + Entends comme Brame + Chant de guerre parisien + Mes petites amoureuses + Les poètes de sept ans + Le coeur volé + Tête de faune + Poison perdu + Les corbeaux + Patience + Jeune ménage + Mémoire + ... Est-elle almée? + Fêtes de la faim (variante) + +PROSE + + Fairy + Guerre + Génie + Jeunesse + I. Dimanche + II. Sonnet + III. Vingt ans + IV. Tu en es encore + Solde + + + +[Notes sur la transcription: + +On a effectué les corrections suivantes: + + ombragé => ombré (On paie au Prêtre un toit ombragé d'une charmille) + retiré «petits» (De s'entendre appeler garces par les petits garçons) + retiré «fortes» (Elle eut soif de la nuit forte où s'exalte et s'abaisse) + Boète => Poète (Le Boète prendra le sanglot des Infâmes) + gravements => gravement (Et parfois en hoquets fort gravements bouffons) + ajouté «est Roi!» (--Et pourtant, plus de dieux! plus de dieux! l'Homme) + dlamants => diamants (Solde de dlamants sans contrôle!)] + + + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of Poésies complètes, by Arthur Rimbaud + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK POÉSIES COMPLÈTES *** + +***** This file should be named 29302-8.txt or 29302-8.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + https://www.gutenberg.org/2/9/3/0/29302/ + +Produced by Laurent Vogel, Robert Connal and the Online +Distributed Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This +file was produced from images generously made available +by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at +http://gallica.bnf.fr) + + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. 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You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: Poésies complètes + +Author: Arthur Rimbaud + +Commentator: Paul Verlaine + +Release Date: July 3, 2009 [EBook #29302] +[Last updated: August 2, 2014] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK POÉSIES COMPLÈTES *** + + + + +Produced by Laurent Vogel, Robert Connal and the Online +Distributed Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This +file was produced from images generously made available +by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at +http://gallica.bnf.fr) + + + + + + +</pre> + +<div class="trnote"><h2>Notes sur cette version électronique</h2> + + +<p>Le texte a été établi sur la base des épreuves de l'imprimerie +de Ch. Herissey à Évreux, revues avec les corrections de la main de +Paul Verlaine en 1895. Certains passages illisibles ou d'une +reconstitution hypothétique ont été signalés entre crochets.</p> + +<p>On donne ici le texte après application des corrections; le texte +original de la préface avec les corrections se trouve +<a href="#annexe">en annexe</a> à +la fin de cette version HTML.</p> + +</div> + + +<p class="c"><big>ARTHUR RIMBAUD</big></p> + + +<h1><big>POÉSIES</big><br> +COMPLÈTES</h1> + +<p class="c"><small>AVEC PRÉFACE DE PAUL VERLAINE<br> +ET NOTES DE L'ÉDITEUR</small></p> + +<div class="c"><img src="images/a.png" alt="L. V."></div> +<p class="c"><big>PARIS</big></p> + +<p class="c">LÉON VANIER, LIBRAIRE-ÉDITEUR<br> +19, <small>QUAI SAINT-MICHEL</small>, 19</p> + +<p class="c">1895<br> +<small>Tous droits réservés</small></p> + + + + +<h2>DU MÊME AUTEUR</h2> + +<p class="c">MÊME ÉDITEUR</p> + + +<p class="c"><b>Les Illuminations, Une Saison en Enfer</b>. . . <b>3 50</b></p> + +<p class="c">TIRAGE DE LUXE:</p> + +<p class="c">25 exemplaires numérotés sur Hollande, <b>6</b> fr.</p> + + + + +<h2><a name="preface" id="preface"></a>PRÉFACE</h2> + +<p class="c">ARTHUR RIMBAUD</p> + +<p class="c">SES POÉSIES COMPLÈTES</p> + + +<p>À mon avis tout à fait intime, j'eusse préféré, +en dépit de tant d'intérêt s'attachant intrinsèquement +presque aussi bien que chronologiquement +à beaucoup de pièces du présent recueil, que +celui-ci fût allégé pour, surtout, des causes littéraires: +trop de jeunesse décidément, d'inexpériences +mal savoureuses, point d'assez heureuses +naïvetés. J'eusse, si le maître, donné juste un +dessus de panier, quitte à regretter que le reste +dût disparaître, ou, alors, ajouté ce reste à la fin +du livre, après la table des matières et sans table +des matières quant à ce qui l'eût concerné, sous +la rubrique «pièces attribuées à l'auteur», encore +excluant de cette peut-être trop indulgente déjà +hospitalité les tout à fait apocryphes sonnets publiés, +sous le nom glorieux et désormais sacré, +par de spirituels parodistes.</p> + +<p>Quoi qu'il en soit, voici, seulement expurgé +des apocryphes en question et classé aussi soigneusement +que possible par ordre de dates, +mais, hélas! privé de trop de choses qui furent, +aux déplorables fins de puériles et criminelles +rancunes, sans même d'excuses suffisamment +bêtes, confisquées, confisquées? volées! pour tout +et mieux dire, dans les tiroirs fermés d'un absent, +voici <i>le livre des poésies complètes d'Arthur +Rimbaud</i>, avec ses additions inutiles à mon avis +et ses déplorables mutilations irréparables à jamais, +il faut le craindre.</p> + +<p>Justice est donc faite, et bonne et complète, +car en outre du présent fragment de l'[illisible], il y +a eu des reproductions par la Presse et la Librairie +des choses en prose si inappréciables, peut-être +même si supérieures aux vers, dont quelques-uns +pourtant incomparables, que je sache!</p> + +<p>Ici, avant de procéder plus avant, dans ce très +sérieux et très sincère et pénible et douloureux travail, +il me sied et me plaît de remercier mes amis +Dujardin et Kahn, Fénéon, et ce trop méconnu, +trop modeste Anatole Baju, de leur intervention +en un cas si beau, mais à l'époque périculeux, je +vous l'assure, car je ne le sais que trop.</p> + +<p>Kahn et Dujardin disposaient néanmoins de +revues jeunes et d'aspect presque imposant, un +peu d'outre-Rhin et parfois, pour ainsi dire, pédantesques; +depuis il y a eu encore du plomb dans +l'aile de ces périodiques changés de direction—et +Baju, naïf, eut aussi son influence, vraiment.</p> + +<p>Tous trois firent leur devoir en faveur de mes +efforts pour Rimbaud, Baju avec le tort, peut-être +inconscient, de publier, à l'appui de la bonne +thèse, des gloses farceuses de gens de talent et +surtout d'esprit qui auraient mieux fait certainement +de travailler pour leur compte, qui en +valait, je le leur dis en toute sincérité,</p> + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0">La peine assurément!</span><br> + <br> + </div> +</div> + +<p>Mais un devoir sacré m'incombe, en dehors de +toute diversion même quasiment nécessaire, vite. +C'est de rectifier des faits d'abord—et ensuite +d'élucider un peu la disposition, à mon sens, mal +littéraire, mais conçue dans un but tellement +respectable! du présent volume des <i>Poésies complètes +d'Arthur Rimbaud.</i></p> + +<p>On a tout dit, en une préface abominable que +la Justice a châtiée, d'ailleurs par la saisie, sur la requête d'un galant homme de qui la signature +avait été escroquée, M. Rodolphe Darzens, +on a dit tout le mauvais sur Rimbaud, +homme et poète.</p> + +<p>Ce mauvais-là, il faut malheureusement, mais +carrément, l'amalgamer avec celui qu'a écrit, +pensé sans nul doute, un homme de talent dans +un journal d'irréprochable tenue. Je veux parler +de M. Charles Maurras et en appeler de lui à lui +mieux informé.</p> + +<p>Je lis, par exemple, ceci de lui, M. Charles +Maurras:</p> + +<p>«Au dîner du Bon Bock», +or il n'y avait pas +alors, de <i>dîner du Bon Bock</i> où nous allassions, +Valade, Mérat, Silvestre, quelques autres Parnassiens +[et] moi, ni par conséquent Rimbaud avec +nous, mais bien un dîner mensuel des <i>Vilains +Bonshommes</i> [note illisible], fondé avant la guerre et +qu'avaient honoré quelquefois Théodore de Banville +et, de la part de Sainte-Beuve, le secrétaire de celui-ci, +M. Jules Troubat. Au moment dont il est +question, fin 1871, nos «assises» se tenaient au +premier étage d'un marchand de vins établi au +coin de la rue Bonaparte et de la place Saint-Sulpice, +vis-à-vis d'un libraire d'occasion (rue +Bonaparte) et (rue du Vieux-Colombier) d'un +négociant [en] objets religieux. +«Au dîner du Bon Bock, +dit donc M. Maurras, +ses reparties (à Rimbaud) causaient de grands +scandales. Ernest d'Hervilly le rappelait en vain +à la raison. <span class="sc">Carjat le mit à la porte.</span> Rimbaud +attendit <i>patiemment</i> à la porte et Carjat reçut à +la sortie un «bon» (je retiens «bon») coup de +canne à épée <span class="sc">dans le ventre.</span>»</p> + +<p>Je n'ai pas à invoquer le témoignage de d'Hervilly +qui est un cher poète et un cher ami, parce +qu'il n'a jamais été plus l'auteur d'une intervention +absurdement inutile que l'objet d'une insulte +ignoble publiée sans la plus simple pudeur, non +plus que sans la moindre conscience du faux ou +du vrai dans la préface de l'édition Genonceaux; ni celui de M. Carjat +lui-même, par trop juge et partie, ni celui des encore assez nombreux survivants +d'une scène assurément peu glorieuse pour +Rimbaud, mais démesurément grossie et dénaturée +jusqu'à la plus complète calomnie.</p> + +<p>Voici donc un récit succinct, mais vrai jusque +dans le moindre détail, du «drame» en question: +ce soir-là, aux <i>Vilains Bonshommes</i>, on avait lu +beaucoup de vers après le dessert et le café. +Beaucoup de vers, même à la fin d'un dîner +(plutôt modeste), ce n'est pas toujours des moins +fatigants, particulièrement quand ils sont un peu +bien déclamatoires comme ceux dont <i>vraiment</i> il +s'agissait (et non du bon poète Jean Aicard). Ces +vers étaient d'un monsieur qui faisait beaucoup +de sonnets à l'époque et de qui le nom m'échappe.</p> + +<p>Et, sur le début suivant, après passablement +d'autres choses d'autres gens:</p> + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0"><i>On dirait des soldats d'Agrippa d'Aubigné</i></span><br> + <span class="i0"><i>Alignés au cordeau par Philibert Delorme...</i></span><br> + <br> + </div> +</div> + +<p>Rimbaud eut le tort incontestable de protester +d'abord entre haut et bas contre la prolongation +d'à la fin abusives récitations. Sur quoi M. Etienne +Carjat, le photographe poète de qui le récitateur +était l'ami littéraire et artistique, s'interposa trop +vite et trop vivement à mon gré, traitant l'interrupteur +de gamin. Rimbaud qui ne savait supporter +la boisson, et que l'on avait contracté dans +ces «agapes» pourtant modérées, la mauvaise +habitude de gâter au point de vue du vin et des +liqueurs,—Rimbaud qui se trouvait gris, prit +mal la chose, se saisit d'une canne à épée à moi qui +était derrière nous, voisins immédiats et, par-dessus +la table large de près de deux mètres, +dirigea vers M. Carjat qui se trouvait en face ou +tout comme, la lame dégainée qui ne fit pas heureusement +de très grands ravages, puisque le +sympathique ex-directeur du <i>Boulevard</i> ne reçut, +si j'en crois ma mémoire qui est excellente dans +ce cas, qu'une éraflure très légère à une main.</p> + +<p>Néanmoins l'alarme fut grande et la tentative +très regrettable, vite et plus vite encore réprimée. +J'arrachai la lame au furieux, la brisai sur mon +genou et confiai, devant rentrer de très bonne +heure chez moi, le [«gamin»] à moitié dégrisé maintenant, +au peintre bien connu, Michel de l'Hay, alors déjà +un solide gaillard en outre d'un tout jeune homme +des plus remarquablement beaux qu'il soit donné +de voir, qui eut tôt fait de reconduire à son domicile +de la rue Campagne-Première, en le chapitrant +d'importance, notre jeune intoxiqué de qui l'accès +de colère ne tarda pas à se dissiper tout à fait, +avec les fumées du vin et de l'alcool, dans le +sommeil réparateur de la seizième année.</p> + +<p>Avant de «lâcher» tout à fait M. Charles +Maurras, je lui demanderai de expliquer sur un malheureux +membre de phrase de lui me concernant.</p> + +<p>À propos de la question d'ailleurs subsidiaire +de savoir si Rimbaud était beau ou laid, +M. Maurras qui ne l'a jamais vu et qui le trouve +laid, d'après des témoins «plus rassis» que votre +serviteur, me blâmerait presque, ma parole +d'honneur! d'avoir dit qu'il avait (Rimbaud) un +visage parfaitement ovale d'ange en exil, une forte +bouche rouge au pli amer et (<i>in cauda venenum!</i>) +des +«jambes sans rivales».</p> + +<p>Ça c'est, je veux bien le croire, idiot sans plus, autrement, +quoi? Voici toujours <i>ma</i> phrase sur les +jambes en question, extraite des <i>Homme d'aujourd'hui</i>. +Au surplus, lisez toute la petite biographie. +Elle répond à tout d'<i>avance</i>, et coûte +deux sous.</p> + +<p>«... Des projets pour la Russie, une anicroche +à Vienne (Autriche), quelques mois en France, +d'Arras et Douai à Marseille, et le Sénégal vers +lequel bercé par un naufrage[;] puis la Hollande, +1879-80; vu décharger des voitures de moisson +dans une ferme à sa mère, entre Attigny et Vouziers, +et arpenter ces routes maigres de ses +«<span class="sc">jambes sans rivales</span>».</p> + +<p>Voyons, M. Maurras, est-ce bien de bonne foi +votre confusion entre infatigabilité... et autre +chose?</p> + +<p>—Ouf! j'en ai fini avec les petites (et grosses) +infamies qui, de régions prétendues uniquement +littéraires, s'insinueraient dans la vie privée pour +s'y installer, et veuillez, lecteur, me permettre de +m'étendre un peu, maintenant qu'on a brûlé quelque +sucre, sur le pur plaisir intellectuel de vous +parler du présent ouvrage qu'on peut ne pas +aimer, ni même admirer, mais qui a droit à tout +respect en tout consciencieux examen?</p> + +<p>On a laissé les pièces objectionables au point +de vue bourgeois, car le point de vue chrétien et +surtout catholique dont je m'honore d'être un des +plus indignes peut-être mais à coup sûr le plus +sincère tenant, me semble supérieur et doit être écarté—j'entends, +notamment les <i>Premières Communions</i>, les +<i>Pauvres à l'église</i> (pour mon compte, j'eusse +négligé cette pièce brutale ayant pourtant ceci:</p> + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i4"><i>... Les malades du foie</i></span><br> + <span class="i0"><i>Font baiser leurs longs doigts jaunes aux bénitiers.</i></span><br> + <br> + </div> + +</div> + +<p>Quant aux <i>Premières Communions</i> dont j'ai +sévèrement parlé dans mes <i>Poètes maudits</i> à +cause de certains vers affreusement +blasphémateurs, c'est si +beau!... n'est-ce pas? à travers tant de coup[ables] +choses... n'est ce pas?</p> + +<p>Pour le reste de ce que j'aime parfaitement, le +<i>Bateau ivre</i>, les <i>Effarés</i>, les <i>Chercheuses de poux</i> +et, bien après, les <i>Assis</i> aussi, parbleu! un +peu fumiste, mais si beau de détails; <i>Sonnet de +Voyelles</i> qui a fait faire à M. Réné Ghill de ses +mirobolantes théories, et l'ardent <i>Faune</i> [illisible] est +parfait de fauves,—en liberté! et encore une +fois, je vous le présente, ce «numéro», comme +autrefois dans ce petit journal de combat mort en pleine +brèche <i>Lutèce</i>, de tout mon cœur, de toute +mon âme et de toutes mes forces.</p> + +<p>On a cru devoir, évidemment dans un but de +réhabilitation qui n'a rien à voir ni avec la vie honorable +ni avec l'œuvre très intéressante, [illisible] ouvrir le volume par une pièce +intitulée <i>Étrennes des Orphelins</i>, laquelle assez +longue pièce, dans le goût un peu Guiraud avec +déjà des beautés tout autres. Ceci qui vaut du +Desbordes-Valmore:</p> + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0"><i>Les tout petits enfants ont le cœur si sensible!</i></span><br> + <br> + </div> +</div> + +<p>Cela:</p> + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0"><i>La bise sous le seuil a fini par se taire...</i></span><br> + <br> + </div> +</div> + +<p>qui est d'un net et d'un vrai, quant à ce qui concerne +un beau jour de premier janvier. Surtout +une facture solide, même un peu trop, qui dit +l'extrême jeunesse de l'auteur quand il s'en +servit d'après la formule parnassienne exagérée.</p> + +<p>On a cru aussi devoir intercaler de gré ou de +force un trop long poème: <i>Le Forgeron</i>, daté des +<i>Tuileries vers le 10 août 1792</i>, où vraiment c'est +trop démoc-soc [illisible], par trop démodé, même en 1870 où ce fut écrit; +mais l'auteur, direz-vous, était si, si jeune! Mais, +répondrais-je, était-ce une raison pour publier +cette chose faite à coups de «mauvaises lectures» +dans des manuels surannés ou de trop +moisis historiens? Je ne m'empresse pas moins +d'ajouter qu'il y a là encore de très beaux vers. +Parbleu! avec cet être-là!</p> + +<p>Cette caricature de Louis XVI, d'abord:</p> + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0"><i>Et prenant ce gros-là dans son regard farouche.</i></span><br> + <br> + </div> +</div> + +<p>Cette autre encore;</p> + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0"><i>Or le bon roi, debout sur son ventre, était pâle.</i></span><br> + <br> + </div> +</div> + +<p>Ce cri bien dans le ton juste, trop rare ici:</p> + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0"><i>On ne veut pas de nous dans les boulangeries</i></span><br> + <br> + </div> +</div> + +<p>Mais j'avoue préférer telles pièces purement +jolies, mais alors très jolies, d'une joliesse sauvageonne +ou sauvage tout à fait alors presque aussi +belles que les <i>Effarés</i> ou que +les Assis.</p> + +<p>Il y a, dans ce ton, <i>Ce qui relient Nina</i>, vingt-neuf +strophes, plus de cent vers, sur un [rh]ythme +sautilleur avec des gentillesse à tout bout de +champ:</p> + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0"><i>Dix-sept ans! tu seras heureuse!</i></span><br> + <span class="i6"><i>Ô les grands prés,</i></span><br> + <span class="i0"><i>La grande campagne amoureuse!</i></span><br> + <span class="i6"><i>—Dis, viens plus près!...</i></span><br> + <span class="i0">. . . . . . . . . . . . . .</span><br> + <span class="i0"><i>Puis comme une petite morte</i></span><br> + <span class="i6"><i>Le cœur pâmé</i></span><br> + <span class="i0"><i>Tu me dirais que je te porte</i></span><br> + <span class="i6"><i>L'œil mi-fermé...</i></span><br> + <br> + </div> +</div> + +<p>Et, après la promenade au bois... et la résurrection +de la <i>petite morte</i>, l'entrée dans le village +où <i>çà sentirait le laitage</i>, une étable pleine +d'un rhythme lent d'haleine, et de grands dos, un +intérieur à la Téniers:</p> + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0"><i>Les lunettes de la grand-mère</i></span><br> + <span class="i3"><i>Et son nez long</i></span><br> + <span class="i0"><i>Dans son missel...</i></span><br> + <span class="i0">. . . . . . . . . . . . . .</span><br> + <br> + </div> +</div> + +<p>Aussi la <i>Comédie en trois baisers:</i></p> + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0">. . . . . . . . . . . . . .</span><br> + <span class="i0"><i>Elle était fort déshabillée</i></span><br> + <span class="i0"><i>Et de grands arbres indiscrets.</i></span><br> + <span class="i0"><i>Aux vitres penchaient leur feuillée</i></span><br> + <span class="i0"><i>Malinement, tout près, tout près.</i></span><br> + <br> + </div> +</div> + +<p><i>Sensation</i>, où le poète adolescent va loin, bien +loin, «comme un bohémien»</p> + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0"><i>Par la nature, heureux comme avec une femme...</i></span><br> + <br> + </div> +</div> + +<p>Roman:</p> + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0"><i>On n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans.</i></span><br> + <br> + </div> +</div> + +<p>Ce qu'il y a d'amusant, c'est que Rimbaud, +quand il écrivait ce vers, n'avait pas encore +seize ans. Évidemment il se «vieillissait» pour +mieux plaire à quelque belle... de, très probablement, +son imagination.</p> + +<p><i>Ma Bohème</i>, la plus gentille sans doute de ces +gentilles choses:</p> + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0"><i>Comme des lyres je tirai les élastiques</i></span><br> + <span class="i0"><i>De mes souliers blessés, un pied près de mon cœur</i>...</span><br> + <br> + </div> +</div> + +<p>Mes <i>Petites amoureuses</i>, les <i>Poètes de sept ans</i>, +frères franchement douloureux des <i>Chercheuses +de poux</i>:</p> + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0"><i>Et la mère fermant le livre du devoir</i></span><br> + <span class="i0"><i>S'en allait satisfaite et très fière sans voir</i></span><br> + <span class="i0"><i>Dans les yeux bleus et sous le front plein d'éminences</i></span><br> + <span class="i0"><i>L'âme de son enfant livrée aux répugnances.</i></span><br> + <span class="i0">. . . . . . . . . . . . . .</span><br> + <br> + </div> +</div> + +<p>Quant aux quelques morceaux en prose qui +terminent le volume, je les eusse retenus pour les +publier dans une nouvelle édition des œuvres en +prose. Ils sont d'ailleurs merveilleux, mais tout à +fait dans la note des <i>Illuminations</i> et de la <i>Saison +en Enfer</i>. Je l'ai dit tout à l'heure et je sais +que je ne suis pas le seul à le penser: Rimbaud +en prose est peut-être supérieur à celui en +vers...</p> + +<p>J'ai terminé, je crois avoir terminé ma tâche +de préfacier. De la vie de l'homme j'ai parlé +suffisamment. De son œuvre je reparlerai peut-être +encore.</p> + +<p>Mon dernier mot ne peut-être ici que ceci: +Rimbaud fut un poète mort jeune (à dix-huit ans, +puisque né à Charleville[—le 20] Octobre 1854—nous n'avons pas de vers de lui +[postérieur] à 1872.) mais vierge de +toute platitude ou décadence—comme il fut un +homme mort jeune aussi [(à trente] sept ans [le] 10 Novembre 1891 à l'hôpital +de la Conception de Marseille), mais dans son vœu +bien formulé d'indépendance et de haut dédain +de n'importe quelle adhésion à ce qu'il ne lui +plaisait pas de faire ni d'être.</p> + +<p class="s">Paul <span class="sc">Verlaine</span>. +</p> + + + +<h2>POESIES COMPLÈTES</h2> + + +<p class="c"><small>DE CE LIVRE<br> +IL A ÉTÉ TIRÉ</small><br> +<i>25 exemplaires numérotés<br> +sur hollande.</i></p> + + + + +<p class="c"><big>ARTHUR RIMBAUD</big></p> + +<h2><big>POÉSIES</big><br> +COMPLÈTES</h2> + +<p class="c"><big>PARIS</big><br> +LÉON VANIER, LIBRAIRE-ÉDITEUR<br> +19, <small>QUAI SAINT-MICHEL</small>, 19</p> + +<p class="c">1895</p> + +<p class="c"><small>Tous droits réservés.</small></p> + + + + +<h2><a name="t1" id="t1"></a>LES ÉTRENNES DES ORPHELlNS</h2> + + +<h3>I</h3> + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0">La chambre est pleine d'ombre; on entend vaguement</span><br> + <span class="i0">De deux enfants le triste et doux chuchotement.</span><br> + <span class="i0">Leur front se penche, encor, alourdi par le rêve,</span><br> + <span class="i0">Sous le long rideau blanc qui tremble et se soulève...</span><br> + <span class="i0">—Au dehors les oiseaux se rapprochent frileux;</span><br> + <span class="i0">Leur aile s'engourdit sous le ton gris des cieux;</span><br> + <span class="i0">Et la nouvelle année, à la suite brumeuse,</span><br> + <span class="i0">Laissant traîner les plis de sa robe neigeuse,</span><br> + <span class="i0">Sourit avec des pleurs, et chante en grelottant...</span><br> + <br> + </div> +</div> + + +<h3>II</h3> + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0">Or les petits enfants, sous le rideau flottant,</span><br> + <span class="i0">Parlent bas comme on fait dans une nuit obscure.</span><br> + <span class="i0">Ils écoutent, pensifs, comme un lointain murmure...</span><br> + <span class="i0">Ils tressaillent souvent à la claire voix d'or</span><br> + <span class="i0">Du timbre matinal, qui frappe et frappe encor</span><br> + <span class="i0">Son refrain métallique en son globe de verre...</span><br> + <span class="i0">—Puis, la chambre est glacée... on voit traîner à terre,</span><br> + <span class="i0">Épars autour des lits, des vêtements de deuil:</span><br> + <span class="i0">L'âpre bise d'hiver qui se lamente au seuil,</span><br> + <span class="i0">Souffle dans le logis son haleine morose!</span><br> + <span class="i0">On sent, dans tout cela, qu'il manque quelque chose...</span><br> + <span class="i0">—Il n'est donc point de mère à ces petits enfants,</span><br> + <span class="i0">De mère au frais sourire, aux regards triomphants?</span><br> + <span class="i0">Elle a donc oublié, le soir, seule et penchée,</span><br> + <span class="i0">D'exciter une flamme à la cendre arrachée,</span><br> + <span class="i0">D'amonceler sur eux la laine et l'édredon</span><br> + <span class="i0">Avant de les quitter en leur criant: pardon.</span><br> + <span class="i0">Elle n'a point prévu la froideur matinale,</span><br> + <span class="i0">Ni bien fermé le seuil à la bise hivernale?...</span><br> + <span class="i0">—Le rêve maternel, c'est le tiède tapis,</span><br> + <span class="i0">C'est le nid cotonneux où les enfants tapis,</span><br> + <span class="i0">Comme de beaux oiseaux que balancent les branches,</span><br> + <span class="i0">Dorment leur doux sommeil plein de visions blanches.</span><br> + <span class="i0">—Et là,—c'est comme un nid sans plumes, sans chaleur</span><br> + <span class="i0">Où les petits ont froid, ne dorment pas, ont peur;</span><br> + <span class="i0">Un nid que doit avoir glacé la bise amère...</span><br> + <br> + </div> +</div> + + +<h3>III</h3> + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0">Votre cœur l'a compris:—ces enfants sont sans mère,</span><br> + <span class="i0">Plus de mère au logis!—et le père est bien loin!...</span><br> + <span class="i0">—Une vieille servante, alors, en a pris soin:</span><br> + <span class="i0">Les petits sont tout seuls en la maison glacée;</span><br> + <span class="i0">Orphelins de quatre ans, voilà qu'en leur pensée</span><br> + <span class="i0">S'éveille, par degrés, un souvenir riant...</span><br> + <span class="i0">C'est comme un chapelet qu'on égrène en priant:</span><br> + <span class="i0">—Ah! quel beau matin, que ce matin des étrennes!</span><br> + <span class="i0">Chacun, pendant la nuit, avait rêvé des siennes</span><br> + <span class="i0">Dans quelque songe étrange où l'on voyait joujoux,</span><br> + <span class="i0">Bonbons habillés d'or, étincelants bijoux,</span><br> + <span class="i0">Tourbillonner, danser une danse sonore,</span><br> + <span class="i0">Puis fuir sous les rideaux, puis reparaître encore!</span><br> + <span class="i0">On s'éveillait matin, on se levait joyeux,</span><br> + <span class="i0">La lèvre affriandée, en se frottant les yeux...</span><br> + <span class="i0">On allait, les cheveux emmêlés sur la tête,</span><br> + <span class="i0">Les yeux tout rayonnants, comme aux grands jours de fête</span><br> + <span class="i0">Et les petits pieds nus effleurant le plancher,</span><br> + <span class="i0">Aux portes des parents tout doucement toucher...</span><br> + <span class="i0">On entrait!... Puis alors les souhaits... en chemise,</span><br> + <span class="i0">Les baisers répétés, et la gaîté permise?</span><br> + <br> + </div> +</div> + + +<h3>IV</h3> + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0">Ah! c'était si charmant, ces mots dits tant de fois!</span><br> + <span class="i0">—Mais comme il est changé, le logis d'autrefois:</span><br> + <span class="i0">Un grand feu pétillait, clair, dans la cheminée,</span><br> + <span class="i0">Toute la vieille chambre était illuminée;</span><br> + <span class="i0">Et les reflets vermeils, sortis du grand foyer,</span><br> + <span class="i0">Sur les meubles vernis aimaient à tournoyer...</span><br> + <span class="i0">—L'armoire était sans clefs!... sans clefs, la grande armoire</span><br> + <span class="i0">On regardait souvent sa porte brune et noire...</span><br> + <span class="i0">Sans clefs!... c'était étrange!... On rêvait bien des fois</span><br> + <span class="i0">Aux mystères dormant entre ses flancs de bois,</span><br> + <span class="i0">Et l'on croyait ouïr, au fond de la serrure</span><br> + <span class="i0">Béante, un bruit lointain, vague et joyeux murmure</span><br> + <span class="i0">—La chambre des parents est bien vide, aujourd'hui</span><br> + <span class="i0">Aucun reflet vermeil sous la porte n'a lui;</span><br> + <span class="i0">Il n'est point de parents, de foyer, de clefs prises:</span><br> + <span class="i0">Partant point de baisers, point de douces surprises!</span><br> + <span class="i0">Oh! que le jour de l'an sera triste pour eux!</span><br> + <span class="i0">—Et, tout pensifs, tandis que de leurs grands yeux bleus</span><br> + <span class="i0">Silencieusement tombe une larme amère,</span><br> + <span class="i0">ils murmurent: «Quand donc reviendra notre mère?»</span><br> + <span class="i0">. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .</span><br> + <br> + </div> +</div> + + +<h3>V</h3> + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0">Maintenant, les petits sommeillent tristement:</span><br> + <span class="i0">Vous diriez, à les voir, qu'ils pleurent en dormant,</span><br> + <span class="i0">Tant leurs yeux sont gonflés et leur souffle pénible!</span><br> + <span class="i0">Les tout petits enfants ont le cœur si sensible!</span><br> + <span class="i0">—Mais l'ange des berceaux vient essuyer leurs yeux,</span><br> + <span class="i0">Et dans ce lourd sommeil mit un rêve joyeux,</span><br> + <span class="i0">Un rêve si joyeux, que leur lèvre mi-close,</span><br> + <span class="i0">Souriante, semblait murmurer quelque chose...</span><br> + <span class="i0">Ils rêvent que, penchés sur leur petit bras rond,</span><br> + <span class="i0">Doux geste du réveil, ils avancent le front,</span><br> + <span class="i0">Et leur vague regard tout autour d'eux repose...</span><br> + <span class="i0">Ils se croient endormis dans un paradis rose...</span><br> + <span class="i0">Au foyer plein d'éclairs chante gaîment le feu...</span><br> + <span class="i0">Par la fenêtre on voit là-bas un beau ciel bleu;</span><br> + <span class="i0">La nature s'éveille et de rayons s'enivre...</span><br> + <span class="i0">La terre, demi-nue, heureuse de revivre,</span><br> + <span class="i0">A des frissons de joie aux baisers du soleil...</span><br> + <span class="i0">Et dans le vieux logis tout est tiède et vermeil:</span><br> + <span class="i0">Des sombres vêtements ne jonchent plus la terre,</span><br> + <span class="i0">La bise sous le seuil a fini par se taire.</span><br> + <span class="i0">On dirait qu'une fée a passé dans cela!...</span><br> + <span class="i0">—Les enfants, tout joyeux, ont jeté deux cris... Là,</span><br> + <span class="i0">Près du lit maternel, sous un beau rayon rose,</span><br> + <span class="i0">Là, sur le grand tapis, resplendit quelque chose...</span><br> + <span class="i0">Ce sont des médaillons argentés, noirs et blancs,</span><br> + <span class="i0">De la nacre et du jais aux reflets scintillants:</span><br> + <span class="i0">Des petits cadres noirs, des couronnes de verre,</span><br> + <span class="i0">Ayant trois mots gravés en or: «<small>À NOTRE MÈRE</small>!»</span><br> + <span class="i0">. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .</span><br> + <br> + </div> +</div> + +<p class="s">2 janvier 1870 +</p> + + + +<h2><a name="t2" id="t2"></a>VOYELLES</h2> + + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0">A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu, voyelles,</span><br> + <span class="i0">Je dirai quelque jour vos naissances latentes,</span><br> + <span class="i0">A, noir corset velu des mouches éclatantes</span><br> + <span class="i0">Qui bombillent autour des puanteurs cruelles,</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Golfe d'ombre: E, candeur des vapeurs et des tentes,</span><br> + <span class="i0">Lance des glaciers fiers, rois blancs, frissons d'ombelles</span><br> + <span class="i0">I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles</span><br> + <span class="i0">Dans la colère ou les ivresses pénitentes;</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">U, cycles, vibrements divins des mers virides,</span><br> + <span class="i0">Paix des pâtis semés d'animaux, paix des rides</span><br> + <span class="i0">Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux;</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">O, suprême Clairon plein de strideurs étranges,</span><br> + <span class="i0">Silences traversés des Mondes et des Anges:</span><br> + <span class="i0">—O l'Oméga, rayon violet de Ses Yeux!</span><br> + <br> + </div> +</div> + + + + +<h2><a name="t3" id="t3"></a>ORAISON DU SOIR</h2> + + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0">Je vis assis tel qu'un ange aux mains d'un barbier,</span><br> + <span class="i0">Empoignant une chope à fortes cannelures,</span><br> + <span class="i0">L'hypogastre et le col cambrés, une Gambier</span><br> + <span class="i0">Aux dents, sous l'air gonflé d'impalpables voilures.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Tels que les excréments chauds d'un vieux colombier</span><br> + <span class="i0">Mille rêves en moi font de douces brûlures;</span><br> + <span class="i0">Puis par instants mon cœur triste est comme un aubier</span><br> + <span class="i0">Qu'ensanglante l'or jaune et sombre des coulures.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Puis quand j'ai ravalé mes rêves avec soin,</span><br> + <span class="i0">Je me tourne, ayant bu trente ou quarante chopes,</span><br> + <span class="i0">Et me recueille pour lâcher l'âcre besoin.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Doux comme le Seigneur du cèdre et des hysopes,</span><br> + <span class="i0">Je pisse vers les cieux bruns très haut et très loin,</span><br> + <span class="i0">Avec l'assentiment des grands héliotropes.</span><br> + <br> + </div> +</div> + + + + +<h2><a name="t4" id="t4"></a>LES ASSIS</h2> + + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0">Noirs de loupes, grêlés, les yeux cerclés de bagues</span><br> + <span class="i0">Vertes, leurs doigts boulus crispés à leurs fémurs,</span><br> + <span class="i0">Le sinciput plaqué de hargnosités vagues</span><br> + <span class="i0">Comme les floraisons lépreuses des vieux murs,</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Ils ont greffé dans des amours épileptiques</span><br> + <span class="i0">Leur fantasque ossature aux grands squelettes noirs</span><br> + <span class="i0">De leurs chaises; leurs pieds aux barreaux rachitiques</span><br> + <span class="i0">S'entrelacent pour les matins et pour les soirs.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Ces vieillards ont toujours fait tresse avec leurs sièges,</span><br> + <span class="i0">Sentant les soleils vifs percaliser leur peaux,</span><br> + <span class="i0">Ou les yeux à la vitre où se fanent les neiges,</span><br> + <span class="i0">Tremblant du tremblement douloureux des crapauds.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Et les Sièges leur ont des bontés; culottée</span><br> + <span class="i0">De brun, la paille cède aux angles de leurs reins.</span><br> + <span class="i0">L'âme des vieux soleils s'allume, emmaillotée</span><br> + <span class="i0">Dans ces tresses d'épis où fermentaient les grains.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Et les Assis, genoux aux dents, verts pianistes,</span><br> + <span class="i0">Les dix doigts sous leur siège aux rumeurs de tambour</span><br> + <span class="i0">S'écoutent clapoter des barcarolles tristes</span><br> + <span class="i0">Et leurs caboches vont dans des roulis d'amour.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Oh! ne les faites pas lever! C'est le naufrage.</span><br> + <span class="i0">Ils surgissent, grondant comme des chats gifflés,</span><br> + <span class="i0">Ouvrant lentement leurs omoplates, ô rage!</span><br> + <span class="i0">Tout leur pantalon bouffe à leurs reins boursouflés.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Et vous les écoutez cognant leurs têtes chauves</span><br> + <span class="i0">Aux murs sombres, plaquant et plaquant leurs pieds tors</span><br> + <span class="i0">Et leurs boutons d'habit sont des prunelles fauves</span><br> + <span class="i0">Qui vous accrochent l'œil du fond des corridors.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Puis ils ont une main invisible qui tue;</span><br> + <span class="i0">Au retour, leur regard filtre ce venin noir</span><br> + <span class="i0">Qui charge l'œil souffrant de la chienne battue,</span><br> + <span class="i0">Et vous suez, pris dans un atroce entonnoir.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Assis, les poings crispés dans des manchettes sales,</span><br> + <span class="i0">Ils songent à ceux-là qui les ont fait lever,</span><br> + <span class="i0">Et de l'aurore au soir des grappes d'amygdales</span><br> + <span class="i0">Sous leurs mentons chétifs s'agitent à crever.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Quand l'austère sommeil a baissé leurs visières</span><br> + <span class="i0">Ils rêvent sur leurs bras de sièges fécondés,</span><br> + <span class="i0">De vrais petits amours de chaises en lisières</span><br> + <span class="i0">Sur lesquelles de fiers bureaux seront bordés.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Les fleurs d'encre, crachant des pollens en virgules,</span><br> + <span class="i0">Les bercent le long des calices accroupis,</span><br> + <span class="i0">Tels qu'au fil des glaïeuls le vol des libellules,</span><br> + <span class="i0">—Et leur membre s'agace à des barbes d'épis!</span><br> + <br> + </div> +</div> + + + + +<h2><a name="t5" id="t5"></a>LES EFFARÉS</h2> + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0">Noirs dans la neige et dans la brume,</span><br> + <span class="i0">Au grand soupirail qui s'allume,</span><br> + <span class="i2">Leurs culs en rond,</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">À genoux, cinq petits,—misère!—</span><br> + <span class="i0">Regardent le boulanger faire</span><br> + <span class="i2">Le lourd pain blond...</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Ils voient le fort bras blanc qui tourne</span><br> + <span class="i0">La pâte grise, et qui l'enfourne</span><br> + <span class="i2">Dans un trou clair.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Ils écoutent le bon pain cuire</span><br> + <span class="i0">Le boulanger au gras sourire</span><br> + <span class="i2">Chante un vieil air.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Ils sont blottis, pas un ne bouge,</span><br> + <span class="i0">Au souffle du soupirail rouge,</span><br> + <span class="i2">Chaud comme un sein.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Et quand, pendant que minuit sonne,</span><br> + <span class="i0">Façonné, pétillant et jaune,</span><br> + <span class="i2">On sort le pain;</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Quand, sous les poutres enfumées,</span><br> + <span class="i0">Chantent les croûtes parfumées,</span><br> + <span class="i2">Et les grillons;</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Que ce trou chaud souffle la vie;</span><br> + <span class="i0">Ils ont leur âme si ravie</span><br> + <span class="i2">Sous leurs haillons,</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Ils se ressentent si bien vivre,</span><br> + <span class="i0">Les pauvres petits pleins de givre!</span><br> + <span class="i2">—Qu'ils sont là, tous,</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Collant leurs petits museaux roses</span><br> + <span class="i0">Au grillage, chantant des choses,</span><br> + <span class="i2">Entre les trous,</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Mais bien bas,—comme une prière...</span><br> + <span class="i0">Repliés vers cette lumière</span><br> + <span class="i2">Du ciel rouvert,</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">—Si fort, qu'ils crèvent leur culotte,</span><br> + <span class="i0">—Et que leur lange blanc tremblotte</span><br> + <span class="i2">Au vent d'hiver...</span><br> + <br> + </div> +</div> + +<p class="s2">20 septembre 1870. +</p> + + + +<h2><a name="t6" id="t6"></a>LES CHERCHEUSES DE POUX</h2> + + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0">Quand le front de l'enfant plein de rouges tourmentes,</span><br> + <span class="i0">Implore l'essaim blanc des rêves indistincts,</span><br> + <span class="i0">Il vient près de son lit deux grandes sœurs charmantes</span><br> + <span class="i0">Avec de frêles doigts aux ongles argentins.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Elles assoient l'enfant devant une croisée</span><br> + <span class="i0">Grande ouverte où l'air bleu baigne un fouillis de fleurs,</span><br> + <span class="i0">Et dans ses lourds cheveux où tombe la rosée</span><br> + <span class="i0">Promènent leurs doigts fins, terribles et charmeurs.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Il écoute chanter leurs haleines craintives</span><br> + <span class="i0">Qui fleurent de longs miels végétaux et rosés</span><br> + <span class="i0">Et qu'interrompt parfois un sifflement, salives</span><br> + <span class="i0">Reprises sur la lèvre ou désirs de baisers.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Il entend leurs cils noirs battant sous les silences</span><br> + <span class="i0">Parfumés; et leurs doigts électriques et doux</span><br> + <span class="i0">Font crépiter parmi ses grises indolences</span><br> + <span class="i0">Sous leurs ongles royaux la mort des petits poux.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Voilà que monte en lui le vin de la Paresse,</span><br> + <span class="i0">Soupir d'harmonica qui pourrait délirer;</span><br> + <span class="i0">L'enfant se sent, selon la lenteur des caresses,</span><br> + <span class="i0">Sourdre et mourir sans cesse un désir de pleurer.</span><br> + <br> + </div> +</div> + + + + +<h2><a name="t7" id="t7"></a>BATEAU IVRE</h2> + + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0">Comme je descendais des Fleuves impassibles</span><br> + <span class="i0">Je ne me sentis plus guidé par les haleurs;</span><br> + <span class="i0">Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles,</span><br> + <span class="i0">Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">J'étais insoucieux de tous les équipages,</span><br> + <span class="i0">Porteur de blés flamands ou de cotons anglais.</span><br> + <span class="i0">Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages,</span><br> + <span class="i0">Les Fleuves m'ont laissé descendre où je voulais.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Dans les clapotements furieux des marées,</span><br> + <span class="i0">Moi, l'autre hiver, plus sourd que les cerveaux d'enfants,</span><br> + <span class="i0">Je courus! Et les Péninsules démarrées,</span><br> + <span class="i0">N'ont pas subi tohu-bohus plus triomphants.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">La tempête a béni mes éveils maritimes.</span><br> + <span class="i0">Plus léger qu'un bouchon j'ai dansé sur les flots</span><br> + <span class="i0">Qu'on appelle rouleurs éternels de victimes,</span><br> + <span class="i0">Dixs nuit, sans regretter l'œil niais des falots.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Plus douce qu'aux enfants la chair des pommes sures</span><br> + <span class="i0">L'eau verte pénétra ma coque de sapin</span><br> + <span class="i0">Et des taches de vins bleus et des vomissures</span><br> + <span class="i0">Me lava, dispersant gouvernail et grappin.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Et dès lors je me suis baigné dans le poème</span><br> + <span class="i0">De la mer, infusé d'astres et latescent,</span><br> + <span class="i0">Dévorant les azurs verts où, flottaison blême</span><br> + <span class="i0">Et ravie, un noyé pensif parfois descend,</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Où, teignant tout à coup les bleuités, délires</span><br> + <span class="i0">Et rythmes lents sous les rutilements du jour,</span><br> + <span class="i0">Plus fortes que l'alcool, plus vastes que vos lyres,</span><br> + <span class="i0">Fermentent les rousseurs amères de l'amour.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes,</span><br> + <span class="i0">Et les ressacs, et les courants, je sais le soir,</span><br> + <span class="i0">L'aube exaltée ainsi qu'un peuple de colombes,</span><br> + <span class="i0">Et j'ai vu quelquefois ce que l'homme a cru voir.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">J'ai vu le soleil bas taché d'horreurs mystiques</span><br> + <span class="i0">Illuminant de longs figements violets,</span><br> + <span class="i0">Pareils à des acteurs de drames très antiques,</span><br> + <span class="i0">Les flots roulant au loin leurs frissons de volets;</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">J'ai rêvé la nuit verte aux neiges éblouies,</span><br> + <span class="i0">Baisers montant aux yeux des mers avec lenteur,</span><br> + <span class="i0">La circulation des sèves inouïes</span><br> + <span class="i0">Et l'éveil jaune et bleu des phosphores chanteurs.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">J'ai suivi des mois pleins, pareille aux vacheries</span><br> + <span class="i0">Hystériques, la houle à l'assaut des récifs,</span><br> + <span class="i0">Sans songer que les pieds lumineux des Maries</span><br> + <span class="i0">Pussent forcer le muffle aux Océans poussifs;</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">J'ai heurté, savez-vous? d'incroyables Florides,</span><br> + <span class="i0">Mêlant aux fleurs des yeux de panthères, aux peaux</span><br> + <span class="i0">D'hommes, des arcs-en-ciel tendus comme des brides,</span><br> + <span class="i0">Sous l'horizon des mers, à de glauques troupeaux;</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">J'ai vu fermenter les marais énormes, nasses</span><br> + <span class="i0">Où pourrit dans les joncs tout un Léviathan,</span><br> + <span class="i0">Des écroulements d'eaux au milieu des bonaces</span><br> + <span class="i0">Et les lointains vers les gouffres cataractant!</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Glaciers, soleils d'argent, flots nacreux, cieux de braises!</span><br> + <span class="i0">Échouages hideux au fond des golfes bruns</span><br> + <span class="i0">Où les serpents géants dévorés des punaises</span><br> + <span class="i0">Choient des arbres tordus avec de noirs parfums!</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">J'aurais voulu montrer aux enfants ces dorades</span><br> + <span class="i0">Du flot bleu, ces poissons d'or, ces poissons chantants,</span><br> + <span class="i0">Des écumes de fleurs ont béni mes dérades</span><br> + <span class="i0">Et d'ineffables vents m'ont ailé par instants.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Parfois, martyr lassé des pôles et des zones,</span><br> + <span class="i0">La mer dont le sanglot faisait mon roulis doux</span><br> + <span class="i0">Montait vers moi ses fleurs d'ombre aux ventouses jaunes</span><br> + <span class="i0">Et je restais ainsi qu'une femme à genoux,</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Presqu'île ballottant sur mes bords les querelles</span><br> + <span class="i0">Et les fientes d'oiseaux clabaudeurs aux yeux blonds,</span><br> + <span class="i0">Et je voguais lorsqu'à travers mes liens frêles</span><br> + <span class="i0">Des noyés descendaient dormir à reculons.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Or moi, bateau perdu sous les cheveux des anses,</span><br> + <span class="i0">Jeté par l'ouragan dans l'éther sans oiseau,</span><br> + <span class="i0">Moi dont les Monitors et les voiliers des Hanses</span><br> + <span class="i0">N'auraient pas repêché la carcasse ivre d'eau,</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Libre, fumant, monté de brumes violettes,</span><br> + <span class="i0">Moi qui trouais le ciel rougeoyant comme un mur</span><br> + <span class="i0">Qui porte, confiture exquise aux bons poètes,</span><br> + <span class="i0">Des lichens de soleil et des morves d'azur,</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Qui courais taché de lunules électriques,</span><br> + <span class="i0">Plante folle, escorté des hippocampes noirs,</span><br> + <span class="i0">Quand les Juillets faisaient croûler à coups de triques</span><br> + <span class="i0">Les cieux ultramarins aux ardents entonnoirs,</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Moi qui tremblais, sentant geindre à cinquante lieues</span><br> + <span class="i0">Le rut des Béhémots et des Maelstroms épais,</span><br> + <span class="i0">Fileur éternel des immobilités bleues,</span><br> + <span class="i0">Je regrette l'Europe aux anciens parapets.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">J'ai vu des archipels sidéraux! Et des îles</span><br> + <span class="i0">Dont les cieux délirants sont ouverts au vogueur:</span><br> + <span class="i0">—Est-ce en ces nuits sans fond que tu dors et t'exiles,</span><br> + <span class="i0">Million d'oiseaux d'or, ô future Vigueur?</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Mais, vrai, j'ai trop pleuré! Les aubes sont navrantes,</span><br> + <span class="i0">Toute lune est atroce et tout soleil amer.</span><br> + <span class="i0">L'âcre amour m'a gonflé de torpeurs enivrantes.</span><br> + <span class="i0">Oh! que ma quille éclate! Oh! que j'aille à la mer!</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Si je désire une eau d'Europe, c'est la flache</span><br> + <span class="i0">Noire et froide où, vers le crépuscule embaumé,</span><br> + <span class="i0">Un enfant accroupi, plein de tristesse, lâche</span><br> + <span class="i0">Un bateau frêle comme un papillon de mai.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Je ne puis plus, baigné de vos langueurs, ô lames,</span><br> + <span class="i0">Enlever leur sillage aux porteurs de cotons,</span><br> + <span class="i0">Ni traverser l'orgueil des drapeaux et des flammes,</span><br> + <span class="i0">Ni nager sous les yeux horribles des pontons!</span><br> + <br> + </div> +</div> + + + + +<h2><a name="t8" id="t8"></a>LES PREMIÈRES COMMUNIONS</h2> + + +<h3>I</h3> + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0">Vraiment, c'est bête, ces églises de villages</span><br> + <span class="i0">Où quinze laids marmots, encrassant les piliers,</span><br> + <span class="i0">Écoutent, grasseyant les divins babillages,</span><br> + <span class="i0">Un noir grotesque dont fermentent les souliers.</span><br> + <span class="i0">Mais le soleil éveille, à travers les feuillages,</span><br> + <span class="i0">Les vieilles couleurs des vitraux ensoleillés,</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">La pierre sent toujours la terre maternelle,</span><br> + <span class="i0">Vous verrez des monceaux de ces cailloux terreux</span><br> + <span class="i0">Dans la campagne en rut qui frémit, solennelle,</span><br> + <span class="i0">Portant, près des blés lourds, dans les sentiers séreux,</span><br> + <span class="i0">Ces arbrisseaux brûlés où bleuit la prunelle,</span><br> + <span class="i0">Des nœuds de mûriers noirs ou de rosiers furieux.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Tous les cent ans, on rend ces granges respectables</span><br> + <span class="i0">Par un badigeon d'eau bleue et de lait caillé.</span><br> + <span class="i0">Si des mysticités grotesques sont notables</span><br> + <span class="i0">Près de la Notre-Dame ou du saint empaillé,</span><br> + <span class="i0">Des mouches sentant bon l'auberge et les étables</span><br> + <span class="i0">Se gorgent de cire au plancher ensoleillé.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">L'enfant se doit surtout à la maison, famille</span><br> + <span class="i0">Des soins naïfs, des bons travaux abrutissants,</span><br> + <span class="i0">Ils sortent, oubliant que la peau leur fourmille</span><br> + <span class="i0">Où le Prêtre du Christ a mis ses doigts puissants.</span><br> + <span class="i0">On paie au Prêtre un toit ombré d'une charmille</span><br> + <span class="i0">Pour qu'il laisse au soleil tous ces fronts bruissants.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Le premier habit noir, le plus beau jour de tartes</span><br> + <span class="i0">Sous le Napoléon ou le Petit Tambour,</span><br> + <span class="i0">Quelque enluminure où les Josephs et les Marthes</span><br> + <span class="i0">Tirent la langue avec un excessif amour</span><br> + <span class="i0">Et qui joindront aux jours de science deux cartes,</span><br> + <span class="i0">Ces deux seuls souvenirs lui restent du grand jour.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Les filles vont toujours à l'église, contentes</span><br> + <span class="i0">De s'entendre appeler garces par les garçons</span><br> + <span class="i0">Qui font du genre, après messe et vêpres chantantes,</span><br> + <span class="i0">Eux, qui sont destinés au chic des garnisons,</span><br> + <span class="i0">Ils narguent au café les maisons importantes,</span><br> + <span class="i0">Blousés neuf et gueulant d'effroyables chansons.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Cependant le curé choisit, pour les enfances,</span><br> + <span class="i0">Des dessins; dans son clos, les vêpres dites, quand</span><br> + <span class="i0">L'air s'emplit du lointain nasillement des danses,</span><br> + <span class="i0">Il se sent, en dépit des célestes défenses,</span><br> + <span class="i0">Les doigts de pied ravis et le mollet marquant...</span><br> + <span class="i0">—La nuit vient, noir pirate au ciel noir débarquant.</span><br> + <br> + </div> +</div> + + +<h3>II</h3> + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0">Le prêtre a distingué, parmi les catéchistes</span><br> + <span class="i0">Congrégés des faubourgs ou des riches quartiers,</span><br> + <span class="i0">Cette petite fille inconnue, aux yeux tristes,</span><br> + <span class="i0">Front jaune. Ses parents semblent de doux portiers.</span><br> + <span class="i0">Au grand jour, la marquant parmi les catéchistes,</span><br> + <span class="i0">Dieu fera, sur son front, neiger ses bénitiers.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">La veille du grand jour, l'enfant se fait malade</span><br> + <span class="i0">Mieux qu'à l'église haute aux funèbres rumeurs.</span><br> + <span class="i0">D'abord le frisson vient, le lit n'étant pas fade,</span><br> + <span class="i0">Un frisson surhumain qui retourne: Je meurs...</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Et, comme un vol d'amour fait à ses sœurs stupides,</span><br> + <span class="i0">Elle compte, abattue et les mains sur son cœur,</span><br> + <span class="i0">Ses Anges, ses Jésus et ses Vierges nitides,</span><br> + <span class="i0">Et, calmement, son âme a bu tout son vainqueur.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Adonaï!... Dans les terminaisons latines</span><br> + <span class="i0">Des cieux moirés de vert baignent les Fronts vermeils</span><br> + <span class="i0">Et tachés du sang pur des célestes poitrines,</span><br> + <span class="i0">De grands linges neigeux tombent sur les soleils.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Pour ses virginités présentes et futures</span><br> + <span class="i0">Elle mord aux fraîcheurs de ta Rémission;</span><br> + <span class="i0">Mais plus que les lys d'eau, plus que les confitures</span><br> + <span class="i0">Tes pardons sont glacés, ô Reine de Sion.</span><br> + <br> + </div> +</div> + + +<h3>III</h3> + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0">Puis la Vierge n'est plus que la Vierge du livre;</span><br> + <span class="i0">Les mystiques élans se cassent quelquefois,</span><br> + <span class="i0">Et vient la pauvreté des images que cuivre</span><br> + <span class="i0">L'ennui, l'enluminure atroce et les vieux bois.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Des curiosités vaguement impudiques</span><br> + <span class="i0">Épouvantent le rêve aux chastes bleuités</span><br> + <span class="i0">Qui sont surpris autour des célestes tuniques</span><br> + <span class="i0">Du linge dont Jésus voile ses nudités.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Elle veut, elle veut pourtant, l'âme en détresse,</span><br> + <span class="i0">Le front dans l'oreiller creusé par les cris sourds,</span><br> + <span class="i0">Prolonger les éclairs suprêmes de tendresse</span><br> + <span class="i0">Et bave...—L'ombre emplit les maisons et les cours,</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Et l'enfant ne peut plus. Elle s'agite et cambre</span><br> + <span class="i0">Les reins, et d'une main ouvre le rideau bleu</span><br> + <span class="i0">Pour amener un peu la fraîcheur de la chambre</span><br> + <span class="i0">Sous le drap, vers son ventre et sa poitrine en feu.</span><br> + <br> + </div> +</div> + + +<h3>IV</h3> + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0">À son réveil,—minuit,—la fenêtre était blanche</span><br> + <span class="i0">Devant le soleil bleu des rideaux illunés;</span><br> + <span class="i0">La vision la prit des langueurs du Dimanche,</span><br> + <span class="i0">Elle avait rêvé rouge. Elle saigna du nez,</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Et se sentant bien chaste et pleine de faiblesse,</span><br> + <span class="i0">Pour savourer en Dieu son amour revenant,</span><br> + <span class="i0">Elle eut soif de la nuit où s'exalte et s'abaisse</span><br> + <span class="i0">Le cœur, sous l'œil des cieux doux, en les devinant;</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">De la nuit, Vierge-Mère impalpable qui baigne</span><br> + <span class="i0">Tous les jeunes émois de ses silences gris;</span><br> + <span class="i0">Elle eut soif de la nuit forte où le cœur qui saigne</span><br> + <span class="i0">Écoute sans témoin sa révolte sans cris.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Et, faisant la victime et la petite épouse,</span><br> + <span class="i0">Son étoile la vit, une chandelle aux doigts,</span><br> + <span class="i0">Descendre dans la cour où séchait une blouse,</span><br> + <span class="i0">Spectre blanc, et lever les spectres noirs des toits.</span><br> + <br> + </div> +</div> + + +<h3>V</h3> + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0">Elle passa sa nuit Sainte dans les latrines.</span><br> + <span class="i0">Vers la chandelle, aux trous du toit, coulait l'air blanc</span><br> + <span class="i0">Et quelque vigne folle aux noirceurs purpurines</span><br> + <span class="i0">En deçà d'une cour voisine s'écroulant.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">La lucarne faisait un cœur de lueur vive</span><br> + <span class="i0">Dans la cour où les cieux bas plaquaient d'ors vermeils</span><br> + <span class="i0">Les vitres; les pavés puant l'eau de lessive</span><br> + <span class="i0">Souffraient l'ombre des toits bordés de noirs sommeils.</span><br> + <br> + </div> +</div> + + +<h3>VI</h3> + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0">Qui dira ces langueurs et ces pitiés immondes</span><br> + <span class="i0">Et ce qui lui viendra de haine, ô sales fous,</span><br> + <span class="i0">Dont le travail divin déforme encor les mondes</span><br> + <span class="i0">Quand la lèpre, à la fin, rongera ce corps doux,</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Et quand, ayant rentré tous ces nœuds d'hystéries</span><br> + <span class="i0">Elle verra, sous les tristesses du bonheur,</span><br> + <span class="i0">L'amant rêver au blanc million de Maries</span><br> + <span class="i0">Au matin de la nuit d'amour, avec douleur!</span><br> + <br> + </div> +</div> + + +<h3>VII</h3> + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0">Sais-tu que je t'ai fait mourir? J'ai pris ta bouche,</span><br> + <span class="i0">Ton cœur, tout ce qu'on a, tout ce que vous avez,</span><br> + <span class="i0">Et moi je suis malade. Oh! je veux qu'on me couche</span><br> + <span class="i0">Parmi les Morts des eaux nocturnes abreuvés!</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">J'étais bien jeune, et Christ a souillé mes haleines,</span><br> + <span class="i0">Il me bonda jusqu'à la gorge de dégoûts;</span><br> + <span class="i0">Tu baisais mes cheveux profonds comme des laines,</span><br> + <span class="i0">Et je me laissais faire!... Oh! va... c'est bon pour vous,</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Hommes! qui songez peu que la plus amoureuse</span><br> + <span class="i0">Est, dans sa conscience, aux ignobles terreurs</span><br> + <span class="i0">La plus prostituée et la plus douloureuse</span><br> + <span class="i0">Et que tous nos élans vers vous sont des erreurs.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Car ma communion première est bien passée!</span><br> + <span class="i0">Tes baisers, je ne puis jamais les avoir bus.</span><br> + <span class="i0">Et mon cœur et ma chair par ta chair embrassée</span><br> + <span class="i0">Fourmillent du baiser putride de Jésus...</span><br> + <br> + </div> +</div> + + +<h3>VIII</h3> + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0">Alors l'âme pourrie et l'âme désolée</span><br> + <span class="i0">Sentiront ruisseler tes malédictions.</span><br> + <span class="i0">—Ils avaient couché sur ta haine inviolée</span><br> + <span class="i0">Echappés, pour la mort, des justes passions.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Christ, ô Christ, éternel voleur des énergies,</span><br> + <span class="i0">Dieu qui, pour deux mille ans, vouas, à ta pâleur,</span><br> + <span class="i0">Cloués au sol, de honte et de céphalalgies,</span><br> + <span class="i0">Ou renversés, les fronts des Femmes de douleur.</span><br> + <br> + </div> +</div> + +<p class="s2">Juillet 1871. +</p> + + + +<h2><a name="t9" id="t9"></a>L'ORGIE PARISIENNE<br> +<small>OU<br> +PARIS SE REPEUPLE</small></h2> + + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0">Ô lâches, la voilà! dégorgez dans les gares!</span><br> + <span class="i0">Le soleil expia de ses poumons ardents</span><br> + <span class="i0">Les boulevards qu'un soir comblèrent les Barbares</span><br> + <span class="i0">Voilà la Cité belle assise à l'occident!</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Allez! on préviendra les reflux d'incendie,</span><br> + <span class="i0">Voilà les quais! voilà les boulevards! voilà,</span><br> + <span class="i0">Sur les maisons, l'azur léger qui s'irradie,</span><br> + <span class="i0">Et qu'un soir la rougeur des bombes étoila.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Cachez les palais morts dans des niches de planches</span><br> + <span class="i0">L'ancien jour effaré rafraîchit vos regards.</span><br> + <span class="i0">Voici le troupeau roux des tordeuses de hanches,</span><br> + <span class="i0">Soyez fous, vous serez drôles, étant hagards!</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Tas de chiennes en rut mangeant des cataplasmes,</span><br> + <span class="i0">Le cri des maisons d'or vous réclame. Volez!</span><br> + <span class="i0">Mangez! voici la nuit de joie aux profonds spasmes</span><br> + <span class="i0">Qui descend dans la rue, ô buveurs désolés,</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Buvez. Quand La lumière arrive intense et folle</span><br> + <span class="i0">Fouillant à vos côtés les luxes ruisselants,</span><br> + <span class="i0">Vous n'allez pas baver, sans geste, sans parole,</span><br> + <span class="i0">Dans vos verres, les yeux perdus aux lointains blancs,</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Avalez, pour la Reine aux fesses cascadantes!</span><br> + <span class="i0">Écoutez l'action des stupides hoquets</span><br> + <span class="i0">Déchirants. Écoutez, sauter aux nuits ardentes</span><br> + <span class="i0">Les idiots râleux, vieillards, pantins, laquais!</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Ô cœurs de saleté, bouches épouvantables,</span><br> + <span class="i0">Fonctionnez plus fort, bouches de puanteurs!</span><br> + <span class="i0">Un vin pour ces torpeurs ignobles, sur ces tables...</span><br> + <span class="i0">Vos ventres sont fondus de hontes, ô Vainqueurs!</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Ouvrez votre narine aux superbes nausées!</span><br> + <span class="i0">Trempez de poisons forts les cordes de vos cous!</span><br> + <span class="i0">Sur vos nuques d'enfants baissant ses mains croisées</span><br> + <span class="i0">Le Poète vous dit: ô lâches, soyez fous!</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Parce que vous fouillez le ventre de la Femme</span><br> + <span class="i0">Vous craignez d'elle encore une convulsion</span><br> + <span class="i0">Qui crie, asphyxiant votre nichée infâme</span><br> + <span class="i0">Sur sa poitrine, en une horrible pression.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Syphilitiques, fous, rois, pantins, ventriloques,</span><br> + <span class="i0">Qu'est-ce que ça peut faire à la pudeur Paris,</span><br> + <span class="i0">Vos âmes et vos corps, vos poisons et vos loques?</span><br> + <span class="i0">Elle se secouera de vous, hargneux pourris!</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Et quand vous serez bas, geignant sur vos entrailles</span><br> + <span class="i0">Les flancs morts, réclamant votre argent, éperdus,</span><br> + <span class="i0">La rouge courtisane aux seins gros des batailles,</span><br> + <span class="i0">Loin de votre stupeur tordra ses poings ardus!</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Quand tes pieds ont dansé si fort dans les colères,</span><br> + <span class="i0">Paris! quand tu reçus tant de coups de couteau,</span><br> + <span class="i0">Quand tu gis, retenant dans tes prunelles claires,</span><br> + <span class="i0">Un peu de la bonté du fauve renouveau,</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Ô cité douloureuse, ô cité quasi morte,</span><br> + <span class="i0">La tête et les deux seins jetés vers l'Avenir</span><br> + <span class="i0">Ouvrant sur ta pâleur ses milliards de portes,</span><br> + <span class="i0">Cité que le Passé sombre pourrait bénir:</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Corps remagnétisé pour les énormes peines,</span><br> + <span class="i0">Tu rebois donc la vie effroyable! tu sens</span><br> + <span class="i0">Sourdre le flux des vers livides en tes veines,</span><br> + <span class="i0">Et sur ton clair amour rôder les doigts glaçants!</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Et ce n'est pas mauvais. Tes vers, tes vers livides</span><br> + <span class="i0">Ne gêneront pas plus ton souffle de Progrès</span><br> + <span class="i0">Que les Stryx n'éteignaient l'œil des Cariatides</span><br> + <span class="i0">Où des pleurs d'or astral tombaient des bleus degrés.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Quoique ce soit affreux de te revoir couverte</span><br> + <span class="i0">Ainsi; quoiqu'on n'ait fait jamais d'une cité</span><br> + <span class="i0">Ulcère plus puant à la Nature verte,</span><br> + <span class="i0">Le Poète te dit «Splendide est ta Beauté!»</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">L'orage t'a sacrée suprême poésie;</span><br> + <span class="i0">L'immense remuement des forces te secourt;</span><br> + <span class="i0">Ton œuvre bout, la mort gronde, Cité choisie!</span><br> + <span class="i0">Amasse les strideurs au cœur du clairon lourd.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Le Poète prendra le sanglot des Infâmes,</span><br> + <span class="i0">La haine des Forçats, la clameur des maudits;</span><br> + <span class="i0">Et ses rayons d'amour flagelleront les Femmes.</span><br> + <span class="i0">Ses strophes bondiront, voilà! voilà! bandits!</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">—Société, tout est rétabli:—les orgies</span><br> + <span class="i0">Pleurent leur ancien râle aux anciens lupanars:</span><br> + <span class="i0">Et les gaz en délire aux murailles rougies</span><br> + <span class="i0">Flambent sinistrement vers les azurs blafards!</span><br> + <br> + </div> +</div> + +<p class="s2">Mai 1871. +</p> + + + +<h2><a name="t10" id="t10"></a>ACCROUPISSEMENTS</h2> + + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0">Bien tard, quand il se sent l'estomac écœuré,</span><br> + <span class="i0">Le frère Milotus un œil à la lucarne</span><br> + <span class="i0">D'où le soleil, clair comme un chaudron récuré,</span><br> + <span class="i0">Lui darde une migraine et fait son regard darne,</span><br> + <span class="i0">Déplace dans les draps son ventre de curé.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Il se démène sous sa couverture grise</span><br> + <span class="i0">Et descend ses genoux à son ventre tremblant,</span><br> + <span class="i0">Effaré comme un vieux qui mangerait sa prise,</span><br> + <span class="i0">Car il lui faut, le poing à l'anse d'un pot blanc,</span><br> + <span class="i0">À ses reins largement retrousser sa chemise!</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Or, il s'est accroupi frileux, les doigts de pied</span><br> + <span class="i0">Repliés grelottant au clair soleil qui plaque</span><br> + <span class="i0">Des jaunes de brioches aux vitres de papiers,</span><br> + <span class="i0">Et le nez du bonhomme où s'allume la laque</span><br> + <span class="i0">Renifle aux rayons, tel qu'un charnel polypier.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Le bonhomme mijote au feu, bras tordus, lippe</span><br> + <span class="i0">Au ventre: il sent glisser ses cuisses dans le feu</span><br> + <span class="i0">Et ses chausses roussir et s'éteindre sa pipe;</span><br> + <span class="i0">Quelque chose comme un oiseau remue un peu</span><br> + <span class="i0">À son ventre serein comme un morceau de tripe!</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Autour, dort un fouillis de meubles abrutis</span><br> + <span class="i0">Dans des haillons de crasse et sur de sales ventres,</span><br> + <span class="i0">Des escabeaux, crapauds étranges, sont blottis</span><br> + <span class="i0">Aux coins noirs: des buffets ont des gueules de chantres</span><br> + <span class="i0">Qu'entr'ouvre un sommeil plein d'horribles appétits.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">L'écœurante chaleur gorge la chambre étroite,</span><br> + <span class="i0">Le cerveau du bonhomme est bourré de chiffons,</span><br> + <span class="i0">Il écoute les poils pousser dans sa peau moite</span><br> + <span class="i0">Et parfois en hoquets fort gravement bouffons</span><br> + <span class="i0">S'échappe, secouant son escabeau qui boite...</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Et le soir aux rayons de lune qui lui font</span><br> + <span class="i0">Aux contours du cul des bavures de lumière,</span><br> + <span class="i0">Une ombre avec détails s'accroupit sur un fond</span><br> + <span class="i0">De neige rose ainsi qu'une rose trémière...</span><br> + <span class="i0">Fantasque, un nez poursuit Vénus au ciel profond.</span><br> + <br> + </div> +</div> + + + + +<h2><a name="t11" id="t11"></a>LES PAUVRES À L'ÉGLISE</h2> + + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0">Parqués entre des bancs de chêne, aux coins d'église</span><br> + <span class="i0">Qu'attiédit puamment leur souffle, tous leurs yeux</span><br> + <span class="i0">Vers le cœur ruisselant d'orrie et la maîtrise</span><br> + <span class="i0">Aux vingt gueules gueulant les cantiques pieux;</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Comme un parfum de pain humant l'odeur de cire,</span><br> + <span class="i0">Heureux, humiliés comme des chiens battus,</span><br> + <span class="i0">Les Pauvres au bon Dieu, le patron et le sire,</span><br> + <span class="i0">Tendent leurs oremus risibles et têtus.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Aux femmes, c'est bien bon de faire des bancs lisses;</span><br> + <span class="i0">Après les six jours noirs où Dieu les fait souffrir!</span><br> + <span class="i0">Elles bercent, tordus dans d'étranges pelisses,</span><br> + <span class="i0">Des espèces d'enfants qui pleurent à mourir;</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Leurs seins crasseux dehors, ces mangeuses de soupe,</span><br> + <span class="i0">Une prière aux yeux et ne priant jamais,</span><br> + <span class="i0">Regardent parader mauvaisement un groupe</span><br> + <span class="i0">De gamines avec leurs chapeaux déformés.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Dehors, le froid, la faim, l'homme en ribote:</span><br> + <span class="i0">C'est bon. Encore une heure; après, les maux sans nom</span><br> + <span class="i0">—Cependant, alentour, geint, nazille, chuchote</span><br> + <span class="i0">Une collection de vieilles à fanons;</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Ces effarés y sont et ces épileptiques</span><br> + <span class="i0">Dont on se détournait hier aux carrefours;</span><br> + <span class="i0">Et, fringalant du nez dans des missels antiques</span><br> + <span class="i0">Ces aveugles qu'un chien introduit dans les cours.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Et tous, bavant la foi mendiante et stupide,</span><br> + <span class="i0">Récitent la complainte infinie à Jésus</span><br> + <span class="i0">Qui rêve en haut, jauni par le vitrail livide,</span><br> + <span class="i0">Loin des maigres mauvais et des méchants pansus,</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Loin des senteurs de viande et d'étoffes moisies,</span><br> + <span class="i0">Farce prostrée et sombre aux gestes repoussants;</span><br> + <span class="i0">—Et l'oraison fleurit d'expressions choisies,</span><br> + <span class="i0">Et les mysticités prennent des tons pressants,</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Quand, des nefs où périt le soleil, plis de soie</span><br> + <span class="i0">Banals, sourires verts, les Dames des quartiers</span><br> + <span class="i0">Distingués,—ô Jésus!—les malades du foie</span><br> + <span class="i0">Font baiser leurs longs doigts jaunes aux bénitiers.</span><br> + <br> + </div> +</div> + +<p class="s2">1871 +</p> + + + +<h2><a name="t12" id="t12"></a>CE QUI RETIENT NINA</h2> + + +<h3>LUI</h3> + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0">Ta poitrine sur ma poitrine,</span><br> + <span class="i2">Hein? nous irions,</span><br> + <span class="i0">Ayant de l'air plein la narine,</span><br> + <span class="i2">Aux frais rayons</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Du bon matin bleu qui vous baigne</span><br> + <span class="i2">Du vin de jour?...</span><br> + <span class="i0">Quand tout le bois frissonnant saigne</span><br> + <span class="i2">Muet d'amour</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">De chaque branche, gouttes vertes,</span><br> + <span class="i2">Des bourgeons clairs,</span><br> + <span class="i0">On sent dans les choses ouvertes</span><br> + <span class="i2">Frémir des chairs;</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Tu plongerais dans la luzerne</span><br> + <span class="i2">Ton long peignoir,</span><br> + <span class="i0">Divine avec ce bleu qui cerne</span><br> + <span class="i2">Ton grand œil noir,</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Amoureuse de la campagne,</span><br> + <span class="i2">Semant partout,</span><br> + <span class="i0">Comme une mousse de champagne,</span><br> + <span class="i2">Ton rire fou!</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Riant à moi, brutal d'ivresse,</span><br> + <span class="i2">Qui te prendrais</span><br> + <span class="i0">Comme cela,—la belle tresse,</span><br> + <span class="i2">Oh!—qui boirais</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Ton goût de framboise et de fraise,</span><br> + <span class="i2">Ô chair de fleur!</span><br> + <span class="i0">Riant au vent vif qui te baise</span><br> + <span class="i2">Comme un voleur!</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Au rose églantier qui t'embête</span><br> + <span class="i2">Aimablement...</span><br> + <span class="i0">Riant surtout, ô folle tête,</span><br> + <span class="i2">À ton amant!...</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Dix-sept ans! Tu seras heureuse!</span><br> + <span class="i2">Oh! les grands prés,</span><br> + <span class="i0">La grande campagne amoureuse!</span><br> + <span class="i2">—Dis, viens plus près!...</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Ta poitrine sur ma poitrine,</span><br> + <span class="i2">Mêlant nos voix,</span><br> + <span class="i0">Lents, nous gagnerions la ravine,</span><br> + <span class="i2">Puis les grands bois!...</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Puis, comme une petite morte,</span><br> + <span class="i2">Le cœur pâmé,</span><br> + <span class="i0">Tu me dirais que je te porte,</span><br> + <span class="i2">L'œil mi-fermé...</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Je te porterais, palpitante</span><br> + <span class="i2">Dans le sentier...</span><br> + <span class="i0">L'oiseau filerait son andante,</span><br> + <span class="i2">Joli portier...</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Je te parlerais dans ta bouche:</span><br> + <span class="i2">J'irais, pressant</span><br> + <span class="i0">Ton corps, comme une enfant qu'on couche</span><br> + <span class="i2">Ivre du sang</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Qui coule, bleu, sous ta peau blanche</span><br> + <span class="i2">Aux tons rosés,</span><br> + <span class="i0">Te parlant bas la langue franche...</span><br> + <span class="i2">Tiens!... que tu sais...</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Nos grands bois sentiraient la sève,</span><br> + <span class="i2">Et le soleil</span><br> + <span class="i0">Sablerait d'or fin leur grand rêve</span><br> + <span class="i2">Sombre et vermeil!</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Le soir?... Nous reprendrons la route</span><br> + <span class="i2">Blanche qui court,</span><br> + <span class="i0">Flânant, comme un troupeau qui broute,</span><br> + <span class="i2">Tout à l'entour...</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Les bons vergers à l'herbe bleue</span><br> + <span class="i2">Aux pommiers tors!</span><br> + <span class="i0">Comme on les sent tout une lieue,</span><br> + <span class="i2">Leurs parfums forts!</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Nous regagnerions le village</span><br> + <span class="i2">Au ciel mi-noir;</span><br> + <span class="i0">Et ça sentirait le laitage</span><br> + <span class="i2">Dans l'air du soir:</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Ça sentirait l'étable pleine</span><br> + <span class="i2">De fumiers chauds,</span><br> + <span class="i0">Pleine d'un rythme lent d'haleine,</span><br> + <span class="i2">Et de grands dos</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Blanchissant sous quelque lumière;</span><br> + <span class="i2">Et, tout là-bas,</span><br> + <span class="i0">Une vache fienterait fière,</span><br> + <span class="i2">À chaque pas!...</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">—Les lunettes de la grand'mère</span><br> + <span class="i2">Et son nez long</span><br> + <span class="i0">Dans son missel, le pot de bière</span><br> + <span class="i2">Cerclé de plomb</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Moussant entre trois larges pipes</span><br> + <span class="i2">Qui, crânement,</span><br> + <span class="i0">Fument: dix, quinze, immenses lippes</span><br> + <span class="i2">Qui, tout fumant,</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Happent le jambon aux fourchettes</span><br> + <span class="i2">Tant, tant et plus;</span><br> + <span class="i0">Le feu qui claire les couchettes,</span><br> + <span class="i2">Et les bahuts:</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Les fesses luisantes et grasses</span><br> + <span class="i2">D'un gros enfant</span><br> + <span class="i0">Qui fourre, à genoux, dans des tasses,</span><br> + <span class="i2">Son museau blanc</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Frolé par un mufle qui gronde</span><br> + <span class="i2">D'un ton gentil,</span><br> + <span class="i0">Et pourlèche la face ronde</span><br> + <span class="i2">Du cher petit...</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Noire, rogue au bord de sa chaise,</span><br> + <span class="i2">Affreux profil,</span><br> + <span class="i0">Une vieille devant la braise</span><br> + <span class="i2">Qui fait du fil;</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Que de choses nous verrions, chère,</span><br> + <span class="i2">Dans ces taudis,</span><br> + <span class="i0">Quand la flamme illumine, claire,</span><br> + <span class="i2">Les carreaux gris!...</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">—Et puis, fraîche et toute nichée</span><br> + <span class="i2">Dans les lilas,</span><br> + <span class="i0">La maison, la vitre cachée</span><br> + <span class="i2">Qui rit là-bas...</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Tu viendras, tu viendras, je t'aime,</span><br> + <span class="i2">Ce sera beau!</span><br> + <span class="i0">Tu viendras, n'est-ce pas? et même...</span><br> + <br> + </div> +</div> + +<h3>ELLE</h3> + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i2">Mais le bureau?</span><br> + <br> + </div> +</div> + +<p class="s2">15 août 1870. +</p> + + + +<h2><a name="t13" id="t13"></a>VÉNUS ANADYOMÈNE</h2> + + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0">Comme d'un cercueil vert en fer-blanc, une tête</span><br> + <span class="i0">De femme à cheveux bruns fortement pommadés</span><br> + <span class="i0">D'une vieille baignoire émerge, lente et bête,</span><br> + <span class="i0">Montrant des déficits assez mal ravaudés;</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Puis le col gras et gris, les larges omoplates</span><br> + <span class="i0">Qui saillent; le dos court qui rentre et qui ressort.</span><br> + <span class="i0">—La graisse sous la peau paraît en feuilles plates;</span><br> + <span class="i0">Et les rondeurs des reins semblent prendre l'essor...</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">L'échine est un peu rouge, et le tout sent un goût</span><br> + <span class="i0">Horrible étrangement,—on remarque surtout</span><br> + <span class="i0">Des singularités qu'il faut voir à la loupe...</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Les reins portent deux mots gravés: <i>Clara Vénus</i></span><br> + <span class="i0">—Et tout ce corps remue et tend sa large croupe</span><br> + <span class="i0">Belle hideusement d'un ulcère à l'anus.</span><br> + <br> + </div> +</div> + +<p class="s2">27 juillet 1870. +</p> + +<p><a name="t13a" id="t13a"></a><br><br></p> + +<blockquote style="margin-left: 50%;"> +«Français de soixante-dix, bonapartistes, +républicains, souvenez-vous de vos pères en 92, +etc...» +</blockquote> +<p class="s"><span class="sc">Paul de Cassagnac</span> <i>(Le Pays)</i> + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0">Morts de quatre-vingt-douze et de quatre-vingt-treize</span><br> + <span class="i0">Qui, pâles du baiser fort de la liberté,</span><br> + <span class="i0">Calmes, sous vos sabots, brisiez le joug qui pèse</span><br> + <span class="i0">Sur l'âme et sur le front de toute humanité;</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Hommes extasiés et grands dans la tourmente,</span><br> + <span class="i0">Vous dont les cœurs sautaient d'amour sous les haillons,</span><br> + <span class="i0">Ô soldats que la Mort a semés, noble Amante,</span><br> + <span class="i0">Pour les régénérer, dans tous les vieux sillons;</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Vous dont le sang lavait toute grandeur salie,</span><br> + <span class="i0">Morts de Valmy, Morts de Fleurus, Morts d'Italie,</span><br> + <span class="i0">Ô Million de Christs aux yeux sombres et doux;</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Nous vous laissions dormir avec la République,</span><br> + <span class="i0">Nous, courbés sous les rois comme sous une trique:</span><br> + <span class="i0">—Messieurs de Cassagnac nous reparlent de vous!</span><br> + <br> + </div> +</div> + +<p class="s2">3 septembre 1870. +</p> + + + +<h2><a name="t14" id="t14"></a>COMÉDIE EN TROIS BAISERS</h2> + + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0">Elle était fort déshabillée,</span><br> + <span class="i0">Et de grands arbres indiscrets</span><br> + <span class="i0">Aux vitres penchaient leur feuillée</span><br> + <span class="i0">Malinement, tout près, tout près.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Assise sur ma grande chaise,</span><br> + <span class="i0">Mi-nue elle joignait les mains.</span><br> + <span class="i0">Sur le plancher frissonnaient d'aise</span><br> + <span class="i0">Ses petits pieds si fins, si fins.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">—Je regardai, couleur de cire</span><br> + <span class="i0">Un petit rayon buissonnier</span><br> + <span class="i0">Papillonner, comme un sourire,</span><br> + <span class="i0">Sur son beau sein, mouche au rosier,</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">—Je baisai ses fines chevilles.</span><br> + <span class="i0">Elle eut un long rire tris-mal</span><br> + <span class="i0">Qui s'égrenait en claires trilles,</span><br> + <span class="i0">Une risure de cristal...</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Les petits pieds sous la chemise</span><br> + <span class="i0">Se sauvèrent: «Veux-tu finir!»</span><br> + <span class="i0">—La première audace permise,</span><br> + <span class="i0">Le rire feignait de punir!</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">—Pauvrets palpitant sous ma lèvre,</span><br> + <span class="i0">Je baisai doucement ses yeux:</span><br> + <span class="i0">—Elle jeta sa tête mièvre</span><br> + <span class="i0">En arrière: «Oh! c'est encor mieux!...»</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">«Monsieur, j'ai deux mots à te dire...»</span><br> + <span class="i0">—Je lui jetai le reste au sein</span><br> + <span class="i0">Dans un baiser, qui la fit rire</span><br> + <span class="i0">D'un bon rire qui voulait bien...</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">—Elle était fort déshabillée</span><br> + <span class="i0">Et de grands arbres indiscrets</span><br> + <span class="i0">Aux vitres penchaient leur feuillée</span><br> + <span class="i0">Malinement, tout près, tout près.</span><br> + <br> + </div> +</div> + + + + +<h2><a name="t15" id="t15"></a>SENSATION</h2> + + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0">Par les soirs bleus d'été, j'irai dans les sentiers,</span><br> + <span class="i0">Picoté par les blés, fouler l'herbe menue:</span><br> + <span class="i0">Rêveur, j'en sentirai la fraîcheur à mes pieds.</span><br> + <span class="i0">Je laisserai le vent baigner ma tête nue!</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Je ne parlerai pas, je ne penserai rien;</span><br> + <span class="i0">Mais l'amour infini me montera dans l'âme,</span><br> + <span class="i0">Et j'irai loin, bien loin, comme un bohémien</span><br> + <span class="i0">Par la Nature,—heureux comme avec une femme.</span><br> + <br> + </div> +</div> + +<p class="s2">Mars 1870. +</p> + + + +<h2><a name="t16" id="t16"></a>BAL DES PENDUS</h2> + + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i2">Au gibet noir, manchot aimable,</span><br> + <span class="i2">Dansent, dansent les paladins,</span><br> + <span class="i2">Les maigres paladins du diable,</span><br> + <span class="i2">Les squelettes de Saladins.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Messire Belzebuth tire par la cravate</span><br> + <span class="i0">Ses petits pantins noirs grimaçant sur le ciel,</span><br> + <span class="i0">Et, leur claquant au front un revers de savate,</span><br> + <span class="i0">Les fait danser, danser aux sons d'un vieux Noël!</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Et les pantins choqués enlacent leurs bras grêles:</span><br> + <span class="i0">Comme des orgues noirs, les poitrines à jour</span><br> + <span class="i0">Que serraient autrefois les gentes damoiselles,</span><br> + <span class="i0">Se heurtent longuement dans un hideux amour.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Hurrah! les gais danseurs, qui n'avez plus de panse!</span><br> + <span class="i0">On peut cabrioler, les tréteaux sont si longs!</span><br> + <span class="i0">Hop! qu'on ne sache plus si c'est bataille ou danse!</span><br> + <span class="i0">Belzebuth enragé râcle ses violons!</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Ô durs talons, jamais on n'use sa sandale!</span><br> + <span class="i0">Presque tous ont quitté la chemise de peau:</span><br> + <span class="i0">Le reste est peu gênant et se voit sans scandale.</span><br> + <span class="i0">Sur les crânes, la neige applique un blanc chapeau:</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Le corbeau fait panache à ces têtes fêlées,</span><br> + <span class="i0">Un morceau de chair tremble à leur maigre menton:</span><br> + <span class="i0">On dirait, tournoyant dans les sombres mêlées,</span><br> + <span class="i0">Des preux, raides, heurtant armures de carton.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Hurrah! la bise siffle au grand bal des squelettes!</span><br> + <span class="i0">Le gibet noir mugit comme un orgue de fer!</span><br> + <span class="i0">Les loups vont répondant des forêts violettes:</span><br> + <span class="i0">À l'horizon, le ciel est d'un rouge d'enfer...</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Holà, secouez-moi ces capitans funèbres</span><br> + <span class="i0">Qui défilent, sournois, de leurs gros doigts cassés</span><br> + <span class="i0">Un chapelet d'amour sur leurs pâles vertèbres:</span><br> + <span class="i0">Ce n'est pas un monstier ici, les trépassés!</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Oh! voilà qu'au milieu de la danse macabre</span><br> + <span class="i0">Bondit dans le ciel rouge un grand squelette fou</span><br> + <span class="i0">Emporté par l'élan, comme un cheval se cabre:</span><br> + <span class="i0">Et, se sentant encor la corde raide au cou,</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Crispe ses petits doigts sur son fémur qui craque</span><br> + <span class="i0">Avec des cris pareils à des ricanements,</span><br> + <span class="i0">Et, comme un baladin rentre dans la baraque,</span><br> + <span class="i0">Rebondit dans le bal au chant des ossements.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i2">Au gibet noir, manchot aimable,</span><br> + <span class="i2">Dansent, dansent les paladins,</span><br> + <span class="i2">Les maigres paladins du diable,</span><br> + <span class="i2">Les squelettes de Saladins.</span><br> + <br> + </div> +</div> + + + + +<h2><a name="t17" id="t17"></a>ROMAN</h2> + + +<h3>I</h3> + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0">On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans.</span><br> + <span class="i0">—Un beau soir, foin des bocks et de la limonade,</span><br> + <span class="i0">Ces cafés tapageurs aux lustres éclatants!</span><br> + <span class="i0">—On va sous les tilleuls verts de la promenade,</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin!</span><br> + <span class="i0">L'air est parfois si doux, qu'on ferme la paupière;</span><br> + <span class="i0">Le vent chargé de bruits,—la ville n'est pas loin,—</span><br> + <span class="i0">A des parfums de vigne et des parfums de bière...</span><br> + <br> + </div> +</div> + + +<h3>II</h3> + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0">—Voilà qu'on aperçoit un tout petit chiffon</span><br> + <span class="i0">D'azur sombre, encadré d'une petite branche,</span><br> + <span class="i0">Piqué d'une mauvaise étoile, qui se fond</span><br> + <span class="i0">Avec de doux frissons, petite et toute blanche...</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Nuit de juin! Dix-sept ans!—On se laisse griser.</span><br> + <span class="i0">La sève est du champagne et vous monte à la tête...</span><br> + <span class="i0">On divague; on se sent aux lèvres un baiser</span><br> + <span class="i0">Qui palpite là, comme une petite bête...</span><br> + <br> + </div> +</div> + + +<h3>III</h3> + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0">Le cœur fou Robinsonne à travers les romans,</span><br> + <span class="i0">—Lorsque, dans la clarté d'un pâle réverbère,</span><br> + <span class="i0">Passe une demoiselle aux petits airs charmants,</span><br> + <span class="i0">Sous l'ombre du faux-col effrayant de son père...</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Et, comme elle vous trouve immensément naïf,</span><br> + <span class="i0">Tout en faisant trotter ses petites bottines,</span><br> + <span class="i0">Elle se tourne, alerte et d'un mouvement vif...</span><br> + <span class="i0">—Sur vos lèvres alors meurent les cavatines...</span><br> + <br> + </div> +</div> + + +<h3>IV</h3> + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0">Vous êtes amoureux. Loué jusqu'au moi d'août.</span><br> + <span class="i0">Vous êtes amoureux.—Vos sonnets la font rire.</span><br> + <span class="i0">Tous vos amis s'en vont, vous êtes mauvais goût.</span><br> + <span class="i0">—Puis l'adorée, un soir, a daigné vous écrire...!</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">—Ce soir-là, ...—vous rentrez aux cafés éclatants,</span><br> + <span class="i0">Vous demandez des bocks ou de la limonade...</span><br> + <span class="i0">—On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans</span><br> + <span class="i0">Et qu'on a des tilleuls verts sur la promenade.</span><br> + <br> + </div> +</div> + +<p class="s2">23 septembre 1870. +</p> + + + +<h2><a name="t18" id="t18"></a>RAGES DE CÉSARS</h2> + + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0">L'Homme pâle, le long des pelouses fleuries,</span><br> + <span class="i0">Chemine, en habit noir, et le cigare aux dents:</span><br> + <span class="i0">L'Homme pâle repense aux fleurs des Tuileries</span><br> + <span class="i0">—Et parfois son œil terne a des regards ardents...!</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Car l'Empereur est saoûl de ses vingt ans d'orgie!</span><br> + <span class="i0">Il s'était dit: «Je vais souffler la Liberté</span><br> + <span class="i0">Bien délicatement, ainsi qu'une bougie!»</span><br> + <span class="i0">La Liberté revit! Il se sent éreinté!</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Il est pris.—Oh! quel nom sur ses lèvres muettes</span><br> + <span class="i0">Tressaille? Quel regret incapable le mord?</span><br> + <span class="i0">On ne le saura pas. L'Empereur a l'œil mort.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Il repense peut-être au Compère en lunettes...</span><br> + <span class="i0">—Et regarde filer de son cigare en feu,</span><br> + <span class="i0">Comme aux soirs de Saint-Cloud, un fin nuage bleu</span><br> + <br> + </div> +</div> + + + + +<h2><a name="t19" id="t19"></a>LE MAL</h2> + + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0">Tandis que les crachats rouges de la mitraille</span><br> + <span class="i0">Sifflent tout le jour par l'infini du ciel bleu;</span><br> + <span class="i0">Qu'écarlates ou verts, près du Roi qui les raille,</span><br> + <span class="i0">Croulent les bataillons en masse dans le feu;</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Tandis qu'une folie épouvantable, broie</span><br> + <span class="i0">Et fait de cent milliers d'hommes un tas fumant;</span><br> + <span class="i0">—Pauvres morts! dans l'été, dans l'herbe, dans ta joie,</span><br> + <span class="i0">Nature! ô toi qui fis ces hommes saintement!...—</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">—Il est un Dieu, qui rit aux nappes damassées</span><br> + <span class="i0">Des autels, à l'encens, aux grands calices d'or;</span><br> + <span class="i0">Qui dans le bercement des hosannah s'endort,</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Et se réveille, quand des mères, ramassées</span><br> + <span class="i0">Dans l'angoisse et pleurant sous leur vieux bonnet noir,</span><br> + <span class="i0">Lui donnent un gros sou lié dans leur mouchoir!</span><br> + <br> + </div> +</div> + + + + +<h2><a name="t20" id="t20"></a>OPHÉLIE</h2> + + +<h3>I</h3> + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0">Sur l'onde calme et noire où dorment les étoiles,</span><br> + <span class="i0">La blanche Ophélia flotte comme un grand lys,</span><br> + <span class="i0">Flotte très lentement, couchée en ses longs voiles...</span><br> + <span class="i0">—On entend dans les bois de lointains hallalis...</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Voici plus de mille ans que la triste Ophélie</span><br> + <span class="i0">Passe, fantôme blanc, sur le long fleuve noir;</span><br> + <span class="i0">Voici plus de mille ans que sa douce folie</span><br> + <span class="i0">Murmure sa romance à la brise du soir.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Le vent baise ses seins et déploie en corolle</span><br> + <span class="i0">Ses longs voiles bercés mollement par les eaux;</span><br> + <span class="i0">Les saules frissonnants pleurent sur son épaule,</span><br> + <span class="i0">Sur son grand front rêveur s'inclinent les roseaux.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Les nénuphars froissés soupirent autour d'elle;</span><br> + <span class="i0">Elle éveille parfois, dans un aune qui dort,</span><br> + <span class="i0">Quelque nid, d'où s'échappe un petit frisson d'aile.</span><br> + <span class="i0">—Un chant mystérieux tombe des astres d'or.</span><br> + <br> + </div> +</div> + + +<h3>II</h3> + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0">Ô pâle Ophélia! belle comme la neige,</span><br> + <span class="i0">Oui, tu mourus, enfant, par un fleuve emporté!</span><br> + <span class="i0">—C'est que les vents tombant des grands monts de Norwège</span><br> + <span class="i0">T'avaient parlé tout bas de l'âpre liberté!</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">C'est qu'un souffle inconnu, fouettant ta chevelure,</span><br> + <span class="i0">À ton esprit rêveur portait d'étranges bruits;</span><br> + <span class="i0">Que ton cœur entendait la voix de la Nature</span><br> + <span class="i0">Dans les plaintes de l'arbre et les soupirs des nuits!</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">C'est que la voix des mers, comme un immense râle,</span><br> + <span class="i0">Brisait ton sein d'enfant, trop humain et trop doux;</span><br> + <span class="i0">C'est qu'un matin d'avril, un beau cavalier pâle,</span><br> + <span class="i0">Un pauvre fou s'assit, muet, à tes genoux!</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Ciel! Amour! Liberté! Quel rêve, ô pauvre Follet</span><br> + <span class="i0">Tu te fondais à lui comme une neige au feu.</span><br> + <span class="i0">Tes grandes visions étranglaient ta parole:</span><br> + <span class="i0">—Un Infini terrible effara ton œil bleu!</span><br> + <br> + </div> +</div> + + +<h3>III</h3> + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0">—Et le Poète dit qu'aux rayons des étoiles</span><br> + <span class="i0">Tu viens chercher, la nuit, les fleurs que tu cueillis;</span><br> + <span class="i0">Et qu'il a vu sur l'eau, couchée en ses longs voiles,</span><br> + <span class="i0">La blanche Ophélia flotter, comme un grand lys.</span><br> + <br> + </div> +</div> + + + + +<h2><a name="t21" id="t21"></a>LE CHÂTIMENT DE TARTUFE</h2> + + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0">Tisonnant, tisonnant son cœur amoureux sous</span><br> + <span class="i0">Sa chaste robe noire, heureux, la main gantée,</span><br> + <span class="i0">Un jour qu'il s'en allait, effroyablement doux,</span><br> + <span class="i0">Jaune, bavant la foi de sa bouche édentée,</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Un jour qu'il s'en allait, «Orémus»,—un Méchant</span><br> + <span class="i0">Le prit rudement par son oreille benoite</span><br> + <span class="i0">Et lui jeta des mots affreux, en arrachant</span><br> + <span class="i0">Sa chaste robe noire autour de sa peau moite!</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Châtiment!... Ses habits étaient déboutonnés,</span><br> + <span class="i0">Et le long chapelet des péchés pardonnés</span><br> + <span class="i0">S'égrenant dans son cœur, Saint Tartufe était pâle!...</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Donc, il se confessait, priait, avec un râle!</span><br> + <span class="i0">L'homme se contenta d'emporter ses rabats...</span><br> + <span class="i0">—Peuh! Tartufe était nu du haut jusques en bas!</span><br> + <br> + </div> +</div> + + + + +<h2><a name="t22" id="t22"></a>À LA MUSIQUE</h2> + + +<p class="s"><i>Place de la Gare, à Charleville.</i> +</p> +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0">Sur la place taillée en mesquines pelouses,</span><br> + <span class="i0">Square où tout est correct, les arbres et les fleurs,</span><br> + <span class="i0">Tous les bourgeois poussifs qu'étranglent les chaleurs</span><br> + <span class="i0">Portent, les jeudis soirs, leurs bêtises jalouses.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Un orchestre guerrier, au milieu du jardin,</span><br> + <span class="i0">Balance ses schakos dans la Valse des fifres:</span><br> + <span class="i0">On voit, aux premiers rangs, parader le gandin,</span><br> + <span class="i0">Les notaires montrent leurs breloques à chiffres:</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Des rentiers à lorgnons soulignent tous les couacs;</span><br> + <span class="i0">Les gros bureaux bouffis traînent leurs grosses dames,</span><br> + <span class="i0">Auprès desquelles vont, officieux cornacs,</span><br> + <span class="i0">Celles dont les volants ont des airs de réclames;</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Sur les bancs verts, des clubs d'épiciers retraités</span><br> + <span class="i0">Qui tisonnent le sable avec leur canne à pomme,</span><br> + <span class="i0">Fort sérieusement discutent des traités,</span><br> + <span class="i0">Puis prisent en argent, mieux que monsieur Prud'homme!</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Étalant sur un banc les rondeurs de ses reins,</span><br> + <span class="i0">Un bourgeois bienheureux, à bedaine flamande,</span><br> + <span class="i0">Savoure, s'abîmant en des rêves divins,</span><br> + <span class="i0">La musique française et la pipe allemande!</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Au bord des gazons frais ricanent les voyous;</span><br> + <span class="i0">Et, rendus amoureux par le chant des trombones,</span><br> + <span class="i0">Très naïfs, et fumant des roses, des pioupious</span><br> + <span class="i0">Caressent les bébés pour enjôler les bonnes...</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">—Moi, je suis, débraillé comme un étudiant,</span><br> + <span class="i0">Sous les marronniers verts les alertes fillettes:</span><br> + <span class="i0">Elles le savent bien, et tournent en riant,</span><br> + <span class="i0">Vers moi, leurs yeux tout pleins de choses indiscrètes.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Je ne dis pas un mot: je regarde toujours</span><br> + <span class="i0">La chair de leurs cous blancs brodés de mèches folles;</span><br> + <span class="i0">Je suis, sous leur corsage et les frêles atours,</span><br> + <span class="i0">Le dos divin après la courbe des épaules...</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Je cherche la bottine... et je vais jusqu'aux bas;</span><br> + <span class="i0">Je reconstruis le corps, brûlé de belles fièvres.</span><br> + <span class="i0">Elles me trouvent drôle et se parlent tout bas...</span><br> + <span class="i0">—Et je sens les baisers qui me viennent aux lèvres...</span><br> + <br> + </div> +</div> + + + + +<h2><a name="t23" id="t23"></a>LE FORGERON</h2> + +<p class="s"><i>Palais des Tuileries, vers le 10 août 92.</i> +</p> +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0">Le bras sur un marteau gigantesque, effrayant</span><br> + <span class="i0">D'ivresse et de grandeur, le front vaste, riant</span><br> + <span class="i0">Comme un clairon d'airain, avec toute sa bouche,</span><br> + <span class="i0">Et prenant ce gros-là dans son regard farouche,</span><br> + <span class="i0">Le Forgeron parlait à Louis Seize, un jour</span><br> + <span class="i0">Que le Peuple était là, se tordant tout autour,</span><br> + <span class="i0">Et sur les lambris d'or traînant sa veste sale.</span><br> + <span class="i0">Or le bon roi, debout sur son ventre, était pâle,</span><br> + <span class="i0">Pâle comme un vaincu qu'on prend pour le gibet,</span><br> + <span class="i0">Et, soumis comme un chien, jamais ne regimbait,</span><br> + <span class="i0">Car ce maraud de forge aux énormes épaules</span><br> + <span class="i0">Lui disait de vieux mots et des choses si drôles,</span><br> + <span class="i0">Que cela l'empoignait au front, comme cela!</span><br> + <span class="i0">«Or, tu sais bien, Monsieur, nous chantions tra la la</span><br> + <span class="i0">Et nous piquions les bœufs vers les sillons des autres:</span><br> + <span class="i0">Le Chanoine au soleil filait des patenôtres</span><br> + <span class="i0">Sur des chapelets clairs grenés de pièces d'or.</span><br> + <span class="i0">Le Seigneur, à cheval, passait, sonnant du cor</span><br> + <span class="i0">Et l'un avec la hart, l'autre avec la cravache</span><br> + <span class="i0">Nous fouillaient.—Hébétés comme des yeux de vache,</span><br> + <span class="i0">Nos yeux ne pleuraient plus; nous allions, nous allions</span><br> + <span class="i0">Et quand nous avions mis le pays en sillons,</span><br> + <span class="i0">Quand nous avions laissée dans cette terre noire</span><br> + <span class="i0">Un peu de notre chair... nous avions un pourboire:</span><br> + <span class="i0">On nous faisait flamber nos taudis dans la nuit,</span><br> + <span class="i0">Nos petits y faisaient un gâteau fort bien cuit.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">... «Oh! je ne me plains pas. Je te dis mes bêtises,</span><br> + <span class="i0">C'est entre nous. J'admets que tu me contredises,</span><br> + <span class="i0">Or, n'est-ce pas joyeux de voir, au mois de juin</span><br> + <span class="i0">Dans les granges entrer des voitures de foin</span><br> + <span class="i0">Énormes? De sentir l'odeur de ce qui pousse,</span><br> + <span class="i0">Des vergers quand il pleut un peu, de l'herbe rousse?</span><br> + <span class="i0">De voir des blés, des blés, des épis pleins de grain,</span><br> + <span class="i0">De penser que cela prépare bien du pain...</span><br> + <span class="i0">Oh! plus fort, on irait, au fourneau qu'il s'allume,</span><br> + <span class="i0">Chanter joyeusement en martelant l'enclume,</span><br> + <span class="i0">Si l'on était certain de pouvoir prendre un peu,</span><br> + <span class="i0">Étant homme, à la fin! de ce que donne Dieu!</span><br> + <span class="i0">«Mais voilà, c'est toujours la même vieille histoire!...</span><br> + <span class="i0">Mais je sais, maintenant! Moi je ne peux plus croire,</span><br> + <span class="i0">Quand j'ai deux bonnes mains, mon front et mon marteau</span><br> + <span class="i0">Qu'un homme vienne là, dague sur le manteau,</span><br> + <span class="i0">Et me dise: Mon gars, ensemence ma terre;</span><br> + <span class="i0">Que l'on arrive encor, quand ce serait la guerre,</span><br> + <span class="i0">De prendre mon garçon comme cela, chez moi!</span><br> + <span class="i0">—Moi, je serais un homme, et toi, tu serais roi,</span><br> + <span class="i0">Tu me dirais: Je veux!...—Tu vois bien, c'est stupide.</span><br> + <span class="i0">Tu crois que j'aime voir ta baraque splendide,</span><br> + <span class="i0">Tes officiers dorés, tes mille chenapans,</span><br> + <span class="i0">Tes palsembleu bâtards tournant comme des paons:</span><br> + <span class="i0">Ils ont rempli ton nid de l'odeur de nos filles</span><br> + <span class="i0">Et de petits billets pour nous mettre aux Bastilles</span><br> + <span class="i0">Et nous dirons: C'est bien; les pauvres à genoux!</span><br> + <span class="i0">Nous dorerons ton Louvre en donnant nos gros sous!</span><br> + <span class="i0">Et tu te soûleras, tu feras belle fête.</span><br> + <span class="i0">—Et ces Messieurs riront, les reins sur notre tête!</span><br> + <span class="i0">«Non. Ces saletés-là datent de nos papas!</span><br> + <span class="i0">Oh! Le Peuple n'est plus une putain. Trois pas</span><br> + <span class="i0">Et, tous, nous avons mis ta Bastille en poussière.</span><br> + <span class="i0">Cette bête suait du sang à chaque pierre</span><br> + <span class="i0">Et c'était dégoûtant, la Bastille debout</span><br> + <span class="i0">Avec ses murs lépreux qui nous racontaient tout</span><br> + <span class="i0">Et, toujours, nous tenaient enfermés dans leur ombre!</span><br> + <span class="i0">—Citoyen! citoyen! c'était le passé sombre</span><br> + <span class="i0">Qui croulait, qui râlait, quand nous prîmes la tour</span><br> + <span class="i0">Nous avions quelque chose au cœur comme l'amour.</span><br> + <span class="i0">Nous avions embrassé nos fils sur nos poitrines.</span><br> + <span class="i0">Et, comme des chevaux, en soufflant des narines</span><br> + <span class="i0">Nous allions, fiers et forts, et ça nous battait là...</span><br> + <span class="i0">Nous marchions au soleil, front haut; comme cela,</span><br> + <span class="i0">Dans Paris! On venait devant nos vestes sales.</span><br> + <span class="i0">Enfin! Nous nous sentions Hommes! Nous étions pâles</span><br> + <span class="i0">Sire, nous étions soûls de terribles espoirs:</span><br> + <span class="i0">Et quand nous fûmes là, devant les donjons noirs,</span><br> + <span class="i0">Agitant nos clairons et nos feuilles de chêne,</span><br> + <span class="i0">Les piques à la main; nous n'eûmes pas de haine,</span><br> + <span class="i0">—Nous nous sentions si forts, nous voulions être doux!</span><br> + <span class="i0">. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .</span><br> + <span class="i0">. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">«Et depuis ce jour-là, nous sommes comme fous!</span><br> + <span class="i0">Le tas des ouvriers a monté dans la rue,</span><br> + <span class="i0">Et ces maudits s'en vont, foule toujours accrue</span><br> + <span class="i0">De sombres revenants, aux portes des richards.</span><br> + <span class="i0">Moi, je cours avec eux assommer les mouchards:</span><br> + <span class="i0">Et je vais dans Paris, noir, marteau sur l'épaule,</span><br> + <span class="i0">Farouche, à chaque coin balayant quelque drôle,</span><br> + <span class="i0">Et, si tu me riais au nez, je te tuerais!</span><br> + <span class="i0">—Puis, tu peux y compter, tu te feras des frais</span><br> + <span class="i0">Avec tes hommes noirs, qui prennent nos requêtes</span><br> + <span class="i0">Pour se les renvoyer comme sur des raquettes</span><br> + <span class="i0">Et, tout bas, les malins se disent; «Qu'ils sont sots!»</span><br> + <span class="i0">Pour mitonner des lois, coller de petits pots</span><br> + <span class="i0">Pleins de jolis décrets roses et de droguailles,</span><br> + <span class="i0">S'amuser à couper proprement quelques tailles,</span><br> + <span class="i0">Puis se boucher le nez quand nous marchons près d'eux</span><br> + <span class="i0">—Nos doux représentants qui nous trouvent crasseux!</span><br> + <span class="i0">Pour ne rien redouter, rien, que les baïonnettes...,</span><br> + <span class="i0">C'est très bien. Foin de leur tabatière à sornettes!</span><br> + <span class="i0">Nous en avons assez, là, de ces cerveaux plats</span><br> + <span class="i0">Et de ces ventres-dieux. Ah! ce sont là les plats</span><br> + <span class="i0">Que tu nous sers bourgeois, quand nous sommes féroces</span><br> + <span class="i0">Quand nous brisons déjà les sceptres et les crosses!...</span><br> + <span class="i0">. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Il le prend par le bras, arrache le velours</span><br> + <span class="i0">Des rideaux, et lui montre en bas les larges cours</span><br> + <span class="i0">Où fourmille, où fourmille, où se lève la foule,</span><br> + <span class="i0">La foule épouvantable avec des bruits de houle</span><br> + <span class="i0">Hurlant comme une chienne, hurlant comme une mer,</span><br> + <span class="i0">Avec ses bâtons forts et ses piques de fer,</span><br> + <span class="i0">Ses tambours, ses grands cris de halles et de bouges,</span><br> + <span class="i0">Tas sombre de haillons saignants de bonnets rouges;</span><br> + <span class="i0">L'Homme, par la fenêtre ouverte, montre tout</span><br> + <span class="i0">Au roi pâle, et suant qui chancelle debout,</span><br> + <span class="i0">Malade à regarder cela!</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i11">«C'est la crapule,</span><br> + <span class="i0">Sire. Ça bave aux murs, ça monte, ça pullule:</span><br> + <span class="i0">—Puisqu'ils ne mangent pas, Sire, ce sont des gueux!</span><br> + <span class="i0">Je suis un forgeron: ma femme est avec eux,</span><br> + <span class="i0">Folle! Elle croit trouver du pain aux Tuileries!</span><br> + <span class="i0">—On ne veut pas de nous dans les boulangeries.</span><br> + <span class="i0">J'ai trois petits. Je suis crapule.—Je connais</span><br> + <span class="i0">Des vieilles qui s'en vont pleurant sous leurs bonnets</span><br> + <span class="i0">Parce qu'on leur a pris leur garçon ou leur fille:</span><br> + <span class="i0">C'est la crapule.—Un homme était à la Bastille,</span><br> + <span class="i0">Un autre était forçat: et, tous deux, citoyens</span><br> + <span class="i0">Honnêtes. Libérés, ils sont comme des chiens:</span><br> + <span class="i0">On les insulte! Alors, ils ont là quelque chose</span><br> + <span class="i0">Qui leur fait mal, allez! C'est terrible, et c'est cause</span><br> + <span class="i0">Que, se sentant brisés, que, se sentant damnés,</span><br> + <span class="i0">Ils sont là, maintenant, hurlant sous votre nez!</span><br> + <span class="i0">Crapule.—Là dedans sont des filles, infâmes</span><br> + <span class="i0">Parce que,—vous saviez que c'est faible, les femmes,</span><br> + <span class="i0">Messeigneurs de la cour,—que ça veut toujours bien,</span><br> + <span class="i0">Vous avez craché sur l'âme, comme rien!</span><br> + <span class="i0">Vos belles, aujourd'hui, sont là. C'est la crapule.</span><br> + <span class="i0">. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">«Oh! tous les malheureux, tous ceux dont le dos brûle</span><br> + <span class="i0">Sous le soleil féroce, et qui vont, et qui vont,</span><br> + <span class="i0">Qui dans ce travail-là sentent crever leur front.</span><br> + <span class="i0">Chapeau bas, mes bourgeois! Oh! ceux-là sont les Hommes!</span><br> + <span class="i0">Nous sommes Ouvriers, Sire! Ouvriers! Nous sommes</span><br> + <span class="i0">Pour les grands temps nouveaux où l'on voudra savoir,</span><br> + <span class="i0">Où l'Homme forgera du matin jusqu'au soir,</span><br> + <span class="i0">Chasseur des grands effets, chasseur des grandes causes</span><br> + <span class="i0">Ou, lentement vainqueur, il domptera les choses</span><br> + <span class="i0">Et montera sur Tout, comme sur un cheval!</span><br> + <span class="i0">Oh! splendides lueurs des forges! Plus de mal,</span><br> + <span class="i0">Plus!—Ce qu'on ne sait pas, c'est peut-être terrible:</span><br> + <span class="i0">Nous saurons!—Nos marteaux en main; passons au crible</span><br> + <span class="i0">Tout ce que nous savons: puis, Frères, en avant!</span><br> + <span class="i0">Nous faisons quelquefois ce grand rêve émouvant</span><br> + <span class="i0">De vivre simplement, ardemment, sans rien dire</span><br> + <span class="i0">De mauvais, travaillant sous l'auguste sourire</span><br> + <span class="i0">D'une femme qu'on aime avec un noble amour:</span><br> + <span class="i0">Et l'on travaillerait fièrement tout le jour,</span><br> + <span class="i0">Écoutant le devoir comme un clairon qui sonne:</span><br> + <span class="i0">Et l'on se sentirait très heureux: et personne</span><br> + <span class="i0">Oh! personne, surtout, ne vous ferait ployer!</span><br> + <span class="i0">On aurait un fusil au-dessus du foyer...</span><br> + <span class="i0">. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Oh! mais l'air est tout plein d'une odeur de bataille!</span><br> + <span class="i0">Que te disais-je donc? Je suis de la canaille!</span><br> + <span class="i0">Il reste des mouchards et des accapareurs.</span><br> + <span class="i0">Nous sommes libres, nous! Nous avons des terreurs</span><br> + <span class="i0">Où nous nous sentons grands, oh! si grands! Tout à l'heure</span><br> + <span class="i0">Je parlais de devoir calme, d'une demeure...</span><br> + <span class="i0">Regarde donc le ciel!—C'est trop petit pour nous,</span><br> + <span class="i0">Nous crèverions de chaud, nous serions à genoux!</span><br> + <span class="i0">Regarde donc le ciel!—Je rentre dans la foule</span><br> + <span class="i0">Dans la grande canaille effroyable qui roule,</span><br> + <span class="i0">Sire, tes vieux canons sur les sales pavés;</span><br> + <span class="i0">—Oh! quand nous serons morts, nous les aurons lavés.</span><br> + <span class="i0">—Et si, devant nos cris, devant notre vengeance,</span><br> + <span class="i0">Les pattes des vieux rois mordorés, sur la France</span><br> + <span class="i0">Poussaient leurs régiments en habits de gala,</span><br> + <span class="i0">Eh bien, n'est-ce pas, vous tous? Merde à ces chiens-là</span><br> + <span class="i0">. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">—Il reprit son marteau sur l'épaule.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i18">La foule</span><br> + <span class="i0">Près de cet homme-là se sentait l'âme soûle,</span><br> + <span class="i0">Et, dans la grande cour, dans les appartements,</span><br> + <span class="i0">Où Paris haletait avec des hurlements,</span><br> + <span class="i0">Un frisson secoua l'immense populace.</span><br> + <span class="i0">Alors, de sa main large et superbe de crasse</span><br> + <span class="i0">Bien que le roi ventru suât, le Forgeron,</span><br> + <span class="i0">Terrible, lui jeta le bonnet rouge au front!</span><br> + <br> + </div> +</div> + + + + +<h2><a name="t24" id="t24"></a>SOLEIL ET CHAIR</h2> + + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0">Le Soleil, le foyer de tendresse et de vie,</span><br> + <span class="i0">Verse l'amour brûlant à la terre ravie,</span><br> + <span class="i0">Et, quand on est couché sur la vallée, on sent</span><br> + <span class="i0">Que la terre est nubile et déborde de sang;</span><br> + <span class="i0">Que son immense sein, soulevé par une âme,</span><br> + <span class="i0">Est d'amour comme dieu, de chair comme la femme,</span><br> + <span class="i0">Et qu'il renferme, gros de sève et de rayons,</span><br> + <span class="i0">Le grand fourmillement de tous les embryons!</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Et tout croît, et tout monte!</span><br> + <span class="i15">Ô Vénus, ô Déesse!</span><br> + <span class="i0">Je regrette les temps de l'antique jeunesse,</span><br> + <span class="i0">Des satyres lascifs, des faunes animaux,</span><br> + <span class="i0">Dieux qui mordaient d'amour l'écorce des rameaux</span><br> + <span class="i0">Et dans les nénufars baisaient la Nymphe blonde!</span><br> + <span class="i0">Je regrette les temps où la sève du monde,</span><br> + <span class="i0">L'eau du fleuve, le sang rose des arbres verts</span><br> + <span class="i0">Dans les veines de Pan mettaient un univers!</span><br> + <span class="i0">Où le sol palpitait, vert, sous ses pieds de chèvre;</span><br> + <span class="i0">Où, baisant mollement le clair syrinx, sa lèvre</span><br> + <span class="i0">Modulait sous le ciel le grand hymne d'amour;</span><br> + <span class="i0">Où, debout sur la plaine, il entendait autour</span><br> + <span class="i0">Répondre à son appel la Nature vivante;</span><br> + <span class="i0">Où, les arbres muets, berçant l'oiseau qui chante,</span><br> + <span class="i0">La terre berçant l'homme, et tout l'Océan bleu</span><br> + <span class="i0">Et tous les animaux, aimaient, aimaient en Dieu!</span><br> + <span class="i0">Je regrette les temps de la grande Cybèle</span><br> + <span class="i0">Qu'on disait parcourir, gigantesquement belle,</span><br> + <span class="i0">Sur un grand char d'airain, les splendides cités;</span><br> + <span class="i0">Son double sein versait dans les immensités</span><br> + <span class="i0">Le pur ruissellement de la vie infinie.</span><br> + <span class="i0">L'Homme suçait, heureux, sa mamelle bénie,</span><br> + <span class="i0">Comme un petit enfant, jouant sur ses genoux.</span><br> + <span class="i0">—Parce qu'il était fort, l'Homme était chaste et doux.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Misère! Maintenant il dit: Je sais les choses,</span><br> + <span class="i0">Et va, les yeux fermés et les oreilles closes;</span><br> + <span class="i0">—Et pourtant, plus de dieux! plus de dieux! l'Homme est Roi!</span><br> + <span class="i0">L'Homme est Dieu! Mais l'Amour, voilà la grande Foi!</span><br> + <span class="i0">Oh! si l'homme puisait encore à ta mamelle,</span><br> + <span class="i0">Grande mère des dieux et des hommes, Cybèle;</span><br> + <span class="i0">S'il n'avait pas laissé l'immortelle Astarté</span><br> + <span class="i0">Qui jadis, émergeant dans l'immense clarté</span><br> + <span class="i0">Des flots bleus, fleur de chair que la vague parfume,</span><br> + <span class="i0">Montra son nombril rose où vint neiger l'écume,</span><br> + <span class="i0">Et fit chanter, Déesse aux grands yeux noirs vainqueurs,</span><br> + <span class="i0">Le rossignol aux bois et l'amour dans les cœurs!</span><br> + <br> + </div> +</div> + + +<h3>II</h3> + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0">Je crois en toi! Je crois en toi! Divine mère,</span><br> + <span class="i0">Aphrodite marine!—Oh! la route est amère</span><br> + <span class="i0">Depuis que l'autre Dieu nous attelle à sa croix;</span><br> + <span class="i0">Chair, Marbre, Fleur, Vénus, c'est en toi que je crois!</span><br> + <span class="i0">—Oui l'Homme est triste et laid, triste sous le ciel vaste,</span><br> + <span class="i0">Il a des vêtements, parce qu'il n'est plus chaste,</span><br> + <span class="i0">Parce qu'il a sali son fier buste de Dieu,</span><br> + <span class="i0">Et qu'il a rabougri, comme une idole au feu,</span><br> + <span class="i0">Son corps olympien aux servitudes sales!</span><br> + <span class="i0">Oui, même après la mort, dans les squelettes pâles</span><br> + <span class="i0">Il veut vivre, insultant la première beauté!</span><br> + <span class="i0">—Et l'Idole où tu mis tant de virginité,</span><br> + <span class="i0">Où tu divinisas notre argile, la Femme,</span><br> + <span class="i0">Afin que l'homme pût éclairer sa pauvre âme</span><br> + <span class="i0">Et monter lentement, dans un immense amour,</span><br> + <span class="i0">De la prison terrestre à la beauté du jour,</span><br> + <span class="i0">La femme ne sait plus même être courtisane!</span><br> + <span class="i0">—C'est une bonne farce! et le monde ricane</span><br> + <span class="i0">Au nom doux et sacré de la grande Vénus!</span><br> + <br> + </div> +</div> + + +<h3>III</h3> + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0">Si les temps revenaient, les temps qui sont venus!</span><br> + <span class="i0">—Car l'Homme a fini! l'Homme a joué tous les rôles!</span><br> + <span class="i0">Au grand jour, fatigué de briser des idoles</span><br> + <span class="i0">Il ressuscitera, libre de tous ses Dieux,</span><br> + <span class="i0">Et, comme il est du ciel, il scrutera les cieux!</span><br> + <span class="i0">L'Idéal, la pensée invincible, éternelle,</span><br> + <span class="i0">Tout le dieu qui vit, sous son argile charnelle,</span><br> + <span class="i0">Montera, montera, brûlera sous son front!</span><br> + <span class="i0">Et quand tu le verras sonder tout l'horizon,</span><br> + <span class="i0">Contempteur des vieux jougs, libre de toute crainte,</span><br> + <span class="i0">Tu viendras lui donner la Rédemption sainte!</span><br> + <span class="i0">—Splendide, radieuse, au sein des grandes mers</span><br> + <span class="i0">Tu surgiras, jetant sur le vaste Univers</span><br> + <span class="i0">L'Amour infini dans un infini sourire!</span><br> + <span class="i0">Le Monde vibrera comme une immense lyre</span><br> + <span class="i0">Dans le frémissement d'un immense baiser:</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">—Le Monde a soif d'amour: tu viendras l'apaiser.</span><br> + <span class="i0">. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .</span><br> + <br> + </div> +</div> + + +<h3>IV</h3> + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0">Ô splendeur de la chair! ô splendeur idéale!</span><br> + <span class="i0">Ô renouveau d'amour, aurore triomphale</span><br> + <span class="i0">Où, courbant à leurs pieds les Dieux et les Héros</span><br> + <span class="i0">Kallipige la blanche et le petit Éros</span><br> + <span class="i0">Effleureront, couverts de la neige des roses,</span><br> + <span class="i0">Les femmes et les fleurs sous leurs beaux pieds écloses!</span><br> + <span class="i0">Ô grande Ariadné, qui jettes tes sanglots</span><br> + <span class="i0">Sur la rive, en voyant fuir là-bas sur les flots,</span><br> + <span class="i0">Blanche sous le soleil, la voile de Thésée,</span><br> + <span class="i0">Ô douce vierge enfant qu'une nuit a brisée,</span><br> + <span class="i0">Tais-toi! Sur son char d'or brodé de noirs raisins,</span><br> + <span class="i0">Lysios, promené dans les champs Phrygiens</span><br> + <span class="i0">Par les tigres lascifs et les panthères rousses,</span><br> + <span class="i0">Le long des fleuves bleus rougit les sombres mousses.</span><br> + <span class="i0">Zeus, Taureau, sur son cou berce comme un enfant</span><br> + <span class="i0">Le corps nu d'Europé, qui jette son bras blanc</span><br> + <span class="i0">Au cou nerveux du Dieu frissonnant dans la vague,</span><br> + <span class="i0">Il tourne lentement vers elle son œil vague;</span><br> + <span class="i0">Elle, laisse traîner sa pâle joue en fleur</span><br> + <span class="i0">Au front de Zeus; ses yeux sont fermés; elle meurt</span><br> + <span class="i0">Dans un divin baiser, et le flot qui murmure</span><br> + <span class="i0">De son écume d'or fleurit sa chevelure.</span><br> + <span class="i0">—Entre le laurier-rose et le lotus jaseur</span><br> + <span class="i0">Glisse amoureusement le grand Cygne rêveur</span><br> + <span class="i0">Embrassant la Léda des blancheurs de son aile;</span><br> + <span class="i0">—Et tandis que Cypris passe, étrangement belle,</span><br> + <span class="i0">Et, cambrant les rondeurs splendides de ses reins,</span><br> + <span class="i0">Étale fièrement l'or de ses larges seins</span><br> + <span class="i0">Et son ventre neigeux brodé de mousse noire,</span><br> + <span class="i0">—Héraclès, le Dompteur, qui, comme d'une gloire</span><br> + <span class="i0">Fort, ceint son vaste corps de la peau du lion,</span><br> + <span class="i0">S'avance, front terrible et doux, à l'horizon!</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Par la lune d'été vaguement éclairée,</span><br> + <span class="i0">Debout, nue, et rêvant dans sa pâleur dorée</span><br> + <span class="i0">Que tache le flot lourd de ses longs cheveux bleus,</span><br> + <span class="i0">Dans la clairière sombre où la mousse s'étoile,</span><br> + <span class="i0">La Dryade regarde au ciel silencieux...</span><br> + <span class="i0">—La blanche Séléné laisse flotter son voile,</span><br> + <span class="i0">Craintive, sur les pieds du bel Endymion,</span><br> + <span class="i0">Et lui jette un baiser dans un pâle rayon...</span><br> + <span class="i0">—La Source pleure au loin dans une longue extase...</span><br> + <span class="i0">C'est la Nymphe qui rêve, un coude sur son vase,</span><br> + <span class="i0">Au beau jeune homme blanc que son onde a pressé.</span><br> + <span class="i0">—Une brise d'amour dans la nuit a passé,</span><br> + <span class="i0">Et, dans les bois sacrés, dans l'horreur des grands arbres,</span><br> + <span class="i0">Majestueusement debout, les sombres Marbres,</span><br> + <span class="i0">Les Dieux, au front desquels le Bouvreuil fait son nid,</span><br> + <span class="i0">—Les Dieux écoutent l'Homme et le Monde infini!</span><br> + <br> + </div> +</div> + +<p class="s2">7 mai 1870. +</p> + + + +<h2><a name="t25" id="t25"></a>LE DORMEUR DU VAL</h2> + + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0">C'est un trou de verdure où chante une rivière</span><br> + <span class="i0">Accrochant follement aux herbes des haillons</span><br> + <span class="i0">D'argent; où le soleil, de la montagne fière,</span><br> + <span class="i0">Luit: c'est un petit aval qui mousse de rayons.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,</span><br> + <span class="i0">Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,</span><br> + <span class="i0">Dort; il est étendu dans l'herbe, sous la nue,</span><br> + <span class="i0">Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme</span><br> + <span class="i0">Sourirait un enfant malade, il fait un somme:</span><br> + <span class="i0">Nature, berce-le chaudement: il a froid.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Les parfums ne font pas frissonner sa narine;</span><br> + <span class="i0">Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine</span><br> + <span class="i0">Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.</span><br> + <br> + </div> +</div> + +<p class="s2">7 octobre 1870. +</p> + + + +<h2><a name="t26" id="t26"></a>AU CABARET-VERT</h2> + + +<p class="s"><i>Cinq heures du soir.</i> +</p> +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0">Depuis huit jours, j'avais déchiré mes bottines</span><br> + <span class="i0">Aux cailloux des chemins. J'entrais à Charleroi,</span><br> + <span class="i0">—<i>Au Cabaret-Vert</i>: je demandai des tartines</span><br> + <span class="i0">De beurre et du jambon qui fût à moitié froid.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Bienheureux, j'allongeai les jambes sous la table</span><br> + <span class="i0">Verte: je contemplai les sujets très naïfs</span><br> + <span class="i0">De la tapisserie.—Et ce fut adorable,</span><br> + <span class="i0">Quand la fille aux tétons énormes, aux yeux vifs,</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">—Celle-là, ce n'est pas un baiser qui l'épeure!—</span><br> + <span class="i0">Rieuse, m'apporta des tartines de beurre,</span><br> + <span class="i0">Du jambon tiède, dans un plat colorié,</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Du jambon rose et blanc parfumé d'une gousse</span><br> + <span class="i0">D'ail,—et m'emplit la chope immense, avec sa mousse</span><br> + <span class="i0">Que dorait un rayon de soleil arriéré.</span><br> + <br> + </div> +</div> + +<p class="s2">Octobre 1870. +</p> + + + +<h2><a name="t27" id="t27"></a>LA MALINE</h2> + + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0">Dans la salle à manger brune, que parfumait</span><br> + <span class="i0">Une odeur de vernis et de fruits, à mon aise</span><br> + <span class="i0">Je ramassais un plat de je ne sais quel met</span><br> + <span class="i0">Belge, et je m'épatais dans mon immense chaise.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">En mangeant, j'écoutais l'horloge,—heureux et coi.</span><br> + <span class="i0">La cuisine s'ouvrit avec une bouffée</span><br> + <span class="i0">—Et la servante vint, je ne sais pas pourquoi,</span><br> + <span class="i0">Fichu moitié défait, malinement coiffée.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Et tout en promenant son petit doigt tremblant</span><br> + <span class="i0">Sur sa joue, un velours de pêche rose et blanc,</span><br> + <span class="i0">En faisant, de sa lèvre enfantine, une moue,</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Elle arrangeait les plats, près de moi, pour m'aiser;</span><br> + <span class="i0">—Puis, comme ça,—bien sûr pour avoir un baiser,—</span><br> + <span class="i0">Tout bas: «Sens donc: j'ai pris une froid sur la joue...»</span><br> + <br> + </div> +</div> + +<p class="s2">Charleroi, octobre 1870. +</p> + + + +<h2><a name="t28" id="t28"></a>L'ÉCLATANTE VICTOIRE<br> +DE SARREBRUCK<br> +<small>REMPORTÉE AUX CRIS DE VIVE L'EMPEREUR!</small></h2> + +<p class="c">(Gravure belge brillamment coloriée, se vend à Charleroi, 35 centimes.)</p> + + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0">Au milieu, l'Empereur, dans une apothéose</span><br> + <span class="i0">Bleue et jaune, s'en va, raide, sur son dada</span><br> + <span class="i0">Flamboyant; très heureux,—car il voit tout en rose,</span><br> + <span class="i0">Féroce comme Zeus et doux comme un papa;</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">En bas, les bons Pioupious qui faisaient la sieste</span><br> + <span class="i0">Près des tambours dorés et des rouges canons,</span><br> + <span class="i0">Se lèvent gentiment. Pitou remet sa veste,</span><br> + <span class="i0">Et, tourné vers le Chef, s'étourdit de grands noms</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">À droite, Dumanet, appuyé sur la crosse</span><br> + <span class="i0">De son chassepot, sent frémir sa nuque en brosse,</span><br> + <span class="i0">Et: «Vive l'Empereur!!»—Son voisin reste coi...</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Un schako surgit, comme un soleil noir...—Au centre</span><br> + <span class="i0">Boquillon, rouge et bleu, très naïf, sur son ventre</span><br> + <span class="i0">Se dresse, et,—présentant ses derrières: «De quoi?...»</span><br> + <br> + </div> +</div> + +<p class="s2">Octobre 1870. +</p> + + + +<h2><a name="t29" id="t29"></a>RÊVÉ POUR L'HIVER</h2> + + +<p class="s"><i>À Elle.</i> +</p> +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0">L'hiver, nous irons dans un petit wagon rose</span><br> + <span class="i4">Avec des coussins bleus.</span><br> + <span class="i0">Nous serons bien. Un nid de baisers fous repose</span><br> + <span class="i4">Dans chaque coin moelleux.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Tu fermeras l'œil, pour ne point voir, par la glace,</span><br> + <span class="i3">Grimacer les ombres des soirs,</span><br> + <span class="i0">Ces monstruosités hargneuses, populace</span><br> + <span class="i3">De démons noirs et de loups noirs.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Puis tu te sentiras la joue égratignée...</span><br> + <span class="i0">Un petit baiser, comme une folle araignée,</span><br> + <span class="i4">Te courra par le cou...</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Et tu me diras: «Cherche!» en inclinant la tête;</span><br> + <span class="i0">—Et nous prendons du temps à trouver cette bête!</span><br> + <span class="i4">—Qui voyage beaucoup...</span><br> + <br> + </div> +</div> + +<p class="s2">En wagon, le 7 octobre 1870. +</p> + + + +<h2><a name="t30" id="t30"></a>LE BUFFET</h2> + + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0">C'est un large buffet sculpté; le chêne sombre,</span><br> + <span class="i0">Très vieux, a pris cet air si bon des vieilles gens;</span><br> + <span class="i0">Le buffet est ouvert, et verse dans son ombre</span><br> + <span class="i0">Comme un flot de vin vieux, des parfums engageants;</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Tout plein, c'est un fouillis de vieilles vieilleries,</span><br> + <span class="i0">De linges odorants et jaunes, de chiffons</span><br> + <span class="i0">De femmes ou d'enfants, de dentelles flétries,</span><br> + <span class="i0">De fichus de grand'mère où sont peints des griffons;</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">—C'est là qu'on trouverait les médaillons, les mèches</span><br> + <span class="i0">De cheveux blancs ou blonds, les portraits, les fleurs sèches</span><br> + <span class="i0">Dont le parfum se mêle à des parfums de fruits.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">—Ô buffet du vieux temps, tu sais bien des histoires,</span><br> + <span class="i0">Et tu voudrais conter tes contes, et tu bruis</span><br> + <span class="i0">Quand s'ouvrent lentement tes grands portes noires.</span><br> + <br> + </div> +</div> + +<p class="s2">Octobre 1870. +</p> + + + +<h2><a name="t31" id="t31"></a>MA BOHÈME</h2> + +<p class="c">(<i>Fantaisie</i>)</p> + + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0">Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées;</span><br> + <span class="i0">Mon paletot aussi devenait idéal;</span><br> + <span class="i0">J'allais sous le ciel, Muse! et j'étais ton féal;</span><br> + <span class="i0">Oh! là là! que d'amours splendides j'ai rêvées!</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Mon unique culotte avait un large trou.</span><br> + <span class="i0">—Petit Poucet rêveur, j'égrenais dans ma course</span><br> + <span class="i0">Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse;</span><br> + <span class="i0">—Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Et je les écoutais, assis au bord des routes,</span><br> + <span class="i0">Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes</span><br> + <span class="i0">De rosée à mon front, comme un vin de vigueur;</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,</span><br> + <span class="i0">Comme des lyres, je tirais les élastiques</span><br> + <span class="i0">De mes souliers blessés, un pied près de mon cœur!</span><br> + <br> + </div> +</div> + +<p class="s2">Octobre 1870. +</p> + + + +<h2><a name="t32" id="t32"></a>ENTENDS COMME BRAME</h2> + + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0">Entends, comme brame</span><br> + <span class="i0">près des acacias</span><br> + <span class="i0">en avril la rame</span><br> + <span class="i0">viride du pois!</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Dans sa vapeur nette,</span><br> + <span class="i0">Vers Phœbé! tu vois</span><br> + <span class="i0">s'agiter la tête</span><br> + <span class="i0">de saints d'autrefois...</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Loin des claires meules</span><br> + <span class="i0">des caps, des beaux toits,</span><br> + <span class="i0">ces chers Anciens veulent</span><br> + <span class="i0">ce philtre sournois...</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Or ni feriale</span><br> + <span class="i0">ni astrale! n'est</span><br> + <span class="i0">la brume qu'exhale</span><br> + <span class="i0">ce nocturne effet.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Néanmoins ils restent,</span><br> + <span class="i0">—Sicile, Allemagne,</span><br> + <span class="i0">dans ce brouillard triste</span><br> + <span class="i0">et blêmi, justement!</span><br> + <br> + </div> +</div> + + + + +<h2><a name="t33" id="t33"></a>CHANT DE GUERRE PARISIEN</h2> + + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0">Le printemps est évident, car</span><br> + <span class="i0">Du cœur des Propriétés vertes</span><br> + <span class="i0">Le vol de Thiers et de Picard</span><br> + <span class="i0">Tient ses splendeurs grandes ouvertes.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Ô mai! Quels délirants cul-nus!</span><br> + <span class="i0">Sèvres, Meudon, Bagneux, Asnières,</span><br> + <span class="i0">Écoutez donc les bienvenus</span><br> + <span class="i0">Semer les choses printanières!</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Ils ont schako, sabre et tamtam</span><br> + <span class="i0">Non la vieille boîte à bougies</span><br> + <span class="i0">Et des yoles qui n'ont jam... jam...</span><br> + <span class="i0">Fendent le lac aux eaux rougies!...</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Plus que jamais nous bambochons</span><br> + <span class="i0">Quand arrivent sur nos tanières<a id="FNanchor_1" name="FNanchor_1"></a><a href="#Footnote_1" class="fnanchor">1</a></span><br> + <span class="i0">Crouler les jaunes cabochons</span><br> + <span class="i0">Dans des aubes particulières.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Thiers et Picard sont des Éros</span><br> + <span class="i0">Des enleveurs d'héliotropes</span><br> + <span class="i0">Au pétrole ils font des Corots.</span><br> + <span class="i0">Voici hannetonner leurs tropes...</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Ils sont familiers du grand turc!...</span><br> + <span class="i0">Et couché dans les glaïeuls, Favre,</span><br> + <span class="i0">Fait son cillement aqueduc</span><br> + <span class="i0">Et ses reniflements à poivre!</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">La Grand-Ville a le pavé chaud</span><br> + <span class="i0">Malgré vos douches de pétrole</span><br> + <span class="i0">Et décidément il nous faut</span><br> + <span class="i0">Nous secouer dans votre rôle...</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Et les ruraux qui se prélassent</span><br> + <span class="i0">Dans de longs accroupissements</span><br> + <span class="i0">Entendront des rameaux qui cassent</span><br> + <span class="i0">Parmi les rouges froissements.</span><br> + <br> + </div> +</div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_1" id="Footnote_1"></a> +<a href="#FNanchor_1"> +<span class="label">[1]</span></a> Quand viennent sur nos fourmilières (<i>var. de l'auteur</i>).</p> +</div> + + + +<h2><a name="t34" id="t34"></a>MES PETITES AMOUREUSES</h2> + + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0">Un hydrolat lacrymal lave</span><br> + <span class="i1">Les cieux vert-chou:</span><br> + <span class="i0">Sous l'arbre tendronnier qui bave</span><br> + <span class="i1">Vos caoutchoucs.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Blancs de lunes particulières</span><br> + <span class="i1">Aux pialats ronds,</span><br> + <span class="i0">Entrechoquez vos genouillères</span><br> + <span class="i1">Mes laiderons!</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Nous nous aimions à cette époque,</span><br> + <span class="i1">Bleu laideron:</span><br> + <span class="i0">On mangeait des œufs à la coque</span><br> + <span class="i1">Et du mouron!</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Un soir tu me sacras poète,</span><br> + <span class="i1">Blond laideron.</span><br> + <span class="i0">Descends ici que je te fouette</span><br> + <span class="i1">En mon giron;</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">J'ai dégueulé ta bandoline</span><br> + <span class="i1">Noir laideron;</span><br> + <span class="i0">Tu couperais ma mandoline</span><br> + <span class="i1">Au fil du front.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Pouah! nos salives desséchées</span><br> + <span class="i1">Roux laideron</span><br> + <span class="i0">Infectent encor les tranchées</span><br> + <span class="i1">De ton sein rond!</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Ô mes petites amoureuses</span><br> + <span class="i1">Que je vous hais!</span><br> + <span class="i0">Plaquez de fouffes douloureuses,</span><br> + <span class="i1">Vos tétons laids!</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Piétinez mes vieilles terrines</span><br> + <span class="i1">De sentiment;</span><br> + <span class="i0">Hop donc soyez-moi ballerines</span><br> + <span class="i1">Pour un moment!...</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Vos omoplates se déboîtent</span><br> + <span class="i1">Ô mes amours!</span><br> + <span class="i0">Une étoile à vos reins qui boîtent</span><br> + <span class="i1">Tournez vos tours.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Est-ce pourtant pour ces éclanches</span><br> + <span class="i1">Que j'ai rimé!</span><br> + <span class="i0">Je voudrais vous casser les hanches</span><br> + <span class="i1">D'avoir aimé!</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Fade amas d'étoiles ratées</span><br> + <span class="i1">Comblez les coins</span><br> + <span class="i0">—Vous creverez en Dieu, bâtées</span><br> + <span class="i1">D'ignobles soins!</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Sous les lunes particulières</span><br> + <span class="i1">Aux pialats ronds</span><br> + <span class="i0">Entrechoquez vos genouillières,</span><br> + <span class="i1">Mes laiderons!</span><br> + <br> + </div> +</div> + + + + +<h2><a name="t35" id="t35"></a>LES POÈTES DE SEPT ANS</h2> + + +<p class="s"><i>A M. P. Demeny.</i> +</p> +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0">Et la Mère, fermant le livre du devoir,</span><br> + <span class="i0">S'en allait satisfaite et très fière sans voir,</span><br> + <span class="i0">Dans les yeux bleus et sous le front plein d'éminence,</span><br> + <span class="i0">L'âme de son enfant livrée aux répugnances.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Tout le jour il suait d'obéissance; très</span><br> + <span class="i0">Intelligent; pourtant des tics noirs, quelques traits,</span><br> + <span class="i0">Semblaient prouver en lui d'âcres hypocrisies.</span><br> + <span class="i0">Dans l'ombre des couloirs aux tentures moisies,</span><br> + <span class="i0">En passant il tirait la langue, les deux poings</span><br> + <span class="i0">À l'aine, et dans ses yeux fermés voyait des points.</span><br> + <span class="i0">Une porte s'ouvrait sur le soir; à la lampe</span><br> + <span class="i0">On le voyait, là-haut qui râlait sur la rampe,</span><br> + <span class="i0">Sous un golfe de jour pendant du toit. L'été</span><br> + <span class="i0">Surtout, vaincu, stupide, il était entêté</span><br> + <span class="i0">À se renfermer dans la fraîcheur des latrines:</span><br> + <span class="i0">Il pensait là, tranquille et livrant ses narines.</span><br> + <span class="i0">Quand, lavé des odeurs du jour, le jardinet</span><br> + <span class="i0">Derrière la maison, en hiver s'illunait,</span><br> + <span class="i0">Gisant au pied d'un mur, enterré dans la marne</span><br> + <span class="i0">Et pour des visions écrasant son œil darne,</span><br> + <span class="i0">Il écoutait grouiller les galeux espaliers.</span><br> + <span class="i0">Pitié! Ces enfants seuls étaient ses familiers</span><br> + <span class="i0">Qui, chétifs, fronts nus, œil déteignant sur la joue,</span><br> + <span class="i0">Cachant de maigres doigts jaunes et noirs de boue,</span><br> + <span class="i0">Sous des habits puant la foire et tout vieillots,</span><br> + <span class="i0">Conversaient avec la douceur des idiots!</span><br> + <span class="i0">Et si, l'ayant surpris à des pitiés immondes,</span><br> + <span class="i0">Sa mère s'effrayait; les tendresses profondes</span><br> + <span class="i0">De l'enfant se jetaient sur cet étonnement.</span><br> + <span class="i0">C'était bon. Elle avait le bleu regard,—qui ment!</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">À sept ans, il faisait des romans sur la vie</span><br> + <span class="i0">Du grand désert, où luit la Liberté ravie,</span><br> + <span class="i0">Forêts, soleils, rives, savanes!—Il s'aidait</span><br> + <span class="i0">De journaux illustrés où, rouge, il regardait</span><br> + <span class="i0">Des Espagnoles rire et des Italiennes.</span><br> + <span class="i0">Quand venait, l'œil brun, folle, en robes d'indiennes,</span><br> + <span class="i0">—Huit ans,—la fille des ouvriers d'à côté,</span><br> + <span class="i0">La petite brutale, et qu'elle avait sauté,</span><br> + <span class="i0">Dans un coin, sur son dos, en secouant ses tresses,</span><br> + <span class="i0">Et qu'il était sous elle, il lui mordait les fesses,</span><br> + <span class="i0">Car elle ne portait jamais de pantalons;</span><br> + <span class="i0">—Et, par elle meurtri des poings et des talons</span><br> + <span class="i0">Remportait les saveurs de sa peau dans sa chambre.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Il craignait les blafards dimanches de décembre,</span><br> + <span class="i0">Où, pommadé, sur un guéridon d'acajou,</span><br> + <span class="i0">Il lisait une Bible à la tranche vert-chou;</span><br> + <span class="i0">Des rêves l'oppressaient chaque nuit dans l'alcôve.</span><br> + <span class="i0">Il n'aimait pas Dieu; mais les hommes, qu'au soir fauve,</span><br> + <span class="i0">Noirs, en blouse, il voyait rentrer dans le faubourg</span><br> + <span class="i0">Où les crieurs, en trois roulements de tambour</span><br> + <span class="i0">Font autour des édits rire et gronder les foules.</span><br> + <span class="i0">—Il rêvait la prairie amoureuse, où des houles</span><br> + <span class="i0">Lumineuses, parfums sains, pubescences d'or,</span><br> + <span class="i0">Font leur remuement calme et prennent leur essor!</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Et comme il savourait surtout les sombres choses,</span><br> + <span class="i0">Quand, dans la chambre nue aux persiennes closes,</span><br> + <span class="i0">Haute et bleue, âcrement prise d'humidité,</span><br> + <span class="i0">Il lisait son roman sans cesse médité,</span><br> + <span class="i0">Plein de lourds ciels ocreux et de forêts noyées,</span><br> + <span class="i0">De fleurs de chair aux bois sidérals déployées,</span><br> + <span class="i0">Vertige, écroulements, déroutes et pitié!</span><br> + <span class="i0">—Tandis que se faisait la rumeur du quartier,</span><br> + <span class="i0">En bas,—seul, et couché sur des pièces de toile</span><br> + <span class="i0">Écrue, et pressentant violemment le voile!</span><br> + <br> + </div> +</div> +<p class="s2">26 mai 1871. +</p> + +<table border="0" cellpadding="2" cellspacing="0" summary="" +style="border:2px dotted gray;margin-left:2%;max-width:50%;"> +<tr><td align="center">Note (Project Gutenberg).</td></tr> +<tr><td align="left">On nous a fait savoir que le terme "le voile" dans la dernière ligne du poème «LES POÈTES DE SEPT ANS», doit être corrigée en "la voile".</td></tr> +<tr><td align="left">D'après nos recherches, le poème écrit en 1871 se terminait en effet sur les mots "la voile".</td></tr> +<tr><td align="left">La présente édition de 1895 a été corrigée de la main de Verlaine, sur des épreuves fournies par l'imprimerie Ch. Herissey à Évreux. Il nous est difficile de savoir pourquoi Verlaine a corrigé «la voile» en «le voile», ou s'agit-il d'un moment d'inattention?</td></tr> +<tr><td align="left">Ce qui est certain, notre édition marque bien «le voile».</td></tr> +</table> + + + + + +<h2><a name="t36" id="t36"></a>LE CŒUR VOLÉ</h2> + + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0">Mon pauvre cœur bave à la poupe,</span><br> + <span class="i0">Mon cœur est plein de caporal;</span><br> + <span class="i0">Ils lui lancent des jets de soupe,</span><br> + <span class="i0">Mon triste cœur bave à la poupe.</span><br> + <span class="i0">Sous les quolibets de la troupe</span><br> + <span class="i0">Qui pousse un rire général,</span><br> + <span class="i0">Mon triste cœur brave à la poupe</span><br> + <span class="i0">Mon cœur est plein de caporal!</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Ithyphalliques et pioupiesques,</span><br> + <span class="i0">Leurs insultes l'ont dépravé.</span><br> + <span class="i0">À la vesprée, ils font des fresques</span><br> + <span class="i0">Ithyphalliques et pioupiesques,</span><br> + <span class="i0">Ô flots abracadabrantesques</span><br> + <span class="i0">Prenez mon cœur, qu'il soit sauvé!</span><br> + <span class="i0">Ithyphalliques et pioupiesques</span><br> + <span class="i0">Leurs insultes l'ont dépravé!</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Quand ils auront tari leurs chiques,</span><br> + <span class="i0">Comment agir, ô cœur volé?</span><br> + <span class="i0">Ce seront des refrains bachiques</span><br> + <span class="i0">Quand ils auront tari leurs chiques.</span><br> + <span class="i0">J'aurai des sursauts stomachiques</span><br> + <span class="i0">Si mon cœur triste est ravalé:</span><br> + <span class="i0">Quand ils auront tari leurs chiques,</span><br> + <span class="i0">Comment agir, ô cœur volé?</span><br> + <br> + </div> +</div> + + + + +<h2><a name="t37" id="t37"></a>TÊTE DE FAUNE</h2> + + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0">Dans la feuillée, écrin vert taché d'or,</span><br> + <span class="i0">Dans la feuillée incertaine et fleurie,</span><br> + <span class="i0">D'énormes fleurs où l'âcre baiser dort</span><br> + <span class="i0">Vif et devant l'exquise broderie,</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Le Faune affolé montre ses grands yeux</span><br> + <span class="i0">Et mord la fleur rouge avec ses dents blanches</span><br> + <span class="i0">Brunie et sanglante ainsi qu'un vin vieux,</span><br> + <span class="i0">Sa lèvre éclate en rires par les branches;</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Et quand il a fui, tel un écureuil,</span><br> + <span class="i0">Son rire perle encore à chaque feuille</span><br> + <span class="i0">Et l'on croit épeuré par un bouvreuil</span><br> + <span class="i0">Le baiser d'or du bois qui se recueille.</span><br> + <br> + </div> +</div> + + + + +<h2><a name="t38" id="t38"></a>POISON PERDU</h2> + + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0">Des nuits du blond et de la brune</span><br> + <span class="i0">Pas un souvenir n'est resté;</span><br> + <span class="i0">Pas une dentelle d'été,</span><br> + <span class="i0">Pas une cravate commune.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Et sur le balcon, où le thé</span><br> + <span class="i0">Se prend aux heures de la lune,</span><br> + <span class="i0">Il n'est resté de trace aucune,</span><br> + <span class="i0">Aucun souvenir n'est resté,</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Au bord d'un rideau bleu piquée,</span><br> + <span class="i0">Luit une épingle à tête d'or</span><br> + <span class="i0">Comme un gros insecte qui dort,</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Pointe d'un fin poison trempée,</span><br> + <span class="i0">Je te prends, sois-moi préparée</span><br> + <span class="i0">Aux heures des désirs de mort.</span><br> + <br> + </div> +</div> + + + + +<h2><a name="t39" id="t39"></a>LES CORBEAUX</h2> + + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0">Seigneur, quand froide est la prairie,</span><br> + <span class="i0">Quand dans les hameaux abattus,</span><br> + <span class="i0">Les longs angelus se sont tus</span><br> + <span class="i0">Sur la nature défleurie,</span><br> + <span class="i0">Faites s'abattre des grands cieux</span><br> + <span class="i0">Les chers corbeaux délicieux.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Armée étrange aux cris sévères,</span><br> + <span class="i0">Les vents froids attaquent vos nids!</span><br> + <span class="i0">Vous, le long des fleuves jaunis,</span><br> + <span class="i0">Sur les routes aux vieux calvaires,</span><br> + <span class="i0">Sur les fossés et sur les trous,</span><br> + <span class="i0">Dispersez-vous, ralliez-vous!</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Par milliers, sur les champs de France,</span><br> + <span class="i0">Où dorment les morts d'avant-hier,</span><br> + <span class="i0">Tournoyez, n'est-ce pas, l'hiver,</span><br> + <span class="i0">Pour que chaque passant repense!</span><br> + <span class="i0">Sois donc le crieur du devoir,</span><br> + <span class="i0">Ô notre funèbre oiseau noir!</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Mais, saints du ciel, en haut du chêne,</span><br> + <span class="i0">Mât perdu dans le soir charmé,</span><br> + <span class="i0">Laissez les fauvettes de mai</span><br> + <span class="i0">Pour ceux qu'au fond du bois enchaîne,</span><br> + <span class="i0">Dans l'herbe d'où l'on ne peut fuir,</span><br> + <span class="i0">La défaite sans avenir.</span><br> + <br> + </div> +</div> + +<p class="s2">1872. +</p> + + + +<h2><a name="t40" id="t40"></a>PATIENCE</h2> + + +<p class="s"><i>D'un été.</i> +</p> +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0">Aux branches claires des tilleurs</span><br> + <span class="i0">Meurt un maladif hallali.</span><br> + <span class="i0">Mais des chansons spirituelles</span><br> + <span class="i0">Voltigent partout les groseilles.</span><br> + <span class="i0">Que notre sang rie en nos veines,</span><br> + <span class="i0">Voici s'enchevêtrer les vignes.</span><br> + <span class="i0">Le ciel est joli comme un ange,</span><br> + <span class="i0">Azur et Onde communient.</span><br> + <span class="i0">Je sors! Si un rayon me blesse,</span><br> + <span class="i0">Je succomberai sur la mousse.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Qu'on patiente et qu'on s'ennuie,</span><br> + <span class="i0">C'est si simple!... Fi de ces peines!</span><br> + <span class="i0">Je veux que l'été dramatique</span><br> + <span class="i0">Me lie à son char de fortune.</span><br> + <span class="i0">Que par toi beaucoup, ô Nature,</span><br> + <span class="i0">—Ah! moins nul et moins seul! je meure,</span><br> + <span class="i0">Au lieu que les bergers, c'est drôle,</span><br> + <span class="i0">Meurent à peu près par le monde.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Je veux bien que les saisons m'usent.</span><br> + <span class="i0">À toi, Nature! je me rends,</span><br> + <span class="i0">Et ma faim et toute ma soif;</span><br> + <span class="i0">Et s'il te plaît, nourris, abreuve.</span><br> + <span class="i0">Rien de rien ne m'illusionne;</span><br> + <span class="i0">C'est rire aux parents qu'au soleil;</span><br> + <span class="i0">Mais moi je ne veux rire à rien,</span><br> + <span class="i0">Et libre soit cette infortune.</span><br> + <br> + </div> +</div> + + + + +<h2><a name="t41" id="t41"></a>JEUNE MÉNAGE</h2> + + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0">La chambre est ouverte au ciel bleu turquin;</span><br> + <span class="i0">Pas de place: des coffrets et des huches!</span><br> + <span class="i0">Dehors le mur est plein d'aristoloches</span><br> + <span class="i0">Où vibrent les gencives des lutins.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Que ce sont bien intrigues de génies</span><br> + <span class="i0">Cette dépense et ces désordres vains!</span><br> + <span class="i0">C'est la fée africaine qui fournit</span><br> + <span class="i0">La mûre, et les résilles dans les coins.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Plusieurs entrent, marraines mécontentes,</span><br> + <span class="i0">En pans de lumière dans les buffets,</span><br> + <span class="i0">Puis y restent! le ménage s'absente</span><br> + <span class="i0">Peu sérieusement, et rien ne se fait.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Le marié a le vent qui le floue</span><br> + <span class="i0">Pendant son absence, ici, tout le temps.</span><br> + <span class="i0">Même des esprits des eaux malfaisants</span><br> + <span class="i0">Entrent vaguer aux sphères de l'alcôve.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">La nuit, l'amie oh, la lune de miel</span><br> + <span class="i0">Cueillera leur sourire et remplira</span><br> + <span class="i0">De mille bandeaux de cuivre le ciel.</span><br> + <span class="i0">Puis ils auront affaire au malin rat.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">—S'il n'arrive pas un feu follet blême,</span><br> + <span class="i0">Comme un coup de fusil, après des vêpres.</span><br> + <span class="i0">—Ô spectres saints et blancs de Bethléem,</span><br> + <span class="i0">Charmez plutôt le bleu de leur fenêtre!</span><br> + <br> + </div> +</div> + +<p class="s2">27 juin 1872. +</p> + + + +<h2><a name="t42" id="t42"></a>MÉMOIRE</h2> + + +<h3>I</h3> + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0">L'eau claire; comme le sel des larmes d'enfance;</span><br> + <span class="i0">L'assaut au soleil des blancheurs des corps de femmes;</span><br> + <span class="i0">La soie, en foule et de lys pur des oriflammes</span><br> + <span class="i0">Sous les murs dont quelque pucelle eut la défense;</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">L'ébat des anges;—non... le courant d'or en marche,</span><br> + <span class="i0">Meut ses bras, noirs, et lourds, et frais surtout, d'herbe. Elle,</span><br> + <span class="i0">Sombre, ayant le ciel bleu pour ciel de lit, appelle</span><br> + <span class="i0">Pour rideaux l'ombre de la colline et de l'arche.</span><br> + <br> + </div> +</div> + + +<h3>II</h3> + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0">Eh! l'humide carreau tend ses bouillons limpides!</span><br> + <span class="i0">L'eau meuble d'or pâle et sans fond les couches prêtes.</span><br> + <span class="i0">Les robes vertes et déteintes des fillettes</span><br> + <span class="i0">Font les saules, d'où sautent les oiseaux sans brides.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Plus pure qu'un louis, jaune et chaude paupière</span><br> + <span class="i0">Le souci d'eau—ta foi conjugale, ô l'Épouse!—</span><br> + <span class="i0">Au midi prompt, de son terne miroir, jalouse</span><br> + <span class="i0">Au ciel gris de chaleur la sphère rose et chère.</span><br> + <br> + </div> +</div> + + +<h3>III</h3> + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0">Madame se tient trop debout dans la prairie</span><br> + <span class="i0">Prochaine où neigent les fils du travail; l'ombrelle</span><br> + <span class="i0">Aux doigts; foulant l'ombelle; trop fière pour elle</span><br> + <span class="i0">Des enfants lisant dans la verdure fleurie</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Leur livre de maroquin rouge! Hélas, Lui, comme</span><br> + <span class="i0">Mille anges blancs qui se séparent sur la route,</span><br> + <span class="i0">S'éloigne par delà la montagne! Elle, toute</span><br> + <span class="i0">Froide, et noire, court! après le départ de l'homme!</span><br> + <br> + </div> +</div> + + +<h3>IV</h3> + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0">Regrets des bras épais et jeunes d'herbe pure!</span><br> + <span class="i0">Or des lunes d'avril au cœur du saint lit! Joie</span><br> + <span class="i0">Des chantiers riverains à l'abandon, en proie</span><br> + <span class="i0">Aux soirs d'août qui faisaient germer ces pourritures!</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Qu'elle pleure à présent sous les remparts: l'haleine</span><br> + <span class="i0">Des peupliers d'en haut est pour la seule brise.</span><br> + <span class="i0">Amis, c'est la nappe, sans reflets, sans source, grise—</span><br> + <span class="i0">Un vieux dragueur, dans sa barque immobile, peine.</span><br> + <br> + </div> +</div> + + +<h3>V</h3> + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0">Jouet de cet œil d'eau morne, je n'y puis prendre,</span><br> + <span class="i0">Ô canot immobile! ô bras trop courts! ni l'une</span><br> + <span class="i0">Ni l'autre fleur; ni la jaune qui m'importune,</span><br> + <span class="i0">Là; ni la bleue, amis, à l'eau couleur de cendre.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Ah! la poudre des saules qu'une aile secoue!</span><br> + <span class="i0">Les roses des roseaux dès longtemps dévorées!...</span><br> + <span class="i0">Mon canot toujours fixe; et sa chaîne tirée</span><br> + <span class="i0">Au fond de cet œil d'eau sans bords—à quelle boue?</span><br> + <br> + </div> +</div> + + +<p><a name="t42a" id="t42a"></a><br><br></p> + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0">Est-elle almée?... aux premières heures bleues</span><br> + <span class="i0">Se détruira-t-elle comme les fleurs feues...</span><br> + <span class="i0">Devant la splendide étendue où l'on sente</span><br> + <span class="i0">Souffler la ville énormément florissante!</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">C'est trop beau! c'est trop beau! mais c'est nécessaire</span><br> + <span class="i0">—Pour la Pêcheuse et la chanson du corsaire,</span><br> + <span class="i0">Et aussi puisque les derniers masques crurent</span><br> + <span class="i0">Encore aux fêtes de nuit sur la mer pure!</span><br> + <br> + </div> +</div> + +<p class="s2">Juillet 1872 +</p> + + + +<h2><a name="t43" id="t43"></a>FÊTES DE LA FAIM</h2> + + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i2">Ma faim, Anne, Anne,</span><br> + <span class="i2">Fuis sur ton âne.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Si j'ai du goût, ce n'est guères</span><br> + <span class="i0">Que pour la terre et les pierres</span><br> + <span class="i0">Dinn! dinn! dinn! dinn! Mangeons l'air,</span><br> + <span class="i0">Le roc, les terres, le fer,</span><br> + <span class="i4">Charbons.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Mes faims, tournez. Paissez, faims,</span><br> + <span class="i2">Le pré des sons!</span><br> + <span class="i0">Attirez le gai venin</span><br> + <span class="i2">Des liserons;</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Mangez les cailloux qu'un pauvre brise,</span><br> + <span class="i0">Les vieilles pierres d'églises,</span><br> + <span class="i0">Les galets, fils des déluges,</span><br> + <span class="i0">Pains couchés aux vallées grises!</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Des faims, c'est les bouts d'air noir;</span><br> + <span class="i2">L'azur sonneur;</span><br> + <span class="i0">—C'est l'estomac qui me tire,</span><br> + <span class="i2">C'est le malheur.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i0">Sur terre ont paru les feuilles:</span><br> + <span class="i0">Je vais aux chairs de fruit blettes,</span><br> + <span class="i0">Au sein du sillon je cueille</span><br> + <span class="i0">La doucette et la violette.</span><br> + <br> + </div> + + <div class="stanza"> + <span class="i2">Ma faim, Anne, Anne!</span><br> + <span class="i2">Fuis sur ton âne.</span><br> + <br> + </div> +</div> + +<p class="s2">Août 1872. +</p> + + + +<h2>PROSE</h2> + + + + +<h2><a name="t44" id="t44"></a>I<br> +FLAIRY</h2> + + +<p>Pour Hélène se conjurèrent les sèves ornementales +dans les ombres vierges et les clartés impassibles dans +le silence astral. L'ardeur de l'été fut confiée à des +oiseaux muets et l'indolence requise à une barque de +deuils sans prix par des anses d'amours morts et de +parfums affaissés.</p> + +<p>Après le moment de l'air des bûcheronnes à la +rumeur du torrent sous la ruine des bois, de la sonnerie +des bestiaux à l'écho des vals, et des cris des +steppes.</p> + +<p>Pour l'enfance d'Hélène frissonnèrent les fourrés et +les ombres, et le sein des pauvres, et les légendes du +ciel.</p> + +<p>Et ses yeux et sa danse supérieurs encore aux éclats +précieux, aux influences froides, au plaisir du décor et +de l'heure uniques.</p> + + + + +<h2><a name="t45" id="t45"></a>II<br> +GUERRE</h2> + + +<p>Enfant, certains ciels ont affiné mon optique, tous +les caractères nuancèrent ma physionomie. Les phénomènes +s'émurent. À présent l'inflexion éternelle +des moments de l'infini des mathématiques me chassent +par ce monde où je subis tous les succès civils, +respecté de l'enfance étrange et des affections énormes. +Je songe à une guerre, de droit ou de force, de logique +bien imprévue.</p> + +<p>C'est aussi simple qu'une phrase musicale.</p> + + + + +<h2><a name="t46" id="t46"></a>III<br> +GÉNIE</h2> + + +<p>Il est l'affection et le présent puisqu'il a fait la maison +ouverte à l'hiver écumeux et à la rumeur de l'été, +lui qui a purifié les boissons et les aliments, lui qui +est le charme des lieux fuyant et le délice surhumain +des stations. Il est l'affection et l'avenir, la force et +l'amour que nous, debout dans les rages et les ennuis, +nous voyons passer dans le ciel de tempête et les drapeaux +d'extase.</p> + +<p>Il est l'amour, mesure parfaite et réinventée, raison +merveilleuse et imprévue, et l'éternité: machine aimée +des qualités fatales. Nous avons tous eu l'épouvante +de sa concession et de la nôtre: ô jouissance de notre +santé, élan de nos facultés, affection égoïste et passion +pour lui, lui qui nous aime pour sa vie infinie...</p> + +<p>Et nous nous le rappelons et il voyage... Et si +l'Adoration s'en va, sonne, sa promesse sonne: +«Arrière ces superstitions, ces anciens corps, ces +ménages et ces âges. C'est cette époque-ci qui a sombré!»</p> + +<p>Il ne s'en ira pas, il ne redescendra pas d'un ciel, +il n'accomplira pas la rédemption des colères de +femmes et des gaîtés des hommes et de tout ce péché: +car c'est fait, lui étant, et étant aimé.</p> + +<p>Ô ses souffles, ses têtes, ses courses; la terrible célérité +de la perfection des formes et de l'action.</p> + +<p>Ô fécondité de l'esprit et immensité de l'univers!</p> + +<p>Son corps! Le dégagement rêvé le brisement de la +grâce croisée de violence nouvelle! sa vue, sa vue! +tous les agenouillages anciens et les peines <i>relevés</i> à +sa suite.</p> + +<p>Son jour! l'abolition de toutes souffrances sonores +et mouvantes dans la musique plus intense.</p> + +<p>Son pas! les migrations plus énormes que les +anciennes invasions.</p> + +<p>Ô Lui et nous! l'orgueil plus bienveillant que les +charités perdues.</p> + +<p>Ô monde! et le chant clair des malheurs nouveaux!</p> + +<p>Il nous a connus tous et nous a tous tous aimé. +Sachons, cette nuit d'hiver, de cap en cap, du pôle +tumultueux au château, de la foule à la plage, de +regards en regards, forces et sentiments las, le héler +et le voir, et le renvoyer, et sous les marées et au haut +des déserts de neige, suivre ses vues, ses souffles, son +corps, son jour.</p> + + + + +<h2><a name="t47" id="t47"></a>IV<br> +JEUNESSE</h2> + + +<h3><a name="t47-1" id="t47-1"></a>I<br> +DIMANCHE</h3> + +<p>Les calculs de côté, l'inévitable descente du ciel, la +visite des souvenirs et la séance des rythmes occupent +la demeure, la tête et le monde de l'esprit.</p> + +<p>—Un cheval détale sur le turf suburbain, le long des +cultures et des boisements, percé par la peste carbonique. +Une misérable femme de drame, quelque part +dans le monde soupire après les abandons improbables. +Les desperadves languissent après l'orage, l'ivresse et +les blessures. De petits enfants étouffent des malédictions +le long des rivières.</p> + +<p>Reprenons l'étude au bruit de l'œuvre dévorante qui +se rassemble et se monte dans les masses.</p> + + +<h3><a name="t47-2" id="t47-2"></a>II<br> +SONNET</h3> + +<p><i>Homme</i> de constitution ordinaire, la chair n'était-elle +pas un fruit pendu dans le verger, ô journées +enfantes! le corps un trésor à prodiguer; ô aimer, le +péril ou la force de Psyché? La terre avait des versants +fertiles en princes et en artistes, et la descendance +et la race nous poussaient aux crimes et aux +deuils: ce monde votre fortune et votre péril. Mais à +présent, le labeur comblé, toi, tes calculs, toi, tes +impatiences, ne sont plus que votre danse et votre +voix, non fixées et point forcées, quoique d'un double +événement d'invention et de succès une liaison, en +l'humanité fraternelle est discrète par l'univers sans +images;—la force et le droit réfléchissent la danse +et la voix à présent seulement appréciées.</p> + + +<h3><a name="t47-3" id="t47-3"></a>III<br> +VINGT ANS</h3> + +<p>Les voix instructives exilées... L'ingénuité physique +amèrement rassise... Adagio. Ah! l'égoïsme infini de +l'adolescence, l'optimisme studieux: que le monde +était plein de fleurs cet été! Les airs et les formes +mourant... Un chœur, pour calmer l'impuissance et +l'absence! Un chœur de verres de mélodies nocturnes... +En effet les nerfs vont vite chasser.</p> + + +<h3><a name="t47-4" id="t47-4"></a>IV</h3> + +<p>Tu en es encore à la tentation d'Antoine. L'ébat du +zèle écourté, les tics d'orgueil, l'affaissement et l'effroi. +Mais tu te mettras à ce travail: toutes les possibilités +harmoniques et architecturales s'émouvront autour de +ton siège. Des êtres parfaits, imprévus, s'offriront à tes +expériences. Dans tes environs affluera rêveusement +la curiosité d'anciennes foules et de luxes oisifs. Ta +mémoire et tes sens ne seront que la nourriture de +ton impulsion créatrice. Quant au monde, quand tu +sortiras, que sera-t-il devenu? En tout cas, rien des +apparences actuelles.</p> + + + + +<h2><a name="t48" id="t48"></a>V<br> +SOLDES</h2> + + +<p>À vendre ce que les Juifs n'ont pas vendus, ce que +noblesse ni crime n'ont goûté, ce qu'ignorent l'amour +maudit et la probité infernale des masses; ce que le +temps ni la science n'ont pas à reconnaître:</p> + +<p>Les voix reconstituées; l'éveil fraternel de toutes les +énergies chorales et orchestrales, et leurs applications +instantanées, l'occasion, unique, de dégager nos sens!</p> + +<p>À vendre les corps sans prix, hors de toute race, de +tout monde, de tout sexe, de toute descendance! Les +richesses jaillissant à chaque démarche! Solde de diamants +sans contrôle!</p> + +<p>À vendre l'anarchie pour les masses; la satisfaction +irrépréssible pour les amateurs supérieurs; la mort +atroce pour les fidèles et les amants!</p> + +<p>À vendre les habitations et les migrations, sports, +féeries et conforts parfaits, et le bruit, le mouvement +et l'avenir qu'ils font:</p> + +<p>À vendre les applications de calcul et sauts d'harmonie +inouïs. Les trouvailles et les termes non +soupçonnés, possession immédiate.</p> + +<p>Élan insensé et infini aux splendeurs et invisibles +aux délices insensibles, et ses secrets affolants pour +chaque vice, et sa gaîté effroyante pour la foule.</p> + +<p>À vendre les corps, les voix, l'immense opulence +inquestionable, ce qu'on ne vendra jamais. Les vendeurs +ne sont pas à bout de solde! Les voyageurs +n'ont pas à rendre leur commission de sitôt!</p> + + + + +<h2>TABLE</h2> + + +<ul> +<li><a href="#preface">PRÉFACE</a></li> +<li><a href="#t1">Les étrennes des orphelins</a></li> +<li><a href="#t2">Voyelles</a></li> +<li><a href="#t3">Oraison du soir</a></li> +<li><a href="#t4">Les assis</a></li> +<li><a href="#t5">Les effarés</a></li> +<li><a href="#t6">Les chercheuses de poux</a></li> +<li><a href="#t7">Bateau ivre</a></li> +<li><a href="#t8">Premières communions</a></li> +<li><a href="#t9">L'orgie parisienne ou Paris se repeuple</a></li> +<li><a href="#t10">Accroupissements</a></li> +<li><a href="#t11">Les pauvres à l'église</a></li> +<li><a href="#t12">Ce qui retient Nina</a></li> +<li><a href="#t13">Vénus Anadyomène</a></li> +<li><a href="#t13a">Morts de quatre-vingt-douze</a></li> +<li><a href="#t14">Comédie en trois baisers</a></li> +<li><a href="#t15">Sensation</a></li> +<li><a href="#t16">Bal des pendus</a></li> +<li><a href="#t17">Roman</a></li> +<li><a href="#t18">Rages de Césars</a></li> +<li><a href="#t19">Le mal</a></li> +<li><a href="#t20">Ophélie</a></li> +<li><a href="#t21">Le châtiment de Tartufe</a></li> +<li><a href="#t22">À la musique</a></li> +<li><a href="#t23">Le forgeron</a></li> +<li><a href="#t24">Soleil et chair</a></li> +<li><a href="#t25">Le dormeur du Val</a></li> +<li><a href="#t26">Au Cabaret Vert</a></li> +<li><a href="#t27">La Maline</a></li> +<li><a href="#t28">L'éclatante victoire de Sarrebruck</a></li> +<li><a href="#t29">Rêvé pour l'hiver</a></li> +<li><a href="#t30">Le buffet</a></li> +<li><a href="#t31">Ma bohème</a></li> +<li><a href="#t32">Entends comme Brame</a></li> +<li><a href="#t33">Chant de guerre parisien</a></li> +<li><a href="#t34">Mes petites amoureuses</a></li> +<li><a href="#t35">Les poètes de sept ans</a></li> +<li><a href="#t36">Le cœur volé</a></li> +<li><a href="#t37">Tête de faune</a></li> +<li><a href="#t38">Poison perdu</a></li> +<li><a href="#t39">Les corbeaux</a></li> +<li><a href="#t40">Patience</a></li> +<li><a href="#t41">Jeune ménage</a></li> +<li><a href="#t42">Mémoire</a></li> +<li><a href="#t42a">... Est-elle almée?</a></li> +<li><a href="#t43">Fêtes de la faim (variante)</a></li> +</ul> +<h3>PROSE</h3> + +<ul> +<li><a href="#t44">Fairy</a></li> +<li><a href="#t45">Guerre</a></li> +<li><a href="#t46">Génie</a></li> +<li><a href="#t47">Jeunesse</a></li> +<li><a href="#t47-1">I. Dimanche</a></li> +<li><a href="#t47-2">II. Sonnet</a></li> +<li><a href="#t47-3">III. Vingt ans</a></li> +<li><a href="#t47-4">IV. Tu en es encore</a></li> +<li><a href="#t48">Solde</a></li> +</ul> + +<div class="trnote"><h3>Notes sur la transcription</h3> + +<p>On a effectué les corrections suivantes:</p> + +<ul> +<li>ombragé => ombré (On paie au Prêtre un toit ombragé d'une charmille)</li> +<li>retiré «petits» (De s'entendre appeler garces par les petits garçons)</li> +<li>retiré «fortes» (Elle eut soif de la nuit forte où s'exalte et s'abaisse)</li> +<li>Boète => Poète (Le Boète prendra le sanglot des Infâmes)</li> +<li>gravements => gravement (Et parfois en hoquets fort gravements bouffons)</li> +<li>ajouté «est Roi!» (—Et pourtant, plus de dieux! plus de dieux! l'Homme)</li> +<li>dlamants => diamants (Solde de dlamants sans contrôle!)</li> +</ul> +<p><a name="annexe" id="annexe"></a>On donne ici la préface selon les épreuves, avant et après correction.</p> + +<blockquote> + + + + +<h2>PRÉFACE</h2> + +<p class="c">ARTHUR RIMBAUD</p> + +<p class="c">SES POÉSIES COMPLÈTES</p> + + +<p>À mon avis tout à fait intime, j'eusse préféré, +en dépit de tant d'intérêt s'attachant intrinsèquement +presque aussi bien que chronologiquement +à beaucoup de pièces du présent recueil<ins>,</ins> que +celui-ci fût allégé pour<ins>,</ins> surtout<ins>,</ins> des causes littéraires <ins>:</ins> +trop de jeunesse décidément, d'inexpériences +mal savoureuses, point d'assez heureuses +naïvetés. J'eusse, si le maître, donné juste un +dessus de panier, quitte à regretter que le reste +dût disparaître, ou<ins>,</ins> alors<ins>,</ins> ajouté ce reste à la fin +du livre, après la table des matières et sans table +des matières quant à ce qui l'eût concerné, sous +la rubrique «pièces attribuées à l'auteur», encore +excluant de cette peut-être trop indulgente déjà +hospitalité les tout à fait apocryphes sonnets publiés<ins>,</ins> +sous le nom glorieux et désormais sacré<ins>,</ins> +par de spirituels parodistes.</p> + +<p>Quoi qu'il en soit, voici, seulement <del>expurgée</del> <ins>expurgé</ins> +des apocryphes en question et <del>classée</del> <ins>classé</ins> aussi soigneusement +que possible par ordre de dates, +mais, hélas! <del>privée</del> <ins>privé</ins> de trop de choses qui furent<ins>,</ins> +aux déplorables fins de puériles et criminelles +rancunes<ins>,</ins> sans même d'excuses suffisamment +bêtes, confisquées, confisquées? volées! pour tout +et mieux dire, dans les tiroirs fermés d'un absent<del>.</del> <ins>,</ins> +<del>Voici</del> <ins>voici</ins> <i>le livre des poésies complètes d'Arthur +Rimbaud</i><ins>,</ins> avec ses additions inutiles à mon avis +et ses déplorables mutilations irréparables à jamais, +il faut le craindre.</p> + +<p>Justice est donc faite, et bonne et complète<ins>,</ins> +car en outre du présent fragment de l'<del>œuvre</del> <ins>[illisible]</ins>, il y +a eu des reproductions par la Presse et la Librairie +des choses en prose si inappréciables, peut-être +même si supérieures aux vers, dont quelques-uns +pourtant incomparables, que je sache!</p> + +<p>Ici, avant de procéder plus avant, dans ce très +sérieux et très sincère et pénible et douloureux travail, +il me sied et me plaît de remercier mes amis +Dujardin et Kahn, Fénéon, et ce trop méconnu, +trop modeste Anatole Baju, de leur intervention +en un cas si beau, mais<del>,</del> à l'époque<del>,</del> <del>periculent</del> <ins>périculeux</ins>, je +vous l'assure, car je ne le sais que trop.</p> + +<p>Kahn et Dujardin disposaient néanmoins de +revues jeunes et d'aspect presque imposant, un +peu d'outre-Rhin et parfois, pour ainsi dire<ins>,</ins> pédantesques; +depuis il y a eu encore du plomb dans +l'aile de ces périodiques changés de direction—et +Baju, naïf<ins>,</ins> eut aussi son influence, vraiment.</p> + +<p>Tous trois firent leur devoir en faveur de mes +efforts pour Rimbaud, Baju avec le tort<ins>,</ins> peut-être +inconscient<ins>,</ins> de publier<ins>,</ins> à l'appui de la bonne +thèse<ins>,</ins> des gloses farceuses de gens de talent et +surtout d'esprit qui auraient mieux fait certainement +de travailler pour leur compte, qui en +valait, je le leur dis en toute sincérité,</p> + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0">La peine assurément!</span><br> + <br> + </div> +</div> + +<p>Mais un devoir sacré m'incombe, en dehors de +toute diversion même quasiment nécessaire, vite. +C'est de rectifier des faits d'abord—et ensuite +d'élucider un peu la disposition, à mon sens, mal +littéraire, mais conçue dans un but tellement +respectable! du présent volume des <i>Poésies complètes +d'Arthur Rimbaud.</i></p> + +<p>On a tout dit<ins>,</ins> en une préface abominable que +la Justice a châtiée, d'ailleurs par la saisie, <del>de +par</del> <ins>sur</ins> la requête d'un galant homme de qui la signature +avait été escroquée, M. Rodolphe Darzens, +on a <del>donc</del> dit tout le mauvais sur Rimbaud, +homme et poète.</p> + +<p>Ce mauvais-là, il faut malheureusement, mais +carrément, l'amalgamer avec celui qu'a écrit, +pensé sans nul doute, un homme de talent dans +un journal d'irréprochable tenue. Je veux parler +de M. Charles Maurras et en appeler de lui à lui +mieux informé.</p> + +<p>Je lis, par exemple, ceci de lui, M. Charles +Maurras<del>.</del> <ins>:</ins></p> + +<p><del><i>Au dîner du Bon Bock</i></del> <ins>«Au dîner du Bon Bock»</ins>, +or il n'y avait pas +alors, de <i>dîner du Bon Bock</i> où nous allassions, +Valade, Mérat, Silvestre, quelques autres Parnassiens<del>, ou</del> +<ins>[et]</ins> moi, <del>ou</del> <ins>ni</ins> par conséquent Rimbaud avec +nous, mais bien un dîner mensuel des <i>Vilains +Bonshommes</i> <ins>[note illisible]</ins>, fondé <del>bien</del> avant la guerre et +qu'avaient honoré quelquefois Théodore de Banville +et, de la part de Sainte-Beuve, <del>son</del> <ins>le</ins> secrétaire <ins>de celui-ci,</ins> +M. Jules Troubat. Au moment dont il est +question, fin 1871, nos «assises» se tenaient au +premier étage d'un marchand de vins établi au +coin de la rue Bonaparte et de la place Saint-Sulpice, +vis-à-vis d'un libraire d'occasion (rue +Bonaparte) et (rue du Vieux-Colombier) d'un +<del>marchand</del> <ins>négociant</ins> <del>d'</del> <ins>[en] </ins>objets religieux <ins>.</ins> +<del><i>Au dîner du Bon Bock</i></del> <ins>«Au dîner du Bon Bock</ins>, +dit donc M. Maurras, +ses reparties (à Rimbaud) causaient de grands +scandales. Ernest d'Hervilly le rappelait en vain +à la raison. <span class="sc">Carjat le mit à la porte.</span> Rimbaud +attendit <del>patiemment</del> <ins><i>patiemment</i></ins> à la porte et Carjat reçut à +la sortie un «bon» (je retiens «bon») coup de +canne à épée <del>dans le ventre.</del> <ins><span class="sc">dans le ventre.</span>»</ins></p> + +<p>Je n'ai pas à invoquer le témoignage de d'Hervilly +qui est un cher poète et un cher ami, parce +qu'il n'a jamais été plus l'auteur d'une intervention +absurdement inutile que l'objet d'une insulte +ignoble publiée sans la plus simple pudeur, non +plus que sans la moindre conscience du faux ou +du vrai dans la préface de l'édition <del>de M.</del> Genonceaux<del>, +cet exotique à Paris d'ailleurs failli depuis +ou quelque chose comme cela</del>; ni celui de M. Carjat +lui-même<ins>, par trop juge et partie</ins>, ni <ins>celui</ins> des encore assez nombreux survivants +d'une scène assurément peu glorieuse pour +Rimbaud, mais démesurément grossie et dénaturée +jusqu'à la plus complète calomnie.</p> + +<p>Voici donc un récit succinct<ins>,</ins> mais vrai<del>,</del> jusque +dans le moindre détail, du «drame» en question<del>;</del> <ins>:</ins> +ce soir-là<ins>,</ins> aux <i>Vilains Bonshommes</i><ins>,</ins> on avait lu +beaucoup de vers après le dessert et le café. +Beaucoup de vers, même à la fin d'un dîner +(plutôt modeste), ce n'est pas toujours des moins +fatigants, particulièrement quand ils sont un peu +bien déclamatoires comme ceux dont <i>vraiment</i> il +s'agissait (et non du bon poète Jean Aicard). Ces +vers étaient d'un monsieur qui faisait beaucoup +de sonnets à l'époque et de qui le nom m'échappe.</p> + +<p>Et<ins>,</ins> sur le début suivant<ins>,</ins> après passablement +d'autres choses d'autres gens:</p> + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0"><i>On dirait des soldats d'Agrippa d'Aubigné</i></span><br> + <span class="i0"><i>Alignés au cordeau par Philibert Delorme <ins>...</ins></i></span><br> + <br> + </div> +</div> + +<p>Rimbaud eut le tort incontestable de protester +d'abord entre haut et bas contre la prolongation +d'à la fin abusives récitations. Sur quoi M. Etienne +Carjat<ins>,</ins> le photographe<del>,</del> poète de qui le récitateur +était l'ami littéraire et artistique, s'interposa trop +vite et trop vivement à mon gré, traitant l'interrupteur +de gamin. Rimbaud qui ne savait supporter +la boisson, et que l'on avait contracté dans +ces «agapes» pourtant modérées, la mauvaise +habitude de gâter au point de vue du vin et des +liqueurs,—Rimbaud qui se trouvait gris, prit +mal la chose, se saisit d'une canne à épée à moi qui +était derrière nous<ins>,</ins> voisins immédiats et, par-dessus +la table large de près de deux mètres, +dirigea vers M. Carjat qui se trouvait en face ou +tout comme<ins>,</ins> la lame dégainée qui ne fit pas heureusement +de très grands ravages, puisque le +sympathique ex-directeur du <i>Boulevard</i> ne reçut, +si j'en crois ma mémoire qui est excellente dans +ce cas, qu'une éraflure très légère <ins>à une main</ins>.</p> + +<p>Néanmoins l'alarme fut grande et la tentative +très regrettable, vite et plus vite encore réprimée. +J'arrachai la lame au furieux, la brisai sur mon +genou et confiai, devant rentrer de très bonne +heure chez moi<del> où ma femme était dans un état +de grossesse avancé pour ne pas excuser de trop +longue ou fréquentes miennes absences de la +maison</del>, le <del>garçon</del> <ins>[«gamin»]</ins> à moitié dégrisé maintenant<ins>,</ins> +au peintre bien connu, Michel de l'Hay<ins>,</ins> alors déjà +un solide gaillard en outre d'un tout jeune homme +des plus remarquablement beaux qu'il soit donné +de voir, qui eut tôt fait de reconduire à son domicile +de la rue Campagne-Première, en le chapitrant +d'importance, <del>le «gamin»</del> <ins>notre jeune intoxiqué</ins> de qui l'accès +de colère ne tarda pas à se dissiper tout à fait<ins>,</ins> +avec les fumées du vin et de l'alcool<ins>,</ins> dans le +sommeil réparateur de la seizième année.</p> + +<p>Avant de «lâcher» tout à fait M. Charles +Maurras, je lui demanderai de <del>m'autoriser à +m'</del> expliquer <del>une dernière fois</del> sur un malheureux +membre de phrase de lui me concernant.</p> + +<p>À propos de la question d'ailleurs subsidiaire +de savoir si <del>M.</del> Rimbaud était beau ou laid, +M. Maurras qui ne l'a jamais vu et qui le trouve +laid, d'après des témoins «plus rassis» que votre +serviteur, me blâmerait presque, ma parole +d'honneur! d'avoir dit qu'il avait (Rimbaud) un +visage parfaitement ovale d'ange en exil, une forte +bouche rouge au pli amer <del>(</del>et <ins>(</ins><i>in cauda venenum!</i>) +<del>ce Latin et Romain et Grec et Italien! Que vous êtes, M. Maurras, ô gros voluptueux (à la Wilde!)</del> des +«jambes sans rivales».</p> + +<p>Ça c'est<del> bête</del>, je veux <ins>bien</ins> le croire, <ins>idiot</ins> sans plus<ins>,</ins> autrement, +quoi? Voici toujours <i>ma</i> phrase sur les +jambes en question, extraite des <i>Homme d'aujourd'hui</i>. +Au surplus, lisez toute la petite biographie. +Elle répond à tout d'<i>avance</i>, et coûte +deux sous.</p> + +<p>«... Des projets pour la Russie, une anicroche +à Vienne (Autriche), quelques mois en France, +d'Arras et Douai à Marseille, et le Sénégal vers +lequel bercé par un naufrage<del>,</del> <ins>[;]</ins> puis la Hollande, +1879-80<del>,</del> <ins>;</ins> vu décharger des voitures de moisson +dans une ferme à sa mère, entre Attigny et Vouziers, +et arpenter ces routes maigres de ses +«<span class="sc">jambes sans rivales</span>».</p> + +<p>Voyons, M. Maurras, est-ce bien de bonne foi +votre confusion entre infatigabilité... et autre +chose<del>.</del> <ins>?</ins></p> + +<p>—Ouf! j'en ai fini avec les petites (et grosses) +infamies qui<ins>,</ins> de régions prétendues uniquement +littéraires, s'insinueraient dans la vie privée pour +s'y installer<ins>,</ins> et veuillez, lecteur, me permettre de +m'étendre un peu, maintenant qu'on a brûlé quelque +sucre, sur le pur plaisir intellectuel de vous +parler du présent ouvrage qu'on peut ne pas +aimer, ni même admirer, mais qui a droit à tout +respect en tout consciencieux examen?</p> + +<p>On a laissé les pièces <del>objectionnables</del> <ins>objectionables</ins> au point +de vue bourgeois, car le point de vue chrétien et +surtout catholique dont je m'honore d'être un des +plus indignes peut <ins>-</ins>être mais à coup sûr le plus +sincère tenant, me semble supérieur <ins>et doit être écarté</ins>—j'entends, +notamment les <i>Premières Communions</i>, les +<i>Pauvres à l'église</i> (pour mon compte, j'eusse +négligé cette pièce brutale <del>avec</del> <ins>ayant</ins> pourtant ceci<del> qui +est [illisible]</del>:</p> + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i4"><i>... Les malades du foie</i></span><br> + <span class="i0"><i>Font baiser leurs longs doigts jaunes<del>.</del> <ins>aux bénitiers.</ins></i></span><br> + <span class="i4"><del><i>Aux bénitiers.</i></del></span><br> + <br> + </div> +</div> + +<p>Quant aux <i>Premières Communions</i> dont j'ai +sévèrement parlé dans mes <i>Poètes maudits</i> à +cause de certains vers <del>plutôt irrrévérencieux que</del> <ins>affreusement</ins> +blasphémateurs<del> (ou réciproquement)</del>, c'est si +beau!... n'est-ce pas? à travers tant de <del>drôles de</del> <ins>coup[ables]</ins> +choses... n'est ce pas?</p> + +<p>Pour le reste de ce que j'aime parfaitement, le +<i>Bateau ivre</i>, les <i>Effarés</i>, les <i>Chercheuses de poux</i> +et<ins>,</ins> bien après<ins>,</ins> les <i>Assis</i> aussi, parbleu! <del>C'est</del> un +peu fumiste, mais si beau de détails; <i>Sonnet de +Voyelles</i> qui a fait faire à M. Réné Ghill de ses +mirobolantes théories<ins>,</ins> et l'ardent <i>Faune</i><del>.</del> <del>C'</del> <ins>[illisible]</ins> est +parfait de fauves,—en liberté! et encore une +fois, je vous le présente, ce «numéro», comme +autrefois dans <ins>ce petit journal de combat mort en pleine +brèche</ins> <i>Lutèce</i>, de tout mon cœur, de toute +mon âme et de toutes mes forces.</p> + +<p>On a cru devoir<ins>,</ins> évidemment dans un but de +réhabilitation qui n'a rien à voir ni avec la vie <ins>honorable</ins> +ni avec l'œuvre <ins>très intéressante</ins>, <ins>[illisible]</ins> ouvrir le volume par une pièce +intitulée <i>Étrennes des Orphelins</i>, laquelle assez +longue pièce, dans le goût un peu <del><i>Guiraud</i></del> <ins>Guiraud</ins> avec +déjà des beautés tout autres. Ceci qui vaut du +Desbordes-Valmore:</p> + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0"><i>Les tout petits enfants ont le cœur si sensible!</i></span><br> + <br> + </div> +</div> + +<p>Cela:</p> + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0"><i>La bise sous le seuil a fini par se taire...</i></span><br> + <br> + </div> +</div> + +<p>qui est d'un net et d'un vrai, quant à ce qui concerne +un beau jour de premier janvier. Surtout +une facture solide<ins>,</ins> même un peu trop<ins>,</ins> qui dit +l'extrême jeunesse de l'auteur quand il s'en +servit d'après la formule parnassienne exagérée.</p> + +<p>On a cru aussi devoir intercaler de gré ou de +force un trop long poème: <i>Le Forgeron</i>, daté des +<i>Tuileries vers le 10 août <del>1892</del> <ins>1792</ins></i>, où vraiment c'est +trop démoc-soc <ins> [illisible]</ins>, par trop démodé, même en 1870 <ins>où ce fut écrit;</ins> +mais l'auteur<ins>,</ins> direz-vous, était si, si jeune! Mais, +répondrais-je, était-ce une raison pour publier +cette chose faite à coups de «mauvaises lectures» +dans des manuels surannés ou de trop +moisis historiens? Je ne m'empresse pas moins +d'ajouter qu'il y a là encore de très beaux vers. +Parbleu! avec cet être-là!</p> + +<p>Cette caricature de Louis <del>XIV</del> <ins>XVI</ins>, d'abord:</p> + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0"><i>Et prenant ce gros-là dans son regard farouche.</i></span><br> + <br> + </div> +</div> + +<p>Cette autre encore;</p> + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0"><i>Or le bon roi, debout sur son ventre<ins>,</ins> était pâle.</i></span><br> + <br> + </div> +</div> + +<p>Ce cri bien dans le ton juste, trop rare ici <ins>:</ins></p> + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0"><i>On ne veut pas de nous dans les boulangeries</i></span><br> + <br> + </div> +</div> + +<p>Mais j'avoue préférer telles pièces purement +jolies, mais alors très jolies, d'une joliesse sauvageonne +ou sauvage tout à fait alors presque aussi +belles que <del>le <i>Bateau ivre</i></del> <ins>les <i>Effarés</i></ins> ou que +les <del><i>Premières Communions</i></del> <ins>Assis</ins>.</p> + +<p>Il y a<ins>,</ins> dans ce ton<ins>,</ins> <i>Ce qui relient Nina</i>, vingt-neuf +strophes, plus de cent vers<ins>,</ins> sur un <del>rythme</del> <ins>[rh]ythme</ins> +sautilleur avec des gentillesse à tout bout de +champ:</p> + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0"><i>Dix-sept ans<del>,</del> <ins>!</ins> tu seras heureuse!</i></span><br> + <span class="i6"><i>Ô les grands prés<ins>,</ins></i></span><br> + <span class="i0"><i>La grande campagne amoureuse!</i></span><br> + <span class="i6"><i>—Dis, viens plus près!...</i></span><br> + <span class="i0">. . . . . . . . . . . . . .</span><br> + <span class="i0"><i>Puis comme une petite morte</i></span><br> + <span class="i6"><i>Le cœur pâmé</i></span><br> + <span class="i0"><i>Tu me <del>disais</del> <ins>dirais</ins> que je te porte</i></span><br> + <span class="i6"><i>L'œil mi-fermé...</i></span><br> + <br> + </div> +</div> + +<p>Et<ins>,</ins> après la promenade au bois... et la résurrection +de la <i>petite morte</i>, l'entrée dans le village +où <i><del>ça</del> <ins>çà</ins> sentirait le laitage</i>, une étable pleine +d'un <del>rythme</del> <ins>rhythme</ins> lent d'haleine<ins>,</ins> et de grands dos<del>. Un</del> <ins>, un</ins> +intérieur à la Téniers<del>.</del> <ins>:</ins></p> + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0"><i>Les lunettes de <del>ma</del> <ins>la</ins> grand-mère</i></span><br> + <span class="i3"><i>Et son nez long</i></span><br> + <span class="i0"><i>Dans son missel...</i></span><br> + <span class="i0">. . . . . . . . . . . . . .</span><br> + <br> + </div> +</div> + +<p>Aussi la <i>Comédie en trois baisers:</i></p> + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0">. . . . . . . . . . . . . .</span><br> + <span class="i0"><i>Elle était fort déshabillée</i></span><br> + <span class="i0"><i>Et de grands arbres indiscrets.</i></span><br> + <span class="i0"><i>Aux vitres penchaient leur feuillée</i></span><br> + <span class="i0"><i>Malinement, tout près, tout près.</i></span><br> + <br> + </div> +</div> + +<p><i>Sensation</i>, où le poète adolescent va loin, bien +loin<ins>, «</ins>comme un bohémien<del>.</del> <ins>»</ins></p> + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0"><i>Par la nature, heureux comme avec une femme <ins>...</ins></i></span><br> + <br> + </div> +</div> + +<p>Roman:</p> + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0"><i>On n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans.</i></span><br> + <br> + </div> +</div> + +<p>Ce qu'il y a d'amusant, c'est que Rimbaud, +quand il écrivait ce vers, n'avait pas encore +seize ans. Évidemment il se «vieillissait» pour +mieux plaire à quelque belle... de<ins>,</ins> très probablement<ins>,</ins> +son imagination.</p> + +<p><i>Ma Bohème</i>, la plus gentille sans doute de ces +gentilles choses<del>.</del> <ins>:</ins></p> + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0"><i>Comme des lyres je tirai les élastiques<del>,</del></i></span><br> + <span class="i0"><i>De mes souliers blessés<ins>, un pied</ins> près de mon cœur</i> <ins>...</ins></span><br> + <br> + </div> +</div> + +<p>Mes <i>Petites amoureuses</i>, les <i>Poètes de sept ans</i>, +frères franchement douloureux des <i>Chercheuses +de poux</i>:</p> + +<div class="poem"> + <div class="stanza"> + <span class="i0"><i>Et la mère fermant le livre du devoir</i></span><br> + <span class="i0"><i>S'en allait satisfaite et très fière sans voir</i></span><br> + <span class="i0"><i>Dans les yeux bleus et sous le front plein d'éminences</i></span><br> + <span class="i0"><i>L'âme de son enfant livrée aux répugnances.</i></span><br> + <span class="i0">. . . . . . . . . . . . . .</span><br> + <br> + </div> +</div> + +<p>Quant aux quelques morceaux en prose qui +terminent le volume, je les eusse retenus pour les +publier dans une nouvelle édition des œuvres en +prose. Ils sont d'ailleurs <del>très beaux</del> <ins>merveilleux,</ins> mais tout à +fait dans la note des <i>Illuminations</i> et de la <i>Saison +en Enfer</i>. Je l'ai dit tout à l'heure et je sais +que je ne suis pas le seul à le penser: <del>Le</del> Rimbaud +en prose est peut-être supérieur à celui en +vers...</p> + +<p>J'ai terminé, je crois avoir terminé ma tâche +de préfacier. De la vie de l'homme j'ai parlé +suffisamment. De son œuvre je reparlerai peut-être +encore.</p> + +<p>Mon dernier mot ne peut-être ici que ceci: +Rimbaud fut un poète mort jeune <ins>(à dix-huit ans, +puisque né à Charleville[—le 20] Octobre 1854—nous n'avons pas de vers de lui +[postérieur] à 1872.)</ins> mais vierge de +toute platitude ou décadence—comme il fut un +homme mort jeune aussi <ins>[(à trente] sept ans [le] 10 Novembre 1891 à l'hôpital +de la Conception de Marseille)</ins>, mais dans son vœu +bien formulé d'indépendance et de haut dédain +de n'importe quelle adhésion à ce qu'il ne lui +plaisait pas de faire ni d'être.</p> + +<p class="s">Paul <span class="sc">Verlaine</span>. +</p> +</blockquote> +</div> + + + + + + + + +<pre> + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of Poésies complètes, by Arthur Rimbaud + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK POÉSIES COMPLÈTES *** + +***** This file should be named 29302-h.htm or 29302-h.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + https://www.gutenberg.org/2/9/3/0/29302/ + +Produced by Laurent Vogel, Robert Connal and the Online +Distributed Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This +file was produced from images generously made available +by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at +http://gallica.bnf.fr) + + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. 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Redistribution is +subject to the trademark license, especially commercial +redistribution. + + + +*** START: FULL LICENSE *** + +THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE +PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK + +To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free +distribution of electronic works, by using or distributing this work +(or any other work associated in any way with the phrase "Project +Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full Project +Gutenberg-tm License (available with this file or online at +https://gutenberg.org/license). + + +Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg-tm +electronic works + +1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm +electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to +and accept all the terms of this license and intellectual property +(trademark/copyright) agreement. 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It exists +because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from +people in all walks of life. + +Volunteers and financial support to provide volunteers with the +assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's +goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will +remain freely available for generations to come. In 2001, the Project +Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure +and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. +To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation +and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 +and the Foundation web page at https://www.pglaf.org. + + +Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive +Foundation + +The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit +501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the +state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal +Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification +number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at +https://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent +permitted by U.S. federal laws and your state's laws. + +The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. +Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered +throughout numerous locations. Its business office is located at +809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email +business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact +information can be found at the Foundation's web site and official +page at https://pglaf.org + +For additional contact information: + Dr. Gregory B. Newby + Chief Executive and Director + gbnewby@pglaf.org + + +Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation + +Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide +spread public support and donations to carry out its mission of +increasing the number of public domain and licensed works that can be +freely distributed in machine readable form accessible by the widest +array of equipment including outdated equipment. Many small donations +($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt +status with the IRS. + +The Foundation is committed to complying with the laws regulating +charities and charitable donations in all 50 states of the United +States. 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Thus, we do not necessarily +keep eBooks in compliance with any particular paper edition. + + +Most people start at our Web site which has the main PG search facility: + + https://www.gutenberg.org + +This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, +including how to make donations to the Project Gutenberg Literary +Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to +subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. + + +</pre> + +</body> +</html> diff --git a/29302-h/images/a.png b/29302-h/images/a.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..aa84f52 --- /dev/null +++ b/29302-h/images/a.png diff --git a/LICENSE.txt b/LICENSE.txt new file mode 100644 index 0000000..6312041 --- /dev/null +++ b/LICENSE.txt @@ -0,0 +1,11 @@ +This eBook, including all associated images, markup, improvements, +metadata, and any other content or labor, has been confirmed to be +in the PUBLIC DOMAIN IN THE UNITED STATES. + +Procedures for determining public domain status are described in +the "Copyright How-To" at https://www.gutenberg.org. + +No investigation has been made concerning possible copyrights in +jurisdictions other than the United States. 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