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+The Project Gutenberg EBook of Journal de marche du sergent Fricasse de la
+127e demi-brigade : 1792-1802, by Jacques Fricasse
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
+
+
+Title: Journal de marche du sergent Fricasse de la 127e demi-brigade : 1792-1802
+ avec les uniformes des armées de Sambre-et-Meuse et
+ Rhin-en_Moselle. Fac-similés dessinés par P. Sellier d'après
+ les gravures al
+
+Author: Jacques Fricasse
+
+Editor: Lorédan Larchey
+
+Release Date: April 14, 2010 [EBook #31988]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: ISO-8859-1
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK JOURNAL DU SERGENT FRICASSE ***
+
+
+
+
+Produced by Mireille Harmelin, Eric Vautier, Rénald Lévesque
+(html) and the Online Distributed Proofreaders Europe at
+http://dp.rastko.net. This file was produced from images
+generously made available by the Bibliothèque nationale
+de France (BnF/Gallica)
+
+
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+
+
+
+
+JOURNAL DE MARCHE DU SERGENT FRICASSE DE LA 127e DEMI-BRIGADE
+
+1792-1802
+
+Avec les uniformes des armées de Sambre-et-Meuse et Rhin-et-Moselle,
+fac-similés dessinés par P. Sellier d'après les gravures allemandes du
+temps.
+
+PUBLIÉ POUR LA PREMIÈRE FOIS PAR LORÉDAN LARCHEY D'APRÈS LE MANUSCRIT
+ORIGINAL
+
+PARIS
+
+AUX FRAIS DE L'ÉDITEUR
+
+1882
+
+
+
+
+Authenticité de ce Journal. Ses enseignements et sa valeur morale.--Les
+armées de la République glorifiées par un Maréchal du premier
+Empire.--Pourquoi nous devons souhaiter la renaissance de leur esprit
+militaire.
+
+
+Fricasse!
+
+Comique est le nom, mais sérieuse est l'oeuvre, car elle se recommande
+par une sincérité rare. Et la sincérité est beaucoup à cette époque
+tourmentée de la première République où chaque écrivain se passionne en
+prenant parti pour ou contre l'ère nouvelle. Éloge enthousiaste ou
+réquisitoire indigne, il n'y a guère de milieu.
+
+Le document, publié ici pour la première fois, présente du moins le
+mérite de ne connaître d'autre guerre que celle de l'extérieur, d'autres
+ennemis que ceux de la patrie. Il est authentique, et je tiens à la
+disposition des curieux son manuscrit original, qui est du temps, et qui
+me fut libéralement donné par mon ami Jules de Forge de Vesoul. C'est
+bien un journal de marche; chaque étape s'y trouve notée à son jour,
+chaque fait de guerre paraît à son heure.
+
+En un temps où l'avancement était si rapide, il ne fut pas de plus
+humble carrière que celle de notre héros, et c'est précisément ce qui
+m'a intéressé dans une oeuvre que ne recommande, il faut le dire, aucune
+séduction littéraire; elle est simple comme le carnet d'un soldat
+citoyen qui remplit son devoir complètement et modestement. De 1792 à
+1802, il fait campagne chaque année: avec l'armée de Sambre-et-Meuse, il
+protège nos places du Nord et fait son entrée à Bruxelles; avec l'armée
+de Rhin-et-Moselle, il pousse jusqu'à Munich et accomplit cette retraite
+devenue fameuse sous le nom de _retraite de Moreau_; avec l'armée
+d'Italie, il résiste dans Gênes jusqu'à la dernière extrémité. Reste le
+neuvième d'une compagnie de cent dix hommes détruite par la guerre,
+réduit par une blessure à regagner son village, il n'a ni un mot de
+plainte, ni un mouvement d'humeur ou d'ambition déçue. Il reste fier
+d'avoir servi son pays avec honneur et avec probité. J'insiste sur ce
+dernier mot, parce que plusieurs pages de son journal témoignent des
+plus nobles sentiments[1]. La partie descriptive n'en est pas bien
+riche, les développements et les réflexions ne sont jamais poussés loin,
+mais si l'esprit de l'auteur est borné, son âme apparaît grande et
+généreuse, on sent qu'il est honnête homme et bon Français. On oublie la
+sécheresse et la monotonie même du récit, parce qu'il vous fait sûrement
+connaître l'esprit du soldat et aussi les cruelles nécessités de la
+guerre.
+
+Il est bon de savoir à quel prix on achète une victoire.
+
+Certes, c'est déjà beaucoup que le courage de faire le coup de feu ou de
+se lancer sur l'ennemi baïonnette en avant. Mais que de soldats tombés
+sur la route avant de voir luire un jour de bataille! Combien de
+victimes obscures sont dévouées aux marches sans fin, aux misères du
+bivouac, aux privations des sièges, aux souffrances d'une campagne
+d'hiver où la maladie et la faim n'ont pas peur de votre fusil.
+
+On ne saurait se faire idée de cela en voyant défiler un régiment ni en
+lisant un rapport officiel.
+
+D'autres enseignements ressortent de notre journal. Il s'en dégage au
+plus haut degré l'expression de cette foi républicaine qui n'est pas
+encore admise sans réserve. Pour les besoins de certaines causes, on a
+contradictoirement exalté et ravalé les volontaires de notre première
+République. On verra que leur force morale fut à la hauteur de leurs
+souffrances, sinon de leur discipline. C'est déjà un point important
+acquis au débat qui n'est pas encore terminé, mais qui, pour l'honneur
+de nos armes, ne perd point à être approfondi. Je le constate sans
+esprit d'exclusion, car je suis de ceux qui ne voient ni tout en rose,
+ni tout en noir. Il semble que plus on creuse le passé, moins on devient
+absolu. En histoire, le bon et le mauvais restent aussi inséparables,
+dans les faits, que l'ombre et la lumière dans un paysage. On remarque
+seulement à certaines heures plus de lumière ou plus d'ombre, et c'est
+dans la mise en valeur de cette inégalité que se trouve la vérité du
+tableau.
+
+Si nos volontaires de 1792 n'ont pas été aguerris du premier coup, ils
+ont donc montré vraiment l'esprit national, c'est-à-dire la volonté de
+faire respecter la France au péril de leurs vies, ce qui est la première
+qualité d'un soldat. Chez le nôtre, on constate aussi, et non sans une
+certaine surprise, que l'amour sincère de la République est empreint
+d'un sentiment religieux particulier et dont l'expression se trouve
+traduite au long dans une prière écrite à la fin de son oeuvre. Elle a
+été recueillie avec d'autant plus de soin que c'est un document unique
+en son genre. Je l'avais cru d'abord copiée sur quelque texte de
+l'église constitutionnelle, mais ses incorrections mêmes annoncent une
+oeuvre originale; elle surprend moins lorsqu'on se reporte à la jeunesse
+de l'auteur qui s'est passée dans le jardin d'un couvent.
+
+ * * * * *
+
+Le _Journal de Fricasse_ a été publié avec tout le respect possible.
+J'ai retranché les répétitions et les mots inutiles, orthographiant à
+l'occasion, mais sans me permettre d'ajouter quoi que ce soit[2]. Pour
+mieux éclairer le texte, j'ai donné une suite de dessins d'uniformes
+rigoureusement exacts; ils sont placés à la fin de ce petit volume avec
+les éclaircissements nécessaires. Au point de vue militaire, je n'avais
+pas à me préoccuper de la discussion de faits, mais ce que j'ai lu des
+relations du temps m'a prouvé que l'auteur disait vrai sur la date et la
+nature des mouvements dont la portée lui échappe nécessairement. On sait
+que, excepté au grand état-major, c'est à l'armée qu'on est le moins
+renseigné sur la marche générale des opérations.
+
+Toutes précises que paraissent les données de notre sergent, un contrôle
+était cependant nécessaire; il nous a été fourni surtout par les
+_mémoires_ d'un maréchal d'Empire qui ne saurait être suspect. Soult fut
+officier dans la même division que Fricasse; il appuie les détails
+donnés ici par ses propres affirmations, que nous avons fréquemment
+reproduites. À ce propos, on doit rendre hommage à la franchise avec
+laquelle le duc de Dalmatie paye son tribut d'admiration aux armées
+républicaines; il s'honore d'avoir partagé leur pauvreté, leur fierté,
+leur ardeur patriotique. Il déclare que le sort de la Pologne était
+réservé à la France républicaine si les engagements pris à Pilnitz
+avaient pu se réaliser.
+
+«Mais les soldats français, dit-il, ne comptaient pas le nombre de leurs
+ennemis; ils avaient foi en leur propre valeur. Malgré les revers qu'ils
+éprouvèrent au commencement, les privations qu'ils eurent à supporter,
+le fréquent remplacement de leurs généraux, la profonde impression que
+devaient produire sur eux les cris des factions et les déchirements de
+l'intérieur, toujours au-dessus de leur fortune et de leur situation,
+ils ne virent que des devoirs à remplir; et, en attirant sur eux les
+dangers, ils détournèrent les regards du monde des scènes de désolation
+qui couvraient la surface de la France.»
+
+Puis, parlant de la fortune contraire au début de nos armes, Soult
+ajoute: «Les Français payèrent leurs essais par des défaites et subirent
+les effets inévitables de l'inexpérience de leurs généraux, de
+l'indiscipline des troupes, des vices de leur organisation, de
+l'imprévoyance ou de la cupidité de l'administration, et de l'influence
+souvent malheureuse des représentants sur les armées. Ce fut un temps
+d'épreuves difficile à passer, mais quand l'armée en sortit, elle s'y
+était retrempée: les nouveaux chefs qui étaient destinés à fixer la
+victoire, sentaient sous le coup de ces revers leur intelligence se
+développer, méditaient sur les fautes qu'ils voyaient commettre et se
+formaient au milieu des rangs.»
+
+À propos des remaniements que subit en 1794 la constitution de l'armée,
+le maréchal Soult entre dans des détails non moins attachants sur
+l'esprit de nos troupes d'alors; ils ne sauraient perdre à être médités
+de nouveau et peuvent en tout temps fournir un bel exemple.
+
+«Les officiers donnaient l'exemple du dévouement. Le sac sur le dos,
+privés de solde, (car ce fut plus tard seulement, et lorsque les
+assignats eurent perdu toute leur valeur, qu'ils reçurent en argent,
+ainsi que les généraux, huit francs par mois), ils prenaient part aux
+distributions comme les soldats et recevaient des magasins les effets
+d'habillement qui leur étaient indispensables. On leur donnait un bon
+pour toucher un habit ou une paire de bottes. Cependant aucun ne
+songeait à se plaindre de cette détresse, ni à détourner ses regards du
+service qui était la seule étude et l'unique sujet d'émulation. Dans
+tous les rangs, on montrait le même zèle, le même empressement à aller
+au delà du devoir: si l'un se distinguait, l'autre cherchait à le
+surpasser par son courage, ses talents; c'était le seul moyen de
+parvenir; la médiocrité ne trouvait point à se faire recommander. Dans
+les états-majors, c'étaient des travaux incessants embrassant toutes les
+branches du service, et encore ils ne suffisaient pas; on voulait
+prendre part à tout ce qui se faisait. Je puis le dire, c'est l'époque
+de ma carrière où j'ai le plus travaillé et où les chefs m'ont paru le
+plus exigeants. Aussi, quoiqu'ils n'aient pas tous mérité d'être pris
+pour modèle, beaucoup d'officiers généraux, qui plus tard ont pu les
+surpasser, sont sortis de leur école. Dans les rangs des soldats,
+c'était le même dévouement, la même abnégation. Les conquérants de la
+Hollande traversaient, par dix-sept degrés de froid, les fleuves et les
+bras de mer gelés, et ils étaient presque nus: cependant ils se
+trouvaient dans le pays le plus riche de l'Europe; ils avaient devant
+les yeux toutes les séductions, mais la discipline ne souffrait pas la
+plus légère atteinte. Jamais les armées n'ont été plus obéissantes, ni
+animées de plus d'ardeur: c'est l'époque des guerres où il y a eu le
+plus de vertu parmi les troupes. J'ai souvent vu les soldats refuser
+avant le combat les distributions qu'on allait leur faire et s'écrier:
+Après la victoire on nous les donnera!»
+
+Le journal de notre sergent porte bien l'empreinte de l'élan auquel un
+maréchal d'Empire a voulu rendre hommage. Rien qu'à ce titre, il mérite
+la confiance du lecteur qui cherche la vérité dans les faits;
+l'incorrection de leur exposé n'enlève rien à la grandeur du sentiment
+qui les domine. Puisse-t-il faire condamner par nos contemporains cet
+amour du bien-être à tout prix qui menace de fausser notre jugement des
+devoirs militaires! Qu'une guerre survienne, ce n'est qu'un concert de
+cris et de lamentations dans certains journaux, si les vivres n'arrivent
+pas à l'heure dite et si les malades manquent des premiers soins.
+Malheur très grand, sans doute, mais inévitable en campagne. Cependant
+c'est à qui les analysera de la façon la plus navrante pour donner de la
+couardise à toute une nation. J'ai lu en 1874 certains articles
+d'ambulanciers que je pourrais citer comme des modèles de ce genre
+anti-national au premier chef. En temps de paix, il se manifeste sous
+une autre forme. Des mères de volontaires écrivent aux journaux pour se
+plaindre des corvées imposées à leurs fils; certains volontaires
+eux-mêmes croient être des héros d'abnégation en livrant à la publicité
+le récit de leurs infortunes de caserne. Pendant l'automne de 1881, un
+journal n'a-t-il pas poussé la sensibilité jusqu'à s'attendrir sur la
+marche d'un régiment qui avait fait, _sous la pluie_, l'étape de Lagny à
+Courbevoie!--De tels articles sont à lire dans les réunions publiques où
+la désertion du drapeau est proclamée un devoir social. Dans une classe
+plus relevée, je pourrais citer plus d'un cas de désertion à l'étranger
+qui n'a pas été flétri comme il aurait dû l'être. En plein salon,
+n'ai-je pas entendu un écrivain de talent déclarer que le métier des
+armes était abject, et que les Français feraient bien mieux de prendre à
+leur solde une armée d'Allemands, que de se faire tuer bêtement par eux!
+
+Simple paradoxe, me dira-t-on. Mais il est des paradoxes aussi
+humiliants que des aveux. On a ridiculisé dans le _chauvinisme_
+l'exagération enfantine du patriotisme; craignons le ridicule contraire
+qui serait infiniment plus dangereux.
+
+Il est temps de mettre son orgueil à savoir souffrir. À ce prix seul,
+nous pouvons redevenir aussi forts que nos anciens.
+
+
+
+
+JOURNAL DE MARCHE DU SERGENT FRICASSE
+
+
+RECUEIL DES CAMPAGNES QUE J'AI FAITES AU SERVICE DE MA PATRIE.
+
+RÉPUBLIQUE FRANÇAISE UNE ET INDIVISIBLE
+
+
+Je suis né le 13 du mois de février 1773, dans le village nommé
+Autreville, à deux lieues de Chaumont en Bassigny, chef-lieu du
+département de la Haute-Marne. Je suis fils légitime de Nicolas
+Fricasse, jardinier, et d'Anne Corniot, de la dite paroisse. À peine
+étais-je au monde, mes parents ont été appelés pour être jardiniers chez
+le seigneur de Juzennecourt. C'est dans cet endroit que j'ai été élevé
+et que mes parents m'ont appris à connaître ce que devait savoir un
+honnête homme.
+
+Puis, mon père fut cultiver les jardins des Bernardins de Clairvaux. Ce
+changement a fait beaucoup pour mon apprentissage. Mon père était un des
+maîtres, et avait sous sa conduite quatre garçons. Après trois ans, il
+est retourné reprendre son ménage, et on m'a confié le même emploi
+qu'avait mon père. Je n'oublierai jamais un moine nommé Le Boulanger; il
+était archiviste et sacristain en chef. Ce digne homme n'a cessé de me
+procurer l'occasion de m'instruire, mais l'idée n'y était pas, et je
+n'ai pas su en profiter. Il me disait souvent: «Vois un peu, tu sais
+déjà lire et écrire. Eh bien! je veux t'apprendre la géographie: elle
+est bien utile à une personne qui veut faire quelque voyage.» Dans ce
+temps, je ne croyais jamais le quitter et je pensais que son grand
+savoir me servirait sans apprendre. Ah! que j'ai bien connu mes fausses
+idées dans la suite!
+
+Dans ces années, les États généraux se sont assemblés, et on a parlé de
+la suppression des couvents. Ceci a changé bien des idées, surtout dans
+le couvent où j'étais, qui était de quatre-vingt-dix religieux. Les
+voilà donc obligés de quitter, et moi aussi. Je suis entré jardinier
+chez le marquis de Messey, seigneur de Beaux-le-Châtel. Ce seigneur m'a
+donné beaucoup de louanges; s'il était content, je ne l'étais pas, car
+la terre de son jardin était trop aride, et j'avais grand'peine à la
+cultiver.
+
+Comme il était premier capitaine d'un régiment de cavalerie française
+nommé Royal-Étranger, en garnison à Dôle en Franche-Comté, il part pour
+rejoindre son régiment avec toute sa famille, et nous laisse dans la
+maison avec un cocher et une servante. J'en reçus une lettre dans
+laquelle il me marquait d'avoir soin de son jardin et de ses arbres, et
+qu'à son retour il me récompenserait. Présent ou absent, cela ne
+m'empêchait pas de faire mon service. Après, j'ai été une infinité de
+temps sans recevoir de ses lettres; j'avais beau en attendre, car le
+marquis avait émigré avec toute sa maison qu'il avait à Dôle. Me voilà
+donc résolu de le quitter. On a vendu tous les biens aussitôt après mon
+départ.
+
+Sortant de cette maison, je savais déjà où était ma place: j'avais été
+prévenu d'avance par le maître et la maîtresse. Ces aimables gens
+étaient venus voir le jardin, mais je n'avais pu leur promettre que pour
+la fin de la campagne. Me voilà entré au service du citoyen Quilliard,
+de Ville-sur-Laujeon (avant la Révolution, Château-Villain)[3]. C'était
+des gens vertueux, des coeurs remplis d'humanité; leur bon caractère
+était peint sur leur visage. Tout cela me faisait croire que je ne
+pouvais passer que des jours heureux au service de ces généreux
+citoyens. Après l'ouvrage du jardin, venaient les parties de chasse que
+le maître de la maison faisait presque tous les jours avec plusieurs
+bourgeois de la ville; c'était le plus souvent pourchasser les grandes
+bêtes, cerfs, chevreuils et sangliers, dans les forêts immenses que le
+duc de Penthièvre avait dans les environs.
+
+Je me voyais chéri de mes maîtres, mais aussi je faisais en sorte de
+l'être toujours et de mériter leur confiance, lorsqu'il a été requis un
+bataillon dans le département. En ce temps le citoyen Quilliard
+commandait la garde nationale du canton; il donne ordre que toutes les
+communes se rassemblent au chef-lieu le 24 août 1792. Le 24 au matin, il
+nous dit:
+
+«Vous savez sans doute la besogne que j'ai à remplir: il nous faut
+plusieurs volontaires, ceux qui veulent quitter mon service sont libres.
+Si toutefois il ne se trouvait pas assez de volontaires, tous les pères
+de famille et les garçons seront obligés de tirer au sort. Si ce n'est
+pas votre dessein de partir, hé bien! mes amis, je ferai tout ce qui
+dépendra de moi pour vous rendre service en en faisant partir d'autres à
+votre place.»
+
+Nous voilà donc à la ville où tous les villages du canton étaient
+rassemblés. En premier lieu, il ne se trouvait guère de volontaires; il
+était une heure de l'après-midi que plusieurs compagnies de garde
+nationale, composées de cent soixante hommes, n'avaient pas encore
+fourni l'homme qu'il leur fallait[4]. Dans le nombre, se trouvait la
+mienne, et je me trouvais rempli d'un désir depuis longtemps. Combien de
+fois j'avais entendu, par les papiers[5], la nouvelle que notre armée
+française avait été repoussée et battue partout! je brûlais d'impatience
+de voir par moi-même des choses qu'il m'était impossible de croire. Vous
+direz que c'était l'innocence qui me faisait penser ainsi, mais je me
+disais souvent en moi-même: «Est-il donc possible que je n'entende dire
+que des malheurs?... Oui! il me semblait que, si j'avais été présent, le
+mal n'aurait pas été si grand. Je ne me serais pas dit meilleur soldat
+que mes compatriotes, mais je me sentais du courage et je pensais que,
+avec du courage, on vient à bout de bien des choses.»
+
+En ce moment, pour remplir mon devoir, je me suis présenté à la tête de
+la compagnie; je leur ai demandé s'ils me trouvaient bon pour entrer
+dans ce bataillon. Les cris de toutes parts se sont fait entendre: «Oui!
+nous n'en pouvons pas trouver un meilleur que vous!»
+
+Me voilà donc enregistré par le capitaine et le juge de paix, sans avoir
+prévenu mon maître de mon sentiment, dans le moment qu'il s'offrait à me
+rendre service. Je conviens que ce n'était pas bien fait de ma part,
+mais j'étais timide. La timidité et la jeunesse empêchent quelquefois de
+dire sa façon de penser.
+
+C'est huit jours après, le 24 août, que j'ai quitté la maison; j'ai été
+dire adieu à mon père et à ma mère. Ceci m'a bien attendri de voir
+verser des pleurs à toute la famille sur mon éloignement sans leur aveu.
+Depuis ce moment, je voyage. Le lecteur pensera si j'ai bien ou mal
+fait.
+
+Mon bataillon était requis par le général Biron; son titre était
+_Premier bataillon de grenadiers et chasseurs de la Haute-Marne_.
+
+L'ordre du départ est enfin arrivé; le 2 septembre, je me suis rendu à
+Chaumont, chef-lieu du département. Nous y avons nommé des officiers
+provisoires qui nous ont montré les premiers principes de l'école du
+soldat sans armes. Les noms de ces officiers étaient: Ruel, capitaine,
+Barthélemy, lieutenant; Lemoine, sergent major; tous trois habitants de
+la ville. L'ordre de former le bataillon venu, nous sommes partis le 5
+octobre pour Saint-Dizier. En y allant, nous avons logé à Joinville;
+l'étape nous était fournie ainsi que le logement.
+
+À Saint-Dizier, on nous a fait prendre des cantonnements dans les
+environs, en attendant l'organisation. Je me suis trouvé dans la partie
+envoyée à Louvemont; dans ces cantonnements, nos officiers de route nous
+ont montré le maniement des armes.
+
+Parti de Louvemont le 2 novembre, pour retourner à Saint-Dizier, pour
+notre organisation. C'est dans ce moment que mes compagnons m'ont honoré
+du grade de caporal dans la sixième compagnie; j'avais pour capitaine
+Lemoine; pour lieutenant, Mongis; pour sous-lieutenant, Thiébault.
+
+Après que le bataillon a été organisé, on nous a fait cantonner de
+rechef; mais nos nouveaux cantonnements étaient à trois ou quatre lieues
+plus loin de Saint-Dizier où notre état-major est toujours resté. Deux
+villages étaient destinés à notre compagnie: Chamouilley, où le
+capitaine est resté avec la première section, et Bienville où j'étais
+avec les lieutenants: ces villages sont situés sur la Marne. Nous ne
+touchions aucun vivre; on donnait à un caporal vingt-trois sols huit
+deniers en papier par jour (pendant quelque temps, c'était six sols
+trois deniers en argent, et dix-huit sols en papier); un soldat avait
+quinze sols trois deniers par jour, tout compris. Avec ce prêt, nous
+étions obligés d'acheter tout ce qui nous était nécessaire. Les vivres
+n'étaient pas chers dans ce moment-là; nous pouvions vivre
+raisonnablement.
+
+Nous sommes sortis le 21 janvier de ces cantonnements pour rejoindre la
+première section, et pour nous disposer à célébrer la bénédiction de
+notre drapeau, à Saint-Dizier.
+
+Un jour après notre arrivée (le 24), on a donc assemblé le bataillon et
+on nous a conduits à l'église paroissiale de l'endroit. La bénédiction a
+été faite par notre aumônier: après, on a fait faire le serment de
+fidélité à tout le bataillon devant le drapeau. Le drapeau avait pour
+emblème une épée surmontée d'un bonnet de liberté, et pour devise: _Huit
+cents têtes dans un bonnet_.
+
+Dans ce même moment, on a distribué à chaque compagnie un fanion sur
+lequel était son numéro. Comme tout le bataillon ne pouvait rester à la
+ville, car c'était un lieu de passage, on nous a envoyés reprendre nos
+cantonnements. La seconde section, dont je faisais partie, avait eu des
+difficultés avec des laboureurs de l'endroit qui ne voulaient pas nous
+vendre du bled pour du papier. Pour éviter tout différend, on nous a
+donné un autre village appelé Narcy, à une demi-lieue de la Marne. Nous
+avons achevé d'y passer l'hiver.
+
+Notre état major a changé pour aller dans une autre ville nommée Vassy.
+Dans ce moment, nous avons changé de cantonnement. C'était le 15 mars;
+nous étions dans les environs de la ville, nous avions pour la compagnie
+deux villages qui se nommaient Brousseval et Domblain, où nous avons
+reçu notre habillement complet. Notre chef de bataillon, nommé Deprée,
+faisait souvent rassembler les compagnies pour faire la manoeuvre. Comme
+nous étions au printemps, plusieurs fois il nous faisait lever dès la
+petite pointe du jour, prendre les armes et mettre le sac au dos; il
+nous menait à deux ou trois lieues à la promenade militaire. Tout cela
+se faisait en attendant l'heure du départ.
+
+Je ne ferai point de grandes observations sur les pays où nous avons
+resté. C'est un pays où le monde est très affable; il produit du pain,
+du vin et une infinité d'autres denrées; chaque particulier y vit
+content de son labeur. Nous avons quitté ces contrées pour aller à Metz,
+le 12 avril, par Bar-sur-Ornain, Saint Mihiel, Pont-à-Mousson.
+
+Metz est une ville de guerre très fortifiée, et, dans ce temps-là, on
+augmentait encore ses fortifications. Nous avons fait le service de
+cette place pendant trois mois et demi, et logé au quartier Chambière
+avec le régiment de Suède. Nous avons été exercés à faire les différents
+feux.
+
+Nous sommes partis, le 17 août, de Metz pour Maubeuge où était une
+partie de l'armée du Nord.
+
+Avant de passer plus loin, je dirai que j'ai fait à Metz une maladie qui
+m'a porté à deux doigts de la mort. J'attribuais la cause de cette
+maladie à l'air de la ville[6], car j'avais toujours joui du bon air de
+la campagne. Peut-être aussi la distance de soixante lieues du pays m'a
+donné ces six semaines d'hôpital.
+
+Nous en reviendrons à notre armée du Nord. Nous y voilà arrivés; c'est
+dans peu qu'il nous faudra mesurer pour la première fois nos armes avec
+celles de notre ennemi.
+
+Nous n'avons pu loger au camp, car les tentes étaient toutes remplies;
+nous avons été obligés de rétrograder jusqu'au village de Beaufort,
+entre Avesnes et Maubeuge (c'était le 31 août). Là, nous avons trouvé le
+régiment de Beaujolais.
+
+Depuis, ce n'a été que bivouacs et contremarches nuit et jour, car nous
+avions affaire à un ennemi dont nous n'étions pas les maîtres, et nous
+n'étions que très peu de monde.
+
+7 _septembre_.--Partis de Beaufort pour Ténières près de la Sambre, où
+l'ennemi venait piller tous les jours. Nous nous sommes opposés à leur
+dessein. De là, nous avons été à Avesnes.
+
+Après un repos de quatre heures, on a battu la générale. Nous sommes
+partis pour Marbaix, sur la route de Landrecies, où nous avons bivouaqué
+pendant quarante-huit heures, suivant le mouvement de l'ennemi.
+
+12 _septembre_.--À cinq heures du matin, nous sommes arrivés derrière
+Landrecies. La tête de colonne a commencé l'attaque derrière la ville,
+sur la route du Quesnoy. Feu vif de notre part, mais l'ennemi a très
+bien répondu dans la forêt de Mormal où il était retranché. Cependant
+leurs premiers retranchements ont été enlevés, mais les abattis de gros
+arbres nous ont empêchés d'aller plus avant. Notre bataillon est entré
+dans la forêt à huit heures du matin. À sept heures du soir, la colonne
+s'est retirée. On a perdu du monde dans les deux partis. L'armée de
+siège de l'ennemi venait donner du secours à l'armée d'observation.
+C'est ce qui a fait que nous nous sommes retirés sur les glacis de
+Landrecies, sans quoi ils nous auraient bloqués dans la forêt[7]. Pour
+notre première bataille, le succès n'a pas été bien grand.
+
+Repos de trois heures sur les glacis de Landrecies; on nous a donné
+quelques petits rafraîchissements. La colonne s'est remise en route;
+chaque corps a été reprendre ses positions du 7 septembre.--Quinze
+heures de marche.
+
+Notre colonne, de douze mille hommes, tant cavalerie qu'artillerie,
+avait voulu débloquer le Quesnoy et lui faire passer des vivres. Il
+était trop tard: lorsqu'elle est arrivée pour attaquer l'armée
+d'observation de l'ennemi, la ville s'est rendue; son dernier coup de
+canon était tiré avant le commencement de notre attaque.
+
+Revenus à Beaufort, le bivouac a commencé à une heure du matin, à une
+demi-lieue en avant du village, derrière le régiment de Beaujolais qui
+était campé sur une hauteur, à un quart de lieue de la Sambre. On
+attendait de jour en jour le blocus de Maubeuge.
+
+29 _septembre_.--Nous étions à bivouaquer comme de coutume, lorsqu'un
+déserteur autrichien est venu au camp de Saint-Remi-malbâti; il a dit
+que l'ordre était donné dans leur régiment de se tenir prêt à passer la
+Sambre pour les quatre heures du matin. Le régiment de Beauce, n° 68,
+était à ce camp; il a redoublé son service et s'est mis sur ses gardes.
+Il faisait un brouillard très obscur: aussi l'ennemi en a bien profité
+pour jeter ses pontons pendant la nuit, et, à quatre heures précises,
+ont passé trente mille hommes bien assurés de la victoire[8]. Les
+troupes campées sur les hauteurs près la Sambre ont fait vigoureuse
+résistance, mais n'ont pu tenir contre une colonne si nombreuse, et ont
+été obligées de se replier sur nous, qui étions en seconde ligne. Nous
+n'avons pu arrêter la marche des Autrichiens qui nous attaquaient de
+tous les côtés.
+
+Retraite sur la ville de Maubeuge. Malgré notre vigoureuse résistance,
+nous n'avons pas tardé à être bloqués par leur nombreuse cavalerie qui
+cherchait à s'emparer des villages et des bois où nous devions passer.
+Comme nos tirailleurs ne leur donnaient pas assez d'occupation et ne
+nous laissaient pas le temps de défiler, nous avons été obligés de nous
+mettre en bataille en avant de la forêt de Beaufort. À l'approche de
+l'ennemi, nous avons fait le feu de file pendant trois quarts d'heure.
+Son artillerie nous a forcés une seconde fois à la retraite, après avoir
+perdu un canon et plusieurs canonniers tués et blessés. Vingt hommes de
+notre bataillon mis hors de combat. Notre route était coupée; il ne
+restait plus pour notre retraite qu'à nous enfoncer dans le bois et
+sortir comme l'on pourrait.
+
+Nous voilà donc en marche. Après avoir fait une demi-lieue dans cette
+forêt, étant prêts de sortir, un régiment ennemi qui se dérobait à notre
+vue nous force de chercher un autre passage. Sur une autre lisière du
+bois, l'ennemi nous cerne de même. Ma foi! il n'y avait plus à balancer.
+Rester prisonnier ne nous accommodait pas; nous avons passé au travers
+de l'ennemi qui n'a cessé de faire une fusillade continuelle.
+
+De cette forêt, nous avons rejoint la colonne qui se rassemblait dans la
+plaine, du côté de la route de Frieville. On voulait encore leur faire
+résistance, mais en vain. Il a fallu se mettre à l'abri dans le camp et
+disposer l'artillerie des redoutes à défendre les approches. L'ennemi
+s'est emparé des villages aux environs de la ville et a pillé nos effets
+qui y étaient restés.
+
+Trente hommes de notre bataillon, restés dans la forêt de Beaufort sans
+avoir pu percer pour nous rejoindre, avaient été obligés de se renfoncer
+dans le bois. Chemin faisant, ils ont fait prisonnier une sentinelle
+autrichienne. Ce soldat, très content d'être prisonnier, a aidé nos
+hommes à sortir du bois et les a conduits dans un endroit, qui était le
+moins gardé, où ils ont pu passer entre les postes à la faveur d'une
+nuit obscure (30 septembre). Ils ont été faire le service à Avesnes, et
+nous ont rejoints après le déblocus de Maubeuge.
+
+La même nuit, vers les dix heures du soir, notre bataillon a pris la
+garde de la _redoute du Loup_ pour vingt-quatre heures. Après avoir été
+relevés, nous avons été prendre position à la gauche du camp retranché
+de Falise; c'était le nom du camp de Maubeuge.
+
+Nous attendions de jour en jour le siège, mais en vain. Il a été
+rapporté par plusieurs personnes que l'intention du général Cobourg
+n'était pas d'assiéger la ville, mais de la faire rendre par famine, car
+elle n'était pourvue d'aucuns vivres. On comptait vingt mille hommes en
+état de porter les armes, tant dans le camp que dans la ville; au moment
+du blocus, on a fait le serment de mourir les armes à la main plutôt que
+de se rendre aux ordres d'un tyran.
+
+6 _octobre_.--Sortie de six mille hommes, mais sans succès. Ils se sont
+présentés le triple et le double de ce que nous étions. On ne s'en est
+tiré qu'avec une grande perte.
+
+7.--Même insuccès. Nous sommes investis de toutes parts sans pouvoir
+nous donner de l'élargissement.
+
+Le 5 octobre, à la redoute de gauche, entre le bois du Tilleul et nos
+avant postes, une sentinelle française et une sentinelle hollandaise
+étaient à soixante pas l'une de l'autre, ce qui leur donnait facilité de
+converser. Quatre soldats de mon poste se sont avancés; les Hollandais,
+qui étaient dans le bois du Tilleul, ont été portés par la curiosité à
+se mêler de la conversation. Cependant, un Français reconnaît, parmi les
+Hollandais, son frère, qui était le plus empressé à demander comment
+nous étions, ce que nous pensions, et si les vivres ne nous manquaient
+pas.
+
+_Réponse_: «Il ne manque rien aux républicains.»
+
+Par dérision, ils répliquaient que nous mangions déjà nos chevaux, et
+que, avec notre papier, nos assignats, il fallait mourir de faim. Ils
+ajoutaient qu'ils nous tenaient dans leurs filets, qu'ils nous feraient
+danser une dernière fois _la carmagnole_. Celui-là disait que, quoique
+Français, il prendrait plaisir à nous voir arracher la langue.
+
+Un volontaire lui dit: «Camarade, vous ne paraissez pas Hollandais, et
+sans doute il n'y a pas longtemps que vous êtes sorti de France. Vous
+paraissez bien sanguinaire pour une patrie qui renferme vos parents,
+mais que vous ne devez pas espérer revoir, car la loi prononçant votre
+arrêt de mort ferait tomber votre tête. Voilà ce qui est réservé aux
+coquins de votre espèce.»
+
+Son frère, qui l'avait reconnu, interrompit la conversation en disant:
+«Laissez-moi voir ce coquin! C'était autrefois mon frère.»
+
+L'autre dit: «Si j'ai été ton frère, je le suis encore.»
+
+Le volontaire dit que non, qu'il s'en était rendu indigne. «Tu sais,
+malheureux, ajouta-t-il, que je suis parti volontairement. Qu'il te
+souvienne de la promesse faite! Tu me promis d'avoir soin de notre mère,
+mais tu as faussé ton serment, tu l'as laissée sans subsistance et dans
+le chagrin; tu es indigne de vivre, tu n'es pas un humain, mais un vrai
+barbare».
+
+(Il faut remarquer que ce soldat généreux faisait part à sa mère de la
+moitié de sa paye.)
+
+Les Hollandais, qui entendaient un peu le français, ne manquèrent pas de
+le blâmer, et le lâche se retira. Son frère arme son fusil, tire et
+l'attrape à la cuisse. Il se relève et s'enfonce dans le bois.
+
+Un dragon autrichien, du régiment de Cobourg, chargeait un des nôtres,
+du 12e dragons. Après avoir tiré chacun leur coup de pistolet, ils
+s'approchent pour se sabrer. Quelle surprise! Ils se reconnaissent pour
+frères; depuis quinze ans ils ne s'étaient vus. À l'instant, leurs
+sabres tombent, ils sautent de cheval et se jettent au cou l'un de
+l'autre, sans pouvoir dire un seul mot. Un instant après, ils juraient
+de ne plus se séparer et de vivre sous le même étendard. Notre dragon
+fut trouver le général Jourdan pour le prier de ne point regarder son
+frère comme déserteur ni comme prisonnier, et le général consentit à
+incorporer cet homme dans le régiment.
+
+Heureuse époque du 18 octobre! C'est à une colonne de quatre-vingt mille
+hommes[9], commandée en chef par le général Jourdan, que nous devons
+notre liberté. Ils se sont battus, pendant deux jours, avec intrépidité.
+Ce combat s'engageait par une quantité de tirailleurs avec l'artillerie;
+la cavalerie et le reste de l'infanterie soutenaient ensuite. Le
+troisième jour, le brouillard était moins obscur; la lumière a donné de
+la force à nos armes, et, malgré leurs fortes redoutes, notre armée les
+a mis en déroute.
+
+Ces quatre-vingt mille hommes venaient de la Vendée, étaient commandés
+par un républicain; mais aussi la troupe l'a secondé. Ils ont fait
+repasser la Sambre à l'armée autrichienne qui a profité de la nuit pour
+disparaître, en laissant une quantité d'outils servant au travail de
+leurs redoutes.
+
+Je rapporterai ici ce que nous disaient les soldats autrichiens: «Eh!
+petits _carmagnoles_[10], vous ne sortirez pas d'ici que vous ne soyez
+en notre pouvoir. Notre général a dit que si votre bonnet rouge était de
+force à faire partir l'aigle impérial, et à faire lever le siège, il
+adopterait votre constitution et serait du parti des républicains[11].
+
+Il ne l'a pas adopté, mais il a eu la _chasse_ républicaine.»
+
+18 _octobre_.--Sortis de notre camp à la découverte, nous nous sommes
+rendus à Hautmont, village à gauche de Maubeuge, tout en désastre. On
+était après la moisson; l'ennemi s'est servi des grains pour faire des
+baraques et donner à manger aux chevaux. C'était la plus grande
+désolation. Les habitations des cultivateurs dévastées et même en grande
+partie brûlées. Voyez un peu ce qu'est la guerre. Malheur au pays où
+elle est posée! Les habitants n'y peuvent qu'être malheureux.
+
+Quoique nous n'ayons pas été longtemps bloqués, je dirai que nous
+sentions déjà notre misère, les vivres nous étaient retranchés
+(rationnés); la rivière passait au bas de notre camp, mais l'ennemi nous
+avait coupé l'eau; nous étions obligés de la prendre dans les fossés des
+retranchements où on allait faire les nécessités. La pluie, qui tombait
+continuellement faisait de tout cela un mélange. Aussi plusieurs de nous
+y avaient gagné le flux de sang.
+
+Revenons à nos contremarches: l'ennemi a été repoussé, mais il faut
+garder ses passages.
+
+29 _octobre_.--Partis de Hautmont pour aller à la droite de Maubeuge,
+dans un village appelé Marpent, sur le bord de la Sambre, où de temps en
+temps on se souhaitait le bonjour à coups de fusil avec les postes
+autrichiens.
+
+14 _novembre_.--Partis de Marpent pour aller au camp de Saint-Remy, sur
+les hauteurs, jusqu'au 29. Ce dernier jour, nous sommes allés à
+Colleret.
+
+
+Année 1794
+
+Nous avons quitté Colleret pour Damousies le 12 janvier 1794, deuxième
+année de la République. Tous ces villages étaient en première ligne,
+près des avant-postes ennemis; car les impériaux avaient un passage sur
+la Sambre, près de Beaumont de sorte que nous étions obligés de nous
+garder partout. On allait fourrager pour la cavalerie sur leurs
+frontières, car les fourrages n'étaient pas bien abondants dans des pays
+où la troupe est toujours campée.
+
+De Damousies, nous sommes venus, le 19 janvier, au village d'Aibes,
+toujours en première ligne où le bivouac était continuel. Là, je suis
+passé sergent, par ancienneté de grade, le 26 pluviôse.
+
+Nous avons reçu dans ce temps des recrues de la réquisition, et les
+compagnies ont été au grand complet. À peine avait-on le temps de
+montrer les premiers principes d'exercice à tous ces hommes qu'il
+fallait aller se battre; aussi, la rigueur de l'hiver nous a causé bien
+des maux. Dans ces temps là, il n'y avait point d'armistice: hiver comme
+été, on était toujours en campagne.
+
+Quitté Aibes, le 6 germinal, pour nous rendre à Jeumont. La moitié du
+bataillon a campé à une demi-lieue à droite, à un bois nommé le _Bois de
+l'abbaye brûlée_. Tous les quatre jours, on relevait les postes à
+quarante pieds de distance de l'ennemi, et, en d'autres endroits, il n'y
+avait que la Sambre qui séparait. Dans cet endroit, bien des fois nous
+nous sommes souhaité le bonjour à coups de fusil. On ne cherchait qu'à
+se surprendre les postes et à enlever les sentinelles.
+
+Le 22, nous sommes partis de cette position. L'ennemi faisait de
+nouvelles tentatives pour bloquer Maubeuge. Encore une demi-heure plus
+tard, cela en était fait. Mais la brave armée du Nord ne s'est point
+découragée. Nous avons battu en retraite à deux lieues près de
+Cerfontaine, où était le quartier général. Toute la troupe était sur une
+ligne, disposée au combat qui a commencé aussitôt. La colonne
+autrichienne a été repoussée au delà de ses positions, laissant une très
+grande quantité de morts, de blessés et de prisonniers.
+
+Nous avons repris notre position dans le village. Nous y avons trouvé de
+leurs chasseurs à pied qui avaient passé la Sambre pour piller; nous
+leur avons fait des prisonniers, et le reste de la journée s'est passé à
+se donner des saluts républicains[12].
+
+Avant de quitter les frontières du Hainaut, pour l'autre rive de la
+Sambre, je parlerai de la situation des habitants. La plupart n'avaient
+plus d'habitations (et encore combien avaient perdu la vie!). Je compare
+l'ennemi à une grêle qui ne laisse rien dans les campagnes où elle
+passe.
+
+Dans ces contrées si fertiles, ces habitants vivaient tranquilles; leurs
+terres produisaient de bon froment, toutes sortes de grains, de fruits
+et de légumes. Le vin, très cher, n'est pas beaucoup en usage; la bière
+est la boisson. Leur manière de vivre est très simple: lait, fromage et
+fruits, c'est là leur usage. Bétail à cornes très beau; chaque habitant
+en possède plus ou moins selon son pâturage; il a des clos entourés de
+bois de tous genres desquels il tire du chauffage pour l'hiver; dans ces
+clos, il coupe le premier foin; après cela, leurs vaches y restent
+jusqu'à l'hiver sans rentrer à l'écurie. On ne voit presque pas les
+villages qu'on ne soit dedans; c'est tout clos, avec de grands bois à
+l'entour et près de chaque maison. La plupart des maisons sont couvertes
+de paille. Dans ce pays, les deux sexes y sont affables et humains.
+
+8 _floréal_.--Nous sommes entrés dans la ville de Beaumont après une
+bataille avec les émigrés où il y en a beaucoup de restés sur le champ.
+Nous n'en avons faits prisonniers que très peu, car ils ne se rendaient
+pas volontiers.
+
+Nous avons chassé l'ennemi de ses fortes positions autour de la ville;
+nous nous en sommes emparés sur-le-champ; elles nous étaient
+avantageuses.
+
+18.--Arrivés au camp de Beaumont. Repartis le 20 à huit heures du soir,
+traversant la ville pour aller bivouaquer, jusqu'à la pointe du jour,
+sur la route de Mons, à deux lieues en avant. À la pointe du jour, nous
+avançons sur l'ennemi campé dans la plaine. Ses dispositions pour nous
+recevoir n'ont pas été assez promptes; il a pris la fuite dès notre
+première attaque. Dans cette même affaire, j'ai été détaché avec des
+tirailleurs pour débusquer les leurs d'un village; nous en avons pris
+huit et tué quelques uns. Le reste a pris la fuite.
+
+22.--Après avoir fait plusieurs mouvements, malgré la pluie qui tombait
+tous les jours et rendait les routes impraticables, nous nous sommes
+arrêtés dans la plaine de Beaumont pour y passer la nuit.
+
+23.--Dès la pointe du jour, la troupe a été divisée en trois colonnes;
+celles de droite et de gauche ont attaqué l'ennemi avec tant d'ardeur
+qu'elles l'ont fait se jeter sur nous au centre. Il y avait plus d'une
+demi-heure que nous entendions ronfler le canon et la fusillade. Il y
+avait un murmure dans notre colonne de ce qu'on était dans l'inaction.
+Tout à coup, on a vu l'ennemi manoeuvrer sur nous, ils n'ont pas été
+reçus avec moins d'audace. Nous les avons forcé à repasser la Sambre;
+plusieurs d'entre eux ont bu plus qu'ils n'ont voulu. Nous avons passé
+après eux; nous les avons poussés à plus de deux lieues au pas de
+charge. Nous avons pris plusieurs canons, quantité de prisonniers; très
+grand nombre de tués. On n'aurait pas arrêté si la nuit n'avait empêché
+de poursuivre.
+
+24.--Nous nous sommes mis en marche dès la pointe du jour. Une colonne a
+longé la Sambre; l'autre avançait sur la droite. L'ennemi nous attendait
+dans ses fortes redoutes. Nous n'avons pas hésité. Le feu a commencé par
+une canonnade très vive. Notre artillerie s'est mis en devoir de
+répondre avec ardeur, elle a été soutenue par le feu de l'infanterie qui
+s'est avancée au pas de charge et a enlevé la redoute de vive force,
+malgré un feu terrible.--Toute la troupe a montré un courage digne de
+véritables républicains.
+
+Nous leur avons pris quatre pièces de canon et leurs caissons, plusieurs
+prisonniers et beaucoup de tués. Nous les avons poursuivi, baïonnette
+aux reins, pendant une demi-heure, ils ont atteint un village derrière
+lequel ils ont pris position, avec un renfort qu'il leur venait du camp
+de Grisvel sous Maubeuge, ce qui nous a tenu en échec devant le village
+nommé Grand-Reng. On s'est mis en bataille devant le village et on a
+envoyé une grande quantité de tirailleurs qui ont de premier abord
+enlevé le village; il leur a été repris: de rechef, ils y ont rentré,
+mais venant à bord de l'autre côté, des pièces à mitraille ont développé
+leur feu sur eux, il était impossible de passer outre. Pendant huit
+heures, le feu n'a pas cessé d'un côté à l'autre. Le soir venu, les
+munitions ont manqué, nous avons été obligés de leur abandonner notre
+position et de repasser la Sambre. Nous avons perdu assez de monde[13].
+
+Les jours précédents avaient été favorables. Ce jour-là, nous avons
+perdu presque tout le terrain gagné, mais nous avons toujours notre
+passage sur la Sambre.
+
+Voici donc de l'ouvrage à recommencer. Voyons si on s'y prendra de la
+même manière.
+
+Il a fallu marcher toute la nuit pour arriver dans la plaine, où nous
+étions le 22.
+
+25.--Malgré la pluie et le mauvais temps continuel, nous avons changé de
+position en nous rapprochant de l'ennemi. Nous n'avions pour couvert que
+le ciel.
+
+26.--Nous nous sommes avancés pour nous opposer à la marche de l'armée
+autrichienne sur les bords de la Sambre. Le combat s'est engagé par nos
+tirailleurs tirés des compagnies à tour de rôle; l'artillerie les a
+secondés du matin au soir avec succès; elle a défait des pelotons de
+cavalerie, démonté plusieurs pièces; nos obus ont fait sauter des
+caissons, tué beaucoup de soldats et de chevaux. Une partie de nos
+soldats criait: «Venez, soldats de l'aigle impériale, vous ne résisterez
+pas longtemps à l'ardeur des soldats sans-culottes!»
+
+Notre perte n'a pas été grande dans cette journée; un boulet nous a tué
+deux chevaux. Nous avons passé la nuit sous les armes.
+
+27.--Pris position au village de Hantes, sur la Sambre. L'ennemi a fait
+une tentative pour passer dans l'endroit où nous étions, mais il n'a pas
+réussi.
+
+30.--Quitté notre position pour nous rendre sur les hauteurs de l'abbaye
+de Lobbes. Cette abbaye a été brûlée à la retraite des Autrichiens.
+
+Ier _prairial_.--Nous allons attaquer l'ennemi; l'artillerie et les
+tirailleurs commencent. Fusillade soutenue de midi à la nuit. Le 2, le
+combat s'est engagé de même, mais avec beaucoup plus de succès; l'ennemi
+s'est retiré dans ses fortes redoutes près de Grand-Reng, où le feu a
+duré jusqu'au soir. Journée sanglante pour les deux partis; nous nous
+sommes retirés sur les hauteurs près de Grand-Reng. On a établi les
+postes tout près de ceux de l'ennemi.
+
+Nous sommes restés quelques jours dans cette position[14].
+
+5.--On dégarnit notre colonne de cavalerie et d'une partie de
+l'infanterie pour les faire passer à la droite qui ne se trouvait pas
+assez forte. L'ennemi voit ce mouvement et prépare le combat.
+
+Nous n'avions aucun ordre de prendre les armes le matin. Ordinairement,
+c'est le matin que les grands coups se faisaient. Nous étions
+tranquilles sous des petits brise-vent que nous avions faits avec des
+branches d'arbres; un brouillard très épais empêchait nos avant-postes
+de découvrir les mouvements de l'ennemi quand il les a surpris.
+Aussitôt, on entend crier de toutes parts: _Aux armes!_ Chacun a couru
+se ranger en bataille. Ils étaient déjà dans notre camp, et leur
+cavalerie s'avançait à grands pas sur la route de Mons. Il y avait une
+pièce de douze et une de huit chargées à mitraille; nos canonniers y ont
+mis aussitôt le feu et ont retardé leur marche. Ils étaient beaucoup
+plus forts que nous; néanmoins, ils ont été reçus d'une manière
+républicaine, mais, malgré notre vigoureuse résistance, nous avons été
+obligés de battre en retraite et de repasser la Sambre. Dans notre
+colonne, il n'y avait que le régiment de cavalerie n° 22 au moment de la
+retraite. Nous avons eu cent hommes hors de combat. Le reste de la
+journée s'est passé à tirailler. Passé la nuit à Jeumont; le pont qui
+nous a servi se nomme Solre-sur-Sambre.
+
+À l'affaire du 5 prairial, près Grand-Reng, le citoyen Mercier, fusilier
+de la compagnie d'Horiot (3e bataillon), natif de Provenchères, district
+de Joinville (Haute-Marne), combattit un hussard autrichien. Deux coups
+de sabre, sur la tête, et sur le poignet gauche le terrassèrent.
+«Rends-toi, coquin! dit le hussard.
+
+--Un lâche le ferait, dit Mercier. Mais moi, non!»
+
+Il se relève, prend son fusil de la main droite, met le canon sur la
+saignée du bras gauche, pose le doigt sur la détente et tue le hussard.
+Mais les blessures de ce vrai républicain étaient très dangereuses. Il
+est mort un mois après.
+
+J'ai vu dans cette affaire des braves républicains couverts de blessures
+rassembler toutes leurs forces au moment où ils allaient exhaler le
+dernier soupir, s'élancer pour baiser cette cocarde, gage sacré de notre
+liberté conquise; je les ai entendus adresser au ciel des voeux ardents
+pour le triomphe des armées de la république.
+
+Cailac, un de nos capitaines, eut la jambe fracassée par un boulet, et
+mourut au bout de trois semaines, disant: «Ma vie n'est rien; je la
+donnerais mille fois pour que la république triomphe.»
+
+Atteint au ventre d'un éclat d'obus, un grenadier du bataillon dit à
+ceux qui voulaient lui porter secours: «Laissez moi, mes amis, laissez
+moi mourir! Je suis content, j'ai servi ma patrie.» Et il expire.
+
+7.--Dès la pointe du jour, nous nous sommes mis en marche et nous avons
+été baraquer au village de Hantes. Comme les vivres avaient tardé, nous
+nous sommes mis à battre du blé, aller au moulin et nous avons fait du
+pain. Je dirai que tous les habitants de ces villages s'étaient retirés
+dans les bois, car les armées leur causaient trop de maux. Il semble que
+le ciel veuille augmenter les nôtres; la pluie est tous les jours notre
+partage.
+
+8.--Partis de Hantes pour aller camper sur les hauteurs de l'abbaye de
+l'Aune.
+
+12.--Sortis de nos positions à huit heures du soir pour aller à l'abbaye
+de l'Aune, nous y sommes arrivés à minuit, le même jour. Cette abbaye
+était entièrement dévastée et brûlée.
+
+14.--Nous avons passé la Sambre, qui est tout près de là.
+
+15.--La troupe s'est mise en marche et nous avons attaqué dès la pointe
+du jour. Combat engagé par une forte canonnade. L'ennemi abandonne ses
+positions; nous nous sommes emparés des hauteurs.
+
+16.--Le canon s'est fait entendre de l'armée des Ardennes, qui est sous
+les murs de Charleroi.
+
+L'ennemi s'y est porté en forces, avec un renfort de cinquante mille
+hommes, et soi-disant l'empereur à leur tête. Ce jour, ils ont débloqué
+la ville, nous ont repoussés sur le bord de la Sambre près de l'abbaye
+de l'Aune où nous restons trois jours.
+
+19.--Nous sommes partis pour Hantes, où nous arrivons à onze heures du
+soir, bien fatigués de marche continuelles[15].
+
+21.--Arrivés à six heures du matin à Thuin, ville d'où on avait chassé
+l'ennemi quelques jours avant.
+
+22.--Partis à une heure du matin pour le camp de Baudribut.
+
+24.--Dès la pointe du jour, nous avons passé la Sambre et campé devant
+le bourg de Fontaine l'Évêque.
+
+28.--Levée du camp. Nous avons attaqué à une heure du matin pour
+favoriser le siège de Charleroi. L'attaque a été vive et s'est engagée
+par le feu des tirailleurs. Leur cavalerie, qui ne voyait que des
+tirailleurs, a chargé sur eux; ce brouillard l'empêchait de voir les
+bataillons qui étaient embusqués derrière les haies. Lorsqu'ils ont vu
+que la cavalerie était à une demi-portée de fusil, ils ont fait un feu
+de file. Plusieurs tués, quelques prisonniers; le reste a pris la fuite.
+Nous avons suivi, nous avons rencontré leur infanterie qui n'a pu
+résister à notre ardeur, nous avons fait beaucoup de prisonniers, nous
+avons pris deux pièces de canon avec leurs caissons tout attelés.--Après
+cette conquête, nous sommes revenus à notre position près de Fontaine
+l'Évêque; étant arrivés, nous avons reçu ordre de nous rendre au camp de
+Baudribut où était le parc; arrivés à l'entrée de la nuit, nous y sommes
+restés quelques jours.
+
+30.--Nous avons levé le camp à deux heures du matin et passé la Sambre
+pour la dernière fois à quatre heures. Nous sommes venus nous placer à
+la gauche de Fontaine l'Évêque. À midi, l'ennemi s'est avancé sur deux
+de nos compagnies qui étaient en avant; il voulait les surprendre. Nos
+bataillons, qui ont aperçu la manoeuvre, se sont mis en bataille et se
+tenaient prêts à marcher, lorsqu'un éclaireur est venu nous dire qu'ils
+battaient en retraite. Sur-le-champ on s'est mis en marche pour les
+poursuivre; leur cavalerie d'arrière-garde a voulu nous charger, pour
+retarder notre marche, mais elle a été reçue d'une manière républicaine,
+une décharge leur a fait bien vite partager la retraite.
+
+2 _messidor_.--Nous avons suivi l'ennemi sans trouver de résistance; ils
+nous laissent plusieurs pièces de canons et caissons tout attelés. Notre
+cavalerie fait un grand nombre de prisonniers à l'infanterie
+autrichienne. La nuit suspend la victoire, mais elle en prépare une
+nouvelle en nous laissant faire des contremarches à la faveur de son
+obscurité pour se disposer au combat dès la pointe du jour.
+
+7.--L'ennemi s'est montré en force pour débloquer Charleroi, mais nous
+avons porté obstacle à son dessein.
+
+Le feu a commencé à quatre heures du matin et a duré une partie de la
+journée.
+
+Nuit passée sous les armes à la gauche du camp de Trazegnies.--Partis de
+ce camp à trois heures du matin pour aller nous réunir à l'armée de la
+Moselle. En marche, on nous a fait rester dans un chemin couvert, devant
+un village, pas bien loin de Charleroi. C'est dans cet endroit que nous
+avons appris la reddition de la place (du 7 messidor, à onze heures du
+matin) avec cinquante mille hommes[16], quatre-vingts bouches à feu et
+plusieurs petits magasins. Sortie le même jour, la garnison a déposé
+devant nous ses armes; elle a été de suite escortée et conduite en
+France. Cette ville a été bombardée sans que nous fassions beaucoup de
+retranchements, car elle a été débloquée plusieurs fois.
+
+8.--Nous sommes sortis de notre chemin couvert pour nous opposer au
+défilé des colonnes autrichiennes pour nous cerner. Ce jour-là ils
+avaient réuni leurs forces de part et d'autre, pour nous donner une
+_chasse_, et faire lever le siège de Charleroi qui était rendu; mais ils
+n'en étaient pas instruits, car ils avaient si bien jeté leur plan
+qu'ils cherchaient à nous prendre entre deux feux. Il n'y avait plus à
+balancer; le combat a commencé à huit heures du matin par une forte
+canonnade, de toutes parts, avec une rapidité sans égale, comme jamais
+on ne l'avait entendu jusqu'alors. Notre courage semblait déjà nous
+annoncer la victoire, main hélas! dans un feu si terrible et si
+opiniâtre, les munitions ont manqué. Il fallut donc battre en retraite
+et nous retirer plus vite que nous n'aurions voulu, rencontrant des
+obstacles, des fossés, un village dont les rues étaient si étroites que
+la troupe ne savait où passer et se voyait presque au pouvoir de
+l'ennemi. La colonne autrichienne s'avançait avec rapidité pour nous
+prendre en flanc. Mais nous avons été plus tôt qu'elle au sommet de la
+montagne, et nous avons usé le peu de munitions qui nous restaient. Nous
+avons retardé leur marche. Je dirai que, en montant cette montagne, il
+tombait parmi nous des boulets, obus et balles comme grêle, mais cela a
+fait très peu d'effet, quoiqu'ils soient bien près de nous. Nous avons
+perdu très peu de monde et, grâce à la reddition de Charleroi, nous
+avons battu en retraite sous ses glacis. La retraite de notre colonne,
+qui était celle du centre, a été favorable à la défaite de l'ennemi qui
+s'est trop aventuré en nous poursuivant, et s'est trouvé pris en flanc.
+Il ne s'est retiré qu'avec peine et pertes[17].
+
+Lors du siège de Charleroi, un canonnier du régiment de Suède s'écriait
+en mourant: «Cobourg, Cobourg, avec tes nombreux florins, tu n'auras pas
+payé une goutte de mon sang; je le verse tout aujourd'hui pour la
+République et pour la liberté.»
+
+Tous ceux qui ont perdu la vie dans ce siège n'ont donné, au milieu des
+douleurs les plus aiguës, aucun signe de plaintes. Leurs visages étaient
+calmes et sereins; leur dernière parole était: Vive la République! C'est
+au lit d'honneur qu'il faut voir nos guerriers, pour apprendre la
+différence qui existe entre les hommes libres et les esclaves. Les
+valets des rois expirent en maudissant la cruelle ambition de leurs
+maîtres. Le défenseur de la liberté bénit le coup qui l'a frappé; il
+sait que son sang ne coule que pour la liberté, la gloire et pour le
+soutien de sa patrie.
+
+À la colonne de gauche et à celle de droite, qui était l'armée de la
+Moselle, le canon n'a cessé de ronfler toute la journée. Le combat a été
+sanglant comme il n'avait jamais encore paru[18]. Deux fois la colonne
+de droite a été repoussée, et deux fois elle a remporté la victoire;
+elle leur a pris quinze pièces de canon de tout calibre. La colonne de
+gauche a eu le même succès. Des fois, qui croit vaincre est vaincu; avec
+leurs grandes forces ils cherchaient à nous bloquer, et ils ont été pris
+quand même.
+
+Nous avons perdu quelques braves républicains, mais on pourra juger de
+la perte de l'ennemi, toujours grande pour celui qui est obligé de
+prendre la fuite. Cette journée a été une des journées victorieuses de
+la République, elle portera pour toujours le nom de _bataille de
+Fleurus_.
+
+Dans ce jour mémorable du 8 messidor, une infortunée délaissée de son
+mari qui avait émigré et n'ayant pas de quoi subsister était, sous des
+habits d'homme, avec son frère, à son rang de compagnie. La compagnie
+étant dispersée en tirailleurs, les tirailleurs ennemis, qui avaient eu
+un moment un peu d'avantage, sont venus charger les nôtres, dans la
+mêlée; elle s'est trouvée avec peu de monde environnée d'un grand nombre
+d'Autrichiens. Elle s'en est tirée en brûlant la cervelle de celui qui
+la tenait, ne cessant de dire que jamais elle ne se rendrait, que sa vie
+était sacrifiée à sa patrie. Ces tyrans lui promettaient d'avoir égard à
+son sexe et de ne la prendre que comme prisonnière. Cette femme était,
+avec son frère, dans le 22e régiment de cavalerie, qui a réparé ce jour
+là la faute qu'il avait faite près de Grand-Reng.
+
+Avant la prise de Charleroi, pendant que nous étions à bivouaquer sur
+les hauteurs de Fontaine-l'Évêque, l'ennemi ne se croyant pas en force
+se contenta de nous envoyer des boulets et des obus. Nous perdîmes
+plusieurs hommes, entre autres un tambour du bataillon. Un éclat d'obus
+traversa son sac de peau et son côté; il resta mort sur la place; deux
+autres soldats furent blessés du même coup. Un hussard Chamborant
+passant dans la place, prit la caisse du tambour et s'est mis derrière
+un chêne, battant la charge avec le manche de son couteau, ce qui a mis
+l'ennemi en fuite.
+
+9.--Nous sommes venus prendre les positions que nous avions auparavant.
+
+12.--Nous avons marché toute la journée pour aller bivouaquer devant la
+ville de Binche. Arrivés à onze heures du soir, nous avons passé le
+reste de la nuit sous les armes. L'attaque a commencé par une forte
+canonnade.
+
+15.--Nous sommes partis pour attaquer l'ennemi en retraite vers Mons. À
+huit heures du matin, les tirailleurs se sont avancés au pas de charge
+avec deux pièces, ils ont poursuivi les Autrichiens si vivement qu'ils
+n'ont pas eu le temps d'entrer dans la ville de Mons. Notre cavalerie
+s'est emparée des passages dans les environs de la ville et aussitôt des
+bataillons y sont entrés, baïonnette en avant. Dans cette journée on a
+fait environ deux cents prisonniers.--Les autres colonnes ont encore
+poursuivi pendant deux heures. La nuit a tendu ses voiles[19]; il a
+fallu arrêter notre marche. Nous avons passé la nuit sous les murs de
+Mons.
+
+16.--La ville rendue, nous avons été prendre position devant le village
+nommé Beausoir.
+
+17.--Partis de cette position dès la pointe du jour, croyant trouver les
+Autrichiens, mais nous avons fait cinq lieues sans rencontrer personne.
+
+Campé devant Braine-le-Comte, situé sur la route de Mons à Bruxelles.
+Nous sommes entrés dans la ville avec les plus vifs applaudissements de
+tous les bourgeois qui faisaient entendre les cris: «_Vivent les soldats
+républicains français!_»
+
+21.--Nous avons levé le camp pour continuer notre route. Nous sommes
+entrés dans la ville de Hal avec les mêmes applaudissements; nous avons
+campé en avant de la ville jusqu'au 23. Nous sommes partis dès la pointe
+du jour, croyant trouver ceux qui nous menaçaient quelques jours
+auparavant. Notre avant-garde suffisait pour les faire disparaître.
+
+23.--Nous sommes entrés dans la ville de Bruxelles, de même avec les
+plus vifs applaudissements de tous les bourgeois: «Vive les soldats
+républicains!» Comme nous étions à la tête de la colonne, nous sommes
+restés à la place, sous les armes, pendant que la colonne a défilé. Cela
+a duré toute la nuit.
+
+24.--Le reste de la colonne a passé. De suite, on a fait entrer les
+troupes dans les casernes, mais la moitié restait toujours sous les
+armes. Notre bataillon était au quartier du Vieux Marché; et les deux
+autres bataillons étaient dans de grosses maisons bourgeoises. Il y
+avait avec nous le régiment de Suède et le bataillon du Haut-Rhin. Nous
+étions sans aucune fourniture[20].
+
+30.--Nous sommes partis à une heure du matin. Nous avons été camper
+devant Louvain. J'étais parti trois jours auparavant avec un piquet de
+vingt-cinq hommes pour escorter des bateaux que nous avons été chercher
+à Villebruck, sur le canal qui vient à Bruxelles. Nous avons été bien
+reçus dans cet endroit qui est à cinq lieues. Nous sommes arrivés le 30
+avec ces bateaux chargés de foin et d'avoine pour les magasins de
+Bruxelles, et j'ai rejoint, avec mon piquet, la demi-brigade qui était
+campée devant la ville de Louvain.
+
+Ier _thermidor_.--Partis dès la pointe du jour, nous sommes venus nous
+placer devant la ville de Tirlemont, où nous avons trouvé notre ennemi,
+nous l'avons attaqué sans plus de cérémonie et nous l'avons poursuivi à
+deux lieues. Nous sommes revenus à notre position.
+
+7.--Partis au jour, nous sommes allés nous placer devant la ville de
+Saint-Tron.
+
+9.--Nous avons fait un mouvement, nous avons été camper dans une grande
+plaine assez près de Tirlemont, où nous entendons ronfler le canon de
+notre avant-garde, qui ne laisse pas à l'armée autrichienne le temps de
+se rallier.
+
+16.--Partis de ce camp, nous sommes venus au camp de Berlingen.
+
+29.--Nous avons fait un mouvement d'un quart de lieue à l'entrée de la
+nuit. Nous avons traversé un village qui séparait notre camp du camp de
+Looz.
+
+Toutes ces plaines où nous étions campés étaient retranchées du côté de
+l'ennemi par de fortes redoutes.
+
+Ier _fructidor_.--C'est dans ce camp que nous avons été amalgamés avec
+le régiment de Beauce et un bataillon du Haut-Rhin[21]. Les officiers et
+sous-officiers se sont assemblés; on a fait la fête pendant deux jours,
+on a bu le vin d'alliance, on s'est juré de même que la fraternité
+régnerait entre nous jusqu'à la mort; et comme on servait la même
+patrie, on s'est promis de vivre toujours en paix comme des frères et de
+vrais soutiens de la République française. Le numéro que cette
+demi-brigade a eu dans ce moment était 127; elle a été commandée en
+premier-lieu par le général de brigade Richard et le général de division
+Poncet.
+
+Dans ce camp, nous avons appris la reddition de Valenciennes. On a
+trouvé dans cette place 227 bouches à feu et quantité de poudre et
+autres magasins bien approvisionnés, plus qu'on n'en avait trouvé
+lorsqu'ils avaient été livrés.
+
+14 _fructidor_.--Nous sommes partis à deux heures du matin: nous avons
+été camper dans la plaine de Maëstricht, et nous en étions encore à
+trois lieues en seconde ligne. La paille a été délivrée à toute la
+colonne.
+
+On nous a annoncé la reprise de Condé; on a trouvé dans cette place
+1,600 prisonniers, 130 bouches à feu, des munitions de bouche pour six
+mois, 6,000 paquets de cartouches, un très grand magasin de poudre à
+canon, 6,000 bombes, 6,000 boulets, et cette place en bon état de
+défense.
+
+Le même jour, a passé dans notre camp un colonel anglais avec toute son
+escorte et trente chevaux, qui avaient été pris aux environs de
+Maëstricht par notre avant-garde.
+
+C'est dans ce même camp que nous avons fait la réjouissance de la
+reddition de toutes nos villes que les Impériaux nous avaient ravies: le
+Quesnoi, Landrecies, Valenciennes, Condé.
+
+Voici la manière dont la réjouissance s'est faite dans l'armée de Sambre
+et Meuse. La fête a été annoncée à six heures du matin par trois coups
+de canon des pièces de position qui se sont trouvées dans chaque
+division. À sept heures et demie, les mêmes pièces ont répété la même
+chose. La musique de chaque demi-brigade était placée sur le front de
+bandière, où elle jouait différents airs patriotiques pendant toute la
+cérémonie. À huit heures et demie un feu de bataillon a été exécuté dans
+chaque division en commençant à la droite d'icelle. Ce feu fini, le
+général de brigade a passé devant chaque bataillon en criant: _Vive la
+République!_ Nous nous sommes unis à sa voix. La distribution de
+l'eau-de-vie a été donnée à toute la troupe. L'ordre a été donné que
+chacun rentre dans ses baraques. Ce n'était pas sans en avoir besoin,
+car depuis minuit nous étions sous les armes.
+
+Ier _vendémiaire, an_ III.--Nous sommes partis du camp, dont c'était la
+première fête _sans culottine_, pour nous rapprocher de Maëstricht, et
+nous joindre à notre avant-garde qui était sous ses murs et s'était
+vaillamment battue.
+
+La ville de Maëstricht a été bloquée et cernée entièrement. Nous y
+sommes restés quelques jours, et de là nous nous sommes mis en marche.
+Nous avons passé la Meuse, au-dessus de Maëstricht sur des pontons pour
+rejoindre notre avant-garde, et aller à la poursuite des Autrichiens. Il
+est resté une partie de notre armée pour contenir la garnison de
+Maëstricht en attendant que nous ayons repoussé l'armée autrichienne au
+delà du Rhin. Nous avons marché plusieurs jours sans rencontrer aucun
+vestige de l'armée autrichienne.
+
+Arrivés à une forte rivière nommée la Roër, c'est là qu'ils espéraient
+remporter la victoire et nous empêcher de passer. Ils étaient bien
+retranchés dans les endroits où on aurait pu passer. Malgré plusieurs
+obstacles qui se trouvaient devant cette rivière, nous n'avons pas
+hésité un seul moment pour attaquer.
+
+La bataille a été sanglante aux deux partis, et a duré depuis le matin
+jusqu'au soir; à la nuit, on a fait abandonner la rivière à l'ennemi.
+Nous avons eu dans ce jour plusieurs centaines d'hommes de blessés. Nos
+pièces de position, au nombre de quarante, étaient aux environs de la
+rivière et n'ont décessé de jouer; la fusillade a fait de même. L'ennemi
+a répondu au feu d'enfer que faisaient les républicains. Le soir,
+lorsque le feu a cessé, nous nous sommes retirés un peu en arrière, dans
+la plaine qui touche la rivière, pour passer la nuit.
+
+Nous les avons vus qui faisaient de grands feux, car ils brûlaient leurs
+baraques; nous avons jugé par-là qu'ils allaient prendre la fuite.
+C'était réel: vers minuit, ils se sont mis en marche.
+
+On a travaillé toute la nuit à faire des ponts avec des voitures, des
+chariots attachés avec des gros arbres, qui étaient sur le bord de la
+rivière; on a mis des planches sur ces constructions et le matin, à la
+pointe du jour, nous avons passé au milieu de leurs retranchements, qui
+étaient remplis de cuisses, bras et corps entiers qu'ils avaient laissés
+sans les enterrer. Plusieurs pauvres blessés criaient miséricorde; on
+les a portés de suite à l'ambulance avec les nôtres.
+
+Notre colonne de droite avait passé la rivière avant nous. Nous avons
+été plusieurs jours pour arriver au Rhin, mais aucun Autrichien ne s'est
+trouvé devant nous. Le soir du passage de la rivière, le général de
+brigade Richard nous a annoncé la prise de Juliers avec vingt-quatre
+pièces de 27 en bronze. Depuis cette époque, nous n'avons plus vu
+d'Autrichiens que sur l'autre rive du Rhin, près de Düsseldorf[22].
+Notre dernier camp a été dans la plaine près de la ville de Neus. Voilà
+la manière dont nous avons fait la conduite à l'armée autrichienne avec
+les honneurs de la guerre, à grands coups de canon.
+
+Notre voyage ne nous a pas été bien favorable: une pluie continuelle et
+froide, un vent qui nous glaçait les sens, et point d'autre couverture
+que le ciel.
+
+Notre ennemi est de l'autre côté du Rhin, tranquille, et nous, mous
+allons retourner sur nos pas pour aller faire le siège de
+Maëstricht[23].
+
+Arrivés devant cette ville, on s'est tout de suite occupé à faire les
+travaux; on a fait des redoutes pour soutenir et répondre aux sorties
+qu'ils pourraient faire pendant qu'on ouvrirait les boyaux: on
+travaillait à ces ouvrages nuit et jour.
+
+Malgré leur mitraille, nous avons ouvert les boyaux à une portée de
+pistolet de leur bastion. Nous y avons été, pour notre tour, cinq fois
+pour les ouvrir. On n'a pas perdu tant de monde que l'on croyait pour
+faire le siège d'une ville si forte. Notre commandant de bataillon a été
+blessé d'un éclat de grenade, et plusieurs officiers et soldats.
+
+Tous les jours, les ouvrages se multipliaient, et nous rendions par ce
+moyen l'asile des assiégés plus étroit. Les jardiniers de la ville
+avaient planté beaucoup de légumes d'hiver dans leurs jardins; mais
+c'est nous qui en avons fait la récolte. Tous les matins, ils se
+trouvaient enfermés plus étroitement; s'il n'y avait pas eu des fossés,
+nous aurions été les prendre dans leurs palissades.
+
+Les ouvrages allaient être achevés; on a commencé à bombarder la ville
+le 12 brumaire; cela a duré trois jours. Le 14, la ville de Maëstricht
+s'est rendue, à deux heures du matin. Un des officiers supérieurs de la
+ville est venu sur les bastions et a demandé le général qui commandait
+en chef le siège, pour capituler[24]. Pendant qu'on est allé le
+chercher, les canonnières et les bombardières redoublaient le feu
+jusqu'au moment où ils ont reçu l'ordre du général de le cesser. Au
+moment où il a demandé à capituler, le feu était dans un magasin
+d'huile, de lard, de farine, etc. À la pointe du jour, on voyait tous
+les bourgeois sur les remparts et plusieurs nous apportaient des
+bouteilles d'eau-de-vie.
+
+Nous avons tenu Maëstricht bloquée pendant quarante-quatre jours.
+Pendant ce blocus, les assiégés nous ont envoyé quarante-cinq mille
+boulets, trente-quatre mille tant bombes qu'obus, quatorze mille
+grenades. Ils nous envoyaient toutes ces pommes dans nos travaux, sans
+que cela fasse beaucoup d'effet.
+
+Le feu cessé, on a été trois jours pour arranger la capitulation. La
+garnison est sortie de la ville le 17 brumaire; entre dix et onze heures
+du matin, les troupes impériales sont sorties par la porte d'Allemagne,
+et ont passé la Meuse au milieu des assiégeants, qui formaient la haie
+de chaque côté de la route où ils devaient passer. Ils sont sortis avec
+les honneurs de la guerre: tambour battant, mèche allumée et enseigne
+déployée. Lorsqu'ils ont été presqu'à la fin de la colonne, ils ont
+déposé leurs armes devant nous; la cavalerie et l'infanterie ont emporté
+leurs sabres. Il y avait de la troupe toute prête pour les conduire au
+delà du camp.
+
+La troupe hollandaise est sortie le même jour, mais un peu plus tard,
+car il fallait le temps à la colonne française de venir se placer en
+haie sur la route par laquelle ils devaient passer, qui était d'une
+extrémité de la ville à l'autre. Ils sont sortis de même avec les
+honneurs de la guerre comme la troupe autrichienne. Ils ont été
+reconduits dans leur pays par nos chasseurs à cheval, ils ont conservé
+leurs sabres comme la troupe impériale. Les officiers composant la
+garnison de Maëstricht ont emmené leurs chevaux et tout leur bagage.
+
+La Ville de Maëstricht est très forte; elle a un fort qui la commande et
+qui la défend. La Meuse flotte contre ses murs, et donne de l'eau dans
+ses fosses; elle a aussi des forts qui sont construits dans le milieu de
+la Meuse, qui défend son approche du côté de l'Allemagne. Il y a dans
+les environs de grandes plaines très fertiles en blés, orge, avoine,
+pommes de terre, etc.; elle est frontière de la Hollande.
+
+C'était le général Kléber qui commandait le siège en chef; nous étions
+du côté gauche de la ville, sous les ordres du général Duhesme.
+
+18 _brumaire_.--Nous sommes partis des alentours de Maëstricht pour
+aller sur les bords du Rhin.
+
+20.--Nous avons passé dans la ville de Juliers, jolie petite ville très
+fortifiée; les maisons d'une assez belle construction, les rues très
+larges. Il y a aussi de très belles plaines très fertiles en blés et en
+toute sorte de grains; on y boit aussi de bonne bière, on y récolte
+aussi de très bons fruits. Cette ville est la capitale du duché de son
+nom.
+
+22.--Nous sommes arrivés à Cologne; nous y avons campé en arrivant.
+
+29.--Nous sommes sortis de ce camp pour aller cantonner sur le bord du
+Rhin au village nommé Langel. Nos postes étaient placés sur le bord du
+Rhin; nous étions une compagnie par ferme, très serrés à cause de la
+grande quantité de troupes qui étaient dans les environs. J'ai été voir
+la ville de Cologne; elle est très grande, bien peuplée, les rues
+larges; il y a une quantité de clochers. J'ai remarqué que sur une tour
+très haute, il y avait une grue peinte en vert. Le Rhin flotte contre
+les murs, et fait une partie de leur commerce. La ville n'est point
+fortifiée, elle est entourée d'un simple mur très haut. C'était là que
+l'électeur faisait sa résidence.
+
+12 _frimaire_.--Sortis de Hangel pour passer à la droite de la Logne.
+Suivant les bords du Rhin à une demi-lieue de la Logne, nous cantonnons
+au village nommé Nille?
+
+Nous avons reçu des ordres pour nous rendre à Bonn, soi-disant pour
+passer le reste de l'hiver; nous sommes partis le 13; lorsque nous avons
+été près des murs de ladite ville, nous avons reçu des ordres pour aller
+cantonner dans les villages à une lieue et demie à la droite de Bonn.
+Nous sommes arrivés dans ces cantonnements le 17, dans un village nommé
+Melheim, situé sur le Rhin. Notre état-major est resté dans ce village;
+notre compagnie a été détachée à une demi-lieue en arrière à un village
+nommé Lanesdorf, situé auprès de grosses montagnes; nous montions tout
+de même la garde sur le Rhin.
+
+Quel froid nous avons enduré étant de garde dans ces endroits!
+
+Des sentinelles sont mortes en faction; cependant on les relevait toutes
+les demi-heures. Le Rhin était tout en glace; pendant vingt-quatre
+heures, on était obligés de jeûner, car nos vivres étaient gelés, durs
+comme de la pierre. Je ne veux pas peindre les maux que nous avons
+soufferts dans ces différentes occasions; ils seraient faits pour
+attendrir un coeur de roche. Que l'on se souvienne de la rigueur des
+froids des différents hivers, de la rareté des vivres et du vêtement;
+cela suffira pour dire que nous avons été malheureux.
+
+17 _nivôse_.--Sortis de ce cantonnement pour aller au village nommé
+Keising, à une demi-lieue de Bonn. Étant dans ce village, je suis allé
+voir la ville de Bonn; je dirai qu'elle est très belle: des rues larges
+et bien propres, des maisons d'une belle construction, très éclairées,
+de belles places bien grandes, un superbe château à l'entrée de la
+ville, situé au midi et appartenant à l'électeur. Le Rhin flotte contre
+ses murs: elle n'est fermée que par des petits remparts, très bien
+construits. Dans les environs de la ville, il y a de belles avenues de
+marronniers et de tilleuls, environnées de belles plaines.
+
+Étant au village de Keising, nous avons fait l'anniversaire de la mort
+de Capet. Cela a eu lieu le 2 pluviôse, à dix heures du matin. Le
+bataillon étant rassemblé, on a fait trois décharges et les pièces
+d'artillerie en ont fait de même. Cela s'est fait dans l'armée de
+Sambre-et-Meuse, dans nos cantonnements sur le bord du Rhin.
+
+Nous sommes partis de Keising le 5 pluviôse 1795 (vieux style). Journée
+odieuse et fatigante pour aller à Aix-la-Chapelle. Au moment où nous
+nous sommes mis en route, il tombait de la pluie; il y avait longtemps
+qu'il faisait de fortes gelées; ce jour-là il paraissait faire un dégel
+universel. Jamais Français et autres n'ont vu une pareille journée, elle
+a duré vingt-quatre heures. Toute la troupe était fatiguée. On enfonçait
+dans la terre jusqu'aux genoux, on faisait trois ou quatre pas, et il
+fallait s'arrêter pour reprendre haleine; aussi plusieurs soldats y ont
+perdu la vie, et même les chevaux, avec rien sur leur dos, avaient bien
+de la peine à s'en tirer. Ce n'était pas cependant dans des marais,
+c'était dans des champs de gravier; on aurait préféré marcher dans l'eau
+jusqu'aux reins, plutôt que dans de pareils chemins; mais il n'y avait
+pas de choix; il fallait que la route se fasse.
+
+Nous avons été dans cette triste situation depuis le matin jusqu'au soir
+à la nuit. Étant arrivés à une petite ville nommée Bruhl, toute la
+demi-brigade n'y a pu loger. Il était nuit: il nous a fallu aller loger
+à une demi-lieue de Bruhl, dans un village. Pour faire cette demi-lieue,
+nous avons été deux heures; en arrivant, les billets de logement nous
+ont été distribués, mais on a eu bien de la peine à les trouver, par
+rapport à la nuit.
+
+Le lendemain, la route était plus favorable, la gelée avait remplacé le
+dégel, la nuit avait raffermi la route, et le matin il tombait de la
+neige qui a duré jusqu'à midi. Nous sommes partis de nos logements à
+sept heures du matin vers Aix-la-Chapelle. Nous avons logé en y allant à
+Norwenig, à Duren, à Eschviller. À Aix-la-Chapelle, nous avons logé chez
+le bourgeois. Nous y sommes restés un mois pendant lequel les officiers
+et sous-officiers ont été plusieurs fois chez le général de division
+Poucet pour apprendre la théorie.
+
+L'armée de Sambre et Meuse passait alors pour être si peu disciplinée,
+parmi les Français, que l'on croyait que les généraux n'osaient livrer
+aucun combat faute de discipline et de subordination. Le tout venait de
+la part des ennemis de la liberté, qui cherchaient à mettre le désordre
+parmi nos troupes, en faisant naître l'idée que le droit de la guerre
+était de piller tout pays conquis.
+
+Mais le Français a su se comporter plus vaillamment, car c'est la
+discipline qui a fait tous nos succès, et qui a excité l'admiration de
+toute l'Europe. Voilà pourquoi les ennemis de la République voulaient
+nous entraîner au pillage; les perfides savaient bien qu'une armée sans
+discipline est une armée vaincue; ils savaient par eux-mêmes que des
+brigands ne sont jamais qu'une troupe de lâches. Nous avons démenti
+cette calomnie par notre conduite; l'amour de l'ordre et de la
+discipline, le respect pour les personnes et les propriétés,
+distingueront toujours l'armée de Sambre et Meuse.
+
+Voici un discours du représentant du peuple Gillet aux habitants
+d'Aix-la-Chapelle, qui prouve la générosité des Français:
+
+ «Habitants d'Aix-la-Chapelle,
+
+ »Des actes de cruauté ont été commis dans votre ville envers des
+ soldats français lors de la retraite de l'armée au mois de mars
+ 1793: des soldats malades et blessés ont été jetés par les fenêtres
+ dans la rue; d'autres ont été fusillés par des bourgeois qui se
+ tenaient cachés dans leurs maisons. Nous n'userons point des droits
+ que pourraient nous donner de justes représailles.
+
+ «Si les ennemis de la France se sont couverts de tous les crimes,
+ le Français s'honorera toujours d'être généreux. Mais le sang de
+ nos frères cruellement massacrés demande vengeance. Sans doute ces
+ actes de barbarie ont été désavoués par la majorité des citoyens,
+ et ne peuvent être l'ouvrage que d'un petit nombre. Nous demandons
+ que les coupables nous soient livrés dans les vingt-quatre heures;
+ vous nous devez cette justice, vous la devez à vous-mêmes sous
+ peine d'être réputés complices des plus atroces forfaits.
+
+ Signé: «GILLET.»
+
+Le 10 ventôse, nous avons célébré la fête de la prise de la
+Hollande[25], et, ce même jour-là, les nobles et ceux qui avaient des
+titres de noblesse les ont brûlés en notre présence, sous les armes.
+
+Je dirai qu'Aix-la-Chapelle est très grand et bien peuplé: il y a
+beaucoup de manufactures en tout genre; on y trouve de bonne eau
+vulnéraire pour boire et prendre des bains; il y a de belles maisons
+très élevées, de belles rues larges et de belles grandes places. Elle
+n'est fermée que de plusieurs simples murs; c'est une ville très
+ancienne.
+
+Nous sommes partis d'Aix-la-Chapelle le 11 ventôse pour aller cantonner
+aux environs d'Aix-la-Chapelle, au bourg nommé Eschviller; notre
+compagnie a été détachée à un village nommé Nolberg.
+
+Je dirai que dans les campagnes de ces pays, ils sont assez à leur aise.
+Ils vivent bien avec de la choucroute, du bon lard; leur soupe est faite
+avec de l'orge mondé, de la viande de boeuf salé; ils mangent beaucoup de
+carottes, de navets; prennent le matin beaucoup de café avec du beurre
+frais et des confitures; leur boisson est de la bonne bière et du
+_chenik_. Leurs maisons sont très propres, lavées tous les samedis; leur
+batterie de cuisine est en fer noir et jaune, très bien éclaircie, et
+même leur crémaillère; pincettes et pelle à feu, tout est dans la plus
+grande propreté. Le sexe des deux sortes y est très affable; les hommes,
+leur costume n'est pas différent du nôtre; mais les femmes ont un
+déshabillé assez long; pour coiffure, des petits bonnets de velours ou
+autre couleur, bordés sur le devant avec une dentelle en or; leurs
+cheveux en plusieurs tresses qu'elles roulent derrière leur bonnet comme
+un escargot, et tenus avec une grande épingle en argent, large comme les
+deux doigts. Leur parler est l'allemand. Tout ce pays est très fertile
+pour toutes choses.
+
+Nous sommes partis de Nolberg le 25 ventôse pour revenir sur les bords
+du Rhin; nous avons logé en y allant à Duren, à Norwenigbourg, à
+Bruhl-ville. De là, nous avons été prendre nos cantonnements sur le bord
+du Rhin, au village nommé Nieder-Weslingen. C'était le 27; dans cet
+endroit on nous a diminué les vivres; nous avions par jour une livre de
+pain et une once de riz; avec ces vivres nous étions une partie de la
+nuit sur pied et montions la garde d'un jour à l'autre. Voilà comme les
+soutiens de la patrie avaient toutes leurs aises.
+
+7 _germinal_.--Sortis de Nieder-Weslingen. Ce jour-là, nous avons appris
+le traité avec le roi de Prusse[26]. Notre marche était dirigée sur
+Coblentz. Nous avons logé, en y allant, à Bonn, à Breisig, à Kretz. Là
+nous sommes restés huit jours.
+
+16.--Arrivés à Coblentz où nous n'avons pas logé; notre logement a été à
+gauche de la ville, au village nommé Kesselheim, situé sur le bord du
+Rhin.
+
+17.--Entrés dans la ville de Coblentz à huit heures du matin. Nous avons
+été logés dans des maisons d'émigrés toutes dévastées, et à peine avions
+nous de la paille pour reposer nos pauvres membres tout navrés de
+fatigue, avec notre livre de pain et notre once de riz[27]. Bien des
+fois, on ne pouvait pas avoir du pain et très peu de viande bien maigre;
+nous ne pouvions trouver aucune chose pour notre papier, car personne ne
+s'en souciait, et pour un pain de trois livres, il fallait donner
+vingt-cinq francs en papier[28].
+
+La ville de Coblentz est grande et très peuplée; il y a beaucoup de rues
+très larges, mais aussi il y en a où les voitures ne peuvent pas passer;
+il y a de belles places et principalement la place d'Armes, entourée de
+bornes de pierre avec de grosses chaînes de fer.
+
+Deux rangs de tilleuls forment un berceau couvert tout autour de la
+place; elle est environnée de belles grosses maisons très hautes et
+d'une belle construction. Et même dans une partie de la ville, en
+sortant de la place d'Armes, on voit un boulingrin et une superbe maison
+toute neuve, que l'Electeur de cette ville a fait bâtir; elle nous
+servait d'hôpital du temps que nous étions dans ces contrées. Cette
+maison est sur le bord du Rhin, environnée de grands jardins
+nouvellement plantés. Il y a aussi de magnifiques promenades. Cette
+ville est du côté du nord, bornée par la Moselle qui tombe de là dans le
+Rhin, vis-à-vis du fort, et, au levant, le Rhin flotte contre ses murs.
+Cette ville avait de forts bastions et de gros cavaliers qui défendaient
+son approche, entre le Rhin et la Moselle; ces fortifications ont été
+démolies dans le temps que nous étions là, de sorte qu'elle n'est
+maintenant fermée que d'un simple mur, du côté du Rhin. Il y a un fort
+très haut qui peut brûler la ville; c'est un morceau qui ne peut être
+pris que par la famine. Les Français y sont entrés lorsqu'ils ont poussé
+l'armée autrichienne au delà du Rhin.
+
+Nous avons construit des forts et des retranchements bien palissadés à
+une demi-lieue de la ville entre la Moselle et le Rhin, dans la plaine.
+
+Le costume des deux sexes est le même que celui d'Aix-la-Chapelle.
+
+5 _floréal_.--Partis de Coblentz à deux heures du matin pour nous rendre
+à Rhense, ville située sur le Rhin, sur le versant d'une petite
+colline.--Quelques jours avant de sortir de Coblentz, on nous a annoncé
+la paix avec le roi de Prusse, ce qui a donné bien du contentement à
+toute la troupe de voir que leur ouvrage commençait à produire[29].
+
+10.--Partis de Rhense pour revenir à Capellen, sur le bord du Rhin, au
+pied de grosses montagnes.
+
+18.--Partis de Capellen pour revenir camper sur une hauteur près de la
+ville de Coblentz, à droite du camp nommé le camp de la Chartreuse; il
+portait le nom du couvent qui était sur le bout de la montagne, près de
+la ville. Ce couvent était tout dévasté et servait à mettre les chevaux
+de l'artillerie. C'est dans ce camp que noua avons encore fait
+pénitence. La misère augmentait tous les jours pour les défenseurs de la
+patrie; nous avons été réduits à douze onces de pain par jour, et bien
+des fois on ne pouvait pas en avoir. Il fallait cependant faire son
+service, bivouaquer et monter la garde très souvent. Mais le printemps
+nous produisait des plantes pour un peu nous soutenir, qui étaient des
+feuilles de pois sortant à peine de terre, des coquelicots ou
+_feu-d'enfer_, du sarrasin, des pissenlits. Avec tous ces herbages, nous
+en faisions une farce que nous mangions en guise de pain; et lorsque le
+seigle est venu en grains, on allait lui couper la tête et on le faisait
+griller sur le feu. Les pommes à peine défleuries nous servaient aussi
+de nourriture.
+
+C'était vraiment une grande misère, on voyait plusieurs soldats cachés
+derrière des haies, attendant que le laboureur qui plantait des pommes
+de terre fendues en quatre pour en récolter pour l'hiver prochain, fût
+parti de son champ. Aussitôt les soldats affamés parcouraient le champ,
+cherchant dans la terre les petits morceaux de pommes de terre, et
+revenaient au camp avec leur petite proie, et les faisaient cuire[30].
+
+Huit ou dix jours après on reparcourait les champs, les morceaux de
+pommes de terre qui avaient échappés à la première recherche
+commençaient à sortir de terre; on les enlevait avec beaucoup de
+contentement de se voir quelques petits morceaux de pommes de terre pour
+se sauver la vie.
+
+Le matin on battait la breloque pour le pain, la viande, mais on
+revenait souvent sans viande[31]. Le soir, à l'entrée de la nuit, pas
+tous les jours, on revenait avec un pain pour quatre hommes. Tout le
+monde sortait de ses baraques et la gaîté renaissait pour un moment dans
+le camp; dans la journée tout le monde était comme mort, sur sa pauvre
+paille, prenant la misère en patience et s'amusant à détruire sa
+vermine.
+
+Après une misère pareille et des maux si longs et si pénibles,
+quelques-uns diront: «les soldats ne sont que des voleurs. Voyez comme
+ils allaient dévaster les travaux des pauvres laboureurs!» Nous sentions
+bien la perte que nous causions, mais lequel pouvait-on préférer dans un
+pareil cas, de mourir? Non, mais je crois, de vivre et d'être utile!
+
+Dans le courant de prairial, an III de la République française, les
+officiers, sous-officiers et soldats de la 127e demi-brigade de l'armée
+de Sambre-et-Meuse ont écrit à la Convention nationale, s'exprimant en
+ces termes:
+
+«Que venons-nous d'apprendre? Quoi! les factieux s'agitent encore autour
+de la Représentation nationale; le reste impur des complices de la
+Terreur ose de nouveau provoquer au pillage, à l'assassinat, au mépris
+de l'humanité, à la violation des droits du peuple.
+
+«Que veulent donc ces hommes téméraires? et quels sont leurs projet
+perfides, leurs avidités cruelles? Ils cherchent des prétextes. Mais ce
+n'est pas du pain qu'ils demandent, c'est du sang. Ils sont jaloux du
+repos du peuple, ils ont soif de son avenir heureux; leur rage scélérate
+veut ensevelir la liberté publique, sous les corps enlacés des victimes,
+et dominer sur ces débris.
+
+«Législateurs, conservez l'attitude imposante que vous avez prise!
+rappelez-vous toujours ce qu'est le peuple et que le peuple ne veut pas
+être opprimé par une poignée de factieux; songez que les agitateurs qui
+osent vous menacer, ne sont pas citoyens de Paris, et que les citoyens
+de Paris ne sont eux-mêmes qu'une petite fraction de la République!
+
+«Si l'audace des uns croissait avec leur criminel espoir, et si le
+courage des autres s'amollissait par la crainte; si les premiers
+oubliaient leur premier devoir et les derniers leur ancienne gloire;
+s'il fallait enfin que des colonnes s'ébranlassent des armées
+victorieuses pour aller défendre la Convention nationale; parlez,
+législateurs! Nous volons autour de vous, les factieux ne parviendront
+jusqu'à vous qu'en marchant sur nos cadavres.
+
+«Une république fondée sur les moeurs et sur la justice est impérissable
+comme la nature[32].»
+
+Le 22 prairial, on nous a annoncé la prise de Luxembourg. Les 29 et 30
+prairial, et le 1er messidor, nous avons vu passer la garnison du dit
+Luxembourg, au nombre de douze mille, qui ont passé le Rhin à Coblentz,
+après avoir passé devant nous.
+
+Le 9 du mois de thermidor, nous avons reçu trois drapeaux tricolores où
+était le numéro de la demi-brigade. Avec les républicains qui
+composaient ce corps, nous avons juré dans ce moment de ne jamais
+abandonner ces drapeaux qu'à la mort, comme nous avions fait jusqu'alors
+des précédents.
+
+On nous a fait dans ce même moment du feu avec les morceaux des anciens
+qui avaient été fracassés au blocus de Maubeuge et au siège de
+Maëstricht; ils ressemblent à des vieux guerriers qui étaient devenus
+bien caducs en acquérant de la gloire et en parcourant les champs de
+Bellone.
+
+10 _thermidor_.--Partis du camp de la Chartreuse par une grande pluie
+qui a duré deux jours; les ordres étaient donnés pour nous rendre à
+Creutznach. Le 14, nous avons logé, en y allant, à Ventzenheim où nous
+avons eu séjour; le 15, à Kircheim-Bolanden. Dans cette ville, le prince
+de Weilburg a un superbe château de plaisance; il est environné de
+jardins où il y a des arbres de toute espèce, il y a un parc bien
+distribué: de belles cascades d'eau, des promenades bien agréables, et
+des pièces de gazon très bien garnies. La vue ne peut pas se contenter
+d'examiner toutes ces belles choses, qui semblent être faites par la
+nature.
+
+16.--Logé à Pitzersheim. Avant d'arriver à ce village, on voit les tours
+de Mannheim: il est seulement à trois quarts de lieues de Neustadt.
+
+17.--À Neustadt; 18, à Nuzdorff, premier village de France, venant de
+Coblentz et frontière du Palatin[33]. Ce village est très grand et situé
+à une demi-lieue de Landau.
+
+19.--À Altenstadt, village à un quart de lieue de Wissembourg, où nous
+avons eu séjour.
+
+21.--À Beinheim, village situé sur la route de Lauterbourg[34] à
+Strasbourg.
+
+22.--Partis à sept heures du matin pour nous rendre au fort Vauban,
+seulement le premier bataillon, les deux autres ont été camper dans la
+plaine de Beinheim. Nous avons relevé au fort un bataillon de la 92e
+demi-brigade, ci-devant d'Artois.
+
+Cette place se nommait, avant la Révolution, le Fort-Louis; elle ne
+pouvait être prise que par famine, mais elle a été livrée aux Prussiens
+en 1792. Les Français ont repris cette place, la même année, après le
+déblocus de Landau. Durant le temps que les Prussiens sont restés au dit
+fort, ils ont miné le quartier et autres fortifications[35]. Au moment
+où il a fallu les abandonner, ils ont fait sauter toutes les mines; il
+restait encore quelques maisons où ils ont mis le feu en partant, de
+sorte que maintenant cette place est comme un désert. Nous étions logés
+dans des vieilles masures, comme tout le bataillon, parce que le Rhin
+avait débordé, et les baraques étaient encore pleines d'eau. Le mauvais
+air qui régnait dans cette place a fait que tout le bataillon, et même
+les deux autres, ont été pris de maladie; c'était comme une peste.
+Jusqu'à dix hommes par compagnie étaient obligés d'aller à l'hôpital,
+car ils étaient attaqués d'une fièvre très violente. De soixante hommes
+que nous étions dans notre compagnie, nous sommes restés à deux qui
+n'ont pas été malades. La fièvre était mauvaise, car il y en a beaucoup
+qui en sont morts. Nous avons fait notre purgatoire dans cette place;
+nuit et jour nous étions tourmentés, il y avait des petites mouches que
+l'on nomme des _cousins_, qui nous faisaient bien de la peine, il y en
+avait si épais qu'on les aurait coupés avec des sabres; les puces et les
+poux n'y manquaient pas.
+
+Étant dans cette place, nous avons fait la réjouissance de
+l'anniversaire de la Fédération. Le 23 thermidor[36], chaque pièce de
+canon a tiré trois coups, et chaque soldat de même. La réjouissance
+s'est faite de cette manière dans l'armée de Rhin et Moselle.
+
+12 _fructidor_.--Sortis du fort; il est dans une île, et le Rhin passe
+tout autour. Les Prussiens avaient brûlé une partie du pont qui conduit
+à un petit fort qui est du côté de l'Alsace; il en porte le nom: ce pont
+traverse un bras du Rhin et conduit au grand fort: dans ce temps, pour y
+entrer, il n'y avait qu'un pont volant.
+
+Sortant de cet endroit, nous avons été camper au camp près de Beinheim.
+Les gardes n'ont point été relevées en partant, à cause de la grande
+maladie; nous avons été relevés par un de nos bataillons.
+
+14.--Nous sommes partis du camp pour nous rendre à Strasbourg. J'ai fait
+rencontre d'un vieux bourgeois qui m'arrête et me dit: «Mon ami, je ne
+peux m'empêcher de rire, vu le costume que la République vous donne, car
+vous ressemblez plutôt à un capucin qu'à un soldat.»
+
+Je lui dis que l'habit ne faisait pas le moine et qu'il pouvait
+continuer sa promenade; qu'il ne serait plus si étonné, car il en
+verrait beaucoup de cette couleur. Il n'avait pas tout à fait tort, car
+je portais une capote couleur marron que j'avais reçue devant
+Cologne[37].
+
+Nous avons été loger chez le bourgeois en arrivant. Le 15, nous sommes
+entrés dans la caserne de Finkmatt.
+
+Partis de Strasbourg le 16; les gardes n'ont point été relevées en
+partant, car il n'y avait point de garnison.
+
+16 et 17.--Nous avons logé à Plobsheim et à Rhinau, villages situés à un
+quart de lieue du Rhin, mais tout de même nos postes y étaient établis.
+C'est dans cet endroit que j'ai commencé à faire le service de
+sergent-major.
+
+19.--Nous avons pris les armes pour recevoir notre nouvelle
+Constitution; on nous en a fait la lecture, et étant finie, tous ceux
+qui savaient signer ont été signer le procès-verbal, pour envoyer à la
+Convention, pour lui prouver le contentement que nous avions de
+l'ouvrage qu'ils venaient de nous achever. L'on est rentré de suite.
+
+4 _complémentaire_[38].--Partis de Rhinau pour la Wantzenau, grand
+village situé sur la route de Strasbourg à Lauterbourg.
+
+1 _vendémiaire_ an IV[39].--Partis de la Wantzenau pour nous rendre à
+Offendorf, à un quart de lieue du Rhin, sur la gauche de Strasbourg.
+
+28.--Partis d'Offendorf pour Berg, village près de Lauterbourg, à une
+demi lieue.
+
+2 _brumaire_.--Partis de Berg, pour Woerth, village sur le Rhin. Dans
+tous ces endroits, depuis la Wantzenau jusqu'à Mannheim, je reconnais
+que la guerre a bien causé de la misère dans tous les villages et
+bourgs; l'armée impériale et la nôtre n'ont cessé de se battre le long
+de ces bords. Les villages sont dévastés; une partie des habitants a
+émigré lorsque l'ennemi est venu dans les environs de Strasbourg.
+
+3.--Partis de Woerth pour Spire, grande ville sur le bord du Rhin, dans
+le Palatinat. Cette ville n'est fermée que par de simples murs, mais
+cependant entourée de fossés remplis d'eau; c'est une ville très
+commerçante et environnée de grandes plaines. Notre logement dans cette
+ville était dans des maisons d'émigrés toutes dévastées; et, pour
+coucher, de la paille très courte. Nous sommes arrivés à dix heures du
+soir.
+
+8.--Partis de Spire pour Otterstadt, toujours en descendant le Rhin.
+
+12.--Partis de Otterstadt pour Waldsee, village anciennement fortifié;
+maintenant on y voit encore les anciens fossés, une partie du mur et le
+cintre des portes.
+
+13.--Partis de Waldsee pour Muhlrhein, à une demi lieue sur la droite
+de Mannheim. Je suis allé voir cette ville; elle est peuplée, mais elle
+n'a pas beaucoup d'étendue; il y a de belles rues larges et très
+propres, et bien alignées; les maisons de toute beauté, hautes, mais pas
+plus l'une que l'autre; de chaque croisée on voit le rempart à chaque
+bout des rues, il n'y a point de carrefour.
+
+Les rues et places sont très bien illuminées: de chaque côté des rues, à
+distance de trente pas, il y a un réverbère: la place est grande, et la
+maison du prince de Mannheim[40] est située sur la place. Les approches
+sont bien défendues par de bonnes avancées et de bons bastions garnis de
+forts canons. Dans ce temps là, l'armée autrichienne en faisait le
+siège; les fortifications du côté du Rhin sont un seul rempart. Le pont
+qui traversait le Rhin était composé de cinquante-quatre gros bateaux;
+la longueur de ce pont était de huit cent quarante quatre pieds: il y
+avait un fort qui défendait l'approche du Rhin de ce côté. Mais les
+Français l'ont démoli la première fois qu'ils ont pris cette ville; ils
+ont de suite construit des batteries dans la même place pour battre la
+ville.
+
+19.--Partis de Mannheim pour retourner sur nos pas[41], nous sommes
+venus au village de Waldsee où nous étions le 12. Étant dans ce village,
+les Autrichiens bombardaient la ville de Mannheim; le feu était dans le
+château du prince. Nos gens avaient été repoussés devant Mayence: toute
+l'armée battait en retraite. Il y a eu encore une forte bataille dans
+les environs de Frankendal; mais comme l'armée autrichienne était trois
+fois plus nombreuse que la nôtre, il a fallu leur céder le pas, et
+battre en retraite sur la ville de Landau, et Mannheim n'a pas tardé à
+être bloqué. Nous avons été obligés de nous retirer sur nos frontières;
+l'armée autrichienne passait sur plusieurs ponts le Rhin et tentait de
+grands coups[42].
+
+24.--Partis de Waldsee pour venir au camp près de Spire.
+
+Partis de ce camp le 29. Comme nous étions dans un circuit du Rhin,
+l'armée autrichienne s'avançait à grands pas; nous nous serions trouvés
+bloqués. Ils ne cherchent pas à nous faire abandonner le Rhin, et leur
+colonne se glisse le long des montagnes des Vosges.
+
+Nous sommes donc sortis du camp à deux heures du matin pour nous rendre
+aux lignes de Guermersheim où nous sommes restés campés jusqu'au 9
+frimaire. Dans cet endroit, les vivres nous ont manqué pendant cinq
+jours de suite à cause du grand nombre de troupes, et il n'y avait
+encore aucune administration d'établie pour les vivres. Pendant ces cinq
+jours, nous nous sommes nourris avec des pommes de terre que nous
+allions chercher sous la neige, dans des trous, au milieu des champs de
+cultivateurs[43].
+
+9 _frimaire_.--Partis de ce camp pour entrer en cantonnement à Belheim,
+grand village situé sur les lignes de Guermersheim.
+
+16.--Partis pour aller cantonner au village de Hoerdt, mais nous
+bordions toujours les lignes qui aboutissaient au Rhin.
+
+20 _nivôse_.--Partis de ce village pour faire un mouvement vers
+Strasbourg. Le même jour nous avons été loger à Auenheim, village en
+arrière du Rhin.
+
+Partis de Auenheim par une grande pluie, avec un dégel qui nous faisait
+une bien mauvaise route. Le 22, à sept heures du matin; nous avons logé
+à Hagenbach, bourg, nous y avons eu séjour.
+
+24.--Partis pour Neubourg; grand village sur le Rhin, environné de
+marais.
+
+28.--Partis pour Berg, à une demi-lieue de Lauterbourg, là où nous
+avions logé en allant à Mannheim. Étant dans ce village, il est venu un
+arrêté du Directoire exécutif pour que toutes les troupes de la
+République prennent les armes le 2 pluviôse, et renouvellent le serment
+d'être fidèles à la nation française et de même pour célébrer
+l'anniversaire de notre dernier roi de France. C'est ce que nous avons
+exécuté le 2 pluviôse 1796. J'ai cessé le service de sergent-major.
+
+17 _pluviôse_.--Partis de Berg pour Niderroedern où nous sommes arrivés
+le même jour.
+
+20.--Partis pour Sonffeldheim.
+
+21.--Partis pour Beschwiller, bourg à cinq lieues à gauche de
+Strasbourg.
+
+22.--Partis pour Reichstett, village sur la route, à une demi-lieue de
+Strasbourg.
+
+29.--Nous nous sommes mis en route pour nous rendre à la Wantzenau à
+deux lieues à gauche de Strasbourg.
+
+30.--Partis pour nous rendre à la plaine près de Kirchheim, en arrière
+du Rhin et à trois lieues de Strasbourg. C'était le lieu de
+rassemblement où la 127e et la 91e se sont réunies pour former des deux
+une seule demi-brigade.
+
+Voici la manière dont cet embrigadement s'est fait. L'on a formé deux
+haies; on a fait ouvrir les rangs dans chacune d'icelle; le général de
+division en a passé la revue. De suite on a fait serrer les rangs; le
+quartier-maître a appelé tous les capitaines, lieutenants,
+sous-lieutenants au centre des deux demi-brigades pour tirer parmi eux
+les plus anciens de grade et les placer dans leur camp respectif. Il en
+a été de même des sous-officiers et caporaux; et tous ceux qui se sont
+trouvés surnuméraires, on en a formé une compagnie auxiliaire. Ensuite
+on a fait rompre par pelotons les deux demi-brigades; la 127e s'est
+jointe avec la 91e en commençant par les premières compagnies, et
+insensiblement de suite. Après ce mélange, on a fait former le carré
+pour nous faire connaître nos chefs. Après que toute la cérémonie a été
+faite, nous avons défilé devant les généraux, dans la boue jusqu'à
+mi-jambe, car il tombait du brouillard qui ressemblait bien à de la
+pluie et qui faisait dégeler les terres.
+
+Dans ce jour, la 127e a perdu son numéro et a été mariée avec la 91e
+dont elle a pris le nom. J'ai vu que lorsqu'on faisait des mariages, que
+rien ne manquait pour célébrer cette heureuse fête; mais parmi nous il
+n'en était pas de même, car ce jour-là nous n'avions pas de pain. Cela
+ne nous surprenait pas, car ce n'était pas la première fois.
+
+Chacun a été reprendre ses cantonnements; la 5e, dernière compagnie au
+1er bataillon, à la Wantzenau; et la 1re à Kilstett. Ce jour-là, j'ai
+changé de compagnie; j'ai été dans la 5e du 1er (capitaine Mondragon).
+
+2 _ventôse_.--Sortis de la Wantzenau pour rejoindre la tête de notre
+bataillon au village de Kilstett le 3, pour appuyer à gauche en
+descendant le Rhin; notre premier bataillon tenait depuis la Wantzenau
+jusqu'à l'Ill le long du Rhin. Cette étendue était de six lieues; notre
+compagnie était au village d'Offendorf et faisait le service sur le
+Rhin.
+
+17.--Partis d'Offendorf pour Weyersheim, où tout le bataillon venait
+cantonner pour un mois; après, on retournait faire quinze jours dans ces
+mêmes cantonnements sur le Rhin, et on revenait faire un mois sur les
+derrières. Ça se faisait à tour de bataillon.
+
+21 _germinal_--Sortis de Weyersheim pour reprendre nos cantonnements sur
+le Rhin; nous avons été de même à Offendorf.--26. Partis d'Offendorf
+pour aller à l'armée du Haut-Rhin, nous avons logé en y allant à
+Hoenheim, à une petite lieue à gauche de Strasbourg. Le lendemain 29, le
+matin, nous avons passé à Strasbourg et nous avons logé à Erstein,
+ville; le 30 germinal, à Kuenheim; le 1er floréal, à Andolshein, village
+à deux lieues à gauche de Brisach et à une lieue de Colmar, à droite;
+nous y avons eu séjour.
+
+3.--À Herrlisheim, située à une lieue et demie de Colmar.
+
+4.--À deux heures du matin, partis pour Ensisheim.
+
+5.--À une heure du matin, partis pour Huningue. Nous ne sommes pas
+entrés dans la ville; nous avons reçu des ordres pour cantonner dans les
+villages aux environs. Nous avons pris la traverse, et nous avons été
+cantonner au village nommé Attenschwiller sur une petite colline à une
+lieue de Bâle, du même côté et à deux lieues de Huningue. Étant dans ce
+village, nous occupions les postes de sauvegarde du canton de Bâle.
+Personne ne passait à ces postes sans être muni d'une permission signée
+du général en chef. Si cela ne s'était pas fait de la sorte, on aurait
+enlevé une partie des vivres et des marchandises de la France.
+
+Les frontières de la Suisse étaient bornées avec de grands poteaux de
+bois, à distance d'un tiers de quart de lieue; il était inscrit sur une
+plaque de fer blanc: _Sauvegarde de Basel_.--Cette épitaphe était
+incrustée en haut de la potence.
+
+Dans le courant du mois de floréal, nous avons appris la paix avec le
+roi de Sardaigne. Nous avons aussi célébré la fête, le 10 prairial, des
+victoires remportées par toutes les armées de la République[44]. Cette
+fête a commencé à six heures du matin. Dans ce même moment, on a battu
+la générale: à huit heures on s'est assemblé; on a été de suite sur le
+terrain choisi par le chef de bataillon pour cette fête. On a fait
+quelque temps l'exercice; après, on nous a annoncé les victoires
+remportées par l'armée d'Italie. C'est dans ce moment que nous avons
+juré d'un commun accord de seconder leurs efforts, et qu'à l'exemple de
+nos frères d'armes d'Italie, bientôt les succès de l'armée de
+Rhin-et-Moselle égaleraient les leurs. On est rentré dans le village aux
+cris de _Vive la République!_
+
+Ce jour-là, la République nous a passé le pain, la viande, l'eau-de-vie
+double.--Voilà quel était l'ordre du général en chef.
+
+13 _prairial_--Partis d'Attenschwiller pour Hagenheim, dans une petite
+colline, et à une demi-lieue d'Attenschwiller et même distance
+d'Huningue; ce village est en grande partie habité par des juifs.
+
+17.--Partis d'Hagenheim à cinq heures du matin pour entrer en garnison à
+Huningue. Elle n'est pas beaucoup étendue, mais forte par ses bastions
+garnis de gros canons qui défendent d'approcher; les rues y sont larges
+et bien éclairées; il y a beaucoup de casernes pour loger les soldats;
+les maisons bourgeoises ne sont pas beaucoup hautes, mais elles ne se
+dépassent pas; le Rhin flotte contre ses bastions et donne de l'eau dans
+les fossés. Il y a une belle place qui a bien cent soixante-dix pieds au
+carré, elle est environnée de pavillons qui servent à loger les
+officiers de la garnison. Cette ville est à une demi-lieue de Bâle; à
+chaque porte il y a trois forts pont-levis et de bonnes barrières. Le
+temps que nous étions dans la ville, nous n'avions que des paillasses et
+des bois de lit pour toute fourniture, mais, en récompense, les puces ne
+manquaient pas.
+
+8 _messidor_.--Sortis à huit heures du soir pour nous rendre à
+Ottmarsheim; où nous sommes arrivés à trois heures du matin; le village
+est à une portée de fusil du Rhin, et sur la route d'Huningue à Brisach.
+
+9 _messidor_.--Tous les cantonnements qui étaient pour garder le Rhin
+depuis Huningue jusqu'aux lignes de Guermersheim, ont reçu l'ordre de
+prendre les armes à dix heures du soir. C'est la nuit du 5 au 6 messidor
+qu'on avait choisie pour se faire un passage sur le Rhin. Voilà la ruse
+que l'on a employée pour ce fait: Vers minuit, il y a eu plusieurs
+compagnies de grenadiers en des barques, qui ont traversé le Rhin, où
+ils ont égorgé plusieurs postes ennemis. L'attaque a été générale dans
+toute l'étendue de la ligne du Rhin, car la canonnade s'est fait
+entendre, de même que la fusillade, depuis les deux heures du matin
+jusqu'à quatre heures. On criait: _En avant telle et telle colonne!
+allons! embarquons-nous! Le passage est à nous!_ On faisait reconnaître
+différents régiments de cavalerie et d'artillerie pour faire voir que
+nous étions bien du monde.
+
+L'endroit destiné pour le passage était au fort de Kehl, près de
+Strasbourg, où cette attaque n'avait pas lieu, et l'ennemi ne savait pas
+où nous avions l'intention de passer[45]. Ce n'était pas là où l'on
+faisait le plus de bruit qu'on voulait passer.
+
+Le passage s'est effectué sans avoir essuyé la moindre perte; on les a
+si bien surpris et trompés par nos manoeuvres, que l'on a pris le
+commandant du fort de Kehl avec sa garnison prisonniers de guerre.
+
+17 _messidor_--Sortis de Ottmarsheim, à quatre heures du matin, pour
+nous rendre à Balgau, village à deux lieues de Brisach, à droite. La
+nuit du 18 au 19, tous les cantonnements ont pris les armes pour faire
+la même attaque que celle du 5 au 6.
+
+19.--Sortis de Balgau, à huit heures du matin, pour nous rendre à
+Neuf-Brisach, ville forte où il y a une belle place entourée de quatre
+entrées, fermées chacune de quatre ponts levis; les barrières, les
+maisons et les casernes ne dépassent pas le premier rempart. Il y a une
+belle place entourée de quatre rangs de peupliers qui sont coupés de
+manière à ce qu'ils ne fassent point découvrir la place en dehors; à
+chaque coin de cette place, il y a un puits, et tout au milieu de la
+place, on voit les quatre portes; les rues sont bien alignées ainsi que
+les maisons. Sous tous les remparts sont des casemates, et sur ces
+casemates est une belle promenade qui fait le tour de la ville. Ces
+remparts sont garnis de forts canons; l'eau vient dans les fossés par un
+canal qui vient de la rivière.
+
+21.--Sortis de Brisach pour aller à Marckolsheim, bourg à quatre lieues
+de là, sur la même route.
+
+25.--Partis de Marckolsheim à dix heures du matin pour nous rendre dans
+les environs de Neuf-Brisach pour y faire une fausse attaque. C'était la
+nuit du 25 au 26, à côté du Vieux-Brisach, dans une île du Rhin; une
+centaine d'hommes se sont embarqués pour passer le Rhin, ils ont fait
+fuir plusieurs postes ennemis; ils en ont surpris un près d'une
+batterie, ils l'ont égorgé. En un autre, ils ont pris un canonnier, deux
+charretiers et trois chevaux. Sur la pointe du jour, le canon s'est fait
+entendre de droite et de gauche sur la rive du Rhin. Vers les quatre
+heures du matin, l'ennemi nous a riposté plusieurs coups de canon. Vers
+les sept heures du matin, les hommes embarqués sont rentrés et nous
+avons cessé l'attaque: elle était faite pour établir un pont à
+Rhinau.--Nous sommes retournés dans nos cantonnements qui étaient depuis
+Brisach jusqu'à Rhinau, où deux de nos bataillons ont passé le Rhin.
+
+28.--Nous avons quitté ces cantonnements à dix heures du soir pour nous
+rendre à Brisach, où nous sommes arrivés à dix heures du matin. Nous
+nous sommes transportés vis-à-vis le Vieux-Brisach pour y passer le
+Rhin; nous l'avons passé sur un pont volant vers les trois heures de
+l'après-midi du 29 messidor. Nous avons logé dans de grosses baraques
+que les Autrichiens avaient fait construire du temps que les Français
+assiégeaient la ville du Vieux-Brisach.
+
+Ces logements étaient couverts en terre et derrière le Vieux-Brisach,
+hors de portée du canon.
+
+30.--Nous avons repassé le Rhin à dix heures du matin pour aller le
+passer à Huningue; nous avons logé en y allant à Ottmarsheim.
+
+1er _thermidor_.--Partis à quatre heures du matin, nous sommes arrivés à
+Huningue, et nous avons passé le Rhin vers les dix heures du matin. Nous
+avons été au premier village où le vin nous a été distribué. De là, nous
+avons été loger à Lorrach, bourg dans le Marquisat. Je dirai que nous
+avons passé le Rhin sur un pont volant, et après cela nous avons été
+obligés de passer un bras du Rhin avec des petites barques, ce qui nous
+a tenus bien du temps.
+
+3.--Partis de Lorrach à deux heures du matin pour aller à Schopfheim,
+petite ville entre deux montagnes garnies de beaux bois; la colline est
+garnie de beaux prés bien entretenus et tout de niveau où ils mettent
+l'eau quand ils jugent à propos. Cet endroit a beaucoup d'usines, tant
+en forges, manufactures de fils de fer, papeteries, etc. Je remarquerai
+aussi que les Autrichiens avaient quitté les bords du Rhin le 27
+messidor, parce que la colonne qui avait passé à Strasbourg les prenait
+par derrière les montagnes du Brisgau pour leur couper leur retraite.
+
+9.--Partis de Schopfheim, à deux heures du matin, pour aller à
+Sackingen. Nous avons repassé le Rhin à Laufenburg. Dans cet endroit, le
+Rhin fait un grand saut au bas du pont; il passe entre deux rochers, il
+est extrêmement rapide. Les ponts sous lesquels on passe sont tous
+couverts et bien construits. Sackingen et Laufenburg sont deux petites
+villes près des frontières suisses et situées à sept lieues de
+Schopfheim.
+
+10.--Partis de Sackingen à deux heures du matin pour Eibrechsferengel?
+Nous en sortions le onze à deux heures du matin pour nous rendre à
+Fiezen, village situé à huit lieues.
+
+12.--Partis de Fiezen à trois heures du soir pour nous rendre à Singen,
+où nous sommes arrivés le treize à quatre heures du soir.
+
+14.--Partis de Singen à dix heures du matin pour Esplingen, village sur
+le lac de Constance.
+
+15.--Partis le 15 à quatre heures du matin pour nous rendre auprès de
+l'abbaye de Salmonswiler, située de même sur le lac, dans la Souabe.
+
+C'est là que nous avons aperçu l'arrière-garde d'une colonne ennemie. On
+a détaché des tirailleurs de droite et de gauche pour fouiller les
+environs de notre route; après avoir tiré plusieurs coups de fusil, ils
+ont continué leur retraite. C'est dans l'abbaye, ou pour mieux dire dans
+la plaine au-dessus, que nous avons commencé à camper. Je dirai que tous
+les villages dont j'ai parlé ci-devant et où nous avons logé, sont
+situés sur les frontières de la Suisse, en venant sur le lac de
+Constance.
+
+La colonne du général Férino[46] chassait les ennemis de diverses places
+situées sur le lac de Constance, à droite du côté de la Suisse et
+s'emparait de la ville de Brégenz où se trouvaient une trentaine de
+pièces de canon de divers calibres[47].
+
+Je remarquerai que nous avons passé au pied du fort de Randenburg, situé
+sur une montagne en pain de sucre, qui n'est commandé d'aucun côté, qui
+se rendit sans résistance; on y trouva un arsenal bien garni,
+quarante-trois bouches à feu en bronze, et quantité de munitions.
+
+Je dirai que nous étions sous le commandement du général Palliard. Notre
+colonne a pris à gauche du lac de Constance; nous sommes sortis du camp
+près l'abbaye de Salmonsweiler le 16, à huit heures du matin par une
+grande pluie qui avait commencé à trois heures du matin, pour aller à la
+poursuite de l'ennemi. Nous avons été camper près du village nommé
+Eriskirch, sur le bout du lac, dans un bois où notre artillerie a été
+obligée de tirer quelques coups de canon. Dans ses environs, il s'est
+trouvé plusieurs obstacles: des fossés, des petits marais et des bois;
+mais l'ennemi a été forcé de prendre sa retraite. Nous sommes partis du
+camp le 19 à quatre heures du matin pour aller à la poursuite des
+ennemis vers la ville de Lindau, faisant partie du cercle de Souabe.
+Arrivés dans cette position, comme nous avions suivi les côtes de la
+Suisse avec un bataillon de la 38e demi-brigade et un détachement de
+hussards du 8e, nous avons quitté cette colonne le 20 thermidor pour
+aller rejoindre nos deux autres bataillons de la 3e demi-brigade de
+ligne. Nous avons logé en y allant à Waldsee, ville où nous sommes
+arrivés à la nuit; nous avons été loger dans un couvent où nos
+prisonniers de guerre étaient détenus avant que nous passions le Rhin;
+mais ils avaient été évacués à notre approche.
+
+21.--Partis du Waldsee à quatre heures du matin, nous avons été
+bivouaquer à une lieue en avant de la ville, et à une lieue de Wartzack,
+où nous avons retrouvé les deux bataillons qui avaient passé le Rhin à
+Rhinau.
+
+22.--Partis de ce bivouac à quatre heures du matin pour aller à la
+poursuite de l'ennemi qui était la légion de Condé, nous avons campé ce
+même jour dans un bois faisant partie de la forêt Noire, près d'un
+village nommé Itett(?) qui fait partie du cercle de Souabe.
+
+23.--Partis du camp à trois heures du matin pour aller camper une lieue
+en avant. À notre approche, l'ennemi a pris sa retraite.
+
+25.--Sortis du camp à quatre heures du matin, nous avons passé à
+Memmingen, ville grande et belle, entourée de petits bastions et de
+grands jardins tous remplis de houblon; elle est au duc de Wurtemberg.
+Ce même jour, nous avons été camper en avant d'un village où les émigrés
+sont venus nous attaquer à cinq heures du matin, le 26, mais ils ont été
+repoussés avec vigueur et on leur a fait quelques prisonniers. J'ai
+remarqué dans cette contrée la grande mortalité des bêtes à cornes;
+c'était la peste qui était dans ce pays, car on ne pouvait en sauver
+aucune.
+
+Le même jour, vers les six heures du soir, nous avons fait un mouvement
+pour appuyer à gauche, pour donner du renfort à la troisième ligne qui
+avait été attaquée pendant la nuit par les chevaliers de la légion de
+Condé, où ces derniers ont perdu bien du monde car dans le mouvement que
+nous avons fait, nous en avons vu dans des places plus d'un cent, et
+beaucoup qui étaient répandus dans les bois, et beaucoup qui étaient
+enterrés que nous ne voyions pas. Ceux qui étaient hors de terre étaient
+des hommes qui avaient en partie des cheveux gris.
+
+Leur attaque a été singulièrement combinée, ils sont venus croyant
+surprendre nos gens; lorsqu'ils ont été à une portée de fusil d'eux, ils
+ont fait le demi-tour, et faisaient les feux de peloton en retraite, et
+leurs canons envoyaient des obus en l'air. Étant assez près de nos
+troupes pour être reconnus, aussitôt nos troupes ont fait un feu de file
+sur ces messieurs. Comme cette petite avant-garde ne se voyait pas assez
+forte, elle a battu en retraite pour un moment; mais aussitôt ils ont eu
+du renfort de la 74e qui était campée derrière eux, et ils les ont
+repoussés avec toute la chaleur républicaine. Comme je l'ai dit,
+plusieurs cents ont mordu la poussière. Cette bataille s'est donnée, la
+nuit du 25, dans le bois près le village d'Obergein. Nous y avons campé
+le 26 au soir, nous avons eu la pluie pendant deux jours.
+
+29.--Partis de ce camp à quatre heures du matin pour aller en avant,
+nous avons été camper sur la hauteur, près du village de Meltheim, près
+d'une petite rivière et derrière une grosse ferme où était logé le
+général.
+
+2 _fructidor_.--Sortis de ce camp à huit heures du soir pour aller à la
+poursuite des émigrés, nous avons pris la route à gauche de Meltheim et
+nous avons campé dans la plaine.
+
+4.--Partis à onze heures du matin, nous avons été camper près d'une
+abbaye, dans la Bavière.
+
+Partis le 5, à deux heures de l'après midi pour nous rendre au camp à
+trois lieues de la ville d'Augsbourg, ville capitale des cercles de
+Souabe. Nous ne suivions pas de route directe, c'était en partie tous
+chemins de traverse; il y a un peu de temps que nous n'avons vu notre
+ennemi. Nous sommes obligés de marcher à grandes journées, encore ne
+peut-on pas le rattraper. Nous sommes campés sur le bord d'une rivière
+et dans un bois dont je ne connais pas les noms, mais je mettrai un nom
+à ce camp, et la troupe qui a campé dans ce camp ne pourra pas me
+démentir; je le nomme _le camp de la fourmilière_, car vraiment il n'y
+avait pas une place où la terre n'en soit couverte, et tous les arbres
+en étaient garnis; on pourrait encore l'appeler _le camp de la
+pénitence_.
+
+7.--Sortis de ce camp à six heures du matin, sans regret, pour aller
+passer la rivière où nous avons trouvé l'armée autrichienne; sur l'autre
+rive, ils avaient coupé tous les ponts et nous attendaient sur la
+hauteur. Quoique les ponts fussent coupés, cela n'a point arrêté notre
+marche; nous l'avons franchie avec tout le courage possible. Comme elle
+était rapide et que quelques républicains ont voulu la traverser, il y
+en eut quelques-uns de noyés. La profondeur à l'endroit où nous passions
+était de trois pieds quelques pouces; nous avons mis un quart d'heure
+pour passer ces obstacles. C'était sur la droite d'Augsbourg, entre dix
+et onze heures du matin.
+
+Après ce défilé, et étant de l'autre côté, on s'est formé en colonne et
+on a marché sur l'ennemi qui s'est vu forcé d'abandonner ses fortes
+positions.
+
+Notre division a fait ce jour-là huit cents prisonniers et pris seize
+pièces de canon. Au moment où ils ont pris la fuite, on les a poursuivis
+à quatre lieues de la ville d'Augsbourg. Notre avant-garde a gardé sa
+position, et l'armée est revenue camper à deux lieues en avant
+d'Augsbourg, et à une lieue de Fridberg.
+
+Partis de ce camp à neuf heures du matin pour appuyer à droite et suivre
+la marche de l'ennemi, ce jour-là nous avons campé près d'un village,
+dans les environs d'un superbe château appartenant à un colonel de
+cavalerie autrichienne. Ce château est remarquable pour la troupe qui
+était campée dans les environs; on y a trouvé quantité de bière,
+d'eau-de-vie et toutes sortes d'effets; toute la maison était partie à
+l'approche de l'armée française, et on s'est emparé de tout ce qu'il y
+avait dans la dite maison.
+
+10.--Partis de ce camp à dix heures du matin pour aller camper à une
+demi-lieue. C'est dans ce camp qu'on nous a annoncé la trêve avec le duc
+de Bavière.
+
+13.--Partis à cinq heures du matin pour nous rendre au camp, près de
+Dachau.
+
+17.--Partis à six heures du matin pour aller camper dans la plaine de
+Munich. Je dirai qu'on avait laissé une certaine quantité de soldats
+avec un officier dans notre camp de Dachau, pour allumer des feux comme
+s'il y avait eu de la troupe. Ce camp était aperçu depuis les hauteurs
+en avant de Munich, c'était pour faire voir à l'ennemi que nous étions
+en forces.
+
+Nous étions campés dans la plaine de Munich près les parcs du duc de
+Bavière. Je peux dire que ces parcs étaient superbes et grands, entourés
+de planches très hautes et renfermant toutes sortes de bêtes sauvages et
+d'oiseaux. C'était si bien construit que c'était vraiment amusant; mais
+la guerre détruit tout; on a enlevé les planches pour se construire des
+abris dans le camp: de suite on s'est mis à donner la chasse aux bêtes,
+comme lapins, lièvres, chevreuils, biches, cerfs; les oiseaux ne s'en
+sont pas échappés; tout cela se prenait à la main, avec des bâtons.
+
+Je dirai que dans les environs, à droite et à gauche de la ville de
+Munich, le duc de Bavière a de superbes châteaux très vastes et bien
+construits; il a aussi de superbes parcs fermés de murs, où il a toutes
+sortes d'animaux que l'on puisse imaginer; il y a aussi de beaux jets
+d'eau et de superbes avenues, promenades, etc. Plusieurs qui les ont vus
+comme moi ont dit qu'il n'y avait que le château de Versailles qui
+pouvait le surpasser; tout cela était fait pour enchanter.
+
+19.--Sortis du camp à huit heures du matin pour appuyer à gauche de
+Munich, nous avons campé à trois lieues. C'est pendant que nous étions
+dans ce camp, que les émigrés ont passé l'Isar et sont venus prendre un
+parc de munitions qui était derrière Dachau. Nous y avions une ambulance
+où étaient nos blessés; ils en ont pris une partie, nos chirurgiens, nos
+bouchers et une compagnie de notre demi-brigade qui était pour garder le
+parc. Ceux qui ne voulaient pas se rendre, ils les hachaient; après
+qu'ils ont eu fait cette capture, ils sont retournés dans leurs
+positions qui étaient sur le Ridau, en avant de Munich, le long de
+l'Isar[48].
+
+21.--Sortis de ce camp à onze heures du matin pour nous rendre sous les
+murs de Munich, là où notre avant-garde s'était battue la nuit sur
+l'Isar. Alors, les émigrés voulaient passer devant Munich; mais ils
+n'ont rien gagné. Ce même jour, nous avons campé près le faubourg de
+cette ville. Les faubourgs y sont grands et il y a de belles maisons;
+les rues larges. La ville de Munich n'est pas extrêmement étendue, mais
+bien peuplée, les maisons fort hautes, les rues larges et bien
+éclairées; dans le milieu de la place, il y a un beau jet d'eau. Elle
+est fermée par des bastions environnés de fossés, mais elle n'est point
+dans le cas de soutenir un siège; c'est la capitale de la Bavière.
+
+Dans la bataille de la nuit du 20 au 21 que nos troupes ont eue avec les
+émigrés, on a brûlé des tanneries, qui étaient sur le bord de la
+rivière, et plusieurs gros magasins de bois. Lorsque les émigrés ont vu
+que ça ne pouvait servir à rien, ils ont cessé le feu. Je dirai qu'ils
+avaient une maison sur la route du pont, qui a été aussi brûlée.
+
+Le duc de Bavière avait dans la ville, pour garnison, dans ce temps,
+douze mille hommes, tant cavalerie qu'infanterie.
+
+Les soldats français pouvaient entrer dans la ville avec une permission
+par écrit du colonel. La rivière qui passe près de la ville de Munich
+porte le nom de l'Isar.
+
+La gauche de notre division avait déjà passé l'Isar à cinq ou six lieues
+de Munich, sur la droite; lorsqu'on apprit la retraite du général
+Jourdan qui commandait l'armée de Sambre-et-Meuse. Nos troupes ont été
+obligées de repasser la rivière et de se disposer à la retraite.
+
+26 _fructidor_.--À une heure du matin, nous avons commencé notre
+retraite, sans cependant y être forcés par l'ennemi de notre côté. Nous
+avons pris la route de Munich à Dachau, bourg situé à six lieues; nous
+sommes restés environ quatre heures sous ses murs pour nous reposer et
+attendre la gauche de notre division qui est arrivée une heure après. Je
+dirai que notre retraite a commencé par un temps de pluie. Nous nous
+sommes donc mis en marche, toute la division, et nous sommes venus
+camper à neuf lieues de Munich, dans la position du 7 fructidor.
+
+28.--Sortis de cette position à sept heures du matin pour exécuter
+plusieurs mouvements, sur la droite d'Augsbourg et de la rivière. À huit
+heures du soir du même jour, nous sommes revenus prendre une position à
+une lieue de Fridberg, en avant. Nous étions en ce moment
+d'arrière-garde, et même nous nous sommes vus bloqués de toute part; il
+fallait nous battre de tous les côtés et plus particulièrement derrière
+nous qu'en avant; nous aurions eu plus de facilité de retourner à Munich
+que du côté de la France. Et quels étaient ceux qui nous bloquaient?
+C'était une partie des paysans qui servaient à prendre nos parcs, les
+convois de malades et de pauvres blessés; ils prenaient ce qu'ils
+pouvaient avoir et de suite les mettaient à mort. Ils nous coupaient les
+routes dans lesquelles nous devions passer, par de grands fossés et des
+abattis d'arbres qu'ils croisaient dans la route, pendant que les
+Autrichiens et la légion de Condé nous faisaient user le reste de nos
+munitions afin d'avoir plus de facilité de nous prendre. Ils se
+croyaient les plus forts, mais ils s'étaient bien trompés, car si ce
+n'est qu'on a voulu en sortir avec tous les vivres et convois, composés
+de quantité de voitures chargées de toutes sortes, l'armée impériale ne
+nous aurait pas arrêtés un seul jour. Ils avaient de même envoyé des
+proclamations dans tous les pays que nous avions conquis, où ils
+disaient aux paysans que l'armée française était presque toute en leur
+pouvoir; qu'ils en avaient pris une grande partie entre Augsbourg et
+Munich; qu'il n'y avait plus que trois mille hommes qui s'étaient
+échappés, et qu'ils ne savaient pas où battre en retraite; voilà
+pourquoi les paysans s'étaient empressés de s'armer contre nous.
+
+Étant dans cette position, nous avons fait encore plusieurs mouvements,
+allant du côté de Munich, mais nous n'avons rencontré aucune troupe.
+
+2 _complémentaire_[49]. Nous avons été à quatre lieues, suivant la route
+de Munich, et nous avons campé près du village d'Andelheim.
+
+3.--Partis en retraite sur Fridberg; où nous avons passé la rivière
+nommée le Negel; le même jour les ponts étaient rétablis. Nous ne sommes
+pas passés dans la ville d'Augsbourg, nous en avons fait le tour; elle a
+des remparts très hauts.
+
+Le même jour, nous sommes venus camper à deux lieues de ce côté-ci, sur
+la route de Gunzbourg.
+
+4.--Sortis à deux heures du matin pour venir sur les hauteurs de
+Gunzbourg où nous avons campé dans les terres labourées.
+
+5.--Partis à huit heures du matin, nous avons passé dans la ville de
+Gunzbourg; nous avons été prendre une position à trois lieues de là,
+bordant le Danube.
+
+1er _vendémiaire_, an V.--Partis à huit heures du soir pour la ville
+d'Ulm, où nous sommes arrivés à deux heures du matin. Nous avons
+traversé la dite ville à six heures pour venir prendre une position tout
+près. C'est là que tous les parcs et convois se sont réunis; et l'armée
+est venue passer pour que chaque division prenne la marche indiquée par
+le général Moreau pour faire un débouché pour le passage des convois,
+partie de la troupe se battait en attendant que l'autre partie défilât
+avec les parcs[50].
+
+Notre position était à la droite de la ville, qui n'a que de petites
+fortifications et n'est pas capable de soutenir un siège. Nous sommes
+partis de notre position le 3, à onze heures et demie du soir, pour
+continuer notre retraite sur Fribourg en Brisgau. Nous avons campé à une
+demi-lieue d'Ulm; nous avons pris la traverse pour favoriser
+l'évacuation de nos parcs.
+
+4.--Nous sommes arrivés près d'un passage du Danube, à huit heures du
+soir, où l'ennemi voulait forcer notre ligne et nous couper notre
+retraite. Depuis le matin jusqu'à neuf heures du soir, la fusillade et
+le canon n'ont cessé de jouer, de sorte qu'ils n'ont pas pu passer. Nous
+avons campé ce jour-là dans un bois, à sept lieues d'Ulm. Étant dans
+cette position, nous avons fait plusieurs mouvements tant de jour que de
+nuit pour en imposer à nos ennemis.
+
+6.--Sortis de ce camp à une heure de l'après-midi, nous sommes venus
+camper auprès d'une grosse abbaye qui est à cinq lieues de Waldsee, en
+avant.
+
+7.--Partis à une heure du matin, nous sommes allés camper à deux lieues
+de Waldsee, sur la gauche.
+
+8.--Sortis de ce camp à une heure du matin pour nous rendre sur des
+hauteurs à gauche de Ahldorf; ce village est situé près des grands
+marais et vis-à-vis d'un parc. C'est dans ces environs que notre colonne
+s'est réunie, de manière que lorsque la colonne se mettait en marche,
+elle était divisée sur plusieurs points, pour deux ou trois jours; et
+après il y avait un point de ralliement. Je dirai que dans ce village de
+Ahldorf le feu a pris à une grosse maison pendant la nuit.
+
+9.--Partis à dix heures du matin. La troupe, qui marchait avant nous, a
+fait rencontre de l'ennemi, ce qui a un peu ralenti notre marche. À la
+première attaque, il a fait beaucoup de résistance, mais après quelques
+heures de combat il a été obligé de se reployer, mais sans abandonner la
+route sur laquelle nos convois devaient passer. Notre avant-garde s'est
+avancée et leur a fait abandonner leurs positions. Nous avons campé ce
+jour-là près le village de Berg, hauteur assez considérable, du côté
+opposé à l'ennemi, qui était sur la route immédiatement près l'abbaye de
+Vincastel, dans la Souabe.
+
+Durant le temps que nous avons occupé cette position près le village de
+Berg, nous avons fait plusieurs mouvements de droite et de gauche pour
+nous éclairer sur la marche de nos ennemis.
+
+Le général Moreau, qui voyait que ces mouvements de la part de l'ennemi
+rendaient sa retraite dangereuse, les fit attaquer le 1er octobre sur
+toute la ligne près de Biberach, et lui enleva vingt canons, des
+drapeaux et environ cinq-mille prisonniers, parmi lesquels soixante-cinq
+officiers; à cette affaire, c'était le général Latour qui commandait les
+Autrichiens.
+
+14.--Partis de Berg à huit heures du matin, nous sommes venus camper à
+six lieues en avant de Stockach.
+
+15.--À quatre heures du matin, nous sommes venus camper sur les
+hauteurs, à deux lieues de Stockach. Il faut remarquer que nous ne
+pouvions faire beaucoup de chemin parce qu'il fallait que notre
+avant-garde fît une ouverture parmi l'ennemi, et débarrassât les routes
+pour faire passer nos convois.
+
+16.--Partis à cinq heures du matin pour camper sur les hauteurs, à un
+quart de lieue de Stockach, du côté de la route de Fribourg. Je dirai
+que c'est dans ces environs que nous avons eu plusieurs convois de
+malades ou de blessés égorgés.
+
+Ces pauvres malheureux étaient couverts de blessures et sans défense.
+Les infâmes se vengeaient sur eux des fléaux de la guerre qui avait
+dévastée leur contrée. Mais qu'ont-ils gagné, ces esprits faibles qui se
+sont laissé séduire par les écrits que leurs seigneurs et leurs émigrés
+leur avaient envoyés en leur disant que s'ils pouvaient nous arrêter, la
+guerre serait bientôt finie et qu'ils seraient affranchis pendant deux
+ans de tout impôt? Ils étaient tellement pénétrés qu'il n'y avait plus
+qu'à serrer la main pour nous prendre, qu'ils quittaient tous leurs
+chaumières et se mettaient de tous les côtés sur la route, les chemins.
+Tout était bien gardé. Les femmes, les filles, les enfants, enfin tous
+s'y mettaient, et l'armée autrichienne les secondait dans leurs mauvais
+desseins.
+
+Ils sont venus un jour pour prendre notre magasin de poudre qui était
+près de cette ville avec plusieurs pièces d'artillerie de réserve, et
+aussi celles que l'on avait prises à l'ennemi et que l'on n'avait pas eu
+le temps d'évacuer; mais ils ont été bien reçus. Il s'est trouvé
+quelques-unes de nos troupes dans les environs, ils ont été repoussés et
+se sont retirés dans les bois des environs. Dans les villages d'où ces
+misérables étaient partis pour nous couper notre route, on a brûlé
+quelques unes de leurs maisons et on a pillé les autres.
+
+Nous sommes sortis du camp de Stockach après que tout a été sur des
+voitures, et qu'il ne restait plus rien dans le magasin. C'était le 17,
+à onze heures du matin, que nous avons suivi la route de Fribourg, et
+que nous sommes venus camper à deux lieues et demie de ce côté-ci de
+Stockach, près d'un village où tous les habitants étaient partis dans
+les bois pour nous couper notre retraite. Dans cet endroit, nous avons
+eu des blessés égorgés; pendant la nuit quelqu'un a mis le feu à une
+maison. Étant dans cette position, nous avons passé en avant du village
+et nous avons attendu notre arrière-garde.
+
+18.--À une heure de l'après-midi, nous avons campé sur les hauteurs en
+avant de Lemmingen où on nous faisait espérer des vivres; on a trouvé
+dans cette ville un seul homme et point de vivres. Je dirai qu'on a
+brûlé environ vingt-quatre maisons; la pluie nous avait pris près de la
+ville de Hoch, et la nuit que nous avons été camper sur les hauteurs de
+la ville de Lemmingen a été abominable; la pluie emmenait toute la terre
+de notre camp dans la colline.
+
+19.--Partis à une heure du matin, nous avons défilé au milieu des
+maisons tout en feu, et nous sommes venus camper sur une montagne très
+haute.
+
+20.--Descendus de cette montagne, pour aller camper dans la plaine près
+le Danube où l'ennemi nous est venu attaquer vers les huit heures du
+matin. Le 21, après plusieurs heures de combat, nous les avons
+repoussés; après, nous avons continué notre retraite. Le combat à notre
+droite a été plus engagé que le nôtre, mais ils n'ont pas pu percer
+notre ligne qui était près la route où nos parcs et convois défilaient.
+Nous avons continué notre retraite, mais je dirai que, l'ennemi nous
+suivant de près, nous avons été obligés, par plusieurs reprises, de
+marcher en colonne et de nous mettre en bataille lorsqu'il se trouvait
+des obstacles où l'on ne pouvait pas tous marcher ensemble; les uns
+battaient en retraite et les autres observaient.
+
+Ce jour-là, nous sommes venus camper près d'une petite ville, à trois
+lieues de Neustadt; là nous sommes arrivés la nuit par une pluie
+continuelle et des chemins presque impraticables.
+
+22.--Partis de cette position à trois heures du matin, pour venir camper
+du côté de Neustadt, le long du revers de la montagne, dans une gorge de
+la forêt Noire, sur la route de Fribourg.
+
+23.--Sortis à midi, nous sommes venus camper sur le revers d'une
+colline, à gauche de la route de Fribourg.
+
+26.--Partis à dix heures du matin pour venir camper dans la gorge de
+Fribourg. À une demi-lieue, sur la route, il y avait de grands hangars
+qui servaient de magasins pour l'armée impériale, et comme ils étaient
+vides, nous nous en sommes servis pour nous mettre à couvert. Notre
+arrière-garde s'est bien battue dans cette gorge, aux environs de
+Neustadt.
+
+28.--Partis à midi, nous sommes passés près des faubourgs de Fribourg;
+de suite nous avons été camper dans une gorge tenant à gauche de la
+route de Brisach. Notre position était près d'un couvent de religieuses,
+qui était dans le fond de la gorge.
+
+30.--Sortis le 30, à deux heures du matin, nous avons pris la route de
+Huningue. Vers huit heures du matin, notre arrière-garde a été attaquée
+par l'ennemi, près du faubourg de Fribourg. Au petit point du jour, on
+nous a mis en bataille derrière un village situé près la route de
+Huningue et au pied de la montagne de Fribourg. L'attaque du matin a
+duré toute la journée; en nous retirant, nous avons campé ce jour là
+dans la broussaille, le long de la montagne, à quatre lieues de la ville
+de Fribourg, sur la gauche de la route de Brisach.
+
+1er _brumaire_.--Nous avons pris la traverse dans les montagnes du
+marquisat du Brisgau, pays de Bade, tenant à la forêt Noire. Nous sommes
+venus camper sur les hauteurs d'une montagne à quatre lieues d'Huningue.
+
+2.--Nous avons fait un mouvement à huit heures du matin. Nous sommes
+venus camper dans le fond du vallon, à une demi-lieue du village. Nous
+étions divisés sur plusieurs points pour observer les manoeuvres de
+l'ennemi (mais en cas d'attaque, on se réunissait sur un point).
+
+8.--À cinq heures du matin, l'ennemi est venu nous attaquer sur
+différents points; en premier lieu nous avons repoussé l'ennemi; il nous
+a repoussé un instant après dans notre position où ils nous ont fait
+quelques prisonniers. On a soutenu longtemps dans le même endroit, mais
+comme ils avaient beaucoup d'artillerie dans une belle position sur la
+hauteur, qui leur donnait beaucoup d'avantages sur la nôtre, à peine
+pouvait-on trouver un emplacement pour se mettre. La pluie continuelle
+rendait le terrain très mouvant, et comme il y avait différentes
+collines à garder, dans des bois où l'on n'y voyait pas la moindre
+clarté, l'ennemi ne cherchant qu'à nous couper notre retraite sur
+Huningue (car sur la route de Brisach, le canon s'est fait entendre,
+comme sur notre colline, et je crois même encore plus fort), je dirai
+que le feu a été très soutenu de part et d'autre toute la journée; nous
+avons perdu quelques hommes, mais la plupart étaient des blessés. Nous
+avons exécuté plusieurs marches sur la droite et sur la gauche de la
+colline; une grande partie des bataillons étaient en tirailleurs,
+lorsque le soir est venu.
+
+On a cédé le village devant lequel nous étions. Je crois, si ce jour-là
+n'avait pas eu de nuit, que le feu n'aurait pas cessé. C'est l'obscurité
+qui a fait la fin de notre journée. La pluie a commencé avec l'attaque
+et a duré vingt-quatre heures; vers la fin, à peine la poudre
+voulait-elle prendre. On croirait peut-être comme on s'est battu toute
+la journée, que l'ennemi nous a poussés bien loin; eh bien, dans toute
+la journée nous avons reculé d'une demi-lieue; voilà tout le progrès de
+l'ennemi. Pour la perte des hommes, je crois qu'elle a été égale.
+
+À sept heures du soir, nous avons pris notre retraite. La route sur
+laquelle nous devions passer traversait le village que l'ennemi
+occupait, et, pour la rejoindre, il y avait plusieurs obstacles, mais
+tout de même il a fallu les franchir.
+
+3 _brumaire_.--À sept heures du soir, nous nous sommes mis en marche
+pour rejoindre la route: nous avons traversé un bois; de là, nous sommes
+descendus dans le fond d'une colline très profonde où nous avons trouvé
+une rivière qui avait environ quinze pieds de large et trois pieds de
+profondeur; cela n'a pas longtemps retardé notre marche (nous étions
+déjà percés de la pluie de la journée), nous avons franchi cet obstacle.
+Il se trouvait encore un petit ruisseau au pied d'une assez forte
+éminence qui était garnie de ronces et d'épines; il fallait y monter à
+quatre pattes; et bien des fois, étant presque en haut on retombait en
+bas. En haut on trouvait la route, mais une patrouille de sept cavaliers
+ennemis venait à notre rencontre. Aussitôt notre adjudant major, nommé
+Scherer, crie au premier: _Qui vive!_--Il répond dans sa langue:
+_Verda!_--Ledit adjudant lui dit: _Prisonnier!_--_Nix
+prisonnier._--_Rends-toi, coquin!_ lui dit-il.--_Nix coquin!_ Aussitôt
+il pique des deux et va rejoindre ses camarades qui étaient encore plus
+avant dans la route. Aussitôt, ils sont revenus au grand galop et ont
+passé parmi nous, sans recevoir un coup de fusil, car les armes étaient
+si mouillées de toute la journée et du passage de la rivière, qu'elles
+ne pouvaient plus faire feu, et puis on n'y voyait pas clair. Dans la
+boue à mi-jambes, nous avons continué notre retraite, environ à deux
+lieues d'Huningue. Tout mouillés que nous étions et sans vivres, nous
+avons campé dans des sapins tout près de la route.
+
+4.--De cette position, à quatre heures du matin, nous sommes venus sur
+les hauteurs près de Lorrach pour camper. L'ennemi était sur nos traces
+et voulait passer avant nous le Rhin, mais comme le pont nous
+appartenait, nous avons voulu y passer avant eux.
+
+5.--Partis à minuit pour nous rendre près le pont d'Huningue vers cinq
+heures et demie du matin. Lorsque est venu notre tour, à huit heures du
+matin, nous avons passé le pont qui était construit de trente-sept
+grosses barques.--Je dirai que nous étions de la division du général
+Férino pendant la campagne de l'autre rive du Rhin. Pendant notre
+retraite, nous avons eu vingt jours de pluies continuelles.
+
+Lorsque nous avons eu repassé le Rhin, nous avons été nous reposer près
+le village de Bourgfeld, sur la route de Bâle et d'Huningue, pendant
+cinq heures. Le soir, nous avons été loger au Village-Neuf, sur le Rhin,
+à une demi-lieue à gauche d'Huningue. Pendant que nous étions sur
+l'autre rive du Rhin, on avait découvert les anciennes fondations d'un
+fort qui était sur le bord du Rhin et près le territoire de Bâle, on
+avait relevé l'ouvrage à cornes et le fort où on avait mis de fortes
+pièces pour défendre la tête du pont. Cet ouvrage était enclos d'un bon
+fossé plein d'eau; on avait aussi commandé une forte redoute en avant
+d'Huningue, pour défendre l'approche du fort nouvellement
+construit.--Ces ouvrages ont retenu la colonne autrichienne pendant tout
+l'hiver[51].
+
+Comme nous voilà rentrés en France, et que l'ennemi ne nous poursuit
+plus, je vais faire un petit détail sur le costume des deux sexes du
+Brisgau et de la Forêt-Noire.
+
+La situation des habitants de la frontière est très simple, et ils
+vivent contents dans leurs petites chaumières; le bois ne manque pas,
+mais, pour la terre, elle n'y est pas bien commune: ils en ont quelque
+peu sur le sommet de quelques hautes montagnes, où ils sèment du seigle
+avec un peu de blé; dans la vallée, ils plantent des pommes de terre. Le
+pâturage y est assez frais, aussi ils ont presque tous des vaches. Les
+maisons ne sont pas bien épaisses et construites en bois; lorsqu'un père
+de famille marie ses enfants, il leur construit des petites maisons aux
+environs de la sienne; mais ils font cela quand la famille ne peut plus
+tenir dans la maison paternelle.
+
+C'est un vrai désert, aussi le monde qui l'habite est aussi brute que
+sont leurs habitations; la plupart n'ont aucune éducation; comme la
+nature les a créés, ils restent. Les hommes sont habillés grossièrement,
+ils portent sur la tête un petit chapeau de paille, des cheveux courts
+et tout hérissés; leurs chemises de toile très forte sans cols, car on
+ne leur voit jamais rien autour du cou. Leur culotte, très large avec
+des plis tout autour qui leur font des genoux gros comme la tête, est
+froncée comme une bourse. Ils ne portent rien aux jambes, et aux pieds
+ils ont des souliers aussi durs que du bois; les semelles ont deux
+doigts d'épais, et bordées de gros clous tout autour. Ils ont des gilets
+qui leur tombent au milieu des cuisses; des habits moins courts qui se
+boutonnent tout le long; et les poches battent au bas du ventre. Cet
+habillement est tout en toile, la plupart du temps tout noir; aussi ils
+ressemblent à des charbonniers. Les femmes et les filles ont pour
+coiffure un petit chapeau de paille à quatre cornes, comme une espèce de
+_carquelin_[52]. Elles portent leurs cheveux en deux tresses tirées très
+près de la tête, qui est grosse comme celle d'un veau de deux mois; une
+encolure de même; leur gorge est parée par une grosse chemise, brodée
+d'une grosse dentelle, avec un corset rouge où sont enfermés des appas
+très gros, qu'elles fagottent comme un fagot. Les jupes qu'elles portent
+sont de différentes couleurs: elles en mettent trois, la plus grande ne
+passe pas les genoux, la deuxième un peu plus haut, la troisième va au
+bas du nombril; elles sont brodées chacune d'une tresse large de
+différentes couleurs. Le plus souvent elles vont toutes déchaussées;
+elles ont des souliers hauts avec de forts clous. Leur nourriture est le
+lait, le lard et la choucroute. Nous avons logé dans leurs maisons en
+allant sur le lac de Constance; ils avaient toujours les yeux sur nous,
+parce que nous étions costumés différemment qu'eux.
+
+Dans le Brisgau, le peuple n'est pas si grossier, ni le costume non
+plus; la terre y est plus fertile et il y a encore du beau seigle, mais
+la mode du costume n'est guère différente.
+
+6 _brumaire_.--Sortis du Village-Neuf, à midi, pour venir cantonner au
+Grand-Kembs, village situé à une demi-portée de fusil du Rhin, à trois
+lieues à gauche d'Huningue, sur la route. Pendant notre retraite, nous
+avons eu vingt jours de pluie continuelle.
+
+14.--Sortis du Grand-Kembs pour appuyer à gauche à huit heures du matin,
+nous avons logé à Sausheim, le 15, à Blodelsheim; le 21, avec quatre
+compagnies, cantonné à Fessenheim. Ces villages sont entre Huningue et
+Brisach, sur la route suivant le Rhin.
+
+25.--Partis de Fessenheim pour venir cantonner à Biesheim, tout le
+bataillon. Ce village est à une demi-lieue de Brisach, à gauche.
+
+7 _frimaire_.--Partis de Biesheim, à onze heures du matin, pour
+Witternheim, à sept lieues de Strasbourg et à deux lieues du Rhin.
+
+11.--Sortis de Witternheim, nous sommes venus loger à Nordhausen, à
+quatre lieues de Strasbourg.
+
+12.--Sortis à deux heures du soir pour nous rendre au fort de Kehl. Là,
+nous avons relevé la 31e demi-brigade qui était campée à gauche du fort,
+dans une île du Rhin. La 31e nous a relevés au bout de trois jours: de
+sorte que tous les trois jours, nous nous relevions, jusqu'à l'époque du
+30 frimaire, où nous avons commencé à nous relever tous les quatre jours
+parce que le froid n'était plus si dur. Mais aussi, plus on se relevait
+souvent, plus on perdait de monde, car l'ennemi tirait sans cesse, nuit
+et jour; cela semblait un orage.
+
+Lorsqu'on était relevé, on allait passer autant de jours dans le village
+de Bischheim; il y avait deux lieues de chemin pour passer sur le pont
+et gagner notre camp qui était à deux lieues de Strasbourg, à gauche.
+
+9 _nivôse_.--Le général a fait assembler les officiers de notre
+bataillon qui était le premier, et les a conduits sur la droite de Kehl
+pour leur faire voir le retranchement de l'ennemi que nous devions
+enlever pendant la nuit. Les dits officiers ont pris les mesures
+nécessaires pour conduire leurs compagnies sur le terrain, et
+s'acquitter de cette besogne. Tous les obstacles étaient prévus; ils ont
+prévenu leurs compagnies de ce qu'elles avaient à faire pendant la nuit.
+On a fait la distribution de nouvelles cartouches et pierres à feu; et
+de suite une ration d'eau-de-vie par chaque homme, à minuit. Dans ce
+moment, on a assemblé les compagnies dans le plus grand silence, et le
+bataillon s'est mis en route sur-le-champ pour aller sur le terrain qui
+était à une demi-lieue de notre camp, à la droite du fort, où nous
+sommes arrivés à deux heures du matin. Étant vis-à-vis le retranchement
+que nous devions prendre, on nous a formés en bataille à une portée de
+pistolet, on nous a fait porter à droite et, dans le même moment, on a
+fait front et on s'est porté sur le retranchement de l'ennemi en
+exécutant un feu de peloton; on le leur a pris sans beaucoup de
+résistance de leur part, et on leur a fait quelques prisonniers. Pour le
+nombre des blessés et des morts, on ne l'a su que par des déserteurs qui
+ont rapporté qu'ils avaient eu dans cette affaire environ 400 hommes
+hors de combat.
+
+Nous nous sommes retirés sans y être forcés; nous sommes venus derrière
+nos retranchements: nous avons laissé les lieux tels que nous les avions
+trouvés. Notre bataillon a perdu dans cette affaire quarante-huit hommes
+tant tués que blessés. Ceci a eu lieu le 10, à trois heures du matin et
+nous sommes rentrés dans notre camp à six heures et demie du matin. Nos
+deux autres bataillons ont fait la même chose les jours suivants, mais
+avec moins de pertes.
+
+Nous avons continué le service de cette place jusqu'au 20 nivôse, où
+nous avons été relevés à quatre heures du matin. Car depuis que les
+Autrichiens nous avaient pris un camp retranché qui était à la droite du
+fort, leur mitraille mettait en pièces tout ce qu'ils voyaient sur le
+pont dès la pointe du jour. Ils ont fait un feu avec leurs canons que la
+terre en tremblait. Entre sept et huit heures du matin, il y avait
+quatre barques de brisées à notre pont. Dans ce moment, il est venu un
+parlementaire au général qui commandait le fort et le sommait d'évacuer.
+Les généraux se sont assemblés, et se voyant dans l'impossibilité de
+conserver ledit Kehl plus longtemps sans y perdre bien du monde, à cause
+des canons de notre ennemi, sont convenus qu'on allait évacuer le fort.
+Cela s'est fait dans les vingt-quatre heures, du 20 au 21 nivôse; et les
+troupes de l'empereur en ont pris possession suivant les arrangements
+convenus entre les deux puissances. En sortant de Kehl, nous sommes
+venus loger dans nos campements ordinaires qui étaient à Bischheim.
+
+Je dirai que ce siège nous a donné bien de la peine. La rigueur de
+l'hiver semblait seconder nos maux; la neige, la pluie glacée venaient
+s'appesantir sur notre léger habillement, et c'était là le temps qu'il a
+fait pendant ce siège. Nous devrions être bien habitués au froid; nous
+étions campés sur le sable et nous ne pouvions pas avoir de bois pour
+faire notre soupe; nous arrachions quelques petites racines du sol qui
+nous faisaient plutôt de la fumée que du feu; vraiment c'était misère et
+compassion[53]. Nos prêts étaient arriérés de plusieurs mois et nous ne
+recevions pas un sou.
+
+C'est pendant cette quarantaine que le vrai républicain s'est distingué,
+en y tenant son rang avec bravoure, malgré le temps rigoureux de la
+saison d'hiver et la misère qui nous poignardait de tous côtés. Oui,
+beaucoup de citoyens le diront comme moi, sans se compromettre, que
+c'est dans ce poste d'honneur que l'on a pu connaître les vrais soldats,
+et l'amour qu'ils avaient pour le maintien de leur pays. L'endroit était
+périlleux. Un peu de pain glacé était là toute notre nourriture, cet
+endroit ne permettait pas d'y trouver du bois pour pouvoir un peu
+réchauffer nos pauvres membres tous navrés de froid au bivouac.
+
+Pour nous, pauvres héros, les habillements et les chaussures manquaient
+depuis très longtemps, sans pouvoir en avoir; et la plupart de nous
+n'ayant pas d'argent pour s'aider d'aucune manière; car il y avait trois
+mois qu'on n'avait touché de solde.
+
+Après avoir fait mention de nos généreux guerriers, je parlerai de ceux
+qui ont, dans ce moment, abandonné si lâchement leurs drapeaux pour
+retourner dans leurs foyers. Ils ont profité du moment où leur patrie
+avait le plus besoin de leurs services pour exécuter leurs projets. Ce
+ne sont pas les plus misérables soldats qui ont agi de la sorte; c'est
+ceux qui avaient tenu une conduite de brigands de l'autre côté du Rhin,
+qui avaient pillé et assassiné des hommes paisibles dans leurs foyers.
+Ils avaient de l'argent dans les mains, c'est pourquoi ils ont fui
+devant l'ennemi. Mais ces lâches ont été bien peu regrettés, on a
+regardé cela comme du venin qui sortait du corps d'un homme qui était
+empoisonné, et ils se sont rendus indignes du nom français, et de
+l'estime de leurs camarades. Je sais qu'il n'y a pas beaucoup de
+citoyens soldats qui ne désirent retourner au centre de leurs familles,
+mais enfin ce sera-t-il en quittant nos drapeaux et en nous sauvant
+comme des brebis égarées, que nous soumettrons à la paix des hommes
+orgueilleux.
+
+Ils savent bien qu'elle leur serait utile, cette paix, mais la
+demanderont-ils en voyant la désunion dans nos troupes? Non! Je crois
+qu'il n'y a que l'union et la fermeté dans nos entreprises qui les
+forcera à nous demander la paix.
+
+C'est dans le courant du mois de frimaire, an V de la République, que
+les désertions pour l'intérieur de la France étaient fréquentes dans
+l'armée de Rhin-et-Moselle.
+
+Kehl était une belle petite ville, très commerçante; pendant le siège
+elle a été rasée de fond en comble; des bourgeois y étant venus, ne
+reconnaissaient pas l'emplacement de leurs maisons.
+
+Nous avons entretenu l'armée autrichienne pendant une partie de l'hiver,
+où elle a épuisé une partie de ses forces. Ce siège a été soutenu par
+notre armée pour favoriser la prise de Mantoue qui était bloquée par
+l'armée d'Italie, il y avait déjà longtemps, et le prince Charles n'a pu
+lui porter du secours.
+
+24 _nivôse_.--Nous sommes partis de nos cantonnements des environs de
+Strasbourg à sept heures du matin; nous avons été loger au village
+d'Obenheim, situé à cinq lieues de Strasbourg.
+
+25.--Sortis à quatre heures du matin pour loger au village de Bootzheim,
+à quatre lieues de Brisach.
+
+29.--Partis à onze heures du matin pour aller prendre notre rang de
+bataille à Artolsheim, village à quatre lieues de Brisach, à gauche sur
+la route. Étant dans ces cantonnements, nous bordions le Rhin.
+
+25 _pluviôse_.--Partis pour aller à Sundhausen, village à une lieue du
+Rhin, sans y faire de service.
+
+5 _ventôse_.--Sortis pour aller au village de Westhausen. C'était un
+commissaire du pouvoir exécutif du canton qui nous y avait fait aller,
+soi-disant qu'il ne voulait pas payer ses contributions. Ce village est
+situé à une demi-lieue de Benfeld, à gauche, près la route de
+Strasbourg.
+
+6.--Partis à huit heures pour retourner dans notre cantonnement, à
+Sundhausen.
+
+10.--Partis à cinq heures du matin pour cantonner au village
+d'Artzenheim, à une lieue de Markolsheim sur le Rhin.
+
+17.--Partis, nous avons été loger à Biesheim, village à une demi-lieue
+de Brisach, où tout le bataillon était réuni. Nous sommes partis le 19
+pour nous rendre à Wihr, village situé à trois quarts de lieues de
+Colmar.
+
+22.--Sortis de Wihr pour loger à Colmar. Pendant notre séjour dans cette
+ville nous avons passé la revue du général Schauenbourg, qui était pour
+le moment inspecteur général de toute l'infanterie de Rhin-et-Moselle.
+Nous avons été cinq jours pour la passer. Le 23, au soir, chaque
+capitaine a été placé par son ancienneté de grade dans chaque bataillon;
+de sorte que la compagnie de Mondragon, qui était la cinquième du 1er
+bataillon, est devenue la troisième du 2e; les autres jours se sont
+passés à faire les grandes manoeuvres, avec la 56e demi-brigade.
+
+27.--Partis pour aller cantonner à Wettolsheim, derrière Colmar, au pied
+des montagnes. Étant dans ce village, nous avons été faire deux fois les
+grande manoeuvres avec la 56e demi-brigade, dans les prés près de Colmar.
+Le 3 germinal, nous avons fait l'exercice à feu, les deux demi-brigades
+ensemble; chaque soldat avait quinze coups à tirer. Après ces grandes
+manoeuvres on est rentré dans ses cantonnements.
+
+5 _germinal_.--Logé à Reguisheim, village situé à trois quarts de lieue
+de Ensisheim, à gauche.
+
+6.--Cantonné à Blodelsheim pour faire le service sur le Rhin; ce village
+est à trois lieues de Brisach.
+
+27 _germinal_.--Partis de Blodelsheim le 27 germinal pour passer le
+Rhin. Les postes sur le bord du Rhin de tous nos cantonnements n'ont pas
+été relevés: on les a laissé tels qu'ils étaient, et on a pris la route
+en arrière du Rhin. Nous avons été loger le même jour à Sainte-Croix, à
+cinq lieues du Rhin; le 28 à Merckviller; le 29 à Châtenois, bourg dans
+la montagne, près de Schelestadt; le 30 à Nordhausen.
+
+1er _floréal_.--Nous sommes arrivés à Kilstett: endroit désigné pour le
+rassemblement de l'armée de Rhin-et-Moselle. Nous avons campé en
+arrivant dans une île près le Rhin, sur la droite du village. La nuit du
+1er au 2, à quatre heures du matin, nous avons reçu les ordres de passer
+le Rhin. Dès le 1er floréal, on avait inquiété l'ennemi dans différents
+endroits sur le Rhin, afin qu'il ne se doute pas dans quel endroit on
+devait passer, ce qui a rendu notre passage plus aisé à exécuter, et
+avec moins de pertes. Nous avons donc, malgré la grande résistance d'une
+colonne autrichienne, passé le Rhin à quatre heures du matin, le 2
+floréal.
+
+Étant parvenus sur l'autre rive, et l'ennemi s'étant retiré dans
+plusieurs îles du Rhin, favorisé par des bois très épais, on a disputé
+pendant deux jours avec une intrépidité incroyable. Mais, après un si
+long combat, l'ennemi a été forcé d'abandonner ses positions, après
+avoir éprouvé des pertes considérables, tant blessés que tués ou
+prisonniers; ils ont été en déroute complète.
+
+Nous avons aussi éprouvé quelques pertes à ce passage; entre autres deux
+généraux de blessés[54]. Mais les soldats républicains qui n'ont point
+succombé sous les coups de l'ennemi, ont su se venger du malheur arrivé
+à leurs frères d'armes; on leur a fait voir que si on était moins en
+nombre, on n'était pas moins en courage.
+
+3 _floréal_.--Ils ont abandonné le Rhin à cinq lieues, en nous laissant
+une partie de leur artillerie et bagages; et sans les bois qui
+favorisaient leur retraite, toute la colonne serait tombée en notre
+pouvoir.
+
+Ce passage a été exécuté en plein jour et de vive force, l'ennemi étant
+rangé en bataille sur l'autre rive. On lui a enlevé 20 pièces de canon,
+plusieurs drapeaux et fait de trois à quatre mille prisonniers, parmi
+lesquels deux généraux[55].
+
+Le fort de Kehl, devant lequel le prince Charles avait épuisé ses
+forces, a été repris par les Français après une résistance de quelques
+heures de la part de l'ennemi[56].
+
+Pendant que le vainqueur de l'Italie stipulait les articles
+préliminaires de la paix, les armées des généraux Hoche et Moreau
+chassaient l'ennemi partout où il osait lui disputer le terrain.
+
+4 _floréal_.--À quatre heures du soir, nous avons été devant la ville
+d'Offenbourg, où nous sommes arrivés à onze heures du soir.
+
+À huit heures du matin, le général Bonenfant a reçu une lettre du
+général de division, qui était pour annoncer à ses frères d'armes qu'une
+armistice était conclue avec l'armée autrichienne, et que dès ce jour
+les hostilités devaient cesser entre les deux armées; mais qu'on
+garderait toujours ses postes tels qu'ils étaient établis, jusqu'à ce
+que la paix fut conclue.
+
+Ce jour-là, on a reçu l'ordre de cantonner les troupes, et vers les cinq
+heures du soir, nous sommes sortis du camp devant Offenbourg, pour aller
+cantonner dans les villages aux environs, à droite. Notre deuxième
+bataillon était au village de Weier, à une lieue.
+
+6.--Sortis à cinq heures du matin pour camper en avant, à Offenbourg.
+
+7.--Partis à neuf heures du matin pour cantonner dans les hameaux de la
+Forêt-Noire, à deux lieues à gauche d'Offenbourg.
+
+9.--Partis à cinq du matin pour venir au village de Odelshofend, à une
+lieue en avant de Kehl. Tout le temps que nous avons été dans ce
+village, on allait démolir les retranchements que les Autrichiens
+avaient construits pour le siège du fort de Kehl; ces travaux étaient
+immenses; ajoutés l'un au bout de l'autre, il y en aurait eu quinze
+lieues de long. Nous avons cédé la place à une autre demi-brigade,
+chacun y faisant son tour.
+
+20.--Logé à Ortenberg, à une lieue en avant d'Offenbourg.
+
+23.--Cantonné à Ottenheim, à un quart de lieue du Rhin et à deux lieues
+de la petite ville de Lahr appartenant au Margraviat. Cette principauté
+était neutre depuis l'an IV ou 1796.
+
+1er _prairial_.--Partis à quatre heures du matin pour nous rendre
+vis-à-vis Rhinau pour y passer le Rhin sur un pont volant qui était
+rétabli. C'est là que la demi-brigade s'est réunie, et en même temps a
+passé le Rhin; elle a été loger à Herbsheim près le bourg de Benfeld, à
+quatre heures de Strasbourg.
+
+2.--Cantonné au village de Roderen, à deux lieues de Schlestadt, au pied
+des montagnes.
+
+3 _messidor_.--Sortis pour aller en garnison à Neuf-Brisach et cantonner
+sur les bords du Rhin; en y allant nous avons logé à Wihr, village à une
+lieue de Colmar.
+
+4.--Partis à sept heures du matin, nous sommes venus loger à Biesheim,
+grand village à une demi-lieue de Brisach. Nous sommes entrés cinq
+compagnies du deuxième bataillon et cinq du premier en garnison à
+Brisach.
+
+Le 5 messidor, à dix heures du matin, la fourniture de notre casernement
+n'était pas bien brillante: c'était de la paille sur le pavé et quelques
+couvertes.
+
+5 _thermidor_.--Étant dans cette ville, nous avons célébré la fête de
+l'anniversaire de la révolution. La fête a commencé à six heures du
+matin. On a battu _la générale_ dans toute la ville; à six heures et
+demie _l'assemblée_; ensuite le _rappel_. Il a été envoyé un détachement
+de canonniers aux pièces, près la porte de Strasbourg. Toute la garnison
+a pris les armes, ainsi que la garde nationale, et tous se sont rendus
+sur la place pour former le carré, en face de l'autel de la patrie,
+qu'on avait construit la veille du côté de la porte de Bâle. Le cortège
+est arrivé sur la place à sept heures: la marche était ouverte par un
+peloton de cavalerie de la garde nationale; ensuite, les tambours et la
+musique. Après, une compagnie de grenadiers de la garde nationale avec
+la nôtre; après, c'était notre colonel, le commandant de la place, la
+municipalité de Brisach et des villages voisins, décorés de leurs
+écharpes. Pour fermer la marche, c'était un peloton d'infanterie et un
+de cavalerie de la garde nationale. C'est au moment de leur entrée sur
+la place qu'on a tiré plusieurs coups de canon de siège. Une partie de
+nos officiers, les municipalités et plusieurs bourgeois de la ville sont
+montés sur l'autel de la patrie; y étant assemblés, un des membres y a
+fait un discours, qui rappelait entièrement la manière que la Révolution
+française avait eu lieu, et comment les prêtres et les émigrés s'y
+étaient pris pour faire une contre-révolution, que nous avions su
+déjouer, mais qu'il fallait être toujours ferme dans notre opinion de
+soutenir la nouvelle constitution. Ceci était les voeux de la garnison:
+nous n'avions pas fait tant de sacrifices pour abandonner notre patrie à
+de vils tyrans. Il faut cependant dire que la joie n'était pas générale,
+à cause des peines que nous souffrions. Cette fête était cependant
+glorieuse pour les Français, mais les soutiens de la patrie manquaient
+du plus strict nécessaire; le prêt était arriéré de plusieurs mois, on
+ne délivrait aucun vêtement, enfin nous manquions presque de tout. Ceci
+pouvait bien faire régner la mélancolie parmi les troupes; aussi la fête
+ressemblait à un enterrement. La fin du discours s'est terminé par:
+_vivre libre ou mourir!_ et _vive la République!_ Ces cris n'ont été
+répétés que par ceux qui étaient sur l'autel de la patrie; ensuite on a
+commencé l'hymne de la _Marseillaise_ qui était répétée par notre
+musique, mais les voix n'étaient pas unanimes, et cela a fini.
+
+Le cortège a été reconduit de la même manière qu'il avait été amené, et
+la garnison est rentrée dans ses quartiers. À neuf heures du soir, le
+même jour, notre musique s'est rendue sur la place où elle a joué
+différents airs. Au même moment, les artificiers ont fait partir des
+feux en l'air et plusieurs marrons se sont fait entendre, et plusieurs
+autres fusées ont été envoyées parmi les spectateurs qui étaient sur la
+place. Ces dernières serpentaient parmi le monde, ce qui a donné le plus
+de divertissement de toute la fête; les femmes, qui sont ordinairement
+si curieuses, fuyaient à l'aspect de ces fusées, car elles craignaient
+que cela n'entrât sous leurs jupes. Après cela fait, les officiers de la
+garnison ont donné un bal pour finir la fête.
+
+11 _thermidor_.--Nous sommes sortis de Brisach à huit heures du soir
+pour aller cantonner à Ammerschwihr, village à trois lieues de Colmar, à
+gauche, au pied des montagnes. Nous y sommes arrivés à cinq heures du
+matin, le 12. Toute cette contrée était attaquée d'une grande maladie
+sur les bêtes à cornes, comme vaches et boeufs. Des villages étaient
+dépeuplés entièrement de ce bétail; on ne trouvait point de remède pour
+cette maladie, ce qui affligeait beaucoup les habitants et les
+cultivateurs. Toutes ces montagnes ne sont que des vignobles qui sont
+d'un grand rapport; il y a aussi beaucoup de fruits de toutes espèces.
+Dans le bas de ces villages, venant sur le Rhin, il y a de belles
+plaines, qui sont assez fertiles en toutes sortes de grains et en pommes
+de terre.
+
+10 _fructidor_.--Partis à quatre heures du matin pour nous rendre sur le
+Rhin, au village de Baltzenheim, à deux lieues de Brisach. Arrivés le
+même jour à dix heures du matin. Dans ce village, nous avons appris
+qu'on avait fait la découverte des conspirateurs du repos public et de
+la trahison de Pichegru[57] qui avait commandé à l'armée du Nord, où il
+avait remporté de si brillantes conquêtes. Il voulait perdre dans un
+moment ce qui nous coûtait tant de peines; il voulait livrer nos places
+fortes aux Impériaux et à Condé, qui voulaient que ce fût lui seul qui
+fît la contre-révolution en France. Mais aussi la trahison de Pichegru a
+manqué, grâce à toutes nos armées qui avaient fait une pétition au
+Directoire exécutif, ce qui a ranimé les coeurs des bons républicains
+quand ils ont vu que les armées étaient encore pour le bon parti.
+
+Le 1er _vendémiaire_ an VI.--Jour qui ne devait plus être consacré à la
+République, selon le complot des conspirateurs. Nous avons célébré avec
+beaucoup de pompe la fête de l'anniversaire de la fondation de la
+République. Voici le détail de la manière dont nous l'avons célébrée.
+
+Cette fête a été annoncée la veille au soleil couchant par une décharge
+d'artillerie de position, et le lendemain une pareille décharge a été
+faite au soleil levant. Vers les dix heures, la générale a été battue
+dans tous les endroits où il y avait de la troupe; chacun a pris les
+armes et s'est rendu sur la place de Brisach. Nos grenadiers étaient
+avec la garde nationale de Brisach qui était composée de deux compagnies
+et de deux pelotons de cavalerie. Notre musique et tous les tambours ont
+été ouvrir la marche du cortège qui était composé de généraux, chefs de
+brigade, officiers et autorités civiles de Brisach. La marche a été
+ouverte par un peloton de cavalerie, et, après, un peloton de
+grenadiers; ensuite les tambours et la musique. Puis une compagnie de
+chasseurs à pieds de la garde nationale, qui était formé de petits
+garçons de dix à douze ans très instruits, venait après. Puis, une
+soixantaine de jeunes citoyennes du même âge marchaient sur deux rangs;
+elles étaient vêtues en blanc, avec un ruban tricolore en écharpe et
+tenaient dans leurs mains des panetières, remplies de fleurs, de
+branches de chêne et d'olivier. Quatre petits garçons, aussi habillés de
+blanc, marchaient en tête et portaient entre eux une grosse couronne de
+chêne, de laurier et d'olivier surmontée d'un bonnet de liberté. Après,
+venaient les généraux, la municipalité, les commandants, les officiers,
+puis un peloton de grenadiers de ligne et la garde nationale; ensuite un
+assez grand nombre d'hommes de cinquante à soixante ans, armés de
+piques. Un peloton de cavaliers fermait la marche. Toute la troupe et le
+cortège s'est rendu dans cet ordre sur la place, devant l'autel de la
+patrie qui avait été établi le matin. Cet autel était construit par
+derrière avec des branches de chêne; il avait douze pieds de diamètre;
+les balustrades étaient couvertes de tapis de différentes couleurs; sur
+l'autel, étaient placés des vases remplis d'encens, avec la déesse au
+milieu. Sur le coin, devant l'autel étaient élevés des pilastres de
+marbre, après lesquels étaient attachés huit drapeaux blancs sur
+lesquels était peinte une urne renversée avec le bâton royal; sur
+d'autres était un capucin tenant dans une de ses mains une croix, et
+dans l'autre une torche ardente; sur le haut des pilastres étaient un
+drapeau tricolore et un bonnet de liberté.
+
+Les principaux membres du cortège sont montés sur l'autel, et un d'entre
+eux a fait un discours sur la fondation de la République, après quoi des
+jeunes citoyennes qui étaient assises devant l'autel ont chanté une
+hymne républicaine. Cela fait, les troupes ont défilé de la place pour
+se rendre sur les glacis de la ville, à droite de la porte de
+Strasbourg. À l'arrivée des troupes sur la place qui avait été désignée,
+plusieurs décharges d'artillerie ont été faites. Les troupes étant
+rangées en bataille, le général a fait mettre par divisions, en
+colonnes; puis il nous a fait un discours pour nous féliciter de notre
+bravoure et de notre intrépidité, en nous exhortant à continuer. C'est à
+ce moment qu'il a renouvelé son serment d'être fidèle à la nouvelle
+constitution; toute la troupe a aussi promis. De suite, il a fait
+déployer la colonne pour faire des feux de bataillons et de file; le
+canon faisait de même; chaque soldat avait douze coups à tirer. Après
+ces feux finis, toute la troupe est rentrée dans ses quartiers.
+
+À huit heures du soir, trois coups de canon ont été tirés. Un
+détachement armé de grenadiers s'est rendu près le feu d'artifice qui
+était entre le Vieux-Brisach et le Neuf. Sur les glacis, toute la troupe
+y a assisté sans armes, ainsi que toute la population de Neuf-Brisach et
+des environs. Ce feu d'artifice a duré une heure et demie. Le feu fini,
+chacun est rentré dans ses foyers. Pour célébrer cette fête, il y avait
+deux bataillons de notre demi-brigade, une compagnie d'artillerie
+légère, une compagnie ou deux de grosse cavalerie.
+
+Nous avons fait le service de la place de Brisach pendant quelque temps.
+Ceux qui étaient à la ville venaient relever ceux qui étaient dans les
+villages sur la rive du Rhin, et ceux des villages revenaient à la
+ville, car la garnison n'était pas bonne. De la paille sur le pavé et
+des couvertes servaient pour coucher; l'hiver il y faisait froid, et
+l'été c'était rempli de puces; mais, dans les villages, quoiqu'ils
+fussent pauvres, on y était encore mieux. Nous étions une compagnie par
+village selon le service qu'il y avait à faire sur le Rhin.
+
+17 _vendémiaire_.--Sortis de Baltzenheim pour aller en garnison à
+Brisach, nous y sommes arrivés à sept heures du matin. On nous a annoncé
+que l'armée de Sambre-et-Meuse et celle du Rhin-et-Moselle ne faisaient
+plus qu'une, qui se nommait armée d'Allemagne, commandée en chef par le
+citoyen Augereau.
+
+Détails de la fête qui a eu lieu le 30 vendémiaire an VI de la
+République française. Nous l'avons célébrée à Neuf-Brisach, en l'honneur
+du général Hoche, un des grands hommes que la République a perdus. Il
+est mort dans les environs de Paris[58].
+
+Cette fête de reconnaissance a été annoncée la veille par plusieurs
+décharges d'artillerie; le lendemain 30, à six heures du matin, une
+décharge d'artillerie s'est faite de quart d'heure en quart d'heure; les
+cloches de la ville ont été sonnées pendant une heure. À dix heures, les
+autorités civiles et militaires se sont assemblées et se sont rendues à
+la maison communale où tout le monde devait se réunir. Quand tout a été
+prêt, on s'est mis en marche; le cortège était ouvert par un détachement
+de cavalerie de la garde nationale, ensuite venaient les vieillards
+rangés sur deux rangs; le premier qui marchait à la tête portait une
+bannière sur laquelle était écrit: _Nos enfants suivront son exemple_.
+Marchaient après eux des jeunes femmes habillées de blanc, un crêpe en
+écharpe; un petit garçon de sept à huit ans portait une bannière, sur
+laquelle était écrit: _Il était bon père et bon époux_.--Après eux
+marchaient une quantité de jeunes filles de huit à onze ans, aussi
+habillées de blanc; elles portaient dans leurs mains des guirlandes de
+laurier et de chêne, et de petites corbeilles remplies de toutes sortes
+de fleurs. Après venait notre musique qui jouait des airs funèbres;
+après venait un char de triomphe attelé de deux chevaux gris-souris avec
+harnachements de deuil; aux quatre coins étaient placés quatre jeunes
+citoyennes âgées de onze à douze ans, bien mises, coiffées en cheveux,
+avec une guirlande de roses par dessus; un ruban très large, tricolore,
+mis en écharpe.
+
+Ces quatre citoyennes portaient chacune une bannière, sur laquelle on
+avait inscrit: 1e _Il allait être le Bonaparte du Rhin_; 2e _Immortel
+après sa destinée_; 3e _Il a inspiré la terreur aux rois.--Son ennemi
+fuit devant sa vaillance_.--Au milieu du char était placé en effigie le
+cercueil couvert d'un drap mortuaire; dans l'un des bouts était écrit:
+_ici git Hoche_. Son portrait était au bas de cet écriteau; au milieu
+dudit cercueil était placé un chapeau bordé en or, avec le panache
+tricolore qui est la coiffure de nos généraux. Les coins du drap
+mortuaire étaient portés par les quatre plus anciens de service, pris
+parmi les officiers et soldats indistinctement. Les estropiés qui se
+sont trouvés dans les dépôts, qui étaient à Brisach, suivaient le char.
+Ensuite, venaient les tambours voilés en noir, qui exécutaient de temps
+en temps des roulements sombres. Ensuite venaient les généraux, les
+officiers de la garnison et les autorités civiles; il y avait un
+détachement de cent hommes faisant la haie, et un détachement de
+grenadiers qui suivait le cortège sur deux rangs; le reste de la troupe
+était sans armes.
+
+Après avoir fait le tour de la ville en dedans, tout le cortège a été
+conduit à l'église; on a placé l'effigie de cercueil sur un autel de la
+patrie qui avait été préparé, et tout le tour était décoré de larmes. La
+musique a joué plusieurs airs funèbres. Puis on nous a fait le détail de
+la manière dont on avait fait l'enterrement à Paris, et comment toutes
+les communes de la République devaient célébrer une fête de
+reconnaissance pour le général Hoche. Ce discours fini, les jeunes
+citoyennes ont chanté plusieurs hymnes funèbres et républicaines. Puis
+notre chef de demi-brigade a fait un discours où il a rappelé plusieurs
+traits de bravoure du citoyen Hoche; ensuite la musique a joué à
+plusieurs reprises, pendant que toutes les jeunes citoyennes porteuses
+de guirlandes, de couronnes de laurier et de branches de chêne, les
+déposaient autour du cercueil et par-dessus. Ceci a été exposé plusieurs
+jours à l'église, et chacun s'est retiré dans ses logements.
+
+Dans le même temps, nous avons appris la paix avec l'empereur. C'était
+le 5 brumaire (27 octobre), par une lettre venant du Vieux-Brisach, qui
+avait été envoyée au commandant des troupes autrichiennes qui étaient
+pour le moment dans la principauté du Margraviat. Cette lettre disait
+que la paix était faite avec la République française depuis le 17
+octobre 1797[59]. Nous l'avons appris de nouveau par les gazettes qui
+venaient de Paris le 12 brumaire.
+
+Cette paix nous a été publiée le 25 brumaire (15 novembre), à dix heures
+du matin, à Neuf-Brisach. On n'a fait aucune réjouissance pour le
+moment; la fête a été remise au 30 nivôse, elle s'est célébrée avec
+toute la pompe possible, selon les préparatifs.
+
+1er _frimaire_.--Partis de Brisach pour nous rendre dans nos
+cantonnements sur la ligne du Rhin; notre compagnie était toujours à
+Baltzenheim.
+
+1er _nivôse_.--Partis de nos cantonnements pour nous rendre à
+Neuf-Brisach pour relever nos quatre compagnies.
+
+25.--Partis de Brisach, le 25 nivôse, pour nous rendre à Strasbourg,
+toute la demi-brigade. Nous avons logé en y allant, le 25, à
+Schelestadt; le 26 à Erstein, le 27 à Strasbourg; là on a reçu des
+ordres pour aller cantonner dans des villages à trois ou quatre lieues
+de Strasbourg, sur la gauche; le 28, nous avons été chacun dans les
+villages qui nous étaient désignés; notre compagnie était à Kirchheim, à
+trois lieues de Strasbourg.
+
+6 _pluviôse_.--Sortis de ce village pour aller cantonner au village
+d'Herrlisheim, sur la route de Lauterbourg. Je remarquerai que c'est le
+1er pluviôse qu'on nous a retiré notre viande, quoique nous eussions six
+décades de prêts arriérés, mais cela n'a pas duré longtemps car nous
+sommes bientôt rentrés en campagne.
+
+11 _pluviôse_.--Partis d'Herrlisheim pour aller à Strasbourg. Le
+lendemain de notre arrivée, le général Schauenbourg a rassemblé les
+officiers et sous-officiers de plusieurs demi-brigades, et nous a fait
+faire la grande manoeuvre.
+
+13.--Il est venu des ordres pour marcher vers la Suisse; nous sommes
+partis tout de suite; nous avons logé à Hüttenheim, près de Benfeld; le
+15 à Schlestadt; le 16 à Oberhergheim, village entre Colmar et
+Ensisheim; le 17 à Baldersheim à une lieue et demi à droite d'Ensisheim,
+sur la route de Bâle. Le 18 à Rantzwiller, en arrière et près de
+Sierentz, dans la vallée d'Altkirch; le 19 à Suënaï? village dans la
+colline du mont Terrible, à trois lieues de Reinach, à droite, et à
+quatre lieues de Delémont; le 20 à Viques dans la plaine de Delemont; le
+21 à Eschert, petit hameau situé à trois lieues de Delemont, et à une
+demi-lieue de Moutier. Pour arriver dans cette colline, nous avons
+traversé deux lieues de montagnes de roche à perte de vue. Ces endroits
+sont habités et forment plusieurs petites communes. On avait donné la
+liberté à cette vallée quelques mois avant que les Français y aient été
+cantonnés, ils étaient autrefois alliés avec les Suisses; ils ferment la
+frontière du canton de Soleure. Cette vallée a aussi appartenu au prince
+du Porontruy; on y parle un patois que nous comprenions assez. Leurs
+maisons sont toutes construites en bois, en grande partie; tout leur
+commerce est en boeufs, vaches, chevaux; ils ont très peu de terres
+labourables. Comme les hameaux n'étaient pas bien grands, ils logeaient
+une compagnie.
+
+Nous sommes partis d'Eschert le 3 ventôse pour nous rendre à Moutier,
+chef-lieu de canton et faisant partie du département du Mont-Terrible;
+une partie de notre compagnie a été détachée à Belpraon, hameau près de
+ces cantonnements. Le 5, à huit heures du matin, nous avons été loger à
+Soncelboz, village où nous avons eu bien de la peine à arriver, car il y
+avait trois jours qu'il tombait de la neige, et ce jour-là il en est
+tombé toute la journée, de sorte que nous en avions jusqu'aux genoux.
+Dans le même village, il y avait deux années de suite que la grêle avait
+tout ravagé.
+
+8.--Partis pour aller à la Hutte, (tous ces villages sont dans la même
+vallée, sur la route de Bienne.) En allant à la Hutte, nous avons passé
+sous la Roche-Percée. La Hutte était le lieu où notre demi-brigade s'est
+rassemblée avant d'aller attaquer les Suisses. La vallée que nous
+quittions se nommait l'Erguel; notre colonne en portait le nom jusqu'au
+moment où elle entrait en Suisse.
+
+Partis de la Hutte le 9 à cinq heures du soir, nous avons suivi la route
+de Bienne. Nous avons été camper à trois lieues sur la gauche du dit
+Bienne, entre la route de Bienne et Soleure et à gauche de la rivière
+nommée l'Aar, à une demi-portée de fusil du village de Lengnau où
+étaient les avant-postes suisses. Les mesures étaient prises pour
+attaquer les Suisses à trois heures du matin le 10 ventôse; mais
+l'attaque n'a pas eu lieu. Les généraux suisses ont fait une demande au
+général Schauenbourg qui commandait l'armée française en Suisse, de leur
+accorder une suspension d'attaque pour vingt-quatre heures, et elle a
+duré jusqu'au 12, lequel jour on les a attaqués.
+
+12 _ventôse_.--L'attaque a commencé à quatre heures du matin; leurs
+avant-postes, qui étaient établis au village de Lengnau, ont été
+enlevés. L'armée, qui était dans le canton, n'a pu résister à l'ardeur
+de la colonne républicaine: leur artillerie a été enlevée de prime
+abord; car l'attaque a été vive de notre part. Dans ce combat, plusieurs
+Suisses ont perdu la vie, et la plus grande partie était des pères de
+famille: ceux auxquels j'ai parlé, qui n'avaient que la cuisse ou les
+jambes fracassées, regrettaient les épouses et les enfants qu'ils
+avaient laissés dans leurs maisons pour venir exposer leur vie sur les
+frontières.
+
+Notre camp était à trois lieues de la capitale de ce canton, qui est
+Soleure. Quoique fortifiée, elle s'est vu forcée de se rendre à
+l'arrivée de notre colonne, sans tirer un coup de canon, quoique ses
+remparts en soient bien garnis. Nous sommes entrés à Soleure entre dix
+et onze heures du matin, le 12 ventôse. Nous sommes restés deux
+bataillons de notre demi-brigade pendant que notre colonne a défilé. Le
+premier soir nous avons été bivouaquer sur les remparts jusqu'au
+lendemain à quatre heures du soir, où nous sommes rentrés dans nos
+logements chez les bourgeois. Nous y avons été reçus on ne peut pas
+mieux. Notre troisième bataillon a été camper sur la route de Lucerne,
+près d'un village, à une portée de canon de la ville, pendant que la
+colonne marchait sur Berne.
+
+Étant dans la ville de Soleure, le général Schauenbourg a fait rendre
+les armes à tous les bourgeois de la ville et à tous les habitants de ce
+canton. Il arrivait tous les jours des voitures chargées de fusils, de
+gibernes et de toutes sortes d'armes, que l'on plaçait dans l'arsenal
+pour être de suite envoyées en France.
+
+On a trouvé dans cette ville un arsenal assez bien garni de différentes
+armes, une quantité de bouches à feu en bronze qui avaient été fondues à
+Strasbourg; beaucoup de belle poudre de deux qualités. Cette ville est
+assez grande, il y a de belles rues, mais il y a plusieurs hauteurs qui
+déparent un peu leur beauté. Elle renferme beaucoup de marchands de
+toutes sortes. La construction des maisons est fort belle et assez
+élevée.
+
+J'ai remarqué sur la place où nous avons planté l'arbre de la liberté,
+une horloge dont le cadran portait les douze mois de l'année, et les
+signes de chacun. Lorsqu'ils arrivaient, la touche se posait dessus, et
+il y avait un autre petit cadran qui marquait les heures. Au moment où
+le marteau frappait, il y avait la mort qui tenait une lampe dans sa
+main gauche, elle faisait un tour et de même remuait la tête. De l'autre
+côté, il y avait une espèce d'homme, qui avait du repentir, car à chaque
+coup que le marteau frappait, il frappait un coup sur sa poitrine de sa
+main droite. C'était un guerrier, car il avait le sabre. Au côté, entre
+les deux, était un vieillard avec une grande barbe noire; il ouvrait la
+bouche à chaque coup; et tenait de sa main gauche le bâton royal qu'il
+balançait de tous les côtés.
+
+La rivière de l'Aar passe Soleure, et la partage en deux parties
+inégales.
+
+Nous sommes sortis un bataillon de la ville. Comme elle n'était pas
+assez considérable pour contenir deux bataillons, notre bataillon a été
+cantonné dans les environs de la ville, dans les villages. C'était le 20
+ventôse que chaque compagnie a été prendre les cantonnements qui leur
+étaient désignés, mais toujours dans le même canton. Je citerai
+seulement les endroits où je me suis trouvé.
+
+Notre compagnie était cantonnée à Subingen, village à une lieue et demie
+de Soleure, sur la route qui conduit de Soleure à Lucerne, de l'autre
+côté de l'Aar. Nous avons changé plusieurs fois de cantonnements, dans
+le même canton. Sortis de Subingen le 2 germinal pour cantonner au
+village d'Aschi? et à deux lieues et quart de Soleure.
+
+8 _germinal_.--Nous sommes partis pour aller cantonner à Langenthal,
+bourg situé à une demi-lieue des frontières du canton de Lucerne et à
+dix lieues de Berne. J'ai été voir un couvent de Bernardins qui était
+sur les frontières du canton de Lucerne, où j'ai parlé un peu du couvent
+de Clairvaux; il était du même ordre de Citeaux.
+
+Étant dans ce cantonnement, nous avons été à Soleure pour y faire
+l'exercice à feu. Nous avons couché le 29, en y allant, à Nider-Bipp,
+village dans le canton de Berne, sur la route de Bâle.
+
+30 _germinal_.--Nous nous sommes rendus à Soleure; là nous avons fait
+l'exercice à feu pendant trois heures; nous étions cinq bataillons, de
+l'artillerie et de la cavalerie; c'était le général Schauenbourg qui
+commandait. Après l'exercice fini, chacun est retourné volontiers dans
+ses cantonnements.
+
+6 _floréal_.--Sortis de Langenthal à six heures du matin pour aller à
+Zurich, nous avons logé en y allant à Olten, ville dans le canton de
+Soleure, sur l'Aar, où différentes routes se trouvent pour Bâle, Zurich,
+etc. Je dirai que lorsque nous sommes entrés dans ce canton, les Suisses
+avaient brûlé un superbe pont qui traversait l'Aar pour entrer à la
+ville de Halte; on était à le rétablir lorsque nous y avons logé.
+
+7 _floréal_.--Partis de Olten à cinq heures du matin, nos fourriers ont
+été comme de coutume pour nous préparer nos logements. Lorsqu'ils se
+sont présentés au village désigné pour y loger quatre compagnies, on y
+était sous les armes et on a dit à nos fourriers de s'en retourner, que
+la paix n'était pas faite avec eux, et qu'ils ne voulaient pas nous
+loger.
+
+C'était au village de Bagglingen, nous avons rencontré nos fourriers qui
+nous ont dit que si on voulait être logé, il fallait gagner les
+villages. Aussitôt, le plus ancien de grade des officiers des quatre
+compagnies, a disposé la troupe pour entrer dans les villages. On leur a
+envoyé demandé s'ils voulaient nous loger: ils ont répondu que non et
+que l'on se retire, ou qu'ils allaient faire feu. Dans ce moment, on a
+envoyé des tirailleurs et aussitôt le feu a commencé; ils nous voyaient
+peu de monde et croyaient que nous serions bientôt vaincus, mais ils ont
+été bien trompés, car nous les avons chassés de leurs villages, et ils
+ont été en grande partie se réfugier dans les bois. Il y en avait
+plusieurs qui avaient caché leurs armes et se trouvaient devant nous; on
+les renvoyait dans leurs maisons. Les femmes se sauvaient avec leurs
+petits enfants au berceau; tout cela faisait pitié au coeur humain; mais
+aussi toutes celles que l'on rattrapait, on les faisait retourner dans
+leurs foyers. La plupart avaient un fusil dans une main et un chapelet
+dans l'autre.
+
+Lorsqu'ils ont été repoussés hors de leurs villages, nous sommes revenus
+prendre une position en arrière. Peut-être une heure après, ils sont
+venus une colonne d'environ quinze cents hommes avec deux pièces de
+canon, et ont tiré deux coups qui n'ont pas fait d'effet. Il nous est
+aussi venu du renfort, de l'infanterie légère et un détachement de
+hussards. Réunis tous ensemble à l'entrée de la nuit, nous les avons mis
+en déroute et nous avons été maîtres de nos cantonnements, où nous avons
+bivouaqué.
+
+Ce village de Bagglingen est dans le bailliage nommé anciennement
+Canton-libre-inférieur. Nous en sommes partis le 9, à huit heures du
+matin, pour aller à Zurich où nous sommes arrivés le même jour. Cette
+ville porte le nom du canton où elle est située, sur le bout du lac du
+même nom, et de ce lac sort une rivière qui passe dans Zurich, et se
+nomme Limmat, et fait jonction avec deux autres rivières qui se nomment,
+l'une la Reuss, qui sort du canton de Lucerne, et l'autre l'Aar, qui
+sort du canton de Berne. Ces trois rivières sont réunies près d'une
+petite ville qui se nomme Brugg, et de là tombent dans le Rhin.
+
+11 _floréal_.--Partis de Zurich[60] à midi, nous avons été loger au
+village nommé Thalwyl, situé sur le lac et à deux lieues de la ville,
+sur la droite.
+
+12.--À deux heures du matin, nous avons été camper près le village nommé
+Lachen et de même situé sur le lac dans le canton de Schwytz.
+
+13.--Partis à neuf heures du matin pour retourner sur nos pas et
+cantonner au village de Frienbach; nous étions quatre compagnies, les
+mêmes qui s'étaient trouvées à Bagglingen. Ce village et les autres qui
+ont été nommés sont sur le lac, à droite. En sortant de Zurich, nous
+n'avons pas été sitôt arrivés dans le cantonnement, qu'une attaque s'est
+formée entre les Suisses du canton de Schwytz et quelques compagnies de
+la 76e demi-brigade de ligne, vers les onze heures du matin. Dans le
+même moment, le citoyen Mondragon, qui était le plus ancien de grade des
+capitaines du détachement, a aussitôt donné ordre de battre les coups
+doubles, pour assembler les compagnies et pour marcher vers l'endroit de
+l'attaque. Au lieu d'aller où on se battait, ledit capitaine nous a fait
+monter une montagne prodigieuse, pour les prendre par derrière. Par le
+fait, la montagne a été franchie avec beaucoup de courage; arrivés au
+sommet, le commandant de la troupe a fait battre la charge. Je dirai
+qu'avant d'être au sommet de la montagne, nous étions déjà assaillis de
+coups de fusil. Pendant que la charge se battait, on a commencé le feu
+sur les Suisses, qui sont venus nous disputer le terrain; mais il a
+fallu qu'ils cèdent, ou ils auraient tout payé. Dans cette affaire,
+plusieurs pères de famille sont restés sur le champ de bataille; après,
+les plus hautes montagnes ne les rassuraient plus, ils abandonnaient
+leurs chaumières et s'allaient retirer dans des lieux inhabitables.
+
+Le même jour, au soleil couchant, nous avons descendu la montagne et
+nous sommes revenus dans notre cantonnement.
+
+14.--Partis à deux heures du matin, pour nous disposer à de nouvelles
+poursuites. Nous avons pris la route qui conduit à
+Notre-Dame-des-Hermites; nous avons monté une fort haute montagne, et,
+étant au sommet, près d'une grosse auberge, nous avons occupé la
+position que les Suisses avaient abandonnée la veille. Cette montagne se
+nomme Etzel, et est à une lieue du couvent de Notre-Dame-des-Hermites,
+où on la voit facilement. Dans les environs de ce couvent, on n'y
+récolte point de grains; il est de même environné de montagnes couvertes
+de neige. Dans cette contrée, il y a des pâturages pour les bêtes à
+cornes; aussi voilà ce qui les nourrit: quelques pommes de terre, du
+fromage et du lait.
+
+16.--Nous sommes revenus prendre les cantonnements du 13.
+
+21--Partis de Frienbach à huit heures du matin, notre marche a été
+dirigée sur la République ligurienne en Italie. Je dirai que nous avons
+passé à la ville nommée Rapperswyl, située sur le lac, du côté gauche.
+Avant d'entrer dans la ville, il y a un pont qui a une demi-lieue[61].
+Je vais citer seulement les endroits où nous avons logé; car le voyage
+est si long et le temps si court que je ne puis pas faire beaucoup
+d'observations.
+
+21 _floréal_.--Arrivés au village nommé Thatwyl, à la pointe du jour,
+nous en sommes partis le 22 à huit heures du matin; nous sommes passés à
+Zurich à dix heures; nous avons poursuivi notre route en traversant
+plusieurs hautes montagnes et nous sommes venus loger dans les environs
+de Mellingen, bourg situé sur la Reuss dans le village où nous étions;
+ce village se nommait Waltenschwyl.
+
+23.--Partis de ce village à six heures du matin, nous sommes venus loger
+à Aarburg, dans le canton de Berne, situé sur l'Aar, où il y a un fort
+assez important.
+
+24.--Partis à sept heures du matin, nous sommes venus loger dans les
+environs d'Herzogenbachsee; nous étions à Niederhaus; notre compagnie de
+même dans le canton de Berne.
+
+25.--Partis à cinq heures du matin. Logé dans la ville de Berne. J'ai
+remarqué qu'il y avait une belle grande rue; il est vrai qu'elle va un
+peu en montant, et, à la distance de quatre-vingts pieds, il y a une
+fontaine. J'ai vu une horloge assez curieuse: tout le temps que le
+marteau frappe sur la cloche, il y a auprès du cadran un tour fait comme
+une table ronde sur laquelle il y a des ours qui défilent la parade,
+avec des instruments de guerre; il y en a qui sont montés sur des
+chevaux: enfin cela est amusant.
+
+Toutes les rues de cette ville sont ornées de belles arcades où il y a
+toutes sortes de marchands. Au-dessus de la porte, du côté de Lausanne,
+la personne de Guillaume Tell est représentée.
+
+27 _floréal_.--Partis à quatre heures du matin. Logé à Morat, ville
+située sur le lac de ce nom.
+
+28.--Partis à six heures du matin. Logé aux environs de Payerne; nous
+étions au village de Fétigny.
+
+29.--Partis à trois heures du matin. Logé à Moudon dans le pays de Vaux,
+ci-devant alliée avec Berne, et située sur le bord de la Broye. Cette
+ville était anciennement la capitale du pays; on y voit encore
+aujourd'hui une ancienne tour qui a été bâtie du temps de Jules César.
+
+30.--Partis à quatre heures du matin, nous sommes venus loger à
+Lausanne, capitale de son canton, située au pied d'une montagne, sur le
+bord du lac de Genève. Tous les endroits où nous sommes passés sont en
+grande partie des vignobles.
+
+1er _prairial_.--Partis à trois heures du matin, nous avons suivi le
+lac, et sommes venus loger à Villeneuve et dans les environs. Cette
+ville est située sur le bout du lac de Genève; notre compagnie était
+logée dans un village à une lieue de Villeneuve, et entre des montagnes
+extrêmement hautes, où il y a toujours au sommet une quantité de neige.
+
+3.--Partis à huit heures du matin, nous sommes venus loger à
+Saint-Maurice, dans le bas Valais.
+
+Avant d'entrer dans la ville, on passe sur un pont qui traverse le Rhône
+et va tomber dans le lac de Genève.
+
+4.--Partis à six heures du matin. Logé à Orsières dans le bas Valais,
+sur la route qui conduit au grand Saint-Bernard.
+
+5.--Partis d'Orsières à sept heures du matin. Couché à Saint-Pierre,
+village situé sur le sentier qui conduit au mont Saint-Bernard; c'est
+depuis ce village que la route ne forme plus qu'un sentier très mauvais
+pour marcher; les voitures n'y peuvent plus passer qu'elles ne soient
+démontées, et portées par des mulets à dix lieues, où est la cité
+d'Aoste.
+
+Je dirai que tous les endroits où nous sommes passés depuis Villeneuve
+sont situés entre des grandes et très hautes montagnes, au sommet
+couvert de neige; mais cependant la colline est cultivée. J'ai remarqué
+qu'à deux lieues de Saint-Maurice il y a des rochers très élevés; à cent
+pieds de haut, il sort de l'eau en quantité; en la voyant tomber elle
+paraît blanche comme du lait, elle se brise sur des pierres qui sont
+dans le bas de ce rocher et passe dans le chemin aussi claire que du
+cristal. Cet endroit se nomme le Pisse-vache.
+
+6.--Partis de Saint-Pierre, le dernier village du bas Valais, à deux
+heures du matin pour monter au village de la montagne du Saint-Bernard
+qui monte pendant trois heures, et descend d'autant; dans cette
+montagne, il y a plus de neige que dans les autres. Nous avons passé par
+des endroits (et surtout avant d'être au couvent) où il y en avait plus
+de quarante pieds, mais c'est tout neige gelée. En arrivant près du
+couvent, nous montions à quatre pattes sur la neige; vraiment c'est des
+chemins affreux; aussi beaucoup de voyageurs meurent-ils en route.
+
+Le couvent, qui est au sommet de cette montagne, est là pour donner du
+secours aux voyageurs; il y a des chiens que j'ai vus; ils sont
+extrêmement forts et instruits. Lorsqu'il fait des orages ou mauvais
+temps, ces chiens vont au travers des neiges sur le chemin; ils ont au
+cou un linge dans lequel il y a une petite bouteille d'eau-de-vie avec
+un morceau de pain; s'ils rencontrent quelqu'un qui soit tombé en
+faiblesse ou qui ait perdu courage et qu'il soit saisi par le froid,
+qu'il soit sur une roche ou ailleurs, ces chiens vont auprès, le
+prennent par son habillement et le remuent; et s'il n'est pas mort, ils
+lui présentent le cou pour qu'il prenne ce qui est dans le linge pour
+lui donner des forces. Quelquefois, ils en trouvent qui sont couchés
+dans la neige, et comme il y a des domestiques qui les suivent de loin,
+ils retournent auprès d'eux et les conduisent où les hommes sont tombés.
+Étant au couvent, on peut y rester un jour; toute la troupe qui y a
+passé a reçu par homme un verre de vin, un petit morceau de pain et
+aussi de la viande salée. On a continué la route, car on aurait bien
+gelé si on y était resté un quart d'heure; enfin, dans les environs de
+ce couvent, ce sont de véritables précipices. Notre chemin était marqué
+avec des morceaux de bois, sans quoi il y en aurait eu de nous qui
+auraient perdu la vie.
+
+Ce jour-là, nous sommes venus loger à Saint-Oyen, village sur la route
+de Sardaigne. Dans ces villages, et même avant de gravir le
+Saint-Bernard, les habitants ne cuisent qu'une fois par an; s'ils
+cuisent deux fois, c'est qu'ils sont bien à leur aise; leur pain est
+épais d'un pouce et d'un pied de diamètre et dur comme du bois; c'est le
+lait et les pommes de terre qui sont en grande partie leur nourriture.
+
+7.--Partis de Saint-Oyen à cinq heures du matin, nous sommes venus loger
+dans la cité d'Aoste, ville de Sardaigne, frontière de la Savoie et de
+la Suisse.
+
+9.--Partis d'Aoste à deux heures du matin, nous sommes venus loger à
+Verres, ville dans la vallée d'Aoste et de même dans la Sardaigne.
+
+10.--Partis de Verres à trois heures du matin. Logé à Ivrée, sur la
+rivière nommée Doire, dans le Piémont.
+
+11.--Partis à quatre heures du matin. Logé à Livorne.
+
+12.--Partis à quatre heures du matin. Logé à Verceil, sur la rivière la
+Sesia.
+
+13.--Partis à six heures du matin. Logé à Gailliata, à huit lieues de
+Milan, et à une lieue de Trecate.
+
+15.--Partis à deux heures du matin. Logé à Vigevano, sur la route
+d'Alexandrie.
+
+16.--Partis à minuit, nous avons passé le Pô à midi, et nous sommes
+venus loger à Voghern.
+
+17.--Partis à deux heures du matin. Logé à Alexandrie, ville forte
+donnée en otage aux Français lorsque le roi de Sardaigne a fait la paix;
+cette ville est située sur la rivière de Tanaro qui passe entre la
+citadelle et les murs de cette ville.
+
+19.--Partis d'Alexandrie à dix heures du matin. Logé à Novi, ville du
+Piémont, frontière de la République ligurienne.
+
+20.--Partis à trois heures du matin. À sept heures nous avons passé au
+bas du fort de Gavi, où nous avons fait halte. Je dirai que nous sommes
+passés au milieu de l'armée génoise et piémontaise qui était campée dans
+les environs du fort de Gavi. Dans ce temps, les Liguriens avaient la
+guerre avec le Piémont. Le même jour, campé près de Voltagio, sur la
+route de Gênes.
+
+21.--Sortis du camp à trois heures du matin. Campé à deux lieues de
+Gênes. C'est de là que notre premier bataillon est parti pour aller à
+Gênes, et notre troisième est retourné sur ses pas pour aller à Novi;
+nous, nous avons couché dans ce village.
+
+22.--Partis à trois heures du matin pour retourner sur les frontières de
+la République ligurienne; nous avons logé ce jour à Voltagio.
+
+23.--Partis à deux heures du matin, nous avons pris la traverse et avons
+été loger à Ovada, ville frontière de la République ligurienne, menacée
+par les troupes piémontaises d'être mise au pillage. Voilà pourquoi
+notre bataillon a été s'emparer de la ville pour la soustraire à un
+pareil malheur; cette ville est entourée par deux rivières qui
+s'appellent Stura et Orba. Je dirai que pendant que nous étions dans
+cette ville, nous avons été détenus vingt-six sous-officiers en prison
+pour avoir fait une réclamation; nous avons été douze jours à
+_l'ombre_[62].
+
+19 _messidor_.--Partis pour Camfredo, ville de la Ligurie.
+
+20.--Partis à une heure du matin. Logé à Voltri, à huit lieues et demie
+de Gênes.
+
+23.--Logé à Varazze, de même sur la mer.
+
+24.--Logé à Savone, où il y a un port marchand; il y a aussi un fort qui
+défend bien son approche et peut battre la ville.
+
+25.--Logé à Final-Borgo.
+
+26.--Partis à deux heures du matin. Logé à Albenga. Tous les endroits où
+nous avons logé sont situés sur la mer.
+
+28.--Partis à une heure du matin pour une petite ville nommée La Piève,
+située dans la même vallée et à six lieues de la mer. Nous avons relevé
+à La Piève la garnison piémontaise qui s'était emparée de cette ville au
+moment où ils avaient la guerre ensemble. La France a mis fin à cette
+guerre, qui ne pouvait que mettre la famine dans le pays.--Comme cette
+contrée ressemble à la plus grande partie de la République ligurienne
+dont elle fait partie, je vais faire une petite description de la
+situation du pays. Ce ne sont que montagnes très hautes, la plupart sont
+couvertes de châtaigniers, d'oliviers, de figuiers et d'autres arbres à
+fruits de toutes sortes d'espèces; il y a aussi de la vigne plantée très
+clair et haute, parmi laquelle ils sèment du blé et d'autres grains, qui
+leur servent à faire du pain; mais ces derniers n'y sont pas très
+abondants. Tout ce pays est occupé en grande partie par le commerce qui
+y est bon, par rapport à la mer.
+
+Il n'y a rien à voir de curieux dans la campagne; leurs maisons sont
+très antiques et toutes voûtées, pour parer aux chaleurs qui se font
+dans ce pays durant l'été. Il n'y a rien de remarquable dans leurs
+ménages, la plupart n'ont pas de meubles, mais seulement un coffre pour
+mettre le peu d'habillements qu'ils ont. Le dedans des maisons est très
+obscur et la plupart n'ont pas de vitres; un simple volet ferme le jour.
+On n'y voit presque point de cheminées: ils font le feu dans l'un des
+coins de la maison. Les deux sexes sont vêtus assez antiquement; les
+femmes et les filles portent sur la tête un grand voile pour aller à
+l'église. Ce peuple est traître de son naturel, il a toujours caché sous
+lui une arme tranchante et très aiguisée, et à la moindre difficulté on
+est frappé de cet outil.
+
+8 _frimaire_.--Partis de la Piève pour Gênes, nous avons été loger à
+Loano; le 9, à Varazze; le 10, à Gênes. Étant dans cette ville nous
+avons fourni un détachement de trois cents hommes pour aller s'emparer
+de la ville d'Oneglia, appartenant au Piémont. La garnison piémontaise a
+été désarmée et envoyée à Gênes, mais de suite on leur a envoyé leurs
+armes, pour partir sur les frontières d'Italie. Ceci s'est fait au
+moment de la révolution du Piémont. Le détachement dont je faisais
+partie est sorti de Gênes le 20 frimaire, à une heure de l'après-midi;
+nous avons logé en allant à Oneglia, à Voltri, à Savone, à Finalborgo, à
+Alassio. Il y avait avec nous trois cents Liguriens. Cette ville s'est
+rendue à notre approche; nous y sommes entrés le 24 frimaire à quatre
+heures du soir. Le reste de notre bataillon, qui était à Gênes, est venu
+nous rejoindre le 15 nivôse; il est seulement resté à Oneglia deux
+compagnies, et les autres ont appuyé à gauche le long de la mer. Ce
+mouvement s'est fait le 15. Notre compagnie était à Diano-Marino et à
+Alassio.
+
+Partis de ces cantonnements le 1er pluviôse, nous sommes venus le 5 à
+Gênes, lieu de rassemblement de notre demi-brigade pour en former deux
+bataillons de guerre et un de paix. Ce dernier était composé d'hommes
+impotents, infirmes, qui ne pouvaient plus faire campagne et complétés
+avec des conscrits. Les deux bataillons de guerre étaient formés
+d'hommes aguerris et en état de faire campagne avec une vingtaine des
+plus adroits des conscrits par compagnie, tirés dans le troisième
+bataillon. Dans cet amalgame, nous sommes devenus la troisième compagnie
+du premier bataillon. Cet embrigadement s'est fait à Gênes, le 8
+pluviôse. Le premier bataillon est parti de Gênes le 9 pour se rendre à
+Reggio; le deuxième bataillon le 10, pour la même route. Je n'ai point
+été de ce départ, je suis entré à l'hôpital le 10; j'avais une maladie
+qui m'interdisait la marche.
+
+20 _ventôse_.--Partis de la ville de Gênes pour me rendre à Reggio.
+
+En quittant le pays de la Ligurie, je laisse un pays assez abondant en
+oliviers, châtaigniers; ils récoltent aussi une certaine quantité de vin
+et de grains; la plus grande occupation des habitants est le commerce.
+Ils élèvent quantité de vers à soie nourris par les mûriers qui poussent
+dans ce pays.--Me voilà entré dans le Piémont en sortant de Novi; j'ai
+logé le 23 à Tortone, ville fortifiée et accompagnée d'un fort assez
+considérable, sur une hauteur qui commande la ville; le 24, à Voghera;
+le 25, à Castel-San-Giovani, bourg dépendant du roi d'Espagne; le 26, à
+Plaisance, belle grande ville au roi d'Espagne, magnifiquement bâtie. Il
+y a là une superbe place sur laquelle sont placés deux piédestaux sur
+lesquels sont deux chevaux en bronze avec leurs guerriers.
+
+Elle est très bien décorée par de belles maisons; les rues sont très
+larges et bien proportionnées. Autrefois, cette ville était fortifiée,
+mais il ne reste plus que de vieux remparts qui tombent en ruine.
+
+27.--Logé à Borgo-San-Domino, de même dans les États du roi d'Espagne.
+
+28.--À Parme, appartenant au duché de son nom; la rivière du même nom,
+Parma, passe dans ladite ville et la partage en deux parties inégales;
+la construction en est assez belle, les rues larges, il y a aussi
+d'assez jolies places.
+
+29.--À Reggio, ville grande et bien peuplée, maintenant à la République
+cisalpine; il y a une belle place, des rues très larges; elle était
+autrefois fortifiée, maintenant il existe encore une vieille citadelle
+qui tombe en ruines et qui ne pourrait pas tenir longtemps. J'ai eu
+séjour dans cette ville.
+
+1er _germinal_.--À Modène; la ville est plus longue que large: les rues
+sont larges, les maisons assez élevées et d'une belle construction; il y
+a de belles grandes places. Cette ville est encore actuellement un peu
+fortifiée.
+
+3.--À Buondeno, village dans les environs de Ferrare.
+
+4.--À Finale, bourg sur le canal de la ville de Modène.
+
+5.--À la Mirandole, petite ville assez bien faite où il y a une belle
+place.
+
+6.--À Saint-Benedetto, village à cinq lieues de Mantoue.
+
+7.--À Mantoue, belle grande ville très peuplée; elle est environnée de
+grandes pièces d'eau qui défendent son approche d'une demi-lieue; du
+côté où l'eau n'est pas d'une aussi grande largeur, il y a de fortes
+citadelles qui défendent la ville; les alentours de cette place, aussi
+bien que les forts, sont garnis de nombreux gros canons qui rendent
+cette ville imprenable, autrement que par la famine. Le fleuve nommé Pô
+passe dans ses murs, et lui donne quantité d'eau; la construction des
+maisons est belle, on y trouve de belles places. J'y ai vu un beau pont
+couvert et construit tout en pierres de taille; il y a sur ce pont sept
+à huit moulins très bien construits. Cette place appartient à la
+République cisalpine; elle a été prise par les Français qui étaient
+commandés par Bonaparte, dans le courant du mois de pluviôse an V.
+
+Le 8, j'ai passé à Villefranche, sur la route de Vérone, où j'ai trouvé
+notre bataillon, qui était campé à deux lieues et demie de la ville,
+près de la route. Ils y étaient venus après l'affaire du 6 germinal,
+auquel jour ce terrible fléau de la guerre s'est rallumé avec
+l'empereur. Notre division, commandée par Montrichard, a fait son
+attaque près du village de Legnago, situé sur l'Adige. L'attaque a été
+vive au premier abord de notre part: il a semblé avant midi que la
+victoire nous était annoncée; mais, comme le destin ne décide pas en un
+instant, nous avons vu, vers les trois heures du soir, que nous avions
+eu affaire à un corps d'armée autrichien qui égalait le nôtre. Sur le
+soir, un renfort leur est arrivé; c'est à ces derniers, réunis aux
+premiers, qu'il a fallu céder la victoire qui nous avait été favorable
+toute la journée. Beaucoup de fossés remplis d'eau nous ont fait
+éprouver quelques pertes. Je ne dirai pas les pertes des autres corps,
+j'ai vu celles de mon bataillon qui se montaient à 148 hommes hors de
+combat, y compris dix officiers et dix sous-officiers. En attendant le
+siège, nous avons fait plusieurs mouvements à droite et à gauche le long
+de l'Adige, où le corps d'armée autrichien était bien retranché.
+
+Voilà le 16 germinal arrivé[63]. Vers les dix heures du matin, l'ennemi
+s'était mis en marche pour nous attaquer; le général en chef donna
+ordres à toutes nos troupes de se mettre en marche pour de même attaquer
+l'ennemi, ce qui a été exécuté sur-le-champ. Aussitôt, nous avons
+rencontré les colonnes autrichiennes; le feu a été vif dans les deux
+partis; au premier abord, il semblait que notre division allait céder à
+la force de la colonne autrichienne.
+
+Le soldat n'a pas mesuré sa force sur celles de son ennemi, mais sur son
+courage: il a mis la colonne ennemie en déroute, en lui faisant quelques
+cents de prisonniers. Nous les avons poursuivis aux portes de Vérone;
+mais la retraite des autres divisions nous a bientôt appris que nous
+devions aussi nous y disposer pendant la nuit, et nous retirer dans les
+environs de Mantoue, ce qui a été fait dans la nuit du 16 au 17, car un
+corps considérable de l'armée autrichienne s'avançait pour couper notre
+retraite au delà de Mantoue.
+
+Nous sommes arrivés à sept milles de Mantoue vers les minuit, dans la
+nuit du 17 au 18. Sur le croisement de la route qui conduit à
+Villefranche, le 18, nous avons fait un mouvement pour appuyer à gauche
+de Mantoue. Nous sommes venus camper près d'une petite ville située sur
+le Mincio; elle est environnée de fortes positions. Lorsque la garnison
+de Mantoue a été établie dans ses postes, l'armée s'est mise en
+mouvement et a passé le Mincio pour aller se montrer dans la plaine où
+Bonaparte a eu de grands combats, lorsqu'il a fallu cerner la ville de
+Mantoue. Nous sommes restés dans cette plaine, qui aboutit sur la rive
+du Mincio, jusqu'à huit heures du soir. C'était la nuit du 20 au 21 que
+notre colonne a commencé son mouvement pour la retraite, le soir du 21
+vers les six heures, par un temps abominable, une pluie continuelle qui
+ne cessait de tomber et nous traversait jusqu'aux os. Nous avons campé
+près la petite ville d'Asola; ses alentours sont garnis de bastions qui
+n'étaient pas entretenus.
+
+22 _germinal_.--Campé à trois mille de Pontevico; le 24, nous sommes
+venus camper en avant de cette petite ville, située sur le bord de la
+rivière nommée Oglio, sur la route de Brescia et Milan. Dans ce moment,
+nous étions d'arrière-garde; nous avons coupé les routes pour empêcher
+la colonne autrichienne de nous poursuivre de si près.
+
+25.--Nous avons passé l'Oglio sur un pont levis qui était au bas d'une
+ancienne citadelle: les troupes et les bagages passés, on a démonté le
+pont en le faisant glisser dans l'eau. Ce jour-là, nous sommes venus au
+village de Rodierco, situé sur l'Oglio et à un mille de Pontevico, sur
+la grande route de Milan. La nuit du 25 au 26, nous nous sommes mis en
+marche et nous sommes arrivés à Palazzolo le 26 au soir. Il faut
+observer que la colonne autrichienne prenait des détours et suivait les
+montagnes de la Suisse italienne et ne cherchait qu'à nous couper notre
+retraite.
+
+28.--Nous avons fait un mouvement en avant de Palazzolo, à six mille
+dans les montagnes, près le lac d'Iseo.
+
+29.--Nous sommes revenus à Palazzolo; le 30, nous en sommes repartis
+pour nous former sur la ligne en bataille, en avant dudit lieu. Le
+général en chef Scherer nous a passés en revue. Nous avons passé la nuit
+dans ce même emplacement. Je dirai que la Ville de Palazzolo est située
+sur l'Oglio et sur la grande route de Brescia. En partant, les ponts ont
+été coupés et renversés dans la rivière.
+
+2 _floréal_.--Nous avons fait un mouvement pour nous retirer en arrière
+de Palazzolo, où nous avons campé, sur les bords de l'Oglio; nos
+avant-postes ont eu quelques petites affaires avec l'ennemi, qui s'est
+venu présenter pour passer le pont où étaient nos canonniers, pour le
+faire sauter par des mines; on est parvenu à le faire sauter vers les
+dix heures du matin.
+
+La nuit du 4 au 5, à neuf heures du soir, notre division, qui était
+celle du général Serrurier, s'est mise en marche et a été dirigée vers
+la ville de Bergame. Nous avons passé une nuit affreuse dans l'eau et la
+boue jusqu'aux genoux, et, pour la faire complète, une pluie continuelle
+nous arrosait. Nous sommes passés dans la ville de Bergame, à onze
+heures du matin, le 3. Cette ville est très considérable, belle et
+riche: on y construisait une fort belle place; elle est divisée en ville
+haute et ville basse. La ville haute est fortifiée et a de fort belles
+positions dans ses environs, sur des hauteurs considérables. Notre
+division ne s'y est point arrêtée; une partie soutenait l'arrière-garde,
+qui était suivie[64] des troupes russes. Le même jour, notre colonne a
+continué sa marche jusqu'à cinq heures du soir; nous sommes arrivés sur
+le bord du lac, où nous avons passé la nuit dans des espèces de petits
+hameaux environnés de montagnes fort hautes.
+
+Le lendemain 6 courant, à quatre heures du matin, nous avons repris
+notre marche vers le pont de Lecco, et toujours suivis de près par
+l'avant-garde ennemie. La ville de Lecco est environnée de rochers très
+hauts; elle est située sur le bord du lac. Notre division a passé le
+pont le jour où l'ennemi y est arrivé. Une partie de notre division a
+gardé la tête du pont, et l'autre partie s'est étendue sur les bords de
+la rivière, pour correspondre avec la division du général Delmas; notre
+bataillon était de cette partie; nous tenions dans ce moment la droite
+de la division. Nous sommes venus prendre notre position, la nuit du 6
+au 7, à Vaprio, où nous sommes arrivés à onze heures du matin. Cette
+ville est située sur le bord de la rivière nommée l'Adda; elle est forte
+par sa position: il y avait un pont volant établi qu'on a fait couler à
+fond lorsqu'on a quitté la rivière.
+
+Vers les deux heures de l'après-midi, une colonne assez considérable de
+l'armée autrichienne a fait un mouvement pour se disposer à passer la
+rivière pendant la nuit, ce qui leur a été facile, car la rivière
+n'était presque pas gardée. Vers les quatre heures du matin, comme notre
+bataillon était à bivouaquer dans un village à une lieue et demie de
+Vaprio, une ordonnance est venue dire au général qui commandait ce
+poste, que l'armée autrichienne avait passé la rivière[65] toute la nuit
+et dirigeait sa marche sur Milan. Aussitôt, il nous fut ordonné de nous
+retirer sur Vaprio, pour nous joindre à la division du général Delmas,
+en laissant de distance en distance des compagnies en échelons; jusqu'à
+ce que nous avons trouvé une route de Vaprio à Milan, qui était déjà
+coupée par l'ennemi. Le combat s'est aussitôt engagé sur la rive gauche
+de l'Adda, dans les environs de Vaprio et Casale; il a été opiniâtre des
+deux côtés. Le général Delmas est venu ordonner aux bataillons qui
+soutenaient l'attaque, qui étaient les nôtres et un de la 3e
+demi-brigade, de foncer sur l'ennemi, et il a dit que sa division allait
+arriver pour nous soutenir. Aussitôt l'ordre donné, les deux bataillons
+se sont mis en marche pour l'exécution; dans l'instant la victoire nous
+a souri en leur faisant environ deux cents hommes prisonniers; mais,
+dans le même moment, un renfort considérable leur étant arrivé, ils ont
+forcé le bataillon qui était à notre droite, sur le bord de la rivière,
+et ils n'ont pas tardé à prendre le nôtre par le flanc et le front. Dans
+ces démêlés plus chauds qu'à l'ordinaire, j'ai reçu une balle qui m'a
+traversé l'avant-bras gauche et m'a mis hors de combat, d'où je me suis
+tiré avec beaucoup de peine, car nous étions pris de tous les côtés.
+
+Mais la division est arrivée dans ce moment et nous a donné du large; la
+journée est devenue terrible aux deux partis. Dans un moment où la
+division Delmas a donné, elle a repoussé l'ennemi à la tête du pont; il
+y avait un village où l'ennemi était retranché dans les murs des jardins
+et nos gens étaient tout autour; l'ennemi voyant qu'il ne pouvait plus
+tirer à cause de la hauteur des murs, prit les pierres des murs pour les
+jeter sur la tête des Français, mais l'ardeur républicaine qui bouillait
+dans les veines des soldats, ne souffrit pas longtemps l'insulte des
+Allemands; aussitôt entrés dans le village la baïonnette en avant, ils
+en renversèrent une grande quantité et firent sept cents prisonniers.
+Les rues du village ont été ce jour-là abreuvées du sang des Allemands,
+car le sang ruisselait dans lesdites rues, comme lorsqu'il tombe un
+orage.
+
+Le combat n'a cessé que lorsque la nuit a tendu ses voiles dans les
+environs où il avait commencé. Mais on s'est retiré sur Milan; la ville
+de Casale en est encore à sept lieues et une partie des blessés a été
+obligée de suivre la colonne; les routes étaient interceptées. Nous
+sommes arrivés dans les environ de minuit à Milan, du 8 au 9. La colonne
+a passé à Milan entre huit et neuf heures du matin, le 9. Quoique nos
+plaies n'aient point été pansées et que la marche nous fît de grandes
+douleurs nous avions préféré suivre notre colonne qui venait sur les
+bords du Tessin que de nous voir prendre prisonniers par des troupes
+inhumaines. Il n'est resté que de la troupe au château de Milan.
+
+C'est sur les bords du Tessin que j'ai quitté avec regret mes compagnons
+de misère, mais ma blessure le demandait. J'ai laissé en partant, après
+trois batailles, un fourrier, un caporal et six fusiliers, dans une
+compagnie qui était, le 6 germinal, composée de cent dix hommes.
+
+Notre armée de Mantoue est obligée, par une force supérieure d'ennemis,
+d'évacuer cette partie de l'Italie, et de se retirer sur les villes
+fortes du Piémont. Les hôpitaux n'étant plus assez considérables pour
+contenir tous les blessés, il faut donc rentrer en France.
+
+Avant de quitter cette partie de l'Italie, je veux faire une petite
+description sur la situation des habitants et sur la fertilité des
+terres de cette contrée. Depuis le Mont-Cenis à Mantoue, c'est un
+terrain plat et sablonneux; il est planté de toutes sortes d'arbres,
+mais ce sont les mûriers qui dominent; la vigne y est très commune et
+est plantée au pied de tous ces arbres: elle produit d'excellents vins;
+on y voit dans aucunes contrées les vignes attachées au-dessus de fort
+gros arbres, et cette vigne rapporte une quantité considérable de
+raisins. Les habitants du pays coupent tous les ans les branches de ces
+arbres pour faire cuire leurs aliments.
+
+Ils sèment sous ces vignes des grains de toutes sortes d'espèces qui y
+viennent encore assez bien par rapport aux arbres et aux vignes qui leur
+donnent de la fraîcheur, sans quoi ils ne pourraient rien récolter à
+cause de la grande chaleur du pays. Dans le Piémont et autres contrées,
+ils sèment beaucoup de riz qui fait une partie de leur nourriture
+qu'avec le vermicelle; enfin ils ne se nourrissent presque qu'avec des
+pâtes. L'occupation de ces habitants est en grande partie le commerce,
+et l'élevage des vers à soie qui leur fait avoir une grande quantité de
+manufactures. Il y a, dans cette partie de l'Italie, d'assez beaux sexes
+des deux côtés, mais extrêmement jaloux et traîtres. Il y a aussi de
+fortes rivières et des médiocres qui arrosent les plaines de riz. La
+construction des maisons est assez agréable, elles sont presque toutes
+voûtées, mais les vitres y sont rares, car à peine peut-on avoir des
+verres pour boire.
+
+Dans cette contrée sont enfermés plusieurs petits États et républiques,
+ce qui fait qu'il y a plusieurs monnaies, mais qui ne valent pas celle
+de France, excepté celle du Piémont qui vaut mieux. Autrefois, ce pays
+était fort riche, mais il a eu affaire à plusieurs maîtres qui lui ont
+ôté toute sa richesse, et la guerre a achevé sa ruine.
+
+Je ne ferai pas grande observation sur les endroits où j'ai passé, ayant
+évacué de Milan à Dijon.
+
+Le 5 prairial, nous sommes arrivés à Dijon, lieu de destination pour les
+blessés; nous sommes entrés à l'hôpital militaire, tout nouvellement
+préparé pour recevoir les blessés qui arrivaient tous les jours en grand
+nombre.
+
+Je suis resté onze jours à cet hôpital de Dijon, où ma plaie a été
+pansée deux fois par jour. Pendant ce temps, j'ai fait plusieurs
+demandes aux officiers de santé pour obtenir une convalescence. Comme je
+n'étais plus qu'à vingt-quatre heures de mon foyer et qu'il y avait sept
+ans que je n'étais rentré chez moi, je me suis vu avoir un peu d'espoir
+de revoir encore une fois mes père et mère, ainsi que mes autres
+parents. J'ai reçu des officiers de santé de l'hôpital militaire de
+Dijon, une convalescence de deux décades pour aller cicatriser ma plaie
+dans mes foyers; elle m'a été délivrée le 16 prairial. Je me suis rendu
+le 19 à Longchamp en passant par Langres; de là j'ai pris la traverse
+pour couper au plus court. Je suis donc arrivé la veille de la fête que
+l'on célébrait pour les plénipotentiaires qui avaient été égorgés à
+Rastadt.
+
+Le commissaire du pouvoir exécutif et le président m'ont fait l'honneur
+de me mettre de la cérémonie; ils m'ont rendu les honneurs en m'envoyant
+chercher par un détachement de la garde nationale; de suite on m'a
+offert une place d'honneur qui était à côté du président, que j'ai
+acceptée. Après la cérémonie, j'ai été admis au repas que les
+administrateurs se donnaient. J'ai été reçu avec toute la pompe et les
+honneurs dus à un défenseur qui n'avait jamais abandonné son drapeau.
+
+Ma convalescence étant expirée et n'étant point en état d'aller
+rejoindre, je suis allé voir l'officier de santé du canton; ne trouvant
+pas mon bras assez bien rétabli, il me donna un délai de six décades,
+lesquelles étaient finies le 30 fructidor, j'ai demandé ma feuille de
+route pour aller rejoindre mon corps et partager avec mes anciens
+camarades, l'honneur que j'ai partagé déjà, l'espace de sept ans.
+J'espère que l'Être suprême bénira nos travaux pour le salut de toute la
+France[66].
+
+Je suis parti de Longchamp le 1er vendémiaire an VIII de la République,
+pour aller rejoindre mon corps sur les frontières d'Italie.
+
+Mon départ fut retardé d'un mois à Chaumont où je suis resté pour
+montrer l'exercice à une compagnie de conscrits de ce département. Après
+l'organisation de ce bataillon, j'ai repris ma route pour la frontière
+d'Italie. Je suis parti de Chaumont le 16 brumaire de l'an VIII,
+accompagné de mon jeune frère qui avait quitté le 9e chasseurs à cheval,
+pour venir prendre du service dans la 3e demi-brigade de ligne qui était
+en ce moment en Italie.
+
+Nous avons fait la route assez agréablement de Chaumont à Aix en
+Provence. Je passerai sous silence les étonnements de mon frère pendant
+cette route, de se trouver dans une contrée si déserte et aussi peu
+fertile, sous les rochers de la Provence. J'en ferai une petite
+description.
+
+Après avoir parcouru plusieurs contrées de la Provence, étant rendus à
+notre dépôt, à Aix, le 21 frimaire, nous avons été à trois lieues de là,
+sur la Durance, à un village nommé Peyrolles, jusqu'au 1er thermidor.
+Nous étions là pour faire rejoindre les conscrits et les
+réquisitionnaires; aussi pour y empêcher les assassinats que des bandes
+de brigands exerçaient souvent dans plusieurs de ces contrées; en un
+mot, ces bandes de scélérats portaient la désolation chez plusieurs
+pères de famille. Nous sommes partis d'Aix le 5 thermidor pour nous
+rendre dans une autre contrée de la Provence, une ville nommée
+Draguignan, où nous sommes arrivés le 9. Cette ville est située au
+milieu d'une plaine environnée de hautes montagnes; la contrée est
+charmante, on y voit une quantité prodigieuse d'oliviers; les coteaux
+qui environnent la ville forment un amphithéâtre planté d'oliviers qui
+forment une tapisserie, verte hiver comme été, ce qui réjouit la vue, et
+donne un beau coup d'oeil. La plaine qui environne la ville est plantée
+de vignes entre lesquelles on sème plusieurs sortes de grains et de
+légumes.
+
+Les eaux y sont très bonnes, la contrée étant abreuvée par des fontaines
+venant des montagnes. La ville est fermée par une simple muraille, très
+haute; les rues sont d'une largeur proportionnée à leur longueur, mais
+bien mal entretenues comme propreté: on y laisse pourrir toutes sortes
+d'herbes venant des montagnes pour faire des engrais pour la terre. Dans
+la Provence, il y a très peu de _commodités_, ce qui fait qu'on jette
+toutes les ordures dans les rues; c'est ce qui rend le pays malsain; on
+y respire de mauvaises odeurs. On rapporte qu'ils ne se donnent pas
+l'aisance des _commodités_ à cause de la quantité des conduits de leurs
+fontaines qui traversent leurs habitations.--Les maisons sont d'une
+assez belle construction, hautes de trois étages, plus ou moins; les
+habitants sont grossiers naturellement et peu humains. (Qu'ils se le
+disent!) Ce qui fait remarquer leur peu d'humanité envers leurs
+concitoyens, c'est que dans ces contrées et même dans toute l'étendue de
+la Provence, il s'y produit une réelle quantité considérable de brigands
+qui ne cessent d'assassiner journellement les voyageurs sur les grandes
+routes. Je me suis laissé dire que cela s'était fait de tout temps, mais
+cependant pas aussi souvent que maintenant.
+
+Le costume des hommes n'est pas bien différent de celui de notre pays:
+la mode est de porter presque tous des vestes; les femelles s'habillent
+presque comme ici, sinon que leurs jupes sont fendues par derrière; leur
+caractère n'est pas meilleur que celui des hommes.
+
+La manière dont je dépeins la contrée de Draguignan servira de modèle
+pour toute la Provence plus ou moins fertile en aliments de tout genre.
+Je me rappelle que l'air de la campagne y est plus chaud que dans nos
+pays; les récoltes s'y font de meilleure heure qu'ici, mais aussi ils
+plantent tout l'été car la culture ne pourrait jamais alimenter la
+population retirée en ce pays. Le pain y est presque toujours à quatre
+et cinq sous la livre de quatre onces. Le vin y est à bon compte, mais
+les orages y sont fréquents; aussi leur terre cultivée est-elle souvent
+ravagée. Le grain qu'ils récoltent, ils le font fouler aux pieds des
+mulets et des boeufs pour en retirer les semences.
+
+Je dirai que les maux que j'ai endurés depuis huit années de service
+militaire pour ma patrie, ont été marqués jour par jour par de nouveaux
+sacrifices que je ne peux oublier. Ces souffrances ont été renouvelées à
+plusieurs époques. Ainsi je vais, dans cette feuille, tracer une
+esquisse de ce qui s'est passé à Gênes pendant le blocus.
+
+Je dirai donc que notre ennemi, voulant nous ôter tout espoir de
+retourner en Italie, a réuni de grandes forces pour investir Gênes et
+enfermer notre armée. Après plusieurs combats sanglants de part et
+d'autre, et à plusieurs reprises notre ennemi nous ayant forcé notre
+ligne sur Savone, il nous a coupé la communication que nous avions
+encore sur terre, et les Anglais croisant sur mer où l'on ne pouvait que
+difficilement passer, nous voilà donc obligés de nous retirer sous la
+ville de Gênes, en attendant quelques renforts qui n'arrivèrent pas
+assez tôt. Il faut donc comprendre la misère que nous avons souffert[67]
+dans ce blocus. Si les habitants de la nation doivent une reconnaissance
+à ses défenseurs, ils la doivent en particulier aux troupes qui
+composaient la garnison de Gênes, soit par leurs souffrances, soit par
+leur intrépidité à défendre la ville malgré le manque de nourriture. Un
+peu de pain fabriqué avec de la paille hachée, du son, du cacao, un peu
+de miel pour pouvoir lier ce mélange ensemble; et quand on le retirait
+du four tombait-il en poussière. La viande était du mulet bien maigre;
+les chiens et les chats faisaient nos meilleurs repas. Grâce au jus de
+Bacchus! sans cela nous serions tous restés pour otages sous les murs de
+Gênes. Si la ville a capitulé, c'est le défaut de vivres et la grande
+mortalité qui en a été la seule cause. Au moment de la capitulation, on
+recevait par homme six onces de cette mauvaise fabrication de pain, mais
+toujours une bouteille de vin.
+
+La capitulation a été honorable pour nous; nous avons emmené autant
+d'artillerie qu'il nous a été possible, tous nos bagages et autres
+armements; tous nos malades et nos blessés ont été apportés en France
+sur les bâtiments anglais.
+
+C'est après la fameuse bataille de Marengo que les Français sont rentrés
+à la ville de Gênes et qu'il y a eu une suspension d'armes, pour en
+venir à une conclusion de paix; de sorte que l'ennemi a eu la ville de
+Gênes trois jours en possession, puis elle a été rendue par arrangement
+avec six autres villes et forts.
+
+Dans ce moment, étant revenus à Draguignan à notre dépôt, nous avons été
+envoyés à Digne, dans les Basses-Alpes, pour y prendre les eaux
+thermales où j'en ai fait usage sans en être soulagé, de sorte que j'ai
+été renvoyé dans mes foyers, le 5 vendémiaire an IX. Je suis arrivé à
+Longchamp-sur-Laujon le 29 vendémiaire.
+
+
+
+
+PRIÈRE DU SOLDAT RÉPUBLICAIN
+
+
+N. B. Cette prière termine le manuscrit, elle est aussi de la main de
+Fricasse. À première vue, elle nous avait paru l'extrait d'un sermon de
+prêtre constitutionnel, mais nous avons changé d'idée en voyant le tour
+incorrect de certaines phrases, lignes 16, 17, 23, et surtout les
+dernières lignes.
+
+Elle peut parfaitement être l'oeuvre d'un sergent, et surtout d'un
+sergent qui a débuté au couvent comme jardinier. On doit reconnaître
+qu'il y a dans le second paragraphe une pensée juste et noble.
+
+
+
+
+PRIÈRE DU SOLDAT RÉPUBLICAIN FRANÇAIS
+
+
+Dieu de toute justice, être éternel et suprême souverain, arbitre de la
+destinée de tous les hommes, toi qui es l'auteur de tous biens et de
+toute justice, pourrais-tu rejeter la prière de l'homme vertueux qui ne
+te demande que justice et liberté?
+
+Ah! si notre cause est injuste, ne la défends pas! La prière de l'impie
+est un second péché, c'est t'outrager toi-même que de te demander ce qui
+n'est pas conforme à ta volonté sainte.
+
+Mais nous te demandons que la puissance dont tu nous as revêtus soit
+conforme à ta volonté. Prends sous ta protection sainte une nation
+généreuse qui ne combat que pour l'égalité. Ôte à nos ennemis
+détestables la force criminelle de nous nuire; brise les fers des
+despotes orgueilleux qui veulent nous les forger. Bénis le drapeau de
+l'union sous lequel nous voulons tous nous réunir pour obtenir notre
+indépendance. Bénis les généreux citoyens qui exposent leur vie et leur
+fortune pour défendre leur patrie. Bénis les mères respectables de ces
+vertueux enfants de la patrie qui te prient de leur accorder victoire.
+Ouvre les yeux de ceux qui sont égarés dans nos foyers afin qu'ils
+rentrent à la raison, pour jouir avec nous des précieux fruits de
+l'égalité et de la liberté, et chanter avec nous les cantiques et les
+louanges dédiés à l'Être suprême.
+
+Nous adorons Dieu chacun à notre manière, sous la protection des lois et
+sous la surveillance de l'autorité constituée, et nous n'en sommes que
+meilleurs Républicains.
+
+
+
+
+SUPPLÉMENT
+
+
+
+
+I
+
+LA LEVÉE EN MASSE
+
+Extrait des _Mémoires sur Carnot_
+
+
+Le projet d'une levée en masse avait fait hésiter d'abord la Convention:
+il l'étonnait par sa hardiesse; elle le renvoya à l'examen du Comité de
+salut public. C'était le 12 août. Le 14, Carnot fut adjoint au comité;
+le 16 le décret fut rendu au milieu des acclamations universelles; le
+23, une loi organisa en ces termes la _réquisition permanente de tout
+les Français pour la défense de la patrie_:
+
+«Les jeunes gens iront au combat; les hommes mariés forgeront les armes
+et transporteront les subsistances; les femmes feront des tentes, des
+habits, et serviront dans les hôpitaux; les enfants mettront le vieux
+linge en charpie; les vieillards se feront porter sur les places
+publiques pour exciter le courage des guerriers, prêcher la haine des
+rois et l'unité de la République;
+
+«Les maisons nationales seront converties en casernes, les places
+publiques en ateliers d'armes; le sol des caves sera lessivé pour en
+extraire le salpêtre;
+
+«Les armes de calibre seront exclusivement remises à ceux qui marcheront
+à l'ennemi: le service de l'intérieur se fera avec des fusils de chasse
+et l'arme blanche;
+
+«Les chevaux de selle sont requis pour compléter les corps de cavalerie;
+les chevaux de trait et autres que ceux employés à l'agriculture
+conduiront l'artillerie et les vivres.
+
+«Le Comité de salut public est chargé de prendre les mesures nécessaires
+pour établir sans délai une fabrication extraordinaire d'armes de tous
+genres, qui réponde à l'élan et à l'énergie du peuple français.»
+
+La France offrit bientôt à ses adversaires le tableau que Barère avait
+ainsi tracé d'avance.
+
+À Valmy, à Jemmapes encore, l'armée régulière avait joué l'unique rôle;
+mais, à dater du temps que nous racontons, elle fut absorbée par la
+multitude des volontaires et des réquisitionnaires. Désormais la
+République sera moins servie sur les champs de bataille par des
+militaires de profession que par des citoyens destinés à quitter
+l'uniforme après l'accomplissement de leur croisade: grand exemple qui
+révéla aux Français leur aptitude à acquérir promptement les qualités du
+soldat. Ce n'est pas que, dans les premiers moments, ces conscrits qui
+ne savaient pas tenir leur arme, qui s'élançaient follement et se
+débandaient au moindre choc, ne donnassent de la tablature aux généraux;
+la correspondance des représentants est toute semée de plaintes et
+d'inquiétude à leur sujet; mais leur noviciat ne fut pas long: «Dès la
+fin d'août, dit Jomini, les effets de la nouvelle levée se firent
+sentir; le déblocus de Dunkerque et celui de Maubeuge en furent les
+premiers résultats, et la grande réquisition acheva de nous assurer la
+supériorité.»
+
+Il faut ajouter que cette grande réquisition rencontra moins de
+difficultés que le recrutement de trois cent mille hommes au mois de
+mars précédent. Le mouvement révolutionnaire s'était étendu, et l'idée
+républicaine que tout citoyen doit le service à son pays avait gagné les
+esprits.
+
+Toutefois, ce n'est pas avec des bandes tumultueuses que la France
+aurait vaincu l'Europe; il fallait que la nation se transformât en
+armée.
+
+C'est alors que se déploya surtout l'activité de Carnot.
+
+Il s'agissait d'organiser, selon le principe d'unité, une multitude
+aussi peu homogène dans ses éléments que dans sa constitution.
+
+Elle se composait d'anciens soldats et de conscrits amenés, soit par la
+levée des trois cent mille hommes, soit par la levée en masse, sans
+compter les engagés volontaires de toutes les dates, les débris des
+compagnies franches et les étrangers.
+
+Certains corps étaient restés comme avant la Révolution, tandis que
+plusieurs généraux avaient formé les leurs en demi-brigade selon le mode
+nouveau; puis il existait des légions françaises ou étrangères, mélange
+de toutes armes. Il y avait des bataillons aguerris, expérimentés,
+d'autres entièrement novices; il y avait des différences considérables
+d'effectif entre les corps de même espèce; il y avait des grades
+irrégulièrement acquis et en nombre exagéré; des soldats incorporés à la
+hâte, sans qu'ils fussent aptes au service; les états manquaient à peu
+près complètement. Quant à l'irrégularité des fournitures et de la
+comptabilité, on aurait de la peine à s'imaginer ce qu'elle était.
+
+Par quel moyen ce chaos fut-il débrouillé? c'est ce que nous ne
+pourrions dire sans surcharger une simple biographie de détails qui
+appartiennent à l'histoire générale de l'armée française.
+
+Ce qui est certain, c'est que cette armée ne tarda pas à devenir la plus
+homogène de l'Europe.
+
+Effacer toute distinction extérieure fut un des premiers objets de
+sollicitude. La troupe de ligne avait en grande partie conservé l'ancien
+uniforme blanc, tandis que les nouveaux arrivés portaient l'habit
+national: source féconde en mésintelligence. Dès le 29 août, un arrêté
+prescrivit l'unité du costume.
+
+L'arme du génie reçut une organisation nouvelle, dont Carnot s'occupa
+tout spécialement. Les nombreuses compagnies de canonniers volontaires,
+qui s'étaient formées et remarquablement bien exercées, furent
+incorporées dans l'artillerie. On réussit même à improviser une
+cavalerie. La disette des chevaux était extrême: des achats faits dans
+toutes les contrées étrangères où nos agents purent pénétrer, une levée
+extraordinaire dans les cantons et les arrondissements de la République,
+et des dons spontanés nombreux, permirent de mettre en ligne des
+cavaliers capables de se mesurer avec les formidables escadrons des
+coalisés.
+
+En février 1792, la France n'avait qu'un effectif de 228,000 hommes
+(204,000 sous les armes); avant le mois de mai, grâce à l'activité
+déployée, elle comptait 471,000 soldats (présents 397,000); au 15
+juillet 479,000, si l'on s'en rapporte à une note de Saint-Just,
+conservée pour sa propre instruction, et dont nous possédons
+l'autographe. Le tableau officiel que nous consultons présente un
+chiffre qui s'en éloigne peu, 483,000 (inscrits, 599,000).
+
+En décembre, l'effectif de l'armée s'élevait à 628,000 hommes (présents
+sous les drapeaux, 554,000). Ce nombre alla croissant jusqu'à 1,026,000
+(732,000 sur terrain du combat en septembre 1794). Il n'y a pas de
+raison sérieuse pour contester ces états, publiés à une époque où
+l'exagération ne pouvait profiter de rien (1797). Cependant on a dit que
+les phalanges républicaines n'avaient jamais compté au delà de 600,000
+hommes, un écrivain les a réduites à 500,000, un autre à 400,000, en
+ajoutant qu'ils n'étaient ni armés, ni nourris, ni vêtus. Espère-t-on,
+par de telles assertions, rabaisser le mérite des dictateurs
+révolutionnaires? on l'élève au contraire. Moins on leur supposera de
+ressources entre les mains, plus admirable apparaîtra le résultat
+obtenu: la coalition vaincue ne doit pas de reconnaissance aux auteurs
+des nouveaux calculs.
+
+«Rien ne peut effacer cette vérité historique, que la Convention a
+trouvé l'ennemi à trente lieues de Paris, et qu'on a dû à ses prodigieux
+efforts de conclure la paix à trente lieues de Vienne.» C'est Benjamin
+Constant qui dit cela: Benjamin Constant est un esprit de 1791; partisan
+des principes, il est généralement peu admirateur des faits de la
+Révolution.
+
+
+
+
+II
+
+LEVÉE DU BLOCUS DE MAUBEUGE ET COMBAT DE WATIGNIES
+
+Extrait des _Mémoires sur Carnot_
+
+
+Des nouvelles alarmantes arrivaient du Nord.
+
+Malgré la victoire d'Hondschoote, qui promettait de donner aux armées
+françaises une prépondérance décisive, mais dont le général Houchard
+n'avait pas su tirer parti, la situation faite par Norwinde avait peu
+changé. Le Quesnoy était dans les mains des coalisés; maîtres déjà de
+Valenciennes et de Condé, ils possédaient l'Escaut; leur ambition allait
+maintenant à dominer également la Sambre, en s'emparant de Maubeuge, qui
+serait devenue leur base d'opérations. Cette place tombée, rien
+n'arrêtait sérieusement leur marche vers la capitale.
+
+Le 29 septembre, le prince de Cobourg força le passage de la rivière par
+six colonnes, investit Maubeuge, et porta son armée d'observation sur
+Avesnes et Landrecies.
+
+La place de Maubeuge, assez médiocre, était couverte par un camp
+retranché, avantageusement situé, où venaient de se rallier vingt mille
+hommes, qui se trouvèrent bloqués du même coup. Peut-être le général
+autrichien avait-il commis une imprudence en laissant se grouper cette
+force imposante dont il ne pouvait prévoir la malheureuse immobilité.
+Mais il n'ignorait pas que les approvisionnements de la ville seraient
+bientôt insuffisants pour des bouches aussi nombreuses. Les troupes, en
+effet, furent d'abord réduites à la demi-ration: au bout de peu de jours
+la disette était complète. Des maladies éclatèrent, et les hôpitaux ne
+pouvant plus contenir les malades, il fallut les déposer sous les
+hangars des faubourgs. Cependant les assiégeants élevaient des travaux
+formidables, trois batteries de vingt pièces de 24, et le cercle de
+leurs canons se resserrait tellement que les boulets passaient en
+sifflant au-dessus du camp retranché, pour aller porter la mort et la
+destruction dans la ville. Beaucoup d'habitants des environs s'y étaient
+réfugiés, et ils augmentaient les alarmes, en racontant le pillage de
+leurs fermes et l'incendie de leurs demeures.
+
+Trois commissaires de la Convention s'efforçaient de soutenir les
+courages. Ils voulurent faire connaître au gouvernement la situation
+critique de Maubeuge: l'un deux, Drouet, dès les premiers moments du
+blocus, tenta, avec plus d'audace que de prudence, de franchir les
+lignes ennemies: il fut pris et alla expier dans les cachots le souvenir
+de Varennes. Quelques jours après, treize dragons se dévouèrent; ils
+traversèrent la Sambre à la nage et parvinrent à gagner Philippeville.
+
+Mais la République n'avait pas attendu cet appel de détresse pour
+secourir ses enfants, les sauveurs approchaient. Dans la soirée du 14 au
+15 octobre, les assiégés entendirent, à travers le feu des Autrichiens,
+une canonnade plus lointaine. Ils n'osaient pas encore se livrer à la
+joie, les uns craignant que ce bruit n'annonçât le bombardement
+d'Avesnes, d'autres redoutant un piège de l'ennemi pour attirer nos
+soldats hors du camp et les mettre aux prises avec une armée qui les
+écraserait de sa supériorité. Au milieu de ces incertitudes, les
+défenseurs de Maubeuge demeurèrent inactifs, et ne secondèrent pas,
+comme ils l'auraient pu faire, les efforts de leurs libérateurs.
+
+Car cette canonnade était bien celle de l'armée française, qui arrivait
+au secours de la ville.
+
+Voici ce qui s'était passé:
+
+Les opérations militaires importantes et rapides qui devaient être
+exécutées dans le Nord, avaient fait sentir la nécessité d'une main plus
+jeune et plus forte que celle de Houchard. Carnot, témoin de la belle
+conduite de Jourdan à Hondschoote, le désigna au Comité. Son choix ayant
+été ratifié, il se rendit lui-même près du nouveau général pour lui
+porter sa commission, qui réunissait sous son commandement les forces
+disponibles des armées du Nord et des Ardennes. Jourdan esquissa un
+projet, que Carnot approuva dans ses données principales, et qui fut
+utilisé plus tard, mais qui ne lui paraissait pas en rapport avec
+l'imminence du danger. De retour au sein du Comité, il proposa d'aller
+attaquer directement l'ennemi dans sa redoutable position, afin de
+délivrer Maubeuge; c'était presque une question de vie et mort pour la
+République. Ses collègues trouvèrent l'entreprise trop audacieuse pour
+la confier à un général qui commandait en chef pour la première fois, et
+ils ne consentirent à l'adopter qu'à la condition que Carnot irait
+lui-même en prendre la direction.
+
+Celui-ci ne se donna pas même le temps d'aller dire adieu à sa famille.
+Il partit dans la nuit, après avoir envoyé un courrier à Péronne, où
+résidait son frère Feulins, prévoyant qu'il aurait besoin de lui pour
+quelque sorte de dévouement. À la demande de Carnot, on lui avait
+adjoint le conventionnel Duquesnoy, qui l'avait si bien secondé à
+l'attaque de Furnes, et qui allait également retrouver son frère sous
+les murs de Maubeuge. Tous, ainsi que Jourdan, se rencontrèrent à
+Péronne le 7 octobre, et ils se transportèrent à Guise, lieu du
+rendez-vous général, qui prit de là le nom de Réunion-sur-Oise. Carnot
+écrit: «Les soldats ont confiance en lui et ne demandent qu'à se battre;
+nous espérons ne pas les faire languir. L'affaire sera chaude; mais nous
+vaincrons et la patrie sera sauvée.» Et puis: «Il nous faudrait au moins
+quinze mille baïonnettes pour charger l'ennemi à la française.»
+
+Après une conférence entre Jourdan et les commissaires de l'Assemblée,
+le quartier général fut porté rapidement de Guise à Avesnes, à deux
+lieues des postes avancés du prince de Cobourg.
+
+Quarante-cinq mille soldats environ, tirés des camps de Gavarelle, de
+Cassel et de Lille, composaient l'armée française où les nouvelles
+levées étaient encore très imparfaitement organisées: Cobourg avait de
+soixante-quinze à quatre-vingt mille hommes, partagés en deux corps,
+l'un d'investissement (quarante mille au moins), autour de Maubeuge;
+l'autre d'observation (trente-cinq mille), au sud de cette ville, dans
+les positions de Wattignies, Doulers, Saint-Rémy et autres villages, le
+long d'un petit affluent de la Sambre, le Tarsy. Fortement postés sur
+des hauteurs hérissées de batteries, couverts par des fossés palissadés
+par des haies très élevées, par d'immenses coupes d'arbres renversés
+avec leurs branches, et toutes les routes étant rompues, les Autrichiens
+semblaient dans une position tellement inexpugnable, que leur général,
+en accès de jactance, dit à ses officiers: «Les Français sont de fiers
+républicains, mais, s'ils me chassent d'ici, je me fais républicain
+moi-même.»
+
+Cette bravade fut portée dans l'autre camp, où elle stimula vivement
+l'amour-propre national. Nos soldats se répétaient gaiement qu'ils
+iraient sommer le citoyen Cobourg de tenir sa parole.
+
+Le lendemain, 14 octobre, reconnaissance des positions ennemies par
+Jourdan et Carnot, fusillade engagée sur la ligne et terminée par
+quelques coups de canon, qui retentirent jusqu'à Maubeuge et allèrent
+porter l'espoir dans le coeur des assiégés.
+
+Le 15 au matin, les Français s'ébranlent: la division Fromentin,
+détachée à l'aile gauche, s'avance par l'ancienne voie romaine de Reims
+à Bavai, vers le village du Monceau. Au centre le général Balland, avec
+plusieurs batteries de 16 et de 12, débouche au travers la haie
+d'Avesnes, terrain fort inégal et couvert de bois (il l'est aujourd'hui
+de pâturage) et vient occuper les hauteurs en face de Doulers et de
+Saint-Aubin. Le général Duquesnoy, frère du député, commandait la
+droite, prend possession du village de Beugnies. Le quartier général est
+porté au point où la route de Soire-le-Château vient s'embrancher sur
+celle d'Avesnes à Maubeuge.
+
+Les opérations projetée avaient pour appui les places de Rocroy,
+Marienbourg, Philippeville, et les détachements qui s'avançaient de ce
+côté par les ordres de Jourdan: car nous avons dit que, dans ces graves
+circonstances, le Comité avait mis l'armée des Ardennes à sa
+disposition.
+
+Vers sept heures du matin, le général en chef s'avance, accompagné des
+deux représentants de la Convention. Le signal de l'attaque est donné
+sur tous les points à la fois. Le plan adopté avait pour but, en quelque
+endroit que l'on fût victorieux, de se précipiter vers Maubeuge pour
+donner la main au camp retranché. Mais en cas de revers, on conservait
+toujours la route de Guise. Les deux ailes devaient marcher rapidement,
+tandis qu'au centre, à Doulers, on se bornerait à une canonnade. Des
+batteries, postées devant ce village, démontèrent celles que l'ennemi
+avait établies au delà, derrière les habitations qui bordent la grande
+route. Les boulets des deux artilleries se croisaient par-dessus le
+village situé à mi-côte. Plusieurs de nos pièces, servies par les braves
+canonniers de la commune de Paris, firent merveille, comme à
+l'ordinaire.
+
+Tout sembla marcher d'abord à souhait: le général Fromentin, à la tête
+de douze mille fantassins, délogea les tirailleurs autrichiens des
+hauteurs qui couronnent les villages de Saint-Remy et de Saint-Waast.
+Duquesnoy gagnait également du terrain sur la droite; maître de Dimont
+et de Dimechaux, il commençait déjà le feu contre Wattignies. Nos ailes
+semblaient devoir se joindre par un mouvement concentrique, qui mettait
+l'armée ennemie dans le plus grand péril.
+
+À la nouvelle de ces succès, capables d'amener la perte totale des
+Autrichiens, la canonnade de Doulers fut transformée en une attaque de
+vive force. L'entreprise était difficile. La division Balland (environ
+treize mille hommes) voyait sur tous les points culminants, au delà du
+village, déjà puissamment défendu, une masse de bouches à feu
+menaçantes, et aux abords de toutes les routes une cavalerie impatiente
+de s'élancer.
+
+Rien pourtant ne fit hésiter les républicains: ils coururent à l'ennemi
+en chantant la Marseillaise, ayant à leur tête, avec le général en chef,
+les représentants du peuple, dont l'exemple les enthousiasmait; ils
+franchirent impétueusement les premiers obstacles du terrain,
+pénétrèrent à la baïonnette dans le village et s'emparèrent du château;
+ils s'apprêtaient à escalader les hauteurs qui sont au delà du vallon de
+la Bracquière, lorsqu'une épouvantable mitraille vint les arrêter.
+Menacés en même temps par la cavalerie prête à charger sur leurs flancs,
+ils furent contraints d'abandonner les positions conquises avec tant
+d'héroïsme.
+
+La rapidité avec laquelle ces positions avaient été enlevées par nos
+jeunes soldats permettait cependant de grandes espérances pour une
+seconde tentative. Leur élan était irrésistible. Les commissaires de
+l'Assemblée voulurent le mettre à profit. Le général balançait. Carnot,
+dans un mouvement d'impatience, laissa échapper ces mots: «Pas trop de
+prudence, général!»--Jourdan, blessé au vif (et blessé justement, il
+faut en convenir), donne aussitôt le signal d'une nouvelle attaque, et
+la fait appuyer par une colonne de cavalerie, chargée de tourner la
+position. Cette cavalerie, trouve toutes les issues barricadées. Pendant
+ce temps l'assaut recommence: mêmes efforts, même succès d'abord même
+issue fatale.
+
+Cette fois, ce fut Jourdan, piqué d'honneur, qui voulut absolument
+retourner à la charge, mais sans meilleur résultat: les Autrichiens
+venaient de recevoir du renfort de leur droite, où nos affaires
+s'étaient gâtées.
+
+Le général Fromentin, enivré par ses premiers avantages, au lieu de
+longer la lisière du grand bois Leroy, comme on lui avait recommandé de
+le faire, afin de pouvoir s'abriter contre la cavalerie supérieure de
+l'ennemi, s'était imprudemment aventuré dans la plaine de Berlaimont,
+avec des troupes de nouvelle levée; les escadrons autrichiens,
+débouchant tout à coup des bois de Doulers, les assaillirent et jetèrent
+dans leurs rangs la panique et la déroute.
+
+Dès que ces fâcheuses nouvelles furent connues au centre, on dut
+renoncer à l'attaque de Doulers, calculée sur les progrès des deux
+ailes. Il fallait changer le plan, que l'échec de Fromentin venait de
+compromette.
+
+Le premier cri de Jourdan fut celui-ci: «Allons au secours de l'aile
+gauche!» l'ordre en était déjà donné, lorsque Carnot survint: «Général,
+dit-il avec vivacité, voilà comme on perd une bataille!» et l'ordre fut
+révoqué.
+
+La nuit était venue, la fusillade cessa; les deux armées bivaquèrent sur
+le champ du combat.
+
+Le conseil s'étant rassemblé, Jourdan développa son opinion: selon les
+principes de l'ancienne guerre, il proposait d'abandonner toute pensée
+d'attaque sur le centre de l'ennemi, et de diriger des forces vers notre
+aile gauche, afin d'y rétablir l'équilibre. Carnot soutint au contraire
+qu'il fallait rappeler la division Fromentin, et concentrer nos efforts
+sur la droite, déjà en voie de succès, manoeuvre qui nous conservait les
+avantages de l'offensive, si importante pour de jeunes soldats, peu
+faits aux chances de la guerre. «Qu'importe, s'écria-t-il, que nous
+entrions à Maubeuge par la droite ou par la gauche?»
+
+--C'est là que nous devons triompher?» ajouta-t-il en mettant le doigt
+sur le plan au point de Wattignies. Wattignies étant plus rapproché que
+Doulers de la ville et du camp, cette position enlevée, l'autre devenait
+sans importance. D'ailleurs les corps détachés de l'armée des Ardennes,
+qui s'avançaient sous les ordres des généraux Elie et Beauregard, vers
+l'extrême gauche de l'ennemi, allaient bientôt se trouver en mesure
+d'appuyer le mouvement proposé par Carnot. «Si nous cédons à l'avis du
+représentant du peuple,» dit Jourdan, «je le préviens qu'il en prend la
+responsabilité.--Je me charge de tout, et même de l'exécution,» s'écria
+Carnot avec une ardeur qui entraîna le conseil. Jourdan eut le bon
+esprit de faire sienne l'idée qu'il venait de combattre, et la seconda
+avec autant d'intelligence que d'empressement.
+
+Carnot comptait sur la nature d'un terrain très escarpé et très boisé,
+qui cacherait notre marche, et qui, cette marche découverte, permettrait
+de se défendre avec des forces peu considérables, soutenues par la place
+d'Avesnes. Il comptait aussi sur le caractère connu du général allemand,
+qui ne présumerait jamais, de la part de ses adversaires, une manoeuvre
+aussi éloignée de la stratégie en usage, et duquel on ne devait guère
+attendre non plus un trait hardi et improvisé.
+
+Il faut ajouter qu'un heureux hasard vint favoriser les Français: un
+brouillard épais, phénomène fréquent dans cette saison, s'éleva entre
+eux et celui qui avait tant d'intérêt à observer leur mouvement; il dura
+jusque vers midi. Derrière ce rideau, six ou sept mille hommes, partis
+du centre et de la gauche, passèrent à la droite; cette manoeuvre donna à
+notre armée une direction perpendiculaire à celle qu'elle avait eue la
+veille. Le prince de Cobourg, qui nous croyait dans l'ancienne
+disposition, n'avait rien changé à la sienne. Pendant le même temps; le
+général Beauregard, après s'être emparé des villages de Berelles et
+d'Eccles, vint se placer derrière Obrechies, pour seconder l'attaque que
+l'on méditait.
+
+Afin de mieux dérouter l'ennemi, les généraux Balland et Fromentin
+entretinrent le feu de leurs batteries du côté de Doulers, feignant de
+vouloir renouveler les tentatives de la veille, tandis que Jourdan et
+les représentants du peuple marchaient au plateau de Wattignies, qui
+allait devenir le but d'un effort concentrique. Vingt-quatre mille
+hommes allaient y combattre. Les Autrichiens demeurèrent stupéfaits
+lorsque le brouillard s'étant déchiré, un soleil splendide leur montra
+une masse d'assaillants gravissant vers eux au cri de Vive la
+République! Carnot et Duquesnoy s'avançaient à la tête d'une des trois
+colonnes d'attaque, leurs chapeaux de représentant sur la pointe de
+leurs sabres.
+
+La position des Autrichiens était très forte. Le village de Wattignies,
+qui donna son nom à la bataille, est situé sur un plateau élevé,
+qu'entourent des vallons profonds et des cours d'eau, et ces obstacles
+naturels avaient encore été augmentés par de nombreux retranchements. Le
+plateau lui-même se trouve dominé par les hauteurs de Clarye,
+aujourd'hui cultivées, mais alors couvertes de bruyère et également
+occupées par l'ennemi.
+
+L'infanterie française marchait, soutenue par des batteries de campagne,
+dont les boulets lui ouvraient la voie: «De l'aveu des Autrichiens, dit
+un historien (Toulongeon), jamais ils n'avaient vu une si terrible
+exécution d'artillerie. Ils dirent qu'ils entendaient, pendant les
+détonations des bouches à feu, retentir dans les rangs républicains les
+chants belliqueux et les airs patriotiques.»
+
+Cependant le feu de l'ennemi, n'était ni moins bien nourri, ni moins
+meurtrier que le nôtre; les tirailleurs du général Duquesnoy, refoulés,
+renversés, mitraillés, reculèrent. En ce moment le colonel
+Carnot-Feulins aperçut un bataillon de nouvelles recrues qui s'était
+réfugié dans un pli du terrain, à l'abri des coups, les soldats groupés
+autour de leur commandant, «comme des poulets effrayés par un oiseau de
+proie.» C'est l'expression dont se servait mon oncle en racontant cet
+épisode. Après leur avoir vainement ordonné de marcher, Carnot-Feulins
+saisit l'officier par le collet de son habit et l'entraîne au pas de son
+cheval jusque sous la mitraille; le bataillon, qui l'a suivi, rachète
+par une charge vigoureuse cette minute de poltronnerie.
+
+Deux fois les Français sont repoussés avec des pertes considérables.
+Enfin un assaut général semble nous donner la victoire partout en même
+temps: Fromentin oblige son adversaire Bellegarde d'abandonner les
+redoutes de Saint-Waast et de Saint-Aubin; Balland chasse les grenadiers
+bohêmes des hauteurs de Doulers, qui foudroyaient Wattignies; nos
+tirailleurs redoublent d'efforts. Le village de Wattignies est pris et
+repris à la baïonnette, malgré les haies et les palissades qui entourent
+ces jardins; trois régiments autrichiens sont anéantis; l'ennemi se
+retire en désordre sur les hauteurs de Clarye, où il trouve une position
+dangereuse encore pour les vainqueurs.
+
+Cobourg a compris le nouveau plan de ses adversaires; il a rappelé vers
+le centre une portion de son aile droite, et au moment où une brigade
+française, sous les ordres du général Gratien, s'avance en tiraillant au
+milieu des bruyères, les cavaliers impériaux accourent sur elle l'épée
+haute; elle ne soutient pas le choc, elle se débande et ouvre une large
+trouée, par où les chevaux se précipitent. Le général lui-même commande
+la retraite.
+
+Cet acte de faiblesse et de désobéissance (car Gratien avait des ordres
+formels qui lui prescrivaient de se porter en avant), pouvait
+démoraliser nos soldats et compromettre tous leurs avantages. Carnot,
+l'aîné, s'en aperçoit, il s'élance vers la brigade Gratien, la fait
+mettre en bataille sur un plateau élevé, en vue de toute l'armée, et
+destitue solennellement le chef qui venait de reculer devant l'ennemi,
+puis il saute à bas de son cheval et forme cette brigade en colonne
+d'assaut.
+
+En ce moment son regard découvre un pauvre conscrit, blotti derrière une
+haie et tremblant de tous ses membres, Carnot s'approche de lui, ramasse
+son fusil, le décharge sur l'ennemi, puis ramène le jeune homme et le
+place dans les rangs. Prenant ensuite l'arme d'un grenadier blessé, il
+marche à la tête d'une colonne, tandis que son collègue Duquesnoy, comme
+lui revêtu de l'écharpe nationale et du costume de représentant,
+s'avance avec Jourdan à la tête de l'autre. Les soldats honteux de leur
+fuite, veulent en effacer le souvenir par un redoublement de courage en
+présence des commissaires de l'Assemblée: ils s'élancent avec
+impétuosité.
+
+Le colonel Carnot-Feulins fait en ce moment une manoeuvre décisive: il
+porte rapidement une batterie de douze pièces sur le flanc de la
+cavalerie autrichienne, qui venait de nous faire tant de mal: son feu,
+bien dirigé, renverse les escadrons. L'ennemi s'arrête, recule et fuit
+dans la direction de Beaufort.
+
+La position, cette fois, était enlevée.
+
+Les deux représentants du peuple atteignirent en même temps le sommet du
+plateau; vainqueurs tous deux, ils s'embrassèrent aux yeux des soldats
+enivrés, et un immense cri de Vive la République! apprit à l'armée
+française son triomphe, à l'ennemi sa défaite.
+
+Belle journée, qui arracha cette exclamation patriotique à un émigré,
+Chateaubriand: «Les Français recouvrèrent à Wattignies ce brillant
+courage qu'ils semblaient avoir perdu depuis Jemmapes.
+
+«On les vit se précipiter avec cette ardeur qui distingue leur première
+charge de celle des autres peuples.»
+
+Le soir même, le prince de Cobourg, jugeant prudent de ne pas attendre
+un second choc de ces soldats républicains, qu'il qualifiait d'enragés
+dans son bulletin, prit le parti de repasser la Sambre, bien que ses
+lieutenants, Haddick et Benjowski, eussent obtenu d'assez notables
+avantages à l'aile gauche, sur les généraux français Élie et Beauregard,
+et bien que le duc d'York accourût à son aide, ce qui peut-être eût fait
+tourner la chance en sa faveur. Un brouillard comme celui qui avait
+favorisé la veille notre heureuse évolution couvrit celle que dut faire
+l'ennemi pour se mettre hors de notre portée. Il avait perdu trois mille
+hommes, et nous moitié de ce nombre.
+
+Beaucoup d'officiers s'étaient distingués: parmi eux le brave
+d'Hautpoul, tué plus tard à Eylau, et Mortier, futur maréchal de France,
+blessé à l'attaque de Doulers. Celui-ci reçut de Carnot, pendant qu'on
+le pansait à l'ambulance, le grade d'adjudant général. Quant aux
+soldats, le rapport de Jourdan résume leur conduite en un mot:
+«C'étaient autant de héros!»
+
+La nuit avait couvert le champ de bataille. Carnot, éloigné des siens,
+privé de monture, excédé de besoins et de lassitude était demeuré seul,
+tourmenté par la pensée que sa présence pouvait être nécessaire au
+quartier général pour arrêter les dispositions du lendemain; car il
+ignorait encore la fuite de l'ennemi. Il fut heureusement rencontré par
+un détachement de cavalerie, dont le chef lui fit accepter son cheval et
+l'escorta jusqu'à Avesnes. L'alarme s'y était déjà répandue: on
+craignait que l'un des représentants de l'Assemblée ne fût au nombre des
+morts, et l'on avait envoyé à sa découverte.
+
+«Le 17,» raconte un historien local, «les vainqueurs de Wattignies
+longeaient le cours de la Sambre et entraient à Maubeuge, au milieu des
+transports d'une joie frénétique. La fumée de la poudre, la poussière
+des bivacs, ainsi que le désordre de leurs vêtements,--joints à
+l'assurance que procure la victoire, leur donnaient un air martial et
+terrible, qui contrastait avec l'abattement et le dépit des troupes du
+camp, honteuses de leur inaction, et ne sachant comment répondre aux
+reproches amères qui leur étaient adressés!...»
+
+Sans cette déplorable inaction, en effet, notre victoire eût été
+beaucoup plus complète, et toute l'artillerie de l'ennemi serait
+probablement tombée entre nos mains.
+
+La Convention, la République entière joignirent leurs acclamations
+reconnaissantes à celles des habitants de Maubeuge: la Révolution venait
+d'échapper à l'un de ses plus grands périls.
+
+Carnot repartit pour Paris immédiatement; et, dès le surlendemain, il
+écrivait à l'armée pour la féliciter de son triomphe, sans donner à
+entendre, même indirectement, qu'il en avait été spectateur et acteur.
+Il semblait n'avoir pas quitté son bureau.
+
+
+
+
+III
+
+
+ÉVACUATION DE KEHL
+
+Extrait d'un _Mémoire militaire sur Kehl_, par un officier supérieur de
+l'armée. Strasbourg, Levrault, 1797.
+
+
+Ainsi finit, après cinquante jours de tranchée ouverte et cent quinze
+jours d'investissement, un des sièges mémorables que puisse offrir
+l'histoire. En effet, on voit d'une part une armée de soixante-dix
+bataillons aguerris, fière d'avoir forcé son ennemi à la retraite,
+déployer tout l'appareil d'un grand siège contre des retranchements
+informes, suppléant à l'audace qui lui manque par l'immensité de ses
+travaux, faisant le siège de quelques ouvrages détachés, déployant une
+artillerie formidable contre des masures occupées par des tirailleurs;
+néanmoins son adversaire dispute le terrain pied à pied; elle est forcée
+de donner un assaut à chaque partie d'ouvrage où elle veut se loger et
+perd en détail plus de soldats qu'une attaque générale ne lui on eût
+coûté. Enfin elle arrive à son but après avoir perdu six mille hommes et
+consommé les munitions nécessaires au siège d'une place de première
+ligne.
+
+De l'autre côté, une place construite à la hâte, en terre, dont quelques
+parties seulement sont revêtues, sans bâtiments, sans magasins, sans
+abris; liée à un camp retranché d'un grand développement, mais dont les
+principales défenses consistant en flaques et en marais se trouvent
+réduits à rien par la gelée. À la vérité, elle a l'avantage de ne
+pouvoir être entièrement bloquée et de conserver une communication
+facile avec Strasbourg, ce qui en impose assez à l'ennemi pour l'engager
+à ne rien donner au hasard: quoique défendue par des troupes harassées
+d'une longue retraite, auxquelles on ne peut fournir les objets
+d'habillement et les soulagements les plus indispensables, le terme de
+sa défense dépasse de beaucoup celui qu'on eût pu lui prescrire...
+Presque toutes les palissades étaient renversées, les fossés comblés en
+partie par les éboulements des parapets, et l'arrivée des renforts
+devenue très difficile... On se décida donc à évacuer... On n'eut guère
+que vingt-quatre heures pour tout enlever. Néanmoins on y mit une telle
+activité qu'on ne laissa pas à l'ennemi une seule palissade; tout fut
+ramené à la rive droite, jusqu'aux éclats de bombes et d'obus, et aux
+bois des plates-formes.
+
+
+
+
+UNIFORMES FRANÇAIS
+
+(ARMÉES DE SAMBRE-ET-MEUSE ET RHIN-ET-MOSELLE)
+
+
+Je tenais particulièrement à donner avec ce journal des dessins
+d'uniformes français dont l'authenticité fût égale à celle du texte.
+Bien qu'il n'y ait pas encore un siècle écoulé depuis 1792, la chose
+était malaisée. Il est plus facile de retrouver la tenue exacte d'un
+fantassin du quinzième siècle que celle d'un soldat de l'armée de
+Rhin-et-Moselle. Après l'avoir vainement cherchée en France, c'est en
+Allemagne que je l'ai rencontrée, grâce à mon confrère Raffet, du
+Cabinet des Estampes de la Bibliothèque nationale.
+
+Pour bien connaître certains secrets de la vie parisienne, il convient
+souvent de lire les correspondances des journaux étrangers. De même, il
+faut voir les gravures allemandes de 1792 à 1802 pour se faire une idée
+de la tenue qu'avaient alors nos troupiers en campagne. Rien de plus
+imprévu ni de plus décousu; on se figure aisément la surprise des bons
+Germains habitués à la correction de tenue et de mouvements des armées
+disciplinées à la prussienne. Leurs dessinateurs ont aussitôt voulu en
+fixer le souvenir; ils n'ont rien dissimulé des habits déchirés, des
+chemises en lambeaux, des souliers troués; ils ont mis à nu toutes les
+misères de ces conquérants affamés, qu'ils personnifient souvent en la
+personne d'un maigre fantassin ouvrant la bouche pour avaler cette boule
+ronde qui représente le monde, avec l'inscription: _il y passera_.
+
+Les Allemands devaient sentir cruellement la présence de ces bandes qui
+vivaient généralement sur leurs conquêtes, et cependant ils ne peuvent
+donner d'air féroce à leurs oppresseurs. Autant ils prêtent une mine
+grognonne à leurs compatriotes en armes, autant ils conservent un air
+souriant à ces endiablés qui veulent absolument boire leur vin et danser
+avec leurs filles, non sans leur prodiguer les caresses les plus
+cavalières. Ils ont même voulu sans doute faire honte aux faiblesses des
+femmes qui ont fini par sourire à ces gueux, car une de leurs
+caricatures favorites représente un pantalon d'uniforme français dont
+chaque jambe est tirée en sens contraire par deux commères rivales.
+D'autres sujets favoris sont le départ du régiment, les femmes en
+pleurs, et des petits berceaux où le nouveau-né montre une tête
+miraculeusement coiffée d'un bonnet de grenadier.
+
+Il faut avouer que les séducteurs n'avaient que la figure pour eux et
+qu'il leur fallait une amabilité prodigieuse pour masquer les désastres
+de leur uniforme. Des artistes de talent ont, après coup, naturalisé en
+France un type _correct_ du soldat républicain; il porte moustaches, a
+le cou découvert, la cravate noire; son chapeau est mis _en colonne_ et
+son pantalon a des raies roses; mais en réalité c'est moins coquet.
+D'abord le chapeau à cornes, considéré comme gênant, est coiffé
+crânement en bataille comme celui des gendarmes, et le plus souvent à
+rebours, bien en arrière, cocarde et panache du côté du dos. La ganse de
+la cocarde sert de ratelier à divers menus objets. Tantôt c'est la pipe
+qu'on y passe; tantôt la cuiller et la fourchette à deux pointes s'y
+croisent en manière de pompon gastronomique. Quelquefois la cuiller
+change de place et se passe élégamment dans deux boutonnières du revers
+d'habit. Le casque et le bonnet de hussard sont également rejetés en
+arrière de la tête. La moustache est une exception. La cravate monte
+très haut, fait plusieurs tours et ses bouts retombent avec un gros noeud
+sur les buffleteries. Cette forte cravate, presque toujours rayée, est
+plus souvent jaunâtre que noire. Comme on le verra, l'habit boutonne peu
+et les coudes, parfois troués, donnent une triste idée de la blancheur
+que pouvaient avoir conservée les revers et le gilet.
+
+Le pantalon est à pont, plus ou moins bien boutonné; s'il est rayé, ses
+rayures affectent toutes les dispositions et toutes les couleurs; les
+carreaux, les losanges, les zébrures se remarquent dans l'uniforme des
+volontaires, et certains officiers, qui portent le sac au dos comme
+leurs soldats, ont de véritables chausses collantes, rayées
+horizontalement de rouge, blanc et bleu maintenues par des sous-pieds
+fort longs qui vont chercher le pantalon au-dessus de la cheville. Les
+chaussures, dont nous avons rempli tout exprès une page, sont presque
+toujours dans le plus triste état; un chasseur à pied que nous
+reproduisons plus loin, paraît n'avoir plus que des semelles fixées par
+des lanières. Un autre a les pieds complètement nus. La cavalerie n'en
+est pas encore aux habits à pans écourtés, même dans certains régiments
+de hussards, elle reste fidèle aux pans longs agrémentés de passepoils
+et de force boutons; la basane qui protège quelques pantalons a des
+contours à la grecque; le bonnet des hussards est surmonté d'un panache
+presque aussi long, et le casque sans visière des dragons disparaît avec
+une partie du visage sous une crinière échevelée qui leur donne un
+aspect féroce. L'artillerie ne se distingue que par sa tenue complète de
+drap bleu; son aspect sévère est relevé par les soutaches rouges du
+gilet dans l'artillerie à cheval.
+
+Le havre-sac de beaucoup de soldats n'a rien de la forme régulière
+d'aujourd'hui. C'est un sac ordinaire en cuir ou en toile brune, serré à
+la gorge par une ficelle, maintenu par des bretelles; et il descend
+presque sur les reins du patient, ce qui devait augmenter le poids.
+
+Un seul soldat porte le bonnet de police à flamme longue avec un havre
+sac vraiment militaire, mais dont les courroies retiennent tout un
+monde. Dans le haut s'étale une oie; son cou est serré par la bretelle,
+et sa tête retombe mélancoliquement dans la direction d'une marmite
+ballottant à hauteur de la giberne. Le centre est barré par un pain
+long, et un flacon pend sur le côté droit. On voit que l'assortiment est
+complet et que nos zouaves n'ont rien inventé. Les officiers ont des
+pistolets à la ceinture, et portent le hausse-col retenu par une
+chaînette ou par un cordon plus long qu'on ne l'a porté depuis; c'est
+avec le sabre le seul insigne qui annonce le grade sur la longue capote
+de campagne. Presque tous les tambours sont des enfants ou des
+adolescents; comme âge, Barras n'était pas une exception.
+
+J'ai parlé de la surprise causée de l'autre côté du Rhin par
+l'apparition des armées républicaines. On a peine à croire qu'elle se
+soit traduite d'une façon flatteuse pour nos armes, et cela au coeur même
+des pays allemands. Rien n'est cependant plus certain quand on peut être
+mis en présence d'une sorte d'album, in-quarto oblong imprimé à Leipzig
+en 1794 pour le compte du libraire Friedrich August Leo. Le texte
+allemand et français est précédé des deux titres généraux que voici:
+
+ _Abbildung und Beschreibung Verschiedener Truppen des franzosischen
+ armee, mit illuminirten Kupfern_.
+
+ Représentation et description de différentes troupes de l'armée
+ française, avec des planches coloriées.
+
+Le texte est sur deux colonnes. Voici le titre particulier de la partie
+française:
+
+«Description des quelques corps composant les armées (françaises), par
+un témoin oculaire. _Leipzig, bei Friedrich August Leo_, 1794.»
+
+Cette description nous a paru si intéressante et même si surprenante au
+point de vue politique que nous la reproduisons intégralement ici. Son
+rapport avec notre sujet est direct, et les détails donnés sont d'une
+exactitude précieuse[68].
+
+L'auteur allemand s'exprime en ces termes:
+
+«L'énergie, la bravoure et la constance avec laquelle les troupes
+françaises font une guerre qui n'a pas encore d'exemple dans l'histoire,
+doivent faire réfléchir toute tête à laquelle les intérêts de ce bas
+monde ne sont pas indifférents.
+
+«Combien de choses jusqu'à présent a-t-on cru sur parole indispensables
+à une armée pour la rendre victorieuse et dont se sont passé depuis
+quatre ans les armées françaises?
+
+«La sévère discipline que Frédéric II avait introduite parmi ses troupes
+a fait beaucoup d'imitateurs et trouvé une infinité de partisans. Trompé
+par l'apparence, on s'est imaginé que la sévérité poussée jusqu'à la
+plus inhumaine contrainte, rendait des automates invincibles ou
+victorieux. On en aurait jugé bien autrement dans le temps des succès de
+Frédéric, si on avait eu le mot de l'énigme...
+
+«La guerre présente est bien capable de détruire une prévention qui fait
+généralement à chaque soldat une victime dévouée aux coups de bâton de
+toute une échelle de supérieurs.
+
+«Partout on prétend que les armées agissent et partout le soldat est une
+créature passive qui ne peut ni se mouvoir ni agir. En garnison on
+accoutume le soldat à s'humilier sous le bâton, et quand on a la guerre
+on prétend qu'il soit sensible à l'affront d'une défaite dont la honte
+ne retombe jamais sur lui.
+
+«C'est cependant avec des hommes ainsi dégradés qu'on prétend vaincre
+des troupes qui ne connaissent de différences entre les individus que
+celles des fonctions qui leurs sont confiées; de discipline que le
+devoir du degré où chacun se trouve placé, et de subordination que celle
+qu'imposent la loi et l'avantage du service. Jamais en avilissant
+l'homme on ne lui fera faire de grandes choses; ce n'est qu'en lui
+montrant qu'il est digne de cet honneur qu'on lui fait venir l'envie de
+l'acquérir.
+
+«Les hommes sont ce qu'on les fait. C'est à ceux qui les emploient à
+savoir les manier, les former tels qu'ils doivent être pour remplir ce
+qu'on en attend. Mais on ne doit pas s'attendre qu'on les intéresse à
+faire réussir des projets qui ne leur offrent aucune perspective
+avantageuse pour eux ou les leurs contre des hommes qui se sont donné
+une manière d'être qu'ils trouvent bonne et qu'ils croient avoir droit
+de défendre envers et contre tous...
+
+«Entre princes, la guerre est un jeu de hasard où le dernier écu décide.
+Entre princes et nation c'est le lion enveloppé d'un filet: la souris
+n'est pas toujours là pour en ronger les mailles. On perd quelquefois de
+vue que l'on ne peut rien si l'on n'est soutenu de cet accord général
+qui fait voler toutes les volontés vers un même but. Vouloir agir dans
+cet état d'erreur, c'est s'exposer à des disgrâces, ou tout au plus à
+des succès éphémères. C'est ce que prouve l'expérience de tous les
+temps. Les princes créent des armées, mais que de peines et de dépenses
+il leur en coûte... combien d'intérêts privés il faut ménager dans la
+levée des recrues! Combien de temps s'écoule avant que ces nouvelles
+levées puissent entrer en campagne! Le mal n'est pas grand si c'est
+contre un prince que l'on est en guerre. Est-ce au contraire contre une
+nation? Elle se lève et marche, et il est facile de voir de quel côté
+sera l'avantage.
+
+«Une nation levée ainsi n'a pas, il est vrai, ce coup d'oeil flatteur
+qu'offre un ancien régiment lorsqu'il est rangé en parade, où tous les
+soldats semblent coulés dans le même moule. Cette rigoureuse uniformité
+en impose, mais elle n'est pas, comme on le voit à présent,
+indispensablement nécessaire à la victoire. La garde nationale n'est pas
+une troupe moins courageuse, bien qu'irrégulièrement vêtue, que celles
+de cette ligne, où cette régularité s'observe plus exactement.
+
+«Animés du même esprit, ces diverses troupes combattent avec la même
+bravoure, bravent la mort avec le même courage, supportent en commun
+travaux et fatigues.
+
+«L'on ose donc croire que le public ne verra pas avec indifférence
+l'image de quelques-uns des corps dont les armées républicaines sont
+composées. Les figures enluminées sont représentées au naturel, telles
+que les a vues un témoin oculaire. Nous nous sommes contenté d'en
+multiplier les copies sans y rien changer.
+
+«Les dragons font en France un service tout autre que dans les armées
+des autres souverains. On les place sur les ailes, dans des postes
+avancés, au passage des rivières, aux défilés ou aux têtes de pont. Mais
+leur véritable place, un jour de bataille, est au corps de réserve, à
+cause de la vitesse avec laquelle on peut les faire mouvoir et de la
+vivacité avec laquelle ils chargent l'ennemi. On les emploie encore
+diversement dans les sièges et dans une infinité de cas où on les fait
+suppléer à l'infanterie aussi bien qu'à la cavalerie. Aussi leur fait-on
+également bien apprendre les exercices de ces deux armes. Jusqu'à la fin
+de la guerre de Sept ans, ils furent habillés de rouge; mais depuis on
+les a habillés de vert. Leur uniforme est: habit vert, parements,
+revers, collet et doublure rouges, veste et culotte blanches ou ventre
+de biche, casque de laiton poli surmonté d'une touffe de crins noirs
+pendant sur l'arrière de la tête, bottes molles et sabres recourbés à la
+housarde. Leurs chevaux sont ordinairement de quatre pieds à quatre
+pieds deux pouces. À cheval, leurs armes sont un fusil, deux pistolets
+et le sabre; à pied, ils n'ont que le fusil et le sabre. On n'y admet
+que des jeunes gens vigoureux, lestes, bien faits et qui montrent
+beaucoup d'adresse.
+
+«Les grenadiers à cheval durent leur première création à Louis XIV. Pour
+mettre le lecteur à même de juger de quels hommes cette troupe a
+toujours été composée, c'est que, pour la former chaque capitaine de
+grenadiers fut tenu de fournir un homme de la taille requise,
+généralement reconnu pour fort et brave et portant moustache. Cet esprit
+de corps, ce courage à toute épreuve ne se sont jamais démentis. Leur
+uniforme est bleu foncé, parements, revers et collet écarlates, boutons
+blancs sur lesquels est imprimé l'arbre de la liberté avec le bonnet et
+autour l'inscription: _République française_; veste et culottes blanches
+blanc d'argent et aussi des culottes de peau. Bonnet de poil à fond
+rouge, cordons et crépines tressés des couleurs nationales. Au milieu du
+front, une plaque sur laquelle est imprimé en relief le sceau
+constitutionnel avec des trophées et à chaque côté de la plaque une
+grenade enflammée. Le poil de ces bonnets est renversé de haut en bas,
+afin que l'eau de la pluie s'y arrête moins. La doublure de l'habit est
+de serge blanche. Au bas des pans où sont les crochets pour les
+retrousser, il y a une grenade de drap rouge, et, au lieu de flamme, il
+y a de petits glands qui en descendent pendus à des cordons de la même
+couleur. Ils ont des aiguillettes tressées de rouge et de blanc, des
+cols noirs, des bottes molles, mais des genouillères fortes. Leurs armes
+sont la carabine, deux pistolets, et un sabre dont la lame droite a près
+de deux pouces de large et se termine en pointe très aiguë, dont le
+double tranchant a environ huit pouces de long, et tout le sabre entre
+quarante et quarante-cinq. Ils le portent en bandoulière. Ils ont un
+porte-cartouches de cuir brun avec une plaque blanche sur laquelle est
+imprimé en relief l'arbre de la liberté avec le bonnet, mais sans
+inscription. Enfin, ils ont un grand manteau bleu bordé d'un cordonnet
+rouge, muni d'un ample rabat qui leur sert de capuchon. Dans l'action,
+principalement quand ils sont attaqués, ils s'abaissent fort avant sur
+leurs chevaux et savent adroitement se servir de la pointe de leur
+sabre, au maniement duquel ils s'appliquent singulièrement dans leurs
+moments de loisir, ce qui leur procure un avantage décisif sur leurs
+ennemis, qui n'ont ni la même dextérité ni la même vitesse quand même
+ils auraient la même bravoure.
+
+«Les chasseurs à cheval sont de création moderne et forment dans les
+armées françaises une très nombreuse cavalerie. Leur service approche
+assez de celui des dragons, excepté qu'on les employe plus communément à
+la découverte; à battre les bois toujours en avant de l'armée. Leur
+uniforme est un habit vert foncé à collet droit, parements, revers et
+boutons blancs comme ceux des grenadiers à cheval, culotte de peau et
+veste blanche. Leur habit un peu court a la doublure blanche, les poches
+en long avec trois boutons sur les pattes. Ils portent des bottes
+molles, genouillères de même. Il n'est pas possible de donner une
+description exacte de leur bonnet ou casque. Il a la forme du bonnet de
+liberté, il est de cuir fortement battu et surmonté d'une touffe de
+crins de cheval ou de peau d'ours de la largeur de la main. Cette
+coiffure est entourée d'une bande de toile cirée jaune et tigrée. De
+chaque côté, une chaîne de laiton qui, en remontant, forme un angle
+aigu. Autour du cou, ils ont des cols ou des cravates noires. Les bas
+officiers se distinguent dans ce corps comme dans celui des grenadiers à
+cheval par quelques ganses sur les manches, mais qui dans ce corps-ci
+sont tressées des couleurs nationales. Leurs armes sont le mousqueton
+carabine, deux pistolets, un long sabre à monture de laiton dont la
+pointe a huit pouces de double tranchant. Ils le portent en bandoulière
+à un ceinturon de cuir. Le porte-cartouches est de cuir noir avec une
+plaque jaune et le sceau constitutionnel en relief. Ils ont des manteaux
+de la couleur de l'habit: l'un et l'autre sont bordés d'un cordonnet
+rouge. Ils ont des chevaux de douze à treize paumes. C'est la partie la
+plus nombreuse de la cavalerie.
+
+«L'on n'a rien changé au reste de la cavalerie, l'ajustement et les
+armes sont les mêmes, aux boutons près qui sont comme ceux des
+grenadiers et des chasseurs; les cavaliers ont une cocarde avec une
+aigrette tricolore à leur chapeau.
+
+«L'habillement des chasseurs à pied est peu différent de celui des
+chasseurs à cheval, si ce n'est que l'habit est plus long et va
+jusqu'aux genoux. Ils ont les mêmes casques, ainsi que vestes et
+culottes; et des bottines très légères de cuir de boeuf. Les bas
+officiers ont deux épaulettes pour les distinguer des simples chasseurs.
+Ils ont pour armes un fusil avec une baïonnette et un sabre comme celui
+des grenadiers qu'ils portent en bandoulière. Le porte-cartouches est de
+cuir noir avec une plaque jaune aux armes de la patrie. Les chasseurs et
+les troupes de ligne forment l'élite de l'infanterie. Il y a par
+bataillon ou par compagnie un certain nombre de chasseurs de profession,
+armés de carabines et de poignards; au lieu de giberne, ils ont une
+flasque (poire à poudre). Ils sont distingués des autres par un collet
+rouge sur l'habit et une épaulette tricolore sur l'épaule droite. Cette
+troupe rend de très grands services en ce qu'elle est également propre
+au service des troupes de ligne et des troupes légères.
+
+«Il n'est pas aisé de donner une description exacte des gardes
+nationales ni de les ranger dans une classe quelconque. Mais l'on doit
+être convaincu qu'elles se battent bien, quoiqu'il s'en trouve parmi qui
+ne sont vêtus que de jaquettes et chemisolles, de _sareaux_ de toile ou
+d'habits de toute couleur, des vestes de piqué ou d'indienne, et des
+culottes de toute façon. La plupart cependant ont des habits d'un bleu
+foncé avec collets rouges ou blancs, boutons jaunes ou blancs, où le
+bonnet ou l'arbre de la liberté est empreint. En partie, ils portent des
+_gamaches_ ou guêtres; beaucoup vont en souliers et en bas de soye; mais
+tous généralement portent à leur chapeau de petits objets qui font
+allusion à la Liberté et à l'Égalité. Ils ont tous un fusil et une
+baïonnette; quelques uns ont des porte-cartouches, d'autres n'en ont
+point, il en est de même de l'épée. Au lieu de havre-sac, ils ont un sac
+de poche dans quoi ils portent leurs hardes.
+
+«L'on appelle à présent _légion_ des troupes de cultivateurs français,
+partie mis en réquisition et partie gens de bonne volonté. Leur
+habillement n'est autre que le vêtement ordinaire aux gens de la
+campagne. Ils sont coiffés de bonnets, de chapeaux de différentes
+formes, mais toujours avec la cocarde nationale. Tous ont des bas bleus
+avec une jarretière bouclée de façon que le bas fait auprès du genou une
+espèce de petit bourrelet. Leurs culottes sont toutes différentes les
+unes des autres: de drap, de toile de toute sorte de couleur jusqu'à de
+peau noire. Leurs souliers sont fermés avec des attaches bleues ou
+noires. Leurs armes sont la lance ou la pique dont le manche a à peu
+près six pieds et est peint des couleurs nationales. Quelques-uns ont un
+fusil avec la baïonnette. D'autres ont autour du corps une ceinture, à
+la gauche de laquelle est attaché un pistolet. Ce sont pour la plupart
+ceux qui portent des piques. Plusieurs ont, outre cela, des épées de
+parade, des poignards ou autres armes blanches pendues au côté. Il y a
+auprès de chaque armée une ou deux légions, selon que l'armée est
+nombreuse. Chaque légion est forte d'environ sept mille hommes. Ce sont
+des officiers et des bas officiers tirés des invalides qui les
+commandent, avec quelques autres qu'ils ont élus eux-mêmes parmi eux. À
+chaque légion se trouve un général de brigade ou un brigadier.
+
+«Ces légions ne reçoivent ni pain ni paye; elles pourvoyent elles-mêmes
+à leur entretien. Les hommes y sont tenus à un an de service; elles ne
+se montrent jamais en rase campagne et ne se rangent point en bataille.
+Elles ne laissent pas que d'inquiéter beaucoup les armées ennemies...»
+
+
+
+
+PLANCHES
+
+
+
+
+I
+
+GÉNÉRAL DE DIVISION
+
+D'après une gravure de la collection Dubois de l'Étang, (Ensemble réduit
+aux deux tiers de l'original.)
+
+
+Plumet tricolore surmontant trois plumes rouges. Habit bleu à collet
+rouge rabattu; galon d'or au chapeau, aux manches, aux poches et au
+collet. Culotte blanche, bottes noires; écharpe rouge à frange dorée.
+Dragonne dorée à la poignée du sabre; le fourreau est garni de cuivre
+doré.
+
+Cette figure jeune ne doit pas surprendre à l'époque où un simple
+officier pouvait franchir quatre grades en vingt-quatre heures pour
+perdre aussitôt le commandement s'il ne justifiait pas cette confiance
+par une victoire.
+
+[Illustration: I]
+
+
+II
+
+ADJUDANT GÉNÉRAL
+
+Même provenance
+
+
+«En tenue de campagne», dit la légende. Le ceinturon doré, le chapeau à
+plumes et à glands contrastent bien un peu avec la sévérité de cette
+longue capote bleue à collet rouge rabattu. Mais il était bon que
+l'adjudant général fût aperçu de tous, car c'était un véritable chef
+d'état-major, classé hiérarchiquement au-dessous du général de brigade,
+mais au-dessus du colonel.
+
+[Illustration: II]
+
+
+III
+
+HUSSARD
+
+D'après un recueil d'uniformes gravés à Augsbourg en 1802. (Bibl. nat.
+Estampes O 34 B. A.)
+
+
+Shako noir entouré d'une flamme de drap noir à passepoil bleu. Panache
+vert et rouge. Cordon blanc avec gland retombant à droite du shako.
+Dolman brun-marron soutaché de blanc et fourré de noir. Culotte bleue
+soutachée de blanc. Sabretache orangée avec ornements de cuivre.
+Demi-bottes noires.
+
+L'inclinaison prononcée du shako paraît un peu forcée par les dimensions
+du panache: elles sont telles que l'équilibre serait compromis si la
+verticale était conservée.
+
+[Illustration: III]
+
+
+IV
+
+OFFICIERS ET SOLDATS D'INFANTERIE
+
+Même provenance.
+
+
+L'officier porte un panache rouge. Habit bleu à col et parements rouges.
+Revers blancs à passe poil rouge. Gilet et pantalon collant blancs. Sac
+au dos. Hausse col doré. La main droite s'appuie sur une canne.
+
+Le fantassin placé derrière lui a les guêtres noires et la culotte de
+nankin. Habit bleu à revers blancs.
+
+Le bonnet à poil du grenadier rappelle trop celui des grenadiers
+autrichiens pour ne pas avoir été pris dans un magasin de l'ennemi. Ce
+qui confirmerait dans cette idée, c'est qu'il est visiblement trop
+étroit pour la tête de notre homme. Gilet rayé blanc et rouge; cravate
+rayée blanc et bleu; celle-ci encadre le menton comme une cravate à la
+Garat. Épaulette rouge; plumet tricolore; pantalon nankin. Même habit
+que le précédent.
+
+[Illustration: IV]
+
+
+V
+
+SOLDAT D'INFANTERIE
+
+Même provenance.
+
+
+Celui-ci offre un specimen du genre négligé. Il a le même habit et le
+même chapeau, mais son pantalon quadrillé bleuâtre porte au genou une
+forte pièce d'étoffe différente. Des souliers, il n'a conservé que les
+semelles sur lesquelles l'empeigne taillée fait l'office de courroies de
+sandales. Pas de gilet. Cravate lâche. L'habit ouvert laisse largement
+passer la chemise.
+
+[Illustration: V]
+
+
+VI
+
+CAVALIERS
+
+Même provenance.
+
+
+Habit bleu à revers rouges. Collet, culotte et buffleteries blancs.
+Bottes et chapeau noirs. Panaches roses. Cravate jaunâtre.
+
+On sait qu'il y avait alors à côté des hussards, des dragons, et des
+chasseurs, des régiments de _cavalerie_ proprement dite. C'était, moins
+la cuirasse et le casque, ce que nous avons appelé ensuite la grosse
+cavalerie.
+
+[Illustration: VI]
+
+
+VII
+
+OFFICIERS D'ARTILLERIE
+
+Même provenance.
+
+
+L'un de ces deux officiers semble appartenir à l'artillerie légère; il
+porte le casque de cuivre du dragon orné d'un panache rouge, ce qui dut
+être une exception; l'autre a conservé le chapeau à cornes en usage dans
+l'artillerie à pied. Leurs uniformes sont complètement bleus avec
+passepoil rouge. Des soutaches rouges ornent le pantalon et le gilet.
+Les poignées de sabre affectent des formes diverses, les bottes sont de
+même fortes et légères. Ce qui ne varie point, c'est le type des
+figures, qui sont rasées et ornées seulement de petits favoris très
+courts.
+
+[Illustration: VII]
+
+
+VIII
+
+CHASSEUR À CHEVAL
+
+D'après les _Abbildung französischen_, Leipzig. 1794.
+
+
+Casque noir à courte crinière semblant retomber devant et derrière.
+Habit et pantalon collant vert avec passepoil rouge; des galons rouges,
+blancs et bleus sont disposés sur la chausse de façon à former une
+pointe tricolore.
+
+On trouve dans le supplément _Uniformes_ une description plus complète
+de l'armement et de l'uniforme de cette cavalerie.
+
+[Illustration: VIII]
+
+
+IX
+
+VOLONTAIRE DU 1er BATAILLON DE PARIS
+
+Même provenance.
+
+
+Casque noir à demi-crinière droite et à ornements de cuivre; il est
+entouré d'une bande tigrée, habit bleu, avec revers et retroussés
+blancs. Culotte blanche, guêtres noires, épaulettes vertes.
+
+Voir également dans notre supplément _Uniformes_ les détails qui
+concernent les gardes nationaux volontaires.
+
+[Illustration: IX]
+
+
+X
+
+DRAGON ET HUSSARD
+
+Bibl. nat. OB. 32 V
+
+
+Le dragon est conforme au type décrit dans notre supplément. Son casque
+est sans visière; une épaisse crinière augmente encore le caractère
+énergique d'un profil doté de longues moustaches.
+
+Son compagnon le hussard nous offre le profil de cette coiffure
+étonnante qu'on a déjà vue planche III. Le panache rouge n'a rien perdu
+de ses dimensions: il est négligemment entouré d'une flamme marron à
+passepoil rouge. Dolman et pantalon verts; collet et soutaches rouges.
+Les gants sont jaunes; le fourreau du sabre est en cuir garni de cuivre.
+
+[Illustration: X]
+
+
+XI
+
+HUSSARD
+
+Même provenance.
+
+
+Les hussards républicains qu'on représente d'ordinaire sont conformes au
+type de nos planches III et X. Celle-ci prouve qu'il y en avait un autre
+ne portant pas le dolman à tresses, mais un habit vert à revers et à
+pans longs, collet et parements roses. Pantalon et gilet verts; le
+pantalon est protégé par une basane fauve dont les bords sont
+déchiquetés à la grecque. Il boutonne sur le côté selon le modèle qui
+fut baptisé du nom de _chutmari_. La bande est rouge.
+
+La coiffure reste seule identique: tresses de cheveux tombant sur le
+devant pour encadrer le visage, shako entouré d'une flamme noire à passe
+poil rouge que fixe un cordon blanc; panache rouge. D'où part le
+sous-pied qui rattache le pantalon déboutonné à ce soulier muni
+d'éperon?... Mystère!
+
+[Illustration: XI]
+
+
+XII
+
+GRENADIER À CHEVAL
+
+D'après les _Abbildung französischen_, Leipzig. 1794. (Bibl. nat.
+Estampes OA, 106. C.)
+
+
+Son uniforme, son armement et son équipement répondent à la description
+très complète donnée dans notre supplément. Bonnet à poil brun avec
+plaque blanche, plumet et cordon rouges. Rabat bleu à revers et collet
+rouges, retroussis et basques, gilet et culotte blancs. Bottes noires,
+gants à manchettes de buffle. Schabraque bleue galonnée de jaune.
+
+[Illustration: XII]
+
+
+XIII
+
+TAMBOUR
+
+D'après un recueil gravé à Augsbourg en 1802. (Bibl. nat. Estampes OB,
+32. A.)
+
+
+Le baudrier de buffle flotte tout avachi: l'enfant a décroché son gros
+tambour retenu sur l'épaule à l'aide d'une bretelle qui devrait aller
+rejoindre le cercle de la caisse. Cette charge n'est pas commode, son
+corps ballotte dans son habit bleu qui est trop large; son chapeau à
+pompon rouge est aplati comme un chapeau d'arlequin. Le pantalon de
+nankin laisse voir des chevilles nues, les souliers sont devenus
+savates, mais cela n'empêche pas le gamin de marcher fièrement à grandes
+enjambées.
+
+La planche XX montre que presque tous nos tambours étaient alors des
+enfants.
+
+Et quand on pense qu'un ministre de la guerre a rogné nos tambours de
+moitié avant 1870 pour ne pas incommoder des hommes faits!
+
+[Illustration: XIII]
+
+
+XIV
+
+FANTASSIN ET SOUS-OFFICIER
+
+D'après une gravure allemande de 1796. (Bibliothèque nationale
+Estampes, collection Hennin.)
+
+
+L'air posé et la tenue presque régulière du sous-officier contrastent
+avec la pose lamentable du soldat. La cravate pend; les manches de son
+habit vert sont déchirées; il n'a plus qu'un bas de couleur brune, le
+pan de sa culotte nankin menace ruine. Une cuiller et une fourchette à
+deux pointes, croisées derrière sa cocarde de chaque côté du pompon,
+complètent son air de soldat maraudeur. Un mouchoir serré au biceps
+semble protéger une blessure.
+
+Type analogue à nos numéros X et XVII.
+
+[Illustration: XIV]
+
+
+XV
+
+CHASSEURS À PIED
+
+D'après un recueil gravé à Augsbourg en 1802. (Bibl. nat. Estampes OB,
+32. A.)
+
+
+Ces chasseurs diffèrent un peu du type décrit dans notre supplément.
+L'un, qui semble un caporal, porte le casque de volontaire. Son habit
+court est de couleur noire à parements bleus. Pantalon bleuâtre à raies
+bleu foncé. Cravate jaune. Épaulettes rouges. Galons blancs sur la
+manche.
+
+Son voisin a l'uniforme complètement noir, avec collet et retroussis
+bleu clair. Son chapeau est placé à rebours. Épaulettes et panaches
+rouges; buffleteries jaunâtres. Les souliers ont été transformés en
+savates retenues par des cordelettes croisées au-dessus de la cheville
+du pied qui est un comme toujours.
+
+[Illustration: XV]
+
+
+XVI
+
+GRENADIER DE LA LIGNE
+
+D'après les _Abbildung französischen_, Leipzig. 1794. (Bibl. nat.
+Estampes OA, 106. C.)
+
+
+Bonnet à poil noir avec plaque de cuivre. Habit, veste et culotte
+blancs. Les revers, le collet et les parements sont rouges, les guêtres
+noires. Il ne porte point de havre-sac mais on voit une sorte de besace
+pendre à côté de sa giberne.
+
+C'est un dernier échantillon de l'ancienne armée qui va prendre l'habit
+bleu au moment où l'embrigadement fondra les régiments et les bataillons
+de volontaires.
+
+[Illustration: XVI]
+
+
+XVII
+
+VOLONTAIRES
+
+D'après une gravure allemande de 1796. (Bibliothèque nationale Estampes,
+collection Hennin.)
+
+
+Le volontaire casqué sent d'une lieue son faubourg. Ami d'un certain
+luxe, il a retroussé sa manche pour montrer un bout de manchette, il
+fait exhibition d'un mouchoir de poche élégamment noué à sa buffleterie
+et une breloque de parure descend sur sa cuisse gauche. Le noeud coquet
+de sa grosse cravate, la cuiller qui montre sa tête au revers de l'habit
+et le pain empalé dans sa baïonnette sont autant de détails
+caractéristiques. L'un de ses souliers est retenu par une boucle.
+L'autre est noué avec une ficelle. Zébré d'un côté, quadrillé de
+l'autre, comme ces chausses en partie du moyen âge. Le pantalon blanc
+rayé de bleu est trop court pour ne pas avoir appartenu à quelque frère
+d'armes.
+
+Nous avons décrit l'assortiment gastronomique du voisin dans le
+supplément: son bonnet de police bleu à turban rouge est à remarquer
+comme un échantillon du modèle primitif.
+
+[Illustration: XVII]
+
+
+XVIII
+
+CUIRASSIERS
+
+D'après la gravure de Zix
+
+(Fac-similé réduit aux deux tiers de l'original.)
+
+
+Zix est un artiste strasbourgeois qui a pu étudier d'après nature les
+soldats de l'armée de Rhin et Moselle.
+
+Non content d'un supplément d'illustrations pittoresques pour la partie
+géographique du _Journal de Fricasse_, mon ami Charles Mehle a bien
+voulu mettre la gravure de Zix à ma disposition. Mais leur dimension
+rendait la reproduction difficile. J'ai dû me contenter de détacher un
+groupe de deux cuirassiers attablés sur le seuil d'une maison
+alsacienne.
+
+On sait que les cuirassiers formèrent en 1799 le 8e régiment de
+cavalerie. De là leur ressemblance avec les cavaliers de l'autre planche
+VI.
+
+[Illustration: XVIII]
+
+
+XIX
+
+HUTTES DE CAMPEMENT
+
+D'après une gravure datée du 14 août 1796. (Bibl. nat. Estampes,
+collection Hennin.)
+
+
+Ces huttes ou abris, dont-il est question dans notre journal, étaient
+faites de branchages. On voit qu'elles affectent trois formes: une forme
+oblongue, destinée sans doute aux soldats; une forme pyramidale, moins
+spacieuse, destinée aux sous-officiers; une forme conique, dont la
+clôture plus complète annonce un campement d'officiers.
+
+Le factionnaire qui veille à la porte ne laisse aucun doute sur ce
+dernier point. Il sonne en ce moment d'un cornet d'appel, ce qui lui
+donne les doubles fonctions de sentinelle et de trompette de garde.
+
+[Illustration: XIX]
+
+
+XX
+
+
+RASSEMBLEMENT D'INFANTERIE
+
+D'après une gravure allemande conservée dans la collection Dubois de
+l'Étang. Voici la traduction de son titre:
+
+Véritable représentation d'une parade de la garde française à Mannheim
+au mois d'octobre 1795.
+
+(Fac-similé réduit au tiers de l'original.)
+
+
+Cette planche est excessivement ennemie. On ne doit pas prendre son
+titre au pied de la lettre. Le dessinateur allemand, que je tiens
+d'ailleurs pour sincère, a pris le moment non de la parade proprement
+dite, mais du rassemblement qui la précède.
+
+Logés chez les bourgeois de la ville, les soldats arrivent petit à petit
+et se portent sur le front de l'alignement indiqué par les trois
+officiers qui viennent de mettre le sabre à la main.
+
+Dans cette troupe figurent, selon l'usage, des détachements de tous les
+corps de passage dans la place et certainement aussi des soldats isolés,
+éclopés, utilisés pour le service. De là, un coup d'oeil fortement
+bigarré que l'artiste aura exagéré encore pour offrir des modèles de
+chaque espèce.
+
+Les quatre petits tambours qui se font la main à l'extrême droite
+suffiraient à montrer que le commandement ne s'est pas fait encore
+entendre. Ce sont des enfants dont le plus âgé n'a pas atteint sa
+douzième année. Derrière eux, le tambour-major charme son attente par
+quelques moulinets de fantaisie.
+
+Les officiers, vus au dos, ont une ample capote grise ou brune, sur
+laquelle tranche seul le hausse-col, insigne du commandement.
+
+Les soldats semblent tous appartenir soit aux bataillons des
+volontaires, soit aux _légions_ rurales dont il est question dans notre
+supplément. On remarque, en effet, en seconde ligne, des bonnets
+fourrés, des chapeaux de paysans; on voit se dresser une des piques qui
+figuraient encore dans l'armement de ces non combattants. L'un d'eux,
+sapeur primitif, tient la hache sur l'épaule et la pipe à la bouche. Son
+voisin porte un pantalon à la turque, et paraît vouloir dissimuler sous
+une couverture blanche les désastres de son uniforme. Tous n'ont pu
+dissimuler ainsi leurs tenues en lambeaux. Beaucoup de chaussures sont
+avariées; un jeune soldat a les pieds complètement nus.
+
+En revanche, ce qui ne manque nulle part, c'est la cuiller: chacun porte
+à la boutonnière, au chapeau ou au bonnet ce précieux ustensile.
+Quelques bidons et marmites se remarquent aussi, çà et là; les pains
+sont troués pour le passage d'une corde qui les retient au côté, à moins
+qu'ils ne soient passés à la baïonnette. Un quartier de viande est même
+ainsi exhibé à côté du porteur de pique. Il est à remarquer qu'il n'y a
+pas ici un seul des panaches qui abondent dans nos planches précédentes.
+Mais nous sommes en 1795 et les Français qui viennent d'entrer à
+Mannheim ont fait une campagne fort rude. Leurs habits bleus ne sont pas
+seulement usés par la victoire, ils sont surtout troués et déchirés par
+les marches et les bivouacs des nuits d'hiver. De là ce coup d'oeil
+étrange, qui dépasse encore, il faut bien l'avouer, tout ce qu'on
+pouvait supposer de l'aspect des troupes républicaines. Mais la pauvreté
+de leur aspect ne peut que grandir encore le souvenir de leur courage et
+de leur patriotisme.
+
+[Illustration: XX]
+
+
+
+
+NOTES
+
+[1: Voyez entre autres les pages 37, 55, 64, 170, 117, 171, 174 [du
+livre original]. Et ce ne sont pas les seules.]
+
+[2: Le rétablissement de l'orthographe des noms de lieux, généralement
+défigurés, offrait des difficultés particulières que je ne suis pas sûr
+d'avoir surmontées toujours. En cas de doute, j'ai usé du point
+d'interrogation.]
+
+[3: Le nom de Château-Vilain a définitivement survécu.]
+
+[4: En 1791, on avait déjà formé des bataillons de garde nationale
+destinés à entrer dans le cadre de l'armée. Soult rappelle, au début de
+ses _Mémoires_, qu'il se trouvait alors en garnison à Schelestadt avec
+le premier bataillon du Haut-Rhin. Ce corps était nombreux, dit-il,
+animé d'un bel esprit, mais fort peu de ses officiers étaient capables.
+On trouvera dans le n° 1 de notre supplément un extrait intéressant des
+_Mémoires de Cagnot_ sur les effets de la levée en masse qui fut ensuite
+décrétée.]
+
+[5: Les _papiers publics_, les journaux.]
+
+[6: Les casernes Chambière ont en effet toujours passé pour malsaines,
+en raison des eaux stagnantes des fosses qui sont dans leur voisinage.]
+
+[7: L'armée du prince de Cobourg avait en effet occupé la forêt de
+Mormal en bloquant Le Quesnoy. «De faibles détachements français
+observaient ses mouvements, dit Soult; ils ne purent l'empêcher de
+déployer les immenses moyens qu'on avait préparés pour réduire la place,
+elle capitula le 11 septembre, après avoir soutenu quinze jours de
+tranchée. Dans le temps qu'elle succombait, des efforts tardifs étaient
+faits pour la dégager: à Avesnes, par une division sortie de Cambrai, à
+Fontaine, par une autre division sortie de Landrecies: à l'entrée de la
+forêt de Mormal, par une colonne partie du camp de Maubeuge.» Cette
+dernière colonne est celle dont il est ici question.]
+
+[8: Les détails du texte sont confirmés par un nouveau passage des
+_Mémoires_ de Soult; la légère différence donnée dans l'évaluation des
+troupes est plus qu'annulée par le renfort qui arrive ensuite à
+l'ennemi.]
+
+[9: L'armée de Jourdan ne comptait en réalité que 45,000 combattants;
+ils ne venaient pas de la Vendée, mais des camps de l'armée du Nord et
+de l'armée des Ardennes. On trouvera dans le numéro 2 de notre
+supplément un émouvant récit du combat qui amena la levée du blocus de
+Maubeuge; il est extrait des _Mémoires de Carnot_, par son fils. (Paris,
+Pagnerre, 1862. Tome I, page 399). Les détails remarquables qu'on y
+trouve formaient un complément nécessaire de notre texte.]
+
+[10: Allusion à la fameuse ronde révolutionnaire dite: _carmagnole_. On
+la retrouve à la page du 7 octobre.]
+
+[11: Le propos a été en effet attribué au prince de Cobourg, qui
+commandait alors l'armée assiégeante.]
+
+[12: Échanger des coups de fusil.]
+
+[13: Le maréchal Soult donne les détails suivants sur le combat de
+Grandreng. «L'échec éprouvé par la colonne du centre rendit inutile le
+mouvement du général Mayer sur Haulchin, et permit au prince de Kaunitz
+de marcher au soutien de sa droite, à Grandreng, en dégarnissant sa
+gauche. Le général Déjardins avait déjà enlevé quelques redoutes, et il
+pénétrait dans le village, quand tout à coup ses deux divisions sont
+elles-mêmes assaillies et débordées par la cavalerie autrichienne. Elles
+font, avec l'appui da la brigade Duhesme, un dernier effort pour rentrer
+à Grandreng; mais elles échouent de nouveau et sont obligées de
+précipiter leur retraite pour repasser la Sambre, malgré l'appui
+qu'elles reçoivent de la réserve de cavalerie. Le général autrichien
+acquit l'honneur de cette journée en rendant ses forces mobiles, de la
+gauche au centre, et du centre à la droite, où il prit successivement la
+supériorité. Ses pertes furent beaucoup moindres que celles des
+Français, qui sacrifièrent plus de quatre mille hommes et douze pièces
+de canons.»]
+
+[14: «Les revers du 13 avaient irrité les représentants sans les
+éclairer; ils ordonneront un nouveau passage, mais les opérations,
+encore plus mal dirigées que la première fois, eurent pour résultat des
+pertes beaucoup plus grandes. (SOULT.)]
+
+[15: Le maréchal Soult dit ici: «Il faut aussi admirer la docilité des
+troupes, qu'aucun revers ne put abattre, et déplorer que, soumises à la
+tyrannique autorité des représentants, elles n'aient point eu à leur
+tête des chefs dignes de les diriger. Depuis quinze jours, les corps qui
+étaient sur la Sambre avaient perdu plus de quinze mille hommes et la
+moitié de leur matériel; les soldats manquaient de vivres et avaient le
+plus grand besoin de repos. Les généraux en firent la demande à
+Saint-Just; dans le conseil, Kléber fit observer qu'on allait voir
+arriver, avant dix jours, l'armée de la Moselle, dont nous parlerons
+bientôt, et qu'il n'y avait qu'à l'attendre, en s'occupant de réparer
+les pertes de l'armée, pour reprendre alors les opérations avec d'autant
+plus de vigueur. Mais l'implacable Saint-Just ne voulut rien accorder, à
+peine daigna-t-il répondre: _Il faut demain une victoire de la
+République. Choisissez entre un siège ou une bataille_. Il fallait
+choisir, on marcha, le 26 mai, sur Charleroi.
+
+Malgré les succès qu'il venait de remporter, le prince de Kaunitz avait
+été remplacé par le prince d'Orange dans le commandement. Les troupes
+alliées étaient sur la Sambre, pour en défendre le passage; elles
+occupaient en outre, au-dessus de Marchiennes-au-Pont, le camp retranché
+de la Tombe, qui couvrait Charleroi. Kléber et Marceau étaient chargés
+de l'attaquer, et le général Fromentin d'emporter le pont de Lernes. Ces
+deux attaques manquèrent par l'excessive fatigue des troupes, qui
+montrèrent de l'hésitation et restèrent exposées au feu le plus vif,
+plutôt que d'avancer. À la nuit, les ennemis évacuèrent cependant le
+camp, en ne laissant dans Marchiennes qu'un poste fortifié.» (SOULT.)
+
+--Ce dernier alinéa explique comment notre sergent va parler de retraite
+après avoir parlé d'une victoire qui était sans doute un avantage
+partiel sans résultat sur l'ensemble de la journée.]
+
+[16: Chiffre singulièrement exagéré. Soult rapporte un triste épisode du
+siège: «Le colonel Marescot dirigeait les opérations du génie, sous les
+yeux des généraux Jourdan et Hutry; on avait un équipage d'artillerie
+suffisant et les représentants Saint-Just et Lebas se tenaient au pied
+de la tranchée pour presser les travaux. Un jour, ils visitaient
+l'emplacement d'une batterie que l'on venait de tracer: «À quelle heure
+sera-t-elle finie?» demanda Saint-Just au capitaine chargé de la faire
+exécuter.--Cela dépend du nombre d'ouvriers qu'on me donnera, mais on y
+travaillera sans relâche, répond l'officier.--Si demain, à six heures,
+elle n'est pas en état de faire feu, ta tête tombera!...» Dans ce court
+délai, il était impossible que l'ouvrage fût terminé; on y mit cependant
+autant d'hommes que l'espace pouvait en contenir. Il n'était pas
+entièrement fini, lorsque l'heure fatale sonna. Saint-Just tint son
+horrible promesse: le capitaine d'artillerie fut immédiatement arrêté et
+envoyé à la mort, car l'échafaud marchait à la suite des féroces
+représentants. Si nous n'avions pas remporté la victoire, la plupart de
+nos chefs auraient subi le même sort. Nous apprîmes plus tard que
+Saint-Just avait porté sur une liste de proscription plusieurs généraux
+de l'armée, et qu'il m'y avait compris, quoique je ne fusse encore que
+colonel.--Jourdan devait être sacrifié le premier; il avait remplacé
+Hoche dans le commandement, et il avait, comme lui, encouru la haine du
+représentant par la courageuse résistance qu'il opposait à ses volontés,
+lorsque la présomptueuse ignorance de Saint-Just prétendait diriger les
+opérations militaires. (SOULT.)]
+
+[17: Le maréchal Soult complète ainsi le récit de cette journée. «Il
+était sept heures du soir. Depuis quelques moments, le combat avait
+cessé aux ailes; on le laissa finir au centre sans poursuivre les
+ennemis. Épuisés de fatigue et de besoin, les soldats pouvaient à peine
+se tenir debout, et ils manquaient aussi de munitions. Il n'y avait
+aucune possibilité de continuer la poursuite, quelques avantages qu'on
+eût pu recueillir; officiers et soldats, tous s'écriaient: «Un pont d'or
+à l'ennemi qui s'en va!» et l'on donna aux troupes un repos
+indispensable.
+
+Le lendemain, il n'y eut point de mouvement; il fallait se remettre
+d'une pareille journée et ramasser les débris qui couvraient le champ de
+bataille. On compta les pertes; les nôtres s'élevèrent à près de cinq
+mille hommes hors de combat, et, par le nombre des morts, on évalua
+celles de l'ennemi à plus de sept mille hommes; de part et d'autre il
+n'y eut que peu de prisonniers. Parmi ceux que nous fîmes, il se trouva
+des Français, faisant partie du régiment Royal-Allemand et de celui de
+Berching-hussard, auxquels la loi rendue contre les émigrés pris les
+armes à la main était applicable. Pas un soldat n'eut la pensée qu'il
+fût possible de livrer à l'échafaud ceux que nous venions de combattre
+face à face. Pendant la nuit, nous leur facilitâmes les moyens de
+s'échapper, en nous bornant à leur dire qu'ils fussent ailleurs expier
+l'erreur de s'être armés contre leur patrie; plusieurs revinrent plus
+tard se placer dans nos rangs. On a sauvé ainsi dans le cours de la
+guerre, un grand nombre de Français qui étaient dans le même cas, et ils
+ont reçu parmi nous protection et avancement; beaucoup d'entre eux ont
+ainsi obtenu d'être éliminés de la liste fatale et de rentrer dans leurs
+biens confisqués. Nous devons croire qu'ils en ont conservé de la
+reconnaissance.»]
+
+[18: Ceci est bien confirmé par le récit du maréchal Soult: «Dans nos
+rangs, l'enthousiasme allait croissant avec le danger; depuis le
+commencement de l'action, et pendant toute sa durée, le cri de
+ralliement de l'avant-garde fut toujours: «Point de retraite
+aujourd'hui, point de retraite!» Aussi, tout ce qui vint se heurter
+contre elle fut-il brisé. Environnée de sanglants débris, son camp en
+flammes, la plupart de ses canons démontés, ses caissons faisant
+explosion à tout moment, des monceaux de cadavres comblant les
+retranchements, les attaques les plus vives sans cesse renouvelées, rien
+n'était capable de l'intimider, pas même l'incendie de la campagne qui
+nous environnait de toutes parts. Les champs, couverts de blé en
+maturité, avaient été enflammés par notre feu et par celui de l'ennemi;
+on ne savait où se placer pour l'éviter; mais nous étions bien
+déterminés à ne sortir que victorieux de ce volcan.»
+
+Le courage des chefs avait, sur plus d'un point, seul pu maintenir les
+troupes, comme le montre bien cet autre passage:
+
+«Avant six heures du matin, les alliés avaient fait des progrès, et les
+divisions des Ardennes repassaient la Sambre, dans un complet désordre,
+aux ponts de Tamine et Ternier, laissant leur général garder seul, avec
+ses officiers et quelques ordonnances, la position qu'elles venaient de
+quitter. J'avais été envoyé par le général Lefebvre, pour m'assurer de
+l'état de notre droite, et pourvoir aux dispositions que les
+circonstances exigeraient. Je joignis Marceau entre les bois de Lépinoy
+et le hameau du Boulet, au moment où les ennemis allaient l'entourer. Il
+les défiait, et dans son désespoir, il voulait se faire tuer, pour
+effacer la honte de ses troupes. Je l'arrêtai: «Tu veux mourir, lui
+dis-je, et tes soldats se déshonorent: vas les chercher et reviens
+vaincre avec eux! En attendant, nous garderons la position à droite de
+Lambusart.--Oui, je t'entends, s'écrie Marceau, c'est le chemin de
+l'honneur! J'y cours; avant peu je serai à vos côtés. Deux heures après,
+il avait ramené les plus braves, et il prenait part à nos succès.»--Ces
+extraits donnent une idée de la phraséologie du temps; on employait
+volontiers les grands mots dont on se moque aujourd'hui, mais les actes
+aussi étaient grands, ce que les moqueurs ne doivent pas non plus
+oublier.]
+
+[19: Cette image poétique aurait lieu de surprendre si on ne se
+reportait aux chansons populaires d'autrefois où la mythologie jouait
+toujours un grand rôle.]
+
+[20: Fournitures de casernement.]
+
+[21: On avançait l'embrigadement. Cette opération importante se faisait
+avec la plus grande rigidité; les généraux devaient choisir, sous leur
+responsabilité, parmi les chefs de bataillon, les plus capables pour les
+désigner comme chefs de brigade. Les instructions des représentants du
+peuple portaient: «Les grades ne sont pas la propriété des individus;
+ils appartiennent à la République, qui a droit de n'en disposer qu'en
+faveur de ceux qui sont en état de lui rendre des services.» Trois fois
+plus forts qu'avant leur réunion, les nouveaux corps présentaient plus
+de régularité dans leur ensemble et plus de confiance en eux-mêmes.]
+
+[22: Ému par l'audace avec laquelle nos fantassins s'étaient jetés à
+l'eau pour forcer le passage de la Roër, malgré le courant de l'eau,
+l'encaissement de la rivière et les retranchements de la rive opposée,
+l'ennemi battit en retraite sur Cologne.]
+
+[23: Cette victoire de la Roër, qui fit honneur au général Jourdan et à
+ses troupes, assura en effet l'évacuation complète de la Belgique.]
+
+[24: Mais il n'y eut que trente jours de tranchée ouverte. La garnison
+se comporta vaillamment. On trouva dans la place 350 bouches à feu et un
+matériel considérable.]
+
+[25: Le 29 février 1795, la Hollande était en effet conquise et le 16
+mai suivant, elle signait avec la France un traité d'alliance qu'elle
+observa fidèlement jusqu'au jour où Napoléon voulut imposer un roi à la
+nation que la République avait respectée.]
+
+[26: Ce traité ne fut signé que le 5 avril 1795 à Bâle. La Prusse nous
+abandonnait alors toutes ses possessions sur la rive gauche du Rhin.]
+
+[27: Le maréchal Soult servait alors comme colonel dans la division de
+notre sergent. Il dit aussi: «Nous souffrîmes beaucoup par le manque de
+subsistances, au point qu'on fut obligé de réduire la ration d'un
+tiers». (_Mémoires_, t. I, p. 200.)]
+
+[28: Dépréciation inévitable par suite du cours forcé qui fit tirer de
+1790 à 1796, pour _quarante-cinq milliards_ d'assignats. On sait que les
+vingt-quatre milliards encore en circulation lors de la liquidation
+définitive furent échangés contre _huit cent millions_ de biens
+nationaux.]
+
+[29: Voir la note du 7 germinal.]
+
+[30: Dans ses _Mémoires_ (tome I, page 287), le maréchal Soult accuse
+Pichegru «d'avoir laissé ses troupes à l'abandon, négligées et en proie
+à toutes sortes de privations pour mieux favoriser l'exécution du plan
+de trahison le plus odieux.» Il espérait ainsi désorganiser l'armée. En
+une autre occasion, Soult parle aussi des pommes de terre et en des
+termes fort curieux:
+
+«L'armée n'avait d'autre ressource pour vivre, que les pommes de terre
+que l'on trouvait dans les champs. À chaque halte, à peine les faisceaux
+étaient-ils formés, que les soldats se dispersaient dans les environs
+pour aller déterrer les pommes de terre. Un champ était bientôt récolté,
+et le repas était bientôt préparé au feu du bivouac. Le silence durait
+tant que durait cette importante occupation: mais elle ne durait pas
+longtemps et les provisions étaient épuisées avant que la faim fût
+apaisée. L'inépuisable gaieté du soldat français revenait alors. Ne
+doutant de rien, parlant de tout, lançant des saillies originales et
+souvent même instructives, tel est le soldat français. Un soir, en
+parlant politique et des nouvelles de Paris, le propos était tombé sur
+les grands hommes qu'on avait fait entrer au Panthéon ou qu'on en avait
+successivement fait sortir, suivant l'esprit du jour et l'influence du
+parti régnant. «Qui va-t-on y mettre aujourd'hui? demanda quelqu'un.
+Parbleu, répondit son voisin, une pomme de terre.» Et tout le monde
+d'applaudir à cette saillie, qui avait plus de portée que l'intention de
+son auteur n'avait probablement voulu lui donner.» (SOULT.)]
+
+[31: Le tambour battait comme d'habitude la distribution à l'heure dite,
+mais cette distribution se réduisait souvent à rien ou à peu de chose.]
+
+[32: Cette adresse vigoureuse sous sa forme ampoulée, faisait allusion à
+la _journée du 1er prairial_ (20 mai 1795) qui avait vu la populace des
+faubourgs de Paris envahir la Convention nationale en tuant le député
+Feraud, aux cris de _du pain! la liberté des patriotes! la Constitution
+de 1793_! Quatorze députés Jacobins payèrent de leurs têtes cette
+insurrection, et, trois mois après, les clubs et sociétés populaires
+étaient dissous. Chaque insurrection parisienne plaçait nos généraux
+dans une situation difficile, comme le montre cette lettre du chef qui
+commandait alors l'armée de Rhin et Moselle; elle est conçue en termes
+vraiment patriotiques:
+
+ «_Le général en chef Jourdan au général de division Hatry_.
+
+ «Andernach, le 7 prairial an III.
+
+ «Je suis instruit, mon camarade, qu'il y a eu, le premier de ce
+ mois, une insurrection à Paris, et que le peuple a occupé la salle
+ de la Convention presqu'à onze heures du soir. Il paraît cependant
+ qu'à cette heure la Convention a repris le cours de ses séances. Il
+ faut que l'armée agisse dans cette circonstance comme elle a agi
+ toutes les fois que de pareils événements ont eu lieu.
+ C'est-à-dire, qu'étant placée sur la frontière pour combattre les
+ ennemis du dehors, elle ne s'occupe point de ce qui se passe dans
+ l'intérieur et qu'elle ait toujours la confiance de croire que les
+ bons citoyens qui y sont, parviendront à faire taire les royalistes
+ et les anarchistes.
+
+ «Nous avons juré de vivre libres et républicains, et nous
+ maintiendrons notre serment, ou nous mourrons les armes à la main.
+ Nous avons juré de combattre les ennemis du dehors, tant que la
+ paix ne sera pas faite. Nous tiendrons pareillement notre serment,
+ nous resterons à notre poste, et nous combattrons avec autant de
+ valeur que la campagne dernière. Je suis persuadé que tels sont vos
+ sentiments et ceux des troupes que vous commandez. Mais comme il
+ est essentiel d'empêcher que des malintentionnés viennent répandre
+ de fâcheuses nouvelles dans l'armée, comme il est essentiel de
+ redoubler de surveillance, afin que l'ennemi ne puisse pas profiter
+ du malheur de nos querelles intestines, il faut redoubler de zèle
+ et d'activité, il faut que les militaires de tout grade soient
+ toujours à leur poste, que le service des avant postes se fasse
+ avec plus de surveillance que jamais, et que vous veillez à ce que
+ les convois qui passeront dans l'arrondissement que vous commandez,
+ soient bien escortés. J'espère que l'attitude de l'armée en
+ imposera à tous les ennemis de la République.
+
+ «Je vous communiquerai journellement les suites des événements, et
+ vous aurez à me faire part exactement des observations que vous
+ ferez sur ce qui se passera dans les troupes que vous
+ commandez.--Salut et fraternité.
+
+ «JOURDAN.»]
+
+[33: _C'est-à-dire_ du Palatinat.]
+
+[34: La division Poncet, dont notre sergent faisait partie, devait avec
+la division Marceau, rester en observation sur la rive gauche du Rhin.]
+
+[35: Le 19 janvier 1793, les Autrichiens et non les Prussiens avaient en
+effet évacué le fort en faisant sauter les fortifications. C'est après
+la levée du blocus que le duc de Brunswick écrivit au roi de Prusse
+cette lettre fameuse par laquelle il demandait son rappel en disant:
+«Lorsqu'une grande nation, telle que la nation française, est conduite
+aux grandes actions par la terreur des supplices et par l'enthousiasme,
+une même volonté devrait présider à la _démarche_ des puissances
+coalisées.»]
+
+[36: Le 23 thermidor de l'an IV doit concorder avec le 9 août 1795, et
+la fête de la Fédération était célébrée le 14 juillet. Il paraît y avoir
+une erreur de date.]
+
+[37: Rien de plus capricieux que l'uniforme des armées de la République
+réduites à tout improviser avec les seules ressources des pays qu'elles
+traversaient. À une époque bien rapprochée, du reste, au siège de Paris
+en 1870, nous avons revu un bataillon mobilisé vêtu de capotes marron.]
+
+[38: On sait que l'année républicaine, composée de douze mois égaux de
+trente jours, avait cinq jours dits _complémentaires_ pour les années
+ordinaires et six pour les années bissextiles.]
+
+[39: 23 septembre 1796.]
+
+[40: C'était avant 1777, l'électeur palatin du Rhin. Ce fut ensuite le
+duc de Bavière.]
+
+[41: Une attaque du maréchal Clairfayt déterminait en ce moment la
+retraite de l'armée de Rhin-et-Moselle, placée par Pichegru dans des
+positions intenables, et la place de Mannheim, abandonnée à elle-même,
+se rendait quelques jours après. Les lignes devant Mayence étaient
+forcées.]
+
+[42: Elle était double de la nôtre qui avait vu une de ses quatre
+divisions écrasée. Les trois autres se retirèrent avec peine en perdant
+presque toute leur artillerie.]
+
+[43: Un armistice fut conclu quelques jours après fort à propos pour
+l'armée du Rhin-et-Moselle, très réduite en hommes et en chevaux.]
+
+[44: En sept semaines, l'armée d'Italie avait conquis le Piémont, dicté
+la paix à la cour de Turin, occupé Vérone et Milan, investi Mantoue.
+Déconcertée, l'Autriche prit Wurmser et 56,000 hommes sur le Rhin, pour
+les opposer à Bonaparte, et nous allons voir l'armée de Rhin-et-Moselle
+en profiter pour reprendre l'offensive.]
+
+[45: Pour mieux surprendre encore, Moreau faisait exécuter deux fausses
+attaques sur Spire et Mannheim. Pendant ce temps son aile droite, portée
+rapidement sur Strasbourg, passait heureusement le Rhin à la date du 24
+juin 1796, sur un pont de bateaux préparé dans le plus grand secret.]
+
+[46: Milanais d'origine et capitaine au service autrichien, Férino était
+venu offrir ses services à la Révolution française qui le fit
+lieutenant-colonel et général en 1792, général de division en 1793.
+L'empire le fit comte et sénateur; sa division comprenait au moment qui
+nous occupe, vingt-trois bataillons et dix-sept escadrons.]
+
+[47: L'artillerie comptait en effet trente et une pièces, et les sacs de
+grains étaient au nombre de quarante mille.]
+
+[48: Ce n'était pas un corps d'émigrés, mais six escadrons autrichiens
+détachés par le général Froelich.]
+
+[49: Voir la note 38.]
+
+[50: «Cette retraite est devenue célèbre; cependant il faut convenir
+qu'elle était loin d'offrir les mêmes difficultés que le retraite de
+l'armée de Sambre-et-Meuse, avec laquelle Moreau eu mieux fait d'opérer
+sa jonction.» (SOULT.)]
+
+[51: Voir la note 53 (siège de Kehl.)]
+
+[52: Il s'agit ici du _craquelin_, petit gâteau ayant effectivement
+cette forme.]
+
+[53: Rien n'est exagéré dans ce compte rendu de la situation. «Voulant
+rester à portée de l'Alsace pour profiter des intrigues que Pichegru
+continuait à ourdir, et pour lesquelles il était même revenu en personne
+à Strasbourg, les Autrichiens commencèrent par le siège de Kehl.
+Quelques travaux y avaient été faits pendant la campagne, et un camp
+retranché avait été établi en avant, mais tous ces ouvrages étaient
+simplement en terre et paraissaient peu susceptibles de tenir longtemps
+contre une attaque régulière. Néanmoins, la défense fut telle qu'elle
+résista à _quarante-sept jours_ de tranchée ouverte, pour ne laisser à
+l'ennemi que des monceaux de terre bouleversée. Il en fut de même à la
+tête du pont de Huningue dont les ouvrages étaient plus petits encore,
+et qui, attaquée depuis les premiers jours de novembre, ne fut évacuée
+que le 2 février suivant. Ces deux défenses mémorables ont été décrites
+dans des ouvrages spéciaux. (SOULT.)--Voir le n° III de notre
+Supplément.]
+
+[54: Les généraux blessés furent au nombre de trois: Desaix, Duhesme et
+Jordy. Tous avaient payé de leur personne pour doubler l'élan des
+troupes dans ces deux belles journées. Arrivé de Paris la veille, le
+général en chef s'était jeté dans l'eau jusqu'à la ceinture pour aider,
+en tirant sur des cordages avec Desaix et son état-major, à dégager un
+bateau engravé. Duhesme avait eu la main percée d'une balle en battant
+sur une caisse de tambour avec le pommeau de son sabre pour ramener un
+bataillon à la charge.]
+
+[55: Le seul général O'Reilli avait été fait prisonnier, mais le général
+Staray avait été tué, ce qui explique l'exagération apparente du
+chiffre.]
+
+[56: Le fort fut enlevé par quelques dragons du 17e régiment qui
+passèrent le Kintzig; on était en train de le reconstruire sur un
+nouveau tracé.]
+
+[57: Les intelligences de Pichegru avec l'ennemi avaient commencé en
+1795, et ses fausses manoeuvres préméditées compromirent alors l'armée de
+Jourdan. Déporté en 1797, il s'évada pour s'allier ouvertement aux
+ennemis de la patrie, et revenir mourir honteusement à Paris. Le prix
+stipulé pour sa trahison comprenait une infinité d'articles: le
+gouvernement d'Alsace, le grade de maréchal, deux grands cordons, douze
+canons, le château de Chambord, la terre d'Arbois, un million d'argent
+et deux cent mille livres de rentes. En attendant la réalisation de ces
+promesses, le ministre anglais de Suisse lui faisait passer des
+subsides. Moreau, auquel on avait apporté la preuve écrite de ce pacte,
+fut accusé de l'avoir divulgué trop tard.]
+
+[58: Le maréchal Soult dit beaucoup en peu de lignes sur les causes
+possibles de la mort trop subite de Hoche: «Cependant, l'esprit
+républicain était encore très vif dans les rangs de l'armée; aussi,
+quand la lutte fut engagée entre la majorité des conseils et celle du
+Directoire, celle-ci appela l'armée à son secours. On donna le mauvais
+exemple de faire faire des adresses par des corps de troupe. Le général
+Hoche fut à Paris, et l'on fit avancer deux divisions de Sambre-et-Meuse
+dans les environs de la capitale, sous le prétexte de les envoyer sur
+les côtes de l'Océan. Ce mouvement eut lieu à l'insu du directeur Carnot
+et du ministre de la guerre lui-même, du moins ce dernier en fit la
+déclaration. Le général Bonaparte fut plus circonspect que le général
+Hoche; il se borna à envoyer à Paris le général Augereau, qui fit le
+coup de main du 18 fructidor. Quant au général Hoche, il s'aperçut
+probablement au dernier moment, qu'il ne jouerait pas dans le coup
+d'État projeté le rôle qu'il croyait devoir lui revenir et qu'il y
+serait associé à des hommes avec lesquels il ne pouvait lui convenir
+d'être confondu. Il se hâta donc de rejoindre son armée, mais à peine
+était-il arrivé à son quartier général de Wetzlar, qu'une courte
+maladie, dont la nature parut assez extraordinaire, l'emporta, le 19
+septembre (troisième jour complémentaire). Des bruits d'empoisonnement
+circulèrent d'abord: les soupçons se fondaient sur ce que le général
+Hoche était vraisemblablement dépositaire de secrets importants, et
+qu'il devait y avoir des personnes intéressées à ce qu'il cessât de leur
+porter ombrage par sa supériorité et l'ascendant qu'il exerçait sur son
+armée, voisine de la France. On ne peut pas admettre légèrement des
+soupçons d'une nature aussi grave, et il est plus que probable qu'ils
+n'avaient rien de fondé, cependant ils n'ont jamais été éclaircis. Quoi
+qu'il en soit, les plus sincères regrets l'accompagnèrent au tombeau et,
+pour en perpétuer le souvenir, l'armée fit élever un monument dans la
+plaine entre Coblentz et Andernach, où son corps fut déposé.
+
+«Le général Hoche possédait les qualités qui constituent le grand
+capitaine, et il les faisait ressortir par les dons extérieurs les plus
+séduisants. Son port noble et majestueux, sa physionomie ouverte et
+prévenante, attiraient la confiance à la première vue, comme sur les
+champs de bataille, toute son attitude commandait l'admiration. Un coup
+d'oeil prompt et sûr, un caractère entreprenant qu'aucune difficulté
+n'était capable d'arrêter, des sentiments très élevés, et en même temps,
+une grande bonté, une sollicitude constante pour le soldat: il n'en
+fallait pas tant pour que l'armée aimât en lui un chef qui avait
+toujours été heureux, et qui avait la gloire d'avoir pacifié la Vendée.
+On lui a reproché l'ambition. Il n'avait que trente ans, lorsque la mort
+l'enleva à la France; à cet âge, à la tête d'une armée, avec la
+réputation dont il jouissait et le sentiment qu'il avait de sa propre
+valeur, il était bien difficile de se préserver de l'ambition, surtout
+lorsqu'il voyait s'élever à ses côtés des réputations qu'il se croyait
+capable d'égaler. Aussi je crois que si Hoche eût vécu, il eût prévenu
+le 18 brumaire, ou du moins qu'il eût pris le rôle de Pompée, lorsque le
+nouveau César vint s'emparer du pouvoir suprême.]
+
+[59: C'est effectivement à cette date que fut signé le traité de
+Campo-Formio.]
+
+[60: Une entrée des troupes françaises à Zurich avait été précédée d'une
+proclamation qui promettait que rien ne serait demandé pour l'entretien
+des troupes, dont la solde et les subsides étaient, disait-elle, assurés
+par les convois de France. Une fois en ville, il fallut cependant faire
+des demandes de vivres; elles furent justifiées par l'excuse que les
+convois étaient malheureusement en retard; on fit la promesse de les
+rendre en nature, à l'arrivée des convois, ou de les rembourser avec les
+premiers fonds que le Directoire enverrait. L'agent du Directoire
+sanctionnait par sa présence cet engagement. Quelques jours après, un
+arrêté impose à la ville de Zurich une contribution extraordinaire de
+guerre payable dans un très court délai: l'abus de la force était la
+seule raison à donner d'un pareil manque de foi. Une députation de
+notables se rend auprès du général commandant, pour lui faire des
+représentations. Le général était d'autant plus embarrassé de répondre
+qu'il n'était lui-même pas coupable; il n'avait agi que d'après des
+ordres. Il cherchait comme la première fois, à trouver des excuses dans
+le retard des convois attendus de France, dans les besoins pressants de
+l'armée, lorsque l'orateur de la députation le tira d'embarras:
+«Général, lui dit-il, nous ne sommes pas venus pour vous reprocher
+d'avoir oublié vos engagements que sans doute on vous a obligé à violer,
+ni pour nous plaindre que la contribution soit trop forte, mais pour
+vous dire, au contraire,_ que nous pouvons payer davantage, et pour vous
+prier de nous le demander_.»
+
+Puis, lui saisissant vivement la main: «_Quand vous nous aurez pris_,
+ajouta-t-il, _des richesses qui ont aguerri votre courage et dont nos
+ancêtres savaient se passer, nous reviendrons dignes d'eux, nous
+reviendrons Suisses_.»
+
+Nous donnons d'après les _Mémoires_ du maréchal Soult (comme toujours)
+ce beau trait qui est à méditer en tout temps et en tous pays.]
+
+[61: Il a une longueur de 1800 pieds.]
+
+[62: À l'armée, la prison est ainsi nommée parce qu'on n'y laisse pas
+pénétrer le jour.]
+
+[63: Le 16 germinal correspond au 5 avril 1799. Le maréchal Soult résume
+ainsi cette suite de revers due à l'incapacité du général Scherer: «Le
+général Scherer partait des places de Mantoue et de Peschiara, sur la
+ligne du Mincio: il commença ses opérations, le 26 mars, pour forcer la
+ligne de l'Adige. Il opérait aux trois colonnes: celle de gauche,
+commandée par le général Moreau, avançait. Elle passa l'Adige au-dessus
+de Vérone, coupant la droite de l'armée autrichienne, et elle était à
+même de poursuivre ses succès vers Vienne si elle avait été soutenue;
+mais les autres divisions du centre et de la droite, que le général
+Scherer commandait en personne, se firent battre par l'ennemi.
+Cependant, le succès que venait de remporter le général Moreau suffisait
+pour que le restant de l'armée pût s'appuyer sur lui, le rejoindre,
+marcher sur Vienne, rejeter les Autrichiens sur la Brenta et les séparer
+des places de Vérone et de Legnago. Le général Moreau donnait ce conseil
+au général Scherer; mais, au lieu de le suivre, celui-ci eut la
+singulière idée de rappeler le général Moreau sur la rive droite de
+l'Adige, pour recommencer par sa droite la même opération, quatre jours
+après. Cette fois la leçon fut plus sévère: on y perdit une partie de la
+division Serurier, qu'une nuit de faux mouvements compromit sur la rive
+gauche de l'Adige, et qui, entourée par des forces supérieures, finit
+par être accablée.
+
+«Enfin une troisième tentative, faite le 6 avril, fut encore moins
+heureuse. Malgré des succès, d'abord remportés au centre par le général
+Moreau, la droite de l'armée fut tournée, à la fin de la journée, par
+une manoeuvre habile du général Kray. Il y avait tant d'incohérence dans
+tous les mouvements, que cet échec ne put être réparé: le désordre vint
+s'y joindre et l'armée entière précipita sa retraite, non pas seulement
+derrière le Mincio où le général Scherer aurait pu tenir, à l'appui des
+places de Peschiera et de Mantoue, mais derrière l'Adda.
+
+«La journée de Magnano décida du sort de l'Italie. Dix jours avaient
+suffi pour réduire l'armée à moins de trente mille combattants, pendant
+que d'un autre côté, toutes les troupes éparpillées depuis le Pô jusqu'à
+Naples, étaient non seulement trop éloignées pour lui amener des
+renforts en temps utile, mais se trouvaient elles-mêmes de jour en jour
+plus compromises. En même temps l'armée ennemie avait remplacé toutes
+ses pertes et elle acquérait une supériorité de plus en plus grande par
+les renforts qu'elle recevait à tout instant; elle était, en outre, à la
+veille d'être rejointe par l'armée russe, qui arriva sur l'Adige, le 15
+avril.
+
+«L'exaspération de l'armée dont le courage avait été si mal employé
+était au comble, et elle eût produit des actes d'indiscipline et de
+désobéissance, si le général Scherer fût resté. Il le comprit, il partit
+pour Milan sous prétexte de diriger les levées extraordinaires qu'on y
+faisait, et ne revint plus. Il avait remis, avant son départ, le
+commandement au général Moreau.»]
+
+[64: L'armée russe avait fait sa jonction.]
+
+[65: Il s'agit ici du passage de l'Adda sur la droite de l'armée de
+Berthier qui s'était portée vers le point oriental du lac de Côme, et
+qui isola la division Serrurier du restant de l'armée. L'attaque
+générale de l'ennemi triompha sur les autres points, et l'armée
+française se vit réduite à la retraite après avoir perdu le tiers de son
+effectif et une centaine de canons.]
+
+[66: Comme complément de cette invocation, voir la prière à la fin du
+journal.]
+
+[67: «Le tableau de la situation de Gênes dans les derniers jours du
+siège a déjà été tracé tant de fois et est devenu si célèbre, dit le
+maréchal Soult, que je puis me borner ici à le rappeler. Les horreurs de
+la faim, dans une ville de cent soixante mille âmes, dépassent tout ce
+que l'imagination peut se représenter de plus hideux. On avait dévoré
+tous les animaux jusqu'aux chiens et aux rats; on fabriquait, sous le
+nom de pain, une composition d'amandes, de grains de lin, de son et de
+cacao, qu'on a comparée à de la tourbe imbibée d'huile, et que les
+chiens mêmes ne pouvaient pas supporter; la ration consistait en deux
+onces de cet affreux mélange. Enfin, le 15 prairial (le 4 juin), il n'en
+restait plus une once pour chacun; il ne restait plus quoi que ce fût,
+qui pût être mangé, pas même la nourriture la plus immonde. Il n'en
+restait pas plus pour l'armée que pour les habitants qui, tous les
+jours, mouraient par centaines. L'armée, si on pouvait encore lui donner
+ce nom, ne comptait pas trois mille hommes en état de tenir un fusil,
+car leur faire faire le moindre mouvement, était absolument impossible;
+les sentinelles ne pouvaient faire leur faction qu'assises. Le
+lendemain, elles n'auraient pas pu le faire, tous soldats et habitants,
+seraient morts d'inanition.
+
+«Ce fut ce jour-là seulement que le général Masséna consentit à écouter
+les propositions qui lui étaient faites depuis plusieurs jours par les
+généraux ennemis, dans les termes les plus honorables. La conférence
+entre le général Masséna, les généraux autrichiens Ott et Saint-Julien
+et l'amiral Keith commandant l'escadre anglaise, se tint au milieu du
+pont de Cornigliano, sur le Bisague, et le général Masséna y apporta
+toute la fermeté de son caractère. Il commença par ne pas vouloir
+admettre l'emploi du mot de _capitulation_, et la seule expression à
+laquelle il consentit, fut celle de _négociation pour l'évacuation de
+Gênes_. L'armée sortit librement de Gênes avec armes et bagages, pour
+rentrer en France, sans engager sa parole: huit mille hommes prendraient
+la route de terre; le surplus, ainsi que les hôpitaux, le matériel et
+tout ce qui appartenait à l'armée, serait transporté par mer à Antibes.
+Cette clause de la marche, par terre, de huit mille hommes, fut sur le
+point de faire rompre la négociation. Le général Ott ne voulait pas y
+consentir, afin de retarder la réunion de cette colonne à l'armée
+française. Le général Masséna rompit la conférence: «À demain,
+messieurs,» leur dit-il. Cependant, il savait bien qu'il serait hors
+d'état d'accomplir sa menace. Cette fermeté réussit, mais le général
+Masséna était surtout secondé par les ordres pressants que le général
+Ott venait de recevoir du général Mélas, et qui lui prescrivait de ne
+pas perdre un instant pour lever le siège et pour conduire son corps
+d'armée à Alexandrie.»]
+
+[68: Bibl. Nat. Estampes OA, 105 O.]
+
+
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of Journal de marche du sergent Fricasse
+de la 127e demi-brigade : 1792-1802, by Jacques Fricasse
+
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+
+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
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+
+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at https://www.pglaf.org.
+
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
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+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
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+permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
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+809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
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+information can be found at the Foundation's web site and official
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@@ -0,0 +1,7099 @@
+<!DOCTYPE html PUBLIC "-//W3C//DTD HTML 4.01 Transitional//EN">
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+
+
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+
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+<pre>
+
+The Project Gutenberg EBook of Journal de marche du sergent Fricasse de la
+127e demi-brigade : 1792-1802, by Jacques Fricasse
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
+
+
+Title: Journal de marche du sergent Fricasse de la 127e demi-brigade : 1792-1802
+ avec les uniformes des armées de Sambre-et-Meuse et
+ Rhin-en_Moselle. Fac-similés dessinés par P. Sellier d'après
+ les gravures al
+
+Author: Jacques Fricasse
+
+Editor: Lorédan Larchey
+
+Release Date: April 14, 2010 [EBook #31988]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: ISO-8859-1
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK JOURNAL DU SERGENT FRICASSE ***
+
+
+
+
+Produced by Mireille Harmelin, Eric Vautier, Rénald Lévesque
+(html) and the Online Distributed Proofreaders Europe at
+http://dp.rastko.net. This file was produced from images
+generously made available by the Bibliothèque nationale
+de France (BnF/Gallica)
+
+
+
+
+
+
+</pre>
+
+
+
+
+<br><br>
+
+
+
+<h2>JOURNAL DE MARCHE</h2>
+
+<h5>DU</h5>
+
+<h1>SERGENT FRICASSE</h1>
+
+<h4>DE LA 127e DEMI-BRIGADE</h4>
+
+<h3>1792-1802</h3>
+
+<h5>Avec les uniformes<br>
+ des armées de Sambre-et-Meuse et Rhin-et-Moselle,<br>
+fac-similés dessinés par P. Sellier<br>
+ d'après les gravures allemandes du temps.</h5>
+
+<h4>PUBLIÉ POUR LA PREMIÈRE FOIS PAR LORÉDAN LARCHEY<br>
+ D'APRÈS LE MANUSCRIT ORIGINAL</h4>
+
+ <br><br><hr class="short"><br><br>
+
+<p class="mid">PARIS<br>
+
+AUX FRAIS DE L'ÉDITEUR</p>
+
+<hr class="short">
+
+<h5>1882</h5>
+
+<br><br>
+
+<p>Authenticité de ce Journal. Ses enseignements et sa valeur morale.--Les
+armées de la République glorifiées par un Maréchal du premier
+Empire.--Pourquoi nous devons souhaiter la renaissance de leur esprit
+militaire.</p>
+
+<br><br>
+
+<p>Fricasse!</p>
+
+<p>Comique est le nom, mais sérieuse est l'oeuvre, car elle se recommande
+par une sincérité rare. Et la sincérité est beaucoup à cette époque
+tourmentée de la première République où chaque écrivain se passionne en
+prenant parti pour ou contre l'ère nouvelle. Éloge enthousiaste ou
+réquisitoire indigne, il n'y a guère de milieu.</p>
+
+<p>Le document, publié ici pour la première fois, présente du moins le
+mérite de ne connaître d'autre guerre que celle de l'extérieur, d'autres
+ennemis que ceux de la patrie. Il est authentique, et je tiens à la
+disposition des curieux son manuscrit original, qui est du temps, et qui
+me fut libéralement donné par mon ami Jules de Forge de Vesoul. C'est
+bien un journal de marche; chaque étape s'y trouve notée à son jour,
+chaque fait de guerre paraît à son heure.</p>
+
+<p>En un temps où l'avancement était si rapide, il ne fut pas de plus
+humble carrière que celle de notre héros, et c'est précisément ce qui
+m'a intéressé dans une oeuvre que ne recommande, il faut le dire, aucune
+séduction littéraire; elle est simple comme le carnet d'un soldat
+citoyen qui remplit son devoir complètement et modestement. De 1792 à
+1802, il fait campagne chaque année: avec l'armée de Sambre-et-Meuse, il
+protège nos places du Nord et fait son entrée à Bruxelles; avec l'armée
+de Rhin-et-Moselle, il pousse jusqu'à Munich et accomplit cette retraite
+devenue fameuse sous le nom de <i>retraite de Moreau</i>; avec l'armée
+d'Italie, il résiste dans Gênes jusqu'à la dernière extrémité. Reste le
+neuvième d'une compagnie de cent dix hommes détruite par la guerre,
+réduit par une blessure à regagner son village, il n'a ni un mot de
+plainte, ni un mouvement d'humeur ou d'ambition déçue. Il reste fier
+d'avoir servi son pays avec honneur et avec probité. J'insiste sur ce
+dernier mot, parce que plusieurs pages de son journal témoignent des
+plus nobles sentiments<a id="footnotetag1" name="footnotetag1"></a>
+<a href="#footnote1"><sup class="sml">1</sup></a>. La partie descriptive n'en est pas bien
+riche, les développements et les réflexions ne sont jamais poussés loin,
+mais si l'esprit de l'auteur est borné, son âme apparaît grande et
+généreuse, on sent qu'il est honnête homme et bon Français. On oublie la
+sécheresse et la monotonie même du récit, parce qu'il vous fait sûrement
+connaître l'esprit du soldat et aussi les cruelles nécessités de la
+guerre.</p>
+
+<p>Il est bon de savoir à quel prix on achète une victoire.</p>
+
+<p>Certes, c'est déjà beaucoup que le courage de faire le coup de feu ou de
+se lancer sur l'ennemi baïonnette en avant. Mais que de soldats tombés
+sur la route avant de voir luire un jour de bataille! Combien de
+victimes obscures sont dévouées aux marches sans fin, aux misères du
+bivouac, aux privations des sièges, aux souffrances d'une campagne
+d'hiver où la maladie et la faim n'ont pas peur de votre fusil.</p>
+
+<p>On ne saurait se faire idée de cela en voyant défiler un régiment ni en
+lisant un rapport officiel.</p>
+
+<p>D'autres enseignements ressortent de notre journal. Il s'en dégage au
+plus haut degré l'expression de cette foi républicaine qui n'est pas
+encore admise sans réserve. Pour les besoins de certaines causes, on a
+contradictoirement exalté et ravalé les volontaires de notre première
+République. On verra que leur force morale fut à la hauteur de leurs
+souffrances, sinon de leur discipline. C'est déjà un point important
+acquis au débat qui n'est pas encore terminé, mais qui, pour l'honneur
+de nos armes, ne perd point à être approfondi. Je le constate sans
+esprit d'exclusion, car je suis de ceux qui ne voient ni tout en rose,
+ni tout en noir. Il semble que plus on creuse le passé, moins on devient
+absolu. En histoire, le bon et le mauvais restent aussi inséparables,
+dans les faits, que l'ombre et la lumière dans un paysage. On remarque
+seulement à certaines heures plus de lumière ou plus d'ombre, et c'est
+dans la mise en valeur de cette inégalité que se trouve la vérité du
+tableau.</p>
+
+<p>Si nos volontaires de 1792 n'ont pas été aguerris du premier coup, ils
+ont donc montré vraiment l'esprit national, c'est-à-dire la volonté de
+faire respecter la France au péril de leurs vies, ce qui est la première
+qualité d'un soldat. Chez le nôtre, on constate aussi, et non sans une
+certaine surprise, que l'amour sincère de la République est empreint
+d'un sentiment religieux particulier et dont l'expression se trouve
+traduite au long dans une prière écrite à la fin de son oeuvre. Elle a
+été recueillie avec d'autant plus de soin que c'est un document unique
+en son genre. Je l'avais cru d'abord copiée sur quelque texte de
+l'église constitutionnelle, mais ses incorrections mêmes annoncent une
+oeuvre originale; elle surprend moins lorsqu'on se reporte à la jeunesse
+de l'auteur qui s'est passée dans le jardin d'un couvent.</p>
+
+
+<p>Le <i>Journal de Fricasse</i> a été publié avec tout le respect possible.
+J'ai retranché les répétitions et les mots inutiles, orthographiant à
+l'occasion, mais sans me permettre d'ajouter quoi que ce soit<a id="footnotetag2" name="footnotetag2"></a>
+<a href="#footnote2"><sup class="sml">2</sup></a>. Pour
+mieux éclairer le texte, j'ai donné une suite de dessins d'uniformes
+rigoureusement exacts; ils sont placés à la fin de ce petit volume avec
+les éclaircissements nécessaires. Au point de vue militaire, je n'avais
+pas à me préoccuper de la discussion de faits, mais ce que j'ai lu des
+relations du temps m'a prouvé que l'auteur disait vrai sur la date et la
+nature des mouvements dont la portée lui échappe nécessairement. On sait
+que, excepté au grand état-major, c'est à l'armée qu'on est le moins
+renseigné sur la marche générale des opérations.</p>
+
+<p>Toutes précises que paraissent les données de notre sergent, un contrôle
+était cependant nécessaire; il nous a été fourni surtout par les
+<i>mémoires</i> d'un maréchal d'Empire qui ne saurait être suspect. Soult fut
+officier dans la même division que Fricasse; il appuie les détails
+donnés ici par ses propres affirmations, que nous avons fréquemment
+reproduites. À ce propos, on doit rendre hommage à la franchise avec
+laquelle le duc de Dalmatie paye son tribut d'admiration aux armées
+républicaines; il s'honore d'avoir partagé leur pauvreté, leur fierté,
+leur ardeur patriotique. Il déclare que le sort de la Pologne était
+réservé à la France républicaine si les engagements pris à Pilnitz
+avaient pu se réaliser.</p>
+
+<p>«Mais les soldats français, dit-il, ne comptaient pas le nombre de leurs
+ennemis; ils avaient foi en leur propre valeur. Malgré les revers qu'ils
+éprouvèrent au commencement, les privations qu'ils eurent à supporter,
+le fréquent remplacement de leurs généraux, la profonde impression que
+devaient produire sur eux les cris des factions et les déchirements de
+l'intérieur, toujours au-dessus de leur fortune et de leur situation,
+ils ne virent que des devoirs à remplir; et, en attirant sur eux les
+dangers, ils détournèrent les regards du monde des scènes de désolation
+qui couvraient la surface de la France.»</p>
+
+<p>Puis, parlant de la fortune contraire au début de nos armes, Soult
+ajoute: «Les Français payèrent leurs essais par des défaites et subirent
+les effets inévitables de l'inexpérience de leurs généraux, de
+l'indiscipline des troupes, des vices de leur organisation, de
+l'imprévoyance ou de la cupidité de l'administration, et de l'influence
+souvent malheureuse des représentants sur les armées. Ce fut un temps
+d'épreuves difficile à passer, mais quand l'armée en sortit, elle s'y
+était retrempée: les nouveaux chefs qui étaient destinés à fixer la
+victoire, sentaient sous le coup de ces revers leur intelligence se
+développer, méditaient sur les fautes qu'ils voyaient commettre et se
+formaient au milieu des rangs.»</p>
+
+<p>À propos des remaniements que subit en 1794 la constitution de l'armée,
+le maréchal Soult entre dans des détails non moins attachants sur
+l'esprit de nos troupes d'alors; ils ne sauraient perdre à être médités
+de nouveau et peuvent en tout temps fournir un bel exemple.</p>
+
+<p>«Les officiers donnaient l'exemple du dévouement. Le sac sur le dos,
+privés de solde, (car ce fut plus tard seulement, et lorsque les
+assignats eurent perdu toute leur valeur, qu'ils reçurent en argent,
+ainsi que les généraux, huit francs par mois), ils prenaient part aux
+distributions comme les soldats et recevaient des magasins les effets
+d'habillement qui leur étaient indispensables. On leur donnait un bon
+pour toucher un habit ou une paire de bottes. Cependant aucun ne
+songeait à se plaindre de cette détresse, ni à détourner ses regards du
+service qui était la seule étude et l'unique sujet d'émulation. Dans
+tous les rangs, on montrait le même zèle, le même empressement à aller
+au delà du devoir: si l'un se distinguait, l'autre cherchait à le
+surpasser par son courage, ses talents; c'était le seul moyen de
+parvenir; la médiocrité ne trouvait point à se faire recommander. Dans
+les états-majors, c'étaient des travaux incessants embrassant toutes les
+branches du service, et encore ils ne suffisaient pas; on voulait
+prendre part à tout ce qui se faisait. Je puis le dire, c'est l'époque
+de ma carrière où j'ai le plus travaillé et où les chefs m'ont paru le
+plus exigeants. Aussi, quoiqu'ils n'aient pas tous mérité d'être pris
+pour modèle, beaucoup d'officiers généraux, qui plus tard ont pu les
+surpasser, sont sortis de leur école. Dans les rangs des soldats,
+c'était le même dévouement, la même abnégation. Les conquérants de la
+Hollande traversaient, par dix-sept degrés de froid, les fleuves et les
+bras de mer gelés, et ils étaient presque nus: cependant ils se
+trouvaient dans le pays le plus riche de l'Europe; ils avaient devant
+les yeux toutes les séductions, mais la discipline ne souffrait pas la
+plus légère atteinte. Jamais les armées n'ont été plus obéissantes, ni
+animées de plus d'ardeur: c'est l'époque des guerres où il y a eu le
+plus de vertu parmi les troupes. J'ai souvent vu les soldats refuser
+avant le combat les distributions qu'on allait leur faire et s'écrier:
+Après la victoire on nous les donnera!»</p>
+
+<p>Le journal de notre sergent porte bien l'empreinte de l'élan auquel un
+maréchal d'Empire a voulu rendre hommage. Rien qu'à ce titre, il mérite
+la confiance du lecteur qui cherche la vérité dans les faits;
+l'incorrection de leur exposé n'enlève rien à la grandeur du sentiment
+qui les domine. Puisse-t-il faire condamner par nos contemporains cet
+amour du bien-être à tout prix qui menace de fausser notre jugement des
+devoirs militaires! Qu'une guerre survienne, ce n'est qu'un concert de
+cris et de lamentations dans certains journaux, si les vivres n'arrivent
+pas à l'heure dite et si les malades manquent des premiers soins.
+Malheur très grand, sans doute, mais inévitable en campagne. Cependant
+c'est à qui les analysera de la façon la plus navrante pour donner de la
+couardise à toute une nation. J'ai lu en 1874 certains articles
+d'ambulanciers que je pourrais citer comme des modèles de ce genre
+anti-national au premier chef. En temps de paix, il se manifeste sous
+une autre forme. Des mères de volontaires écrivent aux journaux pour se
+plaindre des corvées imposées à leurs fils; certains volontaires
+eux-mêmes croient être des héros d'abnégation en livrant à la publicité
+le récit de leurs infortunes de caserne. Pendant l'automne de 1881, un
+journal n'a-t-il pas poussé la sensibilité jusqu'à s'attendrir sur la
+marche d'un régiment qui avait fait, <i>sous la pluie</i>, l'étape de Lagny à
+Courbevoie!--De tels articles sont à lire dans les réunions publiques où
+la désertion du drapeau est proclamée un devoir social. Dans une classe
+plus relevée, je pourrais citer plus d'un cas de désertion à l'étranger
+qui n'a pas été flétri comme il aurait dû l'être. En plein salon,
+n'ai-je pas entendu un écrivain de talent déclarer que le métier des
+armes était abject, et que les Français feraient bien mieux de prendre à
+leur solde une armée d'Allemands, que de se faire tuer bêtement par eux!</p>
+
+<p>Simple paradoxe, me dira-t-on. Mais il est des paradoxes aussi
+humiliants que des aveux. On a ridiculisé dans le <i>chauvinisme</i>
+l'exagération enfantine du patriotisme; craignons le ridicule contraire
+qui serait infiniment plus dangereux.</p>
+
+<p>Il est temps de mettre son orgueil à savoir souffrir. À ce prix seul,
+nous pouvons redevenir aussi forts que nos anciens.</p>
+
+<br><br>
+
+<h3>JOURNAL DE MARCHE</h3>
+<h5>DU</h5>
+<h2>SERGENT FRICASSE</h2>
+
+<br><hr class="full"><br>
+
+<h4>RECUEIL DES CAMPAGNES QUE J'AI FAITES<br>
+AU SERVICE DE MA PATRIE.<br>
+RÉPUBLIQUE FRANÇAISE UNE ET INDIVISIBLE</h4>
+
+<br><hr class="short"><br>
+
+<p>Je suis né le 13 du mois de février 1773, dans le village nommé
+Autreville, à deux lieues de Chaumont en Bassigny, chef-lieu du
+département de la Haute-Marne. Je suis fils légitime de Nicolas
+Fricasse, jardinier, et d'Anne Corniot, de la dite paroisse. À peine
+étais-je au monde, mes parents ont été appelés pour être jardiniers chez
+le seigneur de Juzennecourt. C'est dans cet endroit que j'ai été élevé
+et que mes parents m'ont appris à connaître ce que devait savoir un
+honnête homme.</p>
+
+<p>Puis, mon père fut cultiver les jardins des Bernardins de Clairvaux. Ce
+changement a fait beaucoup pour mon apprentissage. Mon père était un des
+maîtres, et avait sous sa conduite quatre garçons. Après trois ans, il
+est retourné reprendre son ménage, et on m'a confié le même emploi
+qu'avait mon père. Je n'oublierai jamais un moine nommé Le Boulanger; il
+était archiviste et sacristain en chef. Ce digne homme n'a cessé de me
+procurer l'occasion de m'instruire, mais l'idée n'y était pas, et je
+n'ai pas su en profiter. Il me disait souvent: «Vois un peu, tu sais
+déjà lire et écrire. Eh bien! je veux t'apprendre la géographie: elle
+est bien utile à une personne qui veut faire quelque voyage.» Dans ce
+temps, je ne croyais jamais le quitter et je pensais que son grand
+savoir me servirait sans apprendre. Ah! que j'ai bien connu mes fausses
+idées dans la suite!</p>
+
+<p>Dans ces années, les États généraux se sont assemblés, et on a parlé de
+la suppression des couvents. Ceci a changé bien des idées, surtout dans
+le couvent où j'étais, qui était de quatre-vingt-dix religieux. Les
+voilà donc obligés de quitter, et moi aussi. Je suis entré jardinier
+chez le marquis de Messey, seigneur de Beaux-le-Châtel. Ce seigneur m'a
+donné beaucoup de louanges; s'il était content, je ne l'étais pas, car
+la terre de son jardin était trop aride, et j'avais grand'peine à la
+cultiver.</p>
+
+<p>Comme il était premier capitaine d'un régiment de cavalerie française
+nommé Royal-Étranger, en garnison à Dôle en Franche-Comté, il part pour
+rejoindre son régiment avec toute sa famille, et nous laisse dans la
+maison avec un cocher et une servante. J'en reçus une lettre dans
+laquelle il me marquait d'avoir soin de son jardin et de ses arbres, et
+qu'à son retour il me récompenserait. Présent ou absent, cela ne
+m'empêchait pas de faire mon service. Après, j'ai été une infinité de
+temps sans recevoir de ses lettres; j'avais beau en attendre, car le
+marquis avait émigré avec toute sa maison qu'il avait à Dôle. Me voilà
+donc résolu de le quitter. On a vendu tous les biens aussitôt après mon
+départ.</p>
+
+<p>Sortant de cette maison, je savais déjà où était ma place: j'avais été
+prévenu d'avance par le maître et la maîtresse. Ces aimables gens
+étaient venus voir le jardin, mais je n'avais pu leur promettre que pour
+la fin de la campagne. Me voilà entré au service du citoyen Quilliard,
+de Ville-sur-Laujeon (avant la Révolution, Château-Villain)<a id="footnotetag3" name="footnotetag3"></a>
+<a href="#footnote3"><sup class="sml">3</sup></a>. C'était
+des gens vertueux, des coeurs remplis d'humanité; leur bon caractère
+était peint sur leur visage. Tout cela me faisait croire que je ne
+pouvais passer que des jours heureux au service de ces généreux
+citoyens. Après l'ouvrage du jardin, venaient les parties de chasse que
+le maître de la maison faisait presque tous les jours avec plusieurs
+bourgeois de la ville; c'était le plus souvent pourchasser les grandes
+bêtes, cerfs, chevreuils et sangliers, dans les forêts immenses que le
+duc de Penthièvre avait dans les environs.</p>
+
+<p>Je me voyais chéri de mes maîtres, mais aussi je faisais en sorte de
+l'être toujours et de mériter leur confiance, lorsqu'il a été requis un
+bataillon dans le département. En ce temps le citoyen Quilliard
+commandait la garde nationale du canton; il donne ordre que toutes les
+communes se rassemblent au chef-lieu le 24 août 1792. Le 24 au matin, il
+nous dit:</p>
+
+<p>«Vous savez sans doute la besogne que j'ai à remplir: il nous faut
+plusieurs volontaires, ceux qui veulent quitter mon service sont libres.
+Si toutefois il ne se trouvait pas assez de volontaires, tous les pères
+de famille et les garçons seront obligés de tirer au sort. Si ce n'est
+pas votre dessein de partir, hé bien! mes amis, je ferai tout ce qui
+dépendra de moi pour vous rendre service en en faisant partir d'autres à
+votre place.»</p>
+
+<p>Nous voilà donc à la ville où tous les villages du canton étaient
+rassemblés. En premier lieu, il ne se trouvait guère de volontaires; il
+était une heure de l'après-midi que plusieurs compagnies de garde
+nationale, composées de cent soixante hommes, n'avaient pas encore
+fourni l'homme qu'il leur fallait<a id="footnotetag4" name="footnotetag4"></a>
+<a href="#footnote4"><sup class="sml">4</sup></a>. Dans le nombre, se trouvait la
+mienne, et je me trouvais rempli d'un désir depuis longtemps. Combien de
+fois j'avais entendu, par les papiers<a id="footnotetag5" name="footnotetag5"></a>
+<a href="#footnote5"><sup class="sml">5</sup></a>, la nouvelle que notre armée
+française avait été repoussée et battue partout! je brûlais d'impatience
+de voir par moi-même des choses qu'il m'était impossible de croire. Vous
+direz que c'était l'innocence qui me faisait penser ainsi, mais je me
+disais souvent en moi-même: «Est-il donc possible que je n'entende dire
+que des malheurs?... Oui! il me semblait que, si j'avais été présent, le
+mal n'aurait pas été si grand. Je ne me serais pas dit meilleur soldat
+que mes compatriotes, mais je me sentais du courage et je pensais que,
+avec du courage, on vient à bout de bien des choses.»</p>
+
+<p>En ce moment, pour remplir mon devoir, je me suis présenté à la tête de
+la compagnie; je leur ai demandé s'ils me trouvaient bon pour entrer
+dans ce bataillon. Les cris de toutes parts se sont fait entendre: «Oui!
+nous n'en pouvons pas trouver un meilleur que vous!»</p>
+
+<p>Me voilà donc enregistré par le capitaine et le juge de paix, sans avoir
+prévenu mon maître de mon sentiment, dans le moment qu'il s'offrait à me
+rendre service. Je conviens que ce n'était pas bien fait de ma part,
+mais j'étais timide. La timidité et la jeunesse empêchent quelquefois de
+dire sa façon de penser.</p>
+
+<p>C'est huit jours après, le 24 août, que j'ai quitté la maison; j'ai été
+dire adieu à mon père et à ma mère. Ceci m'a bien attendri de voir
+verser des pleurs à toute la famille sur mon éloignement sans leur aveu.
+Depuis ce moment, je voyage. Le lecteur pensera si j'ai bien ou mal
+fait.</p>
+
+<p>Mon bataillon était requis par le général Biron; son titre était
+<i>Premier bataillon de grenadiers et chasseurs de la Haute-Marne</i>.</p>
+
+<p>L'ordre du départ est enfin arrivé; le 2 septembre, je me suis rendu à
+Chaumont, chef-lieu du département. Nous y avons nommé des officiers
+provisoires qui nous ont montré les premiers principes de l'école du
+soldat sans armes. Les noms de ces officiers étaient: Ruel, capitaine,
+Barthélemy, lieutenant; Lemoine, sergent major; tous trois habitants de
+la ville. L'ordre de former le bataillon venu, nous sommes partis le 5
+octobre pour Saint-Dizier. En y allant, nous avons logé à Joinville;
+l'étape nous était fournie ainsi que le logement.</p>
+
+<p>À Saint-Dizier, on nous a fait prendre des cantonnements dans les
+environs, en attendant l'organisation. Je me suis trouvé dans la partie
+envoyée à Louvemont; dans ces cantonnements, nos officiers de route nous
+ont montré le maniement des armes.</p>
+
+<p>Parti de Louvemont le 2 novembre, pour retourner à Saint-Dizier, pour
+notre organisation. C'est dans ce moment que mes compagnons m'ont honoré
+du grade de caporal dans la sixième compagnie; j'avais pour capitaine
+Lemoine; pour lieutenant, Mongis; pour sous-lieutenant, Thiébault.</p>
+
+<p>Après que le bataillon a été organisé, on nous a fait cantonner de
+rechef; mais nos nouveaux cantonnements étaient à trois ou quatre lieues
+plus loin de Saint-Dizier où notre état-major est toujours resté. Deux
+villages étaient destinés à notre compagnie: Chamouilley, où le
+capitaine est resté avec la première section, et Bienville où j'étais
+avec les lieutenants: ces villages sont situés sur la Marne. Nous ne
+touchions aucun vivre; on donnait à un caporal vingt-trois sols huit
+deniers en papier par jour (pendant quelque temps, c'était six sols
+trois deniers en argent, et dix-huit sols en papier); un soldat avait
+quinze sols trois deniers par jour, tout compris. Avec ce prêt, nous
+étions obligés d'acheter tout ce qui nous était nécessaire. Les vivres
+n'étaient pas chers dans ce moment-là; nous pouvions vivre
+raisonnablement.</p>
+
+<p>Nous sommes sortis le 21 janvier de ces cantonnements pour rejoindre la
+première section, et pour nous disposer à célébrer la bénédiction de
+notre drapeau, à Saint-Dizier.</p>
+
+<p>Un jour après notre arrivée (le 24), on a donc assemblé le bataillon et
+on nous a conduits à l'église paroissiale de l'endroit. La bénédiction a
+été faite par notre aumônier: après, on a fait faire le serment de
+fidélité à tout le bataillon devant le drapeau. Le drapeau avait pour
+emblème une épée surmontée d'un bonnet de liberté, et pour devise: <i>Huit
+cents têtes dans un bonnet</i>.</p>
+
+<p>Dans ce même moment, on a distribué à chaque compagnie un fanion sur
+lequel était son numéro. Comme tout le bataillon ne pouvait rester à la
+ville, car c'était un lieu de passage, on nous a envoyés reprendre nos
+cantonnements. La seconde section, dont je faisais partie, avait eu des
+difficultés avec des laboureurs de l'endroit qui ne voulaient pas nous
+vendre du bled pour du papier. Pour éviter tout différend, on nous a
+donné un autre village appelé Narcy, à une demi-lieue de la Marne. Nous
+avons achevé d'y passer l'hiver.</p>
+
+<p>Notre état major a changé pour aller dans une autre ville nommée Vassy.
+Dans ce moment, nous avons changé de cantonnement. C'était le 15 mars;
+nous étions dans les environs de la ville, nous avions pour la compagnie
+deux villages qui se nommaient Brousseval et Domblain, où nous avons
+reçu notre habillement complet. Notre chef de bataillon, nommé Deprée,
+faisait souvent rassembler les compagnies pour faire la manoeuvre. Comme
+nous étions au printemps, plusieurs fois il nous faisait lever dès la
+petite pointe du jour, prendre les armes et mettre le sac au dos; il
+nous menait à deux ou trois lieues à la promenade militaire. Tout cela
+se faisait en attendant l'heure du départ.</p>
+
+<p>Je ne ferai point de grandes observations sur les pays où nous avons
+resté. C'est un pays où le monde est très affable; il produit du pain,
+du vin et une infinité d'autres denrées; chaque particulier y vit
+content de son labeur. Nous avons quitté ces contrées pour aller à Metz,
+le 12 avril, par Bar-sur-Ornain, Saint Mihiel, Pont-à-Mousson.</p>
+
+<p>Metz est une ville de guerre très fortifiée, et, dans ce temps-là, on
+augmentait encore ses fortifications. Nous avons fait le service de
+cette place pendant trois mois et demi, et logé au quartier Chambière
+avec le régiment de Suède. Nous avons été exercés à faire les différents
+feux.</p>
+
+<p>Nous sommes partis, le 17 août, de Metz pour Maubeuge où était une
+partie de l'armée du Nord.</p>
+
+<p>Avant de passer plus loin, je dirai que j'ai fait à Metz une maladie qui
+m'a porté à deux doigts de la mort. J'attribuais la cause de cette
+maladie à l'air de la ville<a id="footnotetag6" name="footnotetag6"></a>
+<a href="#footnote6"><sup class="sml">6</sup></a>, car j'avais toujours joui du bon air de
+la campagne. Peut-être aussi la distance de soixante lieues du pays m'a
+donné ces six semaines d'hôpital.</p>
+
+<p>Nous en reviendrons à notre armée du Nord. Nous y voilà arrivés; c'est
+dans peu qu'il nous faudra mesurer pour la première fois nos armes avec
+celles de notre ennemi.</p>
+
+<p>Nous n'avons pu loger au camp, car les tentes étaient toutes remplies;
+nous avons été obligés de rétrograder jusqu'au village de Beaufort,
+entre Avesnes et Maubeuge (c'était le 31 août). Là, nous avons trouvé le
+régiment de Beaujolais.</p>
+
+<p>Depuis, ce n'a été que bivouacs et contremarches nuit et jour, car nous
+avions affaire à un ennemi dont nous n'étions pas les maîtres, et nous
+n'étions que très peu de monde.</p>
+
+<p>7 <i>septembre</i>.--Partis de Beaufort pour Ténières près de la Sambre, où
+l'ennemi venait piller tous les jours. Nous nous sommes opposés à leur
+dessein. De là, nous avons été à Avesnes.</p>
+
+<p>Après un repos de quatre heures, on a battu la générale. Nous sommes
+partis pour Marbaix, sur la route de Landrecies, où nous avons bivouaqué
+pendant quarante-huit heures, suivant le mouvement de l'ennemi.</p>
+
+<p>12 <i>septembre</i>.--À cinq heures du matin, nous sommes arrivés derrière
+Landrecies. La tête de colonne a commencé l'attaque derrière la ville,
+sur la route du Quesnoy. Feu vif de notre part, mais l'ennemi a très
+bien répondu dans la forêt de Mormal où il était retranché. Cependant
+leurs premiers retranchements ont été enlevés, mais les abattis de gros
+arbres nous ont empêchés d'aller plus avant. Notre bataillon est entré
+dans la forêt à huit heures du matin. À sept heures du soir, la colonne
+s'est retirée. On a perdu du monde dans les deux partis. L'armée de
+siège de l'ennemi venait donner du secours à l'armée d'observation.
+C'est ce qui a fait que nous nous sommes retirés sur les glacis de
+Landrecies, sans quoi ils nous auraient bloqués dans la forêt<a id="footnotetag7" name="footnotetag7"></a>
+<a href="#footnote7"><sup class="sml">7</sup></a>. Pour
+notre première bataille, le succès n'a pas été bien grand.</p>
+
+<p>Repos de trois heures sur les glacis de Landrecies; on nous a donné
+quelques petits rafraîchissements. La colonne s'est remise en route;
+chaque corps a été reprendre ses positions du 7 septembre.--Quinze
+heures de marche.</p>
+
+<p>Notre colonne, de douze mille hommes, tant cavalerie qu'artillerie,
+avait voulu débloquer le Quesnoy et lui faire passer des vivres. Il
+était trop tard: lorsqu'elle est arrivée pour attaquer l'armée
+d'observation de l'ennemi, la ville s'est rendue; son dernier coup de
+canon était tiré avant le commencement de notre attaque.</p>
+
+<p>Revenus à Beaufort, le bivouac a commencé à une heure du matin, à une
+demi-lieue en avant du village, derrière le régiment de Beaujolais qui
+était campé sur une hauteur, à un quart de lieue de la Sambre. On
+attendait de jour en jour le blocus de Maubeuge.</p>
+
+<p>29 <i>septembre</i>.--Nous étions à bivouaquer comme de coutume, lorsqu'un
+déserteur autrichien est venu au camp de Saint-Remi-malbâti; il a dit
+que l'ordre était donné dans leur régiment de se tenir prêt à passer la
+Sambre pour les quatre heures du matin. Le régiment de Beauce, n° 68,
+était à ce camp; il a redoublé son service et s'est mis sur ses gardes.
+Il faisait un brouillard très obscur: aussi l'ennemi en a bien profité
+pour jeter ses pontons pendant la nuit, et, à quatre heures précises,
+ont passé trente mille hommes bien assurés de la victoire<a id="footnotetag8" name="footnotetag8"></a>
+<a href="#footnote8"><sup class="sml">8</sup></a>. Les
+troupes campées sur les hauteurs près la Sambre ont fait vigoureuse
+résistance, mais n'ont pu tenir contre une colonne si nombreuse, et ont
+été obligées de se replier sur nous, qui étions en seconde ligne. Nous
+n'avons pu arrêter la marche des Autrichiens qui nous attaquaient de
+tous les côtés.</p>
+
+<p>Retraite sur la ville de Maubeuge. Malgré notre vigoureuse résistance,
+nous n'avons pas tardé à être bloqués par leur nombreuse cavalerie qui
+cherchait à s'emparer des villages et des bois où nous devions passer.
+Comme nos tirailleurs ne leur donnaient pas assez d'occupation et ne
+nous laissaient pas le temps de défiler, nous avons été obligés de nous
+mettre en bataille en avant de la forêt de Beaufort. À l'approche de
+l'ennemi, nous avons fait le feu de file pendant trois quarts d'heure.
+Son artillerie nous a forcés une seconde fois à la retraite, après avoir
+perdu un canon et plusieurs canonniers tués et blessés. Vingt hommes de
+notre bataillon mis hors de combat. Notre route était coupée; il ne
+restait plus pour notre retraite qu'à nous enfoncer dans le bois et
+sortir comme l'on pourrait.</p>
+
+<p>Nous voilà donc en marche. Après avoir fait une demi-lieue dans cette
+forêt, étant prêts de sortir, un régiment ennemi qui se dérobait à notre
+vue nous force de chercher un autre passage. Sur une autre lisière du
+bois, l'ennemi nous cerne de même. Ma foi! il n'y avait plus à balancer.
+Rester prisonnier ne nous accommodait pas; nous avons passé au travers
+de l'ennemi qui n'a cessé de faire une fusillade continuelle.</p>
+
+<p>De cette forêt, nous avons rejoint la colonne qui se rassemblait dans la
+plaine, du côté de la route de Frieville. On voulait encore leur faire
+résistance, mais en vain. Il a fallu se mettre à l'abri dans le camp et
+disposer l'artillerie des redoutes à défendre les approches. L'ennemi
+s'est emparé des villages aux environs de la ville et a pillé nos effets
+qui y étaient restés.</p>
+
+<p>Trente hommes de notre bataillon, restés dans la forêt de Beaufort sans
+avoir pu percer pour nous rejoindre, avaient été obligés de se renfoncer
+dans le bois. Chemin faisant, ils ont fait prisonnier une sentinelle
+autrichienne. Ce soldat, très content d'être prisonnier, a aidé nos
+hommes à sortir du bois et les a conduits dans un endroit, qui était le
+moins gardé, où ils ont pu passer entre les postes à la faveur d'une
+nuit obscure (30 septembre). Ils ont été faire le service à Avesnes, et
+nous ont rejoints après le déblocus de Maubeuge.</p>
+
+<p>La même nuit, vers les dix heures du soir, notre bataillon a pris la
+garde de la <i>redoute du Loup</i> pour vingt-quatre heures. Après avoir été
+relevés, nous avons été prendre position à la gauche du camp retranché
+de Falise; c'était le nom du camp de Maubeuge.</p>
+
+<p>Nous attendions de jour en jour le siège, mais en vain. Il a été
+rapporté par plusieurs personnes que l'intention du général Cobourg
+n'était pas d'assiéger la ville, mais de la faire rendre par famine, car
+elle n'était pourvue d'aucuns vivres. On comptait vingt mille hommes en
+état de porter les armes, tant dans le camp que dans la ville; au moment
+du blocus, on a fait le serment de mourir les armes à la main plutôt que
+de se rendre aux ordres d'un tyran.</p>
+
+<p>6 <i>octobre</i>.--Sortie de six mille hommes, mais sans succès. Ils se sont
+présentés le triple et le double de ce que nous étions. On ne s'en est
+tiré qu'avec une grande perte.</p>
+
+<p>7.--Même insuccès. Nous sommes investis de toutes parts sans pouvoir
+nous donner de l'élargissement.</p>
+
+<p>Le 5 octobre, à la redoute de gauche, entre le bois du Tilleul et nos
+avant postes, une sentinelle française et une sentinelle hollandaise
+étaient à soixante pas l'une de l'autre, ce qui leur donnait facilité de
+converser. Quatre soldats de mon poste se sont avancés; les Hollandais,
+qui étaient dans le bois du Tilleul, ont été portés par la curiosité à
+se mêler de la conversation. Cependant, un Français reconnaît, parmi les
+Hollandais, son frère, qui était le plus empressé à demander comment
+nous étions, ce que nous pensions, et si les vivres ne nous manquaient
+pas.</p>
+
+<p><i>Réponse</i>: «Il ne manque rien aux républicains.»</p>
+
+<p>Par dérision, ils répliquaient que nous mangions déjà nos chevaux, et
+que, avec notre papier, nos assignats, il fallait mourir de faim. Ils
+ajoutaient qu'ils nous tenaient dans leurs filets, qu'ils nous feraient
+danser une dernière fois <i>la carmagnole</i>. Celui-là disait que, quoique
+Français, il prendrait plaisir à nous voir arracher la langue.</p>
+
+<p>Un volontaire lui dit: «Camarade, vous ne paraissez pas Hollandais, et
+sans doute il n'y a pas longtemps que vous êtes sorti de France. Vous
+paraissez bien sanguinaire pour une patrie qui renferme vos parents,
+mais que vous ne devez pas espérer revoir, car la loi prononçant votre
+arrêt de mort ferait tomber votre tête. Voilà ce qui est réservé aux
+coquins de votre espèce.»</p>
+
+<p>Son frère, qui l'avait reconnu, interrompit la conversation en disant:
+«Laissez-moi voir ce coquin! C'était autrefois mon frère.»</p>
+
+<p>L'autre dit: «Si j'ai été ton frère, je le suis encore.»</p>
+
+<p>Le volontaire dit que non, qu'il s'en était rendu indigne. «Tu sais,
+malheureux, ajouta-t-il, que je suis parti volontairement. Qu'il te
+souvienne de la promesse faite! Tu me promis d'avoir soin de notre mère,
+mais tu as faussé ton serment, tu l'as laissée sans subsistance et dans
+le chagrin; tu es indigne de vivre, tu n'es pas un humain, mais un vrai
+barbare».</p>
+
+<p>(Il faut remarquer que ce soldat généreux faisait part à sa mère de la
+moitié de sa paye.)</p>
+
+<p>Les Hollandais, qui entendaient un peu le français, ne manquèrent pas de
+le blâmer, et le lâche se retira. Son frère arme son fusil, tire et
+l'attrape à la cuisse. Il se relève et s'enfonce dans le bois.</p>
+
+<p>Un dragon autrichien, du régiment de Cobourg, chargeait un des nôtres,
+du 12e dragons. Après avoir tiré chacun leur coup de pistolet, ils
+s'approchent pour se sabrer. Quelle surprise! Ils se reconnaissent pour
+frères; depuis quinze ans ils ne s'étaient vus. À l'instant, leurs
+sabres tombent, ils sautent de cheval et se jettent au cou l'un de
+l'autre, sans pouvoir dire un seul mot. Un instant après, ils juraient
+de ne plus se séparer et de vivre sous le même étendard. Notre dragon
+fut trouver le général Jourdan pour le prier de ne point regarder son
+frère comme déserteur ni comme prisonnier, et le général consentit à
+incorporer cet homme dans le régiment.</p>
+
+<p>Heureuse époque du 18 octobre! C'est à une colonne de quatre-vingt mille
+hommes<a id="footnotetag9" name="footnotetag9"></a>
+<a href="#footnote9"><sup class="sml">9</sup></a>, commandée en chef par le général Jourdan, que nous devons
+notre liberté. Ils se sont battus, pendant deux jours, avec intrépidité.
+Ce combat s'engageait par une quantité de tirailleurs avec l'artillerie;
+la cavalerie et le reste de l'infanterie soutenaient ensuite. Le
+troisième jour, le brouillard était moins obscur; la lumière a donné de
+la force à nos armes, et, malgré leurs fortes redoutes, notre armée les
+a mis en déroute.</p>
+
+<p>Ces quatre-vingt mille hommes venaient de la Vendée, étaient commandés
+par un républicain; mais aussi la troupe l'a secondé. Ils ont fait
+repasser la Sambre à l'armée autrichienne qui a profité de la nuit pour
+disparaître, en laissant une quantité d'outils servant au travail de
+leurs redoutes.</p>
+
+<p>Je rapporterai ici ce que nous disaient les soldats autrichiens: «Eh!
+petits <i>carmagnoles</i><a id="footnotetag10" name="footnotetag10"></a>
+<a href="#footnote10"><sup class="sml">10</sup></a>, vous ne sortirez pas d'ici que vous ne soyez
+en notre pouvoir. Notre général a dit que si votre bonnet rouge était de
+force à faire partir l'aigle impérial, et à faire lever le siège, il
+adopterait votre constitution et serait du parti des républicains<a id="footnotetag11" name="footnotetag11"></a>
+<a href="#footnote11"><sup class="sml">11</sup></a>.</p>
+
+<p>Il ne l'a pas adopté, mais il a eu la <i>chasse</i> républicaine.»</p>
+
+<p>18 <i>octobre</i>.--Sortis de notre camp à la découverte, nous nous sommes
+rendus à Hautmont, village à gauche de Maubeuge, tout en désastre. On
+était après la moisson; l'ennemi s'est servi des grains pour faire des
+baraques et donner à manger aux chevaux. C'était la plus grande
+désolation. Les habitations des cultivateurs dévastées et même en grande
+partie brûlées. Voyez un peu ce qu'est la guerre. Malheur au pays où
+elle est posée! Les habitants n'y peuvent qu'être malheureux.</p>
+
+<p>Quoique nous n'ayons pas été longtemps bloqués, je dirai que nous
+sentions déjà notre misère, les vivres nous étaient retranchés
+(rationnés); la rivière passait au bas de notre camp, mais l'ennemi nous
+avait coupé l'eau; nous étions obligés de la prendre dans les fossés des
+retranchements où on allait faire les nécessités. La pluie, qui tombait
+continuellement faisait de tout cela un mélange. Aussi plusieurs de nous
+y avaient gagné le flux de sang.</p>
+
+<p>Revenons à nos contremarches: l'ennemi a été repoussé, mais il faut
+garder ses passages.</p>
+
+<p>29 <i>octobre</i>.--Partis de Hautmont pour aller à la droite de Maubeuge,
+dans un village appelé Marpent, sur le bord de la Sambre, où de temps en
+temps on se souhaitait le bonjour à coups de fusil avec les postes
+autrichiens.</p>
+
+<p>14 <i>novembre</i>.--Partis de Marpent pour aller au camp de Saint-Remy, sur
+les hauteurs, jusqu'au 29. Ce dernier jour, nous sommes allés à
+Colleret.</p>
+
+<p class="mid"><span class="1794">Année 1794</span></p>
+
+<p>Nous avons quitté Colleret pour Damousies le 12 janvier 1794, deuxième
+année de la République. Tous ces villages étaient en première ligne,
+près des avant-postes ennemis; car les impériaux avaient un passage sur
+la Sambre, près de Beaumont de sorte que nous étions obligés de nous
+garder partout. On allait fourrager pour la cavalerie sur leurs
+frontières, car les fourrages n'étaient pas bien abondants dans des pays
+où la troupe est toujours campée.</p>
+
+<p>De Damousies, nous sommes venus, le 19 janvier, au village d'Aibes,
+toujours en première ligne où le bivouac était continuel. Là, je suis
+passé sergent, par ancienneté de grade, le 26 pluviôse.</p>
+
+<p>Nous avons reçu dans ce temps des recrues de la réquisition, et les
+compagnies ont été au grand complet. À peine avait-on le temps de
+montrer les premiers principes d'exercice à tous ces hommes qu'il
+fallait aller se battre; aussi, la rigueur de l'hiver nous a causé bien
+des maux. Dans ces temps là, il n'y avait point d'armistice: hiver comme
+été, on était toujours en campagne.</p>
+
+<p>Quitté Aibes, le 6 germinal, pour nous rendre à Jeumont. La moitié du
+bataillon a campé à une demi-lieue à droite, à un bois nommé le <i>Bois de
+l'abbaye brûlée</i>. Tous les quatre jours, on relevait les postes à
+quarante pieds de distance de l'ennemi, et, en d'autres endroits, il n'y
+avait que la Sambre qui séparait. Dans cet endroit, bien des fois nous
+nous sommes souhaité le bonjour à coups de fusil. On ne cherchait qu'à
+se surprendre les postes et à enlever les sentinelles.</p>
+
+<p>Le 22, nous sommes partis de cette position. L'ennemi faisait de
+nouvelles tentatives pour bloquer Maubeuge. Encore une demi-heure plus
+tard, cela en était fait. Mais la brave armée du Nord ne s'est point
+découragée. Nous avons battu en retraite à deux lieues près de
+Cerfontaine, où était le quartier général. Toute la troupe était sur une
+ligne, disposée au combat qui a commencé aussitôt. La colonne
+autrichienne a été repoussée au delà de ses positions, laissant une très
+grande quantité de morts, de blessés et de prisonniers.</p>
+
+<p>Nous avons repris notre position dans le village. Nous y avons trouvé de
+leurs chasseurs à pied qui avaient passé la Sambre pour piller; nous
+leur avons fait des prisonniers, et le reste de la journée s'est passé à
+se donner des saluts républicains<a id="footnotetag12" name="footnotetag12"></a>
+<a href="#footnote12"><sup class="sml">12</sup></a>.</p>
+
+<p>Avant de quitter les frontières du Hainaut, pour l'autre rive de la
+Sambre, je parlerai de la situation des habitants. La plupart n'avaient
+plus d'habitations (et encore combien avaient perdu la vie!). Je compare
+l'ennemi à une grêle qui ne laisse rien dans les campagnes où elle
+passe.</p>
+
+<p>Dans ces contrées si fertiles, ces habitants vivaient tranquilles; leurs
+terres produisaient de bon froment, toutes sortes de grains, de fruits
+et de légumes. Le vin, très cher, n'est pas beaucoup en usage; la bière
+est la boisson. Leur manière de vivre est très simple: lait, fromage et
+fruits, c'est là leur usage. Bétail à cornes très beau; chaque habitant
+en possède plus ou moins selon son pâturage; il a des clos entourés de
+bois de tous genres desquels il tire du chauffage pour l'hiver; dans ces
+clos, il coupe le premier foin; après cela, leurs vaches y restent
+jusqu'à l'hiver sans rentrer à l'écurie. On ne voit presque pas les
+villages qu'on ne soit dedans; c'est tout clos, avec de grands bois à
+l'entour et près de chaque maison. La plupart des maisons sont couvertes
+de paille. Dans ce pays, les deux sexes y sont affables et humains.</p>
+
+<p>8 <i>floréal</i>.--Nous sommes entrés dans la ville de Beaumont après une
+bataille avec les émigrés où il y en a beaucoup de restés sur le champ.
+Nous n'en avons faits prisonniers que très peu, car ils ne se rendaient
+pas volontiers.</p>
+
+<p>Nous avons chassé l'ennemi de ses fortes positions autour de la ville;
+nous nous en sommes emparés sur-le-champ; elles nous étaient
+avantageuses.</p>
+
+<p>18.--Arrivés au camp de Beaumont. Repartis le 20 à huit heures du soir,
+traversant la ville pour aller bivouaquer, jusqu'à la pointe du jour,
+sur la route de Mons, à deux lieues en avant. À la pointe du jour, nous
+avançons sur l'ennemi campé dans la plaine. Ses dispositions pour nous
+recevoir n'ont pas été assez promptes; il a pris la fuite dès notre
+première attaque. Dans cette même affaire, j'ai été détaché avec des
+tirailleurs pour débusquer les leurs d'un village; nous en avons pris
+huit et tué quelques uns. Le reste a pris la fuite.</p>
+
+<p>22.--Après avoir fait plusieurs mouvements, malgré la pluie qui tombait
+tous les jours et rendait les routes impraticables, nous nous sommes
+arrêtés dans la plaine de Beaumont pour y passer la nuit.</p>
+
+<p>23.--Dès la pointe du jour, la troupe a été divisée en trois colonnes;
+celles de droite et de gauche ont attaqué l'ennemi avec tant d'ardeur
+qu'elles l'ont fait se jeter sur nous au centre. Il y avait plus d'une
+demi-heure que nous entendions ronfler le canon et la fusillade. Il y
+avait un murmure dans notre colonne de ce qu'on était dans l'inaction.
+Tout à coup, on a vu l'ennemi manoeuvrer sur nous, ils n'ont pas été
+reçus avec moins d'audace. Nous les avons forcé à repasser la Sambre;
+plusieurs d'entre eux ont bu plus qu'ils n'ont voulu. Nous avons passé
+après eux; nous les avons poussés à plus de deux lieues au pas de
+charge. Nous avons pris plusieurs canons, quantité de prisonniers; très
+grand nombre de tués. On n'aurait pas arrêté si la nuit n'avait empêché
+de poursuivre.</p>
+
+<p>24.--Nous nous sommes mis en marche dès la pointe du jour. Une colonne a
+longé la Sambre; l'autre avançait sur la droite. L'ennemi nous attendait
+dans ses fortes redoutes. Nous n'avons pas hésité. Le feu a commencé par
+une canonnade très vive. Notre artillerie s'est mis en devoir de
+répondre avec ardeur, elle a été soutenue par le feu de l'infanterie qui
+s'est avancée au pas de charge et a enlevé la redoute de vive force,
+malgré un feu terrible.--Toute la troupe a montré un courage digne de
+véritables républicains.</p>
+
+<p>Nous leur avons pris quatre pièces de canon et leurs caissons, plusieurs
+prisonniers et beaucoup de tués. Nous les avons poursuivi, baïonnette
+aux reins, pendant une demi-heure, ils ont atteint un village derrière
+lequel ils ont pris position, avec un renfort qu'il leur venait du camp
+de Grisvel sous Maubeuge, ce qui nous a tenu en échec devant le village
+nommé Grand-Reng. On s'est mis en bataille devant le village et on a
+envoyé une grande quantité de tirailleurs qui ont de premier abord
+enlevé le village; il leur a été repris: de rechef, ils y ont rentré,
+mais venant à bord de l'autre côté, des pièces à mitraille ont développé
+leur feu sur eux, il était impossible de passer outre. Pendant huit
+heures, le feu n'a pas cessé d'un côté à l'autre. Le soir venu, les
+munitions ont manqué, nous avons été obligés de leur abandonner notre
+position et de repasser la Sambre. Nous avons perdu assez de monde<a id="footnotetag13" name="footnotetag13"></a>
+<a href="#footnote13"><sup class="sml">13</sup></a>.</p>
+
+<p>Les jours précédents avaient été favorables. Ce jour-là, nous avons
+perdu presque tout le terrain gagné, mais nous avons toujours notre
+passage sur la Sambre.</p>
+
+<p>Voici donc de l'ouvrage à recommencer. Voyons si on s'y prendra de la
+même manière.</p>
+
+<p>Il a fallu marcher toute la nuit pour arriver dans la plaine, où nous
+étions le 22.</p>
+
+<p>25.--Malgré la pluie et le mauvais temps continuel, nous avons changé de
+position en nous rapprochant de l'ennemi. Nous n'avions pour couvert que
+le ciel.</p>
+
+<p>26.--Nous nous sommes avancés pour nous opposer à la marche de l'armée
+autrichienne sur les bords de la Sambre. Le combat s'est engagé par nos
+tirailleurs tirés des compagnies à tour de rôle; l'artillerie les a
+secondés du matin au soir avec succès; elle a défait des pelotons de
+cavalerie, démonté plusieurs pièces; nos obus ont fait sauter des
+caissons, tué beaucoup de soldats et de chevaux. Une partie de nos
+soldats criait: «Venez, soldats de l'aigle impériale, vous ne résisterez
+pas longtemps à l'ardeur des soldats sans-culottes!»</p>
+
+<p>Notre perte n'a pas été grande dans cette journée; un boulet nous a tué
+deux chevaux. Nous avons passé la nuit sous les armes.</p>
+
+<p>27.--Pris position au village de Hantes, sur la Sambre. L'ennemi a fait
+une tentative pour passer dans l'endroit où nous étions, mais il n'a pas
+réussi.</p>
+
+<p>30.--Quitté notre position pour nous rendre sur les hauteurs de l'abbaye
+de Lobbes. Cette abbaye a été brûlée à la retraite des Autrichiens.</p>
+
+<p>Ier <i>prairial</i>.--Nous allons attaquer l'ennemi; l'artillerie et les
+tirailleurs commencent. Fusillade soutenue de midi à la nuit. Le 2, le
+combat s'est engagé de même, mais avec beaucoup plus de succès; l'ennemi
+s'est retiré dans ses fortes redoutes près de Grand-Reng, où le feu a
+duré jusqu'au soir. Journée sanglante pour les deux partis; nous nous
+sommes retirés sur les hauteurs près de Grand-Reng. On a établi les
+postes tout près de ceux de l'ennemi.</p>
+
+<p>Nous sommes restés quelques jours dans cette position<a id="footnotetag14" name="footnotetag14"></a>
+<a href="#footnote14"><sup class="sml">14</sup></a>.</p>
+
+<p>5.--On dégarnit notre colonne de cavalerie et d'une partie de
+l'infanterie pour les faire passer à la droite qui ne se trouvait pas
+assez forte. L'ennemi voit ce mouvement et prépare le combat.</p>
+
+<p>Nous n'avions aucun ordre de prendre les armes le matin. Ordinairement,
+c'est le matin que les grands coups se faisaient. Nous étions
+tranquilles sous des petits brise-vent que nous avions faits avec des
+branches d'arbres; un brouillard très épais empêchait nos avant-postes
+de découvrir les mouvements de l'ennemi quand il les a surpris.
+Aussitôt, on entend crier de toutes parts: <i>Aux armes!</i> Chacun a couru
+se ranger en bataille. Ils étaient déjà dans notre camp, et leur
+cavalerie s'avançait à grands pas sur la route de Mons. Il y avait une
+pièce de douze et une de huit chargées à mitraille; nos canonniers y ont
+mis aussitôt le feu et ont retardé leur marche. Ils étaient beaucoup
+plus forts que nous; néanmoins, ils ont été reçus d'une manière
+républicaine, mais, malgré notre vigoureuse résistance, nous avons été
+obligés de battre en retraite et de repasser la Sambre. Dans notre
+colonne, il n'y avait que le régiment de cavalerie n° 22 au moment de la
+retraite. Nous avons eu cent hommes hors de combat. Le reste de la
+journée s'est passé à tirailler. Passé la nuit à Jeumont; le pont qui
+nous a servi se nomme Solre-sur-Sambre.</p>
+
+<p>À l'affaire du 5 prairial, près Grand-Reng, le citoyen Mercier, fusilier
+de la compagnie d'Horiot (3e bataillon), natif de Provenchères, district
+de Joinville (Haute-Marne), combattit un hussard autrichien. Deux coups
+de sabre, sur la tête, et sur le poignet gauche le terrassèrent.
+«Rends-toi, coquin! dit le hussard.</p>
+
+<p>--Un lâche le ferait, dit Mercier. Mais moi, non!»</p>
+
+<p>Il se relève, prend son fusil de la main droite, met le canon sur la
+saignée du bras gauche, pose le doigt sur la détente et tue le hussard.
+Mais les blessures de ce vrai républicain étaient très dangereuses. Il
+est mort un mois après.</p>
+
+<p>J'ai vu dans cette affaire des braves républicains couverts de blessures
+rassembler toutes leurs forces au moment où ils allaient exhaler le
+dernier soupir, s'élancer pour baiser cette cocarde, gage sacré de notre
+liberté conquise; je les ai entendus adresser au ciel des voeux ardents
+pour le triomphe des armées de la république.</p>
+
+<p>Cailac, un de nos capitaines, eut la jambe fracassée par un boulet, et
+mourut au bout de trois semaines, disant: «Ma vie n'est rien; je la
+donnerais mille fois pour que la république triomphe.»</p>
+
+<p>Atteint au ventre d'un éclat d'obus, un grenadier du bataillon dit à
+ceux qui voulaient lui porter secours: «Laissez moi, mes amis, laissez
+moi mourir! Je suis content, j'ai servi ma patrie.» Et il expire.</p>
+
+<p>7.--Dès la pointe du jour, nous nous sommes mis en marche et nous avons
+été baraquer au village de Hantes. Comme les vivres avaient tardé, nous
+nous sommes mis à battre du blé, aller au moulin et nous avons fait du
+pain. Je dirai que tous les habitants de ces villages s'étaient retirés
+dans les bois, car les armées leur causaient trop de maux. Il semble que
+le ciel veuille augmenter les nôtres; la pluie est tous les jours notre
+partage.</p>
+
+<p>8.--Partis de Hantes pour aller camper sur les hauteurs de l'abbaye de
+l'Aune.</p>
+
+<p>12.--Sortis de nos positions à huit heures du soir pour aller à l'abbaye
+de l'Aune, nous y sommes arrivés à minuit, le même jour. Cette abbaye
+était entièrement dévastée et brûlée.</p>
+
+<p>14.--Nous avons passé la Sambre, qui est tout près de là.</p>
+
+<p>15.--La troupe s'est mise en marche et nous avons attaqué dès la pointe
+du jour. Combat engagé par une forte canonnade. L'ennemi abandonne ses
+positions; nous nous sommes emparés des hauteurs.</p>
+
+<p>16.--Le canon s'est fait entendre de l'armée des Ardennes, qui est sous
+les murs de Charleroi.</p>
+
+<p>L'ennemi s'y est porté en forces, avec un renfort de cinquante mille
+hommes, et soi-disant l'empereur à leur tête. Ce jour, ils ont débloqué
+la ville, nous ont repoussés sur le bord de la Sambre près de l'abbaye
+de l'Aune où nous restons trois jours.</p>
+
+<p>19.--Nous sommes partis pour Hantes, où nous arrivons à onze heures du
+soir, bien fatigués de marche continuelles<a id="footnotetag15" name="footnotetag15"></a>
+<a href="#footnote15"><sup class="sml">15</sup></a>.</p>
+
+<p>21.--Arrivés à six heures du matin à Thuin, ville d'où on avait chassé
+l'ennemi quelques jours avant.</p>
+
+<p>22.--Partis à une heure du matin pour le camp de Baudribut.</p>
+
+<p>24.--Dès la pointe du jour, nous avons passé la Sambre et campé devant
+le bourg de Fontaine l'Évêque.</p>
+
+<p>28.--Levée du camp. Nous avons attaqué à une heure du matin pour
+favoriser le siège de Charleroi. L'attaque a été vive et s'est engagée
+par le feu des tirailleurs. Leur cavalerie, qui ne voyait que des
+tirailleurs, a chargé sur eux; ce brouillard l'empêchait de voir les
+bataillons qui étaient embusqués derrière les haies. Lorsqu'ils ont vu
+que la cavalerie était à une demi-portée de fusil, ils ont fait un feu
+de file. Plusieurs tués, quelques prisonniers; le reste a pris la fuite.
+Nous avons suivi, nous avons rencontré leur infanterie qui n'a pu
+résister à notre ardeur, nous avons fait beaucoup de prisonniers, nous
+avons pris deux pièces de canon avec leurs caissons tout attelés.--Après
+cette conquête, nous sommes revenus à notre position près de Fontaine
+l'Évêque; étant arrivés, nous avons reçu ordre de nous rendre au camp de
+Baudribut où était le parc; arrivés à l'entrée de la nuit, nous y sommes
+restés quelques jours.</p>
+
+<p>30.--Nous avons levé le camp à deux heures du matin et passé la Sambre
+pour la dernière fois à quatre heures. Nous sommes venus nous placer à
+la gauche de Fontaine l'Évêque. À midi, l'ennemi s'est avancé sur deux
+de nos compagnies qui étaient en avant; il voulait les surprendre. Nos
+bataillons, qui ont aperçu la manoeuvre, se sont mis en bataille et se
+tenaient prêts à marcher, lorsqu'un éclaireur est venu nous dire qu'ils
+battaient en retraite. Sur-le-champ on s'est mis en marche pour les
+poursuivre; leur cavalerie d'arrière-garde a voulu nous charger, pour
+retarder notre marche, mais elle a été reçue d'une manière républicaine,
+une décharge leur a fait bien vite partager la retraite.</p>
+
+<p>2 <i>messidor</i>.--Nous avons suivi l'ennemi sans trouver de résistance; ils
+nous laissent plusieurs pièces de canons et caissons tout attelés. Notre
+cavalerie fait un grand nombre de prisonniers à l'infanterie
+autrichienne. La nuit suspend la victoire, mais elle en prépare une
+nouvelle en nous laissant faire des contremarches à la faveur de son
+obscurité pour se disposer au combat dès la pointe du jour.</p>
+
+<p>7.--L'ennemi s'est montré en force pour débloquer Charleroi, mais nous
+avons porté obstacle à son dessein.</p>
+
+<p>Le feu a commencé à quatre heures du matin et a duré une partie de la
+journée.</p>
+
+<p>Nuit passée sous les armes à la gauche du camp de Trazegnies.--Partis de
+ce camp à trois heures du matin pour aller nous réunir à l'armée de la
+Moselle. En marche, on nous a fait rester dans un chemin couvert, devant
+un village, pas bien loin de Charleroi. C'est dans cet endroit que nous
+avons appris la reddition de la place (du 7 messidor, à onze heures du
+matin) avec cinquante mille hommes<a id="footnotetag16" name="footnotetag16"></a>
+<a href="#footnote16"><sup class="sml">16</sup></a>, quatre-vingts bouches à feu et
+plusieurs petits magasins. Sortie le même jour, la garnison a déposé
+devant nous ses armes; elle a été de suite escortée et conduite en
+France. Cette ville a été bombardée sans que nous fassions beaucoup de
+retranchements, car elle a été débloquée plusieurs fois.</p>
+
+<p>8.--Nous sommes sortis de notre chemin couvert pour nous opposer au
+défilé des colonnes autrichiennes pour nous cerner. Ce jour-là ils
+avaient réuni leurs forces de part et d'autre, pour nous donner une
+<i>chasse</i>, et faire lever le siège de Charleroi qui était rendu; mais ils
+n'en étaient pas instruits, car ils avaient si bien jeté leur plan
+qu'ils cherchaient à nous prendre entre deux feux. Il n'y avait plus à
+balancer; le combat a commencé à huit heures du matin par une forte
+canonnade, de toutes parts, avec une rapidité sans égale, comme jamais
+on ne l'avait entendu jusqu'alors. Notre courage semblait déjà nous
+annoncer la victoire, main hélas! dans un feu si terrible et si
+opiniâtre, les munitions ont manqué. Il fallut donc battre en retraite
+et nous retirer plus vite que nous n'aurions voulu, rencontrant des
+obstacles, des fossés, un village dont les rues étaient si étroites que
+la troupe ne savait où passer et se voyait presque au pouvoir de
+l'ennemi. La colonne autrichienne s'avançait avec rapidité pour nous
+prendre en flanc. Mais nous avons été plus tôt qu'elle au sommet de la
+montagne, et nous avons usé le peu de munitions qui nous restaient. Nous
+avons retardé leur marche. Je dirai que, en montant cette montagne, il
+tombait parmi nous des boulets, obus et balles comme grêle, mais cela a
+fait très peu d'effet, quoiqu'ils soient bien près de nous. Nous avons
+perdu très peu de monde et, grâce à la reddition de Charleroi, nous
+avons battu en retraite sous ses glacis. La retraite de notre colonne,
+qui était celle du centre, a été favorable à la défaite de l'ennemi qui
+s'est trop aventuré en nous poursuivant, et s'est trouvé pris en flanc.
+Il ne s'est retiré qu'avec peine et pertes<a id="footnotetag17" name="footnotetag17"></a>
+<a href="#footnote17"><sup class="sml">17</sup></a>.</p>
+
+<p>Lors du siège de Charleroi, un canonnier du régiment de Suède s'écriait
+en mourant: «Cobourg, Cobourg, avec tes nombreux florins, tu n'auras pas
+payé une goutte de mon sang; je le verse tout aujourd'hui pour la
+République et pour la liberté.»</p>
+
+<p>Tous ceux qui ont perdu la vie dans ce siège n'ont donné, au milieu des
+douleurs les plus aiguës, aucun signe de plaintes. Leurs visages étaient
+calmes et sereins; leur dernière parole était: Vive la République! C'est
+au lit d'honneur qu'il faut voir nos guerriers, pour apprendre la
+différence qui existe entre les hommes libres et les esclaves. Les
+valets des rois expirent en maudissant la cruelle ambition de leurs
+maîtres. Le défenseur de la liberté bénit le coup qui l'a frappé; il
+sait que son sang ne coule que pour la liberté, la gloire et pour le
+soutien de sa patrie.</p>
+
+<p>À la colonne de gauche et à celle de droite, qui était l'armée de la
+Moselle, le canon n'a cessé de ronfler toute la journée. Le combat a été
+sanglant comme il n'avait jamais encore paru<a id="footnotetag18" name="footnotetag18"></a>
+<a href="#footnote18"><sup class="sml">18</sup></a>. Deux fois la colonne
+de droite a été repoussée, et deux fois elle a remporté la victoire;
+elle leur a pris quinze pièces de canon de tout calibre. La colonne de
+gauche a eu le même succès. Des fois, qui croit vaincre est vaincu; avec
+leurs grandes forces ils cherchaient à nous bloquer, et ils ont été pris
+quand même.</p>
+
+<p>Nous avons perdu quelques braves républicains, mais on pourra juger de
+la perte de l'ennemi, toujours grande pour celui qui est obligé de
+prendre la fuite. Cette journée a été une des journées victorieuses de
+la République, elle portera pour toujours le nom de <i>bataille de
+Fleurus</i>.</p>
+
+<p>Dans ce jour mémorable du 8 messidor, une infortunée délaissée de son
+mari qui avait émigré et n'ayant pas de quoi subsister était, sous des
+habits d'homme, avec son frère, à son rang de compagnie. La compagnie
+étant dispersée en tirailleurs, les tirailleurs ennemis, qui avaient eu
+un moment un peu d'avantage, sont venus charger les nôtres, dans la
+mêlée; elle s'est trouvée avec peu de monde environnée d'un grand nombre
+d'Autrichiens. Elle s'en est tirée en brûlant la cervelle de celui qui
+la tenait, ne cessant de dire que jamais elle ne se rendrait, que sa vie
+était sacrifiée à sa patrie. Ces tyrans lui promettaient d'avoir égard à
+son sexe et de ne la prendre que comme prisonnière. Cette femme était,
+avec son frère, dans le 22e régiment de cavalerie, qui a réparé ce jour
+là la faute qu'il avait faite près de Grand-Reng.</p>
+
+<p>Avant la prise de Charleroi, pendant que nous étions à bivouaquer sur
+les hauteurs de Fontaine-l'Évêque, l'ennemi ne se croyant pas en force
+se contenta de nous envoyer des boulets et des obus. Nous perdîmes
+plusieurs hommes, entre autres un tambour du bataillon. Un éclat d'obus
+traversa son sac de peau et son côté; il resta mort sur la place; deux
+autres soldats furent blessés du même coup. Un hussard Chamborant
+passant dans la place, prit la caisse du tambour et s'est mis derrière
+un chêne, battant la charge avec le manche de son couteau, ce qui a mis
+l'ennemi en fuite.</p>
+
+<p>9.--Nous sommes venus prendre les positions que nous avions auparavant.</p>
+
+<p>12.--Nous avons marché toute la journée pour aller bivouaquer devant la
+ville de Binche. Arrivés à onze heures du soir, nous avons passé le
+reste de la nuit sous les armes. L'attaque a commencé par une forte
+canonnade.</p>
+
+<p>15.--Nous sommes partis pour attaquer l'ennemi en retraite vers Mons. À
+huit heures du matin, les tirailleurs se sont avancés au pas de charge
+avec deux pièces, ils ont poursuivi les Autrichiens si vivement qu'ils
+n'ont pas eu le temps d'entrer dans la ville de Mons. Notre cavalerie
+s'est emparée des passages dans les environs de la ville et aussitôt des
+bataillons y sont entrés, baïonnette en avant. Dans cette journée on a
+fait environ deux cents prisonniers.--Les autres colonnes ont encore
+poursuivi pendant deux heures. La nuit a tendu ses voiles<a id="footnotetag19" name="footnotetag19"></a>
+<a href="#footnote19"><sup class="sml">19</sup></a>; il a
+fallu arrêter notre marche. Nous avons passé la nuit sous les murs de
+Mons.</p>
+
+<p>16.--La ville rendue, nous avons été prendre position devant le village
+nommé Beausoir.</p>
+
+<p>17.--Partis de cette position dès la pointe du jour, croyant trouver les
+Autrichiens, mais nous avons fait cinq lieues sans rencontrer personne.</p>
+
+<p>Campé devant Braine-le-Comte, situé sur la route de Mons à Bruxelles.
+Nous sommes entrés dans la ville avec les plus vifs applaudissements de
+tous les bourgeois qui faisaient entendre les cris: «<i>Vivent les soldats
+républicains français!</i>»</p>
+
+<p>21.--Nous avons levé le camp pour continuer notre route. Nous sommes
+entrés dans la ville de Hal avec les mêmes applaudissements; nous avons
+campé en avant de la ville jusqu'au 23. Nous sommes partis dès la pointe
+du jour, croyant trouver ceux qui nous menaçaient quelques jours
+auparavant. Notre avant-garde suffisait pour les faire disparaître.</p>
+
+<p>23.--Nous sommes entrés dans la ville de Bruxelles, de même avec les
+plus vifs applaudissements de tous les bourgeois: «Vive les soldats
+républicains!» Comme nous étions à la tête de la colonne, nous sommes
+restés à la place, sous les armes, pendant que la colonne a défilé. Cela
+a duré toute la nuit.</p>
+
+<p>24.--Le reste de la colonne a passé. De suite, on a fait entrer les
+troupes dans les casernes, mais la moitié restait toujours sous les
+armes. Notre bataillon était au quartier du Vieux Marché; et les deux
+autres bataillons étaient dans de grosses maisons bourgeoises. Il y
+avait avec nous le régiment de Suède et le bataillon du Haut-Rhin. Nous
+étions sans aucune fourniture<a id="footnotetag20" name="footnotetag20"></a>
+<a href="#footnote20"><sup class="sml">20</sup></a>.</p>
+
+<p>30.--Nous sommes partis à une heure du matin. Nous avons été camper
+devant Louvain. J'étais parti trois jours auparavant avec un piquet de
+vingt-cinq hommes pour escorter des bateaux que nous avons été chercher
+à Villebruck, sur le canal qui vient à Bruxelles. Nous avons été bien
+reçus dans cet endroit qui est à cinq lieues. Nous sommes arrivés le 30
+avec ces bateaux chargés de foin et d'avoine pour les magasins de
+Bruxelles, et j'ai rejoint, avec mon piquet, la demi-brigade qui était
+campée devant la ville de Louvain.</p>
+
+<p>Ier <i>thermidor</i>.--Partis dès la pointe du jour, nous sommes venus nous
+placer devant la ville de Tirlemont, où nous avons trouvé notre ennemi,
+nous l'avons attaqué sans plus de cérémonie et nous l'avons poursuivi à
+deux lieues. Nous sommes revenus à notre position.</p>
+
+<p>7.--Partis au jour, nous sommes allés nous placer devant la ville de
+Saint-Tron.</p>
+
+<p>9.--Nous avons fait un mouvement, nous avons été camper dans une grande
+plaine assez près de Tirlemont, où nous entendons ronfler le canon de
+notre avant-garde, qui ne laisse pas à l'armée autrichienne le temps de
+se rallier.</p>
+
+<p>16.--Partis de ce camp, nous sommes venus au camp de Berlingen.</p>
+
+<p>29.--Nous avons fait un mouvement d'un quart de lieue à l'entrée de la
+nuit. Nous avons traversé un village qui séparait notre camp du camp de
+Looz.</p>
+
+<p>Toutes ces plaines où nous étions campés étaient retranchées du côté de
+l'ennemi par de fortes redoutes.</p>
+
+<p>Ier <i>fructidor</i>.--C'est dans ce camp que nous avons été amalgamés avec
+le régiment de Beauce et un bataillon du Haut-Rhin<a id="footnotetag21" name="footnotetag21"></a>
+<a href="#footnote21"><sup class="sml">21</sup></a>. Les officiers et
+sous-officiers se sont assemblés; on a fait la fête pendant deux jours,
+on a bu le vin d'alliance, on s'est juré de même que la fraternité
+régnerait entre nous jusqu'à la mort; et comme on servait la même
+patrie, on s'est promis de vivre toujours en paix comme des frères et de
+vrais soutiens de la République française. Le numéro que cette
+demi-brigade a eu dans ce moment était 127; elle a été commandée en
+premier-lieu par le général de brigade Richard et le général de division
+Poncet.</p>
+
+<p>Dans ce camp, nous avons appris la reddition de Valenciennes. On a
+trouvé dans cette place 227 bouches à feu et quantité de poudre et
+autres magasins bien approvisionnés, plus qu'on n'en avait trouvé
+lorsqu'ils avaient été livrés.</p>
+
+<p>14 <i>fructidor</i>.--Nous sommes partis à deux heures du matin: nous avons
+été camper dans la plaine de Maëstricht, et nous en étions encore à
+trois lieues en seconde ligne. La paille a été délivrée à toute la
+colonne.</p>
+
+<p>On nous a annoncé la reprise de Condé; on a trouvé dans cette place
+1,600 prisonniers, 130 bouches à feu, des munitions de bouche pour six
+mois, 6,000 paquets de cartouches, un très grand magasin de poudre à
+canon, 6,000 bombes, 6,000 boulets, et cette place en bon état de
+défense.</p>
+
+<p>Le même jour, a passé dans notre camp un colonel anglais avec toute son
+escorte et trente chevaux, qui avaient été pris aux environs de
+Maëstricht par notre avant-garde.</p>
+
+<p>C'est dans ce même camp que nous avons fait la réjouissance de la
+reddition de toutes nos villes que les Impériaux nous avaient ravies: le
+Quesnoi, Landrecies, Valenciennes, Condé.</p>
+
+<p>Voici la manière dont la réjouissance s'est faite dans l'armée de Sambre
+et Meuse. La fête a été annoncée à six heures du matin par trois coups
+de canon des pièces de position qui se sont trouvées dans chaque
+division. À sept heures et demie, les mêmes pièces ont répété la même
+chose. La musique de chaque demi-brigade était placée sur le front de
+bandière, où elle jouait différents airs patriotiques pendant toute la
+cérémonie. À huit heures et demie un feu de bataillon a été exécuté dans
+chaque division en commençant à la droite d'icelle. Ce feu fini, le
+général de brigade a passé devant chaque bataillon en criant: <i>Vive la
+République!</i> Nous nous sommes unis à sa voix. La distribution de
+l'eau-de-vie a été donnée à toute la troupe. L'ordre a été donné que
+chacun rentre dans ses baraques. Ce n'était pas sans en avoir besoin,
+car depuis minuit nous étions sous les armes.</p>
+
+<p>Ier <i>vendémiaire, an</i> III.--Nous sommes partis du camp, dont c'était la
+première fête <i>sans culottine</i>, pour nous rapprocher de Maëstricht, et
+nous joindre à notre avant-garde qui était sous ses murs et s'était
+vaillamment battue.</p>
+
+<p>La ville de Maëstricht a été bloquée et cernée entièrement. Nous y
+sommes restés quelques jours, et de là nous nous sommes mis en marche.
+Nous avons passé la Meuse, au-dessus de Maëstricht sur des pontons pour
+rejoindre notre avant-garde, et aller à la poursuite des Autrichiens. Il
+est resté une partie de notre armée pour contenir la garnison de
+Maëstricht en attendant que nous ayons repoussé l'armée autrichienne au
+delà du Rhin. Nous avons marché plusieurs jours sans rencontrer aucun
+vestige de l'armée autrichienne.</p>
+
+<p>Arrivés à une forte rivière nommée la Roër, c'est là qu'ils espéraient
+remporter la victoire et nous empêcher de passer. Ils étaient bien
+retranchés dans les endroits où on aurait pu passer. Malgré plusieurs
+obstacles qui se trouvaient devant cette rivière, nous n'avons pas
+hésité un seul moment pour attaquer.</p>
+
+<p>La bataille a été sanglante aux deux partis, et a duré depuis le matin
+jusqu'au soir; à la nuit, on a fait abandonner la rivière à l'ennemi.
+Nous avons eu dans ce jour plusieurs centaines d'hommes de blessés. Nos
+pièces de position, au nombre de quarante, étaient aux environs de la
+rivière et n'ont décessé de jouer; la fusillade a fait de même. L'ennemi
+a répondu au feu d'enfer que faisaient les républicains. Le soir,
+lorsque le feu a cessé, nous nous sommes retirés un peu en arrière, dans
+la plaine qui touche la rivière, pour passer la nuit.</p>
+
+<p>Nous les avons vus qui faisaient de grands feux, car ils brûlaient leurs
+baraques; nous avons jugé par-là qu'ils allaient prendre la fuite.
+C'était réel: vers minuit, ils se sont mis en marche.</p>
+
+<p>On a travaillé toute la nuit à faire des ponts avec des voitures, des
+chariots attachés avec des gros arbres, qui étaient sur le bord de la
+rivière; on a mis des planches sur ces constructions et le matin, à la
+pointe du jour, nous avons passé au milieu de leurs retranchements, qui
+étaient remplis de cuisses, bras et corps entiers qu'ils avaient laissés
+sans les enterrer. Plusieurs pauvres blessés criaient miséricorde; on
+les a portés de suite à l'ambulance avec les nôtres.</p>
+
+<p>Notre colonne de droite avait passé la rivière avant nous. Nous avons
+été plusieurs jours pour arriver au Rhin, mais aucun Autrichien ne s'est
+trouvé devant nous. Le soir du passage de la rivière, le général de
+brigade Richard nous a annoncé la prise de Juliers avec vingt-quatre
+pièces de 27 en bronze. Depuis cette époque, nous n'avons plus vu
+d'Autrichiens que sur l'autre rive du Rhin, près de Düsseldorf<a id="footnotetag22" name="footnotetag22"></a>
+<a href="#footnote22"><sup class="sml">22</sup></a>.
+Notre dernier camp a été dans la plaine près de la ville de Neus. Voilà
+la manière dont nous avons fait la conduite à l'armée autrichienne avec
+les honneurs de la guerre, à grands coups de canon.</p>
+
+<p>Notre voyage ne nous a pas été bien favorable: une pluie continuelle et
+froide, un vent qui nous glaçait les sens, et point d'autre couverture
+que le ciel.</p>
+
+<p>Notre ennemi est de l'autre côté du Rhin, tranquille, et nous, mous
+allons retourner sur nos pas pour aller faire le siège de
+Maëstricht<a id="footnotetag23" name="footnotetag23"></a>
+<a href="#footnote23"><sup class="sml">23</sup></a>.</p>
+
+<p>Arrivés devant cette ville, on s'est tout de suite occupé à faire les
+travaux; on a fait des redoutes pour soutenir et répondre aux sorties
+qu'ils pourraient faire pendant qu'on ouvrirait les boyaux: on
+travaillait à ces ouvrages nuit et jour.</p>
+
+<p>Malgré leur mitraille, nous avons ouvert les boyaux à une portée de
+pistolet de leur bastion. Nous y avons été, pour notre tour, cinq fois
+pour les ouvrir. On n'a pas perdu tant de monde que l'on croyait pour
+faire le siège d'une ville si forte. Notre commandant de bataillon a été
+blessé d'un éclat de grenade, et plusieurs officiers et soldats.</p>
+
+<p>Tous les jours, les ouvrages se multipliaient, et nous rendions par ce
+moyen l'asile des assiégés plus étroit. Les jardiniers de la ville
+avaient planté beaucoup de légumes d'hiver dans leurs jardins; mais
+c'est nous qui en avons fait la récolte. Tous les matins, ils se
+trouvaient enfermés plus étroitement; s'il n'y avait pas eu des fossés,
+nous aurions été les prendre dans leurs palissades.</p>
+
+<p>Les ouvrages allaient être achevés; on a commencé à bombarder la ville
+le 12 brumaire; cela a duré trois jours. Le 14, la ville de Maëstricht
+s'est rendue, à deux heures du matin. Un des officiers supérieurs de la
+ville est venu sur les bastions et a demandé le général qui commandait
+en chef le siège, pour capituler<a id="footnotetag24" name="footnotetag24"></a>
+<a href="#footnote24"><sup class="sml">24</sup></a>. Pendant qu'on est allé le
+chercher, les canonnières et les bombardières redoublaient le feu
+jusqu'au moment où ils ont reçu l'ordre du général de le cesser. Au
+moment où il a demandé à capituler, le feu était dans un magasin
+d'huile, de lard, de farine, etc. À la pointe du jour, on voyait tous
+les bourgeois sur les remparts et plusieurs nous apportaient des
+bouteilles d'eau-de-vie.</p>
+
+<p>Nous avons tenu Maëstricht bloquée pendant quarante-quatre jours.
+Pendant ce blocus, les assiégés nous ont envoyé quarante-cinq mille
+boulets, trente-quatre mille tant bombes qu'obus, quatorze mille
+grenades. Ils nous envoyaient toutes ces pommes dans nos travaux, sans
+que cela fasse beaucoup d'effet.</p>
+
+<p>Le feu cessé, on a été trois jours pour arranger la capitulation. La
+garnison est sortie de la ville le 17 brumaire; entre dix et onze heures
+du matin, les troupes impériales sont sorties par la porte d'Allemagne,
+et ont passé la Meuse au milieu des assiégeants, qui formaient la haie
+de chaque côté de la route où ils devaient passer. Ils sont sortis avec
+les honneurs de la guerre: tambour battant, mèche allumée et enseigne
+déployée. Lorsqu'ils ont été presqu'à la fin de la colonne, ils ont
+déposé leurs armes devant nous; la cavalerie et l'infanterie ont emporté
+leurs sabres. Il y avait de la troupe toute prête pour les conduire au
+delà du camp.</p>
+
+<p>La troupe hollandaise est sortie le même jour, mais un peu plus tard,
+car il fallait le temps à la colonne française de venir se placer en
+haie sur la route par laquelle ils devaient passer, qui était d'une
+extrémité de la ville à l'autre. Ils sont sortis de même avec les
+honneurs de la guerre comme la troupe autrichienne. Ils ont été
+reconduits dans leur pays par nos chasseurs à cheval, ils ont conservé
+leurs sabres comme la troupe impériale. Les officiers composant la
+garnison de Maëstricht ont emmené leurs chevaux et tout leur bagage.</p>
+
+<p>La Ville de Maëstricht est très forte; elle a un fort qui la commande et
+qui la défend. La Meuse flotte contre ses murs, et donne de l'eau dans
+ses fosses; elle a aussi des forts qui sont construits dans le milieu de
+la Meuse, qui défend son approche du côté de l'Allemagne. Il y a dans
+les environs de grandes plaines très fertiles en blés, orge, avoine,
+pommes de terre, etc.; elle est frontière de la Hollande.</p>
+
+<p>C'était le général Kléber qui commandait le siège en chef; nous étions
+du côté gauche de la ville, sous les ordres du général Duhesme.</p>
+
+<p>18 <i>brumaire</i>.--Nous sommes partis des alentours de Maëstricht pour
+aller sur les bords du Rhin.</p>
+
+<p>20.--Nous avons passé dans la ville de Juliers, jolie petite ville très
+fortifiée; les maisons d'une assez belle construction, les rues très
+larges. Il y a aussi de très belles plaines très fertiles en blés et en
+toute sorte de grains; on y boit aussi de bonne bière, on y récolte
+aussi de très bons fruits. Cette ville est la capitale du duché de son
+nom.</p>
+
+<p>22.--Nous sommes arrivés à Cologne; nous y avons campé en arrivant.</p>
+
+<p>29.--Nous sommes sortis de ce camp pour aller cantonner sur le bord du
+Rhin au village nommé Langel. Nos postes étaient placés sur le bord du
+Rhin; nous étions une compagnie par ferme, très serrés à cause de la
+grande quantité de troupes qui étaient dans les environs. J'ai été voir
+la ville de Cologne; elle est très grande, bien peuplée, les rues
+larges; il y a une quantité de clochers. J'ai remarqué que sur une tour
+très haute, il y avait une grue peinte en vert. Le Rhin flotte contre
+les murs, et fait une partie de leur commerce. La ville n'est point
+fortifiée, elle est entourée d'un simple mur très haut. C'était là que
+l'électeur faisait sa résidence.</p>
+
+<p>12 <i>frimaire</i>.--Sortis de Hangel pour passer à la droite de la Logne.
+Suivant les bords du Rhin à une demi-lieue de la Logne, nous cantonnons
+au village nommé Nille?</p>
+
+<p>Nous avons reçu des ordres pour nous rendre à Bonn, soi-disant pour
+passer le reste de l'hiver; nous sommes partis le 13; lorsque nous avons
+été près des murs de ladite ville, nous avons reçu des ordres pour aller
+cantonner dans les villages à une lieue et demie à la droite de Bonn.
+Nous sommes arrivés dans ces cantonnements le 17, dans un village nommé
+Melheim, situé sur le Rhin. Notre état-major est resté dans ce village;
+notre compagnie a été détachée à une demi-lieue en arrière à un village
+nommé Lanesdorf, situé auprès de grosses montagnes; nous montions tout
+de même la garde sur le Rhin.</p>
+
+<p>Quel froid nous avons enduré étant de garde dans ces endroits!</p>
+
+<p>Des sentinelles sont mortes en faction; cependant on les relevait toutes
+les demi-heures. Le Rhin était tout en glace; pendant vingt-quatre
+heures, on était obligés de jeûner, car nos vivres étaient gelés, durs
+comme de la pierre. Je ne veux pas peindre les maux que nous avons
+soufferts dans ces différentes occasions; ils seraient faits pour
+attendrir un coeur de roche. Que l'on se souvienne de la rigueur des
+froids des différents hivers, de la rareté des vivres et du vêtement;
+cela suffira pour dire que nous avons été malheureux.</p>
+
+<p>17 <i>nivôse</i>.--Sortis de ce cantonnement pour aller au village nommé
+Keising, à une demi-lieue de Bonn. Étant dans ce village, je suis allé
+voir la ville de Bonn; je dirai qu'elle est très belle: des rues larges
+et bien propres, des maisons d'une belle construction, très éclairées,
+de belles places bien grandes, un superbe château à l'entrée de la
+ville, situé au midi et appartenant à l'électeur. Le Rhin flotte contre
+ses murs: elle n'est fermée que par des petits remparts, très bien
+construits. Dans les environs de la ville, il y a de belles avenues de
+marronniers et de tilleuls, environnées de belles plaines.</p>
+
+<p>Étant au village de Keising, nous avons fait l'anniversaire de la mort
+de Capet. Cela a eu lieu le 2 pluviôse, à dix heures du matin. Le
+bataillon étant rassemblé, on a fait trois décharges et les pièces
+d'artillerie en ont fait de même. Cela s'est fait dans l'armée de
+Sambre-et-Meuse, dans nos cantonnements sur le bord du Rhin.</p>
+
+<p>Nous sommes partis de Keising le 5 pluviôse 1795 (vieux style). Journée
+odieuse et fatigante pour aller à Aix-la-Chapelle. Au moment où nous
+nous sommes mis en route, il tombait de la pluie; il y avait longtemps
+qu'il faisait de fortes gelées; ce jour-là il paraissait faire un dégel
+universel. Jamais Français et autres n'ont vu une pareille journée, elle
+a duré vingt-quatre heures. Toute la troupe était fatiguée. On enfonçait
+dans la terre jusqu'aux genoux, on faisait trois ou quatre pas, et il
+fallait s'arrêter pour reprendre haleine; aussi plusieurs soldats y ont
+perdu la vie, et même les chevaux, avec rien sur leur dos, avaient bien
+de la peine à s'en tirer. Ce n'était pas cependant dans des marais,
+c'était dans des champs de gravier; on aurait préféré marcher dans l'eau
+jusqu'aux reins, plutôt que dans de pareils chemins; mais il n'y avait
+pas de choix; il fallait que la route se fasse.</p>
+
+<p>Nous avons été dans cette triste situation depuis le matin jusqu'au soir
+à la nuit. Étant arrivés à une petite ville nommée Bruhl, toute la
+demi-brigade n'y a pu loger. Il était nuit: il nous a fallu aller loger
+à une demi-lieue de Bruhl, dans un village. Pour faire cette demi-lieue,
+nous avons été deux heures; en arrivant, les billets de logement nous
+ont été distribués, mais on a eu bien de la peine à les trouver, par
+rapport à la nuit.</p>
+
+<p>Le lendemain, la route était plus favorable, la gelée avait remplacé le
+dégel, la nuit avait raffermi la route, et le matin il tombait de la
+neige qui a duré jusqu'à midi. Nous sommes partis de nos logements à
+sept heures du matin vers Aix-la-Chapelle. Nous avons logé en y allant à
+Norwenig, à Duren, à Eschviller. À Aix-la-Chapelle, nous avons logé chez
+le bourgeois. Nous y sommes restés un mois pendant lequel les officiers
+et sous-officiers ont été plusieurs fois chez le général de division
+Poucet pour apprendre la théorie.</p>
+
+<p>L'armée de Sambre et Meuse passait alors pour être si peu disciplinée,
+parmi les Français, que l'on croyait que les généraux n'osaient livrer
+aucun combat faute de discipline et de subordination. Le tout venait de
+la part des ennemis de la liberté, qui cherchaient à mettre le désordre
+parmi nos troupes, en faisant naître l'idée que le droit de la guerre
+était de piller tout pays conquis.</p>
+
+<p>Mais le Français a su se comporter plus vaillamment, car c'est la
+discipline qui a fait tous nos succès, et qui a excité l'admiration de
+toute l'Europe. Voilà pourquoi les ennemis de la République voulaient
+nous entraîner au pillage; les perfides savaient bien qu'une armée sans
+discipline est une armée vaincue; ils savaient par eux-mêmes que des
+brigands ne sont jamais qu'une troupe de lâches. Nous avons démenti
+cette calomnie par notre conduite; l'amour de l'ordre et de la
+discipline, le respect pour les personnes et les propriétés,
+distingueront toujours l'armée de Sambre et Meuse.</p>
+
+<p>Voici un discours du représentant du peuple Gillet aux habitants
+d'Aix-la-Chapelle, qui prouve la générosité des Français:</p>
+
+<p class="mid"> «Habitants d'Aix-la-Chapelle,</p>
+
+<p> »Des actes de cruauté ont été commis dans votre ville envers des
+ soldats français lors de la retraite de l'armée au mois de mars
+ 1793: des soldats malades et blessés ont été jetés par les fenêtres
+ dans la rue; d'autres ont été fusillés par des bourgeois qui se
+ tenaient cachés dans leurs maisons. Nous n'userons point des droits
+ que pourraient nous donner de justes représailles.</p>
+
+<p> «Si les ennemis de la France se sont couverts de tous les crimes,
+ le Français s'honorera toujours d'être généreux. Mais le sang de
+ nos frères cruellement massacrés demande vengeance. Sans doute ces
+ actes de barbarie ont été désavoués par la majorité des citoyens,
+ et ne peuvent être l'ouvrage que d'un petit nombre. Nous demandons
+ que les coupables nous soient livrés dans les vingt-quatre heures;
+ vous nous devez cette justice, vous la devez à vous-mêmes sous
+ peine d'être réputés complices des plus atroces forfaits.</p>
+
+<p class="rig"> Signé: «GILLET.»</p><br><br>
+
+<p>Le 10 ventôse, nous avons célébré la fête de la prise de la
+Hollande<a id="footnotetag25" name="footnotetag25"></a>
+<a href="#footnote25"><sup class="sml">25</sup></a>, et, ce même jour-là, les nobles et ceux qui avaient des
+titres de noblesse les ont brûlés en notre présence, sous les armes.</p>
+
+<p>Je dirai qu'Aix-la-Chapelle est très grand et bien peuplé: il y a
+beaucoup de manufactures en tout genre; on y trouve de bonne eau
+vulnéraire pour boire et prendre des bains; il y a de belles maisons
+très élevées, de belles rues larges et de belles grandes places. Elle
+n'est fermée que de plusieurs simples murs; c'est une ville très
+ancienne.</p>
+
+<p>Nous sommes partis d'Aix-la-Chapelle le 11 ventôse pour aller cantonner
+aux environs d'Aix-la-Chapelle, au bourg nommé Eschviller; notre
+compagnie a été détachée à un village nommé Nolberg.</p>
+
+<p>Je dirai que dans les campagnes de ces pays, ils sont assez à leur aise.
+Ils vivent bien avec de la choucroute, du bon lard; leur soupe est faite
+avec de l'orge mondé, de la viande de boeuf salé; ils mangent beaucoup de
+carottes, de navets; prennent le matin beaucoup de café avec du beurre
+frais et des confitures; leur boisson est de la bonne bière et du
+<i>chenik</i>. Leurs maisons sont très propres, lavées tous les samedis; leur
+batterie de cuisine est en fer noir et jaune, très bien éclaircie, et
+même leur crémaillère; pincettes et pelle à feu, tout est dans la plus
+grande propreté. Le sexe des deux sortes y est très affable; les hommes,
+leur costume n'est pas différent du nôtre; mais les femmes ont un
+déshabillé assez long; pour coiffure, des petits bonnets de velours ou
+autre couleur, bordés sur le devant avec une dentelle en or; leurs
+cheveux en plusieurs tresses qu'elles roulent derrière leur bonnet comme
+un escargot, et tenus avec une grande épingle en argent, large comme les
+deux doigts. Leur parler est l'allemand. Tout ce pays est très fertile
+pour toutes choses.</p>
+
+<p>Nous sommes partis de Nolberg le 25 ventôse pour revenir sur les bords
+du Rhin; nous avons logé en y allant à Duren, à Norwenigbourg, à
+Bruhl-ville. De là, nous avons été prendre nos cantonnements sur le bord
+du Rhin, au village nommé Nieder-Weslingen. C'était le 27; dans cet
+endroit on nous a diminué les vivres; nous avions par jour une livre de
+pain et une once de riz; avec ces vivres nous étions une partie de la
+nuit sur pied et montions la garde d'un jour à l'autre. Voilà comme les
+soutiens de la patrie avaient toutes leurs aises.</p>
+
+<p>7 <i>germinal</i>.--Sortis de Nieder-Weslingen. Ce jour-là, nous avons appris
+le traité avec le roi de Prusse<a id="footnotetag26" name="footnotetag26"></a>
+<a href="#footnote26"><sup class="sml">26</sup></a>. Notre marche était dirigée sur
+Coblentz. Nous avons logé, en y allant, à Bonn, à Breisig, à Kretz. Là
+nous sommes restés huit jours.</p>
+
+<p>16.--Arrivés à Coblentz où nous n'avons pas logé; notre logement a été à
+gauche de la ville, au village nommé Kesselheim, situé sur le bord du
+Rhin.</p>
+
+<p>17.--Entrés dans la ville de Coblentz à huit heures du matin. Nous avons
+été logés dans des maisons d'émigrés toutes dévastées, et à peine avions
+nous de la paille pour reposer nos pauvres membres tout navrés de
+fatigue, avec notre livre de pain et notre once de riz<a id="footnotetag27" name="footnotetag27"></a>
+<a href="#footnote27"><sup class="sml">27</sup></a>. Bien des
+fois, on ne pouvait pas avoir du pain et très peu de viande bien maigre;
+nous ne pouvions trouver aucune chose pour notre papier, car personne ne
+s'en souciait, et pour un pain de trois livres, il fallait donner
+vingt-cinq francs en papier<a id="footnotetag28" name="footnotetag28"></a>
+<a href="#footnote28"><sup class="sml">28</sup></a>.</p>
+
+<p>La ville de Coblentz est grande et très peuplée; il y a beaucoup de rues
+très larges, mais aussi il y en a où les voitures ne peuvent pas passer;
+il y a de belles places et principalement la place d'Armes, entourée de
+bornes de pierre avec de grosses chaînes de fer.</p>
+
+<p>Deux rangs de tilleuls forment un berceau couvert tout autour de la
+place; elle est environnée de belles grosses maisons très hautes et
+d'une belle construction. Et même dans une partie de la ville, en
+sortant de la place d'Armes, on voit un boulingrin et une superbe maison
+toute neuve, que l'Electeur de cette ville a fait bâtir; elle nous
+servait d'hôpital du temps que nous étions dans ces contrées. Cette
+maison est sur le bord du Rhin, environnée de grands jardins
+nouvellement plantés. Il y a aussi de magnifiques promenades. Cette
+ville est du côté du nord, bornée par la Moselle qui tombe de là dans le
+Rhin, vis-à-vis du fort, et, au levant, le Rhin flotte contre ses murs.
+Cette ville avait de forts bastions et de gros cavaliers qui défendaient
+son approche, entre le Rhin et la Moselle; ces fortifications ont été
+démolies dans le temps que nous étions là, de sorte qu'elle n'est
+maintenant fermée que d'un simple mur, du côté du Rhin. Il y a un fort
+très haut qui peut brûler la ville; c'est un morceau qui ne peut être
+pris que par la famine. Les Français y sont entrés lorsqu'ils ont poussé
+l'armée autrichienne au delà du Rhin.</p>
+
+<p>Nous avons construit des forts et des retranchements bien palissadés à
+une demi-lieue de la ville entre la Moselle et le Rhin, dans la plaine.</p>
+
+<p>Le costume des deux sexes est le même que celui d'Aix-la-Chapelle.</p>
+
+<p>5 <i>floréal</i>.--Partis de Coblentz à deux heures du matin pour nous rendre
+à Rhense, ville située sur le Rhin, sur le versant d'une petite
+colline.--Quelques jours avant de sortir de Coblentz, on nous a annoncé
+la paix avec le roi de Prusse, ce qui a donné bien du contentement à
+toute la troupe de voir que leur ouvrage commençait à produire<a id="footnotetag29" name="footnotetag29"></a>
+<a href="#footnote29"><sup class="sml">29</sup></a>.</p>
+
+<p>10.--Partis de Rhense pour revenir à Capellen, sur le bord du Rhin, au
+pied de grosses montagnes.</p>
+
+<p>18.--Partis de Capellen pour revenir camper sur une hauteur près de la
+ville de Coblentz, à droite du camp nommé le camp de la Chartreuse; il
+portait le nom du couvent qui était sur le bout de la montagne, près de
+la ville. Ce couvent était tout dévasté et servait à mettre les chevaux
+de l'artillerie. C'est dans ce camp que noua avons encore fait
+pénitence. La misère augmentait tous les jours pour les défenseurs de la
+patrie; nous avons été réduits à douze onces de pain par jour, et bien
+des fois on ne pouvait pas en avoir. Il fallait cependant faire son
+service, bivouaquer et monter la garde très souvent. Mais le printemps
+nous produisait des plantes pour un peu nous soutenir, qui étaient des
+feuilles de pois sortant à peine de terre, des coquelicots ou
+<i>feu-d'enfer</i>, du sarrasin, des pissenlits. Avec tous ces herbages, nous
+en faisions une farce que nous mangions en guise de pain; et lorsque le
+seigle est venu en grains, on allait lui couper la tête et on le faisait
+griller sur le feu. Les pommes à peine défleuries nous servaient aussi
+de nourriture.</p>
+
+<p>C'était vraiment une grande misère, on voyait plusieurs soldats cachés
+derrière des haies, attendant que le laboureur qui plantait des pommes
+de terre fendues en quatre pour en récolter pour l'hiver prochain, fût
+parti de son champ. Aussitôt les soldats affamés parcouraient le champ,
+cherchant dans la terre les petits morceaux de pommes de terre, et
+revenaient au camp avec leur petite proie, et les faisaient cuire<a id="footnotetag30" name="footnotetag30"></a>
+<a href="#footnote30"><sup class="sml">30</sup></a>.</p>
+
+<p>Huit ou dix jours après on reparcourait les champs, les morceaux de
+pommes de terre qui avaient échappés à la première recherche
+commençaient à sortir de terre; on les enlevait avec beaucoup de
+contentement de se voir quelques petits morceaux de pommes de terre pour
+se sauver la vie.</p>
+
+<p>Le matin on battait la breloque pour le pain, la viande, mais on
+revenait souvent sans viande<a id="footnotetag31" name="footnotetag31"></a>
+<a href="#footnote31"><sup class="sml">31</sup></a>. Le soir, à l'entrée de la nuit, pas
+tous les jours, on revenait avec un pain pour quatre hommes. Tout le
+monde sortait de ses baraques et la gaîté renaissait pour un moment dans
+le camp; dans la journée tout le monde était comme mort, sur sa pauvre
+paille, prenant la misère en patience et s'amusant à détruire sa
+vermine.</p>
+
+<p>Après une misère pareille et des maux si longs et si pénibles,
+quelques-uns diront: «les soldats ne sont que des voleurs. Voyez comme
+ils allaient dévaster les travaux des pauvres laboureurs!» Nous sentions
+bien la perte que nous causions, mais lequel pouvait-on préférer dans un
+pareil cas, de mourir? Non, mais je crois, de vivre et d'être utile!</p>
+
+<p>Dans le courant de prairial, an III de la République française, les
+officiers, sous-officiers et soldats de la 127e demi-brigade de l'armée
+de Sambre-et-Meuse ont écrit à la Convention nationale, s'exprimant en
+ces termes:</p>
+
+<p>«Que venons-nous d'apprendre? Quoi! les factieux s'agitent encore autour
+de la Représentation nationale; le reste impur des complices de la
+Terreur ose de nouveau provoquer au pillage, à l'assassinat, au mépris
+de l'humanité, à la violation des droits du peuple.</p>
+
+<p>«Que veulent donc ces hommes téméraires? et quels sont leurs projet
+perfides, leurs avidités cruelles? Ils cherchent des prétextes. Mais ce
+n'est pas du pain qu'ils demandent, c'est du sang. Ils sont jaloux du
+repos du peuple, ils ont soif de son avenir heureux; leur rage scélérate
+veut ensevelir la liberté publique, sous les corps enlacés des victimes,
+et dominer sur ces débris.</p>
+
+<p>«Législateurs, conservez l'attitude imposante que vous avez prise!
+rappelez-vous toujours ce qu'est le peuple et que le peuple ne veut pas
+être opprimé par une poignée de factieux; songez que les agitateurs qui
+osent vous menacer, ne sont pas citoyens de Paris, et que les citoyens
+de Paris ne sont eux-mêmes qu'une petite fraction de la République!</p>
+
+<p>«Si l'audace des uns croissait avec leur criminel espoir, et si le
+courage des autres s'amollissait par la crainte; si les premiers
+oubliaient leur premier devoir et les derniers leur ancienne gloire;
+s'il fallait enfin que des colonnes s'ébranlassent des armées
+victorieuses pour aller défendre la Convention nationale; parlez,
+législateurs! Nous volons autour de vous, les factieux ne parviendront
+jusqu'à vous qu'en marchant sur nos cadavres.</p>
+
+<p>«Une république fondée sur les moeurs et sur la justice est impérissable
+comme la nature<a id="footnotetag32" name="footnotetag32"></a>
+<a href="#footnote32"><sup class="sml">32</sup></a>.»</p>
+
+<p>Le 22 prairial, on nous a annoncé la prise de Luxembourg. Les 29 et 30
+prairial, et le 1er messidor, nous avons vu passer la garnison du dit
+Luxembourg, au nombre de douze mille, qui ont passé le Rhin à Coblentz,
+après avoir passé devant nous.</p>
+
+<p>Le 9 du mois de thermidor, nous avons reçu trois drapeaux tricolores où
+était le numéro de la demi-brigade. Avec les républicains qui
+composaient ce corps, nous avons juré dans ce moment de ne jamais
+abandonner ces drapeaux qu'à la mort, comme nous avions fait jusqu'alors
+des précédents.</p>
+
+<p>On nous a fait dans ce même moment du feu avec les morceaux des anciens
+qui avaient été fracassés au blocus de Maubeuge et au siège de
+Maëstricht; ils ressemblent à des vieux guerriers qui étaient devenus
+bien caducs en acquérant de la gloire et en parcourant les champs de
+Bellone.</p>
+
+<p>10 <i>thermidor</i>.--Partis du camp de la Chartreuse par une grande pluie
+qui a duré deux jours; les ordres étaient donnés pour nous rendre à
+Creutznach. Le 14, nous avons logé, en y allant, à Ventzenheim où nous
+avons eu séjour; le 15, à Kircheim-Bolanden. Dans cette ville, le prince
+de Weilburg a un superbe château de plaisance; il est environné de
+jardins où il y a des arbres de toute espèce, il y a un parc bien
+distribué: de belles cascades d'eau, des promenades bien agréables, et
+des pièces de gazon très bien garnies. La vue ne peut pas se contenter
+d'examiner toutes ces belles choses, qui semblent être faites par la
+nature.</p>
+
+<p>16.--Logé à Pitzersheim. Avant d'arriver à ce village, on voit les tours
+de Mannheim: il est seulement à trois quarts de lieues de Neustadt.</p>
+
+<p>17.--À Neustadt; 18, à Nuzdorff, premier village de France, venant de
+Coblentz et frontière du Palatin<a id="footnotetag33" name="footnotetag33"></a>
+<a href="#footnote33"><sup class="sml">33</sup></a>. Ce village est très grand et situé
+à une demi-lieue de Landau.</p>
+
+<p>19.--À Altenstadt, village à un quart de lieue de Wissembourg, où nous
+avons eu séjour.</p>
+
+<p>21.--À Beinheim, village situé sur la route de Lauterbourg<a id="footnotetag34" name="footnotetag34"></a>
+<a href="#footnote34"><sup class="sml">34</sup></a> à
+Strasbourg.</p>
+
+<p>22.--Partis à sept heures du matin pour nous rendre au fort Vauban,
+seulement le premier bataillon, les deux autres ont été camper dans la
+plaine de Beinheim. Nous avons relevé au fort un bataillon de la 92e
+demi-brigade, ci-devant d'Artois.</p>
+
+<p>Cette place se nommait, avant la Révolution, le Fort-Louis; elle ne
+pouvait être prise que par famine, mais elle a été livrée aux Prussiens
+en 1792. Les Français ont repris cette place, la même année, après le
+déblocus de Landau. Durant le temps que les Prussiens sont restés au dit
+fort, ils ont miné le quartier et autres fortifications<a id="footnotetag35" name="footnotetag35"></a>
+<a href="#footnote35"><sup class="sml">35</sup></a>. Au moment
+où il a fallu les abandonner, ils ont fait sauter toutes les mines; il
+restait encore quelques maisons où ils ont mis le feu en partant, de
+sorte que maintenant cette place est comme un désert. Nous étions logés
+dans des vieilles masures, comme tout le bataillon, parce que le Rhin
+avait débordé, et les baraques étaient encore pleines d'eau. Le mauvais
+air qui régnait dans cette place a fait que tout le bataillon, et même
+les deux autres, ont été pris de maladie; c'était comme une peste.
+Jusqu'à dix hommes par compagnie étaient obligés d'aller à l'hôpital,
+car ils étaient attaqués d'une fièvre très violente. De soixante hommes
+que nous étions dans notre compagnie, nous sommes restés à deux qui
+n'ont pas été malades. La fièvre était mauvaise, car il y en a beaucoup
+qui en sont morts. Nous avons fait notre purgatoire dans cette place;
+nuit et jour nous étions tourmentés, il y avait des petites mouches que
+l'on nomme des <i>cousins</i>, qui nous faisaient bien de la peine, il y en
+avait si épais qu'on les aurait coupés avec des sabres; les puces et les
+poux n'y manquaient pas.</p>
+
+<p>Étant dans cette place, nous avons fait la réjouissance de
+l'anniversaire de la Fédération. Le 23 thermidor<a id="footnotetag36" name="footnotetag36"></a>
+<a href="#footnote36"><sup class="sml">36</sup></a>, chaque pièce de
+canon a tiré trois coups, et chaque soldat de même. La réjouissance
+s'est faite de cette manière dans l'armée de Rhin et Moselle.</p>
+
+<p>12 <i>fructidor</i>.--Sortis du fort; il est dans une île, et le Rhin passe
+tout autour. Les Prussiens avaient brûlé une partie du pont qui conduit
+à un petit fort qui est du côté de l'Alsace; il en porte le nom: ce pont
+traverse un bras du Rhin et conduit au grand fort: dans ce temps, pour y
+entrer, il n'y avait qu'un pont volant.</p>
+
+<p>Sortant de cet endroit, nous avons été camper au camp près de Beinheim.
+Les gardes n'ont point été relevées en partant, à cause de la grande
+maladie; nous avons été relevés par un de nos bataillons.</p>
+
+<p>14.--Nous sommes partis du camp pour nous rendre à Strasbourg. J'ai fait
+rencontre d'un vieux bourgeois qui m'arrête et me dit: «Mon ami, je ne
+peux m'empêcher de rire, vu le costume que la République vous donne, car
+vous ressemblez plutôt à un capucin qu'à un soldat.»</p>
+
+<p>Je lui dis que l'habit ne faisait pas le moine et qu'il pouvait
+continuer sa promenade; qu'il ne serait plus si étonné, car il en
+verrait beaucoup de cette couleur. Il n'avait pas tout à fait tort, car
+je portais une capote couleur marron que j'avais reçue devant
+Cologne<a id="footnotetag37" name="footnotetag37"></a>
+<a href="#footnote37"><sup class="sml">37</sup></a>.</p>
+
+<p>Nous avons été loger chez le bourgeois en arrivant. Le 15, nous sommes
+entrés dans la caserne de Finkmatt.</p>
+
+<p>Partis de Strasbourg le 16; les gardes n'ont point été relevées en
+partant, car il n'y avait point de garnison.</p>
+
+<p>16 et 17.--Nous avons logé à Plobsheim et à Rhinau, villages situés à un
+quart de lieue du Rhin, mais tout de même nos postes y étaient établis.
+C'est dans cet endroit que j'ai commencé à faire le service de
+sergent-major.</p>
+
+<p>19.--Nous avons pris les armes pour recevoir notre nouvelle
+Constitution; on nous en a fait la lecture, et étant finie, tous ceux
+qui savaient signer ont été signer le procès-verbal, pour envoyer à la
+Convention, pour lui prouver le contentement que nous avions de
+l'ouvrage qu'ils venaient de nous achever. L'on est rentré de suite.</p>
+
+<p>4 <i>complémentaire</i><a id="footnotetag38" name="footnotetag38"></a>
+<a href="#footnote38"><sup class="sml">38</sup></a>.--Partis de Rhinau pour la Wantzenau, grand
+village situé sur la route de Strasbourg à Lauterbourg.</p>
+
+<p>1 <i>vendémiaire</i> an IV<a id="footnotetag39" name="footnotetag39"></a>
+<a href="#footnote39"><sup class="sml">39</sup></a>.--Partis de la Wantzenau pour nous rendre à
+Offendorf, à un quart de lieue du Rhin, sur la gauche de Strasbourg.</p>
+
+<p>28.--Partis d'Offendorf pour Berg, village près de Lauterbourg, à une
+demi lieue.</p>
+
+<p>2 <i>brumaire</i>.--Partis de Berg, pour Woerth, village sur le Rhin. Dans
+tous ces endroits, depuis la Wantzenau jusqu'à Mannheim, je reconnais
+que la guerre a bien causé de la misère dans tous les villages et
+bourgs; l'armée impériale et la nôtre n'ont cessé de se battre le long
+de ces bords. Les villages sont dévastés; une partie des habitants a
+émigré lorsque l'ennemi est venu dans les environs de Strasbourg.</p>
+
+<p>3.--Partis de Woerth pour Spire, grande ville sur le bord du Rhin, dans
+le Palatinat. Cette ville n'est fermée que par de simples murs, mais
+cependant entourée de fossés remplis d'eau; c'est une ville très
+commerçante et environnée de grandes plaines. Notre logement dans cette
+ville était dans des maisons d'émigrés toutes dévastées; et, pour
+coucher, de la paille très courte. Nous sommes arrivés à dix heures du
+soir.</p>
+
+<p>8.--Partis de Spire pour Otterstadt, toujours en descendant le Rhin.</p>
+
+<p>12.--Partis de Otterstadt pour Waldsee, village anciennement fortifié;
+maintenant on y voit encore les anciens fossés, une partie du mur et le
+cintre des portes.</p>
+
+<p>13.--Partis de Waldsee pour Muhlrhein, à une demi lieue sur la droite
+de Mannheim. Je suis allé voir cette ville; elle est peuplée, mais elle
+n'a pas beaucoup d'étendue; il y a de belles rues larges et très
+propres, et bien alignées; les maisons de toute beauté, hautes, mais pas
+plus l'une que l'autre; de chaque croisée on voit le rempart à chaque
+bout des rues, il n'y a point de carrefour.</p>
+
+<p>Les rues et places sont très bien illuminées: de chaque côté des rues, à
+distance de trente pas, il y a un réverbère: la place est grande, et la
+maison du prince de Mannheim<a id="footnotetag40" name="footnotetag40"></a>
+<a href="#footnote40"><sup class="sml">40</sup></a> est située sur la place. Les approches
+sont bien défendues par de bonnes avancées et de bons bastions garnis de
+forts canons. Dans ce temps là, l'armée autrichienne en faisait le
+siège; les fortifications du côté du Rhin sont un seul rempart. Le pont
+qui traversait le Rhin était composé de cinquante-quatre gros bateaux;
+la longueur de ce pont était de huit cent quarante quatre pieds: il y
+avait un fort qui défendait l'approche du Rhin de ce côté. Mais les
+Français l'ont démoli la première fois qu'ils ont pris cette ville; ils
+ont de suite construit des batteries dans la même place pour battre la
+ville.</p>
+
+<p>19.--Partis de Mannheim pour retourner sur nos pas<a id="footnotetag41" name="footnotetag41"></a>
+<a href="#footnote41"><sup class="sml">41</sup></a>, nous sommes
+venus au village de Waldsee où nous étions le 12. Étant dans ce village,
+les Autrichiens bombardaient la ville de Mannheim; le feu était dans le
+château du prince. Nos gens avaient été repoussés devant Mayence: toute
+l'armée battait en retraite. Il y a eu encore une forte bataille dans
+les environs de Frankendal; mais comme l'armée autrichienne était trois
+fois plus nombreuse que la nôtre, il a fallu leur céder le pas, et
+battre en retraite sur la ville de Landau, et Mannheim n'a pas tardé à
+être bloqué. Nous avons été obligés de nous retirer sur nos frontières;
+l'armée autrichienne passait sur plusieurs ponts le Rhin et tentait de
+grands coups<a id="footnotetag42" name="footnotetag42"></a>
+<a href="#footnote42"><sup class="sml">42</sup></a>.</p>
+
+<p>24.--Partis de Waldsee pour venir au camp près de Spire.</p>
+
+<p>Partis de ce camp le 29. Comme nous étions dans un circuit du Rhin,
+l'armée autrichienne s'avançait à grands pas; nous nous serions trouvés
+bloqués. Ils ne cherchent pas à nous faire abandonner le Rhin, et leur
+colonne se glisse le long des montagnes des Vosges.</p>
+
+<p>Nous sommes donc sortis du camp à deux heures du matin pour nous rendre
+aux lignes de Guermersheim où nous sommes restés campés jusqu'au 9
+frimaire. Dans cet endroit, les vivres nous ont manqué pendant cinq
+jours de suite à cause du grand nombre de troupes, et il n'y avait
+encore aucune administration d'établie pour les vivres. Pendant ces cinq
+jours, nous nous sommes nourris avec des pommes de terre que nous
+allions chercher sous la neige, dans des trous, au milieu des champs de
+cultivateurs<a id="footnotetag43" name="footnotetag43"></a>
+<a href="#footnote43"><sup class="sml">43</sup></a>.</p>
+
+<p>9 <i>frimaire</i>.--Partis de ce camp pour entrer en cantonnement à Belheim,
+grand village situé sur les lignes de Guermersheim.</p>
+
+<p>16.--Partis pour aller cantonner au village de Hoerdt, mais nous
+bordions toujours les lignes qui aboutissaient au Rhin.</p>
+
+<p>20 <i>nivôse</i>.--Partis de ce village pour faire un mouvement vers
+Strasbourg. Le même jour nous avons été loger à Auenheim, village en
+arrière du Rhin.</p>
+
+<p>Partis de Auenheim par une grande pluie, avec un dégel qui nous faisait
+une bien mauvaise route. Le 22, à sept heures du matin; nous avons logé
+à Hagenbach, bourg, nous y avons eu séjour.</p>
+
+<p>24.--Partis pour Neubourg; grand village sur le Rhin, environné de
+marais.</p>
+
+<p>28.--Partis pour Berg, à une demi-lieue de Lauterbourg, là où nous
+avions logé en allant à Mannheim. Étant dans ce village, il est venu un
+arrêté du Directoire exécutif pour que toutes les troupes de la
+République prennent les armes le 2 pluviôse, et renouvellent le serment
+d'être fidèles à la nation française et de même pour célébrer
+l'anniversaire de notre dernier roi de France. C'est ce que nous avons
+exécuté le 2 pluviôse 1796. J'ai cessé le service de sergent-major.</p>
+
+<p>17 <i>pluviôse</i>.--Partis de Berg pour Niderroedern où nous sommes arrivés
+le même jour.</p>
+
+<p>20.--Partis pour Sonffeldheim.</p>
+
+<p>21.--Partis pour Beschwiller, bourg à cinq lieues à gauche de
+Strasbourg.</p>
+
+<p>22.--Partis pour Reichstett, village sur la route, à une demi-lieue de
+Strasbourg.</p>
+
+<p>29.--Nous nous sommes mis en route pour nous rendre à la Wantzenau à
+deux lieues à gauche de Strasbourg.</p>
+
+<p>30.--Partis pour nous rendre à la plaine près de Kirchheim, en arrière
+du Rhin et à trois lieues de Strasbourg. C'était le lieu de
+rassemblement où la 127e et la 91e se sont réunies pour former des deux
+une seule demi-brigade.</p>
+
+<p>Voici la manière dont cet embrigadement s'est fait. L'on a formé deux
+haies; on a fait ouvrir les rangs dans chacune d'icelle; le général de
+division en a passé la revue. De suite on a fait serrer les rangs; le
+quartier-maître a appelé tous les capitaines, lieutenants,
+sous-lieutenants au centre des deux demi-brigades pour tirer parmi eux
+les plus anciens de grade et les placer dans leur camp respectif. Il en
+a été de même des sous-officiers et caporaux; et tous ceux qui se sont
+trouvés surnuméraires, on en a formé une compagnie auxiliaire. Ensuite
+on a fait rompre par pelotons les deux demi-brigades; la 127e s'est
+jointe avec la 91e en commençant par les premières compagnies, et
+insensiblement de suite. Après ce mélange, on a fait former le carré
+pour nous faire connaître nos chefs. Après que toute la cérémonie a été
+faite, nous avons défilé devant les généraux, dans la boue jusqu'à
+mi-jambe, car il tombait du brouillard qui ressemblait bien à de la
+pluie et qui faisait dégeler les terres.</p>
+
+<p>Dans ce jour, la 127e a perdu son numéro et a été mariée avec la 91e
+dont elle a pris le nom. J'ai vu que lorsqu'on faisait des mariages, que
+rien ne manquait pour célébrer cette heureuse fête; mais parmi nous il
+n'en était pas de même, car ce jour-là nous n'avions pas de pain. Cela
+ne nous surprenait pas, car ce n'était pas la première fois.</p>
+
+<p>Chacun a été reprendre ses cantonnements; la 5e, dernière compagnie au
+1er bataillon, à la Wantzenau; et la 1re à Kilstett. Ce jour-là, j'ai
+changé de compagnie; j'ai été dans la 5e du 1er (capitaine Mondragon).</p>
+
+<p>2 <i>ventôse</i>.--Sortis de la Wantzenau pour rejoindre la tête de notre
+bataillon au village de Kilstett le 3, pour appuyer à gauche en
+descendant le Rhin; notre premier bataillon tenait depuis la Wantzenau
+jusqu'à l'Ill le long du Rhin. Cette étendue était de six lieues; notre
+compagnie était au village d'Offendorf et faisait le service sur le
+Rhin.</p>
+
+<p>17.--Partis d'Offendorf pour Weyersheim, où tout le bataillon venait
+cantonner pour un mois; après, on retournait faire quinze jours dans ces
+mêmes cantonnements sur le Rhin, et on revenait faire un mois sur les
+derrières. Ça se faisait à tour de bataillon.</p>
+
+<p>21 <i>germinal</i>--Sortis de Weyersheim pour reprendre nos cantonnements sur
+le Rhin; nous avons été de même à Offendorf.--26. Partis d'Offendorf
+pour aller à l'armée du Haut-Rhin, nous avons logé en y allant à
+Hoenheim, à une petite lieue à gauche de Strasbourg. Le lendemain 29, le
+matin, nous avons passé à Strasbourg et nous avons logé à Erstein,
+ville; le 30 germinal, à Kuenheim; le 1er floréal, à Andolshein, village
+à deux lieues à gauche de Brisach et à une lieue de Colmar, à droite;
+nous y avons eu séjour.</p>
+
+<p>3.--À Herrlisheim, située à une lieue et demie de Colmar.</p>
+
+<p>4.--À deux heures du matin, partis pour Ensisheim.</p>
+
+<p>5.--À une heure du matin, partis pour Huningue. Nous ne sommes pas
+entrés dans la ville; nous avons reçu des ordres pour cantonner dans les
+villages aux environs. Nous avons pris la traverse, et nous avons été
+cantonner au village nommé Attenschwiller sur une petite colline à une
+lieue de Bâle, du même côté et à deux lieues de Huningue. Étant dans ce
+village, nous occupions les postes de sauvegarde du canton de Bâle.
+Personne ne passait à ces postes sans être muni d'une permission signée
+du général en chef. Si cela ne s'était pas fait de la sorte, on aurait
+enlevé une partie des vivres et des marchandises de la France.</p>
+
+<p>Les frontières de la Suisse étaient bornées avec de grands poteaux de
+bois, à distance d'un tiers de quart de lieue; il était inscrit sur une
+plaque de fer blanc: <i>Sauvegarde de Basel</i>.--Cette épitaphe était
+incrustée en haut de la potence.</p>
+
+<p>Dans le courant du mois de floréal, nous avons appris la paix avec le
+roi de Sardaigne. Nous avons aussi célébré la fête, le 10 prairial, des
+victoires remportées par toutes les armées de la République<a id="footnotetag44" name="footnotetag44"></a>
+<a href="#footnote44"><sup class="sml">44</sup></a>. Cette
+fête a commencé à six heures du matin. Dans ce même moment, on a battu
+la générale: à huit heures on s'est assemblé; on a été de suite sur le
+terrain choisi par le chef de bataillon pour cette fête. On a fait
+quelque temps l'exercice; après, on nous a annoncé les victoires
+remportées par l'armée d'Italie. C'est dans ce moment que nous avons
+juré d'un commun accord de seconder leurs efforts, et qu'à l'exemple de
+nos frères d'armes d'Italie, bientôt les succès de l'armée de
+Rhin-et-Moselle égaleraient les leurs. On est rentré dans le village aux
+cris de <i>Vive la République!</i></p>
+
+<p>Ce jour-là, la République nous a passé le pain, la viande, l'eau-de-vie
+double.--Voilà quel était l'ordre du général en chef.</p>
+
+<p>13 <i>prairial</i>--Partis d'Attenschwiller pour Hagenheim, dans une petite
+colline, et à une demi-lieue d'Attenschwiller et même distance
+d'Huningue; ce village est en grande partie habité par des juifs.</p>
+
+<p>17.--Partis d'Hagenheim à cinq heures du matin pour entrer en garnison à
+Huningue. Elle n'est pas beaucoup étendue, mais forte par ses bastions
+garnis de gros canons qui défendent d'approcher; les rues y sont larges
+et bien éclairées; il y a beaucoup de casernes pour loger les soldats;
+les maisons bourgeoises ne sont pas beaucoup hautes, mais elles ne se
+dépassent pas; le Rhin flotte contre ses bastions et donne de l'eau dans
+les fossés. Il y a une belle place qui a bien cent soixante-dix pieds au
+carré, elle est environnée de pavillons qui servent à loger les
+officiers de la garnison. Cette ville est à une demi-lieue de Bâle; à
+chaque porte il y a trois forts pont-levis et de bonnes barrières. Le
+temps que nous étions dans la ville, nous n'avions que des paillasses et
+des bois de lit pour toute fourniture, mais, en récompense, les puces ne
+manquaient pas.</p>
+
+<p>8 <i>messidor</i>.--Sortis à huit heures du soir pour nous rendre à
+Ottmarsheim; où nous sommes arrivés à trois heures du matin; le village
+est à une portée de fusil du Rhin, et sur la route d'Huningue à Brisach.</p>
+
+<p>9 <i>messidor</i>.--Tous les cantonnements qui étaient pour garder le Rhin
+depuis Huningue jusqu'aux lignes de Guermersheim, ont reçu l'ordre de
+prendre les armes à dix heures du soir. C'est la nuit du 5 au 6 messidor
+qu'on avait choisie pour se faire un passage sur le Rhin. Voilà la ruse
+que l'on a employée pour ce fait: Vers minuit, il y a eu plusieurs
+compagnies de grenadiers en des barques, qui ont traversé le Rhin, où
+ils ont égorgé plusieurs postes ennemis. L'attaque a été générale dans
+toute l'étendue de la ligne du Rhin, car la canonnade s'est fait
+entendre, de même que la fusillade, depuis les deux heures du matin
+jusqu'à quatre heures. On criait: <i>En avant telle et telle colonne!
+allons! embarquons-nous! Le passage est à nous!</i> On faisait reconnaître
+différents régiments de cavalerie et d'artillerie pour faire voir que
+nous étions bien du monde.</p>
+
+<p>L'endroit destiné pour le passage était au fort de Kehl, près de
+Strasbourg, où cette attaque n'avait pas lieu, et l'ennemi ne savait pas
+où nous avions l'intention de passer<a id="footnotetag45" name="footnotetag45"></a>
+<a href="#footnote45"><sup class="sml">45</sup></a>. Ce n'était pas là où l'on
+faisait le plus de bruit qu'on voulait passer.</p>
+
+<p>Le passage s'est effectué sans avoir essuyé la moindre perte; on les a
+si bien surpris et trompés par nos manoeuvres, que l'on a pris le
+commandant du fort de Kehl avec sa garnison prisonniers de guerre.</p>
+
+<p>17 <i>messidor</i>--Sortis de Ottmarsheim, à quatre heures du matin, pour
+nous rendre à Balgau, village à deux lieues de Brisach, à droite. La
+nuit du 18 au 19, tous les cantonnements ont pris les armes pour faire
+la même attaque que celle du 5 au 6.</p>
+
+<p>19.--Sortis de Balgau, à huit heures du matin, pour nous rendre à
+Neuf-Brisach, ville forte où il y a une belle place entourée de quatre
+entrées, fermées chacune de quatre ponts levis; les barrières, les
+maisons et les casernes ne dépassent pas le premier rempart. Il y a une
+belle place entourée de quatre rangs de peupliers qui sont coupés de
+manière à ce qu'ils ne fassent point découvrir la place en dehors; à
+chaque coin de cette place, il y a un puits, et tout au milieu de la
+place, on voit les quatre portes; les rues sont bien alignées ainsi que
+les maisons. Sous tous les remparts sont des casemates, et sur ces
+casemates est une belle promenade qui fait le tour de la ville. Ces
+remparts sont garnis de forts canons; l'eau vient dans les fossés par un
+canal qui vient de la rivière.</p>
+
+<p>21.--Sortis de Brisach pour aller à Marckolsheim, bourg à quatre lieues
+de là, sur la même route.</p>
+
+<p>25.--Partis de Marckolsheim à dix heures du matin pour nous rendre dans
+les environs de Neuf-Brisach pour y faire une fausse attaque. C'était la
+nuit du 25 au 26, à côté du Vieux-Brisach, dans une île du Rhin; une
+centaine d'hommes se sont embarqués pour passer le Rhin, ils ont fait
+fuir plusieurs postes ennemis; ils en ont surpris un près d'une
+batterie, ils l'ont égorgé. En un autre, ils ont pris un canonnier, deux
+charretiers et trois chevaux. Sur la pointe du jour, le canon s'est fait
+entendre de droite et de gauche sur la rive du Rhin. Vers les quatre
+heures du matin, l'ennemi nous a riposté plusieurs coups de canon. Vers
+les sept heures du matin, les hommes embarqués sont rentrés et nous
+avons cessé l'attaque: elle était faite pour établir un pont à
+Rhinau.--Nous sommes retournés dans nos cantonnements qui étaient depuis
+Brisach jusqu'à Rhinau, où deux de nos bataillons ont passé le Rhin.</p>
+
+<p>28.--Nous avons quitté ces cantonnements à dix heures du soir pour nous
+rendre à Brisach, où nous sommes arrivés à dix heures du matin. Nous
+nous sommes transportés vis-à-vis le Vieux-Brisach pour y passer le
+Rhin; nous l'avons passé sur un pont volant vers les trois heures de
+l'après-midi du 29 messidor. Nous avons logé dans de grosses baraques
+que les Autrichiens avaient fait construire du temps que les Français
+assiégeaient la ville du Vieux-Brisach.</p>
+
+<p>Ces logements étaient couverts en terre et derrière le Vieux-Brisach,
+hors de portée du canon.</p>
+
+<p>30.--Nous avons repassé le Rhin à dix heures du matin pour aller le
+passer à Huningue; nous avons logé en y allant à Ottmarsheim.</p>
+
+<p>1er <i>thermidor</i>.--Partis à quatre heures du matin, nous sommes arrivés à
+Huningue, et nous avons passé le Rhin vers les dix heures du matin. Nous
+avons été au premier village où le vin nous a été distribué. De là, nous
+avons été loger à Lorrach, bourg dans le Marquisat. Je dirai que nous
+avons passé le Rhin sur un pont volant, et après cela nous avons été
+obligés de passer un bras du Rhin avec des petites barques, ce qui nous
+a tenus bien du temps.</p>
+
+<p>3.--Partis de Lorrach à deux heures du matin pour aller à Schopfheim,
+petite ville entre deux montagnes garnies de beaux bois; la colline est
+garnie de beaux prés bien entretenus et tout de niveau où ils mettent
+l'eau quand ils jugent à propos. Cet endroit a beaucoup d'usines, tant
+en forges, manufactures de fils de fer, papeteries, etc. Je remarquerai
+aussi que les Autrichiens avaient quitté les bords du Rhin le 27
+messidor, parce que la colonne qui avait passé à Strasbourg les prenait
+par derrière les montagnes du Brisgau pour leur couper leur retraite.</p>
+
+<p>9.--Partis de Schopfheim, à deux heures du matin, pour aller à
+Sackingen. Nous avons repassé le Rhin à Laufenburg. Dans cet endroit, le
+Rhin fait un grand saut au bas du pont; il passe entre deux rochers, il
+est extrêmement rapide. Les ponts sous lesquels on passe sont tous
+couverts et bien construits. Sackingen et Laufenburg sont deux petites
+villes près des frontières suisses et situées à sept lieues de
+Schopfheim.</p>
+
+<p>10.--Partis de Sackingen à deux heures du matin pour Eibrechsferengel?
+Nous en sortions le onze à deux heures du matin pour nous rendre à
+Fiezen, village situé à huit lieues.</p>
+
+<p>12.--Partis de Fiezen à trois heures du soir pour nous rendre à Singen,
+où nous sommes arrivés le treize à quatre heures du soir.</p>
+
+<p>14.--Partis de Singen à dix heures du matin pour Esplingen, village sur
+le lac de Constance.</p>
+
+<p>15.--Partis le 15 à quatre heures du matin pour nous rendre auprès de
+l'abbaye de Salmonswiler, située de même sur le lac, dans la Souabe.</p>
+
+<p>C'est là que nous avons aperçu l'arrière-garde d'une colonne ennemie. On
+a détaché des tirailleurs de droite et de gauche pour fouiller les
+environs de notre route; après avoir tiré plusieurs coups de fusil, ils
+ont continué leur retraite. C'est dans l'abbaye, ou pour mieux dire dans
+la plaine au-dessus, que nous avons commencé à camper. Je dirai que tous
+les villages dont j'ai parlé ci-devant et où nous avons logé, sont
+situés sur les frontières de la Suisse, en venant sur le lac de
+Constance.</p>
+
+<p>La colonne du général Férino<a id="footnotetag46" name="footnotetag46"></a>
+<a href="#footnote46"><sup class="sml">46</sup></a> chassait les ennemis de diverses places
+situées sur le lac de Constance, à droite du côté de la Suisse et
+s'emparait de la ville de Brégenz où se trouvaient une trentaine de
+pièces de canon de divers calibres<a id="footnotetag47" name="footnotetag47"></a>
+<a href="#footnote47"><sup class="sml">47</sup></a>.</p>
+
+<p>Je remarquerai que nous avons passé au pied du fort de Randenburg, situé
+sur une montagne en pain de sucre, qui n'est commandé d'aucun côté, qui
+se rendit sans résistance; on y trouva un arsenal bien garni,
+quarante-trois bouches à feu en bronze, et quantité de munitions.</p>
+
+<p>Je dirai que nous étions sous le commandement du général Palliard. Notre
+colonne a pris à gauche du lac de Constance; nous sommes sortis du camp
+près l'abbaye de Salmonsweiler le 16, à huit heures du matin par une
+grande pluie qui avait commencé à trois heures du matin, pour aller à la
+poursuite de l'ennemi. Nous avons été camper près du village nommé
+Eriskirch, sur le bout du lac, dans un bois où notre artillerie a été
+obligée de tirer quelques coups de canon. Dans ses environs, il s'est
+trouvé plusieurs obstacles: des fossés, des petits marais et des bois;
+mais l'ennemi a été forcé de prendre sa retraite. Nous sommes partis du
+camp le 19 à quatre heures du matin pour aller à la poursuite des
+ennemis vers la ville de Lindau, faisant partie du cercle de Souabe.
+Arrivés dans cette position, comme nous avions suivi les côtes de la
+Suisse avec un bataillon de la 38e demi-brigade et un détachement de
+hussards du 8e, nous avons quitté cette colonne le 20 thermidor pour
+aller rejoindre nos deux autres bataillons de la 3e demi-brigade de
+ligne. Nous avons logé en y allant à Waldsee, ville où nous sommes
+arrivés à la nuit; nous avons été loger dans un couvent où nos
+prisonniers de guerre étaient détenus avant que nous passions le Rhin;
+mais ils avaient été évacués à notre approche.</p>
+
+<p>21.--Partis du Waldsee à quatre heures du matin, nous avons été
+bivouaquer à une lieue en avant de la ville, et à une lieue de Wartzack,
+où nous avons retrouvé les deux bataillons qui avaient passé le Rhin à
+Rhinau.</p>
+
+<p>22.--Partis de ce bivouac à quatre heures du matin pour aller à la
+poursuite de l'ennemi qui était la légion de Condé, nous avons campé ce
+même jour dans un bois faisant partie de la forêt Noire, près d'un
+village nommé Itett(?) qui fait partie du cercle de Souabe.</p>
+
+<p>23.--Partis du camp à trois heures du matin pour aller camper une lieue
+en avant. À notre approche, l'ennemi a pris sa retraite.</p>
+
+<p>25.--Sortis du camp à quatre heures du matin, nous avons passé à
+Memmingen, ville grande et belle, entourée de petits bastions et de
+grands jardins tous remplis de houblon; elle est au duc de Wurtemberg.
+Ce même jour, nous avons été camper en avant d'un village où les émigrés
+sont venus nous attaquer à cinq heures du matin, le 26, mais ils ont été
+repoussés avec vigueur et on leur a fait quelques prisonniers. J'ai
+remarqué dans cette contrée la grande mortalité des bêtes à cornes;
+c'était la peste qui était dans ce pays, car on ne pouvait en sauver
+aucune.</p>
+
+<p>Le même jour, vers les six heures du soir, nous avons fait un mouvement
+pour appuyer à gauche, pour donner du renfort à la troisième ligne qui
+avait été attaquée pendant la nuit par les chevaliers de la légion de
+Condé, où ces derniers ont perdu bien du monde car dans le mouvement que
+nous avons fait, nous en avons vu dans des places plus d'un cent, et
+beaucoup qui étaient répandus dans les bois, et beaucoup qui étaient
+enterrés que nous ne voyions pas. Ceux qui étaient hors de terre étaient
+des hommes qui avaient en partie des cheveux gris.</p>
+
+<p>Leur attaque a été singulièrement combinée, ils sont venus croyant
+surprendre nos gens; lorsqu'ils ont été à une portée de fusil d'eux, ils
+ont fait le demi-tour, et faisaient les feux de peloton en retraite, et
+leurs canons envoyaient des obus en l'air. Étant assez près de nos
+troupes pour être reconnus, aussitôt nos troupes ont fait un feu de file
+sur ces messieurs. Comme cette petite avant-garde ne se voyait pas assez
+forte, elle a battu en retraite pour un moment; mais aussitôt ils ont eu
+du renfort de la 74e qui était campée derrière eux, et ils les ont
+repoussés avec toute la chaleur républicaine. Comme je l'ai dit,
+plusieurs cents ont mordu la poussière. Cette bataille s'est donnée, la
+nuit du 25, dans le bois près le village d'Obergein. Nous y avons campé
+le 26 au soir, nous avons eu la pluie pendant deux jours.</p>
+
+<p>29.--Partis de ce camp à quatre heures du matin pour aller en avant,
+nous avons été camper sur la hauteur, près du village de Meltheim, près
+d'une petite rivière et derrière une grosse ferme où était logé le
+général.</p>
+
+<p>2 <i>fructidor</i>.--Sortis de ce camp à huit heures du soir pour aller à la
+poursuite des émigrés, nous avons pris la route à gauche de Meltheim et
+nous avons campé dans la plaine.</p>
+
+<p>4.--Partis à onze heures du matin, nous avons été camper près d'une
+abbaye, dans la Bavière.</p>
+
+<p>Partis le 5, à deux heures de l'après midi pour nous rendre au camp à
+trois lieues de la ville d'Augsbourg, ville capitale des cercles de
+Souabe. Nous ne suivions pas de route directe, c'était en partie tous
+chemins de traverse; il y a un peu de temps que nous n'avons vu notre
+ennemi. Nous sommes obligés de marcher à grandes journées, encore ne
+peut-on pas le rattraper. Nous sommes campés sur le bord d'une rivière
+et dans un bois dont je ne connais pas les noms, mais je mettrai un nom
+à ce camp, et la troupe qui a campé dans ce camp ne pourra pas me
+démentir; je le nomme <i>le camp de la fourmilière</i>, car vraiment il n'y
+avait pas une place où la terre n'en soit couverte, et tous les arbres
+en étaient garnis; on pourrait encore l'appeler <i>le camp de la
+pénitence</i>.</p>
+
+<p>7.--Sortis de ce camp à six heures du matin, sans regret, pour aller
+passer la rivière où nous avons trouvé l'armée autrichienne; sur l'autre
+rive, ils avaient coupé tous les ponts et nous attendaient sur la
+hauteur. Quoique les ponts fussent coupés, cela n'a point arrêté notre
+marche; nous l'avons franchie avec tout le courage possible. Comme elle
+était rapide et que quelques républicains ont voulu la traverser, il y
+en eut quelques-uns de noyés. La profondeur à l'endroit où nous passions
+était de trois pieds quelques pouces; nous avons mis un quart d'heure
+pour passer ces obstacles. C'était sur la droite d'Augsbourg, entre dix
+et onze heures du matin.</p>
+
+<p>Après ce défilé, et étant de l'autre côté, on s'est formé en colonne et
+on a marché sur l'ennemi qui s'est vu forcé d'abandonner ses fortes
+positions.</p>
+
+<p>Notre division a fait ce jour-là huit cents prisonniers et pris seize
+pièces de canon. Au moment où ils ont pris la fuite, on les a poursuivis
+à quatre lieues de la ville d'Augsbourg. Notre avant-garde a gardé sa
+position, et l'armée est revenue camper à deux lieues en avant
+d'Augsbourg, et à une lieue de Fridberg.</p>
+
+<p>Partis de ce camp à neuf heures du matin pour appuyer à droite et suivre
+la marche de l'ennemi, ce jour-là nous avons campé près d'un village,
+dans les environs d'un superbe château appartenant à un colonel de
+cavalerie autrichienne. Ce château est remarquable pour la troupe qui
+était campée dans les environs; on y a trouvé quantité de bière,
+d'eau-de-vie et toutes sortes d'effets; toute la maison était partie à
+l'approche de l'armée française, et on s'est emparé de tout ce qu'il y
+avait dans la dite maison.</p>
+
+<p>10.--Partis de ce camp à dix heures du matin pour aller camper à une
+demi-lieue. C'est dans ce camp qu'on nous a annoncé la trêve avec le duc
+de Bavière.</p>
+
+<p>13.--Partis à cinq heures du matin pour nous rendre au camp, près de
+Dachau.</p>
+
+<p>17.--Partis à six heures du matin pour aller camper dans la plaine de
+Munich. Je dirai qu'on avait laissé une certaine quantité de soldats
+avec un officier dans notre camp de Dachau, pour allumer des feux comme
+s'il y avait eu de la troupe. Ce camp était aperçu depuis les hauteurs
+en avant de Munich, c'était pour faire voir à l'ennemi que nous étions
+en forces.</p>
+
+<p>Nous étions campés dans la plaine de Munich près les parcs du duc de
+Bavière. Je peux dire que ces parcs étaient superbes et grands, entourés
+de planches très hautes et renfermant toutes sortes de bêtes sauvages et
+d'oiseaux. C'était si bien construit que c'était vraiment amusant; mais
+la guerre détruit tout; on a enlevé les planches pour se construire des
+abris dans le camp: de suite on s'est mis à donner la chasse aux bêtes,
+comme lapins, lièvres, chevreuils, biches, cerfs; les oiseaux ne s'en
+sont pas échappés; tout cela se prenait à la main, avec des bâtons.</p>
+
+<p>Je dirai que dans les environs, à droite et à gauche de la ville de
+Munich, le duc de Bavière a de superbes châteaux très vastes et bien
+construits; il a aussi de superbes parcs fermés de murs, où il a toutes
+sortes d'animaux que l'on puisse imaginer; il y a aussi de beaux jets
+d'eau et de superbes avenues, promenades, etc. Plusieurs qui les ont vus
+comme moi ont dit qu'il n'y avait que le château de Versailles qui
+pouvait le surpasser; tout cela était fait pour enchanter.</p>
+
+<p>19.--Sortis du camp à huit heures du matin pour appuyer à gauche de
+Munich, nous avons campé à trois lieues. C'est pendant que nous étions
+dans ce camp, que les émigrés ont passé l'Isar et sont venus prendre un
+parc de munitions qui était derrière Dachau. Nous y avions une ambulance
+où étaient nos blessés; ils en ont pris une partie, nos chirurgiens, nos
+bouchers et une compagnie de notre demi-brigade qui était pour garder le
+parc. Ceux qui ne voulaient pas se rendre, ils les hachaient; après
+qu'ils ont eu fait cette capture, ils sont retournés dans leurs
+positions qui étaient sur le Ridau, en avant de Munich, le long de
+l'Isar<a id="footnotetag48" name="footnotetag48"></a>
+<a href="#footnote48"><sup class="sml">48</sup></a>.</p>
+
+<p>21.--Sortis de ce camp à onze heures du matin pour nous rendre sous les
+murs de Munich, là où notre avant-garde s'était battue la nuit sur
+l'Isar. Alors, les émigrés voulaient passer devant Munich; mais ils
+n'ont rien gagné. Ce même jour, nous avons campé près le faubourg de
+cette ville. Les faubourgs y sont grands et il y a de belles maisons;
+les rues larges. La ville de Munich n'est pas extrêmement étendue, mais
+bien peuplée, les maisons fort hautes, les rues larges et bien
+éclairées; dans le milieu de la place, il y a un beau jet d'eau. Elle
+est fermée par des bastions environnés de fossés, mais elle n'est point
+dans le cas de soutenir un siège; c'est la capitale de la Bavière.</p>
+
+<p>Dans la bataille de la nuit du 20 au 21 que nos troupes ont eue avec les
+émigrés, on a brûlé des tanneries, qui étaient sur le bord de la
+rivière, et plusieurs gros magasins de bois. Lorsque les émigrés ont vu
+que ça ne pouvait servir à rien, ils ont cessé le feu. Je dirai qu'ils
+avaient une maison sur la route du pont, qui a été aussi brûlée.</p>
+
+<p>Le duc de Bavière avait dans la ville, pour garnison, dans ce temps,
+douze mille hommes, tant cavalerie qu'infanterie.</p>
+
+<p>Les soldats français pouvaient entrer dans la ville avec une permission
+par écrit du colonel. La rivière qui passe près de la ville de Munich
+porte le nom de l'Isar.</p>
+
+<p>La gauche de notre division avait déjà passé l'Isar à cinq ou six lieues
+de Munich, sur la droite; lorsqu'on apprit la retraite du général
+Jourdan qui commandait l'armée de Sambre-et-Meuse. Nos troupes ont été
+obligées de repasser la rivière et de se disposer à la retraite.</p>
+
+<p>26 <i>fructidor</i>.--À une heure du matin, nous avons commencé notre
+retraite, sans cependant y être forcés par l'ennemi de notre côté. Nous
+avons pris la route de Munich à Dachau, bourg situé à six lieues; nous
+sommes restés environ quatre heures sous ses murs pour nous reposer et
+attendre la gauche de notre division qui est arrivée une heure après. Je
+dirai que notre retraite a commencé par un temps de pluie. Nous nous
+sommes donc mis en marche, toute la division, et nous sommes venus
+camper à neuf lieues de Munich, dans la position du 7 fructidor.</p>
+
+<p>28.--Sortis de cette position à sept heures du matin pour exécuter
+plusieurs mouvements, sur la droite d'Augsbourg et de la rivière. À huit
+heures du soir du même jour, nous sommes revenus prendre une position à
+une lieue de Fridberg, en avant. Nous étions en ce moment
+d'arrière-garde, et même nous nous sommes vus bloqués de toute part; il
+fallait nous battre de tous les côtés et plus particulièrement derrière
+nous qu'en avant; nous aurions eu plus de facilité de retourner à Munich
+que du côté de la France. Et quels étaient ceux qui nous bloquaient?
+C'était une partie des paysans qui servaient à prendre nos parcs, les
+convois de malades et de pauvres blessés; ils prenaient ce qu'ils
+pouvaient avoir et de suite les mettaient à mort. Ils nous coupaient les
+routes dans lesquelles nous devions passer, par de grands fossés et des
+abattis d'arbres qu'ils croisaient dans la route, pendant que les
+Autrichiens et la légion de Condé nous faisaient user le reste de nos
+munitions afin d'avoir plus de facilité de nous prendre. Ils se
+croyaient les plus forts, mais ils s'étaient bien trompés, car si ce
+n'est qu'on a voulu en sortir avec tous les vivres et convois, composés
+de quantité de voitures chargées de toutes sortes, l'armée impériale ne
+nous aurait pas arrêtés un seul jour. Ils avaient de même envoyé des
+proclamations dans tous les pays que nous avions conquis, où ils
+disaient aux paysans que l'armée française était presque toute en leur
+pouvoir; qu'ils en avaient pris une grande partie entre Augsbourg et
+Munich; qu'il n'y avait plus que trois mille hommes qui s'étaient
+échappés, et qu'ils ne savaient pas où battre en retraite; voilà
+pourquoi les paysans s'étaient empressés de s'armer contre nous.</p>
+
+<p>Étant dans cette position, nous avons fait encore plusieurs mouvements,
+allant du côté de Munich, mais nous n'avons rencontré aucune troupe.</p>
+
+<p>2 <i>complémentaire</i><a id="footnotetag49" name="footnotetag49"></a>
+<a href="#footnote49"><sup class="sml">49</sup></a>. Nous avons été à quatre lieues, suivant la route
+de Munich, et nous avons campé près du village d'Andelheim.</p>
+
+<p>3.--Partis en retraite sur Fridberg; où nous avons passé la rivière
+nommée le Negel; le même jour les ponts étaient rétablis. Nous ne sommes
+pas passés dans la ville d'Augsbourg, nous en avons fait le tour; elle a
+des remparts très hauts.</p>
+
+<p>Le même jour, nous sommes venus camper à deux lieues de ce côté-ci, sur
+la route de Gunzbourg.</p>
+
+<p>4.--Sortis à deux heures du matin pour venir sur les hauteurs de
+Gunzbourg où nous avons campé dans les terres labourées.</p>
+
+<p>5.--Partis à huit heures du matin, nous avons passé dans la ville de
+Gunzbourg; nous avons été prendre une position à trois lieues de là,
+bordant le Danube.</p>
+
+<p>1er <i>vendémiaire</i>, an V.--Partis à huit heures du soir pour la ville
+d'Ulm, où nous sommes arrivés à deux heures du matin. Nous avons
+traversé la dite ville à six heures pour venir prendre une position tout
+près. C'est là que tous les parcs et convois se sont réunis; et l'armée
+est venue passer pour que chaque division prenne la marche indiquée par
+le général Moreau pour faire un débouché pour le passage des convois,
+partie de la troupe se battait en attendant que l'autre partie défilât
+avec les parcs<a id="footnotetag50" name="footnotetag50"></a>
+<a href="#footnote50"><sup class="sml">50</sup></a>.</p>
+
+<p>Notre position était à la droite de la ville, qui n'a que de petites
+fortifications et n'est pas capable de soutenir un siège. Nous sommes
+partis de notre position le 3, à onze heures et demie du soir, pour
+continuer notre retraite sur Fribourg en Brisgau. Nous avons campé à une
+demi-lieue d'Ulm; nous avons pris la traverse pour favoriser
+l'évacuation de nos parcs.</p>
+
+<p>4.--Nous sommes arrivés près d'un passage du Danube, à huit heures du
+soir, où l'ennemi voulait forcer notre ligne et nous couper notre
+retraite. Depuis le matin jusqu'à neuf heures du soir, la fusillade et
+le canon n'ont cessé de jouer, de sorte qu'ils n'ont pas pu passer. Nous
+avons campé ce jour-là dans un bois, à sept lieues d'Ulm. Étant dans
+cette position, nous avons fait plusieurs mouvements tant de jour que de
+nuit pour en imposer à nos ennemis.</p>
+
+<p>6.--Sortis de ce camp à une heure de l'après-midi, nous sommes venus
+camper auprès d'une grosse abbaye qui est à cinq lieues de Waldsee, en
+avant.</p>
+
+<p>7.--Partis à une heure du matin, nous sommes allés camper à deux lieues
+de Waldsee, sur la gauche.</p>
+
+<p>8.--Sortis de ce camp à une heure du matin pour nous rendre sur des
+hauteurs à gauche de Ahldorf; ce village est situé près des grands
+marais et vis-à-vis d'un parc. C'est dans ces environs que notre colonne
+s'est réunie, de manière que lorsque la colonne se mettait en marche,
+elle était divisée sur plusieurs points, pour deux ou trois jours; et
+après il y avait un point de ralliement. Je dirai que dans ce village de
+Ahldorf le feu a pris à une grosse maison pendant la nuit.</p>
+
+<p>9.--Partis à dix heures du matin. La troupe, qui marchait avant nous, a
+fait rencontre de l'ennemi, ce qui a un peu ralenti notre marche. À la
+première attaque, il a fait beaucoup de résistance, mais après quelques
+heures de combat il a été obligé de se reployer, mais sans abandonner la
+route sur laquelle nos convois devaient passer. Notre avant-garde s'est
+avancée et leur a fait abandonner leurs positions. Nous avons campé ce
+jour-là près le village de Berg, hauteur assez considérable, du côté
+opposé à l'ennemi, qui était sur la route immédiatement près l'abbaye de
+Vincastel, dans la Souabe.</p>
+
+<p>Durant le temps que nous avons occupé cette position près le village de
+Berg, nous avons fait plusieurs mouvements de droite et de gauche pour
+nous éclairer sur la marche de nos ennemis.</p>
+
+<p>Le général Moreau, qui voyait que ces mouvements de la part de l'ennemi
+rendaient sa retraite dangereuse, les fit attaquer le 1er octobre sur
+toute la ligne près de Biberach, et lui enleva vingt canons, des
+drapeaux et environ cinq-mille prisonniers, parmi lesquels soixante-cinq
+officiers; à cette affaire, c'était le général Latour qui commandait les
+Autrichiens.</p>
+
+<p>14.--Partis de Berg à huit heures du matin, nous sommes venus camper à
+six lieues en avant de Stockach.</p>
+
+<p>15.--À quatre heures du matin, nous sommes venus camper sur les
+hauteurs, à deux lieues de Stockach. Il faut remarquer que nous ne
+pouvions faire beaucoup de chemin parce qu'il fallait que notre
+avant-garde fît une ouverture parmi l'ennemi, et débarrassât les routes
+pour faire passer nos convois.</p>
+
+<p>16.--Partis à cinq heures du matin pour camper sur les hauteurs, à un
+quart de lieue de Stockach, du côté de la route de Fribourg. Je dirai
+que c'est dans ces environs que nous avons eu plusieurs convois de
+malades ou de blessés égorgés.</p>
+
+<p>Ces pauvres malheureux étaient couverts de blessures et sans défense.
+Les infâmes se vengeaient sur eux des fléaux de la guerre qui avait
+dévastée leur contrée. Mais qu'ont-ils gagné, ces esprits faibles qui se
+sont laissé séduire par les écrits que leurs seigneurs et leurs émigrés
+leur avaient envoyés en leur disant que s'ils pouvaient nous arrêter, la
+guerre serait bientôt finie et qu'ils seraient affranchis pendant deux
+ans de tout impôt? Ils étaient tellement pénétrés qu'il n'y avait plus
+qu'à serrer la main pour nous prendre, qu'ils quittaient tous leurs
+chaumières et se mettaient de tous les côtés sur la route, les chemins.
+Tout était bien gardé. Les femmes, les filles, les enfants, enfin tous
+s'y mettaient, et l'armée autrichienne les secondait dans leurs mauvais
+desseins.</p>
+
+<p>Ils sont venus un jour pour prendre notre magasin de poudre qui était
+près de cette ville avec plusieurs pièces d'artillerie de réserve, et
+aussi celles que l'on avait prises à l'ennemi et que l'on n'avait pas eu
+le temps d'évacuer; mais ils ont été bien reçus. Il s'est trouvé
+quelques-unes de nos troupes dans les environs, ils ont été repoussés et
+se sont retirés dans les bois des environs. Dans les villages d'où ces
+misérables étaient partis pour nous couper notre route, on a brûlé
+quelques unes de leurs maisons et on a pillé les autres.</p>
+
+<p>Nous sommes sortis du camp de Stockach après que tout a été sur des
+voitures, et qu'il ne restait plus rien dans le magasin. C'était le 17,
+à onze heures du matin, que nous avons suivi la route de Fribourg, et
+que nous sommes venus camper à deux lieues et demie de ce côté-ci de
+Stockach, près d'un village où tous les habitants étaient partis dans
+les bois pour nous couper notre retraite. Dans cet endroit, nous avons
+eu des blessés égorgés; pendant la nuit quelqu'un a mis le feu à une
+maison. Étant dans cette position, nous avons passé en avant du village
+et nous avons attendu notre arrière-garde.</p>
+
+<p>18.--À une heure de l'après-midi, nous avons campé sur les hauteurs en
+avant de Lemmingen où on nous faisait espérer des vivres; on a trouvé
+dans cette ville un seul homme et point de vivres. Je dirai qu'on a
+brûlé environ vingt-quatre maisons; la pluie nous avait pris près de la
+ville de Hoch, et la nuit que nous avons été camper sur les hauteurs de
+la ville de Lemmingen a été abominable; la pluie emmenait toute la terre
+de notre camp dans la colline.</p>
+
+<p>19.--Partis à une heure du matin, nous avons défilé au milieu des
+maisons tout en feu, et nous sommes venus camper sur une montagne très
+haute.</p>
+
+<p>20.--Descendus de cette montagne, pour aller camper dans la plaine près
+le Danube où l'ennemi nous est venu attaquer vers les huit heures du
+matin. Le 21, après plusieurs heures de combat, nous les avons
+repoussés; après, nous avons continué notre retraite. Le combat à notre
+droite a été plus engagé que le nôtre, mais ils n'ont pas pu percer
+notre ligne qui était près la route où nos parcs et convois défilaient.
+Nous avons continué notre retraite, mais je dirai que, l'ennemi nous
+suivant de près, nous avons été obligés, par plusieurs reprises, de
+marcher en colonne et de nous mettre en bataille lorsqu'il se trouvait
+des obstacles où l'on ne pouvait pas tous marcher ensemble; les uns
+battaient en retraite et les autres observaient.</p>
+
+<p>Ce jour-là, nous sommes venus camper près d'une petite ville, à trois
+lieues de Neustadt; là nous sommes arrivés la nuit par une pluie
+continuelle et des chemins presque impraticables.</p>
+
+<p>22.--Partis de cette position à trois heures du matin, pour venir camper
+du côté de Neustadt, le long du revers de la montagne, dans une gorge de
+la forêt Noire, sur la route de Fribourg.</p>
+
+<p>23.--Sortis à midi, nous sommes venus camper sur le revers d'une
+colline, à gauche de la route de Fribourg.</p>
+
+<p>26.--Partis à dix heures du matin pour venir camper dans la gorge de
+Fribourg. À une demi-lieue, sur la route, il y avait de grands hangars
+qui servaient de magasins pour l'armée impériale, et comme ils étaient
+vides, nous nous en sommes servis pour nous mettre à couvert. Notre
+arrière-garde s'est bien battue dans cette gorge, aux environs de
+Neustadt.</p>
+
+<p>28.--Partis à midi, nous sommes passés près des faubourgs de Fribourg;
+de suite nous avons été camper dans une gorge tenant à gauche de la
+route de Brisach. Notre position était près d'un couvent de religieuses,
+qui était dans le fond de la gorge.</p>
+
+<p>30.--Sortis le 30, à deux heures du matin, nous avons pris la route de
+Huningue. Vers huit heures du matin, notre arrière-garde a été attaquée
+par l'ennemi, près du faubourg de Fribourg. Au petit point du jour, on
+nous a mis en bataille derrière un village situé près la route de
+Huningue et au pied de la montagne de Fribourg. L'attaque du matin a
+duré toute la journée; en nous retirant, nous avons campé ce jour là
+dans la broussaille, le long de la montagne, à quatre lieues de la ville
+de Fribourg, sur la gauche de la route de Brisach.</p>
+
+<p>1er <i>brumaire</i>.--Nous avons pris la traverse dans les montagnes du
+marquisat du Brisgau, pays de Bade, tenant à la forêt Noire. Nous sommes
+venus camper sur les hauteurs d'une montagne à quatre lieues d'Huningue.</p>
+
+<p>2.--Nous avons fait un mouvement à huit heures du matin. Nous sommes
+venus camper dans le fond du vallon, à une demi-lieue du village. Nous
+étions divisés sur plusieurs points pour observer les manoeuvres de
+l'ennemi (mais en cas d'attaque, on se réunissait sur un point).</p>
+
+<p>8.--À cinq heures du matin, l'ennemi est venu nous attaquer sur
+différents points; en premier lieu nous avons repoussé l'ennemi; il nous
+a repoussé un instant après dans notre position où ils nous ont fait
+quelques prisonniers. On a soutenu longtemps dans le même endroit, mais
+comme ils avaient beaucoup d'artillerie dans une belle position sur la
+hauteur, qui leur donnait beaucoup d'avantages sur la nôtre, à peine
+pouvait-on trouver un emplacement pour se mettre. La pluie continuelle
+rendait le terrain très mouvant, et comme il y avait différentes
+collines à garder, dans des bois où l'on n'y voyait pas la moindre
+clarté, l'ennemi ne cherchant qu'à nous couper notre retraite sur
+Huningue (car sur la route de Brisach, le canon s'est fait entendre,
+comme sur notre colline, et je crois même encore plus fort), je dirai
+que le feu a été très soutenu de part et d'autre toute la journée; nous
+avons perdu quelques hommes, mais la plupart étaient des blessés. Nous
+avons exécuté plusieurs marches sur la droite et sur la gauche de la
+colline; une grande partie des bataillons étaient en tirailleurs,
+lorsque le soir est venu.</p>
+
+<p>On a cédé le village devant lequel nous étions. Je crois, si ce jour-là
+n'avait pas eu de nuit, que le feu n'aurait pas cessé. C'est l'obscurité
+qui a fait la fin de notre journée. La pluie a commencé avec l'attaque
+et a duré vingt-quatre heures; vers la fin, à peine la poudre
+voulait-elle prendre. On croirait peut-être comme on s'est battu toute
+la journée, que l'ennemi nous a poussés bien loin; eh bien, dans toute
+la journée nous avons reculé d'une demi-lieue; voilà tout le progrès de
+l'ennemi. Pour la perte des hommes, je crois qu'elle a été égale.</p>
+
+<p>À sept heures du soir, nous avons pris notre retraite. La route sur
+laquelle nous devions passer traversait le village que l'ennemi
+occupait, et, pour la rejoindre, il y avait plusieurs obstacles, mais
+tout de même il a fallu les franchir.</p>
+
+<p>3 <i>brumaire</i>.--À sept heures du soir, nous nous sommes mis en marche
+pour rejoindre la route: nous avons traversé un bois; de là, nous sommes
+descendus dans le fond d'une colline très profonde où nous avons trouvé
+une rivière qui avait environ quinze pieds de large et trois pieds de
+profondeur; cela n'a pas longtemps retardé notre marche (nous étions
+déjà percés de la pluie de la journée), nous avons franchi cet obstacle.
+Il se trouvait encore un petit ruisseau au pied d'une assez forte
+éminence qui était garnie de ronces et d'épines; il fallait y monter à
+quatre pattes; et bien des fois, étant presque en haut on retombait en
+bas. En haut on trouvait la route, mais une patrouille de sept cavaliers
+ennemis venait à notre rencontre. Aussitôt notre adjudant major, nommé
+Scherer, crie au premier: <i>Qui vive!</i>--Il répond dans sa langue:
+<i>Verda!</i>--Ledit adjudant lui dit: <i>Prisonnier!</i>--<i>Nix
+prisonnier.</i>--<i>Rends-toi, coquin!</i> lui dit-il.--<i>Nix coquin!</i> Aussitôt
+il pique des deux et va rejoindre ses camarades qui étaient encore plus
+avant dans la route. Aussitôt, ils sont revenus au grand galop et ont
+passé parmi nous, sans recevoir un coup de fusil, car les armes étaient
+si mouillées de toute la journée et du passage de la rivière, qu'elles
+ne pouvaient plus faire feu, et puis on n'y voyait pas clair. Dans la
+boue à mi-jambes, nous avons continué notre retraite, environ à deux
+lieues d'Huningue. Tout mouillés que nous étions et sans vivres, nous
+avons campé dans des sapins tout près de la route.</p>
+
+<p>4.--De cette position, à quatre heures du matin, nous sommes venus sur
+les hauteurs près de Lorrach pour camper. L'ennemi était sur nos traces
+et voulait passer avant nous le Rhin, mais comme le pont nous
+appartenait, nous avons voulu y passer avant eux.</p>
+
+<p>5.--Partis à minuit pour nous rendre près le pont d'Huningue vers cinq
+heures et demie du matin. Lorsque est venu notre tour, à huit heures du
+matin, nous avons passé le pont qui était construit de trente-sept
+grosses barques.--Je dirai que nous étions de la division du général
+Férino pendant la campagne de l'autre rive du Rhin. Pendant notre
+retraite, nous avons eu vingt jours de pluies continuelles.</p>
+
+<p>Lorsque nous avons eu repassé le Rhin, nous avons été nous reposer près
+le village de Bourgfeld, sur la route de Bâle et d'Huningue, pendant
+cinq heures. Le soir, nous avons été loger au Village-Neuf, sur le Rhin,
+à une demi-lieue à gauche d'Huningue. Pendant que nous étions sur
+l'autre rive du Rhin, on avait découvert les anciennes fondations d'un
+fort qui était sur le bord du Rhin et près le territoire de Bâle, on
+avait relevé l'ouvrage à cornes et le fort où on avait mis de fortes
+pièces pour défendre la tête du pont. Cet ouvrage était enclos d'un bon
+fossé plein d'eau; on avait aussi commandé une forte redoute en avant
+d'Huningue, pour défendre l'approche du fort nouvellement
+construit.--Ces ouvrages ont retenu la colonne autrichienne pendant tout
+l'hiver<a id="footnotetag51" name="footnotetag51"></a>
+<a href="#footnote51"><sup class="sml">51</sup></a>.</p>
+
+<p>Comme nous voilà rentrés en France, et que l'ennemi ne nous poursuit
+plus, je vais faire un petit détail sur le costume des deux sexes du
+Brisgau et de la Forêt-Noire.</p>
+
+<p>La situation des habitants de la frontière est très simple, et ils
+vivent contents dans leurs petites chaumières; le bois ne manque pas,
+mais, pour la terre, elle n'y est pas bien commune: ils en ont quelque
+peu sur le sommet de quelques hautes montagnes, où ils sèment du seigle
+avec un peu de blé; dans la vallée, ils plantent des pommes de terre. Le
+pâturage y est assez frais, aussi ils ont presque tous des vaches. Les
+maisons ne sont pas bien épaisses et construites en bois; lorsqu'un père
+de famille marie ses enfants, il leur construit des petites maisons aux
+environs de la sienne; mais ils font cela quand la famille ne peut plus
+tenir dans la maison paternelle.</p>
+
+<p>C'est un vrai désert, aussi le monde qui l'habite est aussi brute que
+sont leurs habitations; la plupart n'ont aucune éducation; comme la
+nature les a créés, ils restent. Les hommes sont habillés grossièrement,
+ils portent sur la tête un petit chapeau de paille, des cheveux courts
+et tout hérissés; leurs chemises de toile très forte sans cols, car on
+ne leur voit jamais rien autour du cou. Leur culotte, très large avec
+des plis tout autour qui leur font des genoux gros comme la tête, est
+froncée comme une bourse. Ils ne portent rien aux jambes, et aux pieds
+ils ont des souliers aussi durs que du bois; les semelles ont deux
+doigts d'épais, et bordées de gros clous tout autour. Ils ont des gilets
+qui leur tombent au milieu des cuisses; des habits moins courts qui se
+boutonnent tout le long; et les poches battent au bas du ventre. Cet
+habillement est tout en toile, la plupart du temps tout noir; aussi ils
+ressemblent à des charbonniers. Les femmes et les filles ont pour
+coiffure un petit chapeau de paille à quatre cornes, comme une espèce de
+<i>carquelin</i><a id="footnotetag52" name="footnotetag52"></a>
+<a href="#footnote52"><sup class="sml">52</sup></a>. Elles portent leurs cheveux en deux tresses tirées très
+près de la tête, qui est grosse comme celle d'un veau de deux mois; une
+encolure de même; leur gorge est parée par une grosse chemise, brodée
+d'une grosse dentelle, avec un corset rouge où sont enfermés des appas
+très gros, qu'elles fagottent comme un fagot. Les jupes qu'elles portent
+sont de différentes couleurs: elles en mettent trois, la plus grande ne
+passe pas les genoux, la deuxième un peu plus haut, la troisième va au
+bas du nombril; elles sont brodées chacune d'une tresse large de
+différentes couleurs. Le plus souvent elles vont toutes déchaussées;
+elles ont des souliers hauts avec de forts clous. Leur nourriture est le
+lait, le lard et la choucroute. Nous avons logé dans leurs maisons en
+allant sur le lac de Constance; ils avaient toujours les yeux sur nous,
+parce que nous étions costumés différemment qu'eux.</p>
+
+<p>Dans le Brisgau, le peuple n'est pas si grossier, ni le costume non
+plus; la terre y est plus fertile et il y a encore du beau seigle, mais
+la mode du costume n'est guère différente.</p>
+
+<p>6 <i>brumaire</i>.--Sortis du Village-Neuf, à midi, pour venir cantonner au
+Grand-Kembs, village situé à une demi-portée de fusil du Rhin, à trois
+lieues à gauche d'Huningue, sur la route. Pendant notre retraite, nous
+avons eu vingt jours de pluie continuelle.</p>
+
+<p>14.--Sortis du Grand-Kembs pour appuyer à gauche à huit heures du matin,
+nous avons logé à Sausheim, le 15, à Blodelsheim; le 21, avec quatre
+compagnies, cantonné à Fessenheim. Ces villages sont entre Huningue et
+Brisach, sur la route suivant le Rhin.</p>
+
+<p>25.--Partis de Fessenheim pour venir cantonner à Biesheim, tout le
+bataillon. Ce village est à une demi-lieue de Brisach, à gauche.</p>
+
+<p>7 <i>frimaire</i>.--Partis de Biesheim, à onze heures du matin, pour
+Witternheim, à sept lieues de Strasbourg et à deux lieues du Rhin.</p>
+
+<p>11.--Sortis de Witternheim, nous sommes venus loger à Nordhausen, à
+quatre lieues de Strasbourg.</p>
+
+<p>12.--Sortis à deux heures du soir pour nous rendre au fort de Kehl. Là,
+nous avons relevé la 31e demi-brigade qui était campée à gauche du fort,
+dans une île du Rhin. La 31e nous a relevés au bout de trois jours: de
+sorte que tous les trois jours, nous nous relevions, jusqu'à l'époque du
+30 frimaire, où nous avons commencé à nous relever tous les quatre jours
+parce que le froid n'était plus si dur. Mais aussi, plus on se relevait
+souvent, plus on perdait de monde, car l'ennemi tirait sans cesse, nuit
+et jour; cela semblait un orage.</p>
+
+<p>Lorsqu'on était relevé, on allait passer autant de jours dans le village
+de Bischheim; il y avait deux lieues de chemin pour passer sur le pont
+et gagner notre camp qui était à deux lieues de Strasbourg, à gauche.</p>
+
+<p>9 <i>nivôse</i>.--Le général a fait assembler les officiers de notre
+bataillon qui était le premier, et les a conduits sur la droite de Kehl
+pour leur faire voir le retranchement de l'ennemi que nous devions
+enlever pendant la nuit. Les dits officiers ont pris les mesures
+nécessaires pour conduire leurs compagnies sur le terrain, et
+s'acquitter de cette besogne. Tous les obstacles étaient prévus; ils ont
+prévenu leurs compagnies de ce qu'elles avaient à faire pendant la nuit.
+On a fait la distribution de nouvelles cartouches et pierres à feu; et
+de suite une ration d'eau-de-vie par chaque homme, à minuit. Dans ce
+moment, on a assemblé les compagnies dans le plus grand silence, et le
+bataillon s'est mis en route sur-le-champ pour aller sur le terrain qui
+était à une demi-lieue de notre camp, à la droite du fort, où nous
+sommes arrivés à deux heures du matin. Étant vis-à-vis le retranchement
+que nous devions prendre, on nous a formés en bataille à une portée de
+pistolet, on nous a fait porter à droite et, dans le même moment, on a
+fait front et on s'est porté sur le retranchement de l'ennemi en
+exécutant un feu de peloton; on le leur a pris sans beaucoup de
+résistance de leur part, et on leur a fait quelques prisonniers. Pour le
+nombre des blessés et des morts, on ne l'a su que par des déserteurs qui
+ont rapporté qu'ils avaient eu dans cette affaire environ 400 hommes
+hors de combat.</p>
+
+<p>Nous nous sommes retirés sans y être forcés; nous sommes venus derrière
+nos retranchements: nous avons laissé les lieux tels que nous les avions
+trouvés. Notre bataillon a perdu dans cette affaire quarante-huit hommes
+tant tués que blessés. Ceci a eu lieu le 10, à trois heures du matin et
+nous sommes rentrés dans notre camp à six heures et demie du matin. Nos
+deux autres bataillons ont fait la même chose les jours suivants, mais
+avec moins de pertes.</p>
+
+<p>Nous avons continué le service de cette place jusqu'au 20 nivôse, où
+nous avons été relevés à quatre heures du matin. Car depuis que les
+Autrichiens nous avaient pris un camp retranché qui était à la droite du
+fort, leur mitraille mettait en pièces tout ce qu'ils voyaient sur le
+pont dès la pointe du jour. Ils ont fait un feu avec leurs canons que la
+terre en tremblait. Entre sept et huit heures du matin, il y avait
+quatre barques de brisées à notre pont. Dans ce moment, il est venu un
+parlementaire au général qui commandait le fort et le sommait d'évacuer.
+Les généraux se sont assemblés, et se voyant dans l'impossibilité de
+conserver ledit Kehl plus longtemps sans y perdre bien du monde, à cause
+des canons de notre ennemi, sont convenus qu'on allait évacuer le fort.
+Cela s'est fait dans les vingt-quatre heures, du 20 au 21 nivôse; et les
+troupes de l'empereur en ont pris possession suivant les arrangements
+convenus entre les deux puissances. En sortant de Kehl, nous sommes
+venus loger dans nos campements ordinaires qui étaient à Bischheim.</p>
+
+<p>Je dirai que ce siège nous a donné bien de la peine. La rigueur de
+l'hiver semblait seconder nos maux; la neige, la pluie glacée venaient
+s'appesantir sur notre léger habillement, et c'était là le temps qu'il a
+fait pendant ce siège. Nous devrions être bien habitués au froid; nous
+étions campés sur le sable et nous ne pouvions pas avoir de bois pour
+faire notre soupe; nous arrachions quelques petites racines du sol qui
+nous faisaient plutôt de la fumée que du feu; vraiment c'était misère et
+compassion<a id="footnotetag53" name="footnotetag53"></a>
+<a href="#footnote53"><sup class="sml">53</sup></a>. Nos prêts étaient arriérés de plusieurs mois et nous ne
+recevions pas un sou.</p>
+
+<p>C'est pendant cette quarantaine que le vrai républicain s'est distingué,
+en y tenant son rang avec bravoure, malgré le temps rigoureux de la
+saison d'hiver et la misère qui nous poignardait de tous côtés. Oui,
+beaucoup de citoyens le diront comme moi, sans se compromettre, que
+c'est dans ce poste d'honneur que l'on a pu connaître les vrais soldats,
+et l'amour qu'ils avaient pour le maintien de leur pays. L'endroit était
+périlleux. Un peu de pain glacé était là toute notre nourriture, cet
+endroit ne permettait pas d'y trouver du bois pour pouvoir un peu
+réchauffer nos pauvres membres tous navrés de froid au bivouac.</p>
+
+<p>Pour nous, pauvres héros, les habillements et les chaussures manquaient
+depuis très longtemps, sans pouvoir en avoir; et la plupart de nous
+n'ayant pas d'argent pour s'aider d'aucune manière; car il y avait trois
+mois qu'on n'avait touché de solde.</p>
+
+<p>Après avoir fait mention de nos généreux guerriers, je parlerai de ceux
+qui ont, dans ce moment, abandonné si lâchement leurs drapeaux pour
+retourner dans leurs foyers. Ils ont profité du moment où leur patrie
+avait le plus besoin de leurs services pour exécuter leurs projets. Ce
+ne sont pas les plus misérables soldats qui ont agi de la sorte; c'est
+ceux qui avaient tenu une conduite de brigands de l'autre côté du Rhin,
+qui avaient pillé et assassiné des hommes paisibles dans leurs foyers.
+Ils avaient de l'argent dans les mains, c'est pourquoi ils ont fui
+devant l'ennemi. Mais ces lâches ont été bien peu regrettés, on a
+regardé cela comme du venin qui sortait du corps d'un homme qui était
+empoisonné, et ils se sont rendus indignes du nom français, et de
+l'estime de leurs camarades. Je sais qu'il n'y a pas beaucoup de
+citoyens soldats qui ne désirent retourner au centre de leurs familles,
+mais enfin ce sera-t-il en quittant nos drapeaux et en nous sauvant
+comme des brebis égarées, que nous soumettrons à la paix des hommes
+orgueilleux.</p>
+
+<p>Ils savent bien qu'elle leur serait utile, cette paix, mais la
+demanderont-ils en voyant la désunion dans nos troupes? Non! Je crois
+qu'il n'y a que l'union et la fermeté dans nos entreprises qui les
+forcera à nous demander la paix.</p>
+
+<p>C'est dans le courant du mois de frimaire, an V de la République, que
+les désertions pour l'intérieur de la France étaient fréquentes dans
+l'armée de Rhin-et-Moselle.</p>
+
+<p>Kehl était une belle petite ville, très commerçante; pendant le siège
+elle a été rasée de fond en comble; des bourgeois y étant venus, ne
+reconnaissaient pas l'emplacement de leurs maisons.</p>
+
+<p>Nous avons entretenu l'armée autrichienne pendant une partie de l'hiver,
+où elle a épuisé une partie de ses forces. Ce siège a été soutenu par
+notre armée pour favoriser la prise de Mantoue qui était bloquée par
+l'armée d'Italie, il y avait déjà longtemps, et le prince Charles n'a pu
+lui porter du secours.</p>
+
+<p>24 <i>nivôse</i>.--Nous sommes partis de nos cantonnements des environs de
+Strasbourg à sept heures du matin; nous avons été loger au village
+d'Obenheim, situé à cinq lieues de Strasbourg.</p>
+
+<p>25.--Sortis à quatre heures du matin pour loger au village de Bootzheim,
+à quatre lieues de Brisach.</p>
+
+<p>29.--Partis à onze heures du matin pour aller prendre notre rang de
+bataille à Artolsheim, village à quatre lieues de Brisach, à gauche sur
+la route. Étant dans ces cantonnements, nous bordions le Rhin.</p>
+
+<p>25 <i>pluviôse</i>.--Partis pour aller à Sundhausen, village à une lieue du
+Rhin, sans y faire de service.</p>
+
+<p>5 <i>ventôse</i>.--Sortis pour aller au village de Westhausen. C'était un
+commissaire du pouvoir exécutif du canton qui nous y avait fait aller,
+soi-disant qu'il ne voulait pas payer ses contributions. Ce village est
+situé à une demi-lieue de Benfeld, à gauche, près la route de
+Strasbourg.</p>
+
+<p>6.--Partis à huit heures pour retourner dans notre cantonnement, à
+Sundhausen.</p>
+
+<p>10.--Partis à cinq heures du matin pour cantonner au village
+d'Artzenheim, à une lieue de Markolsheim sur le Rhin.</p>
+
+<p>17.--Partis, nous avons été loger à Biesheim, village à une demi-lieue
+de Brisach, où tout le bataillon était réuni. Nous sommes partis le 19
+pour nous rendre à Wihr, village situé à trois quarts de lieues de
+Colmar.</p>
+
+<p>22.--Sortis de Wihr pour loger à Colmar. Pendant notre séjour dans cette
+ville nous avons passé la revue du général Schauenbourg, qui était pour
+le moment inspecteur général de toute l'infanterie de Rhin-et-Moselle.
+Nous avons été cinq jours pour la passer. Le 23, au soir, chaque
+capitaine a été placé par son ancienneté de grade dans chaque bataillon;
+de sorte que la compagnie de Mondragon, qui était la cinquième du 1er
+bataillon, est devenue la troisième du 2e; les autres jours se sont
+passés à faire les grandes manoeuvres, avec la 56e demi-brigade.</p>
+
+<p>27.--Partis pour aller cantonner à Wettolsheim, derrière Colmar, au pied
+des montagnes. Étant dans ce village, nous avons été faire deux fois les
+grande manoeuvres avec la 56e demi-brigade, dans les prés près de Colmar.
+Le 3 germinal, nous avons fait l'exercice à feu, les deux demi-brigades
+ensemble; chaque soldat avait quinze coups à tirer. Après ces grandes
+manoeuvres on est rentré dans ses cantonnements.</p>
+
+<p>5 <i>germinal</i>.--Logé à Reguisheim, village situé à trois quarts de lieue
+de Ensisheim, à gauche.</p>
+
+<p>6.--Cantonné à Blodelsheim pour faire le service sur le Rhin; ce village
+est à trois lieues de Brisach.</p>
+
+<p>27 <i>germinal</i>.--Partis de Blodelsheim le 27 germinal pour passer le
+Rhin. Les postes sur le bord du Rhin de tous nos cantonnements n'ont pas
+été relevés: on les a laissé tels qu'ils étaient, et on a pris la route
+en arrière du Rhin. Nous avons été loger le même jour à Sainte-Croix, à
+cinq lieues du Rhin; le 28 à Merckviller; le 29 à Châtenois, bourg dans
+la montagne, près de Schelestadt; le 30 à Nordhausen.</p>
+
+<p>1er <i>floréal</i>.--Nous sommes arrivés à Kilstett: endroit désigné pour le
+rassemblement de l'armée de Rhin-et-Moselle. Nous avons campé en
+arrivant dans une île près le Rhin, sur la droite du village. La nuit du
+1er au 2, à quatre heures du matin, nous avons reçu les ordres de passer
+le Rhin. Dès le 1er floréal, on avait inquiété l'ennemi dans différents
+endroits sur le Rhin, afin qu'il ne se doute pas dans quel endroit on
+devait passer, ce qui a rendu notre passage plus aisé à exécuter, et
+avec moins de pertes. Nous avons donc, malgré la grande résistance d'une
+colonne autrichienne, passé le Rhin à quatre heures du matin, le 2
+floréal.</p>
+
+<p>Étant parvenus sur l'autre rive, et l'ennemi s'étant retiré dans
+plusieurs îles du Rhin, favorisé par des bois très épais, on a disputé
+pendant deux jours avec une intrépidité incroyable. Mais, après un si
+long combat, l'ennemi a été forcé d'abandonner ses positions, après
+avoir éprouvé des pertes considérables, tant blessés que tués ou
+prisonniers; ils ont été en déroute complète.</p>
+
+<p>Nous avons aussi éprouvé quelques pertes à ce passage; entre autres deux
+généraux de blessés<a id="footnotetag54" name="footnotetag54"></a>
+<a href="#footnote54"><sup class="sml">54</sup></a>. Mais les soldats républicains qui n'ont point
+succombé sous les coups de l'ennemi, ont su se venger du malheur arrivé
+à leurs frères d'armes; on leur a fait voir que si on était moins en
+nombre, on n'était pas moins en courage.</p>
+
+<p>3 <i>floréal</i>.--Ils ont abandonné le Rhin à cinq lieues, en nous laissant
+une partie de leur artillerie et bagages; et sans les bois qui
+favorisaient leur retraite, toute la colonne serait tombée en notre
+pouvoir.</p>
+
+<p>Ce passage a été exécuté en plein jour et de vive force, l'ennemi étant
+rangé en bataille sur l'autre rive. On lui a enlevé 20 pièces de canon,
+plusieurs drapeaux et fait de trois à quatre mille prisonniers, parmi
+lesquels deux généraux<a id="footnotetag55" name="footnotetag55"></a>
+<a href="#footnote55"><sup class="sml">55</sup></a>.</p>
+
+<p>Le fort de Kehl, devant lequel le prince Charles avait épuisé ses
+forces, a été repris par les Français après une résistance de quelques
+heures de la part de l'ennemi<a id="footnotetag56" name="footnotetag56"></a>
+<a href="#footnote56"><sup class="sml">56</sup></a>.</p>
+
+<p>Pendant que le vainqueur de l'Italie stipulait les articles
+préliminaires de la paix, les armées des généraux Hoche et Moreau
+chassaient l'ennemi partout où il osait lui disputer le terrain.</p>
+
+<p>4 <i>floréal</i>.--À quatre heures du soir, nous avons été devant la ville
+d'Offenbourg, où nous sommes arrivés à onze heures du soir.</p>
+
+<p>À huit heures du matin, le général Bonenfant a reçu une lettre du
+général de division, qui était pour annoncer à ses frères d'armes qu'une
+armistice était conclue avec l'armée autrichienne, et que dès ce jour
+les hostilités devaient cesser entre les deux armées; mais qu'on
+garderait toujours ses postes tels qu'ils étaient établis, jusqu'à ce
+que la paix fut conclue.</p>
+
+<p>Ce jour-là, on a reçu l'ordre de cantonner les troupes, et vers les cinq
+heures du soir, nous sommes sortis du camp devant Offenbourg, pour aller
+cantonner dans les villages aux environs, à droite. Notre deuxième
+bataillon était au village de Weier, à une lieue.</p>
+
+<p>6.--Sortis à cinq heures du matin pour camper en avant, à Offenbourg.</p>
+
+<p>7.--Partis à neuf heures du matin pour cantonner dans les hameaux de la
+Forêt-Noire, à deux lieues à gauche d'Offenbourg.</p>
+
+<p>9.--Partis à cinq du matin pour venir au village de Odelshofend, à une
+lieue en avant de Kehl. Tout le temps que nous avons été dans ce
+village, on allait démolir les retranchements que les Autrichiens
+avaient construits pour le siège du fort de Kehl; ces travaux étaient
+immenses; ajoutés l'un au bout de l'autre, il y en aurait eu quinze
+lieues de long. Nous avons cédé la place à une autre demi-brigade,
+chacun y faisant son tour.</p>
+
+<p>20.--Logé à Ortenberg, à une lieue en avant d'Offenbourg.</p>
+
+<p>23.--Cantonné à Ottenheim, à un quart de lieue du Rhin et à deux lieues
+de la petite ville de Lahr appartenant au Margraviat. Cette principauté
+était neutre depuis l'an IV ou 1796.</p>
+
+<p>1er <i>prairial</i>.--Partis à quatre heures du matin pour nous rendre
+vis-à-vis Rhinau pour y passer le Rhin sur un pont volant qui était
+rétabli. C'est là que la demi-brigade s'est réunie, et en même temps a
+passé le Rhin; elle a été loger à Herbsheim près le bourg de Benfeld, à
+quatre heures de Strasbourg.</p>
+
+<p>2.--Cantonné au village de Roderen, à deux lieues de Schlestadt, au pied
+des montagnes.</p>
+
+<p>3 <i>messidor</i>.--Sortis pour aller en garnison à Neuf-Brisach et cantonner
+sur les bords du Rhin; en y allant nous avons logé à Wihr, village à une
+lieue de Colmar.</p>
+
+<p>4.--Partis à sept heures du matin, nous sommes venus loger à Biesheim,
+grand village à une demi-lieue de Brisach. Nous sommes entrés cinq
+compagnies du deuxième bataillon et cinq du premier en garnison à
+Brisach.</p>
+
+<p>Le 5 messidor, à dix heures du matin, la fourniture de notre casernement
+n'était pas bien brillante: c'était de la paille sur le pavé et quelques
+couvertes.</p>
+
+<p>5 <i>thermidor</i>.--Étant dans cette ville, nous avons célébré la fête de
+l'anniversaire de la révolution. La fête a commencé à six heures du
+matin. On a battu <i>la générale</i> dans toute la ville; à six heures et
+demie <i>l'assemblée</i>; ensuite le <i>rappel</i>. Il a été envoyé un détachement
+de canonniers aux pièces, près la porte de Strasbourg. Toute la garnison
+a pris les armes, ainsi que la garde nationale, et tous se sont rendus
+sur la place pour former le carré, en face de l'autel de la patrie,
+qu'on avait construit la veille du côté de la porte de Bâle. Le cortège
+est arrivé sur la place à sept heures: la marche était ouverte par un
+peloton de cavalerie de la garde nationale; ensuite, les tambours et la
+musique. Après, une compagnie de grenadiers de la garde nationale avec
+la nôtre; après, c'était notre colonel, le commandant de la place, la
+municipalité de Brisach et des villages voisins, décorés de leurs
+écharpes. Pour fermer la marche, c'était un peloton d'infanterie et un
+de cavalerie de la garde nationale. C'est au moment de leur entrée sur
+la place qu'on a tiré plusieurs coups de canon de siège. Une partie de
+nos officiers, les municipalités et plusieurs bourgeois de la ville sont
+montés sur l'autel de la patrie; y étant assemblés, un des membres y a
+fait un discours, qui rappelait entièrement la manière que la Révolution
+française avait eu lieu, et comment les prêtres et les émigrés s'y
+étaient pris pour faire une contre-révolution, que nous avions su
+déjouer, mais qu'il fallait être toujours ferme dans notre opinion de
+soutenir la nouvelle constitution. Ceci était les voeux de la garnison:
+nous n'avions pas fait tant de sacrifices pour abandonner notre patrie à
+de vils tyrans. Il faut cependant dire que la joie n'était pas générale,
+à cause des peines que nous souffrions. Cette fête était cependant
+glorieuse pour les Français, mais les soutiens de la patrie manquaient
+du plus strict nécessaire; le prêt était arriéré de plusieurs mois, on
+ne délivrait aucun vêtement, enfin nous manquions presque de tout. Ceci
+pouvait bien faire régner la mélancolie parmi les troupes; aussi la fête
+ressemblait à un enterrement. La fin du discours s'est terminé par:
+<i>vivre libre ou mourir!</i> et <i>vive la République!</i> Ces cris n'ont été
+répétés que par ceux qui étaient sur l'autel de la patrie; ensuite on a
+commencé l'hymne de la <i>Marseillaise</i> qui était répétée par notre
+musique, mais les voix n'étaient pas unanimes, et cela a fini.</p>
+
+<p>Le cortège a été reconduit de la même manière qu'il avait été amené, et
+la garnison est rentrée dans ses quartiers. À neuf heures du soir, le
+même jour, notre musique s'est rendue sur la place où elle a joué
+différents airs. Au même moment, les artificiers ont fait partir des
+feux en l'air et plusieurs marrons se sont fait entendre, et plusieurs
+autres fusées ont été envoyées parmi les spectateurs qui étaient sur la
+place. Ces dernières serpentaient parmi le monde, ce qui a donné le plus
+de divertissement de toute la fête; les femmes, qui sont ordinairement
+si curieuses, fuyaient à l'aspect de ces fusées, car elles craignaient
+que cela n'entrât sous leurs jupes. Après cela fait, les officiers de la
+garnison ont donné un bal pour finir la fête.</p>
+
+<p>11 <i>thermidor</i>.--Nous sommes sortis de Brisach à huit heures du soir
+pour aller cantonner à Ammerschwihr, village à trois lieues de Colmar, à
+gauche, au pied des montagnes. Nous y sommes arrivés à cinq heures du
+matin, le 12. Toute cette contrée était attaquée d'une grande maladie
+sur les bêtes à cornes, comme vaches et boeufs. Des villages étaient
+dépeuplés entièrement de ce bétail; on ne trouvait point de remède pour
+cette maladie, ce qui affligeait beaucoup les habitants et les
+cultivateurs. Toutes ces montagnes ne sont que des vignobles qui sont
+d'un grand rapport; il y a aussi beaucoup de fruits de toutes espèces.
+Dans le bas de ces villages, venant sur le Rhin, il y a de belles
+plaines, qui sont assez fertiles en toutes sortes de grains et en pommes
+de terre.</p>
+
+<p>10 <i>fructidor</i>.--Partis à quatre heures du matin pour nous rendre sur le
+Rhin, au village de Baltzenheim, à deux lieues de Brisach. Arrivés le
+même jour à dix heures du matin. Dans ce village, nous avons appris
+qu'on avait fait la découverte des conspirateurs du repos public et de
+la trahison de Pichegru<a id="footnotetag57" name="footnotetag57"></a>
+<a href="#footnote57"><sup class="sml">57</sup></a> qui avait commandé à l'armée du Nord, où il
+avait remporté de si brillantes conquêtes. Il voulait perdre dans un
+moment ce qui nous coûtait tant de peines; il voulait livrer nos places
+fortes aux Impériaux et à Condé, qui voulaient que ce fût lui seul qui
+fît la contre-révolution en France. Mais aussi la trahison de Pichegru a
+manqué, grâce à toutes nos armées qui avaient fait une pétition au
+Directoire exécutif, ce qui a ranimé les coeurs des bons républicains
+quand ils ont vu que les armées étaient encore pour le bon parti.</p>
+
+<p>Le 1er <i>vendémiaire</i> an VI.--Jour qui ne devait plus être consacré à la
+République, selon le complot des conspirateurs. Nous avons célébré avec
+beaucoup de pompe la fête de l'anniversaire de la fondation de la
+République. Voici le détail de la manière dont nous l'avons célébrée.</p>
+
+<p>Cette fête a été annoncée la veille au soleil couchant par une décharge
+d'artillerie de position, et le lendemain une pareille décharge a été
+faite au soleil levant. Vers les dix heures, la générale a été battue
+dans tous les endroits où il y avait de la troupe; chacun a pris les
+armes et s'est rendu sur la place de Brisach. Nos grenadiers étaient
+avec la garde nationale de Brisach qui était composée de deux compagnies
+et de deux pelotons de cavalerie. Notre musique et tous les tambours ont
+été ouvrir la marche du cortège qui était composé de généraux, chefs de
+brigade, officiers et autorités civiles de Brisach. La marche a été
+ouverte par un peloton de cavalerie, et, après, un peloton de
+grenadiers; ensuite les tambours et la musique. Puis une compagnie de
+chasseurs à pieds de la garde nationale, qui était formé de petits
+garçons de dix à douze ans très instruits, venait après. Puis, une
+soixantaine de jeunes citoyennes du même âge marchaient sur deux rangs;
+elles étaient vêtues en blanc, avec un ruban tricolore en écharpe et
+tenaient dans leurs mains des panetières, remplies de fleurs, de
+branches de chêne et d'olivier. Quatre petits garçons, aussi habillés de
+blanc, marchaient en tête et portaient entre eux une grosse couronne de
+chêne, de laurier et d'olivier surmontée d'un bonnet de liberté. Après,
+venaient les généraux, la municipalité, les commandants, les officiers,
+puis un peloton de grenadiers de ligne et la garde nationale; ensuite un
+assez grand nombre d'hommes de cinquante à soixante ans, armés de
+piques. Un peloton de cavaliers fermait la marche. Toute la troupe et le
+cortège s'est rendu dans cet ordre sur la place, devant l'autel de la
+patrie qui avait été établi le matin. Cet autel était construit par
+derrière avec des branches de chêne; il avait douze pieds de diamètre;
+les balustrades étaient couvertes de tapis de différentes couleurs; sur
+l'autel, étaient placés des vases remplis d'encens, avec la déesse au
+milieu. Sur le coin, devant l'autel étaient élevés des pilastres de
+marbre, après lesquels étaient attachés huit drapeaux blancs sur
+lesquels était peinte une urne renversée avec le bâton royal; sur
+d'autres était un capucin tenant dans une de ses mains une croix, et
+dans l'autre une torche ardente; sur le haut des pilastres étaient un
+drapeau tricolore et un bonnet de liberté.</p>
+
+<p>Les principaux membres du cortège sont montés sur l'autel, et un d'entre
+eux a fait un discours sur la fondation de la République, après quoi des
+jeunes citoyennes qui étaient assises devant l'autel ont chanté une
+hymne républicaine. Cela fait, les troupes ont défilé de la place pour
+se rendre sur les glacis de la ville, à droite de la porte de
+Strasbourg. À l'arrivée des troupes sur la place qui avait été désignée,
+plusieurs décharges d'artillerie ont été faites. Les troupes étant
+rangées en bataille, le général a fait mettre par divisions, en
+colonnes; puis il nous a fait un discours pour nous féliciter de notre
+bravoure et de notre intrépidité, en nous exhortant à continuer. C'est à
+ce moment qu'il a renouvelé son serment d'être fidèle à la nouvelle
+constitution; toute la troupe a aussi promis. De suite, il a fait
+déployer la colonne pour faire des feux de bataillons et de file; le
+canon faisait de même; chaque soldat avait douze coups à tirer. Après
+ces feux finis, toute la troupe est rentrée dans ses quartiers.</p>
+
+<p>À huit heures du soir, trois coups de canon ont été tirés. Un
+détachement armé de grenadiers s'est rendu près le feu d'artifice qui
+était entre le Vieux-Brisach et le Neuf. Sur les glacis, toute la troupe
+y a assisté sans armes, ainsi que toute la population de Neuf-Brisach et
+des environs. Ce feu d'artifice a duré une heure et demie. Le feu fini,
+chacun est rentré dans ses foyers. Pour célébrer cette fête, il y avait
+deux bataillons de notre demi-brigade, une compagnie d'artillerie
+légère, une compagnie ou deux de grosse cavalerie.</p>
+
+<p>Nous avons fait le service de la place de Brisach pendant quelque temps.
+Ceux qui étaient à la ville venaient relever ceux qui étaient dans les
+villages sur la rive du Rhin, et ceux des villages revenaient à la
+ville, car la garnison n'était pas bonne. De la paille sur le pavé et
+des couvertes servaient pour coucher; l'hiver il y faisait froid, et
+l'été c'était rempli de puces; mais, dans les villages, quoiqu'ils
+fussent pauvres, on y était encore mieux. Nous étions une compagnie par
+village selon le service qu'il y avait à faire sur le Rhin.</p>
+
+<p>17 <i>vendémiaire</i>.--Sortis de Baltzenheim pour aller en garnison à
+Brisach, nous y sommes arrivés à sept heures du matin. On nous a annoncé
+que l'armée de Sambre-et-Meuse et celle du Rhin-et-Moselle ne faisaient
+plus qu'une, qui se nommait armée d'Allemagne, commandée en chef par le
+citoyen Augereau.</p>
+
+<p>Détails de la fête qui a eu lieu le 30 vendémiaire an VI de la
+République française. Nous l'avons célébrée à Neuf-Brisach, en l'honneur
+du général Hoche, un des grands hommes que la République a perdus. Il
+est mort dans les environs de Paris<a id="footnotetag58" name="footnotetag58"></a>
+<a href="#footnote58"><sup class="sml">58</sup></a>.</p>
+
+<p>Cette fête de reconnaissance a été annoncée la veille par plusieurs
+décharges d'artillerie; le lendemain 30, à six heures du matin, une
+décharge d'artillerie s'est faite de quart d'heure en quart d'heure; les
+cloches de la ville ont été sonnées pendant une heure. À dix heures, les
+autorités civiles et militaires se sont assemblées et se sont rendues à
+la maison communale où tout le monde devait se réunir. Quand tout a été
+prêt, on s'est mis en marche; le cortège était ouvert par un détachement
+de cavalerie de la garde nationale, ensuite venaient les vieillards
+rangés sur deux rangs; le premier qui marchait à la tête portait une
+bannière sur laquelle était écrit: <i>Nos enfants suivront son exemple</i>.
+Marchaient après eux des jeunes femmes habillées de blanc, un crêpe en
+écharpe; un petit garçon de sept à huit ans portait une bannière, sur
+laquelle était écrit: <i>Il était bon père et bon époux</i>.--Après eux
+marchaient une quantité de jeunes filles de huit à onze ans, aussi
+habillées de blanc; elles portaient dans leurs mains des guirlandes de
+laurier et de chêne, et de petites corbeilles remplies de toutes sortes
+de fleurs. Après venait notre musique qui jouait des airs funèbres;
+après venait un char de triomphe attelé de deux chevaux gris-souris avec
+harnachements de deuil; aux quatre coins étaient placés quatre jeunes
+citoyennes âgées de onze à douze ans, bien mises, coiffées en cheveux,
+avec une guirlande de roses par dessus; un ruban très large, tricolore,
+mis en écharpe.</p>
+
+<p>Ces quatre citoyennes portaient chacune une bannière, sur laquelle on
+avait inscrit: 1e <i>Il allait être le Bonaparte du Rhin</i>; 2e <i>Immortel
+après sa destinée</i>; 3e <i>Il a inspiré la terreur aux rois.--Son ennemi
+fuit devant sa vaillance</i>.--Au milieu du char était placé en effigie le
+cercueil couvert d'un drap mortuaire; dans l'un des bouts était écrit:
+<i>ici git Hoche</i>. Son portrait était au bas de cet écriteau; au milieu
+dudit cercueil était placé un chapeau bordé en or, avec le panache
+tricolore qui est la coiffure de nos généraux. Les coins du drap
+mortuaire étaient portés par les quatre plus anciens de service, pris
+parmi les officiers et soldats indistinctement. Les estropiés qui se
+sont trouvés dans les dépôts, qui étaient à Brisach, suivaient le char.
+Ensuite, venaient les tambours voilés en noir, qui exécutaient de temps
+en temps des roulements sombres. Ensuite venaient les généraux, les
+officiers de la garnison et les autorités civiles; il y avait un
+détachement de cent hommes faisant la haie, et un détachement de
+grenadiers qui suivait le cortège sur deux rangs; le reste de la troupe
+était sans armes.</p>
+
+<p>Après avoir fait le tour de la ville en dedans, tout le cortège a été
+conduit à l'église; on a placé l'effigie de cercueil sur un autel de la
+patrie qui avait été préparé, et tout le tour était décoré de larmes. La
+musique a joué plusieurs airs funèbres. Puis on nous a fait le détail de
+la manière dont on avait fait l'enterrement à Paris, et comment toutes
+les communes de la République devaient célébrer une fête de
+reconnaissance pour le général Hoche. Ce discours fini, les jeunes
+citoyennes ont chanté plusieurs hymnes funèbres et républicaines. Puis
+notre chef de demi-brigade a fait un discours où il a rappelé plusieurs
+traits de bravoure du citoyen Hoche; ensuite la musique a joué à
+plusieurs reprises, pendant que toutes les jeunes citoyennes porteuses
+de guirlandes, de couronnes de laurier et de branches de chêne, les
+déposaient autour du cercueil et par-dessus. Ceci a été exposé plusieurs
+jours à l'église, et chacun s'est retiré dans ses logements.</p>
+
+<p>Dans le même temps, nous avons appris la paix avec l'empereur. C'était
+le 5 brumaire (27 octobre), par une lettre venant du Vieux-Brisach, qui
+avait été envoyée au commandant des troupes autrichiennes qui étaient
+pour le moment dans la principauté du Margraviat. Cette lettre disait
+que la paix était faite avec la République française depuis le 17
+octobre 1797<a id="footnotetag59" name="footnotetag59"></a>
+<a href="#footnote59"><sup class="sml">59</sup></a>. Nous l'avons appris de nouveau par les gazettes qui
+venaient de Paris le 12 brumaire.</p>
+
+<p>Cette paix nous a été publiée le 25 brumaire (15 novembre), à dix heures
+du matin, à Neuf-Brisach. On n'a fait aucune réjouissance pour le
+moment; la fête a été remise au 30 nivôse, elle s'est célébrée avec
+toute la pompe possible, selon les préparatifs.</p>
+
+<p>1er <i>frimaire</i>.--Partis de Brisach pour nous rendre dans nos
+cantonnements sur la ligne du Rhin; notre compagnie était toujours à
+Baltzenheim.</p>
+
+<p>1er <i>nivôse</i>.--Partis de nos cantonnements pour nous rendre à
+Neuf-Brisach pour relever nos quatre compagnies.</p>
+
+<p>25.--Partis de Brisach, le 25 nivôse, pour nous rendre à Strasbourg,
+toute la demi-brigade. Nous avons logé en y allant, le 25, à
+Schelestadt; le 26 à Erstein, le 27 à Strasbourg; là on a reçu des
+ordres pour aller cantonner dans des villages à trois ou quatre lieues
+de Strasbourg, sur la gauche; le 28, nous avons été chacun dans les
+villages qui nous étaient désignés; notre compagnie était à Kirchheim, à
+trois lieues de Strasbourg.</p>
+
+<p>6 <i>pluviôse</i>.--Sortis de ce village pour aller cantonner au village
+d'Herrlisheim, sur la route de Lauterbourg. Je remarquerai que c'est le
+1er pluviôse qu'on nous a retiré notre viande, quoique nous eussions six
+décades de prêts arriérés, mais cela n'a pas duré longtemps car nous
+sommes bientôt rentrés en campagne.</p>
+
+<p>11 <i>pluviôse</i>.--Partis d'Herrlisheim pour aller à Strasbourg. Le
+lendemain de notre arrivée, le général Schauenbourg a rassemblé les
+officiers et sous-officiers de plusieurs demi-brigades, et nous a fait
+faire la grande manoeuvre.</p>
+
+<p>13.--Il est venu des ordres pour marcher vers la Suisse; nous sommes
+partis tout de suite; nous avons logé à Hüttenheim, près de Benfeld; le
+15 à Schlestadt; le 16 à Oberhergheim, village entre Colmar et
+Ensisheim; le 17 à Baldersheim à une lieue et demi à droite d'Ensisheim,
+sur la route de Bâle. Le 18 à Rantzwiller, en arrière et près de
+Sierentz, dans la vallée d'Altkirch; le 19 à Suënaï? village dans la
+colline du mont Terrible, à trois lieues de Reinach, à droite, et à
+quatre lieues de Delémont; le 20 à Viques dans la plaine de Delemont; le
+21 à Eschert, petit hameau situé à trois lieues de Delemont, et à une
+demi-lieue de Moutier. Pour arriver dans cette colline, nous avons
+traversé deux lieues de montagnes de roche à perte de vue. Ces endroits
+sont habités et forment plusieurs petites communes. On avait donné la
+liberté à cette vallée quelques mois avant que les Français y aient été
+cantonnés, ils étaient autrefois alliés avec les Suisses; ils ferment la
+frontière du canton de Soleure. Cette vallée a aussi appartenu au prince
+du Porontruy; on y parle un patois que nous comprenions assez. Leurs
+maisons sont toutes construites en bois, en grande partie; tout leur
+commerce est en boeufs, vaches, chevaux; ils ont très peu de terres
+labourables. Comme les hameaux n'étaient pas bien grands, ils logeaient
+une compagnie.</p>
+
+<p>Nous sommes partis d'Eschert le 3 ventôse pour nous rendre à Moutier,
+chef-lieu de canton et faisant partie du département du Mont-Terrible;
+une partie de notre compagnie a été détachée à Belpraon, hameau près de
+ces cantonnements. Le 5, à huit heures du matin, nous avons été loger à
+Soncelboz, village où nous avons eu bien de la peine à arriver, car il y
+avait trois jours qu'il tombait de la neige, et ce jour-là il en est
+tombé toute la journée, de sorte que nous en avions jusqu'aux genoux.
+Dans le même village, il y avait deux années de suite que la grêle avait
+tout ravagé.</p>
+
+<p>8.--Partis pour aller à la Hutte, (tous ces villages sont dans la même
+vallée, sur la route de Bienne.) En allant à la Hutte, nous avons passé
+sous la Roche-Percée. La Hutte était le lieu où notre demi-brigade s'est
+rassemblée avant d'aller attaquer les Suisses. La vallée que nous
+quittions se nommait l'Erguel; notre colonne en portait le nom jusqu'au
+moment où elle entrait en Suisse.</p>
+
+<p>Partis de la Hutte le 9 à cinq heures du soir, nous avons suivi la route
+de Bienne. Nous avons été camper à trois lieues sur la gauche du dit
+Bienne, entre la route de Bienne et Soleure et à gauche de la rivière
+nommée l'Aar, à une demi-portée de fusil du village de Lengnau où
+étaient les avant-postes suisses. Les mesures étaient prises pour
+attaquer les Suisses à trois heures du matin le 10 ventôse; mais
+l'attaque n'a pas eu lieu. Les généraux suisses ont fait une demande au
+général Schauenbourg qui commandait l'armée française en Suisse, de leur
+accorder une suspension d'attaque pour vingt-quatre heures, et elle a
+duré jusqu'au 12, lequel jour on les a attaqués.</p>
+
+<p>12 <i>ventôse</i>.--L'attaque a commencé à quatre heures du matin; leurs
+avant-postes, qui étaient établis au village de Lengnau, ont été
+enlevés. L'armée, qui était dans le canton, n'a pu résister à l'ardeur
+de la colonne républicaine: leur artillerie a été enlevée de prime
+abord; car l'attaque a été vive de notre part. Dans ce combat, plusieurs
+Suisses ont perdu la vie, et la plus grande partie était des pères de
+famille: ceux auxquels j'ai parlé, qui n'avaient que la cuisse ou les
+jambes fracassées, regrettaient les épouses et les enfants qu'ils
+avaient laissés dans leurs maisons pour venir exposer leur vie sur les
+frontières.</p>
+
+<p>Notre camp était à trois lieues de la capitale de ce canton, qui est
+Soleure. Quoique fortifiée, elle s'est vu forcée de se rendre à
+l'arrivée de notre colonne, sans tirer un coup de canon, quoique ses
+remparts en soient bien garnis. Nous sommes entrés à Soleure entre dix
+et onze heures du matin, le 12 ventôse. Nous sommes restés deux
+bataillons de notre demi-brigade pendant que notre colonne a défilé. Le
+premier soir nous avons été bivouaquer sur les remparts jusqu'au
+lendemain à quatre heures du soir, où nous sommes rentrés dans nos
+logements chez les bourgeois. Nous y avons été reçus on ne peut pas
+mieux. Notre troisième bataillon a été camper sur la route de Lucerne,
+près d'un village, à une portée de canon de la ville, pendant que la
+colonne marchait sur Berne.</p>
+
+<p>Étant dans la ville de Soleure, le général Schauenbourg a fait rendre
+les armes à tous les bourgeois de la ville et à tous les habitants de ce
+canton. Il arrivait tous les jours des voitures chargées de fusils, de
+gibernes et de toutes sortes d'armes, que l'on plaçait dans l'arsenal
+pour être de suite envoyées en France.</p>
+
+<p>On a trouvé dans cette ville un arsenal assez bien garni de différentes
+armes, une quantité de bouches à feu en bronze qui avaient été fondues à
+Strasbourg; beaucoup de belle poudre de deux qualités. Cette ville est
+assez grande, il y a de belles rues, mais il y a plusieurs hauteurs qui
+déparent un peu leur beauté. Elle renferme beaucoup de marchands de
+toutes sortes. La construction des maisons est fort belle et assez
+élevée.</p>
+
+<p>J'ai remarqué sur la place où nous avons planté l'arbre de la liberté,
+une horloge dont le cadran portait les douze mois de l'année, et les
+signes de chacun. Lorsqu'ils arrivaient, la touche se posait dessus, et
+il y avait un autre petit cadran qui marquait les heures. Au moment où
+le marteau frappait, il y avait la mort qui tenait une lampe dans sa
+main gauche, elle faisait un tour et de même remuait la tête. De l'autre
+côté, il y avait une espèce d'homme, qui avait du repentir, car à chaque
+coup que le marteau frappait, il frappait un coup sur sa poitrine de sa
+main droite. C'était un guerrier, car il avait le sabre. Au côté, entre
+les deux, était un vieillard avec une grande barbe noire; il ouvrait la
+bouche à chaque coup; et tenait de sa main gauche le bâton royal qu'il
+balançait de tous les côtés.</p>
+
+<p>La rivière de l'Aar passe Soleure, et la partage en deux parties
+inégales.</p>
+
+<p>Nous sommes sortis un bataillon de la ville. Comme elle n'était pas
+assez considérable pour contenir deux bataillons, notre bataillon a été
+cantonné dans les environs de la ville, dans les villages. C'était le 20
+ventôse que chaque compagnie a été prendre les cantonnements qui leur
+étaient désignés, mais toujours dans le même canton. Je citerai
+seulement les endroits où je me suis trouvé.</p>
+
+<p>Notre compagnie était cantonnée à Subingen, village à une lieue et demie
+de Soleure, sur la route qui conduit de Soleure à Lucerne, de l'autre
+côté de l'Aar. Nous avons changé plusieurs fois de cantonnements, dans
+le même canton. Sortis de Subingen le 2 germinal pour cantonner au
+village d'Aschi? et à deux lieues et quart de Soleure.</p>
+
+<p>8 <i>germinal</i>.--Nous sommes partis pour aller cantonner à Langenthal,
+bourg situé à une demi-lieue des frontières du canton de Lucerne et à
+dix lieues de Berne. J'ai été voir un couvent de Bernardins qui était
+sur les frontières du canton de Lucerne, où j'ai parlé un peu du couvent
+de Clairvaux; il était du même ordre de Citeaux.</p>
+
+<p>Étant dans ce cantonnement, nous avons été à Soleure pour y faire
+l'exercice à feu. Nous avons couché le 29, en y allant, à Nider-Bipp,
+village dans le canton de Berne, sur la route de Bâle.</p>
+
+<p>30 <i>germinal</i>.--Nous nous sommes rendus à Soleure; là nous avons fait
+l'exercice à feu pendant trois heures; nous étions cinq bataillons, de
+l'artillerie et de la cavalerie; c'était le général Schauenbourg qui
+commandait. Après l'exercice fini, chacun est retourné volontiers dans
+ses cantonnements.</p>
+
+<p>6 <i>floréal</i>.--Sortis de Langenthal à six heures du matin pour aller à
+Zurich, nous avons logé en y allant à Olten, ville dans le canton de
+Soleure, sur l'Aar, où différentes routes se trouvent pour Bâle, Zurich,
+etc. Je dirai que lorsque nous sommes entrés dans ce canton, les Suisses
+avaient brûlé un superbe pont qui traversait l'Aar pour entrer à la
+ville de Halte; on était à le rétablir lorsque nous y avons logé.</p>
+
+<p>7 <i>floréal</i>.--Partis de Olten à cinq heures du matin, nos fourriers ont
+été comme de coutume pour nous préparer nos logements. Lorsqu'ils se
+sont présentés au village désigné pour y loger quatre compagnies, on y
+était sous les armes et on a dit à nos fourriers de s'en retourner, que
+la paix n'était pas faite avec eux, et qu'ils ne voulaient pas nous
+loger.</p>
+
+<p>C'était au village de Bagglingen, nous avons rencontré nos fourriers qui
+nous ont dit que si on voulait être logé, il fallait gagner les
+villages. Aussitôt, le plus ancien de grade des officiers des quatre
+compagnies, a disposé la troupe pour entrer dans les villages. On leur a
+envoyé demandé s'ils voulaient nous loger: ils ont répondu que non et
+que l'on se retire, ou qu'ils allaient faire feu. Dans ce moment, on a
+envoyé des tirailleurs et aussitôt le feu a commencé; ils nous voyaient
+peu de monde et croyaient que nous serions bientôt vaincus, mais ils ont
+été bien trompés, car nous les avons chassés de leurs villages, et ils
+ont été en grande partie se réfugier dans les bois. Il y en avait
+plusieurs qui avaient caché leurs armes et se trouvaient devant nous; on
+les renvoyait dans leurs maisons. Les femmes se sauvaient avec leurs
+petits enfants au berceau; tout cela faisait pitié au coeur humain; mais
+aussi toutes celles que l'on rattrapait, on les faisait retourner dans
+leurs foyers. La plupart avaient un fusil dans une main et un chapelet
+dans l'autre.</p>
+
+<p>Lorsqu'ils ont été repoussés hors de leurs villages, nous sommes revenus
+prendre une position en arrière. Peut-être une heure après, ils sont
+venus une colonne d'environ quinze cents hommes avec deux pièces de
+canon, et ont tiré deux coups qui n'ont pas fait d'effet. Il nous est
+aussi venu du renfort, de l'infanterie légère et un détachement de
+hussards. Réunis tous ensemble à l'entrée de la nuit, nous les avons mis
+en déroute et nous avons été maîtres de nos cantonnements, où nous avons
+bivouaqué.</p>
+
+<p>Ce village de Bagglingen est dans le bailliage nommé anciennement
+Canton-libre-inférieur. Nous en sommes partis le 9, à huit heures du
+matin, pour aller à Zurich où nous sommes arrivés le même jour. Cette
+ville porte le nom du canton où elle est située, sur le bout du lac du
+même nom, et de ce lac sort une rivière qui passe dans Zurich, et se
+nomme Limmat, et fait jonction avec deux autres rivières qui se nomment,
+l'une la Reuss, qui sort du canton de Lucerne, et l'autre l'Aar, qui
+sort du canton de Berne. Ces trois rivières sont réunies près d'une
+petite ville qui se nomme Brugg, et de là tombent dans le Rhin.</p>
+
+<p>11 <i>floréal</i>.--Partis de Zurich<a id="footnotetag60" name="footnotetag60"></a>
+<a href="#footnote60"><sup class="sml">60</sup></a> à midi, nous avons été loger au
+village nommé Thalwyl, situé sur le lac et à deux lieues de la ville,
+sur la droite.</p>
+
+<p>12.--À deux heures du matin, nous avons été camper près le village nommé
+Lachen et de même situé sur le lac dans le canton de Schwytz.</p>
+
+<p>13.--Partis à neuf heures du matin pour retourner sur nos pas et
+cantonner au village de Frienbach; nous étions quatre compagnies, les
+mêmes qui s'étaient trouvées à Bagglingen. Ce village et les autres qui
+ont été nommés sont sur le lac, à droite. En sortant de Zurich, nous
+n'avons pas été sitôt arrivés dans le cantonnement, qu'une attaque s'est
+formée entre les Suisses du canton de Schwytz et quelques compagnies de
+la 76e demi-brigade de ligne, vers les onze heures du matin. Dans le
+même moment, le citoyen Mondragon, qui était le plus ancien de grade des
+capitaines du détachement, a aussitôt donné ordre de battre les coups
+doubles, pour assembler les compagnies et pour marcher vers l'endroit de
+l'attaque. Au lieu d'aller où on se battait, ledit capitaine nous a fait
+monter une montagne prodigieuse, pour les prendre par derrière. Par le
+fait, la montagne a été franchie avec beaucoup de courage; arrivés au
+sommet, le commandant de la troupe a fait battre la charge. Je dirai
+qu'avant d'être au sommet de la montagne, nous étions déjà assaillis de
+coups de fusil. Pendant que la charge se battait, on a commencé le feu
+sur les Suisses, qui sont venus nous disputer le terrain; mais il a
+fallu qu'ils cèdent, ou ils auraient tout payé. Dans cette affaire,
+plusieurs pères de famille sont restés sur le champ de bataille; après,
+les plus hautes montagnes ne les rassuraient plus, ils abandonnaient
+leurs chaumières et s'allaient retirer dans des lieux inhabitables.</p>
+
+<p>Le même jour, au soleil couchant, nous avons descendu la montagne et
+nous sommes revenus dans notre cantonnement.</p>
+
+<p>14.--Partis à deux heures du matin, pour nous disposer à de nouvelles
+poursuites. Nous avons pris la route qui conduit à
+Notre-Dame-des-Hermites; nous avons monté une fort haute montagne, et,
+étant au sommet, près d'une grosse auberge, nous avons occupé la
+position que les Suisses avaient abandonnée la veille. Cette montagne se
+nomme Etzel, et est à une lieue du couvent de Notre-Dame-des-Hermites,
+où on la voit facilement. Dans les environs de ce couvent, on n'y
+récolte point de grains; il est de même environné de montagnes couvertes
+de neige. Dans cette contrée, il y a des pâturages pour les bêtes à
+cornes; aussi voilà ce qui les nourrit: quelques pommes de terre, du
+fromage et du lait.</p>
+
+<p>16.--Nous sommes revenus prendre les cantonnements du 13.</p>
+
+<p>21--Partis de Frienbach à huit heures du matin, notre marche a été
+dirigée sur la République ligurienne en Italie. Je dirai que nous avons
+passé à la ville nommée Rapperswyl, située sur le lac, du côté gauche.
+Avant d'entrer dans la ville, il y a un pont qui a une demi-lieue<a id="footnotetag61" name="footnotetag61"></a>
+<a href="#footnote61"><sup class="sml">61</sup></a>.
+Je vais citer seulement les endroits où nous avons logé; car le voyage
+est si long et le temps si court que je ne puis pas faire beaucoup
+d'observations.</p>
+
+<p>21 <i>floréal</i>.--Arrivés au village nommé Thatwyl, à la pointe du jour,
+nous en sommes partis le 22 à huit heures du matin; nous sommes passés à
+Zurich à dix heures; nous avons poursuivi notre route en traversant
+plusieurs hautes montagnes et nous sommes venus loger dans les environs
+de Mellingen, bourg situé sur la Reuss dans le village où nous étions;
+ce village se nommait Waltenschwyl.</p>
+
+<p>23.--Partis de ce village à six heures du matin, nous sommes venus loger
+à Aarburg, dans le canton de Berne, situé sur l'Aar, où il y a un fort
+assez important.</p>
+
+<p>24.--Partis à sept heures du matin, nous sommes venus loger dans les
+environs d'Herzogenbachsee; nous étions à Niederhaus; notre compagnie de
+même dans le canton de Berne.</p>
+
+<p>25.--Partis à cinq heures du matin. Logé dans la ville de Berne. J'ai
+remarqué qu'il y avait une belle grande rue; il est vrai qu'elle va un
+peu en montant, et, à la distance de quatre-vingts pieds, il y a une
+fontaine. J'ai vu une horloge assez curieuse: tout le temps que le
+marteau frappe sur la cloche, il y a auprès du cadran un tour fait comme
+une table ronde sur laquelle il y a des ours qui défilent la parade,
+avec des instruments de guerre; il y en a qui sont montés sur des
+chevaux: enfin cela est amusant.</p>
+
+<p>Toutes les rues de cette ville sont ornées de belles arcades où il y a
+toutes sortes de marchands. Au-dessus de la porte, du côté de Lausanne,
+la personne de Guillaume Tell est représentée.</p>
+
+<p>27 <i>floréal</i>.--Partis à quatre heures du matin. Logé à Morat, ville
+située sur le lac de ce nom.</p>
+
+<p>28.--Partis à six heures du matin. Logé aux environs de Payerne; nous
+étions au village de Fétigny.</p>
+
+<p>29.--Partis à trois heures du matin. Logé à Moudon dans le pays de Vaux,
+ci-devant alliée avec Berne, et située sur le bord de la Broye. Cette
+ville était anciennement la capitale du pays; on y voit encore
+aujourd'hui une ancienne tour qui a été bâtie du temps de Jules César.</p>
+
+<p>30.--Partis à quatre heures du matin, nous sommes venus loger à
+Lausanne, capitale de son canton, située au pied d'une montagne, sur le
+bord du lac de Genève. Tous les endroits où nous sommes passés sont en
+grande partie des vignobles.</p>
+
+<p>1er <i>prairial</i>.--Partis à trois heures du matin, nous avons suivi le
+lac, et sommes venus loger à Villeneuve et dans les environs. Cette
+ville est située sur le bout du lac de Genève; notre compagnie était
+logée dans un village à une lieue de Villeneuve, et entre des montagnes
+extrêmement hautes, où il y a toujours au sommet une quantité de neige.</p>
+
+<p>3.--Partis à huit heures du matin, nous sommes venus loger à
+Saint-Maurice, dans le bas Valais.</p>
+
+<p>Avant d'entrer dans la ville, on passe sur un pont qui traverse le Rhône
+et va tomber dans le lac de Genève.</p>
+
+<p>4.--Partis à six heures du matin. Logé à Orsières dans le bas Valais,
+sur la route qui conduit au grand Saint-Bernard.</p>
+
+<p>5.--Partis d'Orsières à sept heures du matin. Couché à Saint-Pierre,
+village situé sur le sentier qui conduit au mont Saint-Bernard; c'est
+depuis ce village que la route ne forme plus qu'un sentier très mauvais
+pour marcher; les voitures n'y peuvent plus passer qu'elles ne soient
+démontées, et portées par des mulets à dix lieues, où est la cité
+d'Aoste.</p>
+
+<p>Je dirai que tous les endroits où nous sommes passés depuis Villeneuve
+sont situés entre des grandes et très hautes montagnes, au sommet
+couvert de neige; mais cependant la colline est cultivée. J'ai remarqué
+qu'à deux lieues de Saint-Maurice il y a des rochers très élevés; à cent
+pieds de haut, il sort de l'eau en quantité; en la voyant tomber elle
+paraît blanche comme du lait, elle se brise sur des pierres qui sont
+dans le bas de ce rocher et passe dans le chemin aussi claire que du
+cristal. Cet endroit se nomme le Pisse-vache.</p>
+
+<p>6.--Partis de Saint-Pierre, le dernier village du bas Valais, à deux
+heures du matin pour monter au village de la montagne du Saint-Bernard
+qui monte pendant trois heures, et descend d'autant; dans cette
+montagne, il y a plus de neige que dans les autres. Nous avons passé par
+des endroits (et surtout avant d'être au couvent) où il y en avait plus
+de quarante pieds, mais c'est tout neige gelée. En arrivant près du
+couvent, nous montions à quatre pattes sur la neige; vraiment c'est des
+chemins affreux; aussi beaucoup de voyageurs meurent-ils en route.</p>
+
+<p>Le couvent, qui est au sommet de cette montagne, est là pour donner du
+secours aux voyageurs; il y a des chiens que j'ai vus; ils sont
+extrêmement forts et instruits. Lorsqu'il fait des orages ou mauvais
+temps, ces chiens vont au travers des neiges sur le chemin; ils ont au
+cou un linge dans lequel il y a une petite bouteille d'eau-de-vie avec
+un morceau de pain; s'ils rencontrent quelqu'un qui soit tombé en
+faiblesse ou qui ait perdu courage et qu'il soit saisi par le froid,
+qu'il soit sur une roche ou ailleurs, ces chiens vont auprès, le
+prennent par son habillement et le remuent; et s'il n'est pas mort, ils
+lui présentent le cou pour qu'il prenne ce qui est dans le linge pour
+lui donner des forces. Quelquefois, ils en trouvent qui sont couchés
+dans la neige, et comme il y a des domestiques qui les suivent de loin,
+ils retournent auprès d'eux et les conduisent où les hommes sont tombés.
+Étant au couvent, on peut y rester un jour; toute la troupe qui y a
+passé a reçu par homme un verre de vin, un petit morceau de pain et
+aussi de la viande salée. On a continué la route, car on aurait bien
+gelé si on y était resté un quart d'heure; enfin, dans les environs de
+ce couvent, ce sont de véritables précipices. Notre chemin était marqué
+avec des morceaux de bois, sans quoi il y en aurait eu de nous qui
+auraient perdu la vie.</p>
+
+<p>Ce jour-là, nous sommes venus loger à Saint-Oyen, village sur la route
+de Sardaigne. Dans ces villages, et même avant de gravir le
+Saint-Bernard, les habitants ne cuisent qu'une fois par an; s'ils
+cuisent deux fois, c'est qu'ils sont bien à leur aise; leur pain est
+épais d'un pouce et d'un pied de diamètre et dur comme du bois; c'est le
+lait et les pommes de terre qui sont en grande partie leur nourriture.</p>
+
+<p>7.--Partis de Saint-Oyen à cinq heures du matin, nous sommes venus loger
+dans la cité d'Aoste, ville de Sardaigne, frontière de la Savoie et de
+la Suisse.</p>
+
+<p>9.--Partis d'Aoste à deux heures du matin, nous sommes venus loger à
+Verres, ville dans la vallée d'Aoste et de même dans la Sardaigne.</p>
+
+<p>10.--Partis de Verres à trois heures du matin. Logé à Ivrée, sur la
+rivière nommée Doire, dans le Piémont.</p>
+
+<p>11.--Partis à quatre heures du matin. Logé à Livorne.</p>
+
+<p>12.--Partis à quatre heures du matin. Logé à Verceil, sur la rivière la
+Sesia.</p>
+
+<p>13.--Partis à six heures du matin. Logé à Gailliata, à huit lieues de
+Milan, et à une lieue de Trecate.</p>
+
+<p>15.--Partis à deux heures du matin. Logé à Vigevano, sur la route
+d'Alexandrie.</p>
+
+<p>16.--Partis à minuit, nous avons passé le Pô à midi, et nous sommes
+venus loger à Voghern.</p>
+
+<p>17.--Partis à deux heures du matin. Logé à Alexandrie, ville forte
+donnée en otage aux Français lorsque le roi de Sardaigne a fait la paix;
+cette ville est située sur la rivière de Tanaro qui passe entre la
+citadelle et les murs de cette ville.</p>
+
+<p>19.--Partis d'Alexandrie à dix heures du matin. Logé à Novi, ville du
+Piémont, frontière de la République ligurienne.</p>
+
+<p>20.--Partis à trois heures du matin. À sept heures nous avons passé au
+bas du fort de Gavi, où nous avons fait halte. Je dirai que nous sommes
+passés au milieu de l'armée génoise et piémontaise qui était campée dans
+les environs du fort de Gavi. Dans ce temps, les Liguriens avaient la
+guerre avec le Piémont. Le même jour, campé près de Voltagio, sur la
+route de Gênes.</p>
+
+<p>21.--Sortis du camp à trois heures du matin. Campé à deux lieues de
+Gênes. C'est de là que notre premier bataillon est parti pour aller à
+Gênes, et notre troisième est retourné sur ses pas pour aller à Novi;
+nous, nous avons couché dans ce village.</p>
+
+<p>22.--Partis à trois heures du matin pour retourner sur les frontières de
+la République ligurienne; nous avons logé ce jour à Voltagio.</p>
+
+<p>23.--Partis à deux heures du matin, nous avons pris la traverse et avons
+été loger à Ovada, ville frontière de la République ligurienne, menacée
+par les troupes piémontaises d'être mise au pillage. Voilà pourquoi
+notre bataillon a été s'emparer de la ville pour la soustraire à un
+pareil malheur; cette ville est entourée par deux rivières qui
+s'appellent Stura et Orba. Je dirai que pendant que nous étions dans
+cette ville, nous avons été détenus vingt-six sous-officiers en prison
+pour avoir fait une réclamation; nous avons été douze jours à
+<i>l'ombre</i><a id="footnotetag62" name="footnotetag62"></a>
+<a href="#footnote62"><sup class="sml">62</sup></a>.</p>
+
+<p>19 <i>messidor</i>.--Partis pour Camfredo, ville de la Ligurie.</p>
+
+<p>20.--Partis à une heure du matin. Logé à Voltri, à huit lieues et demie
+de Gênes.</p>
+
+<p>23.--Logé à Varazze, de même sur la mer.</p>
+
+<p>24.--Logé à Savone, où il y a un port marchand; il y a aussi un fort qui
+défend bien son approche et peut battre la ville.</p>
+
+<p>25.--Logé à Final-Borgo.</p>
+
+<p>26.--Partis à deux heures du matin. Logé à Albenga. Tous les endroits où
+nous avons logé sont situés sur la mer.</p>
+
+<p>28.--Partis à une heure du matin pour une petite ville nommée La Piève,
+située dans la même vallée et à six lieues de la mer. Nous avons relevé
+à La Piève la garnison piémontaise qui s'était emparée de cette ville au
+moment où ils avaient la guerre ensemble. La France a mis fin à cette
+guerre, qui ne pouvait que mettre la famine dans le pays.--Comme cette
+contrée ressemble à la plus grande partie de la République ligurienne
+dont elle fait partie, je vais faire une petite description de la
+situation du pays. Ce ne sont que montagnes très hautes, la plupart sont
+couvertes de châtaigniers, d'oliviers, de figuiers et d'autres arbres à
+fruits de toutes sortes d'espèces; il y a aussi de la vigne plantée très
+clair et haute, parmi laquelle ils sèment du blé et d'autres grains, qui
+leur servent à faire du pain; mais ces derniers n'y sont pas très
+abondants. Tout ce pays est occupé en grande partie par le commerce qui
+y est bon, par rapport à la mer.</p>
+
+<p>Il n'y a rien à voir de curieux dans la campagne; leurs maisons sont
+très antiques et toutes voûtées, pour parer aux chaleurs qui se font
+dans ce pays durant l'été. Il n'y a rien de remarquable dans leurs
+ménages, la plupart n'ont pas de meubles, mais seulement un coffre pour
+mettre le peu d'habillements qu'ils ont. Le dedans des maisons est très
+obscur et la plupart n'ont pas de vitres; un simple volet ferme le jour.
+On n'y voit presque point de cheminées: ils font le feu dans l'un des
+coins de la maison. Les deux sexes sont vêtus assez antiquement; les
+femmes et les filles portent sur la tête un grand voile pour aller à
+l'église. Ce peuple est traître de son naturel, il a toujours caché sous
+lui une arme tranchante et très aiguisée, et à la moindre difficulté on
+est frappé de cet outil.</p>
+
+<p>8 <i>frimaire</i>.--Partis de la Piève pour Gênes, nous avons été loger à
+Loano; le 9, à Varazze; le 10, à Gênes. Étant dans cette ville nous
+avons fourni un détachement de trois cents hommes pour aller s'emparer
+de la ville d'Oneglia, appartenant au Piémont. La garnison piémontaise a
+été désarmée et envoyée à Gênes, mais de suite on leur a envoyé leurs
+armes, pour partir sur les frontières d'Italie. Ceci s'est fait au
+moment de la révolution du Piémont. Le détachement dont je faisais
+partie est sorti de Gênes le 20 frimaire, à une heure de l'après-midi;
+nous avons logé en allant à Oneglia, à Voltri, à Savone, à Finalborgo, à
+Alassio. Il y avait avec nous trois cents Liguriens. Cette ville s'est
+rendue à notre approche; nous y sommes entrés le 24 frimaire à quatre
+heures du soir. Le reste de notre bataillon, qui était à Gênes, est venu
+nous rejoindre le 15 nivôse; il est seulement resté à Oneglia deux
+compagnies, et les autres ont appuyé à gauche le long de la mer. Ce
+mouvement s'est fait le 15. Notre compagnie était à Diano-Marino et à
+Alassio.</p>
+
+<p>Partis de ces cantonnements le 1er pluviôse, nous sommes venus le 5 à
+Gênes, lieu de rassemblement de notre demi-brigade pour en former deux
+bataillons de guerre et un de paix. Ce dernier était composé d'hommes
+impotents, infirmes, qui ne pouvaient plus faire campagne et complétés
+avec des conscrits. Les deux bataillons de guerre étaient formés
+d'hommes aguerris et en état de faire campagne avec une vingtaine des
+plus adroits des conscrits par compagnie, tirés dans le troisième
+bataillon. Dans cet amalgame, nous sommes devenus la troisième compagnie
+du premier bataillon. Cet embrigadement s'est fait à Gênes, le 8
+pluviôse. Le premier bataillon est parti de Gênes le 9 pour se rendre à
+Reggio; le deuxième bataillon le 10, pour la même route. Je n'ai point
+été de ce départ, je suis entré à l'hôpital le 10; j'avais une maladie
+qui m'interdisait la marche.</p>
+
+<p>20 <i>ventôse</i>.--Partis de la ville de Gênes pour me rendre à Reggio.</p>
+
+<p>En quittant le pays de la Ligurie, je laisse un pays assez abondant en
+oliviers, châtaigniers; ils récoltent aussi une certaine quantité de vin
+et de grains; la plus grande occupation des habitants est le commerce.
+Ils élèvent quantité de vers à soie nourris par les mûriers qui poussent
+dans ce pays.--Me voilà entré dans le Piémont en sortant de Novi; j'ai
+logé le 23 à Tortone, ville fortifiée et accompagnée d'un fort assez
+considérable, sur une hauteur qui commande la ville; le 24, à Voghera;
+le 25, à Castel-San-Giovani, bourg dépendant du roi d'Espagne; le 26, à
+Plaisance, belle grande ville au roi d'Espagne, magnifiquement bâtie. Il
+y a là une superbe place sur laquelle sont placés deux piédestaux sur
+lesquels sont deux chevaux en bronze avec leurs guerriers.</p>
+
+<p>Elle est très bien décorée par de belles maisons; les rues sont très
+larges et bien proportionnées. Autrefois, cette ville était fortifiée,
+mais il ne reste plus que de vieux remparts qui tombent en ruine.</p>
+
+<p>27.--Logé à Borgo-San-Domino, de même dans les États du roi d'Espagne.</p>
+
+<p>28.--À Parme, appartenant au duché de son nom; la rivière du même nom,
+Parma, passe dans ladite ville et la partage en deux parties inégales;
+la construction en est assez belle, les rues larges, il y a aussi
+d'assez jolies places.</p>
+
+<p>29.--À Reggio, ville grande et bien peuplée, maintenant à la République
+cisalpine; il y a une belle place, des rues très larges; elle était
+autrefois fortifiée, maintenant il existe encore une vieille citadelle
+qui tombe en ruines et qui ne pourrait pas tenir longtemps. J'ai eu
+séjour dans cette ville.</p>
+
+<p>1er <i>germinal</i>.--À Modène; la ville est plus longue que large: les rues
+sont larges, les maisons assez élevées et d'une belle construction; il y
+a de belles grandes places. Cette ville est encore actuellement un peu
+fortifiée.</p>
+
+<p>3.--À Buondeno, village dans les environs de Ferrare.</p>
+
+<p>4.--À Finale, bourg sur le canal de la ville de Modène.</p>
+
+<p>5.--À la Mirandole, petite ville assez bien faite où il y a une belle
+place.</p>
+
+<p>6.--À Saint-Benedetto, village à cinq lieues de Mantoue.</p>
+
+<p>7.--À Mantoue, belle grande ville très peuplée; elle est environnée de
+grandes pièces d'eau qui défendent son approche d'une demi-lieue; du
+côté où l'eau n'est pas d'une aussi grande largeur, il y a de fortes
+citadelles qui défendent la ville; les alentours de cette place, aussi
+bien que les forts, sont garnis de nombreux gros canons qui rendent
+cette ville imprenable, autrement que par la famine. Le fleuve nommé Pô
+passe dans ses murs, et lui donne quantité d'eau; la construction des
+maisons est belle, on y trouve de belles places. J'y ai vu un beau pont
+couvert et construit tout en pierres de taille; il y a sur ce pont sept
+à huit moulins très bien construits. Cette place appartient à la
+République cisalpine; elle a été prise par les Français qui étaient
+commandés par Bonaparte, dans le courant du mois de pluviôse an V.</p>
+
+<p>Le 8, j'ai passé à Villefranche, sur la route de Vérone, où j'ai trouvé
+notre bataillon, qui était campé à deux lieues et demie de la ville,
+près de la route. Ils y étaient venus après l'affaire du 6 germinal,
+auquel jour ce terrible fléau de la guerre s'est rallumé avec
+l'empereur. Notre division, commandée par Montrichard, a fait son
+attaque près du village de Legnago, situé sur l'Adige. L'attaque a été
+vive au premier abord de notre part: il a semblé avant midi que la
+victoire nous était annoncée; mais, comme le destin ne décide pas en un
+instant, nous avons vu, vers les trois heures du soir, que nous avions
+eu affaire à un corps d'armée autrichien qui égalait le nôtre. Sur le
+soir, un renfort leur est arrivé; c'est à ces derniers, réunis aux
+premiers, qu'il a fallu céder la victoire qui nous avait été favorable
+toute la journée. Beaucoup de fossés remplis d'eau nous ont fait
+éprouver quelques pertes. Je ne dirai pas les pertes des autres corps,
+j'ai vu celles de mon bataillon qui se montaient à 148 hommes hors de
+combat, y compris dix officiers et dix sous-officiers. En attendant le
+siège, nous avons fait plusieurs mouvements à droite et à gauche le long
+de l'Adige, où le corps d'armée autrichien était bien retranché.</p>
+
+<p>Voilà le 16 germinal arrivé<a id="footnotetag63" name="footnotetag63"></a>
+<a href="#footnote63"><sup class="sml">63</sup></a>. Vers les dix heures du matin, l'ennemi
+s'était mis en marche pour nous attaquer; le général en chef donna
+ordres à toutes nos troupes de se mettre en marche pour de même attaquer
+l'ennemi, ce qui a été exécuté sur-le-champ. Aussitôt, nous avons
+rencontré les colonnes autrichiennes; le feu a été vif dans les deux
+partis; au premier abord, il semblait que notre division allait céder à
+la force de la colonne autrichienne.</p>
+
+<p>Le soldat n'a pas mesuré sa force sur celles de son ennemi, mais sur son
+courage: il a mis la colonne ennemie en déroute, en lui faisant quelques
+cents de prisonniers. Nous les avons poursuivis aux portes de Vérone;
+mais la retraite des autres divisions nous a bientôt appris que nous
+devions aussi nous y disposer pendant la nuit, et nous retirer dans les
+environs de Mantoue, ce qui a été fait dans la nuit du 16 au 17, car un
+corps considérable de l'armée autrichienne s'avançait pour couper notre
+retraite au delà de Mantoue.</p>
+
+<p>Nous sommes arrivés à sept milles de Mantoue vers les minuit, dans la
+nuit du 17 au 18. Sur le croisement de la route qui conduit à
+Villefranche, le 18, nous avons fait un mouvement pour appuyer à gauche
+de Mantoue. Nous sommes venus camper près d'une petite ville située sur
+le Mincio; elle est environnée de fortes positions. Lorsque la garnison
+de Mantoue a été établie dans ses postes, l'armée s'est mise en
+mouvement et a passé le Mincio pour aller se montrer dans la plaine où
+Bonaparte a eu de grands combats, lorsqu'il a fallu cerner la ville de
+Mantoue. Nous sommes restés dans cette plaine, qui aboutit sur la rive
+du Mincio, jusqu'à huit heures du soir. C'était la nuit du 20 au 21 que
+notre colonne a commencé son mouvement pour la retraite, le soir du 21
+vers les six heures, par un temps abominable, une pluie continuelle qui
+ne cessait de tomber et nous traversait jusqu'aux os. Nous avons campé
+près la petite ville d'Asola; ses alentours sont garnis de bastions qui
+n'étaient pas entretenus.</p>
+
+<p>22 <i>germinal</i>.--Campé à trois mille de Pontevico; le 24, nous sommes
+venus camper en avant de cette petite ville, située sur le bord de la
+rivière nommée Oglio, sur la route de Brescia et Milan. Dans ce moment,
+nous étions d'arrière-garde; nous avons coupé les routes pour empêcher
+la colonne autrichienne de nous poursuivre de si près.</p>
+
+<p>25.--Nous avons passé l'Oglio sur un pont levis qui était au bas d'une
+ancienne citadelle: les troupes et les bagages passés, on a démonté le
+pont en le faisant glisser dans l'eau. Ce jour-là, nous sommes venus au
+village de Rodierco, situé sur l'Oglio et à un mille de Pontevico, sur
+la grande route de Milan. La nuit du 25 au 26, nous nous sommes mis en
+marche et nous sommes arrivés à Palazzolo le 26 au soir. Il faut
+observer que la colonne autrichienne prenait des détours et suivait les
+montagnes de la Suisse italienne et ne cherchait qu'à nous couper notre
+retraite.</p>
+
+<p>28.--Nous avons fait un mouvement en avant de Palazzolo, à six mille
+dans les montagnes, près le lac d'Iseo.</p>
+
+<p>29.--Nous sommes revenus à Palazzolo; le 30, nous en sommes repartis
+pour nous former sur la ligne en bataille, en avant dudit lieu. Le
+général en chef Scherer nous a passés en revue. Nous avons passé la nuit
+dans ce même emplacement. Je dirai que la Ville de Palazzolo est située
+sur l'Oglio et sur la grande route de Brescia. En partant, les ponts ont
+été coupés et renversés dans la rivière.</p>
+
+<p>2 <i>floréal</i>.--Nous avons fait un mouvement pour nous retirer en arrière
+de Palazzolo, où nous avons campé, sur les bords de l'Oglio; nos
+avant-postes ont eu quelques petites affaires avec l'ennemi, qui s'est
+venu présenter pour passer le pont où étaient nos canonniers, pour le
+faire sauter par des mines; on est parvenu à le faire sauter vers les
+dix heures du matin.</p>
+
+<p>La nuit du 4 au 5, à neuf heures du soir, notre division, qui était
+celle du général Serrurier, s'est mise en marche et a été dirigée vers
+la ville de Bergame. Nous avons passé une nuit affreuse dans l'eau et la
+boue jusqu'aux genoux, et, pour la faire complète, une pluie continuelle
+nous arrosait. Nous sommes passés dans la ville de Bergame, à onze
+heures du matin, le 3. Cette ville est très considérable, belle et
+riche: on y construisait une fort belle place; elle est divisée en ville
+haute et ville basse. La ville haute est fortifiée et a de fort belles
+positions dans ses environs, sur des hauteurs considérables. Notre
+division ne s'y est point arrêtée; une partie soutenait l'arrière-garde,
+qui était suivie<a id="footnotetag64" name="footnotetag64"></a>
+<a href="#footnote64"><sup class="sml">64</sup></a> des troupes russes. Le même jour, notre colonne a
+continué sa marche jusqu'à cinq heures du soir; nous sommes arrivés sur
+le bord du lac, où nous avons passé la nuit dans des espèces de petits
+hameaux environnés de montagnes fort hautes.</p>
+
+<p>Le lendemain 6 courant, à quatre heures du matin, nous avons repris
+notre marche vers le pont de Lecco, et toujours suivis de près par
+l'avant-garde ennemie. La ville de Lecco est environnée de rochers très
+hauts; elle est située sur le bord du lac. Notre division a passé le
+pont le jour où l'ennemi y est arrivé. Une partie de notre division a
+gardé la tête du pont, et l'autre partie s'est étendue sur les bords de
+la rivière, pour correspondre avec la division du général Delmas; notre
+bataillon était de cette partie; nous tenions dans ce moment la droite
+de la division. Nous sommes venus prendre notre position, la nuit du 6
+au 7, à Vaprio, où nous sommes arrivés à onze heures du matin. Cette
+ville est située sur le bord de la rivière nommée l'Adda; elle est forte
+par sa position: il y avait un pont volant établi qu'on a fait couler à
+fond lorsqu'on a quitté la rivière.</p>
+
+<p>Vers les deux heures de l'après-midi, une colonne assez considérable de
+l'armée autrichienne a fait un mouvement pour se disposer à passer la
+rivière pendant la nuit, ce qui leur a été facile, car la rivière
+n'était presque pas gardée. Vers les quatre heures du matin, comme notre
+bataillon était à bivouaquer dans un village à une lieue et demie de
+Vaprio, une ordonnance est venue dire au général qui commandait ce
+poste, que l'armée autrichienne avait passé la rivière<a id="footnotetag65" name="footnotetag65"></a>
+<a href="#footnote65"><sup class="sml">65</sup></a> toute la nuit
+et dirigeait sa marche sur Milan. Aussitôt, il nous fut ordonné de nous
+retirer sur Vaprio, pour nous joindre à la division du général Delmas,
+en laissant de distance en distance des compagnies en échelons; jusqu'à
+ce que nous avons trouvé une route de Vaprio à Milan, qui était déjà
+coupée par l'ennemi. Le combat s'est aussitôt engagé sur la rive gauche
+de l'Adda, dans les environs de Vaprio et Casale; il a été opiniâtre des
+deux côtés. Le général Delmas est venu ordonner aux bataillons qui
+soutenaient l'attaque, qui étaient les nôtres et un de la 3e
+demi-brigade, de foncer sur l'ennemi, et il a dit que sa division allait
+arriver pour nous soutenir. Aussitôt l'ordre donné, les deux bataillons
+se sont mis en marche pour l'exécution; dans l'instant la victoire nous
+a souri en leur faisant environ deux cents hommes prisonniers; mais,
+dans le même moment, un renfort considérable leur étant arrivé, ils ont
+forcé le bataillon qui était à notre droite, sur le bord de la rivière,
+et ils n'ont pas tardé à prendre le nôtre par le flanc et le front. Dans
+ces démêlés plus chauds qu'à l'ordinaire, j'ai reçu une balle qui m'a
+traversé l'avant-bras gauche et m'a mis hors de combat, d'où je me suis
+tiré avec beaucoup de peine, car nous étions pris de tous les côtés.</p>
+
+<p>Mais la division est arrivée dans ce moment et nous a donné du large; la
+journée est devenue terrible aux deux partis. Dans un moment où la
+division Delmas a donné, elle a repoussé l'ennemi à la tête du pont; il
+y avait un village où l'ennemi était retranché dans les murs des jardins
+et nos gens étaient tout autour; l'ennemi voyant qu'il ne pouvait plus
+tirer à cause de la hauteur des murs, prit les pierres des murs pour les
+jeter sur la tête des Français, mais l'ardeur républicaine qui bouillait
+dans les veines des soldats, ne souffrit pas longtemps l'insulte des
+Allemands; aussitôt entrés dans le village la baïonnette en avant, ils
+en renversèrent une grande quantité et firent sept cents prisonniers.
+Les rues du village ont été ce jour-là abreuvées du sang des Allemands,
+car le sang ruisselait dans lesdites rues, comme lorsqu'il tombe un
+orage.</p>
+
+<p>Le combat n'a cessé que lorsque la nuit a tendu ses voiles dans les
+environs où il avait commencé. Mais on s'est retiré sur Milan; la ville
+de Casale en est encore à sept lieues et une partie des blessés a été
+obligée de suivre la colonne; les routes étaient interceptées. Nous
+sommes arrivés dans les environ de minuit à Milan, du 8 au 9. La colonne
+a passé à Milan entre huit et neuf heures du matin, le 9. Quoique nos
+plaies n'aient point été pansées et que la marche nous fît de grandes
+douleurs nous avions préféré suivre notre colonne qui venait sur les
+bords du Tessin que de nous voir prendre prisonniers par des troupes
+inhumaines. Il n'est resté que de la troupe au château de Milan.</p>
+
+<p>C'est sur les bords du Tessin que j'ai quitté avec regret mes compagnons
+de misère, mais ma blessure le demandait. J'ai laissé en partant, après
+trois batailles, un fourrier, un caporal et six fusiliers, dans une
+compagnie qui était, le 6 germinal, composée de cent dix hommes.</p>
+
+<p>Notre armée de Mantoue est obligée, par une force supérieure d'ennemis,
+d'évacuer cette partie de l'Italie, et de se retirer sur les villes
+fortes du Piémont. Les hôpitaux n'étant plus assez considérables pour
+contenir tous les blessés, il faut donc rentrer en France.</p>
+
+<p>Avant de quitter cette partie de l'Italie, je veux faire une petite
+description sur la situation des habitants et sur la fertilité des
+terres de cette contrée. Depuis le Mont-Cenis à Mantoue, c'est un
+terrain plat et sablonneux; il est planté de toutes sortes d'arbres,
+mais ce sont les mûriers qui dominent; la vigne y est très commune et
+est plantée au pied de tous ces arbres: elle produit d'excellents vins;
+on y voit dans aucunes contrées les vignes attachées au-dessus de fort
+gros arbres, et cette vigne rapporte une quantité considérable de
+raisins. Les habitants du pays coupent tous les ans les branches de ces
+arbres pour faire cuire leurs aliments.</p>
+
+<p>Ils sèment sous ces vignes des grains de toutes sortes d'espèces qui y
+viennent encore assez bien par rapport aux arbres et aux vignes qui leur
+donnent de la fraîcheur, sans quoi ils ne pourraient rien récolter à
+cause de la grande chaleur du pays. Dans le Piémont et autres contrées,
+ils sèment beaucoup de riz qui fait une partie de leur nourriture
+qu'avec le vermicelle; enfin ils ne se nourrissent presque qu'avec des
+pâtes. L'occupation de ces habitants est en grande partie le commerce,
+et l'élevage des vers à soie qui leur fait avoir une grande quantité de
+manufactures. Il y a, dans cette partie de l'Italie, d'assez beaux sexes
+des deux côtés, mais extrêmement jaloux et traîtres. Il y a aussi de
+fortes rivières et des médiocres qui arrosent les plaines de riz. La
+construction des maisons est assez agréable, elles sont presque toutes
+voûtées, mais les vitres y sont rares, car à peine peut-on avoir des
+verres pour boire.</p>
+
+<p>Dans cette contrée sont enfermés plusieurs petits États et républiques,
+ce qui fait qu'il y a plusieurs monnaies, mais qui ne valent pas celle
+de France, excepté celle du Piémont qui vaut mieux. Autrefois, ce pays
+était fort riche, mais il a eu affaire à plusieurs maîtres qui lui ont
+ôté toute sa richesse, et la guerre a achevé sa ruine.</p>
+
+<p>Je ne ferai pas grande observation sur les endroits où j'ai passé, ayant
+évacué de Milan à Dijon.</p>
+
+<p>Le 5 prairial, nous sommes arrivés à Dijon, lieu de destination pour les
+blessés; nous sommes entrés à l'hôpital militaire, tout nouvellement
+préparé pour recevoir les blessés qui arrivaient tous les jours en grand
+nombre.</p>
+
+<p>Je suis resté onze jours à cet hôpital de Dijon, où ma plaie a été
+pansée deux fois par jour. Pendant ce temps, j'ai fait plusieurs
+demandes aux officiers de santé pour obtenir une convalescence. Comme je
+n'étais plus qu'à vingt-quatre heures de mon foyer et qu'il y avait sept
+ans que je n'étais rentré chez moi, je me suis vu avoir un peu d'espoir
+de revoir encore une fois mes père et mère, ainsi que mes autres
+parents. J'ai reçu des officiers de santé de l'hôpital militaire de
+Dijon, une convalescence de deux décades pour aller cicatriser ma plaie
+dans mes foyers; elle m'a été délivrée le 16 prairial. Je me suis rendu
+le 19 à Longchamp en passant par Langres; de là j'ai pris la traverse
+pour couper au plus court. Je suis donc arrivé la veille de la fête que
+l'on célébrait pour les plénipotentiaires qui avaient été égorgés à
+Rastadt.</p>
+
+<p>Le commissaire du pouvoir exécutif et le président m'ont fait l'honneur
+de me mettre de la cérémonie; ils m'ont rendu les honneurs en m'envoyant
+chercher par un détachement de la garde nationale; de suite on m'a
+offert une place d'honneur qui était à côté du président, que j'ai
+acceptée. Après la cérémonie, j'ai été admis au repas que les
+administrateurs se donnaient. J'ai été reçu avec toute la pompe et les
+honneurs dus à un défenseur qui n'avait jamais abandonné son drapeau.</p>
+
+<p>Ma convalescence étant expirée et n'étant point en état d'aller
+rejoindre, je suis allé voir l'officier de santé du canton; ne trouvant
+pas mon bras assez bien rétabli, il me donna un délai de six décades,
+lesquelles étaient finies le 30 fructidor, j'ai demandé ma feuille de
+route pour aller rejoindre mon corps et partager avec mes anciens
+camarades, l'honneur que j'ai partagé déjà, l'espace de sept ans.
+J'espère que l'Être suprême bénira nos travaux pour le salut de toute la
+Franc<a id="footnotetag66" name="footnotetag66"></a>
+<a href="#footnote66"><sup class="sml">66</sup></a>.</p>
+
+<p>Je suis parti de Longchamp le 1er vendémiaire an VIII de la République,
+pour aller rejoindre mon corps sur les frontières d'Italie.</p>
+
+<p>Mon départ fut retardé d'un mois à Chaumont où je suis resté pour
+montrer l'exercice à une compagnie de conscrits de ce département. Après
+l'organisation de ce bataillon, j'ai repris ma route pour la frontière
+d'Italie. Je suis parti de Chaumont le 16 brumaire de l'an VIII,
+accompagné de mon jeune frère qui avait quitté le 9e chasseurs à cheval,
+pour venir prendre du service dans la 3e demi-brigade de ligne qui était
+en ce moment en Italie.</p>
+
+<p>Nous avons fait la route assez agréablement de Chaumont à Aix en
+Provence. Je passerai sous silence les étonnements de mon frère pendant
+cette route, de se trouver dans une contrée si déserte et aussi peu
+fertile, sous les rochers de la Provence. J'en ferai une petite
+description.</p>
+
+<p>Après avoir parcouru plusieurs contrées de la Provence, étant rendus à
+notre dépôt, à Aix, le 21 frimaire, nous avons été à trois lieues de là,
+sur la Durance, à un village nommé Peyrolles, jusqu'au 1er thermidor.
+Nous étions là pour faire rejoindre les conscrits et les
+réquisitionnaires; aussi pour y empêcher les assassinats que des bandes
+de brigands exerçaient souvent dans plusieurs de ces contrées; en un
+mot, ces bandes de scélérats portaient la désolation chez plusieurs
+pères de famille. Nous sommes partis d'Aix le 5 thermidor pour nous
+rendre dans une autre contrée de la Provence, une ville nommée
+Draguignan, où nous sommes arrivés le 9. Cette ville est située au
+milieu d'une plaine environnée de hautes montagnes; la contrée est
+charmante, on y voit une quantité prodigieuse d'oliviers; les coteaux
+qui environnent la ville forment un amphithéâtre planté d'oliviers qui
+forment une tapisserie, verte hiver comme été, ce qui réjouit la vue, et
+donne un beau coup d'oeil. La plaine qui environne la ville est plantée
+de vignes entre lesquelles on sème plusieurs sortes de grains et de
+légumes.</p>
+
+<p>Les eaux y sont très bonnes, la contrée étant abreuvée par des fontaines
+venant des montagnes. La ville est fermée par une simple muraille, très
+haute; les rues sont d'une largeur proportionnée à leur longueur, mais
+bien mal entretenues comme propreté: on y laisse pourrir toutes sortes
+d'herbes venant des montagnes pour faire des engrais pour la terre. Dans
+la Provence, il y a très peu de <i>commodités</i>, ce qui fait qu'on jette
+toutes les ordures dans les rues; c'est ce qui rend le pays malsain; on
+y respire de mauvaises odeurs. On rapporte qu'ils ne se donnent pas
+l'aisance des <i>commodités</i> à cause de la quantité des conduits de leurs
+fontaines qui traversent leurs habitations.--Les maisons sont d'une
+assez belle construction, hautes de trois étages, plus ou moins; les
+habitants sont grossiers naturellement et peu humains. (Qu'ils se le
+disent!) Ce qui fait remarquer leur peu d'humanité envers leurs
+concitoyens, c'est que dans ces contrées et même dans toute l'étendue de
+la Provence, il s'y produit une réelle quantité considérable de brigands
+qui ne cessent d'assassiner journellement les voyageurs sur les grandes
+routes. Je me suis laissé dire que cela s'était fait de tout temps, mais
+cependant pas aussi souvent que maintenant.</p>
+
+<p>Le costume des hommes n'est pas bien différent de celui de notre pays:
+la mode est de porter presque tous des vestes; les femelles s'habillent
+presque comme ici, sinon que leurs jupes sont fendues par derrière; leur
+caractère n'est pas meilleur que celui des hommes.</p>
+
+<p>La manière dont je dépeins la contrée de Draguignan servira de modèle
+pour toute la Provence plus ou moins fertile en aliments de tout genre.
+Je me rappelle que l'air de la campagne y est plus chaud que dans nos
+pays; les récoltes s'y font de meilleure heure qu'ici, mais aussi ils
+plantent tout l'été car la culture ne pourrait jamais alimenter la
+population retirée en ce pays. Le pain y est presque toujours à quatre
+et cinq sous la livre de quatre onces. Le vin y est à bon compte, mais
+les orages y sont fréquents; aussi leur terre cultivée est-elle souvent
+ravagée. Le grain qu'ils récoltent, ils le font fouler aux pieds des
+mulets et des boeufs pour en retirer les semences.</p>
+
+<p>Je dirai que les maux que j'ai endurés depuis huit années de service
+militaire pour ma patrie, ont été marqués jour par jour par de nouveaux
+sacrifices que je ne peux oublier. Ces souffrances ont été renouvelées à
+plusieurs époques. Ainsi je vais, dans cette feuille, tracer une
+esquisse de ce qui s'est passé à Gênes pendant le blocus.</p>
+
+<p>Je dirai donc que notre ennemi, voulant nous ôter tout espoir de
+retourner en Italie, a réuni de grandes forces pour investir Gênes et
+enfermer notre armée. Après plusieurs combats sanglants de part et
+d'autre, et à plusieurs reprises notre ennemi nous ayant forcé notre
+ligne sur Savone, il nous a coupé la communication que nous avions
+encore sur terre, et les Anglais croisant sur mer où l'on ne pouvait que
+difficilement passer, nous voilà donc obligés de nous retirer sous la
+ville de Gênes, en attendant quelques renforts qui n'arrivèrent pas
+assez tôt. Il faut donc comprendre la misère que nous avons souffert<a id="footnotetag67" name="footnotetag67"></a>
+<a href="#footnote67"><sup class="sml">67</sup></a>
+dans ce blocus. Si les habitants de la nation doivent une reconnaissance
+à ses défenseurs, ils la doivent en particulier aux troupes qui
+composaient la garnison de Gênes, soit par leurs souffrances, soit par
+leur intrépidité à défendre la ville malgré le manque de nourriture. Un
+peu de pain fabriqué avec de la paille hachée, du son, du cacao, un peu
+de miel pour pouvoir lier ce mélange ensemble; et quand on le retirait
+du four tombait-il en poussière. La viande était du mulet bien maigre;
+les chiens et les chats faisaient nos meilleurs repas. Grâce au jus de
+Bacchus! sans cela nous serions tous restés pour otages sous les murs de
+Gênes. Si la ville a capitulé, c'est le défaut de vivres et la grande
+mortalité qui en a été la seule cause. Au moment de la capitulation, on
+recevait par homme six onces de cette mauvaise fabrication de pain, mais
+toujours une bouteille de vin.</p>
+
+<p>La capitulation a été honorable pour nous; nous avons emmené autant
+d'artillerie qu'il nous a été possible, tous nos bagages et autres
+armements; tous nos malades et nos blessés ont été apportés en France
+sur les bâtiments anglais.</p>
+
+<p>C'est après la fameuse bataille de Marengo que les Français sont rentrés
+à la ville de Gênes et qu'il y a eu une suspension d'armes, pour en
+venir à une conclusion de paix; de sorte que l'ennemi a eu la ville de
+Gênes trois jours en possession, puis elle a été rendue par arrangement
+avec six autres villes et forts.</p>
+
+<p>Dans ce moment, étant revenus à Draguignan à notre dépôt, nous avons été
+envoyés à Digne, dans les Basses-Alpes, pour y prendre les eaux
+thermales où j'en ai fait usage sans en être soulagé, de sorte que j'ai
+été renvoyé dans mes foyers, le 5 vendémiaire an IX. Je suis arrivé à
+Longchamp-sur-Laujon le 29 vendémiaire.</p>
+
+<br><br>
+
+<h2>PRIÈRE</h2>
+
+<h3>DU SOLDAT RÉPUBLICAIN</h3>
+
+<p class="sml">N. B. Cette prière termine le manuscrit, elle est aussi de la main de
+Fricasse. À première vue, elle nous avait paru l'extrait d'un sermon de
+prêtre constitutionnel, mais nous avons changé d'idée en voyant le tour
+incorrect de certaines phrases, lignes 16, 17, 23, et surtout les
+dernières lignes.</p>
+
+<p>Elle peut parfaitement être l'oeuvre d'un sergent, et surtout d'un
+sergent qui a débuté au couvent comme jardinier. On doit reconnaître
+qu'il y a dans le second paragraphe une pensée juste et noble.</p>
+
+<br><hr class="short"><br>
+
+<h1>PRIÈRE</h1>
+
+<h2>DU SOLDAT RÉPUBLICAIN FRANÇAIS</h2>
+<br>
+
+<p>Dieu de toute justice, être éternel et suprême souverain, arbitre de la
+destinée de tous les hommes, toi qui es l'auteur de tous biens et de
+toute justice, pourrais-tu rejeter la prière de l'homme vertueux qui ne
+te demande que justice et liberté?</p>
+
+<p>Ah! si notre cause est injuste, ne la défends pas! La prière de l'impie
+est un second péché, c'est t'outrager toi-même que de te demander ce qui
+n'est pas conforme à ta volonté sainte.</p>
+
+<p>Mais nous te demandons que la puissance dont tu nous as revêtus soit
+conforme à ta volonté. Prends sous ta protection sainte une nation
+généreuse qui ne combat que pour l'égalité. Ôte à nos ennemis
+détestables la force criminelle de nous nuire; brise les fers des
+despotes orgueilleux qui veulent nous les forger. Bénis le drapeau de
+l'union sous lequel nous voulons tous nous réunir pour obtenir notre
+indépendance. Bénis les généreux citoyens qui exposent leur vie et leur
+fortune pour défendre leur patrie. Bénis les mères respectables de ces
+vertueux enfants de la patrie qui te prient de leur accorder victoire.
+Ouvre les yeux de ceux qui sont égarés dans nos foyers afin qu'ils
+rentrent à la raison, pour jouir avec nous des précieux fruits de
+l'égalité et de la liberté, et chanter avec nous les cantiques et les
+louanges dédiés à l'Être suprême.</p>
+
+<p>Nous adorons Dieu chacun à notre manière, sous la protection des lois et
+sous la surveillance de l'autorité constituée, et nous n'en sommes que
+meilleurs Républicains.</p>
+
+<br><br>
+
+<h2>SUPPLÉMENT</h2>
+<br>
+
+<h3>I</h3>
+
+<h3>LA LEVÉE EN MASSE</h3>
+
+<h5>Extrait des <i>Mémoires sur Carnot</i></h5>
+
+<p>Le projet d'une levée en masse avait fait hésiter d'abord la Convention:
+il l'étonnait par sa hardiesse; elle le renvoya à l'examen du Comité de
+salut public. C'était le 12 août. Le 14, Carnot fut adjoint au comité;
+le 16 le décret fut rendu au milieu des acclamations universelles; le
+23, une loi organisa en ces termes la <i>réquisition permanente de tout
+les Français pour la défense de la patrie</i>:</p>
+
+<p>«Les jeunes gens iront au combat; les hommes mariés forgeront les armes
+et transporteront les subsistances; les femmes feront des tentes, des
+habits, et serviront dans les hôpitaux; les enfants mettront le vieux
+linge en charpie; les vieillards se feront porter sur les places
+publiques pour exciter le courage des guerriers, prêcher la haine des
+rois et l'unité de la République;</p>
+
+<p>«Les maisons nationales seront converties en casernes, les places
+publiques en ateliers d'armes; le sol des caves sera lessivé pour en
+extraire le salpêtre;</p>
+
+<p>«Les armes de calibre seront exclusivement remises à ceux qui marcheront
+à l'ennemi: le service de l'intérieur se fera avec des fusils de chasse
+et l'arme blanche;</p>
+
+<p>«Les chevaux de selle sont requis pour compléter les corps de cavalerie;
+les chevaux de trait et autres que ceux employés à l'agriculture
+conduiront l'artillerie et les vivres.</p>
+
+<p>«Le Comité de salut public est chargé de prendre les mesures nécessaires
+pour établir sans délai une fabrication extraordinaire d'armes de tous
+genres, qui réponde à l'élan et à l'énergie du peuple français.»</p>
+
+<p>La France offrit bientôt à ses adversaires le tableau que Barère avait
+ainsi tracé d'avance.</p>
+
+<p>À Valmy, à Jemmapes encore, l'armée régulière avait joué l'unique rôle;
+mais, à dater du temps que nous racontons, elle fut absorbée par la
+multitude des volontaires et des réquisitionnaires. Désormais la
+République sera moins servie sur les champs de bataille par des
+militaires de profession que par des citoyens destinés à quitter
+l'uniforme après l'accomplissement de leur croisade: grand exemple qui
+révéla aux Français leur aptitude à acquérir promptement les qualités du
+soldat. Ce n'est pas que, dans les premiers moments, ces conscrits qui
+ne savaient pas tenir leur arme, qui s'élançaient follement et se
+débandaient au moindre choc, ne donnassent de la tablature aux généraux;
+la correspondance des représentants est toute semée de plaintes et
+d'inquiétude à leur sujet; mais leur noviciat ne fut pas long: «Dès la
+fin d'août, dit Jomini, les effets de la nouvelle levée se firent
+sentir; le déblocus de Dunkerque et celui de Maubeuge en furent les
+premiers résultats, et la grande réquisition acheva de nous assurer la
+supériorité.»</p>
+
+<p>Il faut ajouter que cette grande réquisition rencontra moins de
+difficultés que le recrutement de trois cent mille hommes au mois de
+mars précédent. Le mouvement révolutionnaire s'était étendu, et l'idée
+républicaine que tout citoyen doit le service à son pays avait gagné les
+esprits.</p>
+
+<p>Toutefois, ce n'est pas avec des bandes tumultueuses que la France
+aurait vaincu l'Europe; il fallait que la nation se transformât en
+armée.</p>
+
+<p>C'est alors que se déploya surtout l'activité de Carnot.</p>
+
+<p>Il s'agissait d'organiser, selon le principe d'unité, une multitude
+aussi peu homogène dans ses éléments que dans sa constitution.</p>
+
+<p>Elle se composait d'anciens soldats et de conscrits amenés, soit par la
+levée des trois cent mille hommes, soit par la levée en masse, sans
+compter les engagés volontaires de toutes les dates, les débris des
+compagnies franches et les étrangers.</p>
+
+<p>Certains corps étaient restés comme avant la Révolution, tandis que
+plusieurs généraux avaient formé les leurs en demi-brigade selon le mode
+nouveau; puis il existait des légions françaises ou étrangères, mélange
+de toutes armes. Il y avait des bataillons aguerris, expérimentés,
+d'autres entièrement novices; il y avait des différences considérables
+d'effectif entre les corps de même espèce; il y avait des grades
+irrégulièrement acquis et en nombre exagéré; des soldats incorporés à la
+hâte, sans qu'ils fussent aptes au service; les états manquaient à peu
+près complètement. Quant à l'irrégularité des fournitures et de la
+comptabilité, on aurait de la peine à s'imaginer ce qu'elle était.</p>
+
+<p>Par quel moyen ce chaos fut-il débrouillé? c'est ce que nous ne
+pourrions dire sans surcharger une simple biographie de détails qui
+appartiennent à l'histoire générale de l'armée française.</p>
+
+<p>Ce qui est certain, c'est que cette armée ne tarda pas à devenir la plus
+homogène de l'Europe.</p>
+
+<p>Effacer toute distinction extérieure fut un des premiers objets de
+sollicitude. La troupe de ligne avait en grande partie conservé l'ancien
+uniforme blanc, tandis que les nouveaux arrivés portaient l'habit
+national: source féconde en mésintelligence. Dès le 29 août, un arrêté
+prescrivit l'unité du costume.</p>
+
+<p>L'arme du génie reçut une organisation nouvelle, dont Carnot s'occupa
+tout spécialement. Les nombreuses compagnies de canonniers volontaires,
+qui s'étaient formées et remarquablement bien exercées, furent
+incorporées dans l'artillerie. On réussit même à improviser une
+cavalerie. La disette des chevaux était extrême: des achats faits dans
+toutes les contrées étrangères où nos agents purent pénétrer, une levée
+extraordinaire dans les cantons et les arrondissements de la République,
+et des dons spontanés nombreux, permirent de mettre en ligne des
+cavaliers capables de se mesurer avec les formidables escadrons des
+coalisés.</p>
+
+<p>En février 1792, la France n'avait qu'un effectif de 228,000 hommes
+(204,000 sous les armes); avant le mois de mai, grâce à l'activité
+déployée, elle comptait 471,000 soldats (présents 397,000); au 15
+juillet 479,000, si l'on s'en rapporte à une note de Saint-Just,
+conservée pour sa propre instruction, et dont nous possédons
+l'autographe. Le tableau officiel que nous consultons présente un
+chiffre qui s'en éloigne peu, 483,000 (inscrits, 599,000).</p>
+
+<p>En décembre, l'effectif de l'armée s'élevait à 628,000 hommes (présents
+sous les drapeaux, 554,000). Ce nombre alla croissant jusqu'à 1,026,000
+(732,000 sur terrain du combat en septembre 1794). Il n'y a pas de
+raison sérieuse pour contester ces états, publiés à une époque où
+l'exagération ne pouvait profiter de rien (1797). Cependant on a dit que
+les phalanges républicaines n'avaient jamais compté au delà de 600,000
+hommes, un écrivain les a réduites à 500,000, un autre à 400,000, en
+ajoutant qu'ils n'étaient ni armés, ni nourris, ni vêtus. Espère-t-on,
+par de telles assertions, rabaisser le mérite des dictateurs
+révolutionnaires? on l'élève au contraire. Moins on leur supposera de
+ressources entre les mains, plus admirable apparaîtra le résultat
+obtenu: la coalition vaincue ne doit pas de reconnaissance aux auteurs
+des nouveaux calculs.</p>
+
+<p>«Rien ne peut effacer cette vérité historique, que la Convention a
+trouvé l'ennemi à trente lieues de Paris, et qu'on a dû à ses prodigieux
+efforts de conclure la paix à trente lieues de Vienne.» C'est Benjamin
+Constant qui dit cela: Benjamin Constant est un esprit de 1791; partisan
+des principes, il est généralement peu admirateur des faits de la
+Révolution.</p>
+
+<br><br>
+
+<h3>II</h3>
+
+<h3>LEVÉE DU BLOCUS DE MAUBEUGE</h3>
+
+<h4>ET COMBAT DE WATIGNIES</h4>
+
+<h5>Extrait des <i>Mémoires sur Carnot</i></h5>
+
+<p>Des nouvelles alarmantes arrivaient du Nord.</p>
+
+<p>Malgré la victoire d'Hondschoote, qui promettait de donner aux armées
+françaises une prépondérance décisive, mais dont le général Houchard
+n'avait pas su tirer parti, la situation faite par Norwinde avait peu
+changé. Le Quesnoy était dans les mains des coalisés; maîtres déjà de
+Valenciennes et de Condé, ils possédaient l'Escaut; leur ambition allait
+maintenant à dominer également la Sambre, en s'emparant de Maubeuge, qui
+serait devenue leur base d'opérations. Cette place tombée, rien
+n'arrêtait sérieusement leur marche vers la capitale.</p>
+
+<p>Le 29 septembre, le prince de Cobourg força le passage de la rivière par
+six colonnes, investit Maubeuge, et porta son armée d'observation sur
+Avesnes et Landrecies.</p>
+
+<p>La place de Maubeuge, assez médiocre, était couverte par un camp
+retranché, avantageusement situé, où venaient de se rallier vingt mille
+hommes, qui se trouvèrent bloqués du même coup. Peut-être le général
+autrichien avait-il commis une imprudence en laissant se grouper cette
+force imposante dont il ne pouvait prévoir la malheureuse immobilité.
+Mais il n'ignorait pas que les approvisionnements de la ville seraient
+bientôt insuffisants pour des bouches aussi nombreuses. Les troupes, en
+effet, furent d'abord réduites à la demi-ration: au bout de peu de jours
+la disette était complète. Des maladies éclatèrent, et les hôpitaux ne
+pouvant plus contenir les malades, il fallut les déposer sous les
+hangars des faubourgs. Cependant les assiégeants élevaient des travaux
+formidables, trois batteries de vingt pièces de 24, et le cercle de
+leurs canons se resserrait tellement que les boulets passaient en
+sifflant au-dessus du camp retranché, pour aller porter la mort et la
+destruction dans la ville. Beaucoup d'habitants des environs s'y étaient
+réfugiés, et ils augmentaient les alarmes, en racontant le pillage de
+leurs fermes et l'incendie de leurs demeures.</p>
+
+<p>Trois commissaires de la Convention s'efforçaient de soutenir les
+courages. Ils voulurent faire connaître au gouvernement la situation
+critique de Maubeuge: l'un deux, Drouet, dès les premiers moments du
+blocus, tenta, avec plus d'audace que de prudence, de franchir les
+lignes ennemies: il fut pris et alla expier dans les cachots le souvenir
+de Varennes. Quelques jours après, treize dragons se dévouèrent; ils
+traversèrent la Sambre à la nage et parvinrent à gagner Philippeville.</p>
+
+<p>Mais la République n'avait pas attendu cet appel de détresse pour
+secourir ses enfants, les sauveurs approchaient. Dans la soirée du 14 au
+15 octobre, les assiégés entendirent, à travers le feu des Autrichiens,
+une canonnade plus lointaine. Ils n'osaient pas encore se livrer à la
+joie, les uns craignant que ce bruit n'annonçât le bombardement
+d'Avesnes, d'autres redoutant un piège de l'ennemi pour attirer nos
+soldats hors du camp et les mettre aux prises avec une armée qui les
+écraserait de sa supériorité. Au milieu de ces incertitudes, les
+défenseurs de Maubeuge demeurèrent inactifs, et ne secondèrent pas,
+comme ils l'auraient pu faire, les efforts de leurs libérateurs.</p>
+
+<p>Car cette canonnade était bien celle de l'armée française, qui arrivait
+au secours de la ville.</p>
+
+<p>Voici ce qui s'était passé:</p>
+
+<p>Les opérations militaires importantes et rapides qui devaient être
+exécutées dans le Nord, avaient fait sentir la nécessité d'une main plus
+jeune et plus forte que celle de Houchard. Carnot, témoin de la belle
+conduite de Jourdan à Hondschoote, le désigna au Comité. Son choix ayant
+été ratifié, il se rendit lui-même près du nouveau général pour lui
+porter sa commission, qui réunissait sous son commandement les forces
+disponibles des armées du Nord et des Ardennes. Jourdan esquissa un
+projet, que Carnot approuva dans ses données principales, et qui fut
+utilisé plus tard, mais qui ne lui paraissait pas en rapport avec
+l'imminence du danger. De retour au sein du Comité, il proposa d'aller
+attaquer directement l'ennemi dans sa redoutable position, afin de
+délivrer Maubeuge; c'était presque une question de vie et mort pour la
+République. Ses collègues trouvèrent l'entreprise trop audacieuse pour
+la confier à un général qui commandait en chef pour la première fois, et
+ils ne consentirent à l'adopter qu'à la condition que Carnot irait
+lui-même en prendre la direction.</p>
+
+<p>Celui-ci ne se donna pas même le temps d'aller dire adieu à sa famille.
+Il partit dans la nuit, après avoir envoyé un courrier à Péronne, où
+résidait son frère Feulins, prévoyant qu'il aurait besoin de lui pour
+quelque sorte de dévouement. À la demande de Carnot, on lui avait
+adjoint le conventionnel Duquesnoy, qui l'avait si bien secondé à
+l'attaque de Furnes, et qui allait également retrouver son frère sous
+les murs de Maubeuge. Tous, ainsi que Jourdan, se rencontrèrent à
+Péronne le 7 octobre, et ils se transportèrent à Guise, lieu du
+rendez-vous général, qui prit de là le nom de Réunion-sur-Oise. Carnot
+écrit: «Les soldats ont confiance en lui et ne demandent qu'à se battre;
+nous espérons ne pas les faire languir. L'affaire sera chaude; mais nous
+vaincrons et la patrie sera sauvée.» Et puis: «Il nous faudrait au moins
+quinze mille baïonnettes pour charger l'ennemi à la française.»</p>
+
+<p>Après une conférence entre Jourdan et les commissaires de l'Assemblée,
+le quartier général fut porté rapidement de Guise à Avesnes, à deux
+lieues des postes avancés du prince de Cobourg.</p>
+
+<p>Quarante-cinq mille soldats environ, tirés des camps de Gavarelle, de
+Cassel et de Lille, composaient l'armée française où les nouvelles
+levées étaient encore très imparfaitement organisées: Cobourg avait de
+soixante-quinze à quatre-vingt mille hommes, partagés en deux corps,
+l'un d'investissement (quarante mille au moins), autour de Maubeuge;
+l'autre d'observation (trente-cinq mille), au sud de cette ville, dans
+les positions de Wattignies, Doulers, Saint-Rémy et autres villages, le
+long d'un petit affluent de la Sambre, le Tarsy. Fortement postés sur
+des hauteurs hérissées de batteries, couverts par des fossés palissadés
+par des haies très élevées, par d'immenses coupes d'arbres renversés
+avec leurs branches, et toutes les routes étant rompues, les Autrichiens
+semblaient dans une position tellement inexpugnable, que leur général,
+en accès de jactance, dit à ses officiers: «Les Français sont de fiers
+républicains, mais, s'ils me chassent d'ici, je me fais républicain
+moi-même.»</p>
+
+<p>Cette bravade fut portée dans l'autre camp, où elle stimula vivement
+l'amour-propre national. Nos soldats se répétaient gaiement qu'ils
+iraient sommer le citoyen Cobourg de tenir sa parole.</p>
+
+<p>Le lendemain, 14 octobre, reconnaissance des positions ennemies par
+Jourdan et Carnot, fusillade engagée sur la ligne et terminée par
+quelques coups de canon, qui retentirent jusqu'à Maubeuge et allèrent
+porter l'espoir dans le coeur des assiégés.</p>
+
+<p>Le 15 au matin, les Français s'ébranlent: la division Fromentin,
+détachée à l'aile gauche, s'avance par l'ancienne voie romaine de Reims
+à Bavai, vers le village du Monceau. Au centre le général Balland, avec
+plusieurs batteries de 16 et de 12, débouche au travers la haie
+d'Avesnes, terrain fort inégal et couvert de bois (il l'est aujourd'hui
+de pâturage) et vient occuper les hauteurs en face de Doulers et de
+Saint-Aubin. Le général Duquesnoy, frère du député, commandait la
+droite, prend possession du village de Beugnies. Le quartier général est
+porté au point où la route de Soire-le-Château vient s'embrancher sur
+celle d'Avesnes à Maubeuge.</p>
+
+<p>Les opérations projetée avaient pour appui les places de Rocroy,
+Marienbourg, Philippeville, et les détachements qui s'avançaient de ce
+côté par les ordres de Jourdan: car nous avons dit que, dans ces graves
+circonstances, le Comité avait mis l'armée des Ardennes à sa
+disposition.</p>
+
+<p>Vers sept heures du matin, le général en chef s'avance, accompagné des
+deux représentants de la Convention. Le signal de l'attaque est donné
+sur tous les points à la fois. Le plan adopté avait pour but, en quelque
+endroit que l'on fût victorieux, de se précipiter vers Maubeuge pour
+donner la main au camp retranché. Mais en cas de revers, on conservait
+toujours la route de Guise. Les deux ailes devaient marcher rapidement,
+tandis qu'au centre, à Doulers, on se bornerait à une canonnade. Des
+batteries, postées devant ce village, démontèrent celles que l'ennemi
+avait établies au delà, derrière les habitations qui bordent la grande
+route. Les boulets des deux artilleries se croisaient par-dessus le
+village situé à mi-côte. Plusieurs de nos pièces, servies par les braves
+canonniers de la commune de Paris, firent merveille, comme à
+l'ordinaire.</p>
+
+<p>Tout sembla marcher d'abord à souhait: le général Fromentin, à la tête
+de douze mille fantassins, délogea les tirailleurs autrichiens des
+hauteurs qui couronnent les villages de Saint-Remy et de Saint-Waast.
+Duquesnoy gagnait également du terrain sur la droite; maître de Dimont
+et de Dimechaux, il commençait déjà le feu contre Wattignies. Nos ailes
+semblaient devoir se joindre par un mouvement concentrique, qui mettait
+l'armée ennemie dans le plus grand péril.</p>
+
+<p>À la nouvelle de ces succès, capables d'amener la perte totale des
+Autrichiens, la canonnade de Doulers fut transformée en une attaque de
+vive force. L'entreprise était difficile. La division Balland (environ
+treize mille hommes) voyait sur tous les points culminants, au delà du
+village, déjà puissamment défendu, une masse de bouches à feu
+menaçantes, et aux abords de toutes les routes une cavalerie impatiente
+de s'élancer.</p>
+
+<p>Rien pourtant ne fit hésiter les républicains: ils coururent à l'ennemi
+en chantant la Marseillaise, ayant à leur tête, avec le général en chef,
+les représentants du peuple, dont l'exemple les enthousiasmait; ils
+franchirent impétueusement les premiers obstacles du terrain,
+pénétrèrent à la baïonnette dans le village et s'emparèrent du château;
+ils s'apprêtaient à escalader les hauteurs qui sont au delà du vallon de
+la Bracquière, lorsqu'une épouvantable mitraille vint les arrêter.
+Menacés en même temps par la cavalerie prête à charger sur leurs flancs,
+ils furent contraints d'abandonner les positions conquises avec tant
+d'héroïsme.</p>
+
+<p>La rapidité avec laquelle ces positions avaient été enlevées par nos
+jeunes soldats permettait cependant de grandes espérances pour une
+seconde tentative. Leur élan était irrésistible. Les commissaires de
+l'Assemblée voulurent le mettre à profit. Le général balançait. Carnot,
+dans un mouvement d'impatience, laissa échapper ces mots: «Pas trop de
+prudence, général!»--Jourdan, blessé au vif (et blessé justement, il
+faut en convenir), donne aussitôt le signal d'une nouvelle attaque, et
+la fait appuyer par une colonne de cavalerie, chargée de tourner la
+position. Cette cavalerie, trouve toutes les issues barricadées. Pendant
+ce temps l'assaut recommence: mêmes efforts, même succès d'abord même
+issue fatale.</p>
+
+<p>Cette fois, ce fut Jourdan, piqué d'honneur, qui voulut absolument
+retourner à la charge, mais sans meilleur résultat: les Autrichiens
+venaient de recevoir du renfort de leur droite, où nos affaires
+s'étaient gâtées.</p>
+
+<p>Le général Fromentin, enivré par ses premiers avantages, au lieu de
+longer la lisière du grand bois Leroy, comme on lui avait recommandé de
+le faire, afin de pouvoir s'abriter contre la cavalerie supérieure de
+l'ennemi, s'était imprudemment aventuré dans la plaine de Berlaimont,
+avec des troupes de nouvelle levée; les escadrons autrichiens,
+débouchant tout à coup des bois de Doulers, les assaillirent et jetèrent
+dans leurs rangs la panique et la déroute.</p>
+
+<p>Dès que ces fâcheuses nouvelles furent connues au centre, on dut
+renoncer à l'attaque de Doulers, calculée sur les progrès des deux
+ailes. Il fallait changer le plan, que l'échec de Fromentin venait de
+compromette.</p>
+
+<p>Le premier cri de Jourdan fut celui-ci: «Allons au secours de l'aile
+gauche!» l'ordre en était déjà donné, lorsque Carnot survint: «Général,
+dit-il avec vivacité, voilà comme on perd une bataille!» et l'ordre fut
+révoqué.</p>
+
+<p>La nuit était venue, la fusillade cessa; les deux armées bivaquèrent sur
+le champ du combat.</p>
+
+<p>Le conseil s'étant rassemblé, Jourdan développa son opinion: selon les
+principes de l'ancienne guerre, il proposait d'abandonner toute pensée
+d'attaque sur le centre de l'ennemi, et de diriger des forces vers notre
+aile gauche, afin d'y rétablir l'équilibre. Carnot soutint au contraire
+qu'il fallait rappeler la division Fromentin, et concentrer nos efforts
+sur la droite, déjà en voie de succès, manoeuvre qui nous conservait les
+avantages de l'offensive, si importante pour de jeunes soldats, peu
+faits aux chances de la guerre. «Qu'importe, s'écria-t-il, que nous
+entrions à Maubeuge par la droite ou par la gauche?»</p>
+
+<p>--C'est là que nous devons triompher?» ajouta-t-il en mettant le doigt
+sur le plan au point de Wattignies. Wattignies étant plus rapproché que
+Doulers de la ville et du camp, cette position enlevée, l'autre devenait
+sans importance. D'ailleurs les corps détachés de l'armée des Ardennes,
+qui s'avançaient sous les ordres des généraux Elie et Beauregard, vers
+l'extrême gauche de l'ennemi, allaient bientôt se trouver en mesure
+d'appuyer le mouvement proposé par Carnot. «Si nous cédons à l'avis du
+représentant du peuple,» dit Jourdan, «je le préviens qu'il en prend la
+responsabilité.--Je me charge de tout, et même de l'exécution,» s'écria
+Carnot avec une ardeur qui entraîna le conseil. Jourdan eut le bon
+esprit de faire sienne l'idée qu'il venait de combattre, et la seconda
+avec autant d'intelligence que d'empressement.</p>
+
+<p>Carnot comptait sur la nature d'un terrain très escarpé et très boisé,
+qui cacherait notre marche, et qui, cette marche découverte, permettrait
+de se défendre avec des forces peu considérables, soutenues par la place
+d'Avesnes. Il comptait aussi sur le caractère connu du général allemand,
+qui ne présumerait jamais, de la part de ses adversaires, une manoeuvre
+aussi éloignée de la stratégie en usage, et duquel on ne devait guère
+attendre non plus un trait hardi et improvisé.</p>
+
+<p>Il faut ajouter qu'un heureux hasard vint favoriser les Français: un
+brouillard épais, phénomène fréquent dans cette saison, s'éleva entre
+eux et celui qui avait tant d'intérêt à observer leur mouvement; il dura
+jusque vers midi. Derrière ce rideau, six ou sept mille hommes, partis
+du centre et de la gauche, passèrent à la droite; cette manoeuvre donna à
+notre armée une direction perpendiculaire à celle qu'elle avait eue la
+veille. Le prince de Cobourg, qui nous croyait dans l'ancienne
+disposition, n'avait rien changé à la sienne. Pendant le même temps; le
+général Beauregard, après s'être emparé des villages de Berelles et
+d'Eccles, vint se placer derrière Obrechies, pour seconder l'attaque que
+l'on méditait.</p>
+
+<p>Afin de mieux dérouter l'ennemi, les généraux Balland et Fromentin
+entretinrent le feu de leurs batteries du côté de Doulers, feignant de
+vouloir renouveler les tentatives de la veille, tandis que Jourdan et
+les représentants du peuple marchaient au plateau de Wattignies, qui
+allait devenir le but d'un effort concentrique. Vingt-quatre mille
+hommes allaient y combattre. Les Autrichiens demeurèrent stupéfaits
+lorsque le brouillard s'étant déchiré, un soleil splendide leur montra
+une masse d'assaillants gravissant vers eux au cri de Vive la
+République! Carnot et Duquesnoy s'avançaient à la tête d'une des trois
+colonnes d'attaque, leurs chapeaux de représentant sur la pointe de
+leurs sabres.</p>
+
+<p>La position des Autrichiens était très forte. Le village de Wattignies,
+qui donna son nom à la bataille, est situé sur un plateau élevé,
+qu'entourent des vallons profonds et des cours d'eau, et ces obstacles
+naturels avaient encore été augmentés par de nombreux retranchements. Le
+plateau lui-même se trouve dominé par les hauteurs de Clarye,
+aujourd'hui cultivées, mais alors couvertes de bruyère et également
+occupées par l'ennemi.</p>
+
+<p>L'infanterie française marchait, soutenue par des batteries de campagne,
+dont les boulets lui ouvraient la voie: «De l'aveu des Autrichiens, dit
+un historien (Toulongeon), jamais ils n'avaient vu une si terrible
+exécution d'artillerie. Ils dirent qu'ils entendaient, pendant les
+détonations des bouches à feu, retentir dans les rangs républicains les
+chants belliqueux et les airs patriotiques.»</p>
+
+<p>Cependant le feu de l'ennemi, n'était ni moins bien nourri, ni moins
+meurtrier que le nôtre; les tirailleurs du général Duquesnoy, refoulés,
+renversés, mitraillés, reculèrent. En ce moment le colonel
+Carnot-Feulins aperçut un bataillon de nouvelles recrues qui s'était
+réfugié dans un pli du terrain, à l'abri des coups, les soldats groupés
+autour de leur commandant, «comme des poulets effrayés par un oiseau de
+proie.» C'est l'expression dont se servait mon oncle en racontant cet
+épisode. Après leur avoir vainement ordonné de marcher, Carnot-Feulins
+saisit l'officier par le collet de son habit et l'entraîne au pas de son
+cheval jusque sous la mitraille; le bataillon, qui l'a suivi, rachète
+par une charge vigoureuse cette minute de poltronnerie.</p>
+
+<p>Deux fois les Français sont repoussés avec des pertes considérables.
+Enfin un assaut général semble nous donner la victoire partout en même
+temps: Fromentin oblige son adversaire Bellegarde d'abandonner les
+redoutes de Saint-Waast et de Saint-Aubin; Balland chasse les grenadiers
+bohêmes des hauteurs de Doulers, qui foudroyaient Wattignies; nos
+tirailleurs redoublent d'efforts. Le village de Wattignies est pris et
+repris à la baïonnette, malgré les haies et les palissades qui entourent
+ces jardins; trois régiments autrichiens sont anéantis; l'ennemi se
+retire en désordre sur les hauteurs de Clarye, où il trouve une position
+dangereuse encore pour les vainqueurs.</p>
+
+<p>Cobourg a compris le nouveau plan de ses adversaires; il a rappelé vers
+le centre une portion de son aile droite, et au moment où une brigade
+française, sous les ordres du général Gratien, s'avance en tiraillant au
+milieu des bruyères, les cavaliers impériaux accourent sur elle l'épée
+haute; elle ne soutient pas le choc, elle se débande et ouvre une large
+trouée, par où les chevaux se précipitent. Le général lui-même commande
+la retraite.</p>
+
+<p>Cet acte de faiblesse et de désobéissance (car Gratien avait des ordres
+formels qui lui prescrivaient de se porter en avant), pouvait
+démoraliser nos soldats et compromettre tous leurs avantages. Carnot,
+l'aîné, s'en aperçoit, il s'élance vers la brigade Gratien, la fait
+mettre en bataille sur un plateau élevé, en vue de toute l'armée, et
+destitue solennellement le chef qui venait de reculer devant l'ennemi,
+puis il saute à bas de son cheval et forme cette brigade en colonne
+d'assaut.</p>
+
+<p>En ce moment son regard découvre un pauvre conscrit, blotti derrière une
+haie et tremblant de tous ses membres, Carnot s'approche de lui, ramasse
+son fusil, le décharge sur l'ennemi, puis ramène le jeune homme et le
+place dans les rangs. Prenant ensuite l'arme d'un grenadier blessé, il
+marche à la tête d'une colonne, tandis que son collègue Duquesnoy, comme
+lui revêtu de l'écharpe nationale et du costume de représentant,
+s'avance avec Jourdan à la tête de l'autre. Les soldats honteux de leur
+fuite, veulent en effacer le souvenir par un redoublement de courage en
+présence des commissaires de l'Assemblée: ils s'élancent avec
+impétuosité.</p>
+
+<p>Le colonel Carnot-Feulins fait en ce moment une manoeuvre décisive: il
+porte rapidement une batterie de douze pièces sur le flanc de la
+cavalerie autrichienne, qui venait de nous faire tant de mal: son feu,
+bien dirigé, renverse les escadrons. L'ennemi s'arrête, recule et fuit
+dans la direction de Beaufort.</p>
+
+<p>La position, cette fois, était enlevée.</p>
+
+<p>Les deux représentants du peuple atteignirent en même temps le sommet du
+plateau; vainqueurs tous deux, ils s'embrassèrent aux yeux des soldats
+enivrés, et un immense cri de Vive la République! apprit à l'armée
+française son triomphe, à l'ennemi sa défaite.</p>
+
+<p>Belle journée, qui arracha cette exclamation patriotique à un émigré,
+Chateaubriand: «Les Français recouvrèrent à Wattignies ce brillant
+courage qu'ils semblaient avoir perdu depuis Jemmapes.</p>
+
+<p>«On les vit se précipiter avec cette ardeur qui distingue leur première
+charge de celle des autres peuples.»</p>
+
+<p>Le soir même, le prince de Cobourg, jugeant prudent de ne pas attendre
+un second choc de ces soldats républicains, qu'il qualifiait d'enragés
+dans son bulletin, prit le parti de repasser la Sambre, bien que ses
+lieutenants, Haddick et Benjowski, eussent obtenu d'assez notables
+avantages à l'aile gauche, sur les généraux français Élie et Beauregard,
+et bien que le duc d'York accourût à son aide, ce qui peut-être eût fait
+tourner la chance en sa faveur. Un brouillard comme celui qui avait
+favorisé la veille notre heureuse évolution couvrit celle que dut faire
+l'ennemi pour se mettre hors de notre portée. Il avait perdu trois mille
+hommes, et nous moitié de ce nombre.</p>
+
+<p>Beaucoup d'officiers s'étaient distingués: parmi eux le brave
+d'Hautpoul, tué plus tard à Eylau, et Mortier, futur maréchal de France,
+blessé à l'attaque de Doulers. Celui-ci reçut de Carnot, pendant qu'on
+le pansait à l'ambulance, le grade d'adjudant général. Quant aux
+soldats, le rapport de Jourdan résume leur conduite en un mot:
+«C'étaient autant de héros!»</p>
+
+<p>La nuit avait couvert le champ de bataille. Carnot, éloigné des siens,
+privé de monture, excédé de besoins et de lassitude était demeuré seul,
+tourmenté par la pensée que sa présence pouvait être nécessaire au
+quartier général pour arrêter les dispositions du lendemain; car il
+ignorait encore la fuite de l'ennemi. Il fut heureusement rencontré par
+un détachement de cavalerie, dont le chef lui fit accepter son cheval et
+l'escorta jusqu'à Avesnes. L'alarme s'y était déjà répandue: on
+craignait que l'un des représentants de l'Assemblée ne fût au nombre des
+morts, et l'on avait envoyé à sa découverte.</p>
+
+<p>«Le 17,» raconte un historien local, «les vainqueurs de Wattignies
+longeaient le cours de la Sambre et entraient à Maubeuge, au milieu des
+transports d'une joie frénétique. La fumée de la poudre, la poussière
+des bivacs, ainsi que le désordre de leurs vêtements,--joints à
+l'assurance que procure la victoire, leur donnaient un air martial et
+terrible, qui contrastait avec l'abattement et le dépit des troupes du
+camp, honteuses de leur inaction, et ne sachant comment répondre aux
+reproches amères qui leur étaient adressés!...»</p>
+
+<p>Sans cette déplorable inaction, en effet, notre victoire eût été
+beaucoup plus complète, et toute l'artillerie de l'ennemi serait
+probablement tombée entre nos mains.</p>
+
+<p>La Convention, la République entière joignirent leurs acclamations
+reconnaissantes à celles des habitants de Maubeuge: la Révolution venait
+d'échapper à l'un de ses plus grands périls.</p>
+
+<p>Carnot repartit pour Paris immédiatement; et, dès le surlendemain, il
+écrivait à l'armée pour la féliciter de son triomphe, sans donner à
+entendre, même indirectement, qu'il en avait été spectateur et acteur.
+Il semblait n'avoir pas quitté son bureau.</p>
+
+<br><br>
+
+<h3>III</h3>
+
+<h3>ÉVACUATION DE KEHL</h3>
+
+<h5>Extrait d'un <i>Mémoire militaire sur Kehl</i>, par un officier supérieur<br> de l'armée. Strasbourg, Levrault, 1797.</h5>
+
+<p>Ainsi finit, après cinquante jours de tranchée ouverte et cent quinze
+jours d'investissement, un des sièges mémorables que puisse offrir
+l'histoire. En effet, on voit d'une part une armée de soixante-dix
+bataillons aguerris, fière d'avoir forcé son ennemi à la retraite,
+déployer tout l'appareil d'un grand siège contre des retranchements
+informes, suppléant à l'audace qui lui manque par l'immensité de ses
+travaux, faisant le siège de quelques ouvrages détachés, déployant une
+artillerie formidable contre des masures occupées par des tirailleurs;
+néanmoins son adversaire dispute le terrain pied à pied; elle est forcée
+de donner un assaut à chaque partie d'ouvrage où elle veut se loger et
+perd en détail plus de soldats qu'une attaque générale ne lui on eût
+coûté. Enfin elle arrive à son but après avoir perdu six mille hommes et
+consommé les munitions nécessaires au siège d'une place de première
+ligne.</p>
+
+<p>De l'autre côté, une place construite à la hâte, en terre, dont quelques
+parties seulement sont revêtues, sans bâtiments, sans magasins, sans
+abris; liée à un camp retranché d'un grand développement, mais dont les
+principales défenses consistant en flaques et en marais se trouvent
+réduits à rien par la gelée. À la vérité, elle a l'avantage de ne
+pouvoir être entièrement bloquée et de conserver une communication
+facile avec Strasbourg, ce qui en impose assez à l'ennemi pour l'engager
+à ne rien donner au hasard: quoique défendue par des troupes harassées
+d'une longue retraite, auxquelles on ne peut fournir les objets
+d'habillement et les soulagements les plus indispensables, le terme de
+sa défense dépasse de beaucoup celui qu'on eût pu lui prescrire...
+Presque toutes les palissades étaient renversées, les fossés comblés en
+partie par les éboulements des parapets, et l'arrivée des renforts
+devenue très difficile... On se décida donc à évacuer... On n'eut guère
+que vingt-quatre heures pour tout enlever. Néanmoins on y mit une telle
+activité qu'on ne laissa pas à l'ennemi une seule palissade; tout fut
+ramené à la rive droite, jusqu'aux éclats de bombes et d'obus, et aux
+bois des plates-formes.</p>
+
+<br><br>
+
+<h2>UNIFORMES FRANÇAIS</h2>
+
+<h3>(ARMÉES DE SAMBRE-ET-MEUSE ET RHIN-ET-MOSELLE)</h3>
+
+<br><hr class="short"><br>
+
+<p>Je tenais particulièrement à donner avec ce journal des dessins
+d'uniformes français dont l'authenticité fût égale à celle du texte.
+Bien qu'il n'y ait pas encore un siècle écoulé depuis 1792, la chose
+était malaisée. Il est plus facile de retrouver la tenue exacte d'un
+fantassin du quinzième siècle que celle d'un soldat de l'armée de
+Rhin-et-Moselle. Après l'avoir vainement cherchée en France, c'est en
+Allemagne que je l'ai rencontrée, grâce à mon confrère Raffet, du
+Cabinet des Estampes de la Bibliothèque nationale.</p>
+
+<p>Pour bien connaître certains secrets de la vie parisienne, il convient
+souvent de lire les correspondances des journaux étrangers. De même, il
+faut voir les gravures allemandes de 1792 à 1802 pour se faire une idée
+de la tenue qu'avaient alors nos troupiers en campagne. Rien de plus
+imprévu ni de plus décousu; on se figure aisément la surprise des bons
+Germains habitués à la correction de tenue et de mouvements des armées
+disciplinées à la prussienne. Leurs dessinateurs ont aussitôt voulu en
+fixer le souvenir; ils n'ont rien dissimulé des habits déchirés, des
+chemises en lambeaux, des souliers troués; ils ont mis à nu toutes les
+misères de ces conquérants affamés, qu'ils personnifient souvent en la
+personne d'un maigre fantassin ouvrant la bouche pour avaler cette boule
+ronde qui représente le monde, avec l'inscription: <i>il y passera</i>.</p>
+
+<p>Les Allemands devaient sentir cruellement la présence de ces bandes qui
+vivaient généralement sur leurs conquêtes, et cependant ils ne peuvent
+donner d'air féroce à leurs oppresseurs. Autant ils prêtent une mine
+grognonne à leurs compatriotes en armes, autant ils conservent un air
+souriant à ces endiablés qui veulent absolument boire leur vin et danser
+avec leurs filles, non sans leur prodiguer les caresses les plus
+cavalières. Ils ont même voulu sans doute faire honte aux faiblesses des
+femmes qui ont fini par sourire à ces gueux, car une de leurs
+caricatures favorites représente un pantalon d'uniforme français dont
+chaque jambe est tirée en sens contraire par deux commères rivales.
+D'autres sujets favoris sont le départ du régiment, les femmes en
+pleurs, et des petits berceaux où le nouveau-né montre une tête
+miraculeusement coiffée d'un bonnet de grenadier.</p>
+
+<p>Il faut avouer que les séducteurs n'avaient que la figure pour eux et
+qu'il leur fallait une amabilité prodigieuse pour masquer les désastres
+de leur uniforme. Des artistes de talent ont, après coup, naturalisé en
+France un type <i>correct</i> du soldat républicain; il porte moustaches, a
+le cou découvert, la cravate noire; son chapeau est mis <i>en colonne</i> et
+son pantalon a des raies roses; mais en réalité c'est moins coquet.
+D'abord le chapeau à cornes, considéré comme gênant, est coiffé
+crânement en bataille comme celui des gendarmes, et le plus souvent à
+rebours, bien en arrière, cocarde et panache du côté du dos. La ganse de
+la cocarde sert de ratelier à divers menus objets. Tantôt c'est la pipe
+qu'on y passe; tantôt la cuiller et la fourchette à deux pointes s'y
+croisent en manière de pompon gastronomique. Quelquefois la cuiller
+change de place et se passe élégamment dans deux boutonnières du revers
+d'habit. Le casque et le bonnet de hussard sont également rejetés en
+arrière de la tête. La moustache est une exception. La cravate monte
+très haut, fait plusieurs tours et ses bouts retombent avec un gros noeud
+sur les buffleteries. Cette forte cravate, presque toujours rayée, est
+plus souvent jaunâtre que noire. Comme on le verra, l'habit boutonne peu
+et les coudes, parfois troués, donnent une triste idée de la blancheur
+que pouvaient avoir conservée les revers et le gilet.</p>
+
+<p>Le pantalon est à pont, plus ou moins bien boutonné; s'il est rayé, ses
+rayures affectent toutes les dispositions et toutes les couleurs; les
+carreaux, les losanges, les zébrures se remarquent dans l'uniforme des
+volontaires, et certains officiers, qui portent le sac au dos comme
+leurs soldats, ont de véritables chausses collantes, rayées
+horizontalement de rouge, blanc et bleu maintenues par des sous-pieds
+fort longs qui vont chercher le pantalon au-dessus de la cheville. Les
+chaussures, dont nous avons rempli tout exprès une page, sont presque
+toujours dans le plus triste état; un chasseur à pied que nous
+reproduisons plus loin, paraît n'avoir plus que des semelles fixées par
+des lanières. Un autre a les pieds complètement nus. La cavalerie n'en
+est pas encore aux habits à pans écourtés, même dans certains régiments
+de hussards, elle reste fidèle aux pans longs agrémentés de passepoils
+et de force boutons; la basane qui protège quelques pantalons a des
+contours à la grecque; le bonnet des hussards est surmonté d'un panache
+presque aussi long, et le casque sans visière des dragons disparaît avec
+une partie du visage sous une crinière échevelée qui leur donne un
+aspect féroce. L'artillerie ne se distingue que par sa tenue complète de
+drap bleu; son aspect sévère est relevé par les soutaches rouges du
+gilet dans l'artillerie à cheval.</p>
+
+<p>Le havre-sac de beaucoup de soldats n'a rien de la forme régulière
+d'aujourd'hui. C'est un sac ordinaire en cuir ou en toile brune, serré à
+la gorge par une ficelle, maintenu par des bretelles; et il descend
+presque sur les reins du patient, ce qui devait augmenter le poids.</p>
+
+<p>Un seul soldat porte le bonnet de police à flamme longue avec un havre
+sac vraiment militaire, mais dont les courroies retiennent tout un
+monde. Dans le haut s'étale une oie; son cou est serré par la bretelle,
+et sa tête retombe mélancoliquement dans la direction d'une marmite
+ballottant à hauteur de la giberne. Le centre est barré par un pain
+long, et un flacon pend sur le côté droit. On voit que l'assortiment est
+complet et que nos zouaves n'ont rien inventé. Les officiers ont des
+pistolets à la ceinture, et portent le hausse-col retenu par une
+chaînette ou par un cordon plus long qu'on ne l'a porté depuis; c'est
+avec le sabre le seul insigne qui annonce le grade sur la longue capote
+de campagne. Presque tous les tambours sont des enfants ou des
+adolescents; comme âge, Barras n'était pas une exception.</p>
+
+<p>J'ai parlé de la surprise causée de l'autre côté du Rhin par
+l'apparition des armées républicaines. On a peine à croire qu'elle se
+soit traduite d'une façon flatteuse pour nos armes, et cela au coeur même
+des pays allemands. Rien n'est cependant plus certain quand on peut être
+mis en présence d'une sorte d'album, in-quarto oblong imprimé à Leipzig
+en 1794 pour le compte du libraire Friedrich August Leo. Le texte
+allemand et français est précédé des deux titres généraux que voici:</p>
+
+<p> <i>Abbildung und Beschreibung Verschiedener Truppen des franzosischen
+ armee, mit illuminirten Kupfern</i>.</p>
+
+<p> Représentation et description de différentes troupes de l'armée
+ française, avec des planches coloriées.</p>
+
+<p>Le texte est sur deux colonnes. Voici le titre particulier de la partie
+française:</p>
+
+<p>«Description des quelques corps composant les armées (françaises), par
+un témoin oculaire. <i>Leipzig, bei Friedrich August Leo</i>, 1794.»</p>
+
+<p>Cette description nous a paru si intéressante et même si surprenante au
+point de vue politique que nous la reproduisons intégralement ici. Son
+rapport avec notre sujet est direct, et les détails donnés sont d'une
+exactitude précieuse<a id="footnotetag68" name="footnotetag68"></a>
+<a href="#footnote68"><sup class="sml">68</sup></a>.</p>
+
+<p>L'auteur allemand s'exprime en ces termes:</p>
+
+<p>«L'énergie, la bravoure et la constance avec laquelle les troupes
+françaises font une guerre qui n'a pas encore d'exemple dans l'histoire,
+doivent faire réfléchir toute tête à laquelle les intérêts de ce bas
+monde ne sont pas indifférents.</p>
+
+<p>«Combien de choses jusqu'à présent a-t-on cru sur parole indispensables
+à une armée pour la rendre victorieuse et dont se sont passé depuis
+quatre ans les armées françaises?</p>
+
+<p>«La sévère discipline que Frédéric II avait introduite parmi ses troupes
+a fait beaucoup d'imitateurs et trouvé une infinité de partisans. Trompé
+par l'apparence, on s'est imaginé que la sévérité poussée jusqu'à la
+plus inhumaine contrainte, rendait des automates invincibles ou
+victorieux. On en aurait jugé bien autrement dans le temps des succès de
+Frédéric, si on avait eu le mot de l'énigme...</p>
+
+<p>«La guerre présente est bien capable de détruire une prévention qui fait
+généralement à chaque soldat une victime dévouée aux coups de bâton de
+toute une échelle de supérieurs.</p>
+
+<p>«Partout on prétend que les armées agissent et partout le soldat est une
+créature passive qui ne peut ni se mouvoir ni agir. En garnison on
+accoutume le soldat à s'humilier sous le bâton, et quand on a la guerre
+on prétend qu'il soit sensible à l'affront d'une défaite dont la honte
+ne retombe jamais sur lui.</p>
+
+<p>«C'est cependant avec des hommes ainsi dégradés qu'on prétend vaincre
+des troupes qui ne connaissent de différences entre les individus que
+celles des fonctions qui leurs sont confiées; de discipline que le
+devoir du degré où chacun se trouve placé, et de subordination que celle
+qu'imposent la loi et l'avantage du service. Jamais en avilissant
+l'homme on ne lui fera faire de grandes choses; ce n'est qu'en lui
+montrant qu'il est digne de cet honneur qu'on lui fait venir l'envie de
+l'acquérir.</p>
+
+<p>«Les hommes sont ce qu'on les fait. C'est à ceux qui les emploient à
+savoir les manier, les former tels qu'ils doivent être pour remplir ce
+qu'on en attend. Mais on ne doit pas s'attendre qu'on les intéresse à
+faire réussir des projets qui ne leur offrent aucune perspective
+avantageuse pour eux ou les leurs contre des hommes qui se sont donné
+une manière d'être qu'ils trouvent bonne et qu'ils croient avoir droit
+de défendre envers et contre tous...</p>
+
+<p>«Entre princes, la guerre est un jeu de hasard où le dernier écu décide.
+Entre princes et nation c'est le lion enveloppé d'un filet: la souris
+n'est pas toujours là pour en ronger les mailles. On perd quelquefois de
+vue que l'on ne peut rien si l'on n'est soutenu de cet accord général
+qui fait voler toutes les volontés vers un même but. Vouloir agir dans
+cet état d'erreur, c'est s'exposer à des disgrâces, ou tout au plus à
+des succès éphémères. C'est ce que prouve l'expérience de tous les
+temps. Les princes créent des armées, mais que de peines et de dépenses
+il leur en coûte... combien d'intérêts privés il faut ménager dans la
+levée des recrues! Combien de temps s'écoule avant que ces nouvelles
+levées puissent entrer en campagne! Le mal n'est pas grand si c'est
+contre un prince que l'on est en guerre. Est-ce au contraire contre une
+nation? Elle se lève et marche, et il est facile de voir de quel côté
+sera l'avantage.</p>
+
+<p>«Une nation levée ainsi n'a pas, il est vrai, ce coup d'oeil flatteur
+qu'offre un ancien régiment lorsqu'il est rangé en parade, où tous les
+soldats semblent coulés dans le même moule. Cette rigoureuse uniformité
+en impose, mais elle n'est pas, comme on le voit à présent,
+indispensablement nécessaire à la victoire. La garde nationale n'est pas
+une troupe moins courageuse, bien qu'irrégulièrement vêtue, que celles
+de cette ligne, où cette régularité s'observe plus exactement.</p>
+
+<p>«Animés du même esprit, ces diverses troupes combattent avec la même
+bravoure, bravent la mort avec le même courage, supportent en commun
+travaux et fatigues.</p>
+
+<p>«L'on ose donc croire que le public ne verra pas avec indifférence
+l'image de quelques-uns des corps dont les armées républicaines sont
+composées. Les figures enluminées sont représentées au naturel, telles
+que les a vues un témoin oculaire. Nous nous sommes contenté d'en
+multiplier les copies sans y rien changer.</p>
+
+<p>«Les dragons font en France un service tout autre que dans les armées
+des autres souverains. On les place sur les ailes, dans des postes
+avancés, au passage des rivières, aux défilés ou aux têtes de pont. Mais
+leur véritable place, un jour de bataille, est au corps de réserve, à
+cause de la vitesse avec laquelle on peut les faire mouvoir et de la
+vivacité avec laquelle ils chargent l'ennemi. On les emploie encore
+diversement dans les sièges et dans une infinité de cas où on les fait
+suppléer à l'infanterie aussi bien qu'à la cavalerie. Aussi leur fait-on
+également bien apprendre les exercices de ces deux armes. Jusqu'à la fin
+de la guerre de Sept ans, ils furent habillés de rouge; mais depuis on
+les a habillés de vert. Leur uniforme est: habit vert, parements,
+revers, collet et doublure rouges, veste et culotte blanches ou ventre
+de biche, casque de laiton poli surmonté d'une touffe de crins noirs
+pendant sur l'arrière de la tête, bottes molles et sabres recourbés à la
+housarde. Leurs chevaux sont ordinairement de quatre pieds à quatre
+pieds deux pouces. À cheval, leurs armes sont un fusil, deux pistolets
+et le sabre; à pied, ils n'ont que le fusil et le sabre. On n'y admet
+que des jeunes gens vigoureux, lestes, bien faits et qui montrent
+beaucoup d'adresse.</p>
+
+<p>«Les grenadiers à cheval durent leur première création à Louis XIV. Pour
+mettre le lecteur à même de juger de quels hommes cette troupe a
+toujours été composée, c'est que, pour la former chaque capitaine de
+grenadiers fut tenu de fournir un homme de la taille requise,
+généralement reconnu pour fort et brave et portant moustache. Cet esprit
+de corps, ce courage à toute épreuve ne se sont jamais démentis. Leur
+uniforme est bleu foncé, parements, revers et collet écarlates, boutons
+blancs sur lesquels est imprimé l'arbre de la liberté avec le bonnet et
+autour l'inscription: <i>République française</i>; veste et culottes blanches
+blanc d'argent et aussi des culottes de peau. Bonnet de poil à fond
+rouge, cordons et crépines tressés des couleurs nationales. Au milieu du
+front, une plaque sur laquelle est imprimé en relief le sceau
+constitutionnel avec des trophées et à chaque côté de la plaque une
+grenade enflammée. Le poil de ces bonnets est renversé de haut en bas,
+afin que l'eau de la pluie s'y arrête moins. La doublure de l'habit est
+de serge blanche. Au bas des pans où sont les crochets pour les
+retrousser, il y a une grenade de drap rouge, et, au lieu de flamme, il
+y a de petits glands qui en descendent pendus à des cordons de la même
+couleur. Ils ont des aiguillettes tressées de rouge et de blanc, des
+cols noirs, des bottes molles, mais des genouillères fortes. Leurs armes
+sont la carabine, deux pistolets, et un sabre dont la lame droite a près
+de deux pouces de large et se termine en pointe très aiguë, dont le
+double tranchant a environ huit pouces de long, et tout le sabre entre
+quarante et quarante-cinq. Ils le portent en bandoulière. Ils ont un
+porte-cartouches de cuir brun avec une plaque blanche sur laquelle est
+imprimé en relief l'arbre de la liberté avec le bonnet, mais sans
+inscription. Enfin, ils ont un grand manteau bleu bordé d'un cordonnet
+rouge, muni d'un ample rabat qui leur sert de capuchon. Dans l'action,
+principalement quand ils sont attaqués, ils s'abaissent fort avant sur
+leurs chevaux et savent adroitement se servir de la pointe de leur
+sabre, au maniement duquel ils s'appliquent singulièrement dans leurs
+moments de loisir, ce qui leur procure un avantage décisif sur leurs
+ennemis, qui n'ont ni la même dextérité ni la même vitesse quand même
+ils auraient la même bravoure.</p>
+
+<p>«Les chasseurs à cheval sont de création moderne et forment dans les
+armées françaises une très nombreuse cavalerie. Leur service approche
+assez de celui des dragons, excepté qu'on les employe plus communément à
+la découverte; à battre les bois toujours en avant de l'armée. Leur
+uniforme est un habit vert foncé à collet droit, parements, revers et
+boutons blancs comme ceux des grenadiers à cheval, culotte de peau et
+veste blanche. Leur habit un peu court a la doublure blanche, les poches
+en long avec trois boutons sur les pattes. Ils portent des bottes
+molles, genouillères de même. Il n'est pas possible de donner une
+description exacte de leur bonnet ou casque. Il a la forme du bonnet de
+liberté, il est de cuir fortement battu et surmonté d'une touffe de
+crins de cheval ou de peau d'ours de la largeur de la main. Cette
+coiffure est entourée d'une bande de toile cirée jaune et tigrée. De
+chaque côté, une chaîne de laiton qui, en remontant, forme un angle
+aigu. Autour du cou, ils ont des cols ou des cravates noires. Les bas
+officiers se distinguent dans ce corps comme dans celui des grenadiers à
+cheval par quelques ganses sur les manches, mais qui dans ce corps-ci
+sont tressées des couleurs nationales. Leurs armes sont le mousqueton
+carabine, deux pistolets, un long sabre à monture de laiton dont la
+pointe a huit pouces de double tranchant. Ils le portent en bandoulière
+à un ceinturon de cuir. Le porte-cartouches est de cuir noir avec une
+plaque jaune et le sceau constitutionnel en relief. Ils ont des manteaux
+de la couleur de l'habit: l'un et l'autre sont bordés d'un cordonnet
+rouge. Ils ont des chevaux de douze à treize paumes. C'est la partie la
+plus nombreuse de la cavalerie.</p>
+
+<p>«L'on n'a rien changé au reste de la cavalerie, l'ajustement et les
+armes sont les mêmes, aux boutons près qui sont comme ceux des
+grenadiers et des chasseurs; les cavaliers ont une cocarde avec une
+aigrette tricolore à leur chapeau.</p>
+
+<p>«L'habillement des chasseurs à pied est peu différent de celui des
+chasseurs à cheval, si ce n'est que l'habit est plus long et va
+jusqu'aux genoux. Ils ont les mêmes casques, ainsi que vestes et
+culottes; et des bottines très légères de cuir de boeuf. Les bas
+officiers ont deux épaulettes pour les distinguer des simples chasseurs.
+Ils ont pour armes un fusil avec une baïonnette et un sabre comme celui
+des grenadiers qu'ils portent en bandoulière. Le porte-cartouches est de
+cuir noir avec une plaque jaune aux armes de la patrie. Les chasseurs et
+les troupes de ligne forment l'élite de l'infanterie. Il y a par
+bataillon ou par compagnie un certain nombre de chasseurs de profession,
+armés de carabines et de poignards; au lieu de giberne, ils ont une
+flasque (poire à poudre). Ils sont distingués des autres par un collet
+rouge sur l'habit et une épaulette tricolore sur l'épaule droite. Cette
+troupe rend de très grands services en ce qu'elle est également propre
+au service des troupes de ligne et des troupes légères.</p>
+
+<p>«Il n'est pas aisé de donner une description exacte des gardes
+nationales ni de les ranger dans une classe quelconque. Mais l'on doit
+être convaincu qu'elles se battent bien, quoiqu'il s'en trouve parmi qui
+ne sont vêtus que de jaquettes et chemisolles, de <i>sareaux</i> de toile ou
+d'habits de toute couleur, des vestes de piqué ou d'indienne, et des
+culottes de toute façon. La plupart cependant ont des habits d'un bleu
+foncé avec collets rouges ou blancs, boutons jaunes ou blancs, où le
+bonnet ou l'arbre de la liberté est empreint. En partie, ils portent des
+<i>gamaches</i> ou guêtres; beaucoup vont en souliers et en bas de soye; mais
+tous généralement portent à leur chapeau de petits objets qui font
+allusion à la Liberté et à l'Égalité. Ils ont tous un fusil et une
+baïonnette; quelques uns ont des porte-cartouches, d'autres n'en ont
+point, il en est de même de l'épée. Au lieu de havre-sac, ils ont un sac
+de poche dans quoi ils portent leurs hardes.</p>
+
+<p>«L'on appelle à présent <i>légion</i> des troupes de cultivateurs français,
+partie mis en réquisition et partie gens de bonne volonté. Leur
+habillement n'est autre que le vêtement ordinaire aux gens de la
+campagne. Ils sont coiffés de bonnets, de chapeaux de différentes
+formes, mais toujours avec la cocarde nationale. Tous ont des bas bleus
+avec une jarretière bouclée de façon que le bas fait auprès du genou une
+espèce de petit bourrelet. Leurs culottes sont toutes différentes les
+unes des autres: de drap, de toile de toute sorte de couleur jusqu'à de
+peau noire. Leurs souliers sont fermés avec des attaches bleues ou
+noires. Leurs armes sont la lance ou la pique dont le manche a à peu
+près six pieds et est peint des couleurs nationales. Quelques-uns ont un
+fusil avec la baïonnette. D'autres ont autour du corps une ceinture, à
+la gauche de laquelle est attaché un pistolet. Ce sont pour la plupart
+ceux qui portent des piques. Plusieurs ont, outre cela, des épées de
+parade, des poignards ou autres armes blanches pendues au côté. Il y a
+auprès de chaque armée une ou deux légions, selon que l'armée est
+nombreuse. Chaque légion est forte d'environ sept mille hommes. Ce sont
+des officiers et des bas officiers tirés des invalides qui les
+commandent, avec quelques autres qu'ils ont élus eux-mêmes parmi eux. À
+chaque légion se trouve un général de brigade ou un brigadier.</p>
+
+<p>«Ces légions ne reçoivent ni pain ni paye; elles pourvoyent elles-mêmes
+à leur entretien. Les hommes y sont tenus à un an de service; elles ne
+se montrent jamais en rase campagne et ne se rangent point en bataille.
+Elles ne laissent pas que d'inquiéter beaucoup les armées ennemies...»</p>
+
+<br><hr class="short"><br>
+
+<h2>PLANCHES</h2>
+<br>
+
+<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="0"
+ style="width: 100%; text-align: left;" summary="tableau">
+ <tbody>
+ <tr>
+ <td style="vertical-align: top; width: 320px;">
+<p><img alt="" src="images/001.png"></p>
+ </td>
+ <td style="vertical-align: top; width: 320px;">
+<br><br><br>
+<h3>I</h3>
+
+<h3>GÉNÉRAL DE DIVISION</h3>
+
+<h5>D'après une gravure de la collection Dubois de l'Étang,
+(Ensemble réduit aux deux tiers de l'original.)</h5>
+
+<p>Plumet tricolore surmontant trois plumes rouges. Habit bleu à collet
+rouge rabattu; galon d'or au chapeau, aux manches, aux poches et au
+collet. Culotte blanche, bottes noires; écharpe rouge à frange dorée.
+Dragonne dorée à la poignée du sabre; le fourreau est garni de cuivre
+doré.</p>
+
+<p>Cette figure jeune ne doit pas surprendre à l'époque où un simple
+officier pouvait franchir quatre grades en vingt-quatre heures pour
+perdre aussitôt le commandement s'il ne justifiait pas cette confiance
+par une victoire.</p>
+ </td>
+ </tr>
+ </tbody>
+</table>
+
+
+
+<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="0"
+ style="width: 100%; text-align: left;" summary="tableau">
+ <tbody>
+ <tr>
+ <td style="vertical-align: top; width: 320px;">
+ <br><br><br><br><br>
+<h3>II</h3>
+
+<h3>ADJUDANT GÉNÉRAL</h3>
+
+<h5>Même provenance</h5>
+
+<p>«En tenue de campagne», dit la légende. Le ceinturon doré, le chapeau à
+plumes et à glands contrastent bien un peu avec la sévérité de cette
+longue capote bleue à collet rouge rabattu. Mais il était bon que
+l'adjudant général fût aperçu de tous, car c'était un véritable chef
+d'état-major, classé hiérarchiquement au-dessous du général de brigade,
+mais au-dessus du colonel.</p>
+ </td>
+ <td style="vertical-align: top; width: 320px; text-align: right;">
+<p><img alt="" src="images/002.png"></p>
+ </td>
+ </tr>
+ </tbody>
+</table>
+
+<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="0"
+ style="width: 100%; text-align: left;" summary="tableau">
+ <tbody>
+ <tr>
+ <td style="vertical-align: top; width: 320px;"> <br>
+<p><img alt="" src="images/003.png"></p>
+
+ </td>
+ <td style="vertical-align: top; width: 320px;">
+ <br><br><br><br><br>
+<h3>III</h3>
+
+<h3>HUSSARD</h3>
+
+<h5>D'après un recueil d'uniformes gravés à Augsbourg en 1802. (Bibl. nat.
+Estampes O 34 B. A.)</h5>
+
+<p>Shako noir entouré d'une flamme de drap noir à passepoil bleu. Panache
+vert et rouge. Cordon blanc avec gland retombant à droite du shako.
+Dolman brun-marron soutaché de blanc et fourré de noir. Culotte bleue
+soutachée de blanc. Sabretache orangée avec ornements de cuivre.
+Demi-bottes noires.</p>
+
+<p>L'inclinaison prononcée du shako paraît un peu forcée par les dimensions
+du panache: elles sont telles que l'équilibre serait compromis si la
+verticale était conservée.</p>
+
+ <br>
+ </td>
+ </tr>
+ </tbody>
+</table>
+
+<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="0"
+ style="width: 100%; text-align: left;" summary="tableau">
+ <tbody>
+ <tr>
+ <td style="vertical-align: top; width: 320px;">
+<p><img alt="" src="images/004.png"></p>
+ </td>
+ <td style="vertical-align: top; width: 320px;">
+
+<h3>IV</h3>
+
+<h3>OFFICIERS ET SOLDATS D'INFANTERIE</h3>
+
+<h5>Même provenance.</h5>
+
+<p>L'officier porte un panache rouge. Habit bleu à col et parements rouges.
+Revers blancs à passe poil rouge. Gilet et pantalon collant blancs. Sac
+au dos. Hausse col doré. La main droite s'appuie sur une canne.</p>
+
+<p>Le fantassin placé derrière lui a les guêtres noires et la culotte de
+nankin. Habit bleu à revers blancs.</p>
+
+<p>Le bonnet à poil du grenadier rappelle trop celui des grenadiers
+autrichiens pour ne pas avoir été pris dans un magasin de l'ennemi. Ce
+qui confirmerait dans cette idée, c'est qu'il est visiblement trop
+étroit pour la tête de notre homme. Gilet rayé blanc et rouge; cravate
+rayée blanc et bleu; celle-ci encadre le menton comme une cravate à la
+Garat. Épaulette rouge; plumet tricolore; pantalon nankin. Même habit
+que le précédent.</p>
+ <br>
+ </td>
+ </tr>
+ </tbody>
+</table>
+
+
+
+<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="0"
+ style="width: 100%; text-align: left;" summary="tableau">
+ <tbody>
+ <tr>
+ <td style="vertical-align: top; width: 320px;">
+ <br><br><br><br>
+<h3>V</h3>
+
+<h3>SOLDAT D'INFANTERIE</h3>
+
+<h5>Même provenance.</h5>
+
+<p>Celui-ci offre un specimen du genre négligé. Il a le même habit et le
+même chapeau, mais son pantalon quadrillé bleuâtre porte au genou une
+forte pièce d'étoffe différente. Des souliers, il n'a conservé que les
+semelles sur lesquelles l'empeigne taillée fait l'office de courroies de
+sandales. Pas de gilet. Cravate lâche. L'habit ouvert laisse largement
+passer la chemise.</p>
+ </td>
+ <td style="vertical-align: top; width: 320px;">
+<p><img alt="" src="images/005.png"></p>
+ <br>
+ </td>
+ </tr>
+ </tbody>
+</table>
+
+
+
+<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="0"
+ style="width: 100%; text-align: left;" summary="tableau">
+ <tbody>
+ <tr>
+ <td style="vertical-align: top; width: 300px;"> <br>
+ <br><br><br>
+<h3>VI</h3>
+
+<h3>CAVALIERS</h3>
+
+<h5>Même provenance.</h5>
+
+<p>Habit bleu à revers rouges. Collet, culotte et buffleteries blancs.
+Bottes et chapeau noirs. Panaches roses. Cravate jaunâtre.</p>
+
+<p>On sait qu'il y avait alors à côté des hussards, des dragons, et des
+chasseurs, des régiments de <i>cavalerie</i> proprement dite. C'était, moins
+la cuirasse et le casque, ce que nous avons appelé ensuite la grosse
+cavalerie.</p>
+ </td>
+ <td style="vertical-align: top; width: 340px;">
+<p class="left"><img alt="" src="images/006.png"></p>
+ <br>
+ </td>
+ </tr>
+ </tbody>
+</table>
+
+
+<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="0"
+ style="width: 100%; text-align: left;" summary="tableau">
+ <tbody>
+ <tr>
+ <td style="vertical-align: top; width: 190px;">
+<h3>VII</h3>
+
+<h3>OFFICIERS D'ARTILLERIE</h3>
+
+<h5>Même provenance.</h5>
+
+<p>L'un de ces deux officiers semble appartenir à l'artillerie légère; il
+porte le casque de cuivre du dragon orné d'un panache rouge, ce qui dut
+être une exception; l'autre a conservé le chapeau à cornes en usage dans
+l'artillerie à pied. Leurs uniformes sont complètement bleus avec
+passepoil rouge. Des soutaches rouges ornent le pantalon et le gilet.
+Les poignées de sabre affectent des formes diverses, les bottes sont de
+même fortes et légères. Ce qui ne varie point, c'est le type des
+figures, qui sont rasées et ornées seulement de petits favoris très
+courts.</p>
+ </td>
+ <td style="vertical-align: top; width: 450px;">
+<p class="left"><img alt="" src="images/007.png"></p>
+ <br>
+ </td>
+ </tr>
+ </tbody>
+</table>
+
+<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="0"
+ style="width: 100%; text-align: left;" summary="tableau">
+ <tbody>
+ <tr>
+ <td style="vertical-align: top; width: 320px;">
+ <br><br><br><br><br>
+<h3>VIII</h3>
+
+<h3>CHASSEUR À CHEVAL</h3>
+
+<h5>D'après les <i>Abbildung französischen</i>, Leipzig. 1794.</h5>
+
+<p>Casque noir à courte crinière semblant retomber devant et derrière.
+Habit et pantalon collant vert avec passepoil rouge; des galons rouges,
+blancs et bleus sont disposés sur la chausse de façon à former une
+pointe tricolore.</p>
+
+<p>On trouve dans le supplément <i>Uniformes</i> une description plus complète
+de l'armement et de l'uniforme de cette cavalerie.</p>
+ </td>
+ <td style="vertical-align: top; width: 320px;">
+<p class="left"><img alt="" src="images/008.png"></p>
+ <br>
+ </td>
+ </tr>
+ </tbody>
+</table>
+
+<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="0"
+ style="width: 100%; text-align: left;" summary="tableau">
+ <tbody>
+ <tr>
+ <td style="vertical-align: top; width: 320px;">
+<br><br><br><br><br>
+<h3>IX</h3>
+
+<h3>VOLONTAIRE DU 1er BATAILLON DE PARIS</h3>
+
+<h5>Même provenance.</h5>
+
+<p>Casque noir à demi-crinière droite et à ornements de cuivre; il est
+entouré d'une bande tigrée, habit bleu, avec revers et retroussés
+blancs. Culotte blanche, guêtres noires, épaulettes vertes.</p>
+
+<p>Voir également dans notre supplément <i>Uniformes</i> les détails qui
+concernent les gardes nationaux volontaires.</p>
+ </td>
+ <td style="vertical-align: top; width: 320px;">
+<p><img alt="" src="images/009.png"></p>
+ <br>
+ </td>
+ </tr>
+ </tbody>
+</table>
+
+<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="0"
+ style="width: 100%; text-align: left;" summary="tableau">
+ <tbody>
+ <tr>
+ <td style="vertical-align: top; width: 260px;">
+
+ <br><br>
+<h3>X</h3>
+
+<h3>DRAGON ET HUSSARD</h3>
+
+<h5>Bibl. nat. OB. 32 V</h5>
+
+<p>Le dragon est conforme au type décrit dans notre supplément. Son casque
+est sans visière; une épaisse crinière augmente encore le caractère
+énergique d'un profil doté de longues moustaches.</p>
+
+<p>Son compagnon le hussard nous offre le profil de cette coiffure
+étonnante qu'on a déjà vue planche III. Le panache rouge n'a rien perdu
+de ses dimensions: il est négligemment entouré d'une flamme marron à
+passepoil rouge. Dolman et pantalon verts; collet et soutaches rouges.
+Les gants sont jaunes; le fourreau du sabre est en cuir garni de cuivre.</p>
+ </td>
+ <td style="vertical-align: top; width: 380px;">
+<p class="left"><img alt="" src="images/010.png"></p>
+ <br>
+ </td>
+ </tr>
+ </tbody>
+</table>
+
+<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="0"
+ style="width: 100%; text-align: left;" summary="tableau">
+ <tbody>
+ <tr>
+ <td style="vertical-align: top; width: 240px;">
+<p class="mid"><img alt="" src="images/011.png"></p>
+ </td>
+ <td style="vertical-align: top; width: 400px;">
+ <br><br>
+<h3>XI</h3>
+
+<h3>HUSSARD</h3>
+
+<h5>Même provenance.</h5>
+
+<p>Les hussards républicains qu'on représente d'ordinaire sont conformes au
+type de nos planches III et X. Celle-ci prouve qu'il y en avait un autre
+ne portant pas le dolman à tresses, mais un habit vert à revers et à
+pans longs, collet et parements roses. Pantalon et gilet verts; le
+pantalon est protégé par une basane fauve dont les bords sont
+déchiquetés à la grecque. Il boutonne sur le côté selon le modèle qui
+fut baptisé du nom de <i>chutmari</i>. La bande est rouge.</p>
+
+<p>La coiffure reste seule identique: tresses de cheveux tombant sur le
+devant pour encadrer le visage, shako entouré d'une flamme noire à passe
+poil rouge que fixe un cordon blanc; panache rouge. D'où part le
+sous-pied qui rattache le pantalon déboutonné à ce soulier muni
+d'éperon?... Mystère!</p>
+ <br>
+ </td>
+ </tr>
+ </tbody>
+</table>
+
+<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="0"
+ style="width: 100%; text-align: left;" summary="tableau">
+ <tbody>
+ <tr>
+ <td style="vertical-align: top; width: 330px;">
+<p class="left"><img alt="" src="images/012.png"></p>
+ </td>
+ <td style="vertical-align: top; width: 310px;">
+
+ <br><br><br><br>
+<h3>XII</h3>
+
+<h3>GRENADIER À CHEVAL</h3>
+
+<h5>D'après les <i>Abbildung französischen</i>, Leipzig. 1794. (Bibl. nat.
+Estampes OA, 106. C.)</h5>
+
+<p>Son uniforme, son armement et son équipement répondent à la description
+très complète donnée dans notre supplément. Bonnet à poil brun avec
+plaque blanche, plumet et cordon rouges. Rabat bleu à revers et collet
+rouges, retroussis et basques, gilet et culotte blancs. Bottes noires,
+gants à manchettes de buffle. Schabraque bleue galonnée de jaune.</p>
+ <br>
+ </td>
+ </tr>
+ </tbody>
+</table>
+
+<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="0"
+ style="width: 100%; text-align: left;" summary="tableau">
+ <tbody>
+ <tr>
+ <td style="vertical-align: top; width: 320px;">
+ <br>
+<h3>XIII</h3>
+
+<h3>TAMBOUR</h3>
+
+<h5>D'après un recueil gravé à Augsbourg en 1802. (Bibl. nat. Estampes OB,
+32. A.)</h5>
+
+<p>Le baudrier de buffle flotte tout avachi: l'enfant a décroché son gros
+tambour retenu sur l'épaule à l'aide d'une bretelle qui devrait aller
+rejoindre le cercle de la caisse. Cette charge n'est pas commode, son
+corps ballotte dans son habit bleu qui est trop large; son chapeau à
+pompon rouge est aplati comme un chapeau d'arlequin. Le pantalon de
+nankin laisse voir des chevilles nues, les souliers sont devenus
+savates, mais cela n'empêche pas le gamin de marcher fièrement à grandes
+enjambées.</p>
+
+<p>La planche XX montre que presque tous nos tambours étaient alors des
+enfants.</p>
+
+<p>Et quand on pense qu'un ministre de la guerre a rogné nos tambours de
+moitié avant 1870 pour ne pas incommoder des hommes faits!</p>
+ </td>
+ <td style="vertical-align: top; width: 320px;">
+<p class="left"><img alt="" src="images/013.png"></p>
+ <br>
+ </td>
+ </tr>
+ </tbody>
+</table>
+
+<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="0"
+ style="width: 100%; text-align: left;" summary="tableau">
+ <tbody>
+ <tr>
+ <td style="vertical-align: top; width: 320px;">
+<p class="left"><img alt="" src="images/014.png"></p>
+ </td>
+ <td style="vertical-align: top; width: 320px;">
+<br>
+<h3>XIV</h3>
+
+<h3>FANTASSIN ET SOUS-OFFICIER</h3>
+
+<h5>D'après une gravure allemande de 1796. (Bibliothèque nationale
+Estampes, collection Hennin.)</h5>
+
+<p>L'air posé et la tenue presque régulière du sous-officier contrastent
+avec la pose lamentable du soldat. La cravate pend; les manches de son
+habit vert sont déchirées; il n'a plus qu'un bas de couleur brune, le
+pan de sa culotte nankin menace ruine. Une cuiller et une fourchette à
+deux pointes, croisées derrière sa cocarde de chaque côté du pompon,
+complètent son air de soldat maraudeur. Un mouchoir serré au biceps
+semble protéger une blessure.</p>
+
+<p>Type analogue à nos numéros X et XVII.</p>
+ <br>
+ </td>
+ </tr>
+ </tbody>
+</table>
+
+
+<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="0"
+ style="width: 100%; text-align: left;" summary="tableau">
+ <tbody>
+ <tr>
+ <td style="vertical-align: top; width: 350px;">
+<p><img alt="" src="images/015.png"></p>
+ </td>
+ <td style="vertical-align: top; width: 290px;">
+ <br>
+<h3>XV</h3>
+
+<h3>CHASSEURS À PIED</h3>
+
+<h5>D'après un recueil gravé à Augsbourg en 1802. (Bibl. nat. Estampes OB,
+32. A.)</h5>
+
+<p>Ces chasseurs diffèrent un peu du type décrit dans notre supplément.
+L'un, qui semble un caporal, porte le casque de volontaire. Son habit
+court est de couleur noire à parements bleus. Pantalon bleuâtre à raies
+bleu foncé. Cravate jaune. Épaulettes rouges. Galons blancs sur la
+manche.</p>
+
+<p>Son voisin a l'uniforme complètement noir, avec collet et retroussis
+bleu clair. Son chapeau est placé à rebours. Épaulettes et panaches
+rouges; buffleteries jaunâtres. Les souliers ont été transformés en
+savates retenues par des cordelettes croisées au-dessus de la cheville
+du pied qui est un comme toujours.</p>
+ <br>
+ </td>
+ </tr>
+ </tbody>
+</table>
+
+
+
+<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="0"
+ style="width: 100%; text-align: left;" summary="tableau">
+ <tbody>
+ <tr>
+ <td style="vertical-align: top; width: 400px;"> <br>
+ <br><br><br>
+<h3>XVI</h3>
+
+<h3>GRENADIER DE LA LIGNE</h3>
+
+<h5>D'après les <i>Abbildung französischen</i>, Leipzig. 1794. (Bibl. nat.
+Estampes OA, 106. C.)</h5>
+
+<p>Bonnet à poil noir avec plaque de cuivre. Habit, veste et culotte
+blancs. Les revers, le collet et les parements sont rouges, les guêtres
+noires. Il ne porte point de havre-sac mais on voit une sorte de besace
+pendre à côté de sa giberne.</p>
+
+<p>C'est un dernier échantillon de l'ancienne armée qui va prendre l'habit
+bleu au moment où l'embrigadement fondra les régiments et les bataillons
+de volontaires.</p>
+ </td>
+ <td style="vertical-align: top; width: 240px;">
+<p class="left"><img alt="" src="images/016.png"></p>
+ </td>
+ </tr>
+ </tbody>
+</table>
+
+<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="0"
+ style="width: 100%; text-align: left;" summary="tableau">
+ <tbody>
+ <tr>
+ <td style="vertical-align: top; width: 320px;">
+<p class="left"><img alt="" src="images/017.png"></p>
+ </td>
+ <td style="vertical-align: top; width: 320px;">
+ <br>
+<h3>XVII</h3>
+
+<h3>VOLONTAIRES</h3>
+
+<h5>D'après une gravure allemande de 1796. (Bibliothèque nationale Estampes,
+collection Hennin.)</h5>
+
+<p>Le volontaire casqué sent d'une lieue son faubourg. Ami d'un certain
+luxe, il a retroussé sa manche pour montrer un bout de manchette, il
+fait exhibition d'un mouchoir de poche élégamment noué à sa buffleterie
+et une breloque de parure descend sur sa cuisse gauche. Le noeud coquet
+de sa grosse cravate, la cuiller qui montre sa tête au revers de l'habit
+et le pain empalé dans sa baïonnette sont autant de détails
+caractéristiques. L'un de ses souliers est retenu par une boucle.
+L'autre est noué avec une ficelle. Zébré d'un côté, quadrillé de
+l'autre, comme ces chausses en partie du moyen âge. Le pantalon blanc
+rayé de bleu est trop court pour ne pas avoir appartenu à quelque frère
+d'armes.</p>
+
+<p>Nous avons décrit l'assortiment gastronomique du voisin dans le
+supplément: son bonnet de police bleu à turban rouge est à remarquer
+comme un échantillon du modèle primitif.</p>
+ <br>
+ </td>
+ </tr>
+ </tbody>
+</table>
+
+
+<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="0"
+ style="width: 100%; text-align: left;" summary="tableau">
+ <tbody>
+ <tr>
+ <td style="vertical-align: top; width: 270px;">
+
+<h3>XVIII</h3>
+
+<h3>CUIRASSIERS</h3>
+
+<h5>D'après la gravure de Zix<br>
+
+(Fac-similé réduit aux deux tiers de l'original.)</h5>
+
+<p>Zix est un artiste strasbourgeois qui a pu étudier d'après nature les
+soldats de l'armée de Rhin et Moselle.</p>
+
+<p>Non content d'un supplément d'illustrations pittoresques pour la partie
+géographique du <i>Journal de Fricasse</i>, mon ami Charles Mehle a bien
+voulu mettre la gravure de Zix à ma disposition. Mais leur dimension
+rendait la reproduction difficile. J'ai dû me contenter de détacher un
+groupe de deux cuirassiers attablés sur le seuil d'une maison
+alsacienne.</p>
+
+<p>On sait que les cuirassiers formèrent en 1799 le 8e régiment de
+cavalerie. De là leur ressemblance avec les cavaliers de l'autre planche
+VI.</p>
+ </td>
+ <td style="vertical-align: top; width: 370px;">
+ <br>
+<p class="left"><img alt="" src="images/018.png"></p>
+ <br>
+ </td>
+ </tr>
+ </tbody>
+</table>
+<br>
+
+<h3>XIX</h3>
+
+<h3>HUTTES DE CAMPEMENT</h3>
+
+<h5>D'après une gravure datée du 14 août 1796. (Bibl. nat. Estampes,
+collection Hennin.)</h5>
+
+<p>Ces huttes ou abris, dont-il est question dans notre journal, étaient
+faites de branchages. On voit qu'elles affectent trois formes: une forme
+oblongue, destinée sans doute aux soldats; une forme pyramidale, moins
+spacieuse, destinée aux sous-officiers; une forme conique, dont la
+clôture plus complète annonce un campement d'officiers.</p>
+
+<p>Le factionnaire qui veille à la porte ne laisse aucun doute sur ce
+dernier point. Il sonne en ce moment d'un cornet d'appel, ce qui lui
+donne les doubles fonctions de sentinelle et de trompette de garde.</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/019.png"><br>
+<br>
+<h3>XX</h3>
+
+<h3>RASSEMBLEMENT D'INFANTERIE</h3>
+
+<h5>D'après une gravure allemande conservée dans la collection Dubois de
+l'Étang. Voici la traduction de son titre:</h5>
+
+<p>Véritable représentation d'une parade de la garde française à Mannheim
+au mois d'octobre 1795.</p>
+
+<p>(Fac-similé réduit au tiers de l'original.)</p>
+
+<p>Cette planche est excessivement ennemie. On ne doit pas prendre son
+titre au pied de la lettre. Le dessinateur allemand, que je tiens
+d'ailleurs pour sincère, a pris le moment non de la parade proprement
+dite, mais du rassemblement qui la précède.</p>
+
+<p>Logés chez les bourgeois de la ville, les soldats arrivent petit à petit
+et se portent sur le front de l'alignement indiqué par les trois
+officiers qui viennent de mettre le sabre à la main.</p>
+
+<p>Dans cette troupe figurent, selon l'usage, des détachements de tous les
+corps de passage dans la place et certainement aussi des soldats isolés,
+éclopés, utilisés pour le service. De là, un coup d'oeil fortement
+bigarré que l'artiste aura exagéré encore pour offrir des modèles de
+chaque espèce.</p>
+
+<p>Les quatre petits tambours qui se font la main à l'extrême droite
+suffiraient à montrer que le commandement ne s'est pas fait encore
+entendre. Ce sont des enfants dont le plus âgé n'a pas atteint sa
+douzième année. Derrière eux, le tambour-major charme son attente par
+quelques moulinets de fantaisie.</p>
+
+<p>Les officiers, vus au dos, ont une ample capote grise ou brune, sur
+laquelle tranche seul le hausse-col, insigne du commandement.</p>
+
+<p>Les soldats semblent tous appartenir soit aux bataillons des
+volontaires, soit aux <i>légions</i> rurales dont il est question dans notre
+supplément. On remarque, en effet, en seconde ligne, des bonnets
+fourrés, des chapeaux de paysans; on voit se dresser une des piques qui
+figuraient encore dans l'armement de ces non combattants. L'un d'eux,
+sapeur primitif, tient la hache sur l'épaule et la pipe à la bouche. Son
+voisin porte un pantalon à la turque, et paraît vouloir dissimuler sous
+une couverture blanche les désastres de son uniforme. Tous n'ont pu
+dissimuler ainsi leurs tenues en lambeaux. Beaucoup de chaussures sont
+avariées; un jeune soldat a les pieds complètement nus.</p>
+
+<p>En revanche, ce qui ne manque nulle part, c'est la cuiller: chacun porte
+à la boutonnière, au chapeau ou au bonnet ce précieux ustensile.
+Quelques bidons et marmites se remarquent aussi, çà et là; les pains
+sont troués pour le passage d'une corde qui les retient au côté, à moins
+qu'ils ne soient passés à la baïonnette. Un quartier de viande est même
+ainsi exhibé à côté du porteur de pique. Il est à remarquer qu'il n'y a
+pas ici un seul des panaches qui abondent dans nos planches précédentes.
+Mais nous sommes en 1795 et les Français qui viennent d'entrer à
+Mannheim ont fait une campagne fort rude. Leurs habits bleus ne sont pas
+seulement usés par la victoire, ils sont surtout troués et déchirés par
+les marches et les bivouacs des nuits d'hiver. De là ce coup d'oeil
+étrange, qui dépasse encore, il faut bien l'avouer, tout ce qu'on
+pouvait supposer de l'aspect des troupes républicaines. Mais la pauvreté
+de leur aspect ne peut que grandir encore le souvenir de leur courage et
+de leur patriotisme.</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/020.png"><br>
+
+<br><br>
+
+<h3>NOTES</h3>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote1" name="footnote1"><b>Note 1: </b></a>
+<a href="#footnotetag1">(retour) </a> Voyez entre autres les pages 37, 55, 64, 170, 117, 171, 174 [du
+livre original]. Et ce ne sont pas les seules.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote">
+<a id="footnote2" name="footnote2"><b>Note 2: </b></a>
+<a href="#footnotetag2">(retour) </a> Le rétablissement de l'orthographe des noms de lieux, généralement
+défigurés, offrait des difficultés particulières que je ne suis pas sûr
+d'avoir surmontées toujours. En cas de doute, j'ai usé du point
+d'interrogation.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote">
+<a id="footnote3" name="footnote3"><b>Note 3: </b></a>
+<a href="#footnotetag3">(retour) </a> Le nom de Château-Vilain a définitivement survécu.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote">
+<a id="footnote4" name="footnote4"><b>Note 4: </b></a>
+<a href="#footnotetag4">(retour) </a>: En 1791, on avait déjà formé des bataillons de garde nationale
+destinés à entrer dans le cadre de l'armée. Soult rappelle, au début de
+ses <i>Mémoires</i>, qu'il se trouvait alors en garnison à Schelestadt avec
+le premier bataillon du Haut-Rhin. Ce corps était nombreux, dit-il,
+animé d'un bel esprit, mais fort peu de ses officiers étaient capables.
+On trouvera dans le n° 1 de notre supplément un extrait intéressant des
+<i>Mémoires de Cagnot</i> sur les effets de la levée en masse qui fut ensuite
+décrétée.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote">
+<a id="footnote5" name="footnote5"><b>Note 5: </b></a>
+<a href="#footnotetag5">(retour) </a> Les <i>papiers publics</i>, les journaux.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote">
+<a id="footnote6" name="footnote6"><b>Note 6: </b></a>
+<a href="#footnotetag6">(retour) </a> Les casernes Chambière ont en effet toujours passé pour malsaines,
+en raison des eaux stagnantes des fosses qui sont dans leur voisinage.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote">
+<a id="footnote7" name="footnote7"><b>Note 7: </b></a>
+<a href="#footnotetag7">(retour) </a> L'armée du prince de Cobourg avait en effet occupé la forêt de
+Mormal en bloquant Le Quesnoy. «De faibles détachements français
+observaient ses mouvements, dit Soult; ils ne purent l'empêcher de
+déployer les immenses moyens qu'on avait préparés pour réduire la place,
+elle capitula le 11 septembre, après avoir soutenu quinze jours de
+tranchée. Dans le temps qu'elle succombait, des efforts tardifs étaient
+faits pour la dégager: à Avesnes, par une division sortie de Cambrai, à
+Fontaine, par une autre division sortie de Landrecies: à l'entrée de la
+forêt de Mormal, par une colonne partie du camp de Maubeuge.» Cette
+dernière colonne est celle dont il est ici question.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote">
+<a id="footnote8" name="footnote8"><b>Note 8: </b></a>
+<a href="#footnotetag8">(retour) </a> Les détails du texte sont confirmés par un nouveau passage des
+<i>Mémoires</i> de Soult; la légère différence donnée dans l'évaluation des
+troupes est plus qu'annulée par le renfort qui arrive ensuite à
+l'ennemi.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote">
+<a id="footnote9" name="footnote9"><b>Note 9: </b></a>
+<a href="#footnotetag9">(retour) </a> L'armée de Jourdan ne comptait en réalité que 45,000 combattants;
+ils ne venaient pas de la Vendée, mais des camps de l'armée du Nord et
+de l'armée des Ardennes. On trouvera dans le numéro 2 de notre
+supplément un émouvant récit du combat qui amena la levée du blocus de
+Maubeuge; il est extrait des <i>Mémoires de Carnot</i>, par son fils. (Paris,
+Pagnerre, 1862. Tome I, page 399). Les détails remarquables qu'on y
+trouve formaient un complément nécessaire de notre texte.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote">
+<a id="footnote10" name="footnote10"><b>Note 10: </b></a>
+<a href="#footnotetag10">(retour) </a> Allusion à la fameuse ronde révolutionnaire dite: <i>carmagnole</i>. On
+la retrouve à la page du 7 octobre.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote">
+<a id="footnote11" name="footnote11"><b>Note 11: </b></a>
+<a href="#footnotetag11">(retour) </a> Le propos a été en effet attribué au prince de Cobourg, qui
+commandait alors l'armée assiégeante.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote">
+<a id="footnote12" name="footnote12"><b>Note 12: </b></a>
+<a href="#footnotetag12">(retour) </a> Échanger des coups de fusil.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote">
+<a id="footnote13" name="footnote13"><b>Note 13: </b></a>
+<a href="#footnotetag13">(retour) </a> Le maréchal Soult donne les détails suivants sur le combat de
+Grandreng. «L'échec éprouvé par la colonne du centre rendit inutile le
+mouvement du général Mayer sur Haulchin, et permit au prince de Kaunitz
+de marcher au soutien de sa droite, à Grandreng, en dégarnissant sa
+gauche. Le général Déjardins avait déjà enlevé quelques redoutes, et il
+pénétrait dans le village, quand tout à coup ses deux divisions sont
+elles-mêmes assaillies et débordées par la cavalerie autrichienne. Elles
+font, avec l'appui da la brigade Duhesme, un dernier effort pour rentrer
+à Grandreng; mais elles échouent de nouveau et sont obligées de
+précipiter leur retraite pour repasser la Sambre, malgré l'appui
+qu'elles reçoivent de la réserve de cavalerie. Le général autrichien
+acquit l'honneur de cette journée en rendant ses forces mobiles, de la
+gauche au centre, et du centre à la droite, où il prit successivement la
+supériorité. Ses pertes furent beaucoup moindres que celles des
+Français, qui sacrifièrent plus de quatre mille hommes et douze pièces
+de canons.»</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote">
+<a id="footnote14" name="footnote14"><b>Note 14: </b></a>
+<a href="#footnotetag14">(retour) </a> «Les revers du 13 avaient irrité les représentants sans les
+éclairer; ils ordonneront un nouveau passage, mais les opérations,
+encore plus mal dirigées que la première fois, eurent pour résultat des
+pertes beaucoup plus grandes. (SOULT.)</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote">
+<a id="footnote15" name="footnote15"><b>Note 15: </b></a>
+<a href="#footnotetag15">(retour) </a> Le maréchal Soult dit ici: «Il faut aussi admirer la docilité des
+troupes, qu'aucun revers ne put abattre, et déplorer que, soumises à la
+tyrannique autorité des représentants, elles n'aient point eu à leur
+tête des chefs dignes de les diriger. Depuis quinze jours, les corps qui
+étaient sur la Sambre avaient perdu plus de quinze mille hommes et la
+moitié de leur matériel; les soldats manquaient de vivres et avaient le
+plus grand besoin de repos. Les généraux en firent la demande à
+Saint-Just; dans le conseil, Kléber fit observer qu'on allait voir
+arriver, avant dix jours, l'armée de la Moselle, dont nous parlerons
+bientôt, et qu'il n'y avait qu'à l'attendre, en s'occupant de réparer
+les pertes de l'armée, pour reprendre alors les opérations avec d'autant
+plus de vigueur. Mais l'implacable Saint-Just ne voulut rien accorder, à
+peine daigna-t-il répondre: <i>Il faut demain une victoire de la
+République. Choisissez entre un siège ou une bataille</i>. Il fallait
+choisir, on marcha, le 26 mai, sur Charleroi.
+
+<p>Malgré les succès qu'il venait de remporter, le prince de Kaunitz avait
+été remplacé par le prince d'Orange dans le commandement. Les troupes
+alliées étaient sur la Sambre, pour en défendre le passage; elles
+occupaient en outre, au-dessus de Marchiennes-au-Pont, le camp retranché
+de la Tombe, qui couvrait Charleroi. Kléber et Marceau étaient chargés
+de l'attaquer, et le général Fromentin d'emporter le pont de Lernes. Ces
+deux attaques manquèrent par l'excessive fatigue des troupes, qui
+montrèrent de l'hésitation et restèrent exposées au feu le plus vif,
+plutôt que d'avancer. À la nuit, les ennemis évacuèrent cependant le
+camp, en ne laissant dans Marchiennes qu'un poste fortifié.» (SOULT.)</p>
+
+<p>--Ce dernier alinéa explique comment notre sergent va parler de retraite
+après avoir parlé d'une victoire qui était sans doute un avantage
+partiel sans résultat sur l'ensemble de la journée.</p></blockquote>
+
+<blockquote class="footnote">
+<a id="footnote16" name="footnote16"><b>Note 16: </b></a>
+<a href="#footnotetag16">(retour) </a> Chiffre singulièrement exagéré. Soult rapporte un triste épisode du
+siège: «Le colonel Marescot dirigeait les opérations du génie, sous les
+yeux des généraux Jourdan et Hutry; on avait un équipage d'artillerie
+suffisant et les représentants Saint-Just et Lebas se tenaient au pied
+de la tranchée pour presser les travaux. Un jour, ils visitaient
+l'emplacement d'une batterie que l'on venait de tracer: «À quelle heure
+sera-t-elle finie?» demanda Saint-Just au capitaine chargé de la faire
+exécuter.--Cela dépend du nombre d'ouvriers qu'on me donnera, mais on y
+travaillera sans relâche, répond l'officier.--Si demain, à six heures,
+elle n'est pas en état de faire feu, ta tête tombera!...» Dans ce court
+délai, il était impossible que l'ouvrage fût terminé; on y mit cependant
+autant d'hommes que l'espace pouvait en contenir. Il n'était pas
+entièrement fini, lorsque l'heure fatale sonna. Saint-Just tint son
+horrible promesse: le capitaine d'artillerie fut immédiatement arrêté et
+envoyé à la mort, car l'échafaud marchait à la suite des féroces
+représentants. Si nous n'avions pas remporté la victoire, la plupart de
+nos chefs auraient subi le même sort. Nous apprîmes plus tard que
+Saint-Just avait porté sur une liste de proscription plusieurs généraux
+de l'armée, et qu'il m'y avait compris, quoique je ne fusse encore que
+colonel.--Jourdan devait être sacrifié le premier; il avait remplacé
+Hoche dans le commandement, et il avait, comme lui, encouru la haine du
+représentant par la courageuse résistance qu'il opposait à ses volontés,
+lorsque la présomptueuse ignorance de Saint-Just prétendait diriger les
+opérations militaires. (SOULT.)</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote">
+<a id="footnote17" name="footnote17"><b>Note 17: </b></a>
+<a href="#footnotetag17">(retour) </a> Le maréchal Soult complète ainsi le récit de cette journée. «Il
+était sept heures du soir. Depuis quelques moments, le combat avait
+cessé aux ailes; on le laissa finir au centre sans poursuivre les
+ennemis. Épuisés de fatigue et de besoin, les soldats pouvaient à peine
+se tenir debout, et ils manquaient aussi de munitions. Il n'y avait
+aucune possibilité de continuer la poursuite, quelques avantages qu'on
+eût pu recueillir; officiers et soldats, tous s'écriaient: «Un pont d'or
+à l'ennemi qui s'en va!» et l'on donna aux troupes un repos
+indispensable.
+
+<p>Le lendemain, il n'y eut point de mouvement; il fallait se remettre
+d'une pareille journée et ramasser les débris qui couvraient le champ de
+bataille. On compta les pertes; les nôtres s'élevèrent à près de cinq
+mille hommes hors de combat, et, par le nombre des morts, on évalua
+celles de l'ennemi à plus de sept mille hommes; de part et d'autre il
+n'y eut que peu de prisonniers. Parmi ceux que nous fîmes, il se trouva
+des Français, faisant partie du régiment Royal-Allemand et de celui de
+Berching-hussard, auxquels la loi rendue contre les émigrés pris les
+armes à la main était applicable. Pas un soldat n'eut la pensée qu'il
+fût possible de livrer à l'échafaud ceux que nous venions de combattre
+face à face. Pendant la nuit, nous leur facilitâmes les moyens de
+s'échapper, en nous bornant à leur dire qu'ils fussent ailleurs expier
+l'erreur de s'être armés contre leur patrie; plusieurs revinrent plus
+tard se placer dans nos rangs. On a sauvé ainsi dans le cours de la
+guerre, un grand nombre de Français qui étaient dans le même cas, et ils
+ont reçu parmi nous protection et avancement; beaucoup d'entre eux ont
+ainsi obtenu d'être éliminés de la liste fatale et de rentrer dans leurs
+biens confisqués. Nous devons croire qu'ils en ont conservé de la
+reconnaissance.»</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote">
+<a id="footnote18" name="footnote18"><b>Note 18: </b></a>
+<a href="#footnotetag18">(retour) </a> Ceci est bien confirmé par le récit du maréchal Soult: «Dans nos
+rangs, l'enthousiasme allait croissant avec le danger; depuis le
+commencement de l'action, et pendant toute sa durée, le cri de
+ralliement de l'avant-garde fut toujours: «Point de retraite
+aujourd'hui, point de retraite!» Aussi, tout ce qui vint se heurter
+contre elle fut-il brisé. Environnée de sanglants débris, son camp en
+flammes, la plupart de ses canons démontés, ses caissons faisant
+explosion à tout moment, des monceaux de cadavres comblant les
+retranchements, les attaques les plus vives sans cesse renouvelées, rien
+n'était capable de l'intimider, pas même l'incendie de la campagne qui
+nous environnait de toutes parts. Les champs, couverts de blé en
+maturité, avaient été enflammés par notre feu et par celui de l'ennemi;
+on ne savait où se placer pour l'éviter; mais nous étions bien
+déterminés à ne sortir que victorieux de ce volcan.»
+
+<p>Le courage des chefs avait, sur plus d'un point, seul pu maintenir les
+troupes, comme le montre bien cet autre passage:</p>
+
+<p>«Avant six heures du matin, les alliés avaient fait des progrès, et les
+divisions des Ardennes repassaient la Sambre, dans un complet désordre,
+aux ponts de Tamine et Ternier, laissant leur général garder seul, avec
+ses officiers et quelques ordonnances, la position qu'elles venaient de
+quitter. J'avais été envoyé par le général Lefebvre, pour m'assurer de
+l'état de notre droite, et pourvoir aux dispositions que les
+circonstances exigeraient. Je joignis Marceau entre les bois de Lépinoy
+et le hameau du Boulet, au moment où les ennemis allaient l'entourer. Il
+les défiait, et dans son désespoir, il voulait se faire tuer, pour
+effacer la honte de ses troupes. Je l'arrêtai: «Tu veux mourir, lui
+dis-je, et tes soldats se déshonorent: vas les chercher et reviens
+vaincre avec eux! En attendant, nous garderons la position à droite de
+Lambusart.--Oui, je t'entends, s'écrie Marceau, c'est le chemin de
+l'honneur! J'y cours; avant peu je serai à vos côtés. Deux heures après,
+il avait ramené les plus braves, et il prenait part à nos succès.»--Ces
+extraits donnent une idée de la phraséologie du temps; on employait
+volontiers les grands mots dont on se moque aujourd'hui, mais les actes
+aussi étaient grands, ce que les moqueurs ne doivent pas non plus
+oublier.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote">
+<a id="footnote19" name="footnote19"><b>Note 19: </b></a>
+<a href="#footnotetag19">(retour) </a> Cette image poétique aurait lieu de surprendre si on ne se
+reportait aux chansons populaires d'autrefois où la mythologie jouait
+toujours un grand rôle.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote">
+<a id="footnote20" name="footnote20"><b>Note 20: </b></a>
+<a href="#footnotetag20">(retour) </a> Fournitures de casernement.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote">
+<a id="footnote21" name="footnote21"><b>Note 21: </b></a>
+<a href="#footnotetag21">(retour) </a> On avançait l'embrigadement. Cette opération importante se faisait
+avec la plus grande rigidité; les généraux devaient choisir, sous leur
+responsabilité, parmi les chefs de bataillon, les plus capables pour les
+désigner comme chefs de brigade. Les instructions des représentants du
+peuple portaient: «Les grades ne sont pas la propriété des individus;
+ils appartiennent à la République, qui a droit de n'en disposer qu'en
+faveur de ceux qui sont en état de lui rendre des services.» Trois fois
+plus forts qu'avant leur réunion, les nouveaux corps présentaient plus
+de régularité dans leur ensemble et plus de confiance en eux-mêmes.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote">
+<a id="footnote22" name="footnote22"><b>Note 22: </b></a>
+<a href="#footnotetag22">(retour) </a> Ému par l'audace avec laquelle nos fantassins s'étaient jetés à
+l'eau pour forcer le passage de la Roër, malgré le courant de l'eau,
+l'encaissement de la rivière et les retranchements de la rive opposée,
+l'ennemi battit en retraite sur Cologne.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote">
+<a id="footnote23" name="footnote23"><b>Note 23: </b></a>
+<a href="#footnotetag23">(retour) </a> Cette victoire de la Roër, qui fit honneur au général Jourdan et à
+ses troupes, assura en effet l'évacuation complète de la Belgique.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote">
+<a id="footnote24" name="footnote24"><b>Note 24: </b></a>
+<a href="#footnotetag24">(retour) </a> Mais il n'y eut que trente jours de tranchée ouverte. La garnison
+se comporta vaillamment. On trouva dans la place 350 bouches à feu et un
+matériel considérable.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote">
+<a id="footnote25" name="footnote25"><b>Note 25: </b></a>
+<a href="#footnotetag25">(retour) </a> Le 29 février 1795, la Hollande était en effet conquise et le 16
+mai suivant, elle signait avec la France un traité d'alliance qu'elle
+observa fidèlement jusqu'au jour où Napoléon voulut imposer un roi à la
+nation que la République avait respectée.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote">
+<a id="footnote26" name="footnote26"><b>Note 26: </b></a>
+<a href="#footnotetag26">(retour) </a> Ce traité ne fut signé que le 5 avril 1795 à Bâle. La Prusse nous
+abandonnait alors toutes ses possessions sur la rive gauche du Rhin.]</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote">
+<a id="footnote27" name="footnote27"><b>Note 27: </b></a>
+<a href="#footnotetag27">(retour) </a> Le maréchal Soult servait alors comme colonel dans la division de
+notre sergent. Il dit aussi: «Nous souffrîmes beaucoup par le manque de
+subsistances, au point qu'on fut obligé de réduire la ration d'un
+tiers». (<i>Mémoires</i>, t. I, p. 200.)</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote">
+<a id="footnote28" name="footnote28"><b>Note 28: </b></a>
+<a href="#footnotetag28">(retour) </a> Dépréciation inévitable par suite du cours forcé qui fit tirer de
+1790 à 1796, pour <i>quarante-cinq milliards</i> d'assignats. On sait que les
+vingt-quatre milliards encore en circulation lors de la liquidation
+définitive furent échangés contre <i>huit cent millions</i> de biens
+nationaux.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote">
+<a id="footnote29" name="footnote29"><b>Note 29: </b></a>
+<a href="#footnotetag29">(retour) </a> Voir la note du 7 germinal.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote">
+<a id="footnote30" name="footnote30"><b>Note 30: </b></a>
+<a href="#footnotetag30">(retour) </a> Dans ses <i>Mémoires</i> (tome I, page 287), le maréchal Soult accuse
+Pichegru «d'avoir laissé ses troupes à l'abandon, négligées et en proie
+à toutes sortes de privations pour mieux favoriser l'exécution du plan
+de trahison le plus odieux.» Il espérait ainsi désorganiser l'armée. En
+une autre occasion, Soult parle aussi des pommes de terre et en des
+termes fort curieux:
+
+<p>«L'armée n'avait d'autre ressource pour vivre, que les pommes de terre
+que l'on trouvait dans les champs. À chaque halte, à peine les faisceaux
+étaient-ils formés, que les soldats se dispersaient dans les environs
+pour aller déterrer les pommes de terre. Un champ était bientôt récolté,
+et le repas était bientôt préparé au feu du bivouac. Le silence durait
+tant que durait cette importante occupation: mais elle ne durait pas
+longtemps et les provisions étaient épuisées avant que la faim fût
+apaisée. L'inépuisable gaieté du soldat français revenait alors. Ne
+doutant de rien, parlant de tout, lançant des saillies originales et
+souvent même instructives, tel est le soldat français. Un soir, en
+parlant politique et des nouvelles de Paris, le propos était tombé sur
+les grands hommes qu'on avait fait entrer au Panthéon ou qu'on en avait
+successivement fait sortir, suivant l'esprit du jour et l'influence du
+parti régnant. «Qui va-t-on y mettre aujourd'hui? demanda quelqu'un.
+Parbleu, répondit son voisin, une pomme de terre.» Et tout le monde
+d'applaudir à cette saillie, qui avait plus de portée que l'intention de
+son auteur n'avait probablement voulu lui donner.» (SOULT.)</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote">
+<a id="footnote31" name="footnote31"><b>Note 31: </b></a>
+<a href="#footnotetag31">(retour) </a> Le tambour battait comme d'habitude la distribution à l'heure dite,
+mais cette distribution se réduisait souvent à rien ou à peu de chose.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote">
+<a id="footnote32" name="footnote32"><b>Note 32: </b></a>
+<a href="#footnotetag32">(retour) </a> Cette adresse vigoureuse sous sa forme ampoulée, faisait allusion à
+la <i>journée du 1er prairial</i> (20 mai 1795) qui avait vu la populace des
+faubourgs de Paris envahir la Convention nationale en tuant le député
+Feraud, aux cris de <i>du pain! la liberté des patriotes! la Constitution
+de 1793</i>! Quatorze députés Jacobins payèrent de leurs têtes cette
+insurrection, et, trois mois après, les clubs et sociétés populaires
+étaient dissous. Chaque insurrection parisienne plaçait nos généraux
+dans une situation difficile, comme le montre cette lettre du chef qui
+commandait alors l'armée de Rhin et Moselle; elle est conçue en termes
+vraiment patriotiques:
+
+<p> «<i>Le général en chef Jourdan au général de division Hatry</i>.</p>
+
+<p> «Andernach, le 7 prairial an III.</p>
+
+<p> «Je suis instruit, mon camarade, qu'il y a eu, le premier de ce
+ mois, une insurrection à Paris, et que le peuple a occupé la salle
+ de la Convention presqu'à onze heures du soir. Il paraît cependant
+ qu'à cette heure la Convention a repris le cours de ses séances. Il
+ faut que l'armée agisse dans cette circonstance comme elle a agi
+ toutes les fois que de pareils événements ont eu lieu.
+ C'est-à-dire, qu'étant placée sur la frontière pour combattre les
+ ennemis du dehors, elle ne s'occupe point de ce qui se passe dans
+ l'intérieur et qu'elle ait toujours la confiance de croire que les
+ bons citoyens qui y sont, parviendront à faire taire les royalistes
+ et les anarchistes.</p>
+
+<p> «Nous avons juré de vivre libres et républicains, et nous
+ maintiendrons notre serment, ou nous mourrons les armes à la main.
+ Nous avons juré de combattre les ennemis du dehors, tant que la
+ paix ne sera pas faite. Nous tiendrons pareillement notre serment,
+ nous resterons à notre poste, et nous combattrons avec autant de
+ valeur que la campagne dernière. Je suis persuadé que tels sont vos
+ sentiments et ceux des troupes que vous commandez. Mais comme il
+ est essentiel d'empêcher que des malintentionnés viennent répandre
+ de fâcheuses nouvelles dans l'armée, comme il est essentiel de
+ redoubler de surveillance, afin que l'ennemi ne puisse pas profiter
+ du malheur de nos querelles intestines, il faut redoubler de zèle
+ et d'activité, il faut que les militaires de tout grade soient
+ toujours à leur poste, que le service des avant postes se fasse
+ avec plus de surveillance que jamais, et que vous veillez à ce que
+ les convois qui passeront dans l'arrondissement que vous commandez,
+ soient bien escortés. J'espère que l'attitude de l'armée en
+ imposera à tous les ennemis de la République.</p>
+
+<p> «Je vous communiquerai journellement les suites des événements, et
+ vous aurez à me faire part exactement des observations que vous
+ ferez sur ce qui se passera dans les troupes que vous
+ commandez.--Salut et fraternité.</p>
+
+<p> «JOURDAN.»</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote">
+<a id="footnote33" name="footnote33"><b>Note 33: </b></a>
+<a href="#footnotetag33">(retour) </a> <i>C'est-à-dire</i> du Palatinat.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote">
+<a id="footnote34" name="footnote34"><b>Note 34: </b></a>
+<a href="#footnotetag34">(retour) </a> La division Poncet, dont notre sergent faisait partie, devait avec
+la division Marceau, rester en observation sur la rive gauche du Rhin.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote">
+<a id="footnote35" name="footnote35"><b>Note 35: </b></a>
+<a href="#footnotetag35">(retour) </a> Le 19 janvier 1793, les Autrichiens et non les Prussiens avaient en
+effet évacué le fort en faisant sauter les fortifications. C'est après
+la levée du blocus que le duc de Brunswick écrivit au roi de Prusse
+cette lettre fameuse par laquelle il demandait son rappel en disant:
+«Lorsqu'une grande nation, telle que la nation française, est conduite
+aux grandes actions par la terreur des supplices et par l'enthousiasme,
+une même volonté devrait présider à la <i>démarche</i> des puissances
+coalisées.»</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote">
+<a id="footnote36" name="footnote36"><b>Note 36: </b></a>
+<a href="#footnotetag36">(retour) </a> Le 23 thermidor de l'an IV doit concorder avec le 9 août 1795, et
+la fête de la Fédération était célébrée le 14 juillet. Il paraît y avoir
+une erreur de date.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote">
+<a id="footnote37" name="footnote37"><b>Note 37: </b></a>
+<a href="#footnotetag37">(retour) </a> Rien de plus capricieux que l'uniforme des armées de la République
+réduites à tout improviser avec les seules ressources des pays qu'elles
+traversaient. À une époque bien rapprochée, du reste, au siège de Paris
+en 1870, nous avons revu un bataillon mobilisé vêtu de capotes marron.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote">
+<a id="footnote38" name="footnote38"><b>Note 38: </b></a>
+<a href="#footnotetag38">(retour) </a> On sait que l'année républicaine, composée de douze mois égaux de
+trente jours, avait cinq jours dits <i>complémentaires</i> pour les années
+ordinaires et six pour les années bissextiles.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote">
+<a id="footnote39" name="footnote39"><b>Note 39: </b></a>
+<a href="#footnotetag39">(retour) </a> 23 septembre 1796.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote">
+<a id="footnote40" name="footnote40"><b>Note 40: </b></a>
+<a href="#footnotetag40">(retour) </a> C'était avant 1777, l'électeur palatin du Rhin. Ce fut ensuite le
+duc de Bavière.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote">
+<a id="footnote41" name="footnote41"><b>Note 41: </b></a>
+<a href="#footnotetag41">(retour) </a> Une attaque du maréchal Clairfayt déterminait en ce moment la
+retraite de l'armée de Rhin-et-Moselle, placée par Pichegru dans des
+positions intenables, et la place de Mannheim, abandonnée à elle-même,
+se rendait quelques jours après. Les lignes devant Mayence étaient
+forcées.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote">
+<a id="footnote42" name="footnote42"><b>Note 42: </b></a>
+<a href="#footnotetag42">(retour) </a> Elle était double de la nôtre qui avait vu une de ses quatre
+divisions écrasée. Les trois autres se retirèrent avec peine en perdant
+presque toute leur artillerie.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote">
+<a id="footnote43" name="footnote43"><b>Note 43: </b></a>
+<a href="#footnotetag43">(retour) </a> Un armistice fut conclu quelques jours après fort à propos pour
+l'armée du Rhin-et-Moselle, très réduite en hommes et en chevaux.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote">
+<a id="footnote44" name="footnote44"><b>Note 44: </b></a>
+<a href="#footnotetag44">(retour) </a> En sept semaines, l'armée d'Italie avait conquis le Piémont, dicté
+la paix à la cour de Turin, occupé Vérone et Milan, investi Mantoue.
+Déconcertée, l'Autriche prit Wurmser et 56,000 hommes sur le Rhin, pour
+les opposer à Bonaparte, et nous allons voir l'armée de Rhin-et-Moselle
+en profiter pour reprendre l'offensive.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote">
+<a id="footnote45" name="footnote45"><b>Note 45: </b></a>
+<a href="#footnotetag45">(retour) </a> Pour mieux surprendre encore, Moreau faisait exécuter deux fausses
+attaques sur Spire et Mannheim. Pendant ce temps son aile droite, portée
+rapidement sur Strasbourg, passait heureusement le Rhin à la date du 24
+juin 1796, sur un pont de bateaux préparé dans le plus grand secret.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote">
+<a id="footnote46" name="footnote46"><b>Note 46: </b></a>
+<a href="#footnotetag46">(retour) </a> Milanais d'origine et capitaine au service autrichien, Férino était
+venu offrir ses services à la Révolution française qui le fit
+lieutenant-colonel et général en 1792, général de division en 1793.
+L'empire le fit comte et sénateur; sa division comprenait au moment qui
+nous occupe, vingt-trois bataillons et dix-sept escadrons.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote">
+<a id="footnote47" name="footnote47"><b>Note 47: </b></a>
+<a href="#footnotetag47">(retour) </a> L'artillerie comptait en effet trente et une pièces, et les sacs de
+grains étaient au nombre de quarante mille.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote">
+<a id="footnote48" name="footnote48"><b>Note 48: </b></a>
+<a href="#footnotetag48">(retour) </a> Ce n'était pas un corps d'émigrés, mais six escadrons autrichiens
+détachés par le général Froelich.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote">
+<a id="footnote49" name="footnote49"><b>Note 49: </b></a>
+<a href="#footnotetag49">(retour) </a> Voir la note 38.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote">
+<a id="footnote50" name="footnote50"><b>Note 50: </b></a>
+<a href="#footnotetag50">(retour) </a> «Cette retraite est devenue célèbre; cependant il faut convenir
+qu'elle était loin d'offrir les mêmes difficultés que le retraite de
+l'armée de Sambre-et-Meuse, avec laquelle Moreau eu mieux fait d'opérer
+sa jonction.» (SOULT.)</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote">
+<a id="footnote51" name="footnote51"><b>Note 51: </b></a>
+<a href="#footnotetag51">(retour) </a> Voir la note 53 (siège de Kehl.)</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote">
+<a id="footnote52" name="footnote52"><b>Note 52: </b></a>
+<a href="#footnotetag52">(retour) </a> Il s'agit ici du <i>craquelin</i>, petit gâteau ayant effectivement
+cette forme.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote">
+<a id="footnote53" name="footnote53"><b>Note 53: </b></a>
+<a href="#footnotetag53">(retour) </a> Rien n'est exagéré dans ce compte rendu de la situation. «Voulant
+rester à portée de l'Alsace pour profiter des intrigues que Pichegru
+continuait à ourdir, et pour lesquelles il était même revenu en personne
+à Strasbourg, les Autrichiens commencèrent par le siège de Kehl.
+Quelques travaux y avaient été faits pendant la campagne, et un camp
+retranché avait été établi en avant, mais tous ces ouvrages étaient
+simplement en terre et paraissaient peu susceptibles de tenir longtemps
+contre une attaque régulière. Néanmoins, la défense fut telle qu'elle
+résista à <i>quarante-sept jours</i> de tranchée ouverte, pour ne laisser à
+l'ennemi que des monceaux de terre bouleversée. Il en fut de même à la
+tête du pont de Huningue dont les ouvrages étaient plus petits encore,
+et qui, attaquée depuis les premiers jours de novembre, ne fut évacuée
+que le 2 février suivant. Ces deux défenses mémorables ont été décrites
+dans des ouvrages spéciaux. (SOULT.)--Voir le n° III de notre
+Supplément.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote">
+<a id="footnote54" name="footnote54"><b>Note 54: </b></a>
+<a href="#footnotetag54">(retour) </a> Les généraux blessés furent au nombre de trois: Desaix, Duhesme et
+Jordy. Tous avaient payé de leur personne pour doubler l'élan des
+troupes dans ces deux belles journées. Arrivé de Paris la veille, le
+général en chef s'était jeté dans l'eau jusqu'à la ceinture pour aider,
+en tirant sur des cordages avec Desaix et son état-major, à dégager un
+bateau engravé. Duhesme avait eu la main percée d'une balle en battant
+sur une caisse de tambour avec le pommeau de son sabre pour ramener un
+bataillon à la charge.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote">
+<a id="footnote55" name="footnote55"><b>Note 55: </b></a>
+<a href="#footnotetag55">(retour) </a> Le seul général O'Reilli avait été fait prisonnier, mais le général
+Staray avait été tué, ce qui explique l'exagération apparente du
+chiffre.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote">
+<a id="footnote56" name="footnote56"><b>Note 56: </b></a>
+<a href="#footnotetag56">(retour) </a> Le fort fut enlevé par quelques dragons du 17e régiment qui
+passèrent le Kintzig; on était en train de le reconstruire sur un
+nouveau tracé.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote">
+<a id="footnote57" name="footnote57"><b>Note 57: </b></a>
+<a href="#footnotetag57">(retour) </a> Les intelligences de Pichegru avec l'ennemi avaient commencé en
+1795, et ses fausses manoeuvres préméditées compromirent alors l'armée de
+Jourdan. Déporté en 1797, il s'évada pour s'allier ouvertement aux
+ennemis de la patrie, et revenir mourir honteusement à Paris. Le prix
+stipulé pour sa trahison comprenait une infinité d'articles: le
+gouvernement d'Alsace, le grade de maréchal, deux grands cordons, douze
+canons, le château de Chambord, la terre d'Arbois, un million d'argent
+et deux cent mille livres de rentes. En attendant la réalisation de ces
+promesses, le ministre anglais de Suisse lui faisait passer des
+subsides. Moreau, auquel on avait apporté la preuve écrite de ce pacte,
+fut accusé de l'avoir divulgué trop tard.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote">
+<a id="footnote58" name="footnote58"><b>Note 58: </b></a>
+<a href="#footnotetag58">(retour) </a> Le maréchal Soult dit beaucoup en peu de lignes sur les causes
+possibles de la mort trop subite de Hoche: «Cependant, l'esprit
+républicain était encore très vif dans les rangs de l'armée; aussi,
+quand la lutte fut engagée entre la majorité des conseils et celle du
+Directoire, celle-ci appela l'armée à son secours. On donna le mauvais
+exemple de faire faire des adresses par des corps de troupe. Le général
+Hoche fut à Paris, et l'on fit avancer deux divisions de Sambre-et-Meuse
+dans les environs de la capitale, sous le prétexte de les envoyer sur
+les côtes de l'Océan. Ce mouvement eut lieu à l'insu du directeur Carnot
+et du ministre de la guerre lui-même, du moins ce dernier en fit la
+déclaration. Le général Bonaparte fut plus circonspect que le général
+Hoche; il se borna à envoyer à Paris le général Augereau, qui fit le
+coup de main du 18 fructidor. Quant au général Hoche, il s'aperçut
+probablement au dernier moment, qu'il ne jouerait pas dans le coup
+d'État projeté le rôle qu'il croyait devoir lui revenir et qu'il y
+serait associé à des hommes avec lesquels il ne pouvait lui convenir
+d'être confondu. Il se hâta donc de rejoindre son armée, mais à peine
+était-il arrivé à son quartier général de Wetzlar, qu'une courte
+maladie, dont la nature parut assez extraordinaire, l'emporta, le 19
+septembre (troisième jour complémentaire). Des bruits d'empoisonnement
+circulèrent d'abord: les soupçons se fondaient sur ce que le général
+Hoche était vraisemblablement dépositaire de secrets importants, et
+qu'il devait y avoir des personnes intéressées à ce qu'il cessât de leur
+porter ombrage par sa supériorité et l'ascendant qu'il exerçait sur son
+armée, voisine de la France. On ne peut pas admettre légèrement des
+soupçons d'une nature aussi grave, et il est plus que probable qu'ils
+n'avaient rien de fondé, cependant ils n'ont jamais été éclaircis. Quoi
+qu'il en soit, les plus sincères regrets l'accompagnèrent au tombeau et,
+pour en perpétuer le souvenir, l'armée fit élever un monument dans la
+plaine entre Coblentz et Andernach, où son corps fut déposé.
+
+<p>«Le général Hoche possédait les qualités qui constituent le grand
+capitaine, et il les faisait ressortir par les dons extérieurs les plus
+séduisants. Son port noble et majestueux, sa physionomie ouverte et
+prévenante, attiraient la confiance à la première vue, comme sur les
+champs de bataille, toute son attitude commandait l'admiration. Un coup
+d'oeil prompt et sûr, un caractère entreprenant qu'aucune difficulté
+n'était capable d'arrêter, des sentiments très élevés, et en même temps,
+une grande bonté, une sollicitude constante pour le soldat: il n'en
+fallait pas tant pour que l'armée aimât en lui un chef qui avait
+toujours été heureux, et qui avait la gloire d'avoir pacifié la Vendée.
+On lui a reproché l'ambition. Il n'avait que trente ans, lorsque la mort
+l'enleva à la France; à cet âge, à la tête d'une armée, avec la
+réputation dont il jouissait et le sentiment qu'il avait de sa propre
+valeur, il était bien difficile de se préserver de l'ambition, surtout
+lorsqu'il voyait s'élever à ses côtés des réputations qu'il se croyait
+capable d'égaler. Aussi je crois que si Hoche eût vécu, il eût prévenu
+le 18 brumaire, ou du moins qu'il eût pris le rôle de Pompée, lorsque le
+nouveau César vint s'emparer du pouvoir suprême.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote">
+<a id="footnote59" name="footnote59"><b>Note 59: </b></a>
+<a href="#footnotetag59">(retour) </a> C'est effectivement à cette date que fut signé le traité de
+Campo-Formio.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote">
+<a id="footnote60" name="footnote60"><b>Note 60: </b></a>
+<a href="#footnotetag60">(retour) </a> Une entrée des troupes françaises à Zurich avait été précédée d'une
+proclamation qui promettait que rien ne serait demandé pour l'entretien
+des troupes, dont la solde et les subsides étaient, disait-elle, assurés
+par les convois de France. Une fois en ville, il fallut cependant faire
+des demandes de vivres; elles furent justifiées par l'excuse que les
+convois étaient malheureusement en retard; on fit la promesse de les
+rendre en nature, à l'arrivée des convois, ou de les rembourser avec les
+premiers fonds que le Directoire enverrait. L'agent du Directoire
+sanctionnait par sa présence cet engagement. Quelques jours après, un
+arrêté impose à la ville de Zurich une contribution extraordinaire de
+guerre payable dans un très court délai: l'abus de la force était la
+seule raison à donner d'un pareil manque de foi. Une députation de
+notables se rend auprès du général commandant, pour lui faire des
+représentations. Le général était d'autant plus embarrassé de répondre
+qu'il n'était lui-même pas coupable; il n'avait agi que d'après des
+ordres. Il cherchait comme la première fois, à trouver des excuses dans
+le retard des convois attendus de France, dans les besoins pressants de
+l'armée, lorsque l'orateur de la députation le tira d'embarras:
+«Général, lui dit-il, nous ne sommes pas venus pour vous reprocher
+d'avoir oublié vos engagements que sans doute on vous a obligé à violer,
+ni pour nous plaindre que la contribution soit trop forte, mais pour
+vous dire, au contraire,<i> que nous pouvons payer davantage, et pour vous
+prier de nous le demander</i>.»
+
+<p>Puis, lui saisissant vivement la main: «<i>Quand vous nous aurez pris</i>,
+ajouta-t-il, <i>des richesses qui ont aguerri votre courage et dont nos
+ancêtres savaient se passer, nous reviendrons dignes d'eux, nous
+reviendrons Suisses</i>.»</p>
+
+<p>Nous donnons d'après les <i>Mémoires</i> du maréchal Soult (comme toujours)
+ce beau trait qui est à méditer en tout temps et en tous pays.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote">
+<a id="footnote61" name="footnote61"><b>Note 61: </b></a>
+<a href="#footnotetag61">(retour) </a> Il a une longueur de 1800 pieds.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote">
+<a id="footnote62" name="footnote62"><b>Note 62: </b></a>
+<a href="#footnotetag62">(retour) </a> À l'armée, la prison est ainsi nommée parce qu'on n'y laisse pas
+pénétrer le jour.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote">
+<a id="footnote63" name="footnote63"><b>Note 63: </b></a>
+<a href="#footnotetag63">(retour) </a> Le 16 germinal correspond au 5 avril 1799. Le maréchal Soult résume
+ainsi cette suite de revers due à l'incapacité du général Scherer: «Le
+général Scherer partait des places de Mantoue et de Peschiara, sur la
+ligne du Mincio: il commença ses opérations, le 26 mars, pour forcer la
+ligne de l'Adige. Il opérait aux trois colonnes: celle de gauche,
+commandée par le général Moreau, avançait. Elle passa l'Adige au-dessus
+de Vérone, coupant la droite de l'armée autrichienne, et elle était à
+même de poursuivre ses succès vers Vienne si elle avait été soutenue;
+mais les autres divisions du centre et de la droite, que le général
+Scherer commandait en personne, se firent battre par l'ennemi.
+Cependant, le succès que venait de remporter le général Moreau suffisait
+pour que le restant de l'armée pût s'appuyer sur lui, le rejoindre,
+marcher sur Vienne, rejeter les Autrichiens sur la Brenta et les séparer
+des places de Vérone et de Legnago. Le général Moreau donnait ce conseil
+au général Scherer; mais, au lieu de le suivre, celui-ci eut la
+singulière idée de rappeler le général Moreau sur la rive droite de
+l'Adige, pour recommencer par sa droite la même opération, quatre jours
+après. Cette fois la leçon fut plus sévère: on y perdit une partie de la
+division Serurier, qu'une nuit de faux mouvements compromit sur la rive
+gauche de l'Adige, et qui, entourée par des forces supérieures, finit
+par être accablée.
+
+<p>«Enfin une troisième tentative, faite le 6 avril, fut encore moins
+heureuse. Malgré des succès, d'abord remportés au centre par le général
+Moreau, la droite de l'armée fut tournée, à la fin de la journée, par
+une manoeuvre habile du général Kray. Il y avait tant d'incohérence dans
+tous les mouvements, que cet échec ne put être réparé: le désordre vint
+s'y joindre et l'armée entière précipita sa retraite, non pas seulement
+derrière le Mincio où le général Scherer aurait pu tenir, à l'appui des
+places de Peschiera et de Mantoue, mais derrière l'Adda.</p>
+
+<p>«La journée de Magnano décida du sort de l'Italie. Dix jours avaient
+suffi pour réduire l'armée à moins de trente mille combattants, pendant
+que d'un autre côté, toutes les troupes éparpillées depuis le Pô jusqu'à
+Naples, étaient non seulement trop éloignées pour lui amener des
+renforts en temps utile, mais se trouvaient elles-mêmes de jour en jour
+plus compromises. En même temps l'armée ennemie avait remplacé toutes
+ses pertes et elle acquérait une supériorité de plus en plus grande par
+les renforts qu'elle recevait à tout instant; elle était, en outre, à la
+veille d'être rejointe par l'armée russe, qui arriva sur l'Adige, le 15
+avril.</p>
+
+<p>«L'exaspération de l'armée dont le courage avait été si mal employé
+était au comble, et elle eût produit des actes d'indiscipline et de
+désobéissance, si le général Scherer fût resté. Il le comprit, il partit
+pour Milan sous prétexte de diriger les levées extraordinaires qu'on y
+faisait, et ne revint plus. Il avait remis, avant son départ, le
+commandement au général Moreau.»</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote">
+<a id="footnote64" name="footnote64"><b>Note 64: </b></a>
+<a href="#footnotetag64">(retour) </a> L'armée russe avait fait sa jonction.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote">
+<a id="footnote65" name="footnote65"><b>Note 65: </b></a>
+<a href="#footnotetag65">(retour) </a> Il s'agit ici du passage de l'Adda sur la droite de l'armée de
+Berthier qui s'était portée vers le point oriental du lac de Côme, et
+qui isola la division Serrurier du restant de l'armée. L'attaque
+générale de l'ennemi triompha sur les autres points, et l'armée
+française se vit réduite à la retraite après avoir perdu le tiers de son
+effectif et une centaine de canons.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote">
+<a id="footnote66" name="footnote66"><b>Note 66: </b></a>
+<a href="#footnotetag66">(retour) </a> Comme complément de cette invocation, voir la prière à la fin du
+journal.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote">
+<a id="footnote67" name="footnote67"><b>Note 67: </b></a>
+<a href="#footnotetag67">(retour) </a> «Le tableau de la situation de Gênes dans les derniers jours du
+siège a déjà été tracé tant de fois et est devenu si célèbre, dit le
+maréchal Soult, que je puis me borner ici à le rappeler. Les horreurs de
+la faim, dans une ville de cent soixante mille âmes, dépassent tout ce
+que l'imagination peut se représenter de plus hideux. On avait dévoré
+tous les animaux jusqu'aux chiens et aux rats; on fabriquait, sous le
+nom de pain, une composition d'amandes, de grains de lin, de son et de
+cacao, qu'on a comparée à de la tourbe imbibée d'huile, et que les
+chiens mêmes ne pouvaient pas supporter; la ration consistait en deux
+onces de cet affreux mélange. Enfin, le 15 prairial (le 4 juin), il n'en
+restait plus une once pour chacun; il ne restait plus quoi que ce fût,
+qui pût être mangé, pas même la nourriture la plus immonde. Il n'en
+restait pas plus pour l'armée que pour les habitants qui, tous les
+jours, mouraient par centaines. L'armée, si on pouvait encore lui donner
+ce nom, ne comptait pas trois mille hommes en état de tenir un fusil,
+car leur faire faire le moindre mouvement, était absolument impossible;
+les sentinelles ne pouvaient faire leur faction qu'assises. Le
+lendemain, elles n'auraient pas pu le faire, tous soldats et habitants,
+seraient morts d'inanition.
+
+<p>«Ce fut ce jour-là seulement que le général Masséna consentit à écouter
+les propositions qui lui étaient faites depuis plusieurs jours par les
+généraux ennemis, dans les termes les plus honorables. La conférence
+entre le général Masséna, les généraux autrichiens Ott et Saint-Julien
+et l'amiral Keith commandant l'escadre anglaise, se tint au milieu du
+pont de Cornigliano, sur le Bisague, et le général Masséna y apporta
+toute la fermeté de son caractère. Il commença par ne pas vouloir
+admettre l'emploi du mot de <i>capitulation</i>, et la seule expression à
+laquelle il consentit, fut celle de <i>négociation pour l'évacuation de
+Gênes</i>. L'armée sortit librement de Gênes avec armes et bagages, pour
+rentrer en France, sans engager sa parole: huit mille hommes prendraient
+la route de terre; le surplus, ainsi que les hôpitaux, le matériel et
+tout ce qui appartenait à l'armée, serait transporté par mer à Antibes.
+Cette clause de la marche, par terre, de huit mille hommes, fut sur le
+point de faire rompre la négociation. Le général Ott ne voulait pas y
+consentir, afin de retarder la réunion de cette colonne à l'armée
+française. Le général Masséna rompit la conférence: «À demain,
+messieurs,» leur dit-il. Cependant, il savait bien qu'il serait hors
+d'état d'accomplir sa menace. Cette fermeté réussit, mais le général
+Masséna était surtout secondé par les ordres pressants que le général
+Ott venait de recevoir du général Mélas, et qui lui prescrivait de ne
+pas perdre un instant pour lever le siège et pour conduire son corps
+d'armée à Alexandrie.»</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote">
+<a id="footnote68" name="footnote68"><b>Note 68: </b></a>
+<a href="#footnotetag68">(retour) </a> Bibl. Nat. Estampes OA, 105 O.</blockquote>
+
+
+<br><br>
+
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+
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+
+<pre>
+
+
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+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of Journal de marche du sergent Fricasse
+de la 127e demi-brigade : 1792-1802, by Jacques Fricasse
+
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+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at https://www.pglaf.org.
+
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
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+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
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+
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+
+
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+Literary Archive Foundation
+
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+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
+
+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
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+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
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+
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+works.
+
+Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
+
+
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+This eBook, including all associated images, markup, improvements,
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