diff options
| author | Roger Frank <rfrank@pglaf.org> | 2025-10-14 19:56:49 -0700 |
|---|---|---|
| committer | Roger Frank <rfrank@pglaf.org> | 2025-10-14 19:56:49 -0700 |
| commit | 21db2a162e5f9224319ba6f09ea04361d3d2016c (patch) | |
| tree | 7323c0d5db5be42d8423e57bb846bf88ff173b7d | |
| -rw-r--r-- | .gitattributes | 3 | ||||
| -rw-r--r-- | 31988-8.txt | 6618 | ||||
| -rw-r--r-- | 31988-8.zip | bin | 0 -> 130035 bytes | |||
| -rw-r--r-- | 31988-h.zip | bin | 0 -> 507266 bytes | |||
| -rw-r--r-- | 31988-h/31988-h.htm | 7099 | ||||
| -rw-r--r-- | 31988-h/images/001.png | bin | 0 -> 14263 bytes | |||
| -rw-r--r-- | 31988-h/images/002.png | bin | 0 -> 15344 bytes | |||
| -rw-r--r-- | 31988-h/images/003.png | bin | 0 -> 12373 bytes | |||
| -rw-r--r-- | 31988-h/images/004.png | bin | 0 -> 23137 bytes | |||
| -rw-r--r-- | 31988-h/images/005.png | bin | 0 -> 14595 bytes | |||
| -rw-r--r-- | 31988-h/images/006.png | bin | 0 -> 19510 bytes | |||
| -rw-r--r-- | 31988-h/images/007.png | bin | 0 -> 27211 bytes | |||
| -rw-r--r-- | 31988-h/images/008.png | bin | 0 -> 16132 bytes | |||
| -rw-r--r-- | 31988-h/images/009.png | bin | 0 -> 13288 bytes | |||
| -rw-r--r-- | 31988-h/images/010.png | bin | 0 -> 22895 bytes | |||
| -rw-r--r-- | 31988-h/images/011.png | bin | 0 -> 10422 bytes | |||
| -rw-r--r-- | 31988-h/images/012.png | bin | 0 -> 12503 bytes | |||
| -rw-r--r-- | 31988-h/images/013.png | bin | 0 -> 16914 bytes | |||
| -rw-r--r-- | 31988-h/images/014.png | bin | 0 -> 20437 bytes | |||
| -rw-r--r-- | 31988-h/images/015.png | bin | 0 -> 27351 bytes | |||
| -rw-r--r-- | 31988-h/images/016.png | bin | 0 -> 13645 bytes | |||
| -rw-r--r-- | 31988-h/images/017.png | bin | 0 -> 21104 bytes | |||
| -rw-r--r-- | 31988-h/images/018.png | bin | 0 -> 14356 bytes | |||
| -rw-r--r-- | 31988-h/images/019.png | bin | 0 -> 34962 bytes | |||
| -rw-r--r-- | 31988-h/images/020.png | bin | 0 -> 17616 bytes | |||
| -rw-r--r-- | LICENSE.txt | 11 | ||||
| -rw-r--r-- | README.md | 2 |
27 files changed, 13733 insertions, 0 deletions
diff --git a/.gitattributes b/.gitattributes new file mode 100644 index 0000000..6833f05 --- /dev/null +++ b/.gitattributes @@ -0,0 +1,3 @@ +* text=auto +*.txt text +*.md text diff --git a/31988-8.txt b/31988-8.txt new file mode 100644 index 0000000..cd4a9d6 --- /dev/null +++ b/31988-8.txt @@ -0,0 +1,6618 @@ +The Project Gutenberg EBook of Journal de marche du sergent Fricasse de la +127e demi-brigade : 1792-1802, by Jacques Fricasse + +This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with +almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: Journal de marche du sergent Fricasse de la 127e demi-brigade : 1792-1802 + avec les uniformes des armées de Sambre-et-Meuse et + Rhin-en_Moselle. Fac-similés dessinés par P. Sellier d'après + les gravures al + +Author: Jacques Fricasse + +Editor: Lorédan Larchey + +Release Date: April 14, 2010 [EBook #31988] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK JOURNAL DU SERGENT FRICASSE *** + + + + +Produced by Mireille Harmelin, Eric Vautier, Rénald Lévesque +(html) and the Online Distributed Proofreaders Europe at +http://dp.rastko.net. This file was produced from images +generously made available by the Bibliothèque nationale +de France (BnF/Gallica) + + + + + + + +JOURNAL DE MARCHE DU SERGENT FRICASSE DE LA 127e DEMI-BRIGADE + +1792-1802 + +Avec les uniformes des armées de Sambre-et-Meuse et Rhin-et-Moselle, +fac-similés dessinés par P. Sellier d'après les gravures allemandes du +temps. + +PUBLIÉ POUR LA PREMIÈRE FOIS PAR LORÉDAN LARCHEY D'APRÈS LE MANUSCRIT +ORIGINAL + +PARIS + +AUX FRAIS DE L'ÉDITEUR + +1882 + + + + +Authenticité de ce Journal. Ses enseignements et sa valeur morale.--Les +armées de la République glorifiées par un Maréchal du premier +Empire.--Pourquoi nous devons souhaiter la renaissance de leur esprit +militaire. + + +Fricasse! + +Comique est le nom, mais sérieuse est l'oeuvre, car elle se recommande +par une sincérité rare. Et la sincérité est beaucoup à cette époque +tourmentée de la première République où chaque écrivain se passionne en +prenant parti pour ou contre l'ère nouvelle. Éloge enthousiaste ou +réquisitoire indigne, il n'y a guère de milieu. + +Le document, publié ici pour la première fois, présente du moins le +mérite de ne connaître d'autre guerre que celle de l'extérieur, d'autres +ennemis que ceux de la patrie. Il est authentique, et je tiens à la +disposition des curieux son manuscrit original, qui est du temps, et qui +me fut libéralement donné par mon ami Jules de Forge de Vesoul. C'est +bien un journal de marche; chaque étape s'y trouve notée à son jour, +chaque fait de guerre paraît à son heure. + +En un temps où l'avancement était si rapide, il ne fut pas de plus +humble carrière que celle de notre héros, et c'est précisément ce qui +m'a intéressé dans une oeuvre que ne recommande, il faut le dire, aucune +séduction littéraire; elle est simple comme le carnet d'un soldat +citoyen qui remplit son devoir complètement et modestement. De 1792 à +1802, il fait campagne chaque année: avec l'armée de Sambre-et-Meuse, il +protège nos places du Nord et fait son entrée à Bruxelles; avec l'armée +de Rhin-et-Moselle, il pousse jusqu'à Munich et accomplit cette retraite +devenue fameuse sous le nom de _retraite de Moreau_; avec l'armée +d'Italie, il résiste dans Gênes jusqu'à la dernière extrémité. Reste le +neuvième d'une compagnie de cent dix hommes détruite par la guerre, +réduit par une blessure à regagner son village, il n'a ni un mot de +plainte, ni un mouvement d'humeur ou d'ambition déçue. Il reste fier +d'avoir servi son pays avec honneur et avec probité. J'insiste sur ce +dernier mot, parce que plusieurs pages de son journal témoignent des +plus nobles sentiments[1]. La partie descriptive n'en est pas bien +riche, les développements et les réflexions ne sont jamais poussés loin, +mais si l'esprit de l'auteur est borné, son âme apparaît grande et +généreuse, on sent qu'il est honnête homme et bon Français. On oublie la +sécheresse et la monotonie même du récit, parce qu'il vous fait sûrement +connaître l'esprit du soldat et aussi les cruelles nécessités de la +guerre. + +Il est bon de savoir à quel prix on achète une victoire. + +Certes, c'est déjà beaucoup que le courage de faire le coup de feu ou de +se lancer sur l'ennemi baïonnette en avant. Mais que de soldats tombés +sur la route avant de voir luire un jour de bataille! Combien de +victimes obscures sont dévouées aux marches sans fin, aux misères du +bivouac, aux privations des sièges, aux souffrances d'une campagne +d'hiver où la maladie et la faim n'ont pas peur de votre fusil. + +On ne saurait se faire idée de cela en voyant défiler un régiment ni en +lisant un rapport officiel. + +D'autres enseignements ressortent de notre journal. Il s'en dégage au +plus haut degré l'expression de cette foi républicaine qui n'est pas +encore admise sans réserve. Pour les besoins de certaines causes, on a +contradictoirement exalté et ravalé les volontaires de notre première +République. On verra que leur force morale fut à la hauteur de leurs +souffrances, sinon de leur discipline. C'est déjà un point important +acquis au débat qui n'est pas encore terminé, mais qui, pour l'honneur +de nos armes, ne perd point à être approfondi. Je le constate sans +esprit d'exclusion, car je suis de ceux qui ne voient ni tout en rose, +ni tout en noir. Il semble que plus on creuse le passé, moins on devient +absolu. En histoire, le bon et le mauvais restent aussi inséparables, +dans les faits, que l'ombre et la lumière dans un paysage. On remarque +seulement à certaines heures plus de lumière ou plus d'ombre, et c'est +dans la mise en valeur de cette inégalité que se trouve la vérité du +tableau. + +Si nos volontaires de 1792 n'ont pas été aguerris du premier coup, ils +ont donc montré vraiment l'esprit national, c'est-à-dire la volonté de +faire respecter la France au péril de leurs vies, ce qui est la première +qualité d'un soldat. Chez le nôtre, on constate aussi, et non sans une +certaine surprise, que l'amour sincère de la République est empreint +d'un sentiment religieux particulier et dont l'expression se trouve +traduite au long dans une prière écrite à la fin de son oeuvre. Elle a +été recueillie avec d'autant plus de soin que c'est un document unique +en son genre. Je l'avais cru d'abord copiée sur quelque texte de +l'église constitutionnelle, mais ses incorrections mêmes annoncent une +oeuvre originale; elle surprend moins lorsqu'on se reporte à la jeunesse +de l'auteur qui s'est passée dans le jardin d'un couvent. + + * * * * * + +Le _Journal de Fricasse_ a été publié avec tout le respect possible. +J'ai retranché les répétitions et les mots inutiles, orthographiant à +l'occasion, mais sans me permettre d'ajouter quoi que ce soit[2]. Pour +mieux éclairer le texte, j'ai donné une suite de dessins d'uniformes +rigoureusement exacts; ils sont placés à la fin de ce petit volume avec +les éclaircissements nécessaires. Au point de vue militaire, je n'avais +pas à me préoccuper de la discussion de faits, mais ce que j'ai lu des +relations du temps m'a prouvé que l'auteur disait vrai sur la date et la +nature des mouvements dont la portée lui échappe nécessairement. On sait +que, excepté au grand état-major, c'est à l'armée qu'on est le moins +renseigné sur la marche générale des opérations. + +Toutes précises que paraissent les données de notre sergent, un contrôle +était cependant nécessaire; il nous a été fourni surtout par les +_mémoires_ d'un maréchal d'Empire qui ne saurait être suspect. Soult fut +officier dans la même division que Fricasse; il appuie les détails +donnés ici par ses propres affirmations, que nous avons fréquemment +reproduites. À ce propos, on doit rendre hommage à la franchise avec +laquelle le duc de Dalmatie paye son tribut d'admiration aux armées +républicaines; il s'honore d'avoir partagé leur pauvreté, leur fierté, +leur ardeur patriotique. Il déclare que le sort de la Pologne était +réservé à la France républicaine si les engagements pris à Pilnitz +avaient pu se réaliser. + +«Mais les soldats français, dit-il, ne comptaient pas le nombre de leurs +ennemis; ils avaient foi en leur propre valeur. Malgré les revers qu'ils +éprouvèrent au commencement, les privations qu'ils eurent à supporter, +le fréquent remplacement de leurs généraux, la profonde impression que +devaient produire sur eux les cris des factions et les déchirements de +l'intérieur, toujours au-dessus de leur fortune et de leur situation, +ils ne virent que des devoirs à remplir; et, en attirant sur eux les +dangers, ils détournèrent les regards du monde des scènes de désolation +qui couvraient la surface de la France.» + +Puis, parlant de la fortune contraire au début de nos armes, Soult +ajoute: «Les Français payèrent leurs essais par des défaites et subirent +les effets inévitables de l'inexpérience de leurs généraux, de +l'indiscipline des troupes, des vices de leur organisation, de +l'imprévoyance ou de la cupidité de l'administration, et de l'influence +souvent malheureuse des représentants sur les armées. Ce fut un temps +d'épreuves difficile à passer, mais quand l'armée en sortit, elle s'y +était retrempée: les nouveaux chefs qui étaient destinés à fixer la +victoire, sentaient sous le coup de ces revers leur intelligence se +développer, méditaient sur les fautes qu'ils voyaient commettre et se +formaient au milieu des rangs.» + +À propos des remaniements que subit en 1794 la constitution de l'armée, +le maréchal Soult entre dans des détails non moins attachants sur +l'esprit de nos troupes d'alors; ils ne sauraient perdre à être médités +de nouveau et peuvent en tout temps fournir un bel exemple. + +«Les officiers donnaient l'exemple du dévouement. Le sac sur le dos, +privés de solde, (car ce fut plus tard seulement, et lorsque les +assignats eurent perdu toute leur valeur, qu'ils reçurent en argent, +ainsi que les généraux, huit francs par mois), ils prenaient part aux +distributions comme les soldats et recevaient des magasins les effets +d'habillement qui leur étaient indispensables. On leur donnait un bon +pour toucher un habit ou une paire de bottes. Cependant aucun ne +songeait à se plaindre de cette détresse, ni à détourner ses regards du +service qui était la seule étude et l'unique sujet d'émulation. Dans +tous les rangs, on montrait le même zèle, le même empressement à aller +au delà du devoir: si l'un se distinguait, l'autre cherchait à le +surpasser par son courage, ses talents; c'était le seul moyen de +parvenir; la médiocrité ne trouvait point à se faire recommander. Dans +les états-majors, c'étaient des travaux incessants embrassant toutes les +branches du service, et encore ils ne suffisaient pas; on voulait +prendre part à tout ce qui se faisait. Je puis le dire, c'est l'époque +de ma carrière où j'ai le plus travaillé et où les chefs m'ont paru le +plus exigeants. Aussi, quoiqu'ils n'aient pas tous mérité d'être pris +pour modèle, beaucoup d'officiers généraux, qui plus tard ont pu les +surpasser, sont sortis de leur école. Dans les rangs des soldats, +c'était le même dévouement, la même abnégation. Les conquérants de la +Hollande traversaient, par dix-sept degrés de froid, les fleuves et les +bras de mer gelés, et ils étaient presque nus: cependant ils se +trouvaient dans le pays le plus riche de l'Europe; ils avaient devant +les yeux toutes les séductions, mais la discipline ne souffrait pas la +plus légère atteinte. Jamais les armées n'ont été plus obéissantes, ni +animées de plus d'ardeur: c'est l'époque des guerres où il y a eu le +plus de vertu parmi les troupes. J'ai souvent vu les soldats refuser +avant le combat les distributions qu'on allait leur faire et s'écrier: +Après la victoire on nous les donnera!» + +Le journal de notre sergent porte bien l'empreinte de l'élan auquel un +maréchal d'Empire a voulu rendre hommage. Rien qu'à ce titre, il mérite +la confiance du lecteur qui cherche la vérité dans les faits; +l'incorrection de leur exposé n'enlève rien à la grandeur du sentiment +qui les domine. Puisse-t-il faire condamner par nos contemporains cet +amour du bien-être à tout prix qui menace de fausser notre jugement des +devoirs militaires! Qu'une guerre survienne, ce n'est qu'un concert de +cris et de lamentations dans certains journaux, si les vivres n'arrivent +pas à l'heure dite et si les malades manquent des premiers soins. +Malheur très grand, sans doute, mais inévitable en campagne. Cependant +c'est à qui les analysera de la façon la plus navrante pour donner de la +couardise à toute une nation. J'ai lu en 1874 certains articles +d'ambulanciers que je pourrais citer comme des modèles de ce genre +anti-national au premier chef. En temps de paix, il se manifeste sous +une autre forme. Des mères de volontaires écrivent aux journaux pour se +plaindre des corvées imposées à leurs fils; certains volontaires +eux-mêmes croient être des héros d'abnégation en livrant à la publicité +le récit de leurs infortunes de caserne. Pendant l'automne de 1881, un +journal n'a-t-il pas poussé la sensibilité jusqu'à s'attendrir sur la +marche d'un régiment qui avait fait, _sous la pluie_, l'étape de Lagny à +Courbevoie!--De tels articles sont à lire dans les réunions publiques où +la désertion du drapeau est proclamée un devoir social. Dans une classe +plus relevée, je pourrais citer plus d'un cas de désertion à l'étranger +qui n'a pas été flétri comme il aurait dû l'être. En plein salon, +n'ai-je pas entendu un écrivain de talent déclarer que le métier des +armes était abject, et que les Français feraient bien mieux de prendre à +leur solde une armée d'Allemands, que de se faire tuer bêtement par eux! + +Simple paradoxe, me dira-t-on. Mais il est des paradoxes aussi +humiliants que des aveux. On a ridiculisé dans le _chauvinisme_ +l'exagération enfantine du patriotisme; craignons le ridicule contraire +qui serait infiniment plus dangereux. + +Il est temps de mettre son orgueil à savoir souffrir. À ce prix seul, +nous pouvons redevenir aussi forts que nos anciens. + + + + +JOURNAL DE MARCHE DU SERGENT FRICASSE + + +RECUEIL DES CAMPAGNES QUE J'AI FAITES AU SERVICE DE MA PATRIE. + +RÉPUBLIQUE FRANÇAISE UNE ET INDIVISIBLE + + +Je suis né le 13 du mois de février 1773, dans le village nommé +Autreville, à deux lieues de Chaumont en Bassigny, chef-lieu du +département de la Haute-Marne. Je suis fils légitime de Nicolas +Fricasse, jardinier, et d'Anne Corniot, de la dite paroisse. À peine +étais-je au monde, mes parents ont été appelés pour être jardiniers chez +le seigneur de Juzennecourt. C'est dans cet endroit que j'ai été élevé +et que mes parents m'ont appris à connaître ce que devait savoir un +honnête homme. + +Puis, mon père fut cultiver les jardins des Bernardins de Clairvaux. Ce +changement a fait beaucoup pour mon apprentissage. Mon père était un des +maîtres, et avait sous sa conduite quatre garçons. Après trois ans, il +est retourné reprendre son ménage, et on m'a confié le même emploi +qu'avait mon père. Je n'oublierai jamais un moine nommé Le Boulanger; il +était archiviste et sacristain en chef. Ce digne homme n'a cessé de me +procurer l'occasion de m'instruire, mais l'idée n'y était pas, et je +n'ai pas su en profiter. Il me disait souvent: «Vois un peu, tu sais +déjà lire et écrire. Eh bien! je veux t'apprendre la géographie: elle +est bien utile à une personne qui veut faire quelque voyage.» Dans ce +temps, je ne croyais jamais le quitter et je pensais que son grand +savoir me servirait sans apprendre. Ah! que j'ai bien connu mes fausses +idées dans la suite! + +Dans ces années, les États généraux se sont assemblés, et on a parlé de +la suppression des couvents. Ceci a changé bien des idées, surtout dans +le couvent où j'étais, qui était de quatre-vingt-dix religieux. Les +voilà donc obligés de quitter, et moi aussi. Je suis entré jardinier +chez le marquis de Messey, seigneur de Beaux-le-Châtel. Ce seigneur m'a +donné beaucoup de louanges; s'il était content, je ne l'étais pas, car +la terre de son jardin était trop aride, et j'avais grand'peine à la +cultiver. + +Comme il était premier capitaine d'un régiment de cavalerie française +nommé Royal-Étranger, en garnison à Dôle en Franche-Comté, il part pour +rejoindre son régiment avec toute sa famille, et nous laisse dans la +maison avec un cocher et une servante. J'en reçus une lettre dans +laquelle il me marquait d'avoir soin de son jardin et de ses arbres, et +qu'à son retour il me récompenserait. Présent ou absent, cela ne +m'empêchait pas de faire mon service. Après, j'ai été une infinité de +temps sans recevoir de ses lettres; j'avais beau en attendre, car le +marquis avait émigré avec toute sa maison qu'il avait à Dôle. Me voilà +donc résolu de le quitter. On a vendu tous les biens aussitôt après mon +départ. + +Sortant de cette maison, je savais déjà où était ma place: j'avais été +prévenu d'avance par le maître et la maîtresse. Ces aimables gens +étaient venus voir le jardin, mais je n'avais pu leur promettre que pour +la fin de la campagne. Me voilà entré au service du citoyen Quilliard, +de Ville-sur-Laujeon (avant la Révolution, Château-Villain)[3]. C'était +des gens vertueux, des coeurs remplis d'humanité; leur bon caractère +était peint sur leur visage. Tout cela me faisait croire que je ne +pouvais passer que des jours heureux au service de ces généreux +citoyens. Après l'ouvrage du jardin, venaient les parties de chasse que +le maître de la maison faisait presque tous les jours avec plusieurs +bourgeois de la ville; c'était le plus souvent pourchasser les grandes +bêtes, cerfs, chevreuils et sangliers, dans les forêts immenses que le +duc de Penthièvre avait dans les environs. + +Je me voyais chéri de mes maîtres, mais aussi je faisais en sorte de +l'être toujours et de mériter leur confiance, lorsqu'il a été requis un +bataillon dans le département. En ce temps le citoyen Quilliard +commandait la garde nationale du canton; il donne ordre que toutes les +communes se rassemblent au chef-lieu le 24 août 1792. Le 24 au matin, il +nous dit: + +«Vous savez sans doute la besogne que j'ai à remplir: il nous faut +plusieurs volontaires, ceux qui veulent quitter mon service sont libres. +Si toutefois il ne se trouvait pas assez de volontaires, tous les pères +de famille et les garçons seront obligés de tirer au sort. Si ce n'est +pas votre dessein de partir, hé bien! mes amis, je ferai tout ce qui +dépendra de moi pour vous rendre service en en faisant partir d'autres à +votre place.» + +Nous voilà donc à la ville où tous les villages du canton étaient +rassemblés. En premier lieu, il ne se trouvait guère de volontaires; il +était une heure de l'après-midi que plusieurs compagnies de garde +nationale, composées de cent soixante hommes, n'avaient pas encore +fourni l'homme qu'il leur fallait[4]. Dans le nombre, se trouvait la +mienne, et je me trouvais rempli d'un désir depuis longtemps. Combien de +fois j'avais entendu, par les papiers[5], la nouvelle que notre armée +française avait été repoussée et battue partout! je brûlais d'impatience +de voir par moi-même des choses qu'il m'était impossible de croire. Vous +direz que c'était l'innocence qui me faisait penser ainsi, mais je me +disais souvent en moi-même: «Est-il donc possible que je n'entende dire +que des malheurs?... Oui! il me semblait que, si j'avais été présent, le +mal n'aurait pas été si grand. Je ne me serais pas dit meilleur soldat +que mes compatriotes, mais je me sentais du courage et je pensais que, +avec du courage, on vient à bout de bien des choses.» + +En ce moment, pour remplir mon devoir, je me suis présenté à la tête de +la compagnie; je leur ai demandé s'ils me trouvaient bon pour entrer +dans ce bataillon. Les cris de toutes parts se sont fait entendre: «Oui! +nous n'en pouvons pas trouver un meilleur que vous!» + +Me voilà donc enregistré par le capitaine et le juge de paix, sans avoir +prévenu mon maître de mon sentiment, dans le moment qu'il s'offrait à me +rendre service. Je conviens que ce n'était pas bien fait de ma part, +mais j'étais timide. La timidité et la jeunesse empêchent quelquefois de +dire sa façon de penser. + +C'est huit jours après, le 24 août, que j'ai quitté la maison; j'ai été +dire adieu à mon père et à ma mère. Ceci m'a bien attendri de voir +verser des pleurs à toute la famille sur mon éloignement sans leur aveu. +Depuis ce moment, je voyage. Le lecteur pensera si j'ai bien ou mal +fait. + +Mon bataillon était requis par le général Biron; son titre était +_Premier bataillon de grenadiers et chasseurs de la Haute-Marne_. + +L'ordre du départ est enfin arrivé; le 2 septembre, je me suis rendu à +Chaumont, chef-lieu du département. Nous y avons nommé des officiers +provisoires qui nous ont montré les premiers principes de l'école du +soldat sans armes. Les noms de ces officiers étaient: Ruel, capitaine, +Barthélemy, lieutenant; Lemoine, sergent major; tous trois habitants de +la ville. L'ordre de former le bataillon venu, nous sommes partis le 5 +octobre pour Saint-Dizier. En y allant, nous avons logé à Joinville; +l'étape nous était fournie ainsi que le logement. + +À Saint-Dizier, on nous a fait prendre des cantonnements dans les +environs, en attendant l'organisation. Je me suis trouvé dans la partie +envoyée à Louvemont; dans ces cantonnements, nos officiers de route nous +ont montré le maniement des armes. + +Parti de Louvemont le 2 novembre, pour retourner à Saint-Dizier, pour +notre organisation. C'est dans ce moment que mes compagnons m'ont honoré +du grade de caporal dans la sixième compagnie; j'avais pour capitaine +Lemoine; pour lieutenant, Mongis; pour sous-lieutenant, Thiébault. + +Après que le bataillon a été organisé, on nous a fait cantonner de +rechef; mais nos nouveaux cantonnements étaient à trois ou quatre lieues +plus loin de Saint-Dizier où notre état-major est toujours resté. Deux +villages étaient destinés à notre compagnie: Chamouilley, où le +capitaine est resté avec la première section, et Bienville où j'étais +avec les lieutenants: ces villages sont situés sur la Marne. Nous ne +touchions aucun vivre; on donnait à un caporal vingt-trois sols huit +deniers en papier par jour (pendant quelque temps, c'était six sols +trois deniers en argent, et dix-huit sols en papier); un soldat avait +quinze sols trois deniers par jour, tout compris. Avec ce prêt, nous +étions obligés d'acheter tout ce qui nous était nécessaire. Les vivres +n'étaient pas chers dans ce moment-là; nous pouvions vivre +raisonnablement. + +Nous sommes sortis le 21 janvier de ces cantonnements pour rejoindre la +première section, et pour nous disposer à célébrer la bénédiction de +notre drapeau, à Saint-Dizier. + +Un jour après notre arrivée (le 24), on a donc assemblé le bataillon et +on nous a conduits à l'église paroissiale de l'endroit. La bénédiction a +été faite par notre aumônier: après, on a fait faire le serment de +fidélité à tout le bataillon devant le drapeau. Le drapeau avait pour +emblème une épée surmontée d'un bonnet de liberté, et pour devise: _Huit +cents têtes dans un bonnet_. + +Dans ce même moment, on a distribué à chaque compagnie un fanion sur +lequel était son numéro. Comme tout le bataillon ne pouvait rester à la +ville, car c'était un lieu de passage, on nous a envoyés reprendre nos +cantonnements. La seconde section, dont je faisais partie, avait eu des +difficultés avec des laboureurs de l'endroit qui ne voulaient pas nous +vendre du bled pour du papier. Pour éviter tout différend, on nous a +donné un autre village appelé Narcy, à une demi-lieue de la Marne. Nous +avons achevé d'y passer l'hiver. + +Notre état major a changé pour aller dans une autre ville nommée Vassy. +Dans ce moment, nous avons changé de cantonnement. C'était le 15 mars; +nous étions dans les environs de la ville, nous avions pour la compagnie +deux villages qui se nommaient Brousseval et Domblain, où nous avons +reçu notre habillement complet. Notre chef de bataillon, nommé Deprée, +faisait souvent rassembler les compagnies pour faire la manoeuvre. Comme +nous étions au printemps, plusieurs fois il nous faisait lever dès la +petite pointe du jour, prendre les armes et mettre le sac au dos; il +nous menait à deux ou trois lieues à la promenade militaire. Tout cela +se faisait en attendant l'heure du départ. + +Je ne ferai point de grandes observations sur les pays où nous avons +resté. C'est un pays où le monde est très affable; il produit du pain, +du vin et une infinité d'autres denrées; chaque particulier y vit +content de son labeur. Nous avons quitté ces contrées pour aller à Metz, +le 12 avril, par Bar-sur-Ornain, Saint Mihiel, Pont-à-Mousson. + +Metz est une ville de guerre très fortifiée, et, dans ce temps-là, on +augmentait encore ses fortifications. Nous avons fait le service de +cette place pendant trois mois et demi, et logé au quartier Chambière +avec le régiment de Suède. Nous avons été exercés à faire les différents +feux. + +Nous sommes partis, le 17 août, de Metz pour Maubeuge où était une +partie de l'armée du Nord. + +Avant de passer plus loin, je dirai que j'ai fait à Metz une maladie qui +m'a porté à deux doigts de la mort. J'attribuais la cause de cette +maladie à l'air de la ville[6], car j'avais toujours joui du bon air de +la campagne. Peut-être aussi la distance de soixante lieues du pays m'a +donné ces six semaines d'hôpital. + +Nous en reviendrons à notre armée du Nord. Nous y voilà arrivés; c'est +dans peu qu'il nous faudra mesurer pour la première fois nos armes avec +celles de notre ennemi. + +Nous n'avons pu loger au camp, car les tentes étaient toutes remplies; +nous avons été obligés de rétrograder jusqu'au village de Beaufort, +entre Avesnes et Maubeuge (c'était le 31 août). Là, nous avons trouvé le +régiment de Beaujolais. + +Depuis, ce n'a été que bivouacs et contremarches nuit et jour, car nous +avions affaire à un ennemi dont nous n'étions pas les maîtres, et nous +n'étions que très peu de monde. + +7 _septembre_.--Partis de Beaufort pour Ténières près de la Sambre, où +l'ennemi venait piller tous les jours. Nous nous sommes opposés à leur +dessein. De là, nous avons été à Avesnes. + +Après un repos de quatre heures, on a battu la générale. Nous sommes +partis pour Marbaix, sur la route de Landrecies, où nous avons bivouaqué +pendant quarante-huit heures, suivant le mouvement de l'ennemi. + +12 _septembre_.--À cinq heures du matin, nous sommes arrivés derrière +Landrecies. La tête de colonne a commencé l'attaque derrière la ville, +sur la route du Quesnoy. Feu vif de notre part, mais l'ennemi a très +bien répondu dans la forêt de Mormal où il était retranché. Cependant +leurs premiers retranchements ont été enlevés, mais les abattis de gros +arbres nous ont empêchés d'aller plus avant. Notre bataillon est entré +dans la forêt à huit heures du matin. À sept heures du soir, la colonne +s'est retirée. On a perdu du monde dans les deux partis. L'armée de +siège de l'ennemi venait donner du secours à l'armée d'observation. +C'est ce qui a fait que nous nous sommes retirés sur les glacis de +Landrecies, sans quoi ils nous auraient bloqués dans la forêt[7]. Pour +notre première bataille, le succès n'a pas été bien grand. + +Repos de trois heures sur les glacis de Landrecies; on nous a donné +quelques petits rafraîchissements. La colonne s'est remise en route; +chaque corps a été reprendre ses positions du 7 septembre.--Quinze +heures de marche. + +Notre colonne, de douze mille hommes, tant cavalerie qu'artillerie, +avait voulu débloquer le Quesnoy et lui faire passer des vivres. Il +était trop tard: lorsqu'elle est arrivée pour attaquer l'armée +d'observation de l'ennemi, la ville s'est rendue; son dernier coup de +canon était tiré avant le commencement de notre attaque. + +Revenus à Beaufort, le bivouac a commencé à une heure du matin, à une +demi-lieue en avant du village, derrière le régiment de Beaujolais qui +était campé sur une hauteur, à un quart de lieue de la Sambre. On +attendait de jour en jour le blocus de Maubeuge. + +29 _septembre_.--Nous étions à bivouaquer comme de coutume, lorsqu'un +déserteur autrichien est venu au camp de Saint-Remi-malbâti; il a dit +que l'ordre était donné dans leur régiment de se tenir prêt à passer la +Sambre pour les quatre heures du matin. Le régiment de Beauce, n° 68, +était à ce camp; il a redoublé son service et s'est mis sur ses gardes. +Il faisait un brouillard très obscur: aussi l'ennemi en a bien profité +pour jeter ses pontons pendant la nuit, et, à quatre heures précises, +ont passé trente mille hommes bien assurés de la victoire[8]. Les +troupes campées sur les hauteurs près la Sambre ont fait vigoureuse +résistance, mais n'ont pu tenir contre une colonne si nombreuse, et ont +été obligées de se replier sur nous, qui étions en seconde ligne. Nous +n'avons pu arrêter la marche des Autrichiens qui nous attaquaient de +tous les côtés. + +Retraite sur la ville de Maubeuge. Malgré notre vigoureuse résistance, +nous n'avons pas tardé à être bloqués par leur nombreuse cavalerie qui +cherchait à s'emparer des villages et des bois où nous devions passer. +Comme nos tirailleurs ne leur donnaient pas assez d'occupation et ne +nous laissaient pas le temps de défiler, nous avons été obligés de nous +mettre en bataille en avant de la forêt de Beaufort. À l'approche de +l'ennemi, nous avons fait le feu de file pendant trois quarts d'heure. +Son artillerie nous a forcés une seconde fois à la retraite, après avoir +perdu un canon et plusieurs canonniers tués et blessés. Vingt hommes de +notre bataillon mis hors de combat. Notre route était coupée; il ne +restait plus pour notre retraite qu'à nous enfoncer dans le bois et +sortir comme l'on pourrait. + +Nous voilà donc en marche. Après avoir fait une demi-lieue dans cette +forêt, étant prêts de sortir, un régiment ennemi qui se dérobait à notre +vue nous force de chercher un autre passage. Sur une autre lisière du +bois, l'ennemi nous cerne de même. Ma foi! il n'y avait plus à balancer. +Rester prisonnier ne nous accommodait pas; nous avons passé au travers +de l'ennemi qui n'a cessé de faire une fusillade continuelle. + +De cette forêt, nous avons rejoint la colonne qui se rassemblait dans la +plaine, du côté de la route de Frieville. On voulait encore leur faire +résistance, mais en vain. Il a fallu se mettre à l'abri dans le camp et +disposer l'artillerie des redoutes à défendre les approches. L'ennemi +s'est emparé des villages aux environs de la ville et a pillé nos effets +qui y étaient restés. + +Trente hommes de notre bataillon, restés dans la forêt de Beaufort sans +avoir pu percer pour nous rejoindre, avaient été obligés de se renfoncer +dans le bois. Chemin faisant, ils ont fait prisonnier une sentinelle +autrichienne. Ce soldat, très content d'être prisonnier, a aidé nos +hommes à sortir du bois et les a conduits dans un endroit, qui était le +moins gardé, où ils ont pu passer entre les postes à la faveur d'une +nuit obscure (30 septembre). Ils ont été faire le service à Avesnes, et +nous ont rejoints après le déblocus de Maubeuge. + +La même nuit, vers les dix heures du soir, notre bataillon a pris la +garde de la _redoute du Loup_ pour vingt-quatre heures. Après avoir été +relevés, nous avons été prendre position à la gauche du camp retranché +de Falise; c'était le nom du camp de Maubeuge. + +Nous attendions de jour en jour le siège, mais en vain. Il a été +rapporté par plusieurs personnes que l'intention du général Cobourg +n'était pas d'assiéger la ville, mais de la faire rendre par famine, car +elle n'était pourvue d'aucuns vivres. On comptait vingt mille hommes en +état de porter les armes, tant dans le camp que dans la ville; au moment +du blocus, on a fait le serment de mourir les armes à la main plutôt que +de se rendre aux ordres d'un tyran. + +6 _octobre_.--Sortie de six mille hommes, mais sans succès. Ils se sont +présentés le triple et le double de ce que nous étions. On ne s'en est +tiré qu'avec une grande perte. + +7.--Même insuccès. Nous sommes investis de toutes parts sans pouvoir +nous donner de l'élargissement. + +Le 5 octobre, à la redoute de gauche, entre le bois du Tilleul et nos +avant postes, une sentinelle française et une sentinelle hollandaise +étaient à soixante pas l'une de l'autre, ce qui leur donnait facilité de +converser. Quatre soldats de mon poste se sont avancés; les Hollandais, +qui étaient dans le bois du Tilleul, ont été portés par la curiosité à +se mêler de la conversation. Cependant, un Français reconnaît, parmi les +Hollandais, son frère, qui était le plus empressé à demander comment +nous étions, ce que nous pensions, et si les vivres ne nous manquaient +pas. + +_Réponse_: «Il ne manque rien aux républicains.» + +Par dérision, ils répliquaient que nous mangions déjà nos chevaux, et +que, avec notre papier, nos assignats, il fallait mourir de faim. Ils +ajoutaient qu'ils nous tenaient dans leurs filets, qu'ils nous feraient +danser une dernière fois _la carmagnole_. Celui-là disait que, quoique +Français, il prendrait plaisir à nous voir arracher la langue. + +Un volontaire lui dit: «Camarade, vous ne paraissez pas Hollandais, et +sans doute il n'y a pas longtemps que vous êtes sorti de France. Vous +paraissez bien sanguinaire pour une patrie qui renferme vos parents, +mais que vous ne devez pas espérer revoir, car la loi prononçant votre +arrêt de mort ferait tomber votre tête. Voilà ce qui est réservé aux +coquins de votre espèce.» + +Son frère, qui l'avait reconnu, interrompit la conversation en disant: +«Laissez-moi voir ce coquin! C'était autrefois mon frère.» + +L'autre dit: «Si j'ai été ton frère, je le suis encore.» + +Le volontaire dit que non, qu'il s'en était rendu indigne. «Tu sais, +malheureux, ajouta-t-il, que je suis parti volontairement. Qu'il te +souvienne de la promesse faite! Tu me promis d'avoir soin de notre mère, +mais tu as faussé ton serment, tu l'as laissée sans subsistance et dans +le chagrin; tu es indigne de vivre, tu n'es pas un humain, mais un vrai +barbare». + +(Il faut remarquer que ce soldat généreux faisait part à sa mère de la +moitié de sa paye.) + +Les Hollandais, qui entendaient un peu le français, ne manquèrent pas de +le blâmer, et le lâche se retira. Son frère arme son fusil, tire et +l'attrape à la cuisse. Il se relève et s'enfonce dans le bois. + +Un dragon autrichien, du régiment de Cobourg, chargeait un des nôtres, +du 12e dragons. Après avoir tiré chacun leur coup de pistolet, ils +s'approchent pour se sabrer. Quelle surprise! Ils se reconnaissent pour +frères; depuis quinze ans ils ne s'étaient vus. À l'instant, leurs +sabres tombent, ils sautent de cheval et se jettent au cou l'un de +l'autre, sans pouvoir dire un seul mot. Un instant après, ils juraient +de ne plus se séparer et de vivre sous le même étendard. Notre dragon +fut trouver le général Jourdan pour le prier de ne point regarder son +frère comme déserteur ni comme prisonnier, et le général consentit à +incorporer cet homme dans le régiment. + +Heureuse époque du 18 octobre! C'est à une colonne de quatre-vingt mille +hommes[9], commandée en chef par le général Jourdan, que nous devons +notre liberté. Ils se sont battus, pendant deux jours, avec intrépidité. +Ce combat s'engageait par une quantité de tirailleurs avec l'artillerie; +la cavalerie et le reste de l'infanterie soutenaient ensuite. Le +troisième jour, le brouillard était moins obscur; la lumière a donné de +la force à nos armes, et, malgré leurs fortes redoutes, notre armée les +a mis en déroute. + +Ces quatre-vingt mille hommes venaient de la Vendée, étaient commandés +par un républicain; mais aussi la troupe l'a secondé. Ils ont fait +repasser la Sambre à l'armée autrichienne qui a profité de la nuit pour +disparaître, en laissant une quantité d'outils servant au travail de +leurs redoutes. + +Je rapporterai ici ce que nous disaient les soldats autrichiens: «Eh! +petits _carmagnoles_[10], vous ne sortirez pas d'ici que vous ne soyez +en notre pouvoir. Notre général a dit que si votre bonnet rouge était de +force à faire partir l'aigle impérial, et à faire lever le siège, il +adopterait votre constitution et serait du parti des républicains[11]. + +Il ne l'a pas adopté, mais il a eu la _chasse_ républicaine.» + +18 _octobre_.--Sortis de notre camp à la découverte, nous nous sommes +rendus à Hautmont, village à gauche de Maubeuge, tout en désastre. On +était après la moisson; l'ennemi s'est servi des grains pour faire des +baraques et donner à manger aux chevaux. C'était la plus grande +désolation. Les habitations des cultivateurs dévastées et même en grande +partie brûlées. Voyez un peu ce qu'est la guerre. Malheur au pays où +elle est posée! Les habitants n'y peuvent qu'être malheureux. + +Quoique nous n'ayons pas été longtemps bloqués, je dirai que nous +sentions déjà notre misère, les vivres nous étaient retranchés +(rationnés); la rivière passait au bas de notre camp, mais l'ennemi nous +avait coupé l'eau; nous étions obligés de la prendre dans les fossés des +retranchements où on allait faire les nécessités. La pluie, qui tombait +continuellement faisait de tout cela un mélange. Aussi plusieurs de nous +y avaient gagné le flux de sang. + +Revenons à nos contremarches: l'ennemi a été repoussé, mais il faut +garder ses passages. + +29 _octobre_.--Partis de Hautmont pour aller à la droite de Maubeuge, +dans un village appelé Marpent, sur le bord de la Sambre, où de temps en +temps on se souhaitait le bonjour à coups de fusil avec les postes +autrichiens. + +14 _novembre_.--Partis de Marpent pour aller au camp de Saint-Remy, sur +les hauteurs, jusqu'au 29. Ce dernier jour, nous sommes allés à +Colleret. + + +Année 1794 + +Nous avons quitté Colleret pour Damousies le 12 janvier 1794, deuxième +année de la République. Tous ces villages étaient en première ligne, +près des avant-postes ennemis; car les impériaux avaient un passage sur +la Sambre, près de Beaumont de sorte que nous étions obligés de nous +garder partout. On allait fourrager pour la cavalerie sur leurs +frontières, car les fourrages n'étaient pas bien abondants dans des pays +où la troupe est toujours campée. + +De Damousies, nous sommes venus, le 19 janvier, au village d'Aibes, +toujours en première ligne où le bivouac était continuel. Là, je suis +passé sergent, par ancienneté de grade, le 26 pluviôse. + +Nous avons reçu dans ce temps des recrues de la réquisition, et les +compagnies ont été au grand complet. À peine avait-on le temps de +montrer les premiers principes d'exercice à tous ces hommes qu'il +fallait aller se battre; aussi, la rigueur de l'hiver nous a causé bien +des maux. Dans ces temps là, il n'y avait point d'armistice: hiver comme +été, on était toujours en campagne. + +Quitté Aibes, le 6 germinal, pour nous rendre à Jeumont. La moitié du +bataillon a campé à une demi-lieue à droite, à un bois nommé le _Bois de +l'abbaye brûlée_. Tous les quatre jours, on relevait les postes à +quarante pieds de distance de l'ennemi, et, en d'autres endroits, il n'y +avait que la Sambre qui séparait. Dans cet endroit, bien des fois nous +nous sommes souhaité le bonjour à coups de fusil. On ne cherchait qu'à +se surprendre les postes et à enlever les sentinelles. + +Le 22, nous sommes partis de cette position. L'ennemi faisait de +nouvelles tentatives pour bloquer Maubeuge. Encore une demi-heure plus +tard, cela en était fait. Mais la brave armée du Nord ne s'est point +découragée. Nous avons battu en retraite à deux lieues près de +Cerfontaine, où était le quartier général. Toute la troupe était sur une +ligne, disposée au combat qui a commencé aussitôt. La colonne +autrichienne a été repoussée au delà de ses positions, laissant une très +grande quantité de morts, de blessés et de prisonniers. + +Nous avons repris notre position dans le village. Nous y avons trouvé de +leurs chasseurs à pied qui avaient passé la Sambre pour piller; nous +leur avons fait des prisonniers, et le reste de la journée s'est passé à +se donner des saluts républicains[12]. + +Avant de quitter les frontières du Hainaut, pour l'autre rive de la +Sambre, je parlerai de la situation des habitants. La plupart n'avaient +plus d'habitations (et encore combien avaient perdu la vie!). Je compare +l'ennemi à une grêle qui ne laisse rien dans les campagnes où elle +passe. + +Dans ces contrées si fertiles, ces habitants vivaient tranquilles; leurs +terres produisaient de bon froment, toutes sortes de grains, de fruits +et de légumes. Le vin, très cher, n'est pas beaucoup en usage; la bière +est la boisson. Leur manière de vivre est très simple: lait, fromage et +fruits, c'est là leur usage. Bétail à cornes très beau; chaque habitant +en possède plus ou moins selon son pâturage; il a des clos entourés de +bois de tous genres desquels il tire du chauffage pour l'hiver; dans ces +clos, il coupe le premier foin; après cela, leurs vaches y restent +jusqu'à l'hiver sans rentrer à l'écurie. On ne voit presque pas les +villages qu'on ne soit dedans; c'est tout clos, avec de grands bois à +l'entour et près de chaque maison. La plupart des maisons sont couvertes +de paille. Dans ce pays, les deux sexes y sont affables et humains. + +8 _floréal_.--Nous sommes entrés dans la ville de Beaumont après une +bataille avec les émigrés où il y en a beaucoup de restés sur le champ. +Nous n'en avons faits prisonniers que très peu, car ils ne se rendaient +pas volontiers. + +Nous avons chassé l'ennemi de ses fortes positions autour de la ville; +nous nous en sommes emparés sur-le-champ; elles nous étaient +avantageuses. + +18.--Arrivés au camp de Beaumont. Repartis le 20 à huit heures du soir, +traversant la ville pour aller bivouaquer, jusqu'à la pointe du jour, +sur la route de Mons, à deux lieues en avant. À la pointe du jour, nous +avançons sur l'ennemi campé dans la plaine. Ses dispositions pour nous +recevoir n'ont pas été assez promptes; il a pris la fuite dès notre +première attaque. Dans cette même affaire, j'ai été détaché avec des +tirailleurs pour débusquer les leurs d'un village; nous en avons pris +huit et tué quelques uns. Le reste a pris la fuite. + +22.--Après avoir fait plusieurs mouvements, malgré la pluie qui tombait +tous les jours et rendait les routes impraticables, nous nous sommes +arrêtés dans la plaine de Beaumont pour y passer la nuit. + +23.--Dès la pointe du jour, la troupe a été divisée en trois colonnes; +celles de droite et de gauche ont attaqué l'ennemi avec tant d'ardeur +qu'elles l'ont fait se jeter sur nous au centre. Il y avait plus d'une +demi-heure que nous entendions ronfler le canon et la fusillade. Il y +avait un murmure dans notre colonne de ce qu'on était dans l'inaction. +Tout à coup, on a vu l'ennemi manoeuvrer sur nous, ils n'ont pas été +reçus avec moins d'audace. Nous les avons forcé à repasser la Sambre; +plusieurs d'entre eux ont bu plus qu'ils n'ont voulu. Nous avons passé +après eux; nous les avons poussés à plus de deux lieues au pas de +charge. Nous avons pris plusieurs canons, quantité de prisonniers; très +grand nombre de tués. On n'aurait pas arrêté si la nuit n'avait empêché +de poursuivre. + +24.--Nous nous sommes mis en marche dès la pointe du jour. Une colonne a +longé la Sambre; l'autre avançait sur la droite. L'ennemi nous attendait +dans ses fortes redoutes. Nous n'avons pas hésité. Le feu a commencé par +une canonnade très vive. Notre artillerie s'est mis en devoir de +répondre avec ardeur, elle a été soutenue par le feu de l'infanterie qui +s'est avancée au pas de charge et a enlevé la redoute de vive force, +malgré un feu terrible.--Toute la troupe a montré un courage digne de +véritables républicains. + +Nous leur avons pris quatre pièces de canon et leurs caissons, plusieurs +prisonniers et beaucoup de tués. Nous les avons poursuivi, baïonnette +aux reins, pendant une demi-heure, ils ont atteint un village derrière +lequel ils ont pris position, avec un renfort qu'il leur venait du camp +de Grisvel sous Maubeuge, ce qui nous a tenu en échec devant le village +nommé Grand-Reng. On s'est mis en bataille devant le village et on a +envoyé une grande quantité de tirailleurs qui ont de premier abord +enlevé le village; il leur a été repris: de rechef, ils y ont rentré, +mais venant à bord de l'autre côté, des pièces à mitraille ont développé +leur feu sur eux, il était impossible de passer outre. Pendant huit +heures, le feu n'a pas cessé d'un côté à l'autre. Le soir venu, les +munitions ont manqué, nous avons été obligés de leur abandonner notre +position et de repasser la Sambre. Nous avons perdu assez de monde[13]. + +Les jours précédents avaient été favorables. Ce jour-là, nous avons +perdu presque tout le terrain gagné, mais nous avons toujours notre +passage sur la Sambre. + +Voici donc de l'ouvrage à recommencer. Voyons si on s'y prendra de la +même manière. + +Il a fallu marcher toute la nuit pour arriver dans la plaine, où nous +étions le 22. + +25.--Malgré la pluie et le mauvais temps continuel, nous avons changé de +position en nous rapprochant de l'ennemi. Nous n'avions pour couvert que +le ciel. + +26.--Nous nous sommes avancés pour nous opposer à la marche de l'armée +autrichienne sur les bords de la Sambre. Le combat s'est engagé par nos +tirailleurs tirés des compagnies à tour de rôle; l'artillerie les a +secondés du matin au soir avec succès; elle a défait des pelotons de +cavalerie, démonté plusieurs pièces; nos obus ont fait sauter des +caissons, tué beaucoup de soldats et de chevaux. Une partie de nos +soldats criait: «Venez, soldats de l'aigle impériale, vous ne résisterez +pas longtemps à l'ardeur des soldats sans-culottes!» + +Notre perte n'a pas été grande dans cette journée; un boulet nous a tué +deux chevaux. Nous avons passé la nuit sous les armes. + +27.--Pris position au village de Hantes, sur la Sambre. L'ennemi a fait +une tentative pour passer dans l'endroit où nous étions, mais il n'a pas +réussi. + +30.--Quitté notre position pour nous rendre sur les hauteurs de l'abbaye +de Lobbes. Cette abbaye a été brûlée à la retraite des Autrichiens. + +Ier _prairial_.--Nous allons attaquer l'ennemi; l'artillerie et les +tirailleurs commencent. Fusillade soutenue de midi à la nuit. Le 2, le +combat s'est engagé de même, mais avec beaucoup plus de succès; l'ennemi +s'est retiré dans ses fortes redoutes près de Grand-Reng, où le feu a +duré jusqu'au soir. Journée sanglante pour les deux partis; nous nous +sommes retirés sur les hauteurs près de Grand-Reng. On a établi les +postes tout près de ceux de l'ennemi. + +Nous sommes restés quelques jours dans cette position[14]. + +5.--On dégarnit notre colonne de cavalerie et d'une partie de +l'infanterie pour les faire passer à la droite qui ne se trouvait pas +assez forte. L'ennemi voit ce mouvement et prépare le combat. + +Nous n'avions aucun ordre de prendre les armes le matin. Ordinairement, +c'est le matin que les grands coups se faisaient. Nous étions +tranquilles sous des petits brise-vent que nous avions faits avec des +branches d'arbres; un brouillard très épais empêchait nos avant-postes +de découvrir les mouvements de l'ennemi quand il les a surpris. +Aussitôt, on entend crier de toutes parts: _Aux armes!_ Chacun a couru +se ranger en bataille. Ils étaient déjà dans notre camp, et leur +cavalerie s'avançait à grands pas sur la route de Mons. Il y avait une +pièce de douze et une de huit chargées à mitraille; nos canonniers y ont +mis aussitôt le feu et ont retardé leur marche. Ils étaient beaucoup +plus forts que nous; néanmoins, ils ont été reçus d'une manière +républicaine, mais, malgré notre vigoureuse résistance, nous avons été +obligés de battre en retraite et de repasser la Sambre. Dans notre +colonne, il n'y avait que le régiment de cavalerie n° 22 au moment de la +retraite. Nous avons eu cent hommes hors de combat. Le reste de la +journée s'est passé à tirailler. Passé la nuit à Jeumont; le pont qui +nous a servi se nomme Solre-sur-Sambre. + +À l'affaire du 5 prairial, près Grand-Reng, le citoyen Mercier, fusilier +de la compagnie d'Horiot (3e bataillon), natif de Provenchères, district +de Joinville (Haute-Marne), combattit un hussard autrichien. Deux coups +de sabre, sur la tête, et sur le poignet gauche le terrassèrent. +«Rends-toi, coquin! dit le hussard. + +--Un lâche le ferait, dit Mercier. Mais moi, non!» + +Il se relève, prend son fusil de la main droite, met le canon sur la +saignée du bras gauche, pose le doigt sur la détente et tue le hussard. +Mais les blessures de ce vrai républicain étaient très dangereuses. Il +est mort un mois après. + +J'ai vu dans cette affaire des braves républicains couverts de blessures +rassembler toutes leurs forces au moment où ils allaient exhaler le +dernier soupir, s'élancer pour baiser cette cocarde, gage sacré de notre +liberté conquise; je les ai entendus adresser au ciel des voeux ardents +pour le triomphe des armées de la république. + +Cailac, un de nos capitaines, eut la jambe fracassée par un boulet, et +mourut au bout de trois semaines, disant: «Ma vie n'est rien; je la +donnerais mille fois pour que la république triomphe.» + +Atteint au ventre d'un éclat d'obus, un grenadier du bataillon dit à +ceux qui voulaient lui porter secours: «Laissez moi, mes amis, laissez +moi mourir! Je suis content, j'ai servi ma patrie.» Et il expire. + +7.--Dès la pointe du jour, nous nous sommes mis en marche et nous avons +été baraquer au village de Hantes. Comme les vivres avaient tardé, nous +nous sommes mis à battre du blé, aller au moulin et nous avons fait du +pain. Je dirai que tous les habitants de ces villages s'étaient retirés +dans les bois, car les armées leur causaient trop de maux. Il semble que +le ciel veuille augmenter les nôtres; la pluie est tous les jours notre +partage. + +8.--Partis de Hantes pour aller camper sur les hauteurs de l'abbaye de +l'Aune. + +12.--Sortis de nos positions à huit heures du soir pour aller à l'abbaye +de l'Aune, nous y sommes arrivés à minuit, le même jour. Cette abbaye +était entièrement dévastée et brûlée. + +14.--Nous avons passé la Sambre, qui est tout près de là. + +15.--La troupe s'est mise en marche et nous avons attaqué dès la pointe +du jour. Combat engagé par une forte canonnade. L'ennemi abandonne ses +positions; nous nous sommes emparés des hauteurs. + +16.--Le canon s'est fait entendre de l'armée des Ardennes, qui est sous +les murs de Charleroi. + +L'ennemi s'y est porté en forces, avec un renfort de cinquante mille +hommes, et soi-disant l'empereur à leur tête. Ce jour, ils ont débloqué +la ville, nous ont repoussés sur le bord de la Sambre près de l'abbaye +de l'Aune où nous restons trois jours. + +19.--Nous sommes partis pour Hantes, où nous arrivons à onze heures du +soir, bien fatigués de marche continuelles[15]. + +21.--Arrivés à six heures du matin à Thuin, ville d'où on avait chassé +l'ennemi quelques jours avant. + +22.--Partis à une heure du matin pour le camp de Baudribut. + +24.--Dès la pointe du jour, nous avons passé la Sambre et campé devant +le bourg de Fontaine l'Évêque. + +28.--Levée du camp. Nous avons attaqué à une heure du matin pour +favoriser le siège de Charleroi. L'attaque a été vive et s'est engagée +par le feu des tirailleurs. Leur cavalerie, qui ne voyait que des +tirailleurs, a chargé sur eux; ce brouillard l'empêchait de voir les +bataillons qui étaient embusqués derrière les haies. Lorsqu'ils ont vu +que la cavalerie était à une demi-portée de fusil, ils ont fait un feu +de file. Plusieurs tués, quelques prisonniers; le reste a pris la fuite. +Nous avons suivi, nous avons rencontré leur infanterie qui n'a pu +résister à notre ardeur, nous avons fait beaucoup de prisonniers, nous +avons pris deux pièces de canon avec leurs caissons tout attelés.--Après +cette conquête, nous sommes revenus à notre position près de Fontaine +l'Évêque; étant arrivés, nous avons reçu ordre de nous rendre au camp de +Baudribut où était le parc; arrivés à l'entrée de la nuit, nous y sommes +restés quelques jours. + +30.--Nous avons levé le camp à deux heures du matin et passé la Sambre +pour la dernière fois à quatre heures. Nous sommes venus nous placer à +la gauche de Fontaine l'Évêque. À midi, l'ennemi s'est avancé sur deux +de nos compagnies qui étaient en avant; il voulait les surprendre. Nos +bataillons, qui ont aperçu la manoeuvre, se sont mis en bataille et se +tenaient prêts à marcher, lorsqu'un éclaireur est venu nous dire qu'ils +battaient en retraite. Sur-le-champ on s'est mis en marche pour les +poursuivre; leur cavalerie d'arrière-garde a voulu nous charger, pour +retarder notre marche, mais elle a été reçue d'une manière républicaine, +une décharge leur a fait bien vite partager la retraite. + +2 _messidor_.--Nous avons suivi l'ennemi sans trouver de résistance; ils +nous laissent plusieurs pièces de canons et caissons tout attelés. Notre +cavalerie fait un grand nombre de prisonniers à l'infanterie +autrichienne. La nuit suspend la victoire, mais elle en prépare une +nouvelle en nous laissant faire des contremarches à la faveur de son +obscurité pour se disposer au combat dès la pointe du jour. + +7.--L'ennemi s'est montré en force pour débloquer Charleroi, mais nous +avons porté obstacle à son dessein. + +Le feu a commencé à quatre heures du matin et a duré une partie de la +journée. + +Nuit passée sous les armes à la gauche du camp de Trazegnies.--Partis de +ce camp à trois heures du matin pour aller nous réunir à l'armée de la +Moselle. En marche, on nous a fait rester dans un chemin couvert, devant +un village, pas bien loin de Charleroi. C'est dans cet endroit que nous +avons appris la reddition de la place (du 7 messidor, à onze heures du +matin) avec cinquante mille hommes[16], quatre-vingts bouches à feu et +plusieurs petits magasins. Sortie le même jour, la garnison a déposé +devant nous ses armes; elle a été de suite escortée et conduite en +France. Cette ville a été bombardée sans que nous fassions beaucoup de +retranchements, car elle a été débloquée plusieurs fois. + +8.--Nous sommes sortis de notre chemin couvert pour nous opposer au +défilé des colonnes autrichiennes pour nous cerner. Ce jour-là ils +avaient réuni leurs forces de part et d'autre, pour nous donner une +_chasse_, et faire lever le siège de Charleroi qui était rendu; mais ils +n'en étaient pas instruits, car ils avaient si bien jeté leur plan +qu'ils cherchaient à nous prendre entre deux feux. Il n'y avait plus à +balancer; le combat a commencé à huit heures du matin par une forte +canonnade, de toutes parts, avec une rapidité sans égale, comme jamais +on ne l'avait entendu jusqu'alors. Notre courage semblait déjà nous +annoncer la victoire, main hélas! dans un feu si terrible et si +opiniâtre, les munitions ont manqué. Il fallut donc battre en retraite +et nous retirer plus vite que nous n'aurions voulu, rencontrant des +obstacles, des fossés, un village dont les rues étaient si étroites que +la troupe ne savait où passer et se voyait presque au pouvoir de +l'ennemi. La colonne autrichienne s'avançait avec rapidité pour nous +prendre en flanc. Mais nous avons été plus tôt qu'elle au sommet de la +montagne, et nous avons usé le peu de munitions qui nous restaient. Nous +avons retardé leur marche. Je dirai que, en montant cette montagne, il +tombait parmi nous des boulets, obus et balles comme grêle, mais cela a +fait très peu d'effet, quoiqu'ils soient bien près de nous. Nous avons +perdu très peu de monde et, grâce à la reddition de Charleroi, nous +avons battu en retraite sous ses glacis. La retraite de notre colonne, +qui était celle du centre, a été favorable à la défaite de l'ennemi qui +s'est trop aventuré en nous poursuivant, et s'est trouvé pris en flanc. +Il ne s'est retiré qu'avec peine et pertes[17]. + +Lors du siège de Charleroi, un canonnier du régiment de Suède s'écriait +en mourant: «Cobourg, Cobourg, avec tes nombreux florins, tu n'auras pas +payé une goutte de mon sang; je le verse tout aujourd'hui pour la +République et pour la liberté.» + +Tous ceux qui ont perdu la vie dans ce siège n'ont donné, au milieu des +douleurs les plus aiguës, aucun signe de plaintes. Leurs visages étaient +calmes et sereins; leur dernière parole était: Vive la République! C'est +au lit d'honneur qu'il faut voir nos guerriers, pour apprendre la +différence qui existe entre les hommes libres et les esclaves. Les +valets des rois expirent en maudissant la cruelle ambition de leurs +maîtres. Le défenseur de la liberté bénit le coup qui l'a frappé; il +sait que son sang ne coule que pour la liberté, la gloire et pour le +soutien de sa patrie. + +À la colonne de gauche et à celle de droite, qui était l'armée de la +Moselle, le canon n'a cessé de ronfler toute la journée. Le combat a été +sanglant comme il n'avait jamais encore paru[18]. Deux fois la colonne +de droite a été repoussée, et deux fois elle a remporté la victoire; +elle leur a pris quinze pièces de canon de tout calibre. La colonne de +gauche a eu le même succès. Des fois, qui croit vaincre est vaincu; avec +leurs grandes forces ils cherchaient à nous bloquer, et ils ont été pris +quand même. + +Nous avons perdu quelques braves républicains, mais on pourra juger de +la perte de l'ennemi, toujours grande pour celui qui est obligé de +prendre la fuite. Cette journée a été une des journées victorieuses de +la République, elle portera pour toujours le nom de _bataille de +Fleurus_. + +Dans ce jour mémorable du 8 messidor, une infortunée délaissée de son +mari qui avait émigré et n'ayant pas de quoi subsister était, sous des +habits d'homme, avec son frère, à son rang de compagnie. La compagnie +étant dispersée en tirailleurs, les tirailleurs ennemis, qui avaient eu +un moment un peu d'avantage, sont venus charger les nôtres, dans la +mêlée; elle s'est trouvée avec peu de monde environnée d'un grand nombre +d'Autrichiens. Elle s'en est tirée en brûlant la cervelle de celui qui +la tenait, ne cessant de dire que jamais elle ne se rendrait, que sa vie +était sacrifiée à sa patrie. Ces tyrans lui promettaient d'avoir égard à +son sexe et de ne la prendre que comme prisonnière. Cette femme était, +avec son frère, dans le 22e régiment de cavalerie, qui a réparé ce jour +là la faute qu'il avait faite près de Grand-Reng. + +Avant la prise de Charleroi, pendant que nous étions à bivouaquer sur +les hauteurs de Fontaine-l'Évêque, l'ennemi ne se croyant pas en force +se contenta de nous envoyer des boulets et des obus. Nous perdîmes +plusieurs hommes, entre autres un tambour du bataillon. Un éclat d'obus +traversa son sac de peau et son côté; il resta mort sur la place; deux +autres soldats furent blessés du même coup. Un hussard Chamborant +passant dans la place, prit la caisse du tambour et s'est mis derrière +un chêne, battant la charge avec le manche de son couteau, ce qui a mis +l'ennemi en fuite. + +9.--Nous sommes venus prendre les positions que nous avions auparavant. + +12.--Nous avons marché toute la journée pour aller bivouaquer devant la +ville de Binche. Arrivés à onze heures du soir, nous avons passé le +reste de la nuit sous les armes. L'attaque a commencé par une forte +canonnade. + +15.--Nous sommes partis pour attaquer l'ennemi en retraite vers Mons. À +huit heures du matin, les tirailleurs se sont avancés au pas de charge +avec deux pièces, ils ont poursuivi les Autrichiens si vivement qu'ils +n'ont pas eu le temps d'entrer dans la ville de Mons. Notre cavalerie +s'est emparée des passages dans les environs de la ville et aussitôt des +bataillons y sont entrés, baïonnette en avant. Dans cette journée on a +fait environ deux cents prisonniers.--Les autres colonnes ont encore +poursuivi pendant deux heures. La nuit a tendu ses voiles[19]; il a +fallu arrêter notre marche. Nous avons passé la nuit sous les murs de +Mons. + +16.--La ville rendue, nous avons été prendre position devant le village +nommé Beausoir. + +17.--Partis de cette position dès la pointe du jour, croyant trouver les +Autrichiens, mais nous avons fait cinq lieues sans rencontrer personne. + +Campé devant Braine-le-Comte, situé sur la route de Mons à Bruxelles. +Nous sommes entrés dans la ville avec les plus vifs applaudissements de +tous les bourgeois qui faisaient entendre les cris: «_Vivent les soldats +républicains français!_» + +21.--Nous avons levé le camp pour continuer notre route. Nous sommes +entrés dans la ville de Hal avec les mêmes applaudissements; nous avons +campé en avant de la ville jusqu'au 23. Nous sommes partis dès la pointe +du jour, croyant trouver ceux qui nous menaçaient quelques jours +auparavant. Notre avant-garde suffisait pour les faire disparaître. + +23.--Nous sommes entrés dans la ville de Bruxelles, de même avec les +plus vifs applaudissements de tous les bourgeois: «Vive les soldats +républicains!» Comme nous étions à la tête de la colonne, nous sommes +restés à la place, sous les armes, pendant que la colonne a défilé. Cela +a duré toute la nuit. + +24.--Le reste de la colonne a passé. De suite, on a fait entrer les +troupes dans les casernes, mais la moitié restait toujours sous les +armes. Notre bataillon était au quartier du Vieux Marché; et les deux +autres bataillons étaient dans de grosses maisons bourgeoises. Il y +avait avec nous le régiment de Suède et le bataillon du Haut-Rhin. Nous +étions sans aucune fourniture[20]. + +30.--Nous sommes partis à une heure du matin. Nous avons été camper +devant Louvain. J'étais parti trois jours auparavant avec un piquet de +vingt-cinq hommes pour escorter des bateaux que nous avons été chercher +à Villebruck, sur le canal qui vient à Bruxelles. Nous avons été bien +reçus dans cet endroit qui est à cinq lieues. Nous sommes arrivés le 30 +avec ces bateaux chargés de foin et d'avoine pour les magasins de +Bruxelles, et j'ai rejoint, avec mon piquet, la demi-brigade qui était +campée devant la ville de Louvain. + +Ier _thermidor_.--Partis dès la pointe du jour, nous sommes venus nous +placer devant la ville de Tirlemont, où nous avons trouvé notre ennemi, +nous l'avons attaqué sans plus de cérémonie et nous l'avons poursuivi à +deux lieues. Nous sommes revenus à notre position. + +7.--Partis au jour, nous sommes allés nous placer devant la ville de +Saint-Tron. + +9.--Nous avons fait un mouvement, nous avons été camper dans une grande +plaine assez près de Tirlemont, où nous entendons ronfler le canon de +notre avant-garde, qui ne laisse pas à l'armée autrichienne le temps de +se rallier. + +16.--Partis de ce camp, nous sommes venus au camp de Berlingen. + +29.--Nous avons fait un mouvement d'un quart de lieue à l'entrée de la +nuit. Nous avons traversé un village qui séparait notre camp du camp de +Looz. + +Toutes ces plaines où nous étions campés étaient retranchées du côté de +l'ennemi par de fortes redoutes. + +Ier _fructidor_.--C'est dans ce camp que nous avons été amalgamés avec +le régiment de Beauce et un bataillon du Haut-Rhin[21]. Les officiers et +sous-officiers se sont assemblés; on a fait la fête pendant deux jours, +on a bu le vin d'alliance, on s'est juré de même que la fraternité +régnerait entre nous jusqu'à la mort; et comme on servait la même +patrie, on s'est promis de vivre toujours en paix comme des frères et de +vrais soutiens de la République française. Le numéro que cette +demi-brigade a eu dans ce moment était 127; elle a été commandée en +premier-lieu par le général de brigade Richard et le général de division +Poncet. + +Dans ce camp, nous avons appris la reddition de Valenciennes. On a +trouvé dans cette place 227 bouches à feu et quantité de poudre et +autres magasins bien approvisionnés, plus qu'on n'en avait trouvé +lorsqu'ils avaient été livrés. + +14 _fructidor_.--Nous sommes partis à deux heures du matin: nous avons +été camper dans la plaine de Maëstricht, et nous en étions encore à +trois lieues en seconde ligne. La paille a été délivrée à toute la +colonne. + +On nous a annoncé la reprise de Condé; on a trouvé dans cette place +1,600 prisonniers, 130 bouches à feu, des munitions de bouche pour six +mois, 6,000 paquets de cartouches, un très grand magasin de poudre à +canon, 6,000 bombes, 6,000 boulets, et cette place en bon état de +défense. + +Le même jour, a passé dans notre camp un colonel anglais avec toute son +escorte et trente chevaux, qui avaient été pris aux environs de +Maëstricht par notre avant-garde. + +C'est dans ce même camp que nous avons fait la réjouissance de la +reddition de toutes nos villes que les Impériaux nous avaient ravies: le +Quesnoi, Landrecies, Valenciennes, Condé. + +Voici la manière dont la réjouissance s'est faite dans l'armée de Sambre +et Meuse. La fête a été annoncée à six heures du matin par trois coups +de canon des pièces de position qui se sont trouvées dans chaque +division. À sept heures et demie, les mêmes pièces ont répété la même +chose. La musique de chaque demi-brigade était placée sur le front de +bandière, où elle jouait différents airs patriotiques pendant toute la +cérémonie. À huit heures et demie un feu de bataillon a été exécuté dans +chaque division en commençant à la droite d'icelle. Ce feu fini, le +général de brigade a passé devant chaque bataillon en criant: _Vive la +République!_ Nous nous sommes unis à sa voix. La distribution de +l'eau-de-vie a été donnée à toute la troupe. L'ordre a été donné que +chacun rentre dans ses baraques. Ce n'était pas sans en avoir besoin, +car depuis minuit nous étions sous les armes. + +Ier _vendémiaire, an_ III.--Nous sommes partis du camp, dont c'était la +première fête _sans culottine_, pour nous rapprocher de Maëstricht, et +nous joindre à notre avant-garde qui était sous ses murs et s'était +vaillamment battue. + +La ville de Maëstricht a été bloquée et cernée entièrement. Nous y +sommes restés quelques jours, et de là nous nous sommes mis en marche. +Nous avons passé la Meuse, au-dessus de Maëstricht sur des pontons pour +rejoindre notre avant-garde, et aller à la poursuite des Autrichiens. Il +est resté une partie de notre armée pour contenir la garnison de +Maëstricht en attendant que nous ayons repoussé l'armée autrichienne au +delà du Rhin. Nous avons marché plusieurs jours sans rencontrer aucun +vestige de l'armée autrichienne. + +Arrivés à une forte rivière nommée la Roër, c'est là qu'ils espéraient +remporter la victoire et nous empêcher de passer. Ils étaient bien +retranchés dans les endroits où on aurait pu passer. Malgré plusieurs +obstacles qui se trouvaient devant cette rivière, nous n'avons pas +hésité un seul moment pour attaquer. + +La bataille a été sanglante aux deux partis, et a duré depuis le matin +jusqu'au soir; à la nuit, on a fait abandonner la rivière à l'ennemi. +Nous avons eu dans ce jour plusieurs centaines d'hommes de blessés. Nos +pièces de position, au nombre de quarante, étaient aux environs de la +rivière et n'ont décessé de jouer; la fusillade a fait de même. L'ennemi +a répondu au feu d'enfer que faisaient les républicains. Le soir, +lorsque le feu a cessé, nous nous sommes retirés un peu en arrière, dans +la plaine qui touche la rivière, pour passer la nuit. + +Nous les avons vus qui faisaient de grands feux, car ils brûlaient leurs +baraques; nous avons jugé par-là qu'ils allaient prendre la fuite. +C'était réel: vers minuit, ils se sont mis en marche. + +On a travaillé toute la nuit à faire des ponts avec des voitures, des +chariots attachés avec des gros arbres, qui étaient sur le bord de la +rivière; on a mis des planches sur ces constructions et le matin, à la +pointe du jour, nous avons passé au milieu de leurs retranchements, qui +étaient remplis de cuisses, bras et corps entiers qu'ils avaient laissés +sans les enterrer. Plusieurs pauvres blessés criaient miséricorde; on +les a portés de suite à l'ambulance avec les nôtres. + +Notre colonne de droite avait passé la rivière avant nous. Nous avons +été plusieurs jours pour arriver au Rhin, mais aucun Autrichien ne s'est +trouvé devant nous. Le soir du passage de la rivière, le général de +brigade Richard nous a annoncé la prise de Juliers avec vingt-quatre +pièces de 27 en bronze. Depuis cette époque, nous n'avons plus vu +d'Autrichiens que sur l'autre rive du Rhin, près de Düsseldorf[22]. +Notre dernier camp a été dans la plaine près de la ville de Neus. Voilà +la manière dont nous avons fait la conduite à l'armée autrichienne avec +les honneurs de la guerre, à grands coups de canon. + +Notre voyage ne nous a pas été bien favorable: une pluie continuelle et +froide, un vent qui nous glaçait les sens, et point d'autre couverture +que le ciel. + +Notre ennemi est de l'autre côté du Rhin, tranquille, et nous, mous +allons retourner sur nos pas pour aller faire le siège de +Maëstricht[23]. + +Arrivés devant cette ville, on s'est tout de suite occupé à faire les +travaux; on a fait des redoutes pour soutenir et répondre aux sorties +qu'ils pourraient faire pendant qu'on ouvrirait les boyaux: on +travaillait à ces ouvrages nuit et jour. + +Malgré leur mitraille, nous avons ouvert les boyaux à une portée de +pistolet de leur bastion. Nous y avons été, pour notre tour, cinq fois +pour les ouvrir. On n'a pas perdu tant de monde que l'on croyait pour +faire le siège d'une ville si forte. Notre commandant de bataillon a été +blessé d'un éclat de grenade, et plusieurs officiers et soldats. + +Tous les jours, les ouvrages se multipliaient, et nous rendions par ce +moyen l'asile des assiégés plus étroit. Les jardiniers de la ville +avaient planté beaucoup de légumes d'hiver dans leurs jardins; mais +c'est nous qui en avons fait la récolte. Tous les matins, ils se +trouvaient enfermés plus étroitement; s'il n'y avait pas eu des fossés, +nous aurions été les prendre dans leurs palissades. + +Les ouvrages allaient être achevés; on a commencé à bombarder la ville +le 12 brumaire; cela a duré trois jours. Le 14, la ville de Maëstricht +s'est rendue, à deux heures du matin. Un des officiers supérieurs de la +ville est venu sur les bastions et a demandé le général qui commandait +en chef le siège, pour capituler[24]. Pendant qu'on est allé le +chercher, les canonnières et les bombardières redoublaient le feu +jusqu'au moment où ils ont reçu l'ordre du général de le cesser. Au +moment où il a demandé à capituler, le feu était dans un magasin +d'huile, de lard, de farine, etc. À la pointe du jour, on voyait tous +les bourgeois sur les remparts et plusieurs nous apportaient des +bouteilles d'eau-de-vie. + +Nous avons tenu Maëstricht bloquée pendant quarante-quatre jours. +Pendant ce blocus, les assiégés nous ont envoyé quarante-cinq mille +boulets, trente-quatre mille tant bombes qu'obus, quatorze mille +grenades. Ils nous envoyaient toutes ces pommes dans nos travaux, sans +que cela fasse beaucoup d'effet. + +Le feu cessé, on a été trois jours pour arranger la capitulation. La +garnison est sortie de la ville le 17 brumaire; entre dix et onze heures +du matin, les troupes impériales sont sorties par la porte d'Allemagne, +et ont passé la Meuse au milieu des assiégeants, qui formaient la haie +de chaque côté de la route où ils devaient passer. Ils sont sortis avec +les honneurs de la guerre: tambour battant, mèche allumée et enseigne +déployée. Lorsqu'ils ont été presqu'à la fin de la colonne, ils ont +déposé leurs armes devant nous; la cavalerie et l'infanterie ont emporté +leurs sabres. Il y avait de la troupe toute prête pour les conduire au +delà du camp. + +La troupe hollandaise est sortie le même jour, mais un peu plus tard, +car il fallait le temps à la colonne française de venir se placer en +haie sur la route par laquelle ils devaient passer, qui était d'une +extrémité de la ville à l'autre. Ils sont sortis de même avec les +honneurs de la guerre comme la troupe autrichienne. Ils ont été +reconduits dans leur pays par nos chasseurs à cheval, ils ont conservé +leurs sabres comme la troupe impériale. Les officiers composant la +garnison de Maëstricht ont emmené leurs chevaux et tout leur bagage. + +La Ville de Maëstricht est très forte; elle a un fort qui la commande et +qui la défend. La Meuse flotte contre ses murs, et donne de l'eau dans +ses fosses; elle a aussi des forts qui sont construits dans le milieu de +la Meuse, qui défend son approche du côté de l'Allemagne. Il y a dans +les environs de grandes plaines très fertiles en blés, orge, avoine, +pommes de terre, etc.; elle est frontière de la Hollande. + +C'était le général Kléber qui commandait le siège en chef; nous étions +du côté gauche de la ville, sous les ordres du général Duhesme. + +18 _brumaire_.--Nous sommes partis des alentours de Maëstricht pour +aller sur les bords du Rhin. + +20.--Nous avons passé dans la ville de Juliers, jolie petite ville très +fortifiée; les maisons d'une assez belle construction, les rues très +larges. Il y a aussi de très belles plaines très fertiles en blés et en +toute sorte de grains; on y boit aussi de bonne bière, on y récolte +aussi de très bons fruits. Cette ville est la capitale du duché de son +nom. + +22.--Nous sommes arrivés à Cologne; nous y avons campé en arrivant. + +29.--Nous sommes sortis de ce camp pour aller cantonner sur le bord du +Rhin au village nommé Langel. Nos postes étaient placés sur le bord du +Rhin; nous étions une compagnie par ferme, très serrés à cause de la +grande quantité de troupes qui étaient dans les environs. J'ai été voir +la ville de Cologne; elle est très grande, bien peuplée, les rues +larges; il y a une quantité de clochers. J'ai remarqué que sur une tour +très haute, il y avait une grue peinte en vert. Le Rhin flotte contre +les murs, et fait une partie de leur commerce. La ville n'est point +fortifiée, elle est entourée d'un simple mur très haut. C'était là que +l'électeur faisait sa résidence. + +12 _frimaire_.--Sortis de Hangel pour passer à la droite de la Logne. +Suivant les bords du Rhin à une demi-lieue de la Logne, nous cantonnons +au village nommé Nille? + +Nous avons reçu des ordres pour nous rendre à Bonn, soi-disant pour +passer le reste de l'hiver; nous sommes partis le 13; lorsque nous avons +été près des murs de ladite ville, nous avons reçu des ordres pour aller +cantonner dans les villages à une lieue et demie à la droite de Bonn. +Nous sommes arrivés dans ces cantonnements le 17, dans un village nommé +Melheim, situé sur le Rhin. Notre état-major est resté dans ce village; +notre compagnie a été détachée à une demi-lieue en arrière à un village +nommé Lanesdorf, situé auprès de grosses montagnes; nous montions tout +de même la garde sur le Rhin. + +Quel froid nous avons enduré étant de garde dans ces endroits! + +Des sentinelles sont mortes en faction; cependant on les relevait toutes +les demi-heures. Le Rhin était tout en glace; pendant vingt-quatre +heures, on était obligés de jeûner, car nos vivres étaient gelés, durs +comme de la pierre. Je ne veux pas peindre les maux que nous avons +soufferts dans ces différentes occasions; ils seraient faits pour +attendrir un coeur de roche. Que l'on se souvienne de la rigueur des +froids des différents hivers, de la rareté des vivres et du vêtement; +cela suffira pour dire que nous avons été malheureux. + +17 _nivôse_.--Sortis de ce cantonnement pour aller au village nommé +Keising, à une demi-lieue de Bonn. Étant dans ce village, je suis allé +voir la ville de Bonn; je dirai qu'elle est très belle: des rues larges +et bien propres, des maisons d'une belle construction, très éclairées, +de belles places bien grandes, un superbe château à l'entrée de la +ville, situé au midi et appartenant à l'électeur. Le Rhin flotte contre +ses murs: elle n'est fermée que par des petits remparts, très bien +construits. Dans les environs de la ville, il y a de belles avenues de +marronniers et de tilleuls, environnées de belles plaines. + +Étant au village de Keising, nous avons fait l'anniversaire de la mort +de Capet. Cela a eu lieu le 2 pluviôse, à dix heures du matin. Le +bataillon étant rassemblé, on a fait trois décharges et les pièces +d'artillerie en ont fait de même. Cela s'est fait dans l'armée de +Sambre-et-Meuse, dans nos cantonnements sur le bord du Rhin. + +Nous sommes partis de Keising le 5 pluviôse 1795 (vieux style). Journée +odieuse et fatigante pour aller à Aix-la-Chapelle. Au moment où nous +nous sommes mis en route, il tombait de la pluie; il y avait longtemps +qu'il faisait de fortes gelées; ce jour-là il paraissait faire un dégel +universel. Jamais Français et autres n'ont vu une pareille journée, elle +a duré vingt-quatre heures. Toute la troupe était fatiguée. On enfonçait +dans la terre jusqu'aux genoux, on faisait trois ou quatre pas, et il +fallait s'arrêter pour reprendre haleine; aussi plusieurs soldats y ont +perdu la vie, et même les chevaux, avec rien sur leur dos, avaient bien +de la peine à s'en tirer. Ce n'était pas cependant dans des marais, +c'était dans des champs de gravier; on aurait préféré marcher dans l'eau +jusqu'aux reins, plutôt que dans de pareils chemins; mais il n'y avait +pas de choix; il fallait que la route se fasse. + +Nous avons été dans cette triste situation depuis le matin jusqu'au soir +à la nuit. Étant arrivés à une petite ville nommée Bruhl, toute la +demi-brigade n'y a pu loger. Il était nuit: il nous a fallu aller loger +à une demi-lieue de Bruhl, dans un village. Pour faire cette demi-lieue, +nous avons été deux heures; en arrivant, les billets de logement nous +ont été distribués, mais on a eu bien de la peine à les trouver, par +rapport à la nuit. + +Le lendemain, la route était plus favorable, la gelée avait remplacé le +dégel, la nuit avait raffermi la route, et le matin il tombait de la +neige qui a duré jusqu'à midi. Nous sommes partis de nos logements à +sept heures du matin vers Aix-la-Chapelle. Nous avons logé en y allant à +Norwenig, à Duren, à Eschviller. À Aix-la-Chapelle, nous avons logé chez +le bourgeois. Nous y sommes restés un mois pendant lequel les officiers +et sous-officiers ont été plusieurs fois chez le général de division +Poucet pour apprendre la théorie. + +L'armée de Sambre et Meuse passait alors pour être si peu disciplinée, +parmi les Français, que l'on croyait que les généraux n'osaient livrer +aucun combat faute de discipline et de subordination. Le tout venait de +la part des ennemis de la liberté, qui cherchaient à mettre le désordre +parmi nos troupes, en faisant naître l'idée que le droit de la guerre +était de piller tout pays conquis. + +Mais le Français a su se comporter plus vaillamment, car c'est la +discipline qui a fait tous nos succès, et qui a excité l'admiration de +toute l'Europe. Voilà pourquoi les ennemis de la République voulaient +nous entraîner au pillage; les perfides savaient bien qu'une armée sans +discipline est une armée vaincue; ils savaient par eux-mêmes que des +brigands ne sont jamais qu'une troupe de lâches. Nous avons démenti +cette calomnie par notre conduite; l'amour de l'ordre et de la +discipline, le respect pour les personnes et les propriétés, +distingueront toujours l'armée de Sambre et Meuse. + +Voici un discours du représentant du peuple Gillet aux habitants +d'Aix-la-Chapelle, qui prouve la générosité des Français: + + «Habitants d'Aix-la-Chapelle, + + »Des actes de cruauté ont été commis dans votre ville envers des + soldats français lors de la retraite de l'armée au mois de mars + 1793: des soldats malades et blessés ont été jetés par les fenêtres + dans la rue; d'autres ont été fusillés par des bourgeois qui se + tenaient cachés dans leurs maisons. Nous n'userons point des droits + que pourraient nous donner de justes représailles. + + «Si les ennemis de la France se sont couverts de tous les crimes, + le Français s'honorera toujours d'être généreux. Mais le sang de + nos frères cruellement massacrés demande vengeance. Sans doute ces + actes de barbarie ont été désavoués par la majorité des citoyens, + et ne peuvent être l'ouvrage que d'un petit nombre. Nous demandons + que les coupables nous soient livrés dans les vingt-quatre heures; + vous nous devez cette justice, vous la devez à vous-mêmes sous + peine d'être réputés complices des plus atroces forfaits. + + Signé: «GILLET.» + +Le 10 ventôse, nous avons célébré la fête de la prise de la +Hollande[25], et, ce même jour-là, les nobles et ceux qui avaient des +titres de noblesse les ont brûlés en notre présence, sous les armes. + +Je dirai qu'Aix-la-Chapelle est très grand et bien peuplé: il y a +beaucoup de manufactures en tout genre; on y trouve de bonne eau +vulnéraire pour boire et prendre des bains; il y a de belles maisons +très élevées, de belles rues larges et de belles grandes places. Elle +n'est fermée que de plusieurs simples murs; c'est une ville très +ancienne. + +Nous sommes partis d'Aix-la-Chapelle le 11 ventôse pour aller cantonner +aux environs d'Aix-la-Chapelle, au bourg nommé Eschviller; notre +compagnie a été détachée à un village nommé Nolberg. + +Je dirai que dans les campagnes de ces pays, ils sont assez à leur aise. +Ils vivent bien avec de la choucroute, du bon lard; leur soupe est faite +avec de l'orge mondé, de la viande de boeuf salé; ils mangent beaucoup de +carottes, de navets; prennent le matin beaucoup de café avec du beurre +frais et des confitures; leur boisson est de la bonne bière et du +_chenik_. Leurs maisons sont très propres, lavées tous les samedis; leur +batterie de cuisine est en fer noir et jaune, très bien éclaircie, et +même leur crémaillère; pincettes et pelle à feu, tout est dans la plus +grande propreté. Le sexe des deux sortes y est très affable; les hommes, +leur costume n'est pas différent du nôtre; mais les femmes ont un +déshabillé assez long; pour coiffure, des petits bonnets de velours ou +autre couleur, bordés sur le devant avec une dentelle en or; leurs +cheveux en plusieurs tresses qu'elles roulent derrière leur bonnet comme +un escargot, et tenus avec une grande épingle en argent, large comme les +deux doigts. Leur parler est l'allemand. Tout ce pays est très fertile +pour toutes choses. + +Nous sommes partis de Nolberg le 25 ventôse pour revenir sur les bords +du Rhin; nous avons logé en y allant à Duren, à Norwenigbourg, à +Bruhl-ville. De là, nous avons été prendre nos cantonnements sur le bord +du Rhin, au village nommé Nieder-Weslingen. C'était le 27; dans cet +endroit on nous a diminué les vivres; nous avions par jour une livre de +pain et une once de riz; avec ces vivres nous étions une partie de la +nuit sur pied et montions la garde d'un jour à l'autre. Voilà comme les +soutiens de la patrie avaient toutes leurs aises. + +7 _germinal_.--Sortis de Nieder-Weslingen. Ce jour-là, nous avons appris +le traité avec le roi de Prusse[26]. Notre marche était dirigée sur +Coblentz. Nous avons logé, en y allant, à Bonn, à Breisig, à Kretz. Là +nous sommes restés huit jours. + +16.--Arrivés à Coblentz où nous n'avons pas logé; notre logement a été à +gauche de la ville, au village nommé Kesselheim, situé sur le bord du +Rhin. + +17.--Entrés dans la ville de Coblentz à huit heures du matin. Nous avons +été logés dans des maisons d'émigrés toutes dévastées, et à peine avions +nous de la paille pour reposer nos pauvres membres tout navrés de +fatigue, avec notre livre de pain et notre once de riz[27]. Bien des +fois, on ne pouvait pas avoir du pain et très peu de viande bien maigre; +nous ne pouvions trouver aucune chose pour notre papier, car personne ne +s'en souciait, et pour un pain de trois livres, il fallait donner +vingt-cinq francs en papier[28]. + +La ville de Coblentz est grande et très peuplée; il y a beaucoup de rues +très larges, mais aussi il y en a où les voitures ne peuvent pas passer; +il y a de belles places et principalement la place d'Armes, entourée de +bornes de pierre avec de grosses chaînes de fer. + +Deux rangs de tilleuls forment un berceau couvert tout autour de la +place; elle est environnée de belles grosses maisons très hautes et +d'une belle construction. Et même dans une partie de la ville, en +sortant de la place d'Armes, on voit un boulingrin et une superbe maison +toute neuve, que l'Electeur de cette ville a fait bâtir; elle nous +servait d'hôpital du temps que nous étions dans ces contrées. Cette +maison est sur le bord du Rhin, environnée de grands jardins +nouvellement plantés. Il y a aussi de magnifiques promenades. Cette +ville est du côté du nord, bornée par la Moselle qui tombe de là dans le +Rhin, vis-à-vis du fort, et, au levant, le Rhin flotte contre ses murs. +Cette ville avait de forts bastions et de gros cavaliers qui défendaient +son approche, entre le Rhin et la Moselle; ces fortifications ont été +démolies dans le temps que nous étions là, de sorte qu'elle n'est +maintenant fermée que d'un simple mur, du côté du Rhin. Il y a un fort +très haut qui peut brûler la ville; c'est un morceau qui ne peut être +pris que par la famine. Les Français y sont entrés lorsqu'ils ont poussé +l'armée autrichienne au delà du Rhin. + +Nous avons construit des forts et des retranchements bien palissadés à +une demi-lieue de la ville entre la Moselle et le Rhin, dans la plaine. + +Le costume des deux sexes est le même que celui d'Aix-la-Chapelle. + +5 _floréal_.--Partis de Coblentz à deux heures du matin pour nous rendre +à Rhense, ville située sur le Rhin, sur le versant d'une petite +colline.--Quelques jours avant de sortir de Coblentz, on nous a annoncé +la paix avec le roi de Prusse, ce qui a donné bien du contentement à +toute la troupe de voir que leur ouvrage commençait à produire[29]. + +10.--Partis de Rhense pour revenir à Capellen, sur le bord du Rhin, au +pied de grosses montagnes. + +18.--Partis de Capellen pour revenir camper sur une hauteur près de la +ville de Coblentz, à droite du camp nommé le camp de la Chartreuse; il +portait le nom du couvent qui était sur le bout de la montagne, près de +la ville. Ce couvent était tout dévasté et servait à mettre les chevaux +de l'artillerie. C'est dans ce camp que noua avons encore fait +pénitence. La misère augmentait tous les jours pour les défenseurs de la +patrie; nous avons été réduits à douze onces de pain par jour, et bien +des fois on ne pouvait pas en avoir. Il fallait cependant faire son +service, bivouaquer et monter la garde très souvent. Mais le printemps +nous produisait des plantes pour un peu nous soutenir, qui étaient des +feuilles de pois sortant à peine de terre, des coquelicots ou +_feu-d'enfer_, du sarrasin, des pissenlits. Avec tous ces herbages, nous +en faisions une farce que nous mangions en guise de pain; et lorsque le +seigle est venu en grains, on allait lui couper la tête et on le faisait +griller sur le feu. Les pommes à peine défleuries nous servaient aussi +de nourriture. + +C'était vraiment une grande misère, on voyait plusieurs soldats cachés +derrière des haies, attendant que le laboureur qui plantait des pommes +de terre fendues en quatre pour en récolter pour l'hiver prochain, fût +parti de son champ. Aussitôt les soldats affamés parcouraient le champ, +cherchant dans la terre les petits morceaux de pommes de terre, et +revenaient au camp avec leur petite proie, et les faisaient cuire[30]. + +Huit ou dix jours après on reparcourait les champs, les morceaux de +pommes de terre qui avaient échappés à la première recherche +commençaient à sortir de terre; on les enlevait avec beaucoup de +contentement de se voir quelques petits morceaux de pommes de terre pour +se sauver la vie. + +Le matin on battait la breloque pour le pain, la viande, mais on +revenait souvent sans viande[31]. Le soir, à l'entrée de la nuit, pas +tous les jours, on revenait avec un pain pour quatre hommes. Tout le +monde sortait de ses baraques et la gaîté renaissait pour un moment dans +le camp; dans la journée tout le monde était comme mort, sur sa pauvre +paille, prenant la misère en patience et s'amusant à détruire sa +vermine. + +Après une misère pareille et des maux si longs et si pénibles, +quelques-uns diront: «les soldats ne sont que des voleurs. Voyez comme +ils allaient dévaster les travaux des pauvres laboureurs!» Nous sentions +bien la perte que nous causions, mais lequel pouvait-on préférer dans un +pareil cas, de mourir? Non, mais je crois, de vivre et d'être utile! + +Dans le courant de prairial, an III de la République française, les +officiers, sous-officiers et soldats de la 127e demi-brigade de l'armée +de Sambre-et-Meuse ont écrit à la Convention nationale, s'exprimant en +ces termes: + +«Que venons-nous d'apprendre? Quoi! les factieux s'agitent encore autour +de la Représentation nationale; le reste impur des complices de la +Terreur ose de nouveau provoquer au pillage, à l'assassinat, au mépris +de l'humanité, à la violation des droits du peuple. + +«Que veulent donc ces hommes téméraires? et quels sont leurs projet +perfides, leurs avidités cruelles? Ils cherchent des prétextes. Mais ce +n'est pas du pain qu'ils demandent, c'est du sang. Ils sont jaloux du +repos du peuple, ils ont soif de son avenir heureux; leur rage scélérate +veut ensevelir la liberté publique, sous les corps enlacés des victimes, +et dominer sur ces débris. + +«Législateurs, conservez l'attitude imposante que vous avez prise! +rappelez-vous toujours ce qu'est le peuple et que le peuple ne veut pas +être opprimé par une poignée de factieux; songez que les agitateurs qui +osent vous menacer, ne sont pas citoyens de Paris, et que les citoyens +de Paris ne sont eux-mêmes qu'une petite fraction de la République! + +«Si l'audace des uns croissait avec leur criminel espoir, et si le +courage des autres s'amollissait par la crainte; si les premiers +oubliaient leur premier devoir et les derniers leur ancienne gloire; +s'il fallait enfin que des colonnes s'ébranlassent des armées +victorieuses pour aller défendre la Convention nationale; parlez, +législateurs! Nous volons autour de vous, les factieux ne parviendront +jusqu'à vous qu'en marchant sur nos cadavres. + +«Une république fondée sur les moeurs et sur la justice est impérissable +comme la nature[32].» + +Le 22 prairial, on nous a annoncé la prise de Luxembourg. Les 29 et 30 +prairial, et le 1er messidor, nous avons vu passer la garnison du dit +Luxembourg, au nombre de douze mille, qui ont passé le Rhin à Coblentz, +après avoir passé devant nous. + +Le 9 du mois de thermidor, nous avons reçu trois drapeaux tricolores où +était le numéro de la demi-brigade. Avec les républicains qui +composaient ce corps, nous avons juré dans ce moment de ne jamais +abandonner ces drapeaux qu'à la mort, comme nous avions fait jusqu'alors +des précédents. + +On nous a fait dans ce même moment du feu avec les morceaux des anciens +qui avaient été fracassés au blocus de Maubeuge et au siège de +Maëstricht; ils ressemblent à des vieux guerriers qui étaient devenus +bien caducs en acquérant de la gloire et en parcourant les champs de +Bellone. + +10 _thermidor_.--Partis du camp de la Chartreuse par une grande pluie +qui a duré deux jours; les ordres étaient donnés pour nous rendre à +Creutznach. Le 14, nous avons logé, en y allant, à Ventzenheim où nous +avons eu séjour; le 15, à Kircheim-Bolanden. Dans cette ville, le prince +de Weilburg a un superbe château de plaisance; il est environné de +jardins où il y a des arbres de toute espèce, il y a un parc bien +distribué: de belles cascades d'eau, des promenades bien agréables, et +des pièces de gazon très bien garnies. La vue ne peut pas se contenter +d'examiner toutes ces belles choses, qui semblent être faites par la +nature. + +16.--Logé à Pitzersheim. Avant d'arriver à ce village, on voit les tours +de Mannheim: il est seulement à trois quarts de lieues de Neustadt. + +17.--À Neustadt; 18, à Nuzdorff, premier village de France, venant de +Coblentz et frontière du Palatin[33]. Ce village est très grand et situé +à une demi-lieue de Landau. + +19.--À Altenstadt, village à un quart de lieue de Wissembourg, où nous +avons eu séjour. + +21.--À Beinheim, village situé sur la route de Lauterbourg[34] à +Strasbourg. + +22.--Partis à sept heures du matin pour nous rendre au fort Vauban, +seulement le premier bataillon, les deux autres ont été camper dans la +plaine de Beinheim. Nous avons relevé au fort un bataillon de la 92e +demi-brigade, ci-devant d'Artois. + +Cette place se nommait, avant la Révolution, le Fort-Louis; elle ne +pouvait être prise que par famine, mais elle a été livrée aux Prussiens +en 1792. Les Français ont repris cette place, la même année, après le +déblocus de Landau. Durant le temps que les Prussiens sont restés au dit +fort, ils ont miné le quartier et autres fortifications[35]. Au moment +où il a fallu les abandonner, ils ont fait sauter toutes les mines; il +restait encore quelques maisons où ils ont mis le feu en partant, de +sorte que maintenant cette place est comme un désert. Nous étions logés +dans des vieilles masures, comme tout le bataillon, parce que le Rhin +avait débordé, et les baraques étaient encore pleines d'eau. Le mauvais +air qui régnait dans cette place a fait que tout le bataillon, et même +les deux autres, ont été pris de maladie; c'était comme une peste. +Jusqu'à dix hommes par compagnie étaient obligés d'aller à l'hôpital, +car ils étaient attaqués d'une fièvre très violente. De soixante hommes +que nous étions dans notre compagnie, nous sommes restés à deux qui +n'ont pas été malades. La fièvre était mauvaise, car il y en a beaucoup +qui en sont morts. Nous avons fait notre purgatoire dans cette place; +nuit et jour nous étions tourmentés, il y avait des petites mouches que +l'on nomme des _cousins_, qui nous faisaient bien de la peine, il y en +avait si épais qu'on les aurait coupés avec des sabres; les puces et les +poux n'y manquaient pas. + +Étant dans cette place, nous avons fait la réjouissance de +l'anniversaire de la Fédération. Le 23 thermidor[36], chaque pièce de +canon a tiré trois coups, et chaque soldat de même. La réjouissance +s'est faite de cette manière dans l'armée de Rhin et Moselle. + +12 _fructidor_.--Sortis du fort; il est dans une île, et le Rhin passe +tout autour. Les Prussiens avaient brûlé une partie du pont qui conduit +à un petit fort qui est du côté de l'Alsace; il en porte le nom: ce pont +traverse un bras du Rhin et conduit au grand fort: dans ce temps, pour y +entrer, il n'y avait qu'un pont volant. + +Sortant de cet endroit, nous avons été camper au camp près de Beinheim. +Les gardes n'ont point été relevées en partant, à cause de la grande +maladie; nous avons été relevés par un de nos bataillons. + +14.--Nous sommes partis du camp pour nous rendre à Strasbourg. J'ai fait +rencontre d'un vieux bourgeois qui m'arrête et me dit: «Mon ami, je ne +peux m'empêcher de rire, vu le costume que la République vous donne, car +vous ressemblez plutôt à un capucin qu'à un soldat.» + +Je lui dis que l'habit ne faisait pas le moine et qu'il pouvait +continuer sa promenade; qu'il ne serait plus si étonné, car il en +verrait beaucoup de cette couleur. Il n'avait pas tout à fait tort, car +je portais une capote couleur marron que j'avais reçue devant +Cologne[37]. + +Nous avons été loger chez le bourgeois en arrivant. Le 15, nous sommes +entrés dans la caserne de Finkmatt. + +Partis de Strasbourg le 16; les gardes n'ont point été relevées en +partant, car il n'y avait point de garnison. + +16 et 17.--Nous avons logé à Plobsheim et à Rhinau, villages situés à un +quart de lieue du Rhin, mais tout de même nos postes y étaient établis. +C'est dans cet endroit que j'ai commencé à faire le service de +sergent-major. + +19.--Nous avons pris les armes pour recevoir notre nouvelle +Constitution; on nous en a fait la lecture, et étant finie, tous ceux +qui savaient signer ont été signer le procès-verbal, pour envoyer à la +Convention, pour lui prouver le contentement que nous avions de +l'ouvrage qu'ils venaient de nous achever. L'on est rentré de suite. + +4 _complémentaire_[38].--Partis de Rhinau pour la Wantzenau, grand +village situé sur la route de Strasbourg à Lauterbourg. + +1 _vendémiaire_ an IV[39].--Partis de la Wantzenau pour nous rendre à +Offendorf, à un quart de lieue du Rhin, sur la gauche de Strasbourg. + +28.--Partis d'Offendorf pour Berg, village près de Lauterbourg, à une +demi lieue. + +2 _brumaire_.--Partis de Berg, pour Woerth, village sur le Rhin. Dans +tous ces endroits, depuis la Wantzenau jusqu'à Mannheim, je reconnais +que la guerre a bien causé de la misère dans tous les villages et +bourgs; l'armée impériale et la nôtre n'ont cessé de se battre le long +de ces bords. Les villages sont dévastés; une partie des habitants a +émigré lorsque l'ennemi est venu dans les environs de Strasbourg. + +3.--Partis de Woerth pour Spire, grande ville sur le bord du Rhin, dans +le Palatinat. Cette ville n'est fermée que par de simples murs, mais +cependant entourée de fossés remplis d'eau; c'est une ville très +commerçante et environnée de grandes plaines. Notre logement dans cette +ville était dans des maisons d'émigrés toutes dévastées; et, pour +coucher, de la paille très courte. Nous sommes arrivés à dix heures du +soir. + +8.--Partis de Spire pour Otterstadt, toujours en descendant le Rhin. + +12.--Partis de Otterstadt pour Waldsee, village anciennement fortifié; +maintenant on y voit encore les anciens fossés, une partie du mur et le +cintre des portes. + +13.--Partis de Waldsee pour Muhlrhein, à une demi lieue sur la droite +de Mannheim. Je suis allé voir cette ville; elle est peuplée, mais elle +n'a pas beaucoup d'étendue; il y a de belles rues larges et très +propres, et bien alignées; les maisons de toute beauté, hautes, mais pas +plus l'une que l'autre; de chaque croisée on voit le rempart à chaque +bout des rues, il n'y a point de carrefour. + +Les rues et places sont très bien illuminées: de chaque côté des rues, à +distance de trente pas, il y a un réverbère: la place est grande, et la +maison du prince de Mannheim[40] est située sur la place. Les approches +sont bien défendues par de bonnes avancées et de bons bastions garnis de +forts canons. Dans ce temps là, l'armée autrichienne en faisait le +siège; les fortifications du côté du Rhin sont un seul rempart. Le pont +qui traversait le Rhin était composé de cinquante-quatre gros bateaux; +la longueur de ce pont était de huit cent quarante quatre pieds: il y +avait un fort qui défendait l'approche du Rhin de ce côté. Mais les +Français l'ont démoli la première fois qu'ils ont pris cette ville; ils +ont de suite construit des batteries dans la même place pour battre la +ville. + +19.--Partis de Mannheim pour retourner sur nos pas[41], nous sommes +venus au village de Waldsee où nous étions le 12. Étant dans ce village, +les Autrichiens bombardaient la ville de Mannheim; le feu était dans le +château du prince. Nos gens avaient été repoussés devant Mayence: toute +l'armée battait en retraite. Il y a eu encore une forte bataille dans +les environs de Frankendal; mais comme l'armée autrichienne était trois +fois plus nombreuse que la nôtre, il a fallu leur céder le pas, et +battre en retraite sur la ville de Landau, et Mannheim n'a pas tardé à +être bloqué. Nous avons été obligés de nous retirer sur nos frontières; +l'armée autrichienne passait sur plusieurs ponts le Rhin et tentait de +grands coups[42]. + +24.--Partis de Waldsee pour venir au camp près de Spire. + +Partis de ce camp le 29. Comme nous étions dans un circuit du Rhin, +l'armée autrichienne s'avançait à grands pas; nous nous serions trouvés +bloqués. Ils ne cherchent pas à nous faire abandonner le Rhin, et leur +colonne se glisse le long des montagnes des Vosges. + +Nous sommes donc sortis du camp à deux heures du matin pour nous rendre +aux lignes de Guermersheim où nous sommes restés campés jusqu'au 9 +frimaire. Dans cet endroit, les vivres nous ont manqué pendant cinq +jours de suite à cause du grand nombre de troupes, et il n'y avait +encore aucune administration d'établie pour les vivres. Pendant ces cinq +jours, nous nous sommes nourris avec des pommes de terre que nous +allions chercher sous la neige, dans des trous, au milieu des champs de +cultivateurs[43]. + +9 _frimaire_.--Partis de ce camp pour entrer en cantonnement à Belheim, +grand village situé sur les lignes de Guermersheim. + +16.--Partis pour aller cantonner au village de Hoerdt, mais nous +bordions toujours les lignes qui aboutissaient au Rhin. + +20 _nivôse_.--Partis de ce village pour faire un mouvement vers +Strasbourg. Le même jour nous avons été loger à Auenheim, village en +arrière du Rhin. + +Partis de Auenheim par une grande pluie, avec un dégel qui nous faisait +une bien mauvaise route. Le 22, à sept heures du matin; nous avons logé +à Hagenbach, bourg, nous y avons eu séjour. + +24.--Partis pour Neubourg; grand village sur le Rhin, environné de +marais. + +28.--Partis pour Berg, à une demi-lieue de Lauterbourg, là où nous +avions logé en allant à Mannheim. Étant dans ce village, il est venu un +arrêté du Directoire exécutif pour que toutes les troupes de la +République prennent les armes le 2 pluviôse, et renouvellent le serment +d'être fidèles à la nation française et de même pour célébrer +l'anniversaire de notre dernier roi de France. C'est ce que nous avons +exécuté le 2 pluviôse 1796. J'ai cessé le service de sergent-major. + +17 _pluviôse_.--Partis de Berg pour Niderroedern où nous sommes arrivés +le même jour. + +20.--Partis pour Sonffeldheim. + +21.--Partis pour Beschwiller, bourg à cinq lieues à gauche de +Strasbourg. + +22.--Partis pour Reichstett, village sur la route, à une demi-lieue de +Strasbourg. + +29.--Nous nous sommes mis en route pour nous rendre à la Wantzenau à +deux lieues à gauche de Strasbourg. + +30.--Partis pour nous rendre à la plaine près de Kirchheim, en arrière +du Rhin et à trois lieues de Strasbourg. C'était le lieu de +rassemblement où la 127e et la 91e se sont réunies pour former des deux +une seule demi-brigade. + +Voici la manière dont cet embrigadement s'est fait. L'on a formé deux +haies; on a fait ouvrir les rangs dans chacune d'icelle; le général de +division en a passé la revue. De suite on a fait serrer les rangs; le +quartier-maître a appelé tous les capitaines, lieutenants, +sous-lieutenants au centre des deux demi-brigades pour tirer parmi eux +les plus anciens de grade et les placer dans leur camp respectif. Il en +a été de même des sous-officiers et caporaux; et tous ceux qui se sont +trouvés surnuméraires, on en a formé une compagnie auxiliaire. Ensuite +on a fait rompre par pelotons les deux demi-brigades; la 127e s'est +jointe avec la 91e en commençant par les premières compagnies, et +insensiblement de suite. Après ce mélange, on a fait former le carré +pour nous faire connaître nos chefs. Après que toute la cérémonie a été +faite, nous avons défilé devant les généraux, dans la boue jusqu'à +mi-jambe, car il tombait du brouillard qui ressemblait bien à de la +pluie et qui faisait dégeler les terres. + +Dans ce jour, la 127e a perdu son numéro et a été mariée avec la 91e +dont elle a pris le nom. J'ai vu que lorsqu'on faisait des mariages, que +rien ne manquait pour célébrer cette heureuse fête; mais parmi nous il +n'en était pas de même, car ce jour-là nous n'avions pas de pain. Cela +ne nous surprenait pas, car ce n'était pas la première fois. + +Chacun a été reprendre ses cantonnements; la 5e, dernière compagnie au +1er bataillon, à la Wantzenau; et la 1re à Kilstett. Ce jour-là, j'ai +changé de compagnie; j'ai été dans la 5e du 1er (capitaine Mondragon). + +2 _ventôse_.--Sortis de la Wantzenau pour rejoindre la tête de notre +bataillon au village de Kilstett le 3, pour appuyer à gauche en +descendant le Rhin; notre premier bataillon tenait depuis la Wantzenau +jusqu'à l'Ill le long du Rhin. Cette étendue était de six lieues; notre +compagnie était au village d'Offendorf et faisait le service sur le +Rhin. + +17.--Partis d'Offendorf pour Weyersheim, où tout le bataillon venait +cantonner pour un mois; après, on retournait faire quinze jours dans ces +mêmes cantonnements sur le Rhin, et on revenait faire un mois sur les +derrières. Ça se faisait à tour de bataillon. + +21 _germinal_--Sortis de Weyersheim pour reprendre nos cantonnements sur +le Rhin; nous avons été de même à Offendorf.--26. Partis d'Offendorf +pour aller à l'armée du Haut-Rhin, nous avons logé en y allant à +Hoenheim, à une petite lieue à gauche de Strasbourg. Le lendemain 29, le +matin, nous avons passé à Strasbourg et nous avons logé à Erstein, +ville; le 30 germinal, à Kuenheim; le 1er floréal, à Andolshein, village +à deux lieues à gauche de Brisach et à une lieue de Colmar, à droite; +nous y avons eu séjour. + +3.--À Herrlisheim, située à une lieue et demie de Colmar. + +4.--À deux heures du matin, partis pour Ensisheim. + +5.--À une heure du matin, partis pour Huningue. Nous ne sommes pas +entrés dans la ville; nous avons reçu des ordres pour cantonner dans les +villages aux environs. Nous avons pris la traverse, et nous avons été +cantonner au village nommé Attenschwiller sur une petite colline à une +lieue de Bâle, du même côté et à deux lieues de Huningue. Étant dans ce +village, nous occupions les postes de sauvegarde du canton de Bâle. +Personne ne passait à ces postes sans être muni d'une permission signée +du général en chef. Si cela ne s'était pas fait de la sorte, on aurait +enlevé une partie des vivres et des marchandises de la France. + +Les frontières de la Suisse étaient bornées avec de grands poteaux de +bois, à distance d'un tiers de quart de lieue; il était inscrit sur une +plaque de fer blanc: _Sauvegarde de Basel_.--Cette épitaphe était +incrustée en haut de la potence. + +Dans le courant du mois de floréal, nous avons appris la paix avec le +roi de Sardaigne. Nous avons aussi célébré la fête, le 10 prairial, des +victoires remportées par toutes les armées de la République[44]. Cette +fête a commencé à six heures du matin. Dans ce même moment, on a battu +la générale: à huit heures on s'est assemblé; on a été de suite sur le +terrain choisi par le chef de bataillon pour cette fête. On a fait +quelque temps l'exercice; après, on nous a annoncé les victoires +remportées par l'armée d'Italie. C'est dans ce moment que nous avons +juré d'un commun accord de seconder leurs efforts, et qu'à l'exemple de +nos frères d'armes d'Italie, bientôt les succès de l'armée de +Rhin-et-Moselle égaleraient les leurs. On est rentré dans le village aux +cris de _Vive la République!_ + +Ce jour-là, la République nous a passé le pain, la viande, l'eau-de-vie +double.--Voilà quel était l'ordre du général en chef. + +13 _prairial_--Partis d'Attenschwiller pour Hagenheim, dans une petite +colline, et à une demi-lieue d'Attenschwiller et même distance +d'Huningue; ce village est en grande partie habité par des juifs. + +17.--Partis d'Hagenheim à cinq heures du matin pour entrer en garnison à +Huningue. Elle n'est pas beaucoup étendue, mais forte par ses bastions +garnis de gros canons qui défendent d'approcher; les rues y sont larges +et bien éclairées; il y a beaucoup de casernes pour loger les soldats; +les maisons bourgeoises ne sont pas beaucoup hautes, mais elles ne se +dépassent pas; le Rhin flotte contre ses bastions et donne de l'eau dans +les fossés. Il y a une belle place qui a bien cent soixante-dix pieds au +carré, elle est environnée de pavillons qui servent à loger les +officiers de la garnison. Cette ville est à une demi-lieue de Bâle; à +chaque porte il y a trois forts pont-levis et de bonnes barrières. Le +temps que nous étions dans la ville, nous n'avions que des paillasses et +des bois de lit pour toute fourniture, mais, en récompense, les puces ne +manquaient pas. + +8 _messidor_.--Sortis à huit heures du soir pour nous rendre à +Ottmarsheim; où nous sommes arrivés à trois heures du matin; le village +est à une portée de fusil du Rhin, et sur la route d'Huningue à Brisach. + +9 _messidor_.--Tous les cantonnements qui étaient pour garder le Rhin +depuis Huningue jusqu'aux lignes de Guermersheim, ont reçu l'ordre de +prendre les armes à dix heures du soir. C'est la nuit du 5 au 6 messidor +qu'on avait choisie pour se faire un passage sur le Rhin. Voilà la ruse +que l'on a employée pour ce fait: Vers minuit, il y a eu plusieurs +compagnies de grenadiers en des barques, qui ont traversé le Rhin, où +ils ont égorgé plusieurs postes ennemis. L'attaque a été générale dans +toute l'étendue de la ligne du Rhin, car la canonnade s'est fait +entendre, de même que la fusillade, depuis les deux heures du matin +jusqu'à quatre heures. On criait: _En avant telle et telle colonne! +allons! embarquons-nous! Le passage est à nous!_ On faisait reconnaître +différents régiments de cavalerie et d'artillerie pour faire voir que +nous étions bien du monde. + +L'endroit destiné pour le passage était au fort de Kehl, près de +Strasbourg, où cette attaque n'avait pas lieu, et l'ennemi ne savait pas +où nous avions l'intention de passer[45]. Ce n'était pas là où l'on +faisait le plus de bruit qu'on voulait passer. + +Le passage s'est effectué sans avoir essuyé la moindre perte; on les a +si bien surpris et trompés par nos manoeuvres, que l'on a pris le +commandant du fort de Kehl avec sa garnison prisonniers de guerre. + +17 _messidor_--Sortis de Ottmarsheim, à quatre heures du matin, pour +nous rendre à Balgau, village à deux lieues de Brisach, à droite. La +nuit du 18 au 19, tous les cantonnements ont pris les armes pour faire +la même attaque que celle du 5 au 6. + +19.--Sortis de Balgau, à huit heures du matin, pour nous rendre à +Neuf-Brisach, ville forte où il y a une belle place entourée de quatre +entrées, fermées chacune de quatre ponts levis; les barrières, les +maisons et les casernes ne dépassent pas le premier rempart. Il y a une +belle place entourée de quatre rangs de peupliers qui sont coupés de +manière à ce qu'ils ne fassent point découvrir la place en dehors; à +chaque coin de cette place, il y a un puits, et tout au milieu de la +place, on voit les quatre portes; les rues sont bien alignées ainsi que +les maisons. Sous tous les remparts sont des casemates, et sur ces +casemates est une belle promenade qui fait le tour de la ville. Ces +remparts sont garnis de forts canons; l'eau vient dans les fossés par un +canal qui vient de la rivière. + +21.--Sortis de Brisach pour aller à Marckolsheim, bourg à quatre lieues +de là, sur la même route. + +25.--Partis de Marckolsheim à dix heures du matin pour nous rendre dans +les environs de Neuf-Brisach pour y faire une fausse attaque. C'était la +nuit du 25 au 26, à côté du Vieux-Brisach, dans une île du Rhin; une +centaine d'hommes se sont embarqués pour passer le Rhin, ils ont fait +fuir plusieurs postes ennemis; ils en ont surpris un près d'une +batterie, ils l'ont égorgé. En un autre, ils ont pris un canonnier, deux +charretiers et trois chevaux. Sur la pointe du jour, le canon s'est fait +entendre de droite et de gauche sur la rive du Rhin. Vers les quatre +heures du matin, l'ennemi nous a riposté plusieurs coups de canon. Vers +les sept heures du matin, les hommes embarqués sont rentrés et nous +avons cessé l'attaque: elle était faite pour établir un pont à +Rhinau.--Nous sommes retournés dans nos cantonnements qui étaient depuis +Brisach jusqu'à Rhinau, où deux de nos bataillons ont passé le Rhin. + +28.--Nous avons quitté ces cantonnements à dix heures du soir pour nous +rendre à Brisach, où nous sommes arrivés à dix heures du matin. Nous +nous sommes transportés vis-à-vis le Vieux-Brisach pour y passer le +Rhin; nous l'avons passé sur un pont volant vers les trois heures de +l'après-midi du 29 messidor. Nous avons logé dans de grosses baraques +que les Autrichiens avaient fait construire du temps que les Français +assiégeaient la ville du Vieux-Brisach. + +Ces logements étaient couverts en terre et derrière le Vieux-Brisach, +hors de portée du canon. + +30.--Nous avons repassé le Rhin à dix heures du matin pour aller le +passer à Huningue; nous avons logé en y allant à Ottmarsheim. + +1er _thermidor_.--Partis à quatre heures du matin, nous sommes arrivés à +Huningue, et nous avons passé le Rhin vers les dix heures du matin. Nous +avons été au premier village où le vin nous a été distribué. De là, nous +avons été loger à Lorrach, bourg dans le Marquisat. Je dirai que nous +avons passé le Rhin sur un pont volant, et après cela nous avons été +obligés de passer un bras du Rhin avec des petites barques, ce qui nous +a tenus bien du temps. + +3.--Partis de Lorrach à deux heures du matin pour aller à Schopfheim, +petite ville entre deux montagnes garnies de beaux bois; la colline est +garnie de beaux prés bien entretenus et tout de niveau où ils mettent +l'eau quand ils jugent à propos. Cet endroit a beaucoup d'usines, tant +en forges, manufactures de fils de fer, papeteries, etc. Je remarquerai +aussi que les Autrichiens avaient quitté les bords du Rhin le 27 +messidor, parce que la colonne qui avait passé à Strasbourg les prenait +par derrière les montagnes du Brisgau pour leur couper leur retraite. + +9.--Partis de Schopfheim, à deux heures du matin, pour aller à +Sackingen. Nous avons repassé le Rhin à Laufenburg. Dans cet endroit, le +Rhin fait un grand saut au bas du pont; il passe entre deux rochers, il +est extrêmement rapide. Les ponts sous lesquels on passe sont tous +couverts et bien construits. Sackingen et Laufenburg sont deux petites +villes près des frontières suisses et situées à sept lieues de +Schopfheim. + +10.--Partis de Sackingen à deux heures du matin pour Eibrechsferengel? +Nous en sortions le onze à deux heures du matin pour nous rendre à +Fiezen, village situé à huit lieues. + +12.--Partis de Fiezen à trois heures du soir pour nous rendre à Singen, +où nous sommes arrivés le treize à quatre heures du soir. + +14.--Partis de Singen à dix heures du matin pour Esplingen, village sur +le lac de Constance. + +15.--Partis le 15 à quatre heures du matin pour nous rendre auprès de +l'abbaye de Salmonswiler, située de même sur le lac, dans la Souabe. + +C'est là que nous avons aperçu l'arrière-garde d'une colonne ennemie. On +a détaché des tirailleurs de droite et de gauche pour fouiller les +environs de notre route; après avoir tiré plusieurs coups de fusil, ils +ont continué leur retraite. C'est dans l'abbaye, ou pour mieux dire dans +la plaine au-dessus, que nous avons commencé à camper. Je dirai que tous +les villages dont j'ai parlé ci-devant et où nous avons logé, sont +situés sur les frontières de la Suisse, en venant sur le lac de +Constance. + +La colonne du général Férino[46] chassait les ennemis de diverses places +situées sur le lac de Constance, à droite du côté de la Suisse et +s'emparait de la ville de Brégenz où se trouvaient une trentaine de +pièces de canon de divers calibres[47]. + +Je remarquerai que nous avons passé au pied du fort de Randenburg, situé +sur une montagne en pain de sucre, qui n'est commandé d'aucun côté, qui +se rendit sans résistance; on y trouva un arsenal bien garni, +quarante-trois bouches à feu en bronze, et quantité de munitions. + +Je dirai que nous étions sous le commandement du général Palliard. Notre +colonne a pris à gauche du lac de Constance; nous sommes sortis du camp +près l'abbaye de Salmonsweiler le 16, à huit heures du matin par une +grande pluie qui avait commencé à trois heures du matin, pour aller à la +poursuite de l'ennemi. Nous avons été camper près du village nommé +Eriskirch, sur le bout du lac, dans un bois où notre artillerie a été +obligée de tirer quelques coups de canon. Dans ses environs, il s'est +trouvé plusieurs obstacles: des fossés, des petits marais et des bois; +mais l'ennemi a été forcé de prendre sa retraite. Nous sommes partis du +camp le 19 à quatre heures du matin pour aller à la poursuite des +ennemis vers la ville de Lindau, faisant partie du cercle de Souabe. +Arrivés dans cette position, comme nous avions suivi les côtes de la +Suisse avec un bataillon de la 38e demi-brigade et un détachement de +hussards du 8e, nous avons quitté cette colonne le 20 thermidor pour +aller rejoindre nos deux autres bataillons de la 3e demi-brigade de +ligne. Nous avons logé en y allant à Waldsee, ville où nous sommes +arrivés à la nuit; nous avons été loger dans un couvent où nos +prisonniers de guerre étaient détenus avant que nous passions le Rhin; +mais ils avaient été évacués à notre approche. + +21.--Partis du Waldsee à quatre heures du matin, nous avons été +bivouaquer à une lieue en avant de la ville, et à une lieue de Wartzack, +où nous avons retrouvé les deux bataillons qui avaient passé le Rhin à +Rhinau. + +22.--Partis de ce bivouac à quatre heures du matin pour aller à la +poursuite de l'ennemi qui était la légion de Condé, nous avons campé ce +même jour dans un bois faisant partie de la forêt Noire, près d'un +village nommé Itett(?) qui fait partie du cercle de Souabe. + +23.--Partis du camp à trois heures du matin pour aller camper une lieue +en avant. À notre approche, l'ennemi a pris sa retraite. + +25.--Sortis du camp à quatre heures du matin, nous avons passé à +Memmingen, ville grande et belle, entourée de petits bastions et de +grands jardins tous remplis de houblon; elle est au duc de Wurtemberg. +Ce même jour, nous avons été camper en avant d'un village où les émigrés +sont venus nous attaquer à cinq heures du matin, le 26, mais ils ont été +repoussés avec vigueur et on leur a fait quelques prisonniers. J'ai +remarqué dans cette contrée la grande mortalité des bêtes à cornes; +c'était la peste qui était dans ce pays, car on ne pouvait en sauver +aucune. + +Le même jour, vers les six heures du soir, nous avons fait un mouvement +pour appuyer à gauche, pour donner du renfort à la troisième ligne qui +avait été attaquée pendant la nuit par les chevaliers de la légion de +Condé, où ces derniers ont perdu bien du monde car dans le mouvement que +nous avons fait, nous en avons vu dans des places plus d'un cent, et +beaucoup qui étaient répandus dans les bois, et beaucoup qui étaient +enterrés que nous ne voyions pas. Ceux qui étaient hors de terre étaient +des hommes qui avaient en partie des cheveux gris. + +Leur attaque a été singulièrement combinée, ils sont venus croyant +surprendre nos gens; lorsqu'ils ont été à une portée de fusil d'eux, ils +ont fait le demi-tour, et faisaient les feux de peloton en retraite, et +leurs canons envoyaient des obus en l'air. Étant assez près de nos +troupes pour être reconnus, aussitôt nos troupes ont fait un feu de file +sur ces messieurs. Comme cette petite avant-garde ne se voyait pas assez +forte, elle a battu en retraite pour un moment; mais aussitôt ils ont eu +du renfort de la 74e qui était campée derrière eux, et ils les ont +repoussés avec toute la chaleur républicaine. Comme je l'ai dit, +plusieurs cents ont mordu la poussière. Cette bataille s'est donnée, la +nuit du 25, dans le bois près le village d'Obergein. Nous y avons campé +le 26 au soir, nous avons eu la pluie pendant deux jours. + +29.--Partis de ce camp à quatre heures du matin pour aller en avant, +nous avons été camper sur la hauteur, près du village de Meltheim, près +d'une petite rivière et derrière une grosse ferme où était logé le +général. + +2 _fructidor_.--Sortis de ce camp à huit heures du soir pour aller à la +poursuite des émigrés, nous avons pris la route à gauche de Meltheim et +nous avons campé dans la plaine. + +4.--Partis à onze heures du matin, nous avons été camper près d'une +abbaye, dans la Bavière. + +Partis le 5, à deux heures de l'après midi pour nous rendre au camp à +trois lieues de la ville d'Augsbourg, ville capitale des cercles de +Souabe. Nous ne suivions pas de route directe, c'était en partie tous +chemins de traverse; il y a un peu de temps que nous n'avons vu notre +ennemi. Nous sommes obligés de marcher à grandes journées, encore ne +peut-on pas le rattraper. Nous sommes campés sur le bord d'une rivière +et dans un bois dont je ne connais pas les noms, mais je mettrai un nom +à ce camp, et la troupe qui a campé dans ce camp ne pourra pas me +démentir; je le nomme _le camp de la fourmilière_, car vraiment il n'y +avait pas une place où la terre n'en soit couverte, et tous les arbres +en étaient garnis; on pourrait encore l'appeler _le camp de la +pénitence_. + +7.--Sortis de ce camp à six heures du matin, sans regret, pour aller +passer la rivière où nous avons trouvé l'armée autrichienne; sur l'autre +rive, ils avaient coupé tous les ponts et nous attendaient sur la +hauteur. Quoique les ponts fussent coupés, cela n'a point arrêté notre +marche; nous l'avons franchie avec tout le courage possible. Comme elle +était rapide et que quelques républicains ont voulu la traverser, il y +en eut quelques-uns de noyés. La profondeur à l'endroit où nous passions +était de trois pieds quelques pouces; nous avons mis un quart d'heure +pour passer ces obstacles. C'était sur la droite d'Augsbourg, entre dix +et onze heures du matin. + +Après ce défilé, et étant de l'autre côté, on s'est formé en colonne et +on a marché sur l'ennemi qui s'est vu forcé d'abandonner ses fortes +positions. + +Notre division a fait ce jour-là huit cents prisonniers et pris seize +pièces de canon. Au moment où ils ont pris la fuite, on les a poursuivis +à quatre lieues de la ville d'Augsbourg. Notre avant-garde a gardé sa +position, et l'armée est revenue camper à deux lieues en avant +d'Augsbourg, et à une lieue de Fridberg. + +Partis de ce camp à neuf heures du matin pour appuyer à droite et suivre +la marche de l'ennemi, ce jour-là nous avons campé près d'un village, +dans les environs d'un superbe château appartenant à un colonel de +cavalerie autrichienne. Ce château est remarquable pour la troupe qui +était campée dans les environs; on y a trouvé quantité de bière, +d'eau-de-vie et toutes sortes d'effets; toute la maison était partie à +l'approche de l'armée française, et on s'est emparé de tout ce qu'il y +avait dans la dite maison. + +10.--Partis de ce camp à dix heures du matin pour aller camper à une +demi-lieue. C'est dans ce camp qu'on nous a annoncé la trêve avec le duc +de Bavière. + +13.--Partis à cinq heures du matin pour nous rendre au camp, près de +Dachau. + +17.--Partis à six heures du matin pour aller camper dans la plaine de +Munich. Je dirai qu'on avait laissé une certaine quantité de soldats +avec un officier dans notre camp de Dachau, pour allumer des feux comme +s'il y avait eu de la troupe. Ce camp était aperçu depuis les hauteurs +en avant de Munich, c'était pour faire voir à l'ennemi que nous étions +en forces. + +Nous étions campés dans la plaine de Munich près les parcs du duc de +Bavière. Je peux dire que ces parcs étaient superbes et grands, entourés +de planches très hautes et renfermant toutes sortes de bêtes sauvages et +d'oiseaux. C'était si bien construit que c'était vraiment amusant; mais +la guerre détruit tout; on a enlevé les planches pour se construire des +abris dans le camp: de suite on s'est mis à donner la chasse aux bêtes, +comme lapins, lièvres, chevreuils, biches, cerfs; les oiseaux ne s'en +sont pas échappés; tout cela se prenait à la main, avec des bâtons. + +Je dirai que dans les environs, à droite et à gauche de la ville de +Munich, le duc de Bavière a de superbes châteaux très vastes et bien +construits; il a aussi de superbes parcs fermés de murs, où il a toutes +sortes d'animaux que l'on puisse imaginer; il y a aussi de beaux jets +d'eau et de superbes avenues, promenades, etc. Plusieurs qui les ont vus +comme moi ont dit qu'il n'y avait que le château de Versailles qui +pouvait le surpasser; tout cela était fait pour enchanter. + +19.--Sortis du camp à huit heures du matin pour appuyer à gauche de +Munich, nous avons campé à trois lieues. C'est pendant que nous étions +dans ce camp, que les émigrés ont passé l'Isar et sont venus prendre un +parc de munitions qui était derrière Dachau. Nous y avions une ambulance +où étaient nos blessés; ils en ont pris une partie, nos chirurgiens, nos +bouchers et une compagnie de notre demi-brigade qui était pour garder le +parc. Ceux qui ne voulaient pas se rendre, ils les hachaient; après +qu'ils ont eu fait cette capture, ils sont retournés dans leurs +positions qui étaient sur le Ridau, en avant de Munich, le long de +l'Isar[48]. + +21.--Sortis de ce camp à onze heures du matin pour nous rendre sous les +murs de Munich, là où notre avant-garde s'était battue la nuit sur +l'Isar. Alors, les émigrés voulaient passer devant Munich; mais ils +n'ont rien gagné. Ce même jour, nous avons campé près le faubourg de +cette ville. Les faubourgs y sont grands et il y a de belles maisons; +les rues larges. La ville de Munich n'est pas extrêmement étendue, mais +bien peuplée, les maisons fort hautes, les rues larges et bien +éclairées; dans le milieu de la place, il y a un beau jet d'eau. Elle +est fermée par des bastions environnés de fossés, mais elle n'est point +dans le cas de soutenir un siège; c'est la capitale de la Bavière. + +Dans la bataille de la nuit du 20 au 21 que nos troupes ont eue avec les +émigrés, on a brûlé des tanneries, qui étaient sur le bord de la +rivière, et plusieurs gros magasins de bois. Lorsque les émigrés ont vu +que ça ne pouvait servir à rien, ils ont cessé le feu. Je dirai qu'ils +avaient une maison sur la route du pont, qui a été aussi brûlée. + +Le duc de Bavière avait dans la ville, pour garnison, dans ce temps, +douze mille hommes, tant cavalerie qu'infanterie. + +Les soldats français pouvaient entrer dans la ville avec une permission +par écrit du colonel. La rivière qui passe près de la ville de Munich +porte le nom de l'Isar. + +La gauche de notre division avait déjà passé l'Isar à cinq ou six lieues +de Munich, sur la droite; lorsqu'on apprit la retraite du général +Jourdan qui commandait l'armée de Sambre-et-Meuse. Nos troupes ont été +obligées de repasser la rivière et de se disposer à la retraite. + +26 _fructidor_.--À une heure du matin, nous avons commencé notre +retraite, sans cependant y être forcés par l'ennemi de notre côté. Nous +avons pris la route de Munich à Dachau, bourg situé à six lieues; nous +sommes restés environ quatre heures sous ses murs pour nous reposer et +attendre la gauche de notre division qui est arrivée une heure après. Je +dirai que notre retraite a commencé par un temps de pluie. Nous nous +sommes donc mis en marche, toute la division, et nous sommes venus +camper à neuf lieues de Munich, dans la position du 7 fructidor. + +28.--Sortis de cette position à sept heures du matin pour exécuter +plusieurs mouvements, sur la droite d'Augsbourg et de la rivière. À huit +heures du soir du même jour, nous sommes revenus prendre une position à +une lieue de Fridberg, en avant. Nous étions en ce moment +d'arrière-garde, et même nous nous sommes vus bloqués de toute part; il +fallait nous battre de tous les côtés et plus particulièrement derrière +nous qu'en avant; nous aurions eu plus de facilité de retourner à Munich +que du côté de la France. Et quels étaient ceux qui nous bloquaient? +C'était une partie des paysans qui servaient à prendre nos parcs, les +convois de malades et de pauvres blessés; ils prenaient ce qu'ils +pouvaient avoir et de suite les mettaient à mort. Ils nous coupaient les +routes dans lesquelles nous devions passer, par de grands fossés et des +abattis d'arbres qu'ils croisaient dans la route, pendant que les +Autrichiens et la légion de Condé nous faisaient user le reste de nos +munitions afin d'avoir plus de facilité de nous prendre. Ils se +croyaient les plus forts, mais ils s'étaient bien trompés, car si ce +n'est qu'on a voulu en sortir avec tous les vivres et convois, composés +de quantité de voitures chargées de toutes sortes, l'armée impériale ne +nous aurait pas arrêtés un seul jour. Ils avaient de même envoyé des +proclamations dans tous les pays que nous avions conquis, où ils +disaient aux paysans que l'armée française était presque toute en leur +pouvoir; qu'ils en avaient pris une grande partie entre Augsbourg et +Munich; qu'il n'y avait plus que trois mille hommes qui s'étaient +échappés, et qu'ils ne savaient pas où battre en retraite; voilà +pourquoi les paysans s'étaient empressés de s'armer contre nous. + +Étant dans cette position, nous avons fait encore plusieurs mouvements, +allant du côté de Munich, mais nous n'avons rencontré aucune troupe. + +2 _complémentaire_[49]. Nous avons été à quatre lieues, suivant la route +de Munich, et nous avons campé près du village d'Andelheim. + +3.--Partis en retraite sur Fridberg; où nous avons passé la rivière +nommée le Negel; le même jour les ponts étaient rétablis. Nous ne sommes +pas passés dans la ville d'Augsbourg, nous en avons fait le tour; elle a +des remparts très hauts. + +Le même jour, nous sommes venus camper à deux lieues de ce côté-ci, sur +la route de Gunzbourg. + +4.--Sortis à deux heures du matin pour venir sur les hauteurs de +Gunzbourg où nous avons campé dans les terres labourées. + +5.--Partis à huit heures du matin, nous avons passé dans la ville de +Gunzbourg; nous avons été prendre une position à trois lieues de là, +bordant le Danube. + +1er _vendémiaire_, an V.--Partis à huit heures du soir pour la ville +d'Ulm, où nous sommes arrivés à deux heures du matin. Nous avons +traversé la dite ville à six heures pour venir prendre une position tout +près. C'est là que tous les parcs et convois se sont réunis; et l'armée +est venue passer pour que chaque division prenne la marche indiquée par +le général Moreau pour faire un débouché pour le passage des convois, +partie de la troupe se battait en attendant que l'autre partie défilât +avec les parcs[50]. + +Notre position était à la droite de la ville, qui n'a que de petites +fortifications et n'est pas capable de soutenir un siège. Nous sommes +partis de notre position le 3, à onze heures et demie du soir, pour +continuer notre retraite sur Fribourg en Brisgau. Nous avons campé à une +demi-lieue d'Ulm; nous avons pris la traverse pour favoriser +l'évacuation de nos parcs. + +4.--Nous sommes arrivés près d'un passage du Danube, à huit heures du +soir, où l'ennemi voulait forcer notre ligne et nous couper notre +retraite. Depuis le matin jusqu'à neuf heures du soir, la fusillade et +le canon n'ont cessé de jouer, de sorte qu'ils n'ont pas pu passer. Nous +avons campé ce jour-là dans un bois, à sept lieues d'Ulm. Étant dans +cette position, nous avons fait plusieurs mouvements tant de jour que de +nuit pour en imposer à nos ennemis. + +6.--Sortis de ce camp à une heure de l'après-midi, nous sommes venus +camper auprès d'une grosse abbaye qui est à cinq lieues de Waldsee, en +avant. + +7.--Partis à une heure du matin, nous sommes allés camper à deux lieues +de Waldsee, sur la gauche. + +8.--Sortis de ce camp à une heure du matin pour nous rendre sur des +hauteurs à gauche de Ahldorf; ce village est situé près des grands +marais et vis-à-vis d'un parc. C'est dans ces environs que notre colonne +s'est réunie, de manière que lorsque la colonne se mettait en marche, +elle était divisée sur plusieurs points, pour deux ou trois jours; et +après il y avait un point de ralliement. Je dirai que dans ce village de +Ahldorf le feu a pris à une grosse maison pendant la nuit. + +9.--Partis à dix heures du matin. La troupe, qui marchait avant nous, a +fait rencontre de l'ennemi, ce qui a un peu ralenti notre marche. À la +première attaque, il a fait beaucoup de résistance, mais après quelques +heures de combat il a été obligé de se reployer, mais sans abandonner la +route sur laquelle nos convois devaient passer. Notre avant-garde s'est +avancée et leur a fait abandonner leurs positions. Nous avons campé ce +jour-là près le village de Berg, hauteur assez considérable, du côté +opposé à l'ennemi, qui était sur la route immédiatement près l'abbaye de +Vincastel, dans la Souabe. + +Durant le temps que nous avons occupé cette position près le village de +Berg, nous avons fait plusieurs mouvements de droite et de gauche pour +nous éclairer sur la marche de nos ennemis. + +Le général Moreau, qui voyait que ces mouvements de la part de l'ennemi +rendaient sa retraite dangereuse, les fit attaquer le 1er octobre sur +toute la ligne près de Biberach, et lui enleva vingt canons, des +drapeaux et environ cinq-mille prisonniers, parmi lesquels soixante-cinq +officiers; à cette affaire, c'était le général Latour qui commandait les +Autrichiens. + +14.--Partis de Berg à huit heures du matin, nous sommes venus camper à +six lieues en avant de Stockach. + +15.--À quatre heures du matin, nous sommes venus camper sur les +hauteurs, à deux lieues de Stockach. Il faut remarquer que nous ne +pouvions faire beaucoup de chemin parce qu'il fallait que notre +avant-garde fît une ouverture parmi l'ennemi, et débarrassât les routes +pour faire passer nos convois. + +16.--Partis à cinq heures du matin pour camper sur les hauteurs, à un +quart de lieue de Stockach, du côté de la route de Fribourg. Je dirai +que c'est dans ces environs que nous avons eu plusieurs convois de +malades ou de blessés égorgés. + +Ces pauvres malheureux étaient couverts de blessures et sans défense. +Les infâmes se vengeaient sur eux des fléaux de la guerre qui avait +dévastée leur contrée. Mais qu'ont-ils gagné, ces esprits faibles qui se +sont laissé séduire par les écrits que leurs seigneurs et leurs émigrés +leur avaient envoyés en leur disant que s'ils pouvaient nous arrêter, la +guerre serait bientôt finie et qu'ils seraient affranchis pendant deux +ans de tout impôt? Ils étaient tellement pénétrés qu'il n'y avait plus +qu'à serrer la main pour nous prendre, qu'ils quittaient tous leurs +chaumières et se mettaient de tous les côtés sur la route, les chemins. +Tout était bien gardé. Les femmes, les filles, les enfants, enfin tous +s'y mettaient, et l'armée autrichienne les secondait dans leurs mauvais +desseins. + +Ils sont venus un jour pour prendre notre magasin de poudre qui était +près de cette ville avec plusieurs pièces d'artillerie de réserve, et +aussi celles que l'on avait prises à l'ennemi et que l'on n'avait pas eu +le temps d'évacuer; mais ils ont été bien reçus. Il s'est trouvé +quelques-unes de nos troupes dans les environs, ils ont été repoussés et +se sont retirés dans les bois des environs. Dans les villages d'où ces +misérables étaient partis pour nous couper notre route, on a brûlé +quelques unes de leurs maisons et on a pillé les autres. + +Nous sommes sortis du camp de Stockach après que tout a été sur des +voitures, et qu'il ne restait plus rien dans le magasin. C'était le 17, +à onze heures du matin, que nous avons suivi la route de Fribourg, et +que nous sommes venus camper à deux lieues et demie de ce côté-ci de +Stockach, près d'un village où tous les habitants étaient partis dans +les bois pour nous couper notre retraite. Dans cet endroit, nous avons +eu des blessés égorgés; pendant la nuit quelqu'un a mis le feu à une +maison. Étant dans cette position, nous avons passé en avant du village +et nous avons attendu notre arrière-garde. + +18.--À une heure de l'après-midi, nous avons campé sur les hauteurs en +avant de Lemmingen où on nous faisait espérer des vivres; on a trouvé +dans cette ville un seul homme et point de vivres. Je dirai qu'on a +brûlé environ vingt-quatre maisons; la pluie nous avait pris près de la +ville de Hoch, et la nuit que nous avons été camper sur les hauteurs de +la ville de Lemmingen a été abominable; la pluie emmenait toute la terre +de notre camp dans la colline. + +19.--Partis à une heure du matin, nous avons défilé au milieu des +maisons tout en feu, et nous sommes venus camper sur une montagne très +haute. + +20.--Descendus de cette montagne, pour aller camper dans la plaine près +le Danube où l'ennemi nous est venu attaquer vers les huit heures du +matin. Le 21, après plusieurs heures de combat, nous les avons +repoussés; après, nous avons continué notre retraite. Le combat à notre +droite a été plus engagé que le nôtre, mais ils n'ont pas pu percer +notre ligne qui était près la route où nos parcs et convois défilaient. +Nous avons continué notre retraite, mais je dirai que, l'ennemi nous +suivant de près, nous avons été obligés, par plusieurs reprises, de +marcher en colonne et de nous mettre en bataille lorsqu'il se trouvait +des obstacles où l'on ne pouvait pas tous marcher ensemble; les uns +battaient en retraite et les autres observaient. + +Ce jour-là, nous sommes venus camper près d'une petite ville, à trois +lieues de Neustadt; là nous sommes arrivés la nuit par une pluie +continuelle et des chemins presque impraticables. + +22.--Partis de cette position à trois heures du matin, pour venir camper +du côté de Neustadt, le long du revers de la montagne, dans une gorge de +la forêt Noire, sur la route de Fribourg. + +23.--Sortis à midi, nous sommes venus camper sur le revers d'une +colline, à gauche de la route de Fribourg. + +26.--Partis à dix heures du matin pour venir camper dans la gorge de +Fribourg. À une demi-lieue, sur la route, il y avait de grands hangars +qui servaient de magasins pour l'armée impériale, et comme ils étaient +vides, nous nous en sommes servis pour nous mettre à couvert. Notre +arrière-garde s'est bien battue dans cette gorge, aux environs de +Neustadt. + +28.--Partis à midi, nous sommes passés près des faubourgs de Fribourg; +de suite nous avons été camper dans une gorge tenant à gauche de la +route de Brisach. Notre position était près d'un couvent de religieuses, +qui était dans le fond de la gorge. + +30.--Sortis le 30, à deux heures du matin, nous avons pris la route de +Huningue. Vers huit heures du matin, notre arrière-garde a été attaquée +par l'ennemi, près du faubourg de Fribourg. Au petit point du jour, on +nous a mis en bataille derrière un village situé près la route de +Huningue et au pied de la montagne de Fribourg. L'attaque du matin a +duré toute la journée; en nous retirant, nous avons campé ce jour là +dans la broussaille, le long de la montagne, à quatre lieues de la ville +de Fribourg, sur la gauche de la route de Brisach. + +1er _brumaire_.--Nous avons pris la traverse dans les montagnes du +marquisat du Brisgau, pays de Bade, tenant à la forêt Noire. Nous sommes +venus camper sur les hauteurs d'une montagne à quatre lieues d'Huningue. + +2.--Nous avons fait un mouvement à huit heures du matin. Nous sommes +venus camper dans le fond du vallon, à une demi-lieue du village. Nous +étions divisés sur plusieurs points pour observer les manoeuvres de +l'ennemi (mais en cas d'attaque, on se réunissait sur un point). + +8.--À cinq heures du matin, l'ennemi est venu nous attaquer sur +différents points; en premier lieu nous avons repoussé l'ennemi; il nous +a repoussé un instant après dans notre position où ils nous ont fait +quelques prisonniers. On a soutenu longtemps dans le même endroit, mais +comme ils avaient beaucoup d'artillerie dans une belle position sur la +hauteur, qui leur donnait beaucoup d'avantages sur la nôtre, à peine +pouvait-on trouver un emplacement pour se mettre. La pluie continuelle +rendait le terrain très mouvant, et comme il y avait différentes +collines à garder, dans des bois où l'on n'y voyait pas la moindre +clarté, l'ennemi ne cherchant qu'à nous couper notre retraite sur +Huningue (car sur la route de Brisach, le canon s'est fait entendre, +comme sur notre colline, et je crois même encore plus fort), je dirai +que le feu a été très soutenu de part et d'autre toute la journée; nous +avons perdu quelques hommes, mais la plupart étaient des blessés. Nous +avons exécuté plusieurs marches sur la droite et sur la gauche de la +colline; une grande partie des bataillons étaient en tirailleurs, +lorsque le soir est venu. + +On a cédé le village devant lequel nous étions. Je crois, si ce jour-là +n'avait pas eu de nuit, que le feu n'aurait pas cessé. C'est l'obscurité +qui a fait la fin de notre journée. La pluie a commencé avec l'attaque +et a duré vingt-quatre heures; vers la fin, à peine la poudre +voulait-elle prendre. On croirait peut-être comme on s'est battu toute +la journée, que l'ennemi nous a poussés bien loin; eh bien, dans toute +la journée nous avons reculé d'une demi-lieue; voilà tout le progrès de +l'ennemi. Pour la perte des hommes, je crois qu'elle a été égale. + +À sept heures du soir, nous avons pris notre retraite. La route sur +laquelle nous devions passer traversait le village que l'ennemi +occupait, et, pour la rejoindre, il y avait plusieurs obstacles, mais +tout de même il a fallu les franchir. + +3 _brumaire_.--À sept heures du soir, nous nous sommes mis en marche +pour rejoindre la route: nous avons traversé un bois; de là, nous sommes +descendus dans le fond d'une colline très profonde où nous avons trouvé +une rivière qui avait environ quinze pieds de large et trois pieds de +profondeur; cela n'a pas longtemps retardé notre marche (nous étions +déjà percés de la pluie de la journée), nous avons franchi cet obstacle. +Il se trouvait encore un petit ruisseau au pied d'une assez forte +éminence qui était garnie de ronces et d'épines; il fallait y monter à +quatre pattes; et bien des fois, étant presque en haut on retombait en +bas. En haut on trouvait la route, mais une patrouille de sept cavaliers +ennemis venait à notre rencontre. Aussitôt notre adjudant major, nommé +Scherer, crie au premier: _Qui vive!_--Il répond dans sa langue: +_Verda!_--Ledit adjudant lui dit: _Prisonnier!_--_Nix +prisonnier._--_Rends-toi, coquin!_ lui dit-il.--_Nix coquin!_ Aussitôt +il pique des deux et va rejoindre ses camarades qui étaient encore plus +avant dans la route. Aussitôt, ils sont revenus au grand galop et ont +passé parmi nous, sans recevoir un coup de fusil, car les armes étaient +si mouillées de toute la journée et du passage de la rivière, qu'elles +ne pouvaient plus faire feu, et puis on n'y voyait pas clair. Dans la +boue à mi-jambes, nous avons continué notre retraite, environ à deux +lieues d'Huningue. Tout mouillés que nous étions et sans vivres, nous +avons campé dans des sapins tout près de la route. + +4.--De cette position, à quatre heures du matin, nous sommes venus sur +les hauteurs près de Lorrach pour camper. L'ennemi était sur nos traces +et voulait passer avant nous le Rhin, mais comme le pont nous +appartenait, nous avons voulu y passer avant eux. + +5.--Partis à minuit pour nous rendre près le pont d'Huningue vers cinq +heures et demie du matin. Lorsque est venu notre tour, à huit heures du +matin, nous avons passé le pont qui était construit de trente-sept +grosses barques.--Je dirai que nous étions de la division du général +Férino pendant la campagne de l'autre rive du Rhin. Pendant notre +retraite, nous avons eu vingt jours de pluies continuelles. + +Lorsque nous avons eu repassé le Rhin, nous avons été nous reposer près +le village de Bourgfeld, sur la route de Bâle et d'Huningue, pendant +cinq heures. Le soir, nous avons été loger au Village-Neuf, sur le Rhin, +à une demi-lieue à gauche d'Huningue. Pendant que nous étions sur +l'autre rive du Rhin, on avait découvert les anciennes fondations d'un +fort qui était sur le bord du Rhin et près le territoire de Bâle, on +avait relevé l'ouvrage à cornes et le fort où on avait mis de fortes +pièces pour défendre la tête du pont. Cet ouvrage était enclos d'un bon +fossé plein d'eau; on avait aussi commandé une forte redoute en avant +d'Huningue, pour défendre l'approche du fort nouvellement +construit.--Ces ouvrages ont retenu la colonne autrichienne pendant tout +l'hiver[51]. + +Comme nous voilà rentrés en France, et que l'ennemi ne nous poursuit +plus, je vais faire un petit détail sur le costume des deux sexes du +Brisgau et de la Forêt-Noire. + +La situation des habitants de la frontière est très simple, et ils +vivent contents dans leurs petites chaumières; le bois ne manque pas, +mais, pour la terre, elle n'y est pas bien commune: ils en ont quelque +peu sur le sommet de quelques hautes montagnes, où ils sèment du seigle +avec un peu de blé; dans la vallée, ils plantent des pommes de terre. Le +pâturage y est assez frais, aussi ils ont presque tous des vaches. Les +maisons ne sont pas bien épaisses et construites en bois; lorsqu'un père +de famille marie ses enfants, il leur construit des petites maisons aux +environs de la sienne; mais ils font cela quand la famille ne peut plus +tenir dans la maison paternelle. + +C'est un vrai désert, aussi le monde qui l'habite est aussi brute que +sont leurs habitations; la plupart n'ont aucune éducation; comme la +nature les a créés, ils restent. Les hommes sont habillés grossièrement, +ils portent sur la tête un petit chapeau de paille, des cheveux courts +et tout hérissés; leurs chemises de toile très forte sans cols, car on +ne leur voit jamais rien autour du cou. Leur culotte, très large avec +des plis tout autour qui leur font des genoux gros comme la tête, est +froncée comme une bourse. Ils ne portent rien aux jambes, et aux pieds +ils ont des souliers aussi durs que du bois; les semelles ont deux +doigts d'épais, et bordées de gros clous tout autour. Ils ont des gilets +qui leur tombent au milieu des cuisses; des habits moins courts qui se +boutonnent tout le long; et les poches battent au bas du ventre. Cet +habillement est tout en toile, la plupart du temps tout noir; aussi ils +ressemblent à des charbonniers. Les femmes et les filles ont pour +coiffure un petit chapeau de paille à quatre cornes, comme une espèce de +_carquelin_[52]. Elles portent leurs cheveux en deux tresses tirées très +près de la tête, qui est grosse comme celle d'un veau de deux mois; une +encolure de même; leur gorge est parée par une grosse chemise, brodée +d'une grosse dentelle, avec un corset rouge où sont enfermés des appas +très gros, qu'elles fagottent comme un fagot. Les jupes qu'elles portent +sont de différentes couleurs: elles en mettent trois, la plus grande ne +passe pas les genoux, la deuxième un peu plus haut, la troisième va au +bas du nombril; elles sont brodées chacune d'une tresse large de +différentes couleurs. Le plus souvent elles vont toutes déchaussées; +elles ont des souliers hauts avec de forts clous. Leur nourriture est le +lait, le lard et la choucroute. Nous avons logé dans leurs maisons en +allant sur le lac de Constance; ils avaient toujours les yeux sur nous, +parce que nous étions costumés différemment qu'eux. + +Dans le Brisgau, le peuple n'est pas si grossier, ni le costume non +plus; la terre y est plus fertile et il y a encore du beau seigle, mais +la mode du costume n'est guère différente. + +6 _brumaire_.--Sortis du Village-Neuf, à midi, pour venir cantonner au +Grand-Kembs, village situé à une demi-portée de fusil du Rhin, à trois +lieues à gauche d'Huningue, sur la route. Pendant notre retraite, nous +avons eu vingt jours de pluie continuelle. + +14.--Sortis du Grand-Kembs pour appuyer à gauche à huit heures du matin, +nous avons logé à Sausheim, le 15, à Blodelsheim; le 21, avec quatre +compagnies, cantonné à Fessenheim. Ces villages sont entre Huningue et +Brisach, sur la route suivant le Rhin. + +25.--Partis de Fessenheim pour venir cantonner à Biesheim, tout le +bataillon. Ce village est à une demi-lieue de Brisach, à gauche. + +7 _frimaire_.--Partis de Biesheim, à onze heures du matin, pour +Witternheim, à sept lieues de Strasbourg et à deux lieues du Rhin. + +11.--Sortis de Witternheim, nous sommes venus loger à Nordhausen, à +quatre lieues de Strasbourg. + +12.--Sortis à deux heures du soir pour nous rendre au fort de Kehl. Là, +nous avons relevé la 31e demi-brigade qui était campée à gauche du fort, +dans une île du Rhin. La 31e nous a relevés au bout de trois jours: de +sorte que tous les trois jours, nous nous relevions, jusqu'à l'époque du +30 frimaire, où nous avons commencé à nous relever tous les quatre jours +parce que le froid n'était plus si dur. Mais aussi, plus on se relevait +souvent, plus on perdait de monde, car l'ennemi tirait sans cesse, nuit +et jour; cela semblait un orage. + +Lorsqu'on était relevé, on allait passer autant de jours dans le village +de Bischheim; il y avait deux lieues de chemin pour passer sur le pont +et gagner notre camp qui était à deux lieues de Strasbourg, à gauche. + +9 _nivôse_.--Le général a fait assembler les officiers de notre +bataillon qui était le premier, et les a conduits sur la droite de Kehl +pour leur faire voir le retranchement de l'ennemi que nous devions +enlever pendant la nuit. Les dits officiers ont pris les mesures +nécessaires pour conduire leurs compagnies sur le terrain, et +s'acquitter de cette besogne. Tous les obstacles étaient prévus; ils ont +prévenu leurs compagnies de ce qu'elles avaient à faire pendant la nuit. +On a fait la distribution de nouvelles cartouches et pierres à feu; et +de suite une ration d'eau-de-vie par chaque homme, à minuit. Dans ce +moment, on a assemblé les compagnies dans le plus grand silence, et le +bataillon s'est mis en route sur-le-champ pour aller sur le terrain qui +était à une demi-lieue de notre camp, à la droite du fort, où nous +sommes arrivés à deux heures du matin. Étant vis-à-vis le retranchement +que nous devions prendre, on nous a formés en bataille à une portée de +pistolet, on nous a fait porter à droite et, dans le même moment, on a +fait front et on s'est porté sur le retranchement de l'ennemi en +exécutant un feu de peloton; on le leur a pris sans beaucoup de +résistance de leur part, et on leur a fait quelques prisonniers. Pour le +nombre des blessés et des morts, on ne l'a su que par des déserteurs qui +ont rapporté qu'ils avaient eu dans cette affaire environ 400 hommes +hors de combat. + +Nous nous sommes retirés sans y être forcés; nous sommes venus derrière +nos retranchements: nous avons laissé les lieux tels que nous les avions +trouvés. Notre bataillon a perdu dans cette affaire quarante-huit hommes +tant tués que blessés. Ceci a eu lieu le 10, à trois heures du matin et +nous sommes rentrés dans notre camp à six heures et demie du matin. Nos +deux autres bataillons ont fait la même chose les jours suivants, mais +avec moins de pertes. + +Nous avons continué le service de cette place jusqu'au 20 nivôse, où +nous avons été relevés à quatre heures du matin. Car depuis que les +Autrichiens nous avaient pris un camp retranché qui était à la droite du +fort, leur mitraille mettait en pièces tout ce qu'ils voyaient sur le +pont dès la pointe du jour. Ils ont fait un feu avec leurs canons que la +terre en tremblait. Entre sept et huit heures du matin, il y avait +quatre barques de brisées à notre pont. Dans ce moment, il est venu un +parlementaire au général qui commandait le fort et le sommait d'évacuer. +Les généraux se sont assemblés, et se voyant dans l'impossibilité de +conserver ledit Kehl plus longtemps sans y perdre bien du monde, à cause +des canons de notre ennemi, sont convenus qu'on allait évacuer le fort. +Cela s'est fait dans les vingt-quatre heures, du 20 au 21 nivôse; et les +troupes de l'empereur en ont pris possession suivant les arrangements +convenus entre les deux puissances. En sortant de Kehl, nous sommes +venus loger dans nos campements ordinaires qui étaient à Bischheim. + +Je dirai que ce siège nous a donné bien de la peine. La rigueur de +l'hiver semblait seconder nos maux; la neige, la pluie glacée venaient +s'appesantir sur notre léger habillement, et c'était là le temps qu'il a +fait pendant ce siège. Nous devrions être bien habitués au froid; nous +étions campés sur le sable et nous ne pouvions pas avoir de bois pour +faire notre soupe; nous arrachions quelques petites racines du sol qui +nous faisaient plutôt de la fumée que du feu; vraiment c'était misère et +compassion[53]. Nos prêts étaient arriérés de plusieurs mois et nous ne +recevions pas un sou. + +C'est pendant cette quarantaine que le vrai républicain s'est distingué, +en y tenant son rang avec bravoure, malgré le temps rigoureux de la +saison d'hiver et la misère qui nous poignardait de tous côtés. Oui, +beaucoup de citoyens le diront comme moi, sans se compromettre, que +c'est dans ce poste d'honneur que l'on a pu connaître les vrais soldats, +et l'amour qu'ils avaient pour le maintien de leur pays. L'endroit était +périlleux. Un peu de pain glacé était là toute notre nourriture, cet +endroit ne permettait pas d'y trouver du bois pour pouvoir un peu +réchauffer nos pauvres membres tous navrés de froid au bivouac. + +Pour nous, pauvres héros, les habillements et les chaussures manquaient +depuis très longtemps, sans pouvoir en avoir; et la plupart de nous +n'ayant pas d'argent pour s'aider d'aucune manière; car il y avait trois +mois qu'on n'avait touché de solde. + +Après avoir fait mention de nos généreux guerriers, je parlerai de ceux +qui ont, dans ce moment, abandonné si lâchement leurs drapeaux pour +retourner dans leurs foyers. Ils ont profité du moment où leur patrie +avait le plus besoin de leurs services pour exécuter leurs projets. Ce +ne sont pas les plus misérables soldats qui ont agi de la sorte; c'est +ceux qui avaient tenu une conduite de brigands de l'autre côté du Rhin, +qui avaient pillé et assassiné des hommes paisibles dans leurs foyers. +Ils avaient de l'argent dans les mains, c'est pourquoi ils ont fui +devant l'ennemi. Mais ces lâches ont été bien peu regrettés, on a +regardé cela comme du venin qui sortait du corps d'un homme qui était +empoisonné, et ils se sont rendus indignes du nom français, et de +l'estime de leurs camarades. Je sais qu'il n'y a pas beaucoup de +citoyens soldats qui ne désirent retourner au centre de leurs familles, +mais enfin ce sera-t-il en quittant nos drapeaux et en nous sauvant +comme des brebis égarées, que nous soumettrons à la paix des hommes +orgueilleux. + +Ils savent bien qu'elle leur serait utile, cette paix, mais la +demanderont-ils en voyant la désunion dans nos troupes? Non! Je crois +qu'il n'y a que l'union et la fermeté dans nos entreprises qui les +forcera à nous demander la paix. + +C'est dans le courant du mois de frimaire, an V de la République, que +les désertions pour l'intérieur de la France étaient fréquentes dans +l'armée de Rhin-et-Moselle. + +Kehl était une belle petite ville, très commerçante; pendant le siège +elle a été rasée de fond en comble; des bourgeois y étant venus, ne +reconnaissaient pas l'emplacement de leurs maisons. + +Nous avons entretenu l'armée autrichienne pendant une partie de l'hiver, +où elle a épuisé une partie de ses forces. Ce siège a été soutenu par +notre armée pour favoriser la prise de Mantoue qui était bloquée par +l'armée d'Italie, il y avait déjà longtemps, et le prince Charles n'a pu +lui porter du secours. + +24 _nivôse_.--Nous sommes partis de nos cantonnements des environs de +Strasbourg à sept heures du matin; nous avons été loger au village +d'Obenheim, situé à cinq lieues de Strasbourg. + +25.--Sortis à quatre heures du matin pour loger au village de Bootzheim, +à quatre lieues de Brisach. + +29.--Partis à onze heures du matin pour aller prendre notre rang de +bataille à Artolsheim, village à quatre lieues de Brisach, à gauche sur +la route. Étant dans ces cantonnements, nous bordions le Rhin. + +25 _pluviôse_.--Partis pour aller à Sundhausen, village à une lieue du +Rhin, sans y faire de service. + +5 _ventôse_.--Sortis pour aller au village de Westhausen. C'était un +commissaire du pouvoir exécutif du canton qui nous y avait fait aller, +soi-disant qu'il ne voulait pas payer ses contributions. Ce village est +situé à une demi-lieue de Benfeld, à gauche, près la route de +Strasbourg. + +6.--Partis à huit heures pour retourner dans notre cantonnement, à +Sundhausen. + +10.--Partis à cinq heures du matin pour cantonner au village +d'Artzenheim, à une lieue de Markolsheim sur le Rhin. + +17.--Partis, nous avons été loger à Biesheim, village à une demi-lieue +de Brisach, où tout le bataillon était réuni. Nous sommes partis le 19 +pour nous rendre à Wihr, village situé à trois quarts de lieues de +Colmar. + +22.--Sortis de Wihr pour loger à Colmar. Pendant notre séjour dans cette +ville nous avons passé la revue du général Schauenbourg, qui était pour +le moment inspecteur général de toute l'infanterie de Rhin-et-Moselle. +Nous avons été cinq jours pour la passer. Le 23, au soir, chaque +capitaine a été placé par son ancienneté de grade dans chaque bataillon; +de sorte que la compagnie de Mondragon, qui était la cinquième du 1er +bataillon, est devenue la troisième du 2e; les autres jours se sont +passés à faire les grandes manoeuvres, avec la 56e demi-brigade. + +27.--Partis pour aller cantonner à Wettolsheim, derrière Colmar, au pied +des montagnes. Étant dans ce village, nous avons été faire deux fois les +grande manoeuvres avec la 56e demi-brigade, dans les prés près de Colmar. +Le 3 germinal, nous avons fait l'exercice à feu, les deux demi-brigades +ensemble; chaque soldat avait quinze coups à tirer. Après ces grandes +manoeuvres on est rentré dans ses cantonnements. + +5 _germinal_.--Logé à Reguisheim, village situé à trois quarts de lieue +de Ensisheim, à gauche. + +6.--Cantonné à Blodelsheim pour faire le service sur le Rhin; ce village +est à trois lieues de Brisach. + +27 _germinal_.--Partis de Blodelsheim le 27 germinal pour passer le +Rhin. Les postes sur le bord du Rhin de tous nos cantonnements n'ont pas +été relevés: on les a laissé tels qu'ils étaient, et on a pris la route +en arrière du Rhin. Nous avons été loger le même jour à Sainte-Croix, à +cinq lieues du Rhin; le 28 à Merckviller; le 29 à Châtenois, bourg dans +la montagne, près de Schelestadt; le 30 à Nordhausen. + +1er _floréal_.--Nous sommes arrivés à Kilstett: endroit désigné pour le +rassemblement de l'armée de Rhin-et-Moselle. Nous avons campé en +arrivant dans une île près le Rhin, sur la droite du village. La nuit du +1er au 2, à quatre heures du matin, nous avons reçu les ordres de passer +le Rhin. Dès le 1er floréal, on avait inquiété l'ennemi dans différents +endroits sur le Rhin, afin qu'il ne se doute pas dans quel endroit on +devait passer, ce qui a rendu notre passage plus aisé à exécuter, et +avec moins de pertes. Nous avons donc, malgré la grande résistance d'une +colonne autrichienne, passé le Rhin à quatre heures du matin, le 2 +floréal. + +Étant parvenus sur l'autre rive, et l'ennemi s'étant retiré dans +plusieurs îles du Rhin, favorisé par des bois très épais, on a disputé +pendant deux jours avec une intrépidité incroyable. Mais, après un si +long combat, l'ennemi a été forcé d'abandonner ses positions, après +avoir éprouvé des pertes considérables, tant blessés que tués ou +prisonniers; ils ont été en déroute complète. + +Nous avons aussi éprouvé quelques pertes à ce passage; entre autres deux +généraux de blessés[54]. Mais les soldats républicains qui n'ont point +succombé sous les coups de l'ennemi, ont su se venger du malheur arrivé +à leurs frères d'armes; on leur a fait voir que si on était moins en +nombre, on n'était pas moins en courage. + +3 _floréal_.--Ils ont abandonné le Rhin à cinq lieues, en nous laissant +une partie de leur artillerie et bagages; et sans les bois qui +favorisaient leur retraite, toute la colonne serait tombée en notre +pouvoir. + +Ce passage a été exécuté en plein jour et de vive force, l'ennemi étant +rangé en bataille sur l'autre rive. On lui a enlevé 20 pièces de canon, +plusieurs drapeaux et fait de trois à quatre mille prisonniers, parmi +lesquels deux généraux[55]. + +Le fort de Kehl, devant lequel le prince Charles avait épuisé ses +forces, a été repris par les Français après une résistance de quelques +heures de la part de l'ennemi[56]. + +Pendant que le vainqueur de l'Italie stipulait les articles +préliminaires de la paix, les armées des généraux Hoche et Moreau +chassaient l'ennemi partout où il osait lui disputer le terrain. + +4 _floréal_.--À quatre heures du soir, nous avons été devant la ville +d'Offenbourg, où nous sommes arrivés à onze heures du soir. + +À huit heures du matin, le général Bonenfant a reçu une lettre du +général de division, qui était pour annoncer à ses frères d'armes qu'une +armistice était conclue avec l'armée autrichienne, et que dès ce jour +les hostilités devaient cesser entre les deux armées; mais qu'on +garderait toujours ses postes tels qu'ils étaient établis, jusqu'à ce +que la paix fut conclue. + +Ce jour-là, on a reçu l'ordre de cantonner les troupes, et vers les cinq +heures du soir, nous sommes sortis du camp devant Offenbourg, pour aller +cantonner dans les villages aux environs, à droite. Notre deuxième +bataillon était au village de Weier, à une lieue. + +6.--Sortis à cinq heures du matin pour camper en avant, à Offenbourg. + +7.--Partis à neuf heures du matin pour cantonner dans les hameaux de la +Forêt-Noire, à deux lieues à gauche d'Offenbourg. + +9.--Partis à cinq du matin pour venir au village de Odelshofend, à une +lieue en avant de Kehl. Tout le temps que nous avons été dans ce +village, on allait démolir les retranchements que les Autrichiens +avaient construits pour le siège du fort de Kehl; ces travaux étaient +immenses; ajoutés l'un au bout de l'autre, il y en aurait eu quinze +lieues de long. Nous avons cédé la place à une autre demi-brigade, +chacun y faisant son tour. + +20.--Logé à Ortenberg, à une lieue en avant d'Offenbourg. + +23.--Cantonné à Ottenheim, à un quart de lieue du Rhin et à deux lieues +de la petite ville de Lahr appartenant au Margraviat. Cette principauté +était neutre depuis l'an IV ou 1796. + +1er _prairial_.--Partis à quatre heures du matin pour nous rendre +vis-à-vis Rhinau pour y passer le Rhin sur un pont volant qui était +rétabli. C'est là que la demi-brigade s'est réunie, et en même temps a +passé le Rhin; elle a été loger à Herbsheim près le bourg de Benfeld, à +quatre heures de Strasbourg. + +2.--Cantonné au village de Roderen, à deux lieues de Schlestadt, au pied +des montagnes. + +3 _messidor_.--Sortis pour aller en garnison à Neuf-Brisach et cantonner +sur les bords du Rhin; en y allant nous avons logé à Wihr, village à une +lieue de Colmar. + +4.--Partis à sept heures du matin, nous sommes venus loger à Biesheim, +grand village à une demi-lieue de Brisach. Nous sommes entrés cinq +compagnies du deuxième bataillon et cinq du premier en garnison à +Brisach. + +Le 5 messidor, à dix heures du matin, la fourniture de notre casernement +n'était pas bien brillante: c'était de la paille sur le pavé et quelques +couvertes. + +5 _thermidor_.--Étant dans cette ville, nous avons célébré la fête de +l'anniversaire de la révolution. La fête a commencé à six heures du +matin. On a battu _la générale_ dans toute la ville; à six heures et +demie _l'assemblée_; ensuite le _rappel_. Il a été envoyé un détachement +de canonniers aux pièces, près la porte de Strasbourg. Toute la garnison +a pris les armes, ainsi que la garde nationale, et tous se sont rendus +sur la place pour former le carré, en face de l'autel de la patrie, +qu'on avait construit la veille du côté de la porte de Bâle. Le cortège +est arrivé sur la place à sept heures: la marche était ouverte par un +peloton de cavalerie de la garde nationale; ensuite, les tambours et la +musique. Après, une compagnie de grenadiers de la garde nationale avec +la nôtre; après, c'était notre colonel, le commandant de la place, la +municipalité de Brisach et des villages voisins, décorés de leurs +écharpes. Pour fermer la marche, c'était un peloton d'infanterie et un +de cavalerie de la garde nationale. C'est au moment de leur entrée sur +la place qu'on a tiré plusieurs coups de canon de siège. Une partie de +nos officiers, les municipalités et plusieurs bourgeois de la ville sont +montés sur l'autel de la patrie; y étant assemblés, un des membres y a +fait un discours, qui rappelait entièrement la manière que la Révolution +française avait eu lieu, et comment les prêtres et les émigrés s'y +étaient pris pour faire une contre-révolution, que nous avions su +déjouer, mais qu'il fallait être toujours ferme dans notre opinion de +soutenir la nouvelle constitution. Ceci était les voeux de la garnison: +nous n'avions pas fait tant de sacrifices pour abandonner notre patrie à +de vils tyrans. Il faut cependant dire que la joie n'était pas générale, +à cause des peines que nous souffrions. Cette fête était cependant +glorieuse pour les Français, mais les soutiens de la patrie manquaient +du plus strict nécessaire; le prêt était arriéré de plusieurs mois, on +ne délivrait aucun vêtement, enfin nous manquions presque de tout. Ceci +pouvait bien faire régner la mélancolie parmi les troupes; aussi la fête +ressemblait à un enterrement. La fin du discours s'est terminé par: +_vivre libre ou mourir!_ et _vive la République!_ Ces cris n'ont été +répétés que par ceux qui étaient sur l'autel de la patrie; ensuite on a +commencé l'hymne de la _Marseillaise_ qui était répétée par notre +musique, mais les voix n'étaient pas unanimes, et cela a fini. + +Le cortège a été reconduit de la même manière qu'il avait été amené, et +la garnison est rentrée dans ses quartiers. À neuf heures du soir, le +même jour, notre musique s'est rendue sur la place où elle a joué +différents airs. Au même moment, les artificiers ont fait partir des +feux en l'air et plusieurs marrons se sont fait entendre, et plusieurs +autres fusées ont été envoyées parmi les spectateurs qui étaient sur la +place. Ces dernières serpentaient parmi le monde, ce qui a donné le plus +de divertissement de toute la fête; les femmes, qui sont ordinairement +si curieuses, fuyaient à l'aspect de ces fusées, car elles craignaient +que cela n'entrât sous leurs jupes. Après cela fait, les officiers de la +garnison ont donné un bal pour finir la fête. + +11 _thermidor_.--Nous sommes sortis de Brisach à huit heures du soir +pour aller cantonner à Ammerschwihr, village à trois lieues de Colmar, à +gauche, au pied des montagnes. Nous y sommes arrivés à cinq heures du +matin, le 12. Toute cette contrée était attaquée d'une grande maladie +sur les bêtes à cornes, comme vaches et boeufs. Des villages étaient +dépeuplés entièrement de ce bétail; on ne trouvait point de remède pour +cette maladie, ce qui affligeait beaucoup les habitants et les +cultivateurs. Toutes ces montagnes ne sont que des vignobles qui sont +d'un grand rapport; il y a aussi beaucoup de fruits de toutes espèces. +Dans le bas de ces villages, venant sur le Rhin, il y a de belles +plaines, qui sont assez fertiles en toutes sortes de grains et en pommes +de terre. + +10 _fructidor_.--Partis à quatre heures du matin pour nous rendre sur le +Rhin, au village de Baltzenheim, à deux lieues de Brisach. Arrivés le +même jour à dix heures du matin. Dans ce village, nous avons appris +qu'on avait fait la découverte des conspirateurs du repos public et de +la trahison de Pichegru[57] qui avait commandé à l'armée du Nord, où il +avait remporté de si brillantes conquêtes. Il voulait perdre dans un +moment ce qui nous coûtait tant de peines; il voulait livrer nos places +fortes aux Impériaux et à Condé, qui voulaient que ce fût lui seul qui +fît la contre-révolution en France. Mais aussi la trahison de Pichegru a +manqué, grâce à toutes nos armées qui avaient fait une pétition au +Directoire exécutif, ce qui a ranimé les coeurs des bons républicains +quand ils ont vu que les armées étaient encore pour le bon parti. + +Le 1er _vendémiaire_ an VI.--Jour qui ne devait plus être consacré à la +République, selon le complot des conspirateurs. Nous avons célébré avec +beaucoup de pompe la fête de l'anniversaire de la fondation de la +République. Voici le détail de la manière dont nous l'avons célébrée. + +Cette fête a été annoncée la veille au soleil couchant par une décharge +d'artillerie de position, et le lendemain une pareille décharge a été +faite au soleil levant. Vers les dix heures, la générale a été battue +dans tous les endroits où il y avait de la troupe; chacun a pris les +armes et s'est rendu sur la place de Brisach. Nos grenadiers étaient +avec la garde nationale de Brisach qui était composée de deux compagnies +et de deux pelotons de cavalerie. Notre musique et tous les tambours ont +été ouvrir la marche du cortège qui était composé de généraux, chefs de +brigade, officiers et autorités civiles de Brisach. La marche a été +ouverte par un peloton de cavalerie, et, après, un peloton de +grenadiers; ensuite les tambours et la musique. Puis une compagnie de +chasseurs à pieds de la garde nationale, qui était formé de petits +garçons de dix à douze ans très instruits, venait après. Puis, une +soixantaine de jeunes citoyennes du même âge marchaient sur deux rangs; +elles étaient vêtues en blanc, avec un ruban tricolore en écharpe et +tenaient dans leurs mains des panetières, remplies de fleurs, de +branches de chêne et d'olivier. Quatre petits garçons, aussi habillés de +blanc, marchaient en tête et portaient entre eux une grosse couronne de +chêne, de laurier et d'olivier surmontée d'un bonnet de liberté. Après, +venaient les généraux, la municipalité, les commandants, les officiers, +puis un peloton de grenadiers de ligne et la garde nationale; ensuite un +assez grand nombre d'hommes de cinquante à soixante ans, armés de +piques. Un peloton de cavaliers fermait la marche. Toute la troupe et le +cortège s'est rendu dans cet ordre sur la place, devant l'autel de la +patrie qui avait été établi le matin. Cet autel était construit par +derrière avec des branches de chêne; il avait douze pieds de diamètre; +les balustrades étaient couvertes de tapis de différentes couleurs; sur +l'autel, étaient placés des vases remplis d'encens, avec la déesse au +milieu. Sur le coin, devant l'autel étaient élevés des pilastres de +marbre, après lesquels étaient attachés huit drapeaux blancs sur +lesquels était peinte une urne renversée avec le bâton royal; sur +d'autres était un capucin tenant dans une de ses mains une croix, et +dans l'autre une torche ardente; sur le haut des pilastres étaient un +drapeau tricolore et un bonnet de liberté. + +Les principaux membres du cortège sont montés sur l'autel, et un d'entre +eux a fait un discours sur la fondation de la République, après quoi des +jeunes citoyennes qui étaient assises devant l'autel ont chanté une +hymne républicaine. Cela fait, les troupes ont défilé de la place pour +se rendre sur les glacis de la ville, à droite de la porte de +Strasbourg. À l'arrivée des troupes sur la place qui avait été désignée, +plusieurs décharges d'artillerie ont été faites. Les troupes étant +rangées en bataille, le général a fait mettre par divisions, en +colonnes; puis il nous a fait un discours pour nous féliciter de notre +bravoure et de notre intrépidité, en nous exhortant à continuer. C'est à +ce moment qu'il a renouvelé son serment d'être fidèle à la nouvelle +constitution; toute la troupe a aussi promis. De suite, il a fait +déployer la colonne pour faire des feux de bataillons et de file; le +canon faisait de même; chaque soldat avait douze coups à tirer. Après +ces feux finis, toute la troupe est rentrée dans ses quartiers. + +À huit heures du soir, trois coups de canon ont été tirés. Un +détachement armé de grenadiers s'est rendu près le feu d'artifice qui +était entre le Vieux-Brisach et le Neuf. Sur les glacis, toute la troupe +y a assisté sans armes, ainsi que toute la population de Neuf-Brisach et +des environs. Ce feu d'artifice a duré une heure et demie. Le feu fini, +chacun est rentré dans ses foyers. Pour célébrer cette fête, il y avait +deux bataillons de notre demi-brigade, une compagnie d'artillerie +légère, une compagnie ou deux de grosse cavalerie. + +Nous avons fait le service de la place de Brisach pendant quelque temps. +Ceux qui étaient à la ville venaient relever ceux qui étaient dans les +villages sur la rive du Rhin, et ceux des villages revenaient à la +ville, car la garnison n'était pas bonne. De la paille sur le pavé et +des couvertes servaient pour coucher; l'hiver il y faisait froid, et +l'été c'était rempli de puces; mais, dans les villages, quoiqu'ils +fussent pauvres, on y était encore mieux. Nous étions une compagnie par +village selon le service qu'il y avait à faire sur le Rhin. + +17 _vendémiaire_.--Sortis de Baltzenheim pour aller en garnison à +Brisach, nous y sommes arrivés à sept heures du matin. On nous a annoncé +que l'armée de Sambre-et-Meuse et celle du Rhin-et-Moselle ne faisaient +plus qu'une, qui se nommait armée d'Allemagne, commandée en chef par le +citoyen Augereau. + +Détails de la fête qui a eu lieu le 30 vendémiaire an VI de la +République française. Nous l'avons célébrée à Neuf-Brisach, en l'honneur +du général Hoche, un des grands hommes que la République a perdus. Il +est mort dans les environs de Paris[58]. + +Cette fête de reconnaissance a été annoncée la veille par plusieurs +décharges d'artillerie; le lendemain 30, à six heures du matin, une +décharge d'artillerie s'est faite de quart d'heure en quart d'heure; les +cloches de la ville ont été sonnées pendant une heure. À dix heures, les +autorités civiles et militaires se sont assemblées et se sont rendues à +la maison communale où tout le monde devait se réunir. Quand tout a été +prêt, on s'est mis en marche; le cortège était ouvert par un détachement +de cavalerie de la garde nationale, ensuite venaient les vieillards +rangés sur deux rangs; le premier qui marchait à la tête portait une +bannière sur laquelle était écrit: _Nos enfants suivront son exemple_. +Marchaient après eux des jeunes femmes habillées de blanc, un crêpe en +écharpe; un petit garçon de sept à huit ans portait une bannière, sur +laquelle était écrit: _Il était bon père et bon époux_.--Après eux +marchaient une quantité de jeunes filles de huit à onze ans, aussi +habillées de blanc; elles portaient dans leurs mains des guirlandes de +laurier et de chêne, et de petites corbeilles remplies de toutes sortes +de fleurs. Après venait notre musique qui jouait des airs funèbres; +après venait un char de triomphe attelé de deux chevaux gris-souris avec +harnachements de deuil; aux quatre coins étaient placés quatre jeunes +citoyennes âgées de onze à douze ans, bien mises, coiffées en cheveux, +avec une guirlande de roses par dessus; un ruban très large, tricolore, +mis en écharpe. + +Ces quatre citoyennes portaient chacune une bannière, sur laquelle on +avait inscrit: 1e _Il allait être le Bonaparte du Rhin_; 2e _Immortel +après sa destinée_; 3e _Il a inspiré la terreur aux rois.--Son ennemi +fuit devant sa vaillance_.--Au milieu du char était placé en effigie le +cercueil couvert d'un drap mortuaire; dans l'un des bouts était écrit: +_ici git Hoche_. Son portrait était au bas de cet écriteau; au milieu +dudit cercueil était placé un chapeau bordé en or, avec le panache +tricolore qui est la coiffure de nos généraux. Les coins du drap +mortuaire étaient portés par les quatre plus anciens de service, pris +parmi les officiers et soldats indistinctement. Les estropiés qui se +sont trouvés dans les dépôts, qui étaient à Brisach, suivaient le char. +Ensuite, venaient les tambours voilés en noir, qui exécutaient de temps +en temps des roulements sombres. Ensuite venaient les généraux, les +officiers de la garnison et les autorités civiles; il y avait un +détachement de cent hommes faisant la haie, et un détachement de +grenadiers qui suivait le cortège sur deux rangs; le reste de la troupe +était sans armes. + +Après avoir fait le tour de la ville en dedans, tout le cortège a été +conduit à l'église; on a placé l'effigie de cercueil sur un autel de la +patrie qui avait été préparé, et tout le tour était décoré de larmes. La +musique a joué plusieurs airs funèbres. Puis on nous a fait le détail de +la manière dont on avait fait l'enterrement à Paris, et comment toutes +les communes de la République devaient célébrer une fête de +reconnaissance pour le général Hoche. Ce discours fini, les jeunes +citoyennes ont chanté plusieurs hymnes funèbres et républicaines. Puis +notre chef de demi-brigade a fait un discours où il a rappelé plusieurs +traits de bravoure du citoyen Hoche; ensuite la musique a joué à +plusieurs reprises, pendant que toutes les jeunes citoyennes porteuses +de guirlandes, de couronnes de laurier et de branches de chêne, les +déposaient autour du cercueil et par-dessus. Ceci a été exposé plusieurs +jours à l'église, et chacun s'est retiré dans ses logements. + +Dans le même temps, nous avons appris la paix avec l'empereur. C'était +le 5 brumaire (27 octobre), par une lettre venant du Vieux-Brisach, qui +avait été envoyée au commandant des troupes autrichiennes qui étaient +pour le moment dans la principauté du Margraviat. Cette lettre disait +que la paix était faite avec la République française depuis le 17 +octobre 1797[59]. Nous l'avons appris de nouveau par les gazettes qui +venaient de Paris le 12 brumaire. + +Cette paix nous a été publiée le 25 brumaire (15 novembre), à dix heures +du matin, à Neuf-Brisach. On n'a fait aucune réjouissance pour le +moment; la fête a été remise au 30 nivôse, elle s'est célébrée avec +toute la pompe possible, selon les préparatifs. + +1er _frimaire_.--Partis de Brisach pour nous rendre dans nos +cantonnements sur la ligne du Rhin; notre compagnie était toujours à +Baltzenheim. + +1er _nivôse_.--Partis de nos cantonnements pour nous rendre à +Neuf-Brisach pour relever nos quatre compagnies. + +25.--Partis de Brisach, le 25 nivôse, pour nous rendre à Strasbourg, +toute la demi-brigade. Nous avons logé en y allant, le 25, à +Schelestadt; le 26 à Erstein, le 27 à Strasbourg; là on a reçu des +ordres pour aller cantonner dans des villages à trois ou quatre lieues +de Strasbourg, sur la gauche; le 28, nous avons été chacun dans les +villages qui nous étaient désignés; notre compagnie était à Kirchheim, à +trois lieues de Strasbourg. + +6 _pluviôse_.--Sortis de ce village pour aller cantonner au village +d'Herrlisheim, sur la route de Lauterbourg. Je remarquerai que c'est le +1er pluviôse qu'on nous a retiré notre viande, quoique nous eussions six +décades de prêts arriérés, mais cela n'a pas duré longtemps car nous +sommes bientôt rentrés en campagne. + +11 _pluviôse_.--Partis d'Herrlisheim pour aller à Strasbourg. Le +lendemain de notre arrivée, le général Schauenbourg a rassemblé les +officiers et sous-officiers de plusieurs demi-brigades, et nous a fait +faire la grande manoeuvre. + +13.--Il est venu des ordres pour marcher vers la Suisse; nous sommes +partis tout de suite; nous avons logé à Hüttenheim, près de Benfeld; le +15 à Schlestadt; le 16 à Oberhergheim, village entre Colmar et +Ensisheim; le 17 à Baldersheim à une lieue et demi à droite d'Ensisheim, +sur la route de Bâle. Le 18 à Rantzwiller, en arrière et près de +Sierentz, dans la vallée d'Altkirch; le 19 à Suënaï? village dans la +colline du mont Terrible, à trois lieues de Reinach, à droite, et à +quatre lieues de Delémont; le 20 à Viques dans la plaine de Delemont; le +21 à Eschert, petit hameau situé à trois lieues de Delemont, et à une +demi-lieue de Moutier. Pour arriver dans cette colline, nous avons +traversé deux lieues de montagnes de roche à perte de vue. Ces endroits +sont habités et forment plusieurs petites communes. On avait donné la +liberté à cette vallée quelques mois avant que les Français y aient été +cantonnés, ils étaient autrefois alliés avec les Suisses; ils ferment la +frontière du canton de Soleure. Cette vallée a aussi appartenu au prince +du Porontruy; on y parle un patois que nous comprenions assez. Leurs +maisons sont toutes construites en bois, en grande partie; tout leur +commerce est en boeufs, vaches, chevaux; ils ont très peu de terres +labourables. Comme les hameaux n'étaient pas bien grands, ils logeaient +une compagnie. + +Nous sommes partis d'Eschert le 3 ventôse pour nous rendre à Moutier, +chef-lieu de canton et faisant partie du département du Mont-Terrible; +une partie de notre compagnie a été détachée à Belpraon, hameau près de +ces cantonnements. Le 5, à huit heures du matin, nous avons été loger à +Soncelboz, village où nous avons eu bien de la peine à arriver, car il y +avait trois jours qu'il tombait de la neige, et ce jour-là il en est +tombé toute la journée, de sorte que nous en avions jusqu'aux genoux. +Dans le même village, il y avait deux années de suite que la grêle avait +tout ravagé. + +8.--Partis pour aller à la Hutte, (tous ces villages sont dans la même +vallée, sur la route de Bienne.) En allant à la Hutte, nous avons passé +sous la Roche-Percée. La Hutte était le lieu où notre demi-brigade s'est +rassemblée avant d'aller attaquer les Suisses. La vallée que nous +quittions se nommait l'Erguel; notre colonne en portait le nom jusqu'au +moment où elle entrait en Suisse. + +Partis de la Hutte le 9 à cinq heures du soir, nous avons suivi la route +de Bienne. Nous avons été camper à trois lieues sur la gauche du dit +Bienne, entre la route de Bienne et Soleure et à gauche de la rivière +nommée l'Aar, à une demi-portée de fusil du village de Lengnau où +étaient les avant-postes suisses. Les mesures étaient prises pour +attaquer les Suisses à trois heures du matin le 10 ventôse; mais +l'attaque n'a pas eu lieu. Les généraux suisses ont fait une demande au +général Schauenbourg qui commandait l'armée française en Suisse, de leur +accorder une suspension d'attaque pour vingt-quatre heures, et elle a +duré jusqu'au 12, lequel jour on les a attaqués. + +12 _ventôse_.--L'attaque a commencé à quatre heures du matin; leurs +avant-postes, qui étaient établis au village de Lengnau, ont été +enlevés. L'armée, qui était dans le canton, n'a pu résister à l'ardeur +de la colonne républicaine: leur artillerie a été enlevée de prime +abord; car l'attaque a été vive de notre part. Dans ce combat, plusieurs +Suisses ont perdu la vie, et la plus grande partie était des pères de +famille: ceux auxquels j'ai parlé, qui n'avaient que la cuisse ou les +jambes fracassées, regrettaient les épouses et les enfants qu'ils +avaient laissés dans leurs maisons pour venir exposer leur vie sur les +frontières. + +Notre camp était à trois lieues de la capitale de ce canton, qui est +Soleure. Quoique fortifiée, elle s'est vu forcée de se rendre à +l'arrivée de notre colonne, sans tirer un coup de canon, quoique ses +remparts en soient bien garnis. Nous sommes entrés à Soleure entre dix +et onze heures du matin, le 12 ventôse. Nous sommes restés deux +bataillons de notre demi-brigade pendant que notre colonne a défilé. Le +premier soir nous avons été bivouaquer sur les remparts jusqu'au +lendemain à quatre heures du soir, où nous sommes rentrés dans nos +logements chez les bourgeois. Nous y avons été reçus on ne peut pas +mieux. Notre troisième bataillon a été camper sur la route de Lucerne, +près d'un village, à une portée de canon de la ville, pendant que la +colonne marchait sur Berne. + +Étant dans la ville de Soleure, le général Schauenbourg a fait rendre +les armes à tous les bourgeois de la ville et à tous les habitants de ce +canton. Il arrivait tous les jours des voitures chargées de fusils, de +gibernes et de toutes sortes d'armes, que l'on plaçait dans l'arsenal +pour être de suite envoyées en France. + +On a trouvé dans cette ville un arsenal assez bien garni de différentes +armes, une quantité de bouches à feu en bronze qui avaient été fondues à +Strasbourg; beaucoup de belle poudre de deux qualités. Cette ville est +assez grande, il y a de belles rues, mais il y a plusieurs hauteurs qui +déparent un peu leur beauté. Elle renferme beaucoup de marchands de +toutes sortes. La construction des maisons est fort belle et assez +élevée. + +J'ai remarqué sur la place où nous avons planté l'arbre de la liberté, +une horloge dont le cadran portait les douze mois de l'année, et les +signes de chacun. Lorsqu'ils arrivaient, la touche se posait dessus, et +il y avait un autre petit cadran qui marquait les heures. Au moment où +le marteau frappait, il y avait la mort qui tenait une lampe dans sa +main gauche, elle faisait un tour et de même remuait la tête. De l'autre +côté, il y avait une espèce d'homme, qui avait du repentir, car à chaque +coup que le marteau frappait, il frappait un coup sur sa poitrine de sa +main droite. C'était un guerrier, car il avait le sabre. Au côté, entre +les deux, était un vieillard avec une grande barbe noire; il ouvrait la +bouche à chaque coup; et tenait de sa main gauche le bâton royal qu'il +balançait de tous les côtés. + +La rivière de l'Aar passe Soleure, et la partage en deux parties +inégales. + +Nous sommes sortis un bataillon de la ville. Comme elle n'était pas +assez considérable pour contenir deux bataillons, notre bataillon a été +cantonné dans les environs de la ville, dans les villages. C'était le 20 +ventôse que chaque compagnie a été prendre les cantonnements qui leur +étaient désignés, mais toujours dans le même canton. Je citerai +seulement les endroits où je me suis trouvé. + +Notre compagnie était cantonnée à Subingen, village à une lieue et demie +de Soleure, sur la route qui conduit de Soleure à Lucerne, de l'autre +côté de l'Aar. Nous avons changé plusieurs fois de cantonnements, dans +le même canton. Sortis de Subingen le 2 germinal pour cantonner au +village d'Aschi? et à deux lieues et quart de Soleure. + +8 _germinal_.--Nous sommes partis pour aller cantonner à Langenthal, +bourg situé à une demi-lieue des frontières du canton de Lucerne et à +dix lieues de Berne. J'ai été voir un couvent de Bernardins qui était +sur les frontières du canton de Lucerne, où j'ai parlé un peu du couvent +de Clairvaux; il était du même ordre de Citeaux. + +Étant dans ce cantonnement, nous avons été à Soleure pour y faire +l'exercice à feu. Nous avons couché le 29, en y allant, à Nider-Bipp, +village dans le canton de Berne, sur la route de Bâle. + +30 _germinal_.--Nous nous sommes rendus à Soleure; là nous avons fait +l'exercice à feu pendant trois heures; nous étions cinq bataillons, de +l'artillerie et de la cavalerie; c'était le général Schauenbourg qui +commandait. Après l'exercice fini, chacun est retourné volontiers dans +ses cantonnements. + +6 _floréal_.--Sortis de Langenthal à six heures du matin pour aller à +Zurich, nous avons logé en y allant à Olten, ville dans le canton de +Soleure, sur l'Aar, où différentes routes se trouvent pour Bâle, Zurich, +etc. Je dirai que lorsque nous sommes entrés dans ce canton, les Suisses +avaient brûlé un superbe pont qui traversait l'Aar pour entrer à la +ville de Halte; on était à le rétablir lorsque nous y avons logé. + +7 _floréal_.--Partis de Olten à cinq heures du matin, nos fourriers ont +été comme de coutume pour nous préparer nos logements. Lorsqu'ils se +sont présentés au village désigné pour y loger quatre compagnies, on y +était sous les armes et on a dit à nos fourriers de s'en retourner, que +la paix n'était pas faite avec eux, et qu'ils ne voulaient pas nous +loger. + +C'était au village de Bagglingen, nous avons rencontré nos fourriers qui +nous ont dit que si on voulait être logé, il fallait gagner les +villages. Aussitôt, le plus ancien de grade des officiers des quatre +compagnies, a disposé la troupe pour entrer dans les villages. On leur a +envoyé demandé s'ils voulaient nous loger: ils ont répondu que non et +que l'on se retire, ou qu'ils allaient faire feu. Dans ce moment, on a +envoyé des tirailleurs et aussitôt le feu a commencé; ils nous voyaient +peu de monde et croyaient que nous serions bientôt vaincus, mais ils ont +été bien trompés, car nous les avons chassés de leurs villages, et ils +ont été en grande partie se réfugier dans les bois. Il y en avait +plusieurs qui avaient caché leurs armes et se trouvaient devant nous; on +les renvoyait dans leurs maisons. Les femmes se sauvaient avec leurs +petits enfants au berceau; tout cela faisait pitié au coeur humain; mais +aussi toutes celles que l'on rattrapait, on les faisait retourner dans +leurs foyers. La plupart avaient un fusil dans une main et un chapelet +dans l'autre. + +Lorsqu'ils ont été repoussés hors de leurs villages, nous sommes revenus +prendre une position en arrière. Peut-être une heure après, ils sont +venus une colonne d'environ quinze cents hommes avec deux pièces de +canon, et ont tiré deux coups qui n'ont pas fait d'effet. Il nous est +aussi venu du renfort, de l'infanterie légère et un détachement de +hussards. Réunis tous ensemble à l'entrée de la nuit, nous les avons mis +en déroute et nous avons été maîtres de nos cantonnements, où nous avons +bivouaqué. + +Ce village de Bagglingen est dans le bailliage nommé anciennement +Canton-libre-inférieur. Nous en sommes partis le 9, à huit heures du +matin, pour aller à Zurich où nous sommes arrivés le même jour. Cette +ville porte le nom du canton où elle est située, sur le bout du lac du +même nom, et de ce lac sort une rivière qui passe dans Zurich, et se +nomme Limmat, et fait jonction avec deux autres rivières qui se nomment, +l'une la Reuss, qui sort du canton de Lucerne, et l'autre l'Aar, qui +sort du canton de Berne. Ces trois rivières sont réunies près d'une +petite ville qui se nomme Brugg, et de là tombent dans le Rhin. + +11 _floréal_.--Partis de Zurich[60] à midi, nous avons été loger au +village nommé Thalwyl, situé sur le lac et à deux lieues de la ville, +sur la droite. + +12.--À deux heures du matin, nous avons été camper près le village nommé +Lachen et de même situé sur le lac dans le canton de Schwytz. + +13.--Partis à neuf heures du matin pour retourner sur nos pas et +cantonner au village de Frienbach; nous étions quatre compagnies, les +mêmes qui s'étaient trouvées à Bagglingen. Ce village et les autres qui +ont été nommés sont sur le lac, à droite. En sortant de Zurich, nous +n'avons pas été sitôt arrivés dans le cantonnement, qu'une attaque s'est +formée entre les Suisses du canton de Schwytz et quelques compagnies de +la 76e demi-brigade de ligne, vers les onze heures du matin. Dans le +même moment, le citoyen Mondragon, qui était le plus ancien de grade des +capitaines du détachement, a aussitôt donné ordre de battre les coups +doubles, pour assembler les compagnies et pour marcher vers l'endroit de +l'attaque. Au lieu d'aller où on se battait, ledit capitaine nous a fait +monter une montagne prodigieuse, pour les prendre par derrière. Par le +fait, la montagne a été franchie avec beaucoup de courage; arrivés au +sommet, le commandant de la troupe a fait battre la charge. Je dirai +qu'avant d'être au sommet de la montagne, nous étions déjà assaillis de +coups de fusil. Pendant que la charge se battait, on a commencé le feu +sur les Suisses, qui sont venus nous disputer le terrain; mais il a +fallu qu'ils cèdent, ou ils auraient tout payé. Dans cette affaire, +plusieurs pères de famille sont restés sur le champ de bataille; après, +les plus hautes montagnes ne les rassuraient plus, ils abandonnaient +leurs chaumières et s'allaient retirer dans des lieux inhabitables. + +Le même jour, au soleil couchant, nous avons descendu la montagne et +nous sommes revenus dans notre cantonnement. + +14.--Partis à deux heures du matin, pour nous disposer à de nouvelles +poursuites. Nous avons pris la route qui conduit à +Notre-Dame-des-Hermites; nous avons monté une fort haute montagne, et, +étant au sommet, près d'une grosse auberge, nous avons occupé la +position que les Suisses avaient abandonnée la veille. Cette montagne se +nomme Etzel, et est à une lieue du couvent de Notre-Dame-des-Hermites, +où on la voit facilement. Dans les environs de ce couvent, on n'y +récolte point de grains; il est de même environné de montagnes couvertes +de neige. Dans cette contrée, il y a des pâturages pour les bêtes à +cornes; aussi voilà ce qui les nourrit: quelques pommes de terre, du +fromage et du lait. + +16.--Nous sommes revenus prendre les cantonnements du 13. + +21--Partis de Frienbach à huit heures du matin, notre marche a été +dirigée sur la République ligurienne en Italie. Je dirai que nous avons +passé à la ville nommée Rapperswyl, située sur le lac, du côté gauche. +Avant d'entrer dans la ville, il y a un pont qui a une demi-lieue[61]. +Je vais citer seulement les endroits où nous avons logé; car le voyage +est si long et le temps si court que je ne puis pas faire beaucoup +d'observations. + +21 _floréal_.--Arrivés au village nommé Thatwyl, à la pointe du jour, +nous en sommes partis le 22 à huit heures du matin; nous sommes passés à +Zurich à dix heures; nous avons poursuivi notre route en traversant +plusieurs hautes montagnes et nous sommes venus loger dans les environs +de Mellingen, bourg situé sur la Reuss dans le village où nous étions; +ce village se nommait Waltenschwyl. + +23.--Partis de ce village à six heures du matin, nous sommes venus loger +à Aarburg, dans le canton de Berne, situé sur l'Aar, où il y a un fort +assez important. + +24.--Partis à sept heures du matin, nous sommes venus loger dans les +environs d'Herzogenbachsee; nous étions à Niederhaus; notre compagnie de +même dans le canton de Berne. + +25.--Partis à cinq heures du matin. Logé dans la ville de Berne. J'ai +remarqué qu'il y avait une belle grande rue; il est vrai qu'elle va un +peu en montant, et, à la distance de quatre-vingts pieds, il y a une +fontaine. J'ai vu une horloge assez curieuse: tout le temps que le +marteau frappe sur la cloche, il y a auprès du cadran un tour fait comme +une table ronde sur laquelle il y a des ours qui défilent la parade, +avec des instruments de guerre; il y en a qui sont montés sur des +chevaux: enfin cela est amusant. + +Toutes les rues de cette ville sont ornées de belles arcades où il y a +toutes sortes de marchands. Au-dessus de la porte, du côté de Lausanne, +la personne de Guillaume Tell est représentée. + +27 _floréal_.--Partis à quatre heures du matin. Logé à Morat, ville +située sur le lac de ce nom. + +28.--Partis à six heures du matin. Logé aux environs de Payerne; nous +étions au village de Fétigny. + +29.--Partis à trois heures du matin. Logé à Moudon dans le pays de Vaux, +ci-devant alliée avec Berne, et située sur le bord de la Broye. Cette +ville était anciennement la capitale du pays; on y voit encore +aujourd'hui une ancienne tour qui a été bâtie du temps de Jules César. + +30.--Partis à quatre heures du matin, nous sommes venus loger à +Lausanne, capitale de son canton, située au pied d'une montagne, sur le +bord du lac de Genève. Tous les endroits où nous sommes passés sont en +grande partie des vignobles. + +1er _prairial_.--Partis à trois heures du matin, nous avons suivi le +lac, et sommes venus loger à Villeneuve et dans les environs. Cette +ville est située sur le bout du lac de Genève; notre compagnie était +logée dans un village à une lieue de Villeneuve, et entre des montagnes +extrêmement hautes, où il y a toujours au sommet une quantité de neige. + +3.--Partis à huit heures du matin, nous sommes venus loger à +Saint-Maurice, dans le bas Valais. + +Avant d'entrer dans la ville, on passe sur un pont qui traverse le Rhône +et va tomber dans le lac de Genève. + +4.--Partis à six heures du matin. Logé à Orsières dans le bas Valais, +sur la route qui conduit au grand Saint-Bernard. + +5.--Partis d'Orsières à sept heures du matin. Couché à Saint-Pierre, +village situé sur le sentier qui conduit au mont Saint-Bernard; c'est +depuis ce village que la route ne forme plus qu'un sentier très mauvais +pour marcher; les voitures n'y peuvent plus passer qu'elles ne soient +démontées, et portées par des mulets à dix lieues, où est la cité +d'Aoste. + +Je dirai que tous les endroits où nous sommes passés depuis Villeneuve +sont situés entre des grandes et très hautes montagnes, au sommet +couvert de neige; mais cependant la colline est cultivée. J'ai remarqué +qu'à deux lieues de Saint-Maurice il y a des rochers très élevés; à cent +pieds de haut, il sort de l'eau en quantité; en la voyant tomber elle +paraît blanche comme du lait, elle se brise sur des pierres qui sont +dans le bas de ce rocher et passe dans le chemin aussi claire que du +cristal. Cet endroit se nomme le Pisse-vache. + +6.--Partis de Saint-Pierre, le dernier village du bas Valais, à deux +heures du matin pour monter au village de la montagne du Saint-Bernard +qui monte pendant trois heures, et descend d'autant; dans cette +montagne, il y a plus de neige que dans les autres. Nous avons passé par +des endroits (et surtout avant d'être au couvent) où il y en avait plus +de quarante pieds, mais c'est tout neige gelée. En arrivant près du +couvent, nous montions à quatre pattes sur la neige; vraiment c'est des +chemins affreux; aussi beaucoup de voyageurs meurent-ils en route. + +Le couvent, qui est au sommet de cette montagne, est là pour donner du +secours aux voyageurs; il y a des chiens que j'ai vus; ils sont +extrêmement forts et instruits. Lorsqu'il fait des orages ou mauvais +temps, ces chiens vont au travers des neiges sur le chemin; ils ont au +cou un linge dans lequel il y a une petite bouteille d'eau-de-vie avec +un morceau de pain; s'ils rencontrent quelqu'un qui soit tombé en +faiblesse ou qui ait perdu courage et qu'il soit saisi par le froid, +qu'il soit sur une roche ou ailleurs, ces chiens vont auprès, le +prennent par son habillement et le remuent; et s'il n'est pas mort, ils +lui présentent le cou pour qu'il prenne ce qui est dans le linge pour +lui donner des forces. Quelquefois, ils en trouvent qui sont couchés +dans la neige, et comme il y a des domestiques qui les suivent de loin, +ils retournent auprès d'eux et les conduisent où les hommes sont tombés. +Étant au couvent, on peut y rester un jour; toute la troupe qui y a +passé a reçu par homme un verre de vin, un petit morceau de pain et +aussi de la viande salée. On a continué la route, car on aurait bien +gelé si on y était resté un quart d'heure; enfin, dans les environs de +ce couvent, ce sont de véritables précipices. Notre chemin était marqué +avec des morceaux de bois, sans quoi il y en aurait eu de nous qui +auraient perdu la vie. + +Ce jour-là, nous sommes venus loger à Saint-Oyen, village sur la route +de Sardaigne. Dans ces villages, et même avant de gravir le +Saint-Bernard, les habitants ne cuisent qu'une fois par an; s'ils +cuisent deux fois, c'est qu'ils sont bien à leur aise; leur pain est +épais d'un pouce et d'un pied de diamètre et dur comme du bois; c'est le +lait et les pommes de terre qui sont en grande partie leur nourriture. + +7.--Partis de Saint-Oyen à cinq heures du matin, nous sommes venus loger +dans la cité d'Aoste, ville de Sardaigne, frontière de la Savoie et de +la Suisse. + +9.--Partis d'Aoste à deux heures du matin, nous sommes venus loger à +Verres, ville dans la vallée d'Aoste et de même dans la Sardaigne. + +10.--Partis de Verres à trois heures du matin. Logé à Ivrée, sur la +rivière nommée Doire, dans le Piémont. + +11.--Partis à quatre heures du matin. Logé à Livorne. + +12.--Partis à quatre heures du matin. Logé à Verceil, sur la rivière la +Sesia. + +13.--Partis à six heures du matin. Logé à Gailliata, à huit lieues de +Milan, et à une lieue de Trecate. + +15.--Partis à deux heures du matin. Logé à Vigevano, sur la route +d'Alexandrie. + +16.--Partis à minuit, nous avons passé le Pô à midi, et nous sommes +venus loger à Voghern. + +17.--Partis à deux heures du matin. Logé à Alexandrie, ville forte +donnée en otage aux Français lorsque le roi de Sardaigne a fait la paix; +cette ville est située sur la rivière de Tanaro qui passe entre la +citadelle et les murs de cette ville. + +19.--Partis d'Alexandrie à dix heures du matin. Logé à Novi, ville du +Piémont, frontière de la République ligurienne. + +20.--Partis à trois heures du matin. À sept heures nous avons passé au +bas du fort de Gavi, où nous avons fait halte. Je dirai que nous sommes +passés au milieu de l'armée génoise et piémontaise qui était campée dans +les environs du fort de Gavi. Dans ce temps, les Liguriens avaient la +guerre avec le Piémont. Le même jour, campé près de Voltagio, sur la +route de Gênes. + +21.--Sortis du camp à trois heures du matin. Campé à deux lieues de +Gênes. C'est de là que notre premier bataillon est parti pour aller à +Gênes, et notre troisième est retourné sur ses pas pour aller à Novi; +nous, nous avons couché dans ce village. + +22.--Partis à trois heures du matin pour retourner sur les frontières de +la République ligurienne; nous avons logé ce jour à Voltagio. + +23.--Partis à deux heures du matin, nous avons pris la traverse et avons +été loger à Ovada, ville frontière de la République ligurienne, menacée +par les troupes piémontaises d'être mise au pillage. Voilà pourquoi +notre bataillon a été s'emparer de la ville pour la soustraire à un +pareil malheur; cette ville est entourée par deux rivières qui +s'appellent Stura et Orba. Je dirai que pendant que nous étions dans +cette ville, nous avons été détenus vingt-six sous-officiers en prison +pour avoir fait une réclamation; nous avons été douze jours à +_l'ombre_[62]. + +19 _messidor_.--Partis pour Camfredo, ville de la Ligurie. + +20.--Partis à une heure du matin. Logé à Voltri, à huit lieues et demie +de Gênes. + +23.--Logé à Varazze, de même sur la mer. + +24.--Logé à Savone, où il y a un port marchand; il y a aussi un fort qui +défend bien son approche et peut battre la ville. + +25.--Logé à Final-Borgo. + +26.--Partis à deux heures du matin. Logé à Albenga. Tous les endroits où +nous avons logé sont situés sur la mer. + +28.--Partis à une heure du matin pour une petite ville nommée La Piève, +située dans la même vallée et à six lieues de la mer. Nous avons relevé +à La Piève la garnison piémontaise qui s'était emparée de cette ville au +moment où ils avaient la guerre ensemble. La France a mis fin à cette +guerre, qui ne pouvait que mettre la famine dans le pays.--Comme cette +contrée ressemble à la plus grande partie de la République ligurienne +dont elle fait partie, je vais faire une petite description de la +situation du pays. Ce ne sont que montagnes très hautes, la plupart sont +couvertes de châtaigniers, d'oliviers, de figuiers et d'autres arbres à +fruits de toutes sortes d'espèces; il y a aussi de la vigne plantée très +clair et haute, parmi laquelle ils sèment du blé et d'autres grains, qui +leur servent à faire du pain; mais ces derniers n'y sont pas très +abondants. Tout ce pays est occupé en grande partie par le commerce qui +y est bon, par rapport à la mer. + +Il n'y a rien à voir de curieux dans la campagne; leurs maisons sont +très antiques et toutes voûtées, pour parer aux chaleurs qui se font +dans ce pays durant l'été. Il n'y a rien de remarquable dans leurs +ménages, la plupart n'ont pas de meubles, mais seulement un coffre pour +mettre le peu d'habillements qu'ils ont. Le dedans des maisons est très +obscur et la plupart n'ont pas de vitres; un simple volet ferme le jour. +On n'y voit presque point de cheminées: ils font le feu dans l'un des +coins de la maison. Les deux sexes sont vêtus assez antiquement; les +femmes et les filles portent sur la tête un grand voile pour aller à +l'église. Ce peuple est traître de son naturel, il a toujours caché sous +lui une arme tranchante et très aiguisée, et à la moindre difficulté on +est frappé de cet outil. + +8 _frimaire_.--Partis de la Piève pour Gênes, nous avons été loger à +Loano; le 9, à Varazze; le 10, à Gênes. Étant dans cette ville nous +avons fourni un détachement de trois cents hommes pour aller s'emparer +de la ville d'Oneglia, appartenant au Piémont. La garnison piémontaise a +été désarmée et envoyée à Gênes, mais de suite on leur a envoyé leurs +armes, pour partir sur les frontières d'Italie. Ceci s'est fait au +moment de la révolution du Piémont. Le détachement dont je faisais +partie est sorti de Gênes le 20 frimaire, à une heure de l'après-midi; +nous avons logé en allant à Oneglia, à Voltri, à Savone, à Finalborgo, à +Alassio. Il y avait avec nous trois cents Liguriens. Cette ville s'est +rendue à notre approche; nous y sommes entrés le 24 frimaire à quatre +heures du soir. Le reste de notre bataillon, qui était à Gênes, est venu +nous rejoindre le 15 nivôse; il est seulement resté à Oneglia deux +compagnies, et les autres ont appuyé à gauche le long de la mer. Ce +mouvement s'est fait le 15. Notre compagnie était à Diano-Marino et à +Alassio. + +Partis de ces cantonnements le 1er pluviôse, nous sommes venus le 5 à +Gênes, lieu de rassemblement de notre demi-brigade pour en former deux +bataillons de guerre et un de paix. Ce dernier était composé d'hommes +impotents, infirmes, qui ne pouvaient plus faire campagne et complétés +avec des conscrits. Les deux bataillons de guerre étaient formés +d'hommes aguerris et en état de faire campagne avec une vingtaine des +plus adroits des conscrits par compagnie, tirés dans le troisième +bataillon. Dans cet amalgame, nous sommes devenus la troisième compagnie +du premier bataillon. Cet embrigadement s'est fait à Gênes, le 8 +pluviôse. Le premier bataillon est parti de Gênes le 9 pour se rendre à +Reggio; le deuxième bataillon le 10, pour la même route. Je n'ai point +été de ce départ, je suis entré à l'hôpital le 10; j'avais une maladie +qui m'interdisait la marche. + +20 _ventôse_.--Partis de la ville de Gênes pour me rendre à Reggio. + +En quittant le pays de la Ligurie, je laisse un pays assez abondant en +oliviers, châtaigniers; ils récoltent aussi une certaine quantité de vin +et de grains; la plus grande occupation des habitants est le commerce. +Ils élèvent quantité de vers à soie nourris par les mûriers qui poussent +dans ce pays.--Me voilà entré dans le Piémont en sortant de Novi; j'ai +logé le 23 à Tortone, ville fortifiée et accompagnée d'un fort assez +considérable, sur une hauteur qui commande la ville; le 24, à Voghera; +le 25, à Castel-San-Giovani, bourg dépendant du roi d'Espagne; le 26, à +Plaisance, belle grande ville au roi d'Espagne, magnifiquement bâtie. Il +y a là une superbe place sur laquelle sont placés deux piédestaux sur +lesquels sont deux chevaux en bronze avec leurs guerriers. + +Elle est très bien décorée par de belles maisons; les rues sont très +larges et bien proportionnées. Autrefois, cette ville était fortifiée, +mais il ne reste plus que de vieux remparts qui tombent en ruine. + +27.--Logé à Borgo-San-Domino, de même dans les États du roi d'Espagne. + +28.--À Parme, appartenant au duché de son nom; la rivière du même nom, +Parma, passe dans ladite ville et la partage en deux parties inégales; +la construction en est assez belle, les rues larges, il y a aussi +d'assez jolies places. + +29.--À Reggio, ville grande et bien peuplée, maintenant à la République +cisalpine; il y a une belle place, des rues très larges; elle était +autrefois fortifiée, maintenant il existe encore une vieille citadelle +qui tombe en ruines et qui ne pourrait pas tenir longtemps. J'ai eu +séjour dans cette ville. + +1er _germinal_.--À Modène; la ville est plus longue que large: les rues +sont larges, les maisons assez élevées et d'une belle construction; il y +a de belles grandes places. Cette ville est encore actuellement un peu +fortifiée. + +3.--À Buondeno, village dans les environs de Ferrare. + +4.--À Finale, bourg sur le canal de la ville de Modène. + +5.--À la Mirandole, petite ville assez bien faite où il y a une belle +place. + +6.--À Saint-Benedetto, village à cinq lieues de Mantoue. + +7.--À Mantoue, belle grande ville très peuplée; elle est environnée de +grandes pièces d'eau qui défendent son approche d'une demi-lieue; du +côté où l'eau n'est pas d'une aussi grande largeur, il y a de fortes +citadelles qui défendent la ville; les alentours de cette place, aussi +bien que les forts, sont garnis de nombreux gros canons qui rendent +cette ville imprenable, autrement que par la famine. Le fleuve nommé Pô +passe dans ses murs, et lui donne quantité d'eau; la construction des +maisons est belle, on y trouve de belles places. J'y ai vu un beau pont +couvert et construit tout en pierres de taille; il y a sur ce pont sept +à huit moulins très bien construits. Cette place appartient à la +République cisalpine; elle a été prise par les Français qui étaient +commandés par Bonaparte, dans le courant du mois de pluviôse an V. + +Le 8, j'ai passé à Villefranche, sur la route de Vérone, où j'ai trouvé +notre bataillon, qui était campé à deux lieues et demie de la ville, +près de la route. Ils y étaient venus après l'affaire du 6 germinal, +auquel jour ce terrible fléau de la guerre s'est rallumé avec +l'empereur. Notre division, commandée par Montrichard, a fait son +attaque près du village de Legnago, situé sur l'Adige. L'attaque a été +vive au premier abord de notre part: il a semblé avant midi que la +victoire nous était annoncée; mais, comme le destin ne décide pas en un +instant, nous avons vu, vers les trois heures du soir, que nous avions +eu affaire à un corps d'armée autrichien qui égalait le nôtre. Sur le +soir, un renfort leur est arrivé; c'est à ces derniers, réunis aux +premiers, qu'il a fallu céder la victoire qui nous avait été favorable +toute la journée. Beaucoup de fossés remplis d'eau nous ont fait +éprouver quelques pertes. Je ne dirai pas les pertes des autres corps, +j'ai vu celles de mon bataillon qui se montaient à 148 hommes hors de +combat, y compris dix officiers et dix sous-officiers. En attendant le +siège, nous avons fait plusieurs mouvements à droite et à gauche le long +de l'Adige, où le corps d'armée autrichien était bien retranché. + +Voilà le 16 germinal arrivé[63]. Vers les dix heures du matin, l'ennemi +s'était mis en marche pour nous attaquer; le général en chef donna +ordres à toutes nos troupes de se mettre en marche pour de même attaquer +l'ennemi, ce qui a été exécuté sur-le-champ. Aussitôt, nous avons +rencontré les colonnes autrichiennes; le feu a été vif dans les deux +partis; au premier abord, il semblait que notre division allait céder à +la force de la colonne autrichienne. + +Le soldat n'a pas mesuré sa force sur celles de son ennemi, mais sur son +courage: il a mis la colonne ennemie en déroute, en lui faisant quelques +cents de prisonniers. Nous les avons poursuivis aux portes de Vérone; +mais la retraite des autres divisions nous a bientôt appris que nous +devions aussi nous y disposer pendant la nuit, et nous retirer dans les +environs de Mantoue, ce qui a été fait dans la nuit du 16 au 17, car un +corps considérable de l'armée autrichienne s'avançait pour couper notre +retraite au delà de Mantoue. + +Nous sommes arrivés à sept milles de Mantoue vers les minuit, dans la +nuit du 17 au 18. Sur le croisement de la route qui conduit à +Villefranche, le 18, nous avons fait un mouvement pour appuyer à gauche +de Mantoue. Nous sommes venus camper près d'une petite ville située sur +le Mincio; elle est environnée de fortes positions. Lorsque la garnison +de Mantoue a été établie dans ses postes, l'armée s'est mise en +mouvement et a passé le Mincio pour aller se montrer dans la plaine où +Bonaparte a eu de grands combats, lorsqu'il a fallu cerner la ville de +Mantoue. Nous sommes restés dans cette plaine, qui aboutit sur la rive +du Mincio, jusqu'à huit heures du soir. C'était la nuit du 20 au 21 que +notre colonne a commencé son mouvement pour la retraite, le soir du 21 +vers les six heures, par un temps abominable, une pluie continuelle qui +ne cessait de tomber et nous traversait jusqu'aux os. Nous avons campé +près la petite ville d'Asola; ses alentours sont garnis de bastions qui +n'étaient pas entretenus. + +22 _germinal_.--Campé à trois mille de Pontevico; le 24, nous sommes +venus camper en avant de cette petite ville, située sur le bord de la +rivière nommée Oglio, sur la route de Brescia et Milan. Dans ce moment, +nous étions d'arrière-garde; nous avons coupé les routes pour empêcher +la colonne autrichienne de nous poursuivre de si près. + +25.--Nous avons passé l'Oglio sur un pont levis qui était au bas d'une +ancienne citadelle: les troupes et les bagages passés, on a démonté le +pont en le faisant glisser dans l'eau. Ce jour-là, nous sommes venus au +village de Rodierco, situé sur l'Oglio et à un mille de Pontevico, sur +la grande route de Milan. La nuit du 25 au 26, nous nous sommes mis en +marche et nous sommes arrivés à Palazzolo le 26 au soir. Il faut +observer que la colonne autrichienne prenait des détours et suivait les +montagnes de la Suisse italienne et ne cherchait qu'à nous couper notre +retraite. + +28.--Nous avons fait un mouvement en avant de Palazzolo, à six mille +dans les montagnes, près le lac d'Iseo. + +29.--Nous sommes revenus à Palazzolo; le 30, nous en sommes repartis +pour nous former sur la ligne en bataille, en avant dudit lieu. Le +général en chef Scherer nous a passés en revue. Nous avons passé la nuit +dans ce même emplacement. Je dirai que la Ville de Palazzolo est située +sur l'Oglio et sur la grande route de Brescia. En partant, les ponts ont +été coupés et renversés dans la rivière. + +2 _floréal_.--Nous avons fait un mouvement pour nous retirer en arrière +de Palazzolo, où nous avons campé, sur les bords de l'Oglio; nos +avant-postes ont eu quelques petites affaires avec l'ennemi, qui s'est +venu présenter pour passer le pont où étaient nos canonniers, pour le +faire sauter par des mines; on est parvenu à le faire sauter vers les +dix heures du matin. + +La nuit du 4 au 5, à neuf heures du soir, notre division, qui était +celle du général Serrurier, s'est mise en marche et a été dirigée vers +la ville de Bergame. Nous avons passé une nuit affreuse dans l'eau et la +boue jusqu'aux genoux, et, pour la faire complète, une pluie continuelle +nous arrosait. Nous sommes passés dans la ville de Bergame, à onze +heures du matin, le 3. Cette ville est très considérable, belle et +riche: on y construisait une fort belle place; elle est divisée en ville +haute et ville basse. La ville haute est fortifiée et a de fort belles +positions dans ses environs, sur des hauteurs considérables. Notre +division ne s'y est point arrêtée; une partie soutenait l'arrière-garde, +qui était suivie[64] des troupes russes. Le même jour, notre colonne a +continué sa marche jusqu'à cinq heures du soir; nous sommes arrivés sur +le bord du lac, où nous avons passé la nuit dans des espèces de petits +hameaux environnés de montagnes fort hautes. + +Le lendemain 6 courant, à quatre heures du matin, nous avons repris +notre marche vers le pont de Lecco, et toujours suivis de près par +l'avant-garde ennemie. La ville de Lecco est environnée de rochers très +hauts; elle est située sur le bord du lac. Notre division a passé le +pont le jour où l'ennemi y est arrivé. Une partie de notre division a +gardé la tête du pont, et l'autre partie s'est étendue sur les bords de +la rivière, pour correspondre avec la division du général Delmas; notre +bataillon était de cette partie; nous tenions dans ce moment la droite +de la division. Nous sommes venus prendre notre position, la nuit du 6 +au 7, à Vaprio, où nous sommes arrivés à onze heures du matin. Cette +ville est située sur le bord de la rivière nommée l'Adda; elle est forte +par sa position: il y avait un pont volant établi qu'on a fait couler à +fond lorsqu'on a quitté la rivière. + +Vers les deux heures de l'après-midi, une colonne assez considérable de +l'armée autrichienne a fait un mouvement pour se disposer à passer la +rivière pendant la nuit, ce qui leur a été facile, car la rivière +n'était presque pas gardée. Vers les quatre heures du matin, comme notre +bataillon était à bivouaquer dans un village à une lieue et demie de +Vaprio, une ordonnance est venue dire au général qui commandait ce +poste, que l'armée autrichienne avait passé la rivière[65] toute la nuit +et dirigeait sa marche sur Milan. Aussitôt, il nous fut ordonné de nous +retirer sur Vaprio, pour nous joindre à la division du général Delmas, +en laissant de distance en distance des compagnies en échelons; jusqu'à +ce que nous avons trouvé une route de Vaprio à Milan, qui était déjà +coupée par l'ennemi. Le combat s'est aussitôt engagé sur la rive gauche +de l'Adda, dans les environs de Vaprio et Casale; il a été opiniâtre des +deux côtés. Le général Delmas est venu ordonner aux bataillons qui +soutenaient l'attaque, qui étaient les nôtres et un de la 3e +demi-brigade, de foncer sur l'ennemi, et il a dit que sa division allait +arriver pour nous soutenir. Aussitôt l'ordre donné, les deux bataillons +se sont mis en marche pour l'exécution; dans l'instant la victoire nous +a souri en leur faisant environ deux cents hommes prisonniers; mais, +dans le même moment, un renfort considérable leur étant arrivé, ils ont +forcé le bataillon qui était à notre droite, sur le bord de la rivière, +et ils n'ont pas tardé à prendre le nôtre par le flanc et le front. Dans +ces démêlés plus chauds qu'à l'ordinaire, j'ai reçu une balle qui m'a +traversé l'avant-bras gauche et m'a mis hors de combat, d'où je me suis +tiré avec beaucoup de peine, car nous étions pris de tous les côtés. + +Mais la division est arrivée dans ce moment et nous a donné du large; la +journée est devenue terrible aux deux partis. Dans un moment où la +division Delmas a donné, elle a repoussé l'ennemi à la tête du pont; il +y avait un village où l'ennemi était retranché dans les murs des jardins +et nos gens étaient tout autour; l'ennemi voyant qu'il ne pouvait plus +tirer à cause de la hauteur des murs, prit les pierres des murs pour les +jeter sur la tête des Français, mais l'ardeur républicaine qui bouillait +dans les veines des soldats, ne souffrit pas longtemps l'insulte des +Allemands; aussitôt entrés dans le village la baïonnette en avant, ils +en renversèrent une grande quantité et firent sept cents prisonniers. +Les rues du village ont été ce jour-là abreuvées du sang des Allemands, +car le sang ruisselait dans lesdites rues, comme lorsqu'il tombe un +orage. + +Le combat n'a cessé que lorsque la nuit a tendu ses voiles dans les +environs où il avait commencé. Mais on s'est retiré sur Milan; la ville +de Casale en est encore à sept lieues et une partie des blessés a été +obligée de suivre la colonne; les routes étaient interceptées. Nous +sommes arrivés dans les environ de minuit à Milan, du 8 au 9. La colonne +a passé à Milan entre huit et neuf heures du matin, le 9. Quoique nos +plaies n'aient point été pansées et que la marche nous fît de grandes +douleurs nous avions préféré suivre notre colonne qui venait sur les +bords du Tessin que de nous voir prendre prisonniers par des troupes +inhumaines. Il n'est resté que de la troupe au château de Milan. + +C'est sur les bords du Tessin que j'ai quitté avec regret mes compagnons +de misère, mais ma blessure le demandait. J'ai laissé en partant, après +trois batailles, un fourrier, un caporal et six fusiliers, dans une +compagnie qui était, le 6 germinal, composée de cent dix hommes. + +Notre armée de Mantoue est obligée, par une force supérieure d'ennemis, +d'évacuer cette partie de l'Italie, et de se retirer sur les villes +fortes du Piémont. Les hôpitaux n'étant plus assez considérables pour +contenir tous les blessés, il faut donc rentrer en France. + +Avant de quitter cette partie de l'Italie, je veux faire une petite +description sur la situation des habitants et sur la fertilité des +terres de cette contrée. Depuis le Mont-Cenis à Mantoue, c'est un +terrain plat et sablonneux; il est planté de toutes sortes d'arbres, +mais ce sont les mûriers qui dominent; la vigne y est très commune et +est plantée au pied de tous ces arbres: elle produit d'excellents vins; +on y voit dans aucunes contrées les vignes attachées au-dessus de fort +gros arbres, et cette vigne rapporte une quantité considérable de +raisins. Les habitants du pays coupent tous les ans les branches de ces +arbres pour faire cuire leurs aliments. + +Ils sèment sous ces vignes des grains de toutes sortes d'espèces qui y +viennent encore assez bien par rapport aux arbres et aux vignes qui leur +donnent de la fraîcheur, sans quoi ils ne pourraient rien récolter à +cause de la grande chaleur du pays. Dans le Piémont et autres contrées, +ils sèment beaucoup de riz qui fait une partie de leur nourriture +qu'avec le vermicelle; enfin ils ne se nourrissent presque qu'avec des +pâtes. L'occupation de ces habitants est en grande partie le commerce, +et l'élevage des vers à soie qui leur fait avoir une grande quantité de +manufactures. Il y a, dans cette partie de l'Italie, d'assez beaux sexes +des deux côtés, mais extrêmement jaloux et traîtres. Il y a aussi de +fortes rivières et des médiocres qui arrosent les plaines de riz. La +construction des maisons est assez agréable, elles sont presque toutes +voûtées, mais les vitres y sont rares, car à peine peut-on avoir des +verres pour boire. + +Dans cette contrée sont enfermés plusieurs petits États et républiques, +ce qui fait qu'il y a plusieurs monnaies, mais qui ne valent pas celle +de France, excepté celle du Piémont qui vaut mieux. Autrefois, ce pays +était fort riche, mais il a eu affaire à plusieurs maîtres qui lui ont +ôté toute sa richesse, et la guerre a achevé sa ruine. + +Je ne ferai pas grande observation sur les endroits où j'ai passé, ayant +évacué de Milan à Dijon. + +Le 5 prairial, nous sommes arrivés à Dijon, lieu de destination pour les +blessés; nous sommes entrés à l'hôpital militaire, tout nouvellement +préparé pour recevoir les blessés qui arrivaient tous les jours en grand +nombre. + +Je suis resté onze jours à cet hôpital de Dijon, où ma plaie a été +pansée deux fois par jour. Pendant ce temps, j'ai fait plusieurs +demandes aux officiers de santé pour obtenir une convalescence. Comme je +n'étais plus qu'à vingt-quatre heures de mon foyer et qu'il y avait sept +ans que je n'étais rentré chez moi, je me suis vu avoir un peu d'espoir +de revoir encore une fois mes père et mère, ainsi que mes autres +parents. J'ai reçu des officiers de santé de l'hôpital militaire de +Dijon, une convalescence de deux décades pour aller cicatriser ma plaie +dans mes foyers; elle m'a été délivrée le 16 prairial. Je me suis rendu +le 19 à Longchamp en passant par Langres; de là j'ai pris la traverse +pour couper au plus court. Je suis donc arrivé la veille de la fête que +l'on célébrait pour les plénipotentiaires qui avaient été égorgés à +Rastadt. + +Le commissaire du pouvoir exécutif et le président m'ont fait l'honneur +de me mettre de la cérémonie; ils m'ont rendu les honneurs en m'envoyant +chercher par un détachement de la garde nationale; de suite on m'a +offert une place d'honneur qui était à côté du président, que j'ai +acceptée. Après la cérémonie, j'ai été admis au repas que les +administrateurs se donnaient. J'ai été reçu avec toute la pompe et les +honneurs dus à un défenseur qui n'avait jamais abandonné son drapeau. + +Ma convalescence étant expirée et n'étant point en état d'aller +rejoindre, je suis allé voir l'officier de santé du canton; ne trouvant +pas mon bras assez bien rétabli, il me donna un délai de six décades, +lesquelles étaient finies le 30 fructidor, j'ai demandé ma feuille de +route pour aller rejoindre mon corps et partager avec mes anciens +camarades, l'honneur que j'ai partagé déjà, l'espace de sept ans. +J'espère que l'Être suprême bénira nos travaux pour le salut de toute la +France[66]. + +Je suis parti de Longchamp le 1er vendémiaire an VIII de la République, +pour aller rejoindre mon corps sur les frontières d'Italie. + +Mon départ fut retardé d'un mois à Chaumont où je suis resté pour +montrer l'exercice à une compagnie de conscrits de ce département. Après +l'organisation de ce bataillon, j'ai repris ma route pour la frontière +d'Italie. Je suis parti de Chaumont le 16 brumaire de l'an VIII, +accompagné de mon jeune frère qui avait quitté le 9e chasseurs à cheval, +pour venir prendre du service dans la 3e demi-brigade de ligne qui était +en ce moment en Italie. + +Nous avons fait la route assez agréablement de Chaumont à Aix en +Provence. Je passerai sous silence les étonnements de mon frère pendant +cette route, de se trouver dans une contrée si déserte et aussi peu +fertile, sous les rochers de la Provence. J'en ferai une petite +description. + +Après avoir parcouru plusieurs contrées de la Provence, étant rendus à +notre dépôt, à Aix, le 21 frimaire, nous avons été à trois lieues de là, +sur la Durance, à un village nommé Peyrolles, jusqu'au 1er thermidor. +Nous étions là pour faire rejoindre les conscrits et les +réquisitionnaires; aussi pour y empêcher les assassinats que des bandes +de brigands exerçaient souvent dans plusieurs de ces contrées; en un +mot, ces bandes de scélérats portaient la désolation chez plusieurs +pères de famille. Nous sommes partis d'Aix le 5 thermidor pour nous +rendre dans une autre contrée de la Provence, une ville nommée +Draguignan, où nous sommes arrivés le 9. Cette ville est située au +milieu d'une plaine environnée de hautes montagnes; la contrée est +charmante, on y voit une quantité prodigieuse d'oliviers; les coteaux +qui environnent la ville forment un amphithéâtre planté d'oliviers qui +forment une tapisserie, verte hiver comme été, ce qui réjouit la vue, et +donne un beau coup d'oeil. La plaine qui environne la ville est plantée +de vignes entre lesquelles on sème plusieurs sortes de grains et de +légumes. + +Les eaux y sont très bonnes, la contrée étant abreuvée par des fontaines +venant des montagnes. La ville est fermée par une simple muraille, très +haute; les rues sont d'une largeur proportionnée à leur longueur, mais +bien mal entretenues comme propreté: on y laisse pourrir toutes sortes +d'herbes venant des montagnes pour faire des engrais pour la terre. Dans +la Provence, il y a très peu de _commodités_, ce qui fait qu'on jette +toutes les ordures dans les rues; c'est ce qui rend le pays malsain; on +y respire de mauvaises odeurs. On rapporte qu'ils ne se donnent pas +l'aisance des _commodités_ à cause de la quantité des conduits de leurs +fontaines qui traversent leurs habitations.--Les maisons sont d'une +assez belle construction, hautes de trois étages, plus ou moins; les +habitants sont grossiers naturellement et peu humains. (Qu'ils se le +disent!) Ce qui fait remarquer leur peu d'humanité envers leurs +concitoyens, c'est que dans ces contrées et même dans toute l'étendue de +la Provence, il s'y produit une réelle quantité considérable de brigands +qui ne cessent d'assassiner journellement les voyageurs sur les grandes +routes. Je me suis laissé dire que cela s'était fait de tout temps, mais +cependant pas aussi souvent que maintenant. + +Le costume des hommes n'est pas bien différent de celui de notre pays: +la mode est de porter presque tous des vestes; les femelles s'habillent +presque comme ici, sinon que leurs jupes sont fendues par derrière; leur +caractère n'est pas meilleur que celui des hommes. + +La manière dont je dépeins la contrée de Draguignan servira de modèle +pour toute la Provence plus ou moins fertile en aliments de tout genre. +Je me rappelle que l'air de la campagne y est plus chaud que dans nos +pays; les récoltes s'y font de meilleure heure qu'ici, mais aussi ils +plantent tout l'été car la culture ne pourrait jamais alimenter la +population retirée en ce pays. Le pain y est presque toujours à quatre +et cinq sous la livre de quatre onces. Le vin y est à bon compte, mais +les orages y sont fréquents; aussi leur terre cultivée est-elle souvent +ravagée. Le grain qu'ils récoltent, ils le font fouler aux pieds des +mulets et des boeufs pour en retirer les semences. + +Je dirai que les maux que j'ai endurés depuis huit années de service +militaire pour ma patrie, ont été marqués jour par jour par de nouveaux +sacrifices que je ne peux oublier. Ces souffrances ont été renouvelées à +plusieurs époques. Ainsi je vais, dans cette feuille, tracer une +esquisse de ce qui s'est passé à Gênes pendant le blocus. + +Je dirai donc que notre ennemi, voulant nous ôter tout espoir de +retourner en Italie, a réuni de grandes forces pour investir Gênes et +enfermer notre armée. Après plusieurs combats sanglants de part et +d'autre, et à plusieurs reprises notre ennemi nous ayant forcé notre +ligne sur Savone, il nous a coupé la communication que nous avions +encore sur terre, et les Anglais croisant sur mer où l'on ne pouvait que +difficilement passer, nous voilà donc obligés de nous retirer sous la +ville de Gênes, en attendant quelques renforts qui n'arrivèrent pas +assez tôt. Il faut donc comprendre la misère que nous avons souffert[67] +dans ce blocus. Si les habitants de la nation doivent une reconnaissance +à ses défenseurs, ils la doivent en particulier aux troupes qui +composaient la garnison de Gênes, soit par leurs souffrances, soit par +leur intrépidité à défendre la ville malgré le manque de nourriture. Un +peu de pain fabriqué avec de la paille hachée, du son, du cacao, un peu +de miel pour pouvoir lier ce mélange ensemble; et quand on le retirait +du four tombait-il en poussière. La viande était du mulet bien maigre; +les chiens et les chats faisaient nos meilleurs repas. Grâce au jus de +Bacchus! sans cela nous serions tous restés pour otages sous les murs de +Gênes. Si la ville a capitulé, c'est le défaut de vivres et la grande +mortalité qui en a été la seule cause. Au moment de la capitulation, on +recevait par homme six onces de cette mauvaise fabrication de pain, mais +toujours une bouteille de vin. + +La capitulation a été honorable pour nous; nous avons emmené autant +d'artillerie qu'il nous a été possible, tous nos bagages et autres +armements; tous nos malades et nos blessés ont été apportés en France +sur les bâtiments anglais. + +C'est après la fameuse bataille de Marengo que les Français sont rentrés +à la ville de Gênes et qu'il y a eu une suspension d'armes, pour en +venir à une conclusion de paix; de sorte que l'ennemi a eu la ville de +Gênes trois jours en possession, puis elle a été rendue par arrangement +avec six autres villes et forts. + +Dans ce moment, étant revenus à Draguignan à notre dépôt, nous avons été +envoyés à Digne, dans les Basses-Alpes, pour y prendre les eaux +thermales où j'en ai fait usage sans en être soulagé, de sorte que j'ai +été renvoyé dans mes foyers, le 5 vendémiaire an IX. Je suis arrivé à +Longchamp-sur-Laujon le 29 vendémiaire. + + + + +PRIÈRE DU SOLDAT RÉPUBLICAIN + + +N. B. Cette prière termine le manuscrit, elle est aussi de la main de +Fricasse. À première vue, elle nous avait paru l'extrait d'un sermon de +prêtre constitutionnel, mais nous avons changé d'idée en voyant le tour +incorrect de certaines phrases, lignes 16, 17, 23, et surtout les +dernières lignes. + +Elle peut parfaitement être l'oeuvre d'un sergent, et surtout d'un +sergent qui a débuté au couvent comme jardinier. On doit reconnaître +qu'il y a dans le second paragraphe une pensée juste et noble. + + + + +PRIÈRE DU SOLDAT RÉPUBLICAIN FRANÇAIS + + +Dieu de toute justice, être éternel et suprême souverain, arbitre de la +destinée de tous les hommes, toi qui es l'auteur de tous biens et de +toute justice, pourrais-tu rejeter la prière de l'homme vertueux qui ne +te demande que justice et liberté? + +Ah! si notre cause est injuste, ne la défends pas! La prière de l'impie +est un second péché, c'est t'outrager toi-même que de te demander ce qui +n'est pas conforme à ta volonté sainte. + +Mais nous te demandons que la puissance dont tu nous as revêtus soit +conforme à ta volonté. Prends sous ta protection sainte une nation +généreuse qui ne combat que pour l'égalité. Ôte à nos ennemis +détestables la force criminelle de nous nuire; brise les fers des +despotes orgueilleux qui veulent nous les forger. Bénis le drapeau de +l'union sous lequel nous voulons tous nous réunir pour obtenir notre +indépendance. Bénis les généreux citoyens qui exposent leur vie et leur +fortune pour défendre leur patrie. Bénis les mères respectables de ces +vertueux enfants de la patrie qui te prient de leur accorder victoire. +Ouvre les yeux de ceux qui sont égarés dans nos foyers afin qu'ils +rentrent à la raison, pour jouir avec nous des précieux fruits de +l'égalité et de la liberté, et chanter avec nous les cantiques et les +louanges dédiés à l'Être suprême. + +Nous adorons Dieu chacun à notre manière, sous la protection des lois et +sous la surveillance de l'autorité constituée, et nous n'en sommes que +meilleurs Républicains. + + + + +SUPPLÉMENT + + + + +I + +LA LEVÉE EN MASSE + +Extrait des _Mémoires sur Carnot_ + + +Le projet d'une levée en masse avait fait hésiter d'abord la Convention: +il l'étonnait par sa hardiesse; elle le renvoya à l'examen du Comité de +salut public. C'était le 12 août. Le 14, Carnot fut adjoint au comité; +le 16 le décret fut rendu au milieu des acclamations universelles; le +23, une loi organisa en ces termes la _réquisition permanente de tout +les Français pour la défense de la patrie_: + +«Les jeunes gens iront au combat; les hommes mariés forgeront les armes +et transporteront les subsistances; les femmes feront des tentes, des +habits, et serviront dans les hôpitaux; les enfants mettront le vieux +linge en charpie; les vieillards se feront porter sur les places +publiques pour exciter le courage des guerriers, prêcher la haine des +rois et l'unité de la République; + +«Les maisons nationales seront converties en casernes, les places +publiques en ateliers d'armes; le sol des caves sera lessivé pour en +extraire le salpêtre; + +«Les armes de calibre seront exclusivement remises à ceux qui marcheront +à l'ennemi: le service de l'intérieur se fera avec des fusils de chasse +et l'arme blanche; + +«Les chevaux de selle sont requis pour compléter les corps de cavalerie; +les chevaux de trait et autres que ceux employés à l'agriculture +conduiront l'artillerie et les vivres. + +«Le Comité de salut public est chargé de prendre les mesures nécessaires +pour établir sans délai une fabrication extraordinaire d'armes de tous +genres, qui réponde à l'élan et à l'énergie du peuple français.» + +La France offrit bientôt à ses adversaires le tableau que Barère avait +ainsi tracé d'avance. + +À Valmy, à Jemmapes encore, l'armée régulière avait joué l'unique rôle; +mais, à dater du temps que nous racontons, elle fut absorbée par la +multitude des volontaires et des réquisitionnaires. Désormais la +République sera moins servie sur les champs de bataille par des +militaires de profession que par des citoyens destinés à quitter +l'uniforme après l'accomplissement de leur croisade: grand exemple qui +révéla aux Français leur aptitude à acquérir promptement les qualités du +soldat. Ce n'est pas que, dans les premiers moments, ces conscrits qui +ne savaient pas tenir leur arme, qui s'élançaient follement et se +débandaient au moindre choc, ne donnassent de la tablature aux généraux; +la correspondance des représentants est toute semée de plaintes et +d'inquiétude à leur sujet; mais leur noviciat ne fut pas long: «Dès la +fin d'août, dit Jomini, les effets de la nouvelle levée se firent +sentir; le déblocus de Dunkerque et celui de Maubeuge en furent les +premiers résultats, et la grande réquisition acheva de nous assurer la +supériorité.» + +Il faut ajouter que cette grande réquisition rencontra moins de +difficultés que le recrutement de trois cent mille hommes au mois de +mars précédent. Le mouvement révolutionnaire s'était étendu, et l'idée +républicaine que tout citoyen doit le service à son pays avait gagné les +esprits. + +Toutefois, ce n'est pas avec des bandes tumultueuses que la France +aurait vaincu l'Europe; il fallait que la nation se transformât en +armée. + +C'est alors que se déploya surtout l'activité de Carnot. + +Il s'agissait d'organiser, selon le principe d'unité, une multitude +aussi peu homogène dans ses éléments que dans sa constitution. + +Elle se composait d'anciens soldats et de conscrits amenés, soit par la +levée des trois cent mille hommes, soit par la levée en masse, sans +compter les engagés volontaires de toutes les dates, les débris des +compagnies franches et les étrangers. + +Certains corps étaient restés comme avant la Révolution, tandis que +plusieurs généraux avaient formé les leurs en demi-brigade selon le mode +nouveau; puis il existait des légions françaises ou étrangères, mélange +de toutes armes. Il y avait des bataillons aguerris, expérimentés, +d'autres entièrement novices; il y avait des différences considérables +d'effectif entre les corps de même espèce; il y avait des grades +irrégulièrement acquis et en nombre exagéré; des soldats incorporés à la +hâte, sans qu'ils fussent aptes au service; les états manquaient à peu +près complètement. Quant à l'irrégularité des fournitures et de la +comptabilité, on aurait de la peine à s'imaginer ce qu'elle était. + +Par quel moyen ce chaos fut-il débrouillé? c'est ce que nous ne +pourrions dire sans surcharger une simple biographie de détails qui +appartiennent à l'histoire générale de l'armée française. + +Ce qui est certain, c'est que cette armée ne tarda pas à devenir la plus +homogène de l'Europe. + +Effacer toute distinction extérieure fut un des premiers objets de +sollicitude. La troupe de ligne avait en grande partie conservé l'ancien +uniforme blanc, tandis que les nouveaux arrivés portaient l'habit +national: source féconde en mésintelligence. Dès le 29 août, un arrêté +prescrivit l'unité du costume. + +L'arme du génie reçut une organisation nouvelle, dont Carnot s'occupa +tout spécialement. Les nombreuses compagnies de canonniers volontaires, +qui s'étaient formées et remarquablement bien exercées, furent +incorporées dans l'artillerie. On réussit même à improviser une +cavalerie. La disette des chevaux était extrême: des achats faits dans +toutes les contrées étrangères où nos agents purent pénétrer, une levée +extraordinaire dans les cantons et les arrondissements de la République, +et des dons spontanés nombreux, permirent de mettre en ligne des +cavaliers capables de se mesurer avec les formidables escadrons des +coalisés. + +En février 1792, la France n'avait qu'un effectif de 228,000 hommes +(204,000 sous les armes); avant le mois de mai, grâce à l'activité +déployée, elle comptait 471,000 soldats (présents 397,000); au 15 +juillet 479,000, si l'on s'en rapporte à une note de Saint-Just, +conservée pour sa propre instruction, et dont nous possédons +l'autographe. Le tableau officiel que nous consultons présente un +chiffre qui s'en éloigne peu, 483,000 (inscrits, 599,000). + +En décembre, l'effectif de l'armée s'élevait à 628,000 hommes (présents +sous les drapeaux, 554,000). Ce nombre alla croissant jusqu'à 1,026,000 +(732,000 sur terrain du combat en septembre 1794). Il n'y a pas de +raison sérieuse pour contester ces états, publiés à une époque où +l'exagération ne pouvait profiter de rien (1797). Cependant on a dit que +les phalanges républicaines n'avaient jamais compté au delà de 600,000 +hommes, un écrivain les a réduites à 500,000, un autre à 400,000, en +ajoutant qu'ils n'étaient ni armés, ni nourris, ni vêtus. Espère-t-on, +par de telles assertions, rabaisser le mérite des dictateurs +révolutionnaires? on l'élève au contraire. Moins on leur supposera de +ressources entre les mains, plus admirable apparaîtra le résultat +obtenu: la coalition vaincue ne doit pas de reconnaissance aux auteurs +des nouveaux calculs. + +«Rien ne peut effacer cette vérité historique, que la Convention a +trouvé l'ennemi à trente lieues de Paris, et qu'on a dû à ses prodigieux +efforts de conclure la paix à trente lieues de Vienne.» C'est Benjamin +Constant qui dit cela: Benjamin Constant est un esprit de 1791; partisan +des principes, il est généralement peu admirateur des faits de la +Révolution. + + + + +II + +LEVÉE DU BLOCUS DE MAUBEUGE ET COMBAT DE WATIGNIES + +Extrait des _Mémoires sur Carnot_ + + +Des nouvelles alarmantes arrivaient du Nord. + +Malgré la victoire d'Hondschoote, qui promettait de donner aux armées +françaises une prépondérance décisive, mais dont le général Houchard +n'avait pas su tirer parti, la situation faite par Norwinde avait peu +changé. Le Quesnoy était dans les mains des coalisés; maîtres déjà de +Valenciennes et de Condé, ils possédaient l'Escaut; leur ambition allait +maintenant à dominer également la Sambre, en s'emparant de Maubeuge, qui +serait devenue leur base d'opérations. Cette place tombée, rien +n'arrêtait sérieusement leur marche vers la capitale. + +Le 29 septembre, le prince de Cobourg força le passage de la rivière par +six colonnes, investit Maubeuge, et porta son armée d'observation sur +Avesnes et Landrecies. + +La place de Maubeuge, assez médiocre, était couverte par un camp +retranché, avantageusement situé, où venaient de se rallier vingt mille +hommes, qui se trouvèrent bloqués du même coup. Peut-être le général +autrichien avait-il commis une imprudence en laissant se grouper cette +force imposante dont il ne pouvait prévoir la malheureuse immobilité. +Mais il n'ignorait pas que les approvisionnements de la ville seraient +bientôt insuffisants pour des bouches aussi nombreuses. Les troupes, en +effet, furent d'abord réduites à la demi-ration: au bout de peu de jours +la disette était complète. Des maladies éclatèrent, et les hôpitaux ne +pouvant plus contenir les malades, il fallut les déposer sous les +hangars des faubourgs. Cependant les assiégeants élevaient des travaux +formidables, trois batteries de vingt pièces de 24, et le cercle de +leurs canons se resserrait tellement que les boulets passaient en +sifflant au-dessus du camp retranché, pour aller porter la mort et la +destruction dans la ville. Beaucoup d'habitants des environs s'y étaient +réfugiés, et ils augmentaient les alarmes, en racontant le pillage de +leurs fermes et l'incendie de leurs demeures. + +Trois commissaires de la Convention s'efforçaient de soutenir les +courages. Ils voulurent faire connaître au gouvernement la situation +critique de Maubeuge: l'un deux, Drouet, dès les premiers moments du +blocus, tenta, avec plus d'audace que de prudence, de franchir les +lignes ennemies: il fut pris et alla expier dans les cachots le souvenir +de Varennes. Quelques jours après, treize dragons se dévouèrent; ils +traversèrent la Sambre à la nage et parvinrent à gagner Philippeville. + +Mais la République n'avait pas attendu cet appel de détresse pour +secourir ses enfants, les sauveurs approchaient. Dans la soirée du 14 au +15 octobre, les assiégés entendirent, à travers le feu des Autrichiens, +une canonnade plus lointaine. Ils n'osaient pas encore se livrer à la +joie, les uns craignant que ce bruit n'annonçât le bombardement +d'Avesnes, d'autres redoutant un piège de l'ennemi pour attirer nos +soldats hors du camp et les mettre aux prises avec une armée qui les +écraserait de sa supériorité. Au milieu de ces incertitudes, les +défenseurs de Maubeuge demeurèrent inactifs, et ne secondèrent pas, +comme ils l'auraient pu faire, les efforts de leurs libérateurs. + +Car cette canonnade était bien celle de l'armée française, qui arrivait +au secours de la ville. + +Voici ce qui s'était passé: + +Les opérations militaires importantes et rapides qui devaient être +exécutées dans le Nord, avaient fait sentir la nécessité d'une main plus +jeune et plus forte que celle de Houchard. Carnot, témoin de la belle +conduite de Jourdan à Hondschoote, le désigna au Comité. Son choix ayant +été ratifié, il se rendit lui-même près du nouveau général pour lui +porter sa commission, qui réunissait sous son commandement les forces +disponibles des armées du Nord et des Ardennes. Jourdan esquissa un +projet, que Carnot approuva dans ses données principales, et qui fut +utilisé plus tard, mais qui ne lui paraissait pas en rapport avec +l'imminence du danger. De retour au sein du Comité, il proposa d'aller +attaquer directement l'ennemi dans sa redoutable position, afin de +délivrer Maubeuge; c'était presque une question de vie et mort pour la +République. Ses collègues trouvèrent l'entreprise trop audacieuse pour +la confier à un général qui commandait en chef pour la première fois, et +ils ne consentirent à l'adopter qu'à la condition que Carnot irait +lui-même en prendre la direction. + +Celui-ci ne se donna pas même le temps d'aller dire adieu à sa famille. +Il partit dans la nuit, après avoir envoyé un courrier à Péronne, où +résidait son frère Feulins, prévoyant qu'il aurait besoin de lui pour +quelque sorte de dévouement. À la demande de Carnot, on lui avait +adjoint le conventionnel Duquesnoy, qui l'avait si bien secondé à +l'attaque de Furnes, et qui allait également retrouver son frère sous +les murs de Maubeuge. Tous, ainsi que Jourdan, se rencontrèrent à +Péronne le 7 octobre, et ils se transportèrent à Guise, lieu du +rendez-vous général, qui prit de là le nom de Réunion-sur-Oise. Carnot +écrit: «Les soldats ont confiance en lui et ne demandent qu'à se battre; +nous espérons ne pas les faire languir. L'affaire sera chaude; mais nous +vaincrons et la patrie sera sauvée.» Et puis: «Il nous faudrait au moins +quinze mille baïonnettes pour charger l'ennemi à la française.» + +Après une conférence entre Jourdan et les commissaires de l'Assemblée, +le quartier général fut porté rapidement de Guise à Avesnes, à deux +lieues des postes avancés du prince de Cobourg. + +Quarante-cinq mille soldats environ, tirés des camps de Gavarelle, de +Cassel et de Lille, composaient l'armée française où les nouvelles +levées étaient encore très imparfaitement organisées: Cobourg avait de +soixante-quinze à quatre-vingt mille hommes, partagés en deux corps, +l'un d'investissement (quarante mille au moins), autour de Maubeuge; +l'autre d'observation (trente-cinq mille), au sud de cette ville, dans +les positions de Wattignies, Doulers, Saint-Rémy et autres villages, le +long d'un petit affluent de la Sambre, le Tarsy. Fortement postés sur +des hauteurs hérissées de batteries, couverts par des fossés palissadés +par des haies très élevées, par d'immenses coupes d'arbres renversés +avec leurs branches, et toutes les routes étant rompues, les Autrichiens +semblaient dans une position tellement inexpugnable, que leur général, +en accès de jactance, dit à ses officiers: «Les Français sont de fiers +républicains, mais, s'ils me chassent d'ici, je me fais républicain +moi-même.» + +Cette bravade fut portée dans l'autre camp, où elle stimula vivement +l'amour-propre national. Nos soldats se répétaient gaiement qu'ils +iraient sommer le citoyen Cobourg de tenir sa parole. + +Le lendemain, 14 octobre, reconnaissance des positions ennemies par +Jourdan et Carnot, fusillade engagée sur la ligne et terminée par +quelques coups de canon, qui retentirent jusqu'à Maubeuge et allèrent +porter l'espoir dans le coeur des assiégés. + +Le 15 au matin, les Français s'ébranlent: la division Fromentin, +détachée à l'aile gauche, s'avance par l'ancienne voie romaine de Reims +à Bavai, vers le village du Monceau. Au centre le général Balland, avec +plusieurs batteries de 16 et de 12, débouche au travers la haie +d'Avesnes, terrain fort inégal et couvert de bois (il l'est aujourd'hui +de pâturage) et vient occuper les hauteurs en face de Doulers et de +Saint-Aubin. Le général Duquesnoy, frère du député, commandait la +droite, prend possession du village de Beugnies. Le quartier général est +porté au point où la route de Soire-le-Château vient s'embrancher sur +celle d'Avesnes à Maubeuge. + +Les opérations projetée avaient pour appui les places de Rocroy, +Marienbourg, Philippeville, et les détachements qui s'avançaient de ce +côté par les ordres de Jourdan: car nous avons dit que, dans ces graves +circonstances, le Comité avait mis l'armée des Ardennes à sa +disposition. + +Vers sept heures du matin, le général en chef s'avance, accompagné des +deux représentants de la Convention. Le signal de l'attaque est donné +sur tous les points à la fois. Le plan adopté avait pour but, en quelque +endroit que l'on fût victorieux, de se précipiter vers Maubeuge pour +donner la main au camp retranché. Mais en cas de revers, on conservait +toujours la route de Guise. Les deux ailes devaient marcher rapidement, +tandis qu'au centre, à Doulers, on se bornerait à une canonnade. Des +batteries, postées devant ce village, démontèrent celles que l'ennemi +avait établies au delà, derrière les habitations qui bordent la grande +route. Les boulets des deux artilleries se croisaient par-dessus le +village situé à mi-côte. Plusieurs de nos pièces, servies par les braves +canonniers de la commune de Paris, firent merveille, comme à +l'ordinaire. + +Tout sembla marcher d'abord à souhait: le général Fromentin, à la tête +de douze mille fantassins, délogea les tirailleurs autrichiens des +hauteurs qui couronnent les villages de Saint-Remy et de Saint-Waast. +Duquesnoy gagnait également du terrain sur la droite; maître de Dimont +et de Dimechaux, il commençait déjà le feu contre Wattignies. Nos ailes +semblaient devoir se joindre par un mouvement concentrique, qui mettait +l'armée ennemie dans le plus grand péril. + +À la nouvelle de ces succès, capables d'amener la perte totale des +Autrichiens, la canonnade de Doulers fut transformée en une attaque de +vive force. L'entreprise était difficile. La division Balland (environ +treize mille hommes) voyait sur tous les points culminants, au delà du +village, déjà puissamment défendu, une masse de bouches à feu +menaçantes, et aux abords de toutes les routes une cavalerie impatiente +de s'élancer. + +Rien pourtant ne fit hésiter les républicains: ils coururent à l'ennemi +en chantant la Marseillaise, ayant à leur tête, avec le général en chef, +les représentants du peuple, dont l'exemple les enthousiasmait; ils +franchirent impétueusement les premiers obstacles du terrain, +pénétrèrent à la baïonnette dans le village et s'emparèrent du château; +ils s'apprêtaient à escalader les hauteurs qui sont au delà du vallon de +la Bracquière, lorsqu'une épouvantable mitraille vint les arrêter. +Menacés en même temps par la cavalerie prête à charger sur leurs flancs, +ils furent contraints d'abandonner les positions conquises avec tant +d'héroïsme. + +La rapidité avec laquelle ces positions avaient été enlevées par nos +jeunes soldats permettait cependant de grandes espérances pour une +seconde tentative. Leur élan était irrésistible. Les commissaires de +l'Assemblée voulurent le mettre à profit. Le général balançait. Carnot, +dans un mouvement d'impatience, laissa échapper ces mots: «Pas trop de +prudence, général!»--Jourdan, blessé au vif (et blessé justement, il +faut en convenir), donne aussitôt le signal d'une nouvelle attaque, et +la fait appuyer par une colonne de cavalerie, chargée de tourner la +position. Cette cavalerie, trouve toutes les issues barricadées. Pendant +ce temps l'assaut recommence: mêmes efforts, même succès d'abord même +issue fatale. + +Cette fois, ce fut Jourdan, piqué d'honneur, qui voulut absolument +retourner à la charge, mais sans meilleur résultat: les Autrichiens +venaient de recevoir du renfort de leur droite, où nos affaires +s'étaient gâtées. + +Le général Fromentin, enivré par ses premiers avantages, au lieu de +longer la lisière du grand bois Leroy, comme on lui avait recommandé de +le faire, afin de pouvoir s'abriter contre la cavalerie supérieure de +l'ennemi, s'était imprudemment aventuré dans la plaine de Berlaimont, +avec des troupes de nouvelle levée; les escadrons autrichiens, +débouchant tout à coup des bois de Doulers, les assaillirent et jetèrent +dans leurs rangs la panique et la déroute. + +Dès que ces fâcheuses nouvelles furent connues au centre, on dut +renoncer à l'attaque de Doulers, calculée sur les progrès des deux +ailes. Il fallait changer le plan, que l'échec de Fromentin venait de +compromette. + +Le premier cri de Jourdan fut celui-ci: «Allons au secours de l'aile +gauche!» l'ordre en était déjà donné, lorsque Carnot survint: «Général, +dit-il avec vivacité, voilà comme on perd une bataille!» et l'ordre fut +révoqué. + +La nuit était venue, la fusillade cessa; les deux armées bivaquèrent sur +le champ du combat. + +Le conseil s'étant rassemblé, Jourdan développa son opinion: selon les +principes de l'ancienne guerre, il proposait d'abandonner toute pensée +d'attaque sur le centre de l'ennemi, et de diriger des forces vers notre +aile gauche, afin d'y rétablir l'équilibre. Carnot soutint au contraire +qu'il fallait rappeler la division Fromentin, et concentrer nos efforts +sur la droite, déjà en voie de succès, manoeuvre qui nous conservait les +avantages de l'offensive, si importante pour de jeunes soldats, peu +faits aux chances de la guerre. «Qu'importe, s'écria-t-il, que nous +entrions à Maubeuge par la droite ou par la gauche?» + +--C'est là que nous devons triompher?» ajouta-t-il en mettant le doigt +sur le plan au point de Wattignies. Wattignies étant plus rapproché que +Doulers de la ville et du camp, cette position enlevée, l'autre devenait +sans importance. D'ailleurs les corps détachés de l'armée des Ardennes, +qui s'avançaient sous les ordres des généraux Elie et Beauregard, vers +l'extrême gauche de l'ennemi, allaient bientôt se trouver en mesure +d'appuyer le mouvement proposé par Carnot. «Si nous cédons à l'avis du +représentant du peuple,» dit Jourdan, «je le préviens qu'il en prend la +responsabilité.--Je me charge de tout, et même de l'exécution,» s'écria +Carnot avec une ardeur qui entraîna le conseil. Jourdan eut le bon +esprit de faire sienne l'idée qu'il venait de combattre, et la seconda +avec autant d'intelligence que d'empressement. + +Carnot comptait sur la nature d'un terrain très escarpé et très boisé, +qui cacherait notre marche, et qui, cette marche découverte, permettrait +de se défendre avec des forces peu considérables, soutenues par la place +d'Avesnes. Il comptait aussi sur le caractère connu du général allemand, +qui ne présumerait jamais, de la part de ses adversaires, une manoeuvre +aussi éloignée de la stratégie en usage, et duquel on ne devait guère +attendre non plus un trait hardi et improvisé. + +Il faut ajouter qu'un heureux hasard vint favoriser les Français: un +brouillard épais, phénomène fréquent dans cette saison, s'éleva entre +eux et celui qui avait tant d'intérêt à observer leur mouvement; il dura +jusque vers midi. Derrière ce rideau, six ou sept mille hommes, partis +du centre et de la gauche, passèrent à la droite; cette manoeuvre donna à +notre armée une direction perpendiculaire à celle qu'elle avait eue la +veille. Le prince de Cobourg, qui nous croyait dans l'ancienne +disposition, n'avait rien changé à la sienne. Pendant le même temps; le +général Beauregard, après s'être emparé des villages de Berelles et +d'Eccles, vint se placer derrière Obrechies, pour seconder l'attaque que +l'on méditait. + +Afin de mieux dérouter l'ennemi, les généraux Balland et Fromentin +entretinrent le feu de leurs batteries du côté de Doulers, feignant de +vouloir renouveler les tentatives de la veille, tandis que Jourdan et +les représentants du peuple marchaient au plateau de Wattignies, qui +allait devenir le but d'un effort concentrique. Vingt-quatre mille +hommes allaient y combattre. Les Autrichiens demeurèrent stupéfaits +lorsque le brouillard s'étant déchiré, un soleil splendide leur montra +une masse d'assaillants gravissant vers eux au cri de Vive la +République! Carnot et Duquesnoy s'avançaient à la tête d'une des trois +colonnes d'attaque, leurs chapeaux de représentant sur la pointe de +leurs sabres. + +La position des Autrichiens était très forte. Le village de Wattignies, +qui donna son nom à la bataille, est situé sur un plateau élevé, +qu'entourent des vallons profonds et des cours d'eau, et ces obstacles +naturels avaient encore été augmentés par de nombreux retranchements. Le +plateau lui-même se trouve dominé par les hauteurs de Clarye, +aujourd'hui cultivées, mais alors couvertes de bruyère et également +occupées par l'ennemi. + +L'infanterie française marchait, soutenue par des batteries de campagne, +dont les boulets lui ouvraient la voie: «De l'aveu des Autrichiens, dit +un historien (Toulongeon), jamais ils n'avaient vu une si terrible +exécution d'artillerie. Ils dirent qu'ils entendaient, pendant les +détonations des bouches à feu, retentir dans les rangs républicains les +chants belliqueux et les airs patriotiques.» + +Cependant le feu de l'ennemi, n'était ni moins bien nourri, ni moins +meurtrier que le nôtre; les tirailleurs du général Duquesnoy, refoulés, +renversés, mitraillés, reculèrent. En ce moment le colonel +Carnot-Feulins aperçut un bataillon de nouvelles recrues qui s'était +réfugié dans un pli du terrain, à l'abri des coups, les soldats groupés +autour de leur commandant, «comme des poulets effrayés par un oiseau de +proie.» C'est l'expression dont se servait mon oncle en racontant cet +épisode. Après leur avoir vainement ordonné de marcher, Carnot-Feulins +saisit l'officier par le collet de son habit et l'entraîne au pas de son +cheval jusque sous la mitraille; le bataillon, qui l'a suivi, rachète +par une charge vigoureuse cette minute de poltronnerie. + +Deux fois les Français sont repoussés avec des pertes considérables. +Enfin un assaut général semble nous donner la victoire partout en même +temps: Fromentin oblige son adversaire Bellegarde d'abandonner les +redoutes de Saint-Waast et de Saint-Aubin; Balland chasse les grenadiers +bohêmes des hauteurs de Doulers, qui foudroyaient Wattignies; nos +tirailleurs redoublent d'efforts. Le village de Wattignies est pris et +repris à la baïonnette, malgré les haies et les palissades qui entourent +ces jardins; trois régiments autrichiens sont anéantis; l'ennemi se +retire en désordre sur les hauteurs de Clarye, où il trouve une position +dangereuse encore pour les vainqueurs. + +Cobourg a compris le nouveau plan de ses adversaires; il a rappelé vers +le centre une portion de son aile droite, et au moment où une brigade +française, sous les ordres du général Gratien, s'avance en tiraillant au +milieu des bruyères, les cavaliers impériaux accourent sur elle l'épée +haute; elle ne soutient pas le choc, elle se débande et ouvre une large +trouée, par où les chevaux se précipitent. Le général lui-même commande +la retraite. + +Cet acte de faiblesse et de désobéissance (car Gratien avait des ordres +formels qui lui prescrivaient de se porter en avant), pouvait +démoraliser nos soldats et compromettre tous leurs avantages. Carnot, +l'aîné, s'en aperçoit, il s'élance vers la brigade Gratien, la fait +mettre en bataille sur un plateau élevé, en vue de toute l'armée, et +destitue solennellement le chef qui venait de reculer devant l'ennemi, +puis il saute à bas de son cheval et forme cette brigade en colonne +d'assaut. + +En ce moment son regard découvre un pauvre conscrit, blotti derrière une +haie et tremblant de tous ses membres, Carnot s'approche de lui, ramasse +son fusil, le décharge sur l'ennemi, puis ramène le jeune homme et le +place dans les rangs. Prenant ensuite l'arme d'un grenadier blessé, il +marche à la tête d'une colonne, tandis que son collègue Duquesnoy, comme +lui revêtu de l'écharpe nationale et du costume de représentant, +s'avance avec Jourdan à la tête de l'autre. Les soldats honteux de leur +fuite, veulent en effacer le souvenir par un redoublement de courage en +présence des commissaires de l'Assemblée: ils s'élancent avec +impétuosité. + +Le colonel Carnot-Feulins fait en ce moment une manoeuvre décisive: il +porte rapidement une batterie de douze pièces sur le flanc de la +cavalerie autrichienne, qui venait de nous faire tant de mal: son feu, +bien dirigé, renverse les escadrons. L'ennemi s'arrête, recule et fuit +dans la direction de Beaufort. + +La position, cette fois, était enlevée. + +Les deux représentants du peuple atteignirent en même temps le sommet du +plateau; vainqueurs tous deux, ils s'embrassèrent aux yeux des soldats +enivrés, et un immense cri de Vive la République! apprit à l'armée +française son triomphe, à l'ennemi sa défaite. + +Belle journée, qui arracha cette exclamation patriotique à un émigré, +Chateaubriand: «Les Français recouvrèrent à Wattignies ce brillant +courage qu'ils semblaient avoir perdu depuis Jemmapes. + +«On les vit se précipiter avec cette ardeur qui distingue leur première +charge de celle des autres peuples.» + +Le soir même, le prince de Cobourg, jugeant prudent de ne pas attendre +un second choc de ces soldats républicains, qu'il qualifiait d'enragés +dans son bulletin, prit le parti de repasser la Sambre, bien que ses +lieutenants, Haddick et Benjowski, eussent obtenu d'assez notables +avantages à l'aile gauche, sur les généraux français Élie et Beauregard, +et bien que le duc d'York accourût à son aide, ce qui peut-être eût fait +tourner la chance en sa faveur. Un brouillard comme celui qui avait +favorisé la veille notre heureuse évolution couvrit celle que dut faire +l'ennemi pour se mettre hors de notre portée. Il avait perdu trois mille +hommes, et nous moitié de ce nombre. + +Beaucoup d'officiers s'étaient distingués: parmi eux le brave +d'Hautpoul, tué plus tard à Eylau, et Mortier, futur maréchal de France, +blessé à l'attaque de Doulers. Celui-ci reçut de Carnot, pendant qu'on +le pansait à l'ambulance, le grade d'adjudant général. Quant aux +soldats, le rapport de Jourdan résume leur conduite en un mot: +«C'étaient autant de héros!» + +La nuit avait couvert le champ de bataille. Carnot, éloigné des siens, +privé de monture, excédé de besoins et de lassitude était demeuré seul, +tourmenté par la pensée que sa présence pouvait être nécessaire au +quartier général pour arrêter les dispositions du lendemain; car il +ignorait encore la fuite de l'ennemi. Il fut heureusement rencontré par +un détachement de cavalerie, dont le chef lui fit accepter son cheval et +l'escorta jusqu'à Avesnes. L'alarme s'y était déjà répandue: on +craignait que l'un des représentants de l'Assemblée ne fût au nombre des +morts, et l'on avait envoyé à sa découverte. + +«Le 17,» raconte un historien local, «les vainqueurs de Wattignies +longeaient le cours de la Sambre et entraient à Maubeuge, au milieu des +transports d'une joie frénétique. La fumée de la poudre, la poussière +des bivacs, ainsi que le désordre de leurs vêtements,--joints à +l'assurance que procure la victoire, leur donnaient un air martial et +terrible, qui contrastait avec l'abattement et le dépit des troupes du +camp, honteuses de leur inaction, et ne sachant comment répondre aux +reproches amères qui leur étaient adressés!...» + +Sans cette déplorable inaction, en effet, notre victoire eût été +beaucoup plus complète, et toute l'artillerie de l'ennemi serait +probablement tombée entre nos mains. + +La Convention, la République entière joignirent leurs acclamations +reconnaissantes à celles des habitants de Maubeuge: la Révolution venait +d'échapper à l'un de ses plus grands périls. + +Carnot repartit pour Paris immédiatement; et, dès le surlendemain, il +écrivait à l'armée pour la féliciter de son triomphe, sans donner à +entendre, même indirectement, qu'il en avait été spectateur et acteur. +Il semblait n'avoir pas quitté son bureau. + + + + +III + + +ÉVACUATION DE KEHL + +Extrait d'un _Mémoire militaire sur Kehl_, par un officier supérieur de +l'armée. Strasbourg, Levrault, 1797. + + +Ainsi finit, après cinquante jours de tranchée ouverte et cent quinze +jours d'investissement, un des sièges mémorables que puisse offrir +l'histoire. En effet, on voit d'une part une armée de soixante-dix +bataillons aguerris, fière d'avoir forcé son ennemi à la retraite, +déployer tout l'appareil d'un grand siège contre des retranchements +informes, suppléant à l'audace qui lui manque par l'immensité de ses +travaux, faisant le siège de quelques ouvrages détachés, déployant une +artillerie formidable contre des masures occupées par des tirailleurs; +néanmoins son adversaire dispute le terrain pied à pied; elle est forcée +de donner un assaut à chaque partie d'ouvrage où elle veut se loger et +perd en détail plus de soldats qu'une attaque générale ne lui on eût +coûté. Enfin elle arrive à son but après avoir perdu six mille hommes et +consommé les munitions nécessaires au siège d'une place de première +ligne. + +De l'autre côté, une place construite à la hâte, en terre, dont quelques +parties seulement sont revêtues, sans bâtiments, sans magasins, sans +abris; liée à un camp retranché d'un grand développement, mais dont les +principales défenses consistant en flaques et en marais se trouvent +réduits à rien par la gelée. À la vérité, elle a l'avantage de ne +pouvoir être entièrement bloquée et de conserver une communication +facile avec Strasbourg, ce qui en impose assez à l'ennemi pour l'engager +à ne rien donner au hasard: quoique défendue par des troupes harassées +d'une longue retraite, auxquelles on ne peut fournir les objets +d'habillement et les soulagements les plus indispensables, le terme de +sa défense dépasse de beaucoup celui qu'on eût pu lui prescrire... +Presque toutes les palissades étaient renversées, les fossés comblés en +partie par les éboulements des parapets, et l'arrivée des renforts +devenue très difficile... On se décida donc à évacuer... On n'eut guère +que vingt-quatre heures pour tout enlever. Néanmoins on y mit une telle +activité qu'on ne laissa pas à l'ennemi une seule palissade; tout fut +ramené à la rive droite, jusqu'aux éclats de bombes et d'obus, et aux +bois des plates-formes. + + + + +UNIFORMES FRANÇAIS + +(ARMÉES DE SAMBRE-ET-MEUSE ET RHIN-ET-MOSELLE) + + +Je tenais particulièrement à donner avec ce journal des dessins +d'uniformes français dont l'authenticité fût égale à celle du texte. +Bien qu'il n'y ait pas encore un siècle écoulé depuis 1792, la chose +était malaisée. Il est plus facile de retrouver la tenue exacte d'un +fantassin du quinzième siècle que celle d'un soldat de l'armée de +Rhin-et-Moselle. Après l'avoir vainement cherchée en France, c'est en +Allemagne que je l'ai rencontrée, grâce à mon confrère Raffet, du +Cabinet des Estampes de la Bibliothèque nationale. + +Pour bien connaître certains secrets de la vie parisienne, il convient +souvent de lire les correspondances des journaux étrangers. De même, il +faut voir les gravures allemandes de 1792 à 1802 pour se faire une idée +de la tenue qu'avaient alors nos troupiers en campagne. Rien de plus +imprévu ni de plus décousu; on se figure aisément la surprise des bons +Germains habitués à la correction de tenue et de mouvements des armées +disciplinées à la prussienne. Leurs dessinateurs ont aussitôt voulu en +fixer le souvenir; ils n'ont rien dissimulé des habits déchirés, des +chemises en lambeaux, des souliers troués; ils ont mis à nu toutes les +misères de ces conquérants affamés, qu'ils personnifient souvent en la +personne d'un maigre fantassin ouvrant la bouche pour avaler cette boule +ronde qui représente le monde, avec l'inscription: _il y passera_. + +Les Allemands devaient sentir cruellement la présence de ces bandes qui +vivaient généralement sur leurs conquêtes, et cependant ils ne peuvent +donner d'air féroce à leurs oppresseurs. Autant ils prêtent une mine +grognonne à leurs compatriotes en armes, autant ils conservent un air +souriant à ces endiablés qui veulent absolument boire leur vin et danser +avec leurs filles, non sans leur prodiguer les caresses les plus +cavalières. Ils ont même voulu sans doute faire honte aux faiblesses des +femmes qui ont fini par sourire à ces gueux, car une de leurs +caricatures favorites représente un pantalon d'uniforme français dont +chaque jambe est tirée en sens contraire par deux commères rivales. +D'autres sujets favoris sont le départ du régiment, les femmes en +pleurs, et des petits berceaux où le nouveau-né montre une tête +miraculeusement coiffée d'un bonnet de grenadier. + +Il faut avouer que les séducteurs n'avaient que la figure pour eux et +qu'il leur fallait une amabilité prodigieuse pour masquer les désastres +de leur uniforme. Des artistes de talent ont, après coup, naturalisé en +France un type _correct_ du soldat républicain; il porte moustaches, a +le cou découvert, la cravate noire; son chapeau est mis _en colonne_ et +son pantalon a des raies roses; mais en réalité c'est moins coquet. +D'abord le chapeau à cornes, considéré comme gênant, est coiffé +crânement en bataille comme celui des gendarmes, et le plus souvent à +rebours, bien en arrière, cocarde et panache du côté du dos. La ganse de +la cocarde sert de ratelier à divers menus objets. Tantôt c'est la pipe +qu'on y passe; tantôt la cuiller et la fourchette à deux pointes s'y +croisent en manière de pompon gastronomique. Quelquefois la cuiller +change de place et se passe élégamment dans deux boutonnières du revers +d'habit. Le casque et le bonnet de hussard sont également rejetés en +arrière de la tête. La moustache est une exception. La cravate monte +très haut, fait plusieurs tours et ses bouts retombent avec un gros noeud +sur les buffleteries. Cette forte cravate, presque toujours rayée, est +plus souvent jaunâtre que noire. Comme on le verra, l'habit boutonne peu +et les coudes, parfois troués, donnent une triste idée de la blancheur +que pouvaient avoir conservée les revers et le gilet. + +Le pantalon est à pont, plus ou moins bien boutonné; s'il est rayé, ses +rayures affectent toutes les dispositions et toutes les couleurs; les +carreaux, les losanges, les zébrures se remarquent dans l'uniforme des +volontaires, et certains officiers, qui portent le sac au dos comme +leurs soldats, ont de véritables chausses collantes, rayées +horizontalement de rouge, blanc et bleu maintenues par des sous-pieds +fort longs qui vont chercher le pantalon au-dessus de la cheville. Les +chaussures, dont nous avons rempli tout exprès une page, sont presque +toujours dans le plus triste état; un chasseur à pied que nous +reproduisons plus loin, paraît n'avoir plus que des semelles fixées par +des lanières. Un autre a les pieds complètement nus. La cavalerie n'en +est pas encore aux habits à pans écourtés, même dans certains régiments +de hussards, elle reste fidèle aux pans longs agrémentés de passepoils +et de force boutons; la basane qui protège quelques pantalons a des +contours à la grecque; le bonnet des hussards est surmonté d'un panache +presque aussi long, et le casque sans visière des dragons disparaît avec +une partie du visage sous une crinière échevelée qui leur donne un +aspect féroce. L'artillerie ne se distingue que par sa tenue complète de +drap bleu; son aspect sévère est relevé par les soutaches rouges du +gilet dans l'artillerie à cheval. + +Le havre-sac de beaucoup de soldats n'a rien de la forme régulière +d'aujourd'hui. C'est un sac ordinaire en cuir ou en toile brune, serré à +la gorge par une ficelle, maintenu par des bretelles; et il descend +presque sur les reins du patient, ce qui devait augmenter le poids. + +Un seul soldat porte le bonnet de police à flamme longue avec un havre +sac vraiment militaire, mais dont les courroies retiennent tout un +monde. Dans le haut s'étale une oie; son cou est serré par la bretelle, +et sa tête retombe mélancoliquement dans la direction d'une marmite +ballottant à hauteur de la giberne. Le centre est barré par un pain +long, et un flacon pend sur le côté droit. On voit que l'assortiment est +complet et que nos zouaves n'ont rien inventé. Les officiers ont des +pistolets à la ceinture, et portent le hausse-col retenu par une +chaînette ou par un cordon plus long qu'on ne l'a porté depuis; c'est +avec le sabre le seul insigne qui annonce le grade sur la longue capote +de campagne. Presque tous les tambours sont des enfants ou des +adolescents; comme âge, Barras n'était pas une exception. + +J'ai parlé de la surprise causée de l'autre côté du Rhin par +l'apparition des armées républicaines. On a peine à croire qu'elle se +soit traduite d'une façon flatteuse pour nos armes, et cela au coeur même +des pays allemands. Rien n'est cependant plus certain quand on peut être +mis en présence d'une sorte d'album, in-quarto oblong imprimé à Leipzig +en 1794 pour le compte du libraire Friedrich August Leo. Le texte +allemand et français est précédé des deux titres généraux que voici: + + _Abbildung und Beschreibung Verschiedener Truppen des franzosischen + armee, mit illuminirten Kupfern_. + + Représentation et description de différentes troupes de l'armée + française, avec des planches coloriées. + +Le texte est sur deux colonnes. Voici le titre particulier de la partie +française: + +«Description des quelques corps composant les armées (françaises), par +un témoin oculaire. _Leipzig, bei Friedrich August Leo_, 1794.» + +Cette description nous a paru si intéressante et même si surprenante au +point de vue politique que nous la reproduisons intégralement ici. Son +rapport avec notre sujet est direct, et les détails donnés sont d'une +exactitude précieuse[68]. + +L'auteur allemand s'exprime en ces termes: + +«L'énergie, la bravoure et la constance avec laquelle les troupes +françaises font une guerre qui n'a pas encore d'exemple dans l'histoire, +doivent faire réfléchir toute tête à laquelle les intérêts de ce bas +monde ne sont pas indifférents. + +«Combien de choses jusqu'à présent a-t-on cru sur parole indispensables +à une armée pour la rendre victorieuse et dont se sont passé depuis +quatre ans les armées françaises? + +«La sévère discipline que Frédéric II avait introduite parmi ses troupes +a fait beaucoup d'imitateurs et trouvé une infinité de partisans. Trompé +par l'apparence, on s'est imaginé que la sévérité poussée jusqu'à la +plus inhumaine contrainte, rendait des automates invincibles ou +victorieux. On en aurait jugé bien autrement dans le temps des succès de +Frédéric, si on avait eu le mot de l'énigme... + +«La guerre présente est bien capable de détruire une prévention qui fait +généralement à chaque soldat une victime dévouée aux coups de bâton de +toute une échelle de supérieurs. + +«Partout on prétend que les armées agissent et partout le soldat est une +créature passive qui ne peut ni se mouvoir ni agir. En garnison on +accoutume le soldat à s'humilier sous le bâton, et quand on a la guerre +on prétend qu'il soit sensible à l'affront d'une défaite dont la honte +ne retombe jamais sur lui. + +«C'est cependant avec des hommes ainsi dégradés qu'on prétend vaincre +des troupes qui ne connaissent de différences entre les individus que +celles des fonctions qui leurs sont confiées; de discipline que le +devoir du degré où chacun se trouve placé, et de subordination que celle +qu'imposent la loi et l'avantage du service. Jamais en avilissant +l'homme on ne lui fera faire de grandes choses; ce n'est qu'en lui +montrant qu'il est digne de cet honneur qu'on lui fait venir l'envie de +l'acquérir. + +«Les hommes sont ce qu'on les fait. C'est à ceux qui les emploient à +savoir les manier, les former tels qu'ils doivent être pour remplir ce +qu'on en attend. Mais on ne doit pas s'attendre qu'on les intéresse à +faire réussir des projets qui ne leur offrent aucune perspective +avantageuse pour eux ou les leurs contre des hommes qui se sont donné +une manière d'être qu'ils trouvent bonne et qu'ils croient avoir droit +de défendre envers et contre tous... + +«Entre princes, la guerre est un jeu de hasard où le dernier écu décide. +Entre princes et nation c'est le lion enveloppé d'un filet: la souris +n'est pas toujours là pour en ronger les mailles. On perd quelquefois de +vue que l'on ne peut rien si l'on n'est soutenu de cet accord général +qui fait voler toutes les volontés vers un même but. Vouloir agir dans +cet état d'erreur, c'est s'exposer à des disgrâces, ou tout au plus à +des succès éphémères. C'est ce que prouve l'expérience de tous les +temps. Les princes créent des armées, mais que de peines et de dépenses +il leur en coûte... combien d'intérêts privés il faut ménager dans la +levée des recrues! Combien de temps s'écoule avant que ces nouvelles +levées puissent entrer en campagne! Le mal n'est pas grand si c'est +contre un prince que l'on est en guerre. Est-ce au contraire contre une +nation? Elle se lève et marche, et il est facile de voir de quel côté +sera l'avantage. + +«Une nation levée ainsi n'a pas, il est vrai, ce coup d'oeil flatteur +qu'offre un ancien régiment lorsqu'il est rangé en parade, où tous les +soldats semblent coulés dans le même moule. Cette rigoureuse uniformité +en impose, mais elle n'est pas, comme on le voit à présent, +indispensablement nécessaire à la victoire. La garde nationale n'est pas +une troupe moins courageuse, bien qu'irrégulièrement vêtue, que celles +de cette ligne, où cette régularité s'observe plus exactement. + +«Animés du même esprit, ces diverses troupes combattent avec la même +bravoure, bravent la mort avec le même courage, supportent en commun +travaux et fatigues. + +«L'on ose donc croire que le public ne verra pas avec indifférence +l'image de quelques-uns des corps dont les armées républicaines sont +composées. Les figures enluminées sont représentées au naturel, telles +que les a vues un témoin oculaire. Nous nous sommes contenté d'en +multiplier les copies sans y rien changer. + +«Les dragons font en France un service tout autre que dans les armées +des autres souverains. On les place sur les ailes, dans des postes +avancés, au passage des rivières, aux défilés ou aux têtes de pont. Mais +leur véritable place, un jour de bataille, est au corps de réserve, à +cause de la vitesse avec laquelle on peut les faire mouvoir et de la +vivacité avec laquelle ils chargent l'ennemi. On les emploie encore +diversement dans les sièges et dans une infinité de cas où on les fait +suppléer à l'infanterie aussi bien qu'à la cavalerie. Aussi leur fait-on +également bien apprendre les exercices de ces deux armes. Jusqu'à la fin +de la guerre de Sept ans, ils furent habillés de rouge; mais depuis on +les a habillés de vert. Leur uniforme est: habit vert, parements, +revers, collet et doublure rouges, veste et culotte blanches ou ventre +de biche, casque de laiton poli surmonté d'une touffe de crins noirs +pendant sur l'arrière de la tête, bottes molles et sabres recourbés à la +housarde. Leurs chevaux sont ordinairement de quatre pieds à quatre +pieds deux pouces. À cheval, leurs armes sont un fusil, deux pistolets +et le sabre; à pied, ils n'ont que le fusil et le sabre. On n'y admet +que des jeunes gens vigoureux, lestes, bien faits et qui montrent +beaucoup d'adresse. + +«Les grenadiers à cheval durent leur première création à Louis XIV. Pour +mettre le lecteur à même de juger de quels hommes cette troupe a +toujours été composée, c'est que, pour la former chaque capitaine de +grenadiers fut tenu de fournir un homme de la taille requise, +généralement reconnu pour fort et brave et portant moustache. Cet esprit +de corps, ce courage à toute épreuve ne se sont jamais démentis. Leur +uniforme est bleu foncé, parements, revers et collet écarlates, boutons +blancs sur lesquels est imprimé l'arbre de la liberté avec le bonnet et +autour l'inscription: _République française_; veste et culottes blanches +blanc d'argent et aussi des culottes de peau. Bonnet de poil à fond +rouge, cordons et crépines tressés des couleurs nationales. Au milieu du +front, une plaque sur laquelle est imprimé en relief le sceau +constitutionnel avec des trophées et à chaque côté de la plaque une +grenade enflammée. Le poil de ces bonnets est renversé de haut en bas, +afin que l'eau de la pluie s'y arrête moins. La doublure de l'habit est +de serge blanche. Au bas des pans où sont les crochets pour les +retrousser, il y a une grenade de drap rouge, et, au lieu de flamme, il +y a de petits glands qui en descendent pendus à des cordons de la même +couleur. Ils ont des aiguillettes tressées de rouge et de blanc, des +cols noirs, des bottes molles, mais des genouillères fortes. Leurs armes +sont la carabine, deux pistolets, et un sabre dont la lame droite a près +de deux pouces de large et se termine en pointe très aiguë, dont le +double tranchant a environ huit pouces de long, et tout le sabre entre +quarante et quarante-cinq. Ils le portent en bandoulière. Ils ont un +porte-cartouches de cuir brun avec une plaque blanche sur laquelle est +imprimé en relief l'arbre de la liberté avec le bonnet, mais sans +inscription. Enfin, ils ont un grand manteau bleu bordé d'un cordonnet +rouge, muni d'un ample rabat qui leur sert de capuchon. Dans l'action, +principalement quand ils sont attaqués, ils s'abaissent fort avant sur +leurs chevaux et savent adroitement se servir de la pointe de leur +sabre, au maniement duquel ils s'appliquent singulièrement dans leurs +moments de loisir, ce qui leur procure un avantage décisif sur leurs +ennemis, qui n'ont ni la même dextérité ni la même vitesse quand même +ils auraient la même bravoure. + +«Les chasseurs à cheval sont de création moderne et forment dans les +armées françaises une très nombreuse cavalerie. Leur service approche +assez de celui des dragons, excepté qu'on les employe plus communément à +la découverte; à battre les bois toujours en avant de l'armée. Leur +uniforme est un habit vert foncé à collet droit, parements, revers et +boutons blancs comme ceux des grenadiers à cheval, culotte de peau et +veste blanche. Leur habit un peu court a la doublure blanche, les poches +en long avec trois boutons sur les pattes. Ils portent des bottes +molles, genouillères de même. Il n'est pas possible de donner une +description exacte de leur bonnet ou casque. Il a la forme du bonnet de +liberté, il est de cuir fortement battu et surmonté d'une touffe de +crins de cheval ou de peau d'ours de la largeur de la main. Cette +coiffure est entourée d'une bande de toile cirée jaune et tigrée. De +chaque côté, une chaîne de laiton qui, en remontant, forme un angle +aigu. Autour du cou, ils ont des cols ou des cravates noires. Les bas +officiers se distinguent dans ce corps comme dans celui des grenadiers à +cheval par quelques ganses sur les manches, mais qui dans ce corps-ci +sont tressées des couleurs nationales. Leurs armes sont le mousqueton +carabine, deux pistolets, un long sabre à monture de laiton dont la +pointe a huit pouces de double tranchant. Ils le portent en bandoulière +à un ceinturon de cuir. Le porte-cartouches est de cuir noir avec une +plaque jaune et le sceau constitutionnel en relief. Ils ont des manteaux +de la couleur de l'habit: l'un et l'autre sont bordés d'un cordonnet +rouge. Ils ont des chevaux de douze à treize paumes. C'est la partie la +plus nombreuse de la cavalerie. + +«L'on n'a rien changé au reste de la cavalerie, l'ajustement et les +armes sont les mêmes, aux boutons près qui sont comme ceux des +grenadiers et des chasseurs; les cavaliers ont une cocarde avec une +aigrette tricolore à leur chapeau. + +«L'habillement des chasseurs à pied est peu différent de celui des +chasseurs à cheval, si ce n'est que l'habit est plus long et va +jusqu'aux genoux. Ils ont les mêmes casques, ainsi que vestes et +culottes; et des bottines très légères de cuir de boeuf. Les bas +officiers ont deux épaulettes pour les distinguer des simples chasseurs. +Ils ont pour armes un fusil avec une baïonnette et un sabre comme celui +des grenadiers qu'ils portent en bandoulière. Le porte-cartouches est de +cuir noir avec une plaque jaune aux armes de la patrie. Les chasseurs et +les troupes de ligne forment l'élite de l'infanterie. Il y a par +bataillon ou par compagnie un certain nombre de chasseurs de profession, +armés de carabines et de poignards; au lieu de giberne, ils ont une +flasque (poire à poudre). Ils sont distingués des autres par un collet +rouge sur l'habit et une épaulette tricolore sur l'épaule droite. Cette +troupe rend de très grands services en ce qu'elle est également propre +au service des troupes de ligne et des troupes légères. + +«Il n'est pas aisé de donner une description exacte des gardes +nationales ni de les ranger dans une classe quelconque. Mais l'on doit +être convaincu qu'elles se battent bien, quoiqu'il s'en trouve parmi qui +ne sont vêtus que de jaquettes et chemisolles, de _sareaux_ de toile ou +d'habits de toute couleur, des vestes de piqué ou d'indienne, et des +culottes de toute façon. La plupart cependant ont des habits d'un bleu +foncé avec collets rouges ou blancs, boutons jaunes ou blancs, où le +bonnet ou l'arbre de la liberté est empreint. En partie, ils portent des +_gamaches_ ou guêtres; beaucoup vont en souliers et en bas de soye; mais +tous généralement portent à leur chapeau de petits objets qui font +allusion à la Liberté et à l'Égalité. Ils ont tous un fusil et une +baïonnette; quelques uns ont des porte-cartouches, d'autres n'en ont +point, il en est de même de l'épée. Au lieu de havre-sac, ils ont un sac +de poche dans quoi ils portent leurs hardes. + +«L'on appelle à présent _légion_ des troupes de cultivateurs français, +partie mis en réquisition et partie gens de bonne volonté. Leur +habillement n'est autre que le vêtement ordinaire aux gens de la +campagne. Ils sont coiffés de bonnets, de chapeaux de différentes +formes, mais toujours avec la cocarde nationale. Tous ont des bas bleus +avec une jarretière bouclée de façon que le bas fait auprès du genou une +espèce de petit bourrelet. Leurs culottes sont toutes différentes les +unes des autres: de drap, de toile de toute sorte de couleur jusqu'à de +peau noire. Leurs souliers sont fermés avec des attaches bleues ou +noires. Leurs armes sont la lance ou la pique dont le manche a à peu +près six pieds et est peint des couleurs nationales. Quelques-uns ont un +fusil avec la baïonnette. D'autres ont autour du corps une ceinture, à +la gauche de laquelle est attaché un pistolet. Ce sont pour la plupart +ceux qui portent des piques. Plusieurs ont, outre cela, des épées de +parade, des poignards ou autres armes blanches pendues au côté. Il y a +auprès de chaque armée une ou deux légions, selon que l'armée est +nombreuse. Chaque légion est forte d'environ sept mille hommes. Ce sont +des officiers et des bas officiers tirés des invalides qui les +commandent, avec quelques autres qu'ils ont élus eux-mêmes parmi eux. À +chaque légion se trouve un général de brigade ou un brigadier. + +«Ces légions ne reçoivent ni pain ni paye; elles pourvoyent elles-mêmes +à leur entretien. Les hommes y sont tenus à un an de service; elles ne +se montrent jamais en rase campagne et ne se rangent point en bataille. +Elles ne laissent pas que d'inquiéter beaucoup les armées ennemies...» + + + + +PLANCHES + + + + +I + +GÉNÉRAL DE DIVISION + +D'après une gravure de la collection Dubois de l'Étang, (Ensemble réduit +aux deux tiers de l'original.) + + +Plumet tricolore surmontant trois plumes rouges. Habit bleu à collet +rouge rabattu; galon d'or au chapeau, aux manches, aux poches et au +collet. Culotte blanche, bottes noires; écharpe rouge à frange dorée. +Dragonne dorée à la poignée du sabre; le fourreau est garni de cuivre +doré. + +Cette figure jeune ne doit pas surprendre à l'époque où un simple +officier pouvait franchir quatre grades en vingt-quatre heures pour +perdre aussitôt le commandement s'il ne justifiait pas cette confiance +par une victoire. + +[Illustration: I] + + +II + +ADJUDANT GÉNÉRAL + +Même provenance + + +«En tenue de campagne», dit la légende. Le ceinturon doré, le chapeau à +plumes et à glands contrastent bien un peu avec la sévérité de cette +longue capote bleue à collet rouge rabattu. Mais il était bon que +l'adjudant général fût aperçu de tous, car c'était un véritable chef +d'état-major, classé hiérarchiquement au-dessous du général de brigade, +mais au-dessus du colonel. + +[Illustration: II] + + +III + +HUSSARD + +D'après un recueil d'uniformes gravés à Augsbourg en 1802. (Bibl. nat. +Estampes O 34 B. A.) + + +Shako noir entouré d'une flamme de drap noir à passepoil bleu. Panache +vert et rouge. Cordon blanc avec gland retombant à droite du shako. +Dolman brun-marron soutaché de blanc et fourré de noir. Culotte bleue +soutachée de blanc. Sabretache orangée avec ornements de cuivre. +Demi-bottes noires. + +L'inclinaison prononcée du shako paraît un peu forcée par les dimensions +du panache: elles sont telles que l'équilibre serait compromis si la +verticale était conservée. + +[Illustration: III] + + +IV + +OFFICIERS ET SOLDATS D'INFANTERIE + +Même provenance. + + +L'officier porte un panache rouge. Habit bleu à col et parements rouges. +Revers blancs à passe poil rouge. Gilet et pantalon collant blancs. Sac +au dos. Hausse col doré. La main droite s'appuie sur une canne. + +Le fantassin placé derrière lui a les guêtres noires et la culotte de +nankin. Habit bleu à revers blancs. + +Le bonnet à poil du grenadier rappelle trop celui des grenadiers +autrichiens pour ne pas avoir été pris dans un magasin de l'ennemi. Ce +qui confirmerait dans cette idée, c'est qu'il est visiblement trop +étroit pour la tête de notre homme. Gilet rayé blanc et rouge; cravate +rayée blanc et bleu; celle-ci encadre le menton comme une cravate à la +Garat. Épaulette rouge; plumet tricolore; pantalon nankin. Même habit +que le précédent. + +[Illustration: IV] + + +V + +SOLDAT D'INFANTERIE + +Même provenance. + + +Celui-ci offre un specimen du genre négligé. Il a le même habit et le +même chapeau, mais son pantalon quadrillé bleuâtre porte au genou une +forte pièce d'étoffe différente. Des souliers, il n'a conservé que les +semelles sur lesquelles l'empeigne taillée fait l'office de courroies de +sandales. Pas de gilet. Cravate lâche. L'habit ouvert laisse largement +passer la chemise. + +[Illustration: V] + + +VI + +CAVALIERS + +Même provenance. + + +Habit bleu à revers rouges. Collet, culotte et buffleteries blancs. +Bottes et chapeau noirs. Panaches roses. Cravate jaunâtre. + +On sait qu'il y avait alors à côté des hussards, des dragons, et des +chasseurs, des régiments de _cavalerie_ proprement dite. C'était, moins +la cuirasse et le casque, ce que nous avons appelé ensuite la grosse +cavalerie. + +[Illustration: VI] + + +VII + +OFFICIERS D'ARTILLERIE + +Même provenance. + + +L'un de ces deux officiers semble appartenir à l'artillerie légère; il +porte le casque de cuivre du dragon orné d'un panache rouge, ce qui dut +être une exception; l'autre a conservé le chapeau à cornes en usage dans +l'artillerie à pied. Leurs uniformes sont complètement bleus avec +passepoil rouge. Des soutaches rouges ornent le pantalon et le gilet. +Les poignées de sabre affectent des formes diverses, les bottes sont de +même fortes et légères. Ce qui ne varie point, c'est le type des +figures, qui sont rasées et ornées seulement de petits favoris très +courts. + +[Illustration: VII] + + +VIII + +CHASSEUR À CHEVAL + +D'après les _Abbildung französischen_, Leipzig. 1794. + + +Casque noir à courte crinière semblant retomber devant et derrière. +Habit et pantalon collant vert avec passepoil rouge; des galons rouges, +blancs et bleus sont disposés sur la chausse de façon à former une +pointe tricolore. + +On trouve dans le supplément _Uniformes_ une description plus complète +de l'armement et de l'uniforme de cette cavalerie. + +[Illustration: VIII] + + +IX + +VOLONTAIRE DU 1er BATAILLON DE PARIS + +Même provenance. + + +Casque noir à demi-crinière droite et à ornements de cuivre; il est +entouré d'une bande tigrée, habit bleu, avec revers et retroussés +blancs. Culotte blanche, guêtres noires, épaulettes vertes. + +Voir également dans notre supplément _Uniformes_ les détails qui +concernent les gardes nationaux volontaires. + +[Illustration: IX] + + +X + +DRAGON ET HUSSARD + +Bibl. nat. OB. 32 V + + +Le dragon est conforme au type décrit dans notre supplément. Son casque +est sans visière; une épaisse crinière augmente encore le caractère +énergique d'un profil doté de longues moustaches. + +Son compagnon le hussard nous offre le profil de cette coiffure +étonnante qu'on a déjà vue planche III. Le panache rouge n'a rien perdu +de ses dimensions: il est négligemment entouré d'une flamme marron à +passepoil rouge. Dolman et pantalon verts; collet et soutaches rouges. +Les gants sont jaunes; le fourreau du sabre est en cuir garni de cuivre. + +[Illustration: X] + + +XI + +HUSSARD + +Même provenance. + + +Les hussards républicains qu'on représente d'ordinaire sont conformes au +type de nos planches III et X. Celle-ci prouve qu'il y en avait un autre +ne portant pas le dolman à tresses, mais un habit vert à revers et à +pans longs, collet et parements roses. Pantalon et gilet verts; le +pantalon est protégé par une basane fauve dont les bords sont +déchiquetés à la grecque. Il boutonne sur le côté selon le modèle qui +fut baptisé du nom de _chutmari_. La bande est rouge. + +La coiffure reste seule identique: tresses de cheveux tombant sur le +devant pour encadrer le visage, shako entouré d'une flamme noire à passe +poil rouge que fixe un cordon blanc; panache rouge. D'où part le +sous-pied qui rattache le pantalon déboutonné à ce soulier muni +d'éperon?... Mystère! + +[Illustration: XI] + + +XII + +GRENADIER À CHEVAL + +D'après les _Abbildung französischen_, Leipzig. 1794. (Bibl. nat. +Estampes OA, 106. C.) + + +Son uniforme, son armement et son équipement répondent à la description +très complète donnée dans notre supplément. Bonnet à poil brun avec +plaque blanche, plumet et cordon rouges. Rabat bleu à revers et collet +rouges, retroussis et basques, gilet et culotte blancs. Bottes noires, +gants à manchettes de buffle. Schabraque bleue galonnée de jaune. + +[Illustration: XII] + + +XIII + +TAMBOUR + +D'après un recueil gravé à Augsbourg en 1802. (Bibl. nat. Estampes OB, +32. A.) + + +Le baudrier de buffle flotte tout avachi: l'enfant a décroché son gros +tambour retenu sur l'épaule à l'aide d'une bretelle qui devrait aller +rejoindre le cercle de la caisse. Cette charge n'est pas commode, son +corps ballotte dans son habit bleu qui est trop large; son chapeau à +pompon rouge est aplati comme un chapeau d'arlequin. Le pantalon de +nankin laisse voir des chevilles nues, les souliers sont devenus +savates, mais cela n'empêche pas le gamin de marcher fièrement à grandes +enjambées. + +La planche XX montre que presque tous nos tambours étaient alors des +enfants. + +Et quand on pense qu'un ministre de la guerre a rogné nos tambours de +moitié avant 1870 pour ne pas incommoder des hommes faits! + +[Illustration: XIII] + + +XIV + +FANTASSIN ET SOUS-OFFICIER + +D'après une gravure allemande de 1796. (Bibliothèque nationale +Estampes, collection Hennin.) + + +L'air posé et la tenue presque régulière du sous-officier contrastent +avec la pose lamentable du soldat. La cravate pend; les manches de son +habit vert sont déchirées; il n'a plus qu'un bas de couleur brune, le +pan de sa culotte nankin menace ruine. Une cuiller et une fourchette à +deux pointes, croisées derrière sa cocarde de chaque côté du pompon, +complètent son air de soldat maraudeur. Un mouchoir serré au biceps +semble protéger une blessure. + +Type analogue à nos numéros X et XVII. + +[Illustration: XIV] + + +XV + +CHASSEURS À PIED + +D'après un recueil gravé à Augsbourg en 1802. (Bibl. nat. Estampes OB, +32. A.) + + +Ces chasseurs diffèrent un peu du type décrit dans notre supplément. +L'un, qui semble un caporal, porte le casque de volontaire. Son habit +court est de couleur noire à parements bleus. Pantalon bleuâtre à raies +bleu foncé. Cravate jaune. Épaulettes rouges. Galons blancs sur la +manche. + +Son voisin a l'uniforme complètement noir, avec collet et retroussis +bleu clair. Son chapeau est placé à rebours. Épaulettes et panaches +rouges; buffleteries jaunâtres. Les souliers ont été transformés en +savates retenues par des cordelettes croisées au-dessus de la cheville +du pied qui est un comme toujours. + +[Illustration: XV] + + +XVI + +GRENADIER DE LA LIGNE + +D'après les _Abbildung französischen_, Leipzig. 1794. (Bibl. nat. +Estampes OA, 106. C.) + + +Bonnet à poil noir avec plaque de cuivre. Habit, veste et culotte +blancs. Les revers, le collet et les parements sont rouges, les guêtres +noires. Il ne porte point de havre-sac mais on voit une sorte de besace +pendre à côté de sa giberne. + +C'est un dernier échantillon de l'ancienne armée qui va prendre l'habit +bleu au moment où l'embrigadement fondra les régiments et les bataillons +de volontaires. + +[Illustration: XVI] + + +XVII + +VOLONTAIRES + +D'après une gravure allemande de 1796. (Bibliothèque nationale Estampes, +collection Hennin.) + + +Le volontaire casqué sent d'une lieue son faubourg. Ami d'un certain +luxe, il a retroussé sa manche pour montrer un bout de manchette, il +fait exhibition d'un mouchoir de poche élégamment noué à sa buffleterie +et une breloque de parure descend sur sa cuisse gauche. Le noeud coquet +de sa grosse cravate, la cuiller qui montre sa tête au revers de l'habit +et le pain empalé dans sa baïonnette sont autant de détails +caractéristiques. L'un de ses souliers est retenu par une boucle. +L'autre est noué avec une ficelle. Zébré d'un côté, quadrillé de +l'autre, comme ces chausses en partie du moyen âge. Le pantalon blanc +rayé de bleu est trop court pour ne pas avoir appartenu à quelque frère +d'armes. + +Nous avons décrit l'assortiment gastronomique du voisin dans le +supplément: son bonnet de police bleu à turban rouge est à remarquer +comme un échantillon du modèle primitif. + +[Illustration: XVII] + + +XVIII + +CUIRASSIERS + +D'après la gravure de Zix + +(Fac-similé réduit aux deux tiers de l'original.) + + +Zix est un artiste strasbourgeois qui a pu étudier d'après nature les +soldats de l'armée de Rhin et Moselle. + +Non content d'un supplément d'illustrations pittoresques pour la partie +géographique du _Journal de Fricasse_, mon ami Charles Mehle a bien +voulu mettre la gravure de Zix à ma disposition. Mais leur dimension +rendait la reproduction difficile. J'ai dû me contenter de détacher un +groupe de deux cuirassiers attablés sur le seuil d'une maison +alsacienne. + +On sait que les cuirassiers formèrent en 1799 le 8e régiment de +cavalerie. De là leur ressemblance avec les cavaliers de l'autre planche +VI. + +[Illustration: XVIII] + + +XIX + +HUTTES DE CAMPEMENT + +D'après une gravure datée du 14 août 1796. (Bibl. nat. Estampes, +collection Hennin.) + + +Ces huttes ou abris, dont-il est question dans notre journal, étaient +faites de branchages. On voit qu'elles affectent trois formes: une forme +oblongue, destinée sans doute aux soldats; une forme pyramidale, moins +spacieuse, destinée aux sous-officiers; une forme conique, dont la +clôture plus complète annonce un campement d'officiers. + +Le factionnaire qui veille à la porte ne laisse aucun doute sur ce +dernier point. Il sonne en ce moment d'un cornet d'appel, ce qui lui +donne les doubles fonctions de sentinelle et de trompette de garde. + +[Illustration: XIX] + + +XX + + +RASSEMBLEMENT D'INFANTERIE + +D'après une gravure allemande conservée dans la collection Dubois de +l'Étang. Voici la traduction de son titre: + +Véritable représentation d'une parade de la garde française à Mannheim +au mois d'octobre 1795. + +(Fac-similé réduit au tiers de l'original.) + + +Cette planche est excessivement ennemie. On ne doit pas prendre son +titre au pied de la lettre. Le dessinateur allemand, que je tiens +d'ailleurs pour sincère, a pris le moment non de la parade proprement +dite, mais du rassemblement qui la précède. + +Logés chez les bourgeois de la ville, les soldats arrivent petit à petit +et se portent sur le front de l'alignement indiqué par les trois +officiers qui viennent de mettre le sabre à la main. + +Dans cette troupe figurent, selon l'usage, des détachements de tous les +corps de passage dans la place et certainement aussi des soldats isolés, +éclopés, utilisés pour le service. De là, un coup d'oeil fortement +bigarré que l'artiste aura exagéré encore pour offrir des modèles de +chaque espèce. + +Les quatre petits tambours qui se font la main à l'extrême droite +suffiraient à montrer que le commandement ne s'est pas fait encore +entendre. Ce sont des enfants dont le plus âgé n'a pas atteint sa +douzième année. Derrière eux, le tambour-major charme son attente par +quelques moulinets de fantaisie. + +Les officiers, vus au dos, ont une ample capote grise ou brune, sur +laquelle tranche seul le hausse-col, insigne du commandement. + +Les soldats semblent tous appartenir soit aux bataillons des +volontaires, soit aux _légions_ rurales dont il est question dans notre +supplément. On remarque, en effet, en seconde ligne, des bonnets +fourrés, des chapeaux de paysans; on voit se dresser une des piques qui +figuraient encore dans l'armement de ces non combattants. L'un d'eux, +sapeur primitif, tient la hache sur l'épaule et la pipe à la bouche. Son +voisin porte un pantalon à la turque, et paraît vouloir dissimuler sous +une couverture blanche les désastres de son uniforme. Tous n'ont pu +dissimuler ainsi leurs tenues en lambeaux. Beaucoup de chaussures sont +avariées; un jeune soldat a les pieds complètement nus. + +En revanche, ce qui ne manque nulle part, c'est la cuiller: chacun porte +à la boutonnière, au chapeau ou au bonnet ce précieux ustensile. +Quelques bidons et marmites se remarquent aussi, çà et là; les pains +sont troués pour le passage d'une corde qui les retient au côté, à moins +qu'ils ne soient passés à la baïonnette. Un quartier de viande est même +ainsi exhibé à côté du porteur de pique. Il est à remarquer qu'il n'y a +pas ici un seul des panaches qui abondent dans nos planches précédentes. +Mais nous sommes en 1795 et les Français qui viennent d'entrer à +Mannheim ont fait une campagne fort rude. Leurs habits bleus ne sont pas +seulement usés par la victoire, ils sont surtout troués et déchirés par +les marches et les bivouacs des nuits d'hiver. De là ce coup d'oeil +étrange, qui dépasse encore, il faut bien l'avouer, tout ce qu'on +pouvait supposer de l'aspect des troupes républicaines. Mais la pauvreté +de leur aspect ne peut que grandir encore le souvenir de leur courage et +de leur patriotisme. + +[Illustration: XX] + + + + +NOTES + +[1: Voyez entre autres les pages 37, 55, 64, 170, 117, 171, 174 [du +livre original]. Et ce ne sont pas les seules.] + +[2: Le rétablissement de l'orthographe des noms de lieux, généralement +défigurés, offrait des difficultés particulières que je ne suis pas sûr +d'avoir surmontées toujours. En cas de doute, j'ai usé du point +d'interrogation.] + +[3: Le nom de Château-Vilain a définitivement survécu.] + +[4: En 1791, on avait déjà formé des bataillons de garde nationale +destinés à entrer dans le cadre de l'armée. Soult rappelle, au début de +ses _Mémoires_, qu'il se trouvait alors en garnison à Schelestadt avec +le premier bataillon du Haut-Rhin. Ce corps était nombreux, dit-il, +animé d'un bel esprit, mais fort peu de ses officiers étaient capables. +On trouvera dans le n° 1 de notre supplément un extrait intéressant des +_Mémoires de Cagnot_ sur les effets de la levée en masse qui fut ensuite +décrétée.] + +[5: Les _papiers publics_, les journaux.] + +[6: Les casernes Chambière ont en effet toujours passé pour malsaines, +en raison des eaux stagnantes des fosses qui sont dans leur voisinage.] + +[7: L'armée du prince de Cobourg avait en effet occupé la forêt de +Mormal en bloquant Le Quesnoy. «De faibles détachements français +observaient ses mouvements, dit Soult; ils ne purent l'empêcher de +déployer les immenses moyens qu'on avait préparés pour réduire la place, +elle capitula le 11 septembre, après avoir soutenu quinze jours de +tranchée. Dans le temps qu'elle succombait, des efforts tardifs étaient +faits pour la dégager: à Avesnes, par une division sortie de Cambrai, à +Fontaine, par une autre division sortie de Landrecies: à l'entrée de la +forêt de Mormal, par une colonne partie du camp de Maubeuge.» Cette +dernière colonne est celle dont il est ici question.] + +[8: Les détails du texte sont confirmés par un nouveau passage des +_Mémoires_ de Soult; la légère différence donnée dans l'évaluation des +troupes est plus qu'annulée par le renfort qui arrive ensuite à +l'ennemi.] + +[9: L'armée de Jourdan ne comptait en réalité que 45,000 combattants; +ils ne venaient pas de la Vendée, mais des camps de l'armée du Nord et +de l'armée des Ardennes. On trouvera dans le numéro 2 de notre +supplément un émouvant récit du combat qui amena la levée du blocus de +Maubeuge; il est extrait des _Mémoires de Carnot_, par son fils. (Paris, +Pagnerre, 1862. Tome I, page 399). Les détails remarquables qu'on y +trouve formaient un complément nécessaire de notre texte.] + +[10: Allusion à la fameuse ronde révolutionnaire dite: _carmagnole_. On +la retrouve à la page du 7 octobre.] + +[11: Le propos a été en effet attribué au prince de Cobourg, qui +commandait alors l'armée assiégeante.] + +[12: Échanger des coups de fusil.] + +[13: Le maréchal Soult donne les détails suivants sur le combat de +Grandreng. «L'échec éprouvé par la colonne du centre rendit inutile le +mouvement du général Mayer sur Haulchin, et permit au prince de Kaunitz +de marcher au soutien de sa droite, à Grandreng, en dégarnissant sa +gauche. Le général Déjardins avait déjà enlevé quelques redoutes, et il +pénétrait dans le village, quand tout à coup ses deux divisions sont +elles-mêmes assaillies et débordées par la cavalerie autrichienne. Elles +font, avec l'appui da la brigade Duhesme, un dernier effort pour rentrer +à Grandreng; mais elles échouent de nouveau et sont obligées de +précipiter leur retraite pour repasser la Sambre, malgré l'appui +qu'elles reçoivent de la réserve de cavalerie. Le général autrichien +acquit l'honneur de cette journée en rendant ses forces mobiles, de la +gauche au centre, et du centre à la droite, où il prit successivement la +supériorité. Ses pertes furent beaucoup moindres que celles des +Français, qui sacrifièrent plus de quatre mille hommes et douze pièces +de canons.»] + +[14: «Les revers du 13 avaient irrité les représentants sans les +éclairer; ils ordonneront un nouveau passage, mais les opérations, +encore plus mal dirigées que la première fois, eurent pour résultat des +pertes beaucoup plus grandes. (SOULT.)] + +[15: Le maréchal Soult dit ici: «Il faut aussi admirer la docilité des +troupes, qu'aucun revers ne put abattre, et déplorer que, soumises à la +tyrannique autorité des représentants, elles n'aient point eu à leur +tête des chefs dignes de les diriger. Depuis quinze jours, les corps qui +étaient sur la Sambre avaient perdu plus de quinze mille hommes et la +moitié de leur matériel; les soldats manquaient de vivres et avaient le +plus grand besoin de repos. Les généraux en firent la demande à +Saint-Just; dans le conseil, Kléber fit observer qu'on allait voir +arriver, avant dix jours, l'armée de la Moselle, dont nous parlerons +bientôt, et qu'il n'y avait qu'à l'attendre, en s'occupant de réparer +les pertes de l'armée, pour reprendre alors les opérations avec d'autant +plus de vigueur. Mais l'implacable Saint-Just ne voulut rien accorder, à +peine daigna-t-il répondre: _Il faut demain une victoire de la +République. Choisissez entre un siège ou une bataille_. Il fallait +choisir, on marcha, le 26 mai, sur Charleroi. + +Malgré les succès qu'il venait de remporter, le prince de Kaunitz avait +été remplacé par le prince d'Orange dans le commandement. Les troupes +alliées étaient sur la Sambre, pour en défendre le passage; elles +occupaient en outre, au-dessus de Marchiennes-au-Pont, le camp retranché +de la Tombe, qui couvrait Charleroi. Kléber et Marceau étaient chargés +de l'attaquer, et le général Fromentin d'emporter le pont de Lernes. Ces +deux attaques manquèrent par l'excessive fatigue des troupes, qui +montrèrent de l'hésitation et restèrent exposées au feu le plus vif, +plutôt que d'avancer. À la nuit, les ennemis évacuèrent cependant le +camp, en ne laissant dans Marchiennes qu'un poste fortifié.» (SOULT.) + +--Ce dernier alinéa explique comment notre sergent va parler de retraite +après avoir parlé d'une victoire qui était sans doute un avantage +partiel sans résultat sur l'ensemble de la journée.] + +[16: Chiffre singulièrement exagéré. Soult rapporte un triste épisode du +siège: «Le colonel Marescot dirigeait les opérations du génie, sous les +yeux des généraux Jourdan et Hutry; on avait un équipage d'artillerie +suffisant et les représentants Saint-Just et Lebas se tenaient au pied +de la tranchée pour presser les travaux. Un jour, ils visitaient +l'emplacement d'une batterie que l'on venait de tracer: «À quelle heure +sera-t-elle finie?» demanda Saint-Just au capitaine chargé de la faire +exécuter.--Cela dépend du nombre d'ouvriers qu'on me donnera, mais on y +travaillera sans relâche, répond l'officier.--Si demain, à six heures, +elle n'est pas en état de faire feu, ta tête tombera!...» Dans ce court +délai, il était impossible que l'ouvrage fût terminé; on y mit cependant +autant d'hommes que l'espace pouvait en contenir. Il n'était pas +entièrement fini, lorsque l'heure fatale sonna. Saint-Just tint son +horrible promesse: le capitaine d'artillerie fut immédiatement arrêté et +envoyé à la mort, car l'échafaud marchait à la suite des féroces +représentants. Si nous n'avions pas remporté la victoire, la plupart de +nos chefs auraient subi le même sort. Nous apprîmes plus tard que +Saint-Just avait porté sur une liste de proscription plusieurs généraux +de l'armée, et qu'il m'y avait compris, quoique je ne fusse encore que +colonel.--Jourdan devait être sacrifié le premier; il avait remplacé +Hoche dans le commandement, et il avait, comme lui, encouru la haine du +représentant par la courageuse résistance qu'il opposait à ses volontés, +lorsque la présomptueuse ignorance de Saint-Just prétendait diriger les +opérations militaires. (SOULT.)] + +[17: Le maréchal Soult complète ainsi le récit de cette journée. «Il +était sept heures du soir. Depuis quelques moments, le combat avait +cessé aux ailes; on le laissa finir au centre sans poursuivre les +ennemis. Épuisés de fatigue et de besoin, les soldats pouvaient à peine +se tenir debout, et ils manquaient aussi de munitions. Il n'y avait +aucune possibilité de continuer la poursuite, quelques avantages qu'on +eût pu recueillir; officiers et soldats, tous s'écriaient: «Un pont d'or +à l'ennemi qui s'en va!» et l'on donna aux troupes un repos +indispensable. + +Le lendemain, il n'y eut point de mouvement; il fallait se remettre +d'une pareille journée et ramasser les débris qui couvraient le champ de +bataille. On compta les pertes; les nôtres s'élevèrent à près de cinq +mille hommes hors de combat, et, par le nombre des morts, on évalua +celles de l'ennemi à plus de sept mille hommes; de part et d'autre il +n'y eut que peu de prisonniers. Parmi ceux que nous fîmes, il se trouva +des Français, faisant partie du régiment Royal-Allemand et de celui de +Berching-hussard, auxquels la loi rendue contre les émigrés pris les +armes à la main était applicable. Pas un soldat n'eut la pensée qu'il +fût possible de livrer à l'échafaud ceux que nous venions de combattre +face à face. Pendant la nuit, nous leur facilitâmes les moyens de +s'échapper, en nous bornant à leur dire qu'ils fussent ailleurs expier +l'erreur de s'être armés contre leur patrie; plusieurs revinrent plus +tard se placer dans nos rangs. On a sauvé ainsi dans le cours de la +guerre, un grand nombre de Français qui étaient dans le même cas, et ils +ont reçu parmi nous protection et avancement; beaucoup d'entre eux ont +ainsi obtenu d'être éliminés de la liste fatale et de rentrer dans leurs +biens confisqués. Nous devons croire qu'ils en ont conservé de la +reconnaissance.»] + +[18: Ceci est bien confirmé par le récit du maréchal Soult: «Dans nos +rangs, l'enthousiasme allait croissant avec le danger; depuis le +commencement de l'action, et pendant toute sa durée, le cri de +ralliement de l'avant-garde fut toujours: «Point de retraite +aujourd'hui, point de retraite!» Aussi, tout ce qui vint se heurter +contre elle fut-il brisé. Environnée de sanglants débris, son camp en +flammes, la plupart de ses canons démontés, ses caissons faisant +explosion à tout moment, des monceaux de cadavres comblant les +retranchements, les attaques les plus vives sans cesse renouvelées, rien +n'était capable de l'intimider, pas même l'incendie de la campagne qui +nous environnait de toutes parts. Les champs, couverts de blé en +maturité, avaient été enflammés par notre feu et par celui de l'ennemi; +on ne savait où se placer pour l'éviter; mais nous étions bien +déterminés à ne sortir que victorieux de ce volcan.» + +Le courage des chefs avait, sur plus d'un point, seul pu maintenir les +troupes, comme le montre bien cet autre passage: + +«Avant six heures du matin, les alliés avaient fait des progrès, et les +divisions des Ardennes repassaient la Sambre, dans un complet désordre, +aux ponts de Tamine et Ternier, laissant leur général garder seul, avec +ses officiers et quelques ordonnances, la position qu'elles venaient de +quitter. J'avais été envoyé par le général Lefebvre, pour m'assurer de +l'état de notre droite, et pourvoir aux dispositions que les +circonstances exigeraient. Je joignis Marceau entre les bois de Lépinoy +et le hameau du Boulet, au moment où les ennemis allaient l'entourer. Il +les défiait, et dans son désespoir, il voulait se faire tuer, pour +effacer la honte de ses troupes. Je l'arrêtai: «Tu veux mourir, lui +dis-je, et tes soldats se déshonorent: vas les chercher et reviens +vaincre avec eux! En attendant, nous garderons la position à droite de +Lambusart.--Oui, je t'entends, s'écrie Marceau, c'est le chemin de +l'honneur! J'y cours; avant peu je serai à vos côtés. Deux heures après, +il avait ramené les plus braves, et il prenait part à nos succès.»--Ces +extraits donnent une idée de la phraséologie du temps; on employait +volontiers les grands mots dont on se moque aujourd'hui, mais les actes +aussi étaient grands, ce que les moqueurs ne doivent pas non plus +oublier.] + +[19: Cette image poétique aurait lieu de surprendre si on ne se +reportait aux chansons populaires d'autrefois où la mythologie jouait +toujours un grand rôle.] + +[20: Fournitures de casernement.] + +[21: On avançait l'embrigadement. Cette opération importante se faisait +avec la plus grande rigidité; les généraux devaient choisir, sous leur +responsabilité, parmi les chefs de bataillon, les plus capables pour les +désigner comme chefs de brigade. Les instructions des représentants du +peuple portaient: «Les grades ne sont pas la propriété des individus; +ils appartiennent à la République, qui a droit de n'en disposer qu'en +faveur de ceux qui sont en état de lui rendre des services.» Trois fois +plus forts qu'avant leur réunion, les nouveaux corps présentaient plus +de régularité dans leur ensemble et plus de confiance en eux-mêmes.] + +[22: Ému par l'audace avec laquelle nos fantassins s'étaient jetés à +l'eau pour forcer le passage de la Roër, malgré le courant de l'eau, +l'encaissement de la rivière et les retranchements de la rive opposée, +l'ennemi battit en retraite sur Cologne.] + +[23: Cette victoire de la Roër, qui fit honneur au général Jourdan et à +ses troupes, assura en effet l'évacuation complète de la Belgique.] + +[24: Mais il n'y eut que trente jours de tranchée ouverte. La garnison +se comporta vaillamment. On trouva dans la place 350 bouches à feu et un +matériel considérable.] + +[25: Le 29 février 1795, la Hollande était en effet conquise et le 16 +mai suivant, elle signait avec la France un traité d'alliance qu'elle +observa fidèlement jusqu'au jour où Napoléon voulut imposer un roi à la +nation que la République avait respectée.] + +[26: Ce traité ne fut signé que le 5 avril 1795 à Bâle. La Prusse nous +abandonnait alors toutes ses possessions sur la rive gauche du Rhin.] + +[27: Le maréchal Soult servait alors comme colonel dans la division de +notre sergent. Il dit aussi: «Nous souffrîmes beaucoup par le manque de +subsistances, au point qu'on fut obligé de réduire la ration d'un +tiers». (_Mémoires_, t. I, p. 200.)] + +[28: Dépréciation inévitable par suite du cours forcé qui fit tirer de +1790 à 1796, pour _quarante-cinq milliards_ d'assignats. On sait que les +vingt-quatre milliards encore en circulation lors de la liquidation +définitive furent échangés contre _huit cent millions_ de biens +nationaux.] + +[29: Voir la note du 7 germinal.] + +[30: Dans ses _Mémoires_ (tome I, page 287), le maréchal Soult accuse +Pichegru «d'avoir laissé ses troupes à l'abandon, négligées et en proie +à toutes sortes de privations pour mieux favoriser l'exécution du plan +de trahison le plus odieux.» Il espérait ainsi désorganiser l'armée. En +une autre occasion, Soult parle aussi des pommes de terre et en des +termes fort curieux: + +«L'armée n'avait d'autre ressource pour vivre, que les pommes de terre +que l'on trouvait dans les champs. À chaque halte, à peine les faisceaux +étaient-ils formés, que les soldats se dispersaient dans les environs +pour aller déterrer les pommes de terre. Un champ était bientôt récolté, +et le repas était bientôt préparé au feu du bivouac. Le silence durait +tant que durait cette importante occupation: mais elle ne durait pas +longtemps et les provisions étaient épuisées avant que la faim fût +apaisée. L'inépuisable gaieté du soldat français revenait alors. Ne +doutant de rien, parlant de tout, lançant des saillies originales et +souvent même instructives, tel est le soldat français. Un soir, en +parlant politique et des nouvelles de Paris, le propos était tombé sur +les grands hommes qu'on avait fait entrer au Panthéon ou qu'on en avait +successivement fait sortir, suivant l'esprit du jour et l'influence du +parti régnant. «Qui va-t-on y mettre aujourd'hui? demanda quelqu'un. +Parbleu, répondit son voisin, une pomme de terre.» Et tout le monde +d'applaudir à cette saillie, qui avait plus de portée que l'intention de +son auteur n'avait probablement voulu lui donner.» (SOULT.)] + +[31: Le tambour battait comme d'habitude la distribution à l'heure dite, +mais cette distribution se réduisait souvent à rien ou à peu de chose.] + +[32: Cette adresse vigoureuse sous sa forme ampoulée, faisait allusion à +la _journée du 1er prairial_ (20 mai 1795) qui avait vu la populace des +faubourgs de Paris envahir la Convention nationale en tuant le député +Feraud, aux cris de _du pain! la liberté des patriotes! la Constitution +de 1793_! Quatorze députés Jacobins payèrent de leurs têtes cette +insurrection, et, trois mois après, les clubs et sociétés populaires +étaient dissous. Chaque insurrection parisienne plaçait nos généraux +dans une situation difficile, comme le montre cette lettre du chef qui +commandait alors l'armée de Rhin et Moselle; elle est conçue en termes +vraiment patriotiques: + + «_Le général en chef Jourdan au général de division Hatry_. + + «Andernach, le 7 prairial an III. + + «Je suis instruit, mon camarade, qu'il y a eu, le premier de ce + mois, une insurrection à Paris, et que le peuple a occupé la salle + de la Convention presqu'à onze heures du soir. Il paraît cependant + qu'à cette heure la Convention a repris le cours de ses séances. Il + faut que l'armée agisse dans cette circonstance comme elle a agi + toutes les fois que de pareils événements ont eu lieu. + C'est-à-dire, qu'étant placée sur la frontière pour combattre les + ennemis du dehors, elle ne s'occupe point de ce qui se passe dans + l'intérieur et qu'elle ait toujours la confiance de croire que les + bons citoyens qui y sont, parviendront à faire taire les royalistes + et les anarchistes. + + «Nous avons juré de vivre libres et républicains, et nous + maintiendrons notre serment, ou nous mourrons les armes à la main. + Nous avons juré de combattre les ennemis du dehors, tant que la + paix ne sera pas faite. Nous tiendrons pareillement notre serment, + nous resterons à notre poste, et nous combattrons avec autant de + valeur que la campagne dernière. Je suis persuadé que tels sont vos + sentiments et ceux des troupes que vous commandez. Mais comme il + est essentiel d'empêcher que des malintentionnés viennent répandre + de fâcheuses nouvelles dans l'armée, comme il est essentiel de + redoubler de surveillance, afin que l'ennemi ne puisse pas profiter + du malheur de nos querelles intestines, il faut redoubler de zèle + et d'activité, il faut que les militaires de tout grade soient + toujours à leur poste, que le service des avant postes se fasse + avec plus de surveillance que jamais, et que vous veillez à ce que + les convois qui passeront dans l'arrondissement que vous commandez, + soient bien escortés. J'espère que l'attitude de l'armée en + imposera à tous les ennemis de la République. + + «Je vous communiquerai journellement les suites des événements, et + vous aurez à me faire part exactement des observations que vous + ferez sur ce qui se passera dans les troupes que vous + commandez.--Salut et fraternité. + + «JOURDAN.»] + +[33: _C'est-à-dire_ du Palatinat.] + +[34: La division Poncet, dont notre sergent faisait partie, devait avec +la division Marceau, rester en observation sur la rive gauche du Rhin.] + +[35: Le 19 janvier 1793, les Autrichiens et non les Prussiens avaient en +effet évacué le fort en faisant sauter les fortifications. C'est après +la levée du blocus que le duc de Brunswick écrivit au roi de Prusse +cette lettre fameuse par laquelle il demandait son rappel en disant: +«Lorsqu'une grande nation, telle que la nation française, est conduite +aux grandes actions par la terreur des supplices et par l'enthousiasme, +une même volonté devrait présider à la _démarche_ des puissances +coalisées.»] + +[36: Le 23 thermidor de l'an IV doit concorder avec le 9 août 1795, et +la fête de la Fédération était célébrée le 14 juillet. Il paraît y avoir +une erreur de date.] + +[37: Rien de plus capricieux que l'uniforme des armées de la République +réduites à tout improviser avec les seules ressources des pays qu'elles +traversaient. À une époque bien rapprochée, du reste, au siège de Paris +en 1870, nous avons revu un bataillon mobilisé vêtu de capotes marron.] + +[38: On sait que l'année républicaine, composée de douze mois égaux de +trente jours, avait cinq jours dits _complémentaires_ pour les années +ordinaires et six pour les années bissextiles.] + +[39: 23 septembre 1796.] + +[40: C'était avant 1777, l'électeur palatin du Rhin. Ce fut ensuite le +duc de Bavière.] + +[41: Une attaque du maréchal Clairfayt déterminait en ce moment la +retraite de l'armée de Rhin-et-Moselle, placée par Pichegru dans des +positions intenables, et la place de Mannheim, abandonnée à elle-même, +se rendait quelques jours après. Les lignes devant Mayence étaient +forcées.] + +[42: Elle était double de la nôtre qui avait vu une de ses quatre +divisions écrasée. Les trois autres se retirèrent avec peine en perdant +presque toute leur artillerie.] + +[43: Un armistice fut conclu quelques jours après fort à propos pour +l'armée du Rhin-et-Moselle, très réduite en hommes et en chevaux.] + +[44: En sept semaines, l'armée d'Italie avait conquis le Piémont, dicté +la paix à la cour de Turin, occupé Vérone et Milan, investi Mantoue. +Déconcertée, l'Autriche prit Wurmser et 56,000 hommes sur le Rhin, pour +les opposer à Bonaparte, et nous allons voir l'armée de Rhin-et-Moselle +en profiter pour reprendre l'offensive.] + +[45: Pour mieux surprendre encore, Moreau faisait exécuter deux fausses +attaques sur Spire et Mannheim. Pendant ce temps son aile droite, portée +rapidement sur Strasbourg, passait heureusement le Rhin à la date du 24 +juin 1796, sur un pont de bateaux préparé dans le plus grand secret.] + +[46: Milanais d'origine et capitaine au service autrichien, Férino était +venu offrir ses services à la Révolution française qui le fit +lieutenant-colonel et général en 1792, général de division en 1793. +L'empire le fit comte et sénateur; sa division comprenait au moment qui +nous occupe, vingt-trois bataillons et dix-sept escadrons.] + +[47: L'artillerie comptait en effet trente et une pièces, et les sacs de +grains étaient au nombre de quarante mille.] + +[48: Ce n'était pas un corps d'émigrés, mais six escadrons autrichiens +détachés par le général Froelich.] + +[49: Voir la note 38.] + +[50: «Cette retraite est devenue célèbre; cependant il faut convenir +qu'elle était loin d'offrir les mêmes difficultés que le retraite de +l'armée de Sambre-et-Meuse, avec laquelle Moreau eu mieux fait d'opérer +sa jonction.» (SOULT.)] + +[51: Voir la note 53 (siège de Kehl.)] + +[52: Il s'agit ici du _craquelin_, petit gâteau ayant effectivement +cette forme.] + +[53: Rien n'est exagéré dans ce compte rendu de la situation. «Voulant +rester à portée de l'Alsace pour profiter des intrigues que Pichegru +continuait à ourdir, et pour lesquelles il était même revenu en personne +à Strasbourg, les Autrichiens commencèrent par le siège de Kehl. +Quelques travaux y avaient été faits pendant la campagne, et un camp +retranché avait été établi en avant, mais tous ces ouvrages étaient +simplement en terre et paraissaient peu susceptibles de tenir longtemps +contre une attaque régulière. Néanmoins, la défense fut telle qu'elle +résista à _quarante-sept jours_ de tranchée ouverte, pour ne laisser à +l'ennemi que des monceaux de terre bouleversée. Il en fut de même à la +tête du pont de Huningue dont les ouvrages étaient plus petits encore, +et qui, attaquée depuis les premiers jours de novembre, ne fut évacuée +que le 2 février suivant. Ces deux défenses mémorables ont été décrites +dans des ouvrages spéciaux. (SOULT.)--Voir le n° III de notre +Supplément.] + +[54: Les généraux blessés furent au nombre de trois: Desaix, Duhesme et +Jordy. Tous avaient payé de leur personne pour doubler l'élan des +troupes dans ces deux belles journées. Arrivé de Paris la veille, le +général en chef s'était jeté dans l'eau jusqu'à la ceinture pour aider, +en tirant sur des cordages avec Desaix et son état-major, à dégager un +bateau engravé. Duhesme avait eu la main percée d'une balle en battant +sur une caisse de tambour avec le pommeau de son sabre pour ramener un +bataillon à la charge.] + +[55: Le seul général O'Reilli avait été fait prisonnier, mais le général +Staray avait été tué, ce qui explique l'exagération apparente du +chiffre.] + +[56: Le fort fut enlevé par quelques dragons du 17e régiment qui +passèrent le Kintzig; on était en train de le reconstruire sur un +nouveau tracé.] + +[57: Les intelligences de Pichegru avec l'ennemi avaient commencé en +1795, et ses fausses manoeuvres préméditées compromirent alors l'armée de +Jourdan. Déporté en 1797, il s'évada pour s'allier ouvertement aux +ennemis de la patrie, et revenir mourir honteusement à Paris. Le prix +stipulé pour sa trahison comprenait une infinité d'articles: le +gouvernement d'Alsace, le grade de maréchal, deux grands cordons, douze +canons, le château de Chambord, la terre d'Arbois, un million d'argent +et deux cent mille livres de rentes. En attendant la réalisation de ces +promesses, le ministre anglais de Suisse lui faisait passer des +subsides. Moreau, auquel on avait apporté la preuve écrite de ce pacte, +fut accusé de l'avoir divulgué trop tard.] + +[58: Le maréchal Soult dit beaucoup en peu de lignes sur les causes +possibles de la mort trop subite de Hoche: «Cependant, l'esprit +républicain était encore très vif dans les rangs de l'armée; aussi, +quand la lutte fut engagée entre la majorité des conseils et celle du +Directoire, celle-ci appela l'armée à son secours. On donna le mauvais +exemple de faire faire des adresses par des corps de troupe. Le général +Hoche fut à Paris, et l'on fit avancer deux divisions de Sambre-et-Meuse +dans les environs de la capitale, sous le prétexte de les envoyer sur +les côtes de l'Océan. Ce mouvement eut lieu à l'insu du directeur Carnot +et du ministre de la guerre lui-même, du moins ce dernier en fit la +déclaration. Le général Bonaparte fut plus circonspect que le général +Hoche; il se borna à envoyer à Paris le général Augereau, qui fit le +coup de main du 18 fructidor. Quant au général Hoche, il s'aperçut +probablement au dernier moment, qu'il ne jouerait pas dans le coup +d'État projeté le rôle qu'il croyait devoir lui revenir et qu'il y +serait associé à des hommes avec lesquels il ne pouvait lui convenir +d'être confondu. Il se hâta donc de rejoindre son armée, mais à peine +était-il arrivé à son quartier général de Wetzlar, qu'une courte +maladie, dont la nature parut assez extraordinaire, l'emporta, le 19 +septembre (troisième jour complémentaire). Des bruits d'empoisonnement +circulèrent d'abord: les soupçons se fondaient sur ce que le général +Hoche était vraisemblablement dépositaire de secrets importants, et +qu'il devait y avoir des personnes intéressées à ce qu'il cessât de leur +porter ombrage par sa supériorité et l'ascendant qu'il exerçait sur son +armée, voisine de la France. On ne peut pas admettre légèrement des +soupçons d'une nature aussi grave, et il est plus que probable qu'ils +n'avaient rien de fondé, cependant ils n'ont jamais été éclaircis. Quoi +qu'il en soit, les plus sincères regrets l'accompagnèrent au tombeau et, +pour en perpétuer le souvenir, l'armée fit élever un monument dans la +plaine entre Coblentz et Andernach, où son corps fut déposé. + +«Le général Hoche possédait les qualités qui constituent le grand +capitaine, et il les faisait ressortir par les dons extérieurs les plus +séduisants. Son port noble et majestueux, sa physionomie ouverte et +prévenante, attiraient la confiance à la première vue, comme sur les +champs de bataille, toute son attitude commandait l'admiration. Un coup +d'oeil prompt et sûr, un caractère entreprenant qu'aucune difficulté +n'était capable d'arrêter, des sentiments très élevés, et en même temps, +une grande bonté, une sollicitude constante pour le soldat: il n'en +fallait pas tant pour que l'armée aimât en lui un chef qui avait +toujours été heureux, et qui avait la gloire d'avoir pacifié la Vendée. +On lui a reproché l'ambition. Il n'avait que trente ans, lorsque la mort +l'enleva à la France; à cet âge, à la tête d'une armée, avec la +réputation dont il jouissait et le sentiment qu'il avait de sa propre +valeur, il était bien difficile de se préserver de l'ambition, surtout +lorsqu'il voyait s'élever à ses côtés des réputations qu'il se croyait +capable d'égaler. Aussi je crois que si Hoche eût vécu, il eût prévenu +le 18 brumaire, ou du moins qu'il eût pris le rôle de Pompée, lorsque le +nouveau César vint s'emparer du pouvoir suprême.] + +[59: C'est effectivement à cette date que fut signé le traité de +Campo-Formio.] + +[60: Une entrée des troupes françaises à Zurich avait été précédée d'une +proclamation qui promettait que rien ne serait demandé pour l'entretien +des troupes, dont la solde et les subsides étaient, disait-elle, assurés +par les convois de France. Une fois en ville, il fallut cependant faire +des demandes de vivres; elles furent justifiées par l'excuse que les +convois étaient malheureusement en retard; on fit la promesse de les +rendre en nature, à l'arrivée des convois, ou de les rembourser avec les +premiers fonds que le Directoire enverrait. L'agent du Directoire +sanctionnait par sa présence cet engagement. Quelques jours après, un +arrêté impose à la ville de Zurich une contribution extraordinaire de +guerre payable dans un très court délai: l'abus de la force était la +seule raison à donner d'un pareil manque de foi. Une députation de +notables se rend auprès du général commandant, pour lui faire des +représentations. Le général était d'autant plus embarrassé de répondre +qu'il n'était lui-même pas coupable; il n'avait agi que d'après des +ordres. Il cherchait comme la première fois, à trouver des excuses dans +le retard des convois attendus de France, dans les besoins pressants de +l'armée, lorsque l'orateur de la députation le tira d'embarras: +«Général, lui dit-il, nous ne sommes pas venus pour vous reprocher +d'avoir oublié vos engagements que sans doute on vous a obligé à violer, +ni pour nous plaindre que la contribution soit trop forte, mais pour +vous dire, au contraire,_ que nous pouvons payer davantage, et pour vous +prier de nous le demander_.» + +Puis, lui saisissant vivement la main: «_Quand vous nous aurez pris_, +ajouta-t-il, _des richesses qui ont aguerri votre courage et dont nos +ancêtres savaient se passer, nous reviendrons dignes d'eux, nous +reviendrons Suisses_.» + +Nous donnons d'après les _Mémoires_ du maréchal Soult (comme toujours) +ce beau trait qui est à méditer en tout temps et en tous pays.] + +[61: Il a une longueur de 1800 pieds.] + +[62: À l'armée, la prison est ainsi nommée parce qu'on n'y laisse pas +pénétrer le jour.] + +[63: Le 16 germinal correspond au 5 avril 1799. Le maréchal Soult résume +ainsi cette suite de revers due à l'incapacité du général Scherer: «Le +général Scherer partait des places de Mantoue et de Peschiara, sur la +ligne du Mincio: il commença ses opérations, le 26 mars, pour forcer la +ligne de l'Adige. Il opérait aux trois colonnes: celle de gauche, +commandée par le général Moreau, avançait. Elle passa l'Adige au-dessus +de Vérone, coupant la droite de l'armée autrichienne, et elle était à +même de poursuivre ses succès vers Vienne si elle avait été soutenue; +mais les autres divisions du centre et de la droite, que le général +Scherer commandait en personne, se firent battre par l'ennemi. +Cependant, le succès que venait de remporter le général Moreau suffisait +pour que le restant de l'armée pût s'appuyer sur lui, le rejoindre, +marcher sur Vienne, rejeter les Autrichiens sur la Brenta et les séparer +des places de Vérone et de Legnago. Le général Moreau donnait ce conseil +au général Scherer; mais, au lieu de le suivre, celui-ci eut la +singulière idée de rappeler le général Moreau sur la rive droite de +l'Adige, pour recommencer par sa droite la même opération, quatre jours +après. Cette fois la leçon fut plus sévère: on y perdit une partie de la +division Serurier, qu'une nuit de faux mouvements compromit sur la rive +gauche de l'Adige, et qui, entourée par des forces supérieures, finit +par être accablée. + +«Enfin une troisième tentative, faite le 6 avril, fut encore moins +heureuse. Malgré des succès, d'abord remportés au centre par le général +Moreau, la droite de l'armée fut tournée, à la fin de la journée, par +une manoeuvre habile du général Kray. Il y avait tant d'incohérence dans +tous les mouvements, que cet échec ne put être réparé: le désordre vint +s'y joindre et l'armée entière précipita sa retraite, non pas seulement +derrière le Mincio où le général Scherer aurait pu tenir, à l'appui des +places de Peschiera et de Mantoue, mais derrière l'Adda. + +«La journée de Magnano décida du sort de l'Italie. Dix jours avaient +suffi pour réduire l'armée à moins de trente mille combattants, pendant +que d'un autre côté, toutes les troupes éparpillées depuis le Pô jusqu'à +Naples, étaient non seulement trop éloignées pour lui amener des +renforts en temps utile, mais se trouvaient elles-mêmes de jour en jour +plus compromises. En même temps l'armée ennemie avait remplacé toutes +ses pertes et elle acquérait une supériorité de plus en plus grande par +les renforts qu'elle recevait à tout instant; elle était, en outre, à la +veille d'être rejointe par l'armée russe, qui arriva sur l'Adige, le 15 +avril. + +«L'exaspération de l'armée dont le courage avait été si mal employé +était au comble, et elle eût produit des actes d'indiscipline et de +désobéissance, si le général Scherer fût resté. Il le comprit, il partit +pour Milan sous prétexte de diriger les levées extraordinaires qu'on y +faisait, et ne revint plus. Il avait remis, avant son départ, le +commandement au général Moreau.»] + +[64: L'armée russe avait fait sa jonction.] + +[65: Il s'agit ici du passage de l'Adda sur la droite de l'armée de +Berthier qui s'était portée vers le point oriental du lac de Côme, et +qui isola la division Serrurier du restant de l'armée. L'attaque +générale de l'ennemi triompha sur les autres points, et l'armée +française se vit réduite à la retraite après avoir perdu le tiers de son +effectif et une centaine de canons.] + +[66: Comme complément de cette invocation, voir la prière à la fin du +journal.] + +[67: «Le tableau de la situation de Gênes dans les derniers jours du +siège a déjà été tracé tant de fois et est devenu si célèbre, dit le +maréchal Soult, que je puis me borner ici à le rappeler. Les horreurs de +la faim, dans une ville de cent soixante mille âmes, dépassent tout ce +que l'imagination peut se représenter de plus hideux. On avait dévoré +tous les animaux jusqu'aux chiens et aux rats; on fabriquait, sous le +nom de pain, une composition d'amandes, de grains de lin, de son et de +cacao, qu'on a comparée à de la tourbe imbibée d'huile, et que les +chiens mêmes ne pouvaient pas supporter; la ration consistait en deux +onces de cet affreux mélange. Enfin, le 15 prairial (le 4 juin), il n'en +restait plus une once pour chacun; il ne restait plus quoi que ce fût, +qui pût être mangé, pas même la nourriture la plus immonde. Il n'en +restait pas plus pour l'armée que pour les habitants qui, tous les +jours, mouraient par centaines. L'armée, si on pouvait encore lui donner +ce nom, ne comptait pas trois mille hommes en état de tenir un fusil, +car leur faire faire le moindre mouvement, était absolument impossible; +les sentinelles ne pouvaient faire leur faction qu'assises. Le +lendemain, elles n'auraient pas pu le faire, tous soldats et habitants, +seraient morts d'inanition. + +«Ce fut ce jour-là seulement que le général Masséna consentit à écouter +les propositions qui lui étaient faites depuis plusieurs jours par les +généraux ennemis, dans les termes les plus honorables. La conférence +entre le général Masséna, les généraux autrichiens Ott et Saint-Julien +et l'amiral Keith commandant l'escadre anglaise, se tint au milieu du +pont de Cornigliano, sur le Bisague, et le général Masséna y apporta +toute la fermeté de son caractère. Il commença par ne pas vouloir +admettre l'emploi du mot de _capitulation_, et la seule expression à +laquelle il consentit, fut celle de _négociation pour l'évacuation de +Gênes_. L'armée sortit librement de Gênes avec armes et bagages, pour +rentrer en France, sans engager sa parole: huit mille hommes prendraient +la route de terre; le surplus, ainsi que les hôpitaux, le matériel et +tout ce qui appartenait à l'armée, serait transporté par mer à Antibes. +Cette clause de la marche, par terre, de huit mille hommes, fut sur le +point de faire rompre la négociation. Le général Ott ne voulait pas y +consentir, afin de retarder la réunion de cette colonne à l'armée +française. Le général Masséna rompit la conférence: «À demain, +messieurs,» leur dit-il. Cependant, il savait bien qu'il serait hors +d'état d'accomplir sa menace. Cette fermeté réussit, mais le général +Masséna était surtout secondé par les ordres pressants que le général +Ott venait de recevoir du général Mélas, et qui lui prescrivait de ne +pas perdre un instant pour lever le siège et pour conduire son corps +d'armée à Alexandrie.»] + +[68: Bibl. Nat. Estampes OA, 105 O.] + + + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of Journal de marche du sergent Fricasse +de la 127e demi-brigade : 1792-1802, by Jacques Fricasse + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK JOURNAL DU SERGENT FRICASSE *** + +***** This file should be named 31988-8.txt or 31988-8.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + https://www.gutenberg.org/3/1/9/8/31988/ + +Produced by Mireille Harmelin, Eric Vautier, Rénald Lévesque +(html) and the Online Distributed Proofreaders Europe at +http://dp.rastko.net. This file was produced from images +generously made available by the Bibliothèque nationale +de France (BnF/Gallica) + + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. Special rules, +set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to +copying and distributing Project Gutenberg-tm electronic works to +protect the PROJECT GUTENBERG-tm concept and trademark. Project +Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you +charge for the eBooks, unless you receive specific permission. If you +do not charge anything for copies of this eBook, complying with the +rules is very easy. You may use this eBook for nearly any purpose +such as creation of derivative works, reports, performances and +research. They may be modified and printed and given away--you may do +practically ANYTHING with public domain eBooks. Redistribution is +subject to the trademark license, especially commercial +redistribution. + + + +*** START: FULL LICENSE *** + +THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE +PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK + +To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free +distribution of electronic works, by using or distributing this work +(or any other work associated in any way with the phrase "Project +Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full Project +Gutenberg-tm License (available with this file or online at +https://gutenberg.org/license). + + +Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg-tm +electronic works + +1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm +electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to +and accept all the terms of this license and intellectual property +(trademark/copyright) agreement. If you do not agree to abide by all +the terms of this agreement, you must cease using and return or destroy +all copies of Project Gutenberg-tm electronic works in your possession. +If you paid a fee for obtaining a copy of or access to a Project +Gutenberg-tm electronic work and you do not agree to be bound by the +terms of this agreement, you may obtain a refund from the person or +entity to whom you paid the fee as set forth in paragraph 1.E.8. + +1.B. "Project Gutenberg" is a registered trademark. It may only be +used on or associated in any way with an electronic work by people who +agree to be bound by the terms of this agreement. There are a few +things that you can do with most Project Gutenberg-tm electronic works +even without complying with the full terms of this agreement. See +paragraph 1.C below. There are a lot of things you can do with Project +Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this agreement +and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic +works. See paragraph 1.E below. + +1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the Foundation" +or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project +Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual works in the +collection are in the public domain in the United States. If an +individual work is in the public domain in the United States and you are +located in the United States, we do not claim a right to prevent you from +copying, distributing, performing, displaying or creating derivative +works based on the work as long as all references to Project Gutenberg +are removed. Of course, we hope that you will support the Project +Gutenberg-tm mission of promoting free access to electronic works by +freely sharing Project Gutenberg-tm works in compliance with the terms of +this agreement for keeping the Project Gutenberg-tm name associated with +the work. You can easily comply with the terms of this agreement by +keeping this work in the same format with its attached full Project +Gutenberg-tm License when you share it without charge with others. + +1.D. The copyright laws of the place where you are located also govern +what you can do with this work. Copyright laws in most countries are in +a constant state of change. If you are outside the United States, check +the laws of your country in addition to the terms of this agreement +before downloading, copying, displaying, performing, distributing or +creating derivative works based on this work or any other Project +Gutenberg-tm work. The Foundation makes no representations concerning +the copyright status of any work in any country outside the United +States. + +1.E. Unless you have removed all references to Project Gutenberg: + +1.E.1. The following sentence, with active links to, or other immediate +access to, the full Project Gutenberg-tm License must appear prominently +whenever any copy of a Project Gutenberg-tm work (any work on which the +phrase "Project Gutenberg" appears, or with which the phrase "Project +Gutenberg" is associated) is accessed, displayed, performed, viewed, +copied or distributed: + +This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with +almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + +1.E.2. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is derived +from the public domain (does not contain a notice indicating that it is +posted with permission of the copyright holder), the work can be copied +and distributed to anyone in the United States without paying any fees +or charges. If you are redistributing or providing access to a work +with the phrase "Project Gutenberg" associated with or appearing on the +work, you must comply either with the requirements of paragraphs 1.E.1 +through 1.E.7 or obtain permission for the use of the work and the +Project Gutenberg-tm trademark as set forth in paragraphs 1.E.8 or +1.E.9. + +1.E.3. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is posted +with the permission of the copyright holder, your use and distribution +must comply with both paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 and any additional +terms imposed by the copyright holder. Additional terms will be linked +to the Project Gutenberg-tm License for all works posted with the +permission of the copyright holder found at the beginning of this work. + +1.E.4. Do not unlink or detach or remove the full Project Gutenberg-tm +License terms from this work, or any files containing a part of this +work or any other work associated with Project Gutenberg-tm. + +1.E.5. Do not copy, display, perform, distribute or redistribute this +electronic work, or any part of this electronic work, without +prominently displaying the sentence set forth in paragraph 1.E.1 with +active links or immediate access to the full terms of the Project +Gutenberg-tm License. + +1.E.6. You may convert to and distribute this work in any binary, +compressed, marked up, nonproprietary or proprietary form, including any +word processing or hypertext form. However, if you provide access to or +distribute copies of a Project Gutenberg-tm work in a format other than +"Plain Vanilla ASCII" or other format used in the official version +posted on the official Project Gutenberg-tm web site (www.gutenberg.org), +you must, at no additional cost, fee or expense to the user, provide a +copy, a means of exporting a copy, or a means of obtaining a copy upon +request, of the work in its original "Plain Vanilla ASCII" or other +form. Any alternate format must include the full Project Gutenberg-tm +License as specified in paragraph 1.E.1. + +1.E.7. Do not charge a fee for access to, viewing, displaying, +performing, copying or distributing any Project Gutenberg-tm works +unless you comply with paragraph 1.E.8 or 1.E.9. + +1.E.8. You may charge a reasonable fee for copies of or providing +access to or distributing Project Gutenberg-tm electronic works provided +that + +- You pay a royalty fee of 20% of the gross profits you derive from + the use of Project Gutenberg-tm works calculated using the method + you already use to calculate your applicable taxes. The fee is + owed to the owner of the Project Gutenberg-tm trademark, but he + has agreed to donate royalties under this paragraph to the + Project Gutenberg Literary Archive Foundation. Royalty payments + must be paid within 60 days following each date on which you + prepare (or are legally required to prepare) your periodic tax + returns. Royalty payments should be clearly marked as such and + sent to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation at the + address specified in Section 4, "Information about donations to + the Project Gutenberg Literary Archive Foundation." + +- You provide a full refund of any money paid by a user who notifies + you in writing (or by e-mail) within 30 days of receipt that s/he + does not agree to the terms of the full Project Gutenberg-tm + License. You must require such a user to return or + destroy all copies of the works possessed in a physical medium + and discontinue all use of and all access to other copies of + Project Gutenberg-tm works. + +- You provide, in accordance with paragraph 1.F.3, a full refund of any + money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the + electronic work is discovered and reported to you within 90 days + of receipt of the work. + +- You comply with all other terms of this agreement for free + distribution of Project Gutenberg-tm works. + +1.E.9. If you wish to charge a fee or distribute a Project Gutenberg-tm +electronic work or group of works on different terms than are set +forth in this agreement, you must obtain permission in writing from +both the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and Michael +Hart, the owner of the Project Gutenberg-tm trademark. Contact the +Foundation as set forth in Section 3 below. + +1.F. + +1.F.1. Project Gutenberg volunteers and employees expend considerable +effort to identify, do copyright research on, transcribe and proofread +public domain works in creating the Project Gutenberg-tm +collection. Despite these efforts, Project Gutenberg-tm electronic +works, and the medium on which they may be stored, may contain +"Defects," such as, but not limited to, incomplete, inaccurate or +corrupt data, transcription errors, a copyright or other intellectual +property infringement, a defective or damaged disk or other medium, a +computer virus, or computer codes that damage or cannot be read by +your equipment. + +1.F.2. LIMITED WARRANTY, DISCLAIMER OF DAMAGES - Except for the "Right +of Replacement or Refund" described in paragraph 1.F.3, the Project +Gutenberg Literary Archive Foundation, the owner of the Project +Gutenberg-tm trademark, and any other party distributing a Project +Gutenberg-tm electronic work under this agreement, disclaim all +liability to you for damages, costs and expenses, including legal +fees. YOU AGREE THAT YOU HAVE NO REMEDIES FOR NEGLIGENCE, STRICT +LIABILITY, BREACH OF WARRANTY OR BREACH OF CONTRACT EXCEPT THOSE +PROVIDED IN PARAGRAPH F3. YOU AGREE THAT THE FOUNDATION, THE +TRADEMARK OWNER, AND ANY DISTRIBUTOR UNDER THIS AGREEMENT WILL NOT BE +LIABLE TO YOU FOR ACTUAL, DIRECT, INDIRECT, CONSEQUENTIAL, PUNITIVE OR +INCIDENTAL DAMAGES EVEN IF YOU GIVE NOTICE OF THE POSSIBILITY OF SUCH +DAMAGE. + +1.F.3. LIMITED RIGHT OF REPLACEMENT OR REFUND - If you discover a +defect in this electronic work within 90 days of receiving it, you can +receive a refund of the money (if any) you paid for it by sending a +written explanation to the person you received the work from. If you +received the work on a physical medium, you must return the medium with +your written explanation. The person or entity that provided you with +the defective work may elect to provide a replacement copy in lieu of a +refund. If you received the work electronically, the person or entity +providing it to you may choose to give you a second opportunity to +receive the work electronically in lieu of a refund. If the second copy +is also defective, you may demand a refund in writing without further +opportunities to fix the problem. + +1.F.4. Except for the limited right of replacement or refund set forth +in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS' WITH NO OTHER +WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT LIMITED TO +WARRANTIES OF MERCHANTIBILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE. + +1.F.5. Some states do not allow disclaimers of certain implied +warranties or the exclusion or limitation of certain types of damages. +If any disclaimer or limitation set forth in this agreement violates the +law of the state applicable to this agreement, the agreement shall be +interpreted to make the maximum disclaimer or limitation permitted by +the applicable state law. The invalidity or unenforceability of any +provision of this agreement shall not void the remaining provisions. + +1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the +trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone +providing copies of Project Gutenberg-tm electronic works in accordance +with this agreement, and any volunteers associated with the production, +promotion and distribution of Project Gutenberg-tm electronic works, +harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees, +that arise directly or indirectly from any of the following which you do +or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm +work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any +Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause. + + +Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm + +Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of +electronic works in formats readable by the widest variety of computers +including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists +because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from +people in all walks of life. + +Volunteers and financial support to provide volunteers with the +assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's +goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will +remain freely available for generations to come. In 2001, the Project +Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure +and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. +To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation +and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 +and the Foundation web page at https://www.pglaf.org. + + +Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive +Foundation + +The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit +501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the +state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal +Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification +number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at +https://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent +permitted by U.S. federal laws and your state's laws. + +The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. +Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered +throughout numerous locations. Its business office is located at +809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email +business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact +information can be found at the Foundation's web site and official +page at https://pglaf.org + +For additional contact information: + Dr. Gregory B. Newby + Chief Executive and Director + gbnewby@pglaf.org + + +Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation + +Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide +spread public support and donations to carry out its mission of +increasing the number of public domain and licensed works that can be +freely distributed in machine readable form accessible by the widest +array of equipment including outdated equipment. Many small donations +($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt +status with the IRS. + +The Foundation is committed to complying with the laws regulating +charities and charitable donations in all 50 states of the United +States. Compliance requirements are not uniform and it takes a +considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up +with these requirements. We do not solicit donations in locations +where we have not received written confirmation of compliance. To +SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any +particular state visit https://pglaf.org + +While we cannot and do not solicit contributions from states where we +have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition +against accepting unsolicited donations from donors in such states who +approach us with offers to donate. + +International donations are gratefully accepted, but we cannot make +any statements concerning tax treatment of donations received from +outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff. + +Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation +methods and addresses. Donations are accepted in a number of other +ways including including checks, online payments and credit card +donations. To donate, please visit: https://pglaf.org/donate + + +Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic +works. + +Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm +concept of a library of electronic works that could be freely shared +with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project +Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support. + + +Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed +editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S. +unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily +keep eBooks in compliance with any particular paper edition. + + +Most people start at our Web site which has the main PG search facility: + + https://www.gutenberg.org + +This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, +including how to make donations to the Project Gutenberg Literary +Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to +subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. diff --git a/31988-8.zip b/31988-8.zip Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..4ce1203 --- /dev/null +++ b/31988-8.zip diff --git a/31988-h.zip b/31988-h.zip Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..8849610 --- /dev/null +++ b/31988-h.zip diff --git a/31988-h/31988-h.htm b/31988-h/31988-h.htm new file mode 100644 index 0000000..b41541a --- /dev/null +++ b/31988-h/31988-h.htm @@ -0,0 +1,7099 @@ +<!DOCTYPE html PUBLIC "-//W3C//DTD HTML 4.01 Transitional//EN"> +<html> +<head> + <meta http-equiv="content-type" content="text/html; charset=ISO-8859-1"> + <title>The Project Gutenberg eBook of Journal de marche du sergent Fricasse de la 127e demi-brigade, par Lorédan Larchey</title> + + +<style type="text/css"> +<!-- + +body {margin-left: 10%; margin-right: 10%} + +h1,h2,h3,h4,h5,h6 {text-align: center;} +p {text-align: justify} +blockquote {text-align: justify} + +hr {width: 50%; text-align: center} +hr.full {width: 100%} +hr.short {width: 10%; text-align: center} + +.note {font-size: 0.8em; margin-left: 10%; margin-right: 10%} +.footnote {font-size: 0.8em; margin-left: 10%; margin-right: 10%} +.side {padding-left: 10px; font-weight: bold; font-size: 75%; + float: right; margin-left: 10px; border-left: thin dashed; + width: 25%; text-indent: 0px; font-style: italic; text-align: left} + +.sc {font-variant: small-caps} +.lef {float: left} +.mid {text-align: center} +.rig {float: right} +.sml {font-size: 10pt} +.overl {font-size: 10pt; text-decoration: overline; text-align: center} + +span.pagenum {font-size: 70%; left: 91%; right: 1%; position: absolute} +span.linenum {font-size: 70%; right: 91%; left: 1%; position: absolute} + +.poem {margin-bottom: 1em; margin-left: 10%; margin-right: 10%; + text-align: left} +.poem .stanza {margin: 1em 0em} +.poem .stanza.i {margin: 1em 0em; font-style: italic;} +.poem p {padding-left: 3em; margin: 0px; text-indent: -3em} +.poem p.i2 {margin-left: 1em} +.poem p.i4 {margin-left: 2em} +.poem p.i6 {margin-left: 3em} +.poem p.i8 {margin-left: 4em} +.poem p.i10 {margin-left: 5em} +.poem p.i12 {margin-left: 6em} +.poem p.i14 {margin-left: 7em} +.poem p.i16 {margin-left: 8em} +.poem p.i18 {margin-left: 9em} +.poem p.i20 {margin-left: 10em} +.poem p.i30 {margin-left: 15em} + + +--> +</style> +</head> +<body> + + +<pre> + +The Project Gutenberg EBook of Journal de marche du sergent Fricasse de la +127e demi-brigade : 1792-1802, by Jacques Fricasse + +This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with +almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: Journal de marche du sergent Fricasse de la 127e demi-brigade : 1792-1802 + avec les uniformes des armées de Sambre-et-Meuse et + Rhin-en_Moselle. Fac-similés dessinés par P. Sellier d'après + les gravures al + +Author: Jacques Fricasse + +Editor: Lorédan Larchey + +Release Date: April 14, 2010 [EBook #31988] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK JOURNAL DU SERGENT FRICASSE *** + + + + +Produced by Mireille Harmelin, Eric Vautier, Rénald Lévesque +(html) and the Online Distributed Proofreaders Europe at +http://dp.rastko.net. This file was produced from images +generously made available by the Bibliothèque nationale +de France (BnF/Gallica) + + + + + + +</pre> + + + + +<br><br> + + + +<h2>JOURNAL DE MARCHE</h2> + +<h5>DU</h5> + +<h1>SERGENT FRICASSE</h1> + +<h4>DE LA 127e DEMI-BRIGADE</h4> + +<h3>1792-1802</h3> + +<h5>Avec les uniformes<br> + des armées de Sambre-et-Meuse et Rhin-et-Moselle,<br> +fac-similés dessinés par P. Sellier<br> + d'après les gravures allemandes du temps.</h5> + +<h4>PUBLIÉ POUR LA PREMIÈRE FOIS PAR LORÉDAN LARCHEY<br> + D'APRÈS LE MANUSCRIT ORIGINAL</h4> + + <br><br><hr class="short"><br><br> + +<p class="mid">PARIS<br> + +AUX FRAIS DE L'ÉDITEUR</p> + +<hr class="short"> + +<h5>1882</h5> + +<br><br> + +<p>Authenticité de ce Journal. Ses enseignements et sa valeur morale.--Les +armées de la République glorifiées par un Maréchal du premier +Empire.--Pourquoi nous devons souhaiter la renaissance de leur esprit +militaire.</p> + +<br><br> + +<p>Fricasse!</p> + +<p>Comique est le nom, mais sérieuse est l'oeuvre, car elle se recommande +par une sincérité rare. Et la sincérité est beaucoup à cette époque +tourmentée de la première République où chaque écrivain se passionne en +prenant parti pour ou contre l'ère nouvelle. Éloge enthousiaste ou +réquisitoire indigne, il n'y a guère de milieu.</p> + +<p>Le document, publié ici pour la première fois, présente du moins le +mérite de ne connaître d'autre guerre que celle de l'extérieur, d'autres +ennemis que ceux de la patrie. Il est authentique, et je tiens à la +disposition des curieux son manuscrit original, qui est du temps, et qui +me fut libéralement donné par mon ami Jules de Forge de Vesoul. C'est +bien un journal de marche; chaque étape s'y trouve notée à son jour, +chaque fait de guerre paraît à son heure.</p> + +<p>En un temps où l'avancement était si rapide, il ne fut pas de plus +humble carrière que celle de notre héros, et c'est précisément ce qui +m'a intéressé dans une oeuvre que ne recommande, il faut le dire, aucune +séduction littéraire; elle est simple comme le carnet d'un soldat +citoyen qui remplit son devoir complètement et modestement. De 1792 à +1802, il fait campagne chaque année: avec l'armée de Sambre-et-Meuse, il +protège nos places du Nord et fait son entrée à Bruxelles; avec l'armée +de Rhin-et-Moselle, il pousse jusqu'à Munich et accomplit cette retraite +devenue fameuse sous le nom de <i>retraite de Moreau</i>; avec l'armée +d'Italie, il résiste dans Gênes jusqu'à la dernière extrémité. Reste le +neuvième d'une compagnie de cent dix hommes détruite par la guerre, +réduit par une blessure à regagner son village, il n'a ni un mot de +plainte, ni un mouvement d'humeur ou d'ambition déçue. Il reste fier +d'avoir servi son pays avec honneur et avec probité. J'insiste sur ce +dernier mot, parce que plusieurs pages de son journal témoignent des +plus nobles sentiments<a id="footnotetag1" name="footnotetag1"></a> +<a href="#footnote1"><sup class="sml">1</sup></a>. La partie descriptive n'en est pas bien +riche, les développements et les réflexions ne sont jamais poussés loin, +mais si l'esprit de l'auteur est borné, son âme apparaît grande et +généreuse, on sent qu'il est honnête homme et bon Français. On oublie la +sécheresse et la monotonie même du récit, parce qu'il vous fait sûrement +connaître l'esprit du soldat et aussi les cruelles nécessités de la +guerre.</p> + +<p>Il est bon de savoir à quel prix on achète une victoire.</p> + +<p>Certes, c'est déjà beaucoup que le courage de faire le coup de feu ou de +se lancer sur l'ennemi baïonnette en avant. Mais que de soldats tombés +sur la route avant de voir luire un jour de bataille! Combien de +victimes obscures sont dévouées aux marches sans fin, aux misères du +bivouac, aux privations des sièges, aux souffrances d'une campagne +d'hiver où la maladie et la faim n'ont pas peur de votre fusil.</p> + +<p>On ne saurait se faire idée de cela en voyant défiler un régiment ni en +lisant un rapport officiel.</p> + +<p>D'autres enseignements ressortent de notre journal. Il s'en dégage au +plus haut degré l'expression de cette foi républicaine qui n'est pas +encore admise sans réserve. Pour les besoins de certaines causes, on a +contradictoirement exalté et ravalé les volontaires de notre première +République. On verra que leur force morale fut à la hauteur de leurs +souffrances, sinon de leur discipline. C'est déjà un point important +acquis au débat qui n'est pas encore terminé, mais qui, pour l'honneur +de nos armes, ne perd point à être approfondi. Je le constate sans +esprit d'exclusion, car je suis de ceux qui ne voient ni tout en rose, +ni tout en noir. Il semble que plus on creuse le passé, moins on devient +absolu. En histoire, le bon et le mauvais restent aussi inséparables, +dans les faits, que l'ombre et la lumière dans un paysage. On remarque +seulement à certaines heures plus de lumière ou plus d'ombre, et c'est +dans la mise en valeur de cette inégalité que se trouve la vérité du +tableau.</p> + +<p>Si nos volontaires de 1792 n'ont pas été aguerris du premier coup, ils +ont donc montré vraiment l'esprit national, c'est-à-dire la volonté de +faire respecter la France au péril de leurs vies, ce qui est la première +qualité d'un soldat. Chez le nôtre, on constate aussi, et non sans une +certaine surprise, que l'amour sincère de la République est empreint +d'un sentiment religieux particulier et dont l'expression se trouve +traduite au long dans une prière écrite à la fin de son oeuvre. Elle a +été recueillie avec d'autant plus de soin que c'est un document unique +en son genre. Je l'avais cru d'abord copiée sur quelque texte de +l'église constitutionnelle, mais ses incorrections mêmes annoncent une +oeuvre originale; elle surprend moins lorsqu'on se reporte à la jeunesse +de l'auteur qui s'est passée dans le jardin d'un couvent.</p> + + +<p>Le <i>Journal de Fricasse</i> a été publié avec tout le respect possible. +J'ai retranché les répétitions et les mots inutiles, orthographiant à +l'occasion, mais sans me permettre d'ajouter quoi que ce soit<a id="footnotetag2" name="footnotetag2"></a> +<a href="#footnote2"><sup class="sml">2</sup></a>. Pour +mieux éclairer le texte, j'ai donné une suite de dessins d'uniformes +rigoureusement exacts; ils sont placés à la fin de ce petit volume avec +les éclaircissements nécessaires. Au point de vue militaire, je n'avais +pas à me préoccuper de la discussion de faits, mais ce que j'ai lu des +relations du temps m'a prouvé que l'auteur disait vrai sur la date et la +nature des mouvements dont la portée lui échappe nécessairement. On sait +que, excepté au grand état-major, c'est à l'armée qu'on est le moins +renseigné sur la marche générale des opérations.</p> + +<p>Toutes précises que paraissent les données de notre sergent, un contrôle +était cependant nécessaire; il nous a été fourni surtout par les +<i>mémoires</i> d'un maréchal d'Empire qui ne saurait être suspect. Soult fut +officier dans la même division que Fricasse; il appuie les détails +donnés ici par ses propres affirmations, que nous avons fréquemment +reproduites. À ce propos, on doit rendre hommage à la franchise avec +laquelle le duc de Dalmatie paye son tribut d'admiration aux armées +républicaines; il s'honore d'avoir partagé leur pauvreté, leur fierté, +leur ardeur patriotique. Il déclare que le sort de la Pologne était +réservé à la France républicaine si les engagements pris à Pilnitz +avaient pu se réaliser.</p> + +<p>«Mais les soldats français, dit-il, ne comptaient pas le nombre de leurs +ennemis; ils avaient foi en leur propre valeur. Malgré les revers qu'ils +éprouvèrent au commencement, les privations qu'ils eurent à supporter, +le fréquent remplacement de leurs généraux, la profonde impression que +devaient produire sur eux les cris des factions et les déchirements de +l'intérieur, toujours au-dessus de leur fortune et de leur situation, +ils ne virent que des devoirs à remplir; et, en attirant sur eux les +dangers, ils détournèrent les regards du monde des scènes de désolation +qui couvraient la surface de la France.»</p> + +<p>Puis, parlant de la fortune contraire au début de nos armes, Soult +ajoute: «Les Français payèrent leurs essais par des défaites et subirent +les effets inévitables de l'inexpérience de leurs généraux, de +l'indiscipline des troupes, des vices de leur organisation, de +l'imprévoyance ou de la cupidité de l'administration, et de l'influence +souvent malheureuse des représentants sur les armées. Ce fut un temps +d'épreuves difficile à passer, mais quand l'armée en sortit, elle s'y +était retrempée: les nouveaux chefs qui étaient destinés à fixer la +victoire, sentaient sous le coup de ces revers leur intelligence se +développer, méditaient sur les fautes qu'ils voyaient commettre et se +formaient au milieu des rangs.»</p> + +<p>À propos des remaniements que subit en 1794 la constitution de l'armée, +le maréchal Soult entre dans des détails non moins attachants sur +l'esprit de nos troupes d'alors; ils ne sauraient perdre à être médités +de nouveau et peuvent en tout temps fournir un bel exemple.</p> + +<p>«Les officiers donnaient l'exemple du dévouement. Le sac sur le dos, +privés de solde, (car ce fut plus tard seulement, et lorsque les +assignats eurent perdu toute leur valeur, qu'ils reçurent en argent, +ainsi que les généraux, huit francs par mois), ils prenaient part aux +distributions comme les soldats et recevaient des magasins les effets +d'habillement qui leur étaient indispensables. On leur donnait un bon +pour toucher un habit ou une paire de bottes. Cependant aucun ne +songeait à se plaindre de cette détresse, ni à détourner ses regards du +service qui était la seule étude et l'unique sujet d'émulation. Dans +tous les rangs, on montrait le même zèle, le même empressement à aller +au delà du devoir: si l'un se distinguait, l'autre cherchait à le +surpasser par son courage, ses talents; c'était le seul moyen de +parvenir; la médiocrité ne trouvait point à se faire recommander. Dans +les états-majors, c'étaient des travaux incessants embrassant toutes les +branches du service, et encore ils ne suffisaient pas; on voulait +prendre part à tout ce qui se faisait. Je puis le dire, c'est l'époque +de ma carrière où j'ai le plus travaillé et où les chefs m'ont paru le +plus exigeants. Aussi, quoiqu'ils n'aient pas tous mérité d'être pris +pour modèle, beaucoup d'officiers généraux, qui plus tard ont pu les +surpasser, sont sortis de leur école. Dans les rangs des soldats, +c'était le même dévouement, la même abnégation. Les conquérants de la +Hollande traversaient, par dix-sept degrés de froid, les fleuves et les +bras de mer gelés, et ils étaient presque nus: cependant ils se +trouvaient dans le pays le plus riche de l'Europe; ils avaient devant +les yeux toutes les séductions, mais la discipline ne souffrait pas la +plus légère atteinte. Jamais les armées n'ont été plus obéissantes, ni +animées de plus d'ardeur: c'est l'époque des guerres où il y a eu le +plus de vertu parmi les troupes. J'ai souvent vu les soldats refuser +avant le combat les distributions qu'on allait leur faire et s'écrier: +Après la victoire on nous les donnera!»</p> + +<p>Le journal de notre sergent porte bien l'empreinte de l'élan auquel un +maréchal d'Empire a voulu rendre hommage. Rien qu'à ce titre, il mérite +la confiance du lecteur qui cherche la vérité dans les faits; +l'incorrection de leur exposé n'enlève rien à la grandeur du sentiment +qui les domine. Puisse-t-il faire condamner par nos contemporains cet +amour du bien-être à tout prix qui menace de fausser notre jugement des +devoirs militaires! Qu'une guerre survienne, ce n'est qu'un concert de +cris et de lamentations dans certains journaux, si les vivres n'arrivent +pas à l'heure dite et si les malades manquent des premiers soins. +Malheur très grand, sans doute, mais inévitable en campagne. Cependant +c'est à qui les analysera de la façon la plus navrante pour donner de la +couardise à toute une nation. J'ai lu en 1874 certains articles +d'ambulanciers que je pourrais citer comme des modèles de ce genre +anti-national au premier chef. En temps de paix, il se manifeste sous +une autre forme. Des mères de volontaires écrivent aux journaux pour se +plaindre des corvées imposées à leurs fils; certains volontaires +eux-mêmes croient être des héros d'abnégation en livrant à la publicité +le récit de leurs infortunes de caserne. Pendant l'automne de 1881, un +journal n'a-t-il pas poussé la sensibilité jusqu'à s'attendrir sur la +marche d'un régiment qui avait fait, <i>sous la pluie</i>, l'étape de Lagny à +Courbevoie!--De tels articles sont à lire dans les réunions publiques où +la désertion du drapeau est proclamée un devoir social. Dans une classe +plus relevée, je pourrais citer plus d'un cas de désertion à l'étranger +qui n'a pas été flétri comme il aurait dû l'être. En plein salon, +n'ai-je pas entendu un écrivain de talent déclarer que le métier des +armes était abject, et que les Français feraient bien mieux de prendre à +leur solde une armée d'Allemands, que de se faire tuer bêtement par eux!</p> + +<p>Simple paradoxe, me dira-t-on. Mais il est des paradoxes aussi +humiliants que des aveux. On a ridiculisé dans le <i>chauvinisme</i> +l'exagération enfantine du patriotisme; craignons le ridicule contraire +qui serait infiniment plus dangereux.</p> + +<p>Il est temps de mettre son orgueil à savoir souffrir. À ce prix seul, +nous pouvons redevenir aussi forts que nos anciens.</p> + +<br><br> + +<h3>JOURNAL DE MARCHE</h3> +<h5>DU</h5> +<h2>SERGENT FRICASSE</h2> + +<br><hr class="full"><br> + +<h4>RECUEIL DES CAMPAGNES QUE J'AI FAITES<br> +AU SERVICE DE MA PATRIE.<br> +RÉPUBLIQUE FRANÇAISE UNE ET INDIVISIBLE</h4> + +<br><hr class="short"><br> + +<p>Je suis né le 13 du mois de février 1773, dans le village nommé +Autreville, à deux lieues de Chaumont en Bassigny, chef-lieu du +département de la Haute-Marne. Je suis fils légitime de Nicolas +Fricasse, jardinier, et d'Anne Corniot, de la dite paroisse. À peine +étais-je au monde, mes parents ont été appelés pour être jardiniers chez +le seigneur de Juzennecourt. C'est dans cet endroit que j'ai été élevé +et que mes parents m'ont appris à connaître ce que devait savoir un +honnête homme.</p> + +<p>Puis, mon père fut cultiver les jardins des Bernardins de Clairvaux. Ce +changement a fait beaucoup pour mon apprentissage. Mon père était un des +maîtres, et avait sous sa conduite quatre garçons. Après trois ans, il +est retourné reprendre son ménage, et on m'a confié le même emploi +qu'avait mon père. Je n'oublierai jamais un moine nommé Le Boulanger; il +était archiviste et sacristain en chef. Ce digne homme n'a cessé de me +procurer l'occasion de m'instruire, mais l'idée n'y était pas, et je +n'ai pas su en profiter. Il me disait souvent: «Vois un peu, tu sais +déjà lire et écrire. Eh bien! je veux t'apprendre la géographie: elle +est bien utile à une personne qui veut faire quelque voyage.» Dans ce +temps, je ne croyais jamais le quitter et je pensais que son grand +savoir me servirait sans apprendre. Ah! que j'ai bien connu mes fausses +idées dans la suite!</p> + +<p>Dans ces années, les États généraux se sont assemblés, et on a parlé de +la suppression des couvents. Ceci a changé bien des idées, surtout dans +le couvent où j'étais, qui était de quatre-vingt-dix religieux. Les +voilà donc obligés de quitter, et moi aussi. Je suis entré jardinier +chez le marquis de Messey, seigneur de Beaux-le-Châtel. Ce seigneur m'a +donné beaucoup de louanges; s'il était content, je ne l'étais pas, car +la terre de son jardin était trop aride, et j'avais grand'peine à la +cultiver.</p> + +<p>Comme il était premier capitaine d'un régiment de cavalerie française +nommé Royal-Étranger, en garnison à Dôle en Franche-Comté, il part pour +rejoindre son régiment avec toute sa famille, et nous laisse dans la +maison avec un cocher et une servante. J'en reçus une lettre dans +laquelle il me marquait d'avoir soin de son jardin et de ses arbres, et +qu'à son retour il me récompenserait. Présent ou absent, cela ne +m'empêchait pas de faire mon service. Après, j'ai été une infinité de +temps sans recevoir de ses lettres; j'avais beau en attendre, car le +marquis avait émigré avec toute sa maison qu'il avait à Dôle. Me voilà +donc résolu de le quitter. On a vendu tous les biens aussitôt après mon +départ.</p> + +<p>Sortant de cette maison, je savais déjà où était ma place: j'avais été +prévenu d'avance par le maître et la maîtresse. Ces aimables gens +étaient venus voir le jardin, mais je n'avais pu leur promettre que pour +la fin de la campagne. Me voilà entré au service du citoyen Quilliard, +de Ville-sur-Laujeon (avant la Révolution, Château-Villain)<a id="footnotetag3" name="footnotetag3"></a> +<a href="#footnote3"><sup class="sml">3</sup></a>. C'était +des gens vertueux, des coeurs remplis d'humanité; leur bon caractère +était peint sur leur visage. Tout cela me faisait croire que je ne +pouvais passer que des jours heureux au service de ces généreux +citoyens. Après l'ouvrage du jardin, venaient les parties de chasse que +le maître de la maison faisait presque tous les jours avec plusieurs +bourgeois de la ville; c'était le plus souvent pourchasser les grandes +bêtes, cerfs, chevreuils et sangliers, dans les forêts immenses que le +duc de Penthièvre avait dans les environs.</p> + +<p>Je me voyais chéri de mes maîtres, mais aussi je faisais en sorte de +l'être toujours et de mériter leur confiance, lorsqu'il a été requis un +bataillon dans le département. En ce temps le citoyen Quilliard +commandait la garde nationale du canton; il donne ordre que toutes les +communes se rassemblent au chef-lieu le 24 août 1792. Le 24 au matin, il +nous dit:</p> + +<p>«Vous savez sans doute la besogne que j'ai à remplir: il nous faut +plusieurs volontaires, ceux qui veulent quitter mon service sont libres. +Si toutefois il ne se trouvait pas assez de volontaires, tous les pères +de famille et les garçons seront obligés de tirer au sort. Si ce n'est +pas votre dessein de partir, hé bien! mes amis, je ferai tout ce qui +dépendra de moi pour vous rendre service en en faisant partir d'autres à +votre place.»</p> + +<p>Nous voilà donc à la ville où tous les villages du canton étaient +rassemblés. En premier lieu, il ne se trouvait guère de volontaires; il +était une heure de l'après-midi que plusieurs compagnies de garde +nationale, composées de cent soixante hommes, n'avaient pas encore +fourni l'homme qu'il leur fallait<a id="footnotetag4" name="footnotetag4"></a> +<a href="#footnote4"><sup class="sml">4</sup></a>. Dans le nombre, se trouvait la +mienne, et je me trouvais rempli d'un désir depuis longtemps. Combien de +fois j'avais entendu, par les papiers<a id="footnotetag5" name="footnotetag5"></a> +<a href="#footnote5"><sup class="sml">5</sup></a>, la nouvelle que notre armée +française avait été repoussée et battue partout! je brûlais d'impatience +de voir par moi-même des choses qu'il m'était impossible de croire. Vous +direz que c'était l'innocence qui me faisait penser ainsi, mais je me +disais souvent en moi-même: «Est-il donc possible que je n'entende dire +que des malheurs?... Oui! il me semblait que, si j'avais été présent, le +mal n'aurait pas été si grand. Je ne me serais pas dit meilleur soldat +que mes compatriotes, mais je me sentais du courage et je pensais que, +avec du courage, on vient à bout de bien des choses.»</p> + +<p>En ce moment, pour remplir mon devoir, je me suis présenté à la tête de +la compagnie; je leur ai demandé s'ils me trouvaient bon pour entrer +dans ce bataillon. Les cris de toutes parts se sont fait entendre: «Oui! +nous n'en pouvons pas trouver un meilleur que vous!»</p> + +<p>Me voilà donc enregistré par le capitaine et le juge de paix, sans avoir +prévenu mon maître de mon sentiment, dans le moment qu'il s'offrait à me +rendre service. Je conviens que ce n'était pas bien fait de ma part, +mais j'étais timide. La timidité et la jeunesse empêchent quelquefois de +dire sa façon de penser.</p> + +<p>C'est huit jours après, le 24 août, que j'ai quitté la maison; j'ai été +dire adieu à mon père et à ma mère. Ceci m'a bien attendri de voir +verser des pleurs à toute la famille sur mon éloignement sans leur aveu. +Depuis ce moment, je voyage. Le lecteur pensera si j'ai bien ou mal +fait.</p> + +<p>Mon bataillon était requis par le général Biron; son titre était +<i>Premier bataillon de grenadiers et chasseurs de la Haute-Marne</i>.</p> + +<p>L'ordre du départ est enfin arrivé; le 2 septembre, je me suis rendu à +Chaumont, chef-lieu du département. Nous y avons nommé des officiers +provisoires qui nous ont montré les premiers principes de l'école du +soldat sans armes. Les noms de ces officiers étaient: Ruel, capitaine, +Barthélemy, lieutenant; Lemoine, sergent major; tous trois habitants de +la ville. L'ordre de former le bataillon venu, nous sommes partis le 5 +octobre pour Saint-Dizier. En y allant, nous avons logé à Joinville; +l'étape nous était fournie ainsi que le logement.</p> + +<p>À Saint-Dizier, on nous a fait prendre des cantonnements dans les +environs, en attendant l'organisation. Je me suis trouvé dans la partie +envoyée à Louvemont; dans ces cantonnements, nos officiers de route nous +ont montré le maniement des armes.</p> + +<p>Parti de Louvemont le 2 novembre, pour retourner à Saint-Dizier, pour +notre organisation. C'est dans ce moment que mes compagnons m'ont honoré +du grade de caporal dans la sixième compagnie; j'avais pour capitaine +Lemoine; pour lieutenant, Mongis; pour sous-lieutenant, Thiébault.</p> + +<p>Après que le bataillon a été organisé, on nous a fait cantonner de +rechef; mais nos nouveaux cantonnements étaient à trois ou quatre lieues +plus loin de Saint-Dizier où notre état-major est toujours resté. Deux +villages étaient destinés à notre compagnie: Chamouilley, où le +capitaine est resté avec la première section, et Bienville où j'étais +avec les lieutenants: ces villages sont situés sur la Marne. Nous ne +touchions aucun vivre; on donnait à un caporal vingt-trois sols huit +deniers en papier par jour (pendant quelque temps, c'était six sols +trois deniers en argent, et dix-huit sols en papier); un soldat avait +quinze sols trois deniers par jour, tout compris. Avec ce prêt, nous +étions obligés d'acheter tout ce qui nous était nécessaire. Les vivres +n'étaient pas chers dans ce moment-là; nous pouvions vivre +raisonnablement.</p> + +<p>Nous sommes sortis le 21 janvier de ces cantonnements pour rejoindre la +première section, et pour nous disposer à célébrer la bénédiction de +notre drapeau, à Saint-Dizier.</p> + +<p>Un jour après notre arrivée (le 24), on a donc assemblé le bataillon et +on nous a conduits à l'église paroissiale de l'endroit. La bénédiction a +été faite par notre aumônier: après, on a fait faire le serment de +fidélité à tout le bataillon devant le drapeau. Le drapeau avait pour +emblème une épée surmontée d'un bonnet de liberté, et pour devise: <i>Huit +cents têtes dans un bonnet</i>.</p> + +<p>Dans ce même moment, on a distribué à chaque compagnie un fanion sur +lequel était son numéro. Comme tout le bataillon ne pouvait rester à la +ville, car c'était un lieu de passage, on nous a envoyés reprendre nos +cantonnements. La seconde section, dont je faisais partie, avait eu des +difficultés avec des laboureurs de l'endroit qui ne voulaient pas nous +vendre du bled pour du papier. Pour éviter tout différend, on nous a +donné un autre village appelé Narcy, à une demi-lieue de la Marne. Nous +avons achevé d'y passer l'hiver.</p> + +<p>Notre état major a changé pour aller dans une autre ville nommée Vassy. +Dans ce moment, nous avons changé de cantonnement. C'était le 15 mars; +nous étions dans les environs de la ville, nous avions pour la compagnie +deux villages qui se nommaient Brousseval et Domblain, où nous avons +reçu notre habillement complet. Notre chef de bataillon, nommé Deprée, +faisait souvent rassembler les compagnies pour faire la manoeuvre. Comme +nous étions au printemps, plusieurs fois il nous faisait lever dès la +petite pointe du jour, prendre les armes et mettre le sac au dos; il +nous menait à deux ou trois lieues à la promenade militaire. Tout cela +se faisait en attendant l'heure du départ.</p> + +<p>Je ne ferai point de grandes observations sur les pays où nous avons +resté. C'est un pays où le monde est très affable; il produit du pain, +du vin et une infinité d'autres denrées; chaque particulier y vit +content de son labeur. Nous avons quitté ces contrées pour aller à Metz, +le 12 avril, par Bar-sur-Ornain, Saint Mihiel, Pont-à-Mousson.</p> + +<p>Metz est une ville de guerre très fortifiée, et, dans ce temps-là, on +augmentait encore ses fortifications. Nous avons fait le service de +cette place pendant trois mois et demi, et logé au quartier Chambière +avec le régiment de Suède. Nous avons été exercés à faire les différents +feux.</p> + +<p>Nous sommes partis, le 17 août, de Metz pour Maubeuge où était une +partie de l'armée du Nord.</p> + +<p>Avant de passer plus loin, je dirai que j'ai fait à Metz une maladie qui +m'a porté à deux doigts de la mort. J'attribuais la cause de cette +maladie à l'air de la ville<a id="footnotetag6" name="footnotetag6"></a> +<a href="#footnote6"><sup class="sml">6</sup></a>, car j'avais toujours joui du bon air de +la campagne. Peut-être aussi la distance de soixante lieues du pays m'a +donné ces six semaines d'hôpital.</p> + +<p>Nous en reviendrons à notre armée du Nord. Nous y voilà arrivés; c'est +dans peu qu'il nous faudra mesurer pour la première fois nos armes avec +celles de notre ennemi.</p> + +<p>Nous n'avons pu loger au camp, car les tentes étaient toutes remplies; +nous avons été obligés de rétrograder jusqu'au village de Beaufort, +entre Avesnes et Maubeuge (c'était le 31 août). Là, nous avons trouvé le +régiment de Beaujolais.</p> + +<p>Depuis, ce n'a été que bivouacs et contremarches nuit et jour, car nous +avions affaire à un ennemi dont nous n'étions pas les maîtres, et nous +n'étions que très peu de monde.</p> + +<p>7 <i>septembre</i>.--Partis de Beaufort pour Ténières près de la Sambre, où +l'ennemi venait piller tous les jours. Nous nous sommes opposés à leur +dessein. De là, nous avons été à Avesnes.</p> + +<p>Après un repos de quatre heures, on a battu la générale. Nous sommes +partis pour Marbaix, sur la route de Landrecies, où nous avons bivouaqué +pendant quarante-huit heures, suivant le mouvement de l'ennemi.</p> + +<p>12 <i>septembre</i>.--À cinq heures du matin, nous sommes arrivés derrière +Landrecies. La tête de colonne a commencé l'attaque derrière la ville, +sur la route du Quesnoy. Feu vif de notre part, mais l'ennemi a très +bien répondu dans la forêt de Mormal où il était retranché. Cependant +leurs premiers retranchements ont été enlevés, mais les abattis de gros +arbres nous ont empêchés d'aller plus avant. Notre bataillon est entré +dans la forêt à huit heures du matin. À sept heures du soir, la colonne +s'est retirée. On a perdu du monde dans les deux partis. L'armée de +siège de l'ennemi venait donner du secours à l'armée d'observation. +C'est ce qui a fait que nous nous sommes retirés sur les glacis de +Landrecies, sans quoi ils nous auraient bloqués dans la forêt<a id="footnotetag7" name="footnotetag7"></a> +<a href="#footnote7"><sup class="sml">7</sup></a>. Pour +notre première bataille, le succès n'a pas été bien grand.</p> + +<p>Repos de trois heures sur les glacis de Landrecies; on nous a donné +quelques petits rafraîchissements. La colonne s'est remise en route; +chaque corps a été reprendre ses positions du 7 septembre.--Quinze +heures de marche.</p> + +<p>Notre colonne, de douze mille hommes, tant cavalerie qu'artillerie, +avait voulu débloquer le Quesnoy et lui faire passer des vivres. Il +était trop tard: lorsqu'elle est arrivée pour attaquer l'armée +d'observation de l'ennemi, la ville s'est rendue; son dernier coup de +canon était tiré avant le commencement de notre attaque.</p> + +<p>Revenus à Beaufort, le bivouac a commencé à une heure du matin, à une +demi-lieue en avant du village, derrière le régiment de Beaujolais qui +était campé sur une hauteur, à un quart de lieue de la Sambre. On +attendait de jour en jour le blocus de Maubeuge.</p> + +<p>29 <i>septembre</i>.--Nous étions à bivouaquer comme de coutume, lorsqu'un +déserteur autrichien est venu au camp de Saint-Remi-malbâti; il a dit +que l'ordre était donné dans leur régiment de se tenir prêt à passer la +Sambre pour les quatre heures du matin. Le régiment de Beauce, n° 68, +était à ce camp; il a redoublé son service et s'est mis sur ses gardes. +Il faisait un brouillard très obscur: aussi l'ennemi en a bien profité +pour jeter ses pontons pendant la nuit, et, à quatre heures précises, +ont passé trente mille hommes bien assurés de la victoire<a id="footnotetag8" name="footnotetag8"></a> +<a href="#footnote8"><sup class="sml">8</sup></a>. Les +troupes campées sur les hauteurs près la Sambre ont fait vigoureuse +résistance, mais n'ont pu tenir contre une colonne si nombreuse, et ont +été obligées de se replier sur nous, qui étions en seconde ligne. Nous +n'avons pu arrêter la marche des Autrichiens qui nous attaquaient de +tous les côtés.</p> + +<p>Retraite sur la ville de Maubeuge. Malgré notre vigoureuse résistance, +nous n'avons pas tardé à être bloqués par leur nombreuse cavalerie qui +cherchait à s'emparer des villages et des bois où nous devions passer. +Comme nos tirailleurs ne leur donnaient pas assez d'occupation et ne +nous laissaient pas le temps de défiler, nous avons été obligés de nous +mettre en bataille en avant de la forêt de Beaufort. À l'approche de +l'ennemi, nous avons fait le feu de file pendant trois quarts d'heure. +Son artillerie nous a forcés une seconde fois à la retraite, après avoir +perdu un canon et plusieurs canonniers tués et blessés. Vingt hommes de +notre bataillon mis hors de combat. Notre route était coupée; il ne +restait plus pour notre retraite qu'à nous enfoncer dans le bois et +sortir comme l'on pourrait.</p> + +<p>Nous voilà donc en marche. Après avoir fait une demi-lieue dans cette +forêt, étant prêts de sortir, un régiment ennemi qui se dérobait à notre +vue nous force de chercher un autre passage. Sur une autre lisière du +bois, l'ennemi nous cerne de même. Ma foi! il n'y avait plus à balancer. +Rester prisonnier ne nous accommodait pas; nous avons passé au travers +de l'ennemi qui n'a cessé de faire une fusillade continuelle.</p> + +<p>De cette forêt, nous avons rejoint la colonne qui se rassemblait dans la +plaine, du côté de la route de Frieville. On voulait encore leur faire +résistance, mais en vain. Il a fallu se mettre à l'abri dans le camp et +disposer l'artillerie des redoutes à défendre les approches. L'ennemi +s'est emparé des villages aux environs de la ville et a pillé nos effets +qui y étaient restés.</p> + +<p>Trente hommes de notre bataillon, restés dans la forêt de Beaufort sans +avoir pu percer pour nous rejoindre, avaient été obligés de se renfoncer +dans le bois. Chemin faisant, ils ont fait prisonnier une sentinelle +autrichienne. Ce soldat, très content d'être prisonnier, a aidé nos +hommes à sortir du bois et les a conduits dans un endroit, qui était le +moins gardé, où ils ont pu passer entre les postes à la faveur d'une +nuit obscure (30 septembre). Ils ont été faire le service à Avesnes, et +nous ont rejoints après le déblocus de Maubeuge.</p> + +<p>La même nuit, vers les dix heures du soir, notre bataillon a pris la +garde de la <i>redoute du Loup</i> pour vingt-quatre heures. Après avoir été +relevés, nous avons été prendre position à la gauche du camp retranché +de Falise; c'était le nom du camp de Maubeuge.</p> + +<p>Nous attendions de jour en jour le siège, mais en vain. Il a été +rapporté par plusieurs personnes que l'intention du général Cobourg +n'était pas d'assiéger la ville, mais de la faire rendre par famine, car +elle n'était pourvue d'aucuns vivres. On comptait vingt mille hommes en +état de porter les armes, tant dans le camp que dans la ville; au moment +du blocus, on a fait le serment de mourir les armes à la main plutôt que +de se rendre aux ordres d'un tyran.</p> + +<p>6 <i>octobre</i>.--Sortie de six mille hommes, mais sans succès. Ils se sont +présentés le triple et le double de ce que nous étions. On ne s'en est +tiré qu'avec une grande perte.</p> + +<p>7.--Même insuccès. Nous sommes investis de toutes parts sans pouvoir +nous donner de l'élargissement.</p> + +<p>Le 5 octobre, à la redoute de gauche, entre le bois du Tilleul et nos +avant postes, une sentinelle française et une sentinelle hollandaise +étaient à soixante pas l'une de l'autre, ce qui leur donnait facilité de +converser. Quatre soldats de mon poste se sont avancés; les Hollandais, +qui étaient dans le bois du Tilleul, ont été portés par la curiosité à +se mêler de la conversation. Cependant, un Français reconnaît, parmi les +Hollandais, son frère, qui était le plus empressé à demander comment +nous étions, ce que nous pensions, et si les vivres ne nous manquaient +pas.</p> + +<p><i>Réponse</i>: «Il ne manque rien aux républicains.»</p> + +<p>Par dérision, ils répliquaient que nous mangions déjà nos chevaux, et +que, avec notre papier, nos assignats, il fallait mourir de faim. Ils +ajoutaient qu'ils nous tenaient dans leurs filets, qu'ils nous feraient +danser une dernière fois <i>la carmagnole</i>. Celui-là disait que, quoique +Français, il prendrait plaisir à nous voir arracher la langue.</p> + +<p>Un volontaire lui dit: «Camarade, vous ne paraissez pas Hollandais, et +sans doute il n'y a pas longtemps que vous êtes sorti de France. Vous +paraissez bien sanguinaire pour une patrie qui renferme vos parents, +mais que vous ne devez pas espérer revoir, car la loi prononçant votre +arrêt de mort ferait tomber votre tête. Voilà ce qui est réservé aux +coquins de votre espèce.»</p> + +<p>Son frère, qui l'avait reconnu, interrompit la conversation en disant: +«Laissez-moi voir ce coquin! C'était autrefois mon frère.»</p> + +<p>L'autre dit: «Si j'ai été ton frère, je le suis encore.»</p> + +<p>Le volontaire dit que non, qu'il s'en était rendu indigne. «Tu sais, +malheureux, ajouta-t-il, que je suis parti volontairement. Qu'il te +souvienne de la promesse faite! Tu me promis d'avoir soin de notre mère, +mais tu as faussé ton serment, tu l'as laissée sans subsistance et dans +le chagrin; tu es indigne de vivre, tu n'es pas un humain, mais un vrai +barbare».</p> + +<p>(Il faut remarquer que ce soldat généreux faisait part à sa mère de la +moitié de sa paye.)</p> + +<p>Les Hollandais, qui entendaient un peu le français, ne manquèrent pas de +le blâmer, et le lâche se retira. Son frère arme son fusil, tire et +l'attrape à la cuisse. Il se relève et s'enfonce dans le bois.</p> + +<p>Un dragon autrichien, du régiment de Cobourg, chargeait un des nôtres, +du 12e dragons. Après avoir tiré chacun leur coup de pistolet, ils +s'approchent pour se sabrer. Quelle surprise! Ils se reconnaissent pour +frères; depuis quinze ans ils ne s'étaient vus. À l'instant, leurs +sabres tombent, ils sautent de cheval et se jettent au cou l'un de +l'autre, sans pouvoir dire un seul mot. Un instant après, ils juraient +de ne plus se séparer et de vivre sous le même étendard. Notre dragon +fut trouver le général Jourdan pour le prier de ne point regarder son +frère comme déserteur ni comme prisonnier, et le général consentit à +incorporer cet homme dans le régiment.</p> + +<p>Heureuse époque du 18 octobre! C'est à une colonne de quatre-vingt mille +hommes<a id="footnotetag9" name="footnotetag9"></a> +<a href="#footnote9"><sup class="sml">9</sup></a>, commandée en chef par le général Jourdan, que nous devons +notre liberté. Ils se sont battus, pendant deux jours, avec intrépidité. +Ce combat s'engageait par une quantité de tirailleurs avec l'artillerie; +la cavalerie et le reste de l'infanterie soutenaient ensuite. Le +troisième jour, le brouillard était moins obscur; la lumière a donné de +la force à nos armes, et, malgré leurs fortes redoutes, notre armée les +a mis en déroute.</p> + +<p>Ces quatre-vingt mille hommes venaient de la Vendée, étaient commandés +par un républicain; mais aussi la troupe l'a secondé. Ils ont fait +repasser la Sambre à l'armée autrichienne qui a profité de la nuit pour +disparaître, en laissant une quantité d'outils servant au travail de +leurs redoutes.</p> + +<p>Je rapporterai ici ce que nous disaient les soldats autrichiens: «Eh! +petits <i>carmagnoles</i><a id="footnotetag10" name="footnotetag10"></a> +<a href="#footnote10"><sup class="sml">10</sup></a>, vous ne sortirez pas d'ici que vous ne soyez +en notre pouvoir. Notre général a dit que si votre bonnet rouge était de +force à faire partir l'aigle impérial, et à faire lever le siège, il +adopterait votre constitution et serait du parti des républicains<a id="footnotetag11" name="footnotetag11"></a> +<a href="#footnote11"><sup class="sml">11</sup></a>.</p> + +<p>Il ne l'a pas adopté, mais il a eu la <i>chasse</i> républicaine.»</p> + +<p>18 <i>octobre</i>.--Sortis de notre camp à la découverte, nous nous sommes +rendus à Hautmont, village à gauche de Maubeuge, tout en désastre. On +était après la moisson; l'ennemi s'est servi des grains pour faire des +baraques et donner à manger aux chevaux. C'était la plus grande +désolation. Les habitations des cultivateurs dévastées et même en grande +partie brûlées. Voyez un peu ce qu'est la guerre. Malheur au pays où +elle est posée! Les habitants n'y peuvent qu'être malheureux.</p> + +<p>Quoique nous n'ayons pas été longtemps bloqués, je dirai que nous +sentions déjà notre misère, les vivres nous étaient retranchés +(rationnés); la rivière passait au bas de notre camp, mais l'ennemi nous +avait coupé l'eau; nous étions obligés de la prendre dans les fossés des +retranchements où on allait faire les nécessités. La pluie, qui tombait +continuellement faisait de tout cela un mélange. Aussi plusieurs de nous +y avaient gagné le flux de sang.</p> + +<p>Revenons à nos contremarches: l'ennemi a été repoussé, mais il faut +garder ses passages.</p> + +<p>29 <i>octobre</i>.--Partis de Hautmont pour aller à la droite de Maubeuge, +dans un village appelé Marpent, sur le bord de la Sambre, où de temps en +temps on se souhaitait le bonjour à coups de fusil avec les postes +autrichiens.</p> + +<p>14 <i>novembre</i>.--Partis de Marpent pour aller au camp de Saint-Remy, sur +les hauteurs, jusqu'au 29. Ce dernier jour, nous sommes allés à +Colleret.</p> + +<p class="mid"><span class="1794">Année 1794</span></p> + +<p>Nous avons quitté Colleret pour Damousies le 12 janvier 1794, deuxième +année de la République. Tous ces villages étaient en première ligne, +près des avant-postes ennemis; car les impériaux avaient un passage sur +la Sambre, près de Beaumont de sorte que nous étions obligés de nous +garder partout. On allait fourrager pour la cavalerie sur leurs +frontières, car les fourrages n'étaient pas bien abondants dans des pays +où la troupe est toujours campée.</p> + +<p>De Damousies, nous sommes venus, le 19 janvier, au village d'Aibes, +toujours en première ligne où le bivouac était continuel. Là, je suis +passé sergent, par ancienneté de grade, le 26 pluviôse.</p> + +<p>Nous avons reçu dans ce temps des recrues de la réquisition, et les +compagnies ont été au grand complet. À peine avait-on le temps de +montrer les premiers principes d'exercice à tous ces hommes qu'il +fallait aller se battre; aussi, la rigueur de l'hiver nous a causé bien +des maux. Dans ces temps là, il n'y avait point d'armistice: hiver comme +été, on était toujours en campagne.</p> + +<p>Quitté Aibes, le 6 germinal, pour nous rendre à Jeumont. La moitié du +bataillon a campé à une demi-lieue à droite, à un bois nommé le <i>Bois de +l'abbaye brûlée</i>. Tous les quatre jours, on relevait les postes à +quarante pieds de distance de l'ennemi, et, en d'autres endroits, il n'y +avait que la Sambre qui séparait. Dans cet endroit, bien des fois nous +nous sommes souhaité le bonjour à coups de fusil. On ne cherchait qu'à +se surprendre les postes et à enlever les sentinelles.</p> + +<p>Le 22, nous sommes partis de cette position. L'ennemi faisait de +nouvelles tentatives pour bloquer Maubeuge. Encore une demi-heure plus +tard, cela en était fait. Mais la brave armée du Nord ne s'est point +découragée. Nous avons battu en retraite à deux lieues près de +Cerfontaine, où était le quartier général. Toute la troupe était sur une +ligne, disposée au combat qui a commencé aussitôt. La colonne +autrichienne a été repoussée au delà de ses positions, laissant une très +grande quantité de morts, de blessés et de prisonniers.</p> + +<p>Nous avons repris notre position dans le village. Nous y avons trouvé de +leurs chasseurs à pied qui avaient passé la Sambre pour piller; nous +leur avons fait des prisonniers, et le reste de la journée s'est passé à +se donner des saluts républicains<a id="footnotetag12" name="footnotetag12"></a> +<a href="#footnote12"><sup class="sml">12</sup></a>.</p> + +<p>Avant de quitter les frontières du Hainaut, pour l'autre rive de la +Sambre, je parlerai de la situation des habitants. La plupart n'avaient +plus d'habitations (et encore combien avaient perdu la vie!). Je compare +l'ennemi à une grêle qui ne laisse rien dans les campagnes où elle +passe.</p> + +<p>Dans ces contrées si fertiles, ces habitants vivaient tranquilles; leurs +terres produisaient de bon froment, toutes sortes de grains, de fruits +et de légumes. Le vin, très cher, n'est pas beaucoup en usage; la bière +est la boisson. Leur manière de vivre est très simple: lait, fromage et +fruits, c'est là leur usage. Bétail à cornes très beau; chaque habitant +en possède plus ou moins selon son pâturage; il a des clos entourés de +bois de tous genres desquels il tire du chauffage pour l'hiver; dans ces +clos, il coupe le premier foin; après cela, leurs vaches y restent +jusqu'à l'hiver sans rentrer à l'écurie. On ne voit presque pas les +villages qu'on ne soit dedans; c'est tout clos, avec de grands bois à +l'entour et près de chaque maison. La plupart des maisons sont couvertes +de paille. Dans ce pays, les deux sexes y sont affables et humains.</p> + +<p>8 <i>floréal</i>.--Nous sommes entrés dans la ville de Beaumont après une +bataille avec les émigrés où il y en a beaucoup de restés sur le champ. +Nous n'en avons faits prisonniers que très peu, car ils ne se rendaient +pas volontiers.</p> + +<p>Nous avons chassé l'ennemi de ses fortes positions autour de la ville; +nous nous en sommes emparés sur-le-champ; elles nous étaient +avantageuses.</p> + +<p>18.--Arrivés au camp de Beaumont. Repartis le 20 à huit heures du soir, +traversant la ville pour aller bivouaquer, jusqu'à la pointe du jour, +sur la route de Mons, à deux lieues en avant. À la pointe du jour, nous +avançons sur l'ennemi campé dans la plaine. Ses dispositions pour nous +recevoir n'ont pas été assez promptes; il a pris la fuite dès notre +première attaque. Dans cette même affaire, j'ai été détaché avec des +tirailleurs pour débusquer les leurs d'un village; nous en avons pris +huit et tué quelques uns. Le reste a pris la fuite.</p> + +<p>22.--Après avoir fait plusieurs mouvements, malgré la pluie qui tombait +tous les jours et rendait les routes impraticables, nous nous sommes +arrêtés dans la plaine de Beaumont pour y passer la nuit.</p> + +<p>23.--Dès la pointe du jour, la troupe a été divisée en trois colonnes; +celles de droite et de gauche ont attaqué l'ennemi avec tant d'ardeur +qu'elles l'ont fait se jeter sur nous au centre. Il y avait plus d'une +demi-heure que nous entendions ronfler le canon et la fusillade. Il y +avait un murmure dans notre colonne de ce qu'on était dans l'inaction. +Tout à coup, on a vu l'ennemi manoeuvrer sur nous, ils n'ont pas été +reçus avec moins d'audace. Nous les avons forcé à repasser la Sambre; +plusieurs d'entre eux ont bu plus qu'ils n'ont voulu. Nous avons passé +après eux; nous les avons poussés à plus de deux lieues au pas de +charge. Nous avons pris plusieurs canons, quantité de prisonniers; très +grand nombre de tués. On n'aurait pas arrêté si la nuit n'avait empêché +de poursuivre.</p> + +<p>24.--Nous nous sommes mis en marche dès la pointe du jour. Une colonne a +longé la Sambre; l'autre avançait sur la droite. L'ennemi nous attendait +dans ses fortes redoutes. Nous n'avons pas hésité. Le feu a commencé par +une canonnade très vive. Notre artillerie s'est mis en devoir de +répondre avec ardeur, elle a été soutenue par le feu de l'infanterie qui +s'est avancée au pas de charge et a enlevé la redoute de vive force, +malgré un feu terrible.--Toute la troupe a montré un courage digne de +véritables républicains.</p> + +<p>Nous leur avons pris quatre pièces de canon et leurs caissons, plusieurs +prisonniers et beaucoup de tués. Nous les avons poursuivi, baïonnette +aux reins, pendant une demi-heure, ils ont atteint un village derrière +lequel ils ont pris position, avec un renfort qu'il leur venait du camp +de Grisvel sous Maubeuge, ce qui nous a tenu en échec devant le village +nommé Grand-Reng. On s'est mis en bataille devant le village et on a +envoyé une grande quantité de tirailleurs qui ont de premier abord +enlevé le village; il leur a été repris: de rechef, ils y ont rentré, +mais venant à bord de l'autre côté, des pièces à mitraille ont développé +leur feu sur eux, il était impossible de passer outre. Pendant huit +heures, le feu n'a pas cessé d'un côté à l'autre. Le soir venu, les +munitions ont manqué, nous avons été obligés de leur abandonner notre +position et de repasser la Sambre. Nous avons perdu assez de monde<a id="footnotetag13" name="footnotetag13"></a> +<a href="#footnote13"><sup class="sml">13</sup></a>.</p> + +<p>Les jours précédents avaient été favorables. Ce jour-là, nous avons +perdu presque tout le terrain gagné, mais nous avons toujours notre +passage sur la Sambre.</p> + +<p>Voici donc de l'ouvrage à recommencer. Voyons si on s'y prendra de la +même manière.</p> + +<p>Il a fallu marcher toute la nuit pour arriver dans la plaine, où nous +étions le 22.</p> + +<p>25.--Malgré la pluie et le mauvais temps continuel, nous avons changé de +position en nous rapprochant de l'ennemi. Nous n'avions pour couvert que +le ciel.</p> + +<p>26.--Nous nous sommes avancés pour nous opposer à la marche de l'armée +autrichienne sur les bords de la Sambre. Le combat s'est engagé par nos +tirailleurs tirés des compagnies à tour de rôle; l'artillerie les a +secondés du matin au soir avec succès; elle a défait des pelotons de +cavalerie, démonté plusieurs pièces; nos obus ont fait sauter des +caissons, tué beaucoup de soldats et de chevaux. Une partie de nos +soldats criait: «Venez, soldats de l'aigle impériale, vous ne résisterez +pas longtemps à l'ardeur des soldats sans-culottes!»</p> + +<p>Notre perte n'a pas été grande dans cette journée; un boulet nous a tué +deux chevaux. Nous avons passé la nuit sous les armes.</p> + +<p>27.--Pris position au village de Hantes, sur la Sambre. L'ennemi a fait +une tentative pour passer dans l'endroit où nous étions, mais il n'a pas +réussi.</p> + +<p>30.--Quitté notre position pour nous rendre sur les hauteurs de l'abbaye +de Lobbes. Cette abbaye a été brûlée à la retraite des Autrichiens.</p> + +<p>Ier <i>prairial</i>.--Nous allons attaquer l'ennemi; l'artillerie et les +tirailleurs commencent. Fusillade soutenue de midi à la nuit. Le 2, le +combat s'est engagé de même, mais avec beaucoup plus de succès; l'ennemi +s'est retiré dans ses fortes redoutes près de Grand-Reng, où le feu a +duré jusqu'au soir. Journée sanglante pour les deux partis; nous nous +sommes retirés sur les hauteurs près de Grand-Reng. On a établi les +postes tout près de ceux de l'ennemi.</p> + +<p>Nous sommes restés quelques jours dans cette position<a id="footnotetag14" name="footnotetag14"></a> +<a href="#footnote14"><sup class="sml">14</sup></a>.</p> + +<p>5.--On dégarnit notre colonne de cavalerie et d'une partie de +l'infanterie pour les faire passer à la droite qui ne se trouvait pas +assez forte. L'ennemi voit ce mouvement et prépare le combat.</p> + +<p>Nous n'avions aucun ordre de prendre les armes le matin. Ordinairement, +c'est le matin que les grands coups se faisaient. Nous étions +tranquilles sous des petits brise-vent que nous avions faits avec des +branches d'arbres; un brouillard très épais empêchait nos avant-postes +de découvrir les mouvements de l'ennemi quand il les a surpris. +Aussitôt, on entend crier de toutes parts: <i>Aux armes!</i> Chacun a couru +se ranger en bataille. Ils étaient déjà dans notre camp, et leur +cavalerie s'avançait à grands pas sur la route de Mons. Il y avait une +pièce de douze et une de huit chargées à mitraille; nos canonniers y ont +mis aussitôt le feu et ont retardé leur marche. Ils étaient beaucoup +plus forts que nous; néanmoins, ils ont été reçus d'une manière +républicaine, mais, malgré notre vigoureuse résistance, nous avons été +obligés de battre en retraite et de repasser la Sambre. Dans notre +colonne, il n'y avait que le régiment de cavalerie n° 22 au moment de la +retraite. Nous avons eu cent hommes hors de combat. Le reste de la +journée s'est passé à tirailler. Passé la nuit à Jeumont; le pont qui +nous a servi se nomme Solre-sur-Sambre.</p> + +<p>À l'affaire du 5 prairial, près Grand-Reng, le citoyen Mercier, fusilier +de la compagnie d'Horiot (3e bataillon), natif de Provenchères, district +de Joinville (Haute-Marne), combattit un hussard autrichien. Deux coups +de sabre, sur la tête, et sur le poignet gauche le terrassèrent. +«Rends-toi, coquin! dit le hussard.</p> + +<p>--Un lâche le ferait, dit Mercier. Mais moi, non!»</p> + +<p>Il se relève, prend son fusil de la main droite, met le canon sur la +saignée du bras gauche, pose le doigt sur la détente et tue le hussard. +Mais les blessures de ce vrai républicain étaient très dangereuses. Il +est mort un mois après.</p> + +<p>J'ai vu dans cette affaire des braves républicains couverts de blessures +rassembler toutes leurs forces au moment où ils allaient exhaler le +dernier soupir, s'élancer pour baiser cette cocarde, gage sacré de notre +liberté conquise; je les ai entendus adresser au ciel des voeux ardents +pour le triomphe des armées de la république.</p> + +<p>Cailac, un de nos capitaines, eut la jambe fracassée par un boulet, et +mourut au bout de trois semaines, disant: «Ma vie n'est rien; je la +donnerais mille fois pour que la république triomphe.»</p> + +<p>Atteint au ventre d'un éclat d'obus, un grenadier du bataillon dit à +ceux qui voulaient lui porter secours: «Laissez moi, mes amis, laissez +moi mourir! Je suis content, j'ai servi ma patrie.» Et il expire.</p> + +<p>7.--Dès la pointe du jour, nous nous sommes mis en marche et nous avons +été baraquer au village de Hantes. Comme les vivres avaient tardé, nous +nous sommes mis à battre du blé, aller au moulin et nous avons fait du +pain. Je dirai que tous les habitants de ces villages s'étaient retirés +dans les bois, car les armées leur causaient trop de maux. Il semble que +le ciel veuille augmenter les nôtres; la pluie est tous les jours notre +partage.</p> + +<p>8.--Partis de Hantes pour aller camper sur les hauteurs de l'abbaye de +l'Aune.</p> + +<p>12.--Sortis de nos positions à huit heures du soir pour aller à l'abbaye +de l'Aune, nous y sommes arrivés à minuit, le même jour. Cette abbaye +était entièrement dévastée et brûlée.</p> + +<p>14.--Nous avons passé la Sambre, qui est tout près de là.</p> + +<p>15.--La troupe s'est mise en marche et nous avons attaqué dès la pointe +du jour. Combat engagé par une forte canonnade. L'ennemi abandonne ses +positions; nous nous sommes emparés des hauteurs.</p> + +<p>16.--Le canon s'est fait entendre de l'armée des Ardennes, qui est sous +les murs de Charleroi.</p> + +<p>L'ennemi s'y est porté en forces, avec un renfort de cinquante mille +hommes, et soi-disant l'empereur à leur tête. Ce jour, ils ont débloqué +la ville, nous ont repoussés sur le bord de la Sambre près de l'abbaye +de l'Aune où nous restons trois jours.</p> + +<p>19.--Nous sommes partis pour Hantes, où nous arrivons à onze heures du +soir, bien fatigués de marche continuelles<a id="footnotetag15" name="footnotetag15"></a> +<a href="#footnote15"><sup class="sml">15</sup></a>.</p> + +<p>21.--Arrivés à six heures du matin à Thuin, ville d'où on avait chassé +l'ennemi quelques jours avant.</p> + +<p>22.--Partis à une heure du matin pour le camp de Baudribut.</p> + +<p>24.--Dès la pointe du jour, nous avons passé la Sambre et campé devant +le bourg de Fontaine l'Évêque.</p> + +<p>28.--Levée du camp. Nous avons attaqué à une heure du matin pour +favoriser le siège de Charleroi. L'attaque a été vive et s'est engagée +par le feu des tirailleurs. Leur cavalerie, qui ne voyait que des +tirailleurs, a chargé sur eux; ce brouillard l'empêchait de voir les +bataillons qui étaient embusqués derrière les haies. Lorsqu'ils ont vu +que la cavalerie était à une demi-portée de fusil, ils ont fait un feu +de file. Plusieurs tués, quelques prisonniers; le reste a pris la fuite. +Nous avons suivi, nous avons rencontré leur infanterie qui n'a pu +résister à notre ardeur, nous avons fait beaucoup de prisonniers, nous +avons pris deux pièces de canon avec leurs caissons tout attelés.--Après +cette conquête, nous sommes revenus à notre position près de Fontaine +l'Évêque; étant arrivés, nous avons reçu ordre de nous rendre au camp de +Baudribut où était le parc; arrivés à l'entrée de la nuit, nous y sommes +restés quelques jours.</p> + +<p>30.--Nous avons levé le camp à deux heures du matin et passé la Sambre +pour la dernière fois à quatre heures. Nous sommes venus nous placer à +la gauche de Fontaine l'Évêque. À midi, l'ennemi s'est avancé sur deux +de nos compagnies qui étaient en avant; il voulait les surprendre. Nos +bataillons, qui ont aperçu la manoeuvre, se sont mis en bataille et se +tenaient prêts à marcher, lorsqu'un éclaireur est venu nous dire qu'ils +battaient en retraite. Sur-le-champ on s'est mis en marche pour les +poursuivre; leur cavalerie d'arrière-garde a voulu nous charger, pour +retarder notre marche, mais elle a été reçue d'une manière républicaine, +une décharge leur a fait bien vite partager la retraite.</p> + +<p>2 <i>messidor</i>.--Nous avons suivi l'ennemi sans trouver de résistance; ils +nous laissent plusieurs pièces de canons et caissons tout attelés. Notre +cavalerie fait un grand nombre de prisonniers à l'infanterie +autrichienne. La nuit suspend la victoire, mais elle en prépare une +nouvelle en nous laissant faire des contremarches à la faveur de son +obscurité pour se disposer au combat dès la pointe du jour.</p> + +<p>7.--L'ennemi s'est montré en force pour débloquer Charleroi, mais nous +avons porté obstacle à son dessein.</p> + +<p>Le feu a commencé à quatre heures du matin et a duré une partie de la +journée.</p> + +<p>Nuit passée sous les armes à la gauche du camp de Trazegnies.--Partis de +ce camp à trois heures du matin pour aller nous réunir à l'armée de la +Moselle. En marche, on nous a fait rester dans un chemin couvert, devant +un village, pas bien loin de Charleroi. C'est dans cet endroit que nous +avons appris la reddition de la place (du 7 messidor, à onze heures du +matin) avec cinquante mille hommes<a id="footnotetag16" name="footnotetag16"></a> +<a href="#footnote16"><sup class="sml">16</sup></a>, quatre-vingts bouches à feu et +plusieurs petits magasins. Sortie le même jour, la garnison a déposé +devant nous ses armes; elle a été de suite escortée et conduite en +France. Cette ville a été bombardée sans que nous fassions beaucoup de +retranchements, car elle a été débloquée plusieurs fois.</p> + +<p>8.--Nous sommes sortis de notre chemin couvert pour nous opposer au +défilé des colonnes autrichiennes pour nous cerner. Ce jour-là ils +avaient réuni leurs forces de part et d'autre, pour nous donner une +<i>chasse</i>, et faire lever le siège de Charleroi qui était rendu; mais ils +n'en étaient pas instruits, car ils avaient si bien jeté leur plan +qu'ils cherchaient à nous prendre entre deux feux. Il n'y avait plus à +balancer; le combat a commencé à huit heures du matin par une forte +canonnade, de toutes parts, avec une rapidité sans égale, comme jamais +on ne l'avait entendu jusqu'alors. Notre courage semblait déjà nous +annoncer la victoire, main hélas! dans un feu si terrible et si +opiniâtre, les munitions ont manqué. Il fallut donc battre en retraite +et nous retirer plus vite que nous n'aurions voulu, rencontrant des +obstacles, des fossés, un village dont les rues étaient si étroites que +la troupe ne savait où passer et se voyait presque au pouvoir de +l'ennemi. La colonne autrichienne s'avançait avec rapidité pour nous +prendre en flanc. Mais nous avons été plus tôt qu'elle au sommet de la +montagne, et nous avons usé le peu de munitions qui nous restaient. Nous +avons retardé leur marche. Je dirai que, en montant cette montagne, il +tombait parmi nous des boulets, obus et balles comme grêle, mais cela a +fait très peu d'effet, quoiqu'ils soient bien près de nous. Nous avons +perdu très peu de monde et, grâce à la reddition de Charleroi, nous +avons battu en retraite sous ses glacis. La retraite de notre colonne, +qui était celle du centre, a été favorable à la défaite de l'ennemi qui +s'est trop aventuré en nous poursuivant, et s'est trouvé pris en flanc. +Il ne s'est retiré qu'avec peine et pertes<a id="footnotetag17" name="footnotetag17"></a> +<a href="#footnote17"><sup class="sml">17</sup></a>.</p> + +<p>Lors du siège de Charleroi, un canonnier du régiment de Suède s'écriait +en mourant: «Cobourg, Cobourg, avec tes nombreux florins, tu n'auras pas +payé une goutte de mon sang; je le verse tout aujourd'hui pour la +République et pour la liberté.»</p> + +<p>Tous ceux qui ont perdu la vie dans ce siège n'ont donné, au milieu des +douleurs les plus aiguës, aucun signe de plaintes. Leurs visages étaient +calmes et sereins; leur dernière parole était: Vive la République! C'est +au lit d'honneur qu'il faut voir nos guerriers, pour apprendre la +différence qui existe entre les hommes libres et les esclaves. Les +valets des rois expirent en maudissant la cruelle ambition de leurs +maîtres. Le défenseur de la liberté bénit le coup qui l'a frappé; il +sait que son sang ne coule que pour la liberté, la gloire et pour le +soutien de sa patrie.</p> + +<p>À la colonne de gauche et à celle de droite, qui était l'armée de la +Moselle, le canon n'a cessé de ronfler toute la journée. Le combat a été +sanglant comme il n'avait jamais encore paru<a id="footnotetag18" name="footnotetag18"></a> +<a href="#footnote18"><sup class="sml">18</sup></a>. Deux fois la colonne +de droite a été repoussée, et deux fois elle a remporté la victoire; +elle leur a pris quinze pièces de canon de tout calibre. La colonne de +gauche a eu le même succès. Des fois, qui croit vaincre est vaincu; avec +leurs grandes forces ils cherchaient à nous bloquer, et ils ont été pris +quand même.</p> + +<p>Nous avons perdu quelques braves républicains, mais on pourra juger de +la perte de l'ennemi, toujours grande pour celui qui est obligé de +prendre la fuite. Cette journée a été une des journées victorieuses de +la République, elle portera pour toujours le nom de <i>bataille de +Fleurus</i>.</p> + +<p>Dans ce jour mémorable du 8 messidor, une infortunée délaissée de son +mari qui avait émigré et n'ayant pas de quoi subsister était, sous des +habits d'homme, avec son frère, à son rang de compagnie. La compagnie +étant dispersée en tirailleurs, les tirailleurs ennemis, qui avaient eu +un moment un peu d'avantage, sont venus charger les nôtres, dans la +mêlée; elle s'est trouvée avec peu de monde environnée d'un grand nombre +d'Autrichiens. Elle s'en est tirée en brûlant la cervelle de celui qui +la tenait, ne cessant de dire que jamais elle ne se rendrait, que sa vie +était sacrifiée à sa patrie. Ces tyrans lui promettaient d'avoir égard à +son sexe et de ne la prendre que comme prisonnière. Cette femme était, +avec son frère, dans le 22e régiment de cavalerie, qui a réparé ce jour +là la faute qu'il avait faite près de Grand-Reng.</p> + +<p>Avant la prise de Charleroi, pendant que nous étions à bivouaquer sur +les hauteurs de Fontaine-l'Évêque, l'ennemi ne se croyant pas en force +se contenta de nous envoyer des boulets et des obus. Nous perdîmes +plusieurs hommes, entre autres un tambour du bataillon. Un éclat d'obus +traversa son sac de peau et son côté; il resta mort sur la place; deux +autres soldats furent blessés du même coup. Un hussard Chamborant +passant dans la place, prit la caisse du tambour et s'est mis derrière +un chêne, battant la charge avec le manche de son couteau, ce qui a mis +l'ennemi en fuite.</p> + +<p>9.--Nous sommes venus prendre les positions que nous avions auparavant.</p> + +<p>12.--Nous avons marché toute la journée pour aller bivouaquer devant la +ville de Binche. Arrivés à onze heures du soir, nous avons passé le +reste de la nuit sous les armes. L'attaque a commencé par une forte +canonnade.</p> + +<p>15.--Nous sommes partis pour attaquer l'ennemi en retraite vers Mons. À +huit heures du matin, les tirailleurs se sont avancés au pas de charge +avec deux pièces, ils ont poursuivi les Autrichiens si vivement qu'ils +n'ont pas eu le temps d'entrer dans la ville de Mons. Notre cavalerie +s'est emparée des passages dans les environs de la ville et aussitôt des +bataillons y sont entrés, baïonnette en avant. Dans cette journée on a +fait environ deux cents prisonniers.--Les autres colonnes ont encore +poursuivi pendant deux heures. La nuit a tendu ses voiles<a id="footnotetag19" name="footnotetag19"></a> +<a href="#footnote19"><sup class="sml">19</sup></a>; il a +fallu arrêter notre marche. Nous avons passé la nuit sous les murs de +Mons.</p> + +<p>16.--La ville rendue, nous avons été prendre position devant le village +nommé Beausoir.</p> + +<p>17.--Partis de cette position dès la pointe du jour, croyant trouver les +Autrichiens, mais nous avons fait cinq lieues sans rencontrer personne.</p> + +<p>Campé devant Braine-le-Comte, situé sur la route de Mons à Bruxelles. +Nous sommes entrés dans la ville avec les plus vifs applaudissements de +tous les bourgeois qui faisaient entendre les cris: «<i>Vivent les soldats +républicains français!</i>»</p> + +<p>21.--Nous avons levé le camp pour continuer notre route. Nous sommes +entrés dans la ville de Hal avec les mêmes applaudissements; nous avons +campé en avant de la ville jusqu'au 23. Nous sommes partis dès la pointe +du jour, croyant trouver ceux qui nous menaçaient quelques jours +auparavant. Notre avant-garde suffisait pour les faire disparaître.</p> + +<p>23.--Nous sommes entrés dans la ville de Bruxelles, de même avec les +plus vifs applaudissements de tous les bourgeois: «Vive les soldats +républicains!» Comme nous étions à la tête de la colonne, nous sommes +restés à la place, sous les armes, pendant que la colonne a défilé. Cela +a duré toute la nuit.</p> + +<p>24.--Le reste de la colonne a passé. De suite, on a fait entrer les +troupes dans les casernes, mais la moitié restait toujours sous les +armes. Notre bataillon était au quartier du Vieux Marché; et les deux +autres bataillons étaient dans de grosses maisons bourgeoises. Il y +avait avec nous le régiment de Suède et le bataillon du Haut-Rhin. Nous +étions sans aucune fourniture<a id="footnotetag20" name="footnotetag20"></a> +<a href="#footnote20"><sup class="sml">20</sup></a>.</p> + +<p>30.--Nous sommes partis à une heure du matin. Nous avons été camper +devant Louvain. J'étais parti trois jours auparavant avec un piquet de +vingt-cinq hommes pour escorter des bateaux que nous avons été chercher +à Villebruck, sur le canal qui vient à Bruxelles. Nous avons été bien +reçus dans cet endroit qui est à cinq lieues. Nous sommes arrivés le 30 +avec ces bateaux chargés de foin et d'avoine pour les magasins de +Bruxelles, et j'ai rejoint, avec mon piquet, la demi-brigade qui était +campée devant la ville de Louvain.</p> + +<p>Ier <i>thermidor</i>.--Partis dès la pointe du jour, nous sommes venus nous +placer devant la ville de Tirlemont, où nous avons trouvé notre ennemi, +nous l'avons attaqué sans plus de cérémonie et nous l'avons poursuivi à +deux lieues. Nous sommes revenus à notre position.</p> + +<p>7.--Partis au jour, nous sommes allés nous placer devant la ville de +Saint-Tron.</p> + +<p>9.--Nous avons fait un mouvement, nous avons été camper dans une grande +plaine assez près de Tirlemont, où nous entendons ronfler le canon de +notre avant-garde, qui ne laisse pas à l'armée autrichienne le temps de +se rallier.</p> + +<p>16.--Partis de ce camp, nous sommes venus au camp de Berlingen.</p> + +<p>29.--Nous avons fait un mouvement d'un quart de lieue à l'entrée de la +nuit. Nous avons traversé un village qui séparait notre camp du camp de +Looz.</p> + +<p>Toutes ces plaines où nous étions campés étaient retranchées du côté de +l'ennemi par de fortes redoutes.</p> + +<p>Ier <i>fructidor</i>.--C'est dans ce camp que nous avons été amalgamés avec +le régiment de Beauce et un bataillon du Haut-Rhin<a id="footnotetag21" name="footnotetag21"></a> +<a href="#footnote21"><sup class="sml">21</sup></a>. Les officiers et +sous-officiers se sont assemblés; on a fait la fête pendant deux jours, +on a bu le vin d'alliance, on s'est juré de même que la fraternité +régnerait entre nous jusqu'à la mort; et comme on servait la même +patrie, on s'est promis de vivre toujours en paix comme des frères et de +vrais soutiens de la République française. Le numéro que cette +demi-brigade a eu dans ce moment était 127; elle a été commandée en +premier-lieu par le général de brigade Richard et le général de division +Poncet.</p> + +<p>Dans ce camp, nous avons appris la reddition de Valenciennes. On a +trouvé dans cette place 227 bouches à feu et quantité de poudre et +autres magasins bien approvisionnés, plus qu'on n'en avait trouvé +lorsqu'ils avaient été livrés.</p> + +<p>14 <i>fructidor</i>.--Nous sommes partis à deux heures du matin: nous avons +été camper dans la plaine de Maëstricht, et nous en étions encore à +trois lieues en seconde ligne. La paille a été délivrée à toute la +colonne.</p> + +<p>On nous a annoncé la reprise de Condé; on a trouvé dans cette place +1,600 prisonniers, 130 bouches à feu, des munitions de bouche pour six +mois, 6,000 paquets de cartouches, un très grand magasin de poudre à +canon, 6,000 bombes, 6,000 boulets, et cette place en bon état de +défense.</p> + +<p>Le même jour, a passé dans notre camp un colonel anglais avec toute son +escorte et trente chevaux, qui avaient été pris aux environs de +Maëstricht par notre avant-garde.</p> + +<p>C'est dans ce même camp que nous avons fait la réjouissance de la +reddition de toutes nos villes que les Impériaux nous avaient ravies: le +Quesnoi, Landrecies, Valenciennes, Condé.</p> + +<p>Voici la manière dont la réjouissance s'est faite dans l'armée de Sambre +et Meuse. La fête a été annoncée à six heures du matin par trois coups +de canon des pièces de position qui se sont trouvées dans chaque +division. À sept heures et demie, les mêmes pièces ont répété la même +chose. La musique de chaque demi-brigade était placée sur le front de +bandière, où elle jouait différents airs patriotiques pendant toute la +cérémonie. À huit heures et demie un feu de bataillon a été exécuté dans +chaque division en commençant à la droite d'icelle. Ce feu fini, le +général de brigade a passé devant chaque bataillon en criant: <i>Vive la +République!</i> Nous nous sommes unis à sa voix. La distribution de +l'eau-de-vie a été donnée à toute la troupe. L'ordre a été donné que +chacun rentre dans ses baraques. Ce n'était pas sans en avoir besoin, +car depuis minuit nous étions sous les armes.</p> + +<p>Ier <i>vendémiaire, an</i> III.--Nous sommes partis du camp, dont c'était la +première fête <i>sans culottine</i>, pour nous rapprocher de Maëstricht, et +nous joindre à notre avant-garde qui était sous ses murs et s'était +vaillamment battue.</p> + +<p>La ville de Maëstricht a été bloquée et cernée entièrement. Nous y +sommes restés quelques jours, et de là nous nous sommes mis en marche. +Nous avons passé la Meuse, au-dessus de Maëstricht sur des pontons pour +rejoindre notre avant-garde, et aller à la poursuite des Autrichiens. Il +est resté une partie de notre armée pour contenir la garnison de +Maëstricht en attendant que nous ayons repoussé l'armée autrichienne au +delà du Rhin. Nous avons marché plusieurs jours sans rencontrer aucun +vestige de l'armée autrichienne.</p> + +<p>Arrivés à une forte rivière nommée la Roër, c'est là qu'ils espéraient +remporter la victoire et nous empêcher de passer. Ils étaient bien +retranchés dans les endroits où on aurait pu passer. Malgré plusieurs +obstacles qui se trouvaient devant cette rivière, nous n'avons pas +hésité un seul moment pour attaquer.</p> + +<p>La bataille a été sanglante aux deux partis, et a duré depuis le matin +jusqu'au soir; à la nuit, on a fait abandonner la rivière à l'ennemi. +Nous avons eu dans ce jour plusieurs centaines d'hommes de blessés. Nos +pièces de position, au nombre de quarante, étaient aux environs de la +rivière et n'ont décessé de jouer; la fusillade a fait de même. L'ennemi +a répondu au feu d'enfer que faisaient les républicains. Le soir, +lorsque le feu a cessé, nous nous sommes retirés un peu en arrière, dans +la plaine qui touche la rivière, pour passer la nuit.</p> + +<p>Nous les avons vus qui faisaient de grands feux, car ils brûlaient leurs +baraques; nous avons jugé par-là qu'ils allaient prendre la fuite. +C'était réel: vers minuit, ils se sont mis en marche.</p> + +<p>On a travaillé toute la nuit à faire des ponts avec des voitures, des +chariots attachés avec des gros arbres, qui étaient sur le bord de la +rivière; on a mis des planches sur ces constructions et le matin, à la +pointe du jour, nous avons passé au milieu de leurs retranchements, qui +étaient remplis de cuisses, bras et corps entiers qu'ils avaient laissés +sans les enterrer. Plusieurs pauvres blessés criaient miséricorde; on +les a portés de suite à l'ambulance avec les nôtres.</p> + +<p>Notre colonne de droite avait passé la rivière avant nous. Nous avons +été plusieurs jours pour arriver au Rhin, mais aucun Autrichien ne s'est +trouvé devant nous. Le soir du passage de la rivière, le général de +brigade Richard nous a annoncé la prise de Juliers avec vingt-quatre +pièces de 27 en bronze. Depuis cette époque, nous n'avons plus vu +d'Autrichiens que sur l'autre rive du Rhin, près de Düsseldorf<a id="footnotetag22" name="footnotetag22"></a> +<a href="#footnote22"><sup class="sml">22</sup></a>. +Notre dernier camp a été dans la plaine près de la ville de Neus. Voilà +la manière dont nous avons fait la conduite à l'armée autrichienne avec +les honneurs de la guerre, à grands coups de canon.</p> + +<p>Notre voyage ne nous a pas été bien favorable: une pluie continuelle et +froide, un vent qui nous glaçait les sens, et point d'autre couverture +que le ciel.</p> + +<p>Notre ennemi est de l'autre côté du Rhin, tranquille, et nous, mous +allons retourner sur nos pas pour aller faire le siège de +Maëstricht<a id="footnotetag23" name="footnotetag23"></a> +<a href="#footnote23"><sup class="sml">23</sup></a>.</p> + +<p>Arrivés devant cette ville, on s'est tout de suite occupé à faire les +travaux; on a fait des redoutes pour soutenir et répondre aux sorties +qu'ils pourraient faire pendant qu'on ouvrirait les boyaux: on +travaillait à ces ouvrages nuit et jour.</p> + +<p>Malgré leur mitraille, nous avons ouvert les boyaux à une portée de +pistolet de leur bastion. Nous y avons été, pour notre tour, cinq fois +pour les ouvrir. On n'a pas perdu tant de monde que l'on croyait pour +faire le siège d'une ville si forte. Notre commandant de bataillon a été +blessé d'un éclat de grenade, et plusieurs officiers et soldats.</p> + +<p>Tous les jours, les ouvrages se multipliaient, et nous rendions par ce +moyen l'asile des assiégés plus étroit. Les jardiniers de la ville +avaient planté beaucoup de légumes d'hiver dans leurs jardins; mais +c'est nous qui en avons fait la récolte. Tous les matins, ils se +trouvaient enfermés plus étroitement; s'il n'y avait pas eu des fossés, +nous aurions été les prendre dans leurs palissades.</p> + +<p>Les ouvrages allaient être achevés; on a commencé à bombarder la ville +le 12 brumaire; cela a duré trois jours. Le 14, la ville de Maëstricht +s'est rendue, à deux heures du matin. Un des officiers supérieurs de la +ville est venu sur les bastions et a demandé le général qui commandait +en chef le siège, pour capituler<a id="footnotetag24" name="footnotetag24"></a> +<a href="#footnote24"><sup class="sml">24</sup></a>. Pendant qu'on est allé le +chercher, les canonnières et les bombardières redoublaient le feu +jusqu'au moment où ils ont reçu l'ordre du général de le cesser. Au +moment où il a demandé à capituler, le feu était dans un magasin +d'huile, de lard, de farine, etc. À la pointe du jour, on voyait tous +les bourgeois sur les remparts et plusieurs nous apportaient des +bouteilles d'eau-de-vie.</p> + +<p>Nous avons tenu Maëstricht bloquée pendant quarante-quatre jours. +Pendant ce blocus, les assiégés nous ont envoyé quarante-cinq mille +boulets, trente-quatre mille tant bombes qu'obus, quatorze mille +grenades. Ils nous envoyaient toutes ces pommes dans nos travaux, sans +que cela fasse beaucoup d'effet.</p> + +<p>Le feu cessé, on a été trois jours pour arranger la capitulation. La +garnison est sortie de la ville le 17 brumaire; entre dix et onze heures +du matin, les troupes impériales sont sorties par la porte d'Allemagne, +et ont passé la Meuse au milieu des assiégeants, qui formaient la haie +de chaque côté de la route où ils devaient passer. Ils sont sortis avec +les honneurs de la guerre: tambour battant, mèche allumée et enseigne +déployée. Lorsqu'ils ont été presqu'à la fin de la colonne, ils ont +déposé leurs armes devant nous; la cavalerie et l'infanterie ont emporté +leurs sabres. Il y avait de la troupe toute prête pour les conduire au +delà du camp.</p> + +<p>La troupe hollandaise est sortie le même jour, mais un peu plus tard, +car il fallait le temps à la colonne française de venir se placer en +haie sur la route par laquelle ils devaient passer, qui était d'une +extrémité de la ville à l'autre. Ils sont sortis de même avec les +honneurs de la guerre comme la troupe autrichienne. Ils ont été +reconduits dans leur pays par nos chasseurs à cheval, ils ont conservé +leurs sabres comme la troupe impériale. Les officiers composant la +garnison de Maëstricht ont emmené leurs chevaux et tout leur bagage.</p> + +<p>La Ville de Maëstricht est très forte; elle a un fort qui la commande et +qui la défend. La Meuse flotte contre ses murs, et donne de l'eau dans +ses fosses; elle a aussi des forts qui sont construits dans le milieu de +la Meuse, qui défend son approche du côté de l'Allemagne. Il y a dans +les environs de grandes plaines très fertiles en blés, orge, avoine, +pommes de terre, etc.; elle est frontière de la Hollande.</p> + +<p>C'était le général Kléber qui commandait le siège en chef; nous étions +du côté gauche de la ville, sous les ordres du général Duhesme.</p> + +<p>18 <i>brumaire</i>.--Nous sommes partis des alentours de Maëstricht pour +aller sur les bords du Rhin.</p> + +<p>20.--Nous avons passé dans la ville de Juliers, jolie petite ville très +fortifiée; les maisons d'une assez belle construction, les rues très +larges. Il y a aussi de très belles plaines très fertiles en blés et en +toute sorte de grains; on y boit aussi de bonne bière, on y récolte +aussi de très bons fruits. Cette ville est la capitale du duché de son +nom.</p> + +<p>22.--Nous sommes arrivés à Cologne; nous y avons campé en arrivant.</p> + +<p>29.--Nous sommes sortis de ce camp pour aller cantonner sur le bord du +Rhin au village nommé Langel. Nos postes étaient placés sur le bord du +Rhin; nous étions une compagnie par ferme, très serrés à cause de la +grande quantité de troupes qui étaient dans les environs. J'ai été voir +la ville de Cologne; elle est très grande, bien peuplée, les rues +larges; il y a une quantité de clochers. J'ai remarqué que sur une tour +très haute, il y avait une grue peinte en vert. Le Rhin flotte contre +les murs, et fait une partie de leur commerce. La ville n'est point +fortifiée, elle est entourée d'un simple mur très haut. C'était là que +l'électeur faisait sa résidence.</p> + +<p>12 <i>frimaire</i>.--Sortis de Hangel pour passer à la droite de la Logne. +Suivant les bords du Rhin à une demi-lieue de la Logne, nous cantonnons +au village nommé Nille?</p> + +<p>Nous avons reçu des ordres pour nous rendre à Bonn, soi-disant pour +passer le reste de l'hiver; nous sommes partis le 13; lorsque nous avons +été près des murs de ladite ville, nous avons reçu des ordres pour aller +cantonner dans les villages à une lieue et demie à la droite de Bonn. +Nous sommes arrivés dans ces cantonnements le 17, dans un village nommé +Melheim, situé sur le Rhin. Notre état-major est resté dans ce village; +notre compagnie a été détachée à une demi-lieue en arrière à un village +nommé Lanesdorf, situé auprès de grosses montagnes; nous montions tout +de même la garde sur le Rhin.</p> + +<p>Quel froid nous avons enduré étant de garde dans ces endroits!</p> + +<p>Des sentinelles sont mortes en faction; cependant on les relevait toutes +les demi-heures. Le Rhin était tout en glace; pendant vingt-quatre +heures, on était obligés de jeûner, car nos vivres étaient gelés, durs +comme de la pierre. Je ne veux pas peindre les maux que nous avons +soufferts dans ces différentes occasions; ils seraient faits pour +attendrir un coeur de roche. Que l'on se souvienne de la rigueur des +froids des différents hivers, de la rareté des vivres et du vêtement; +cela suffira pour dire que nous avons été malheureux.</p> + +<p>17 <i>nivôse</i>.--Sortis de ce cantonnement pour aller au village nommé +Keising, à une demi-lieue de Bonn. Étant dans ce village, je suis allé +voir la ville de Bonn; je dirai qu'elle est très belle: des rues larges +et bien propres, des maisons d'une belle construction, très éclairées, +de belles places bien grandes, un superbe château à l'entrée de la +ville, situé au midi et appartenant à l'électeur. Le Rhin flotte contre +ses murs: elle n'est fermée que par des petits remparts, très bien +construits. Dans les environs de la ville, il y a de belles avenues de +marronniers et de tilleuls, environnées de belles plaines.</p> + +<p>Étant au village de Keising, nous avons fait l'anniversaire de la mort +de Capet. Cela a eu lieu le 2 pluviôse, à dix heures du matin. Le +bataillon étant rassemblé, on a fait trois décharges et les pièces +d'artillerie en ont fait de même. Cela s'est fait dans l'armée de +Sambre-et-Meuse, dans nos cantonnements sur le bord du Rhin.</p> + +<p>Nous sommes partis de Keising le 5 pluviôse 1795 (vieux style). Journée +odieuse et fatigante pour aller à Aix-la-Chapelle. Au moment où nous +nous sommes mis en route, il tombait de la pluie; il y avait longtemps +qu'il faisait de fortes gelées; ce jour-là il paraissait faire un dégel +universel. Jamais Français et autres n'ont vu une pareille journée, elle +a duré vingt-quatre heures. Toute la troupe était fatiguée. On enfonçait +dans la terre jusqu'aux genoux, on faisait trois ou quatre pas, et il +fallait s'arrêter pour reprendre haleine; aussi plusieurs soldats y ont +perdu la vie, et même les chevaux, avec rien sur leur dos, avaient bien +de la peine à s'en tirer. Ce n'était pas cependant dans des marais, +c'était dans des champs de gravier; on aurait préféré marcher dans l'eau +jusqu'aux reins, plutôt que dans de pareils chemins; mais il n'y avait +pas de choix; il fallait que la route se fasse.</p> + +<p>Nous avons été dans cette triste situation depuis le matin jusqu'au soir +à la nuit. Étant arrivés à une petite ville nommée Bruhl, toute la +demi-brigade n'y a pu loger. Il était nuit: il nous a fallu aller loger +à une demi-lieue de Bruhl, dans un village. Pour faire cette demi-lieue, +nous avons été deux heures; en arrivant, les billets de logement nous +ont été distribués, mais on a eu bien de la peine à les trouver, par +rapport à la nuit.</p> + +<p>Le lendemain, la route était plus favorable, la gelée avait remplacé le +dégel, la nuit avait raffermi la route, et le matin il tombait de la +neige qui a duré jusqu'à midi. Nous sommes partis de nos logements à +sept heures du matin vers Aix-la-Chapelle. Nous avons logé en y allant à +Norwenig, à Duren, à Eschviller. À Aix-la-Chapelle, nous avons logé chez +le bourgeois. Nous y sommes restés un mois pendant lequel les officiers +et sous-officiers ont été plusieurs fois chez le général de division +Poucet pour apprendre la théorie.</p> + +<p>L'armée de Sambre et Meuse passait alors pour être si peu disciplinée, +parmi les Français, que l'on croyait que les généraux n'osaient livrer +aucun combat faute de discipline et de subordination. Le tout venait de +la part des ennemis de la liberté, qui cherchaient à mettre le désordre +parmi nos troupes, en faisant naître l'idée que le droit de la guerre +était de piller tout pays conquis.</p> + +<p>Mais le Français a su se comporter plus vaillamment, car c'est la +discipline qui a fait tous nos succès, et qui a excité l'admiration de +toute l'Europe. Voilà pourquoi les ennemis de la République voulaient +nous entraîner au pillage; les perfides savaient bien qu'une armée sans +discipline est une armée vaincue; ils savaient par eux-mêmes que des +brigands ne sont jamais qu'une troupe de lâches. Nous avons démenti +cette calomnie par notre conduite; l'amour de l'ordre et de la +discipline, le respect pour les personnes et les propriétés, +distingueront toujours l'armée de Sambre et Meuse.</p> + +<p>Voici un discours du représentant du peuple Gillet aux habitants +d'Aix-la-Chapelle, qui prouve la générosité des Français:</p> + +<p class="mid"> «Habitants d'Aix-la-Chapelle,</p> + +<p> »Des actes de cruauté ont été commis dans votre ville envers des + soldats français lors de la retraite de l'armée au mois de mars + 1793: des soldats malades et blessés ont été jetés par les fenêtres + dans la rue; d'autres ont été fusillés par des bourgeois qui se + tenaient cachés dans leurs maisons. Nous n'userons point des droits + que pourraient nous donner de justes représailles.</p> + +<p> «Si les ennemis de la France se sont couverts de tous les crimes, + le Français s'honorera toujours d'être généreux. Mais le sang de + nos frères cruellement massacrés demande vengeance. Sans doute ces + actes de barbarie ont été désavoués par la majorité des citoyens, + et ne peuvent être l'ouvrage que d'un petit nombre. Nous demandons + que les coupables nous soient livrés dans les vingt-quatre heures; + vous nous devez cette justice, vous la devez à vous-mêmes sous + peine d'être réputés complices des plus atroces forfaits.</p> + +<p class="rig"> Signé: «GILLET.»</p><br><br> + +<p>Le 10 ventôse, nous avons célébré la fête de la prise de la +Hollande<a id="footnotetag25" name="footnotetag25"></a> +<a href="#footnote25"><sup class="sml">25</sup></a>, et, ce même jour-là, les nobles et ceux qui avaient des +titres de noblesse les ont brûlés en notre présence, sous les armes.</p> + +<p>Je dirai qu'Aix-la-Chapelle est très grand et bien peuplé: il y a +beaucoup de manufactures en tout genre; on y trouve de bonne eau +vulnéraire pour boire et prendre des bains; il y a de belles maisons +très élevées, de belles rues larges et de belles grandes places. Elle +n'est fermée que de plusieurs simples murs; c'est une ville très +ancienne.</p> + +<p>Nous sommes partis d'Aix-la-Chapelle le 11 ventôse pour aller cantonner +aux environs d'Aix-la-Chapelle, au bourg nommé Eschviller; notre +compagnie a été détachée à un village nommé Nolberg.</p> + +<p>Je dirai que dans les campagnes de ces pays, ils sont assez à leur aise. +Ils vivent bien avec de la choucroute, du bon lard; leur soupe est faite +avec de l'orge mondé, de la viande de boeuf salé; ils mangent beaucoup de +carottes, de navets; prennent le matin beaucoup de café avec du beurre +frais et des confitures; leur boisson est de la bonne bière et du +<i>chenik</i>. Leurs maisons sont très propres, lavées tous les samedis; leur +batterie de cuisine est en fer noir et jaune, très bien éclaircie, et +même leur crémaillère; pincettes et pelle à feu, tout est dans la plus +grande propreté. Le sexe des deux sortes y est très affable; les hommes, +leur costume n'est pas différent du nôtre; mais les femmes ont un +déshabillé assez long; pour coiffure, des petits bonnets de velours ou +autre couleur, bordés sur le devant avec une dentelle en or; leurs +cheveux en plusieurs tresses qu'elles roulent derrière leur bonnet comme +un escargot, et tenus avec une grande épingle en argent, large comme les +deux doigts. Leur parler est l'allemand. Tout ce pays est très fertile +pour toutes choses.</p> + +<p>Nous sommes partis de Nolberg le 25 ventôse pour revenir sur les bords +du Rhin; nous avons logé en y allant à Duren, à Norwenigbourg, à +Bruhl-ville. De là, nous avons été prendre nos cantonnements sur le bord +du Rhin, au village nommé Nieder-Weslingen. C'était le 27; dans cet +endroit on nous a diminué les vivres; nous avions par jour une livre de +pain et une once de riz; avec ces vivres nous étions une partie de la +nuit sur pied et montions la garde d'un jour à l'autre. Voilà comme les +soutiens de la patrie avaient toutes leurs aises.</p> + +<p>7 <i>germinal</i>.--Sortis de Nieder-Weslingen. Ce jour-là, nous avons appris +le traité avec le roi de Prusse<a id="footnotetag26" name="footnotetag26"></a> +<a href="#footnote26"><sup class="sml">26</sup></a>. Notre marche était dirigée sur +Coblentz. Nous avons logé, en y allant, à Bonn, à Breisig, à Kretz. Là +nous sommes restés huit jours.</p> + +<p>16.--Arrivés à Coblentz où nous n'avons pas logé; notre logement a été à +gauche de la ville, au village nommé Kesselheim, situé sur le bord du +Rhin.</p> + +<p>17.--Entrés dans la ville de Coblentz à huit heures du matin. Nous avons +été logés dans des maisons d'émigrés toutes dévastées, et à peine avions +nous de la paille pour reposer nos pauvres membres tout navrés de +fatigue, avec notre livre de pain et notre once de riz<a id="footnotetag27" name="footnotetag27"></a> +<a href="#footnote27"><sup class="sml">27</sup></a>. Bien des +fois, on ne pouvait pas avoir du pain et très peu de viande bien maigre; +nous ne pouvions trouver aucune chose pour notre papier, car personne ne +s'en souciait, et pour un pain de trois livres, il fallait donner +vingt-cinq francs en papier<a id="footnotetag28" name="footnotetag28"></a> +<a href="#footnote28"><sup class="sml">28</sup></a>.</p> + +<p>La ville de Coblentz est grande et très peuplée; il y a beaucoup de rues +très larges, mais aussi il y en a où les voitures ne peuvent pas passer; +il y a de belles places et principalement la place d'Armes, entourée de +bornes de pierre avec de grosses chaînes de fer.</p> + +<p>Deux rangs de tilleuls forment un berceau couvert tout autour de la +place; elle est environnée de belles grosses maisons très hautes et +d'une belle construction. Et même dans une partie de la ville, en +sortant de la place d'Armes, on voit un boulingrin et une superbe maison +toute neuve, que l'Electeur de cette ville a fait bâtir; elle nous +servait d'hôpital du temps que nous étions dans ces contrées. Cette +maison est sur le bord du Rhin, environnée de grands jardins +nouvellement plantés. Il y a aussi de magnifiques promenades. Cette +ville est du côté du nord, bornée par la Moselle qui tombe de là dans le +Rhin, vis-à-vis du fort, et, au levant, le Rhin flotte contre ses murs. +Cette ville avait de forts bastions et de gros cavaliers qui défendaient +son approche, entre le Rhin et la Moselle; ces fortifications ont été +démolies dans le temps que nous étions là, de sorte qu'elle n'est +maintenant fermée que d'un simple mur, du côté du Rhin. Il y a un fort +très haut qui peut brûler la ville; c'est un morceau qui ne peut être +pris que par la famine. Les Français y sont entrés lorsqu'ils ont poussé +l'armée autrichienne au delà du Rhin.</p> + +<p>Nous avons construit des forts et des retranchements bien palissadés à +une demi-lieue de la ville entre la Moselle et le Rhin, dans la plaine.</p> + +<p>Le costume des deux sexes est le même que celui d'Aix-la-Chapelle.</p> + +<p>5 <i>floréal</i>.--Partis de Coblentz à deux heures du matin pour nous rendre +à Rhense, ville située sur le Rhin, sur le versant d'une petite +colline.--Quelques jours avant de sortir de Coblentz, on nous a annoncé +la paix avec le roi de Prusse, ce qui a donné bien du contentement à +toute la troupe de voir que leur ouvrage commençait à produire<a id="footnotetag29" name="footnotetag29"></a> +<a href="#footnote29"><sup class="sml">29</sup></a>.</p> + +<p>10.--Partis de Rhense pour revenir à Capellen, sur le bord du Rhin, au +pied de grosses montagnes.</p> + +<p>18.--Partis de Capellen pour revenir camper sur une hauteur près de la +ville de Coblentz, à droite du camp nommé le camp de la Chartreuse; il +portait le nom du couvent qui était sur le bout de la montagne, près de +la ville. Ce couvent était tout dévasté et servait à mettre les chevaux +de l'artillerie. C'est dans ce camp que noua avons encore fait +pénitence. La misère augmentait tous les jours pour les défenseurs de la +patrie; nous avons été réduits à douze onces de pain par jour, et bien +des fois on ne pouvait pas en avoir. Il fallait cependant faire son +service, bivouaquer et monter la garde très souvent. Mais le printemps +nous produisait des plantes pour un peu nous soutenir, qui étaient des +feuilles de pois sortant à peine de terre, des coquelicots ou +<i>feu-d'enfer</i>, du sarrasin, des pissenlits. Avec tous ces herbages, nous +en faisions une farce que nous mangions en guise de pain; et lorsque le +seigle est venu en grains, on allait lui couper la tête et on le faisait +griller sur le feu. Les pommes à peine défleuries nous servaient aussi +de nourriture.</p> + +<p>C'était vraiment une grande misère, on voyait plusieurs soldats cachés +derrière des haies, attendant que le laboureur qui plantait des pommes +de terre fendues en quatre pour en récolter pour l'hiver prochain, fût +parti de son champ. Aussitôt les soldats affamés parcouraient le champ, +cherchant dans la terre les petits morceaux de pommes de terre, et +revenaient au camp avec leur petite proie, et les faisaient cuire<a id="footnotetag30" name="footnotetag30"></a> +<a href="#footnote30"><sup class="sml">30</sup></a>.</p> + +<p>Huit ou dix jours après on reparcourait les champs, les morceaux de +pommes de terre qui avaient échappés à la première recherche +commençaient à sortir de terre; on les enlevait avec beaucoup de +contentement de se voir quelques petits morceaux de pommes de terre pour +se sauver la vie.</p> + +<p>Le matin on battait la breloque pour le pain, la viande, mais on +revenait souvent sans viande<a id="footnotetag31" name="footnotetag31"></a> +<a href="#footnote31"><sup class="sml">31</sup></a>. Le soir, à l'entrée de la nuit, pas +tous les jours, on revenait avec un pain pour quatre hommes. Tout le +monde sortait de ses baraques et la gaîté renaissait pour un moment dans +le camp; dans la journée tout le monde était comme mort, sur sa pauvre +paille, prenant la misère en patience et s'amusant à détruire sa +vermine.</p> + +<p>Après une misère pareille et des maux si longs et si pénibles, +quelques-uns diront: «les soldats ne sont que des voleurs. Voyez comme +ils allaient dévaster les travaux des pauvres laboureurs!» Nous sentions +bien la perte que nous causions, mais lequel pouvait-on préférer dans un +pareil cas, de mourir? Non, mais je crois, de vivre et d'être utile!</p> + +<p>Dans le courant de prairial, an III de la République française, les +officiers, sous-officiers et soldats de la 127e demi-brigade de l'armée +de Sambre-et-Meuse ont écrit à la Convention nationale, s'exprimant en +ces termes:</p> + +<p>«Que venons-nous d'apprendre? Quoi! les factieux s'agitent encore autour +de la Représentation nationale; le reste impur des complices de la +Terreur ose de nouveau provoquer au pillage, à l'assassinat, au mépris +de l'humanité, à la violation des droits du peuple.</p> + +<p>«Que veulent donc ces hommes téméraires? et quels sont leurs projet +perfides, leurs avidités cruelles? Ils cherchent des prétextes. Mais ce +n'est pas du pain qu'ils demandent, c'est du sang. Ils sont jaloux du +repos du peuple, ils ont soif de son avenir heureux; leur rage scélérate +veut ensevelir la liberté publique, sous les corps enlacés des victimes, +et dominer sur ces débris.</p> + +<p>«Législateurs, conservez l'attitude imposante que vous avez prise! +rappelez-vous toujours ce qu'est le peuple et que le peuple ne veut pas +être opprimé par une poignée de factieux; songez que les agitateurs qui +osent vous menacer, ne sont pas citoyens de Paris, et que les citoyens +de Paris ne sont eux-mêmes qu'une petite fraction de la République!</p> + +<p>«Si l'audace des uns croissait avec leur criminel espoir, et si le +courage des autres s'amollissait par la crainte; si les premiers +oubliaient leur premier devoir et les derniers leur ancienne gloire; +s'il fallait enfin que des colonnes s'ébranlassent des armées +victorieuses pour aller défendre la Convention nationale; parlez, +législateurs! Nous volons autour de vous, les factieux ne parviendront +jusqu'à vous qu'en marchant sur nos cadavres.</p> + +<p>«Une république fondée sur les moeurs et sur la justice est impérissable +comme la nature<a id="footnotetag32" name="footnotetag32"></a> +<a href="#footnote32"><sup class="sml">32</sup></a>.»</p> + +<p>Le 22 prairial, on nous a annoncé la prise de Luxembourg. Les 29 et 30 +prairial, et le 1er messidor, nous avons vu passer la garnison du dit +Luxembourg, au nombre de douze mille, qui ont passé le Rhin à Coblentz, +après avoir passé devant nous.</p> + +<p>Le 9 du mois de thermidor, nous avons reçu trois drapeaux tricolores où +était le numéro de la demi-brigade. Avec les républicains qui +composaient ce corps, nous avons juré dans ce moment de ne jamais +abandonner ces drapeaux qu'à la mort, comme nous avions fait jusqu'alors +des précédents.</p> + +<p>On nous a fait dans ce même moment du feu avec les morceaux des anciens +qui avaient été fracassés au blocus de Maubeuge et au siège de +Maëstricht; ils ressemblent à des vieux guerriers qui étaient devenus +bien caducs en acquérant de la gloire et en parcourant les champs de +Bellone.</p> + +<p>10 <i>thermidor</i>.--Partis du camp de la Chartreuse par une grande pluie +qui a duré deux jours; les ordres étaient donnés pour nous rendre à +Creutznach. Le 14, nous avons logé, en y allant, à Ventzenheim où nous +avons eu séjour; le 15, à Kircheim-Bolanden. Dans cette ville, le prince +de Weilburg a un superbe château de plaisance; il est environné de +jardins où il y a des arbres de toute espèce, il y a un parc bien +distribué: de belles cascades d'eau, des promenades bien agréables, et +des pièces de gazon très bien garnies. La vue ne peut pas se contenter +d'examiner toutes ces belles choses, qui semblent être faites par la +nature.</p> + +<p>16.--Logé à Pitzersheim. Avant d'arriver à ce village, on voit les tours +de Mannheim: il est seulement à trois quarts de lieues de Neustadt.</p> + +<p>17.--À Neustadt; 18, à Nuzdorff, premier village de France, venant de +Coblentz et frontière du Palatin<a id="footnotetag33" name="footnotetag33"></a> +<a href="#footnote33"><sup class="sml">33</sup></a>. Ce village est très grand et situé +à une demi-lieue de Landau.</p> + +<p>19.--À Altenstadt, village à un quart de lieue de Wissembourg, où nous +avons eu séjour.</p> + +<p>21.--À Beinheim, village situé sur la route de Lauterbourg<a id="footnotetag34" name="footnotetag34"></a> +<a href="#footnote34"><sup class="sml">34</sup></a> à +Strasbourg.</p> + +<p>22.--Partis à sept heures du matin pour nous rendre au fort Vauban, +seulement le premier bataillon, les deux autres ont été camper dans la +plaine de Beinheim. Nous avons relevé au fort un bataillon de la 92e +demi-brigade, ci-devant d'Artois.</p> + +<p>Cette place se nommait, avant la Révolution, le Fort-Louis; elle ne +pouvait être prise que par famine, mais elle a été livrée aux Prussiens +en 1792. Les Français ont repris cette place, la même année, après le +déblocus de Landau. Durant le temps que les Prussiens sont restés au dit +fort, ils ont miné le quartier et autres fortifications<a id="footnotetag35" name="footnotetag35"></a> +<a href="#footnote35"><sup class="sml">35</sup></a>. Au moment +où il a fallu les abandonner, ils ont fait sauter toutes les mines; il +restait encore quelques maisons où ils ont mis le feu en partant, de +sorte que maintenant cette place est comme un désert. Nous étions logés +dans des vieilles masures, comme tout le bataillon, parce que le Rhin +avait débordé, et les baraques étaient encore pleines d'eau. Le mauvais +air qui régnait dans cette place a fait que tout le bataillon, et même +les deux autres, ont été pris de maladie; c'était comme une peste. +Jusqu'à dix hommes par compagnie étaient obligés d'aller à l'hôpital, +car ils étaient attaqués d'une fièvre très violente. De soixante hommes +que nous étions dans notre compagnie, nous sommes restés à deux qui +n'ont pas été malades. La fièvre était mauvaise, car il y en a beaucoup +qui en sont morts. Nous avons fait notre purgatoire dans cette place; +nuit et jour nous étions tourmentés, il y avait des petites mouches que +l'on nomme des <i>cousins</i>, qui nous faisaient bien de la peine, il y en +avait si épais qu'on les aurait coupés avec des sabres; les puces et les +poux n'y manquaient pas.</p> + +<p>Étant dans cette place, nous avons fait la réjouissance de +l'anniversaire de la Fédération. Le 23 thermidor<a id="footnotetag36" name="footnotetag36"></a> +<a href="#footnote36"><sup class="sml">36</sup></a>, chaque pièce de +canon a tiré trois coups, et chaque soldat de même. La réjouissance +s'est faite de cette manière dans l'armée de Rhin et Moselle.</p> + +<p>12 <i>fructidor</i>.--Sortis du fort; il est dans une île, et le Rhin passe +tout autour. Les Prussiens avaient brûlé une partie du pont qui conduit +à un petit fort qui est du côté de l'Alsace; il en porte le nom: ce pont +traverse un bras du Rhin et conduit au grand fort: dans ce temps, pour y +entrer, il n'y avait qu'un pont volant.</p> + +<p>Sortant de cet endroit, nous avons été camper au camp près de Beinheim. +Les gardes n'ont point été relevées en partant, à cause de la grande +maladie; nous avons été relevés par un de nos bataillons.</p> + +<p>14.--Nous sommes partis du camp pour nous rendre à Strasbourg. J'ai fait +rencontre d'un vieux bourgeois qui m'arrête et me dit: «Mon ami, je ne +peux m'empêcher de rire, vu le costume que la République vous donne, car +vous ressemblez plutôt à un capucin qu'à un soldat.»</p> + +<p>Je lui dis que l'habit ne faisait pas le moine et qu'il pouvait +continuer sa promenade; qu'il ne serait plus si étonné, car il en +verrait beaucoup de cette couleur. Il n'avait pas tout à fait tort, car +je portais une capote couleur marron que j'avais reçue devant +Cologne<a id="footnotetag37" name="footnotetag37"></a> +<a href="#footnote37"><sup class="sml">37</sup></a>.</p> + +<p>Nous avons été loger chez le bourgeois en arrivant. Le 15, nous sommes +entrés dans la caserne de Finkmatt.</p> + +<p>Partis de Strasbourg le 16; les gardes n'ont point été relevées en +partant, car il n'y avait point de garnison.</p> + +<p>16 et 17.--Nous avons logé à Plobsheim et à Rhinau, villages situés à un +quart de lieue du Rhin, mais tout de même nos postes y étaient établis. +C'est dans cet endroit que j'ai commencé à faire le service de +sergent-major.</p> + +<p>19.--Nous avons pris les armes pour recevoir notre nouvelle +Constitution; on nous en a fait la lecture, et étant finie, tous ceux +qui savaient signer ont été signer le procès-verbal, pour envoyer à la +Convention, pour lui prouver le contentement que nous avions de +l'ouvrage qu'ils venaient de nous achever. L'on est rentré de suite.</p> + +<p>4 <i>complémentaire</i><a id="footnotetag38" name="footnotetag38"></a> +<a href="#footnote38"><sup class="sml">38</sup></a>.--Partis de Rhinau pour la Wantzenau, grand +village situé sur la route de Strasbourg à Lauterbourg.</p> + +<p>1 <i>vendémiaire</i> an IV<a id="footnotetag39" name="footnotetag39"></a> +<a href="#footnote39"><sup class="sml">39</sup></a>.--Partis de la Wantzenau pour nous rendre à +Offendorf, à un quart de lieue du Rhin, sur la gauche de Strasbourg.</p> + +<p>28.--Partis d'Offendorf pour Berg, village près de Lauterbourg, à une +demi lieue.</p> + +<p>2 <i>brumaire</i>.--Partis de Berg, pour Woerth, village sur le Rhin. Dans +tous ces endroits, depuis la Wantzenau jusqu'à Mannheim, je reconnais +que la guerre a bien causé de la misère dans tous les villages et +bourgs; l'armée impériale et la nôtre n'ont cessé de se battre le long +de ces bords. Les villages sont dévastés; une partie des habitants a +émigré lorsque l'ennemi est venu dans les environs de Strasbourg.</p> + +<p>3.--Partis de Woerth pour Spire, grande ville sur le bord du Rhin, dans +le Palatinat. Cette ville n'est fermée que par de simples murs, mais +cependant entourée de fossés remplis d'eau; c'est une ville très +commerçante et environnée de grandes plaines. Notre logement dans cette +ville était dans des maisons d'émigrés toutes dévastées; et, pour +coucher, de la paille très courte. Nous sommes arrivés à dix heures du +soir.</p> + +<p>8.--Partis de Spire pour Otterstadt, toujours en descendant le Rhin.</p> + +<p>12.--Partis de Otterstadt pour Waldsee, village anciennement fortifié; +maintenant on y voit encore les anciens fossés, une partie du mur et le +cintre des portes.</p> + +<p>13.--Partis de Waldsee pour Muhlrhein, à une demi lieue sur la droite +de Mannheim. Je suis allé voir cette ville; elle est peuplée, mais elle +n'a pas beaucoup d'étendue; il y a de belles rues larges et très +propres, et bien alignées; les maisons de toute beauté, hautes, mais pas +plus l'une que l'autre; de chaque croisée on voit le rempart à chaque +bout des rues, il n'y a point de carrefour.</p> + +<p>Les rues et places sont très bien illuminées: de chaque côté des rues, à +distance de trente pas, il y a un réverbère: la place est grande, et la +maison du prince de Mannheim<a id="footnotetag40" name="footnotetag40"></a> +<a href="#footnote40"><sup class="sml">40</sup></a> est située sur la place. Les approches +sont bien défendues par de bonnes avancées et de bons bastions garnis de +forts canons. Dans ce temps là, l'armée autrichienne en faisait le +siège; les fortifications du côté du Rhin sont un seul rempart. Le pont +qui traversait le Rhin était composé de cinquante-quatre gros bateaux; +la longueur de ce pont était de huit cent quarante quatre pieds: il y +avait un fort qui défendait l'approche du Rhin de ce côté. Mais les +Français l'ont démoli la première fois qu'ils ont pris cette ville; ils +ont de suite construit des batteries dans la même place pour battre la +ville.</p> + +<p>19.--Partis de Mannheim pour retourner sur nos pas<a id="footnotetag41" name="footnotetag41"></a> +<a href="#footnote41"><sup class="sml">41</sup></a>, nous sommes +venus au village de Waldsee où nous étions le 12. Étant dans ce village, +les Autrichiens bombardaient la ville de Mannheim; le feu était dans le +château du prince. Nos gens avaient été repoussés devant Mayence: toute +l'armée battait en retraite. Il y a eu encore une forte bataille dans +les environs de Frankendal; mais comme l'armée autrichienne était trois +fois plus nombreuse que la nôtre, il a fallu leur céder le pas, et +battre en retraite sur la ville de Landau, et Mannheim n'a pas tardé à +être bloqué. Nous avons été obligés de nous retirer sur nos frontières; +l'armée autrichienne passait sur plusieurs ponts le Rhin et tentait de +grands coups<a id="footnotetag42" name="footnotetag42"></a> +<a href="#footnote42"><sup class="sml">42</sup></a>.</p> + +<p>24.--Partis de Waldsee pour venir au camp près de Spire.</p> + +<p>Partis de ce camp le 29. Comme nous étions dans un circuit du Rhin, +l'armée autrichienne s'avançait à grands pas; nous nous serions trouvés +bloqués. Ils ne cherchent pas à nous faire abandonner le Rhin, et leur +colonne se glisse le long des montagnes des Vosges.</p> + +<p>Nous sommes donc sortis du camp à deux heures du matin pour nous rendre +aux lignes de Guermersheim où nous sommes restés campés jusqu'au 9 +frimaire. Dans cet endroit, les vivres nous ont manqué pendant cinq +jours de suite à cause du grand nombre de troupes, et il n'y avait +encore aucune administration d'établie pour les vivres. Pendant ces cinq +jours, nous nous sommes nourris avec des pommes de terre que nous +allions chercher sous la neige, dans des trous, au milieu des champs de +cultivateurs<a id="footnotetag43" name="footnotetag43"></a> +<a href="#footnote43"><sup class="sml">43</sup></a>.</p> + +<p>9 <i>frimaire</i>.--Partis de ce camp pour entrer en cantonnement à Belheim, +grand village situé sur les lignes de Guermersheim.</p> + +<p>16.--Partis pour aller cantonner au village de Hoerdt, mais nous +bordions toujours les lignes qui aboutissaient au Rhin.</p> + +<p>20 <i>nivôse</i>.--Partis de ce village pour faire un mouvement vers +Strasbourg. Le même jour nous avons été loger à Auenheim, village en +arrière du Rhin.</p> + +<p>Partis de Auenheim par une grande pluie, avec un dégel qui nous faisait +une bien mauvaise route. Le 22, à sept heures du matin; nous avons logé +à Hagenbach, bourg, nous y avons eu séjour.</p> + +<p>24.--Partis pour Neubourg; grand village sur le Rhin, environné de +marais.</p> + +<p>28.--Partis pour Berg, à une demi-lieue de Lauterbourg, là où nous +avions logé en allant à Mannheim. Étant dans ce village, il est venu un +arrêté du Directoire exécutif pour que toutes les troupes de la +République prennent les armes le 2 pluviôse, et renouvellent le serment +d'être fidèles à la nation française et de même pour célébrer +l'anniversaire de notre dernier roi de France. C'est ce que nous avons +exécuté le 2 pluviôse 1796. J'ai cessé le service de sergent-major.</p> + +<p>17 <i>pluviôse</i>.--Partis de Berg pour Niderroedern où nous sommes arrivés +le même jour.</p> + +<p>20.--Partis pour Sonffeldheim.</p> + +<p>21.--Partis pour Beschwiller, bourg à cinq lieues à gauche de +Strasbourg.</p> + +<p>22.--Partis pour Reichstett, village sur la route, à une demi-lieue de +Strasbourg.</p> + +<p>29.--Nous nous sommes mis en route pour nous rendre à la Wantzenau à +deux lieues à gauche de Strasbourg.</p> + +<p>30.--Partis pour nous rendre à la plaine près de Kirchheim, en arrière +du Rhin et à trois lieues de Strasbourg. C'était le lieu de +rassemblement où la 127e et la 91e se sont réunies pour former des deux +une seule demi-brigade.</p> + +<p>Voici la manière dont cet embrigadement s'est fait. L'on a formé deux +haies; on a fait ouvrir les rangs dans chacune d'icelle; le général de +division en a passé la revue. De suite on a fait serrer les rangs; le +quartier-maître a appelé tous les capitaines, lieutenants, +sous-lieutenants au centre des deux demi-brigades pour tirer parmi eux +les plus anciens de grade et les placer dans leur camp respectif. Il en +a été de même des sous-officiers et caporaux; et tous ceux qui se sont +trouvés surnuméraires, on en a formé une compagnie auxiliaire. Ensuite +on a fait rompre par pelotons les deux demi-brigades; la 127e s'est +jointe avec la 91e en commençant par les premières compagnies, et +insensiblement de suite. Après ce mélange, on a fait former le carré +pour nous faire connaître nos chefs. Après que toute la cérémonie a été +faite, nous avons défilé devant les généraux, dans la boue jusqu'à +mi-jambe, car il tombait du brouillard qui ressemblait bien à de la +pluie et qui faisait dégeler les terres.</p> + +<p>Dans ce jour, la 127e a perdu son numéro et a été mariée avec la 91e +dont elle a pris le nom. J'ai vu que lorsqu'on faisait des mariages, que +rien ne manquait pour célébrer cette heureuse fête; mais parmi nous il +n'en était pas de même, car ce jour-là nous n'avions pas de pain. Cela +ne nous surprenait pas, car ce n'était pas la première fois.</p> + +<p>Chacun a été reprendre ses cantonnements; la 5e, dernière compagnie au +1er bataillon, à la Wantzenau; et la 1re à Kilstett. Ce jour-là, j'ai +changé de compagnie; j'ai été dans la 5e du 1er (capitaine Mondragon).</p> + +<p>2 <i>ventôse</i>.--Sortis de la Wantzenau pour rejoindre la tête de notre +bataillon au village de Kilstett le 3, pour appuyer à gauche en +descendant le Rhin; notre premier bataillon tenait depuis la Wantzenau +jusqu'à l'Ill le long du Rhin. Cette étendue était de six lieues; notre +compagnie était au village d'Offendorf et faisait le service sur le +Rhin.</p> + +<p>17.--Partis d'Offendorf pour Weyersheim, où tout le bataillon venait +cantonner pour un mois; après, on retournait faire quinze jours dans ces +mêmes cantonnements sur le Rhin, et on revenait faire un mois sur les +derrières. Ça se faisait à tour de bataillon.</p> + +<p>21 <i>germinal</i>--Sortis de Weyersheim pour reprendre nos cantonnements sur +le Rhin; nous avons été de même à Offendorf.--26. Partis d'Offendorf +pour aller à l'armée du Haut-Rhin, nous avons logé en y allant à +Hoenheim, à une petite lieue à gauche de Strasbourg. Le lendemain 29, le +matin, nous avons passé à Strasbourg et nous avons logé à Erstein, +ville; le 30 germinal, à Kuenheim; le 1er floréal, à Andolshein, village +à deux lieues à gauche de Brisach et à une lieue de Colmar, à droite; +nous y avons eu séjour.</p> + +<p>3.--À Herrlisheim, située à une lieue et demie de Colmar.</p> + +<p>4.--À deux heures du matin, partis pour Ensisheim.</p> + +<p>5.--À une heure du matin, partis pour Huningue. Nous ne sommes pas +entrés dans la ville; nous avons reçu des ordres pour cantonner dans les +villages aux environs. Nous avons pris la traverse, et nous avons été +cantonner au village nommé Attenschwiller sur une petite colline à une +lieue de Bâle, du même côté et à deux lieues de Huningue. Étant dans ce +village, nous occupions les postes de sauvegarde du canton de Bâle. +Personne ne passait à ces postes sans être muni d'une permission signée +du général en chef. Si cela ne s'était pas fait de la sorte, on aurait +enlevé une partie des vivres et des marchandises de la France.</p> + +<p>Les frontières de la Suisse étaient bornées avec de grands poteaux de +bois, à distance d'un tiers de quart de lieue; il était inscrit sur une +plaque de fer blanc: <i>Sauvegarde de Basel</i>.--Cette épitaphe était +incrustée en haut de la potence.</p> + +<p>Dans le courant du mois de floréal, nous avons appris la paix avec le +roi de Sardaigne. Nous avons aussi célébré la fête, le 10 prairial, des +victoires remportées par toutes les armées de la République<a id="footnotetag44" name="footnotetag44"></a> +<a href="#footnote44"><sup class="sml">44</sup></a>. Cette +fête a commencé à six heures du matin. Dans ce même moment, on a battu +la générale: à huit heures on s'est assemblé; on a été de suite sur le +terrain choisi par le chef de bataillon pour cette fête. On a fait +quelque temps l'exercice; après, on nous a annoncé les victoires +remportées par l'armée d'Italie. C'est dans ce moment que nous avons +juré d'un commun accord de seconder leurs efforts, et qu'à l'exemple de +nos frères d'armes d'Italie, bientôt les succès de l'armée de +Rhin-et-Moselle égaleraient les leurs. On est rentré dans le village aux +cris de <i>Vive la République!</i></p> + +<p>Ce jour-là, la République nous a passé le pain, la viande, l'eau-de-vie +double.--Voilà quel était l'ordre du général en chef.</p> + +<p>13 <i>prairial</i>--Partis d'Attenschwiller pour Hagenheim, dans une petite +colline, et à une demi-lieue d'Attenschwiller et même distance +d'Huningue; ce village est en grande partie habité par des juifs.</p> + +<p>17.--Partis d'Hagenheim à cinq heures du matin pour entrer en garnison à +Huningue. Elle n'est pas beaucoup étendue, mais forte par ses bastions +garnis de gros canons qui défendent d'approcher; les rues y sont larges +et bien éclairées; il y a beaucoup de casernes pour loger les soldats; +les maisons bourgeoises ne sont pas beaucoup hautes, mais elles ne se +dépassent pas; le Rhin flotte contre ses bastions et donne de l'eau dans +les fossés. Il y a une belle place qui a bien cent soixante-dix pieds au +carré, elle est environnée de pavillons qui servent à loger les +officiers de la garnison. Cette ville est à une demi-lieue de Bâle; à +chaque porte il y a trois forts pont-levis et de bonnes barrières. Le +temps que nous étions dans la ville, nous n'avions que des paillasses et +des bois de lit pour toute fourniture, mais, en récompense, les puces ne +manquaient pas.</p> + +<p>8 <i>messidor</i>.--Sortis à huit heures du soir pour nous rendre à +Ottmarsheim; où nous sommes arrivés à trois heures du matin; le village +est à une portée de fusil du Rhin, et sur la route d'Huningue à Brisach.</p> + +<p>9 <i>messidor</i>.--Tous les cantonnements qui étaient pour garder le Rhin +depuis Huningue jusqu'aux lignes de Guermersheim, ont reçu l'ordre de +prendre les armes à dix heures du soir. C'est la nuit du 5 au 6 messidor +qu'on avait choisie pour se faire un passage sur le Rhin. Voilà la ruse +que l'on a employée pour ce fait: Vers minuit, il y a eu plusieurs +compagnies de grenadiers en des barques, qui ont traversé le Rhin, où +ils ont égorgé plusieurs postes ennemis. L'attaque a été générale dans +toute l'étendue de la ligne du Rhin, car la canonnade s'est fait +entendre, de même que la fusillade, depuis les deux heures du matin +jusqu'à quatre heures. On criait: <i>En avant telle et telle colonne! +allons! embarquons-nous! Le passage est à nous!</i> On faisait reconnaître +différents régiments de cavalerie et d'artillerie pour faire voir que +nous étions bien du monde.</p> + +<p>L'endroit destiné pour le passage était au fort de Kehl, près de +Strasbourg, où cette attaque n'avait pas lieu, et l'ennemi ne savait pas +où nous avions l'intention de passer<a id="footnotetag45" name="footnotetag45"></a> +<a href="#footnote45"><sup class="sml">45</sup></a>. Ce n'était pas là où l'on +faisait le plus de bruit qu'on voulait passer.</p> + +<p>Le passage s'est effectué sans avoir essuyé la moindre perte; on les a +si bien surpris et trompés par nos manoeuvres, que l'on a pris le +commandant du fort de Kehl avec sa garnison prisonniers de guerre.</p> + +<p>17 <i>messidor</i>--Sortis de Ottmarsheim, à quatre heures du matin, pour +nous rendre à Balgau, village à deux lieues de Brisach, à droite. La +nuit du 18 au 19, tous les cantonnements ont pris les armes pour faire +la même attaque que celle du 5 au 6.</p> + +<p>19.--Sortis de Balgau, à huit heures du matin, pour nous rendre à +Neuf-Brisach, ville forte où il y a une belle place entourée de quatre +entrées, fermées chacune de quatre ponts levis; les barrières, les +maisons et les casernes ne dépassent pas le premier rempart. Il y a une +belle place entourée de quatre rangs de peupliers qui sont coupés de +manière à ce qu'ils ne fassent point découvrir la place en dehors; à +chaque coin de cette place, il y a un puits, et tout au milieu de la +place, on voit les quatre portes; les rues sont bien alignées ainsi que +les maisons. Sous tous les remparts sont des casemates, et sur ces +casemates est une belle promenade qui fait le tour de la ville. Ces +remparts sont garnis de forts canons; l'eau vient dans les fossés par un +canal qui vient de la rivière.</p> + +<p>21.--Sortis de Brisach pour aller à Marckolsheim, bourg à quatre lieues +de là, sur la même route.</p> + +<p>25.--Partis de Marckolsheim à dix heures du matin pour nous rendre dans +les environs de Neuf-Brisach pour y faire une fausse attaque. C'était la +nuit du 25 au 26, à côté du Vieux-Brisach, dans une île du Rhin; une +centaine d'hommes se sont embarqués pour passer le Rhin, ils ont fait +fuir plusieurs postes ennemis; ils en ont surpris un près d'une +batterie, ils l'ont égorgé. En un autre, ils ont pris un canonnier, deux +charretiers et trois chevaux. Sur la pointe du jour, le canon s'est fait +entendre de droite et de gauche sur la rive du Rhin. Vers les quatre +heures du matin, l'ennemi nous a riposté plusieurs coups de canon. Vers +les sept heures du matin, les hommes embarqués sont rentrés et nous +avons cessé l'attaque: elle était faite pour établir un pont à +Rhinau.--Nous sommes retournés dans nos cantonnements qui étaient depuis +Brisach jusqu'à Rhinau, où deux de nos bataillons ont passé le Rhin.</p> + +<p>28.--Nous avons quitté ces cantonnements à dix heures du soir pour nous +rendre à Brisach, où nous sommes arrivés à dix heures du matin. Nous +nous sommes transportés vis-à-vis le Vieux-Brisach pour y passer le +Rhin; nous l'avons passé sur un pont volant vers les trois heures de +l'après-midi du 29 messidor. Nous avons logé dans de grosses baraques +que les Autrichiens avaient fait construire du temps que les Français +assiégeaient la ville du Vieux-Brisach.</p> + +<p>Ces logements étaient couverts en terre et derrière le Vieux-Brisach, +hors de portée du canon.</p> + +<p>30.--Nous avons repassé le Rhin à dix heures du matin pour aller le +passer à Huningue; nous avons logé en y allant à Ottmarsheim.</p> + +<p>1er <i>thermidor</i>.--Partis à quatre heures du matin, nous sommes arrivés à +Huningue, et nous avons passé le Rhin vers les dix heures du matin. Nous +avons été au premier village où le vin nous a été distribué. De là, nous +avons été loger à Lorrach, bourg dans le Marquisat. Je dirai que nous +avons passé le Rhin sur un pont volant, et après cela nous avons été +obligés de passer un bras du Rhin avec des petites barques, ce qui nous +a tenus bien du temps.</p> + +<p>3.--Partis de Lorrach à deux heures du matin pour aller à Schopfheim, +petite ville entre deux montagnes garnies de beaux bois; la colline est +garnie de beaux prés bien entretenus et tout de niveau où ils mettent +l'eau quand ils jugent à propos. Cet endroit a beaucoup d'usines, tant +en forges, manufactures de fils de fer, papeteries, etc. Je remarquerai +aussi que les Autrichiens avaient quitté les bords du Rhin le 27 +messidor, parce que la colonne qui avait passé à Strasbourg les prenait +par derrière les montagnes du Brisgau pour leur couper leur retraite.</p> + +<p>9.--Partis de Schopfheim, à deux heures du matin, pour aller à +Sackingen. Nous avons repassé le Rhin à Laufenburg. Dans cet endroit, le +Rhin fait un grand saut au bas du pont; il passe entre deux rochers, il +est extrêmement rapide. Les ponts sous lesquels on passe sont tous +couverts et bien construits. Sackingen et Laufenburg sont deux petites +villes près des frontières suisses et situées à sept lieues de +Schopfheim.</p> + +<p>10.--Partis de Sackingen à deux heures du matin pour Eibrechsferengel? +Nous en sortions le onze à deux heures du matin pour nous rendre à +Fiezen, village situé à huit lieues.</p> + +<p>12.--Partis de Fiezen à trois heures du soir pour nous rendre à Singen, +où nous sommes arrivés le treize à quatre heures du soir.</p> + +<p>14.--Partis de Singen à dix heures du matin pour Esplingen, village sur +le lac de Constance.</p> + +<p>15.--Partis le 15 à quatre heures du matin pour nous rendre auprès de +l'abbaye de Salmonswiler, située de même sur le lac, dans la Souabe.</p> + +<p>C'est là que nous avons aperçu l'arrière-garde d'une colonne ennemie. On +a détaché des tirailleurs de droite et de gauche pour fouiller les +environs de notre route; après avoir tiré plusieurs coups de fusil, ils +ont continué leur retraite. C'est dans l'abbaye, ou pour mieux dire dans +la plaine au-dessus, que nous avons commencé à camper. Je dirai que tous +les villages dont j'ai parlé ci-devant et où nous avons logé, sont +situés sur les frontières de la Suisse, en venant sur le lac de +Constance.</p> + +<p>La colonne du général Férino<a id="footnotetag46" name="footnotetag46"></a> +<a href="#footnote46"><sup class="sml">46</sup></a> chassait les ennemis de diverses places +situées sur le lac de Constance, à droite du côté de la Suisse et +s'emparait de la ville de Brégenz où se trouvaient une trentaine de +pièces de canon de divers calibres<a id="footnotetag47" name="footnotetag47"></a> +<a href="#footnote47"><sup class="sml">47</sup></a>.</p> + +<p>Je remarquerai que nous avons passé au pied du fort de Randenburg, situé +sur une montagne en pain de sucre, qui n'est commandé d'aucun côté, qui +se rendit sans résistance; on y trouva un arsenal bien garni, +quarante-trois bouches à feu en bronze, et quantité de munitions.</p> + +<p>Je dirai que nous étions sous le commandement du général Palliard. Notre +colonne a pris à gauche du lac de Constance; nous sommes sortis du camp +près l'abbaye de Salmonsweiler le 16, à huit heures du matin par une +grande pluie qui avait commencé à trois heures du matin, pour aller à la +poursuite de l'ennemi. Nous avons été camper près du village nommé +Eriskirch, sur le bout du lac, dans un bois où notre artillerie a été +obligée de tirer quelques coups de canon. Dans ses environs, il s'est +trouvé plusieurs obstacles: des fossés, des petits marais et des bois; +mais l'ennemi a été forcé de prendre sa retraite. Nous sommes partis du +camp le 19 à quatre heures du matin pour aller à la poursuite des +ennemis vers la ville de Lindau, faisant partie du cercle de Souabe. +Arrivés dans cette position, comme nous avions suivi les côtes de la +Suisse avec un bataillon de la 38e demi-brigade et un détachement de +hussards du 8e, nous avons quitté cette colonne le 20 thermidor pour +aller rejoindre nos deux autres bataillons de la 3e demi-brigade de +ligne. Nous avons logé en y allant à Waldsee, ville où nous sommes +arrivés à la nuit; nous avons été loger dans un couvent où nos +prisonniers de guerre étaient détenus avant que nous passions le Rhin; +mais ils avaient été évacués à notre approche.</p> + +<p>21.--Partis du Waldsee à quatre heures du matin, nous avons été +bivouaquer à une lieue en avant de la ville, et à une lieue de Wartzack, +où nous avons retrouvé les deux bataillons qui avaient passé le Rhin à +Rhinau.</p> + +<p>22.--Partis de ce bivouac à quatre heures du matin pour aller à la +poursuite de l'ennemi qui était la légion de Condé, nous avons campé ce +même jour dans un bois faisant partie de la forêt Noire, près d'un +village nommé Itett(?) qui fait partie du cercle de Souabe.</p> + +<p>23.--Partis du camp à trois heures du matin pour aller camper une lieue +en avant. À notre approche, l'ennemi a pris sa retraite.</p> + +<p>25.--Sortis du camp à quatre heures du matin, nous avons passé à +Memmingen, ville grande et belle, entourée de petits bastions et de +grands jardins tous remplis de houblon; elle est au duc de Wurtemberg. +Ce même jour, nous avons été camper en avant d'un village où les émigrés +sont venus nous attaquer à cinq heures du matin, le 26, mais ils ont été +repoussés avec vigueur et on leur a fait quelques prisonniers. J'ai +remarqué dans cette contrée la grande mortalité des bêtes à cornes; +c'était la peste qui était dans ce pays, car on ne pouvait en sauver +aucune.</p> + +<p>Le même jour, vers les six heures du soir, nous avons fait un mouvement +pour appuyer à gauche, pour donner du renfort à la troisième ligne qui +avait été attaquée pendant la nuit par les chevaliers de la légion de +Condé, où ces derniers ont perdu bien du monde car dans le mouvement que +nous avons fait, nous en avons vu dans des places plus d'un cent, et +beaucoup qui étaient répandus dans les bois, et beaucoup qui étaient +enterrés que nous ne voyions pas. Ceux qui étaient hors de terre étaient +des hommes qui avaient en partie des cheveux gris.</p> + +<p>Leur attaque a été singulièrement combinée, ils sont venus croyant +surprendre nos gens; lorsqu'ils ont été à une portée de fusil d'eux, ils +ont fait le demi-tour, et faisaient les feux de peloton en retraite, et +leurs canons envoyaient des obus en l'air. Étant assez près de nos +troupes pour être reconnus, aussitôt nos troupes ont fait un feu de file +sur ces messieurs. Comme cette petite avant-garde ne se voyait pas assez +forte, elle a battu en retraite pour un moment; mais aussitôt ils ont eu +du renfort de la 74e qui était campée derrière eux, et ils les ont +repoussés avec toute la chaleur républicaine. Comme je l'ai dit, +plusieurs cents ont mordu la poussière. Cette bataille s'est donnée, la +nuit du 25, dans le bois près le village d'Obergein. Nous y avons campé +le 26 au soir, nous avons eu la pluie pendant deux jours.</p> + +<p>29.--Partis de ce camp à quatre heures du matin pour aller en avant, +nous avons été camper sur la hauteur, près du village de Meltheim, près +d'une petite rivière et derrière une grosse ferme où était logé le +général.</p> + +<p>2 <i>fructidor</i>.--Sortis de ce camp à huit heures du soir pour aller à la +poursuite des émigrés, nous avons pris la route à gauche de Meltheim et +nous avons campé dans la plaine.</p> + +<p>4.--Partis à onze heures du matin, nous avons été camper près d'une +abbaye, dans la Bavière.</p> + +<p>Partis le 5, à deux heures de l'après midi pour nous rendre au camp à +trois lieues de la ville d'Augsbourg, ville capitale des cercles de +Souabe. Nous ne suivions pas de route directe, c'était en partie tous +chemins de traverse; il y a un peu de temps que nous n'avons vu notre +ennemi. Nous sommes obligés de marcher à grandes journées, encore ne +peut-on pas le rattraper. Nous sommes campés sur le bord d'une rivière +et dans un bois dont je ne connais pas les noms, mais je mettrai un nom +à ce camp, et la troupe qui a campé dans ce camp ne pourra pas me +démentir; je le nomme <i>le camp de la fourmilière</i>, car vraiment il n'y +avait pas une place où la terre n'en soit couverte, et tous les arbres +en étaient garnis; on pourrait encore l'appeler <i>le camp de la +pénitence</i>.</p> + +<p>7.--Sortis de ce camp à six heures du matin, sans regret, pour aller +passer la rivière où nous avons trouvé l'armée autrichienne; sur l'autre +rive, ils avaient coupé tous les ponts et nous attendaient sur la +hauteur. Quoique les ponts fussent coupés, cela n'a point arrêté notre +marche; nous l'avons franchie avec tout le courage possible. Comme elle +était rapide et que quelques républicains ont voulu la traverser, il y +en eut quelques-uns de noyés. La profondeur à l'endroit où nous passions +était de trois pieds quelques pouces; nous avons mis un quart d'heure +pour passer ces obstacles. C'était sur la droite d'Augsbourg, entre dix +et onze heures du matin.</p> + +<p>Après ce défilé, et étant de l'autre côté, on s'est formé en colonne et +on a marché sur l'ennemi qui s'est vu forcé d'abandonner ses fortes +positions.</p> + +<p>Notre division a fait ce jour-là huit cents prisonniers et pris seize +pièces de canon. Au moment où ils ont pris la fuite, on les a poursuivis +à quatre lieues de la ville d'Augsbourg. Notre avant-garde a gardé sa +position, et l'armée est revenue camper à deux lieues en avant +d'Augsbourg, et à une lieue de Fridberg.</p> + +<p>Partis de ce camp à neuf heures du matin pour appuyer à droite et suivre +la marche de l'ennemi, ce jour-là nous avons campé près d'un village, +dans les environs d'un superbe château appartenant à un colonel de +cavalerie autrichienne. Ce château est remarquable pour la troupe qui +était campée dans les environs; on y a trouvé quantité de bière, +d'eau-de-vie et toutes sortes d'effets; toute la maison était partie à +l'approche de l'armée française, et on s'est emparé de tout ce qu'il y +avait dans la dite maison.</p> + +<p>10.--Partis de ce camp à dix heures du matin pour aller camper à une +demi-lieue. C'est dans ce camp qu'on nous a annoncé la trêve avec le duc +de Bavière.</p> + +<p>13.--Partis à cinq heures du matin pour nous rendre au camp, près de +Dachau.</p> + +<p>17.--Partis à six heures du matin pour aller camper dans la plaine de +Munich. Je dirai qu'on avait laissé une certaine quantité de soldats +avec un officier dans notre camp de Dachau, pour allumer des feux comme +s'il y avait eu de la troupe. Ce camp était aperçu depuis les hauteurs +en avant de Munich, c'était pour faire voir à l'ennemi que nous étions +en forces.</p> + +<p>Nous étions campés dans la plaine de Munich près les parcs du duc de +Bavière. Je peux dire que ces parcs étaient superbes et grands, entourés +de planches très hautes et renfermant toutes sortes de bêtes sauvages et +d'oiseaux. C'était si bien construit que c'était vraiment amusant; mais +la guerre détruit tout; on a enlevé les planches pour se construire des +abris dans le camp: de suite on s'est mis à donner la chasse aux bêtes, +comme lapins, lièvres, chevreuils, biches, cerfs; les oiseaux ne s'en +sont pas échappés; tout cela se prenait à la main, avec des bâtons.</p> + +<p>Je dirai que dans les environs, à droite et à gauche de la ville de +Munich, le duc de Bavière a de superbes châteaux très vastes et bien +construits; il a aussi de superbes parcs fermés de murs, où il a toutes +sortes d'animaux que l'on puisse imaginer; il y a aussi de beaux jets +d'eau et de superbes avenues, promenades, etc. Plusieurs qui les ont vus +comme moi ont dit qu'il n'y avait que le château de Versailles qui +pouvait le surpasser; tout cela était fait pour enchanter.</p> + +<p>19.--Sortis du camp à huit heures du matin pour appuyer à gauche de +Munich, nous avons campé à trois lieues. C'est pendant que nous étions +dans ce camp, que les émigrés ont passé l'Isar et sont venus prendre un +parc de munitions qui était derrière Dachau. Nous y avions une ambulance +où étaient nos blessés; ils en ont pris une partie, nos chirurgiens, nos +bouchers et une compagnie de notre demi-brigade qui était pour garder le +parc. Ceux qui ne voulaient pas se rendre, ils les hachaient; après +qu'ils ont eu fait cette capture, ils sont retournés dans leurs +positions qui étaient sur le Ridau, en avant de Munich, le long de +l'Isar<a id="footnotetag48" name="footnotetag48"></a> +<a href="#footnote48"><sup class="sml">48</sup></a>.</p> + +<p>21.--Sortis de ce camp à onze heures du matin pour nous rendre sous les +murs de Munich, là où notre avant-garde s'était battue la nuit sur +l'Isar. Alors, les émigrés voulaient passer devant Munich; mais ils +n'ont rien gagné. Ce même jour, nous avons campé près le faubourg de +cette ville. Les faubourgs y sont grands et il y a de belles maisons; +les rues larges. La ville de Munich n'est pas extrêmement étendue, mais +bien peuplée, les maisons fort hautes, les rues larges et bien +éclairées; dans le milieu de la place, il y a un beau jet d'eau. Elle +est fermée par des bastions environnés de fossés, mais elle n'est point +dans le cas de soutenir un siège; c'est la capitale de la Bavière.</p> + +<p>Dans la bataille de la nuit du 20 au 21 que nos troupes ont eue avec les +émigrés, on a brûlé des tanneries, qui étaient sur le bord de la +rivière, et plusieurs gros magasins de bois. Lorsque les émigrés ont vu +que ça ne pouvait servir à rien, ils ont cessé le feu. Je dirai qu'ils +avaient une maison sur la route du pont, qui a été aussi brûlée.</p> + +<p>Le duc de Bavière avait dans la ville, pour garnison, dans ce temps, +douze mille hommes, tant cavalerie qu'infanterie.</p> + +<p>Les soldats français pouvaient entrer dans la ville avec une permission +par écrit du colonel. La rivière qui passe près de la ville de Munich +porte le nom de l'Isar.</p> + +<p>La gauche de notre division avait déjà passé l'Isar à cinq ou six lieues +de Munich, sur la droite; lorsqu'on apprit la retraite du général +Jourdan qui commandait l'armée de Sambre-et-Meuse. Nos troupes ont été +obligées de repasser la rivière et de se disposer à la retraite.</p> + +<p>26 <i>fructidor</i>.--À une heure du matin, nous avons commencé notre +retraite, sans cependant y être forcés par l'ennemi de notre côté. Nous +avons pris la route de Munich à Dachau, bourg situé à six lieues; nous +sommes restés environ quatre heures sous ses murs pour nous reposer et +attendre la gauche de notre division qui est arrivée une heure après. Je +dirai que notre retraite a commencé par un temps de pluie. Nous nous +sommes donc mis en marche, toute la division, et nous sommes venus +camper à neuf lieues de Munich, dans la position du 7 fructidor.</p> + +<p>28.--Sortis de cette position à sept heures du matin pour exécuter +plusieurs mouvements, sur la droite d'Augsbourg et de la rivière. À huit +heures du soir du même jour, nous sommes revenus prendre une position à +une lieue de Fridberg, en avant. Nous étions en ce moment +d'arrière-garde, et même nous nous sommes vus bloqués de toute part; il +fallait nous battre de tous les côtés et plus particulièrement derrière +nous qu'en avant; nous aurions eu plus de facilité de retourner à Munich +que du côté de la France. Et quels étaient ceux qui nous bloquaient? +C'était une partie des paysans qui servaient à prendre nos parcs, les +convois de malades et de pauvres blessés; ils prenaient ce qu'ils +pouvaient avoir et de suite les mettaient à mort. Ils nous coupaient les +routes dans lesquelles nous devions passer, par de grands fossés et des +abattis d'arbres qu'ils croisaient dans la route, pendant que les +Autrichiens et la légion de Condé nous faisaient user le reste de nos +munitions afin d'avoir plus de facilité de nous prendre. Ils se +croyaient les plus forts, mais ils s'étaient bien trompés, car si ce +n'est qu'on a voulu en sortir avec tous les vivres et convois, composés +de quantité de voitures chargées de toutes sortes, l'armée impériale ne +nous aurait pas arrêtés un seul jour. Ils avaient de même envoyé des +proclamations dans tous les pays que nous avions conquis, où ils +disaient aux paysans que l'armée française était presque toute en leur +pouvoir; qu'ils en avaient pris une grande partie entre Augsbourg et +Munich; qu'il n'y avait plus que trois mille hommes qui s'étaient +échappés, et qu'ils ne savaient pas où battre en retraite; voilà +pourquoi les paysans s'étaient empressés de s'armer contre nous.</p> + +<p>Étant dans cette position, nous avons fait encore plusieurs mouvements, +allant du côté de Munich, mais nous n'avons rencontré aucune troupe.</p> + +<p>2 <i>complémentaire</i><a id="footnotetag49" name="footnotetag49"></a> +<a href="#footnote49"><sup class="sml">49</sup></a>. Nous avons été à quatre lieues, suivant la route +de Munich, et nous avons campé près du village d'Andelheim.</p> + +<p>3.--Partis en retraite sur Fridberg; où nous avons passé la rivière +nommée le Negel; le même jour les ponts étaient rétablis. Nous ne sommes +pas passés dans la ville d'Augsbourg, nous en avons fait le tour; elle a +des remparts très hauts.</p> + +<p>Le même jour, nous sommes venus camper à deux lieues de ce côté-ci, sur +la route de Gunzbourg.</p> + +<p>4.--Sortis à deux heures du matin pour venir sur les hauteurs de +Gunzbourg où nous avons campé dans les terres labourées.</p> + +<p>5.--Partis à huit heures du matin, nous avons passé dans la ville de +Gunzbourg; nous avons été prendre une position à trois lieues de là, +bordant le Danube.</p> + +<p>1er <i>vendémiaire</i>, an V.--Partis à huit heures du soir pour la ville +d'Ulm, où nous sommes arrivés à deux heures du matin. Nous avons +traversé la dite ville à six heures pour venir prendre une position tout +près. C'est là que tous les parcs et convois se sont réunis; et l'armée +est venue passer pour que chaque division prenne la marche indiquée par +le général Moreau pour faire un débouché pour le passage des convois, +partie de la troupe se battait en attendant que l'autre partie défilât +avec les parcs<a id="footnotetag50" name="footnotetag50"></a> +<a href="#footnote50"><sup class="sml">50</sup></a>.</p> + +<p>Notre position était à la droite de la ville, qui n'a que de petites +fortifications et n'est pas capable de soutenir un siège. Nous sommes +partis de notre position le 3, à onze heures et demie du soir, pour +continuer notre retraite sur Fribourg en Brisgau. Nous avons campé à une +demi-lieue d'Ulm; nous avons pris la traverse pour favoriser +l'évacuation de nos parcs.</p> + +<p>4.--Nous sommes arrivés près d'un passage du Danube, à huit heures du +soir, où l'ennemi voulait forcer notre ligne et nous couper notre +retraite. Depuis le matin jusqu'à neuf heures du soir, la fusillade et +le canon n'ont cessé de jouer, de sorte qu'ils n'ont pas pu passer. Nous +avons campé ce jour-là dans un bois, à sept lieues d'Ulm. Étant dans +cette position, nous avons fait plusieurs mouvements tant de jour que de +nuit pour en imposer à nos ennemis.</p> + +<p>6.--Sortis de ce camp à une heure de l'après-midi, nous sommes venus +camper auprès d'une grosse abbaye qui est à cinq lieues de Waldsee, en +avant.</p> + +<p>7.--Partis à une heure du matin, nous sommes allés camper à deux lieues +de Waldsee, sur la gauche.</p> + +<p>8.--Sortis de ce camp à une heure du matin pour nous rendre sur des +hauteurs à gauche de Ahldorf; ce village est situé près des grands +marais et vis-à-vis d'un parc. C'est dans ces environs que notre colonne +s'est réunie, de manière que lorsque la colonne se mettait en marche, +elle était divisée sur plusieurs points, pour deux ou trois jours; et +après il y avait un point de ralliement. Je dirai que dans ce village de +Ahldorf le feu a pris à une grosse maison pendant la nuit.</p> + +<p>9.--Partis à dix heures du matin. La troupe, qui marchait avant nous, a +fait rencontre de l'ennemi, ce qui a un peu ralenti notre marche. À la +première attaque, il a fait beaucoup de résistance, mais après quelques +heures de combat il a été obligé de se reployer, mais sans abandonner la +route sur laquelle nos convois devaient passer. Notre avant-garde s'est +avancée et leur a fait abandonner leurs positions. Nous avons campé ce +jour-là près le village de Berg, hauteur assez considérable, du côté +opposé à l'ennemi, qui était sur la route immédiatement près l'abbaye de +Vincastel, dans la Souabe.</p> + +<p>Durant le temps que nous avons occupé cette position près le village de +Berg, nous avons fait plusieurs mouvements de droite et de gauche pour +nous éclairer sur la marche de nos ennemis.</p> + +<p>Le général Moreau, qui voyait que ces mouvements de la part de l'ennemi +rendaient sa retraite dangereuse, les fit attaquer le 1er octobre sur +toute la ligne près de Biberach, et lui enleva vingt canons, des +drapeaux et environ cinq-mille prisonniers, parmi lesquels soixante-cinq +officiers; à cette affaire, c'était le général Latour qui commandait les +Autrichiens.</p> + +<p>14.--Partis de Berg à huit heures du matin, nous sommes venus camper à +six lieues en avant de Stockach.</p> + +<p>15.--À quatre heures du matin, nous sommes venus camper sur les +hauteurs, à deux lieues de Stockach. Il faut remarquer que nous ne +pouvions faire beaucoup de chemin parce qu'il fallait que notre +avant-garde fît une ouverture parmi l'ennemi, et débarrassât les routes +pour faire passer nos convois.</p> + +<p>16.--Partis à cinq heures du matin pour camper sur les hauteurs, à un +quart de lieue de Stockach, du côté de la route de Fribourg. Je dirai +que c'est dans ces environs que nous avons eu plusieurs convois de +malades ou de blessés égorgés.</p> + +<p>Ces pauvres malheureux étaient couverts de blessures et sans défense. +Les infâmes se vengeaient sur eux des fléaux de la guerre qui avait +dévastée leur contrée. Mais qu'ont-ils gagné, ces esprits faibles qui se +sont laissé séduire par les écrits que leurs seigneurs et leurs émigrés +leur avaient envoyés en leur disant que s'ils pouvaient nous arrêter, la +guerre serait bientôt finie et qu'ils seraient affranchis pendant deux +ans de tout impôt? Ils étaient tellement pénétrés qu'il n'y avait plus +qu'à serrer la main pour nous prendre, qu'ils quittaient tous leurs +chaumières et se mettaient de tous les côtés sur la route, les chemins. +Tout était bien gardé. Les femmes, les filles, les enfants, enfin tous +s'y mettaient, et l'armée autrichienne les secondait dans leurs mauvais +desseins.</p> + +<p>Ils sont venus un jour pour prendre notre magasin de poudre qui était +près de cette ville avec plusieurs pièces d'artillerie de réserve, et +aussi celles que l'on avait prises à l'ennemi et que l'on n'avait pas eu +le temps d'évacuer; mais ils ont été bien reçus. Il s'est trouvé +quelques-unes de nos troupes dans les environs, ils ont été repoussés et +se sont retirés dans les bois des environs. Dans les villages d'où ces +misérables étaient partis pour nous couper notre route, on a brûlé +quelques unes de leurs maisons et on a pillé les autres.</p> + +<p>Nous sommes sortis du camp de Stockach après que tout a été sur des +voitures, et qu'il ne restait plus rien dans le magasin. C'était le 17, +à onze heures du matin, que nous avons suivi la route de Fribourg, et +que nous sommes venus camper à deux lieues et demie de ce côté-ci de +Stockach, près d'un village où tous les habitants étaient partis dans +les bois pour nous couper notre retraite. Dans cet endroit, nous avons +eu des blessés égorgés; pendant la nuit quelqu'un a mis le feu à une +maison. Étant dans cette position, nous avons passé en avant du village +et nous avons attendu notre arrière-garde.</p> + +<p>18.--À une heure de l'après-midi, nous avons campé sur les hauteurs en +avant de Lemmingen où on nous faisait espérer des vivres; on a trouvé +dans cette ville un seul homme et point de vivres. Je dirai qu'on a +brûlé environ vingt-quatre maisons; la pluie nous avait pris près de la +ville de Hoch, et la nuit que nous avons été camper sur les hauteurs de +la ville de Lemmingen a été abominable; la pluie emmenait toute la terre +de notre camp dans la colline.</p> + +<p>19.--Partis à une heure du matin, nous avons défilé au milieu des +maisons tout en feu, et nous sommes venus camper sur une montagne très +haute.</p> + +<p>20.--Descendus de cette montagne, pour aller camper dans la plaine près +le Danube où l'ennemi nous est venu attaquer vers les huit heures du +matin. Le 21, après plusieurs heures de combat, nous les avons +repoussés; après, nous avons continué notre retraite. Le combat à notre +droite a été plus engagé que le nôtre, mais ils n'ont pas pu percer +notre ligne qui était près la route où nos parcs et convois défilaient. +Nous avons continué notre retraite, mais je dirai que, l'ennemi nous +suivant de près, nous avons été obligés, par plusieurs reprises, de +marcher en colonne et de nous mettre en bataille lorsqu'il se trouvait +des obstacles où l'on ne pouvait pas tous marcher ensemble; les uns +battaient en retraite et les autres observaient.</p> + +<p>Ce jour-là, nous sommes venus camper près d'une petite ville, à trois +lieues de Neustadt; là nous sommes arrivés la nuit par une pluie +continuelle et des chemins presque impraticables.</p> + +<p>22.--Partis de cette position à trois heures du matin, pour venir camper +du côté de Neustadt, le long du revers de la montagne, dans une gorge de +la forêt Noire, sur la route de Fribourg.</p> + +<p>23.--Sortis à midi, nous sommes venus camper sur le revers d'une +colline, à gauche de la route de Fribourg.</p> + +<p>26.--Partis à dix heures du matin pour venir camper dans la gorge de +Fribourg. À une demi-lieue, sur la route, il y avait de grands hangars +qui servaient de magasins pour l'armée impériale, et comme ils étaient +vides, nous nous en sommes servis pour nous mettre à couvert. Notre +arrière-garde s'est bien battue dans cette gorge, aux environs de +Neustadt.</p> + +<p>28.--Partis à midi, nous sommes passés près des faubourgs de Fribourg; +de suite nous avons été camper dans une gorge tenant à gauche de la +route de Brisach. Notre position était près d'un couvent de religieuses, +qui était dans le fond de la gorge.</p> + +<p>30.--Sortis le 30, à deux heures du matin, nous avons pris la route de +Huningue. Vers huit heures du matin, notre arrière-garde a été attaquée +par l'ennemi, près du faubourg de Fribourg. Au petit point du jour, on +nous a mis en bataille derrière un village situé près la route de +Huningue et au pied de la montagne de Fribourg. L'attaque du matin a +duré toute la journée; en nous retirant, nous avons campé ce jour là +dans la broussaille, le long de la montagne, à quatre lieues de la ville +de Fribourg, sur la gauche de la route de Brisach.</p> + +<p>1er <i>brumaire</i>.--Nous avons pris la traverse dans les montagnes du +marquisat du Brisgau, pays de Bade, tenant à la forêt Noire. Nous sommes +venus camper sur les hauteurs d'une montagne à quatre lieues d'Huningue.</p> + +<p>2.--Nous avons fait un mouvement à huit heures du matin. Nous sommes +venus camper dans le fond du vallon, à une demi-lieue du village. Nous +étions divisés sur plusieurs points pour observer les manoeuvres de +l'ennemi (mais en cas d'attaque, on se réunissait sur un point).</p> + +<p>8.--À cinq heures du matin, l'ennemi est venu nous attaquer sur +différents points; en premier lieu nous avons repoussé l'ennemi; il nous +a repoussé un instant après dans notre position où ils nous ont fait +quelques prisonniers. On a soutenu longtemps dans le même endroit, mais +comme ils avaient beaucoup d'artillerie dans une belle position sur la +hauteur, qui leur donnait beaucoup d'avantages sur la nôtre, à peine +pouvait-on trouver un emplacement pour se mettre. La pluie continuelle +rendait le terrain très mouvant, et comme il y avait différentes +collines à garder, dans des bois où l'on n'y voyait pas la moindre +clarté, l'ennemi ne cherchant qu'à nous couper notre retraite sur +Huningue (car sur la route de Brisach, le canon s'est fait entendre, +comme sur notre colline, et je crois même encore plus fort), je dirai +que le feu a été très soutenu de part et d'autre toute la journée; nous +avons perdu quelques hommes, mais la plupart étaient des blessés. Nous +avons exécuté plusieurs marches sur la droite et sur la gauche de la +colline; une grande partie des bataillons étaient en tirailleurs, +lorsque le soir est venu.</p> + +<p>On a cédé le village devant lequel nous étions. Je crois, si ce jour-là +n'avait pas eu de nuit, que le feu n'aurait pas cessé. C'est l'obscurité +qui a fait la fin de notre journée. La pluie a commencé avec l'attaque +et a duré vingt-quatre heures; vers la fin, à peine la poudre +voulait-elle prendre. On croirait peut-être comme on s'est battu toute +la journée, que l'ennemi nous a poussés bien loin; eh bien, dans toute +la journée nous avons reculé d'une demi-lieue; voilà tout le progrès de +l'ennemi. Pour la perte des hommes, je crois qu'elle a été égale.</p> + +<p>À sept heures du soir, nous avons pris notre retraite. La route sur +laquelle nous devions passer traversait le village que l'ennemi +occupait, et, pour la rejoindre, il y avait plusieurs obstacles, mais +tout de même il a fallu les franchir.</p> + +<p>3 <i>brumaire</i>.--À sept heures du soir, nous nous sommes mis en marche +pour rejoindre la route: nous avons traversé un bois; de là, nous sommes +descendus dans le fond d'une colline très profonde où nous avons trouvé +une rivière qui avait environ quinze pieds de large et trois pieds de +profondeur; cela n'a pas longtemps retardé notre marche (nous étions +déjà percés de la pluie de la journée), nous avons franchi cet obstacle. +Il se trouvait encore un petit ruisseau au pied d'une assez forte +éminence qui était garnie de ronces et d'épines; il fallait y monter à +quatre pattes; et bien des fois, étant presque en haut on retombait en +bas. En haut on trouvait la route, mais une patrouille de sept cavaliers +ennemis venait à notre rencontre. Aussitôt notre adjudant major, nommé +Scherer, crie au premier: <i>Qui vive!</i>--Il répond dans sa langue: +<i>Verda!</i>--Ledit adjudant lui dit: <i>Prisonnier!</i>--<i>Nix +prisonnier.</i>--<i>Rends-toi, coquin!</i> lui dit-il.--<i>Nix coquin!</i> Aussitôt +il pique des deux et va rejoindre ses camarades qui étaient encore plus +avant dans la route. Aussitôt, ils sont revenus au grand galop et ont +passé parmi nous, sans recevoir un coup de fusil, car les armes étaient +si mouillées de toute la journée et du passage de la rivière, qu'elles +ne pouvaient plus faire feu, et puis on n'y voyait pas clair. Dans la +boue à mi-jambes, nous avons continué notre retraite, environ à deux +lieues d'Huningue. Tout mouillés que nous étions et sans vivres, nous +avons campé dans des sapins tout près de la route.</p> + +<p>4.--De cette position, à quatre heures du matin, nous sommes venus sur +les hauteurs près de Lorrach pour camper. L'ennemi était sur nos traces +et voulait passer avant nous le Rhin, mais comme le pont nous +appartenait, nous avons voulu y passer avant eux.</p> + +<p>5.--Partis à minuit pour nous rendre près le pont d'Huningue vers cinq +heures et demie du matin. Lorsque est venu notre tour, à huit heures du +matin, nous avons passé le pont qui était construit de trente-sept +grosses barques.--Je dirai que nous étions de la division du général +Férino pendant la campagne de l'autre rive du Rhin. Pendant notre +retraite, nous avons eu vingt jours de pluies continuelles.</p> + +<p>Lorsque nous avons eu repassé le Rhin, nous avons été nous reposer près +le village de Bourgfeld, sur la route de Bâle et d'Huningue, pendant +cinq heures. Le soir, nous avons été loger au Village-Neuf, sur le Rhin, +à une demi-lieue à gauche d'Huningue. Pendant que nous étions sur +l'autre rive du Rhin, on avait découvert les anciennes fondations d'un +fort qui était sur le bord du Rhin et près le territoire de Bâle, on +avait relevé l'ouvrage à cornes et le fort où on avait mis de fortes +pièces pour défendre la tête du pont. Cet ouvrage était enclos d'un bon +fossé plein d'eau; on avait aussi commandé une forte redoute en avant +d'Huningue, pour défendre l'approche du fort nouvellement +construit.--Ces ouvrages ont retenu la colonne autrichienne pendant tout +l'hiver<a id="footnotetag51" name="footnotetag51"></a> +<a href="#footnote51"><sup class="sml">51</sup></a>.</p> + +<p>Comme nous voilà rentrés en France, et que l'ennemi ne nous poursuit +plus, je vais faire un petit détail sur le costume des deux sexes du +Brisgau et de la Forêt-Noire.</p> + +<p>La situation des habitants de la frontière est très simple, et ils +vivent contents dans leurs petites chaumières; le bois ne manque pas, +mais, pour la terre, elle n'y est pas bien commune: ils en ont quelque +peu sur le sommet de quelques hautes montagnes, où ils sèment du seigle +avec un peu de blé; dans la vallée, ils plantent des pommes de terre. Le +pâturage y est assez frais, aussi ils ont presque tous des vaches. Les +maisons ne sont pas bien épaisses et construites en bois; lorsqu'un père +de famille marie ses enfants, il leur construit des petites maisons aux +environs de la sienne; mais ils font cela quand la famille ne peut plus +tenir dans la maison paternelle.</p> + +<p>C'est un vrai désert, aussi le monde qui l'habite est aussi brute que +sont leurs habitations; la plupart n'ont aucune éducation; comme la +nature les a créés, ils restent. Les hommes sont habillés grossièrement, +ils portent sur la tête un petit chapeau de paille, des cheveux courts +et tout hérissés; leurs chemises de toile très forte sans cols, car on +ne leur voit jamais rien autour du cou. Leur culotte, très large avec +des plis tout autour qui leur font des genoux gros comme la tête, est +froncée comme une bourse. Ils ne portent rien aux jambes, et aux pieds +ils ont des souliers aussi durs que du bois; les semelles ont deux +doigts d'épais, et bordées de gros clous tout autour. Ils ont des gilets +qui leur tombent au milieu des cuisses; des habits moins courts qui se +boutonnent tout le long; et les poches battent au bas du ventre. Cet +habillement est tout en toile, la plupart du temps tout noir; aussi ils +ressemblent à des charbonniers. Les femmes et les filles ont pour +coiffure un petit chapeau de paille à quatre cornes, comme une espèce de +<i>carquelin</i><a id="footnotetag52" name="footnotetag52"></a> +<a href="#footnote52"><sup class="sml">52</sup></a>. Elles portent leurs cheveux en deux tresses tirées très +près de la tête, qui est grosse comme celle d'un veau de deux mois; une +encolure de même; leur gorge est parée par une grosse chemise, brodée +d'une grosse dentelle, avec un corset rouge où sont enfermés des appas +très gros, qu'elles fagottent comme un fagot. Les jupes qu'elles portent +sont de différentes couleurs: elles en mettent trois, la plus grande ne +passe pas les genoux, la deuxième un peu plus haut, la troisième va au +bas du nombril; elles sont brodées chacune d'une tresse large de +différentes couleurs. Le plus souvent elles vont toutes déchaussées; +elles ont des souliers hauts avec de forts clous. Leur nourriture est le +lait, le lard et la choucroute. Nous avons logé dans leurs maisons en +allant sur le lac de Constance; ils avaient toujours les yeux sur nous, +parce que nous étions costumés différemment qu'eux.</p> + +<p>Dans le Brisgau, le peuple n'est pas si grossier, ni le costume non +plus; la terre y est plus fertile et il y a encore du beau seigle, mais +la mode du costume n'est guère différente.</p> + +<p>6 <i>brumaire</i>.--Sortis du Village-Neuf, à midi, pour venir cantonner au +Grand-Kembs, village situé à une demi-portée de fusil du Rhin, à trois +lieues à gauche d'Huningue, sur la route. Pendant notre retraite, nous +avons eu vingt jours de pluie continuelle.</p> + +<p>14.--Sortis du Grand-Kembs pour appuyer à gauche à huit heures du matin, +nous avons logé à Sausheim, le 15, à Blodelsheim; le 21, avec quatre +compagnies, cantonné à Fessenheim. Ces villages sont entre Huningue et +Brisach, sur la route suivant le Rhin.</p> + +<p>25.--Partis de Fessenheim pour venir cantonner à Biesheim, tout le +bataillon. Ce village est à une demi-lieue de Brisach, à gauche.</p> + +<p>7 <i>frimaire</i>.--Partis de Biesheim, à onze heures du matin, pour +Witternheim, à sept lieues de Strasbourg et à deux lieues du Rhin.</p> + +<p>11.--Sortis de Witternheim, nous sommes venus loger à Nordhausen, à +quatre lieues de Strasbourg.</p> + +<p>12.--Sortis à deux heures du soir pour nous rendre au fort de Kehl. Là, +nous avons relevé la 31e demi-brigade qui était campée à gauche du fort, +dans une île du Rhin. La 31e nous a relevés au bout de trois jours: de +sorte que tous les trois jours, nous nous relevions, jusqu'à l'époque du +30 frimaire, où nous avons commencé à nous relever tous les quatre jours +parce que le froid n'était plus si dur. Mais aussi, plus on se relevait +souvent, plus on perdait de monde, car l'ennemi tirait sans cesse, nuit +et jour; cela semblait un orage.</p> + +<p>Lorsqu'on était relevé, on allait passer autant de jours dans le village +de Bischheim; il y avait deux lieues de chemin pour passer sur le pont +et gagner notre camp qui était à deux lieues de Strasbourg, à gauche.</p> + +<p>9 <i>nivôse</i>.--Le général a fait assembler les officiers de notre +bataillon qui était le premier, et les a conduits sur la droite de Kehl +pour leur faire voir le retranchement de l'ennemi que nous devions +enlever pendant la nuit. Les dits officiers ont pris les mesures +nécessaires pour conduire leurs compagnies sur le terrain, et +s'acquitter de cette besogne. Tous les obstacles étaient prévus; ils ont +prévenu leurs compagnies de ce qu'elles avaient à faire pendant la nuit. +On a fait la distribution de nouvelles cartouches et pierres à feu; et +de suite une ration d'eau-de-vie par chaque homme, à minuit. Dans ce +moment, on a assemblé les compagnies dans le plus grand silence, et le +bataillon s'est mis en route sur-le-champ pour aller sur le terrain qui +était à une demi-lieue de notre camp, à la droite du fort, où nous +sommes arrivés à deux heures du matin. Étant vis-à-vis le retranchement +que nous devions prendre, on nous a formés en bataille à une portée de +pistolet, on nous a fait porter à droite et, dans le même moment, on a +fait front et on s'est porté sur le retranchement de l'ennemi en +exécutant un feu de peloton; on le leur a pris sans beaucoup de +résistance de leur part, et on leur a fait quelques prisonniers. Pour le +nombre des blessés et des morts, on ne l'a su que par des déserteurs qui +ont rapporté qu'ils avaient eu dans cette affaire environ 400 hommes +hors de combat.</p> + +<p>Nous nous sommes retirés sans y être forcés; nous sommes venus derrière +nos retranchements: nous avons laissé les lieux tels que nous les avions +trouvés. Notre bataillon a perdu dans cette affaire quarante-huit hommes +tant tués que blessés. Ceci a eu lieu le 10, à trois heures du matin et +nous sommes rentrés dans notre camp à six heures et demie du matin. Nos +deux autres bataillons ont fait la même chose les jours suivants, mais +avec moins de pertes.</p> + +<p>Nous avons continué le service de cette place jusqu'au 20 nivôse, où +nous avons été relevés à quatre heures du matin. Car depuis que les +Autrichiens nous avaient pris un camp retranché qui était à la droite du +fort, leur mitraille mettait en pièces tout ce qu'ils voyaient sur le +pont dès la pointe du jour. Ils ont fait un feu avec leurs canons que la +terre en tremblait. Entre sept et huit heures du matin, il y avait +quatre barques de brisées à notre pont. Dans ce moment, il est venu un +parlementaire au général qui commandait le fort et le sommait d'évacuer. +Les généraux se sont assemblés, et se voyant dans l'impossibilité de +conserver ledit Kehl plus longtemps sans y perdre bien du monde, à cause +des canons de notre ennemi, sont convenus qu'on allait évacuer le fort. +Cela s'est fait dans les vingt-quatre heures, du 20 au 21 nivôse; et les +troupes de l'empereur en ont pris possession suivant les arrangements +convenus entre les deux puissances. En sortant de Kehl, nous sommes +venus loger dans nos campements ordinaires qui étaient à Bischheim.</p> + +<p>Je dirai que ce siège nous a donné bien de la peine. La rigueur de +l'hiver semblait seconder nos maux; la neige, la pluie glacée venaient +s'appesantir sur notre léger habillement, et c'était là le temps qu'il a +fait pendant ce siège. Nous devrions être bien habitués au froid; nous +étions campés sur le sable et nous ne pouvions pas avoir de bois pour +faire notre soupe; nous arrachions quelques petites racines du sol qui +nous faisaient plutôt de la fumée que du feu; vraiment c'était misère et +compassion<a id="footnotetag53" name="footnotetag53"></a> +<a href="#footnote53"><sup class="sml">53</sup></a>. Nos prêts étaient arriérés de plusieurs mois et nous ne +recevions pas un sou.</p> + +<p>C'est pendant cette quarantaine que le vrai républicain s'est distingué, +en y tenant son rang avec bravoure, malgré le temps rigoureux de la +saison d'hiver et la misère qui nous poignardait de tous côtés. Oui, +beaucoup de citoyens le diront comme moi, sans se compromettre, que +c'est dans ce poste d'honneur que l'on a pu connaître les vrais soldats, +et l'amour qu'ils avaient pour le maintien de leur pays. L'endroit était +périlleux. Un peu de pain glacé était là toute notre nourriture, cet +endroit ne permettait pas d'y trouver du bois pour pouvoir un peu +réchauffer nos pauvres membres tous navrés de froid au bivouac.</p> + +<p>Pour nous, pauvres héros, les habillements et les chaussures manquaient +depuis très longtemps, sans pouvoir en avoir; et la plupart de nous +n'ayant pas d'argent pour s'aider d'aucune manière; car il y avait trois +mois qu'on n'avait touché de solde.</p> + +<p>Après avoir fait mention de nos généreux guerriers, je parlerai de ceux +qui ont, dans ce moment, abandonné si lâchement leurs drapeaux pour +retourner dans leurs foyers. Ils ont profité du moment où leur patrie +avait le plus besoin de leurs services pour exécuter leurs projets. Ce +ne sont pas les plus misérables soldats qui ont agi de la sorte; c'est +ceux qui avaient tenu une conduite de brigands de l'autre côté du Rhin, +qui avaient pillé et assassiné des hommes paisibles dans leurs foyers. +Ils avaient de l'argent dans les mains, c'est pourquoi ils ont fui +devant l'ennemi. Mais ces lâches ont été bien peu regrettés, on a +regardé cela comme du venin qui sortait du corps d'un homme qui était +empoisonné, et ils se sont rendus indignes du nom français, et de +l'estime de leurs camarades. Je sais qu'il n'y a pas beaucoup de +citoyens soldats qui ne désirent retourner au centre de leurs familles, +mais enfin ce sera-t-il en quittant nos drapeaux et en nous sauvant +comme des brebis égarées, que nous soumettrons à la paix des hommes +orgueilleux.</p> + +<p>Ils savent bien qu'elle leur serait utile, cette paix, mais la +demanderont-ils en voyant la désunion dans nos troupes? Non! Je crois +qu'il n'y a que l'union et la fermeté dans nos entreprises qui les +forcera à nous demander la paix.</p> + +<p>C'est dans le courant du mois de frimaire, an V de la République, que +les désertions pour l'intérieur de la France étaient fréquentes dans +l'armée de Rhin-et-Moselle.</p> + +<p>Kehl était une belle petite ville, très commerçante; pendant le siège +elle a été rasée de fond en comble; des bourgeois y étant venus, ne +reconnaissaient pas l'emplacement de leurs maisons.</p> + +<p>Nous avons entretenu l'armée autrichienne pendant une partie de l'hiver, +où elle a épuisé une partie de ses forces. Ce siège a été soutenu par +notre armée pour favoriser la prise de Mantoue qui était bloquée par +l'armée d'Italie, il y avait déjà longtemps, et le prince Charles n'a pu +lui porter du secours.</p> + +<p>24 <i>nivôse</i>.--Nous sommes partis de nos cantonnements des environs de +Strasbourg à sept heures du matin; nous avons été loger au village +d'Obenheim, situé à cinq lieues de Strasbourg.</p> + +<p>25.--Sortis à quatre heures du matin pour loger au village de Bootzheim, +à quatre lieues de Brisach.</p> + +<p>29.--Partis à onze heures du matin pour aller prendre notre rang de +bataille à Artolsheim, village à quatre lieues de Brisach, à gauche sur +la route. Étant dans ces cantonnements, nous bordions le Rhin.</p> + +<p>25 <i>pluviôse</i>.--Partis pour aller à Sundhausen, village à une lieue du +Rhin, sans y faire de service.</p> + +<p>5 <i>ventôse</i>.--Sortis pour aller au village de Westhausen. C'était un +commissaire du pouvoir exécutif du canton qui nous y avait fait aller, +soi-disant qu'il ne voulait pas payer ses contributions. Ce village est +situé à une demi-lieue de Benfeld, à gauche, près la route de +Strasbourg.</p> + +<p>6.--Partis à huit heures pour retourner dans notre cantonnement, à +Sundhausen.</p> + +<p>10.--Partis à cinq heures du matin pour cantonner au village +d'Artzenheim, à une lieue de Markolsheim sur le Rhin.</p> + +<p>17.--Partis, nous avons été loger à Biesheim, village à une demi-lieue +de Brisach, où tout le bataillon était réuni. Nous sommes partis le 19 +pour nous rendre à Wihr, village situé à trois quarts de lieues de +Colmar.</p> + +<p>22.--Sortis de Wihr pour loger à Colmar. Pendant notre séjour dans cette +ville nous avons passé la revue du général Schauenbourg, qui était pour +le moment inspecteur général de toute l'infanterie de Rhin-et-Moselle. +Nous avons été cinq jours pour la passer. Le 23, au soir, chaque +capitaine a été placé par son ancienneté de grade dans chaque bataillon; +de sorte que la compagnie de Mondragon, qui était la cinquième du 1er +bataillon, est devenue la troisième du 2e; les autres jours se sont +passés à faire les grandes manoeuvres, avec la 56e demi-brigade.</p> + +<p>27.--Partis pour aller cantonner à Wettolsheim, derrière Colmar, au pied +des montagnes. Étant dans ce village, nous avons été faire deux fois les +grande manoeuvres avec la 56e demi-brigade, dans les prés près de Colmar. +Le 3 germinal, nous avons fait l'exercice à feu, les deux demi-brigades +ensemble; chaque soldat avait quinze coups à tirer. Après ces grandes +manoeuvres on est rentré dans ses cantonnements.</p> + +<p>5 <i>germinal</i>.--Logé à Reguisheim, village situé à trois quarts de lieue +de Ensisheim, à gauche.</p> + +<p>6.--Cantonné à Blodelsheim pour faire le service sur le Rhin; ce village +est à trois lieues de Brisach.</p> + +<p>27 <i>germinal</i>.--Partis de Blodelsheim le 27 germinal pour passer le +Rhin. Les postes sur le bord du Rhin de tous nos cantonnements n'ont pas +été relevés: on les a laissé tels qu'ils étaient, et on a pris la route +en arrière du Rhin. Nous avons été loger le même jour à Sainte-Croix, à +cinq lieues du Rhin; le 28 à Merckviller; le 29 à Châtenois, bourg dans +la montagne, près de Schelestadt; le 30 à Nordhausen.</p> + +<p>1er <i>floréal</i>.--Nous sommes arrivés à Kilstett: endroit désigné pour le +rassemblement de l'armée de Rhin-et-Moselle. Nous avons campé en +arrivant dans une île près le Rhin, sur la droite du village. La nuit du +1er au 2, à quatre heures du matin, nous avons reçu les ordres de passer +le Rhin. Dès le 1er floréal, on avait inquiété l'ennemi dans différents +endroits sur le Rhin, afin qu'il ne se doute pas dans quel endroit on +devait passer, ce qui a rendu notre passage plus aisé à exécuter, et +avec moins de pertes. Nous avons donc, malgré la grande résistance d'une +colonne autrichienne, passé le Rhin à quatre heures du matin, le 2 +floréal.</p> + +<p>Étant parvenus sur l'autre rive, et l'ennemi s'étant retiré dans +plusieurs îles du Rhin, favorisé par des bois très épais, on a disputé +pendant deux jours avec une intrépidité incroyable. Mais, après un si +long combat, l'ennemi a été forcé d'abandonner ses positions, après +avoir éprouvé des pertes considérables, tant blessés que tués ou +prisonniers; ils ont été en déroute complète.</p> + +<p>Nous avons aussi éprouvé quelques pertes à ce passage; entre autres deux +généraux de blessés<a id="footnotetag54" name="footnotetag54"></a> +<a href="#footnote54"><sup class="sml">54</sup></a>. Mais les soldats républicains qui n'ont point +succombé sous les coups de l'ennemi, ont su se venger du malheur arrivé +à leurs frères d'armes; on leur a fait voir que si on était moins en +nombre, on n'était pas moins en courage.</p> + +<p>3 <i>floréal</i>.--Ils ont abandonné le Rhin à cinq lieues, en nous laissant +une partie de leur artillerie et bagages; et sans les bois qui +favorisaient leur retraite, toute la colonne serait tombée en notre +pouvoir.</p> + +<p>Ce passage a été exécuté en plein jour et de vive force, l'ennemi étant +rangé en bataille sur l'autre rive. On lui a enlevé 20 pièces de canon, +plusieurs drapeaux et fait de trois à quatre mille prisonniers, parmi +lesquels deux généraux<a id="footnotetag55" name="footnotetag55"></a> +<a href="#footnote55"><sup class="sml">55</sup></a>.</p> + +<p>Le fort de Kehl, devant lequel le prince Charles avait épuisé ses +forces, a été repris par les Français après une résistance de quelques +heures de la part de l'ennemi<a id="footnotetag56" name="footnotetag56"></a> +<a href="#footnote56"><sup class="sml">56</sup></a>.</p> + +<p>Pendant que le vainqueur de l'Italie stipulait les articles +préliminaires de la paix, les armées des généraux Hoche et Moreau +chassaient l'ennemi partout où il osait lui disputer le terrain.</p> + +<p>4 <i>floréal</i>.--À quatre heures du soir, nous avons été devant la ville +d'Offenbourg, où nous sommes arrivés à onze heures du soir.</p> + +<p>À huit heures du matin, le général Bonenfant a reçu une lettre du +général de division, qui était pour annoncer à ses frères d'armes qu'une +armistice était conclue avec l'armée autrichienne, et que dès ce jour +les hostilités devaient cesser entre les deux armées; mais qu'on +garderait toujours ses postes tels qu'ils étaient établis, jusqu'à ce +que la paix fut conclue.</p> + +<p>Ce jour-là, on a reçu l'ordre de cantonner les troupes, et vers les cinq +heures du soir, nous sommes sortis du camp devant Offenbourg, pour aller +cantonner dans les villages aux environs, à droite. Notre deuxième +bataillon était au village de Weier, à une lieue.</p> + +<p>6.--Sortis à cinq heures du matin pour camper en avant, à Offenbourg.</p> + +<p>7.--Partis à neuf heures du matin pour cantonner dans les hameaux de la +Forêt-Noire, à deux lieues à gauche d'Offenbourg.</p> + +<p>9.--Partis à cinq du matin pour venir au village de Odelshofend, à une +lieue en avant de Kehl. Tout le temps que nous avons été dans ce +village, on allait démolir les retranchements que les Autrichiens +avaient construits pour le siège du fort de Kehl; ces travaux étaient +immenses; ajoutés l'un au bout de l'autre, il y en aurait eu quinze +lieues de long. Nous avons cédé la place à une autre demi-brigade, +chacun y faisant son tour.</p> + +<p>20.--Logé à Ortenberg, à une lieue en avant d'Offenbourg.</p> + +<p>23.--Cantonné à Ottenheim, à un quart de lieue du Rhin et à deux lieues +de la petite ville de Lahr appartenant au Margraviat. Cette principauté +était neutre depuis l'an IV ou 1796.</p> + +<p>1er <i>prairial</i>.--Partis à quatre heures du matin pour nous rendre +vis-à-vis Rhinau pour y passer le Rhin sur un pont volant qui était +rétabli. C'est là que la demi-brigade s'est réunie, et en même temps a +passé le Rhin; elle a été loger à Herbsheim près le bourg de Benfeld, à +quatre heures de Strasbourg.</p> + +<p>2.--Cantonné au village de Roderen, à deux lieues de Schlestadt, au pied +des montagnes.</p> + +<p>3 <i>messidor</i>.--Sortis pour aller en garnison à Neuf-Brisach et cantonner +sur les bords du Rhin; en y allant nous avons logé à Wihr, village à une +lieue de Colmar.</p> + +<p>4.--Partis à sept heures du matin, nous sommes venus loger à Biesheim, +grand village à une demi-lieue de Brisach. Nous sommes entrés cinq +compagnies du deuxième bataillon et cinq du premier en garnison à +Brisach.</p> + +<p>Le 5 messidor, à dix heures du matin, la fourniture de notre casernement +n'était pas bien brillante: c'était de la paille sur le pavé et quelques +couvertes.</p> + +<p>5 <i>thermidor</i>.--Étant dans cette ville, nous avons célébré la fête de +l'anniversaire de la révolution. La fête a commencé à six heures du +matin. On a battu <i>la générale</i> dans toute la ville; à six heures et +demie <i>l'assemblée</i>; ensuite le <i>rappel</i>. Il a été envoyé un détachement +de canonniers aux pièces, près la porte de Strasbourg. Toute la garnison +a pris les armes, ainsi que la garde nationale, et tous se sont rendus +sur la place pour former le carré, en face de l'autel de la patrie, +qu'on avait construit la veille du côté de la porte de Bâle. Le cortège +est arrivé sur la place à sept heures: la marche était ouverte par un +peloton de cavalerie de la garde nationale; ensuite, les tambours et la +musique. Après, une compagnie de grenadiers de la garde nationale avec +la nôtre; après, c'était notre colonel, le commandant de la place, la +municipalité de Brisach et des villages voisins, décorés de leurs +écharpes. Pour fermer la marche, c'était un peloton d'infanterie et un +de cavalerie de la garde nationale. C'est au moment de leur entrée sur +la place qu'on a tiré plusieurs coups de canon de siège. Une partie de +nos officiers, les municipalités et plusieurs bourgeois de la ville sont +montés sur l'autel de la patrie; y étant assemblés, un des membres y a +fait un discours, qui rappelait entièrement la manière que la Révolution +française avait eu lieu, et comment les prêtres et les émigrés s'y +étaient pris pour faire une contre-révolution, que nous avions su +déjouer, mais qu'il fallait être toujours ferme dans notre opinion de +soutenir la nouvelle constitution. Ceci était les voeux de la garnison: +nous n'avions pas fait tant de sacrifices pour abandonner notre patrie à +de vils tyrans. Il faut cependant dire que la joie n'était pas générale, +à cause des peines que nous souffrions. Cette fête était cependant +glorieuse pour les Français, mais les soutiens de la patrie manquaient +du plus strict nécessaire; le prêt était arriéré de plusieurs mois, on +ne délivrait aucun vêtement, enfin nous manquions presque de tout. Ceci +pouvait bien faire régner la mélancolie parmi les troupes; aussi la fête +ressemblait à un enterrement. La fin du discours s'est terminé par: +<i>vivre libre ou mourir!</i> et <i>vive la République!</i> Ces cris n'ont été +répétés que par ceux qui étaient sur l'autel de la patrie; ensuite on a +commencé l'hymne de la <i>Marseillaise</i> qui était répétée par notre +musique, mais les voix n'étaient pas unanimes, et cela a fini.</p> + +<p>Le cortège a été reconduit de la même manière qu'il avait été amené, et +la garnison est rentrée dans ses quartiers. À neuf heures du soir, le +même jour, notre musique s'est rendue sur la place où elle a joué +différents airs. Au même moment, les artificiers ont fait partir des +feux en l'air et plusieurs marrons se sont fait entendre, et plusieurs +autres fusées ont été envoyées parmi les spectateurs qui étaient sur la +place. Ces dernières serpentaient parmi le monde, ce qui a donné le plus +de divertissement de toute la fête; les femmes, qui sont ordinairement +si curieuses, fuyaient à l'aspect de ces fusées, car elles craignaient +que cela n'entrât sous leurs jupes. Après cela fait, les officiers de la +garnison ont donné un bal pour finir la fête.</p> + +<p>11 <i>thermidor</i>.--Nous sommes sortis de Brisach à huit heures du soir +pour aller cantonner à Ammerschwihr, village à trois lieues de Colmar, à +gauche, au pied des montagnes. Nous y sommes arrivés à cinq heures du +matin, le 12. Toute cette contrée était attaquée d'une grande maladie +sur les bêtes à cornes, comme vaches et boeufs. Des villages étaient +dépeuplés entièrement de ce bétail; on ne trouvait point de remède pour +cette maladie, ce qui affligeait beaucoup les habitants et les +cultivateurs. Toutes ces montagnes ne sont que des vignobles qui sont +d'un grand rapport; il y a aussi beaucoup de fruits de toutes espèces. +Dans le bas de ces villages, venant sur le Rhin, il y a de belles +plaines, qui sont assez fertiles en toutes sortes de grains et en pommes +de terre.</p> + +<p>10 <i>fructidor</i>.--Partis à quatre heures du matin pour nous rendre sur le +Rhin, au village de Baltzenheim, à deux lieues de Brisach. Arrivés le +même jour à dix heures du matin. Dans ce village, nous avons appris +qu'on avait fait la découverte des conspirateurs du repos public et de +la trahison de Pichegru<a id="footnotetag57" name="footnotetag57"></a> +<a href="#footnote57"><sup class="sml">57</sup></a> qui avait commandé à l'armée du Nord, où il +avait remporté de si brillantes conquêtes. Il voulait perdre dans un +moment ce qui nous coûtait tant de peines; il voulait livrer nos places +fortes aux Impériaux et à Condé, qui voulaient que ce fût lui seul qui +fît la contre-révolution en France. Mais aussi la trahison de Pichegru a +manqué, grâce à toutes nos armées qui avaient fait une pétition au +Directoire exécutif, ce qui a ranimé les coeurs des bons républicains +quand ils ont vu que les armées étaient encore pour le bon parti.</p> + +<p>Le 1er <i>vendémiaire</i> an VI.--Jour qui ne devait plus être consacré à la +République, selon le complot des conspirateurs. Nous avons célébré avec +beaucoup de pompe la fête de l'anniversaire de la fondation de la +République. Voici le détail de la manière dont nous l'avons célébrée.</p> + +<p>Cette fête a été annoncée la veille au soleil couchant par une décharge +d'artillerie de position, et le lendemain une pareille décharge a été +faite au soleil levant. Vers les dix heures, la générale a été battue +dans tous les endroits où il y avait de la troupe; chacun a pris les +armes et s'est rendu sur la place de Brisach. Nos grenadiers étaient +avec la garde nationale de Brisach qui était composée de deux compagnies +et de deux pelotons de cavalerie. Notre musique et tous les tambours ont +été ouvrir la marche du cortège qui était composé de généraux, chefs de +brigade, officiers et autorités civiles de Brisach. La marche a été +ouverte par un peloton de cavalerie, et, après, un peloton de +grenadiers; ensuite les tambours et la musique. Puis une compagnie de +chasseurs à pieds de la garde nationale, qui était formé de petits +garçons de dix à douze ans très instruits, venait après. Puis, une +soixantaine de jeunes citoyennes du même âge marchaient sur deux rangs; +elles étaient vêtues en blanc, avec un ruban tricolore en écharpe et +tenaient dans leurs mains des panetières, remplies de fleurs, de +branches de chêne et d'olivier. Quatre petits garçons, aussi habillés de +blanc, marchaient en tête et portaient entre eux une grosse couronne de +chêne, de laurier et d'olivier surmontée d'un bonnet de liberté. Après, +venaient les généraux, la municipalité, les commandants, les officiers, +puis un peloton de grenadiers de ligne et la garde nationale; ensuite un +assez grand nombre d'hommes de cinquante à soixante ans, armés de +piques. Un peloton de cavaliers fermait la marche. Toute la troupe et le +cortège s'est rendu dans cet ordre sur la place, devant l'autel de la +patrie qui avait été établi le matin. Cet autel était construit par +derrière avec des branches de chêne; il avait douze pieds de diamètre; +les balustrades étaient couvertes de tapis de différentes couleurs; sur +l'autel, étaient placés des vases remplis d'encens, avec la déesse au +milieu. Sur le coin, devant l'autel étaient élevés des pilastres de +marbre, après lesquels étaient attachés huit drapeaux blancs sur +lesquels était peinte une urne renversée avec le bâton royal; sur +d'autres était un capucin tenant dans une de ses mains une croix, et +dans l'autre une torche ardente; sur le haut des pilastres étaient un +drapeau tricolore et un bonnet de liberté.</p> + +<p>Les principaux membres du cortège sont montés sur l'autel, et un d'entre +eux a fait un discours sur la fondation de la République, après quoi des +jeunes citoyennes qui étaient assises devant l'autel ont chanté une +hymne républicaine. Cela fait, les troupes ont défilé de la place pour +se rendre sur les glacis de la ville, à droite de la porte de +Strasbourg. À l'arrivée des troupes sur la place qui avait été désignée, +plusieurs décharges d'artillerie ont été faites. Les troupes étant +rangées en bataille, le général a fait mettre par divisions, en +colonnes; puis il nous a fait un discours pour nous féliciter de notre +bravoure et de notre intrépidité, en nous exhortant à continuer. C'est à +ce moment qu'il a renouvelé son serment d'être fidèle à la nouvelle +constitution; toute la troupe a aussi promis. De suite, il a fait +déployer la colonne pour faire des feux de bataillons et de file; le +canon faisait de même; chaque soldat avait douze coups à tirer. Après +ces feux finis, toute la troupe est rentrée dans ses quartiers.</p> + +<p>À huit heures du soir, trois coups de canon ont été tirés. Un +détachement armé de grenadiers s'est rendu près le feu d'artifice qui +était entre le Vieux-Brisach et le Neuf. Sur les glacis, toute la troupe +y a assisté sans armes, ainsi que toute la population de Neuf-Brisach et +des environs. Ce feu d'artifice a duré une heure et demie. Le feu fini, +chacun est rentré dans ses foyers. Pour célébrer cette fête, il y avait +deux bataillons de notre demi-brigade, une compagnie d'artillerie +légère, une compagnie ou deux de grosse cavalerie.</p> + +<p>Nous avons fait le service de la place de Brisach pendant quelque temps. +Ceux qui étaient à la ville venaient relever ceux qui étaient dans les +villages sur la rive du Rhin, et ceux des villages revenaient à la +ville, car la garnison n'était pas bonne. De la paille sur le pavé et +des couvertes servaient pour coucher; l'hiver il y faisait froid, et +l'été c'était rempli de puces; mais, dans les villages, quoiqu'ils +fussent pauvres, on y était encore mieux. Nous étions une compagnie par +village selon le service qu'il y avait à faire sur le Rhin.</p> + +<p>17 <i>vendémiaire</i>.--Sortis de Baltzenheim pour aller en garnison à +Brisach, nous y sommes arrivés à sept heures du matin. On nous a annoncé +que l'armée de Sambre-et-Meuse et celle du Rhin-et-Moselle ne faisaient +plus qu'une, qui se nommait armée d'Allemagne, commandée en chef par le +citoyen Augereau.</p> + +<p>Détails de la fête qui a eu lieu le 30 vendémiaire an VI de la +République française. Nous l'avons célébrée à Neuf-Brisach, en l'honneur +du général Hoche, un des grands hommes que la République a perdus. Il +est mort dans les environs de Paris<a id="footnotetag58" name="footnotetag58"></a> +<a href="#footnote58"><sup class="sml">58</sup></a>.</p> + +<p>Cette fête de reconnaissance a été annoncée la veille par plusieurs +décharges d'artillerie; le lendemain 30, à six heures du matin, une +décharge d'artillerie s'est faite de quart d'heure en quart d'heure; les +cloches de la ville ont été sonnées pendant une heure. À dix heures, les +autorités civiles et militaires se sont assemblées et se sont rendues à +la maison communale où tout le monde devait se réunir. Quand tout a été +prêt, on s'est mis en marche; le cortège était ouvert par un détachement +de cavalerie de la garde nationale, ensuite venaient les vieillards +rangés sur deux rangs; le premier qui marchait à la tête portait une +bannière sur laquelle était écrit: <i>Nos enfants suivront son exemple</i>. +Marchaient après eux des jeunes femmes habillées de blanc, un crêpe en +écharpe; un petit garçon de sept à huit ans portait une bannière, sur +laquelle était écrit: <i>Il était bon père et bon époux</i>.--Après eux +marchaient une quantité de jeunes filles de huit à onze ans, aussi +habillées de blanc; elles portaient dans leurs mains des guirlandes de +laurier et de chêne, et de petites corbeilles remplies de toutes sortes +de fleurs. Après venait notre musique qui jouait des airs funèbres; +après venait un char de triomphe attelé de deux chevaux gris-souris avec +harnachements de deuil; aux quatre coins étaient placés quatre jeunes +citoyennes âgées de onze à douze ans, bien mises, coiffées en cheveux, +avec une guirlande de roses par dessus; un ruban très large, tricolore, +mis en écharpe.</p> + +<p>Ces quatre citoyennes portaient chacune une bannière, sur laquelle on +avait inscrit: 1e <i>Il allait être le Bonaparte du Rhin</i>; 2e <i>Immortel +après sa destinée</i>; 3e <i>Il a inspiré la terreur aux rois.--Son ennemi +fuit devant sa vaillance</i>.--Au milieu du char était placé en effigie le +cercueil couvert d'un drap mortuaire; dans l'un des bouts était écrit: +<i>ici git Hoche</i>. Son portrait était au bas de cet écriteau; au milieu +dudit cercueil était placé un chapeau bordé en or, avec le panache +tricolore qui est la coiffure de nos généraux. Les coins du drap +mortuaire étaient portés par les quatre plus anciens de service, pris +parmi les officiers et soldats indistinctement. Les estropiés qui se +sont trouvés dans les dépôts, qui étaient à Brisach, suivaient le char. +Ensuite, venaient les tambours voilés en noir, qui exécutaient de temps +en temps des roulements sombres. Ensuite venaient les généraux, les +officiers de la garnison et les autorités civiles; il y avait un +détachement de cent hommes faisant la haie, et un détachement de +grenadiers qui suivait le cortège sur deux rangs; le reste de la troupe +était sans armes.</p> + +<p>Après avoir fait le tour de la ville en dedans, tout le cortège a été +conduit à l'église; on a placé l'effigie de cercueil sur un autel de la +patrie qui avait été préparé, et tout le tour était décoré de larmes. La +musique a joué plusieurs airs funèbres. Puis on nous a fait le détail de +la manière dont on avait fait l'enterrement à Paris, et comment toutes +les communes de la République devaient célébrer une fête de +reconnaissance pour le général Hoche. Ce discours fini, les jeunes +citoyennes ont chanté plusieurs hymnes funèbres et républicaines. Puis +notre chef de demi-brigade a fait un discours où il a rappelé plusieurs +traits de bravoure du citoyen Hoche; ensuite la musique a joué à +plusieurs reprises, pendant que toutes les jeunes citoyennes porteuses +de guirlandes, de couronnes de laurier et de branches de chêne, les +déposaient autour du cercueil et par-dessus. Ceci a été exposé plusieurs +jours à l'église, et chacun s'est retiré dans ses logements.</p> + +<p>Dans le même temps, nous avons appris la paix avec l'empereur. C'était +le 5 brumaire (27 octobre), par une lettre venant du Vieux-Brisach, qui +avait été envoyée au commandant des troupes autrichiennes qui étaient +pour le moment dans la principauté du Margraviat. Cette lettre disait +que la paix était faite avec la République française depuis le 17 +octobre 1797<a id="footnotetag59" name="footnotetag59"></a> +<a href="#footnote59"><sup class="sml">59</sup></a>. Nous l'avons appris de nouveau par les gazettes qui +venaient de Paris le 12 brumaire.</p> + +<p>Cette paix nous a été publiée le 25 brumaire (15 novembre), à dix heures +du matin, à Neuf-Brisach. On n'a fait aucune réjouissance pour le +moment; la fête a été remise au 30 nivôse, elle s'est célébrée avec +toute la pompe possible, selon les préparatifs.</p> + +<p>1er <i>frimaire</i>.--Partis de Brisach pour nous rendre dans nos +cantonnements sur la ligne du Rhin; notre compagnie était toujours à +Baltzenheim.</p> + +<p>1er <i>nivôse</i>.--Partis de nos cantonnements pour nous rendre à +Neuf-Brisach pour relever nos quatre compagnies.</p> + +<p>25.--Partis de Brisach, le 25 nivôse, pour nous rendre à Strasbourg, +toute la demi-brigade. Nous avons logé en y allant, le 25, à +Schelestadt; le 26 à Erstein, le 27 à Strasbourg; là on a reçu des +ordres pour aller cantonner dans des villages à trois ou quatre lieues +de Strasbourg, sur la gauche; le 28, nous avons été chacun dans les +villages qui nous étaient désignés; notre compagnie était à Kirchheim, à +trois lieues de Strasbourg.</p> + +<p>6 <i>pluviôse</i>.--Sortis de ce village pour aller cantonner au village +d'Herrlisheim, sur la route de Lauterbourg. Je remarquerai que c'est le +1er pluviôse qu'on nous a retiré notre viande, quoique nous eussions six +décades de prêts arriérés, mais cela n'a pas duré longtemps car nous +sommes bientôt rentrés en campagne.</p> + +<p>11 <i>pluviôse</i>.--Partis d'Herrlisheim pour aller à Strasbourg. Le +lendemain de notre arrivée, le général Schauenbourg a rassemblé les +officiers et sous-officiers de plusieurs demi-brigades, et nous a fait +faire la grande manoeuvre.</p> + +<p>13.--Il est venu des ordres pour marcher vers la Suisse; nous sommes +partis tout de suite; nous avons logé à Hüttenheim, près de Benfeld; le +15 à Schlestadt; le 16 à Oberhergheim, village entre Colmar et +Ensisheim; le 17 à Baldersheim à une lieue et demi à droite d'Ensisheim, +sur la route de Bâle. Le 18 à Rantzwiller, en arrière et près de +Sierentz, dans la vallée d'Altkirch; le 19 à Suënaï? village dans la +colline du mont Terrible, à trois lieues de Reinach, à droite, et à +quatre lieues de Delémont; le 20 à Viques dans la plaine de Delemont; le +21 à Eschert, petit hameau situé à trois lieues de Delemont, et à une +demi-lieue de Moutier. Pour arriver dans cette colline, nous avons +traversé deux lieues de montagnes de roche à perte de vue. Ces endroits +sont habités et forment plusieurs petites communes. On avait donné la +liberté à cette vallée quelques mois avant que les Français y aient été +cantonnés, ils étaient autrefois alliés avec les Suisses; ils ferment la +frontière du canton de Soleure. Cette vallée a aussi appartenu au prince +du Porontruy; on y parle un patois que nous comprenions assez. Leurs +maisons sont toutes construites en bois, en grande partie; tout leur +commerce est en boeufs, vaches, chevaux; ils ont très peu de terres +labourables. Comme les hameaux n'étaient pas bien grands, ils logeaient +une compagnie.</p> + +<p>Nous sommes partis d'Eschert le 3 ventôse pour nous rendre à Moutier, +chef-lieu de canton et faisant partie du département du Mont-Terrible; +une partie de notre compagnie a été détachée à Belpraon, hameau près de +ces cantonnements. Le 5, à huit heures du matin, nous avons été loger à +Soncelboz, village où nous avons eu bien de la peine à arriver, car il y +avait trois jours qu'il tombait de la neige, et ce jour-là il en est +tombé toute la journée, de sorte que nous en avions jusqu'aux genoux. +Dans le même village, il y avait deux années de suite que la grêle avait +tout ravagé.</p> + +<p>8.--Partis pour aller à la Hutte, (tous ces villages sont dans la même +vallée, sur la route de Bienne.) En allant à la Hutte, nous avons passé +sous la Roche-Percée. La Hutte était le lieu où notre demi-brigade s'est +rassemblée avant d'aller attaquer les Suisses. La vallée que nous +quittions se nommait l'Erguel; notre colonne en portait le nom jusqu'au +moment où elle entrait en Suisse.</p> + +<p>Partis de la Hutte le 9 à cinq heures du soir, nous avons suivi la route +de Bienne. Nous avons été camper à trois lieues sur la gauche du dit +Bienne, entre la route de Bienne et Soleure et à gauche de la rivière +nommée l'Aar, à une demi-portée de fusil du village de Lengnau où +étaient les avant-postes suisses. Les mesures étaient prises pour +attaquer les Suisses à trois heures du matin le 10 ventôse; mais +l'attaque n'a pas eu lieu. Les généraux suisses ont fait une demande au +général Schauenbourg qui commandait l'armée française en Suisse, de leur +accorder une suspension d'attaque pour vingt-quatre heures, et elle a +duré jusqu'au 12, lequel jour on les a attaqués.</p> + +<p>12 <i>ventôse</i>.--L'attaque a commencé à quatre heures du matin; leurs +avant-postes, qui étaient établis au village de Lengnau, ont été +enlevés. L'armée, qui était dans le canton, n'a pu résister à l'ardeur +de la colonne républicaine: leur artillerie a été enlevée de prime +abord; car l'attaque a été vive de notre part. Dans ce combat, plusieurs +Suisses ont perdu la vie, et la plus grande partie était des pères de +famille: ceux auxquels j'ai parlé, qui n'avaient que la cuisse ou les +jambes fracassées, regrettaient les épouses et les enfants qu'ils +avaient laissés dans leurs maisons pour venir exposer leur vie sur les +frontières.</p> + +<p>Notre camp était à trois lieues de la capitale de ce canton, qui est +Soleure. Quoique fortifiée, elle s'est vu forcée de se rendre à +l'arrivée de notre colonne, sans tirer un coup de canon, quoique ses +remparts en soient bien garnis. Nous sommes entrés à Soleure entre dix +et onze heures du matin, le 12 ventôse. Nous sommes restés deux +bataillons de notre demi-brigade pendant que notre colonne a défilé. Le +premier soir nous avons été bivouaquer sur les remparts jusqu'au +lendemain à quatre heures du soir, où nous sommes rentrés dans nos +logements chez les bourgeois. Nous y avons été reçus on ne peut pas +mieux. Notre troisième bataillon a été camper sur la route de Lucerne, +près d'un village, à une portée de canon de la ville, pendant que la +colonne marchait sur Berne.</p> + +<p>Étant dans la ville de Soleure, le général Schauenbourg a fait rendre +les armes à tous les bourgeois de la ville et à tous les habitants de ce +canton. Il arrivait tous les jours des voitures chargées de fusils, de +gibernes et de toutes sortes d'armes, que l'on plaçait dans l'arsenal +pour être de suite envoyées en France.</p> + +<p>On a trouvé dans cette ville un arsenal assez bien garni de différentes +armes, une quantité de bouches à feu en bronze qui avaient été fondues à +Strasbourg; beaucoup de belle poudre de deux qualités. Cette ville est +assez grande, il y a de belles rues, mais il y a plusieurs hauteurs qui +déparent un peu leur beauté. Elle renferme beaucoup de marchands de +toutes sortes. La construction des maisons est fort belle et assez +élevée.</p> + +<p>J'ai remarqué sur la place où nous avons planté l'arbre de la liberté, +une horloge dont le cadran portait les douze mois de l'année, et les +signes de chacun. Lorsqu'ils arrivaient, la touche se posait dessus, et +il y avait un autre petit cadran qui marquait les heures. Au moment où +le marteau frappait, il y avait la mort qui tenait une lampe dans sa +main gauche, elle faisait un tour et de même remuait la tête. De l'autre +côté, il y avait une espèce d'homme, qui avait du repentir, car à chaque +coup que le marteau frappait, il frappait un coup sur sa poitrine de sa +main droite. C'était un guerrier, car il avait le sabre. Au côté, entre +les deux, était un vieillard avec une grande barbe noire; il ouvrait la +bouche à chaque coup; et tenait de sa main gauche le bâton royal qu'il +balançait de tous les côtés.</p> + +<p>La rivière de l'Aar passe Soleure, et la partage en deux parties +inégales.</p> + +<p>Nous sommes sortis un bataillon de la ville. Comme elle n'était pas +assez considérable pour contenir deux bataillons, notre bataillon a été +cantonné dans les environs de la ville, dans les villages. C'était le 20 +ventôse que chaque compagnie a été prendre les cantonnements qui leur +étaient désignés, mais toujours dans le même canton. Je citerai +seulement les endroits où je me suis trouvé.</p> + +<p>Notre compagnie était cantonnée à Subingen, village à une lieue et demie +de Soleure, sur la route qui conduit de Soleure à Lucerne, de l'autre +côté de l'Aar. Nous avons changé plusieurs fois de cantonnements, dans +le même canton. Sortis de Subingen le 2 germinal pour cantonner au +village d'Aschi? et à deux lieues et quart de Soleure.</p> + +<p>8 <i>germinal</i>.--Nous sommes partis pour aller cantonner à Langenthal, +bourg situé à une demi-lieue des frontières du canton de Lucerne et à +dix lieues de Berne. J'ai été voir un couvent de Bernardins qui était +sur les frontières du canton de Lucerne, où j'ai parlé un peu du couvent +de Clairvaux; il était du même ordre de Citeaux.</p> + +<p>Étant dans ce cantonnement, nous avons été à Soleure pour y faire +l'exercice à feu. Nous avons couché le 29, en y allant, à Nider-Bipp, +village dans le canton de Berne, sur la route de Bâle.</p> + +<p>30 <i>germinal</i>.--Nous nous sommes rendus à Soleure; là nous avons fait +l'exercice à feu pendant trois heures; nous étions cinq bataillons, de +l'artillerie et de la cavalerie; c'était le général Schauenbourg qui +commandait. Après l'exercice fini, chacun est retourné volontiers dans +ses cantonnements.</p> + +<p>6 <i>floréal</i>.--Sortis de Langenthal à six heures du matin pour aller à +Zurich, nous avons logé en y allant à Olten, ville dans le canton de +Soleure, sur l'Aar, où différentes routes se trouvent pour Bâle, Zurich, +etc. Je dirai que lorsque nous sommes entrés dans ce canton, les Suisses +avaient brûlé un superbe pont qui traversait l'Aar pour entrer à la +ville de Halte; on était à le rétablir lorsque nous y avons logé.</p> + +<p>7 <i>floréal</i>.--Partis de Olten à cinq heures du matin, nos fourriers ont +été comme de coutume pour nous préparer nos logements. Lorsqu'ils se +sont présentés au village désigné pour y loger quatre compagnies, on y +était sous les armes et on a dit à nos fourriers de s'en retourner, que +la paix n'était pas faite avec eux, et qu'ils ne voulaient pas nous +loger.</p> + +<p>C'était au village de Bagglingen, nous avons rencontré nos fourriers qui +nous ont dit que si on voulait être logé, il fallait gagner les +villages. Aussitôt, le plus ancien de grade des officiers des quatre +compagnies, a disposé la troupe pour entrer dans les villages. On leur a +envoyé demandé s'ils voulaient nous loger: ils ont répondu que non et +que l'on se retire, ou qu'ils allaient faire feu. Dans ce moment, on a +envoyé des tirailleurs et aussitôt le feu a commencé; ils nous voyaient +peu de monde et croyaient que nous serions bientôt vaincus, mais ils ont +été bien trompés, car nous les avons chassés de leurs villages, et ils +ont été en grande partie se réfugier dans les bois. Il y en avait +plusieurs qui avaient caché leurs armes et se trouvaient devant nous; on +les renvoyait dans leurs maisons. Les femmes se sauvaient avec leurs +petits enfants au berceau; tout cela faisait pitié au coeur humain; mais +aussi toutes celles que l'on rattrapait, on les faisait retourner dans +leurs foyers. La plupart avaient un fusil dans une main et un chapelet +dans l'autre.</p> + +<p>Lorsqu'ils ont été repoussés hors de leurs villages, nous sommes revenus +prendre une position en arrière. Peut-être une heure après, ils sont +venus une colonne d'environ quinze cents hommes avec deux pièces de +canon, et ont tiré deux coups qui n'ont pas fait d'effet. Il nous est +aussi venu du renfort, de l'infanterie légère et un détachement de +hussards. Réunis tous ensemble à l'entrée de la nuit, nous les avons mis +en déroute et nous avons été maîtres de nos cantonnements, où nous avons +bivouaqué.</p> + +<p>Ce village de Bagglingen est dans le bailliage nommé anciennement +Canton-libre-inférieur. Nous en sommes partis le 9, à huit heures du +matin, pour aller à Zurich où nous sommes arrivés le même jour. Cette +ville porte le nom du canton où elle est située, sur le bout du lac du +même nom, et de ce lac sort une rivière qui passe dans Zurich, et se +nomme Limmat, et fait jonction avec deux autres rivières qui se nomment, +l'une la Reuss, qui sort du canton de Lucerne, et l'autre l'Aar, qui +sort du canton de Berne. Ces trois rivières sont réunies près d'une +petite ville qui se nomme Brugg, et de là tombent dans le Rhin.</p> + +<p>11 <i>floréal</i>.--Partis de Zurich<a id="footnotetag60" name="footnotetag60"></a> +<a href="#footnote60"><sup class="sml">60</sup></a> à midi, nous avons été loger au +village nommé Thalwyl, situé sur le lac et à deux lieues de la ville, +sur la droite.</p> + +<p>12.--À deux heures du matin, nous avons été camper près le village nommé +Lachen et de même situé sur le lac dans le canton de Schwytz.</p> + +<p>13.--Partis à neuf heures du matin pour retourner sur nos pas et +cantonner au village de Frienbach; nous étions quatre compagnies, les +mêmes qui s'étaient trouvées à Bagglingen. Ce village et les autres qui +ont été nommés sont sur le lac, à droite. En sortant de Zurich, nous +n'avons pas été sitôt arrivés dans le cantonnement, qu'une attaque s'est +formée entre les Suisses du canton de Schwytz et quelques compagnies de +la 76e demi-brigade de ligne, vers les onze heures du matin. Dans le +même moment, le citoyen Mondragon, qui était le plus ancien de grade des +capitaines du détachement, a aussitôt donné ordre de battre les coups +doubles, pour assembler les compagnies et pour marcher vers l'endroit de +l'attaque. Au lieu d'aller où on se battait, ledit capitaine nous a fait +monter une montagne prodigieuse, pour les prendre par derrière. Par le +fait, la montagne a été franchie avec beaucoup de courage; arrivés au +sommet, le commandant de la troupe a fait battre la charge. Je dirai +qu'avant d'être au sommet de la montagne, nous étions déjà assaillis de +coups de fusil. Pendant que la charge se battait, on a commencé le feu +sur les Suisses, qui sont venus nous disputer le terrain; mais il a +fallu qu'ils cèdent, ou ils auraient tout payé. Dans cette affaire, +plusieurs pères de famille sont restés sur le champ de bataille; après, +les plus hautes montagnes ne les rassuraient plus, ils abandonnaient +leurs chaumières et s'allaient retirer dans des lieux inhabitables.</p> + +<p>Le même jour, au soleil couchant, nous avons descendu la montagne et +nous sommes revenus dans notre cantonnement.</p> + +<p>14.--Partis à deux heures du matin, pour nous disposer à de nouvelles +poursuites. Nous avons pris la route qui conduit à +Notre-Dame-des-Hermites; nous avons monté une fort haute montagne, et, +étant au sommet, près d'une grosse auberge, nous avons occupé la +position que les Suisses avaient abandonnée la veille. Cette montagne se +nomme Etzel, et est à une lieue du couvent de Notre-Dame-des-Hermites, +où on la voit facilement. Dans les environs de ce couvent, on n'y +récolte point de grains; il est de même environné de montagnes couvertes +de neige. Dans cette contrée, il y a des pâturages pour les bêtes à +cornes; aussi voilà ce qui les nourrit: quelques pommes de terre, du +fromage et du lait.</p> + +<p>16.--Nous sommes revenus prendre les cantonnements du 13.</p> + +<p>21--Partis de Frienbach à huit heures du matin, notre marche a été +dirigée sur la République ligurienne en Italie. Je dirai que nous avons +passé à la ville nommée Rapperswyl, située sur le lac, du côté gauche. +Avant d'entrer dans la ville, il y a un pont qui a une demi-lieue<a id="footnotetag61" name="footnotetag61"></a> +<a href="#footnote61"><sup class="sml">61</sup></a>. +Je vais citer seulement les endroits où nous avons logé; car le voyage +est si long et le temps si court que je ne puis pas faire beaucoup +d'observations.</p> + +<p>21 <i>floréal</i>.--Arrivés au village nommé Thatwyl, à la pointe du jour, +nous en sommes partis le 22 à huit heures du matin; nous sommes passés à +Zurich à dix heures; nous avons poursuivi notre route en traversant +plusieurs hautes montagnes et nous sommes venus loger dans les environs +de Mellingen, bourg situé sur la Reuss dans le village où nous étions; +ce village se nommait Waltenschwyl.</p> + +<p>23.--Partis de ce village à six heures du matin, nous sommes venus loger +à Aarburg, dans le canton de Berne, situé sur l'Aar, où il y a un fort +assez important.</p> + +<p>24.--Partis à sept heures du matin, nous sommes venus loger dans les +environs d'Herzogenbachsee; nous étions à Niederhaus; notre compagnie de +même dans le canton de Berne.</p> + +<p>25.--Partis à cinq heures du matin. Logé dans la ville de Berne. J'ai +remarqué qu'il y avait une belle grande rue; il est vrai qu'elle va un +peu en montant, et, à la distance de quatre-vingts pieds, il y a une +fontaine. J'ai vu une horloge assez curieuse: tout le temps que le +marteau frappe sur la cloche, il y a auprès du cadran un tour fait comme +une table ronde sur laquelle il y a des ours qui défilent la parade, +avec des instruments de guerre; il y en a qui sont montés sur des +chevaux: enfin cela est amusant.</p> + +<p>Toutes les rues de cette ville sont ornées de belles arcades où il y a +toutes sortes de marchands. Au-dessus de la porte, du côté de Lausanne, +la personne de Guillaume Tell est représentée.</p> + +<p>27 <i>floréal</i>.--Partis à quatre heures du matin. Logé à Morat, ville +située sur le lac de ce nom.</p> + +<p>28.--Partis à six heures du matin. Logé aux environs de Payerne; nous +étions au village de Fétigny.</p> + +<p>29.--Partis à trois heures du matin. Logé à Moudon dans le pays de Vaux, +ci-devant alliée avec Berne, et située sur le bord de la Broye. Cette +ville était anciennement la capitale du pays; on y voit encore +aujourd'hui une ancienne tour qui a été bâtie du temps de Jules César.</p> + +<p>30.--Partis à quatre heures du matin, nous sommes venus loger à +Lausanne, capitale de son canton, située au pied d'une montagne, sur le +bord du lac de Genève. Tous les endroits où nous sommes passés sont en +grande partie des vignobles.</p> + +<p>1er <i>prairial</i>.--Partis à trois heures du matin, nous avons suivi le +lac, et sommes venus loger à Villeneuve et dans les environs. Cette +ville est située sur le bout du lac de Genève; notre compagnie était +logée dans un village à une lieue de Villeneuve, et entre des montagnes +extrêmement hautes, où il y a toujours au sommet une quantité de neige.</p> + +<p>3.--Partis à huit heures du matin, nous sommes venus loger à +Saint-Maurice, dans le bas Valais.</p> + +<p>Avant d'entrer dans la ville, on passe sur un pont qui traverse le Rhône +et va tomber dans le lac de Genève.</p> + +<p>4.--Partis à six heures du matin. Logé à Orsières dans le bas Valais, +sur la route qui conduit au grand Saint-Bernard.</p> + +<p>5.--Partis d'Orsières à sept heures du matin. Couché à Saint-Pierre, +village situé sur le sentier qui conduit au mont Saint-Bernard; c'est +depuis ce village que la route ne forme plus qu'un sentier très mauvais +pour marcher; les voitures n'y peuvent plus passer qu'elles ne soient +démontées, et portées par des mulets à dix lieues, où est la cité +d'Aoste.</p> + +<p>Je dirai que tous les endroits où nous sommes passés depuis Villeneuve +sont situés entre des grandes et très hautes montagnes, au sommet +couvert de neige; mais cependant la colline est cultivée. J'ai remarqué +qu'à deux lieues de Saint-Maurice il y a des rochers très élevés; à cent +pieds de haut, il sort de l'eau en quantité; en la voyant tomber elle +paraît blanche comme du lait, elle se brise sur des pierres qui sont +dans le bas de ce rocher et passe dans le chemin aussi claire que du +cristal. Cet endroit se nomme le Pisse-vache.</p> + +<p>6.--Partis de Saint-Pierre, le dernier village du bas Valais, à deux +heures du matin pour monter au village de la montagne du Saint-Bernard +qui monte pendant trois heures, et descend d'autant; dans cette +montagne, il y a plus de neige que dans les autres. Nous avons passé par +des endroits (et surtout avant d'être au couvent) où il y en avait plus +de quarante pieds, mais c'est tout neige gelée. En arrivant près du +couvent, nous montions à quatre pattes sur la neige; vraiment c'est des +chemins affreux; aussi beaucoup de voyageurs meurent-ils en route.</p> + +<p>Le couvent, qui est au sommet de cette montagne, est là pour donner du +secours aux voyageurs; il y a des chiens que j'ai vus; ils sont +extrêmement forts et instruits. Lorsqu'il fait des orages ou mauvais +temps, ces chiens vont au travers des neiges sur le chemin; ils ont au +cou un linge dans lequel il y a une petite bouteille d'eau-de-vie avec +un morceau de pain; s'ils rencontrent quelqu'un qui soit tombé en +faiblesse ou qui ait perdu courage et qu'il soit saisi par le froid, +qu'il soit sur une roche ou ailleurs, ces chiens vont auprès, le +prennent par son habillement et le remuent; et s'il n'est pas mort, ils +lui présentent le cou pour qu'il prenne ce qui est dans le linge pour +lui donner des forces. Quelquefois, ils en trouvent qui sont couchés +dans la neige, et comme il y a des domestiques qui les suivent de loin, +ils retournent auprès d'eux et les conduisent où les hommes sont tombés. +Étant au couvent, on peut y rester un jour; toute la troupe qui y a +passé a reçu par homme un verre de vin, un petit morceau de pain et +aussi de la viande salée. On a continué la route, car on aurait bien +gelé si on y était resté un quart d'heure; enfin, dans les environs de +ce couvent, ce sont de véritables précipices. Notre chemin était marqué +avec des morceaux de bois, sans quoi il y en aurait eu de nous qui +auraient perdu la vie.</p> + +<p>Ce jour-là, nous sommes venus loger à Saint-Oyen, village sur la route +de Sardaigne. Dans ces villages, et même avant de gravir le +Saint-Bernard, les habitants ne cuisent qu'une fois par an; s'ils +cuisent deux fois, c'est qu'ils sont bien à leur aise; leur pain est +épais d'un pouce et d'un pied de diamètre et dur comme du bois; c'est le +lait et les pommes de terre qui sont en grande partie leur nourriture.</p> + +<p>7.--Partis de Saint-Oyen à cinq heures du matin, nous sommes venus loger +dans la cité d'Aoste, ville de Sardaigne, frontière de la Savoie et de +la Suisse.</p> + +<p>9.--Partis d'Aoste à deux heures du matin, nous sommes venus loger à +Verres, ville dans la vallée d'Aoste et de même dans la Sardaigne.</p> + +<p>10.--Partis de Verres à trois heures du matin. Logé à Ivrée, sur la +rivière nommée Doire, dans le Piémont.</p> + +<p>11.--Partis à quatre heures du matin. Logé à Livorne.</p> + +<p>12.--Partis à quatre heures du matin. Logé à Verceil, sur la rivière la +Sesia.</p> + +<p>13.--Partis à six heures du matin. Logé à Gailliata, à huit lieues de +Milan, et à une lieue de Trecate.</p> + +<p>15.--Partis à deux heures du matin. Logé à Vigevano, sur la route +d'Alexandrie.</p> + +<p>16.--Partis à minuit, nous avons passé le Pô à midi, et nous sommes +venus loger à Voghern.</p> + +<p>17.--Partis à deux heures du matin. Logé à Alexandrie, ville forte +donnée en otage aux Français lorsque le roi de Sardaigne a fait la paix; +cette ville est située sur la rivière de Tanaro qui passe entre la +citadelle et les murs de cette ville.</p> + +<p>19.--Partis d'Alexandrie à dix heures du matin. Logé à Novi, ville du +Piémont, frontière de la République ligurienne.</p> + +<p>20.--Partis à trois heures du matin. À sept heures nous avons passé au +bas du fort de Gavi, où nous avons fait halte. Je dirai que nous sommes +passés au milieu de l'armée génoise et piémontaise qui était campée dans +les environs du fort de Gavi. Dans ce temps, les Liguriens avaient la +guerre avec le Piémont. Le même jour, campé près de Voltagio, sur la +route de Gênes.</p> + +<p>21.--Sortis du camp à trois heures du matin. Campé à deux lieues de +Gênes. C'est de là que notre premier bataillon est parti pour aller à +Gênes, et notre troisième est retourné sur ses pas pour aller à Novi; +nous, nous avons couché dans ce village.</p> + +<p>22.--Partis à trois heures du matin pour retourner sur les frontières de +la République ligurienne; nous avons logé ce jour à Voltagio.</p> + +<p>23.--Partis à deux heures du matin, nous avons pris la traverse et avons +été loger à Ovada, ville frontière de la République ligurienne, menacée +par les troupes piémontaises d'être mise au pillage. Voilà pourquoi +notre bataillon a été s'emparer de la ville pour la soustraire à un +pareil malheur; cette ville est entourée par deux rivières qui +s'appellent Stura et Orba. Je dirai que pendant que nous étions dans +cette ville, nous avons été détenus vingt-six sous-officiers en prison +pour avoir fait une réclamation; nous avons été douze jours à +<i>l'ombre</i><a id="footnotetag62" name="footnotetag62"></a> +<a href="#footnote62"><sup class="sml">62</sup></a>.</p> + +<p>19 <i>messidor</i>.--Partis pour Camfredo, ville de la Ligurie.</p> + +<p>20.--Partis à une heure du matin. Logé à Voltri, à huit lieues et demie +de Gênes.</p> + +<p>23.--Logé à Varazze, de même sur la mer.</p> + +<p>24.--Logé à Savone, où il y a un port marchand; il y a aussi un fort qui +défend bien son approche et peut battre la ville.</p> + +<p>25.--Logé à Final-Borgo.</p> + +<p>26.--Partis à deux heures du matin. Logé à Albenga. Tous les endroits où +nous avons logé sont situés sur la mer.</p> + +<p>28.--Partis à une heure du matin pour une petite ville nommée La Piève, +située dans la même vallée et à six lieues de la mer. Nous avons relevé +à La Piève la garnison piémontaise qui s'était emparée de cette ville au +moment où ils avaient la guerre ensemble. La France a mis fin à cette +guerre, qui ne pouvait que mettre la famine dans le pays.--Comme cette +contrée ressemble à la plus grande partie de la République ligurienne +dont elle fait partie, je vais faire une petite description de la +situation du pays. Ce ne sont que montagnes très hautes, la plupart sont +couvertes de châtaigniers, d'oliviers, de figuiers et d'autres arbres à +fruits de toutes sortes d'espèces; il y a aussi de la vigne plantée très +clair et haute, parmi laquelle ils sèment du blé et d'autres grains, qui +leur servent à faire du pain; mais ces derniers n'y sont pas très +abondants. Tout ce pays est occupé en grande partie par le commerce qui +y est bon, par rapport à la mer.</p> + +<p>Il n'y a rien à voir de curieux dans la campagne; leurs maisons sont +très antiques et toutes voûtées, pour parer aux chaleurs qui se font +dans ce pays durant l'été. Il n'y a rien de remarquable dans leurs +ménages, la plupart n'ont pas de meubles, mais seulement un coffre pour +mettre le peu d'habillements qu'ils ont. Le dedans des maisons est très +obscur et la plupart n'ont pas de vitres; un simple volet ferme le jour. +On n'y voit presque point de cheminées: ils font le feu dans l'un des +coins de la maison. Les deux sexes sont vêtus assez antiquement; les +femmes et les filles portent sur la tête un grand voile pour aller à +l'église. Ce peuple est traître de son naturel, il a toujours caché sous +lui une arme tranchante et très aiguisée, et à la moindre difficulté on +est frappé de cet outil.</p> + +<p>8 <i>frimaire</i>.--Partis de la Piève pour Gênes, nous avons été loger à +Loano; le 9, à Varazze; le 10, à Gênes. Étant dans cette ville nous +avons fourni un détachement de trois cents hommes pour aller s'emparer +de la ville d'Oneglia, appartenant au Piémont. La garnison piémontaise a +été désarmée et envoyée à Gênes, mais de suite on leur a envoyé leurs +armes, pour partir sur les frontières d'Italie. Ceci s'est fait au +moment de la révolution du Piémont. Le détachement dont je faisais +partie est sorti de Gênes le 20 frimaire, à une heure de l'après-midi; +nous avons logé en allant à Oneglia, à Voltri, à Savone, à Finalborgo, à +Alassio. Il y avait avec nous trois cents Liguriens. Cette ville s'est +rendue à notre approche; nous y sommes entrés le 24 frimaire à quatre +heures du soir. Le reste de notre bataillon, qui était à Gênes, est venu +nous rejoindre le 15 nivôse; il est seulement resté à Oneglia deux +compagnies, et les autres ont appuyé à gauche le long de la mer. Ce +mouvement s'est fait le 15. Notre compagnie était à Diano-Marino et à +Alassio.</p> + +<p>Partis de ces cantonnements le 1er pluviôse, nous sommes venus le 5 à +Gênes, lieu de rassemblement de notre demi-brigade pour en former deux +bataillons de guerre et un de paix. Ce dernier était composé d'hommes +impotents, infirmes, qui ne pouvaient plus faire campagne et complétés +avec des conscrits. Les deux bataillons de guerre étaient formés +d'hommes aguerris et en état de faire campagne avec une vingtaine des +plus adroits des conscrits par compagnie, tirés dans le troisième +bataillon. Dans cet amalgame, nous sommes devenus la troisième compagnie +du premier bataillon. Cet embrigadement s'est fait à Gênes, le 8 +pluviôse. Le premier bataillon est parti de Gênes le 9 pour se rendre à +Reggio; le deuxième bataillon le 10, pour la même route. Je n'ai point +été de ce départ, je suis entré à l'hôpital le 10; j'avais une maladie +qui m'interdisait la marche.</p> + +<p>20 <i>ventôse</i>.--Partis de la ville de Gênes pour me rendre à Reggio.</p> + +<p>En quittant le pays de la Ligurie, je laisse un pays assez abondant en +oliviers, châtaigniers; ils récoltent aussi une certaine quantité de vin +et de grains; la plus grande occupation des habitants est le commerce. +Ils élèvent quantité de vers à soie nourris par les mûriers qui poussent +dans ce pays.--Me voilà entré dans le Piémont en sortant de Novi; j'ai +logé le 23 à Tortone, ville fortifiée et accompagnée d'un fort assez +considérable, sur une hauteur qui commande la ville; le 24, à Voghera; +le 25, à Castel-San-Giovani, bourg dépendant du roi d'Espagne; le 26, à +Plaisance, belle grande ville au roi d'Espagne, magnifiquement bâtie. Il +y a là une superbe place sur laquelle sont placés deux piédestaux sur +lesquels sont deux chevaux en bronze avec leurs guerriers.</p> + +<p>Elle est très bien décorée par de belles maisons; les rues sont très +larges et bien proportionnées. Autrefois, cette ville était fortifiée, +mais il ne reste plus que de vieux remparts qui tombent en ruine.</p> + +<p>27.--Logé à Borgo-San-Domino, de même dans les États du roi d'Espagne.</p> + +<p>28.--À Parme, appartenant au duché de son nom; la rivière du même nom, +Parma, passe dans ladite ville et la partage en deux parties inégales; +la construction en est assez belle, les rues larges, il y a aussi +d'assez jolies places.</p> + +<p>29.--À Reggio, ville grande et bien peuplée, maintenant à la République +cisalpine; il y a une belle place, des rues très larges; elle était +autrefois fortifiée, maintenant il existe encore une vieille citadelle +qui tombe en ruines et qui ne pourrait pas tenir longtemps. J'ai eu +séjour dans cette ville.</p> + +<p>1er <i>germinal</i>.--À Modène; la ville est plus longue que large: les rues +sont larges, les maisons assez élevées et d'une belle construction; il y +a de belles grandes places. Cette ville est encore actuellement un peu +fortifiée.</p> + +<p>3.--À Buondeno, village dans les environs de Ferrare.</p> + +<p>4.--À Finale, bourg sur le canal de la ville de Modène.</p> + +<p>5.--À la Mirandole, petite ville assez bien faite où il y a une belle +place.</p> + +<p>6.--À Saint-Benedetto, village à cinq lieues de Mantoue.</p> + +<p>7.--À Mantoue, belle grande ville très peuplée; elle est environnée de +grandes pièces d'eau qui défendent son approche d'une demi-lieue; du +côté où l'eau n'est pas d'une aussi grande largeur, il y a de fortes +citadelles qui défendent la ville; les alentours de cette place, aussi +bien que les forts, sont garnis de nombreux gros canons qui rendent +cette ville imprenable, autrement que par la famine. Le fleuve nommé Pô +passe dans ses murs, et lui donne quantité d'eau; la construction des +maisons est belle, on y trouve de belles places. J'y ai vu un beau pont +couvert et construit tout en pierres de taille; il y a sur ce pont sept +à huit moulins très bien construits. Cette place appartient à la +République cisalpine; elle a été prise par les Français qui étaient +commandés par Bonaparte, dans le courant du mois de pluviôse an V.</p> + +<p>Le 8, j'ai passé à Villefranche, sur la route de Vérone, où j'ai trouvé +notre bataillon, qui était campé à deux lieues et demie de la ville, +près de la route. Ils y étaient venus après l'affaire du 6 germinal, +auquel jour ce terrible fléau de la guerre s'est rallumé avec +l'empereur. Notre division, commandée par Montrichard, a fait son +attaque près du village de Legnago, situé sur l'Adige. L'attaque a été +vive au premier abord de notre part: il a semblé avant midi que la +victoire nous était annoncée; mais, comme le destin ne décide pas en un +instant, nous avons vu, vers les trois heures du soir, que nous avions +eu affaire à un corps d'armée autrichien qui égalait le nôtre. Sur le +soir, un renfort leur est arrivé; c'est à ces derniers, réunis aux +premiers, qu'il a fallu céder la victoire qui nous avait été favorable +toute la journée. Beaucoup de fossés remplis d'eau nous ont fait +éprouver quelques pertes. Je ne dirai pas les pertes des autres corps, +j'ai vu celles de mon bataillon qui se montaient à 148 hommes hors de +combat, y compris dix officiers et dix sous-officiers. En attendant le +siège, nous avons fait plusieurs mouvements à droite et à gauche le long +de l'Adige, où le corps d'armée autrichien était bien retranché.</p> + +<p>Voilà le 16 germinal arrivé<a id="footnotetag63" name="footnotetag63"></a> +<a href="#footnote63"><sup class="sml">63</sup></a>. Vers les dix heures du matin, l'ennemi +s'était mis en marche pour nous attaquer; le général en chef donna +ordres à toutes nos troupes de se mettre en marche pour de même attaquer +l'ennemi, ce qui a été exécuté sur-le-champ. Aussitôt, nous avons +rencontré les colonnes autrichiennes; le feu a été vif dans les deux +partis; au premier abord, il semblait que notre division allait céder à +la force de la colonne autrichienne.</p> + +<p>Le soldat n'a pas mesuré sa force sur celles de son ennemi, mais sur son +courage: il a mis la colonne ennemie en déroute, en lui faisant quelques +cents de prisonniers. Nous les avons poursuivis aux portes de Vérone; +mais la retraite des autres divisions nous a bientôt appris que nous +devions aussi nous y disposer pendant la nuit, et nous retirer dans les +environs de Mantoue, ce qui a été fait dans la nuit du 16 au 17, car un +corps considérable de l'armée autrichienne s'avançait pour couper notre +retraite au delà de Mantoue.</p> + +<p>Nous sommes arrivés à sept milles de Mantoue vers les minuit, dans la +nuit du 17 au 18. Sur le croisement de la route qui conduit à +Villefranche, le 18, nous avons fait un mouvement pour appuyer à gauche +de Mantoue. Nous sommes venus camper près d'une petite ville située sur +le Mincio; elle est environnée de fortes positions. Lorsque la garnison +de Mantoue a été établie dans ses postes, l'armée s'est mise en +mouvement et a passé le Mincio pour aller se montrer dans la plaine où +Bonaparte a eu de grands combats, lorsqu'il a fallu cerner la ville de +Mantoue. Nous sommes restés dans cette plaine, qui aboutit sur la rive +du Mincio, jusqu'à huit heures du soir. C'était la nuit du 20 au 21 que +notre colonne a commencé son mouvement pour la retraite, le soir du 21 +vers les six heures, par un temps abominable, une pluie continuelle qui +ne cessait de tomber et nous traversait jusqu'aux os. Nous avons campé +près la petite ville d'Asola; ses alentours sont garnis de bastions qui +n'étaient pas entretenus.</p> + +<p>22 <i>germinal</i>.--Campé à trois mille de Pontevico; le 24, nous sommes +venus camper en avant de cette petite ville, située sur le bord de la +rivière nommée Oglio, sur la route de Brescia et Milan. Dans ce moment, +nous étions d'arrière-garde; nous avons coupé les routes pour empêcher +la colonne autrichienne de nous poursuivre de si près.</p> + +<p>25.--Nous avons passé l'Oglio sur un pont levis qui était au bas d'une +ancienne citadelle: les troupes et les bagages passés, on a démonté le +pont en le faisant glisser dans l'eau. Ce jour-là, nous sommes venus au +village de Rodierco, situé sur l'Oglio et à un mille de Pontevico, sur +la grande route de Milan. La nuit du 25 au 26, nous nous sommes mis en +marche et nous sommes arrivés à Palazzolo le 26 au soir. Il faut +observer que la colonne autrichienne prenait des détours et suivait les +montagnes de la Suisse italienne et ne cherchait qu'à nous couper notre +retraite.</p> + +<p>28.--Nous avons fait un mouvement en avant de Palazzolo, à six mille +dans les montagnes, près le lac d'Iseo.</p> + +<p>29.--Nous sommes revenus à Palazzolo; le 30, nous en sommes repartis +pour nous former sur la ligne en bataille, en avant dudit lieu. Le +général en chef Scherer nous a passés en revue. Nous avons passé la nuit +dans ce même emplacement. Je dirai que la Ville de Palazzolo est située +sur l'Oglio et sur la grande route de Brescia. En partant, les ponts ont +été coupés et renversés dans la rivière.</p> + +<p>2 <i>floréal</i>.--Nous avons fait un mouvement pour nous retirer en arrière +de Palazzolo, où nous avons campé, sur les bords de l'Oglio; nos +avant-postes ont eu quelques petites affaires avec l'ennemi, qui s'est +venu présenter pour passer le pont où étaient nos canonniers, pour le +faire sauter par des mines; on est parvenu à le faire sauter vers les +dix heures du matin.</p> + +<p>La nuit du 4 au 5, à neuf heures du soir, notre division, qui était +celle du général Serrurier, s'est mise en marche et a été dirigée vers +la ville de Bergame. Nous avons passé une nuit affreuse dans l'eau et la +boue jusqu'aux genoux, et, pour la faire complète, une pluie continuelle +nous arrosait. Nous sommes passés dans la ville de Bergame, à onze +heures du matin, le 3. Cette ville est très considérable, belle et +riche: on y construisait une fort belle place; elle est divisée en ville +haute et ville basse. La ville haute est fortifiée et a de fort belles +positions dans ses environs, sur des hauteurs considérables. Notre +division ne s'y est point arrêtée; une partie soutenait l'arrière-garde, +qui était suivie<a id="footnotetag64" name="footnotetag64"></a> +<a href="#footnote64"><sup class="sml">64</sup></a> des troupes russes. Le même jour, notre colonne a +continué sa marche jusqu'à cinq heures du soir; nous sommes arrivés sur +le bord du lac, où nous avons passé la nuit dans des espèces de petits +hameaux environnés de montagnes fort hautes.</p> + +<p>Le lendemain 6 courant, à quatre heures du matin, nous avons repris +notre marche vers le pont de Lecco, et toujours suivis de près par +l'avant-garde ennemie. La ville de Lecco est environnée de rochers très +hauts; elle est située sur le bord du lac. Notre division a passé le +pont le jour où l'ennemi y est arrivé. Une partie de notre division a +gardé la tête du pont, et l'autre partie s'est étendue sur les bords de +la rivière, pour correspondre avec la division du général Delmas; notre +bataillon était de cette partie; nous tenions dans ce moment la droite +de la division. Nous sommes venus prendre notre position, la nuit du 6 +au 7, à Vaprio, où nous sommes arrivés à onze heures du matin. Cette +ville est située sur le bord de la rivière nommée l'Adda; elle est forte +par sa position: il y avait un pont volant établi qu'on a fait couler à +fond lorsqu'on a quitté la rivière.</p> + +<p>Vers les deux heures de l'après-midi, une colonne assez considérable de +l'armée autrichienne a fait un mouvement pour se disposer à passer la +rivière pendant la nuit, ce qui leur a été facile, car la rivière +n'était presque pas gardée. Vers les quatre heures du matin, comme notre +bataillon était à bivouaquer dans un village à une lieue et demie de +Vaprio, une ordonnance est venue dire au général qui commandait ce +poste, que l'armée autrichienne avait passé la rivière<a id="footnotetag65" name="footnotetag65"></a> +<a href="#footnote65"><sup class="sml">65</sup></a> toute la nuit +et dirigeait sa marche sur Milan. Aussitôt, il nous fut ordonné de nous +retirer sur Vaprio, pour nous joindre à la division du général Delmas, +en laissant de distance en distance des compagnies en échelons; jusqu'à +ce que nous avons trouvé une route de Vaprio à Milan, qui était déjà +coupée par l'ennemi. Le combat s'est aussitôt engagé sur la rive gauche +de l'Adda, dans les environs de Vaprio et Casale; il a été opiniâtre des +deux côtés. Le général Delmas est venu ordonner aux bataillons qui +soutenaient l'attaque, qui étaient les nôtres et un de la 3e +demi-brigade, de foncer sur l'ennemi, et il a dit que sa division allait +arriver pour nous soutenir. Aussitôt l'ordre donné, les deux bataillons +se sont mis en marche pour l'exécution; dans l'instant la victoire nous +a souri en leur faisant environ deux cents hommes prisonniers; mais, +dans le même moment, un renfort considérable leur étant arrivé, ils ont +forcé le bataillon qui était à notre droite, sur le bord de la rivière, +et ils n'ont pas tardé à prendre le nôtre par le flanc et le front. Dans +ces démêlés plus chauds qu'à l'ordinaire, j'ai reçu une balle qui m'a +traversé l'avant-bras gauche et m'a mis hors de combat, d'où je me suis +tiré avec beaucoup de peine, car nous étions pris de tous les côtés.</p> + +<p>Mais la division est arrivée dans ce moment et nous a donné du large; la +journée est devenue terrible aux deux partis. Dans un moment où la +division Delmas a donné, elle a repoussé l'ennemi à la tête du pont; il +y avait un village où l'ennemi était retranché dans les murs des jardins +et nos gens étaient tout autour; l'ennemi voyant qu'il ne pouvait plus +tirer à cause de la hauteur des murs, prit les pierres des murs pour les +jeter sur la tête des Français, mais l'ardeur républicaine qui bouillait +dans les veines des soldats, ne souffrit pas longtemps l'insulte des +Allemands; aussitôt entrés dans le village la baïonnette en avant, ils +en renversèrent une grande quantité et firent sept cents prisonniers. +Les rues du village ont été ce jour-là abreuvées du sang des Allemands, +car le sang ruisselait dans lesdites rues, comme lorsqu'il tombe un +orage.</p> + +<p>Le combat n'a cessé que lorsque la nuit a tendu ses voiles dans les +environs où il avait commencé. Mais on s'est retiré sur Milan; la ville +de Casale en est encore à sept lieues et une partie des blessés a été +obligée de suivre la colonne; les routes étaient interceptées. Nous +sommes arrivés dans les environ de minuit à Milan, du 8 au 9. La colonne +a passé à Milan entre huit et neuf heures du matin, le 9. Quoique nos +plaies n'aient point été pansées et que la marche nous fît de grandes +douleurs nous avions préféré suivre notre colonne qui venait sur les +bords du Tessin que de nous voir prendre prisonniers par des troupes +inhumaines. Il n'est resté que de la troupe au château de Milan.</p> + +<p>C'est sur les bords du Tessin que j'ai quitté avec regret mes compagnons +de misère, mais ma blessure le demandait. J'ai laissé en partant, après +trois batailles, un fourrier, un caporal et six fusiliers, dans une +compagnie qui était, le 6 germinal, composée de cent dix hommes.</p> + +<p>Notre armée de Mantoue est obligée, par une force supérieure d'ennemis, +d'évacuer cette partie de l'Italie, et de se retirer sur les villes +fortes du Piémont. Les hôpitaux n'étant plus assez considérables pour +contenir tous les blessés, il faut donc rentrer en France.</p> + +<p>Avant de quitter cette partie de l'Italie, je veux faire une petite +description sur la situation des habitants et sur la fertilité des +terres de cette contrée. Depuis le Mont-Cenis à Mantoue, c'est un +terrain plat et sablonneux; il est planté de toutes sortes d'arbres, +mais ce sont les mûriers qui dominent; la vigne y est très commune et +est plantée au pied de tous ces arbres: elle produit d'excellents vins; +on y voit dans aucunes contrées les vignes attachées au-dessus de fort +gros arbres, et cette vigne rapporte une quantité considérable de +raisins. Les habitants du pays coupent tous les ans les branches de ces +arbres pour faire cuire leurs aliments.</p> + +<p>Ils sèment sous ces vignes des grains de toutes sortes d'espèces qui y +viennent encore assez bien par rapport aux arbres et aux vignes qui leur +donnent de la fraîcheur, sans quoi ils ne pourraient rien récolter à +cause de la grande chaleur du pays. Dans le Piémont et autres contrées, +ils sèment beaucoup de riz qui fait une partie de leur nourriture +qu'avec le vermicelle; enfin ils ne se nourrissent presque qu'avec des +pâtes. L'occupation de ces habitants est en grande partie le commerce, +et l'élevage des vers à soie qui leur fait avoir une grande quantité de +manufactures. Il y a, dans cette partie de l'Italie, d'assez beaux sexes +des deux côtés, mais extrêmement jaloux et traîtres. Il y a aussi de +fortes rivières et des médiocres qui arrosent les plaines de riz. La +construction des maisons est assez agréable, elles sont presque toutes +voûtées, mais les vitres y sont rares, car à peine peut-on avoir des +verres pour boire.</p> + +<p>Dans cette contrée sont enfermés plusieurs petits États et républiques, +ce qui fait qu'il y a plusieurs monnaies, mais qui ne valent pas celle +de France, excepté celle du Piémont qui vaut mieux. Autrefois, ce pays +était fort riche, mais il a eu affaire à plusieurs maîtres qui lui ont +ôté toute sa richesse, et la guerre a achevé sa ruine.</p> + +<p>Je ne ferai pas grande observation sur les endroits où j'ai passé, ayant +évacué de Milan à Dijon.</p> + +<p>Le 5 prairial, nous sommes arrivés à Dijon, lieu de destination pour les +blessés; nous sommes entrés à l'hôpital militaire, tout nouvellement +préparé pour recevoir les blessés qui arrivaient tous les jours en grand +nombre.</p> + +<p>Je suis resté onze jours à cet hôpital de Dijon, où ma plaie a été +pansée deux fois par jour. Pendant ce temps, j'ai fait plusieurs +demandes aux officiers de santé pour obtenir une convalescence. Comme je +n'étais plus qu'à vingt-quatre heures de mon foyer et qu'il y avait sept +ans que je n'étais rentré chez moi, je me suis vu avoir un peu d'espoir +de revoir encore une fois mes père et mère, ainsi que mes autres +parents. J'ai reçu des officiers de santé de l'hôpital militaire de +Dijon, une convalescence de deux décades pour aller cicatriser ma plaie +dans mes foyers; elle m'a été délivrée le 16 prairial. Je me suis rendu +le 19 à Longchamp en passant par Langres; de là j'ai pris la traverse +pour couper au plus court. Je suis donc arrivé la veille de la fête que +l'on célébrait pour les plénipotentiaires qui avaient été égorgés à +Rastadt.</p> + +<p>Le commissaire du pouvoir exécutif et le président m'ont fait l'honneur +de me mettre de la cérémonie; ils m'ont rendu les honneurs en m'envoyant +chercher par un détachement de la garde nationale; de suite on m'a +offert une place d'honneur qui était à côté du président, que j'ai +acceptée. Après la cérémonie, j'ai été admis au repas que les +administrateurs se donnaient. J'ai été reçu avec toute la pompe et les +honneurs dus à un défenseur qui n'avait jamais abandonné son drapeau.</p> + +<p>Ma convalescence étant expirée et n'étant point en état d'aller +rejoindre, je suis allé voir l'officier de santé du canton; ne trouvant +pas mon bras assez bien rétabli, il me donna un délai de six décades, +lesquelles étaient finies le 30 fructidor, j'ai demandé ma feuille de +route pour aller rejoindre mon corps et partager avec mes anciens +camarades, l'honneur que j'ai partagé déjà, l'espace de sept ans. +J'espère que l'Être suprême bénira nos travaux pour le salut de toute la +Franc<a id="footnotetag66" name="footnotetag66"></a> +<a href="#footnote66"><sup class="sml">66</sup></a>.</p> + +<p>Je suis parti de Longchamp le 1er vendémiaire an VIII de la République, +pour aller rejoindre mon corps sur les frontières d'Italie.</p> + +<p>Mon départ fut retardé d'un mois à Chaumont où je suis resté pour +montrer l'exercice à une compagnie de conscrits de ce département. Après +l'organisation de ce bataillon, j'ai repris ma route pour la frontière +d'Italie. Je suis parti de Chaumont le 16 brumaire de l'an VIII, +accompagné de mon jeune frère qui avait quitté le 9e chasseurs à cheval, +pour venir prendre du service dans la 3e demi-brigade de ligne qui était +en ce moment en Italie.</p> + +<p>Nous avons fait la route assez agréablement de Chaumont à Aix en +Provence. Je passerai sous silence les étonnements de mon frère pendant +cette route, de se trouver dans une contrée si déserte et aussi peu +fertile, sous les rochers de la Provence. J'en ferai une petite +description.</p> + +<p>Après avoir parcouru plusieurs contrées de la Provence, étant rendus à +notre dépôt, à Aix, le 21 frimaire, nous avons été à trois lieues de là, +sur la Durance, à un village nommé Peyrolles, jusqu'au 1er thermidor. +Nous étions là pour faire rejoindre les conscrits et les +réquisitionnaires; aussi pour y empêcher les assassinats que des bandes +de brigands exerçaient souvent dans plusieurs de ces contrées; en un +mot, ces bandes de scélérats portaient la désolation chez plusieurs +pères de famille. Nous sommes partis d'Aix le 5 thermidor pour nous +rendre dans une autre contrée de la Provence, une ville nommée +Draguignan, où nous sommes arrivés le 9. Cette ville est située au +milieu d'une plaine environnée de hautes montagnes; la contrée est +charmante, on y voit une quantité prodigieuse d'oliviers; les coteaux +qui environnent la ville forment un amphithéâtre planté d'oliviers qui +forment une tapisserie, verte hiver comme été, ce qui réjouit la vue, et +donne un beau coup d'oeil. La plaine qui environne la ville est plantée +de vignes entre lesquelles on sème plusieurs sortes de grains et de +légumes.</p> + +<p>Les eaux y sont très bonnes, la contrée étant abreuvée par des fontaines +venant des montagnes. La ville est fermée par une simple muraille, très +haute; les rues sont d'une largeur proportionnée à leur longueur, mais +bien mal entretenues comme propreté: on y laisse pourrir toutes sortes +d'herbes venant des montagnes pour faire des engrais pour la terre. Dans +la Provence, il y a très peu de <i>commodités</i>, ce qui fait qu'on jette +toutes les ordures dans les rues; c'est ce qui rend le pays malsain; on +y respire de mauvaises odeurs. On rapporte qu'ils ne se donnent pas +l'aisance des <i>commodités</i> à cause de la quantité des conduits de leurs +fontaines qui traversent leurs habitations.--Les maisons sont d'une +assez belle construction, hautes de trois étages, plus ou moins; les +habitants sont grossiers naturellement et peu humains. (Qu'ils se le +disent!) Ce qui fait remarquer leur peu d'humanité envers leurs +concitoyens, c'est que dans ces contrées et même dans toute l'étendue de +la Provence, il s'y produit une réelle quantité considérable de brigands +qui ne cessent d'assassiner journellement les voyageurs sur les grandes +routes. Je me suis laissé dire que cela s'était fait de tout temps, mais +cependant pas aussi souvent que maintenant.</p> + +<p>Le costume des hommes n'est pas bien différent de celui de notre pays: +la mode est de porter presque tous des vestes; les femelles s'habillent +presque comme ici, sinon que leurs jupes sont fendues par derrière; leur +caractère n'est pas meilleur que celui des hommes.</p> + +<p>La manière dont je dépeins la contrée de Draguignan servira de modèle +pour toute la Provence plus ou moins fertile en aliments de tout genre. +Je me rappelle que l'air de la campagne y est plus chaud que dans nos +pays; les récoltes s'y font de meilleure heure qu'ici, mais aussi ils +plantent tout l'été car la culture ne pourrait jamais alimenter la +population retirée en ce pays. Le pain y est presque toujours à quatre +et cinq sous la livre de quatre onces. Le vin y est à bon compte, mais +les orages y sont fréquents; aussi leur terre cultivée est-elle souvent +ravagée. Le grain qu'ils récoltent, ils le font fouler aux pieds des +mulets et des boeufs pour en retirer les semences.</p> + +<p>Je dirai que les maux que j'ai endurés depuis huit années de service +militaire pour ma patrie, ont été marqués jour par jour par de nouveaux +sacrifices que je ne peux oublier. Ces souffrances ont été renouvelées à +plusieurs époques. Ainsi je vais, dans cette feuille, tracer une +esquisse de ce qui s'est passé à Gênes pendant le blocus.</p> + +<p>Je dirai donc que notre ennemi, voulant nous ôter tout espoir de +retourner en Italie, a réuni de grandes forces pour investir Gênes et +enfermer notre armée. Après plusieurs combats sanglants de part et +d'autre, et à plusieurs reprises notre ennemi nous ayant forcé notre +ligne sur Savone, il nous a coupé la communication que nous avions +encore sur terre, et les Anglais croisant sur mer où l'on ne pouvait que +difficilement passer, nous voilà donc obligés de nous retirer sous la +ville de Gênes, en attendant quelques renforts qui n'arrivèrent pas +assez tôt. Il faut donc comprendre la misère que nous avons souffert<a id="footnotetag67" name="footnotetag67"></a> +<a href="#footnote67"><sup class="sml">67</sup></a> +dans ce blocus. Si les habitants de la nation doivent une reconnaissance +à ses défenseurs, ils la doivent en particulier aux troupes qui +composaient la garnison de Gênes, soit par leurs souffrances, soit par +leur intrépidité à défendre la ville malgré le manque de nourriture. Un +peu de pain fabriqué avec de la paille hachée, du son, du cacao, un peu +de miel pour pouvoir lier ce mélange ensemble; et quand on le retirait +du four tombait-il en poussière. La viande était du mulet bien maigre; +les chiens et les chats faisaient nos meilleurs repas. Grâce au jus de +Bacchus! sans cela nous serions tous restés pour otages sous les murs de +Gênes. Si la ville a capitulé, c'est le défaut de vivres et la grande +mortalité qui en a été la seule cause. Au moment de la capitulation, on +recevait par homme six onces de cette mauvaise fabrication de pain, mais +toujours une bouteille de vin.</p> + +<p>La capitulation a été honorable pour nous; nous avons emmené autant +d'artillerie qu'il nous a été possible, tous nos bagages et autres +armements; tous nos malades et nos blessés ont été apportés en France +sur les bâtiments anglais.</p> + +<p>C'est après la fameuse bataille de Marengo que les Français sont rentrés +à la ville de Gênes et qu'il y a eu une suspension d'armes, pour en +venir à une conclusion de paix; de sorte que l'ennemi a eu la ville de +Gênes trois jours en possession, puis elle a été rendue par arrangement +avec six autres villes et forts.</p> + +<p>Dans ce moment, étant revenus à Draguignan à notre dépôt, nous avons été +envoyés à Digne, dans les Basses-Alpes, pour y prendre les eaux +thermales où j'en ai fait usage sans en être soulagé, de sorte que j'ai +été renvoyé dans mes foyers, le 5 vendémiaire an IX. Je suis arrivé à +Longchamp-sur-Laujon le 29 vendémiaire.</p> + +<br><br> + +<h2>PRIÈRE</h2> + +<h3>DU SOLDAT RÉPUBLICAIN</h3> + +<p class="sml">N. B. Cette prière termine le manuscrit, elle est aussi de la main de +Fricasse. À première vue, elle nous avait paru l'extrait d'un sermon de +prêtre constitutionnel, mais nous avons changé d'idée en voyant le tour +incorrect de certaines phrases, lignes 16, 17, 23, et surtout les +dernières lignes.</p> + +<p>Elle peut parfaitement être l'oeuvre d'un sergent, et surtout d'un +sergent qui a débuté au couvent comme jardinier. On doit reconnaître +qu'il y a dans le second paragraphe une pensée juste et noble.</p> + +<br><hr class="short"><br> + +<h1>PRIÈRE</h1> + +<h2>DU SOLDAT RÉPUBLICAIN FRANÇAIS</h2> +<br> + +<p>Dieu de toute justice, être éternel et suprême souverain, arbitre de la +destinée de tous les hommes, toi qui es l'auteur de tous biens et de +toute justice, pourrais-tu rejeter la prière de l'homme vertueux qui ne +te demande que justice et liberté?</p> + +<p>Ah! si notre cause est injuste, ne la défends pas! La prière de l'impie +est un second péché, c'est t'outrager toi-même que de te demander ce qui +n'est pas conforme à ta volonté sainte.</p> + +<p>Mais nous te demandons que la puissance dont tu nous as revêtus soit +conforme à ta volonté. Prends sous ta protection sainte une nation +généreuse qui ne combat que pour l'égalité. Ôte à nos ennemis +détestables la force criminelle de nous nuire; brise les fers des +despotes orgueilleux qui veulent nous les forger. Bénis le drapeau de +l'union sous lequel nous voulons tous nous réunir pour obtenir notre +indépendance. Bénis les généreux citoyens qui exposent leur vie et leur +fortune pour défendre leur patrie. Bénis les mères respectables de ces +vertueux enfants de la patrie qui te prient de leur accorder victoire. +Ouvre les yeux de ceux qui sont égarés dans nos foyers afin qu'ils +rentrent à la raison, pour jouir avec nous des précieux fruits de +l'égalité et de la liberté, et chanter avec nous les cantiques et les +louanges dédiés à l'Être suprême.</p> + +<p>Nous adorons Dieu chacun à notre manière, sous la protection des lois et +sous la surveillance de l'autorité constituée, et nous n'en sommes que +meilleurs Républicains.</p> + +<br><br> + +<h2>SUPPLÉMENT</h2> +<br> + +<h3>I</h3> + +<h3>LA LEVÉE EN MASSE</h3> + +<h5>Extrait des <i>Mémoires sur Carnot</i></h5> + +<p>Le projet d'une levée en masse avait fait hésiter d'abord la Convention: +il l'étonnait par sa hardiesse; elle le renvoya à l'examen du Comité de +salut public. C'était le 12 août. Le 14, Carnot fut adjoint au comité; +le 16 le décret fut rendu au milieu des acclamations universelles; le +23, une loi organisa en ces termes la <i>réquisition permanente de tout +les Français pour la défense de la patrie</i>:</p> + +<p>«Les jeunes gens iront au combat; les hommes mariés forgeront les armes +et transporteront les subsistances; les femmes feront des tentes, des +habits, et serviront dans les hôpitaux; les enfants mettront le vieux +linge en charpie; les vieillards se feront porter sur les places +publiques pour exciter le courage des guerriers, prêcher la haine des +rois et l'unité de la République;</p> + +<p>«Les maisons nationales seront converties en casernes, les places +publiques en ateliers d'armes; le sol des caves sera lessivé pour en +extraire le salpêtre;</p> + +<p>«Les armes de calibre seront exclusivement remises à ceux qui marcheront +à l'ennemi: le service de l'intérieur se fera avec des fusils de chasse +et l'arme blanche;</p> + +<p>«Les chevaux de selle sont requis pour compléter les corps de cavalerie; +les chevaux de trait et autres que ceux employés à l'agriculture +conduiront l'artillerie et les vivres.</p> + +<p>«Le Comité de salut public est chargé de prendre les mesures nécessaires +pour établir sans délai une fabrication extraordinaire d'armes de tous +genres, qui réponde à l'élan et à l'énergie du peuple français.»</p> + +<p>La France offrit bientôt à ses adversaires le tableau que Barère avait +ainsi tracé d'avance.</p> + +<p>À Valmy, à Jemmapes encore, l'armée régulière avait joué l'unique rôle; +mais, à dater du temps que nous racontons, elle fut absorbée par la +multitude des volontaires et des réquisitionnaires. Désormais la +République sera moins servie sur les champs de bataille par des +militaires de profession que par des citoyens destinés à quitter +l'uniforme après l'accomplissement de leur croisade: grand exemple qui +révéla aux Français leur aptitude à acquérir promptement les qualités du +soldat. Ce n'est pas que, dans les premiers moments, ces conscrits qui +ne savaient pas tenir leur arme, qui s'élançaient follement et se +débandaient au moindre choc, ne donnassent de la tablature aux généraux; +la correspondance des représentants est toute semée de plaintes et +d'inquiétude à leur sujet; mais leur noviciat ne fut pas long: «Dès la +fin d'août, dit Jomini, les effets de la nouvelle levée se firent +sentir; le déblocus de Dunkerque et celui de Maubeuge en furent les +premiers résultats, et la grande réquisition acheva de nous assurer la +supériorité.»</p> + +<p>Il faut ajouter que cette grande réquisition rencontra moins de +difficultés que le recrutement de trois cent mille hommes au mois de +mars précédent. Le mouvement révolutionnaire s'était étendu, et l'idée +républicaine que tout citoyen doit le service à son pays avait gagné les +esprits.</p> + +<p>Toutefois, ce n'est pas avec des bandes tumultueuses que la France +aurait vaincu l'Europe; il fallait que la nation se transformât en +armée.</p> + +<p>C'est alors que se déploya surtout l'activité de Carnot.</p> + +<p>Il s'agissait d'organiser, selon le principe d'unité, une multitude +aussi peu homogène dans ses éléments que dans sa constitution.</p> + +<p>Elle se composait d'anciens soldats et de conscrits amenés, soit par la +levée des trois cent mille hommes, soit par la levée en masse, sans +compter les engagés volontaires de toutes les dates, les débris des +compagnies franches et les étrangers.</p> + +<p>Certains corps étaient restés comme avant la Révolution, tandis que +plusieurs généraux avaient formé les leurs en demi-brigade selon le mode +nouveau; puis il existait des légions françaises ou étrangères, mélange +de toutes armes. Il y avait des bataillons aguerris, expérimentés, +d'autres entièrement novices; il y avait des différences considérables +d'effectif entre les corps de même espèce; il y avait des grades +irrégulièrement acquis et en nombre exagéré; des soldats incorporés à la +hâte, sans qu'ils fussent aptes au service; les états manquaient à peu +près complètement. Quant à l'irrégularité des fournitures et de la +comptabilité, on aurait de la peine à s'imaginer ce qu'elle était.</p> + +<p>Par quel moyen ce chaos fut-il débrouillé? c'est ce que nous ne +pourrions dire sans surcharger une simple biographie de détails qui +appartiennent à l'histoire générale de l'armée française.</p> + +<p>Ce qui est certain, c'est que cette armée ne tarda pas à devenir la plus +homogène de l'Europe.</p> + +<p>Effacer toute distinction extérieure fut un des premiers objets de +sollicitude. La troupe de ligne avait en grande partie conservé l'ancien +uniforme blanc, tandis que les nouveaux arrivés portaient l'habit +national: source féconde en mésintelligence. Dès le 29 août, un arrêté +prescrivit l'unité du costume.</p> + +<p>L'arme du génie reçut une organisation nouvelle, dont Carnot s'occupa +tout spécialement. Les nombreuses compagnies de canonniers volontaires, +qui s'étaient formées et remarquablement bien exercées, furent +incorporées dans l'artillerie. On réussit même à improviser une +cavalerie. La disette des chevaux était extrême: des achats faits dans +toutes les contrées étrangères où nos agents purent pénétrer, une levée +extraordinaire dans les cantons et les arrondissements de la République, +et des dons spontanés nombreux, permirent de mettre en ligne des +cavaliers capables de se mesurer avec les formidables escadrons des +coalisés.</p> + +<p>En février 1792, la France n'avait qu'un effectif de 228,000 hommes +(204,000 sous les armes); avant le mois de mai, grâce à l'activité +déployée, elle comptait 471,000 soldats (présents 397,000); au 15 +juillet 479,000, si l'on s'en rapporte à une note de Saint-Just, +conservée pour sa propre instruction, et dont nous possédons +l'autographe. Le tableau officiel que nous consultons présente un +chiffre qui s'en éloigne peu, 483,000 (inscrits, 599,000).</p> + +<p>En décembre, l'effectif de l'armée s'élevait à 628,000 hommes (présents +sous les drapeaux, 554,000). Ce nombre alla croissant jusqu'à 1,026,000 +(732,000 sur terrain du combat en septembre 1794). Il n'y a pas de +raison sérieuse pour contester ces états, publiés à une époque où +l'exagération ne pouvait profiter de rien (1797). Cependant on a dit que +les phalanges républicaines n'avaient jamais compté au delà de 600,000 +hommes, un écrivain les a réduites à 500,000, un autre à 400,000, en +ajoutant qu'ils n'étaient ni armés, ni nourris, ni vêtus. Espère-t-on, +par de telles assertions, rabaisser le mérite des dictateurs +révolutionnaires? on l'élève au contraire. Moins on leur supposera de +ressources entre les mains, plus admirable apparaîtra le résultat +obtenu: la coalition vaincue ne doit pas de reconnaissance aux auteurs +des nouveaux calculs.</p> + +<p>«Rien ne peut effacer cette vérité historique, que la Convention a +trouvé l'ennemi à trente lieues de Paris, et qu'on a dû à ses prodigieux +efforts de conclure la paix à trente lieues de Vienne.» C'est Benjamin +Constant qui dit cela: Benjamin Constant est un esprit de 1791; partisan +des principes, il est généralement peu admirateur des faits de la +Révolution.</p> + +<br><br> + +<h3>II</h3> + +<h3>LEVÉE DU BLOCUS DE MAUBEUGE</h3> + +<h4>ET COMBAT DE WATIGNIES</h4> + +<h5>Extrait des <i>Mémoires sur Carnot</i></h5> + +<p>Des nouvelles alarmantes arrivaient du Nord.</p> + +<p>Malgré la victoire d'Hondschoote, qui promettait de donner aux armées +françaises une prépondérance décisive, mais dont le général Houchard +n'avait pas su tirer parti, la situation faite par Norwinde avait peu +changé. Le Quesnoy était dans les mains des coalisés; maîtres déjà de +Valenciennes et de Condé, ils possédaient l'Escaut; leur ambition allait +maintenant à dominer également la Sambre, en s'emparant de Maubeuge, qui +serait devenue leur base d'opérations. Cette place tombée, rien +n'arrêtait sérieusement leur marche vers la capitale.</p> + +<p>Le 29 septembre, le prince de Cobourg força le passage de la rivière par +six colonnes, investit Maubeuge, et porta son armée d'observation sur +Avesnes et Landrecies.</p> + +<p>La place de Maubeuge, assez médiocre, était couverte par un camp +retranché, avantageusement situé, où venaient de se rallier vingt mille +hommes, qui se trouvèrent bloqués du même coup. Peut-être le général +autrichien avait-il commis une imprudence en laissant se grouper cette +force imposante dont il ne pouvait prévoir la malheureuse immobilité. +Mais il n'ignorait pas que les approvisionnements de la ville seraient +bientôt insuffisants pour des bouches aussi nombreuses. Les troupes, en +effet, furent d'abord réduites à la demi-ration: au bout de peu de jours +la disette était complète. Des maladies éclatèrent, et les hôpitaux ne +pouvant plus contenir les malades, il fallut les déposer sous les +hangars des faubourgs. Cependant les assiégeants élevaient des travaux +formidables, trois batteries de vingt pièces de 24, et le cercle de +leurs canons se resserrait tellement que les boulets passaient en +sifflant au-dessus du camp retranché, pour aller porter la mort et la +destruction dans la ville. Beaucoup d'habitants des environs s'y étaient +réfugiés, et ils augmentaient les alarmes, en racontant le pillage de +leurs fermes et l'incendie de leurs demeures.</p> + +<p>Trois commissaires de la Convention s'efforçaient de soutenir les +courages. Ils voulurent faire connaître au gouvernement la situation +critique de Maubeuge: l'un deux, Drouet, dès les premiers moments du +blocus, tenta, avec plus d'audace que de prudence, de franchir les +lignes ennemies: il fut pris et alla expier dans les cachots le souvenir +de Varennes. Quelques jours après, treize dragons se dévouèrent; ils +traversèrent la Sambre à la nage et parvinrent à gagner Philippeville.</p> + +<p>Mais la République n'avait pas attendu cet appel de détresse pour +secourir ses enfants, les sauveurs approchaient. Dans la soirée du 14 au +15 octobre, les assiégés entendirent, à travers le feu des Autrichiens, +une canonnade plus lointaine. Ils n'osaient pas encore se livrer à la +joie, les uns craignant que ce bruit n'annonçât le bombardement +d'Avesnes, d'autres redoutant un piège de l'ennemi pour attirer nos +soldats hors du camp et les mettre aux prises avec une armée qui les +écraserait de sa supériorité. Au milieu de ces incertitudes, les +défenseurs de Maubeuge demeurèrent inactifs, et ne secondèrent pas, +comme ils l'auraient pu faire, les efforts de leurs libérateurs.</p> + +<p>Car cette canonnade était bien celle de l'armée française, qui arrivait +au secours de la ville.</p> + +<p>Voici ce qui s'était passé:</p> + +<p>Les opérations militaires importantes et rapides qui devaient être +exécutées dans le Nord, avaient fait sentir la nécessité d'une main plus +jeune et plus forte que celle de Houchard. Carnot, témoin de la belle +conduite de Jourdan à Hondschoote, le désigna au Comité. Son choix ayant +été ratifié, il se rendit lui-même près du nouveau général pour lui +porter sa commission, qui réunissait sous son commandement les forces +disponibles des armées du Nord et des Ardennes. Jourdan esquissa un +projet, que Carnot approuva dans ses données principales, et qui fut +utilisé plus tard, mais qui ne lui paraissait pas en rapport avec +l'imminence du danger. De retour au sein du Comité, il proposa d'aller +attaquer directement l'ennemi dans sa redoutable position, afin de +délivrer Maubeuge; c'était presque une question de vie et mort pour la +République. Ses collègues trouvèrent l'entreprise trop audacieuse pour +la confier à un général qui commandait en chef pour la première fois, et +ils ne consentirent à l'adopter qu'à la condition que Carnot irait +lui-même en prendre la direction.</p> + +<p>Celui-ci ne se donna pas même le temps d'aller dire adieu à sa famille. +Il partit dans la nuit, après avoir envoyé un courrier à Péronne, où +résidait son frère Feulins, prévoyant qu'il aurait besoin de lui pour +quelque sorte de dévouement. À la demande de Carnot, on lui avait +adjoint le conventionnel Duquesnoy, qui l'avait si bien secondé à +l'attaque de Furnes, et qui allait également retrouver son frère sous +les murs de Maubeuge. Tous, ainsi que Jourdan, se rencontrèrent à +Péronne le 7 octobre, et ils se transportèrent à Guise, lieu du +rendez-vous général, qui prit de là le nom de Réunion-sur-Oise. Carnot +écrit: «Les soldats ont confiance en lui et ne demandent qu'à se battre; +nous espérons ne pas les faire languir. L'affaire sera chaude; mais nous +vaincrons et la patrie sera sauvée.» Et puis: «Il nous faudrait au moins +quinze mille baïonnettes pour charger l'ennemi à la française.»</p> + +<p>Après une conférence entre Jourdan et les commissaires de l'Assemblée, +le quartier général fut porté rapidement de Guise à Avesnes, à deux +lieues des postes avancés du prince de Cobourg.</p> + +<p>Quarante-cinq mille soldats environ, tirés des camps de Gavarelle, de +Cassel et de Lille, composaient l'armée française où les nouvelles +levées étaient encore très imparfaitement organisées: Cobourg avait de +soixante-quinze à quatre-vingt mille hommes, partagés en deux corps, +l'un d'investissement (quarante mille au moins), autour de Maubeuge; +l'autre d'observation (trente-cinq mille), au sud de cette ville, dans +les positions de Wattignies, Doulers, Saint-Rémy et autres villages, le +long d'un petit affluent de la Sambre, le Tarsy. Fortement postés sur +des hauteurs hérissées de batteries, couverts par des fossés palissadés +par des haies très élevées, par d'immenses coupes d'arbres renversés +avec leurs branches, et toutes les routes étant rompues, les Autrichiens +semblaient dans une position tellement inexpugnable, que leur général, +en accès de jactance, dit à ses officiers: «Les Français sont de fiers +républicains, mais, s'ils me chassent d'ici, je me fais républicain +moi-même.»</p> + +<p>Cette bravade fut portée dans l'autre camp, où elle stimula vivement +l'amour-propre national. Nos soldats se répétaient gaiement qu'ils +iraient sommer le citoyen Cobourg de tenir sa parole.</p> + +<p>Le lendemain, 14 octobre, reconnaissance des positions ennemies par +Jourdan et Carnot, fusillade engagée sur la ligne et terminée par +quelques coups de canon, qui retentirent jusqu'à Maubeuge et allèrent +porter l'espoir dans le coeur des assiégés.</p> + +<p>Le 15 au matin, les Français s'ébranlent: la division Fromentin, +détachée à l'aile gauche, s'avance par l'ancienne voie romaine de Reims +à Bavai, vers le village du Monceau. Au centre le général Balland, avec +plusieurs batteries de 16 et de 12, débouche au travers la haie +d'Avesnes, terrain fort inégal et couvert de bois (il l'est aujourd'hui +de pâturage) et vient occuper les hauteurs en face de Doulers et de +Saint-Aubin. Le général Duquesnoy, frère du député, commandait la +droite, prend possession du village de Beugnies. Le quartier général est +porté au point où la route de Soire-le-Château vient s'embrancher sur +celle d'Avesnes à Maubeuge.</p> + +<p>Les opérations projetée avaient pour appui les places de Rocroy, +Marienbourg, Philippeville, et les détachements qui s'avançaient de ce +côté par les ordres de Jourdan: car nous avons dit que, dans ces graves +circonstances, le Comité avait mis l'armée des Ardennes à sa +disposition.</p> + +<p>Vers sept heures du matin, le général en chef s'avance, accompagné des +deux représentants de la Convention. Le signal de l'attaque est donné +sur tous les points à la fois. Le plan adopté avait pour but, en quelque +endroit que l'on fût victorieux, de se précipiter vers Maubeuge pour +donner la main au camp retranché. Mais en cas de revers, on conservait +toujours la route de Guise. Les deux ailes devaient marcher rapidement, +tandis qu'au centre, à Doulers, on se bornerait à une canonnade. Des +batteries, postées devant ce village, démontèrent celles que l'ennemi +avait établies au delà, derrière les habitations qui bordent la grande +route. Les boulets des deux artilleries se croisaient par-dessus le +village situé à mi-côte. Plusieurs de nos pièces, servies par les braves +canonniers de la commune de Paris, firent merveille, comme à +l'ordinaire.</p> + +<p>Tout sembla marcher d'abord à souhait: le général Fromentin, à la tête +de douze mille fantassins, délogea les tirailleurs autrichiens des +hauteurs qui couronnent les villages de Saint-Remy et de Saint-Waast. +Duquesnoy gagnait également du terrain sur la droite; maître de Dimont +et de Dimechaux, il commençait déjà le feu contre Wattignies. Nos ailes +semblaient devoir se joindre par un mouvement concentrique, qui mettait +l'armée ennemie dans le plus grand péril.</p> + +<p>À la nouvelle de ces succès, capables d'amener la perte totale des +Autrichiens, la canonnade de Doulers fut transformée en une attaque de +vive force. L'entreprise était difficile. La division Balland (environ +treize mille hommes) voyait sur tous les points culminants, au delà du +village, déjà puissamment défendu, une masse de bouches à feu +menaçantes, et aux abords de toutes les routes une cavalerie impatiente +de s'élancer.</p> + +<p>Rien pourtant ne fit hésiter les républicains: ils coururent à l'ennemi +en chantant la Marseillaise, ayant à leur tête, avec le général en chef, +les représentants du peuple, dont l'exemple les enthousiasmait; ils +franchirent impétueusement les premiers obstacles du terrain, +pénétrèrent à la baïonnette dans le village et s'emparèrent du château; +ils s'apprêtaient à escalader les hauteurs qui sont au delà du vallon de +la Bracquière, lorsqu'une épouvantable mitraille vint les arrêter. +Menacés en même temps par la cavalerie prête à charger sur leurs flancs, +ils furent contraints d'abandonner les positions conquises avec tant +d'héroïsme.</p> + +<p>La rapidité avec laquelle ces positions avaient été enlevées par nos +jeunes soldats permettait cependant de grandes espérances pour une +seconde tentative. Leur élan était irrésistible. Les commissaires de +l'Assemblée voulurent le mettre à profit. Le général balançait. Carnot, +dans un mouvement d'impatience, laissa échapper ces mots: «Pas trop de +prudence, général!»--Jourdan, blessé au vif (et blessé justement, il +faut en convenir), donne aussitôt le signal d'une nouvelle attaque, et +la fait appuyer par une colonne de cavalerie, chargée de tourner la +position. Cette cavalerie, trouve toutes les issues barricadées. Pendant +ce temps l'assaut recommence: mêmes efforts, même succès d'abord même +issue fatale.</p> + +<p>Cette fois, ce fut Jourdan, piqué d'honneur, qui voulut absolument +retourner à la charge, mais sans meilleur résultat: les Autrichiens +venaient de recevoir du renfort de leur droite, où nos affaires +s'étaient gâtées.</p> + +<p>Le général Fromentin, enivré par ses premiers avantages, au lieu de +longer la lisière du grand bois Leroy, comme on lui avait recommandé de +le faire, afin de pouvoir s'abriter contre la cavalerie supérieure de +l'ennemi, s'était imprudemment aventuré dans la plaine de Berlaimont, +avec des troupes de nouvelle levée; les escadrons autrichiens, +débouchant tout à coup des bois de Doulers, les assaillirent et jetèrent +dans leurs rangs la panique et la déroute.</p> + +<p>Dès que ces fâcheuses nouvelles furent connues au centre, on dut +renoncer à l'attaque de Doulers, calculée sur les progrès des deux +ailes. Il fallait changer le plan, que l'échec de Fromentin venait de +compromette.</p> + +<p>Le premier cri de Jourdan fut celui-ci: «Allons au secours de l'aile +gauche!» l'ordre en était déjà donné, lorsque Carnot survint: «Général, +dit-il avec vivacité, voilà comme on perd une bataille!» et l'ordre fut +révoqué.</p> + +<p>La nuit était venue, la fusillade cessa; les deux armées bivaquèrent sur +le champ du combat.</p> + +<p>Le conseil s'étant rassemblé, Jourdan développa son opinion: selon les +principes de l'ancienne guerre, il proposait d'abandonner toute pensée +d'attaque sur le centre de l'ennemi, et de diriger des forces vers notre +aile gauche, afin d'y rétablir l'équilibre. Carnot soutint au contraire +qu'il fallait rappeler la division Fromentin, et concentrer nos efforts +sur la droite, déjà en voie de succès, manoeuvre qui nous conservait les +avantages de l'offensive, si importante pour de jeunes soldats, peu +faits aux chances de la guerre. «Qu'importe, s'écria-t-il, que nous +entrions à Maubeuge par la droite ou par la gauche?»</p> + +<p>--C'est là que nous devons triompher?» ajouta-t-il en mettant le doigt +sur le plan au point de Wattignies. Wattignies étant plus rapproché que +Doulers de la ville et du camp, cette position enlevée, l'autre devenait +sans importance. D'ailleurs les corps détachés de l'armée des Ardennes, +qui s'avançaient sous les ordres des généraux Elie et Beauregard, vers +l'extrême gauche de l'ennemi, allaient bientôt se trouver en mesure +d'appuyer le mouvement proposé par Carnot. «Si nous cédons à l'avis du +représentant du peuple,» dit Jourdan, «je le préviens qu'il en prend la +responsabilité.--Je me charge de tout, et même de l'exécution,» s'écria +Carnot avec une ardeur qui entraîna le conseil. Jourdan eut le bon +esprit de faire sienne l'idée qu'il venait de combattre, et la seconda +avec autant d'intelligence que d'empressement.</p> + +<p>Carnot comptait sur la nature d'un terrain très escarpé et très boisé, +qui cacherait notre marche, et qui, cette marche découverte, permettrait +de se défendre avec des forces peu considérables, soutenues par la place +d'Avesnes. Il comptait aussi sur le caractère connu du général allemand, +qui ne présumerait jamais, de la part de ses adversaires, une manoeuvre +aussi éloignée de la stratégie en usage, et duquel on ne devait guère +attendre non plus un trait hardi et improvisé.</p> + +<p>Il faut ajouter qu'un heureux hasard vint favoriser les Français: un +brouillard épais, phénomène fréquent dans cette saison, s'éleva entre +eux et celui qui avait tant d'intérêt à observer leur mouvement; il dura +jusque vers midi. Derrière ce rideau, six ou sept mille hommes, partis +du centre et de la gauche, passèrent à la droite; cette manoeuvre donna à +notre armée une direction perpendiculaire à celle qu'elle avait eue la +veille. Le prince de Cobourg, qui nous croyait dans l'ancienne +disposition, n'avait rien changé à la sienne. Pendant le même temps; le +général Beauregard, après s'être emparé des villages de Berelles et +d'Eccles, vint se placer derrière Obrechies, pour seconder l'attaque que +l'on méditait.</p> + +<p>Afin de mieux dérouter l'ennemi, les généraux Balland et Fromentin +entretinrent le feu de leurs batteries du côté de Doulers, feignant de +vouloir renouveler les tentatives de la veille, tandis que Jourdan et +les représentants du peuple marchaient au plateau de Wattignies, qui +allait devenir le but d'un effort concentrique. Vingt-quatre mille +hommes allaient y combattre. Les Autrichiens demeurèrent stupéfaits +lorsque le brouillard s'étant déchiré, un soleil splendide leur montra +une masse d'assaillants gravissant vers eux au cri de Vive la +République! Carnot et Duquesnoy s'avançaient à la tête d'une des trois +colonnes d'attaque, leurs chapeaux de représentant sur la pointe de +leurs sabres.</p> + +<p>La position des Autrichiens était très forte. Le village de Wattignies, +qui donna son nom à la bataille, est situé sur un plateau élevé, +qu'entourent des vallons profonds et des cours d'eau, et ces obstacles +naturels avaient encore été augmentés par de nombreux retranchements. Le +plateau lui-même se trouve dominé par les hauteurs de Clarye, +aujourd'hui cultivées, mais alors couvertes de bruyère et également +occupées par l'ennemi.</p> + +<p>L'infanterie française marchait, soutenue par des batteries de campagne, +dont les boulets lui ouvraient la voie: «De l'aveu des Autrichiens, dit +un historien (Toulongeon), jamais ils n'avaient vu une si terrible +exécution d'artillerie. Ils dirent qu'ils entendaient, pendant les +détonations des bouches à feu, retentir dans les rangs républicains les +chants belliqueux et les airs patriotiques.»</p> + +<p>Cependant le feu de l'ennemi, n'était ni moins bien nourri, ni moins +meurtrier que le nôtre; les tirailleurs du général Duquesnoy, refoulés, +renversés, mitraillés, reculèrent. En ce moment le colonel +Carnot-Feulins aperçut un bataillon de nouvelles recrues qui s'était +réfugié dans un pli du terrain, à l'abri des coups, les soldats groupés +autour de leur commandant, «comme des poulets effrayés par un oiseau de +proie.» C'est l'expression dont se servait mon oncle en racontant cet +épisode. Après leur avoir vainement ordonné de marcher, Carnot-Feulins +saisit l'officier par le collet de son habit et l'entraîne au pas de son +cheval jusque sous la mitraille; le bataillon, qui l'a suivi, rachète +par une charge vigoureuse cette minute de poltronnerie.</p> + +<p>Deux fois les Français sont repoussés avec des pertes considérables. +Enfin un assaut général semble nous donner la victoire partout en même +temps: Fromentin oblige son adversaire Bellegarde d'abandonner les +redoutes de Saint-Waast et de Saint-Aubin; Balland chasse les grenadiers +bohêmes des hauteurs de Doulers, qui foudroyaient Wattignies; nos +tirailleurs redoublent d'efforts. Le village de Wattignies est pris et +repris à la baïonnette, malgré les haies et les palissades qui entourent +ces jardins; trois régiments autrichiens sont anéantis; l'ennemi se +retire en désordre sur les hauteurs de Clarye, où il trouve une position +dangereuse encore pour les vainqueurs.</p> + +<p>Cobourg a compris le nouveau plan de ses adversaires; il a rappelé vers +le centre une portion de son aile droite, et au moment où une brigade +française, sous les ordres du général Gratien, s'avance en tiraillant au +milieu des bruyères, les cavaliers impériaux accourent sur elle l'épée +haute; elle ne soutient pas le choc, elle se débande et ouvre une large +trouée, par où les chevaux se précipitent. Le général lui-même commande +la retraite.</p> + +<p>Cet acte de faiblesse et de désobéissance (car Gratien avait des ordres +formels qui lui prescrivaient de se porter en avant), pouvait +démoraliser nos soldats et compromettre tous leurs avantages. Carnot, +l'aîné, s'en aperçoit, il s'élance vers la brigade Gratien, la fait +mettre en bataille sur un plateau élevé, en vue de toute l'armée, et +destitue solennellement le chef qui venait de reculer devant l'ennemi, +puis il saute à bas de son cheval et forme cette brigade en colonne +d'assaut.</p> + +<p>En ce moment son regard découvre un pauvre conscrit, blotti derrière une +haie et tremblant de tous ses membres, Carnot s'approche de lui, ramasse +son fusil, le décharge sur l'ennemi, puis ramène le jeune homme et le +place dans les rangs. Prenant ensuite l'arme d'un grenadier blessé, il +marche à la tête d'une colonne, tandis que son collègue Duquesnoy, comme +lui revêtu de l'écharpe nationale et du costume de représentant, +s'avance avec Jourdan à la tête de l'autre. Les soldats honteux de leur +fuite, veulent en effacer le souvenir par un redoublement de courage en +présence des commissaires de l'Assemblée: ils s'élancent avec +impétuosité.</p> + +<p>Le colonel Carnot-Feulins fait en ce moment une manoeuvre décisive: il +porte rapidement une batterie de douze pièces sur le flanc de la +cavalerie autrichienne, qui venait de nous faire tant de mal: son feu, +bien dirigé, renverse les escadrons. L'ennemi s'arrête, recule et fuit +dans la direction de Beaufort.</p> + +<p>La position, cette fois, était enlevée.</p> + +<p>Les deux représentants du peuple atteignirent en même temps le sommet du +plateau; vainqueurs tous deux, ils s'embrassèrent aux yeux des soldats +enivrés, et un immense cri de Vive la République! apprit à l'armée +française son triomphe, à l'ennemi sa défaite.</p> + +<p>Belle journée, qui arracha cette exclamation patriotique à un émigré, +Chateaubriand: «Les Français recouvrèrent à Wattignies ce brillant +courage qu'ils semblaient avoir perdu depuis Jemmapes.</p> + +<p>«On les vit se précipiter avec cette ardeur qui distingue leur première +charge de celle des autres peuples.»</p> + +<p>Le soir même, le prince de Cobourg, jugeant prudent de ne pas attendre +un second choc de ces soldats républicains, qu'il qualifiait d'enragés +dans son bulletin, prit le parti de repasser la Sambre, bien que ses +lieutenants, Haddick et Benjowski, eussent obtenu d'assez notables +avantages à l'aile gauche, sur les généraux français Élie et Beauregard, +et bien que le duc d'York accourût à son aide, ce qui peut-être eût fait +tourner la chance en sa faveur. Un brouillard comme celui qui avait +favorisé la veille notre heureuse évolution couvrit celle que dut faire +l'ennemi pour se mettre hors de notre portée. Il avait perdu trois mille +hommes, et nous moitié de ce nombre.</p> + +<p>Beaucoup d'officiers s'étaient distingués: parmi eux le brave +d'Hautpoul, tué plus tard à Eylau, et Mortier, futur maréchal de France, +blessé à l'attaque de Doulers. Celui-ci reçut de Carnot, pendant qu'on +le pansait à l'ambulance, le grade d'adjudant général. Quant aux +soldats, le rapport de Jourdan résume leur conduite en un mot: +«C'étaient autant de héros!»</p> + +<p>La nuit avait couvert le champ de bataille. Carnot, éloigné des siens, +privé de monture, excédé de besoins et de lassitude était demeuré seul, +tourmenté par la pensée que sa présence pouvait être nécessaire au +quartier général pour arrêter les dispositions du lendemain; car il +ignorait encore la fuite de l'ennemi. Il fut heureusement rencontré par +un détachement de cavalerie, dont le chef lui fit accepter son cheval et +l'escorta jusqu'à Avesnes. L'alarme s'y était déjà répandue: on +craignait que l'un des représentants de l'Assemblée ne fût au nombre des +morts, et l'on avait envoyé à sa découverte.</p> + +<p>«Le 17,» raconte un historien local, «les vainqueurs de Wattignies +longeaient le cours de la Sambre et entraient à Maubeuge, au milieu des +transports d'une joie frénétique. La fumée de la poudre, la poussière +des bivacs, ainsi que le désordre de leurs vêtements,--joints à +l'assurance que procure la victoire, leur donnaient un air martial et +terrible, qui contrastait avec l'abattement et le dépit des troupes du +camp, honteuses de leur inaction, et ne sachant comment répondre aux +reproches amères qui leur étaient adressés!...»</p> + +<p>Sans cette déplorable inaction, en effet, notre victoire eût été +beaucoup plus complète, et toute l'artillerie de l'ennemi serait +probablement tombée entre nos mains.</p> + +<p>La Convention, la République entière joignirent leurs acclamations +reconnaissantes à celles des habitants de Maubeuge: la Révolution venait +d'échapper à l'un de ses plus grands périls.</p> + +<p>Carnot repartit pour Paris immédiatement; et, dès le surlendemain, il +écrivait à l'armée pour la féliciter de son triomphe, sans donner à +entendre, même indirectement, qu'il en avait été spectateur et acteur. +Il semblait n'avoir pas quitté son bureau.</p> + +<br><br> + +<h3>III</h3> + +<h3>ÉVACUATION DE KEHL</h3> + +<h5>Extrait d'un <i>Mémoire militaire sur Kehl</i>, par un officier supérieur<br> de l'armée. Strasbourg, Levrault, 1797.</h5> + +<p>Ainsi finit, après cinquante jours de tranchée ouverte et cent quinze +jours d'investissement, un des sièges mémorables que puisse offrir +l'histoire. En effet, on voit d'une part une armée de soixante-dix +bataillons aguerris, fière d'avoir forcé son ennemi à la retraite, +déployer tout l'appareil d'un grand siège contre des retranchements +informes, suppléant à l'audace qui lui manque par l'immensité de ses +travaux, faisant le siège de quelques ouvrages détachés, déployant une +artillerie formidable contre des masures occupées par des tirailleurs; +néanmoins son adversaire dispute le terrain pied à pied; elle est forcée +de donner un assaut à chaque partie d'ouvrage où elle veut se loger et +perd en détail plus de soldats qu'une attaque générale ne lui on eût +coûté. Enfin elle arrive à son but après avoir perdu six mille hommes et +consommé les munitions nécessaires au siège d'une place de première +ligne.</p> + +<p>De l'autre côté, une place construite à la hâte, en terre, dont quelques +parties seulement sont revêtues, sans bâtiments, sans magasins, sans +abris; liée à un camp retranché d'un grand développement, mais dont les +principales défenses consistant en flaques et en marais se trouvent +réduits à rien par la gelée. À la vérité, elle a l'avantage de ne +pouvoir être entièrement bloquée et de conserver une communication +facile avec Strasbourg, ce qui en impose assez à l'ennemi pour l'engager +à ne rien donner au hasard: quoique défendue par des troupes harassées +d'une longue retraite, auxquelles on ne peut fournir les objets +d'habillement et les soulagements les plus indispensables, le terme de +sa défense dépasse de beaucoup celui qu'on eût pu lui prescrire... +Presque toutes les palissades étaient renversées, les fossés comblés en +partie par les éboulements des parapets, et l'arrivée des renforts +devenue très difficile... On se décida donc à évacuer... On n'eut guère +que vingt-quatre heures pour tout enlever. Néanmoins on y mit une telle +activité qu'on ne laissa pas à l'ennemi une seule palissade; tout fut +ramené à la rive droite, jusqu'aux éclats de bombes et d'obus, et aux +bois des plates-formes.</p> + +<br><br> + +<h2>UNIFORMES FRANÇAIS</h2> + +<h3>(ARMÉES DE SAMBRE-ET-MEUSE ET RHIN-ET-MOSELLE)</h3> + +<br><hr class="short"><br> + +<p>Je tenais particulièrement à donner avec ce journal des dessins +d'uniformes français dont l'authenticité fût égale à celle du texte. +Bien qu'il n'y ait pas encore un siècle écoulé depuis 1792, la chose +était malaisée. Il est plus facile de retrouver la tenue exacte d'un +fantassin du quinzième siècle que celle d'un soldat de l'armée de +Rhin-et-Moselle. Après l'avoir vainement cherchée en France, c'est en +Allemagne que je l'ai rencontrée, grâce à mon confrère Raffet, du +Cabinet des Estampes de la Bibliothèque nationale.</p> + +<p>Pour bien connaître certains secrets de la vie parisienne, il convient +souvent de lire les correspondances des journaux étrangers. De même, il +faut voir les gravures allemandes de 1792 à 1802 pour se faire une idée +de la tenue qu'avaient alors nos troupiers en campagne. Rien de plus +imprévu ni de plus décousu; on se figure aisément la surprise des bons +Germains habitués à la correction de tenue et de mouvements des armées +disciplinées à la prussienne. Leurs dessinateurs ont aussitôt voulu en +fixer le souvenir; ils n'ont rien dissimulé des habits déchirés, des +chemises en lambeaux, des souliers troués; ils ont mis à nu toutes les +misères de ces conquérants affamés, qu'ils personnifient souvent en la +personne d'un maigre fantassin ouvrant la bouche pour avaler cette boule +ronde qui représente le monde, avec l'inscription: <i>il y passera</i>.</p> + +<p>Les Allemands devaient sentir cruellement la présence de ces bandes qui +vivaient généralement sur leurs conquêtes, et cependant ils ne peuvent +donner d'air féroce à leurs oppresseurs. Autant ils prêtent une mine +grognonne à leurs compatriotes en armes, autant ils conservent un air +souriant à ces endiablés qui veulent absolument boire leur vin et danser +avec leurs filles, non sans leur prodiguer les caresses les plus +cavalières. Ils ont même voulu sans doute faire honte aux faiblesses des +femmes qui ont fini par sourire à ces gueux, car une de leurs +caricatures favorites représente un pantalon d'uniforme français dont +chaque jambe est tirée en sens contraire par deux commères rivales. +D'autres sujets favoris sont le départ du régiment, les femmes en +pleurs, et des petits berceaux où le nouveau-né montre une tête +miraculeusement coiffée d'un bonnet de grenadier.</p> + +<p>Il faut avouer que les séducteurs n'avaient que la figure pour eux et +qu'il leur fallait une amabilité prodigieuse pour masquer les désastres +de leur uniforme. Des artistes de talent ont, après coup, naturalisé en +France un type <i>correct</i> du soldat républicain; il porte moustaches, a +le cou découvert, la cravate noire; son chapeau est mis <i>en colonne</i> et +son pantalon a des raies roses; mais en réalité c'est moins coquet. +D'abord le chapeau à cornes, considéré comme gênant, est coiffé +crânement en bataille comme celui des gendarmes, et le plus souvent à +rebours, bien en arrière, cocarde et panache du côté du dos. La ganse de +la cocarde sert de ratelier à divers menus objets. Tantôt c'est la pipe +qu'on y passe; tantôt la cuiller et la fourchette à deux pointes s'y +croisent en manière de pompon gastronomique. Quelquefois la cuiller +change de place et se passe élégamment dans deux boutonnières du revers +d'habit. Le casque et le bonnet de hussard sont également rejetés en +arrière de la tête. La moustache est une exception. La cravate monte +très haut, fait plusieurs tours et ses bouts retombent avec un gros noeud +sur les buffleteries. Cette forte cravate, presque toujours rayée, est +plus souvent jaunâtre que noire. Comme on le verra, l'habit boutonne peu +et les coudes, parfois troués, donnent une triste idée de la blancheur +que pouvaient avoir conservée les revers et le gilet.</p> + +<p>Le pantalon est à pont, plus ou moins bien boutonné; s'il est rayé, ses +rayures affectent toutes les dispositions et toutes les couleurs; les +carreaux, les losanges, les zébrures se remarquent dans l'uniforme des +volontaires, et certains officiers, qui portent le sac au dos comme +leurs soldats, ont de véritables chausses collantes, rayées +horizontalement de rouge, blanc et bleu maintenues par des sous-pieds +fort longs qui vont chercher le pantalon au-dessus de la cheville. Les +chaussures, dont nous avons rempli tout exprès une page, sont presque +toujours dans le plus triste état; un chasseur à pied que nous +reproduisons plus loin, paraît n'avoir plus que des semelles fixées par +des lanières. Un autre a les pieds complètement nus. La cavalerie n'en +est pas encore aux habits à pans écourtés, même dans certains régiments +de hussards, elle reste fidèle aux pans longs agrémentés de passepoils +et de force boutons; la basane qui protège quelques pantalons a des +contours à la grecque; le bonnet des hussards est surmonté d'un panache +presque aussi long, et le casque sans visière des dragons disparaît avec +une partie du visage sous une crinière échevelée qui leur donne un +aspect féroce. L'artillerie ne se distingue que par sa tenue complète de +drap bleu; son aspect sévère est relevé par les soutaches rouges du +gilet dans l'artillerie à cheval.</p> + +<p>Le havre-sac de beaucoup de soldats n'a rien de la forme régulière +d'aujourd'hui. C'est un sac ordinaire en cuir ou en toile brune, serré à +la gorge par une ficelle, maintenu par des bretelles; et il descend +presque sur les reins du patient, ce qui devait augmenter le poids.</p> + +<p>Un seul soldat porte le bonnet de police à flamme longue avec un havre +sac vraiment militaire, mais dont les courroies retiennent tout un +monde. Dans le haut s'étale une oie; son cou est serré par la bretelle, +et sa tête retombe mélancoliquement dans la direction d'une marmite +ballottant à hauteur de la giberne. Le centre est barré par un pain +long, et un flacon pend sur le côté droit. On voit que l'assortiment est +complet et que nos zouaves n'ont rien inventé. Les officiers ont des +pistolets à la ceinture, et portent le hausse-col retenu par une +chaînette ou par un cordon plus long qu'on ne l'a porté depuis; c'est +avec le sabre le seul insigne qui annonce le grade sur la longue capote +de campagne. Presque tous les tambours sont des enfants ou des +adolescents; comme âge, Barras n'était pas une exception.</p> + +<p>J'ai parlé de la surprise causée de l'autre côté du Rhin par +l'apparition des armées républicaines. On a peine à croire qu'elle se +soit traduite d'une façon flatteuse pour nos armes, et cela au coeur même +des pays allemands. Rien n'est cependant plus certain quand on peut être +mis en présence d'une sorte d'album, in-quarto oblong imprimé à Leipzig +en 1794 pour le compte du libraire Friedrich August Leo. Le texte +allemand et français est précédé des deux titres généraux que voici:</p> + +<p> <i>Abbildung und Beschreibung Verschiedener Truppen des franzosischen + armee, mit illuminirten Kupfern</i>.</p> + +<p> Représentation et description de différentes troupes de l'armée + française, avec des planches coloriées.</p> + +<p>Le texte est sur deux colonnes. Voici le titre particulier de la partie +française:</p> + +<p>«Description des quelques corps composant les armées (françaises), par +un témoin oculaire. <i>Leipzig, bei Friedrich August Leo</i>, 1794.»</p> + +<p>Cette description nous a paru si intéressante et même si surprenante au +point de vue politique que nous la reproduisons intégralement ici. Son +rapport avec notre sujet est direct, et les détails donnés sont d'une +exactitude précieuse<a id="footnotetag68" name="footnotetag68"></a> +<a href="#footnote68"><sup class="sml">68</sup></a>.</p> + +<p>L'auteur allemand s'exprime en ces termes:</p> + +<p>«L'énergie, la bravoure et la constance avec laquelle les troupes +françaises font une guerre qui n'a pas encore d'exemple dans l'histoire, +doivent faire réfléchir toute tête à laquelle les intérêts de ce bas +monde ne sont pas indifférents.</p> + +<p>«Combien de choses jusqu'à présent a-t-on cru sur parole indispensables +à une armée pour la rendre victorieuse et dont se sont passé depuis +quatre ans les armées françaises?</p> + +<p>«La sévère discipline que Frédéric II avait introduite parmi ses troupes +a fait beaucoup d'imitateurs et trouvé une infinité de partisans. Trompé +par l'apparence, on s'est imaginé que la sévérité poussée jusqu'à la +plus inhumaine contrainte, rendait des automates invincibles ou +victorieux. On en aurait jugé bien autrement dans le temps des succès de +Frédéric, si on avait eu le mot de l'énigme...</p> + +<p>«La guerre présente est bien capable de détruire une prévention qui fait +généralement à chaque soldat une victime dévouée aux coups de bâton de +toute une échelle de supérieurs.</p> + +<p>«Partout on prétend que les armées agissent et partout le soldat est une +créature passive qui ne peut ni se mouvoir ni agir. En garnison on +accoutume le soldat à s'humilier sous le bâton, et quand on a la guerre +on prétend qu'il soit sensible à l'affront d'une défaite dont la honte +ne retombe jamais sur lui.</p> + +<p>«C'est cependant avec des hommes ainsi dégradés qu'on prétend vaincre +des troupes qui ne connaissent de différences entre les individus que +celles des fonctions qui leurs sont confiées; de discipline que le +devoir du degré où chacun se trouve placé, et de subordination que celle +qu'imposent la loi et l'avantage du service. Jamais en avilissant +l'homme on ne lui fera faire de grandes choses; ce n'est qu'en lui +montrant qu'il est digne de cet honneur qu'on lui fait venir l'envie de +l'acquérir.</p> + +<p>«Les hommes sont ce qu'on les fait. C'est à ceux qui les emploient à +savoir les manier, les former tels qu'ils doivent être pour remplir ce +qu'on en attend. Mais on ne doit pas s'attendre qu'on les intéresse à +faire réussir des projets qui ne leur offrent aucune perspective +avantageuse pour eux ou les leurs contre des hommes qui se sont donné +une manière d'être qu'ils trouvent bonne et qu'ils croient avoir droit +de défendre envers et contre tous...</p> + +<p>«Entre princes, la guerre est un jeu de hasard où le dernier écu décide. +Entre princes et nation c'est le lion enveloppé d'un filet: la souris +n'est pas toujours là pour en ronger les mailles. On perd quelquefois de +vue que l'on ne peut rien si l'on n'est soutenu de cet accord général +qui fait voler toutes les volontés vers un même but. Vouloir agir dans +cet état d'erreur, c'est s'exposer à des disgrâces, ou tout au plus à +des succès éphémères. C'est ce que prouve l'expérience de tous les +temps. Les princes créent des armées, mais que de peines et de dépenses +il leur en coûte... combien d'intérêts privés il faut ménager dans la +levée des recrues! Combien de temps s'écoule avant que ces nouvelles +levées puissent entrer en campagne! Le mal n'est pas grand si c'est +contre un prince que l'on est en guerre. Est-ce au contraire contre une +nation? Elle se lève et marche, et il est facile de voir de quel côté +sera l'avantage.</p> + +<p>«Une nation levée ainsi n'a pas, il est vrai, ce coup d'oeil flatteur +qu'offre un ancien régiment lorsqu'il est rangé en parade, où tous les +soldats semblent coulés dans le même moule. Cette rigoureuse uniformité +en impose, mais elle n'est pas, comme on le voit à présent, +indispensablement nécessaire à la victoire. La garde nationale n'est pas +une troupe moins courageuse, bien qu'irrégulièrement vêtue, que celles +de cette ligne, où cette régularité s'observe plus exactement.</p> + +<p>«Animés du même esprit, ces diverses troupes combattent avec la même +bravoure, bravent la mort avec le même courage, supportent en commun +travaux et fatigues.</p> + +<p>«L'on ose donc croire que le public ne verra pas avec indifférence +l'image de quelques-uns des corps dont les armées républicaines sont +composées. Les figures enluminées sont représentées au naturel, telles +que les a vues un témoin oculaire. Nous nous sommes contenté d'en +multiplier les copies sans y rien changer.</p> + +<p>«Les dragons font en France un service tout autre que dans les armées +des autres souverains. On les place sur les ailes, dans des postes +avancés, au passage des rivières, aux défilés ou aux têtes de pont. Mais +leur véritable place, un jour de bataille, est au corps de réserve, à +cause de la vitesse avec laquelle on peut les faire mouvoir et de la +vivacité avec laquelle ils chargent l'ennemi. On les emploie encore +diversement dans les sièges et dans une infinité de cas où on les fait +suppléer à l'infanterie aussi bien qu'à la cavalerie. Aussi leur fait-on +également bien apprendre les exercices de ces deux armes. Jusqu'à la fin +de la guerre de Sept ans, ils furent habillés de rouge; mais depuis on +les a habillés de vert. Leur uniforme est: habit vert, parements, +revers, collet et doublure rouges, veste et culotte blanches ou ventre +de biche, casque de laiton poli surmonté d'une touffe de crins noirs +pendant sur l'arrière de la tête, bottes molles et sabres recourbés à la +housarde. Leurs chevaux sont ordinairement de quatre pieds à quatre +pieds deux pouces. À cheval, leurs armes sont un fusil, deux pistolets +et le sabre; à pied, ils n'ont que le fusil et le sabre. On n'y admet +que des jeunes gens vigoureux, lestes, bien faits et qui montrent +beaucoup d'adresse.</p> + +<p>«Les grenadiers à cheval durent leur première création à Louis XIV. Pour +mettre le lecteur à même de juger de quels hommes cette troupe a +toujours été composée, c'est que, pour la former chaque capitaine de +grenadiers fut tenu de fournir un homme de la taille requise, +généralement reconnu pour fort et brave et portant moustache. Cet esprit +de corps, ce courage à toute épreuve ne se sont jamais démentis. Leur +uniforme est bleu foncé, parements, revers et collet écarlates, boutons +blancs sur lesquels est imprimé l'arbre de la liberté avec le bonnet et +autour l'inscription: <i>République française</i>; veste et culottes blanches +blanc d'argent et aussi des culottes de peau. Bonnet de poil à fond +rouge, cordons et crépines tressés des couleurs nationales. Au milieu du +front, une plaque sur laquelle est imprimé en relief le sceau +constitutionnel avec des trophées et à chaque côté de la plaque une +grenade enflammée. Le poil de ces bonnets est renversé de haut en bas, +afin que l'eau de la pluie s'y arrête moins. La doublure de l'habit est +de serge blanche. Au bas des pans où sont les crochets pour les +retrousser, il y a une grenade de drap rouge, et, au lieu de flamme, il +y a de petits glands qui en descendent pendus à des cordons de la même +couleur. Ils ont des aiguillettes tressées de rouge et de blanc, des +cols noirs, des bottes molles, mais des genouillères fortes. Leurs armes +sont la carabine, deux pistolets, et un sabre dont la lame droite a près +de deux pouces de large et se termine en pointe très aiguë, dont le +double tranchant a environ huit pouces de long, et tout le sabre entre +quarante et quarante-cinq. Ils le portent en bandoulière. Ils ont un +porte-cartouches de cuir brun avec une plaque blanche sur laquelle est +imprimé en relief l'arbre de la liberté avec le bonnet, mais sans +inscription. Enfin, ils ont un grand manteau bleu bordé d'un cordonnet +rouge, muni d'un ample rabat qui leur sert de capuchon. Dans l'action, +principalement quand ils sont attaqués, ils s'abaissent fort avant sur +leurs chevaux et savent adroitement se servir de la pointe de leur +sabre, au maniement duquel ils s'appliquent singulièrement dans leurs +moments de loisir, ce qui leur procure un avantage décisif sur leurs +ennemis, qui n'ont ni la même dextérité ni la même vitesse quand même +ils auraient la même bravoure.</p> + +<p>«Les chasseurs à cheval sont de création moderne et forment dans les +armées françaises une très nombreuse cavalerie. Leur service approche +assez de celui des dragons, excepté qu'on les employe plus communément à +la découverte; à battre les bois toujours en avant de l'armée. Leur +uniforme est un habit vert foncé à collet droit, parements, revers et +boutons blancs comme ceux des grenadiers à cheval, culotte de peau et +veste blanche. Leur habit un peu court a la doublure blanche, les poches +en long avec trois boutons sur les pattes. Ils portent des bottes +molles, genouillères de même. Il n'est pas possible de donner une +description exacte de leur bonnet ou casque. Il a la forme du bonnet de +liberté, il est de cuir fortement battu et surmonté d'une touffe de +crins de cheval ou de peau d'ours de la largeur de la main. Cette +coiffure est entourée d'une bande de toile cirée jaune et tigrée. De +chaque côté, une chaîne de laiton qui, en remontant, forme un angle +aigu. Autour du cou, ils ont des cols ou des cravates noires. Les bas +officiers se distinguent dans ce corps comme dans celui des grenadiers à +cheval par quelques ganses sur les manches, mais qui dans ce corps-ci +sont tressées des couleurs nationales. Leurs armes sont le mousqueton +carabine, deux pistolets, un long sabre à monture de laiton dont la +pointe a huit pouces de double tranchant. Ils le portent en bandoulière +à un ceinturon de cuir. Le porte-cartouches est de cuir noir avec une +plaque jaune et le sceau constitutionnel en relief. Ils ont des manteaux +de la couleur de l'habit: l'un et l'autre sont bordés d'un cordonnet +rouge. Ils ont des chevaux de douze à treize paumes. C'est la partie la +plus nombreuse de la cavalerie.</p> + +<p>«L'on n'a rien changé au reste de la cavalerie, l'ajustement et les +armes sont les mêmes, aux boutons près qui sont comme ceux des +grenadiers et des chasseurs; les cavaliers ont une cocarde avec une +aigrette tricolore à leur chapeau.</p> + +<p>«L'habillement des chasseurs à pied est peu différent de celui des +chasseurs à cheval, si ce n'est que l'habit est plus long et va +jusqu'aux genoux. Ils ont les mêmes casques, ainsi que vestes et +culottes; et des bottines très légères de cuir de boeuf. Les bas +officiers ont deux épaulettes pour les distinguer des simples chasseurs. +Ils ont pour armes un fusil avec une baïonnette et un sabre comme celui +des grenadiers qu'ils portent en bandoulière. Le porte-cartouches est de +cuir noir avec une plaque jaune aux armes de la patrie. Les chasseurs et +les troupes de ligne forment l'élite de l'infanterie. Il y a par +bataillon ou par compagnie un certain nombre de chasseurs de profession, +armés de carabines et de poignards; au lieu de giberne, ils ont une +flasque (poire à poudre). Ils sont distingués des autres par un collet +rouge sur l'habit et une épaulette tricolore sur l'épaule droite. Cette +troupe rend de très grands services en ce qu'elle est également propre +au service des troupes de ligne et des troupes légères.</p> + +<p>«Il n'est pas aisé de donner une description exacte des gardes +nationales ni de les ranger dans une classe quelconque. Mais l'on doit +être convaincu qu'elles se battent bien, quoiqu'il s'en trouve parmi qui +ne sont vêtus que de jaquettes et chemisolles, de <i>sareaux</i> de toile ou +d'habits de toute couleur, des vestes de piqué ou d'indienne, et des +culottes de toute façon. La plupart cependant ont des habits d'un bleu +foncé avec collets rouges ou blancs, boutons jaunes ou blancs, où le +bonnet ou l'arbre de la liberté est empreint. En partie, ils portent des +<i>gamaches</i> ou guêtres; beaucoup vont en souliers et en bas de soye; mais +tous généralement portent à leur chapeau de petits objets qui font +allusion à la Liberté et à l'Égalité. Ils ont tous un fusil et une +baïonnette; quelques uns ont des porte-cartouches, d'autres n'en ont +point, il en est de même de l'épée. Au lieu de havre-sac, ils ont un sac +de poche dans quoi ils portent leurs hardes.</p> + +<p>«L'on appelle à présent <i>légion</i> des troupes de cultivateurs français, +partie mis en réquisition et partie gens de bonne volonté. Leur +habillement n'est autre que le vêtement ordinaire aux gens de la +campagne. Ils sont coiffés de bonnets, de chapeaux de différentes +formes, mais toujours avec la cocarde nationale. Tous ont des bas bleus +avec une jarretière bouclée de façon que le bas fait auprès du genou une +espèce de petit bourrelet. Leurs culottes sont toutes différentes les +unes des autres: de drap, de toile de toute sorte de couleur jusqu'à de +peau noire. Leurs souliers sont fermés avec des attaches bleues ou +noires. Leurs armes sont la lance ou la pique dont le manche a à peu +près six pieds et est peint des couleurs nationales. Quelques-uns ont un +fusil avec la baïonnette. D'autres ont autour du corps une ceinture, à +la gauche de laquelle est attaché un pistolet. Ce sont pour la plupart +ceux qui portent des piques. Plusieurs ont, outre cela, des épées de +parade, des poignards ou autres armes blanches pendues au côté. Il y a +auprès de chaque armée une ou deux légions, selon que l'armée est +nombreuse. Chaque légion est forte d'environ sept mille hommes. Ce sont +des officiers et des bas officiers tirés des invalides qui les +commandent, avec quelques autres qu'ils ont élus eux-mêmes parmi eux. À +chaque légion se trouve un général de brigade ou un brigadier.</p> + +<p>«Ces légions ne reçoivent ni pain ni paye; elles pourvoyent elles-mêmes +à leur entretien. Les hommes y sont tenus à un an de service; elles ne +se montrent jamais en rase campagne et ne se rangent point en bataille. +Elles ne laissent pas que d'inquiéter beaucoup les armées ennemies...»</p> + +<br><hr class="short"><br> + +<h2>PLANCHES</h2> +<br> + +<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="0" + style="width: 100%; text-align: left;" summary="tableau"> + <tbody> + <tr> + <td style="vertical-align: top; width: 320px;"> +<p><img alt="" src="images/001.png"></p> + </td> + <td style="vertical-align: top; width: 320px;"> +<br><br><br> +<h3>I</h3> + +<h3>GÉNÉRAL DE DIVISION</h3> + +<h5>D'après une gravure de la collection Dubois de l'Étang, +(Ensemble réduit aux deux tiers de l'original.)</h5> + +<p>Plumet tricolore surmontant trois plumes rouges. Habit bleu à collet +rouge rabattu; galon d'or au chapeau, aux manches, aux poches et au +collet. Culotte blanche, bottes noires; écharpe rouge à frange dorée. +Dragonne dorée à la poignée du sabre; le fourreau est garni de cuivre +doré.</p> + +<p>Cette figure jeune ne doit pas surprendre à l'époque où un simple +officier pouvait franchir quatre grades en vingt-quatre heures pour +perdre aussitôt le commandement s'il ne justifiait pas cette confiance +par une victoire.</p> + </td> + </tr> + </tbody> +</table> + + + +<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="0" + style="width: 100%; text-align: left;" summary="tableau"> + <tbody> + <tr> + <td style="vertical-align: top; width: 320px;"> + <br><br><br><br><br> +<h3>II</h3> + +<h3>ADJUDANT GÉNÉRAL</h3> + +<h5>Même provenance</h5> + +<p>«En tenue de campagne», dit la légende. Le ceinturon doré, le chapeau à +plumes et à glands contrastent bien un peu avec la sévérité de cette +longue capote bleue à collet rouge rabattu. Mais il était bon que +l'adjudant général fût aperçu de tous, car c'était un véritable chef +d'état-major, classé hiérarchiquement au-dessous du général de brigade, +mais au-dessus du colonel.</p> + </td> + <td style="vertical-align: top; width: 320px; text-align: right;"> +<p><img alt="" src="images/002.png"></p> + </td> + </tr> + </tbody> +</table> + +<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="0" + style="width: 100%; text-align: left;" summary="tableau"> + <tbody> + <tr> + <td style="vertical-align: top; width: 320px;"> <br> +<p><img alt="" src="images/003.png"></p> + + </td> + <td style="vertical-align: top; width: 320px;"> + <br><br><br><br><br> +<h3>III</h3> + +<h3>HUSSARD</h3> + +<h5>D'après un recueil d'uniformes gravés à Augsbourg en 1802. (Bibl. nat. +Estampes O 34 B. A.)</h5> + +<p>Shako noir entouré d'une flamme de drap noir à passepoil bleu. Panache +vert et rouge. Cordon blanc avec gland retombant à droite du shako. +Dolman brun-marron soutaché de blanc et fourré de noir. Culotte bleue +soutachée de blanc. Sabretache orangée avec ornements de cuivre. +Demi-bottes noires.</p> + +<p>L'inclinaison prononcée du shako paraît un peu forcée par les dimensions +du panache: elles sont telles que l'équilibre serait compromis si la +verticale était conservée.</p> + + <br> + </td> + </tr> + </tbody> +</table> + +<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="0" + style="width: 100%; text-align: left;" summary="tableau"> + <tbody> + <tr> + <td style="vertical-align: top; width: 320px;"> +<p><img alt="" src="images/004.png"></p> + </td> + <td style="vertical-align: top; width: 320px;"> + +<h3>IV</h3> + +<h3>OFFICIERS ET SOLDATS D'INFANTERIE</h3> + +<h5>Même provenance.</h5> + +<p>L'officier porte un panache rouge. Habit bleu à col et parements rouges. +Revers blancs à passe poil rouge. Gilet et pantalon collant blancs. Sac +au dos. Hausse col doré. La main droite s'appuie sur une canne.</p> + +<p>Le fantassin placé derrière lui a les guêtres noires et la culotte de +nankin. Habit bleu à revers blancs.</p> + +<p>Le bonnet à poil du grenadier rappelle trop celui des grenadiers +autrichiens pour ne pas avoir été pris dans un magasin de l'ennemi. Ce +qui confirmerait dans cette idée, c'est qu'il est visiblement trop +étroit pour la tête de notre homme. Gilet rayé blanc et rouge; cravate +rayée blanc et bleu; celle-ci encadre le menton comme une cravate à la +Garat. Épaulette rouge; plumet tricolore; pantalon nankin. Même habit +que le précédent.</p> + <br> + </td> + </tr> + </tbody> +</table> + + + +<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="0" + style="width: 100%; text-align: left;" summary="tableau"> + <tbody> + <tr> + <td style="vertical-align: top; width: 320px;"> + <br><br><br><br> +<h3>V</h3> + +<h3>SOLDAT D'INFANTERIE</h3> + +<h5>Même provenance.</h5> + +<p>Celui-ci offre un specimen du genre négligé. Il a le même habit et le +même chapeau, mais son pantalon quadrillé bleuâtre porte au genou une +forte pièce d'étoffe différente. Des souliers, il n'a conservé que les +semelles sur lesquelles l'empeigne taillée fait l'office de courroies de +sandales. Pas de gilet. Cravate lâche. L'habit ouvert laisse largement +passer la chemise.</p> + </td> + <td style="vertical-align: top; width: 320px;"> +<p><img alt="" src="images/005.png"></p> + <br> + </td> + </tr> + </tbody> +</table> + + + +<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="0" + style="width: 100%; text-align: left;" summary="tableau"> + <tbody> + <tr> + <td style="vertical-align: top; width: 300px;"> <br> + <br><br><br> +<h3>VI</h3> + +<h3>CAVALIERS</h3> + +<h5>Même provenance.</h5> + +<p>Habit bleu à revers rouges. Collet, culotte et buffleteries blancs. +Bottes et chapeau noirs. Panaches roses. Cravate jaunâtre.</p> + +<p>On sait qu'il y avait alors à côté des hussards, des dragons, et des +chasseurs, des régiments de <i>cavalerie</i> proprement dite. C'était, moins +la cuirasse et le casque, ce que nous avons appelé ensuite la grosse +cavalerie.</p> + </td> + <td style="vertical-align: top; width: 340px;"> +<p class="left"><img alt="" src="images/006.png"></p> + <br> + </td> + </tr> + </tbody> +</table> + + +<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="0" + style="width: 100%; text-align: left;" summary="tableau"> + <tbody> + <tr> + <td style="vertical-align: top; width: 190px;"> +<h3>VII</h3> + +<h3>OFFICIERS D'ARTILLERIE</h3> + +<h5>Même provenance.</h5> + +<p>L'un de ces deux officiers semble appartenir à l'artillerie légère; il +porte le casque de cuivre du dragon orné d'un panache rouge, ce qui dut +être une exception; l'autre a conservé le chapeau à cornes en usage dans +l'artillerie à pied. Leurs uniformes sont complètement bleus avec +passepoil rouge. Des soutaches rouges ornent le pantalon et le gilet. +Les poignées de sabre affectent des formes diverses, les bottes sont de +même fortes et légères. Ce qui ne varie point, c'est le type des +figures, qui sont rasées et ornées seulement de petits favoris très +courts.</p> + </td> + <td style="vertical-align: top; width: 450px;"> +<p class="left"><img alt="" src="images/007.png"></p> + <br> + </td> + </tr> + </tbody> +</table> + +<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="0" + style="width: 100%; text-align: left;" summary="tableau"> + <tbody> + <tr> + <td style="vertical-align: top; width: 320px;"> + <br><br><br><br><br> +<h3>VIII</h3> + +<h3>CHASSEUR À CHEVAL</h3> + +<h5>D'après les <i>Abbildung französischen</i>, Leipzig. 1794.</h5> + +<p>Casque noir à courte crinière semblant retomber devant et derrière. +Habit et pantalon collant vert avec passepoil rouge; des galons rouges, +blancs et bleus sont disposés sur la chausse de façon à former une +pointe tricolore.</p> + +<p>On trouve dans le supplément <i>Uniformes</i> une description plus complète +de l'armement et de l'uniforme de cette cavalerie.</p> + </td> + <td style="vertical-align: top; width: 320px;"> +<p class="left"><img alt="" src="images/008.png"></p> + <br> + </td> + </tr> + </tbody> +</table> + +<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="0" + style="width: 100%; text-align: left;" summary="tableau"> + <tbody> + <tr> + <td style="vertical-align: top; width: 320px;"> +<br><br><br><br><br> +<h3>IX</h3> + +<h3>VOLONTAIRE DU 1er BATAILLON DE PARIS</h3> + +<h5>Même provenance.</h5> + +<p>Casque noir à demi-crinière droite et à ornements de cuivre; il est +entouré d'une bande tigrée, habit bleu, avec revers et retroussés +blancs. Culotte blanche, guêtres noires, épaulettes vertes.</p> + +<p>Voir également dans notre supplément <i>Uniformes</i> les détails qui +concernent les gardes nationaux volontaires.</p> + </td> + <td style="vertical-align: top; width: 320px;"> +<p><img alt="" src="images/009.png"></p> + <br> + </td> + </tr> + </tbody> +</table> + +<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="0" + style="width: 100%; text-align: left;" summary="tableau"> + <tbody> + <tr> + <td style="vertical-align: top; width: 260px;"> + + <br><br> +<h3>X</h3> + +<h3>DRAGON ET HUSSARD</h3> + +<h5>Bibl. nat. OB. 32 V</h5> + +<p>Le dragon est conforme au type décrit dans notre supplément. Son casque +est sans visière; une épaisse crinière augmente encore le caractère +énergique d'un profil doté de longues moustaches.</p> + +<p>Son compagnon le hussard nous offre le profil de cette coiffure +étonnante qu'on a déjà vue planche III. Le panache rouge n'a rien perdu +de ses dimensions: il est négligemment entouré d'une flamme marron à +passepoil rouge. Dolman et pantalon verts; collet et soutaches rouges. +Les gants sont jaunes; le fourreau du sabre est en cuir garni de cuivre.</p> + </td> + <td style="vertical-align: top; width: 380px;"> +<p class="left"><img alt="" src="images/010.png"></p> + <br> + </td> + </tr> + </tbody> +</table> + +<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="0" + style="width: 100%; text-align: left;" summary="tableau"> + <tbody> + <tr> + <td style="vertical-align: top; width: 240px;"> +<p class="mid"><img alt="" src="images/011.png"></p> + </td> + <td style="vertical-align: top; width: 400px;"> + <br><br> +<h3>XI</h3> + +<h3>HUSSARD</h3> + +<h5>Même provenance.</h5> + +<p>Les hussards républicains qu'on représente d'ordinaire sont conformes au +type de nos planches III et X. Celle-ci prouve qu'il y en avait un autre +ne portant pas le dolman à tresses, mais un habit vert à revers et à +pans longs, collet et parements roses. Pantalon et gilet verts; le +pantalon est protégé par une basane fauve dont les bords sont +déchiquetés à la grecque. Il boutonne sur le côté selon le modèle qui +fut baptisé du nom de <i>chutmari</i>. La bande est rouge.</p> + +<p>La coiffure reste seule identique: tresses de cheveux tombant sur le +devant pour encadrer le visage, shako entouré d'une flamme noire à passe +poil rouge que fixe un cordon blanc; panache rouge. D'où part le +sous-pied qui rattache le pantalon déboutonné à ce soulier muni +d'éperon?... Mystère!</p> + <br> + </td> + </tr> + </tbody> +</table> + +<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="0" + style="width: 100%; text-align: left;" summary="tableau"> + <tbody> + <tr> + <td style="vertical-align: top; width: 330px;"> +<p class="left"><img alt="" src="images/012.png"></p> + </td> + <td style="vertical-align: top; width: 310px;"> + + <br><br><br><br> +<h3>XII</h3> + +<h3>GRENADIER À CHEVAL</h3> + +<h5>D'après les <i>Abbildung französischen</i>, Leipzig. 1794. (Bibl. nat. +Estampes OA, 106. C.)</h5> + +<p>Son uniforme, son armement et son équipement répondent à la description +très complète donnée dans notre supplément. Bonnet à poil brun avec +plaque blanche, plumet et cordon rouges. Rabat bleu à revers et collet +rouges, retroussis et basques, gilet et culotte blancs. Bottes noires, +gants à manchettes de buffle. Schabraque bleue galonnée de jaune.</p> + <br> + </td> + </tr> + </tbody> +</table> + +<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="0" + style="width: 100%; text-align: left;" summary="tableau"> + <tbody> + <tr> + <td style="vertical-align: top; width: 320px;"> + <br> +<h3>XIII</h3> + +<h3>TAMBOUR</h3> + +<h5>D'après un recueil gravé à Augsbourg en 1802. (Bibl. nat. Estampes OB, +32. A.)</h5> + +<p>Le baudrier de buffle flotte tout avachi: l'enfant a décroché son gros +tambour retenu sur l'épaule à l'aide d'une bretelle qui devrait aller +rejoindre le cercle de la caisse. Cette charge n'est pas commode, son +corps ballotte dans son habit bleu qui est trop large; son chapeau à +pompon rouge est aplati comme un chapeau d'arlequin. Le pantalon de +nankin laisse voir des chevilles nues, les souliers sont devenus +savates, mais cela n'empêche pas le gamin de marcher fièrement à grandes +enjambées.</p> + +<p>La planche XX montre que presque tous nos tambours étaient alors des +enfants.</p> + +<p>Et quand on pense qu'un ministre de la guerre a rogné nos tambours de +moitié avant 1870 pour ne pas incommoder des hommes faits!</p> + </td> + <td style="vertical-align: top; width: 320px;"> +<p class="left"><img alt="" src="images/013.png"></p> + <br> + </td> + </tr> + </tbody> +</table> + +<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="0" + style="width: 100%; text-align: left;" summary="tableau"> + <tbody> + <tr> + <td style="vertical-align: top; width: 320px;"> +<p class="left"><img alt="" src="images/014.png"></p> + </td> + <td style="vertical-align: top; width: 320px;"> +<br> +<h3>XIV</h3> + +<h3>FANTASSIN ET SOUS-OFFICIER</h3> + +<h5>D'après une gravure allemande de 1796. (Bibliothèque nationale +Estampes, collection Hennin.)</h5> + +<p>L'air posé et la tenue presque régulière du sous-officier contrastent +avec la pose lamentable du soldat. La cravate pend; les manches de son +habit vert sont déchirées; il n'a plus qu'un bas de couleur brune, le +pan de sa culotte nankin menace ruine. Une cuiller et une fourchette à +deux pointes, croisées derrière sa cocarde de chaque côté du pompon, +complètent son air de soldat maraudeur. Un mouchoir serré au biceps +semble protéger une blessure.</p> + +<p>Type analogue à nos numéros X et XVII.</p> + <br> + </td> + </tr> + </tbody> +</table> + + +<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="0" + style="width: 100%; text-align: left;" summary="tableau"> + <tbody> + <tr> + <td style="vertical-align: top; width: 350px;"> +<p><img alt="" src="images/015.png"></p> + </td> + <td style="vertical-align: top; width: 290px;"> + <br> +<h3>XV</h3> + +<h3>CHASSEURS À PIED</h3> + +<h5>D'après un recueil gravé à Augsbourg en 1802. (Bibl. nat. Estampes OB, +32. A.)</h5> + +<p>Ces chasseurs diffèrent un peu du type décrit dans notre supplément. +L'un, qui semble un caporal, porte le casque de volontaire. Son habit +court est de couleur noire à parements bleus. Pantalon bleuâtre à raies +bleu foncé. Cravate jaune. Épaulettes rouges. Galons blancs sur la +manche.</p> + +<p>Son voisin a l'uniforme complètement noir, avec collet et retroussis +bleu clair. Son chapeau est placé à rebours. Épaulettes et panaches +rouges; buffleteries jaunâtres. Les souliers ont été transformés en +savates retenues par des cordelettes croisées au-dessus de la cheville +du pied qui est un comme toujours.</p> + <br> + </td> + </tr> + </tbody> +</table> + + + +<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="0" + style="width: 100%; text-align: left;" summary="tableau"> + <tbody> + <tr> + <td style="vertical-align: top; width: 400px;"> <br> + <br><br><br> +<h3>XVI</h3> + +<h3>GRENADIER DE LA LIGNE</h3> + +<h5>D'après les <i>Abbildung französischen</i>, Leipzig. 1794. (Bibl. nat. +Estampes OA, 106. C.)</h5> + +<p>Bonnet à poil noir avec plaque de cuivre. Habit, veste et culotte +blancs. Les revers, le collet et les parements sont rouges, les guêtres +noires. Il ne porte point de havre-sac mais on voit une sorte de besace +pendre à côté de sa giberne.</p> + +<p>C'est un dernier échantillon de l'ancienne armée qui va prendre l'habit +bleu au moment où l'embrigadement fondra les régiments et les bataillons +de volontaires.</p> + </td> + <td style="vertical-align: top; width: 240px;"> +<p class="left"><img alt="" src="images/016.png"></p> + </td> + </tr> + </tbody> +</table> + +<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="0" + style="width: 100%; text-align: left;" summary="tableau"> + <tbody> + <tr> + <td style="vertical-align: top; width: 320px;"> +<p class="left"><img alt="" src="images/017.png"></p> + </td> + <td style="vertical-align: top; width: 320px;"> + <br> +<h3>XVII</h3> + +<h3>VOLONTAIRES</h3> + +<h5>D'après une gravure allemande de 1796. (Bibliothèque nationale Estampes, +collection Hennin.)</h5> + +<p>Le volontaire casqué sent d'une lieue son faubourg. Ami d'un certain +luxe, il a retroussé sa manche pour montrer un bout de manchette, il +fait exhibition d'un mouchoir de poche élégamment noué à sa buffleterie +et une breloque de parure descend sur sa cuisse gauche. Le noeud coquet +de sa grosse cravate, la cuiller qui montre sa tête au revers de l'habit +et le pain empalé dans sa baïonnette sont autant de détails +caractéristiques. L'un de ses souliers est retenu par une boucle. +L'autre est noué avec une ficelle. Zébré d'un côté, quadrillé de +l'autre, comme ces chausses en partie du moyen âge. Le pantalon blanc +rayé de bleu est trop court pour ne pas avoir appartenu à quelque frère +d'armes.</p> + +<p>Nous avons décrit l'assortiment gastronomique du voisin dans le +supplément: son bonnet de police bleu à turban rouge est à remarquer +comme un échantillon du modèle primitif.</p> + <br> + </td> + </tr> + </tbody> +</table> + + +<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="0" + style="width: 100%; text-align: left;" summary="tableau"> + <tbody> + <tr> + <td style="vertical-align: top; width: 270px;"> + +<h3>XVIII</h3> + +<h3>CUIRASSIERS</h3> + +<h5>D'après la gravure de Zix<br> + +(Fac-similé réduit aux deux tiers de l'original.)</h5> + +<p>Zix est un artiste strasbourgeois qui a pu étudier d'après nature les +soldats de l'armée de Rhin et Moselle.</p> + +<p>Non content d'un supplément d'illustrations pittoresques pour la partie +géographique du <i>Journal de Fricasse</i>, mon ami Charles Mehle a bien +voulu mettre la gravure de Zix à ma disposition. Mais leur dimension +rendait la reproduction difficile. J'ai dû me contenter de détacher un +groupe de deux cuirassiers attablés sur le seuil d'une maison +alsacienne.</p> + +<p>On sait que les cuirassiers formèrent en 1799 le 8e régiment de +cavalerie. De là leur ressemblance avec les cavaliers de l'autre planche +VI.</p> + </td> + <td style="vertical-align: top; width: 370px;"> + <br> +<p class="left"><img alt="" src="images/018.png"></p> + <br> + </td> + </tr> + </tbody> +</table> +<br> + +<h3>XIX</h3> + +<h3>HUTTES DE CAMPEMENT</h3> + +<h5>D'après une gravure datée du 14 août 1796. (Bibl. nat. Estampes, +collection Hennin.)</h5> + +<p>Ces huttes ou abris, dont-il est question dans notre journal, étaient +faites de branchages. On voit qu'elles affectent trois formes: une forme +oblongue, destinée sans doute aux soldats; une forme pyramidale, moins +spacieuse, destinée aux sous-officiers; une forme conique, dont la +clôture plus complète annonce un campement d'officiers.</p> + +<p>Le factionnaire qui veille à la porte ne laisse aucun doute sur ce +dernier point. Il sonne en ce moment d'un cornet d'appel, ce qui lui +donne les doubles fonctions de sentinelle et de trompette de garde.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/019.png"><br> +<br> +<h3>XX</h3> + +<h3>RASSEMBLEMENT D'INFANTERIE</h3> + +<h5>D'après une gravure allemande conservée dans la collection Dubois de +l'Étang. Voici la traduction de son titre:</h5> + +<p>Véritable représentation d'une parade de la garde française à Mannheim +au mois d'octobre 1795.</p> + +<p>(Fac-similé réduit au tiers de l'original.)</p> + +<p>Cette planche est excessivement ennemie. On ne doit pas prendre son +titre au pied de la lettre. Le dessinateur allemand, que je tiens +d'ailleurs pour sincère, a pris le moment non de la parade proprement +dite, mais du rassemblement qui la précède.</p> + +<p>Logés chez les bourgeois de la ville, les soldats arrivent petit à petit +et se portent sur le front de l'alignement indiqué par les trois +officiers qui viennent de mettre le sabre à la main.</p> + +<p>Dans cette troupe figurent, selon l'usage, des détachements de tous les +corps de passage dans la place et certainement aussi des soldats isolés, +éclopés, utilisés pour le service. De là, un coup d'oeil fortement +bigarré que l'artiste aura exagéré encore pour offrir des modèles de +chaque espèce.</p> + +<p>Les quatre petits tambours qui se font la main à l'extrême droite +suffiraient à montrer que le commandement ne s'est pas fait encore +entendre. Ce sont des enfants dont le plus âgé n'a pas atteint sa +douzième année. Derrière eux, le tambour-major charme son attente par +quelques moulinets de fantaisie.</p> + +<p>Les officiers, vus au dos, ont une ample capote grise ou brune, sur +laquelle tranche seul le hausse-col, insigne du commandement.</p> + +<p>Les soldats semblent tous appartenir soit aux bataillons des +volontaires, soit aux <i>légions</i> rurales dont il est question dans notre +supplément. On remarque, en effet, en seconde ligne, des bonnets +fourrés, des chapeaux de paysans; on voit se dresser une des piques qui +figuraient encore dans l'armement de ces non combattants. L'un d'eux, +sapeur primitif, tient la hache sur l'épaule et la pipe à la bouche. Son +voisin porte un pantalon à la turque, et paraît vouloir dissimuler sous +une couverture blanche les désastres de son uniforme. Tous n'ont pu +dissimuler ainsi leurs tenues en lambeaux. Beaucoup de chaussures sont +avariées; un jeune soldat a les pieds complètement nus.</p> + +<p>En revanche, ce qui ne manque nulle part, c'est la cuiller: chacun porte +à la boutonnière, au chapeau ou au bonnet ce précieux ustensile. +Quelques bidons et marmites se remarquent aussi, çà et là; les pains +sont troués pour le passage d'une corde qui les retient au côté, à moins +qu'ils ne soient passés à la baïonnette. Un quartier de viande est même +ainsi exhibé à côté du porteur de pique. Il est à remarquer qu'il n'y a +pas ici un seul des panaches qui abondent dans nos planches précédentes. +Mais nous sommes en 1795 et les Français qui viennent d'entrer à +Mannheim ont fait une campagne fort rude. Leurs habits bleus ne sont pas +seulement usés par la victoire, ils sont surtout troués et déchirés par +les marches et les bivouacs des nuits d'hiver. De là ce coup d'oeil +étrange, qui dépasse encore, il faut bien l'avouer, tout ce qu'on +pouvait supposer de l'aspect des troupes républicaines. Mais la pauvreté +de leur aspect ne peut que grandir encore le souvenir de leur courage et +de leur patriotisme.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/020.png"><br> + +<br><br> + +<h3>NOTES</h3> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote1" name="footnote1"><b>Note 1: </b></a> +<a href="#footnotetag1">(retour) </a> Voyez entre autres les pages 37, 55, 64, 170, 117, 171, 174 [du +livre original]. Et ce ne sont pas les seules.</blockquote> + +<blockquote class="footnote"> +<a id="footnote2" name="footnote2"><b>Note 2: </b></a> +<a href="#footnotetag2">(retour) </a> Le rétablissement de l'orthographe des noms de lieux, généralement +défigurés, offrait des difficultés particulières que je ne suis pas sûr +d'avoir surmontées toujours. En cas de doute, j'ai usé du point +d'interrogation.</blockquote> + +<blockquote class="footnote"> +<a id="footnote3" name="footnote3"><b>Note 3: </b></a> +<a href="#footnotetag3">(retour) </a> Le nom de Château-Vilain a définitivement survécu.</blockquote> + +<blockquote class="footnote"> +<a id="footnote4" name="footnote4"><b>Note 4: </b></a> +<a href="#footnotetag4">(retour) </a>: En 1791, on avait déjà formé des bataillons de garde nationale +destinés à entrer dans le cadre de l'armée. Soult rappelle, au début de +ses <i>Mémoires</i>, qu'il se trouvait alors en garnison à Schelestadt avec +le premier bataillon du Haut-Rhin. Ce corps était nombreux, dit-il, +animé d'un bel esprit, mais fort peu de ses officiers étaient capables. +On trouvera dans le n° 1 de notre supplément un extrait intéressant des +<i>Mémoires de Cagnot</i> sur les effets de la levée en masse qui fut ensuite +décrétée.</blockquote> + +<blockquote class="footnote"> +<a id="footnote5" name="footnote5"><b>Note 5: </b></a> +<a href="#footnotetag5">(retour) </a> Les <i>papiers publics</i>, les journaux.</blockquote> + +<blockquote class="footnote"> +<a id="footnote6" name="footnote6"><b>Note 6: </b></a> +<a href="#footnotetag6">(retour) </a> Les casernes Chambière ont en effet toujours passé pour malsaines, +en raison des eaux stagnantes des fosses qui sont dans leur voisinage.</blockquote> + +<blockquote class="footnote"> +<a id="footnote7" name="footnote7"><b>Note 7: </b></a> +<a href="#footnotetag7">(retour) </a> L'armée du prince de Cobourg avait en effet occupé la forêt de +Mormal en bloquant Le Quesnoy. «De faibles détachements français +observaient ses mouvements, dit Soult; ils ne purent l'empêcher de +déployer les immenses moyens qu'on avait préparés pour réduire la place, +elle capitula le 11 septembre, après avoir soutenu quinze jours de +tranchée. Dans le temps qu'elle succombait, des efforts tardifs étaient +faits pour la dégager: à Avesnes, par une division sortie de Cambrai, à +Fontaine, par une autre division sortie de Landrecies: à l'entrée de la +forêt de Mormal, par une colonne partie du camp de Maubeuge.» Cette +dernière colonne est celle dont il est ici question.</blockquote> + +<blockquote class="footnote"> +<a id="footnote8" name="footnote8"><b>Note 8: </b></a> +<a href="#footnotetag8">(retour) </a> Les détails du texte sont confirmés par un nouveau passage des +<i>Mémoires</i> de Soult; la légère différence donnée dans l'évaluation des +troupes est plus qu'annulée par le renfort qui arrive ensuite à +l'ennemi.</blockquote> + +<blockquote class="footnote"> +<a id="footnote9" name="footnote9"><b>Note 9: </b></a> +<a href="#footnotetag9">(retour) </a> L'armée de Jourdan ne comptait en réalité que 45,000 combattants; +ils ne venaient pas de la Vendée, mais des camps de l'armée du Nord et +de l'armée des Ardennes. On trouvera dans le numéro 2 de notre +supplément un émouvant récit du combat qui amena la levée du blocus de +Maubeuge; il est extrait des <i>Mémoires de Carnot</i>, par son fils. (Paris, +Pagnerre, 1862. Tome I, page 399). Les détails remarquables qu'on y +trouve formaient un complément nécessaire de notre texte.</blockquote> + +<blockquote class="footnote"> +<a id="footnote10" name="footnote10"><b>Note 10: </b></a> +<a href="#footnotetag10">(retour) </a> Allusion à la fameuse ronde révolutionnaire dite: <i>carmagnole</i>. On +la retrouve à la page du 7 octobre.</blockquote> + +<blockquote class="footnote"> +<a id="footnote11" name="footnote11"><b>Note 11: </b></a> +<a href="#footnotetag11">(retour) </a> Le propos a été en effet attribué au prince de Cobourg, qui +commandait alors l'armée assiégeante.</blockquote> + +<blockquote class="footnote"> +<a id="footnote12" name="footnote12"><b>Note 12: </b></a> +<a href="#footnotetag12">(retour) </a> Échanger des coups de fusil.</blockquote> + +<blockquote class="footnote"> +<a id="footnote13" name="footnote13"><b>Note 13: </b></a> +<a href="#footnotetag13">(retour) </a> Le maréchal Soult donne les détails suivants sur le combat de +Grandreng. «L'échec éprouvé par la colonne du centre rendit inutile le +mouvement du général Mayer sur Haulchin, et permit au prince de Kaunitz +de marcher au soutien de sa droite, à Grandreng, en dégarnissant sa +gauche. Le général Déjardins avait déjà enlevé quelques redoutes, et il +pénétrait dans le village, quand tout à coup ses deux divisions sont +elles-mêmes assaillies et débordées par la cavalerie autrichienne. Elles +font, avec l'appui da la brigade Duhesme, un dernier effort pour rentrer +à Grandreng; mais elles échouent de nouveau et sont obligées de +précipiter leur retraite pour repasser la Sambre, malgré l'appui +qu'elles reçoivent de la réserve de cavalerie. Le général autrichien +acquit l'honneur de cette journée en rendant ses forces mobiles, de la +gauche au centre, et du centre à la droite, où il prit successivement la +supériorité. Ses pertes furent beaucoup moindres que celles des +Français, qui sacrifièrent plus de quatre mille hommes et douze pièces +de canons.»</blockquote> + +<blockquote class="footnote"> +<a id="footnote14" name="footnote14"><b>Note 14: </b></a> +<a href="#footnotetag14">(retour) </a> «Les revers du 13 avaient irrité les représentants sans les +éclairer; ils ordonneront un nouveau passage, mais les opérations, +encore plus mal dirigées que la première fois, eurent pour résultat des +pertes beaucoup plus grandes. (SOULT.)</blockquote> + +<blockquote class="footnote"> +<a id="footnote15" name="footnote15"><b>Note 15: </b></a> +<a href="#footnotetag15">(retour) </a> Le maréchal Soult dit ici: «Il faut aussi admirer la docilité des +troupes, qu'aucun revers ne put abattre, et déplorer que, soumises à la +tyrannique autorité des représentants, elles n'aient point eu à leur +tête des chefs dignes de les diriger. Depuis quinze jours, les corps qui +étaient sur la Sambre avaient perdu plus de quinze mille hommes et la +moitié de leur matériel; les soldats manquaient de vivres et avaient le +plus grand besoin de repos. Les généraux en firent la demande à +Saint-Just; dans le conseil, Kléber fit observer qu'on allait voir +arriver, avant dix jours, l'armée de la Moselle, dont nous parlerons +bientôt, et qu'il n'y avait qu'à l'attendre, en s'occupant de réparer +les pertes de l'armée, pour reprendre alors les opérations avec d'autant +plus de vigueur. Mais l'implacable Saint-Just ne voulut rien accorder, à +peine daigna-t-il répondre: <i>Il faut demain une victoire de la +République. Choisissez entre un siège ou une bataille</i>. Il fallait +choisir, on marcha, le 26 mai, sur Charleroi. + +<p>Malgré les succès qu'il venait de remporter, le prince de Kaunitz avait +été remplacé par le prince d'Orange dans le commandement. Les troupes +alliées étaient sur la Sambre, pour en défendre le passage; elles +occupaient en outre, au-dessus de Marchiennes-au-Pont, le camp retranché +de la Tombe, qui couvrait Charleroi. Kléber et Marceau étaient chargés +de l'attaquer, et le général Fromentin d'emporter le pont de Lernes. Ces +deux attaques manquèrent par l'excessive fatigue des troupes, qui +montrèrent de l'hésitation et restèrent exposées au feu le plus vif, +plutôt que d'avancer. À la nuit, les ennemis évacuèrent cependant le +camp, en ne laissant dans Marchiennes qu'un poste fortifié.» (SOULT.)</p> + +<p>--Ce dernier alinéa explique comment notre sergent va parler de retraite +après avoir parlé d'une victoire qui était sans doute un avantage +partiel sans résultat sur l'ensemble de la journée.</p></blockquote> + +<blockquote class="footnote"> +<a id="footnote16" name="footnote16"><b>Note 16: </b></a> +<a href="#footnotetag16">(retour) </a> Chiffre singulièrement exagéré. Soult rapporte un triste épisode du +siège: «Le colonel Marescot dirigeait les opérations du génie, sous les +yeux des généraux Jourdan et Hutry; on avait un équipage d'artillerie +suffisant et les représentants Saint-Just et Lebas se tenaient au pied +de la tranchée pour presser les travaux. Un jour, ils visitaient +l'emplacement d'une batterie que l'on venait de tracer: «À quelle heure +sera-t-elle finie?» demanda Saint-Just au capitaine chargé de la faire +exécuter.--Cela dépend du nombre d'ouvriers qu'on me donnera, mais on y +travaillera sans relâche, répond l'officier.--Si demain, à six heures, +elle n'est pas en état de faire feu, ta tête tombera!...» Dans ce court +délai, il était impossible que l'ouvrage fût terminé; on y mit cependant +autant d'hommes que l'espace pouvait en contenir. Il n'était pas +entièrement fini, lorsque l'heure fatale sonna. Saint-Just tint son +horrible promesse: le capitaine d'artillerie fut immédiatement arrêté et +envoyé à la mort, car l'échafaud marchait à la suite des féroces +représentants. Si nous n'avions pas remporté la victoire, la plupart de +nos chefs auraient subi le même sort. Nous apprîmes plus tard que +Saint-Just avait porté sur une liste de proscription plusieurs généraux +de l'armée, et qu'il m'y avait compris, quoique je ne fusse encore que +colonel.--Jourdan devait être sacrifié le premier; il avait remplacé +Hoche dans le commandement, et il avait, comme lui, encouru la haine du +représentant par la courageuse résistance qu'il opposait à ses volontés, +lorsque la présomptueuse ignorance de Saint-Just prétendait diriger les +opérations militaires. (SOULT.)</blockquote> + +<blockquote class="footnote"> +<a id="footnote17" name="footnote17"><b>Note 17: </b></a> +<a href="#footnotetag17">(retour) </a> Le maréchal Soult complète ainsi le récit de cette journée. «Il +était sept heures du soir. Depuis quelques moments, le combat avait +cessé aux ailes; on le laissa finir au centre sans poursuivre les +ennemis. Épuisés de fatigue et de besoin, les soldats pouvaient à peine +se tenir debout, et ils manquaient aussi de munitions. Il n'y avait +aucune possibilité de continuer la poursuite, quelques avantages qu'on +eût pu recueillir; officiers et soldats, tous s'écriaient: «Un pont d'or +à l'ennemi qui s'en va!» et l'on donna aux troupes un repos +indispensable. + +<p>Le lendemain, il n'y eut point de mouvement; il fallait se remettre +d'une pareille journée et ramasser les débris qui couvraient le champ de +bataille. On compta les pertes; les nôtres s'élevèrent à près de cinq +mille hommes hors de combat, et, par le nombre des morts, on évalua +celles de l'ennemi à plus de sept mille hommes; de part et d'autre il +n'y eut que peu de prisonniers. Parmi ceux que nous fîmes, il se trouva +des Français, faisant partie du régiment Royal-Allemand et de celui de +Berching-hussard, auxquels la loi rendue contre les émigrés pris les +armes à la main était applicable. Pas un soldat n'eut la pensée qu'il +fût possible de livrer à l'échafaud ceux que nous venions de combattre +face à face. Pendant la nuit, nous leur facilitâmes les moyens de +s'échapper, en nous bornant à leur dire qu'ils fussent ailleurs expier +l'erreur de s'être armés contre leur patrie; plusieurs revinrent plus +tard se placer dans nos rangs. On a sauvé ainsi dans le cours de la +guerre, un grand nombre de Français qui étaient dans le même cas, et ils +ont reçu parmi nous protection et avancement; beaucoup d'entre eux ont +ainsi obtenu d'être éliminés de la liste fatale et de rentrer dans leurs +biens confisqués. Nous devons croire qu'ils en ont conservé de la +reconnaissance.»</blockquote> + +<blockquote class="footnote"> +<a id="footnote18" name="footnote18"><b>Note 18: </b></a> +<a href="#footnotetag18">(retour) </a> Ceci est bien confirmé par le récit du maréchal Soult: «Dans nos +rangs, l'enthousiasme allait croissant avec le danger; depuis le +commencement de l'action, et pendant toute sa durée, le cri de +ralliement de l'avant-garde fut toujours: «Point de retraite +aujourd'hui, point de retraite!» Aussi, tout ce qui vint se heurter +contre elle fut-il brisé. Environnée de sanglants débris, son camp en +flammes, la plupart de ses canons démontés, ses caissons faisant +explosion à tout moment, des monceaux de cadavres comblant les +retranchements, les attaques les plus vives sans cesse renouvelées, rien +n'était capable de l'intimider, pas même l'incendie de la campagne qui +nous environnait de toutes parts. Les champs, couverts de blé en +maturité, avaient été enflammés par notre feu et par celui de l'ennemi; +on ne savait où se placer pour l'éviter; mais nous étions bien +déterminés à ne sortir que victorieux de ce volcan.» + +<p>Le courage des chefs avait, sur plus d'un point, seul pu maintenir les +troupes, comme le montre bien cet autre passage:</p> + +<p>«Avant six heures du matin, les alliés avaient fait des progrès, et les +divisions des Ardennes repassaient la Sambre, dans un complet désordre, +aux ponts de Tamine et Ternier, laissant leur général garder seul, avec +ses officiers et quelques ordonnances, la position qu'elles venaient de +quitter. J'avais été envoyé par le général Lefebvre, pour m'assurer de +l'état de notre droite, et pourvoir aux dispositions que les +circonstances exigeraient. Je joignis Marceau entre les bois de Lépinoy +et le hameau du Boulet, au moment où les ennemis allaient l'entourer. Il +les défiait, et dans son désespoir, il voulait se faire tuer, pour +effacer la honte de ses troupes. Je l'arrêtai: «Tu veux mourir, lui +dis-je, et tes soldats se déshonorent: vas les chercher et reviens +vaincre avec eux! En attendant, nous garderons la position à droite de +Lambusart.--Oui, je t'entends, s'écrie Marceau, c'est le chemin de +l'honneur! J'y cours; avant peu je serai à vos côtés. Deux heures après, +il avait ramené les plus braves, et il prenait part à nos succès.»--Ces +extraits donnent une idée de la phraséologie du temps; on employait +volontiers les grands mots dont on se moque aujourd'hui, mais les actes +aussi étaient grands, ce que les moqueurs ne doivent pas non plus +oublier.</blockquote> + +<blockquote class="footnote"> +<a id="footnote19" name="footnote19"><b>Note 19: </b></a> +<a href="#footnotetag19">(retour) </a> Cette image poétique aurait lieu de surprendre si on ne se +reportait aux chansons populaires d'autrefois où la mythologie jouait +toujours un grand rôle.</blockquote> + +<blockquote class="footnote"> +<a id="footnote20" name="footnote20"><b>Note 20: </b></a> +<a href="#footnotetag20">(retour) </a> Fournitures de casernement.</blockquote> + +<blockquote class="footnote"> +<a id="footnote21" name="footnote21"><b>Note 21: </b></a> +<a href="#footnotetag21">(retour) </a> On avançait l'embrigadement. Cette opération importante se faisait +avec la plus grande rigidité; les généraux devaient choisir, sous leur +responsabilité, parmi les chefs de bataillon, les plus capables pour les +désigner comme chefs de brigade. Les instructions des représentants du +peuple portaient: «Les grades ne sont pas la propriété des individus; +ils appartiennent à la République, qui a droit de n'en disposer qu'en +faveur de ceux qui sont en état de lui rendre des services.» Trois fois +plus forts qu'avant leur réunion, les nouveaux corps présentaient plus +de régularité dans leur ensemble et plus de confiance en eux-mêmes.</blockquote> + +<blockquote class="footnote"> +<a id="footnote22" name="footnote22"><b>Note 22: </b></a> +<a href="#footnotetag22">(retour) </a> Ému par l'audace avec laquelle nos fantassins s'étaient jetés à +l'eau pour forcer le passage de la Roër, malgré le courant de l'eau, +l'encaissement de la rivière et les retranchements de la rive opposée, +l'ennemi battit en retraite sur Cologne.</blockquote> + +<blockquote class="footnote"> +<a id="footnote23" name="footnote23"><b>Note 23: </b></a> +<a href="#footnotetag23">(retour) </a> Cette victoire de la Roër, qui fit honneur au général Jourdan et à +ses troupes, assura en effet l'évacuation complète de la Belgique.</blockquote> + +<blockquote class="footnote"> +<a id="footnote24" name="footnote24"><b>Note 24: </b></a> +<a href="#footnotetag24">(retour) </a> Mais il n'y eut que trente jours de tranchée ouverte. La garnison +se comporta vaillamment. On trouva dans la place 350 bouches à feu et un +matériel considérable.</blockquote> + +<blockquote class="footnote"> +<a id="footnote25" name="footnote25"><b>Note 25: </b></a> +<a href="#footnotetag25">(retour) </a> Le 29 février 1795, la Hollande était en effet conquise et le 16 +mai suivant, elle signait avec la France un traité d'alliance qu'elle +observa fidèlement jusqu'au jour où Napoléon voulut imposer un roi à la +nation que la République avait respectée.</blockquote> + +<blockquote class="footnote"> +<a id="footnote26" name="footnote26"><b>Note 26: </b></a> +<a href="#footnotetag26">(retour) </a> Ce traité ne fut signé que le 5 avril 1795 à Bâle. La Prusse nous +abandonnait alors toutes ses possessions sur la rive gauche du Rhin.]</blockquote> + +<blockquote class="footnote"> +<a id="footnote27" name="footnote27"><b>Note 27: </b></a> +<a href="#footnotetag27">(retour) </a> Le maréchal Soult servait alors comme colonel dans la division de +notre sergent. Il dit aussi: «Nous souffrîmes beaucoup par le manque de +subsistances, au point qu'on fut obligé de réduire la ration d'un +tiers». (<i>Mémoires</i>, t. I, p. 200.)</blockquote> + +<blockquote class="footnote"> +<a id="footnote28" name="footnote28"><b>Note 28: </b></a> +<a href="#footnotetag28">(retour) </a> Dépréciation inévitable par suite du cours forcé qui fit tirer de +1790 à 1796, pour <i>quarante-cinq milliards</i> d'assignats. On sait que les +vingt-quatre milliards encore en circulation lors de la liquidation +définitive furent échangés contre <i>huit cent millions</i> de biens +nationaux.</blockquote> + +<blockquote class="footnote"> +<a id="footnote29" name="footnote29"><b>Note 29: </b></a> +<a href="#footnotetag29">(retour) </a> Voir la note du 7 germinal.</blockquote> + +<blockquote class="footnote"> +<a id="footnote30" name="footnote30"><b>Note 30: </b></a> +<a href="#footnotetag30">(retour) </a> Dans ses <i>Mémoires</i> (tome I, page 287), le maréchal Soult accuse +Pichegru «d'avoir laissé ses troupes à l'abandon, négligées et en proie +à toutes sortes de privations pour mieux favoriser l'exécution du plan +de trahison le plus odieux.» Il espérait ainsi désorganiser l'armée. En +une autre occasion, Soult parle aussi des pommes de terre et en des +termes fort curieux: + +<p>«L'armée n'avait d'autre ressource pour vivre, que les pommes de terre +que l'on trouvait dans les champs. À chaque halte, à peine les faisceaux +étaient-ils formés, que les soldats se dispersaient dans les environs +pour aller déterrer les pommes de terre. Un champ était bientôt récolté, +et le repas était bientôt préparé au feu du bivouac. Le silence durait +tant que durait cette importante occupation: mais elle ne durait pas +longtemps et les provisions étaient épuisées avant que la faim fût +apaisée. L'inépuisable gaieté du soldat français revenait alors. Ne +doutant de rien, parlant de tout, lançant des saillies originales et +souvent même instructives, tel est le soldat français. Un soir, en +parlant politique et des nouvelles de Paris, le propos était tombé sur +les grands hommes qu'on avait fait entrer au Panthéon ou qu'on en avait +successivement fait sortir, suivant l'esprit du jour et l'influence du +parti régnant. «Qui va-t-on y mettre aujourd'hui? demanda quelqu'un. +Parbleu, répondit son voisin, une pomme de terre.» Et tout le monde +d'applaudir à cette saillie, qui avait plus de portée que l'intention de +son auteur n'avait probablement voulu lui donner.» (SOULT.)</blockquote> + +<blockquote class="footnote"> +<a id="footnote31" name="footnote31"><b>Note 31: </b></a> +<a href="#footnotetag31">(retour) </a> Le tambour battait comme d'habitude la distribution à l'heure dite, +mais cette distribution se réduisait souvent à rien ou à peu de chose.</blockquote> + +<blockquote class="footnote"> +<a id="footnote32" name="footnote32"><b>Note 32: </b></a> +<a href="#footnotetag32">(retour) </a> Cette adresse vigoureuse sous sa forme ampoulée, faisait allusion à +la <i>journée du 1er prairial</i> (20 mai 1795) qui avait vu la populace des +faubourgs de Paris envahir la Convention nationale en tuant le député +Feraud, aux cris de <i>du pain! la liberté des patriotes! la Constitution +de 1793</i>! Quatorze députés Jacobins payèrent de leurs têtes cette +insurrection, et, trois mois après, les clubs et sociétés populaires +étaient dissous. Chaque insurrection parisienne plaçait nos généraux +dans une situation difficile, comme le montre cette lettre du chef qui +commandait alors l'armée de Rhin et Moselle; elle est conçue en termes +vraiment patriotiques: + +<p> «<i>Le général en chef Jourdan au général de division Hatry</i>.</p> + +<p> «Andernach, le 7 prairial an III.</p> + +<p> «Je suis instruit, mon camarade, qu'il y a eu, le premier de ce + mois, une insurrection à Paris, et que le peuple a occupé la salle + de la Convention presqu'à onze heures du soir. Il paraît cependant + qu'à cette heure la Convention a repris le cours de ses séances. Il + faut que l'armée agisse dans cette circonstance comme elle a agi + toutes les fois que de pareils événements ont eu lieu. + C'est-à-dire, qu'étant placée sur la frontière pour combattre les + ennemis du dehors, elle ne s'occupe point de ce qui se passe dans + l'intérieur et qu'elle ait toujours la confiance de croire que les + bons citoyens qui y sont, parviendront à faire taire les royalistes + et les anarchistes.</p> + +<p> «Nous avons juré de vivre libres et républicains, et nous + maintiendrons notre serment, ou nous mourrons les armes à la main. + Nous avons juré de combattre les ennemis du dehors, tant que la + paix ne sera pas faite. Nous tiendrons pareillement notre serment, + nous resterons à notre poste, et nous combattrons avec autant de + valeur que la campagne dernière. Je suis persuadé que tels sont vos + sentiments et ceux des troupes que vous commandez. Mais comme il + est essentiel d'empêcher que des malintentionnés viennent répandre + de fâcheuses nouvelles dans l'armée, comme il est essentiel de + redoubler de surveillance, afin que l'ennemi ne puisse pas profiter + du malheur de nos querelles intestines, il faut redoubler de zèle + et d'activité, il faut que les militaires de tout grade soient + toujours à leur poste, que le service des avant postes se fasse + avec plus de surveillance que jamais, et que vous veillez à ce que + les convois qui passeront dans l'arrondissement que vous commandez, + soient bien escortés. J'espère que l'attitude de l'armée en + imposera à tous les ennemis de la République.</p> + +<p> «Je vous communiquerai journellement les suites des événements, et + vous aurez à me faire part exactement des observations que vous + ferez sur ce qui se passera dans les troupes que vous + commandez.--Salut et fraternité.</p> + +<p> «JOURDAN.»</blockquote> + +<blockquote class="footnote"> +<a id="footnote33" name="footnote33"><b>Note 33: </b></a> +<a href="#footnotetag33">(retour) </a> <i>C'est-à-dire</i> du Palatinat.</blockquote> + +<blockquote class="footnote"> +<a id="footnote34" name="footnote34"><b>Note 34: </b></a> +<a href="#footnotetag34">(retour) </a> La division Poncet, dont notre sergent faisait partie, devait avec +la division Marceau, rester en observation sur la rive gauche du Rhin.</blockquote> + +<blockquote class="footnote"> +<a id="footnote35" name="footnote35"><b>Note 35: </b></a> +<a href="#footnotetag35">(retour) </a> Le 19 janvier 1793, les Autrichiens et non les Prussiens avaient en +effet évacué le fort en faisant sauter les fortifications. C'est après +la levée du blocus que le duc de Brunswick écrivit au roi de Prusse +cette lettre fameuse par laquelle il demandait son rappel en disant: +«Lorsqu'une grande nation, telle que la nation française, est conduite +aux grandes actions par la terreur des supplices et par l'enthousiasme, +une même volonté devrait présider à la <i>démarche</i> des puissances +coalisées.»</blockquote> + +<blockquote class="footnote"> +<a id="footnote36" name="footnote36"><b>Note 36: </b></a> +<a href="#footnotetag36">(retour) </a> Le 23 thermidor de l'an IV doit concorder avec le 9 août 1795, et +la fête de la Fédération était célébrée le 14 juillet. Il paraît y avoir +une erreur de date.</blockquote> + +<blockquote class="footnote"> +<a id="footnote37" name="footnote37"><b>Note 37: </b></a> +<a href="#footnotetag37">(retour) </a> Rien de plus capricieux que l'uniforme des armées de la République +réduites à tout improviser avec les seules ressources des pays qu'elles +traversaient. À une époque bien rapprochée, du reste, au siège de Paris +en 1870, nous avons revu un bataillon mobilisé vêtu de capotes marron.</blockquote> + +<blockquote class="footnote"> +<a id="footnote38" name="footnote38"><b>Note 38: </b></a> +<a href="#footnotetag38">(retour) </a> On sait que l'année républicaine, composée de douze mois égaux de +trente jours, avait cinq jours dits <i>complémentaires</i> pour les années +ordinaires et six pour les années bissextiles.</blockquote> + +<blockquote class="footnote"> +<a id="footnote39" name="footnote39"><b>Note 39: </b></a> +<a href="#footnotetag39">(retour) </a> 23 septembre 1796.</blockquote> + +<blockquote class="footnote"> +<a id="footnote40" name="footnote40"><b>Note 40: </b></a> +<a href="#footnotetag40">(retour) </a> C'était avant 1777, l'électeur palatin du Rhin. Ce fut ensuite le +duc de Bavière.</blockquote> + +<blockquote class="footnote"> +<a id="footnote41" name="footnote41"><b>Note 41: </b></a> +<a href="#footnotetag41">(retour) </a> Une attaque du maréchal Clairfayt déterminait en ce moment la +retraite de l'armée de Rhin-et-Moselle, placée par Pichegru dans des +positions intenables, et la place de Mannheim, abandonnée à elle-même, +se rendait quelques jours après. Les lignes devant Mayence étaient +forcées.</blockquote> + +<blockquote class="footnote"> +<a id="footnote42" name="footnote42"><b>Note 42: </b></a> +<a href="#footnotetag42">(retour) </a> Elle était double de la nôtre qui avait vu une de ses quatre +divisions écrasée. Les trois autres se retirèrent avec peine en perdant +presque toute leur artillerie.</blockquote> + +<blockquote class="footnote"> +<a id="footnote43" name="footnote43"><b>Note 43: </b></a> +<a href="#footnotetag43">(retour) </a> Un armistice fut conclu quelques jours après fort à propos pour +l'armée du Rhin-et-Moselle, très réduite en hommes et en chevaux.</blockquote> + +<blockquote class="footnote"> +<a id="footnote44" name="footnote44"><b>Note 44: </b></a> +<a href="#footnotetag44">(retour) </a> En sept semaines, l'armée d'Italie avait conquis le Piémont, dicté +la paix à la cour de Turin, occupé Vérone et Milan, investi Mantoue. +Déconcertée, l'Autriche prit Wurmser et 56,000 hommes sur le Rhin, pour +les opposer à Bonaparte, et nous allons voir l'armée de Rhin-et-Moselle +en profiter pour reprendre l'offensive.</blockquote> + +<blockquote class="footnote"> +<a id="footnote45" name="footnote45"><b>Note 45: </b></a> +<a href="#footnotetag45">(retour) </a> Pour mieux surprendre encore, Moreau faisait exécuter deux fausses +attaques sur Spire et Mannheim. Pendant ce temps son aile droite, portée +rapidement sur Strasbourg, passait heureusement le Rhin à la date du 24 +juin 1796, sur un pont de bateaux préparé dans le plus grand secret.</blockquote> + +<blockquote class="footnote"> +<a id="footnote46" name="footnote46"><b>Note 46: </b></a> +<a href="#footnotetag46">(retour) </a> Milanais d'origine et capitaine au service autrichien, Férino était +venu offrir ses services à la Révolution française qui le fit +lieutenant-colonel et général en 1792, général de division en 1793. +L'empire le fit comte et sénateur; sa division comprenait au moment qui +nous occupe, vingt-trois bataillons et dix-sept escadrons.</blockquote> + +<blockquote class="footnote"> +<a id="footnote47" name="footnote47"><b>Note 47: </b></a> +<a href="#footnotetag47">(retour) </a> L'artillerie comptait en effet trente et une pièces, et les sacs de +grains étaient au nombre de quarante mille.</blockquote> + +<blockquote class="footnote"> +<a id="footnote48" name="footnote48"><b>Note 48: </b></a> +<a href="#footnotetag48">(retour) </a> Ce n'était pas un corps d'émigrés, mais six escadrons autrichiens +détachés par le général Froelich.</blockquote> + +<blockquote class="footnote"> +<a id="footnote49" name="footnote49"><b>Note 49: </b></a> +<a href="#footnotetag49">(retour) </a> Voir la note 38.</blockquote> + +<blockquote class="footnote"> +<a id="footnote50" name="footnote50"><b>Note 50: </b></a> +<a href="#footnotetag50">(retour) </a> «Cette retraite est devenue célèbre; cependant il faut convenir +qu'elle était loin d'offrir les mêmes difficultés que le retraite de +l'armée de Sambre-et-Meuse, avec laquelle Moreau eu mieux fait d'opérer +sa jonction.» (SOULT.)</blockquote> + +<blockquote class="footnote"> +<a id="footnote51" name="footnote51"><b>Note 51: </b></a> +<a href="#footnotetag51">(retour) </a> Voir la note 53 (siège de Kehl.)</blockquote> + +<blockquote class="footnote"> +<a id="footnote52" name="footnote52"><b>Note 52: </b></a> +<a href="#footnotetag52">(retour) </a> Il s'agit ici du <i>craquelin</i>, petit gâteau ayant effectivement +cette forme.</blockquote> + +<blockquote class="footnote"> +<a id="footnote53" name="footnote53"><b>Note 53: </b></a> +<a href="#footnotetag53">(retour) </a> Rien n'est exagéré dans ce compte rendu de la situation. «Voulant +rester à portée de l'Alsace pour profiter des intrigues que Pichegru +continuait à ourdir, et pour lesquelles il était même revenu en personne +à Strasbourg, les Autrichiens commencèrent par le siège de Kehl. +Quelques travaux y avaient été faits pendant la campagne, et un camp +retranché avait été établi en avant, mais tous ces ouvrages étaient +simplement en terre et paraissaient peu susceptibles de tenir longtemps +contre une attaque régulière. Néanmoins, la défense fut telle qu'elle +résista à <i>quarante-sept jours</i> de tranchée ouverte, pour ne laisser à +l'ennemi que des monceaux de terre bouleversée. Il en fut de même à la +tête du pont de Huningue dont les ouvrages étaient plus petits encore, +et qui, attaquée depuis les premiers jours de novembre, ne fut évacuée +que le 2 février suivant. Ces deux défenses mémorables ont été décrites +dans des ouvrages spéciaux. (SOULT.)--Voir le n° III de notre +Supplément.</blockquote> + +<blockquote class="footnote"> +<a id="footnote54" name="footnote54"><b>Note 54: </b></a> +<a href="#footnotetag54">(retour) </a> Les généraux blessés furent au nombre de trois: Desaix, Duhesme et +Jordy. Tous avaient payé de leur personne pour doubler l'élan des +troupes dans ces deux belles journées. Arrivé de Paris la veille, le +général en chef s'était jeté dans l'eau jusqu'à la ceinture pour aider, +en tirant sur des cordages avec Desaix et son état-major, à dégager un +bateau engravé. Duhesme avait eu la main percée d'une balle en battant +sur une caisse de tambour avec le pommeau de son sabre pour ramener un +bataillon à la charge.</blockquote> + +<blockquote class="footnote"> +<a id="footnote55" name="footnote55"><b>Note 55: </b></a> +<a href="#footnotetag55">(retour) </a> Le seul général O'Reilli avait été fait prisonnier, mais le général +Staray avait été tué, ce qui explique l'exagération apparente du +chiffre.</blockquote> + +<blockquote class="footnote"> +<a id="footnote56" name="footnote56"><b>Note 56: </b></a> +<a href="#footnotetag56">(retour) </a> Le fort fut enlevé par quelques dragons du 17e régiment qui +passèrent le Kintzig; on était en train de le reconstruire sur un +nouveau tracé.</blockquote> + +<blockquote class="footnote"> +<a id="footnote57" name="footnote57"><b>Note 57: </b></a> +<a href="#footnotetag57">(retour) </a> Les intelligences de Pichegru avec l'ennemi avaient commencé en +1795, et ses fausses manoeuvres préméditées compromirent alors l'armée de +Jourdan. Déporté en 1797, il s'évada pour s'allier ouvertement aux +ennemis de la patrie, et revenir mourir honteusement à Paris. Le prix +stipulé pour sa trahison comprenait une infinité d'articles: le +gouvernement d'Alsace, le grade de maréchal, deux grands cordons, douze +canons, le château de Chambord, la terre d'Arbois, un million d'argent +et deux cent mille livres de rentes. En attendant la réalisation de ces +promesses, le ministre anglais de Suisse lui faisait passer des +subsides. Moreau, auquel on avait apporté la preuve écrite de ce pacte, +fut accusé de l'avoir divulgué trop tard.</blockquote> + +<blockquote class="footnote"> +<a id="footnote58" name="footnote58"><b>Note 58: </b></a> +<a href="#footnotetag58">(retour) </a> Le maréchal Soult dit beaucoup en peu de lignes sur les causes +possibles de la mort trop subite de Hoche: «Cependant, l'esprit +républicain était encore très vif dans les rangs de l'armée; aussi, +quand la lutte fut engagée entre la majorité des conseils et celle du +Directoire, celle-ci appela l'armée à son secours. On donna le mauvais +exemple de faire faire des adresses par des corps de troupe. Le général +Hoche fut à Paris, et l'on fit avancer deux divisions de Sambre-et-Meuse +dans les environs de la capitale, sous le prétexte de les envoyer sur +les côtes de l'Océan. Ce mouvement eut lieu à l'insu du directeur Carnot +et du ministre de la guerre lui-même, du moins ce dernier en fit la +déclaration. Le général Bonaparte fut plus circonspect que le général +Hoche; il se borna à envoyer à Paris le général Augereau, qui fit le +coup de main du 18 fructidor. Quant au général Hoche, il s'aperçut +probablement au dernier moment, qu'il ne jouerait pas dans le coup +d'État projeté le rôle qu'il croyait devoir lui revenir et qu'il y +serait associé à des hommes avec lesquels il ne pouvait lui convenir +d'être confondu. Il se hâta donc de rejoindre son armée, mais à peine +était-il arrivé à son quartier général de Wetzlar, qu'une courte +maladie, dont la nature parut assez extraordinaire, l'emporta, le 19 +septembre (troisième jour complémentaire). Des bruits d'empoisonnement +circulèrent d'abord: les soupçons se fondaient sur ce que le général +Hoche était vraisemblablement dépositaire de secrets importants, et +qu'il devait y avoir des personnes intéressées à ce qu'il cessât de leur +porter ombrage par sa supériorité et l'ascendant qu'il exerçait sur son +armée, voisine de la France. On ne peut pas admettre légèrement des +soupçons d'une nature aussi grave, et il est plus que probable qu'ils +n'avaient rien de fondé, cependant ils n'ont jamais été éclaircis. Quoi +qu'il en soit, les plus sincères regrets l'accompagnèrent au tombeau et, +pour en perpétuer le souvenir, l'armée fit élever un monument dans la +plaine entre Coblentz et Andernach, où son corps fut déposé. + +<p>«Le général Hoche possédait les qualités qui constituent le grand +capitaine, et il les faisait ressortir par les dons extérieurs les plus +séduisants. Son port noble et majestueux, sa physionomie ouverte et +prévenante, attiraient la confiance à la première vue, comme sur les +champs de bataille, toute son attitude commandait l'admiration. Un coup +d'oeil prompt et sûr, un caractère entreprenant qu'aucune difficulté +n'était capable d'arrêter, des sentiments très élevés, et en même temps, +une grande bonté, une sollicitude constante pour le soldat: il n'en +fallait pas tant pour que l'armée aimât en lui un chef qui avait +toujours été heureux, et qui avait la gloire d'avoir pacifié la Vendée. +On lui a reproché l'ambition. Il n'avait que trente ans, lorsque la mort +l'enleva à la France; à cet âge, à la tête d'une armée, avec la +réputation dont il jouissait et le sentiment qu'il avait de sa propre +valeur, il était bien difficile de se préserver de l'ambition, surtout +lorsqu'il voyait s'élever à ses côtés des réputations qu'il se croyait +capable d'égaler. Aussi je crois que si Hoche eût vécu, il eût prévenu +le 18 brumaire, ou du moins qu'il eût pris le rôle de Pompée, lorsque le +nouveau César vint s'emparer du pouvoir suprême.</blockquote> + +<blockquote class="footnote"> +<a id="footnote59" name="footnote59"><b>Note 59: </b></a> +<a href="#footnotetag59">(retour) </a> C'est effectivement à cette date que fut signé le traité de +Campo-Formio.</blockquote> + +<blockquote class="footnote"> +<a id="footnote60" name="footnote60"><b>Note 60: </b></a> +<a href="#footnotetag60">(retour) </a> Une entrée des troupes françaises à Zurich avait été précédée d'une +proclamation qui promettait que rien ne serait demandé pour l'entretien +des troupes, dont la solde et les subsides étaient, disait-elle, assurés +par les convois de France. Une fois en ville, il fallut cependant faire +des demandes de vivres; elles furent justifiées par l'excuse que les +convois étaient malheureusement en retard; on fit la promesse de les +rendre en nature, à l'arrivée des convois, ou de les rembourser avec les +premiers fonds que le Directoire enverrait. L'agent du Directoire +sanctionnait par sa présence cet engagement. Quelques jours après, un +arrêté impose à la ville de Zurich une contribution extraordinaire de +guerre payable dans un très court délai: l'abus de la force était la +seule raison à donner d'un pareil manque de foi. Une députation de +notables se rend auprès du général commandant, pour lui faire des +représentations. Le général était d'autant plus embarrassé de répondre +qu'il n'était lui-même pas coupable; il n'avait agi que d'après des +ordres. Il cherchait comme la première fois, à trouver des excuses dans +le retard des convois attendus de France, dans les besoins pressants de +l'armée, lorsque l'orateur de la députation le tira d'embarras: +«Général, lui dit-il, nous ne sommes pas venus pour vous reprocher +d'avoir oublié vos engagements que sans doute on vous a obligé à violer, +ni pour nous plaindre que la contribution soit trop forte, mais pour +vous dire, au contraire,<i> que nous pouvons payer davantage, et pour vous +prier de nous le demander</i>.» + +<p>Puis, lui saisissant vivement la main: «<i>Quand vous nous aurez pris</i>, +ajouta-t-il, <i>des richesses qui ont aguerri votre courage et dont nos +ancêtres savaient se passer, nous reviendrons dignes d'eux, nous +reviendrons Suisses</i>.»</p> + +<p>Nous donnons d'après les <i>Mémoires</i> du maréchal Soult (comme toujours) +ce beau trait qui est à méditer en tout temps et en tous pays.</blockquote> + +<blockquote class="footnote"> +<a id="footnote61" name="footnote61"><b>Note 61: </b></a> +<a href="#footnotetag61">(retour) </a> Il a une longueur de 1800 pieds.</blockquote> + +<blockquote class="footnote"> +<a id="footnote62" name="footnote62"><b>Note 62: </b></a> +<a href="#footnotetag62">(retour) </a> À l'armée, la prison est ainsi nommée parce qu'on n'y laisse pas +pénétrer le jour.</blockquote> + +<blockquote class="footnote"> +<a id="footnote63" name="footnote63"><b>Note 63: </b></a> +<a href="#footnotetag63">(retour) </a> Le 16 germinal correspond au 5 avril 1799. Le maréchal Soult résume +ainsi cette suite de revers due à l'incapacité du général Scherer: «Le +général Scherer partait des places de Mantoue et de Peschiara, sur la +ligne du Mincio: il commença ses opérations, le 26 mars, pour forcer la +ligne de l'Adige. Il opérait aux trois colonnes: celle de gauche, +commandée par le général Moreau, avançait. Elle passa l'Adige au-dessus +de Vérone, coupant la droite de l'armée autrichienne, et elle était à +même de poursuivre ses succès vers Vienne si elle avait été soutenue; +mais les autres divisions du centre et de la droite, que le général +Scherer commandait en personne, se firent battre par l'ennemi. +Cependant, le succès que venait de remporter le général Moreau suffisait +pour que le restant de l'armée pût s'appuyer sur lui, le rejoindre, +marcher sur Vienne, rejeter les Autrichiens sur la Brenta et les séparer +des places de Vérone et de Legnago. Le général Moreau donnait ce conseil +au général Scherer; mais, au lieu de le suivre, celui-ci eut la +singulière idée de rappeler le général Moreau sur la rive droite de +l'Adige, pour recommencer par sa droite la même opération, quatre jours +après. Cette fois la leçon fut plus sévère: on y perdit une partie de la +division Serurier, qu'une nuit de faux mouvements compromit sur la rive +gauche de l'Adige, et qui, entourée par des forces supérieures, finit +par être accablée. + +<p>«Enfin une troisième tentative, faite le 6 avril, fut encore moins +heureuse. Malgré des succès, d'abord remportés au centre par le général +Moreau, la droite de l'armée fut tournée, à la fin de la journée, par +une manoeuvre habile du général Kray. Il y avait tant d'incohérence dans +tous les mouvements, que cet échec ne put être réparé: le désordre vint +s'y joindre et l'armée entière précipita sa retraite, non pas seulement +derrière le Mincio où le général Scherer aurait pu tenir, à l'appui des +places de Peschiera et de Mantoue, mais derrière l'Adda.</p> + +<p>«La journée de Magnano décida du sort de l'Italie. Dix jours avaient +suffi pour réduire l'armée à moins de trente mille combattants, pendant +que d'un autre côté, toutes les troupes éparpillées depuis le Pô jusqu'à +Naples, étaient non seulement trop éloignées pour lui amener des +renforts en temps utile, mais se trouvaient elles-mêmes de jour en jour +plus compromises. En même temps l'armée ennemie avait remplacé toutes +ses pertes et elle acquérait une supériorité de plus en plus grande par +les renforts qu'elle recevait à tout instant; elle était, en outre, à la +veille d'être rejointe par l'armée russe, qui arriva sur l'Adige, le 15 +avril.</p> + +<p>«L'exaspération de l'armée dont le courage avait été si mal employé +était au comble, et elle eût produit des actes d'indiscipline et de +désobéissance, si le général Scherer fût resté. Il le comprit, il partit +pour Milan sous prétexte de diriger les levées extraordinaires qu'on y +faisait, et ne revint plus. Il avait remis, avant son départ, le +commandement au général Moreau.»</blockquote> + +<blockquote class="footnote"> +<a id="footnote64" name="footnote64"><b>Note 64: </b></a> +<a href="#footnotetag64">(retour) </a> L'armée russe avait fait sa jonction.</blockquote> + +<blockquote class="footnote"> +<a id="footnote65" name="footnote65"><b>Note 65: </b></a> +<a href="#footnotetag65">(retour) </a> Il s'agit ici du passage de l'Adda sur la droite de l'armée de +Berthier qui s'était portée vers le point oriental du lac de Côme, et +qui isola la division Serrurier du restant de l'armée. L'attaque +générale de l'ennemi triompha sur les autres points, et l'armée +française se vit réduite à la retraite après avoir perdu le tiers de son +effectif et une centaine de canons.</blockquote> + +<blockquote class="footnote"> +<a id="footnote66" name="footnote66"><b>Note 66: </b></a> +<a href="#footnotetag66">(retour) </a> Comme complément de cette invocation, voir la prière à la fin du +journal.</blockquote> + +<blockquote class="footnote"> +<a id="footnote67" name="footnote67"><b>Note 67: </b></a> +<a href="#footnotetag67">(retour) </a> «Le tableau de la situation de Gênes dans les derniers jours du +siège a déjà été tracé tant de fois et est devenu si célèbre, dit le +maréchal Soult, que je puis me borner ici à le rappeler. Les horreurs de +la faim, dans une ville de cent soixante mille âmes, dépassent tout ce +que l'imagination peut se représenter de plus hideux. On avait dévoré +tous les animaux jusqu'aux chiens et aux rats; on fabriquait, sous le +nom de pain, une composition d'amandes, de grains de lin, de son et de +cacao, qu'on a comparée à de la tourbe imbibée d'huile, et que les +chiens mêmes ne pouvaient pas supporter; la ration consistait en deux +onces de cet affreux mélange. Enfin, le 15 prairial (le 4 juin), il n'en +restait plus une once pour chacun; il ne restait plus quoi que ce fût, +qui pût être mangé, pas même la nourriture la plus immonde. Il n'en +restait pas plus pour l'armée que pour les habitants qui, tous les +jours, mouraient par centaines. L'armée, si on pouvait encore lui donner +ce nom, ne comptait pas trois mille hommes en état de tenir un fusil, +car leur faire faire le moindre mouvement, était absolument impossible; +les sentinelles ne pouvaient faire leur faction qu'assises. Le +lendemain, elles n'auraient pas pu le faire, tous soldats et habitants, +seraient morts d'inanition. + +<p>«Ce fut ce jour-là seulement que le général Masséna consentit à écouter +les propositions qui lui étaient faites depuis plusieurs jours par les +généraux ennemis, dans les termes les plus honorables. La conférence +entre le général Masséna, les généraux autrichiens Ott et Saint-Julien +et l'amiral Keith commandant l'escadre anglaise, se tint au milieu du +pont de Cornigliano, sur le Bisague, et le général Masséna y apporta +toute la fermeté de son caractère. Il commença par ne pas vouloir +admettre l'emploi du mot de <i>capitulation</i>, et la seule expression à +laquelle il consentit, fut celle de <i>négociation pour l'évacuation de +Gênes</i>. L'armée sortit librement de Gênes avec armes et bagages, pour +rentrer en France, sans engager sa parole: huit mille hommes prendraient +la route de terre; le surplus, ainsi que les hôpitaux, le matériel et +tout ce qui appartenait à l'armée, serait transporté par mer à Antibes. +Cette clause de la marche, par terre, de huit mille hommes, fut sur le +point de faire rompre la négociation. Le général Ott ne voulait pas y +consentir, afin de retarder la réunion de cette colonne à l'armée +française. Le général Masséna rompit la conférence: «À demain, +messieurs,» leur dit-il. Cependant, il savait bien qu'il serait hors +d'état d'accomplir sa menace. Cette fermeté réussit, mais le général +Masséna était surtout secondé par les ordres pressants que le général +Ott venait de recevoir du général Mélas, et qui lui prescrivait de ne +pas perdre un instant pour lever le siège et pour conduire son corps +d'armée à Alexandrie.»</blockquote> + +<blockquote class="footnote"> +<a id="footnote68" name="footnote68"><b>Note 68: </b></a> +<a href="#footnotetag68">(retour) </a> Bibl. Nat. Estampes OA, 105 O.</blockquote> + + +<br><br> + + + + + + + + +<pre> + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of Journal de marche du sergent Fricasse +de la 127e demi-brigade : 1792-1802, by Jacques Fricasse + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK JOURNAL DU SERGENT FRICASSE *** + +***** This file should be named 31988-h.htm or 31988-h.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + https://www.gutenberg.org/3/1/9/8/31988/ + +Produced by Mireille Harmelin, Eric Vautier, Rénald Lévesque +(html) and the Online Distributed Proofreaders Europe at +http://dp.rastko.net. This file was produced from images +generously made available by the Bibliothèque nationale +de France (BnF/Gallica) + + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. Special rules, +set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to +copying and distributing Project Gutenberg-tm electronic works to +protect the PROJECT GUTENBERG-tm concept and trademark. Project +Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you +charge for the eBooks, unless you receive specific permission. If you +do not charge anything for copies of this eBook, complying with the +rules is very easy. You may use this eBook for nearly any purpose +such as creation of derivative works, reports, performances and +research. They may be modified and printed and given away--you may do +practically ANYTHING with public domain eBooks. Redistribution is +subject to the trademark license, especially commercial +redistribution. + + + +*** START: FULL LICENSE *** + +THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE +PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK + +To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free +distribution of electronic works, by using or distributing this work +(or any other work associated in any way with the phrase "Project +Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full Project +Gutenberg-tm License (available with this file or online at +https://gutenberg.org/license). + + +Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg-tm +electronic works + +1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm +electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to +and accept all the terms of this license and intellectual property +(trademark/copyright) agreement. If you do not agree to abide by all +the terms of this agreement, you must cease using and return or destroy +all copies of Project Gutenberg-tm electronic works in your possession. +If you paid a fee for obtaining a copy of or access to a Project +Gutenberg-tm electronic work and you do not agree to be bound by the +terms of this agreement, you may obtain a refund from the person or +entity to whom you paid the fee as set forth in paragraph 1.E.8. + +1.B. "Project Gutenberg" is a registered trademark. It may only be +used on or associated in any way with an electronic work by people who +agree to be bound by the terms of this agreement. There are a few +things that you can do with most Project Gutenberg-tm electronic works +even without complying with the full terms of this agreement. See +paragraph 1.C below. There are a lot of things you can do with Project +Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this agreement +and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic +works. See paragraph 1.E below. + +1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the Foundation" +or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project +Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual works in the +collection are in the public domain in the United States. If an +individual work is in the public domain in the United States and you are +located in the United States, we do not claim a right to prevent you from +copying, distributing, performing, displaying or creating derivative +works based on the work as long as all references to Project Gutenberg +are removed. Of course, we hope that you will support the Project +Gutenberg-tm mission of promoting free access to electronic works by +freely sharing Project Gutenberg-tm works in compliance with the terms of +this agreement for keeping the Project Gutenberg-tm name associated with +the work. You can easily comply with the terms of this agreement by +keeping this work in the same format with its attached full Project +Gutenberg-tm License when you share it without charge with others. + +1.D. The copyright laws of the place where you are located also govern +what you can do with this work. Copyright laws in most countries are in +a constant state of change. If you are outside the United States, check +the laws of your country in addition to the terms of this agreement +before downloading, copying, displaying, performing, distributing or +creating derivative works based on this work or any other Project +Gutenberg-tm work. The Foundation makes no representations concerning +the copyright status of any work in any country outside the United +States. + +1.E. Unless you have removed all references to Project Gutenberg: + +1.E.1. The following sentence, with active links to, or other immediate +access to, the full Project Gutenberg-tm License must appear prominently +whenever any copy of a Project Gutenberg-tm work (any work on which the +phrase "Project Gutenberg" appears, or with which the phrase "Project +Gutenberg" is associated) is accessed, displayed, performed, viewed, +copied or distributed: + +This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with +almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + +1.E.2. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is derived +from the public domain (does not contain a notice indicating that it is +posted with permission of the copyright holder), the work can be copied +and distributed to anyone in the United States without paying any fees +or charges. If you are redistributing or providing access to a work +with the phrase "Project Gutenberg" associated with or appearing on the +work, you must comply either with the requirements of paragraphs 1.E.1 +through 1.E.7 or obtain permission for the use of the work and the +Project Gutenberg-tm trademark as set forth in paragraphs 1.E.8 or +1.E.9. + +1.E.3. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is posted +with the permission of the copyright holder, your use and distribution +must comply with both paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 and any additional +terms imposed by the copyright holder. Additional terms will be linked +to the Project Gutenberg-tm License for all works posted with the +permission of the copyright holder found at the beginning of this work. + +1.E.4. Do not unlink or detach or remove the full Project Gutenberg-tm +License terms from this work, or any files containing a part of this +work or any other work associated with Project Gutenberg-tm. + +1.E.5. Do not copy, display, perform, distribute or redistribute this +electronic work, or any part of this electronic work, without +prominently displaying the sentence set forth in paragraph 1.E.1 with +active links or immediate access to the full terms of the Project +Gutenberg-tm License. + +1.E.6. You may convert to and distribute this work in any binary, +compressed, marked up, nonproprietary or proprietary form, including any +word processing or hypertext form. However, if you provide access to or +distribute copies of a Project Gutenberg-tm work in a format other than +"Plain Vanilla ASCII" or other format used in the official version +posted on the official Project Gutenberg-tm web site (www.gutenberg.org), +you must, at no additional cost, fee or expense to the user, provide a +copy, a means of exporting a copy, or a means of obtaining a copy upon +request, of the work in its original "Plain Vanilla ASCII" or other +form. Any alternate format must include the full Project Gutenberg-tm +License as specified in paragraph 1.E.1. + +1.E.7. Do not charge a fee for access to, viewing, displaying, +performing, copying or distributing any Project Gutenberg-tm works +unless you comply with paragraph 1.E.8 or 1.E.9. + +1.E.8. You may charge a reasonable fee for copies of or providing +access to or distributing Project Gutenberg-tm electronic works provided +that + +- You pay a royalty fee of 20% of the gross profits you derive from + the use of Project Gutenberg-tm works calculated using the method + you already use to calculate your applicable taxes. The fee is + owed to the owner of the Project Gutenberg-tm trademark, but he + has agreed to donate royalties under this paragraph to the + Project Gutenberg Literary Archive Foundation. Royalty payments + must be paid within 60 days following each date on which you + prepare (or are legally required to prepare) your periodic tax + returns. Royalty payments should be clearly marked as such and + sent to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation at the + address specified in Section 4, "Information about donations to + the Project Gutenberg Literary Archive Foundation." + +- You provide a full refund of any money paid by a user who notifies + you in writing (or by e-mail) within 30 days of receipt that s/he + does not agree to the terms of the full Project Gutenberg-tm + License. You must require such a user to return or + destroy all copies of the works possessed in a physical medium + and discontinue all use of and all access to other copies of + Project Gutenberg-tm works. + +- You provide, in accordance with paragraph 1.F.3, a full refund of any + money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the + electronic work is discovered and reported to you within 90 days + of receipt of the work. + +- You comply with all other terms of this agreement for free + distribution of Project Gutenberg-tm works. + +1.E.9. If you wish to charge a fee or distribute a Project Gutenberg-tm +electronic work or group of works on different terms than are set +forth in this agreement, you must obtain permission in writing from +both the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and Michael +Hart, the owner of the Project Gutenberg-tm trademark. Contact the +Foundation as set forth in Section 3 below. + +1.F. + +1.F.1. Project Gutenberg volunteers and employees expend considerable +effort to identify, do copyright research on, transcribe and proofread +public domain works in creating the Project Gutenberg-tm +collection. Despite these efforts, Project Gutenberg-tm electronic +works, and the medium on which they may be stored, may contain +"Defects," such as, but not limited to, incomplete, inaccurate or +corrupt data, transcription errors, a copyright or other intellectual +property infringement, a defective or damaged disk or other medium, a +computer virus, or computer codes that damage or cannot be read by +your equipment. + +1.F.2. LIMITED WARRANTY, DISCLAIMER OF DAMAGES - Except for the "Right +of Replacement or Refund" described in paragraph 1.F.3, the Project +Gutenberg Literary Archive Foundation, the owner of the Project +Gutenberg-tm trademark, and any other party distributing a Project +Gutenberg-tm electronic work under this agreement, disclaim all +liability to you for damages, costs and expenses, including legal +fees. YOU AGREE THAT YOU HAVE NO REMEDIES FOR NEGLIGENCE, STRICT +LIABILITY, BREACH OF WARRANTY OR BREACH OF CONTRACT EXCEPT THOSE +PROVIDED IN PARAGRAPH F3. YOU AGREE THAT THE FOUNDATION, THE +TRADEMARK OWNER, AND ANY DISTRIBUTOR UNDER THIS AGREEMENT WILL NOT BE +LIABLE TO YOU FOR ACTUAL, DIRECT, INDIRECT, CONSEQUENTIAL, PUNITIVE OR +INCIDENTAL DAMAGES EVEN IF YOU GIVE NOTICE OF THE POSSIBILITY OF SUCH +DAMAGE. + +1.F.3. LIMITED RIGHT OF REPLACEMENT OR REFUND - If you discover a +defect in this electronic work within 90 days of receiving it, you can +receive a refund of the money (if any) you paid for it by sending a +written explanation to the person you received the work from. If you +received the work on a physical medium, you must return the medium with +your written explanation. The person or entity that provided you with +the defective work may elect to provide a replacement copy in lieu of a +refund. If you received the work electronically, the person or entity +providing it to you may choose to give you a second opportunity to +receive the work electronically in lieu of a refund. If the second copy +is also defective, you may demand a refund in writing without further +opportunities to fix the problem. + +1.F.4. Except for the limited right of replacement or refund set forth +in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS' WITH NO OTHER +WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT LIMITED TO +WARRANTIES OF MERCHANTIBILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE. + +1.F.5. Some states do not allow disclaimers of certain implied +warranties or the exclusion or limitation of certain types of damages. +If any disclaimer or limitation set forth in this agreement violates the +law of the state applicable to this agreement, the agreement shall be +interpreted to make the maximum disclaimer or limitation permitted by +the applicable state law. The invalidity or unenforceability of any +provision of this agreement shall not void the remaining provisions. + +1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the +trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone +providing copies of Project Gutenberg-tm electronic works in accordance +with this agreement, and any volunteers associated with the production, +promotion and distribution of Project Gutenberg-tm electronic works, +harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees, +that arise directly or indirectly from any of the following which you do +or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm +work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any +Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause. + + +Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm + +Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of +electronic works in formats readable by the widest variety of computers +including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists +because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from +people in all walks of life. + +Volunteers and financial support to provide volunteers with the +assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's +goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will +remain freely available for generations to come. In 2001, the Project +Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure +and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. +To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation +and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 +and the Foundation web page at https://www.pglaf.org. + + +Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive +Foundation + +The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit +501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the +state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal +Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification +number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at +https://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent +permitted by U.S. federal laws and your state's laws. + +The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. +Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered +throughout numerous locations. Its business office is located at +809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email +business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact +information can be found at the Foundation's web site and official +page at https://pglaf.org + +For additional contact information: + Dr. Gregory B. Newby + Chief Executive and Director + gbnewby@pglaf.org + + +Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation + +Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide +spread public support and donations to carry out its mission of +increasing the number of public domain and licensed works that can be +freely distributed in machine readable form accessible by the widest +array of equipment including outdated equipment. Many small donations +($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt +status with the IRS. + +The Foundation is committed to complying with the laws regulating +charities and charitable donations in all 50 states of the United +States. Compliance requirements are not uniform and it takes a +considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up +with these requirements. We do not solicit donations in locations +where we have not received written confirmation of compliance. To +SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any +particular state visit https://pglaf.org + +While we cannot and do not solicit contributions from states where we +have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition +against accepting unsolicited donations from donors in such states who +approach us with offers to donate. + +International donations are gratefully accepted, but we cannot make +any statements concerning tax treatment of donations received from +outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff. + +Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation +methods and addresses. Donations are accepted in a number of other +ways including including checks, online payments and credit card +donations. To donate, please visit: https://pglaf.org/donate + + +Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic +works. + +Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm +concept of a library of electronic works that could be freely shared +with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project +Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support. + + +Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed +editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S. +unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily +keep eBooks in compliance with any particular paper edition. + + +Most people start at our Web site which has the main PG search facility: + + https://www.gutenberg.org + +This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, +including how to make donations to the Project Gutenberg Literary +Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to +subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. + + +</pre> + +</body> +</html> + + diff --git a/31988-h/images/001.png b/31988-h/images/001.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..ee21a40 --- /dev/null +++ b/31988-h/images/001.png diff --git a/31988-h/images/002.png b/31988-h/images/002.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..d1e647d --- /dev/null +++ b/31988-h/images/002.png diff --git a/31988-h/images/003.png b/31988-h/images/003.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..e275c24 --- /dev/null +++ b/31988-h/images/003.png diff --git a/31988-h/images/004.png b/31988-h/images/004.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..3386149 --- /dev/null +++ b/31988-h/images/004.png diff --git a/31988-h/images/005.png b/31988-h/images/005.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..839a07b --- /dev/null +++ b/31988-h/images/005.png diff --git a/31988-h/images/006.png b/31988-h/images/006.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..04e828c --- /dev/null +++ b/31988-h/images/006.png diff --git a/31988-h/images/007.png b/31988-h/images/007.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..4d2d1d8 --- /dev/null +++ b/31988-h/images/007.png diff --git a/31988-h/images/008.png b/31988-h/images/008.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..d378171 --- /dev/null +++ b/31988-h/images/008.png diff --git a/31988-h/images/009.png b/31988-h/images/009.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..8a027be --- /dev/null +++ b/31988-h/images/009.png diff --git a/31988-h/images/010.png b/31988-h/images/010.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..3d0adf6 --- /dev/null +++ b/31988-h/images/010.png diff --git a/31988-h/images/011.png b/31988-h/images/011.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..84deb8b --- /dev/null +++ b/31988-h/images/011.png diff --git a/31988-h/images/012.png b/31988-h/images/012.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..ac81f5f --- /dev/null +++ b/31988-h/images/012.png diff --git a/31988-h/images/013.png b/31988-h/images/013.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..f433663 --- /dev/null +++ b/31988-h/images/013.png diff --git a/31988-h/images/014.png b/31988-h/images/014.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..8ea781f --- /dev/null +++ b/31988-h/images/014.png diff --git a/31988-h/images/015.png b/31988-h/images/015.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..6457946 --- /dev/null +++ b/31988-h/images/015.png diff --git a/31988-h/images/016.png b/31988-h/images/016.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..b419c56 --- /dev/null +++ b/31988-h/images/016.png diff --git a/31988-h/images/017.png b/31988-h/images/017.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..ba3b6f6 --- /dev/null +++ b/31988-h/images/017.png diff --git a/31988-h/images/018.png b/31988-h/images/018.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..e910592 --- /dev/null +++ b/31988-h/images/018.png diff --git a/31988-h/images/019.png b/31988-h/images/019.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..1a081b4 --- /dev/null +++ b/31988-h/images/019.png diff --git a/31988-h/images/020.png b/31988-h/images/020.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..9a85102 --- /dev/null +++ b/31988-h/images/020.png diff --git a/LICENSE.txt b/LICENSE.txt new file mode 100644 index 0000000..6312041 --- /dev/null +++ b/LICENSE.txt @@ -0,0 +1,11 @@ +This eBook, including all associated images, markup, improvements, +metadata, and any other content or labor, has been confirmed to be +in the PUBLIC DOMAIN IN THE UNITED STATES. + +Procedures for determining public domain status are described in +the "Copyright How-To" at https://www.gutenberg.org. + +No investigation has been made concerning possible copyrights in +jurisdictions other than the United States. Anyone seeking to utilize +this eBook outside of the United States should confirm copyright +status under the laws that apply to them. diff --git a/README.md b/README.md new file mode 100644 index 0000000..a0706e2 --- /dev/null +++ b/README.md @@ -0,0 +1,2 @@ +Project Gutenberg (https://www.gutenberg.org) public repository for +eBook #31988 (https://www.gutenberg.org/ebooks/31988) |
