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| author | Roger Frank <rfrank@pglaf.org> | 2025-10-14 20:01:35 -0700 |
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You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: Lautrec + +Author: Gustave Coquiot + +Release Date: November 23, 2010 [EBook #34422] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LAUTREC *** + + + + +Produced by Laurent Vogel, Claudine Corbasson, and the +Online Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net +(This file was produced from images generously made +available by the Bibliothèque nationale de France +(BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr), Illustrations +from images generously made available by The Internet +Archive + + + + + + + + + + Au lecteur + + Cette version électronique reproduit dans son intégralité + la version originale. + + La ponctuation n'a pas été modifiée hormis quelques corrections + mineures. + + L'orthographe a été conservée. Seuls quelques mots ont été modifiés. + La liste des modifications se trouve à la fin du texte. + + + + +LAUTREC + + + + +DU MÊME AUTEUR + + LES FÉERIES DE PARIS (_Couverture de R. Carabin_). + + LES SOUPEUSES (_Dessins de George Bottini_). + + LE VRAI J.-K. HUYSMANS (_Portrait par J.-F. Raffaëlli_). + + HENRI DE TOULOUSE-LAUTREC (_Avec des illustrations_). + + LE VRAI RODIN (_Avec des illustrations_). + + PARIS, VOICI PARIS! (_Couverture de Sacchetti_). + + CUBISTES, FUTURISTES, PASSÉISTES (_Avec des illustrations_). + + RODIN (_Grand album, avec des illustrations_). + + RODIN A L'HOTEL BIRON ET A MEUDON (_Avec des illustrations_). + + PAUL CÉZANNE (_Avec des illustrations_). + + LES INDÉPENDANTS (_Avec des illustrations_). + + VAGABONDAGES. + + +THÉATRE +(_Seul ou en collaboration_) + + M. PRIEUX EST DANS LA SALLE! + + DEUX HEURES DU MATIN... QUARTIER MARBEUF (_Couverture de Géo Dupuis_). + + HOTEL DE L'OUEST... CHAMBRE 22. + + UNE NUIT DE GRENELLE (_Couverture de Géo Dupuis_). + + SAINTE ROULETTE. + + +POUR PARAITRE + + L'HOMME DE LA NATURE. + + LES PANTINS DE PARIS (_Dessins de Forain_). + + L'ILE DÉSENCHANTÉE. + + PIERRE BONNARD. + + +Tous droits de traduction, de reproduction, réservés pour tous pays, y +compris la Suède, la Hollande, le Danemark et la Russie. + +S'adresser, pour traiter, à la Librairie OLLENDORFF 50, Chaussée d'Antin, +Paris. + + + + + GUSTAVE COQUIOT + + LAUTREC + + _OU QUINZE ANS DE + MOEURS PARISIENNES_ + + + 1885-1900 + + + Avec 24 reproductions hors-texte des oeuvres + de LAUTREC + + + TROISIÈME ÉDITION + + + PARIS + + _Société d'Éditions Littéraires et Artistiques_ + LIBRAIRIE OLLENDORFF + 50, CHAUSSÉE D'ANTIN, 50 + + + Copyright by Librairie Ollendorff 1921 + + + _Il a été tiré à part + Trente exemplaires sur papier de Hollande + numérotés à la presse._ + + + à R. CARABIN + + SCULPTEUR, MÉDAILLEUR, ORFÈVRE, + POTIER ET ALCHIMISTE + + +[Illustration: PORTRAIT DE LAUTREC +(_Eau-forte de Charles Maurin_).] + + + + +DES SOUVENIRS SUR LA VIE + +I + +Le Milieu + +Paris et René Princeteau + +Cormon ou la Vie + +Montmartre + +LE MILIEU + + +Descendant des comtes souverains de Toulouse, qui bataillèrent contre le +pape Innocent III, contre le roi Louis VIII de France, mieux encore +contre le rude sanglier Simon de Montfort, le comte Alphonse de +Toulouse-Lautrec-Monfa, aujourd'hui trépassé, chassait à courre, à grand +tapage de chiens et de trompes, en la terre de Loury en Loiret, quand sa +femme, la comtesse née Adèle Tapié de Celeyran, lui fit discrètement +annoncer la naissance de son fils Henri, né le 24 novembre 1864, à Albi, +14, rue de l'Ecole-Mage, dans un vieil hôtel de famille. + +Le veneur ne se hâta point pour cela de boucler son équipage. Officier +de cavalerie, sorti de l'Ecole de Saint-Cyr, démissionnaire, et marié en +l'année 1863, il avait tout de suite laissé sa femme à ses religieuses +pratiques pour éperonner, lui, à pleines molettes, la vie libre, +nettement excentrique qu'il chérissait. D'ailleurs, cet hoffmannesque +gentilhomme avait de qui tenir. Son propre père avait été un rude +coureur de bois et de halliers, farouche et autoritaire, qui avait +terrorisé son entourage. Excellent cavalier, forcené chasseur, il +n'avait presque jamais quitté la terre du Bosc, âpre terre située dans +le Rouergue, et qui appartenait à sa femme. Mais ces loups ont tout de +même une fin! Un soir, après avoir, durant toute la journée, sonné du +cor, à se rompre les veines, il mourut d'une chute de cheval, laissant à +son fils Alphonse la forte image d'un vieux veneur monté en couleurs, et +dressé sur ses éperons, comme un hargneux coq sur ses ergots. Il ne +possédait aucune fortune personnelle, du reste; mais, du côté de sa +femme, abondaient terres et argent; et il s'en trouvait très bien, car +les Banques, on le sait, sont faites pour les femmes et pour les +rustres!... Alors, cela dit, quant aux autres origines en ce qui touche +celui qui sera le peintre Henri de Toulouse-Lautrec, elles se +présentent, avec une certaine carrure, ainsi: + +Sa mère est une fille de Léonce Tapié de Celeyran et de Louise d'Imbert +du Bosc. Elle est cousine germaine de son mari, leurs deux mères étant +soeurs, filles du comte d'Imbert du Bosc et de Zoé de Solages. + +Les Tapié sont originaires de Cannes (Aude), où ils exercèrent, dès le +XVIe siècle, les fonctions de premiers consuls. Ils s'établirent à +Narbonne au XVIIe siècle, et y fournirent de nombreux magistrats +consulaires, plusieurs chanoines du chapitre de Saint-Sébastien +(paroisse de Narbonne), un officier de la maison du roy, un trésorier +général de France, etc. + +Quant à la terre de Celeyran (dont le nom s'ajouta à celui de Tapié), +ou, pour dire mieux, quant à la terre de Saint-Jean de Celeyran, c'était +une terre noble appartenant aux chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem, +qui, en 1680, environ, la vendirent avec haute, basse et moyenne +justice, à la famille Mengau, de Narbonne. + +Jacques Mengau, seigneur de Celeyran, conseiller à la cour de +Montpellier, adopta alors l'arrière-grand-père d'Henri de +Toulouse-Lautrec, fils de son cousin germain, et lui donna son nom et sa +fortune, en 1798. La terre de Celeyran, sur laquelle s'élève une vaste +habitation, est la plus considérable du département de l'Aude. Mais au +temps de l'arrière-grand-père d'Henri de Toulouse-Lautrec, avant qu'elle +n'eût été divisée par des partages de famille, sa contenance était de +plus de 1.500 hectares. + +Le château, situé sur la commune de Salles d'Aude (Aude), fut à un +moment la propriété, jamais payée, de la considérable et grasse Thérèse +Humbert. Il fut son nid d'affaires. Elle y puisa forces et ruses pendant +un laps d'années. Ce n'est qu'à sa déconfiture, que la famille Tapié put +reprendre cette terre, désormais doublement illustre. + +Du côté du père, c'est-à-dire du côté du comte Alphonse de +Toulouse-Lautrec-Monfa, il y avait deux branches: une branche aînée et +une branche cadette. Henri de Toulouse-Lautrec appartenait à la branche +cadette; et, à la mort de son père, le fief de Monfa, très ancien dans +la famille, aurait été son héritage. Il est vrai que Monfa n'est plus +qu'un château en ruines, avec une centaine d'hectares, très mal +cultivés. La poste, c'est Roquecourbe-Castres (Tarn). + +Mieux favorisée, la comtesse Alphonse de Toulouse-Lautrec avait, de son +père, hérité de la terre de Ricardel, qui est une portion de l'ancien +Celeyran. Terre sans château, et qui ne peut s'enorgueillir que d'une +simple maison de régisseur et de bâtiments d'exploitation rurale. + +Mais ceci était préférable: le château du Bosc, en Aveyron, et le +château de Malromé, par Saint-Macaire (Gironde), appartenaient aussi--et +appartiennent encore à Madame la comtesse Alphonse de Toulouse-Lautrec. + +Toute cette importante fortune territoriale ne put jamais cependant +contenir la fantaisiste humeur du Comte. Il vivait le plus souvent sur +des terrains de chasse, loin de sa femme; ou à Albi, où il demeura +longtemps chez sa mère, une fille du comte du Bosc;--parfois à Paris, +dans un hôtel;--ou bien devant la cathédrale d'Albi, la robuste et +originale cathédrale bâtie à son image. Là, sous une tente, il tenait +compagnie à ses faucons et à ses chiens, avant que de les traîner +ensuite les uns et les autres, à travers la ville ahurie, mais qui +pardonnait tout à M. le comte, dont elle vénérait, presque la tête +basse, la hauteur et l'impertinence. Car, ne se promenait-il pas, +encore, M. de Toulouse-Lautrec, un faucon sur le poing gauche, de la +viande crue dans l'autre main, et s'arrêtant tous les dix pas pour +nourrir le rapace? + +On citait, avec orgueil, bien d'autres fantaisies de cet homme, qui +ignorait si heureusement toutes les conventions sociales; comme il +voulait ignorer le temps, le lieu, les saisons et les heures;--en un mot +tout un ensemble de médiocre vie basée sur la résignation et la +discipline des bourgeois et des gens de boutique. + +Et Paris aussi subissait ses frasques! Ainsi, un jour, par exemple, ne +s'était-il pas entêté à emmener, à une matinée de gala du théâtre de +l'Opéra-Comique, un ménage ami: homme et femme, dans une bizarre +voiture-araignée qu'il conduisait lui-même? Sur le parcours, rires et +quolibets de fuser! Imperturbable, le comte Alphonse tenait correctement +les guides; donc, pourquoi un tel concert de moqueries et de +railleries? + +Les invités ne le surent qu'en arrivant au théâtre, lorsque, descendus +de la haute voiture, ils aperçurent entre les roues, dans une vaste +cage, toute une piaillante et frémissante tribu de petits oiseaux, que +le comte avait accrochés là, pour «qu'ils prissent l'air!» (_sic_), +avant que de servir de pâture à ses faucons! + +[Illustration: FILLE A LA FOURRURE + +PHOTO DRUET] + +Une autre fois, une nuit, à la campagne, les domestiques n'avaient ils +pas surpris M. le Comte à la recherche de cèpes; et il tenait d'une main +une bougie allumée, et, de l'autre main, un carton à chapeau? Et, le +lendemain, n'était-il pas descendu, à la table d'un dîner de famille, +costumé en écossais, et la jupe à carreaux remplacée par un tutu de +danseuse? + +A Paris, on vit le comte de Toulouse-Lautrec, à l'enviable moment des +beaux cavaliers et des jolies amazones, monter, pendant quelques mois, +au Bois, une jument laitière, sur une selle de Kirghiz; et, de temps en +temps, il mettait placidement pied à terre, pour traire la jument et +boire de son lait. + +C'est aussi au même Bois de Boulogne que, rencontrant, un jour, une +troupe de cavaliers tartares, en représentation au Jardin +d'acclimatation, il se mit à caracoler à leur tête, pour les emmener à +travers Paris jusqu'à l'Hippodrome (actuel Gaumont-palace); et là, dans +le jardin qui existait alors, les faire photographier, en se plaçant au +premier rang. + +Enfin, voici une dernière anecdote; et celle-ci, qu'on me le pardonne, +m'est toute personnelle. + +Quand le comte apprit, en 1912, que j'étais en train de préparer un +premier livre consacré à son fils, il se fâcha et il voulut accourir +d'Albi pour me châtier, en combat singulier, comme au temps des Croisés. +Il dit ceci: lui, noble gentilhomme, il tiendrait une lance, il serait +dans une espèce de petite tranchée à cause de ses cors aux pieds; et +moi, humble serf, je serais face à lui, et armé d'un simple bâton. +Croyez-le, on eut beaucoup de difficultés à l'empêcher de venir jusqu'à +moi, à Paris, à cheval, par le moyen de chevaux de relais. + +Certes, je pourrais citer bien d'autres anecdotes pour montrer que le +comte Alphonse de Toulouse-Lautrec-Monfa était vraiment un gentilhomme +d'une totale extravagance; mais, aussi bien, il faut, peut-être, se +contenter du significatif dessin que Forain fit d'après lui, et qui le +représente, cet insolite gentilhomme, à cheval, son ample manteau +déroulé, comme une robe de cour, sur la croupe de la bête? + +Un père assurément singulier, une mère pieuse, très attachée à ses +devoirs, voilà donc, à peine silhouettés, les directs ascendants de +Henri de Toulouse-Lautrec; ascendants qui convinrent entre eux deux de +ceci: la comtesse s'occuperait d'abord seule de son fils; le père, lui, +s'en chargerait plus tard; et en ferait, alors, à son image, un +orgueilleux seigneur, un forcené veneur, et un parfait contempteur de +son temps! + +Henri de Toulouse-Lautrec partit pour vivre, avec sa mère, toute son +enfance à Paris, hôtel Perey, cité du Retiro; et il fut placé comme +externe libre au lycée Condorcet, sa mère se chargeant de toute son +éducation et lui servant même de répétiteur. + +Ses vacances scolaires, il les passait à Celeyran, au Bosc ou à Malromé. +Tous deux, la mère et le fils, ils furent aussi plusieurs fois à Nice, +dans une pension de famille, où Henri aimait à parler anglais avec les +hôtes. + +Mais il fallait rentrer; et le lycée l'obsédait. Aussi, dès l'âge de +dix ans, il ne voulut plus travailler qu'avec sa mère. Quand il eut +treize ans, il se cassa une jambe en glissant sur un parquet; et l'année +suivante, lors d'un voyage à Barèges, il se cassa l'autre jambe. Dès +lors, il ne grandit plus; et la marche lui devint pénible. + +En une douloureuse réalité, c'en est fait des rêves de la toute première +enfance. Le père, ce dur cavalier, se détourne de cet enfant qui ne +peut, qui ne pourra jamais le talonner dans ses chasses. Voilà tout le +commencement d'un chagrin que l'enfant, l'adolescent, et enfin l'homme +ne cessera plus de ressentir! + +Ces chevaux, qu'il ne pourra jamais conduire, cet infirme les aime d'un +tel amour qu'il commence de les crayonner, de les dessiner, seuls ou +avec des chiens, ou avec des équipages. Et cela le passionne tellement +qu'il ne veut même plus accomplir ses études scolaires. Il passe la +première partie du baccalauréat-ès-lettres; et il en reste là. + +Il est un nain. Il a un torse normal; mais ses jambes sont +extraordinairement courtes. Oui, c'est un fait brutal! Le descendant des +comtes de Toulouse-Lautrec-Monfa ne sera pas un cavalier, un héros de +concours hippique et de chasses à courre. Il n'a plus qu'à devenir le +peintre des bals publics, des maisons closes, des vélodromes, de toute +une population pittoresque, assurément, mais comme ce champ est borné! +Souvent, au cours de sa brève vie, est-ce que Lautrec ne regrettera pas +l'élégant gentilhomme, le rude bretteur et le vigoureux chevaucheur +qu'il eût pu être, en un mot la belle brute dont la vitalité sanguine et +nerveuse attire autour de soi un violent flux d'admiratifs hommages? +Porter un tel superbe nom: Henri de Toulouse-Lautrec-Monfa et aboutir +là: être l'annaliste d'une époque de pourriture! Pour oublier cela, +est-ce qu'il ne sera point obligé de se jeter, à corps perdu, dans la +vie, et de la brûler, la mauvaise vie, avec la plus dévorante +frénésie?... Allons! C'est ce que fera Henri de Toulouse-Lautrec-Monfa, +peintre un peu par force et surtout par vocation, mais descendant quand +même, malgré tout, d'une lignée de comtes d'altière noblesse; et seul +descendant, puisqu'il avait perdu un frère, âgé d'un an, alors qu'il +atteignait, lui, la troisième année de sa vie. + +Soit! Ses brillantes qualités d'orgueil, d'amour de sa race, de fierté +apprise, il les emploiera donc, puisque c'est la dure contrainte, au +service de son métier presque subi; et toute son éducation, tout le +style, toute la hauteur de son origine, il mettra tout cela dans son +dessin et dans sa peinture; puisque la nature, si impitoyable aux +erreurs congénitales, lui refusa, à lui, la taille et la force qu'elle +accorde si bénévolement à tant de fils des champs ou des villes, nés +dans l'emportement de deux sangs merveilleusement croisés et neufs, et +purs de toute consanguinité imposée depuis de trop longues années!... +Et, pour la première fois, peut-être, un peintre porteur d'un nom à +panache, avec un entrain non feint, ira vers les plus crapuleux +spectacles, pour les exprimer, non pas, comme on l'a cru, avec une +férocité de nain haineux, mais avec une verve passionnée, avec une +tenace ivresse, avec un don de tout son génie. Et toujours ce +peintre-là--rare spectacle!--cherchera à chérir davantage ses modèles; +il consumera une plus farouche volonté à les dessiner mieux, à les +peindre avec plus de fougue et avec plus d'amour!... C'est comme cela +qu'il usera sa méchante vie! + + +PARIS ET RENÉ PRINCETEAU + +Occasionnellement, le comte Alphonse de Toulouse-Lautrec avait dessiné +et modelé quelques esquisses en terre: chevaux et chiens d'équipage; +mais il ne convient pas de voir ici une véritable hérédité pour Lautrec, +qui va, au contraire, après quelques essais, se donner tout entier aux +bals et aux maisons closes, à des hôtes de cirques et de bars. + +C'est plus simple et tellement plus simple. Le comte Alphonse de +Toulouse-Lautrec avait un ami, artiste-peintre, dont l'atelier s'ouvrait +dans une sorte d'impasse, au nº 233, du faubourg Saint-Honoré! Ce +peintre, comme par un décret de la Providence, c'était René Princeteau, +peintre de chasses, de chevaux et de chiens! Or, dès l'âge de huit ans, +Lautrec ayant commencé de venir dans l'atelier de Princeteau, +retrouvait ainsi tous les sujets de tableaux qui lui étaient si +familiers. De là à les imiter, à les copier, il n'y eut qu'un pas à +franchir; et il fut vite franchi. Ce passage d'une lettre qui nous fut +adressée par Princeteau quelques jours avant sa mort, atteste cela. +Voici ce fragment: + +«Oui, j'étais surtout peiné de sa «pas bonne forme»! (_sic_). Mon pauvre +Henri! Il venait tous les matins dans mon atelier; à quatorze ans, en +1878, il copia mes études et fit un portrait de moi, «à me faire +frémir!» (_sic_). + +«Pendant les vacances, il peignait devant nature portraits, chevaux, +chiens, soldats, artilleurs au moment des manoeuvres. Un hiver, à +Cannes, il a peint des bateaux, la mer, des amazones. + +«Henri et moi, nous allions au cirque pour les chevaux, et au théâtre +pour les décors. Il était profond connaisseur en chevaux et en chiens.» + +[Illustration: PORTRAIT + +PHOTO DRUET] + +Et voilà la toute simple raison des débuts de Lautrec. En tout cas, +Princeteau étant sourd et muet, il ne pouvait pas être un maître +fatigant pour le peintre adolescent. De plus, chez Princeteau, venaient +aussi quelques peintres: Forain, Butin, Petitjean et surtout John-Lewis +Brown, un autre peintre de chevaux et un autre Bordelais comme +Princeteau. Mais lui, Brown, peignait ses chevaux et ses cavaliers avec +une telle virtuosité et avec un tel éclat que tous ses portraits de +chevaux semblent avoir été plaqués de luisant acajou. + +Dans ce milieu de peintres, et surtout en présence de ces deux peintres +de chevaux: Princeteau et John-Lewis Brown, Lautrec se mit à représenter +avec une opiniâtre ardeur les chevaux qu'il ne pouvait pas chevaucher. +Rappelons-nous, d'ailleurs, qu'il n'y eut jamais un plus favorable temps +de l'hippisme. Ils montaient régulièrement, au Bois, ces cavaliers et +ces amazones qui s'appelaient Émile Abeille, le comte Nicolas Potocki, +le prince Charles de Ligne, le duc de Camposelice, le vicomte de +Montigny, le marquis de Breteuil, le vicomte de Pons, le baron de la +Rochette;--la duchesse de Fitz-James, la comtesse de Clermont-Tonnerre, +la comtesse de Caraman, la baronne de Beauchamp et la marquise de +Louvencourt. Or, comme Princeteau, sans trop d'originalité, mais avec +acharnement, les dessinait tous et toutes sur de petits albums, +c'étaient ces petits albums-là, prestigieux et magiques, qui +passionnaient Lautrec. + +Là-dedans, en effet, au cours des pages, ne voyait-il pas des poneys, +des cobs, des irlandais, des pur-sang, tous chevaux bien mis;--et aussi, +dans de discrètes allées, des silhouettes de bidets et de chevaux de +manège, dont le drolatique aspect physique l'enchantait? Toutes les +caricatures, mâles et femelles, que le goût de l'équitation pouvait +engendrer,--c'est sans doute de les regarder, avec tant de flamme, que +Lautrec prit le sens de ce trait caustique, aigu et rare, qui, plus +tard, développé, fera de son dessin une écriture à nulle autre pareille +et situant admirablement toutes les tares physiques. Et comme Princeteau +aimait de plus en plus «son nourrisson d'atelier», ainsi appelait-il +Lautrec, celui-ci put, tout à son aise, dessiner et peindre, sous les +regards amusés de Princeteau. Un jour pourtant ce dernier voyant que le +«nourrisson» voulait, lui aussi, devenir un artiste, un enseignement +officiel s'imposa aux yeux du brave homme, peintre discipliné, qui, +naturellement, croyait à la tradition, aux professeurs consacrés; et il +choisit alors pour Lautrec un véritable maître, en la personne de M. +Léon Bonnat. Lautrec, docile, entra dans cet atelier; mais il ne fit +qu'y passer, l'atelier Bonnat ayant fermé presque aussitôt ses sacrées +portes. Juste compensation! C'est dans cet atelier que Lautrec connut +son ami le plus attaché: M. Henri Rachou, qui est actuellement Directeur +des Beaux-Arts de la ville de Toulouse. + +Le soir, Lautrec retrouvait René Princeteau; et, durant toutes ces +années-là, on les vit tous deux au cirque Fernando, alors bâti en +planches, sur l'emplacement actuel du cirque Médrano, et que tout Paris +envahissait. + +Ce goût du cirque, on le verra se développer jusqu'à la plus extrême +acuité chez Lautrec. Plus loin, nous dirons ce qu'il en tira, même quand +il fut contraint de se reposer pendant quelques mois, chez le docteur +Semelaigne, à Saint-James. + + +CORMON OU LA VIE + +De Bonnat, Lautrec passa aux mains de Cormon. D'un médiocre à un pire. +L'homme de l'âge de plâtre, le néfaste macrobe qui commit sur des toiles +à voiles les plus odieux des poncifs, avait ouvert un atelier à +Montmartre, rue Constance. Lautrec alla dans cet atelier. A cet âge, on +a la candeur des plus touchantes sottises. Et, Cormon s'installant +ensuite au nº 104 du boulevard de Clichy, Lautrec le suivit. Aussi bien, +ce sont les camarades qui vous attirent; et Lautrec, dans le premier +atelier Cormon, s'était déjà lié avec les peintres Vincent Van Gogh, +Gauzi, Claudon, Grenier et Anquetin; et ceux-là, tout en restant chez le +pion d'Institut, n'admiraient que Delacroix, Degas, Manet, Renoir et les +Japonais. Et ils tenaient des propos enflammés! Et ils avaient de beaux +espoirs!... Mais quels souvenirs ont gardé de Lautrec ses camarades de +ce temps-là? Le premier, voici comment le juge le peintre Claudon: + +«Lautrec était fort adroit, et il se servait de cet esprit d'observation +qui n'a fait que s'aiguiser avec le temps; mais c'étaient surtout les +chevaux, les habits rouges et les chasses à courre qui le passionnaient. +Toutefois, je dois avancer qu'ayant un jour à décorer deux panneaux dans +un cercle que nous avions fondé, il fit ses panneaux tout à fait à la +manière de Forain. + +«Je me rappelle de ce temps peu de mots de Lautrec; il aimait plutôt à +synthétiser par une phrase brève toute une situation, et à rendre les +choses par une formule crayonnée sur un bout de papier et les gens par +une charge faite d'un trait étonnamment expressif.» + +M. Gauzi, retiré aujourd'hui à Toulouse, nous a dit, de son côté: + +«Sous des dehors moqueurs, Lautrec était d'une nature très sensible, et +il n'avait que des amis. Extrêmement liant, il était très serviable. +Faible, il admirait la force chez les lutteurs et chez les acrobates. +Il était très bien élevé. En art, il fut toujours sincère. A l'atelier +Cormon, il s'efforçait de copier le modèle; mais, malgré lui, il +exagérait certains détails typiques ou bien le caractère général, de +telle sorte qu'il déformait sans le chercher et même sans le vouloir. Je +l'ai vu se forcer en présence d'un modèle à «faire joli», et ne +pouvoir, à mon avis, y réussir. Le mot «se forcer à faire joli» est de +lui. Ses premiers dessins et ses premiers tableaux au sortir de +l'atelier, il les exécuta toujours d'après nature; il disait même qu'il +ne pouvait travailler si le moindre accessoire n'était à sa place au +moment où il travaillait. Il avait entrepris un portrait de moi; à ce +moment, j'arrivais de ma province et j'arborais un superbe gilet de +fantaisie jaune; immédiatement ce gilet fut dans l'oeil de Lautrec, qui +voulut me représenter en bras de chemise, sans doute pour mieux voir le +dit gilet. Il commença et travailla quelques séances; sur ces +entrefaites, je déménageai et on me vola ou je perdis mon gilet; il +refusa alors de continuer ce portrait malgré qu'il fut très avancé; il +en fit un nouveau tout à fait différent.» + +«Son maître d'élection était Degas; il le vénérait. Ses autres +préférences, parmi les modernes, allaient à Renoir et à Forain. Il avait +un culte pour les anciens Japonais; il admirait Velasquez et Goya; et, +chose qui paraîtra extraordinaire à quelques peintres, il avait pour +Ingres une estime particulière; en cela, il ne faisait que suivre les +goûts de Degas qui a toujours vanté les dessins de Dominique Ingres». + +Les Japonais! Théodore Duret et Cernuschi, de retour d'un féerique +voyage au Japon, les avaient mis à la mode; et on commençait de +collectionner les si neuves estampes du Nippon, arrivées par les bateaux +de commerce. Portier, le marchand de tableaux, en avait acquis un lot; +et Lautrec lui acheta certaines de ces estampes. Il se passionna, comme +Van Gogh, pour ces planches qu'avaient griffé Harounobu, Kiyonaga, +Toyokouni, Outamaro, Hiroschigé et Hokousaï. + +Cormon ou la vie? N'était-ce pas la vie, ces gestes, ces attitudes, ces +expressions singulièrement inattendues? C'était la vie, cette grâce +inédite, cette souple puissance, cette gracile joliesse, ces mobiles +décors, cette science du dessin, ces accords de somptueuses couleurs! +Cormon, à l'opposé, c'était le néant, la tradition la plus vaine figée +par un dessin convenu, par une couleur générale alourdie de plâtre! +Comment hésiter? + +[Illustration: BAL MASQUÉ + +PHOTO DRUET] + +Et les autres admirations de Lautrec, c'était aussi la vie! Velasquez, +en effet, c'était la hautaine distinction, la grâce d'une naturelle +noblesse; Goya, c'était la fantaisie désordonnée, toute puissante, +animant les plus terribles spectacles; Goya, qui, auparavant, avait +aiguillé Forain se demandant un jour, au Cabinet des Estampes, ce qu'il +convenait de faire; Forain, happé par les prodigieux _Caprices_, et +éclairé tout d'un coup, brutalement; Goya, dont la forte devise: _J'ai +vu çà!_ allait devenir la devise de Lautrec, flottant entre Cormon de +l'âge de plâtre et Goya de l'âge de sang! + +Ingres, enfin, d'une sensualité concentrée jusqu'à la plus tendre +subtilité, s'il s'en tient parfois à des redites de tradition; Ingres +l'émerveillait également quand il lui livrait les trésors de ses +odalisques, de ses baigneuses et de quelques-uns de ses portraits de +femmes si brûlés de passion! + +J'ai tenu aussi à interroger M. Henri Rachou, l'ancien condisciple de +Lautrec. Voici sa lettre consacrée à la mémoire de son ami: + +«J'ai connu Henri à Paris, par sa mère, en 1882. Il avait déjà commencé +à peindre avec notre ami René Princeteau et faisait, à la manière de ce +dernier, de petits panneaux représentant des chevaux. + +«Il a suivi avec moi les cours de l'atelier Bonnat, puis ceux de +l'atelier Cormon où il étudiait de façon très suivie le matin, passant +ses après-midi à peindre d'après nos modèles habituels: le père Cot, +Carmen, Gabrielle, etc., soit dans mon petit jardin de la rue Ganneron, +que j'ai habité 17 ans, soit chez M. Forest, propriétaire, rue Forest. +Je ne crois pas avoir eu la moindre influence sur lui. Il venait +fréquemment avec moi au Louvre, à Notre-Dame, à Saint-Séverin; mais, +bien qu'il admirât l'art gothique, dont la vénération m'est restée, il +manifestait déjà des préférences très marquées pour l'art japonais, +l'art de Degas, de Manet et des Impressionnistes en général, de sorte +qu'il échappa à l'atelier alors qu'il y travaillait encore. + +«Ce qui m'a le plus vivement frappé chez lui est sa magnifique +intelligence toujours en éveil, sa bonté extrême pour ceux qui +l'aimaient et sa connaissance parfaite des hommes. Je ne l'ai jamais vu +se tromper dans ses appréciations sur nos camarades. Il était +incroyablement psychologue, ne se livrait qu'à ceux dont il avait +éprouvé l'amitié et traitait parfois les autres avec un sans-façon +voisin de la cruauté. D'une éducation parfaite quand il le voulait, il +dévoilait un sens exact de la mesure en s'adaptant à tous les milieux. + +«Je ne l'ai jamais connu ni exubérant ni ambitieux. Il était avant tout +artiste et n'attachait, bien qu'il les recherchât, qu'une valeur très +relative aux éloges. Il ne se montrait, dans l'intimité, que très +rarement satisfait de ses travaux.» + +Pour terminer ce chapitre, puis-je noter, enfin, ce court portrait +physique et moral de Lautrec par un dernier de ses camarades? + +«Il était non seulement très petit, mais difforme. La tête était +lourde. Il traînait les jambes et s'appuyait sur une minuscule canne au +manche recourbé, qu'il appelait lui même son «crochet à bottines». Il +était très myope; son pince-nez ne le quittait pas. Il portait sa +moustache et sa barbe mal taillées. Il avait la bouche épaisse, la lèvre +inférieure pendante, toujours un peu baveuse, le nez assez fort, le +regard souvent endormi, lourd; parfois, au contraire, étonnamment vif, +curieux, rieur. + +«Il lisait peu--ou presque pas. Assez bavard, il aimait fort plaisanter +avec des amis. Pas lyrique, ni littéraire. Pas rosse, mais gouailleur, +malicieux, très observateur, très passionné... Ah! je vois encore +Lautrec passant toute sa matinée au musée de Bruxelles devant un +portrait d'homme de Cranach! Quel enthousiasme! Enthousiasme jamais +débordant, jamais méridional...» + + +MONTMARTRE + +Mais la vie qui va prendre tout entier Lautrec, la vie qui l'assaille +chaque jour quand il va chez Cormon et quand il sort de ce morne +atelier, la vie, toute la vie matérielle et brûlante, c'est Montmartre +et quel Montmartre! + +Montmartre, au temps de Lautrec, c'est-à-dire de 1885 à 1900, c'est en +effet, le _Moulin-Rouge_ qui vient de remplacer le _Bal de la Reine +Blanche_ et que dirige Zidler; c'est le _Café du Rat mort_, déjà situé à +sa place actuelle; c'est le _Bal du Moulin de la Galette_, où l'on paye +les danses; c'est Palmyre, installée alors à la _Souris_, rue Bréda; +c'est Armande, trônant au _Hanneton_; c'est l'_Auberge du Clou_, avenue +Trudaine; c'est le cabaret du _Mirliton_, que vient de quitter Salis +pour transporter, rue de Laval, son cabaret du _Chat noir_;--le +_Mirliton_, où engueule et chante l'humanitaire Aristide Bruant; c'est +le _Bal de l'Elysée Montmartre_; c'est le _Divan Japonais_; c'est le +tapageur _Café de la Place Blanche_, qui s'est ouvert en même temps que +le Moulin-Rouge; et, enfin, Montmartre c'est, en contraste, autour de la +vasque Pigalle, encombrée de modèles italiens, l'atelier de Roybet le +Magnifique, le Panthéon de Puvis de Chavannes l'olympien sensuel, et la +boutique de l'avare Henner, du pays d'Alsace! + +On peut imaginer avec quelle joie Lautrec tomba du nid Cormon dans ce +chaud milieu! Il a besoin de travailler, de s'étourdir; ici, il va +travailler, et il va s'étourdir. + +Pour lui, qui ne peut guère marcher et se fatiguer, l'essentiel, c'est +de rester dans un cercle assez restreint; les boulevards extérieurs +sont, d'ailleurs, peu sûrs; et le Moulin-Rouge le retiendra durant de +longues années avec son amusant et exceptionnel spectacle. Lautrec se +lie donc tout de suite avec Joseph Oller, le propriétaire; et il aura +désormais, au bal, sa table retenue. + +Il y entre, tous les soirs, le visage joyeux. Mais aussi quel bal et +quelles danseuses! A l'heure actuelle, c'est peut-être notre plus tenace +regret que tout cela ne soit plus! Sans doute, on loue toujours le temps +passé; mais il nous semble que la vie alors était moins bête qu'au temps +présent; surtout si l'on évoque toutes ces pittoresques danseuses, qu'on +appelait, entre tant d'autres: Grille d'égout, Demi-syphon, Rayon d'or, +Muguet la limonnière, Eglantine, la Goulue, la Mélinite, et que +couronnait ce prodigieux danseur: Valentin le désossé! + +Ah! ces trois dernières vedettes, quelles curieuses et épileptiques +sauterelles! Quel extravagant trio! Ce Valentin le désossé, si glabre, +si funèbre sous son haute forme noir, qui basculait en avant; ce +somnolent Valentin, qui, le soir, se transformait en un inénarrable et +électrique danseur. Grand, maigre à s'enrouler autour d'un bec de gaz, +n'ayant pas d'âge, trente-cinq ou tout aussi bien cinquante-cinq ans, +étriqué et monté sur ressorts, il avait des jambes et des bras en +lanières de caoutchouc. Il tenait de la sarigue et du casoar, et quelle +trompe! Mais ce dégingandé valsait vraiment avec une sûre cadence et un +incroyable rythme. Ses longs pieds tournaient, remontés, toujours autour +du même pivot. Ses pieds étaient de parfaits automates. Aussi, comme +nous l'admirions, cet Empereur de la Danse! + +Ses rivales et ses deux chères amies, c'étaient la Goulue et la +Mélinite. + +La Goulue, une étrange fille, à la face d'empeigne, au profil de rapace, +à la bouche torve, aux yeux durs. Sèchement elle dansait, avec des +gestes nets. On l'appelait la Goulue, du temps de ses débuts au Moulin, +où elle avait fait, chaque soir, le tour des tables, en vidant le fond +des verres. + +La Mélinite ou Jane Avril, c'était une autre affaire, comme on dit. Car +elle se présentait, celle-ci, gracile et souple. Délicate et amenuisée +même. Son visage pincé et fin faisait songer à une souris. Et qu'elle +était invraisemblablement maigre, si déliée qu'elle pouvait se ployer +jusqu'à éventer de son dos le parquet! + +En outre, elle «avait des Lettres»; ses amis comptaient dans la +Littérature gaie et dans la Littérature sacrée; ses amis Alphonse +Allais et Théodor de Wyzewa. D'ensemble, elle apparaissait telle qu'une +sorte d'institutrice tombée dans la canaille du «chahut». Douce, bien +élevée, elle tenait gentiment son «paquet de linges», au moment où, +d'une jambe, redressée et agitée, elle battait la rémolade. + +[Illustration: LA PROMENADE AU MOULIN ROUGE +(_La Goulue_). + +PHOTO DRUET] + +La Goulue, au contraire, vous secouait avec son chignon relevé en crête +de bataille, avec ses lèvres serrées et son bec d'épervier. Quelle face +et quel profil! Elle symbolisait, cette formidable guenipe, toute une +époque qui bouillait dans la sauce des bals. + +Gale et teigne, on n'osait pas, vraiment, certains soirs, lui adresser +la parole. En ces moments-là, ses yeux se plissaient, aggravaient leur +dureté métallique, et l'accent circonflexe de sa bouche remontait +durement vers son nez aux narines minces. + +Tous les soirs, Lautrec ne manquait pas d'aller au Moulin; et il offrait +à boire aux trois impériales étoiles. Pour tous, danseurs et +spectateurs, il devint bientôt l'indispensable personnage à la raison +d'être de la danse. Assis à sa table, avec des amis, il était là, en +effet, comme le bouddha, coiffé d'un melon, du quadrille et de la valse. +Mais c'était un bouddha qui voyait tout, qui observait tout; et qui +enregistrait la plus totale collection de gestes et d'attitudes que l'on +pût imaginer! + +Les odeurs des alcools et du bal le surexcitaient. Il fut rapidement +visible que sa sensibilité s'aiguisait, se tendait jusqu'à une extrême +limite douloureuse. Il avait déjà des tics, des rictus. Il vibrait +jusqu'à l'angoisse; il paraissait s'étouffer lui-même sous une chape +d'anxiété; il faisait pénétrer en lui, comme une pointe aiguë, le +redoutable visage de ces danses qui le crucifiaient. Aussi, plus tard, +certes, nous n'avons jamais pu sourire, nous, devant les quadrilles +qu'il a peints, et que semblent danser de «vivants» cadavres! + +En vérité, à ce moment-là, tous les chagrins de sa pauvre vie physique, +qu'il porta telle qu'une sorte de suaire, Lautrec s'en imprégna, sans +miséricorde, dans cette fumante salle du Moulin, où nous le rencontrâmes +si souvent. En revoyant ses tableaux, nous sentons bien de quoi sont +faits ces gestes canailles qui soulèvent des jupes, et de quel poids +pèsent ces jambes qui remuent de la pointe le vide. Nous avons retenu, +nous avons compté, en regardant Lautrec, tous ses sanglots cachés, tous +ses effrois et toutes ses terreurs! Plus tard, même, est-ce que le +_Quadrille au Moulin-Rouge_ ne causera pas une épouvante pareille à +celle qu'engendre la _Crucifixion_ de Mathias Grünwald, par exemple? Qui +notera alors les épouvantes de toutes nos pauvres âmes assassinées? + +D'autres cavernes de supplice ou d'autres champs de pitié, Lautrec les +trouvait à la _Souris_ ou au _Hanneton_. Il tombait là sur toutes les +vieilles et toutes les jeunes gousses, sur toutes les tribades qui, en +se léchant et en se pourléchant, brassaient des cartes, ou jetaient des +dés sur la crasse d'un marbre cassé. C'étaient des profils et des +splendides têtes de massacre, des gueules affaissées de vices, des bouts +de nez de rates et des groins de truies. Lautrec exultait dans cette +bauge; il se pâmait sur toute cette magnifique pourriture à dessiner et +à peindre. Ah! ce n'étaient plus les filles des routes, les filles +rudes et fortes comme des bêtes de halliers; des filles durcies par +l'air, par la pluie, par le soleil, et qui vibrent avec des cuisses +craquantes et des bras de lutteurs! Ce n'était plus du rire sain, des +apostrophes en pleine joie, la face éclatée et rouge; c'était, ici, de +l'extrait de marécage, des moisissures et des verdissures de cloaques, +des lèvres flétries, des yeux en persiennes, des nuques courbées, des +seins dévalant sur des ventres mous, contenus dans des corsets durs. +C'était inédit à représenter cela; et personne, proprement, ne l'avait +fait. Un aspect pittoresque et ignoble, mais d'une superbe expression de +fumier humain. Lautrec se jeta dans ce purin; et il s'en enivra. + +Chez Bruant, il devint aussi un hôte tenace. A ce moment-là, il se +traînait partout, se balançant, se dandinant. Le grand diable, qui, d'un +emploi au chemin de fer, s'était juché sur le tréteau des chansonniers, +l'épais bougre de noir vêtu et lourdement cravaté de rouge, l'enchanta. +Quel ténor bruyant et fort en gueule! Et puis Lautrec aimait les +chansons de Bruant, les chansons niaises et radoteuses, tout le vieillot +déjà et tout le sentimental de ces romances consacrées aux filles et à +leurs souteneurs; tout ce suranné qu'on présente encore maintenant, +faisandé, avarié, hors de toute vérité! et Lautrec ne faisait que suivre +tout Paris, en fêtant le chantre bêlant des filles. + +Au _Divan japonais_, au _Clou_, Lautrec prenait place également; et, là, +le bouddha, toujours, observait, notait des visages et des attitudes. Il +fut bientôt l'ami de cet ex-marchand d'olives, Sarrazin, qui participa à +la célébrité de ce Montmartre d'hier. Ce petit comptable maigre, porteur +d'un lorgnon, témoignait avant tout d'une inexplicable peur de la +police; pourtant, c'était dans le sous-sol du _Divan_ qu'on faisait le +plus de bruit, donc rien à craindre; mais Sarrazin, poète à ses heures, +ne se sentait pas de force, affaibli par les rimes, pour se colleter +avec les flics. Aussi, il voulut un jour agrandir son établissement, +surtout le rendre plus honnête; mais, en quelques mois, il fit faillite. +Montmartre n'aime pas l'ordre! + +Là-haut, au _Moulin de la Galette_, perché sur la Butte, Lautrec ne se +montrait guère. Du reste, ce n'était pas, en ce temps-là, l'amusante +réunion des fillettes et des gosses de Montmartre, midinettes et +commis, que ce Moulin allait devenir plus tard; ce n'était pas le +tournoiement d'une jeunesse aigrelette; ce n'était pas non plus le +laisser-aller et l'abandon de gamines d'atelier, rompues mais vivaces; +c'était un bal au-dessous, un bal à saladiers de vin, à putains mûres. +Cela n'était point pour trop tenter Lautrec; et puis, ce bal juché au +diable vauvert l'éloignait trop de son quartier général, établi dans les +immédiats entours du Moulin-Rouge. Le Café de la place Blanche et le Rat +mort étaient aussi les seuls acceptables restaurants de nuit; et cela +lui suffisait. Au premier bal des Quat'z-Arts, à l'Elysée Montmartre +(après la fin des bals des Incohérents), à ce premier bal organisé par +le photographe Simonnet, Lautrec se déguisa en ouvrier lithographe, +cotte bleue, un chapeau mou avec une pipe passée au travers. Et ce +simple geste le ravit. Un tout petit coin de Montmartre, avec des +plaisirs en somme peu renouvelés, cela, c'était sa vie, cela fut +désormais toute sa vie. Il n'alla guère ensuite que par caprices vers +d'autres spectacles. + + + + +DES SOUVENIRS SUR LA VIE + +II + +Quelques Sports + +Bars et Maisons closes + +QUELQUES SPORTS + + +Lautrec ayant connu Tristan-Bernard à _la Revue blanche_, fondée en +1891, par les frères Natanson, tout de suite, par lui, il alla au +vélodrome Buffalo, dont Baduel était l'administrateur, et, lui-même, +Tristan-Bernard, le directeur sportif. Et pas un directeur sportif pour +rire, car on doit à Tristan-Bernard, qui le croirait? trois choses +essentiellement sportives: la sonnerie de la cloche pour annoncer aux +coureurs le dernier tour à faire; la série de repêchage permettant à un +crack d'en appeler d'une occasionnelle défaite; et enfin le brassard nº +1 qui fut couru tant de fois! + +Tristan-Bernard et Lautrec «s'adorèrent». Lautrec eut la bonne joie de +connaître le fameux Yankee volant Arthur Zimmerman et la merveilleuse +petite mécanique de demi-fond, Jimmy Michaël. + +Et il travailla intensément à ce vélodrome Buffalo. Ce fut un tel moment +d'enthousiasme sportif! Le vélodrome vécut de frémissantes heures qu'il +ne devait plus retrouver. Certes, on admira, toutes ces dernières +années, d'excellents coureurs de vitesse: le bull-dog Kramer, l'élégant +Bourillon, le populaire Jacquelin, le tenace Ellegaard et le menu Friol; +mais ils ne «coiffèrent» pas le prestigieux Zimmerman! Et quel Bouhours, +quel Contenet, quel Darragon, quel Sérès pourrait-on aligner, dans la +mémoire des vieux sportsmen, à côté du petit Michaël, qui tournait +toujours de son vif et régulier mouvement d'horloge, un cure-dents entre +ses lèvres; Michaël, cette petite face volontaire et busquée de ratier? +Et, aussi, qui opposerait-on au dégingandé, plat et interminable +Zimmerman, qui évoquait je ne sais quel oiseau des hautes altitudes, +maladroit sur ses pieds, et si rapide, si volant, quand il pesait sur +ses pédales? + +Leur manager, Choppy Warburton, offrait également un étrange type, très +américain, à dos bombé; et Lautrec, d'après les trois hommes, dessina +d'extraordinaires lithographies. + +Le beau temps! Beaucoup de ceux qui l'ont vécu, ne sont plus, depuis, +retournés au Vélodrome. Il faut garder le culte des souvenirs! + +Ah! les soirées surtout de Buffalo! + +Sans les petites sportswomen qui venaient là en foule, la soirée, +peut-être, n'eût pas été autrement enviable. Mais elles étaient vraiment +amusées, elles, et amusantes. Du haut des virages, elles appelaient les +coureurs et les encourageaient. On jouait des coudes pour aller se +placer près de ces groupes particulièrement bruyants: et quand venait le +moment de la course de primes, la meute des coureurs partait, s'étirait, +se groupait, deux pelotons se formaient, et l'ensemble était joli, s'il +n'était pas émouvant. + +On regardait attentivement les yeux qui brillaient autour de soi, les +petites faces blanches et rieuses, les mains qui allaient et venaient, +en encouragement. Là-bas, de l'autre côté de la pelouse, toute roussie, +les têtes, étagées devant les grandiloquentes réclames, apparaissaient +comme de fantomatiques têtes de massacre. C'était hallucinant, si l'on +s'absorbait un instant dans sa rêverie; mais le moyen d'y rester avec +ces jacassantes compagnes, avec ces remuantes petites personnes! Par +elles, on connaissait vite tous les coureurs de seconde et même de +troisième catégories! + +Mais, à leur tour, les brûlots tapageaient, grondaient, ronflaient et +trépidaient! Coup de pistolet! Derrière trois monstres, brûlés au ventre +par une double flamme bleue, roulaient aussitôt, collés, trois monstres +plus petits, obstinés, tenaces! Ainsi, dans la nuit, c'était une vraie +ronde du Walpurgis, une randonnée bâclée par trois engins fous qui +s'activaient furieusement et pétaradaient! + +Cet heureux temps du cyclisme, Lautrec en a emporté aussi une bonne part +avec lui. En ce temps-là, en son temps, on sacrifiait tout à la gloire +des cyclistes. Nous n'avons pour cela qu'à évoquer nos souvenirs! + +Puis, venaient les pleins étés, et Lautrec alors se mettait vite en +route pour aller ramer et nager dans le bassin d'Arcachon. + +Il adorait être nu, et il aimait les matelots qu'il rencontrait là-bas. +Installé dans sa villa _Denise_, il prenait une vareuse, une casquette +sans galon de commodore, et les pieds nus, son petit pantalon retroussé, +il arpentait la plage. Il nageait bien, du reste; et se baigner, +c'était, avec les beaux jours, un des seuls moments possibles de quitter +Paris, pour aller là-bas «tremper et radouber sa carcasse!» + +Et il aimait de plus en plus les bateaux. Il y en avait de toutes sortes +dans cette baie d'Arcachon: des bateaux de pêcheurs, des pinasses à +rames et à voiles, et des bateaux de plaisance. Lautrec eût voulu ainsi, +sur un yacht, aller jusqu'au Japon. Cela fut un des persistants désirs +de sa vie, qu'il ne réalisa pas; et, pourtant, avec un peu d'entêtement, +il était riche, rien n'eût été plus aisé! + +«Sportif» toujours, Lautrec encore suivait assidument, aux +Folies-Bergère, les luttes, même quand elles tombaient dans le chiqué le +plus sot. Mais là, après maintes discussions, le directeur d'alors, +Marchand, était devenu sa bête noire, _une vache!_ comme il disait; et +je ne parvins jamais à les réconcilier. Ils montraient, tous les deux, +il est vrai, mis en présence, un tel aimable caractère! + +Je fis connaître à Lautrec les ténors du moment: Paul Pons, Laurent le +Beaucairois, Hackenschmidt, etc., mais je dois dire que ce fut le +phénoménal Apollon, le champion pour mille années peut-être des poids et +haltères, qui l'enthousiasma. Ah! le rude gaillard, du reste; et c'est +une chance, pour les leveurs de poids qui sont venus après lui et qui +viendront, qu'on n'ait point pensé à peser exactement les formidables +poids qu'il arrachait! Lautrec réalisa de beaux dessins d'après ce +splendide Hercule. Que sont-ils devenus? Je ne les ai jamais revus. + +Les luttes! Leur indéniable attrait! + +C'est que le spectacle n'était pas alors seulement sur la scène, il +était aussi dans la salle,--dans la salle surchauffée, surexcitée;--dans +le promenoir surtout, où se coudoyaient les hommes et les filles, +celles-ci dépitées, furieuses contre ces luttes qui passionnaient les +hommes, qui les agrafaient sur le rebord des loges, qui les juchaient +sur les banquettes, qui les étageaient en gradins de cris et +d'apostrophes, alors qu'elles dardaient en vain leurs oeillades et +qu'elles balançaient frénétiquement leurs allures d'oies-Impérias! + +Elles allaient, elles venaient, pressées par l'heure, faisant ressource +de tous leurs feux; mais elles ne pouvaient disputer l'intérêt à ces +masses de chair, pourtant pas belles, qui se heurtaient et +s'emboutissaient, là-bas, sous les aveuglants rayons des projecteurs! + +En regardant ces lutteurs, on imaginait volontiers que c'était ici, sur +la scène, tous les formidables héros de la statuaire. Tous ces muscles +merveilleux, on les avait vus dans les réalisations esthétiques des +Grecs, des Michel-Ange et des Puget. On les voyait, cette fois vivants +en plein mouvement, tendus, exaspérés, par cette volonté de vaincre qui +déformait aussi, la plupart du temps, les faces, et qui en faisait des +masques douloureusement frénétiques. On se disait que nul spectacle ne +pouvait donner un plus bel amas de muscles, un jeu plus passionné +d'étreintes; et l'on admirait toutes les prises et toutes les attitudes +de ces lutteurs, le dos ployé, le cou tendu, solidement arcboutés sur +leurs jambes fortes, véritables piliers, colonnes lourdes des temples +trapus. + +On admirait les bonds rapides, les détentes imprévues de ces pesantes +masses. On ne savait s'il fallait être pris davantage par la force ou +par l'adresse. Souvent, c'était le combat à terre, interminable, toutes +les prises d'épaule ou de tête essayées, un combat monotone, tout entier +de force; mais souvent, aussi, c'était une lutte quasi légère, les deux +hommes, malgré le poids, cabriolant, sautant et se retournant +prestement. + +Sous la lumière brutale des projecteurs, on croyait, parfois, que +c'étaient là les énormes prophètes de la Sixtine qui luttaient, quand on +ne regardait pas les visages sans barbe, aux cheveux coupés courts. + +Et cela était un divertissant spectacle. Lautrec ne pouvait point ne pas +s'y passionner. + +[Illustration: FILLE + +PHOTO DRUET] + + +BARS ET MAISONS CLOSES + +Le goût extrême du pittoresque, de l'en-dehors des moeurs, devait tout +droit conduire aussi Lautrec dans ces bars, dits anglo-américains, où il +pouvait s'amuser du décor des verreries, des petites serviettes de +couleur, des garçons en veste blanche, des roast-beefs saignants, des +branches de céleri dans des verres d'eau, des petits tonnelets cirés, du +haut comptoir à barre de cuivre, et surtout s'intéresser si vivement à +la fabrication des cocktails et à la dégustation des short drinks et des +gin-wiskies! + +Les barillets bien rangés, la verrerie de couleur, les clinquantes +réclames des bières anglaises, des champagnes, des long drinks et des +gobblers, allumaient tout aussitôt, au fond de son regard de gnome, +d'ardentes convoitises. Il vivait là, intensément et magnifiquement. +Tout son art exaspéré, déformé, tout son génie de Little Tich fait +peintre, il le doit bien aux soubresauts, aux cauchemars de l'alcool, +qu'il absorbait là par tous ses sens;--car il les contemplait, il les +respirait au moins autant qu'il les buvait, les fortes et redoutables +liqueurs. + +Je crois bien, quand je songe à tout ce passé, que, curieusement et +frénétiquement, par satisfaction physique et nécessité intellectuelle, +Lautrec lampa toutes les boissons spiritueuses connues. Certainement, il +ne les citait pas par ouï-dire, car il en parlait trop bien. Et alors +que je m'en tenais, moi, à quelques formules de cocktails, il réclamait +tous les spiritueux indistinctement et à forte dose, comme l'essence qui +devait alimenter son organisme contrefait et génial. Mis, après ces +brûlantes ingestions, en présence d'une fille, dans un bal public, au +théâtre ou au concert, c'était souvent un chef-d'oeuvre qu'il exécutait +le soir même ou le lendemain, pour la longue suite des merveilleuses +oeuvres qu'il nous a laissées. + +Et quel public il flairait là! + +Bars de la rue d'Amsterdam, des Champs-Élysées, de l'avenue Montaigne, +bar Achille, rue Scribe, ou Irish and american bar, rue Royale, dans vos +roboratives salles, il rencontrait des hommes de cheval avec des petits +chiens rageurs, des chanteuses de beuglants à la face en biais, mal +embouchées et vives; et tout cela s'agitait, gueulait, buvait, fumait; +tandis qu'un nègre gigoteur jouait du banjo, et que, toujours mûres, +soûles, d'autres filles, des épaves, en piquant des crises, se +dégrafaient et vidaient leur vessie. + +En s'hallucinant, cela devenait plus aisément londonien qu'à Londres, +évoquait mieux, dans la fumée des courtes pipes et des gros cigares, +quelque coin de taverne: _Au hérisson d'or_, autour d'Epsom ou de +Newmarket. + +Pour Lautrec, ces coins-là mettaient vite sa tête en folie. Il humait le +violent parfum de ce milieu rude, imprégné d'alcool et de peau de grand +air, la peau de ces hommes qui vivent dans les bois, sur les pistes et +dans les allées d'entraînement. Entrer là, s'asseoir, renifler, et boire +doucement une multicolore liqueur, à nom de saloon britannique, quel +régal pour Lautrec, qui, parlant anglais, était surexcité par les +syllabes londoniennes, ces syllabes tellement sportives et comme +incluses dans ces liqueurs qu'il aimait et qu'il avalait sans souci de +péril! + +Longtemps, nous fûmes ainsi, Lautrec et moi, les clients d'un petit bar, +gîté dans les entours des Folies-Bergère. De onze heures à deux heures +du matin, il s'y tenait réunion d'acrobates et de filles, et, au moment +des luttes, tous les lutteurs s'y retrouvaient, même ceux qui ne +paraissaient point sur la scène de la rue Richer. Raoul le Boucher, +resté gosse, y taquinait les Turcs; et il était la bête noire de Nourlah +le colosse. Paul Pons n'y faisait que de rares apparitions; mais tous +les autres y figuraient: Laurent le Beaucairois, Eberlé, Constant le +Boucher, Vervet, beaucoup de moins notoires aussi qui écoutaient avec +recueillement, les prouesses des ténors de la ceinture. + +Au dernier instant, souvent quelques-uns se faisaient tirer l'oreille +pour aller au tapis,--dame! il faut vivre!--et Marchand envoyait +ambassade sur ambassade, avec promesse de quelques louis en plus, pour +ramener sur le plateau les lutteurs que le public, à vif tapage, +réclamait. + +Chez Achille, Lautrec rencontrait des jockeys, ces petits +bonshommes-singes qu'il adorait, presque à peine plus grands que lui; +mais, eux, ils avaient des jambes! et il observait jusqu'à l'acuité la +plus tendue leurs amusantes carcasses de petits vieux. Parfois ces brefs +bonshommes étaient un peu boulots; ceux-là étaient les rageurs, se +privant, s'exténuant, ne mangeant pas, ayant même peur de boire pour ne +pas prendre les quelques kilos de graisse en trop pour les prochaines +courses. Et des filles les escortaient; des filles vautrées auprès +d'eux, auprès aussi des entraîneurs, ceux-là enfin libres de grossir; et +qui, rouges, congestionnés, buvaient, buvaient comme des lampes, et +fumaient comme des cheminées! + +C'étaient là les vrais bars, les seuls où, dans la verve de +conversations sportives, il soit vraiment agréable de manger un +irish-stew ou un hot roast-beef, posé sur une table ronde qui fleure +bon, au pied du comptoir, où des garçons, d'un geste précis, manoeuvrent +des pompes à bière, ou, à petits coups secs, battent l'essence forte et +apéritive d'un précieux John Walker! + +De ces bars, Lautrec, étourdi, gagnait les maisons closes. + +Là, il se replongeait dans un autre élément propice. Il aimait la Femme; +mais il aimait aussi l'atmosphère du lieu, le calme assourdi, le repos +au creux des profonds divans. Goûtant encore ici les heures si diverses, +les bavardages des crapaudes, il retrouvait une intimité qui n'existait +pour lui nulle part ailleurs, tellement son aspect physique glaçait! Et +de se sentir si bien en confiance, il était joyeux, bavard, il +chantonnait une scie du jour. J'avoue que les filles, soit rue des +Moulins, soit rue d'Amboise, ou dans toute autre maison, ne se +montraient pas méchantes gales pour ce bon garçon qui les caressait de +tendresses certaines; car, aux fêtes, aux anniversaires de chacune de +ces gotons, des bouquets, des pâtisseries, _ses_ cadeaux, affluaient; et +s'il lui arrivait de présider, dans ces chaudes maisons, un dîner de +gala, je vous assure qu'il tenait son rôle avec une distinction et une +cordialité qui ravissaient toutes les garces. Enfin, attiré là par son +désir de les peindre, n'était-ce pas le meilleur moyen de les bien +connaître, et d'aboutir à des tableaux qui apparaissent autres que des +rengaines et des redites de banalités? + +Il apprit à voir marcher les femmes, à les voir presque aussi +naturelles, et aussi candidement femelles qu'elles apparurent à Gauguin +à Tahiti. + +Lautrec, ne se décidant pas à aller au Japon, où des quartiers avec +jardins sont réservés aux courtisanes et où tout le monde les peut +examiner à l'aise, il n'y a vraiment nul grief à dresser contre sa +mémoire, parce que ce peintre a voulu observer les filles de Paris à +toutes les heures, dans une sorte de caserne ou plutôt de couvent, où +tout un tableau de travail est réglé d'avance; et où maîtresse et +sous-maîtresse font évoluer avec méthode et discipline tout un bataillon +de catiches pas des plus amènes. Là, il a pu, en toute liberté et en +toute sincérité, ce qui est la vraie dernière chose, réaliser des +tableaux de moeurs étonnamment divers et vivants, dont la synthèse eût +pu, un jour, peut-être, avec le concours d'une vie plus longue, +constituer un considérable document pour les moeurs d'aujourd'hui et +d'hier, pour les moeurs, à bien dire, de toujours; et qui, grâce à +Lautrec et à son goût intransigeant de la vérité, offrent, même ainsi +tronquées, d'éloquentes manifestations du bien ou du mal, comme il vous +plaira à vous de l'entendre! + +Souvent, quand on arrivait dans l'atelier de Lautrec, on voyait des +filles de ces maisons. Elles étaient en visite; et il s'amusait de les +recevoir. Sachez, du reste, qu'il n'était pas plus grossier que les +autres hommes. Ces maisons, c'était vraiment pour lui une famille! Oui, +Lautrec étant un tendre, elles étaient, pour lui, ces filles, des sortes +de déshéritées, elles aussi. Elles n'avaient pas choisi plus que cela +leur genre de vie. D'ailleurs, choisit-on sa vie? Elles avaient même +parfois d'étonnantes candeurs, des jalousies baroques. On ne comprenait +pas pourquoi elles pleuraient, sans raison apparente, sans cause +déclarée. L'une de ces femmes n'avait-elle pas défendu à Lautrec +d'amener dans la maison où elle se trouvait son ami le sculpteur C.., +qu'elle chérissait, et à qui elle ne voulait pas se montrer en putain +soumise? Et Lautrec était pris par beaucoup de ces choses-là, assez +inattendues sans doute, et qualifiées plus certainement encore de +grotesques par les gens dits honnêtes qui trouvent très bien, quand ça +leur plaît, de les souiller, ces filles, au commandement! + +[Illustration: FILLE AU CARACO + +PHOTO DRUET] + + + + +DES SOUVENIRS SUR LA VIE + +III + +Voyages + +La Mer + +VOYAGES + + +Avec un homme comme Lautrec, il ne faut pas s'attendre à lire sous ce +titre: _Voyages_, des descriptions de tours du Monde ou même de simples +traversées de l'Atlantique. Pays touchant la France ou coins d'extrême +banlieue, non très loin cependant de Paris, voilà tout ce que Lautrec +entreprit de visiter; et c'est ainsi que, les premières années qui +suivirent sa sortie de l'atelier Cormon, il alla simplement plusieurs +fois à Villiers-sur-Morin, où habitaient quelques-uns de ses anciens +camarades. + +Il revit là les peintres Grenier, Claudon; et ce fut, je crois, en 1887, +qu'il y peignit le petit portrait de son ami Grenier, qui est +aujourd'hui dans la collection Pierre Decourcelle. Plus tard il peignit +aussi un portrait de Mme Lily Grenier, portrait pas très beau, +assurément, et qui est presque un Roybet. + +Ce court voyage de Lautrec à Villiers, et ses brefs déplacements à +Etrépagny, où il alla rejoindre deux années de suite son autre ami le +peintre Anquetin, afin de chasser, en sa compagnie, les jeunes corbeaux, +tout cela, ce ne sont que des excursions, pourrait-on dire, qui, au +surplus, le fatiguaient vite; car la campagne bucolique ne pouvait guère +séduire ce monomane du Moulin-Rouge et du Café de la place Blanche. Vous +ne voyez pas, en effet, Lautrec regardant des champs ou des arbres, +tandis que s'offrent à ses yeux des visions de la Goulue se cabrant, de +Jane Avril tournoyant ou de Valentin pinçant un cavalier seul, dans le +tonnerre des cuivres! + +Pourtant, Lautrec accomplit de plus sérieux voyages en Angleterre, en +Espagne, en Belgique et en Hollande; mais il ne pénétra point en Italie. +Fort heureusement, peut-être; car, visiteur du sud de la botte, quelle +impossibilité pour lui de revenir de Naples,--de Naples, la chaude et +franche ville salope! + +Il fut à Bruxelles, aussi, pour une exposition de quelques-unes de ses +oeuvres à la Libre Esthétique;--et, en Angleterre, pour une autre +exposition, au moment critique de la guerre anglo-boer. + +C'est avec son ami Maxime Dethomas, haut par la taille et haut par le +talent, qu'il visita une partie de la Hollande. Ils descendirent +l'Escaut en bateau. Amer voyage qui ne plut pas à Lautrec! + +D'Angleterre, il rapporta de nouvelles recettes de cocktails. Heureux +pays qu'il nous vanta à son retour, parce que l'alcoolisme y est très +considéré et même consacré par les lords! + +Il y a d'autant mieux étudié l'art de préparer les english and american +drinks. C'est le _doigté_ surtout qui l'a ébloui. Ce n'est pas +seulement, en effet, le dosage qui importe, mais la manière de _faire le +précipité_; et cette opération chimique renouvelée de différentes +façons, lui a fait entrevoir un «monde de sensations» pour l'odorat et +pour le goût. Devant tous les mélanges possibles il resta un moment, +assurément, stupéfait et inquiet. Il se mit tout de même de bon coeur à +la besogne; et, bientôt, il réussit à merveille toute la gamme des +short drinks et des long drinks. + +De ses deux voyages en Espagne, le premier tourné avec son ami Maurice +Guibert, il rapporta d'autres vives observations puisées cette fois aux +maisons closes. Car, on se doute bien que, s'il s'est enthousiasmé pour +Goya à Madrid et pour le Greco à Tolède, il n'a point manqué de fêter +les filles de toutes les chaudes rues de l'Espagne. + +La célèbre lithographie en couleurs qu'il intitulera: _La passagère du +54_, et qui représente une jeune femme de profil, sur un bateau, sous +une tente, est un souvenir réalisé de ce voyage-là. + +Mais, surtout il n'oubliera plus jamais les oeuvres du Greco et de Goya. + +Cette fois, il a _vu_ Goya!... Et il exprime toute sa frénétique +admiration pour cet hallucinant visionnaire des plus violentes +sensations picturales. Et quel inventeur de l'art moderne! C'est lui qui +a déchaîné toutes les fantaisies et tous les concepts. Dans le rêve, il +est allé au delà de toute audace; il a créé des monstres parfaitement +organisés; il a, dans tous les cauchemars et dans toutes les angoisses, +exprimé l'inexprimable, se servant d'un étrange dessin et d'une rare +sobriété de couleurs. Enfin, il a marqué de sa puissante griffe tous les +peintres qui sont venus et qui viendront après lui, pour représenter +l'effroi et la désolation du Monde! + +[Illustration: PORTRAIT DE Mme SUZANNE V. + +PHOTO DRUET] + +A Tolède, Lautrec a vu aussi le Greco, et surtout le somptueux et +miraculeux _Enterrement du Comte D'Orgaz_. Rentré à Paris, il dira à son +ami Romain Coolus, qu'il a également connu à la _Revue blanche_: «Je +vais te faire ton portrait à la manière du Greco!» + +Le portrait, on le sait, fut peint; mais, heureusement, à la manière de +Lautrec. + + +LA MER + +Accompagnant encore son ami Maxime Dethomas, Lautrec alla une année à +Dinard, puis à Granville. + +Pour ce voyage, il prit son costume de capitaine de la marine marchande, +avec la casquette plate, toujours sans galon. Et il était joyeux, +confiant, pour le défendre des sarcasmes de la foule, en son ami le +«géant» Dethomas; Dethomas ou _Gronarbre_, ainsi il le surnommait, +Brasseur ayant nasillé ce mot-là, un soir, dans une revue jouée au +théâtre des Variétés. + +Il existe peu de «marines» de Lautrec. Il adorait seulement la mer pour +s'y baigner, et pour ce vrai prétexte: être nu. Il demandait qu'on le +photographiât ainsi. «Je fais le lion!» disait-il, sans se soucier de +ce que la plaque pouvait enregistrer. + +Pour le reste, les longues excursions le fatiguaient. Il fallait avec +lui se désintéresser des curiosités signalées par les guides. Les +spectacles de table d'hôte lui suffisaient. A une bonne qui servait, son +tablier pavoisé de taches d'encre, il jeta, un jour: «Attention, ma +fille, vous avez vos règles en noir!» et les convives pouffant de rire, +cela l'égaya. + +Si cordial et si boute-en-train, nous a dit souvent Dethomas, était +Lautrec quand il oubliait un instant la tenace tristesse de sa vie: sa +courte stature. Et son art de peindre avec un mot! En province, par +exemple, se rencontrait-il avec des gens chic, il disait, en boutonnant +des gants imaginaires: «Dans le monde!». Une autre fois, comme venu pour +une inauguration et passant sa bretelle rouge en travers de sa chemise: +«Carnot!» faisait-il. Et au théâtre, enfin, lui arrivait-il de +s'endormir sur l'épaule de son voisin, et celui-ci le secouant: «La vie +de château!» disait Lautrec, très doux. + +La mer! Soit! mais Arcachon et surtout Taussat restaient ses +villégiatures préférées. + +A dire vrai, enfant, on l'avait promené à travers ces paysages de pins +et de villas. Dans cette baie d'Arcachon, qui sépare les deux pays: +Taussat et Arcachon, il avait aussi «navigué», comme un vrai marin. Et, +au fond d'une voiture, traînée par un poney, il était allé quelquefois +de Taussat à Arcachon, et retour, en faisant le long voyage, par la +route. Il aimait les pins odoriférants, les ajoncs jaunes et les +bruyères roses. Il s'amusait des cigales qui, au creux de ces bois de +pins, grincent éperdument tout l'été. Et, en semaine, quand il n'avait +pas à craindre le flux des Bordelais qui, après avoir passé le pantalon +de flanelle rouge, à l'instar des parqueuses d'huîtres, arrivent tous à +la baie, le samedi pour le dimanche, il venait à Arcachon dans son +costume de marin. Aux baraques, il gobait des huîtres en les arrosant de +vin blanc; et, souvent, il accompagnait les pêcheurs de sardines, qui, +dans leurs pinasses, allaient pêcher le «royan d'Arcachon». Il ne +manquait pas aussi les régates de bateaux à voiles; et, d'autres fois, +il s'allait reposer dans les Dunes et au Parc des Abatilles. Mais trop +fréquemment toutes les villas, tous ces chalets, toutes ces villas +Marguerite, Sigurd, Carmen, Montaigne et Flora, l'attristaient, parce +que dans la plupart de ces maisonnettes découpées, vernissées, aux toits +rouges de tuiles, et cachées dans les pins et dans les fleurs, des +jeunes femmes, rieuses, jolies, chantaient, ou escortaient de beaux +jeunes hommes, aux longues jambes! et, lui, il n'osait même pas, aux +heures des bains, s'aventurer sur la plage d'Arcachon. Il n'osait pas +davantage chevaucher les petits ânes gris qui se tenaient là, pour les +excursions à la côte de Moulleau ou, en forêt, sur la route de la +Laiterie. Il revenait sans cesse à dire ceci: qu'il se faisait l'effet +d'être le pauvre apôtre saint Simon qu'on voit, un peu goguenard et tête +penchée, et surtout si courtaud, dans une niche de la cathédrale +Sainte-Cécile, à Albi. + +Heureusement, Taussat était plus désert, réservé aux Bordelais +tranquilles; et là, il était connu de tout le monde. + +Alors, il passait les mois de juillet et d'août, et quelquefois tout le +mois de septembre à ce tutélaire Taussat. Il vivait toutes ses +après-midi dans l'eau: et, régulièrement, il écrivait à son ami le +sculpteur Carabin, aujourd'hui le vrai directeur, en sa vraie place, de +l'École des Arts décoratifs à Strasbourg;--et, en lui envoyant des +couples de mantes religieuses, ces étranges insectes, sorte de lutteurs +à longs bras et qui ont toujours l'air de prier: «Garde-les bien! lui +disait-il, nous organiserons à mon retour à Paris des combats de ces +bêtes-là; ce sera un triomphe!» + +Son autre passion à Taussat, c'était d'apprivoiser des cormorans. Il se +faisait souvent accompagner de l'un de ces palmipèdes; et tous deux, ils +rôdaient au bord de l'eau, doucement, en se dandinant. + +Lautrec variait ses plaisirs d'été en se déguisant, en organisant des +fêtes orientales; et, tel un muezzin, il montait à la dernière fenêtre +de sa villa, pour appeler les fidèles à la prière. + +Il vivait là en profonde intimité avec son ami Viaud, qu'il représentera +plus tard en amiral de fantaisie. + +Venant de Paris pour ces vacances, il s'arrêtait naturellement à +Bordeaux. Et il se divertissait chaque fois à regarder les gandins des +Allées de Tourny et du Cours de l'Intendance; ces touchants gandins +bordelais qui, pour s'étonner eux-mêmes, se condamnent à parader, en +donnant des coups de derrière, le dos creusé, les pieds entourés de +guêtres claires, et les mains emprisonnées dans des gants beurre frais, +dont le crispin retombe, d'un air si benêt, sur les doigts! + +Lautrec faisait de longues pauses au café de Bordeaux, sur la place de +la Comédie; et il sera noté plus loin les titres de quelques dessins +qu'il y réalisa. + +Lautrec le commodore! Oui, il allait redevenir le commodore, comme il +disait, et reprendre lui aussi le pantalon de flanelle rouge, le fameux +pantalon de flanelle rouge retroussé aux genoux, le petit jersey bleu, +et la casquette d'officier de marine. + +Enfin, pour ne rien changer, dans la mesure du possible, à ses +habitudes, il arriva souvent à Lautrec de descendre, en arrivant à +Bordeaux, dans une maison publique de la rue de Pessac. Il «se +retrempait» là, ainsi qu'il aimait à le répéter, en famille; et surtout +il retrouvait là aussi, tout de suite, et avec quelle joie, _l'accent_! +ce précieux accent bordelais si difficile à définir et qu'il faut +entendre; et, dans lequel, comme dans une recette culinaire, il entre de +la cocasserie, de la prétention et beaucoup de sottise! + + + + +DES SOUVENIRS SUR LA VIE + +IV + +Ses Logis + +Saint-James + +1900 + +Malromé + +SES LOGIS + + +A tout bien considérer, il est peut-être intéressant d'indiquer les +successifs logis d'un homme notoire, ne serait-ce que pour permettre à +la puérile Postérité d'apposer sur une des maisons qu'il habita, une +plaque dite commémorative de naissance ou de séjour du grand homme. + +Quand Lautrec prit son premier atelier, seulement pour y travailler, à +l'angle des rues Tourlaque et Caulaincourt, vers l'année 1887, il +s'installa avec son ami le Docteur Bourges, au nº 19 de la rue Fontaine. +Mais il continua de dîner souvent avec sa mère, qui ne s'éloignait de +Paris que pendant l'été. + +De 1887 à 1891, Lautrec demeura ainsi avec le Docteur Bourges, le +célèbre _Bi_, comme il l'avait surnommé; et de 1891 à la fin de 1893, +tous deux allèrent habiter à côté, au nº 21 de la même rue. Le Docteur +Bourges faisait alors son internat dans les hôpitaux et ses premières +recherches de laboratoire. Peut-être, Lautrec et lui, si unis, ne se +fussent-ils jamais séparés, mais le Docteur Bourges se maria au début de +l'année 1894. Du coup, tous deux, ils cessèrent aussi de voir +fréquemment leurs amis qui les venaient voir quand ils demeuraient +ensemble. Ces amis, c'étaient les peintres Henri Rachou et Anquetin, +l'ingénieur Robin-Langlois et les Docteurs Dupré, Mosny, Wurtz et +Caussade, et enfin M. Gabriel Tapié de Celeyran, alors interne chez Péan +le théâtral, à l'hôpital international, sis rue de la Santé; M. Tapié de +Celeyran, autre cousin germain de Lautrec, et aussi long et aussi mince +que, lui, Lautrec, était court et gros. M. Gabriel Tapié de Celeyran, +très reconnaissable, est représenté dans beaucoup de tableaux peints par +Lautrec et dans un non moins grand nombre de ses lithographies. + +Ah! ce premier atelier de la rue Tourlaque! Comme il était encombré de +choses si hétéroclites! car Lautrec s'intéressait à tout: aux peintures +de ses amis, à des faïences persanes, à des cages, etc., etc.; mais +cependant, il était impossible de ne point voir, d'abord dans le fond de +l'atelier, un comptoir de bar, sur lequel Lautrec aimait à préparer des +cocktails pour lui-même et pour ses amis en visite. Car, avec lui, il +fallait boire, et boire solidement. Alors, seulement, il vous estimait. + +Préparer ses cocktails! Assurément, s'il avait eu en sa possession des +cocktails tout faits, sa joie aurait été moindre. Couper des lamelles de +citron, doser des essences et des alcools, piler de la glace, agiter le +tout dans des gobelets, c'était pour Lautrec un total contentement; et +il s'y appliquait avec une vive curiosité, inventant d'inédites +recettes, dont, nouveau Borgia, il essayait l'effet sur ses amis. Et, +comme il exultait, quand, pour le féliciter on claquait, à plusieurs +reprises, de la langue! Et quelle fut sa joie, cette soirée, ou plutôt +cette nuit, chez M. Thadée Natanson, où il enivra ainsi, à les coucher, +ses amis Félix Fénéon, Tristan-Bernard, Romain Coolus, Maxime Dethomas +et Francis Jourdain; lui, allant et venant, tout fier dans sa courte +veste blanche de barman! + +Il recevait souvent aussi ses amis chez le photographe Sescau, installé, +à cette époque, place Pigalle; et, un soir, les ayant invités à manger +du kanguroo, un simple agneau auquel on avait ajouté une queue de boeuf, +il jeta, pour qu'on ne bût pas d'eau, des poissons rouges dans toutes +les carafes. + +Lautrec prenait un vif plaisir à organiser ces dîners, à distribuer des +rôles. Il voyait la vie comme une vaste pantomime anglaise, avec chaque +individu, chaque accessoire à sa place. + +D'abord, il se divertissait à dessiner les menus: un croquis preste ou +une composition qui tenait tout un côté de la page. + +Tantôt, c'était un cheval de bois pour un menu Sylvain; tantôt le +portrait de Sescau armé d'un tambourin, pour un dîner, rue Rodier; ou le +portrait de Mlle Renée Vert, la modiste, à l'occasion d'un dîner des +Indépendants; ou bien un croquis de souris, pour un déjeuner chez la +divette Miss May Belfort, rue Clapeyron; etc., etc. + +En 1897, Lautrec transporta son atelier dans l'avenue Frochot, une +impasse bordée de petits pavillons et de jardinets. Mais il habita cette +fois, rue de Douai, avec sa mère venue près de lui pour le soigner; car +il commençait de se déséquilibrer. C'est là, par exemple, qu'un soir, +dans la peur des microbes, il inonda de pétrole tout l'appartement. +L'alcool, à forte dose, activant la virulence d'une grave maladie +constitutionnelle, était cause de tout. + +Lautrec conserva cet atelier jusqu'à sa mort. + + +SAINT-JAMES + +«Quelle maladie est comparable à l'alcool!», c'est le cri d'Edgar Poë, +mourant de génie et d'ivresse, dans une rue de Baltimore, devant le +hideux et abject mercantilisme des Américains. + +Or, Lautrec a fait la dure expérience de cette parole. Il a renouvelé +ses excentricités. Il a tant usé de spiritueux; il a si peu préservé +d'autre part son pauvre corps que des hallucinations l'assaillent. Il +parle, entre autres choses, des rafles qu'il a faites en compagnie de sa +chienne Paméla et du commissaire de police de son quartier, prenant un +gardien qu'on lui a donné pour ce fonctionnaire. Alors, pour lui assurer +un repos et un changement de milieu nécessaires, il est question de +l'envoyer au Japon, son vif désir d'autrefois. Sur ces entrefaites, +croyant qu'il a à se plaindre du marchand de tableaux Durand-Ruel, +Lautrec se place rue Laffitte, devant la porte de cette galerie, et, +déguisé en mendiant, il ameute la rue contre le marchand. Il faut agir. +Deux personnes de la famille de Lautrec se décident à le placer dans une +maison de santé. Le père aurait dû venir s'occuper du malade, mais il +chassait; et il demanda, lui, qu'on envoyât simplement son fils en +Angleterre, où l'ivrognerie passe inaperçue, et y est même fort honorée, +puisque, là, ajoutait-t-il, tous les nobles s'alcoolisent. + +[Illustration: AU MOULIN-ROUGE + +PHOTO DRUET] + +Ce fut en l'hiver de 1899 que Lautrec entra dans la maison de santé du +docteur Semelaigne, à Saint-James, près Neuilly. + +Vrai séjour datant du XVIIIe siècle; mais séjour un peu vétuste. Petits +temples à l'Amour. Canal à sec allant à la Seine, autrefois servant sans +doute aux embarquements pour Cythère, plis Watteau et robes à paniers. + +Tout de suite, Lautrec se rendit parfaitement compte du lieu où il se +trouvait; et, devant ses amis Dethomas et Carabin, qui le visitèrent, +il plaisanta, disant qu'il était à Saint-James plage; et même il ne +cessa de leur réclamer de l'alcool dans une bouteille plate. + +Son goût du travail ici accomplit un nouveau miracle. Avec une plume de +bécasse, ramassée dans la cour, il se mit à dessiner un cheval; et, +ayant obtenu un crayon et du papier, il composa de mémoire toute la +suite de dessins aux crayons de couleur que Manzi éditera plus tard sous +ce titre: _Au cirque_. Admirables dessins dont nous parlerons plus loin. + +Durant deux mois, Lautrec resta à Saint-James. Il en sortit, apaisé, +ardent à travailler. On le retrouva d'abord spirituel, dispos; mais, +soudainement, avec l'alcool de nouveau ingéré à forte dose, de +singuliers goûts de bohème éclatèrent et s'aggravèrent. Lautrec devint +tout d'un coup plus libre en ses propos et plus dur; et quelques anciens +familiers, niaisement déconcertés, alors, épouvantés, s'enfuirent. + + +1900 + +Mais, la maladie, fouettée par l'alcool, poursuit, inexorablement, son +oeuvre. On ne voit plus maintenant Lautrec travailler avec autant +d'entrain qu'autrefois. + +On lui a recommandé une espèce de culture physique, qui n'est guère +louable pour sa débilité corporelle. + +Aux cinq à sept des cafés de Montmartre, qu'il a tant fréquentés, on se +raconte ses nouvelles excentricités et les prouesses athlétiques qu'il +s'efforce d'accomplir. On a installé ainsi, dans son atelier, une sorte +de caisse, un bateau mécanique, dans lequel il s'assoit et rame. Lui, il +trouve cela extraordinaire d'invention; et, surexcité, il prend même des +bains dans une façon de cratère formé par un tombereau de sable. + +Il ne va plus au Moulin. Il se traîne seulement quelquefois en voiture +jusqu'à la taverne Weber, rue Royale. + +Cependant, de l'avenue Frochot, il adresse à certains camarades un +dernier menu: une invitation «à une tasse de lait»; une lithographie qui +le représente en picador, auprès d'une vache qui doit figurer sur une +petite pelouse, au bas de son atelier. Et il croit encore pouvoir +travailler. + +Les panneaux de bois le tentent. Il a acheté, pour les gratter et les +poncer, des râcloirs d'acier et des peaux. On le trouve parfois +s'époumonnant à cet exercice; et il répète, en vous montrant son +ouvrage, son éternel: «C'est merveilleux, hein?» + +Il profite des fauteuils qu'on roule à l'Exposition universelle pour la +visiter. + +Il a gardé son vif amour des Japonais; et il se ranime quand il aperçoit +les pelouses vertes, les pagodes aux toits recourbés et tapissés +d'écailles, et les servantes à la taille gonflée par le monumental noeud +de la ceinture. Puis, c'est Kawakami, installé chez la Loïe Fuller, une +de ses anciennes admirations; Kawakami, et cette Sada Yacco, si +fragile, si douloureuse, que l'on vient de lancer; cette Sada Yacco dont +la théâtrale agonie angoisse d'une façon vraiment si inédite,--à en +juger par les pâleurs d'envie de toutes les femmes de théâtre accourues +là, en foule. + +Lautrec veut revoir aussi sa Goulue, qui parade à la fête de Montmartre, +dans la baraque de Juliano. La vedette du chahut devenue dompteuse! Il +n'en éprouve aucune joie. C'est tout un temps bien révolu. + +Surtout, il n'a plus d'illusion. Il traîne à présent sa vie comme un +long suicide; et il détaille sa maladie constitutionnelle avec un +sang-froid et un cynisme angoissants. + + +MALROMÉ + +Lautrec se trouvait au mois d'août de l'année 1901 à Taussat, quand il +fut frappé de paralysie, au moment où il se préparait à partir pour +Arcachon. + +Sa mère accourut, et l'emmena au château de Malromé. + +Dès lors, il ne sortit plus qu'en voiture, et avec la plus extrême +fatigue. + +Il se plaisait à Malromé. C'est un château important et de caractère. +Gentilhommière avec tours et tourelles, entourée d'une cinquantaine +d'hectares environ. Madame la Comtesse Alphonse de Toulouse-Lautrec +l'avait achetée naguère à la famille de Forcade. + +Les derniers jours, Lautrec ne mangea plus. Il voulait s'abuser: «J'ai +mangé, hein?» répétait-il. On le portait à table dans un fauteuil. + +Il mourut, religieusement, le 9 septembre 1901, en pleine connaissance, +entouré de sa mère, de son père, de son cousin germain M. Louis Pascal, +de la mère de celui-ci, de son autre cousin germain M. Gabriel Tapié de +Celeyran et de son inséparable ami Viaud. + +Avant la mort de Lautrec, son père n'était venu qu'une seule fois à +Malromé. + +Pendant les derniers moments de son fils, il se signala encore par +quelques excentricités. + +Il voulut d'abord lui couper la barbe, sous prétexte que les Arabes +opèrent ainsi. On put à grand'peine l'en empêcher. + +Armé d'un élastique arraché à sa chaussure, il se mit alors à courir +après les mouches qui piquaient, affirmait-il, le moribond. + +La veille de l'enterrement, craignant pour les porteurs (on peut, en s'y +prenant mal, attraper une hernie!) ne voulut-il pas aussi que, sur ses +indications, on préparât un dessin explicatif destiné à montrer comment +on doit enlever un cercueil? mais cette sorte de macabre répétition +générale fut refusée. + +Il déclara ensuite qu'il suivrait à cheval le corbillard, car il +souffrait de cors aux pieds. Et comme on refusait encore, il dit: «Soit! +je suivrai pieds nus!» Mais on lui opposa un nouveau refus. Enfin, le +matin même de la cérémonie, tandis que tout le monde n'attendait plus +que M. le comte pour partir, on monta dans sa chambre; et que vit-on? M. +de Toulouse-Lautrec tout nu et en train de se tailler lui-même les +cheveux! + +On enterra d'abord Lautrec à Saint-André du Bois; mais sa mère, +craignant que le cimetière de cette commune, dont dépend le château de +Malromé, ne fût déplacé pour des raisons de voirie, fit enlever peu +après le corps de son fils pour l'inhumer définitivement à Verdelais, +lieu de pélerinage célèbre dans toute la Gironde. + +Quand il apprit la mort de Lautrec, Tristan-Bernard dit ce mot si exact: +«Voilà Lautrec rendu au monde surnaturel; c'était un être si en dehors +de ce monde!» + +Le comte ne voulut pas de vente de tableaux. On les distribua en partie. + + + + +DES COMMENTAIRES SUR L'OEUVRE + +I + +Peintures, Premières OEuvres + +Le Moulin Rouge + +Filles + +PEINTURES.--PREMIÈRES OEUVRES + + +Les premières oeuvres de Lautrec furent, avons-nous noté, des chevaux, +des chiens, des buveurs, des artilleurs et des moines. L'influence +Princeteau, en tant que manière de dessiner et de peindre, fut, nous +l'avons également établi, nulle. Il y eut une plus certaine influence, +si vite effacée, de John-Lewis Brown, qui, lui, témoigna de quelques +brillantes qualités dans ses nombreux tableaux de chasses et de courses. + +Nous avons considéré avec curiosité ces premières oeuvres, sauvées, de +Lautrec. + +Voici _La promenade_, qui date de 1881. Un cavalier dans une allée, sur +un gros cheval noir; un chien, qui n'est pas peint. Tableau tout à fait +à la manière de John-Lewis Brown. + +_Un buveur_ (1882). Un ouvrier, peinture empâtée, quelconque. + +Voici des _Boeufs_. Une chose sans importance, comme une esquisse de +Troyon. + +_Des moines_, encore quelconques. Des peintures et des aquarelles. + +_Des Portraits d'hommes._ Un métier d'Ecole. + +_Une Femme à la toilette._ Nue, sur un lit. C'est un tableau, cette +fois, à la manière d'Albert Besnard. + +En somme, les débuts de beaucoup d'autres seigneurs de la Peinture. Des +débuts, pouvait-on dire, sans promesses. + +D'ailleurs, qui ferait montre d'originalité à ce moment-là de la vie? Si +l'on est seul, oui, peut-être; car voici un magnifique exemple: Vincent +Van Gogh, un peintre aussi rare que les plus rares; qui, en sept années, +pas une de plus, débute avec du génie, pleinement, et meurt avec tout +son génie! Mais Lautrec avec Princeteau, avec John-Lewis Brown, avec +toutes les images vues, les images qui traînent dans les ateliers, il +n'oserait pas risquer quelque chose de lui-même. «Nourrisson!» disait +Princeteau. Oui, un nourrisson qui tette un lait médiocre. Vincent Van +Gogh, lui, sans père nourricier, a mordu, tout de suite, en pleine +chair. Aussi, tout seul, il a réalisé son oeuvre incomparable. Tout +seul, car il est resté à peine quelques mois, et si à l'écart, chez +Cormon. Pour Lautrec, il faut qu'il s'évade, s'étant lui-même +emprisonné; et ce n'est pas Princeteau, impuissant, qui peut l'aider à +se délivrer. Il faut que Lautrec imite d'abord, qu'il copie. C'est ainsi +que l'on devient, quelquefois, un maître. Et Lautrec, qui n'a que +Princeteau et Cormon pour le guider, tâtonnera et perdra du temps. Mais +la vie est là, derrière la porte de ces tristes ateliers; et Lautrec, +une fois sur la vie, la mangera et la boira, lui aussi goulûment; il +l'étreindra et il la violera. + + +LE MOULIN-ROUGE + +C'en est vite fait, du reste; Lautrec a renié Bonnat, Cormon, +c'est-à-dire tout le poncif, le niais, l'inutile, le néant. + +Il aime maintenant la vie, les lumières; il entre au Moulin-Rouge comme +au Paradis. + +Tout ce qui s'y passe, tout ce que l'on y voit, est à peindre. C'est un +domaine tout neuf où pas un vrai peintre n'a encore pénétré. Globes +lumineux, filles, drapeaux, danseurs, alcools et fumées, rut et ivresse, +tout est là, présent, en plein caractère, si inédit, si inattendu, si +irritant, que l'honnête femme même veut entrer, ici, une fois, «pour +voir ce qu'il y a là-dedans!» + +Les bals publics de ce temps-là! Ce bal du Moulin-Rouge, surtout, +aujourd'hui brûlé, disparu! Lautrec en aimait tant les hôtes et il +admirait tellement la Danse! + +La Danse! Les danseuses! Soit que les jambes épileptiques halètent, +attachées par un fil au tronc qui se berce; soit que, plus sages, elles +marchent sous les jupes bien droites, c'est toute la musique qui les +mène, c'est tout le chef d'orchestre qui, de la pointe de son bâton, +excite les jambes, les apaise, décoche des coups secs qui cinglent les +jarrets, ou les fait s'arrondir très mous avec la lente virevolte des +basses. + +Il n'est pas besoin de les en prier, pour que les danseuses se mettent à +cette tâche d'apparaître avec leurs yeux clairs reculés par le bistre et +d'envoyer, par dessus les têtes, le vol clinquant de leurs jupes, en +corbeille. + +Au-dessous de la croupe qui ondule, en pointant la naissance du ventre, +les jambes se trémoussent dès la première note du quadrille dans la +halle, ornée de multicolores drapeaux et de gaz versicolores!--et ces +jambes qui, maîtresses du sexe, bâillent ou se referment, s'activent en +un mouvement d'automate en folie, ou faiblement fléchissent, on les voit +tout à coup, alors que les têtes se renversent éperdues, trotter +menues, comme «sanglotantes», pour aller défaillir dans un accouplement +illusoire, aux sons d'une musique soûle, dans un décor très folâtre! + +Puis, bientôt, le haut du corps, pantin du rire, s'efface. Les grâces de +ces danseuses descendent aux jambes, aux cuisses larges, aux pieds +minces;--et sous les feux des globes, dans l'haleine chaude du cercle, +commence l'«émoi» fantaisiste du linge, la réjouissance des jambes qui +disparaissent dans des flots de dentelles et des remous de linon. + +Elles vont, elles viennent, amusantes à considérer dans leur mouvement +d'abord très doux, rythmique, sur le bassin-pivot, le rachis ployé en +arc; cela simule un appel aux caresses lentes, aux baisers qui +s'attardent en des amours de début, pendant que l'entre-deux de +l'hermétique pantalon fait accordéon; c'est, avec le sérieux enjoué de +la fille, la promesse d'une sentimentale tendresse, au bord d'un lac, le +soir; tandis que la rapide battue des jambes, soudainement, fait songer +à quelque coup de force, après des saladiers de vin très cuisant, où +nageaient, ainsi que des yeux, des tranches de citrons. + +[Illustration: LES VALSEUSES + +PHOTO DRUET] + +Mais rousses, blondes ou brunes, elles sont plus troublantes, les +danseuses, quand, les jupes baissées, elles espèrent le signal du chef +d'orchestre, perché sur son estrade ainsi qu'un singe. Leurs faces +blanches, saupoudrées de rouge et de bleu, leurs yeux luisants comme des +soleils et leurs nez aux évents qui renâclent, charment toujours certes; +mais ces jambes que l'on sait en folie et qui sont calmes, ces bras +inoccupés et que l'on devine fourrageurs, vous mesurent tout net la gêne +que l'on aurait à exaucer les érotiques prières de ces orageuses +trousse-jupes. + +A les regarder danser, on rit et l'on exulte,--et on les interpelle en +clameur. Mais aussi quelle angoisse communicative est la leur, et de +quel amer triomphe semblent-elles jouir! Quand elles se mettent en +branle placidement et le nez au vent, toutes les danseuses ont ces +dandinements de têtes, ces contorsions de ventres qui semblent secouer +un mâle accroché à la croupe; et la flamme qu'elles irradient, alimentée +sans relâche par leurs yeux brûlants et leurs gorges blanches, +dansantes du convulsif roulis du rire, devient bientôt le feu de joie de +femmes lâchées en pleine ivresse, au milieu d'hommes qui les stimulent +et les fouaillent, jusqu'à ce que les ventres très las retombent +flasques, jusqu'à ce que l'orchestre s'arrête net sur un geste de son +chef. + +Il y a--ce qui est bon--une réelle émulation dans ces exercices spéciaux +de gymnastique,--en musique! Le public l'y encourageant, chaque fille a +la volonté de jouer plus absolument son rôle, de le composer avec le +plus d'ampleur possible. Cela explique les audaces et les obscénités de +la fin, quand la jupe se relève, montrant les fesses pavoisées de linge. +Et peut-on ne pas louer cette fille, à l'ardeur insolite, qui implore +cette couronne des bouches ricanantes, des yeux qu'elle allume, de tout +ce qu'elle appâte avec la pointe de son pied, avec la grâce triste de +son rire, avec--accompagnée par une violente tempête d'instruments--la +bordée de ses lazzis et de ses apostrophes à pleine voix? + +Cette remarque importe, au reste, que, dans un bal public, les femmes +ont toutes les raisons de se croire chez elles. L'homme, au contraire, +est effacé, insignifiant, ou simplement bête. Pourtant certains font +parfois exception,--et on les rencontre le plus souvent chez les commis +aux dossiers et les ordonnateurs des pompes funèbres. Alors, l'hilarité +est doucement joviale. Ces derniers surtout semblent baller sur de +vagues têtes de morts. Ils ont, sur les autres danseurs, cet avantage +indéfectible de paraître toujours descendre de la Courtille. Aux époques +les plus graves de l'année, aux fêtes les plus consacrées et les plus +religieuses, ils demeurent eux seuls, au Mardi-Gras ou à la Mi-Carême. +Aussi ne semblent-ils pas équivoques quand ils dansent; même ils ont le +devoir de danser, étant créés dans ce but. Les ordinaires tâches de la +vie ne doivent pas les accaparer tout entiers; ils doivent figurer au +bal, le soir,--être ces acteurs immuables qui sont l'âme d'une pièce. + +De même, les danseuses, les étoiles, n'ont de raison d'être qu'une +heure, le soir. Le jour, elles pourraient n'être plus; mais, le soir, +elles vivifient l'endormement d'une salle, elles incitent à de plus +alertes musiques, elles attroupent les flâneurs qui tournent autour des +piliers, et, leur sacerdoce,--ce dont il faut les louer!--elles +l'accomplissent tout du long, fières de leur apostolat, n'ayant rien +négligé du décor et de la pompe du costume. + +Unanimement admirées, les étoiles sont encore les arbitres de la paix. +Quand elles dansent, le bal suspend sa vie de mots et de rires; et il +regarde. + +Se fendre en grand écart, marcher la pointe du pied à hauteur de l'oeil, +c'est rude; mais cela devient de suite si aisé! Et les tâtonnements sont +si pleinement encouragés! Certaines figures de quadrilles ont la verve +endiablée et folle des grands bouleversements de foules; et quand cela +est rugi, clamé, bramé, pinçant les nerfs, flagellant les mollets, la +foule part tout entière, malgré elle, s'élance, bondit, bat des +entrechats, saute comme une théorie de démoniaques, se démène, s'agite, +activant par contre-coup la grosse caisse qui perd la mesure, tirant du +violon des sons de bastringue. + +Et, tout autour de ces danseuses, une exceptionnelle foule formait +comme un fumier humain! + +Une brume flottait et noyait les visages, on ne voyait bientôt plus que +le blanc du linge. Des habitués, haletants, ne bougeaient pas: c'étaient +des rentiers du quartier, des gens de Courses et de Bourse, des forbans +de cafés. Tous les quadrilles avaient leur cercle de spectateurs. Et la +cage s'emplissait sans cesse, bientôt elle fumait. Quand on arrivait +là-dedans de sang-froid, on restait figé, les tempes moites. Des hiatus +de bouche bâillaient sous des toisons de moustaches; des narines +éclataient à force de humer les sexes; et l'on était imprégné d'odeurs +de latrines, de bas parfums de fards et de je ne sais quels relents +encore. C'était dévorant et c'était unique. Pour exprimer cela, +picturalement, on devinait la nécessité d'un peintre offrant un dessin +cruel et des couleurs de fosse. Lautrec apporta tout cela. + +Une de ses premières toiles faites d'après ce bal, ce fut le _Quadrille +au Moulin-Rouge_, que posséda Joseph Oller, et qui fut longtemps +accrochée à l'entrée du bal avec, comme pendant, _L'écuyère au Cirque +Fernando_. + +Cette peinture, la photographie l'a vulgarisée. Elle est importante, +mais sèche, trop fortement dessinée. Le dessinateur aigu que sera +Lautrec pendant toute sa courte vie, l'emporte ici sur le peintre. Et, +grâce à cela, on peut voir l'amère et douloureuse précision du trait, +dont il ceinturera plus tard, avec plus de souplesse toutefois, les +faces et les attitudes. Mais, par cette toile, déjà il se précise que +Lautrec ne fera aucune concession au goût public: il ira au delà, s'il +le peut, de toute la bestialité et de toute la hideur humaines. Tant pis +si les visages sont laids, et les gestes crapuleux; le caractère en +premier lieu, le trait âpre et incisif qu'il prendra d'abord à Degas, +mais qu'il prendra ensuite à la vie et qu'il fera toujours plus mordant +et toujours plus animé. Et la couleur générale aussi sera acide et dure, +sans souplesse de passages de tons, sans glacis, sans émail; il n'y aura +que des hachures creusées à coups de griffe, comme des déchirures de +stylet, presque de la peinture de sadique, en tout cas bien de la +peinture de ce peintre qui me jetait un jour: «Ah! ces filles, pour les +bien exprimer, je voudrais les peindre avec du f.....!» + +Que de tableaux, Lautrec réalisa dans ce bal du Moulin-Rouge, je veux +dire: à propos de ce bal! A le hanter, il en rapportait continuellement. +Voyez celui-ci, au hasard: _Les Valseuses_. La jolie fille jeune et la +mûre lesbienne qui a pour sa compagne des tendresses d'amant. Quel +expressif dessin, et d'une surprenante noblesse, et maintenant, c'est +fini, entièrement inédit! Ah! la fraîche gorge, et le regard clos qui la +convoite! Gibier du _Hanneton_ et de la _Souris_! + +Rappelez-vous aussi _Jane Avril_, l'air vanné, avec sa face de rate +funèbre, levant sa jambe droite et se trémoussant, en savant équilibre, +sur la mince flûte de sa jambe gauche. + +Et le _Départ de quadrille_? La fille, plantée sur ses deux jambes, les +poings appuyant les jupes aux hanches. Ne repose-t-elle pas comme une +table se tient sur ses quatre pieds? Cette fille a le visage à la mal en +train; mais elle est solide, c'est un roc. Sans émoi, elle attend, pour +se jeter en branle, que le fracas de l'orchestre se déverse sur elle. + +Voici la _Danse_, le papillon balourd que Lautrec a lâché sur le +parquet; grosse dondon en pantalon, qui pince son cavalier seul, en +esquissant un prétentieux vis-à-vis. + +Et tous les autres tableaux de danseurs et de danseuses: des filles +teignes, des danseurs, rats fouinards à melons plats; tous les +spectateurs et toutes les spectatrices aussi qu'il découvrit, qu'il +plaça, singuliers hannetons, dans une sorte de tourbillon de jambes, +dans une fumante et chaotique mêlée de fesses, dans un remous de gestes +épileptiques; et remuant des rires, des mots obscènes, de la sueur de +dessous de bras et de dessous de cuisses, du dégoût de bas remugles qui +se vident, qui montent en nuages bas et lourds et répugnants autour des +globes de cette salle de bal, qui, au résumé, apparaissait telle qu'une +gare soûle, en bois, au pays des Fjords! + +Mais tout cela qui était tout et qui eût compté tellement dans l'oeuvre +d'un autre peintre! ce n'était rien, ce ne fut rien quand Lautrec nous +présenta, en coup de tonnerre, la Reine, l'Impératrice arsouille, la +Majesté de la gouape, l'olympienne salauderie de l'éclatante, de +l'unique danseuse: la Goulue! + +[Illustration: LA GOULUE + +PHOTO DRUET] + +Ah! cette fois, Lautrec monta au sommet du caractère, au plus haut de +l'expression, à la plus magnifique plénitude, à la légendaire et +dominatrice intégralité d'un portrait vraiment historique! + +La Goulue! Voici, c'est cette fille en blanc, un léger bouquet piqué sur +ses seins, que deux amies accompagnent; cette fille de face, à la bouche +torve, au chignon droit, redressé en crête de rapace, ce petit ruban +noir autour du cou, ce visage désaxé, canaille et superbe! + +Elle est hautaine et impertinente, cette fille; elle est féroce, et elle +a l'oeil éteint, endormi, des lourds oiseaux de proie. Elle est sèche, +busquée, terrible, énigmatique, inquiétante, et d'aspect funèbre. Ces +narines étroites se pincent, cette bouche avide se plisse, se redresse, +se tord en stigmates de méchanceté et de douleur. C'est au total, cette +danseuse, une idole et une martyre; une idole que tout le monde fête et +acclame; une martyre aussi qui nous présente la face la plus flétrie, la +plus battue, la plus desséchée, la plus avaleuse de sanglots, la plus +coupée et recoupée, la plus éveillée et la plus endormie, la plus +prenante et la plus écartante, la plus cruelle et la plus candide, la +plus jeune et la plus vieille face qui soit au monde!... C'est un régal +qu'inventa Lautrec; une cuisine, si je puis ainsi dire, picturale, +belle, glorieuse et si invue, que c'est lui qui créa le type plastique, +cette Goulue, comme Shakespeare a créé Lady Macbeth, et Molière, +Célimène. Portrait historique! et c'est cela, pour l'instant, presque +une tare; car cela situe Lautrec dans une époque; mais, heureusement, il +lui reste, pour réapparaître, dans la suite des âges, un dessin acéré, +hautement personnel, racé et magnifique, qui le remettra tout vivant, +plus tard, dans le classement de l'Histoire. + +Un jour, quand la Goulue, impératrice lasse de la danse, abdiquera, non +pas pour se retirer dans un couvent, mais dans une baraque foraine, en +l'année 1895, Lautrec exécutera pour son idole deux vastes toiles, dont +l'une représentera _les Almées ou la Danse mauresque_; c'est-à-dire +Félix Fénéon, avec un complet à carreaux et un petit chapeau Dranem, +MM. Tapié de Celeyran, Maurice Guibert et, au-dessus d'eux, Sescau le +photographe devenu pianiste; et tous regarderont la Goulue qui lève la +jambe, cependant que derrière elle, une almée frotte un tambourin, à +côté d'un nègre à turban qui, lui, tapote une peau d'âne. Et, de son +côté, la seconde toile mettra, elle, en scène, une danseuse au chignon +relevé, faisant son apprentissage au Moulin, et conduite par un hilarant +et prestigieux Valentin. + +Les faces ici sont encore aiguisées, et tellement poussées à l'extrême +limite du caractère, que l'on peut déjà se demander si Lautrec ainsi se +vengeait de sa propre laideur, ou s'il avait plus simplement un +frénétique amour du caractère? Ce que Degas avait lui-même exprimé en +donnant de tels laids visages à ses danseuses, que, pendant longtemps, +on crut à Paris, que le peintre Zandomeneghi les retouchait, les faisait +plus avenantes, moins salopées, pour les vendre, au compte d'un +important marchand, en Amérique! + +Ah! certes, la constante recherche du caractère, de l'expression, et ce +qui s'ensuit, de l'exagération, ce sera, c'est déjà le but, le seul but +de Lautrec. Il ne se venge pas de sa propre difformité; mais il +intensifie les stigmates de la faune humaine; il est une sorte de +tortionnaire qui creuse et ravine les faces, non point pour les montrer +plus odieuses, mais plus expressives, plus étranges, plus rares, plus +neuves. Et cela, cette chose qui s'indiquait dès l'atelier Cormon, ne +fera que croître et s'épanouir, que dis-je! cela est tout à fait +manifeste et aveuglant dans ses magnifiques représentations de la +Goulue! + +Lautrec dessina et peignit quelques tableaux consacrés au Moulin de la +Galette. Mais ce fut par hasard. Ce bal ne fut point pour lui un lieu +d'élection. C'était trop un déchet, une basse-fosse de la Danse. + +C'est là, toutefois, qu'il représenta, au bar, _Alfred la Guigne_, +d'après un personnage d'un roman de son ami Oscar Méténier. C'est un +superbe carton, représentant un portrait de souteneur jeune, coiffé d'un +melon et qui se tient debout devant un zinc, où se trouvent une vieille +gousse et une fille plus jeune qui se détourne. + +Lautrec, maintes fois, aussi, peignit des aspects de Jane Avril. Il la +représenta dansant, ou à la ville, avec son air qu'elle prenait alors +d'institutrice anglaise raidie d'alcool. + +Et combien d'autres scènes de bal Lautrec peignit, en une diversité +certaine, mais toujours d'après des spectacles vus, d'après des croquis +exacts. Aucune fantaisie n'apparaissait jamais. Lautrec n'aurait pas +voulu peindre ce qu'il n'avait pas observé, ce qu'il n'avait pas, je le +répète, _vu_, et _vu_ comme cela s'entend, avec une décisive conscience, +avec un excessif amour de la vérité. Et il ne peignait encore que ce +qu'il voyait souvent. Une fois, entre autres, il choisit ce prétexte +d'une _Table au Moulin-Rouge_, pour représenter, autour de cette table, +ses amis qu'il connaissait bien: MM. Tapié de Celeyran, Maurice Guibert, +Sescau, la Macarona, la Goulue, et lui-même, Lautrec. + +Aussi, la plupart de ses oeuvres peintes contiennent d'admirables +vérités. Ces oeuvres étaient peintes ordinairement sur du carton; il +trouvait que cette matière servait bien ses besoins renouvelés +d'esquisses fortement dessinées et hachurées. + +A l'essence, il traçait ses paraphes avec une extraordinaire certitude; +et cela, cette écriture, quand Lautrec emploiera la toile, il la chérira +de même, pour inscrire, avec son métier de juge d'instruction, fait de +tailles et de hachures, les plus significatifs et les plus éloquents des +verdicts. + + +FILLES + +Puisque Lautrec voyait beaucoup de filles de maisons danser au Moulin, +il était tout indiqué qu'il allât un jour les voir chez elles, pour y +retourner jusqu'à la fin de sa vie. + +Qu'y a-t-il de plus naturel? Des gens, tous les jours, hantent les +coulisses et les promenoirs de music-halls, les cabinets de certains +directeurs de théâtres, les restaurants où l'on soupe, les salons de +couturiers, tous ces milieux de passe, enfin, où l'on rencontre des +femmes du «meilleur monde»; et ces gens-là font cela uniquement pour le +motif que vous savez; tandis que Lautrec voulait d'abord observer, puis +travailler. + +Dans ce nouveau milieu, il fit de nombreux tableaux: _Le Couple_; _les +deux Amies_; _l'Attente_; _la Tresse_; _la Toilette_; _Femmes au +repos_; _Au réfectoire_, etc., etc., toute une suite qui est pour +longtemps d'une éloquence et d'une signification sans pareilles. Toute +une suite où rien n'est sacrifié à l'anecdote, à la sensiblerie, à +l'obscénité ou à la blague. Ce sont les multiples sujets, qu'offre un +bétail pensif ou agité, morne ou apaisé. Si, parfois, Lautrec fait +songer par le sujet à un maître, mais avec moins de spiritualité, c'est +à Baudelaire, à ses femmes damnées, à tout ce troupeau que le poète a +ployé sous le suaire des plus terribles châtiments. Mais Lautrec a vu, +le plus souvent, la fille prostrée, en attente d'homme, jouant aux +cartes pour se distraire, tordant ses cheveux, lisant la lettre d'un +amant, ou s'apprêtant, se lissant la face, se noircissant les sourcils, +recrépissant ses rides, examinant son ventre, ce champ de bataille, +redressant ses tétons pris trop aisément à poignées et qui s'obstinent à +retomber ainsi que des outres vides. Et, impitoyable, il a vu ces +femmes-là, au fond, douloureuses comme lui, ayant comme lui quelque +chose à tuer dans la vie, et si tristes, si tristes qu'elles ne rient +vraiment que lorsqu'elles sont soûles! Et, pour elles aussi, c'est son +incisif métier de peintre qui revient; métier de hachures toujours, +dures ou souples, directes, ardentes, en traits de pinceau, dans une +couleur générale où les verts, les roses, les bleus et les violets +dominent. Et peintures réalisées tantôt sur de la toile, tantôt sur un +panneau de bois, tantôt encore sur un carton. Mais, qu'elles soient, ces +filles, sur l'une ou l'autre de ces choses, elles sont toujours les +soeurs angoissées du peintre. Ah! si l'on a envie d'elles, après les +avoir regardées à travers Lautrec, c'est qu'on a le coeur robuste et +toute sensibilité abolie. Voilà des effigies à placer dans les couvents. +Lautrec représente la prostitution telle qu'une effroyable torture; et +tous les métiers, certes, lui sont préférables! + +[Illustration: FILLE + +PHOTO DRUET] + +Ici, de nouveau, il ne se vengeait pas. Parce qu'il sentait la vie +misérable, il faisait de ces filles de misérables créatures. Certes, +Fragonard sera pendant longtemps préféré à Lautrec; le savoureux +_Frago_, comme ils disent, les amateurs. Il a peint, lui, Lautrec, de si +pauvres laides gotons! + +A propos d'elles, souvent des gens bien intentionnés ont comparé +Lautrec à Guys et à Rops. A Degas, peut-être! Mais que viennent faire +ici le preste dessinateur du second Empire et le prétentieux Gaudissart +qui ravala la luxure à une entreprise de ruts insuffisants? + +Guys a dessiné et aquarellé, j'en conviens, de savoureuses vignettes; il +a, dans le monde de son temps, promené sa fantaisie éveillée; il a +dessiné des voitures, des officiers, des chevaux, des lorettes, des +filles de maisons, des turqueries, des soldats et des matelots; et il +les a tous représentés d'un trait cursif, éloquent comme le trait d'une +belle écriture; mais, il le faut bien dire, il s'est tenu, en somme, à +une arabesque connue, à une sorte de paraphe bien en main, bien dans sa +main à lui;--et qui lui permettait, par exemple, de tracer d'un coup la +tête de l'Empereur Napoléon III ou celle d'un cent-gardes. Il a, enfin, +spécialement, pour toutes les femmes, indiqué de la même manière les +boucles des cheveux, la forme du front, du menton, le globe des yeux, le +galbe des épaules et l'écrasement de la jupe crinoline; mais c'est tout, +c'est tout, et si neuf, si amusant que cela soit, c'est tout,--et ce +n'est peut-être pas assez! + +Quant à Rops, il a bien été, lui, le plus banal, le plus bêta, le plus +usé, le plus rabâcheur des pornographes. Il ne faut tout de même pas que +sa mémoire se glorifie des pages de Huÿsmans à elle consacrées, parce +que ce maître a trouvé là matière à un extraordinaire lyrisme! Non! +Rops, justement déboulonné, ce n'est plus que Joseph Prud'homme aux +nuits tourmentées, aux salacités médiocres, aux ruts mesurés. Les +collégiens eux-mêmes veulent une plus complète vérité, et ne rêvent +point à ces histoires de faunes et de nymphes montrant leurs derrières +et leurs devants, même à l'état de colossale chaleur! + +Que cela ait duré un temps, je le conçois. L'homme s'ennuie, et il a +besoin de se prouver qu'il est capable d'exécuter et d'aimer les pires +sottises et les plus niaises obscénités. + +Avec Lautrec, au moins, c'est le vrai retour à la vérité; c'est enfin la +vie en maison close, telle qu'elle est! Les femmes s'y ennuient, presque +toujours; elles attendent donc résignées; et, quand vient l'homme, elles +sont prises comme des femelles, rien de plus. Et ce bétail au repos, +que voulez-vous qu'il fasse? Il fait ce que Lautrec lui fait justement +faire: il attend, soumis, prostré; et, pendant longtemps, ce sera là, la +seule, la seule vérité! + +Sans doute, on entreprendra de nouveau de représenter la femme en +maison; mais, dans l'oeuvre de Lautrec, voilà, assurément, avec les +portraits dont nous parlerons plus loin, voilà la chose la plus durable. +Pour longtemps, ce sera ainsi. Lautrec a marqué d'éternité cette partie +de son oeuvre. C'est un ensemble qui ne vieillira pas, tant que l'homme +sera obligé d'aller dans un endroit clos pour y trouver la femelle que +la nature a placée là, pour la principale de ses fins! + +Sans doute, encore, ici, Lautrec a représenté de laides faces, des yeux +flagellés, des mentons en galoches, des nez aplatis ou secs, des bouches +surtout comme des trous d'immondices. Et ces peaux sentent les lavages +qui décrassent; le corps, dans des camisoles lâches, s'abandonne et +s'affaisse; ces cheveux sont tordus en crins de cheval ou relevés en +bonnets de brioches; et l'on frémit, certes, devant ces visages qui +évoquent les bêtes puantes ou les visqueux poissons des marécages!... +Oui, certainement, je sais, il y a aussi les poupées des maisons chères; +les salopes préparées par un Belge pour quelque «concours des plus +belles femmes de France»; il y a les «bonbonnières et les sucrées»! +Mais, pourtant, est-ce que tout cela ne vous apporte pas du dégoût quand +même à penser qu'un homme, le premier venu, va s'abattre sur ces ventres +préparés, que dis-je, élargis, suintants? Vous voyez donc bien que +Lautrec a eu raison de traiter tout cela comme du bétail, comme de la +chair pour coïts; et encore il a fait cela, lui, avec quelle distinction +et avec quelle noblesse! + +Les «bonbonnières» et les «sucrées»! C'est celles-là que Lautrec a su si +bien placer dans les légères voitures, qu'escortent des chiens +somptueux! + +On les voit dans son oeuvre, en promenade, le fouet droit, et +impérieuses Sultanes! + +Une voiture, puis deux, puis trois; et roule le défilé des charrettes de +l'été, des boîtes vernies, bois ou osier: Polo-cab, Stanhope-cab, +Epsom-cab, Rallye-cart, Poney-chaise, Village-cart. + +Cobs nerveux filent et s'ébrouent, comme brossés à neuf; et les filles, +la main gantée de peau de chien, se roidissent, les yeux rivés sur les +oreilles du cob, avec, sur le front, l'ombre douce du chapeau fleuri et +des dentelles en point de Venise, en fleurs d'Alençon. + +Elles se croisent et se dépassent, se jugeant d'un coup d'oeil exercé +avec des moues d'exorables gamines; et, très hautaines, le col tendu, +elles s'appliquent à demeurer, le fouet haut, immobiles, toutes droites. + +La fille, en ces charrettes ténues, singe indéniablement les attitudes +de la bête de race qu'elle mène au bout d'un fil, avec une science si +imprévue. Attitudes réjouissantes à reproduire, certes, pour sa joie +propre, pour le passant de la route, pour le groom qui, derrière elle, +ne bouge d'un pouce, vrillé dans la gaine de ses bottes à revers;--si +heureuse, semble-t-elle, des «fumées» qu'elle laisse, du sillage de +désirs qui court derrière elle et la suit;--elle, orgueilleusement parée +de morgue et de sottise! + + + + +DES COMMENTAIRES SUR L'OEUVRE + +II + +Portraits + +Le Jardin du Père Forest + +PORTRAITS + +[Illustration: PORTRAIT DE M. DELAPORTE + +PHOTO DRUET] + + +Voici un très considérable ensemble de l'oeuvre de Lautrec. + +Portraits d'hommes et portraits de femmes, il les a également aimés. + +Dès l'atelier Cormon, il fit les portraits de ses amis les peintres +Gauzi, Vincent Van Gogh, Grenier, Claudon, H.-G. Ibels, Henri Rachou, +etc., etc. + +Très exigeant pour ses modèles, il travaillait avec un entrain +passionné. + +Aussi, de 1886 à 1893, il peignit un grand nombre de portraits, +notamment ceux de Mme Natanson, de sa propre tante Mme Pascal, de Mlle +Dihau, de MM. Louis Pascal, Bonnefoy, du Dr Bourges, etc., etc. + +Puis vinrent les portraits de MM. Henry Nocq, l'admirable médailleur; +Romain Coolus, Tristan-Bernard, Paul Leclercq; les portraits des frères +Dihau, de Mme la Comtesse Alphonse de Toulouse-Lautrec, de Mme +Korsikoff, de Mme Margouin, modiste; de MM Maurice Guibert, Delaporte, +Maxime Dethomas, Davoust, Octave Raquin, André Rivoire, G. Tapié de +Celeyran, Maurice Joyant, etc., etc. + +Tous les portraiturés furent ses parents ou ses amis. En exemple, c'est +ainsi que Lautrec entretint d'intimes relations avec les Dihau, deux +frères et une soeur, musiciens originaires de Lille. Le frère cadet, +Désiré Dihau, joueur de basson-solo dans l'orchestre de l'Opéra, +composait aussi des mélodies. Lautrec le représenta d'abord, son basson +à la main; puis il le peignit encore, assis, lisant un journal, tandis +que le frère aîné Henri est debout, et tous deux en plein air, dans ce +jardin du père Forest, que nous ferons plus loin revivre. + +Quant à Mlle Dihau, professeur de chant et de piano, il la peignit aussi +deux fois: une première fois, jouant du piano;--et, la seconde fois, +donnant une leçon de chant à une dame debout près d'elle. + +Il fit aussi le portrait d'Oscar Wilde, en buste, de grandeur à peu près +naturelle. Il l'a représenté bouffi, en toutes rondeurs de formes +féminines, tel qu'était cet homme de lettres inverti. Pauvre Wilde! Bien +qu'il eût simplement le vice anglais, il fut condamné à deux années de +_hard labour_: mais, vraiment, lui, il alla carrément au devant du +châtiment. + +Et tous ces portraits peints par Lautrec sont fouillés, creusés, si +expressifs! C'est à Dethomas qu'il avait dit: «Je ferai ton immobilité +dans les endroits de plaisir!»; et il réalisa le merveilleux portrait +que la photographie a tant de fois reproduit. + +Le portrait de Delaporte, si rare également, fut, lui, refusé pour le +Musée du Luxembourg par le comité des Beaux-Arts, Dujardin-Beaumetz +étant sous-secrétaire d'Etat! Humble Dujardin-Beaumetz, aujourd'hui +disparu, bonne à tout faire des bas huiliers! Il était resté le même +pauvre homme, plein de mansuétude mais ignare, quand je le connus chez +Rodin! + +Lautrec représenta aussi son ami Viaud, sur un navire, en amiral Louis +XV, tête nue, de profil, la perruque blanche en catogan, la main droite +emprisonnée dans un gant à crispin et appuyée sur la barre du +bastingage. La tête, malicieuse, à la manière de Voltaire, considère un +beau navire, toutes voiles déployées, et penché sur la mer. + +Panneau décoratif pour un dessus de cheminée de la salle à manger du +château de Malromé. Ce fut une des dernières oeuvres de Lautrec. + +Que d'autres portraits il convient d'ajouter à tous ceux-là: les +portraits de M. de Lauradour, de M. Louis Bouglé, de M. H. Marty +(Souvenir du bal des Quat'-z'Arts), du docteur Péan en train d'opérer, +de M. Fourcade, de M. Boileau, de l'acteur Samary, de M. Georges-Henry +Manuel, etc. La dernière toile peinte par Lautrec, ce sera le tableau +intitulé: _Un examen à la Faculté de Médecine_ et portraits encore de +MM. les Docteurs R. Wurtz, Fournier et Gabriel Tapié de Celeyran. + +De portraits en portraits, Lautrec était arrivé, comme pour ses autres +oeuvres, à une manière plus grasse, plus enveloppée, plus souple. S'il +eût vécu une vie plus longue, un beau métier de peintre, exclusivement +de peintre, eût été le sien! Je veux dire un métier dans lequel le +dessin eût laissé moins voir son impérieuse volonté! + +Lautrec commençait souvent ses portraits avec la plus extrême fantaisie, +c'est-à-dire par le milieu de la figure, par exemple, ou par une +oreille, ou par le nez; et, parti de là, il multipliait ses hachures +dans le sens du caractère, et en cherchant par conséquent le +stigmate-type. Et si l'on reconnaît chaque fois le style, on peut bien +avancer que Lautrec réalisait, pour chaque portrait, une nouvelle mise +en page. Comparez les portraits de M. Dethomas (sur un fond de bal +masqué), de M. Henry Nocq (dans l'atelier de Lautrec), de M. Samary +(dans un rôle) ou de Mlle Dihau (assise devant son piano);--et la +confrontation sera significative. + +Plus loin, nous parlerons de quelques-uns des portraits que Lautrec +peignit en plein air. Ceux que nous avons déjà cités, il les a presque +tous peints à l'atelier ou dans des intérieurs. Ils ont, ceux-là, une +sobriété du meilleur aloi, une sûre distinction, un goût accompli de +l'arrangement. Je ne sais quelle place les musées de l'avenir leur +réserveront; je ne le sais et je ne m'en préoccupe guère; mais ce que je +sais bien, c'est que tous ces portraits là seront excellemment +représentatifs de notre temps. Ils diront à leur manière quels hommes +peu joyeux nous fûmes, et combien le goût du panache nous intéressait +peu. Portraits quasi résignés, s'ils ne sont pas «à expression navrée», +comme les portraits peints par Van Gogh. Portraits pour tout dire d'une +époque qui n'osait plus guère vivre, et qui allait tout droit, en +serrant les fesses, vers la catastrophe mondiale, qui est arrivée, et +qui a tout remué. Portraits de gens qui attendaient et qui attendent +encore, ahuris, anéantis, comme si le goût de la vie n'avait plus aucune +raison d'être!... Ah! certainement, ce ne sont point là des portraits +que l'on pourra opposer un jour à la pompe et à la magnificence de +quelques nobles portraits dits historiques; mais, tels quels, ne +réflèteront-ils pas nos inquiétudes et nos alarmes, nos peurs et nos +angoisses, toutes croyances mortes, et toutes réflexions devenues +comminatoires devant l'inexplicable, devant le pourquoi, devant le sens +de la vie? En un mot, ne sont-ce pas là, tels quels, les vrais portraits +des pauvres êtres que nous sommes; et alors, ne sommes-nous pas les +vrais compagnons des filles dont je parlais au chapitre précédent? +Portraits d'une époque que la Science torture et que la Vie emplit de +doute. + + +DANS LE JARDIN DU PÈRE FOREST + +Dans ce temps-là, il existait, au bas de la rue Caulaincourt, un vaste +jardin appelé _Jardin du tir à l'arc_, que l'Hippodrome a actuellement +remplacé. + +Ce jardin appartenait au père Forest, un photographe, qui a donné son +nom à une rue voisine. + +Ce jardin était revenu à l'état de nature. On pouvait aisément se croire +dans des halliers ou des sous-bois, loin de Paris. + +Lautrec fut bientôt l'hôte de ce jardin. Dès la belle saison venue, il +descendait de la rue Caulaincourt; et il s'installait dans le jardin de +son ami le père Forest. + +Tout à son aise, en bras de chemise, son chapeau sur le front, dès +«patron-minette!» (expression déformée qu'il affectionnait), il y +recevait ses modèles, qui étaient, pour la plupart, des filles du +boulevard de Clichy, de la place Blanche et des maisons closes où il +allait habituellement. + +[Illustration: DANS LE JARDIN DU PÈRE FOREST + +PHOTO DRUET] + +C'est dans ce jardin propice qu'il peignit, en plein air, de nombreux +tableaux: _La femme à l'ombrelle_; _La femme au chien_; _La femme au +chapeau noir_; _La femme au jardin_; _Pierreuse_; _Gabrielle_; _La +danseuse_; etc., etc. + +C'est dans ce jardin encore qu'il termina ce tableau si pittoresque: _A +la mie_. Portrait de son ami Maurice Guibert costumé en barbeau, assis +sous une tonnelle, et le nez sur une corne de brie, que devait arroser +un litre de vin. Au premier plan, une vieille blanchisseuse était +assise, un bras pendant, horrible par son visage et par son caraco +blanc! + +Quelle nouvelle époque de bon et long travail ce fut pour Lautrec! +Toiles et cartons, au hasard de ce qui lui tombait sous la main, étaient +criblés de ces hachures de peintre-graveur, qui voulaient exprimer, +approfondir de plus en plus le caractère! + +Dans le jardin du père Forest, Lautrec recevait tous ses amis, joyeux +de leurs visites, et il buvait avec eux; car il avait, tout de suite, +installé un bar dans une petite baraque en planches, vidée des fioles et +des accessoires que réclame la photographie. Certains jours, le jardin +flambait même avec des airs de kermesse. «Monsieur Henri avait invité!» + +C'est là que je connus le célèbre loueur de voitures, qui fut un des +plus chauds amis de Lautrec. C'était au moment de sa toquade pour les +divers équipages. Le rencontrait-on alors, il vous emmenait chez ce +loueur; et, là, enthousiasmé, il vous contraignait à admirer la forme +des véhicules, en chacun de leurs détails, avec tout le harnachement qui +sert à atteler un cheval. + +C'était tout Guys parmi nous revenu! Mais ce loueur apparaissait aussi +comme une espèce de maniaque de la collection! Car, dans de vastes +remises, il y avait beaucoup trop de voitures pour qu'elles fussent +toutes utiles! On voyait là des coupés et des mylords, un mail-coach, un +break, des calèches à 8 ressorts, des vis-à-vis, des landaus et des +landaulets, des victorias, un petit duc, des phaétons, un poney-chaise, +et toutes ces amusantes et légères charrettes qu'on appelle: spider, +dog-cart, derby, rallye-cart, tilbury, village-cart et stanhope. Et tout +cela fleurait bon le vernis, l'essence, le cuir astiqué. Tout cela +reluisait et paradait. Vraiment l'ensemble de toute cette collection +montait à la tête de Lautrec, qui ne manquait jamais de s'écrier: «Et +quand on pense que les gens de lettres qui ignorent tout cela osent +parler de sport!»; et, en conséquence, il conseillait à tous ses amis de +dessiner des voitures; une excellente méthode, affirmait-il, pour +apprendre à dessiner. + +Ce jardin du père Forest! S'en amusa-t-il, au delà de ce que l'on peut +imaginer! Mais, de même que le président Carnot, poursuivi par le soleil +dans le jardin de l'Elysée, cherchait un coin d'ombre, Lautrec pestait, +lui aussi, une fois dans le jardin, contre le soleil qui le tourmentait. +Aussi, il prit un temps précieux pour bien fixer les heures, les +certitudes de peindre à l'abri des aveuglants rayons qui viennent +chercher la toile; et, enfin, quand il eût trouvé le bon coin, il s'en +tint là, joyeusement. Tout en chantonnant, il «abattit» de nouvelles et +admirables peintures. + +Souvent, à nous, ses amis, il nous arrivait de rester dans le jardin du +père Forest toute l'après-midi; et Lautrec nous chargeait ensuite, de +ramener ses modèles au bercail. Alors, il montait chez lui, pour se +reposer; car, il se levait de bon matin; et, le soir, il ne voulait pas +manquer un spectacle au Moulin, au cirque, au théâtre, dans un bar ou au +bocard. Oui, il le faut répéter, cet homme fut un obstiné travailleur, +un fécond producteur; et, en se disant cela, on est saisi d'une vive +tristesse en pensant à tout ce qu'il eût pu encore réaliser, avec une +vie plus longue!... Oui, je sais: Van Gogh, une carrière plus courte! +Oui, c'est là un des lourds regrets que vous inflige la Vie. Et M. +Cormon, leur maître à tous deux, il n'est pas encore mort, lui! Voilà +une des inexplicables boutades de la nature ou de la Providence, ou de +Dieu, à votre choix!... + + + + +DES COMMENTAIRES SUR L'OEUVRE + +III + +Le Cirque + +Au Théâtre + +Café-Concert + +Les Courses + +De Tout + +LE CIRQUE + + +Igor Strawinsky, Tristan-Bernard, Lucien Guitry et tant d'autres +Picassos, comme vous avez raison d'aimer le Cirque, que Lautrec aima +encore plus que vous! + +Ah! qui ne peut chérir le Cirque où tout est pittoresque, contrasté, +brillant; où tout est imprégné de cette «odeur de Cirque», que l'on ne +respire nulle part ailleurs? + +Le Cirque! C'est-à-dire toute la fantaisie acrobatique, les écuyers, les +écuyères, les clowns, les trapézistes, les barristes, les sauteurs, les +équilibristes et les dresseurs de phoques, les jongleurs et les avaleurs +de sabres! + +Le Cirque! C'est-à-dire les chevaux dressés, le jockey du Derby, la +voltige indienne aux sauts d'obstacles, _the wentworth trio in a novel +equestrian act_; le Cirque, l'auto-bolide et le bilboquet humain, _the +sensation of all sensations_, par _the fearless young and fascinating +Parisian_, Mauricia de Thiers; le Cirque, les jeux icariens et +l'empereur de la magie, Captain Breydson _perillous trapezist +equilibrist act_ et _The Arizona's tomahawk's jugglers_! + +Quand on aime le Cirque, j'entends le véritable Cirque populaire, le +Cirque où du vrai peuple est sensible à la force, à l'adresse, et +acclame et tempête; le véritable Cirque, où de la musique, et quelle +musique! ronronne ou fracasse ou susurre ou endort; le véritable Cirque +où se perpétuent d'ancestrales et puériles traditions; le véritable +Cirque où tout est pailleté, en oripeaux, en franges fanées d'or ou +d'argent; où tout est clinquant, bariolé et vif! Ah! quand on aime ce +Cirque-là, on frémit en entrant, en respirant l'odeur des écuries; et +l'on attend les rires, ces tempêtes de rires qui dégringolent des +gradins et qui s'écrasent au milieu de la piste! + +Lautrec, qui chérissait le Cirque, à pleine joie, représenta les clowns, +les acrobates, les dresseurs de chiens et les écuyers; et une toile +qui le «situa» tout de suite, ce fut l'_Ecuyère au Cirque Fernando_, +placée longtemps, se rappelle-t-on, à l'entrée du Moulin-Rouge, et que +je retrouvai plus tard chez Jean Oller. Ah! la merveilleuse toile, si +singulière, si unique, si imprévue, qu'elle m'arracha un cri de stupeur +quand je la vis pour la première fois! C'était un gros cheval de piste +dessiné d'une splendide façon; et, sur sa croupe, se tenait assise une +écuyère avec une si étonnante face; tandis que, au milieu du tapis, +l'écuyer, à visage de crapaud, s'arquait et déroulait sa chambrière. Et +les blancs et les roses et le noir de l'habit jouaient là-dedans, la +piste non recouverte, la toile apparente. Une oeuvre tout de suite si +invue, si anormale presque; comme d'un peintre venu on ne savait +d'où;--un dessin si excentrique, et qui devait, par la suite, moins +peut-être nous troubler, mais nous ravir toujours par sa fascinante +personnalité, par son inégalable puissance! + +[Illustration: JANE AVRIL + +PHOTO DRUET] + +Quand Lautrec fut à Saint-James, il se ressouvint du Cirque qu'il avait +tant aimé; et, là, sans modèles, il crayonna une suite d'une vingtaine +de dessins, uniquement consacrés aux gens de Cirque, et que Manzi édita +sous ce titre: _Au Cirque_. + +Dessins d'une exagération caractéristique, d'une troublante déformation, +d'un imprévu si drolatique, qui, cependant, ne fait jamais rire. Et vous +voilà revenus ici, dans cette série de planches, les clowns et les +écuyères, les chiens savants et les danseuses. Et je revois, chaque fois +que je regarde ces dessins, tous vos gestes adroits, toutes vos +cocasseries, ô clowns; tout votre maniérisme, ô écuyères de haute école; +et je vous retrouve aussi, vous, ô clownesses fantaisistes, clownesses +presque de bal masqué, avec vos gamineries d'enfant vicieux et vos mines +de chattes guindées! + +Foottit, ce clown génial, Foottit surtout, émerveilla Lautrec. Il le +suivit partout. Et lui, Foottit et Chocolat, ils devinrent les tenaces +clients du bar Achille, jusqu'au moment de la définitive fermeture de ce +réjouissant assommoir. Ils dégustaient tous trois tous les short-drinks, +tous les gin-wiskies, tous les gobblers et punchs de la maison; puis on +se donnait rendez-vous au cirque de la rue Saint-Honoré;--après quoi, +ils se rassemblaient encore, Lautrec, Foottit et Chocolat, pour regagner +le bar délectable. + +Lautrec notait rarement des croquis autour de la piste. Quelques tics de +son ami Foottit, et c'était tout. Sa mémoire lui suffisait; elle +collectionnait une copieuse moisson de gestes, de bonds et d'aspects +plastiques. + +Il était transporté par les pantomimes et les brefs scénarios que +Foottit jouait avec Chocolat; et il déclarait, avec tant de vérité, que +cela, c'était autrement intéressant que toutes les pièces de théâtre. + +Lautrec a représenté Foottit comme un gros rat éveillé, gambadeur et +rusé, en perpétuelle recherche de drôleries. Il l'a dessiné +d'inoubliable façon; et, de Chocolat, il a fait un nègre hilarant, +tenant du singe, un nègre singulièrement excité et folâtre. + +Tous les dessins consacrés au Cirque purent bien être réalisés de +mémoire, à Saint-James; Lautrec les avait tellement gravés dans le +cerveau, tous les chevaux, tous les chiens, tous les personnages, +petits ou grands, qui animent de joie une piste. Presque +automatiquement, il a exécuté tous ces dessins-là; et, presque +automatiquement, aussi, il a trouvé pour eux les mises en pages les plus +définitives et les plus rares. Considérez attentivement tous ces dessins +d'un «malade»; et vous serez surpris de leur expressive étrangeté et de +leur parfaite variété. Il y a là quelque chose de solide et +d'inexplicable qui peut dérouter singulièrement les psychiâtres. Cette +sagesse, cette parfaite mise au point esthétique, cela, en effet, vous +alarme, comme cela vous trouble aussi chez un Van Gogh,--et, en ce +moment même, chez Maurice Utrillo. En confrontation des prouesses +picturales de ces trois merveilleux artistes, «touchés» cérébralement, +les oeuvres des peintres dits raisonnables ne sont que sottises et +écoeurantes banalités! Le génie alors est-il donc, vraiment, en somme, +l'apanage de ceux que les psychiâtres appellent, en leur barbare +langage, des «dégénérés supérieurs?» + + +AU THÉÂTRE + +Tout le cortège des acteurs et des actrices, tout le chariot de Thespis, +défila aussi devant Lautrec. + +Les pièces dites de théâtre l'ennuyaient lourdement; mais il +s'intéressait aux physionomies et aux tics des acteurs et de leurs +compagnes. + +C'est surtout à propos de ses lithographies que nous aurons à citer les +noms de tous ceux et de toutes celles qu'il dessina. + +Il les obtint tous «ressemblants», avec une liberté et une réussite +saisissantes, d'après des croquis expédiés dans les coulisses ou dans +les loges. + +Il était curieux à voir, balafrant son papier, le zébrant, le couturant, +piquant de bleu un oeil, griffant de rouge une bouche, accents +seulement pour la mémoire, et qui devenaient ensuite bien autrement +intenses, quand il cherchait l'ensemble. + +Et quelle autre longue suite d'exacts portraits! Nous avouons bien vite, +toutefois, que la plupart des acteurs et actrices ainsi choisis +n'appréciaient guère leur bonne fortune. Ils nous viennent en nombre +sous la plume les noms des comédiens et des tragédiens qui méprisaient +Lautrec. Ah! le physique du peintre entre en ligne de compte dans +l'estime de ces gens-là! Et Lautrec n'était même pas, au surplus, un +peintre officiel et décoré! + +Les photographies les plus retouchées, les plus rajeunies surtout--les +fossiles ont horreur du vrai!--, sont si loin du verdict affirmé par le +dessin de Lautrec. Sévère constat! mais était-ce sa faute à lui si des +acteurs et des actrices pouvaient, et peuvent encore, hélas! jouer sans +être sifflés, jusqu'aux bégaiements de la seconde enfance? + +Heureux âge! Mais plus vif plaisir de Lautrec quand il les crucifiait, +tous ces radoteurs! + +Il eut, pourtant, des préférés et des préférées. Il représenta souvent +Mme Sarah Bernhardt, Guy et Méaly, Réjane et Brasseur, Antoine et Judic, +Lavallière et Baron, Mmes Caron et Bartet; ceux-là et celles-là, il les +acceptait, et il les dessina avec un vif contentement. + +Mais sa plus tenace passion, peut-être, ce fut Mlle Marcelle Lender, +divette au théâtre des Variétés, et qu'il dessina tant de fois, avant +que de peindre d'après elle cette toile souveraine: _Marcelle Lender +dansant le pas du boléro, de Chilpéric_. + +Oui, je sais, Lautrec, avec sa voix très perçante, assommait les gens; +et il se faisait souvent expulser des coulisses. Mais peut-on penser +que, par la suite, on osa traiter ainsi le peintre qui avait réalisé +cette merveille picturale? + +Et pourquoi, surtout, tous ces acteurs et toutes ces actrices n'ont pas +possédé ou gardé leur portrait peint par Lautrec? + +Mademoiselle Lender, comment, vous, par exemple, n'avez-vous pas chez +vous, je n'ose pas écrire dans votre coeur, l'extraordinaire toile que +je viens de citer, et qui vous représente si racée, si ployante, si +souple, et si orgueilleuse devant le sourire béat de votre ami Brasseur? +Ne saviez-vous donc pas que jamais, dans ce genre, on n'exécuta une +toile plus glorieuse? O la coupable indifférence! Et bien plus coupable +encore, l'indifférence de la Société des Amis du Louvre! Car, sait-on où +ira, à la mort de M. Maurice Joyant, qui le possède, ce chef-d'oeuvre? +Peu importe, peut-être, d'ailleurs; car, là où il se trouvera, il +figurera comme l'une des plus miraculeuses réussites de la peinture +française de tous les temps! + +Lautrec, aussi, représenta l'amusante, l'inoubliable Judic, dans sa +loge; l'acteur Samary, de la Comédie-Française, dans le rôle de Raoul de +Vaubert, de _Mademoiselle de la Seiglière_; M. Lucien Guitry et Mme +Jeanne Granier, dans _Amants_; Le Bargy et Marthe Brandès, etc., etc. + +En 1900, de passage à Bordeaux, il peignit deux importantes toiles et de +nombreuses études, d'après l'opéra d'Isidore de Lara: _Messaline_, +représenté au Grand-Théâtre. + +Lautrec aima enfin les danseuses de ballets; et M. Pierre Decourcelle, +dans sa rare collection, possède, par Lautrec, le portrait de l'une de +ces danseuses, devant un portant, qui est bien une prestigieuse et +incomparable toile. + +[Illustration: ALFRED LA GUIGNE + +PHOTO DRUET] + +Quelle distinction, bien que le visage soit encore agressif! Quel dessin +vivant, merveilleux! et combien, ici, Lautrec l'emporte une fois de plus +sur Degas, qui, pourtant, accusa souvent Lautrec de le plagier; Degas, +avec son dessin figé, conventionnel; Lautrec si animé, si exubérant, et +si pénétrant, d'une presque insolence despotique! + +Je sais, je sais: toutes ces oeuvres sont considérées même actuellement +comme des «caricatures» par ceux des gens de théâtre qui furent +portraiturés, les gens du moins que la Parque coupable n'a pas encore +saisis! Certainement, par exemple, Mlle Brandès et M. Le Bargy n'ont +aucune autre opinion, s'il leur arrive de revoir--ce dont je doute!--le +dessin qui les représente, elle, vipérine, et lui, trop jeunet. Et, +cependant, ne sont-ils pas rehaussés ainsi, «augmentés», en quelque +sorte, par Lautrec, tous et toutes? Mieux même: ne devraient-ils pas +être tout à fait comme cela, pour se parer véritablement d'une réelle +personnalité? + +Mais voilà, en ce triste temps, il faut tout sacrifier au cahotant +chariot de Thespis, surtout le génie!--et M. Brisgand, par ses sottises, +opère mieux! + + +AU CAFÉ-CONCERT + +Ce milieu, le Café-Concert, avec son amas de bizarres trognes, de +bohèmes, d'excentriques de tous ordres, de déchets d'humanité, gueulant +ou susurrant des chansons bêtes; ces hommes et ces femmes, ces +orchestres de ravageurs, ces beuglants et ces niais Eldorados;--tout ce +milieu devait aussi enchanter Lautrec; et, en effet, il l'enchanta. + +C'était, d'ailleurs, le moment d'apothéose du Café-Concert. Partout les +gommeuses, les gambilleurs, les chanteuses à voix, les excentriques, les +diseuses et les ténorinos, sévissaient. On restait sous le coup des +fortes émotions chauffées par Thérésa; et les vieux hommes radotaient, +avec des larmes, les chansons de Béranger, de Dupont et de Nadaud. Il y +avait, par cela même, le café-concert avec ses sottises nouvelles, et +l'autre chantant ou Caveau, où l'on hospitalisait les chansons de Paul +Delmet et de Maurice Vaucaire. Dans ce temps-là, pas de revues, pas de +bas vaudevilles sur ces petites scènes, où, de huit heures à minuit, +défilaient toutes les chanteuses et tous les chanteurs des cinq parties +du Monde. Le Caveau pleurait boulevard de Sébastopol; le concert des +Décadents flonflonnait rue Fontaine; et Lautrec ne quittait, que pour +aller au Moulin, ce dernier café-concert, tapageur et pittoresque. Mais +la Duclerc, la reine du lieu, l'inquiétait par sa face ravagée; et il +n'osait pas la représenter, la dessiner telle qu'il la voyait, cruelle +et de sang atrocement brûlé! + +Puis, le printemps revenait; et Lautrec s'en allait revoir, dans +l'avenue des Champs-Elysées, les trois magnifiques cafés-concerts qui, +alors, en plein air, lançaient aux étoiles les couplets amoureux ou +pleurards, sentimentaux ou revanchards, humanitaires ou satiriques, que +faisaient écrire, dans les prisons, les entrepreneurs-chansonniers,--ou +que commettaient eux-mêmes, sans gloire, les Maurice Donnay et les +Bruant. + +C'étaient, ces trois cafés-concerts: _les Ambassadeurs_, _l'Alcazar_ et +_l'Horloge_. Ce dernier devait, plus tard, être remplacé par le _Jardin +de Paris_,--lequel vient de disparaître à son tour. + +Comme elles réapparaissaient chaque fois charmantes ces joyeuses +bâtisses, à l'air d'établissements de bains très calmes et très roses! + +Paulus, Caudieux, Kam-Hill et tant d'autres, à ce moment-là, au temps de +Lautrec, y chantaient tour à tour. Paulus, le roi de la chanson, de la +chanson remuante, agitée, gambillarde! Paulus, qui était la troisième +personne de cette trinité glorieuse: le général Boulanger, Géraudel et +lui-même, Paulus! Paulus, qui avait incarné en lui l'âme de la Patrie; +et qui, aux accents de plus de deux millions de voix françaises, tous +les soirs, dans un café-concert, entraînait, vers l'Arc-de-Triomphe, le +père la Victoire et les pioupious d'Auvergne!... + +Mais c'était, aussi, la pleine floraison des _Ta-ra-ra-boum-di-hé_ et +des frêles niaiseries que chantait plus anémiquement Miss May Belfort, +qualifiée sur le programme: artiste lyrique anglaise; et, pourtant, +elle alluma tout de suite Lautrec. + +Après tout, cette bêlante brebis en valait la peine. Elle était si +cocassement puérile, costumée en baby, avec des boucles déroulées sur +ses épaules. Elle miaulait, tenant un chat noir entre ses bras ou n'en +tenant point; et, en choeur, aux Décadents, on hurlait le refrain de ses +couplets, tandis qu'elle se redressait toujours roide, et comme en bois. + +Lautrec dessina et peignit souvent cette poupée venue de l'orageuse +Irlande. C'était la folie du jour, ces chanteuses ou ces danseuses +anglaises: une miss Cécy Loftus ou une miss Ida Heath. On les retrouvait +partout; et, cependant, avouons, sans être nationaliste, que la +française Duclerc, la fameuse Duclerc, à la fin tragique, avait un autre +accent! Ah! celle-là, cette terrible chanteuse minée par la phtisie, sa +fin dans un bar, sa rage de danse folle, qui nous secoue encore quand +nous évoquons l'écroulement brusque de cette femelle vidée! + +Mais, de toutes ces danseuses et diseuses, celle que Lautrec, +irrésistiblement, préféra, ce fut Yvette Guilbert. + +Il lui consacra les planches de deux albums: une édition française, +éditée par Marty, avec notice de M. Geffroy; et une édition anglaise, +éditée par Bliss et Sands, à Londres, en 1898, avec un texte de M. +Arthur Byl. + +Ces lithographies sont depuis longtemps légendaires, il est donc vain de +les décrire; mais on peut bien répéter que personne ne représenta avec +une expression plus forte et plus significative le profil et la face de +Mlle Guilbert. + +Lautrec connut la diseuse alors qu'elle habitait avenue de Villiers; et, +sur le champ, s'enthousiasmant, il voulut la représenter en Diane +antique! Heureusement elle se mit à rire, et jura que la «caricature» +seule pouvait donner d'elle une image fidèle. Surprenant propos! Mais +Mlle Guilbert était si jeune! + +Lautrec suivit son modèle à la Scala, aux Ambassadeurs, dans sa loge, +sur la scène, dans les coulisses; et il multiplia d'après elle les +dessins, s'en tenant pourtant à des lithographies, n'ayant qu'une seule +fois choisi une autre matière: une céramique qu'il exposa à Londres, +avec une série de lithographies. + +Il illustra également quelques-uns des monologues que disait, de sa voix +traînarde et acide, Mlle Guilbert: _Le jeune homme triste_; _Les vieux +messieurs_; _Eros vanné_; etc...;--mais il ne laissa pas d'elle un grand +portrait peint, alors qu'il peignit si souvent la Goulue et la Mélinite. +Et Dieu sait, pourtant, si Mlle Guilbert tenait une place au +café-concert! mais, bien entendu, on jugeait à rebours la personnalité +qu'elle y apportait. «Quand je pense, me disait-elle, un jour, que les +Parisiens me croient la joyeuse interprète des vices modernes, alors que +j'en suis la mère Fouettard!» + +Mais Lautrec, comme tous les Parisiens, ne se souciait ni de morale ni +de tout autre but. Il se contentait de se passionner pour le +café-concert; et cela lui suffisait. + +Aussi, avec H.-G. Ibels, il lithographia encore les planches de tout un +album consacré au Café-Concert. Avec un texte très complet et très +brillant de M. Georges Montorgueil, cet album fut édité par «l'Estampe +originale». + +[Illustration: MAY BELFORT + +PHOTO DRUET] + +Voici de nouveaux et rares dessins au propre compte de Lautrec! Toujours +des Yvette Guilbert, naturellement: puis un profil malicieux, aigu, de +Judic; Abdala, aux longs bras, au ventre bombé; Jane Avril, papillon +tourbillonnant; Edmée Lescot, à la croupe jaillissante; Mary Hamilton, +poupon et soireux; Bruant, hautain, froid; Caudieux, marié bondissant; +Paula Brébion, chipie et plantureuse; la Loïe Fuller, flamme et +feu-follet; et, couronnant le tout, le pif rouge d'un chanteur +américain! + +En parlant des lithographies de Lautrec, j'aurai à citer bien d'autres +divettes. Je mentionne seulement ici, pour mémoire, ces trois autres +oeuvres si curieuses venues du Café-Concert: _Chanteuse anglaise_, _au +Star du Havre_; _Miss Bedson_ et _May Milton_. + +Avec quel esprit renouvelé, il a dessiné et peint ces filles! Ah! +certes, dès que Lautrec touchait à la femme affranchie, à la femme hors +du foyer, je veux dire à la bête fendue, prête à tous les déshonneurs et +à toutes les hontes, vraiment, il restait inimitable! Huysmans a écrit +une lyrique page sur les femmes au tub peintes par Degas; mais comment, +comment, lui, devenu un misogyne féroce, n'a-t-il pas bondi sur l'oeuvre +de Lautrec pour la fouailler, pour la ravager, pour la massacrer, la +femelle aux cent besoins? Comment n'a-t-il pas vu dans l'oeuvre de +Lautrec un autre apport tout de même que l'apport de Degas, qui se +contenta, en somme, de laides faces et de ballonnantes croupes? +Crapaudes engraissées, mais crapaudes néanmoins, rien de plus! alors +que, lui, Lautrec, n'a-t-il pas faisandé, pourri la femelle? N'en a-t-il +pas fait le simple sac de pus vomi par le terrible moine Odon de Cluny? +Sac d'excréments, même pas! Sac de pus, j'y reviens; fumier charriant +tous les fétides filaments de l'avarie! Ensuite, est-ce que, sous ces +faces blanches, vertes, avivées de rouge,--sous ces poitrines blètes, il +n'y a pas, par l'apport de Lautrec, un autre et plus terrible +réquisitoire contre la salauderie des désirs et l'ignominie des ruts?... +Oui, qui peut de nouveau regarder une fille peinte par Lautrec sans +frémir, sans apercevoir tous les ulcères, tous les chancres, toutes les +ravageuses terreurs du musée Dupuytren, cette géhenne effroyable et +subie de la chair? Pour moi, je me souviens, avec quel frisson! d'avoir +vu chez M. Théodore Duret, cette May Milton, à la face engraissée, à la +mâchoire lourde, de couleur jaune-blanche, comme retenant sous une +enveloppe-vessie un magma de pus tourné au jaune et au blanc-vert. Ce +tableau est une hideuse épouvante. Cette bouche frottée de rouge, elle +tombe, elle s'ouvre comme une vulve; elle n'a pas plus de défense, elle +n'a pas plus de fermeté; elle s'ouvre, elle laissera tout entrer! Et le +peintre qui a peint cette redoutable image, aimait les femmes. Quel +confondant sadisme!... ou est-ce une sorte de prêche pour les autres +hommes?... Singulier problème! + + +LES COURSES + +Les chevaux, les courses de chevaux aussi ne manquèrent point de retenir +Lautrec. + +Que de simples et jolis dessins, aquarelles ou peintures, il conçut, +tout de suite, à la manière anglaise, comme prétexte!--; à sa manière à +lui, comme exécution! + +Ainsi, ce bref tableau: + +La plaine est rase; une colline bleue borde l'horizon; et, dans un coin, +des bouquets d'arbres, précédés de barrières blanches, composent un +décor plaisant. Le cavalier s'en va au trot gaillard de son cheval; son +chien le suit, en tirant la langue; et le bonhomme est tout vermeil, en +bon état, vante à coup sûr la sérieuse utilité de l'exercice en plein +air. Le ciel, lui-même, est familier; nul nuage romantique, un friselis +de laine dans un ciel tendre; et Lautrec complique de variété seulement +son cheval dans la classe des hacks et hackneys, des trotters et +double-horses, des galloways et des ponies. + +D'autres fois, ainsi que nous l'avons dit au chapitre: _Filles_, il +place un attelage en tandem, au bord de la mer. Un tonneau, un voile qui +flotte au vent; et, escortant la jeune femme qui conduit, un fox-terrier +galope en bondissant. + +Que d'éventails Lautrec exécuta dans cet ordre d'idées-là! + +Les jockeys, à pied ou à cheval, les lads, les entraîneurs et les +paddocks, figurent nombreux aussi dans son oeuvre. Et comment en eût-il +été autrement pour ce peintre curieux, tellement épris de vie moderne? + +Les Courses, d'ailleurs! Les chevaux, les femmes! + +Sous couleur d'amélioration de la race chevaline, ne donne-t-on pas, aux +Courses, les plus exquis rendez-vous de femmes parées dans un décor de +luxe, dans un infini boulingrin émaillé çà et là de somptueuses fleurs? + +Et la vue n'en est-elle pas exquise, alors qu'elles sont toutes là, les +filles, à la parade, dans la joie de vivre, assistant à une des fêtes du +turf? + +Oui, elles sont joyeuses, et leur joie resplendit dans leurs yeux, dans +le joli mouvement de leurs bras enveloppeurs et de leurs grâces frêles; +elles sont superbes aussi sous l'architecture fastueuse du chapeau, +toutes jaillies en sveltes lignes de la gaine des jupes et de la sangle +du corset. Le bouquet est verni, lustré, plus captivant que rien qui +soit au monde, alors qu'il se déroule tant d'idées de bonheur, d'amour +de soi-même, d'orgueil de plaire et de triomphe, sur ces visages de +filles érigées toutes droites, ou assises sur des chaises, comme sur des +socles. + +Certes, ici, encore, un décor est tout fait. Cela se compose, tout de +suite, ce fond de panaches à l'horizon, cette colline d'arbres et de +villas, ces tribunes fleuries ayant un caractère de constructions +exotiques, et ce tapis de la pelouse, large, immense, piqué de barrières +et de betting-pots. + +Et le décor est frais, attirant sous le ciel bleu et mauve des pleins +jours d'été. Pour peindre cela, il faut le rendre en quelques points +essentiels. C'est, en effet, tout d'une venue, quand on cherche +seulement l'arabesque. Les chevaux eux-mêmes se prêtent merveilleusement +à ces schémas. Ils sont tout en jambes et en encolures longues. Mais il +y a des déformations de génie à inventer pour exprimer des attitudes +vraies, pour peindre le pas rythmique ou le galop coulant et près de +terre de ces chevaux, qui somnolent et se bercent, au contraire, quand +ils sont sur les routes. + +Et leurs cavaliers, faire comprendre les longs apprentissages, les +labeurs de l'art équestre, c'est rude. Le visage, ici, n'est pas tout; +les bras et les jambes et le torse et tout, tout cela a trop travaillé, +a été trop violenté, a trop peiné pour qu'on n'étudie pas, à s'y abîmer +de longues heures, le caractère des déformations fatales, dans un corps +d'anglo-saxon, rompu déjà, pourtant, à toutes les périlleuses aventures +des sports. + +Et il y a encore autre chose. Car il faut trouver l'atmosphère morale de +tous ces gens: mercantis heureux, hommes politiques et escarpes, +bookmakers et propriétaires, filles et jockeys. Il faut peindre des âmes +vigoureuses du lucre sur des visages rudes ou fragiles, des attitudes +exactes de groupes; ne pas verser dans l'anecdote des courtauds de +boutique aventurés ici ou des petites gens qui risquent de maigres +enjeux. + +Aussi bien le sport que tarifent des rentes sûres est de seul +intérêt--et de charme certain. C'est, à l'entour de pavillons évoquant +des villas de falaises normandes, que se rencontrent seulement le +maquignonnage opulent des chevaux et des filles--et l'âpre convoitise +des «matelas de billets» pour les entretenir, parallèlement, dans de +superbes et quasi similaires écuries, à la litière chaude. + +Tout cela, Lautrec le développa encore magnifiquement dans de trop rares +oeuvres consacrées aux Courses. Dans ses lithographies, notamment, il +importe de signaler cette merveilleuse estampe: _Jockey se rendant au +poteau_, qui est un hommage rendu à une des gloires de notre temps. + +[Illustration: JOCKEYS + +PHOTO DRUET] + + +DE TOUT + +Certes, si Lautrec redoutait tout des très gros chiens qui pouvaient le +faire tomber, il réservait sa tendresse aux petits chiens à courts ou à +longs poils, qui sont les ordinaires compagnons des jeunes filles, des +hommes inoccupés et des vieilles catins. + +Aussi dessina-t-il et peignit-il de nombreux portraits de chiens. + +Notons, par exemple: + +_Le chien Tommy_, un petit chien, à poils longs, couché sur le ventre, +et très doux; + +_La jeune fille avec un chien_, aquarelle en éventail; + +_L'enfant avec la chienne Paméla_ (Taussat-Arcachon); et, enfin, après +quelques autres portraits de chiens, de moindre importance, voici le +fameux _Bouboule_; Bouboule, ce Chéri-Bouboule, enfin Bouboule, le +bull-dog, qui s'octroyait l'unique honneur de lécher les joues de la +chère Madame Palmyre, la patronne de la _Souris_! + +Bouboule! Oh! si j'écris et si je récris ce nom, avec tant de plaisir, +c'est que tous les anciens amis de Palmyre se souviennent toujours, +comme moi, de ce chien vraiment chien, de ce Bouboule si goulu et si +concupiscent! Mais quel Bouboule aussi bien mal né! Car Palmyre avait +vainement tenté de lui inculquer l'amour des femmes. Bouboule les +détestait, il n'y avait rien à faire contre cela; et le sacré Bouboule, +ce réjouissant Chéri-Bouboule le leur montrait bien aux femelles, qu'il +ne les acceptait pas; car, sitôt qu'on n'avait plus les yeux sur lui, il +descendait de la table, où il reposait son petit cul tout rond; et, avec +des efforts inouïs, rassemblant les dernières gouttes, il pissait sur +les robes et sur les manteaux! Pauvre Bouboule, que j'adorais! Qu'est-il +devenu, ce Chéri-Bouboule? Oui, je sais, au Paradis des chiens, avec +celui de Panurge! mais, du moins, où se trouve maintenant son portrait? + +Nous avons revu heureusement celui de _Follette_, la délicieuse petite +chienne blanche, à longs poils, à oreilles droites, à crinière léonine, +assise sur son derrière et le poitrail droit, face au spectateur. Petite +tête de souris éveillée, chère petite demoiselle et certainement pucelle +encore, que Lautrec avait peinte avec une souplesse étonnante, et en si +parfait contraste avec le _chien Tommy_, déjà nommé au palmarès +canin,--lui, une sorte de gros paysan balourd en feutre, tombé de tout +son poids et de tout son long sur ses pattes de devant. + +«De tout!» avons-nous écrit en tête de ce chapitre. Y a-t-il donc, à +présent, à citer, des paysages peints ou dessinés par Lautrec? + +Nous, nous ne connaissons que quelques paysages proprement dits qui +peuvent être donnés à Lautrec. Nous nous souvenons également d'avoir vu +chez M. Maurice Guibert et chez M. le Président Séré de Rivières, +quelques marines exécutées au lavis et au fusain. + +Mais il y a d'autres choses à noter, sans doute, si l'on veut classer +des projets pour des couvertures de livres ou pour des affiches; +projets que Lautrec cherchait sur un papier ou sur un carton, soit au +crayon, soit du bout du pinceau, trempé dans l'essence; et l'on peut +cataloguer encore, pour mémoire, des essais de sculpture assez informes +qu'il tenta, avenue Frochot, quelques mois avant sa mort. + +Par contre, il fit beaucoup d'aquarelles, gouachées ou libres. En voici +une brève énumération: _Aristide Bruant_; l'esquisse pour l'affiche de +la _Babylone moderne_; _Au café_; _Le portrait de Maxime Dethomas_, _au +bal des Quat'z-Arts_; _Cortège indien_; _La clownesse et les cinq +plastrons_; _Miss May Belfort_, etc., etc... + +Aquarelliste, Lautrec gardait la même liberté et la même acuité que pour +ses peintures à l'huile, attendu que, chez lui, c'était, avant tout, le +dessin qui comptait. + +Au résumé, toutes ces menues oeuvres, dont nous venons de parler, +peut-être trop laconiquement, étaient réalisées un peu au hasard de ce +que Lautrec trouvait sous sa main, et selon son humeur du moment. Oui, +il ne convient pas, décidément, de voir en lui un homme méthodique, +mesuré, disciplinant ses facultés et ses envies de travail. Ceci est +seul à enregistrer: il fournissait, à Paris, un dur labeur; et il se +réservait l'été pour ne rien faire; je veux dire pour se baigner ou +conduire son bateau dans la baie d'Arcachon. + + + + +DES COMMENTAIRES SUR L'OEUVRE + +IV + +Lithographies et Pointes-Sèches + +Dessins + +Affiches + +Illustrations de Livres + +LITHOGRAPHIES ET POINTES-SÈCHES + + +Voici une nouvelle considérable partie de l'oeuvre de Lautrec. Aussi, le +sculpteur Carabin et le peintre H.-G. Ibels se disputent-ils l'honneur +d'avoir poussé Lautrec vers la lithographie. Carabin, exigeant, +revendique en outre cet honneur pour Willette. + +En tout cas, Carabin se souvient fort bien d'avoir conduit Lautrec chez +Edwards Ancourt, imprimeur, faubourg Saint-Denis (ancienne imprimerie +Bourgery); et, là, d'avoir présenté Lautrec à un ouvrier d'Ancourt, +nommé Stern, qui, à partir de ce jour, tira les épreuves pour Lautrec. + +De son côté, Ibels _croit_ qu'il fut le premier à faire faire à Lautrec +de la lithographie, en lui demandant de composer avec lui-même, Ibels, +l'album connu, texte de M. Georges Montorgueil, consacré au +Café-Concert. + +Quoiqu'il en soit, cela nous reporte à l'année 1892; et, conduit par +l'un ou par l'autre de ses deux amis, Lautrec se passionna tout de suite +pour la lithographie. Improvisant sur la pierre, qu'il ne retouchait +jamais, ses estampes eurent rapidement une vive saveur. + +Tous les jours, il arrivait chez Stern, installé en chambre; et là, sur +une pierre, il faisait son dessin; puis, il s'en allait. La pierre était +alors gommée; et, le lendemain, Lautrec revenait assister au tirage des +épreuves. Il se passionnait à indiquer le ton des encres, s'il +s'agissait de lithographies en couleurs; et il faisait recommencer vingt +fois s'il le fallait, pour obtenir le ton spécial qu'il désirait, en vue +du définitif tirage, toujours publié à un petit nombre d'exemplaires, +qu'il tint, dès le début, à numéroter lui-même et à signer. + +Cependant, on peut voler des estampes dans une imprimerie; mais Lautrec +fut tout de suite impitoyable pour les voleurs. C'est ainsi qu'il fit +arrêter un marchand notoire qui vendait des lithographies signées par +lui, Lautrec, et qui avaient été dérobées à l'atelier. Même dans le +fiacre qui emmenait à l'étroit le marchand avec deux agents de la +sûreté, ne s'assit-il pas, imperturbable, sur les propres genoux du +marchand pour l'accompagner chez le juge, et le faire condamner;--car il +fut inexorable? + +Lautrec eut bientôt de nombreuses estampes en train. Mais, ici, rendons +à César ce qui est à César! Ce fut Ibels et pas un autre, qui réussit à +convaincre l'éditeur Georges Ondet qu'il valait mieux faire illustrer +les couvertures des chansons de café-concert par des artistes, plutôt +que de s'adresser aux spécialistes ordinaires. Et, ainsi, sur sa +proposition, Lautrec, Vallotton, Bonnard, Vuillard, Willette et Ibels +lithographièrent ces attachantes couvertures de chansons, dont on tirait +une centaine d'épreuves avant la lettre; et que les marchands Kleinmann, +Sagot et Arnould, achetaient et vendaient à part. + +En 1893, Ibels fonda, avec l'héroïque Georges Darien, un hebdomadaire +illustré, appelé _L'Escarmouche_, «journal de combat, absolument +indépendant et répudiant toute compromission». Ce journal n'eut qu'une +existence éphémère. Le 1er numéro porte la date du 12 novembre 1893; le +dernier, celle du 16 mars 1894; encore ce dernier numéro parut-il après +une interruption de deux mois, et sans aucune illustration. + +Lautrec fournit à _l'Escarmouche_ les douze lithographies suivantes: +_Pourquoi pas?... Une fois n'est pas coutume_; _Aux Variétés: Mlle +Lender et Brasseur_; _En quarante_; _Mlle Lender et Baron_; _Emilienne +d'Alençon et Mariquita aux Folies-Bergère_; _Au Moulin-Rouge: un rude!_ +(Table de café. Le personnage âgé qui tire sur sa barbe représente le +comte Alphonse de Toulouse-Lautrec); _Folies-Bergère: les pudeurs de M. +Prud'homme_; _A la Renaissance: Sarah Bernhardt, dans Phèdre_; _A la +Gaîté-Rochechouart: Nicolle_; _A l'Opéra: Mme Caron, dans Faust_; _Au +Moulin-Rouge: l'union franco-russe_; _Au théâtre Libre: Antoine, dans +l'Inquiétude_. + +Les autres dessinateurs-collaborateurs à _l'Escarmouche_ furent +Anquetin, Bonnard, Vuillard, Willette, Hermann-Paul, Vallotton et Ibels; +et c'est encore sur la proposition d'Ibels (qui avait décidément la +marotte des bonnes idées) qu'on lithographia les dessins, ce qui permit +le clichage par un simple report sur zinc, moins coûteux et plus +artiste;--et, en outre, les épreuves lithographiques avant la lettre +étant vendues aux amateurs, payaient ainsi l'artiste sans aucun frais +pour le journal. + +Chez Ondet,--je garde personnellement le plus vif souvenir de cet +éditeur actif et intelligent!--chez Ondet, Lautrec composa aussi les +lithographies pour un certain nombre de compositions musicales de son +ami Désiré Dihau, relatives à _Vieilles Histoires_, poésies de Jean +Goudeski. + +Elles sont toutes fort curieuses, ces couvertures; mais comme il y eut +d'autres couvertures illustrées par H.-G. Ibels, Henri Rachou, etc., +voici les titres des compositions, en ce qui concerne Lautrec: _Pour +toi_!... (Désiré Dihau jouant du basson, devant un buste de faune); +_Nuit blanche_; _Ta bouche_; _Sagesse_ (ici Lautrec a représenté deux de +ses amis: Mme Natanson et M. Numa Baragnon); _Ultime ballade_. + +A bien dire, dépouillées de toute couleur, c'est surtout dans les +lithographies au simple crayon que l'on voit la généreuse noblesse, la +certitude aiguisée, et--il faut toujours insister sur les mêmes +choses!--l'intégrale personnalité du dessin de Lautrec. Nulle écriture +n'est plus impérieuse, si j'en excepte celle de Modigliani, ce +merveilleux dessinateur mort lui aussi un jour trop prématuré. + +Cette certitude du dessin de Lautrec! C'est en voyant toutes ses +lithographies qu'il faut admirer continuellement ce dessin tracé de la +pointe du crayon, sans hésitation, sans le plus léger heurt. La pointe, +sûre d'elle-même, ainsi que la pointe d'épée d'un prestigieux escrimeur, +aussitôt que placée au-dessus de la pierre, elle inscrivait la pensée +prompte, les plus souples, les plus sensibles et les plus affirmatives +des arabesques. Vraiment, là, Lautrec est tout à fait à l'aise. Ces +paraphes de dessin, ces contours, ces angles, ces déformations subtiles, +tout cela est le témoignage d'un style prodigieusement original, d'une +volonté que l'on qualifierait de magnifiquement instinctive, si cela se +pouvait dire. De Lautrec, escrimeur toujours prêt, toujours souple, +toujours vigoureux et surtout si sûr de lui, avec quelle foudroyante +vitesse la pointe se détendait, allait frapper droit au but, je veux +dire sur la pierre vierge, en attente de chef-d'oeuvre ou de sottise! Et +c'était toujours un chef-d'oeuvre; ou du moins une chose rare qui +apparaissait, qui stupéfiait; une oeuvre de noblesse et d'élégance, +sortie de ce petit homme à pince-nez, presque un gnome, juché sur un +tabouret pour quelque méchante action. Et c'était, cela, le persistant +étonnement que quelque chose venant de lui était chaque fois marquée +d'une indélébile distinction. Et quelle variété! + +Dans la partielle énumération faite plus loin du catalogue de ses +lithographies (M. Loys Delteil en a classé 368 exactement, y compris 9 +pointes-sèches), il vous sera possible déjà de voir quels sujets il +traita, combien il fit de portraits, de compositions et d'illustrations +de livres. Et c'est sans cesse le beau miracle: hommes, animaux, décors, +tout est d'un haut style et d'une parfaite saveur! + +Et Lautrec trouvait encore des mots. Un jour, donnant rendez-vous à M. +André Marty pour préparer le premier album Yvette Guilbert, il dit à cet +artisan du livre: «Venez, ensemble _nous définirons_ Yvette!» Oui c'est +cela! Lautrec pensait d'abord fortement à son sujet; puis, lorsqu'il +l'avait bien vu, bien exploré, bien retourné en tous les sens, il était +prêt, il pouvait aborder la pierre lithographique et développer à coup +sûr la forme et l'esprit de son sujet. + +L'imprimerie! Il s'en était toqué incroyablement. Pour rien au monde, il +n'eût manqué d'aller un seul jour chez Stern. A peine arrivé, il +rabattait son chapeau sur ses yeux, il se juchait sur son tabouret; et, +après avoir soigneusement frotté son pince-nez, il se mettait, en +plaisantant, au travail. Il s'escrimait alors, tellement sûr de lui +qu'il pouvait parler avec les gens qui, quelquefois, se trouvaient +là--ou avec l'ami qui l'avait accompagné. + +Ces lithographies, quelques-unes sont simples, en tailles menues, fines, +pas surchargées, nuancées, rappelant souvent, en un style plus acéré, +toutefois, les admirables estampes de Whistler, si délicates, si +subtiles!... D'autres lithographies sont couvertes avec des frottis de +crayon, avec des frottis de pouce. Elles sont, celles-là, tout en étant +fort belles, moins significatives peut-être que les lithographies +réalisées seulement de la pointe du crayon. + +[Illustration: CLOWNESSE AU BAL + +PHOTO DRUET] + +Ah! toutes ces rares lithographies! L'oeuvre la plus décisive, la plus +savoureuse de Lautrec; celle qui l'emporte sur l'oeuvre du peintre, +qu'on le veuille ou non; l'oeuvre qui lui accordait toute sa liberté; +l'oeuvre où il pouvait débrider toute sa fantaisie, son goût extrême de +la diversité et de la sensibilité la plus excessive et la plus +divinatrice! + +Sans doute, il existe de merveilleuses toiles de Lautrec; mais _sa_ +couleur, la couleur qu'il apportait, ah! comme je puis bien m'en passer, +tant j'aime, tant j'admire, avant tout, _son_ dessin, ce dessin +prodigieusement vivant et d'une singularité si absolue, si souveraine, +telle que l'on ne pourrait pas concevoir de faux tableaux possibles de +Lautrec, si les faussaires ne s'adressaient pas à la profonde bêtise, à +la crapuleuse ignorance des collectionneurs, amateurs de tableaux et +bibliophiles. + +Et, dans ses lithographies, il a su tout représenter: les comédiens et +les comédiennes, les chanteuses de cafés-concerts et les cantatrices +d'opéras, les danseuses et les diseuses, les chevaux et les jockeys, les +chiens et les chats, les clowns et les clownesses, les programmes de +théâtres et les menus, les filles et les patrons de bars, les procès +Arton et Lebaudy--et jusqu'à un concours pour une affiche à Napoléon! + +Pour tous ces sujets, il faut préférer encore et toujours les +lithographies en noir. Pour les affiches vues de loin et à voir de loin, +c'est assurément une autre manière de penser; mais, pour les +lithographies qu'on a sous le nez, qu'on respire pour ainsi dire, +choisissons le dessin seul, le trait noir, le frottis noir, rien de +plus! Toute notre émotion est faite alors de cette nouvelle et haute +«probité de l'Art,» dirait M. Ingres, de ce «frisson nouveau», dirait +Hugo; et, pour bien des années, pour des siècles peut-être, le dessin de +Lautrec restera dans un superbe isolement! + +Pour terminer, notons, ici, que Lautrec se complut à graver quelques +pointes-sèches, neuf exactement. Mais ce ne sont là que des choses +secondaires. En voici le détail: _Mon premier zinc_; _L'explorateur +L.-J. Vicomte de Brettes_; _Charles Maurin_ (qui, en retour, gravera à +l'eau-forte le portrait de Lautrec, celui-là même qui est publié au +commencement de ce livre); _Francis Jourdain_; _W. H. B. Sands, éditeur +à Edimbourg_; _Henry Somm_; _Le lutteur Ville_; _Portrait de M. X..._; +_Portrait de Tristan-Bernard_. + + +DESSINS + +Les dessins de Lautrec, les purs dessins, c'est encore un enchantement. +Quels traits sûrs, hardis, jamais repris, tracés du coup! Quels contours +précis, exprimant tout le caractère, l'exagérant, l'accroissant! Quelle +race toujours! Quelle causticité aussi et, parfois, quelle pitié aiguë, +voudrait-on dire! + +Lautrec a fait tous les dessins: dessins au crayon, dessins au pinceau, +fusains, sanguines, dessins à la plume, dessins rehaussés de couleurs. + +Dans un premier livre que nous avons consacré à Lautrec, et qui est +aujourd'hui épuisé, comme on dit en argot de librairie, nous avons déjà +donné une bonne centaine des rapides croquis, qu'il traçait fermement et +décisivement de la pointe du crayon ou de la plume. Et, certes, si l'on +tient absolument à ranger Lautrec, pour un petit côté de son oeuvre, +parmi les humoristes amers et douloureux, c'est à ces sortes de +croquis-là qu'il faut penser; il n'y a que ces croquis-là à donner en +exemple d'humour: schémas de traits, paraphes et arabesques, qui +représentent--et avec quelle acuité!--d'un trait sommaire, des filles, +des chevaux, des toreros, des acteurs, des figurants, des clowns ou des +écuyers. D'un trait sommaire, crayon ou plume, qui touche à la charge, +et reste au bord du trait caricatural. Ce dessin ne fait pas rire, loin +de là; c'est de l'humour pessimiste qui déforme, en ne tombant jamais +dans le trivial. + +De l'année 1882 et des années immédiatement suivantes, on a retrouvé des +fusains de Lautrec sur du papier Ingres, gris et bleu: des paysannes, +des femmes assises, des petits paysages ou des petites marines. + +En 1886-1887, il collabora au _Courrier Français_, le journal du +désordonné Jules Roques; et il fut en même temps au _Mirliton_, le +journal du non moins étonnant Aristide Bruant, l'engueuleur patenté des +Parisiens et de leurs compagnes. + +Le _Mirliton_ eut 77 numéros, et vécut du mois d'octobre 1885 au mois de +décembre 1892. + +Puis ce fut cette suite, au moins comme dessins publiés: + +Dans le numéro du 7 juillet 1888, à _Paris illustré_ (publication +hebdomadaire), Lautrec donne des illustrations pour un article intitulé: +_L'été à Paris_. + +En 1894, premier numéro du journal _le Rire_, Lautrec dessine une +_Yvette Guilbert_, avec couleurs, au numéro du 22 décembre;--puis onze +autres dessins, la plupart également rehaussés de couleurs, à des dates +diverses jusqu'au mois d'avril 1897, moment où cesse sa collaboration. + +Parmi ces dessins-là, on peut citer: _Ambroise Thomas, chef +d'orchestre_; _Ma fille_; _Au Palais de Glace_; _Redoute au +Moulin-Rouge_; _Chocolat au bar d'Achille_; _Au cirque_; etc. + +En juillet 1893, Lautrec avait collaboré au _Figaro Illustré_, en +illustrant: _Les plaisirs à Paris_, texte de M. Geffroy; en juillet +1895, il illustre _Le bon Jockey_, texte de M. Romain Coolus; et, en +septembre 1895, il apporte encore des illustrations pour une autre +nouvelle de M. Romain Coolus: _La Belle et la Bête_. + +Avec son ami Tristan-Bernard, il a publié un supplément au nº de janvier +1895, de _La Revue Blanche_: un _Nib_ (en argot, néant, rien!). +Tristan-Bernard a écrit le texte, et Lautrec a crayonné des +lithographies, parmi lesquelles celle-ci est très admirable: _Anna Held +au Café-concert_. + +Dans le Nº de juin 1894, de la même revue, Lautrec a orné de croquis le +compte-rendu humoristique consacré par Tristan-Bernard au Salon de 1894. + +En ces années 1894 et 1895, Lautrec fournit, d'ailleurs, maints dessins +pour des programmes de théâtres, pour des menus, pour des couvertures de +livres, etc. + +C'est ainsi que, dans la _Revue Blanche_ du mois de mai 1895, Paul Adam +ayant consacré un article à Oscar Wilde, Lautrec a dessiné à la plume le +portrait du dramaturge anglais. + +Il dessina encore le même Oscar Wilde sur la partie droite, et Romain +Coolus sur la partie gauche, d'un programme exécuté pour le théâtre de +l'OEuvre, soirée du 11 février 1896, consacré à Oscar Wilde (auteur de +la _Salomé_), et à Romain Coolus (auteur de _Raphaël_). + +Enfin, terminons cette incomplète énumération de dessins publiés, par +quelques titres de dessins notoires: + +_Au Café de Bordeaux, Antoine, un amer!_ _Sur les quais de Bordeaux_; +_Arrivée aux Courses_; _Etude pour «Elles»_; _Esquisse pour l'affiche de +«Babylone»_; _Course de chevaux_; _Dans les coulisses_; _Elsa, la +Viennoise_; _Une habituée de la «Souris»_; _Programme de «l'Assommoir»_; +_Messaline_; _Projet d'affiche du «Divan japonais»_; _Les frères Marco +(clowns)_; _Scène de Cirque_; _Polaire_; _Yvette Guilbert, saluant_; +etc., etc. + +Dans tous ces dessins, et dans des centaines d'autres qu'il est +impossible de dénombrer, Lautrec nous offre son style, sa science de +l'expression, qu'il met en valeur par un contour frémissant, creusé, +exact. C'est toujours un miraculeux, un unique dessin! Maints dessins +d'artistes illustres paraissent froids, conventionnels, sans mouvement, +à côté de ce dessin passionné, qui déborde de vie et de volonté. + +[Illustration: COUVERTURE POUR UN MONOLOGUE] + +Mais si nous avons insisté sur le côté acéré, amer, de son dessin, de +son écriture, il est capable, aussi, ce complet dessinateur, de traduire +toute la grâce d'un profil d'enfant, toute la délicatesse de certaines +têtes de femmes. Il a tellement de ressources, ce dessin singulier, +qu'il peut être tour à tour cruel ou caressant, anguleux ou arrondi; il +peut flageller ou flatter, effrayer ou attirer. Même, quelquefois, ce +dessin pare de je ne sais quelle morbidesse telle tête de fille, qui, en +maison, laisse rêver sa bêtise. Mais, cependant, à tout bien considérer, +nous pensons que Lautrec a bien fait de suivre plutôt son penchant vers +l'amertume, et vers le pessimisme. Nous aimons, sans doute, les accès de +tendresse de Lautrec; et il y a maints et maints dessins faits dans +cette douceur de caractère qui sont d'une grâce heureuse; mais nous +préférons le dessin incisif, douloureux, le ravinement d'une face, une +bouche plissée, des narines ouvertes, un regard d'oiseau de proie +somnolent, un chignon en bataille;--tous les stigmates, enfin, dont il +accable le plus souvent les femmes, qui retiennent son caprice! + +Pour tout résumer, nous aimons infiniment mieux Lautrec-Goya que +Lautrec-Fragonard! + + +AFFICHES + +De l'estampe à l'affiche, ce ne fut, pour Lautrec, qu'une simple +nouvelle curiosité. + +Dès l'année 1892, il envoya, au Salon des Indépendants, le second état +de l'_Affiche pour le Moulin-Rouge_. + +Tout de suite, il vit l'affiche par des à-plats, violents mais peu +compliqués. Le trait généralement en vert. Le fond blanc du papier. Une +tonalité bleue, jaune, rouge ou noire. + +Parmi ses affiches les plus connues, on peut citer: + +L'_Affiche du Moulin-Rouge_. (La Goulue dansant, et, au premier plan, +Valentin, de profil); + +_Le Pendu_; + +_Le Divan japonais_ (75, rue des Martyrs. Jane Avril, de profil, +assise; et, derrière elle, un type d'anglais); + +_Reine de joie_ (pour l'annonce d'un livre de Victor Joze, de son vrai +nom: Victor Dobrski); + +_Aristide Bruant aux Ambassadeurs_; + +_Jane Avril au Jardin de Paris_; + +_Caudieux_; + +_Bruant au Mirliton_; + +_Babylone d'Allemagne_, par Victor Joze; + +_La Revue Blanche_ (bi-mensuelle, 1, rue Laffitte); + +_La chaîne Simpson_ (réclame pour une chaîne de bicyclette); etc., etc. + +Aujourd'hui encore, nous nous souvenons de notre émoi quand nous vîmes, +pour la première fois, sur un mur, une affiche de Lautrec. A cette +époque-là, l'affiche en couleurs, si galvaudée depuis, ne s'étalait +point. On n'était réjoui, de temps à autre, que par les affiches de +Chéret, cette «exquise dînette d'art!»; et, de fait, c'était un vrai +régal que ces Arlequins, ces Colombines, ces Pierrots, ces bals masqués, +ces jolies filles et toute cette éblouissante volée de multicolores +confetti que Chéret placardait sur les murs. Cela enchantait la rue et +l'emplissait de soleil. Tout Paris pour Chéret avait alors des yeux +enthousiastes. Et voilà que, tout à coup, un inconnu surgissait qui nous +frappait de stupeur, qui nous troublait par un dessin insolite et +volontaire, par une sobriété de couleurs à tons plats et acides! et +c'était signé: Lautrec; et, chose étrange, le nom devenait vite +populaire, mais à la façon d'un nom qui apporterait avec lui de +l'inquiétude et de l'angoisse. On était mal à l'aise, mais on frémissait +de plaisir. Une affiche surtout: _Babylone d'Allemagne_, nous causa une +bizarre et inextinguible joie! + +Ah! vraiment, c'était la première fois qu'on voyait une telle mise en +scène: des cavaliers, puis un officier, hobereau roide, orgueilleux, +paon ou dindon féroce, toute sa morgue à cheval sur un cheval blanc, et, +avec ses hommes, défilant tout «emmonoclé» et tout empaillé, devant une +lourde brute des champs, costumé en soldat prussien, qui lui présente +les armes! + +Et, là-haut, dans un coin de la page, à droite, un couple passait; +l'homme à peine vu, mais dont on devinait les transes; tandis que la +femme, maniérée, faisait de l'oeil à cet impassible greluchon tout +brandi, qui aurait fait sans doute si bien frémir son cher ventre de +Dorothée en folie! + +Ah! cette affiche comme vénéneuse malgré sa toute puissance! Comme son +temps est loin!... + +Nous, maintenant, nous ne regardons plus sur les murs les affiches de +tous les nigauds de la publicité financière, commerciale ou guerrière! + + +ILLUSTRATIONS DE LIVRES + +Ce Lautrec, si chercheur, une fois devenu lithographe, fut amené, sans y +trop penser, à illustrer, par la lithographie, des livres. J'entends les +livres qu'il pouvait aimer. + +On l'a vu illustrant des articles ou des contes de ses amis +Tristan-Bernard et Romain Coolus; on l'a vu illustrant deux albums +consacrés à Yvette Guilbert; il s'éprit de la même ardeur pour quelques +livres, dont il orna les couvertures ou les pages de texte. + +C'est ainsi qu'il illustra les _Histoires naturelles_ de Jules Renard, +éditées par Floury. Il dessina la couverture, 22 planches et 6 +culs-de-lampe. Il représenta les coqs, la pintade, la dinde, le paon, le +cygne, les canards, les pigeons, l'épervier, la souris, l'escargot, +l'araignée, le crapaud, le chien, les lapins, le boeuf, l'âne, le cerf, +le bouc, les moutons, le taureau, le cochon et le cheval. + +Toutefois, et c'est bien la première fois, ces lithographies-là ne sont +point d'une entière réussite. Leur attrait n'est pas renouvelé. Sans +doute, dans ces dessins se creuse encore la griffe de Lautrec; mais tous +ces animaux n'ont pas un caractère inattendu. Lautrec les a dessinés +avec adresse, avec virtuosité, parce qu'il pouvait tout dessiner; mais +il n'est pas allé au delà d'un honnête succès. Les animaux, en général +si niaisement dédaignés par les peintres, ont des attitudes et des +visages autrement étonnants, autrement insoupçonnés, autrement +éloquents. Lautrec, comme presque tous les autres dessinateurs, a vu ces +animaux-là en passant, il les a dessinés, mais il n'a rien fait de plus. +C'est souvent un peu japonais d'aspect; et cela ne va pas plus loin que +tant d'estampes trop vantées d'animaliers du Nippon. + +Assurément, il convient de préférer cet autre livre, intitulé: _Au pied +du Sinaï_, que Lautrec illustra, d'après un texte de M. Georges +Clémenceau, le vieux «coeur-léger». Ce livre, c'est une histoire de +juifs à Carlsbad et à Busk. L'illustration, cette fois, est très +pittoresque et très colorée. Elle met en scène de bizarres types, +crochus et aux cheveux cotonneux, des types de ces juifs polonais qui +vieillissent si mal! Et, M. Georges Clémenceau, lui-même dessiné, a une +ronde tête de notaire finaud et un peu maquignon. Aujourd'hui, +c'est-à-dire vingt ans plus tard, nous le voyons avec une parfaite tête +de Chinois. + +[Illustration: PROJET D'AFFICHE POUR LE «DIVAN JAPONAIS» + +PHOTO DRUET] + +Lautrec dessina aussi maintes couvertures de livres. Voici les plus +connus de ces livres: _L'étoile rouge_, par Paul Leclerq; _L'exemple de +Ninon de Lenclos, amoureuse_, par Jean de Tinan; _Les courtes joies_, +poésies de Julien Sermet; _La Tribu d'Isidore_, roman de moeurs juives, +par Victor Joze; _Le fardeau de la Liberté_, par Tristan-Bernard; _Le +chariot de terre-cuite_, par Victor Barrucand; _Les jouets de Paris_, +par Paul Leclerq; _Babylone d'Allemagne_, roman de moeurs berlinoises, +par Victor Joze, etc., etc. + +Ces couvertures sont toutes légèrement traitées, à peine effleurées +souvent; et certaines de ces lithographies rappellent encore, par leur +sobriété, les délicates lithographies que crayonna Whistler. Mais, bien +entendu, nous ne visons une fois de plus que la finesse du trait, que le +peu de surcharge de l'arabesque. + +Notons ici que ces rares lithographies ont fait un heureux sort aux +livres qu'elles illustrent. Le texte importe peu, quand on a le plaisir +d'avoir un si personnel dessin sur la couverture; et l'on trouve, du +reste, toutes les bonnes raisons de ne pas lire le livre, pour ne pas +salir, pour ne pas défraîchir le beau dessin qui le garde. + +Éditeurs, croyez-nous, ayez toujours de beaux dessins sur les +couvertures de vos livres! + + + + +D'ENSEMBLE + + +Au bout de cet examen si superficiel et si incomplet de l'oeuvre de +Lautrec, pouvons-nous nous demander quelle place est la sienne dans +l'enchaînement de l'art moderne? + +Assurément, si l'on veut considérer Lautrec seulement comme un autre +dessinateur de moeurs de la vie moderne, un nouveau Constantin Guys, par +exemple, avec infiniment plus de ressources, toutefois, sa place est +très enviable. Car il a possédé--et sa vie très brève n'est nullement +comparable à celle si longue et si robuste du dessinateur du Second +Empire!--il a possédé un dessin plus souple, plus divers, plus +affirmatif que celui de Constantin Guys; ce qui lui a permis d'entrer, +avec une plus indéniable maîtrise, dans tous les mondes. A l'opposé, +Guys a dessiné presque sans répit de la même façon; c'est un dessin bien +à lui, également, original et pittoresque, mais qui se recommence dans +l'expression des voitures, des chevaux, des filles ou des soldats. +Dessinateur avéré d'une époque, Guys vivra longtemps dans les +collections, c'est-à-dire dans ces sortes de nécropoles, que l'on +appelle petits et grands musées. + +Mais si l'on peut ajouter que Guys _date_, expressément, il faut +remarquer que la situation est pour l'instant la même pour Lautrec. Ce +clairvoyant dessinateur a su dégager du transitoire assez de belle +éternité pour vivre; mais, lui aussi, en ce moment, il apparaît comme le +plus éloquent interprète d'une époque historique, qui se fixe, celle-là, +de l'année 1885 à l'année 1900. Et, par là, nous ne cherchons nullement +à diminuer Lautrec, mais seulement à le considérer tel qu'il est, +c'est-à-dire tel qu'un merveilleux truchement de moeurs pendant une +période de quinze années. La Goulue, le Moulin-Rouge, les cabarets de +Montmartre, Bruant et Palmyre, les acteurs et les actrices en vogue à ce +moment-là, tout cela, pour nous, qui vivons en cette année 1921, classe +Lautrec, le barricade, le retient captif dans cette époque visée. Un +Georges Rouault, au contraire, qui a fixé la fille dans le temps +illimité et imprécis, se présente à nous comme un peintre d'accent plus +actuel. + +Mais, dans cent ans, tous ceux qui connurent, vers la vingtième année, +ce bal du Moulin-Rouge, étant disparus, Lautrec reprendra toute sa place +dans la suite des âges; et il ne datera plus, au sens péjoratif du +terme. Faisons donc à sa mémoire ce léger crédit. D'ailleurs, il +conviendrait peut-être mieux de se demander ce que Lautrec, dans sa +curiosité sans cesse en éveil, eût pu faire demain, même en ne vivant +que jusqu'à la soixantième année, âge raisonnable que tant d'imbéciles +et d'impuissants atteignent sans honte; âge même que dépassent, toujours +malfaisants, fatigants et inutiles, les Cormon et les Flameng!... + +En effet, où Lautrec nous eût-ils conduits avec sa curiosité, son tenace +amour du travail, sa fécondité sans cesse renouvelée?... Je sais bien, +parbleu, et il faut toujours y revenir, que, dans l'espace de sept +années, cette incroyable courte durée! Van Gogh nous a encore davantage +étonnés, encore davantage stupéfiés; mais, voilà, n'est-ce pas, un +incompréhensible phénomène, un inexplicable miracle de la Peinture? Avec +Lautrec, nous avions, à la base, plus de sagesse, plus de mesure, plus +d'ordre. L'oeuvre aurait suivi une route plus régulière. Le peintre +lui-même, à en juger par son dernier tableau: _Un examen à la Faculté de +Médecine_, fût certainement devenu plus libre; il aurait enveloppé, dans +une manière plus grasse, les visages; il aurait davantage dessiné dans +la pâte, et non par les contours; il aurait, peu à peu, sans doute, +préféré les taches épaisses de couleurs aux hachures restées +obstinément, chez lui, des tailles de peintre-lithographe; il aurait, +peut-être, quitté son monde habituel, les Filles, ses goûts de ribote et +de maison close, pour aller vers un autre ou vers d'autres milieux; et, +qui sait? il aurait, alors, composé des tableaux d'ordre plus général, +et de plus certaine pénétration dans le temps! + +Mais, aussi bien, pourquoi ratiociner sur tout cela? Qu'importe le +futur? Plus sagement, prenons Lautrec tel qu'il est; et considérons-le +ainsi qu'un peintre doué d'une observation aiguë et penché sur un coin +d'humanité, sur un milieu parisien qui fut pour lui certainement tout le +bout du monde; et rappelons-nous par delà le temps que toute sa +noblesse, toute son intelligence et tous ses dons, rappelons-nous que +tout cela fut dépensé sans compter pour Montmartre et ses filles, pour +le Théâtre et le Café-Concert, où d'autres filles évoluent en pleins +rabâchages de sottises! Mort à 37 ans, Lautrec laisse de tout cela une +oeuvre magnifique. Un peintre de moeurs, bien! mais s'il est moins haut +que les plus hauts peintres, il n'y en a pas un plus imprévu et plus +original!... + + + + +APPENDICE + +ESSAI DE CATALOGUE + + +Voici un essai de catalogue d'oeuvres authentiques, la plupart non +datées, de Lautrec. + +Nous avons mentionné, année par année, quelques-uns de ses tableaux et +dessins; en citant également, sans date, le plus grand nombre de ses +autres notoires tableaux. Pour les lithographies, le catalogue a été +établi par M. Loys Delteil, dans les tomes X et XI du Peintre-graveur +illustré. + + +I + +PEINTURES, AQUARELLES ET DATES DE QUELQUES EXPOSITIONS + + 1881.--_Faucon_. + + _Tête de cheval_. + + _La promenade_. + + + 1882.--_Cheval de trait_. + + _Buveur_. + + _Moines_. + + + 1884.--_Crieur_. + + _Scène de théâtre_. + + + 1885.--_Marcelle_. + + _Bal masqué_. + + + 1886.--_Deux portraits du peintre Gauzi_. + + _Portrait de Vincent Van Gogh_. + + _Une loge_. + + + 1887.--_Portrait de M. Samary, de la Comédie-Française_. + + + 1888.--_La rousse au caraco blanc_. + + + 1889.--Exposa au Salon des Indépendants les peintures suivantes: + + + _Bal du Moulin de la Galette_. + + _Portrait de M. Fourcade_. + + _Etude de femme_. + + _L'Anglaise, au Star du Havre_. + + + 1890.--_Portrait (Madrid-Neuilly)_. + + _Femme fumant une cigarette_. + + + Exposa au Salon des Indépendants: + + + _Dressage des Nouvelles, par Valentin le désossé_. + + _Portrait de Mlle Dihau, au piano_. + + + 1891.--_Une opération par le Docteur Péan_. + + _Gabrielle la danseuse_. + + _Fille à la fourrure_. + + _La tresse_. + + _Vieil homme en blouse sur un banc_. + + _La femme au chien_. + + + Exposa au Salon des Indépendants: + + + _A la mie_. + + _Portrait du jovial M. Dihau_. + + _En meublé_. + + _Portrait de M. G. B_. + + _Etude_. + + _Portrait du Docteur Bourges_. + + _Portrait de M. Louis Pascal_. + + _Truc for live_. + + + 1892.--_Les Valseuses_. + + + Exposa au Salon des Indépendants: + + + _La Goulue et sa soeur_. + + _La Goulue entre deux tours de valse_. + + _La Goulue entrant au Moulin-Rouge_. + + _Celle qui se peigne_. + + _Femme Brune, numéros 1 et 2_. + + _Affiche pour le Moulin-Rouge (2e état)_._ + +[Illustration: CLOWNESSE + +PHOTO DRUET] + + 1893.--_Jane Avril (esquisse pour l'affiche)._ + + + Exposa au Salon des Indépendants: + + + _Un coin du Moulin de la Galette_. + + _Menu du dîner des Indépendants_. + + _Portrait de M. Georges-Henry Manuel_. + + _Portrait de M. Boileau_. + + + 1894.--Exposa au Salon des Indépendants: + + _Alfred la Guigne_. + + _Du 5 au 12 mai, galeries Durand-Ruel, exposition de lithographies + récentes_. + + + 1895.--_Décoration pour la baraque foraine de la Goulue._ + + _May Belfort avec son chat_. + + _Femme en clownesse_. + + _Femmes au repos_. + + _Valentin et la Goulue, au Moulin-Rouge_. + + + Exposa au Salon des Indépendants: + + + _Couverture pour l'album de l'Estampe originale_. + + _Matin_. + + _Invitation et menu_. + + _Comme il vous plaira_. + + + 1896.--_La clownesse_. + + _Portrait de M. Maxime Dethomas_. + + + 1897.--_Femme nue accroupie_. + + _Portrait de M. Henry Nocq_. + + _Jeu de femme_. + + _Rousse nue devant sa glace_. + + + Exposa au Salon des Indépendants: + + + _Blanche et noire_. + + _Femme couchée_. + + _Elles_. } + + _Elles_. } (Lithographies) + + _Elles_. } + + (Ces trois lithographies font partie d'une série de dix + planches). + + _La cage_. + + _Arton en correctionnelle_. + + + 1898.--_Barmaid (Londres)_. + + _La leçon de chant (Portraits de Mlle Dihau et de + Mlle Jeanne F.)_. + + _A table, chez Mme Thadée Natanson_. + + _Tête d'Anglaise_. + + + 14, Avenue Frochot, Lautrec présenta des tableaux réservés + pour une exposition à Londres. + + + 1899.--_Tête de femme (Mlle Nys)_. + + _Aux Courses_. + + _Eventail_. + + _Chanteuse anglaise, au Star du Havre_. + + _Etude pour la lithographie: «Di-ti-fellow.»_ + + _En cabinet particulier_. + + + 1900.--_Messaline, au théâtre de Bordeaux_. + + _La toilette_. + + _Portrait de Mme Marthe X..._ + + _Enfant avec la chienne Paméla_. + + _Mme Margouin, modiste_. + + + 1901.--_Portrait de M. Maurice Joyant_. + + _Portrait de M. Octave Raquin_. + + _Portrait de l'«amiral» Viaud_. + + _Un examen à la Faculté de médecine_. + + * + * * + +Voici, maintenant, quelques notoires tableaux peints par Lautrec, sans +dates: + + _Portrait de Mme la Comtesse Alphonse de Toulouse-Lautrec_. + + _Portrait de M. Emile Davoust, à la barre de son bateau + (Bassin d'Arcachon_). + + _Portrait de M. Delaporte_. + + _Portrait de M. Paul Leclercq_. + + _Portrait de M. André Rivoire_. + + _Femme rousse dans un jardin_. + + _Danseuse_. + + _Une table au Moulin-Rouge_. + + _Le quadrille au Moulin-Rouge_. + + _L'écuyère au cirque Fernando_. + + _Jane Avril sortant du Moulin-Rouge_. + + _Portrait de Mme Pascal, au piano_. + + _Portrait de M. Tristan-Bernard_. + + _Au Moulin de la Galette_. + + _Jane Avril dansant_. + + _Départ de quadrille_. + + _Portrait de M. de Lauradour_. + + _Portrait de Mme Korsikoff_. + + _Portrait de M. Louis Bouglé_. + + _May Milton_. + + _Mlle Marcelle Lender dansant le pas du «boléro» (Chilpéric, + au théâtre des Variétés)_. + + _Femme au boa noir_. + + _La blanchisseuse_. + + _Etude de femme en peignoir_. + + _Femme à l'ombrelle_. + + _Danseuse au maillot rose_. + + _Portrait de Mme E. Tapié de Celeyran, au Bosc_. + + _Portrait de M. Gabriel Tapié de Celeyran_. + + _Le lit_. + + _Portrait de M. Romain Coolus_. + + _Scène de ballet_. + + _Pierreuse_. + + _Les deux amies_. + + _Tommy_. + + _Soldat anglais fumant sa pipe_. + + _Rue des Moulins, l'escalier_. + + _Femme au chignon roux_. + + _Bull-dog_. + + _Follette_. + + _Clown au cirque Médrano_. + + _Au lit_. + + _La Goulue, vue de profil_. + + _Au Nouveau Cirque: le ballet de Lotus_. + + _A Armenonville_. + + _Scène de bal masqué_. + + _Le réfectoire_. + + _Miss Bedson_. + + _Le violoniste_. + + _La lettre_. + + _L'assommoir_. + + _Femme à l'ombrelle_. + + _Couple de danseurs_. + + _La toilette_. + + _Femme en clownesse_. + + _Au café (Portrait de Mme Suzanne V.)_. + + _La promenade (La Goulue au Moulin-Rouge)_. + + _Au Moulin de la Galette_. + + _Le couple_. + + _Femmes au repos_. + + _Etc., etc._ + + +II + +QUELQUES LITHOGRAPHIES ET QUELQUES DESSINS +(_en noir et en couleurs_). + + 1882.--_Paysanne (fusain)_. + + _Homme assis_ (_dº_). + + + 1884.--_Femme assise_ (_dº_). + + + 1885.--_A Saint-Lazare (dessin lithographié)_. + + + {1886.--_Dessins au_ Courrier français _et_ + { + {1887.--_au_ Mirliton. + + + 1892.--_La Goulue et sa soeur (première oeuvre proprement dite dans l'_ + Estampe. _Lithographie en couleurs_). + + _L'Anglais au Moulin-Rouge_. + +[Illustration: FILLE + +PHOTO DRUET] + + + 1893.--_Dessins au_ Figaro illustré. + + _Le Café-Concert (Lithographies de Lautrec et de H.-G. Ibels)_. + + _La modiste Renée Vert_. + + _Le coiffeur_. + + _Un Monsieur et une dame_. + + _La loge au mascaron doré_. + + _Couverture de l'_Estampe originale. + + _Ducarre, le patron des Ambassadeurs_. + + _Etc., etc_. + + + 1894.--_Dessins à la_ Revue Blanche. + + _Programmes de théâtre_. + + _Réjane et Galipaux_. + + _Bartet et Mounet-Sully_. + + _Leloir et Moreno_. + + _Judic_. + + _Marcelle Lender_. + + _Ida Heath au bar_. + + _Brandès et Le Bargy_. + + _Une redoute au Moulin-Rouge_. + + _La Goulue_. + + _Adolphe ou le jeune homme triste_. + + _Eros vanné_. + + _Babylone d'Allemagne_. + + _Yvette Guilbert (album Marty)_. + + _Etc._ + + + 1895.--_Un nib_ (Revue Blanche). + + _Dessins au_ Rire. + + _Foottit et Chocolat_. + + _Anna Held_. + + _Dessins au_ Figaro illustré. + + _Marcelle Lender_. + + _Yahne_. + + _May Belfort_. + + _Zimmerman et le petit Michaël_. + + _Portraits d'acteurs et d'actrices_. + + _Oscar Wilde (dessin)_. + + _Etc._ + + + 1896.--_Dessins au_ Rire. + + _Ida Heath_. + + _Lender et Lavallière_. + + _Souper à Londres_. + + _Anna Held et Baldy_. + + _L'entraîneur_. + + _Au bar Achille_. + + _Mary Hamilton_. + + _Elles (dix lithographies en couleurs)_. + + _Procès Arton_. + + _Procès Lebaudy_. + + _La loge (Faust)_. + + _Oscar Wilde et Romain Coolus_. + + _L'automobiliste_. + + _Etc._ + + + 1897.--_Dessins au_ Rire. + + _La grande loge._ + + _La clownesse au Moulin-Rouge_. + + _Clara Ward et Rigo_. + + _La danse au Moulin-Rouge_. + + _A la Souris (Mme Palmyre)_. + + _Attelage en tandem_. + + _Etc._ + + + 1898.--_Le vieux cheval_. + + _Chez la gantière_. + + _Au lit_. + + _Polaire_. + + _Au pied du Sinaï_. + + _Yvette Guilbert (2e album, publié à Londres)_. + + _Jane Hading_. + + _Au Hanneton_. + + _Guy et Méaly_. + + _Sept pointes sèches (Portraits d'amis. Editées par Manzi)_. + + _Etc._ + + + 1899.--_Jeanne Granier_. + + _Réjane_. + + _Le jockey_. + + _Le paddock_. + + _L'entraîneur et son jockey_. + + _Jockey se rendant au poteau_. + + _Amazone et tonneau_. + + _L'amazone et le chien_. + + _Le cheval et le chien à la pipe_. + + _Tilbury_. + + _Promenoir_. + + _Le Cirque (dessins rehaussés de couleurs, édités par Manzi, + en un album)_. + + _Etc._ + + + 1900.--_Programme de l'Assommoir (dessin)_. + + _Au café de Bordeaux, Antoine, un amer! (dessin)_. + + _Sur les quais de Bordeaux (dessin)_. + + _Dans le monde!_ + + _Invitation à une tasse de lait_. + + _Etc._ + + + 1901.--_Zamboula-polka_. + + _Le marchand de marrons_. + + _Couple au Café-Concert_. + + _Etc._ + + * + * * + +Voici quelques dessins et aquarelles +sans date: + + _Au bal des Quat'z-Arts (Portrait de M. Maxime Dethomas, + aquarelle)_. + + _Cortège indien (aquarelle)_. + + _La clownesse et les cinq plastrons (aquarelle)_. + + _Aristide Bruant_ (_dº_). + + _May Belfort_ (_dº_). + + _Au café_ (_dº_). + + _Etc._ + + + Des dessins: + + + _Arrivée aux Courses_. + + _Le motosphère_. + + _Dans les coulisses_. + + _Elsa, la Viennoise_. + + _Une habituée de la Souris_. + + _Au palais de glace_. + + _Scène de cirque_. + + _Portrait de Berthe Bady_. + + _Les frères Marco (clowns)_. + + _Etc._ + + +III + +AFFICHES + + 1892.--_La Goulue au Moulin-Rouge_. + + _Le Divan japonais_. + + _Reine de joie (roman par Victor Joze)_. + + _Aristide Bruant, aux Ambassadeurs_. + + + 1893.--_Jane Avril, au Jardin de Paris_. + + _Caudieux_. + + _Au pied de l'échafaud (mémoires de l'abbé Favre)_. + + _Aristide Bruant dans son cabaret_. + + + 1894.--_Bruant au_ Mirliton. + + _L'artisan moderne_. + + _Babylone d'Allemagne (roman par Victor Joze)_. + + _Confetti_. + + _Le photographe Sescau_. + + + 1895.--_May Belfort_. + + _La_ Revue Blanche (_1, rue Laffitte_). + + _May Milton_. + + _Napoléon (concours d'affiches)_. + + + 1896.--_Cycle Michaël_. + + _La chaîne Simpson_. + + _La troupe de Mlle Eglantine_. + + _Irish and American bar, rue Royale_. + + _L'Aube (revue illustrée_). + + _La Vache enragée (journal mensuel illustré. + Fondateur: A. Willette)_. + + + 1899.--_Jane Avril_. + + + 1900.--_La_ Gitane (_drame, de Jean Richepin. Théâtre Antoine_). + +[Illustration: JANE AVRIL + +PHOTO DRUET] + + +ICONOGRAPHIE + +Portrait de Lautrec, par Anquetin. + +(Collection de Mme la Comtesse de Toulouse-Lautrec). + + +Portrait de Lautrec, par Javal, de Birmingham (Angleterre). + +Tête seule, nue, entièrement de face, pince-nez, grosses lèvres. +(Peinture reproduite au frontispice du catalogue de l'exposition +rétrospective de l'oeuvre de Lautrec. Galerie Manzi, 1914). + + +Portrait de Lautrec, par Léandre. + +(Dessin portrait-charge, reproduit dans _Henri de Toulouse-Lautrec_, +publié en 1913, par Gustave Coquiot, chez Blaizot). + + +Portrait de Lautrec, par Charles Maurin. + +(Eau-forte reproduite au frontispice de ce présent livre). + + +Portrait de Lautrec, par Henri Rachou. + +(Peinture. Année 1883. Collection de Mme la Comtesse Alphonse de +Toulouse-Lautrec). + + +Portrait-charge de Lautrec, par lui-même. + +(Dessin au crayon, reproduit au frontispice du livre consacré à Lautrec +par M. Théodore Duret). + + +Portrait de Lautrec, par Maxime Dethomas. + +(Fusain reproduit dans: _Henri de Toulouse-Lautrec_, par Gustave +Coquiot, Blaizot, éditeur). + + +Portrait de Lautrec, par Maxime Dethomas. + +(Fusain. La tête seule, coiffée d'une casquette de la marine marchande. +Collection Gustave Coquiot). + + +Portrait de Lautrec, par Adolphe Albert. + +(Décembre 1897. Crayon. Lautrec, coiffé d'un chapeau de paille, tête +baissée, est assis, en train de dessiner sur la pierre lithographique). + + +QUELQUES HOMMAGES POSTHUMES + +«Henri de Toulouse-Lautrec», par André Rivoire. _Revue de l'Art ancien +et moderne_. Paris. Décembre 1901, avril 1902. + + +Numéro spécial du _Figaro illustré_, consacré à Lautrec. Avril 1902. + + +Du 14 au 31 mai 1902, exposition d'oeuvres de Lautrec, galeries +Durand-Ruel (Tableaux, aquarelles, dessins, lithographies. 201 numéros). + + +Du 12 au 24 octobre 1908. Exposition de tableaux peints par Lautrec. +Galeries Bernheim-jeune. + + +Du 15 juin au 11 juillet 1914. Galeries Manzi. Exposition rétrospective +de l'oeuvre de Lautrec. (Tableaux et dessins. 201 numéros). + + +«Henri de Toulouse-Lautrec», par Geffroy. _Gazette des Beaux-Arts._ +Paris. Août 1914. + + +«Autour de Toulouse-Lautrec», par Paul Leclercq. _La Grande Revue._ +Paris. Novembre, 1919. + + +_Le peintre-graveur illustré._ Tomes X et XI, consacrés à Henri de +Toulouse-Lautrec. Loys Delteil. Paris, 1920. + + +BIBLIOGRAPHIE + +_Henri de Toulouse-Lautrec_, par Hermann Esswein und Alfred Walter +Heymel. R. Piper et Cº Munchen, 1912. + + +_Henri de Toulouse-Lautrec_, par Gustave Coquiot. Auguste Blaizot, +éditeur, Paris, 1913. + + +_Lautrec_, par Théodore Duret. Bernheim-jeune, éditeurs. Paris, 1920. + + + + +TABLE DES CHAPITRES + + + Pages + + _DES SOUVENIRS SUR LA VIE_ + + I.--LE MILIEU 3 + + PARIS ET RENÉ PRINCETEAU 16 + + CORMON OU LA VIE 21 + + MONTMARTRE 29 + + + II.--QUELQUES SPORTS 41 + + BARS ET MAISONS CLOSES 49 + + + III.--VOYAGES 61 + + LA MER 66 + + + IV.--SES LOGIS 75 + + SAINT-JAMES 80 + + 1900 83 + + MALROMÉ 86 + + + _DES COMMENTAIRES SUR L'OEUVRE_ + + I.--PEINTURES, PREMIÈRES OEUVRES 91 + + LE MOULIN ROUGE 94 + + FILLES 111 + + II.--PORTRAITS 121 + + LE JARDIN DU PÈRE FOREST 128 + + III.--LE CIRQUE 135 + + AU THÉÂTRE 141 + + CAFÉ-CONCERT 147 + + LES COURSES 156 + + DE TOUT 161 + + IV.--LITHOGRAPHIES ET POINTES-SÈCHES 169 + + DESSINS 180 + + AFFICHES 187 + + ILLUSTRATIONS DE LIVRES 191 + + + _D'ENSEMBLE_ 197 + + + _APPENDICE_ + + ESSAI DE CATALOGUE 205 + + ICONOGRAPHIE 225 + + QUELQUES HOMMAGES POSTHUMES 227 + + BIBLIOGRAPHIE 228 + + + + +TABLE DES GRAVURES + + + Pages + + _Portrait de Lautrec_ 1 + + _Fille à la fourrure_ 9 + + _Portrait_ 17 + + _Bal masqué_ 25 + + _La Promenade au Moulin-Rouge_ 33 + + _Fille_ 49 + + _Fille au caraco_ 57 + + _Portrait de Mme Suzanne V_ 65 + + _Au Moulin-Rouge_ 81 + + _Les Valseuses_ 97 + + _La Goulue_ 105 + + _Fille_ 113 + + _Portrait de M. Delaporte_ 121 + + _Dans le jardin du père Forest_ 129 + + _Jane Avril_ 137 + + _Alfred la Guigne_ 145 + + _May Belfort_ 153 + + _Jockeys_ 161 + + _Clownesse au bal_ 177 + + _Couverture pour un monologue_ 185 + + _Projet d'affiche pour le «Divan japonais»_ 193 + + _Clownesse_ 209 + + _Fille_ 217 + + _Jane Avril_ 225 + + +Saint-Denis.--Imp. J. Dardaillon. + + + * * * * * + + + Liste des modifications: + + page 70: accomgner remplacé par accompagner + page 123: condammé par condamné + page 157: Dautres par D'autres (D'autres fois) + page 181: à par a (il n'y a que ces croquis-là) + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of Lautrec, by Gustave Coquiot + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LAUTREC *** + +***** This file should be named 34422-8.txt or 34422-8.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + http://www.gutenberg.org/3/4/4/2/34422/ + +Produced by Laurent Vogel, Claudine Corbasson, and the +Online Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net +(This file was produced from images generously made +available by the Bibliothèque nationale de France +(BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr), Illustrations +from images generously made available by The Internet +Archive + + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. 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You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: Lautrec + +Author: Gustave Coquiot + +Release Date: November 23, 2010 [EBook #34422] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LAUTREC *** + + + + +Produced by Laurent Vogel, Claudine Corbasson, and the +Online Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net +(This file was produced from images generously made +available by the Bibliothèque nationale de France +(BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr), Illustrations +from images generously made available by The Internet +Archive + + + + + + +</pre> + + +<hr class="full" /> + +<h1>LAUTREC</h1> + +<p class="left"><a href="#note">Au lecteur</a></p> + +<div class="block1"> + +<p class="center">DU MÊME AUTEUR</p> + +<hr class="tiny" /> + +<ul> + <li><span class="smcap">Les Féeries de Paris</span> (<i>Couverture de R. Carabin</i>).</li> + + <li><span class="smcap">Les Soupeuses</span> (<i>Dessins de George Bottini</i>).</li> + + <li><span class="smcap">Le vrai J.-K. Huysmans</span> (<i>Portrait par J.-F. Raffaëlli</i>).</li> + + <li><span class="smcap">Henri de Toulouse-Lautrec</span> (<i>Avec des illustrations</i>).</li> + + <li><span class="smcap">Le vrai Rodin</span> (<i>Avec des illustrations</i>).</li> + + <li><span class="smcap">Paris, voici Paris</span>! (<i>Couverture de Sacchetti</i>).</li> + + <li><span class="smcap">Cubistes, Futuristes, Passéistes</span> (<i>Avec des illustrations</i>).</li> + + <li><span class="smcap">Rodin</span> (<i>Grand album, avec des illustrations</i>).</li> + + <li><span class="smcap">Rodin a l'Hotel Biron et a Meudon</span> (<i>Avec des illustrations</i>).</li> + + <li><span class="smcap">Paul Cézanne</span> (<i>Avec des illustrations</i>).</li> + + <li><span class="smcap">Les Indépendants</span> (<i>Avec des illustrations</i>).</li> + + <li><span class="smcap">Vagabondages.</span></li> +</ul> + +<p class="center">THÉATRE<br /> +(<i>Seul ou en collaboration</i>)</p> + +<hr class="tiny" /> + +<ul> + <li><span class="smcap">M. Prieux est dans la salle!</span></li> + + <li><span class="smcap">Deux heures du matin... quartier Marbeuf</span> (<i>Couverture de Géo Dupuis</i>).</li> + + <li><span class="smcap">Hotel de l'Ouest... Chambre 22.</span></li> + + <li><span class="smcap">Une nuit de Grenelle</span> (<i>Couverture de Géo Dupuis</i>).</li> + + <li><span class="smcap">Sainte Roulette</span>.</li> +</ul> + +<p class="center">POUR PARAITRE</p> + +<hr class="tiny" /> + +<ul> + <li><span class="smcap">L'Homme de la Nature.</span></li> + + <li><span class="smcap">Les Pantins de Paris</span> (<i>Dessins de Forain</i>).</li> + + <li><span class="smcap">L'ile désenchantée.</span></li> + + <li><span class="smcap">Pierre Bonnard.</span></li> +</ul> + +<p>Tous droits de traduction, de reproduction, réservés pour tous pays, y +compris la Suède, la Hollande, le Danemark et la Russie.</p> + +<p>S'adresser, pour traiter, à la Librairie OLLENDORFF 50, Chaussée d'Antin, +Paris.</p> +</div> + +<hr class="small" /> + +<h2>GUSTAVE COQUIOT</h2> + +<hr class="tiny" /> + +<h1>LAUTREC</h1> + +<h2><i>OU QUINZE ANS DE<br /> +MŒURS PARISIENNES</i></h2> + +<p class="center">1885-1900</p> + +<p class="center">Avec 24 reproductions hors-texte des œuvres<br /> +de LAUTREC<br /><br /></p> + +<p class="center"><span class="smcap">TROISIÈME ÉDITION</span></p> + +<div class="figcenter" style="width: 350px;"><a name="monogramme" id="monogramme"></a> +<img src="images/monogramme.jpg" alt="" title="" width="50" height="38" /></div> + +<hr class="tiny" /> + +<p class="center">PARIS</p> + +<p class="center"><i>Société d'Éditions Littéraires et Artistiques</i></p> + +<p class="center">LIBRAIRIE OLLENDORFF</p> + +<p class="center">50, CHAUSSÉE D'ANTIN, 50</p> + +<hr class="tiny" /> + +<p class="center">Copyright by Librairie Ollendorff 1921</p> + +<hr class="tiny" /> + +<p class="center"><i>Il a été tiré à part<br /> +Trente exemplaires sur papier de Hollande<br /> +numérotés à la presse.</i></p> + +<hr class="tiny" /> + +<p class="center"><big>à R. CARABIN</big></p> + +<p class="center">SCULPTEUR, MÉDAILLEUR, ORFÈVRE,<br /> +POTIER ET ALCHIMISTE</p> + +<hr class="small" /> + +<h6><a href="#table_des_chapitres">TABLE DES CHAPITRES</a></h6> + +<h6><a href="#table_des_gravures">TABLE DES GRAVURES</a></h6> + +<hr class="small" /> + +<div class="figcenter" style="width: 350px;"><a name="page-001" id="page-001"></a> +<img src="images/page-001.jpg" alt="" title="" width="350" height="535" /> +<p class="caption2">PORTRAIT DE LAUTREC <br /> +(<i>Eau-forte de Charles Maurin</i>).</p></div> + +<hr class="small" /> + +<h2>DES SOUVENIRS SUR LA VIE</h2> + +<h2>I</h2> + +<h3>Le Milieu</h3> + +<h3>Paris et René Princeteau</h3> + +<h3>Cormon ou la Vie</h3> + +<h3>Montmartre</h3> + +<h2><a name="ch1" id="ch1"></a>LE MILIEU</h2><p><span class="pagenum"><a name="Page_3" id="Page_3">3</a></span></p> + +<p>Descendant des comtes souverains de Toulouse, qui bataillèrent contre le +pape Innocent III, contre le roi Louis VIII de France, mieux encore +contre le rude sanglier Simon de Montfort, le comte Alphonse de +Toulouse-Lautrec-Monfa, aujourd'hui trépassé, chassait à courre, à grand +tapage de chiens et de trompes, en la terre de Loury en Loiret, quand sa +femme, la comtesse née Adèle Tapié de Celeyran, lui fit discrètement +annoncer la naissance de son fils Henri, né le 24 novembre 1864, à Albi, +14, rue de l'Ecole-Mage, dans un vieil hôtel de famille.</p> + +<p>Le veneur ne se hâta point pour cela de boucler son équipage. Officier +de cavalerie, sorti de l'Ecole de Saint-Cyr, démissionnaire, et marié en +l'année 1863, il avait tout de suite laissé sa <span class="pagenum"><a name="Page_4" id="Page_4">4</a></span> femme à ses +religieuses pratiques pour éperonner, lui, à pleines molettes, la vie +libre, nettement excentrique qu'il chérissait. D'ailleurs, cet +hoffmannesque gentilhomme avait de qui tenir. Son propre père avait été +un rude coureur de bois et de halliers, farouche et autoritaire, qui +avait terrorisé son entourage. Excellent cavalier, forcené chasseur, il +n'avait presque jamais quitté la terre du Bosc, âpre terre située dans +le Rouergue, et qui appartenait à sa femme. Mais ces loups ont tout de +même une fin! Un soir, après avoir, durant toute la journée, sonné du +cor, à se rompre les veines, il mourut d'une chute de cheval, laissant à +son fils Alphonse la forte image d'un vieux veneur monté en couleurs, et +dressé sur ses éperons, comme un hargneux coq sur ses ergots. Il ne +possédait aucune fortune personnelle, du reste; mais, du côté de sa +femme, abondaient terres et argent; et il s'en trouvait très bien, car +les Banques, on le sait, sont faites pour les femmes et pour les +rustres!... Alors, cela dit, quant aux autres origines en ce qui touche +celui qui sera le peintre Henri de Toulouse-Lautrec, elles <span class="pagenum"><a name="Page_5" id="Page_5">5</a></span> se +présentent, avec une certaine carrure, ainsi:</p> + +<p>Sa mère est une fille de Léonce Tapié de Celeyran et de Louise d'Imbert +du Bosc. Elle est cousine germaine de son mari, leurs deux mères étant +sœurs, filles du comte d'Imbert du Bosc et de Zoé de Solages.</p> + +<p>Les Tapié sont originaires de Cannes (Aude), où ils exercèrent, dès le +<span class="smcap">xvi</span><sup>e</sup> siècle, les fonctions de premiers consuls. Ils s'établirent à +Narbonne au <span class="smcap">xvii</span><sup>e</sup> siècle, et y fournirent de nombreux magistrats +consulaires, plusieurs chanoines du chapitre de Saint-Sébastien +(paroisse de Narbonne), un officier de la maison du roy, un trésorier +général de France, etc.</p> + +<p>Quant à la terre de Celeyran (dont le nom s'ajouta à celui de Tapié), +ou, pour dire mieux, quant à la terre de Saint-Jean de Celeyran, c'était +une terre noble appartenant aux chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem, +qui, en 1680, environ, la vendirent avec haute, basse et moyenne +justice, à la famille Mengau, de Narbonne.</p> + +<p>Jacques Mengau, seigneur de Celeyran, conseiller à la cour de +Montpellier, adopta alors <span class="pagenum"><a name="Page_6" id="Page_6">6</a></span> l'arrière-grand-père d'Henri de +Toulouse-Lautrec, fils de son cousin germain, et lui donna son nom et sa +fortune, en 1798. La terre de Celeyran, sur laquelle s'élève une vaste +habitation, est la plus considérable du département de l'Aude. Mais au +temps de l'arrière-grand-père d'Henri de Toulouse-Lautrec, avant qu'elle +n'eût été divisée par des partages de famille, sa contenance était de +plus de 1.500 hectares.</p> + +<p>Le château, situé sur la commune de Salles d'Aude (Aude), fut à un +moment la propriété, jamais payée, de la considérable et grasse Thérèse +Humbert. Il fut son nid d'affaires. Elle y puisa forces et ruses pendant +un laps d'années. Ce n'est qu'à sa déconfiture, que la famille Tapié put +reprendre cette terre, désormais doublement illustre.</p> + +<p>Du côté du père, c'est-à-dire du côté du comte Alphonse de +Toulouse-Lautrec-Monfa, il y avait deux branches: une branche aînée et +une branche cadette. Henri de Toulouse-Lautrec appartenait à la branche +cadette; et, à la mort de son père, le fief de Monfa, très ancien dans +la famille, aurait été son héritage. Il est vrai que <span class="pagenum"><a name="Page_7" id="Page_7">7</a></span> Monfa n'est +plus qu'un château en ruines, avec une centaine d'hectares, très mal +cultivés. La poste, c'est Roquecourbe-Castres (Tarn).</p> + +<p>Mieux favorisée, la comtesse Alphonse de Toulouse-Lautrec avait, de son +père, hérité de la terre de Ricardel, qui est une portion de l'ancien +Celeyran. Terre sans château, et qui ne peut s'enorgueillir que d'une +simple maison de régisseur et de bâtiments d'exploitation rurale.</p> + +<p>Mais ceci était préférable: le château du Bosc, en Aveyron, et le +château de Malromé, par Saint-Macaire (Gironde), appartenaient aussi—et +appartiennent encore à Madame la comtesse Alphonse de Toulouse-Lautrec.</p> + +<p>Toute cette importante fortune territoriale ne put jamais cependant +contenir la fantaisiste humeur du Comte. Il vivait le plus souvent sur +des terrains de chasse, loin de sa femme; ou à Albi, où il demeura +longtemps chez sa mère, une fille du comte du Bosc;—parfois à Paris, +dans un hôtel;—ou bien devant la cathédrale d'Albi, la robuste et +originale cathédrale bâtie à son image. Là, sous une tente, il tenait +compagnie à ses faucons et à ses chiens, avant que de <span class="pagenum"><a name="Page_8" id="Page_8">8</a></span> les traîner +ensuite les uns et les autres, à travers la ville ahurie, mais qui +pardonnait tout à M. le comte, dont elle vénérait, presque la tête +basse, la hauteur et l'impertinence. Car, ne se promenait-il pas, +encore, M. de Toulouse-Lautrec, un faucon sur le poing gauche, de la +viande crue dans l'autre main, et s'arrêtant tous les dix pas pour +nourrir le rapace?</p> + +<p>On citait, avec orgueil, bien d'autres fantaisies de cet homme, qui +ignorait si heureusement toutes les conventions sociales; comme il +voulait ignorer le temps, le lieu, les saisons et les heures;—en un mot +tout un ensemble de médiocre vie basée sur la résignation et la +discipline des bourgeois et des gens de boutique.</p> + +<p>Et Paris aussi subissait ses frasques! Ainsi, un jour, par exemple, ne +s'était-il pas entêté à emmener, à une matinée de gala du théâtre de +l'Opéra-Comique, un ménage ami: homme et femme, dans une bizarre +voiture-araignée qu'il conduisait lui-même? Sur le parcours, rires et +quolibets de fuser! Imperturbable, le comte Alphonse tenait correctement +les guides; donc, pourquoi un tel concert de moqueries et de railleries? +<span class="pagenum"><a name="Page_9" id="Page_9">9</a></span> Les invités ne le surent qu'en arrivant au théâtre, lorsque, +descendus de la haute voiture, ils aperçurent entre les roues, dans une +vaste cage, toute une piaillante et frémissante tribu de petits oiseaux, +que le comte avait accrochés là, pour «qu'ils prissent l'air!» (<i>sic</i>), +avant que de servir de pâture à ses faucons!</p> + +<div class="figcenter" style="width: 350px;"><a name="page-009" id="page-009"></a> +<img src="images/page-009.jpg" alt="" title="" width="350" height="453" /> +<p class="caption1">PHOTO DRUET</p> +<p class="caption2">FILLE A LA FOURRURE</p></div> + +<p>Une autre fois, une nuit, à la campagne, les domestiques n'avaient ils +pas surpris M. le Comte à la recherche de cèpes; et il tenait d'une main +une bougie allumée, et, de l'autre main, un carton à chapeau? Et, le +lendemain, n'était-il pas descendu, à la table d'un dîner de famille, +costumé en écossais, et la jupe à carreaux remplacée par un tutu de +danseuse?</p> + +<p>A Paris, on vit le comte de Toulouse-Lautrec, à l'enviable moment des +beaux cavaliers et des jolies amazones, monter, pendant quelques mois, +au Bois, une jument laitière, sur une selle de Kirghiz; et, de temps en +temps, il mettait placidement pied à terre, pour traire la jument et +boire de son lait.</p> + +<p>C'est aussi au même Bois de Boulogne que, rencontrant, un jour, une +troupe de cavaliers <span class="pagenum"><a name="Page_10" id="Page_10">10</a></span> tartares, en représentation au Jardin +d'acclimatation, il se mit à caracoler à leur tête, pour les emmener à +travers Paris jusqu'à l'Hippodrome (actuel Gaumont-palace); et là, dans +le jardin qui existait alors, les faire photographier, en se plaçant au +premier rang.</p> + +<p>Enfin, voici une dernière anecdote; et celle-ci, qu'on me le pardonne, +m'est toute personnelle.</p> + +<p>Quand le comte apprit, en 1912, que j'étais en train de préparer un +premier livre consacré à son fils, il se fâcha et il voulut accourir +d'Albi pour me châtier, en combat singulier, comme au temps des Croisés. +Il dit ceci: lui, noble gentilhomme, il tiendrait une lance, il serait +dans une espèce de petite tranchée à cause de ses cors aux pieds; et +moi, humble serf, je serais face à lui, et armé d'un simple bâton. +Croyez-le, on eut beaucoup de difficultés à l'empêcher de venir jusqu'à +moi, à Paris, à cheval, par le moyen de chevaux de relais.</p> + +<p>Certes, je pourrais citer bien d'autres anecdotes pour montrer que le +comte Alphonse de Toulouse-Lautrec-Monfa était vraiment un gentilhomme +d'une totale extravagance; mais, aussi <span class="pagenum"><a name="Page_11" id="Page_11">11</a></span> bien, il faut, peut-être, se +contenter du significatif dessin que Forain fit d'après lui, et qui le +représente, cet insolite gentilhomme, à cheval, son ample manteau +déroulé, comme une robe de cour, sur la croupe de la bête?</p> + +<p>Un père assurément singulier, une mère pieuse, très attachée à ses +devoirs, voilà donc, à peine silhouettés, les directs ascendants de +Henri de Toulouse-Lautrec; ascendants qui convinrent entre eux deux de +ceci: la comtesse s'occuperait d'abord seule de son fils; le père, lui, +s'en chargerait plus tard; et en ferait, alors, à son image, un +orgueilleux seigneur, un forcené veneur, et un parfait contempteur de +son temps!</p> + +<p>Henri de Toulouse-Lautrec partit pour vivre, avec sa mère, toute son +enfance à Paris, hôtel Perey, cité du Retiro; et il fut placé comme +externe libre au lycée Condorcet, sa mère se chargeant de toute son +éducation et lui servant même de répétiteur.</p> + +<p>Ses vacances scolaires, il les passait à Celeyran, au Bosc ou à Malromé. +Tous deux, la mère et le fils, ils furent aussi plusieurs fois à Nice, +<span class="pagenum"><a name="Page_12" id="Page_12">12</a></span> dans une pension de famille, où Henri aimait à parler anglais avec +les hôtes.</p> + +<p>Mais il fallait rentrer; et le lycée l'obsédait. Aussi, dès l'âge de dix +ans, il ne voulut plus travailler qu'avec sa mère. Quand il eut treize +ans, il se cassa une jambe en glissant sur un parquet; et l'année +suivante, lors d'un voyage à Barèges, il se cassa l'autre jambe. Dès +lors, il ne grandit plus; et la marche lui devint pénible.</p> + +<p>En une douloureuse réalité, c'en est fait des rêves de la toute première +enfance. Le père, ce dur cavalier, se détourne de cet enfant qui ne +peut, qui ne pourra jamais le talonner dans ses chasses. Voilà tout le +commencement d'un chagrin que l'enfant, l'adolescent, et enfin l'homme +ne cessera plus de ressentir!</p> + +<p>Ces chevaux, qu'il ne pourra jamais conduire, cet infirme les aime d'un +tel amour qu'il commence de les crayonner, de les dessiner, seuls ou +avec des chiens, ou avec des équipages. Et cela le passionne tellement +qu'il ne veut même plus accomplir ses études scolaires. Il passe la +première partie du baccalauréat-ès-lettres; et il en reste là.</p> + +<p><span class="pagenum"><a name="Page_13" id="Page_13">13</a></span></p> + +<p>Il est un nain. Il a un torse normal; mais ses jambes sont +extraordinairement courtes. Oui, c'est un fait brutal! Le descendant des +comtes de Toulouse-Lautrec-Monfa ne sera pas un cavalier, un héros de +concours hippique et de chasses à courre. Il n'a plus qu'à devenir le +peintre des bals publics, des maisons closes, des vélodromes, de toute +une population pittoresque, assurément, mais comme ce champ est borné! +Souvent, au cours de sa brève vie, est-ce que Lautrec ne regrettera pas +l'élégant gentilhomme, le rude bretteur et le vigoureux chevaucheur +qu'il eût pu être, en un mot la belle brute dont la vitalité sanguine et +nerveuse attire autour de soi un violent flux d'admiratifs hommages? +Porter un tel superbe nom: Henri de Toulouse-Lautrec-Monfa et aboutir +là: être l'annaliste d'une époque de pourriture! Pour oublier cela, +est-ce qu'il ne sera point obligé de se jeter, à corps perdu, dans la +vie, et de la brûler, la mauvaise vie, avec la plus dévorante +frénésie?... Allons! C'est ce que fera Henri de Toulouse-Lautrec-Monfa, +peintre un peu par force et surtout par vocation, mais descendant quand +même, malgré <span class="pagenum"><a name="Page_14" id="Page_14">14</a></span> tout, d'une lignée de comtes d'altière noblesse; et +seul descendant, puisqu'il avait perdu un frère, âgé d'un an, alors +qu'il atteignait, lui, la troisième année de sa vie.</p> + +<p>Soit! Ses brillantes qualités d'orgueil, d'amour de sa race, de fierté +apprise, il les emploiera donc, puisque c'est la dure contrainte, au +service de son métier presque subi; et toute son éducation, tout le +style, toute la hauteur de son origine, il mettra tout cela dans son +dessin et dans sa peinture; puisque la nature, si impitoyable aux +erreurs congénitales, lui refusa, à lui, la taille et la force qu'elle +accorde si bénévolement à tant de fils des champs ou des villes, nés +dans l'emportement de deux sangs merveilleusement croisés et neufs, et +purs de toute consanguinité imposée depuis de trop longues années!... +Et, pour la première fois, peut-être, un peintre porteur d'un nom à +panache, avec un entrain non feint, ira vers les plus crapuleux +spectacles, pour les exprimer, non pas, comme on l'a cru, avec une +férocité de nain haineux, mais avec une verve passionnée, avec une +tenace ivresse, avec un don de tout son génie. Et toujours <span class="pagenum"><a name="Page_15" id="Page_15">15</a></span> ce +peintre-là—rare spectacle!—cherchera à chérir davantage ses modèles; +il consumera une plus farouche volonté à les dessiner mieux, à les +peindre avec plus de fougue et avec plus d'amour!... C'est comme cela +qu'il usera sa méchante vie!</p> + +<hr class="tiny" /> + +<h2><a name="ch2" id="ch2"></a>PARIS ET RENÉ PRINCETEAU</h2><p><span class="pagenum"><a name="Page_16" id="Page_16">16</a></span></p> + +<p>Occasionnellement, le comte Alphonse de Toulouse-Lautrec avait dessiné +et modelé quelques esquisses en terre: chevaux et chiens d'équipage; +mais il ne convient pas de voir ici une véritable hérédité pour Lautrec, +qui va, au contraire, après quelques essais, se donner tout entier aux +bals et aux maisons closes, à des hôtes de cirques et de bars.</p> + +<p>C'est plus simple et tellement plus simple. Le comte Alphonse de +Toulouse-Lautrec avait un ami, artiste-peintre, dont l'atelier s'ouvrait +dans une sorte d'impasse, au n<sup>o</sup> 233, du faubourg Saint-Honoré! Ce +peintre, comme par un décret de la Providence, c'était René Princeteau, +peintre de chasses, de chevaux et de chiens! Or, dès l'âge de huit ans, +Lautrec ayant commencé <span class="pagenum"><a name="Page_17" id="Page_17">17</a></span> de venir dans l'atelier de Princeteau, +retrouvait ainsi tous les sujets de tableaux qui lui étaient si +familiers. De là à les imiter, à les copier, il n'y eut qu'un pas à +franchir; et il fut vite franchi. Ce passage d'une lettre qui nous fut +adressée par Princeteau quelques jours avant sa mort, atteste cela. +Voici ce fragment:</p> + +<p>«Oui, j'étais surtout peiné de sa «pas bonne forme»! (<i>sic</i>). Mon pauvre +Henri! Il venait tous les matins dans mon atelier; à quatorze ans, en +1878, il copia mes études et fit un portrait de moi, «à me faire +frémir!» (<i>sic</i>).</p> + +<p>«Pendant les vacances, il peignait devant nature portraits, chevaux, +chiens, soldats, artilleurs au moment des manœuvres. Un hiver, à +Cannes, il a peint des bateaux, la mer, des amazones.</p> + +<p>«Henri et moi, nous allions au cirque pour les chevaux, et au théâtre +pour les décors. Il était profond connaisseur en chevaux et en chiens.»</p> + +<div class="figcenter" style="width: 350px;"><a name="page-017" id="page-017"></a> +<img src="images/page-017.jpg" alt="" title="" width="350" height="474" /> +<p class="caption1">PHOTO DRUET</p> +<p class="caption2">PORTRAIT</p></div> + +<p>Et voilà la toute simple raison des débuts de Lautrec. En tout cas, +Princeteau étant sourd et muet, il ne pouvait pas être un maître +fatigant <span class="pagenum"><a name="Page_18" id="Page_18">18</a></span> pour le peintre adolescent. De plus, chez Princeteau, +venaient aussi quelques peintres: Forain, Butin, Petitjean et surtout +John-Lewis Brown, un autre peintre de chevaux et un autre Bordelais +comme Princeteau. Mais lui, Brown, peignait ses chevaux et ses cavaliers +avec une telle virtuosité et avec un tel éclat que tous ses portraits de +chevaux semblent avoir été plaqués de luisant acajou.</p> + +<p>Dans ce milieu de peintres, et surtout en présence de ces deux peintres +de chevaux: Princeteau et John-Lewis Brown, Lautrec se mit à représenter +avec une opiniâtre ardeur les chevaux qu'il ne pouvait pas chevaucher. +Rappelons-nous, d'ailleurs, qu'il n'y eut jamais un plus favorable temps +de l'hippisme. Ils montaient régulièrement, au Bois, ces cavaliers et +ces amazones qui s'appelaient Émile Abeille, le comte Nicolas Potocki, +le prince Charles de Ligne, le duc de Camposelice, le vicomte de +Montigny, le marquis de Breteuil, le vicomte de Pons, le baron de la +Rochette;—la duchesse de Fitz-James, la comtesse de Clermont-Tonnerre, +la comtesse de Caraman, la baronne de <span class="pagenum"><a name="Page_19" id="Page_19">19</a></span> Beauchamp et la marquise de +Louvencourt. Or, comme Princeteau, sans trop d'originalité, mais avec +acharnement, les dessinait tous et toutes sur de petits albums, +c'étaient ces petits albums-là, prestigieux et magiques, qui +passionnaient Lautrec.</p> + +<p>Là-dedans, en effet, au cours des pages, ne voyait-il pas des poneys, +des cobs, des irlandais, des pur-sang, tous chevaux bien mis;—et aussi, +dans de discrètes allées, des silhouettes de bidets et de chevaux de +manège, dont le drolatique aspect physique l'enchantait? Toutes les +caricatures, mâles et femelles, que le goût de l'équitation pouvait +engendrer,—c'est sans doute de les regarder, avec tant de flamme, que +Lautrec prit le sens de ce trait caustique, aigu et rare, qui, plus +tard, développé, fera de son dessin une écriture à nulle autre pareille +et situant admirablement toutes les tares physiques. Et comme Princeteau +aimait de plus en plus «son nourrisson d'atelier», ainsi appelait-il +Lautrec, celui-ci put, tout à son aise, dessiner et peindre, sous les +regards amusés de Princeteau. Un jour pourtant ce <span class="pagenum"><a name="Page_20" id="Page_20">20</a></span> dernier voyant +que le «nourrisson» voulait, lui aussi, devenir un artiste, un +enseignement officiel s'imposa aux yeux du brave homme, peintre +discipliné, qui, naturellement, croyait à la tradition, aux professeurs +consacrés; et il choisit alors pour Lautrec un véritable maître, en la +personne de M. Léon Bonnat. Lautrec, docile, entra dans cet atelier; +mais il ne fit qu'y passer, l'atelier Bonnat ayant fermé presque +aussitôt ses sacrées portes. Juste compensation! C'est dans cet atelier +que Lautrec connut son ami le plus attaché: M. Henri Rachou, qui est +actuellement Directeur des Beaux-Arts de la ville de Toulouse.</p> + +<p>Le soir, Lautrec retrouvait René Princeteau; et, durant toutes ces +années-là, on les vit tous deux au cirque Fernando, alors bâti en +planches, sur l'emplacement actuel du cirque Médrano, et que tout Paris +envahissait.</p> + +<p>Ce goût du cirque, on le verra se développer jusqu'à la plus extrême +acuité chez Lautrec. Plus loin, nous dirons ce qu'il en tira, même quand +il fut contraint de se reposer pendant quelques mois, chez le docteur +Semelaigne, à Saint-James.</p> + +<hr class="tiny" /> + +<h2><a name="ch3" id="ch3"></a>CORMON OU LA VIE</h2><p><span class="pagenum"><a name="Page_21" id="Page_21">21</a></span></p> + +<p>De Bonnat, Lautrec passa aux mains de Cormon. D'un médiocre à un pire. +L'homme de l'âge de plâtre, le néfaste macrobe qui commit sur des toiles +à voiles les plus odieux des poncifs, avait ouvert un atelier à +Montmartre, rue Constance. Lautrec alla dans cet atelier. A cet âge, on +a la candeur des plus touchantes sottises. Et, Cormon s'installant +ensuite au n<sup>o</sup> 104 du boulevard de Clichy, Lautrec le suivit. Aussi +bien, ce sont les camarades qui vous attirent; et Lautrec, dans le +premier atelier Cormon, s'était déjà lié avec les peintres Vincent Van +Gogh, Gauzi, Claudon, Grenier et Anquetin; et ceux-là, tout en restant +chez le pion d'Institut, n'admiraient que Delacroix, Degas, Manet, +Renoir et les Japonais. Et ils tenaient des propos <span class="pagenum"><a name="Page_22" id="Page_22">22</a></span> enflammés! Et +ils avaient de beaux espoirs!... Mais quels souvenirs ont gardé de +Lautrec ses camarades de ce temps-là? Le premier, voici comment le juge +le peintre Claudon:</p> + +<p>«Lautrec était fort adroit, et il se servait de cet esprit d'observation +qui n'a fait que s'aiguiser avec le temps; mais c'étaient surtout les +chevaux, les habits rouges et les chasses à courre qui le passionnaient. +Toutefois, je dois avancer qu'ayant un jour à décorer deux panneaux dans +un cercle que nous avions fondé, il fit ses panneaux tout à fait à la +manière de Forain.</p> + +<p>«Je me rappelle de ce temps peu de mots de Lautrec; il aimait plutôt à +synthétiser par une phrase brève toute une situation, et à rendre les +choses par une formule crayonnée sur un bout de papier et les gens par +une charge faite d'un trait étonnamment expressif.»</p> + +<p>M. Gauzi, retiré aujourd'hui à Toulouse, nous a dit, de son côté:</p> + +<p>«Sous des dehors moqueurs, Lautrec était d'une nature très sensible, et +il n'avait que des amis. Extrêmement liant, il était très serviable. +Faible, il admirait la force chez les lutteurs et <span class="pagenum"><a name="Page_23" id="Page_23">23</a></span> chez les +acrobates. Il était très bien élevé. En art, il fut toujours sincère. A +l'atelier Cormon, il s'efforçait de copier le modèle; mais, malgré lui, +il exagérait certains détails typiques ou bien le caractère général, de +telle sorte qu'il déformait sans le chercher et même sans le vouloir. Je +l'ai vu se forcer en présence d'un modèle à «faire joli», et ne +pouvoir, à mon avis, y réussir. Le mot «se forcer à faire joli» est de +lui. Ses premiers dessins et ses premiers tableaux au sortir de +l'atelier, il les exécuta toujours d'après nature; il disait même qu'il +ne pouvait travailler si le moindre accessoire n'était à sa place au +moment où il travaillait. Il avait entrepris un portrait de moi; à ce +moment, j'arrivais de ma province et j'arborais un superbe gilet de +fantaisie jaune; immédiatement ce gilet fut dans l'œil de Lautrec, +qui voulut me représenter en bras de chemise, sans doute pour mieux voir +le dit gilet. Il commença et travailla quelques séances; sur ces +entrefaites, je déménageai et on me vola ou je perdis mon gilet; il +refusa alors de continuer ce portrait malgré qu'il fut très avancé; il +en fit un nouveau tout à fait différent.»</p> + +<p><span class="pagenum"><a name="Page_24" id="Page_24">24</a></span></p> + +<p>«Son maître d'élection était Degas; il le vénérait. Ses autres +préférences, parmi les modernes, allaient à Renoir et à Forain. Il avait +un culte pour les anciens Japonais; il admirait Velasquez et Goya; et, +chose qui paraîtra extraordinaire à quelques peintres, il avait pour +Ingres une estime particulière; en cela, il ne faisait que suivre les +goûts de Degas qui a toujours vanté les dessins de Dominique Ingres».</p> + +<p>Les Japonais! Théodore Duret et Cernuschi, de retour d'un féerique +voyage au Japon, les avaient mis à la mode; et on commençait de +collectionner les si neuves estampes du Nippon, arrivées par les bateaux +de commerce. Portier, le marchand de tableaux, en avait acquis un lot; +et Lautrec lui acheta certaines de ces estampes. Il se passionna, comme +Van Gogh, pour ces planches qu'avaient griffé Harounobu, Kiyonaga, +Toyokouni, Outamaro, Hiroschigé et Hokousaï.</p> + +<p>Cormon ou la vie? N'était-ce pas la vie, ces gestes, ces attitudes, ces +expressions singulièrement inattendues? C'était la vie, cette grâce +inédite, cette souple puissance, cette gracile <span class="pagenum"><a name="Page_25" id="Page_25">25</a></span> joliesse, ces +mobiles décors, cette science du dessin, ces accords de somptueuses +couleurs! Cormon, à l'opposé, c'était le néant, la tradition la plus +vaine figée par un dessin convenu, par une couleur générale alourdie de +plâtre! Comment hésiter?</p> + +<div class="figcenter" style="width: 350px;"><a name="page-025" id="page-025"></a> +<img src="images/page-025.jpg" alt="" title="" width="350" height="377" /> +<p class="caption1">PHOTO DRUET</p> +<p class="caption2">BAL MASQUÉ</p></div> + +<p>Et les autres admirations de Lautrec, c'était aussi la vie! Velasquez, +en effet, c'était la hautaine distinction, la grâce d'une naturelle +noblesse; Goya, c'était la fantaisie désordonnée, toute puissante, +animant les plus terribles spectacles; Goya, qui, auparavant, avait +aiguillé Forain se demandant un jour, au Cabinet des Estampes, ce qu'il +convenait de faire; Forain, happé par les prodigieux <i>Caprices</i>, et +éclairé tout d'un coup, brutalement; Goya, dont la forte devise: <i>J'ai +vu çà!</i> allait devenir la devise de Lautrec, flottant entre Cormon de +l'âge de plâtre et Goya de l'âge de sang!</p> + +<p>Ingres, enfin, d'une sensualité concentrée jusqu'à la plus tendre +subtilité, s'il s'en tient parfois à des redites de tradition; Ingres +l'émerveillait également quand il lui livrait les trésors de ses +odalisques, de ses baigneuses et de <span class="pagenum"><a name="Page_26" id="Page_26">26</a></span> quelques-uns de ses portraits +de femmes si brûlés de passion!</p> + +<p>J'ai tenu aussi à interroger M. Henri Rachou, l'ancien condisciple de +Lautrec. Voici sa lettre consacrée à la mémoire de son ami:</p> + +<p>«J'ai connu Henri à Paris, par sa mère, en 1882. Il avait déjà commencé +à peindre avec notre ami René Princeteau et faisait, à la manière de ce +dernier, de petits panneaux représentant des chevaux.</p> + +<p>«Il a suivi avec moi les cours de l'atelier Bonnat, puis ceux de +l'atelier Cormon où il étudiait de façon très suivie le matin, passant +ses après-midi à peindre d'après nos modèles habituels: le père Cot, +Carmen, Gabrielle, etc., soit dans mon petit jardin de la rue Ganneron, +que j'ai habité 17 ans, soit chez M. Forest, propriétaire, rue Forest. +Je ne crois pas avoir eu la moindre influence sur lui. Il venait +fréquemment avec moi au Louvre, à Notre-Dame, à Saint-Séverin; mais, +bien qu'il admirât l'art gothique, dont la vénération m'est restée, il +manifestait déjà des préférences très marquées pour l'art japonais, +l'art de Degas, de Manet et <span class="pagenum"><a name="Page_27" id="Page_27">27</a></span> des Impressionnistes en général, de +sorte qu'il échappa à l'atelier alors qu'il y travaillait encore.</p> + +<p>«Ce qui m'a le plus vivement frappé chez lui est sa magnifique +intelligence toujours en éveil, sa bonté extrême pour ceux qui +l'aimaient et sa connaissance parfaite des hommes. Je ne l'ai jamais vu +se tromper dans ses appréciations sur nos camarades. Il était +incroyablement psychologue, ne se livrait qu'à ceux dont il avait +éprouvé l'amitié et traitait parfois les autres avec un sans-façon +voisin de la cruauté. D'une éducation parfaite quand il le voulait, il +dévoilait un sens exact de la mesure en s'adaptant à tous les milieux.</p> + +<p>«Je ne l'ai jamais connu ni exubérant ni ambitieux. Il était avant tout +artiste et n'attachait, bien qu'il les recherchât, qu'une valeur très +relative aux éloges. Il ne se montrait, dans l'intimité, que très +rarement satisfait de ses travaux.»</p> + +<p>Pour terminer ce chapitre, puis-je noter, enfin, ce court portrait +physique et moral de Lautrec par un dernier de ses camarades?</p> + +<p>«Il était non seulement très petit, mais difforme. <span class="pagenum"><a name="Page_28" id="Page_28">28</a></span> La tête était +lourde. Il traînait les jambes et s'appuyait sur une minuscule canne au +manche recourbé, qu'il appelait lui même son «crochet à bottines». Il +était très myope; son pince-nez ne le quittait pas. Il portait sa +moustache et sa barbe mal taillées. Il avait la bouche épaisse, la lèvre +inférieure pendante, toujours un peu baveuse, le nez assez fort, le +regard souvent endormi, lourd; parfois, au contraire, étonnamment vif, +curieux, rieur.</p> + +<p>«Il lisait peu—ou presque pas. Assez bavard, il aimait fort plaisanter +avec des amis. Pas lyrique, ni littéraire. Pas rosse, mais gouailleur, +malicieux, très observateur, très passionné... Ah! je vois encore +Lautrec passant toute sa matinée au musée de Bruxelles devant un +portrait d'homme de Cranach! Quel enthousiasme! Enthousiasme jamais +débordant, jamais méridional...»</p> + +<hr class="tiny" /> + +<h2><a name="ch4" id="ch4"></a>MONTMARTRE</h2><p><span class="pagenum"><a name="Page_29" id="Page_29">29</a></span></p> + +<p>Mais la vie qui va prendre tout entier Lautrec, la vie qui l'assaille +chaque jour quand il va chez Cormon et quand il sort de ce morne +atelier, la vie, toute la vie matérielle et brûlante, c'est Montmartre +et quel Montmartre!</p> + +<p>Montmartre, au temps de Lautrec, c'est-à-dire de 1885 à 1900, c'est en +effet, le <i>Moulin-Rouge</i> qui vient de remplacer le <i>Bal de la Reine +Blanche</i> et que dirige Zidler; c'est le <i>Café du Rat mort</i>, déjà situé à +sa place actuelle; c'est le <i>Bal du Moulin de la Galette</i>, où l'on paye +les danses; c'est Palmyre, installée alors à la <i>Souris</i>, rue Bréda; +c'est Armande, trônant au <i>Hanneton</i>; c'est l'<i>Auberge du Clou</i>, avenue +Trudaine; c'est le cabaret du <i>Mirliton</i>, que vient de quitter Salis +pour transporter, rue de Laval, son cabaret <span class="pagenum"><a name="Page_30" id="Page_30">30</a></span> du <i>Chat noir</i>;—le +<i>Mirliton</i>, où engueule et chante l'humanitaire Aristide Bruant; c'est +le <i>Bal de l'Elysée Montmartre</i>; c'est le <i>Divan Japonais</i>; c'est le +tapageur <i>Café de la Place Blanche</i>, qui s'est ouvert en même temps que +le Moulin-Rouge; et, enfin, Montmartre c'est, en contraste, autour de la +vasque Pigalle, encombrée de modèles italiens, l'atelier de Roybet le +Magnifique, le Panthéon de Puvis de Chavannes l'olympien sensuel, et la +boutique de l'avare Henner, du pays d'Alsace!</p> + +<p>On peut imaginer avec quelle joie Lautrec tomba du nid Cormon dans ce +chaud milieu! Il a besoin de travailler, de s'étourdir; ici, il va +travailler, et il va s'étourdir.</p> + +<p>Pour lui, qui ne peut guère marcher et se fatiguer, l'essentiel, c'est +de rester dans un cercle assez restreint; les boulevards extérieurs +sont, d'ailleurs, peu sûrs; et le Moulin-Rouge le retiendra durant de +longues années avec son amusant et exceptionnel spectacle. Lautrec se +lie donc tout de suite avec Joseph Oller, le propriétaire; et il aura +désormais, au bal, sa table retenue.</p> + +<p><span class="pagenum"><a name="Page_31" id="Page_31">31</a></span></p> + +<p>Il y entre, tous les soirs, le visage joyeux. Mais aussi quel bal et +quelles danseuses! A l'heure actuelle, c'est peut-être notre plus tenace +regret que tout cela ne soit plus! Sans doute, on loue toujours le temps +passé; mais il nous semble que la vie alors était moins bête qu'au temps +présent; surtout si l'on évoque toutes ces pittoresques danseuses, qu'on +appelait, entre tant d'autres: Grille d'égout, Demi-syphon, Rayon d'or, +Muguet la limonnière, Eglantine, la Goulue, la Mélinite, et que +couronnait ce prodigieux danseur: Valentin le désossé!</p> + +<p>Ah! ces trois dernières vedettes, quelles curieuses et épileptiques +sauterelles! Quel extravagant trio! Ce Valentin le désossé, si glabre, +si funèbre sous son haute forme noir, qui basculait en avant; ce +somnolent Valentin, qui, le soir, se transformait en un inénarrable et +électrique danseur. Grand, maigre à s'enrouler autour d'un bec de gaz, +n'ayant pas d'âge, trente-cinq ou tout aussi bien cinquante-cinq ans, +étriqué et monté sur ressorts, il avait des jambes et des bras en +lanières de caoutchouc. Il tenait de la sarigue et du casoar, et quelle +trompe! Mais ce <span class="pagenum"><a name="Page_32" id="Page_32">32</a></span> dégingandé valsait vraiment avec une sûre cadence +et un incroyable rythme. Ses longs pieds tournaient, remontés, toujours +autour du même pivot. Ses pieds étaient de parfaits automates. Aussi, +comme nous l'admirions, cet Empereur de la Danse!</p> + +<p>Ses rivales et ses deux chères amies, c'étaient la Goulue et la +Mélinite.</p> + +<p>La Goulue, une étrange fille, à la face d'empeigne, au profil de rapace, +à la bouche torve, aux yeux durs. Sèchement elle dansait, avec des +gestes nets. On l'appelait la Goulue, du temps de ses débuts au Moulin, +où elle avait fait, chaque soir, le tour des tables, en vidant le fond +des verres.</p> + +<p>La Mélinite ou Jane Avril, c'était une autre affaire, comme on dit. Car +elle se présentait, celle-ci, gracile et souple. Délicate et amenuisée +même. Son visage pincé et fin faisait songer à une souris. Et qu'elle +était invraisemblablement maigre, si déliée qu'elle pouvait se ployer +jusqu'à éventer de son dos le parquet!</p> + +<p>En outre, elle «avait des Lettres»; ses amis comptaient dans la +Littérature gaie et dans la <span class="pagenum"><a name="Page_33" id="Page_33">33</a></span> Littérature sacrée; ses amis Alphonse +Allais et Théodor de Wyzewa. D'ensemble, elle apparaissait telle qu'une +sorte d'institutrice tombée dans la canaille du «chahut». Douce, bien +élevée, elle tenait gentiment son «paquet de linges», au moment où, +d'une jambe, redressée et agitée, elle battait la rémolade.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 350px;"><a name="page-033" id="page-033"></a> +<img src="images/page-033.jpg" alt="" title="" width="350" height="457" /> +<p class="caption1">PHOTO DRUET</p> +<p class="caption2">LA PROMENADE AU MOULIN ROUGE<br /> +(<i>La Goulue</i>).</p></div> + +<p>La Goulue, au contraire, vous secouait avec son chignon relevé en crête +de bataille, avec ses lèvres serrées et son bec d'épervier. Quelle face +et quel profil! Elle symbolisait, cette formidable guenipe, toute une +époque qui bouillait dans la sauce des bals.</p> + +<p>Gale et teigne, on n'osait pas, vraiment, certains soirs, lui adresser +la parole. En ces moments-là, ses yeux se plissaient, aggravaient leur +dureté métallique, et l'accent circonflexe de sa bouche remontait +durement vers son nez aux narines minces.</p> + +<p>Tous les soirs, Lautrec ne manquait pas d'aller au Moulin; et il offrait +à boire aux trois impériales étoiles. Pour tous, danseurs et +spectateurs, il devint bientôt l'indispensable personnage à la raison +d'être de la danse. Assis à sa <span class="pagenum"><a name="Page_34" id="Page_34">34</a></span> table, avec des amis, il était là, +en effet, comme le bouddha, coiffé d'un melon, du quadrille et de la +valse. Mais c'était un bouddha qui voyait tout, qui observait tout; et +qui enregistrait la plus totale collection de gestes et d'attitudes que +l'on pût imaginer!</p> + +<p>Les odeurs des alcools et du bal le surexcitaient. Il fut rapidement +visible que sa sensibilité s'aiguisait, se tendait jusqu'à une extrême +limite douloureuse. Il avait déjà des tics, des rictus. Il vibrait +jusqu'à l'angoisse; il paraissait s'étouffer lui-même sous une chape +d'anxiété; il faisait pénétrer en lui, comme une pointe aiguë, le +redoutable visage de ces danses qui le crucifiaient. Aussi, plus tard, +certes, nous n'avons jamais pu sourire, nous, devant les quadrilles +qu'il a peints, et que semblent danser de «vivants» cadavres!</p> + +<p>En vérité, à ce moment-là, tous les chagrins de sa pauvre vie physique, +qu'il porta telle qu'une sorte de suaire, Lautrec s'en imprégna, sans +miséricorde, dans cette fumante salle du Moulin, où nous le rencontrâmes +si souvent. En revoyant ses tableaux, nous sentons bien de <span class="pagenum"><a name="Page_35" id="Page_35">35</a></span> quoi +sont faits ces gestes canailles qui soulèvent des jupes, et de quel +poids pèsent ces jambes qui remuent de la pointe le vide. Nous avons +retenu, nous avons compté, en regardant Lautrec, tous ses sanglots +cachés, tous ses effrois et toutes ses terreurs! Plus tard, même, est-ce +que le <i>Quadrille au Moulin-Rouge</i> ne causera pas une épouvante pareille +à celle qu'engendre la <i>Crucifixion</i> de Mathias Grünwald, par exemple? +Qui notera alors les épouvantes de toutes nos pauvres âmes assassinées?</p> + +<p>D'autres cavernes de supplice ou d'autres champs de pitié, Lautrec les +trouvait à la <i>Souris</i> ou au <i>Hanneton</i>. Il tombait là sur toutes les +vieilles et toutes les jeunes gousses, sur toutes les tribades qui, en +se léchant et en se pourléchant, brassaient des cartes, ou jetaient des +dés sur la crasse d'un marbre cassé. C'étaient des profils et des +splendides têtes de massacre, des gueules affaissées de vices, des bouts +de nez de rates et des groins de truies. Lautrec exultait dans cette +bauge; il se pâmait sur toute cette magnifique pourriture à dessiner et +à peindre. Ah! ce n'étaient plus les filles des routes, les <span class="pagenum"><a name="Page_36" id="Page_36">36</a></span> filles +rudes et fortes comme des bêtes de halliers; des filles durcies par +l'air, par la pluie, par le soleil, et qui vibrent avec des cuisses +craquantes et des bras de lutteurs! Ce n'était plus du rire sain, des +apostrophes en pleine joie, la face éclatée et rouge; c'était, ici, de +l'extrait de marécage, des moisissures et des verdissures de cloaques, +des lèvres flétries, des yeux en persiennes, des nuques courbées, des +seins dévalant sur des ventres mous, contenus dans des corsets durs. +C'était inédit à représenter cela; et personne, proprement, ne l'avait +fait. Un aspect pittoresque et ignoble, mais d'une superbe expression de +fumier humain. Lautrec se jeta dans ce purin; et il s'en enivra.</p> + +<p>Chez Bruant, il devint aussi un hôte tenace. A ce moment-là, il se +traînait partout, se balançant, se dandinant. Le grand diable, qui, d'un +emploi au chemin de fer, s'était juché sur le tréteau des chansonniers, +l'épais bougre de noir vêtu et lourdement cravaté de rouge, l'enchanta. +Quel ténor bruyant et fort en gueule! Et puis Lautrec aimait les +chansons de Bruant, les chansons niaises et radoteuses, tout le vieillot +déjà et tout <span class="pagenum"><a name="Page_37" id="Page_37">37</a></span> le sentimental de ces romances consacrées aux filles +et à leurs souteneurs; tout ce suranné qu'on présente encore maintenant, +faisandé, avarié, hors de toute vérité! et Lautrec ne faisait que suivre +tout Paris, en fêtant le chantre bêlant des filles.</p> + +<p>Au <i>Divan japonais</i>, au <i>Clou</i>, Lautrec prenait place également; et, là, +le bouddha, toujours, observait, notait des visages et des attitudes. Il +fut bientôt l'ami de cet ex-marchand d'olives, Sarrazin, qui participa à +la célébrité de ce Montmartre d'hier. Ce petit comptable maigre, porteur +d'un lorgnon, témoignait avant tout d'une inexplicable peur de la +police; pourtant, c'était dans le sous-sol du <i>Divan</i> qu'on faisait le +plus de bruit, donc rien à craindre; mais Sarrazin, poète à ses heures, +ne se sentait pas de force, affaibli par les rimes, pour se colleter +avec les flics. Aussi, il voulut un jour agrandir son établissement, +surtout le rendre plus honnête; mais, en quelques mois, il fit faillite. +Montmartre n'aime pas l'ordre!</p> + +<p>Là-haut, au <i>Moulin de la Galette</i>, perché sur la Butte, Lautrec ne se +montrait guère. Du reste, ce n'était pas, en ce temps-là, l'amusante +réunion <span class="pagenum"><a name="Page_38" id="Page_38">38</a></span> des fillettes et des gosses de Montmartre, midinettes et +commis, que ce Moulin allait devenir plus tard; ce n'était pas le +tournoiement d'une jeunesse aigrelette; ce n'était pas non plus le +laisser-aller et l'abandon de gamines d'atelier, rompues mais vivaces; +c'était un bal au-dessous, un bal à saladiers de vin, à putains mûres. +Cela n'était point pour trop tenter Lautrec; et puis, ce bal juché au +diable vauvert l'éloignait trop de son quartier général, établi dans les +immédiats entours du Moulin-Rouge. Le Café de la place Blanche et le Rat +mort étaient aussi les seuls acceptables restaurants de nuit; et cela +lui suffisait. Au premier bal des Quat'z-Arts, à l'Elysée Montmartre +(après la fin des bals des Incohérents), à ce premier bal organisé par +le photographe Simonnet, Lautrec se déguisa en ouvrier lithographe, +cotte bleue, un chapeau mou avec une pipe passée au travers. Et ce +simple geste le ravit. Un tout petit coin de Montmartre, avec des +plaisirs en somme peu renouvelés, cela, c'était sa vie, cela fut +désormais toute sa vie. Il n'alla guère ensuite que par caprices vers +d'autres spectacles.</p> + +<hr class="small" /> + +<h4>DES SOUVENIRS SUR LA VIE</h4><p><span class="pagenum"><a name="Page_39" id="Page_39">39</a></span></p> + +<h2>II</h2> + +<h3>Quelques Sports</h3> + +<h3>Bars et Maisons closes</h3> + +<h2><a name="ch5" id="ch5"></a>QUELQUES SPORTS</h2><p><span class="pagenum"><a name="Page_41" id="Page_41">41</a></span></p> + +<p>Lautrec ayant connu Tristan-Bernard à <i>la Revue blanche</i>, fondée en +1891, par les frères Natanson, tout de suite, par lui, il alla au +vélodrome Buffalo, dont Baduel était l'administrateur, et, lui-même, +Tristan-Bernard, le directeur sportif. Et pas un directeur sportif pour +rire, car on doit à Tristan-Bernard, qui le croirait? trois choses +essentiellement sportives: la sonnerie de la cloche pour annoncer aux +coureurs le dernier tour à faire; la série de repêchage permettant à un +crack d'en appeler d'une occasionnelle défaite; et enfin le brassard n<sup>o</sup> +1 qui fut couru tant de fois!</p> + +<p>Tristan-Bernard et Lautrec «s'adorèrent». Lautrec eut la bonne joie de +connaître le fameux Yankee volant Arthur Zimmerman et la <span class="pagenum"><a name="Page_42" id="Page_42">42</a></span> +merveilleuse petite mécanique de demi-fond, Jimmy Michaël.</p> + +<p>Et il travailla intensément à ce vélodrome Buffalo. Ce fut un tel moment +d'enthousiasme sportif! Le vélodrome vécut de frémissantes heures qu'il +ne devait plus retrouver. Certes, on admira, toutes ces dernières +années, d'excellents coureurs de vitesse: le bull-dog Kramer, l'élégant +Bourillon, le populaire Jacquelin, le tenace Ellegaard et le menu Friol; +mais ils ne «coiffèrent» pas le prestigieux Zimmerman! Et quel Bouhours, +quel Contenet, quel Darragon, quel Sérès pourrait-on aligner, dans la +mémoire des vieux sportsmen, à côté du petit Michaël, qui tournait +toujours de son vif et régulier mouvement d'horloge, un cure-dents entre +ses lèvres; Michaël, cette petite face volontaire et busquée de ratier? +Et, aussi, qui opposerait-on au dégingandé, plat et interminable +Zimmerman, qui évoquait je ne sais quel oiseau des hautes altitudes, +maladroit sur ses pieds, et si rapide, si volant, quand il pesait sur +ses pédales?</p> + +<p>Leur manager, Choppy Warburton, offrait également un étrange type, très +américain, à dos <span class="pagenum"><a name="Page_43" id="Page_43">43</a></span> bombé; et Lautrec, d'après les trois hommes, +dessina d'extraordinaires lithographies.</p> + +<p>Le beau temps! Beaucoup de ceux qui l'ont vécu, ne sont plus, depuis, +retournés au Vélodrome. Il faut garder le culte des souvenirs!</p> + +<p>Ah! les soirées surtout de Buffalo!</p> + +<p>Sans les petites sportswomen qui venaient là en foule, la soirée, +peut-être, n'eût pas été autrement enviable. Mais elles étaient vraiment +amusées, elles, et amusantes. Du haut des virages, elles appelaient les +coureurs et les encourageaient. On jouait des coudes pour aller se +placer près de ces groupes particulièrement bruyants: et quand venait le +moment de la course de primes, la meute des coureurs partait, s'étirait, +se groupait, deux pelotons se formaient, et l'ensemble était joli, s'il +n'était pas émouvant.</p> + +<p>On regardait attentivement les yeux qui brillaient autour de soi, les +petites faces blanches et rieuses, les mains qui allaient et venaient, +en encouragement. Là-bas, de l'autre côté de la pelouse, toute roussie, +les têtes, étagées devant les grandiloquentes réclames, apparaissaient +comme de fantomatiques têtes de massacre. <span class="pagenum"><a name="Page_44" id="Page_44">44</a></span> C'était hallucinant, si +l'on s'absorbait un instant dans sa rêverie; mais le moyen d'y rester +avec ces jacassantes compagnes, avec ces remuantes petites personnes! +Par elles, on connaissait vite tous les coureurs de seconde et même de +troisième catégories!</p> + +<p>Mais, à leur tour, les brûlots tapageaient, grondaient, ronflaient et +trépidaient! Coup de pistolet! Derrière trois monstres, brûlés au ventre +par une double flamme bleue, roulaient aussitôt, collés, trois monstres +plus petits, obstinés, tenaces! Ainsi, dans la nuit, c'était une vraie +ronde du Walpurgis, une randonnée bâclée par trois engins fous qui +s'activaient furieusement et pétaradaient!</p> + +<p>Cet heureux temps du cyclisme, Lautrec en a emporté aussi une bonne part +avec lui. En ce temps-là, en son temps, on sacrifiait tout à la gloire +des cyclistes. Nous n'avons pour cela qu'à évoquer nos souvenirs!</p> + +<p>Puis, venaient les pleins étés, et Lautrec alors se mettait vite en +route pour aller ramer et nager dans le bassin d'Arcachon.</p> + +<p>Il adorait être nu, et il aimait les matelots <span class="pagenum"><a name="Page_45" id="Page_45">45</a></span> qu'il rencontrait +là-bas. Installé dans sa villa <i>Denise</i>, il prenait une vareuse, une +casquette sans galon de commodore, et les pieds nus, son petit pantalon +retroussé, il arpentait la plage. Il nageait bien, du reste; et se +baigner, c'était, avec les beaux jours, un des seuls moments possibles +de quitter Paris, pour aller là-bas «tremper et radouber sa carcasse!»</p> + +<p>Et il aimait de plus en plus les bateaux. Il y en avait de toutes sortes +dans cette baie d'Arcachon: des bateaux de pêcheurs, des pinasses à +rames et à voiles, et des bateaux de plaisance. Lautrec eût voulu ainsi, +sur un yacht, aller jusqu'au Japon. Cela fut un des persistants désirs +de sa vie, qu'il ne réalisa pas; et, pourtant, avec un peu d'entêtement, +il était riche, rien n'eût été plus aisé!</p> + +<p>«Sportif» toujours, Lautrec encore suivait assidument, aux +Folies-Bergère, les luttes, même quand elles tombaient dans le chiqué le +plus sot. Mais là, après maintes discussions, le directeur d'alors, +Marchand, était devenu sa bête noire, <i>une vache!</i> comme il disait; et +je ne parvins jamais à les réconcilier. Ils montraient, tous les <span class="pagenum"><a name="Page_46" id="Page_46">46</a></span> +deux, il est vrai, mis en présence, un tel aimable caractère!</p> + +<p>Je fis connaître à Lautrec les ténors du moment: Paul Pons, Laurent le +Beaucairois, Hackenschmidt, etc., mais je dois dire que ce fut le +phénoménal Apollon, le champion pour mille années peut-être des poids et +haltères, qui l'enthousiasma. Ah! le rude gaillard, du reste; et c'est +une chance, pour les leveurs de poids qui sont venus après lui et qui +viendront, qu'on n'ait point pensé à peser exactement les formidables +poids qu'il arrachait! Lautrec réalisa de beaux dessins d'après ce +splendide Hercule. Que sont-ils devenus? Je ne les ai jamais revus.</p> + +<p>Les luttes! Leur indéniable attrait!</p> + +<p>C'est que le spectacle n'était pas alors seulement sur la scène, il +était aussi dans la salle,—dans la salle surchauffée, surexcitée;—dans +le promenoir surtout, où se coudoyaient les hommes et les filles, +celles-ci dépitées, furieuses contre ces luttes qui passionnaient les +hommes, qui les agrafaient sur le rebord des loges, qui les juchaient +sur les banquettes, qui les étageaient <span class="pagenum"><a name="Page_47" id="Page_47">47</a></span> en gradins de cris et +d'apostrophes, alors qu'elles dardaient en vain leurs œillades et +qu'elles balançaient frénétiquement leurs allures d'oies-Impérias!</p> + +<p>Elles allaient, elles venaient, pressées par l'heure, faisant ressource +de tous leurs feux; mais elles ne pouvaient disputer l'intérêt à ces +masses de chair, pourtant pas belles, qui se heurtaient et +s'emboutissaient, là-bas, sous les aveuglants rayons des projecteurs!</p> + +<p>En regardant ces lutteurs, on imaginait volontiers que c'était ici, sur +la scène, tous les formidables héros de la statuaire. Tous ces muscles +merveilleux, on les avait vus dans les réalisations esthétiques des +Grecs, des Michel-Ange et des Puget. On les voyait, cette fois vivants +en plein mouvement, tendus, exaspérés, par cette volonté de vaincre qui +déformait aussi, la plupart du temps, les faces, et qui en faisait des +masques douloureusement frénétiques. On se disait que nul spectacle ne +pouvait donner un plus bel amas de muscles, un jeu plus passionné +d'étreintes; et l'on admirait toutes les prises et toutes les attitudes +de ces lutteurs, le dos ployé, <span class="pagenum"><a name="Page_48" id="Page_48">48</a></span> le cou tendu, solidement arcboutés +sur leurs jambes fortes, véritables piliers, colonnes lourdes des +temples trapus.</p> + +<p>On admirait les bonds rapides, les détentes imprévues de ces pesantes +masses. On ne savait s'il fallait être pris davantage par la force ou +par l'adresse. Souvent, c'était le combat à terre, interminable, toutes +les prises d'épaule ou de tête essayées, un combat monotone, tout entier +de force; mais souvent, aussi, c'était une lutte quasi légère, les deux +hommes, malgré le poids, cabriolant, sautant et se retournant +prestement.</p> + +<p>Sous la lumière brutale des projecteurs, on croyait, parfois, que +c'étaient là les énormes prophètes de la Sixtine qui luttaient, quand on +ne regardait pas les visages sans barbe, aux cheveux coupés courts.</p> + +<p>Et cela était un divertissant spectacle. Lautrec ne pouvait point ne pas +s'y passionner.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 350px;"><a name="page-049" id="page-049"></a> +<img src="images/page-049.jpg" alt="" title="" width="350" height="581" /> +<p class="caption1">PHOTO DRUET</p> +<p class="caption2">FILLE</p></div> + +<hr class="tiny" /> + +<h2><a name="ch6" id="ch6"></a>BARS ET MAISONS CLOSES</h2><p><span class="pagenum"><a name="Page_49" id="Page_49">49</a></span></p> + +<p>Le goût extrême du pittoresque, de l'en-dehors des mœurs, devait tout +droit conduire aussi Lautrec dans ces bars, dits anglo-américains, où il +pouvait s'amuser du décor des verreries, des petites serviettes de +couleur, des garçons en veste blanche, des roast-beefs saignants, des +branches de céleri dans des verres d'eau, des petits tonnelets cirés, du +haut comptoir à barre de cuivre, et surtout s'intéresser si vivement à +la fabrication des cocktails et à la dégustation des short drinks et des +gin-wiskies!</p> + +<p>Les barillets bien rangés, la verrerie de couleur, les clinquantes +réclames des bières anglaises, des champagnes, des long drinks et des +gobblers, allumaient tout aussitôt, au fond de son regard de gnome, +d'ardentes convoitises. <span class="pagenum"><a name="Page_50" id="Page_50">50</a></span> Il vivait là, intensément et +magnifiquement. Tout son art exaspéré, déformé, tout son génie de Little +Tich fait peintre, il le doit bien aux soubresauts, aux cauchemars de +l'alcool, qu'il absorbait là par tous ses sens;—car il les contemplait, +il les respirait au moins autant qu'il les buvait, les fortes et +redoutables liqueurs.</p> + +<p>Je crois bien, quand je songe à tout ce passé, que, curieusement et +frénétiquement, par satisfaction physique et nécessité intellectuelle, +Lautrec lampa toutes les boissons spiritueuses connues. Certainement, il +ne les citait pas par ouï-dire, car il en parlait trop bien. Et alors +que je m'en tenais, moi, à quelques formules de cocktails, il réclamait +tous les spiritueux indistinctement et à forte dose, comme l'essence qui +devait alimenter son organisme contrefait et génial. Mis, après ces +brûlantes ingestions, en présence d'une fille, dans un bal public, au +théâtre ou au concert, c'était souvent un chef-d'œuvre qu'il +exécutait le soir même ou le lendemain, pour la longue suite des +merveilleuses œuvres qu'il nous a laissées.</p> + +<p>Et quel public il flairait là!</p> + +<p><span class="pagenum"><a name="Page_51" id="Page_51">51</a></span></p> + +<p>Bars de la rue d'Amsterdam, des Champs-Élysées, de l'avenue Montaigne, +bar Achille, rue Scribe, ou Irish and american bar, rue Royale, dans vos +roboratives salles, il rencontrait des hommes de cheval avec des petits +chiens rageurs, des chanteuses de beuglants à la face en biais, mal +embouchées et vives; et tout cela s'agitait, gueulait, buvait, fumait; +tandis qu'un nègre gigoteur jouait du banjo, et que, toujours mûres, +soûles, d'autres filles, des épaves, en piquant des crises, se +dégrafaient et vidaient leur vessie.</p> + +<p>En s'hallucinant, cela devenait plus aisément londonien qu'à Londres, +évoquait mieux, dans la fumée des courtes pipes et des gros cigares, +quelque coin de taverne: <i>Au hérisson d'or</i>, autour d'Epsom ou de +Newmarket.</p> + +<p>Pour Lautrec, ces coins-là mettaient vite sa tête en folie. Il humait le +violent parfum de ce milieu rude, imprégné d'alcool et de peau de grand +air, la peau de ces hommes qui vivent dans les bois, sur les pistes et +dans les allées d'entraînement. Entrer là, s'asseoir, renifler, et boire +doucement une multicolore liqueur, à <span class="pagenum"><a name="Page_52" id="Page_52">52</a></span> nom de saloon britannique, +quel régal pour Lautrec, qui, parlant anglais, était surexcité par les +syllabes londoniennes, ces syllabes tellement sportives et comme +incluses dans ces liqueurs qu'il aimait et qu'il avalait sans souci de +péril!</p> + +<p>Longtemps, nous fûmes ainsi, Lautrec et moi, les clients d'un petit bar, +gîté dans les entours des Folies-Bergère. De onze heures à deux heures +du matin, il s'y tenait réunion d'acrobates et de filles, et, au moment +des luttes, tous les lutteurs s'y retrouvaient, même ceux qui ne +paraissaient point sur la scène de la rue Richer. Raoul le Boucher, +resté gosse, y taquinait les Turcs; et il était la bête noire de Nourlah +le colosse. Paul Pons n'y faisait que de rares apparitions; mais tous +les autres y figuraient: Laurent le Beaucairois, Eberlé, Constant le +Boucher, Vervet, beaucoup de moins notoires aussi qui écoutaient avec +recueillement, les prouesses des ténors de la ceinture.</p> + +<p>Au dernier instant, souvent quelques-uns se faisaient tirer l'oreille +pour aller au tapis,—dame! il faut vivre!—et Marchand envoyait <span class="pagenum"><a name="Page_53" id="Page_53">53</a></span> +ambassade sur ambassade, avec promesse de quelques louis en plus, pour +ramener sur le plateau les lutteurs que le public, à vif tapage, +réclamait.</p> + +<p>Chez Achille, Lautrec rencontrait des jockeys, ces petits +bonshommes-singes qu'il adorait, presque à peine plus grands que lui; +mais, eux, ils avaient des jambes! et il observait jusqu'à l'acuité la +plus tendue leurs amusantes carcasses de petits vieux. Parfois ces brefs +bonshommes étaient un peu boulots; ceux-là étaient les rageurs, se +privant, s'exténuant, ne mangeant pas, ayant même peur de boire pour ne +pas prendre les quelques kilos de graisse en trop pour les prochaines +courses. Et des filles les escortaient; des filles vautrées auprès +d'eux, auprès aussi des entraîneurs, ceux-là enfin libres de grossir; et +qui, rouges, congestionnés, buvaient, buvaient comme des lampes, et +fumaient comme des cheminées!</p> + +<p>C'étaient là les vrais bars, les seuls où, dans la verve de +conversations sportives, il soit vraiment agréable de manger un +irish-stew ou un hot roast-beef, posé sur une table ronde qui <span class="pagenum"><a name="Page_54" id="Page_54">54</a></span> +fleure bon, au pied du comptoir, où des garçons, d'un geste précis, +manœuvrent des pompes à bière, ou, à petits coups secs, battent +l'essence forte et apéritive d'un précieux John Walker!</p> + +<p>De ces bars, Lautrec, étourdi, gagnait les maisons closes.</p> + +<p>Là, il se replongeait dans un autre élément propice. Il aimait la Femme; +mais il aimait aussi l'atmosphère du lieu, le calme assourdi, le repos +au creux des profonds divans. Goûtant encore ici les heures si diverses, +les bavardages des crapaudes, il retrouvait une intimité qui n'existait +pour lui nulle part ailleurs, tellement son aspect physique glaçait! Et +de se sentir si bien en confiance, il était joyeux, bavard, il +chantonnait une scie du jour. J'avoue que les filles, soit rue des +Moulins, soit rue d'Amboise, ou dans toute autre maison, ne se +montraient pas méchantes gales pour ce bon garçon qui les caressait de +tendresses certaines; car, aux fêtes, aux anniversaires de chacune de +ces gotons, des bouquets, des pâtisseries, <i>ses</i> cadeaux, affluaient; et +s'il lui arrivait de présider, dans <span class="pagenum"><a name="Page_55" id="Page_55">55</a></span> ces chaudes maisons, un dîner +de gala, je vous assure qu'il tenait son rôle avec une distinction et +une cordialité qui ravissaient toutes les garces. Enfin, attiré là par +son désir de les peindre, n'était-ce pas le meilleur moyen de les bien +connaître, et d'aboutir à des tableaux qui apparaissent autres que des +rengaines et des redites de banalités?</p> + +<p>Il apprit à voir marcher les femmes, à les voir presque aussi +naturelles, et aussi candidement femelles qu'elles apparurent à Gauguin +à Tahiti.</p> + +<p>Lautrec, ne se décidant pas à aller au Japon, où des quartiers avec +jardins sont réservés aux courtisanes et où tout le monde les peut +examiner à l'aise, il n'y a vraiment nul grief à dresser contre sa +mémoire, parce que ce peintre a voulu observer les filles de Paris à +toutes les heures, dans une sorte de caserne ou plutôt de couvent, où +tout un tableau de travail est réglé d'avance; et où maîtresse et +sous-maîtresse font évoluer avec méthode et discipline tout un bataillon +de catiches pas des plus amènes. Là, il a pu, en toute liberté et en +toute sincérité, <span class="pagenum"><a name="Page_56" id="Page_56">56</a></span> ce qui est la vraie dernière chose, réaliser des +tableaux de mœurs étonnamment divers et vivants, dont la synthèse eût +pu, un jour, peut-être, avec le concours d'une vie plus longue, +constituer un considérable document pour les mœurs d'aujourd'hui et +d'hier, pour les mœurs, à bien dire, de toujours; et qui, grâce à +Lautrec et à son goût intransigeant de la vérité, offrent, même ainsi +tronquées, d'éloquentes manifestations du bien ou du mal, comme il vous +plaira à vous de l'entendre!</p> + +<p>Souvent, quand on arrivait dans l'atelier de Lautrec, on voyait des +filles de ces maisons. Elles étaient en visite; et il s'amusait de les +recevoir. Sachez, du reste, qu'il n'était pas plus grossier que les +autres hommes. Ces maisons, c'était vraiment pour lui une famille! Oui, +Lautrec étant un tendre, elles étaient, pour lui, ces filles, des sortes +de déshéritées, elles aussi. Elles n'avaient pas choisi plus que cela +leur genre de vie. D'ailleurs, choisit-on sa vie? Elles avaient même +parfois d'étonnantes candeurs, des jalousies baroques. On ne comprenait +pas pourquoi elles pleuraient, sans raison apparente, sans cause <span class="pagenum"><a name="Page_57" id="Page_57">57</a></span> +déclarée. L'une de ces femmes n'avait-elle pas défendu à Lautrec +d'amener dans la maison où elle se trouvait son ami le sculpteur C.., +qu'elle chérissait, et à qui elle ne voulait pas se montrer en putain +soumise? Et Lautrec était pris par beaucoup de ces choses-là, assez +inattendues sans doute, et qualifiées plus certainement encore de +grotesques par les gens dits honnêtes qui trouvent très bien, quand ça +leur plaît, de les souiller, ces filles, au commandement!</p> + +<div class="figcenter" style="width: 350px;"><a name="page-057" id="page-057"></a> +<img src="images/page-057.jpg" alt="" title="" width="350" height="424" /> +<p class="caption1">PHOTO DRUET</p> +<p class="caption2">FILLE AU CARACO</p></div> + +<hr class="small" /> + +<h4>DES SOUVENIRS SUR LA VIE</h4><p><span class="pagenum"><a name="Page_59" id="Page_59">59</a></span></p> + +<h2>III</h2> + +<h3>Voyages</h3> + +<h3>La Mer</h3> + +<h2><a name="ch7" id="ch7"></a>VOYAGES</h2><p><span class="pagenum"><a name="Page_61" id="Page_61">61</a></span></p> + +<p>Avec un homme comme Lautrec, il ne faut pas s'attendre à lire sous ce +titre: <i>Voyages</i>, des descriptions de tours du Monde ou même de simples +traversées de l'Atlantique. Pays touchant la France ou coins d'extrême +banlieue, non très loin cependant de Paris, voilà tout ce que Lautrec +entreprit de visiter; et c'est ainsi que, les premières années qui +suivirent sa sortie de l'atelier Cormon, il alla simplement plusieurs +fois à Villiers-sur-Morin, où habitaient quelques-uns de ses anciens +camarades.</p> + +<p>Il revit là les peintres Grenier, Claudon; et ce fut, je crois, en 1887, +qu'il y peignit le petit portrait de son ami Grenier, qui est +aujourd'hui dans la collection Pierre Decourcelle. Plus tard il peignit +aussi un portrait de M<sup>me</sup> Lily Grenier, <span class="pagenum"><a name="Page_62" id="Page_62">62</a></span> portrait pas très beau, +assurément, et qui est presque un Roybet.</p> + +<p>Ce court voyage de Lautrec à Villiers, et ses brefs déplacements à +Etrépagny, où il alla rejoindre deux années de suite son autre ami le +peintre Anquetin, afin de chasser, en sa compagnie, les jeunes corbeaux, +tout cela, ce ne sont que des excursions, pourrait-on dire, qui, au +surplus, le fatiguaient vite; car la campagne bucolique ne pouvait guère +séduire ce monomane du Moulin-Rouge et du Café de la place Blanche. Vous +ne voyez pas, en effet, Lautrec regardant des champs ou des arbres, +tandis que s'offrent à ses yeux des visions de la Goulue se cabrant, de +Jane Avril tournoyant ou de Valentin pinçant un cavalier seul, dans le +tonnerre des cuivres!</p> + +<p>Pourtant, Lautrec accomplit de plus sérieux voyages en Angleterre, en +Espagne, en Belgique et en Hollande; mais il ne pénétra point en Italie. +Fort heureusement, peut-être; car, visiteur du sud de la botte, quelle +impossibilité pour lui de revenir de Naples,—de Naples, la chaude et +franche ville salope!</p> + +<p>Il fut à Bruxelles, aussi, pour une exposition <span class="pagenum"><a name="Page_63" id="Page_63">63</a></span> de quelques-unes de +ses œuvres à la Libre Esthétique;—et, en Angleterre, pour une autre +exposition, au moment critique de la guerre anglo-boer.</p> + +<p>C'est avec son ami Maxime Dethomas, haut par la taille et haut par le +talent, qu'il visita une partie de la Hollande. Ils descendirent +l'Escaut en bateau. Amer voyage qui ne plut pas à Lautrec!</p> + +<p>D'Angleterre, il rapporta de nouvelles recettes de cocktails. Heureux +pays qu'il nous vanta à son retour, parce que l'alcoolisme y est très +considéré et même consacré par les lords!</p> + +<p>Il y a d'autant mieux étudié l'art de préparer les english and american +drinks. C'est le <i>doigté</i> surtout qui l'a ébloui. Ce n'est pas +seulement, en effet, le dosage qui importe, mais la manière de <i>faire le +précipité</i>; et cette opération chimique renouvelée de différentes +façons, lui a fait entrevoir un «monde de sensations» pour l'odorat et +pour le goût. Devant tous les mélanges possibles il resta un moment, +assurément, stupéfait et inquiet. Il se mit tout de même de bon cœur +à la besogne; et, bientôt, il réussit à merveille <span class="pagenum"><a name="Page_64" id="Page_64">64</a></span> toute la gamme +des short drinks et des long drinks.</p> + +<p>De ses deux voyages en Espagne, le premier tourné avec son ami Maurice +Guibert, il rapporta d'autres vives observations puisées cette fois aux +maisons closes. Car, on se doute bien que, s'il s'est enthousiasmé pour +Goya à Madrid et pour le Greco à Tolède, il n'a point manqué de fêter +les filles de toutes les chaudes rues de l'Espagne.</p> + +<p>La célèbre lithographie en couleurs qu'il intitulera: <i>La passagère du +54</i>, et qui représente une jeune femme de profil, sur un bateau, sous +une tente, est un souvenir réalisé de ce voyage-là.</p> + +<p>Mais, surtout il n'oubliera plus jamais les œuvres du Greco et de +Goya.</p> + +<p>Cette fois, il a <i>vu</i> Goya!... Et il exprime toute sa frénétique +admiration pour cet hallucinant visionnaire des plus violentes +sensations picturales. Et quel inventeur de l'art moderne! C'est lui qui +a déchaîné toutes les fantaisies et tous les concepts. Dans le rêve, il +est allé au delà de toute audace; il a créé des monstres <span class="pagenum"><a name="Page_65" id="Page_65">65</a></span> +parfaitement organisés; il a, dans tous les cauchemars et dans toutes +les angoisses, exprimé l'inexprimable, se servant d'un étrange dessin et +d'une rare sobriété de couleurs. Enfin, il a marqué de sa puissante +griffe tous les peintres qui sont venus et qui viendront après lui, pour +représenter l'effroi et la désolation du Monde!</p> + +<div class="figcenter" style="width: 350px;"><a name="page-065" id="page-065"></a> +<img src="images/page-065.jpg" alt="" title="" width="350" height="449" /> +<p class="caption1">PHOTO DRUET</p> +<p class="caption2">PORTRAIT DE M<sup>me</sup> SUZANNE V.</p></div> + +<p>A Tolède, Lautrec a vu aussi le Greco, et surtout le somptueux et +miraculeux <i>Enterrement du Comte D'Orgaz</i>. Rentré à Paris, il dira à son +ami Romain Coolus, qu'il a également connu à la <i>Revue blanche</i>: «Je +vais te faire ton portrait à la manière du Greco!»</p> + +<p>Le portrait, on le sait, fut peint; mais, heureusement, à la manière de +Lautrec.</p> + +<hr class="tiny" /> + +<h2><a name="ch8" id="ch8"></a>LA MER</h2><p><span class="pagenum"><a name="Page_66" id="Page_66">66</a></span></p> + +<p>Accompagnant encore son ami Maxime Dethomas, Lautrec alla une année à +Dinard, puis à Granville.</p> + +<p>Pour ce voyage, il prit son costume de capitaine de la marine marchande, +avec la casquette plate, toujours sans galon. Et il était joyeux, +confiant, pour le défendre des sarcasmes de la foule, en son ami le +«géant» Dethomas; Dethomas ou <i>Gronarbre</i>, ainsi il le surnommait, +Brasseur ayant nasillé ce mot-là, un soir, dans une revue jouée au +théâtre des Variétés.</p> + +<p>Il existe peu de «marines» de Lautrec. Il adorait seulement la mer pour +s'y baigner, et pour ce vrai prétexte: être nu. Il demandait qu'on le +photographiât ainsi. «Je fais le lion!» <span class="pagenum"><a name="Page_67" id="Page_67">67</a></span> disait-il, sans se soucier +de ce que la plaque pouvait enregistrer.</p> + +<p>Pour le reste, les longues excursions le fatiguaient. Il fallait avec +lui se désintéresser des curiosités signalées par les guides. Les +spectacles de table d'hôte lui suffisaient. A une bonne qui servait, son +tablier pavoisé de taches d'encre, il jeta, un jour: «Attention, ma +fille, vous avez vos règles en noir!» et les convives pouffant de rire, +cela l'égaya.</p> + +<p>Si cordial et si boute-en-train, nous a dit souvent Dethomas, était +Lautrec quand il oubliait un instant la tenace tristesse de sa vie: sa +courte stature. Et son art de peindre avec un mot! En province, par +exemple, se rencontrait-il avec des gens chic, il disait, en boutonnant +des gants imaginaires: «Dans le monde!». Une autre fois, comme venu pour +une inauguration et passant sa bretelle rouge en travers de sa chemise: +«Carnot!» faisait-il. Et au théâtre, enfin, lui arrivait-il de +s'endormir sur l'épaule de son voisin, et celui-ci le secouant: «La vie +de château!» disait Lautrec, très doux.</p> + +<p><span class="pagenum"><a name="Page_68" id="Page_68">68</a></span></p> + +<p>La mer! Soit! mais Arcachon et surtout Taussat restaient ses +villégiatures préférées.</p> + +<p>A dire vrai, enfant, on l'avait promené à travers ces paysages de pins +et de villas. Dans cette baie d'Arcachon, qui sépare les deux pays: +Taussat et Arcachon, il avait aussi «navigué», comme un vrai marin. Et, +au fond d'une voiture, traînée par un poney, il était allé quelquefois +de Taussat à Arcachon, et retour, en faisant le long voyage, par la +route. Il aimait les pins odoriférants, les ajoncs jaunes et les +bruyères roses. Il s'amusait des cigales qui, au creux de ces bois de +pins, grincent éperdument tout l'été. Et, en semaine, quand il n'avait +pas à craindre le flux des Bordelais qui, après avoir passé le pantalon +de flanelle rouge, à l'instar des parqueuses d'huîtres, arrivent tous à +la baie, le samedi pour le dimanche, il venait à Arcachon dans son +costume de marin. Aux baraques, il gobait des huîtres en les arrosant de +vin blanc; et, souvent, il accompagnait les pêcheurs de sardines, qui, +dans leurs pinasses, allaient pêcher le «royan d'Arcachon». Il ne +manquait pas aussi les régates de bateaux à voiles; <span class="pagenum"><a name="Page_69" id="Page_69">69</a></span> et, d'autres +fois, il s'allait reposer dans les Dunes et au Parc des Abatilles. Mais +trop fréquemment toutes les villas, tous ces chalets, toutes ces villas +Marguerite, Sigurd, Carmen, Montaigne et Flora, l'attristaient, parce +que dans la plupart de ces maisonnettes découpées, vernissées, aux toits +rouges de tuiles, et cachées dans les pins et dans les fleurs, des +jeunes femmes, rieuses, jolies, chantaient, ou escortaient de beaux +jeunes hommes, aux longues jambes! et, lui, il n'osait même pas, aux +heures des bains, s'aventurer sur la plage d'Arcachon. Il n'osait pas +davantage chevaucher les petits ânes gris qui se tenaient là, pour les +excursions à la côte de Moulleau ou, en forêt, sur la route de la +Laiterie. Il revenait sans cesse à dire ceci: qu'il se faisait l'effet +d'être le pauvre apôtre saint Simon qu'on voit, un peu goguenard et tête +penchée, et surtout si courtaud, dans une niche de la cathédrale +Sainte-Cécile, à Albi.</p> + +<p>Heureusement, Taussat était plus désert, réservé aux Bordelais +tranquilles; et là, il était connu de tout le monde.</p> + +<p>Alors, il passait les mois de juillet et d'août, <span class="pagenum"><a name="Page_70" id="Page_70">70</a></span> et quelquefois +tout le mois de septembre à ce tutélaire Taussat. Il vivait toutes ses +après-midi dans l'eau: et, régulièrement, il écrivait à son ami le +sculpteur Carabin, aujourd'hui le vrai directeur, en sa vraie place, de +l'École des Arts décoratifs à Strasbourg;—et, en lui envoyant des +couples de mantes religieuses, ces étranges insectes, sorte de lutteurs +à longs bras et qui ont toujours l'air de prier: «Garde-les bien! lui +disait-il, nous organiserons à mon retour à Paris des combats de ces +bêtes-là; ce sera un triomphe!»</p> + +<p>Son autre passion à Taussat, c'était d'apprivoiser des cormorans. Il se +faisait souvent <ins class="correction" title="accomgner">accompagner</ins> de l'un de ces palmipèdes; et tous deux, ils +rôdaient au bord de l'eau, doucement, en se dandinant.</p> + +<p>Lautrec variait ses plaisirs d'été en se déguisant, en organisant des +fêtes orientales; et, tel un muezzin, il montait à la dernière fenêtre +de sa villa, pour appeler les fidèles à la prière.</p> + +<p>Il vivait là en profonde intimité avec son ami Viaud, qu'il représentera +plus tard en amiral de fantaisie.</p> + +<p><span class="pagenum"><a name="Page_71" id="Page_71">71</a></span></p> + +<p>Venant de Paris pour ces vacances, il s'arrêtait naturellement à +Bordeaux. Et il se divertissait chaque fois à regarder les gandins des +Allées de Tourny et du Cours de l'Intendance; ces touchants gandins +bordelais qui, pour s'étonner eux-mêmes, se condamnent à parader, en +donnant des coups de derrière, le dos creusé, les pieds entourés de +guêtres claires, et les mains emprisonnées dans des gants beurre frais, +dont le crispin retombe, d'un air si benêt, sur les doigts!</p> + +<p>Lautrec faisait de longues pauses au café de Bordeaux, sur la place de +la Comédie; et il sera noté plus loin les titres de quelques dessins +qu'il y réalisa.</p> + +<p>Lautrec le commodore! Oui, il allait redevenir le commodore, comme il +disait, et reprendre lui aussi le pantalon de flanelle rouge, le fameux +pantalon de flanelle rouge retroussé aux genoux, le petit jersey bleu, +et la casquette d'officier de marine.</p> + +<p>Enfin, pour ne rien changer, dans la mesure du possible, à ses +habitudes, il arriva souvent à Lautrec de descendre, en arrivant à +Bordeaux, <span class="pagenum"><a name="Page_72" id="Page_72">72</a></span> dans une maison publique de la rue de Pessac. Il «se +retrempait» là, ainsi qu'il aimait à le répéter, en famille; et surtout +il retrouvait là aussi, tout de suite, et avec quelle joie, <i>l'accent</i>! +ce précieux accent bordelais si difficile à définir et qu'il faut +entendre; et, dans lequel, comme dans une recette culinaire, il entre de +la cocasserie, de la prétention et beaucoup de sottise!</p> + +<hr class="small" /> + +<h4>DES SOUVENIRS SUR LA VIE</h4><p><span class="pagenum"><a name="Page_73" id="Page_73">73</a></span></p> + +<h2>IV</h2> + +<h3>Ses Logis</h3> + +<h3>Saint-James</h3> + +<h3>1900</h3> + +<h3>Malromé</h3> + +<h2><a name="ch9" id="ch9"></a>SES LOGIS</h2><p><span class="pagenum"><a name="Page_75" id="Page_75">75</a></span></p> + +<p>A tout bien considérer, il est peut-être intéressant d'indiquer les +successifs logis d'un homme notoire, ne serait-ce que pour permettre à +la puérile Postérité d'apposer sur une des maisons qu'il habita, une +plaque dite commémorative de naissance ou de séjour du grand homme.</p> + +<p>Quand Lautrec prit son premier atelier, seulement pour y travailler, à +l'angle des rues Tourlaque et Caulaincourt, vers l'année 1887, il +s'installa avec son ami le Docteur Bourges, au n<sup>o</sup> 19 de la rue +Fontaine. Mais il continua de dîner souvent avec sa mère, qui ne +s'éloignait de Paris que pendant l'été.</p> + +<p>De 1887 à 1891, Lautrec demeura ainsi avec le Docteur Bourges, le +célèbre <i>Bi</i>, comme il <span class="pagenum"><a name="Page_76" id="Page_76">76</a></span> l'avait surnommé; et de 1891 à la fin de +1893, tous deux allèrent habiter à côté, au n<sup>o</sup> 21 de la même rue. Le +Docteur Bourges faisait alors son internat dans les hôpitaux et ses +premières recherches de laboratoire. Peut-être, Lautrec et lui, si unis, +ne se fussent-ils jamais séparés, mais le Docteur Bourges se maria au +début de l'année 1894. Du coup, tous deux, ils cessèrent aussi de voir +fréquemment leurs amis qui les venaient voir quand ils demeuraient +ensemble. Ces amis, c'étaient les peintres Henri Rachou et Anquetin, +l'ingénieur Robin-Langlois et les Docteurs Dupré, Mosny, Wurtz et +Caussade, et enfin M. Gabriel Tapié de Celeyran, alors interne chez Péan +le théâtral, à l'hôpital international, sis rue de la Santé; M. Tapié de +Celeyran, autre cousin germain de Lautrec, et aussi long et aussi mince +que, lui, Lautrec, était court et gros. M. Gabriel Tapié de Celeyran, +très reconnaissable, est représenté dans beaucoup de tableaux peints par +Lautrec et dans un non moins grand nombre de ses lithographies.</p> + +<p>Ah! ce premier atelier de la rue Tourlaque! Comme il était encombré de +choses si hétéroclites! <span class="pagenum"><a name="Page_77" id="Page_77">77</a></span> car Lautrec s'intéressait à tout: aux +peintures de ses amis, à des faïences persanes, à des cages, etc., etc.; +mais cependant, il était impossible de ne point voir, d'abord dans le +fond de l'atelier, un comptoir de bar, sur lequel Lautrec aimait à +préparer des cocktails pour lui-même et pour ses amis en visite. Car, +avec lui, il fallait boire, et boire solidement. Alors, seulement, il +vous estimait.</p> + +<p>Préparer ses cocktails! Assurément, s'il avait eu en sa possession des +cocktails tout faits, sa joie aurait été moindre. Couper des lamelles de +citron, doser des essences et des alcools, piler de la glace, agiter le +tout dans des gobelets, c'était pour Lautrec un total contentement; et +il s'y appliquait avec une vive curiosité, inventant d'inédites +recettes, dont, nouveau Borgia, il essayait l'effet sur ses amis. Et, +comme il exultait, quand, pour le féliciter on claquait, à plusieurs +reprises, de la langue! Et quelle fut sa joie, cette soirée, ou plutôt +cette nuit, chez M. Thadée Natanson, où il enivra ainsi, à les coucher, +ses amis Félix Fénéon, Tristan-Bernard, Romain Coolus, Maxime Dethomas +et Francis <span class="pagenum"><a name="Page_78" id="Page_78">78</a></span> Jourdain; lui, allant et venant, tout fier dans sa +courte veste blanche de barman!</p> + +<p>Il recevait souvent aussi ses amis chez le photographe Sescau, installé, +à cette époque, place Pigalle; et, un soir, les ayant invités à manger +du kanguroo, un simple agneau auquel on avait ajouté une queue de +bœuf, il jeta, pour qu'on ne bût pas d'eau, des poissons rouges dans +toutes les carafes.</p> + +<p>Lautrec prenait un vif plaisir à organiser ces dîners, à distribuer des +rôles. Il voyait la vie comme une vaste pantomime anglaise, avec chaque +individu, chaque accessoire à sa place.</p> + +<p>D'abord, il se divertissait à dessiner les menus: un croquis preste ou +une composition qui tenait tout un côté de la page.</p> + +<p>Tantôt, c'était un cheval de bois pour un menu Sylvain; tantôt le +portrait de Sescau armé d'un tambourin, pour un dîner, rue Rodier; ou le +portrait de Mlle Renée Vert, la modiste, à l'occasion d'un dîner des +Indépendants; ou bien un croquis de souris, pour un déjeuner chez la +divette Miss May Belfort, rue Clapeyron; etc., etc.</p> + +<p><span class="pagenum"><a name="Page_79" id="Page_79">79</a></span></p> + +<p>En 1897, Lautrec transporta son atelier dans l'avenue Frochot, une +impasse bordée de petits pavillons et de jardinets. Mais il habita cette +fois, rue de Douai, avec sa mère venue près de lui pour le soigner; car +il commençait de se déséquilibrer. C'est là, par exemple, qu'un soir, +dans la peur des microbes, il inonda de pétrole tout l'appartement. +L'alcool, à forte dose, activant la virulence d'une grave maladie +constitutionnelle, était cause de tout.</p> + +<p>Lautrec conserva cet atelier jusqu'à sa mort.</p> + +<hr class="tiny" /> + +<h2><a name="ch10" id="ch10"></a>SAINT-JAMES</h2><p><span class="pagenum"><a name="Page_80" id="Page_80">80</a></span></p> + +<p>«Quelle maladie est comparable à l'alcool!», c'est le cri d'Edgar Poë, +mourant de génie et d'ivresse, dans une rue de Baltimore, devant le +hideux et abject mercantilisme des Américains.</p> + +<p>Or, Lautrec a fait la dure expérience de cette parole. Il a renouvelé +ses excentricités. Il a tant usé de spiritueux; il a si peu préservé +d'autre part son pauvre corps que des hallucinations l'assaillent. Il +parle, entre autres choses, des rafles qu'il a faites en compagnie de sa +chienne Paméla et du commissaire de police de son quartier, prenant un +gardien qu'on lui a donné pour ce fonctionnaire. Alors, pour lui assurer +un repos et un changement de milieu nécessaires, il est question de +l'envoyer au Japon, son <span class="pagenum"><a name="Page_81" id="Page_81">81</a></span> vif désir d'autrefois. Sur ces +entrefaites, croyant qu'il a à se plaindre du marchand de tableaux +Durand-Ruel, Lautrec se place rue Laffitte, devant la porte de cette +galerie, et, déguisé en mendiant, il ameute la rue contre le marchand. +Il faut agir. Deux personnes de la famille de Lautrec se décident à le +placer dans une maison de santé. Le père aurait dû venir s'occuper du +malade, mais il chassait; et il demanda, lui, qu'on envoyât simplement +son fils en Angleterre, où l'ivrognerie passe inaperçue, et y est même +fort honorée, puisque, là, ajoutait-t-il, tous les nobles s'alcoolisent.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 350px;"><a name="page-081" id="page-081"></a> +<img src="images/page-081.jpg" alt="" title="" width="350" height="502" /> +<p class="caption1">PHOTO DRUET</p> +<p class="caption2">AU MOULIN-ROUGE</p></div> + +<p>Ce fut en l'hiver de 1899 que Lautrec entra dans la maison de santé du +docteur Semelaigne, à Saint-James, près Neuilly.</p> + +<p>Vrai séjour datant du <span class="smcap">xviii</span><sup>e</sup> siècle; mais séjour un peu vétuste. Petits +temples à l'Amour. Canal à sec allant à la Seine, autrefois servant sans +doute aux embarquements pour Cythère, plis Watteau et robes à paniers.</p> + +<p>Tout de suite, Lautrec se rendit parfaitement compte du lieu où il se +trouvait; et, devant ses amis Dethomas et Carabin, qui le visitèrent, +<span class="pagenum"><a name="Page_82" id="Page_82">82</a></span> il plaisanta, disant qu'il était à Saint-James plage; et même il ne +cessa de leur réclamer de l'alcool dans une bouteille plate.</p> + +<p>Son goût du travail ici accomplit un nouveau miracle. Avec une plume de +bécasse, ramassée dans la cour, il se mit à dessiner un cheval; et, +ayant obtenu un crayon et du papier, il composa de mémoire toute la +suite de dessins aux crayons de couleur que Manzi éditera plus tard sous +ce titre: <i>Au cirque</i>. Admirables dessins dont nous parlerons plus loin.</p> + +<p>Durant deux mois, Lautrec resta à Saint-James. Il en sortit, apaisé, +ardent à travailler. On le retrouva d'abord spirituel, dispos; mais, +soudainement, avec l'alcool de nouveau ingéré à forte dose, de +singuliers goûts de bohème éclatèrent et s'aggravèrent. Lautrec devint +tout d'un coup plus libre en ses propos et plus dur; et quelques anciens +familiers, niaisement déconcertés, alors, épouvantés, s'enfuirent.</p> + +<hr class="tiny" /> + +<h2><a name="ch11" id="ch11"></a>1900</h2><p><span class="pagenum"><a name="Page_83" id="Page_83">83</a></span></p> + +<p>Mais, la maladie, fouettée par l'alcool, poursuit, inexorablement, son +œuvre. On ne voit plus maintenant Lautrec travailler avec autant +d'entrain qu'autrefois.</p> + +<p>On lui a recommandé une espèce de culture physique, qui n'est guère +louable pour sa débilité corporelle.</p> + +<p>Aux cinq à sept des cafés de Montmartre, qu'il a tant fréquentés, on se +raconte ses nouvelles excentricités et les prouesses athlétiques qu'il +s'efforce d'accomplir. On a installé ainsi, dans son atelier, une sorte +de caisse, un bateau mécanique, dans lequel il s'assoit et rame. Lui, il +trouve cela extraordinaire d'invention; et, surexcité, il prend même des +bains dans une façon de cratère formé par un tombereau de sable.</p> + +<p><span class="pagenum"><a name="Page_84" id="Page_84">84</a></span></p> + +<p>Il ne va plus au Moulin. Il se traîne seulement quelquefois en voiture +jusqu'à la taverne Weber, rue Royale.</p> + +<p>Cependant, de l'avenue Frochot, il adresse à certains camarades un +dernier menu: une invitation «à une tasse de lait»; une lithographie qui +le représente en picador, auprès d'une vache qui doit figurer sur une +petite pelouse, au bas de son atelier. Et il croit encore pouvoir +travailler.</p> + +<p>Les panneaux de bois le tentent. Il a acheté, pour les gratter et les +poncer, des râcloirs d'acier et des peaux. On le trouve parfois +s'époumonnant à cet exercice; et il répète, en vous montrant son +ouvrage, son éternel: «C'est merveilleux, hein?»</p> + +<p>Il profite des fauteuils qu'on roule à l'Exposition universelle pour la +visiter.</p> + +<p>Il a gardé son vif amour des Japonais; et il se ranime quand il aperçoit +les pelouses vertes, les pagodes aux toits recourbés et tapissés +d'écailles, et les servantes à la taille gonflée par le monumental +nœud de la ceinture. Puis, c'est Kawakami, installé chez la Loïe +Fuller, une de ses anciennes admirations; Kawakami, et cette <span class="pagenum"><a name="Page_85" id="Page_85">85</a></span> Sada +Yacco, si fragile, si douloureuse, que l'on vient de lancer; cette Sada +Yacco dont la théâtrale agonie angoisse d'une façon vraiment si +inédite,—à en juger par les pâleurs d'envie de toutes les femmes de +théâtre accourues là, en foule.</p> + +<p>Lautrec veut revoir aussi sa Goulue, qui parade à la fête de Montmartre, +dans la baraque de Juliano. La vedette du chahut devenue dompteuse! Il +n'en éprouve aucune joie. C'est tout un temps bien révolu.</p> + +<p>Surtout, il n'a plus d'illusion. Il traîne à présent sa vie comme un +long suicide; et il détaille sa maladie constitutionnelle avec un +sang-froid et un cynisme angoissants.</p> + +<hr class="tiny" /> + +<h2><a name="ch12" id="ch12"></a>MALROMÉ</h2><p><span class="pagenum"><a name="Page_86" id="Page_86">86</a></span></p> + +<p>Lautrec se trouvait au mois d'août de l'année 1901 à Taussat, quand il +fut frappé de paralysie, au moment où il se préparait à partir pour +Arcachon.</p> + +<p>Sa mère accourut, et l'emmena au château de Malromé.</p> + +<p>Dès lors, il ne sortit plus qu'en voiture, et avec la plus extrême +fatigue.</p> + +<p>Il se plaisait à Malromé. C'est un château important et de caractère. +Gentilhommière avec tours et tourelles, entourée d'une cinquantaine +d'hectares environ. Madame la Comtesse Alphonse de Toulouse-Lautrec +l'avait achetée naguère à la famille de Forcade.</p> + +<p>Les derniers jours, Lautrec ne mangea plus. Il voulait s'abuser: «J'ai +mangé, hein?» répétait-il. <span class="pagenum"><a name="Page_87" id="Page_87">87</a></span> On le portait à table dans un fauteuil.</p> + +<p>Il mourut, religieusement, le 9 septembre 1901, en pleine connaissance, +entouré de sa mère, de son père, de son cousin germain M. Louis Pascal, +de la mère de celui-ci, de son autre cousin germain M. Gabriel Tapié de +Celeyran et de son inséparable ami Viaud.</p> + +<p>Avant la mort de Lautrec, son père n'était venu qu'une seule fois à +Malromé.</p> + +<p>Pendant les derniers moments de son fils, il se signala encore par +quelques excentricités.</p> + +<p>Il voulut d'abord lui couper la barbe, sous prétexte que les Arabes +opèrent ainsi. On put à grand'peine l'en empêcher.</p> + +<p>Armé d'un élastique arraché à sa chaussure, il se mit alors à courir +après les mouches qui piquaient, affirmait-il, le moribond.</p> + +<p>La veille de l'enterrement, craignant pour les porteurs (on peut, en s'y +prenant mal, attraper une hernie!) ne voulut-il pas aussi que, sur ses +indications, on préparât un dessin explicatif destiné à montrer comment +on doit enlever un cercueil? mais cette sorte de macabre répétition +générale fut refusée.</p> + +<p><span class="pagenum"><a name="Page_88" id="Page_88">88</a></span></p> + +<p>Il déclara ensuite qu'il suivrait à cheval le corbillard, car il +souffrait de cors aux pieds. Et comme on refusait encore, il dit: «Soit! +je suivrai pieds nus!» Mais on lui opposa un nouveau refus. Enfin, le +matin même de la cérémonie, tandis que tout le monde n'attendait plus +que M. le comte pour partir, on monta dans sa chambre; et que vit-on? M. +de Toulouse-Lautrec tout nu et en train de se tailler lui-même les +cheveux!</p> + +<p>On enterra d'abord Lautrec à Saint-André du Bois; mais sa mère, +craignant que le cimetière de cette commune, dont dépend le château de +Malromé, ne fût déplacé pour des raisons de voirie, fit enlever peu +après le corps de son fils pour l'inhumer définitivement à Verdelais, +lieu de pélerinage célèbre dans toute la Gironde.</p> + +<p>Quand il apprit la mort de Lautrec, Tristan-Bernard dit ce mot si exact: +«Voilà Lautrec rendu au monde surnaturel; c'était un être si en dehors +de ce monde!»</p> + +<p>Le comte ne voulut pas de vente de tableaux. On les distribua en partie.</p> + +<hr class="small" /> + +<h2>DES COMMENTAIRES SUR L'ŒUVRE</h2><p><span class="pagenum"><a name="Page_89" id="Page_89">89</a></span></p> + +<h2>I</h2> + +<h3>Peintures, Premières Œuvres</h3> + +<h3>Le Moulin Rouge</h3> + +<h3>Filles</h3> + +<h2><a name="ch13" id="ch13"></a>PEINTURES.—PREMIÈRES ŒUVRES</h2><p><span class="pagenum"><a name="Page_91" id="Page_91">91</a></span></p> + +<p>Les premières œuvres de Lautrec furent, avons-nous noté, des chevaux, +des chiens, des buveurs, des artilleurs et des moines. L'influence +Princeteau, en tant que manière de dessiner et de peindre, fut, nous +l'avons également établi, nulle. Il y eut une plus certaine influence, +si vite effacée, de John-Lewis Brown, qui, lui, témoigna de quelques +brillantes qualités dans ses nombreux tableaux de chasses et de courses.</p> + +<p>Nous avons considéré avec curiosité ces premières œuvres, sauvées, de +Lautrec.</p> + +<p>Voici <i>La promenade</i>, qui date de 1881. Un cavalier dans une allée, sur +un gros cheval noir; un chien, qui n'est pas peint. Tableau tout à fait +à la manière de John-Lewis Brown.</p> + +<p><span class="pagenum"><a name="Page_92" id="Page_92">92</a></span></p> + +<p><i>Un buveur</i> (1882). Un ouvrier, peinture empâtée, quelconque.</p> + +<p>Voici des <i>Bœufs</i>. Une chose sans importance, comme une esquisse de +Troyon.</p> + +<p><i>Des moines</i>, encore quelconques. Des peintures et des aquarelles.</p> + +<p><i>Des Portraits d'hommes.</i> Un métier d'Ecole.</p> + +<p><i>Une Femme à la toilette.</i> Nue, sur un lit. C'est un tableau, cette +fois, à la manière d'Albert Besnard.</p> + +<p>En somme, les débuts de beaucoup d'autres seigneurs de la Peinture. Des +débuts, pouvait-on dire, sans promesses.</p> + +<p>D'ailleurs, qui ferait montre d'originalité à ce moment-là de la vie? Si +l'on est seul, oui, peut-être; car voici un magnifique exemple: Vincent +Van Gogh, un peintre aussi rare que les plus rares; qui, en sept années, +pas une de plus, débute avec du génie, pleinement, et meurt avec tout +son génie! Mais Lautrec avec Princeteau, avec John-Lewis Brown, avec +toutes les images vues, les images qui traînent dans les ateliers, il +n'oserait pas risquer quelque chose de lui-même. «Nourrisson!» disait +Princeteau. Oui, un <span class="pagenum"><a name="Page_93" id="Page_93">93</a></span> nourrisson qui tette un lait médiocre. Vincent +Van Gogh, lui, sans père nourricier, a mordu, tout de suite, en pleine +chair. Aussi, tout seul, il a réalisé son œuvre incomparable. Tout +seul, car il est resté à peine quelques mois, et si à l'écart, chez +Cormon. Pour Lautrec, il faut qu'il s'évade, s'étant lui-même +emprisonné; et ce n'est pas Princeteau, impuissant, qui peut l'aider à +se délivrer. Il faut que Lautrec imite d'abord, qu'il copie. C'est ainsi +que l'on devient, quelquefois, un maître. Et Lautrec, qui n'a que +Princeteau et Cormon pour le guider, tâtonnera et perdra du temps. Mais +la vie est là, derrière la porte de ces tristes ateliers; et Lautrec, +une fois sur la vie, la mangera et la boira, lui aussi goulûment; il +l'étreindra et il la violera.</p> + +<hr class="tiny" /> + +<h2><a name="ch14" id="ch14"></a>LE MOULIN-ROUGE</h2><p><span class="pagenum"><a name="Page_94" id="Page_94">94</a></span></p> + +<p>C'en est vite fait, du reste; Lautrec a renié Bonnat, Cormon, +c'est-à-dire tout le poncif, le niais, l'inutile, le néant.</p> + +<p>Il aime maintenant la vie, les lumières; il entre au Moulin-Rouge comme +au Paradis.</p> + +<p>Tout ce qui s'y passe, tout ce que l'on y voit, est à peindre. C'est un +domaine tout neuf où pas un vrai peintre n'a encore pénétré. Globes +lumineux, filles, drapeaux, danseurs, alcools et fumées, rut et ivresse, +tout est là, présent, en plein caractère, si inédit, si inattendu, si +irritant, que l'honnête femme même veut entrer, ici, une fois, «pour +voir ce qu'il y a là-dedans!»</p> + +<p>Les bals publics de ce temps-là! Ce bal du Moulin-Rouge, surtout, +aujourd'hui brûlé, disparu! <span class="pagenum"><a name="Page_95" id="Page_95">95</a></span> Lautrec en aimait tant les hôtes et il +admirait tellement la Danse!</p> + +<p>La Danse! Les danseuses! Soit que les jambes épileptiques halètent, +attachées par un fil au tronc qui se berce; soit que, plus sages, elles +marchent sous les jupes bien droites, c'est toute la musique qui les +mène, c'est tout le chef d'orchestre qui, de la pointe de son bâton, +excite les jambes, les apaise, décoche des coups secs qui cinglent les +jarrets, ou les fait s'arrondir très mous avec la lente virevolte des +basses.</p> + +<p>Il n'est pas besoin de les en prier, pour que les danseuses se mettent à +cette tâche d'apparaître avec leurs yeux clairs reculés par le bistre et +d'envoyer, par dessus les têtes, le vol clinquant de leurs jupes, en +corbeille.</p> + +<p>Au-dessous de la croupe qui ondule, en pointant la naissance du ventre, +les jambes se trémoussent dès la première note du quadrille dans la +halle, ornée de multicolores drapeaux et de gaz versicolores!—et ces +jambes qui, maîtresses du sexe, bâillent ou se referment, s'activent en +un mouvement d'automate en folie, ou faiblement fléchissent, on les voit +tout à coup, alors <span class="pagenum"><a name="Page_96" id="Page_96">96</a></span> que les têtes se renversent éperdues, trotter +menues, comme «sanglotantes», pour aller défaillir dans un accouplement +illusoire, aux sons d'une musique soûle, dans un décor très folâtre!</p> + +<p>Puis, bientôt, le haut du corps, pantin du rire, s'efface. Les grâces de +ces danseuses descendent aux jambes, aux cuisses larges, aux pieds +minces;—et sous les feux des globes, dans l'haleine chaude du cercle, +commence l'«émoi» fantaisiste du linge, la réjouissance des jambes qui +disparaissent dans des flots de dentelles et des remous de linon.</p> + +<p>Elles vont, elles viennent, amusantes à considérer dans leur mouvement +d'abord très doux, rythmique, sur le bassin-pivot, le rachis ployé en +arc; cela simule un appel aux caresses lentes, aux baisers qui +s'attardent en des amours de début, pendant que l'entre-deux de +l'hermétique pantalon fait accordéon; c'est, avec le sérieux enjoué de +la fille, la promesse d'une sentimentale tendresse, au bord d'un lac, le +soir; tandis que la rapide battue des jambes, soudainement, fait songer +à quelque coup de force, après des <span class="pagenum"><a name="Page_97" id="Page_97">97</a></span> saladiers de vin très cuisant, +où nageaient, ainsi que des yeux, des tranches de citrons.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 350px;"><a name="page-097" id="page-097"></a> +<img src="images/page-097.jpg" alt="" title="" width="350" height="423" /> +<p class="caption1">PHOTO DRUET</p> +<p class="caption2">LES VALSEUSES</p></div> + +<p>Mais rousses, blondes ou brunes, elles sont plus troublantes, les +danseuses, quand, les jupes baissées, elles espèrent le signal du chef +d'orchestre, perché sur son estrade ainsi qu'un singe. Leurs faces +blanches, saupoudrées de rouge et de bleu, leurs yeux luisants comme des +soleils et leurs nez aux évents qui renâclent, charment toujours certes; +mais ces jambes que l'on sait en folie et qui sont calmes, ces bras +inoccupés et que l'on devine fourrageurs, vous mesurent tout net la gêne +que l'on aurait à exaucer les érotiques prières de ces orageuses +trousse-jupes.</p> + +<p>A les regarder danser, on rit et l'on exulte,—et on les interpelle en +clameur. Mais aussi quelle angoisse communicative est la leur, et de +quel amer triomphe semblent-elles jouir! Quand elles se mettent en +branle placidement et le nez au vent, toutes les danseuses ont ces +dandinements de têtes, ces contorsions de ventres qui semblent secouer +un mâle accroché à la croupe; et la flamme qu'elles irradient, alimentée +sans relâche <span class="pagenum"><a name="Page_98" id="Page_98">98</a></span> par leurs yeux brûlants et leurs gorges blanches, +dansantes du convulsif roulis du rire, devient bientôt le feu de joie de +femmes lâchées en pleine ivresse, au milieu d'hommes qui les stimulent +et les fouaillent, jusqu'à ce que les ventres très las retombent +flasques, jusqu'à ce que l'orchestre s'arrête net sur un geste de son +chef.</p> + +<p>Il y a—ce qui est bon—une réelle émulation dans ces exercices spéciaux +de gymnastique,—en musique! Le public l'y encourageant, chaque fille a +la volonté de jouer plus absolument son rôle, de le composer avec le +plus d'ampleur possible. Cela explique les audaces et les obscénités de +la fin, quand la jupe se relève, montrant les fesses pavoisées de linge. +Et peut-on ne pas louer cette fille, à l'ardeur insolite, qui implore +cette couronne des bouches ricanantes, des yeux qu'elle allume, de tout +ce qu'elle appâte avec la pointe de son pied, avec la grâce triste de +son rire, avec—accompagnée par une violente tempête d'instruments—la +bordée de ses lazzis et de ses apostrophes à pleine voix?</p> + +<p>Cette remarque importe, au reste, que, dans un bal public, les femmes +ont toutes les raisons <span class="pagenum"><a name="Page_99" id="Page_99">99</a></span> de se croire chez elles. L'homme, au +contraire, est effacé, insignifiant, ou simplement bête. Pourtant +certains font parfois exception,—et on les rencontre le plus souvent +chez les commis aux dossiers et les ordonnateurs des pompes funèbres. +Alors, l'hilarité est doucement joviale. Ces derniers surtout semblent +baller sur de vagues têtes de morts. Ils ont, sur les autres danseurs, +cet avantage indéfectible de paraître toujours descendre de la +Courtille. Aux époques les plus graves de l'année, aux fêtes les plus +consacrées et les plus religieuses, ils demeurent eux seuls, au +Mardi-Gras ou à la Mi-Carême. Aussi ne semblent-ils pas équivoques quand +ils dansent; même ils ont le devoir de danser, étant créés dans ce but. +Les ordinaires tâches de la vie ne doivent pas les accaparer tout +entiers; ils doivent figurer au bal, le soir,—être ces acteurs +immuables qui sont l'âme d'une pièce.</p> + +<p>De même, les danseuses, les étoiles, n'ont de raison d'être qu'une +heure, le soir. Le jour, elles pourraient n'être plus; mais, le soir, +elles vivifient l'endormement d'une salle, elles incitent à <span class="pagenum"><a name="Page_100" id="Page_100">100</a></span> de plus +alertes musiques, elles attroupent les flâneurs qui tournent autour des +piliers, et, leur sacerdoce,—ce dont il faut les louer!—elles +l'accomplissent tout du long, fières de leur apostolat, n'ayant rien +négligé du décor et de la pompe du costume.</p> + +<p>Unanimement admirées, les étoiles sont encore les arbitres de la paix. +Quand elles dansent, le bal suspend sa vie de mots et de rires; et il +regarde.</p> + +<p>Se fendre en grand écart, marcher la pointe du pied à hauteur de +l'œil, c'est rude; mais cela devient de suite si aisé! Et les +tâtonnements sont si pleinement encouragés! Certaines figures de +quadrilles ont la verve endiablée et folle des grands bouleversements de +foules; et quand cela est rugi, clamé, bramé, pinçant les nerfs, +flagellant les mollets, la foule part tout entière, malgré elle, +s'élance, bondit, bat des entrechats, saute comme une théorie de +démoniaques, se démène, s'agite, activant par contre-coup la grosse +caisse qui perd la mesure, tirant du violon des sons de bastringue.</p> + +<p>Et, tout autour de ces danseuses, une exceptionnelle <span class="pagenum"><a name="Page_101" id="Page_101">101</a></span> foule formait +comme un fumier humain!</p> + +<p>Une brume flottait et noyait les visages, on ne voyait bientôt plus que +le blanc du linge. Des habitués, haletants, ne bougeaient pas: c'étaient +des rentiers du quartier, des gens de Courses et de Bourse, des forbans +de cafés. Tous les quadrilles avaient leur cercle de spectateurs. Et la +cage s'emplissait sans cesse, bientôt elle fumait. Quand on arrivait +là-dedans de sang-froid, on restait figé, les tempes moites. Des hiatus +de bouche bâillaient sous des toisons de moustaches; des narines +éclataient à force de humer les sexes; et l'on était imprégné d'odeurs +de latrines, de bas parfums de fards et de je ne sais quels relents +encore. C'était dévorant et c'était unique. Pour exprimer cela, +picturalement, on devinait la nécessité d'un peintre offrant un dessin +cruel et des couleurs de fosse. Lautrec apporta tout cela.</p> + +<p>Une de ses premières toiles faites d'après ce bal, ce fut le <i>Quadrille +au Moulin-Rouge</i>, que posséda Joseph Oller, et qui fut longtemps +accrochée à l'entrée du bal avec, <span class="pagenum"><a name="Page_102" id="Page_102">102</a></span> comme pendant, <i>L'écuyère au +Cirque Fernando</i>.</p> + +<p>Cette peinture, la photographie l'a vulgarisée. Elle est importante, +mais sèche, trop fortement dessinée. Le dessinateur aigu que sera +Lautrec pendant toute sa courte vie, l'emporte ici sur le peintre. Et, +grâce à cela, on peut voir l'amère et douloureuse précision du trait, +dont il ceinturera plus tard, avec plus de souplesse toutefois, les +faces et les attitudes. Mais, par cette toile, déjà il se précise que +Lautrec ne fera aucune concession au goût public: il ira au delà, s'il +le peut, de toute la bestialité et de toute la hideur humaines. Tant pis +si les visages sont laids, et les gestes crapuleux; le caractère en +premier lieu, le trait âpre et incisif qu'il prendra d'abord à Degas, +mais qu'il prendra ensuite à la vie et qu'il fera toujours plus mordant +et toujours plus animé. Et la couleur générale aussi sera acide et dure, +sans souplesse de passages de tons, sans glacis, sans émail; il n'y aura +que des hachures creusées à coups de griffe, comme des déchirures de +stylet, presque de la peinture de sadique, en tout cas bien de la +peinture de ce peintre qui me jetait un jour: «Ah! ces filles, <span class="pagenum"><a name="Page_103" id="Page_103">103</a></span> pour +les bien exprimer, je voudrais les peindre avec du f.....!»</p> + +<p>Que de tableaux, Lautrec réalisa dans ce bal du Moulin-Rouge, je veux +dire: à propos de ce bal! A le hanter, il en rapportait continuellement. +Voyez celui-ci, au hasard: <i>Les Valseuses</i>. La jolie fille jeune et la +mûre lesbienne qui a pour sa compagne des tendresses d'amant. Quel +expressif dessin, et d'une surprenante noblesse, et maintenant, c'est +fini, entièrement inédit! Ah! la fraîche gorge, et le regard clos qui la +convoite! Gibier du <i>Hanneton</i> et de la <i>Souris</i>!</p> + +<p>Rappelez-vous aussi <i>Jane Avril</i>, l'air vanné, avec sa face de rate +funèbre, levant sa jambe droite et se trémoussant, en savant équilibre, +sur la mince flûte de sa jambe gauche.</p> + +<p>Et le <i>Départ de quadrille</i>? La fille, plantée sur ses deux jambes, les +poings appuyant les jupes aux hanches. Ne repose-t-elle pas comme une +table se tient sur ses quatre pieds? Cette fille a le visage à la mal en +train; mais elle est solide, c'est un roc. Sans émoi, elle attend, pour +se jeter en branle, que le fracas de l'orchestre se déverse sur elle.</p> + +<p><span class="pagenum"><a name="Page_104" id="Page_104">104</a></span></p> + +<p>Voici la <i>Danse</i>, le papillon balourd que Lautrec a lâché sur le +parquet; grosse dondon en pantalon, qui pince son cavalier seul, en +esquissant un prétentieux vis-à-vis.</p> + +<p>Et tous les autres tableaux de danseurs et de danseuses: des filles +teignes, des danseurs, rats fouinards à melons plats; tous les +spectateurs et toutes les spectatrices aussi qu'il découvrit, qu'il +plaça, singuliers hannetons, dans une sorte de tourbillon de jambes, +dans une fumante et chaotique mêlée de fesses, dans un remous de gestes +épileptiques; et remuant des rires, des mots obscènes, de la sueur de +dessous de bras et de dessous de cuisses, du dégoût de bas remugles qui +se vident, qui montent en nuages bas et lourds et répugnants autour des +globes de cette salle de bal, qui, au résumé, apparaissait telle qu'une +gare soûle, en bois, au pays des Fjords!</p> + +<p>Mais tout cela qui était tout et qui eût compté tellement dans +l'œuvre d'un autre peintre! ce n'était rien, ce ne fut rien quand +Lautrec nous présenta, en coup de tonnerre, la Reine, l'Impératrice +arsouille, la Majesté de la gouape, <span class="pagenum"><a name="Page_105" id="Page_105">105</a></span> l'olympienne salauderie de +l'éclatante, de l'unique danseuse: la Goulue!</p> + +<div class="figcenter" style="width: 350px;"><a name="page-105" id="page-105"></a> +<img src="images/page-105.jpg" alt="" title="" width="350" height="480" /> +<p class="caption1">PHOTO DRUET</p> +<p class="caption2">LA GOULUE</p></div> + +<p>Ah! cette fois, Lautrec monta au sommet du caractère, au plus haut de +l'expression, à la plus magnifique plénitude, à la légendaire et +dominatrice intégralité d'un portrait vraiment historique!</p> + +<p>La Goulue! Voici, c'est cette fille en blanc, un léger bouquet piqué sur +ses seins, que deux amies accompagnent; cette fille de face, à la bouche +torve, au chignon droit, redressé en crête de rapace, ce petit ruban +noir autour du cou, ce visage désaxé, canaille et superbe!</p> + +<p>Elle est hautaine et impertinente, cette fille; elle est féroce, et elle +a l'œil éteint, endormi, des lourds oiseaux de proie. Elle est sèche, +busquée, terrible, énigmatique, inquiétante, et d'aspect funèbre. Ces +narines étroites se pincent, cette bouche avide se plisse, se redresse, +se tord en stigmates de méchanceté et de douleur. C'est au total, cette +danseuse, une idole et une martyre; une idole que tout le monde fête et +acclame; une martyre aussi qui nous présente la face la plus flétrie, la +plus battue, la plus desséchée, la <span class="pagenum"><a name="Page_106" id="Page_106">106</a></span> plus avaleuse de sanglots, la +plus coupée et recoupée, la plus éveillée et la plus endormie, la plus +prenante et la plus écartante, la plus cruelle et la plus candide, la +plus jeune et la plus vieille face qui soit au monde!... C'est un régal +qu'inventa Lautrec; une cuisine, si je puis ainsi dire, picturale, +belle, glorieuse et si invue, que c'est lui qui créa le type plastique, +cette Goulue, comme Shakespeare a créé Lady Macbeth, et Molière, +Célimène. Portrait historique! et c'est cela, pour l'instant, presque +une tare; car cela situe Lautrec dans une époque; mais, heureusement, il +lui reste, pour réapparaître, dans la suite des âges, un dessin acéré, +hautement personnel, racé et magnifique, qui le remettra tout vivant, +plus tard, dans le classement de l'Histoire.</p> + +<p>Un jour, quand la Goulue, impératrice lasse de la danse, abdiquera, non +pas pour se retirer dans un couvent, mais dans une baraque foraine, en +l'année 1895, Lautrec exécutera pour son idole deux vastes toiles, dont +l'une représentera <i>les Almées ou la Danse mauresque</i>; c'est-à-dire +Félix Fénéon, avec un complet à <span class="pagenum"><a name="Page_107" id="Page_107">107</a></span> carreaux et un petit chapeau +Dranem, MM. Tapié de Celeyran, Maurice Guibert et, au-dessus d'eux, +Sescau le photographe devenu pianiste; et tous regarderont la Goulue qui +lève la jambe, cependant que derrière elle, une almée frotte un +tambourin, à côté d'un nègre à turban qui, lui, tapote une peau d'âne. +Et, de son côté, la seconde toile mettra, elle, en scène, une danseuse +au chignon relevé, faisant son apprentissage au Moulin, et conduite par +un hilarant et prestigieux Valentin.</p> + +<p>Les faces ici sont encore aiguisées, et tellement poussées à l'extrême +limite du caractère, que l'on peut déjà se demander si Lautrec ainsi se +vengeait de sa propre laideur, ou s'il avait plus simplement un +frénétique amour du caractère? Ce que Degas avait lui-même exprimé en +donnant de tels laids visages à ses danseuses, que, pendant longtemps, +on crut à Paris, que le peintre Zandomeneghi les retouchait, les faisait +plus avenantes, moins salopées, pour les vendre, au compte d'un +important marchand, en Amérique!</p> + +<p>Ah! certes, la constante recherche du caractère, <span class="pagenum"><a name="Page_108" id="Page_108">108</a></span> de l'expression, +et ce qui s'ensuit, de l'exagération, ce sera, c'est déjà le but, le +seul but de Lautrec. Il ne se venge pas de sa propre difformité; mais il +intensifie les stigmates de la faune humaine; il est une sorte de +tortionnaire qui creuse et ravine les faces, non point pour les montrer +plus odieuses, mais plus expressives, plus étranges, plus rares, plus +neuves. Et cela, cette chose qui s'indiquait dès l'atelier Cormon, ne +fera que croître et s'épanouir, que dis-je! cela est tout à fait +manifeste et aveuglant dans ses magnifiques représentations de la +Goulue!</p> + +<p>Lautrec dessina et peignit quelques tableaux consacrés au Moulin de la +Galette. Mais ce fut par hasard. Ce bal ne fut point pour lui un lieu +d'élection. C'était trop un déchet, une basse-fosse de la Danse.</p> + +<p>C'est là, toutefois, qu'il représenta, au bar, <i>Alfred la Guigne</i>, +d'après un personnage d'un roman de son ami Oscar Méténier. C'est un +superbe carton, représentant un portrait de souteneur jeune, coiffé d'un +melon et qui se tient debout devant un zinc, où se trouvent une vieille +gousse et une fille plus jeune qui se détourne.</p> + +<p><span class="pagenum"><a name="Page_109" id="Page_109">109</a></span></p> + +<p>Lautrec, maintes fois, aussi, peignit des aspects de Jane Avril. Il la +représenta dansant, ou à la ville, avec son air qu'elle prenait alors +d'institutrice anglaise raidie d'alcool.</p> + +<p>Et combien d'autres scènes de bal Lautrec peignit, en une diversité +certaine, mais toujours d'après des spectacles vus, d'après des croquis +exacts. Aucune fantaisie n'apparaissait jamais. Lautrec n'aurait pas +voulu peindre ce qu'il n'avait pas observé, ce qu'il n'avait pas, je le +répète, <i>vu</i>, et <i>vu</i> comme cela s'entend, avec une décisive conscience, +avec un excessif amour de la vérité. Et il ne peignait encore que ce +qu'il voyait souvent. Une fois, entre autres, il choisit ce prétexte +d'une <i>Table au Moulin-Rouge</i>, pour représenter, autour de cette table, +ses amis qu'il connaissait bien: MM. Tapié de Celeyran, Maurice Guibert, +Sescau, la Macarona, la Goulue, et lui-même, Lautrec.</p> + +<p>Aussi, la plupart de ses œuvres peintes contiennent d'admirables +vérités. Ces œuvres étaient peintes ordinairement sur du carton; il +trouvait que cette matière servait bien ses besoins renouvelés +d'esquisses fortement dessinées et hachurées.</p> + +<p><span class="pagenum"><a name="Page_110" id="Page_110">110</a></span></p> + +<p>A l'essence, il traçait ses paraphes avec une extraordinaire certitude; +et cela, cette écriture, quand Lautrec emploiera la toile, il la chérira +de même, pour inscrire, avec son métier de juge d'instruction, fait de +tailles et de hachures, les plus significatifs et les plus éloquents des +verdicts.</p> + +<hr class="tiny" /> + +<h2><a name="ch15" id="ch15"></a>FILLES</h2><p><span class="pagenum"><a name="Page_111" id="Page_111">111</a></span></p> + +<p>Puisque Lautrec voyait beaucoup de filles de maisons danser au Moulin, +il était tout indiqué qu'il allât un jour les voir chez elles, pour y +retourner jusqu'à la fin de sa vie.</p> + +<p>Qu'y a-t-il de plus naturel? Des gens, tous les jours, hantent les +coulisses et les promenoirs de music-halls, les cabinets de certains +directeurs de théâtres, les restaurants où l'on soupe, les salons de +couturiers, tous ces milieux de passe, enfin, où l'on rencontre des +femmes du «meilleur monde»; et ces gens-là font cela uniquement pour le +motif que vous savez; tandis que Lautrec voulait d'abord observer, puis +travailler.</p> + +<p>Dans ce nouveau milieu, il fit de nombreux tableaux: <i>Le Couple</i>; <i>les +deux Amies</i>; <i>l'Attente</i>; <span class="pagenum"><a name="Page_112" id="Page_112">112</a></span> <i>la Tresse</i>; <i>la Toilette</i>; <i>Femmes au +repos</i>; <i>Au réfectoire</i>, etc., etc., toute une suite qui est pour +longtemps d'une éloquence et d'une signification sans pareilles. Toute +une suite où rien n'est sacrifié à l'anecdote, à la sensiblerie, à +l'obscénité ou à la blague. Ce sont les multiples sujets, qu'offre un +bétail pensif ou agité, morne ou apaisé. Si, parfois, Lautrec fait +songer par le sujet à un maître, mais avec moins de spiritualité, c'est +à Baudelaire, à ses femmes damnées, à tout ce troupeau que le poète a +ployé sous le suaire des plus terribles châtiments. Mais Lautrec a vu, +le plus souvent, la fille prostrée, en attente d'homme, jouant aux +cartes pour se distraire, tordant ses cheveux, lisant la lettre d'un +amant, ou s'apprêtant, se lissant la face, se noircissant les sourcils, +recrépissant ses rides, examinant son ventre, ce champ de bataille, +redressant ses tétons pris trop aisément à poignées et qui s'obstinent à +retomber ainsi que des outres vides. Et, impitoyable, il a vu ces +femmes-là, au fond, douloureuses comme lui, ayant comme lui quelque +chose à tuer dans la vie, et si tristes, si tristes qu'elles ne rient +vraiment que lorsqu'elles <span class="pagenum"><a name="Page_113" id="Page_113">113</a></span> sont soûles! Et, pour elles aussi, c'est +son incisif métier de peintre qui revient; métier de hachures toujours, +dures ou souples, directes, ardentes, en traits de pinceau, dans une +couleur générale où les verts, les roses, les bleus et les violets +dominent. Et peintures réalisées tantôt sur de la toile, tantôt sur un +panneau de bois, tantôt encore sur un carton. Mais, qu'elles soient, ces +filles, sur l'une ou l'autre de ces choses, elles sont toujours les +sœurs angoissées du peintre. Ah! si l'on a envie d'elles, après les +avoir regardées à travers Lautrec, c'est qu'on a le cœur robuste et +toute sensibilité abolie. Voilà des effigies à placer dans les couvents. +Lautrec représente la prostitution telle qu'une effroyable torture; et +tous les métiers, certes, lui sont préférables!</p> + +<div class="figcenter" style="width: 350px;"><a name="page-113" id="page-113"></a> +<img src="images/page-113.jpg" alt="" title="" width="350" height="432" /> +<p class="caption1">PHOTO DRUET</p> +<p class="caption2">FILLE</p></div> + +<p>Ici, de nouveau, il ne se vengeait pas. Parce qu'il sentait la vie +misérable, il faisait de ces filles de misérables créatures. Certes, +Fragonard sera pendant longtemps préféré à Lautrec; le savoureux +<i>Frago</i>, comme ils disent, les amateurs. Il a peint, lui, Lautrec, de si +pauvres laides gotons!</p> + +<p>A propos d'elles, souvent des gens bien intentionnés <span class="pagenum"><a name="Page_114" id="Page_114">114</a></span> ont comparé +Lautrec à Guys et à Rops. A Degas, peut-être! Mais que viennent faire +ici le preste dessinateur du second Empire et le prétentieux Gaudissart +qui ravala la luxure à une entreprise de ruts insuffisants?</p> + +<p>Guys a dessiné et aquarellé, j'en conviens, de savoureuses vignettes; il +a, dans le monde de son temps, promené sa fantaisie éveillée; il a +dessiné des voitures, des officiers, des chevaux, des lorettes, des +filles de maisons, des turqueries, des soldats et des matelots; et il +les a tous représentés d'un trait cursif, éloquent comme le trait d'une +belle écriture; mais, il le faut bien dire, il s'est tenu, en somme, à +une arabesque connue, à une sorte de paraphe bien en main, bien dans sa +main à lui;—et qui lui permettait, par exemple, de tracer d'un coup la +tête de l'Empereur Napoléon III ou celle d'un cent-gardes. Il a, enfin, +spécialement, pour toutes les femmes, indiqué de la même manière les +boucles des cheveux, la forme du front, du menton, le globe des yeux, le +galbe des épaules et l'écrasement de la jupe crinoline; mais c'est tout, +c'est tout, et si neuf, si amusant que cela soit, c'est <span class="pagenum"><a name="Page_115" id="Page_115">115</a></span> tout,—et +ce n'est peut-être pas assez!</p> + +<p>Quant à Rops, il a bien été, lui, le plus banal, le plus bêta, le plus +usé, le plus rabâcheur des pornographes. Il ne faut tout de même pas que +sa mémoire se glorifie des pages de Huÿsmans à elle consacrées, parce +que ce maître a trouvé là matière à un extraordinaire lyrisme! Non! +Rops, justement déboulonné, ce n'est plus que Joseph Prud'homme aux +nuits tourmentées, aux salacités médiocres, aux ruts mesurés. Les +collégiens eux-mêmes veulent une plus complète vérité, et ne rêvent +point à ces histoires de faunes et de nymphes montrant leurs derrières +et leurs devants, même à l'état de colossale chaleur!</p> + +<p>Que cela ait duré un temps, je le conçois. L'homme s'ennuie, et il a +besoin de se prouver qu'il est capable d'exécuter et d'aimer les pires +sottises et les plus niaises obscénités.</p> + +<p>Avec Lautrec, au moins, c'est le vrai retour à la vérité; c'est enfin la +vie en maison close, telle qu'elle est! Les femmes s'y ennuient, presque +toujours; elles attendent donc résignées; et, quand vient l'homme, elles +sont prises comme des femelles, rien de plus. Et ce bétail au repos, +<span class="pagenum"><a name="Page_116" id="Page_116">116</a></span> que voulez-vous qu'il fasse? Il fait ce que Lautrec lui fait +justement faire: il attend, soumis, prostré; et, pendant longtemps, ce +sera là, la seule, la seule vérité!</p> + +<p>Sans doute, on entreprendra de nouveau de représenter la femme en +maison; mais, dans l'œuvre de Lautrec, voilà, assurément, avec les +portraits dont nous parlerons plus loin, voilà la chose la plus durable. +Pour longtemps, ce sera ainsi. Lautrec a marqué d'éternité cette partie +de son œuvre. C'est un ensemble qui ne vieillira pas, tant que +l'homme sera obligé d'aller dans un endroit clos pour y trouver la +femelle que la nature a placée là, pour la principale de ses fins!</p> + +<p>Sans doute, encore, ici, Lautrec a représenté de laides faces, des yeux +flagellés, des mentons en galoches, des nez aplatis ou secs, des bouches +surtout comme des trous d'immondices. Et ces peaux sentent les lavages +qui décrassent; le corps, dans des camisoles lâches, s'abandonne et +s'affaisse; ces cheveux sont tordus en crins de cheval ou relevés en +bonnets de brioches; et l'on frémit, certes, devant ces visages qui +évoquent les bêtes puantes ou les visqueux <span class="pagenum"><a name="Page_117" id="Page_117">117</a></span> poissons des +marécages!... Oui, certainement, je sais, il y a aussi les poupées des +maisons chères; les salopes préparées par un Belge pour quelque +«concours des plus belles femmes de France»; il y a les «bonbonnières et +les sucrées»! Mais, pourtant, est-ce que tout cela ne vous apporte pas +du dégoût quand même à penser qu'un homme, le premier venu, va s'abattre +sur ces ventres préparés, que dis-je, élargis, suintants? Vous voyez +donc bien que Lautrec a eu raison de traiter tout cela comme du bétail, +comme de la chair pour coïts; et encore il a fait cela, lui, avec quelle +distinction et avec quelle noblesse!</p> + +<p>Les «bonbonnières» et les «sucrées»! C'est celles-là que Lautrec a su si +bien placer dans les légères voitures, qu'escortent des chiens +somptueux!</p> + +<p>On les voit dans son œuvre, en promenade, le fouet droit, et +impérieuses Sultanes!</p> + +<p>Une voiture, puis deux, puis trois; et roule le défilé des charrettes de +l'été, des boîtes vernies, bois ou osier: Polo-cab, Stanhope-cab, +Epsom-cab, Rallye-cart, Poney-chaise, Village-cart.</p> + +<p><span class="pagenum"><a name="Page_118" id="Page_118">118</a></span></p> + +<p>Cobs nerveux filent et s'ébrouent, comme brossés à neuf; et les filles, +la main gantée de peau de chien, se roidissent, les yeux rivés sur les +oreilles du cob, avec, sur le front, l'ombre douce du chapeau fleuri et +des dentelles en point de Venise, en fleurs d'Alençon.</p> + +<p>Elles se croisent et se dépassent, se jugeant d'un coup d'œil exercé +avec des moues d'exorables gamines; et, très hautaines, le col tendu, +elles s'appliquent à demeurer, le fouet haut, immobiles, toutes droites.</p> + +<p>La fille, en ces charrettes ténues, singe indéniablement les attitudes +de la bête de race qu'elle mène au bout d'un fil, avec une science si +imprévue. Attitudes réjouissantes à reproduire, certes, pour sa joie +propre, pour le passant de la route, pour le groom qui, derrière elle, +ne bouge d'un pouce, vrillé dans la gaine de ses bottes à revers;—si +heureuse, semble-t-elle, des «fumées» qu'elle laisse, du sillage de +désirs qui court derrière elle et la suit;—elle, orgueilleusement parée +de morgue et de sottise!</p> + +<p><span class="pagenum"><a name="Page_119" id="Page_119">119</a></span></p> + +<hr class="small" /> + +<h4>DES COMMENTAIRES SUR L'ŒUVRE</h4> + +<h2>II</h2> + +<h3>Portraits</h3> + +<h3>Le Jardin du Père Forest</h3> + +<h2><a name="ch16" id="ch16"></a>PORTRAITS</h2><p><span class="pagenum"><a name="Page_121" id="Page_121">121</a></span></p> + +<div class="figcenter" style="width: 350px;"><a name="page-121" id="page-121"></a> +<img src="images/page-121.jpg" alt="" title="" width="350" height="384" /> +<p class="caption1">PHOTO DRUET</p> +<p class="caption2">PORTRAIT DE M. DELAPORTE</p></div> + +<p>Voici un très considérable ensemble de l'œuvre de Lautrec.</p> + +<p>Portraits d'hommes et portraits de femmes, il les a également aimés.</p> + +<p>Dès l'atelier Cormon, il fit les portraits de ses amis les peintres +Gauzi, Vincent Van Gogh, Grenier, Claudon, H.-G. Ibels, Henri Rachou, +etc., etc.</p> + +<p>Très exigeant pour ses modèles, il travaillait avec un entrain +passionné.</p> + +<p>Aussi, de 1886 à 1893, il peignit un grand nombre de portraits, +notamment ceux de M<sup>me</sup> Natanson, de sa propre tante M<sup>me</sup> Pascal, de +M<sup>lle</sup> Dihau, de MM. Louis Pascal, Bonnefoy, du D<sup>r</sup> Bourges, etc., etc.</p> + +<p>Puis vinrent les portraits de MM. Henry Nocq, <span class="pagenum"><a name="Page_122" id="Page_122">122</a></span> l'admirable +médailleur; Romain Coolus, Tristan-Bernard, Paul Leclercq; les portraits +des frères Dihau, de M<sup>me</sup> la Comtesse Alphonse de Toulouse-Lautrec, de +M<sup>me</sup> Korsikoff, de M<sup>me</sup> Margouin, modiste; de MM Maurice Guibert, +Delaporte, Maxime Dethomas, Davoust, Octave Raquin, André Rivoire, G. +Tapié de Celeyran, Maurice Joyant, etc., etc.</p> + +<p>Tous les portraiturés furent ses parents ou ses amis. En exemple, c'est +ainsi que Lautrec entretint d'intimes relations avec les Dihau, deux +frères et une sœur, musiciens originaires de Lille. Le frère cadet, +Désiré Dihau, joueur de basson-solo dans l'orchestre de l'Opéra, +composait aussi des mélodies. Lautrec le représenta d'abord, son basson +à la main; puis il le peignit encore, assis, lisant un journal, tandis +que le frère aîné Henri est debout, et tous deux en plein air, dans ce +jardin du père Forest, que nous ferons plus loin revivre.</p> + +<p>Quant à M<sup>lle</sup> Dihau, professeur de chant et de piano, il la peignit +aussi deux fois: une première fois, jouant du piano;—et, la seconde +fois, donnant une leçon de chant à une dame debout près d'elle.</p> + +<p><span class="pagenum"><a name="Page_123" id="Page_123">123</a></span></p> + +<p>Il fit aussi le portrait d'Oscar Wilde, en buste, de grandeur à peu près +naturelle. Il l'a représenté bouffi, en toutes rondeurs de formes +féminines, tel qu'était cet homme de lettres inverti. Pauvre Wilde! Bien +qu'il eût simplement le vice anglais, il fut <ins class="correction" title="condammé">condamné</ins> à deux années de +<i>hard labour</i>: mais, vraiment, lui, il alla carrément au devant du +châtiment.</p> + +<p>Et tous ces portraits peints par Lautrec sont fouillés, creusés, si +expressifs! C'est à Dethomas qu'il avait dit: «Je ferai ton immobilité +dans les endroits de plaisir!»; et il réalisa le merveilleux portrait +que la photographie a tant de fois reproduit.</p> + +<p>Le portrait de Delaporte, si rare également, fut, lui, refusé pour le +Musée du Luxembourg par le comité des Beaux-Arts, Dujardin-Beaumetz +étant sous-secrétaire d'Etat! Humble Dujardin-Beaumetz, aujourd'hui +disparu, bonne à tout faire des bas huiliers! Il était resté le même +pauvre homme, plein de mansuétude mais ignare, quand je le connus chez +Rodin!</p> + +<p>Lautrec représenta aussi son ami Viaud, sur un navire, en amiral Louis +XV, tête nue, de <span class="pagenum"><a name="Page_124" id="Page_124">124</a></span> profil, la perruque blanche en catogan, la main +droite emprisonnée dans un gant à crispin et appuyée sur la barre du +bastingage. La tête, malicieuse, à la manière de Voltaire, considère un +beau navire, toutes voiles déployées, et penché sur la mer.</p> + +<p>Panneau décoratif pour un dessus de cheminée de la salle à manger du +château de Malromé. Ce fut une des dernières œuvres de Lautrec.</p> + +<p>Que d'autres portraits il convient d'ajouter à tous ceux-là: les +portraits de M. de Lauradour, de M. Louis Bouglé, de M. H. Marty +(Souvenir du bal des Quat'-z'Arts), du docteur Péan en train d'opérer, +de M. Fourcade, de M. Boileau, de l'acteur Samary, de M. Georges-Henry +Manuel, etc. La dernière toile peinte par Lautrec, ce sera le tableau +intitulé: <i>Un examen à la Faculté de Médecine</i> et portraits encore de +MM. les Docteurs R. Wurtz, Fournier et Gabriel Tapié de Celeyran.</p> + +<p>De portraits en portraits, Lautrec était arrivé, comme pour ses autres +œuvres, à une manière plus grasse, plus enveloppée, plus souple. S'il +eût vécu une vie plus longue, un beau métier <span class="pagenum"><a name="Page_125" id="Page_125">125</a></span> de peintre, +exclusivement de peintre, eût été le sien! Je veux dire un métier dans +lequel le dessin eût laissé moins voir son impérieuse volonté!</p> + +<p>Lautrec commençait souvent ses portraits avec la plus extrême fantaisie, +c'est-à-dire par le milieu de la figure, par exemple, ou par une +oreille, ou par le nez; et, parti de là, il multipliait ses hachures +dans le sens du caractère, et en cherchant par conséquent le +stigmate-type. Et si l'on reconnaît chaque fois le style, on peut bien +avancer que Lautrec réalisait, pour chaque portrait, une nouvelle mise +en page. Comparez les portraits de M. Dethomas (sur un fond de bal +masqué), de M. Henry Nocq (dans l'atelier de Lautrec), de M. Samary +(dans un rôle) ou de M<sup>lle</sup> Dihau (assise devant son piano);—et la +confrontation sera significative.</p> + +<p>Plus loin, nous parlerons de quelques-uns des portraits que Lautrec +peignit en plein air. Ceux que nous avons déjà cités, il les a presque +tous peints à l'atelier ou dans des intérieurs. Ils ont, ceux-là, une +sobriété du meilleur aloi, une sûre distinction, un goût accompli de +l'arrangement. <span class="pagenum"><a name="Page_126" id="Page_126">126</a></span> Je ne sais quelle place les musées de l'avenir leur +réserveront; je ne le sais et je ne m'en préoccupe guère; mais ce que je +sais bien, c'est que tous ces portraits là seront excellemment +représentatifs de notre temps. Ils diront à leur manière quels hommes +peu joyeux nous fûmes, et combien le goût du panache nous intéressait +peu. Portraits quasi résignés, s'ils ne sont pas «à expression navrée», +comme les portraits peints par Van Gogh. Portraits pour tout dire d'une +époque qui n'osait plus guère vivre, et qui allait tout droit, en +serrant les fesses, vers la catastrophe mondiale, qui est arrivée, et +qui a tout remué. Portraits de gens qui attendaient et qui attendent +encore, ahuris, anéantis, comme si le goût de la vie n'avait plus aucune +raison d'être!... Ah! certainement, ce ne sont point là des portraits +que l'on pourra opposer un jour à la pompe et à la magnificence de +quelques nobles portraits dits historiques; mais, tels quels, ne +réflèteront-ils pas nos inquiétudes et nos alarmes, nos peurs et nos +angoisses, toutes croyances mortes, et toutes réflexions devenues +comminatoires devant <span class="pagenum"><a name="Page_127" id="Page_127">127</a></span> l'inexplicable, devant le pourquoi, devant le +sens de la vie? En un mot, ne sont-ce pas là, tels quels, les vrais +portraits des pauvres êtres que nous sommes; et alors, ne sommes-nous +pas les vrais compagnons des filles dont je parlais au chapitre +précédent? Portraits d'une époque que la Science torture et que la Vie +emplit de doute.</p> + +<hr class="tiny" /> + +<h2><a name="ch17" id="ch17"></a>DANS LE JARDIN DU PÈRE FOREST</h2><p><span class="pagenum"><a name="Page_128" id="Page_128">128</a></span></p> + +<p>Dans ce temps-là, il existait, au bas de la rue Caulaincourt, un vaste +jardin appelé <i>Jardin du tir à l'arc</i>, que l'Hippodrome a actuellement +remplacé.</p> + +<p>Ce jardin appartenait au père Forest, un photographe, qui a donné son +nom à une rue voisine.</p> + +<p>Ce jardin était revenu à l'état de nature. On pouvait aisément se croire +dans des halliers ou des sous-bois, loin de Paris.</p> + +<p>Lautrec fut bientôt l'hôte de ce jardin. Dès la belle saison venue, il +descendait de la rue Caulaincourt; et il s'installait dans le jardin de +son ami le père Forest.</p> + +<p>Tout à son aise, en bras de chemise, son chapeau sur le front, dès +«patron-minette!» (expression <span class="pagenum"><a name="Page_129" id="Page_129">129</a></span> déformée qu'il affectionnait), il y +recevait ses modèles, qui étaient, pour la plupart, des filles du +boulevard de Clichy, de la place Blanche et des maisons closes où il +allait habituellement.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 350px;"><a name="page-129" id="page-129"></a> +<img src="images/page-129.jpg" alt="" title="" width="350" height="460" /> +<p class="caption1">PHOTO DRUET</p> +<p class="caption2">DANS LE JARDIN DU PÈRE FOREST</p></div> + +<p>C'est dans ce jardin propice qu'il peignit, en plein air, de nombreux +tableaux: <i>La femme à l'ombrelle</i>; <i>La femme au chien</i>; <i>La femme au +chapeau noir</i>; <i>La femme au jardin</i>; <i>Pierreuse</i>; <i>Gabrielle</i>; <i>La +danseuse</i>; etc., etc.</p> + +<p>C'est dans ce jardin encore qu'il termina ce tableau si pittoresque: <i>A +la mie</i>. Portrait de son ami Maurice Guibert costumé en barbeau, assis +sous une tonnelle, et le nez sur une corne de brie, que devait arroser +un litre de vin. Au premier plan, une vieille blanchisseuse était +assise, un bras pendant, horrible par son visage et par son caraco +blanc!</p> + +<p>Quelle nouvelle époque de bon et long travail ce fut pour Lautrec! +Toiles et cartons, au hasard de ce qui lui tombait sous la main, étaient +criblés de ces hachures de peintre-graveur, qui voulaient exprimer, +approfondir de plus en plus le caractère!</p> + +<p>Dans le jardin du père Forest, Lautrec recevait <span class="pagenum"><a name="Page_130" id="Page_130">130</a></span> tous ses amis, +joyeux de leurs visites, et il buvait avec eux; car il avait, tout de +suite, installé un bar dans une petite baraque en planches, vidée des +fioles et des accessoires que réclame la photographie. Certains jours, +le jardin flambait même avec des airs de kermesse. «Monsieur Henri avait +invité!»</p> + +<p>C'est là que je connus le célèbre loueur de voitures, qui fut un des +plus chauds amis de Lautrec. C'était au moment de sa toquade pour les +divers équipages. Le rencontrait-on alors, il vous emmenait chez ce +loueur; et, là, enthousiasmé, il vous contraignait à admirer la forme +des véhicules, en chacun de leurs détails, avec tout le harnachement qui +sert à atteler un cheval.</p> + +<p>C'était tout Guys parmi nous revenu! Mais ce loueur apparaissait aussi +comme une espèce de maniaque de la collection! Car, dans de vastes +remises, il y avait beaucoup trop de voitures pour qu'elles fussent +toutes utiles! On voyait là des coupés et des mylords, un mail-coach, un +break, des calèches à 8 ressorts, des vis-à-vis, des landaus et des +landaulets, des victorias, un petit duc, des phaétons, un poney-chaise, +et toutes <span class="pagenum"><a name="Page_131" id="Page_131">131</a></span> ces amusantes et légères charrettes qu'on appelle: +spider, dog-cart, derby, rallye-cart, tilbury, village-cart et stanhope. +Et tout cela fleurait bon le vernis, l'essence, le cuir astiqué. Tout +cela reluisait et paradait. Vraiment l'ensemble de toute cette +collection montait à la tête de Lautrec, qui ne manquait jamais de +s'écrier: «Et quand on pense que les gens de lettres qui ignorent tout +cela osent parler de sport!»; et, en conséquence, il conseillait à tous +ses amis de dessiner des voitures; une excellente méthode, affirmait-il, +pour apprendre à dessiner.</p> + +<p>Ce jardin du père Forest! S'en amusa-t-il, au delà de ce que l'on peut +imaginer! Mais, de même que le président Carnot, poursuivi par le soleil +dans le jardin de l'Elysée, cherchait un coin d'ombre, Lautrec pestait, +lui aussi, une fois dans le jardin, contre le soleil qui le tourmentait. +Aussi, il prit un temps précieux pour bien fixer les heures, les +certitudes de peindre à l'abri des aveuglants rayons qui viennent +chercher la toile; et, enfin, quand il eût trouvé le bon coin, il s'en +tint là, joyeusement. Tout en chantonnant, il «abattit» de nouvelles et +admirables peintures.</p> + +<p><span class="pagenum"><a name="Page_132" id="Page_132">132</a></span></p> + +<p>Souvent, à nous, ses amis, il nous arrivait de rester dans le jardin du +père Forest toute l'après-midi; et Lautrec nous chargeait ensuite, de +ramener ses modèles au bercail. Alors, il montait chez lui, pour se +reposer; car, il se levait de bon matin; et, le soir, il ne voulait pas +manquer un spectacle au Moulin, au cirque, au théâtre, dans un bar ou au +bocard. Oui, il le faut répéter, cet homme fut un obstiné travailleur, +un fécond producteur; et, en se disant cela, on est saisi d'une vive +tristesse en pensant à tout ce qu'il eût pu encore réaliser, avec une +vie plus longue!... Oui, je sais: Van Gogh, une carrière plus courte! +Oui, c'est là un des lourds regrets que vous inflige la Vie. Et M. +Cormon, leur maître à tous deux, il n'est pas encore mort, lui! Voilà +une des inexplicables boutades de la nature ou de la Providence, ou de +Dieu, à votre choix!...</p> + +<hr class="small" /> + +<h4>DES COMMENTAIRES SUR L'ŒUVRE</h4><p><span class="pagenum"><a name="Page_133" id="Page_133">133</a></span></p> + +<h2>III</h2> + +<h3>Le Cirque</h3> + +<h3>Au Théâtre</h3> + +<h3>Café-Concert</h3> + +<h3>Les Courses</h3> + +<h3>De Tout</h3> + +<h2><a name="ch18" id="ch18"></a>LE CIRQUE</h2><p><span class="pagenum"><a name="Page_135" id="Page_135">135</a></span></p> + +<p>Igor Strawinsky, Tristan-Bernard, Lucien Guitry et tant d'autres +Picassos, comme vous avez raison d'aimer le Cirque, que Lautrec aima +encore plus que vous!</p> + +<p>Ah! qui ne peut chérir le Cirque où tout est pittoresque, contrasté, +brillant; où tout est imprégné de cette «odeur de Cirque», que l'on ne +respire nulle part ailleurs?</p> + +<p>Le Cirque! C'est-à-dire toute la fantaisie acrobatique, les écuyers, les +écuyères, les clowns, les trapézistes, les barristes, les sauteurs, les +équilibristes et les dresseurs de phoques, les jongleurs et les avaleurs +de sabres!</p> + +<p>Le Cirque! C'est-à-dire les chevaux dressés, le jockey du Derby, la +voltige indienne aux sauts d'obstacles, <i>the wentworth trio in a novel +<span class="pagenum"><a name="Page_136" id="Page_136">136</a></span> equestrian act</i>; le Cirque, l'auto-bolide et le bilboquet humain, +<i>the sensation of all sensations</i>, par <i>the fearless young and +fascinating Parisian</i>, Mauricia de Thiers; le Cirque, les jeux icariens +et l'empereur de la magie, Captain Breydson <i>perillous trapezist +equilibrist act</i> et <i>The Arizona's tomahawk's jugglers</i>!</p> + +<p>Quand on aime le Cirque, j'entends le véritable Cirque populaire, le +Cirque où du vrai peuple est sensible à la force, à l'adresse, et +acclame et tempête; le véritable Cirque, où de la musique, et quelle +musique! ronronne ou fracasse ou susurre ou endort; le véritable Cirque +où se perpétuent d'ancestrales et puériles traditions; le véritable +Cirque où tout est pailleté, en oripeaux, en franges fanées d'or ou +d'argent; où tout est clinquant, bariolé et vif! Ah! quand on aime ce +Cirque-là, on frémit en entrant, en respirant l'odeur des écuries; et +l'on attend les rires, ces tempêtes de rires qui dégringolent des +gradins et qui s'écrasent au milieu de la piste!</p> + +<p>Lautrec, qui chérissait le Cirque, à pleine joie, représenta les clowns, +les acrobates, les <span class="pagenum"><a name="Page_137" id="Page_137">137</a></span> dresseurs de chiens et les écuyers; et une +toile qui le «situa» tout de suite, ce fut l'<i>Ecuyère au Cirque +Fernando</i>, placée longtemps, se rappelle-t-on, à l'entrée du +Moulin-Rouge, et que je retrouvai plus tard chez Jean Oller. Ah! la +merveilleuse toile, si singulière, si unique, si imprévue, qu'elle +m'arracha un cri de stupeur quand je la vis pour la première fois! +C'était un gros cheval de piste dessiné d'une splendide façon; et, sur +sa croupe, se tenait assise une écuyère avec une si étonnante face; +tandis que, au milieu du tapis, l'écuyer, à visage de crapaud, s'arquait +et déroulait sa chambrière. Et les blancs et les roses et le noir de +l'habit jouaient là-dedans, la piste non recouverte, la toile apparente. +Une œuvre tout de suite si invue, si anormale presque; comme d'un +peintre venu on ne savait d'où;—un dessin si excentrique, et qui +devait, par la suite, moins peut-être nous troubler, mais nous ravir +toujours par sa fascinante personnalité, par son inégalable puissance!</p> + +<div class="figcenter" style="width: 350px;"><a name="page-137" id="page-137"></a> +<img src="images/page-137.jpg" alt="" title="" width="350" height="514" /> +<p class="caption1">PHOTO DRUET</p> +<p class="caption2">JANE AVRIL</p></div> + +<p>Quand Lautrec fut à Saint-James, il se ressouvint du Cirque qu'il avait +tant aimé; et, là, <span class="pagenum"><a name="Page_138" id="Page_138">138</a></span> sans modèles, il crayonna une suite d'une +vingtaine de dessins, uniquement consacrés aux gens de Cirque, et que +Manzi édita sous ce titre: <i>Au Cirque</i>.</p> + +<p>Dessins d'une exagération caractéristique, d'une troublante déformation, +d'un imprévu si drolatique, qui, cependant, ne fait jamais rire. Et vous +voilà revenus ici, dans cette série de planches, les clowns et les +écuyères, les chiens savants et les danseuses. Et je revois, chaque fois +que je regarde ces dessins, tous vos gestes adroits, toutes vos +cocasseries, ô clowns; tout votre maniérisme, ô écuyères de haute école; +et je vous retrouve aussi, vous, ô clownesses fantaisistes, clownesses +presque de bal masqué, avec vos gamineries d'enfant vicieux et vos mines +de chattes guindées!</p> + +<p>Foottit, ce clown génial, Foottit surtout, émerveilla Lautrec. Il le +suivit partout. Et lui, Foottit et Chocolat, ils devinrent les tenaces +clients du bar Achille, jusqu'au moment de la définitive fermeture de ce +réjouissant assommoir. Ils dégustaient tous trois tous les short-drinks, +tous les gin-wiskies, tous les gobblers et punchs de <span class="pagenum"><a name="Page_139" id="Page_139">139</a></span> la maison; +puis on se donnait rendez-vous au cirque de la rue Saint-Honoré;—après +quoi, ils se rassemblaient encore, Lautrec, Foottit et Chocolat, pour +regagner le bar délectable.</p> + +<p>Lautrec notait rarement des croquis autour de la piste. Quelques tics de +son ami Foottit, et c'était tout. Sa mémoire lui suffisait; elle +collectionnait une copieuse moisson de gestes, de bonds et d'aspects +plastiques.</p> + +<p>Il était transporté par les pantomimes et les brefs scénarios que +Foottit jouait avec Chocolat; et il déclarait, avec tant de vérité, que +cela, c'était autrement intéressant que toutes les pièces de théâtre.</p> + +<p>Lautrec a représenté Foottit comme un gros rat éveillé, gambadeur et +rusé, en perpétuelle recherche de drôleries. Il l'a dessiné +d'inoubliable façon; et, de Chocolat, il a fait un nègre hilarant, +tenant du singe, un nègre singulièrement excité et folâtre.</p> + +<p>Tous les dessins consacrés au Cirque purent bien être réalisés de +mémoire, à Saint-James; Lautrec les avait tellement gravés dans le +cerveau, tous les chevaux, tous les chiens, tous les <span class="pagenum"><a name="Page_140" id="Page_140">140</a></span> personnages, +petits ou grands, qui animent de joie une piste. Presque +automatiquement, il a exécuté tous ces dessins-là; et, presque +automatiquement, aussi, il a trouvé pour eux les mises en pages les plus +définitives et les plus rares. Considérez attentivement tous ces dessins +d'un «malade»; et vous serez surpris de leur expressive étrangeté et de +leur parfaite variété. Il y a là quelque chose de solide et +d'inexplicable qui peut dérouter singulièrement les psychiâtres. Cette +sagesse, cette parfaite mise au point esthétique, cela, en effet, vous +alarme, comme cela vous trouble aussi chez un Van Gogh,—et, en ce +moment même, chez Maurice Utrillo. En confrontation des prouesses +picturales de ces trois merveilleux artistes, «touchés» cérébralement, +les œuvres des peintres dits raisonnables ne sont que sottises et +écœurantes banalités! Le génie alors est-il donc, vraiment, en somme, +l'apanage de ceux que les psychiâtres appellent, en leur barbare +langage, des «dégénérés supérieurs?»</p> + +<hr class="tiny" /> + +<h2><a name="ch19" id="ch19"></a>AU THÉÂTRE</h2><p><span class="pagenum"><a name="Page_141" id="Page_141">141</a></span></p> + +<p>Tout le cortège des acteurs et des actrices, tout le chariot de Thespis, +défila aussi devant Lautrec.</p> + +<p>Les pièces dites de théâtre l'ennuyaient lourdement; mais il +s'intéressait aux physionomies et aux tics des acteurs et de leurs +compagnes.</p> + +<p>C'est surtout à propos de ses lithographies que nous aurons à citer les +noms de tous ceux et de toutes celles qu'il dessina.</p> + +<p>Il les obtint tous «ressemblants», avec une liberté et une réussite +saisissantes, d'après des croquis expédiés dans les coulisses ou dans +les loges.</p> + +<p>Il était curieux à voir, balafrant son papier, le zébrant, le couturant, +piquant de bleu un œil, griffant de rouge une bouche, accents +seulement <span class="pagenum"><a name="Page_142" id="Page_142">142</a></span> pour la mémoire, et qui devenaient ensuite bien autrement +intenses, quand il cherchait l'ensemble.</p> + +<p>Et quelle autre longue suite d'exacts portraits! Nous avouons bien vite, +toutefois, que la plupart des acteurs et actrices ainsi choisis +n'appréciaient guère leur bonne fortune. Ils nous viennent en nombre +sous la plume les noms des comédiens et des tragédiens qui méprisaient +Lautrec. Ah! le physique du peintre entre en ligne de compte dans +l'estime de ces gens-là! Et Lautrec n'était même pas, au surplus, un +peintre officiel et décoré!</p> + +<p>Les photographies les plus retouchées, les plus rajeunies surtout—les +fossiles ont horreur du vrai!—, sont si loin du verdict affirmé par le +dessin de Lautrec. Sévère constat! mais était-ce sa faute à lui si des +acteurs et des actrices pouvaient, et peuvent encore, hélas! jouer sans +être sifflés, jusqu'aux bégaiements de la seconde enfance?</p> + +<p>Heureux âge! Mais plus vif plaisir de Lautrec quand il les crucifiait, +tous ces radoteurs!</p> + +<p><span class="pagenum"><a name="Page_143" id="Page_143">143</a></span></p> + +<p>Il eut, pourtant, des préférés et des préférées. Il représenta souvent +Mme Sarah Bernhardt, Guy et Méaly, Réjane et Brasseur, Antoine et Judic, +Lavallière et Baron, Mmes Caron et Bartet; ceux-là et celles-là, il les +acceptait, et il les dessina avec un vif contentement.</p> + +<p>Mais sa plus tenace passion, peut-être, ce fut Mlle Marcelle Lender, +divette au théâtre des Variétés, et qu'il dessina tant de fois, avant +que de peindre d'après elle cette toile souveraine: <i>Marcelle Lender +dansant le pas du boléro, de Chilpéric</i>.</p> + +<p>Oui, je sais, Lautrec, avec sa voix très perçante, assommait les gens; +et il se faisait souvent expulser des coulisses. Mais peut-on penser +que, par la suite, on osa traiter ainsi le peintre qui avait réalisé +cette merveille picturale?</p> + +<p>Et pourquoi, surtout, tous ces acteurs et toutes ces actrices n'ont pas +possédé ou gardé leur portrait peint par Lautrec?</p> + +<p>Mademoiselle Lender, comment, vous, par exemple, n'avez-vous pas chez +vous, je n'ose pas écrire dans votre cœur, l'extraordinaire toile que +je viens de citer, et qui vous représente si racée, <span class="pagenum"><a name="Page_144" id="Page_144">144</a></span> si ployante, si +souple, et si orgueilleuse devant le sourire béat de votre ami Brasseur? +Ne saviez-vous donc pas que jamais, dans ce genre, on n'exécuta une +toile plus glorieuse? O la coupable indifférence! Et bien plus coupable +encore, l'indifférence de la Société des Amis du Louvre! Car, sait-on où +ira, à la mort de M. Maurice Joyant, qui le possède, ce chef-d'œuvre? +Peu importe, peut-être, d'ailleurs; car, là où il se trouvera, il +figurera comme l'une des plus miraculeuses réussites de la peinture +française de tous les temps!</p> + +<p>Lautrec, aussi, représenta l'amusante, l'inoubliable Judic, dans sa +loge; l'acteur Samary, de la Comédie-Française, dans le rôle de Raoul de +Vaubert, de <i>Mademoiselle de la Seiglière</i>; M. Lucien Guitry et Mme +Jeanne Granier, dans <i>Amants</i>; Le Bargy et Marthe Brandès, etc., etc.</p> + +<p>En 1900, de passage à Bordeaux, il peignit deux importantes toiles et de +nombreuses études, d'après l'opéra d'Isidore de Lara: <i>Messaline</i>, +représenté au Grand-Théâtre.</p> + +<p>Lautrec aima enfin les danseuses de ballets; <span class="pagenum"><a name="Page_145" id="Page_145">145</a></span> et M. Pierre +Decourcelle, dans sa rare collection, possède, par Lautrec, le portrait +de l'une de ces danseuses, devant un portant, qui est bien une +prestigieuse et incomparable toile.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 350px;"><a name="page-145" id="page-145"></a> +<img src="images/page-145.jpg" alt="" title="" width="350" height="467" /> +<p class="caption1">PHOTO DRUET</p> +<p class="caption2">ALFRED LA GUIGNE</p></div> + +<p>Quelle distinction, bien que le visage soit encore agressif! Quel dessin +vivant, merveilleux! et combien, ici, Lautrec l'emporte une fois de plus +sur Degas, qui, pourtant, accusa souvent Lautrec de le plagier; Degas, +avec son dessin figé, conventionnel; Lautrec si animé, si exubérant, et +si pénétrant, d'une presque insolence despotique!</p> + +<p>Je sais, je sais: toutes ces œuvres sont considérées même +actuellement comme des «caricatures» par ceux des gens de théâtre qui +furent portraiturés, les gens du moins que la Parque coupable n'a pas +encore saisis! Certainement, par exemple, Mlle Brandès et M. Le Bargy +n'ont aucune autre opinion, s'il leur arrive de revoir—ce dont je +doute!—le dessin qui les représente, elle, vipérine, et lui, trop +jeunet. Et, cependant, ne sont-ils pas rehaussés ainsi, «augmentés», en +quelque sorte, par Lautrec, tous et toutes? Mieux même: ne devraient-ils +pas être <span class="pagenum"><a name="Page_146" id="Page_146">146</a></span> tout à fait comme cela, pour se parer véritablement d'une +réelle personnalité?</p> + +<p>Mais voilà, en ce triste temps, il faut tout sacrifier au cahotant +chariot de Thespis, surtout le génie!—et M. Brisgand, par ses sottises, +opère mieux!</p> + +<hr class="tiny" /> + +<h2><a name="ch20" id="ch20"></a>AU CAFÉ-CONCERT</h2><p><span class="pagenum"><a name="Page_147" id="Page_147">147</a></span></p> + +<p>Ce milieu, le Café-Concert, avec son amas de bizarres trognes, de +bohèmes, d'excentriques de tous ordres, de déchets d'humanité, gueulant +ou susurrant des chansons bêtes; ces hommes et ces femmes, ces +orchestres de ravageurs, ces beuglants et ces niais Eldorados;—tout ce +milieu devait aussi enchanter Lautrec; et, en effet, il l'enchanta.</p> + +<p>C'était, d'ailleurs, le moment d'apothéose du Café-Concert. Partout les +gommeuses, les gambilleurs, les chanteuses à voix, les excentriques, les +diseuses et les ténorinos, sévissaient. On restait sous le coup des +fortes émotions chauffées par Thérésa; et les vieux hommes radotaient, +avec des larmes, les chansons de Béranger, de Dupont et de Nadaud. Il y +avait, par cela même, <span class="pagenum"><a name="Page_148" id="Page_148">148</a></span> le café-concert avec ses sottises nouvelles, +et l'autre chantant ou Caveau, où l'on hospitalisait les chansons de +Paul Delmet et de Maurice Vaucaire. Dans ce temps-là, pas de revues, pas +de bas vaudevilles sur ces petites scènes, où, de huit heures à minuit, +défilaient toutes les chanteuses et tous les chanteurs des cinq parties +du Monde. Le Caveau pleurait boulevard de Sébastopol; le concert des +Décadents flonflonnait rue Fontaine; et Lautrec ne quittait, que pour +aller au Moulin, ce dernier café-concert, tapageur et pittoresque. Mais +la Duclerc, la reine du lieu, l'inquiétait par sa face ravagée; et il +n'osait pas la représenter, la dessiner telle qu'il la voyait, cruelle +et de sang atrocement brûlé!</p> + +<p>Puis, le printemps revenait; et Lautrec s'en allait revoir, dans +l'avenue des Champs-Elysées, les trois magnifiques cafés-concerts qui, +alors, en plein air, lançaient aux étoiles les couplets amoureux ou +pleurards, sentimentaux ou revanchards, humanitaires ou satiriques, que +faisaient écrire, dans les prisons, les entrepreneurs-chansonniers,—ou +que commettaient eux-mêmes, sans gloire, les Maurice Donnay et les +Bruant.</p> + +<p><span class="pagenum"><a name="Page_149" id="Page_149">149</a></span></p> + +<p>C'étaient, ces trois cafés-concerts: l<i>es Ambassadeurs</i>, <i>l'Alcazar</i> et +<i>l'Horloge</i>. Ce dernier devait, plus tard, être remplacé par le <i>Jardin +de Paris</i>,—lequel vient de disparaître à son tour.</p> + +<p>Comme elles réapparaissaient chaque fois charmantes ces joyeuses +bâtisses, à l'air d'établissements de bains très calmes et très roses!</p> + +<p>Paulus, Caudieux, Kam-Hill et tant d'autres, à ce moment-là, au temps de +Lautrec, y chantaient tour à tour. Paulus, le roi de la chanson, de la +chanson remuante, agitée, gambillarde! Paulus, qui était la troisième +personne de cette trinité glorieuse: le général Boulanger, Géraudel et +lui-même, Paulus! Paulus, qui avait incarné en lui l'âme de la Patrie; +et qui, aux accents de plus de deux millions de voix françaises, tous +les soirs, dans un café-concert, entraînait, vers l'Arc-de-Triomphe, le +père la Victoire et les pioupious d'Auvergne!...</p> + +<p>Mais c'était, aussi, la pleine floraison des <i>Ta-ra-ra-boum-di-hé</i> et +des frêles niaiseries que chantait plus anémiquement Miss May Belfort, +qualifiée sur le programme: artiste lyrique <span class="pagenum"><a name="Page_150" id="Page_150">150</a></span> anglaise; et, pourtant, +elle alluma tout de suite Lautrec.</p> + +<p>Après tout, cette bêlante brebis en valait la peine. Elle était si +cocassement puérile, costumée en baby, avec des boucles déroulées sur +ses épaules. Elle miaulait, tenant un chat noir entre ses bras ou n'en +tenant point; et, en chœur, aux Décadents, on hurlait le refrain de +ses couplets, tandis qu'elle se redressait toujours roide, et comme en +bois.</p> + +<p>Lautrec dessina et peignit souvent cette poupée venue de l'orageuse +Irlande. C'était la folie du jour, ces chanteuses ou ces danseuses +anglaises: une miss Cécy Loftus ou une miss Ida Heath. On les retrouvait +partout; et, cependant, avouons, sans être nationaliste, que la +française Duclerc, la fameuse Duclerc, à la fin tragique, avait un autre +accent! Ah! celle-là, cette terrible chanteuse minée par la phtisie, sa +fin dans un bar, sa rage de danse folle, qui nous secoue encore quand +nous évoquons l'écroulement brusque de cette femelle vidée!</p> + +<p>Mais, de toutes ces danseuses et diseuses, <span class="pagenum"><a name="Page_151" id="Page_151">151</a></span> celle que Lautrec, +irrésistiblement, préféra, ce fut Yvette Guilbert.</p> + +<p>Il lui consacra les planches de deux albums: une édition française, +éditée par Marty, avec notice de M. Geffroy; et une édition anglaise, +éditée par Bliss et Sands, à Londres, en 1898, avec un texte de M. +Arthur Byl.</p> + +<p>Ces lithographies sont depuis longtemps légendaires, il est donc vain de +les décrire; mais on peut bien répéter que personne ne représenta avec +une expression plus forte et plus significative le profil et la face de +Mlle Guilbert.</p> + +<p>Lautrec connut la diseuse alors qu'elle habitait avenue de Villiers; et, +sur le champ, s'enthousiasmant, il voulut la représenter en Diane +antique! Heureusement elle se mit à rire, et jura que la «caricature» +seule pouvait donner d'elle une image fidèle. Surprenant propos! Mais +Mlle Guilbert était si jeune!</p> + +<p>Lautrec suivit son modèle à la Scala, aux Ambassadeurs, dans sa loge, +sur la scène, dans les coulisses; et il multiplia d'après elle les +dessins, s'en tenant pourtant à des lithographies, n'ayant qu'une seule +fois choisi une autre <span class="pagenum"><a name="Page_152" id="Page_152">152</a></span> matière: une céramique qu'il exposa à +Londres, avec une série de lithographies.</p> + +<p>Il illustra également quelques-uns des monologues que disait, de sa voix +traînarde et acide, Mlle Guilbert: <i>Le jeune homme triste</i>; <i>Les vieux +messieurs</i>; <i>Eros vanné</i>; etc...;—mais il ne laissa pas d'elle un grand +portrait peint, alors qu'il peignit si souvent la Goulue et la Mélinite. +Et Dieu sait, pourtant, si Mlle Guilbert tenait une place au +café-concert! mais, bien entendu, on jugeait à rebours la personnalité +qu'elle y apportait. «Quand je pense, me disait-elle, un jour, que les +Parisiens me croient la joyeuse interprète des vices modernes, alors que +j'en suis la mère Fouettard!»</p> + +<p>Mais Lautrec, comme tous les Parisiens, ne se souciait ni de morale ni +de tout autre but. Il se contentait de se passionner pour le +café-concert; et cela lui suffisait.</p> + +<p>Aussi, avec H.-G. Ibels, il lithographia encore les planches de tout un +album consacré au Café-Concert. Avec un texte très complet et très +brillant de M. Georges Montorgueil, cet album fut édité par «l'Estampe +originale».</p> + +<p><span class="pagenum"><a name="Page_153" id="Page_153">153</a></span></p> + +<div class="figcenter" style="width: 350px;"><a name="page-153" id="page-153"></a> +<img src="images/page-153.jpg" alt="" title="" width="350" height="420" /> +<p class="caption1">PHOTO DRUET</p> +<p class="caption2">MAY BELFORT</p></div> + +<p>Voici de nouveaux et rares dessins au propre compte de Lautrec! Toujours +des Yvette Guilbert, naturellement: puis un profil malicieux, aigu, de +Judic; Abdala, aux longs bras, au ventre bombé; Jane Avril, papillon +tourbillonnant; Edmée Lescot, à la croupe jaillissante; Mary Hamilton, +poupon et soireux; Bruant, hautain, froid; Caudieux, marié bondissant; +Paula Brébion, chipie et plantureuse; la Loïe Fuller, flamme et +feu-follet; et, couronnant le tout, le pif rouge d'un chanteur +américain!</p> + +<p>En parlant des lithographies de Lautrec, j'aurai à citer bien d'autres +divettes. Je mentionne seulement ici, pour mémoire, ces trois autres +œuvres si curieuses venues du Café-Concert: <i>Chanteuse anglaise</i>, <i>au +Star du Havre</i>; <i>Miss Bedson</i> et <i>May Milton</i>.</p> + +<p>Avec quel esprit renouvelé, il a dessiné et peint ces filles! Ah! +certes, dès que Lautrec touchait à la femme affranchie, à la femme hors +du foyer, je veux dire à la bête fendue, prête à tous les déshonneurs et +à toutes les hontes, vraiment, il restait inimitable! Huysmans a écrit +une lyrique page sur les femmes au tub <span class="pagenum"><a name="Page_154" id="Page_154">154</a></span> peintes par Degas; mais +comment, comment, lui, devenu un misogyne féroce, n'a-t-il pas bondi sur +l'œuvre de Lautrec pour la fouailler, pour la ravager, pour la +massacrer, la femelle aux cent besoins? Comment n'a-t-il pas vu dans +l'œuvre de Lautrec un autre apport tout de même que l'apport de +Degas, qui se contenta, en somme, de laides faces et de ballonnantes +croupes? Crapaudes engraissées, mais crapaudes néanmoins, rien de plus! +alors que, lui, Lautrec, n'a-t-il pas faisandé, pourri la femelle? N'en +a-t-il pas fait le simple sac de pus vomi par le terrible moine Odon de +Cluny? Sac d'excréments, même pas! Sac de pus, j'y reviens; fumier +charriant tous les fétides filaments de l'avarie! Ensuite, est-ce que, +sous ces faces blanches, vertes, avivées de rouge,—sous ces poitrines +blètes, il n'y a pas, par l'apport de Lautrec, un autre et plus terrible +réquisitoire contre la salauderie des désirs et l'ignominie des ruts?... +Oui, qui peut de nouveau regarder une fille peinte par Lautrec sans +frémir, sans apercevoir tous les ulcères, tous les chancres, toutes les +ravageuses terreurs du musée Dupuytren, <span class="pagenum"><a name="Page_155" id="Page_155">155</a></span> cette géhenne effroyable et +subie de la chair? Pour moi, je me souviens, avec quel frisson! d'avoir +vu chez M. Théodore Duret, cette May Milton, à la face engraissée, à la +mâchoire lourde, de couleur jaune-blanche, comme retenant sous une +enveloppe-vessie un magma de pus tourné au jaune et au blanc-vert. Ce +tableau est une hideuse épouvante. Cette bouche frottée de rouge, elle +tombe, elle s'ouvre comme une vulve; elle n'a pas plus de défense, elle +n'a pas plus de fermeté; elle s'ouvre, elle laissera tout entrer! Et le +peintre qui a peint cette redoutable image, aimait les femmes. Quel +confondant sadisme!... ou est-ce une sorte de prêche pour les autres +hommes?... Singulier problème!</p> + +<hr class="tiny" /> + +<h2><a name="ch21" id="ch21"></a>LES COURSES</h2><p><span class="pagenum"><a name="Page_156" id="Page_156">156</a></span></p> + +<p>Les chevaux, les courses de chevaux aussi ne manquèrent point de retenir +Lautrec.</p> + +<p>Que de simples et jolis dessins, aquarelles ou peintures, il conçut, +tout de suite, à la manière anglaise, comme prétexte!—; à sa manière à +lui, comme exécution!</p> + +<p>Ainsi, ce bref tableau:</p> + +<p>La plaine est rase; une colline bleue borde l'horizon; et, dans un coin, +des bouquets d'arbres, précédés de barrières blanches, composent un +décor plaisant. Le cavalier s'en va au trot gaillard de son cheval; son +chien le suit, en tirant la langue; et le bonhomme est tout vermeil, en +bon état, vante à coup sûr la sérieuse utilité de l'exercice en plein +air. Le ciel, lui-même, est familier; nul nuage romantique, un friselis +de <span class="pagenum"><a name="Page_157" id="Page_157">157</a></span> laine dans un ciel tendre; et Lautrec complique de variété +seulement son cheval dans la classe des hacks et hackneys, des trotters +et double-horses, des galloways et des ponies.</p> + +<p><ins class="correction" title="Dautres fois">D'autres fois</ins>, ainsi que nous l'avons dit au chapitre: <i>Filles</i>, il +place un attelage en tandem, au bord de la mer. Un tonneau, un voile qui +flotte au vent; et, escortant la jeune femme qui conduit, un fox-terrier +galope en bondissant.</p> + +<p>Que d'éventails Lautrec exécuta dans cet ordre d'idées-là!</p> + +<p>Les jockeys, à pied ou à cheval, les lads, les entraîneurs et les +paddocks, figurent nombreux aussi dans son œuvre. Et comment en +eût-il été autrement pour ce peintre curieux, tellement épris de vie +moderne?</p> + +<p>Les Courses, d'ailleurs! Les chevaux, les femmes!</p> + +<p>Sous couleur d'amélioration de la race chevaline, ne donne-t-on pas, aux +Courses, les plus exquis rendez-vous de femmes parées dans un décor de +luxe, dans un infini boulingrin émaillé çà et là de somptueuses fleurs?</p> + +<p>Et la vue n'en est-elle pas exquise, alors qu'elles <span class="pagenum"><a name="Page_158" id="Page_158">158</a></span> sont toutes là, +les filles, à la parade, dans la joie de vivre, assistant à une des +fêtes du turf?</p> + +<p>Oui, elles sont joyeuses, et leur joie resplendit dans leurs yeux, dans +le joli mouvement de leurs bras enveloppeurs et de leurs grâces frêles; +elles sont superbes aussi sous l'architecture fastueuse du chapeau, +toutes jaillies en sveltes lignes de la gaine des jupes et de la sangle +du corset. Le bouquet est verni, lustré, plus captivant que rien qui +soit au monde, alors qu'il se déroule tant d'idées de bonheur, d'amour +de soi-même, d'orgueil de plaire et de triomphe, sur ces visages de +filles érigées toutes droites, ou assises sur des chaises, comme sur des +socles.</p> + +<p>Certes, ici, encore, un décor est tout fait. Cela se compose, tout de +suite, ce fond de panaches à l'horizon, cette colline d'arbres et de +villas, ces tribunes fleuries ayant un caractère de constructions +exotiques, et ce tapis de la pelouse, large, immense, piqué de barrières +et de betting-pots.</p> + +<p>Et le décor est frais, attirant sous le ciel bleu et mauve des pleins +jours d'été. Pour peindre cela, il faut le rendre en quelques points +essentiels. C'est, en effet, tout d'une venue, quand <span class="pagenum"><a name="Page_159" id="Page_159">159</a></span> on cherche +seulement l'arabesque. Les chevaux eux-mêmes se prêtent merveilleusement +à ces schémas. Ils sont tout en jambes et en encolures longues. Mais il +y a des déformations de génie à inventer pour exprimer des attitudes +vraies, pour peindre le pas rythmique ou le galop coulant et près de +terre de ces chevaux, qui somnolent et se bercent, au contraire, quand +ils sont sur les routes.</p> + +<p>Et leurs cavaliers, faire comprendre les longs apprentissages, les +labeurs de l'art équestre, c'est rude. Le visage, ici, n'est pas tout; +les bras et les jambes et le torse et tout, tout cela a trop travaillé, +a été trop violenté, a trop peiné pour qu'on n'étudie pas, à s'y abîmer +de longues heures, le caractère des déformations fatales, dans un corps +d'anglo-saxon, rompu déjà, pourtant, à toutes les périlleuses aventures +des sports.</p> + +<p>Et il y a encore autre chose. Car il faut trouver l'atmosphère morale de +tous ces gens: mercantis heureux, hommes politiques et escarpes, +bookmakers et propriétaires, filles et jockeys. Il faut peindre des âmes +vigoureuses du <span class="pagenum"><a name="Page_160" id="Page_160">160</a></span> lucre sur des visages rudes ou fragiles, des +attitudes exactes de groupes; ne pas verser dans l'anecdote des +courtauds de boutique aventurés ici ou des petites gens qui risquent de +maigres enjeux.</p> + +<p>Aussi bien le sport que tarifent des rentes sûres est de seul +intérêt—et de charme certain. C'est, à l'entour de pavillons évoquant +des villas de falaises normandes, que se rencontrent seulement le +maquignonnage opulent des chevaux et des filles—et l'âpre convoitise +des «matelas de billets» pour les entretenir, parallèlement, dans de +superbes et quasi similaires écuries, à la litière chaude.</p> + +<p>Tout cela, Lautrec le développa encore magnifiquement dans de trop rares +œuvres consacrées aux Courses. Dans ses lithographies, notamment, il +importe de signaler cette merveilleuse estampe: <i>Jockey se rendant au +poteau</i>, qui est un hommage rendu à une des gloires de notre temps.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 350px;"><a name="page-161" id="page-161"></a> +<img src="images/page-161.jpg" alt="" title="" width="350" height="514" /> +<p class="caption1">PHOTO DRUET</p> +<p class="caption2">JOCKEYS</p></div> + +<hr class="tiny" /> + +<h2><a name="ch22" id="ch22"></a>DE TOUT</h2><p><span class="pagenum"><a name="Page_161" id="Page_161">161</a></span></p> + +<p>Certes, si Lautrec redoutait tout des très gros chiens qui pouvaient le +faire tomber, il réservait sa tendresse aux petits chiens à courts ou à +longs poils, qui sont les ordinaires compagnons des jeunes filles, des +hommes inoccupés et des vieilles catins.</p> + +<p>Aussi dessina-t-il et peignit-il de nombreux portraits de chiens.</p> + +<p>Notons, par exemple:</p> + +<p><i>Le chien Tommy</i>, un petit chien, à poils longs, couché sur le ventre, +et très doux;</p> + +<p><i>La jeune fille avec un chien</i>, aquarelle en éventail;</p> + +<p><i>L'enfant avec la chienne Paméla</i> (Taussat-Arcachon); et, enfin, après +quelques autres portraits de chiens, de moindre importance, <span class="pagenum"><a name="Page_162" id="Page_162">162</a></span> voici +le fameux <i>Bouboule</i>; Bouboule, ce Chéri-Bouboule, enfin Bouboule, le +bull-dog, qui s'octroyait l'unique honneur de lécher les joues de la +chère Madame Palmyre, la patronne de la <i>Souris</i>!</p> + +<p>Bouboule! Oh! si j'écris et si je récris ce nom, avec tant de plaisir, +c'est que tous les anciens amis de Palmyre se souviennent toujours, +comme moi, de ce chien vraiment chien, de ce Bouboule si goulu et si +concupiscent! Mais quel Bouboule aussi bien mal né! Car Palmyre avait +vainement tenté de lui inculquer l'amour des femmes. Bouboule les +détestait, il n'y avait rien à faire contre cela; et le sacré Bouboule, +ce réjouissant Chéri-Bouboule le leur montrait bien aux femelles, qu'il +ne les acceptait pas; car, sitôt qu'on n'avait plus les yeux sur lui, il +descendait de la table, où il reposait son petit cul tout rond; et, avec +des efforts inouïs, rassemblant les dernières gouttes, il pissait sur +les robes et sur les manteaux! Pauvre Bouboule, que j'adorais! Qu'est-il +devenu, ce Chéri-Bouboule? Oui, je sais, au Paradis des chiens, avec +celui de Panurge! mais, du <span class="pagenum"><a name="Page_163" id="Page_163">163</a></span> moins, où se trouve maintenant son +portrait?</p> + +<p>Nous avons revu heureusement celui de <i>Follette</i>, la délicieuse petite +chienne blanche, à longs poils, à oreilles droites, à crinière léonine, +assise sur son derrière et le poitrail droit, face au spectateur. Petite +tête de souris éveillée, chère petite demoiselle et certainement pucelle +encore, que Lautrec avait peinte avec une souplesse étonnante, et en si +parfait contraste avec le <i>chien Tommy</i>, déjà nommé au palmarès +canin,—lui, une sorte de gros paysan balourd en feutre, tombé de tout +son poids et de tout son long sur ses pattes de devant.</p> + +<p>«De tout!» avons-nous écrit en tête de ce chapitre. Y a-t-il donc, à +présent, à citer, des paysages peints ou dessinés par Lautrec?</p> + +<p>Nous, nous ne connaissons que quelques paysages proprement dits qui +peuvent être donnés à Lautrec. Nous nous souvenons également d'avoir vu +chez M. Maurice Guibert et chez M. le Président Séré de Rivières, +quelques marines exécutées au lavis et au fusain.</p> + +<p>Mais il y a d'autres choses à noter, sans doute, si l'on veut classer +des projets pour des couvertures <span class="pagenum"><a name="Page_164" id="Page_164">164</a></span> de livres ou pour des affiches; +projets que Lautrec cherchait sur un papier ou sur un carton, soit au +crayon, soit du bout du pinceau, trempé dans l'essence; et l'on peut +cataloguer encore, pour mémoire, des essais de sculpture assez informes +qu'il tenta, avenue Frochot, quelques mois avant sa mort.</p> + +<p>Par contre, il fit beaucoup d'aquarelles, gouachées ou libres. En voici +une brève énumération: <i>Aristide Bruant</i>; l'esquisse pour l'affiche de +la <i>Babylone moderne</i>; <i>Au café</i>; <i>Le portrait de Maxime Dethomas</i>, <i>au +bal des Quat'z-Arts</i>; <i>Cortège indien</i>; <i>La clownesse et les cinq +plastrons</i>; <i>Miss May Belfort</i>, etc., etc...</p> + +<p>Aquarelliste, Lautrec gardait la même liberté et la même acuité que pour +ses peintures à l'huile, attendu que, chez lui, c'était, avant tout, le +dessin qui comptait.</p> + +<p>Au résumé, toutes ces menues œuvres, dont nous venons de parler, +peut-être trop laconiquement, étaient réalisées un peu au hasard de ce +que Lautrec trouvait sous sa main, et selon son humeur du moment. Oui, +il ne convient pas, décidément, de voir en lui un homme méthodique, <span class="pagenum"><a name="Page_165" id="Page_165">165</a></span> +mesuré, disciplinant ses facultés et ses envies de travail. Ceci est +seul à enregistrer: il fournissait, à Paris, un dur labeur; et il se +réservait l'été pour ne rien faire; je veux dire pour se baigner ou +conduire son bateau dans la baie d'Arcachon.</p> + +<hr class="small" /> + +<h4>DES COMMENTAIRES SUR L'ŒUVRE</h4><p><span class="pagenum"><a name="Page_167" id="Page_167">167</a></span></p> + +<h2>IV</h2> + +<h3>Lithographies et Pointes-Sèches</h3> + +<h3>Dessins</h3> + +<h3>Affiches</h3> + +<h3>Illustrations de Livres</h3> + +<h2><a name="ch23" id="ch23"></a>LITHOGRAPHIES ET POINTES-SÈCHES</h2><p><span class="pagenum"><a name="Page_169" id="Page_169">169</a></span></p> + +<p>Voici une nouvelle considérable partie de l'œuvre de Lautrec. Aussi, +le sculpteur Carabin et le peintre H.-G. Ibels se disputent-ils +l'honneur d'avoir poussé Lautrec vers la lithographie. Carabin, +exigeant, revendique en outre cet honneur pour Willette.</p> + +<p>En tout cas, Carabin se souvient fort bien d'avoir conduit Lautrec chez +Edwards Ancourt, imprimeur, faubourg Saint-Denis (ancienne imprimerie +Bourgery); et, là, d'avoir présenté Lautrec à un ouvrier d'Ancourt, +nommé Stern, qui, à partir de ce jour, tira les épreuves pour Lautrec.</p> + +<p>De son côté, Ibels <i>croit</i> qu'il fut le premier à faire faire à Lautrec +de la lithographie, en lui demandant de composer avec lui-même, Ibels, +<span class="pagenum"><a name="Page_170" id="Page_170">170</a></span> l'album connu, texte de M. Georges Montorgueil, consacré au +Café-Concert.</p> + +<p>Quoiqu'il en soit, cela nous reporte à l'année 1892; et, conduit par +l'un ou par l'autre de ses deux amis, Lautrec se passionna tout de suite +pour la lithographie. Improvisant sur la pierre, qu'il ne retouchait +jamais, ses estampes eurent rapidement une vive saveur.</p> + +<p>Tous les jours, il arrivait chez Stern, installé en chambre; et là, sur +une pierre, il faisait son dessin; puis, il s'en allait. La pierre était +alors gommée; et, le lendemain, Lautrec revenait assister au tirage des +épreuves. Il se passionnait à indiquer le ton des encres, s'il +s'agissait de lithographies en couleurs; et il faisait recommencer vingt +fois s'il le fallait, pour obtenir le ton spécial qu'il désirait, en vue +du définitif tirage, toujours publié à un petit nombre d'exemplaires, +qu'il tint, dès le début, à numéroter lui-même et à signer.</p> + +<p>Cependant, on peut voler des estampes dans une imprimerie; mais Lautrec +fut tout de suite impitoyable pour les voleurs. C'est ainsi qu'il fit +arrêter un marchand notoire qui vendait <span class="pagenum"><a name="Page_171" id="Page_171">171</a></span> des lithographies signées +par lui, Lautrec, et qui avaient été dérobées à l'atelier. Même dans le +fiacre qui emmenait à l'étroit le marchand avec deux agents de la +sûreté, ne s'assit-il pas, imperturbable, sur les propres genoux du +marchand pour l'accompagner chez le juge, et le faire condamner;—car il +fut inexorable?</p> + +<p>Lautrec eut bientôt de nombreuses estampes en train. Mais, ici, rendons +à César ce qui est à César! Ce fut Ibels et pas un autre, qui réussit à +convaincre l'éditeur Georges Ondet qu'il valait mieux faire illustrer +les couvertures des chansons de café-concert par des artistes, plutôt +que de s'adresser aux spécialistes ordinaires. Et, ainsi, sur sa +proposition, Lautrec, Vallotton, Bonnard, Vuillard, Willette et Ibels +lithographièrent ces attachantes couvertures de chansons, dont on tirait +une centaine d'épreuves avant la lettre; et que les marchands Kleinmann, +Sagot et Arnould, achetaient et vendaient à part.</p> + +<p>En 1893, Ibels fonda, avec l'héroïque Georges Darien, un hebdomadaire +illustré, appelé <i>L'Escarmouche</i>, «journal de combat, absolument +indépendant et répudiant toute compromission». <span class="pagenum"><a name="Page_172" id="Page_172">172</a></span> Ce journal n'eut +qu'une existence éphémère. Le 1<sup>er</sup> numéro porte la date du 12 novembre +1893; le dernier, celle du 16 mars 1894; encore ce dernier numéro +parut-il après une interruption de deux mois, et sans aucune +illustration.</p> + +<p>Lautrec fournit à <i>l'Escarmouche</i> les douze lithographies suivantes: +<i>Pourquoi pas?... Une fois n'est pas coutume</i>; <i>Aux Variétés: Mlle +Lender et Brasseur</i>; <i>En quarante</i>; <i>Mlle Lender et Baron</i>; <i>Emilienne +d'Alençon et Mariquita aux Folies-Bergère</i>; <i>Au Moulin-Rouge: un rude!</i> +(Table de café. Le personnage âgé qui tire sur sa barbe représente le +comte Alphonse de Toulouse-Lautrec); <i>Folies-Bergère: les pudeurs de M. +Prud'homme</i>; <i>A la Renaissance: Sarah Bernhardt, dans Phèdre</i>; <i>A la +Gaîté-Rochechouart: Nicolle</i>; <i>A l'Opéra: Mme Caron, dans Faust</i>; <i>Au +Moulin-Rouge: l'union franco-russe</i>; <i>Au théâtre Libre: Antoine, dans +l'Inquiétude</i>.</p> + +<p>Les autres dessinateurs-collaborateurs à <i>l'Escarmouche</i> furent +Anquetin, Bonnard, Vuillard, Willette, Hermann-Paul, Vallotton et Ibels; +et c'est encore sur la proposition d'Ibels <span class="pagenum"><a name="Page_173" id="Page_173">173</a></span> (qui avait décidément la +marotte des bonnes idées) qu'on lithographia les dessins, ce qui permit +le clichage par un simple report sur zinc, moins coûteux et plus +artiste;—et, en outre, les épreuves lithographiques avant la lettre +étant vendues aux amateurs, payaient ainsi l'artiste sans aucun frais +pour le journal.</p> + +<p>Chez Ondet,—je garde personnellement le plus vif souvenir de cet +éditeur actif et intelligent!—chez Ondet, Lautrec composa aussi les +lithographies pour un certain nombre de compositions musicales de son +ami Désiré Dihau, relatives à <i>Vieilles Histoires</i>, poésies de Jean +Goudeski.</p> + +<p>Elles sont toutes fort curieuses, ces couvertures; mais comme il y eut +d'autres couvertures illustrées par H.-G. Ibels, Henri Rachou, etc., +voici les titres des compositions, en ce qui concerne Lautrec: <i>Pour +toi</i>!... (Désiré Dihau jouant du basson, devant un buste de faune); +<i>Nuit blanche</i>; <i>Ta bouche</i>; <i>Sagesse</i> (ici Lautrec a représenté deux de +ses amis: Mme Natanson et M. Numa Baragnon); <i>Ultime ballade</i>.</p> + +<p>A bien dire, dépouillées de toute couleur, <span class="pagenum"><a name="Page_174" id="Page_174">174</a></span> c'est surtout dans les +lithographies au simple crayon que l'on voit la généreuse noblesse, la +certitude aiguisée, et—il faut toujours insister sur les mêmes +choses!—l'intégrale personnalité du dessin de Lautrec. Nulle écriture +n'est plus impérieuse, si j'en excepte celle de Modigliani, ce +merveilleux dessinateur mort lui aussi un jour trop prématuré.</p> + +<p>Cette certitude du dessin de Lautrec! C'est en voyant toutes ses +lithographies qu'il faut admirer continuellement ce dessin tracé de la +pointe du crayon, sans hésitation, sans le plus léger heurt. La pointe, +sûre d'elle-même, ainsi que la pointe d'épée d'un prestigieux escrimeur, +aussitôt que placée au-dessus de la pierre, elle inscrivait la pensée +prompte, les plus souples, les plus sensibles et les plus affirmatives +des arabesques. Vraiment, là, Lautrec est tout à fait à l'aise. Ces +paraphes de dessin, ces contours, ces angles, ces déformations subtiles, +tout cela est le témoignage d'un style prodigieusement original, d'une +volonté que l'on qualifierait de magnifiquement instinctive, si cela se +pouvait dire. De Lautrec, escrimeur toujours prêt, toujours <span class="pagenum"><a name="Page_175" id="Page_175">175</a></span> souple, +toujours vigoureux et surtout si sûr de lui, avec quelle foudroyante +vitesse la pointe se détendait, allait frapper droit au but, je veux +dire sur la pierre vierge, en attente de chef-d'œuvre ou de sottise! +Et c'était toujours un chef-d'œuvre; ou du moins une chose rare qui +apparaissait, qui stupéfiait; une œuvre de noblesse et d'élégance, +sortie de ce petit homme à pince-nez, presque un gnome, juché sur un +tabouret pour quelque méchante action. Et c'était, cela, le persistant +étonnement que quelque chose venant de lui était chaque fois marquée +d'une indélébile distinction. Et quelle variété!</p> + +<p>Dans la partielle énumération faite plus loin du catalogue de ses +lithographies (M. Loys Delteil en a classé 368 exactement, y compris 9 +pointes-sèches), il vous sera possible déjà de voir quels sujets il +traita, combien il fit de portraits, de compositions et d'illustrations +de livres. Et c'est sans cesse le beau miracle: hommes, animaux, décors, +tout est d'un haut style et d'une parfaite saveur!</p> + +<p>Et Lautrec trouvait encore des mots. Un jour, <span class="pagenum"><a name="Page_176" id="Page_176">176</a></span> donnant rendez-vous à +M. André Marty pour préparer le premier album Yvette Guilbert, il dit à +cet artisan du livre: «Venez, ensemble <i>nous définirons</i> Yvette!» Oui +c'est cela! Lautrec pensait d'abord fortement à son sujet; puis, +lorsqu'il l'avait bien vu, bien exploré, bien retourné en tous les sens, +il était prêt, il pouvait aborder la pierre lithographique et développer +à coup sûr la forme et l'esprit de son sujet.</p> + +<p>L'imprimerie! Il s'en était toqué incroyablement. Pour rien au monde, il +n'eût manqué d'aller un seul jour chez Stern. A peine arrivé, il +rabattait son chapeau sur ses yeux, il se juchait sur son tabouret; et, +après avoir soigneusement frotté son pince-nez, il se mettait, en +plaisantant, au travail. Il s'escrimait alors, tellement sûr de lui +qu'il pouvait parler avec les gens qui, quelquefois, se trouvaient +là—ou avec l'ami qui l'avait accompagné.</p> + +<p>Ces lithographies, quelques-unes sont simples, en tailles menues, fines, +pas surchargées, nuancées, rappelant souvent, en un style plus acéré, +toutefois, les admirables estampes de Whistler, si délicates, si +subtiles!... D'autres lithographies <span class="pagenum"><a name="Page_177" id="Page_177">177</a></span> sont couvertes avec des +frottis de crayon, avec des frottis de pouce. Elles sont, celles-là, +tout en étant fort belles, moins significatives peut-être que les +lithographies réalisées seulement de la pointe du crayon.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 350px;"><a name="page-177" id="page-177"></a> +<img src="images/page-177.jpg" alt="" title="" width="350" height="451" /> +<p class="caption1">PHOTO DRUET</p> +<p class="caption2">CLOWNESSE AU BAL</p></div> + +<p>Ah! toutes ces rares lithographies! L'œuvre la plus décisive, la plus +savoureuse de Lautrec; celle qui l'emporte sur l'œuvre du peintre, +qu'on le veuille ou non; l'œuvre qui lui accordait toute sa liberté; +l'œuvre où il pouvait débrider toute sa fantaisie, son goût extrême +de la diversité et de la sensibilité la plus excessive et la plus +divinatrice!</p> + +<p>Sans doute, il existe de merveilleuses toiles de Lautrec; mais <i>sa</i> +couleur, la couleur qu'il apportait, ah! comme je puis bien m'en passer, +tant j'aime, tant j'admire, avant tout, <i>son</i> dessin, ce dessin +prodigieusement vivant et d'une singularité si absolue, si souveraine, +telle que l'on ne pourrait pas concevoir de faux tableaux possibles de +Lautrec, si les faussaires ne s'adressaient pas à la profonde bêtise, à +la crapuleuse ignorance des collectionneurs, amateurs de tableaux et +bibliophiles.</p> + +<p><span class="pagenum"><a name="Page_178" id="Page_178">178</a></span></p> + +<p>Et, dans ses lithographies, il a su tout représenter: les comédiens et +les comédiennes, les chanteuses de cafés-concerts et les cantatrices +d'opéras, les danseuses et les diseuses, les chevaux et les jockeys, les +chiens et les chats, les clowns et les clownesses, les programmes de +théâtres et les menus, les filles et les patrons de bars, les procès +Arton et Lebaudy—et jusqu'à un concours pour une affiche à Napoléon!</p> + +<p>Pour tous ces sujets, il faut préférer encore et toujours les +lithographies en noir. Pour les affiches vues de loin et à voir de loin, +c'est assurément une autre manière de penser; mais, pour les +lithographies qu'on a sous le nez, qu'on respire pour ainsi dire, +choisissons le dessin seul, le trait noir, le frottis noir, rien de +plus! Toute notre émotion est faite alors de cette nouvelle et haute +«probité de l'Art,» dirait M. Ingres, de ce «frisson nouveau», dirait +Hugo; et, pour bien des années, pour des siècles peut-être, le dessin de +Lautrec restera dans un superbe isolement!</p> + +<p>Pour terminer, notons, ici, que Lautrec se complut à graver quelques +pointes-sèches, neuf <span class="pagenum"><a name="Page_179" id="Page_179">179</a></span> exactement. Mais ce ne sont là que des choses +secondaires. En voici le détail: <i>Mon premier zinc</i>; <i>L'explorateur +L.-J. Vicomte de Brettes</i>; <i>Charles Maurin</i> (qui, en retour, gravera à +l'eau-forte le portrait de Lautrec, celui-là même qui est publié au +commencement de ce livre); <i>Francis Jourdain</i>; <i>W. H. B. Sands, éditeur +à Edimbourg</i>; <i>Henry Somm</i>; <i>Le lutteur Ville</i>; <i>Portrait de M. X...</i>; +<i>Portrait de Tristan-Bernard</i>.</p> + +<hr class="tiny" /> + +<h2><a name="ch24" id="ch24"></a>DESSINS</h2><p><span class="pagenum"><a name="Page_180" id="Page_180">180</a></span></p> + +<p>Les dessins de Lautrec, les purs dessins, c'est encore un enchantement. +Quels traits sûrs, hardis, jamais repris, tracés du coup! Quels contours +précis, exprimant tout le caractère, l'exagérant, l'accroissant! Quelle +race toujours! Quelle causticité aussi et, parfois, quelle pitié aiguë, +voudrait-on dire!</p> + +<p>Lautrec a fait tous les dessins: dessins au crayon, dessins au pinceau, +fusains, sanguines, dessins à la plume, dessins rehaussés de couleurs.</p> + +<p>Dans un premier livre que nous avons consacré à Lautrec, et qui est +aujourd'hui épuisé, comme on dit en argot de librairie, nous avons déjà +donné une bonne centaine des rapides croquis, qu'il traçait fermement et +décisivement <span class="pagenum"><a name="Page_181" id="Page_181">181</a></span> de la pointe du crayon ou de la plume. Et, certes, si +l'on tient absolument à ranger Lautrec, pour un petit côté de son +œuvre, parmi les humoristes amers et douloureux, c'est à ces sortes +de croquis-là qu'il faut penser; il n'y <ins class="correction" title="à">a</ins> que ces croquis-là à donner en +exemple d'humour: schémas de traits, paraphes et arabesques, qui +représentent—et avec quelle acuité!—d'un trait sommaire, des filles, +des chevaux, des toreros, des acteurs, des figurants, des clowns ou des +écuyers. D'un trait sommaire, crayon ou plume, qui touche à la charge, +et reste au bord du trait caricatural. Ce dessin ne fait pas rire, loin +de là; c'est de l'humour pessimiste qui déforme, en ne tombant jamais +dans le trivial.</p> + +<p>De l'année 1882 et des années immédiatement suivantes, on a retrouvé des +fusains de Lautrec sur du papier Ingres, gris et bleu: des paysannes, +des femmes assises, des petits paysages ou des petites marines.</p> + +<p>En 1886-1887, il collabora au <i>Courrier Français</i>, le journal du +désordonné Jules Roques; et il fut en même temps au <i>Mirliton</i>, le +journal du <span class="pagenum"><a name="Page_182" id="Page_182">182</a></span> non moins étonnant Aristide Bruant, l'engueuleur patenté +des Parisiens et de leurs compagnes.</p> + +<p>Le <i>Mirliton</i> eut 77 numéros, et vécut du mois d'octobre 1885 au mois de +décembre 1892.</p> + +<p>Puis ce fut cette suite, au moins comme dessins publiés:</p> + +<p>Dans le numéro du 7 juillet 1888, à <i>Paris illustré</i> (publication +hebdomadaire), Lautrec donne des illustrations pour un article intitulé: +<i>L'été à Paris</i>.</p> + +<p>En 1894, premier numéro du journal <i>le Rire</i>, Lautrec dessine une +<i>Yvette Guilbert</i>, avec couleurs, au numéro du 22 décembre;—puis onze +autres dessins, la plupart également rehaussés de couleurs, à des dates +diverses jusqu'au mois d'avril 1897, moment où cesse sa collaboration.</p> + +<p>Parmi ces dessins-là, on peut citer: <i>Ambroise Thomas, chef +d'orchestre</i>; <i>Ma fille</i>; <i>Au Palais de Glace</i>; <i>Redoute au +Moulin-Rouge</i>; <i>Chocolat au bar d'Achille</i>; <i>Au cirque</i>; etc.</p> + +<p>En juillet 1893, Lautrec avait collaboré au <i>Figaro Illustré</i>, en +illustrant: <i>Les plaisirs à <span class="pagenum"><a name="Page_183" id="Page_183">183</a></span> Paris</i>, texte de M. Geffroy; en juillet +1895, il illustre <i>Le bon Jockey</i>, texte de M. Romain Coolus; et, en +septembre 1895, il apporte encore des illustrations pour une autre +nouvelle de M. Romain Coolus: <i>La Belle et la Bête</i>.</p> + +<p>Avec son ami Tristan-Bernard, il a publié un supplément au n<sup>o</sup> de +janvier 1895, de <i>La Revue Blanche</i>: un <i>Nib</i> (en argot, néant, rien!). +Tristan-Bernard a écrit le texte, et Lautrec a crayonné des +lithographies, parmi lesquelles celle-ci est très admirable: <i>Anna Held +au Café-concert</i>.</p> + +<p>Dans le N<sup>o</sup> de juin 1894, de la même revue, Lautrec a orné de croquis le +compte-rendu humoristique consacré par Tristan-Bernard au Salon de 1894.</p> + +<p>En ces années 1894 et 1895, Lautrec fournit, d'ailleurs, maints dessins +pour des programmes de théâtres, pour des menus, pour des couvertures de +livres, etc.</p> + +<p>C'est ainsi que, dans la <i>Revue Blanche</i> du mois de mai 1895, Paul Adam +ayant consacré un article à Oscar Wilde, Lautrec a dessiné à la plume le +portrait du dramaturge anglais.</p> + +<p><span class="pagenum"><a name="Page_184" id="Page_184">184</a></span></p> + +<p>Il dessina encore le même Oscar Wilde sur la partie droite, et Romain +Coolus sur la partie gauche, d'un programme exécuté pour le théâtre de +l'Œuvre, soirée du 11 février 1896, consacré à Oscar Wilde (auteur de +la <i>Salomé</i>), et à Romain Coolus (auteur de <i>Raphaël</i>).</p> + +<p>Enfin, terminons cette incomplète énumération de dessins publiés, par +quelques titres de dessins notoires:</p> + +<p><i>Au Café de Bordeaux, Antoine, un amer!</i> <i>Sur les quais de Bordeaux</i>; +<i>Arrivée aux Courses</i>; <i>Etude pour «Elles»</i>; <i>Esquisse pour l'affiche de +«Babylone»</i>; <i>Course de chevaux</i>; <i>Dans les coulisses</i>; <i>Elsa, la +Viennoise</i>; <i>Une habituée de la «Souris»</i>; <i>Programme de «l'Assommoir»</i>; +<i>Messaline</i>; <i>Projet d'affiche du «Divan japonais»</i>; <i>Les frères Marco +(clowns)</i>; <i>Scène de Cirque</i>; <i>Polaire</i>; <i>Yvette Guilbert, saluant</i>; +etc., etc.</p> + +<p>Dans tous ces dessins, et dans des centaines d'autres qu'il est +impossible de dénombrer, Lautrec nous offre son style, sa science de +l'expression, qu'il met en valeur par un contour frémissant, creusé, +exact. C'est toujours un miraculeux, un unique dessin! Maints dessins +<span class="pagenum"><a name="Page_185" id="Page_185">185</a></span> d'artistes illustres paraissent froids, conventionnels, sans +mouvement, à côté de ce dessin passionné, qui déborde de vie et de +volonté.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 350px;"><a name="page-185" id="page-185"></a> +<img src="images/page-185.jpg" alt="" title="" width="350" height="529" /> +<p class="caption2">COUVERTURE POUR UN MONOLOGUE</p></div> + +<p>Mais si nous avons insisté sur le côté acéré, amer, de son dessin, de +son écriture, il est capable, aussi, ce complet dessinateur, de traduire +toute la grâce d'un profil d'enfant, toute la délicatesse de certaines +têtes de femmes. Il a tellement de ressources, ce dessin singulier, +qu'il peut être tour à tour cruel ou caressant, anguleux ou arrondi; il +peut flageller ou flatter, effrayer ou attirer. Même, quelquefois, ce +dessin pare de je ne sais quelle morbidesse telle tête de fille, qui, en +maison, laisse rêver sa bêtise. Mais, cependant, à tout bien considérer, +nous pensons que Lautrec a bien fait de suivre plutôt son penchant vers +l'amertume, et vers le pessimisme. Nous aimons, sans doute, les accès de +tendresse de Lautrec; et il y a maints et maints dessins faits dans +cette douceur de caractère qui sont d'une grâce heureuse; mais nous +préférons le dessin incisif, douloureux, le ravinement d'une face, une +bouche plissée, des narines ouvertes, un regard d'oiseau de proie <span class="pagenum"><a name="Page_186" id="Page_186">186</a></span> +somnolent, un chignon en bataille;—tous les stigmates, enfin, dont il +accable le plus souvent les femmes, qui retiennent son caprice!</p> + +<p>Pour tout résumer, nous aimons infiniment mieux Lautrec-Goya que +Lautrec-Fragonard!</p> + +<hr class="tiny" /> + +<h2><a name="ch25" id="ch25"></a>AFFICHES</h2><p><span class="pagenum"><a name="Page_187" id="Page_187">187</a></span></p> + +<p>De l'estampe à l'affiche, ce ne fut, pour Lautrec, qu'une simple +nouvelle curiosité.</p> + +<p>Dès l'année 1892, il envoya, au Salon des Indépendants, le second état +de l'<i>Affiche pour le Moulin-Rouge</i>.</p> + +<p>Tout de suite, il vit l'affiche par des à-plats, violents mais peu +compliqués. Le trait généralement en vert. Le fond blanc du papier. Une +tonalité bleue, jaune, rouge ou noire.</p> + +<p>Parmi ses affiches les plus connues, on peut citer:</p> + +<p>L'<i>Affiche du Moulin-Rouge</i>. (La Goulue dansant, et, au premier plan, +Valentin, de profil);</p> + +<p><i>Le Pendu</i>;</p> + +<p><i>Le Divan japonais</i> (75, rue des Martyrs. Jane <span class="pagenum"><a name="Page_188" id="Page_188">188</a></span> Avril, de profil, +assise; et, derrière elle, un type d'anglais);</p> + +<p><i>Reine de joie</i> (pour l'annonce d'un livre de Victor Joze, de son vrai +nom: Victor Dobrski);</p> + +<p><i>Aristide Bruant aux Ambassadeurs</i>;</p> + +<p><i>Jane Avril au Jardin de Paris</i>;</p> + +<p><i>Caudieux</i>;</p> + +<p><i>Bruant au Mirliton</i>;</p> + +<p><i>Babylone d'Allemagne</i>, par Victor Joze;</p> + +<p><i>La Revue Blanche</i> (bi-mensuelle, 1, rue Laffitte);</p> + +<p><i>La chaîne Simpson</i> (réclame pour une chaîne de bicyclette); etc., etc.</p> + +<p>Aujourd'hui encore, nous nous souvenons de notre émoi quand nous vîmes, +pour la première fois, sur un mur, une affiche de Lautrec. A cette +époque-là, l'affiche en couleurs, si galvaudée depuis, ne s'étalait +point. On n'était réjoui, de temps à autre, que par les affiches de +Chéret, cette «exquise dînette d'art!»; et, de fait, c'était un vrai +régal que ces Arlequins, ces Colombines, ces Pierrots, ces bals masqués, +ces jolies filles et toute cette éblouissante volée de multicolores +confetti que Chéret placardait sur les murs. <span class="pagenum"><a name="Page_189" id="Page_189">189</a></span> Cela enchantait la rue +et l'emplissait de soleil. Tout Paris pour Chéret avait alors des yeux +enthousiastes. Et voilà que, tout à coup, un inconnu surgissait qui nous +frappait de stupeur, qui nous troublait par un dessin insolite et +volontaire, par une sobriété de couleurs à tons plats et acides! et +c'était signé: Lautrec; et, chose étrange, le nom devenait vite +populaire, mais à la façon d'un nom qui apporterait avec lui de +l'inquiétude et de l'angoisse. On était mal à l'aise, mais on frémissait +de plaisir. Une affiche surtout: <i>Babylone d'Allemagne</i>, nous causa une +bizarre et inextinguible joie!</p> + +<p>Ah! vraiment, c'était la première fois qu'on voyait une telle mise en +scène: des cavaliers, puis un officier, hobereau roide, orgueilleux, +paon ou dindon féroce, toute sa morgue à cheval sur un cheval blanc, et, +avec ses hommes, défilant tout «emmonoclé» et tout empaillé, devant une +lourde brute des champs, costumé en soldat prussien, qui lui présente +les armes!</p> + +<p>Et, là-haut, dans un coin de la page, à droite, un couple passait; +l'homme à peine vu, mais dont on devinait les transes; tandis que la +<span class="pagenum"><a name="Page_190" id="Page_190">190</a></span> femme, maniérée, faisait de l'œil à cet impassible greluchon +tout brandi, qui aurait fait sans doute si bien frémir son cher ventre +de Dorothée en folie!</p> + +<p>Ah! cette affiche comme vénéneuse malgré sa toute puissance! Comme son +temps est loin!...</p> + +<p>Nous, maintenant, nous ne regardons plus sur les murs les affiches de +tous les nigauds de la publicité financière, commerciale ou guerrière!</p> + +<hr class="tiny" /> + +<h2><a name="ch26" id="ch26"></a>ILLUSTRATIONS DE LIVRES</h2><p><span class="pagenum"><a name="Page_191" id="Page_191">191</a></span></p> + +<p>Ce Lautrec, si chercheur, une fois devenu lithographe, fut amené, sans y +trop penser, à illustrer, par la lithographie, des livres. J'entends les +livres qu'il pouvait aimer.</p> + +<p>On l'a vu illustrant des articles ou des contes de ses amis +Tristan-Bernard et Romain Coolus; on l'a vu illustrant deux albums +consacrés à Yvette Guilbert; il s'éprit de la même ardeur pour quelques +livres, dont il orna les couvertures ou les pages de texte.</p> + +<p>C'est ainsi qu'il illustra les <i>Histoires naturelles</i> de Jules Renard, +éditées par Floury. Il dessina la couverture, 22 planches et 6 +culs-de-lampe. Il représenta les coqs, la pintade, la dinde, le paon, le +cygne, les canards, les pigeons, l'épervier, la souris, l'escargot, +l'araignée, <span class="pagenum"><a name="Page_192" id="Page_192">192</a></span> le crapaud, le chien, les lapins, le bœuf, l'âne, le +cerf, le bouc, les moutons, le taureau, le cochon et le cheval.</p> + +<p>Toutefois, et c'est bien la première fois, ces lithographies-là ne sont +point d'une entière réussite. Leur attrait n'est pas renouvelé. Sans +doute, dans ces dessins se creuse encore la griffe de Lautrec; mais tous +ces animaux n'ont pas un caractère inattendu. Lautrec les a dessinés +avec adresse, avec virtuosité, parce qu'il pouvait tout dessiner; mais +il n'est pas allé au delà d'un honnête succès. Les animaux, en général +si niaisement dédaignés par les peintres, ont des attitudes et des +visages autrement étonnants, autrement insoupçonnés, autrement +éloquents. Lautrec, comme presque tous les autres dessinateurs, a vu ces +animaux-là en passant, il les a dessinés, mais il n'a rien fait de plus. +C'est souvent un peu japonais d'aspect; et cela ne va pas plus loin que +tant d'estampes trop vantées d'animaliers du Nippon.</p> + +<p>Assurément, il convient de préférer cet autre livre, intitulé: <i>Au pied +du Sinaï</i>, que Lautrec illustra, d'après un texte de M. Georges +Clémenceau, <span class="pagenum"><a name="Page_193" id="Page_193">193</a></span> le vieux «cœur-léger». Ce livre, c'est une histoire +de juifs à Carlsbad et à Busk. L'illustration, cette fois, est très +pittoresque et très colorée. Elle met en scène de bizarres types, +crochus et aux cheveux cotonneux, des types de ces juifs polonais qui +vieillissent si mal! Et, M. Georges Clémenceau, lui-même dessiné, a une +ronde tête de notaire finaud et un peu maquignon. Aujourd'hui, +c'est-à-dire vingt ans plus tard, nous le voyons avec une parfaite tête +de Chinois.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 350px;"><a name="page-193" id="page-193"></a> +<img src="images/page-193.jpg" alt="" title="" width="350" height="465" /> +<p class="caption1">PHOTO DRUET</p> +<p class="caption2">PROJET D'AFFICHE POUR LE «DIVAN JAPONAIS»</p></div> + +<p>Lautrec dessina aussi maintes couvertures de livres. Voici les plus +connus de ces livres: <i>L'étoile rouge</i>, par Paul Leclerq; <i>L'exemple de +Ninon de Lenclos, amoureuse</i>, par Jean de Tinan; <i>Les courtes joies</i>, +poésies de Julien Sermet; <i>La Tribu d'Isidore</i>, roman de mœurs +juives, par Victor Joze; <i>Le fardeau de la Liberté</i>, par +Tristan-Bernard; <i>Le chariot de terre-cuite</i>, par Victor Barrucand; <i>Les +jouets de Paris</i>, par Paul Leclerq; <i>Babylone d'Allemagne</i>, roman de +mœurs berlinoises, par Victor Joze, etc., etc.</p> + +<p>Ces couvertures sont toutes légèrement traitées, à peine effleurées +souvent; et certaines de <span class="pagenum"><a name="Page_194" id="Page_194">194</a></span> ces lithographies rappellent encore, par +leur sobriété, les délicates lithographies que crayonna Whistler. Mais, +bien entendu, nous ne visons une fois de plus que la finesse du trait, +que le peu de surcharge de l'arabesque.</p> + +<p>Notons ici que ces rares lithographies ont fait un heureux sort aux +livres qu'elles illustrent. Le texte importe peu, quand on a le plaisir +d'avoir un si personnel dessin sur la couverture; et l'on trouve, du +reste, toutes les bonnes raisons de ne pas lire le livre, pour ne pas +salir, pour ne pas défraîchir le beau dessin qui le garde.</p> + +<p>Éditeurs, croyez-nous, ayez toujours de beaux dessins sur les +couvertures de vos livres!</p> + +<hr class="small" /> + +<h2><a name="ch27" id="ch27"></a>D'ENSEMBLE</h2><p><span class="pagenum"><a name="Page_197" id="Page_197">197</a></span></p> + +<p>Au bout de cet examen si superficiel et si incomplet de l'œuvre de +Lautrec, pouvons-nous nous demander quelle place est la sienne dans +l'enchaînement de l'art moderne?</p> + +<p>Assurément, si l'on veut considérer Lautrec seulement comme un autre +dessinateur de mœurs de la vie moderne, un nouveau Constantin Guys, +par exemple, avec infiniment plus de ressources, toutefois, sa place est +très enviable. Car il a possédé—et sa vie très brève n'est nullement +comparable à celle si longue et si robuste du dessinateur du Second +Empire!—il a possédé un dessin plus souple, plus divers, plus +affirmatif que celui de Constantin Guys; ce qui lui a permis d'entrer, +avec une plus indéniable maîtrise, dans tous les mondes. A l'opposé, +<span class="pagenum"><a name="Page_198" id="Page_198">198</a></span> Guys a dessiné presque sans répit de la même façon; c'est un dessin +bien à lui, également, original et pittoresque, mais qui se recommence +dans l'expression des voitures, des chevaux, des filles ou des soldats. +Dessinateur avéré d'une époque, Guys vivra longtemps dans les +collections, c'est-à-dire dans ces sortes de nécropoles, que l'on +appelle petits et grands musées.</p> + +<p>Mais si l'on peut ajouter que Guys <i>date</i>, expressément, il faut +remarquer que la situation est pour l'instant la même pour Lautrec. Ce +clairvoyant dessinateur a su dégager du transitoire assez de belle +éternité pour vivre; mais, lui aussi, en ce moment, il apparaît comme le +plus éloquent interprète d'une époque historique, qui se fixe, celle-là, +de l'année 1885 à l'année 1900. Et, par là, nous ne cherchons nullement +à diminuer Lautrec, mais seulement à le considérer tel qu'il est, +c'est-à-dire tel qu'un merveilleux truchement de mœurs pendant une +période de quinze années. La Goulue, le Moulin-Rouge, les cabarets de +Montmartre, Bruant et Palmyre, les acteurs et les actrices en vogue à ce +moment-là, tout cela, pour nous, qui vivons <span class="pagenum"><a name="Page_199" id="Page_199">199</a></span> en cette année 1921, +classe Lautrec, le barricade, le retient captif dans cette époque visée. +Un Georges Rouault, au contraire, qui a fixé la fille dans le temps +illimité et imprécis, se présente à nous comme un peintre d'accent plus +actuel.</p> + +<p>Mais, dans cent ans, tous ceux qui connurent, vers la vingtième année, +ce bal du Moulin-Rouge, étant disparus, Lautrec reprendra toute sa place +dans la suite des âges; et il ne datera plus, au sens péjoratif du +terme. Faisons donc à sa mémoire ce léger crédit. D'ailleurs, il +conviendrait peut-être mieux de se demander ce que Lautrec, dans sa +curiosité sans cesse en éveil, eût pu faire demain, même en ne vivant +que jusqu'à la soixantième année, âge raisonnable que tant d'imbéciles +et d'impuissants atteignent sans honte; âge même que dépassent, toujours +malfaisants, fatigants et inutiles, les Cormon et les Flameng!...</p> + +<p>En effet, où Lautrec nous eût-ils conduits avec sa curiosité, son tenace +amour du travail, sa fécondité sans cesse renouvelée?... Je sais bien, +parbleu, et il faut toujours y revenir, que, dans l'espace de sept +années, cette incroyable courte <span class="pagenum"><a name="Page_200" id="Page_200">200</a></span> durée! Van Gogh nous a encore +davantage étonnés, encore davantage stupéfiés; mais, voilà, n'est-ce +pas, un incompréhensible phénomène, un inexplicable miracle de la +Peinture? Avec Lautrec, nous avions, à la base, plus de sagesse, plus de +mesure, plus d'ordre. L'œuvre aurait suivi une route plus régulière. +Le peintre lui-même, à en juger par son dernier tableau: <i>Un examen à la +Faculté de Médecine</i>, fût certainement devenu plus libre; il aurait +enveloppé, dans une manière plus grasse, les visages; il aurait +davantage dessiné dans la pâte, et non par les contours; il aurait, peu +à peu, sans doute, préféré les taches épaisses de couleurs aux hachures +restées obstinément, chez lui, des tailles de peintre-lithographe; il +aurait, peut-être, quitté son monde habituel, les Filles, ses goûts de +ribote et de maison close, pour aller vers un autre ou vers d'autres +milieux; et, qui sait? il aurait, alors, composé des tableaux d'ordre +plus général, et de plus certaine pénétration dans le temps!</p> + +<p>Mais, aussi bien, pourquoi ratiociner sur tout cela? Qu'importe le +futur? Plus sagement, prenons <span class="pagenum"><a name="Page_201" id="Page_201">201</a></span> Lautrec tel qu'il est; et +considérons-le ainsi qu'un peintre doué d'une observation aiguë et +penché sur un coin d'humanité, sur un milieu parisien qui fut pour lui +certainement tout le bout du monde; et rappelons-nous par delà le temps +que toute sa noblesse, toute son intelligence et tous ses dons, +rappelons-nous que tout cela fut dépensé sans compter pour Montmartre et +ses filles, pour le Théâtre et le Café-Concert, où d'autres filles +évoluent en pleins rabâchages de sottises! Mort à 37 ans, Lautrec laisse +de tout cela une œuvre magnifique. Un peintre de mœurs, bien! mais +s'il est moins haut que les plus hauts peintres, il n'y en a pas un plus +imprévu et plus original!...</p> + +<hr class="small" /> + +<h2>APPENDICE</h2> + +<h2><a name="ch28" id="ch28"></a>ESSAI DE CATALOGUE</h2><p><span class="pagenum"><a name="Page_205" id="Page_205">205</a></span></p> + +<p>Voici un essai de catalogue d'œuvres authentiques, la plupart non +datées, de Lautrec.</p> + +<p>Nous avons mentionné, année par année, quelques-uns de ses tableaux et +dessins; en citant également, sans date, le plus grand nombre de ses +autres notoires tableaux. Pour les lithographies, le catalogue a été +établi par M. Loys Delteil, dans les tomes X et XI du Peintre-graveur +illustré.</p> + +<h3>I</h3><p><span class="pagenum"><a name="Page_206" id="Page_206">206</a></span></p> + +<h3>PEINTURES, AQUARELLES ET DATES DE QUELQUES EXPOSITIONS</h3> + +<div class="block2"> +<p class="hang2">1881.—<i>Faucon</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Tête de cheval</i>.</p> + +<p class="p2"><i>La promenade</i>.<br /><br /></p> + +<p class="hang2">1882.—<i>Cheval de trait</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Buveur</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Moines</i>.<br /><br /></p> + +<p class="hang2">1884.—<i>Crieur</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Scène de théâtre</i>.<br /><br /></p> + +<p class="hang2">1885.—<i>Marcelle</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Bal masqué</i>.<br /><br /></p> + +<p class="hang2">1886.—<i>Deux portraits du peintre Gauzi</i>.<span class="pagenum"><a name="Page_207" id="Page_207">207</a></span></p> + +<p class="p2"><i>Portrait de Vincent Van Gogh</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Une loge</i>.<br /><br /></p> + +<p class="hang2">1887.—<i>Portrait de M. Samary, de la Comédie-Française</i>.<br /><br /></p> + +<p class="hang2">1888.—<i>La rousse au caraco blanc</i>.<br /><br /></p> + +<p class="hang2">1889.—Exposa au Salon des Indépendants les peintures suivantes:<br /><br /></p> + +<p class="p2"><i>Bal du Moulin de la Galette</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Portrait de M. Fourcade</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Etude de femme</i>.</p> + +<p class="p2"><i>L'Anglaise, au Star du Havre</i>.<br /><br /></p> + +<p class="hang2">1890.—<i>Portrait (Madrid-Neuilly)</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Femme fumant une cigarette</i>.<br /><br /></p> + +<p class="p2">Exposa au Salon des Indépendants:<br /><br /></p> + +<p class="p2"><i>Dressage des Nouvelles, par Valentin le désossé</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Portrait de Mlle Dihau, au piano</i>.<br /><br /></p> + +<p class="hang2">1891.—<i>Une opération par le Docteur Péan</i>.<span class="pagenum"><a name="Page_208" id="Page_208">208</a></span></p> + +<p class="p2"><i>Gabrielle la danseuse</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Fille à la fourrure</i>.</p> + +<p class="p2"><i>La tresse</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Vieil homme en blouse sur un banc</i>.</p> + +<p class="p2"><i>La femme au chien</i>.<br /><br /></p> + +<p class="p2">Exposa au Salon des Indépendants:<br /><br /></p> + +<p class="p2"><i>A la mie</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Portrait du jovial M. Dihau</i>.</p> + +<p class="p2"><i>En meublé</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Portrait de M. G. B</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Etude</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Portrait du Docteur Bourges</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Portrait de M. Louis Pascal</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Truc for live</i>.<br /><br /></p> + +<p class="hang2">1892.—<i>Les Valseuses</i>.<br /><br /></p> + +<p class="p2">Exposa au Salon des Indépendants:<br /><br /></p> + +<p class="p2"><i>La Goulue et sa sœur</i>.</p> + +<p class="p2"><i>La Goulue entre deux tours de valse</i>.</p> + +<p class="p2"><i>La Goulue entrant au Moulin-Rouge</i>.<span class="pagenum"><a name="Page_209" id="Page_209">209</a></span></p> + +<p class="p2"><i>Celle qui se peigne</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Femme Brune, n<sup>os</sup> 1 et 2</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Affiche pour le Moulin-Rouge (2<sup>e</sup> état).</i></p> +</div> + +<div class="figcenter" style="width: 350px;"><a name="page-209" id="page-209"></a> +<img src="images/page-209.jpg" alt="" title="" width="350" height="513" /> +<p class="caption1">PHOTO DRUET</p> +<p class="caption2">CLOWNESSE</p></div> + +<div class="block2"> +<p class="hang2">1893.—<i>Jane Avril (esquisse pour l'affiche).</i><br /><br /></p> + +<p class="p2">Exposa au Salon des Indépendants:<br /><br /></p> + +<p class="p2"><i>Un coin du Moulin de la Galette</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Menu du dîner des Indépendants</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Portrait de M. Georges-Henry Manuel</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Portrait de M. Boileau</i>.<br /><br /></p> + +<p class="hang2">1894.—Exposa au Salon des Indépendants:<br /><br /></p> + +<p class="p2"><i>Alfred la Guigne</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Du 5 au 12 mai, galeries Durand-Ruel, exposition de lithographies + récentes</i>.<br /><br /></p> + +<p class="hang2">1895.—<i>Décoration pour la baraque foraine de la Goulue.</i></p> + +<p class="p2"><i>May Belfort avec son chat</i>.<span class="pagenum"><a name="Page_210" id="Page_210">210</a></span></p> + +<p class="p2"><i>Femme en clownesse</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Femmes au repos</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Valentin et la Goulue, au Moulin-Rouge</i>.<br /><br /></p> + +<p class="p2">Exposa au Salon des Indépendants:<br /><br /></p> + +<p class="p2"><i>Couverture pour l'album de l'Estampe originale</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Matin</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Invitation et menu</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Comme il vous plaira</i>.<br /><br /></p> + +<p class="hang2">1896.—<i>La clownesse</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Portrait de M. Maxime Dethomas</i>.<br /><br /></p> + +<p class="hang2">1897.—<i>Femme nue accroupie</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Portrait de M. Henry Nocq</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Jeu de femme</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Rousse nue devant sa glace</i>.<br /><br /></p> + +<p class="p2">Exposa au Salon des Indépendants:<br /><br /></p> + +<p class="p2"><i>Blanche et noire</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Femme couchée</i>.<span class="pagenum"><a name="Page_211" id="Page_211">211</a></span></p> + + <table class="elles" summary="elles"> + <tr> + <td><i>Elles.</i><br /> + <i>Elles.</i><br /> + <i>Elles.</i> + </td> + <td class="accolade1">}</td> + <td rowspan="3"> (Lithographies)</td> + </tr> + </table> + +<p class="p2">(Ces trois lithographies font partie d'une série de dix planches).<br /><br /></p> + +<p class="p2"><i>La cage</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Arton en correctionnelle</i>.<br /><br /></p> + +<p class="hang2">1898.—<i>Barmaid (Londres)</i>.</p> + +<p class="p2"><i>La leçon de chant (Portraits de Mlle Dihau et de Mlle Jeanne F.)</i>.</p> + +<p class="p2"><i>A table, chez Mme Thadée Natanson</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Tête d'Anglaise</i>.<br /><br /></p> + +<p class="p2">14, Avenue Frochot, Lautrec présenta des tableaux réservés pour une +exposition à Londres.<br /><br /></p> + +<p class="hang2">1899.—<i>Tête de femme (Mlle Nys)</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Aux Courses</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Eventail</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Chanteuse anglaise, au Star du Havre</i>.<span class="pagenum"><a name="Page_212" id="Page_212">212</a></span></p> + +<p class="p2"><i>Etude pour la lithographie: «Di-ti-fellow.»</i></p> + +<p class="p2"><i>En cabinet particulier</i>.<br /><br /></p> + +<p class="hang2">1900.—<i>Messaline, au théâtre de Bordeaux</i>.</p> + +<p class="p2"><i>La toilette</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Portrait de Mme Marthe X...</i></p> + +<p class="p2"><i>Enfant avec la chienne Paméla</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Mme Margouin, modiste</i>.<br /><br /></p> + +<p class="hang2">1901.—<i>Portrait de M. Maurice Joyant</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Portrait de M. Octave Raquin</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Portrait de l'«amiral» Viaud</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Un examen à la Faculté de médecine</i>.<br /><br /></p> + +<p class="center"><big>*</big></p> + +<p class="center"><big>* *</big><br /><br /></p> + +<p class="p2">Voici, maintenant, quelques notoires tableaux peints par Lautrec, sans +dates:<br /><br /></p> + +<p class="p2"><i>Portrait de Mme la Comtesse Alphonse de Toulouse-Lautrec</i>.<span class="pagenum"><a name="Page_213" id="Page_213">213</a></span></p> + +<p class="p2"><i>Portrait de M. Emile Davoust, à la barre de son bateau (Bassin +d'Arcachon</i>).</p> + +<p class="p2"><i>Portrait de M. Delaporte</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Portrait de M. Paul Leclercq</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Portrait de M. André Rivoire</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Femme rousse dans un jardin</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Danseuse</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Une table au Moulin-Rouge</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Le quadrille au Moulin-Rouge</i>.</p> + +<p class="p2"><i>L'écuyère au cirque Fernando</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Jane Avril sortant du Moulin-Rouge</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Portrait de Mme Pascal, au piano</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Portrait de M. Tristan-Bernard</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Au Moulin de la Galette</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Jane Avril dansant</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Départ de quadrille</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Portrait de M. de Lauradour</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Portrait de Mme Korsikoff</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Portrait de M. Louis Bouglé</i>.</p> + +<p class="p2"><i>May Milton</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Mlle Marcelle Lender dansant le pas <span class="pagenum"><a name="Page_214" id="Page_214">214</a></span> du «boléro» (Chilpéric, au +théâtre des Variétés)</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Femme au boa noir</i>.</p> + +<p class="p2"><i>La blanchisseuse</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Etude de femme en peignoir</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Femme à l'ombrelle</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Danseuse au maillot rose</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Portrait de Mme E. Tapié de Celeyran au Bosc</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Portrait de M. Gabriel Tapié de Celeyran</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Le lit</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Portrait de M. Romain Coolus</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Scène de ballet</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Pierreuse</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Les deux amies</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Tommy</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Soldat anglais fumant sa pipe</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Rue des Moulins, l'escalier</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Femme au chignon roux</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Bull-dog</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Follette</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Clown au cirque Médrano</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Au lit</i>.</p> + +<p class="p2"><i>La Goulue, vue de profil</i>.<span class="pagenum"><a name="Page_215" id="Page_215">215</a></span></p> + +<p class="p2"><i>Au Nouveau Cirque: le ballet de Lotus</i>.</p> + +<p class="p2"><i>A Armenonville</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Scène de bal masqué</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Le réfectoire</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Miss Bedson</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Le violoniste</i>.</p> + +<p class="p2"><i>La lettre</i>.</p> + +<p class="p2"><i>L'assommoir</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Femme à l'ombrelle</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Couple de danseurs</i>.</p> + +<p class="p2"><i>La toilette</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Femme en clownesse</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Au café (Portrait de Mme Suzanne V.)</i>.</p> + +<p class="p2"><i>La promenade (La Goulue au Moulin-Rouge)</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Au Moulin de la Galette</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Le couple</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Femmes au repos</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Etc., etc.</i><br /><br /></p> +</div> + +<h3>II</h3><p><span class="pagenum"><a name="Page_216" id="Page_216">216</a></span></p> + +<h3>QUELQUES LITHOGRAPHIES ET QUELQUES DESSINS (<i>en noir et en couleurs</i>).</h3> + +<div class="block2"> +<p class="hang2">1882.—<i>Paysanne (fusain)</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Homme assis</i> (<i>d<sup>o</sup></i>).<br /><br /></p> + +<p class="hang2">1884.—<i>Femme assise</i> (<i>d<sup>o</sup></i>).<br /><br /></p> + +<p class="hang2">1885.—<i>A Saint-Lazare (dessin lithographié)</i>.<br /><br /></p> + + <table class="courrier" summary="courrier"> + <tr> + <td class="accolade2">{</td> + <td>1886.—<i>Dessins au</i> Courrier français <i>et</i><br /> + 1887.—<i>au</i> Mirliton.</td> + </tr> + </table> + +<p class="hang2">1892.—<i>La Goulue et sa sœur</i> (<i>première œuvre proprement dite + dans</i> l'Estampe. <i>Lithographie en couleurs</i>).</p> + +<p class="p2"><i>L'Anglais au Moulin-Rouge</i>.</p> +</div> + +<div class="block2"> + <span class="pagenum"><a name="Page_217" id="Page_217">217</a></span> + +<div class="figcenter" style="width: 350px;"><a name="page-217" id="page-217"></a> +<img src="images/page-217.jpg" alt="" title="" width="350" height="357" /> +<p class="caption1">PHOTO DRUET</p> +<p class="caption2">FILLE</p></div> + +<p class="hang2">1893.—<i>Dessins au</i> Figaro illustré.</p> + +<p class="p2"><i>Le Café-Concert (Lithographies de Lautrec et de H.-G. Ibels)</i>.</p> + +<p class="p2"><i>La modiste Renée Vert</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Le coiffeur</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Un Monsieur et une dame</i>.</p> + +<p class="p2"><i>La loge au mascaron doré</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Couverture de l'</i>Estampe originale.</p> + +<p class="p2"><i>Ducarre, le patron des Ambassadeurs</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Etc., etc</i>.<br /><br /></p> + +<p class="hang2">1894.—<i>Dessins à la</i> Revue Blanche.</p> + +<p class="p2"><i>Programmes de théâtre</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Réjane et Galipaux</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Bartet et Mounet-Sully</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Leloir et Moreno</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Judic</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Marcelle Lender</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Ida Heath au bar</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Brandès et Le Bargy</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Une redoute au Moulin-Rouge</i>.</p> + +<p class="p2"><i>La Goulue</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Adolphe ou le jeune homme triste</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Eros vanné</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Babylone d'Allemagne</i>.<span class="pagenum"><a name="Page_218" id="Page_218">218</a></span></p> + +<p class="p2"><i>Yvette Guilbert (album Marty)</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Etc.</i><br /><br /></p> + +<p class="hang2">1895.—<i>Un nib</i> (Revue Blanche).</p> + +<p class="p2"><i>Dessins au</i> Rire.</p> + +<p class="p2"><i>Foottit et Chocolat</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Anna Held</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Dessins au</i> Figaro illustré.</p> + +<p class="p2"><i>Marcelle Lender</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Yahne</i>.</p> + +<p class="p2"><i>May Belfort</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Zimmerman et le petit Michaël</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Portraits d'acteurs et d'actrices</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Oscar Wilde (dessin)</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Etc.</i><br /><br /></p> + +<p class="hang2">1896.—<i>Dessins au</i> Rire.</p> + +<p class="p2"><i>Ida Heath</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Lender et Lavallière</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Souper à Londres</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Anna Held et Baldy</i>.</p> + +<p class="p2"><i>L'entraîneur</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Au bar Achille</i>.<span class="pagenum"><a name="Page_219" id="Page_219">219</a></span></p> + +<p class="p2"><i>Mary Hamilton</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Elles (dix lithographies en couleurs)</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Procès Arton</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Procès Lebaudy</i>.</p> + +<p class="p2"><i>La loge (Faust)</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Oscar Wilde et Romain Coolus</i>.</p> + +<p class="p2"><i>L'automobiliste</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Etc.</i><br /><br /></p> + +<p class="hang2">1897.—<i>Dessins au</i> Rire.</p> + +<p class="p2"><i>La grande loge</i>.</p> + +<p class="p2"><i>La clownesse au Moulin-Rouge</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Clara Ward et Rigo</i>.</p> + +<p class="p2"><i>La danse au Moulin-Rouge</i>.</p> + +<p class="p2"><i>A la Souris (Mme Palmyre)</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Attelage en tandem</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Etc.</i><br /><br /></p> + +<p class="hang2">1898.—<i>Le vieux cheval</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Chez la gantière</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Au lit</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Polaire</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Au pied du Sinaï</i>.<span class="pagenum"><a name="Page_220" id="Page_220">220</a></span></p> + +<p class="p2"><i>Yvette Guilbert (2<sup>e</sup> album, publié à Londres)</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Jane Hading</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Au Hanneton</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Guy et Méaly</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Sept pointes sèches (Portraits d'amis. Editées par Manzi)</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Etc.</i><br /><br /></p> + +<p class="hang2">1899.—<i>Jeanne Granier</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Réjane</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Le jockey</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Le paddock</i>.</p> + +<p class="p2"><i>L'entraîneur et son jockey</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Jockey se rendant au poteau</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Amazone et tonneau</i>.</p> + +<p class="p2"><i>L'amazone et le chien</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Le cheval et le chien à la pipe</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Tilbury</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Promenoir</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Le Cirque (dessins rehaussés de couleurs, édités par Manzi, en un + album)</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Etc.</i><br /><br /></p> + +<p class="hang2">1900.—<i>Programme de l'Assommoir (dessin)</i>.<span class="pagenum"><a name="Page_221" id="Page_221">221</a></span></p> + +<p class="p2"><i>Au café de Bordeaux, Antoine, un amer! (dessin)</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Sur les quais de Bordeaux (dessin)</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Dans le monde!</i></p> + +<p class="p2"><i>Invitation à une tasse de lait</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Etc.</i><br /><br /></p> + +<p class="hang2">1901.—<i>Zamboula-polka</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Le marchand de marrons</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Couple au Café-Concert</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Etc.</i><br /><br /></p> + +<p class="center"><big>*</big></p> + +<p class="center"><big>* *</big><br /><br /></p> + +<p class="p2">Voici quelques dessins et aquarelles sans date:<br /><br /></p> + +<p class="p2"><i>Au bal des Quat'z-Arts (Portrait de M. Maxime Dethomas, aquarelle)</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Cortège indien (aquarelle)</i>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a name="Page_222" id="Page_222">222</a></span></p> + +<p class="p2"><i>La clownesse et les cinq plastrons (aquarelle)</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Aristide Bruant</i> (<i>d<sup>o</sup></i>).</p> + +<p class="p2"><i>May Belfort</i> (<i>d<sup>o</sup></i>).</p> + +<p class="p2"><i>Au café</i> (<i>d<sup>o</sup></i>).</p> + +<p class="p2"><i>Etc.</i><br /><br /></p> + +<p class="p2">Des dessins:<br /><br /></p> + +<p class="p2"><i>Arrivée aux Courses</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Le motosphère</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Dans les coulisses</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Elsa, la Viennoise</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Une habituée de la Souris</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Au palais de glace</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Scène de cirque</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Portrait de Berthe Bady</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Les frères Marco (clowns)</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Etc.</i></p> + +</div> + +<h3>III</h3><p><span class="pagenum"><a name="Page_223" id="Page_223">223</a></span></p> + +<h3>AFFICHES</h3> + +<div class="block2"> + +<p class="hang2">1892.—<i>La Goulue au Moulin-Rouge</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Le Divan japonais</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Reine de joie (roman par Victor Joze)</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Aristide Bruant, aux Ambassadeurs</i>.<br /><br /></p> + +<p class="hang2">1893.—<i>Jane Avril, au Jardin de Paris</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Caudieux</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Au pied de l'échafaud (mémoires de l'abbé Favre)</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Aristide Bruant dans son cabaret</i>.<br /><br /></p> + +<p class="hang2">1894.—<i>Bruant au</i> Mirliton.</p> + +<p class="p2"><i>L'artisan moderne</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Babylone d'Allemagne (roman par Victor Joze)</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Confetti</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Le photographe Sescau</i>.<br /><br /></p> + +<p class="hang2">1895.—<i>May Belfort</i>.<span class="pagenum"><a name="Page_224" id="Page_224">224</a></span></p> + +<p class="p2"><i>La</i> Revue Blanche (<i>1, rue Laffitte</i>).</p> + +<p class="p2"><i>May Milton</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Napoléon (concours d'affiches)</i>.<br /><br /></p> + +<p class="hang2">1896.—<i>Cycle Michaël</i>.</p> + +<p class="p2"><i>La chaîne Simpson</i>.</p> + +<p class="p2"><i>La troupe de Mlle Eglantine</i>.</p> + +<p class="p2"><i>Irish and American bar, rue Royale</i>.</p> + +<p class="p2"><i>L'Aube (revue illustrée</i>).</p> + +<p class="p2"><i>La Vache enragée (journal mensuel illustré. Fondateur: A. Willette)</i>.<br /><br /></p> + +<p class="hang2">1899.—<i>Jane Avril</i>.<br /><br /></p> + +<p class="hang2">1900.—<i>La</i> Gitane (<i>drame, de Jean Richepin. Théâtre Antoine</i>).<br /><br /></p> +</div> + +<div class="figcenter" style="width: 350px;"><a name="page-225" id="page-225"></a> +<img src="images/page-225.jpg" alt="" title="" width="350" height="424" /> +<p class="caption1">PHOTO DRUET</p> +<p class="caption2">JANE AVRIL</p></div> + +<hr class="tiny" /> + +<h2><a name="ch29" id="ch29"></a>ICONOGRAPHIE</h2><p><span class="pagenum"><a name="Page_225" id="Page_225">225</a></span></p> + +<div class="block3"> + +<p class="p3">Portrait de Lautrec, par Anquetin.<br /></p> + +<p class="hang3">(Collection de M<sup>me</sup> la Comtesse de Toulouse-Lautrec).<br /><br /></p> + +<p class="p3">Portrait de Lautrec, par Javal, de Birmingham (Angleterre).</p> + +<p class="hang3">Tête seule, nue, entièrement de face, pince-nez, grosses lèvres. (Peinture reproduite au frontispice du catalogue de l'exposition +rétrospective de l'œuvre de Lautrec. Galerie Manzi, 1914).<br /><br /></p> + +<p class="p3">Portrait de Lautrec, par Léandre.<br /></p> + +<p class="hang3">(Dessin portrait-charge, reproduit dans <i>Henri de Toulouse-Lautrec</i>, +publié en 1913, par Gustave Coquiot, chez Blaizot).<br /><br /></p> + +<p class="p3">Portrait de Lautrec, par Charles Maurin.<span class="pagenum"><a name="Page_226" id="Page_226">226</a></span><br /></p> + +<p class="hang3">(Eau-forte reproduite au frontispice de ce présent livre).<br /><br /></p> + +<p class="p3">Portrait de Lautrec, par Henri Rachou.<br /></p> + +<p class="hang3">(Peinture. Année 1883. Collection de M<sup>me</sup> la Comtesse Alphonse de +Toulouse-Lautrec).<br /><br /></p> + +<p class="p3">Portrait-charge de Lautrec, par lui-même.<br /></p> + +<p class="hang3">(Dessin au crayon, reproduit au frontispice du livre consacré à Lautrec +par M. Théodore Duret).<br /><br /></p> + +<p class="p3">Portrait de Lautrec, par Maxime Dethomas.<br /></p> + +<p class="hang3">(Fusain reproduit dans: <i>Henri de Toulouse-Lautrec</i>, par Gustave +Coquiot, Blaizot, éditeur).<br /><br /></p> + +<p class="p3">Portrait de Lautrec, par Maxime Dethomas.<br /></p> + +<p class="hang3">(Fusain. La tête seule, coiffée d'une casquette de la marine marchande. +Collection Gustave Coquiot).<br /><br /></p> + +<p class="p3">Portrait de Lautrec, par Adolphe Albert.<br /></p> + +<p class="hang3">(Décembre 1897. Crayon. Lautrec, coiffé d'un chapeau de paille, tête +baissée, est assis, en train de dessiner sur la pierre lithographique).<br /><br /></p> +</div> + +<hr class="tiny" /> + +<h2><a name="ch30" id="ch30"></a>QUELQUES HOMMAGES POSTHUMES</h2><p><span class="pagenum"><a name="Page_227" id="Page_227">227</a></span></p> + +<p>«Henri de Toulouse-Lautrec», par André Rivoire. <i>Revue de l'Art ancien +et moderne</i>. Paris. Décembre 1901, avril 1902.<br /><br /></p> + +<p>Numéro spécial du <i>Figaro illustré</i>, consacré à Lautrec. Avril 1902.<br /><br /></p> + +<p>Du 14 au 31 mai 1902, exposition d'œuvres de Lautrec, galeries +Durand-Ruel (Tableaux, aquarelles, dessins, lithographies. 201 numéros).<br /><br /></p> + +<p>Du 12 au 24 octobre 1908. Exposition de tableaux peints par Lautrec. +Galeries Bernheim-jeune.<br /><br /></p> + +<p>Du 15 juin au 11 juillet 1914. Galeries Manzi. Exposition rétrospective +de l'œuvre de Lautrec. (Tableaux et dessins. 201 numéros).<br /><br /></p> + +<p>«Henri de Toulouse-Lautrec», par Geffroy. <i>Gazette des Beaux-Arts.</i> +Paris. Août 1914.<br /><br /></p> + +<p>«Autour de Toulouse-Lautrec», par Paul Leclercq. <i>La Grande Revue.</i> +Paris. Novembre, 1919.<br /><br /></p> + +<p><i>Le peintre-graveur illustré.</i> Tomes X et XI, consacrés à Henri de +Toulouse-Lautrec. Loys Delteil. Paris, 1920.</p> + +<hr class="tiny" /> + +<h2><a name="ch31" id="ch31"></a>BIBLIOGRAPHIE</h2><p><span class="pagenum"><a name="Page_228" id="Page_228">228</a></span></p> + +<p><i>Henri de Toulouse-Lautrec</i>, par Hermann Esswein und Alfred Walter +Heymel. R. Piper et C<sup>o</sup> Munchen, 1912.</p> + +<p><i>Henri de Toulouse-Lautrec</i>, par Gustave Coquiot. Auguste Blaizot, +éditeur, Paris, 1913.</p> + +<p><i>Lautrec</i>, par Théodore Duret. Bernheim-jeune, éditeurs. Paris, 1920.</p> + +<hr class="small" /> + +<h2><a name="table_des_chapitres" id="table_des_chapitres"></a>TABLE DES CHAPITRES</h2><p><span class="pagenum"><a name="Page_229" id="Page_229">229</a></span></p> + +<hr class="tiny" /> + + <table summary="table_des_chapitres"> + <colgroup span="3"> + <col width="10" /> + <col width="400" /> + <col width="15" /> + </colgroup> + <tbody> + <tr> + <td> </td> + <td> </td> + <td class="tdc3">Pages.</td> + </tr> + <tr> + <td colspan="3" class="tdd"><i>DES SOUVENIRS SUR LA VIE</i></td> + </tr> + <tr> + <td class="tdc1">I. —</td> + <td class="tdc2">LE MILIEU</td> + <td class="tdc3"><a href="#ch1">3</a></td> + </tr> + <tr> + <td class="tdc1"> </td> + <td class="tdc2">PARIS ET RENÉ PRINCETEAU</td> + <td class="tdc3"><a href="#ch2">16</a></td> + </tr> + <tr> + <td class="tdc1"> </td> + <td class="tdc2">CORMON OU LA VIE</td> + <td class="tdc3"><a href="#ch3">21</a></td> + </tr> + <tr> + <td class="tdc1"> </td> + <td class="tdc2">MONTMARTRE</td> + <td class="tdc3"><a href="#ch4">29</a></td> + </tr> + <tr> + <td class="tdc1">II. —</td> + <td class="tdc2">QUELQUES SPORTS</td> + <td class="tdc3"><a href="#ch5">41</a></td> + </tr> + <tr> + <td class="tdc1"> </td> + <td class="tdc2">BARS ET MAISONS CLOSES</td> + <td class="tdc3"><a href="#ch6">49</a></td> + </tr> + <tr> + <td class="tdc1">III. —</td> + <td class="tdc2">VOYAGES</td> + <td class="tdc3"><a href="#ch7">61</a></td> + </tr> + <tr> + <td class="tdc1"> </td> + <td class="tdc2">LA MER</td> + <td class="tdc3"><a href="#ch8">66</a></td> + </tr> + <tr> + <td class="tdc1">IV. —</td> + <td class="tdc2">SES LOGIS</td> + <td class="tdc3"><a href="#ch9">75</a></td> + </tr> + <tr> + <td class="tdc1"> </td> + <td class="tdc2">SAINT-JAMES</td> + <td class="tdc3"><a href="#ch10">80</a></td> + </tr> + <tr> + <td class="tdc1"> </td> + <td class="tdc2">1900</td> + <td class="tdc3"><a href="#ch11">83</a></td> + </tr> + <tr> + <td class="tdc1"> </td> + <td class="tdc2">MALROMÉ</td> + <td class="tdc3"><a href="#ch12">86</a></td> + </tr> + <tr> + <td colspan="3" class="tdd"><i>DES COMMENTAIRES SUR L'ŒUVRE</i></td> + </tr> + <tr> + <td class="tdc1">I. —</td> + <td class="tdc2">PEINTURES, PREMIÈRES ŒUVRES</td> + <td class="tdc3"><a href="#ch13">91</a></td> + </tr> + <tr> + <td class="tdc1"> </td> + <td class="tdc2">LE MOULIN ROUGE</td> + <td class="tdc3"><a href="#ch14">94</a></td> + </tr> + <tr> + <td class="tdc1"> </td> + <td class="tdc2">FILLES</td> + <td class="tdc3"><a href="#ch15">111</a></td> + </tr> + <tr> + <td class="tdc1">II. —</td> + <td class="tdc2">PORTRAITS</td> + <td class="tdc3"><a href="#ch16">121</a></td> + </tr> + <tr> + <td class="tdc1"> </td> + <td class="tdc2">LE JARDIN DU PÈRE FOREST</td> + <td class="tdc3"><a href="#ch17">128</a><span class="pagenum"><a name="Page_230" id="Page_230">230</a></span></td> + </tr> + <tr> + <td class="tdc1">III. —</td> + <td class="tdc2">LE CIRQUE</td> + <td class="tdc3"><a href="#ch18">135</a></td> + </tr> + <tr> + <td class="tdc1"> </td> + <td class="tdc2">AU THÉÂTRE</td> + <td class="tdc3"><a href="#ch19">141</a></td> + </tr> + <tr> + <td class="tdc1"> </td> + <td class="tdc2">CAFÉ-CONCERT</td> + <td class="tdc3"><a href="#ch20">147</a></td> + </tr> + <tr> + <td class="tdc1"> </td> + <td class="tdc2">LES COURSES</td> + <td class="tdc3"><a href="#ch21">156</a></td> + </tr> + <tr> + <td class="tdc1"> </td> + <td class="tdc2">DE TOUT</td> + <td class="tdc3"><a href="#ch22">161</a></td> + </tr> + <tr> + <td class="tdc1">IV. —</td> + <td class="tdc2">LITHOGRAPHIES ET POINTES-SÈCHES</td> + <td class="tdc3"><a href="#ch23">169</a></td> + </tr> + <tr> + <td class="tdc1"> </td> + <td class="tdc2">DESSINS</td> + <td class="tdc3"><a href="#ch24">180</a></td> + </tr> + <tr> + <td class="tdc1"> </td> + <td class="tdc2">AFFICHES</td> + <td class="tdc3"><a href="#ch25">187</a></td> + </tr> + <tr> + <td class="tdc1"> </td> + <td class="tdc2">LLUSTRATIONS DE LIVRES</td> + <td class="tdc3"><a href="#ch26">191</a></td> + </tr> + <tr> + <td colspan="2" class="tdd"><i>D'ENSEMBLE</i></td> + <td class="tde"><a href="#ch27">197</a></td> + </tr> + <tr> + <td colspan="3" class="tdd"><i>APPENDICE</i></td> + </tr> + <tr> + <td class="tdc1"> </td> + <td class="tdc2">ESSAI DE CATALOGUE</td> + <td class="tdc3"><a href="#ch28">205</a></td> + </tr> + <tr> + <td class="tdc1"> </td> + <td class="tdc2">ICONOGRAPHIE</td> + <td class="tdc3"><a href="#ch29">225</a></td> + </tr> + <tr> + <td class="tdc1"> </td> + <td class="tdc2">QUELQUES HOMMAGES POSTHUMES</td> + <td class="tdc3"><a href="#ch30">227</a></td> + </tr> + <tr> + <td class="tdc1"> </td> + <td class="tdc2">BIBLIOGRAPHIE</td> + <td class="tdc3"><a href="#ch31">228</a></td> + </tr> + </tbody> + </table> + +<hr class="small" /> + +<h2><a name="table_des_gravures" id="table_des_gravures"></a>TABLE DES GRAVURES</h2><p><span class="pagenum"><a name="Page_231" id="Page_231">231</a></span></p> + +<table summary="illustrations" border="0" cellpadding="2" cellspacing="5"> + <colgroup span="2"> + <col width="400" /> + <col width="50" /> + </colgroup> + <tbody> + <tr> + <td> </td> + <td class="tdi1">Pages.</td> + </tr> + <tr> + <td class="tdi2"><i>Portrait de Lautrec</i></td> + <td class="tdi1"><a href="#page-001">1</a></td> + </tr> + <tr> + <td class="tdi2"><i>Fille à la fourrure</i></td> + <td class="tdi1"><a href="#page-009">9</a></td> + </tr> + <tr> + <td class="tdi2"><i>Portrait</i></td> + <td class="tdi1"><a href="#page-017">17</a></td> + </tr> + <tr> + <td class="tdi2"><i>Bal masqué</i></td> + <td class="tdi1"><a href="#page-025">25</a></td> + </tr> + <tr> + <td class="tdi2"><i>La Promenade au Moulin-Rouge</i></td> + <td class="tdi1"><a href="#page-033">33</a></td> + </tr> + <tr> + <td class="tdi2"><i>Fille</i></td> + <td class="tdi1"><a href="#page-049">49</a></td> + </tr> + <tr> + <td class="tdi2"><i>Fille au caraco</i></td> + <td class="tdi1"><a href="#page-057">57</a></td> + </tr> + <tr> + <td class="tdi2"><i>Portrait de M<sup>me</sup> Suzanne V</i></td> + <td class="tdi1"><a href="#page-065">65</a></td> + </tr> + <tr> + <td class="tdi2"><i>Au Moulin-Rouge</i></td> + <td class="tdi1"><a href="#page-081">81</a></td> + </tr> + <tr> + <td class="tdi2"><i>Les Valseuses</i></td> + <td class="tdi1"><a href="#page-097">97</a></td> + </tr> + <tr> + <td class="tdi2"><i>La Goulue</i></td> + <td class="tdi1"><a href="#page-105">105</a></td> + </tr> + <tr> + <td class="tdi2"><i>Fille</i></td> + <td class="tdi1"><a href="#page-113">113</a></td> + </tr> + <tr> + <td class="tdi2"><i>Portrait de M. Delaporte</i></td> + <td class="tdi1"><a href="#page-121">121</a></td> + </tr> + <tr> + <td class="tdi2"><i>Dans le jardin du père Forest</i></td> + <td class="tdi1"><a href="#page-129">129</a></td> + </tr> + <tr> + <td class="tdi2"><i>Jane Avril</i></td> + <td class="tdi1"><a href="#page-137">137</a></td> + </tr> + <tr> + <td class="tdi2"><i>Alfred la Guigne</i></td> + <td class="tdi1"><a href="#page-145">145</a><span class="pagenum"><a name="Page_232" id="Page_232">232</a></span></td> + </tr> + <tr> + <td class="tdi2"><i>May Belfort</i></td> + <td class="tdi1"><a href="#page-153">153</a></td> + </tr> + <tr> + <td class="tdi2"><i>Jockeys</i></td> + <td class="tdi1"><a href="#page-161">161</a></td> + </tr> + <tr> + <td class="tdi2"><i>Clownesse au bal</i></td> + <td class="tdi1"><a href="#page-177">177</a></td> + </tr> + <tr> + <td class="tdi2"><i>Couverture pour un monologue</i></td> + <td class="tdi1"><a href="#page-185">185</a></td> + </tr> + <tr> + <td class="tdi2"><i>Projet d'affiche pour le «Divan japonais</i>»</td> + <td class="tdi1"><a href="#page-193">193</a></td> + </tr> + <tr> + <td class="tdi2"><i>Clownesse</i></td> + <td class="tdi1"><a href="#page-209">209</a></td> + </tr> + <tr> + <td class="tdi2"><i>Fille</i></td> + <td class="tdi1"><a href="#page-217">217</a></td> + </tr> + <tr> + <td class="tdi2"><i>Jane Avril</i></td> + <td class="tdi1"><a href="#page-225">225</a></td> + </tr> +</tbody> +</table> + +<hr class="tiny" /> + +<p class="center">Saint-Denis.—Imp. J. Dardaillon.</p> + +<hr class="small" /> + +<div class="tnote"><a name="note" id="note"></a><h3>Au lecteur</h3> + +<p>Cette version électronique reproduit dans son intégralité +la version originale.</p> + +<p>La ponctuation n'a pas été modifiée hormis quelques corrections +mineures.</p> + +<p>L'orthographe a été conservée. Seuls quelques mots ont été modifiés. +Ils sont soulignés par des tirets. Passer la <ins class="correction" title="comme ceci" >souris</ins> sur +le mot pour voir le texte original.</p></div> + +<hr class="full" /> + + + + + + + + +<pre> + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of Lautrec, by Gustave Coquiot + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LAUTREC *** + +***** This file should be named 34422-h.htm or 34422-h.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + http://www.gutenberg.org/3/4/4/2/34422/ + +Produced by Laurent Vogel, Claudine Corbasson, and the +Online Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net +(This file was produced from images generously made +available by the Bibliothèque nationale de France +(BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr), Illustrations +from images generously made available by The Internet +Archive + + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. 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INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the +trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone +providing copies of Project Gutenberg-tm electronic works in accordance +with this agreement, and any volunteers associated with the production, +promotion and distribution of Project Gutenberg-tm electronic works, +harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees, +that arise directly or indirectly from any of the following which you do +or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm +work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any +Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause. + + +Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm + +Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of +electronic works in formats readable by the widest variety of computers +including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists +because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from +people in all walks of life. + +Volunteers and financial support to provide volunteers with the +assistance they need, are critical to reaching Project Gutenberg-tm's +goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will +remain freely available for generations to come. In 2001, the Project +Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure +and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. +To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation +and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 +and the Foundation web page at http://www.pglaf.org. + + +Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive +Foundation + +The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit +501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the +state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal +Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification +number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at +http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent +permitted by U.S. federal laws and your state's laws. + +The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. +Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered +throughout numerous locations. Its business office is located at +809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email +business@pglaf.org. 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