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+The Project Gutenberg EBook of Lautrec, by Gustave Coquiot
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
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+Title: Lautrec
+
+Author: Gustave Coquiot
+
+Release Date: November 23, 2010 [EBook #34422]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: ISO-8859-1
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+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LAUTREC ***
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+Produced by Laurent Vogel, Claudine Corbasson, and the
+Online Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net
+(This file was produced from images generously made
+available by the Bibliothèque nationale de France
+(BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr), Illustrations
+from images generously made available by The Internet
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+LAUTREC
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+DU MÊME AUTEUR
+
+ LES FÉERIES DE PARIS (_Couverture de R. Carabin_).
+
+ LES SOUPEUSES (_Dessins de George Bottini_).
+
+ LE VRAI J.-K. HUYSMANS (_Portrait par J.-F. Raffaëlli_).
+
+ HENRI DE TOULOUSE-LAUTREC (_Avec des illustrations_).
+
+ LE VRAI RODIN (_Avec des illustrations_).
+
+ PARIS, VOICI PARIS! (_Couverture de Sacchetti_).
+
+ CUBISTES, FUTURISTES, PASSÉISTES (_Avec des illustrations_).
+
+ RODIN (_Grand album, avec des illustrations_).
+
+ RODIN A L'HOTEL BIRON ET A MEUDON (_Avec des illustrations_).
+
+ PAUL CÉZANNE (_Avec des illustrations_).
+
+ LES INDÉPENDANTS (_Avec des illustrations_).
+
+ VAGABONDAGES.
+
+
+THÉATRE
+(_Seul ou en collaboration_)
+
+ M. PRIEUX EST DANS LA SALLE!
+
+ DEUX HEURES DU MATIN... QUARTIER MARBEUF (_Couverture de Géo Dupuis_).
+
+ HOTEL DE L'OUEST... CHAMBRE 22.
+
+ UNE NUIT DE GRENELLE (_Couverture de Géo Dupuis_).
+
+ SAINTE ROULETTE.
+
+
+POUR PARAITRE
+
+ L'HOMME DE LA NATURE.
+
+ LES PANTINS DE PARIS (_Dessins de Forain_).
+
+ L'ILE DÉSENCHANTÉE.
+
+ PIERRE BONNARD.
+
+
+Tous droits de traduction, de reproduction, réservés pour tous pays, y
+compris la Suède, la Hollande, le Danemark et la Russie.
+
+S'adresser, pour traiter, à la Librairie OLLENDORFF 50, Chaussée d'Antin,
+Paris.
+
+
+
+
+ GUSTAVE COQUIOT
+
+ LAUTREC
+
+ _OU QUINZE ANS DE
+ MOEURS PARISIENNES_
+
+
+ 1885-1900
+
+
+ Avec 24 reproductions hors-texte des oeuvres
+ de LAUTREC
+
+
+ TROISIÈME ÉDITION
+
+
+ PARIS
+
+ _Société d'Éditions Littéraires et Artistiques_
+ LIBRAIRIE OLLENDORFF
+ 50, CHAUSSÉE D'ANTIN, 50
+
+
+ Copyright by Librairie Ollendorff 1921
+
+
+ _Il a été tiré à part
+ Trente exemplaires sur papier de Hollande
+ numérotés à la presse._
+
+
+ à R. CARABIN
+
+ SCULPTEUR, MÉDAILLEUR, ORFÈVRE,
+ POTIER ET ALCHIMISTE
+
+
+[Illustration: PORTRAIT DE LAUTREC
+(_Eau-forte de Charles Maurin_).]
+
+
+
+
+DES SOUVENIRS SUR LA VIE
+
+I
+
+Le Milieu
+
+Paris et René Princeteau
+
+Cormon ou la Vie
+
+Montmartre
+
+LE MILIEU
+
+
+Descendant des comtes souverains de Toulouse, qui bataillèrent contre le
+pape Innocent III, contre le roi Louis VIII de France, mieux encore
+contre le rude sanglier Simon de Montfort, le comte Alphonse de
+Toulouse-Lautrec-Monfa, aujourd'hui trépassé, chassait à courre, à grand
+tapage de chiens et de trompes, en la terre de Loury en Loiret, quand sa
+femme, la comtesse née Adèle Tapié de Celeyran, lui fit discrètement
+annoncer la naissance de son fils Henri, né le 24 novembre 1864, à Albi,
+14, rue de l'Ecole-Mage, dans un vieil hôtel de famille.
+
+Le veneur ne se hâta point pour cela de boucler son équipage. Officier
+de cavalerie, sorti de l'Ecole de Saint-Cyr, démissionnaire, et marié en
+l'année 1863, il avait tout de suite laissé sa femme à ses religieuses
+pratiques pour éperonner, lui, à pleines molettes, la vie libre,
+nettement excentrique qu'il chérissait. D'ailleurs, cet hoffmannesque
+gentilhomme avait de qui tenir. Son propre père avait été un rude
+coureur de bois et de halliers, farouche et autoritaire, qui avait
+terrorisé son entourage. Excellent cavalier, forcené chasseur, il
+n'avait presque jamais quitté la terre du Bosc, âpre terre située dans
+le Rouergue, et qui appartenait à sa femme. Mais ces loups ont tout de
+même une fin! Un soir, après avoir, durant toute la journée, sonné du
+cor, à se rompre les veines, il mourut d'une chute de cheval, laissant à
+son fils Alphonse la forte image d'un vieux veneur monté en couleurs, et
+dressé sur ses éperons, comme un hargneux coq sur ses ergots. Il ne
+possédait aucune fortune personnelle, du reste; mais, du côté de sa
+femme, abondaient terres et argent; et il s'en trouvait très bien, car
+les Banques, on le sait, sont faites pour les femmes et pour les
+rustres!... Alors, cela dit, quant aux autres origines en ce qui touche
+celui qui sera le peintre Henri de Toulouse-Lautrec, elles se
+présentent, avec une certaine carrure, ainsi:
+
+Sa mère est une fille de Léonce Tapié de Celeyran et de Louise d'Imbert
+du Bosc. Elle est cousine germaine de son mari, leurs deux mères étant
+soeurs, filles du comte d'Imbert du Bosc et de Zoé de Solages.
+
+Les Tapié sont originaires de Cannes (Aude), où ils exercèrent, dès le
+XVIe siècle, les fonctions de premiers consuls. Ils s'établirent à
+Narbonne au XVIIe siècle, et y fournirent de nombreux magistrats
+consulaires, plusieurs chanoines du chapitre de Saint-Sébastien
+(paroisse de Narbonne), un officier de la maison du roy, un trésorier
+général de France, etc.
+
+Quant à la terre de Celeyran (dont le nom s'ajouta à celui de Tapié),
+ou, pour dire mieux, quant à la terre de Saint-Jean de Celeyran, c'était
+une terre noble appartenant aux chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem,
+qui, en 1680, environ, la vendirent avec haute, basse et moyenne
+justice, à la famille Mengau, de Narbonne.
+
+Jacques Mengau, seigneur de Celeyran, conseiller à la cour de
+Montpellier, adopta alors l'arrière-grand-père d'Henri de
+Toulouse-Lautrec, fils de son cousin germain, et lui donna son nom et sa
+fortune, en 1798. La terre de Celeyran, sur laquelle s'élève une vaste
+habitation, est la plus considérable du département de l'Aude. Mais au
+temps de l'arrière-grand-père d'Henri de Toulouse-Lautrec, avant qu'elle
+n'eût été divisée par des partages de famille, sa contenance était de
+plus de 1.500 hectares.
+
+Le château, situé sur la commune de Salles d'Aude (Aude), fut à un
+moment la propriété, jamais payée, de la considérable et grasse Thérèse
+Humbert. Il fut son nid d'affaires. Elle y puisa forces et ruses pendant
+un laps d'années. Ce n'est qu'à sa déconfiture, que la famille Tapié put
+reprendre cette terre, désormais doublement illustre.
+
+Du côté du père, c'est-à-dire du côté du comte Alphonse de
+Toulouse-Lautrec-Monfa, il y avait deux branches: une branche aînée et
+une branche cadette. Henri de Toulouse-Lautrec appartenait à la branche
+cadette; et, à la mort de son père, le fief de Monfa, très ancien dans
+la famille, aurait été son héritage. Il est vrai que Monfa n'est plus
+qu'un château en ruines, avec une centaine d'hectares, très mal
+cultivés. La poste, c'est Roquecourbe-Castres (Tarn).
+
+Mieux favorisée, la comtesse Alphonse de Toulouse-Lautrec avait, de son
+père, hérité de la terre de Ricardel, qui est une portion de l'ancien
+Celeyran. Terre sans château, et qui ne peut s'enorgueillir que d'une
+simple maison de régisseur et de bâtiments d'exploitation rurale.
+
+Mais ceci était préférable: le château du Bosc, en Aveyron, et le
+château de Malromé, par Saint-Macaire (Gironde), appartenaient aussi--et
+appartiennent encore à Madame la comtesse Alphonse de Toulouse-Lautrec.
+
+Toute cette importante fortune territoriale ne put jamais cependant
+contenir la fantaisiste humeur du Comte. Il vivait le plus souvent sur
+des terrains de chasse, loin de sa femme; ou à Albi, où il demeura
+longtemps chez sa mère, une fille du comte du Bosc;--parfois à Paris,
+dans un hôtel;--ou bien devant la cathédrale d'Albi, la robuste et
+originale cathédrale bâtie à son image. Là, sous une tente, il tenait
+compagnie à ses faucons et à ses chiens, avant que de les traîner
+ensuite les uns et les autres, à travers la ville ahurie, mais qui
+pardonnait tout à M. le comte, dont elle vénérait, presque la tête
+basse, la hauteur et l'impertinence. Car, ne se promenait-il pas,
+encore, M. de Toulouse-Lautrec, un faucon sur le poing gauche, de la
+viande crue dans l'autre main, et s'arrêtant tous les dix pas pour
+nourrir le rapace?
+
+On citait, avec orgueil, bien d'autres fantaisies de cet homme, qui
+ignorait si heureusement toutes les conventions sociales; comme il
+voulait ignorer le temps, le lieu, les saisons et les heures;--en un mot
+tout un ensemble de médiocre vie basée sur la résignation et la
+discipline des bourgeois et des gens de boutique.
+
+Et Paris aussi subissait ses frasques! Ainsi, un jour, par exemple, ne
+s'était-il pas entêté à emmener, à une matinée de gala du théâtre de
+l'Opéra-Comique, un ménage ami: homme et femme, dans une bizarre
+voiture-araignée qu'il conduisait lui-même? Sur le parcours, rires et
+quolibets de fuser! Imperturbable, le comte Alphonse tenait correctement
+les guides; donc, pourquoi un tel concert de moqueries et de
+railleries?
+
+Les invités ne le surent qu'en arrivant au théâtre, lorsque, descendus
+de la haute voiture, ils aperçurent entre les roues, dans une vaste
+cage, toute une piaillante et frémissante tribu de petits oiseaux, que
+le comte avait accrochés là, pour «qu'ils prissent l'air!» (_sic_),
+avant que de servir de pâture à ses faucons!
+
+[Illustration: FILLE A LA FOURRURE
+
+PHOTO DRUET]
+
+Une autre fois, une nuit, à la campagne, les domestiques n'avaient ils
+pas surpris M. le Comte à la recherche de cèpes; et il tenait d'une main
+une bougie allumée, et, de l'autre main, un carton à chapeau? Et, le
+lendemain, n'était-il pas descendu, à la table d'un dîner de famille,
+costumé en écossais, et la jupe à carreaux remplacée par un tutu de
+danseuse?
+
+A Paris, on vit le comte de Toulouse-Lautrec, à l'enviable moment des
+beaux cavaliers et des jolies amazones, monter, pendant quelques mois,
+au Bois, une jument laitière, sur une selle de Kirghiz; et, de temps en
+temps, il mettait placidement pied à terre, pour traire la jument et
+boire de son lait.
+
+C'est aussi au même Bois de Boulogne que, rencontrant, un jour, une
+troupe de cavaliers tartares, en représentation au Jardin
+d'acclimatation, il se mit à caracoler à leur tête, pour les emmener à
+travers Paris jusqu'à l'Hippodrome (actuel Gaumont-palace); et là, dans
+le jardin qui existait alors, les faire photographier, en se plaçant au
+premier rang.
+
+Enfin, voici une dernière anecdote; et celle-ci, qu'on me le pardonne,
+m'est toute personnelle.
+
+Quand le comte apprit, en 1912, que j'étais en train de préparer un
+premier livre consacré à son fils, il se fâcha et il voulut accourir
+d'Albi pour me châtier, en combat singulier, comme au temps des Croisés.
+Il dit ceci: lui, noble gentilhomme, il tiendrait une lance, il serait
+dans une espèce de petite tranchée à cause de ses cors aux pieds; et
+moi, humble serf, je serais face à lui, et armé d'un simple bâton.
+Croyez-le, on eut beaucoup de difficultés à l'empêcher de venir jusqu'à
+moi, à Paris, à cheval, par le moyen de chevaux de relais.
+
+Certes, je pourrais citer bien d'autres anecdotes pour montrer que le
+comte Alphonse de Toulouse-Lautrec-Monfa était vraiment un gentilhomme
+d'une totale extravagance; mais, aussi bien, il faut, peut-être, se
+contenter du significatif dessin que Forain fit d'après lui, et qui le
+représente, cet insolite gentilhomme, à cheval, son ample manteau
+déroulé, comme une robe de cour, sur la croupe de la bête?
+
+Un père assurément singulier, une mère pieuse, très attachée à ses
+devoirs, voilà donc, à peine silhouettés, les directs ascendants de
+Henri de Toulouse-Lautrec; ascendants qui convinrent entre eux deux de
+ceci: la comtesse s'occuperait d'abord seule de son fils; le père, lui,
+s'en chargerait plus tard; et en ferait, alors, à son image, un
+orgueilleux seigneur, un forcené veneur, et un parfait contempteur de
+son temps!
+
+Henri de Toulouse-Lautrec partit pour vivre, avec sa mère, toute son
+enfance à Paris, hôtel Perey, cité du Retiro; et il fut placé comme
+externe libre au lycée Condorcet, sa mère se chargeant de toute son
+éducation et lui servant même de répétiteur.
+
+Ses vacances scolaires, il les passait à Celeyran, au Bosc ou à Malromé.
+Tous deux, la mère et le fils, ils furent aussi plusieurs fois à Nice,
+dans une pension de famille, où Henri aimait à parler anglais avec les
+hôtes.
+
+Mais il fallait rentrer; et le lycée l'obsédait. Aussi, dès l'âge de
+dix ans, il ne voulut plus travailler qu'avec sa mère. Quand il eut
+treize ans, il se cassa une jambe en glissant sur un parquet; et l'année
+suivante, lors d'un voyage à Barèges, il se cassa l'autre jambe. Dès
+lors, il ne grandit plus; et la marche lui devint pénible.
+
+En une douloureuse réalité, c'en est fait des rêves de la toute première
+enfance. Le père, ce dur cavalier, se détourne de cet enfant qui ne
+peut, qui ne pourra jamais le talonner dans ses chasses. Voilà tout le
+commencement d'un chagrin que l'enfant, l'adolescent, et enfin l'homme
+ne cessera plus de ressentir!
+
+Ces chevaux, qu'il ne pourra jamais conduire, cet infirme les aime d'un
+tel amour qu'il commence de les crayonner, de les dessiner, seuls ou
+avec des chiens, ou avec des équipages. Et cela le passionne tellement
+qu'il ne veut même plus accomplir ses études scolaires. Il passe la
+première partie du baccalauréat-ès-lettres; et il en reste là.
+
+Il est un nain. Il a un torse normal; mais ses jambes sont
+extraordinairement courtes. Oui, c'est un fait brutal! Le descendant des
+comtes de Toulouse-Lautrec-Monfa ne sera pas un cavalier, un héros de
+concours hippique et de chasses à courre. Il n'a plus qu'à devenir le
+peintre des bals publics, des maisons closes, des vélodromes, de toute
+une population pittoresque, assurément, mais comme ce champ est borné!
+Souvent, au cours de sa brève vie, est-ce que Lautrec ne regrettera pas
+l'élégant gentilhomme, le rude bretteur et le vigoureux chevaucheur
+qu'il eût pu être, en un mot la belle brute dont la vitalité sanguine et
+nerveuse attire autour de soi un violent flux d'admiratifs hommages?
+Porter un tel superbe nom: Henri de Toulouse-Lautrec-Monfa et aboutir
+là: être l'annaliste d'une époque de pourriture! Pour oublier cela,
+est-ce qu'il ne sera point obligé de se jeter, à corps perdu, dans la
+vie, et de la brûler, la mauvaise vie, avec la plus dévorante
+frénésie?... Allons! C'est ce que fera Henri de Toulouse-Lautrec-Monfa,
+peintre un peu par force et surtout par vocation, mais descendant quand
+même, malgré tout, d'une lignée de comtes d'altière noblesse; et seul
+descendant, puisqu'il avait perdu un frère, âgé d'un an, alors qu'il
+atteignait, lui, la troisième année de sa vie.
+
+Soit! Ses brillantes qualités d'orgueil, d'amour de sa race, de fierté
+apprise, il les emploiera donc, puisque c'est la dure contrainte, au
+service de son métier presque subi; et toute son éducation, tout le
+style, toute la hauteur de son origine, il mettra tout cela dans son
+dessin et dans sa peinture; puisque la nature, si impitoyable aux
+erreurs congénitales, lui refusa, à lui, la taille et la force qu'elle
+accorde si bénévolement à tant de fils des champs ou des villes, nés
+dans l'emportement de deux sangs merveilleusement croisés et neufs, et
+purs de toute consanguinité imposée depuis de trop longues années!...
+Et, pour la première fois, peut-être, un peintre porteur d'un nom à
+panache, avec un entrain non feint, ira vers les plus crapuleux
+spectacles, pour les exprimer, non pas, comme on l'a cru, avec une
+férocité de nain haineux, mais avec une verve passionnée, avec une
+tenace ivresse, avec un don de tout son génie. Et toujours ce
+peintre-là--rare spectacle!--cherchera à chérir davantage ses modèles;
+il consumera une plus farouche volonté à les dessiner mieux, à les
+peindre avec plus de fougue et avec plus d'amour!... C'est comme cela
+qu'il usera sa méchante vie!
+
+
+PARIS ET RENÉ PRINCETEAU
+
+Occasionnellement, le comte Alphonse de Toulouse-Lautrec avait dessiné
+et modelé quelques esquisses en terre: chevaux et chiens d'équipage;
+mais il ne convient pas de voir ici une véritable hérédité pour Lautrec,
+qui va, au contraire, après quelques essais, se donner tout entier aux
+bals et aux maisons closes, à des hôtes de cirques et de bars.
+
+C'est plus simple et tellement plus simple. Le comte Alphonse de
+Toulouse-Lautrec avait un ami, artiste-peintre, dont l'atelier s'ouvrait
+dans une sorte d'impasse, au nº 233, du faubourg Saint-Honoré! Ce
+peintre, comme par un décret de la Providence, c'était René Princeteau,
+peintre de chasses, de chevaux et de chiens! Or, dès l'âge de huit ans,
+Lautrec ayant commencé de venir dans l'atelier de Princeteau,
+retrouvait ainsi tous les sujets de tableaux qui lui étaient si
+familiers. De là à les imiter, à les copier, il n'y eut qu'un pas à
+franchir; et il fut vite franchi. Ce passage d'une lettre qui nous fut
+adressée par Princeteau quelques jours avant sa mort, atteste cela.
+Voici ce fragment:
+
+«Oui, j'étais surtout peiné de sa «pas bonne forme»! (_sic_). Mon pauvre
+Henri! Il venait tous les matins dans mon atelier; à quatorze ans, en
+1878, il copia mes études et fit un portrait de moi, «à me faire
+frémir!» (_sic_).
+
+«Pendant les vacances, il peignait devant nature portraits, chevaux,
+chiens, soldats, artilleurs au moment des manoeuvres. Un hiver, à
+Cannes, il a peint des bateaux, la mer, des amazones.
+
+«Henri et moi, nous allions au cirque pour les chevaux, et au théâtre
+pour les décors. Il était profond connaisseur en chevaux et en chiens.»
+
+[Illustration: PORTRAIT
+
+PHOTO DRUET]
+
+Et voilà la toute simple raison des débuts de Lautrec. En tout cas,
+Princeteau étant sourd et muet, il ne pouvait pas être un maître
+fatigant pour le peintre adolescent. De plus, chez Princeteau, venaient
+aussi quelques peintres: Forain, Butin, Petitjean et surtout John-Lewis
+Brown, un autre peintre de chevaux et un autre Bordelais comme
+Princeteau. Mais lui, Brown, peignait ses chevaux et ses cavaliers avec
+une telle virtuosité et avec un tel éclat que tous ses portraits de
+chevaux semblent avoir été plaqués de luisant acajou.
+
+Dans ce milieu de peintres, et surtout en présence de ces deux peintres
+de chevaux: Princeteau et John-Lewis Brown, Lautrec se mit à représenter
+avec une opiniâtre ardeur les chevaux qu'il ne pouvait pas chevaucher.
+Rappelons-nous, d'ailleurs, qu'il n'y eut jamais un plus favorable temps
+de l'hippisme. Ils montaient régulièrement, au Bois, ces cavaliers et
+ces amazones qui s'appelaient Émile Abeille, le comte Nicolas Potocki,
+le prince Charles de Ligne, le duc de Camposelice, le vicomte de
+Montigny, le marquis de Breteuil, le vicomte de Pons, le baron de la
+Rochette;--la duchesse de Fitz-James, la comtesse de Clermont-Tonnerre,
+la comtesse de Caraman, la baronne de Beauchamp et la marquise de
+Louvencourt. Or, comme Princeteau, sans trop d'originalité, mais avec
+acharnement, les dessinait tous et toutes sur de petits albums,
+c'étaient ces petits albums-là, prestigieux et magiques, qui
+passionnaient Lautrec.
+
+Là-dedans, en effet, au cours des pages, ne voyait-il pas des poneys,
+des cobs, des irlandais, des pur-sang, tous chevaux bien mis;--et aussi,
+dans de discrètes allées, des silhouettes de bidets et de chevaux de
+manège, dont le drolatique aspect physique l'enchantait? Toutes les
+caricatures, mâles et femelles, que le goût de l'équitation pouvait
+engendrer,--c'est sans doute de les regarder, avec tant de flamme, que
+Lautrec prit le sens de ce trait caustique, aigu et rare, qui, plus
+tard, développé, fera de son dessin une écriture à nulle autre pareille
+et situant admirablement toutes les tares physiques. Et comme Princeteau
+aimait de plus en plus «son nourrisson d'atelier», ainsi appelait-il
+Lautrec, celui-ci put, tout à son aise, dessiner et peindre, sous les
+regards amusés de Princeteau. Un jour pourtant ce dernier voyant que le
+«nourrisson» voulait, lui aussi, devenir un artiste, un enseignement
+officiel s'imposa aux yeux du brave homme, peintre discipliné, qui,
+naturellement, croyait à la tradition, aux professeurs consacrés; et il
+choisit alors pour Lautrec un véritable maître, en la personne de M.
+Léon Bonnat. Lautrec, docile, entra dans cet atelier; mais il ne fit
+qu'y passer, l'atelier Bonnat ayant fermé presque aussitôt ses sacrées
+portes. Juste compensation! C'est dans cet atelier que Lautrec connut
+son ami le plus attaché: M. Henri Rachou, qui est actuellement Directeur
+des Beaux-Arts de la ville de Toulouse.
+
+Le soir, Lautrec retrouvait René Princeteau; et, durant toutes ces
+années-là, on les vit tous deux au cirque Fernando, alors bâti en
+planches, sur l'emplacement actuel du cirque Médrano, et que tout Paris
+envahissait.
+
+Ce goût du cirque, on le verra se développer jusqu'à la plus extrême
+acuité chez Lautrec. Plus loin, nous dirons ce qu'il en tira, même quand
+il fut contraint de se reposer pendant quelques mois, chez le docteur
+Semelaigne, à Saint-James.
+
+
+CORMON OU LA VIE
+
+De Bonnat, Lautrec passa aux mains de Cormon. D'un médiocre à un pire.
+L'homme de l'âge de plâtre, le néfaste macrobe qui commit sur des toiles
+à voiles les plus odieux des poncifs, avait ouvert un atelier à
+Montmartre, rue Constance. Lautrec alla dans cet atelier. A cet âge, on
+a la candeur des plus touchantes sottises. Et, Cormon s'installant
+ensuite au nº 104 du boulevard de Clichy, Lautrec le suivit. Aussi bien,
+ce sont les camarades qui vous attirent; et Lautrec, dans le premier
+atelier Cormon, s'était déjà lié avec les peintres Vincent Van Gogh,
+Gauzi, Claudon, Grenier et Anquetin; et ceux-là, tout en restant chez le
+pion d'Institut, n'admiraient que Delacroix, Degas, Manet, Renoir et les
+Japonais. Et ils tenaient des propos enflammés! Et ils avaient de beaux
+espoirs!... Mais quels souvenirs ont gardé de Lautrec ses camarades de
+ce temps-là? Le premier, voici comment le juge le peintre Claudon:
+
+«Lautrec était fort adroit, et il se servait de cet esprit d'observation
+qui n'a fait que s'aiguiser avec le temps; mais c'étaient surtout les
+chevaux, les habits rouges et les chasses à courre qui le passionnaient.
+Toutefois, je dois avancer qu'ayant un jour à décorer deux panneaux dans
+un cercle que nous avions fondé, il fit ses panneaux tout à fait à la
+manière de Forain.
+
+«Je me rappelle de ce temps peu de mots de Lautrec; il aimait plutôt à
+synthétiser par une phrase brève toute une situation, et à rendre les
+choses par une formule crayonnée sur un bout de papier et les gens par
+une charge faite d'un trait étonnamment expressif.»
+
+M. Gauzi, retiré aujourd'hui à Toulouse, nous a dit, de son côté:
+
+«Sous des dehors moqueurs, Lautrec était d'une nature très sensible, et
+il n'avait que des amis. Extrêmement liant, il était très serviable.
+Faible, il admirait la force chez les lutteurs et chez les acrobates.
+Il était très bien élevé. En art, il fut toujours sincère. A l'atelier
+Cormon, il s'efforçait de copier le modèle; mais, malgré lui, il
+exagérait certains détails typiques ou bien le caractère général, de
+telle sorte qu'il déformait sans le chercher et même sans le vouloir. Je
+l'ai vu se forcer en présence d'un modèle à «faire joli», et ne
+pouvoir, à mon avis, y réussir. Le mot «se forcer à faire joli» est de
+lui. Ses premiers dessins et ses premiers tableaux au sortir de
+l'atelier, il les exécuta toujours d'après nature; il disait même qu'il
+ne pouvait travailler si le moindre accessoire n'était à sa place au
+moment où il travaillait. Il avait entrepris un portrait de moi; à ce
+moment, j'arrivais de ma province et j'arborais un superbe gilet de
+fantaisie jaune; immédiatement ce gilet fut dans l'oeil de Lautrec, qui
+voulut me représenter en bras de chemise, sans doute pour mieux voir le
+dit gilet. Il commença et travailla quelques séances; sur ces
+entrefaites, je déménageai et on me vola ou je perdis mon gilet; il
+refusa alors de continuer ce portrait malgré qu'il fut très avancé; il
+en fit un nouveau tout à fait différent.»
+
+«Son maître d'élection était Degas; il le vénérait. Ses autres
+préférences, parmi les modernes, allaient à Renoir et à Forain. Il avait
+un culte pour les anciens Japonais; il admirait Velasquez et Goya; et,
+chose qui paraîtra extraordinaire à quelques peintres, il avait pour
+Ingres une estime particulière; en cela, il ne faisait que suivre les
+goûts de Degas qui a toujours vanté les dessins de Dominique Ingres».
+
+Les Japonais! Théodore Duret et Cernuschi, de retour d'un féerique
+voyage au Japon, les avaient mis à la mode; et on commençait de
+collectionner les si neuves estampes du Nippon, arrivées par les bateaux
+de commerce. Portier, le marchand de tableaux, en avait acquis un lot;
+et Lautrec lui acheta certaines de ces estampes. Il se passionna, comme
+Van Gogh, pour ces planches qu'avaient griffé Harounobu, Kiyonaga,
+Toyokouni, Outamaro, Hiroschigé et Hokousaï.
+
+Cormon ou la vie? N'était-ce pas la vie, ces gestes, ces attitudes, ces
+expressions singulièrement inattendues? C'était la vie, cette grâce
+inédite, cette souple puissance, cette gracile joliesse, ces mobiles
+décors, cette science du dessin, ces accords de somptueuses couleurs!
+Cormon, à l'opposé, c'était le néant, la tradition la plus vaine figée
+par un dessin convenu, par une couleur générale alourdie de plâtre!
+Comment hésiter?
+
+[Illustration: BAL MASQUÉ
+
+PHOTO DRUET]
+
+Et les autres admirations de Lautrec, c'était aussi la vie! Velasquez,
+en effet, c'était la hautaine distinction, la grâce d'une naturelle
+noblesse; Goya, c'était la fantaisie désordonnée, toute puissante,
+animant les plus terribles spectacles; Goya, qui, auparavant, avait
+aiguillé Forain se demandant un jour, au Cabinet des Estampes, ce qu'il
+convenait de faire; Forain, happé par les prodigieux _Caprices_, et
+éclairé tout d'un coup, brutalement; Goya, dont la forte devise: _J'ai
+vu çà!_ allait devenir la devise de Lautrec, flottant entre Cormon de
+l'âge de plâtre et Goya de l'âge de sang!
+
+Ingres, enfin, d'une sensualité concentrée jusqu'à la plus tendre
+subtilité, s'il s'en tient parfois à des redites de tradition; Ingres
+l'émerveillait également quand il lui livrait les trésors de ses
+odalisques, de ses baigneuses et de quelques-uns de ses portraits de
+femmes si brûlés de passion!
+
+J'ai tenu aussi à interroger M. Henri Rachou, l'ancien condisciple de
+Lautrec. Voici sa lettre consacrée à la mémoire de son ami:
+
+«J'ai connu Henri à Paris, par sa mère, en 1882. Il avait déjà commencé
+à peindre avec notre ami René Princeteau et faisait, à la manière de ce
+dernier, de petits panneaux représentant des chevaux.
+
+«Il a suivi avec moi les cours de l'atelier Bonnat, puis ceux de
+l'atelier Cormon où il étudiait de façon très suivie le matin, passant
+ses après-midi à peindre d'après nos modèles habituels: le père Cot,
+Carmen, Gabrielle, etc., soit dans mon petit jardin de la rue Ganneron,
+que j'ai habité 17 ans, soit chez M. Forest, propriétaire, rue Forest.
+Je ne crois pas avoir eu la moindre influence sur lui. Il venait
+fréquemment avec moi au Louvre, à Notre-Dame, à Saint-Séverin; mais,
+bien qu'il admirât l'art gothique, dont la vénération m'est restée, il
+manifestait déjà des préférences très marquées pour l'art japonais,
+l'art de Degas, de Manet et des Impressionnistes en général, de sorte
+qu'il échappa à l'atelier alors qu'il y travaillait encore.
+
+«Ce qui m'a le plus vivement frappé chez lui est sa magnifique
+intelligence toujours en éveil, sa bonté extrême pour ceux qui
+l'aimaient et sa connaissance parfaite des hommes. Je ne l'ai jamais vu
+se tromper dans ses appréciations sur nos camarades. Il était
+incroyablement psychologue, ne se livrait qu'à ceux dont il avait
+éprouvé l'amitié et traitait parfois les autres avec un sans-façon
+voisin de la cruauté. D'une éducation parfaite quand il le voulait, il
+dévoilait un sens exact de la mesure en s'adaptant à tous les milieux.
+
+«Je ne l'ai jamais connu ni exubérant ni ambitieux. Il était avant tout
+artiste et n'attachait, bien qu'il les recherchât, qu'une valeur très
+relative aux éloges. Il ne se montrait, dans l'intimité, que très
+rarement satisfait de ses travaux.»
+
+Pour terminer ce chapitre, puis-je noter, enfin, ce court portrait
+physique et moral de Lautrec par un dernier de ses camarades?
+
+«Il était non seulement très petit, mais difforme. La tête était
+lourde. Il traînait les jambes et s'appuyait sur une minuscule canne au
+manche recourbé, qu'il appelait lui même son «crochet à bottines». Il
+était très myope; son pince-nez ne le quittait pas. Il portait sa
+moustache et sa barbe mal taillées. Il avait la bouche épaisse, la lèvre
+inférieure pendante, toujours un peu baveuse, le nez assez fort, le
+regard souvent endormi, lourd; parfois, au contraire, étonnamment vif,
+curieux, rieur.
+
+«Il lisait peu--ou presque pas. Assez bavard, il aimait fort plaisanter
+avec des amis. Pas lyrique, ni littéraire. Pas rosse, mais gouailleur,
+malicieux, très observateur, très passionné... Ah! je vois encore
+Lautrec passant toute sa matinée au musée de Bruxelles devant un
+portrait d'homme de Cranach! Quel enthousiasme! Enthousiasme jamais
+débordant, jamais méridional...»
+
+
+MONTMARTRE
+
+Mais la vie qui va prendre tout entier Lautrec, la vie qui l'assaille
+chaque jour quand il va chez Cormon et quand il sort de ce morne
+atelier, la vie, toute la vie matérielle et brûlante, c'est Montmartre
+et quel Montmartre!
+
+Montmartre, au temps de Lautrec, c'est-à-dire de 1885 à 1900, c'est en
+effet, le _Moulin-Rouge_ qui vient de remplacer le _Bal de la Reine
+Blanche_ et que dirige Zidler; c'est le _Café du Rat mort_, déjà situé à
+sa place actuelle; c'est le _Bal du Moulin de la Galette_, où l'on paye
+les danses; c'est Palmyre, installée alors à la _Souris_, rue Bréda;
+c'est Armande, trônant au _Hanneton_; c'est l'_Auberge du Clou_, avenue
+Trudaine; c'est le cabaret du _Mirliton_, que vient de quitter Salis
+pour transporter, rue de Laval, son cabaret du _Chat noir_;--le
+_Mirliton_, où engueule et chante l'humanitaire Aristide Bruant; c'est
+le _Bal de l'Elysée Montmartre_; c'est le _Divan Japonais_; c'est le
+tapageur _Café de la Place Blanche_, qui s'est ouvert en même temps que
+le Moulin-Rouge; et, enfin, Montmartre c'est, en contraste, autour de la
+vasque Pigalle, encombrée de modèles italiens, l'atelier de Roybet le
+Magnifique, le Panthéon de Puvis de Chavannes l'olympien sensuel, et la
+boutique de l'avare Henner, du pays d'Alsace!
+
+On peut imaginer avec quelle joie Lautrec tomba du nid Cormon dans ce
+chaud milieu! Il a besoin de travailler, de s'étourdir; ici, il va
+travailler, et il va s'étourdir.
+
+Pour lui, qui ne peut guère marcher et se fatiguer, l'essentiel, c'est
+de rester dans un cercle assez restreint; les boulevards extérieurs
+sont, d'ailleurs, peu sûrs; et le Moulin-Rouge le retiendra durant de
+longues années avec son amusant et exceptionnel spectacle. Lautrec se
+lie donc tout de suite avec Joseph Oller, le propriétaire; et il aura
+désormais, au bal, sa table retenue.
+
+Il y entre, tous les soirs, le visage joyeux. Mais aussi quel bal et
+quelles danseuses! A l'heure actuelle, c'est peut-être notre plus tenace
+regret que tout cela ne soit plus! Sans doute, on loue toujours le temps
+passé; mais il nous semble que la vie alors était moins bête qu'au temps
+présent; surtout si l'on évoque toutes ces pittoresques danseuses, qu'on
+appelait, entre tant d'autres: Grille d'égout, Demi-syphon, Rayon d'or,
+Muguet la limonnière, Eglantine, la Goulue, la Mélinite, et que
+couronnait ce prodigieux danseur: Valentin le désossé!
+
+Ah! ces trois dernières vedettes, quelles curieuses et épileptiques
+sauterelles! Quel extravagant trio! Ce Valentin le désossé, si glabre,
+si funèbre sous son haute forme noir, qui basculait en avant; ce
+somnolent Valentin, qui, le soir, se transformait en un inénarrable et
+électrique danseur. Grand, maigre à s'enrouler autour d'un bec de gaz,
+n'ayant pas d'âge, trente-cinq ou tout aussi bien cinquante-cinq ans,
+étriqué et monté sur ressorts, il avait des jambes et des bras en
+lanières de caoutchouc. Il tenait de la sarigue et du casoar, et quelle
+trompe! Mais ce dégingandé valsait vraiment avec une sûre cadence et un
+incroyable rythme. Ses longs pieds tournaient, remontés, toujours autour
+du même pivot. Ses pieds étaient de parfaits automates. Aussi, comme
+nous l'admirions, cet Empereur de la Danse!
+
+Ses rivales et ses deux chères amies, c'étaient la Goulue et la
+Mélinite.
+
+La Goulue, une étrange fille, à la face d'empeigne, au profil de rapace,
+à la bouche torve, aux yeux durs. Sèchement elle dansait, avec des
+gestes nets. On l'appelait la Goulue, du temps de ses débuts au Moulin,
+où elle avait fait, chaque soir, le tour des tables, en vidant le fond
+des verres.
+
+La Mélinite ou Jane Avril, c'était une autre affaire, comme on dit. Car
+elle se présentait, celle-ci, gracile et souple. Délicate et amenuisée
+même. Son visage pincé et fin faisait songer à une souris. Et qu'elle
+était invraisemblablement maigre, si déliée qu'elle pouvait se ployer
+jusqu'à éventer de son dos le parquet!
+
+En outre, elle «avait des Lettres»; ses amis comptaient dans la
+Littérature gaie et dans la Littérature sacrée; ses amis Alphonse
+Allais et Théodor de Wyzewa. D'ensemble, elle apparaissait telle qu'une
+sorte d'institutrice tombée dans la canaille du «chahut». Douce, bien
+élevée, elle tenait gentiment son «paquet de linges», au moment où,
+d'une jambe, redressée et agitée, elle battait la rémolade.
+
+[Illustration: LA PROMENADE AU MOULIN ROUGE
+(_La Goulue_).
+
+PHOTO DRUET]
+
+La Goulue, au contraire, vous secouait avec son chignon relevé en crête
+de bataille, avec ses lèvres serrées et son bec d'épervier. Quelle face
+et quel profil! Elle symbolisait, cette formidable guenipe, toute une
+époque qui bouillait dans la sauce des bals.
+
+Gale et teigne, on n'osait pas, vraiment, certains soirs, lui adresser
+la parole. En ces moments-là, ses yeux se plissaient, aggravaient leur
+dureté métallique, et l'accent circonflexe de sa bouche remontait
+durement vers son nez aux narines minces.
+
+Tous les soirs, Lautrec ne manquait pas d'aller au Moulin; et il offrait
+à boire aux trois impériales étoiles. Pour tous, danseurs et
+spectateurs, il devint bientôt l'indispensable personnage à la raison
+d'être de la danse. Assis à sa table, avec des amis, il était là, en
+effet, comme le bouddha, coiffé d'un melon, du quadrille et de la valse.
+Mais c'était un bouddha qui voyait tout, qui observait tout; et qui
+enregistrait la plus totale collection de gestes et d'attitudes que l'on
+pût imaginer!
+
+Les odeurs des alcools et du bal le surexcitaient. Il fut rapidement
+visible que sa sensibilité s'aiguisait, se tendait jusqu'à une extrême
+limite douloureuse. Il avait déjà des tics, des rictus. Il vibrait
+jusqu'à l'angoisse; il paraissait s'étouffer lui-même sous une chape
+d'anxiété; il faisait pénétrer en lui, comme une pointe aiguë, le
+redoutable visage de ces danses qui le crucifiaient. Aussi, plus tard,
+certes, nous n'avons jamais pu sourire, nous, devant les quadrilles
+qu'il a peints, et que semblent danser de «vivants» cadavres!
+
+En vérité, à ce moment-là, tous les chagrins de sa pauvre vie physique,
+qu'il porta telle qu'une sorte de suaire, Lautrec s'en imprégna, sans
+miséricorde, dans cette fumante salle du Moulin, où nous le rencontrâmes
+si souvent. En revoyant ses tableaux, nous sentons bien de quoi sont
+faits ces gestes canailles qui soulèvent des jupes, et de quel poids
+pèsent ces jambes qui remuent de la pointe le vide. Nous avons retenu,
+nous avons compté, en regardant Lautrec, tous ses sanglots cachés, tous
+ses effrois et toutes ses terreurs! Plus tard, même, est-ce que le
+_Quadrille au Moulin-Rouge_ ne causera pas une épouvante pareille à
+celle qu'engendre la _Crucifixion_ de Mathias Grünwald, par exemple? Qui
+notera alors les épouvantes de toutes nos pauvres âmes assassinées?
+
+D'autres cavernes de supplice ou d'autres champs de pitié, Lautrec les
+trouvait à la _Souris_ ou au _Hanneton_. Il tombait là sur toutes les
+vieilles et toutes les jeunes gousses, sur toutes les tribades qui, en
+se léchant et en se pourléchant, brassaient des cartes, ou jetaient des
+dés sur la crasse d'un marbre cassé. C'étaient des profils et des
+splendides têtes de massacre, des gueules affaissées de vices, des bouts
+de nez de rates et des groins de truies. Lautrec exultait dans cette
+bauge; il se pâmait sur toute cette magnifique pourriture à dessiner et
+à peindre. Ah! ce n'étaient plus les filles des routes, les filles
+rudes et fortes comme des bêtes de halliers; des filles durcies par
+l'air, par la pluie, par le soleil, et qui vibrent avec des cuisses
+craquantes et des bras de lutteurs! Ce n'était plus du rire sain, des
+apostrophes en pleine joie, la face éclatée et rouge; c'était, ici, de
+l'extrait de marécage, des moisissures et des verdissures de cloaques,
+des lèvres flétries, des yeux en persiennes, des nuques courbées, des
+seins dévalant sur des ventres mous, contenus dans des corsets durs.
+C'était inédit à représenter cela; et personne, proprement, ne l'avait
+fait. Un aspect pittoresque et ignoble, mais d'une superbe expression de
+fumier humain. Lautrec se jeta dans ce purin; et il s'en enivra.
+
+Chez Bruant, il devint aussi un hôte tenace. A ce moment-là, il se
+traînait partout, se balançant, se dandinant. Le grand diable, qui, d'un
+emploi au chemin de fer, s'était juché sur le tréteau des chansonniers,
+l'épais bougre de noir vêtu et lourdement cravaté de rouge, l'enchanta.
+Quel ténor bruyant et fort en gueule! Et puis Lautrec aimait les
+chansons de Bruant, les chansons niaises et radoteuses, tout le vieillot
+déjà et tout le sentimental de ces romances consacrées aux filles et à
+leurs souteneurs; tout ce suranné qu'on présente encore maintenant,
+faisandé, avarié, hors de toute vérité! et Lautrec ne faisait que suivre
+tout Paris, en fêtant le chantre bêlant des filles.
+
+Au _Divan japonais_, au _Clou_, Lautrec prenait place également; et, là,
+le bouddha, toujours, observait, notait des visages et des attitudes. Il
+fut bientôt l'ami de cet ex-marchand d'olives, Sarrazin, qui participa à
+la célébrité de ce Montmartre d'hier. Ce petit comptable maigre, porteur
+d'un lorgnon, témoignait avant tout d'une inexplicable peur de la
+police; pourtant, c'était dans le sous-sol du _Divan_ qu'on faisait le
+plus de bruit, donc rien à craindre; mais Sarrazin, poète à ses heures,
+ne se sentait pas de force, affaibli par les rimes, pour se colleter
+avec les flics. Aussi, il voulut un jour agrandir son établissement,
+surtout le rendre plus honnête; mais, en quelques mois, il fit faillite.
+Montmartre n'aime pas l'ordre!
+
+Là-haut, au _Moulin de la Galette_, perché sur la Butte, Lautrec ne se
+montrait guère. Du reste, ce n'était pas, en ce temps-là, l'amusante
+réunion des fillettes et des gosses de Montmartre, midinettes et
+commis, que ce Moulin allait devenir plus tard; ce n'était pas le
+tournoiement d'une jeunesse aigrelette; ce n'était pas non plus le
+laisser-aller et l'abandon de gamines d'atelier, rompues mais vivaces;
+c'était un bal au-dessous, un bal à saladiers de vin, à putains mûres.
+Cela n'était point pour trop tenter Lautrec; et puis, ce bal juché au
+diable vauvert l'éloignait trop de son quartier général, établi dans les
+immédiats entours du Moulin-Rouge. Le Café de la place Blanche et le Rat
+mort étaient aussi les seuls acceptables restaurants de nuit; et cela
+lui suffisait. Au premier bal des Quat'z-Arts, à l'Elysée Montmartre
+(après la fin des bals des Incohérents), à ce premier bal organisé par
+le photographe Simonnet, Lautrec se déguisa en ouvrier lithographe,
+cotte bleue, un chapeau mou avec une pipe passée au travers. Et ce
+simple geste le ravit. Un tout petit coin de Montmartre, avec des
+plaisirs en somme peu renouvelés, cela, c'était sa vie, cela fut
+désormais toute sa vie. Il n'alla guère ensuite que par caprices vers
+d'autres spectacles.
+
+
+
+
+DES SOUVENIRS SUR LA VIE
+
+II
+
+Quelques Sports
+
+Bars et Maisons closes
+
+QUELQUES SPORTS
+
+
+Lautrec ayant connu Tristan-Bernard à _la Revue blanche_, fondée en
+1891, par les frères Natanson, tout de suite, par lui, il alla au
+vélodrome Buffalo, dont Baduel était l'administrateur, et, lui-même,
+Tristan-Bernard, le directeur sportif. Et pas un directeur sportif pour
+rire, car on doit à Tristan-Bernard, qui le croirait? trois choses
+essentiellement sportives: la sonnerie de la cloche pour annoncer aux
+coureurs le dernier tour à faire; la série de repêchage permettant à un
+crack d'en appeler d'une occasionnelle défaite; et enfin le brassard nº
+1 qui fut couru tant de fois!
+
+Tristan-Bernard et Lautrec «s'adorèrent». Lautrec eut la bonne joie de
+connaître le fameux Yankee volant Arthur Zimmerman et la merveilleuse
+petite mécanique de demi-fond, Jimmy Michaël.
+
+Et il travailla intensément à ce vélodrome Buffalo. Ce fut un tel moment
+d'enthousiasme sportif! Le vélodrome vécut de frémissantes heures qu'il
+ne devait plus retrouver. Certes, on admira, toutes ces dernières
+années, d'excellents coureurs de vitesse: le bull-dog Kramer, l'élégant
+Bourillon, le populaire Jacquelin, le tenace Ellegaard et le menu Friol;
+mais ils ne «coiffèrent» pas le prestigieux Zimmerman! Et quel Bouhours,
+quel Contenet, quel Darragon, quel Sérès pourrait-on aligner, dans la
+mémoire des vieux sportsmen, à côté du petit Michaël, qui tournait
+toujours de son vif et régulier mouvement d'horloge, un cure-dents entre
+ses lèvres; Michaël, cette petite face volontaire et busquée de ratier?
+Et, aussi, qui opposerait-on au dégingandé, plat et interminable
+Zimmerman, qui évoquait je ne sais quel oiseau des hautes altitudes,
+maladroit sur ses pieds, et si rapide, si volant, quand il pesait sur
+ses pédales?
+
+Leur manager, Choppy Warburton, offrait également un étrange type, très
+américain, à dos bombé; et Lautrec, d'après les trois hommes, dessina
+d'extraordinaires lithographies.
+
+Le beau temps! Beaucoup de ceux qui l'ont vécu, ne sont plus, depuis,
+retournés au Vélodrome. Il faut garder le culte des souvenirs!
+
+Ah! les soirées surtout de Buffalo!
+
+Sans les petites sportswomen qui venaient là en foule, la soirée,
+peut-être, n'eût pas été autrement enviable. Mais elles étaient vraiment
+amusées, elles, et amusantes. Du haut des virages, elles appelaient les
+coureurs et les encourageaient. On jouait des coudes pour aller se
+placer près de ces groupes particulièrement bruyants: et quand venait le
+moment de la course de primes, la meute des coureurs partait, s'étirait,
+se groupait, deux pelotons se formaient, et l'ensemble était joli, s'il
+n'était pas émouvant.
+
+On regardait attentivement les yeux qui brillaient autour de soi, les
+petites faces blanches et rieuses, les mains qui allaient et venaient,
+en encouragement. Là-bas, de l'autre côté de la pelouse, toute roussie,
+les têtes, étagées devant les grandiloquentes réclames, apparaissaient
+comme de fantomatiques têtes de massacre. C'était hallucinant, si l'on
+s'absorbait un instant dans sa rêverie; mais le moyen d'y rester avec
+ces jacassantes compagnes, avec ces remuantes petites personnes! Par
+elles, on connaissait vite tous les coureurs de seconde et même de
+troisième catégories!
+
+Mais, à leur tour, les brûlots tapageaient, grondaient, ronflaient et
+trépidaient! Coup de pistolet! Derrière trois monstres, brûlés au ventre
+par une double flamme bleue, roulaient aussitôt, collés, trois monstres
+plus petits, obstinés, tenaces! Ainsi, dans la nuit, c'était une vraie
+ronde du Walpurgis, une randonnée bâclée par trois engins fous qui
+s'activaient furieusement et pétaradaient!
+
+Cet heureux temps du cyclisme, Lautrec en a emporté aussi une bonne part
+avec lui. En ce temps-là, en son temps, on sacrifiait tout à la gloire
+des cyclistes. Nous n'avons pour cela qu'à évoquer nos souvenirs!
+
+Puis, venaient les pleins étés, et Lautrec alors se mettait vite en
+route pour aller ramer et nager dans le bassin d'Arcachon.
+
+Il adorait être nu, et il aimait les matelots qu'il rencontrait là-bas.
+Installé dans sa villa _Denise_, il prenait une vareuse, une casquette
+sans galon de commodore, et les pieds nus, son petit pantalon retroussé,
+il arpentait la plage. Il nageait bien, du reste; et se baigner,
+c'était, avec les beaux jours, un des seuls moments possibles de quitter
+Paris, pour aller là-bas «tremper et radouber sa carcasse!»
+
+Et il aimait de plus en plus les bateaux. Il y en avait de toutes sortes
+dans cette baie d'Arcachon: des bateaux de pêcheurs, des pinasses à
+rames et à voiles, et des bateaux de plaisance. Lautrec eût voulu ainsi,
+sur un yacht, aller jusqu'au Japon. Cela fut un des persistants désirs
+de sa vie, qu'il ne réalisa pas; et, pourtant, avec un peu d'entêtement,
+il était riche, rien n'eût été plus aisé!
+
+«Sportif» toujours, Lautrec encore suivait assidument, aux
+Folies-Bergère, les luttes, même quand elles tombaient dans le chiqué le
+plus sot. Mais là, après maintes discussions, le directeur d'alors,
+Marchand, était devenu sa bête noire, _une vache!_ comme il disait; et
+je ne parvins jamais à les réconcilier. Ils montraient, tous les deux,
+il est vrai, mis en présence, un tel aimable caractère!
+
+Je fis connaître à Lautrec les ténors du moment: Paul Pons, Laurent le
+Beaucairois, Hackenschmidt, etc., mais je dois dire que ce fut le
+phénoménal Apollon, le champion pour mille années peut-être des poids et
+haltères, qui l'enthousiasma. Ah! le rude gaillard, du reste; et c'est
+une chance, pour les leveurs de poids qui sont venus après lui et qui
+viendront, qu'on n'ait point pensé à peser exactement les formidables
+poids qu'il arrachait! Lautrec réalisa de beaux dessins d'après ce
+splendide Hercule. Que sont-ils devenus? Je ne les ai jamais revus.
+
+Les luttes! Leur indéniable attrait!
+
+C'est que le spectacle n'était pas alors seulement sur la scène, il
+était aussi dans la salle,--dans la salle surchauffée, surexcitée;--dans
+le promenoir surtout, où se coudoyaient les hommes et les filles,
+celles-ci dépitées, furieuses contre ces luttes qui passionnaient les
+hommes, qui les agrafaient sur le rebord des loges, qui les juchaient
+sur les banquettes, qui les étageaient en gradins de cris et
+d'apostrophes, alors qu'elles dardaient en vain leurs oeillades et
+qu'elles balançaient frénétiquement leurs allures d'oies-Impérias!
+
+Elles allaient, elles venaient, pressées par l'heure, faisant ressource
+de tous leurs feux; mais elles ne pouvaient disputer l'intérêt à ces
+masses de chair, pourtant pas belles, qui se heurtaient et
+s'emboutissaient, là-bas, sous les aveuglants rayons des projecteurs!
+
+En regardant ces lutteurs, on imaginait volontiers que c'était ici, sur
+la scène, tous les formidables héros de la statuaire. Tous ces muscles
+merveilleux, on les avait vus dans les réalisations esthétiques des
+Grecs, des Michel-Ange et des Puget. On les voyait, cette fois vivants
+en plein mouvement, tendus, exaspérés, par cette volonté de vaincre qui
+déformait aussi, la plupart du temps, les faces, et qui en faisait des
+masques douloureusement frénétiques. On se disait que nul spectacle ne
+pouvait donner un plus bel amas de muscles, un jeu plus passionné
+d'étreintes; et l'on admirait toutes les prises et toutes les attitudes
+de ces lutteurs, le dos ployé, le cou tendu, solidement arcboutés sur
+leurs jambes fortes, véritables piliers, colonnes lourdes des temples
+trapus.
+
+On admirait les bonds rapides, les détentes imprévues de ces pesantes
+masses. On ne savait s'il fallait être pris davantage par la force ou
+par l'adresse. Souvent, c'était le combat à terre, interminable, toutes
+les prises d'épaule ou de tête essayées, un combat monotone, tout entier
+de force; mais souvent, aussi, c'était une lutte quasi légère, les deux
+hommes, malgré le poids, cabriolant, sautant et se retournant
+prestement.
+
+Sous la lumière brutale des projecteurs, on croyait, parfois, que
+c'étaient là les énormes prophètes de la Sixtine qui luttaient, quand on
+ne regardait pas les visages sans barbe, aux cheveux coupés courts.
+
+Et cela était un divertissant spectacle. Lautrec ne pouvait point ne pas
+s'y passionner.
+
+[Illustration: FILLE
+
+PHOTO DRUET]
+
+
+BARS ET MAISONS CLOSES
+
+Le goût extrême du pittoresque, de l'en-dehors des moeurs, devait tout
+droit conduire aussi Lautrec dans ces bars, dits anglo-américains, où il
+pouvait s'amuser du décor des verreries, des petites serviettes de
+couleur, des garçons en veste blanche, des roast-beefs saignants, des
+branches de céleri dans des verres d'eau, des petits tonnelets cirés, du
+haut comptoir à barre de cuivre, et surtout s'intéresser si vivement à
+la fabrication des cocktails et à la dégustation des short drinks et des
+gin-wiskies!
+
+Les barillets bien rangés, la verrerie de couleur, les clinquantes
+réclames des bières anglaises, des champagnes, des long drinks et des
+gobblers, allumaient tout aussitôt, au fond de son regard de gnome,
+d'ardentes convoitises. Il vivait là, intensément et magnifiquement.
+Tout son art exaspéré, déformé, tout son génie de Little Tich fait
+peintre, il le doit bien aux soubresauts, aux cauchemars de l'alcool,
+qu'il absorbait là par tous ses sens;--car il les contemplait, il les
+respirait au moins autant qu'il les buvait, les fortes et redoutables
+liqueurs.
+
+Je crois bien, quand je songe à tout ce passé, que, curieusement et
+frénétiquement, par satisfaction physique et nécessité intellectuelle,
+Lautrec lampa toutes les boissons spiritueuses connues. Certainement, il
+ne les citait pas par ouï-dire, car il en parlait trop bien. Et alors
+que je m'en tenais, moi, à quelques formules de cocktails, il réclamait
+tous les spiritueux indistinctement et à forte dose, comme l'essence qui
+devait alimenter son organisme contrefait et génial. Mis, après ces
+brûlantes ingestions, en présence d'une fille, dans un bal public, au
+théâtre ou au concert, c'était souvent un chef-d'oeuvre qu'il exécutait
+le soir même ou le lendemain, pour la longue suite des merveilleuses
+oeuvres qu'il nous a laissées.
+
+Et quel public il flairait là!
+
+Bars de la rue d'Amsterdam, des Champs-Élysées, de l'avenue Montaigne,
+bar Achille, rue Scribe, ou Irish and american bar, rue Royale, dans vos
+roboratives salles, il rencontrait des hommes de cheval avec des petits
+chiens rageurs, des chanteuses de beuglants à la face en biais, mal
+embouchées et vives; et tout cela s'agitait, gueulait, buvait, fumait;
+tandis qu'un nègre gigoteur jouait du banjo, et que, toujours mûres,
+soûles, d'autres filles, des épaves, en piquant des crises, se
+dégrafaient et vidaient leur vessie.
+
+En s'hallucinant, cela devenait plus aisément londonien qu'à Londres,
+évoquait mieux, dans la fumée des courtes pipes et des gros cigares,
+quelque coin de taverne: _Au hérisson d'or_, autour d'Epsom ou de
+Newmarket.
+
+Pour Lautrec, ces coins-là mettaient vite sa tête en folie. Il humait le
+violent parfum de ce milieu rude, imprégné d'alcool et de peau de grand
+air, la peau de ces hommes qui vivent dans les bois, sur les pistes et
+dans les allées d'entraînement. Entrer là, s'asseoir, renifler, et boire
+doucement une multicolore liqueur, à nom de saloon britannique, quel
+régal pour Lautrec, qui, parlant anglais, était surexcité par les
+syllabes londoniennes, ces syllabes tellement sportives et comme
+incluses dans ces liqueurs qu'il aimait et qu'il avalait sans souci de
+péril!
+
+Longtemps, nous fûmes ainsi, Lautrec et moi, les clients d'un petit bar,
+gîté dans les entours des Folies-Bergère. De onze heures à deux heures
+du matin, il s'y tenait réunion d'acrobates et de filles, et, au moment
+des luttes, tous les lutteurs s'y retrouvaient, même ceux qui ne
+paraissaient point sur la scène de la rue Richer. Raoul le Boucher,
+resté gosse, y taquinait les Turcs; et il était la bête noire de Nourlah
+le colosse. Paul Pons n'y faisait que de rares apparitions; mais tous
+les autres y figuraient: Laurent le Beaucairois, Eberlé, Constant le
+Boucher, Vervet, beaucoup de moins notoires aussi qui écoutaient avec
+recueillement, les prouesses des ténors de la ceinture.
+
+Au dernier instant, souvent quelques-uns se faisaient tirer l'oreille
+pour aller au tapis,--dame! il faut vivre!--et Marchand envoyait
+ambassade sur ambassade, avec promesse de quelques louis en plus, pour
+ramener sur le plateau les lutteurs que le public, à vif tapage,
+réclamait.
+
+Chez Achille, Lautrec rencontrait des jockeys, ces petits
+bonshommes-singes qu'il adorait, presque à peine plus grands que lui;
+mais, eux, ils avaient des jambes! et il observait jusqu'à l'acuité la
+plus tendue leurs amusantes carcasses de petits vieux. Parfois ces brefs
+bonshommes étaient un peu boulots; ceux-là étaient les rageurs, se
+privant, s'exténuant, ne mangeant pas, ayant même peur de boire pour ne
+pas prendre les quelques kilos de graisse en trop pour les prochaines
+courses. Et des filles les escortaient; des filles vautrées auprès
+d'eux, auprès aussi des entraîneurs, ceux-là enfin libres de grossir; et
+qui, rouges, congestionnés, buvaient, buvaient comme des lampes, et
+fumaient comme des cheminées!
+
+C'étaient là les vrais bars, les seuls où, dans la verve de
+conversations sportives, il soit vraiment agréable de manger un
+irish-stew ou un hot roast-beef, posé sur une table ronde qui fleure
+bon, au pied du comptoir, où des garçons, d'un geste précis, manoeuvrent
+des pompes à bière, ou, à petits coups secs, battent l'essence forte et
+apéritive d'un précieux John Walker!
+
+De ces bars, Lautrec, étourdi, gagnait les maisons closes.
+
+Là, il se replongeait dans un autre élément propice. Il aimait la Femme;
+mais il aimait aussi l'atmosphère du lieu, le calme assourdi, le repos
+au creux des profonds divans. Goûtant encore ici les heures si diverses,
+les bavardages des crapaudes, il retrouvait une intimité qui n'existait
+pour lui nulle part ailleurs, tellement son aspect physique glaçait! Et
+de se sentir si bien en confiance, il était joyeux, bavard, il
+chantonnait une scie du jour. J'avoue que les filles, soit rue des
+Moulins, soit rue d'Amboise, ou dans toute autre maison, ne se
+montraient pas méchantes gales pour ce bon garçon qui les caressait de
+tendresses certaines; car, aux fêtes, aux anniversaires de chacune de
+ces gotons, des bouquets, des pâtisseries, _ses_ cadeaux, affluaient; et
+s'il lui arrivait de présider, dans ces chaudes maisons, un dîner de
+gala, je vous assure qu'il tenait son rôle avec une distinction et une
+cordialité qui ravissaient toutes les garces. Enfin, attiré là par son
+désir de les peindre, n'était-ce pas le meilleur moyen de les bien
+connaître, et d'aboutir à des tableaux qui apparaissent autres que des
+rengaines et des redites de banalités?
+
+Il apprit à voir marcher les femmes, à les voir presque aussi
+naturelles, et aussi candidement femelles qu'elles apparurent à Gauguin
+à Tahiti.
+
+Lautrec, ne se décidant pas à aller au Japon, où des quartiers avec
+jardins sont réservés aux courtisanes et où tout le monde les peut
+examiner à l'aise, il n'y a vraiment nul grief à dresser contre sa
+mémoire, parce que ce peintre a voulu observer les filles de Paris à
+toutes les heures, dans une sorte de caserne ou plutôt de couvent, où
+tout un tableau de travail est réglé d'avance; et où maîtresse et
+sous-maîtresse font évoluer avec méthode et discipline tout un bataillon
+de catiches pas des plus amènes. Là, il a pu, en toute liberté et en
+toute sincérité, ce qui est la vraie dernière chose, réaliser des
+tableaux de moeurs étonnamment divers et vivants, dont la synthèse eût
+pu, un jour, peut-être, avec le concours d'une vie plus longue,
+constituer un considérable document pour les moeurs d'aujourd'hui et
+d'hier, pour les moeurs, à bien dire, de toujours; et qui, grâce à
+Lautrec et à son goût intransigeant de la vérité, offrent, même ainsi
+tronquées, d'éloquentes manifestations du bien ou du mal, comme il vous
+plaira à vous de l'entendre!
+
+Souvent, quand on arrivait dans l'atelier de Lautrec, on voyait des
+filles de ces maisons. Elles étaient en visite; et il s'amusait de les
+recevoir. Sachez, du reste, qu'il n'était pas plus grossier que les
+autres hommes. Ces maisons, c'était vraiment pour lui une famille! Oui,
+Lautrec étant un tendre, elles étaient, pour lui, ces filles, des sortes
+de déshéritées, elles aussi. Elles n'avaient pas choisi plus que cela
+leur genre de vie. D'ailleurs, choisit-on sa vie? Elles avaient même
+parfois d'étonnantes candeurs, des jalousies baroques. On ne comprenait
+pas pourquoi elles pleuraient, sans raison apparente, sans cause
+déclarée. L'une de ces femmes n'avait-elle pas défendu à Lautrec
+d'amener dans la maison où elle se trouvait son ami le sculpteur C..,
+qu'elle chérissait, et à qui elle ne voulait pas se montrer en putain
+soumise? Et Lautrec était pris par beaucoup de ces choses-là, assez
+inattendues sans doute, et qualifiées plus certainement encore de
+grotesques par les gens dits honnêtes qui trouvent très bien, quand ça
+leur plaît, de les souiller, ces filles, au commandement!
+
+[Illustration: FILLE AU CARACO
+
+PHOTO DRUET]
+
+
+
+
+DES SOUVENIRS SUR LA VIE
+
+III
+
+Voyages
+
+La Mer
+
+VOYAGES
+
+
+Avec un homme comme Lautrec, il ne faut pas s'attendre à lire sous ce
+titre: _Voyages_, des descriptions de tours du Monde ou même de simples
+traversées de l'Atlantique. Pays touchant la France ou coins d'extrême
+banlieue, non très loin cependant de Paris, voilà tout ce que Lautrec
+entreprit de visiter; et c'est ainsi que, les premières années qui
+suivirent sa sortie de l'atelier Cormon, il alla simplement plusieurs
+fois à Villiers-sur-Morin, où habitaient quelques-uns de ses anciens
+camarades.
+
+Il revit là les peintres Grenier, Claudon; et ce fut, je crois, en 1887,
+qu'il y peignit le petit portrait de son ami Grenier, qui est
+aujourd'hui dans la collection Pierre Decourcelle. Plus tard il peignit
+aussi un portrait de Mme Lily Grenier, portrait pas très beau,
+assurément, et qui est presque un Roybet.
+
+Ce court voyage de Lautrec à Villiers, et ses brefs déplacements à
+Etrépagny, où il alla rejoindre deux années de suite son autre ami le
+peintre Anquetin, afin de chasser, en sa compagnie, les jeunes corbeaux,
+tout cela, ce ne sont que des excursions, pourrait-on dire, qui, au
+surplus, le fatiguaient vite; car la campagne bucolique ne pouvait guère
+séduire ce monomane du Moulin-Rouge et du Café de la place Blanche. Vous
+ne voyez pas, en effet, Lautrec regardant des champs ou des arbres,
+tandis que s'offrent à ses yeux des visions de la Goulue se cabrant, de
+Jane Avril tournoyant ou de Valentin pinçant un cavalier seul, dans le
+tonnerre des cuivres!
+
+Pourtant, Lautrec accomplit de plus sérieux voyages en Angleterre, en
+Espagne, en Belgique et en Hollande; mais il ne pénétra point en Italie.
+Fort heureusement, peut-être; car, visiteur du sud de la botte, quelle
+impossibilité pour lui de revenir de Naples,--de Naples, la chaude et
+franche ville salope!
+
+Il fut à Bruxelles, aussi, pour une exposition de quelques-unes de ses
+oeuvres à la Libre Esthétique;--et, en Angleterre, pour une autre
+exposition, au moment critique de la guerre anglo-boer.
+
+C'est avec son ami Maxime Dethomas, haut par la taille et haut par le
+talent, qu'il visita une partie de la Hollande. Ils descendirent
+l'Escaut en bateau. Amer voyage qui ne plut pas à Lautrec!
+
+D'Angleterre, il rapporta de nouvelles recettes de cocktails. Heureux
+pays qu'il nous vanta à son retour, parce que l'alcoolisme y est très
+considéré et même consacré par les lords!
+
+Il y a d'autant mieux étudié l'art de préparer les english and american
+drinks. C'est le _doigté_ surtout qui l'a ébloui. Ce n'est pas
+seulement, en effet, le dosage qui importe, mais la manière de _faire le
+précipité_; et cette opération chimique renouvelée de différentes
+façons, lui a fait entrevoir un «monde de sensations» pour l'odorat et
+pour le goût. Devant tous les mélanges possibles il resta un moment,
+assurément, stupéfait et inquiet. Il se mit tout de même de bon coeur à
+la besogne; et, bientôt, il réussit à merveille toute la gamme des
+short drinks et des long drinks.
+
+De ses deux voyages en Espagne, le premier tourné avec son ami Maurice
+Guibert, il rapporta d'autres vives observations puisées cette fois aux
+maisons closes. Car, on se doute bien que, s'il s'est enthousiasmé pour
+Goya à Madrid et pour le Greco à Tolède, il n'a point manqué de fêter
+les filles de toutes les chaudes rues de l'Espagne.
+
+La célèbre lithographie en couleurs qu'il intitulera: _La passagère du
+54_, et qui représente une jeune femme de profil, sur un bateau, sous
+une tente, est un souvenir réalisé de ce voyage-là.
+
+Mais, surtout il n'oubliera plus jamais les oeuvres du Greco et de Goya.
+
+Cette fois, il a _vu_ Goya!... Et il exprime toute sa frénétique
+admiration pour cet hallucinant visionnaire des plus violentes
+sensations picturales. Et quel inventeur de l'art moderne! C'est lui qui
+a déchaîné toutes les fantaisies et tous les concepts. Dans le rêve, il
+est allé au delà de toute audace; il a créé des monstres parfaitement
+organisés; il a, dans tous les cauchemars et dans toutes les angoisses,
+exprimé l'inexprimable, se servant d'un étrange dessin et d'une rare
+sobriété de couleurs. Enfin, il a marqué de sa puissante griffe tous les
+peintres qui sont venus et qui viendront après lui, pour représenter
+l'effroi et la désolation du Monde!
+
+[Illustration: PORTRAIT DE Mme SUZANNE V.
+
+PHOTO DRUET]
+
+A Tolède, Lautrec a vu aussi le Greco, et surtout le somptueux et
+miraculeux _Enterrement du Comte D'Orgaz_. Rentré à Paris, il dira à son
+ami Romain Coolus, qu'il a également connu à la _Revue blanche_: «Je
+vais te faire ton portrait à la manière du Greco!»
+
+Le portrait, on le sait, fut peint; mais, heureusement, à la manière de
+Lautrec.
+
+
+LA MER
+
+Accompagnant encore son ami Maxime Dethomas, Lautrec alla une année à
+Dinard, puis à Granville.
+
+Pour ce voyage, il prit son costume de capitaine de la marine marchande,
+avec la casquette plate, toujours sans galon. Et il était joyeux,
+confiant, pour le défendre des sarcasmes de la foule, en son ami le
+«géant» Dethomas; Dethomas ou _Gronarbre_, ainsi il le surnommait,
+Brasseur ayant nasillé ce mot-là, un soir, dans une revue jouée au
+théâtre des Variétés.
+
+Il existe peu de «marines» de Lautrec. Il adorait seulement la mer pour
+s'y baigner, et pour ce vrai prétexte: être nu. Il demandait qu'on le
+photographiât ainsi. «Je fais le lion!» disait-il, sans se soucier de
+ce que la plaque pouvait enregistrer.
+
+Pour le reste, les longues excursions le fatiguaient. Il fallait avec
+lui se désintéresser des curiosités signalées par les guides. Les
+spectacles de table d'hôte lui suffisaient. A une bonne qui servait, son
+tablier pavoisé de taches d'encre, il jeta, un jour: «Attention, ma
+fille, vous avez vos règles en noir!» et les convives pouffant de rire,
+cela l'égaya.
+
+Si cordial et si boute-en-train, nous a dit souvent Dethomas, était
+Lautrec quand il oubliait un instant la tenace tristesse de sa vie: sa
+courte stature. Et son art de peindre avec un mot! En province, par
+exemple, se rencontrait-il avec des gens chic, il disait, en boutonnant
+des gants imaginaires: «Dans le monde!». Une autre fois, comme venu pour
+une inauguration et passant sa bretelle rouge en travers de sa chemise:
+«Carnot!» faisait-il. Et au théâtre, enfin, lui arrivait-il de
+s'endormir sur l'épaule de son voisin, et celui-ci le secouant: «La vie
+de château!» disait Lautrec, très doux.
+
+La mer! Soit! mais Arcachon et surtout Taussat restaient ses
+villégiatures préférées.
+
+A dire vrai, enfant, on l'avait promené à travers ces paysages de pins
+et de villas. Dans cette baie d'Arcachon, qui sépare les deux pays:
+Taussat et Arcachon, il avait aussi «navigué», comme un vrai marin. Et,
+au fond d'une voiture, traînée par un poney, il était allé quelquefois
+de Taussat à Arcachon, et retour, en faisant le long voyage, par la
+route. Il aimait les pins odoriférants, les ajoncs jaunes et les
+bruyères roses. Il s'amusait des cigales qui, au creux de ces bois de
+pins, grincent éperdument tout l'été. Et, en semaine, quand il n'avait
+pas à craindre le flux des Bordelais qui, après avoir passé le pantalon
+de flanelle rouge, à l'instar des parqueuses d'huîtres, arrivent tous à
+la baie, le samedi pour le dimanche, il venait à Arcachon dans son
+costume de marin. Aux baraques, il gobait des huîtres en les arrosant de
+vin blanc; et, souvent, il accompagnait les pêcheurs de sardines, qui,
+dans leurs pinasses, allaient pêcher le «royan d'Arcachon». Il ne
+manquait pas aussi les régates de bateaux à voiles; et, d'autres fois,
+il s'allait reposer dans les Dunes et au Parc des Abatilles. Mais trop
+fréquemment toutes les villas, tous ces chalets, toutes ces villas
+Marguerite, Sigurd, Carmen, Montaigne et Flora, l'attristaient, parce
+que dans la plupart de ces maisonnettes découpées, vernissées, aux toits
+rouges de tuiles, et cachées dans les pins et dans les fleurs, des
+jeunes femmes, rieuses, jolies, chantaient, ou escortaient de beaux
+jeunes hommes, aux longues jambes! et, lui, il n'osait même pas, aux
+heures des bains, s'aventurer sur la plage d'Arcachon. Il n'osait pas
+davantage chevaucher les petits ânes gris qui se tenaient là, pour les
+excursions à la côte de Moulleau ou, en forêt, sur la route de la
+Laiterie. Il revenait sans cesse à dire ceci: qu'il se faisait l'effet
+d'être le pauvre apôtre saint Simon qu'on voit, un peu goguenard et tête
+penchée, et surtout si courtaud, dans une niche de la cathédrale
+Sainte-Cécile, à Albi.
+
+Heureusement, Taussat était plus désert, réservé aux Bordelais
+tranquilles; et là, il était connu de tout le monde.
+
+Alors, il passait les mois de juillet et d'août, et quelquefois tout le
+mois de septembre à ce tutélaire Taussat. Il vivait toutes ses
+après-midi dans l'eau: et, régulièrement, il écrivait à son ami le
+sculpteur Carabin, aujourd'hui le vrai directeur, en sa vraie place, de
+l'École des Arts décoratifs à Strasbourg;--et, en lui envoyant des
+couples de mantes religieuses, ces étranges insectes, sorte de lutteurs
+à longs bras et qui ont toujours l'air de prier: «Garde-les bien! lui
+disait-il, nous organiserons à mon retour à Paris des combats de ces
+bêtes-là; ce sera un triomphe!»
+
+Son autre passion à Taussat, c'était d'apprivoiser des cormorans. Il se
+faisait souvent accompagner de l'un de ces palmipèdes; et tous deux, ils
+rôdaient au bord de l'eau, doucement, en se dandinant.
+
+Lautrec variait ses plaisirs d'été en se déguisant, en organisant des
+fêtes orientales; et, tel un muezzin, il montait à la dernière fenêtre
+de sa villa, pour appeler les fidèles à la prière.
+
+Il vivait là en profonde intimité avec son ami Viaud, qu'il représentera
+plus tard en amiral de fantaisie.
+
+Venant de Paris pour ces vacances, il s'arrêtait naturellement à
+Bordeaux. Et il se divertissait chaque fois à regarder les gandins des
+Allées de Tourny et du Cours de l'Intendance; ces touchants gandins
+bordelais qui, pour s'étonner eux-mêmes, se condamnent à parader, en
+donnant des coups de derrière, le dos creusé, les pieds entourés de
+guêtres claires, et les mains emprisonnées dans des gants beurre frais,
+dont le crispin retombe, d'un air si benêt, sur les doigts!
+
+Lautrec faisait de longues pauses au café de Bordeaux, sur la place de
+la Comédie; et il sera noté plus loin les titres de quelques dessins
+qu'il y réalisa.
+
+Lautrec le commodore! Oui, il allait redevenir le commodore, comme il
+disait, et reprendre lui aussi le pantalon de flanelle rouge, le fameux
+pantalon de flanelle rouge retroussé aux genoux, le petit jersey bleu,
+et la casquette d'officier de marine.
+
+Enfin, pour ne rien changer, dans la mesure du possible, à ses
+habitudes, il arriva souvent à Lautrec de descendre, en arrivant à
+Bordeaux, dans une maison publique de la rue de Pessac. Il «se
+retrempait» là, ainsi qu'il aimait à le répéter, en famille; et surtout
+il retrouvait là aussi, tout de suite, et avec quelle joie, _l'accent_!
+ce précieux accent bordelais si difficile à définir et qu'il faut
+entendre; et, dans lequel, comme dans une recette culinaire, il entre de
+la cocasserie, de la prétention et beaucoup de sottise!
+
+
+
+
+DES SOUVENIRS SUR LA VIE
+
+IV
+
+Ses Logis
+
+Saint-James
+
+1900
+
+Malromé
+
+SES LOGIS
+
+
+A tout bien considérer, il est peut-être intéressant d'indiquer les
+successifs logis d'un homme notoire, ne serait-ce que pour permettre à
+la puérile Postérité d'apposer sur une des maisons qu'il habita, une
+plaque dite commémorative de naissance ou de séjour du grand homme.
+
+Quand Lautrec prit son premier atelier, seulement pour y travailler, à
+l'angle des rues Tourlaque et Caulaincourt, vers l'année 1887, il
+s'installa avec son ami le Docteur Bourges, au nº 19 de la rue Fontaine.
+Mais il continua de dîner souvent avec sa mère, qui ne s'éloignait de
+Paris que pendant l'été.
+
+De 1887 à 1891, Lautrec demeura ainsi avec le Docteur Bourges, le
+célèbre _Bi_, comme il l'avait surnommé; et de 1891 à la fin de 1893,
+tous deux allèrent habiter à côté, au nº 21 de la même rue. Le Docteur
+Bourges faisait alors son internat dans les hôpitaux et ses premières
+recherches de laboratoire. Peut-être, Lautrec et lui, si unis, ne se
+fussent-ils jamais séparés, mais le Docteur Bourges se maria au début de
+l'année 1894. Du coup, tous deux, ils cessèrent aussi de voir
+fréquemment leurs amis qui les venaient voir quand ils demeuraient
+ensemble. Ces amis, c'étaient les peintres Henri Rachou et Anquetin,
+l'ingénieur Robin-Langlois et les Docteurs Dupré, Mosny, Wurtz et
+Caussade, et enfin M. Gabriel Tapié de Celeyran, alors interne chez Péan
+le théâtral, à l'hôpital international, sis rue de la Santé; M. Tapié de
+Celeyran, autre cousin germain de Lautrec, et aussi long et aussi mince
+que, lui, Lautrec, était court et gros. M. Gabriel Tapié de Celeyran,
+très reconnaissable, est représenté dans beaucoup de tableaux peints par
+Lautrec et dans un non moins grand nombre de ses lithographies.
+
+Ah! ce premier atelier de la rue Tourlaque! Comme il était encombré de
+choses si hétéroclites! car Lautrec s'intéressait à tout: aux peintures
+de ses amis, à des faïences persanes, à des cages, etc., etc.; mais
+cependant, il était impossible de ne point voir, d'abord dans le fond de
+l'atelier, un comptoir de bar, sur lequel Lautrec aimait à préparer des
+cocktails pour lui-même et pour ses amis en visite. Car, avec lui, il
+fallait boire, et boire solidement. Alors, seulement, il vous estimait.
+
+Préparer ses cocktails! Assurément, s'il avait eu en sa possession des
+cocktails tout faits, sa joie aurait été moindre. Couper des lamelles de
+citron, doser des essences et des alcools, piler de la glace, agiter le
+tout dans des gobelets, c'était pour Lautrec un total contentement; et
+il s'y appliquait avec une vive curiosité, inventant d'inédites
+recettes, dont, nouveau Borgia, il essayait l'effet sur ses amis. Et,
+comme il exultait, quand, pour le féliciter on claquait, à plusieurs
+reprises, de la langue! Et quelle fut sa joie, cette soirée, ou plutôt
+cette nuit, chez M. Thadée Natanson, où il enivra ainsi, à les coucher,
+ses amis Félix Fénéon, Tristan-Bernard, Romain Coolus, Maxime Dethomas
+et Francis Jourdain; lui, allant et venant, tout fier dans sa courte
+veste blanche de barman!
+
+Il recevait souvent aussi ses amis chez le photographe Sescau, installé,
+à cette époque, place Pigalle; et, un soir, les ayant invités à manger
+du kanguroo, un simple agneau auquel on avait ajouté une queue de boeuf,
+il jeta, pour qu'on ne bût pas d'eau, des poissons rouges dans toutes
+les carafes.
+
+Lautrec prenait un vif plaisir à organiser ces dîners, à distribuer des
+rôles. Il voyait la vie comme une vaste pantomime anglaise, avec chaque
+individu, chaque accessoire à sa place.
+
+D'abord, il se divertissait à dessiner les menus: un croquis preste ou
+une composition qui tenait tout un côté de la page.
+
+Tantôt, c'était un cheval de bois pour un menu Sylvain; tantôt le
+portrait de Sescau armé d'un tambourin, pour un dîner, rue Rodier; ou le
+portrait de Mlle Renée Vert, la modiste, à l'occasion d'un dîner des
+Indépendants; ou bien un croquis de souris, pour un déjeuner chez la
+divette Miss May Belfort, rue Clapeyron; etc., etc.
+
+En 1897, Lautrec transporta son atelier dans l'avenue Frochot, une
+impasse bordée de petits pavillons et de jardinets. Mais il habita cette
+fois, rue de Douai, avec sa mère venue près de lui pour le soigner; car
+il commençait de se déséquilibrer. C'est là, par exemple, qu'un soir,
+dans la peur des microbes, il inonda de pétrole tout l'appartement.
+L'alcool, à forte dose, activant la virulence d'une grave maladie
+constitutionnelle, était cause de tout.
+
+Lautrec conserva cet atelier jusqu'à sa mort.
+
+
+SAINT-JAMES
+
+«Quelle maladie est comparable à l'alcool!», c'est le cri d'Edgar Poë,
+mourant de génie et d'ivresse, dans une rue de Baltimore, devant le
+hideux et abject mercantilisme des Américains.
+
+Or, Lautrec a fait la dure expérience de cette parole. Il a renouvelé
+ses excentricités. Il a tant usé de spiritueux; il a si peu préservé
+d'autre part son pauvre corps que des hallucinations l'assaillent. Il
+parle, entre autres choses, des rafles qu'il a faites en compagnie de sa
+chienne Paméla et du commissaire de police de son quartier, prenant un
+gardien qu'on lui a donné pour ce fonctionnaire. Alors, pour lui assurer
+un repos et un changement de milieu nécessaires, il est question de
+l'envoyer au Japon, son vif désir d'autrefois. Sur ces entrefaites,
+croyant qu'il a à se plaindre du marchand de tableaux Durand-Ruel,
+Lautrec se place rue Laffitte, devant la porte de cette galerie, et,
+déguisé en mendiant, il ameute la rue contre le marchand. Il faut agir.
+Deux personnes de la famille de Lautrec se décident à le placer dans une
+maison de santé. Le père aurait dû venir s'occuper du malade, mais il
+chassait; et il demanda, lui, qu'on envoyât simplement son fils en
+Angleterre, où l'ivrognerie passe inaperçue, et y est même fort honorée,
+puisque, là, ajoutait-t-il, tous les nobles s'alcoolisent.
+
+[Illustration: AU MOULIN-ROUGE
+
+PHOTO DRUET]
+
+Ce fut en l'hiver de 1899 que Lautrec entra dans la maison de santé du
+docteur Semelaigne, à Saint-James, près Neuilly.
+
+Vrai séjour datant du XVIIIe siècle; mais séjour un peu vétuste. Petits
+temples à l'Amour. Canal à sec allant à la Seine, autrefois servant sans
+doute aux embarquements pour Cythère, plis Watteau et robes à paniers.
+
+Tout de suite, Lautrec se rendit parfaitement compte du lieu où il se
+trouvait; et, devant ses amis Dethomas et Carabin, qui le visitèrent,
+il plaisanta, disant qu'il était à Saint-James plage; et même il ne
+cessa de leur réclamer de l'alcool dans une bouteille plate.
+
+Son goût du travail ici accomplit un nouveau miracle. Avec une plume de
+bécasse, ramassée dans la cour, il se mit à dessiner un cheval; et,
+ayant obtenu un crayon et du papier, il composa de mémoire toute la
+suite de dessins aux crayons de couleur que Manzi éditera plus tard sous
+ce titre: _Au cirque_. Admirables dessins dont nous parlerons plus loin.
+
+Durant deux mois, Lautrec resta à Saint-James. Il en sortit, apaisé,
+ardent à travailler. On le retrouva d'abord spirituel, dispos; mais,
+soudainement, avec l'alcool de nouveau ingéré à forte dose, de
+singuliers goûts de bohème éclatèrent et s'aggravèrent. Lautrec devint
+tout d'un coup plus libre en ses propos et plus dur; et quelques anciens
+familiers, niaisement déconcertés, alors, épouvantés, s'enfuirent.
+
+
+1900
+
+Mais, la maladie, fouettée par l'alcool, poursuit, inexorablement, son
+oeuvre. On ne voit plus maintenant Lautrec travailler avec autant
+d'entrain qu'autrefois.
+
+On lui a recommandé une espèce de culture physique, qui n'est guère
+louable pour sa débilité corporelle.
+
+Aux cinq à sept des cafés de Montmartre, qu'il a tant fréquentés, on se
+raconte ses nouvelles excentricités et les prouesses athlétiques qu'il
+s'efforce d'accomplir. On a installé ainsi, dans son atelier, une sorte
+de caisse, un bateau mécanique, dans lequel il s'assoit et rame. Lui, il
+trouve cela extraordinaire d'invention; et, surexcité, il prend même des
+bains dans une façon de cratère formé par un tombereau de sable.
+
+Il ne va plus au Moulin. Il se traîne seulement quelquefois en voiture
+jusqu'à la taverne Weber, rue Royale.
+
+Cependant, de l'avenue Frochot, il adresse à certains camarades un
+dernier menu: une invitation «à une tasse de lait»; une lithographie qui
+le représente en picador, auprès d'une vache qui doit figurer sur une
+petite pelouse, au bas de son atelier. Et il croit encore pouvoir
+travailler.
+
+Les panneaux de bois le tentent. Il a acheté, pour les gratter et les
+poncer, des râcloirs d'acier et des peaux. On le trouve parfois
+s'époumonnant à cet exercice; et il répète, en vous montrant son
+ouvrage, son éternel: «C'est merveilleux, hein?»
+
+Il profite des fauteuils qu'on roule à l'Exposition universelle pour la
+visiter.
+
+Il a gardé son vif amour des Japonais; et il se ranime quand il aperçoit
+les pelouses vertes, les pagodes aux toits recourbés et tapissés
+d'écailles, et les servantes à la taille gonflée par le monumental noeud
+de la ceinture. Puis, c'est Kawakami, installé chez la Loïe Fuller, une
+de ses anciennes admirations; Kawakami, et cette Sada Yacco, si
+fragile, si douloureuse, que l'on vient de lancer; cette Sada Yacco dont
+la théâtrale agonie angoisse d'une façon vraiment si inédite,--à en
+juger par les pâleurs d'envie de toutes les femmes de théâtre accourues
+là, en foule.
+
+Lautrec veut revoir aussi sa Goulue, qui parade à la fête de Montmartre,
+dans la baraque de Juliano. La vedette du chahut devenue dompteuse! Il
+n'en éprouve aucune joie. C'est tout un temps bien révolu.
+
+Surtout, il n'a plus d'illusion. Il traîne à présent sa vie comme un
+long suicide; et il détaille sa maladie constitutionnelle avec un
+sang-froid et un cynisme angoissants.
+
+
+MALROMÉ
+
+Lautrec se trouvait au mois d'août de l'année 1901 à Taussat, quand il
+fut frappé de paralysie, au moment où il se préparait à partir pour
+Arcachon.
+
+Sa mère accourut, et l'emmena au château de Malromé.
+
+Dès lors, il ne sortit plus qu'en voiture, et avec la plus extrême
+fatigue.
+
+Il se plaisait à Malromé. C'est un château important et de caractère.
+Gentilhommière avec tours et tourelles, entourée d'une cinquantaine
+d'hectares environ. Madame la Comtesse Alphonse de Toulouse-Lautrec
+l'avait achetée naguère à la famille de Forcade.
+
+Les derniers jours, Lautrec ne mangea plus. Il voulait s'abuser: «J'ai
+mangé, hein?» répétait-il. On le portait à table dans un fauteuil.
+
+Il mourut, religieusement, le 9 septembre 1901, en pleine connaissance,
+entouré de sa mère, de son père, de son cousin germain M. Louis Pascal,
+de la mère de celui-ci, de son autre cousin germain M. Gabriel Tapié de
+Celeyran et de son inséparable ami Viaud.
+
+Avant la mort de Lautrec, son père n'était venu qu'une seule fois à
+Malromé.
+
+Pendant les derniers moments de son fils, il se signala encore par
+quelques excentricités.
+
+Il voulut d'abord lui couper la barbe, sous prétexte que les Arabes
+opèrent ainsi. On put à grand'peine l'en empêcher.
+
+Armé d'un élastique arraché à sa chaussure, il se mit alors à courir
+après les mouches qui piquaient, affirmait-il, le moribond.
+
+La veille de l'enterrement, craignant pour les porteurs (on peut, en s'y
+prenant mal, attraper une hernie!) ne voulut-il pas aussi que, sur ses
+indications, on préparât un dessin explicatif destiné à montrer comment
+on doit enlever un cercueil? mais cette sorte de macabre répétition
+générale fut refusée.
+
+Il déclara ensuite qu'il suivrait à cheval le corbillard, car il
+souffrait de cors aux pieds. Et comme on refusait encore, il dit: «Soit!
+je suivrai pieds nus!» Mais on lui opposa un nouveau refus. Enfin, le
+matin même de la cérémonie, tandis que tout le monde n'attendait plus
+que M. le comte pour partir, on monta dans sa chambre; et que vit-on? M.
+de Toulouse-Lautrec tout nu et en train de se tailler lui-même les
+cheveux!
+
+On enterra d'abord Lautrec à Saint-André du Bois; mais sa mère,
+craignant que le cimetière de cette commune, dont dépend le château de
+Malromé, ne fût déplacé pour des raisons de voirie, fit enlever peu
+après le corps de son fils pour l'inhumer définitivement à Verdelais,
+lieu de pélerinage célèbre dans toute la Gironde.
+
+Quand il apprit la mort de Lautrec, Tristan-Bernard dit ce mot si exact:
+«Voilà Lautrec rendu au monde surnaturel; c'était un être si en dehors
+de ce monde!»
+
+Le comte ne voulut pas de vente de tableaux. On les distribua en partie.
+
+
+
+
+DES COMMENTAIRES SUR L'OEUVRE
+
+I
+
+Peintures, Premières OEuvres
+
+Le Moulin Rouge
+
+Filles
+
+PEINTURES.--PREMIÈRES OEUVRES
+
+
+Les premières oeuvres de Lautrec furent, avons-nous noté, des chevaux,
+des chiens, des buveurs, des artilleurs et des moines. L'influence
+Princeteau, en tant que manière de dessiner et de peindre, fut, nous
+l'avons également établi, nulle. Il y eut une plus certaine influence,
+si vite effacée, de John-Lewis Brown, qui, lui, témoigna de quelques
+brillantes qualités dans ses nombreux tableaux de chasses et de courses.
+
+Nous avons considéré avec curiosité ces premières oeuvres, sauvées, de
+Lautrec.
+
+Voici _La promenade_, qui date de 1881. Un cavalier dans une allée, sur
+un gros cheval noir; un chien, qui n'est pas peint. Tableau tout à fait
+à la manière de John-Lewis Brown.
+
+_Un buveur_ (1882). Un ouvrier, peinture empâtée, quelconque.
+
+Voici des _Boeufs_. Une chose sans importance, comme une esquisse de
+Troyon.
+
+_Des moines_, encore quelconques. Des peintures et des aquarelles.
+
+_Des Portraits d'hommes._ Un métier d'Ecole.
+
+_Une Femme à la toilette._ Nue, sur un lit. C'est un tableau, cette
+fois, à la manière d'Albert Besnard.
+
+En somme, les débuts de beaucoup d'autres seigneurs de la Peinture. Des
+débuts, pouvait-on dire, sans promesses.
+
+D'ailleurs, qui ferait montre d'originalité à ce moment-là de la vie? Si
+l'on est seul, oui, peut-être; car voici un magnifique exemple: Vincent
+Van Gogh, un peintre aussi rare que les plus rares; qui, en sept années,
+pas une de plus, débute avec du génie, pleinement, et meurt avec tout
+son génie! Mais Lautrec avec Princeteau, avec John-Lewis Brown, avec
+toutes les images vues, les images qui traînent dans les ateliers, il
+n'oserait pas risquer quelque chose de lui-même. «Nourrisson!» disait
+Princeteau. Oui, un nourrisson qui tette un lait médiocre. Vincent Van
+Gogh, lui, sans père nourricier, a mordu, tout de suite, en pleine
+chair. Aussi, tout seul, il a réalisé son oeuvre incomparable. Tout
+seul, car il est resté à peine quelques mois, et si à l'écart, chez
+Cormon. Pour Lautrec, il faut qu'il s'évade, s'étant lui-même
+emprisonné; et ce n'est pas Princeteau, impuissant, qui peut l'aider à
+se délivrer. Il faut que Lautrec imite d'abord, qu'il copie. C'est ainsi
+que l'on devient, quelquefois, un maître. Et Lautrec, qui n'a que
+Princeteau et Cormon pour le guider, tâtonnera et perdra du temps. Mais
+la vie est là, derrière la porte de ces tristes ateliers; et Lautrec,
+une fois sur la vie, la mangera et la boira, lui aussi goulûment; il
+l'étreindra et il la violera.
+
+
+LE MOULIN-ROUGE
+
+C'en est vite fait, du reste; Lautrec a renié Bonnat, Cormon,
+c'est-à-dire tout le poncif, le niais, l'inutile, le néant.
+
+Il aime maintenant la vie, les lumières; il entre au Moulin-Rouge comme
+au Paradis.
+
+Tout ce qui s'y passe, tout ce que l'on y voit, est à peindre. C'est un
+domaine tout neuf où pas un vrai peintre n'a encore pénétré. Globes
+lumineux, filles, drapeaux, danseurs, alcools et fumées, rut et ivresse,
+tout est là, présent, en plein caractère, si inédit, si inattendu, si
+irritant, que l'honnête femme même veut entrer, ici, une fois, «pour
+voir ce qu'il y a là-dedans!»
+
+Les bals publics de ce temps-là! Ce bal du Moulin-Rouge, surtout,
+aujourd'hui brûlé, disparu! Lautrec en aimait tant les hôtes et il
+admirait tellement la Danse!
+
+La Danse! Les danseuses! Soit que les jambes épileptiques halètent,
+attachées par un fil au tronc qui se berce; soit que, plus sages, elles
+marchent sous les jupes bien droites, c'est toute la musique qui les
+mène, c'est tout le chef d'orchestre qui, de la pointe de son bâton,
+excite les jambes, les apaise, décoche des coups secs qui cinglent les
+jarrets, ou les fait s'arrondir très mous avec la lente virevolte des
+basses.
+
+Il n'est pas besoin de les en prier, pour que les danseuses se mettent à
+cette tâche d'apparaître avec leurs yeux clairs reculés par le bistre et
+d'envoyer, par dessus les têtes, le vol clinquant de leurs jupes, en
+corbeille.
+
+Au-dessous de la croupe qui ondule, en pointant la naissance du ventre,
+les jambes se trémoussent dès la première note du quadrille dans la
+halle, ornée de multicolores drapeaux et de gaz versicolores!--et ces
+jambes qui, maîtresses du sexe, bâillent ou se referment, s'activent en
+un mouvement d'automate en folie, ou faiblement fléchissent, on les voit
+tout à coup, alors que les têtes se renversent éperdues, trotter
+menues, comme «sanglotantes», pour aller défaillir dans un accouplement
+illusoire, aux sons d'une musique soûle, dans un décor très folâtre!
+
+Puis, bientôt, le haut du corps, pantin du rire, s'efface. Les grâces de
+ces danseuses descendent aux jambes, aux cuisses larges, aux pieds
+minces;--et sous les feux des globes, dans l'haleine chaude du cercle,
+commence l'«émoi» fantaisiste du linge, la réjouissance des jambes qui
+disparaissent dans des flots de dentelles et des remous de linon.
+
+Elles vont, elles viennent, amusantes à considérer dans leur mouvement
+d'abord très doux, rythmique, sur le bassin-pivot, le rachis ployé en
+arc; cela simule un appel aux caresses lentes, aux baisers qui
+s'attardent en des amours de début, pendant que l'entre-deux de
+l'hermétique pantalon fait accordéon; c'est, avec le sérieux enjoué de
+la fille, la promesse d'une sentimentale tendresse, au bord d'un lac, le
+soir; tandis que la rapide battue des jambes, soudainement, fait songer
+à quelque coup de force, après des saladiers de vin très cuisant, où
+nageaient, ainsi que des yeux, des tranches de citrons.
+
+[Illustration: LES VALSEUSES
+
+PHOTO DRUET]
+
+Mais rousses, blondes ou brunes, elles sont plus troublantes, les
+danseuses, quand, les jupes baissées, elles espèrent le signal du chef
+d'orchestre, perché sur son estrade ainsi qu'un singe. Leurs faces
+blanches, saupoudrées de rouge et de bleu, leurs yeux luisants comme des
+soleils et leurs nez aux évents qui renâclent, charment toujours certes;
+mais ces jambes que l'on sait en folie et qui sont calmes, ces bras
+inoccupés et que l'on devine fourrageurs, vous mesurent tout net la gêne
+que l'on aurait à exaucer les érotiques prières de ces orageuses
+trousse-jupes.
+
+A les regarder danser, on rit et l'on exulte,--et on les interpelle en
+clameur. Mais aussi quelle angoisse communicative est la leur, et de
+quel amer triomphe semblent-elles jouir! Quand elles se mettent en
+branle placidement et le nez au vent, toutes les danseuses ont ces
+dandinements de têtes, ces contorsions de ventres qui semblent secouer
+un mâle accroché à la croupe; et la flamme qu'elles irradient, alimentée
+sans relâche par leurs yeux brûlants et leurs gorges blanches,
+dansantes du convulsif roulis du rire, devient bientôt le feu de joie de
+femmes lâchées en pleine ivresse, au milieu d'hommes qui les stimulent
+et les fouaillent, jusqu'à ce que les ventres très las retombent
+flasques, jusqu'à ce que l'orchestre s'arrête net sur un geste de son
+chef.
+
+Il y a--ce qui est bon--une réelle émulation dans ces exercices spéciaux
+de gymnastique,--en musique! Le public l'y encourageant, chaque fille a
+la volonté de jouer plus absolument son rôle, de le composer avec le
+plus d'ampleur possible. Cela explique les audaces et les obscénités de
+la fin, quand la jupe se relève, montrant les fesses pavoisées de linge.
+Et peut-on ne pas louer cette fille, à l'ardeur insolite, qui implore
+cette couronne des bouches ricanantes, des yeux qu'elle allume, de tout
+ce qu'elle appâte avec la pointe de son pied, avec la grâce triste de
+son rire, avec--accompagnée par une violente tempête d'instruments--la
+bordée de ses lazzis et de ses apostrophes à pleine voix?
+
+Cette remarque importe, au reste, que, dans un bal public, les femmes
+ont toutes les raisons de se croire chez elles. L'homme, au contraire,
+est effacé, insignifiant, ou simplement bête. Pourtant certains font
+parfois exception,--et on les rencontre le plus souvent chez les commis
+aux dossiers et les ordonnateurs des pompes funèbres. Alors, l'hilarité
+est doucement joviale. Ces derniers surtout semblent baller sur de
+vagues têtes de morts. Ils ont, sur les autres danseurs, cet avantage
+indéfectible de paraître toujours descendre de la Courtille. Aux époques
+les plus graves de l'année, aux fêtes les plus consacrées et les plus
+religieuses, ils demeurent eux seuls, au Mardi-Gras ou à la Mi-Carême.
+Aussi ne semblent-ils pas équivoques quand ils dansent; même ils ont le
+devoir de danser, étant créés dans ce but. Les ordinaires tâches de la
+vie ne doivent pas les accaparer tout entiers; ils doivent figurer au
+bal, le soir,--être ces acteurs immuables qui sont l'âme d'une pièce.
+
+De même, les danseuses, les étoiles, n'ont de raison d'être qu'une
+heure, le soir. Le jour, elles pourraient n'être plus; mais, le soir,
+elles vivifient l'endormement d'une salle, elles incitent à de plus
+alertes musiques, elles attroupent les flâneurs qui tournent autour des
+piliers, et, leur sacerdoce,--ce dont il faut les louer!--elles
+l'accomplissent tout du long, fières de leur apostolat, n'ayant rien
+négligé du décor et de la pompe du costume.
+
+Unanimement admirées, les étoiles sont encore les arbitres de la paix.
+Quand elles dansent, le bal suspend sa vie de mots et de rires; et il
+regarde.
+
+Se fendre en grand écart, marcher la pointe du pied à hauteur de l'oeil,
+c'est rude; mais cela devient de suite si aisé! Et les tâtonnements sont
+si pleinement encouragés! Certaines figures de quadrilles ont la verve
+endiablée et folle des grands bouleversements de foules; et quand cela
+est rugi, clamé, bramé, pinçant les nerfs, flagellant les mollets, la
+foule part tout entière, malgré elle, s'élance, bondit, bat des
+entrechats, saute comme une théorie de démoniaques, se démène, s'agite,
+activant par contre-coup la grosse caisse qui perd la mesure, tirant du
+violon des sons de bastringue.
+
+Et, tout autour de ces danseuses, une exceptionnelle foule formait
+comme un fumier humain!
+
+Une brume flottait et noyait les visages, on ne voyait bientôt plus que
+le blanc du linge. Des habitués, haletants, ne bougeaient pas: c'étaient
+des rentiers du quartier, des gens de Courses et de Bourse, des forbans
+de cafés. Tous les quadrilles avaient leur cercle de spectateurs. Et la
+cage s'emplissait sans cesse, bientôt elle fumait. Quand on arrivait
+là-dedans de sang-froid, on restait figé, les tempes moites. Des hiatus
+de bouche bâillaient sous des toisons de moustaches; des narines
+éclataient à force de humer les sexes; et l'on était imprégné d'odeurs
+de latrines, de bas parfums de fards et de je ne sais quels relents
+encore. C'était dévorant et c'était unique. Pour exprimer cela,
+picturalement, on devinait la nécessité d'un peintre offrant un dessin
+cruel et des couleurs de fosse. Lautrec apporta tout cela.
+
+Une de ses premières toiles faites d'après ce bal, ce fut le _Quadrille
+au Moulin-Rouge_, que posséda Joseph Oller, et qui fut longtemps
+accrochée à l'entrée du bal avec, comme pendant, _L'écuyère au Cirque
+Fernando_.
+
+Cette peinture, la photographie l'a vulgarisée. Elle est importante,
+mais sèche, trop fortement dessinée. Le dessinateur aigu que sera
+Lautrec pendant toute sa courte vie, l'emporte ici sur le peintre. Et,
+grâce à cela, on peut voir l'amère et douloureuse précision du trait,
+dont il ceinturera plus tard, avec plus de souplesse toutefois, les
+faces et les attitudes. Mais, par cette toile, déjà il se précise que
+Lautrec ne fera aucune concession au goût public: il ira au delà, s'il
+le peut, de toute la bestialité et de toute la hideur humaines. Tant pis
+si les visages sont laids, et les gestes crapuleux; le caractère en
+premier lieu, le trait âpre et incisif qu'il prendra d'abord à Degas,
+mais qu'il prendra ensuite à la vie et qu'il fera toujours plus mordant
+et toujours plus animé. Et la couleur générale aussi sera acide et dure,
+sans souplesse de passages de tons, sans glacis, sans émail; il n'y aura
+que des hachures creusées à coups de griffe, comme des déchirures de
+stylet, presque de la peinture de sadique, en tout cas bien de la
+peinture de ce peintre qui me jetait un jour: «Ah! ces filles, pour les
+bien exprimer, je voudrais les peindre avec du f.....!»
+
+Que de tableaux, Lautrec réalisa dans ce bal du Moulin-Rouge, je veux
+dire: à propos de ce bal! A le hanter, il en rapportait continuellement.
+Voyez celui-ci, au hasard: _Les Valseuses_. La jolie fille jeune et la
+mûre lesbienne qui a pour sa compagne des tendresses d'amant. Quel
+expressif dessin, et d'une surprenante noblesse, et maintenant, c'est
+fini, entièrement inédit! Ah! la fraîche gorge, et le regard clos qui la
+convoite! Gibier du _Hanneton_ et de la _Souris_!
+
+Rappelez-vous aussi _Jane Avril_, l'air vanné, avec sa face de rate
+funèbre, levant sa jambe droite et se trémoussant, en savant équilibre,
+sur la mince flûte de sa jambe gauche.
+
+Et le _Départ de quadrille_? La fille, plantée sur ses deux jambes, les
+poings appuyant les jupes aux hanches. Ne repose-t-elle pas comme une
+table se tient sur ses quatre pieds? Cette fille a le visage à la mal en
+train; mais elle est solide, c'est un roc. Sans émoi, elle attend, pour
+se jeter en branle, que le fracas de l'orchestre se déverse sur elle.
+
+Voici la _Danse_, le papillon balourd que Lautrec a lâché sur le
+parquet; grosse dondon en pantalon, qui pince son cavalier seul, en
+esquissant un prétentieux vis-à-vis.
+
+Et tous les autres tableaux de danseurs et de danseuses: des filles
+teignes, des danseurs, rats fouinards à melons plats; tous les
+spectateurs et toutes les spectatrices aussi qu'il découvrit, qu'il
+plaça, singuliers hannetons, dans une sorte de tourbillon de jambes,
+dans une fumante et chaotique mêlée de fesses, dans un remous de gestes
+épileptiques; et remuant des rires, des mots obscènes, de la sueur de
+dessous de bras et de dessous de cuisses, du dégoût de bas remugles qui
+se vident, qui montent en nuages bas et lourds et répugnants autour des
+globes de cette salle de bal, qui, au résumé, apparaissait telle qu'une
+gare soûle, en bois, au pays des Fjords!
+
+Mais tout cela qui était tout et qui eût compté tellement dans l'oeuvre
+d'un autre peintre! ce n'était rien, ce ne fut rien quand Lautrec nous
+présenta, en coup de tonnerre, la Reine, l'Impératrice arsouille, la
+Majesté de la gouape, l'olympienne salauderie de l'éclatante, de
+l'unique danseuse: la Goulue!
+
+[Illustration: LA GOULUE
+
+PHOTO DRUET]
+
+Ah! cette fois, Lautrec monta au sommet du caractère, au plus haut de
+l'expression, à la plus magnifique plénitude, à la légendaire et
+dominatrice intégralité d'un portrait vraiment historique!
+
+La Goulue! Voici, c'est cette fille en blanc, un léger bouquet piqué sur
+ses seins, que deux amies accompagnent; cette fille de face, à la bouche
+torve, au chignon droit, redressé en crête de rapace, ce petit ruban
+noir autour du cou, ce visage désaxé, canaille et superbe!
+
+Elle est hautaine et impertinente, cette fille; elle est féroce, et elle
+a l'oeil éteint, endormi, des lourds oiseaux de proie. Elle est sèche,
+busquée, terrible, énigmatique, inquiétante, et d'aspect funèbre. Ces
+narines étroites se pincent, cette bouche avide se plisse, se redresse,
+se tord en stigmates de méchanceté et de douleur. C'est au total, cette
+danseuse, une idole et une martyre; une idole que tout le monde fête et
+acclame; une martyre aussi qui nous présente la face la plus flétrie, la
+plus battue, la plus desséchée, la plus avaleuse de sanglots, la plus
+coupée et recoupée, la plus éveillée et la plus endormie, la plus
+prenante et la plus écartante, la plus cruelle et la plus candide, la
+plus jeune et la plus vieille face qui soit au monde!... C'est un régal
+qu'inventa Lautrec; une cuisine, si je puis ainsi dire, picturale,
+belle, glorieuse et si invue, que c'est lui qui créa le type plastique,
+cette Goulue, comme Shakespeare a créé Lady Macbeth, et Molière,
+Célimène. Portrait historique! et c'est cela, pour l'instant, presque
+une tare; car cela situe Lautrec dans une époque; mais, heureusement, il
+lui reste, pour réapparaître, dans la suite des âges, un dessin acéré,
+hautement personnel, racé et magnifique, qui le remettra tout vivant,
+plus tard, dans le classement de l'Histoire.
+
+Un jour, quand la Goulue, impératrice lasse de la danse, abdiquera, non
+pas pour se retirer dans un couvent, mais dans une baraque foraine, en
+l'année 1895, Lautrec exécutera pour son idole deux vastes toiles, dont
+l'une représentera _les Almées ou la Danse mauresque_; c'est-à-dire
+Félix Fénéon, avec un complet à carreaux et un petit chapeau Dranem,
+MM. Tapié de Celeyran, Maurice Guibert et, au-dessus d'eux, Sescau le
+photographe devenu pianiste; et tous regarderont la Goulue qui lève la
+jambe, cependant que derrière elle, une almée frotte un tambourin, à
+côté d'un nègre à turban qui, lui, tapote une peau d'âne. Et, de son
+côté, la seconde toile mettra, elle, en scène, une danseuse au chignon
+relevé, faisant son apprentissage au Moulin, et conduite par un hilarant
+et prestigieux Valentin.
+
+Les faces ici sont encore aiguisées, et tellement poussées à l'extrême
+limite du caractère, que l'on peut déjà se demander si Lautrec ainsi se
+vengeait de sa propre laideur, ou s'il avait plus simplement un
+frénétique amour du caractère? Ce que Degas avait lui-même exprimé en
+donnant de tels laids visages à ses danseuses, que, pendant longtemps,
+on crut à Paris, que le peintre Zandomeneghi les retouchait, les faisait
+plus avenantes, moins salopées, pour les vendre, au compte d'un
+important marchand, en Amérique!
+
+Ah! certes, la constante recherche du caractère, de l'expression, et ce
+qui s'ensuit, de l'exagération, ce sera, c'est déjà le but, le seul but
+de Lautrec. Il ne se venge pas de sa propre difformité; mais il
+intensifie les stigmates de la faune humaine; il est une sorte de
+tortionnaire qui creuse et ravine les faces, non point pour les montrer
+plus odieuses, mais plus expressives, plus étranges, plus rares, plus
+neuves. Et cela, cette chose qui s'indiquait dès l'atelier Cormon, ne
+fera que croître et s'épanouir, que dis-je! cela est tout à fait
+manifeste et aveuglant dans ses magnifiques représentations de la
+Goulue!
+
+Lautrec dessina et peignit quelques tableaux consacrés au Moulin de la
+Galette. Mais ce fut par hasard. Ce bal ne fut point pour lui un lieu
+d'élection. C'était trop un déchet, une basse-fosse de la Danse.
+
+C'est là, toutefois, qu'il représenta, au bar, _Alfred la Guigne_,
+d'après un personnage d'un roman de son ami Oscar Méténier. C'est un
+superbe carton, représentant un portrait de souteneur jeune, coiffé d'un
+melon et qui se tient debout devant un zinc, où se trouvent une vieille
+gousse et une fille plus jeune qui se détourne.
+
+Lautrec, maintes fois, aussi, peignit des aspects de Jane Avril. Il la
+représenta dansant, ou à la ville, avec son air qu'elle prenait alors
+d'institutrice anglaise raidie d'alcool.
+
+Et combien d'autres scènes de bal Lautrec peignit, en une diversité
+certaine, mais toujours d'après des spectacles vus, d'après des croquis
+exacts. Aucune fantaisie n'apparaissait jamais. Lautrec n'aurait pas
+voulu peindre ce qu'il n'avait pas observé, ce qu'il n'avait pas, je le
+répète, _vu_, et _vu_ comme cela s'entend, avec une décisive conscience,
+avec un excessif amour de la vérité. Et il ne peignait encore que ce
+qu'il voyait souvent. Une fois, entre autres, il choisit ce prétexte
+d'une _Table au Moulin-Rouge_, pour représenter, autour de cette table,
+ses amis qu'il connaissait bien: MM. Tapié de Celeyran, Maurice Guibert,
+Sescau, la Macarona, la Goulue, et lui-même, Lautrec.
+
+Aussi, la plupart de ses oeuvres peintes contiennent d'admirables
+vérités. Ces oeuvres étaient peintes ordinairement sur du carton; il
+trouvait que cette matière servait bien ses besoins renouvelés
+d'esquisses fortement dessinées et hachurées.
+
+A l'essence, il traçait ses paraphes avec une extraordinaire certitude;
+et cela, cette écriture, quand Lautrec emploiera la toile, il la chérira
+de même, pour inscrire, avec son métier de juge d'instruction, fait de
+tailles et de hachures, les plus significatifs et les plus éloquents des
+verdicts.
+
+
+FILLES
+
+Puisque Lautrec voyait beaucoup de filles de maisons danser au Moulin,
+il était tout indiqué qu'il allât un jour les voir chez elles, pour y
+retourner jusqu'à la fin de sa vie.
+
+Qu'y a-t-il de plus naturel? Des gens, tous les jours, hantent les
+coulisses et les promenoirs de music-halls, les cabinets de certains
+directeurs de théâtres, les restaurants où l'on soupe, les salons de
+couturiers, tous ces milieux de passe, enfin, où l'on rencontre des
+femmes du «meilleur monde»; et ces gens-là font cela uniquement pour le
+motif que vous savez; tandis que Lautrec voulait d'abord observer, puis
+travailler.
+
+Dans ce nouveau milieu, il fit de nombreux tableaux: _Le Couple_; _les
+deux Amies_; _l'Attente_; _la Tresse_; _la Toilette_; _Femmes au
+repos_; _Au réfectoire_, etc., etc., toute une suite qui est pour
+longtemps d'une éloquence et d'une signification sans pareilles. Toute
+une suite où rien n'est sacrifié à l'anecdote, à la sensiblerie, à
+l'obscénité ou à la blague. Ce sont les multiples sujets, qu'offre un
+bétail pensif ou agité, morne ou apaisé. Si, parfois, Lautrec fait
+songer par le sujet à un maître, mais avec moins de spiritualité, c'est
+à Baudelaire, à ses femmes damnées, à tout ce troupeau que le poète a
+ployé sous le suaire des plus terribles châtiments. Mais Lautrec a vu,
+le plus souvent, la fille prostrée, en attente d'homme, jouant aux
+cartes pour se distraire, tordant ses cheveux, lisant la lettre d'un
+amant, ou s'apprêtant, se lissant la face, se noircissant les sourcils,
+recrépissant ses rides, examinant son ventre, ce champ de bataille,
+redressant ses tétons pris trop aisément à poignées et qui s'obstinent à
+retomber ainsi que des outres vides. Et, impitoyable, il a vu ces
+femmes-là, au fond, douloureuses comme lui, ayant comme lui quelque
+chose à tuer dans la vie, et si tristes, si tristes qu'elles ne rient
+vraiment que lorsqu'elles sont soûles! Et, pour elles aussi, c'est son
+incisif métier de peintre qui revient; métier de hachures toujours,
+dures ou souples, directes, ardentes, en traits de pinceau, dans une
+couleur générale où les verts, les roses, les bleus et les violets
+dominent. Et peintures réalisées tantôt sur de la toile, tantôt sur un
+panneau de bois, tantôt encore sur un carton. Mais, qu'elles soient, ces
+filles, sur l'une ou l'autre de ces choses, elles sont toujours les
+soeurs angoissées du peintre. Ah! si l'on a envie d'elles, après les
+avoir regardées à travers Lautrec, c'est qu'on a le coeur robuste et
+toute sensibilité abolie. Voilà des effigies à placer dans les couvents.
+Lautrec représente la prostitution telle qu'une effroyable torture; et
+tous les métiers, certes, lui sont préférables!
+
+[Illustration: FILLE
+
+PHOTO DRUET]
+
+Ici, de nouveau, il ne se vengeait pas. Parce qu'il sentait la vie
+misérable, il faisait de ces filles de misérables créatures. Certes,
+Fragonard sera pendant longtemps préféré à Lautrec; le savoureux
+_Frago_, comme ils disent, les amateurs. Il a peint, lui, Lautrec, de si
+pauvres laides gotons!
+
+A propos d'elles, souvent des gens bien intentionnés ont comparé
+Lautrec à Guys et à Rops. A Degas, peut-être! Mais que viennent faire
+ici le preste dessinateur du second Empire et le prétentieux Gaudissart
+qui ravala la luxure à une entreprise de ruts insuffisants?
+
+Guys a dessiné et aquarellé, j'en conviens, de savoureuses vignettes; il
+a, dans le monde de son temps, promené sa fantaisie éveillée; il a
+dessiné des voitures, des officiers, des chevaux, des lorettes, des
+filles de maisons, des turqueries, des soldats et des matelots; et il
+les a tous représentés d'un trait cursif, éloquent comme le trait d'une
+belle écriture; mais, il le faut bien dire, il s'est tenu, en somme, à
+une arabesque connue, à une sorte de paraphe bien en main, bien dans sa
+main à lui;--et qui lui permettait, par exemple, de tracer d'un coup la
+tête de l'Empereur Napoléon III ou celle d'un cent-gardes. Il a, enfin,
+spécialement, pour toutes les femmes, indiqué de la même manière les
+boucles des cheveux, la forme du front, du menton, le globe des yeux, le
+galbe des épaules et l'écrasement de la jupe crinoline; mais c'est tout,
+c'est tout, et si neuf, si amusant que cela soit, c'est tout,--et ce
+n'est peut-être pas assez!
+
+Quant à Rops, il a bien été, lui, le plus banal, le plus bêta, le plus
+usé, le plus rabâcheur des pornographes. Il ne faut tout de même pas que
+sa mémoire se glorifie des pages de Huÿsmans à elle consacrées, parce
+que ce maître a trouvé là matière à un extraordinaire lyrisme! Non!
+Rops, justement déboulonné, ce n'est plus que Joseph Prud'homme aux
+nuits tourmentées, aux salacités médiocres, aux ruts mesurés. Les
+collégiens eux-mêmes veulent une plus complète vérité, et ne rêvent
+point à ces histoires de faunes et de nymphes montrant leurs derrières
+et leurs devants, même à l'état de colossale chaleur!
+
+Que cela ait duré un temps, je le conçois. L'homme s'ennuie, et il a
+besoin de se prouver qu'il est capable d'exécuter et d'aimer les pires
+sottises et les plus niaises obscénités.
+
+Avec Lautrec, au moins, c'est le vrai retour à la vérité; c'est enfin la
+vie en maison close, telle qu'elle est! Les femmes s'y ennuient, presque
+toujours; elles attendent donc résignées; et, quand vient l'homme, elles
+sont prises comme des femelles, rien de plus. Et ce bétail au repos,
+que voulez-vous qu'il fasse? Il fait ce que Lautrec lui fait justement
+faire: il attend, soumis, prostré; et, pendant longtemps, ce sera là, la
+seule, la seule vérité!
+
+Sans doute, on entreprendra de nouveau de représenter la femme en
+maison; mais, dans l'oeuvre de Lautrec, voilà, assurément, avec les
+portraits dont nous parlerons plus loin, voilà la chose la plus durable.
+Pour longtemps, ce sera ainsi. Lautrec a marqué d'éternité cette partie
+de son oeuvre. C'est un ensemble qui ne vieillira pas, tant que l'homme
+sera obligé d'aller dans un endroit clos pour y trouver la femelle que
+la nature a placée là, pour la principale de ses fins!
+
+Sans doute, encore, ici, Lautrec a représenté de laides faces, des yeux
+flagellés, des mentons en galoches, des nez aplatis ou secs, des bouches
+surtout comme des trous d'immondices. Et ces peaux sentent les lavages
+qui décrassent; le corps, dans des camisoles lâches, s'abandonne et
+s'affaisse; ces cheveux sont tordus en crins de cheval ou relevés en
+bonnets de brioches; et l'on frémit, certes, devant ces visages qui
+évoquent les bêtes puantes ou les visqueux poissons des marécages!...
+Oui, certainement, je sais, il y a aussi les poupées des maisons chères;
+les salopes préparées par un Belge pour quelque «concours des plus
+belles femmes de France»; il y a les «bonbonnières et les sucrées»!
+Mais, pourtant, est-ce que tout cela ne vous apporte pas du dégoût quand
+même à penser qu'un homme, le premier venu, va s'abattre sur ces ventres
+préparés, que dis-je, élargis, suintants? Vous voyez donc bien que
+Lautrec a eu raison de traiter tout cela comme du bétail, comme de la
+chair pour coïts; et encore il a fait cela, lui, avec quelle distinction
+et avec quelle noblesse!
+
+Les «bonbonnières» et les «sucrées»! C'est celles-là que Lautrec a su si
+bien placer dans les légères voitures, qu'escortent des chiens
+somptueux!
+
+On les voit dans son oeuvre, en promenade, le fouet droit, et
+impérieuses Sultanes!
+
+Une voiture, puis deux, puis trois; et roule le défilé des charrettes de
+l'été, des boîtes vernies, bois ou osier: Polo-cab, Stanhope-cab,
+Epsom-cab, Rallye-cart, Poney-chaise, Village-cart.
+
+Cobs nerveux filent et s'ébrouent, comme brossés à neuf; et les filles,
+la main gantée de peau de chien, se roidissent, les yeux rivés sur les
+oreilles du cob, avec, sur le front, l'ombre douce du chapeau fleuri et
+des dentelles en point de Venise, en fleurs d'Alençon.
+
+Elles se croisent et se dépassent, se jugeant d'un coup d'oeil exercé
+avec des moues d'exorables gamines; et, très hautaines, le col tendu,
+elles s'appliquent à demeurer, le fouet haut, immobiles, toutes droites.
+
+La fille, en ces charrettes ténues, singe indéniablement les attitudes
+de la bête de race qu'elle mène au bout d'un fil, avec une science si
+imprévue. Attitudes réjouissantes à reproduire, certes, pour sa joie
+propre, pour le passant de la route, pour le groom qui, derrière elle,
+ne bouge d'un pouce, vrillé dans la gaine de ses bottes à revers;--si
+heureuse, semble-t-elle, des «fumées» qu'elle laisse, du sillage de
+désirs qui court derrière elle et la suit;--elle, orgueilleusement parée
+de morgue et de sottise!
+
+
+
+
+DES COMMENTAIRES SUR L'OEUVRE
+
+II
+
+Portraits
+
+Le Jardin du Père Forest
+
+PORTRAITS
+
+[Illustration: PORTRAIT DE M. DELAPORTE
+
+PHOTO DRUET]
+
+
+Voici un très considérable ensemble de l'oeuvre de Lautrec.
+
+Portraits d'hommes et portraits de femmes, il les a également aimés.
+
+Dès l'atelier Cormon, il fit les portraits de ses amis les peintres
+Gauzi, Vincent Van Gogh, Grenier, Claudon, H.-G. Ibels, Henri Rachou,
+etc., etc.
+
+Très exigeant pour ses modèles, il travaillait avec un entrain
+passionné.
+
+Aussi, de 1886 à 1893, il peignit un grand nombre de portraits,
+notamment ceux de Mme Natanson, de sa propre tante Mme Pascal, de Mlle
+Dihau, de MM. Louis Pascal, Bonnefoy, du Dr Bourges, etc., etc.
+
+Puis vinrent les portraits de MM. Henry Nocq, l'admirable médailleur;
+Romain Coolus, Tristan-Bernard, Paul Leclercq; les portraits des frères
+Dihau, de Mme la Comtesse Alphonse de Toulouse-Lautrec, de Mme
+Korsikoff, de Mme Margouin, modiste; de MM Maurice Guibert, Delaporte,
+Maxime Dethomas, Davoust, Octave Raquin, André Rivoire, G. Tapié de
+Celeyran, Maurice Joyant, etc., etc.
+
+Tous les portraiturés furent ses parents ou ses amis. En exemple, c'est
+ainsi que Lautrec entretint d'intimes relations avec les Dihau, deux
+frères et une soeur, musiciens originaires de Lille. Le frère cadet,
+Désiré Dihau, joueur de basson-solo dans l'orchestre de l'Opéra,
+composait aussi des mélodies. Lautrec le représenta d'abord, son basson
+à la main; puis il le peignit encore, assis, lisant un journal, tandis
+que le frère aîné Henri est debout, et tous deux en plein air, dans ce
+jardin du père Forest, que nous ferons plus loin revivre.
+
+Quant à Mlle Dihau, professeur de chant et de piano, il la peignit aussi
+deux fois: une première fois, jouant du piano;--et, la seconde fois,
+donnant une leçon de chant à une dame debout près d'elle.
+
+Il fit aussi le portrait d'Oscar Wilde, en buste, de grandeur à peu près
+naturelle. Il l'a représenté bouffi, en toutes rondeurs de formes
+féminines, tel qu'était cet homme de lettres inverti. Pauvre Wilde! Bien
+qu'il eût simplement le vice anglais, il fut condamné à deux années de
+_hard labour_: mais, vraiment, lui, il alla carrément au devant du
+châtiment.
+
+Et tous ces portraits peints par Lautrec sont fouillés, creusés, si
+expressifs! C'est à Dethomas qu'il avait dit: «Je ferai ton immobilité
+dans les endroits de plaisir!»; et il réalisa le merveilleux portrait
+que la photographie a tant de fois reproduit.
+
+Le portrait de Delaporte, si rare également, fut, lui, refusé pour le
+Musée du Luxembourg par le comité des Beaux-Arts, Dujardin-Beaumetz
+étant sous-secrétaire d'Etat! Humble Dujardin-Beaumetz, aujourd'hui
+disparu, bonne à tout faire des bas huiliers! Il était resté le même
+pauvre homme, plein de mansuétude mais ignare, quand je le connus chez
+Rodin!
+
+Lautrec représenta aussi son ami Viaud, sur un navire, en amiral Louis
+XV, tête nue, de profil, la perruque blanche en catogan, la main droite
+emprisonnée dans un gant à crispin et appuyée sur la barre du
+bastingage. La tête, malicieuse, à la manière de Voltaire, considère un
+beau navire, toutes voiles déployées, et penché sur la mer.
+
+Panneau décoratif pour un dessus de cheminée de la salle à manger du
+château de Malromé. Ce fut une des dernières oeuvres de Lautrec.
+
+Que d'autres portraits il convient d'ajouter à tous ceux-là: les
+portraits de M. de Lauradour, de M. Louis Bouglé, de M. H. Marty
+(Souvenir du bal des Quat'-z'Arts), du docteur Péan en train d'opérer,
+de M. Fourcade, de M. Boileau, de l'acteur Samary, de M. Georges-Henry
+Manuel, etc. La dernière toile peinte par Lautrec, ce sera le tableau
+intitulé: _Un examen à la Faculté de Médecine_ et portraits encore de
+MM. les Docteurs R. Wurtz, Fournier et Gabriel Tapié de Celeyran.
+
+De portraits en portraits, Lautrec était arrivé, comme pour ses autres
+oeuvres, à une manière plus grasse, plus enveloppée, plus souple. S'il
+eût vécu une vie plus longue, un beau métier de peintre, exclusivement
+de peintre, eût été le sien! Je veux dire un métier dans lequel le
+dessin eût laissé moins voir son impérieuse volonté!
+
+Lautrec commençait souvent ses portraits avec la plus extrême fantaisie,
+c'est-à-dire par le milieu de la figure, par exemple, ou par une
+oreille, ou par le nez; et, parti de là, il multipliait ses hachures
+dans le sens du caractère, et en cherchant par conséquent le
+stigmate-type. Et si l'on reconnaît chaque fois le style, on peut bien
+avancer que Lautrec réalisait, pour chaque portrait, une nouvelle mise
+en page. Comparez les portraits de M. Dethomas (sur un fond de bal
+masqué), de M. Henry Nocq (dans l'atelier de Lautrec), de M. Samary
+(dans un rôle) ou de Mlle Dihau (assise devant son piano);--et la
+confrontation sera significative.
+
+Plus loin, nous parlerons de quelques-uns des portraits que Lautrec
+peignit en plein air. Ceux que nous avons déjà cités, il les a presque
+tous peints à l'atelier ou dans des intérieurs. Ils ont, ceux-là, une
+sobriété du meilleur aloi, une sûre distinction, un goût accompli de
+l'arrangement. Je ne sais quelle place les musées de l'avenir leur
+réserveront; je ne le sais et je ne m'en préoccupe guère; mais ce que je
+sais bien, c'est que tous ces portraits là seront excellemment
+représentatifs de notre temps. Ils diront à leur manière quels hommes
+peu joyeux nous fûmes, et combien le goût du panache nous intéressait
+peu. Portraits quasi résignés, s'ils ne sont pas «à expression navrée»,
+comme les portraits peints par Van Gogh. Portraits pour tout dire d'une
+époque qui n'osait plus guère vivre, et qui allait tout droit, en
+serrant les fesses, vers la catastrophe mondiale, qui est arrivée, et
+qui a tout remué. Portraits de gens qui attendaient et qui attendent
+encore, ahuris, anéantis, comme si le goût de la vie n'avait plus aucune
+raison d'être!... Ah! certainement, ce ne sont point là des portraits
+que l'on pourra opposer un jour à la pompe et à la magnificence de
+quelques nobles portraits dits historiques; mais, tels quels, ne
+réflèteront-ils pas nos inquiétudes et nos alarmes, nos peurs et nos
+angoisses, toutes croyances mortes, et toutes réflexions devenues
+comminatoires devant l'inexplicable, devant le pourquoi, devant le sens
+de la vie? En un mot, ne sont-ce pas là, tels quels, les vrais portraits
+des pauvres êtres que nous sommes; et alors, ne sommes-nous pas les
+vrais compagnons des filles dont je parlais au chapitre précédent?
+Portraits d'une époque que la Science torture et que la Vie emplit de
+doute.
+
+
+DANS LE JARDIN DU PÈRE FOREST
+
+Dans ce temps-là, il existait, au bas de la rue Caulaincourt, un vaste
+jardin appelé _Jardin du tir à l'arc_, que l'Hippodrome a actuellement
+remplacé.
+
+Ce jardin appartenait au père Forest, un photographe, qui a donné son
+nom à une rue voisine.
+
+Ce jardin était revenu à l'état de nature. On pouvait aisément se croire
+dans des halliers ou des sous-bois, loin de Paris.
+
+Lautrec fut bientôt l'hôte de ce jardin. Dès la belle saison venue, il
+descendait de la rue Caulaincourt; et il s'installait dans le jardin de
+son ami le père Forest.
+
+Tout à son aise, en bras de chemise, son chapeau sur le front, dès
+«patron-minette!» (expression déformée qu'il affectionnait), il y
+recevait ses modèles, qui étaient, pour la plupart, des filles du
+boulevard de Clichy, de la place Blanche et des maisons closes où il
+allait habituellement.
+
+[Illustration: DANS LE JARDIN DU PÈRE FOREST
+
+PHOTO DRUET]
+
+C'est dans ce jardin propice qu'il peignit, en plein air, de nombreux
+tableaux: _La femme à l'ombrelle_; _La femme au chien_; _La femme au
+chapeau noir_; _La femme au jardin_; _Pierreuse_; _Gabrielle_; _La
+danseuse_; etc., etc.
+
+C'est dans ce jardin encore qu'il termina ce tableau si pittoresque: _A
+la mie_. Portrait de son ami Maurice Guibert costumé en barbeau, assis
+sous une tonnelle, et le nez sur une corne de brie, que devait arroser
+un litre de vin. Au premier plan, une vieille blanchisseuse était
+assise, un bras pendant, horrible par son visage et par son caraco
+blanc!
+
+Quelle nouvelle époque de bon et long travail ce fut pour Lautrec!
+Toiles et cartons, au hasard de ce qui lui tombait sous la main, étaient
+criblés de ces hachures de peintre-graveur, qui voulaient exprimer,
+approfondir de plus en plus le caractère!
+
+Dans le jardin du père Forest, Lautrec recevait tous ses amis, joyeux
+de leurs visites, et il buvait avec eux; car il avait, tout de suite,
+installé un bar dans une petite baraque en planches, vidée des fioles et
+des accessoires que réclame la photographie. Certains jours, le jardin
+flambait même avec des airs de kermesse. «Monsieur Henri avait invité!»
+
+C'est là que je connus le célèbre loueur de voitures, qui fut un des
+plus chauds amis de Lautrec. C'était au moment de sa toquade pour les
+divers équipages. Le rencontrait-on alors, il vous emmenait chez ce
+loueur; et, là, enthousiasmé, il vous contraignait à admirer la forme
+des véhicules, en chacun de leurs détails, avec tout le harnachement qui
+sert à atteler un cheval.
+
+C'était tout Guys parmi nous revenu! Mais ce loueur apparaissait aussi
+comme une espèce de maniaque de la collection! Car, dans de vastes
+remises, il y avait beaucoup trop de voitures pour qu'elles fussent
+toutes utiles! On voyait là des coupés et des mylords, un mail-coach, un
+break, des calèches à 8 ressorts, des vis-à-vis, des landaus et des
+landaulets, des victorias, un petit duc, des phaétons, un poney-chaise,
+et toutes ces amusantes et légères charrettes qu'on appelle: spider,
+dog-cart, derby, rallye-cart, tilbury, village-cart et stanhope. Et tout
+cela fleurait bon le vernis, l'essence, le cuir astiqué. Tout cela
+reluisait et paradait. Vraiment l'ensemble de toute cette collection
+montait à la tête de Lautrec, qui ne manquait jamais de s'écrier: «Et
+quand on pense que les gens de lettres qui ignorent tout cela osent
+parler de sport!»; et, en conséquence, il conseillait à tous ses amis de
+dessiner des voitures; une excellente méthode, affirmait-il, pour
+apprendre à dessiner.
+
+Ce jardin du père Forest! S'en amusa-t-il, au delà de ce que l'on peut
+imaginer! Mais, de même que le président Carnot, poursuivi par le soleil
+dans le jardin de l'Elysée, cherchait un coin d'ombre, Lautrec pestait,
+lui aussi, une fois dans le jardin, contre le soleil qui le tourmentait.
+Aussi, il prit un temps précieux pour bien fixer les heures, les
+certitudes de peindre à l'abri des aveuglants rayons qui viennent
+chercher la toile; et, enfin, quand il eût trouvé le bon coin, il s'en
+tint là, joyeusement. Tout en chantonnant, il «abattit» de nouvelles et
+admirables peintures.
+
+Souvent, à nous, ses amis, il nous arrivait de rester dans le jardin du
+père Forest toute l'après-midi; et Lautrec nous chargeait ensuite, de
+ramener ses modèles au bercail. Alors, il montait chez lui, pour se
+reposer; car, il se levait de bon matin; et, le soir, il ne voulait pas
+manquer un spectacle au Moulin, au cirque, au théâtre, dans un bar ou au
+bocard. Oui, il le faut répéter, cet homme fut un obstiné travailleur,
+un fécond producteur; et, en se disant cela, on est saisi d'une vive
+tristesse en pensant à tout ce qu'il eût pu encore réaliser, avec une
+vie plus longue!... Oui, je sais: Van Gogh, une carrière plus courte!
+Oui, c'est là un des lourds regrets que vous inflige la Vie. Et M.
+Cormon, leur maître à tous deux, il n'est pas encore mort, lui! Voilà
+une des inexplicables boutades de la nature ou de la Providence, ou de
+Dieu, à votre choix!...
+
+
+
+
+DES COMMENTAIRES SUR L'OEUVRE
+
+III
+
+Le Cirque
+
+Au Théâtre
+
+Café-Concert
+
+Les Courses
+
+De Tout
+
+LE CIRQUE
+
+
+Igor Strawinsky, Tristan-Bernard, Lucien Guitry et tant d'autres
+Picassos, comme vous avez raison d'aimer le Cirque, que Lautrec aima
+encore plus que vous!
+
+Ah! qui ne peut chérir le Cirque où tout est pittoresque, contrasté,
+brillant; où tout est imprégné de cette «odeur de Cirque», que l'on ne
+respire nulle part ailleurs?
+
+Le Cirque! C'est-à-dire toute la fantaisie acrobatique, les écuyers, les
+écuyères, les clowns, les trapézistes, les barristes, les sauteurs, les
+équilibristes et les dresseurs de phoques, les jongleurs et les avaleurs
+de sabres!
+
+Le Cirque! C'est-à-dire les chevaux dressés, le jockey du Derby, la
+voltige indienne aux sauts d'obstacles, _the wentworth trio in a novel
+equestrian act_; le Cirque, l'auto-bolide et le bilboquet humain, _the
+sensation of all sensations_, par _the fearless young and fascinating
+Parisian_, Mauricia de Thiers; le Cirque, les jeux icariens et
+l'empereur de la magie, Captain Breydson _perillous trapezist
+equilibrist act_ et _The Arizona's tomahawk's jugglers_!
+
+Quand on aime le Cirque, j'entends le véritable Cirque populaire, le
+Cirque où du vrai peuple est sensible à la force, à l'adresse, et
+acclame et tempête; le véritable Cirque, où de la musique, et quelle
+musique! ronronne ou fracasse ou susurre ou endort; le véritable Cirque
+où se perpétuent d'ancestrales et puériles traditions; le véritable
+Cirque où tout est pailleté, en oripeaux, en franges fanées d'or ou
+d'argent; où tout est clinquant, bariolé et vif! Ah! quand on aime ce
+Cirque-là, on frémit en entrant, en respirant l'odeur des écuries; et
+l'on attend les rires, ces tempêtes de rires qui dégringolent des
+gradins et qui s'écrasent au milieu de la piste!
+
+Lautrec, qui chérissait le Cirque, à pleine joie, représenta les clowns,
+les acrobates, les dresseurs de chiens et les écuyers; et une toile
+qui le «situa» tout de suite, ce fut l'_Ecuyère au Cirque Fernando_,
+placée longtemps, se rappelle-t-on, à l'entrée du Moulin-Rouge, et que
+je retrouvai plus tard chez Jean Oller. Ah! la merveilleuse toile, si
+singulière, si unique, si imprévue, qu'elle m'arracha un cri de stupeur
+quand je la vis pour la première fois! C'était un gros cheval de piste
+dessiné d'une splendide façon; et, sur sa croupe, se tenait assise une
+écuyère avec une si étonnante face; tandis que, au milieu du tapis,
+l'écuyer, à visage de crapaud, s'arquait et déroulait sa chambrière. Et
+les blancs et les roses et le noir de l'habit jouaient là-dedans, la
+piste non recouverte, la toile apparente. Une oeuvre tout de suite si
+invue, si anormale presque; comme d'un peintre venu on ne savait
+d'où;--un dessin si excentrique, et qui devait, par la suite, moins
+peut-être nous troubler, mais nous ravir toujours par sa fascinante
+personnalité, par son inégalable puissance!
+
+[Illustration: JANE AVRIL
+
+PHOTO DRUET]
+
+Quand Lautrec fut à Saint-James, il se ressouvint du Cirque qu'il avait
+tant aimé; et, là, sans modèles, il crayonna une suite d'une vingtaine
+de dessins, uniquement consacrés aux gens de Cirque, et que Manzi édita
+sous ce titre: _Au Cirque_.
+
+Dessins d'une exagération caractéristique, d'une troublante déformation,
+d'un imprévu si drolatique, qui, cependant, ne fait jamais rire. Et vous
+voilà revenus ici, dans cette série de planches, les clowns et les
+écuyères, les chiens savants et les danseuses. Et je revois, chaque fois
+que je regarde ces dessins, tous vos gestes adroits, toutes vos
+cocasseries, ô clowns; tout votre maniérisme, ô écuyères de haute école;
+et je vous retrouve aussi, vous, ô clownesses fantaisistes, clownesses
+presque de bal masqué, avec vos gamineries d'enfant vicieux et vos mines
+de chattes guindées!
+
+Foottit, ce clown génial, Foottit surtout, émerveilla Lautrec. Il le
+suivit partout. Et lui, Foottit et Chocolat, ils devinrent les tenaces
+clients du bar Achille, jusqu'au moment de la définitive fermeture de ce
+réjouissant assommoir. Ils dégustaient tous trois tous les short-drinks,
+tous les gin-wiskies, tous les gobblers et punchs de la maison; puis on
+se donnait rendez-vous au cirque de la rue Saint-Honoré;--après quoi,
+ils se rassemblaient encore, Lautrec, Foottit et Chocolat, pour regagner
+le bar délectable.
+
+Lautrec notait rarement des croquis autour de la piste. Quelques tics de
+son ami Foottit, et c'était tout. Sa mémoire lui suffisait; elle
+collectionnait une copieuse moisson de gestes, de bonds et d'aspects
+plastiques.
+
+Il était transporté par les pantomimes et les brefs scénarios que
+Foottit jouait avec Chocolat; et il déclarait, avec tant de vérité, que
+cela, c'était autrement intéressant que toutes les pièces de théâtre.
+
+Lautrec a représenté Foottit comme un gros rat éveillé, gambadeur et
+rusé, en perpétuelle recherche de drôleries. Il l'a dessiné
+d'inoubliable façon; et, de Chocolat, il a fait un nègre hilarant,
+tenant du singe, un nègre singulièrement excité et folâtre.
+
+Tous les dessins consacrés au Cirque purent bien être réalisés de
+mémoire, à Saint-James; Lautrec les avait tellement gravés dans le
+cerveau, tous les chevaux, tous les chiens, tous les personnages,
+petits ou grands, qui animent de joie une piste. Presque
+automatiquement, il a exécuté tous ces dessins-là; et, presque
+automatiquement, aussi, il a trouvé pour eux les mises en pages les plus
+définitives et les plus rares. Considérez attentivement tous ces dessins
+d'un «malade»; et vous serez surpris de leur expressive étrangeté et de
+leur parfaite variété. Il y a là quelque chose de solide et
+d'inexplicable qui peut dérouter singulièrement les psychiâtres. Cette
+sagesse, cette parfaite mise au point esthétique, cela, en effet, vous
+alarme, comme cela vous trouble aussi chez un Van Gogh,--et, en ce
+moment même, chez Maurice Utrillo. En confrontation des prouesses
+picturales de ces trois merveilleux artistes, «touchés» cérébralement,
+les oeuvres des peintres dits raisonnables ne sont que sottises et
+écoeurantes banalités! Le génie alors est-il donc, vraiment, en somme,
+l'apanage de ceux que les psychiâtres appellent, en leur barbare
+langage, des «dégénérés supérieurs?»
+
+
+AU THÉÂTRE
+
+Tout le cortège des acteurs et des actrices, tout le chariot de Thespis,
+défila aussi devant Lautrec.
+
+Les pièces dites de théâtre l'ennuyaient lourdement; mais il
+s'intéressait aux physionomies et aux tics des acteurs et de leurs
+compagnes.
+
+C'est surtout à propos de ses lithographies que nous aurons à citer les
+noms de tous ceux et de toutes celles qu'il dessina.
+
+Il les obtint tous «ressemblants», avec une liberté et une réussite
+saisissantes, d'après des croquis expédiés dans les coulisses ou dans
+les loges.
+
+Il était curieux à voir, balafrant son papier, le zébrant, le couturant,
+piquant de bleu un oeil, griffant de rouge une bouche, accents
+seulement pour la mémoire, et qui devenaient ensuite bien autrement
+intenses, quand il cherchait l'ensemble.
+
+Et quelle autre longue suite d'exacts portraits! Nous avouons bien vite,
+toutefois, que la plupart des acteurs et actrices ainsi choisis
+n'appréciaient guère leur bonne fortune. Ils nous viennent en nombre
+sous la plume les noms des comédiens et des tragédiens qui méprisaient
+Lautrec. Ah! le physique du peintre entre en ligne de compte dans
+l'estime de ces gens-là! Et Lautrec n'était même pas, au surplus, un
+peintre officiel et décoré!
+
+Les photographies les plus retouchées, les plus rajeunies surtout--les
+fossiles ont horreur du vrai!--, sont si loin du verdict affirmé par le
+dessin de Lautrec. Sévère constat! mais était-ce sa faute à lui si des
+acteurs et des actrices pouvaient, et peuvent encore, hélas! jouer sans
+être sifflés, jusqu'aux bégaiements de la seconde enfance?
+
+Heureux âge! Mais plus vif plaisir de Lautrec quand il les crucifiait,
+tous ces radoteurs!
+
+Il eut, pourtant, des préférés et des préférées. Il représenta souvent
+Mme Sarah Bernhardt, Guy et Méaly, Réjane et Brasseur, Antoine et Judic,
+Lavallière et Baron, Mmes Caron et Bartet; ceux-là et celles-là, il les
+acceptait, et il les dessina avec un vif contentement.
+
+Mais sa plus tenace passion, peut-être, ce fut Mlle Marcelle Lender,
+divette au théâtre des Variétés, et qu'il dessina tant de fois, avant
+que de peindre d'après elle cette toile souveraine: _Marcelle Lender
+dansant le pas du boléro, de Chilpéric_.
+
+Oui, je sais, Lautrec, avec sa voix très perçante, assommait les gens;
+et il se faisait souvent expulser des coulisses. Mais peut-on penser
+que, par la suite, on osa traiter ainsi le peintre qui avait réalisé
+cette merveille picturale?
+
+Et pourquoi, surtout, tous ces acteurs et toutes ces actrices n'ont pas
+possédé ou gardé leur portrait peint par Lautrec?
+
+Mademoiselle Lender, comment, vous, par exemple, n'avez-vous pas chez
+vous, je n'ose pas écrire dans votre coeur, l'extraordinaire toile que
+je viens de citer, et qui vous représente si racée, si ployante, si
+souple, et si orgueilleuse devant le sourire béat de votre ami Brasseur?
+Ne saviez-vous donc pas que jamais, dans ce genre, on n'exécuta une
+toile plus glorieuse? O la coupable indifférence! Et bien plus coupable
+encore, l'indifférence de la Société des Amis du Louvre! Car, sait-on où
+ira, à la mort de M. Maurice Joyant, qui le possède, ce chef-d'oeuvre?
+Peu importe, peut-être, d'ailleurs; car, là où il se trouvera, il
+figurera comme l'une des plus miraculeuses réussites de la peinture
+française de tous les temps!
+
+Lautrec, aussi, représenta l'amusante, l'inoubliable Judic, dans sa
+loge; l'acteur Samary, de la Comédie-Française, dans le rôle de Raoul de
+Vaubert, de _Mademoiselle de la Seiglière_; M. Lucien Guitry et Mme
+Jeanne Granier, dans _Amants_; Le Bargy et Marthe Brandès, etc., etc.
+
+En 1900, de passage à Bordeaux, il peignit deux importantes toiles et de
+nombreuses études, d'après l'opéra d'Isidore de Lara: _Messaline_,
+représenté au Grand-Théâtre.
+
+Lautrec aima enfin les danseuses de ballets; et M. Pierre Decourcelle,
+dans sa rare collection, possède, par Lautrec, le portrait de l'une de
+ces danseuses, devant un portant, qui est bien une prestigieuse et
+incomparable toile.
+
+[Illustration: ALFRED LA GUIGNE
+
+PHOTO DRUET]
+
+Quelle distinction, bien que le visage soit encore agressif! Quel dessin
+vivant, merveilleux! et combien, ici, Lautrec l'emporte une fois de plus
+sur Degas, qui, pourtant, accusa souvent Lautrec de le plagier; Degas,
+avec son dessin figé, conventionnel; Lautrec si animé, si exubérant, et
+si pénétrant, d'une presque insolence despotique!
+
+Je sais, je sais: toutes ces oeuvres sont considérées même actuellement
+comme des «caricatures» par ceux des gens de théâtre qui furent
+portraiturés, les gens du moins que la Parque coupable n'a pas encore
+saisis! Certainement, par exemple, Mlle Brandès et M. Le Bargy n'ont
+aucune autre opinion, s'il leur arrive de revoir--ce dont je doute!--le
+dessin qui les représente, elle, vipérine, et lui, trop jeunet. Et,
+cependant, ne sont-ils pas rehaussés ainsi, «augmentés», en quelque
+sorte, par Lautrec, tous et toutes? Mieux même: ne devraient-ils pas
+être tout à fait comme cela, pour se parer véritablement d'une réelle
+personnalité?
+
+Mais voilà, en ce triste temps, il faut tout sacrifier au cahotant
+chariot de Thespis, surtout le génie!--et M. Brisgand, par ses sottises,
+opère mieux!
+
+
+AU CAFÉ-CONCERT
+
+Ce milieu, le Café-Concert, avec son amas de bizarres trognes, de
+bohèmes, d'excentriques de tous ordres, de déchets d'humanité, gueulant
+ou susurrant des chansons bêtes; ces hommes et ces femmes, ces
+orchestres de ravageurs, ces beuglants et ces niais Eldorados;--tout ce
+milieu devait aussi enchanter Lautrec; et, en effet, il l'enchanta.
+
+C'était, d'ailleurs, le moment d'apothéose du Café-Concert. Partout les
+gommeuses, les gambilleurs, les chanteuses à voix, les excentriques, les
+diseuses et les ténorinos, sévissaient. On restait sous le coup des
+fortes émotions chauffées par Thérésa; et les vieux hommes radotaient,
+avec des larmes, les chansons de Béranger, de Dupont et de Nadaud. Il y
+avait, par cela même, le café-concert avec ses sottises nouvelles, et
+l'autre chantant ou Caveau, où l'on hospitalisait les chansons de Paul
+Delmet et de Maurice Vaucaire. Dans ce temps-là, pas de revues, pas de
+bas vaudevilles sur ces petites scènes, où, de huit heures à minuit,
+défilaient toutes les chanteuses et tous les chanteurs des cinq parties
+du Monde. Le Caveau pleurait boulevard de Sébastopol; le concert des
+Décadents flonflonnait rue Fontaine; et Lautrec ne quittait, que pour
+aller au Moulin, ce dernier café-concert, tapageur et pittoresque. Mais
+la Duclerc, la reine du lieu, l'inquiétait par sa face ravagée; et il
+n'osait pas la représenter, la dessiner telle qu'il la voyait, cruelle
+et de sang atrocement brûlé!
+
+Puis, le printemps revenait; et Lautrec s'en allait revoir, dans
+l'avenue des Champs-Elysées, les trois magnifiques cafés-concerts qui,
+alors, en plein air, lançaient aux étoiles les couplets amoureux ou
+pleurards, sentimentaux ou revanchards, humanitaires ou satiriques, que
+faisaient écrire, dans les prisons, les entrepreneurs-chansonniers,--ou
+que commettaient eux-mêmes, sans gloire, les Maurice Donnay et les
+Bruant.
+
+C'étaient, ces trois cafés-concerts: _les Ambassadeurs_, _l'Alcazar_ et
+_l'Horloge_. Ce dernier devait, plus tard, être remplacé par le _Jardin
+de Paris_,--lequel vient de disparaître à son tour.
+
+Comme elles réapparaissaient chaque fois charmantes ces joyeuses
+bâtisses, à l'air d'établissements de bains très calmes et très roses!
+
+Paulus, Caudieux, Kam-Hill et tant d'autres, à ce moment-là, au temps de
+Lautrec, y chantaient tour à tour. Paulus, le roi de la chanson, de la
+chanson remuante, agitée, gambillarde! Paulus, qui était la troisième
+personne de cette trinité glorieuse: le général Boulanger, Géraudel et
+lui-même, Paulus! Paulus, qui avait incarné en lui l'âme de la Patrie;
+et qui, aux accents de plus de deux millions de voix françaises, tous
+les soirs, dans un café-concert, entraînait, vers l'Arc-de-Triomphe, le
+père la Victoire et les pioupious d'Auvergne!...
+
+Mais c'était, aussi, la pleine floraison des _Ta-ra-ra-boum-di-hé_ et
+des frêles niaiseries que chantait plus anémiquement Miss May Belfort,
+qualifiée sur le programme: artiste lyrique anglaise; et, pourtant,
+elle alluma tout de suite Lautrec.
+
+Après tout, cette bêlante brebis en valait la peine. Elle était si
+cocassement puérile, costumée en baby, avec des boucles déroulées sur
+ses épaules. Elle miaulait, tenant un chat noir entre ses bras ou n'en
+tenant point; et, en choeur, aux Décadents, on hurlait le refrain de ses
+couplets, tandis qu'elle se redressait toujours roide, et comme en bois.
+
+Lautrec dessina et peignit souvent cette poupée venue de l'orageuse
+Irlande. C'était la folie du jour, ces chanteuses ou ces danseuses
+anglaises: une miss Cécy Loftus ou une miss Ida Heath. On les retrouvait
+partout; et, cependant, avouons, sans être nationaliste, que la
+française Duclerc, la fameuse Duclerc, à la fin tragique, avait un autre
+accent! Ah! celle-là, cette terrible chanteuse minée par la phtisie, sa
+fin dans un bar, sa rage de danse folle, qui nous secoue encore quand
+nous évoquons l'écroulement brusque de cette femelle vidée!
+
+Mais, de toutes ces danseuses et diseuses, celle que Lautrec,
+irrésistiblement, préféra, ce fut Yvette Guilbert.
+
+Il lui consacra les planches de deux albums: une édition française,
+éditée par Marty, avec notice de M. Geffroy; et une édition anglaise,
+éditée par Bliss et Sands, à Londres, en 1898, avec un texte de M.
+Arthur Byl.
+
+Ces lithographies sont depuis longtemps légendaires, il est donc vain de
+les décrire; mais on peut bien répéter que personne ne représenta avec
+une expression plus forte et plus significative le profil et la face de
+Mlle Guilbert.
+
+Lautrec connut la diseuse alors qu'elle habitait avenue de Villiers; et,
+sur le champ, s'enthousiasmant, il voulut la représenter en Diane
+antique! Heureusement elle se mit à rire, et jura que la «caricature»
+seule pouvait donner d'elle une image fidèle. Surprenant propos! Mais
+Mlle Guilbert était si jeune!
+
+Lautrec suivit son modèle à la Scala, aux Ambassadeurs, dans sa loge,
+sur la scène, dans les coulisses; et il multiplia d'après elle les
+dessins, s'en tenant pourtant à des lithographies, n'ayant qu'une seule
+fois choisi une autre matière: une céramique qu'il exposa à Londres,
+avec une série de lithographies.
+
+Il illustra également quelques-uns des monologues que disait, de sa voix
+traînarde et acide, Mlle Guilbert: _Le jeune homme triste_; _Les vieux
+messieurs_; _Eros vanné_; etc...;--mais il ne laissa pas d'elle un grand
+portrait peint, alors qu'il peignit si souvent la Goulue et la Mélinite.
+Et Dieu sait, pourtant, si Mlle Guilbert tenait une place au
+café-concert! mais, bien entendu, on jugeait à rebours la personnalité
+qu'elle y apportait. «Quand je pense, me disait-elle, un jour, que les
+Parisiens me croient la joyeuse interprète des vices modernes, alors que
+j'en suis la mère Fouettard!»
+
+Mais Lautrec, comme tous les Parisiens, ne se souciait ni de morale ni
+de tout autre but. Il se contentait de se passionner pour le
+café-concert; et cela lui suffisait.
+
+Aussi, avec H.-G. Ibels, il lithographia encore les planches de tout un
+album consacré au Café-Concert. Avec un texte très complet et très
+brillant de M. Georges Montorgueil, cet album fut édité par «l'Estampe
+originale».
+
+[Illustration: MAY BELFORT
+
+PHOTO DRUET]
+
+Voici de nouveaux et rares dessins au propre compte de Lautrec! Toujours
+des Yvette Guilbert, naturellement: puis un profil malicieux, aigu, de
+Judic; Abdala, aux longs bras, au ventre bombé; Jane Avril, papillon
+tourbillonnant; Edmée Lescot, à la croupe jaillissante; Mary Hamilton,
+poupon et soireux; Bruant, hautain, froid; Caudieux, marié bondissant;
+Paula Brébion, chipie et plantureuse; la Loïe Fuller, flamme et
+feu-follet; et, couronnant le tout, le pif rouge d'un chanteur
+américain!
+
+En parlant des lithographies de Lautrec, j'aurai à citer bien d'autres
+divettes. Je mentionne seulement ici, pour mémoire, ces trois autres
+oeuvres si curieuses venues du Café-Concert: _Chanteuse anglaise_, _au
+Star du Havre_; _Miss Bedson_ et _May Milton_.
+
+Avec quel esprit renouvelé, il a dessiné et peint ces filles! Ah!
+certes, dès que Lautrec touchait à la femme affranchie, à la femme hors
+du foyer, je veux dire à la bête fendue, prête à tous les déshonneurs et
+à toutes les hontes, vraiment, il restait inimitable! Huysmans a écrit
+une lyrique page sur les femmes au tub peintes par Degas; mais comment,
+comment, lui, devenu un misogyne féroce, n'a-t-il pas bondi sur l'oeuvre
+de Lautrec pour la fouailler, pour la ravager, pour la massacrer, la
+femelle aux cent besoins? Comment n'a-t-il pas vu dans l'oeuvre de
+Lautrec un autre apport tout de même que l'apport de Degas, qui se
+contenta, en somme, de laides faces et de ballonnantes croupes?
+Crapaudes engraissées, mais crapaudes néanmoins, rien de plus! alors
+que, lui, Lautrec, n'a-t-il pas faisandé, pourri la femelle? N'en a-t-il
+pas fait le simple sac de pus vomi par le terrible moine Odon de Cluny?
+Sac d'excréments, même pas! Sac de pus, j'y reviens; fumier charriant
+tous les fétides filaments de l'avarie! Ensuite, est-ce que, sous ces
+faces blanches, vertes, avivées de rouge,--sous ces poitrines blètes, il
+n'y a pas, par l'apport de Lautrec, un autre et plus terrible
+réquisitoire contre la salauderie des désirs et l'ignominie des ruts?...
+Oui, qui peut de nouveau regarder une fille peinte par Lautrec sans
+frémir, sans apercevoir tous les ulcères, tous les chancres, toutes les
+ravageuses terreurs du musée Dupuytren, cette géhenne effroyable et
+subie de la chair? Pour moi, je me souviens, avec quel frisson! d'avoir
+vu chez M. Théodore Duret, cette May Milton, à la face engraissée, à la
+mâchoire lourde, de couleur jaune-blanche, comme retenant sous une
+enveloppe-vessie un magma de pus tourné au jaune et au blanc-vert. Ce
+tableau est une hideuse épouvante. Cette bouche frottée de rouge, elle
+tombe, elle s'ouvre comme une vulve; elle n'a pas plus de défense, elle
+n'a pas plus de fermeté; elle s'ouvre, elle laissera tout entrer! Et le
+peintre qui a peint cette redoutable image, aimait les femmes. Quel
+confondant sadisme!... ou est-ce une sorte de prêche pour les autres
+hommes?... Singulier problème!
+
+
+LES COURSES
+
+Les chevaux, les courses de chevaux aussi ne manquèrent point de retenir
+Lautrec.
+
+Que de simples et jolis dessins, aquarelles ou peintures, il conçut,
+tout de suite, à la manière anglaise, comme prétexte!--; à sa manière à
+lui, comme exécution!
+
+Ainsi, ce bref tableau:
+
+La plaine est rase; une colline bleue borde l'horizon; et, dans un coin,
+des bouquets d'arbres, précédés de barrières blanches, composent un
+décor plaisant. Le cavalier s'en va au trot gaillard de son cheval; son
+chien le suit, en tirant la langue; et le bonhomme est tout vermeil, en
+bon état, vante à coup sûr la sérieuse utilité de l'exercice en plein
+air. Le ciel, lui-même, est familier; nul nuage romantique, un friselis
+de laine dans un ciel tendre; et Lautrec complique de variété seulement
+son cheval dans la classe des hacks et hackneys, des trotters et
+double-horses, des galloways et des ponies.
+
+D'autres fois, ainsi que nous l'avons dit au chapitre: _Filles_, il
+place un attelage en tandem, au bord de la mer. Un tonneau, un voile qui
+flotte au vent; et, escortant la jeune femme qui conduit, un fox-terrier
+galope en bondissant.
+
+Que d'éventails Lautrec exécuta dans cet ordre d'idées-là!
+
+Les jockeys, à pied ou à cheval, les lads, les entraîneurs et les
+paddocks, figurent nombreux aussi dans son oeuvre. Et comment en eût-il
+été autrement pour ce peintre curieux, tellement épris de vie moderne?
+
+Les Courses, d'ailleurs! Les chevaux, les femmes!
+
+Sous couleur d'amélioration de la race chevaline, ne donne-t-on pas, aux
+Courses, les plus exquis rendez-vous de femmes parées dans un décor de
+luxe, dans un infini boulingrin émaillé çà et là de somptueuses fleurs?
+
+Et la vue n'en est-elle pas exquise, alors qu'elles sont toutes là, les
+filles, à la parade, dans la joie de vivre, assistant à une des fêtes du
+turf?
+
+Oui, elles sont joyeuses, et leur joie resplendit dans leurs yeux, dans
+le joli mouvement de leurs bras enveloppeurs et de leurs grâces frêles;
+elles sont superbes aussi sous l'architecture fastueuse du chapeau,
+toutes jaillies en sveltes lignes de la gaine des jupes et de la sangle
+du corset. Le bouquet est verni, lustré, plus captivant que rien qui
+soit au monde, alors qu'il se déroule tant d'idées de bonheur, d'amour
+de soi-même, d'orgueil de plaire et de triomphe, sur ces visages de
+filles érigées toutes droites, ou assises sur des chaises, comme sur des
+socles.
+
+Certes, ici, encore, un décor est tout fait. Cela se compose, tout de
+suite, ce fond de panaches à l'horizon, cette colline d'arbres et de
+villas, ces tribunes fleuries ayant un caractère de constructions
+exotiques, et ce tapis de la pelouse, large, immense, piqué de barrières
+et de betting-pots.
+
+Et le décor est frais, attirant sous le ciel bleu et mauve des pleins
+jours d'été. Pour peindre cela, il faut le rendre en quelques points
+essentiels. C'est, en effet, tout d'une venue, quand on cherche
+seulement l'arabesque. Les chevaux eux-mêmes se prêtent merveilleusement
+à ces schémas. Ils sont tout en jambes et en encolures longues. Mais il
+y a des déformations de génie à inventer pour exprimer des attitudes
+vraies, pour peindre le pas rythmique ou le galop coulant et près de
+terre de ces chevaux, qui somnolent et se bercent, au contraire, quand
+ils sont sur les routes.
+
+Et leurs cavaliers, faire comprendre les longs apprentissages, les
+labeurs de l'art équestre, c'est rude. Le visage, ici, n'est pas tout;
+les bras et les jambes et le torse et tout, tout cela a trop travaillé,
+a été trop violenté, a trop peiné pour qu'on n'étudie pas, à s'y abîmer
+de longues heures, le caractère des déformations fatales, dans un corps
+d'anglo-saxon, rompu déjà, pourtant, à toutes les périlleuses aventures
+des sports.
+
+Et il y a encore autre chose. Car il faut trouver l'atmosphère morale de
+tous ces gens: mercantis heureux, hommes politiques et escarpes,
+bookmakers et propriétaires, filles et jockeys. Il faut peindre des âmes
+vigoureuses du lucre sur des visages rudes ou fragiles, des attitudes
+exactes de groupes; ne pas verser dans l'anecdote des courtauds de
+boutique aventurés ici ou des petites gens qui risquent de maigres
+enjeux.
+
+Aussi bien le sport que tarifent des rentes sûres est de seul
+intérêt--et de charme certain. C'est, à l'entour de pavillons évoquant
+des villas de falaises normandes, que se rencontrent seulement le
+maquignonnage opulent des chevaux et des filles--et l'âpre convoitise
+des «matelas de billets» pour les entretenir, parallèlement, dans de
+superbes et quasi similaires écuries, à la litière chaude.
+
+Tout cela, Lautrec le développa encore magnifiquement dans de trop rares
+oeuvres consacrées aux Courses. Dans ses lithographies, notamment, il
+importe de signaler cette merveilleuse estampe: _Jockey se rendant au
+poteau_, qui est un hommage rendu à une des gloires de notre temps.
+
+[Illustration: JOCKEYS
+
+PHOTO DRUET]
+
+
+DE TOUT
+
+Certes, si Lautrec redoutait tout des très gros chiens qui pouvaient le
+faire tomber, il réservait sa tendresse aux petits chiens à courts ou à
+longs poils, qui sont les ordinaires compagnons des jeunes filles, des
+hommes inoccupés et des vieilles catins.
+
+Aussi dessina-t-il et peignit-il de nombreux portraits de chiens.
+
+Notons, par exemple:
+
+_Le chien Tommy_, un petit chien, à poils longs, couché sur le ventre,
+et très doux;
+
+_La jeune fille avec un chien_, aquarelle en éventail;
+
+_L'enfant avec la chienne Paméla_ (Taussat-Arcachon); et, enfin, après
+quelques autres portraits de chiens, de moindre importance, voici le
+fameux _Bouboule_; Bouboule, ce Chéri-Bouboule, enfin Bouboule, le
+bull-dog, qui s'octroyait l'unique honneur de lécher les joues de la
+chère Madame Palmyre, la patronne de la _Souris_!
+
+Bouboule! Oh! si j'écris et si je récris ce nom, avec tant de plaisir,
+c'est que tous les anciens amis de Palmyre se souviennent toujours,
+comme moi, de ce chien vraiment chien, de ce Bouboule si goulu et si
+concupiscent! Mais quel Bouboule aussi bien mal né! Car Palmyre avait
+vainement tenté de lui inculquer l'amour des femmes. Bouboule les
+détestait, il n'y avait rien à faire contre cela; et le sacré Bouboule,
+ce réjouissant Chéri-Bouboule le leur montrait bien aux femelles, qu'il
+ne les acceptait pas; car, sitôt qu'on n'avait plus les yeux sur lui, il
+descendait de la table, où il reposait son petit cul tout rond; et, avec
+des efforts inouïs, rassemblant les dernières gouttes, il pissait sur
+les robes et sur les manteaux! Pauvre Bouboule, que j'adorais! Qu'est-il
+devenu, ce Chéri-Bouboule? Oui, je sais, au Paradis des chiens, avec
+celui de Panurge! mais, du moins, où se trouve maintenant son portrait?
+
+Nous avons revu heureusement celui de _Follette_, la délicieuse petite
+chienne blanche, à longs poils, à oreilles droites, à crinière léonine,
+assise sur son derrière et le poitrail droit, face au spectateur. Petite
+tête de souris éveillée, chère petite demoiselle et certainement pucelle
+encore, que Lautrec avait peinte avec une souplesse étonnante, et en si
+parfait contraste avec le _chien Tommy_, déjà nommé au palmarès
+canin,--lui, une sorte de gros paysan balourd en feutre, tombé de tout
+son poids et de tout son long sur ses pattes de devant.
+
+«De tout!» avons-nous écrit en tête de ce chapitre. Y a-t-il donc, à
+présent, à citer, des paysages peints ou dessinés par Lautrec?
+
+Nous, nous ne connaissons que quelques paysages proprement dits qui
+peuvent être donnés à Lautrec. Nous nous souvenons également d'avoir vu
+chez M. Maurice Guibert et chez M. le Président Séré de Rivières,
+quelques marines exécutées au lavis et au fusain.
+
+Mais il y a d'autres choses à noter, sans doute, si l'on veut classer
+des projets pour des couvertures de livres ou pour des affiches;
+projets que Lautrec cherchait sur un papier ou sur un carton, soit au
+crayon, soit du bout du pinceau, trempé dans l'essence; et l'on peut
+cataloguer encore, pour mémoire, des essais de sculpture assez informes
+qu'il tenta, avenue Frochot, quelques mois avant sa mort.
+
+Par contre, il fit beaucoup d'aquarelles, gouachées ou libres. En voici
+une brève énumération: _Aristide Bruant_; l'esquisse pour l'affiche de
+la _Babylone moderne_; _Au café_; _Le portrait de Maxime Dethomas_, _au
+bal des Quat'z-Arts_; _Cortège indien_; _La clownesse et les cinq
+plastrons_; _Miss May Belfort_, etc., etc...
+
+Aquarelliste, Lautrec gardait la même liberté et la même acuité que pour
+ses peintures à l'huile, attendu que, chez lui, c'était, avant tout, le
+dessin qui comptait.
+
+Au résumé, toutes ces menues oeuvres, dont nous venons de parler,
+peut-être trop laconiquement, étaient réalisées un peu au hasard de ce
+que Lautrec trouvait sous sa main, et selon son humeur du moment. Oui,
+il ne convient pas, décidément, de voir en lui un homme méthodique,
+mesuré, disciplinant ses facultés et ses envies de travail. Ceci est
+seul à enregistrer: il fournissait, à Paris, un dur labeur; et il se
+réservait l'été pour ne rien faire; je veux dire pour se baigner ou
+conduire son bateau dans la baie d'Arcachon.
+
+
+
+
+DES COMMENTAIRES SUR L'OEUVRE
+
+IV
+
+Lithographies et Pointes-Sèches
+
+Dessins
+
+Affiches
+
+Illustrations de Livres
+
+LITHOGRAPHIES ET POINTES-SÈCHES
+
+
+Voici une nouvelle considérable partie de l'oeuvre de Lautrec. Aussi, le
+sculpteur Carabin et le peintre H.-G. Ibels se disputent-ils l'honneur
+d'avoir poussé Lautrec vers la lithographie. Carabin, exigeant,
+revendique en outre cet honneur pour Willette.
+
+En tout cas, Carabin se souvient fort bien d'avoir conduit Lautrec chez
+Edwards Ancourt, imprimeur, faubourg Saint-Denis (ancienne imprimerie
+Bourgery); et, là, d'avoir présenté Lautrec à un ouvrier d'Ancourt,
+nommé Stern, qui, à partir de ce jour, tira les épreuves pour Lautrec.
+
+De son côté, Ibels _croit_ qu'il fut le premier à faire faire à Lautrec
+de la lithographie, en lui demandant de composer avec lui-même, Ibels,
+l'album connu, texte de M. Georges Montorgueil, consacré au
+Café-Concert.
+
+Quoiqu'il en soit, cela nous reporte à l'année 1892; et, conduit par
+l'un ou par l'autre de ses deux amis, Lautrec se passionna tout de suite
+pour la lithographie. Improvisant sur la pierre, qu'il ne retouchait
+jamais, ses estampes eurent rapidement une vive saveur.
+
+Tous les jours, il arrivait chez Stern, installé en chambre; et là, sur
+une pierre, il faisait son dessin; puis, il s'en allait. La pierre était
+alors gommée; et, le lendemain, Lautrec revenait assister au tirage des
+épreuves. Il se passionnait à indiquer le ton des encres, s'il
+s'agissait de lithographies en couleurs; et il faisait recommencer vingt
+fois s'il le fallait, pour obtenir le ton spécial qu'il désirait, en vue
+du définitif tirage, toujours publié à un petit nombre d'exemplaires,
+qu'il tint, dès le début, à numéroter lui-même et à signer.
+
+Cependant, on peut voler des estampes dans une imprimerie; mais Lautrec
+fut tout de suite impitoyable pour les voleurs. C'est ainsi qu'il fit
+arrêter un marchand notoire qui vendait des lithographies signées par
+lui, Lautrec, et qui avaient été dérobées à l'atelier. Même dans le
+fiacre qui emmenait à l'étroit le marchand avec deux agents de la
+sûreté, ne s'assit-il pas, imperturbable, sur les propres genoux du
+marchand pour l'accompagner chez le juge, et le faire condamner;--car il
+fut inexorable?
+
+Lautrec eut bientôt de nombreuses estampes en train. Mais, ici, rendons
+à César ce qui est à César! Ce fut Ibels et pas un autre, qui réussit à
+convaincre l'éditeur Georges Ondet qu'il valait mieux faire illustrer
+les couvertures des chansons de café-concert par des artistes, plutôt
+que de s'adresser aux spécialistes ordinaires. Et, ainsi, sur sa
+proposition, Lautrec, Vallotton, Bonnard, Vuillard, Willette et Ibels
+lithographièrent ces attachantes couvertures de chansons, dont on tirait
+une centaine d'épreuves avant la lettre; et que les marchands Kleinmann,
+Sagot et Arnould, achetaient et vendaient à part.
+
+En 1893, Ibels fonda, avec l'héroïque Georges Darien, un hebdomadaire
+illustré, appelé _L'Escarmouche_, «journal de combat, absolument
+indépendant et répudiant toute compromission». Ce journal n'eut qu'une
+existence éphémère. Le 1er numéro porte la date du 12 novembre 1893; le
+dernier, celle du 16 mars 1894; encore ce dernier numéro parut-il après
+une interruption de deux mois, et sans aucune illustration.
+
+Lautrec fournit à _l'Escarmouche_ les douze lithographies suivantes:
+_Pourquoi pas?... Une fois n'est pas coutume_; _Aux Variétés: Mlle
+Lender et Brasseur_; _En quarante_; _Mlle Lender et Baron_; _Emilienne
+d'Alençon et Mariquita aux Folies-Bergère_; _Au Moulin-Rouge: un rude!_
+(Table de café. Le personnage âgé qui tire sur sa barbe représente le
+comte Alphonse de Toulouse-Lautrec); _Folies-Bergère: les pudeurs de M.
+Prud'homme_; _A la Renaissance: Sarah Bernhardt, dans Phèdre_; _A la
+Gaîté-Rochechouart: Nicolle_; _A l'Opéra: Mme Caron, dans Faust_; _Au
+Moulin-Rouge: l'union franco-russe_; _Au théâtre Libre: Antoine, dans
+l'Inquiétude_.
+
+Les autres dessinateurs-collaborateurs à _l'Escarmouche_ furent
+Anquetin, Bonnard, Vuillard, Willette, Hermann-Paul, Vallotton et Ibels;
+et c'est encore sur la proposition d'Ibels (qui avait décidément la
+marotte des bonnes idées) qu'on lithographia les dessins, ce qui permit
+le clichage par un simple report sur zinc, moins coûteux et plus
+artiste;--et, en outre, les épreuves lithographiques avant la lettre
+étant vendues aux amateurs, payaient ainsi l'artiste sans aucun frais
+pour le journal.
+
+Chez Ondet,--je garde personnellement le plus vif souvenir de cet
+éditeur actif et intelligent!--chez Ondet, Lautrec composa aussi les
+lithographies pour un certain nombre de compositions musicales de son
+ami Désiré Dihau, relatives à _Vieilles Histoires_, poésies de Jean
+Goudeski.
+
+Elles sont toutes fort curieuses, ces couvertures; mais comme il y eut
+d'autres couvertures illustrées par H.-G. Ibels, Henri Rachou, etc.,
+voici les titres des compositions, en ce qui concerne Lautrec: _Pour
+toi_!... (Désiré Dihau jouant du basson, devant un buste de faune);
+_Nuit blanche_; _Ta bouche_; _Sagesse_ (ici Lautrec a représenté deux de
+ses amis: Mme Natanson et M. Numa Baragnon); _Ultime ballade_.
+
+A bien dire, dépouillées de toute couleur, c'est surtout dans les
+lithographies au simple crayon que l'on voit la généreuse noblesse, la
+certitude aiguisée, et--il faut toujours insister sur les mêmes
+choses!--l'intégrale personnalité du dessin de Lautrec. Nulle écriture
+n'est plus impérieuse, si j'en excepte celle de Modigliani, ce
+merveilleux dessinateur mort lui aussi un jour trop prématuré.
+
+Cette certitude du dessin de Lautrec! C'est en voyant toutes ses
+lithographies qu'il faut admirer continuellement ce dessin tracé de la
+pointe du crayon, sans hésitation, sans le plus léger heurt. La pointe,
+sûre d'elle-même, ainsi que la pointe d'épée d'un prestigieux escrimeur,
+aussitôt que placée au-dessus de la pierre, elle inscrivait la pensée
+prompte, les plus souples, les plus sensibles et les plus affirmatives
+des arabesques. Vraiment, là, Lautrec est tout à fait à l'aise. Ces
+paraphes de dessin, ces contours, ces angles, ces déformations subtiles,
+tout cela est le témoignage d'un style prodigieusement original, d'une
+volonté que l'on qualifierait de magnifiquement instinctive, si cela se
+pouvait dire. De Lautrec, escrimeur toujours prêt, toujours souple,
+toujours vigoureux et surtout si sûr de lui, avec quelle foudroyante
+vitesse la pointe se détendait, allait frapper droit au but, je veux
+dire sur la pierre vierge, en attente de chef-d'oeuvre ou de sottise! Et
+c'était toujours un chef-d'oeuvre; ou du moins une chose rare qui
+apparaissait, qui stupéfiait; une oeuvre de noblesse et d'élégance,
+sortie de ce petit homme à pince-nez, presque un gnome, juché sur un
+tabouret pour quelque méchante action. Et c'était, cela, le persistant
+étonnement que quelque chose venant de lui était chaque fois marquée
+d'une indélébile distinction. Et quelle variété!
+
+Dans la partielle énumération faite plus loin du catalogue de ses
+lithographies (M. Loys Delteil en a classé 368 exactement, y compris 9
+pointes-sèches), il vous sera possible déjà de voir quels sujets il
+traita, combien il fit de portraits, de compositions et d'illustrations
+de livres. Et c'est sans cesse le beau miracle: hommes, animaux, décors,
+tout est d'un haut style et d'une parfaite saveur!
+
+Et Lautrec trouvait encore des mots. Un jour, donnant rendez-vous à M.
+André Marty pour préparer le premier album Yvette Guilbert, il dit à cet
+artisan du livre: «Venez, ensemble _nous définirons_ Yvette!» Oui c'est
+cela! Lautrec pensait d'abord fortement à son sujet; puis, lorsqu'il
+l'avait bien vu, bien exploré, bien retourné en tous les sens, il était
+prêt, il pouvait aborder la pierre lithographique et développer à coup
+sûr la forme et l'esprit de son sujet.
+
+L'imprimerie! Il s'en était toqué incroyablement. Pour rien au monde, il
+n'eût manqué d'aller un seul jour chez Stern. A peine arrivé, il
+rabattait son chapeau sur ses yeux, il se juchait sur son tabouret; et,
+après avoir soigneusement frotté son pince-nez, il se mettait, en
+plaisantant, au travail. Il s'escrimait alors, tellement sûr de lui
+qu'il pouvait parler avec les gens qui, quelquefois, se trouvaient
+là--ou avec l'ami qui l'avait accompagné.
+
+Ces lithographies, quelques-unes sont simples, en tailles menues, fines,
+pas surchargées, nuancées, rappelant souvent, en un style plus acéré,
+toutefois, les admirables estampes de Whistler, si délicates, si
+subtiles!... D'autres lithographies sont couvertes avec des frottis de
+crayon, avec des frottis de pouce. Elles sont, celles-là, tout en étant
+fort belles, moins significatives peut-être que les lithographies
+réalisées seulement de la pointe du crayon.
+
+[Illustration: CLOWNESSE AU BAL
+
+PHOTO DRUET]
+
+Ah! toutes ces rares lithographies! L'oeuvre la plus décisive, la plus
+savoureuse de Lautrec; celle qui l'emporte sur l'oeuvre du peintre,
+qu'on le veuille ou non; l'oeuvre qui lui accordait toute sa liberté;
+l'oeuvre où il pouvait débrider toute sa fantaisie, son goût extrême de
+la diversité et de la sensibilité la plus excessive et la plus
+divinatrice!
+
+Sans doute, il existe de merveilleuses toiles de Lautrec; mais _sa_
+couleur, la couleur qu'il apportait, ah! comme je puis bien m'en passer,
+tant j'aime, tant j'admire, avant tout, _son_ dessin, ce dessin
+prodigieusement vivant et d'une singularité si absolue, si souveraine,
+telle que l'on ne pourrait pas concevoir de faux tableaux possibles de
+Lautrec, si les faussaires ne s'adressaient pas à la profonde bêtise, à
+la crapuleuse ignorance des collectionneurs, amateurs de tableaux et
+bibliophiles.
+
+Et, dans ses lithographies, il a su tout représenter: les comédiens et
+les comédiennes, les chanteuses de cafés-concerts et les cantatrices
+d'opéras, les danseuses et les diseuses, les chevaux et les jockeys, les
+chiens et les chats, les clowns et les clownesses, les programmes de
+théâtres et les menus, les filles et les patrons de bars, les procès
+Arton et Lebaudy--et jusqu'à un concours pour une affiche à Napoléon!
+
+Pour tous ces sujets, il faut préférer encore et toujours les
+lithographies en noir. Pour les affiches vues de loin et à voir de loin,
+c'est assurément une autre manière de penser; mais, pour les
+lithographies qu'on a sous le nez, qu'on respire pour ainsi dire,
+choisissons le dessin seul, le trait noir, le frottis noir, rien de
+plus! Toute notre émotion est faite alors de cette nouvelle et haute
+«probité de l'Art,» dirait M. Ingres, de ce «frisson nouveau», dirait
+Hugo; et, pour bien des années, pour des siècles peut-être, le dessin de
+Lautrec restera dans un superbe isolement!
+
+Pour terminer, notons, ici, que Lautrec se complut à graver quelques
+pointes-sèches, neuf exactement. Mais ce ne sont là que des choses
+secondaires. En voici le détail: _Mon premier zinc_; _L'explorateur
+L.-J. Vicomte de Brettes_; _Charles Maurin_ (qui, en retour, gravera à
+l'eau-forte le portrait de Lautrec, celui-là même qui est publié au
+commencement de ce livre); _Francis Jourdain_; _W. H. B. Sands, éditeur
+à Edimbourg_; _Henry Somm_; _Le lutteur Ville_; _Portrait de M. X..._;
+_Portrait de Tristan-Bernard_.
+
+
+DESSINS
+
+Les dessins de Lautrec, les purs dessins, c'est encore un enchantement.
+Quels traits sûrs, hardis, jamais repris, tracés du coup! Quels contours
+précis, exprimant tout le caractère, l'exagérant, l'accroissant! Quelle
+race toujours! Quelle causticité aussi et, parfois, quelle pitié aiguë,
+voudrait-on dire!
+
+Lautrec a fait tous les dessins: dessins au crayon, dessins au pinceau,
+fusains, sanguines, dessins à la plume, dessins rehaussés de couleurs.
+
+Dans un premier livre que nous avons consacré à Lautrec, et qui est
+aujourd'hui épuisé, comme on dit en argot de librairie, nous avons déjà
+donné une bonne centaine des rapides croquis, qu'il traçait fermement et
+décisivement de la pointe du crayon ou de la plume. Et, certes, si l'on
+tient absolument à ranger Lautrec, pour un petit côté de son oeuvre,
+parmi les humoristes amers et douloureux, c'est à ces sortes de
+croquis-là qu'il faut penser; il n'y a que ces croquis-là à donner en
+exemple d'humour: schémas de traits, paraphes et arabesques, qui
+représentent--et avec quelle acuité!--d'un trait sommaire, des filles,
+des chevaux, des toreros, des acteurs, des figurants, des clowns ou des
+écuyers. D'un trait sommaire, crayon ou plume, qui touche à la charge,
+et reste au bord du trait caricatural. Ce dessin ne fait pas rire, loin
+de là; c'est de l'humour pessimiste qui déforme, en ne tombant jamais
+dans le trivial.
+
+De l'année 1882 et des années immédiatement suivantes, on a retrouvé des
+fusains de Lautrec sur du papier Ingres, gris et bleu: des paysannes,
+des femmes assises, des petits paysages ou des petites marines.
+
+En 1886-1887, il collabora au _Courrier Français_, le journal du
+désordonné Jules Roques; et il fut en même temps au _Mirliton_, le
+journal du non moins étonnant Aristide Bruant, l'engueuleur patenté des
+Parisiens et de leurs compagnes.
+
+Le _Mirliton_ eut 77 numéros, et vécut du mois d'octobre 1885 au mois de
+décembre 1892.
+
+Puis ce fut cette suite, au moins comme dessins publiés:
+
+Dans le numéro du 7 juillet 1888, à _Paris illustré_ (publication
+hebdomadaire), Lautrec donne des illustrations pour un article intitulé:
+_L'été à Paris_.
+
+En 1894, premier numéro du journal _le Rire_, Lautrec dessine une
+_Yvette Guilbert_, avec couleurs, au numéro du 22 décembre;--puis onze
+autres dessins, la plupart également rehaussés de couleurs, à des dates
+diverses jusqu'au mois d'avril 1897, moment où cesse sa collaboration.
+
+Parmi ces dessins-là, on peut citer: _Ambroise Thomas, chef
+d'orchestre_; _Ma fille_; _Au Palais de Glace_; _Redoute au
+Moulin-Rouge_; _Chocolat au bar d'Achille_; _Au cirque_; etc.
+
+En juillet 1893, Lautrec avait collaboré au _Figaro Illustré_, en
+illustrant: _Les plaisirs à Paris_, texte de M. Geffroy; en juillet
+1895, il illustre _Le bon Jockey_, texte de M. Romain Coolus; et, en
+septembre 1895, il apporte encore des illustrations pour une autre
+nouvelle de M. Romain Coolus: _La Belle et la Bête_.
+
+Avec son ami Tristan-Bernard, il a publié un supplément au nº de janvier
+1895, de _La Revue Blanche_: un _Nib_ (en argot, néant, rien!).
+Tristan-Bernard a écrit le texte, et Lautrec a crayonné des
+lithographies, parmi lesquelles celle-ci est très admirable: _Anna Held
+au Café-concert_.
+
+Dans le Nº de juin 1894, de la même revue, Lautrec a orné de croquis le
+compte-rendu humoristique consacré par Tristan-Bernard au Salon de 1894.
+
+En ces années 1894 et 1895, Lautrec fournit, d'ailleurs, maints dessins
+pour des programmes de théâtres, pour des menus, pour des couvertures de
+livres, etc.
+
+C'est ainsi que, dans la _Revue Blanche_ du mois de mai 1895, Paul Adam
+ayant consacré un article à Oscar Wilde, Lautrec a dessiné à la plume le
+portrait du dramaturge anglais.
+
+Il dessina encore le même Oscar Wilde sur la partie droite, et Romain
+Coolus sur la partie gauche, d'un programme exécuté pour le théâtre de
+l'OEuvre, soirée du 11 février 1896, consacré à Oscar Wilde (auteur de
+la _Salomé_), et à Romain Coolus (auteur de _Raphaël_).
+
+Enfin, terminons cette incomplète énumération de dessins publiés, par
+quelques titres de dessins notoires:
+
+_Au Café de Bordeaux, Antoine, un amer!_ _Sur les quais de Bordeaux_;
+_Arrivée aux Courses_; _Etude pour «Elles»_; _Esquisse pour l'affiche de
+«Babylone»_; _Course de chevaux_; _Dans les coulisses_; _Elsa, la
+Viennoise_; _Une habituée de la «Souris»_; _Programme de «l'Assommoir»_;
+_Messaline_; _Projet d'affiche du «Divan japonais»_; _Les frères Marco
+(clowns)_; _Scène de Cirque_; _Polaire_; _Yvette Guilbert, saluant_;
+etc., etc.
+
+Dans tous ces dessins, et dans des centaines d'autres qu'il est
+impossible de dénombrer, Lautrec nous offre son style, sa science de
+l'expression, qu'il met en valeur par un contour frémissant, creusé,
+exact. C'est toujours un miraculeux, un unique dessin! Maints dessins
+d'artistes illustres paraissent froids, conventionnels, sans mouvement,
+à côté de ce dessin passionné, qui déborde de vie et de volonté.
+
+[Illustration: COUVERTURE POUR UN MONOLOGUE]
+
+Mais si nous avons insisté sur le côté acéré, amer, de son dessin, de
+son écriture, il est capable, aussi, ce complet dessinateur, de traduire
+toute la grâce d'un profil d'enfant, toute la délicatesse de certaines
+têtes de femmes. Il a tellement de ressources, ce dessin singulier,
+qu'il peut être tour à tour cruel ou caressant, anguleux ou arrondi; il
+peut flageller ou flatter, effrayer ou attirer. Même, quelquefois, ce
+dessin pare de je ne sais quelle morbidesse telle tête de fille, qui, en
+maison, laisse rêver sa bêtise. Mais, cependant, à tout bien considérer,
+nous pensons que Lautrec a bien fait de suivre plutôt son penchant vers
+l'amertume, et vers le pessimisme. Nous aimons, sans doute, les accès de
+tendresse de Lautrec; et il y a maints et maints dessins faits dans
+cette douceur de caractère qui sont d'une grâce heureuse; mais nous
+préférons le dessin incisif, douloureux, le ravinement d'une face, une
+bouche plissée, des narines ouvertes, un regard d'oiseau de proie
+somnolent, un chignon en bataille;--tous les stigmates, enfin, dont il
+accable le plus souvent les femmes, qui retiennent son caprice!
+
+Pour tout résumer, nous aimons infiniment mieux Lautrec-Goya que
+Lautrec-Fragonard!
+
+
+AFFICHES
+
+De l'estampe à l'affiche, ce ne fut, pour Lautrec, qu'une simple
+nouvelle curiosité.
+
+Dès l'année 1892, il envoya, au Salon des Indépendants, le second état
+de l'_Affiche pour le Moulin-Rouge_.
+
+Tout de suite, il vit l'affiche par des à-plats, violents mais peu
+compliqués. Le trait généralement en vert. Le fond blanc du papier. Une
+tonalité bleue, jaune, rouge ou noire.
+
+Parmi ses affiches les plus connues, on peut citer:
+
+L'_Affiche du Moulin-Rouge_. (La Goulue dansant, et, au premier plan,
+Valentin, de profil);
+
+_Le Pendu_;
+
+_Le Divan japonais_ (75, rue des Martyrs. Jane Avril, de profil,
+assise; et, derrière elle, un type d'anglais);
+
+_Reine de joie_ (pour l'annonce d'un livre de Victor Joze, de son vrai
+nom: Victor Dobrski);
+
+_Aristide Bruant aux Ambassadeurs_;
+
+_Jane Avril au Jardin de Paris_;
+
+_Caudieux_;
+
+_Bruant au Mirliton_;
+
+_Babylone d'Allemagne_, par Victor Joze;
+
+_La Revue Blanche_ (bi-mensuelle, 1, rue Laffitte);
+
+_La chaîne Simpson_ (réclame pour une chaîne de bicyclette); etc., etc.
+
+Aujourd'hui encore, nous nous souvenons de notre émoi quand nous vîmes,
+pour la première fois, sur un mur, une affiche de Lautrec. A cette
+époque-là, l'affiche en couleurs, si galvaudée depuis, ne s'étalait
+point. On n'était réjoui, de temps à autre, que par les affiches de
+Chéret, cette «exquise dînette d'art!»; et, de fait, c'était un vrai
+régal que ces Arlequins, ces Colombines, ces Pierrots, ces bals masqués,
+ces jolies filles et toute cette éblouissante volée de multicolores
+confetti que Chéret placardait sur les murs. Cela enchantait la rue et
+l'emplissait de soleil. Tout Paris pour Chéret avait alors des yeux
+enthousiastes. Et voilà que, tout à coup, un inconnu surgissait qui nous
+frappait de stupeur, qui nous troublait par un dessin insolite et
+volontaire, par une sobriété de couleurs à tons plats et acides! et
+c'était signé: Lautrec; et, chose étrange, le nom devenait vite
+populaire, mais à la façon d'un nom qui apporterait avec lui de
+l'inquiétude et de l'angoisse. On était mal à l'aise, mais on frémissait
+de plaisir. Une affiche surtout: _Babylone d'Allemagne_, nous causa une
+bizarre et inextinguible joie!
+
+Ah! vraiment, c'était la première fois qu'on voyait une telle mise en
+scène: des cavaliers, puis un officier, hobereau roide, orgueilleux,
+paon ou dindon féroce, toute sa morgue à cheval sur un cheval blanc, et,
+avec ses hommes, défilant tout «emmonoclé» et tout empaillé, devant une
+lourde brute des champs, costumé en soldat prussien, qui lui présente
+les armes!
+
+Et, là-haut, dans un coin de la page, à droite, un couple passait;
+l'homme à peine vu, mais dont on devinait les transes; tandis que la
+femme, maniérée, faisait de l'oeil à cet impassible greluchon tout
+brandi, qui aurait fait sans doute si bien frémir son cher ventre de
+Dorothée en folie!
+
+Ah! cette affiche comme vénéneuse malgré sa toute puissance! Comme son
+temps est loin!...
+
+Nous, maintenant, nous ne regardons plus sur les murs les affiches de
+tous les nigauds de la publicité financière, commerciale ou guerrière!
+
+
+ILLUSTRATIONS DE LIVRES
+
+Ce Lautrec, si chercheur, une fois devenu lithographe, fut amené, sans y
+trop penser, à illustrer, par la lithographie, des livres. J'entends les
+livres qu'il pouvait aimer.
+
+On l'a vu illustrant des articles ou des contes de ses amis
+Tristan-Bernard et Romain Coolus; on l'a vu illustrant deux albums
+consacrés à Yvette Guilbert; il s'éprit de la même ardeur pour quelques
+livres, dont il orna les couvertures ou les pages de texte.
+
+C'est ainsi qu'il illustra les _Histoires naturelles_ de Jules Renard,
+éditées par Floury. Il dessina la couverture, 22 planches et 6
+culs-de-lampe. Il représenta les coqs, la pintade, la dinde, le paon, le
+cygne, les canards, les pigeons, l'épervier, la souris, l'escargot,
+l'araignée, le crapaud, le chien, les lapins, le boeuf, l'âne, le cerf,
+le bouc, les moutons, le taureau, le cochon et le cheval.
+
+Toutefois, et c'est bien la première fois, ces lithographies-là ne sont
+point d'une entière réussite. Leur attrait n'est pas renouvelé. Sans
+doute, dans ces dessins se creuse encore la griffe de Lautrec; mais tous
+ces animaux n'ont pas un caractère inattendu. Lautrec les a dessinés
+avec adresse, avec virtuosité, parce qu'il pouvait tout dessiner; mais
+il n'est pas allé au delà d'un honnête succès. Les animaux, en général
+si niaisement dédaignés par les peintres, ont des attitudes et des
+visages autrement étonnants, autrement insoupçonnés, autrement
+éloquents. Lautrec, comme presque tous les autres dessinateurs, a vu ces
+animaux-là en passant, il les a dessinés, mais il n'a rien fait de plus.
+C'est souvent un peu japonais d'aspect; et cela ne va pas plus loin que
+tant d'estampes trop vantées d'animaliers du Nippon.
+
+Assurément, il convient de préférer cet autre livre, intitulé: _Au pied
+du Sinaï_, que Lautrec illustra, d'après un texte de M. Georges
+Clémenceau, le vieux «coeur-léger». Ce livre, c'est une histoire de
+juifs à Carlsbad et à Busk. L'illustration, cette fois, est très
+pittoresque et très colorée. Elle met en scène de bizarres types,
+crochus et aux cheveux cotonneux, des types de ces juifs polonais qui
+vieillissent si mal! Et, M. Georges Clémenceau, lui-même dessiné, a une
+ronde tête de notaire finaud et un peu maquignon. Aujourd'hui,
+c'est-à-dire vingt ans plus tard, nous le voyons avec une parfaite tête
+de Chinois.
+
+[Illustration: PROJET D'AFFICHE POUR LE «DIVAN JAPONAIS»
+
+PHOTO DRUET]
+
+Lautrec dessina aussi maintes couvertures de livres. Voici les plus
+connus de ces livres: _L'étoile rouge_, par Paul Leclerq; _L'exemple de
+Ninon de Lenclos, amoureuse_, par Jean de Tinan; _Les courtes joies_,
+poésies de Julien Sermet; _La Tribu d'Isidore_, roman de moeurs juives,
+par Victor Joze; _Le fardeau de la Liberté_, par Tristan-Bernard; _Le
+chariot de terre-cuite_, par Victor Barrucand; _Les jouets de Paris_,
+par Paul Leclerq; _Babylone d'Allemagne_, roman de moeurs berlinoises,
+par Victor Joze, etc., etc.
+
+Ces couvertures sont toutes légèrement traitées, à peine effleurées
+souvent; et certaines de ces lithographies rappellent encore, par leur
+sobriété, les délicates lithographies que crayonna Whistler. Mais, bien
+entendu, nous ne visons une fois de plus que la finesse du trait, que le
+peu de surcharge de l'arabesque.
+
+Notons ici que ces rares lithographies ont fait un heureux sort aux
+livres qu'elles illustrent. Le texte importe peu, quand on a le plaisir
+d'avoir un si personnel dessin sur la couverture; et l'on trouve, du
+reste, toutes les bonnes raisons de ne pas lire le livre, pour ne pas
+salir, pour ne pas défraîchir le beau dessin qui le garde.
+
+Éditeurs, croyez-nous, ayez toujours de beaux dessins sur les
+couvertures de vos livres!
+
+
+
+
+D'ENSEMBLE
+
+
+Au bout de cet examen si superficiel et si incomplet de l'oeuvre de
+Lautrec, pouvons-nous nous demander quelle place est la sienne dans
+l'enchaînement de l'art moderne?
+
+Assurément, si l'on veut considérer Lautrec seulement comme un autre
+dessinateur de moeurs de la vie moderne, un nouveau Constantin Guys, par
+exemple, avec infiniment plus de ressources, toutefois, sa place est
+très enviable. Car il a possédé--et sa vie très brève n'est nullement
+comparable à celle si longue et si robuste du dessinateur du Second
+Empire!--il a possédé un dessin plus souple, plus divers, plus
+affirmatif que celui de Constantin Guys; ce qui lui a permis d'entrer,
+avec une plus indéniable maîtrise, dans tous les mondes. A l'opposé,
+Guys a dessiné presque sans répit de la même façon; c'est un dessin bien
+à lui, également, original et pittoresque, mais qui se recommence dans
+l'expression des voitures, des chevaux, des filles ou des soldats.
+Dessinateur avéré d'une époque, Guys vivra longtemps dans les
+collections, c'est-à-dire dans ces sortes de nécropoles, que l'on
+appelle petits et grands musées.
+
+Mais si l'on peut ajouter que Guys _date_, expressément, il faut
+remarquer que la situation est pour l'instant la même pour Lautrec. Ce
+clairvoyant dessinateur a su dégager du transitoire assez de belle
+éternité pour vivre; mais, lui aussi, en ce moment, il apparaît comme le
+plus éloquent interprète d'une époque historique, qui se fixe, celle-là,
+de l'année 1885 à l'année 1900. Et, par là, nous ne cherchons nullement
+à diminuer Lautrec, mais seulement à le considérer tel qu'il est,
+c'est-à-dire tel qu'un merveilleux truchement de moeurs pendant une
+période de quinze années. La Goulue, le Moulin-Rouge, les cabarets de
+Montmartre, Bruant et Palmyre, les acteurs et les actrices en vogue à ce
+moment-là, tout cela, pour nous, qui vivons en cette année 1921, classe
+Lautrec, le barricade, le retient captif dans cette époque visée. Un
+Georges Rouault, au contraire, qui a fixé la fille dans le temps
+illimité et imprécis, se présente à nous comme un peintre d'accent plus
+actuel.
+
+Mais, dans cent ans, tous ceux qui connurent, vers la vingtième année,
+ce bal du Moulin-Rouge, étant disparus, Lautrec reprendra toute sa place
+dans la suite des âges; et il ne datera plus, au sens péjoratif du
+terme. Faisons donc à sa mémoire ce léger crédit. D'ailleurs, il
+conviendrait peut-être mieux de se demander ce que Lautrec, dans sa
+curiosité sans cesse en éveil, eût pu faire demain, même en ne vivant
+que jusqu'à la soixantième année, âge raisonnable que tant d'imbéciles
+et d'impuissants atteignent sans honte; âge même que dépassent, toujours
+malfaisants, fatigants et inutiles, les Cormon et les Flameng!...
+
+En effet, où Lautrec nous eût-ils conduits avec sa curiosité, son tenace
+amour du travail, sa fécondité sans cesse renouvelée?... Je sais bien,
+parbleu, et il faut toujours y revenir, que, dans l'espace de sept
+années, cette incroyable courte durée! Van Gogh nous a encore davantage
+étonnés, encore davantage stupéfiés; mais, voilà, n'est-ce pas, un
+incompréhensible phénomène, un inexplicable miracle de la Peinture? Avec
+Lautrec, nous avions, à la base, plus de sagesse, plus de mesure, plus
+d'ordre. L'oeuvre aurait suivi une route plus régulière. Le peintre
+lui-même, à en juger par son dernier tableau: _Un examen à la Faculté de
+Médecine_, fût certainement devenu plus libre; il aurait enveloppé, dans
+une manière plus grasse, les visages; il aurait davantage dessiné dans
+la pâte, et non par les contours; il aurait, peu à peu, sans doute,
+préféré les taches épaisses de couleurs aux hachures restées
+obstinément, chez lui, des tailles de peintre-lithographe; il aurait,
+peut-être, quitté son monde habituel, les Filles, ses goûts de ribote et
+de maison close, pour aller vers un autre ou vers d'autres milieux; et,
+qui sait? il aurait, alors, composé des tableaux d'ordre plus général,
+et de plus certaine pénétration dans le temps!
+
+Mais, aussi bien, pourquoi ratiociner sur tout cela? Qu'importe le
+futur? Plus sagement, prenons Lautrec tel qu'il est; et considérons-le
+ainsi qu'un peintre doué d'une observation aiguë et penché sur un coin
+d'humanité, sur un milieu parisien qui fut pour lui certainement tout le
+bout du monde; et rappelons-nous par delà le temps que toute sa
+noblesse, toute son intelligence et tous ses dons, rappelons-nous que
+tout cela fut dépensé sans compter pour Montmartre et ses filles, pour
+le Théâtre et le Café-Concert, où d'autres filles évoluent en pleins
+rabâchages de sottises! Mort à 37 ans, Lautrec laisse de tout cela une
+oeuvre magnifique. Un peintre de moeurs, bien! mais s'il est moins haut
+que les plus hauts peintres, il n'y en a pas un plus imprévu et plus
+original!...
+
+
+
+
+APPENDICE
+
+ESSAI DE CATALOGUE
+
+
+Voici un essai de catalogue d'oeuvres authentiques, la plupart non
+datées, de Lautrec.
+
+Nous avons mentionné, année par année, quelques-uns de ses tableaux et
+dessins; en citant également, sans date, le plus grand nombre de ses
+autres notoires tableaux. Pour les lithographies, le catalogue a été
+établi par M. Loys Delteil, dans les tomes X et XI du Peintre-graveur
+illustré.
+
+
+I
+
+PEINTURES, AQUARELLES ET DATES DE QUELQUES EXPOSITIONS
+
+ 1881.--_Faucon_.
+
+ _Tête de cheval_.
+
+ _La promenade_.
+
+
+ 1882.--_Cheval de trait_.
+
+ _Buveur_.
+
+ _Moines_.
+
+
+ 1884.--_Crieur_.
+
+ _Scène de théâtre_.
+
+
+ 1885.--_Marcelle_.
+
+ _Bal masqué_.
+
+
+ 1886.--_Deux portraits du peintre Gauzi_.
+
+ _Portrait de Vincent Van Gogh_.
+
+ _Une loge_.
+
+
+ 1887.--_Portrait de M. Samary, de la Comédie-Française_.
+
+
+ 1888.--_La rousse au caraco blanc_.
+
+
+ 1889.--Exposa au Salon des Indépendants les peintures suivantes:
+
+
+ _Bal du Moulin de la Galette_.
+
+ _Portrait de M. Fourcade_.
+
+ _Etude de femme_.
+
+ _L'Anglaise, au Star du Havre_.
+
+
+ 1890.--_Portrait (Madrid-Neuilly)_.
+
+ _Femme fumant une cigarette_.
+
+
+ Exposa au Salon des Indépendants:
+
+
+ _Dressage des Nouvelles, par Valentin le désossé_.
+
+ _Portrait de Mlle Dihau, au piano_.
+
+
+ 1891.--_Une opération par le Docteur Péan_.
+
+ _Gabrielle la danseuse_.
+
+ _Fille à la fourrure_.
+
+ _La tresse_.
+
+ _Vieil homme en blouse sur un banc_.
+
+ _La femme au chien_.
+
+
+ Exposa au Salon des Indépendants:
+
+
+ _A la mie_.
+
+ _Portrait du jovial M. Dihau_.
+
+ _En meublé_.
+
+ _Portrait de M. G. B_.
+
+ _Etude_.
+
+ _Portrait du Docteur Bourges_.
+
+ _Portrait de M. Louis Pascal_.
+
+ _Truc for live_.
+
+
+ 1892.--_Les Valseuses_.
+
+
+ Exposa au Salon des Indépendants:
+
+
+ _La Goulue et sa soeur_.
+
+ _La Goulue entre deux tours de valse_.
+
+ _La Goulue entrant au Moulin-Rouge_.
+
+ _Celle qui se peigne_.
+
+ _Femme Brune, numéros 1 et 2_.
+
+ _Affiche pour le Moulin-Rouge (2e état)_._
+
+[Illustration: CLOWNESSE
+
+PHOTO DRUET]
+
+ 1893.--_Jane Avril (esquisse pour l'affiche)._
+
+
+ Exposa au Salon des Indépendants:
+
+
+ _Un coin du Moulin de la Galette_.
+
+ _Menu du dîner des Indépendants_.
+
+ _Portrait de M. Georges-Henry Manuel_.
+
+ _Portrait de M. Boileau_.
+
+
+ 1894.--Exposa au Salon des Indépendants:
+
+ _Alfred la Guigne_.
+
+ _Du 5 au 12 mai, galeries Durand-Ruel, exposition de lithographies
+ récentes_.
+
+
+ 1895.--_Décoration pour la baraque foraine de la Goulue._
+
+ _May Belfort avec son chat_.
+
+ _Femme en clownesse_.
+
+ _Femmes au repos_.
+
+ _Valentin et la Goulue, au Moulin-Rouge_.
+
+
+ Exposa au Salon des Indépendants:
+
+
+ _Couverture pour l'album de l'Estampe originale_.
+
+ _Matin_.
+
+ _Invitation et menu_.
+
+ _Comme il vous plaira_.
+
+
+ 1896.--_La clownesse_.
+
+ _Portrait de M. Maxime Dethomas_.
+
+
+ 1897.--_Femme nue accroupie_.
+
+ _Portrait de M. Henry Nocq_.
+
+ _Jeu de femme_.
+
+ _Rousse nue devant sa glace_.
+
+
+ Exposa au Salon des Indépendants:
+
+
+ _Blanche et noire_.
+
+ _Femme couchée_.
+
+ _Elles_. }
+
+ _Elles_. } (Lithographies)
+
+ _Elles_. }
+
+ (Ces trois lithographies font partie d'une série de dix
+ planches).
+
+ _La cage_.
+
+ _Arton en correctionnelle_.
+
+
+ 1898.--_Barmaid (Londres)_.
+
+ _La leçon de chant (Portraits de Mlle Dihau et de
+ Mlle Jeanne F.)_.
+
+ _A table, chez Mme Thadée Natanson_.
+
+ _Tête d'Anglaise_.
+
+
+ 14, Avenue Frochot, Lautrec présenta des tableaux réservés
+ pour une exposition à Londres.
+
+
+ 1899.--_Tête de femme (Mlle Nys)_.
+
+ _Aux Courses_.
+
+ _Eventail_.
+
+ _Chanteuse anglaise, au Star du Havre_.
+
+ _Etude pour la lithographie: «Di-ti-fellow.»_
+
+ _En cabinet particulier_.
+
+
+ 1900.--_Messaline, au théâtre de Bordeaux_.
+
+ _La toilette_.
+
+ _Portrait de Mme Marthe X..._
+
+ _Enfant avec la chienne Paméla_.
+
+ _Mme Margouin, modiste_.
+
+
+ 1901.--_Portrait de M. Maurice Joyant_.
+
+ _Portrait de M. Octave Raquin_.
+
+ _Portrait de l'«amiral» Viaud_.
+
+ _Un examen à la Faculté de médecine_.
+
+ *
+ * *
+
+Voici, maintenant, quelques notoires tableaux peints par Lautrec, sans
+dates:
+
+ _Portrait de Mme la Comtesse Alphonse de Toulouse-Lautrec_.
+
+ _Portrait de M. Emile Davoust, à la barre de son bateau
+ (Bassin d'Arcachon_).
+
+ _Portrait de M. Delaporte_.
+
+ _Portrait de M. Paul Leclercq_.
+
+ _Portrait de M. André Rivoire_.
+
+ _Femme rousse dans un jardin_.
+
+ _Danseuse_.
+
+ _Une table au Moulin-Rouge_.
+
+ _Le quadrille au Moulin-Rouge_.
+
+ _L'écuyère au cirque Fernando_.
+
+ _Jane Avril sortant du Moulin-Rouge_.
+
+ _Portrait de Mme Pascal, au piano_.
+
+ _Portrait de M. Tristan-Bernard_.
+
+ _Au Moulin de la Galette_.
+
+ _Jane Avril dansant_.
+
+ _Départ de quadrille_.
+
+ _Portrait de M. de Lauradour_.
+
+ _Portrait de Mme Korsikoff_.
+
+ _Portrait de M. Louis Bouglé_.
+
+ _May Milton_.
+
+ _Mlle Marcelle Lender dansant le pas du «boléro» (Chilpéric,
+ au théâtre des Variétés)_.
+
+ _Femme au boa noir_.
+
+ _La blanchisseuse_.
+
+ _Etude de femme en peignoir_.
+
+ _Femme à l'ombrelle_.
+
+ _Danseuse au maillot rose_.
+
+ _Portrait de Mme E. Tapié de Celeyran, au Bosc_.
+
+ _Portrait de M. Gabriel Tapié de Celeyran_.
+
+ _Le lit_.
+
+ _Portrait de M. Romain Coolus_.
+
+ _Scène de ballet_.
+
+ _Pierreuse_.
+
+ _Les deux amies_.
+
+ _Tommy_.
+
+ _Soldat anglais fumant sa pipe_.
+
+ _Rue des Moulins, l'escalier_.
+
+ _Femme au chignon roux_.
+
+ _Bull-dog_.
+
+ _Follette_.
+
+ _Clown au cirque Médrano_.
+
+ _Au lit_.
+
+ _La Goulue, vue de profil_.
+
+ _Au Nouveau Cirque: le ballet de Lotus_.
+
+ _A Armenonville_.
+
+ _Scène de bal masqué_.
+
+ _Le réfectoire_.
+
+ _Miss Bedson_.
+
+ _Le violoniste_.
+
+ _La lettre_.
+
+ _L'assommoir_.
+
+ _Femme à l'ombrelle_.
+
+ _Couple de danseurs_.
+
+ _La toilette_.
+
+ _Femme en clownesse_.
+
+ _Au café (Portrait de Mme Suzanne V.)_.
+
+ _La promenade (La Goulue au Moulin-Rouge)_.
+
+ _Au Moulin de la Galette_.
+
+ _Le couple_.
+
+ _Femmes au repos_.
+
+ _Etc., etc._
+
+
+II
+
+QUELQUES LITHOGRAPHIES ET QUELQUES DESSINS
+(_en noir et en couleurs_).
+
+ 1882.--_Paysanne (fusain)_.
+
+ _Homme assis_ (_dº_).
+
+
+ 1884.--_Femme assise_ (_dº_).
+
+
+ 1885.--_A Saint-Lazare (dessin lithographié)_.
+
+
+ {1886.--_Dessins au_ Courrier français _et_
+ {
+ {1887.--_au_ Mirliton.
+
+
+ 1892.--_La Goulue et sa soeur (première oeuvre proprement dite dans l'_
+ Estampe. _Lithographie en couleurs_).
+
+ _L'Anglais au Moulin-Rouge_.
+
+[Illustration: FILLE
+
+PHOTO DRUET]
+
+
+ 1893.--_Dessins au_ Figaro illustré.
+
+ _Le Café-Concert (Lithographies de Lautrec et de H.-G. Ibels)_.
+
+ _La modiste Renée Vert_.
+
+ _Le coiffeur_.
+
+ _Un Monsieur et une dame_.
+
+ _La loge au mascaron doré_.
+
+ _Couverture de l'_Estampe originale.
+
+ _Ducarre, le patron des Ambassadeurs_.
+
+ _Etc., etc_.
+
+
+ 1894.--_Dessins à la_ Revue Blanche.
+
+ _Programmes de théâtre_.
+
+ _Réjane et Galipaux_.
+
+ _Bartet et Mounet-Sully_.
+
+ _Leloir et Moreno_.
+
+ _Judic_.
+
+ _Marcelle Lender_.
+
+ _Ida Heath au bar_.
+
+ _Brandès et Le Bargy_.
+
+ _Une redoute au Moulin-Rouge_.
+
+ _La Goulue_.
+
+ _Adolphe ou le jeune homme triste_.
+
+ _Eros vanné_.
+
+ _Babylone d'Allemagne_.
+
+ _Yvette Guilbert (album Marty)_.
+
+ _Etc._
+
+
+ 1895.--_Un nib_ (Revue Blanche).
+
+ _Dessins au_ Rire.
+
+ _Foottit et Chocolat_.
+
+ _Anna Held_.
+
+ _Dessins au_ Figaro illustré.
+
+ _Marcelle Lender_.
+
+ _Yahne_.
+
+ _May Belfort_.
+
+ _Zimmerman et le petit Michaël_.
+
+ _Portraits d'acteurs et d'actrices_.
+
+ _Oscar Wilde (dessin)_.
+
+ _Etc._
+
+
+ 1896.--_Dessins au_ Rire.
+
+ _Ida Heath_.
+
+ _Lender et Lavallière_.
+
+ _Souper à Londres_.
+
+ _Anna Held et Baldy_.
+
+ _L'entraîneur_.
+
+ _Au bar Achille_.
+
+ _Mary Hamilton_.
+
+ _Elles (dix lithographies en couleurs)_.
+
+ _Procès Arton_.
+
+ _Procès Lebaudy_.
+
+ _La loge (Faust)_.
+
+ _Oscar Wilde et Romain Coolus_.
+
+ _L'automobiliste_.
+
+ _Etc._
+
+
+ 1897.--_Dessins au_ Rire.
+
+ _La grande loge._
+
+ _La clownesse au Moulin-Rouge_.
+
+ _Clara Ward et Rigo_.
+
+ _La danse au Moulin-Rouge_.
+
+ _A la Souris (Mme Palmyre)_.
+
+ _Attelage en tandem_.
+
+ _Etc._
+
+
+ 1898.--_Le vieux cheval_.
+
+ _Chez la gantière_.
+
+ _Au lit_.
+
+ _Polaire_.
+
+ _Au pied du Sinaï_.
+
+ _Yvette Guilbert (2e album, publié à Londres)_.
+
+ _Jane Hading_.
+
+ _Au Hanneton_.
+
+ _Guy et Méaly_.
+
+ _Sept pointes sèches (Portraits d'amis. Editées par Manzi)_.
+
+ _Etc._
+
+
+ 1899.--_Jeanne Granier_.
+
+ _Réjane_.
+
+ _Le jockey_.
+
+ _Le paddock_.
+
+ _L'entraîneur et son jockey_.
+
+ _Jockey se rendant au poteau_.
+
+ _Amazone et tonneau_.
+
+ _L'amazone et le chien_.
+
+ _Le cheval et le chien à la pipe_.
+
+ _Tilbury_.
+
+ _Promenoir_.
+
+ _Le Cirque (dessins rehaussés de couleurs, édités par Manzi,
+ en un album)_.
+
+ _Etc._
+
+
+ 1900.--_Programme de l'Assommoir (dessin)_.
+
+ _Au café de Bordeaux, Antoine, un amer! (dessin)_.
+
+ _Sur les quais de Bordeaux (dessin)_.
+
+ _Dans le monde!_
+
+ _Invitation à une tasse de lait_.
+
+ _Etc._
+
+
+ 1901.--_Zamboula-polka_.
+
+ _Le marchand de marrons_.
+
+ _Couple au Café-Concert_.
+
+ _Etc._
+
+ *
+ * *
+
+Voici quelques dessins et aquarelles
+sans date:
+
+ _Au bal des Quat'z-Arts (Portrait de M. Maxime Dethomas,
+ aquarelle)_.
+
+ _Cortège indien (aquarelle)_.
+
+ _La clownesse et les cinq plastrons (aquarelle)_.
+
+ _Aristide Bruant_ (_dº_).
+
+ _May Belfort_ (_dº_).
+
+ _Au café_ (_dº_).
+
+ _Etc._
+
+
+ Des dessins:
+
+
+ _Arrivée aux Courses_.
+
+ _Le motosphère_.
+
+ _Dans les coulisses_.
+
+ _Elsa, la Viennoise_.
+
+ _Une habituée de la Souris_.
+
+ _Au palais de glace_.
+
+ _Scène de cirque_.
+
+ _Portrait de Berthe Bady_.
+
+ _Les frères Marco (clowns)_.
+
+ _Etc._
+
+
+III
+
+AFFICHES
+
+ 1892.--_La Goulue au Moulin-Rouge_.
+
+ _Le Divan japonais_.
+
+ _Reine de joie (roman par Victor Joze)_.
+
+ _Aristide Bruant, aux Ambassadeurs_.
+
+
+ 1893.--_Jane Avril, au Jardin de Paris_.
+
+ _Caudieux_.
+
+ _Au pied de l'échafaud (mémoires de l'abbé Favre)_.
+
+ _Aristide Bruant dans son cabaret_.
+
+
+ 1894.--_Bruant au_ Mirliton.
+
+ _L'artisan moderne_.
+
+ _Babylone d'Allemagne (roman par Victor Joze)_.
+
+ _Confetti_.
+
+ _Le photographe Sescau_.
+
+
+ 1895.--_May Belfort_.
+
+ _La_ Revue Blanche (_1, rue Laffitte_).
+
+ _May Milton_.
+
+ _Napoléon (concours d'affiches)_.
+
+
+ 1896.--_Cycle Michaël_.
+
+ _La chaîne Simpson_.
+
+ _La troupe de Mlle Eglantine_.
+
+ _Irish and American bar, rue Royale_.
+
+ _L'Aube (revue illustrée_).
+
+ _La Vache enragée (journal mensuel illustré.
+ Fondateur: A. Willette)_.
+
+
+ 1899.--_Jane Avril_.
+
+
+ 1900.--_La_ Gitane (_drame, de Jean Richepin. Théâtre Antoine_).
+
+[Illustration: JANE AVRIL
+
+PHOTO DRUET]
+
+
+ICONOGRAPHIE
+
+Portrait de Lautrec, par Anquetin.
+
+(Collection de Mme la Comtesse de Toulouse-Lautrec).
+
+
+Portrait de Lautrec, par Javal, de Birmingham (Angleterre).
+
+Tête seule, nue, entièrement de face, pince-nez, grosses lèvres.
+(Peinture reproduite au frontispice du catalogue de l'exposition
+rétrospective de l'oeuvre de Lautrec. Galerie Manzi, 1914).
+
+
+Portrait de Lautrec, par Léandre.
+
+(Dessin portrait-charge, reproduit dans _Henri de Toulouse-Lautrec_,
+publié en 1913, par Gustave Coquiot, chez Blaizot).
+
+
+Portrait de Lautrec, par Charles Maurin.
+
+(Eau-forte reproduite au frontispice de ce présent livre).
+
+
+Portrait de Lautrec, par Henri Rachou.
+
+(Peinture. Année 1883. Collection de Mme la Comtesse Alphonse de
+Toulouse-Lautrec).
+
+
+Portrait-charge de Lautrec, par lui-même.
+
+(Dessin au crayon, reproduit au frontispice du livre consacré à Lautrec
+par M. Théodore Duret).
+
+
+Portrait de Lautrec, par Maxime Dethomas.
+
+(Fusain reproduit dans: _Henri de Toulouse-Lautrec_, par Gustave
+Coquiot, Blaizot, éditeur).
+
+
+Portrait de Lautrec, par Maxime Dethomas.
+
+(Fusain. La tête seule, coiffée d'une casquette de la marine marchande.
+Collection Gustave Coquiot).
+
+
+Portrait de Lautrec, par Adolphe Albert.
+
+(Décembre 1897. Crayon. Lautrec, coiffé d'un chapeau de paille, tête
+baissée, est assis, en train de dessiner sur la pierre lithographique).
+
+
+QUELQUES HOMMAGES POSTHUMES
+
+«Henri de Toulouse-Lautrec», par André Rivoire. _Revue de l'Art ancien
+et moderne_. Paris. Décembre 1901, avril 1902.
+
+
+Numéro spécial du _Figaro illustré_, consacré à Lautrec. Avril 1902.
+
+
+Du 14 au 31 mai 1902, exposition d'oeuvres de Lautrec, galeries
+Durand-Ruel (Tableaux, aquarelles, dessins, lithographies. 201 numéros).
+
+
+Du 12 au 24 octobre 1908. Exposition de tableaux peints par Lautrec.
+Galeries Bernheim-jeune.
+
+
+Du 15 juin au 11 juillet 1914. Galeries Manzi. Exposition rétrospective
+de l'oeuvre de Lautrec. (Tableaux et dessins. 201 numéros).
+
+
+«Henri de Toulouse-Lautrec», par Geffroy. _Gazette des Beaux-Arts._
+Paris. Août 1914.
+
+
+«Autour de Toulouse-Lautrec», par Paul Leclercq. _La Grande Revue._
+Paris. Novembre, 1919.
+
+
+_Le peintre-graveur illustré._ Tomes X et XI, consacrés à Henri de
+Toulouse-Lautrec. Loys Delteil. Paris, 1920.
+
+
+BIBLIOGRAPHIE
+
+_Henri de Toulouse-Lautrec_, par Hermann Esswein und Alfred Walter
+Heymel. R. Piper et Cº Munchen, 1912.
+
+
+_Henri de Toulouse-Lautrec_, par Gustave Coquiot. Auguste Blaizot,
+éditeur, Paris, 1913.
+
+
+_Lautrec_, par Théodore Duret. Bernheim-jeune, éditeurs. Paris, 1920.
+
+
+
+
+TABLE DES CHAPITRES
+
+
+ Pages
+
+ _DES SOUVENIRS SUR LA VIE_
+
+ I.--LE MILIEU 3
+
+ PARIS ET RENÉ PRINCETEAU 16
+
+ CORMON OU LA VIE 21
+
+ MONTMARTRE 29
+
+
+ II.--QUELQUES SPORTS 41
+
+ BARS ET MAISONS CLOSES 49
+
+
+ III.--VOYAGES 61
+
+ LA MER 66
+
+
+ IV.--SES LOGIS 75
+
+ SAINT-JAMES 80
+
+ 1900 83
+
+ MALROMÉ 86
+
+
+ _DES COMMENTAIRES SUR L'OEUVRE_
+
+ I.--PEINTURES, PREMIÈRES OEUVRES 91
+
+ LE MOULIN ROUGE 94
+
+ FILLES 111
+
+ II.--PORTRAITS 121
+
+ LE JARDIN DU PÈRE FOREST 128
+
+ III.--LE CIRQUE 135
+
+ AU THÉÂTRE 141
+
+ CAFÉ-CONCERT 147
+
+ LES COURSES 156
+
+ DE TOUT 161
+
+ IV.--LITHOGRAPHIES ET POINTES-SÈCHES 169
+
+ DESSINS 180
+
+ AFFICHES 187
+
+ ILLUSTRATIONS DE LIVRES 191
+
+
+ _D'ENSEMBLE_ 197
+
+
+ _APPENDICE_
+
+ ESSAI DE CATALOGUE 205
+
+ ICONOGRAPHIE 225
+
+ QUELQUES HOMMAGES POSTHUMES 227
+
+ BIBLIOGRAPHIE 228
+
+
+
+
+TABLE DES GRAVURES
+
+
+ Pages
+
+ _Portrait de Lautrec_ 1
+
+ _Fille à la fourrure_ 9
+
+ _Portrait_ 17
+
+ _Bal masqué_ 25
+
+ _La Promenade au Moulin-Rouge_ 33
+
+ _Fille_ 49
+
+ _Fille au caraco_ 57
+
+ _Portrait de Mme Suzanne V_ 65
+
+ _Au Moulin-Rouge_ 81
+
+ _Les Valseuses_ 97
+
+ _La Goulue_ 105
+
+ _Fille_ 113
+
+ _Portrait de M. Delaporte_ 121
+
+ _Dans le jardin du père Forest_ 129
+
+ _Jane Avril_ 137
+
+ _Alfred la Guigne_ 145
+
+ _May Belfort_ 153
+
+ _Jockeys_ 161
+
+ _Clownesse au bal_ 177
+
+ _Couverture pour un monologue_ 185
+
+ _Projet d'affiche pour le «Divan japonais»_ 193
+
+ _Clownesse_ 209
+
+ _Fille_ 217
+
+ _Jane Avril_ 225
+
+
+Saint-Denis.--Imp. J. Dardaillon.
+
+
+ * * * * *
+
+
+ Liste des modifications:
+
+ page 70: accomgner remplacé par accompagner
+ page 123: condammé par condamné
+ page 157: Dautres par D'autres (D'autres fois)
+ page 181: à par a (il n'y a que ces croquis-là)
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of Lautrec, by Gustave Coquiot
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LAUTREC ***
+
+***** This file should be named 34422-8.txt or 34422-8.zip *****
+This and all associated files of various formats will be found in:
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+Produced by Laurent Vogel, Claudine Corbasson, and the
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+(This file was produced from images generously made
+available by the Bibliothèque nationale de France
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+from images generously made available by The Internet
+Archive
+
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+Updated editions will replace the previous one--the old editions
+will be renamed.
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+Creating the works from public domain print editions means that no
+one owns a United States copyright in these works, so the Foundation
+(and you!) can copy and distribute it in the United States without
+permission and without paying copyright royalties. Special rules,
+set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to
+copying and distributing Project Gutenberg-tm electronic works to
+protect the PROJECT GUTENBERG-tm concept and trademark. Project
+Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you
+charge for the eBooks, unless you receive specific permission. If you
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+such as creation of derivative works, reports, performances and
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+redistribution.
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+1.B. "Project Gutenberg" is a registered trademark. It may only be
+used on or associated in any way with an electronic work by people who
+agree to be bound by the terms of this agreement. There are a few
+things that you can do with most Project Gutenberg-tm electronic works
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+Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this agreement
+and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic
+works. See paragraph 1.E below.
+
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+or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project
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+collection are in the public domain in the United States. If an
+individual work is in the public domain in the United States and you are
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+
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+electronic work, or any part of this electronic work, without
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+active links or immediate access to the full terms of the Project
+Gutenberg-tm License.
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+you must, at no additional cost, fee or expense to the user, provide a
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+License as specified in paragraph 1.E.1.
+
+1.E.7. Do not charge a fee for access to, viewing, displaying,
+performing, copying or distributing any Project Gutenberg-tm works
+unless you comply with paragraph 1.E.8 or 1.E.9.
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+1.E.8. You may charge a reasonable fee for copies of or providing
+access to or distributing Project Gutenberg-tm electronic works provided
+that
+
+- You pay a royalty fee of 20% of the gross profits you derive from
+ the use of Project Gutenberg-tm works calculated using the method
+ you already use to calculate your applicable taxes. The fee is
+ owed to the owner of the Project Gutenberg-tm trademark, but he
+ has agreed to donate royalties under this paragraph to the
+ Project Gutenberg Literary Archive Foundation. Royalty payments
+ must be paid within 60 days following each date on which you
+ prepare (or are legally required to prepare) your periodic tax
+ returns. Royalty payments should be clearly marked as such and
+ sent to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation at the
+ address specified in Section 4, "Information about donations to
+ the Project Gutenberg Literary Archive Foundation."
+
+- You provide a full refund of any money paid by a user who notifies
+ you in writing (or by e-mail) within 30 days of receipt that s/he
+ does not agree to the terms of the full Project Gutenberg-tm
+ License. You must require such a user to return or
+ destroy all copies of the works possessed in a physical medium
+ and discontinue all use of and all access to other copies of
+ Project Gutenberg-tm works.
+
+- You provide, in accordance with paragraph 1.F.3, a full refund of any
+ money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the
+ electronic work is discovered and reported to you within 90 days
+ of receipt of the work.
+
+- You comply with all other terms of this agreement for free
+ distribution of Project Gutenberg-tm works.
+
+1.E.9. If you wish to charge a fee or distribute a Project Gutenberg-tm
+electronic work or group of works on different terms than are set
+forth in this agreement, you must obtain permission in writing from
+both the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and Michael
+Hart, the owner of the Project Gutenberg-tm trademark. Contact the
+Foundation as set forth in Section 3 below.
+
+1.F.
+
+1.F.1. Project Gutenberg volunteers and employees expend considerable
+effort to identify, do copyright research on, transcribe and proofread
+public domain works in creating the Project Gutenberg-tm
+collection. Despite these efforts, Project Gutenberg-tm electronic
+works, and the medium on which they may be stored, may contain
+"Defects," such as, but not limited to, incomplete, inaccurate or
+corrupt data, transcription errors, a copyright or other intellectual
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+of Replacement or Refund" described in paragraph 1.F.3, the Project
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+Gutenberg-tm trademark, and any other party distributing a Project
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+LIABILITY, BREACH OF WARRANTY OR BREACH OF CONTRACT EXCEPT THOSE
+PROVIDED IN PARAGRAPH 1.F.3. YOU AGREE THAT THE FOUNDATION, THE
+TRADEMARK OWNER, AND ANY DISTRIBUTOR UNDER THIS AGREEMENT WILL NOT BE
+LIABLE TO YOU FOR ACTUAL, DIRECT, INDIRECT, CONSEQUENTIAL, PUNITIVE OR
+INCIDENTAL DAMAGES EVEN IF YOU GIVE NOTICE OF THE POSSIBILITY OF SUCH
+DAMAGE.
+
+1.F.3. LIMITED RIGHT OF REPLACEMENT OR REFUND - If you discover a
+defect in this electronic work within 90 days of receiving it, you can
+receive a refund of the money (if any) you paid for it by sending a
+written explanation to the person you received the work from. If you
+received the work on a physical medium, you must return the medium with
+your written explanation. The person or entity that provided you with
+the defective work may elect to provide a replacement copy in lieu of a
+refund. If you received the work electronically, the person or entity
+providing it to you may choose to give you a second opportunity to
+receive the work electronically in lieu of a refund. If the second copy
+is also defective, you may demand a refund in writing without further
+opportunities to fix the problem.
+
+1.F.4. Except for the limited right of replacement or refund set forth
+in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS' WITH NO OTHER
+WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT LIMITED TO
+WARRANTIES OF MERCHANTIBILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE.
+
+1.F.5. Some states do not allow disclaimers of certain implied
+warranties or the exclusion or limitation of certain types of damages.
+If any disclaimer or limitation set forth in this agreement violates the
+law of the state applicable to this agreement, the agreement shall be
+interpreted to make the maximum disclaimer or limitation permitted by
+the applicable state law. The invalidity or unenforceability of any
+provision of this agreement shall not void the remaining provisions.
+
+1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the
+trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone
+providing copies of Project Gutenberg-tm electronic works in accordance
+with this agreement, and any volunteers associated with the production,
+promotion and distribution of Project Gutenberg-tm electronic works,
+harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees,
+that arise directly or indirectly from any of the following which you do
+or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm
+work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any
+Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause.
+
+
+Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm
+
+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
+electronic works in formats readable by the widest variety of computers
+including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
+because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
+people in all walks of life.
+
+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need, are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at http://www.pglaf.org.
+
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
+http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
+permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
+
+The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
+Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
+throughout numerous locations. Its business office is located at
+809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
+business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
+information can be found at the Foundation's web site and official
+page at http://pglaf.org
+
+For additional contact information:
+ Dr. Gregory B. Newby
+ Chief Executive and Director
+ gbnewby@pglaf.org
+
+
+Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation
+
+Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
+spread public support and donations to carry out its mission of
+increasing the number of public domain and licensed works that can be
+freely distributed in machine readable form accessible by the widest
+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
+
+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
+with these requirements. We do not solicit donations in locations
+where we have not received written confirmation of compliance. To
+SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
+particular state visit http://pglaf.org
+
+While we cannot and do not solicit contributions from states where we
+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
+against accepting unsolicited donations from donors in such states who
+approach us with offers to donate.
+
+International donations are gratefully accepted, but we cannot make
+any statements concerning tax treatment of donations received from
+outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
+
+Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including checks, online payments and credit card donations.
+To donate, please visit: http://pglaf.org/donate
+
+
+Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
+works.
+
+Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
+
+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
+keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
+
+
+Most people start at our Web site which has the main PG search facility:
+
+ http://www.gutenberg.org
+
+This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
+including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
+subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
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+
+<pre>
+
+The Project Gutenberg EBook of Lautrec, by Gustave Coquiot
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
+
+
+Title: Lautrec
+
+Author: Gustave Coquiot
+
+Release Date: November 23, 2010 [EBook #34422]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: ISO-8859-1
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LAUTREC ***
+
+
+
+
+Produced by Laurent Vogel, Claudine Corbasson, and the
+Online Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net
+(This file was produced from images generously made
+available by the Bibliothèque nationale de France
+(BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr), Illustrations
+from images generously made available by The Internet
+Archive
+
+
+
+
+
+
+</pre>
+
+
+<hr class="full" />
+
+<h1>LAUTREC</h1>
+
+<p class="left"><a href="#note">Au lecteur</a></p>
+
+<div class="block1">
+
+<p class="center">DU MÊME AUTEUR</p>
+
+<hr class="tiny" />
+
+<ul>
+ <li><span class="smcap">Les Féeries de Paris</span> (<i>Couverture de R. Carabin</i>).</li>
+
+ <li><span class="smcap">Les Soupeuses</span> (<i>Dessins de George Bottini</i>).</li>
+
+ <li><span class="smcap">Le vrai J.-K. Huysmans</span> (<i>Portrait par J.-F. Raffaëlli</i>).</li>
+
+ <li><span class="smcap">Henri de Toulouse-Lautrec</span> (<i>Avec des illustrations</i>).</li>
+
+ <li><span class="smcap">Le vrai Rodin</span> (<i>Avec des illustrations</i>).</li>
+
+ <li><span class="smcap">Paris, voici Paris</span>! (<i>Couverture de Sacchetti</i>).</li>
+
+ <li><span class="smcap">Cubistes, Futuristes, Passéistes</span> (<i>Avec des illustrations</i>).</li>
+
+ <li><span class="smcap">Rodin</span> (<i>Grand album, avec des illustrations</i>).</li>
+
+ <li><span class="smcap">Rodin a l'Hotel Biron et a Meudon</span> (<i>Avec des illustrations</i>).</li>
+
+ <li><span class="smcap">Paul Cézanne</span> (<i>Avec des illustrations</i>).</li>
+
+ <li><span class="smcap">Les Indépendants</span> (<i>Avec des illustrations</i>).</li>
+
+ <li><span class="smcap">Vagabondages.</span></li>
+</ul>
+
+<p class="center">THÉATRE<br />
+(<i>Seul ou en collaboration</i>)</p>
+
+<hr class="tiny" />
+
+<ul>
+ <li><span class="smcap">M. Prieux est dans la salle!</span></li>
+
+ <li><span class="smcap">Deux heures du matin... quartier Marbeuf</span> (<i>Couverture de Géo Dupuis</i>).</li>
+
+ <li><span class="smcap">Hotel de l'Ouest... Chambre 22.</span></li>
+
+ <li><span class="smcap">Une nuit de Grenelle</span> (<i>Couverture de Géo Dupuis</i>).</li>
+
+ <li><span class="smcap">Sainte Roulette</span>.</li>
+</ul>
+
+<p class="center">POUR PARAITRE</p>
+
+<hr class="tiny" />
+
+<ul>
+ <li><span class="smcap">L'Homme de la Nature.</span></li>
+
+ <li><span class="smcap">Les Pantins de Paris</span> (<i>Dessins de Forain</i>).</li>
+
+ <li><span class="smcap">L'ile désenchantée.</span></li>
+
+ <li><span class="smcap">Pierre Bonnard.</span></li>
+</ul>
+
+<p>Tous droits de traduction, de reproduction, réservés pour tous pays, y
+compris la Suède, la Hollande, le Danemark et la Russie.</p>
+
+<p>S'adresser, pour traiter, à la Librairie OLLENDORFF 50, Chaussée d'Antin,
+Paris.</p>
+</div>
+
+<hr class="small" />
+
+<h2>GUSTAVE COQUIOT</h2>
+
+<hr class="tiny" />
+
+<h1>LAUTREC</h1>
+
+<h2><i>OU QUINZE ANS DE<br />
+M&OElig;URS PARISIENNES</i></h2>
+
+<p class="center">1885-1900</p>
+
+<p class="center">Avec 24 reproductions hors-texte des &oelig;uvres<br />
+de LAUTREC<br /><br /></p>
+
+<p class="center"><span class="smcap">TROISIÈME ÉDITION</span></p>
+
+<div class="figcenter" style="width: 350px;"><a name="monogramme" id="monogramme"></a>
+<img src="images/monogramme.jpg" alt="" title="" width="50" height="38" /></div>
+
+<hr class="tiny" />
+
+<p class="center">PARIS</p>
+
+<p class="center"><i>Société d'Éditions Littéraires et Artistiques</i></p>
+
+<p class="center">LIBRAIRIE OLLENDORFF</p>
+
+<p class="center">50, CHAUSSÉE D'ANTIN, 50</p>
+
+<hr class="tiny" />
+
+<p class="center">Copyright by Librairie Ollendorff 1921</p>
+
+<hr class="tiny" />
+
+<p class="center"><i>Il a été tiré à part<br />
+Trente exemplaires sur papier de Hollande<br />
+numérotés à la presse.</i></p>
+
+<hr class="tiny" />
+
+<p class="center"><big>à R. CARABIN</big></p>
+
+<p class="center">SCULPTEUR, MÉDAILLEUR, ORFÈVRE,<br />
+POTIER ET ALCHIMISTE</p>
+
+<hr class="small" />
+
+<h6><a href="#table_des_chapitres">TABLE DES CHAPITRES</a></h6>
+
+<h6><a href="#table_des_gravures">TABLE DES GRAVURES</a></h6>
+
+<hr class="small" />
+
+<div class="figcenter" style="width: 350px;"><a name="page-001" id="page-001"></a>
+<img src="images/page-001.jpg" alt="" title="" width="350" height="535" />
+<p class="caption2">PORTRAIT DE LAUTREC <br />
+(<i>Eau-forte de Charles Maurin</i>).</p></div>
+
+<hr class="small" />
+
+<h2>DES SOUVENIRS SUR LA VIE</h2>
+
+<h2>I</h2>
+
+<h3>Le Milieu</h3>
+
+<h3>Paris et René Princeteau</h3>
+
+<h3>Cormon ou la Vie</h3>
+
+<h3>Montmartre</h3>
+
+<h2><a name="ch1" id="ch1"></a>LE MILIEU</h2><p><span class="pagenum"><a name="Page_3" id="Page_3">3</a></span></p>
+
+<p>Descendant des comtes souverains de Toulouse, qui bataillèrent contre le
+pape Innocent III, contre le roi Louis VIII de France, mieux encore
+contre le rude sanglier Simon de Montfort, le comte Alphonse de
+Toulouse-Lautrec-Monfa, aujourd'hui trépassé, chassait à courre, à grand
+tapage de chiens et de trompes, en la terre de Loury en Loiret, quand sa
+femme, la comtesse née Adèle Tapié de Celeyran, lui fit discrètement
+annoncer la naissance de son fils Henri, né le 24 novembre 1864, à Albi,
+14, rue de l'Ecole-Mage, dans un vieil hôtel de famille.</p>
+
+<p>Le veneur ne se hâta point pour cela de boucler son équipage. Officier
+de cavalerie, sorti de l'Ecole de Saint-Cyr, démissionnaire, et marié en
+l'année 1863, il avait tout de suite laissé sa <span class="pagenum"><a name="Page_4" id="Page_4">4</a></span> femme à ses
+religieuses pratiques pour éperonner, lui, à pleines molettes, la vie
+libre, nettement excentrique qu'il chérissait. D'ailleurs, cet
+hoffmannesque gentilhomme avait de qui tenir. Son propre père avait été
+un rude coureur de bois et de halliers, farouche et autoritaire, qui
+avait terrorisé son entourage. Excellent cavalier, forcené chasseur, il
+n'avait presque jamais quitté la terre du Bosc, âpre terre située dans
+le Rouergue, et qui appartenait à sa femme. Mais ces loups ont tout de
+même une fin! Un soir, après avoir, durant toute la journée, sonné du
+cor, à se rompre les veines, il mourut d'une chute de cheval, laissant à
+son fils Alphonse la forte image d'un vieux veneur monté en couleurs, et
+dressé sur ses éperons, comme un hargneux coq sur ses ergots. Il ne
+possédait aucune fortune personnelle, du reste; mais, du côté de sa
+femme, abondaient terres et argent; et il s'en trouvait très bien, car
+les Banques, on le sait, sont faites pour les femmes et pour les
+rustres!... Alors, cela dit, quant aux autres origines en ce qui touche
+celui qui sera le peintre Henri de Toulouse-Lautrec, elles <span class="pagenum"><a name="Page_5" id="Page_5">5</a></span> se
+présentent, avec une certaine carrure, ainsi:</p>
+
+<p>Sa mère est une fille de Léonce Tapié de Celeyran et de Louise d'Imbert
+du Bosc. Elle est cousine germaine de son mari, leurs deux mères étant
+s&oelig;urs, filles du comte d'Imbert du Bosc et de Zoé de Solages.</p>
+
+<p>Les Tapié sont originaires de Cannes (Aude), où ils exercèrent, dès le
+<span class="smcap">xvi</span><sup>e</sup> siècle, les fonctions de premiers consuls. Ils s'établirent à
+Narbonne au <span class="smcap">xvii</span><sup>e</sup> siècle, et y fournirent de nombreux magistrats
+consulaires, plusieurs chanoines du chapitre de Saint-Sébastien
+(paroisse de Narbonne), un officier de la maison du roy, un trésorier
+général de France, etc.</p>
+
+<p>Quant à la terre de Celeyran (dont le nom s'ajouta à celui de Tapié),
+ou, pour dire mieux, quant à la terre de Saint-Jean de Celeyran, c'était
+une terre noble appartenant aux chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem,
+qui, en 1680, environ, la vendirent avec haute, basse et moyenne
+justice, à la famille Mengau, de Narbonne.</p>
+
+<p>Jacques Mengau, seigneur de Celeyran, conseiller à la cour de
+Montpellier, adopta alors <span class="pagenum"><a name="Page_6" id="Page_6">6</a></span> l'arrière-grand-père d'Henri de
+Toulouse-Lautrec, fils de son cousin germain, et lui donna son nom et sa
+fortune, en 1798. La terre de Celeyran, sur laquelle s'élève une vaste
+habitation, est la plus considérable du département de l'Aude. Mais au
+temps de l'arrière-grand-père d'Henri de Toulouse-Lautrec, avant qu'elle
+n'eût été divisée par des partages de famille, sa contenance était de
+plus de 1.500 hectares.</p>
+
+<p>Le château, situé sur la commune de Salles d'Aude (Aude), fut à un
+moment la propriété, jamais payée, de la considérable et grasse Thérèse
+Humbert. Il fut son nid d'affaires. Elle y puisa forces et ruses pendant
+un laps d'années. Ce n'est qu'à sa déconfiture, que la famille Tapié put
+reprendre cette terre, désormais doublement illustre.</p>
+
+<p>Du côté du père, c'est-à-dire du côté du comte Alphonse de
+Toulouse-Lautrec-Monfa, il y avait deux branches: une branche aînée et
+une branche cadette. Henri de Toulouse-Lautrec appartenait à la branche
+cadette; et, à la mort de son père, le fief de Monfa, très ancien dans
+la famille, aurait été son héritage. Il est vrai que <span class="pagenum"><a name="Page_7" id="Page_7">7</a></span> Monfa n'est
+plus qu'un château en ruines, avec une centaine d'hectares, très mal
+cultivés. La poste, c'est Roquecourbe-Castres (Tarn).</p>
+
+<p>Mieux favorisée, la comtesse Alphonse de Toulouse-Lautrec avait, de son
+père, hérité de la terre de Ricardel, qui est une portion de l'ancien
+Celeyran. Terre sans château, et qui ne peut s'enorgueillir que d'une
+simple maison de régisseur et de bâtiments d'exploitation rurale.</p>
+
+<p>Mais ceci était préférable: le château du Bosc, en Aveyron, et le
+château de Malromé, par Saint-Macaire (Gironde), appartenaient aussi&mdash;et
+appartiennent encore à Madame la comtesse Alphonse de Toulouse-Lautrec.</p>
+
+<p>Toute cette importante fortune territoriale ne put jamais cependant
+contenir la fantaisiste humeur du Comte. Il vivait le plus souvent sur
+des terrains de chasse, loin de sa femme; ou à Albi, où il demeura
+longtemps chez sa mère, une fille du comte du Bosc;&mdash;parfois à Paris,
+dans un hôtel;&mdash;ou bien devant la cathédrale d'Albi, la robuste et
+originale cathédrale bâtie à son image. Là, sous une tente, il tenait
+compagnie à ses faucons et à ses chiens, avant que de <span class="pagenum"><a name="Page_8" id="Page_8">8</a></span> les traîner
+ensuite les uns et les autres, à travers la ville ahurie, mais qui
+pardonnait tout à M. le comte, dont elle vénérait, presque la tête
+basse, la hauteur et l'impertinence. Car, ne se promenait-il pas,
+encore, M. de Toulouse-Lautrec, un faucon sur le poing gauche, de la
+viande crue dans l'autre main, et s'arrêtant tous les dix pas pour
+nourrir le rapace?</p>
+
+<p>On citait, avec orgueil, bien d'autres fantaisies de cet homme, qui
+ignorait si heureusement toutes les conventions sociales; comme il
+voulait ignorer le temps, le lieu, les saisons et les heures;&mdash;en un mot
+tout un ensemble de médiocre vie basée sur la résignation et la
+discipline des bourgeois et des gens de boutique.</p>
+
+<p>Et Paris aussi subissait ses frasques! Ainsi, un jour, par exemple, ne
+s'était-il pas entêté à emmener, à une matinée de gala du théâtre de
+l'Opéra-Comique, un ménage ami: homme et femme, dans une bizarre
+voiture-araignée qu'il conduisait lui-même? Sur le parcours, rires et
+quolibets de fuser! Imperturbable, le comte Alphonse tenait correctement
+les guides; donc, pourquoi un tel concert de moqueries et de railleries?
+<span class="pagenum"><a name="Page_9" id="Page_9">9</a></span> Les invités ne le surent qu'en arrivant au théâtre, lorsque,
+descendus de la haute voiture, ils aperçurent entre les roues, dans une
+vaste cage, toute une piaillante et frémissante tribu de petits oiseaux,
+que le comte avait accrochés là, pour «qu'ils prissent l'air!» (<i>sic</i>),
+avant que de servir de pâture à ses faucons!</p>
+
+<div class="figcenter" style="width: 350px;"><a name="page-009" id="page-009"></a>
+<img src="images/page-009.jpg" alt="" title="" width="350" height="453" />
+<p class="caption1">PHOTO DRUET</p>
+<p class="caption2">FILLE A LA FOURRURE</p></div>
+
+<p>Une autre fois, une nuit, à la campagne, les domestiques n'avaient ils
+pas surpris M. le Comte à la recherche de cèpes; et il tenait d'une main
+une bougie allumée, et, de l'autre main, un carton à chapeau? Et, le
+lendemain, n'était-il pas descendu, à la table d'un dîner de famille,
+costumé en écossais, et la jupe à carreaux remplacée par un tutu de
+danseuse?</p>
+
+<p>A Paris, on vit le comte de Toulouse-Lautrec, à l'enviable moment des
+beaux cavaliers et des jolies amazones, monter, pendant quelques mois,
+au Bois, une jument laitière, sur une selle de Kirghiz; et, de temps en
+temps, il mettait placidement pied à terre, pour traire la jument et
+boire de son lait.</p>
+
+<p>C'est aussi au même Bois de Boulogne que, rencontrant, un jour, une
+troupe de cavaliers <span class="pagenum"><a name="Page_10" id="Page_10">10</a></span> tartares, en représentation au Jardin
+d'acclimatation, il se mit à caracoler à leur tête, pour les emmener à
+travers Paris jusqu'à l'Hippodrome (actuel Gaumont-palace); et là, dans
+le jardin qui existait alors, les faire photographier, en se plaçant au
+premier rang.</p>
+
+<p>Enfin, voici une dernière anecdote; et celle-ci, qu'on me le pardonne,
+m'est toute personnelle.</p>
+
+<p>Quand le comte apprit, en 1912, que j'étais en train de préparer un
+premier livre consacré à son fils, il se fâcha et il voulut accourir
+d'Albi pour me châtier, en combat singulier, comme au temps des Croisés.
+Il dit ceci: lui, noble gentilhomme, il tiendrait une lance, il serait
+dans une espèce de petite tranchée à cause de ses cors aux pieds; et
+moi, humble serf, je serais face à lui, et armé d'un simple bâton.
+Croyez-le, on eut beaucoup de difficultés à l'empêcher de venir jusqu'à
+moi, à Paris, à cheval, par le moyen de chevaux de relais.</p>
+
+<p>Certes, je pourrais citer bien d'autres anecdotes pour montrer que le
+comte Alphonse de Toulouse-Lautrec-Monfa était vraiment un gentilhomme
+d'une totale extravagance; mais, aussi <span class="pagenum"><a name="Page_11" id="Page_11">11</a></span> bien, il faut, peut-être, se
+contenter du significatif dessin que Forain fit d'après lui, et qui le
+représente, cet insolite gentilhomme, à cheval, son ample manteau
+déroulé, comme une robe de cour, sur la croupe de la bête?</p>
+
+<p>Un père assurément singulier, une mère pieuse, très attachée à ses
+devoirs, voilà donc, à peine silhouettés, les directs ascendants de
+Henri de Toulouse-Lautrec; ascendants qui convinrent entre eux deux de
+ceci: la comtesse s'occuperait d'abord seule de son fils; le père, lui,
+s'en chargerait plus tard; et en ferait, alors, à son image, un
+orgueilleux seigneur, un forcené veneur, et un parfait contempteur de
+son temps!</p>
+
+<p>Henri de Toulouse-Lautrec partit pour vivre, avec sa mère, toute son
+enfance à Paris, hôtel Perey, cité du Retiro; et il fut placé comme
+externe libre au lycée Condorcet, sa mère se chargeant de toute son
+éducation et lui servant même de répétiteur.</p>
+
+<p>Ses vacances scolaires, il les passait à Celeyran, au Bosc ou à Malromé.
+Tous deux, la mère et le fils, ils furent aussi plusieurs fois à Nice,
+<span class="pagenum"><a name="Page_12" id="Page_12">12</a></span> dans une pension de famille, où Henri aimait à parler anglais avec
+les hôtes.</p>
+
+<p>Mais il fallait rentrer; et le lycée l'obsédait. Aussi, dès l'âge de dix
+ans, il ne voulut plus travailler qu'avec sa mère. Quand il eut treize
+ans, il se cassa une jambe en glissant sur un parquet; et l'année
+suivante, lors d'un voyage à Barèges, il se cassa l'autre jambe. Dès
+lors, il ne grandit plus; et la marche lui devint pénible.</p>
+
+<p>En une douloureuse réalité, c'en est fait des rêves de la toute première
+enfance. Le père, ce dur cavalier, se détourne de cet enfant qui ne
+peut, qui ne pourra jamais le talonner dans ses chasses. Voilà tout le
+commencement d'un chagrin que l'enfant, l'adolescent, et enfin l'homme
+ne cessera plus de ressentir!</p>
+
+<p>Ces chevaux, qu'il ne pourra jamais conduire, cet infirme les aime d'un
+tel amour qu'il commence de les crayonner, de les dessiner, seuls ou
+avec des chiens, ou avec des équipages. Et cela le passionne tellement
+qu'il ne veut même plus accomplir ses études scolaires. Il passe la
+première partie du baccalauréat-ès-lettres; et il en reste là.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a name="Page_13" id="Page_13">13</a></span></p>
+
+<p>Il est un nain. Il a un torse normal; mais ses jambes sont
+extraordinairement courtes. Oui, c'est un fait brutal! Le descendant des
+comtes de Toulouse-Lautrec-Monfa ne sera pas un cavalier, un héros de
+concours hippique et de chasses à courre. Il n'a plus qu'à devenir le
+peintre des bals publics, des maisons closes, des vélodromes, de toute
+une population pittoresque, assurément, mais comme ce champ est borné!
+Souvent, au cours de sa brève vie, est-ce que Lautrec ne regrettera pas
+l'élégant gentilhomme, le rude bretteur et le vigoureux chevaucheur
+qu'il eût pu être, en un mot la belle brute dont la vitalité sanguine et
+nerveuse attire autour de soi un violent flux d'admiratifs hommages?
+Porter un tel superbe nom: Henri de Toulouse-Lautrec-Monfa et aboutir
+là: être l'annaliste d'une époque de pourriture! Pour oublier cela,
+est-ce qu'il ne sera point obligé de se jeter, à corps perdu, dans la
+vie, et de la brûler, la mauvaise vie, avec la plus dévorante
+frénésie?... Allons! C'est ce que fera Henri de Toulouse-Lautrec-Monfa,
+peintre un peu par force et surtout par vocation, mais descendant quand
+même, malgré <span class="pagenum"><a name="Page_14" id="Page_14">14</a></span> tout, d'une lignée de comtes d'altière noblesse; et
+seul descendant, puisqu'il avait perdu un frère, âgé d'un an, alors
+qu'il atteignait, lui, la troisième année de sa vie.</p>
+
+<p>Soit! Ses brillantes qualités d'orgueil, d'amour de sa race, de fierté
+apprise, il les emploiera donc, puisque c'est la dure contrainte, au
+service de son métier presque subi; et toute son éducation, tout le
+style, toute la hauteur de son origine, il mettra tout cela dans son
+dessin et dans sa peinture; puisque la nature, si impitoyable aux
+erreurs congénitales, lui refusa, à lui, la taille et la force qu'elle
+accorde si bénévolement à tant de fils des champs ou des villes, nés
+dans l'emportement de deux sangs merveilleusement croisés et neufs, et
+purs de toute consanguinité imposée depuis de trop longues années!...
+Et, pour la première fois, peut-être, un peintre porteur d'un nom à
+panache, avec un entrain non feint, ira vers les plus crapuleux
+spectacles, pour les exprimer, non pas, comme on l'a cru, avec une
+férocité de nain haineux, mais avec une verve passionnée, avec une
+tenace ivresse, avec un don de tout son génie. Et toujours <span class="pagenum"><a name="Page_15" id="Page_15">15</a></span> ce
+peintre-là&mdash;rare spectacle!&mdash;cherchera à chérir davantage ses modèles;
+il consumera une plus farouche volonté à les dessiner mieux, à les
+peindre avec plus de fougue et avec plus d'amour!... C'est comme cela
+qu'il usera sa méchante vie!</p>
+
+<hr class="tiny" />
+
+<h2><a name="ch2" id="ch2"></a>PARIS ET RENÉ PRINCETEAU</h2><p><span class="pagenum"><a name="Page_16" id="Page_16">16</a></span></p>
+
+<p>Occasionnellement, le comte Alphonse de Toulouse-Lautrec avait dessiné
+et modelé quelques esquisses en terre: chevaux et chiens d'équipage;
+mais il ne convient pas de voir ici une véritable hérédité pour Lautrec,
+qui va, au contraire, après quelques essais, se donner tout entier aux
+bals et aux maisons closes, à des hôtes de cirques et de bars.</p>
+
+<p>C'est plus simple et tellement plus simple. Le comte Alphonse de
+Toulouse-Lautrec avait un ami, artiste-peintre, dont l'atelier s'ouvrait
+dans une sorte d'impasse, au n<sup>o</sup> 233, du faubourg Saint-Honoré! Ce
+peintre, comme par un décret de la Providence, c'était René Princeteau,
+peintre de chasses, de chevaux et de chiens! Or, dès l'âge de huit ans,
+Lautrec ayant commencé <span class="pagenum"><a name="Page_17" id="Page_17">17</a></span> de venir dans l'atelier de Princeteau,
+retrouvait ainsi tous les sujets de tableaux qui lui étaient si
+familiers. De là à les imiter, à les copier, il n'y eut qu'un pas à
+franchir; et il fut vite franchi. Ce passage d'une lettre qui nous fut
+adressée par Princeteau quelques jours avant sa mort, atteste cela.
+Voici ce fragment:</p>
+
+<p>«Oui, j'étais surtout peiné de sa «pas bonne forme»! (<i>sic</i>). Mon pauvre
+Henri! Il venait tous les matins dans mon atelier; à quatorze ans, en
+1878, il copia mes études et fit un portrait de moi, «à me faire
+frémir!» (<i>sic</i>).</p>
+
+<p>«Pendant les vacances, il peignait devant nature portraits, chevaux,
+chiens, soldats, artilleurs au moment des man&oelig;uvres. Un hiver, à
+Cannes, il a peint des bateaux, la mer, des amazones.</p>
+
+<p>«Henri et moi, nous allions au cirque pour les chevaux, et au théâtre
+pour les décors. Il était profond connaisseur en chevaux et en chiens.»</p>
+
+<div class="figcenter" style="width: 350px;"><a name="page-017" id="page-017"></a>
+<img src="images/page-017.jpg" alt="" title="" width="350" height="474" />
+<p class="caption1">PHOTO DRUET</p>
+<p class="caption2">PORTRAIT</p></div>
+
+<p>Et voilà la toute simple raison des débuts de Lautrec. En tout cas,
+Princeteau étant sourd et muet, il ne pouvait pas être un maître
+fatigant <span class="pagenum"><a name="Page_18" id="Page_18">18</a></span> pour le peintre adolescent. De plus, chez Princeteau,
+venaient aussi quelques peintres: Forain, Butin, Petitjean et surtout
+John-Lewis Brown, un autre peintre de chevaux et un autre Bordelais
+comme Princeteau. Mais lui, Brown, peignait ses chevaux et ses cavaliers
+avec une telle virtuosité et avec un tel éclat que tous ses portraits de
+chevaux semblent avoir été plaqués de luisant acajou.</p>
+
+<p>Dans ce milieu de peintres, et surtout en présence de ces deux peintres
+de chevaux: Princeteau et John-Lewis Brown, Lautrec se mit à représenter
+avec une opiniâtre ardeur les chevaux qu'il ne pouvait pas chevaucher.
+Rappelons-nous, d'ailleurs, qu'il n'y eut jamais un plus favorable temps
+de l'hippisme. Ils montaient régulièrement, au Bois, ces cavaliers et
+ces amazones qui s'appelaient Émile Abeille, le comte Nicolas Potocki,
+le prince Charles de Ligne, le duc de Camposelice, le vicomte de
+Montigny, le marquis de Breteuil, le vicomte de Pons, le baron de la
+Rochette;&mdash;la duchesse de Fitz-James, la comtesse de Clermont-Tonnerre,
+la comtesse de Caraman, la baronne de <span class="pagenum"><a name="Page_19" id="Page_19">19</a></span> Beauchamp et la marquise de
+Louvencourt. Or, comme Princeteau, sans trop d'originalité, mais avec
+acharnement, les dessinait tous et toutes sur de petits albums,
+c'étaient ces petits albums-là, prestigieux et magiques, qui
+passionnaient Lautrec.</p>
+
+<p>Là-dedans, en effet, au cours des pages, ne voyait-il pas des poneys,
+des cobs, des irlandais, des pur-sang, tous chevaux bien mis;&mdash;et aussi,
+dans de discrètes allées, des silhouettes de bidets et de chevaux de
+manège, dont le drolatique aspect physique l'enchantait? Toutes les
+caricatures, mâles et femelles, que le goût de l'équitation pouvait
+engendrer,&mdash;c'est sans doute de les regarder, avec tant de flamme, que
+Lautrec prit le sens de ce trait caustique, aigu et rare, qui, plus
+tard, développé, fera de son dessin une écriture à nulle autre pareille
+et situant admirablement toutes les tares physiques. Et comme Princeteau
+aimait de plus en plus «son nourrisson d'atelier», ainsi appelait-il
+Lautrec, celui-ci put, tout à son aise, dessiner et peindre, sous les
+regards amusés de Princeteau. Un jour pourtant ce <span class="pagenum"><a name="Page_20" id="Page_20">20</a></span> dernier voyant
+que le «nourrisson» voulait, lui aussi, devenir un artiste, un
+enseignement officiel s'imposa aux yeux du brave homme, peintre
+discipliné, qui, naturellement, croyait à la tradition, aux professeurs
+consacrés; et il choisit alors pour Lautrec un véritable maître, en la
+personne de M. Léon Bonnat. Lautrec, docile, entra dans cet atelier;
+mais il ne fit qu'y passer, l'atelier Bonnat ayant fermé presque
+aussitôt ses sacrées portes. Juste compensation! C'est dans cet atelier
+que Lautrec connut son ami le plus attaché: M. Henri Rachou, qui est
+actuellement Directeur des Beaux-Arts de la ville de Toulouse.</p>
+
+<p>Le soir, Lautrec retrouvait René Princeteau; et, durant toutes ces
+années-là, on les vit tous deux au cirque Fernando, alors bâti en
+planches, sur l'emplacement actuel du cirque Médrano, et que tout Paris
+envahissait.</p>
+
+<p>Ce goût du cirque, on le verra se développer jusqu'à la plus extrême
+acuité chez Lautrec. Plus loin, nous dirons ce qu'il en tira, même quand
+il fut contraint de se reposer pendant quelques mois, chez le docteur
+Semelaigne, à Saint-James.</p>
+
+<hr class="tiny" />
+
+<h2><a name="ch3" id="ch3"></a>CORMON OU LA VIE</h2><p><span class="pagenum"><a name="Page_21" id="Page_21">21</a></span></p>
+
+<p>De Bonnat, Lautrec passa aux mains de Cormon. D'un médiocre à un pire.
+L'homme de l'âge de plâtre, le néfaste macrobe qui commit sur des toiles
+à voiles les plus odieux des poncifs, avait ouvert un atelier à
+Montmartre, rue Constance. Lautrec alla dans cet atelier. A cet âge, on
+a la candeur des plus touchantes sottises. Et, Cormon s'installant
+ensuite au n<sup>o</sup> 104 du boulevard de Clichy, Lautrec le suivit. Aussi
+bien, ce sont les camarades qui vous attirent; et Lautrec, dans le
+premier atelier Cormon, s'était déjà lié avec les peintres Vincent Van
+Gogh, Gauzi, Claudon, Grenier et Anquetin; et ceux-là, tout en restant
+chez le pion d'Institut, n'admiraient que Delacroix, Degas, Manet,
+Renoir et les Japonais. Et ils tenaient des propos <span class="pagenum"><a name="Page_22" id="Page_22">22</a></span> enflammés! Et
+ils avaient de beaux espoirs!... Mais quels souvenirs ont gardé de
+Lautrec ses camarades de ce temps-là? Le premier, voici comment le juge
+le peintre Claudon:</p>
+
+<p>«Lautrec était fort adroit, et il se servait de cet esprit d'observation
+qui n'a fait que s'aiguiser avec le temps; mais c'étaient surtout les
+chevaux, les habits rouges et les chasses à courre qui le passionnaient.
+Toutefois, je dois avancer qu'ayant un jour à décorer deux panneaux dans
+un cercle que nous avions fondé, il fit ses panneaux tout à fait à la
+manière de Forain.</p>
+
+<p>«Je me rappelle de ce temps peu de mots de Lautrec; il aimait plutôt à
+synthétiser par une phrase brève toute une situation, et à rendre les
+choses par une formule crayonnée sur un bout de papier et les gens par
+une charge faite d'un trait étonnamment expressif.»</p>
+
+<p>M. Gauzi, retiré aujourd'hui à Toulouse, nous a dit, de son côté:</p>
+
+<p>«Sous des dehors moqueurs, Lautrec était d'une nature très sensible, et
+il n'avait que des amis. Extrêmement liant, il était très serviable.
+Faible, il admirait la force chez les lutteurs et <span class="pagenum"><a name="Page_23" id="Page_23">23</a></span> chez les
+acrobates. Il était très bien élevé. En art, il fut toujours sincère. A
+l'atelier Cormon, il s'efforçait de copier le modèle; mais, malgré lui,
+il exagérait certains détails typiques ou bien le caractère général, de
+telle sorte qu'il déformait sans le chercher et même sans le vouloir. Je
+l'ai vu se forcer en présence d'un modèle à «faire joli», et ne
+pouvoir, à mon avis, y réussir. Le mot «se forcer à faire joli» est de
+lui. Ses premiers dessins et ses premiers tableaux au sortir de
+l'atelier, il les exécuta toujours d'après nature; il disait même qu'il
+ne pouvait travailler si le moindre accessoire n'était à sa place au
+moment où il travaillait. Il avait entrepris un portrait de moi; à ce
+moment, j'arrivais de ma province et j'arborais un superbe gilet de
+fantaisie jaune; immédiatement ce gilet fut dans l'&oelig;il de Lautrec,
+qui voulut me représenter en bras de chemise, sans doute pour mieux voir
+le dit gilet. Il commença et travailla quelques séances; sur ces
+entrefaites, je déménageai et on me vola ou je perdis mon gilet; il
+refusa alors de continuer ce portrait malgré qu'il fut très avancé; il
+en fit un nouveau tout à fait différent.»</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a name="Page_24" id="Page_24">24</a></span></p>
+
+<p>«Son maître d'élection était Degas; il le vénérait. Ses autres
+préférences, parmi les modernes, allaient à Renoir et à Forain. Il avait
+un culte pour les anciens Japonais; il admirait Velasquez et Goya; et,
+chose qui paraîtra extraordinaire à quelques peintres, il avait pour
+Ingres une estime particulière; en cela, il ne faisait que suivre les
+goûts de Degas qui a toujours vanté les dessins de Dominique Ingres».</p>
+
+<p>Les Japonais! Théodore Duret et Cernuschi, de retour d'un féerique
+voyage au Japon, les avaient mis à la mode; et on commençait de
+collectionner les si neuves estampes du Nippon, arrivées par les bateaux
+de commerce. Portier, le marchand de tableaux, en avait acquis un lot;
+et Lautrec lui acheta certaines de ces estampes. Il se passionna, comme
+Van Gogh, pour ces planches qu'avaient griffé Harounobu, Kiyonaga,
+Toyokouni, Outamaro, Hiroschigé et Hokousaï.</p>
+
+<p>Cormon ou la vie? N'était-ce pas la vie, ces gestes, ces attitudes, ces
+expressions singulièrement inattendues? C'était la vie, cette grâce
+inédite, cette souple puissance, cette gracile <span class="pagenum"><a name="Page_25" id="Page_25">25</a></span> joliesse, ces
+mobiles décors, cette science du dessin, ces accords de somptueuses
+couleurs! Cormon, à l'opposé, c'était le néant, la tradition la plus
+vaine figée par un dessin convenu, par une couleur générale alourdie de
+plâtre! Comment hésiter?</p>
+
+<div class="figcenter" style="width: 350px;"><a name="page-025" id="page-025"></a>
+<img src="images/page-025.jpg" alt="" title="" width="350" height="377" />
+<p class="caption1">PHOTO DRUET</p>
+<p class="caption2">BAL MASQUÉ</p></div>
+
+<p>Et les autres admirations de Lautrec, c'était aussi la vie! Velasquez,
+en effet, c'était la hautaine distinction, la grâce d'une naturelle
+noblesse; Goya, c'était la fantaisie désordonnée, toute puissante,
+animant les plus terribles spectacles; Goya, qui, auparavant, avait
+aiguillé Forain se demandant un jour, au Cabinet des Estampes, ce qu'il
+convenait de faire; Forain, happé par les prodigieux <i>Caprices</i>, et
+éclairé tout d'un coup, brutalement; Goya, dont la forte devise: <i>J'ai
+vu çà!</i> allait devenir la devise de Lautrec, flottant entre Cormon de
+l'âge de plâtre et Goya de l'âge de sang!</p>
+
+<p>Ingres, enfin, d'une sensualité concentrée jusqu'à la plus tendre
+subtilité, s'il s'en tient parfois à des redites de tradition; Ingres
+l'émerveillait également quand il lui livrait les trésors de ses
+odalisques, de ses baigneuses et de <span class="pagenum"><a name="Page_26" id="Page_26">26</a></span> quelques-uns de ses portraits
+de femmes si brûlés de passion!</p>
+
+<p>J'ai tenu aussi à interroger M. Henri Rachou, l'ancien condisciple de
+Lautrec. Voici sa lettre consacrée à la mémoire de son ami:</p>
+
+<p>«J'ai connu Henri à Paris, par sa mère, en 1882. Il avait déjà commencé
+à peindre avec notre ami René Princeteau et faisait, à la manière de ce
+dernier, de petits panneaux représentant des chevaux.</p>
+
+<p>«Il a suivi avec moi les cours de l'atelier Bonnat, puis ceux de
+l'atelier Cormon où il étudiait de façon très suivie le matin, passant
+ses après-midi à peindre d'après nos modèles habituels: le père Cot,
+Carmen, Gabrielle, etc., soit dans mon petit jardin de la rue Ganneron,
+que j'ai habité 17 ans, soit chez M. Forest, propriétaire, rue Forest.
+Je ne crois pas avoir eu la moindre influence sur lui. Il venait
+fréquemment avec moi au Louvre, à Notre-Dame, à Saint-Séverin; mais,
+bien qu'il admirât l'art gothique, dont la vénération m'est restée, il
+manifestait déjà des préférences très marquées pour l'art japonais,
+l'art de Degas, de Manet et <span class="pagenum"><a name="Page_27" id="Page_27">27</a></span> des Impressionnistes en général, de
+sorte qu'il échappa à l'atelier alors qu'il y travaillait encore.</p>
+
+<p>«Ce qui m'a le plus vivement frappé chez lui est sa magnifique
+intelligence toujours en éveil, sa bonté extrême pour ceux qui
+l'aimaient et sa connaissance parfaite des hommes. Je ne l'ai jamais vu
+se tromper dans ses appréciations sur nos camarades. Il était
+incroyablement psychologue, ne se livrait qu'à ceux dont il avait
+éprouvé l'amitié et traitait parfois les autres avec un sans-façon
+voisin de la cruauté. D'une éducation parfaite quand il le voulait, il
+dévoilait un sens exact de la mesure en s'adaptant à tous les milieux.</p>
+
+<p>«Je ne l'ai jamais connu ni exubérant ni ambitieux. Il était avant tout
+artiste et n'attachait, bien qu'il les recherchât, qu'une valeur très
+relative aux éloges. Il ne se montrait, dans l'intimité, que très
+rarement satisfait de ses travaux.»</p>
+
+<p>Pour terminer ce chapitre, puis-je noter, enfin, ce court portrait
+physique et moral de Lautrec par un dernier de ses camarades?</p>
+
+<p>«Il était non seulement très petit, mais difforme. <span class="pagenum"><a name="Page_28" id="Page_28">28</a></span> La tête était
+lourde. Il traînait les jambes et s'appuyait sur une minuscule canne au
+manche recourbé, qu'il appelait lui même son «crochet à bottines». Il
+était très myope; son pince-nez ne le quittait pas. Il portait sa
+moustache et sa barbe mal taillées. Il avait la bouche épaisse, la lèvre
+inférieure pendante, toujours un peu baveuse, le nez assez fort, le
+regard souvent endormi, lourd; parfois, au contraire, étonnamment vif,
+curieux, rieur.</p>
+
+<p>«Il lisait peu&mdash;ou presque pas. Assez bavard, il aimait fort plaisanter
+avec des amis. Pas lyrique, ni littéraire. Pas rosse, mais gouailleur,
+malicieux, très observateur, très passionné... Ah! je vois encore
+Lautrec passant toute sa matinée au musée de Bruxelles devant un
+portrait d'homme de Cranach! Quel enthousiasme! Enthousiasme jamais
+débordant, jamais méridional...»</p>
+
+<hr class="tiny" />
+
+<h2><a name="ch4" id="ch4"></a>MONTMARTRE</h2><p><span class="pagenum"><a name="Page_29" id="Page_29">29</a></span></p>
+
+<p>Mais la vie qui va prendre tout entier Lautrec, la vie qui l'assaille
+chaque jour quand il va chez Cormon et quand il sort de ce morne
+atelier, la vie, toute la vie matérielle et brûlante, c'est Montmartre
+et quel Montmartre!</p>
+
+<p>Montmartre, au temps de Lautrec, c'est-à-dire de 1885 à 1900, c'est en
+effet, le <i>Moulin-Rouge</i> qui vient de remplacer le <i>Bal de la Reine
+Blanche</i> et que dirige Zidler; c'est le <i>Café du Rat mort</i>, déjà situé à
+sa place actuelle; c'est le <i>Bal du Moulin de la Galette</i>, où l'on paye
+les danses; c'est Palmyre, installée alors à la <i>Souris</i>, rue Bréda;
+c'est Armande, trônant au <i>Hanneton</i>; c'est l'<i>Auberge du Clou</i>, avenue
+Trudaine; c'est le cabaret du <i>Mirliton</i>, que vient de quitter Salis
+pour transporter, rue de Laval, son cabaret <span class="pagenum"><a name="Page_30" id="Page_30">30</a></span> du <i>Chat noir</i>;&mdash;le
+<i>Mirliton</i>, où engueule et chante l'humanitaire Aristide Bruant; c'est
+le <i>Bal de l'Elysée Montmartre</i>; c'est le <i>Divan Japonais</i>; c'est le
+tapageur <i>Café de la Place Blanche</i>, qui s'est ouvert en même temps que
+le Moulin-Rouge; et, enfin, Montmartre c'est, en contraste, autour de la
+vasque Pigalle, encombrée de modèles italiens, l'atelier de Roybet le
+Magnifique, le Panthéon de Puvis de Chavannes l'olympien sensuel, et la
+boutique de l'avare Henner, du pays d'Alsace!</p>
+
+<p>On peut imaginer avec quelle joie Lautrec tomba du nid Cormon dans ce
+chaud milieu! Il a besoin de travailler, de s'étourdir; ici, il va
+travailler, et il va s'étourdir.</p>
+
+<p>Pour lui, qui ne peut guère marcher et se fatiguer, l'essentiel, c'est
+de rester dans un cercle assez restreint; les boulevards extérieurs
+sont, d'ailleurs, peu sûrs; et le Moulin-Rouge le retiendra durant de
+longues années avec son amusant et exceptionnel spectacle. Lautrec se
+lie donc tout de suite avec Joseph Oller, le propriétaire; et il aura
+désormais, au bal, sa table retenue.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a name="Page_31" id="Page_31">31</a></span></p>
+
+<p>Il y entre, tous les soirs, le visage joyeux. Mais aussi quel bal et
+quelles danseuses! A l'heure actuelle, c'est peut-être notre plus tenace
+regret que tout cela ne soit plus! Sans doute, on loue toujours le temps
+passé; mais il nous semble que la vie alors était moins bête qu'au temps
+présent; surtout si l'on évoque toutes ces pittoresques danseuses, qu'on
+appelait, entre tant d'autres: Grille d'égout, Demi-syphon, Rayon d'or,
+Muguet la limonnière, Eglantine, la Goulue, la Mélinite, et que
+couronnait ce prodigieux danseur: Valentin le désossé!</p>
+
+<p>Ah! ces trois dernières vedettes, quelles curieuses et épileptiques
+sauterelles! Quel extravagant trio! Ce Valentin le désossé, si glabre,
+si funèbre sous son haute forme noir, qui basculait en avant; ce
+somnolent Valentin, qui, le soir, se transformait en un inénarrable et
+électrique danseur. Grand, maigre à s'enrouler autour d'un bec de gaz,
+n'ayant pas d'âge, trente-cinq ou tout aussi bien cinquante-cinq ans,
+étriqué et monté sur ressorts, il avait des jambes et des bras en
+lanières de caoutchouc. Il tenait de la sarigue et du casoar, et quelle
+trompe! Mais ce <span class="pagenum"><a name="Page_32" id="Page_32">32</a></span> dégingandé valsait vraiment avec une sûre cadence
+et un incroyable rythme. Ses longs pieds tournaient, remontés, toujours
+autour du même pivot. Ses pieds étaient de parfaits automates. Aussi,
+comme nous l'admirions, cet Empereur de la Danse!</p>
+
+<p>Ses rivales et ses deux chères amies, c'étaient la Goulue et la
+Mélinite.</p>
+
+<p>La Goulue, une étrange fille, à la face d'empeigne, au profil de rapace,
+à la bouche torve, aux yeux durs. Sèchement elle dansait, avec des
+gestes nets. On l'appelait la Goulue, du temps de ses débuts au Moulin,
+où elle avait fait, chaque soir, le tour des tables, en vidant le fond
+des verres.</p>
+
+<p>La Mélinite ou Jane Avril, c'était une autre affaire, comme on dit. Car
+elle se présentait, celle-ci, gracile et souple. Délicate et amenuisée
+même. Son visage pincé et fin faisait songer à une souris. Et qu'elle
+était invraisemblablement maigre, si déliée qu'elle pouvait se ployer
+jusqu'à éventer de son dos le parquet!</p>
+
+<p>En outre, elle «avait des Lettres»; ses amis comptaient dans la
+Littérature gaie et dans la <span class="pagenum"><a name="Page_33" id="Page_33">33</a></span> Littérature sacrée; ses amis Alphonse
+Allais et Théodor de Wyzewa. D'ensemble, elle apparaissait telle qu'une
+sorte d'institutrice tombée dans la canaille du «chahut». Douce, bien
+élevée, elle tenait gentiment son «paquet de linges», au moment où,
+d'une jambe, redressée et agitée, elle battait la rémolade.</p>
+
+<div class="figcenter" style="width: 350px;"><a name="page-033" id="page-033"></a>
+<img src="images/page-033.jpg" alt="" title="" width="350" height="457" />
+<p class="caption1">PHOTO DRUET</p>
+<p class="caption2">LA PROMENADE AU MOULIN ROUGE<br />
+(<i>La Goulue</i>).</p></div>
+
+<p>La Goulue, au contraire, vous secouait avec son chignon relevé en crête
+de bataille, avec ses lèvres serrées et son bec d'épervier. Quelle face
+et quel profil! Elle symbolisait, cette formidable guenipe, toute une
+époque qui bouillait dans la sauce des bals.</p>
+
+<p>Gale et teigne, on n'osait pas, vraiment, certains soirs, lui adresser
+la parole. En ces moments-là, ses yeux se plissaient, aggravaient leur
+dureté métallique, et l'accent circonflexe de sa bouche remontait
+durement vers son nez aux narines minces.</p>
+
+<p>Tous les soirs, Lautrec ne manquait pas d'aller au Moulin; et il offrait
+à boire aux trois impériales étoiles. Pour tous, danseurs et
+spectateurs, il devint bientôt l'indispensable personnage à la raison
+d'être de la danse. Assis à sa <span class="pagenum"><a name="Page_34" id="Page_34">34</a></span> table, avec des amis, il était là,
+en effet, comme le bouddha, coiffé d'un melon, du quadrille et de la
+valse. Mais c'était un bouddha qui voyait tout, qui observait tout; et
+qui enregistrait la plus totale collection de gestes et d'attitudes que
+l'on pût imaginer!</p>
+
+<p>Les odeurs des alcools et du bal le surexcitaient. Il fut rapidement
+visible que sa sensibilité s'aiguisait, se tendait jusqu'à une extrême
+limite douloureuse. Il avait déjà des tics, des rictus. Il vibrait
+jusqu'à l'angoisse; il paraissait s'étouffer lui-même sous une chape
+d'anxiété; il faisait pénétrer en lui, comme une pointe aiguë, le
+redoutable visage de ces danses qui le crucifiaient. Aussi, plus tard,
+certes, nous n'avons jamais pu sourire, nous, devant les quadrilles
+qu'il a peints, et que semblent danser de «vivants» cadavres!</p>
+
+<p>En vérité, à ce moment-là, tous les chagrins de sa pauvre vie physique,
+qu'il porta telle qu'une sorte de suaire, Lautrec s'en imprégna, sans
+miséricorde, dans cette fumante salle du Moulin, où nous le rencontrâmes
+si souvent. En revoyant ses tableaux, nous sentons bien de <span class="pagenum"><a name="Page_35" id="Page_35">35</a></span> quoi
+sont faits ces gestes canailles qui soulèvent des jupes, et de quel
+poids pèsent ces jambes qui remuent de la pointe le vide. Nous avons
+retenu, nous avons compté, en regardant Lautrec, tous ses sanglots
+cachés, tous ses effrois et toutes ses terreurs! Plus tard, même, est-ce
+que le <i>Quadrille au Moulin-Rouge</i> ne causera pas une épouvante pareille
+à celle qu'engendre la <i>Crucifixion</i> de Mathias Grünwald, par exemple?
+Qui notera alors les épouvantes de toutes nos pauvres âmes assassinées?</p>
+
+<p>D'autres cavernes de supplice ou d'autres champs de pitié, Lautrec les
+trouvait à la <i>Souris</i> ou au <i>Hanneton</i>. Il tombait là sur toutes les
+vieilles et toutes les jeunes gousses, sur toutes les tribades qui, en
+se léchant et en se pourléchant, brassaient des cartes, ou jetaient des
+dés sur la crasse d'un marbre cassé. C'étaient des profils et des
+splendides têtes de massacre, des gueules affaissées de vices, des bouts
+de nez de rates et des groins de truies. Lautrec exultait dans cette
+bauge; il se pâmait sur toute cette magnifique pourriture à dessiner et
+à peindre. Ah! ce n'étaient plus les filles des routes, les <span class="pagenum"><a name="Page_36" id="Page_36">36</a></span> filles
+rudes et fortes comme des bêtes de halliers; des filles durcies par
+l'air, par la pluie, par le soleil, et qui vibrent avec des cuisses
+craquantes et des bras de lutteurs! Ce n'était plus du rire sain, des
+apostrophes en pleine joie, la face éclatée et rouge; c'était, ici, de
+l'extrait de marécage, des moisissures et des verdissures de cloaques,
+des lèvres flétries, des yeux en persiennes, des nuques courbées, des
+seins dévalant sur des ventres mous, contenus dans des corsets durs.
+C'était inédit à représenter cela; et personne, proprement, ne l'avait
+fait. Un aspect pittoresque et ignoble, mais d'une superbe expression de
+fumier humain. Lautrec se jeta dans ce purin; et il s'en enivra.</p>
+
+<p>Chez Bruant, il devint aussi un hôte tenace. A ce moment-là, il se
+traînait partout, se balançant, se dandinant. Le grand diable, qui, d'un
+emploi au chemin de fer, s'était juché sur le tréteau des chansonniers,
+l'épais bougre de noir vêtu et lourdement cravaté de rouge, l'enchanta.
+Quel ténor bruyant et fort en gueule! Et puis Lautrec aimait les
+chansons de Bruant, les chansons niaises et radoteuses, tout le vieillot
+déjà et tout <span class="pagenum"><a name="Page_37" id="Page_37">37</a></span> le sentimental de ces romances consacrées aux filles
+et à leurs souteneurs; tout ce suranné qu'on présente encore maintenant,
+faisandé, avarié, hors de toute vérité! et Lautrec ne faisait que suivre
+tout Paris, en fêtant le chantre bêlant des filles.</p>
+
+<p>Au <i>Divan japonais</i>, au <i>Clou</i>, Lautrec prenait place également; et, là,
+le bouddha, toujours, observait, notait des visages et des attitudes. Il
+fut bientôt l'ami de cet ex-marchand d'olives, Sarrazin, qui participa à
+la célébrité de ce Montmartre d'hier. Ce petit comptable maigre, porteur
+d'un lorgnon, témoignait avant tout d'une inexplicable peur de la
+police; pourtant, c'était dans le sous-sol du <i>Divan</i> qu'on faisait le
+plus de bruit, donc rien à craindre; mais Sarrazin, poète à ses heures,
+ne se sentait pas de force, affaibli par les rimes, pour se colleter
+avec les flics. Aussi, il voulut un jour agrandir son établissement,
+surtout le rendre plus honnête; mais, en quelques mois, il fit faillite.
+Montmartre n'aime pas l'ordre!</p>
+
+<p>Là-haut, au <i>Moulin de la Galette</i>, perché sur la Butte, Lautrec ne se
+montrait guère. Du reste, ce n'était pas, en ce temps-là, l'amusante
+réunion <span class="pagenum"><a name="Page_38" id="Page_38">38</a></span> des fillettes et des gosses de Montmartre, midinettes et
+commis, que ce Moulin allait devenir plus tard; ce n'était pas le
+tournoiement d'une jeunesse aigrelette; ce n'était pas non plus le
+laisser-aller et l'abandon de gamines d'atelier, rompues mais vivaces;
+c'était un bal au-dessous, un bal à saladiers de vin, à putains mûres.
+Cela n'était point pour trop tenter Lautrec; et puis, ce bal juché au
+diable vauvert l'éloignait trop de son quartier général, établi dans les
+immédiats entours du Moulin-Rouge. Le Café de la place Blanche et le Rat
+mort étaient aussi les seuls acceptables restaurants de nuit; et cela
+lui suffisait. Au premier bal des Quat'z-Arts, à l'Elysée Montmartre
+(après la fin des bals des Incohérents), à ce premier bal organisé par
+le photographe Simonnet, Lautrec se déguisa en ouvrier lithographe,
+cotte bleue, un chapeau mou avec une pipe passée au travers. Et ce
+simple geste le ravit. Un tout petit coin de Montmartre, avec des
+plaisirs en somme peu renouvelés, cela, c'était sa vie, cela fut
+désormais toute sa vie. Il n'alla guère ensuite que par caprices vers
+d'autres spectacles.</p>
+
+<hr class="small" />
+
+<h4>DES SOUVENIRS SUR LA VIE</h4><p><span class="pagenum"><a name="Page_39" id="Page_39">39</a></span></p>
+
+<h2>II</h2>
+
+<h3>Quelques Sports</h3>
+
+<h3>Bars et Maisons closes</h3>
+
+<h2><a name="ch5" id="ch5"></a>QUELQUES SPORTS</h2><p><span class="pagenum"><a name="Page_41" id="Page_41">41</a></span></p>
+
+<p>Lautrec ayant connu Tristan-Bernard à <i>la Revue blanche</i>, fondée en
+1891, par les frères Natanson, tout de suite, par lui, il alla au
+vélodrome Buffalo, dont Baduel était l'administrateur, et, lui-même,
+Tristan-Bernard, le directeur sportif. Et pas un directeur sportif pour
+rire, car on doit à Tristan-Bernard, qui le croirait? trois choses
+essentiellement sportives: la sonnerie de la cloche pour annoncer aux
+coureurs le dernier tour à faire; la série de repêchage permettant à un
+crack d'en appeler d'une occasionnelle défaite; et enfin le brassard n<sup>o</sup>
+1 qui fut couru tant de fois!</p>
+
+<p>Tristan-Bernard et Lautrec «s'adorèrent». Lautrec eut la bonne joie de
+connaître le fameux Yankee volant Arthur Zimmerman et la <span class="pagenum"><a name="Page_42" id="Page_42">42</a></span>
+merveilleuse petite mécanique de demi-fond, Jimmy Michaël.</p>
+
+<p>Et il travailla intensément à ce vélodrome Buffalo. Ce fut un tel moment
+d'enthousiasme sportif! Le vélodrome vécut de frémissantes heures qu'il
+ne devait plus retrouver. Certes, on admira, toutes ces dernières
+années, d'excellents coureurs de vitesse: le bull-dog Kramer, l'élégant
+Bourillon, le populaire Jacquelin, le tenace Ellegaard et le menu Friol;
+mais ils ne «coiffèrent» pas le prestigieux Zimmerman! Et quel Bouhours,
+quel Contenet, quel Darragon, quel Sérès pourrait-on aligner, dans la
+mémoire des vieux sportsmen, à côté du petit Michaël, qui tournait
+toujours de son vif et régulier mouvement d'horloge, un cure-dents entre
+ses lèvres; Michaël, cette petite face volontaire et busquée de ratier?
+Et, aussi, qui opposerait-on au dégingandé, plat et interminable
+Zimmerman, qui évoquait je ne sais quel oiseau des hautes altitudes,
+maladroit sur ses pieds, et si rapide, si volant, quand il pesait sur
+ses pédales?</p>
+
+<p>Leur manager, Choppy Warburton, offrait également un étrange type, très
+américain, à dos <span class="pagenum"><a name="Page_43" id="Page_43">43</a></span> bombé; et Lautrec, d'après les trois hommes,
+dessina d'extraordinaires lithographies.</p>
+
+<p>Le beau temps! Beaucoup de ceux qui l'ont vécu, ne sont plus, depuis,
+retournés au Vélodrome. Il faut garder le culte des souvenirs!</p>
+
+<p>Ah! les soirées surtout de Buffalo!</p>
+
+<p>Sans les petites sportswomen qui venaient là en foule, la soirée,
+peut-être, n'eût pas été autrement enviable. Mais elles étaient vraiment
+amusées, elles, et amusantes. Du haut des virages, elles appelaient les
+coureurs et les encourageaient. On jouait des coudes pour aller se
+placer près de ces groupes particulièrement bruyants: et quand venait le
+moment de la course de primes, la meute des coureurs partait, s'étirait,
+se groupait, deux pelotons se formaient, et l'ensemble était joli, s'il
+n'était pas émouvant.</p>
+
+<p>On regardait attentivement les yeux qui brillaient autour de soi, les
+petites faces blanches et rieuses, les mains qui allaient et venaient,
+en encouragement. Là-bas, de l'autre côté de la pelouse, toute roussie,
+les têtes, étagées devant les grandiloquentes réclames, apparaissaient
+comme de fantomatiques têtes de massacre. <span class="pagenum"><a name="Page_44" id="Page_44">44</a></span> C'était hallucinant, si
+l'on s'absorbait un instant dans sa rêverie; mais le moyen d'y rester
+avec ces jacassantes compagnes, avec ces remuantes petites personnes!
+Par elles, on connaissait vite tous les coureurs de seconde et même de
+troisième catégories!</p>
+
+<p>Mais, à leur tour, les brûlots tapageaient, grondaient, ronflaient et
+trépidaient! Coup de pistolet! Derrière trois monstres, brûlés au ventre
+par une double flamme bleue, roulaient aussitôt, collés, trois monstres
+plus petits, obstinés, tenaces! Ainsi, dans la nuit, c'était une vraie
+ronde du Walpurgis, une randonnée bâclée par trois engins fous qui
+s'activaient furieusement et pétaradaient!</p>
+
+<p>Cet heureux temps du cyclisme, Lautrec en a emporté aussi une bonne part
+avec lui. En ce temps-là, en son temps, on sacrifiait tout à la gloire
+des cyclistes. Nous n'avons pour cela qu'à évoquer nos souvenirs!</p>
+
+<p>Puis, venaient les pleins étés, et Lautrec alors se mettait vite en
+route pour aller ramer et nager dans le bassin d'Arcachon.</p>
+
+<p>Il adorait être nu, et il aimait les matelots <span class="pagenum"><a name="Page_45" id="Page_45">45</a></span> qu'il rencontrait
+là-bas. Installé dans sa villa <i>Denise</i>, il prenait une vareuse, une
+casquette sans galon de commodore, et les pieds nus, son petit pantalon
+retroussé, il arpentait la plage. Il nageait bien, du reste; et se
+baigner, c'était, avec les beaux jours, un des seuls moments possibles
+de quitter Paris, pour aller là-bas «tremper et radouber sa carcasse!»</p>
+
+<p>Et il aimait de plus en plus les bateaux. Il y en avait de toutes sortes
+dans cette baie d'Arcachon: des bateaux de pêcheurs, des pinasses à
+rames et à voiles, et des bateaux de plaisance. Lautrec eût voulu ainsi,
+sur un yacht, aller jusqu'au Japon. Cela fut un des persistants désirs
+de sa vie, qu'il ne réalisa pas; et, pourtant, avec un peu d'entêtement,
+il était riche, rien n'eût été plus aisé!</p>
+
+<p>«Sportif» toujours, Lautrec encore suivait assidument, aux
+Folies-Bergère, les luttes, même quand elles tombaient dans le chiqué le
+plus sot. Mais là, après maintes discussions, le directeur d'alors,
+Marchand, était devenu sa bête noire, <i>une vache!</i> comme il disait; et
+je ne parvins jamais à les réconcilier. Ils montraient, tous les <span class="pagenum"><a name="Page_46" id="Page_46">46</a></span>
+deux, il est vrai, mis en présence, un tel aimable caractère!</p>
+
+<p>Je fis connaître à Lautrec les ténors du moment: Paul Pons, Laurent le
+Beaucairois, Hackenschmidt, etc., mais je dois dire que ce fut le
+phénoménal Apollon, le champion pour mille années peut-être des poids et
+haltères, qui l'enthousiasma. Ah! le rude gaillard, du reste; et c'est
+une chance, pour les leveurs de poids qui sont venus après lui et qui
+viendront, qu'on n'ait point pensé à peser exactement les formidables
+poids qu'il arrachait! Lautrec réalisa de beaux dessins d'après ce
+splendide Hercule. Que sont-ils devenus? Je ne les ai jamais revus.</p>
+
+<p>Les luttes! Leur indéniable attrait!</p>
+
+<p>C'est que le spectacle n'était pas alors seulement sur la scène, il
+était aussi dans la salle,&mdash;dans la salle surchauffée, surexcitée;&mdash;dans
+le promenoir surtout, où se coudoyaient les hommes et les filles,
+celles-ci dépitées, furieuses contre ces luttes qui passionnaient les
+hommes, qui les agrafaient sur le rebord des loges, qui les juchaient
+sur les banquettes, qui les étageaient <span class="pagenum"><a name="Page_47" id="Page_47">47</a></span> en gradins de cris et
+d'apostrophes, alors qu'elles dardaient en vain leurs &oelig;illades et
+qu'elles balançaient frénétiquement leurs allures d'oies-Impérias!</p>
+
+<p>Elles allaient, elles venaient, pressées par l'heure, faisant ressource
+de tous leurs feux; mais elles ne pouvaient disputer l'intérêt à ces
+masses de chair, pourtant pas belles, qui se heurtaient et
+s'emboutissaient, là-bas, sous les aveuglants rayons des projecteurs!</p>
+
+<p>En regardant ces lutteurs, on imaginait volontiers que c'était ici, sur
+la scène, tous les formidables héros de la statuaire. Tous ces muscles
+merveilleux, on les avait vus dans les réalisations esthétiques des
+Grecs, des Michel-Ange et des Puget. On les voyait, cette fois vivants
+en plein mouvement, tendus, exaspérés, par cette volonté de vaincre qui
+déformait aussi, la plupart du temps, les faces, et qui en faisait des
+masques douloureusement frénétiques. On se disait que nul spectacle ne
+pouvait donner un plus bel amas de muscles, un jeu plus passionné
+d'étreintes; et l'on admirait toutes les prises et toutes les attitudes
+de ces lutteurs, le dos ployé, <span class="pagenum"><a name="Page_48" id="Page_48">48</a></span> le cou tendu, solidement arcboutés
+sur leurs jambes fortes, véritables piliers, colonnes lourdes des
+temples trapus.</p>
+
+<p>On admirait les bonds rapides, les détentes imprévues de ces pesantes
+masses. On ne savait s'il fallait être pris davantage par la force ou
+par l'adresse. Souvent, c'était le combat à terre, interminable, toutes
+les prises d'épaule ou de tête essayées, un combat monotone, tout entier
+de force; mais souvent, aussi, c'était une lutte quasi légère, les deux
+hommes, malgré le poids, cabriolant, sautant et se retournant
+prestement.</p>
+
+<p>Sous la lumière brutale des projecteurs, on croyait, parfois, que
+c'étaient là les énormes prophètes de la Sixtine qui luttaient, quand on
+ne regardait pas les visages sans barbe, aux cheveux coupés courts.</p>
+
+<p>Et cela était un divertissant spectacle. Lautrec ne pouvait point ne pas
+s'y passionner.</p>
+
+<div class="figcenter" style="width: 350px;"><a name="page-049" id="page-049"></a>
+<img src="images/page-049.jpg" alt="" title="" width="350" height="581" />
+<p class="caption1">PHOTO DRUET</p>
+<p class="caption2">FILLE</p></div>
+
+<hr class="tiny" />
+
+<h2><a name="ch6" id="ch6"></a>BARS ET MAISONS CLOSES</h2><p><span class="pagenum"><a name="Page_49" id="Page_49">49</a></span></p>
+
+<p>Le goût extrême du pittoresque, de l'en-dehors des m&oelig;urs, devait tout
+droit conduire aussi Lautrec dans ces bars, dits anglo-américains, où il
+pouvait s'amuser du décor des verreries, des petites serviettes de
+couleur, des garçons en veste blanche, des roast-beefs saignants, des
+branches de céleri dans des verres d'eau, des petits tonnelets cirés, du
+haut comptoir à barre de cuivre, et surtout s'intéresser si vivement à
+la fabrication des cocktails et à la dégustation des short drinks et des
+gin-wiskies!</p>
+
+<p>Les barillets bien rangés, la verrerie de couleur, les clinquantes
+réclames des bières anglaises, des champagnes, des long drinks et des
+gobblers, allumaient tout aussitôt, au fond de son regard de gnome,
+d'ardentes convoitises. <span class="pagenum"><a name="Page_50" id="Page_50">50</a></span> Il vivait là, intensément et
+magnifiquement. Tout son art exaspéré, déformé, tout son génie de Little
+Tich fait peintre, il le doit bien aux soubresauts, aux cauchemars de
+l'alcool, qu'il absorbait là par tous ses sens;&mdash;car il les contemplait,
+il les respirait au moins autant qu'il les buvait, les fortes et
+redoutables liqueurs.</p>
+
+<p>Je crois bien, quand je songe à tout ce passé, que, curieusement et
+frénétiquement, par satisfaction physique et nécessité intellectuelle,
+Lautrec lampa toutes les boissons spiritueuses connues. Certainement, il
+ne les citait pas par ouï-dire, car il en parlait trop bien. Et alors
+que je m'en tenais, moi, à quelques formules de cocktails, il réclamait
+tous les spiritueux indistinctement et à forte dose, comme l'essence qui
+devait alimenter son organisme contrefait et génial. Mis, après ces
+brûlantes ingestions, en présence d'une fille, dans un bal public, au
+théâtre ou au concert, c'était souvent un chef-d'&oelig;uvre qu'il
+exécutait le soir même ou le lendemain, pour la longue suite des
+merveilleuses &oelig;uvres qu'il nous a laissées.</p>
+
+<p>Et quel public il flairait là!</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a name="Page_51" id="Page_51">51</a></span></p>
+
+<p>Bars de la rue d'Amsterdam, des Champs-Élysées, de l'avenue Montaigne,
+bar Achille, rue Scribe, ou Irish and american bar, rue Royale, dans vos
+roboratives salles, il rencontrait des hommes de cheval avec des petits
+chiens rageurs, des chanteuses de beuglants à la face en biais, mal
+embouchées et vives; et tout cela s'agitait, gueulait, buvait, fumait;
+tandis qu'un nègre gigoteur jouait du banjo, et que, toujours mûres,
+soûles, d'autres filles, des épaves, en piquant des crises, se
+dégrafaient et vidaient leur vessie.</p>
+
+<p>En s'hallucinant, cela devenait plus aisément londonien qu'à Londres,
+évoquait mieux, dans la fumée des courtes pipes et des gros cigares,
+quelque coin de taverne: <i>Au hérisson d'or</i>, autour d'Epsom ou de
+Newmarket.</p>
+
+<p>Pour Lautrec, ces coins-là mettaient vite sa tête en folie. Il humait le
+violent parfum de ce milieu rude, imprégné d'alcool et de peau de grand
+air, la peau de ces hommes qui vivent dans les bois, sur les pistes et
+dans les allées d'entraînement. Entrer là, s'asseoir, renifler, et boire
+doucement une multicolore liqueur, à <span class="pagenum"><a name="Page_52" id="Page_52">52</a></span> nom de saloon britannique,
+quel régal pour Lautrec, qui, parlant anglais, était surexcité par les
+syllabes londoniennes, ces syllabes tellement sportives et comme
+incluses dans ces liqueurs qu'il aimait et qu'il avalait sans souci de
+péril!</p>
+
+<p>Longtemps, nous fûmes ainsi, Lautrec et moi, les clients d'un petit bar,
+gîté dans les entours des Folies-Bergère. De onze heures à deux heures
+du matin, il s'y tenait réunion d'acrobates et de filles, et, au moment
+des luttes, tous les lutteurs s'y retrouvaient, même ceux qui ne
+paraissaient point sur la scène de la rue Richer. Raoul le Boucher,
+resté gosse, y taquinait les Turcs; et il était la bête noire de Nourlah
+le colosse. Paul Pons n'y faisait que de rares apparitions; mais tous
+les autres y figuraient: Laurent le Beaucairois, Eberlé, Constant le
+Boucher, Vervet, beaucoup de moins notoires aussi qui écoutaient avec
+recueillement, les prouesses des ténors de la ceinture.</p>
+
+<p>Au dernier instant, souvent quelques-uns se faisaient tirer l'oreille
+pour aller au tapis,&mdash;dame! il faut vivre!&mdash;et Marchand envoyait <span class="pagenum"><a name="Page_53" id="Page_53">53</a></span>
+ambassade sur ambassade, avec promesse de quelques louis en plus, pour
+ramener sur le plateau les lutteurs que le public, à vif tapage,
+réclamait.</p>
+
+<p>Chez Achille, Lautrec rencontrait des jockeys, ces petits
+bonshommes-singes qu'il adorait, presque à peine plus grands que lui;
+mais, eux, ils avaient des jambes! et il observait jusqu'à l'acuité la
+plus tendue leurs amusantes carcasses de petits vieux. Parfois ces brefs
+bonshommes étaient un peu boulots; ceux-là étaient les rageurs, se
+privant, s'exténuant, ne mangeant pas, ayant même peur de boire pour ne
+pas prendre les quelques kilos de graisse en trop pour les prochaines
+courses. Et des filles les escortaient; des filles vautrées auprès
+d'eux, auprès aussi des entraîneurs, ceux-là enfin libres de grossir; et
+qui, rouges, congestionnés, buvaient, buvaient comme des lampes, et
+fumaient comme des cheminées!</p>
+
+<p>C'étaient là les vrais bars, les seuls où, dans la verve de
+conversations sportives, il soit vraiment agréable de manger un
+irish-stew ou un hot roast-beef, posé sur une table ronde qui <span class="pagenum"><a name="Page_54" id="Page_54">54</a></span>
+fleure bon, au pied du comptoir, où des garçons, d'un geste précis,
+man&oelig;uvrent des pompes à bière, ou, à petits coups secs, battent
+l'essence forte et apéritive d'un précieux John Walker!</p>
+
+<p>De ces bars, Lautrec, étourdi, gagnait les maisons closes.</p>
+
+<p>Là, il se replongeait dans un autre élément propice. Il aimait la Femme;
+mais il aimait aussi l'atmosphère du lieu, le calme assourdi, le repos
+au creux des profonds divans. Goûtant encore ici les heures si diverses,
+les bavardages des crapaudes, il retrouvait une intimité qui n'existait
+pour lui nulle part ailleurs, tellement son aspect physique glaçait! Et
+de se sentir si bien en confiance, il était joyeux, bavard, il
+chantonnait une scie du jour. J'avoue que les filles, soit rue des
+Moulins, soit rue d'Amboise, ou dans toute autre maison, ne se
+montraient pas méchantes gales pour ce bon garçon qui les caressait de
+tendresses certaines; car, aux fêtes, aux anniversaires de chacune de
+ces gotons, des bouquets, des pâtisseries, <i>ses</i> cadeaux, affluaient; et
+s'il lui arrivait de présider, dans <span class="pagenum"><a name="Page_55" id="Page_55">55</a></span> ces chaudes maisons, un dîner
+de gala, je vous assure qu'il tenait son rôle avec une distinction et
+une cordialité qui ravissaient toutes les garces. Enfin, attiré là par
+son désir de les peindre, n'était-ce pas le meilleur moyen de les bien
+connaître, et d'aboutir à des tableaux qui apparaissent autres que des
+rengaines et des redites de banalités?</p>
+
+<p>Il apprit à voir marcher les femmes, à les voir presque aussi
+naturelles, et aussi candidement femelles qu'elles apparurent à Gauguin
+à Tahiti.</p>
+
+<p>Lautrec, ne se décidant pas à aller au Japon, où des quartiers avec
+jardins sont réservés aux courtisanes et où tout le monde les peut
+examiner à l'aise, il n'y a vraiment nul grief à dresser contre sa
+mémoire, parce que ce peintre a voulu observer les filles de Paris à
+toutes les heures, dans une sorte de caserne ou plutôt de couvent, où
+tout un tableau de travail est réglé d'avance; et où maîtresse et
+sous-maîtresse font évoluer avec méthode et discipline tout un bataillon
+de catiches pas des plus amènes. Là, il a pu, en toute liberté et en
+toute sincérité, <span class="pagenum"><a name="Page_56" id="Page_56">56</a></span> ce qui est la vraie dernière chose, réaliser des
+tableaux de m&oelig;urs étonnamment divers et vivants, dont la synthèse eût
+pu, un jour, peut-être, avec le concours d'une vie plus longue,
+constituer un considérable document pour les m&oelig;urs d'aujourd'hui et
+d'hier, pour les m&oelig;urs, à bien dire, de toujours; et qui, grâce à
+Lautrec et à son goût intransigeant de la vérité, offrent, même ainsi
+tronquées, d'éloquentes manifestations du bien ou du mal, comme il vous
+plaira à vous de l'entendre!</p>
+
+<p>Souvent, quand on arrivait dans l'atelier de Lautrec, on voyait des
+filles de ces maisons. Elles étaient en visite; et il s'amusait de les
+recevoir. Sachez, du reste, qu'il n'était pas plus grossier que les
+autres hommes. Ces maisons, c'était vraiment pour lui une famille! Oui,
+Lautrec étant un tendre, elles étaient, pour lui, ces filles, des sortes
+de déshéritées, elles aussi. Elles n'avaient pas choisi plus que cela
+leur genre de vie. D'ailleurs, choisit-on sa vie? Elles avaient même
+parfois d'étonnantes candeurs, des jalousies baroques. On ne comprenait
+pas pourquoi elles pleuraient, sans raison apparente, sans cause <span class="pagenum"><a name="Page_57" id="Page_57">57</a></span>
+déclarée. L'une de ces femmes n'avait-elle pas défendu à Lautrec
+d'amener dans la maison où elle se trouvait son ami le sculpteur C..,
+qu'elle chérissait, et à qui elle ne voulait pas se montrer en putain
+soumise? Et Lautrec était pris par beaucoup de ces choses-là, assez
+inattendues sans doute, et qualifiées plus certainement encore de
+grotesques par les gens dits honnêtes qui trouvent très bien, quand ça
+leur plaît, de les souiller, ces filles, au commandement!</p>
+
+<div class="figcenter" style="width: 350px;"><a name="page-057" id="page-057"></a>
+<img src="images/page-057.jpg" alt="" title="" width="350" height="424" />
+<p class="caption1">PHOTO DRUET</p>
+<p class="caption2">FILLE AU CARACO</p></div>
+
+<hr class="small" />
+
+<h4>DES SOUVENIRS SUR LA VIE</h4><p><span class="pagenum"><a name="Page_59" id="Page_59">59</a></span></p>
+
+<h2>III</h2>
+
+<h3>Voyages</h3>
+
+<h3>La Mer</h3>
+
+<h2><a name="ch7" id="ch7"></a>VOYAGES</h2><p><span class="pagenum"><a name="Page_61" id="Page_61">61</a></span></p>
+
+<p>Avec un homme comme Lautrec, il ne faut pas s'attendre à lire sous ce
+titre: <i>Voyages</i>, des descriptions de tours du Monde ou même de simples
+traversées de l'Atlantique. Pays touchant la France ou coins d'extrême
+banlieue, non très loin cependant de Paris, voilà tout ce que Lautrec
+entreprit de visiter; et c'est ainsi que, les premières années qui
+suivirent sa sortie de l'atelier Cormon, il alla simplement plusieurs
+fois à Villiers-sur-Morin, où habitaient quelques-uns de ses anciens
+camarades.</p>
+
+<p>Il revit là les peintres Grenier, Claudon; et ce fut, je crois, en 1887,
+qu'il y peignit le petit portrait de son ami Grenier, qui est
+aujourd'hui dans la collection Pierre Decourcelle. Plus tard il peignit
+aussi un portrait de M<sup>me</sup> Lily Grenier, <span class="pagenum"><a name="Page_62" id="Page_62">62</a></span> portrait pas très beau,
+assurément, et qui est presque un Roybet.</p>
+
+<p>Ce court voyage de Lautrec à Villiers, et ses brefs déplacements à
+Etrépagny, où il alla rejoindre deux années de suite son autre ami le
+peintre Anquetin, afin de chasser, en sa compagnie, les jeunes corbeaux,
+tout cela, ce ne sont que des excursions, pourrait-on dire, qui, au
+surplus, le fatiguaient vite; car la campagne bucolique ne pouvait guère
+séduire ce monomane du Moulin-Rouge et du Café de la place Blanche. Vous
+ne voyez pas, en effet, Lautrec regardant des champs ou des arbres,
+tandis que s'offrent à ses yeux des visions de la Goulue se cabrant, de
+Jane Avril tournoyant ou de Valentin pinçant un cavalier seul, dans le
+tonnerre des cuivres!</p>
+
+<p>Pourtant, Lautrec accomplit de plus sérieux voyages en Angleterre, en
+Espagne, en Belgique et en Hollande; mais il ne pénétra point en Italie.
+Fort heureusement, peut-être; car, visiteur du sud de la botte, quelle
+impossibilité pour lui de revenir de Naples,&mdash;de Naples, la chaude et
+franche ville salope!</p>
+
+<p>Il fut à Bruxelles, aussi, pour une exposition <span class="pagenum"><a name="Page_63" id="Page_63">63</a></span> de quelques-unes de
+ses &oelig;uvres à la Libre Esthétique;&mdash;et, en Angleterre, pour une autre
+exposition, au moment critique de la guerre anglo-boer.</p>
+
+<p>C'est avec son ami Maxime Dethomas, haut par la taille et haut par le
+talent, qu'il visita une partie de la Hollande. Ils descendirent
+l'Escaut en bateau. Amer voyage qui ne plut pas à Lautrec!</p>
+
+<p>D'Angleterre, il rapporta de nouvelles recettes de cocktails. Heureux
+pays qu'il nous vanta à son retour, parce que l'alcoolisme y est très
+considéré et même consacré par les lords!</p>
+
+<p>Il y a d'autant mieux étudié l'art de préparer les english and american
+drinks. C'est le <i>doigté</i> surtout qui l'a ébloui. Ce n'est pas
+seulement, en effet, le dosage qui importe, mais la manière de <i>faire le
+précipité</i>; et cette opération chimique renouvelée de différentes
+façons, lui a fait entrevoir un «monde de sensations» pour l'odorat et
+pour le goût. Devant tous les mélanges possibles il resta un moment,
+assurément, stupéfait et inquiet. Il se mit tout de même de bon c&oelig;ur
+à la besogne; et, bientôt, il réussit à merveille <span class="pagenum"><a name="Page_64" id="Page_64">64</a></span> toute la gamme
+des short drinks et des long drinks.</p>
+
+<p>De ses deux voyages en Espagne, le premier tourné avec son ami Maurice
+Guibert, il rapporta d'autres vives observations puisées cette fois aux
+maisons closes. Car, on se doute bien que, s'il s'est enthousiasmé pour
+Goya à Madrid et pour le Greco à Tolède, il n'a point manqué de fêter
+les filles de toutes les chaudes rues de l'Espagne.</p>
+
+<p>La célèbre lithographie en couleurs qu'il intitulera: <i>La passagère du
+54</i>, et qui représente une jeune femme de profil, sur un bateau, sous
+une tente, est un souvenir réalisé de ce voyage-là.</p>
+
+<p>Mais, surtout il n'oubliera plus jamais les &oelig;uvres du Greco et de
+Goya.</p>
+
+<p>Cette fois, il a <i>vu</i> Goya!... Et il exprime toute sa frénétique
+admiration pour cet hallucinant visionnaire des plus violentes
+sensations picturales. Et quel inventeur de l'art moderne! C'est lui qui
+a déchaîné toutes les fantaisies et tous les concepts. Dans le rêve, il
+est allé au delà de toute audace; il a créé des monstres <span class="pagenum"><a name="Page_65" id="Page_65">65</a></span>
+parfaitement organisés; il a, dans tous les cauchemars et dans toutes
+les angoisses, exprimé l'inexprimable, se servant d'un étrange dessin et
+d'une rare sobriété de couleurs. Enfin, il a marqué de sa puissante
+griffe tous les peintres qui sont venus et qui viendront après lui, pour
+représenter l'effroi et la désolation du Monde!</p>
+
+<div class="figcenter" style="width: 350px;"><a name="page-065" id="page-065"></a>
+<img src="images/page-065.jpg" alt="" title="" width="350" height="449" />
+<p class="caption1">PHOTO DRUET</p>
+<p class="caption2">PORTRAIT DE M<sup>me</sup> SUZANNE V.</p></div>
+
+<p>A Tolède, Lautrec a vu aussi le Greco, et surtout le somptueux et
+miraculeux <i>Enterrement du Comte D'Orgaz</i>. Rentré à Paris, il dira à son
+ami Romain Coolus, qu'il a également connu à la <i>Revue blanche</i>: «Je
+vais te faire ton portrait à la manière du Greco!»</p>
+
+<p>Le portrait, on le sait, fut peint; mais, heureusement, à la manière de
+Lautrec.</p>
+
+<hr class="tiny" />
+
+<h2><a name="ch8" id="ch8"></a>LA MER</h2><p><span class="pagenum"><a name="Page_66" id="Page_66">66</a></span></p>
+
+<p>Accompagnant encore son ami Maxime Dethomas, Lautrec alla une année à
+Dinard, puis à Granville.</p>
+
+<p>Pour ce voyage, il prit son costume de capitaine de la marine marchande,
+avec la casquette plate, toujours sans galon. Et il était joyeux,
+confiant, pour le défendre des sarcasmes de la foule, en son ami le
+«géant» Dethomas; Dethomas ou <i>Gronarbre</i>, ainsi il le surnommait,
+Brasseur ayant nasillé ce mot-là, un soir, dans une revue jouée au
+théâtre des Variétés.</p>
+
+<p>Il existe peu de «marines» de Lautrec. Il adorait seulement la mer pour
+s'y baigner, et pour ce vrai prétexte: être nu. Il demandait qu'on le
+photographiât ainsi. «Je fais le lion!» <span class="pagenum"><a name="Page_67" id="Page_67">67</a></span> disait-il, sans se soucier
+de ce que la plaque pouvait enregistrer.</p>
+
+<p>Pour le reste, les longues excursions le fatiguaient. Il fallait avec
+lui se désintéresser des curiosités signalées par les guides. Les
+spectacles de table d'hôte lui suffisaient. A une bonne qui servait, son
+tablier pavoisé de taches d'encre, il jeta, un jour: «Attention, ma
+fille, vous avez vos règles en noir!» et les convives pouffant de rire,
+cela l'égaya.</p>
+
+<p>Si cordial et si boute-en-train, nous a dit souvent Dethomas, était
+Lautrec quand il oubliait un instant la tenace tristesse de sa vie: sa
+courte stature. Et son art de peindre avec un mot! En province, par
+exemple, se rencontrait-il avec des gens chic, il disait, en boutonnant
+des gants imaginaires: «Dans le monde!». Une autre fois, comme venu pour
+une inauguration et passant sa bretelle rouge en travers de sa chemise:
+«Carnot!» faisait-il. Et au théâtre, enfin, lui arrivait-il de
+s'endormir sur l'épaule de son voisin, et celui-ci le secouant: «La vie
+de château!» disait Lautrec, très doux.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a name="Page_68" id="Page_68">68</a></span></p>
+
+<p>La mer! Soit! mais Arcachon et surtout Taussat restaient ses
+villégiatures préférées.</p>
+
+<p>A dire vrai, enfant, on l'avait promené à travers ces paysages de pins
+et de villas. Dans cette baie d'Arcachon, qui sépare les deux pays:
+Taussat et Arcachon, il avait aussi «navigué», comme un vrai marin. Et,
+au fond d'une voiture, traînée par un poney, il était allé quelquefois
+de Taussat à Arcachon, et retour, en faisant le long voyage, par la
+route. Il aimait les pins odoriférants, les ajoncs jaunes et les
+bruyères roses. Il s'amusait des cigales qui, au creux de ces bois de
+pins, grincent éperdument tout l'été. Et, en semaine, quand il n'avait
+pas à craindre le flux des Bordelais qui, après avoir passé le pantalon
+de flanelle rouge, à l'instar des parqueuses d'huîtres, arrivent tous à
+la baie, le samedi pour le dimanche, il venait à Arcachon dans son
+costume de marin. Aux baraques, il gobait des huîtres en les arrosant de
+vin blanc; et, souvent, il accompagnait les pêcheurs de sardines, qui,
+dans leurs pinasses, allaient pêcher le «royan d'Arcachon». Il ne
+manquait pas aussi les régates de bateaux à voiles; <span class="pagenum"><a name="Page_69" id="Page_69">69</a></span> et, d'autres
+fois, il s'allait reposer dans les Dunes et au Parc des Abatilles. Mais
+trop fréquemment toutes les villas, tous ces chalets, toutes ces villas
+Marguerite, Sigurd, Carmen, Montaigne et Flora, l'attristaient, parce
+que dans la plupart de ces maisonnettes découpées, vernissées, aux toits
+rouges de tuiles, et cachées dans les pins et dans les fleurs, des
+jeunes femmes, rieuses, jolies, chantaient, ou escortaient de beaux
+jeunes hommes, aux longues jambes! et, lui, il n'osait même pas, aux
+heures des bains, s'aventurer sur la plage d'Arcachon. Il n'osait pas
+davantage chevaucher les petits ânes gris qui se tenaient là, pour les
+excursions à la côte de Moulleau ou, en forêt, sur la route de la
+Laiterie. Il revenait sans cesse à dire ceci: qu'il se faisait l'effet
+d'être le pauvre apôtre saint Simon qu'on voit, un peu goguenard et tête
+penchée, et surtout si courtaud, dans une niche de la cathédrale
+Sainte-Cécile, à Albi.</p>
+
+<p>Heureusement, Taussat était plus désert, réservé aux Bordelais
+tranquilles; et là, il était connu de tout le monde.</p>
+
+<p>Alors, il passait les mois de juillet et d'août, <span class="pagenum"><a name="Page_70" id="Page_70">70</a></span> et quelquefois
+tout le mois de septembre à ce tutélaire Taussat. Il vivait toutes ses
+après-midi dans l'eau: et, régulièrement, il écrivait à son ami le
+sculpteur Carabin, aujourd'hui le vrai directeur, en sa vraie place, de
+l'École des Arts décoratifs à Strasbourg;&mdash;et, en lui envoyant des
+couples de mantes religieuses, ces étranges insectes, sorte de lutteurs
+à longs bras et qui ont toujours l'air de prier: «Garde-les bien! lui
+disait-il, nous organiserons à mon retour à Paris des combats de ces
+bêtes-là; ce sera un triomphe!»</p>
+
+<p>Son autre passion à Taussat, c'était d'apprivoiser des cormorans. Il se
+faisait souvent <ins class="correction" title="accomgner">accompagner</ins> de l'un de ces palmipèdes; et tous deux, ils
+rôdaient au bord de l'eau, doucement, en se dandinant.</p>
+
+<p>Lautrec variait ses plaisirs d'été en se déguisant, en organisant des
+fêtes orientales; et, tel un muezzin, il montait à la dernière fenêtre
+de sa villa, pour appeler les fidèles à la prière.</p>
+
+<p>Il vivait là en profonde intimité avec son ami Viaud, qu'il représentera
+plus tard en amiral de fantaisie.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a name="Page_71" id="Page_71">71</a></span></p>
+
+<p>Venant de Paris pour ces vacances, il s'arrêtait naturellement à
+Bordeaux. Et il se divertissait chaque fois à regarder les gandins des
+Allées de Tourny et du Cours de l'Intendance; ces touchants gandins
+bordelais qui, pour s'étonner eux-mêmes, se condamnent à parader, en
+donnant des coups de derrière, le dos creusé, les pieds entourés de
+guêtres claires, et les mains emprisonnées dans des gants beurre frais,
+dont le crispin retombe, d'un air si benêt, sur les doigts!</p>
+
+<p>Lautrec faisait de longues pauses au café de Bordeaux, sur la place de
+la Comédie; et il sera noté plus loin les titres de quelques dessins
+qu'il y réalisa.</p>
+
+<p>Lautrec le commodore! Oui, il allait redevenir le commodore, comme il
+disait, et reprendre lui aussi le pantalon de flanelle rouge, le fameux
+pantalon de flanelle rouge retroussé aux genoux, le petit jersey bleu,
+et la casquette d'officier de marine.</p>
+
+<p>Enfin, pour ne rien changer, dans la mesure du possible, à ses
+habitudes, il arriva souvent à Lautrec de descendre, en arrivant à
+Bordeaux, <span class="pagenum"><a name="Page_72" id="Page_72">72</a></span> dans une maison publique de la rue de Pessac. Il «se
+retrempait» là, ainsi qu'il aimait à le répéter, en famille; et surtout
+il retrouvait là aussi, tout de suite, et avec quelle joie, <i>l'accent</i>!
+ce précieux accent bordelais si difficile à définir et qu'il faut
+entendre; et, dans lequel, comme dans une recette culinaire, il entre de
+la cocasserie, de la prétention et beaucoup de sottise!</p>
+
+<hr class="small" />
+
+<h4>DES SOUVENIRS SUR LA VIE</h4><p><span class="pagenum"><a name="Page_73" id="Page_73">73</a></span></p>
+
+<h2>IV</h2>
+
+<h3>Ses Logis</h3>
+
+<h3>Saint-James</h3>
+
+<h3>1900</h3>
+
+<h3>Malromé</h3>
+
+<h2><a name="ch9" id="ch9"></a>SES LOGIS</h2><p><span class="pagenum"><a name="Page_75" id="Page_75">75</a></span></p>
+
+<p>A tout bien considérer, il est peut-être intéressant d'indiquer les
+successifs logis d'un homme notoire, ne serait-ce que pour permettre à
+la puérile Postérité d'apposer sur une des maisons qu'il habita, une
+plaque dite commémorative de naissance ou de séjour du grand homme.</p>
+
+<p>Quand Lautrec prit son premier atelier, seulement pour y travailler, à
+l'angle des rues Tourlaque et Caulaincourt, vers l'année 1887, il
+s'installa avec son ami le Docteur Bourges, au n<sup>o</sup> 19 de la rue
+Fontaine. Mais il continua de dîner souvent avec sa mère, qui ne
+s'éloignait de Paris que pendant l'été.</p>
+
+<p>De 1887 à 1891, Lautrec demeura ainsi avec le Docteur Bourges, le
+célèbre <i>Bi</i>, comme il <span class="pagenum"><a name="Page_76" id="Page_76">76</a></span> l'avait surnommé; et de 1891 à la fin de
+1893, tous deux allèrent habiter à côté, au n<sup>o</sup> 21 de la même rue. Le
+Docteur Bourges faisait alors son internat dans les hôpitaux et ses
+premières recherches de laboratoire. Peut-être, Lautrec et lui, si unis,
+ne se fussent-ils jamais séparés, mais le Docteur Bourges se maria au
+début de l'année 1894. Du coup, tous deux, ils cessèrent aussi de voir
+fréquemment leurs amis qui les venaient voir quand ils demeuraient
+ensemble. Ces amis, c'étaient les peintres Henri Rachou et Anquetin,
+l'ingénieur Robin-Langlois et les Docteurs Dupré, Mosny, Wurtz et
+Caussade, et enfin M. Gabriel Tapié de Celeyran, alors interne chez Péan
+le théâtral, à l'hôpital international, sis rue de la Santé; M. Tapié de
+Celeyran, autre cousin germain de Lautrec, et aussi long et aussi mince
+que, lui, Lautrec, était court et gros. M. Gabriel Tapié de Celeyran,
+très reconnaissable, est représenté dans beaucoup de tableaux peints par
+Lautrec et dans un non moins grand nombre de ses lithographies.</p>
+
+<p>Ah! ce premier atelier de la rue Tourlaque! Comme il était encombré de
+choses si hétéroclites! <span class="pagenum"><a name="Page_77" id="Page_77">77</a></span> car Lautrec s'intéressait à tout: aux
+peintures de ses amis, à des faïences persanes, à des cages, etc., etc.;
+mais cependant, il était impossible de ne point voir, d'abord dans le
+fond de l'atelier, un comptoir de bar, sur lequel Lautrec aimait à
+préparer des cocktails pour lui-même et pour ses amis en visite. Car,
+avec lui, il fallait boire, et boire solidement. Alors, seulement, il
+vous estimait.</p>
+
+<p>Préparer ses cocktails! Assurément, s'il avait eu en sa possession des
+cocktails tout faits, sa joie aurait été moindre. Couper des lamelles de
+citron, doser des essences et des alcools, piler de la glace, agiter le
+tout dans des gobelets, c'était pour Lautrec un total contentement; et
+il s'y appliquait avec une vive curiosité, inventant d'inédites
+recettes, dont, nouveau Borgia, il essayait l'effet sur ses amis. Et,
+comme il exultait, quand, pour le féliciter on claquait, à plusieurs
+reprises, de la langue! Et quelle fut sa joie, cette soirée, ou plutôt
+cette nuit, chez M. Thadée Natanson, où il enivra ainsi, à les coucher,
+ses amis Félix Fénéon, Tristan-Bernard, Romain Coolus, Maxime Dethomas
+et Francis <span class="pagenum"><a name="Page_78" id="Page_78">78</a></span> Jourdain; lui, allant et venant, tout fier dans sa
+courte veste blanche de barman!</p>
+
+<p>Il recevait souvent aussi ses amis chez le photographe Sescau, installé,
+à cette époque, place Pigalle; et, un soir, les ayant invités à manger
+du kanguroo, un simple agneau auquel on avait ajouté une queue de
+b&oelig;uf, il jeta, pour qu'on ne bût pas d'eau, des poissons rouges dans
+toutes les carafes.</p>
+
+<p>Lautrec prenait un vif plaisir à organiser ces dîners, à distribuer des
+rôles. Il voyait la vie comme une vaste pantomime anglaise, avec chaque
+individu, chaque accessoire à sa place.</p>
+
+<p>D'abord, il se divertissait à dessiner les menus: un croquis preste ou
+une composition qui tenait tout un côté de la page.</p>
+
+<p>Tantôt, c'était un cheval de bois pour un menu Sylvain; tantôt le
+portrait de Sescau armé d'un tambourin, pour un dîner, rue Rodier; ou le
+portrait de Mlle Renée Vert, la modiste, à l'occasion d'un dîner des
+Indépendants; ou bien un croquis de souris, pour un déjeuner chez la
+divette Miss May Belfort, rue Clapeyron; etc., etc.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a name="Page_79" id="Page_79">79</a></span></p>
+
+<p>En 1897, Lautrec transporta son atelier dans l'avenue Frochot, une
+impasse bordée de petits pavillons et de jardinets. Mais il habita cette
+fois, rue de Douai, avec sa mère venue près de lui pour le soigner; car
+il commençait de se déséquilibrer. C'est là, par exemple, qu'un soir,
+dans la peur des microbes, il inonda de pétrole tout l'appartement.
+L'alcool, à forte dose, activant la virulence d'une grave maladie
+constitutionnelle, était cause de tout.</p>
+
+<p>Lautrec conserva cet atelier jusqu'à sa mort.</p>
+
+<hr class="tiny" />
+
+<h2><a name="ch10" id="ch10"></a>SAINT-JAMES</h2><p><span class="pagenum"><a name="Page_80" id="Page_80">80</a></span></p>
+
+<p>«Quelle maladie est comparable à l'alcool!», c'est le cri d'Edgar Poë,
+mourant de génie et d'ivresse, dans une rue de Baltimore, devant le
+hideux et abject mercantilisme des Américains.</p>
+
+<p>Or, Lautrec a fait la dure expérience de cette parole. Il a renouvelé
+ses excentricités. Il a tant usé de spiritueux; il a si peu préservé
+d'autre part son pauvre corps que des hallucinations l'assaillent. Il
+parle, entre autres choses, des rafles qu'il a faites en compagnie de sa
+chienne Paméla et du commissaire de police de son quartier, prenant un
+gardien qu'on lui a donné pour ce fonctionnaire. Alors, pour lui assurer
+un repos et un changement de milieu nécessaires, il est question de
+l'envoyer au Japon, son <span class="pagenum"><a name="Page_81" id="Page_81">81</a></span> vif désir d'autrefois. Sur ces
+entrefaites, croyant qu'il a à se plaindre du marchand de tableaux
+Durand-Ruel, Lautrec se place rue Laffitte, devant la porte de cette
+galerie, et, déguisé en mendiant, il ameute la rue contre le marchand.
+Il faut agir. Deux personnes de la famille de Lautrec se décident à le
+placer dans une maison de santé. Le père aurait dû venir s'occuper du
+malade, mais il chassait; et il demanda, lui, qu'on envoyât simplement
+son fils en Angleterre, où l'ivrognerie passe inaperçue, et y est même
+fort honorée, puisque, là, ajoutait-t-il, tous les nobles s'alcoolisent.</p>
+
+<div class="figcenter" style="width: 350px;"><a name="page-081" id="page-081"></a>
+<img src="images/page-081.jpg" alt="" title="" width="350" height="502" />
+<p class="caption1">PHOTO DRUET</p>
+<p class="caption2">AU MOULIN-ROUGE</p></div>
+
+<p>Ce fut en l'hiver de 1899 que Lautrec entra dans la maison de santé du
+docteur Semelaigne, à Saint-James, près Neuilly.</p>
+
+<p>Vrai séjour datant du <span class="smcap">xviii</span><sup>e</sup> siècle; mais séjour un peu vétuste. Petits
+temples à l'Amour. Canal à sec allant à la Seine, autrefois servant sans
+doute aux embarquements pour Cythère, plis Watteau et robes à paniers.</p>
+
+<p>Tout de suite, Lautrec se rendit parfaitement compte du lieu où il se
+trouvait; et, devant ses amis Dethomas et Carabin, qui le visitèrent,
+<span class="pagenum"><a name="Page_82" id="Page_82">82</a></span> il plaisanta, disant qu'il était à Saint-James plage; et même il ne
+cessa de leur réclamer de l'alcool dans une bouteille plate.</p>
+
+<p>Son goût du travail ici accomplit un nouveau miracle. Avec une plume de
+bécasse, ramassée dans la cour, il se mit à dessiner un cheval; et,
+ayant obtenu un crayon et du papier, il composa de mémoire toute la
+suite de dessins aux crayons de couleur que Manzi éditera plus tard sous
+ce titre: <i>Au cirque</i>. Admirables dessins dont nous parlerons plus loin.</p>
+
+<p>Durant deux mois, Lautrec resta à Saint-James. Il en sortit, apaisé,
+ardent à travailler. On le retrouva d'abord spirituel, dispos; mais,
+soudainement, avec l'alcool de nouveau ingéré à forte dose, de
+singuliers goûts de bohème éclatèrent et s'aggravèrent. Lautrec devint
+tout d'un coup plus libre en ses propos et plus dur; et quelques anciens
+familiers, niaisement déconcertés, alors, épouvantés, s'enfuirent.</p>
+
+<hr class="tiny" />
+
+<h2><a name="ch11" id="ch11"></a>1900</h2><p><span class="pagenum"><a name="Page_83" id="Page_83">83</a></span></p>
+
+<p>Mais, la maladie, fouettée par l'alcool, poursuit, inexorablement, son
+&oelig;uvre. On ne voit plus maintenant Lautrec travailler avec autant
+d'entrain qu'autrefois.</p>
+
+<p>On lui a recommandé une espèce de culture physique, qui n'est guère
+louable pour sa débilité corporelle.</p>
+
+<p>Aux cinq à sept des cafés de Montmartre, qu'il a tant fréquentés, on se
+raconte ses nouvelles excentricités et les prouesses athlétiques qu'il
+s'efforce d'accomplir. On a installé ainsi, dans son atelier, une sorte
+de caisse, un bateau mécanique, dans lequel il s'assoit et rame. Lui, il
+trouve cela extraordinaire d'invention; et, surexcité, il prend même des
+bains dans une façon de cratère formé par un tombereau de sable.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a name="Page_84" id="Page_84">84</a></span></p>
+
+<p>Il ne va plus au Moulin. Il se traîne seulement quelquefois en voiture
+jusqu'à la taverne Weber, rue Royale.</p>
+
+<p>Cependant, de l'avenue Frochot, il adresse à certains camarades un
+dernier menu: une invitation «à une tasse de lait»; une lithographie qui
+le représente en picador, auprès d'une vache qui doit figurer sur une
+petite pelouse, au bas de son atelier. Et il croit encore pouvoir
+travailler.</p>
+
+<p>Les panneaux de bois le tentent. Il a acheté, pour les gratter et les
+poncer, des râcloirs d'acier et des peaux. On le trouve parfois
+s'époumonnant à cet exercice; et il répète, en vous montrant son
+ouvrage, son éternel: «C'est merveilleux, hein?»</p>
+
+<p>Il profite des fauteuils qu'on roule à l'Exposition universelle pour la
+visiter.</p>
+
+<p>Il a gardé son vif amour des Japonais; et il se ranime quand il aperçoit
+les pelouses vertes, les pagodes aux toits recourbés et tapissés
+d'écailles, et les servantes à la taille gonflée par le monumental
+n&oelig;ud de la ceinture. Puis, c'est Kawakami, installé chez la Loïe
+Fuller, une de ses anciennes admirations; Kawakami, et cette <span class="pagenum"><a name="Page_85" id="Page_85">85</a></span> Sada
+Yacco, si fragile, si douloureuse, que l'on vient de lancer; cette Sada
+Yacco dont la théâtrale agonie angoisse d'une façon vraiment si
+inédite,&mdash;à en juger par les pâleurs d'envie de toutes les femmes de
+théâtre accourues là, en foule.</p>
+
+<p>Lautrec veut revoir aussi sa Goulue, qui parade à la fête de Montmartre,
+dans la baraque de Juliano. La vedette du chahut devenue dompteuse! Il
+n'en éprouve aucune joie. C'est tout un temps bien révolu.</p>
+
+<p>Surtout, il n'a plus d'illusion. Il traîne à présent sa vie comme un
+long suicide; et il détaille sa maladie constitutionnelle avec un
+sang-froid et un cynisme angoissants.</p>
+
+<hr class="tiny" />
+
+<h2><a name="ch12" id="ch12"></a>MALROMÉ</h2><p><span class="pagenum"><a name="Page_86" id="Page_86">86</a></span></p>
+
+<p>Lautrec se trouvait au mois d'août de l'année 1901 à Taussat, quand il
+fut frappé de paralysie, au moment où il se préparait à partir pour
+Arcachon.</p>
+
+<p>Sa mère accourut, et l'emmena au château de Malromé.</p>
+
+<p>Dès lors, il ne sortit plus qu'en voiture, et avec la plus extrême
+fatigue.</p>
+
+<p>Il se plaisait à Malromé. C'est un château important et de caractère.
+Gentilhommière avec tours et tourelles, entourée d'une cinquantaine
+d'hectares environ. Madame la Comtesse Alphonse de Toulouse-Lautrec
+l'avait achetée naguère à la famille de Forcade.</p>
+
+<p>Les derniers jours, Lautrec ne mangea plus. Il voulait s'abuser: «J'ai
+mangé, hein?» répétait-il. <span class="pagenum"><a name="Page_87" id="Page_87">87</a></span> On le portait à table dans un fauteuil.</p>
+
+<p>Il mourut, religieusement, le 9 septembre 1901, en pleine connaissance,
+entouré de sa mère, de son père, de son cousin germain M. Louis Pascal,
+de la mère de celui-ci, de son autre cousin germain M. Gabriel Tapié de
+Celeyran et de son inséparable ami Viaud.</p>
+
+<p>Avant la mort de Lautrec, son père n'était venu qu'une seule fois à
+Malromé.</p>
+
+<p>Pendant les derniers moments de son fils, il se signala encore par
+quelques excentricités.</p>
+
+<p>Il voulut d'abord lui couper la barbe, sous prétexte que les Arabes
+opèrent ainsi. On put à grand'peine l'en empêcher.</p>
+
+<p>Armé d'un élastique arraché à sa chaussure, il se mit alors à courir
+après les mouches qui piquaient, affirmait-il, le moribond.</p>
+
+<p>La veille de l'enterrement, craignant pour les porteurs (on peut, en s'y
+prenant mal, attraper une hernie!) ne voulut-il pas aussi que, sur ses
+indications, on préparât un dessin explicatif destiné à montrer comment
+on doit enlever un cercueil? mais cette sorte de macabre répétition
+générale fut refusée.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a name="Page_88" id="Page_88">88</a></span></p>
+
+<p>Il déclara ensuite qu'il suivrait à cheval le corbillard, car il
+souffrait de cors aux pieds. Et comme on refusait encore, il dit: «Soit!
+je suivrai pieds nus!» Mais on lui opposa un nouveau refus. Enfin, le
+matin même de la cérémonie, tandis que tout le monde n'attendait plus
+que M. le comte pour partir, on monta dans sa chambre; et que vit-on? M.
+de Toulouse-Lautrec tout nu et en train de se tailler lui-même les
+cheveux!</p>
+
+<p>On enterra d'abord Lautrec à Saint-André du Bois; mais sa mère,
+craignant que le cimetière de cette commune, dont dépend le château de
+Malromé, ne fût déplacé pour des raisons de voirie, fit enlever peu
+après le corps de son fils pour l'inhumer définitivement à Verdelais,
+lieu de pélerinage célèbre dans toute la Gironde.</p>
+
+<p>Quand il apprit la mort de Lautrec, Tristan-Bernard dit ce mot si exact:
+«Voilà Lautrec rendu au monde surnaturel; c'était un être si en dehors
+de ce monde!»</p>
+
+<p>Le comte ne voulut pas de vente de tableaux. On les distribua en partie.</p>
+
+<hr class="small" />
+
+<h2>DES COMMENTAIRES SUR L'&OElig;UVRE</h2><p><span class="pagenum"><a name="Page_89" id="Page_89">89</a></span></p>
+
+<h2>I</h2>
+
+<h3>Peintures, Premières &OElig;uvres</h3>
+
+<h3>Le Moulin Rouge</h3>
+
+<h3>Filles</h3>
+
+<h2><a name="ch13" id="ch13"></a>PEINTURES.&mdash;PREMIÈRES &OElig;UVRES</h2><p><span class="pagenum"><a name="Page_91" id="Page_91">91</a></span></p>
+
+<p>Les premières &oelig;uvres de Lautrec furent, avons-nous noté, des chevaux,
+des chiens, des buveurs, des artilleurs et des moines. L'influence
+Princeteau, en tant que manière de dessiner et de peindre, fut, nous
+l'avons également établi, nulle. Il y eut une plus certaine influence,
+si vite effacée, de John-Lewis Brown, qui, lui, témoigna de quelques
+brillantes qualités dans ses nombreux tableaux de chasses et de courses.</p>
+
+<p>Nous avons considéré avec curiosité ces premières &oelig;uvres, sauvées, de
+Lautrec.</p>
+
+<p>Voici <i>La promenade</i>, qui date de 1881. Un cavalier dans une allée, sur
+un gros cheval noir; un chien, qui n'est pas peint. Tableau tout à fait
+à la manière de John-Lewis Brown.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a name="Page_92" id="Page_92">92</a></span></p>
+
+<p><i>Un buveur</i> (1882). Un ouvrier, peinture empâtée, quelconque.</p>
+
+<p>Voici des <i>B&oelig;ufs</i>. Une chose sans importance, comme une esquisse de
+Troyon.</p>
+
+<p><i>Des moines</i>, encore quelconques. Des peintures et des aquarelles.</p>
+
+<p><i>Des Portraits d'hommes.</i> Un métier d'Ecole.</p>
+
+<p><i>Une Femme à la toilette.</i> Nue, sur un lit. C'est un tableau, cette
+fois, à la manière d'Albert Besnard.</p>
+
+<p>En somme, les débuts de beaucoup d'autres seigneurs de la Peinture. Des
+débuts, pouvait-on dire, sans promesses.</p>
+
+<p>D'ailleurs, qui ferait montre d'originalité à ce moment-là de la vie? Si
+l'on est seul, oui, peut-être; car voici un magnifique exemple: Vincent
+Van Gogh, un peintre aussi rare que les plus rares; qui, en sept années,
+pas une de plus, débute avec du génie, pleinement, et meurt avec tout
+son génie! Mais Lautrec avec Princeteau, avec John-Lewis Brown, avec
+toutes les images vues, les images qui traînent dans les ateliers, il
+n'oserait pas risquer quelque chose de lui-même. «Nourrisson!» disait
+Princeteau. Oui, un <span class="pagenum"><a name="Page_93" id="Page_93">93</a></span> nourrisson qui tette un lait médiocre. Vincent
+Van Gogh, lui, sans père nourricier, a mordu, tout de suite, en pleine
+chair. Aussi, tout seul, il a réalisé son &oelig;uvre incomparable. Tout
+seul, car il est resté à peine quelques mois, et si à l'écart, chez
+Cormon. Pour Lautrec, il faut qu'il s'évade, s'étant lui-même
+emprisonné; et ce n'est pas Princeteau, impuissant, qui peut l'aider à
+se délivrer. Il faut que Lautrec imite d'abord, qu'il copie. C'est ainsi
+que l'on devient, quelquefois, un maître. Et Lautrec, qui n'a que
+Princeteau et Cormon pour le guider, tâtonnera et perdra du temps. Mais
+la vie est là, derrière la porte de ces tristes ateliers; et Lautrec,
+une fois sur la vie, la mangera et la boira, lui aussi goulûment; il
+l'étreindra et il la violera.</p>
+
+<hr class="tiny" />
+
+<h2><a name="ch14" id="ch14"></a>LE MOULIN-ROUGE</h2><p><span class="pagenum"><a name="Page_94" id="Page_94">94</a></span></p>
+
+<p>C'en est vite fait, du reste; Lautrec a renié Bonnat, Cormon,
+c'est-à-dire tout le poncif, le niais, l'inutile, le néant.</p>
+
+<p>Il aime maintenant la vie, les lumières; il entre au Moulin-Rouge comme
+au Paradis.</p>
+
+<p>Tout ce qui s'y passe, tout ce que l'on y voit, est à peindre. C'est un
+domaine tout neuf où pas un vrai peintre n'a encore pénétré. Globes
+lumineux, filles, drapeaux, danseurs, alcools et fumées, rut et ivresse,
+tout est là, présent, en plein caractère, si inédit, si inattendu, si
+irritant, que l'honnête femme même veut entrer, ici, une fois, «pour
+voir ce qu'il y a là-dedans!»</p>
+
+<p>Les bals publics de ce temps-là! Ce bal du Moulin-Rouge, surtout,
+aujourd'hui brûlé, disparu! <span class="pagenum"><a name="Page_95" id="Page_95">95</a></span> Lautrec en aimait tant les hôtes et il
+admirait tellement la Danse!</p>
+
+<p>La Danse! Les danseuses! Soit que les jambes épileptiques halètent,
+attachées par un fil au tronc qui se berce; soit que, plus sages, elles
+marchent sous les jupes bien droites, c'est toute la musique qui les
+mène, c'est tout le chef d'orchestre qui, de la pointe de son bâton,
+excite les jambes, les apaise, décoche des coups secs qui cinglent les
+jarrets, ou les fait s'arrondir très mous avec la lente virevolte des
+basses.</p>
+
+<p>Il n'est pas besoin de les en prier, pour que les danseuses se mettent à
+cette tâche d'apparaître avec leurs yeux clairs reculés par le bistre et
+d'envoyer, par dessus les têtes, le vol clinquant de leurs jupes, en
+corbeille.</p>
+
+<p>Au-dessous de la croupe qui ondule, en pointant la naissance du ventre,
+les jambes se trémoussent dès la première note du quadrille dans la
+halle, ornée de multicolores drapeaux et de gaz versicolores!&mdash;et ces
+jambes qui, maîtresses du sexe, bâillent ou se referment, s'activent en
+un mouvement d'automate en folie, ou faiblement fléchissent, on les voit
+tout à coup, alors <span class="pagenum"><a name="Page_96" id="Page_96">96</a></span> que les têtes se renversent éperdues, trotter
+menues, comme «sanglotantes», pour aller défaillir dans un accouplement
+illusoire, aux sons d'une musique soûle, dans un décor très folâtre!</p>
+
+<p>Puis, bientôt, le haut du corps, pantin du rire, s'efface. Les grâces de
+ces danseuses descendent aux jambes, aux cuisses larges, aux pieds
+minces;&mdash;et sous les feux des globes, dans l'haleine chaude du cercle,
+commence l'«émoi» fantaisiste du linge, la réjouissance des jambes qui
+disparaissent dans des flots de dentelles et des remous de linon.</p>
+
+<p>Elles vont, elles viennent, amusantes à considérer dans leur mouvement
+d'abord très doux, rythmique, sur le bassin-pivot, le rachis ployé en
+arc; cela simule un appel aux caresses lentes, aux baisers qui
+s'attardent en des amours de début, pendant que l'entre-deux de
+l'hermétique pantalon fait accordéon; c'est, avec le sérieux enjoué de
+la fille, la promesse d'une sentimentale tendresse, au bord d'un lac, le
+soir; tandis que la rapide battue des jambes, soudainement, fait songer
+à quelque coup de force, après des <span class="pagenum"><a name="Page_97" id="Page_97">97</a></span> saladiers de vin très cuisant,
+où nageaient, ainsi que des yeux, des tranches de citrons.</p>
+
+<div class="figcenter" style="width: 350px;"><a name="page-097" id="page-097"></a>
+<img src="images/page-097.jpg" alt="" title="" width="350" height="423" />
+<p class="caption1">PHOTO DRUET</p>
+<p class="caption2">LES VALSEUSES</p></div>
+
+<p>Mais rousses, blondes ou brunes, elles sont plus troublantes, les
+danseuses, quand, les jupes baissées, elles espèrent le signal du chef
+d'orchestre, perché sur son estrade ainsi qu'un singe. Leurs faces
+blanches, saupoudrées de rouge et de bleu, leurs yeux luisants comme des
+soleils et leurs nez aux évents qui renâclent, charment toujours certes;
+mais ces jambes que l'on sait en folie et qui sont calmes, ces bras
+inoccupés et que l'on devine fourrageurs, vous mesurent tout net la gêne
+que l'on aurait à exaucer les érotiques prières de ces orageuses
+trousse-jupes.</p>
+
+<p>A les regarder danser, on rit et l'on exulte,&mdash;et on les interpelle en
+clameur. Mais aussi quelle angoisse communicative est la leur, et de
+quel amer triomphe semblent-elles jouir! Quand elles se mettent en
+branle placidement et le nez au vent, toutes les danseuses ont ces
+dandinements de têtes, ces contorsions de ventres qui semblent secouer
+un mâle accroché à la croupe; et la flamme qu'elles irradient, alimentée
+sans relâche <span class="pagenum"><a name="Page_98" id="Page_98">98</a></span> par leurs yeux brûlants et leurs gorges blanches,
+dansantes du convulsif roulis du rire, devient bientôt le feu de joie de
+femmes lâchées en pleine ivresse, au milieu d'hommes qui les stimulent
+et les fouaillent, jusqu'à ce que les ventres très las retombent
+flasques, jusqu'à ce que l'orchestre s'arrête net sur un geste de son
+chef.</p>
+
+<p>Il y a&mdash;ce qui est bon&mdash;une réelle émulation dans ces exercices spéciaux
+de gymnastique,&mdash;en musique! Le public l'y encourageant, chaque fille a
+la volonté de jouer plus absolument son rôle, de le composer avec le
+plus d'ampleur possible. Cela explique les audaces et les obscénités de
+la fin, quand la jupe se relève, montrant les fesses pavoisées de linge.
+Et peut-on ne pas louer cette fille, à l'ardeur insolite, qui implore
+cette couronne des bouches ricanantes, des yeux qu'elle allume, de tout
+ce qu'elle appâte avec la pointe de son pied, avec la grâce triste de
+son rire, avec&mdash;accompagnée par une violente tempête d'instruments&mdash;la
+bordée de ses lazzis et de ses apostrophes à pleine voix?</p>
+
+<p>Cette remarque importe, au reste, que, dans un bal public, les femmes
+ont toutes les raisons <span class="pagenum"><a name="Page_99" id="Page_99">99</a></span> de se croire chez elles. L'homme, au
+contraire, est effacé, insignifiant, ou simplement bête. Pourtant
+certains font parfois exception,&mdash;et on les rencontre le plus souvent
+chez les commis aux dossiers et les ordonnateurs des pompes funèbres.
+Alors, l'hilarité est doucement joviale. Ces derniers surtout semblent
+baller sur de vagues têtes de morts. Ils ont, sur les autres danseurs,
+cet avantage indéfectible de paraître toujours descendre de la
+Courtille. Aux époques les plus graves de l'année, aux fêtes les plus
+consacrées et les plus religieuses, ils demeurent eux seuls, au
+Mardi-Gras ou à la Mi-Carême. Aussi ne semblent-ils pas équivoques quand
+ils dansent; même ils ont le devoir de danser, étant créés dans ce but.
+Les ordinaires tâches de la vie ne doivent pas les accaparer tout
+entiers; ils doivent figurer au bal, le soir,&mdash;être ces acteurs
+immuables qui sont l'âme d'une pièce.</p>
+
+<p>De même, les danseuses, les étoiles, n'ont de raison d'être qu'une
+heure, le soir. Le jour, elles pourraient n'être plus; mais, le soir,
+elles vivifient l'endormement d'une salle, elles incitent à <span class="pagenum"><a name="Page_100" id="Page_100">100</a></span> de plus
+alertes musiques, elles attroupent les flâneurs qui tournent autour des
+piliers, et, leur sacerdoce,&mdash;ce dont il faut les louer!&mdash;elles
+l'accomplissent tout du long, fières de leur apostolat, n'ayant rien
+négligé du décor et de la pompe du costume.</p>
+
+<p>Unanimement admirées, les étoiles sont encore les arbitres de la paix.
+Quand elles dansent, le bal suspend sa vie de mots et de rires; et il
+regarde.</p>
+
+<p>Se fendre en grand écart, marcher la pointe du pied à hauteur de
+l'&oelig;il, c'est rude; mais cela devient de suite si aisé! Et les
+tâtonnements sont si pleinement encouragés! Certaines figures de
+quadrilles ont la verve endiablée et folle des grands bouleversements de
+foules; et quand cela est rugi, clamé, bramé, pinçant les nerfs,
+flagellant les mollets, la foule part tout entière, malgré elle,
+s'élance, bondit, bat des entrechats, saute comme une théorie de
+démoniaques, se démène, s'agite, activant par contre-coup la grosse
+caisse qui perd la mesure, tirant du violon des sons de bastringue.</p>
+
+<p>Et, tout autour de ces danseuses, une exceptionnelle <span class="pagenum"><a name="Page_101" id="Page_101">101</a></span> foule formait
+comme un fumier humain!</p>
+
+<p>Une brume flottait et noyait les visages, on ne voyait bientôt plus que
+le blanc du linge. Des habitués, haletants, ne bougeaient pas: c'étaient
+des rentiers du quartier, des gens de Courses et de Bourse, des forbans
+de cafés. Tous les quadrilles avaient leur cercle de spectateurs. Et la
+cage s'emplissait sans cesse, bientôt elle fumait. Quand on arrivait
+là-dedans de sang-froid, on restait figé, les tempes moites. Des hiatus
+de bouche bâillaient sous des toisons de moustaches; des narines
+éclataient à force de humer les sexes; et l'on était imprégné d'odeurs
+de latrines, de bas parfums de fards et de je ne sais quels relents
+encore. C'était dévorant et c'était unique. Pour exprimer cela,
+picturalement, on devinait la nécessité d'un peintre offrant un dessin
+cruel et des couleurs de fosse. Lautrec apporta tout cela.</p>
+
+<p>Une de ses premières toiles faites d'après ce bal, ce fut le <i>Quadrille
+au Moulin-Rouge</i>, que posséda Joseph Oller, et qui fut longtemps
+accrochée à l'entrée du bal avec, <span class="pagenum"><a name="Page_102" id="Page_102">102</a></span> comme pendant, <i>L'écuyère au
+Cirque Fernando</i>.</p>
+
+<p>Cette peinture, la photographie l'a vulgarisée. Elle est importante,
+mais sèche, trop fortement dessinée. Le dessinateur aigu que sera
+Lautrec pendant toute sa courte vie, l'emporte ici sur le peintre. Et,
+grâce à cela, on peut voir l'amère et douloureuse précision du trait,
+dont il ceinturera plus tard, avec plus de souplesse toutefois, les
+faces et les attitudes. Mais, par cette toile, déjà il se précise que
+Lautrec ne fera aucune concession au goût public: il ira au delà, s'il
+le peut, de toute la bestialité et de toute la hideur humaines. Tant pis
+si les visages sont laids, et les gestes crapuleux; le caractère en
+premier lieu, le trait âpre et incisif qu'il prendra d'abord à Degas,
+mais qu'il prendra ensuite à la vie et qu'il fera toujours plus mordant
+et toujours plus animé. Et la couleur générale aussi sera acide et dure,
+sans souplesse de passages de tons, sans glacis, sans émail; il n'y aura
+que des hachures creusées à coups de griffe, comme des déchirures de
+stylet, presque de la peinture de sadique, en tout cas bien de la
+peinture de ce peintre qui me jetait un jour: «Ah! ces filles, <span class="pagenum"><a name="Page_103" id="Page_103">103</a></span> pour
+les bien exprimer, je voudrais les peindre avec du f.....!»</p>
+
+<p>Que de tableaux, Lautrec réalisa dans ce bal du Moulin-Rouge, je veux
+dire: à propos de ce bal! A le hanter, il en rapportait continuellement.
+Voyez celui-ci, au hasard: <i>Les Valseuses</i>. La jolie fille jeune et la
+mûre lesbienne qui a pour sa compagne des tendresses d'amant. Quel
+expressif dessin, et d'une surprenante noblesse, et maintenant, c'est
+fini, entièrement inédit! Ah! la fraîche gorge, et le regard clos qui la
+convoite! Gibier du <i>Hanneton</i> et de la <i>Souris</i>!</p>
+
+<p>Rappelez-vous aussi <i>Jane Avril</i>, l'air vanné, avec sa face de rate
+funèbre, levant sa jambe droite et se trémoussant, en savant équilibre,
+sur la mince flûte de sa jambe gauche.</p>
+
+<p>Et le <i>Départ de quadrille</i>? La fille, plantée sur ses deux jambes, les
+poings appuyant les jupes aux hanches. Ne repose-t-elle pas comme une
+table se tient sur ses quatre pieds? Cette fille a le visage à la mal en
+train; mais elle est solide, c'est un roc. Sans émoi, elle attend, pour
+se jeter en branle, que le fracas de l'orchestre se déverse sur elle.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a name="Page_104" id="Page_104">104</a></span></p>
+
+<p>Voici la <i>Danse</i>, le papillon balourd que Lautrec a lâché sur le
+parquet; grosse dondon en pantalon, qui pince son cavalier seul, en
+esquissant un prétentieux vis-à-vis.</p>
+
+<p>Et tous les autres tableaux de danseurs et de danseuses: des filles
+teignes, des danseurs, rats fouinards à melons plats; tous les
+spectateurs et toutes les spectatrices aussi qu'il découvrit, qu'il
+plaça, singuliers hannetons, dans une sorte de tourbillon de jambes,
+dans une fumante et chaotique mêlée de fesses, dans un remous de gestes
+épileptiques; et remuant des rires, des mots obscènes, de la sueur de
+dessous de bras et de dessous de cuisses, du dégoût de bas remugles qui
+se vident, qui montent en nuages bas et lourds et répugnants autour des
+globes de cette salle de bal, qui, au résumé, apparaissait telle qu'une
+gare soûle, en bois, au pays des Fjords!</p>
+
+<p>Mais tout cela qui était tout et qui eût compté tellement dans
+l'&oelig;uvre d'un autre peintre! ce n'était rien, ce ne fut rien quand
+Lautrec nous présenta, en coup de tonnerre, la Reine, l'Impératrice
+arsouille, la Majesté de la gouape, <span class="pagenum"><a name="Page_105" id="Page_105">105</a></span> l'olympienne salauderie de
+l'éclatante, de l'unique danseuse: la Goulue!</p>
+
+<div class="figcenter" style="width: 350px;"><a name="page-105" id="page-105"></a>
+<img src="images/page-105.jpg" alt="" title="" width="350" height="480" />
+<p class="caption1">PHOTO DRUET</p>
+<p class="caption2">LA GOULUE</p></div>
+
+<p>Ah! cette fois, Lautrec monta au sommet du caractère, au plus haut de
+l'expression, à la plus magnifique plénitude, à la légendaire et
+dominatrice intégralité d'un portrait vraiment historique!</p>
+
+<p>La Goulue! Voici, c'est cette fille en blanc, un léger bouquet piqué sur
+ses seins, que deux amies accompagnent; cette fille de face, à la bouche
+torve, au chignon droit, redressé en crête de rapace, ce petit ruban
+noir autour du cou, ce visage désaxé, canaille et superbe!</p>
+
+<p>Elle est hautaine et impertinente, cette fille; elle est féroce, et elle
+a l'&oelig;il éteint, endormi, des lourds oiseaux de proie. Elle est sèche,
+busquée, terrible, énigmatique, inquiétante, et d'aspect funèbre. Ces
+narines étroites se pincent, cette bouche avide se plisse, se redresse,
+se tord en stigmates de méchanceté et de douleur. C'est au total, cette
+danseuse, une idole et une martyre; une idole que tout le monde fête et
+acclame; une martyre aussi qui nous présente la face la plus flétrie, la
+plus battue, la plus desséchée, la <span class="pagenum"><a name="Page_106" id="Page_106">106</a></span> plus avaleuse de sanglots, la
+plus coupée et recoupée, la plus éveillée et la plus endormie, la plus
+prenante et la plus écartante, la plus cruelle et la plus candide, la
+plus jeune et la plus vieille face qui soit au monde!... C'est un régal
+qu'inventa Lautrec; une cuisine, si je puis ainsi dire, picturale,
+belle, glorieuse et si invue, que c'est lui qui créa le type plastique,
+cette Goulue, comme Shakespeare a créé Lady Macbeth, et Molière,
+Célimène. Portrait historique! et c'est cela, pour l'instant, presque
+une tare; car cela situe Lautrec dans une époque; mais, heureusement, il
+lui reste, pour réapparaître, dans la suite des âges, un dessin acéré,
+hautement personnel, racé et magnifique, qui le remettra tout vivant,
+plus tard, dans le classement de l'Histoire.</p>
+
+<p>Un jour, quand la Goulue, impératrice lasse de la danse, abdiquera, non
+pas pour se retirer dans un couvent, mais dans une baraque foraine, en
+l'année 1895, Lautrec exécutera pour son idole deux vastes toiles, dont
+l'une représentera <i>les Almées ou la Danse mauresque</i>; c'est-à-dire
+Félix Fénéon, avec un complet à <span class="pagenum"><a name="Page_107" id="Page_107">107</a></span> carreaux et un petit chapeau
+Dranem, MM. Tapié de Celeyran, Maurice Guibert et, au-dessus d'eux,
+Sescau le photographe devenu pianiste; et tous regarderont la Goulue qui
+lève la jambe, cependant que derrière elle, une almée frotte un
+tambourin, à côté d'un nègre à turban qui, lui, tapote une peau d'âne.
+Et, de son côté, la seconde toile mettra, elle, en scène, une danseuse
+au chignon relevé, faisant son apprentissage au Moulin, et conduite par
+un hilarant et prestigieux Valentin.</p>
+
+<p>Les faces ici sont encore aiguisées, et tellement poussées à l'extrême
+limite du caractère, que l'on peut déjà se demander si Lautrec ainsi se
+vengeait de sa propre laideur, ou s'il avait plus simplement un
+frénétique amour du caractère? Ce que Degas avait lui-même exprimé en
+donnant de tels laids visages à ses danseuses, que, pendant longtemps,
+on crut à Paris, que le peintre Zandomeneghi les retouchait, les faisait
+plus avenantes, moins salopées, pour les vendre, au compte d'un
+important marchand, en Amérique!</p>
+
+<p>Ah! certes, la constante recherche du caractère, <span class="pagenum"><a name="Page_108" id="Page_108">108</a></span> de l'expression,
+et ce qui s'ensuit, de l'exagération, ce sera, c'est déjà le but, le
+seul but de Lautrec. Il ne se venge pas de sa propre difformité; mais il
+intensifie les stigmates de la faune humaine; il est une sorte de
+tortionnaire qui creuse et ravine les faces, non point pour les montrer
+plus odieuses, mais plus expressives, plus étranges, plus rares, plus
+neuves. Et cela, cette chose qui s'indiquait dès l'atelier Cormon, ne
+fera que croître et s'épanouir, que dis-je! cela est tout à fait
+manifeste et aveuglant dans ses magnifiques représentations de la
+Goulue!</p>
+
+<p>Lautrec dessina et peignit quelques tableaux consacrés au Moulin de la
+Galette. Mais ce fut par hasard. Ce bal ne fut point pour lui un lieu
+d'élection. C'était trop un déchet, une basse-fosse de la Danse.</p>
+
+<p>C'est là, toutefois, qu'il représenta, au bar, <i>Alfred la Guigne</i>,
+d'après un personnage d'un roman de son ami Oscar Méténier. C'est un
+superbe carton, représentant un portrait de souteneur jeune, coiffé d'un
+melon et qui se tient debout devant un zinc, où se trouvent une vieille
+gousse et une fille plus jeune qui se détourne.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a name="Page_109" id="Page_109">109</a></span></p>
+
+<p>Lautrec, maintes fois, aussi, peignit des aspects de Jane Avril. Il la
+représenta dansant, ou à la ville, avec son air qu'elle prenait alors
+d'institutrice anglaise raidie d'alcool.</p>
+
+<p>Et combien d'autres scènes de bal Lautrec peignit, en une diversité
+certaine, mais toujours d'après des spectacles vus, d'après des croquis
+exacts. Aucune fantaisie n'apparaissait jamais. Lautrec n'aurait pas
+voulu peindre ce qu'il n'avait pas observé, ce qu'il n'avait pas, je le
+répète, <i>vu</i>, et <i>vu</i> comme cela s'entend, avec une décisive conscience,
+avec un excessif amour de la vérité. Et il ne peignait encore que ce
+qu'il voyait souvent. Une fois, entre autres, il choisit ce prétexte
+d'une <i>Table au Moulin-Rouge</i>, pour représenter, autour de cette table,
+ses amis qu'il connaissait bien: MM. Tapié de Celeyran, Maurice Guibert,
+Sescau, la Macarona, la Goulue, et lui-même, Lautrec.</p>
+
+<p>Aussi, la plupart de ses &oelig;uvres peintes contiennent d'admirables
+vérités. Ces &oelig;uvres étaient peintes ordinairement sur du carton; il
+trouvait que cette matière servait bien ses besoins renouvelés
+d'esquisses fortement dessinées et hachurées.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a name="Page_110" id="Page_110">110</a></span></p>
+
+<p>A l'essence, il traçait ses paraphes avec une extraordinaire certitude;
+et cela, cette écriture, quand Lautrec emploiera la toile, il la chérira
+de même, pour inscrire, avec son métier de juge d'instruction, fait de
+tailles et de hachures, les plus significatifs et les plus éloquents des
+verdicts.</p>
+
+<hr class="tiny" />
+
+<h2><a name="ch15" id="ch15"></a>FILLES</h2><p><span class="pagenum"><a name="Page_111" id="Page_111">111</a></span></p>
+
+<p>Puisque Lautrec voyait beaucoup de filles de maisons danser au Moulin,
+il était tout indiqué qu'il allât un jour les voir chez elles, pour y
+retourner jusqu'à la fin de sa vie.</p>
+
+<p>Qu'y a-t-il de plus naturel? Des gens, tous les jours, hantent les
+coulisses et les promenoirs de music-halls, les cabinets de certains
+directeurs de théâtres, les restaurants où l'on soupe, les salons de
+couturiers, tous ces milieux de passe, enfin, où l'on rencontre des
+femmes du «meilleur monde»; et ces gens-là font cela uniquement pour le
+motif que vous savez; tandis que Lautrec voulait d'abord observer, puis
+travailler.</p>
+
+<p>Dans ce nouveau milieu, il fit de nombreux tableaux: <i>Le Couple</i>; <i>les
+deux Amies</i>; <i>l'Attente</i>; <span class="pagenum"><a name="Page_112" id="Page_112">112</a></span> <i>la Tresse</i>; <i>la Toilette</i>; <i>Femmes au
+repos</i>; <i>Au réfectoire</i>, etc., etc., toute une suite qui est pour
+longtemps d'une éloquence et d'une signification sans pareilles. Toute
+une suite où rien n'est sacrifié à l'anecdote, à la sensiblerie, à
+l'obscénité ou à la blague. Ce sont les multiples sujets, qu'offre un
+bétail pensif ou agité, morne ou apaisé. Si, parfois, Lautrec fait
+songer par le sujet à un maître, mais avec moins de spiritualité, c'est
+à Baudelaire, à ses femmes damnées, à tout ce troupeau que le poète a
+ployé sous le suaire des plus terribles châtiments. Mais Lautrec a vu,
+le plus souvent, la fille prostrée, en attente d'homme, jouant aux
+cartes pour se distraire, tordant ses cheveux, lisant la lettre d'un
+amant, ou s'apprêtant, se lissant la face, se noircissant les sourcils,
+recrépissant ses rides, examinant son ventre, ce champ de bataille,
+redressant ses tétons pris trop aisément à poignées et qui s'obstinent à
+retomber ainsi que des outres vides. Et, impitoyable, il a vu ces
+femmes-là, au fond, douloureuses comme lui, ayant comme lui quelque
+chose à tuer dans la vie, et si tristes, si tristes qu'elles ne rient
+vraiment que lorsqu'elles <span class="pagenum"><a name="Page_113" id="Page_113">113</a></span> sont soûles! Et, pour elles aussi, c'est
+son incisif métier de peintre qui revient; métier de hachures toujours,
+dures ou souples, directes, ardentes, en traits de pinceau, dans une
+couleur générale où les verts, les roses, les bleus et les violets
+dominent. Et peintures réalisées tantôt sur de la toile, tantôt sur un
+panneau de bois, tantôt encore sur un carton. Mais, qu'elles soient, ces
+filles, sur l'une ou l'autre de ces choses, elles sont toujours les
+s&oelig;urs angoissées du peintre. Ah! si l'on a envie d'elles, après les
+avoir regardées à travers Lautrec, c'est qu'on a le c&oelig;ur robuste et
+toute sensibilité abolie. Voilà des effigies à placer dans les couvents.
+Lautrec représente la prostitution telle qu'une effroyable torture; et
+tous les métiers, certes, lui sont préférables!</p>
+
+<div class="figcenter" style="width: 350px;"><a name="page-113" id="page-113"></a>
+<img src="images/page-113.jpg" alt="" title="" width="350" height="432" />
+<p class="caption1">PHOTO DRUET</p>
+<p class="caption2">FILLE</p></div>
+
+<p>Ici, de nouveau, il ne se vengeait pas. Parce qu'il sentait la vie
+misérable, il faisait de ces filles de misérables créatures. Certes,
+Fragonard sera pendant longtemps préféré à Lautrec; le savoureux
+<i>Frago</i>, comme ils disent, les amateurs. Il a peint, lui, Lautrec, de si
+pauvres laides gotons!</p>
+
+<p>A propos d'elles, souvent des gens bien intentionnés <span class="pagenum"><a name="Page_114" id="Page_114">114</a></span> ont comparé
+Lautrec à Guys et à Rops. A Degas, peut-être! Mais que viennent faire
+ici le preste dessinateur du second Empire et le prétentieux Gaudissart
+qui ravala la luxure à une entreprise de ruts insuffisants?</p>
+
+<p>Guys a dessiné et aquarellé, j'en conviens, de savoureuses vignettes; il
+a, dans le monde de son temps, promené sa fantaisie éveillée; il a
+dessiné des voitures, des officiers, des chevaux, des lorettes, des
+filles de maisons, des turqueries, des soldats et des matelots; et il
+les a tous représentés d'un trait cursif, éloquent comme le trait d'une
+belle écriture; mais, il le faut bien dire, il s'est tenu, en somme, à
+une arabesque connue, à une sorte de paraphe bien en main, bien dans sa
+main à lui;&mdash;et qui lui permettait, par exemple, de tracer d'un coup la
+tête de l'Empereur Napoléon III ou celle d'un cent-gardes. Il a, enfin,
+spécialement, pour toutes les femmes, indiqué de la même manière les
+boucles des cheveux, la forme du front, du menton, le globe des yeux, le
+galbe des épaules et l'écrasement de la jupe crinoline; mais c'est tout,
+c'est tout, et si neuf, si amusant que cela soit, c'est <span class="pagenum"><a name="Page_115" id="Page_115">115</a></span> tout,&mdash;et
+ce n'est peut-être pas assez!</p>
+
+<p>Quant à Rops, il a bien été, lui, le plus banal, le plus bêta, le plus
+usé, le plus rabâcheur des pornographes. Il ne faut tout de même pas que
+sa mémoire se glorifie des pages de Huÿsmans à elle consacrées, parce
+que ce maître a trouvé là matière à un extraordinaire lyrisme! Non!
+Rops, justement déboulonné, ce n'est plus que Joseph Prud'homme aux
+nuits tourmentées, aux salacités médiocres, aux ruts mesurés. Les
+collégiens eux-mêmes veulent une plus complète vérité, et ne rêvent
+point à ces histoires de faunes et de nymphes montrant leurs derrières
+et leurs devants, même à l'état de colossale chaleur!</p>
+
+<p>Que cela ait duré un temps, je le conçois. L'homme s'ennuie, et il a
+besoin de se prouver qu'il est capable d'exécuter et d'aimer les pires
+sottises et les plus niaises obscénités.</p>
+
+<p>Avec Lautrec, au moins, c'est le vrai retour à la vérité; c'est enfin la
+vie en maison close, telle qu'elle est! Les femmes s'y ennuient, presque
+toujours; elles attendent donc résignées; et, quand vient l'homme, elles
+sont prises comme des femelles, rien de plus. Et ce bétail au repos,
+<span class="pagenum"><a name="Page_116" id="Page_116">116</a></span> que voulez-vous qu'il fasse? Il fait ce que Lautrec lui fait
+justement faire: il attend, soumis, prostré; et, pendant longtemps, ce
+sera là, la seule, la seule vérité!</p>
+
+<p>Sans doute, on entreprendra de nouveau de représenter la femme en
+maison; mais, dans l'&oelig;uvre de Lautrec, voilà, assurément, avec les
+portraits dont nous parlerons plus loin, voilà la chose la plus durable.
+Pour longtemps, ce sera ainsi. Lautrec a marqué d'éternité cette partie
+de son &oelig;uvre. C'est un ensemble qui ne vieillira pas, tant que
+l'homme sera obligé d'aller dans un endroit clos pour y trouver la
+femelle que la nature a placée là, pour la principale de ses fins!</p>
+
+<p>Sans doute, encore, ici, Lautrec a représenté de laides faces, des yeux
+flagellés, des mentons en galoches, des nez aplatis ou secs, des bouches
+surtout comme des trous d'immondices. Et ces peaux sentent les lavages
+qui décrassent; le corps, dans des camisoles lâches, s'abandonne et
+s'affaisse; ces cheveux sont tordus en crins de cheval ou relevés en
+bonnets de brioches; et l'on frémit, certes, devant ces visages qui
+évoquent les bêtes puantes ou les visqueux <span class="pagenum"><a name="Page_117" id="Page_117">117</a></span> poissons des
+marécages!... Oui, certainement, je sais, il y a aussi les poupées des
+maisons chères; les salopes préparées par un Belge pour quelque
+«concours des plus belles femmes de France»; il y a les «bonbonnières et
+les sucrées»! Mais, pourtant, est-ce que tout cela ne vous apporte pas
+du dégoût quand même à penser qu'un homme, le premier venu, va s'abattre
+sur ces ventres préparés, que dis-je, élargis, suintants? Vous voyez
+donc bien que Lautrec a eu raison de traiter tout cela comme du bétail,
+comme de la chair pour coïts; et encore il a fait cela, lui, avec quelle
+distinction et avec quelle noblesse!</p>
+
+<p>Les «bonbonnières» et les «sucrées»! C'est celles-là que Lautrec a su si
+bien placer dans les légères voitures, qu'escortent des chiens
+somptueux!</p>
+
+<p>On les voit dans son &oelig;uvre, en promenade, le fouet droit, et
+impérieuses Sultanes!</p>
+
+<p>Une voiture, puis deux, puis trois; et roule le défilé des charrettes de
+l'été, des boîtes vernies, bois ou osier: Polo-cab, Stanhope-cab,
+Epsom-cab, Rallye-cart, Poney-chaise, Village-cart.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a name="Page_118" id="Page_118">118</a></span></p>
+
+<p>Cobs nerveux filent et s'ébrouent, comme brossés à neuf; et les filles,
+la main gantée de peau de chien, se roidissent, les yeux rivés sur les
+oreilles du cob, avec, sur le front, l'ombre douce du chapeau fleuri et
+des dentelles en point de Venise, en fleurs d'Alençon.</p>
+
+<p>Elles se croisent et se dépassent, se jugeant d'un coup d'&oelig;il exercé
+avec des moues d'exorables gamines; et, très hautaines, le col tendu,
+elles s'appliquent à demeurer, le fouet haut, immobiles, toutes droites.</p>
+
+<p>La fille, en ces charrettes ténues, singe indéniablement les attitudes
+de la bête de race qu'elle mène au bout d'un fil, avec une science si
+imprévue. Attitudes réjouissantes à reproduire, certes, pour sa joie
+propre, pour le passant de la route, pour le groom qui, derrière elle,
+ne bouge d'un pouce, vrillé dans la gaine de ses bottes à revers;&mdash;si
+heureuse, semble-t-elle, des «fumées» qu'elle laisse, du sillage de
+désirs qui court derrière elle et la suit;&mdash;elle, orgueilleusement parée
+de morgue et de sottise!</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a name="Page_119" id="Page_119">119</a></span></p>
+
+<hr class="small" />
+
+<h4>DES COMMENTAIRES SUR L'&OElig;UVRE</h4>
+
+<h2>II</h2>
+
+<h3>Portraits</h3>
+
+<h3>Le Jardin du Père Forest</h3>
+
+<h2><a name="ch16" id="ch16"></a>PORTRAITS</h2><p><span class="pagenum"><a name="Page_121" id="Page_121">121</a></span></p>
+
+<div class="figcenter" style="width: 350px;"><a name="page-121" id="page-121"></a>
+<img src="images/page-121.jpg" alt="" title="" width="350" height="384" />
+<p class="caption1">PHOTO DRUET</p>
+<p class="caption2">PORTRAIT DE M. DELAPORTE</p></div>
+
+<p>Voici un très considérable ensemble de l'&oelig;uvre de Lautrec.</p>
+
+<p>Portraits d'hommes et portraits de femmes, il les a également aimés.</p>
+
+<p>Dès l'atelier Cormon, il fit les portraits de ses amis les peintres
+Gauzi, Vincent Van Gogh, Grenier, Claudon, H.-G. Ibels, Henri Rachou,
+etc., etc.</p>
+
+<p>Très exigeant pour ses modèles, il travaillait avec un entrain
+passionné.</p>
+
+<p>Aussi, de 1886 à 1893, il peignit un grand nombre de portraits,
+notamment ceux de M<sup>me</sup> Natanson, de sa propre tante M<sup>me</sup> Pascal, de
+M<sup>lle</sup> Dihau, de MM. Louis Pascal, Bonnefoy, du D<sup>r</sup> Bourges, etc., etc.</p>
+
+<p>Puis vinrent les portraits de MM. Henry Nocq, <span class="pagenum"><a name="Page_122" id="Page_122">122</a></span> l'admirable
+médailleur; Romain Coolus, Tristan-Bernard, Paul Leclercq; les portraits
+des frères Dihau, de M<sup>me</sup> la Comtesse Alphonse de Toulouse-Lautrec, de
+M<sup>me</sup> Korsikoff, de M<sup>me</sup> Margouin, modiste; de MM Maurice Guibert,
+Delaporte, Maxime Dethomas, Davoust, Octave Raquin, André Rivoire, G.
+Tapié de Celeyran, Maurice Joyant, etc., etc.</p>
+
+<p>Tous les portraiturés furent ses parents ou ses amis. En exemple, c'est
+ainsi que Lautrec entretint d'intimes relations avec les Dihau, deux
+frères et une s&oelig;ur, musiciens originaires de Lille. Le frère cadet,
+Désiré Dihau, joueur de basson-solo dans l'orchestre de l'Opéra,
+composait aussi des mélodies. Lautrec le représenta d'abord, son basson
+à la main; puis il le peignit encore, assis, lisant un journal, tandis
+que le frère aîné Henri est debout, et tous deux en plein air, dans ce
+jardin du père Forest, que nous ferons plus loin revivre.</p>
+
+<p>Quant à M<sup>lle</sup> Dihau, professeur de chant et de piano, il la peignit
+aussi deux fois: une première fois, jouant du piano;&mdash;et, la seconde
+fois, donnant une leçon de chant à une dame debout près d'elle.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a name="Page_123" id="Page_123">123</a></span></p>
+
+<p>Il fit aussi le portrait d'Oscar Wilde, en buste, de grandeur à peu près
+naturelle. Il l'a représenté bouffi, en toutes rondeurs de formes
+féminines, tel qu'était cet homme de lettres inverti. Pauvre Wilde! Bien
+qu'il eût simplement le vice anglais, il fut <ins class="correction" title="condammé">condamné</ins> à deux années de
+<i>hard labour</i>: mais, vraiment, lui, il alla carrément au devant du
+châtiment.</p>
+
+<p>Et tous ces portraits peints par Lautrec sont fouillés, creusés, si
+expressifs! C'est à Dethomas qu'il avait dit: «Je ferai ton immobilité
+dans les endroits de plaisir!»; et il réalisa le merveilleux portrait
+que la photographie a tant de fois reproduit.</p>
+
+<p>Le portrait de Delaporte, si rare également, fut, lui, refusé pour le
+Musée du Luxembourg par le comité des Beaux-Arts, Dujardin-Beaumetz
+étant sous-secrétaire d'Etat! Humble Dujardin-Beaumetz, aujourd'hui
+disparu, bonne à tout faire des bas huiliers! Il était resté le même
+pauvre homme, plein de mansuétude mais ignare, quand je le connus chez
+Rodin!</p>
+
+<p>Lautrec représenta aussi son ami Viaud, sur un navire, en amiral Louis
+XV, tête nue, de <span class="pagenum"><a name="Page_124" id="Page_124">124</a></span> profil, la perruque blanche en catogan, la main
+droite emprisonnée dans un gant à crispin et appuyée sur la barre du
+bastingage. La tête, malicieuse, à la manière de Voltaire, considère un
+beau navire, toutes voiles déployées, et penché sur la mer.</p>
+
+<p>Panneau décoratif pour un dessus de cheminée de la salle à manger du
+château de Malromé. Ce fut une des dernières &oelig;uvres de Lautrec.</p>
+
+<p>Que d'autres portraits il convient d'ajouter à tous ceux-là: les
+portraits de M. de Lauradour, de M. Louis Bouglé, de M. H. Marty
+(Souvenir du bal des Quat'-z'Arts), du docteur Péan en train d'opérer,
+de M. Fourcade, de M. Boileau, de l'acteur Samary, de M. Georges-Henry
+Manuel, etc. La dernière toile peinte par Lautrec, ce sera le tableau
+intitulé: <i>Un examen à la Faculté de Médecine</i> et portraits encore de
+MM. les Docteurs R. Wurtz, Fournier et Gabriel Tapié de Celeyran.</p>
+
+<p>De portraits en portraits, Lautrec était arrivé, comme pour ses autres
+&oelig;uvres, à une manière plus grasse, plus enveloppée, plus souple. S'il
+eût vécu une vie plus longue, un beau métier <span class="pagenum"><a name="Page_125" id="Page_125">125</a></span> de peintre,
+exclusivement de peintre, eût été le sien! Je veux dire un métier dans
+lequel le dessin eût laissé moins voir son impérieuse volonté!</p>
+
+<p>Lautrec commençait souvent ses portraits avec la plus extrême fantaisie,
+c'est-à-dire par le milieu de la figure, par exemple, ou par une
+oreille, ou par le nez; et, parti de là, il multipliait ses hachures
+dans le sens du caractère, et en cherchant par conséquent le
+stigmate-type. Et si l'on reconnaît chaque fois le style, on peut bien
+avancer que Lautrec réalisait, pour chaque portrait, une nouvelle mise
+en page. Comparez les portraits de M. Dethomas (sur un fond de bal
+masqué), de M. Henry Nocq (dans l'atelier de Lautrec), de M. Samary
+(dans un rôle) ou de M<sup>lle</sup> Dihau (assise devant son piano);&mdash;et la
+confrontation sera significative.</p>
+
+<p>Plus loin, nous parlerons de quelques-uns des portraits que Lautrec
+peignit en plein air. Ceux que nous avons déjà cités, il les a presque
+tous peints à l'atelier ou dans des intérieurs. Ils ont, ceux-là, une
+sobriété du meilleur aloi, une sûre distinction, un goût accompli de
+l'arrangement. <span class="pagenum"><a name="Page_126" id="Page_126">126</a></span> Je ne sais quelle place les musées de l'avenir leur
+réserveront; je ne le sais et je ne m'en préoccupe guère; mais ce que je
+sais bien, c'est que tous ces portraits là seront excellemment
+représentatifs de notre temps. Ils diront à leur manière quels hommes
+peu joyeux nous fûmes, et combien le goût du panache nous intéressait
+peu. Portraits quasi résignés, s'ils ne sont pas «à expression navrée»,
+comme les portraits peints par Van Gogh. Portraits pour tout dire d'une
+époque qui n'osait plus guère vivre, et qui allait tout droit, en
+serrant les fesses, vers la catastrophe mondiale, qui est arrivée, et
+qui a tout remué. Portraits de gens qui attendaient et qui attendent
+encore, ahuris, anéantis, comme si le goût de la vie n'avait plus aucune
+raison d'être!... Ah! certainement, ce ne sont point là des portraits
+que l'on pourra opposer un jour à la pompe et à la magnificence de
+quelques nobles portraits dits historiques; mais, tels quels, ne
+réflèteront-ils pas nos inquiétudes et nos alarmes, nos peurs et nos
+angoisses, toutes croyances mortes, et toutes réflexions devenues
+comminatoires devant <span class="pagenum"><a name="Page_127" id="Page_127">127</a></span> l'inexplicable, devant le pourquoi, devant le
+sens de la vie? En un mot, ne sont-ce pas là, tels quels, les vrais
+portraits des pauvres êtres que nous sommes; et alors, ne sommes-nous
+pas les vrais compagnons des filles dont je parlais au chapitre
+précédent? Portraits d'une époque que la Science torture et que la Vie
+emplit de doute.</p>
+
+<hr class="tiny" />
+
+<h2><a name="ch17" id="ch17"></a>DANS LE JARDIN DU PÈRE FOREST</h2><p><span class="pagenum"><a name="Page_128" id="Page_128">128</a></span></p>
+
+<p>Dans ce temps-là, il existait, au bas de la rue Caulaincourt, un vaste
+jardin appelé <i>Jardin du tir à l'arc</i>, que l'Hippodrome a actuellement
+remplacé.</p>
+
+<p>Ce jardin appartenait au père Forest, un photographe, qui a donné son
+nom à une rue voisine.</p>
+
+<p>Ce jardin était revenu à l'état de nature. On pouvait aisément se croire
+dans des halliers ou des sous-bois, loin de Paris.</p>
+
+<p>Lautrec fut bientôt l'hôte de ce jardin. Dès la belle saison venue, il
+descendait de la rue Caulaincourt; et il s'installait dans le jardin de
+son ami le père Forest.</p>
+
+<p>Tout à son aise, en bras de chemise, son chapeau sur le front, dès
+«patron-minette!» (expression <span class="pagenum"><a name="Page_129" id="Page_129">129</a></span> déformée qu'il affectionnait), il y
+recevait ses modèles, qui étaient, pour la plupart, des filles du
+boulevard de Clichy, de la place Blanche et des maisons closes où il
+allait habituellement.</p>
+
+<div class="figcenter" style="width: 350px;"><a name="page-129" id="page-129"></a>
+<img src="images/page-129.jpg" alt="" title="" width="350" height="460" />
+<p class="caption1">PHOTO DRUET</p>
+<p class="caption2">DANS LE JARDIN DU PÈRE FOREST</p></div>
+
+<p>C'est dans ce jardin propice qu'il peignit, en plein air, de nombreux
+tableaux: <i>La femme à l'ombrelle</i>; <i>La femme au chien</i>; <i>La femme au
+chapeau noir</i>; <i>La femme au jardin</i>; <i>Pierreuse</i>; <i>Gabrielle</i>; <i>La
+danseuse</i>; etc., etc.</p>
+
+<p>C'est dans ce jardin encore qu'il termina ce tableau si pittoresque: <i>A
+la mie</i>. Portrait de son ami Maurice Guibert costumé en barbeau, assis
+sous une tonnelle, et le nez sur une corne de brie, que devait arroser
+un litre de vin. Au premier plan, une vieille blanchisseuse était
+assise, un bras pendant, horrible par son visage et par son caraco
+blanc!</p>
+
+<p>Quelle nouvelle époque de bon et long travail ce fut pour Lautrec!
+Toiles et cartons, au hasard de ce qui lui tombait sous la main, étaient
+criblés de ces hachures de peintre-graveur, qui voulaient exprimer,
+approfondir de plus en plus le caractère!</p>
+
+<p>Dans le jardin du père Forest, Lautrec recevait <span class="pagenum"><a name="Page_130" id="Page_130">130</a></span> tous ses amis,
+joyeux de leurs visites, et il buvait avec eux; car il avait, tout de
+suite, installé un bar dans une petite baraque en planches, vidée des
+fioles et des accessoires que réclame la photographie. Certains jours,
+le jardin flambait même avec des airs de kermesse. «Monsieur Henri avait
+invité!»</p>
+
+<p>C'est là que je connus le célèbre loueur de voitures, qui fut un des
+plus chauds amis de Lautrec. C'était au moment de sa toquade pour les
+divers équipages. Le rencontrait-on alors, il vous emmenait chez ce
+loueur; et, là, enthousiasmé, il vous contraignait à admirer la forme
+des véhicules, en chacun de leurs détails, avec tout le harnachement qui
+sert à atteler un cheval.</p>
+
+<p>C'était tout Guys parmi nous revenu! Mais ce loueur apparaissait aussi
+comme une espèce de maniaque de la collection! Car, dans de vastes
+remises, il y avait beaucoup trop de voitures pour qu'elles fussent
+toutes utiles! On voyait là des coupés et des mylords, un mail-coach, un
+break, des calèches à 8 ressorts, des vis-à-vis, des landaus et des
+landaulets, des victorias, un petit duc, des phaétons, un poney-chaise,
+et toutes <span class="pagenum"><a name="Page_131" id="Page_131">131</a></span> ces amusantes et légères charrettes qu'on appelle:
+spider, dog-cart, derby, rallye-cart, tilbury, village-cart et stanhope.
+Et tout cela fleurait bon le vernis, l'essence, le cuir astiqué. Tout
+cela reluisait et paradait. Vraiment l'ensemble de toute cette
+collection montait à la tête de Lautrec, qui ne manquait jamais de
+s'écrier: «Et quand on pense que les gens de lettres qui ignorent tout
+cela osent parler de sport!»; et, en conséquence, il conseillait à tous
+ses amis de dessiner des voitures; une excellente méthode, affirmait-il,
+pour apprendre à dessiner.</p>
+
+<p>Ce jardin du père Forest! S'en amusa-t-il, au delà de ce que l'on peut
+imaginer! Mais, de même que le président Carnot, poursuivi par le soleil
+dans le jardin de l'Elysée, cherchait un coin d'ombre, Lautrec pestait,
+lui aussi, une fois dans le jardin, contre le soleil qui le tourmentait.
+Aussi, il prit un temps précieux pour bien fixer les heures, les
+certitudes de peindre à l'abri des aveuglants rayons qui viennent
+chercher la toile; et, enfin, quand il eût trouvé le bon coin, il s'en
+tint là, joyeusement. Tout en chantonnant, il «abattit» de nouvelles et
+admirables peintures.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a name="Page_132" id="Page_132">132</a></span></p>
+
+<p>Souvent, à nous, ses amis, il nous arrivait de rester dans le jardin du
+père Forest toute l'après-midi; et Lautrec nous chargeait ensuite, de
+ramener ses modèles au bercail. Alors, il montait chez lui, pour se
+reposer; car, il se levait de bon matin; et, le soir, il ne voulait pas
+manquer un spectacle au Moulin, au cirque, au théâtre, dans un bar ou au
+bocard. Oui, il le faut répéter, cet homme fut un obstiné travailleur,
+un fécond producteur; et, en se disant cela, on est saisi d'une vive
+tristesse en pensant à tout ce qu'il eût pu encore réaliser, avec une
+vie plus longue!... Oui, je sais: Van Gogh, une carrière plus courte!
+Oui, c'est là un des lourds regrets que vous inflige la Vie. Et M.
+Cormon, leur maître à tous deux, il n'est pas encore mort, lui! Voilà
+une des inexplicables boutades de la nature ou de la Providence, ou de
+Dieu, à votre choix!...</p>
+
+<hr class="small" />
+
+<h4>DES COMMENTAIRES SUR L'&OElig;UVRE</h4><p><span class="pagenum"><a name="Page_133" id="Page_133">133</a></span></p>
+
+<h2>III</h2>
+
+<h3>Le Cirque</h3>
+
+<h3>Au Théâtre</h3>
+
+<h3>Café-Concert</h3>
+
+<h3>Les Courses</h3>
+
+<h3>De Tout</h3>
+
+<h2><a name="ch18" id="ch18"></a>LE CIRQUE</h2><p><span class="pagenum"><a name="Page_135" id="Page_135">135</a></span></p>
+
+<p>Igor Strawinsky, Tristan-Bernard, Lucien Guitry et tant d'autres
+Picassos, comme vous avez raison d'aimer le Cirque, que Lautrec aima
+encore plus que vous!</p>
+
+<p>Ah! qui ne peut chérir le Cirque où tout est pittoresque, contrasté,
+brillant; où tout est imprégné de cette «odeur de Cirque», que l'on ne
+respire nulle part ailleurs?</p>
+
+<p>Le Cirque! C'est-à-dire toute la fantaisie acrobatique, les écuyers, les
+écuyères, les clowns, les trapézistes, les barristes, les sauteurs, les
+équilibristes et les dresseurs de phoques, les jongleurs et les avaleurs
+de sabres!</p>
+
+<p>Le Cirque! C'est-à-dire les chevaux dressés, le jockey du Derby, la
+voltige indienne aux sauts d'obstacles, <i>the wentworth trio in a novel
+<span class="pagenum"><a name="Page_136" id="Page_136">136</a></span> equestrian act</i>; le Cirque, l'auto-bolide et le bilboquet humain,
+<i>the sensation of all sensations</i>, par <i>the fearless young and
+fascinating Parisian</i>, Mauricia de Thiers; le Cirque, les jeux icariens
+et l'empereur de la magie, Captain Breydson <i>perillous trapezist
+equilibrist act</i> et <i>The Arizona's tomahawk's jugglers</i>!</p>
+
+<p>Quand on aime le Cirque, j'entends le véritable Cirque populaire, le
+Cirque où du vrai peuple est sensible à la force, à l'adresse, et
+acclame et tempête; le véritable Cirque, où de la musique, et quelle
+musique! ronronne ou fracasse ou susurre ou endort; le véritable Cirque
+où se perpétuent d'ancestrales et puériles traditions; le véritable
+Cirque où tout est pailleté, en oripeaux, en franges fanées d'or ou
+d'argent; où tout est clinquant, bariolé et vif! Ah! quand on aime ce
+Cirque-là, on frémit en entrant, en respirant l'odeur des écuries; et
+l'on attend les rires, ces tempêtes de rires qui dégringolent des
+gradins et qui s'écrasent au milieu de la piste!</p>
+
+<p>Lautrec, qui chérissait le Cirque, à pleine joie, représenta les clowns,
+les acrobates, les <span class="pagenum"><a name="Page_137" id="Page_137">137</a></span> dresseurs de chiens et les écuyers; et une
+toile qui le «situa» tout de suite, ce fut l'<i>Ecuyère au Cirque
+Fernando</i>, placée longtemps, se rappelle-t-on, à l'entrée du
+Moulin-Rouge, et que je retrouvai plus tard chez Jean Oller. Ah! la
+merveilleuse toile, si singulière, si unique, si imprévue, qu'elle
+m'arracha un cri de stupeur quand je la vis pour la première fois!
+C'était un gros cheval de piste dessiné d'une splendide façon; et, sur
+sa croupe, se tenait assise une écuyère avec une si étonnante face;
+tandis que, au milieu du tapis, l'écuyer, à visage de crapaud, s'arquait
+et déroulait sa chambrière. Et les blancs et les roses et le noir de
+l'habit jouaient là-dedans, la piste non recouverte, la toile apparente.
+Une &oelig;uvre tout de suite si invue, si anormale presque; comme d'un
+peintre venu on ne savait d'où;&mdash;un dessin si excentrique, et qui
+devait, par la suite, moins peut-être nous troubler, mais nous ravir
+toujours par sa fascinante personnalité, par son inégalable puissance!</p>
+
+<div class="figcenter" style="width: 350px;"><a name="page-137" id="page-137"></a>
+<img src="images/page-137.jpg" alt="" title="" width="350" height="514" />
+<p class="caption1">PHOTO DRUET</p>
+<p class="caption2">JANE AVRIL</p></div>
+
+<p>Quand Lautrec fut à Saint-James, il se ressouvint du Cirque qu'il avait
+tant aimé; et, là, <span class="pagenum"><a name="Page_138" id="Page_138">138</a></span> sans modèles, il crayonna une suite d'une
+vingtaine de dessins, uniquement consacrés aux gens de Cirque, et que
+Manzi édita sous ce titre: <i>Au Cirque</i>.</p>
+
+<p>Dessins d'une exagération caractéristique, d'une troublante déformation,
+d'un imprévu si drolatique, qui, cependant, ne fait jamais rire. Et vous
+voilà revenus ici, dans cette série de planches, les clowns et les
+écuyères, les chiens savants et les danseuses. Et je revois, chaque fois
+que je regarde ces dessins, tous vos gestes adroits, toutes vos
+cocasseries, ô clowns; tout votre maniérisme, ô écuyères de haute école;
+et je vous retrouve aussi, vous, ô clownesses fantaisistes, clownesses
+presque de bal masqué, avec vos gamineries d'enfant vicieux et vos mines
+de chattes guindées!</p>
+
+<p>Foottit, ce clown génial, Foottit surtout, émerveilla Lautrec. Il le
+suivit partout. Et lui, Foottit et Chocolat, ils devinrent les tenaces
+clients du bar Achille, jusqu'au moment de la définitive fermeture de ce
+réjouissant assommoir. Ils dégustaient tous trois tous les short-drinks,
+tous les gin-wiskies, tous les gobblers et punchs de <span class="pagenum"><a name="Page_139" id="Page_139">139</a></span> la maison;
+puis on se donnait rendez-vous au cirque de la rue Saint-Honoré;&mdash;après
+quoi, ils se rassemblaient encore, Lautrec, Foottit et Chocolat, pour
+regagner le bar délectable.</p>
+
+<p>Lautrec notait rarement des croquis autour de la piste. Quelques tics de
+son ami Foottit, et c'était tout. Sa mémoire lui suffisait; elle
+collectionnait une copieuse moisson de gestes, de bonds et d'aspects
+plastiques.</p>
+
+<p>Il était transporté par les pantomimes et les brefs scénarios que
+Foottit jouait avec Chocolat; et il déclarait, avec tant de vérité, que
+cela, c'était autrement intéressant que toutes les pièces de théâtre.</p>
+
+<p>Lautrec a représenté Foottit comme un gros rat éveillé, gambadeur et
+rusé, en perpétuelle recherche de drôleries. Il l'a dessiné
+d'inoubliable façon; et, de Chocolat, il a fait un nègre hilarant,
+tenant du singe, un nègre singulièrement excité et folâtre.</p>
+
+<p>Tous les dessins consacrés au Cirque purent bien être réalisés de
+mémoire, à Saint-James; Lautrec les avait tellement gravés dans le
+cerveau, tous les chevaux, tous les chiens, tous les <span class="pagenum"><a name="Page_140" id="Page_140">140</a></span> personnages,
+petits ou grands, qui animent de joie une piste. Presque
+automatiquement, il a exécuté tous ces dessins-là; et, presque
+automatiquement, aussi, il a trouvé pour eux les mises en pages les plus
+définitives et les plus rares. Considérez attentivement tous ces dessins
+d'un «malade»; et vous serez surpris de leur expressive étrangeté et de
+leur parfaite variété. Il y a là quelque chose de solide et
+d'inexplicable qui peut dérouter singulièrement les psychiâtres. Cette
+sagesse, cette parfaite mise au point esthétique, cela, en effet, vous
+alarme, comme cela vous trouble aussi chez un Van Gogh,&mdash;et, en ce
+moment même, chez Maurice Utrillo. En confrontation des prouesses
+picturales de ces trois merveilleux artistes, «touchés» cérébralement,
+les &oelig;uvres des peintres dits raisonnables ne sont que sottises et
+éc&oelig;urantes banalités! Le génie alors est-il donc, vraiment, en somme,
+l'apanage de ceux que les psychiâtres appellent, en leur barbare
+langage, des «dégénérés supérieurs?»</p>
+
+<hr class="tiny" />
+
+<h2><a name="ch19" id="ch19"></a>AU THÉÂTRE</h2><p><span class="pagenum"><a name="Page_141" id="Page_141">141</a></span></p>
+
+<p>Tout le cortège des acteurs et des actrices, tout le chariot de Thespis,
+défila aussi devant Lautrec.</p>
+
+<p>Les pièces dites de théâtre l'ennuyaient lourdement; mais il
+s'intéressait aux physionomies et aux tics des acteurs et de leurs
+compagnes.</p>
+
+<p>C'est surtout à propos de ses lithographies que nous aurons à citer les
+noms de tous ceux et de toutes celles qu'il dessina.</p>
+
+<p>Il les obtint tous «ressemblants», avec une liberté et une réussite
+saisissantes, d'après des croquis expédiés dans les coulisses ou dans
+les loges.</p>
+
+<p>Il était curieux à voir, balafrant son papier, le zébrant, le couturant,
+piquant de bleu un &oelig;il, griffant de rouge une bouche, accents
+seulement <span class="pagenum"><a name="Page_142" id="Page_142">142</a></span> pour la mémoire, et qui devenaient ensuite bien autrement
+intenses, quand il cherchait l'ensemble.</p>
+
+<p>Et quelle autre longue suite d'exacts portraits! Nous avouons bien vite,
+toutefois, que la plupart des acteurs et actrices ainsi choisis
+n'appréciaient guère leur bonne fortune. Ils nous viennent en nombre
+sous la plume les noms des comédiens et des tragédiens qui méprisaient
+Lautrec. Ah! le physique du peintre entre en ligne de compte dans
+l'estime de ces gens-là! Et Lautrec n'était même pas, au surplus, un
+peintre officiel et décoré!</p>
+
+<p>Les photographies les plus retouchées, les plus rajeunies surtout&mdash;les
+fossiles ont horreur du vrai!&mdash;, sont si loin du verdict affirmé par le
+dessin de Lautrec. Sévère constat! mais était-ce sa faute à lui si des
+acteurs et des actrices pouvaient, et peuvent encore, hélas! jouer sans
+être sifflés, jusqu'aux bégaiements de la seconde enfance?</p>
+
+<p>Heureux âge! Mais plus vif plaisir de Lautrec quand il les crucifiait,
+tous ces radoteurs!</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a name="Page_143" id="Page_143">143</a></span></p>
+
+<p>Il eut, pourtant, des préférés et des préférées. Il représenta souvent
+Mme Sarah Bernhardt, Guy et Méaly, Réjane et Brasseur, Antoine et Judic,
+Lavallière et Baron, Mmes Caron et Bartet; ceux-là et celles-là, il les
+acceptait, et il les dessina avec un vif contentement.</p>
+
+<p>Mais sa plus tenace passion, peut-être, ce fut Mlle Marcelle Lender,
+divette au théâtre des Variétés, et qu'il dessina tant de fois, avant
+que de peindre d'après elle cette toile souveraine: <i>Marcelle Lender
+dansant le pas du boléro, de Chilpéric</i>.</p>
+
+<p>Oui, je sais, Lautrec, avec sa voix très perçante, assommait les gens;
+et il se faisait souvent expulser des coulisses. Mais peut-on penser
+que, par la suite, on osa traiter ainsi le peintre qui avait réalisé
+cette merveille picturale?</p>
+
+<p>Et pourquoi, surtout, tous ces acteurs et toutes ces actrices n'ont pas
+possédé ou gardé leur portrait peint par Lautrec?</p>
+
+<p>Mademoiselle Lender, comment, vous, par exemple, n'avez-vous pas chez
+vous, je n'ose pas écrire dans votre c&oelig;ur, l'extraordinaire toile que
+je viens de citer, et qui vous représente si racée, <span class="pagenum"><a name="Page_144" id="Page_144">144</a></span> si ployante, si
+souple, et si orgueilleuse devant le sourire béat de votre ami Brasseur?
+Ne saviez-vous donc pas que jamais, dans ce genre, on n'exécuta une
+toile plus glorieuse? O la coupable indifférence! Et bien plus coupable
+encore, l'indifférence de la Société des Amis du Louvre! Car, sait-on où
+ira, à la mort de M. Maurice Joyant, qui le possède, ce chef-d'&oelig;uvre?
+Peu importe, peut-être, d'ailleurs; car, là où il se trouvera, il
+figurera comme l'une des plus miraculeuses réussites de la peinture
+française de tous les temps!</p>
+
+<p>Lautrec, aussi, représenta l'amusante, l'inoubliable Judic, dans sa
+loge; l'acteur Samary, de la Comédie-Française, dans le rôle de Raoul de
+Vaubert, de <i>Mademoiselle de la Seiglière</i>; M. Lucien Guitry et Mme
+Jeanne Granier, dans <i>Amants</i>; Le Bargy et Marthe Brandès, etc., etc.</p>
+
+<p>En 1900, de passage à Bordeaux, il peignit deux importantes toiles et de
+nombreuses études, d'après l'opéra d'Isidore de Lara: <i>Messaline</i>,
+représenté au Grand-Théâtre.</p>
+
+<p>Lautrec aima enfin les danseuses de ballets; <span class="pagenum"><a name="Page_145" id="Page_145">145</a></span> et M. Pierre
+Decourcelle, dans sa rare collection, possède, par Lautrec, le portrait
+de l'une de ces danseuses, devant un portant, qui est bien une
+prestigieuse et incomparable toile.</p>
+
+<div class="figcenter" style="width: 350px;"><a name="page-145" id="page-145"></a>
+<img src="images/page-145.jpg" alt="" title="" width="350" height="467" />
+<p class="caption1">PHOTO DRUET</p>
+<p class="caption2">ALFRED LA GUIGNE</p></div>
+
+<p>Quelle distinction, bien que le visage soit encore agressif! Quel dessin
+vivant, merveilleux! et combien, ici, Lautrec l'emporte une fois de plus
+sur Degas, qui, pourtant, accusa souvent Lautrec de le plagier; Degas,
+avec son dessin figé, conventionnel; Lautrec si animé, si exubérant, et
+si pénétrant, d'une presque insolence despotique!</p>
+
+<p>Je sais, je sais: toutes ces &oelig;uvres sont considérées même
+actuellement comme des «caricatures» par ceux des gens de théâtre qui
+furent portraiturés, les gens du moins que la Parque coupable n'a pas
+encore saisis! Certainement, par exemple, Mlle Brandès et M. Le Bargy
+n'ont aucune autre opinion, s'il leur arrive de revoir&mdash;ce dont je
+doute!&mdash;le dessin qui les représente, elle, vipérine, et lui, trop
+jeunet. Et, cependant, ne sont-ils pas rehaussés ainsi, «augmentés», en
+quelque sorte, par Lautrec, tous et toutes? Mieux même: ne devraient-ils
+pas être <span class="pagenum"><a name="Page_146" id="Page_146">146</a></span> tout à fait comme cela, pour se parer véritablement d'une
+réelle personnalité?</p>
+
+<p>Mais voilà, en ce triste temps, il faut tout sacrifier au cahotant
+chariot de Thespis, surtout le génie!&mdash;et M. Brisgand, par ses sottises,
+opère mieux!</p>
+
+<hr class="tiny" />
+
+<h2><a name="ch20" id="ch20"></a>AU CAFÉ-CONCERT</h2><p><span class="pagenum"><a name="Page_147" id="Page_147">147</a></span></p>
+
+<p>Ce milieu, le Café-Concert, avec son amas de bizarres trognes, de
+bohèmes, d'excentriques de tous ordres, de déchets d'humanité, gueulant
+ou susurrant des chansons bêtes; ces hommes et ces femmes, ces
+orchestres de ravageurs, ces beuglants et ces niais Eldorados;&mdash;tout ce
+milieu devait aussi enchanter Lautrec; et, en effet, il l'enchanta.</p>
+
+<p>C'était, d'ailleurs, le moment d'apothéose du Café-Concert. Partout les
+gommeuses, les gambilleurs, les chanteuses à voix, les excentriques, les
+diseuses et les ténorinos, sévissaient. On restait sous le coup des
+fortes émotions chauffées par Thérésa; et les vieux hommes radotaient,
+avec des larmes, les chansons de Béranger, de Dupont et de Nadaud. Il y
+avait, par cela même, <span class="pagenum"><a name="Page_148" id="Page_148">148</a></span> le café-concert avec ses sottises nouvelles,
+et l'autre chantant ou Caveau, où l'on hospitalisait les chansons de
+Paul Delmet et de Maurice Vaucaire. Dans ce temps-là, pas de revues, pas
+de bas vaudevilles sur ces petites scènes, où, de huit heures à minuit,
+défilaient toutes les chanteuses et tous les chanteurs des cinq parties
+du Monde. Le Caveau pleurait boulevard de Sébastopol; le concert des
+Décadents flonflonnait rue Fontaine; et Lautrec ne quittait, que pour
+aller au Moulin, ce dernier café-concert, tapageur et pittoresque. Mais
+la Duclerc, la reine du lieu, l'inquiétait par sa face ravagée; et il
+n'osait pas la représenter, la dessiner telle qu'il la voyait, cruelle
+et de sang atrocement brûlé!</p>
+
+<p>Puis, le printemps revenait; et Lautrec s'en allait revoir, dans
+l'avenue des Champs-Elysées, les trois magnifiques cafés-concerts qui,
+alors, en plein air, lançaient aux étoiles les couplets amoureux ou
+pleurards, sentimentaux ou revanchards, humanitaires ou satiriques, que
+faisaient écrire, dans les prisons, les entrepreneurs-chansonniers,&mdash;ou
+que commettaient eux-mêmes, sans gloire, les Maurice Donnay et les
+Bruant.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a name="Page_149" id="Page_149">149</a></span></p>
+
+<p>C'étaient, ces trois cafés-concerts: l<i>es Ambassadeurs</i>, <i>l'Alcazar</i> et
+<i>l'Horloge</i>. Ce dernier devait, plus tard, être remplacé par le <i>Jardin
+de Paris</i>,&mdash;lequel vient de disparaître à son tour.</p>
+
+<p>Comme elles réapparaissaient chaque fois charmantes ces joyeuses
+bâtisses, à l'air d'établissements de bains très calmes et très roses!</p>
+
+<p>Paulus, Caudieux, Kam-Hill et tant d'autres, à ce moment-là, au temps de
+Lautrec, y chantaient tour à tour. Paulus, le roi de la chanson, de la
+chanson remuante, agitée, gambillarde! Paulus, qui était la troisième
+personne de cette trinité glorieuse: le général Boulanger, Géraudel et
+lui-même, Paulus! Paulus, qui avait incarné en lui l'âme de la Patrie;
+et qui, aux accents de plus de deux millions de voix françaises, tous
+les soirs, dans un café-concert, entraînait, vers l'Arc-de-Triomphe, le
+père la Victoire et les pioupious d'Auvergne!...</p>
+
+<p>Mais c'était, aussi, la pleine floraison des <i>Ta-ra-ra-boum-di-hé</i> et
+des frêles niaiseries que chantait plus anémiquement Miss May Belfort,
+qualifiée sur le programme: artiste lyrique <span class="pagenum"><a name="Page_150" id="Page_150">150</a></span> anglaise; et, pourtant,
+elle alluma tout de suite Lautrec.</p>
+
+<p>Après tout, cette bêlante brebis en valait la peine. Elle était si
+cocassement puérile, costumée en baby, avec des boucles déroulées sur
+ses épaules. Elle miaulait, tenant un chat noir entre ses bras ou n'en
+tenant point; et, en ch&oelig;ur, aux Décadents, on hurlait le refrain de
+ses couplets, tandis qu'elle se redressait toujours roide, et comme en
+bois.</p>
+
+<p>Lautrec dessina et peignit souvent cette poupée venue de l'orageuse
+Irlande. C'était la folie du jour, ces chanteuses ou ces danseuses
+anglaises: une miss Cécy Loftus ou une miss Ida Heath. On les retrouvait
+partout; et, cependant, avouons, sans être nationaliste, que la
+française Duclerc, la fameuse Duclerc, à la fin tragique, avait un autre
+accent! Ah! celle-là, cette terrible chanteuse minée par la phtisie, sa
+fin dans un bar, sa rage de danse folle, qui nous secoue encore quand
+nous évoquons l'écroulement brusque de cette femelle vidée!</p>
+
+<p>Mais, de toutes ces danseuses et diseuses, <span class="pagenum"><a name="Page_151" id="Page_151">151</a></span> celle que Lautrec,
+irrésistiblement, préféra, ce fut Yvette Guilbert.</p>
+
+<p>Il lui consacra les planches de deux albums: une édition française,
+éditée par Marty, avec notice de M. Geffroy; et une édition anglaise,
+éditée par Bliss et Sands, à Londres, en 1898, avec un texte de M.
+Arthur Byl.</p>
+
+<p>Ces lithographies sont depuis longtemps légendaires, il est donc vain de
+les décrire; mais on peut bien répéter que personne ne représenta avec
+une expression plus forte et plus significative le profil et la face de
+Mlle Guilbert.</p>
+
+<p>Lautrec connut la diseuse alors qu'elle habitait avenue de Villiers; et,
+sur le champ, s'enthousiasmant, il voulut la représenter en Diane
+antique! Heureusement elle se mit à rire, et jura que la «caricature»
+seule pouvait donner d'elle une image fidèle. Surprenant propos! Mais
+Mlle Guilbert était si jeune!</p>
+
+<p>Lautrec suivit son modèle à la Scala, aux Ambassadeurs, dans sa loge,
+sur la scène, dans les coulisses; et il multiplia d'après elle les
+dessins, s'en tenant pourtant à des lithographies, n'ayant qu'une seule
+fois choisi une autre <span class="pagenum"><a name="Page_152" id="Page_152">152</a></span> matière: une céramique qu'il exposa à
+Londres, avec une série de lithographies.</p>
+
+<p>Il illustra également quelques-uns des monologues que disait, de sa voix
+traînarde et acide, Mlle Guilbert: <i>Le jeune homme triste</i>; <i>Les vieux
+messieurs</i>; <i>Eros vanné</i>; etc...;&mdash;mais il ne laissa pas d'elle un grand
+portrait peint, alors qu'il peignit si souvent la Goulue et la Mélinite.
+Et Dieu sait, pourtant, si Mlle Guilbert tenait une place au
+café-concert! mais, bien entendu, on jugeait à rebours la personnalité
+qu'elle y apportait. «Quand je pense, me disait-elle, un jour, que les
+Parisiens me croient la joyeuse interprète des vices modernes, alors que
+j'en suis la mère Fouettard!»</p>
+
+<p>Mais Lautrec, comme tous les Parisiens, ne se souciait ni de morale ni
+de tout autre but. Il se contentait de se passionner pour le
+café-concert; et cela lui suffisait.</p>
+
+<p>Aussi, avec H.-G. Ibels, il lithographia encore les planches de tout un
+album consacré au Café-Concert. Avec un texte très complet et très
+brillant de M. Georges Montorgueil, cet album fut édité par «l'Estampe
+originale».</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a name="Page_153" id="Page_153">153</a></span></p>
+
+<div class="figcenter" style="width: 350px;"><a name="page-153" id="page-153"></a>
+<img src="images/page-153.jpg" alt="" title="" width="350" height="420" />
+<p class="caption1">PHOTO DRUET</p>
+<p class="caption2">MAY BELFORT</p></div>
+
+<p>Voici de nouveaux et rares dessins au propre compte de Lautrec! Toujours
+des Yvette Guilbert, naturellement: puis un profil malicieux, aigu, de
+Judic; Abdala, aux longs bras, au ventre bombé; Jane Avril, papillon
+tourbillonnant; Edmée Lescot, à la croupe jaillissante; Mary Hamilton,
+poupon et soireux; Bruant, hautain, froid; Caudieux, marié bondissant;
+Paula Brébion, chipie et plantureuse; la Loïe Fuller, flamme et
+feu-follet; et, couronnant le tout, le pif rouge d'un chanteur
+américain!</p>
+
+<p>En parlant des lithographies de Lautrec, j'aurai à citer bien d'autres
+divettes. Je mentionne seulement ici, pour mémoire, ces trois autres
+&oelig;uvres si curieuses venues du Café-Concert: <i>Chanteuse anglaise</i>, <i>au
+Star du Havre</i>; <i>Miss Bedson</i> et <i>May Milton</i>.</p>
+
+<p>Avec quel esprit renouvelé, il a dessiné et peint ces filles! Ah!
+certes, dès que Lautrec touchait à la femme affranchie, à la femme hors
+du foyer, je veux dire à la bête fendue, prête à tous les déshonneurs et
+à toutes les hontes, vraiment, il restait inimitable! Huysmans a écrit
+une lyrique page sur les femmes au tub <span class="pagenum"><a name="Page_154" id="Page_154">154</a></span> peintes par Degas; mais
+comment, comment, lui, devenu un misogyne féroce, n'a-t-il pas bondi sur
+l'&oelig;uvre de Lautrec pour la fouailler, pour la ravager, pour la
+massacrer, la femelle aux cent besoins? Comment n'a-t-il pas vu dans
+l'&oelig;uvre de Lautrec un autre apport tout de même que l'apport de
+Degas, qui se contenta, en somme, de laides faces et de ballonnantes
+croupes? Crapaudes engraissées, mais crapaudes néanmoins, rien de plus!
+alors que, lui, Lautrec, n'a-t-il pas faisandé, pourri la femelle? N'en
+a-t-il pas fait le simple sac de pus vomi par le terrible moine Odon de
+Cluny? Sac d'excréments, même pas! Sac de pus, j'y reviens; fumier
+charriant tous les fétides filaments de l'avarie! Ensuite, est-ce que,
+sous ces faces blanches, vertes, avivées de rouge,&mdash;sous ces poitrines
+blètes, il n'y a pas, par l'apport de Lautrec, un autre et plus terrible
+réquisitoire contre la salauderie des désirs et l'ignominie des ruts?...
+Oui, qui peut de nouveau regarder une fille peinte par Lautrec sans
+frémir, sans apercevoir tous les ulcères, tous les chancres, toutes les
+ravageuses terreurs du musée Dupuytren, <span class="pagenum"><a name="Page_155" id="Page_155">155</a></span> cette géhenne effroyable et
+subie de la chair? Pour moi, je me souviens, avec quel frisson! d'avoir
+vu chez M. Théodore Duret, cette May Milton, à la face engraissée, à la
+mâchoire lourde, de couleur jaune-blanche, comme retenant sous une
+enveloppe-vessie un magma de pus tourné au jaune et au blanc-vert. Ce
+tableau est une hideuse épouvante. Cette bouche frottée de rouge, elle
+tombe, elle s'ouvre comme une vulve; elle n'a pas plus de défense, elle
+n'a pas plus de fermeté; elle s'ouvre, elle laissera tout entrer! Et le
+peintre qui a peint cette redoutable image, aimait les femmes. Quel
+confondant sadisme!... ou est-ce une sorte de prêche pour les autres
+hommes?... Singulier problème!</p>
+
+<hr class="tiny" />
+
+<h2><a name="ch21" id="ch21"></a>LES COURSES</h2><p><span class="pagenum"><a name="Page_156" id="Page_156">156</a></span></p>
+
+<p>Les chevaux, les courses de chevaux aussi ne manquèrent point de retenir
+Lautrec.</p>
+
+<p>Que de simples et jolis dessins, aquarelles ou peintures, il conçut,
+tout de suite, à la manière anglaise, comme prétexte!&mdash;; à sa manière à
+lui, comme exécution!</p>
+
+<p>Ainsi, ce bref tableau:</p>
+
+<p>La plaine est rase; une colline bleue borde l'horizon; et, dans un coin,
+des bouquets d'arbres, précédés de barrières blanches, composent un
+décor plaisant. Le cavalier s'en va au trot gaillard de son cheval; son
+chien le suit, en tirant la langue; et le bonhomme est tout vermeil, en
+bon état, vante à coup sûr la sérieuse utilité de l'exercice en plein
+air. Le ciel, lui-même, est familier; nul nuage romantique, un friselis
+de <span class="pagenum"><a name="Page_157" id="Page_157">157</a></span> laine dans un ciel tendre; et Lautrec complique de variété
+seulement son cheval dans la classe des hacks et hackneys, des trotters
+et double-horses, des galloways et des ponies.</p>
+
+<p><ins class="correction" title="Dautres fois">D'autres fois</ins>, ainsi que nous l'avons dit au chapitre: <i>Filles</i>, il
+place un attelage en tandem, au bord de la mer. Un tonneau, un voile qui
+flotte au vent; et, escortant la jeune femme qui conduit, un fox-terrier
+galope en bondissant.</p>
+
+<p>Que d'éventails Lautrec exécuta dans cet ordre d'idées-là!</p>
+
+<p>Les jockeys, à pied ou à cheval, les lads, les entraîneurs et les
+paddocks, figurent nombreux aussi dans son &oelig;uvre. Et comment en
+eût-il été autrement pour ce peintre curieux, tellement épris de vie
+moderne?</p>
+
+<p>Les Courses, d'ailleurs! Les chevaux, les femmes!</p>
+
+<p>Sous couleur d'amélioration de la race chevaline, ne donne-t-on pas, aux
+Courses, les plus exquis rendez-vous de femmes parées dans un décor de
+luxe, dans un infini boulingrin émaillé çà et là de somptueuses fleurs?</p>
+
+<p>Et la vue n'en est-elle pas exquise, alors qu'elles <span class="pagenum"><a name="Page_158" id="Page_158">158</a></span> sont toutes là,
+les filles, à la parade, dans la joie de vivre, assistant à une des
+fêtes du turf?</p>
+
+<p>Oui, elles sont joyeuses, et leur joie resplendit dans leurs yeux, dans
+le joli mouvement de leurs bras enveloppeurs et de leurs grâces frêles;
+elles sont superbes aussi sous l'architecture fastueuse du chapeau,
+toutes jaillies en sveltes lignes de la gaine des jupes et de la sangle
+du corset. Le bouquet est verni, lustré, plus captivant que rien qui
+soit au monde, alors qu'il se déroule tant d'idées de bonheur, d'amour
+de soi-même, d'orgueil de plaire et de triomphe, sur ces visages de
+filles érigées toutes droites, ou assises sur des chaises, comme sur des
+socles.</p>
+
+<p>Certes, ici, encore, un décor est tout fait. Cela se compose, tout de
+suite, ce fond de panaches à l'horizon, cette colline d'arbres et de
+villas, ces tribunes fleuries ayant un caractère de constructions
+exotiques, et ce tapis de la pelouse, large, immense, piqué de barrières
+et de betting-pots.</p>
+
+<p>Et le décor est frais, attirant sous le ciel bleu et mauve des pleins
+jours d'été. Pour peindre cela, il faut le rendre en quelques points
+essentiels. C'est, en effet, tout d'une venue, quand <span class="pagenum"><a name="Page_159" id="Page_159">159</a></span> on cherche
+seulement l'arabesque. Les chevaux eux-mêmes se prêtent merveilleusement
+à ces schémas. Ils sont tout en jambes et en encolures longues. Mais il
+y a des déformations de génie à inventer pour exprimer des attitudes
+vraies, pour peindre le pas rythmique ou le galop coulant et près de
+terre de ces chevaux, qui somnolent et se bercent, au contraire, quand
+ils sont sur les routes.</p>
+
+<p>Et leurs cavaliers, faire comprendre les longs apprentissages, les
+labeurs de l'art équestre, c'est rude. Le visage, ici, n'est pas tout;
+les bras et les jambes et le torse et tout, tout cela a trop travaillé,
+a été trop violenté, a trop peiné pour qu'on n'étudie pas, à s'y abîmer
+de longues heures, le caractère des déformations fatales, dans un corps
+d'anglo-saxon, rompu déjà, pourtant, à toutes les périlleuses aventures
+des sports.</p>
+
+<p>Et il y a encore autre chose. Car il faut trouver l'atmosphère morale de
+tous ces gens: mercantis heureux, hommes politiques et escarpes,
+bookmakers et propriétaires, filles et jockeys. Il faut peindre des âmes
+vigoureuses du <span class="pagenum"><a name="Page_160" id="Page_160">160</a></span> lucre sur des visages rudes ou fragiles, des
+attitudes exactes de groupes; ne pas verser dans l'anecdote des
+courtauds de boutique aventurés ici ou des petites gens qui risquent de
+maigres enjeux.</p>
+
+<p>Aussi bien le sport que tarifent des rentes sûres est de seul
+intérêt&mdash;et de charme certain. C'est, à l'entour de pavillons évoquant
+des villas de falaises normandes, que se rencontrent seulement le
+maquignonnage opulent des chevaux et des filles&mdash;et l'âpre convoitise
+des «matelas de billets» pour les entretenir, parallèlement, dans de
+superbes et quasi similaires écuries, à la litière chaude.</p>
+
+<p>Tout cela, Lautrec le développa encore magnifiquement dans de trop rares
+&oelig;uvres consacrées aux Courses. Dans ses lithographies, notamment, il
+importe de signaler cette merveilleuse estampe: <i>Jockey se rendant au
+poteau</i>, qui est un hommage rendu à une des gloires de notre temps.</p>
+
+<div class="figcenter" style="width: 350px;"><a name="page-161" id="page-161"></a>
+<img src="images/page-161.jpg" alt="" title="" width="350" height="514" />
+<p class="caption1">PHOTO DRUET</p>
+<p class="caption2">JOCKEYS</p></div>
+
+<hr class="tiny" />
+
+<h2><a name="ch22" id="ch22"></a>DE TOUT</h2><p><span class="pagenum"><a name="Page_161" id="Page_161">161</a></span></p>
+
+<p>Certes, si Lautrec redoutait tout des très gros chiens qui pouvaient le
+faire tomber, il réservait sa tendresse aux petits chiens à courts ou à
+longs poils, qui sont les ordinaires compagnons des jeunes filles, des
+hommes inoccupés et des vieilles catins.</p>
+
+<p>Aussi dessina-t-il et peignit-il de nombreux portraits de chiens.</p>
+
+<p>Notons, par exemple:</p>
+
+<p><i>Le chien Tommy</i>, un petit chien, à poils longs, couché sur le ventre,
+et très doux;</p>
+
+<p><i>La jeune fille avec un chien</i>, aquarelle en éventail;</p>
+
+<p><i>L'enfant avec la chienne Paméla</i> (Taussat-Arcachon); et, enfin, après
+quelques autres portraits de chiens, de moindre importance, <span class="pagenum"><a name="Page_162" id="Page_162">162</a></span> voici
+le fameux <i>Bouboule</i>; Bouboule, ce Chéri-Bouboule, enfin Bouboule, le
+bull-dog, qui s'octroyait l'unique honneur de lécher les joues de la
+chère Madame Palmyre, la patronne de la <i>Souris</i>!</p>
+
+<p>Bouboule! Oh! si j'écris et si je récris ce nom, avec tant de plaisir,
+c'est que tous les anciens amis de Palmyre se souviennent toujours,
+comme moi, de ce chien vraiment chien, de ce Bouboule si goulu et si
+concupiscent! Mais quel Bouboule aussi bien mal né! Car Palmyre avait
+vainement tenté de lui inculquer l'amour des femmes. Bouboule les
+détestait, il n'y avait rien à faire contre cela; et le sacré Bouboule,
+ce réjouissant Chéri-Bouboule le leur montrait bien aux femelles, qu'il
+ne les acceptait pas; car, sitôt qu'on n'avait plus les yeux sur lui, il
+descendait de la table, où il reposait son petit cul tout rond; et, avec
+des efforts inouïs, rassemblant les dernières gouttes, il pissait sur
+les robes et sur les manteaux! Pauvre Bouboule, que j'adorais! Qu'est-il
+devenu, ce Chéri-Bouboule? Oui, je sais, au Paradis des chiens, avec
+celui de Panurge! mais, du <span class="pagenum"><a name="Page_163" id="Page_163">163</a></span> moins, où se trouve maintenant son
+portrait?</p>
+
+<p>Nous avons revu heureusement celui de <i>Follette</i>, la délicieuse petite
+chienne blanche, à longs poils, à oreilles droites, à crinière léonine,
+assise sur son derrière et le poitrail droit, face au spectateur. Petite
+tête de souris éveillée, chère petite demoiselle et certainement pucelle
+encore, que Lautrec avait peinte avec une souplesse étonnante, et en si
+parfait contraste avec le <i>chien Tommy</i>, déjà nommé au palmarès
+canin,&mdash;lui, une sorte de gros paysan balourd en feutre, tombé de tout
+son poids et de tout son long sur ses pattes de devant.</p>
+
+<p>«De tout!» avons-nous écrit en tête de ce chapitre. Y a-t-il donc, à
+présent, à citer, des paysages peints ou dessinés par Lautrec?</p>
+
+<p>Nous, nous ne connaissons que quelques paysages proprement dits qui
+peuvent être donnés à Lautrec. Nous nous souvenons également d'avoir vu
+chez M. Maurice Guibert et chez M. le Président Séré de Rivières,
+quelques marines exécutées au lavis et au fusain.</p>
+
+<p>Mais il y a d'autres choses à noter, sans doute, si l'on veut classer
+des projets pour des couvertures <span class="pagenum"><a name="Page_164" id="Page_164">164</a></span> de livres ou pour des affiches;
+projets que Lautrec cherchait sur un papier ou sur un carton, soit au
+crayon, soit du bout du pinceau, trempé dans l'essence; et l'on peut
+cataloguer encore, pour mémoire, des essais de sculpture assez informes
+qu'il tenta, avenue Frochot, quelques mois avant sa mort.</p>
+
+<p>Par contre, il fit beaucoup d'aquarelles, gouachées ou libres. En voici
+une brève énumération: <i>Aristide Bruant</i>; l'esquisse pour l'affiche de
+la <i>Babylone moderne</i>; <i>Au café</i>; <i>Le portrait de Maxime Dethomas</i>, <i>au
+bal des Quat'z-Arts</i>; <i>Cortège indien</i>; <i>La clownesse et les cinq
+plastrons</i>; <i>Miss May Belfort</i>, etc., etc...</p>
+
+<p>Aquarelliste, Lautrec gardait la même liberté et la même acuité que pour
+ses peintures à l'huile, attendu que, chez lui, c'était, avant tout, le
+dessin qui comptait.</p>
+
+<p>Au résumé, toutes ces menues &oelig;uvres, dont nous venons de parler,
+peut-être trop laconiquement, étaient réalisées un peu au hasard de ce
+que Lautrec trouvait sous sa main, et selon son humeur du moment. Oui,
+il ne convient pas, décidément, de voir en lui un homme méthodique, <span class="pagenum"><a name="Page_165" id="Page_165">165</a></span>
+mesuré, disciplinant ses facultés et ses envies de travail. Ceci est
+seul à enregistrer: il fournissait, à Paris, un dur labeur; et il se
+réservait l'été pour ne rien faire; je veux dire pour se baigner ou
+conduire son bateau dans la baie d'Arcachon.</p>
+
+<hr class="small" />
+
+<h4>DES COMMENTAIRES SUR L'&OElig;UVRE</h4><p><span class="pagenum"><a name="Page_167" id="Page_167">167</a></span></p>
+
+<h2>IV</h2>
+
+<h3>Lithographies et Pointes-Sèches</h3>
+
+<h3>Dessins</h3>
+
+<h3>Affiches</h3>
+
+<h3>Illustrations de Livres</h3>
+
+<h2><a name="ch23" id="ch23"></a>LITHOGRAPHIES ET POINTES-SÈCHES</h2><p><span class="pagenum"><a name="Page_169" id="Page_169">169</a></span></p>
+
+<p>Voici une nouvelle considérable partie de l'&oelig;uvre de Lautrec. Aussi,
+le sculpteur Carabin et le peintre H.-G. Ibels se disputent-ils
+l'honneur d'avoir poussé Lautrec vers la lithographie. Carabin,
+exigeant, revendique en outre cet honneur pour Willette.</p>
+
+<p>En tout cas, Carabin se souvient fort bien d'avoir conduit Lautrec chez
+Edwards Ancourt, imprimeur, faubourg Saint-Denis (ancienne imprimerie
+Bourgery); et, là, d'avoir présenté Lautrec à un ouvrier d'Ancourt,
+nommé Stern, qui, à partir de ce jour, tira les épreuves pour Lautrec.</p>
+
+<p>De son côté, Ibels <i>croit</i> qu'il fut le premier à faire faire à Lautrec
+de la lithographie, en lui demandant de composer avec lui-même, Ibels,
+<span class="pagenum"><a name="Page_170" id="Page_170">170</a></span> l'album connu, texte de M. Georges Montorgueil, consacré au
+Café-Concert.</p>
+
+<p>Quoiqu'il en soit, cela nous reporte à l'année 1892; et, conduit par
+l'un ou par l'autre de ses deux amis, Lautrec se passionna tout de suite
+pour la lithographie. Improvisant sur la pierre, qu'il ne retouchait
+jamais, ses estampes eurent rapidement une vive saveur.</p>
+
+<p>Tous les jours, il arrivait chez Stern, installé en chambre; et là, sur
+une pierre, il faisait son dessin; puis, il s'en allait. La pierre était
+alors gommée; et, le lendemain, Lautrec revenait assister au tirage des
+épreuves. Il se passionnait à indiquer le ton des encres, s'il
+s'agissait de lithographies en couleurs; et il faisait recommencer vingt
+fois s'il le fallait, pour obtenir le ton spécial qu'il désirait, en vue
+du définitif tirage, toujours publié à un petit nombre d'exemplaires,
+qu'il tint, dès le début, à numéroter lui-même et à signer.</p>
+
+<p>Cependant, on peut voler des estampes dans une imprimerie; mais Lautrec
+fut tout de suite impitoyable pour les voleurs. C'est ainsi qu'il fit
+arrêter un marchand notoire qui vendait <span class="pagenum"><a name="Page_171" id="Page_171">171</a></span> des lithographies signées
+par lui, Lautrec, et qui avaient été dérobées à l'atelier. Même dans le
+fiacre qui emmenait à l'étroit le marchand avec deux agents de la
+sûreté, ne s'assit-il pas, imperturbable, sur les propres genoux du
+marchand pour l'accompagner chez le juge, et le faire condamner;&mdash;car il
+fut inexorable?</p>
+
+<p>Lautrec eut bientôt de nombreuses estampes en train. Mais, ici, rendons
+à César ce qui est à César! Ce fut Ibels et pas un autre, qui réussit à
+convaincre l'éditeur Georges Ondet qu'il valait mieux faire illustrer
+les couvertures des chansons de café-concert par des artistes, plutôt
+que de s'adresser aux spécialistes ordinaires. Et, ainsi, sur sa
+proposition, Lautrec, Vallotton, Bonnard, Vuillard, Willette et Ibels
+lithographièrent ces attachantes couvertures de chansons, dont on tirait
+une centaine d'épreuves avant la lettre; et que les marchands Kleinmann,
+Sagot et Arnould, achetaient et vendaient à part.</p>
+
+<p>En 1893, Ibels fonda, avec l'héroïque Georges Darien, un hebdomadaire
+illustré, appelé <i>L'Escarmouche</i>, «journal de combat, absolument
+indépendant et répudiant toute compromission». <span class="pagenum"><a name="Page_172" id="Page_172">172</a></span> Ce journal n'eut
+qu'une existence éphémère. Le 1<sup>er</sup> numéro porte la date du 12 novembre
+1893; le dernier, celle du 16 mars 1894; encore ce dernier numéro
+parut-il après une interruption de deux mois, et sans aucune
+illustration.</p>
+
+<p>Lautrec fournit à <i>l'Escarmouche</i> les douze lithographies suivantes:
+<i>Pourquoi pas?... Une fois n'est pas coutume</i>; <i>Aux Variétés: Mlle
+Lender et Brasseur</i>; <i>En quarante</i>; <i>Mlle Lender et Baron</i>; <i>Emilienne
+d'Alençon et Mariquita aux Folies-Bergère</i>; <i>Au Moulin-Rouge: un rude!</i>
+(Table de café. Le personnage âgé qui tire sur sa barbe représente le
+comte Alphonse de Toulouse-Lautrec); <i>Folies-Bergère: les pudeurs de M.
+Prud'homme</i>; <i>A la Renaissance: Sarah Bernhardt, dans Phèdre</i>; <i>A la
+Gaîté-Rochechouart: Nicolle</i>; <i>A l'Opéra: Mme Caron, dans Faust</i>; <i>Au
+Moulin-Rouge: l'union franco-russe</i>; <i>Au théâtre Libre: Antoine, dans
+l'Inquiétude</i>.</p>
+
+<p>Les autres dessinateurs-collaborateurs à <i>l'Escarmouche</i> furent
+Anquetin, Bonnard, Vuillard, Willette, Hermann-Paul, Vallotton et Ibels;
+et c'est encore sur la proposition d'Ibels <span class="pagenum"><a name="Page_173" id="Page_173">173</a></span> (qui avait décidément la
+marotte des bonnes idées) qu'on lithographia les dessins, ce qui permit
+le clichage par un simple report sur zinc, moins coûteux et plus
+artiste;&mdash;et, en outre, les épreuves lithographiques avant la lettre
+étant vendues aux amateurs, payaient ainsi l'artiste sans aucun frais
+pour le journal.</p>
+
+<p>Chez Ondet,&mdash;je garde personnellement le plus vif souvenir de cet
+éditeur actif et intelligent!&mdash;chez Ondet, Lautrec composa aussi les
+lithographies pour un certain nombre de compositions musicales de son
+ami Désiré Dihau, relatives à <i>Vieilles Histoires</i>, poésies de Jean
+Goudeski.</p>
+
+<p>Elles sont toutes fort curieuses, ces couvertures; mais comme il y eut
+d'autres couvertures illustrées par H.-G. Ibels, Henri Rachou, etc.,
+voici les titres des compositions, en ce qui concerne Lautrec: <i>Pour
+toi</i>!... (Désiré Dihau jouant du basson, devant un buste de faune);
+<i>Nuit blanche</i>; <i>Ta bouche</i>; <i>Sagesse</i> (ici Lautrec a représenté deux de
+ses amis: Mme Natanson et M. Numa Baragnon); <i>Ultime ballade</i>.</p>
+
+<p>A bien dire, dépouillées de toute couleur, <span class="pagenum"><a name="Page_174" id="Page_174">174</a></span> c'est surtout dans les
+lithographies au simple crayon que l'on voit la généreuse noblesse, la
+certitude aiguisée, et&mdash;il faut toujours insister sur les mêmes
+choses!&mdash;l'intégrale personnalité du dessin de Lautrec. Nulle écriture
+n'est plus impérieuse, si j'en excepte celle de Modigliani, ce
+merveilleux dessinateur mort lui aussi un jour trop prématuré.</p>
+
+<p>Cette certitude du dessin de Lautrec! C'est en voyant toutes ses
+lithographies qu'il faut admirer continuellement ce dessin tracé de la
+pointe du crayon, sans hésitation, sans le plus léger heurt. La pointe,
+sûre d'elle-même, ainsi que la pointe d'épée d'un prestigieux escrimeur,
+aussitôt que placée au-dessus de la pierre, elle inscrivait la pensée
+prompte, les plus souples, les plus sensibles et les plus affirmatives
+des arabesques. Vraiment, là, Lautrec est tout à fait à l'aise. Ces
+paraphes de dessin, ces contours, ces angles, ces déformations subtiles,
+tout cela est le témoignage d'un style prodigieusement original, d'une
+volonté que l'on qualifierait de magnifiquement instinctive, si cela se
+pouvait dire. De Lautrec, escrimeur toujours prêt, toujours <span class="pagenum"><a name="Page_175" id="Page_175">175</a></span> souple,
+toujours vigoureux et surtout si sûr de lui, avec quelle foudroyante
+vitesse la pointe se détendait, allait frapper droit au but, je veux
+dire sur la pierre vierge, en attente de chef-d'&oelig;uvre ou de sottise!
+Et c'était toujours un chef-d'&oelig;uvre; ou du moins une chose rare qui
+apparaissait, qui stupéfiait; une &oelig;uvre de noblesse et d'élégance,
+sortie de ce petit homme à pince-nez, presque un gnome, juché sur un
+tabouret pour quelque méchante action. Et c'était, cela, le persistant
+étonnement que quelque chose venant de lui était chaque fois marquée
+d'une indélébile distinction. Et quelle variété!</p>
+
+<p>Dans la partielle énumération faite plus loin du catalogue de ses
+lithographies (M. Loys Delteil en a classé 368 exactement, y compris 9
+pointes-sèches), il vous sera possible déjà de voir quels sujets il
+traita, combien il fit de portraits, de compositions et d'illustrations
+de livres. Et c'est sans cesse le beau miracle: hommes, animaux, décors,
+tout est d'un haut style et d'une parfaite saveur!</p>
+
+<p>Et Lautrec trouvait encore des mots. Un jour, <span class="pagenum"><a name="Page_176" id="Page_176">176</a></span> donnant rendez-vous à
+M. André Marty pour préparer le premier album Yvette Guilbert, il dit à
+cet artisan du livre: «Venez, ensemble <i>nous définirons</i> Yvette!» Oui
+c'est cela! Lautrec pensait d'abord fortement à son sujet; puis,
+lorsqu'il l'avait bien vu, bien exploré, bien retourné en tous les sens,
+il était prêt, il pouvait aborder la pierre lithographique et développer
+à coup sûr la forme et l'esprit de son sujet.</p>
+
+<p>L'imprimerie! Il s'en était toqué incroyablement. Pour rien au monde, il
+n'eût manqué d'aller un seul jour chez Stern. A peine arrivé, il
+rabattait son chapeau sur ses yeux, il se juchait sur son tabouret; et,
+après avoir soigneusement frotté son pince-nez, il se mettait, en
+plaisantant, au travail. Il s'escrimait alors, tellement sûr de lui
+qu'il pouvait parler avec les gens qui, quelquefois, se trouvaient
+là&mdash;ou avec l'ami qui l'avait accompagné.</p>
+
+<p>Ces lithographies, quelques-unes sont simples, en tailles menues, fines,
+pas surchargées, nuancées, rappelant souvent, en un style plus acéré,
+toutefois, les admirables estampes de Whistler, si délicates, si
+subtiles!... D'autres lithographies <span class="pagenum"><a name="Page_177" id="Page_177">177</a></span> sont couvertes avec des
+frottis de crayon, avec des frottis de pouce. Elles sont, celles-là,
+tout en étant fort belles, moins significatives peut-être que les
+lithographies réalisées seulement de la pointe du crayon.</p>
+
+<div class="figcenter" style="width: 350px;"><a name="page-177" id="page-177"></a>
+<img src="images/page-177.jpg" alt="" title="" width="350" height="451" />
+<p class="caption1">PHOTO DRUET</p>
+<p class="caption2">CLOWNESSE AU BAL</p></div>
+
+<p>Ah! toutes ces rares lithographies! L'&oelig;uvre la plus décisive, la plus
+savoureuse de Lautrec; celle qui l'emporte sur l'&oelig;uvre du peintre,
+qu'on le veuille ou non; l'&oelig;uvre qui lui accordait toute sa liberté;
+l'&oelig;uvre où il pouvait débrider toute sa fantaisie, son goût extrême
+de la diversité et de la sensibilité la plus excessive et la plus
+divinatrice!</p>
+
+<p>Sans doute, il existe de merveilleuses toiles de Lautrec; mais <i>sa</i>
+couleur, la couleur qu'il apportait, ah! comme je puis bien m'en passer,
+tant j'aime, tant j'admire, avant tout, <i>son</i> dessin, ce dessin
+prodigieusement vivant et d'une singularité si absolue, si souveraine,
+telle que l'on ne pourrait pas concevoir de faux tableaux possibles de
+Lautrec, si les faussaires ne s'adressaient pas à la profonde bêtise, à
+la crapuleuse ignorance des collectionneurs, amateurs de tableaux et
+bibliophiles.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a name="Page_178" id="Page_178">178</a></span></p>
+
+<p>Et, dans ses lithographies, il a su tout représenter: les comédiens et
+les comédiennes, les chanteuses de cafés-concerts et les cantatrices
+d'opéras, les danseuses et les diseuses, les chevaux et les jockeys, les
+chiens et les chats, les clowns et les clownesses, les programmes de
+théâtres et les menus, les filles et les patrons de bars, les procès
+Arton et Lebaudy&mdash;et jusqu'à un concours pour une affiche à Napoléon!</p>
+
+<p>Pour tous ces sujets, il faut préférer encore et toujours les
+lithographies en noir. Pour les affiches vues de loin et à voir de loin,
+c'est assurément une autre manière de penser; mais, pour les
+lithographies qu'on a sous le nez, qu'on respire pour ainsi dire,
+choisissons le dessin seul, le trait noir, le frottis noir, rien de
+plus! Toute notre émotion est faite alors de cette nouvelle et haute
+«probité de l'Art,» dirait M. Ingres, de ce «frisson nouveau», dirait
+Hugo; et, pour bien des années, pour des siècles peut-être, le dessin de
+Lautrec restera dans un superbe isolement!</p>
+
+<p>Pour terminer, notons, ici, que Lautrec se complut à graver quelques
+pointes-sèches, neuf <span class="pagenum"><a name="Page_179" id="Page_179">179</a></span> exactement. Mais ce ne sont là que des choses
+secondaires. En voici le détail: <i>Mon premier zinc</i>; <i>L'explorateur
+L.-J. Vicomte de Brettes</i>; <i>Charles Maurin</i> (qui, en retour, gravera à
+l'eau-forte le portrait de Lautrec, celui-là même qui est publié au
+commencement de ce livre); <i>Francis Jourdain</i>; <i>W. H. B. Sands, éditeur
+à Edimbourg</i>; <i>Henry Somm</i>; <i>Le lutteur Ville</i>; <i>Portrait de M. X...</i>;
+<i>Portrait de Tristan-Bernard</i>.</p>
+
+<hr class="tiny" />
+
+<h2><a name="ch24" id="ch24"></a>DESSINS</h2><p><span class="pagenum"><a name="Page_180" id="Page_180">180</a></span></p>
+
+<p>Les dessins de Lautrec, les purs dessins, c'est encore un enchantement.
+Quels traits sûrs, hardis, jamais repris, tracés du coup! Quels contours
+précis, exprimant tout le caractère, l'exagérant, l'accroissant! Quelle
+race toujours! Quelle causticité aussi et, parfois, quelle pitié aiguë,
+voudrait-on dire!</p>
+
+<p>Lautrec a fait tous les dessins: dessins au crayon, dessins au pinceau,
+fusains, sanguines, dessins à la plume, dessins rehaussés de couleurs.</p>
+
+<p>Dans un premier livre que nous avons consacré à Lautrec, et qui est
+aujourd'hui épuisé, comme on dit en argot de librairie, nous avons déjà
+donné une bonne centaine des rapides croquis, qu'il traçait fermement et
+décisivement <span class="pagenum"><a name="Page_181" id="Page_181">181</a></span> de la pointe du crayon ou de la plume. Et, certes, si
+l'on tient absolument à ranger Lautrec, pour un petit côté de son
+&oelig;uvre, parmi les humoristes amers et douloureux, c'est à ces sortes
+de croquis-là qu'il faut penser; il n'y <ins class="correction" title="à">a</ins> que ces croquis-là à donner en
+exemple d'humour: schémas de traits, paraphes et arabesques, qui
+représentent&mdash;et avec quelle acuité!&mdash;d'un trait sommaire, des filles,
+des chevaux, des toreros, des acteurs, des figurants, des clowns ou des
+écuyers. D'un trait sommaire, crayon ou plume, qui touche à la charge,
+et reste au bord du trait caricatural. Ce dessin ne fait pas rire, loin
+de là; c'est de l'humour pessimiste qui déforme, en ne tombant jamais
+dans le trivial.</p>
+
+<p>De l'année 1882 et des années immédiatement suivantes, on a retrouvé des
+fusains de Lautrec sur du papier Ingres, gris et bleu: des paysannes,
+des femmes assises, des petits paysages ou des petites marines.</p>
+
+<p>En 1886-1887, il collabora au <i>Courrier Français</i>, le journal du
+désordonné Jules Roques; et il fut en même temps au <i>Mirliton</i>, le
+journal du <span class="pagenum"><a name="Page_182" id="Page_182">182</a></span> non moins étonnant Aristide Bruant, l'engueuleur patenté
+des Parisiens et de leurs compagnes.</p>
+
+<p>Le <i>Mirliton</i> eut 77 numéros, et vécut du mois d'octobre 1885 au mois de
+décembre 1892.</p>
+
+<p>Puis ce fut cette suite, au moins comme dessins publiés:</p>
+
+<p>Dans le numéro du 7 juillet 1888, à <i>Paris illustré</i> (publication
+hebdomadaire), Lautrec donne des illustrations pour un article intitulé:
+<i>L'été à Paris</i>.</p>
+
+<p>En 1894, premier numéro du journal <i>le Rire</i>, Lautrec dessine une
+<i>Yvette Guilbert</i>, avec couleurs, au numéro du 22 décembre;&mdash;puis onze
+autres dessins, la plupart également rehaussés de couleurs, à des dates
+diverses jusqu'au mois d'avril 1897, moment où cesse sa collaboration.</p>
+
+<p>Parmi ces dessins-là, on peut citer: <i>Ambroise Thomas, chef
+d'orchestre</i>; <i>Ma fille</i>; <i>Au Palais de Glace</i>; <i>Redoute au
+Moulin-Rouge</i>; <i>Chocolat au bar d'Achille</i>; <i>Au cirque</i>; etc.</p>
+
+<p>En juillet 1893, Lautrec avait collaboré au <i>Figaro Illustré</i>, en
+illustrant: <i>Les plaisirs à <span class="pagenum"><a name="Page_183" id="Page_183">183</a></span> Paris</i>, texte de M. Geffroy; en juillet
+1895, il illustre <i>Le bon Jockey</i>, texte de M. Romain Coolus; et, en
+septembre 1895, il apporte encore des illustrations pour une autre
+nouvelle de M. Romain Coolus: <i>La Belle et la Bête</i>.</p>
+
+<p>Avec son ami Tristan-Bernard, il a publié un supplément au n<sup>o</sup> de
+janvier 1895, de <i>La Revue Blanche</i>: un <i>Nib</i> (en argot, néant, rien!).
+Tristan-Bernard a écrit le texte, et Lautrec a crayonné des
+lithographies, parmi lesquelles celle-ci est très admirable: <i>Anna Held
+au Café-concert</i>.</p>
+
+<p>Dans le N<sup>o</sup> de juin 1894, de la même revue, Lautrec a orné de croquis le
+compte-rendu humoristique consacré par Tristan-Bernard au Salon de 1894.</p>
+
+<p>En ces années 1894 et 1895, Lautrec fournit, d'ailleurs, maints dessins
+pour des programmes de théâtres, pour des menus, pour des couvertures de
+livres, etc.</p>
+
+<p>C'est ainsi que, dans la <i>Revue Blanche</i> du mois de mai 1895, Paul Adam
+ayant consacré un article à Oscar Wilde, Lautrec a dessiné à la plume le
+portrait du dramaturge anglais.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a name="Page_184" id="Page_184">184</a></span></p>
+
+<p>Il dessina encore le même Oscar Wilde sur la partie droite, et Romain
+Coolus sur la partie gauche, d'un programme exécuté pour le théâtre de
+l'&OElig;uvre, soirée du 11 février 1896, consacré à Oscar Wilde (auteur de
+la <i>Salomé</i>), et à Romain Coolus (auteur de <i>Raphaël</i>).</p>
+
+<p>Enfin, terminons cette incomplète énumération de dessins publiés, par
+quelques titres de dessins notoires:</p>
+
+<p><i>Au Café de Bordeaux, Antoine, un amer!</i> <i>Sur les quais de Bordeaux</i>;
+<i>Arrivée aux Courses</i>; <i>Etude pour «Elles»</i>; <i>Esquisse pour l'affiche de
+«Babylone»</i>; <i>Course de chevaux</i>; <i>Dans les coulisses</i>; <i>Elsa, la
+Viennoise</i>; <i>Une habituée de la «Souris»</i>; <i>Programme de «l'Assommoir»</i>;
+<i>Messaline</i>; <i>Projet d'affiche du «Divan japonais»</i>; <i>Les frères Marco
+(clowns)</i>; <i>Scène de Cirque</i>; <i>Polaire</i>; <i>Yvette Guilbert, saluant</i>;
+etc., etc.</p>
+
+<p>Dans tous ces dessins, et dans des centaines d'autres qu'il est
+impossible de dénombrer, Lautrec nous offre son style, sa science de
+l'expression, qu'il met en valeur par un contour frémissant, creusé,
+exact. C'est toujours un miraculeux, un unique dessin! Maints dessins
+<span class="pagenum"><a name="Page_185" id="Page_185">185</a></span> d'artistes illustres paraissent froids, conventionnels, sans
+mouvement, à côté de ce dessin passionné, qui déborde de vie et de
+volonté.</p>
+
+<div class="figcenter" style="width: 350px;"><a name="page-185" id="page-185"></a>
+<img src="images/page-185.jpg" alt="" title="" width="350" height="529" />
+<p class="caption2">COUVERTURE POUR UN MONOLOGUE</p></div>
+
+<p>Mais si nous avons insisté sur le côté acéré, amer, de son dessin, de
+son écriture, il est capable, aussi, ce complet dessinateur, de traduire
+toute la grâce d'un profil d'enfant, toute la délicatesse de certaines
+têtes de femmes. Il a tellement de ressources, ce dessin singulier,
+qu'il peut être tour à tour cruel ou caressant, anguleux ou arrondi; il
+peut flageller ou flatter, effrayer ou attirer. Même, quelquefois, ce
+dessin pare de je ne sais quelle morbidesse telle tête de fille, qui, en
+maison, laisse rêver sa bêtise. Mais, cependant, à tout bien considérer,
+nous pensons que Lautrec a bien fait de suivre plutôt son penchant vers
+l'amertume, et vers le pessimisme. Nous aimons, sans doute, les accès de
+tendresse de Lautrec; et il y a maints et maints dessins faits dans
+cette douceur de caractère qui sont d'une grâce heureuse; mais nous
+préférons le dessin incisif, douloureux, le ravinement d'une face, une
+bouche plissée, des narines ouvertes, un regard d'oiseau de proie <span class="pagenum"><a name="Page_186" id="Page_186">186</a></span>
+somnolent, un chignon en bataille;&mdash;tous les stigmates, enfin, dont il
+accable le plus souvent les femmes, qui retiennent son caprice!</p>
+
+<p>Pour tout résumer, nous aimons infiniment mieux Lautrec-Goya que
+Lautrec-Fragonard!</p>
+
+<hr class="tiny" />
+
+<h2><a name="ch25" id="ch25"></a>AFFICHES</h2><p><span class="pagenum"><a name="Page_187" id="Page_187">187</a></span></p>
+
+<p>De l'estampe à l'affiche, ce ne fut, pour Lautrec, qu'une simple
+nouvelle curiosité.</p>
+
+<p>Dès l'année 1892, il envoya, au Salon des Indépendants, le second état
+de l'<i>Affiche pour le Moulin-Rouge</i>.</p>
+
+<p>Tout de suite, il vit l'affiche par des à-plats, violents mais peu
+compliqués. Le trait généralement en vert. Le fond blanc du papier. Une
+tonalité bleue, jaune, rouge ou noire.</p>
+
+<p>Parmi ses affiches les plus connues, on peut citer:</p>
+
+<p>L'<i>Affiche du Moulin-Rouge</i>. (La Goulue dansant, et, au premier plan,
+Valentin, de profil);</p>
+
+<p><i>Le Pendu</i>;</p>
+
+<p><i>Le Divan japonais</i> (75, rue des Martyrs. Jane <span class="pagenum"><a name="Page_188" id="Page_188">188</a></span> Avril, de profil,
+assise; et, derrière elle, un type d'anglais);</p>
+
+<p><i>Reine de joie</i> (pour l'annonce d'un livre de Victor Joze, de son vrai
+nom: Victor Dobrski);</p>
+
+<p><i>Aristide Bruant aux Ambassadeurs</i>;</p>
+
+<p><i>Jane Avril au Jardin de Paris</i>;</p>
+
+<p><i>Caudieux</i>;</p>
+
+<p><i>Bruant au Mirliton</i>;</p>
+
+<p><i>Babylone d'Allemagne</i>, par Victor Joze;</p>
+
+<p><i>La Revue Blanche</i> (bi-mensuelle, 1, rue Laffitte);</p>
+
+<p><i>La chaîne Simpson</i> (réclame pour une chaîne de bicyclette); etc., etc.</p>
+
+<p>Aujourd'hui encore, nous nous souvenons de notre émoi quand nous vîmes,
+pour la première fois, sur un mur, une affiche de Lautrec. A cette
+époque-là, l'affiche en couleurs, si galvaudée depuis, ne s'étalait
+point. On n'était réjoui, de temps à autre, que par les affiches de
+Chéret, cette «exquise dînette d'art!»; et, de fait, c'était un vrai
+régal que ces Arlequins, ces Colombines, ces Pierrots, ces bals masqués,
+ces jolies filles et toute cette éblouissante volée de multicolores
+confetti que Chéret placardait sur les murs. <span class="pagenum"><a name="Page_189" id="Page_189">189</a></span> Cela enchantait la rue
+et l'emplissait de soleil. Tout Paris pour Chéret avait alors des yeux
+enthousiastes. Et voilà que, tout à coup, un inconnu surgissait qui nous
+frappait de stupeur, qui nous troublait par un dessin insolite et
+volontaire, par une sobriété de couleurs à tons plats et acides! et
+c'était signé: Lautrec; et, chose étrange, le nom devenait vite
+populaire, mais à la façon d'un nom qui apporterait avec lui de
+l'inquiétude et de l'angoisse. On était mal à l'aise, mais on frémissait
+de plaisir. Une affiche surtout: <i>Babylone d'Allemagne</i>, nous causa une
+bizarre et inextinguible joie!</p>
+
+<p>Ah! vraiment, c'était la première fois qu'on voyait une telle mise en
+scène: des cavaliers, puis un officier, hobereau roide, orgueilleux,
+paon ou dindon féroce, toute sa morgue à cheval sur un cheval blanc, et,
+avec ses hommes, défilant tout «emmonoclé» et tout empaillé, devant une
+lourde brute des champs, costumé en soldat prussien, qui lui présente
+les armes!</p>
+
+<p>Et, là-haut, dans un coin de la page, à droite, un couple passait;
+l'homme à peine vu, mais dont on devinait les transes; tandis que la
+<span class="pagenum"><a name="Page_190" id="Page_190">190</a></span> femme, maniérée, faisait de l'&oelig;il à cet impassible greluchon
+tout brandi, qui aurait fait sans doute si bien frémir son cher ventre
+de Dorothée en folie!</p>
+
+<p>Ah! cette affiche comme vénéneuse malgré sa toute puissance! Comme son
+temps est loin!...</p>
+
+<p>Nous, maintenant, nous ne regardons plus sur les murs les affiches de
+tous les nigauds de la publicité financière, commerciale ou guerrière!</p>
+
+<hr class="tiny" />
+
+<h2><a name="ch26" id="ch26"></a>ILLUSTRATIONS DE LIVRES</h2><p><span class="pagenum"><a name="Page_191" id="Page_191">191</a></span></p>
+
+<p>Ce Lautrec, si chercheur, une fois devenu lithographe, fut amené, sans y
+trop penser, à illustrer, par la lithographie, des livres. J'entends les
+livres qu'il pouvait aimer.</p>
+
+<p>On l'a vu illustrant des articles ou des contes de ses amis
+Tristan-Bernard et Romain Coolus; on l'a vu illustrant deux albums
+consacrés à Yvette Guilbert; il s'éprit de la même ardeur pour quelques
+livres, dont il orna les couvertures ou les pages de texte.</p>
+
+<p>C'est ainsi qu'il illustra les <i>Histoires naturelles</i> de Jules Renard,
+éditées par Floury. Il dessina la couverture, 22 planches et 6
+culs-de-lampe. Il représenta les coqs, la pintade, la dinde, le paon, le
+cygne, les canards, les pigeons, l'épervier, la souris, l'escargot,
+l'araignée, <span class="pagenum"><a name="Page_192" id="Page_192">192</a></span> le crapaud, le chien, les lapins, le b&oelig;uf, l'âne, le
+cerf, le bouc, les moutons, le taureau, le cochon et le cheval.</p>
+
+<p>Toutefois, et c'est bien la première fois, ces lithographies-là ne sont
+point d'une entière réussite. Leur attrait n'est pas renouvelé. Sans
+doute, dans ces dessins se creuse encore la griffe de Lautrec; mais tous
+ces animaux n'ont pas un caractère inattendu. Lautrec les a dessinés
+avec adresse, avec virtuosité, parce qu'il pouvait tout dessiner; mais
+il n'est pas allé au delà d'un honnête succès. Les animaux, en général
+si niaisement dédaignés par les peintres, ont des attitudes et des
+visages autrement étonnants, autrement insoupçonnés, autrement
+éloquents. Lautrec, comme presque tous les autres dessinateurs, a vu ces
+animaux-là en passant, il les a dessinés, mais il n'a rien fait de plus.
+C'est souvent un peu japonais d'aspect; et cela ne va pas plus loin que
+tant d'estampes trop vantées d'animaliers du Nippon.</p>
+
+<p>Assurément, il convient de préférer cet autre livre, intitulé: <i>Au pied
+du Sinaï</i>, que Lautrec illustra, d'après un texte de M. Georges
+Clémenceau, <span class="pagenum"><a name="Page_193" id="Page_193">193</a></span> le vieux «c&oelig;ur-léger». Ce livre, c'est une histoire
+de juifs à Carlsbad et à Busk. L'illustration, cette fois, est très
+pittoresque et très colorée. Elle met en scène de bizarres types,
+crochus et aux cheveux cotonneux, des types de ces juifs polonais qui
+vieillissent si mal! Et, M. Georges Clémenceau, lui-même dessiné, a une
+ronde tête de notaire finaud et un peu maquignon. Aujourd'hui,
+c'est-à-dire vingt ans plus tard, nous le voyons avec une parfaite tête
+de Chinois.</p>
+
+<div class="figcenter" style="width: 350px;"><a name="page-193" id="page-193"></a>
+<img src="images/page-193.jpg" alt="" title="" width="350" height="465" />
+<p class="caption1">PHOTO DRUET</p>
+<p class="caption2">PROJET D'AFFICHE POUR LE «DIVAN JAPONAIS»</p></div>
+
+<p>Lautrec dessina aussi maintes couvertures de livres. Voici les plus
+connus de ces livres: <i>L'étoile rouge</i>, par Paul Leclerq; <i>L'exemple de
+Ninon de Lenclos, amoureuse</i>, par Jean de Tinan; <i>Les courtes joies</i>,
+poésies de Julien Sermet; <i>La Tribu d'Isidore</i>, roman de m&oelig;urs
+juives, par Victor Joze; <i>Le fardeau de la Liberté</i>, par
+Tristan-Bernard; <i>Le chariot de terre-cuite</i>, par Victor Barrucand; <i>Les
+jouets de Paris</i>, par Paul Leclerq; <i>Babylone d'Allemagne</i>, roman de
+m&oelig;urs berlinoises, par Victor Joze, etc., etc.</p>
+
+<p>Ces couvertures sont toutes légèrement traitées, à peine effleurées
+souvent; et certaines de <span class="pagenum"><a name="Page_194" id="Page_194">194</a></span> ces lithographies rappellent encore, par
+leur sobriété, les délicates lithographies que crayonna Whistler. Mais,
+bien entendu, nous ne visons une fois de plus que la finesse du trait,
+que le peu de surcharge de l'arabesque.</p>
+
+<p>Notons ici que ces rares lithographies ont fait un heureux sort aux
+livres qu'elles illustrent. Le texte importe peu, quand on a le plaisir
+d'avoir un si personnel dessin sur la couverture; et l'on trouve, du
+reste, toutes les bonnes raisons de ne pas lire le livre, pour ne pas
+salir, pour ne pas défraîchir le beau dessin qui le garde.</p>
+
+<p>Éditeurs, croyez-nous, ayez toujours de beaux dessins sur les
+couvertures de vos livres!</p>
+
+<hr class="small" />
+
+<h2><a name="ch27" id="ch27"></a>D'ENSEMBLE</h2><p><span class="pagenum"><a name="Page_197" id="Page_197">197</a></span></p>
+
+<p>Au bout de cet examen si superficiel et si incomplet de l'&oelig;uvre de
+Lautrec, pouvons-nous nous demander quelle place est la sienne dans
+l'enchaînement de l'art moderne?</p>
+
+<p>Assurément, si l'on veut considérer Lautrec seulement comme un autre
+dessinateur de m&oelig;urs de la vie moderne, un nouveau Constantin Guys,
+par exemple, avec infiniment plus de ressources, toutefois, sa place est
+très enviable. Car il a possédé&mdash;et sa vie très brève n'est nullement
+comparable à celle si longue et si robuste du dessinateur du Second
+Empire!&mdash;il a possédé un dessin plus souple, plus divers, plus
+affirmatif que celui de Constantin Guys; ce qui lui a permis d'entrer,
+avec une plus indéniable maîtrise, dans tous les mondes. A l'opposé,
+<span class="pagenum"><a name="Page_198" id="Page_198">198</a></span> Guys a dessiné presque sans répit de la même façon; c'est un dessin
+bien à lui, également, original et pittoresque, mais qui se recommence
+dans l'expression des voitures, des chevaux, des filles ou des soldats.
+Dessinateur avéré d'une époque, Guys vivra longtemps dans les
+collections, c'est-à-dire dans ces sortes de nécropoles, que l'on
+appelle petits et grands musées.</p>
+
+<p>Mais si l'on peut ajouter que Guys <i>date</i>, expressément, il faut
+remarquer que la situation est pour l'instant la même pour Lautrec. Ce
+clairvoyant dessinateur a su dégager du transitoire assez de belle
+éternité pour vivre; mais, lui aussi, en ce moment, il apparaît comme le
+plus éloquent interprète d'une époque historique, qui se fixe, celle-là,
+de l'année 1885 à l'année 1900. Et, par là, nous ne cherchons nullement
+à diminuer Lautrec, mais seulement à le considérer tel qu'il est,
+c'est-à-dire tel qu'un merveilleux truchement de m&oelig;urs pendant une
+période de quinze années. La Goulue, le Moulin-Rouge, les cabarets de
+Montmartre, Bruant et Palmyre, les acteurs et les actrices en vogue à ce
+moment-là, tout cela, pour nous, qui vivons <span class="pagenum"><a name="Page_199" id="Page_199">199</a></span> en cette année 1921,
+classe Lautrec, le barricade, le retient captif dans cette époque visée.
+Un Georges Rouault, au contraire, qui a fixé la fille dans le temps
+illimité et imprécis, se présente à nous comme un peintre d'accent plus
+actuel.</p>
+
+<p>Mais, dans cent ans, tous ceux qui connurent, vers la vingtième année,
+ce bal du Moulin-Rouge, étant disparus, Lautrec reprendra toute sa place
+dans la suite des âges; et il ne datera plus, au sens péjoratif du
+terme. Faisons donc à sa mémoire ce léger crédit. D'ailleurs, il
+conviendrait peut-être mieux de se demander ce que Lautrec, dans sa
+curiosité sans cesse en éveil, eût pu faire demain, même en ne vivant
+que jusqu'à la soixantième année, âge raisonnable que tant d'imbéciles
+et d'impuissants atteignent sans honte; âge même que dépassent, toujours
+malfaisants, fatigants et inutiles, les Cormon et les Flameng!...</p>
+
+<p>En effet, où Lautrec nous eût-ils conduits avec sa curiosité, son tenace
+amour du travail, sa fécondité sans cesse renouvelée?... Je sais bien,
+parbleu, et il faut toujours y revenir, que, dans l'espace de sept
+années, cette incroyable courte <span class="pagenum"><a name="Page_200" id="Page_200">200</a></span> durée! Van Gogh nous a encore
+davantage étonnés, encore davantage stupéfiés; mais, voilà, n'est-ce
+pas, un incompréhensible phénomène, un inexplicable miracle de la
+Peinture? Avec Lautrec, nous avions, à la base, plus de sagesse, plus de
+mesure, plus d'ordre. L'&oelig;uvre aurait suivi une route plus régulière.
+Le peintre lui-même, à en juger par son dernier tableau: <i>Un examen à la
+Faculté de Médecine</i>, fût certainement devenu plus libre; il aurait
+enveloppé, dans une manière plus grasse, les visages; il aurait
+davantage dessiné dans la pâte, et non par les contours; il aurait, peu
+à peu, sans doute, préféré les taches épaisses de couleurs aux hachures
+restées obstinément, chez lui, des tailles de peintre-lithographe; il
+aurait, peut-être, quitté son monde habituel, les Filles, ses goûts de
+ribote et de maison close, pour aller vers un autre ou vers d'autres
+milieux; et, qui sait? il aurait, alors, composé des tableaux d'ordre
+plus général, et de plus certaine pénétration dans le temps!</p>
+
+<p>Mais, aussi bien, pourquoi ratiociner sur tout cela? Qu'importe le
+futur? Plus sagement, prenons <span class="pagenum"><a name="Page_201" id="Page_201">201</a></span> Lautrec tel qu'il est; et
+considérons-le ainsi qu'un peintre doué d'une observation aiguë et
+penché sur un coin d'humanité, sur un milieu parisien qui fut pour lui
+certainement tout le bout du monde; et rappelons-nous par delà le temps
+que toute sa noblesse, toute son intelligence et tous ses dons,
+rappelons-nous que tout cela fut dépensé sans compter pour Montmartre et
+ses filles, pour le Théâtre et le Café-Concert, où d'autres filles
+évoluent en pleins rabâchages de sottises! Mort à 37 ans, Lautrec laisse
+de tout cela une &oelig;uvre magnifique. Un peintre de m&oelig;urs, bien! mais
+s'il est moins haut que les plus hauts peintres, il n'y en a pas un plus
+imprévu et plus original!...</p>
+
+<hr class="small" />
+
+<h2>APPENDICE</h2>
+
+<h2><a name="ch28" id="ch28"></a>ESSAI DE CATALOGUE</h2><p><span class="pagenum"><a name="Page_205" id="Page_205">205</a></span></p>
+
+<p>Voici un essai de catalogue d'&oelig;uvres authentiques, la plupart non
+datées, de Lautrec.</p>
+
+<p>Nous avons mentionné, année par année, quelques-uns de ses tableaux et
+dessins; en citant également, sans date, le plus grand nombre de ses
+autres notoires tableaux. Pour les lithographies, le catalogue a été
+établi par M. Loys Delteil, dans les tomes X et XI du Peintre-graveur
+illustré.</p>
+
+<h3>I</h3><p><span class="pagenum"><a name="Page_206" id="Page_206">206</a></span></p>
+
+<h3>PEINTURES, AQUARELLES ET DATES DE QUELQUES EXPOSITIONS</h3>
+
+<div class="block2">
+<p class="hang2">1881.&mdash;<i>Faucon</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Tête de cheval</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>La promenade</i>.<br /><br /></p>
+
+<p class="hang2">1882.&mdash;<i>Cheval de trait</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Buveur</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Moines</i>.<br /><br /></p>
+
+<p class="hang2">1884.&mdash;<i>Crieur</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Scène de théâtre</i>.<br /><br /></p>
+
+<p class="hang2">1885.&mdash;<i>Marcelle</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Bal masqué</i>.<br /><br /></p>
+
+<p class="hang2">1886.&mdash;<i>Deux portraits du peintre Gauzi</i>.<span class="pagenum"><a name="Page_207" id="Page_207">207</a></span></p>
+
+<p class="p2"><i>Portrait de Vincent Van Gogh</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Une loge</i>.<br /><br /></p>
+
+<p class="hang2">1887.&mdash;<i>Portrait de M. Samary, de la Comédie-Française</i>.<br /><br /></p>
+
+<p class="hang2">1888.&mdash;<i>La rousse au caraco blanc</i>.<br /><br /></p>
+
+<p class="hang2">1889.&mdash;Exposa au Salon des Indépendants les peintures suivantes:<br /><br /></p>
+
+<p class="p2"><i>Bal du Moulin de la Galette</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Portrait de M. Fourcade</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Etude de femme</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>L'Anglaise, au Star du Havre</i>.<br /><br /></p>
+
+<p class="hang2">1890.&mdash;<i>Portrait (Madrid-Neuilly)</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Femme fumant une cigarette</i>.<br /><br /></p>
+
+<p class="p2">Exposa au Salon des Indépendants:<br /><br /></p>
+
+<p class="p2"><i>Dressage des Nouvelles, par Valentin le désossé</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Portrait de Mlle Dihau, au piano</i>.<br /><br /></p>
+
+<p class="hang2">1891.&mdash;<i>Une opération par le Docteur Péan</i>.<span class="pagenum"><a name="Page_208" id="Page_208">208</a></span></p>
+
+<p class="p2"><i>Gabrielle la danseuse</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Fille à la fourrure</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>La tresse</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Vieil homme en blouse sur un banc</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>La femme au chien</i>.<br /><br /></p>
+
+<p class="p2">Exposa au Salon des Indépendants:<br /><br /></p>
+
+<p class="p2"><i>A la mie</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Portrait du jovial M. Dihau</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>En meublé</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Portrait de M. G. B</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Etude</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Portrait du Docteur Bourges</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Portrait de M. Louis Pascal</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Truc for live</i>.<br /><br /></p>
+
+<p class="hang2">1892.&mdash;<i>Les Valseuses</i>.<br /><br /></p>
+
+<p class="p2">Exposa au Salon des Indépendants:<br /><br /></p>
+
+<p class="p2"><i>La Goulue et sa s&oelig;ur</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>La Goulue entre deux tours de valse</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>La Goulue entrant au Moulin-Rouge</i>.<span class="pagenum"><a name="Page_209" id="Page_209">209</a></span></p>
+
+<p class="p2"><i>Celle qui se peigne</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Femme Brune, n<sup>os</sup> 1 et 2</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Affiche pour le Moulin-Rouge (2<sup>e</sup> état).</i></p>
+</div>
+
+<div class="figcenter" style="width: 350px;"><a name="page-209" id="page-209"></a>
+<img src="images/page-209.jpg" alt="" title="" width="350" height="513" />
+<p class="caption1">PHOTO DRUET</p>
+<p class="caption2">CLOWNESSE</p></div>
+
+<div class="block2">
+<p class="hang2">1893.&mdash;<i>Jane Avril (esquisse pour l'affiche).</i><br /><br /></p>
+
+<p class="p2">Exposa au Salon des Indépendants:<br /><br /></p>
+
+<p class="p2"><i>Un coin du Moulin de la Galette</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Menu du dîner des Indépendants</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Portrait de M. Georges-Henry Manuel</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Portrait de M. Boileau</i>.<br /><br /></p>
+
+<p class="hang2">1894.&mdash;Exposa au Salon des Indépendants:<br /><br /></p>
+
+<p class="p2"><i>Alfred la Guigne</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Du 5 au 12 mai, galeries Durand-Ruel, exposition de lithographies
+ récentes</i>.<br /><br /></p>
+
+<p class="hang2">1895.&mdash;<i>Décoration pour la baraque foraine de la Goulue.</i></p>
+
+<p class="p2"><i>May Belfort avec son chat</i>.<span class="pagenum"><a name="Page_210" id="Page_210">210</a></span></p>
+
+<p class="p2"><i>Femme en clownesse</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Femmes au repos</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Valentin et la Goulue, au Moulin-Rouge</i>.<br /><br /></p>
+
+<p class="p2">Exposa au Salon des Indépendants:<br /><br /></p>
+
+<p class="p2"><i>Couverture pour l'album de l'Estampe originale</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Matin</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Invitation et menu</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Comme il vous plaira</i>.<br /><br /></p>
+
+<p class="hang2">1896.&mdash;<i>La clownesse</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Portrait de M. Maxime Dethomas</i>.<br /><br /></p>
+
+<p class="hang2">1897.&mdash;<i>Femme nue accroupie</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Portrait de M. Henry Nocq</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Jeu de femme</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Rousse nue devant sa glace</i>.<br /><br /></p>
+
+<p class="p2">Exposa au Salon des Indépendants:<br /><br /></p>
+
+<p class="p2"><i>Blanche et noire</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Femme couchée</i>.<span class="pagenum"><a name="Page_211" id="Page_211">211</a></span></p>
+
+ <table class="elles" summary="elles">
+ <tr>
+ <td><i>Elles.</i><br />
+ <i>Elles.</i><br />
+ <i>Elles.</i>
+ </td>
+ <td class="accolade1">}</td>
+ <td rowspan="3"> (Lithographies)</td>
+ </tr>
+ </table>
+
+<p class="p2">(Ces trois lithographies font partie d'une série de dix planches).<br /><br /></p>
+
+<p class="p2"><i>La cage</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Arton en correctionnelle</i>.<br /><br /></p>
+
+<p class="hang2">1898.&mdash;<i>Barmaid (Londres)</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>La leçon de chant (Portraits de Mlle Dihau et de Mlle Jeanne F.)</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>A table, chez Mme Thadée Natanson</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Tête d'Anglaise</i>.<br /><br /></p>
+
+<p class="p2">14, Avenue Frochot, Lautrec présenta des tableaux réservés pour une
+exposition à Londres.<br /><br /></p>
+
+<p class="hang2">1899.&mdash;<i>Tête de femme (Mlle Nys)</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Aux Courses</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Eventail</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Chanteuse anglaise, au Star du Havre</i>.<span class="pagenum"><a name="Page_212" id="Page_212">212</a></span></p>
+
+<p class="p2"><i>Etude pour la lithographie: «Di-ti-fellow.»</i></p>
+
+<p class="p2"><i>En cabinet particulier</i>.<br /><br /></p>
+
+<p class="hang2">1900.&mdash;<i>Messaline, au théâtre de Bordeaux</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>La toilette</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Portrait de Mme Marthe X...</i></p>
+
+<p class="p2"><i>Enfant avec la chienne Paméla</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Mme Margouin, modiste</i>.<br /><br /></p>
+
+<p class="hang2">1901.&mdash;<i>Portrait de M. Maurice Joyant</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Portrait de M. Octave Raquin</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Portrait de l'«amiral» Viaud</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Un examen à la Faculté de médecine</i>.<br /><br /></p>
+
+<p class="center"><big>*</big></p>
+
+<p class="center"><big>*&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;*</big><br /><br /></p>
+
+<p class="p2">Voici, maintenant, quelques notoires tableaux peints par Lautrec, sans
+dates:<br /><br /></p>
+
+<p class="p2"><i>Portrait de Mme la Comtesse Alphonse de Toulouse-Lautrec</i>.<span class="pagenum"><a name="Page_213" id="Page_213">213</a></span></p>
+
+<p class="p2"><i>Portrait de M. Emile Davoust, à la barre de son bateau (Bassin
+d'Arcachon</i>).</p>
+
+<p class="p2"><i>Portrait de M. Delaporte</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Portrait de M. Paul Leclercq</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Portrait de M. André Rivoire</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Femme rousse dans un jardin</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Danseuse</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Une table au Moulin-Rouge</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Le quadrille au Moulin-Rouge</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>L'écuyère au cirque Fernando</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Jane Avril sortant du Moulin-Rouge</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Portrait de Mme Pascal, au piano</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Portrait de M. Tristan-Bernard</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Au Moulin de la Galette</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Jane Avril dansant</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Départ de quadrille</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Portrait de M. de Lauradour</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Portrait de Mme Korsikoff</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Portrait de M. Louis Bouglé</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>May Milton</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Mlle Marcelle Lender dansant le pas <span class="pagenum"><a name="Page_214" id="Page_214">214</a></span> du «boléro» (Chilpéric, au
+théâtre des Variétés)</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Femme au boa noir</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>La blanchisseuse</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Etude de femme en peignoir</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Femme à l'ombrelle</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Danseuse au maillot rose</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Portrait de Mme E. Tapié de Celeyran au Bosc</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Portrait de M. Gabriel Tapié de Celeyran</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Le lit</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Portrait de M. Romain Coolus</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Scène de ballet</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Pierreuse</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Les deux amies</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Tommy</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Soldat anglais fumant sa pipe</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Rue des Moulins, l'escalier</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Femme au chignon roux</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Bull-dog</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Follette</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Clown au cirque Médrano</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Au lit</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>La Goulue, vue de profil</i>.<span class="pagenum"><a name="Page_215" id="Page_215">215</a></span></p>
+
+<p class="p2"><i>Au Nouveau Cirque: le ballet de Lotus</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>A Armenonville</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Scène de bal masqué</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Le réfectoire</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Miss Bedson</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Le violoniste</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>La lettre</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>L'assommoir</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Femme à l'ombrelle</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Couple de danseurs</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>La toilette</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Femme en clownesse</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Au café (Portrait de Mme Suzanne V.)</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>La promenade (La Goulue au Moulin-Rouge)</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Au Moulin de la Galette</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Le couple</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Femmes au repos</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Etc., etc.</i><br /><br /></p>
+</div>
+
+<h3>II</h3><p><span class="pagenum"><a name="Page_216" id="Page_216">216</a></span></p>
+
+<h3>QUELQUES LITHOGRAPHIES ET QUELQUES DESSINS (<i>en noir et en couleurs</i>).</h3>
+
+<div class="block2">
+<p class="hang2">1882.&mdash;<i>Paysanne (fusain)</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Homme assis</i> (<i>d<sup>o</sup></i>).<br /><br /></p>
+
+<p class="hang2">1884.&mdash;<i>Femme assise</i> (<i>d<sup>o</sup></i>).<br /><br /></p>
+
+<p class="hang2">1885.&mdash;<i>A Saint-Lazare (dessin lithographié)</i>.<br /><br /></p>
+
+ <table class="courrier" summary="courrier">
+ <tr>
+ <td class="accolade2">{</td>
+ <td>1886.&mdash;<i>Dessins au</i> Courrier français <i>et</i><br />
+ 1887.&mdash;<i>au</i> Mirliton.</td>
+ </tr>
+ </table>
+
+<p class="hang2">1892.&mdash;<i>La Goulue et sa s&oelig;ur</i> (<i>première &oelig;uvre proprement dite
+ dans</i> l'Estampe. <i>Lithographie en couleurs</i>).</p>
+
+<p class="p2"><i>L'Anglais au Moulin-Rouge</i>.</p>
+</div>
+
+<div class="block2">
+ <span class="pagenum"><a name="Page_217" id="Page_217">217</a></span>
+
+<div class="figcenter" style="width: 350px;"><a name="page-217" id="page-217"></a>
+<img src="images/page-217.jpg" alt="" title="" width="350" height="357" />
+<p class="caption1">PHOTO DRUET</p>
+<p class="caption2">FILLE</p></div>
+
+<p class="hang2">1893.&mdash;<i>Dessins au</i> Figaro illustré.</p>
+
+<p class="p2"><i>Le Café-Concert (Lithographies de Lautrec et de H.-G. Ibels)</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>La modiste Renée Vert</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Le coiffeur</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Un Monsieur et une dame</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>La loge au mascaron doré</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Couverture de l'</i>Estampe originale.</p>
+
+<p class="p2"><i>Ducarre, le patron des Ambassadeurs</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Etc., etc</i>.<br /><br /></p>
+
+<p class="hang2">1894.&mdash;<i>Dessins à la</i> Revue Blanche.</p>
+
+<p class="p2"><i>Programmes de théâtre</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Réjane et Galipaux</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Bartet et Mounet-Sully</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Leloir et Moreno</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Judic</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Marcelle Lender</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Ida Heath au bar</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Brandès et Le Bargy</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Une redoute au Moulin-Rouge</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>La Goulue</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Adolphe ou le jeune homme triste</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Eros vanné</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Babylone d'Allemagne</i>.<span class="pagenum"><a name="Page_218" id="Page_218">218</a></span></p>
+
+<p class="p2"><i>Yvette Guilbert (album Marty)</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Etc.</i><br /><br /></p>
+
+<p class="hang2">1895.&mdash;<i>Un nib</i> (Revue Blanche).</p>
+
+<p class="p2"><i>Dessins au</i> Rire.</p>
+
+<p class="p2"><i>Foottit et Chocolat</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Anna Held</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Dessins au</i> Figaro illustré.</p>
+
+<p class="p2"><i>Marcelle Lender</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Yahne</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>May Belfort</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Zimmerman et le petit Michaël</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Portraits d'acteurs et d'actrices</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Oscar Wilde (dessin)</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Etc.</i><br /><br /></p>
+
+<p class="hang2">1896.&mdash;<i>Dessins au</i> Rire.</p>
+
+<p class="p2"><i>Ida Heath</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Lender et Lavallière</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Souper à Londres</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Anna Held et Baldy</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>L'entraîneur</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Au bar Achille</i>.<span class="pagenum"><a name="Page_219" id="Page_219">219</a></span></p>
+
+<p class="p2"><i>Mary Hamilton</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Elles (dix lithographies en couleurs)</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Procès Arton</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Procès Lebaudy</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>La loge (Faust)</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Oscar Wilde et Romain Coolus</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>L'automobiliste</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Etc.</i><br /><br /></p>
+
+<p class="hang2">1897.&mdash;<i>Dessins au</i> Rire.</p>
+
+<p class="p2"><i>La grande loge</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>La clownesse au Moulin-Rouge</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Clara Ward et Rigo</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>La danse au Moulin-Rouge</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>A la Souris (Mme Palmyre)</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Attelage en tandem</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Etc.</i><br /><br /></p>
+
+<p class="hang2">1898.&mdash;<i>Le vieux cheval</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Chez la gantière</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Au lit</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Polaire</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Au pied du Sinaï</i>.<span class="pagenum"><a name="Page_220" id="Page_220">220</a></span></p>
+
+<p class="p2"><i>Yvette Guilbert (2<sup>e</sup> album, publié à Londres)</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Jane Hading</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Au Hanneton</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Guy et Méaly</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Sept pointes sèches (Portraits d'amis. Editées par Manzi)</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Etc.</i><br /><br /></p>
+
+<p class="hang2">1899.&mdash;<i>Jeanne Granier</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Réjane</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Le jockey</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Le paddock</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>L'entraîneur et son jockey</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Jockey se rendant au poteau</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Amazone et tonneau</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>L'amazone et le chien</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Le cheval et le chien à la pipe</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Tilbury</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Promenoir</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Le Cirque (dessins rehaussés de couleurs, édités par Manzi, en un
+ album)</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Etc.</i><br /><br /></p>
+
+<p class="hang2">1900.&mdash;<i>Programme de l'Assommoir (dessin)</i>.<span class="pagenum"><a name="Page_221" id="Page_221">221</a></span></p>
+
+<p class="p2"><i>Au café de Bordeaux, Antoine, un amer! (dessin)</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Sur les quais de Bordeaux (dessin)</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Dans le monde!</i></p>
+
+<p class="p2"><i>Invitation à une tasse de lait</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Etc.</i><br /><br /></p>
+
+<p class="hang2">1901.&mdash;<i>Zamboula-polka</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Le marchand de marrons</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Couple au Café-Concert</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Etc.</i><br /><br /></p>
+
+<p class="center"><big>*</big></p>
+
+<p class="center"><big>*&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;*</big><br /><br /></p>
+
+<p class="p2">Voici quelques dessins et aquarelles sans date:<br /><br /></p>
+
+<p class="p2"><i>Au bal des Quat'z-Arts (Portrait de M. Maxime Dethomas, aquarelle)</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Cortège indien (aquarelle)</i>.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a name="Page_222" id="Page_222">222</a></span></p>
+
+<p class="p2"><i>La clownesse et les cinq plastrons (aquarelle)</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Aristide Bruant</i> (<i>d<sup>o</sup></i>).</p>
+
+<p class="p2"><i>May Belfort</i> (<i>d<sup>o</sup></i>).</p>
+
+<p class="p2"><i>Au café</i> (<i>d<sup>o</sup></i>).</p>
+
+<p class="p2"><i>Etc.</i><br /><br /></p>
+
+<p class="p2">Des dessins:<br /><br /></p>
+
+<p class="p2"><i>Arrivée aux Courses</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Le motosphère</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Dans les coulisses</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Elsa, la Viennoise</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Une habituée de la Souris</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Au palais de glace</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Scène de cirque</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Portrait de Berthe Bady</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Les frères Marco (clowns)</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Etc.</i></p>
+
+</div>
+
+<h3>III</h3><p><span class="pagenum"><a name="Page_223" id="Page_223">223</a></span></p>
+
+<h3>AFFICHES</h3>
+
+<div class="block2">
+
+<p class="hang2">1892.&mdash;<i>La Goulue au Moulin-Rouge</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Le Divan japonais</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Reine de joie (roman par Victor Joze)</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Aristide Bruant, aux Ambassadeurs</i>.<br /><br /></p>
+
+<p class="hang2">1893.&mdash;<i>Jane Avril, au Jardin de Paris</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Caudieux</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Au pied de l'échafaud (mémoires de l'abbé Favre)</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Aristide Bruant dans son cabaret</i>.<br /><br /></p>
+
+<p class="hang2">1894.&mdash;<i>Bruant au</i> Mirliton.</p>
+
+<p class="p2"><i>L'artisan moderne</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Babylone d'Allemagne (roman par Victor Joze)</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Confetti</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Le photographe Sescau</i>.<br /><br /></p>
+
+<p class="hang2">1895.&mdash;<i>May Belfort</i>.<span class="pagenum"><a name="Page_224" id="Page_224">224</a></span></p>
+
+<p class="p2"><i>La</i> Revue Blanche (<i>1, rue Laffitte</i>).</p>
+
+<p class="p2"><i>May Milton</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Napoléon (concours d'affiches)</i>.<br /><br /></p>
+
+<p class="hang2">1896.&mdash;<i>Cycle Michaël</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>La chaîne Simpson</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>La troupe de Mlle Eglantine</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>Irish and American bar, rue Royale</i>.</p>
+
+<p class="p2"><i>L'Aube (revue illustrée</i>).</p>
+
+<p class="p2"><i>La Vache enragée (journal mensuel illustré. Fondateur: A. Willette)</i>.<br /><br /></p>
+
+<p class="hang2">1899.&mdash;<i>Jane Avril</i>.<br /><br /></p>
+
+<p class="hang2">1900.&mdash;<i>La</i> Gitane (<i>drame, de Jean Richepin. Théâtre Antoine</i>).<br /><br /></p>
+</div>
+
+<div class="figcenter" style="width: 350px;"><a name="page-225" id="page-225"></a>
+<img src="images/page-225.jpg" alt="" title="" width="350" height="424" />
+<p class="caption1">PHOTO DRUET</p>
+<p class="caption2">JANE AVRIL</p></div>
+
+<hr class="tiny" />
+
+<h2><a name="ch29" id="ch29"></a>ICONOGRAPHIE</h2><p><span class="pagenum"><a name="Page_225" id="Page_225">225</a></span></p>
+
+<div class="block3">
+
+<p class="p3">Portrait de Lautrec, par Anquetin.<br /></p>
+
+<p class="hang3">(Collection de M<sup>me</sup> la Comtesse de Toulouse-Lautrec).<br /><br /></p>
+
+<p class="p3">Portrait de Lautrec, par Javal, de Birmingham (Angleterre).</p>
+
+<p class="hang3">Tête seule, nue, entièrement de face, pince-nez, grosses lèvres. (Peinture reproduite au frontispice du catalogue de l'exposition
+rétrospective de l'&oelig;uvre de Lautrec. Galerie Manzi, 1914).<br /><br /></p>
+
+<p class="p3">Portrait de Lautrec, par Léandre.<br /></p>
+
+<p class="hang3">(Dessin portrait-charge, reproduit dans <i>Henri de Toulouse-Lautrec</i>,
+publié en 1913, par Gustave Coquiot, chez Blaizot).<br /><br /></p>
+
+<p class="p3">Portrait de Lautrec, par Charles Maurin.<span class="pagenum"><a name="Page_226" id="Page_226">226</a></span><br /></p>
+
+<p class="hang3">(Eau-forte reproduite au frontispice de ce présent livre).<br /><br /></p>
+
+<p class="p3">Portrait de Lautrec, par Henri Rachou.<br /></p>
+
+<p class="hang3">(Peinture. Année 1883. Collection de M<sup>me</sup> la Comtesse Alphonse de
+Toulouse-Lautrec).<br /><br /></p>
+
+<p class="p3">Portrait-charge de Lautrec, par lui-même.<br /></p>
+
+<p class="hang3">(Dessin au crayon, reproduit au frontispice du livre consacré à Lautrec
+par M. Théodore Duret).<br /><br /></p>
+
+<p class="p3">Portrait de Lautrec, par Maxime Dethomas.<br /></p>
+
+<p class="hang3">(Fusain reproduit dans: <i>Henri de Toulouse-Lautrec</i>, par Gustave
+Coquiot, Blaizot, éditeur).<br /><br /></p>
+
+<p class="p3">Portrait de Lautrec, par Maxime Dethomas.<br /></p>
+
+<p class="hang3">(Fusain. La tête seule, coiffée d'une casquette de la marine marchande.
+Collection Gustave Coquiot).<br /><br /></p>
+
+<p class="p3">Portrait de Lautrec, par Adolphe Albert.<br /></p>
+
+<p class="hang3">(Décembre 1897. Crayon. Lautrec, coiffé d'un chapeau de paille, tête
+baissée, est assis, en train de dessiner sur la pierre lithographique).<br /><br /></p>
+</div>
+
+<hr class="tiny" />
+
+<h2><a name="ch30" id="ch30"></a>QUELQUES HOMMAGES POSTHUMES</h2><p><span class="pagenum"><a name="Page_227" id="Page_227">227</a></span></p>
+
+<p>«Henri de Toulouse-Lautrec», par André Rivoire. <i>Revue de l'Art ancien
+et moderne</i>. Paris. Décembre 1901, avril 1902.<br /><br /></p>
+
+<p>Numéro spécial du <i>Figaro illustré</i>, consacré à Lautrec. Avril 1902.<br /><br /></p>
+
+<p>Du 14 au 31 mai 1902, exposition d'&oelig;uvres de Lautrec, galeries
+Durand-Ruel (Tableaux, aquarelles, dessins, lithographies. 201 numéros).<br /><br /></p>
+
+<p>Du 12 au 24 octobre 1908. Exposition de tableaux peints par Lautrec.
+Galeries Bernheim-jeune.<br /><br /></p>
+
+<p>Du 15 juin au 11 juillet 1914. Galeries Manzi. Exposition rétrospective
+de l'&oelig;uvre de Lautrec. (Tableaux et dessins. 201 numéros).<br /><br /></p>
+
+<p>«Henri de Toulouse-Lautrec», par Geffroy. <i>Gazette des Beaux-Arts.</i>
+Paris. Août 1914.<br /><br /></p>
+
+<p>«Autour de Toulouse-Lautrec», par Paul Leclercq. <i>La Grande Revue.</i>
+Paris. Novembre, 1919.<br /><br /></p>
+
+<p><i>Le peintre-graveur illustré.</i> Tomes X et XI, consacrés à Henri de
+Toulouse-Lautrec. Loys Delteil. Paris, 1920.</p>
+
+<hr class="tiny" />
+
+<h2><a name="ch31" id="ch31"></a>BIBLIOGRAPHIE</h2><p><span class="pagenum"><a name="Page_228" id="Page_228">228</a></span></p>
+
+<p><i>Henri de Toulouse-Lautrec</i>, par Hermann Esswein und Alfred Walter
+Heymel. R. Piper et C<sup>o</sup> Munchen, 1912.</p>
+
+<p><i>Henri de Toulouse-Lautrec</i>, par Gustave Coquiot. Auguste Blaizot,
+éditeur, Paris, 1913.</p>
+
+<p><i>Lautrec</i>, par Théodore Duret. Bernheim-jeune, éditeurs. Paris, 1920.</p>
+
+<hr class="small" />
+
+<h2><a name="table_des_chapitres" id="table_des_chapitres"></a>TABLE DES CHAPITRES</h2><p><span class="pagenum"><a name="Page_229" id="Page_229">229</a></span></p>
+
+<hr class="tiny" />
+
+ <table summary="table_des_chapitres">
+ <colgroup span="3">
+ <col width="10" />
+ <col width="400" />
+ <col width="15" />
+ </colgroup>
+ <tbody>
+ <tr>
+ <td>&nbsp;</td>
+ <td>&nbsp;</td>
+ <td class="tdc3">Pages.</td>
+ </tr>
+ <tr>
+ <td colspan="3" class="tdd"><i>DES SOUVENIRS SUR LA VIE</i></td>
+ </tr>
+ <tr>
+ <td class="tdc1">I.&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&mdash;</td>
+ <td class="tdc2">LE MILIEU</td>
+ <td class="tdc3"><a href="#ch1">3</a></td>
+ </tr>
+ <tr>
+ <td class="tdc1">&nbsp;</td>
+ <td class="tdc2">PARIS ET RENÉ PRINCETEAU</td>
+ <td class="tdc3"><a href="#ch2">16</a></td>
+ </tr>
+ <tr>
+ <td class="tdc1">&nbsp;</td>
+ <td class="tdc2">CORMON OU LA VIE</td>
+ <td class="tdc3"><a href="#ch3">21</a></td>
+ </tr>
+ <tr>
+ <td class="tdc1">&nbsp;</td>
+ <td class="tdc2">MONTMARTRE</td>
+ <td class="tdc3"><a href="#ch4">29</a></td>
+ </tr>
+ <tr>
+ <td class="tdc1">II.&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&mdash;</td>
+ <td class="tdc2">QUELQUES SPORTS</td>
+ <td class="tdc3"><a href="#ch5">41</a></td>
+ </tr>
+ <tr>
+ <td class="tdc1">&nbsp;</td>
+ <td class="tdc2">BARS ET MAISONS CLOSES</td>
+ <td class="tdc3"><a href="#ch6">49</a></td>
+ </tr>
+ <tr>
+ <td class="tdc1">III.&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&mdash;</td>
+ <td class="tdc2">VOYAGES</td>
+ <td class="tdc3"><a href="#ch7">61</a></td>
+ </tr>
+ <tr>
+ <td class="tdc1">&nbsp;</td>
+ <td class="tdc2">LA MER</td>
+ <td class="tdc3"><a href="#ch8">66</a></td>
+ </tr>
+ <tr>
+ <td class="tdc1">IV.&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&mdash;</td>
+ <td class="tdc2">SES LOGIS</td>
+ <td class="tdc3"><a href="#ch9">75</a></td>
+ </tr>
+ <tr>
+ <td class="tdc1">&nbsp;</td>
+ <td class="tdc2">SAINT-JAMES</td>
+ <td class="tdc3"><a href="#ch10">80</a></td>
+ </tr>
+ <tr>
+ <td class="tdc1">&nbsp;</td>
+ <td class="tdc2">1900</td>
+ <td class="tdc3"><a href="#ch11">83</a></td>
+ </tr>
+ <tr>
+ <td class="tdc1">&nbsp;</td>
+ <td class="tdc2">MALROMÉ</td>
+ <td class="tdc3"><a href="#ch12">86</a></td>
+ </tr>
+ <tr>
+ <td colspan="3" class="tdd"><i>DES COMMENTAIRES SUR L'&OElig;UVRE</i></td>
+ </tr>
+ <tr>
+ <td class="tdc1">I.&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&mdash;</td>
+ <td class="tdc2">PEINTURES, PREMIÈRES &OElig;UVRES</td>
+ <td class="tdc3"><a href="#ch13">91</a></td>
+ </tr>
+ <tr>
+ <td class="tdc1">&nbsp;</td>
+ <td class="tdc2">LE MOULIN ROUGE</td>
+ <td class="tdc3"><a href="#ch14">94</a></td>
+ </tr>
+ <tr>
+ <td class="tdc1">&nbsp;</td>
+ <td class="tdc2">FILLES</td>
+ <td class="tdc3"><a href="#ch15">111</a></td>
+ </tr>
+ <tr>
+ <td class="tdc1">II.&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&mdash;</td>
+ <td class="tdc2">PORTRAITS</td>
+ <td class="tdc3"><a href="#ch16">121</a></td>
+ </tr>
+ <tr>
+ <td class="tdc1">&nbsp;</td>
+ <td class="tdc2">LE JARDIN DU PÈRE FOREST</td>
+ <td class="tdc3"><a href="#ch17">128</a><span class="pagenum"><a name="Page_230" id="Page_230">230</a></span></td>
+ </tr>
+ <tr>
+ <td class="tdc1">III.&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&mdash;</td>
+ <td class="tdc2">LE CIRQUE</td>
+ <td class="tdc3"><a href="#ch18">135</a></td>
+ </tr>
+ <tr>
+ <td class="tdc1">&nbsp;</td>
+ <td class="tdc2">AU THÉÂTRE</td>
+ <td class="tdc3"><a href="#ch19">141</a></td>
+ </tr>
+ <tr>
+ <td class="tdc1">&nbsp;</td>
+ <td class="tdc2">CAFÉ-CONCERT</td>
+ <td class="tdc3"><a href="#ch20">147</a></td>
+ </tr>
+ <tr>
+ <td class="tdc1">&nbsp;</td>
+ <td class="tdc2">LES COURSES</td>
+ <td class="tdc3"><a href="#ch21">156</a></td>
+ </tr>
+ <tr>
+ <td class="tdc1">&nbsp;</td>
+ <td class="tdc2">DE TOUT</td>
+ <td class="tdc3"><a href="#ch22">161</a></td>
+ </tr>
+ <tr>
+ <td class="tdc1">IV.&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&mdash;</td>
+ <td class="tdc2">LITHOGRAPHIES ET POINTES-SÈCHES</td>
+ <td class="tdc3"><a href="#ch23">169</a></td>
+ </tr>
+ <tr>
+ <td class="tdc1">&nbsp;</td>
+ <td class="tdc2">DESSINS</td>
+ <td class="tdc3"><a href="#ch24">180</a></td>
+ </tr>
+ <tr>
+ <td class="tdc1">&nbsp;</td>
+ <td class="tdc2">AFFICHES</td>
+ <td class="tdc3"><a href="#ch25">187</a></td>
+ </tr>
+ <tr>
+ <td class="tdc1">&nbsp;</td>
+ <td class="tdc2">LLUSTRATIONS DE LIVRES</td>
+ <td class="tdc3"><a href="#ch26">191</a></td>
+ </tr>
+ <tr>
+ <td colspan="2" class="tdd"><i>D'ENSEMBLE</i></td>
+ <td class="tde"><a href="#ch27">197</a></td>
+ </tr>
+ <tr>
+ <td colspan="3" class="tdd"><i>APPENDICE</i></td>
+ </tr>
+ <tr>
+ <td class="tdc1">&nbsp;</td>
+ <td class="tdc2">ESSAI DE CATALOGUE</td>
+ <td class="tdc3"><a href="#ch28">205</a></td>
+ </tr>
+ <tr>
+ <td class="tdc1">&nbsp;</td>
+ <td class="tdc2">ICONOGRAPHIE</td>
+ <td class="tdc3"><a href="#ch29">225</a></td>
+ </tr>
+ <tr>
+ <td class="tdc1">&nbsp;</td>
+ <td class="tdc2">QUELQUES HOMMAGES POSTHUMES</td>
+ <td class="tdc3"><a href="#ch30">227</a></td>
+ </tr>
+ <tr>
+ <td class="tdc1">&nbsp;</td>
+ <td class="tdc2">BIBLIOGRAPHIE</td>
+ <td class="tdc3"><a href="#ch31">228</a></td>
+ </tr>
+ </tbody>
+ </table>
+
+<hr class="small" />
+
+<h2><a name="table_des_gravures" id="table_des_gravures"></a>TABLE DES GRAVURES</h2><p><span class="pagenum"><a name="Page_231" id="Page_231">231</a></span></p>
+
+<table summary="illustrations" border="0" cellpadding="2" cellspacing="5">
+ <colgroup span="2">
+ <col width="400" />
+ <col width="50" />
+ </colgroup>
+ <tbody>
+ <tr>
+ <td>&nbsp;</td>
+ <td class="tdi1">Pages.</td>
+ </tr>
+ <tr>
+ <td class="tdi2"><i>Portrait de Lautrec</i></td>
+ <td class="tdi1"><a href="#page-001">1</a></td>
+ </tr>
+ <tr>
+ <td class="tdi2"><i>Fille à la fourrure</i></td>
+ <td class="tdi1"><a href="#page-009">9</a></td>
+ </tr>
+ <tr>
+ <td class="tdi2"><i>Portrait</i></td>
+ <td class="tdi1"><a href="#page-017">17</a></td>
+ </tr>
+ <tr>
+ <td class="tdi2"><i>Bal masqué</i></td>
+ <td class="tdi1"><a href="#page-025">25</a></td>
+ </tr>
+ <tr>
+ <td class="tdi2"><i>La Promenade au Moulin-Rouge</i></td>
+ <td class="tdi1"><a href="#page-033">33</a></td>
+ </tr>
+ <tr>
+ <td class="tdi2"><i>Fille</i></td>
+ <td class="tdi1"><a href="#page-049">49</a></td>
+ </tr>
+ <tr>
+ <td class="tdi2"><i>Fille au caraco</i></td>
+ <td class="tdi1"><a href="#page-057">57</a></td>
+ </tr>
+ <tr>
+ <td class="tdi2"><i>Portrait de M<sup>me</sup> Suzanne V</i></td>
+ <td class="tdi1"><a href="#page-065">65</a></td>
+ </tr>
+ <tr>
+ <td class="tdi2"><i>Au Moulin-Rouge</i></td>
+ <td class="tdi1"><a href="#page-081">81</a></td>
+ </tr>
+ <tr>
+ <td class="tdi2"><i>Les Valseuses</i></td>
+ <td class="tdi1"><a href="#page-097">97</a></td>
+ </tr>
+ <tr>
+ <td class="tdi2"><i>La Goulue</i></td>
+ <td class="tdi1"><a href="#page-105">105</a></td>
+ </tr>
+ <tr>
+ <td class="tdi2"><i>Fille</i></td>
+ <td class="tdi1"><a href="#page-113">113</a></td>
+ </tr>
+ <tr>
+ <td class="tdi2"><i>Portrait de M. Delaporte</i></td>
+ <td class="tdi1"><a href="#page-121">121</a></td>
+ </tr>
+ <tr>
+ <td class="tdi2"><i>Dans le jardin du père Forest</i></td>
+ <td class="tdi1"><a href="#page-129">129</a></td>
+ </tr>
+ <tr>
+ <td class="tdi2"><i>Jane Avril</i></td>
+ <td class="tdi1"><a href="#page-137">137</a></td>
+ </tr>
+ <tr>
+ <td class="tdi2"><i>Alfred la Guigne</i></td>
+ <td class="tdi1"><a href="#page-145">145</a><span class="pagenum"><a name="Page_232" id="Page_232">232</a></span></td>
+ </tr>
+ <tr>
+ <td class="tdi2"><i>May Belfort</i></td>
+ <td class="tdi1"><a href="#page-153">153</a></td>
+ </tr>
+ <tr>
+ <td class="tdi2"><i>Jockeys</i></td>
+ <td class="tdi1"><a href="#page-161">161</a></td>
+ </tr>
+ <tr>
+ <td class="tdi2"><i>Clownesse au bal</i></td>
+ <td class="tdi1"><a href="#page-177">177</a></td>
+ </tr>
+ <tr>
+ <td class="tdi2"><i>Couverture pour un monologue</i></td>
+ <td class="tdi1"><a href="#page-185">185</a></td>
+ </tr>
+ <tr>
+ <td class="tdi2"><i>Projet d'affiche pour le «Divan japonais</i>»</td>
+ <td class="tdi1"><a href="#page-193">193</a></td>
+ </tr>
+ <tr>
+ <td class="tdi2"><i>Clownesse</i></td>
+ <td class="tdi1"><a href="#page-209">209</a></td>
+ </tr>
+ <tr>
+ <td class="tdi2"><i>Fille</i></td>
+ <td class="tdi1"><a href="#page-217">217</a></td>
+ </tr>
+ <tr>
+ <td class="tdi2"><i>Jane Avril</i></td>
+ <td class="tdi1"><a href="#page-225">225</a></td>
+ </tr>
+</tbody>
+</table>
+
+<hr class="tiny" />
+
+<p class="center">Saint-Denis.&mdash;Imp. J. Dardaillon.</p>
+
+<hr class="small" />
+
+<div class="tnote"><a name="note" id="note"></a><h3>Au lecteur</h3>
+
+<p>Cette version électronique reproduit dans son intégralité
+la version originale.</p>
+
+<p>La ponctuation n'a pas été modifiée hormis quelques corrections
+mineures.</p>
+
+<p>L'orthographe a été conservée. Seuls quelques mots ont été modifiés.
+Ils sont soulignés par des tirets. Passer la <ins class="correction" title="comme ceci" >souris</ins> sur
+le mot pour voir le texte original.</p></div>
+
+<hr class="full" />
+
+
+
+
+
+
+
+
+<pre>
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of Lautrec, by Gustave Coquiot
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LAUTREC ***
+
+***** This file should be named 34422-h.htm or 34422-h.zip *****
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+
+
+
+*** START: FULL LICENSE ***
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+and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic
+works. See paragraph 1.E below.
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+
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+- You provide, in accordance with paragraph 1.F.3, a full refund of any
+ money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the
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+ of receipt of the work.
+
+- You comply with all other terms of this agreement for free
+ distribution of Project Gutenberg-tm works.
+
+1.E.9. If you wish to charge a fee or distribute a Project Gutenberg-tm
+electronic work or group of works on different terms than are set
+forth in this agreement, you must obtain permission in writing from
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+Hart, the owner of the Project Gutenberg-tm trademark. Contact the
+Foundation as set forth in Section 3 below.
+
+1.F.
+
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