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Vol. I.--SAMEDI 13 MAI 1843 + +Bureaux, rue de Seine, 33. + + + +SOMMAIRE. + +Don Carlos. Portrait; _hôtel Panette_.--Courrier de Paris.--Manuscrits +de Napoléon. Lettres sur l'histoire de la Corse.--Courses du +Champ-de-Mars. _Courses de haies; pesage des jockeys; traitement du +cheval après la course_.--Anniversaire de la délivrance d'Orléans. +_Statue de Jeanne d'Arc_.--Nécrologie. _Portraits de Colocotroni et du +duc de Sussex, chapelle de Notre-Dame-des-Flammes, à Bellevue_.--La +Vengeance des Trépassés, nouvelle, sixième partie.--Théâtres. Lucrèce; +Brutus; la Comédie à cheval; les deux Favorites: le Métier à la +Jacquart; les Canuts; le Voyage en l'air; j'ai du bon Tabac; Marguerite +Fortier; les Prétendants. _Deux scènes de Lucrèce_; le Voyage en l'air; +une scène du Métier à la Jacquart et une scène des canuts. Théâtre de +l'Opéra-Comique: On ne s'avise jamais de tout.--Lettre sur les Incendies +de théâtre.--Industrie. Le sucre de canne et le sucre de betterave +(suite). _Deux gravures_.--Caricatures par Bertal. _Dix-sept +gravures_.--Bulletin bibliographique--Annonces.--Modes. _Trois +gravures_. Météorologie.--Echecs. Rébus. + + + +Don Carlos. + +Les journaux ont dernièrement appelé l'attention publique et provoqué +des explications du Gouvernement sur la position réelle de don Carlos. +On a demandé si ce prince espagnol était l'hôte ou le prisonnier de la +France; si le ministère lui imposait sa résidence à Bourges ou si le +royal proscrit s'était pris au contraire d'une belle passion pour la +patrie de George Sand, au point d'y fixer volontairement son séjour. + +Il y a là, sans doute, une grave question de droit des gens et de +liberté individuelle. Pour _l'Illustration_, il y a lieu avant tout à un +portrait et à une biographie. + +Don Carlos est âgé aujourd'hui de cinquante-cinq ans; il était le second +fils du roi Charles IV et frère de Ferdinand VII, mort en 1833. Il +semblait que le trône ne pouvait manquer à ce prince. Le roi, son frère, +avait eu quatre épouses, et la dernière, Marie-Christine, fille du roi +de Naples, François 1er, lui donna seule deux enfants, et ces enfants +étaient deux filles. Les dispositions de la loi salique, adoptée en 1713 +par Philippe V, assuraient à don Carlos la succession royale, quand des +intrigues de cour poussèrent le vieux roi à abolir la loi salique et à +nommer la reine régente, après sa mort, du royaume d'Espagne, pendant la +minorité d'Isabelle II. Ce coup d'État détruisit les beaux rêves de +royauté de don Carlos, qui avait toute raison de se voir un jour +couronne en tête et sceptre au poing, quand une petite fille de trois +ans, sa nièce, monta sur ce trône qu'il avait si ardemment convoité. + +Nous autres, pauvres gens, quand la réalité vient souffleter nos rêves +de gloire ou de fortune, quand le but que nous poursuivons s'éloigne +devant nous, il ne nous vient pas à l'idée de troubler le monde de notre +dépit. Le poète alors chante sa souffrance, l'auteur sifflé recommence +bravement un nouveau chef-d'oeuvre, le spéculateur combine de nouveaux +calculs. Perrette pleure, la pauvre enfant, devant son lait répandu et +ses projets évanouis; pourquoi donc les prétendants à tous les trônes +possibles n'en feraient-ils pas autant quand le trône leur échappe, au +lieu d'appeler aux armes les populations et de faire tuer des braves +gens qui, en Espagne, comme en Vendée, comme partout, se battent +hardiment sans trop savoir pourquoi? + +Ainsi fit don Carlos. Pour avoir le futile plaisir de s'asseoir sur ces +planches de sapin recouvertes d'un morceau de velours, il ne craignit +pas de porter la guerre civile dans sa patrie, de soulever et de ruiner +des provinces entières, tristes moyens qui dégoûteraient les meilleurs +peuples des meilleurs rois! + +On sait quels horribles excès furent commis de part et d'autre pendant +cette longue et douloureuse lutte; la malheureuse Espagne en gardera +longtemps le souvenir. Don Carlos trouva parmi ses partisans un homme de +génie, Zumalacarreguy, grande et sombre figure qui domine toute cette +sanglante épopée. Ce fut lui qui rappela don Carlos en Espagne après la +signature du traité de la quadruple alliance. + +Suivi de quelques serviteurs dévoués, le prince quitta l'Angleterre, et +traversa la France pour se rendre à la frontière. Il resta deux jours à +Paris, et la police ne fut pas ou ne voulut pas être instruite de sa +présence. Un de ses émissaires les plus actifs, M. Auguet, raconte que, +traversant en voiture découverte la place de la Concorde, don Carlos +rencontra Louis-Philippe et sa famille se rendant en char-à-banc à +Neuilly et que le roi des Français répondant à quelques acclamations +salua sans le reconnaître, son cousin d'Espagne. «Mon bon cousin +d'Orléans, dit celui-ci en riant, ne se doute pas que je traverse ses +États sans sa permission pour aller déchirer avec la pointe de mon épée +son traité de la quadruple alliance.» Charmante espièglerie! et ce jeune +étourdi, qui ne comptait guère alors que quarante-six ans, ne se doutait +probablement pas que, de la pointe de son épée, il allait aussi déchirer +le sein de sa patrie et livrer aux horreurs de la guerre civile des +populations laborieuses et dévouées, comme si la vie des hommes n'était +que l'enjeu naturel de ces folles et sanglantes parties. + +[Illustration: Hôtel Panette, rue du Poirier, no. 1, à Bourges, habité +autrefois par l'archevêque de Mercy, le général Lapoype, par les +maréchaux qui commandaient l'armée de la Loire, et aujourd'hui par Don +Carlos.] + +Don Carlos franchit les Pyrénées et longtemps il tint en échec les +forces de la reine. Le général Espartero eut la gloire de mettre fin à +cette lutte acharnée. Il refoula Don Carlos en France; mais, comme le +personnage de la fable il mit d'accord les deux plaideurs en s'emparant +de l'objet du débat. + +Aujourd'hui Espartero est de fait roi d'Espagne, et don Carlos est à +Bourges, et la reine régente est rue de Courcelles à Paris. Singulier +effet des vicissitudes humaines; c'était bien la peine de mettre +l'Espagne à feu et à sang pour en venir là. Puisse du moins cette +mémorable leçon donnée aux princes de sang royal par un obscur +_ayachucho_ leur être profitable et les éclairer sur la vanité de leur +ambition. + + + +Courrier de Paris. + +Le dernier bal a valsé sa dernière valse; le dernier concert a chanté sa +dernière roulade et donne son dernier coup d'archet. Le même soir, en +même temps, aux deux points opposés le bal achevait magnifiquement sa +brillante vie d'hiver: d'une part, sous les lambris héréditaires d'un +noble hôtel de la rue de l'Université; de l'autre, rue Bleue, dans un +hôtel fraîchement bâti sur des fondations de rails et de cinq pour cent. +Ainsi le bal à écusson et le bal financier ont fini leur campagne par un +coup d'éclat; après ces deux fêtes merveilleuses, il n'est plus permis +de danser ni de valser honorablement; cela serait du plus mauvais genre. +Donner un bal au mois de mai, fi donc! nous prenez-vous pour un salon de +cent couverts faisant toute l'année noces et festins? Il faudrait +n'avoir ni riante villa aux bords de la Seine ou de l'Oise, ni vieux +château breton ou tourangeau; or, je vous le demande, qui n'a pas une +villa? qui n'a pas un château? qui ne prend pas les eaux? qui ne court +pas, l'été venu, sur quelque grande route, du côté des Pyrénées ou des +Alpes? Personne, en vérité.--Pardon, belle comtesse! Paris possède et +abrite six à sept cent mille honnêtes gens absolument privés de maison +de campagne, de berline de voyage, de parc, de tourelles, d'Alpes et de +Pyrénées.--Ah! vous croyez? + +Le Paris mondain, l'élégant Paris, tourne ainsi, depuis quinze jours, à +la vie champêtre et voyageuse; il ne tourbillonne plus dans ses fêtes +sensuelles et illuminées, mais il n'a pas encore fait son entrée en +solitude, à l'ombre des charmilles. Le printemps l'appelle à l'air libre +et à la verdure, et l'hiver le retient toujours par un des pans de son +habit; il n'est plus là, mais il n'est pas encore ici. C'est une +situation intermédiaire qui lui donne une physionomie inquiète et +maussade; rien n'est pire, quand on va partir, que de n'être pas parti. + +Cependant, ce Paris privilégié et épris de villégiature, prend ses +précautions et fait ses préparatifs: il met les housses aux causeuses et +aux fauteuils de son salon; il enveloppe ses bronzes et son lustre d'un +voile de mousseline épaisse, et jette une cuirasse de toile écrue sur la +soie de ses tentures. Puis, se fortifiant d'avance contre les loisirs de +la résidence bucolique, ou contre les ennuis du voyage et de l'auberge, +il met dans sa malle quelques livres aimés et s'abonne à +_l'Illustration._ Avant quinze jours, la plupart des hôtels du faubourg +Saint-Germain seront silencieux et déserts; les volets intérieurs, +casematant les vastes fenêtres de haut en bas, laisseront voir leur +vêtement gris-blanc, égayé de filets d'or, et diront aux passants que le +maître est absent. L'herbe, jusqu'au 1er décembre, aura le temps de +croître dans les cours. + +De leur côté, les jardiniers émondent les parterres, font la toilette +des arbustes et des fleurs, sablent et ratissent les allées et tondent +la pelouse pour faire honneur à _madame_ et à _monsieur_, tandis que les +chefs d'hôtel, les entrepreneurs d'eaux plus ou moins sulfureuses et de +salons de conversation lancent sur Paris, de tous les coins de l'Europe, +leurs séduisants prospectus. Il en vient d'Allemagne et d'Italie, de +l'Ouest et de l'Est, du Nord et du Midi, de la Tamise, de l'Escaut, de +l'Adige, du Rhin et surtout de la Garonne. Le Mont-d'Or sonne sa +trompette, Bade donne son roulement de tambour, Ems et Wisbaden mettent +leur carillon en branle; mais nul n'égale Spa pour les sourires +attrayants et les ravissantes promesses; Spa, cette année, veut rester +sans rivaux dans l'art de séduire le gentleman et de faire le bonheur du +prince portugais, russe, italien, polonais ou cochinchinois. Que +reprocher à Spa? que lui demander encore? Il vous prend au saut du lit +et vous inonde de concerts d'harmonie, de journaux, de revues, de +brochures, de vaudevilles, de comédies, d'opéras-comiques, de chevaux +caracolants, d'aubades de nuit et de jour: puis, vous offrant la main, +le voici qui vous conduit dans les frais sentiers, sous les bois +ombreux, aux penchants des collines verdoyantes, prêt à se retirer +discrètement et à vous laisser rêver dans votre solitude, si tel est +votre bon plaisir. Rossini. Alexis Dupont, les frères Batta madame +Damoreau et d'autres encore, spirituels acteurs, harmonieux instruments, +voix mélodieuses, sont promis à Spa, et M. le bourgmestre s'est engagé à +être charmant. + +Pars donc, ô toi, le Paris du boudoir et du salon, le Paris des heures +inoccupées, agréable désoeuvré! va promener, ci et là, ton sourire +légèrement railleur, ton petit bâillement énervé, ta migraine, tes maux +de nerfs, tes rhumatismes et ton binocle: donne un peu d'air pur à ta +poitrine fatiguée par la brûlante atmosphère des veilles et des bougies; +et tâche de ranimer le teint pâli de tes belles valseuses pour le +donner, au bal de 1844, à prendre encore et à dévorer! + +Mai est aussi le mois où les princes et les princesses de théâtre se +mettent à voyager; je veux dire les acteurs, les chanteurs et les +danseuses, en crédit, ceux qui ont le privilège des gros appointements +et des couronnes. Les autres ont tout au plus le loisir d'aller, le +dimanche, à Saint-Germain et à Montmorency, l'aire un dîner sur l'herbe; +encore le coup d'archet du chef d'orchestre vient-il les rappeler +brusquement avant le dessert, comme ces pauvres soldats en permission +qu'on voit courir hors d'haleine, à travers rues et à travers champs à +l'heure de la retraite et au roulement du tambour. Quant aux +merveilleuses Hermiones, aux glorieux Orestes, aux ténors fameux, aux +sylphides adorées, ils montent on chaise de poste et font tourbillonner +la poussière des grands chemins. Après avoir plus ou moins charmé +Babylone pendant les six mois d'hiver, nos illustres distribuent leurs +tirades, leur _ut_ de poitrine et leurs jetés-battus dans les +départements et à l'étranger. Ces bienfaits, ils les étendent sur toute +la nature, et donnent indistinctement la pâture aux grands théâtres et +aux petits depuis le chef-lieu jusqu'au canton. Phèdre ne rougit pas de +déclarer sa passion à Hippolyte sous la balle au blé, convertie en +Mycènes; et Agamemnon a, plus d'une fois, transporté l'Aulide dans une +grange et sacrifié Iphigénie. + +Il faut donc en faire notre deuil: nos meilleurs acteurs nos meilleurs +chanteurs vont nous quitter. C'est peu des moissons dorées qu'ils +récoltent ici; ils veulent bien se compromettre jusqu'à faire la même +_razzia_ en province: Toulouse Bordeaux, Lyon, Rouen, Dijon, Lille, et +vous tous, honorables chefs-lieux, qui aimez la roulade, l'alexandrin et +le rond de jambe, ouvrez votre bourse et préparez vos dithyrambes et vos +couronnes; on prendra volontiers vos vers et surtout votre argent; c'est +un honneur qu'on daignera vous faire. + +Mademoiselle Rachel ira à Marseille; elle ne veut plus de l'Angleterre. +Est-ce Nicodème qui a inspiré à Laodice cette rancune contre Rome? +Laodice se souviendrait-elle de l'hospitalité cruellement violée et du +martyre d'Annibal? Marseille cependant est dans une grande attente. Ces +vives imaginations s'exaltent à l'approche de Camille, de Marie-Stuart +et de Roxane, que la Provence n'a point encore vues. Marseille, la ville +phocéenne, se réjouit surtout de recevoir Monime, cette autre fille de +la Grèce, cette fleur suave et délicate éclose à son poétique soleil. Ce +sera une entrevue de famille. Mademoiselle Rachel et Marseille pourront +s'entretenir ensemble d'Athènes et d'Éphèse. + + .....Je crois que je vous suis connue + Ephèse est mon pays, mais je suis descendue + D'aïeux ou rois, seigneur, ou héros, qu'autrefois + Leur vertu, chez les Grecs, mit au-dessus des rois. + +Dans quinze jours, Monime fera ses bagages et descendra vers le Rhône, +jusque-là elle continuera à être Judith. C'est une politesse de femme à +femme, une dette un peu gênante que le talent paie à l'esprit. +Mademoiselle Rachel devait ce dévouement à madame de Girardin. On n'ose +pas dire que ce soit un sacrifice, mais cela y ressemble beaucoup. Jouer +une froide tragédie au milieu de la froideur du public, quand on était +habituée à l'ardeur d'un parterre enthousiaste, n'est-ce pas une +résignation héroïque à la Curtius? Dieu en tiendra compte à Judith. Ce +trait l'élève et l'honore plus que la décapitation d'Holopherne, qu'elle +pratique régulièrement de deux jours l'un. De temps en temps, on +murmure. L'autre jour quelqu'un a sifflé; c'était sans doute un +spectateur qui se rappelait ce mot de Voltaire s'excusant de ses +privautés railleuses avec l'héroïne de Béthulie: «Le livre de _Judith_ +n'étant pas dans le canon juif, on peut se permettre avec cette Judith +un peu de familiarité.» + +Puisque nous en sommes aux déesses de théâtre, ne laissons point passer +une morte charmante, sans effeuiller sur sa tombe une fleur et un +regret. Nous voulons parler de mademoiselle Lucile Grahn, qui vient de +s'éteindre si cruellement et si rapidement. La nouvelle nous est arrivée +de Saint-Pétersbourg, où mademoiselle Grahn était retournée, non pas +pour mourir, mais pour vivre au contraire dans toute la riante espérance +de ses vingt ans, escortée de toutes les grâces de la jeunesse et de +tous les enivrements du succès. + +Mademoiselle Grahn était venue de Copenhague à Paris, il y a trois ou +quatre ans. Le Nord nous l'avait envoyée douce, légère, rapide et un peu +semblable à ces ombres délicates et penchées qui passent dans les nuages +d'Ossian. La blanche fille de la Norwége courait grand risque alors: +Marie Taglioni était encore présente à tous les souvenirs. Voltiger +après elle, dans la forêt enchantée de _la Sylphide_, c'était se +hasarder beaucoup; il fallait bien de la grâce et de la souplesse, un +pied bien doux et bien prompt, pour se faire pardonner l'audacieuse +entreprise. Eh bien! Paris pardonna à Lucile Grahn: même il commençait à +l'adorer et à la poursuivre dans ce pays des fées, lorsqu'un accident +vint interrompre tristement ces naissantes amours. Lucile Grahn, dans un +de ses vols sylphidiques, se blessa au genou. Pendant deux ans, elle +souffrit de cette blessure, et ainsi disparut du théâtre, presque au +début. Un jour, la pauvre jeune fille crut renaître: se retrouvant +légère et forte, elle s'envola du côté de Saint-Pétersbourg. C'est là +qu'elle est morte, sur le grand théâtre impérial, le jour même d'un +triomphe, au moment où elle recueillait de toutes parts, les couronnes +et les bravos, et goûtait toutes les émotions enivrantes du succès. Un +violent effort pour vaincre la fatigue et surmonter la douleur de sa +blessure tout à coup renaissante, a tué Lucile Grahn. Vous connaissez le +dénoûment du ballet de _la Sylphide_. La nymphe, frappée mortellement +par les maléfices de la méchante sorcière, s'évanouit: ses ailes se +détachent et se brisent.--C'était aussi dans ce ballet de _la Sylphide_ +que Lucile Grahn dansait le soir de sa mort; et de même ses ailes sont +tombées cette fois, mais pour toujours! Le costumier n'a pas même essayé +de les rattacher.--Lucile Grahn était douce, spirituelle, aimable et +fine, et son talent lui ressemblait. + +Que fais-tu donc, ô homme! si tu n'y prends garde, la femme va te +détrôner, autocrate barbu! Les temps prédits par les prophètes en +cotillon semblent approcher. L'émancipation féminine nous gagne de jour +en jour, et par toutes les voies; nous avons la femme à tragédies, la +femme à romans philosophiques, la femme Euclide, la femme Socrate, la +femme Mirabeau; celle-là se promène sous les ombrages de l'Académie; +celle-ci monte sur les _hustings_ et prononce une harangue à tous crins. +Il y a un mois, on a enterré une femme César qui avait la croix +d'honneur, dix-huit campagnes et quatorze blessures. + +L'Académie française a proposé un prix de poésie. Le sujet est +magnifique: il s'agit de louer Molière. Oui remportera le prix? quelque +jeune barbe sans doute. Allons donc! est-ce que les barbes aujourd'hui +sont bonnes à quelque chose? Vingt poèmes rivaux se mettent sur les +rangs; un seul offre des qualités énergiques et viriles: l'Académie +demande quel est donc le gaillard qui a fait ces beaux vers-là? Un +corsage, des joues blanches et roses, de longs cheveux blonds, un +soulier de prunelle, une robe de soie, un mantelet de velours, +s'avancent et disent: «C'est nous!» L'Académie s'étonne et regarde, et +reconnaît madame Louise Collet-Révoil. Ainsi, le bataillon des poètes +académiques est mis, cette année, en déroute par madame Collet. Cette +héroïne dithyrambique n'en est pas à ses premières armes; elle avait +déjà bravement affronté l'Académie et obtenu une couronne. Madame Collet +a de plus l'attention délicate d'être jolie. Savez-vous que le métier +des quarante commence à devenir agréable? Mais, que dites-vous de madame +Collet faisant l'éloge de Molière et méritant le prix? N'est-ce pas un +peu embarrassant pour l'auteur des _Femmes savantes_, et la vengeance ne +vous semble-t-elle pas charmante et de bon goût? Si ce régime continue, +je déclare que je passerai chez la marchande de modes et chez la +couturière pour changer de culotte. + +Au reste, et Dieu merci, nous commençons à prendre soin de nos grands +hommes. L'Académie n'a jamais manqué positivement à cette religion. Si, +de leur vivant, elle en a oublié quelques-uns, et des plus illustres, +Molière, par exemple, elle les caresse du moins après leur mort. Je veux +donc surtout parler de l'ingratitude jusqu'ici pratiquée par les +municipalités et par les villes; elles commencent à se repentir et à +comprendre que les images des hommes de génie debout sur les places +publiques ou sur la face des monuments, sont pour la multitude, comme +une gloire et comme un bel exemple perpétuellement visibles. Déjà Rouen +à Corneille; Strasbourg à Gutenberg; Louis-le-Saulnier à Bichat; ici, on +dresse un piédestal à Cuvier; là à Desaix. Paris achève la statue de +Molière, et voici qu'il songe à Jean Goujon. On mettra la statue sur la +fontaine des Innocents, un des chefs-d'oeuvre du sculpteur? Là, en +effet, Jean Goujon fut tué, le 24 août 1572, d'un coup d'arquebuse, le +jour du massacre de la Saint-Barthélémy, tandis qu'il semait au fronton +du palais les trésors de son fin et délicieux génie. Après tout, au +Louvre ou ailleurs, qu'importe? on prépare une statue à l'habile +sculpteur, et c'est là le point important et la louable pensée. Paris +devait bien cette reconnaissance au Phidias du château d'Anet, de +l'hôtel Carnavalet, de la salle des Cent-Suisses, de la chambre de Diane +et de tant d'oeuvres renommées, filles légères et gracieuses du goût +antique, souvenir charmant du ciseau grec. Oui, que nos cités se +peuplent de toutes ces nobles images! que la statue du poète, du soldat, +de l'orateur, de l'artiste, raniment partout l'exemple des grands +talents et des grands services! Cela ne vaut-il pas mieux que les +statues orgueilleusement inutiles? + +Les deux premières semaines du mois de mai se sont d'ailleurs +particulièrement occupées de lampions et de chemins de fer; les fêtes +royales et les inaugurations à la vapeur ont absorbé tous les esprits; +on ne rencontrait par toute la ville que des figures affairées, les unes +officielles, les autres curieuses et populaires; celles-ci courant aux +illuminations et au feu d'artifice; celles-là s'apprêtant à débiter des +harangues qui n'étaient pas non plus sans artifice. Aujourd'hui, la +ville se ruait tout entière aux Champs-Élysées et dans les antichambres +des Tuileries: un autre jour, elle roulait sur les rails d'Orléans et de +la vieille cité normande. Voilà la vie de ce pays-ci: mouvement +perpétuel, comédie perpétuelle, rapide tourbillon! On parle de la +récente découverte de la vapeur: il y a longtemps que Paris l'avait +inventée! + +Il a plu par torrents depuis huit jours, et entre autres pluies, nous +avons essuyé une averse de croix qui se sont accrochées à toutes sortes +de boutonnières. Les hommes se parent de rubans comme les coquettes; ils +sont terriblement femmes pour cela: la manie, loin de se guérir, s'en va +s'agrandissant. Vous avez vu ce projet de l'autre jour, qui a révélé un +honnête marquis occupant sa vie à courir vers tous les coins de +l'horizon, à la chasse d'un ruban et d'une croix; il y mangeait son +patrimoine, et, pour devenir chevalier, se faisait ronger par les +chevaliers d'industrie. Après ces recherches haletantes, notre homme +finit par recevoir un brevet de la sultane Falkir. L'honneur lui en +revint à 15.000 fr.; mais qu'est-ce que 15.000 fr au prix du titre de +grand cordon de l'ordre de la sultane? Le voilà bien joyeux! Arrive le +procès en question: l'illustre chevalier apprend qu'il a payé de cette +grosse somme un ruban que tous les garçons de café et les portiers +portent gratis. La leçon le corrigera-t-elle? Non: mon marquis doit être +en ce moment à la piste de quelque éperon d'or, de quelque étoile +polaire ou d'un ours blanc. + +Un de nos dramaturges fameux et d'origine africaine a particulièrement +cette maladie des croix; il en a dépeuplé l'Espagne, la Belgique, la +France, et surtout l'Italie. Un jour, il entrait dans un salon avec une +collection de décorations sur la poitrine, enfilées les unes au bout des +autres, et pareilles à deux douzaines de mauviettes à la broche. «Que +faites-vous de tout cela? lui demanda quelqu'un.--Que voulez-vous, +répondit le Californien, ça amuse les nègres!» M. Alexandre D... aurait +pu ajouter que ça sert aussi à faire la traite des blancs. + +Le brave capitaine Bruat s'est embarqué depuis peu de temps pour aller +prendre possession des îles Marquises dont il est gouverneur. Le plus +grave, le plus austère de nos ministres lui dit, après l'audience de +congé: «Allez, monsieur, partez pour cette contrée inculte et lointaine: +tâchez de civiliser les hommes et de rendre les femmes sauvages!» + +Le Cirque-Olympique vient de mettre fin à ses batailles du boulevard du +Temple; son canon ne tonne plus; sa gargousse sommeille. Le Cirque a +pris possession de sa maison de campagne des Champs-Elysées; déjà Auriol +grimpe aux frises et sourit, et mademoiselle Caroline caracole. + + + +MANUSCRITS DE NAPOLÉON. + +(Suite.--Voyez p. 22, 38, et 70.) + +LETTRES SUR LA CORSE A M. L'ABBÉ RAYNAL. + + + +LETTRE TROISIÈME ET DERNIÈRE + +Monsieur. + +Les Génois, maîtres de la Corse, se comportèrent avec modération; ils +prirent les conventions del Lago Benedetto pour base de leur +gouvernement; le peuple conserva une portion de l'autorité législative; +une commission de douze personnes, présidée par le gouverneur, eut le +pouvoir exécutif; des magistrats élus par la nation et ressortissant du +syndicat eurent la justice distributive. A leur grand étonnement, les +Corse se trouvèrent tranquilles, gouvernés par leurs lois; ils crurent +qu'ils devoient désormais oublier l'indépendance et vivre sous une forme +de gouvernement propre à rendre à la patrie toute la splendeur dont elle +étoit susceptible. Les Génois trouvoient dans la Corse de quoi accroître +leur commerce; ils y trouvoient des matelots et des soldats intrépides +pour augmenter leur force.... Mais il étoit à craindre que, situés si +avantageusement, ces insulaires ne fissent un commerce nuisible à celui +de la métropole; il étoit à craindre qu'avec l'accroissement de forces +que donne un bon gouvernement, ils ne devinssent indépendants en peu de +temps. La jalousie politique sera toujours le tourment des petits États, +et l'on sait que la jalousie commerciale a toujours été la passion +spéciale de Gênes. + +D'ailleurs tous les ordres de l'État, accoutumés à se partager les +possessions de la République, murmurèrent contre une administration où +ils n'avoient point de part, où il n'y avoit point d'emploi pour eux. «A +quoi nous a servi la conquête de la Corse, si l'on doit conserver à +celle-ci un gouvernement presque indépendant; il valoit vraiment bien la +peine que nos pères répandissent tant de sang et dépensassent tant +d'argent,» disoit-on publiquement à Gênes. La grande noblesse voyoit +avec dépit l'autorité du gouverneur restreinte, réduite presque à rien +par le conseil des Douze et par les assemblées populaires. La petite +noblesse, dite noblesse du grand conseil, que l'on peut appeler le +peuple de l'aristocratie, attendoit avec une impatience facile à +concevoir, l'occasion de pouvoir se saisir de tous les emplois +qu'occupoient les Corses. Les prêtres convoitoient nos bénéfices; les +négociants aspiroient au moment où ils pourroient, au moyen de sages +lois, fixer seuls le prix de nos huiles et de nos denrées. + +Ce n'étoit qu'un cri dans tous les ordres de la République: pour la +première fois le même voeu les unissoit. Aussi l'on ne tarda pas à +supprimer en Corse toute la représentation nationale. En peu de temps le +gouverneur réunit sur sa tête toute l'autorité.... Il put faire mettre à +mort un citoyen sans autre procès, sans autre enquête, sans autre +formalité que celle-ci: _Je le prends sur ma conscience_, et la grande +noblesse fut satisfaite. + +Tous les emplois civils et militaires furent donnés par le gouverneur ou +par le sénat, et furent donnés à des nobles Génois. Pour ne laisser +naître aucune espérance présomptueuse, il y eut une loi qui déclara les +Corses incapables d'occuper aucun emploi.... et la petite noblesse fut +contente. Le noble du grand conseil, excessivement pauvre, n'a pour +nourrir une famille nombreuse que le droit qu'il tient de sa naissance, +de gérer les emplois de la République Il faut que chacun profite à son +tour de ce droit, parce qu'il faut que chacun vive; aussi ne peut-on +être que deux ans en place, et est-on obligé, durant un certain temps, +de n'occuper aucun autre emploi. Il faut donc, pendant ces deux années, +amasser assez pour se maintenir pendant quatre ans et fournir aux +différents voyages que l'on doit entreprendre. + +Gênes, jadis très-puissante, avoit un grand nombre d'emplois à donner; +mais au temps dont nous parlons, elle étoit réduite à la Corse seule, et +la Corse étoit obligée de supporter presque tout cet horrible fardeau. +Chaque deux ans l'on voyoit arriver des flottilles de ces gentillâtres +avec leurs familles, affamés, nuds, sans éducation, sans délicatesse. +Plus redoutables que des sauterelles, ils dévoroient les champs, +vendoient la justice et emprisonnoient les plus riches pour obtenir une +rançon. On rioit à Gènes de ces plaisanteries nobiliaires; le répertoire +des gens aimables, des couleurs de bons mots, de ces personnes qui +tiennent toujours le haut bout dans les sociétés, n'est rempli que +d'aventures de ces gentilshommes, et toujours le Corse est le battu et +le moqué... Combien avez-vous gagné? Nous avez-vous laissé quelque chose +à prendre? demandoient ceux qui alloient partir à ceux qui étoient de +retour. Un honnête sénateur fort religieux avoit coutume de dire une +prière toutes les fois qu'il entendoit la cloche des morts annoncer le +décès de quelque patricien; il demandoit toutefois avant si le défunt +avoit été employé en Corse, et dans ce cas il se dispensoit de la +prière, disant: A quoi cela serviroit-il? _è a casa del Diavolo_, il est +en diable. + +Les bénéfices ecclésiastiques furent donnés par les évêques; les évêques +furent nommés à la sollicitation des cardinaux génois. Il est sans +exemple qu'un Corse ait été évêque, et les prêtres génois furent +contents. + +Et le négociant! Comment son intérêt eût-il été oublié dans un État +commerçant?... Des lois positives lui accordèrent le monopole de +l'approvisionnement et du trafic. L'on détruisit les marais salants qui +existoient, l'on en fit autant des poteries et de toutes les +manufactures. Cela accrut le petit cabotage et rendit le pays plus +sujet. + +Les marchandises cessant d'avoir leur prix, le peuple cessa de +travailler, les champs devinrent incultes, et un pays appelé à +l'abondance, au commerce, un sol qui promet à ses habitants la santé, la +richesse, ne lui offrit que la misère et l'insalubrité. Malheureusement, +à force de piller, l'on épuisa notre pauvre pays, qui n'eut plus rien à +offrir que des pierres. Il falloit cependant que cette illustre noblesse +vécût; elle eut recours à deux moyens: d'abord chaque commandant de +petites tours, chaque petit commissaire, eut une boutique à laquelle il +fallut donner la préférence; enfin ils vendirent la permission de porter +les armes. + +Dépouillé des biens qui rendent la vie aimable et sûre, exclu de tous +les grades, de toutes les places, prive de toute considération, réduit à +la dernière misère, outragé par la classe la plus méprisable de +l'univers, comment le Corse, si hardi, si fier, si intrépide, se +laissa-t-il traîner dans la fange sans résister? Je m'empresse de vous +développer ces tristes circonstances, afin qu'en plaignant ce peuple, +vous ne cessiez pas de l'estimer. + +Je vous ai, en deux pages, tracé l'histoire du gouvernement génois; mais +ces deux pages renferment cent cinquante ans. On marcha pas à pas. Si +tout d'un coup le sénat eût découvert son horrible projet, sans exciter +des soulèvements, ma nation seroit si vile, qu'elle ne mériteroit pas +d'être plainte. + +Immédiatement après la mort de Sampiéro, ou provoqua de toutes les +manières les émigrations, qui, dès ce moment furent très-considérables. +On souffla partout l'esprit de la division, et la République accorda un +refuge aux criminels, on favorisa leur fuite. Les émigrations +s'accrurent. La peste affligea l'Italie; elle vint en Corse; la famine +s'y joignit: la mortalité fut immense... Le gouvernement se montra +insouciant, et si ces deux fléaux finirent, c'est que tout finit. C'est +ici l'occasion de faire une observation bien remarquable: toutes les +fois que les Corses ont perdu leur liberté, ils ont été, quelque temps +après, affligés d'une grande mortalité. Après la conquête de 1770, ou +vit encore la mortalité et la famine dépeupler le pays. Alors la +République ne garda plus de mesure; elle jeta le masque, renversa le +gouvernement national et établit les choses telles que nous les avons +décrites. + +Quelle position douloureuse! Le Corse sentoit la peste lui dévorer les +chairs, la faim lui ronger les entrailles, et l'esclavage navroit son +coeur, effrayoit son imagination et anéantissoit les ressorts de son +âme!!! + +Cependant, pour maintenir ce peuple dans cet assujettissement, il +falloit ou avoir une grande force ou se faire une étude de le diviser. +On adopta ce dernier parti, et l'on relâcha à cet effet les ressorts de +la justice criminelle; chacun fut obligé de pourvoir de soi-même à sa +sûreté; de là est né le droit de _vendetta._ + +L'homme dans l'état de nature ne connut d'autre loi que son intérêt. +Pourvoir à son existence, détruire ses ennemis fut son occupation +journalière. Mais lorsqu'il se fut réuni en société, ses sentiments +s'agrandirent: son âme, dégagée des entraves de l'égoïsme, prit son +essor, l'amour de la patrie naquit, et les Curtius, les Decius, les +Brutus, les Dion, les Caton, les Léonidas, vinrent émerveiller le monde. +Des magistrats assurèrent à chacun la conservation de sa propriété et de +sa vie; le but des actions individuelles dut être le bonheur général de +l'association, et personne ne dut plus agir par le sentiment de son +propre intérêt. Les rois régnèrent; avec eux régna le despotisme; +l'homme méprisé n'eut plus de volonté. Avili, il fut à peine l'ombre de +l'homme libre; les rois, qui tinrent dans leurs mains la force publique, +durent l'employer pour assurer à chacun sa vie et sa propriété. La +confédération changea, s'altéra même, si l'on veut, mais exista +cependant toujours. La force publique seroit devenue dans les mains du +prince un instrument inutile, s'il eût vu l'homicide sans le punir; si, +par une dépravation inouïe, il eut lui-même aiguisé les poignards de +l'assassin. Personne ne peut nier qu'alors la confédération ne se fut +trouvée dissoute et les hommes rendus à l'anarchie. Telle étoit notre +situation. Le sénat voyoit avec plaisir s'entr'égorger des hommes dont +il craignoit l'union; les subalternes y trouvoient leur intérêt; le +meurtre ne fut plus puni; il fut encouragé, il fut récompensé: il fallut +cependant que chacun veillât à sa propre sûreté. Des confédérations de +familles, quelquefois de villages se formèrent. On jura de veiller à +l'intérêt de tous et de faire guerre éternelle à celui qui offenseroit +un des confédérés; les liens du sang se resserrèrent; on chercha des +parents; l'île fut divisée en autant de puissances qu'il y eut de +familles, qui se faisoient la paix ou la guerre selon leur caprice et +leur intérêt... On appela vertu l'audace de s'exposer à tous les dangers +pour soutenir ses parents ou les membres de sa confédération: les +citoyens ne furent que des membres d'autant de puissances +étrangères, liées entre elles par leurs rapports politiques. Ils +respectérent les femmes et les enfants et les laissèrent sortir de la +maison assiégée pour prendre de l'eau et pour vaquer aux affaires du +ménage. Il étoit aussi d'usage de laisser croître sa barbe lorsqu'on +étoit en guerre; c'étoit un acte de courage, car il n'y avoit point de +buisson, de rocher qui ne put receler un ennemi, c'étoit s'exposer à +périr à tous les moments du jour.... Celui-là passoit pour un homme +lâche, un homme vil, qui, à la nouvelle de la mort de son parent, ne +couroit jurer sur son cadavre de le venger, et, des ce moment, ne +laissoit croître sa barbe. La paix se faisoit cependant quelquefois: il +y avoit des gens sages, des vieillards respectés, qui réconcilioient les +partis. On étoit scrupuleux dans l'exécution du traité. + +Tels furent, monsieur, les effets de l'administration génoise. Accablés +sous le poids des impôts arbitraires, désunis, les mains dégoûtantes du +sang de nos frères, nous gémîmes longtemps: mais ce ne fut qu'en 1715 +que l'on commença à s'apercevoir qu'il se faisoit un mouvement général. +L'on envoya un orateur à Gênes représenter l'état déplorable de la +nation; il étoit entre autres choses chargé de solliciter un désarmement +général et prioit le sénat de faire respecter son autorité. Les patentes +pour porter les armes étoient à la fois une spéculation de finances et +de politique. Le sénat eut l'impudence de se refuser à la demande si +raisonnable, et d'alléguer pour prétexte la diminution que cela +produiroit dans le revenu public. L'orateur proposa une nouvelle +imposition beaucoup plus forte: l'imposition fut acceptée, mais les +patentes continuèrent toujours à se distribuer, et la justice s'occupa +tout aussi peu de se faire respecter. + +L'île étoit déserte, inculte et dépeuplée. Depuis l'époque de +Giovan-Paolo, la population avoit diminué des trois quarts; elle étoit +alors de 400.000 habitants, et en 1720, on n'en comptoit que 120.000. Le +commerce étoit anéanti et la férocité des Corses étoit à son comble. +Leur existence étoit si misérable, qu'ils n'avoient rien à perdre. Il ne +falloit qu'un signal. + +En 1729, le lieutenant génois qui commandoit à Corte imposa, de sa +propre fantaisie, une nouvelle taxe qui, jointe à toutes les autres et à +la misère du pays, devenoit insupportable. Cardone di Bozio, vieillard +estropié, ayant reçu de la nature un corps difforme, mais une âme +vigoureuse et une élocution très-facile, assembla les habitants du +village de Bozio pour leur parler dans les termes les plus forts sur +l'avilissement ou ils vivoient, sur la gloire de leurs ancêtres et les +charmes de la liberté. Il profita du moment où les collecteurs venoient +percevoir l'imposition pour les faire chasser et poursuivre. Il excite +ses compatriotes à marcher vers Corte. Ceux-ci rencontrent un +détachement de soldats envoyés pour les punir; ils le battent, les +désarment, arrivent à Corte et brûlent la maison du commandant, qui a le +bonheur de se sauver A cette nouvelle, on se rallie de tous côtés, ou +prend les armes, on court à Bastia pour punir le gouverneur-général +Pinelli, objet de l'exécration publique; on prend une partie de la +ville, on surprend Algajola, et voilà le joug rompu sans retour... «Aux +yeux de Dieu, disoit souvent Cardone, le premier crime est de tyranniser +les hommes, le second, c'est de le souffrir.» Jamais révolution ne +s'opéra plus subitement Les ennemis oublièrent leur haine, firent +partout la paix, objet de tous les voeux. La prospérité de la patrie +naissante sembla être le mobile des actions de chacun; le feu du +patriotisme agrandit subitement des âmes qu'avoient, pendant tant +d'années rétrécies l'égoïsme et la tyrannie... Amis, nous sommes hommes! +étoit le cri de ralliement. Fiers tyrans de la terre, prenez-y bien +garde! Que ce sentiment ne pénètre jamais dans le coeur de vos sujets, +préjugé, habitude, religion, foibles barrières! le prestige est détruit, +votre trône s'écroule si vos peuples se disent jamais: «Et nous aussi, +nous sommes des hommes! » + +Les premières années de la guerre, les Corses n'eurent aucune forme de +gouvernement: la haine des tyrans guidoit tout le monde. Ce ne fut qu'à +la réunion de Saint-Pancrazio que l'on nomma Giafferi commandant des +armées. A l'assemblée de Corte, on déclara les Génois déchus de leur +souveraineté, l'on déclara la nation libre et indépendante. Pour rendre +cette déclaration plus imposante, pour achever de détruire les préjugés +que la multitude pouvoit conserver, on assembla à Orezza un congrès des +théologiens les plus célèbres des différents ordres. On leur proposa +trois questions: si la guerre actuelle étoit juste, si les Génois +étoient des tyrans, si l'on étoit délié du serment de fidélité. Ce +congrès, que présida le célèbre Orticoni, répondit à tout d'une manière +satisfaisante. La guerre, dit-il, est non-seulement juste, mais même +sainte: le serment est nul dès lors que le souverain est tyran. + +Mal armés, sans discipline, ils battirent partout leurs tyrans, malgré +leur nombre, leur expérience et leur artillerie Assiégés dans le château +de Bastia, ils étoient, au bout de deux ans d'une guerre opiniâtre, +réduits à abandonner notre île lorsque l'aigle impériale, arborée au +lieu de la croix ligurienne, vint nous présager de nouveaux malheurs, +mais non décourager notre courage. + +Qu'avions-nous fait aux Allemands pour qu'ils voulussent notre +destruction? Que pouvoit importer à l'empereur d'Occident qu'une petite +île de la Méditerranée fût libre ou esclave? Mais les puissances se +jouent des intérêts de l'humanité, et les méchants ont toujours des +protecteurs. Le général allemand, à la tête de sa petite armée, +s'engagea dans des défilés: il perissoit infailliblement, lorsqu'il +trouva dans l'humanité des Corses une commisération inattendue, dont il +s'est rendu indigne par son lâche manque de foi. On lui accorda la +permission de retourner à Bastia, à condition qu'il feroit savoir à son +souverain la manière dont les Corses agissoient à son égard, et l'on +conclut un traité de deux mois; mais, avant l'expiration de la trêve, +les Allemands se remontrèrent au delà du Golo en plus grand nombre. Au +respect que nous avoient inspiré les armes d'un grand prince, succéda +l'indignation pour la perfidie de ses ministres. Après avoir laissé +environ deux mille morts ou prisonniers, nos ennemis regagnèrent leurs +remparts avec précipitation. L'enthousiasme produisit les actions les +plus dignes d'être transmises à la postérité. Vingt et un bergers de +Bastelica faisoient paître leurs troupeaux dans la plaine de Campo di +Loro, deux cents hussards et six cents piétons vinrent pour les enlever: +ces braves gens se réunissent, tiennent ferme, repoussent cette +nombreuse troupe et la font fuir. Investis enfin par quatre cents autres +ennemis, ils périssent tous en prononçant le nom sacré de la patrie. + +L'honneur de l'empereur avoit essuyé bien des échecs. Si l'honneur des +princes consiste à protéger le juste contre le méchant, le faible contre +le fort, sans doute l'empereur Charles VI avoit déshonoré ses armes; +mais si l'honneur consiste à massacrer des infortunés, le cabinet de +Vienne sut bien réparer ce qu'il n'avait pu faire à la campagne +précédente. Il envoya le prince de Wirtemberg avec des renforts +considérables: et quoique ses premiers efforts ne furent pas heureux il +étoit désormais impossible de résister à des forces si imposantes. On +fit des propositions de paix: les Génois reconnurent, accordèrent, +promirent tout ce qu'on voulut et l'on posa les armes. + +Il étoit tout naturel que, ne voulant observer aucune des conditions du +traité, les Génois commençassent par se défaire des chefs qui avoient +conduit les Corses avec tant de bonheur dans des circonstances si +difficiles. Les principaux parmi ces chefs furent arrêtés et conduits +dans le château de Sagone; c'en étoit fait de leur vie, si Boerio et +Orticone n'eussent su intéresser le prince Eugène au sort de ces +illustres prisonniers L'empereur, éclairé, exigea du sénat leur +délivrance. Ne pouvant les perdre, les Génois tentèrent de se les +attacher en leur faisant des offres qu'ils méprisèrent. On suivit le +même plan de persécution contre les principaux citoyens; la mort ou la +prison. + +FIN DES LETTRES SUR LA CORSE. + + + +Courses du Champ-de-Mars. + +Dimanche, 30 avril. + +Les courses de la Société d'Encouragement pour l'amélioration de la race +des chevaux en France comptent déjà dix années d'existence, dix années +de progrès incontestables. N'est-ce pas une oeuvre nationale que de +prétendre affranchir un jour son pays du tribut chevalin qu'il paie à +l'étranger? Pour arriver plus vite à des résultats meilleurs, il n'a +manqué à la Société d'Encouragement que d'avoir des fondateurs moins +élégants et moins jeunes. Longtemps les esprits forts, Thomas plus +jaloux qu'incrédules, ont affecté de traiter avec légèreté ses projets +et ses courses. Le prestige de la nouveauté qui, en France, protège tous +les établissements naissants, n'est pas venu en aide à la Société; il a +fallu dix ans d'efforts et de sacrifice, dix ans féconds en éleveurs et +en chevaux pour ouvrir les yeux à ces aveugles volontaires. Une +association d'hommes, que l'on trouvait trop heureuse pour la trouver +intelligente, a donné l'élan: aujourd'hui ils ont rallié à leurs idées +tous les départements propres à l'élève du cheval; bien mieux, ils ont +converti l'administration des haras elle-même! Quelle victoire! Les +haras ont enfin admis la supériorité du pur sang anglais; ils ont +augmenté les allocations de courses et modifié leurs règlements; ils +préparent de loin des améliorations plus importantes encore. De jour en +jour les préjugés disparaissent: la maigreur jadis proverbiale des +chevaux de course a cessé d'être une vérité; on commence à savoir qu'ils +ne sont ni exténués ni tués par le régime de l'entraînement. Les chevaux +savamment entraînés dépouillent la graisse qui paralyserait le jeu des +muscles et de la respiration, et qui gênerait leur vitesse. Plus tard, +rentrés dans la vie privée, affectés au service de la production, ils +acquièrent cet embonpoint que l'on considère quelquefois comme un signe +de force et de beauté, et qui n'est, en réalité, que l'enseigne de la +fainéantise. + +[Illustration: Courses de haies au Champ-de-Mars.] + +Dimanche, 30 avril, quand sont arrivés sur le terrain de course, +_Prospero_ à M. de Rothschild, _Cédar_ à M. A. Fould. _Mirobolant_ au +comte d'Hédonville, _Effie_ à M. Jules Rivière. _Maid_ à M John Drake, +et _Kate-Nickleby_ au vicomte Delaveux, la foule ne les a trouvés ni +trop maigres ni trop efflanqués; ils n'étaient pas tous également dignes +d'éloges: _Effie, Maid_ et _Kate_ ont bien quelques reproches à se +faire; mais ici-bas rien n'est ni parfait ni complet. Onze chevaux +devaient été engagés pour ce prix: _bourse de mille francs_; cinq ont +été retirés; sur les six qui restent, trois se présentent beaux et bien +faits, les yeux ardents, la tête fière, le poil lisse et brillant: +peut-on se plaindre? Les partis variaient de _Prospero_ à _Cédar_: les +_Prospéristes_ l'ont emporté sur les _Cédaristes_. + +[Illustration: Pesage des jockeys.] + +_Pris de l'administration des Haras_: 2000 fr. _pour poulains et +pouliches de trois ans_.--Huit chevaux inscrits, quatre présents. +_Vesperine, Karagheuse, Drummer_ et _Ursule_: ils partent comme une +seule flèche; mais bientôt la flèche se fend en quatre; la première, +c'est _Vesperine_, la seconde, c'est _Ursule, Drummer_ tient la tête; +_Karagheuse_ la tiendrait si on le laissait aller. Près du but, d'un +bond prodigieux il s'élance, passe _Drummer_ et gagne, _Karagheuse_ +appartient à M. Sabatier, un de nos éleveurs sérieux, et jusqu'ici assez +peu favorisé par la chance des courses. Sa tardive victoire n'a trouvé +que des mains pour applaudir. Le jockey de _Drummer_ a prétendu avoir +été coupé par _Karagheuse_, mais sa réclamation n'a pas été admise. + +_Prix du ministère du Commerce_: 2000 fr. _pour chevaux entiers et +juments de trois ans et au-dessus, nés et élevés en France, et tracés au +Stud-Book français._ + +_Pamphile_ à M. Fasquel, _Angora_ à M Lupin, _Opéra_ à M. de Morny, +paraissent seuls au poteau. _Angora_ a tous les parieurs pour lui. Ce +fils de _Lottery_ et de _Young-Mouse_ est célèbre sur le _turf_: déjà il +a remporté plus d'un prix à Paris et à Versailles; il est arrivé second +au Derby de Chantilly. De ses deux adversaires, l'un, _Opéra_, est +inconnu; l'autre, _Pamphile_, est mal connu, et cependant _Pamphile_ a +battu _Opéra_ second, _Angora_ troisième; sur quoi compter? + +_Course de haies: 2000 fr. pour chevaux de tout âge et de tout pays: le +vainqueur pourra être réclamé pour quatre mille francs._ + +Par un heureux hasard, un seul cheval manque à l'appel, et ce cheval, +c'est le favori, c'est _Turpin_. _Pewet, Lansquenett, Muley-Hamet, +Pantalon. Paddy_ et _Leporello_ viennent parader et s'essayer sur la +haie qui fait face aux tribunes publiques: presque tous sautent mal, +enfoncent la haie; _Paddy_ même désarçonne presque son jockey; bien des +chutes sont prévues, quel bonheur! Mais le signal est donné, les chevaux +partent du dernier tournant de l'École-Militaire; la terre tremble sous +leur galop; ils chargent à toute vitesse le premier obstacle. _Pantalon_ +est en tête; il franchit admirablement la haie. Ses rivaux, piqués +d'émulation, se font applaudir à côté de lui. La victoire n'a pas été un +seul instant douteuse: qui peut lutter contre _Pantalon_? Il est arrivé +premier au but, et son dernier élan a été le plus beau. + +Courses du 7 mai. + +Les dimanches et les courses se suivent et ne se ressemblent pas; les +solennités hippiques de la journée ont été bien modestes; il y avait +beaucoup de courses et peu de chevaux; c'est là un de ces petits +malheurs que la plus sage volonté ne peut prévenir. Dans le monde +cheval, il est des réputations si bien posées, que toute rivalité +disparaît devant un nom trop redoutable; quelquefois aussi, comme dans +le _trial-stakes,_ poule d'essai, deux chevaux sont engagés, et si l'un +des deux tombé malade, force est bien à l'autre de s'escrimer tout seul. +_Spark_. à M. Aumont a été débarrassé de _Governess_, à M. de Perrigaux, +par une indisposition qui n'aura pas de suite. + +_Prix extraordinaire de 1843. 3000 fr. pour chevaux et juments de quatre +ans et au-dessus: entrée, 2000 fr.: un tour et quart en partie liée. Le +cheval qui arrivera second recevra la moitié des entrées._ + +Sans cette dernière et adroite condition, _Nautilus_ n'eut pas trouvé de +concurrent. _Nautilus_, au comte de Cambis, est le meilleur cheval qu'il +y ait en France en ce moment. Parvenu à l'âge mûr, il prend à tâche de +faire oublier, à force de succès, les défaites de sa jeunesse. +_Pamphile_ et _Miserere_ ne prétendent nullement au prix de 3000 fr.; la +moitié des entrées suffit à leur modeste ambition. Les trois chevaux se +divisent en deux pelotons. Premier peloton. _Nautilus_ tout seul; +deuxième peloton. _Pamphile_ et _Miserere_. Aux deux épreuves ils sont +arrivés dans le même ordre, et _Pamphile_ a touché 400 fr. + +_Prix du cadran: 3000 fr. pour poulains et pouliches de quatre ans. +Entrée, 500 fr.; distance, deux tours._ + +Le programme promettait _Angora, Eliezer, Adolphus_ et _Annetta_, mais +_Annetta_ est une _Nautilus_ femelle; comme, cette fois, il n'y avait +pas de second prix à gagner, elle a couru seule. + +Ces trois courses, dont le dénouement était prévu, excitaient quelques +murmures, lorsqu'en manière de dédommagement, onze _hacks_, chevaux non +entraînés, sont entrés en lice. Cette poule, servie comme un +hors-d'oeuvre aux convives gourmands et peu connaisseurs du +Champ-de-Mars, a montré _Lantara, Césarévitch, Hurrican, Olivia, +Thesoroconicocrysides, Yorick, Young Cadland, Repentir, Fenella, +Verveine_ et _Mistigri_. Faire bien partir tant de chevaux peu pressés +de partir n'était pas chose facile, et M. Bertollaci n'a obtenu aucune +espèce de succès dans cette partie officielle de ses fonctions. _Yorick, +Verveine, Hurrican_ et _Mistigri_ entendent seuls l'ordre du départ. +_Yorick_ a gagné. + +[Illustration: Traitement du cheval après la course.] + +_Prix du Printemps: 3500 fr. pour poulains et pouliches de trois ans. +Entrée 200 fr.; distance, un tour._ + +Enfin voici une course à émotion. _Mam'zelle Amanda_, au comte de +Cambis, débute, et l'on dit d'elle quelque bien. _Drummer_ a une +revanche à prendre, et _Karagheuse_ une réputation à conserver. +_Vesperine, Alcindor, Péri, Moustique_ et _Ursule_ retirés; pendant +toute la course, _Karagheuse_ retenu à pleines mains, voudrait et +pourrait passer; mais son jockey obéit aux ordres qui lui enjoignent +d'attendre. Au dernier tournant de l'École-Militaire, il veut saisir la +tête, _Drummer_ lâche pied; _Mam'zelle Amanda_ tient bon: tous trois ils +sont roulés et éperonnés. Qui gagnera? C'est _Mam'zelle Amanda_, mais à +peine a-t-elle un quart de tête d'avantage sur _Karagheuse._ + +Ainsi se sont passées les premières courses de la Société +d'Encouragement; nous pouvons prédire à celles qui suivront une destinée +plus glorieuse encore. Au Champ-de-Mars, c'est comme chez Nicolet, +_toujours de plus fort en plus fort._ + + + +Anniversaire de la délivrance d'Orléans + +(8 MAI) + +[Illustration: Statue de Jeanne-d'Arc, à Orléans.] + +Ce fut, comme on sait, le 8 mai 1429 que Jeanne d'Arc obligea les +Anglais à lever le siège d'Orléans; depuis ce jour, le souvenir de +l'héroïque jeune fille est resté, chez les Orléanais, entouré d'un +religieux prestige. + +On voyait autrefois sur l'ancien pont d'Orléans, à l'angle de la rue de +la Vieille-Poterie et de la rue Royale, un groupe représentant Charles +VII et Jeanne d'Arc agenouillés devant Notre-Dame-de-Pitié. Ce monument +passa par bien des vicissitudes; en 1567, lors des troubles religieux, +il subit des mutilations qui furent réparées ensuite. Plus tard, la +démolition de l'ancien pont ayant obligé de l'enlever, on le déposa à +l'Hôtel-de-Ville, où il resta jusqu'en 1771. A cette époque, un M. +Desfriches obtint, à force de sollicitations, qu'il fût réédifié. Mais, +quelques années après, en 1792, on le brisa pour en fondre des canons. + +Dans une délibération du 50 frimaire an XI, le conseil municipal +d'Orléans arrêta qu'une souscription serait ouverte en vue d'ériger un +nouveau monument à Jeanne d'Arc.--Chaptal, ministre de l'intérieur, +proposa, dans un rapport du 2 floréal même année(1805), le +rétablissement de l'anniversaire du 8 mai; et Napoléon, alors premier +consul, apostilla en ces termes la délibération du conseil municipal +d'Orléans: + +«Ecrire au maire d'Orléans, M. Crignon-Desormeaux, que cette +délibération m'est très-agréable. + +«L'illustre Jeanne d'Arc a prouvé qu'il n'est pas de miracle que le +génie français ne puisse produire, dans les circonstances ou +l'indépendance nationale est menacée. + +«Unie, la nation française n'a jamais été vaincue; mais nos voisins, +plus calculateurs et plus adroits, abusant de la franchise et de la +loyauté de notre caractère, semèrent constamment parmi nous ces +dissensions d'où naquirent les calamités de cette époque et tous les +désastres que rappelle notre histoire.» + +La fête, vraiment patriotique du 8 mai fut donc réinstituée en 1805; et +dans cette fête on inaugura une statue provisoire de Jeanne d'Arc, +exactement semblable à celle que le conseil municipal venait de voter. + +Le monument définitif, qu'on peut voir aujourd'hui au centre de la place +du Martroi (quartier Vert), et que notre gravure représente, ne fut +érigé qu'en 1805. C'est une statue en bronze, de huit pieds, due au +talent de M. Gois. Elle repose sur un piédestal de neuf pieds de haut +sur quatre de large, revêtu de marbres d'une beauté remarquable, et orné +de bas-reliefs dont les sujets sont empruntés à la vie de la religieuse +héroïne. + +Le quatre cent quatorzième anniversaire de la délivrance d'Orléans a été +célébré lundi dernier, 8 mai. + +Voici à peu près le programme annuel de cette cérémonie: Le jour de la +fête, la cloche du beffroi sonne, de quart d'heure en quart d'heure, +depuis le lever du soleil jusqu à la rentrée du cortège dont nous allons +parler. A neuf heures du matin, le corps municipal, les diverses +corporations et les fonctionnaires civils et militaires se réunissent à +la cathédrale, où un orateur agréé par l'évêque prononce le panégyrique +de Jeanne d'Arc. Après la cérémonie religieuse, le cortège va faire une +station sur l'ancienne place des Tourelles, illustrée par les exploits +de Jeanne d'Arc. Une salve d'artillerie annonce ensuite le retour du +cortège, qui rentre à la cathédrale, pour entendre un _Te Deum_ +solennel. + +Maintenant, grâce aux chemins de fer qui viennent d'être inaugurés la +semaine dernière, on peut visiter dans la même journée le théâtre du +triomphe et celui du martyre de la Pucelle d'Orléans. + + + +Nécrologie.--THÉODORE COLOCOTRONI + +[Illustration: Décédé le 16 février 1843.] + +Théodore Colocotroni est mort le 16 février dernier dans la ville +d'Athènes, d'une attaque d'apoplexie, à l'âge de 74 ans. + +La gravure ci-jointe, dont le dessin a été fait par un artiste récemment +arrivé d'Athènes, représente le célèbre général grec, tel qu'il était +exposé aux regards de la foule, avec son uniforme et ses décorations, la +veille de ses funérailles. + +Avant la révolution grecque, Theodore Colocotroni s'était acquis une +grande réputation comme chef de partisans, nous pourrions presque dire +comme chef de bandits. Il se faisait remarquer surtout par son audace, +par son courage et par sa cruauté. Forcé de s'exiler, il prit tour à +tour du service dans les armées de la Russie et de l'Angleterre. Au +moment où la révolution grecque éclata, c'est-à-dire au mois d'avril +1821 il habitait les îles Ioniennes, où il exerçait la profession de +boucher. A peine la nouvelle de l'insurrection lui fut parvenue, il +s'embarqua, passa en Morée et il devint bientôt un des chefs principaux +de l'armée révolutionnaire. Aussi habile que brave, il sut se défendre +avec succès contre toute» les attaques des ennemis de sa patrie, jusqu'à +la bataille de Navarin. Mais l'indépendance de la Grèce proclamée, il se +montra l'un des ennemis les plus violents du roi Othon et du +gouvernement établi par les puissances alliées. Accusé du crime de haute +trahison, il fut condamne à mort. D'abord le jeune roi commua sa peine +en un emprisonnement perpétuel; puis il lui accorda un pardon complet et +il lui rendit ses grades, ses honneurs et ses propriétés Le jour de ses +funérailles. Colocotroni a été conduit à sa dernière demeure par la +population d'Athènes. Les troupes de la garnison, les dignitaires de +l'État les représentants des grandes puissances assistaient à cette +cérémonie. A ce moment suprême chacun oubliait les fautes de l'homme +dont on allait confier à la terre la dépouille mortelle, pour ne se +rappeler que les eminents services qu'il avait rendus à son pays. + + + +LE DUC DE SUSSEX + +[Illustration: Décédé le 21 avril 1843.] + +Le jeudi 4 mai 1843 ont eu lieu, à Londres, les obsèques du duc de +Sussex, oncle de la reine Victoria, mort le 21 avril dernier, à l'âge de +soixante-onze ans. Ce prince a eu une existence si honorable, sa mort a +excité des regrets si universels que nous avons cru devoir emprunter aux +journaux anglais la courte biographie qui va suivre. De semblables +exemples sont rares, aussi il est toujours bon et utile de les signaler +à la méditation et à la reconnaissance publiques Le duc de Sussex ne +s'est illustré par aucune action d'éclat: il n'a rendu aucun service +importants à son pays; il n'était après tout qu'un homme ordinaire: mais +aussi il n'a jamais recherché la puissance, il ne s'est servi de sa +fortune que pour faire le bien, il a constamment méprisé, sans +affectation, toutes les distinctions de la naissance et de la richesse. +Issu d'une famille royale, il a aimé le peuple d'une affection sincère, +enfin, il est toujours resté fidèle à sa conscience. Ne sont-ce pas là +des qualités qui méritent un honorable souvenir? + +Le duc de Sussex, le sixième fils de George III et de la reine +Charlotte, était né à Buckingham-House, le mercredi 27 janvier 1775. Ses +frères, les ducs d'York, de Kent, de Cumherland et de Cambridge, +adoptèrent la profession des armes. Le duc de Clarence se fit marin. +Seul de tous les membres de la famille, le duc de Sussex s'adonna +exclusivement, pendant sa jeunesse, à l'étude de» arts et de la +littérature--Envoyé en Allemagne, avec ses frères Ernest et Adolphe, +il devint un des meilleurs élèves de l'université de Gottingue, fondée +par Georges II en 1734; puis il alla achever son éducation à Rome, les +troubles de tout genre uni avaient suivi la révolution de 1789 ne lui +ayant pas permis de visiter la France et Paris. + +Le prince Auguste-Frédéric, ainsi s'appelait le futur duc de Sussex +passa donc à Rome les années 1792 et 1793. Parmi les Anglais qui +résidaient à cette époque dans la métropole du monde chrétien, se +trouvaient le comte et la comtesse de Dunmore et leur seconde fille, +lady Augusta Murray. Les charmes et l'amabilité de lady Angusta Murray +produisirent une impression si vive sur le prince Auguste, que, malgré +la différence d'âge (lady Augusta Murray avait trois ans de plus que le +prince Auguste), malgré les dispositions prohibitives du _royal marriage +act_, qui défend aux descendants de George II de se marier avant l'âge +de vingt-cinq ans sans le consentement du roi régnant, malgré la +sévérité bien connue de son père, le fils de George III se décida à +épouser la fille du comte de Dunmore. Il avait alors vingt-un ans. Le +mariage fut célébré à Rome, le 4 avril 1793, par un prêtre de l'église +d'Angleterre. L'année suivante, la princesse Augusta donna le jour à un +enfant du sexe masculin, qui est aujourd'hui le colonel sir A. d'Este. + +Dès que la nouvelle de cette union fut parvenue, en Angleterre, le +gouvernement se hâta de la faire déclarer nulle par les tribunaux +ecclésiastiques, en vertu du _royal marriage act_; mais le prince +Auguste persista à soutenir sa validité; il traita toujours lady Augusta +comme sa femme, et son fils comme un enfant légitime, leur donnant en +toute occasion les titres de princesse et de prince. Toutes ses +protestations furent inutiles. Seulement, en 1806, lady Augusta reçut du +roi l'autorisation de prendre le nom de comtesse d'Ameland. Elle habita +pendant plusieurs années une maison de campagne située près de Ramsgate, +et jusqu'à sa mort, qui eut lieu le 5 mars 1830, les habitants des +villages voisins continuèrent à l'appeler «la duchesse de Sussex.» + +Le prince Auguste résida encore longtemps sur le continent. Il fit un +assez long séjour en Suisse, passa deux années entières à Berlin, visita +Lisbonne, et ne revint définitivement en Angleterre qu'en 1801. Le 21 +novembre de cette année, il fut élevé à la pairie, créé duc de Sussex, +comte d'Inverness et baron d'Arklow. A peine admis dans la chambre des +lords, il s'y fit remarquer par son opposition franche et vigoureuse, au +ministère tory, par son libéralisme intelligent, et sinon par son +éloquence, du moins par l'élégante facilité avec laquelle il savait +s'exprimer en public. Aussi eut-il bientôt acquis dans le Parlement une +influence qu'aucun membre de la famille royale n'avait jamais possédée. +Quand George III perdit complètement l'usage de sa raison, quand le +prince de Galles, devenu régent, eut trahi honteusement ses anciens +amis, le duc de Sussex ne suivit pas l'exemple de son frère. Il resta +fidèle à ses opinions; car il les avait adoptées par conviction, et non +par ambition personnelle, et jusqu'à sa mort il se montra un des +défenseurs les plus sincères et les plus dévoués des droits et des +libertés de la nation. On ne put lui reprocher d'avoir jamais cherché à +se rendre populaire, pour exploiter à son profit sa popularité. Ce +n'était pas un motif égoïste qui le faisait agir ou parler; mais +uniquement le sentiment de son devoir, l'amour du bien public, la haine +de l'injustice. Aussi se mit-il rarement en avant. «Je ne prends la +parole dans cette Chambre, disait-il dans son discours sur le bill de +réforme, que lorsque de grandes questions constitutionnelles y sont +discutées, que lorsqu'il s'agit des droits et des libellés de +l'Angleterre. Alors je regarde comme un devoir pour moi de venir occuper +ma place, d'exprimer mon opinion, et de donner mon vote consciencieux. + +«Je connais le peuple mieux qu'aucun de vous, continuait-il en +s'adressant à ses collègues. Ma position, mes habitudes, mes relations +avec un grand nombre d'institutions charitables et utiles, et d'autres +circonstances qu'il est inutile d'énumérer ici, me mettent journellement +en rapport avec des individus de tous les rangs. Permettez-moi donc de +vous apprendre quelles sont les habitudes et les récréations du peuple. +Vous parlerai-je des ouvriers de Nottingham, par exemple? Ce que je vais +vous dire, vous l'ignorez sans doute... Les ouvriers de Nottingham +possèdent une bibliothèque qui ferait honneur à un lord. Le choix de +leurs livres prouve qu'ils ont un aussi bon jugement que vos +excellences. Et s'ils sont aussi sensés, aussi intelligents que vous, +pourquoi ne jouiraient-ils pas des mêmes droits?--Personne ne respecte +plus que moi les privilèges du rang; mais, permettez-moi de vous le +dire, l'éducation ennoblit l'homme plus que toute autre chose, et quand +je vois le peuple s'instruire et s'enrichir, je serais curieux de savoir +pourquoi il ne lui serait pas donné de s'élever d'un ou de plusieurs +degrés sur l'échelle sociale... J'ai toujours été partisan de la +réforme, et tant que la constitution ne sera pas réformée, je resterai +un réformateur.» + +Sans doute ce ne sont là que des lieux-communs un peu vieux, et le reste +du discours auquel nous les empruntons contient des passages moins +estimables; mais, qu'on ne l'oublie pas, l'orateur qui tenait un pareil +langage était le frère de George IV, et il parlait à l'aristocratie +anglaise. D'ailleurs, le duc de Sussex ne défendit pas seulement dans +ses discours au Parlement la cause de la réforme, il réclama tour à tour +l'abrogation des lois céréales, la liberté religieuse, la réforme du +code pénal, etc., et une foule d'autres mesures non moins importantes, +etc.--En 1792, lorsque le jugement et l'exécution de Louis XVI eurent +réduit à quarante-cinq le nombre des partisans de Fox, il n'abandonna +pas ce grand homme d'état. Enfin, après la bataille de Waterloo, il +protesta dans les journaux de la chambre des lords contre la captivité +de Napoléon. + +Toutefois, malgré sa grande popularité, le Parlement ne fut pas le +théâtre où le duc de Sussex joua le rôle le plus noble et le plus utile. +Chez lui, le philanthrope l'emporte de beaucoup sur l'homme politique +Pour l'apprécier à sa juste valeur, il fallait le voir dans une de ces +réunions charitables qu'il présidait avec tant de complaisance, de tact +et d'esprit. Pendant quarante années il plaida la cause du pauvre, de la +veuve et de l'orphelin. Il prêcha la charité et il fit de nombreux +prosélytes; car il était éloquent et il joignait toujours l'exemple à la +leçon... + +Le duc de Sussex fut, en outre, durant toute sa vie, un protecteur zélé +et intelligent des artistes et des gens de lettres. Il possédait des +connaissances variées et un goût parfait; la belle bibliothèque qu'il +avait formée au palais de Kensington en fournirait au besoin une preuve +suffisante. Cette bibliothèque se composait de 50.000 volumes; elle +comprenait toutes les branches des sciences humaines et des manuscrits +précieux, mais elle était surtout riche en ouvrages théologiques. En +1816, le duc de Sussex avait été nommé président de la Société des Arts. +En 1830, il fut élevé à la présidence de la Société Royale, et chaque +année, depuis cette époque, il réunit dans ses salons de Kensington +l'élite des savants, des artistes et des littérateurs de l'Angleterre, +tous les membres des diverses sociétés scientifiques de Londres. En 1839 +il donna sa démission, parce que ces soirées lui occasionnaient des +dépenses hors de proportion avec ses revenus. + +Le duc de Sussex devait violer deux fois dans sa vie les dispositions du +_royal marriage act_. Après la mort de sa première femme, il conçut un +vif attachement pour la veuve de sir George Buggin, qui avait obtenu du +roi l'autorisation de prendre le nom d'Underwood. On assure qu'ils se +marièrent en secret. Quoi qu'il en soit, lady Cecilia Underwood fut +admise dans la plus haute société, et dès lors elle accompagna le duc +partout on il allait. En 1840 la reine Victoria l'éleva à la pairie et +lui conféra le titre de duchesse d'Inverness. A cette occasion, elle +reçut de nombreuses visites de félicitations, et on remarqua que les +visiteurs la traitèrent comme un membre de la famille royale. Ils ne lui +laissèrent pas leurs cartes, mais ils inscrivirent eux-mêmes leurs noms +sur un registre. + +La mort du duc de Sussex laisse vacants les emplois et les titres +de:--président de la Société des Arts;--grand-maître de l'ordre du +Bain;--veneur des parcs de Saint-James et de Hyde;--grand intendant de +Plymouth;--colonel de la compagnie d'artillerie;--grand-maître des +francs-maçons;--gouverneur et constable du château de +Windsor;--chevalier de la Jarretière. + +Le duc de Sussex avait déclaré dans son testament qu'il ne voulait pas +être enterré au château de Windsor, dans la chapelle du cardinal Wolsey, +où sont ensevelis tous les membres de la famille royale. Il avait choisi +lui-même, pour le lieu de sa dernière demeure, le cimetière public du +petit village de Kensal-Green. Ses dernières volontés ont été +religieusement observées. Le fils de George III repose à côté du plus +humble des sujets de son père; seulement, on lui a fait des obsèques +royales; mais nous n'ennuierons pas nos lecteurs du récit de cette +triste et fastidieuse cérémonie, à laquelle le public n'a pas été admis. +Les véritables amis du duc de Sussex n'auraient pas prononcé sur sa +tombe des adieux aussi étranges que ceux que sir Charles Young, le +_Garter King at arms_, a été forcé par l'étiquette de cour, de réciter à +haute voix en présence du mari de la reine: + +«Ainsi, il a plu à Dieu tout-puissant de rappeler à lui le très-haut, +très-puissant et très-illustre feu prince-Auguste Frédéric, duc de +Sussex, baron d'Inverness et baron d'Arklow, chevalier de l'ordre +très-noble de la Jarretière, chevalier de l'ordre très-noble et +très-ancien du Chardon, grand-maître et chevalier grand-croix de l'ordre +militaire très-honorable du Bain, sixième fils de feu S. M. le roi +George III, et oncle de sa très-excellente majesté la reine Victoria, +que Dieu bénisse et à qui il accorde une longue vie, une bonne santé, +beaucoup d'honneur, et tous les bonheurs de ce monde.» Au lieu de ces +vains titres, ils eussent rappelé ses vertus et ses talents, ils eussent +dit comme nous: «Il fui bon, honnête, fidèle à ses opinions; il mérita +l'estime et la reconnaissance de ses concitoyens.» + + + +CHAPELLE DE NOTRE-DAME-DES-FLAMMES. + +A BELLEVUE. ANNIVERSAIRE DU 8 MAI. + +[Illustration:] + +Tout le monde a entendu parler de la chapelle qui a été élevée à +Bellevue, sous l'invocation de _Notre-Dame-des-Flammes_, à l'endroit +même où a éclaté, l'année dernière, l'horrible catastrophe du chemin de +fer de Paris à Versailles, rive gauche. Nous allons essayer de compléter +par quelques indications l'idée que nos lecteurs pourront se faire de ce +monument funèbre, à l'aide de la gravure que nous mettons sous leurs +yeux. + +Comme on le voit, cette chapelle, de style ogival, a la forme d'un +triangle. L'intérieur est d'une extrême simplicité, d'une sévère nudité. +Dans l'angle qui fait face à la porte d'entrée, c'est-à-dire du côté de +l'orient, conformément à l'usage symbolique adopté, dans la construction +de la plupart des églises, se trouve l'autel. Pour tout ornement, il +porte des candélabres en pierre figurant des ossements humains et des +têtes de mort. Au-dessus de l'autel est sculptée une petite image de la +Vierge, les pieds sur un globe à demi enveloppé de flammes, les mains +jointes, les yeux au ciel, dans l'attitude de la prière. Sur la console +qui supporte cette statuette, on lit: _Aux victimes du VIII mai +MDCCCXLII;_ et au-dessous: _O bonne et tendre Marie! défendez-nous +contre les flammes de la terre, mais préservez-nous surtout des flammes +de l'éternité_. Plus haut, tout près de la voûte, un vitrail peint en +forme de médaillon, dont la partie supérieure, représente la Trinité +chrétienne, et la partie inférieure une scène de l'incendie du chemin de +fer. Plusieurs malheureux, à demi plongés dans les flammes, lèvent les +yeux et les mains vers les trois personnes divines, qu'ils semblent +invoquer. Nous avons remarqué, surtout une mère qui serre son enfant dans +ses bras avec une expression d'angoisse suppliante. + +La frise intérieure de la chapelle représente des ossements humains qui +brûlent, avec des têtes de mort à chacun des angles. Le pendentif de la +voûte est également orné de têtes de morts entourées de flammes. + +Quant à l'extérieur, le monument est couronné par une statue de la +Vierge, en tout semblable, à celle de l'intérieur. A ses pieds on lit: +_N.-D.-des-Flammes_. Plus bas, c'est encore comme à l'intérieur, une +frise d'ossements humains qui brûlent. + +Au-dessous du fronton, occupé par un demi-relief qui représente +vraisemblablement un épisode de la triste catastrophe, est écrit: _Paix +aux victimes du VIII mai!_ souhait pieux contre lequel proteste +brutalement, à chaque instant du jour, le fracas des wagons qui passent +comme l'ouragan. + +Enfin, sur la porte, peinte en rouge, ces deux mots: _De profundis_, +sollicitent des visiteurs une mélancolique et courte prière, trop +rarement accordée sans doute. + +La chapelle Notre-Dame-des-Flammes, toute en pierres de taille, est +assise sur un petite tertre sablonneux d'où l'oeil embrasse un superbe +panorama: de belles prairies, une partie du cours de la Seine, et +là-bas, dans un lointain vaporeux, Paris avec ses magnificences +architecturales à demi voilées. Un treillage de bois, à l'intérieur +duquel règne une guirlande de buis jaune, dessine autour du monument un +pourtour triangulaire; à chaque angle s'élève une modeste croix de bois. + +La chapelle est si près des rails, que, de l'intérieur de l'enceinte +qu'elle occupe, on éprouve sensiblement l'impression de l'air chassé par +la violence des convois qui passent. + +L'édification de _Notre-Dame-des-Flammes_ est due à l'une des personnes +les plus cruellement éprouvées par la catastrophe du 8 mai. M. Lemarié, +architecte, ayant perdu, dans ce jour néfaste, son fils, sa belle-soeur +et un cousin, a voulu consacrer à leur mémoire ce monument de pieux +regrets, élevé par lui-même, et qui ne fait pas moins honneur à son +talent qu'à son coeur. + +La chapelle de Notre-Dame-des-Flammes a été inaugurée, le 16 novembre +1842, par M. l'évêque de Versailles. On a attaché à sa fondation une +institution régulière de quatre messes par an, qui doivent être dites +par M. le curé de Meudon, indépendamment de celles que peuvent demander +les parents des victimes. Le lugubre anniversaire y a été célébré lundi +dernier, à onze heures du matin, par une cérémonie religieuse. + +Nous renonçons à décrire la physionomie de tristesse religieuse de cette +petite chapelle blanche qui s'élève, comme une muette prière, à côté de +la voie sur laquelle s'agitent pêle-mêle, avec une précipitation +bruyante, les passions, les affaires et les plaisirs des hommes. Il y a +là un effet de contraste qui jette sur le chemin de fer un reflet de +poésie que nous n'aurions jamais eu, avant, la hardiesse de soupçonner +dans un chemin de fer. + + + +La Vengeance des Trépassés, + +NOUVELLE. + +Suite.--Voyez p. 75, 89, 105, 121 et 157. + + +§ VII.--Philosophie.--Folie.--Adieux. + +Don Christoval avait une de ces âmes fortement trempées qui luttent +contre la douleur et parviennent à la vaincre, au moins dans ses effets +ordinaires, c'est-à-dire que le triomphe est extérieur, et qu'an dedans +les ravages s'exercent plus profonds et plus durables. + +Il s'enferma deux jours sans permettre à âme qui vive de pénétrer +jusqu'à lui; ce temps passé, on le vit reparaître pâle, amaigri, mais +non abattu; il reprit ses courses botaniques, mais dom Sulzer ne pouvait +plus l'accompagner. Le soir il revenait couvert de poussière et chargé +de fleurs sauvages dont il jonchait la tombe de sa femme et de son fils; +il restait fort tard à les arranger, puis rentrait, et avant l'aurore il +était reparti pour toute la journée. Voilà sa vie. + +Cette fatigue du corps ne suffisant pas à dompter l'activité de sa +pensée, il essaya d'un autre système: c'était de lasser son imagination +en lui donnant pleine carrière. A cet effet, il se jeta dans les idées +philosophiques; c'était un retour vers une science qui l'avait fait +briller dans sa jeunesse à l'université de Salamanque. Il s'y adonna de +nouveau, sans pour cela renoncer à ses excursions lointaines; il +emportait de quoi écrire, et jetait en courant sur le papier les idées +dont il voulait faire les matériaux d'un grand ouvrage: ces idées +roulaient sur le temps, sur la mort, sur la résurrection et l'autre vie. +Tous ceux qui ont voulu approfondir ces terribles questions ont payé +cher leur témérité; don Christoval éprouva le même sort. Voici +quelques-uns de ces fragments décousus; ils feront comprendre +l'exaltation cérébrale de cet infortuné et la catastrophe qui +s'ensuivit. + +Elle est morte! Qu'est-ce que la mort? qu'est-ce que la vie? Le temps +existe-t-il pour les morts? L'Écriture se sert à chaque instant de ces +mots _la fin des temps,--la consommation des siècles_. Le temps finira +donc? oui. Le temps une créature de Dieu qui sera détruite comme les +autres; son seul privilège sera d'être détruite la dernière. J'ai +entendu dom Sulzer s'écrier un jour en prêchant: _Sortez du temps!_ et +comment sortir du temps? Le temps est l'enveloppe dans laquelle se meut +l'humanité. Il est bien difficile à la pensée humaine de sortir du +temps; toutefois cela ne paraît pas impossible. + +Et qu'est-ce que l'éternité? l'absence du temps et de la durée: un +point; pas même un point, puisque dans un point, si petit qu'on le +conçoive, il y a encore l'idée de dimension; au lieu que dans l'éternité +le centre et les extrémités se confondent. + +La résurrection des morts suit donc immédiatement l'instant de leur +trépas; ils sont comme un homme qui tombe et aussitôt se relève; et les +hommes partis de différents points du temps arriveront tous +simultanément à la cessation du temps. + +Car le temps est une illusion, l'illusion fondamentale de notre vie, +laquelle n'est elle-même qu'une illusion destinée sans doute à éprouver +les âmes. + +Nous rentrons par intervalles dans la réalité au moyen du sommeil. Ce +sommeil éteint la matière et en dégage l'âme: alors le temps cesse pour +nous. La preuve en est claire: c'est que celui qui se réveille est +incapable de dire s'il a dormi dix heures ou dix minutes. + +Et souvent en dix minutes il a rêvé des faits dont la réalisation dans +le temps demanderait une année. + +Et lorsqu'il rapporte dans le temps ces souvenirs d'une, excursion hors +du temps, il juge, il compare, il mesure et dit: Qu'on est insensé quand +on dort!--C'est probablement, au contraire, le seul moment où l'on soit +sensé. + +Si Adam n'avait point goûté du fruit défendu, il ne fût pas mort, +c'est-à-dire que son illusion eut été éternelle; il n'y eut pas eu de +fin des temps ni de consommation des siècles, et ses enfants eussent été +immortels comme lui. + +Aurait-il en des enfants exempts du péché originel, et par conséquent de +la mort, ils auraient promptement encombré la terre, et que fut-il +arrivé? + +Ou il n'en aurait pas eu; alors la création se fût bornée à deux êtres +humains qui n'auraient pas fini. + +L'Éternel avait dit au premier homme: Si tu goûtes de ce fruit, tu +mourras de mort. Le tentateur dit à Eve: Si vous goûtez de ce fruit, +vous deviendrez semblables à Dieu. + +Les deux paroles furent accomplies: Adam, par suite de son péché, +mourut; et il devint semblable à Dieu, en ce point qu'il sortit du temps +hors duquel Dieu habite. + +Le passage de la vie à la mort, l'instant précis de ce passage, est-il +sensible pour ceux qui le franchissent? Non: mais on s'aperçoit des +approches. + +N'est-il pas probable qu'à ce moment solennel, avant la séparation de +l'esprit et de la matière, nos facultés éprouvent par anticipation un +éclair de perfectionnement, que les sens acquièrent subitement une +subtilité surnaturelle; l'intelligence une hauteur, une plénitude, un +pouvoir inaccessibles à l'état de vie normale? J'en suis convaincu; mais +presque toujours quand ce phénomène arrive, le moribond n'en peut rien +témoigner à ceux qui l'entourent. + +Ou, s'il leur en témoigne quelque chose, ils disent: Ce sont les +illusions de la mort; la tête n'y est plus! + +Léonor a vu l'ombre de soeur Dorothée; le père Dominique, l'ombre de son +pénitent; je n'en doute pas. En y réfléchissant, il n'est pas plus +étrange de voir une âme sortie du temps y rentrer pour quelques minutes, +que de voir le contraire, c'est-à-dire une âme prisonnière dans le temps +s'échapper quelques minutes dans l'éternité. Seulement le second est +plus commun que le premier, c'est pourquoi la raison humaine, la pire de +nos illusions, nous affirme que le premier est impossible, sa coutume +étant de nier tout ce qu'elle ne peut contrôler. + +Ce qu'on appelle la raison de l'homme n'est que l'essence de son +orgueil. + +Nous cherchons à entrevoir les vérités éternelles avec notre raison, à +travers le temps, c'est-à-dire avec un instrument faux à travers un +milieu qui nous trompe. On soupçonne des erreurs, mais nul moyen de les +calculer, encore moins de les corriger. Les contemplateurs sont les +sages; ils sont en très-petit nombre: les autres suivent leur route sans +songer à rien, sans se douter de rien; ce sont les heureux. + +Notre raison est essentiellement terrestre, non qu'elle ne puisse +s'élever, quelquefois même assez haut, mais elle retombe toujours sur la +terre et rapporte, tout à elle-même et aux choses d'ici-bas. +L'inspiration, l'extase, le délire, la folie, tous ces états dans +lesquels l'àme cherche à prendre l'essor loin de la matière, nous +livreraient peut-être le secret de notre vie et de notre avenir, mais la +raison les méprise et nous empêche de les étudier. Et pourtant, sans la +raison, que ferions-nous? notre malheur est de ne pouvoir nous passer +d'elle; c'est le bâton qui nous sert à marcher, mais ce bâton est garni +de plomb qui nous attache à la terre et nous empêche de nous envoler. + +Le mystérieux Orient, qui a su tant de secrets concernant notre race, a +toujours regardé les fous comme des êtres sacrés, en communication +directe avec Dieu. Peut-être viendra-t-il un jour où Dieu, dans sa +bonté, enlèvera tout à coup la raison au genre humain pour laisser +régner exclusivement la sagesse. + +La raison n'est peut-être nécessaire aux hommes que parce que, dans +l'état actuel des choses, elle est l'apanage du plus grand nombre? + +Dans le malheur affreux où je suis plongé, quel voeu puis-je encore +former ici-bas? Un seul, dont l'accomplissement me rendrait le bonheur: +c'est de perdre la raison; alors je pourrais retrouver Léonor, et nous +serions rejoints tout en habitant une vie différente. Oh! si je pouvais +me débarrasser de cette funeste raison! + +A force de creuser dans ces étranges idées, le malheureux Christoval +obtint ce qu'il souhaitait. + +Une nuit, dom Sulzer, après avoir veillé fort tard dans son cabinet, +venait de mettre en ordre ses cahiers de l'histoire des abbés de +Reichenau, et il se disposait à passer dans sa chambre à coucher, +lorsqu'il lui sembla distinguer dans le profond silence de la nuit des +accents interrompus auxquels se joignaient quelques accords. Il écouta, +et s'assura que quelqu'un chantait à voix basse dans l'enclos situé +derrière le corps de logis de son habitation. Il ouvrit la fenêtre. Le +ciel était pur, mais sans lune: il n'v avait que la clarté douteuse des +étoiles. Le chanteur, invisible à cause de la position du bâtiment, +effleurant à peine les cordes de sa guitare, fit entendre les paroles +suivantes: + + Toda mi dicha fundo + Solo in querer te; + Y daria mil vidas, + Solo por ver te. + +«Je mets tout mon bonheur à te voir; rien que pour te voir je donnerais +mille fois ma vie. » + +Le chanoine n'eut pas de peine à deviner ce qui se passait. Il fit un +signe de croix, ce qui était chez lui la plus grande marque de +compassion, et se disposa à descendre. Sans appeler personne pour +l'aider, il remit sa redingote, sortit appuyé sur sa grande, canne, +traversa d'un pied lent et mal assuré les longues et obscures galeries +du couvent, et par un escalier de pierre depuis longtemps hors de +service, soupirant et trébuchant à chaque degré, il entra dans l'enclos. +L'herbe discrète étouffait sa marche. Il parvint ainsi, sans être +aperçu, à deux pas de don Christoval, et s'arrêta pour le considérer. +L'infortuné, debout devant la pierre moussue qui recouvrait sa femme et +son enfant, avait cessé de chanter. Il méditait dans un sombre silence, +les bras croisés sur la poitrine et enveloppé dans son manteau, pareil à +un génie funèbre. Sa guitare reposait sur la tombe. Quelques minutes +s'écoulèrent sans que Christoval fit aucun mouvement, et sans que le +vieux prêtre osât interrompre la douleur de son jeune ami. A la fin +pourtant le chanoine risqua de l'appeler doucement. A cette voix, +Christoval releva la tête et demanda: «Qui m'appelle? Que voulez-vous? + +«C'est moi, votre ami, dom Sulzer.--Ah! dom Sulzer vous venez à propos; +c'est le ciel qui vous envoie. J'aurais été fâché de m'en aller sans +vous avoir dit adieu et serré la main.--Vous en aller? où? que +faites-vous ici?--Ne le voyez-vous pas? Je suis venu faire visite à +Léonor. J'ai mis exprès, pour lui plaire, le costume que je portais la +nuit que je l'enlevai. Je lui ai chanté _Marinero del alma,_ qu'elle +aimait tant. Eh bien, le croiriez-vous? cet air, dont jadis une seule +note l'entraînait vers moi, cet air aujourd'hui la laisse insensible! +Elle ne répond rien? Ah! c'est que ce n'est plus à elle à venir à moi; +c'est au contraire à moi d'aller à elle. Elle a Carlos qui la retient; +je comprends cela. Je vais les rejoindre tous deux. Que faut-il dire à +Léonor de votre part?--Et quel chemin prendrez-vous pour les +rejoindre?--Alors Christoval se penchant à l'oreille du chanoine, comme +s'il lui eût confié un grand secret: «Le chemin du lac, dit-il. Oui, je +vais me jeter dans le lac. Vous le sentez bien, dom Sulzer, +continua-t-il avec une apparente tranquillité, vous le sentez bien, ma +vie est désormais inutile; mon existence n'a plus de but: c'est un effet +sans cause. Où est Léonor, là est ma vie. Il faut que je me noie dans le +lac, cela est de toute nécessité. Si vous avez à me charger de quelque +chose pour elle, dépêchez-vous.--C'est inutile, dit le chanoine +épouvanté de cette folie de sang-froid, mais cachant sa frayeur sous un +ton sec et bref.--Pouquoi inutile?--Parce que vous n'irez pas.--Et qui +m'en empêchera?--Moi. Je vous le défends!» + +Christoval, jusqu'alors paisible dans sa tristesse, commença de +s'agiter, et ce trouble, que trahissaient son geste et sa voix, arriva +rapidement à l'exaspération. «Comment, vous me le défendez? C'est +indigne! c'est affreux! Allez! j'ai été la dupe de votre affection +simulée; mais à compter de ce moment je ne le suis plus; je vous +connais. Vous êtes un méchant homme. Laissez-moi! laissez-moi! Non, non, +ma Léonor, n'aie pas peur que je l'écoute, que je me laisse arrêter par +lui! Il veut que je demeure! Et pour qui, mon Dieu? Qui désormais à +besoin de moi?--Moi, mon fils, moi! cria le vieillard en s'accrochant à +lui.» Mais dans le débat son pied heurta la pierre sépulcrale; dom +Sulzer perdit l'équilibre et roula sur la tombe de Léonor en poussant un +douloureux gémissement. + +Il n'en fallut pas davantage pour abattre subitement l'exaltation du +pauvre fou. Il prit le vieillard dans ses bras, et d'un ton tout +différent: «Dom Sulzer, s'écria-t-il, je vous ai fait mal? Etes-vous +blessé? + +--Non, mon ami, répondit dom Sulzer, se relevant avec peine. Le mal que +vous avez fait à mon corps n'est rien auprès de celui que vous faites à +mon coeur. Le premier est involontaire, je vous le pardonne; mais +l'autre!...--Ah! pardonnez-le-moi aussi,» dit Christoval en embrassant +son vieil ami et fondant en larmes. C'était la fin de la crise. Le bon +chanoine ne put résister à l'entraînement de ce désespoir, et oubliant +ses projets de fermeté, il se mit à pleurer aussi. + +Dom Sulzer triompha le premier de son émotion et parvint à la comprimer. +« Mon ami, dit-il, mon cher ami, que faisons-nous? A quelle faiblesse +nous laissons-nous aller! Dieu soit béni de ce que vous ayez enfin +reconnu ma voix. Ecoutez votre vieux père qui vous aime et qui souffre +toutes vos douleurs Vous croyez que votre tâche ici-bas est accomplie +parce que vous n'avez plus à la remplir envers votre femme et votre +fils, non, cher Christoval, elle ne l'est pas. Il vous en reste une +autre plus importante encore, oui, oui, plus importante encore; je vous +la ferai connaître et vous en conviendrez. Vous dites que votre +existence n'a plus de but. Ah! mon fils il vous en reste un à atteindre +que vous ne voyez pas, parce que les pleurs qui remplissent vos yeux +obscurcissent votre vue. Vous voulez savoir ce que c'est? Je ne puis +vous l'expliquer ici: l'heure et le lieu ne s'y prêtent pas. D'ailleurs +je souffre un peu et nous avons l'un et l'autre besoin de repos. Venez +me voir demain matin à huit heures précises, et je vous apprendrai à +quelle fin vous devez consacrer le reste de vos jours, et vous ne +sortirez pas de chez moi sans être consolé.» + +Don Christoval promit d'être exact au rendez-vous. Il reconduisit le bon +chanoine jusqu'à la porte de sa chambre, et dom Sulzer ne le renvoya pas +sans l'avoir embrassé et lui avoir donné sa bénédiction. + +Dom Sulzer, resté seul, s'agenouilla sur son prie-Dieu et fit une longue +et fervente prière. Lorsqu'il se releva, son visage exprimait le +contentement intérieur d'un homme plein de confiance dans la bonté du +ciel, et certain d'avoir obtenu l'objet de sa demande. Bien qu'il fût +une heure du matin, le chanoine, au lieu de se mettre au lit, chercha +dans sa bibliothèque un volume de médiocre grosseur: l'ayant trouvé, il +se replaça à son bureau et se mit à feuilleter le livre avec attention. + +Le lendemain don Christoval fut ponctuel. Huit heures sonnant, il +frappait à la porte du cabinet de son ami. Point de réponse: il ouvre +doucement. Qu'aperçoit-il? Le chanoine, assis devant sa table couverte +de papiers, dans son grand fauteuil de cuir, le corps droit, immobile, +et profondément endormi. Le sommeil l'avait surpris au milieu de +l'étude, car il avait la main droite posée sur un livre ouvert, et son +index allongé semblait montrer un passage. L'affaiblissement et +l'incertitude de sa vue avaient fait prendre au vieillard cette habitude +de suivre, en lisant la ligne, avec le doigt, pour ne pas s'égarer dans +la page. Le soleil levant, s'introduisant de côté dans cette chambre +studieuse, illuminait la tête pâle et vénérable de dom Sulzer. En face +du vieillard et ombrageant le volume, un pot de fleurs, ou s'élevait une +jolie plante le réséda taillée en boule par les soins du chanoine, qui +mettait son plaisir à cultiver et à soigner ce petit arbre dont il +aimait singulièrement le parfum. Une fauvette de vignes chantait sur le +rebord de la fenêtre entr'ouverte par le vent frais du matin. + +Don Christoval contemple un instant avec admiration ce tableau plein de +calme et de solennité. Ne voulant pas troubler le repos de son vieil +ami, il s'approcha sur la pointe des pied pour voir quel ouvrage avait +captivé si tard l'application du chanoine. Il lut ces paroles: + +«Mon fils, ne vous rebutez point des travaux que vous avez entrepris +pour moi: ne vous laissez point abattre à tout ce qui peut vous arriver +de fâcheux; mais que dans tous les événements de la vie ma promesse vous +encourage et vois console. + +«Un jour, qui n'est connu que du Seigneur, vous amènera la paix, et ce +jour ne sera point comme ceux de cette vie, mêlé de l'alternative de la +nuit: la lumière en sera perpétuelle et la charité infinie. La paix dont +vous jouirez sera solide et votre repos assuré. + +«Est-il rien de pénible qu'on ne doive supporter pour la vie éternelle? + +«Mon fils, ma grâce est précieuse et ne souffre point le mélange des +choses étrangères ni des consolations de la terre. + +«Si vous voulez la recevoir, faites-vous un lieu de retraite ne +recherchez l'entretien de personne, mais répandez-vous devant Dieu par +une ardente prière.» + +--Don Christoval, plus surpris et plus attendri à mesure qu'il lisait, +arriva enfin au verset sur lequel était placé le doigt de dom Sulzer: + +«IL FAUT QUITTER LE MONDE: IL FAUT VOUS SÉPARER DE VOS CONNAISSANCES ET +DE VOS AMIS ET TENIR VOTRE AME DANS LA PRIVATION DE TOUTES LES +CONSOLATIONS HUMAINES!»[1] + +Christoval, extrêmement ému, éprouva alors comme une soudaine +révélation: il toucha la main de dom Sulzer, il la trouva froide et +glacée! Il approcha ses lèvres du front du vieillard, et le contact lui +parut celui d'une statue de marbre! Dom Sulzer habitait désormais une +meilleure vie; il avait reçu le prix de ses souffrances et de ses +vertus, il connaissait le jour du Seigneur dont la lumière est +perpétuelle et la clarté infinie: il était mort. Don Christoval comprit +que ce but dont la veille encore lui parlait le saint vieillard, était +d'obtenir une mort pareille à celle-là. + +Il se prosterna près du défunt, et son coeur, dans une effusion de +pieuse reconnaissance, prit l'engagement que la bouche du dernier moine +de Reichenau, cette bouche désormais muette, semblait lui dicter par +l'organe du _plus beau livre qui soit sorti de la main des hommes_. [2] + +Dom Sulzer fut inhumé vingt-quatre heures après dans le choeur de +l'antique église de l'abbaye. L'humble et dernier représentant du +monastère, le simple moine, reçut un honneur jadis réservé pour ses +puissants abbés. Il arriva parmi eux comme un messager chargé de leur +annoncer l'extinction définitive de leur famille; comme un soldat fidèle +qui se réfugie au milieu de ses chefs pour attendre la chute de +l'édifice dont la ruine les doit tous ensevelir dans un commun tombeau. + + [Note 1: _Imitation de J.-C._] + + [Note 2: J.-J. Rousseau.] + +Le lendemain de ces funérailles auxquelles assistèrent tous les +habitants de l'île, la maisonnette de don Christoval était déserte. Ou +trouva sur une table une lettre qui la donnait, avec tout son mobilier, +à un pauvre laboureur, pere de famille, de qui la grange avait brûlé +quelques mois auparavant. Le bruit public 'fut que don Christoval, +accablé par la triple perte qu'il venait de faire, n'avait pu résister à +son désespoir, et s'était précipité dans le lac. Un batelier racontait +que, l'Espagnol était venu le soir de l'enterrement louer un bateau pour +passer, disait-il, à Radolsszell. Au point du jour, le bateau avait été +retrouvé flottant au hasard sur la rive; on conjecturait que le vent +l'avait repoussé vers Reichenau, après la catastrophe de celui qui le +montait. Cependant, le cadavre de don Christoval ne reparut point sur +les îlots, et les pêcheurs sondèrent en vain le lac. + +_(La fin à un numéro prochain.)_ + + + +Théâtres. + +[Illustration: (Théâtre de l'Odéon.--Lucrèce, par M. Ponsard.--Brute: +Bocage;--Lucrèce: madame Dorval.)] + +LA GRÈCE.--BRUTUS.--LA COMÉDIE A CHEVAL.--LES DEUX FAVORITES.--LE MÉTIER +A LA JACQUART--LES CANUTS.--LE VOYAGE EN L'AIR.--J'AI DU BON +TABAC.--MARGUERITE FORTIER.--LES PRÉTENDANTS. + +Le second Théâtre-Français est tout émerveillé de la foule qui +l'assiège; il n'est pas accoutumé à ces bonnes fortunes: une recette de +3,500 fr. à l'Odéon, est un de ces prodiges dont la mémoire se perd dans +la nuit des temps. Il faut en rendre grâce à M. Ponsard; c'est à +_Lucrèce_ que l'honneur en revient. _Lucrèce_ ameute la foule sur toute +la place de l'Odéon, comme autrefois au Forum, autour de ses glorieux +restes, pour marcher contre la tyrannie et les Tarquins. Le public est +décidément conquis par Lucrèce et par M. Ponsard. Il prête une oreille +attentive aux vers énergiques ou gracieux du jeune poète; il s'émeut aux +accents de Brute, de Sextus et de Tullie; deux scènes surtout semblent +l'intéresser et le tenir attentif: l'une montre Lucrèce dans une +mutuelle confidence avec Brute; la jeune et chaste Romaine a pénétré les +projets du citoyen. Elle a passé à travers l'enveloppe du fou, pour +arriver jusqu'à l'âme patriotique. Sous le sublime mensonge de cette +folie, Lucrèce entrevoit la mâle pensée qui veille et s'alimente dans +cette âme profonde, comme une lampe mystérieuse dans un lieu solitaire +et caché. Elle déclare à Brute que son vaste dessein est connu d'elle, +Lucrèce, et qu'elle le paie silencieusement de son estime et de son +admiration. Avoir l'estime de Lucrèce, quelle consolation pour Brute! +Comme la plaie des affronts qu'il subit pour son pays est adoucie par +cette secrète amitié de la femme fidèle et chaste! Aussi le glorieux +insensé soulève-t-il un instant, devant cet oeil discret, le voile de sa +pensée; Brute ne se cache plus pour Lucrèce; il n'avoue pas, mais il +permet qu'on devine. Et c'est là un grand éloge, pour la vertu de cette +femme, que Brute, l'homme au génie enveloppé et muet, laisse ainsi +passer jusqu'à elle une lueur du vaste projet que son esprit médite et +dissimule. + +[Illustration: (Dernière scène de la tragédie de Lucrèce.)] + +Dans l'autre scène, le spectateur contemple avec émotion le corps +inanimé de Lucrèce, qui vient de se donner la mort; c'est le, moment +héroïque du sacrifice si vigoureusement décrit par Tite-Live, et +qu'après Tite-Live, M. Ponsard a revêtu des couleurs d'une, mâle +poésie.--Lucrèce s'est frappée au coeur du couteau qu'elle tenait caché +sous sa robe, et tombant sous le coup, elle a rendu le dernier soupir. +Tandis que Lucrétius son père, et Valère et Collatin s'abandonnent à +leur douleur, Brutus tire de la blessure le fer tout dégouttant de +sang: «Par ce sang si pur, s'écrie-t-il, je jure, et vous, dieux, je +vous prends à témoin de ce serment; je jure de poursuivre par le fer, +par le feu, par tous les moyens qui sont en mon pouvoir, Lucius Tarqnin +le Superbe et son épouse criminelle, et toute sa postérité, et de ne +jamais souffrir que ni eux ni d'autres règnent dans Rome!» La douleur a +fait place à la colère; on suit Brutus à la destruction de la royauté; +le corps de Lucrèce, placé sur un brancard, est porté au Forum, et +Brutus excite le peuple, à prendre les armes. Assurément c'est là un de +ces spectacles qui remuent l'âme et la trempent fortement. Le parterre +de l'Odéon y applaudit avec l'ardeur généreuse des vives et jeunes +émotions. + +Le théâtre du Vaudeville a voulu aussi avoir son _Brutus_; mais celui-là +est un Brutus pour rire; d'abord il n'est pas de Rome, mais de Pontoise +ou de Quimper-Corentin; les Tarquins lui sont complètement étrangers; il +n'entend rien au Forum, et au Capitole encore moins. Parlez-lui de +Lucrèce, il vous répondra: «Connais pas!» Nommer Arnal, c'est tout dire; +cela vous donne la mesure de mon Brutus. Il n'est pas fou, tant s'en +faut: Brutus a de la modestie, et se contente d'être niais. Il frotte +les habits et cire les bottes de M. Courtois, son seigneur et maître, et +ne sera jamais consul romain. Quant à la république, Brutus la sert fort +mal; appelé, en sa qualité de soldat du guet, à réprimer une émeute +royaliste, il a jeté là son fusil, comme Horace son bouclier, et il pris +la fuite; mais à cet exploit se borne la ressemblance de Brutus et du +poète favori de Mécènes: Brutus est capable de fuir, mais incapable de +faire l'ode à la nymphe de Blanduse et l'épître aux Pisons. + +Un instant, les destins de Brutus prennent une allure magnifique; de +simple valet qu'il est, il risque de devenir marquis. Un anneau trouvé +par Brutus lui donne cette espérance; il a mis l'anneau à son doigt, et +peu s'en faut que de cet anneau il ne résulte, un père pour Brutus. +Cette trouvaille l'accommoderait fort; car, enfin, Brutus ne sait pas de +quelle côte il est sorti. Brid'oison dit bien qu'on est toujours le fils +de quelqu'un, mais de quel père? Telle est la question compliquée que +Brutus se pose tous les jours à lui-même, sans avoir pu jusqu'ici la +résoudre. Il a cependant une consolation, c'est que s'il ne connaît pas +son père, sa mère probablement a dû le connaître. + +Donc, Brutus se croit fils d'un marquis; et, pour un Brutus, vous +avouerez que la filiation est un peu embarrassante, d'autant plus que le +marquis est proscrit. Comment échappera-t-il aux agents républicains? La +crédulité de Brutus vient à son aide dans cette périlleuse affaire; +Brutus, le prenant pour son père, a pour lui toutes les tendresses +burlesques qu'on peut attendre d'Arnal; il le suit à la piste, il lui +tend les bras, et veut à tout propos le presser sur son coeur et +l'embrasser tendrement. Le meilleur de ce dévouement filial, c'est que +Brutus procure une carte de sûreté et un passe-port à son prétendu père; +et celui-ci en profite pour s'esquiver. Quant à Brutus, par un de ces +grands mouvements de fortune qui accompagnent les révolutions, il +devient portier. Quelle situation pour le fils d'un marquis! Après tout, +qu'importe? il tirera le cordon au lieu de la porte en sautoir! C'est à +peu près la même chose.--Ce quiproquo, égayé par quelques mots plaisants +et par le jeu naïf d'Arnal, a honnêtement réussi. Les auteurs sont MM. +Varin et Conailhac. On avait sifflé la veille un autre vaudeville +intitulé: _la Comédie à cheval_. Le cheval a fait un faux pas à moitié +chemin, et la comédie désarçonnée, une lourde chute. + +Pour Jacquart, c'est autre chose; le Gymnase a pris la revanche du +théâtre du Vaudeville, Bouffé y aidant, et aussi le talent de M. +Fournier, l'auteur du _Métier à la Jacquart._ Tout le monde connaît +Jacquart, le bienfaiteur de la filature lyonnaise, l'inventeur du +merveilleux métier si fécond pour l'industrie, si utile au soulagement +de l'ouvrier. M. Fournier nous montre Jacquart préoccupé de son +ingénieuse invention: il l'entrevoit, mais il ne la tient pas encore; +Jacquart cherche ce rien, ce dernier mot, si difficile à trouver, et qui +arrête souvent les plus magnifiques découvertes; ce pauvre Jacquart en +rêve nuit et jour; vous pensez, comme en rêvant, il néglige les intérêts +de sa maison; aussi la pauvreté en a-t-elle franchi le seuil. Quelques +milliers de francs restaient, dernier espoir de sa femme et de sa fille; +Jacquart les a perdus par sa distraction. C'est peu encore; en voyant +cet homme si insouciant de ses intérêts et si rêveur, on dit de lui: «Il +est fou!» Et chacun de le montrer au doigt. Enfin, notre Jacquart perd +courage; ruiné, honni, s'épuisant vainement à la poursuite de ce dernier +secret qui lui échappe; toujours, il prend une résolution désespérée. Le +malheureux se dirige vers le Rhône pour s'y précipiter: une main +inconnue l'arrête avant l'accomplissement du suicide; et voilà Jacquart +tout étonné de se trouver dans une chaise de poste roulant sur la route +de Paris. + +A Paris, on le conduit dans un magnifique palais; des soldats veillent +aux portes; des hommes tout brodés d'or et tout chamarrés de rubans vont +et viennent dans les galeries et dans les antichambres. De Lyon à Paris, +Jacquart a eu le temps de se remettre et de reprendre le sang-froid +plein de franchise, et le naturel sans façon qui le caractérisent. Il ne +se gêne donc guère avec tous ces beaux messieurs-là; et comme Jacquart +n'a qu'une idée en tête, sa fameuse découverte, il en parle à qui veut +l'entendre. Voyez-vous ce grand homme sec qui regarde Jacquart d'un air +railleur? c'est un illustre chambellan à qui Jacquart explique le +mécanisme de sa machine. Le grand seigneur d'en rire. Que voulez-vous? +on est chambellan, et l'on n'est pas obligé pour cela d'avoir de +l'instruction et de l'esprit. Le chambellan n'y voit donc goutte; comme +tous les ignorants et les sots, il se tire d'embarras en ricanant et +traite Jacquart d'insensé.--Une porte s'ouvre; ce n'est plus au valet +brodé, c'est au maître que Jacquart a affaire: et ce maître est +Napoléon, l'empereur et le roi! S'il n'a pu se faire comprendre par le +chambellan, Jacquart est bientôt compris par le grand homme; le génie du +héros fécondera le génie de l'ouvrier, et le métier Jacquart sort +victorieux de cette entrevue. L'industrie lyonnaise a fait sa conquête. +Qui est ravi? Jacquart, et la femme de Jacquart, et la fille de +Jacquart, laquelle, du coup, épouse un très-joli et très-excellent jeune +homme, qui l'aime et qu'elle aime; double amour qui attendait depuis +longtemps, et restait sur le métier. Bouffé est charmant dans ce rôle de +Jacquart. + +(Théâtre du Palais-Royal.--Voyage entre Ciel et Terre.) + +Le Gymnase ne s'en est point tenu là; Charles II a succédé à Jacquart. +Il s'agit du faible et galant Charles II, roi d'Angleterre. Charles mène +de front deux intrigues amoureuses; véritable bagatelle pour un tel +consommateur. D'une part, le roi a une liaison avec la duchesse de +Cleveland; de l'autre, il cherche à séduire une jeune fille innocente et +pure; c'est un assez vilain métier que S. M. fait là. N'est-ce pas un +peu un métier de roi? D'abord la duchesse est furieuse et jalouse; elle +soupçonne la jeune fille de perfidie et de complicité; puis, bientôt +convaincue de sa candeur, elle se laisse émouvoir et emploie toutes les +ressources de son expérience à sauver l'innocente Jenny des pièges que +l'amour du roi lui tend: pièges cachés sous le sourire, les tendres +regards et les enivrantes promesses. Grâce à cet appui, Jenny, en effet, +échappe au danger. Le roi, battu et très-peu content, revient, l'oeil +morne et la tête baissée, à la duchesse de Cleveland. Ainsi, madame la +duchesse, vous avez fait votre bien en faisant le bien d'autrui: honnête +cumul que la loi ne défend pas et qu'il est même bon d'encourager. +L'auteur, M. Jules de Prémaray, appelle cela _les Deux Favorites_. +Pourquoi pas? Madame Volnys et mademoiselle Rose Chéri sont les deux +brebis que ce loup de Charles II essaie de dévorer de la même dent; nous +avons dit que l'une des deux brebis échappait à cette dent d'ogre, et +c'est mademoiselle Rose Chéri, la plus fraîche, la plus blanchi et la +plus tendre. + +[Illustration: Théâtre du Palais-Royal.--Les Canuts.] + +Le Jacquart du Gymnase a son pendant au théâtre du Palais-Royal: même +sujet, même homme, mêmes événements; le titre seul est différent: _Les +Canuts_ décorent l'affiche. Quant au fond des choses, rien n'est changé. +Vous retrouvez Jacquart rêvant. Jacquart désespéré. Jacquart méconnu. +Jacquart tout près du suicide, puis enfin Jacquart triomphant et son +métier avec lui. Le Gymnase a l'avantage de la forme. Son Jacquart est +beaucoup plus ingénieux et plus fin que le concurrent; l'un est brutal +et donne dans le gros rire; l'autre vous communique une gaieté de +meilleur goût et d'une saveur plus relevée. Ainsi, le Gymnase et le +Palais-Royal s'entendent pour satisfaire tous les appétits. Les délicats +goûteront de Bouffé les amateurs de grosses épices tâteront de Lemesnil, +le Jacquart du Palais-Royal. Ceux-là applaudiront M. Fournier, ceux-ci +MM. Varnet et Deslandes. + +[Illustration: (Théâtre du Gymnase.--Le Métier à la Jacquart.--Bouffé et +Klein.)] + +Un honnête aéronaute monte dans son ballon: le voilà dans l'espace, +entreprenant un voyage en l'air. Notre homme se croit seul, en compagnie +avec les nuages, bien entendu, et la voûte azurée. Qui s'aviserait, en +effet, de l'escorter dans une pareille promenade? Nous ne voyageons pas +sur la grande route; nous ne flânons pas sur les boulevards ni aux +Champs-Élysées: ici la pérégrination n'est pas facile: on ne marche pas +dans l'air comme sur l'asphalte, la canne à la main et de plain-pied. + +Et cependant un homme a suivi l'aéronaute ci et s'est blotti au fond de +sa nacelle. Où ne se fourrerait-on pas pour fuir un créancier? Tel +débiteur se cache sous terre; celui-ci a pris le: chemin des étoiles. +Tout à coup, il sort de sa tanière et se montre aux yeux du Margat +épouvanté. Ce ne serait rien encore, et à la rigueur le ballon porterait +nos deux hommes; mais tous deux se reconnaissent; ce sont deux rivaux, +deux voisins acharnés qui se disputaient sur terre les mêmes beaux yeux +et la même dot. Se trouvant face à face, l'aéronaute et son rival se +livrent à des attaques furieuses; d'abord ils se lancent des mitrailles +de quolibets, et se bombardent avec des calembours. De la parole on en +vient à l'action; nos gens se prennent au collet et se montrent le +poing; mais ils comptaient sans leur hôte, c'est-à-dire sans leur +ballon: le ballon chavire dans le désordre de la bataille. Gare +là-dessous! les combattants vont choir. Heureusement le danger les rend +sages; ils concluent un armistice, rétablissent l'équilibre et échappent +au danger par un effort commun. Après quoi, ils s'embrassent, et l'un +sacrifie son amour à l'amour de l'autre. Ce vaudeville est plus +philosophe qu'il n'en a l'air. Mais quelle philosophie! une philosophie +en style de tréteaux. M. Duvert en est le Socrate et M. Lauzanne le +Platon. + +Vous avez du bon tabac dans votre tabatière, ô théâtre des Variétés! +cela est possible, et votre affiche l'annonce; mais quelques bonnes +pièces dans votre salle vaudraient mieux encore et ne feraient pas mal. +Votre bon tabac lui-même n'a pas grand goût, et ne saurait être reçu +pour du pur Virginie. La scène se passe dans un bureau de tabac; et +c'est là toute la malice: un certain marquis y vient roder pour les +beaux yeux de la dame de céans. Celle-ci a du penchant pour les marquis +et les priserait volontiers; mais le mari est jaloux et surveille; il a +du bon tabac dans sa tabatière, et entend que personne n'y touche. +J'aurais grand'peur pour le mari, malgré ses airs d'Othello en carotte, +si quelqu'un, ou plutôt quelqu'une, ne venait à son aide, préservant +d'une éclipse menaçante son astre conjugal peu à peu pâlissant. M. le +marquis a laissé derrière lui une jeune femme abandonnée; cette Ariane +prend les vêtements d'un aimable cavalier, et fait concurrence dans le +coeur de la tabatière, aux séductions du marquis. Elle le dépiste ainsi, +et le met en déroute, se déclarant après la victoire, et jouissant de la +défaite de son infidèle, qui s'humilie, se repent et tombe à ses pieds. +C'est tout au plus si le public a dit à ce vaudeville de MM. Desnoyers +et Danvin: «Dieu vous bénisse!» + +MM. Alboise et Paul Foucher font couler des ruisseaux de larmes au +théâtre de la Gaieté; _Marguerite Fortier_ en est cause; et comment ne +pas s'attendrir aux infortunes de Marguerite et ne pas accompagner de +sanglots son innocence persécutée; Marguerite est la victime d'un +abominable pendard; ce pendard vole, et c'est Marguerite Fortier qu'il +accuse, et l'innocente porte la flétrissure de cette calomnie; pendant +dix ans, on la pourchasse, on l'emprisonne; elle est maudite à droite, à +gauche, de tous les côtés. Enfin! enfin! le jour de la récompense +arrive: le bandit est récompensé par le gendarme et le procureur du roi, +et Marguerite par l'estime de tous les honnêtes gens; on peut dire que +cette estime-là, elle ne l'a pas non plus volée! + +Une comédie de M. Lesguillon a essuyé, au second Théâtre-Français, les +bourrasques du parterre; quelques jolis vers n'ont pu la soutenir dans +ce naufrage. _Requiescat!_ + +THÉÂTRE DE L'OPÉRA-COMIQUE. + +_On ne s'avise jamais de tout_, opéra-comique en un acte. + +Cette pièce est de Sedaine, en date de 1775, ou à peu près.--Voilà qui +est bien vieux!--D'accord; mais le _Misanthrope_ est bien plus vieux +encore, et les pièces de théâtre ne sont pas sans doute du nombre de ces +choses que la nature a condamnées à enlaidir en vieillissant. + +_On ne s'avise jamais de tout!_ Voilà, pour un opéra-comique, un titre +qui promet. Calculez, si vous l'osez, tous les stratagèmes amoureux, +toutes les ruses de guerre, toutes les perfidies féminines, toutes les +déceptions, toutes les mystifications que peut renfermer un magasin qui +s'annonce par une pareille enseigne. Beaumarchais a intitulé sa comédie: +_Le Barbier de Séville, ou la Précaution inutile_. Pourquoi ne l'a-t-il +pas plutôt intitulée: _Le Barbier de Séville, ou l'on ne s'avise jamais +de tout_? Vraiment, il n'eût pas demandé mieux: mais Sedaine avait pris +les devants, et Beaumarchais, en homme habile qu'il était, a compris que +c'était bien assez de voler à son prédécesseur ses personnages, et qu'il +fallait au moins respecter son titre, qui eut mis le plagiat trop à +découvert. + +En effet, il y a, dans le petit opéra de Sedaine, quatre personnages: + +1° Un vieux médecin, tuteur d'une jeune fille dont il est amoureux, +qu'il veut épousera tout prix, et qu'il tient hermétiquement enfermée, +afin de lui arracher par force et par surprise un consentement qu'elle +lui refuserait infailliblement si elle connaissait mieux le monde, et si +elle se connaissait mieux elle-même. + +2° Cette jeune fille, qui en sait plus long que le docteur ne le pense, +à qui la captivité enseigne la dissimulation, à qui l'oppression donne +de la volonté et du courage, et qui choisit, ouvertement et sans façon + + Le jeune amant sans barbe à la barbe du vieux. + +3º Une vieille duègne, que le docteur place auprès de Lise, pour la +surveiller pendant qu'il visite ses malades. + +4º Un jeune seigneur, épris de Lise, qui lui fait la cour en +perspective, puis se déguise pour arriver jusqu'à elle, et finit par +l'enlever au docteur, malgré _ses précautions inutiles_, ses verrous, +ses grilles et sa duègne. + +Ne voilà-t-il pas, trait pour trait, les originaux de Bartholo, de +Marceline, de Rosine et d'Almaviva? + +Avec ces éléments et le talent dramatique dont la nature l'avait si +richement pourvu, comment Sedaine n'aurait-il pas fait une comédie +plaisamment intriguée, vive, spirituelle et réjouissante? Il n'y a pas +manqué, vous pouvez le croire, et les habitués de l'Opéra-Comique ont +accueilli comme une bonne fortune cette résurrection de l'esprit sans +apprêt et de la franche gaieté d'autrefois. + +«La musique, a dit M. Mocker, chargé de jeter au public le nom des +auteurs, la musique est de M. Lefèvre.» Lefèvre! Aviez-vous jamais vu +figurer ce nom sur la liste des compositeurs du dix-huitième +siècle?--Non.--Et parmi ceux du temps présent?--Pas davantage.--Si nos +souvenirs sont exacts, le musicien collaborateur de Sedaine fut +Monsigny, qui, alors, livra son nom au public, et qui, sans doute, n'est +pas sorti du tombeau tout exprès pour se déguiser sous un nom d'emprunt. +D'ailleurs la musique que nous avons entendue à l'Opéra-Comique n'est +pas celle de Monsigny. Qu'est-ce donc que Lefèvre, dont personne n'a +jamais entendu parler, dont le nom n'a jamais figuré en tête du moindre +morceau de salon, de la plus modeste romance? A la rigueur, nous +pourrions facilement vous le dire. Vous le connaissez, lecteurs de +_l'Illustration_..... Mais, chut! je le vois d'ici qui me reproche mon +indiscrétion, et me fait entendre, que la vengeance des vivante est pour +le moins aussi redoutable que celle des trépassés. Je me tais donc, et +me borne à vous dire que sa musique est comme sa prose, correcte, pure, +facile, naturelle, élégante sans recherche, et spirituelle sans effort +et sans affectation. J'y dois signaler de plus un mérite fort rare, et +qui fait de la nouvelle partition une oeuvre à part. L'auteur, +travaillant sur un _poème_ qui date de plus de soixante années, a senti +que, pour qu'il y eût unité dans l'ouvrage, il devrait se mettre, par la +pensée, à côté de son collaborateur. Ainsi a-t-il fait. Vous trouverez +dans _On ne s'avise jamais de tout_ le caractère et les charmantes +qualités de la musique d'autrefois, la mélodie simple et naïvement +expressive, l'harmonie claire et naturelle, les formes, les modulations, +les cadences finales usitées au temps de Sedaine. Vous croirez entendre +quelque oeuvre inédite de Grétry ou de Dalayrac,--en supposant toutefois +que Grétry ait appris le contre-point, et que Dalayrac ait eu, cette +fois, à sa disposition toutes les conquêtes matérielles de +l'instrumentation moderne. + +--Parmi les innombrables concerts de cette année, celui qui a été donné +dernièrement par madame Biarez mérite d'être particulièrement remarqué. +Madame Biarez était naguère une femme du monde, et n'avait, à cultiver +la musique, aucun autre intérêt que le plaisir qu'elle y trouvait. Mais +la musique est une amie qui n'oublie jamais ce qu'on a fait pour elle, +et qui vous reste fidèle après que tous les autres amis vous ont +abandonné. Frappée par les événements, madame Biarez a demandé à la +musique ce que la fortune venait de lui enlever, et maintenant elle est +artiste, et artiste distinguée, comme son concert l'a prouvé. Sa voix +est pure, accentuée et vibre délicieusement. Son exécution est +très-correcte et son chant très-expressif. C'est principalement sous ce +dernier point de vue que madame Biarez mérite de fixer l'attention. +Plusieurs artistes éminents, MM. Haumann, M. Herz, madame Dorus, etc., +s'étaient joints à elle, et une nouvelle inédite de M. Frédéric Soulié, +fort bien lue par M. Roger, est venue ajouter un vif intérêt littéraire +à toutes les jouissances musicales de cette soirée. De nombreux et +fréquents applaudissements ont prouvé à madame Biarez la satisfaction de +l'assemblée qui s'était réunie pour l'entendre. + + + +Correspondance + +A MONSIEUR LE RÉDACTEUR DU JOURNAL L'ILLUSTRATION. + +Monsieur le Rédacteur, + +Permettez-moi de vous soumettre quelques réflexions que m'a fait naître +la nouvelle de l'incendie du théâtre du Havre. + +Les incendies de théâtres n'ont presque jamais lieu le soir, pendant la +durée de la représentation. Neuf fois sur dix, comme à l'Odéon, comme au +Vaudeville, comme au Havre, c'est pendant la nuit, après les rondes et +les patrouilles, lorsque chacun se livre au repos, qu'une étincelle +échappée d'un flambeau, que la pipe mal éteinte d'un ouvrier, que la +chaufferette oubliée d'une duègne, allume un incendie qui se montre, +s'élève, grandit et dévore en un instant la salle tout entière. + +Contre de tels sinistres, les précautions prise? par l'administration +supérieure sont à peu près sans portée. + +Isoler les théâtres est une mesure sage sans doute, non pour eux-mêmes, +mais pour le reste de la ville. L'Odéon, le théâtre du Havre étaient +isolés et n'en nul pas moins brûlé. Il serait, cependant à désirer que +cette mesure devint générale. Combien de théâtres, à Paris même, sont +encore accolés à d'autres constructions! Les laissera-t-on ainsi +jusqu'au jour où l'incendie viendra les faire disparaître avec tout le +quartier qui les environne? + +Le réservoir est fort utile pendant la durée des représentations; mais +lorsque le feu éclate, lorsque la flamme court le long des cordages et +envahit toute la salle, le réservoir est inabordable et ne sert plus à +rien. + +On en peut dire autant du rideau en tôle. Il peut sans doute éviter aux +spectateurs une panique dangereuse; mais c'est seulement au commencement +de l'incendie qu'on peut en tirer quelque utilité. + +Pourquoi n'emploierait-on pas dans la construction, dans la +distribution, dans la décoration des salles de spectacle, des matériaux +tout à fait réfractaires à l'action du feu? Cela, certes, n'a rien +d'impossible. Pour les murailles, c'est tout simple; pour les planchers, +n'en avons-nous pas vu faire d'élégants et de légers avec du fer et des +poteries? Pour la toiture, nous avons sous les yeux de belles et solides +couvertures en fer et en zinc. Rien n'empêche, par conséquent, avec de +la pierre, du marbre, des poteries, du fer, du cuivre, du zinc, de faire +la cage et les principales distributions d'un théâtre. Ces matériaux se +prêteront à toutes les exigences de l'architecture, et ne seront jamais +dévorés par l'incendie. + +Quant aux loges, aux galeries, il ne sera pas bien difficile de les +construire élégantes et commodes, sans y faire entrer un seul morceau de +bois. + +Sur le théâtre, la réforme sera plus difficile assurément; mais qu'on +fasse un appel aux hommes spéciaux, et l'on verra toutes les difficultés +s'évanouir. Un plancher en fer paraît fort convenable pour jouer le +drame et la tragédie, pour chanter l'opéra ou le vaudeville. Peut-être +les danseurs s'en plaindront-ils. Rien n'empêchera de leur donner un +parquet mobile en bois pour le temps du ballet. + +Dans les décorations, les changements sont indispensables. Bien +n'empêche d'abord de remplacer les cordes ordinaires par des cordes +métalliques en fer ou en laiton, de substituer des poulies en cuivre aux +poulies en bois, d'employer les métaux exclusivement pour la +construction et le jeu des machines; les châssis qui portent les +décorations et les chariots mobiles sur lesquels on les fait mouvoir, +peuvent être en fer. Ils en seront moins lourds, certainement. + +Viennent maintenant la toile d'avant-scène et les toiles de fond, les +nuages et les autres décorations peintes sur toile; tout cela +pourrait-il être remplacé par de la toile métallique? Cela ne me paraît +pas douteux. On fait en ce moment des étoffes métalliques si serrées et +si fines, qu'elles peuvent, comme celles de chanvre et de lin, prendre +l'apprêt de la peinture et servir à tous les usages du décor. Peut-être +coûteront-elles plus cher: mais une légère augmentation dans le prix +d'achat sera et au-delà compensé, par la durée, et surtout par +l'_incombustibilité._ + +Si maintenant la chimie trouvait moyen, et c'est possible de préparer +des couleurs sans huile et de faire des vernis inattaquables par le feu, +il ne resterait plus dans un théâtre aucune chance d'incendie. + +Alors les entreprises théâtrales ne seraient plus exposées à ces +désastres qui les ruinent; alors, certaines de vivre, elles +s'occuperaient d'améliorer, d'embellir leurs salles de spectacle, et +nous verrions disparaître, non plus par les flammes, mais sous le +marteau des démolisseurs, ces théâtres où l'on n'a tenu compte ni du +confort ni du bon goût. + +Veuillez agréer, monsieur le rédacteur.... + +UN DE VOS ABONNÉS. + + + +Industrie. + +LE SUCRE DE CANNE ET LE SUCRE DE BETTERAVE. + +(Suite--Voir p. 90 et 159.) + +II. + +Production et fabrication du sucre de betterave. + +La betterave est une plante du genre _bette_, pivotante, charnue, +très-épaisse, et d'une grosseur qui va quelquefois à 25 et à 30 cent, de +diamètre dans sa partie supérieure. Il en existe plusieurs variétés. +Celle qui est reconnue aujourd'hui comme la plus favorable à la +production du sucre est la betterave blanche de Silésie _(beta alba)_: +vient ensuite la betterave jaune _(beta major)_, venue de la graine de +Castelnaudary; puis la rouge _(beta romana)_, et enfin la betterave +ordinaire ou des champs, connue aussi sous le nom de disette _(beta +sylvestris)_. + +Margraaf est le premier chimiste qui ait découvert dans la betterave +l'existence du principe saccharin, et Achard le premier industriel qui +établit, en Silésie, une usine pour la conversion de la betterave en +sucre. En 1809 seulement, ces procédés de fabrication furent introduits +en France. Cette industrie fut d'abord accueillie avec faveur par +Napoléon qui entrevoyait dans sa prospérité future un des soutiens les +plus énergiques de son système continental; elle fit cependant peu de +progrès. Il en fut de même pendant les premières années de la +Restauration. Mais peu à peu les droits élevés qui furent mis sur le +sucre colonial, les primes accordées à l'exportation des sucres +raffinés, donnèrent à l'industrie betteravière une impulsion d'autant +plus grande, qu'elle jouissait en partie des primes qui, dans le +principe, avaient été données à l'exportation du sucre colonial. Ce +système protecteur et l'exemption complète de tous droits lui ont fourni +les moyens de se développer, en même temps que les découvertes et les +applications de la chimie lui apportaient chaque: jour le secours de +leurs nouveaux perfectionnements. Cependant, malgré ces incroyables +immunités, la production marcha d'un pas moins rapide qu'on n'aurait pu +le croire; car, en 1828, il n'y avait en France que 58 fabriques en +activité, produisant 2.685.000 kil. + +Ce ne fut que quelques années plus tard que l'industrie betteravière, +favorisée par l'exemption des droits et la continuation des causes que +nous venons d'énumérer, prit une extension plus considérable. Aussi, +quand on réduisit le taux des primes à l'exportation, et qu'on imposa le +sucre indigène au droit d'abord de 15 fr. (16 fr. 50 c. avec le décime), +et plus tard à celui de 25 fr. (27 fr. 50 c. par 100 kilog.), il fut +assez fort pour lutter contre la concurrence coloniale. Il est vrai +qu'il lui restait encore une protection de 22 fr. Quelques usines +seulement furent obligées de fermer, mais ce furent surtout celles qui +étaient placées dans de mauvaises conditions de travail ou de débouché. + +Le chiffre de 1828 ne tarda pas à être dépassé. En 1830, la production +était déjà évaluée à 6 millions de kilog.; en 1834, à 26 millions; en +1835, à 38 millions; en 1836, à 49 millions. An commencement de 1837, le +nombre des fabriques en activité ou en construction s'élevait à 343, et +si toutes avaient fonctionné, elles pouvaient produire 55 millions de +kilog. Aujourd'hui, le nombre des fabriques en activité est de 382; 25 +autres, sans avoir travaillé, avaient des sucres en charge au +commencement de cette campagne, qui, comme on le sait, commence au 1er +octobre de chaque année. Les quantités inventoriées, à la charge de +l'année précédente, se montaient à 4.338.664 kilog. Pendant le mois de +janvier 1842, il a été fabriqué 5.505.533 kilog.; et pendant les trois +mois antérieurs, 16.960,348 kilog.: total, 22.465.881 kilog., dont, +pendant cet espace de temps, y compris le mois de janvier, 17.982.926 +kilog. ont été livrés à la consommation. A la fin du mois, il restait en +fabrique 8.821.619 kilog. Les 382 fabriques en activité au mois de +janvier 1843 se répartissent ainsi qu'il suit entre les différents +départements qui les possèdent. + + Aisne 36 + Nord 158 + Oise 8 + Pas-de-Calais 79 + Puy-de-Dôme 10 + Seine-et-Oise 4 + Somme 37 + 34 autres départements 50 + + Total égale 382 + +Les droits sur le sucre indigène ont, en 1842, rapporté au Trésor une +somme de 8.981.000 fr. + +La betterave est cultivée dans quarante et un départements; mais le +rendement est loin d'être égal pour chacun d'eux. Il ne sera peut-être +pas sans intérêt de compléter le tableau suivant, que nous empruntons à +la _Statistique agricole de la France_, publié en 1840. + + Nombre d'hect. Quintaux métr. Produit + Départements cultivés recueillis. par hectare. + + Nord 12.244 5,145.599 420 + Pas-de-Calais 7.167 2.316.123 525 + Haut-Rhin. 1.757 602.454 347 + Ardennes. 141 42.066 297 + Puy-de-Dôme. 1,020 286.927 279 + Aisne. 3.359 859.742 256 + Bas-Rhin. 1,945 446.186 230 + Ain. 216 27.917 129 + +Dans les départements où la terre est propice à la culture de la +betterave, un hectare rend 3.675 kilog. de sucre, et il pourrait en +donner jusqu'à 4,400. Dans le principe, on n'obtenait que 50 kilog. de +jus pour 100 kilog. de betteraves; mais on est parvenu à retirer 70 à 75 +kilog. de premier jet. + +Après ces données générales, nous pouvons exposer les procédés de la +fabrication actuelle du sucre de betterave. On met en pratique deux +modes principaux, celui dit _de la cristallisation lente_, et celui _de +la cristallisation prompte_ ou de _la cuite_. Ces deux modes ont été +décrits avec une telle précision par M. Crespel-Delisse, fabricant à +Arras, lorsqu'il fut entendu dans la dernière enquête sur les sucres, +que nous croyons devoir copier ici textuellement sa déposition. Nous le +faisons d'autant plus volontiers, que nous essaierions peut-être en vain +d'atteindre à l'exactitude de ses descriptions: + +«Les manipulations, d'après le mode de la cristallisation lente, dit M. +Crespel-Delisse, sont: le lavage, le râpage, le pressurage, +l'acidification, l'évaporation, la clarification, la cristallisation et +l'extraction de la mélasse du sucre brut. + +«La betterave, amenée des champs ou des magasins, est jetée dans de +grands baquets pleins d'eau; des hommes la frottent avec un balai, et la +retournent de tous les sens jusqu'à ce qu'elle soit propre. On la retire +de ces baquets avec une pelle de bois, percée de divers trous, de trois +centimètres de diamètre. + +«Du lavoir, la betterave est portée à la râpe, cylindre armé de lames de +scie, et auquel on imprime un mouvement de rotation d'environ mille +tours par minute. Cette impulsion est donnée par des boeufs attelés à un +manège; la betterave est poussée contre la râpe, dans les coulisseaux, +par un sabot de bois; la pulpe est reçue dans un baquet de cuivre. + +«La pulpe est prise de ce baquet avec une pelle de bois, et mise dans +une toile de chanvre un peu claire. Ce sac est étendu sur une claie en +osier, le bout du sac reployé de manière à ce que la pulpe ne s'en +échappe pas. On forme une pile de trente sacs, ainsi rangés, que l'on +soumet à l'action d'une presse hydraulique, en dix minutes, la pression +s'effectue, et on tire de cette pile un hectolitre et demi de jus, +environ 75 à 80 p. 100 du poids de la pulpe. + +«Le jus est reçu de la presse dans des baquets doublés de plomb de la +contenance de 8 hectolitres. Aussitôt qu'un bac est plein, on y ajoute, +en le mêlant au liquide, deux hectogrammes d'acide sulfuriquc concentré +à 66 degrés, et préalablement étendu d'eau dans la proportion d'une +partie d'acide sur quatre parties d'eau. Ainsi préparé, le jus peut se +conserver vingt-quatre heures. + +«Le jus est monté par une pompe dans la chaudière à défécation; sa +contenance est aussi de 8 hectolitres. On met le feu au fourneau; on +ajoute aussitôt au liquide 2 hectogrammes 50 grammes de chaux vive, que +l'on a fait éteindre pour former un lait de chaux. Un brosse le tout +fortement, et lorsque la masse est arrivée à 50 degrés de chaleur du +thermomètre de Réaumur, on y ajoute de nouveau 8 litres de sang de boeuf +ou de lait écrémé; ou pousse activement le feu et on le retire au +premier bouillon, c'est-à-dire quand le jus a atteint 80 degrés Réaumur. +Ou enlève toutes les parties hétérogènes qui se sont accumulées à la +surface du liquide. Ces eaux sont portées dans des sacs soumis aussi à +la pression d'une presse à vis, pour retirer toutes les parties +liquides, lesquelles sont reportées dans la chaudière d'évaporation. + +«Le liquide, laissé en repos après la défécation, est tiré au clair par +un robinet placé au fond de la chaudière. Les huit hectolitres sont +partagés en deux chaudières d'évaporation. On ajoute au jus déféqué 5 +hectogrammes de noir animal par hectolitre. On accélère, autant que +possible, l'évaporation par une ébullition forte et prolongée, jusqu'à +ce que le sirop marque 52 degrés à l'aréomètre de Beaume. + +«Le sirop est reçu des chaudières d'évaporation dans un chaudière de +clarification, et lorsque plusieurs opérations réunies forment une +quantité de six hectolitres, on procède à la clarification en mettant au +sirop six à huit litres de sang de boeuf, ou de lait écrémé. On fait +faire un ou deux bouillons à la masse, on tire le feu du fourneau et +l'on fait rouler le sirop avec toutes ses impuretés dans des cuves de la +contenance de six hectolitres si on se dispose à faire cristalliser +lentement, et dans des filtres, si on veut procéder à la cristallisation +prompte. + +«Après trois ou quatre jours de repos du sirop dans les cuves, on le +décante au moyen de robinets placés à différentes distances du fond de +ces cuves. Il est porté bien clair à l'étuve, et mis dans des +cristallisoirs placés sur des rayons. Ou entretient dans l'étuve une +chaleur de 50 degrés Réaumur, et par une évaporation lente que subit le +sirop, il se forme à la surface une couche cristalline que l'on a soin +de briser tous les deux jours. + +Après six semaines de séjour à l'étuve, le sirop est complètement +cristallisé. On reprend alors les cristallisoirs, on le« pose debout +au-dessus d'un réservoir, pour laisser écouler le plus gros de la +mélasse. Le sucre reste en masse dans le cristallisoir; on l'en détache +pour le porter à deux cylindres à travers lesquels on le fait passer à +plusieurs reprises Cette manipulation a pour but de séparer les cristaux +qui adhèrent fortement les uns aux autres, et par le frottement de ces +cristaux les uns contre les autres, la mélasse qui se trouve desséchée à +leur surface s'en détache. Au sortir des cylindres, le sucre a +l'apparence d'une pâte; on le met dans des sacs entre deux claies +d'osier, ainsi qu'on le fait pour la pulpe, et on en soumet une pile +d'environ quarante sacs à l'action d'une presse hydraulique. Après +vingt-quatre heures, on le retire pour être livré à la consommation.» + +[Illustration: Intérieur de la Sucrerie de betteraves de Château-Frayé, +près Villeneuve-Saint-Georges.--Première vue.] + +Il nous reste actuellement à indiquer le second mode de fabrication; +celui _par la cristallisation prompte_, on _la cuite_. + +Nous emprunterons encore à M. Crespel-Delisse la description des +procédés qui s'emploient le plus généralement: + +«Jusqu'à la sixième manipulation, dit-il, la fabrication est conduite de +la même manière que dans la cristallisation lente. Arrivé là, le sirop +est coulé dans des filtres, et le sirop clair est reçu dans un réservoir +commun. + +«Le sirop est monté par une pompe dans une chaudière de cuivre où on +lui fait subir une nouvelle évaporation par une forte ébullition, et +lorsqu'il a atteint une densité de 30 à 40 degrés de l'aréomètre de +Beaume, ou un degré de chaleur élevé dans la masse du sirop à 90 degrés +Réaumur, il est porté dans un rafraîchissoir. Après la réunion de +plusieurs cuites successives, ce sirop cuit est porté dans des formes +bâtardes: il s'y cristallise en vingt-quatre heures, et après ce temps +on débouche les formes pour opérer l'écoulement de la mélasse Les formes +sont placées sur des pots destinés à recevoir la mélasse Il faut trois +semaines à un mois pour obtenir la purgation des sucres lorsque, les +matières sont de bonne qualité, et jusqu'à deux ou trois mois +lorsqu'elles sont mauvaises. + +«Comme il est impossible d'obtenir du premier jet tout le sucre que +contient le sirop soumis à la cuite, on reprend les mélasses provenant +de la purgation que l'on reporte à la chaudière de cuite. On obtient +encore de ces mélasses un sucre de seconde qualité.» + +Le procédé _à la cuite_ a peu à peu prévalu, chez la plupart des +fabricants, sur celui de la cristallisation lente. Les motifs qui ont +déterminé leur préférence à cet égard sont consignés dans une déposition +de Ml. Blanquet (de Famars). Nous allons la transcrire ici, autant pour +compléter l'histoire de tous les procédés en usage, que pour faciliter +l'intelligence de ce qui va suivre. + +[Illustration: Intérieur de la Sucrerie de betteraves de +Château-Frayé.--Deuxième vue.] + +«Nous avons été effrayé, dit M. Blanquet, de la lenteur des opérations +pour obtenir le sucre par la cristallisation lente, et de l'apparence +toute particulière qu'il présentait après le pressurage, qui est une des +conditions nécessaires de ce mode de production. La quantité de +cristallisation nécessaire pour une grande fabrication, l'immensité des +locaux destinés à les recevoir, le séjour prolongé des cristallisoirs +dans les étuves, le broiement et le pressurage des cristaux péniblement +obtenus; toutes ces considérations nous ont fait rechercher avec soin +quelles étaient les causes qui, dans l'esprit du plus grand nombre des +fabricants, déterminaient une préférence prononcée pour ce genre de +fabrication, à l'exclusion du mode bien moins embarrassant de la +cristallisation par la cuite. Nous avons trouvé que la cuite, plus +simple dans l'exécution, était effectivement une opération plus +délicate, et qui exigeait une précision de laquelle on ne pouvait +s'écarter sans dommages notables; mais, en revanche, nous avons trouvé +aussi que le sucre obtenu de cette manière avait précisément le même +aspect que les moscouades ordinaires livrées au commerce par les +colonies. Nous avons alors examiné quelle influence pouvait exercer sur +les moscouades obtenues par ces deux procédés les agents de défécation +indiqués pour chacun d'eux. Nous avons vu que l'acide sulphurique était +employé simultanément avec la chaux dans la défécation, pour la +cristallisation lente, et que la chaux seulement était employée pour la +défécation dans le procédé à la cuite. Des considérations théoriques se +présentant en grand nombre pour proscrire l'acide de la fabrication du +sucre, nous avons suivi le sucre obtenu par la cristallisation lente +dans les ateliers du raffineur, et là, nous avons vu que ce sucre +travaillé pour faire les candis produisait au lieu de mailles à faces +bien prononcées, des candis appelés vulgairement _candis tremblés_, +c'est-à-dire dont la cristallisation est confuse au lieu d'être nette et +détachée. Nous avons entendu des raffineurs se plaindre de ce que les +suites, après la première cristallisation, étaient moins riches qu'elles +n'auraient dû être, par rapport à la nuance de la moscouade. Ces +observations étant parfaitement d'accord avec les données théoriques, +nous avons opté pour l'autre mode de travail, en nous proposant le +problème d'atténuer autant qu'il serait en nous les difficultés de la +cuite.» + +Ces explications, empruntées aux hommes les plus compétents, permettront +facilement au lecteur de suivre sur le dessin que nous lui donnons, et +qui représente la sucrerie de Château-Frayé, près +Villeneuve-Saint-Georges, appartenant à Chaper, les diverses phases de +la fabrication. + +Les betteraves, arrivées dans la cour de l'établissement, sont d'abord +posées sur un petit pont à bascule, puis arrivent dans un magasin +contigu au lavoir, dans lequel elles sont déposées par des enfants dont +le salaire est de 1 fr. par jour. Du lavoir elles passent dans le +coupe-racine ou râpe, mu par un manège qui les découpe en tranches de 2 +millimètres d'épaisseur, et les rejette dans un bac à sec dans lequel se +trouve un filet ou poche de toile; cette poche reçoit les tranches et, +au moyen d'un treuil, les transporte d'abord dans les chaudières +d'amortissement chauffées au moyen de la vapeur, et successivement dans +six chaudières de macération à froid, où elles déposent leur jus jusqu'à +ce qu'il ait atteint une densité de 7 degrés. + +Ainsi qu'on a déjà pu le remarquer, le procédé employé à Château-Frayé +est celui de la cuite; on n'y emploie point l'acide sulfurique, et le +pressurage, au lieu de s'opérer par la presse hydraulique, s'obtient par +les chaudières d'amortissement et de macération. Quand le jus est arrivé +à la densité voulue, on opère alors la défécation au moyen d'un lait de +chaux; vient ensuite l'évaporation. Le jus ainsi déféqué est, au moyen +d'un système de tuyaux de refoulement, renvoyé dans des bacs de dépôt +d'où il passe dans des filtres sur le noir animal en grain qui a la +propriété d'absorber la chaux et de colorer et dégraisser le jus. Cette +opération a pour but de clarifier le jus. Il ne reste plus alors qu'à +opérer la cristallisation. On y parvient de la manière suivante: après +le premier passage sur le noir, on évapore à 22 degrés, on passe une +seconde fois sur le noir pour que la clarification soit entière, et l'on +cuit dans une chaudière dans le vide, toujours au moyen de la vapeur. + +Après la cuisson, le sirop est reçu dans des rafraîchissoirs, et, sans +qu'il soit besoin de le décanter, on le coule dans des formes, où sa +cristallisation s'opère en douze heures. La mélasse s'écoule entre les +cristaux, et laisse au fond des formes un résidu qui, vendu aux +distillateurs, produit des esprits qui, livrés au commerce, sont mêlés +aux 3/6 obtenus du raisin. + +L'arrachement et la conservation des betteraves constituent une des +principales difficultés de l'industrie sucrière. Les plus grandes +précautions sont nécessaires pour empêcher la gelée ou la pourriture de +les attaquer, et dans certaines usines, c'est la seule cause qui ait mit +des bornes à l'extension de la fabrication. Frappé de ces inconvénients, +Schützenbach entreprit de dessécher la betterave et de la réduire en une +poudre qui pouvait alors non-seulement se conserver indéfiniment, mais +encore se transporter au loin sans beaucoup de frais et sans altération. +Le succès semblait, dès le principe, devoir couronner cette tentative; +100 de betteraves qui, par les anciens procédés, ne donnaient, après la +macération, que 5 à 6 au plus, ont rendu 7, 8 et quelquefois davantage +par le procédé Schützenbach. Toutefois, si nous en croyons certaines +personnes bien informées, ce succès n'aurait pas été de longue durée. Un +cessionnaire des procédés de Schützenbach en France, le propriétaire de +la Sucrerie de Vigneux aurait été obligé de renoncer, après des pertes +considérables, à ce procédé de fabrication, et lui-même, malgré tous les +soins qu'il devait naturellement apporter dans l'emploi de la méthode +dont il était l'inventeur, aurait été forcé de fermer l'usine qu'il +avait élevée à Carlsruhe. Quoi qu'il en soit, l'attention des savants +s'est alors éveillée; l'on a cherché si le procédé Schützenbach, +applicable à la dessiccation de la canne, ne produirait pas des effets +analogues. Les résultats, quoique conformes dans la théorie à ceux qu'on +avait reconnus dans le traitement de la betterave, ont laissé beaucoup à +désirer dans la pratique. + +On conçoit cependant de quelle importance serait pour nos Antilles et +nos possessions à sucre l'application de ce procédé nouveau, si les +colons toutefois, sortis de la position précaire où les place depuis si +longtemps notre régime économique, étaient en état de faire des avances +nécessaires à toute industrie qui veut se transformer avec avantage; car +de deux choses l'une, ou les colons cultiveraient en cannes une moins +grande quantité de terres et laisseraient le reste à d'autre cultures +productives, ou bien ils en cultiveraient autant, et exporteraient ainsi +une plus grande quantité qu'ils ne le font aujourd'hui. Comme ces sucres +seraient obtenus avec moins de perte, par conséquent à plus bas prix, +leur placement serait plus facile sur le marché de la métropole, à +laquelle les colonies demanderaient dès lors une plus grande masse de +produits industriels. Ces sucres, obtenus ainsi à moins de frais, tout +en laissant aux colons un bénéfice raisonnable, permettraient d'abaisser +dans une proportion plus considérable la surtaxe qui grève les sucres +étrangers, et, en facilitant ainsi nos échanges avec des pays éloignés, +donneraient de nouveaux débouchés à notre commerce extérieur, de +nouveaux éléments de prospérité à notre navigation lointaine. + +Nous ne parlons pas ici des autres végétaux qui contiennent en eux le +principe saccharin, et pourraient facilement être convertis en sucre, +tels que le mais, le melon, la citrouille. Nous ne dirons rien non plus +du sucre de l'érable. Nous nous contenterons de quelques mots sur le +sucre de pomme de terre ou de fécule, dont la fabrication a pris depuis +quelque temps une extension considérable pour que l'on évalue de 4 à 5 +millions de kilog. la production de 1842. Ce sucre s'obtient par le +traitement des fécules, mais on n'a pu lui donner la consistance des +autres sucres. Aussi est-il principalement livré aux distillateurs et +aux épiciers, qui l'emploient surtout dans la confection des liqueurs, +des confitures et autres préparations analogues. La pharmacie peut aussi +s'en servir pour édulcorer des breuvages ou des potions. Quant aux +sucres produits par les végétaux que nous avons cités plus haut, ils +n'ont donné que des essais, mais il n'en est pas entré dans la +consommation. Nous ne devons donc point nous en occuper. + + + +Caricatures par Bertal. + +M. Bertal est un jeune artiste qui doit, je ne dirai pas donner de +brillantes espérances, mais inspirer des craintes sérieuses à ses +concitoyens; car il se moque impitoyablement de tout: hommes, bêtes ou +choses. Ce redoutable critique n'écrit pas, il dessine; mais ses +victimes n'en sont que plus à plaindre; il les fait si ressemblantes, +qu'il leur est impossible de ne pas se reconnaître. Malheur aux +ridicules que rencontre M. Bertal! ils sont aussitôt signalés à la risée +publique.--Souvent même,--comment peut-on avoir un semblable +courage?--le cruel jeune homme,--cet âge est sans pitié,--nous fait rire +malgré nous aux dépens des individus les plus inoffensifs et les moins +comiques qui se puissent voir. + +Quelquefois, mais rarement, il se contente de nous représenter, d'après +nature, un père de famille lisant, pendant sa promenade, un délicieux +numéro de _l'Illustration_, + +[Illustration.] + +et contemplant la machine aérienne de M. Henson, qui transporte +rapidement de Paris à Saint-Cloud une cargaison de touristes; mais +bientôt le naturel reprend le dessus, et M. Bertal est sans pitié: nous +n'oserions ajouter sans remords. + +[Illustration.] + +N'a-t-il donc jamais pris plaisir à entendre Duprez chanter son bel air: +_Asile héréditaire_, qu'il nous le montre courant à perdre haleine après +son _ut_ de poitrine? + +[Illustration.] + +Si ressemblantes qu'elles paraissent, mademoiselle Rachel et +mademoiselle Georges ne sont réellement ni aussi maigres, ni aussi +grasses que ces deux caricatures: + +[Illustration.] + +Que M. Bertal se moque de certains tableaux exposés au Salon, je le lui +pardonne,--surtout lorsqu'il nous représente une vue de la Hougue (effet +de nuit), par M. Jean-Louis Petit (n° 958). + +[Illustration.] + +ou Napoléon en raccourci, par M. J.-B. Mauzaisse (n° 844), et le +portrait de madame la marquise de......., par Lehmann. + +[Illustration.] + +_Les Buses-Graves_, je les lui abandonne encore; car ces infortunés +vieillards, au lieu de se retirer dans leur burg, persistent à se faire +siffler jusqu'à la 40e représentation par un auditoire de moins en moins +géant. + +[Illustration.] + +Mais est-il juste de traiter avec la même sévérité que ces vieillards +stupides, la noble et chaste Lucrèce et la pâle Judith?--La caricature, +me répondra M. Bertal, a le droit de se moquer de tout, du laid, du beau +et du médiocre. Heureusement pour lui nous n'avons pas le temps de +discuter,--et nous reconnaissons, après tout, que notre critique a fait +des charges fort spirituelles des plus belles scènes de la remarquable +tragédie de M. Ponsard. Voyez Valére et Brute causant politique: + +[Illustration.] + +Lucrèce racontant son songe à sa nourrice, pendant + +[Illustration.] + +que celle-ci, qui possède la clef des songes, lui tire les cartes à +l'instar de mademoiselle Lenormand, et qu'une jeune esclave joue un air +varié sur un instrument fort peu éolien, + + Sextus faisant une déclaration d'amour à Lucrèce, + +[Illustration.] + +et la grande scène finale, que nos lecteurs trouveront à la 7e page de +cette livraison: + +[Illustration.] + +M. Bertal a été moins bien inspiré par Judith que par Lucrèce. +Cependant, nous avons remarqué dans son feuilleton la scène où la veuve +Manassé fait mettre à genoux Mindus. Achion et Crioch: + +[Illustration.] + +et son repas de noce avec Holopherne. + +[Illustration.] + +Terminons cet examen critique des Omnibus comme un numéro de +_l'Illustration_.--par une gravure de mode qui + +[Illustration.] + +nous donne des échantillons de nos costumes les plus élégants. + + + + +Bulletin bibliographique. + +Storia universale de CESARE CANTÙ.. Quinta edizione.--Torino. _Pomba et +Comp._ 1843. + +Histoire universelle de CESARE CANTÙ. Cinquième édition.--Turin. _Pomba +et Comp._ 1843. + +Constatons d'abord, en l'honneur de l'auteur de cet ouvrage et en +l'honneur de l'Italie trop souvent calomniée, le grand succès que la +_Storia universale_ a obtenu au delà des Alpes. Quatre éditions, dont +trois de luxe et une populaire, entièrement épuisées en moins de cinq +années, prouvent que M. César Cantù a fait un livre vraiment +remarquable, et que ses compatriotes s'intéressent encore aux travaux de +l'esprit sérieux et utiles. + +Quoique à peine âgé de trente-huit ans, M. Cesare Cantù est un des +écrivains les plus féconds de la jeune Italie; outre un nombre +considérable d'articles de journaux, il a publié plusieurs ouvrages +d'histoire ou d'imagination, qui lui ont valu une réputation méritée. Il +y a quinze ans environ, il était professeur de littérature à Sondrio, +dans la Valteline, lorsqu'il fit paraître une nouvelle en quatre chants, +intitulée _l'Algiso_, suivie bientôt (en 1829), de _l'Histoire de la +ville et des diocèses de Come_, et, deux années plus tard (1831), de la +_Révolution de la Valteline_, épisode de la réforme en Italie. La même +année, comme pour se délasser de ces travaux sérieux, il s'amusait à +rédiger un _Itinéraire_ du lac de Come et des routes du Stelvio et du +Splügen, et à composer quelques pièces de vers imprimées dans le premier +numéro de la _Streuna del Vallardi_. Peu de temps après, le retard si +incompréhensible que mettait Alessandro Manzoni à publier son _Histoire +de la Colonne infâme_, détermina le jeune auteur de _l'Histoire de Come_ +et de la _Révolution de la Valteline_ à écrire ses _Ragionamenti sulla +Storia Lombarda_, destinés à servir de Commentaires au roman des +_Promessi Sposi_. Ce petit livre, rempli de faits curieux, n'eut pas +moins de douze éditions. Son _Aperçu critique sur Victor Hugo et sur le +romantisme en France_, son beau roman intitulé _Margherita Pustella_, +ses _Hymnes sacrés_. ses _Letture Giovanili_, ses traductions du _Voyage +en Orient_ de Lamartine; _De la Décadence de l'Empire romain_ de +Sismondi; _Des Arabes en Espagne_ de Marlés, etc..., l'occupèrent +presque entièrement depuis 1832 jusqu'en 1837. + +Le 14 décembre 1837, M. Cesare Cantù annonça pour la première fois, dans +l'appendice de la _Gazette de Milan_, la publication prochaine de son +_Histoire universelle_, à laquelle il a déjà consacré cinq années de sa +vie, et dont le succès va toujours croissant. Au mois de mars suivant, +il fit paraître en effet son introduction, qui contenait, en 96 pages, +une exposition large et nette du plan de cet ouvrage. A partir du mois +d'avril 1838, M. Cesare Cantù s'engageait à livrer chaque semaine à ses +souscripteurs deux feuilles d'impression. Jusqu'à ce jour il a tenu +parole. + +Cette introduction produisit une certaine sensation en Italie. Quelques +écrivains reprochèrent, il est vrai, à M. Cesare Cantù de s'être montré +trop sévère envers les historiens qui l'avaient précédé:--mais il se +justifia sans peine de ces accusations. D'ailleurs on loua généralement +son érudition déjà connue et appréciée, son style élégant et clair, bien +que trop facile, son zèle infatigable, et surtout le but de ce nouveau +travail. En effet, ce n'était pas l'histoire des faits, c'était +l'histoire des idées et des moeurs qu'il se proposait d'écrire, +l'histoire du développement intellectuel et moral île tous les peuples +du globe; en un mot, l'histoire de la civilisation humaine. Pour juger +les progrès de l'humanité, il s'est placé au point de vue chrétien. Dans +son opinion, le christianisme relève l'histoire et la rend universelle: +en proclamant l'unité de Dieu, il proclame celle du genre humain; en +nous enseignant que nous devons invoquer _il padre nostro_, il nous +apprend que nous sommes tous frères.' Alors seulement, dit-il, peut +naître l'idée d'une fusion entre toutes les époques et entre toutes les +nations, et l'observation philosophique et religieuse des progrès +perpétuels et indéfinis de l'humanité vers la grande oeuvre de la +régénération et le règne de Dieu.» + +M. Cesare Cantù divise l'histoire universelle en dix-huit parties qu'il +appelle époques, et qui portent les titres suivants I. Jusqu'à l'an 770 +du monde.--II. De la dispersion des peuples jusqu'aux olympiades.--III. +Des Olympiades à la mort d'Alexandre.--IV. Guerres puniques.--V. +Guerres civiles depuis la cent trente-quatrième année avant Jésus Christ +jusqu'à la quatrième année après Jésus-Christ.--VI. Les Empereurs +jusqu'à Constantin.--VII. De Constantin à Augustus.--VIII. Les +Barbares.--IX. Mahomet.--X. Charlemagne.--XI. Les Croisades.--XII. Les +Communes. XIII. Chute de l'Empire.--XIV. L'Amérique.--XV. La Reforme. +XVI. Louis le Grand et Pierre le Grand.--XVII. Le dix-septième +siècle.--XVIII. La Révolution.--Chaque volume comprend une époque. 12 +volumes sont publies; ils contiennent l'histoire ancienne (7 vol.) et +l'histoire du Moyen-Age (5 vol.). M. Cesare Cantù va commencer +prochainement la publication de l'histoire moderne. + +M. Cesare Cantù ne se contente pas d'affirmer les faits qui loi +paraissent évidents, il essaie de les prouver. Son ouvrage se compose de +deux parties distinctes: 1º le _Racconto_, ou le récit; 2º les +Documenti, ou documents. Les documents sont classes et coordonnés dans +des volumes séparés, ainsi que les discussions scientifiques, les +biographies, les passages les plus remarquables des prosateurs ou des +poètes, relatifs aux événements exposés dans le texte. L'auteur donne +aussi pour appendice une illustration très-variée des monuments et un +traité assez étendu de chronologie. + +Nous n'admettons pas sans faire quelques réserves toutes les opinions +exprimées par M. Cesare Cantù; mais, bien que nous différions parfois de +principes avec lui, nous nous empressons de joindre nos éloges sincères +à ceux que lui ont prodigués déjà ses compatriotes et plusieurs journaux +français. Qu'il ne se laisse pas décourager, qu'il continue à marcher +dans la voie glorieuse qu'il parcourt depuis cinq années avec tant de +bonheur, et en moins de deux années il atteindra son but, il achèvera un +des plus importants ouvrages qu'aura produits le dix neuvième siècle. +Nous sommes heureux, quant à nous, d'annoncer que la _Storia +universale_, vient d'être traduite en français Cette traduction revue, +corrigée et augmentée par M. Cantù, qui est en ce moment à Paris, ne +doit point tarder à paraître. + +_Loi salique_, ou Recueil contenant les anciennes rédactions de cette +loi et le texte connu sous le nom de _Lex emendata_; par J.-.M. +PARDESSES, membre de l'Institut.--Paris. 1843. Imprimerie Royale. 1 vol. +in-4º de 844 payes. Prix: 35 fr. + +Ce volume commence par une préface de 80 pages qui contiennent la +description de toutes les éditions et de tous les manuscrits connus de +la loi salique, il renferme en outre huit textes différents, d'après les +manuscrits, avec, variantes; quarante titres qu'on ne trouve point dans +la _Les emendata_, d'après le manuscrit 4404 de la Bibliothèque royale +de Paris et le manuscrit 119, in-4, de Leyde; les prologues, l'épilogue +et les récapitulations, d'après divers manuscrits; un commentaire de 824 +notes, et enfin quatorze dissertations, dont la première sur les +diverses rédactions de la loi salique, et les autres sur les points les +plus remarquables du droit privé des Francs sous la première race. + +Les dissertations comprennent 309 pages, et sont suivies d'une table +alphabétique des matières. + +_Mémoire sur l'Irlande indigène, et saxonne_; par DANIEL O'CONNELL, +membre du Parlement. Traduit de l'anglais et augmenté d'une notice +biographique sur l'auteur; par ORTAIRE FOURNIER. Tome 1er, +1172-1660.--Paris, 1843. _Charles Warèe._ 7 fr. 50 c. + +A peine cet ouvrage eut-il paru à Londres, nous nous empressâmes d'en +annoncer la publication, d'exposer le plan de l'auteur, et de résumer en +quelques lignes le contenu du 1er volume,--le seul qui ait été mis en +vente jusqu'à ce jour.--Nous le répétons, O'Connell ne pouvait pas +écrire une histoire réfléchie, sérieuse, logique, bien ordonnée. Tous +les hommes habitués à improviser ne mènent jamais à bonne fin,--en +supposant qu'ils se sentent le courage de l'entreprendre,--un travail +qui exige une attention froide, calme et soutenue. D'ailleurs le tribun +irlandais est trop fougueux et trop passionné pour ne pas se laisser +emporter souvent, dans ses écrits comme dans ses discours, au delà des +bornes de la justice et de la raison. Il a oublié qu'il y avait une +grande différence à établir entre l'écrivain et l'orateur. On écoute +plus facilement et plus volontiers qu'on ne lit. Si long, si diffus, si +fatigant qu'il soit, l'orateur politique est presque toujours sûr de +conserver son auditoire, obligé, sinon de prêter l'oreille à son +discours, du moins d'attendre, sans pouvoir quitter sa place, qu'il +l'ait terminé. Mais, loin de s'imposer au public, l'écrivain reste +entièrement sous sa dépendance; il est si facile de fermer un livre qui +ennuie, et quand une fois on l'a fermé, il est si difficile de le +rouvrir. + +Le premier volume du _Mémoire sur l'Irlande indigène et saxonne_ +comprend toute la période de temps qui s'étend depuis l'année 1172 +jusqu'en 1660. Ainsi que nous l'avons déjà dit, il se compose de 50 +pages de texte et de 400 pages d'observations, de preuves et +d'explications. Les volumes suivants ne seront même que la suite de +cette seconde partie; car le texte proprement dit ou la première partie +renferme dans les neuf chapitres de ses 50 pages toute l'histoire +d'Irlande, depuis l'année 1172 jusqu'en 1840. La conclusion qui suit le +chapitre IX se termine par ces mots: «La dernière demande de l'Irlande +est dégagée de toute alternative, c'est le rappel de l'Union.» + +Nous doutons que cet ouvrage étrange soit plus favorablement accueilli +en France qu'en Angleterre; mais, malgré ses énormes défauts, nous +devons savoir gré à M. Ortaire Fournier d'avoir songé à le traduire, car +il contient une foule de documents curieux qui pourront servir un jour +aux historiens futurs de la malheureuse Irlande. + +_Essai sur l'Éducation du peuple_, ou sur les Moyens d'améliorer les +Écoles primaires populaires et le sort des Instituteurs: par J. WILLM, +inspecteur de l'Académie de Strasbourg.--Strasbourg. _Veuve +Levrault._--Paris, _Bertrand._ 1843. I vol. in-8º. 7 fr. 50 c. + +L'auteur de cet _Essai_ a reçu sa première instruction dans une école de +village; il a été ensuite aide-instituteur, avant que d'heureuses +circonstances lui permissent de se livrer à des études supérieures. +Depuis, après avoir professé pendant dix années dans un collège +important, il a été, comme inspecteur de l'Académie de Strasbourg, +chargé de visiter une grande partie des écoles primaires des deux +départements du Rhin. Comme on le voit, il n'est pas étranger à la +matière sur laquelle il écrit, et il la traite avec connaissance de +cause. + +L'Essai qu'il vient de publier s'adresse à tous ceux qui s'intéressent à +l'éducation populaire, et spécialement à ceux à qui la loi et le +gouvernement ont donné part à l'administration, à la surveillance et à +la direction des écoles primaires Ils y trouveront bien des choses +connues que l'auteur a voulu seulement leur rappeler; il ne revendique +pour lui que le mérite de les avoir classées et groupées autour d'un +principe fondamental, d'une idée générale, exposée dans l'introduction +et formulée dans la conclusion générale du livre. Du reste, loin +d'aspirer à la nouveauté, M. J. Willm évite surtout,--c'est lui qui le +déclare,--«de proposer des améliorations qui ne se rattacheraient pas +naturellement à ce qui existe, et qui ne découleraient pas de la nature +même des choses, de la constitution politique du pays et de la loi +organique de l'instruction primaire. Les propositions qu'il fait, il a +voulu qu'elles fussent légales, nationales, françaises et surtout +praticables.» + +M. J. Willm a divisé son travail en trois parties: dans la PREMIÈRE +PARTIE, il recherche le principe et le but de l'éducation en général. +Selon lui, le vrai _principe_ de l'éducation doit être _universel_, +exclusif de tout intérêt particulier, de tout but spécial qu'on voudrait +poursuivre aux dépens de tout le reste, bien que servant tous les +intérêts légitimes et tout but raisonnable, embrassant tous les +sentiments, toutes les dispositions essentielles et pouvant s'appliquer +à tous les états, à toutes les classes de la société et à tous les +genres d'écoles et d'éducation.--Son _but_ est de former l'homme +d'abord, puis le citoyen, puis l'artiste, le soldat, le laboureur ou +l'artisan; de jeter les fondements d'une oeuvre que toute la vie, +quels qu'en soient d'ailleurs les accidents et les destinées +particulières, sera consacrée à continuer, à perfectionner: d'appeler au +jour tous les germes de raison, de vertu, de grandeur qui constituent la +vraie nature humaine, et de les développer assez pour leur assurer la +victoire sur toutes les dispositions contraires. Cette éducation +_générale_ doit être la base et la condition de toute éducation +particulière. Si, a raison des diverses conditions de la société et de +la destination présumée des élèves, elle était diversement appliquée, il +ne saurait y avoir de différence que sous le rapport de la quantité et +non sous celui de la qualité: mais cette éducation générale, une dans +son principe et dans son but, se compose d'éléments divers. Pour être +complète, il faut qu'elle soit tout à la fois _morale, intellectuelle, +esthétique et religieuse_;--car l'homme aspire naturellement au _bien_, +au _vrai_, au _beau_, à l'_infini_--et en même temps _sociale_ et +_nationale_, puisque l'homme n'est rien que par la société. + +Ces principes posés, M. J. Willm cherche à les appliquer, à montrer ce +que peut et ce que doit être dans les écoles primaires populaires cette +éducation générale dont il a tracé le plan. Il traite successivement, +dans la SECONDE PARTIE de son _Essai_, de _l'organisation des écoles +primaires_ et de la _construction des maisons d'école, ainsi que du +mobilier_; de _l'éducation_ et de l'_instruction_ dans ces mêmes écoles; +de la _méthode_ et de la _discipline_, de _l'administration_ et de la +_surveillance_ de ces écoles. Il termine par l'examen de ces deux +questions; _Faut-il rendre la fréquentation de l'école primaire +obligatoire?_ et _l'instruction primaire doit-elle être gratuite?_ M. J. +Willm demande que tous les enfants qui ont atteint l'âge de six ans +soient annuellement soumis à une sorte de conscription scolaire et tenus +de payer la rétribution mensuelle, si leurs parents sont assez aisés +pour cela, ou amenés à l'école, s'ils sont pauvres, par tous les moyens +dont peut disposer l'administration. + +Le sort des écoles populaires dépend principalement du dévouement +éclairé, du zèle et de l'habileté des instituteurs. Pour que les écoles +soient bonnes, il ne suffit pas de les placer dans des maisons +parfaitement appropriées, dans des salles vastes, saines, bien éclairées +et munies de tout ce qui est nécessaire à l'enseignement, il faut +surtout qu'elles soient dirigées par des maîtres habiles et dévoués. Or, +pour que les maîtres soient habiles, il faut leur fournir les moyens +d'acquérir les connaissances nécessaires a leur état, et pour soutenir +leur zèle, il faut travailler à rendre leur position aussi bonne et +aussi honorable que possible. M. J. Willm s'est donc occupe +successivement, dans la TROISIÈME PARTIE de son _Essai_, des moyens de +former les instituteurs, et spécialement des écoles _normales +primaires_: des moyens de leur faire continuer leur instruction après +leur entrée en fonctions, et spécialement des _conférences_ et des +_bibliothèques_ de l'école; enfin des moyens matériels d'améliorer leur +condition, et des _encouragements_ qu'il convient de leur offrir pour +soutenir leur zèle. + +M. J. Willm achève la conclusion de son ouvrage en demandant qu'il soit +créé au sein de l'Académie des Sciences morales et politiques une +section de pédagogie, et que quelques chaires soient consacrées, à Paris +et dans les départements, à cet art, le plus important de tous, +puisqu'il a pour but de former les hommes. + +_Bluettes_; par EUGÈNE DE LONLAY. I vol. in-18.--Paris. 1843. _Amyot_. + +Comment ne pas accueillir avec intérêt un charmant volume bien imprimé +sur du papier satiné, qui se présente sous un titre si modeste et vous +demande humblement un regard et un sourire bienveillants? Quel reproche +le critique le plus dur aurait-il le courage d'adresser à des +_Bluettes_, surtout lorsque Béranger déclare les avoir lues avec +infiniment de plaisir, lorsqu'elles ont déjà eu deux éditions, et engin +lorsque leurs grâces naïves et leur tournure originale méritent +réellement le succès qu'elles ont obtenu? Ce qu'il faut au poète, a dit +M. E. de Lonlay dans sa première _Bluette._ + + Ce qu'il faut au poète, + C'est l'amour!... + +L'auteur des _Bluettes_ est-il poète? Bien qu'il fasse des vers +charmants, nous attendrons, pour lui décerner un si beau titre, la +publication du _Trappiste_; mais, poète ou compositeur d'agréables +romances, il a ce qu'il lui faut, il est amoureux; ne nous étonnons donc +pas s'il ne chante que sa passion. Jetez les yeux sur la table générale +des _Bluettes_, qu'y voyez-vous: «Avoir tout à t'offrir.--Es-tu fille +des cieux?--Ne m'oubliez pas.--Tes yeux ont pris mon âme.--Que peut-elle +faire?--Je me souviens toujours.--Tout un jour sans te voir.--Loin des +yeux, près du coeur, etc.» Aussi M. E. de Lonlay donne-t-il ses vers à +celle qui seule, en les lisant, pourra dire: C'est moi; il les lui donne +«comme aux vertes savanes, la rosée abandonne ses perles limpides, +connue sur les sentiers l'aubépine épand ses débris embaumés, comme à la +terre endormie l'aube jette ses rayons d'or, comme aux coquettes plantes +de ses rives le lac prête son miroir mouvant, comme la fleur à l'abeille +donne son miel, comme au pèlerin l'étoile donne sa clarté, comme à +l'Éternel le croyant donne sa prière, comme à la mère l'enfant donne ses +premières caresses, la vierge à son amant le parfum de son premier +baiser.» + +_Océanie_, ou Cinquième partie du Monde, revue géographique et +ethnographique de la Malaisie, de la Micronésie, de la Polynésie et de +la Mélanésie; par M. G.-L. DOMENY DE RIENZI. 3 vol. in-8º, ornés de +gravures et cartes. Paris. Firmin Didot. 1843. + +«L'Océanie, ou cinquième partie du monde, plus étendue à elle seule que +le reste de notre globe, dit M. Domeny de Rienzi dans son introduction, +en est la moins connue et pourtant la plus curieuse et la plus variée. +C'est la terre des prodiges: elle renferme les races d'hommes les plus +opposées, les plus étonnantes merveilles de la nature et les monuments +les plus admirables de l'art. On y voit le pygmée à côté du géant, et le +blanc à côté du noir; près d'une tribu patriarcale une peuplade +d'anthropophages; non loin des hordes sauvages les plus abruties des +nations civilisées avant nous; les tremblements de terre et les +aérolithes bouleversent les campagnes, et les volcans foudroient des +villages entiers. Sur son continent austral, les animaux les plus +bizarres, et dans l'Ile la plus grande à la fois de ses archipels et du +globe, l'orang-outang, bimane anthropomorphe présentent aux philosophes +un profond sujet de méditations. Une de ses îles s'enorgueillit de la +majesté de ses temples et de ses palais antiques, supérieurs aux +monuments de la Perse et du Mexique, et comparables aux chefs-d'oeuvre +de l'Inde et de l'Égypte; d'autres étaient des pagodes, des mosquées et +des tombeaux modernes, rivalisant d'élégance et de grâce avec ce que +l'Orient et la Chine nous offrent de plus parfait en ce genre.» + +Avant la publication de l'ouvrage de M. de Rienzi, il n'existait +cependant aucun livre spécial et complet sur l'Océanie Le dernier +descendant du célèbre tribun italien ne s'est pas contenté, comme on +pourrait le croire, de résumer tous les travaux des voyageurs, +navigateurs, géographes ou hydrographes qui l'avaient précédé. Cinq +voyages entrepris par amour pour la science dans diverses parties de +l'Océanie l'ont mis à même d'ajouter un grand nombre de fats nouveaux +aux faits déjà connus.--Son ouvrage comble donc une lacune importante +dans l'histoire de la géographie; car il contient, outre un tableau +général de l'Océanie, la description et l'histoire de la _Malaisie_, ou +grand archipel indien, de la _Micronésie_, de la _Polynésie_ et de +la _Mélanésie_. Plusieurs des dessins qui accompagnent le texte sont +inédits, et ont été exécutés par l'auteur sur les lieux; les autres sont +empruntés aux ouvrages les plus estimés. Douze morceaux de musique, dont +hut inédits, un tableau idiomographique des langues de ces contrées, +deux inscriptions importantes; enfin une nouvelle carte générale et +trois nouvelles cartes particulières de l'Océanie, complètent cette +description. + +_L'Océanie_ a paru il y a deux ans; mais la prise de possession des +_îles Marquises_ et l'occupation de Taïti, donnent un intérêt +d'actualité à cette remarquable et utile publication. + + + +Modes. + +[Illustration: (Mantelet à la vieille.)] + +Le mantelet est renouvelé de la mode assez peu éloignée de 1837: il y a +fort peu de différence entre celui d'aujourd'hui et celui d'alors; les +garnitures différent, mais la coupe est à peu près la même. Les +mantelets de taffetas noir, puce ou marron, sont ceux que l'un porte en +négligé comme en toilette du soir: le taffetas glacé en nuances claires +n'appartient qu'aux demi-toilettes de jour. + +Les rubans employés comme garniture sont moins bien que les garnitures +en étoffe. Le taffetas est coupé en biais, et il se forme à quatre +rangs. + +Notre dessin représente une femme qui porte son mantelet avec toute la +grâce sévère de la distinction; à peine doit-on apercevoir la taille +derrière le dos arrondi. + +Quelques façons de robes nouvelles paraissent à l'horizon des modes: ce +sont des manches bouillonnées au poignet, des corsages lacés, et des +jupes garnies d'immenses volants à l'espagnole. + +Les plumes sur les chapeaux de paille prennent faveur; quoique les +rubans simples soient de bon goût, une nouveauté tout à fait remarquable +et remarquée est le chapeau Pénélope de Lucy Hocquet. C'est une +fantaisie, une innovation, une bizarrerie. Aussitôt qu'il se fait un +chapeau Pénélope, il disparaît du magasin; cependant il doit rester +distingué en raison de sa simplicité un peu étrange. + +[Illustration.] + +Voici deux jolis costumes de jeunes garçons: l'aîné, en veste de drap et +pantalon de tricot ou de nankin a la chemine de toile, dont le collet +rabat sur la cravate; le plus jeune, en blouse de velours, a les jambes +nues, et les guêtres de tricot ou le pantalon de flanelle dans la +guêtre. Sa chemise, plissée comme une chemisette suisse, sort de la +blouse et laisse dégagé son cou. La casquette va bien sur les cheveux à +la jeune France. + +[Illustration.] + +Nous regrettons de ne pouvoir donner ici un détail un peu étendu des +avantages du chariot hygiénique dans lequel on a placé l'enfant que nous +avons sous les yeux. M. Lebrun, mécanicien habile, inventeur d'une +ceinture de sauvetage, mérite une place en première ligne à +l'illustration. Si les mères comprennent bien les bienfaits de ce petit +chariot, il est certain que le nombre des enfants contrefaits diminuera +sensiblement. Une quantité d'enfants nés droits, mais délicats et +faibles, se déjettent faute de pouvoir se supporter sur leurs jambes. +Nous ne saurions trop engager les mères et les nourrices à visiter M. +Lebrun. Elles se féliciteront de cette prévoyance, et en seront +immédiatement récompensées par le bonheur qu'elles procureront à ces +pauvres petits êtres impuissants, heureux entre ces jambes artificielles +qui les supportent et les transportent à leur gré, sans péril et sans +fatigue. + + + +Rébus. + +EXPLICATION DU DERNIER RÉBUS: +Les personnalités attirent la haine. + +ÉPITAPHE D'UN GRAND HOMME. + + + + + + + + +End of Project Gutenberg's L'Illustration, No. 0011, 13 Mai 1843, by Various + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 0011, 13 *** + +***** This file should be named 35100-8.txt or 35100-8.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + http://www.gutenberg.org/3/5/1/0/35100/ + +Produced by Rénald Lévesque + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. 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You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: L'Illustration, No. 0011, 13 Mai 1843 + +Author: Various + +Release Date: January 28, 2011 [EBook #35100] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 0011, 13 *** + + + + +Produced by Rénald Lévesque + + + + + +</pre> + + + + +<br><br> + +<div class="cont"> + + + +<p class="mid"><img alt="" src="images/001.png"></p> + +<hr class="full"> +<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="0" + style="width: 100%; text-align: left;" summary="sommaire"> + <tbody> + <tr> + <td style="vertical-align: top; width: 49%;"> +<span class="sml">Ab. pour Paris.--3 mois, 8 fr.--6 mois, 16 fr.--Un an. 30 fr.<br> + +Prix de chaque N° 75 c.--La collection mens. br., 2 fr 75.</span> + </td> + <td style="vertical-align: top; width: 2%;"> + + </td> + <td style="vertical-align: top; width: 49%;"> +<span class="sml">Ab. pour les Dep.--3 mois. 9 fr.--6 mois, 17 fr.--Un an. 32 fr.<br> +pour l'étranger,--3 mois. 10 fr.--6 mois, 20 fr.--Un an. 40 fr.</span> + </td> + + </tr> + </tbody> +</table> + + + +<p class="mid">N° 11. Vol. I.--SAMEDI 13 MAI 1843.<br> +Bureaux, rue de Seine. 33.</p> + + + +<p class="rig"><img alt="" src="images/001a.png"></p> + + + + +<div class="somm"> + +<p>SOMMAIRE.</p> + +<p><b>Don Carlos</b>. Portrait; <i>hôtel Panette</i>.--<b>Courrier de Paris</b>.--<b>Manuscrits +de Napoléon</b>. Lettres sur l'histoire de la Corse.--<b>Courses du +Champ-de-Mars</b>. <i>Courses de haies; pesage des jockeys; traitement du +cheval après la course</i>.--<b>Anniversaire de la délivrance d'Orléans</b>. +<i>Statue de Jeanne d'Arc</i>.--<b>Nécrologie</b>. <i>Portraits de Colocotroni et du +duc de Sussex, chapelle de Notre-Dame-des-Flammes, à Bellevue</i>.--<b>La +Vengeance des Trépassés</b>, nouvelle, sixième partie.--<b>Théâtres</b>. Lucrèce; +Brutus; la Comédie à cheval; les deux Favorites: le Métier à la +Jacquart; les Canuts; le Voyage en l'air; j'ai du bon Tabac; Marguerite +Fortier; les Prétendants. <i>Deux scènes de Lucrèce</i>; le Voyage en l'air; +<i>une scène du Métier à la Jacquart et une scène des canuts</i>. Théâtre de +l'Opéra-Comique: On ne s'avise jamais de tout.--<b>Lettre sur les Incendies +de théâtre.--Industrie</b>. Le sucre de canne et le sucre de betterave +(suite). <i>Deux gravures</i>.--<b>Caricatures par Bertal</b>. <i>Dix-sept +gravures</i>.--<b>Bulletin bibliographique</b><b>Annonces.--Modes.</b> <i>Trois +gravures</i>. <b>Météorologie.--Echecs. Rébus</b>.</p> +</div> + +<h3>Don Carlos.</h3> + +<p>Les journaux ont dernièrement appelé l'attention publique et provoqué +des explications du Gouvernement sur la position réelle de don Carlos. +On a demandé si ce prince espagnol était l'hôte ou le prisonnier de la +France; si le ministère lui imposait sa résidence à Bourges ou si le +royal proscrit s'était pris au contraire d'une belle passion pour la +patrie de George Sand, au point d'y fixer volontairement son séjour.</p> + +<p>Il y a là, sans doute, une grave question de droit des gens et de +liberté individuelle. Pour <i>l'Illustration</i>, il y a lieu avant tout à un +portrait et à une biographie.</p> + +<p>Don Carlos est âgé aujourd'hui de cinquante-cinq ans; il était le second +fils du roi Charles IV et frère de Ferdinand VII, mort en 1833. Il +semblait que le trône ne pouvait manquer à ce prince. Le roi, son frère, +avait eu quatre épouses, et la dernière, Marie-Christine, fille du roi +de Naples, François 1er, lui donna seule deux enfants, et ces enfants +étaient deux filles. Les dispositions de la loi salique, adoptée en 1713 +par Philippe V, assuraient à don Carlos la succession royale, quand des +intrigues de cour poussèrent le vieux roi à abolir la loi salique et à +nommer la reine régente, après sa mort, du royaume d'Espagne, pendant la +minorité d'Isabelle II. Ce coup d'État détruisit les beaux rêves de +royauté de don Carlos, qui avait toute raison de se voir un jour +couronne en tête et sceptre au poing, quand une petite fille de trois +ans, sa nièce, monta sur ce trône qu'il avait si ardemment convoité.</p> + +<p>Nous autres, pauvres gens, quand la réalité vient souffleter nos rêves +de gloire ou de fortune, quand le but que nous poursuivons s'éloigne +devant nous, il ne nous vient pas à l'idée de troubler le monde de notre +dépit. Le poète alors chante sa souffrance, l'auteur sifflé recommence +bravement un nouveau chef-d'oeuvre, le spéculateur combine de nouveaux +calculs. Perrette pleure, la pauvre enfant, devant son lait répandu et +ses projets évanouis; pourquoi donc les prétendants à tous les trônes +possibles n'en feraient-ils pas autant quand le trône leur échappe, au +lieu d'appeler aux armes les populations et de faire tuer des braves +gens qui, en Espagne, comme en Vendée, comme partout, se battent +hardiment sans trop savoir pourquoi?</p> + +<p>Ainsi fit don Carlos. Pour avoir le futile plaisir de s'asseoir sur ces +planches de sapin recouvertes d'un morceau de velours, il ne craignit +pas de porter la guerre civile dans sa patrie, de soulever et de ruiner +des provinces entières, tristes moyens qui dégoûteraient les meilleurs +peuples des meilleurs rois!</p> + +<p>On sait quels horribles excès furent commis de part et d'autre pendant +cette longue et douloureuse lutte; la malheureuse Espagne en gardera +longtemps le souvenir. Don Carlos trouva parmi ses partisans un homme de +génie, Zumalacarreguy, grande et sombre figure qui domine toute cette +sanglante épopée. Ce fut lui qui rappela don Carlos en Espagne après la +signature du traité de la quadruple alliance.</p> + +<p class="lef"><img alt="" src="images/001b.png"><br> <b> +Hôtel Panette, rue du Poirier, no. 1, à<br> +Bourges, habité autrefois par l'archevêque<br> +de Mercy, le général Lapoype, par les<br> +maréchaux qui commandaient l'armée de la<br> +Loire, et aujourd'hui par Don Carlos.</b></p> + +<p>Suivi de quelques serviteurs dévoués, le prince quitta l'Angleterre, et +traversa la France pour se rendre à la frontière. Il resta deux jours à +Paris, et la police ne fut pas ou ne voulut pas être instruite de sa +présence. Un de ses émissaires les plus actifs, M. Auguet, raconte que, +traversant en voiture découverte la place de la Concorde, don Carlos +rencontra Louis-Philippe et sa famille se rendant en char-à-banc à +Neuilly et que le roi des Français répondant à quelques acclamations +salua sans le reconnaître, son cousin d'Espagne. «Mon bon cousin +d'Orléans, dit celui-ci en riant, ne se doute pas que je traverse ses +États sans sa permission pour aller déchirer avec la pointe de mon épée +son traité de la quadruple alliance.» Charmante espièglerie! et ce jeune +étourdi, qui ne comptait guère alors que quarante-six ans, ne se doutait +probablement pas que, de la pointe de son épée, il allait aussi déchirer +le sein de sa patrie et livrer aux horreurs de la guerre civile des +populations laborieuses et dévouées, comme si la vie des hommes n'était +que l'enjeu naturel de ces folles et sanglantes parties.</p> + +<p>Don Carlos franchit les Pyrénées et longtemps il tint en échec les +forces de la reine. Le général Espartero eut la gloire de mettre fin à +cette lutte acharnée. Il refoula Don Carlos en France; mais, comme le +personnage de la fable il mit d'accord les deux plaideurs en s'emparant +de l'objet du débat.</p> + +<p>Aujourd'hui Espartero est de fait roi d'Espagne, et don Carlos est à +Bourges, et la reine régente est rue de Courcelles à Paris. Singulier +effet des vicissitudes humaines; c'était bien la peine de mettre +l'Espagne à feu et à sang pour en venir là. Puisse du moins cette +mémorable leçon donnée aux princes de sang royal par un obscur +<i>ayachucho</i> leur être profitable et les éclairer sur la vanité de leur +ambition.</p> + +<h3>Courrier de Paris.</h3> + +<p>Le dernier bal a valsé sa dernière valse; le dernier concert a chanté sa +dernière roulade et donne son dernier coup d'archet. Le même soir, en +même temps, aux deux points opposés le bal achevait magnifiquement sa +brillante vie d'hiver: d'une part, sous les lambris héréditaires d'un +noble hôtel de la rue de l'Université; de l'autre, rue Bleue, dans un +hôtel fraîchement bâti sur des fondations de rails et de cinq pour cent. +Ainsi le bal à écusson et le bal financier ont fini leur campagne par un +coup d'éclat; après ces deux fêtes merveilleuses, il n'est plus permis +de danser ni de valser honorablement; cela serait du plus mauvais genre. +Donner un bal au mois de mai, fi donc! nous prenez-vous pour un salon de +cent couverts faisant toute l'année noces et festins? Il faudrait +n'avoir ni riante villa aux bords de la Seine ou de l'Oise, ni vieux +château breton ou tourangeau; or, je vous le demande, qui n'a pas une +villa? qui n'a pas un château? qui ne prend pas les eaux? qui ne court +pas, l'été venu, sur quelque grande route, du côté des Pyrénées ou des +Alpes? Personne, en vérité.--Pardon, belle comtesse! Paris possède et +abrite six à sept cent mille honnêtes gens absolument privés de maison +de campagne, de berline de voyage, de parc, de tourelles, d'Alpes et de +Pyrénées.--Ah! vous croyez?</p> + +<p>Le Paris mondain, l'élégant Paris, tourne ainsi, depuis quinze jours, à +la vie champêtre et voyageuse; il ne tourbillonne plus dans ses fêtes +sensuelles et illuminées, mais il n'a pas encore fait son entrée en +solitude, à l'ombre des charmilles. Le printemps l'appelle à l'air libre +et à la verdure, et l'hiver le retient toujours par un des pans de son +habit; il n'est plus là, mais il n'est pas encore ici. C'est une +situation intermédiaire qui lui donne une physionomie inquiète et +maussade; rien n'est pire, quand on va partir, que de n'être pas parti.</p> + +<p>Cependant, ce Paris privilégié et épris de villégiature, prend ses +précautions et fait ses préparatifs: il met les housses aux causeuses et +aux fauteuils de son salon; il enveloppe ses bronzes et son lustre d'un +voile de mousseline épaisse, et jette une cuirasse de toile écrue sur la +soie de ses tentures. Puis, se fortifiant d'avance contre les loisirs de +la résidence bucolique, ou contre les ennuis du voyage et de l'auberge, +il met dans sa malle quelques livres aimés et s'abonne à +<i>l'Illustration.</i> Avant quinze jours, la plupart des hôtels du faubourg +Saint-Germain seront silencieux et déserts; les volets intérieurs, +casematant les vastes fenêtres de haut en bas, laisseront voir leur +vêtement gris-blanc, égayé de filets d'or, et diront aux passants que le +maître est absent. L'herbe, jusqu'au 1er décembre, aura le temps de +croître dans les cours.</p> + +<p>De leur côté, les jardiniers émondent les parterres, font la toilette +des arbustes et des fleurs, sablent et ratissent les allées et tondent +la pelouse pour faire honneur à <i>madame</i> et à <i>monsieur</i>, tandis que les +chefs d'hôtel, les entrepreneurs d'eaux plus ou moins sulfureuses et de +salons de conversation lancent sur Paris, de tous les coins de l'Europe, +leurs séduisants prospectus. Il en vient d'Allemagne et d'Italie, de +l'Ouest et de l'Est, du Nord et du Midi, de la Tamise, de l'Escaut, de +l'Adige, du Rhin et surtout de la Garonne. Le Mont-d'Or sonne sa +trompette, Bade donne son roulement de tambour, Ems et Wisbaden mettent +leur carillon en branle; mais nul n'égale Spa pour les sourires +attrayants et les ravissantes promesses; Spa, cette année, veut rester +sans rivaux dans l'art de séduire le gentleman et de faire le bonheur du +prince portugais, russe, italien, polonais ou cochinchinois. Que +reprocher à Spa? que lui demander encore? Il vous prend au saut du lit +et vous inonde de concerts d'harmonie, de journaux, de revues, de +brochures, de vaudevilles, de comédies, d'opéras-comiques, de chevaux +caracolants, d'aubades de nuit et de jour: puis, vous offrant la main, +le voici qui vous conduit dans les frais sentiers, sous les bois +ombreux, aux penchants des collines verdoyantes, prêt à se retirer +discrètement et à vous laisser rêver dans votre solitude, si tel est +votre bon plaisir. Rossini. Alexis Dupont, les frères Batta madame +Damoreau et d'autres encore, spirituels acteurs, harmonieux instruments, +voix mélodieuses, sont promis à Spa, et M. le bourgmestre s'est engagé à +être charmant.</p> + +<p>Pars donc, ô toi, le Paris du boudoir et du salon, le Paris des heures +inoccupées, agréable désoeuvré! va promener, ci et là, ton sourire +légèrement railleur, ton petit bâillement énervé, ta migraine, tes maux +de nerfs, tes rhumatismes et ton binocle: donne un peu d'air pur à ta +poitrine fatiguée par la brûlante atmosphère des veilles et des bougies; +et tâche de ranimer le teint pâli de tes belles valseuses pour le +donner, au bal de 1844, à prendre encore et à dévorer!</p> + +<p>Mai est aussi le mois où les princes et les princesses de théâtre se +mettent à voyager; je veux dire les acteurs, les chanteurs et les +danseuses, en crédit, ceux qui ont le privilège des gros appointements +et des couronnes. Les autres ont tout au plus le loisir d'aller, le +dimanche, à Saint-Germain et à Montmorency, l'aire un dîner sur l'herbe; +encore le coup d'archet du chef d'orchestre vient-il les rappeler +brusquement avant le dessert, comme ces pauvres soldats en permission +qu'on voit courir hors d'haleine, à travers rues et à travers champs à +l'heure de la retraite et au roulement du tambour. Quant aux +merveilleuses Hermiones, aux glorieux Orestes, aux ténors fameux, aux +sylphides adorées, ils montent on chaise de poste et font tourbillonner +la poussière des grands chemins. Après avoir plus ou moins charmé +Babylone pendant les six mois d'hiver, nos illustres distribuent leurs +tirades, leur <i>ut</i> de poitrine et leurs jetés-battus dans les +départements et à l'étranger. Ces bienfaits, ils les étendent sur toute +la nature, et donnent indistinctement la pâture aux grands théâtres et +aux petits depuis le chef-lieu jusqu'au canton. Phèdre ne rougit pas de +déclarer sa passion à Hippolyte sous la balle au blé, convertie en +Mycènes; et Agamemnon a, plus d'une fois, transporté l'Aulide dans une +grange et sacrifié Iphigénie.</p> + +<p>Il faut donc en faire notre deuil: nos meilleurs acteurs nos meilleurs +chanteurs vont nous quitter. C'est peu des moissons dorées qu'ils +récoltent ici; ils veulent bien se compromettre jusqu'à faire la même +<i>razzia</i> en province: Toulouse Bordeaux, Lyon, Rouen, Dijon, Lille, et +vous tous, honorables chefs-lieux, qui aimez la roulade, l'alexandrin et +le rond de jambe, ouvrez votre bourse et préparez vos dithyrambes et vos +couronnes; on prendra volontiers vos vers et surtout votre argent; c'est +un honneur qu'on daignera vous faire.</p> + +<p>Mademoiselle Rachel ira à Marseille; elle ne veut plus de l'Angleterre. +Est-ce Nicodème qui a inspiré à Laodice cette rancune contre Rome? +Laodice se souviendrait-elle de l'hospitalité cruellement violée et du +martyre d'Annibal? Marseille cependant est dans une grande attente. Ces +vives imaginations s'exaltent à l'approche de Camille, de Marie-Stuart +et de Roxane, que la Provence n'a point encore vues. Marseille, la ville +phocéenne, se réjouit surtout de recevoir Monime, cette autre fille de +la Grèce, cette fleur suave et délicate éclose à son poétique soleil. Ce +sera une entrevue de famille. Mademoiselle Rachel et Marseille pourront +s'entretenir ensemble d'Athènes et d'Éphèse.</p> + +<div class="poem"><div class="stanza"> +<p class="i14"> .....Je crois que je vous suis connue</p> +<p class="i14"> Ephèse est mon pays, mais je suis descendue</p> +<p class="i14"> D'aïeux ou rois, seigneur, ou héros, qu'autrefois</p> +<p class="i14"> Leur vertu, chez les Grecs, mit au-dessus des rois.</p> +</div></div> + +<p>Dans quinze jours, Monime fera ses bagages et descendra vers le Rhône, +jusque-là elle continuera à être Judith. C'est une politesse de femme à +femme, une dette un peu gênante que le talent paie à l'esprit. +Mademoiselle Rachel devait ce dévouement à madame de Girardin. On n'ose +pas dire que ce soit un sacrifice, mais cela y ressemble beaucoup. Jouer +une froide tragédie au milieu de la froideur du public, quand on était +habituée à l'ardeur d'un parterre enthousiaste, n'est-ce pas une +résignation héroïque à la Curtius? Dieu en tiendra compte à Judith. Ce +trait l'élève et l'honore plus que la décapitation d'Holopherne, qu'elle +pratique régulièrement de deux jours l'un. De temps en temps, on +murmure. L'autre jour quelqu'un a sifflé; c'était sans doute un +spectateur qui se rappelait ce mot de Voltaire s'excusant de ses +privautés railleuses avec l'héroïne de Béthulie: «Le livre de <i>Judith</i> +n'étant pas dans le canon juif, on peut se permettre avec cette Judith +un peu de familiarité.»</p> + +<p>Puisque nous en sommes aux déesses de théâtre, ne laissons point passer +une morte charmante, sans effeuiller sur sa tombe une fleur et un +regret. Nous voulons parler de mademoiselle Lucile Grahn, qui vient de +s'éteindre si cruellement et si rapidement. La nouvelle nous est arrivée +de Saint-Pétersbourg, où mademoiselle Grahn était retournée, non pas +pour mourir, mais pour vivre au contraire dans toute la riante espérance +de ses vingt ans, escortée de toutes les grâces de la jeunesse et de +tous les enivrements du succès.</p> + +<p>Mademoiselle Grahn était venue de Copenhague à Paris, il y a trois ou +quatre ans. Le Nord nous l'avait envoyée douce, légère, rapide et un peu +semblable à ces ombres délicates et penchées qui passent dans les nuages +d'Ossian. La blanche fille de la Norwége courait grand risque alors: +Marie Taglioni était encore présente à tous les souvenirs. Voltiger +après elle, dans la forêt enchantée de <i>la Sylphide</i>, c'était se +hasarder beaucoup; il fallait bien de la grâce et de la souplesse, un +pied bien doux et bien prompt, pour se faire pardonner l'audacieuse +entreprise. Eh bien! Paris pardonna à Lucile Grahn: même il commençait à +l'adorer et à la poursuivre dans ce pays des fées, lorsqu'un accident +vint interrompre tristement ces naissantes amours. Lucile Grahn, dans un +de ses vols sylphidiques, se blessa au genou. Pendant deux ans, elle +souffrit de cette blessure, et ainsi disparut du théâtre, presque au +début. Un jour, la pauvre jeune fille crut renaître: se retrouvant +légère et forte, elle s'envola du côté de Saint-Pétersbourg. C'est là +qu'elle est morte, sur le grand théâtre impérial, le jour même d'un +triomphe, au moment où elle recueillait de toutes parts, les couronnes +et les bravos, et goûtait toutes les émotions enivrantes du succès. Un +violent effort pour vaincre la fatigue et surmonter la douleur de sa +blessure tout à coup renaissante, a tué Lucile Grahn. Vous connaissez le +dénoûment du ballet de <i>la Sylphide</i>. La nymphe, frappée mortellement +par les maléfices de la méchante sorcière, s'évanouit: ses ailes se +détachent et se brisent.--C'était aussi dans ce ballet de <i>la Sylphide</i> +que Lucile Grahn dansait le soir de sa mort; et de même ses ailes sont +tombées cette fois, mais pour toujours! Le costumier n'a pas même essayé +de les rattacher.--Lucile Grahn était douce, spirituelle, aimable et +fine, et son talent lui ressemblait.</p> + +<p>Que fais-tu donc, ô homme! si tu n'y prends garde, la femme va te +détrôner, autocrate barbu! Les temps prédits par les prophètes en +cotillon semblent approcher. L'émancipation féminine nous gagne de jour +en jour, et par toutes les voies; nous avons la femme à tragédies, la +femme à romans philosophiques, la femme Euclide, la femme Socrate, la +femme Mirabeau; celle-là se promène sous les ombrages de l'Académie; +celle-ci monte sur les <i>hustings</i> et prononce une harangue à tous crins. +Il y a un mois, on a enterré une femme César qui avait la croix +d'honneur, dix-huit campagnes et quatorze blessures.</p> + +<p>L'Académie française a proposé un prix de poésie. Le sujet est +magnifique: il s'agit de louer Molière. Oui remportera le prix? quelque +jeune barbe sans doute. Allons donc! est-ce que les barbes aujourd'hui +sont bonnes à quelque chose? Vingt poèmes rivaux se mettent sur les +rangs; un seul offre des qualités énergiques et viriles: l'Académie +demande quel est donc le gaillard qui a fait ces beaux vers-là? Un +corsage, des joues blanches et roses, de longs cheveux blonds, un +soulier de prunelle, une robe de soie, un mantelet de velours, +s'avancent et disent: «C'est nous!» L'Académie s'étonne et regarde, et +reconnaît madame Louise Collet-Révoil. Ainsi, le bataillon des poètes +académiques est mis, cette année, en déroute par madame Collet. Cette +héroïne dithyrambique n'en est pas à ses premières armes; elle avait +déjà bravement affronté l'Académie et obtenu une couronne. Madame Collet +a de plus l'attention délicate d'être jolie. Savez-vous que le métier +des quarante commence à devenir agréable? Mais, que dites-vous de madame +Collet faisant l'éloge de Molière et méritant le prix? N'est-ce pas un +peu embarrassant pour l'auteur des <i>Femmes savantes</i>, et la vengeance ne +vous semble-t-elle pas charmante et de bon goût? Si ce régime continue, +je déclare que je passerai chez la marchande de modes et chez la +couturière pour changer de culotte.</p> + +<p>Au reste, et Dieu merci, nous commençons à prendre soin de nos grands +hommes. L'Académie n'a jamais manqué positivement à cette religion. Si, +de leur vivant, elle en a oublié quelques-uns, et des plus illustres, +Molière, par exemple, elle les caresse du moins après leur mort. Je veux +donc surtout parler de l'ingratitude jusqu'ici pratiquée par les +municipalités et par les villes; elles commencent à se repentir et à +comprendre que les images des hommes de génie debout sur les places +publiques ou sur la face des monuments, sont pour la multitude, comme +une gloire et comme un bel exemple perpétuellement visibles. Déjà Rouen +à Corneille; Strasbourg à Gutenberg; Louis-le-Saulnier à Bichat; ici, on +dresse un piédestal à Cuvier; là à Desaix. Paris achève la statue de +Molière, et voici qu'il songe à Jean Goujon. On mettra la statue sur la +fontaine des Innocents, un des chefs-d'oeuvre du sculpteur? Là, en +effet, Jean Goujon fut tué, le 24 août 1572, d'un coup d'arquebuse, le +jour du massacre de la Saint-Barthélémy, tandis qu'il semait au fronton +du palais les trésors de son fin et délicieux génie. Après tout, au +Louvre ou ailleurs, qu'importe? on prépare une statue à l'habile +sculpteur, et c'est là le point important et la louable pensée. Paris +devait bien cette reconnaissance au Phidias du château d'Anet, de +l'hôtel Carnavalet, de la salle des Cent-Suisses, de la chambre de Diane +et de tant d'oeuvres renommées, filles légères et gracieuses du goût +antique, souvenir charmant du ciseau grec. Oui, que nos cités se +peuplent de toutes ces nobles images! que la statue du poète, du soldat, +de l'orateur, de l'artiste, raniment partout l'exemple des grands +talents et des grands services! Cela ne vaut-il pas mieux que les +statues orgueilleusement inutiles?</p> + +<p>Les deux premières semaines du mois de mai se sont d'ailleurs +particulièrement occupées de lampions et de chemins de fer; les fêtes +royales et les inaugurations à la vapeur ont absorbé tous les esprits; +on ne rencontrait par toute la ville que des figures affairées, les unes +officielles, les autres curieuses et populaires; celles-ci courant aux +illuminations et au feu d'artifice; celles-là s'apprêtant à débiter des +harangues qui n'étaient pas non plus sans artifice. Aujourd'hui, la +ville se ruait tout entière aux Champs-Élysées et dans les antichambres +des Tuileries: un autre jour, elle roulait sur les rails d'Orléans et de +la vieille cité normande. Voilà la vie de ce pays-ci: mouvement +perpétuel, comédie perpétuelle, rapide tourbillon! On parle de la +récente découverte de la vapeur: il y a longtemps que Paris l'avait +inventée!</p> + +<p>Il a plu par torrents depuis huit jours, et entre autres pluies, nous +avons essuyé une averse de croix qui se sont accrochées à toutes sortes +de boutonnières. Les hommes se parent de rubans comme les coquettes; ils +sont terriblement femmes pour cela: la manie, loin de se guérir, s'en va +s'agrandissant. Vous avez vu ce projet de l'autre jour, qui a révélé un +honnête marquis occupant sa vie à courir vers tous les coins de +l'horizon, à la chasse d'un ruban et d'une croix; il y mangeait son +patrimoine, et, pour devenir chevalier, se faisait ronger par les +chevaliers d'industrie. Après ces recherches haletantes, notre homme +finit par recevoir un brevet de la sultane Falkir. L'honneur lui en +revint à 15.000 fr.; mais qu'est-ce que 15.000 fr au prix du titre de +grand cordon de l'ordre de la sultane? Le voilà bien joyeux! Arrive le +procès en question: l'illustre chevalier apprend qu'il a payé de cette +grosse somme un ruban que tous les garçons de café et les portiers +portent gratis. La leçon le corrigera-t-elle? Non: mon marquis doit être +en ce moment à la piste de quelque éperon d'or, de quelque étoile +polaire ou d'un ours blanc.</p> + +<p>Un de nos dramaturges fameux et d'origine africaine a particulièrement +cette maladie des croix; il en a dépeuplé l'Espagne, la Belgique, la +France, et surtout l'Italie. Un jour, il entrait dans un salon avec une +collection de décorations sur la poitrine, enfilées les unes au bout des +autres, et pareilles à deux douzaines de mauviettes à la broche. «Que +faites-vous de tout cela? lui demanda quelqu'un.--Que voulez-vous, +répondit le Californien, ça amuse les nègres!» M. Alexandre D... aurait +pu ajouter que ça sert aussi à faire la traite des blancs.</p> + +<p>Le brave capitaine Bruat s'est embarqué depuis peu de temps pour aller +prendre possession des îles Marquises dont il est gouverneur. Le plus +grave, le plus austère de nos ministres lui dit, après l'audience de +congé: «Allez, monsieur, partez pour cette contrée inculte et lointaine: +tâchez de civiliser les hommes et de rendre les femmes sauvages!»</p> + +<p>Le Cirque-Olympique vient de mettre fin à ses batailles du boulevard du +Temple; son canon ne tonne plus; sa gargousse sommeille. Le Cirque a +pris possession de sa maison de campagne des Champs-Elysées; déjà Auriol +grimpe aux frises et sourit, et mademoiselle Caroline caracole.</p> +<br> +<h2>MANUSCRITS DE NAPOLÉON.</h2> + +<p class="mid">(Suite.--Voyez p. 22, 38, et 70.)</p> + +<h3>LETTRES SUR LA CORSE A M. L'ABBÉ RAYNAL.</h3> + +<h4>LETTRE TROISIÈME ET DERNIÈRE</h4> + +<p>Monsieur.</p> + +<p>Les Génois, maîtres de la Corse, se comportèrent avec modération; ils +prirent les conventions del Lago Benedetto pour base de leur +gouvernement; le peuple conserva une portion de l'autorité législative; +une commission de douze personnes, présidée par le gouverneur, eut le +pouvoir exécutif; des magistrats élus par la nation et ressortissant du +syndicat eurent la justice distributive. A leur grand étonnement, les +Corse se trouvèrent tranquilles, gouvernés par leurs lois; ils crurent +qu'ils devoient désormais oublier l'indépendance et vivre sous une forme +de gouvernement propre à rendre à la patrie toute la splendeur dont elle +étoit susceptible. Les Génois trouvoient dans la Corse de quoi accroître +leur commerce; ils y trouvoient des matelots et des soldats intrépides +pour augmenter leur force.... Mais il étoit à craindre que, situés si +avantageusement, ces insulaires ne fissent un commerce nuisible à celui +de la métropole; il étoit à craindre qu'avec l'accroissement de forces +que donne un bon gouvernement, ils ne devinssent indépendants en peu de +temps. La jalousie politique sera toujours le tourment des petits États, +et l'on sait que la jalousie commerciale a toujours été la passion +spéciale de Gênes.</p> + +<p>D'ailleurs tous les ordres de l'État, accoutumés à se partager les +possessions de la République, murmurèrent contre une administration où +ils n'avoient point de part, où il n'y avoit point d'emploi pour eux. «A +quoi nous a servi la conquête de la Corse, si l'on doit conserver à +celle-ci un gouvernement presque indépendant; il valoit vraiment bien la +peine que nos pères répandissent tant de sang et dépensassent tant +d'argent,» disoit-on publiquement à Gênes. La grande noblesse voyoit +avec dépit l'autorité du gouverneur restreinte, réduite presque à rien +par le conseil des Douze et par les assemblées populaires. La petite +noblesse, dite noblesse du grand conseil, que l'on peut appeler le +peuple de l'aristocratie, attendoit avec une impatience facile à +concevoir, l'occasion de pouvoir se saisir de tous les emplois +qu'occupoient les Corses. Les prêtres convoitoient nos bénéfices; les +négociants aspiroient au moment où ils pourroient, au moyen de sages +lois, fixer seuls le prix de nos huiles et de nos denrées.</p> + +<p>Ce n'étoit qu'un cri dans tous les ordres de la République: pour la +première fois le même voeu les unissoit. Aussi l'on ne tarda pas à +supprimer en Corse toute la représentation nationale. En peu de temps le +gouverneur réunit sur sa tête toute l'autorité.... Il put faire mettre à +mort un citoyen sans autre procès, sans autre enquête, sans autre +formalité que celle-ci: <i>Je le prends sur ma conscience</i>, et la grande +noblesse fut satisfaite.</p> + +<p>Tous les emplois civils et militaires furent donnés par le gouverneur ou +par le sénat, et furent donnés à des nobles Génois. Pour ne laisser +naître aucune espérance présomptueuse, il y eut une loi qui déclara les +Corses incapables d'occuper aucun emploi.... et la petite noblesse fut +contente. Le noble du grand conseil, excessivement pauvre, n'a pour +nourrir une famille nombreuse que le droit qu'il tient de sa naissance, +de gérer les emplois de la République Il faut que chacun profite à son +tour de ce droit, parce qu'il faut que chacun vive; aussi ne peut-on +être que deux ans en place, et est-on obligé, durant un certain temps, +de n'occuper aucun autre emploi. Il faut donc, pendant ces deux années, +amasser assez pour se maintenir pendant quatre ans et fournir aux +différents voyages que l'on doit entreprendre.</p> + +<p>Gênes, jadis très-puissante, avoit un grand nombre d'emplois à donner; +mais au temps dont nous parlons, elle étoit réduite à la Corse seule, et +la Corse étoit obligée de supporter presque tout cet horrible fardeau. +Chaque deux ans l'on voyoit arriver des flottilles de ces gentillâtres +avec leurs familles, affamés, nuds, sans éducation, sans délicatesse. +Plus redoutables que des sauterelles, ils dévoroient les champs, +vendoient la justice et emprisonnoient les plus riches pour obtenir une +rançon. On rioit à Gènes de ces plaisanteries nobiliaires; le répertoire +des gens aimables, des couleurs de bons mots, de ces personnes qui +tiennent toujours le haut bout dans les sociétés, n'est rempli que +d'aventures de ces gentilshommes, et toujours le Corse est le battu et +le moqué... Combien avez-vous gagné? Nous avez-vous laissé quelque chose +à prendre? demandoient ceux qui alloient partir à ceux qui étoient de +retour. Un honnête sénateur fort religieux avoit coutume de dire une +prière toutes les fois qu'il entendoit la cloche des morts annoncer le +décès de quelque patricien; il demandoit toutefois avant si le défunt +avoit été employé en Corse, et dans ce cas il se dispensoit de la +prière, disant: A quoi cela serviroit-il? <i>è a casa del Diavolo</i>, il est +en diable.</p> + +<p>Les bénéfices ecclésiastiques furent donnés par les évêques; les évêques +furent nommés à la sollicitation des cardinaux génois. Il est sans +exemple qu'un Corse ait été évêque, et les prêtres génois furent +contents.</p> + +<p>Et le négociant! Comment son intérêt eût-il été oublié dans un État +commerçant?... Des lois positives lui accordèrent le monopole de +l'approvisionnement et du trafic. L'on détruisit les marais salants qui +existoient, l'on en fit autant des poteries et de toutes les +manufactures. Cela accrut le petit cabotage et rendit le pays plus +sujet.</p> + +<p>Les marchandises cessant d'avoir leur prix, le peuple cessa de +travailler, les champs devinrent incultes, et un pays appelé à +l'abondance, au commerce, un sol qui promet à ses habitants la santé, la +richesse, ne lui offrit que la misère et l'insalubrité. Malheureusement, +à force de piller, l'on épuisa notre pauvre pays, qui n'eut plus rien à +offrir que des pierres. Il falloit cependant que cette illustre noblesse +vécût; elle eut recours à deux moyens: d'abord chaque commandant de +petites tours, chaque petit commissaire, eut une boutique à laquelle il +fallut donner la préférence; enfin ils vendirent la permission de porter +les armes.</p> + +<p>Dépouillé des biens qui rendent la vie aimable et sûre, exclu de tous +les grades, de toutes les places, prive de toute considération, réduit à +la dernière misère, outragé par la classe la plus méprisable de +l'univers, comment le Corse, si hardi, si fier, si intrépide, se +laissa-t-il traîner dans la fange sans résister? Je m'empresse de vous +développer ces tristes circonstances, afin qu'en plaignant ce peuple, +vous ne cessiez pas de l'estimer.</p> + +<p>Je vous ai, en deux pages, tracé l'histoire du gouvernement génois; mais +ces deux pages renferment cent cinquante ans. On marcha pas à pas. Si +tout d'un coup le sénat eût découvert son horrible projet, sans exciter +des soulèvements, ma nation seroit si vile, qu'elle ne mériteroit pas +d'être plainte.</p> + +<p>Immédiatement après la mort de Sampiéro, ou provoqua de toutes les +manières les émigrations, qui, dès ce moment furent très-considérables. +On souffla partout l'esprit de la division, et la République accorda un +refuge aux criminels, on favorisa leur fuite. Les émigrations +s'accrurent. La peste affligea l'Italie; elle vint en Corse; la famine +s'y joignit: la mortalité fut immense... Le gouvernement se montra +insouciant, et si ces deux fléaux finirent, c'est que tout finit. C'est +ici l'occasion de faire une observation bien remarquable: toutes les +fois que les Corses ont perdu leur liberté, ils ont été, quelque temps +après, affligés d'une grande mortalité. Après la conquête de 1770, ou +vit encore la mortalité et la famine dépeupler le pays. Alors la +République ne garda plus de mesure; elle jeta le masque, renversa le +gouvernement national et établit les choses telles que nous les avons +décrites.</p> + +<p>Quelle position douloureuse! Le Corse sentoit la peste lui dévorer les +chairs, la faim lui ronger les entrailles, et l'esclavage navroit son +coeur, effrayoit son imagination et anéantissoit les ressorts de son +âme!!!</p> + +<p>Cependant, pour maintenir ce peuple dans cet assujettissement, il +falloit ou avoir une grande force ou se faire une étude de le diviser. +On adopta ce dernier parti, et l'on relâcha à cet effet les ressorts de +la justice criminelle; chacun fut obligé de pourvoir de soi-même à sa +sûreté; de là est né le droit de <i>vendetta.</i></p> + +<p>L'homme dans l'état de nature ne connut d'autre loi que son intérêt. +Pourvoir à son existence, détruire ses ennemis fut son occupation +journalière. Mais lorsqu'il se fut réuni en société, ses sentiments +s'agrandirent: son âme, dégagée des entraves de l'égoïsme, prit son +essor, l'amour de la patrie naquit, et les Curtius, les Decius, les +Brutus, les Dion, les Caton, les Léonidas, vinrent émerveiller le monde. +Des magistrats assurèrent à chacun la conservation de sa propriété et de +sa vie; le but des actions individuelles dut être le bonheur général de +l'association, et personne ne dut plus agir par le sentiment de son +propre intérêt. Les rois régnèrent; avec eux régna le despotisme; +l'homme méprisé n'eut plus de volonté. Avili, il fut à peine l'ombre de +l'homme libre; les rois, qui tinrent dans leurs mains la force publique, +durent l'employer pour assurer à chacun sa vie et sa propriété. La +confédération changea, s'altéra même, si l'on veut, mais exista +cependant toujours. La force publique seroit devenue dans les mains du +prince un instrument inutile, s'il eût vu l'homicide sans le punir; si, +par une dépravation inouïe, il eut lui-même aiguisé les poignards de +l'assassin. Personne ne peut nier qu'alors la confédération ne se fut +trouvée dissoute et les hommes rendus à l'anarchie. Telle étoit notre +situation. Le sénat voyoit avec plaisir s'entr'égorger des hommes dont +il craignoit l'union; les subalternes y trouvoient leur intérêt; le +meurtre ne fut plus puni; il fut encouragé, il fut récompensé: il fallut +cependant que chacun veillât à sa propre sûreté. Des confédérations de +familles, quelquefois de villages se formèrent. On jura de veiller à +l'intérêt de tous et de faire guerre éternelle à celui qui offenseroit +un des confédérés; les liens du sang se resserrèrent; on chercha des +parents; l'île fut divisée en autant de puissances qu'il y eut de +familles, qui se faisoient la paix ou la guerre selon leur caprice et +leur intérêt... On appela vertu l'audace de s'exposer à tous les dangers +pour soutenir ses parents ou les membres de sa confédération: les +citoyens ne furent que des membres d'autant de puissances +étrangères, liées entre elles par leurs rapports politiques. Ils +respectérent les femmes et les enfants et les laissèrent sortir de la +maison assiégée pour prendre de l'eau et pour vaquer aux affaires du +ménage. Il étoit aussi d'usage de laisser croître sa barbe lorsqu'on +étoit en guerre; c'étoit un acte de courage, car il n'y avoit point de +buisson, de rocher qui ne put receler un ennemi, c'étoit s'exposer à +périr à tous les moments du jour.... Celui-là passoit pour un homme +lâche, un homme vil, qui, à la nouvelle de la mort de son parent, ne +couroit jurer sur son cadavre de le venger, et, des ce moment, ne +laissoit croître sa barbe. La paix se faisoit cependant quelquefois: il +y avoit des gens sages, des vieillards respectés, qui réconcilioient les +partis. On étoit scrupuleux dans l'exécution du traité.</p> + +<p>Tels furent, monsieur, les effets de l'administration génoise. Accablés +sous le poids des impôts arbitraires, désunis, les mains dégoûtantes du +sang de nos frères, nous gémîmes longtemps: mais ce ne fut qu'en 1715 +que l'on commença à s'apercevoir qu'il se faisoit un mouvement général. +L'on envoya un orateur à Gênes représenter l'état déplorable de la +nation; il étoit entre autres choses chargé de solliciter un désarmement +général et prioit le sénat de faire respecter son autorité. Les patentes +pour porter les armes étoient à la fois une spéculation de finances et +de politique. Le sénat eut l'impudence de se refuser à la demande si +raisonnable, et d'alléguer pour prétexte la diminution que cela +produiroit dans le revenu public. L'orateur proposa une nouvelle +imposition beaucoup plus forte: l'imposition fut acceptée, mais les +patentes continuèrent toujours à se distribuer, et la justice s'occupa +tout aussi peu de se faire respecter.</p> + +<p>L'île étoit déserte, inculte et dépeuplée. Depuis l'époque de +Giovan-Paolo, la population avoit diminué des trois quarts; elle étoit +alors de 400.000 habitants, et en 1720, on n'en comptoit que 120.000. Le +commerce étoit anéanti et la férocité des Corses étoit à son comble. +Leur existence étoit si misérable, qu'ils n'avoient rien à perdre. Il ne +falloit qu'un signal.</p> + +<p>En 1729, le lieutenant génois qui commandoit à Corte imposa, de sa +propre fantaisie, une nouvelle taxe qui, jointe à toutes les autres et à +la misère du pays, devenoit insupportable. Cardone di Bozio, vieillard +estropié, ayant reçu de la nature un corps difforme, mais une âme +vigoureuse et une élocution très-facile, assembla les habitants du +village de Bozio pour leur parler dans les termes les plus forts sur +l'avilissement ou ils vivoient, sur la gloire de leurs ancêtres et les +charmes de la liberté. Il profita du moment où les collecteurs venoient +percevoir l'imposition pour les faire chasser et poursuivre. Il excite +ses compatriotes à marcher vers Corte. Ceux-ci rencontrent un +détachement de soldats envoyés pour les punir; ils le battent, les +désarment, arrivent à Corte et brûlent la maison du commandant, qui a le +bonheur de se sauver A cette nouvelle, on se rallie de tous côtés, ou +prend les armes, on court à Bastia pour punir le gouverneur-général +Pinelli, objet de l'exécration publique; on prend une partie de la +ville, on surprend Algajola, et voilà le joug rompu sans retour... «Aux +yeux de Dieu, disoit souvent Cardone, le premier crime est de tyranniser +les hommes, le second, c'est de le souffrir.» Jamais révolution ne +s'opéra plus subitement Les ennemis oublièrent leur haine, firent +partout la paix, objet de tous les voeux. La prospérité de la patrie +naissante sembla être le mobile des actions de chacun; le feu du +patriotisme agrandit subitement des âmes qu'avoient, pendant tant +d'années rétrécies l'égoïsme et la tyrannie... Amis, nous sommes hommes! +étoit le cri de ralliement. Fiers tyrans de la terre, prenez-y bien +garde! Que ce sentiment ne pénètre jamais dans le coeur de vos sujets, +préjugé, habitude, religion, foibles barrières! le prestige est détruit, +votre trône s'écroule si vos peuples se disent jamais: «Et nous aussi, +nous sommes des hommes! »</p> + +<p>Les premières années de la guerre, les Corses n'eurent aucune forme de +gouvernement: la haine des tyrans guidoit tout le monde. Ce ne fut qu'à +la réunion de Saint-Pancrazio que l'on nomma Giafferi commandant des +armées. A l'assemblée de Corte, on déclara les Génois déchus de leur +souveraineté, l'on déclara la nation libre et indépendante. Pour rendre +cette déclaration plus imposante, pour achever de détruire les préjugés +que la multitude pouvoit conserver, on assembla à Orezza un congrès des +théologiens les plus célèbres des différents ordres. On leur proposa +trois questions: si la guerre actuelle étoit juste, si les Génois +étoient des tyrans, si l'on étoit délié du serment de fidélité. Ce +congrès, que présida le célèbre Orticoni, répondit à tout d'une manière +satisfaisante. La guerre, dit-il, est non-seulement juste, mais même +sainte: le serment est nul dès lors que le souverain est tyran.</p> + +<p>Mal armés, sans discipline, ils battirent partout leurs tyrans, malgré +leur nombre, leur expérience et leur artillerie Assiégés dans le château +de Bastia, ils étoient, au bout de deux ans d'une guerre opiniâtre, +réduits à abandonner notre île lorsque l'aigle impériale, arborée au +lieu de la croix ligurienne, vint nous présager de nouveaux malheurs, +mais non décourager notre courage.</p> + +<p>Qu'avions-nous fait aux Allemands pour qu'ils voulussent notre +destruction? Que pouvoit importer à l'empereur d'Occident qu'une petite +île de la Méditerranée fût libre ou esclave? Mais les puissances se +jouent des intérêts de l'humanité, et les méchants ont toujours des +protecteurs. Le général allemand, à la tête de sa petite armée, +s'engagea dans des défilés: il perissoit infailliblement, lorsqu'il +trouva dans l'humanité des Corses une commisération inattendue, dont il +s'est rendu indigne par son lâche manque de foi. On lui accorda la +permission de retourner à Bastia, à condition qu'il feroit savoir à son +souverain la manière dont les Corses agissoient à son égard, et l'on +conclut un traité de deux mois; mais, avant l'expiration de la trêve, +les Allemands se remontrèrent au delà du Golo en plus grand nombre. Au +respect que nous avoient inspiré les armes d'un grand prince, succéda +l'indignation pour la perfidie de ses ministres. Après avoir laissé +environ deux mille morts ou prisonniers, nos ennemis regagnèrent leurs +remparts avec précipitation. L'enthousiasme produisit les actions les +plus dignes d'être transmises à la postérité. Vingt et un bergers de +Bastelica faisoient paître leurs troupeaux dans la plaine de Campo di +Loro, deux cents hussards et six cents piétons vinrent pour les enlever: +ces braves gens se réunissent, tiennent ferme, repoussent cette +nombreuse troupe et la font fuir. Investis enfin par quatre cents autres +ennemis, ils périssent tous en prononçant le nom sacré de la patrie.</p> + +<p>L'honneur de l'empereur avoit essuyé bien des échecs. Si l'honneur des +princes consiste à protéger le juste contre le méchant, le faible contre +le fort, sans doute l'empereur Charles VI avoit déshonoré ses armes; +mais si l'honneur consiste à massacrer des infortunés, le cabinet de +Vienne sut bien réparer ce qu'il n'avait pu faire à la campagne +précédente. Il envoya le prince de Wirtemberg avec des renforts +considérables: et quoique ses premiers efforts ne furent pas heureux il +étoit désormais impossible de résister à des forces si imposantes. On +fit des propositions de paix: les Génois reconnurent, accordèrent, +promirent tout ce qu'on voulut et l'on posa les armes.</p> + +<p>Il étoit tout naturel que, ne voulant observer aucune des conditions du +traité, les Génois commençassent par se défaire des chefs qui avoient +conduit les Corses avec tant de bonheur dans des circonstances si +difficiles. Les principaux parmi ces chefs furent arrêtés et conduits +dans le château de Sagone; c'en étoit fait de leur vie, si Boerio et +Orticone n'eussent su intéresser le prince Eugène au sort de ces +illustres prisonniers L'empereur, éclairé, exigea du sénat leur +délivrance. Ne pouvant les perdre, les Génois tentèrent de se les +attacher en leur faisant des offres qu'ils méprisèrent. On suivit le +même plan de persécution contre les principaux citoyens; la mort ou la +prison.</p> + +<p class="mid">FIN DES LETTRES SUR LA CORSE.</p> + +<br> + +<h3>Courses du Champ-de-Mars.</h3> + +<p class="rig">Dimanche, 30 avril.</p><br><br> + +<p>Les courses de la Société d'Encouragement pour l'amélioration de la race +des chevaux en France comptent déjà dix années d'existence, dix années +de progrès incontestables. N'est-ce pas une oeuvre nationale que de +prétendre affranchir un jour son pays du tribut chevalin qu'il paie à +l'étranger? Pour arriver plus vite à des résultats meilleurs, il n'a +manqué à la Société d'Encouragement que d'avoir des fondateurs moins +élégants et moins jeunes. Longtemps les esprits forts, Thomas plus +jaloux qu'incrédules, ont affecté de traiter avec légèreté ses projets +et ses courses. Le prestige de la nouveauté qui, en France, protège tous +les établissements naissants, n'est pas venu en aide à la Société; il a +fallu dix ans d'efforts et de sacrifice, dix ans féconds en éleveurs et +en chevaux pour ouvrir les yeux à ces aveugles volontaires. Une +association d'hommes, que l'on trouvait trop heureuse pour la trouver +intelligente, a donné l'élan: aujourd'hui ils ont rallié à leurs idées +tous les départements propres à l'élève du cheval; bien mieux, ils ont +converti l'administration des haras elle-même! Quelle victoire! Les +haras ont enfin admis la supériorité du pur sang anglais; ils ont +augmenté les allocations de courses et modifié leurs règlements; ils +préparent de loin des améliorations plus importantes encore. De jour en +jour les préjugés disparaissent: la maigreur jadis proverbiale des +chevaux de course a cessé d'être une vérité; on commence à savoir qu'ils +ne sont ni exténués ni tués par le régime de l'entraînement. Les chevaux +savamment entraînés dépouillent la graisse qui paralyserait le jeu des +muscles et de la respiration, et qui gênerait leur vitesse. Plus tard, +rentrés dans la vie privée, affectés au service de la production, ils +acquièrent cet embonpoint que l'on considère quelquefois comme un signe +de force et de beauté, et qui n'est, en réalité, que l'enseigne de la +fainéantise.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/003a.png"><br> <b>Courses de haies au Champ-de-Mars.</b></p> + +<p>Dimanche, 30 avril, quand sont arrivés sur le terrain de course, +<i>Prospero</i> à M. de Rothschild, <i>Cédar</i> à M. A. Fould. <i>Mirobolant</i> au +comte d'Hédonville, <i>Effie</i> à M. Jules Rivière. <i>Maid</i> à M John Drake, +et <i>Kate-Nickleby</i> au vicomte Delaveux, la foule ne les a trouvés ni +trop maigres ni trop efflanqués; ils n'étaient pas tous également dignes +d'éloges: <i>Effie, Maid</i> et <i>Kate</i> ont bien quelques reproches à se +faire; mais ici-bas rien n'est ni parfait ni complet. Onze chevaux +devaient été engagés pour ce prix: <i>bourse de mille francs</i>; cinq ont +été retirés; sur les six qui restent, trois se présentent beaux et bien +faits, les yeux ardents, la tête fière, le poil lisse et brillant: +peut-on se plaindre? Les partis variaient de <i>Prospero</i> à <i>Cédar</i>: les +<i>Prospéristes</i> l'ont emporté sur les <i>Cédaristes</i>.</p> + +<p class="lef"><img alt="" src="images/003b.png"><br> <b>Pesage des jockeys.</b></p> + +<p><i>Pris de l'administration des Haras</i>: 2000 fr. <i>pour poulains et +pouliches de trois ans</i>.--Huit chevaux inscrits, quatre présents. +<i>Vesperine, Karagheuse, Drummer</i> et <i>Ursule</i>: ils partent comme une +seule flèche; mais bientôt la flèche se fend en quatre; la première, +c'est <i>Vesperine</i>, la seconde, c'est <i>Ursule, Drummer</i> tient la tête; +<i>Karagheuse</i> la tiendrait si on le laissait aller. Près du but, d'un +bond prodigieux il s'élance, passe <i>Drummer</i> et gagne, <i>Karagheuse</i> +appartient à M. Sabatier, un de nos éleveurs sérieux, et jusqu'ici assez +peu favorisé par la chance des courses. Sa tardive victoire n'a trouvé +que des mains pour applaudir. Le jockey de <i>Drummer</i> a prétendu avoir +été coupé par <i>Karagheuse</i>, mais sa réclamation n'a pas été admise.</p> + +<p><i>Prix du ministère du Commerce</i>: 2000 fr. <i>pour chevaux entiers et +juments de trois ans et au-dessus, nés et élevés en France, et tracés au +Stud-Book français.</i></p> + +<p><i>Pamphile</i> à M. Fasquel, <i>Angora</i> à M Lupin, <i>Opéra</i> à M. de Morny, +paraissent seuls au poteau. <i>Angora</i> a tous les parieurs pour lui. Ce +fils de <i>Lottery</i> et de <i>Young-Mouse</i> est célèbre sur le <i>turf</i>: déjà il +a remporté plus d'un prix à Paris et à Versailles; il est arrivé second +au Derby de Chantilly. De ses deux adversaires, l'un, <i>Opéra</i>, est +inconnu; l'autre, <i>Pamphile</i>, est mal connu, et cependant <i>Pamphile</i> a +battu <i>Opéra</i> second, <i>Angora</i> troisième; sur quoi compter?</p> + +<p><i>Course de haies: 2000 fr. pour chevaux de tout âge et de tout pays: le +vainqueur pourra être réclamé pour quatre mille francs.</i></p> + +<p>Par un heureux hasard, un seul cheval manque à l'appel, et ce cheval, +c'est le favori, c'est <i>Turpin</i>. <i>Pewet, Lansquenett, Muley-Hamet, +Pantalon. Paddy</i> et <i>Leporello</i> viennent parader et s'essayer sur la +haie qui fait face aux tribunes publiques: presque tous sautent mal, +enfoncent la haie; <i>Paddy</i> même désarçonne presque son jockey; bien des +chutes sont prévues, quel bonheur! Mais le signal est donné, les chevaux +partent du dernier tournant de l'École-Militaire; la terre tremble sous +leur galop; ils chargent à toute vitesse le premier obstacle. <i>Pantalon</i> +est en tête; il franchit admirablement la haie. Ses rivaux, piqués +d'émulation, se font applaudir à côté de lui. La victoire n'a pas été un +seul instant douteuse: qui peut lutter contre <i>Pantalon</i>? Il est arrivé +premier au but, et son dernier élan a été le plus beau.</p> + +<p class="rig">Courses du 7 mai.</p><br><br> + +<p>Les dimanches et les courses se suivent et ne se ressemblent pas; les +solennités hippiques de la journée ont été bien modestes; il y avait +beaucoup de courses et peu de chevaux; c'est là un de ces petits +malheurs que la plus sage volonté ne peut prévenir. Dans le monde +cheval, il est des réputations si bien posées, que toute rivalité +disparaît devant un nom trop redoutable; quelquefois aussi, comme dans +le <i>trial-stakes,</i> poule d'essai, deux chevaux sont engagés, et si l'un +des deux tombé malade, force est bien à l'autre de s'escrimer tout seul. +<i>Spark</i>. à M. Aumont a été débarrassé de <i>Governess</i>, à M. de Perrigaux, +par une indisposition qui n'aura pas de suite.</p> + +<p><i>Prix extraordinaire de 1843. 3000 fr. pour chevaux et juments de quatre +ans et au-dessus: entrée, 2000 fr.: un tour et quart en partie liée. Le +cheval qui arrivera second recevra la moitié des entrées.</i></p> + +<p>Sans cette dernière et adroite condition, <i>Nautilus</i> n'eut pas trouvé de +concurrent. <i>Nautilus</i>, au comte de Cambis, est le meilleur cheval qu'il +y ait en France en ce moment. Parvenu à l'âge mûr, il prend à tâche de +faire oublier, à force de succès, les défaites de sa jeunesse. +<i>Pamphile</i> et <i>Miserere</i> ne prétendent nullement au prix de 3000 fr.; la +moitié des entrées suffit à leur modeste ambition. Les trois chevaux se +divisent en deux pelotons. Premier peloton. <i>Nautilus</i> tout seul; +deuxième peloton. <i>Pamphile</i> et <i>Miserere</i>. Aux deux épreuves ils sont +arrivés dans le même ordre, et <i>Pamphile</i> a touché 400 fr.</p> + +<p><i>Prix du cadran: 3000 fr. pour poulains et pouliches de quatre ans. +Entrée, 500 fr.; distance, deux tours.</i></p> + +<p>Le programme promettait <i>Angora, Eliezer, Adolphus</i> et <i>Annetta</i>, mais +<i>Annetta</i> est une <i>Nautilus</i> femelle; comme, cette fois, il n'y avait +pas de second prix à gagner, elle a couru seule.</p> + +<p>Ces trois courses, dont le dénouement était prévu, excitaient quelques +murmures, lorsqu'en manière de dédommagement, onze <i>hacks</i>, chevaux non +entraînés, sont entrés en lice. Cette poule, servie comme un +hors-d'oeuvre aux convives gourmands et peu connaisseurs du +Champ-de-Mars, a montré <i>Lantara, Césarévitch, Hurrican, Olivia, +Thesoroconicocrysides, Yorick, Young Cadland, Repentir, Fenella, +Verveine</i> et <i>Mistigri</i>. Faire bien partir tant de chevaux peu pressés +de partir n'était pas chose facile, et M. Bertollaci n'a obtenu aucune +espèce de succès dans cette partie officielle de ses fonctions. <i>Yorick, +Verveine, Hurrican</i> et <i>Mistigri</i> entendent seuls l'ordre du départ. +<i>Yorick</i> a gagné.</p> + +<p class="rig"><img alt="" src="images/003c.png"><br> <b>Traitement du cheval après la course.</b></p> + +<p><i>Prix du Printemps: 3500 fr. pour poulains et pouliches de trois ans. +Entrée 200 fr.; distance, un tour.</i></p> + +<p>Enfin voici une course à émotion. <i>Mam'zelle Amanda</i>, au comte de +Cambis, débute, et l'on dit d'elle quelque bien. <i>Drummer</i> a une +revanche à prendre, et <i>Karagheuse</i> une réputation à conserver. +<i>Vesperine, Alcindor, Péri, Moustique</i> et <i>Ursule</i> retirés; pendant +toute la course, <i>Karagheuse</i> retenu à pleines mains, voudrait et +pourrait passer; mais son jockey obéit aux ordres qui lui enjoignent +d'attendre. Au dernier tournant de l'École-Militaire, il veut saisir la +tête, <i>Drummer</i> lâche pied; <i>Mam'zelle Amanda</i> tient bon: tous trois ils +sont roulés et éperonnés. Qui gagnera? C'est <i>Mam'zelle Amanda</i>, mais à +peine a-t-elle un quart de tête d'avantage sur <i>Karagheuse.</i></p> + +<p>Ainsi se sont passées les premières courses de la Société +d'Encouragement; nous pouvons prédire à celles qui suivront une destinée +plus glorieuse encore. Au Champ-de-Mars, c'est comme chez Nicolet, +<i>toujours de plus fort en plus fort.</i></p> + +<h3>Anniversaire de la délivrance d'Orléans</h3> + +<p class="mid">(8 MAI)</p> + +<p class="lef"><img alt="" src="images/004a.png"><br> <b>Statue de Jeanne-d'Arc, à Orléans.</b></p> + +<p>Ce fut, comme on sait, le 8 mai 1429 que Jeanne d'Arc obligea les +Anglais à lever le siège d'Orléans; depuis ce jour, le souvenir de +l'héroïque jeune fille est resté, chez les Orléanais, entouré d'un +religieux prestige.</p> + +<p>On voyait autrefois sur l'ancien pont d'Orléans, à l'angle de la rue de +la Vieille-Poterie et de la rue Royale, un groupe représentant Charles +VII et Jeanne d'Arc agenouillés devant Notre-Dame-de-Pitié. Ce monument +passa par bien des vicissitudes; en 1567, lors des troubles religieux, +il subit des mutilations qui furent réparées ensuite. Plus tard, la +démolition de l'ancien pont ayant obligé de l'enlever, on le déposa à +l'Hôtel-de-Ville, où il resta jusqu'en 1771. A cette époque, un M. +Desfriches obtint, à force de sollicitations, qu'il fût réédifié. Mais, +quelques années après, en 1792, on le brisa pour en fondre des canons.</p> + +<p>Dans une délibération du 50 frimaire an XI, le conseil municipal +d'Orléans arrêta qu'une souscription serait ouverte en vue d'ériger un +nouveau monument à Jeanne d'Arc.--Chaptal, ministre de l'intérieur, +proposa, dans un rapport du 2 floréal même année(1805), le +rétablissement de l'anniversaire du 8 mai; et Napoléon, alors premier +consul, apostilla en ces termes la délibération du conseil municipal +d'Orléans:</p> + +<p>«Ecrire au maire d'Orléans, M. Crignon-Desormeaux, que cette +délibération m'est très-agréable.</p> + +<p>«L'illustre Jeanne d'Arc a prouvé qu'il n'est pas de miracle que le +génie français ne puisse produire, dans les circonstances ou +l'indépendance nationale est menacée.</p> + +<p>«Unie, la nation française n'a jamais été vaincue; mais nos voisins, +plus calculateurs et plus adroits, abusant de la franchise et de la +loyauté de notre caractère, semèrent constamment parmi nous ces +dissensions d'où naquirent les calamités de cette époque et tous les +désastres que rappelle notre histoire.»</p> + +<p>La fête, vraiment patriotique du 8 mai fut donc réinstituée en 1805; et +dans cette fête on inaugura une statue provisoire de Jeanne d'Arc, +exactement semblable à celle que le conseil municipal venait de voter.</p> + +<p>Le monument définitif, qu'on peut voir aujourd'hui au centre de la place +du Martroi (quartier Vert), et que notre gravure représente, ne fut +érigé qu'en 1805. C'est une statue en bronze, de huit pieds, due au +talent de M. Gois. Elle repose sur un piédestal de neuf pieds de haut +sur quatre de large, revêtu de marbres d'une beauté remarquable, et orné +de bas-reliefs dont les sujets sont empruntés à la vie de la religieuse +héroïne.</p> + +<p>Le quatre cent quatorzième anniversaire de la délivrance d'Orléans a été +célébré lundi dernier, 8 mai.</p> + +<p>Voici à peu près le programme annuel de cette cérémonie: Le jour de la +fête, la cloche du beffroi sonne, de quart d'heure en quart d'heure, +depuis le lever du soleil jusqu à la rentrée du cortège dont nous allons +parler. A neuf heures du matin, le corps municipal, les diverses +corporations et les fonctionnaires civils et militaires se réunissent à +la cathédrale, où un orateur agréé par l'évêque prononce le panégyrique +de Jeanne d'Arc. Après la cérémonie religieuse, le cortège va faire une +station sur l'ancienne place des Tourelles, illustrée par les exploits +de Jeanne d'Arc. Une salve d'artillerie annonce ensuite le retour du +cortège, qui rentre à la cathédrale, pour entendre un <i>Te Deum</i> +solennel.</p> + +<p>Maintenant, grâce aux chemins de fer qui viennent d'être inaugurés la +semaine dernière, on peut visiter dans la même journée le théâtre du +triomphe et celui du martyre de la Pucelle d'Orléans.</p> +<br> + +<h3>Nécrologie.--THÉODORE COLOCOTRONI</h3> + +<p class="lef"><img alt="" src="images/004b.png"><br> <b>Décédé le 16 février 1843.</b></p> + +<p>Théodore Colocotroni est mort le 16 février dernier dans la ville +d'Athènes, d'une attaque d'apoplexie, à l'âge de 74 ans.</p> + +<p>La gravure ci-jointe, dont le dessin a été fait par un artiste récemment +arrivé d'Athènes, représente le célèbre général grec, tel qu'il était +exposé aux regards de la foule, avec son uniforme et ses décorations, la +veille de ses funérailles.</p> + +<p>Avant la révolution grecque, Theodore Colocotroni s'était acquis une +grande réputation comme chef de partisans, nous pourrions presque dire +comme chef de bandits. Il se faisait remarquer surtout par son audace, +par son courage et par sa cruauté. Forcé de s'exiler, il prit tour à +tour du service dans les armées de la Russie et de l'Angleterre. Au +moment où la révolution grecque éclata, c'est-à-dire au mois d'avril +1821 il habitait les îles Ioniennes, où il exerçait la profession de +boucher. A peine la nouvelle de l'insurrection lui fut parvenue, il +s'embarqua, passa en Morée et il devint bientôt un des chefs principaux +de l'armée révolutionnaire. Aussi habile que brave, il sut se défendre +avec succès contre toute» les attaques des ennemis de sa patrie, jusqu'à +la bataille de Navarin. Mais l'indépendance de la Grèce proclamée, il se +montra l'un des ennemis les plus violents du roi Othon et du +gouvernement établi par les puissances alliées. Accusé du crime de haute +trahison, il fut condamne à mort. D'abord le jeune roi commua sa peine +en un emprisonnement perpétuel; puis il lui accorda un pardon complet et +il lui rendit ses grades, ses honneurs et ses propriétés Le jour de ses +funérailles. Colocotroni a été conduit à sa dernière demeure par la +population d'Athènes. Les troupes de la garnison, les dignitaires de +l'État les représentants des grandes puissances assistaient à cette +cérémonie. A ce moment suprême chacun oubliait les fautes de l'homme +dont on allait confier à la terre la dépouille mortelle, pour ne se +rappeler que les eminents services qu'il avait rendus à son pays.</p> + +<h4>LE DUC DE SUSSEX</h4> + +<p class="rig"><img alt="" src="images/004c.png"><br> <b>Décédé le 21 avril 1843.</b></p> + +<p>Le jeudi 4 mai 1843 ont eu lieu, à Londres, les obsèques du duc de +Sussex, oncle de la reine Victoria, mort le 21 avril dernier, à l'âge de +soixante-onze ans. Ce prince a eu une existence si honorable, sa mort a +excité des regrets si universels que nous avons cru devoir emprunter aux +journaux anglais la courte biographie qui va suivre. De semblables +exemples sont rares, aussi il est toujours bon et utile de les signaler +à la méditation et à la reconnaissance publiques Le duc de Sussex ne +s'est illustré par aucune action d'éclat: il n'a rendu aucun service +importants à son pays; il n'était après tout qu'un homme ordinaire: mais +aussi il n'a jamais recherché la puissance, il ne s'est servi de sa +fortune que pour faire le bien, il a constamment méprisé, sans +affectation, toutes les distinctions de la naissance et de la richesse. +Issu d'une famille royale, il a aimé le peuple d'une affection sincère, +enfin, il est toujours resté fidèle à sa conscience. Ne sont-ce pas là +des qualités qui méritent un honorable souvenir?</p> + +<p>Le duc de Sussex, le sixième fils de George III et de la reine +Charlotte, était né à Buckingham-House, le mercredi 27 janvier 1775. Ses +frères, les ducs d'York, de Kent, de Cumherland et de Cambridge, +adoptèrent la profession des armes. Le duc de Clarence se fit marin. +Seul de tous les membres de la famille, le duc de Sussex s'adonna +exclusivement, pendant sa jeunesse, à l'étude de» arts et de la +littérature --Envoyé en Allemagne, avec ses frères Ernest et Adolphe, +il devint un des meilleurs élèves de l'université de Gottingue, fondée +par Georges II en 1734; puis il alla achever son éducation à Rome, les +troubles de tout genre uni avaient suivi la révolution de 1789 ne lui +ayant pas permis de visiter la France et Paris.</p> + +<p>Le prince Auguste-Frédéric, ainsi s'appelait le futur duc de Sussex +passa donc à Rome les années 1792 et 1793. Parmi les Anglais qui +résidaient à cette époque dans la métropole du monde chrétien, se +trouvaient le comte et la comtesse de Dunmore et leur seconde fille, +lady Augusta Murray. Les charmes et l'amabilité de lady Angusta Murray +produisirent une impression si vive sur le prince Auguste, que, malgré +la différence d'âge (lady Augusta Murray avait trois ans de plus que le +prince Auguste), malgré les dispositions prohibitives du <i>royal marriage +act</i>, qui défend aux descendants de George II de se marier avant l'âge +de vingt-cinq ans sans le consentement du roi régnant, malgré la +sévérité bien connue de son père, le fils de George III se décida à +épouser la fille du comte de Dunmore. Il avait alors vingt-un ans. Le +mariage fut célébré à Rome, le 4 avril 1793, par un prêtre de l'église +d'Angleterre. L'année suivante, la princesse Augusta donna le jour à un +enfant du sexe masculin, qui est aujourd'hui le colonel sir A. d'Este.</p> + +<p>Dès que la nouvelle de cette union fut parvenue, en Angleterre, le +gouvernement se hâta de la faire déclarer nulle par les tribunaux +ecclésiastiques, en vertu du <i>royal marriage act</i>; mais le prince +Auguste persista à soutenir sa validité; il traita toujours lady Augusta +comme sa femme, et son fils comme un enfant légitime, leur donnant en +toute occasion les titres de princesse et de prince. Toutes ses +protestations furent inutiles. Seulement, en 1806, lady Augusta reçut du +roi l'autorisation de prendre le nom de comtesse d'Ameland. Elle habita +pendant plusieurs années une maison de campagne située près de Ramsgate, +et jusqu'à sa mort, qui eut lieu le 5 mars 1830, les habitants des +villages voisins continuèrent à l'appeler «la duchesse de Sussex.»</p> + +<p>Le prince Auguste résida encore longtemps sur le continent. Il fit un +assez long séjour en Suisse, passa deux années entières à Berlin, visita +Lisbonne, et ne revint définitivement en Angleterre qu'en 1801. Le 21 +novembre de cette année, il fut élevé à la pairie, créé duc de Sussex, +comte d'Inverness et baron d'Arklow. A peine admis dans la chambre des +lords, il s'y fit remarquer par son opposition franche et vigoureuse, au +ministère tory, par son libéralisme intelligent, et sinon par son +éloquence, du moins par l'élégante facilité avec laquelle il savait +s'exprimer en public. Aussi eut-il bientôt acquis dans le Parlement une +influence qu'aucun membre de la famille royale n'avait jamais possédée. +Quand George III perdit complètement l'usage de sa raison, quand le +prince de Galles, devenu régent, eut trahi honteusement ses anciens +amis, le duc de Sussex ne suivit pas l'exemple de son frère. Il resta +fidèle à ses opinions; car il les avait adoptées par conviction, et non +par ambition personnelle, et jusqu'à sa mort il se montra un des +défenseurs les plus sincères et les plus dévoués des droits et des +libertés de la nation. On ne put lui reprocher d'avoir jamais cherché à +se rendre populaire, pour exploiter à son profit sa popularité. Ce +n'était pas un motif égoïste qui le faisait agir ou parler; mais +uniquement le sentiment de son devoir, l'amour du bien public, la haine +de l'injustice. Aussi se mit-il rarement en avant. «Je ne prends la +parole dans cette Chambre, disait-il dans son discours sur le bill de +réforme, que lorsque de grandes questions constitutionnelles y sont +discutées, que lorsqu'il s'agit des droits et des libellés de +l'Angleterre. Alors je regarde comme un devoir pour moi de venir occuper +ma place, d'exprimer mon opinion, et de donner mon vote consciencieux.</p> + +<p>«Je connais le peuple mieux qu'aucun de vous, continuait-il en +s'adressant à ses collègues. Ma position, mes habitudes, mes relations +avec un grand nombre d'institutions charitables et utiles, et d'autres +circonstances qu'il est inutile d'énumérer ici, me mettent journellement +en rapport avec des individus de tous les rangs. Permettez-moi donc de +vous apprendre quelles sont les habitudes et les récréations du peuple. +Vous parlerai-je des ouvriers de Nottingham, par exemple? Ce que je vais +vous dire, vous l'ignorez sans doute... Les ouvriers de Nottingham +possèdent une bibliothèque qui ferait honneur à un lord. Le choix de +leurs livres prouve qu'ils ont un aussi bon jugement que vos +excellences. Et s'ils sont aussi sensés, aussi intelligents que vous, +pourquoi ne jouiraient-ils pas des mêmes droits?--Personne ne respecte +plus que moi les privilèges du rang; mais, permettez-moi de vous le +dire, l'éducation ennoblit l'homme plus que toute autre chose, et quand +je vois le peuple s'instruire et s'enrichir, je serais curieux de savoir +pourquoi il ne lui serait pas donné de s'élever d'un ou de plusieurs +degrés sur l'échelle sociale... J'ai toujours été partisan de la +réforme, et tant que la constitution ne sera pas réformée, je resterai +un réformateur.»</p> + +<p>Sans doute ce ne sont là que des lieux-communs un peu vieux, et le reste +du discours auquel nous les empruntons contient des passages moins +estimables; mais, qu'on ne l'oublie pas, l'orateur qui tenait un pareil +langage était le frère de George IV, et il parlait à l'aristocratie +anglaise. D'ailleurs, le duc de Sussex ne défendit pas seulement dans +ses discours au Parlement la cause de la réforme, il réclama tour à tour +l'abrogation des lois céréales, la liberté religieuse, la réforme du +code pénal, etc., et une foule d'autres mesures non moins importantes, +etc.--En 1792, lorsque le jugement et l'exécution de Louis XVI eurent +réduit à quarante-cinq le nombre des partisans de Fox, il n'abandonna +pas ce grand homme d'état. Enfin, après la bataille de Waterloo, il +protesta dans les journaux de la chambre des lords contre la captivité +de Napoléon.</p> + +<p>Toutefois, malgré sa grande popularité, le Parlement ne fut pas le +théâtre où le duc de Sussex joua le rôle le plus noble et le plus utile. +Chez lui, le philanthrope l'emporte de beaucoup sur l'homme politique +Pour l'apprécier à sa juste valeur, il fallait le voir dans une de ces +réunions charitables qu'il présidait avec tant de complaisance, de tact +et d'esprit. Pendant quarante années il plaida la cause du pauvre, de la +veuve et de l'orphelin. Il prêcha la charité et il fit de nombreux +prosélytes; car il était éloquent et il joignait toujours l'exemple à la +leçon...</p> + +<p>Le duc de Sussex fut, en outre, durant toute sa vie, un protecteur zélé +et intelligent des artistes et des gens de lettres. Il possédait des +connaissances variées et un goût parfait; la belle bibliothèque qu'il +avait formée au palais de Kensington en fournirait au besoin une preuve +suffisante. Cette bibliothèque se composait de 50.000 volumes; elle +comprenait toutes les branches des sciences humaines et des manuscrits +précieux, mais elle était surtout riche en ouvrages théologiques. En +1816, le duc de Sussex avait été nommé président de la Société des Arts. +En 1830, il fut élevé à la présidence de la Société Royale, et chaque +année, depuis cette époque, il réunit dans ses salons de Kensington +l'élite des savants, des artistes et des littérateurs de l'Angleterre, +tous les membres des diverses sociétés scientifiques de Londres. En 1839 +il donna sa démission, parce que ces soirées lui occasionnaient des +dépenses hors de proportion avec ses revenus.</p> + +<p>Le duc de Sussex devait violer deux fois dans sa vie les dispositions du +<i>royal marriage act</i>. Après la mort de sa première femme, il conçut un +vif attachement pour la veuve de sir George Buggin, qui avait obtenu du +roi l'autorisation de prendre le nom d'Underwood. On assure qu'ils se +marièrent en secret. Quoi qu'il en soit, lady Cecilia Underwood fut +admise dans la plus haute société, et dès lors elle accompagna le duc +partout on il allait. En 1840 la reine Victoria l'éleva à la pairie et +lui conféra le titre de duchesse d'Inverness. A cette occasion, elle +reçut de nombreuses visites de félicitations, et on remarqua que les +visiteurs la traitèrent comme un membre de la famille royale. Ils ne lui +laissèrent pas leurs cartes, mais ils inscrivirent eux-mêmes leurs noms +sur un registre.</p> + +<p>La mort du duc de Sussex laisse vacants les emplois et les titres +de:--président de la Société des Arts;--grand-maître de l'ordre du +Bain;--veneur des parcs de Saint-James et de Hyde;--grand intendant de +Plymouth;--colonel de la compagnie d'artillerie;--grand-maître des +francs-maçons;--gouverneur et constable du château de +Windsor;--chevalier de la Jarretière.</p> + +<p>Le duc de Sussex avait déclaré dans son testament qu'il ne voulait pas +être enterré au château de Windsor, dans la chapelle du cardinal Wolsey, +où sont ensevelis tous les membres de la famille royale. Il avait choisi +lui-même, pour le lieu de sa dernière demeure, le cimetière public du +petit village de Kensal-Green. Ses dernières volontés ont été +religieusement observées. Le fils de George III repose à côté du plus +humble des sujets de son père; seulement, on lui a fait des obsèques +royales; mais nous n'ennuierons pas nos lecteurs du récit de cette +triste et fastidieuse cérémonie, à laquelle le public n'a pas été admis. +Les véritables amis du duc de Sussex n'auraient pas prononcé sur sa +tombe des adieux aussi étranges que ceux que sir Charles Young, le +<i>Garter King at arms</i>, a été forcé par l'étiquette de cour, de réciter à +haute voix en présence du mari de la reine:</p> + +<p>«Ainsi, il a plu à Dieu tout-puissant de rappeler à lui le très-haut, +très-puissant et très-illustre feu prince-Auguste Frédéric, duc de +Sussex, baron d'Inverness et baron d'Arklow, chevalier de l'ordre +très-noble de la Jarretière, chevalier de l'ordre très-noble et +très-ancien du Chardon, grand-maître et chevalier grand-croix de l'ordre +militaire très-honorable du Bain, sixième fils de feu S. M. le roi +George III, et oncle de sa très-excellente majesté la reine Victoria, +que Dieu bénisse et à qui il accorde une longue vie, une bonne santé, +beaucoup d'honneur, et tous les bonheurs de ce monde.» Au lieu de ces +vains titres, ils eussent rappelé ses vertus et ses talents, ils eussent +dit comme nous: «Il fui bon, honnête, fidèle à ses opinions; il mérita +l'estime et la reconnaissance de ses concitoyens.»</p> +<br> + +<h3>CHAPELLE DE NOTRE-DAME-DES-FLAMMES.</h3> + +<h4>A BELLEVUE. ANNIVERSAIRE DU 8 MAI.</h4> + +<p class="rig"><img alt="" src="images/005.png"><br> + +<p>Tout le monde a entendu parler de la chapelle qui a été élevée à +Bellevue, sous l'invocation de <i>Notre-Dame-des-Flammes</i>, à l'endroit +même où a éclaté, l'année dernière, l'horrible catastrophe du chemin de +fer de Paris à Versailles, rive gauche. Nous allons essayer de compléter +par quelques indications l'idée que nos lecteurs pourront se faire de ce +monument funèbre, à l'aide de la gravure que nous mettons sous leurs +yeux.</p> + +<p>Comme on le voit, cette chapelle, de style ogival, a la forme d'un +triangle. L'intérieur est d'une extrême simplicité, d'une sévère nudité. +Dans l'angle qui fait face à la porte d'entrée, c'est-à-dire du côté de +l'orient, conformément à l'usage symbolique adopté, dans la construction +de la plupart des églises, se trouve l'autel. Pour tout ornement, il +porte des candélabres en pierre figurant des ossements humains et des +têtes de mort. Au-dessus de l'autel est sculptée une petite image de la +Vierge, les pieds sur un globe à demi enveloppé de flammes, les mains +jointes, les yeux au ciel, dans l'attitude de la prière. Sur la console +qui supporte cette statuette, on lit: <i>Aux victimes du VIII mai +MDCCCXLII;</i> et au-dessous: <i>O bonne et tendre Marie! défendez-nous +contre les flammes de la terre, mais préservez-nous surtout des flammes +de l'éternité</i>. Plus haut, tout près de la voûte, un vitrail peint en +forme de médaillon, dont la partie supérieure, représente la Trinité +chrétienne, et la partie inférieure une scène de l'incendie du chemin de +fer. Plusieurs malheureux, à demi plongés dans les flammes, lèvent les +yeux et les mains vers les trois personnes divines, qu'ils semblent +invoquer. Nous avons remarqué, surtout une mère qui serre son enfant dans +ses bras avec une expression d'angoisse suppliante.</p> + +<p>La frise intérieure de la chapelle représente des ossements humains qui +brûlent, avec des têtes de mort à chacun des angles. Le pendentif de la +voûte est également orné de têtes de morts entourées de flammes.</p> + +<p>Quant à l'extérieur, le monument est couronné par une statue de la +Vierge, en tout semblable, à celle de l'intérieur. A ses pieds on lit: +<i>N.-D.-des-Flammes</i>. Plus bas, c'est encore comme à l'intérieur, une +frise d'ossements humains qui brûlent.</p> + +<p>Au-dessous du fronton, occupé par un demi-relief qui représente +vraisemblablement un épisode de la triste catastrophe, est écrit: <i>Paix +aux victimes du VIII mai!</i> souhait pieux contre lequel proteste +brutalement, à chaque instant du jour, le fracas des wagons qui passent +comme l'ouragan.</p> + +<p>Enfin, sur la porte, peinte en rouge, ces deux mots: <i>De profundis</i>, +sollicitent des visiteurs une mélancolique et courte prière, trop +rarement accordée sans doute.</p> + +<p>La chapelle Notre-Dame-des-Flammes, toute en pierres de taille, est +assise sur un petite tertre sablonneux d'où l'oeil embrasse un superbe +panorama: de belles prairies, une partie du cours de la Seine, et +là-bas, dans un lointain vaporeux, Paris avec ses magnificences +architecturales à demi voilées. Un treillage de bois, à l'intérieur +duquel règne une guirlande de buis jaune, dessine autour du monument un +pourtour triangulaire; à chaque angle s'élève une modeste croix de bois.</p> + +<p>La chapelle est si près des rails, que, de l'intérieur de l'enceinte +qu'elle occupe, on éprouve sensiblement l'impression de l'air chassé par +la violence des convois qui passent.</p> + +<p>L'édification de <i>Notre-Dame-des-Flammes</i> est due à l'une des personnes +les plus cruellement éprouvées par la catastrophe du 8 mai. M. Lemarié, +architecte, ayant perdu, dans ce jour néfaste, son fils, sa belle-soeur +et un cousin, a voulu consacrer à leur mémoire ce monument de pieux +regrets, élevé par lui-même, et qui ne fait pas moins honneur à son +talent qu'à son coeur.</p> + +<p>La chapelle de Notre-Dame-des-Flammes a été inaugurée, le 16 novembre +1842, par M. l'évêque de Versailles. On a attaché à sa fondation une +institution régulière de quatre messes par an, qui doivent être dites +par M. le curé de Meudon, indépendamment de celles que peuvent demander +les parents des victimes. Le lugubre anniversaire y a été célébré lundi +dernier, à onze heures du matin, par une cérémonie religieuse.</p> + +<p>Nous renonçons à décrire la physionomie de tristesse religieuse de cette +petite chapelle blanche qui s'élève, comme une muette prière, à côté de +la voie sur laquelle s'agitent pêle-mêle, avec une précipitation +bruyante, les passions, les affaires et les plaisirs des hommes. Il y a +là un effet de contraste qui jette sur le chemin de fer un reflet de +poésie que nous n'aurions jamais eu, avant, la hardiesse de soupçonner +dans un chemin de fer.</p> +<br> + +<h3>La Vengeance des Trépassés,</h3> + +<p class="mid">NOUVELLE.</p> + +<p class="mid">(Suite.--Voyez p. 75, 89, 105, 121 et 157.)</p> + +<h4>§ VII.--Philosophie.--Folie.--Adieux.</h4> + +<p>Don Christoval avait une de ces âmes fortement trempées qui luttent +contre la douleur et parviennent à la vaincre, au moins dans ses effets +ordinaires, c'est-à-dire que le triomphe est extérieur, et qu'an dedans +les ravages s'exercent plus profonds et plus durables.</p> + +<p>Il s'enferma deux jours sans permettre à âme qui vive de pénétrer +jusqu'à lui; ce temps passé, on le vit reparaître pâle, amaigri, mais +non abattu; il reprit ses courses botaniques, mais dom Sulzer ne pouvait +plus l'accompagner. Le soir il revenait couvert de poussière et chargé +de fleurs sauvages dont il jonchait la tombe de sa femme et de son fils; +il restait fort tard à les arranger, puis rentrait, et avant l'aurore il +était reparti pour toute la journée. Voilà sa vie.</p> + +<p>Cette fatigue du corps ne suffisant pas à dompter l'activité de sa +pensée, il essaya d'un autre système: c'était de lasser son imagination +en lui donnant pleine carrière. A cet effet, il se jeta dans les idées +philosophiques; c'était un retour vers une science qui l'avait fait +briller dans sa jeunesse à l'université de Salamanque. Il s'y adonna de +nouveau, sans pour cela renoncer à ses excursions lointaines; il +emportait de quoi écrire, et jetait en courant sur le papier les idées +dont il voulait faire les matériaux d'un grand ouvrage: ces idées +roulaient sur le temps, sur la mort, sur la résurrection et l'autre vie. +Tous ceux qui ont voulu approfondir ces terribles questions ont payé +cher leur témérité; don Christoval éprouva le même sort. Voici +quelques-uns de ces fragments décousus; ils feront comprendre +l'exaltation cérébrale de cet infortuné et la catastrophe qui +s'ensuivit.</p> + +<p>Elle est morte! Qu'est-ce que la mort? qu'est-ce que la vie? Le temps +existe-t-il pour les morts? L'Écriture se sert à chaque instant de ces +mots <i>la fin des temps,--la consommation des siècles</i>. Le temps finira +donc? oui. Le temps une créature de Dieu qui sera détruite comme les +autres; son seul privilège sera d'être détruite la dernière. J'ai +entendu dom Sulzer s'écrier un jour en prêchant: <i>Sortez du temps!</i> et +comment sortir du temps? Le temps est l'enveloppe dans laquelle se meut +l'humanité. Il est bien difficile à la pensée humaine de sortir du +temps; toutefois cela ne paraît pas impossible.</p> + +<p>Et qu'est-ce que l'éternité? l'absence du temps et de la durée: un +point; pas même un point, puisque dans un point, si petit qu'on le +conçoive, il y a encore l'idée de dimension; au lieu que dans l'éternité +le centre et les extrémités se confondent.</p> + +<p>La résurrection des morts suit donc immédiatement l'instant de leur +trépas; ils sont comme un homme qui tombe et aussitôt se relève; et les +hommes partis de différents points du temps arriveront tous +simultanément à la cessation du temps.</p> + +<p>Car le temps est une illusion, l'illusion fondamentale de notre vie, +laquelle n'est elle-même qu'une illusion destinée sans doute à éprouver +les âmes.</p> + +<p>Nous rentrons par intervalles dans la réalité au moyen du sommeil. Ce +sommeil éteint la matière et en dégage l'âme: alors le temps cesse pour +nous. La preuve en est claire: c'est que celui qui se réveille est +incapable de dire s'il a dormi dix heures ou dix minutes.</p> + +<p>Et souvent en dix minutes il a rêvé des faits dont la réalisation dans +le temps demanderait une année.</p> + +<p>Et lorsqu'il rapporte dans le temps ces souvenirs d'une, excursion hors +du temps, il juge, il compare, il mesure et dit: Qu'on est insensé quand +on dort!--C'est probablement, au contraire, le seul moment où l'on soit +sensé.</p> + +<p>Si Adam n'avait point goûté du fruit défendu, il ne fût pas mort, +c'est-à-dire que son illusion eut été éternelle; il n'y eut pas eu de +fin des temps ni de consommation des siècles, et ses enfants eussent été +immortels comme lui.</p> + +<p>Aurait-il en des enfants exempts du péché originel, et par conséquent de +la mort, ils auraient promptement encombré la terre, et que fut-il +arrivé?</p> + +<p>Ou il n'en aurait pas eu; alors la création se fût bornée à deux êtres +humains qui n'auraient pas fini.</p> + +<p>L'Éternel avait dit au premier homme: Si tu goûtes de ce fruit, tu +mourras de mort. Le tentateur dit à Eve: Si vous goûtez de ce fruit, +vous deviendrez semblables à Dieu.</p> + +<p>Les deux paroles furent accomplies: Adam, par suite de son péché, +mourut; et il devint semblable à Dieu, en ce point qu'il sortit du temps +hors duquel Dieu habite.</p> + +<p>Le passage de la vie à la mort, l'instant précis de ce passage, est-il +sensible pour ceux qui le franchissent? Non: mais on s'aperçoit des +approches.</p> + +<p>N'est-il pas probable qu'à ce moment solennel, avant la séparation de +l'esprit et de la matière, nos facultés éprouvent par anticipation un +éclair de perfectionnement, que les sens acquièrent subitement une +subtilité surnaturelle; l'intelligence une hauteur, une plénitude, un +pouvoir inaccessibles à l'état de vie normale? J'en suis convaincu; mais +presque toujours quand ce phénomène arrive, le moribond n'en peut rien +témoigner à ceux qui l'entourent.</p> + +<p>Ou, s'il leur en témoigne quelque chose, ils disent: Ce sont les +illusions de la mort; la tête n'y est plus!</p> + +<p>Léonor a vu l'ombre de soeur Dorothée; le père Dominique, l'ombre de son +pénitent; je n'en doute pas. En y réfléchissant, il n'est pas plus +étrange de voir une âme sortie du temps y rentrer pour quelques minutes, +que de voir le contraire, c'est-à-dire une âme prisonnière dans le temps +s'échapper quelques minutes dans l'éternité. Seulement le second est +plus commun que le premier, c'est pourquoi la raison humaine, la pire de +nos illusions, nous affirme que le premier est impossible, sa coutume +étant de nier tout ce qu'elle ne peut contrôler.</p> + +<p>Ce qu'on appelle la raison de l'homme n'est que l'essence de son +orgueil.</p> + +<p>Nous cherchons à entrevoir les vérités éternelles avec notre raison, à +travers le temps, c'est-à-dire avec un instrument faux à travers un +milieu qui nous trompe. On soupçonne des erreurs, mais nul moyen de les +calculer, encore moins de les corriger. Les contemplateurs sont les +sages; ils sont en très-petit nombre: les autres suivent leur route sans +songer à rien, sans se douter de rien; ce sont les heureux.</p> + +<p>Notre raison est essentiellement terrestre, non qu'elle ne puisse +s'élever, quelquefois même assez haut, mais elle retombe toujours sur la +terre et rapporte, tout à elle-même et aux choses d'ici-bas. +L'inspiration, l'extase, le délire, la folie, tous ces états dans +lesquels l'àme cherche à prendre l'essor loin de la matière, nous +livreraient peut-être le secret de notre vie et de notre avenir, mais la +raison les méprise et nous empêche de les étudier. Et pourtant, sans la +raison, que ferions-nous? notre malheur est de ne pouvoir nous passer +d'elle; c'est le bâton qui nous sert à marcher, mais ce bâton est garni +de plomb qui nous attache à la terre et nous empêche de nous envoler.</p> + +<p>Le mystérieux Orient, qui a su tant de secrets concernant notre race, a +toujours regardé les fous comme des êtres sacrés, en communication +directe avec Dieu. Peut-être viendra-t-il un jour où Dieu, dans sa +bonté, enlèvera tout à coup la raison au genre humain pour laisser +régner exclusivement la sagesse.</p> + +<p>La raison n'est peut-être nécessaire aux hommes que parce que, dans +l'état actuel des choses, elle est l'apanage du plus grand nombre?</p> + +<p>Dans le malheur affreux où je suis plongé, quel voeu puis-je encore +former ici-bas? Un seul, dont l'accomplissement me rendrait le bonheur: +c'est de perdre la raison; alors je pourrais retrouver Léonor, et nous +serions rejoints tout en habitant une vie différente. Oh! si je pouvais +me débarrasser de cette funeste raison!</p> + +<p>A force de creuser dans ces étranges idées, le malheureux Christoval +obtint ce qu'il souhaitait.</p> + +<p>Une nuit, dom Sulzer, après avoir veillé fort tard dans son cabinet, +venait de mettre en ordre ses cahiers de l'histoire des abbés de +Reichenau, et il se disposait à passer dans sa chambre à coucher, +lorsqu'il lui sembla distinguer dans le profond silence de la nuit des +accents interrompus auxquels se joignaient quelques accords. Il écouta, +et s'assura que quelqu'un chantait à voix basse dans l'enclos situé +derrière le corps de logis de son habitation. Il ouvrit la fenêtre. Le +ciel était pur, mais sans lune: il n'v avait que la clarté douteuse des +étoiles. Le chanteur, invisible à cause de la position du bâtiment, +effleurant à peine les cordes de sa guitare, fit entendre les paroles +suivantes:</p> + +<div class="poem"><div class="stanza"> +<p class="i20"> Toda mi dicha fundo</p> +<p class="i20"> Solo in querer te;</p> +<p class="i20"> Y daria mil vidas,</p> +<p class="i20"> Solo por ver te.</p> +</div></div> + +<p>«Je mets tout mon bonheur à te voir; rien que pour te voir je donnerais +mille fois ma vie. »</p> + +<p>Le chanoine n'eut pas de peine à deviner ce qui se passait. Il fit un +signe de croix, ce qui était chez lui la plus grande marque de +compassion, et se disposa à descendre. Sans appeler personne pour +l'aider, il remit sa redingote, sortit appuyé sur sa grande, canne, +traversa d'un pied lent et mal assuré les longues et obscures galeries +du couvent, et par un escalier de pierre depuis longtemps hors de +service, soupirant et trébuchant à chaque degré, il entra dans l'enclos. +L'herbe discrète étouffait sa marche. Il parvint ainsi, sans être +aperçu, à deux pas de don Christoval, et s'arrêta pour le considérer. +L'infortuné, debout devant la pierre moussue qui recouvrait sa femme et +son enfant, avait cessé de chanter. Il méditait dans un sombre silence, +les bras croisés sur la poitrine et enveloppé dans son manteau, pareil à +un génie funèbre. Sa guitare reposait sur la tombe. Quelques minutes +s'écoulèrent sans que Christoval fit aucun mouvement, et sans que le +vieux prêtre osât interrompre la douleur de son jeune ami. A la fin +pourtant le chanoine risqua de l'appeler doucement. A cette voix, +Christoval releva la tête et demanda: «Qui m'appelle? Que voulez-vous?</p> + +<p>«C'est moi, votre ami, dom Sulzer.--Ah! dom Sulzer vous venez à propos; +c'est le ciel qui vous envoie. J'aurais été fâché de m'en aller sans +vous avoir dit adieu et serré la main.--Vous en aller? où? que +faites-vous ici?--Ne le voyez-vous pas? Je suis venu faire visite à +Léonor. J'ai mis exprès, pour lui plaire, le costume que je portais la +nuit que je l'enlevai. Je lui ai chanté <i>Marinero del alma,</i> qu'elle +aimait tant. Eh bien, le croiriez-vous? cet air, dont jadis une seule +note l'entraînait vers moi, cet air aujourd'hui la laisse insensible! +Elle ne répond rien? Ah! c'est que ce n'est plus à elle à venir à moi; +c'est au contraire à moi d'aller à elle. Elle a Carlos qui la retient; +je comprends cela. Je vais les rejoindre tous deux. Que faut-il dire à +Léonor de votre part?--Et quel chemin prendrez-vous pour les +rejoindre?--Alors Christoval se penchant à l'oreille du chanoine, comme +s'il lui eût confié un grand secret: «Le chemin du lac, dit-il. Oui, je +vais me jeter dans le lac. Vous le sentez bien, dom Sulzer, +continua-t-il avec une apparente tranquillité, vous le sentez bien, ma +vie est désormais inutile; mon existence n'a plus de but: c'est un effet +sans cause. Où est Léonor, là est ma vie. Il faut que je me noie dans le +lac, cela est de toute nécessité. Si vous avez à me charger de quelque +chose pour elle, dépêchez-vous.--C'est inutile, dit le chanoine +épouvanté de cette folie de sang-froid, mais cachant sa frayeur sous un +ton sec et bref.--Pouquoi inutile? --Parce que vous n'irez pas.--Et qui +m'en empêchera?--Moi. Je vous le défends!»</p> + +<p>Christoval, jusqu'alors paisible dans sa tristesse, commença de +s'agiter, et ce trouble, que trahissaient son geste et sa voix, arriva +rapidement à l'exaspération. «Comment, vous me le défendez? C'est +indigne! c'est affreux! Allez! j'ai été la dupe de votre affection +simulée; mais à compter de ce moment je ne le suis plus; je vous +connais. Vous êtes un méchant homme. Laissez-moi! laissez-moi! Non, non, +ma Léonor, n'aie pas peur que je l'écoute, que je me laisse arrêter par +lui! Il veut que je demeure! Et pour qui, mon Dieu? Qui désormais à +besoin de moi?--Moi, mon fils, moi! cria le vieillard en s'accrochant à +lui.» Mais dans le débat son pied heurta la pierre sépulcrale; dom +Sulzer perdit l'équilibre et roula sur la tombe de Léonor en poussant un +douloureux gémissement.</p> + +<p>Il n'en fallut pas davantage pour abattre subitement l'exaltation du +pauvre fou. Il prit le vieillard dans ses bras, et d'un ton tout +différent: «Dom Sulzer, s'écria-t-il, je vous ai fait mal? Etes-vous +blessé?</p> + +<p>--Non, mon ami, répondit dom Sulzer, se relevant avec peine. Le mal que +vous avez fait à mon corps n'est rien auprès de celui que vous faites à +mon coeur. Le premier est involontaire, je vous le pardonne; mais +l'autre!...--Ah! pardonnez-le-moi aussi,» dit Christoval en embrassant +son vieil ami et fondant en larmes. C'était la fin de la crise. Le bon +chanoine ne put résister à l'entraînement de ce désespoir, et oubliant +ses projets de fermeté, il se mit à pleurer aussi.</p> + +<p>Dom Sulzer triompha le premier de son émotion et parvint à la comprimer. +« Mon ami, dit-il, mon cher ami, que faisons-nous? A quelle faiblesse +nous laissons-nous aller! Dieu soit béni de ce que vous ayez enfin +reconnu ma voix. Ecoutez votre vieux père qui vous aime et qui souffre +toutes vos douleurs Vous croyez que votre tâche ici-bas est accomplie +parce que vous n'avez plus à la remplir envers votre femme et votre +fils, non, cher Christoval, elle ne l'est pas. Il vous en reste une +autre plus importante encore, oui, oui, plus importante encore; je vous +la ferai connaître et vous en conviendrez. Vous dites que votre +existence n'a plus de but. Ah! mon fils il vous en reste un à atteindre +que vous ne voyez pas, parce que les pleurs qui remplissent vos yeux +obscurcissent votre vue. Vous voulez savoir ce que c'est? Je ne puis +vous l'expliquer ici: l'heure et le lieu ne s'y prêtent pas. D'ailleurs +je souffre un peu et nous avons l'un et l'autre besoin de repos. Venez +me voir demain matin à huit heures précises, et je vous apprendrai à +quelle fin vous devez consacrer le reste de vos jours, et vous ne +sortirez pas de chez moi sans être consolé.»</p> + +<p>Don Christoval promit d'être exact au rendez-vous. Il reconduisit le bon +chanoine jusqu'à la porte de sa chambre, et dom Sulzer ne le renvoya pas +sans l'avoir embrassé et lui avoir donné sa bénédiction.</p> + +<p>Dom Sulzer, resté seul, s'agenouilla sur son prie-Dieu et fit une longue +et fervente prière. Lorsqu'il se releva, son visage exprimait le +contentement intérieur d'un homme plein de confiance dans la bonté du +ciel, et certain d'avoir obtenu l'objet de sa demande. Bien qu'il fût +une heure du matin, le chanoine, au lieu de se mettre au lit, chercha +dans sa bibliothèque un volume de médiocre grosseur: l'ayant trouvé, il +se replaça à son bureau et se mit à feuilleter le livre avec attention.</p> + +<p>Le lendemain don Christoval fut ponctuel. Huit heures sonnant, il +frappait à la porte du cabinet de son ami. Point de réponse: il ouvre +doucement. Qu'aperçoit-il? Le chanoine, assis devant sa table couverte +de papiers, dans son grand fauteuil de cuir, le corps droit, immobile, +et profondément endormi. Le sommeil l'avait surpris au milieu de +l'étude, car il avait la main droite posée sur un livre ouvert, et son +index allongé semblait montrer un passage. L'affaiblissement et +l'incertitude de sa vue avaient fait prendre au vieillard cette habitude +de suivre, en lisant la ligne, avec le doigt, pour ne pas s'égarer dans +la page. Le soleil levant, s'introduisant de côté dans cette chambre +studieuse, illuminait la tête pâle et vénérable de dom Sulzer. En face +du vieillard et ombrageant le volume, un pot de fleurs, ou s'élevait une +jolie plante le réséda taillée en boule par les soins du chanoine, qui +mettait son plaisir à cultiver et à soigner ce petit arbre dont il +aimait singulièrement le parfum. Une fauvette de vignes chantait sur le +rebord de la fenêtre entr'ouverte par le vent frais du matin.</p> + +<p>Don Christoval contemple un instant avec admiration ce tableau plein de +calme et de solennité. Ne voulant pas troubler le repos de son vieil +ami, il s'approcha sur la pointe des pied pour voir quel ouvrage avait +captivé si tard l'application du chanoine. Il lut ces paroles:</p> + +<p>«Mon fils, ne vous rebutez point des travaux que vous avez entrepris +pour moi: ne vous laissez point abattre à tout ce qui peut vous arriver +de fâcheux; mais que dans tous les événements de la vie ma promesse vous +encourage et vois console.</p> + +<p>«Un jour, qui n'est connu que du Seigneur, vous amènera la paix, et ce +jour ne sera point comme ceux de cette vie, mêlé de l'alternative de la +nuit: la lumière en sera perpétuelle et la charité infinie. La paix dont +vous jouirez sera solide et votre repos assuré.</p> + +<p>«Est-il rien de pénible qu'on ne doive supporter pour la vie éternelle?</p> + +<p>«Mon fils, ma grâce est précieuse et ne souffre point le mélange des +choses étrangères ni des consolations de la terre.</p> + +<p>«Si vous voulez la recevoir, faites-vous un lieu de retraite ne +recherchez l'entretien de personne, mais répandez-vous devant Dieu par +une ardente prière.»</p> + +<p>--Don Christoval, plus surpris et plus attendri à mesure qu'il lisait, +arriva enfin au verset sur lequel était placé le doigt de dom Sulzer:</p> + +<p>«IL FAUT QUITTER LE MONDE: IL FAUT VOUS SÉPARER DE VOS CONNAISSANCES ET +DE VOS AMIS ET TENIR VOTRE AME DANS LA PRIVATION DE TOUTES LES +CONSOLATIONS HUMAINES!»<a id="footnotetag1" name="footnotetag1"></a><a href="#footnote1"><sup class="sml">1</sup></a></p> + +<p>Christoval, extrêmement ému, éprouva alors comme une soudaine +révélation: il toucha la main de dom Sulzer, il la trouva froide et +glacée! Il approcha ses lèvres du front du vieillard, et le contact lui +parut celui d'une statue de marbre! Dom Sulzer habitait désormais une +meilleure vie; il avait reçu le prix de ses souffrances et de ses +vertus, il connaissait le jour du Seigneur dont la lumière est +perpétuelle et la clarté infinie: il était mort. Don Christoval comprit +que ce but dont la veille encore lui parlait le saint vieillard, était +d'obtenir une mort pareille à celle-là.</p> + +<p>Il se prosterna près du défunt, et son coeur, dans une effusion de +pieuse reconnaissance, prit l'engagement que la bouche du dernier moine +de Reichenau, cette bouche désormais muette, semblait lui dicter par +l'organe du <i>plus beau livre qui soit sorti de la main des hommes</i>.<a id="footnotetag2" name="footnotetag2"></a><a href="#footnote2"><sup class="sml">2</sup></a></p> + +<p>Dom Sulzer fut inhumé vingt-quatre heures après dans le choeur de +l'antique église de l'abbaye. L'humble et dernier représentant du +monastère, le simple moine, reçut un honneur jadis réservé pour ses +puissants abbés. Il arriva parmi eux comme un messager chargé de leur +annoncer l'extinction définitive de leur famille; comme un soldat fidèle +qui se réfugie au milieu de ses chefs pour attendre la chute de +l'édifice dont la ruine les doit tous ensevelir dans un commun tombeau.</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote1" name="footnote1"><b>Note 1: </b></a><a href="#footnotetag1">(retour) </a> <i>Imitation de J.-C.</i></blockquote> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote2" name="footnote2"><b>Note 2: </b></a><a href="#footnotetag2">(retour) </a> J.-J. Rousseau.</blockquote> + +<p>Le lendemain de ces funérailles auxquelles assistèrent tous les +habitants de l'île, la maisonnette de don Christoval était déserte. Ou +trouva sur une table une lettre qui la donnait, avec tout son mobilier, +à un pauvre laboureur, pere de famille, de qui la grange avait brûlé +quelques mois auparavant. Le bruit public 'fut que don Christoval, +accablé par la triple perte qu'il venait de faire, n'avait pu résister à +son désespoir, et s'était précipité dans le lac. Un batelier racontait +que, l'Espagnol était venu le soir de l'enterrement louer un bateau pour +passer, disait-il, à Radolsszell. Au point du jour, le bateau avait été +retrouvé flottant au hasard sur la rive; on conjecturait que le vent +l'avait repoussé vers Reichenau, après la catastrophe de celui qui le +montait. Cependant, le cadavre de don Christoval ne reparut point sur +les îlots, et les pêcheurs sondèrent en vain le lac.</p> + +<p><i>(La fin à un numéro prochain.)</i></p> + +<br> + +<h3>Théâtres.</h3> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/006a.png"><br><b>(Théâtre de l'Odéon.--Lucrèce, par M. Ponsard.<br>--Brute: +Bocage;--Lucrèce: madame Dorval.)</b></p> + +<p class="mid">LA GRÈCE.--BRUTUS.--LA COMÉDIE A CHEVAL.--LES DEUX FAVORITES.--LE MÉTIER +A LA JACQUART--LES CANUTS.--LE VOYAGE EN L'AIR.--J'AI DU BON +TABAC.--MARGUERITE FORTIER.--LES PRÉTENDANTS.</p> + +<p>Le second Théâtre-Français est tout émerveillé de la foule qui +l'assiège; il n'est pas accoutumé à ces bonnes fortunes: une recette de +3,500 fr. à l'Odéon, est un de ces prodiges dont la mémoire se perd dans +la nuit des temps. Il faut en rendre grâce à M. Ponsard; c'est à +<i>Lucrèce</i> que l'honneur en revient. <i>Lucrèce</i> ameute la foule sur toute +la place de l'Odéon, comme autrefois au Forum, autour de ses glorieux +restes, pour marcher contre la tyrannie et les Tarquins. Le public est +décidément conquis par Lucrèce et par M. Ponsard. Il prête une oreille +attentive aux vers énergiques ou gracieux du jeune poète; il s'émeut aux +accents de Brute, de Sextus et de Tullie; deux scènes surtout semblent +l'intéresser et le tenir attentif: l'une montre Lucrèce dans une +mutuelle confidence avec Brute; la jeune et chaste Romaine a pénétré les +projets du citoyen. Elle a passé à travers l'enveloppe du fou, pour +arriver jusqu'à l'âme patriotique. Sous le sublime mensonge de cette +folie, Lucrèce entrevoit la mâle pensée qui veille et s'alimente dans +cette âme profonde, comme une lampe mystérieuse dans un lieu solitaire +et caché. Elle déclare à Brute que son vaste dessein est connu d'elle, +Lucrèce, et qu'elle le paie silencieusement de son estime et de son +admiration. Avoir l'estime de Lucrèce, quelle consolation pour Brute! +Comme la plaie des affronts qu'il subit pour son pays est adoucie par +cette secrète amitié de la femme fidèle et chaste! Aussi le glorieux +insensé soulève-t-il un instant, devant cet oeil discret, le voile de sa +pensée; Brute ne se cache plus pour Lucrèce; il n'avoue pas, mais il +permet qu'on devine. Et c'est là un grand éloge, pour la vertu de cette +femme, que Brute, l'homme au génie enveloppé et muet, laisse ainsi +passer jusqu'à elle une lueur du vaste projet que son esprit médite et +dissimule.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/006b.png"><br><b>(Dernière scène de la tragédie de Lucrèce.)</b></p> + +<p>Dans l'autre scène, le spectateur contemple avec émotion le corps +inanimé de Lucrèce, qui vient de se donner la mort; c'est le, moment +héroïque du sacrifice si vigoureusement décrit par Tite-Live, et +qu'après Tite-Live, M. Ponsard a revêtu des couleurs d'une, mâle +poésie.--Lucrèce s'est frappée au coeur du couteau qu'elle tenait caché +sous sa robe, et tombant sous le coup, elle a rendu le dernier soupir. +Tandis que Lucrétius son père, et Valère et Collatin s'abandonnent à +leur douleur, Brutus tire de la blessure le fer tout dégouttant de +sang: «Par ce sang si pur, s'écrie-t-il, je jure, et vous, dieux, je +vous prends à témoin de ce serment; je jure de poursuivre par le fer, +par le feu, par tous les moyens qui sont en mon pouvoir, Lucius Tarqnin +le Superbe et son épouse criminelle, et toute sa postérité, et de ne +jamais souffrir que ni eux ni d'autres règnent dans Rome!» La douleur a +fait place à la colère; on suit Brutus à la destruction de la royauté; +le corps de Lucrèce, placé sur un brancard, est porté au Forum, et +Brutus excite le peuple, à prendre les armes. Assurément c'est là un de +ces spectacles qui remuent l'âme et la trempent fortement. Le parterre +de l'Odéon y applaudit avec l'ardeur généreuse des vives et jeunes +émotions.</p> + +<p>Le théâtre du Vaudeville a voulu aussi avoir son <i>Brutus</i>; mais celui-là +est un Brutus pour rire; d'abord il n'est pas de Rome, mais de Pontoise +ou de Quimper-Corentin; les Tarquins lui sont complètement étrangers; il +n'entend rien au Forum, et au Capitole encore moins. Parlez-lui de +Lucrèce, il vous répondra: «Connais pas!» Nommer Arnal, c'est tout dire; +cela vous donne la mesure de mon Brutus. Il n'est pas fou, tant s'en +faut: Brutus a de la modestie, et se contente d'être niais. Il frotte +les habits et cire les bottes de M. Courtois, son seigneur et maître, et +ne sera jamais consul romain. Quant à la république, Brutus la sert fort +mal; appelé, en sa qualité de soldat du guet, à réprimer une émeute +royaliste, il a jeté là son fusil, comme Horace son bouclier, et il pris +la fuite; mais à cet exploit se borne la ressemblance de Brutus et du +poète favori de Mécènes: Brutus est capable de fuir, mais incapable de +faire l'ode à la nymphe de Blanduse et l'épître aux Pisons.</p> + +<p>Un instant, les destins de Brutus prennent une allure magnifique; de +simple valet qu'il est, il risque de devenir marquis. Un anneau trouvé +par Brutus lui donne cette espérance; il a mis l'anneau à son doigt, et +peu s'en faut que de cet anneau il ne résulte, un père pour Brutus. +Cette trouvaille l'accommoderait fort; car, enfin, Brutus ne sait pas de +quelle côte il est sorti. Brid'oison dit bien qu'on est toujours le fils +de quelqu'un, mais de quel père? Telle est la question compliquée que +Brutus se pose tous les jours à lui-même, sans avoir pu jusqu'ici la +résoudre. Il a cependant une consolation, c'est que s'il ne connaît pas +son père, sa mère probablement a dû le connaître.</p> + +<p>Donc, Brutus se croit fils d'un marquis; et, pour un Brutus, vous +avouerez que la filiation est un peu embarrassante, d'autant plus que le +marquis est proscrit. Comment échappera-t-il aux agents républicains? La +crédulité de Brutus vient à son aide dans cette périlleuse affaire; +Brutus, le prenant pour son père, a pour lui toutes les tendresses +burlesques qu'on peut attendre d'Arnal; il le suit à la piste, il lui +tend les bras, et veut à tout propos le presser sur son coeur et +l'embrasser tendrement. Le meilleur de ce dévouement filial, c'est que +Brutus procure une carte de sûreté et un passe-port à son prétendu père; +et celui-ci en profite pour s'esquiver. Quant à Brutus, par un de ces +grands mouvements de fortune qui accompagnent les révolutions, il +devient portier. Quelle situation pour le fils d'un marquis! Après tout, +qu'importe? il tirera le cordon au lieu de la porte en sautoir! C'est à +peu près la même chose.--Ce quiproquo, égayé par quelques mots plaisants +et par le jeu naïf d'Arnal, a honnêtement réussi. Les auteurs sont MM. +Varin et Conailhac. On avait sifflé la veille un autre vaudeville +intitulé: <i>la Comédie à cheval</i>. Le cheval a fait un faux pas à moitié +chemin, et la comédie désarçonnée, une lourde chute.</p> + +<p>Pour Jacquart, c'est autre chose; le Gymnase a pris la revanche du +théâtre du Vaudeville, Bouffé y aidant, et aussi le talent de M. +Fournier, l'auteur du <i>Métier à la Jacquart.</i> Tout le monde connaît +Jacquart, le bienfaiteur de la filature lyonnaise, l'inventeur du +merveilleux métier si fécond pour l'industrie, si utile au soulagement +de l'ouvrier. M. Fournier nous montre Jacquart préoccupé de son +ingénieuse invention: il l'entrevoit, mais il ne la tient pas encore; +Jacquart cherche ce rien, ce dernier mot, si difficile à trouver, et qui +arrête souvent les plus magnifiques découvertes; ce pauvre Jacquart en +rêve nuit et jour; vous pensez, comme en rêvant, il néglige les intérêts +de sa maison; aussi la pauvreté en a-t-elle franchi le seuil. Quelques +milliers de francs restaient, dernier espoir de sa femme et de sa fille; +Jacquart les a perdus par sa distraction. C'est peu encore; en voyant +cet homme si insouciant de ses intérêts et si rêveur, on dit de lui: «Il +est fou!» Et chacun de le montrer au doigt. Enfin, notre Jacquart perd +courage; ruiné, honni, s'épuisant vainement à la poursuite de ce dernier +secret qui lui échappe; toujours, il prend une résolution désespérée. Le +malheureux se dirige vers le Rhône pour s'y précipiter: une main +inconnue l'arrête avant l'accomplissement du suicide; et voilà Jacquart +tout étonné de se trouver dans une chaise de poste roulant sur la route +de Paris.</p> + +<p>A Paris, on le conduit dans un magnifique palais; des soldats veillent +aux portes; des hommes tout brodés d'or et tout chamarrés de rubans vont +et viennent dans les galeries et dans les antichambres. De Lyon à Paris, +Jacquart a eu le temps de se remettre et de reprendre le sang-froid +plein de franchise, et le naturel sans façon qui le caractérisent. Il ne +se gêne donc guère avec tous ces beaux messieurs-là; et comme Jacquart +n'a qu'une idée en tête, sa fameuse découverte, il en parle à qui veut +l'entendre. Voyez-vous ce grand homme sec qui regarde Jacquart d'un air +railleur? c'est un illustre chambellan à qui Jacquart explique le +mécanisme de sa machine. Le grand seigneur d'en rire. Que voulez-vous? +on est chambellan, et l'on n'est pas obligé pour cela d'avoir de +l'instruction et de l'esprit. Le chambellan n'y voit donc goutte; comme +tous les ignorants et les sots, il se tire d'embarras en ricanant et +traite Jacquart d'insensé.--Une porte s'ouvre; ce n'est plus au valet +brodé, c'est au maître que Jacquart a affaire: et ce maître est +Napoléon, l'empereur et le roi! S'il n'a pu se faire comprendre par le +chambellan, Jacquart est bientôt compris par le grand homme; le génie du +héros fécondera le génie de l'ouvrier, et le métier Jacquart sort +victorieux de cette entrevue. L'industrie lyonnaise a fait sa conquête. +Qui est ravi? Jacquart, et la femme de Jacquart, et la fille de +Jacquart, laquelle, du coup, épouse un très-joli et très-excellent jeune +homme, qui l'aime et qu'elle aime; double amour qui attendait depuis +longtemps, et restait sur le métier. Bouffé est charmant dans ce rôle de +Jacquart.</p> + +<p class="lef"><img alt="" src="images/007a.png"><br><b> + (Théâtre du Palais-Royal.--Voyage entre<br> + Ciel et Terre.)</b></p> + +<p>Le Gymnase ne s'en est point tenu là; Charles II a succédé à Jacquart. +Il s'agit du faible et galant Charles II, roi d'Angleterre. Charles mène +de front deux intrigues amoureuses; véritable bagatelle pour un tel +consommateur. D'une part, le roi a une liaison avec la duchesse de +Cleveland; de l'autre, il cherche à séduire une jeune fille innocente et +pure; c'est un assez vilain métier que S. M. fait là. N'est-ce pas un +peu un métier de roi? D'abord la duchesse est furieuse et jalouse; elle +soupçonne la jeune fille de perfidie et de complicité; puis, bientôt +convaincue de sa candeur, elle se laisse émouvoir et emploie toutes les +ressources de son expérience à sauver l'innocente Jenny des pièges que +l'amour du roi lui tend: pièges cachés sous le sourire, les tendres +regards et les enivrantes promesses. Grâce à cet appui, Jenny, en effet, +échappe au danger. Le roi, battu et très-peu content, revient, l'oeil +morne et la tête baissée, à la duchesse de Cleveland. Ainsi, madame la +duchesse, vous avez fait votre bien en faisant le bien d'autrui: honnête +cumul que la loi ne défend pas et qu'il est même bon d'encourager. +L'auteur, M. Jules de Prémaray, appelle cela <i>les Deux Favorites</i>. +Pourquoi pas? Madame Volnys et mademoiselle Rose Chéri sont les deux +brebis que ce loup de Charles II essaie de dévorer de la même dent; nous +avons dit que l'une des deux brebis échappait à cette dent d'ogre, et +c'est mademoiselle Rose Chéri, la plus fraîche, la plus blanchi et la +plus tendre.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/007b.png"><br> <b>Théâtre du Palais-Royal.--Les Canuts.</b></p> + +<p>Le Jacquart du Gymnase a son pendant au théâtre du Palais-Royal: même +sujet, même homme, mêmes événements; le titre seul est différent: <i>Les +Canuts</i> décorent l'affiche. Quant au fond des choses, rien n'est changé. +Vous retrouvez Jacquart rêvant. Jacquart désespéré. Jacquart méconnu. +Jacquart tout près du suicide, puis enfin Jacquart triomphant et son +métier avec lui. Le Gymnase a l'avantage de la forme. Son Jacquart est +beaucoup plus ingénieux et plus fin que le concurrent; l'un est brutal +et donne dans le gros rire; l'autre vous communique une gaieté de +meilleur goût et d'une saveur plus relevée. Ainsi, le Gymnase et le +Palais-Royal s'entendent pour satisfaire tous les appétits. Les délicats +goûteront de Bouffé les amateurs de grosses épices tâteront de Lemesnil, +le Jacquart du Palais-Royal. Ceux-là applaudiront M. Fournier, ceux-ci +MM. Varnet et Deslandes.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/007c.png"><br><b>(Théâtre du Gymnase.--Le Métier à la Jacquart.--Bouffé et +Klein.)</b></p> + +<p>Un honnête aéronaute monte dans son ballon: le voilà dans l'espace, +entreprenant un voyage en l'air. Notre homme se croit seul, en compagnie +avec les nuages, bien entendu, et la voûte azurée. Qui s'aviserait, en +effet, de l'escorter dans une pareille promenade? Nous ne voyageons pas +sur la grande route; nous ne flânons pas sur les boulevards ni aux +Champs-Élysées: ici la pérégrination n'est pas facile: on ne marche pas +dans l'air comme sur l'asphalte, la canne à la main et de plain-pied.</p> + +<p>Et cependant un homme a suivi l'aéronaute ci et s'est blotti au fond de +sa nacelle. Où ne se fourrerait-on pas pour fuir un créancier? Tel +débiteur se cache sous terre; celui-ci a pris le: chemin des étoiles. +Tout à coup, il sort de sa tanière et se montre aux yeux du Margat +épouvanté. Ce ne serait rien encore, et à la rigueur le ballon porterait +nos deux hommes; mais tous deux se reconnaissent; ce sont deux rivaux, +deux voisins acharnés qui se disputaient sur terre les mêmes beaux yeux +et la même dot. Se trouvant face à face, l'aéronaute et son rival se +livrent à des attaques furieuses; d'abord ils se lancent des mitrailles +de quolibets, et se bombardent avec des calembours. De la parole on en +vient à l'action; nos gens se prennent au collet et se montrent le +poing; mais ils comptaient sans leur hôte, c'est-à-dire sans leur +ballon: le ballon chavire dans le désordre de la bataille. Gare +là-dessous! les combattants vont choir. Heureusement le danger les rend +sages; ils concluent un armistice, rétablissent l'équilibre et échappent +au danger par un effort commun. Après quoi, ils s'embrassent, et l'un +sacrifie son amour à l'amour de l'autre. Ce vaudeville est plus +philosophe qu'il n'en a l'air. Mais quelle philosophie! une philosophie +en style de tréteaux. M. Duvert en est le Socrate et M. Lauzanne le +Platon.</p> + +<p>Vous avez du bon tabac dans votre tabatière, ô théâtre des Variétés! +cela est possible, et votre affiche l'annonce; mais quelques bonnes +pièces dans votre salle vaudraient mieux encore et ne feraient pas mal. +Votre bon tabac lui-même n'a pas grand goût, et ne saurait être reçu +pour du pur Virginie. La scène se passe dans un bureau de tabac; et +c'est là toute la malice: un certain marquis y vient roder pour les +beaux yeux de la dame de céans. Celle-ci a du penchant pour les marquis +et les priserait volontiers; mais le mari est jaloux et surveille; il a +du bon tabac dans sa tabatière, et entend que personne n'y touche. +J'aurais grand'peur pour le mari, malgré ses airs d'Othello en carotte, +si quelqu'un, ou plutôt quelqu'une, ne venait à son aide, préservant +d'une éclipse menaçante son astre conjugal peu à peu pâlissant. M. le +marquis a laissé derrière lui une jeune femme abandonnée; cette Ariane +prend les vêtements d'un aimable cavalier, et fait concurrence dans le +coeur de la tabatière, aux séductions du marquis. Elle le dépiste ainsi, +et le met en déroute, se déclarant après la victoire, et jouissant de la +défaite de son infidèle, qui s'humilie, se repent et tombe à ses pieds. +C'est tout au plus si le public a dit à ce vaudeville de MM. Desnoyers +et Danvin: «Dieu vous bénisse!»</p> + +<p>MM. Alboise et Paul Foucher font couler des ruisseaux de larmes au +théâtre de la Gaieté; <i>Marguerite Fortier</i> en est cause; et comment ne +pas s'attendrir aux infortunes de Marguerite et ne pas accompagner de +sanglots son innocence persécutée; Marguerite est la victime d'un +abominable pendard; ce pendard vole, et c'est Marguerite Fortier qu'il +accuse, et l'innocente porte la flétrissure de cette calomnie; pendant +dix ans, on la pourchasse, on l'emprisonne; elle est maudite à droite, à +gauche, de tous les côtés. Enfin! enfin! le jour de la récompense +arrive: le bandit est récompensé par le gendarme et le procureur du roi, +et Marguerite par l'estime de tous les honnêtes gens; on peut dire que +cette estime-là, elle ne l'a pas non plus volée!</p> + +<p>Une comédie de M. Lesguillon a essuyé, au second Théâtre-Français, les +bourrasques du parterre; quelques jolis vers n'ont pu la soutenir dans +ce naufrage. <i>Requiescat!</i></p> + +<h4>THÉÂTRE DE L'OPÉRA-COMIQUE.</h4> + +<p class="mid"><i>On ne s'avise jamais de tout</i>, opéra-comique en un acte.</p> + +<p>Cette pièce est de Sedaine, en date de 1775, ou à peu près. --Voilà qui +est bien vieux!--D'accord; mais le <i>Misanthrope</i> est bien plus vieux +encore, et les pièces de théâtre ne sont pas sans doute du nombre de ces +choses que la nature a condamnées à enlaidir en vieillissant.</p> + +<p><i>On ne s'avise jamais de tout!</i> Voilà, pour un opéra-comique, un titre +qui promet. Calculez, si vous l'osez, tous les stratagèmes amoureux, +toutes les ruses de guerre, toutes les perfidies féminines, toutes les +déceptions, toutes les mystifications que peut renfermer un magasin qui +s'annonce par une pareille enseigne. Beaumarchais a intitulé sa comédie: +<i>Le Barbier de Séville, ou la Précaution inutile</i>. Pourquoi ne l'a-t-il +pas plutôt intitulée: <i>Le Barbier de Séville, ou l'on ne s'avise jamais +de tout</i>? Vraiment, il n'eût pas demandé mieux: mais Sedaine avait pris +les devants, et Beaumarchais, en homme habile qu'il était, a compris que +c'était bien assez de voler à son prédécesseur ses personnages, et qu'il +fallait au moins respecter son titre, qui eut mis le plagiat trop à +découvert.</p> + +<p>En effet, il y a, dans le petit opéra de Sedaine, quatre personnages:</p> + +<p>1° Un vieux médecin, tuteur d'une jeune fille dont il est amoureux, +qu'il veut épousera tout prix, et qu'il tient hermétiquement enfermée, +afin de lui arracher par force et par surprise un consentement qu'elle +lui refuserait infailliblement si elle connaissait mieux le monde, et si +elle se connaissait mieux elle-même.</p> + +<p>2° Cette jeune fille, qui en sait plus long que le docteur ne le pense, +à qui la captivité enseigne la dissimulation, à qui l'oppression donne +de la volonté et du courage, et qui choisit, ouvertement et sans façon</p> + +<p class="mid"> + Le jeune amant sans barbe à la barbe du vieux. +</p> + +<p>3º Une vieille duègne, que le docteur place auprès de Lise, pour la +surveiller pendant qu'il visite ses malades.</p> + +<p>4º Un jeune seigneur, épris de Lise, qui lui fait la cour en +perspective, puis se déguise pour arriver jusqu'à elle, et finit par +l'enlever au docteur, malgré <i>ses précautions inutiles</i>, ses verrous, +ses grilles et sa duègne.</p> + +<p>Ne voilà-t-il pas, trait pour trait, les originaux de Bartholo, de +Marceline, de Rosine et d'Almaviva?</p> + +<p>Avec ces éléments et le talent dramatique dont la nature l'avait si +richement pourvu, comment Sedaine n'aurait-il pas fait une comédie +plaisamment intriguée, vive, spirituelle et réjouissante? Il n'y a pas +manqué, vous pouvez le croire, et les habitués de l'Opéra-Comique ont +accueilli comme une bonne fortune cette résurrection de l'esprit sans +apprêt et de la franche gaieté d'autrefois.</p> + +<p>«La musique, a dit M. Mocker, chargé de jeter au public le nom des +auteurs, la musique est de M. Lefèvre.» Lefèvre! Aviez-vous jamais vu +figurer ce nom sur la liste des compositeurs du dix-huitième +siècle?--Non.--Et parmi ceux du temps présent?--Pas davantage.--Si nos +souvenirs sont exacts, le musicien collaborateur de Sedaine fut +Monsigny, qui, alors, livra son nom au public, et qui, sans doute, n'est +pas sorti du tombeau tout exprès pour se déguiser sous un nom d'emprunt. +D'ailleurs la musique que nous avons entendue à l'Opéra-Comique n'est +pas celle de Monsigny. Qu'est-ce donc que Lefèvre, dont personne n'a +jamais entendu parler, dont le nom n'a jamais figuré en tête du moindre +morceau de salon, de la plus modeste romance? A la rigueur, nous +pourrions facilement vous le dire. Vous le connaissez, lecteurs de +<i>l'Illustration</i>..... Mais, chut! je le vois d'ici qui me reproche mon +indiscrétion, et me fait entendre, que la vengeance des vivante est pour +le moins aussi redoutable que celle des trépassés. Je me tais donc, et +me borne à vous dire que sa musique est comme sa prose, correcte, pure, +facile, naturelle, élégante sans recherche, et spirituelle sans effort +et sans affectation. J'y dois signaler de plus un mérite fort rare, et +qui fait de la nouvelle partition une oeuvre à part. L'auteur, +travaillant sur un <i>poème</i> qui date de plus de soixante années, a senti +que, pour qu'il y eût unité dans l'ouvrage, il devrait se mettre, par la +pensée, à côté de son collaborateur. Ainsi a-t-il fait. Vous trouverez +dans <i>On ne s'avise jamais de tout</i> le caractère et les charmantes +qualités de la musique d'autrefois, la mélodie simple et naïvement +expressive, l'harmonie claire et naturelle, les formes, les modulations, +les cadences finales usitées au temps de Sedaine. Vous croirez entendre +quelque oeuvre inédite de Grétry ou de Dalayrac,--en supposant toutefois +que Grétry ait appris le contre-point, et que Dalayrac ait eu, cette +fois, à sa disposition toutes les conquêtes matérielles de +l'instrumentation moderne.</p> + +<p>--Parmi les innombrables concerts de cette année, celui qui a été donné +dernièrement par madame Biarez mérite d'être particulièrement remarqué. +Madame Biarez était naguère une femme du monde, et n'avait, à cultiver +la musique, aucun autre intérêt que le plaisir qu'elle y trouvait. Mais +la musique est une amie qui n'oublie jamais ce qu'on a fait pour elle, +et qui vous reste fidèle après que tous les autres amis vous ont +abandonné. Frappée par les événements, madame Biarez a demandé à la +musique ce que la fortune venait de lui enlever, et maintenant elle est +artiste, et artiste distinguée, comme son concert l'a prouvé. Sa voix +est pure, accentuée et vibre délicieusement. Son exécution est +très-correcte et son chant très-expressif. C'est principalement sous ce +dernier point de vue que madame Biarez mérite de fixer l'attention. +Plusieurs artistes éminents, MM. Haumann, M. Herz, madame Dorus, etc., +s'étaient joints à elle, et une nouvelle inédite de M. Frédéric Soulié, +fort bien lue par M. Roger, est venue ajouter un vif intérêt littéraire +à toutes les jouissances musicales de cette soirée. De nombreux et +fréquents applaudissements ont prouvé à madame Biarez la satisfaction de +l'assemblée qui s'était réunie pour l'entendre.</p> +<br> + +<h3>Correspondance</h3> + +<h4>A MONSIEUR LE RÉDACTEUR DU JOURNAL L'ILLUSTRATION.</h4> + +<p>Monsieur le Rédacteur,</p> + +<p>Permettez-moi de vous soumettre quelques réflexions que m'a fait naître +la nouvelle de l'incendie du théâtre du Havre.</p> + +<p>Les incendies de théâtres n'ont presque jamais lieu le soir, pendant la +durée de la représentation. Neuf fois sur dix, comme à l'Odéon, comme au +Vaudeville, comme au Havre, c'est pendant la nuit, après les rondes et +les patrouilles, lorsque chacun se livre au repos, qu'une étincelle +échappée d'un flambeau, que la pipe mal éteinte d'un ouvrier, que la +chaufferette oubliée d'une duègne, allume un incendie qui se montre, +s'élève, grandit et dévore en un instant la salle tout entière.</p> + +<p>Contre de tels sinistres, les précautions prise? par l'administration +supérieure sont à peu près sans portée.</p> + +<p>Isoler les théâtres est une mesure sage sans doute, non pour eux-mêmes, +mais pour le reste de la ville. L'Odéon, le théâtre du Havre étaient +isolés et n'en nul pas moins brûlé. Il serait, cependant à désirer que +cette mesure devint générale. Combien de théâtres, à Paris même, sont +encore accolés à d'autres constructions! Les laissera-t-on ainsi +jusqu'au jour où l'incendie viendra les faire disparaître avec tout le +quartier qui les environne?</p> + +<p>Le réservoir est fort utile pendant la durée des représentations; mais +lorsque le feu éclate, lorsque la flamme court le long des cordages et +envahit toute la salle, le réservoir est inabordable et ne sert plus à +rien.</p> + +<p>On en peut dire autant du rideau en tôle. Il peut sans doute éviter aux +spectateurs une panique dangereuse; mais c'est seulement au commencement +de l'incendie qu'on peut en tirer quelque utilité.</p> + +<p>Pourquoi n'emploierait-on pas dans la construction, dans la +distribution, dans la décoration des salles de spectacle, des matériaux +tout à fait réfractaires à l'action du feu? Cela, certes, n'a rien +d'impossible. Pour les murailles, c'est tout simple; pour les planchers, +n'en avons-nous pas vu faire d'élégants et de légers avec du fer et des +poteries? Pour la toiture, nous avons sous les yeux de belles et solides +couvertures en fer et en zinc. Rien n'empêche, par conséquent, avec de +la pierre, du marbre, des poteries, du fer, du cuivre, du zinc, de faire +la cage et les principales distributions d'un théâtre. Ces matériaux se +prêteront à toutes les exigences de l'architecture, et ne seront jamais +dévorés par l'incendie.</p> + +<p>Quant aux loges, aux galeries, il ne sera pas bien difficile de les +construire élégantes et commodes, sans y faire entrer un seul morceau de +bois.</p> + +<p>Sur le théâtre, la réforme sera plus difficile assurément; mais qu'on +fasse un appel aux hommes spéciaux, et l'on verra toutes les difficultés +s'évanouir. Un plancher en fer paraît fort convenable pour jouer le +drame et la tragédie, pour chanter l'opéra ou le vaudeville. Peut-être +les danseurs s'en plaindront-ils. Rien n'empêchera de leur donner un +parquet mobile en bois pour le temps du ballet.</p> + +<p>Dans les décorations, les changements sont indispensables. Bien +n'empêche d'abord de remplacer les cordes ordinaires par des cordes +métalliques en fer ou en laiton, de substituer des poulies en cuivre aux +poulies en bois, d'employer les métaux exclusivement pour la +construction et le jeu des machines; les châssis qui portent les +décorations et les chariots mobiles sur lesquels on les fait mouvoir, +peuvent être en fer. Ils en seront moins lourds, certainement.</p> + +<p>Viennent maintenant la toile d'avant-scène et les toiles de fond, les +nuages et les autres décorations peintes sur toile; tout cela +pourrait-il être remplacé par de la toile métallique? Cela ne me paraît +pas douteux. On fait en ce moment des étoffes métalliques si serrées et +si fines, qu'elles peuvent, comme celles de chanvre et de lin, prendre +l'apprêt de la peinture et servir à tous les usages du décor. Peut-être +coûteront-elles plus cher: mais une légère augmentation dans le prix +d'achat sera et au-delà compensé, par la durée, et surtout par +l'<i>incombustibilité.</i></p> + +<p>Si maintenant la chimie trouvait moyen, et c'est possible de préparer +des couleurs sans huile et de faire des vernis inattaquables par le feu, +il ne resterait plus dans un théâtre aucune chance d'incendie.</p> + +<p>Alors les entreprises théâtrales ne seraient plus exposées à ces +désastres qui les ruinent; alors, certaines de vivre, elles +s'occuperaient d'améliorer, d'embellir leurs salles de spectacle, et +nous verrions disparaître, non plus par les flammes, mais sous le +marteau des démolisseurs, ces théâtres où l'on n'a tenu compte ni du +confort ni du bon goût.</p> + +<p>Veuillez agréer, monsieur le rédacteur....</p> + +<p>UN DE VOS ABONNÉS.</p> + +<br> + +<h3>Industrie.</h3> + +<h4>LE SUCRE DE CANNE ET LE SUCRE DE BETTERAVE.</h4> + +<p class="mid">(Suite--Voir p. 90 et 159.)</p> + +<h3>II.</h3> + +<p>Production et fabrication du sucre de betterave.</p> + +<p>La betterave est une plante du genre <i>bette</i>, pivotante, charnue, +très-épaisse, et d'une grosseur qui va quelquefois à 25 et à 30 cent, de +diamètre dans sa partie supérieure. Il en existe plusieurs variétés. +Celle qui est reconnue aujourd'hui comme la plus favorable à la +production du sucre est la betterave blanche de Silésie <i>(beta alba)</i>: +vient ensuite la betterave jaune <i>(beta major)</i>, venue de la graine de +Castelnaudary; puis la rouge <i>(beta romana)</i>, et enfin la betterave +ordinaire ou des champs, connue aussi sous le nom de disette <i>(beta +sylvestris)</i>.</p> + +<p>Margraaf est le premier chimiste qui ait découvert dans la betterave +l'existence du principe saccharin, et Achard le premier industriel qui +établit, en Silésie, une usine pour la conversion de la betterave en +sucre. En 1809 seulement, ces procédés de fabrication furent introduits +en France. Cette industrie fut d'abord accueillie avec faveur par +Napoléon qui entrevoyait dans sa prospérité future un des soutiens les +plus énergiques de son système continental; elle fit cependant peu de +progrès. Il en fut de même pendant les premières années de la +Restauration. Mais peu à peu les droits élevés qui furent mis sur le +sucre colonial, les primes accordées à l'exportation des sucres +raffinés, donnèrent à l'industrie betteravière une impulsion d'autant +plus grande, qu'elle jouissait en partie des primes qui, dans le +principe, avaient été données à l'exportation du sucre colonial. Ce +système protecteur et l'exemption complète de tous droits lui ont fourni +les moyens de se développer, en même temps que les découvertes et les +applications de la chimie lui apportaient chaque: jour le secours de +leurs nouveaux perfectionnements. Cependant, malgré ces incroyables +immunités, la production marcha d'un pas moins rapide qu'on n'aurait pu +le croire; car, en 1828, il n'y avait en France que 58 fabriques en +activité, produisant 2.685.000 kil.</p> + +<p>Ce ne fut que quelques années plus tard que l'industrie betteravière, +favorisée par l'exemption des droits et la continuation des causes que +nous venons d'énumérer, prit une extension plus considérable. Aussi, +quand on réduisit le taux des primes à l'exportation, et qu'on imposa le +sucre indigène au droit d'abord de 15 fr. (16 fr. 50 c. avec le décime), +et plus tard à celui de 25 fr. (27 fr. 50 c. par 100 kilog.), il fut +assez fort pour lutter contre la concurrence coloniale. Il est vrai +qu'il lui restait encore une protection de 22 fr. Quelques usines +seulement furent obligées de fermer, mais ce furent surtout celles qui +étaient placées dans de mauvaises conditions de travail ou de débouché.</p> + +<p>Le chiffre de 1828 ne tarda pas à être dépassé. En 1830, la production +était déjà évaluée à 6 millions de kilog.; en 1834, à 26 millions; en +1835, à 38 millions; en 1836, à 49 millions. An commencement de 1837, le +nombre des fabriques en activité ou en construction s'élevait à 343, et +si toutes avaient fonctionné, elles pouvaient produire 55 millions de +kilog. Aujourd'hui, le nombre des fabriques en activité est de 382; 25 +autres, sans avoir travaillé, avaient des sucres en charge au +commencement de cette campagne, qui, comme on le sait, commence au 1er +octobre de chaque année. Les quantités inventoriées, à la charge de +l'année précédente, se montaient à 4.338.664 kilog. Pendant le mois de +janvier 1842, il a été fabriqué 5.505.533 kilog.; et pendant les trois +mois antérieurs, 16.960,348 kilog.: total, 22.465.881 kilog., dont, +pendant cet espace de temps, y compris le mois de janvier, 17.982.926 +kilog. ont été livrés à la consommation. A la fin du mois, il restait en +fabrique 8.821.619 kilog. Les 382 fabriques en activité au mois de +janvier 1843 se répartissent ainsi qu'il suit entre les différents +départements qui les possèdent.</p> + +<pre> + Aisne 36 + Nord 158 + Oise 8 + Pas-de-Calais 79 + Puy-de-Dôme 10 + Seine-et-Oise 4 + Somme 37 + 34 autres départements 50 + + Total égale 382 +</pre> + +<p>Les droits sur le sucre indigène ont, en 1842, rapporté au Trésor une +somme de 8.981.000 fr.</p> + +<p>La betterave est cultivée dans quarante et un départements; mais le +rendement est loin d'être égal pour chacun d'eux. Il ne sera peut-être +pas sans intérêt de compléter le tableau suivant, que nous empruntons à +la <i>Statistique agricole de la France</i>, publié en 1840.</p> + +<pre> + + Nombre d'hect. Quintaux métr. Produit + Départements cultivés recueillis. par hectare. + + Nord 12.244 5,145.599 420 + Pas-de-Calais 7.167 2.316.123 525 + Haut-Rhin. 1.757 602.454 347 + Ardennes. 141 42.066 297 + Puy-de-Dôme. 1,020 286.927 279 + Aisne. 3.359 859.742 256 + Bas-Rhin. 1,945 446.186 230 + Ain. 216 27.917 129 +</pre> + +<p>Dans les départements où la terre est propice à la culture de la +betterave, un hectare rend 3.675 kilog. de sucre, et il pourrait en +donner jusqu'à 4,400. Dans le principe, on n'obtenait que 50 kilog. de +jus pour 100 kilog. de betteraves; mais on est parvenu à retirer 70 à 75 +kilog. de premier jet.</p> + +<p>Après ces données générales, nous pouvons exposer les procédés de la +fabrication actuelle du sucre de betterave. On met en pratique deux +modes principaux, celui dit <i>de la cristallisation lente</i>, et celui <i>de +la cristallisation prompte</i> ou de <i>la cuite</i>. Ces deux modes ont été +décrits avec une telle précision par M. Crespel-Delisse, fabricant à +Arras, lorsqu'il fut entendu dans la dernière enquête sur les sucres, +que nous croyons devoir copier ici textuellement sa déposition. Nous le +faisons d'autant plus volontiers, que nous essaierions peut-être en vain +d'atteindre à l'exactitude de ses descriptions:</p> + +<p>«Les manipulations, d'après le mode de la cristallisation lente, dit M. +Crespel-Delisse, sont: le lavage, le râpage, le pressurage, +l'acidification, l'évaporation, la clarification, la cristallisation et +l'extraction de la mélasse du sucre brut.</p> + +<p>«La betterave, amenée des champs ou des magasins, est jetée dans de +grands baquets pleins d'eau; des hommes la frottent avec un balai, et la +retournent de tous les sens jusqu'à ce qu'elle soit propre. On la retire +de ces baquets avec une pelle de bois, percée de divers trous, de trois +centimètres de diamètre.</p> + +<p>«Du lavoir, la betterave est portée à la râpe, cylindre armé de lames de +scie, et auquel on imprime un mouvement de rotation d'environ mille +tours par minute. Cette impulsion est donnée par des boeufs attelés à un +manège; la betterave est poussée contre la râpe, dans les coulisseaux, +par un sabot de bois; la pulpe est reçue dans un baquet de cuivre.</p> + +<p>«La pulpe est prise de ce baquet avec une pelle de bois, et mise dans +une toile de chanvre un peu claire. Ce sac est étendu sur une claie en +osier, le bout du sac reployé de manière à ce que la pulpe ne s'en +échappe pas. On forme une pile de trente sacs, ainsi rangés, que l'on +soumet à l'action d'une presse hydraulique, en dix minutes, la pression +s'effectue, et on tire de cette pile un hectolitre et demi de jus, +environ 75 à 80 p. 100 du poids de la pulpe.</p> + +<p>«Le jus est reçu de la presse dans des baquets doublés de plomb de la +contenance de 8 hectolitres. Aussitôt qu'un bac est plein, on y ajoute, +en le mêlant au liquide, deux hectogrammes d'acide sulfuriquc concentré +à 66 degrés, et préalablement étendu d'eau dans la proportion d'une +partie d'acide sur quatre parties d'eau. Ainsi préparé, le jus peut se +conserver vingt-quatre heures.</p> + +<p>«Le jus est monté par une pompe dans la chaudière à défécation; sa +contenance est aussi de 8 hectolitres. On met le feu au fourneau; on +ajoute aussitôt au liquide 2 hectogrammes 50 grammes de chaux vive, que +l'on a fait éteindre pour former un lait de chaux. Un brosse le tout +fortement, et lorsque la masse est arrivée à 50 degrés de chaleur du +thermomètre de Réaumur, on y ajoute de nouveau 8 litres de sang de boeuf +ou de lait écrémé; ou pousse activement le feu et on le retire au +premier bouillon, c'est-à-dire quand le jus a atteint 80 degrés Réaumur. +Ou enlève toutes les parties hétérogènes qui se sont accumulées à la +surface du liquide. Ces eaux sont portées dans des sacs soumis aussi à +la pression d'une presse à vis, pour retirer toutes les parties +liquides, lesquelles sont reportées dans la chaudière d'évaporation.</p> + +<p>«Le liquide, laissé en repos après la défécation, est tiré au clair par +un robinet placé au fond de la chaudière. Les huit hectolitres sont +partagés en deux chaudières d'évaporation. On ajoute au jus déféqué 5 +hectogrammes de noir animal par hectolitre. On accélère, autant que +possible, l'évaporation par une ébullition forte et prolongée, jusqu'à +ce que le sirop marque 52 degrés à l'aréomètre de Beaume.</p> + +<p>«Le sirop est reçu des chaudières d'évaporation dans un chaudière de +clarification, et lorsque plusieurs opérations réunies forment une +quantité de six hectolitres, on procède à la clarification en mettant au +sirop six à huit litres de sang de boeuf, ou de lait écrémé. On fait +faire un ou deux bouillons à la masse, on tire le feu du fourneau et +l'on fait rouler le sirop avec toutes ses impuretés dans des cuves de la +contenance de six hectolitres si on se dispose à faire cristalliser +lentement, et dans des filtres, si on veut procéder à la cristallisation +prompte.</p> + +<p>«Après trois ou quatre jours de repos du sirop dans les cuves, on le +décante au moyen de robinets placés à différentes distances du fond de +ces cuves. Il est porté bien clair à l'étuve, et mis dans des +cristallisoirs placés sur des rayons. Ou entretient dans l'étuve une +chaleur de 50 degrés Réaumur, et par une évaporation lente que subit le +sirop, il se forme à la surface une couche cristalline que l'on a soin +de briser tous les deux jours.</p> + +<p>Après six semaines de séjour à l'étuve, le sirop est complètement +cristallisé. On reprend alors les cristallisoirs, on le« pose debout +au-dessus d'un réservoir, pour laisser écouler le plus gros de la +mélasse. Le sucre reste en masse dans le cristallisoir; on l'en détache +pour le porter à deux cylindres à travers lesquels on le fait passer à +plusieurs reprises Cette manipulation a pour but de séparer les cristaux +qui adhèrent fortement les uns aux autres, et par le frottement de ces +cristaux les uns contre les autres, la mélasse qui se trouve desséchée à +leur surface s'en détache. Au sortir des cylindres, le sucre a +l'apparence d'une pâte; on le met dans des sacs entre deux claies +d'osier, ainsi qu'on le fait pour la pulpe, et on en soumet une pile +d'environ quarante sacs à l'action d'une presse hydraulique. Après +vingt-quatre heures, on le retire pour être livré à la consommation.»</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/008.png"><br><b>Intérieur de la Sucrerie de betteraves de Château-Frayé,<br> +près Villeneuve-Saint-Georges.--Première vue.</b></p> + +<p>Il nous reste actuellement à indiquer le second mode de fabrication; +celui <i>par la cristallisation prompte</i>, on <i>la cuite</i>.</p> + +<p>Nous emprunterons encore à M. Crespel-Delisse la description des +procédés qui s'emploient le plus généralement:</p> + +<p>«Jusqu'à la sixième manipulation, dit-il, la fabrication est conduite de +la même manière que dans la cristallisation lente. Arrivé là, le sirop +est coulé dans des filtres, et le sirop clair est reçu dans un réservoir +commun.</p> + +<p>«Le sirop est monté par une pompe dans une chaudière de cuivre où on +lui fait subir une nouvelle évaporation par une forte ébullition, et +lorsqu'il a atteint une densité de 30 à 40 degrés de l'aréomètre de +Beaume, ou un degré de chaleur élevé dans la masse du sirop à 90 degrés +Réaumur, il est porté dans un rafraîchissoir. Après la réunion de +plusieurs cuites successives, ce sirop cuit est porté dans des formes +bâtardes: il s'y cristallise en vingt-quatre heures, et après ce temps +on débouche les formes pour opérer l'écoulement de la mélasse Les formes +sont placées sur des pots destinés à recevoir la mélasse Il faut trois +semaines à un mois pour obtenir la purgation des sucres lorsque, les +matières sont de bonne qualité, et jusqu'à deux ou trois mois +lorsqu'elles sont mauvaises.</p> + +<p>«Comme il est impossible d'obtenir du premier jet tout le sucre que +contient le sirop soumis à la cuite, on reprend les mélasses provenant +de la purgation que l'on reporte à la chaudière de cuite. On obtient +encore de ces mélasses un sucre de seconde qualité.»</p> + +<p>Le procédé <i>à la cuite</i> a peu à peu prévalu, chez la plupart des +fabricants, sur celui de la cristallisation lente. Les motifs qui ont +déterminé leur préférence à cet égard sont consignés dans une déposition +de Ml. Blanquet (de Famars). Nous allons la transcrire ici, autant pour +compléter l'histoire de tous les procédés en usage, que pour faciliter +l'intelligence de ce qui va suivre.</p> + +<p class="rig"><img alt="" src="images/008b.png"><br> <b> +Intérieur de la Sucrerie de betteraves de<br> + Château-Frayé.--Deuxième vue.</b></p> + +<p>«Nous avons été effrayé, dit M. Blanquet, de la lenteur des opérations +pour obtenir le sucre par la cristallisation lente, et de l'apparence +toute particulière qu'il présentait après le pressurage, qui est une des +conditions nécessaires de ce mode de production. La quantité de +cristallisation nécessaire pour une grande fabrication, l'immensité des +locaux destinés à les recevoir, le séjour prolongé des cristallisoirs +dans les étuves, le broiement et le pressurage des cristaux péniblement +obtenus; toutes ces considérations nous ont fait rechercher avec soin +quelles étaient les causes qui, dans l'esprit du plus grand nombre des +fabricants, déterminaient une préférence prononcée pour ce genre de +fabrication, à l'exclusion du mode bien moins embarrassant de la +cristallisation par la cuite. Nous avons trouvé que la cuite, plus +simple dans l'exécution, était effectivement une opération plus +délicate, et qui exigeait une précision de laquelle on ne pouvait +s'écarter sans dommages notables; mais, en revanche, nous avons trouvé +aussi que le sucre obtenu de cette manière avait précisément le même +aspect que les moscouades ordinaires livrées au commerce par les +colonies. Nous avons alors examiné quelle influence pouvait exercer sur +les moscouades obtenues par ces deux procédés les agents de défécation +indiqués pour chacun d'eux. Nous avons vu que l'acide sulphurique était +employé simultanément avec la chaux dans la défécation, pour la +cristallisation lente, et que la chaux seulement était employée pour la +défécation dans le procédé à la cuite. Des considérations théoriques se +présentant en grand nombre pour proscrire l'acide de la fabrication du +sucre, nous avons suivi le sucre obtenu par la cristallisation lente +dans les ateliers du raffineur, et là, nous avons vu que ce sucre +travaillé pour faire les candis produisait au lieu de mailles à faces +bien prononcées, des candis appelés vulgairement <i>candis tremblés</i>, +c'est-à-dire dont la cristallisation est confuse au lieu d'être nette et +détachée. Nous avons entendu des raffineurs se plaindre de ce que les +suites, après la première cristallisation, étaient moins riches qu'elles +n'auraient dû être, par rapport à la nuance de la moscouade. Ces +observations étant parfaitement d'accord avec les données théoriques, +nous avons opté pour l'autre mode de travail, en nous proposant le +problème d'atténuer autant qu'il serait en nous les difficultés de la +cuite.»</p> + +<p>Ces explications, empruntées aux hommes les plus compétents, permettront +facilement au lecteur de suivre sur le dessin que nous lui donnons, et +qui représente la sucrerie de Château-Frayé, près +Villeneuve-Saint-Georges, appartenant à Chaper, les diverses phases de +la fabrication.</p> + +<p>Les betteraves, arrivées dans la cour de l'établissement, sont d'abord +posées sur un petit pont à bascule, puis arrivent dans un magasin +contigu au lavoir, dans lequel elles sont déposées par des enfants dont +le salaire est de 1 fr. par jour. Du lavoir elles passent dans le +coupe-racine ou râpe, mu par un manège qui les découpe en tranches de 2 +millimètres d'épaisseur, et les rejette dans un bac à sec dans lequel se +trouve un filet ou poche de toile; cette poche reçoit les tranches et, +au moyen d'un treuil, les transporte d'abord dans les chaudières +d'amortissement chauffées au moyen de la vapeur, et successivement dans +six chaudières de macération à froid, où elles déposent leur jus jusqu'à +ce qu'il ait atteint une densité de 7 degrés.</p> + +<p>Ainsi qu'on a déjà pu le remarquer, le procédé employé à Château-Frayé +est celui de la cuite; on n'y emploie point l'acide sulfurique, et le +pressurage, au lieu de s'opérer par la presse hydraulique, s'obtient par +les chaudières d'amortissement et de macération. Quand le jus est arrivé +à la densité voulue, on opère alors la défécation au moyen d'un lait de +chaux; vient ensuite l'évaporation. Le jus ainsi déféqué est, au moyen +d'un système de tuyaux de refoulement, renvoyé dans des bacs de dépôt +d'où il passe dans des filtres sur le noir animal en grain qui a la +propriété d'absorber la chaux et de colorer et dégraisser le jus. Cette +opération a pour but de clarifier le jus. Il ne reste plus alors qu'à +opérer la cristallisation. On y parvient de la manière suivante: après +le premier passage sur le noir, on évapore à 22 degrés, on passe une +seconde fois sur le noir pour que la clarification soit entière, et l'on +cuit dans une chaudière dans le vide, toujours au moyen de la vapeur.</p> + +<p>Après la cuisson, le sirop est reçu dans des rafraîchissoirs, et, sans +qu'il soit besoin de le décanter, on le coule dans des formes, où sa +cristallisation s'opère en douze heures. La mélasse s'écoule entre les +cristaux, et laisse au fond des formes un résidu qui, vendu aux +distillateurs, produit des esprits qui, livrés au commerce, sont mêlés +aux 3/6 obtenus du raisin.</p> + +<p>L'arrachement et la conservation des betteraves constituent une des +principales difficultés de l'industrie sucrière. Les plus grandes +précautions sont nécessaires pour empêcher la gelée ou la pourriture de +les attaquer, et dans certaines usines, c'est la seule cause qui ait mit +des bornes à l'extension de la fabrication. Frappé de ces inconvénients, +Schützenbach entreprit de dessécher la betterave et de la réduire en une +poudre qui pouvait alors non-seulement se conserver indéfiniment, mais +encore se transporter au loin sans beaucoup de frais et sans altération. +Le succès semblait, dès le principe, devoir couronner cette tentative; +100 de betteraves qui, par les anciens procédés, ne donnaient, après la +macération, que 5 à 6 au plus, ont rendu 7, 8 et quelquefois davantage +par le procédé Schützenbach. Toutefois, si nous en croyons certaines +personnes bien informées, ce succès n'aurait pas été de longue durée. Un +cessionnaire des procédés de Schützenbach en France, le propriétaire de +la Sucrerie de Vigneux aurait été obligé de renoncer, après des pertes +considérables, à ce procédé de fabrication, et lui-même, malgré tous les +soins qu'il devait naturellement apporter dans l'emploi de la méthode +dont il était l'inventeur, aurait été forcé de fermer l'usine qu'il +avait élevée à Carlsruhe. Quoi qu'il en soit, l'attention des savants +s'est alors éveillée; l'on a cherché si le procédé Schützenbach, +applicable à la dessiccation de la canne, ne produirait pas des effets +analogues. Les résultats, quoique conformes dans la théorie à ceux qu'on +avait reconnus dans le traitement de la betterave, ont laissé beaucoup à +désirer dans la pratique.</p> + +<p>On conçoit cependant de quelle importance serait pour nos Antilles et +nos possessions à sucre l'application de ce procédé nouveau, si les +colons toutefois, sortis de la position précaire où les place depuis si +longtemps notre régime économique, étaient en état de faire des avances +nécessaires à toute industrie qui veut se transformer avec avantage; car +de deux choses l'une, ou les colons cultiveraient en cannes une moins +grande quantité de terres et laisseraient le reste à d'autre cultures +productives, ou bien ils en cultiveraient autant, et exporteraient ainsi +une plus grande quantité qu'ils ne le font aujourd'hui. Comme ces sucres +seraient obtenus avec moins de perte, par conséquent à plus bas prix, +leur placement serait plus facile sur le marché de la métropole, à +laquelle les colonies demanderaient dès lors une plus grande masse de +produits industriels. Ces sucres, obtenus ainsi à moins de frais, tout +en laissant aux colons un bénéfice raisonnable, permettraient d'abaisser +dans une proportion plus considérable la surtaxe qui grève les sucres +étrangers, et, en facilitant ainsi nos échanges avec des pays éloignés, +donneraient de nouveaux débouchés à notre commerce extérieur, de +nouveaux éléments de prospérité à notre navigation lointaine.</p> + +<p>Nous ne parlons pas ici des autres végétaux qui contiennent en eux le +principe saccharin, et pourraient facilement être convertis en sucre, +tels que le mais, le melon, la citrouille. Nous ne dirons rien non plus +du sucre de l'érable. Nous nous contenterons de quelques mots sur le +sucre de pomme de terre ou de fécule, dont la fabrication a pris depuis +quelque temps une extension considérable pour que l'on évalue de 4 à 5 +millions de kilog. la production de 1842. Ce sucre s'obtient par le +traitement des fécules, mais on n'a pu lui donner la consistance des +autres sucres. Aussi est-il principalement livré aux distillateurs et +aux épiciers, qui l'emploient surtout dans la confection des liqueurs, +des confitures et autres préparations analogues. La pharmacie peut aussi +s'en servir pour édulcorer des breuvages ou des potions. Quant aux +sucres produits par les végétaux que nous avons cités plus haut, ils +n'ont donné que des essais, mais il n'en est pas entré dans la +consommation. Nous ne devons donc point nous en occuper.</p><br> + +<h3>Caricatures par Bertal.</h3> + +<table cellpadding="3" cellspacing="2" border="0" + style="width: 100%; text-align: left;" summary="bertal"> + <tbody> + <tr> + <td style="vertical-align: top; width: 33%;"> +<p>M. Bertal est un jeune artiste qui doit, je ne dirai pas donner de +brillantes espérances, mais inspirer des craintes sérieuses à ses +concitoyens; car il se moque impitoyablement de tout: hommes, bêtes ou +choses. Ce redoutable critique n'écrit pas, il dessine; mais ses +victimes n'en sont que plus à plaindre; il les fait si ressemblantes, +qu'il leur est impossible de ne pas se reconnaître. Malheur aux +ridicules que rencontre M. Bertal! ils sont aussitôt signalés à la risée +publique.--Souvent même,--comment peut-on avoir un semblable +courage?--le cruel jeune homme,--cet âge est sans pitié,--nous fait rire +malgré nous aux dépens des individus les plus inoffensifs et les moins +comiques qui se puissent voir.</p> + +<p>Quelquefois, mais rarement, il se contente de nous représenter, d'après +nature, un père de famille lisant, pendant sa promenade, un délicieux +numéro de <i>l'Illustration</i>,</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/009a.png"><br> + +<p>et contemplant la machine aérienne de M. Henson, qui transporte +rapidement de Paris à Saint-Cloud une cargaison de touristes; mais +bientôt le naturel reprend le dessus, et M. Bertal est sans pitié: nous +n'oserions ajouter sans remords.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/009b.png"><br> + +<p>N'a-t-il donc jamais pris plaisir à entendre Duprez chanter son bel air: +<i>Asile héréditaire</i>, qu'il nous le montre courant à perdre haleine après +son <i>ut</i> de poitrine?</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/009c.png"><br> + +<p>Si ressemblantes qu'elles paraissent, mademoiselle Rachel et +mademoiselle Georges ne sont réellement ni aussi maigres, ni aussi +grasses que ces deux caricatures:</p> + + + + </td> + <td style="vertical-align: top; width: 34%;"> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/009d.png"><br> + +<p>Que M. Bertal se moque de certains tableaux exposés au Salon, je le lui +pardonne,--surtout lorsqu'il nous représente une vue de la Hougue (effet +de nuit), par M. Jean-Louis Petit (n° 958).</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/009e.png"><br> + +<p>ou Napoléon en raccourci, par M. J.-B. Mauzaisse (n° 844), et le +portrait de madame la marquise de......., par Lehmann.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/009f.png"><br> + +<p><i>Les Buses-Graves</i>, je les lui abandonne encore; car ces infortunés +vieillards, au lieu de se retirer dans leur burg, persistent à se faire +siffler jusqu'à la 40e représentation par un auditoire de moins en moins +géant.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/009ee.png"><br> + +<p>Mais est-il juste de traiter avec la même sévérité que ces vieillards +stupides, la noble et chaste Lucrèce et la pâle Judith?--La caricature, +me répondra M. Bertal, a le droit de se moquer de tout, du laid, du beau +et du médiocre. Heureusement pour lui nous n'avons pas le temps de +discuter,--et nous reconnaissons, après tout, que notre critique a fait +des charges fort spirituelles des plus belles scènes de la remarquable +tragédie de M. Ponsard. Voyez Valére et Brute causant politique:</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/009g.png"><br> + +<p>Lucrèce racontant son songe à sa nourrice, pendant</p> + </td> + <td style="vertical-align: top; width: 33%;"> + + + +<p class="mid"><img alt="" src="images/009h.png"><br> + +<p>que celle-ci, qui possède la clef des songes, lui tire les cartes à +l'instar de mademoiselle Lenormand, et qu'une jeune esclave joue un air +varié sur un instrument fort peu éolien</p> + +<p>Sextus faisant une déclaration d'amour à Lucrèce</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/009i.png"><br> + +<p>et la grande scène finale, que nos lecteurs trouveront à la 7e page de +cette livraison:</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/009k.png"><br> + +<p>M. Bertal a été moins bien inspiré par Judith que par Lucrèce. +Cependant, nous avons remarqué dans son feuilleton la scène où la veuve +Manassé fait mettre à genoux Mindus. Achion et Crioch:</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/009m.png"><br> + +<p>et son repas de noce avec Holopherne.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/009o.png"><br> + +<p>Terminons cet examen critique des Omnibus comme un numéro de +<i>l'Illustration</i>.--par une gravure de mode qui</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/009p.png"><br></p> + +<p>nous donne des échantillons de nos costumes les plus élégants.</p> + + </td> + </tr> + </tbody> +</table> + + + + + + +<h3>Bulletin bibliographique.</h3> + +<p class="mid">Storia universale de <span class="sc">Cesare Cantù.</span>. Quinta edizione.--Torino. <i>Pomba et +Comp.</i> 1843.</p> + +<p class="mid">Histoire universelle de <span class="sc">Cesare Cantù.</span> Cinquième édition.--Turin. <i>Pomba +et Comp.</i> 1843.</p> + +<p>Constatons d'abord, en l'honneur de l'auteur de cet ouvrage et en +l'honneur de l'Italie trop souvent calomniée, le grand succès que la +<i>Storia universale</i> a obtenu au delà des Alpes. Quatre éditions, dont +trois de luxe et une populaire, entièrement épuisées en moins de cinq +années, prouvent que M. César Cantù a fait un livre vraiment +remarquable, et que ses compatriotes s'intéressent encore aux travaux de +l'esprit sérieux et utiles.</p> + +<p>Quoique à peine âgé de trente-huit ans, M. Cesare Cantù est un des +écrivains les plus féconds de la jeune Italie; outre un nombre +considérable d'articles de journaux, il a publié plusieurs ouvrages +d'histoire ou d'imagination, qui lui ont valu une réputation méritée. Il +y a quinze ans environ, il était professeur de littérature à Sondrio, +dans la Valteline, lorsqu'il fit paraître une nouvelle en quatre chants, +intitulée <i>l'Algiso</i>, suivie bientôt (en 1829), de <i>l'Histoire de la +ville et des diocèses de Come</i>, et, deux années plus tard (1831), de la +<i>Révolution de la Valteline</i>, épisode de la réforme en Italie. La même +année, comme pour se délasser de ces travaux sérieux, il s'amusait à +rédiger un <i>Itinéraire</i> du lac de Come et des routes du Stelvio et du +Splügen, et à composer quelques pièces de vers imprimées dans le premier +numéro de la <i>Streuna del Vallardi</i>. Peu de temps après, le retard si +incompréhensible que mettait Alessandro Manzoni à publier son <i>Histoire +de la Colonne infâme</i>, détermina le jeune auteur de <i>l'Histoire de Come</i> +et de la <i>Révolution de la Valteline</i> à écrire ses <i>Ragionamenti sulla +Storia Lombarda</i>, destinés à servir de Commentaires au roman des +<i>Promessi Sposi</i>. Ce petit livre, rempli de faits curieux, n'eut pas +moins de douze éditions. Son <i>Aperçu critique sur Victor Hugo et sur le +romantisme en France</i>, son beau roman intitulé <i>Margherita Pustella</i>, +ses <i>Hymnes sacrés</i>. ses <i>Letture Giovanili</i>, ses traductions du <i>Voyage +en Orient</i> de Lamartine; <i>De la Décadence de l'Empire romain</i> de +Sismondi; <i>Des Arabes en Espagne</i> de Marlés, etc..., l'occupèrent +presque entièrement depuis 1832 jusqu'en 1837.</p> + +<p>Le 14 décembre 1837, M. Cesare Cantù annonça pour la première fois, dans +l'appendice de la <i>Gazette de Milan</i>, la publication prochaine de son +<i>Histoire universelle</i>, à laquelle il a déjà consacré cinq années de sa +vie, et dont le succès va toujours croissant. Au mois de mars suivant, +il fit paraître en effet son introduction, qui contenait, en 96 pages, +une exposition large et nette du plan de cet ouvrage. A partir du mois +d'avril 1838, M. Cesare Cantù s'engageait à livrer chaque semaine à ses +souscripteurs deux feuilles d'impression. Jusqu'à ce jour il a tenu +parole.</p> + +<p>Cette introduction produisit une certaine sensation en Italie. Quelques +écrivains reprochèrent, il est vrai, à M. Cesare Cantù de s'être montré +trop sévère envers les historiens qui l'avaient précédé:--mais il se +justifia sans peine de ces accusations. D'ailleurs on loua généralement +son érudition déjà connue et appréciée, son style élégant et clair, bien +que trop facile, son zèle infatigable, et surtout le but de ce nouveau +travail. En effet, ce n'était pas l'histoire des faits, c'était +l'histoire des idées et des moeurs qu'il se proposait d'écrire, +l'histoire du développement intellectuel et moral île tous les peuples +du globe; en un mot, l'histoire de la civilisation humaine. Pour juger +les progrès de l'humanité, il s'est placé au point de vue chrétien. Dans +son opinion, le christianisme relève l'histoire et la rend universelle: +en proclamant l'unité de Dieu, il proclame celle du genre humain; en +nous enseignant que nous devons invoquer <i>il padre nostro</i>, il nous +apprend que nous sommes tous frères.' Alors seulement, dit-il, peut +naître l'idée d'une fusion entre toutes les époques et entre toutes les +nations, et l'observation philosophique et religieuse des progrès +perpétuels et indéfinis de l'humanité vers la grande oeuvre de la +régénération et le règne de Dieu.»</p> + +<p>M. Cesare Cantù divise l'histoire universelle en dix-huit parties qu'il +appelle époques, et qui portent les titres suivants I. Jusqu'à l'an 770 +du monde.--II. De la dispersion des peuples jusqu'aux olympiades.--III. +Des Olympiades à la mort d'Alexandre. --IV. Guerres puniques.--V. +Guerres civiles depuis la cent trente-quatrième année avant Jésus Christ +jusqu'à la quatrième année après Jésus-Christ.--VI. Les Empereurs +jusqu'à Constantin. --VII. De Constantin à Augustus.--VIII. Les +Barbares.--IX. Mahomet.--X. Charlemagne.--XI. Les Croisades.--XII. Les +Communes. XIII. Chute de l'Empire.--XIV. L'Amérique.--XV. La Reforme. +XVI. Louis le Grand et Pierre le Grand.--XVII. Le dix-septième +siècle.--XVIII. La Révolution.--Chaque volume comprend une époque. 12 +volumes sont publies; ils contiennent l'histoire ancienne (7 vol.) et +l'histoire du Moyen-Age (5 vol.). M. Cesare Cantù va commencer +prochainement la publication de l'histoire moderne.</p> + +<p>M. Cesare Cantù ne se contente pas d'affirmer les faits qui loi +paraissent évidents, il essaie de les prouver. Son ouvrage se compose de +deux parties distinctes: 1º le <i>Racconto</i>, ou le récit; 2º les +Documenti, ou documents. Les documents sont classes et coordonnés dans +des volumes séparés, ainsi que les discussions scientifiques, les +biographies, les passages les plus remarquables des prosateurs ou des +poètes, relatifs aux événements exposés dans le texte. L'auteur donne +aussi pour appendice une illustration très-variée des monuments et un +traité assez étendu de chronologie.</p> + +<p>Nous n'admettons pas sans faire quelques réserves toutes les opinions +exprimées par M. Cesare Cantù; mais, bien que nous différions parfois de +principes avec lui, nous nous empressons de joindre nos éloges sincères +à ceux que lui ont prodigués déjà ses compatriotes et plusieurs journaux +français. Qu'il ne se laisse pas décourager, qu'il continue à marcher +dans la voie glorieuse qu'il parcourt depuis cinq années avec tant de +bonheur, et en moins de deux années il atteindra son but, il achèvera un +des plus importants ouvrages qu'aura produits le dix neuvième siècle. +Nous sommes heureux, quant à nous, d'annoncer que la <i>Storia +universale</i>, vient d'être traduite en français Cette traduction revue, +corrigée et augmentée par M. Cantù, qui est en ce moment à Paris, ne +doit point tarder à paraître.</p> + +<p class="mid"><i>Loi salique</i>, ou Recueil contenant les anciennes rédactions de cette +loi et le texte connu sous le nom de <i>Lex emendata</i>; par <span class="sc">J.-.M. +Pardesses</span>, membre de l'Institut.--Paris. 1843. Imprimerie Royale. 1 vol. +in-4º de 844 payes. Prix: 35 fr.</p> + +<p>Ce volume commence par une préface de 80 pages qui contiennent la +description de toutes les éditions et de tous les manuscrits connus de +la loi salique, il renferme en outre huit textes différents, d'après les +manuscrits, avec, variantes; quarante titres qu'on ne trouve point dans +la <i>Les emendata</i>, d'après le manuscrit 4404 de la Bibliothèque royale +de Paris et le manuscrit 119, in-4, de Leyde; les prologues, l'épilogue +et les récapitulations, d'après divers manuscrits; un commentaire de 824 +notes, et enfin quatorze dissertations, dont la première sur les +diverses rédactions de la loi salique, et les autres sur les points les +plus remarquables du droit privé des Francs sous la première race.</p> + +<p>Les dissertations comprennent 309 pages, et sont suivies d'une table +alphabétique des matières.</p> + +<p class="mid"><i>Mémoire sur l'Irlande indigène, et saxonne</i>; par <span class="sc">Daniel O'Connell</span>, +membre du Parlement. Traduit de l'anglais et augmenté d'une notice +biographique sur l'auteur; par <span class="sc">Ortaire Fournier</span>. Tome 1er, +1172-1660.--Paris, 1843. <i>Charles Warèe.</i> 7 fr. 50 c.</p> + +<p>A peine cet ouvrage eut-il paru à Londres, nous nous empressâmes d'en +annoncer la publication, d'exposer le plan de l'auteur, et de résumer en +quelques lignes le contenu du 1er volume,--le seul qui ait été mis en +vente jusqu'à ce jour.--Nous le répétons, O'Connell ne pouvait pas +écrire une histoire réfléchie, sérieuse, logique, bien ordonnée. Tous +les hommes habitués à improviser ne mènent jamais à bonne fin,--en +supposant qu'ils se sentent le courage de l'entreprendre,--un travail +qui exige une attention froide, calme et soutenue. D'ailleurs le tribun +irlandais est trop fougueux et trop passionné pour ne pas se laisser +emporter souvent, dans ses écrits comme dans ses discours, au delà des +bornes de la justice et de la raison. Il a oublié qu'il y avait une +grande différence à établir entre l'écrivain et l'orateur. On écoute +plus facilement et plus volontiers qu'on ne lit. Si long, si diffus, si +fatigant qu'il soit, l'orateur politique est presque toujours sûr de +conserver son auditoire, obligé, sinon de prêter l'oreille à son +discours, du moins d'attendre, sans pouvoir quitter sa place, qu'il +l'ait terminé. Mais, loin de s'imposer au public, l'écrivain reste +entièrement sous sa dépendance; il est si facile de fermer un livre qui +ennuie, et quand une fois on l'a fermé, il est si difficile de le +rouvrir.</p> + +<p>Le premier volume du <i>Mémoire sur l'Irlande indigène et saxonne</i> +comprend toute la période de temps qui s'étend depuis l'année 1172 +jusqu'en 1660. Ainsi que nous l'avons déjà dit, il se compose de 50 +pages de texte et de 400 pages d'observations, de preuves et +d'explications. Les volumes suivants ne seront même que la suite de +cette seconde partie; car le texte proprement dit ou la première partie +renferme dans les neuf chapitres de ses 50 pages toute l'histoire +d'Irlande, depuis l'année 1172 jusqu'en 1840. La conclusion qui suit le +chapitre IX se termine par ces mots: «La dernière demande de l'Irlande +est dégagée de toute alternative, c'est le rappel de l'Union.»</p> + +<p>Nous doutons que cet ouvrage étrange soit plus favorablement accueilli +en France qu'en Angleterre; mais, malgré ses énormes défauts, nous +devons savoir gré à M. Ortaire Fournier d'avoir songé à le traduire, car +il contient une foule de documents curieux qui pourront servir un jour +aux historiens futurs de la malheureuse Irlande.</p> + +<p class="mid"><i>Essai sur l'Éducation du peuple</i>, ou sur les Moyens d'améliorer les +Écoles primaires populaires et le sort des Instituteurs: par <span class="sc">J. Willm</span>, +inspecteur de l'Académie de Strasbourg.--Strasbourg. <i>Veuve +Levrault.</i>--Paris, <i>Bertrand.</i> 1843. I vol. in-8º. 7 fr. 50 c.</p> + +<p>L'auteur de cet <i>Essai</i> a reçu sa première instruction dans une école de +village; il a été ensuite aide-instituteur, avant que d'heureuses +circonstances lui permissent de se livrer à des études supérieures. +Depuis, après avoir professé pendant dix années dans un collège +important, il a été, comme inspecteur de l'Académie de Strasbourg, +chargé de visiter une grande partie des écoles primaires des deux +départements du Rhin. Comme on le voit, il n'est pas étranger à la +matière sur laquelle il écrit, et il la traite avec connaissance de +cause.</p> + +<p>L'Essai qu'il vient de publier s'adresse à tous ceux qui s'intéressent à +l'éducation populaire, et spécialement à ceux à qui la loi et le +gouvernement ont donné part à l'administration, à la surveillance et à +la direction des écoles primaires Ils y trouveront bien des choses +connues que l'auteur a voulu seulement leur rappeler; il ne revendique +pour lui que le mérite de les avoir classées et groupées autour d'un +principe fondamental, d'une idée générale, exposée dans l'introduction +et formulée dans la conclusion générale du livre. Du reste, loin +d'aspirer à la nouveauté, M. J. Willm évite surtout,--c'est lui qui le +déclare,--«de proposer des améliorations qui ne se rattacheraient pas +naturellement à ce qui existe, et qui ne découleraient pas de la nature +même des choses, de la constitution politique du pays et de la loi +organique de l'instruction primaire. Les propositions qu'il fait, il a +voulu qu'elles fussent légales, nationales, françaises et surtout +praticables.»</p> + +<p>M. J. Willm a divisé son travail en trois parties: dans la <span class="sc">première +partie,</span> il recherche le principe et le but de l'éducation en général. +Selon lui, le vrai <i>principe</i> de l'éducation doit être <i>universel</i>, +exclusif de tout intérêt particulier, de tout but spécial qu'on voudrait +poursuivre aux dépens de tout le reste, bien que servant tous les +intérêts légitimes et tout but raisonnable, embrassant tous les +sentiments, toutes les dispositions essentielles et pouvant s'appliquer +à tous les états, à toutes les classes de la société et à tous les +genres d'écoles et d'éducation.--Son <i>but</i> est de former l'homme +d'abord, puis le citoyen, puis l'artiste, le soldat, le laboureur ou +l'artisan; de jeter les fondements d'une oeuvre que toute la vie, +quels qu'en soient d'ailleurs les accidents et les destinées +particulières, sera consacrée à continuer, à perfectionner: d'appeler au +jour tous les germes de raison, de vertu, de grandeur qui constituent la +vraie nature humaine, et de les développer assez pour leur assurer la +victoire sur toutes les dispositions contraires. Cette éducation +<i>générale</i> doit être la base et la condition de toute éducation +particulière. Si, a raison des diverses conditions de la société et de +la destination présumée des élèves, elle était diversement appliquée, il +ne saurait y avoir de différence que sous le rapport de la quantité et +non sous celui de la qualité: mais cette éducation générale, une dans +son principe et dans son but, se compose d'éléments divers. Pour être +complète, il faut qu'elle soit tout à la fois <i>morale, intellectuelle, +esthétique et religieuse</i>;--car l'homme aspire naturellement au <i>bien</i>, +au <i>vrai</i>, au <i>beau</i>, à l'<i>infini</i>--et en même temps <i>sociale</i> et +<i>nationale</i>, puisque l'homme n'est rien que par la société.</p> + +<p>Ces principes posés, M. J. Willm cherche à les appliquer, à montrer ce +que peut et ce que doit être dans les écoles primaires populaires cette +éducation générale dont il a tracé le plan. Il traite successivement, +dans la <span class="sc">seconde partie</span> de son <i>Essai</i>, de <i>l'organisation des écoles +primaires</i> et de la <i>construction des maisons d'école, ainsi que du +mobilier</i>; de <i>l'éducation</i> et de l'<i>instruction</i> dans ces mêmes écoles; +de la <i>méthode</i> et de la <i>discipline</i>, de <i>l'administration</i> et de la +<i>surveillance</i> de ces écoles. Il termine par l'examen de ces deux +questions; <i>Faut-il rendre la fréquentation de l'école primaire +obligatoire?</i> et <i>l'instruction primaire doit-elle être gratuite?</i> M. J. +Willm demande que tous les enfants qui ont atteint l'âge de six ans +soient annuellement soumis à une sorte de conscription scolaire et tenus +de payer la rétribution mensuelle, si leurs parents sont assez aisés +pour cela, ou amenés à l'école, s'ils sont pauvres, par tous les moyens +dont peut disposer l'administration.</p> + +<p>Le sort des écoles populaires dépend principalement du dévouement +éclairé, du zèle et de l'habileté des instituteurs. Pour que les écoles +soient bonnes, il ne suffit pas de les placer dans des maisons +parfaitement appropriées, dans des salles vastes, saines, bien éclairées +et munies de tout ce qui est nécessaire à l'enseignement, il faut +surtout qu'elles soient dirigées par des maîtres habiles et dévoués. Or, +pour que les maîtres soient habiles, il faut leur fournir les moyens +d'acquérir les connaissances nécessaires a leur état, et pour soutenir +leur zèle, il faut travailler à rendre leur position aussi bonne et +aussi honorable que possible. M. J. Willm s'est donc occupe +successivement, dans la <span class="sc">troisième partie</span> de son <i>Essai</i>, des moyens de +former les instituteurs, et spécialement des écoles <i>normales +primaires</i>: des moyens de leur faire continuer leur instruction après +leur entrée en fonctions, et spécialement des <i>conférences</i> et des +<i>bibliothèques</i> de l'école; enfin des moyens matériels d'améliorer leur +condition, et des <i>encouragements</i> qu'il convient de leur offrir pour +soutenir leur zèle.</p> + +<p>M. J. Willm achève la conclusion de son ouvrage en demandant qu'il soit +créé au sein de l'Académie des Sciences morales et politiques une +section de pédagogie, et que quelques chaires soient consacrées, à Paris +et dans les départements, à cet art, le plus important de tous, +puisqu'il a pour but de former les hommes.</p> + +<p class="mid"><i>Bluettes</i>; par <span class="sc">Eugène de Lonlay</span>. I vol. in-18.--Paris. 1843. <i>Amyot</i>.</p> + +<p>Comment ne pas accueillir avec intérêt un charmant volume bien imprimé +sur du papier satiné, qui se présente sous un titre si modeste et vous +demande humblement un regard et un sourire bienveillants? Quel reproche +le critique le plus dur aurait-il le courage d'adresser à des +<i>Bluettes</i>, surtout lorsque Béranger déclare les avoir lues avec +infiniment de plaisir, lorsqu'elles ont déjà eu deux éditions, et engin +lorsque leurs grâces naïves et leur tournure originale méritent +réellement le succès qu'elles ont obtenu? Ce qu'il faut au poète, a dit +M. E. de Lonlay dans sa première <i>Bluette.</i></p> + +<div class="poem"><div class="stanza"> +<p class="i20"> Ce qu'il faut au poète,</p> +<p class="i20"> C'est l'amour!...</p> +</div></div> + +<p>L'auteur des <i>Bluettes</i> est-il poète? Bien qu'il fasse des vers +charmants, nous attendrons, pour lui décerner un si beau titre, la +publication du <i>Trappiste</i>; mais, poète ou compositeur d'agréables +romances, il a ce qu'il lui faut, il est amoureux; ne nous étonnons donc +pas s'il ne chante que sa passion. Jetez les yeux sur la table générale +des <i>Bluettes</i>, qu'y voyez-vous: «Avoir tout à t'offrir.--Es-tu fille +des cieux?--Ne m'oubliez pas.--Tes yeux ont pris mon âme.--Que peut-elle +faire?--Je me souviens toujours.--Tout un jour sans te voir.--Loin des +yeux, près du coeur, etc.» Aussi M. E. de Lonlay donne-t-il ses vers à +celle qui seule, en les lisant, pourra dire: C'est moi; il les lui donne +«comme aux vertes savanes, la rosée abandonne ses perles limpides, +connue sur les sentiers l'aubépine épand ses débris embaumés, comme à la +terre endormie l'aube jette ses rayons d'or, comme aux coquettes plantes +de ses rives le lac prête son miroir mouvant, comme la fleur à l'abeille +donne son miel, comme au pèlerin l'étoile donne sa clarté, comme à +l'Éternel le croyant donne sa prière, comme à la mère l'enfant donne ses +premières caresses, la vierge à son amant le parfum de son premier +baiser.»</p> + +<p class="mid"><i>Océanie</i>, ou Cinquième partie du Monde, revue géographique et +ethnographique de la Malaisie, de la Micronésie, de la Polynésie et de +la Mélanésie; par <span class="sc">M. G.-L. Domeny de Rienzi.</span> 3 vol. in-8º, ornés de +gravures et cartes. Paris. Firmin Didot. 1843.</p> + +<p>«L'Océanie, ou cinquième partie du monde, plus étendue à elle seule que +le reste de notre globe, dit M. Domeny de Rienzi dans son introduction, +en est la moins connue et pourtant la plus curieuse et la plus variée. +C'est la terre des prodiges: elle renferme les races d'hommes les plus +opposées, les plus étonnantes merveilles de la nature et les monuments +les plus admirables de l'art. On y voit le pygmée à côté du géant, et le +blanc à côté du noir; près d'une tribu patriarcale une peuplade +d'anthropophages; non loin des hordes sauvages les plus abruties des +nations civilisées avant nous; les tremblements de terre et les +aérolithes bouleversent les campagnes, et les volcans foudroient des +villages entiers. Sur son continent austral, les animaux les plus +bizarres, et dans l'Ile la plus grande à la fois de ses archipels et du +globe, l'orang-outang, bimane anthropomorphe présentent aux philosophes +un profond sujet de méditations. Une de ses îles s'enorgueillit de la +majesté de ses temples et de ses palais antiques, supérieurs aux +monuments de la Perse et du Mexique, et comparables aux chefs-d'oeuvre +de l'Inde et de l'Égypte; d'autres étaient des pagodes, des mosquées et +des tombeaux modernes, rivalisant d'élégance et de grâce avec ce que +l'Orient et la Chine nous offrent de plus parfait en ce genre.»</p> + +<p>Avant la publication de l'ouvrage de M. de Rienzi, il n'existait +cependant aucun livre spécial et complet sur l'Océanie Le dernier +descendant du célèbre tribun italien ne s'est pas contenté, comme on +pourrait le croire, de résumer tous les travaux des voyageurs, +navigateurs, géographes ou hydrographes qui l'avaient précédé. Cinq +voyages entrepris par amour pour la science dans diverses parties de +l'Océanie l'ont mis à même d'ajouter un grand nombre de fats nouveaux +aux faits déjà connus.--Son ouvrage comble donc une lacune importante +dans l'histoire de la géographie; car il contient, outre un tableau +général de l'Océanie, la description et l'histoire de la <i>Malaisie</i>, ou +grand archipel indien, de la <i>Micronésie</i>, de la <i>Polynésie</i> et de +la <i>Mélanésie</i>. Plusieurs des dessins qui accompagnent le texte sont +inédits, et ont été exécutés par l'auteur sur les lieux; les autres sont +empruntés aux ouvrages les plus estimés. Douze morceaux de musique, dont +hut inédits, un tableau idiomographique des langues de ces contrées, +deux inscriptions importantes; enfin une nouvelle carte générale et +trois nouvelles cartes particulières de l'Océanie, complètent cette +description.</p> + +<p><i>L'Océanie</i> a paru il y a deux ans; mais la prise de possession des +<i>îles Marquises</i> et l'occupation de Taïti, donnent un intérêt +d'actualité à cette remarquable et utile publication.</p> + +<br> + +<h3>Modes.</h3> + +<p class="lef"><img alt="" src="images/011a.png"><br> <b>(Mantelet à la vieille.)</b></p> + +<p>Le mantelet est renouvelé de la mode assez peu éloignée de 1837: il y a +fort peu de différence entre celui d'aujourd'hui et celui d'alors; les +garnitures différent, mais la coupe est à peu près la même. Les +mantelets de taffetas noir, puce ou marron, sont ceux que l'un porte en +négligé comme en toilette du soir: le taffetas glacé en nuances claires +n'appartient qu'aux demi-toilettes de jour.</p> + +<p>Les rubans employés comme garniture sont moins bien que les garnitures +en étoffe. Le taffetas est coupé en biais, et il se forme à quatre +rangs.</p> + +<p>Notre dessin représente une femme qui porte son mantelet avec toute la +grâce sévère de la distinction; à peine doit-on apercevoir la taille +derrière le dos arrondi.</p> + +<p>Quelques façons de robes nouvelles paraissent à l'horizon des modes: ce +sont des manches bouillonnées au poignet, des corsages lacés, et des +jupes garnies d'immenses volants à l'espagnole.</p> + +<p>Les plumes sur les chapeaux de paille prennent faveur; quoique les +rubans simples soient de bon goût, une nouveauté tout à fait remarquable +et remarquée est le chapeau Pénélope de Lucy Hocquet. C'est une +fantaisie, une innovation, une bizarrerie. Aussitôt qu'il se fait un +chapeau Pénélope, il disparaît du magasin; cependant il doit rester +distingué en raison de sa simplicité un peu étrange.</p> + +<p class="rig"><img alt="" src="images/011b.png"> <br> + +<p>Voici deux jolis costumes de jeunes garçons: l'aîné, en veste de drap et +pantalon de tricot ou de nankin a la chemine de toile, dont le collet +rabat sur la cravate; le plus jeune, en blouse de velours, a les jambes +nues, et les guêtres de tricot ou le pantalon de flanelle dans la +guêtre. Sa chemise, plissée comme une chemisette suisse, sort de la +blouse et laisse dégagé son cou. La casquette va bien sur les cheveux à +la jeune France.</p> + +<p class="lef"><img alt="" src="images/011c.png"><br> + +<p>Nous regrettons de ne pouvoir donner ici un détail un peu étendu des +avantages du chariot hygiénique dans lequel on a placé l'enfant que nous +avons sous les yeux. M. Lebrun, mécanicien habile, inventeur d'une +ceinture de sauvetage, mérite une place en première ligne à +l'illustration. Si les mères comprennent bien les bienfaits de ce petit +chariot, il est certain que le nombre des enfants contrefaits diminuera +sensiblement. Une quantité d'enfants nés droits, mais délicats et +faibles, se déjettent faute de pouvoir se supporter sur leurs jambes. +Nous ne saurions trop engager les mères et les nourrices à visiter M. +Lebrun. Elles se féliciteront de cette prévoyance, et en seront +immédiatement récompensées par le bonheur qu'elles procureront à ces +pauvres petits êtres impuissants, heureux entre ces jambes artificielles +qui les supportent et les transportent à leur gré, sans péril et sans +fatigue.</p> + + + +<h3>Rébus.</h3> + +<p class="rig"><img alt="" src="images/011d.png"><br><br> + ÉPITAPHE D'UN GRAND HOMME.</p> + +<br><br><br><br><br><br> +<p>EXPLICATION DU DERNIER RÉBUS:<br> +Les personnalités attirent la haine.</p> +<br><br><br><br><br><br> + + + +</div> +<br><br><br><br> + + +<br><br><br><br> + + + + + + + + + + +<pre> + + + + + +End of Project Gutenberg's L'Illustration, No. 0011, 13 Mai 1843, by Various + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 0011, 13 *** + +***** This file should be named 35100-h.htm or 35100-h.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + http://www.gutenberg.org/3/5/1/0/35100/ + +Produced by Rénald Lévesque + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. 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It exists +because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from +people in all walks of life. + +Volunteers and financial support to provide volunteers with the +assistance they need, are critical to reaching Project Gutenberg-tm's +goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will +remain freely available for generations to come. In 2001, the Project +Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure +and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. +To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation +and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 +and the Foundation web page at http://www.pglaf.org. + + +Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive +Foundation + +The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit +501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the +state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal +Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification +number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at +http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent +permitted by U.S. federal laws and your state's laws. + +The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. +Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered +throughout numerous locations. Its business office is located at +809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email +business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact +information can be found at the Foundation's web site and official +page at http://pglaf.org + +For additional contact information: + Dr. Gregory B. Newby + Chief Executive and Director + gbnewby@pglaf.org + + +Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation + +Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide +spread public support and donations to carry out its mission of +increasing the number of public domain and licensed works that can be +freely distributed in machine readable form accessible by the widest +array of equipment including outdated equipment. Many small donations +($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt +status with the IRS. + +The Foundation is committed to complying with the laws regulating +charities and charitable donations in all 50 states of the United +States. 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Donations are accepted in a number of other +ways including checks, online payments and credit card donations. +To donate, please visit: http://pglaf.org/donate + + +Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic +works. + +Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm +concept of a library of electronic works that could be freely shared +with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project +Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support. + + +Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed +editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S. +unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily +keep eBooks in compliance with any particular paper edition. + + +Most people start at our Web site which has the main PG search facility: + + http://www.gutenberg.org + +This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, +including how to make donations to the Project Gutenberg Literary +Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to +subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. + + +</pre> + +</body> +</html> + + + diff --git a/35100-h/images/001.png b/35100-h/images/001.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..a3a0682 --- /dev/null +++ b/35100-h/images/001.png diff --git a/35100-h/images/001a.png b/35100-h/images/001a.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..27e7582 --- /dev/null +++ b/35100-h/images/001a.png diff --git a/35100-h/images/001b.png b/35100-h/images/001b.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..9e2f0a9 --- /dev/null +++ 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