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+Project Gutenberg's L'Illustration, No. 0011, 13 Mai 1843, by Various
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
+
+
+Title: L'Illustration, No. 0011, 13 Mai 1843
+
+Author: Various
+
+Release Date: January 28, 2011 [EBook #35100]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: ISO-8859-1
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 0011, 13 ***
+
+
+
+
+Produced by Rénald Lévesque
+
+
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+
+
+
+
+L'ILLUSTRATION
+
+No. 11. Vol. I.--SAMEDI 13 MAI 1843
+
+Bureaux, rue de Seine, 33.
+
+
+
+SOMMAIRE.
+
+Don Carlos. Portrait; _hôtel Panette_.--Courrier de Paris.--Manuscrits
+de Napoléon. Lettres sur l'histoire de la Corse.--Courses du
+Champ-de-Mars. _Courses de haies; pesage des jockeys; traitement du
+cheval après la course_.--Anniversaire de la délivrance d'Orléans.
+_Statue de Jeanne d'Arc_.--Nécrologie. _Portraits de Colocotroni et du
+duc de Sussex, chapelle de Notre-Dame-des-Flammes, à Bellevue_.--La
+Vengeance des Trépassés, nouvelle, sixième partie.--Théâtres. Lucrèce;
+Brutus; la Comédie à cheval; les deux Favorites: le Métier à la
+Jacquart; les Canuts; le Voyage en l'air; j'ai du bon Tabac; Marguerite
+Fortier; les Prétendants. _Deux scènes de Lucrèce_; le Voyage en l'air;
+une scène du Métier à la Jacquart et une scène des canuts. Théâtre de
+l'Opéra-Comique: On ne s'avise jamais de tout.--Lettre sur les Incendies
+de théâtre.--Industrie. Le sucre de canne et le sucre de betterave
+(suite). _Deux gravures_.--Caricatures par Bertal. _Dix-sept
+gravures_.--Bulletin bibliographique--Annonces.--Modes. _Trois
+gravures_. Météorologie.--Echecs. Rébus.
+
+
+
+Don Carlos.
+
+Les journaux ont dernièrement appelé l'attention publique et provoqué
+des explications du Gouvernement sur la position réelle de don Carlos.
+On a demandé si ce prince espagnol était l'hôte ou le prisonnier de la
+France; si le ministère lui imposait sa résidence à Bourges ou si le
+royal proscrit s'était pris au contraire d'une belle passion pour la
+patrie de George Sand, au point d'y fixer volontairement son séjour.
+
+Il y a là, sans doute, une grave question de droit des gens et de
+liberté individuelle. Pour _l'Illustration_, il y a lieu avant tout à un
+portrait et à une biographie.
+
+Don Carlos est âgé aujourd'hui de cinquante-cinq ans; il était le second
+fils du roi Charles IV et frère de Ferdinand VII, mort en 1833. Il
+semblait que le trône ne pouvait manquer à ce prince. Le roi, son frère,
+avait eu quatre épouses, et la dernière, Marie-Christine, fille du roi
+de Naples, François 1er, lui donna seule deux enfants, et ces enfants
+étaient deux filles. Les dispositions de la loi salique, adoptée en 1713
+par Philippe V, assuraient à don Carlos la succession royale, quand des
+intrigues de cour poussèrent le vieux roi à abolir la loi salique et à
+nommer la reine régente, après sa mort, du royaume d'Espagne, pendant la
+minorité d'Isabelle II. Ce coup d'État détruisit les beaux rêves de
+royauté de don Carlos, qui avait toute raison de se voir un jour
+couronne en tête et sceptre au poing, quand une petite fille de trois
+ans, sa nièce, monta sur ce trône qu'il avait si ardemment convoité.
+
+Nous autres, pauvres gens, quand la réalité vient souffleter nos rêves
+de gloire ou de fortune, quand le but que nous poursuivons s'éloigne
+devant nous, il ne nous vient pas à l'idée de troubler le monde de notre
+dépit. Le poète alors chante sa souffrance, l'auteur sifflé recommence
+bravement un nouveau chef-d'oeuvre, le spéculateur combine de nouveaux
+calculs. Perrette pleure, la pauvre enfant, devant son lait répandu et
+ses projets évanouis; pourquoi donc les prétendants à tous les trônes
+possibles n'en feraient-ils pas autant quand le trône leur échappe, au
+lieu d'appeler aux armes les populations et de faire tuer des braves
+gens qui, en Espagne, comme en Vendée, comme partout, se battent
+hardiment sans trop savoir pourquoi?
+
+Ainsi fit don Carlos. Pour avoir le futile plaisir de s'asseoir sur ces
+planches de sapin recouvertes d'un morceau de velours, il ne craignit
+pas de porter la guerre civile dans sa patrie, de soulever et de ruiner
+des provinces entières, tristes moyens qui dégoûteraient les meilleurs
+peuples des meilleurs rois!
+
+On sait quels horribles excès furent commis de part et d'autre pendant
+cette longue et douloureuse lutte; la malheureuse Espagne en gardera
+longtemps le souvenir. Don Carlos trouva parmi ses partisans un homme de
+génie, Zumalacarreguy, grande et sombre figure qui domine toute cette
+sanglante épopée. Ce fut lui qui rappela don Carlos en Espagne après la
+signature du traité de la quadruple alliance.
+
+Suivi de quelques serviteurs dévoués, le prince quitta l'Angleterre, et
+traversa la France pour se rendre à la frontière. Il resta deux jours à
+Paris, et la police ne fut pas ou ne voulut pas être instruite de sa
+présence. Un de ses émissaires les plus actifs, M. Auguet, raconte que,
+traversant en voiture découverte la place de la Concorde, don Carlos
+rencontra Louis-Philippe et sa famille se rendant en char-à-banc à
+Neuilly et que le roi des Français répondant à quelques acclamations
+salua sans le reconnaître, son cousin d'Espagne. «Mon bon cousin
+d'Orléans, dit celui-ci en riant, ne se doute pas que je traverse ses
+États sans sa permission pour aller déchirer avec la pointe de mon épée
+son traité de la quadruple alliance.» Charmante espièglerie! et ce jeune
+étourdi, qui ne comptait guère alors que quarante-six ans, ne se doutait
+probablement pas que, de la pointe de son épée, il allait aussi déchirer
+le sein de sa patrie et livrer aux horreurs de la guerre civile des
+populations laborieuses et dévouées, comme si la vie des hommes n'était
+que l'enjeu naturel de ces folles et sanglantes parties.
+
+[Illustration: Hôtel Panette, rue du Poirier, no. 1, à Bourges, habité
+autrefois par l'archevêque de Mercy, le général Lapoype, par les
+maréchaux qui commandaient l'armée de la Loire, et aujourd'hui par Don
+Carlos.]
+
+Don Carlos franchit les Pyrénées et longtemps il tint en échec les
+forces de la reine. Le général Espartero eut la gloire de mettre fin à
+cette lutte acharnée. Il refoula Don Carlos en France; mais, comme le
+personnage de la fable il mit d'accord les deux plaideurs en s'emparant
+de l'objet du débat.
+
+Aujourd'hui Espartero est de fait roi d'Espagne, et don Carlos est à
+Bourges, et la reine régente est rue de Courcelles à Paris. Singulier
+effet des vicissitudes humaines; c'était bien la peine de mettre
+l'Espagne à feu et à sang pour en venir là. Puisse du moins cette
+mémorable leçon donnée aux princes de sang royal par un obscur
+_ayachucho_ leur être profitable et les éclairer sur la vanité de leur
+ambition.
+
+
+
+Courrier de Paris.
+
+Le dernier bal a valsé sa dernière valse; le dernier concert a chanté sa
+dernière roulade et donne son dernier coup d'archet. Le même soir, en
+même temps, aux deux points opposés le bal achevait magnifiquement sa
+brillante vie d'hiver: d'une part, sous les lambris héréditaires d'un
+noble hôtel de la rue de l'Université; de l'autre, rue Bleue, dans un
+hôtel fraîchement bâti sur des fondations de rails et de cinq pour cent.
+Ainsi le bal à écusson et le bal financier ont fini leur campagne par un
+coup d'éclat; après ces deux fêtes merveilleuses, il n'est plus permis
+de danser ni de valser honorablement; cela serait du plus mauvais genre.
+Donner un bal au mois de mai, fi donc! nous prenez-vous pour un salon de
+cent couverts faisant toute l'année noces et festins? Il faudrait
+n'avoir ni riante villa aux bords de la Seine ou de l'Oise, ni vieux
+château breton ou tourangeau; or, je vous le demande, qui n'a pas une
+villa? qui n'a pas un château? qui ne prend pas les eaux? qui ne court
+pas, l'été venu, sur quelque grande route, du côté des Pyrénées ou des
+Alpes? Personne, en vérité.--Pardon, belle comtesse! Paris possède et
+abrite six à sept cent mille honnêtes gens absolument privés de maison
+de campagne, de berline de voyage, de parc, de tourelles, d'Alpes et de
+Pyrénées.--Ah! vous croyez?
+
+Le Paris mondain, l'élégant Paris, tourne ainsi, depuis quinze jours, à
+la vie champêtre et voyageuse; il ne tourbillonne plus dans ses fêtes
+sensuelles et illuminées, mais il n'a pas encore fait son entrée en
+solitude, à l'ombre des charmilles. Le printemps l'appelle à l'air libre
+et à la verdure, et l'hiver le retient toujours par un des pans de son
+habit; il n'est plus là, mais il n'est pas encore ici. C'est une
+situation intermédiaire qui lui donne une physionomie inquiète et
+maussade; rien n'est pire, quand on va partir, que de n'être pas parti.
+
+Cependant, ce Paris privilégié et épris de villégiature, prend ses
+précautions et fait ses préparatifs: il met les housses aux causeuses et
+aux fauteuils de son salon; il enveloppe ses bronzes et son lustre d'un
+voile de mousseline épaisse, et jette une cuirasse de toile écrue sur la
+soie de ses tentures. Puis, se fortifiant d'avance contre les loisirs de
+la résidence bucolique, ou contre les ennuis du voyage et de l'auberge,
+il met dans sa malle quelques livres aimés et s'abonne à
+_l'Illustration._ Avant quinze jours, la plupart des hôtels du faubourg
+Saint-Germain seront silencieux et déserts; les volets intérieurs,
+casematant les vastes fenêtres de haut en bas, laisseront voir leur
+vêtement gris-blanc, égayé de filets d'or, et diront aux passants que le
+maître est absent. L'herbe, jusqu'au 1er décembre, aura le temps de
+croître dans les cours.
+
+De leur côté, les jardiniers émondent les parterres, font la toilette
+des arbustes et des fleurs, sablent et ratissent les allées et tondent
+la pelouse pour faire honneur à _madame_ et à _monsieur_, tandis que les
+chefs d'hôtel, les entrepreneurs d'eaux plus ou moins sulfureuses et de
+salons de conversation lancent sur Paris, de tous les coins de l'Europe,
+leurs séduisants prospectus. Il en vient d'Allemagne et d'Italie, de
+l'Ouest et de l'Est, du Nord et du Midi, de la Tamise, de l'Escaut, de
+l'Adige, du Rhin et surtout de la Garonne. Le Mont-d'Or sonne sa
+trompette, Bade donne son roulement de tambour, Ems et Wisbaden mettent
+leur carillon en branle; mais nul n'égale Spa pour les sourires
+attrayants et les ravissantes promesses; Spa, cette année, veut rester
+sans rivaux dans l'art de séduire le gentleman et de faire le bonheur du
+prince portugais, russe, italien, polonais ou cochinchinois. Que
+reprocher à Spa? que lui demander encore? Il vous prend au saut du lit
+et vous inonde de concerts d'harmonie, de journaux, de revues, de
+brochures, de vaudevilles, de comédies, d'opéras-comiques, de chevaux
+caracolants, d'aubades de nuit et de jour: puis, vous offrant la main,
+le voici qui vous conduit dans les frais sentiers, sous les bois
+ombreux, aux penchants des collines verdoyantes, prêt à se retirer
+discrètement et à vous laisser rêver dans votre solitude, si tel est
+votre bon plaisir. Rossini. Alexis Dupont, les frères Batta madame
+Damoreau et d'autres encore, spirituels acteurs, harmonieux instruments,
+voix mélodieuses, sont promis à Spa, et M. le bourgmestre s'est engagé à
+être charmant.
+
+Pars donc, ô toi, le Paris du boudoir et du salon, le Paris des heures
+inoccupées, agréable désoeuvré! va promener, ci et là, ton sourire
+légèrement railleur, ton petit bâillement énervé, ta migraine, tes maux
+de nerfs, tes rhumatismes et ton binocle: donne un peu d'air pur à ta
+poitrine fatiguée par la brûlante atmosphère des veilles et des bougies;
+et tâche de ranimer le teint pâli de tes belles valseuses pour le
+donner, au bal de 1844, à prendre encore et à dévorer!
+
+Mai est aussi le mois où les princes et les princesses de théâtre se
+mettent à voyager; je veux dire les acteurs, les chanteurs et les
+danseuses, en crédit, ceux qui ont le privilège des gros appointements
+et des couronnes. Les autres ont tout au plus le loisir d'aller, le
+dimanche, à Saint-Germain et à Montmorency, l'aire un dîner sur l'herbe;
+encore le coup d'archet du chef d'orchestre vient-il les rappeler
+brusquement avant le dessert, comme ces pauvres soldats en permission
+qu'on voit courir hors d'haleine, à travers rues et à travers champs à
+l'heure de la retraite et au roulement du tambour. Quant aux
+merveilleuses Hermiones, aux glorieux Orestes, aux ténors fameux, aux
+sylphides adorées, ils montent on chaise de poste et font tourbillonner
+la poussière des grands chemins. Après avoir plus ou moins charmé
+Babylone pendant les six mois d'hiver, nos illustres distribuent leurs
+tirades, leur _ut_ de poitrine et leurs jetés-battus dans les
+départements et à l'étranger. Ces bienfaits, ils les étendent sur toute
+la nature, et donnent indistinctement la pâture aux grands théâtres et
+aux petits depuis le chef-lieu jusqu'au canton. Phèdre ne rougit pas de
+déclarer sa passion à Hippolyte sous la balle au blé, convertie en
+Mycènes; et Agamemnon a, plus d'une fois, transporté l'Aulide dans une
+grange et sacrifié Iphigénie.
+
+Il faut donc en faire notre deuil: nos meilleurs acteurs nos meilleurs
+chanteurs vont nous quitter. C'est peu des moissons dorées qu'ils
+récoltent ici; ils veulent bien se compromettre jusqu'à faire la même
+_razzia_ en province: Toulouse Bordeaux, Lyon, Rouen, Dijon, Lille, et
+vous tous, honorables chefs-lieux, qui aimez la roulade, l'alexandrin et
+le rond de jambe, ouvrez votre bourse et préparez vos dithyrambes et vos
+couronnes; on prendra volontiers vos vers et surtout votre argent; c'est
+un honneur qu'on daignera vous faire.
+
+Mademoiselle Rachel ira à Marseille; elle ne veut plus de l'Angleterre.
+Est-ce Nicodème qui a inspiré à Laodice cette rancune contre Rome?
+Laodice se souviendrait-elle de l'hospitalité cruellement violée et du
+martyre d'Annibal? Marseille cependant est dans une grande attente. Ces
+vives imaginations s'exaltent à l'approche de Camille, de Marie-Stuart
+et de Roxane, que la Provence n'a point encore vues. Marseille, la ville
+phocéenne, se réjouit surtout de recevoir Monime, cette autre fille de
+la Grèce, cette fleur suave et délicate éclose à son poétique soleil. Ce
+sera une entrevue de famille. Mademoiselle Rachel et Marseille pourront
+s'entretenir ensemble d'Athènes et d'Éphèse.
+
+ .....Je crois que je vous suis connue
+ Ephèse est mon pays, mais je suis descendue
+ D'aïeux ou rois, seigneur, ou héros, qu'autrefois
+ Leur vertu, chez les Grecs, mit au-dessus des rois.
+
+Dans quinze jours, Monime fera ses bagages et descendra vers le Rhône,
+jusque-là elle continuera à être Judith. C'est une politesse de femme à
+femme, une dette un peu gênante que le talent paie à l'esprit.
+Mademoiselle Rachel devait ce dévouement à madame de Girardin. On n'ose
+pas dire que ce soit un sacrifice, mais cela y ressemble beaucoup. Jouer
+une froide tragédie au milieu de la froideur du public, quand on était
+habituée à l'ardeur d'un parterre enthousiaste, n'est-ce pas une
+résignation héroïque à la Curtius? Dieu en tiendra compte à Judith. Ce
+trait l'élève et l'honore plus que la décapitation d'Holopherne, qu'elle
+pratique régulièrement de deux jours l'un. De temps en temps, on
+murmure. L'autre jour quelqu'un a sifflé; c'était sans doute un
+spectateur qui se rappelait ce mot de Voltaire s'excusant de ses
+privautés railleuses avec l'héroïne de Béthulie: «Le livre de _Judith_
+n'étant pas dans le canon juif, on peut se permettre avec cette Judith
+un peu de familiarité.»
+
+Puisque nous en sommes aux déesses de théâtre, ne laissons point passer
+une morte charmante, sans effeuiller sur sa tombe une fleur et un
+regret. Nous voulons parler de mademoiselle Lucile Grahn, qui vient de
+s'éteindre si cruellement et si rapidement. La nouvelle nous est arrivée
+de Saint-Pétersbourg, où mademoiselle Grahn était retournée, non pas
+pour mourir, mais pour vivre au contraire dans toute la riante espérance
+de ses vingt ans, escortée de toutes les grâces de la jeunesse et de
+tous les enivrements du succès.
+
+Mademoiselle Grahn était venue de Copenhague à Paris, il y a trois ou
+quatre ans. Le Nord nous l'avait envoyée douce, légère, rapide et un peu
+semblable à ces ombres délicates et penchées qui passent dans les nuages
+d'Ossian. La blanche fille de la Norwége courait grand risque alors:
+Marie Taglioni était encore présente à tous les souvenirs. Voltiger
+après elle, dans la forêt enchantée de _la Sylphide_, c'était se
+hasarder beaucoup; il fallait bien de la grâce et de la souplesse, un
+pied bien doux et bien prompt, pour se faire pardonner l'audacieuse
+entreprise. Eh bien! Paris pardonna à Lucile Grahn: même il commençait à
+l'adorer et à la poursuivre dans ce pays des fées, lorsqu'un accident
+vint interrompre tristement ces naissantes amours. Lucile Grahn, dans un
+de ses vols sylphidiques, se blessa au genou. Pendant deux ans, elle
+souffrit de cette blessure, et ainsi disparut du théâtre, presque au
+début. Un jour, la pauvre jeune fille crut renaître: se retrouvant
+légère et forte, elle s'envola du côté de Saint-Pétersbourg. C'est là
+qu'elle est morte, sur le grand théâtre impérial, le jour même d'un
+triomphe, au moment où elle recueillait de toutes parts, les couronnes
+et les bravos, et goûtait toutes les émotions enivrantes du succès. Un
+violent effort pour vaincre la fatigue et surmonter la douleur de sa
+blessure tout à coup renaissante, a tué Lucile Grahn. Vous connaissez le
+dénoûment du ballet de _la Sylphide_. La nymphe, frappée mortellement
+par les maléfices de la méchante sorcière, s'évanouit: ses ailes se
+détachent et se brisent.--C'était aussi dans ce ballet de _la Sylphide_
+que Lucile Grahn dansait le soir de sa mort; et de même ses ailes sont
+tombées cette fois, mais pour toujours! Le costumier n'a pas même essayé
+de les rattacher.--Lucile Grahn était douce, spirituelle, aimable et
+fine, et son talent lui ressemblait.
+
+Que fais-tu donc, ô homme! si tu n'y prends garde, la femme va te
+détrôner, autocrate barbu! Les temps prédits par les prophètes en
+cotillon semblent approcher. L'émancipation féminine nous gagne de jour
+en jour, et par toutes les voies; nous avons la femme à tragédies, la
+femme à romans philosophiques, la femme Euclide, la femme Socrate, la
+femme Mirabeau; celle-là se promène sous les ombrages de l'Académie;
+celle-ci monte sur les _hustings_ et prononce une harangue à tous crins.
+Il y a un mois, on a enterré une femme César qui avait la croix
+d'honneur, dix-huit campagnes et quatorze blessures.
+
+L'Académie française a proposé un prix de poésie. Le sujet est
+magnifique: il s'agit de louer Molière. Oui remportera le prix? quelque
+jeune barbe sans doute. Allons donc! est-ce que les barbes aujourd'hui
+sont bonnes à quelque chose? Vingt poèmes rivaux se mettent sur les
+rangs; un seul offre des qualités énergiques et viriles: l'Académie
+demande quel est donc le gaillard qui a fait ces beaux vers-là? Un
+corsage, des joues blanches et roses, de longs cheveux blonds, un
+soulier de prunelle, une robe de soie, un mantelet de velours,
+s'avancent et disent: «C'est nous!» L'Académie s'étonne et regarde, et
+reconnaît madame Louise Collet-Révoil. Ainsi, le bataillon des poètes
+académiques est mis, cette année, en déroute par madame Collet. Cette
+héroïne dithyrambique n'en est pas à ses premières armes; elle avait
+déjà bravement affronté l'Académie et obtenu une couronne. Madame Collet
+a de plus l'attention délicate d'être jolie. Savez-vous que le métier
+des quarante commence à devenir agréable? Mais, que dites-vous de madame
+Collet faisant l'éloge de Molière et méritant le prix? N'est-ce pas un
+peu embarrassant pour l'auteur des _Femmes savantes_, et la vengeance ne
+vous semble-t-elle pas charmante et de bon goût? Si ce régime continue,
+je déclare que je passerai chez la marchande de modes et chez la
+couturière pour changer de culotte.
+
+Au reste, et Dieu merci, nous commençons à prendre soin de nos grands
+hommes. L'Académie n'a jamais manqué positivement à cette religion. Si,
+de leur vivant, elle en a oublié quelques-uns, et des plus illustres,
+Molière, par exemple, elle les caresse du moins après leur mort. Je veux
+donc surtout parler de l'ingratitude jusqu'ici pratiquée par les
+municipalités et par les villes; elles commencent à se repentir et à
+comprendre que les images des hommes de génie debout sur les places
+publiques ou sur la face des monuments, sont pour la multitude, comme
+une gloire et comme un bel exemple perpétuellement visibles. Déjà Rouen
+à Corneille; Strasbourg à Gutenberg; Louis-le-Saulnier à Bichat; ici, on
+dresse un piédestal à Cuvier; là à Desaix. Paris achève la statue de
+Molière, et voici qu'il songe à Jean Goujon. On mettra la statue sur la
+fontaine des Innocents, un des chefs-d'oeuvre du sculpteur? Là, en
+effet, Jean Goujon fut tué, le 24 août 1572, d'un coup d'arquebuse, le
+jour du massacre de la Saint-Barthélémy, tandis qu'il semait au fronton
+du palais les trésors de son fin et délicieux génie. Après tout, au
+Louvre ou ailleurs, qu'importe? on prépare une statue à l'habile
+sculpteur, et c'est là le point important et la louable pensée. Paris
+devait bien cette reconnaissance au Phidias du château d'Anet, de
+l'hôtel Carnavalet, de la salle des Cent-Suisses, de la chambre de Diane
+et de tant d'oeuvres renommées, filles légères et gracieuses du goût
+antique, souvenir charmant du ciseau grec. Oui, que nos cités se
+peuplent de toutes ces nobles images! que la statue du poète, du soldat,
+de l'orateur, de l'artiste, raniment partout l'exemple des grands
+talents et des grands services! Cela ne vaut-il pas mieux que les
+statues orgueilleusement inutiles?
+
+Les deux premières semaines du mois de mai se sont d'ailleurs
+particulièrement occupées de lampions et de chemins de fer; les fêtes
+royales et les inaugurations à la vapeur ont absorbé tous les esprits;
+on ne rencontrait par toute la ville que des figures affairées, les unes
+officielles, les autres curieuses et populaires; celles-ci courant aux
+illuminations et au feu d'artifice; celles-là s'apprêtant à débiter des
+harangues qui n'étaient pas non plus sans artifice. Aujourd'hui, la
+ville se ruait tout entière aux Champs-Élysées et dans les antichambres
+des Tuileries: un autre jour, elle roulait sur les rails d'Orléans et de
+la vieille cité normande. Voilà la vie de ce pays-ci: mouvement
+perpétuel, comédie perpétuelle, rapide tourbillon! On parle de la
+récente découverte de la vapeur: il y a longtemps que Paris l'avait
+inventée!
+
+Il a plu par torrents depuis huit jours, et entre autres pluies, nous
+avons essuyé une averse de croix qui se sont accrochées à toutes sortes
+de boutonnières. Les hommes se parent de rubans comme les coquettes; ils
+sont terriblement femmes pour cela: la manie, loin de se guérir, s'en va
+s'agrandissant. Vous avez vu ce projet de l'autre jour, qui a révélé un
+honnête marquis occupant sa vie à courir vers tous les coins de
+l'horizon, à la chasse d'un ruban et d'une croix; il y mangeait son
+patrimoine, et, pour devenir chevalier, se faisait ronger par les
+chevaliers d'industrie. Après ces recherches haletantes, notre homme
+finit par recevoir un brevet de la sultane Falkir. L'honneur lui en
+revint à 15.000 fr.; mais qu'est-ce que 15.000 fr au prix du titre de
+grand cordon de l'ordre de la sultane? Le voilà bien joyeux! Arrive le
+procès en question: l'illustre chevalier apprend qu'il a payé de cette
+grosse somme un ruban que tous les garçons de café et les portiers
+portent gratis. La leçon le corrigera-t-elle? Non: mon marquis doit être
+en ce moment à la piste de quelque éperon d'or, de quelque étoile
+polaire ou d'un ours blanc.
+
+Un de nos dramaturges fameux et d'origine africaine a particulièrement
+cette maladie des croix; il en a dépeuplé l'Espagne, la Belgique, la
+France, et surtout l'Italie. Un jour, il entrait dans un salon avec une
+collection de décorations sur la poitrine, enfilées les unes au bout des
+autres, et pareilles à deux douzaines de mauviettes à la broche. «Que
+faites-vous de tout cela? lui demanda quelqu'un.--Que voulez-vous,
+répondit le Californien, ça amuse les nègres!» M. Alexandre D... aurait
+pu ajouter que ça sert aussi à faire la traite des blancs.
+
+Le brave capitaine Bruat s'est embarqué depuis peu de temps pour aller
+prendre possession des îles Marquises dont il est gouverneur. Le plus
+grave, le plus austère de nos ministres lui dit, après l'audience de
+congé: «Allez, monsieur, partez pour cette contrée inculte et lointaine:
+tâchez de civiliser les hommes et de rendre les femmes sauvages!»
+
+Le Cirque-Olympique vient de mettre fin à ses batailles du boulevard du
+Temple; son canon ne tonne plus; sa gargousse sommeille. Le Cirque a
+pris possession de sa maison de campagne des Champs-Elysées; déjà Auriol
+grimpe aux frises et sourit, et mademoiselle Caroline caracole.
+
+
+
+MANUSCRITS DE NAPOLÉON.
+
+(Suite.--Voyez p. 22, 38, et 70.)
+
+LETTRES SUR LA CORSE A M. L'ABBÉ RAYNAL.
+
+
+
+LETTRE TROISIÈME ET DERNIÈRE
+
+Monsieur.
+
+Les Génois, maîtres de la Corse, se comportèrent avec modération; ils
+prirent les conventions del Lago Benedetto pour base de leur
+gouvernement; le peuple conserva une portion de l'autorité législative;
+une commission de douze personnes, présidée par le gouverneur, eut le
+pouvoir exécutif; des magistrats élus par la nation et ressortissant du
+syndicat eurent la justice distributive. A leur grand étonnement, les
+Corse se trouvèrent tranquilles, gouvernés par leurs lois; ils crurent
+qu'ils devoient désormais oublier l'indépendance et vivre sous une forme
+de gouvernement propre à rendre à la patrie toute la splendeur dont elle
+étoit susceptible. Les Génois trouvoient dans la Corse de quoi accroître
+leur commerce; ils y trouvoient des matelots et des soldats intrépides
+pour augmenter leur force.... Mais il étoit à craindre que, situés si
+avantageusement, ces insulaires ne fissent un commerce nuisible à celui
+de la métropole; il étoit à craindre qu'avec l'accroissement de forces
+que donne un bon gouvernement, ils ne devinssent indépendants en peu de
+temps. La jalousie politique sera toujours le tourment des petits États,
+et l'on sait que la jalousie commerciale a toujours été la passion
+spéciale de Gênes.
+
+D'ailleurs tous les ordres de l'État, accoutumés à se partager les
+possessions de la République, murmurèrent contre une administration où
+ils n'avoient point de part, où il n'y avoit point d'emploi pour eux. «A
+quoi nous a servi la conquête de la Corse, si l'on doit conserver à
+celle-ci un gouvernement presque indépendant; il valoit vraiment bien la
+peine que nos pères répandissent tant de sang et dépensassent tant
+d'argent,» disoit-on publiquement à Gênes. La grande noblesse voyoit
+avec dépit l'autorité du gouverneur restreinte, réduite presque à rien
+par le conseil des Douze et par les assemblées populaires. La petite
+noblesse, dite noblesse du grand conseil, que l'on peut appeler le
+peuple de l'aristocratie, attendoit avec une impatience facile à
+concevoir, l'occasion de pouvoir se saisir de tous les emplois
+qu'occupoient les Corses. Les prêtres convoitoient nos bénéfices; les
+négociants aspiroient au moment où ils pourroient, au moyen de sages
+lois, fixer seuls le prix de nos huiles et de nos denrées.
+
+Ce n'étoit qu'un cri dans tous les ordres de la République: pour la
+première fois le même voeu les unissoit. Aussi l'on ne tarda pas à
+supprimer en Corse toute la représentation nationale. En peu de temps le
+gouverneur réunit sur sa tête toute l'autorité.... Il put faire mettre à
+mort un citoyen sans autre procès, sans autre enquête, sans autre
+formalité que celle-ci: _Je le prends sur ma conscience_, et la grande
+noblesse fut satisfaite.
+
+Tous les emplois civils et militaires furent donnés par le gouverneur ou
+par le sénat, et furent donnés à des nobles Génois. Pour ne laisser
+naître aucune espérance présomptueuse, il y eut une loi qui déclara les
+Corses incapables d'occuper aucun emploi.... et la petite noblesse fut
+contente. Le noble du grand conseil, excessivement pauvre, n'a pour
+nourrir une famille nombreuse que le droit qu'il tient de sa naissance,
+de gérer les emplois de la République Il faut que chacun profite à son
+tour de ce droit, parce qu'il faut que chacun vive; aussi ne peut-on
+être que deux ans en place, et est-on obligé, durant un certain temps,
+de n'occuper aucun autre emploi. Il faut donc, pendant ces deux années,
+amasser assez pour se maintenir pendant quatre ans et fournir aux
+différents voyages que l'on doit entreprendre.
+
+Gênes, jadis très-puissante, avoit un grand nombre d'emplois à donner;
+mais au temps dont nous parlons, elle étoit réduite à la Corse seule, et
+la Corse étoit obligée de supporter presque tout cet horrible fardeau.
+Chaque deux ans l'on voyoit arriver des flottilles de ces gentillâtres
+avec leurs familles, affamés, nuds, sans éducation, sans délicatesse.
+Plus redoutables que des sauterelles, ils dévoroient les champs,
+vendoient la justice et emprisonnoient les plus riches pour obtenir une
+rançon. On rioit à Gènes de ces plaisanteries nobiliaires; le répertoire
+des gens aimables, des couleurs de bons mots, de ces personnes qui
+tiennent toujours le haut bout dans les sociétés, n'est rempli que
+d'aventures de ces gentilshommes, et toujours le Corse est le battu et
+le moqué... Combien avez-vous gagné? Nous avez-vous laissé quelque chose
+à prendre? demandoient ceux qui alloient partir à ceux qui étoient de
+retour. Un honnête sénateur fort religieux avoit coutume de dire une
+prière toutes les fois qu'il entendoit la cloche des morts annoncer le
+décès de quelque patricien; il demandoit toutefois avant si le défunt
+avoit été employé en Corse, et dans ce cas il se dispensoit de la
+prière, disant: A quoi cela serviroit-il? _è a casa del Diavolo_, il est
+en diable.
+
+Les bénéfices ecclésiastiques furent donnés par les évêques; les évêques
+furent nommés à la sollicitation des cardinaux génois. Il est sans
+exemple qu'un Corse ait été évêque, et les prêtres génois furent
+contents.
+
+Et le négociant! Comment son intérêt eût-il été oublié dans un État
+commerçant?... Des lois positives lui accordèrent le monopole de
+l'approvisionnement et du trafic. L'on détruisit les marais salants qui
+existoient, l'on en fit autant des poteries et de toutes les
+manufactures. Cela accrut le petit cabotage et rendit le pays plus
+sujet.
+
+Les marchandises cessant d'avoir leur prix, le peuple cessa de
+travailler, les champs devinrent incultes, et un pays appelé à
+l'abondance, au commerce, un sol qui promet à ses habitants la santé, la
+richesse, ne lui offrit que la misère et l'insalubrité. Malheureusement,
+à force de piller, l'on épuisa notre pauvre pays, qui n'eut plus rien à
+offrir que des pierres. Il falloit cependant que cette illustre noblesse
+vécût; elle eut recours à deux moyens: d'abord chaque commandant de
+petites tours, chaque petit commissaire, eut une boutique à laquelle il
+fallut donner la préférence; enfin ils vendirent la permission de porter
+les armes.
+
+Dépouillé des biens qui rendent la vie aimable et sûre, exclu de tous
+les grades, de toutes les places, prive de toute considération, réduit à
+la dernière misère, outragé par la classe la plus méprisable de
+l'univers, comment le Corse, si hardi, si fier, si intrépide, se
+laissa-t-il traîner dans la fange sans résister? Je m'empresse de vous
+développer ces tristes circonstances, afin qu'en plaignant ce peuple,
+vous ne cessiez pas de l'estimer.
+
+Je vous ai, en deux pages, tracé l'histoire du gouvernement génois; mais
+ces deux pages renferment cent cinquante ans. On marcha pas à pas. Si
+tout d'un coup le sénat eût découvert son horrible projet, sans exciter
+des soulèvements, ma nation seroit si vile, qu'elle ne mériteroit pas
+d'être plainte.
+
+Immédiatement après la mort de Sampiéro, ou provoqua de toutes les
+manières les émigrations, qui, dès ce moment furent très-considérables.
+On souffla partout l'esprit de la division, et la République accorda un
+refuge aux criminels, on favorisa leur fuite. Les émigrations
+s'accrurent. La peste affligea l'Italie; elle vint en Corse; la famine
+s'y joignit: la mortalité fut immense... Le gouvernement se montra
+insouciant, et si ces deux fléaux finirent, c'est que tout finit. C'est
+ici l'occasion de faire une observation bien remarquable: toutes les
+fois que les Corses ont perdu leur liberté, ils ont été, quelque temps
+après, affligés d'une grande mortalité. Après la conquête de 1770, ou
+vit encore la mortalité et la famine dépeupler le pays. Alors la
+République ne garda plus de mesure; elle jeta le masque, renversa le
+gouvernement national et établit les choses telles que nous les avons
+décrites.
+
+Quelle position douloureuse! Le Corse sentoit la peste lui dévorer les
+chairs, la faim lui ronger les entrailles, et l'esclavage navroit son
+coeur, effrayoit son imagination et anéantissoit les ressorts de son
+âme!!!
+
+Cependant, pour maintenir ce peuple dans cet assujettissement, il
+falloit ou avoir une grande force ou se faire une étude de le diviser.
+On adopta ce dernier parti, et l'on relâcha à cet effet les ressorts de
+la justice criminelle; chacun fut obligé de pourvoir de soi-même à sa
+sûreté; de là est né le droit de _vendetta._
+
+L'homme dans l'état de nature ne connut d'autre loi que son intérêt.
+Pourvoir à son existence, détruire ses ennemis fut son occupation
+journalière. Mais lorsqu'il se fut réuni en société, ses sentiments
+s'agrandirent: son âme, dégagée des entraves de l'égoïsme, prit son
+essor, l'amour de la patrie naquit, et les Curtius, les Decius, les
+Brutus, les Dion, les Caton, les Léonidas, vinrent émerveiller le monde.
+Des magistrats assurèrent à chacun la conservation de sa propriété et de
+sa vie; le but des actions individuelles dut être le bonheur général de
+l'association, et personne ne dut plus agir par le sentiment de son
+propre intérêt. Les rois régnèrent; avec eux régna le despotisme;
+l'homme méprisé n'eut plus de volonté. Avili, il fut à peine l'ombre de
+l'homme libre; les rois, qui tinrent dans leurs mains la force publique,
+durent l'employer pour assurer à chacun sa vie et sa propriété. La
+confédération changea, s'altéra même, si l'on veut, mais exista
+cependant toujours. La force publique seroit devenue dans les mains du
+prince un instrument inutile, s'il eût vu l'homicide sans le punir; si,
+par une dépravation inouïe, il eut lui-même aiguisé les poignards de
+l'assassin. Personne ne peut nier qu'alors la confédération ne se fut
+trouvée dissoute et les hommes rendus à l'anarchie. Telle étoit notre
+situation. Le sénat voyoit avec plaisir s'entr'égorger des hommes dont
+il craignoit l'union; les subalternes y trouvoient leur intérêt; le
+meurtre ne fut plus puni; il fut encouragé, il fut récompensé: il fallut
+cependant que chacun veillât à sa propre sûreté. Des confédérations de
+familles, quelquefois de villages se formèrent. On jura de veiller à
+l'intérêt de tous et de faire guerre éternelle à celui qui offenseroit
+un des confédérés; les liens du sang se resserrèrent; on chercha des
+parents; l'île fut divisée en autant de puissances qu'il y eut de
+familles, qui se faisoient la paix ou la guerre selon leur caprice et
+leur intérêt... On appela vertu l'audace de s'exposer à tous les dangers
+pour soutenir ses parents ou les membres de sa confédération: les
+citoyens ne furent que des membres d'autant de puissances
+étrangères, liées entre elles par leurs rapports politiques. Ils
+respectérent les femmes et les enfants et les laissèrent sortir de la
+maison assiégée pour prendre de l'eau et pour vaquer aux affaires du
+ménage. Il étoit aussi d'usage de laisser croître sa barbe lorsqu'on
+étoit en guerre; c'étoit un acte de courage, car il n'y avoit point de
+buisson, de rocher qui ne put receler un ennemi, c'étoit s'exposer à
+périr à tous les moments du jour.... Celui-là passoit pour un homme
+lâche, un homme vil, qui, à la nouvelle de la mort de son parent, ne
+couroit jurer sur son cadavre de le venger, et, des ce moment, ne
+laissoit croître sa barbe. La paix se faisoit cependant quelquefois: il
+y avoit des gens sages, des vieillards respectés, qui réconcilioient les
+partis. On étoit scrupuleux dans l'exécution du traité.
+
+Tels furent, monsieur, les effets de l'administration génoise. Accablés
+sous le poids des impôts arbitraires, désunis, les mains dégoûtantes du
+sang de nos frères, nous gémîmes longtemps: mais ce ne fut qu'en 1715
+que l'on commença à s'apercevoir qu'il se faisoit un mouvement général.
+L'on envoya un orateur à Gênes représenter l'état déplorable de la
+nation; il étoit entre autres choses chargé de solliciter un désarmement
+général et prioit le sénat de faire respecter son autorité. Les patentes
+pour porter les armes étoient à la fois une spéculation de finances et
+de politique. Le sénat eut l'impudence de se refuser à la demande si
+raisonnable, et d'alléguer pour prétexte la diminution que cela
+produiroit dans le revenu public. L'orateur proposa une nouvelle
+imposition beaucoup plus forte: l'imposition fut acceptée, mais les
+patentes continuèrent toujours à se distribuer, et la justice s'occupa
+tout aussi peu de se faire respecter.
+
+L'île étoit déserte, inculte et dépeuplée. Depuis l'époque de
+Giovan-Paolo, la population avoit diminué des trois quarts; elle étoit
+alors de 400.000 habitants, et en 1720, on n'en comptoit que 120.000. Le
+commerce étoit anéanti et la férocité des Corses étoit à son comble.
+Leur existence étoit si misérable, qu'ils n'avoient rien à perdre. Il ne
+falloit qu'un signal.
+
+En 1729, le lieutenant génois qui commandoit à Corte imposa, de sa
+propre fantaisie, une nouvelle taxe qui, jointe à toutes les autres et à
+la misère du pays, devenoit insupportable. Cardone di Bozio, vieillard
+estropié, ayant reçu de la nature un corps difforme, mais une âme
+vigoureuse et une élocution très-facile, assembla les habitants du
+village de Bozio pour leur parler dans les termes les plus forts sur
+l'avilissement ou ils vivoient, sur la gloire de leurs ancêtres et les
+charmes de la liberté. Il profita du moment où les collecteurs venoient
+percevoir l'imposition pour les faire chasser et poursuivre. Il excite
+ses compatriotes à marcher vers Corte. Ceux-ci rencontrent un
+détachement de soldats envoyés pour les punir; ils le battent, les
+désarment, arrivent à Corte et brûlent la maison du commandant, qui a le
+bonheur de se sauver A cette nouvelle, on se rallie de tous côtés, ou
+prend les armes, on court à Bastia pour punir le gouverneur-général
+Pinelli, objet de l'exécration publique; on prend une partie de la
+ville, on surprend Algajola, et voilà le joug rompu sans retour... «Aux
+yeux de Dieu, disoit souvent Cardone, le premier crime est de tyranniser
+les hommes, le second, c'est de le souffrir.» Jamais révolution ne
+s'opéra plus subitement Les ennemis oublièrent leur haine, firent
+partout la paix, objet de tous les voeux. La prospérité de la patrie
+naissante sembla être le mobile des actions de chacun; le feu du
+patriotisme agrandit subitement des âmes qu'avoient, pendant tant
+d'années rétrécies l'égoïsme et la tyrannie... Amis, nous sommes hommes!
+étoit le cri de ralliement. Fiers tyrans de la terre, prenez-y bien
+garde! Que ce sentiment ne pénètre jamais dans le coeur de vos sujets,
+préjugé, habitude, religion, foibles barrières! le prestige est détruit,
+votre trône s'écroule si vos peuples se disent jamais: «Et nous aussi,
+nous sommes des hommes! »
+
+Les premières années de la guerre, les Corses n'eurent aucune forme de
+gouvernement: la haine des tyrans guidoit tout le monde. Ce ne fut qu'à
+la réunion de Saint-Pancrazio que l'on nomma Giafferi commandant des
+armées. A l'assemblée de Corte, on déclara les Génois déchus de leur
+souveraineté, l'on déclara la nation libre et indépendante. Pour rendre
+cette déclaration plus imposante, pour achever de détruire les préjugés
+que la multitude pouvoit conserver, on assembla à Orezza un congrès des
+théologiens les plus célèbres des différents ordres. On leur proposa
+trois questions: si la guerre actuelle étoit juste, si les Génois
+étoient des tyrans, si l'on étoit délié du serment de fidélité. Ce
+congrès, que présida le célèbre Orticoni, répondit à tout d'une manière
+satisfaisante. La guerre, dit-il, est non-seulement juste, mais même
+sainte: le serment est nul dès lors que le souverain est tyran.
+
+Mal armés, sans discipline, ils battirent partout leurs tyrans, malgré
+leur nombre, leur expérience et leur artillerie Assiégés dans le château
+de Bastia, ils étoient, au bout de deux ans d'une guerre opiniâtre,
+réduits à abandonner notre île lorsque l'aigle impériale, arborée au
+lieu de la croix ligurienne, vint nous présager de nouveaux malheurs,
+mais non décourager notre courage.
+
+Qu'avions-nous fait aux Allemands pour qu'ils voulussent notre
+destruction? Que pouvoit importer à l'empereur d'Occident qu'une petite
+île de la Méditerranée fût libre ou esclave? Mais les puissances se
+jouent des intérêts de l'humanité, et les méchants ont toujours des
+protecteurs. Le général allemand, à la tête de sa petite armée,
+s'engagea dans des défilés: il perissoit infailliblement, lorsqu'il
+trouva dans l'humanité des Corses une commisération inattendue, dont il
+s'est rendu indigne par son lâche manque de foi. On lui accorda la
+permission de retourner à Bastia, à condition qu'il feroit savoir à son
+souverain la manière dont les Corses agissoient à son égard, et l'on
+conclut un traité de deux mois; mais, avant l'expiration de la trêve,
+les Allemands se remontrèrent au delà du Golo en plus grand nombre. Au
+respect que nous avoient inspiré les armes d'un grand prince, succéda
+l'indignation pour la perfidie de ses ministres. Après avoir laissé
+environ deux mille morts ou prisonniers, nos ennemis regagnèrent leurs
+remparts avec précipitation. L'enthousiasme produisit les actions les
+plus dignes d'être transmises à la postérité. Vingt et un bergers de
+Bastelica faisoient paître leurs troupeaux dans la plaine de Campo di
+Loro, deux cents hussards et six cents piétons vinrent pour les enlever:
+ces braves gens se réunissent, tiennent ferme, repoussent cette
+nombreuse troupe et la font fuir. Investis enfin par quatre cents autres
+ennemis, ils périssent tous en prononçant le nom sacré de la patrie.
+
+L'honneur de l'empereur avoit essuyé bien des échecs. Si l'honneur des
+princes consiste à protéger le juste contre le méchant, le faible contre
+le fort, sans doute l'empereur Charles VI avoit déshonoré ses armes;
+mais si l'honneur consiste à massacrer des infortunés, le cabinet de
+Vienne sut bien réparer ce qu'il n'avait pu faire à la campagne
+précédente. Il envoya le prince de Wirtemberg avec des renforts
+considérables: et quoique ses premiers efforts ne furent pas heureux il
+étoit désormais impossible de résister à des forces si imposantes. On
+fit des propositions de paix: les Génois reconnurent, accordèrent,
+promirent tout ce qu'on voulut et l'on posa les armes.
+
+Il étoit tout naturel que, ne voulant observer aucune des conditions du
+traité, les Génois commençassent par se défaire des chefs qui avoient
+conduit les Corses avec tant de bonheur dans des circonstances si
+difficiles. Les principaux parmi ces chefs furent arrêtés et conduits
+dans le château de Sagone; c'en étoit fait de leur vie, si Boerio et
+Orticone n'eussent su intéresser le prince Eugène au sort de ces
+illustres prisonniers L'empereur, éclairé, exigea du sénat leur
+délivrance. Ne pouvant les perdre, les Génois tentèrent de se les
+attacher en leur faisant des offres qu'ils méprisèrent. On suivit le
+même plan de persécution contre les principaux citoyens; la mort ou la
+prison.
+
+FIN DES LETTRES SUR LA CORSE.
+
+
+
+Courses du Champ-de-Mars.
+
+Dimanche, 30 avril.
+
+Les courses de la Société d'Encouragement pour l'amélioration de la race
+des chevaux en France comptent déjà dix années d'existence, dix années
+de progrès incontestables. N'est-ce pas une oeuvre nationale que de
+prétendre affranchir un jour son pays du tribut chevalin qu'il paie à
+l'étranger? Pour arriver plus vite à des résultats meilleurs, il n'a
+manqué à la Société d'Encouragement que d'avoir des fondateurs moins
+élégants et moins jeunes. Longtemps les esprits forts, Thomas plus
+jaloux qu'incrédules, ont affecté de traiter avec légèreté ses projets
+et ses courses. Le prestige de la nouveauté qui, en France, protège tous
+les établissements naissants, n'est pas venu en aide à la Société; il a
+fallu dix ans d'efforts et de sacrifice, dix ans féconds en éleveurs et
+en chevaux pour ouvrir les yeux à ces aveugles volontaires. Une
+association d'hommes, que l'on trouvait trop heureuse pour la trouver
+intelligente, a donné l'élan: aujourd'hui ils ont rallié à leurs idées
+tous les départements propres à l'élève du cheval; bien mieux, ils ont
+converti l'administration des haras elle-même! Quelle victoire! Les
+haras ont enfin admis la supériorité du pur sang anglais; ils ont
+augmenté les allocations de courses et modifié leurs règlements; ils
+préparent de loin des améliorations plus importantes encore. De jour en
+jour les préjugés disparaissent: la maigreur jadis proverbiale des
+chevaux de course a cessé d'être une vérité; on commence à savoir qu'ils
+ne sont ni exténués ni tués par le régime de l'entraînement. Les chevaux
+savamment entraînés dépouillent la graisse qui paralyserait le jeu des
+muscles et de la respiration, et qui gênerait leur vitesse. Plus tard,
+rentrés dans la vie privée, affectés au service de la production, ils
+acquièrent cet embonpoint que l'on considère quelquefois comme un signe
+de force et de beauté, et qui n'est, en réalité, que l'enseigne de la
+fainéantise.
+
+[Illustration: Courses de haies au Champ-de-Mars.]
+
+Dimanche, 30 avril, quand sont arrivés sur le terrain de course,
+_Prospero_ à M. de Rothschild, _Cédar_ à M. A. Fould. _Mirobolant_ au
+comte d'Hédonville, _Effie_ à M. Jules Rivière. _Maid_ à M John Drake,
+et _Kate-Nickleby_ au vicomte Delaveux, la foule ne les a trouvés ni
+trop maigres ni trop efflanqués; ils n'étaient pas tous également dignes
+d'éloges: _Effie, Maid_ et _Kate_ ont bien quelques reproches à se
+faire; mais ici-bas rien n'est ni parfait ni complet. Onze chevaux
+devaient été engagés pour ce prix: _bourse de mille francs_; cinq ont
+été retirés; sur les six qui restent, trois se présentent beaux et bien
+faits, les yeux ardents, la tête fière, le poil lisse et brillant:
+peut-on se plaindre? Les partis variaient de _Prospero_ à _Cédar_: les
+_Prospéristes_ l'ont emporté sur les _Cédaristes_.
+
+[Illustration: Pesage des jockeys.]
+
+_Pris de l'administration des Haras_: 2000 fr. _pour poulains et
+pouliches de trois ans_.--Huit chevaux inscrits, quatre présents.
+_Vesperine, Karagheuse, Drummer_ et _Ursule_: ils partent comme une
+seule flèche; mais bientôt la flèche se fend en quatre; la première,
+c'est _Vesperine_, la seconde, c'est _Ursule, Drummer_ tient la tête;
+_Karagheuse_ la tiendrait si on le laissait aller. Près du but, d'un
+bond prodigieux il s'élance, passe _Drummer_ et gagne, _Karagheuse_
+appartient à M. Sabatier, un de nos éleveurs sérieux, et jusqu'ici assez
+peu favorisé par la chance des courses. Sa tardive victoire n'a trouvé
+que des mains pour applaudir. Le jockey de _Drummer_ a prétendu avoir
+été coupé par _Karagheuse_, mais sa réclamation n'a pas été admise.
+
+_Prix du ministère du Commerce_: 2000 fr. _pour chevaux entiers et
+juments de trois ans et au-dessus, nés et élevés en France, et tracés au
+Stud-Book français._
+
+_Pamphile_ à M. Fasquel, _Angora_ à M Lupin, _Opéra_ à M. de Morny,
+paraissent seuls au poteau. _Angora_ a tous les parieurs pour lui. Ce
+fils de _Lottery_ et de _Young-Mouse_ est célèbre sur le _turf_: déjà il
+a remporté plus d'un prix à Paris et à Versailles; il est arrivé second
+au Derby de Chantilly. De ses deux adversaires, l'un, _Opéra_, est
+inconnu; l'autre, _Pamphile_, est mal connu, et cependant _Pamphile_ a
+battu _Opéra_ second, _Angora_ troisième; sur quoi compter?
+
+_Course de haies: 2000 fr. pour chevaux de tout âge et de tout pays: le
+vainqueur pourra être réclamé pour quatre mille francs._
+
+Par un heureux hasard, un seul cheval manque à l'appel, et ce cheval,
+c'est le favori, c'est _Turpin_. _Pewet, Lansquenett, Muley-Hamet,
+Pantalon. Paddy_ et _Leporello_ viennent parader et s'essayer sur la
+haie qui fait face aux tribunes publiques: presque tous sautent mal,
+enfoncent la haie; _Paddy_ même désarçonne presque son jockey; bien des
+chutes sont prévues, quel bonheur! Mais le signal est donné, les chevaux
+partent du dernier tournant de l'École-Militaire; la terre tremble sous
+leur galop; ils chargent à toute vitesse le premier obstacle. _Pantalon_
+est en tête; il franchit admirablement la haie. Ses rivaux, piqués
+d'émulation, se font applaudir à côté de lui. La victoire n'a pas été un
+seul instant douteuse: qui peut lutter contre _Pantalon_? Il est arrivé
+premier au but, et son dernier élan a été le plus beau.
+
+Courses du 7 mai.
+
+Les dimanches et les courses se suivent et ne se ressemblent pas; les
+solennités hippiques de la journée ont été bien modestes; il y avait
+beaucoup de courses et peu de chevaux; c'est là un de ces petits
+malheurs que la plus sage volonté ne peut prévenir. Dans le monde
+cheval, il est des réputations si bien posées, que toute rivalité
+disparaît devant un nom trop redoutable; quelquefois aussi, comme dans
+le _trial-stakes,_ poule d'essai, deux chevaux sont engagés, et si l'un
+des deux tombé malade, force est bien à l'autre de s'escrimer tout seul.
+_Spark_. à M. Aumont a été débarrassé de _Governess_, à M. de Perrigaux,
+par une indisposition qui n'aura pas de suite.
+
+_Prix extraordinaire de 1843. 3000 fr. pour chevaux et juments de quatre
+ans et au-dessus: entrée, 2000 fr.: un tour et quart en partie liée. Le
+cheval qui arrivera second recevra la moitié des entrées._
+
+Sans cette dernière et adroite condition, _Nautilus_ n'eut pas trouvé de
+concurrent. _Nautilus_, au comte de Cambis, est le meilleur cheval qu'il
+y ait en France en ce moment. Parvenu à l'âge mûr, il prend à tâche de
+faire oublier, à force de succès, les défaites de sa jeunesse.
+_Pamphile_ et _Miserere_ ne prétendent nullement au prix de 3000 fr.; la
+moitié des entrées suffit à leur modeste ambition. Les trois chevaux se
+divisent en deux pelotons. Premier peloton. _Nautilus_ tout seul;
+deuxième peloton. _Pamphile_ et _Miserere_. Aux deux épreuves ils sont
+arrivés dans le même ordre, et _Pamphile_ a touché 400 fr.
+
+_Prix du cadran: 3000 fr. pour poulains et pouliches de quatre ans.
+Entrée, 500 fr.; distance, deux tours._
+
+Le programme promettait _Angora, Eliezer, Adolphus_ et _Annetta_, mais
+_Annetta_ est une _Nautilus_ femelle; comme, cette fois, il n'y avait
+pas de second prix à gagner, elle a couru seule.
+
+Ces trois courses, dont le dénouement était prévu, excitaient quelques
+murmures, lorsqu'en manière de dédommagement, onze _hacks_, chevaux non
+entraînés, sont entrés en lice. Cette poule, servie comme un
+hors-d'oeuvre aux convives gourmands et peu connaisseurs du
+Champ-de-Mars, a montré _Lantara, Césarévitch, Hurrican, Olivia,
+Thesoroconicocrysides, Yorick, Young Cadland, Repentir, Fenella,
+Verveine_ et _Mistigri_. Faire bien partir tant de chevaux peu pressés
+de partir n'était pas chose facile, et M. Bertollaci n'a obtenu aucune
+espèce de succès dans cette partie officielle de ses fonctions. _Yorick,
+Verveine, Hurrican_ et _Mistigri_ entendent seuls l'ordre du départ.
+_Yorick_ a gagné.
+
+[Illustration: Traitement du cheval après la course.]
+
+_Prix du Printemps: 3500 fr. pour poulains et pouliches de trois ans.
+Entrée 200 fr.; distance, un tour._
+
+Enfin voici une course à émotion. _Mam'zelle Amanda_, au comte de
+Cambis, débute, et l'on dit d'elle quelque bien. _Drummer_ a une
+revanche à prendre, et _Karagheuse_ une réputation à conserver.
+_Vesperine, Alcindor, Péri, Moustique_ et _Ursule_ retirés; pendant
+toute la course, _Karagheuse_ retenu à pleines mains, voudrait et
+pourrait passer; mais son jockey obéit aux ordres qui lui enjoignent
+d'attendre. Au dernier tournant de l'École-Militaire, il veut saisir la
+tête, _Drummer_ lâche pied; _Mam'zelle Amanda_ tient bon: tous trois ils
+sont roulés et éperonnés. Qui gagnera? C'est _Mam'zelle Amanda_, mais à
+peine a-t-elle un quart de tête d'avantage sur _Karagheuse._
+
+Ainsi se sont passées les premières courses de la Société
+d'Encouragement; nous pouvons prédire à celles qui suivront une destinée
+plus glorieuse encore. Au Champ-de-Mars, c'est comme chez Nicolet,
+_toujours de plus fort en plus fort._
+
+
+
+Anniversaire de la délivrance d'Orléans
+
+(8 MAI)
+
+[Illustration: Statue de Jeanne-d'Arc, à Orléans.]
+
+Ce fut, comme on sait, le 8 mai 1429 que Jeanne d'Arc obligea les
+Anglais à lever le siège d'Orléans; depuis ce jour, le souvenir de
+l'héroïque jeune fille est resté, chez les Orléanais, entouré d'un
+religieux prestige.
+
+On voyait autrefois sur l'ancien pont d'Orléans, à l'angle de la rue de
+la Vieille-Poterie et de la rue Royale, un groupe représentant Charles
+VII et Jeanne d'Arc agenouillés devant Notre-Dame-de-Pitié. Ce monument
+passa par bien des vicissitudes; en 1567, lors des troubles religieux,
+il subit des mutilations qui furent réparées ensuite. Plus tard, la
+démolition de l'ancien pont ayant obligé de l'enlever, on le déposa à
+l'Hôtel-de-Ville, où il resta jusqu'en 1771. A cette époque, un M.
+Desfriches obtint, à force de sollicitations, qu'il fût réédifié. Mais,
+quelques années après, en 1792, on le brisa pour en fondre des canons.
+
+Dans une délibération du 50 frimaire an XI, le conseil municipal
+d'Orléans arrêta qu'une souscription serait ouverte en vue d'ériger un
+nouveau monument à Jeanne d'Arc.--Chaptal, ministre de l'intérieur,
+proposa, dans un rapport du 2 floréal même année(1805), le
+rétablissement de l'anniversaire du 8 mai; et Napoléon, alors premier
+consul, apostilla en ces termes la délibération du conseil municipal
+d'Orléans:
+
+«Ecrire au maire d'Orléans, M. Crignon-Desormeaux, que cette
+délibération m'est très-agréable.
+
+«L'illustre Jeanne d'Arc a prouvé qu'il n'est pas de miracle que le
+génie français ne puisse produire, dans les circonstances ou
+l'indépendance nationale est menacée.
+
+«Unie, la nation française n'a jamais été vaincue; mais nos voisins,
+plus calculateurs et plus adroits, abusant de la franchise et de la
+loyauté de notre caractère, semèrent constamment parmi nous ces
+dissensions d'où naquirent les calamités de cette époque et tous les
+désastres que rappelle notre histoire.»
+
+La fête, vraiment patriotique du 8 mai fut donc réinstituée en 1805; et
+dans cette fête on inaugura une statue provisoire de Jeanne d'Arc,
+exactement semblable à celle que le conseil municipal venait de voter.
+
+Le monument définitif, qu'on peut voir aujourd'hui au centre de la place
+du Martroi (quartier Vert), et que notre gravure représente, ne fut
+érigé qu'en 1805. C'est une statue en bronze, de huit pieds, due au
+talent de M. Gois. Elle repose sur un piédestal de neuf pieds de haut
+sur quatre de large, revêtu de marbres d'une beauté remarquable, et orné
+de bas-reliefs dont les sujets sont empruntés à la vie de la religieuse
+héroïne.
+
+Le quatre cent quatorzième anniversaire de la délivrance d'Orléans a été
+célébré lundi dernier, 8 mai.
+
+Voici à peu près le programme annuel de cette cérémonie: Le jour de la
+fête, la cloche du beffroi sonne, de quart d'heure en quart d'heure,
+depuis le lever du soleil jusqu à la rentrée du cortège dont nous allons
+parler. A neuf heures du matin, le corps municipal, les diverses
+corporations et les fonctionnaires civils et militaires se réunissent à
+la cathédrale, où un orateur agréé par l'évêque prononce le panégyrique
+de Jeanne d'Arc. Après la cérémonie religieuse, le cortège va faire une
+station sur l'ancienne place des Tourelles, illustrée par les exploits
+de Jeanne d'Arc. Une salve d'artillerie annonce ensuite le retour du
+cortège, qui rentre à la cathédrale, pour entendre un _Te Deum_
+solennel.
+
+Maintenant, grâce aux chemins de fer qui viennent d'être inaugurés la
+semaine dernière, on peut visiter dans la même journée le théâtre du
+triomphe et celui du martyre de la Pucelle d'Orléans.
+
+
+
+Nécrologie.--THÉODORE COLOCOTRONI
+
+[Illustration: Décédé le 16 février 1843.]
+
+Théodore Colocotroni est mort le 16 février dernier dans la ville
+d'Athènes, d'une attaque d'apoplexie, à l'âge de 74 ans.
+
+La gravure ci-jointe, dont le dessin a été fait par un artiste récemment
+arrivé d'Athènes, représente le célèbre général grec, tel qu'il était
+exposé aux regards de la foule, avec son uniforme et ses décorations, la
+veille de ses funérailles.
+
+Avant la révolution grecque, Theodore Colocotroni s'était acquis une
+grande réputation comme chef de partisans, nous pourrions presque dire
+comme chef de bandits. Il se faisait remarquer surtout par son audace,
+par son courage et par sa cruauté. Forcé de s'exiler, il prit tour à
+tour du service dans les armées de la Russie et de l'Angleterre. Au
+moment où la révolution grecque éclata, c'est-à-dire au mois d'avril
+1821 il habitait les îles Ioniennes, où il exerçait la profession de
+boucher. A peine la nouvelle de l'insurrection lui fut parvenue, il
+s'embarqua, passa en Morée et il devint bientôt un des chefs principaux
+de l'armée révolutionnaire. Aussi habile que brave, il sut se défendre
+avec succès contre toute» les attaques des ennemis de sa patrie, jusqu'à
+la bataille de Navarin. Mais l'indépendance de la Grèce proclamée, il se
+montra l'un des ennemis les plus violents du roi Othon et du
+gouvernement établi par les puissances alliées. Accusé du crime de haute
+trahison, il fut condamne à mort. D'abord le jeune roi commua sa peine
+en un emprisonnement perpétuel; puis il lui accorda un pardon complet et
+il lui rendit ses grades, ses honneurs et ses propriétés Le jour de ses
+funérailles. Colocotroni a été conduit à sa dernière demeure par la
+population d'Athènes. Les troupes de la garnison, les dignitaires de
+l'État les représentants des grandes puissances assistaient à cette
+cérémonie. A ce moment suprême chacun oubliait les fautes de l'homme
+dont on allait confier à la terre la dépouille mortelle, pour ne se
+rappeler que les eminents services qu'il avait rendus à son pays.
+
+
+
+LE DUC DE SUSSEX
+
+[Illustration: Décédé le 21 avril 1843.]
+
+Le jeudi 4 mai 1843 ont eu lieu, à Londres, les obsèques du duc de
+Sussex, oncle de la reine Victoria, mort le 21 avril dernier, à l'âge de
+soixante-onze ans. Ce prince a eu une existence si honorable, sa mort a
+excité des regrets si universels que nous avons cru devoir emprunter aux
+journaux anglais la courte biographie qui va suivre. De semblables
+exemples sont rares, aussi il est toujours bon et utile de les signaler
+à la méditation et à la reconnaissance publiques Le duc de Sussex ne
+s'est illustré par aucune action d'éclat: il n'a rendu aucun service
+importants à son pays; il n'était après tout qu'un homme ordinaire: mais
+aussi il n'a jamais recherché la puissance, il ne s'est servi de sa
+fortune que pour faire le bien, il a constamment méprisé, sans
+affectation, toutes les distinctions de la naissance et de la richesse.
+Issu d'une famille royale, il a aimé le peuple d'une affection sincère,
+enfin, il est toujours resté fidèle à sa conscience. Ne sont-ce pas là
+des qualités qui méritent un honorable souvenir?
+
+Le duc de Sussex, le sixième fils de George III et de la reine
+Charlotte, était né à Buckingham-House, le mercredi 27 janvier 1775. Ses
+frères, les ducs d'York, de Kent, de Cumherland et de Cambridge,
+adoptèrent la profession des armes. Le duc de Clarence se fit marin.
+Seul de tous les membres de la famille, le duc de Sussex s'adonna
+exclusivement, pendant sa jeunesse, à l'étude de» arts et de la
+littérature--Envoyé en Allemagne, avec ses frères Ernest et Adolphe,
+il devint un des meilleurs élèves de l'université de Gottingue, fondée
+par Georges II en 1734; puis il alla achever son éducation à Rome, les
+troubles de tout genre uni avaient suivi la révolution de 1789 ne lui
+ayant pas permis de visiter la France et Paris.
+
+Le prince Auguste-Frédéric, ainsi s'appelait le futur duc de Sussex
+passa donc à Rome les années 1792 et 1793. Parmi les Anglais qui
+résidaient à cette époque dans la métropole du monde chrétien, se
+trouvaient le comte et la comtesse de Dunmore et leur seconde fille,
+lady Augusta Murray. Les charmes et l'amabilité de lady Angusta Murray
+produisirent une impression si vive sur le prince Auguste, que, malgré
+la différence d'âge (lady Augusta Murray avait trois ans de plus que le
+prince Auguste), malgré les dispositions prohibitives du _royal marriage
+act_, qui défend aux descendants de George II de se marier avant l'âge
+de vingt-cinq ans sans le consentement du roi régnant, malgré la
+sévérité bien connue de son père, le fils de George III se décida à
+épouser la fille du comte de Dunmore. Il avait alors vingt-un ans. Le
+mariage fut célébré à Rome, le 4 avril 1793, par un prêtre de l'église
+d'Angleterre. L'année suivante, la princesse Augusta donna le jour à un
+enfant du sexe masculin, qui est aujourd'hui le colonel sir A. d'Este.
+
+Dès que la nouvelle de cette union fut parvenue, en Angleterre, le
+gouvernement se hâta de la faire déclarer nulle par les tribunaux
+ecclésiastiques, en vertu du _royal marriage act_; mais le prince
+Auguste persista à soutenir sa validité; il traita toujours lady Augusta
+comme sa femme, et son fils comme un enfant légitime, leur donnant en
+toute occasion les titres de princesse et de prince. Toutes ses
+protestations furent inutiles. Seulement, en 1806, lady Augusta reçut du
+roi l'autorisation de prendre le nom de comtesse d'Ameland. Elle habita
+pendant plusieurs années une maison de campagne située près de Ramsgate,
+et jusqu'à sa mort, qui eut lieu le 5 mars 1830, les habitants des
+villages voisins continuèrent à l'appeler «la duchesse de Sussex.»
+
+Le prince Auguste résida encore longtemps sur le continent. Il fit un
+assez long séjour en Suisse, passa deux années entières à Berlin, visita
+Lisbonne, et ne revint définitivement en Angleterre qu'en 1801. Le 21
+novembre de cette année, il fut élevé à la pairie, créé duc de Sussex,
+comte d'Inverness et baron d'Arklow. A peine admis dans la chambre des
+lords, il s'y fit remarquer par son opposition franche et vigoureuse, au
+ministère tory, par son libéralisme intelligent, et sinon par son
+éloquence, du moins par l'élégante facilité avec laquelle il savait
+s'exprimer en public. Aussi eut-il bientôt acquis dans le Parlement une
+influence qu'aucun membre de la famille royale n'avait jamais possédée.
+Quand George III perdit complètement l'usage de sa raison, quand le
+prince de Galles, devenu régent, eut trahi honteusement ses anciens
+amis, le duc de Sussex ne suivit pas l'exemple de son frère. Il resta
+fidèle à ses opinions; car il les avait adoptées par conviction, et non
+par ambition personnelle, et jusqu'à sa mort il se montra un des
+défenseurs les plus sincères et les plus dévoués des droits et des
+libertés de la nation. On ne put lui reprocher d'avoir jamais cherché à
+se rendre populaire, pour exploiter à son profit sa popularité. Ce
+n'était pas un motif égoïste qui le faisait agir ou parler; mais
+uniquement le sentiment de son devoir, l'amour du bien public, la haine
+de l'injustice. Aussi se mit-il rarement en avant. «Je ne prends la
+parole dans cette Chambre, disait-il dans son discours sur le bill de
+réforme, que lorsque de grandes questions constitutionnelles y sont
+discutées, que lorsqu'il s'agit des droits et des libellés de
+l'Angleterre. Alors je regarde comme un devoir pour moi de venir occuper
+ma place, d'exprimer mon opinion, et de donner mon vote consciencieux.
+
+«Je connais le peuple mieux qu'aucun de vous, continuait-il en
+s'adressant à ses collègues. Ma position, mes habitudes, mes relations
+avec un grand nombre d'institutions charitables et utiles, et d'autres
+circonstances qu'il est inutile d'énumérer ici, me mettent journellement
+en rapport avec des individus de tous les rangs. Permettez-moi donc de
+vous apprendre quelles sont les habitudes et les récréations du peuple.
+Vous parlerai-je des ouvriers de Nottingham, par exemple? Ce que je vais
+vous dire, vous l'ignorez sans doute... Les ouvriers de Nottingham
+possèdent une bibliothèque qui ferait honneur à un lord. Le choix de
+leurs livres prouve qu'ils ont un aussi bon jugement que vos
+excellences. Et s'ils sont aussi sensés, aussi intelligents que vous,
+pourquoi ne jouiraient-ils pas des mêmes droits?--Personne ne respecte
+plus que moi les privilèges du rang; mais, permettez-moi de vous le
+dire, l'éducation ennoblit l'homme plus que toute autre chose, et quand
+je vois le peuple s'instruire et s'enrichir, je serais curieux de savoir
+pourquoi il ne lui serait pas donné de s'élever d'un ou de plusieurs
+degrés sur l'échelle sociale... J'ai toujours été partisan de la
+réforme, et tant que la constitution ne sera pas réformée, je resterai
+un réformateur.»
+
+Sans doute ce ne sont là que des lieux-communs un peu vieux, et le reste
+du discours auquel nous les empruntons contient des passages moins
+estimables; mais, qu'on ne l'oublie pas, l'orateur qui tenait un pareil
+langage était le frère de George IV, et il parlait à l'aristocratie
+anglaise. D'ailleurs, le duc de Sussex ne défendit pas seulement dans
+ses discours au Parlement la cause de la réforme, il réclama tour à tour
+l'abrogation des lois céréales, la liberté religieuse, la réforme du
+code pénal, etc., et une foule d'autres mesures non moins importantes,
+etc.--En 1792, lorsque le jugement et l'exécution de Louis XVI eurent
+réduit à quarante-cinq le nombre des partisans de Fox, il n'abandonna
+pas ce grand homme d'état. Enfin, après la bataille de Waterloo, il
+protesta dans les journaux de la chambre des lords contre la captivité
+de Napoléon.
+
+Toutefois, malgré sa grande popularité, le Parlement ne fut pas le
+théâtre où le duc de Sussex joua le rôle le plus noble et le plus utile.
+Chez lui, le philanthrope l'emporte de beaucoup sur l'homme politique
+Pour l'apprécier à sa juste valeur, il fallait le voir dans une de ces
+réunions charitables qu'il présidait avec tant de complaisance, de tact
+et d'esprit. Pendant quarante années il plaida la cause du pauvre, de la
+veuve et de l'orphelin. Il prêcha la charité et il fit de nombreux
+prosélytes; car il était éloquent et il joignait toujours l'exemple à la
+leçon...
+
+Le duc de Sussex fut, en outre, durant toute sa vie, un protecteur zélé
+et intelligent des artistes et des gens de lettres. Il possédait des
+connaissances variées et un goût parfait; la belle bibliothèque qu'il
+avait formée au palais de Kensington en fournirait au besoin une preuve
+suffisante. Cette bibliothèque se composait de 50.000 volumes; elle
+comprenait toutes les branches des sciences humaines et des manuscrits
+précieux, mais elle était surtout riche en ouvrages théologiques. En
+1816, le duc de Sussex avait été nommé président de la Société des Arts.
+En 1830, il fut élevé à la présidence de la Société Royale, et chaque
+année, depuis cette époque, il réunit dans ses salons de Kensington
+l'élite des savants, des artistes et des littérateurs de l'Angleterre,
+tous les membres des diverses sociétés scientifiques de Londres. En 1839
+il donna sa démission, parce que ces soirées lui occasionnaient des
+dépenses hors de proportion avec ses revenus.
+
+Le duc de Sussex devait violer deux fois dans sa vie les dispositions du
+_royal marriage act_. Après la mort de sa première femme, il conçut un
+vif attachement pour la veuve de sir George Buggin, qui avait obtenu du
+roi l'autorisation de prendre le nom d'Underwood. On assure qu'ils se
+marièrent en secret. Quoi qu'il en soit, lady Cecilia Underwood fut
+admise dans la plus haute société, et dès lors elle accompagna le duc
+partout on il allait. En 1840 la reine Victoria l'éleva à la pairie et
+lui conféra le titre de duchesse d'Inverness. A cette occasion, elle
+reçut de nombreuses visites de félicitations, et on remarqua que les
+visiteurs la traitèrent comme un membre de la famille royale. Ils ne lui
+laissèrent pas leurs cartes, mais ils inscrivirent eux-mêmes leurs noms
+sur un registre.
+
+La mort du duc de Sussex laisse vacants les emplois et les titres
+de:--président de la Société des Arts;--grand-maître de l'ordre du
+Bain;--veneur des parcs de Saint-James et de Hyde;--grand intendant de
+Plymouth;--colonel de la compagnie d'artillerie;--grand-maître des
+francs-maçons;--gouverneur et constable du château de
+Windsor;--chevalier de la Jarretière.
+
+Le duc de Sussex avait déclaré dans son testament qu'il ne voulait pas
+être enterré au château de Windsor, dans la chapelle du cardinal Wolsey,
+où sont ensevelis tous les membres de la famille royale. Il avait choisi
+lui-même, pour le lieu de sa dernière demeure, le cimetière public du
+petit village de Kensal-Green. Ses dernières volontés ont été
+religieusement observées. Le fils de George III repose à côté du plus
+humble des sujets de son père; seulement, on lui a fait des obsèques
+royales; mais nous n'ennuierons pas nos lecteurs du récit de cette
+triste et fastidieuse cérémonie, à laquelle le public n'a pas été admis.
+Les véritables amis du duc de Sussex n'auraient pas prononcé sur sa
+tombe des adieux aussi étranges que ceux que sir Charles Young, le
+_Garter King at arms_, a été forcé par l'étiquette de cour, de réciter à
+haute voix en présence du mari de la reine:
+
+«Ainsi, il a plu à Dieu tout-puissant de rappeler à lui le très-haut,
+très-puissant et très-illustre feu prince-Auguste Frédéric, duc de
+Sussex, baron d'Inverness et baron d'Arklow, chevalier de l'ordre
+très-noble de la Jarretière, chevalier de l'ordre très-noble et
+très-ancien du Chardon, grand-maître et chevalier grand-croix de l'ordre
+militaire très-honorable du Bain, sixième fils de feu S. M. le roi
+George III, et oncle de sa très-excellente majesté la reine Victoria,
+que Dieu bénisse et à qui il accorde une longue vie, une bonne santé,
+beaucoup d'honneur, et tous les bonheurs de ce monde.» Au lieu de ces
+vains titres, ils eussent rappelé ses vertus et ses talents, ils eussent
+dit comme nous: «Il fui bon, honnête, fidèle à ses opinions; il mérita
+l'estime et la reconnaissance de ses concitoyens.»
+
+
+
+CHAPELLE DE NOTRE-DAME-DES-FLAMMES.
+
+A BELLEVUE. ANNIVERSAIRE DU 8 MAI.
+
+[Illustration:]
+
+Tout le monde a entendu parler de la chapelle qui a été élevée à
+Bellevue, sous l'invocation de _Notre-Dame-des-Flammes_, à l'endroit
+même où a éclaté, l'année dernière, l'horrible catastrophe du chemin de
+fer de Paris à Versailles, rive gauche. Nous allons essayer de compléter
+par quelques indications l'idée que nos lecteurs pourront se faire de ce
+monument funèbre, à l'aide de la gravure que nous mettons sous leurs
+yeux.
+
+Comme on le voit, cette chapelle, de style ogival, a la forme d'un
+triangle. L'intérieur est d'une extrême simplicité, d'une sévère nudité.
+Dans l'angle qui fait face à la porte d'entrée, c'est-à-dire du côté de
+l'orient, conformément à l'usage symbolique adopté, dans la construction
+de la plupart des églises, se trouve l'autel. Pour tout ornement, il
+porte des candélabres en pierre figurant des ossements humains et des
+têtes de mort. Au-dessus de l'autel est sculptée une petite image de la
+Vierge, les pieds sur un globe à demi enveloppé de flammes, les mains
+jointes, les yeux au ciel, dans l'attitude de la prière. Sur la console
+qui supporte cette statuette, on lit: _Aux victimes du VIII mai
+MDCCCXLII;_ et au-dessous: _O bonne et tendre Marie! défendez-nous
+contre les flammes de la terre, mais préservez-nous surtout des flammes
+de l'éternité_. Plus haut, tout près de la voûte, un vitrail peint en
+forme de médaillon, dont la partie supérieure, représente la Trinité
+chrétienne, et la partie inférieure une scène de l'incendie du chemin de
+fer. Plusieurs malheureux, à demi plongés dans les flammes, lèvent les
+yeux et les mains vers les trois personnes divines, qu'ils semblent
+invoquer. Nous avons remarqué, surtout une mère qui serre son enfant dans
+ses bras avec une expression d'angoisse suppliante.
+
+La frise intérieure de la chapelle représente des ossements humains qui
+brûlent, avec des têtes de mort à chacun des angles. Le pendentif de la
+voûte est également orné de têtes de morts entourées de flammes.
+
+Quant à l'extérieur, le monument est couronné par une statue de la
+Vierge, en tout semblable, à celle de l'intérieur. A ses pieds on lit:
+_N.-D.-des-Flammes_. Plus bas, c'est encore comme à l'intérieur, une
+frise d'ossements humains qui brûlent.
+
+Au-dessous du fronton, occupé par un demi-relief qui représente
+vraisemblablement un épisode de la triste catastrophe, est écrit: _Paix
+aux victimes du VIII mai!_ souhait pieux contre lequel proteste
+brutalement, à chaque instant du jour, le fracas des wagons qui passent
+comme l'ouragan.
+
+Enfin, sur la porte, peinte en rouge, ces deux mots: _De profundis_,
+sollicitent des visiteurs une mélancolique et courte prière, trop
+rarement accordée sans doute.
+
+La chapelle Notre-Dame-des-Flammes, toute en pierres de taille, est
+assise sur un petite tertre sablonneux d'où l'oeil embrasse un superbe
+panorama: de belles prairies, une partie du cours de la Seine, et
+là-bas, dans un lointain vaporeux, Paris avec ses magnificences
+architecturales à demi voilées. Un treillage de bois, à l'intérieur
+duquel règne une guirlande de buis jaune, dessine autour du monument un
+pourtour triangulaire; à chaque angle s'élève une modeste croix de bois.
+
+La chapelle est si près des rails, que, de l'intérieur de l'enceinte
+qu'elle occupe, on éprouve sensiblement l'impression de l'air chassé par
+la violence des convois qui passent.
+
+L'édification de _Notre-Dame-des-Flammes_ est due à l'une des personnes
+les plus cruellement éprouvées par la catastrophe du 8 mai. M. Lemarié,
+architecte, ayant perdu, dans ce jour néfaste, son fils, sa belle-soeur
+et un cousin, a voulu consacrer à leur mémoire ce monument de pieux
+regrets, élevé par lui-même, et qui ne fait pas moins honneur à son
+talent qu'à son coeur.
+
+La chapelle de Notre-Dame-des-Flammes a été inaugurée, le 16 novembre
+1842, par M. l'évêque de Versailles. On a attaché à sa fondation une
+institution régulière de quatre messes par an, qui doivent être dites
+par M. le curé de Meudon, indépendamment de celles que peuvent demander
+les parents des victimes. Le lugubre anniversaire y a été célébré lundi
+dernier, à onze heures du matin, par une cérémonie religieuse.
+
+Nous renonçons à décrire la physionomie de tristesse religieuse de cette
+petite chapelle blanche qui s'élève, comme une muette prière, à côté de
+la voie sur laquelle s'agitent pêle-mêle, avec une précipitation
+bruyante, les passions, les affaires et les plaisirs des hommes. Il y a
+là un effet de contraste qui jette sur le chemin de fer un reflet de
+poésie que nous n'aurions jamais eu, avant, la hardiesse de soupçonner
+dans un chemin de fer.
+
+
+
+La Vengeance des Trépassés,
+
+NOUVELLE.
+
+Suite.--Voyez p. 75, 89, 105, 121 et 157.
+
+
+§ VII.--Philosophie.--Folie.--Adieux.
+
+Don Christoval avait une de ces âmes fortement trempées qui luttent
+contre la douleur et parviennent à la vaincre, au moins dans ses effets
+ordinaires, c'est-à-dire que le triomphe est extérieur, et qu'an dedans
+les ravages s'exercent plus profonds et plus durables.
+
+Il s'enferma deux jours sans permettre à âme qui vive de pénétrer
+jusqu'à lui; ce temps passé, on le vit reparaître pâle, amaigri, mais
+non abattu; il reprit ses courses botaniques, mais dom Sulzer ne pouvait
+plus l'accompagner. Le soir il revenait couvert de poussière et chargé
+de fleurs sauvages dont il jonchait la tombe de sa femme et de son fils;
+il restait fort tard à les arranger, puis rentrait, et avant l'aurore il
+était reparti pour toute la journée. Voilà sa vie.
+
+Cette fatigue du corps ne suffisant pas à dompter l'activité de sa
+pensée, il essaya d'un autre système: c'était de lasser son imagination
+en lui donnant pleine carrière. A cet effet, il se jeta dans les idées
+philosophiques; c'était un retour vers une science qui l'avait fait
+briller dans sa jeunesse à l'université de Salamanque. Il s'y adonna de
+nouveau, sans pour cela renoncer à ses excursions lointaines; il
+emportait de quoi écrire, et jetait en courant sur le papier les idées
+dont il voulait faire les matériaux d'un grand ouvrage: ces idées
+roulaient sur le temps, sur la mort, sur la résurrection et l'autre vie.
+Tous ceux qui ont voulu approfondir ces terribles questions ont payé
+cher leur témérité; don Christoval éprouva le même sort. Voici
+quelques-uns de ces fragments décousus; ils feront comprendre
+l'exaltation cérébrale de cet infortuné et la catastrophe qui
+s'ensuivit.
+
+Elle est morte! Qu'est-ce que la mort? qu'est-ce que la vie? Le temps
+existe-t-il pour les morts? L'Écriture se sert à chaque instant de ces
+mots _la fin des temps,--la consommation des siècles_. Le temps finira
+donc? oui. Le temps une créature de Dieu qui sera détruite comme les
+autres; son seul privilège sera d'être détruite la dernière. J'ai
+entendu dom Sulzer s'écrier un jour en prêchant: _Sortez du temps!_ et
+comment sortir du temps? Le temps est l'enveloppe dans laquelle se meut
+l'humanité. Il est bien difficile à la pensée humaine de sortir du
+temps; toutefois cela ne paraît pas impossible.
+
+Et qu'est-ce que l'éternité? l'absence du temps et de la durée: un
+point; pas même un point, puisque dans un point, si petit qu'on le
+conçoive, il y a encore l'idée de dimension; au lieu que dans l'éternité
+le centre et les extrémités se confondent.
+
+La résurrection des morts suit donc immédiatement l'instant de leur
+trépas; ils sont comme un homme qui tombe et aussitôt se relève; et les
+hommes partis de différents points du temps arriveront tous
+simultanément à la cessation du temps.
+
+Car le temps est une illusion, l'illusion fondamentale de notre vie,
+laquelle n'est elle-même qu'une illusion destinée sans doute à éprouver
+les âmes.
+
+Nous rentrons par intervalles dans la réalité au moyen du sommeil. Ce
+sommeil éteint la matière et en dégage l'âme: alors le temps cesse pour
+nous. La preuve en est claire: c'est que celui qui se réveille est
+incapable de dire s'il a dormi dix heures ou dix minutes.
+
+Et souvent en dix minutes il a rêvé des faits dont la réalisation dans
+le temps demanderait une année.
+
+Et lorsqu'il rapporte dans le temps ces souvenirs d'une, excursion hors
+du temps, il juge, il compare, il mesure et dit: Qu'on est insensé quand
+on dort!--C'est probablement, au contraire, le seul moment où l'on soit
+sensé.
+
+Si Adam n'avait point goûté du fruit défendu, il ne fût pas mort,
+c'est-à-dire que son illusion eut été éternelle; il n'y eut pas eu de
+fin des temps ni de consommation des siècles, et ses enfants eussent été
+immortels comme lui.
+
+Aurait-il en des enfants exempts du péché originel, et par conséquent de
+la mort, ils auraient promptement encombré la terre, et que fut-il
+arrivé?
+
+Ou il n'en aurait pas eu; alors la création se fût bornée à deux êtres
+humains qui n'auraient pas fini.
+
+L'Éternel avait dit au premier homme: Si tu goûtes de ce fruit, tu
+mourras de mort. Le tentateur dit à Eve: Si vous goûtez de ce fruit,
+vous deviendrez semblables à Dieu.
+
+Les deux paroles furent accomplies: Adam, par suite de son péché,
+mourut; et il devint semblable à Dieu, en ce point qu'il sortit du temps
+hors duquel Dieu habite.
+
+Le passage de la vie à la mort, l'instant précis de ce passage, est-il
+sensible pour ceux qui le franchissent? Non: mais on s'aperçoit des
+approches.
+
+N'est-il pas probable qu'à ce moment solennel, avant la séparation de
+l'esprit et de la matière, nos facultés éprouvent par anticipation un
+éclair de perfectionnement, que les sens acquièrent subitement une
+subtilité surnaturelle; l'intelligence une hauteur, une plénitude, un
+pouvoir inaccessibles à l'état de vie normale? J'en suis convaincu; mais
+presque toujours quand ce phénomène arrive, le moribond n'en peut rien
+témoigner à ceux qui l'entourent.
+
+Ou, s'il leur en témoigne quelque chose, ils disent: Ce sont les
+illusions de la mort; la tête n'y est plus!
+
+Léonor a vu l'ombre de soeur Dorothée; le père Dominique, l'ombre de son
+pénitent; je n'en doute pas. En y réfléchissant, il n'est pas plus
+étrange de voir une âme sortie du temps y rentrer pour quelques minutes,
+que de voir le contraire, c'est-à-dire une âme prisonnière dans le temps
+s'échapper quelques minutes dans l'éternité. Seulement le second est
+plus commun que le premier, c'est pourquoi la raison humaine, la pire de
+nos illusions, nous affirme que le premier est impossible, sa coutume
+étant de nier tout ce qu'elle ne peut contrôler.
+
+Ce qu'on appelle la raison de l'homme n'est que l'essence de son
+orgueil.
+
+Nous cherchons à entrevoir les vérités éternelles avec notre raison, à
+travers le temps, c'est-à-dire avec un instrument faux à travers un
+milieu qui nous trompe. On soupçonne des erreurs, mais nul moyen de les
+calculer, encore moins de les corriger. Les contemplateurs sont les
+sages; ils sont en très-petit nombre: les autres suivent leur route sans
+songer à rien, sans se douter de rien; ce sont les heureux.
+
+Notre raison est essentiellement terrestre, non qu'elle ne puisse
+s'élever, quelquefois même assez haut, mais elle retombe toujours sur la
+terre et rapporte, tout à elle-même et aux choses d'ici-bas.
+L'inspiration, l'extase, le délire, la folie, tous ces états dans
+lesquels l'àme cherche à prendre l'essor loin de la matière, nous
+livreraient peut-être le secret de notre vie et de notre avenir, mais la
+raison les méprise et nous empêche de les étudier. Et pourtant, sans la
+raison, que ferions-nous? notre malheur est de ne pouvoir nous passer
+d'elle; c'est le bâton qui nous sert à marcher, mais ce bâton est garni
+de plomb qui nous attache à la terre et nous empêche de nous envoler.
+
+Le mystérieux Orient, qui a su tant de secrets concernant notre race, a
+toujours regardé les fous comme des êtres sacrés, en communication
+directe avec Dieu. Peut-être viendra-t-il un jour où Dieu, dans sa
+bonté, enlèvera tout à coup la raison au genre humain pour laisser
+régner exclusivement la sagesse.
+
+La raison n'est peut-être nécessaire aux hommes que parce que, dans
+l'état actuel des choses, elle est l'apanage du plus grand nombre?
+
+Dans le malheur affreux où je suis plongé, quel voeu puis-je encore
+former ici-bas? Un seul, dont l'accomplissement me rendrait le bonheur:
+c'est de perdre la raison; alors je pourrais retrouver Léonor, et nous
+serions rejoints tout en habitant une vie différente. Oh! si je pouvais
+me débarrasser de cette funeste raison!
+
+A force de creuser dans ces étranges idées, le malheureux Christoval
+obtint ce qu'il souhaitait.
+
+Une nuit, dom Sulzer, après avoir veillé fort tard dans son cabinet,
+venait de mettre en ordre ses cahiers de l'histoire des abbés de
+Reichenau, et il se disposait à passer dans sa chambre à coucher,
+lorsqu'il lui sembla distinguer dans le profond silence de la nuit des
+accents interrompus auxquels se joignaient quelques accords. Il écouta,
+et s'assura que quelqu'un chantait à voix basse dans l'enclos situé
+derrière le corps de logis de son habitation. Il ouvrit la fenêtre. Le
+ciel était pur, mais sans lune: il n'v avait que la clarté douteuse des
+étoiles. Le chanteur, invisible à cause de la position du bâtiment,
+effleurant à peine les cordes de sa guitare, fit entendre les paroles
+suivantes:
+
+ Toda mi dicha fundo
+ Solo in querer te;
+ Y daria mil vidas,
+ Solo por ver te.
+
+«Je mets tout mon bonheur à te voir; rien que pour te voir je donnerais
+mille fois ma vie. »
+
+Le chanoine n'eut pas de peine à deviner ce qui se passait. Il fit un
+signe de croix, ce qui était chez lui la plus grande marque de
+compassion, et se disposa à descendre. Sans appeler personne pour
+l'aider, il remit sa redingote, sortit appuyé sur sa grande, canne,
+traversa d'un pied lent et mal assuré les longues et obscures galeries
+du couvent, et par un escalier de pierre depuis longtemps hors de
+service, soupirant et trébuchant à chaque degré, il entra dans l'enclos.
+L'herbe discrète étouffait sa marche. Il parvint ainsi, sans être
+aperçu, à deux pas de don Christoval, et s'arrêta pour le considérer.
+L'infortuné, debout devant la pierre moussue qui recouvrait sa femme et
+son enfant, avait cessé de chanter. Il méditait dans un sombre silence,
+les bras croisés sur la poitrine et enveloppé dans son manteau, pareil à
+un génie funèbre. Sa guitare reposait sur la tombe. Quelques minutes
+s'écoulèrent sans que Christoval fit aucun mouvement, et sans que le
+vieux prêtre osât interrompre la douleur de son jeune ami. A la fin
+pourtant le chanoine risqua de l'appeler doucement. A cette voix,
+Christoval releva la tête et demanda: «Qui m'appelle? Que voulez-vous?
+
+«C'est moi, votre ami, dom Sulzer.--Ah! dom Sulzer vous venez à propos;
+c'est le ciel qui vous envoie. J'aurais été fâché de m'en aller sans
+vous avoir dit adieu et serré la main.--Vous en aller? où? que
+faites-vous ici?--Ne le voyez-vous pas? Je suis venu faire visite à
+Léonor. J'ai mis exprès, pour lui plaire, le costume que je portais la
+nuit que je l'enlevai. Je lui ai chanté _Marinero del alma,_ qu'elle
+aimait tant. Eh bien, le croiriez-vous? cet air, dont jadis une seule
+note l'entraînait vers moi, cet air aujourd'hui la laisse insensible!
+Elle ne répond rien? Ah! c'est que ce n'est plus à elle à venir à moi;
+c'est au contraire à moi d'aller à elle. Elle a Carlos qui la retient;
+je comprends cela. Je vais les rejoindre tous deux. Que faut-il dire à
+Léonor de votre part?--Et quel chemin prendrez-vous pour les
+rejoindre?--Alors Christoval se penchant à l'oreille du chanoine, comme
+s'il lui eût confié un grand secret: «Le chemin du lac, dit-il. Oui, je
+vais me jeter dans le lac. Vous le sentez bien, dom Sulzer,
+continua-t-il avec une apparente tranquillité, vous le sentez bien, ma
+vie est désormais inutile; mon existence n'a plus de but: c'est un effet
+sans cause. Où est Léonor, là est ma vie. Il faut que je me noie dans le
+lac, cela est de toute nécessité. Si vous avez à me charger de quelque
+chose pour elle, dépêchez-vous.--C'est inutile, dit le chanoine
+épouvanté de cette folie de sang-froid, mais cachant sa frayeur sous un
+ton sec et bref.--Pouquoi inutile?--Parce que vous n'irez pas.--Et qui
+m'en empêchera?--Moi. Je vous le défends!»
+
+Christoval, jusqu'alors paisible dans sa tristesse, commença de
+s'agiter, et ce trouble, que trahissaient son geste et sa voix, arriva
+rapidement à l'exaspération. «Comment, vous me le défendez? C'est
+indigne! c'est affreux! Allez! j'ai été la dupe de votre affection
+simulée; mais à compter de ce moment je ne le suis plus; je vous
+connais. Vous êtes un méchant homme. Laissez-moi! laissez-moi! Non, non,
+ma Léonor, n'aie pas peur que je l'écoute, que je me laisse arrêter par
+lui! Il veut que je demeure! Et pour qui, mon Dieu? Qui désormais à
+besoin de moi?--Moi, mon fils, moi! cria le vieillard en s'accrochant à
+lui.» Mais dans le débat son pied heurta la pierre sépulcrale; dom
+Sulzer perdit l'équilibre et roula sur la tombe de Léonor en poussant un
+douloureux gémissement.
+
+Il n'en fallut pas davantage pour abattre subitement l'exaltation du
+pauvre fou. Il prit le vieillard dans ses bras, et d'un ton tout
+différent: «Dom Sulzer, s'écria-t-il, je vous ai fait mal? Etes-vous
+blessé?
+
+--Non, mon ami, répondit dom Sulzer, se relevant avec peine. Le mal que
+vous avez fait à mon corps n'est rien auprès de celui que vous faites à
+mon coeur. Le premier est involontaire, je vous le pardonne; mais
+l'autre!...--Ah! pardonnez-le-moi aussi,» dit Christoval en embrassant
+son vieil ami et fondant en larmes. C'était la fin de la crise. Le bon
+chanoine ne put résister à l'entraînement de ce désespoir, et oubliant
+ses projets de fermeté, il se mit à pleurer aussi.
+
+Dom Sulzer triompha le premier de son émotion et parvint à la comprimer.
+« Mon ami, dit-il, mon cher ami, que faisons-nous? A quelle faiblesse
+nous laissons-nous aller! Dieu soit béni de ce que vous ayez enfin
+reconnu ma voix. Ecoutez votre vieux père qui vous aime et qui souffre
+toutes vos douleurs Vous croyez que votre tâche ici-bas est accomplie
+parce que vous n'avez plus à la remplir envers votre femme et votre
+fils, non, cher Christoval, elle ne l'est pas. Il vous en reste une
+autre plus importante encore, oui, oui, plus importante encore; je vous
+la ferai connaître et vous en conviendrez. Vous dites que votre
+existence n'a plus de but. Ah! mon fils il vous en reste un à atteindre
+que vous ne voyez pas, parce que les pleurs qui remplissent vos yeux
+obscurcissent votre vue. Vous voulez savoir ce que c'est? Je ne puis
+vous l'expliquer ici: l'heure et le lieu ne s'y prêtent pas. D'ailleurs
+je souffre un peu et nous avons l'un et l'autre besoin de repos. Venez
+me voir demain matin à huit heures précises, et je vous apprendrai à
+quelle fin vous devez consacrer le reste de vos jours, et vous ne
+sortirez pas de chez moi sans être consolé.»
+
+Don Christoval promit d'être exact au rendez-vous. Il reconduisit le bon
+chanoine jusqu'à la porte de sa chambre, et dom Sulzer ne le renvoya pas
+sans l'avoir embrassé et lui avoir donné sa bénédiction.
+
+Dom Sulzer, resté seul, s'agenouilla sur son prie-Dieu et fit une longue
+et fervente prière. Lorsqu'il se releva, son visage exprimait le
+contentement intérieur d'un homme plein de confiance dans la bonté du
+ciel, et certain d'avoir obtenu l'objet de sa demande. Bien qu'il fût
+une heure du matin, le chanoine, au lieu de se mettre au lit, chercha
+dans sa bibliothèque un volume de médiocre grosseur: l'ayant trouvé, il
+se replaça à son bureau et se mit à feuilleter le livre avec attention.
+
+Le lendemain don Christoval fut ponctuel. Huit heures sonnant, il
+frappait à la porte du cabinet de son ami. Point de réponse: il ouvre
+doucement. Qu'aperçoit-il? Le chanoine, assis devant sa table couverte
+de papiers, dans son grand fauteuil de cuir, le corps droit, immobile,
+et profondément endormi. Le sommeil l'avait surpris au milieu de
+l'étude, car il avait la main droite posée sur un livre ouvert, et son
+index allongé semblait montrer un passage. L'affaiblissement et
+l'incertitude de sa vue avaient fait prendre au vieillard cette habitude
+de suivre, en lisant la ligne, avec le doigt, pour ne pas s'égarer dans
+la page. Le soleil levant, s'introduisant de côté dans cette chambre
+studieuse, illuminait la tête pâle et vénérable de dom Sulzer. En face
+du vieillard et ombrageant le volume, un pot de fleurs, ou s'élevait une
+jolie plante le réséda taillée en boule par les soins du chanoine, qui
+mettait son plaisir à cultiver et à soigner ce petit arbre dont il
+aimait singulièrement le parfum. Une fauvette de vignes chantait sur le
+rebord de la fenêtre entr'ouverte par le vent frais du matin.
+
+Don Christoval contemple un instant avec admiration ce tableau plein de
+calme et de solennité. Ne voulant pas troubler le repos de son vieil
+ami, il s'approcha sur la pointe des pied pour voir quel ouvrage avait
+captivé si tard l'application du chanoine. Il lut ces paroles:
+
+«Mon fils, ne vous rebutez point des travaux que vous avez entrepris
+pour moi: ne vous laissez point abattre à tout ce qui peut vous arriver
+de fâcheux; mais que dans tous les événements de la vie ma promesse vous
+encourage et vois console.
+
+«Un jour, qui n'est connu que du Seigneur, vous amènera la paix, et ce
+jour ne sera point comme ceux de cette vie, mêlé de l'alternative de la
+nuit: la lumière en sera perpétuelle et la charité infinie. La paix dont
+vous jouirez sera solide et votre repos assuré.
+
+«Est-il rien de pénible qu'on ne doive supporter pour la vie éternelle?
+
+«Mon fils, ma grâce est précieuse et ne souffre point le mélange des
+choses étrangères ni des consolations de la terre.
+
+«Si vous voulez la recevoir, faites-vous un lieu de retraite ne
+recherchez l'entretien de personne, mais répandez-vous devant Dieu par
+une ardente prière.»
+
+--Don Christoval, plus surpris et plus attendri à mesure qu'il lisait,
+arriva enfin au verset sur lequel était placé le doigt de dom Sulzer:
+
+«IL FAUT QUITTER LE MONDE: IL FAUT VOUS SÉPARER DE VOS CONNAISSANCES ET
+DE VOS AMIS ET TENIR VOTRE AME DANS LA PRIVATION DE TOUTES LES
+CONSOLATIONS HUMAINES!»[1]
+
+Christoval, extrêmement ému, éprouva alors comme une soudaine
+révélation: il toucha la main de dom Sulzer, il la trouva froide et
+glacée! Il approcha ses lèvres du front du vieillard, et le contact lui
+parut celui d'une statue de marbre! Dom Sulzer habitait désormais une
+meilleure vie; il avait reçu le prix de ses souffrances et de ses
+vertus, il connaissait le jour du Seigneur dont la lumière est
+perpétuelle et la clarté infinie: il était mort. Don Christoval comprit
+que ce but dont la veille encore lui parlait le saint vieillard, était
+d'obtenir une mort pareille à celle-là.
+
+Il se prosterna près du défunt, et son coeur, dans une effusion de
+pieuse reconnaissance, prit l'engagement que la bouche du dernier moine
+de Reichenau, cette bouche désormais muette, semblait lui dicter par
+l'organe du _plus beau livre qui soit sorti de la main des hommes_. [2]
+
+Dom Sulzer fut inhumé vingt-quatre heures après dans le choeur de
+l'antique église de l'abbaye. L'humble et dernier représentant du
+monastère, le simple moine, reçut un honneur jadis réservé pour ses
+puissants abbés. Il arriva parmi eux comme un messager chargé de leur
+annoncer l'extinction définitive de leur famille; comme un soldat fidèle
+qui se réfugie au milieu de ses chefs pour attendre la chute de
+l'édifice dont la ruine les doit tous ensevelir dans un commun tombeau.
+
+ [Note 1: _Imitation de J.-C._]
+
+ [Note 2: J.-J. Rousseau.]
+
+Le lendemain de ces funérailles auxquelles assistèrent tous les
+habitants de l'île, la maisonnette de don Christoval était déserte. Ou
+trouva sur une table une lettre qui la donnait, avec tout son mobilier,
+à un pauvre laboureur, pere de famille, de qui la grange avait brûlé
+quelques mois auparavant. Le bruit public 'fut que don Christoval,
+accablé par la triple perte qu'il venait de faire, n'avait pu résister à
+son désespoir, et s'était précipité dans le lac. Un batelier racontait
+que, l'Espagnol était venu le soir de l'enterrement louer un bateau pour
+passer, disait-il, à Radolsszell. Au point du jour, le bateau avait été
+retrouvé flottant au hasard sur la rive; on conjecturait que le vent
+l'avait repoussé vers Reichenau, après la catastrophe de celui qui le
+montait. Cependant, le cadavre de don Christoval ne reparut point sur
+les îlots, et les pêcheurs sondèrent en vain le lac.
+
+_(La fin à un numéro prochain.)_
+
+
+
+Théâtres.
+
+[Illustration: (Théâtre de l'Odéon.--Lucrèce, par M. Ponsard.--Brute:
+Bocage;--Lucrèce: madame Dorval.)]
+
+LA GRÈCE.--BRUTUS.--LA COMÉDIE A CHEVAL.--LES DEUX FAVORITES.--LE MÉTIER
+A LA JACQUART--LES CANUTS.--LE VOYAGE EN L'AIR.--J'AI DU BON
+TABAC.--MARGUERITE FORTIER.--LES PRÉTENDANTS.
+
+Le second Théâtre-Français est tout émerveillé de la foule qui
+l'assiège; il n'est pas accoutumé à ces bonnes fortunes: une recette de
+3,500 fr. à l'Odéon, est un de ces prodiges dont la mémoire se perd dans
+la nuit des temps. Il faut en rendre grâce à M. Ponsard; c'est à
+_Lucrèce_ que l'honneur en revient. _Lucrèce_ ameute la foule sur toute
+la place de l'Odéon, comme autrefois au Forum, autour de ses glorieux
+restes, pour marcher contre la tyrannie et les Tarquins. Le public est
+décidément conquis par Lucrèce et par M. Ponsard. Il prête une oreille
+attentive aux vers énergiques ou gracieux du jeune poète; il s'émeut aux
+accents de Brute, de Sextus et de Tullie; deux scènes surtout semblent
+l'intéresser et le tenir attentif: l'une montre Lucrèce dans une
+mutuelle confidence avec Brute; la jeune et chaste Romaine a pénétré les
+projets du citoyen. Elle a passé à travers l'enveloppe du fou, pour
+arriver jusqu'à l'âme patriotique. Sous le sublime mensonge de cette
+folie, Lucrèce entrevoit la mâle pensée qui veille et s'alimente dans
+cette âme profonde, comme une lampe mystérieuse dans un lieu solitaire
+et caché. Elle déclare à Brute que son vaste dessein est connu d'elle,
+Lucrèce, et qu'elle le paie silencieusement de son estime et de son
+admiration. Avoir l'estime de Lucrèce, quelle consolation pour Brute!
+Comme la plaie des affronts qu'il subit pour son pays est adoucie par
+cette secrète amitié de la femme fidèle et chaste! Aussi le glorieux
+insensé soulève-t-il un instant, devant cet oeil discret, le voile de sa
+pensée; Brute ne se cache plus pour Lucrèce; il n'avoue pas, mais il
+permet qu'on devine. Et c'est là un grand éloge, pour la vertu de cette
+femme, que Brute, l'homme au génie enveloppé et muet, laisse ainsi
+passer jusqu'à elle une lueur du vaste projet que son esprit médite et
+dissimule.
+
+[Illustration: (Dernière scène de la tragédie de Lucrèce.)]
+
+Dans l'autre scène, le spectateur contemple avec émotion le corps
+inanimé de Lucrèce, qui vient de se donner la mort; c'est le, moment
+héroïque du sacrifice si vigoureusement décrit par Tite-Live, et
+qu'après Tite-Live, M. Ponsard a revêtu des couleurs d'une, mâle
+poésie.--Lucrèce s'est frappée au coeur du couteau qu'elle tenait caché
+sous sa robe, et tombant sous le coup, elle a rendu le dernier soupir.
+Tandis que Lucrétius son père, et Valère et Collatin s'abandonnent à
+leur douleur, Brutus tire de la blessure le fer tout dégouttant de
+sang: «Par ce sang si pur, s'écrie-t-il, je jure, et vous, dieux, je
+vous prends à témoin de ce serment; je jure de poursuivre par le fer,
+par le feu, par tous les moyens qui sont en mon pouvoir, Lucius Tarqnin
+le Superbe et son épouse criminelle, et toute sa postérité, et de ne
+jamais souffrir que ni eux ni d'autres règnent dans Rome!» La douleur a
+fait place à la colère; on suit Brutus à la destruction de la royauté;
+le corps de Lucrèce, placé sur un brancard, est porté au Forum, et
+Brutus excite le peuple, à prendre les armes. Assurément c'est là un de
+ces spectacles qui remuent l'âme et la trempent fortement. Le parterre
+de l'Odéon y applaudit avec l'ardeur généreuse des vives et jeunes
+émotions.
+
+Le théâtre du Vaudeville a voulu aussi avoir son _Brutus_; mais celui-là
+est un Brutus pour rire; d'abord il n'est pas de Rome, mais de Pontoise
+ou de Quimper-Corentin; les Tarquins lui sont complètement étrangers; il
+n'entend rien au Forum, et au Capitole encore moins. Parlez-lui de
+Lucrèce, il vous répondra: «Connais pas!» Nommer Arnal, c'est tout dire;
+cela vous donne la mesure de mon Brutus. Il n'est pas fou, tant s'en
+faut: Brutus a de la modestie, et se contente d'être niais. Il frotte
+les habits et cire les bottes de M. Courtois, son seigneur et maître, et
+ne sera jamais consul romain. Quant à la république, Brutus la sert fort
+mal; appelé, en sa qualité de soldat du guet, à réprimer une émeute
+royaliste, il a jeté là son fusil, comme Horace son bouclier, et il pris
+la fuite; mais à cet exploit se borne la ressemblance de Brutus et du
+poète favori de Mécènes: Brutus est capable de fuir, mais incapable de
+faire l'ode à la nymphe de Blanduse et l'épître aux Pisons.
+
+Un instant, les destins de Brutus prennent une allure magnifique; de
+simple valet qu'il est, il risque de devenir marquis. Un anneau trouvé
+par Brutus lui donne cette espérance; il a mis l'anneau à son doigt, et
+peu s'en faut que de cet anneau il ne résulte, un père pour Brutus.
+Cette trouvaille l'accommoderait fort; car, enfin, Brutus ne sait pas de
+quelle côte il est sorti. Brid'oison dit bien qu'on est toujours le fils
+de quelqu'un, mais de quel père? Telle est la question compliquée que
+Brutus se pose tous les jours à lui-même, sans avoir pu jusqu'ici la
+résoudre. Il a cependant une consolation, c'est que s'il ne connaît pas
+son père, sa mère probablement a dû le connaître.
+
+Donc, Brutus se croit fils d'un marquis; et, pour un Brutus, vous
+avouerez que la filiation est un peu embarrassante, d'autant plus que le
+marquis est proscrit. Comment échappera-t-il aux agents républicains? La
+crédulité de Brutus vient à son aide dans cette périlleuse affaire;
+Brutus, le prenant pour son père, a pour lui toutes les tendresses
+burlesques qu'on peut attendre d'Arnal; il le suit à la piste, il lui
+tend les bras, et veut à tout propos le presser sur son coeur et
+l'embrasser tendrement. Le meilleur de ce dévouement filial, c'est que
+Brutus procure une carte de sûreté et un passe-port à son prétendu père;
+et celui-ci en profite pour s'esquiver. Quant à Brutus, par un de ces
+grands mouvements de fortune qui accompagnent les révolutions, il
+devient portier. Quelle situation pour le fils d'un marquis! Après tout,
+qu'importe? il tirera le cordon au lieu de la porte en sautoir! C'est à
+peu près la même chose.--Ce quiproquo, égayé par quelques mots plaisants
+et par le jeu naïf d'Arnal, a honnêtement réussi. Les auteurs sont MM.
+Varin et Conailhac. On avait sifflé la veille un autre vaudeville
+intitulé: _la Comédie à cheval_. Le cheval a fait un faux pas à moitié
+chemin, et la comédie désarçonnée, une lourde chute.
+
+Pour Jacquart, c'est autre chose; le Gymnase a pris la revanche du
+théâtre du Vaudeville, Bouffé y aidant, et aussi le talent de M.
+Fournier, l'auteur du _Métier à la Jacquart._ Tout le monde connaît
+Jacquart, le bienfaiteur de la filature lyonnaise, l'inventeur du
+merveilleux métier si fécond pour l'industrie, si utile au soulagement
+de l'ouvrier. M. Fournier nous montre Jacquart préoccupé de son
+ingénieuse invention: il l'entrevoit, mais il ne la tient pas encore;
+Jacquart cherche ce rien, ce dernier mot, si difficile à trouver, et qui
+arrête souvent les plus magnifiques découvertes; ce pauvre Jacquart en
+rêve nuit et jour; vous pensez, comme en rêvant, il néglige les intérêts
+de sa maison; aussi la pauvreté en a-t-elle franchi le seuil. Quelques
+milliers de francs restaient, dernier espoir de sa femme et de sa fille;
+Jacquart les a perdus par sa distraction. C'est peu encore; en voyant
+cet homme si insouciant de ses intérêts et si rêveur, on dit de lui: «Il
+est fou!» Et chacun de le montrer au doigt. Enfin, notre Jacquart perd
+courage; ruiné, honni, s'épuisant vainement à la poursuite de ce dernier
+secret qui lui échappe; toujours, il prend une résolution désespérée. Le
+malheureux se dirige vers le Rhône pour s'y précipiter: une main
+inconnue l'arrête avant l'accomplissement du suicide; et voilà Jacquart
+tout étonné de se trouver dans une chaise de poste roulant sur la route
+de Paris.
+
+A Paris, on le conduit dans un magnifique palais; des soldats veillent
+aux portes; des hommes tout brodés d'or et tout chamarrés de rubans vont
+et viennent dans les galeries et dans les antichambres. De Lyon à Paris,
+Jacquart a eu le temps de se remettre et de reprendre le sang-froid
+plein de franchise, et le naturel sans façon qui le caractérisent. Il ne
+se gêne donc guère avec tous ces beaux messieurs-là; et comme Jacquart
+n'a qu'une idée en tête, sa fameuse découverte, il en parle à qui veut
+l'entendre. Voyez-vous ce grand homme sec qui regarde Jacquart d'un air
+railleur? c'est un illustre chambellan à qui Jacquart explique le
+mécanisme de sa machine. Le grand seigneur d'en rire. Que voulez-vous?
+on est chambellan, et l'on n'est pas obligé pour cela d'avoir de
+l'instruction et de l'esprit. Le chambellan n'y voit donc goutte; comme
+tous les ignorants et les sots, il se tire d'embarras en ricanant et
+traite Jacquart d'insensé.--Une porte s'ouvre; ce n'est plus au valet
+brodé, c'est au maître que Jacquart a affaire: et ce maître est
+Napoléon, l'empereur et le roi! S'il n'a pu se faire comprendre par le
+chambellan, Jacquart est bientôt compris par le grand homme; le génie du
+héros fécondera le génie de l'ouvrier, et le métier Jacquart sort
+victorieux de cette entrevue. L'industrie lyonnaise a fait sa conquête.
+Qui est ravi? Jacquart, et la femme de Jacquart, et la fille de
+Jacquart, laquelle, du coup, épouse un très-joli et très-excellent jeune
+homme, qui l'aime et qu'elle aime; double amour qui attendait depuis
+longtemps, et restait sur le métier. Bouffé est charmant dans ce rôle de
+Jacquart.
+
+(Théâtre du Palais-Royal.--Voyage entre Ciel et Terre.)
+
+Le Gymnase ne s'en est point tenu là; Charles II a succédé à Jacquart.
+Il s'agit du faible et galant Charles II, roi d'Angleterre. Charles mène
+de front deux intrigues amoureuses; véritable bagatelle pour un tel
+consommateur. D'une part, le roi a une liaison avec la duchesse de
+Cleveland; de l'autre, il cherche à séduire une jeune fille innocente et
+pure; c'est un assez vilain métier que S. M. fait là. N'est-ce pas un
+peu un métier de roi? D'abord la duchesse est furieuse et jalouse; elle
+soupçonne la jeune fille de perfidie et de complicité; puis, bientôt
+convaincue de sa candeur, elle se laisse émouvoir et emploie toutes les
+ressources de son expérience à sauver l'innocente Jenny des pièges que
+l'amour du roi lui tend: pièges cachés sous le sourire, les tendres
+regards et les enivrantes promesses. Grâce à cet appui, Jenny, en effet,
+échappe au danger. Le roi, battu et très-peu content, revient, l'oeil
+morne et la tête baissée, à la duchesse de Cleveland. Ainsi, madame la
+duchesse, vous avez fait votre bien en faisant le bien d'autrui: honnête
+cumul que la loi ne défend pas et qu'il est même bon d'encourager.
+L'auteur, M. Jules de Prémaray, appelle cela _les Deux Favorites_.
+Pourquoi pas? Madame Volnys et mademoiselle Rose Chéri sont les deux
+brebis que ce loup de Charles II essaie de dévorer de la même dent; nous
+avons dit que l'une des deux brebis échappait à cette dent d'ogre, et
+c'est mademoiselle Rose Chéri, la plus fraîche, la plus blanchi et la
+plus tendre.
+
+[Illustration: Théâtre du Palais-Royal.--Les Canuts.]
+
+Le Jacquart du Gymnase a son pendant au théâtre du Palais-Royal: même
+sujet, même homme, mêmes événements; le titre seul est différent: _Les
+Canuts_ décorent l'affiche. Quant au fond des choses, rien n'est changé.
+Vous retrouvez Jacquart rêvant. Jacquart désespéré. Jacquart méconnu.
+Jacquart tout près du suicide, puis enfin Jacquart triomphant et son
+métier avec lui. Le Gymnase a l'avantage de la forme. Son Jacquart est
+beaucoup plus ingénieux et plus fin que le concurrent; l'un est brutal
+et donne dans le gros rire; l'autre vous communique une gaieté de
+meilleur goût et d'une saveur plus relevée. Ainsi, le Gymnase et le
+Palais-Royal s'entendent pour satisfaire tous les appétits. Les délicats
+goûteront de Bouffé les amateurs de grosses épices tâteront de Lemesnil,
+le Jacquart du Palais-Royal. Ceux-là applaudiront M. Fournier, ceux-ci
+MM. Varnet et Deslandes.
+
+[Illustration: (Théâtre du Gymnase.--Le Métier à la Jacquart.--Bouffé et
+Klein.)]
+
+Un honnête aéronaute monte dans son ballon: le voilà dans l'espace,
+entreprenant un voyage en l'air. Notre homme se croit seul, en compagnie
+avec les nuages, bien entendu, et la voûte azurée. Qui s'aviserait, en
+effet, de l'escorter dans une pareille promenade? Nous ne voyageons pas
+sur la grande route; nous ne flânons pas sur les boulevards ni aux
+Champs-Élysées: ici la pérégrination n'est pas facile: on ne marche pas
+dans l'air comme sur l'asphalte, la canne à la main et de plain-pied.
+
+Et cependant un homme a suivi l'aéronaute ci et s'est blotti au fond de
+sa nacelle. Où ne se fourrerait-on pas pour fuir un créancier? Tel
+débiteur se cache sous terre; celui-ci a pris le: chemin des étoiles.
+Tout à coup, il sort de sa tanière et se montre aux yeux du Margat
+épouvanté. Ce ne serait rien encore, et à la rigueur le ballon porterait
+nos deux hommes; mais tous deux se reconnaissent; ce sont deux rivaux,
+deux voisins acharnés qui se disputaient sur terre les mêmes beaux yeux
+et la même dot. Se trouvant face à face, l'aéronaute et son rival se
+livrent à des attaques furieuses; d'abord ils se lancent des mitrailles
+de quolibets, et se bombardent avec des calembours. De la parole on en
+vient à l'action; nos gens se prennent au collet et se montrent le
+poing; mais ils comptaient sans leur hôte, c'est-à-dire sans leur
+ballon: le ballon chavire dans le désordre de la bataille. Gare
+là-dessous! les combattants vont choir. Heureusement le danger les rend
+sages; ils concluent un armistice, rétablissent l'équilibre et échappent
+au danger par un effort commun. Après quoi, ils s'embrassent, et l'un
+sacrifie son amour à l'amour de l'autre. Ce vaudeville est plus
+philosophe qu'il n'en a l'air. Mais quelle philosophie! une philosophie
+en style de tréteaux. M. Duvert en est le Socrate et M. Lauzanne le
+Platon.
+
+Vous avez du bon tabac dans votre tabatière, ô théâtre des Variétés!
+cela est possible, et votre affiche l'annonce; mais quelques bonnes
+pièces dans votre salle vaudraient mieux encore et ne feraient pas mal.
+Votre bon tabac lui-même n'a pas grand goût, et ne saurait être reçu
+pour du pur Virginie. La scène se passe dans un bureau de tabac; et
+c'est là toute la malice: un certain marquis y vient roder pour les
+beaux yeux de la dame de céans. Celle-ci a du penchant pour les marquis
+et les priserait volontiers; mais le mari est jaloux et surveille; il a
+du bon tabac dans sa tabatière, et entend que personne n'y touche.
+J'aurais grand'peur pour le mari, malgré ses airs d'Othello en carotte,
+si quelqu'un, ou plutôt quelqu'une, ne venait à son aide, préservant
+d'une éclipse menaçante son astre conjugal peu à peu pâlissant. M. le
+marquis a laissé derrière lui une jeune femme abandonnée; cette Ariane
+prend les vêtements d'un aimable cavalier, et fait concurrence dans le
+coeur de la tabatière, aux séductions du marquis. Elle le dépiste ainsi,
+et le met en déroute, se déclarant après la victoire, et jouissant de la
+défaite de son infidèle, qui s'humilie, se repent et tombe à ses pieds.
+C'est tout au plus si le public a dit à ce vaudeville de MM. Desnoyers
+et Danvin: «Dieu vous bénisse!»
+
+MM. Alboise et Paul Foucher font couler des ruisseaux de larmes au
+théâtre de la Gaieté; _Marguerite Fortier_ en est cause; et comment ne
+pas s'attendrir aux infortunes de Marguerite et ne pas accompagner de
+sanglots son innocence persécutée; Marguerite est la victime d'un
+abominable pendard; ce pendard vole, et c'est Marguerite Fortier qu'il
+accuse, et l'innocente porte la flétrissure de cette calomnie; pendant
+dix ans, on la pourchasse, on l'emprisonne; elle est maudite à droite, à
+gauche, de tous les côtés. Enfin! enfin! le jour de la récompense
+arrive: le bandit est récompensé par le gendarme et le procureur du roi,
+et Marguerite par l'estime de tous les honnêtes gens; on peut dire que
+cette estime-là, elle ne l'a pas non plus volée!
+
+Une comédie de M. Lesguillon a essuyé, au second Théâtre-Français, les
+bourrasques du parterre; quelques jolis vers n'ont pu la soutenir dans
+ce naufrage. _Requiescat!_
+
+THÉÂTRE DE L'OPÉRA-COMIQUE.
+
+_On ne s'avise jamais de tout_, opéra-comique en un acte.
+
+Cette pièce est de Sedaine, en date de 1775, ou à peu près.--Voilà qui
+est bien vieux!--D'accord; mais le _Misanthrope_ est bien plus vieux
+encore, et les pièces de théâtre ne sont pas sans doute du nombre de ces
+choses que la nature a condamnées à enlaidir en vieillissant.
+
+_On ne s'avise jamais de tout!_ Voilà, pour un opéra-comique, un titre
+qui promet. Calculez, si vous l'osez, tous les stratagèmes amoureux,
+toutes les ruses de guerre, toutes les perfidies féminines, toutes les
+déceptions, toutes les mystifications que peut renfermer un magasin qui
+s'annonce par une pareille enseigne. Beaumarchais a intitulé sa comédie:
+_Le Barbier de Séville, ou la Précaution inutile_. Pourquoi ne l'a-t-il
+pas plutôt intitulée: _Le Barbier de Séville, ou l'on ne s'avise jamais
+de tout_? Vraiment, il n'eût pas demandé mieux: mais Sedaine avait pris
+les devants, et Beaumarchais, en homme habile qu'il était, a compris que
+c'était bien assez de voler à son prédécesseur ses personnages, et qu'il
+fallait au moins respecter son titre, qui eut mis le plagiat trop à
+découvert.
+
+En effet, il y a, dans le petit opéra de Sedaine, quatre personnages:
+
+1° Un vieux médecin, tuteur d'une jeune fille dont il est amoureux,
+qu'il veut épousera tout prix, et qu'il tient hermétiquement enfermée,
+afin de lui arracher par force et par surprise un consentement qu'elle
+lui refuserait infailliblement si elle connaissait mieux le monde, et si
+elle se connaissait mieux elle-même.
+
+2° Cette jeune fille, qui en sait plus long que le docteur ne le pense,
+à qui la captivité enseigne la dissimulation, à qui l'oppression donne
+de la volonté et du courage, et qui choisit, ouvertement et sans façon
+
+ Le jeune amant sans barbe à la barbe du vieux.
+
+3º Une vieille duègne, que le docteur place auprès de Lise, pour la
+surveiller pendant qu'il visite ses malades.
+
+4º Un jeune seigneur, épris de Lise, qui lui fait la cour en
+perspective, puis se déguise pour arriver jusqu'à elle, et finit par
+l'enlever au docteur, malgré _ses précautions inutiles_, ses verrous,
+ses grilles et sa duègne.
+
+Ne voilà-t-il pas, trait pour trait, les originaux de Bartholo, de
+Marceline, de Rosine et d'Almaviva?
+
+Avec ces éléments et le talent dramatique dont la nature l'avait si
+richement pourvu, comment Sedaine n'aurait-il pas fait une comédie
+plaisamment intriguée, vive, spirituelle et réjouissante? Il n'y a pas
+manqué, vous pouvez le croire, et les habitués de l'Opéra-Comique ont
+accueilli comme une bonne fortune cette résurrection de l'esprit sans
+apprêt et de la franche gaieté d'autrefois.
+
+«La musique, a dit M. Mocker, chargé de jeter au public le nom des
+auteurs, la musique est de M. Lefèvre.» Lefèvre! Aviez-vous jamais vu
+figurer ce nom sur la liste des compositeurs du dix-huitième
+siècle?--Non.--Et parmi ceux du temps présent?--Pas davantage.--Si nos
+souvenirs sont exacts, le musicien collaborateur de Sedaine fut
+Monsigny, qui, alors, livra son nom au public, et qui, sans doute, n'est
+pas sorti du tombeau tout exprès pour se déguiser sous un nom d'emprunt.
+D'ailleurs la musique que nous avons entendue à l'Opéra-Comique n'est
+pas celle de Monsigny. Qu'est-ce donc que Lefèvre, dont personne n'a
+jamais entendu parler, dont le nom n'a jamais figuré en tête du moindre
+morceau de salon, de la plus modeste romance? A la rigueur, nous
+pourrions facilement vous le dire. Vous le connaissez, lecteurs de
+_l'Illustration_..... Mais, chut! je le vois d'ici qui me reproche mon
+indiscrétion, et me fait entendre, que la vengeance des vivante est pour
+le moins aussi redoutable que celle des trépassés. Je me tais donc, et
+me borne à vous dire que sa musique est comme sa prose, correcte, pure,
+facile, naturelle, élégante sans recherche, et spirituelle sans effort
+et sans affectation. J'y dois signaler de plus un mérite fort rare, et
+qui fait de la nouvelle partition une oeuvre à part. L'auteur,
+travaillant sur un _poème_ qui date de plus de soixante années, a senti
+que, pour qu'il y eût unité dans l'ouvrage, il devrait se mettre, par la
+pensée, à côté de son collaborateur. Ainsi a-t-il fait. Vous trouverez
+dans _On ne s'avise jamais de tout_ le caractère et les charmantes
+qualités de la musique d'autrefois, la mélodie simple et naïvement
+expressive, l'harmonie claire et naturelle, les formes, les modulations,
+les cadences finales usitées au temps de Sedaine. Vous croirez entendre
+quelque oeuvre inédite de Grétry ou de Dalayrac,--en supposant toutefois
+que Grétry ait appris le contre-point, et que Dalayrac ait eu, cette
+fois, à sa disposition toutes les conquêtes matérielles de
+l'instrumentation moderne.
+
+--Parmi les innombrables concerts de cette année, celui qui a été donné
+dernièrement par madame Biarez mérite d'être particulièrement remarqué.
+Madame Biarez était naguère une femme du monde, et n'avait, à cultiver
+la musique, aucun autre intérêt que le plaisir qu'elle y trouvait. Mais
+la musique est une amie qui n'oublie jamais ce qu'on a fait pour elle,
+et qui vous reste fidèle après que tous les autres amis vous ont
+abandonné. Frappée par les événements, madame Biarez a demandé à la
+musique ce que la fortune venait de lui enlever, et maintenant elle est
+artiste, et artiste distinguée, comme son concert l'a prouvé. Sa voix
+est pure, accentuée et vibre délicieusement. Son exécution est
+très-correcte et son chant très-expressif. C'est principalement sous ce
+dernier point de vue que madame Biarez mérite de fixer l'attention.
+Plusieurs artistes éminents, MM. Haumann, M. Herz, madame Dorus, etc.,
+s'étaient joints à elle, et une nouvelle inédite de M. Frédéric Soulié,
+fort bien lue par M. Roger, est venue ajouter un vif intérêt littéraire
+à toutes les jouissances musicales de cette soirée. De nombreux et
+fréquents applaudissements ont prouvé à madame Biarez la satisfaction de
+l'assemblée qui s'était réunie pour l'entendre.
+
+
+
+Correspondance
+
+A MONSIEUR LE RÉDACTEUR DU JOURNAL L'ILLUSTRATION.
+
+Monsieur le Rédacteur,
+
+Permettez-moi de vous soumettre quelques réflexions que m'a fait naître
+la nouvelle de l'incendie du théâtre du Havre.
+
+Les incendies de théâtres n'ont presque jamais lieu le soir, pendant la
+durée de la représentation. Neuf fois sur dix, comme à l'Odéon, comme au
+Vaudeville, comme au Havre, c'est pendant la nuit, après les rondes et
+les patrouilles, lorsque chacun se livre au repos, qu'une étincelle
+échappée d'un flambeau, que la pipe mal éteinte d'un ouvrier, que la
+chaufferette oubliée d'une duègne, allume un incendie qui se montre,
+s'élève, grandit et dévore en un instant la salle tout entière.
+
+Contre de tels sinistres, les précautions prise? par l'administration
+supérieure sont à peu près sans portée.
+
+Isoler les théâtres est une mesure sage sans doute, non pour eux-mêmes,
+mais pour le reste de la ville. L'Odéon, le théâtre du Havre étaient
+isolés et n'en nul pas moins brûlé. Il serait, cependant à désirer que
+cette mesure devint générale. Combien de théâtres, à Paris même, sont
+encore accolés à d'autres constructions! Les laissera-t-on ainsi
+jusqu'au jour où l'incendie viendra les faire disparaître avec tout le
+quartier qui les environne?
+
+Le réservoir est fort utile pendant la durée des représentations; mais
+lorsque le feu éclate, lorsque la flamme court le long des cordages et
+envahit toute la salle, le réservoir est inabordable et ne sert plus à
+rien.
+
+On en peut dire autant du rideau en tôle. Il peut sans doute éviter aux
+spectateurs une panique dangereuse; mais c'est seulement au commencement
+de l'incendie qu'on peut en tirer quelque utilité.
+
+Pourquoi n'emploierait-on pas dans la construction, dans la
+distribution, dans la décoration des salles de spectacle, des matériaux
+tout à fait réfractaires à l'action du feu? Cela, certes, n'a rien
+d'impossible. Pour les murailles, c'est tout simple; pour les planchers,
+n'en avons-nous pas vu faire d'élégants et de légers avec du fer et des
+poteries? Pour la toiture, nous avons sous les yeux de belles et solides
+couvertures en fer et en zinc. Rien n'empêche, par conséquent, avec de
+la pierre, du marbre, des poteries, du fer, du cuivre, du zinc, de faire
+la cage et les principales distributions d'un théâtre. Ces matériaux se
+prêteront à toutes les exigences de l'architecture, et ne seront jamais
+dévorés par l'incendie.
+
+Quant aux loges, aux galeries, il ne sera pas bien difficile de les
+construire élégantes et commodes, sans y faire entrer un seul morceau de
+bois.
+
+Sur le théâtre, la réforme sera plus difficile assurément; mais qu'on
+fasse un appel aux hommes spéciaux, et l'on verra toutes les difficultés
+s'évanouir. Un plancher en fer paraît fort convenable pour jouer le
+drame et la tragédie, pour chanter l'opéra ou le vaudeville. Peut-être
+les danseurs s'en plaindront-ils. Rien n'empêchera de leur donner un
+parquet mobile en bois pour le temps du ballet.
+
+Dans les décorations, les changements sont indispensables. Bien
+n'empêche d'abord de remplacer les cordes ordinaires par des cordes
+métalliques en fer ou en laiton, de substituer des poulies en cuivre aux
+poulies en bois, d'employer les métaux exclusivement pour la
+construction et le jeu des machines; les châssis qui portent les
+décorations et les chariots mobiles sur lesquels on les fait mouvoir,
+peuvent être en fer. Ils en seront moins lourds, certainement.
+
+Viennent maintenant la toile d'avant-scène et les toiles de fond, les
+nuages et les autres décorations peintes sur toile; tout cela
+pourrait-il être remplacé par de la toile métallique? Cela ne me paraît
+pas douteux. On fait en ce moment des étoffes métalliques si serrées et
+si fines, qu'elles peuvent, comme celles de chanvre et de lin, prendre
+l'apprêt de la peinture et servir à tous les usages du décor. Peut-être
+coûteront-elles plus cher: mais une légère augmentation dans le prix
+d'achat sera et au-delà compensé, par la durée, et surtout par
+l'_incombustibilité._
+
+Si maintenant la chimie trouvait moyen, et c'est possible de préparer
+des couleurs sans huile et de faire des vernis inattaquables par le feu,
+il ne resterait plus dans un théâtre aucune chance d'incendie.
+
+Alors les entreprises théâtrales ne seraient plus exposées à ces
+désastres qui les ruinent; alors, certaines de vivre, elles
+s'occuperaient d'améliorer, d'embellir leurs salles de spectacle, et
+nous verrions disparaître, non plus par les flammes, mais sous le
+marteau des démolisseurs, ces théâtres où l'on n'a tenu compte ni du
+confort ni du bon goût.
+
+Veuillez agréer, monsieur le rédacteur....
+
+UN DE VOS ABONNÉS.
+
+
+
+Industrie.
+
+LE SUCRE DE CANNE ET LE SUCRE DE BETTERAVE.
+
+(Suite--Voir p. 90 et 159.)
+
+II.
+
+Production et fabrication du sucre de betterave.
+
+La betterave est une plante du genre _bette_, pivotante, charnue,
+très-épaisse, et d'une grosseur qui va quelquefois à 25 et à 30 cent, de
+diamètre dans sa partie supérieure. Il en existe plusieurs variétés.
+Celle qui est reconnue aujourd'hui comme la plus favorable à la
+production du sucre est la betterave blanche de Silésie _(beta alba)_:
+vient ensuite la betterave jaune _(beta major)_, venue de la graine de
+Castelnaudary; puis la rouge _(beta romana)_, et enfin la betterave
+ordinaire ou des champs, connue aussi sous le nom de disette _(beta
+sylvestris)_.
+
+Margraaf est le premier chimiste qui ait découvert dans la betterave
+l'existence du principe saccharin, et Achard le premier industriel qui
+établit, en Silésie, une usine pour la conversion de la betterave en
+sucre. En 1809 seulement, ces procédés de fabrication furent introduits
+en France. Cette industrie fut d'abord accueillie avec faveur par
+Napoléon qui entrevoyait dans sa prospérité future un des soutiens les
+plus énergiques de son système continental; elle fit cependant peu de
+progrès. Il en fut de même pendant les premières années de la
+Restauration. Mais peu à peu les droits élevés qui furent mis sur le
+sucre colonial, les primes accordées à l'exportation des sucres
+raffinés, donnèrent à l'industrie betteravière une impulsion d'autant
+plus grande, qu'elle jouissait en partie des primes qui, dans le
+principe, avaient été données à l'exportation du sucre colonial. Ce
+système protecteur et l'exemption complète de tous droits lui ont fourni
+les moyens de se développer, en même temps que les découvertes et les
+applications de la chimie lui apportaient chaque: jour le secours de
+leurs nouveaux perfectionnements. Cependant, malgré ces incroyables
+immunités, la production marcha d'un pas moins rapide qu'on n'aurait pu
+le croire; car, en 1828, il n'y avait en France que 58 fabriques en
+activité, produisant 2.685.000 kil.
+
+Ce ne fut que quelques années plus tard que l'industrie betteravière,
+favorisée par l'exemption des droits et la continuation des causes que
+nous venons d'énumérer, prit une extension plus considérable. Aussi,
+quand on réduisit le taux des primes à l'exportation, et qu'on imposa le
+sucre indigène au droit d'abord de 15 fr. (16 fr. 50 c. avec le décime),
+et plus tard à celui de 25 fr. (27 fr. 50 c. par 100 kilog.), il fut
+assez fort pour lutter contre la concurrence coloniale. Il est vrai
+qu'il lui restait encore une protection de 22 fr. Quelques usines
+seulement furent obligées de fermer, mais ce furent surtout celles qui
+étaient placées dans de mauvaises conditions de travail ou de débouché.
+
+Le chiffre de 1828 ne tarda pas à être dépassé. En 1830, la production
+était déjà évaluée à 6 millions de kilog.; en 1834, à 26 millions; en
+1835, à 38 millions; en 1836, à 49 millions. An commencement de 1837, le
+nombre des fabriques en activité ou en construction s'élevait à 343, et
+si toutes avaient fonctionné, elles pouvaient produire 55 millions de
+kilog. Aujourd'hui, le nombre des fabriques en activité est de 382; 25
+autres, sans avoir travaillé, avaient des sucres en charge au
+commencement de cette campagne, qui, comme on le sait, commence au 1er
+octobre de chaque année. Les quantités inventoriées, à la charge de
+l'année précédente, se montaient à 4.338.664 kilog. Pendant le mois de
+janvier 1842, il a été fabriqué 5.505.533 kilog.; et pendant les trois
+mois antérieurs, 16.960,348 kilog.: total, 22.465.881 kilog., dont,
+pendant cet espace de temps, y compris le mois de janvier, 17.982.926
+kilog. ont été livrés à la consommation. A la fin du mois, il restait en
+fabrique 8.821.619 kilog. Les 382 fabriques en activité au mois de
+janvier 1843 se répartissent ainsi qu'il suit entre les différents
+départements qui les possèdent.
+
+ Aisne 36
+ Nord 158
+ Oise 8
+ Pas-de-Calais 79
+ Puy-de-Dôme 10
+ Seine-et-Oise 4
+ Somme 37
+ 34 autres départements 50
+
+ Total égale 382
+
+Les droits sur le sucre indigène ont, en 1842, rapporté au Trésor une
+somme de 8.981.000 fr.
+
+La betterave est cultivée dans quarante et un départements; mais le
+rendement est loin d'être égal pour chacun d'eux. Il ne sera peut-être
+pas sans intérêt de compléter le tableau suivant, que nous empruntons à
+la _Statistique agricole de la France_, publié en 1840.
+
+ Nombre d'hect. Quintaux métr. Produit
+ Départements cultivés recueillis. par hectare.
+
+ Nord 12.244 5,145.599 420
+ Pas-de-Calais 7.167 2.316.123 525
+ Haut-Rhin. 1.757 602.454 347
+ Ardennes. 141 42.066 297
+ Puy-de-Dôme. 1,020 286.927 279
+ Aisne. 3.359 859.742 256
+ Bas-Rhin. 1,945 446.186 230
+ Ain. 216 27.917 129
+
+Dans les départements où la terre est propice à la culture de la
+betterave, un hectare rend 3.675 kilog. de sucre, et il pourrait en
+donner jusqu'à 4,400. Dans le principe, on n'obtenait que 50 kilog. de
+jus pour 100 kilog. de betteraves; mais on est parvenu à retirer 70 à 75
+kilog. de premier jet.
+
+Après ces données générales, nous pouvons exposer les procédés de la
+fabrication actuelle du sucre de betterave. On met en pratique deux
+modes principaux, celui dit _de la cristallisation lente_, et celui _de
+la cristallisation prompte_ ou de _la cuite_. Ces deux modes ont été
+décrits avec une telle précision par M. Crespel-Delisse, fabricant à
+Arras, lorsqu'il fut entendu dans la dernière enquête sur les sucres,
+que nous croyons devoir copier ici textuellement sa déposition. Nous le
+faisons d'autant plus volontiers, que nous essaierions peut-être en vain
+d'atteindre à l'exactitude de ses descriptions:
+
+«Les manipulations, d'après le mode de la cristallisation lente, dit M.
+Crespel-Delisse, sont: le lavage, le râpage, le pressurage,
+l'acidification, l'évaporation, la clarification, la cristallisation et
+l'extraction de la mélasse du sucre brut.
+
+«La betterave, amenée des champs ou des magasins, est jetée dans de
+grands baquets pleins d'eau; des hommes la frottent avec un balai, et la
+retournent de tous les sens jusqu'à ce qu'elle soit propre. On la retire
+de ces baquets avec une pelle de bois, percée de divers trous, de trois
+centimètres de diamètre.
+
+«Du lavoir, la betterave est portée à la râpe, cylindre armé de lames de
+scie, et auquel on imprime un mouvement de rotation d'environ mille
+tours par minute. Cette impulsion est donnée par des boeufs attelés à un
+manège; la betterave est poussée contre la râpe, dans les coulisseaux,
+par un sabot de bois; la pulpe est reçue dans un baquet de cuivre.
+
+«La pulpe est prise de ce baquet avec une pelle de bois, et mise dans
+une toile de chanvre un peu claire. Ce sac est étendu sur une claie en
+osier, le bout du sac reployé de manière à ce que la pulpe ne s'en
+échappe pas. On forme une pile de trente sacs, ainsi rangés, que l'on
+soumet à l'action d'une presse hydraulique, en dix minutes, la pression
+s'effectue, et on tire de cette pile un hectolitre et demi de jus,
+environ 75 à 80 p. 100 du poids de la pulpe.
+
+«Le jus est reçu de la presse dans des baquets doublés de plomb de la
+contenance de 8 hectolitres. Aussitôt qu'un bac est plein, on y ajoute,
+en le mêlant au liquide, deux hectogrammes d'acide sulfuriquc concentré
+à 66 degrés, et préalablement étendu d'eau dans la proportion d'une
+partie d'acide sur quatre parties d'eau. Ainsi préparé, le jus peut se
+conserver vingt-quatre heures.
+
+«Le jus est monté par une pompe dans la chaudière à défécation; sa
+contenance est aussi de 8 hectolitres. On met le feu au fourneau; on
+ajoute aussitôt au liquide 2 hectogrammes 50 grammes de chaux vive, que
+l'on a fait éteindre pour former un lait de chaux. Un brosse le tout
+fortement, et lorsque la masse est arrivée à 50 degrés de chaleur du
+thermomètre de Réaumur, on y ajoute de nouveau 8 litres de sang de boeuf
+ou de lait écrémé; ou pousse activement le feu et on le retire au
+premier bouillon, c'est-à-dire quand le jus a atteint 80 degrés Réaumur.
+Ou enlève toutes les parties hétérogènes qui se sont accumulées à la
+surface du liquide. Ces eaux sont portées dans des sacs soumis aussi à
+la pression d'une presse à vis, pour retirer toutes les parties
+liquides, lesquelles sont reportées dans la chaudière d'évaporation.
+
+«Le liquide, laissé en repos après la défécation, est tiré au clair par
+un robinet placé au fond de la chaudière. Les huit hectolitres sont
+partagés en deux chaudières d'évaporation. On ajoute au jus déféqué 5
+hectogrammes de noir animal par hectolitre. On accélère, autant que
+possible, l'évaporation par une ébullition forte et prolongée, jusqu'à
+ce que le sirop marque 52 degrés à l'aréomètre de Beaume.
+
+«Le sirop est reçu des chaudières d'évaporation dans un chaudière de
+clarification, et lorsque plusieurs opérations réunies forment une
+quantité de six hectolitres, on procède à la clarification en mettant au
+sirop six à huit litres de sang de boeuf, ou de lait écrémé. On fait
+faire un ou deux bouillons à la masse, on tire le feu du fourneau et
+l'on fait rouler le sirop avec toutes ses impuretés dans des cuves de la
+contenance de six hectolitres si on se dispose à faire cristalliser
+lentement, et dans des filtres, si on veut procéder à la cristallisation
+prompte.
+
+«Après trois ou quatre jours de repos du sirop dans les cuves, on le
+décante au moyen de robinets placés à différentes distances du fond de
+ces cuves. Il est porté bien clair à l'étuve, et mis dans des
+cristallisoirs placés sur des rayons. Ou entretient dans l'étuve une
+chaleur de 50 degrés Réaumur, et par une évaporation lente que subit le
+sirop, il se forme à la surface une couche cristalline que l'on a soin
+de briser tous les deux jours.
+
+Après six semaines de séjour à l'étuve, le sirop est complètement
+cristallisé. On reprend alors les cristallisoirs, on le« pose debout
+au-dessus d'un réservoir, pour laisser écouler le plus gros de la
+mélasse. Le sucre reste en masse dans le cristallisoir; on l'en détache
+pour le porter à deux cylindres à travers lesquels on le fait passer à
+plusieurs reprises Cette manipulation a pour but de séparer les cristaux
+qui adhèrent fortement les uns aux autres, et par le frottement de ces
+cristaux les uns contre les autres, la mélasse qui se trouve desséchée à
+leur surface s'en détache. Au sortir des cylindres, le sucre a
+l'apparence d'une pâte; on le met dans des sacs entre deux claies
+d'osier, ainsi qu'on le fait pour la pulpe, et on en soumet une pile
+d'environ quarante sacs à l'action d'une presse hydraulique. Après
+vingt-quatre heures, on le retire pour être livré à la consommation.»
+
+[Illustration: Intérieur de la Sucrerie de betteraves de Château-Frayé,
+près Villeneuve-Saint-Georges.--Première vue.]
+
+Il nous reste actuellement à indiquer le second mode de fabrication;
+celui _par la cristallisation prompte_, on _la cuite_.
+
+Nous emprunterons encore à M. Crespel-Delisse la description des
+procédés qui s'emploient le plus généralement:
+
+«Jusqu'à la sixième manipulation, dit-il, la fabrication est conduite de
+la même manière que dans la cristallisation lente. Arrivé là, le sirop
+est coulé dans des filtres, et le sirop clair est reçu dans un réservoir
+commun.
+
+«Le sirop est monté par une pompe dans une chaudière de cuivre où on
+lui fait subir une nouvelle évaporation par une forte ébullition, et
+lorsqu'il a atteint une densité de 30 à 40 degrés de l'aréomètre de
+Beaume, ou un degré de chaleur élevé dans la masse du sirop à 90 degrés
+Réaumur, il est porté dans un rafraîchissoir. Après la réunion de
+plusieurs cuites successives, ce sirop cuit est porté dans des formes
+bâtardes: il s'y cristallise en vingt-quatre heures, et après ce temps
+on débouche les formes pour opérer l'écoulement de la mélasse Les formes
+sont placées sur des pots destinés à recevoir la mélasse Il faut trois
+semaines à un mois pour obtenir la purgation des sucres lorsque, les
+matières sont de bonne qualité, et jusqu'à deux ou trois mois
+lorsqu'elles sont mauvaises.
+
+«Comme il est impossible d'obtenir du premier jet tout le sucre que
+contient le sirop soumis à la cuite, on reprend les mélasses provenant
+de la purgation que l'on reporte à la chaudière de cuite. On obtient
+encore de ces mélasses un sucre de seconde qualité.»
+
+Le procédé _à la cuite_ a peu à peu prévalu, chez la plupart des
+fabricants, sur celui de la cristallisation lente. Les motifs qui ont
+déterminé leur préférence à cet égard sont consignés dans une déposition
+de Ml. Blanquet (de Famars). Nous allons la transcrire ici, autant pour
+compléter l'histoire de tous les procédés en usage, que pour faciliter
+l'intelligence de ce qui va suivre.
+
+[Illustration: Intérieur de la Sucrerie de betteraves de
+Château-Frayé.--Deuxième vue.]
+
+«Nous avons été effrayé, dit M. Blanquet, de la lenteur des opérations
+pour obtenir le sucre par la cristallisation lente, et de l'apparence
+toute particulière qu'il présentait après le pressurage, qui est une des
+conditions nécessaires de ce mode de production. La quantité de
+cristallisation nécessaire pour une grande fabrication, l'immensité des
+locaux destinés à les recevoir, le séjour prolongé des cristallisoirs
+dans les étuves, le broiement et le pressurage des cristaux péniblement
+obtenus; toutes ces considérations nous ont fait rechercher avec soin
+quelles étaient les causes qui, dans l'esprit du plus grand nombre des
+fabricants, déterminaient une préférence prononcée pour ce genre de
+fabrication, à l'exclusion du mode bien moins embarrassant de la
+cristallisation par la cuite. Nous avons trouvé que la cuite, plus
+simple dans l'exécution, était effectivement une opération plus
+délicate, et qui exigeait une précision de laquelle on ne pouvait
+s'écarter sans dommages notables; mais, en revanche, nous avons trouvé
+aussi que le sucre obtenu de cette manière avait précisément le même
+aspect que les moscouades ordinaires livrées au commerce par les
+colonies. Nous avons alors examiné quelle influence pouvait exercer sur
+les moscouades obtenues par ces deux procédés les agents de défécation
+indiqués pour chacun d'eux. Nous avons vu que l'acide sulphurique était
+employé simultanément avec la chaux dans la défécation, pour la
+cristallisation lente, et que la chaux seulement était employée pour la
+défécation dans le procédé à la cuite. Des considérations théoriques se
+présentant en grand nombre pour proscrire l'acide de la fabrication du
+sucre, nous avons suivi le sucre obtenu par la cristallisation lente
+dans les ateliers du raffineur, et là, nous avons vu que ce sucre
+travaillé pour faire les candis produisait au lieu de mailles à faces
+bien prononcées, des candis appelés vulgairement _candis tremblés_,
+c'est-à-dire dont la cristallisation est confuse au lieu d'être nette et
+détachée. Nous avons entendu des raffineurs se plaindre de ce que les
+suites, après la première cristallisation, étaient moins riches qu'elles
+n'auraient dû être, par rapport à la nuance de la moscouade. Ces
+observations étant parfaitement d'accord avec les données théoriques,
+nous avons opté pour l'autre mode de travail, en nous proposant le
+problème d'atténuer autant qu'il serait en nous les difficultés de la
+cuite.»
+
+Ces explications, empruntées aux hommes les plus compétents, permettront
+facilement au lecteur de suivre sur le dessin que nous lui donnons, et
+qui représente la sucrerie de Château-Frayé, près
+Villeneuve-Saint-Georges, appartenant à Chaper, les diverses phases de
+la fabrication.
+
+Les betteraves, arrivées dans la cour de l'établissement, sont d'abord
+posées sur un petit pont à bascule, puis arrivent dans un magasin
+contigu au lavoir, dans lequel elles sont déposées par des enfants dont
+le salaire est de 1 fr. par jour. Du lavoir elles passent dans le
+coupe-racine ou râpe, mu par un manège qui les découpe en tranches de 2
+millimètres d'épaisseur, et les rejette dans un bac à sec dans lequel se
+trouve un filet ou poche de toile; cette poche reçoit les tranches et,
+au moyen d'un treuil, les transporte d'abord dans les chaudières
+d'amortissement chauffées au moyen de la vapeur, et successivement dans
+six chaudières de macération à froid, où elles déposent leur jus jusqu'à
+ce qu'il ait atteint une densité de 7 degrés.
+
+Ainsi qu'on a déjà pu le remarquer, le procédé employé à Château-Frayé
+est celui de la cuite; on n'y emploie point l'acide sulfurique, et le
+pressurage, au lieu de s'opérer par la presse hydraulique, s'obtient par
+les chaudières d'amortissement et de macération. Quand le jus est arrivé
+à la densité voulue, on opère alors la défécation au moyen d'un lait de
+chaux; vient ensuite l'évaporation. Le jus ainsi déféqué est, au moyen
+d'un système de tuyaux de refoulement, renvoyé dans des bacs de dépôt
+d'où il passe dans des filtres sur le noir animal en grain qui a la
+propriété d'absorber la chaux et de colorer et dégraisser le jus. Cette
+opération a pour but de clarifier le jus. Il ne reste plus alors qu'à
+opérer la cristallisation. On y parvient de la manière suivante: après
+le premier passage sur le noir, on évapore à 22 degrés, on passe une
+seconde fois sur le noir pour que la clarification soit entière, et l'on
+cuit dans une chaudière dans le vide, toujours au moyen de la vapeur.
+
+Après la cuisson, le sirop est reçu dans des rafraîchissoirs, et, sans
+qu'il soit besoin de le décanter, on le coule dans des formes, où sa
+cristallisation s'opère en douze heures. La mélasse s'écoule entre les
+cristaux, et laisse au fond des formes un résidu qui, vendu aux
+distillateurs, produit des esprits qui, livrés au commerce, sont mêlés
+aux 3/6 obtenus du raisin.
+
+L'arrachement et la conservation des betteraves constituent une des
+principales difficultés de l'industrie sucrière. Les plus grandes
+précautions sont nécessaires pour empêcher la gelée ou la pourriture de
+les attaquer, et dans certaines usines, c'est la seule cause qui ait mit
+des bornes à l'extension de la fabrication. Frappé de ces inconvénients,
+Schützenbach entreprit de dessécher la betterave et de la réduire en une
+poudre qui pouvait alors non-seulement se conserver indéfiniment, mais
+encore se transporter au loin sans beaucoup de frais et sans altération.
+Le succès semblait, dès le principe, devoir couronner cette tentative;
+100 de betteraves qui, par les anciens procédés, ne donnaient, après la
+macération, que 5 à 6 au plus, ont rendu 7, 8 et quelquefois davantage
+par le procédé Schützenbach. Toutefois, si nous en croyons certaines
+personnes bien informées, ce succès n'aurait pas été de longue durée. Un
+cessionnaire des procédés de Schützenbach en France, le propriétaire de
+la Sucrerie de Vigneux aurait été obligé de renoncer, après des pertes
+considérables, à ce procédé de fabrication, et lui-même, malgré tous les
+soins qu'il devait naturellement apporter dans l'emploi de la méthode
+dont il était l'inventeur, aurait été forcé de fermer l'usine qu'il
+avait élevée à Carlsruhe. Quoi qu'il en soit, l'attention des savants
+s'est alors éveillée; l'on a cherché si le procédé Schützenbach,
+applicable à la dessiccation de la canne, ne produirait pas des effets
+analogues. Les résultats, quoique conformes dans la théorie à ceux qu'on
+avait reconnus dans le traitement de la betterave, ont laissé beaucoup à
+désirer dans la pratique.
+
+On conçoit cependant de quelle importance serait pour nos Antilles et
+nos possessions à sucre l'application de ce procédé nouveau, si les
+colons toutefois, sortis de la position précaire où les place depuis si
+longtemps notre régime économique, étaient en état de faire des avances
+nécessaires à toute industrie qui veut se transformer avec avantage; car
+de deux choses l'une, ou les colons cultiveraient en cannes une moins
+grande quantité de terres et laisseraient le reste à d'autre cultures
+productives, ou bien ils en cultiveraient autant, et exporteraient ainsi
+une plus grande quantité qu'ils ne le font aujourd'hui. Comme ces sucres
+seraient obtenus avec moins de perte, par conséquent à plus bas prix,
+leur placement serait plus facile sur le marché de la métropole, à
+laquelle les colonies demanderaient dès lors une plus grande masse de
+produits industriels. Ces sucres, obtenus ainsi à moins de frais, tout
+en laissant aux colons un bénéfice raisonnable, permettraient d'abaisser
+dans une proportion plus considérable la surtaxe qui grève les sucres
+étrangers, et, en facilitant ainsi nos échanges avec des pays éloignés,
+donneraient de nouveaux débouchés à notre commerce extérieur, de
+nouveaux éléments de prospérité à notre navigation lointaine.
+
+Nous ne parlons pas ici des autres végétaux qui contiennent en eux le
+principe saccharin, et pourraient facilement être convertis en sucre,
+tels que le mais, le melon, la citrouille. Nous ne dirons rien non plus
+du sucre de l'érable. Nous nous contenterons de quelques mots sur le
+sucre de pomme de terre ou de fécule, dont la fabrication a pris depuis
+quelque temps une extension considérable pour que l'on évalue de 4 à 5
+millions de kilog. la production de 1842. Ce sucre s'obtient par le
+traitement des fécules, mais on n'a pu lui donner la consistance des
+autres sucres. Aussi est-il principalement livré aux distillateurs et
+aux épiciers, qui l'emploient surtout dans la confection des liqueurs,
+des confitures et autres préparations analogues. La pharmacie peut aussi
+s'en servir pour édulcorer des breuvages ou des potions. Quant aux
+sucres produits par les végétaux que nous avons cités plus haut, ils
+n'ont donné que des essais, mais il n'en est pas entré dans la
+consommation. Nous ne devons donc point nous en occuper.
+
+
+
+Caricatures par Bertal.
+
+M. Bertal est un jeune artiste qui doit, je ne dirai pas donner de
+brillantes espérances, mais inspirer des craintes sérieuses à ses
+concitoyens; car il se moque impitoyablement de tout: hommes, bêtes ou
+choses. Ce redoutable critique n'écrit pas, il dessine; mais ses
+victimes n'en sont que plus à plaindre; il les fait si ressemblantes,
+qu'il leur est impossible de ne pas se reconnaître. Malheur aux
+ridicules que rencontre M. Bertal! ils sont aussitôt signalés à la risée
+publique.--Souvent même,--comment peut-on avoir un semblable
+courage?--le cruel jeune homme,--cet âge est sans pitié,--nous fait rire
+malgré nous aux dépens des individus les plus inoffensifs et les moins
+comiques qui se puissent voir.
+
+Quelquefois, mais rarement, il se contente de nous représenter, d'après
+nature, un père de famille lisant, pendant sa promenade, un délicieux
+numéro de _l'Illustration_,
+
+[Illustration.]
+
+et contemplant la machine aérienne de M. Henson, qui transporte
+rapidement de Paris à Saint-Cloud une cargaison de touristes; mais
+bientôt le naturel reprend le dessus, et M. Bertal est sans pitié: nous
+n'oserions ajouter sans remords.
+
+[Illustration.]
+
+N'a-t-il donc jamais pris plaisir à entendre Duprez chanter son bel air:
+_Asile héréditaire_, qu'il nous le montre courant à perdre haleine après
+son _ut_ de poitrine?
+
+[Illustration.]
+
+Si ressemblantes qu'elles paraissent, mademoiselle Rachel et
+mademoiselle Georges ne sont réellement ni aussi maigres, ni aussi
+grasses que ces deux caricatures:
+
+[Illustration.]
+
+Que M. Bertal se moque de certains tableaux exposés au Salon, je le lui
+pardonne,--surtout lorsqu'il nous représente une vue de la Hougue (effet
+de nuit), par M. Jean-Louis Petit (n° 958).
+
+[Illustration.]
+
+ou Napoléon en raccourci, par M. J.-B. Mauzaisse (n° 844), et le
+portrait de madame la marquise de......., par Lehmann.
+
+[Illustration.]
+
+_Les Buses-Graves_, je les lui abandonne encore; car ces infortunés
+vieillards, au lieu de se retirer dans leur burg, persistent à se faire
+siffler jusqu'à la 40e représentation par un auditoire de moins en moins
+géant.
+
+[Illustration.]
+
+Mais est-il juste de traiter avec la même sévérité que ces vieillards
+stupides, la noble et chaste Lucrèce et la pâle Judith?--La caricature,
+me répondra M. Bertal, a le droit de se moquer de tout, du laid, du beau
+et du médiocre. Heureusement pour lui nous n'avons pas le temps de
+discuter,--et nous reconnaissons, après tout, que notre critique a fait
+des charges fort spirituelles des plus belles scènes de la remarquable
+tragédie de M. Ponsard. Voyez Valére et Brute causant politique:
+
+[Illustration.]
+
+Lucrèce racontant son songe à sa nourrice, pendant
+
+[Illustration.]
+
+que celle-ci, qui possède la clef des songes, lui tire les cartes à
+l'instar de mademoiselle Lenormand, et qu'une jeune esclave joue un air
+varié sur un instrument fort peu éolien,
+
+ Sextus faisant une déclaration d'amour à Lucrèce,
+
+[Illustration.]
+
+et la grande scène finale, que nos lecteurs trouveront à la 7e page de
+cette livraison:
+
+[Illustration.]
+
+M. Bertal a été moins bien inspiré par Judith que par Lucrèce.
+Cependant, nous avons remarqué dans son feuilleton la scène où la veuve
+Manassé fait mettre à genoux Mindus. Achion et Crioch:
+
+[Illustration.]
+
+et son repas de noce avec Holopherne.
+
+[Illustration.]
+
+Terminons cet examen critique des Omnibus comme un numéro de
+_l'Illustration_.--par une gravure de mode qui
+
+[Illustration.]
+
+nous donne des échantillons de nos costumes les plus élégants.
+
+
+
+
+Bulletin bibliographique.
+
+Storia universale de CESARE CANTÙ.. Quinta edizione.--Torino. _Pomba et
+Comp._ 1843.
+
+Histoire universelle de CESARE CANTÙ. Cinquième édition.--Turin. _Pomba
+et Comp._ 1843.
+
+Constatons d'abord, en l'honneur de l'auteur de cet ouvrage et en
+l'honneur de l'Italie trop souvent calomniée, le grand succès que la
+_Storia universale_ a obtenu au delà des Alpes. Quatre éditions, dont
+trois de luxe et une populaire, entièrement épuisées en moins de cinq
+années, prouvent que M. César Cantù a fait un livre vraiment
+remarquable, et que ses compatriotes s'intéressent encore aux travaux de
+l'esprit sérieux et utiles.
+
+Quoique à peine âgé de trente-huit ans, M. Cesare Cantù est un des
+écrivains les plus féconds de la jeune Italie; outre un nombre
+considérable d'articles de journaux, il a publié plusieurs ouvrages
+d'histoire ou d'imagination, qui lui ont valu une réputation méritée. Il
+y a quinze ans environ, il était professeur de littérature à Sondrio,
+dans la Valteline, lorsqu'il fit paraître une nouvelle en quatre chants,
+intitulée _l'Algiso_, suivie bientôt (en 1829), de _l'Histoire de la
+ville et des diocèses de Come_, et, deux années plus tard (1831), de la
+_Révolution de la Valteline_, épisode de la réforme en Italie. La même
+année, comme pour se délasser de ces travaux sérieux, il s'amusait à
+rédiger un _Itinéraire_ du lac de Come et des routes du Stelvio et du
+Splügen, et à composer quelques pièces de vers imprimées dans le premier
+numéro de la _Streuna del Vallardi_. Peu de temps après, le retard si
+incompréhensible que mettait Alessandro Manzoni à publier son _Histoire
+de la Colonne infâme_, détermina le jeune auteur de _l'Histoire de Come_
+et de la _Révolution de la Valteline_ à écrire ses _Ragionamenti sulla
+Storia Lombarda_, destinés à servir de Commentaires au roman des
+_Promessi Sposi_. Ce petit livre, rempli de faits curieux, n'eut pas
+moins de douze éditions. Son _Aperçu critique sur Victor Hugo et sur le
+romantisme en France_, son beau roman intitulé _Margherita Pustella_,
+ses _Hymnes sacrés_. ses _Letture Giovanili_, ses traductions du _Voyage
+en Orient_ de Lamartine; _De la Décadence de l'Empire romain_ de
+Sismondi; _Des Arabes en Espagne_ de Marlés, etc..., l'occupèrent
+presque entièrement depuis 1832 jusqu'en 1837.
+
+Le 14 décembre 1837, M. Cesare Cantù annonça pour la première fois, dans
+l'appendice de la _Gazette de Milan_, la publication prochaine de son
+_Histoire universelle_, à laquelle il a déjà consacré cinq années de sa
+vie, et dont le succès va toujours croissant. Au mois de mars suivant,
+il fit paraître en effet son introduction, qui contenait, en 96 pages,
+une exposition large et nette du plan de cet ouvrage. A partir du mois
+d'avril 1838, M. Cesare Cantù s'engageait à livrer chaque semaine à ses
+souscripteurs deux feuilles d'impression. Jusqu'à ce jour il a tenu
+parole.
+
+Cette introduction produisit une certaine sensation en Italie. Quelques
+écrivains reprochèrent, il est vrai, à M. Cesare Cantù de s'être montré
+trop sévère envers les historiens qui l'avaient précédé:--mais il se
+justifia sans peine de ces accusations. D'ailleurs on loua généralement
+son érudition déjà connue et appréciée, son style élégant et clair, bien
+que trop facile, son zèle infatigable, et surtout le but de ce nouveau
+travail. En effet, ce n'était pas l'histoire des faits, c'était
+l'histoire des idées et des moeurs qu'il se proposait d'écrire,
+l'histoire du développement intellectuel et moral île tous les peuples
+du globe; en un mot, l'histoire de la civilisation humaine. Pour juger
+les progrès de l'humanité, il s'est placé au point de vue chrétien. Dans
+son opinion, le christianisme relève l'histoire et la rend universelle:
+en proclamant l'unité de Dieu, il proclame celle du genre humain; en
+nous enseignant que nous devons invoquer _il padre nostro_, il nous
+apprend que nous sommes tous frères.' Alors seulement, dit-il, peut
+naître l'idée d'une fusion entre toutes les époques et entre toutes les
+nations, et l'observation philosophique et religieuse des progrès
+perpétuels et indéfinis de l'humanité vers la grande oeuvre de la
+régénération et le règne de Dieu.»
+
+M. Cesare Cantù divise l'histoire universelle en dix-huit parties qu'il
+appelle époques, et qui portent les titres suivants I. Jusqu'à l'an 770
+du monde.--II. De la dispersion des peuples jusqu'aux olympiades.--III.
+Des Olympiades à la mort d'Alexandre.--IV. Guerres puniques.--V.
+Guerres civiles depuis la cent trente-quatrième année avant Jésus Christ
+jusqu'à la quatrième année après Jésus-Christ.--VI. Les Empereurs
+jusqu'à Constantin.--VII. De Constantin à Augustus.--VIII. Les
+Barbares.--IX. Mahomet.--X. Charlemagne.--XI. Les Croisades.--XII. Les
+Communes. XIII. Chute de l'Empire.--XIV. L'Amérique.--XV. La Reforme.
+XVI. Louis le Grand et Pierre le Grand.--XVII. Le dix-septième
+siècle.--XVIII. La Révolution.--Chaque volume comprend une époque. 12
+volumes sont publies; ils contiennent l'histoire ancienne (7 vol.) et
+l'histoire du Moyen-Age (5 vol.). M. Cesare Cantù va commencer
+prochainement la publication de l'histoire moderne.
+
+M. Cesare Cantù ne se contente pas d'affirmer les faits qui loi
+paraissent évidents, il essaie de les prouver. Son ouvrage se compose de
+deux parties distinctes: 1º le _Racconto_, ou le récit; 2º les
+Documenti, ou documents. Les documents sont classes et coordonnés dans
+des volumes séparés, ainsi que les discussions scientifiques, les
+biographies, les passages les plus remarquables des prosateurs ou des
+poètes, relatifs aux événements exposés dans le texte. L'auteur donne
+aussi pour appendice une illustration très-variée des monuments et un
+traité assez étendu de chronologie.
+
+Nous n'admettons pas sans faire quelques réserves toutes les opinions
+exprimées par M. Cesare Cantù; mais, bien que nous différions parfois de
+principes avec lui, nous nous empressons de joindre nos éloges sincères
+à ceux que lui ont prodigués déjà ses compatriotes et plusieurs journaux
+français. Qu'il ne se laisse pas décourager, qu'il continue à marcher
+dans la voie glorieuse qu'il parcourt depuis cinq années avec tant de
+bonheur, et en moins de deux années il atteindra son but, il achèvera un
+des plus importants ouvrages qu'aura produits le dix neuvième siècle.
+Nous sommes heureux, quant à nous, d'annoncer que la _Storia
+universale_, vient d'être traduite en français Cette traduction revue,
+corrigée et augmentée par M. Cantù, qui est en ce moment à Paris, ne
+doit point tarder à paraître.
+
+_Loi salique_, ou Recueil contenant les anciennes rédactions de cette
+loi et le texte connu sous le nom de _Lex emendata_; par J.-.M.
+PARDESSES, membre de l'Institut.--Paris. 1843. Imprimerie Royale. 1 vol.
+in-4º de 844 payes. Prix: 35 fr.
+
+Ce volume commence par une préface de 80 pages qui contiennent la
+description de toutes les éditions et de tous les manuscrits connus de
+la loi salique, il renferme en outre huit textes différents, d'après les
+manuscrits, avec, variantes; quarante titres qu'on ne trouve point dans
+la _Les emendata_, d'après le manuscrit 4404 de la Bibliothèque royale
+de Paris et le manuscrit 119, in-4, de Leyde; les prologues, l'épilogue
+et les récapitulations, d'après divers manuscrits; un commentaire de 824
+notes, et enfin quatorze dissertations, dont la première sur les
+diverses rédactions de la loi salique, et les autres sur les points les
+plus remarquables du droit privé des Francs sous la première race.
+
+Les dissertations comprennent 309 pages, et sont suivies d'une table
+alphabétique des matières.
+
+_Mémoire sur l'Irlande indigène, et saxonne_; par DANIEL O'CONNELL,
+membre du Parlement. Traduit de l'anglais et augmenté d'une notice
+biographique sur l'auteur; par ORTAIRE FOURNIER. Tome 1er,
+1172-1660.--Paris, 1843. _Charles Warèe._ 7 fr. 50 c.
+
+A peine cet ouvrage eut-il paru à Londres, nous nous empressâmes d'en
+annoncer la publication, d'exposer le plan de l'auteur, et de résumer en
+quelques lignes le contenu du 1er volume,--le seul qui ait été mis en
+vente jusqu'à ce jour.--Nous le répétons, O'Connell ne pouvait pas
+écrire une histoire réfléchie, sérieuse, logique, bien ordonnée. Tous
+les hommes habitués à improviser ne mènent jamais à bonne fin,--en
+supposant qu'ils se sentent le courage de l'entreprendre,--un travail
+qui exige une attention froide, calme et soutenue. D'ailleurs le tribun
+irlandais est trop fougueux et trop passionné pour ne pas se laisser
+emporter souvent, dans ses écrits comme dans ses discours, au delà des
+bornes de la justice et de la raison. Il a oublié qu'il y avait une
+grande différence à établir entre l'écrivain et l'orateur. On écoute
+plus facilement et plus volontiers qu'on ne lit. Si long, si diffus, si
+fatigant qu'il soit, l'orateur politique est presque toujours sûr de
+conserver son auditoire, obligé, sinon de prêter l'oreille à son
+discours, du moins d'attendre, sans pouvoir quitter sa place, qu'il
+l'ait terminé. Mais, loin de s'imposer au public, l'écrivain reste
+entièrement sous sa dépendance; il est si facile de fermer un livre qui
+ennuie, et quand une fois on l'a fermé, il est si difficile de le
+rouvrir.
+
+Le premier volume du _Mémoire sur l'Irlande indigène et saxonne_
+comprend toute la période de temps qui s'étend depuis l'année 1172
+jusqu'en 1660. Ainsi que nous l'avons déjà dit, il se compose de 50
+pages de texte et de 400 pages d'observations, de preuves et
+d'explications. Les volumes suivants ne seront même que la suite de
+cette seconde partie; car le texte proprement dit ou la première partie
+renferme dans les neuf chapitres de ses 50 pages toute l'histoire
+d'Irlande, depuis l'année 1172 jusqu'en 1840. La conclusion qui suit le
+chapitre IX se termine par ces mots: «La dernière demande de l'Irlande
+est dégagée de toute alternative, c'est le rappel de l'Union.»
+
+Nous doutons que cet ouvrage étrange soit plus favorablement accueilli
+en France qu'en Angleterre; mais, malgré ses énormes défauts, nous
+devons savoir gré à M. Ortaire Fournier d'avoir songé à le traduire, car
+il contient une foule de documents curieux qui pourront servir un jour
+aux historiens futurs de la malheureuse Irlande.
+
+_Essai sur l'Éducation du peuple_, ou sur les Moyens d'améliorer les
+Écoles primaires populaires et le sort des Instituteurs: par J. WILLM,
+inspecteur de l'Académie de Strasbourg.--Strasbourg. _Veuve
+Levrault._--Paris, _Bertrand._ 1843. I vol. in-8º. 7 fr. 50 c.
+
+L'auteur de cet _Essai_ a reçu sa première instruction dans une école de
+village; il a été ensuite aide-instituteur, avant que d'heureuses
+circonstances lui permissent de se livrer à des études supérieures.
+Depuis, après avoir professé pendant dix années dans un collège
+important, il a été, comme inspecteur de l'Académie de Strasbourg,
+chargé de visiter une grande partie des écoles primaires des deux
+départements du Rhin. Comme on le voit, il n'est pas étranger à la
+matière sur laquelle il écrit, et il la traite avec connaissance de
+cause.
+
+L'Essai qu'il vient de publier s'adresse à tous ceux qui s'intéressent à
+l'éducation populaire, et spécialement à ceux à qui la loi et le
+gouvernement ont donné part à l'administration, à la surveillance et à
+la direction des écoles primaires Ils y trouveront bien des choses
+connues que l'auteur a voulu seulement leur rappeler; il ne revendique
+pour lui que le mérite de les avoir classées et groupées autour d'un
+principe fondamental, d'une idée générale, exposée dans l'introduction
+et formulée dans la conclusion générale du livre. Du reste, loin
+d'aspirer à la nouveauté, M. J. Willm évite surtout,--c'est lui qui le
+déclare,--«de proposer des améliorations qui ne se rattacheraient pas
+naturellement à ce qui existe, et qui ne découleraient pas de la nature
+même des choses, de la constitution politique du pays et de la loi
+organique de l'instruction primaire. Les propositions qu'il fait, il a
+voulu qu'elles fussent légales, nationales, françaises et surtout
+praticables.»
+
+M. J. Willm a divisé son travail en trois parties: dans la PREMIÈRE
+PARTIE, il recherche le principe et le but de l'éducation en général.
+Selon lui, le vrai _principe_ de l'éducation doit être _universel_,
+exclusif de tout intérêt particulier, de tout but spécial qu'on voudrait
+poursuivre aux dépens de tout le reste, bien que servant tous les
+intérêts légitimes et tout but raisonnable, embrassant tous les
+sentiments, toutes les dispositions essentielles et pouvant s'appliquer
+à tous les états, à toutes les classes de la société et à tous les
+genres d'écoles et d'éducation.--Son _but_ est de former l'homme
+d'abord, puis le citoyen, puis l'artiste, le soldat, le laboureur ou
+l'artisan; de jeter les fondements d'une oeuvre que toute la vie,
+quels qu'en soient d'ailleurs les accidents et les destinées
+particulières, sera consacrée à continuer, à perfectionner: d'appeler au
+jour tous les germes de raison, de vertu, de grandeur qui constituent la
+vraie nature humaine, et de les développer assez pour leur assurer la
+victoire sur toutes les dispositions contraires. Cette éducation
+_générale_ doit être la base et la condition de toute éducation
+particulière. Si, a raison des diverses conditions de la société et de
+la destination présumée des élèves, elle était diversement appliquée, il
+ne saurait y avoir de différence que sous le rapport de la quantité et
+non sous celui de la qualité: mais cette éducation générale, une dans
+son principe et dans son but, se compose d'éléments divers. Pour être
+complète, il faut qu'elle soit tout à la fois _morale, intellectuelle,
+esthétique et religieuse_;--car l'homme aspire naturellement au _bien_,
+au _vrai_, au _beau_, à l'_infini_--et en même temps _sociale_ et
+_nationale_, puisque l'homme n'est rien que par la société.
+
+Ces principes posés, M. J. Willm cherche à les appliquer, à montrer ce
+que peut et ce que doit être dans les écoles primaires populaires cette
+éducation générale dont il a tracé le plan. Il traite successivement,
+dans la SECONDE PARTIE de son _Essai_, de _l'organisation des écoles
+primaires_ et de la _construction des maisons d'école, ainsi que du
+mobilier_; de _l'éducation_ et de l'_instruction_ dans ces mêmes écoles;
+de la _méthode_ et de la _discipline_, de _l'administration_ et de la
+_surveillance_ de ces écoles. Il termine par l'examen de ces deux
+questions; _Faut-il rendre la fréquentation de l'école primaire
+obligatoire?_ et _l'instruction primaire doit-elle être gratuite?_ M. J.
+Willm demande que tous les enfants qui ont atteint l'âge de six ans
+soient annuellement soumis à une sorte de conscription scolaire et tenus
+de payer la rétribution mensuelle, si leurs parents sont assez aisés
+pour cela, ou amenés à l'école, s'ils sont pauvres, par tous les moyens
+dont peut disposer l'administration.
+
+Le sort des écoles populaires dépend principalement du dévouement
+éclairé, du zèle et de l'habileté des instituteurs. Pour que les écoles
+soient bonnes, il ne suffit pas de les placer dans des maisons
+parfaitement appropriées, dans des salles vastes, saines, bien éclairées
+et munies de tout ce qui est nécessaire à l'enseignement, il faut
+surtout qu'elles soient dirigées par des maîtres habiles et dévoués. Or,
+pour que les maîtres soient habiles, il faut leur fournir les moyens
+d'acquérir les connaissances nécessaires a leur état, et pour soutenir
+leur zèle, il faut travailler à rendre leur position aussi bonne et
+aussi honorable que possible. M. J. Willm s'est donc occupe
+successivement, dans la TROISIÈME PARTIE de son _Essai_, des moyens de
+former les instituteurs, et spécialement des écoles _normales
+primaires_: des moyens de leur faire continuer leur instruction après
+leur entrée en fonctions, et spécialement des _conférences_ et des
+_bibliothèques_ de l'école; enfin des moyens matériels d'améliorer leur
+condition, et des _encouragements_ qu'il convient de leur offrir pour
+soutenir leur zèle.
+
+M. J. Willm achève la conclusion de son ouvrage en demandant qu'il soit
+créé au sein de l'Académie des Sciences morales et politiques une
+section de pédagogie, et que quelques chaires soient consacrées, à Paris
+et dans les départements, à cet art, le plus important de tous,
+puisqu'il a pour but de former les hommes.
+
+_Bluettes_; par EUGÈNE DE LONLAY. I vol. in-18.--Paris. 1843. _Amyot_.
+
+Comment ne pas accueillir avec intérêt un charmant volume bien imprimé
+sur du papier satiné, qui se présente sous un titre si modeste et vous
+demande humblement un regard et un sourire bienveillants? Quel reproche
+le critique le plus dur aurait-il le courage d'adresser à des
+_Bluettes_, surtout lorsque Béranger déclare les avoir lues avec
+infiniment de plaisir, lorsqu'elles ont déjà eu deux éditions, et engin
+lorsque leurs grâces naïves et leur tournure originale méritent
+réellement le succès qu'elles ont obtenu? Ce qu'il faut au poète, a dit
+M. E. de Lonlay dans sa première _Bluette._
+
+ Ce qu'il faut au poète,
+ C'est l'amour!...
+
+L'auteur des _Bluettes_ est-il poète? Bien qu'il fasse des vers
+charmants, nous attendrons, pour lui décerner un si beau titre, la
+publication du _Trappiste_; mais, poète ou compositeur d'agréables
+romances, il a ce qu'il lui faut, il est amoureux; ne nous étonnons donc
+pas s'il ne chante que sa passion. Jetez les yeux sur la table générale
+des _Bluettes_, qu'y voyez-vous: «Avoir tout à t'offrir.--Es-tu fille
+des cieux?--Ne m'oubliez pas.--Tes yeux ont pris mon âme.--Que peut-elle
+faire?--Je me souviens toujours.--Tout un jour sans te voir.--Loin des
+yeux, près du coeur, etc.» Aussi M. E. de Lonlay donne-t-il ses vers à
+celle qui seule, en les lisant, pourra dire: C'est moi; il les lui donne
+«comme aux vertes savanes, la rosée abandonne ses perles limpides,
+connue sur les sentiers l'aubépine épand ses débris embaumés, comme à la
+terre endormie l'aube jette ses rayons d'or, comme aux coquettes plantes
+de ses rives le lac prête son miroir mouvant, comme la fleur à l'abeille
+donne son miel, comme au pèlerin l'étoile donne sa clarté, comme à
+l'Éternel le croyant donne sa prière, comme à la mère l'enfant donne ses
+premières caresses, la vierge à son amant le parfum de son premier
+baiser.»
+
+_Océanie_, ou Cinquième partie du Monde, revue géographique et
+ethnographique de la Malaisie, de la Micronésie, de la Polynésie et de
+la Mélanésie; par M. G.-L. DOMENY DE RIENZI. 3 vol. in-8º, ornés de
+gravures et cartes. Paris. Firmin Didot. 1843.
+
+«L'Océanie, ou cinquième partie du monde, plus étendue à elle seule que
+le reste de notre globe, dit M. Domeny de Rienzi dans son introduction,
+en est la moins connue et pourtant la plus curieuse et la plus variée.
+C'est la terre des prodiges: elle renferme les races d'hommes les plus
+opposées, les plus étonnantes merveilles de la nature et les monuments
+les plus admirables de l'art. On y voit le pygmée à côté du géant, et le
+blanc à côté du noir; près d'une tribu patriarcale une peuplade
+d'anthropophages; non loin des hordes sauvages les plus abruties des
+nations civilisées avant nous; les tremblements de terre et les
+aérolithes bouleversent les campagnes, et les volcans foudroient des
+villages entiers. Sur son continent austral, les animaux les plus
+bizarres, et dans l'Ile la plus grande à la fois de ses archipels et du
+globe, l'orang-outang, bimane anthropomorphe présentent aux philosophes
+un profond sujet de méditations. Une de ses îles s'enorgueillit de la
+majesté de ses temples et de ses palais antiques, supérieurs aux
+monuments de la Perse et du Mexique, et comparables aux chefs-d'oeuvre
+de l'Inde et de l'Égypte; d'autres étaient des pagodes, des mosquées et
+des tombeaux modernes, rivalisant d'élégance et de grâce avec ce que
+l'Orient et la Chine nous offrent de plus parfait en ce genre.»
+
+Avant la publication de l'ouvrage de M. de Rienzi, il n'existait
+cependant aucun livre spécial et complet sur l'Océanie Le dernier
+descendant du célèbre tribun italien ne s'est pas contenté, comme on
+pourrait le croire, de résumer tous les travaux des voyageurs,
+navigateurs, géographes ou hydrographes qui l'avaient précédé. Cinq
+voyages entrepris par amour pour la science dans diverses parties de
+l'Océanie l'ont mis à même d'ajouter un grand nombre de fats nouveaux
+aux faits déjà connus.--Son ouvrage comble donc une lacune importante
+dans l'histoire de la géographie; car il contient, outre un tableau
+général de l'Océanie, la description et l'histoire de la _Malaisie_, ou
+grand archipel indien, de la _Micronésie_, de la _Polynésie_ et de
+la _Mélanésie_. Plusieurs des dessins qui accompagnent le texte sont
+inédits, et ont été exécutés par l'auteur sur les lieux; les autres sont
+empruntés aux ouvrages les plus estimés. Douze morceaux de musique, dont
+hut inédits, un tableau idiomographique des langues de ces contrées,
+deux inscriptions importantes; enfin une nouvelle carte générale et
+trois nouvelles cartes particulières de l'Océanie, complètent cette
+description.
+
+_L'Océanie_ a paru il y a deux ans; mais la prise de possession des
+_îles Marquises_ et l'occupation de Taïti, donnent un intérêt
+d'actualité à cette remarquable et utile publication.
+
+
+
+Modes.
+
+[Illustration: (Mantelet à la vieille.)]
+
+Le mantelet est renouvelé de la mode assez peu éloignée de 1837: il y a
+fort peu de différence entre celui d'aujourd'hui et celui d'alors; les
+garnitures différent, mais la coupe est à peu près la même. Les
+mantelets de taffetas noir, puce ou marron, sont ceux que l'un porte en
+négligé comme en toilette du soir: le taffetas glacé en nuances claires
+n'appartient qu'aux demi-toilettes de jour.
+
+Les rubans employés comme garniture sont moins bien que les garnitures
+en étoffe. Le taffetas est coupé en biais, et il se forme à quatre
+rangs.
+
+Notre dessin représente une femme qui porte son mantelet avec toute la
+grâce sévère de la distinction; à peine doit-on apercevoir la taille
+derrière le dos arrondi.
+
+Quelques façons de robes nouvelles paraissent à l'horizon des modes: ce
+sont des manches bouillonnées au poignet, des corsages lacés, et des
+jupes garnies d'immenses volants à l'espagnole.
+
+Les plumes sur les chapeaux de paille prennent faveur; quoique les
+rubans simples soient de bon goût, une nouveauté tout à fait remarquable
+et remarquée est le chapeau Pénélope de Lucy Hocquet. C'est une
+fantaisie, une innovation, une bizarrerie. Aussitôt qu'il se fait un
+chapeau Pénélope, il disparaît du magasin; cependant il doit rester
+distingué en raison de sa simplicité un peu étrange.
+
+[Illustration.]
+
+Voici deux jolis costumes de jeunes garçons: l'aîné, en veste de drap et
+pantalon de tricot ou de nankin a la chemine de toile, dont le collet
+rabat sur la cravate; le plus jeune, en blouse de velours, a les jambes
+nues, et les guêtres de tricot ou le pantalon de flanelle dans la
+guêtre. Sa chemise, plissée comme une chemisette suisse, sort de la
+blouse et laisse dégagé son cou. La casquette va bien sur les cheveux à
+la jeune France.
+
+[Illustration.]
+
+Nous regrettons de ne pouvoir donner ici un détail un peu étendu des
+avantages du chariot hygiénique dans lequel on a placé l'enfant que nous
+avons sous les yeux. M. Lebrun, mécanicien habile, inventeur d'une
+ceinture de sauvetage, mérite une place en première ligne à
+l'illustration. Si les mères comprennent bien les bienfaits de ce petit
+chariot, il est certain que le nombre des enfants contrefaits diminuera
+sensiblement. Une quantité d'enfants nés droits, mais délicats et
+faibles, se déjettent faute de pouvoir se supporter sur leurs jambes.
+Nous ne saurions trop engager les mères et les nourrices à visiter M.
+Lebrun. Elles se féliciteront de cette prévoyance, et en seront
+immédiatement récompensées par le bonheur qu'elles procureront à ces
+pauvres petits êtres impuissants, heureux entre ces jambes artificielles
+qui les supportent et les transportent à leur gré, sans péril et sans
+fatigue.
+
+
+
+Rébus.
+
+EXPLICATION DU DERNIER RÉBUS:
+Les personnalités attirent la haine.
+
+ÉPITAPHE D'UN GRAND HOMME.
+
+
+
+
+
+
+
+
+End of Project Gutenberg's L'Illustration, No. 0011, 13 Mai 1843, by Various
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 0011, 13 ***
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+works. See paragraph 1.E below.
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+
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+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
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+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at http://www.pglaf.org.
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+Project Gutenberg's L'Illustration, No. 0011, 13 Mai 1843, by Various
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
+
+
+Title: L'Illustration, No. 0011, 13 Mai 1843
+
+Author: Various
+
+Release Date: January 28, 2011 [EBook #35100]
+
+Language: French
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+Character set encoding: ISO-8859-1
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+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 0011, 13 ***
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+
+Produced by Rénald Lévesque
+
+
+
+
+
+</pre>
+
+
+
+
+<br><br>
+
+<div class="cont">
+
+
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/001.png"></p>
+
+<hr class="full">
+<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="0"
+ style="width: 100%; text-align: left;" summary="sommaire">
+ <tbody>
+ <tr>
+ <td style="vertical-align: top; width: 49%;">
+<span class="sml">Ab. pour Paris.--3 mois, 8 fr.--6 mois, 16 fr.--Un an. 30 fr.<br>
+
+Prix de chaque N° 75 c.--La collection mens. br., 2 fr 75.</span>
+ </td>
+ <td style="vertical-align: top; width: 2%;">
+
+ </td>
+ <td style="vertical-align: top; width: 49%;">
+<span class="sml">Ab. pour les Dep.--3 mois. 9 fr.--6 mois, 17 fr.--Un an. 32 fr.<br>
+pour l'étranger,--3 mois. 10 fr.--6 mois, 20 fr.--Un an. 40 fr.</span>
+ </td>
+
+ </tr>
+ </tbody>
+</table>
+
+
+
+<p class="mid">N° 11. Vol. I.--SAMEDI 13 MAI 1843.<br>
+Bureaux, rue de Seine. 33.</p>
+
+
+
+<p class="rig"><img alt="" src="images/001a.png"></p>
+
+
+
+
+<div class="somm">
+
+<p>SOMMAIRE.</p>
+
+<p><b>Don Carlos</b>. Portrait; <i>hôtel Panette</i>.--<b>Courrier de Paris</b>.--<b>Manuscrits
+de Napoléon</b>. Lettres sur l'histoire de la Corse.--<b>Courses du
+Champ-de-Mars</b>. <i>Courses de haies; pesage des jockeys; traitement du
+cheval après la course</i>.--<b>Anniversaire de la délivrance d'Orléans</b>.
+<i>Statue de Jeanne d'Arc</i>.--<b>Nécrologie</b>. <i>Portraits de Colocotroni et du
+duc de Sussex, chapelle de Notre-Dame-des-Flammes, à Bellevue</i>.--<b>La
+Vengeance des Trépassés</b>, nouvelle, sixième partie.--<b>Théâtres</b>. Lucrèce;
+Brutus; la Comédie à cheval; les deux Favorites: le Métier à la
+Jacquart; les Canuts; le Voyage en l'air; j'ai du bon Tabac; Marguerite
+Fortier; les Prétendants. <i>Deux scènes de Lucrèce</i>; le Voyage en l'air;
+<i>une scène du Métier à la Jacquart et une scène des canuts</i>. Théâtre de
+l'Opéra-Comique: On ne s'avise jamais de tout.--<b>Lettre sur les Incendies
+de théâtre.--Industrie</b>. Le sucre de canne et le sucre de betterave
+(suite). <i>Deux gravures</i>.--<b>Caricatures par Bertal</b>. <i>Dix-sept
+gravures</i>.--<b>Bulletin bibliographique</b><b>Annonces.--Modes.</b> <i>Trois
+gravures</i>. <b>Météorologie.--Echecs. Rébus</b>.</p>
+</div>
+
+<h3>Don Carlos.</h3>
+
+<p>Les journaux ont dernièrement appelé l'attention publique et provoqué
+des explications du Gouvernement sur la position réelle de don Carlos.
+On a demandé si ce prince espagnol était l'hôte ou le prisonnier de la
+France; si le ministère lui imposait sa résidence à Bourges ou si le
+royal proscrit s'était pris au contraire d'une belle passion pour la
+patrie de George Sand, au point d'y fixer volontairement son séjour.</p>
+
+<p>Il y a là, sans doute, une grave question de droit des gens et de
+liberté individuelle. Pour <i>l'Illustration</i>, il y a lieu avant tout à un
+portrait et à une biographie.</p>
+
+<p>Don Carlos est âgé aujourd'hui de cinquante-cinq ans; il était le second
+fils du roi Charles IV et frère de Ferdinand VII, mort en 1833. Il
+semblait que le trône ne pouvait manquer à ce prince. Le roi, son frère,
+avait eu quatre épouses, et la dernière, Marie-Christine, fille du roi
+de Naples, François 1er, lui donna seule deux enfants, et ces enfants
+étaient deux filles. Les dispositions de la loi salique, adoptée en 1713
+par Philippe V, assuraient à don Carlos la succession royale, quand des
+intrigues de cour poussèrent le vieux roi à abolir la loi salique et à
+nommer la reine régente, après sa mort, du royaume d'Espagne, pendant la
+minorité d'Isabelle II. Ce coup d'État détruisit les beaux rêves de
+royauté de don Carlos, qui avait toute raison de se voir un jour
+couronne en tête et sceptre au poing, quand une petite fille de trois
+ans, sa nièce, monta sur ce trône qu'il avait si ardemment convoité.</p>
+
+<p>Nous autres, pauvres gens, quand la réalité vient souffleter nos rêves
+de gloire ou de fortune, quand le but que nous poursuivons s'éloigne
+devant nous, il ne nous vient pas à l'idée de troubler le monde de notre
+dépit. Le poète alors chante sa souffrance, l'auteur sifflé recommence
+bravement un nouveau chef-d'oeuvre, le spéculateur combine de nouveaux
+calculs. Perrette pleure, la pauvre enfant, devant son lait répandu et
+ses projets évanouis; pourquoi donc les prétendants à tous les trônes
+possibles n'en feraient-ils pas autant quand le trône leur échappe, au
+lieu d'appeler aux armes les populations et de faire tuer des braves
+gens qui, en Espagne, comme en Vendée, comme partout, se battent
+hardiment sans trop savoir pourquoi?</p>
+
+<p>Ainsi fit don Carlos. Pour avoir le futile plaisir de s'asseoir sur ces
+planches de sapin recouvertes d'un morceau de velours, il ne craignit
+pas de porter la guerre civile dans sa patrie, de soulever et de ruiner
+des provinces entières, tristes moyens qui dégoûteraient les meilleurs
+peuples des meilleurs rois!</p>
+
+<p>On sait quels horribles excès furent commis de part et d'autre pendant
+cette longue et douloureuse lutte; la malheureuse Espagne en gardera
+longtemps le souvenir. Don Carlos trouva parmi ses partisans un homme de
+génie, Zumalacarreguy, grande et sombre figure qui domine toute cette
+sanglante épopée. Ce fut lui qui rappela don Carlos en Espagne après la
+signature du traité de la quadruple alliance.</p>
+
+<p class="lef"><img alt="" src="images/001b.png"><br> <b>
+Hôtel Panette, rue du Poirier, no. 1, à<br>
+Bourges, habité autrefois par l'archevêque<br>
+de Mercy, le général Lapoype, par les<br>
+maréchaux qui commandaient l'armée de la<br>
+Loire, et aujourd'hui par Don Carlos.</b></p>
+
+<p>Suivi de quelques serviteurs dévoués, le prince quitta l'Angleterre, et
+traversa la France pour se rendre à la frontière. Il resta deux jours à
+Paris, et la police ne fut pas ou ne voulut pas être instruite de sa
+présence. Un de ses émissaires les plus actifs, M. Auguet, raconte que,
+traversant en voiture découverte la place de la Concorde, don Carlos
+rencontra Louis-Philippe et sa famille se rendant en char-à-banc à
+Neuilly et que le roi des Français répondant à quelques acclamations
+salua sans le reconnaître, son cousin d'Espagne. «Mon bon cousin
+d'Orléans, dit celui-ci en riant, ne se doute pas que je traverse ses
+États sans sa permission pour aller déchirer avec la pointe de mon épée
+son traité de la quadruple alliance.» Charmante espièglerie! et ce jeune
+étourdi, qui ne comptait guère alors que quarante-six ans, ne se doutait
+probablement pas que, de la pointe de son épée, il allait aussi déchirer
+le sein de sa patrie et livrer aux horreurs de la guerre civile des
+populations laborieuses et dévouées, comme si la vie des hommes n'était
+que l'enjeu naturel de ces folles et sanglantes parties.</p>
+
+<p>Don Carlos franchit les Pyrénées et longtemps il tint en échec les
+forces de la reine. Le général Espartero eut la gloire de mettre fin à
+cette lutte acharnée. Il refoula Don Carlos en France; mais, comme le
+personnage de la fable il mit d'accord les deux plaideurs en s'emparant
+de l'objet du débat.</p>
+
+<p>Aujourd'hui Espartero est de fait roi d'Espagne, et don Carlos est à
+Bourges, et la reine régente est rue de Courcelles à Paris. Singulier
+effet des vicissitudes humaines; c'était bien la peine de mettre
+l'Espagne à feu et à sang pour en venir là. Puisse du moins cette
+mémorable leçon donnée aux princes de sang royal par un obscur
+<i>ayachucho</i> leur être profitable et les éclairer sur la vanité de leur
+ambition.</p>
+
+<h3>Courrier de Paris.</h3>
+
+<p>Le dernier bal a valsé sa dernière valse; le dernier concert a chanté sa
+dernière roulade et donne son dernier coup d'archet. Le même soir, en
+même temps, aux deux points opposés le bal achevait magnifiquement sa
+brillante vie d'hiver: d'une part, sous les lambris héréditaires d'un
+noble hôtel de la rue de l'Université; de l'autre, rue Bleue, dans un
+hôtel fraîchement bâti sur des fondations de rails et de cinq pour cent.
+Ainsi le bal à écusson et le bal financier ont fini leur campagne par un
+coup d'éclat; après ces deux fêtes merveilleuses, il n'est plus permis
+de danser ni de valser honorablement; cela serait du plus mauvais genre.
+Donner un bal au mois de mai, fi donc! nous prenez-vous pour un salon de
+cent couverts faisant toute l'année noces et festins? Il faudrait
+n'avoir ni riante villa aux bords de la Seine ou de l'Oise, ni vieux
+château breton ou tourangeau; or, je vous le demande, qui n'a pas une
+villa? qui n'a pas un château? qui ne prend pas les eaux? qui ne court
+pas, l'été venu, sur quelque grande route, du côté des Pyrénées ou des
+Alpes? Personne, en vérité.--Pardon, belle comtesse! Paris possède et
+abrite six à sept cent mille honnêtes gens absolument privés de maison
+de campagne, de berline de voyage, de parc, de tourelles, d'Alpes et de
+Pyrénées.--Ah! vous croyez?</p>
+
+<p>Le Paris mondain, l'élégant Paris, tourne ainsi, depuis quinze jours, à
+la vie champêtre et voyageuse; il ne tourbillonne plus dans ses fêtes
+sensuelles et illuminées, mais il n'a pas encore fait son entrée en
+solitude, à l'ombre des charmilles. Le printemps l'appelle à l'air libre
+et à la verdure, et l'hiver le retient toujours par un des pans de son
+habit; il n'est plus là, mais il n'est pas encore ici. C'est une
+situation intermédiaire qui lui donne une physionomie inquiète et
+maussade; rien n'est pire, quand on va partir, que de n'être pas parti.</p>
+
+<p>Cependant, ce Paris privilégié et épris de villégiature, prend ses
+précautions et fait ses préparatifs: il met les housses aux causeuses et
+aux fauteuils de son salon; il enveloppe ses bronzes et son lustre d'un
+voile de mousseline épaisse, et jette une cuirasse de toile écrue sur la
+soie de ses tentures. Puis, se fortifiant d'avance contre les loisirs de
+la résidence bucolique, ou contre les ennuis du voyage et de l'auberge,
+il met dans sa malle quelques livres aimés et s'abonne à
+<i>l'Illustration.</i> Avant quinze jours, la plupart des hôtels du faubourg
+Saint-Germain seront silencieux et déserts; les volets intérieurs,
+casematant les vastes fenêtres de haut en bas, laisseront voir leur
+vêtement gris-blanc, égayé de filets d'or, et diront aux passants que le
+maître est absent. L'herbe, jusqu'au 1er décembre, aura le temps de
+croître dans les cours.</p>
+
+<p>De leur côté, les jardiniers émondent les parterres, font la toilette
+des arbustes et des fleurs, sablent et ratissent les allées et tondent
+la pelouse pour faire honneur à <i>madame</i> et à <i>monsieur</i>, tandis que les
+chefs d'hôtel, les entrepreneurs d'eaux plus ou moins sulfureuses et de
+salons de conversation lancent sur Paris, de tous les coins de l'Europe,
+leurs séduisants prospectus. Il en vient d'Allemagne et d'Italie, de
+l'Ouest et de l'Est, du Nord et du Midi, de la Tamise, de l'Escaut, de
+l'Adige, du Rhin et surtout de la Garonne. Le Mont-d'Or sonne sa
+trompette, Bade donne son roulement de tambour, Ems et Wisbaden mettent
+leur carillon en branle; mais nul n'égale Spa pour les sourires
+attrayants et les ravissantes promesses; Spa, cette année, veut rester
+sans rivaux dans l'art de séduire le gentleman et de faire le bonheur du
+prince portugais, russe, italien, polonais ou cochinchinois. Que
+reprocher à Spa? que lui demander encore? Il vous prend au saut du lit
+et vous inonde de concerts d'harmonie, de journaux, de revues, de
+brochures, de vaudevilles, de comédies, d'opéras-comiques, de chevaux
+caracolants, d'aubades de nuit et de jour: puis, vous offrant la main,
+le voici qui vous conduit dans les frais sentiers, sous les bois
+ombreux, aux penchants des collines verdoyantes, prêt à se retirer
+discrètement et à vous laisser rêver dans votre solitude, si tel est
+votre bon plaisir. Rossini. Alexis Dupont, les frères Batta madame
+Damoreau et d'autres encore, spirituels acteurs, harmonieux instruments,
+voix mélodieuses, sont promis à Spa, et M. le bourgmestre s'est engagé à
+être charmant.</p>
+
+<p>Pars donc, ô toi, le Paris du boudoir et du salon, le Paris des heures
+inoccupées, agréable désoeuvré! va promener, ci et là, ton sourire
+légèrement railleur, ton petit bâillement énervé, ta migraine, tes maux
+de nerfs, tes rhumatismes et ton binocle: donne un peu d'air pur à ta
+poitrine fatiguée par la brûlante atmosphère des veilles et des bougies;
+et tâche de ranimer le teint pâli de tes belles valseuses pour le
+donner, au bal de 1844, à prendre encore et à dévorer!</p>
+
+<p>Mai est aussi le mois où les princes et les princesses de théâtre se
+mettent à voyager; je veux dire les acteurs, les chanteurs et les
+danseuses, en crédit, ceux qui ont le privilège des gros appointements
+et des couronnes. Les autres ont tout au plus le loisir d'aller, le
+dimanche, à Saint-Germain et à Montmorency, l'aire un dîner sur l'herbe;
+encore le coup d'archet du chef d'orchestre vient-il les rappeler
+brusquement avant le dessert, comme ces pauvres soldats en permission
+qu'on voit courir hors d'haleine, à travers rues et à travers champs à
+l'heure de la retraite et au roulement du tambour. Quant aux
+merveilleuses Hermiones, aux glorieux Orestes, aux ténors fameux, aux
+sylphides adorées, ils montent on chaise de poste et font tourbillonner
+la poussière des grands chemins. Après avoir plus ou moins charmé
+Babylone pendant les six mois d'hiver, nos illustres distribuent leurs
+tirades, leur <i>ut</i> de poitrine et leurs jetés-battus dans les
+départements et à l'étranger. Ces bienfaits, ils les étendent sur toute
+la nature, et donnent indistinctement la pâture aux grands théâtres et
+aux petits depuis le chef-lieu jusqu'au canton. Phèdre ne rougit pas de
+déclarer sa passion à Hippolyte sous la balle au blé, convertie en
+Mycènes; et Agamemnon a, plus d'une fois, transporté l'Aulide dans une
+grange et sacrifié Iphigénie.</p>
+
+<p>Il faut donc en faire notre deuil: nos meilleurs acteurs nos meilleurs
+chanteurs vont nous quitter. C'est peu des moissons dorées qu'ils
+récoltent ici; ils veulent bien se compromettre jusqu'à faire la même
+<i>razzia</i> en province: Toulouse Bordeaux, Lyon, Rouen, Dijon, Lille, et
+vous tous, honorables chefs-lieux, qui aimez la roulade, l'alexandrin et
+le rond de jambe, ouvrez votre bourse et préparez vos dithyrambes et vos
+couronnes; on prendra volontiers vos vers et surtout votre argent; c'est
+un honneur qu'on daignera vous faire.</p>
+
+<p>Mademoiselle Rachel ira à Marseille; elle ne veut plus de l'Angleterre.
+Est-ce Nicodème qui a inspiré à Laodice cette rancune contre Rome?
+Laodice se souviendrait-elle de l'hospitalité cruellement violée et du
+martyre d'Annibal? Marseille cependant est dans une grande attente. Ces
+vives imaginations s'exaltent à l'approche de Camille, de Marie-Stuart
+et de Roxane, que la Provence n'a point encore vues. Marseille, la ville
+phocéenne, se réjouit surtout de recevoir Monime, cette autre fille de
+la Grèce, cette fleur suave et délicate éclose à son poétique soleil. Ce
+sera une entrevue de famille. Mademoiselle Rachel et Marseille pourront
+s'entretenir ensemble d'Athènes et d'Éphèse.</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i14"> .....Je crois que je vous suis connue</p>
+<p class="i14"> Ephèse est mon pays, mais je suis descendue</p>
+<p class="i14"> D'aïeux ou rois, seigneur, ou héros, qu'autrefois</p>
+<p class="i14"> Leur vertu, chez les Grecs, mit au-dessus des rois.</p>
+</div></div>
+
+<p>Dans quinze jours, Monime fera ses bagages et descendra vers le Rhône,
+jusque-là elle continuera à être Judith. C'est une politesse de femme à
+femme, une dette un peu gênante que le talent paie à l'esprit.
+Mademoiselle Rachel devait ce dévouement à madame de Girardin. On n'ose
+pas dire que ce soit un sacrifice, mais cela y ressemble beaucoup. Jouer
+une froide tragédie au milieu de la froideur du public, quand on était
+habituée à l'ardeur d'un parterre enthousiaste, n'est-ce pas une
+résignation héroïque à la Curtius? Dieu en tiendra compte à Judith. Ce
+trait l'élève et l'honore plus que la décapitation d'Holopherne, qu'elle
+pratique régulièrement de deux jours l'un. De temps en temps, on
+murmure. L'autre jour quelqu'un a sifflé; c'était sans doute un
+spectateur qui se rappelait ce mot de Voltaire s'excusant de ses
+privautés railleuses avec l'héroïne de Béthulie: «Le livre de <i>Judith</i>
+n'étant pas dans le canon juif, on peut se permettre avec cette Judith
+un peu de familiarité.»</p>
+
+<p>Puisque nous en sommes aux déesses de théâtre, ne laissons point passer
+une morte charmante, sans effeuiller sur sa tombe une fleur et un
+regret. Nous voulons parler de mademoiselle Lucile Grahn, qui vient de
+s'éteindre si cruellement et si rapidement. La nouvelle nous est arrivée
+de Saint-Pétersbourg, où mademoiselle Grahn était retournée, non pas
+pour mourir, mais pour vivre au contraire dans toute la riante espérance
+de ses vingt ans, escortée de toutes les grâces de la jeunesse et de
+tous les enivrements du succès.</p>
+
+<p>Mademoiselle Grahn était venue de Copenhague à Paris, il y a trois ou
+quatre ans. Le Nord nous l'avait envoyée douce, légère, rapide et un peu
+semblable à ces ombres délicates et penchées qui passent dans les nuages
+d'Ossian. La blanche fille de la Norwége courait grand risque alors:
+Marie Taglioni était encore présente à tous les souvenirs. Voltiger
+après elle, dans la forêt enchantée de <i>la Sylphide</i>, c'était se
+hasarder beaucoup; il fallait bien de la grâce et de la souplesse, un
+pied bien doux et bien prompt, pour se faire pardonner l'audacieuse
+entreprise. Eh bien! Paris pardonna à Lucile Grahn: même il commençait à
+l'adorer et à la poursuivre dans ce pays des fées, lorsqu'un accident
+vint interrompre tristement ces naissantes amours. Lucile Grahn, dans un
+de ses vols sylphidiques, se blessa au genou. Pendant deux ans, elle
+souffrit de cette blessure, et ainsi disparut du théâtre, presque au
+début. Un jour, la pauvre jeune fille crut renaître: se retrouvant
+légère et forte, elle s'envola du côté de Saint-Pétersbourg. C'est là
+qu'elle est morte, sur le grand théâtre impérial, le jour même d'un
+triomphe, au moment où elle recueillait de toutes parts, les couronnes
+et les bravos, et goûtait toutes les émotions enivrantes du succès. Un
+violent effort pour vaincre la fatigue et surmonter la douleur de sa
+blessure tout à coup renaissante, a tué Lucile Grahn. Vous connaissez le
+dénoûment du ballet de <i>la Sylphide</i>. La nymphe, frappée mortellement
+par les maléfices de la méchante sorcière, s'évanouit: ses ailes se
+détachent et se brisent.--C'était aussi dans ce ballet de <i>la Sylphide</i>
+que Lucile Grahn dansait le soir de sa mort; et de même ses ailes sont
+tombées cette fois, mais pour toujours! Le costumier n'a pas même essayé
+de les rattacher.--Lucile Grahn était douce, spirituelle, aimable et
+fine, et son talent lui ressemblait.</p>
+
+<p>Que fais-tu donc, ô homme! si tu n'y prends garde, la femme va te
+détrôner, autocrate barbu! Les temps prédits par les prophètes en
+cotillon semblent approcher. L'émancipation féminine nous gagne de jour
+en jour, et par toutes les voies; nous avons la femme à tragédies, la
+femme à romans philosophiques, la femme Euclide, la femme Socrate, la
+femme Mirabeau; celle-là se promène sous les ombrages de l'Académie;
+celle-ci monte sur les <i>hustings</i> et prononce une harangue à tous crins.
+Il y a un mois, on a enterré une femme César qui avait la croix
+d'honneur, dix-huit campagnes et quatorze blessures.</p>
+
+<p>L'Académie française a proposé un prix de poésie. Le sujet est
+magnifique: il s'agit de louer Molière. Oui remportera le prix? quelque
+jeune barbe sans doute. Allons donc! est-ce que les barbes aujourd'hui
+sont bonnes à quelque chose? Vingt poèmes rivaux se mettent sur les
+rangs; un seul offre des qualités énergiques et viriles: l'Académie
+demande quel est donc le gaillard qui a fait ces beaux vers-là? Un
+corsage, des joues blanches et roses, de longs cheveux blonds, un
+soulier de prunelle, une robe de soie, un mantelet de velours,
+s'avancent et disent: «C'est nous!» L'Académie s'étonne et regarde, et
+reconnaît madame Louise Collet-Révoil. Ainsi, le bataillon des poètes
+académiques est mis, cette année, en déroute par madame Collet. Cette
+héroïne dithyrambique n'en est pas à ses premières armes; elle avait
+déjà bravement affronté l'Académie et obtenu une couronne. Madame Collet
+a de plus l'attention délicate d'être jolie. Savez-vous que le métier
+des quarante commence à devenir agréable? Mais, que dites-vous de madame
+Collet faisant l'éloge de Molière et méritant le prix? N'est-ce pas un
+peu embarrassant pour l'auteur des <i>Femmes savantes</i>, et la vengeance ne
+vous semble-t-elle pas charmante et de bon goût? Si ce régime continue,
+je déclare que je passerai chez la marchande de modes et chez la
+couturière pour changer de culotte.</p>
+
+<p>Au reste, et Dieu merci, nous commençons à prendre soin de nos grands
+hommes. L'Académie n'a jamais manqué positivement à cette religion. Si,
+de leur vivant, elle en a oublié quelques-uns, et des plus illustres,
+Molière, par exemple, elle les caresse du moins après leur mort. Je veux
+donc surtout parler de l'ingratitude jusqu'ici pratiquée par les
+municipalités et par les villes; elles commencent à se repentir et à
+comprendre que les images des hommes de génie debout sur les places
+publiques ou sur la face des monuments, sont pour la multitude, comme
+une gloire et comme un bel exemple perpétuellement visibles. Déjà Rouen
+à Corneille; Strasbourg à Gutenberg; Louis-le-Saulnier à Bichat; ici, on
+dresse un piédestal à Cuvier; là à Desaix. Paris achève la statue de
+Molière, et voici qu'il songe à Jean Goujon. On mettra la statue sur la
+fontaine des Innocents, un des chefs-d'oeuvre du sculpteur? Là, en
+effet, Jean Goujon fut tué, le 24 août 1572, d'un coup d'arquebuse, le
+jour du massacre de la Saint-Barthélémy, tandis qu'il semait au fronton
+du palais les trésors de son fin et délicieux génie. Après tout, au
+Louvre ou ailleurs, qu'importe? on prépare une statue à l'habile
+sculpteur, et c'est là le point important et la louable pensée. Paris
+devait bien cette reconnaissance au Phidias du château d'Anet, de
+l'hôtel Carnavalet, de la salle des Cent-Suisses, de la chambre de Diane
+et de tant d'oeuvres renommées, filles légères et gracieuses du goût
+antique, souvenir charmant du ciseau grec. Oui, que nos cités se
+peuplent de toutes ces nobles images! que la statue du poète, du soldat,
+de l'orateur, de l'artiste, raniment partout l'exemple des grands
+talents et des grands services! Cela ne vaut-il pas mieux que les
+statues orgueilleusement inutiles?</p>
+
+<p>Les deux premières semaines du mois de mai se sont d'ailleurs
+particulièrement occupées de lampions et de chemins de fer; les fêtes
+royales et les inaugurations à la vapeur ont absorbé tous les esprits;
+on ne rencontrait par toute la ville que des figures affairées, les unes
+officielles, les autres curieuses et populaires; celles-ci courant aux
+illuminations et au feu d'artifice; celles-là s'apprêtant à débiter des
+harangues qui n'étaient pas non plus sans artifice. Aujourd'hui, la
+ville se ruait tout entière aux Champs-Élysées et dans les antichambres
+des Tuileries: un autre jour, elle roulait sur les rails d'Orléans et de
+la vieille cité normande. Voilà la vie de ce pays-ci: mouvement
+perpétuel, comédie perpétuelle, rapide tourbillon! On parle de la
+récente découverte de la vapeur: il y a longtemps que Paris l'avait
+inventée!</p>
+
+<p>Il a plu par torrents depuis huit jours, et entre autres pluies, nous
+avons essuyé une averse de croix qui se sont accrochées à toutes sortes
+de boutonnières. Les hommes se parent de rubans comme les coquettes; ils
+sont terriblement femmes pour cela: la manie, loin de se guérir, s'en va
+s'agrandissant. Vous avez vu ce projet de l'autre jour, qui a révélé un
+honnête marquis occupant sa vie à courir vers tous les coins de
+l'horizon, à la chasse d'un ruban et d'une croix; il y mangeait son
+patrimoine, et, pour devenir chevalier, se faisait ronger par les
+chevaliers d'industrie. Après ces recherches haletantes, notre homme
+finit par recevoir un brevet de la sultane Falkir. L'honneur lui en
+revint à 15.000 fr.; mais qu'est-ce que 15.000 fr au prix du titre de
+grand cordon de l'ordre de la sultane? Le voilà bien joyeux! Arrive le
+procès en question: l'illustre chevalier apprend qu'il a payé de cette
+grosse somme un ruban que tous les garçons de café et les portiers
+portent gratis. La leçon le corrigera-t-elle? Non: mon marquis doit être
+en ce moment à la piste de quelque éperon d'or, de quelque étoile
+polaire ou d'un ours blanc.</p>
+
+<p>Un de nos dramaturges fameux et d'origine africaine a particulièrement
+cette maladie des croix; il en a dépeuplé l'Espagne, la Belgique, la
+France, et surtout l'Italie. Un jour, il entrait dans un salon avec une
+collection de décorations sur la poitrine, enfilées les unes au bout des
+autres, et pareilles à deux douzaines de mauviettes à la broche. «Que
+faites-vous de tout cela? lui demanda quelqu'un.--Que voulez-vous,
+répondit le Californien, ça amuse les nègres!» M. Alexandre D... aurait
+pu ajouter que ça sert aussi à faire la traite des blancs.</p>
+
+<p>Le brave capitaine Bruat s'est embarqué depuis peu de temps pour aller
+prendre possession des îles Marquises dont il est gouverneur. Le plus
+grave, le plus austère de nos ministres lui dit, après l'audience de
+congé: «Allez, monsieur, partez pour cette contrée inculte et lointaine:
+tâchez de civiliser les hommes et de rendre les femmes sauvages!»</p>
+
+<p>Le Cirque-Olympique vient de mettre fin à ses batailles du boulevard du
+Temple; son canon ne tonne plus; sa gargousse sommeille. Le Cirque a
+pris possession de sa maison de campagne des Champs-Elysées; déjà Auriol
+grimpe aux frises et sourit, et mademoiselle Caroline caracole.</p>
+<br>
+<h2>MANUSCRITS DE NAPOLÉON.</h2>
+
+<p class="mid">(Suite.--Voyez p. 22, 38, et 70.)</p>
+
+<h3>LETTRES SUR LA CORSE A M. L'ABBÉ RAYNAL.</h3>
+
+<h4>LETTRE TROISIÈME ET DERNIÈRE</h4>
+
+<p>Monsieur.</p>
+
+<p>Les Génois, maîtres de la Corse, se comportèrent avec modération; ils
+prirent les conventions del Lago Benedetto pour base de leur
+gouvernement; le peuple conserva une portion de l'autorité législative;
+une commission de douze personnes, présidée par le gouverneur, eut le
+pouvoir exécutif; des magistrats élus par la nation et ressortissant du
+syndicat eurent la justice distributive. A leur grand étonnement, les
+Corse se trouvèrent tranquilles, gouvernés par leurs lois; ils crurent
+qu'ils devoient désormais oublier l'indépendance et vivre sous une forme
+de gouvernement propre à rendre à la patrie toute la splendeur dont elle
+étoit susceptible. Les Génois trouvoient dans la Corse de quoi accroître
+leur commerce; ils y trouvoient des matelots et des soldats intrépides
+pour augmenter leur force.... Mais il étoit à craindre que, situés si
+avantageusement, ces insulaires ne fissent un commerce nuisible à celui
+de la métropole; il étoit à craindre qu'avec l'accroissement de forces
+que donne un bon gouvernement, ils ne devinssent indépendants en peu de
+temps. La jalousie politique sera toujours le tourment des petits États,
+et l'on sait que la jalousie commerciale a toujours été la passion
+spéciale de Gênes.</p>
+
+<p>D'ailleurs tous les ordres de l'État, accoutumés à se partager les
+possessions de la République, murmurèrent contre une administration où
+ils n'avoient point de part, où il n'y avoit point d'emploi pour eux. «A
+quoi nous a servi la conquête de la Corse, si l'on doit conserver à
+celle-ci un gouvernement presque indépendant; il valoit vraiment bien la
+peine que nos pères répandissent tant de sang et dépensassent tant
+d'argent,» disoit-on publiquement à Gênes. La grande noblesse voyoit
+avec dépit l'autorité du gouverneur restreinte, réduite presque à rien
+par le conseil des Douze et par les assemblées populaires. La petite
+noblesse, dite noblesse du grand conseil, que l'on peut appeler le
+peuple de l'aristocratie, attendoit avec une impatience facile à
+concevoir, l'occasion de pouvoir se saisir de tous les emplois
+qu'occupoient les Corses. Les prêtres convoitoient nos bénéfices; les
+négociants aspiroient au moment où ils pourroient, au moyen de sages
+lois, fixer seuls le prix de nos huiles et de nos denrées.</p>
+
+<p>Ce n'étoit qu'un cri dans tous les ordres de la République: pour la
+première fois le même voeu les unissoit. Aussi l'on ne tarda pas à
+supprimer en Corse toute la représentation nationale. En peu de temps le
+gouverneur réunit sur sa tête toute l'autorité.... Il put faire mettre à
+mort un citoyen sans autre procès, sans autre enquête, sans autre
+formalité que celle-ci: <i>Je le prends sur ma conscience</i>, et la grande
+noblesse fut satisfaite.</p>
+
+<p>Tous les emplois civils et militaires furent donnés par le gouverneur ou
+par le sénat, et furent donnés à des nobles Génois. Pour ne laisser
+naître aucune espérance présomptueuse, il y eut une loi qui déclara les
+Corses incapables d'occuper aucun emploi.... et la petite noblesse fut
+contente. Le noble du grand conseil, excessivement pauvre, n'a pour
+nourrir une famille nombreuse que le droit qu'il tient de sa naissance,
+de gérer les emplois de la République Il faut que chacun profite à son
+tour de ce droit, parce qu'il faut que chacun vive; aussi ne peut-on
+être que deux ans en place, et est-on obligé, durant un certain temps,
+de n'occuper aucun autre emploi. Il faut donc, pendant ces deux années,
+amasser assez pour se maintenir pendant quatre ans et fournir aux
+différents voyages que l'on doit entreprendre.</p>
+
+<p>Gênes, jadis très-puissante, avoit un grand nombre d'emplois à donner;
+mais au temps dont nous parlons, elle étoit réduite à la Corse seule, et
+la Corse étoit obligée de supporter presque tout cet horrible fardeau.
+Chaque deux ans l'on voyoit arriver des flottilles de ces gentillâtres
+avec leurs familles, affamés, nuds, sans éducation, sans délicatesse.
+Plus redoutables que des sauterelles, ils dévoroient les champs,
+vendoient la justice et emprisonnoient les plus riches pour obtenir une
+rançon. On rioit à Gènes de ces plaisanteries nobiliaires; le répertoire
+des gens aimables, des couleurs de bons mots, de ces personnes qui
+tiennent toujours le haut bout dans les sociétés, n'est rempli que
+d'aventures de ces gentilshommes, et toujours le Corse est le battu et
+le moqué... Combien avez-vous gagné? Nous avez-vous laissé quelque chose
+à prendre? demandoient ceux qui alloient partir à ceux qui étoient de
+retour. Un honnête sénateur fort religieux avoit coutume de dire une
+prière toutes les fois qu'il entendoit la cloche des morts annoncer le
+décès de quelque patricien; il demandoit toutefois avant si le défunt
+avoit été employé en Corse, et dans ce cas il se dispensoit de la
+prière, disant: A quoi cela serviroit-il? <i>è a casa del Diavolo</i>, il est
+en diable.</p>
+
+<p>Les bénéfices ecclésiastiques furent donnés par les évêques; les évêques
+furent nommés à la sollicitation des cardinaux génois. Il est sans
+exemple qu'un Corse ait été évêque, et les prêtres génois furent
+contents.</p>
+
+<p>Et le négociant! Comment son intérêt eût-il été oublié dans un État
+commerçant?... Des lois positives lui accordèrent le monopole de
+l'approvisionnement et du trafic. L'on détruisit les marais salants qui
+existoient, l'on en fit autant des poteries et de toutes les
+manufactures. Cela accrut le petit cabotage et rendit le pays plus
+sujet.</p>
+
+<p>Les marchandises cessant d'avoir leur prix, le peuple cessa de
+travailler, les champs devinrent incultes, et un pays appelé à
+l'abondance, au commerce, un sol qui promet à ses habitants la santé, la
+richesse, ne lui offrit que la misère et l'insalubrité. Malheureusement,
+à force de piller, l'on épuisa notre pauvre pays, qui n'eut plus rien à
+offrir que des pierres. Il falloit cependant que cette illustre noblesse
+vécût; elle eut recours à deux moyens: d'abord chaque commandant de
+petites tours, chaque petit commissaire, eut une boutique à laquelle il
+fallut donner la préférence; enfin ils vendirent la permission de porter
+les armes.</p>
+
+<p>Dépouillé des biens qui rendent la vie aimable et sûre, exclu de tous
+les grades, de toutes les places, prive de toute considération, réduit à
+la dernière misère, outragé par la classe la plus méprisable de
+l'univers, comment le Corse, si hardi, si fier, si intrépide, se
+laissa-t-il traîner dans la fange sans résister? Je m'empresse de vous
+développer ces tristes circonstances, afin qu'en plaignant ce peuple,
+vous ne cessiez pas de l'estimer.</p>
+
+<p>Je vous ai, en deux pages, tracé l'histoire du gouvernement génois; mais
+ces deux pages renferment cent cinquante ans. On marcha pas à pas. Si
+tout d'un coup le sénat eût découvert son horrible projet, sans exciter
+des soulèvements, ma nation seroit si vile, qu'elle ne mériteroit pas
+d'être plainte.</p>
+
+<p>Immédiatement après la mort de Sampiéro, ou provoqua de toutes les
+manières les émigrations, qui, dès ce moment furent très-considérables.
+On souffla partout l'esprit de la division, et la République accorda un
+refuge aux criminels, on favorisa leur fuite. Les émigrations
+s'accrurent. La peste affligea l'Italie; elle vint en Corse; la famine
+s'y joignit: la mortalité fut immense... Le gouvernement se montra
+insouciant, et si ces deux fléaux finirent, c'est que tout finit. C'est
+ici l'occasion de faire une observation bien remarquable: toutes les
+fois que les Corses ont perdu leur liberté, ils ont été, quelque temps
+après, affligés d'une grande mortalité. Après la conquête de 1770, ou
+vit encore la mortalité et la famine dépeupler le pays. Alors la
+République ne garda plus de mesure; elle jeta le masque, renversa le
+gouvernement national et établit les choses telles que nous les avons
+décrites.</p>
+
+<p>Quelle position douloureuse! Le Corse sentoit la peste lui dévorer les
+chairs, la faim lui ronger les entrailles, et l'esclavage navroit son
+coeur, effrayoit son imagination et anéantissoit les ressorts de son
+âme!!!</p>
+
+<p>Cependant, pour maintenir ce peuple dans cet assujettissement, il
+falloit ou avoir une grande force ou se faire une étude de le diviser.
+On adopta ce dernier parti, et l'on relâcha à cet effet les ressorts de
+la justice criminelle; chacun fut obligé de pourvoir de soi-même à sa
+sûreté; de là est né le droit de <i>vendetta.</i></p>
+
+<p>L'homme dans l'état de nature ne connut d'autre loi que son intérêt.
+Pourvoir à son existence, détruire ses ennemis fut son occupation
+journalière. Mais lorsqu'il se fut réuni en société, ses sentiments
+s'agrandirent: son âme, dégagée des entraves de l'égoïsme, prit son
+essor, l'amour de la patrie naquit, et les Curtius, les Decius, les
+Brutus, les Dion, les Caton, les Léonidas, vinrent émerveiller le monde.
+Des magistrats assurèrent à chacun la conservation de sa propriété et de
+sa vie; le but des actions individuelles dut être le bonheur général de
+l'association, et personne ne dut plus agir par le sentiment de son
+propre intérêt. Les rois régnèrent; avec eux régna le despotisme;
+l'homme méprisé n'eut plus de volonté. Avili, il fut à peine l'ombre de
+l'homme libre; les rois, qui tinrent dans leurs mains la force publique,
+durent l'employer pour assurer à chacun sa vie et sa propriété. La
+confédération changea, s'altéra même, si l'on veut, mais exista
+cependant toujours. La force publique seroit devenue dans les mains du
+prince un instrument inutile, s'il eût vu l'homicide sans le punir; si,
+par une dépravation inouïe, il eut lui-même aiguisé les poignards de
+l'assassin. Personne ne peut nier qu'alors la confédération ne se fut
+trouvée dissoute et les hommes rendus à l'anarchie. Telle étoit notre
+situation. Le sénat voyoit avec plaisir s'entr'égorger des hommes dont
+il craignoit l'union; les subalternes y trouvoient leur intérêt; le
+meurtre ne fut plus puni; il fut encouragé, il fut récompensé: il fallut
+cependant que chacun veillât à sa propre sûreté. Des confédérations de
+familles, quelquefois de villages se formèrent. On jura de veiller à
+l'intérêt de tous et de faire guerre éternelle à celui qui offenseroit
+un des confédérés; les liens du sang se resserrèrent; on chercha des
+parents; l'île fut divisée en autant de puissances qu'il y eut de
+familles, qui se faisoient la paix ou la guerre selon leur caprice et
+leur intérêt... On appela vertu l'audace de s'exposer à tous les dangers
+pour soutenir ses parents ou les membres de sa confédération: les
+citoyens ne furent que des membres d'autant de puissances
+étrangères, liées entre elles par leurs rapports politiques. Ils
+respectérent les femmes et les enfants et les laissèrent sortir de la
+maison assiégée pour prendre de l'eau et pour vaquer aux affaires du
+ménage. Il étoit aussi d'usage de laisser croître sa barbe lorsqu'on
+étoit en guerre; c'étoit un acte de courage, car il n'y avoit point de
+buisson, de rocher qui ne put receler un ennemi, c'étoit s'exposer à
+périr à tous les moments du jour.... Celui-là passoit pour un homme
+lâche, un homme vil, qui, à la nouvelle de la mort de son parent, ne
+couroit jurer sur son cadavre de le venger, et, des ce moment, ne
+laissoit croître sa barbe. La paix se faisoit cependant quelquefois: il
+y avoit des gens sages, des vieillards respectés, qui réconcilioient les
+partis. On étoit scrupuleux dans l'exécution du traité.</p>
+
+<p>Tels furent, monsieur, les effets de l'administration génoise. Accablés
+sous le poids des impôts arbitraires, désunis, les mains dégoûtantes du
+sang de nos frères, nous gémîmes longtemps: mais ce ne fut qu'en 1715
+que l'on commença à s'apercevoir qu'il se faisoit un mouvement général.
+L'on envoya un orateur à Gênes représenter l'état déplorable de la
+nation; il étoit entre autres choses chargé de solliciter un désarmement
+général et prioit le sénat de faire respecter son autorité. Les patentes
+pour porter les armes étoient à la fois une spéculation de finances et
+de politique. Le sénat eut l'impudence de se refuser à la demande si
+raisonnable, et d'alléguer pour prétexte la diminution que cela
+produiroit dans le revenu public. L'orateur proposa une nouvelle
+imposition beaucoup plus forte: l'imposition fut acceptée, mais les
+patentes continuèrent toujours à se distribuer, et la justice s'occupa
+tout aussi peu de se faire respecter.</p>
+
+<p>L'île étoit déserte, inculte et dépeuplée. Depuis l'époque de
+Giovan-Paolo, la population avoit diminué des trois quarts; elle étoit
+alors de 400.000 habitants, et en 1720, on n'en comptoit que 120.000. Le
+commerce étoit anéanti et la férocité des Corses étoit à son comble.
+Leur existence étoit si misérable, qu'ils n'avoient rien à perdre. Il ne
+falloit qu'un signal.</p>
+
+<p>En 1729, le lieutenant génois qui commandoit à Corte imposa, de sa
+propre fantaisie, une nouvelle taxe qui, jointe à toutes les autres et à
+la misère du pays, devenoit insupportable. Cardone di Bozio, vieillard
+estropié, ayant reçu de la nature un corps difforme, mais une âme
+vigoureuse et une élocution très-facile, assembla les habitants du
+village de Bozio pour leur parler dans les termes les plus forts sur
+l'avilissement ou ils vivoient, sur la gloire de leurs ancêtres et les
+charmes de la liberté. Il profita du moment où les collecteurs venoient
+percevoir l'imposition pour les faire chasser et poursuivre. Il excite
+ses compatriotes à marcher vers Corte. Ceux-ci rencontrent un
+détachement de soldats envoyés pour les punir; ils le battent, les
+désarment, arrivent à Corte et brûlent la maison du commandant, qui a le
+bonheur de se sauver A cette nouvelle, on se rallie de tous côtés, ou
+prend les armes, on court à Bastia pour punir le gouverneur-général
+Pinelli, objet de l'exécration publique; on prend une partie de la
+ville, on surprend Algajola, et voilà le joug rompu sans retour... «Aux
+yeux de Dieu, disoit souvent Cardone, le premier crime est de tyranniser
+les hommes, le second, c'est de le souffrir.» Jamais révolution ne
+s'opéra plus subitement Les ennemis oublièrent leur haine, firent
+partout la paix, objet de tous les voeux. La prospérité de la patrie
+naissante sembla être le mobile des actions de chacun; le feu du
+patriotisme agrandit subitement des âmes qu'avoient, pendant tant
+d'années rétrécies l'égoïsme et la tyrannie... Amis, nous sommes hommes!
+étoit le cri de ralliement. Fiers tyrans de la terre, prenez-y bien
+garde! Que ce sentiment ne pénètre jamais dans le coeur de vos sujets,
+préjugé, habitude, religion, foibles barrières! le prestige est détruit,
+votre trône s'écroule si vos peuples se disent jamais: «Et nous aussi,
+nous sommes des hommes! »</p>
+
+<p>Les premières années de la guerre, les Corses n'eurent aucune forme de
+gouvernement: la haine des tyrans guidoit tout le monde. Ce ne fut qu'à
+la réunion de Saint-Pancrazio que l'on nomma Giafferi commandant des
+armées. A l'assemblée de Corte, on déclara les Génois déchus de leur
+souveraineté, l'on déclara la nation libre et indépendante. Pour rendre
+cette déclaration plus imposante, pour achever de détruire les préjugés
+que la multitude pouvoit conserver, on assembla à Orezza un congrès des
+théologiens les plus célèbres des différents ordres. On leur proposa
+trois questions: si la guerre actuelle étoit juste, si les Génois
+étoient des tyrans, si l'on étoit délié du serment de fidélité. Ce
+congrès, que présida le célèbre Orticoni, répondit à tout d'une manière
+satisfaisante. La guerre, dit-il, est non-seulement juste, mais même
+sainte: le serment est nul dès lors que le souverain est tyran.</p>
+
+<p>Mal armés, sans discipline, ils battirent partout leurs tyrans, malgré
+leur nombre, leur expérience et leur artillerie Assiégés dans le château
+de Bastia, ils étoient, au bout de deux ans d'une guerre opiniâtre,
+réduits à abandonner notre île lorsque l'aigle impériale, arborée au
+lieu de la croix ligurienne, vint nous présager de nouveaux malheurs,
+mais non décourager notre courage.</p>
+
+<p>Qu'avions-nous fait aux Allemands pour qu'ils voulussent notre
+destruction? Que pouvoit importer à l'empereur d'Occident qu'une petite
+île de la Méditerranée fût libre ou esclave? Mais les puissances se
+jouent des intérêts de l'humanité, et les méchants ont toujours des
+protecteurs. Le général allemand, à la tête de sa petite armée,
+s'engagea dans des défilés: il perissoit infailliblement, lorsqu'il
+trouva dans l'humanité des Corses une commisération inattendue, dont il
+s'est rendu indigne par son lâche manque de foi. On lui accorda la
+permission de retourner à Bastia, à condition qu'il feroit savoir à son
+souverain la manière dont les Corses agissoient à son égard, et l'on
+conclut un traité de deux mois; mais, avant l'expiration de la trêve,
+les Allemands se remontrèrent au delà du Golo en plus grand nombre. Au
+respect que nous avoient inspiré les armes d'un grand prince, succéda
+l'indignation pour la perfidie de ses ministres. Après avoir laissé
+environ deux mille morts ou prisonniers, nos ennemis regagnèrent leurs
+remparts avec précipitation. L'enthousiasme produisit les actions les
+plus dignes d'être transmises à la postérité. Vingt et un bergers de
+Bastelica faisoient paître leurs troupeaux dans la plaine de Campo di
+Loro, deux cents hussards et six cents piétons vinrent pour les enlever:
+ces braves gens se réunissent, tiennent ferme, repoussent cette
+nombreuse troupe et la font fuir. Investis enfin par quatre cents autres
+ennemis, ils périssent tous en prononçant le nom sacré de la patrie.</p>
+
+<p>L'honneur de l'empereur avoit essuyé bien des échecs. Si l'honneur des
+princes consiste à protéger le juste contre le méchant, le faible contre
+le fort, sans doute l'empereur Charles VI avoit déshonoré ses armes;
+mais si l'honneur consiste à massacrer des infortunés, le cabinet de
+Vienne sut bien réparer ce qu'il n'avait pu faire à la campagne
+précédente. Il envoya le prince de Wirtemberg avec des renforts
+considérables: et quoique ses premiers efforts ne furent pas heureux il
+étoit désormais impossible de résister à des forces si imposantes. On
+fit des propositions de paix: les Génois reconnurent, accordèrent,
+promirent tout ce qu'on voulut et l'on posa les armes.</p>
+
+<p>Il étoit tout naturel que, ne voulant observer aucune des conditions du
+traité, les Génois commençassent par se défaire des chefs qui avoient
+conduit les Corses avec tant de bonheur dans des circonstances si
+difficiles. Les principaux parmi ces chefs furent arrêtés et conduits
+dans le château de Sagone; c'en étoit fait de leur vie, si Boerio et
+Orticone n'eussent su intéresser le prince Eugène au sort de ces
+illustres prisonniers L'empereur, éclairé, exigea du sénat leur
+délivrance. Ne pouvant les perdre, les Génois tentèrent de se les
+attacher en leur faisant des offres qu'ils méprisèrent. On suivit le
+même plan de persécution contre les principaux citoyens; la mort ou la
+prison.</p>
+
+<p class="mid">FIN DES LETTRES SUR LA CORSE.</p>
+
+<br>
+
+<h3>Courses du Champ-de-Mars.</h3>
+
+<p class="rig">Dimanche, 30 avril.</p><br><br>
+
+<p>Les courses de la Société d'Encouragement pour l'amélioration de la race
+des chevaux en France comptent déjà dix années d'existence, dix années
+de progrès incontestables. N'est-ce pas une oeuvre nationale que de
+prétendre affranchir un jour son pays du tribut chevalin qu'il paie à
+l'étranger? Pour arriver plus vite à des résultats meilleurs, il n'a
+manqué à la Société d'Encouragement que d'avoir des fondateurs moins
+élégants et moins jeunes. Longtemps les esprits forts, Thomas plus
+jaloux qu'incrédules, ont affecté de traiter avec légèreté ses projets
+et ses courses. Le prestige de la nouveauté qui, en France, protège tous
+les établissements naissants, n'est pas venu en aide à la Société; il a
+fallu dix ans d'efforts et de sacrifice, dix ans féconds en éleveurs et
+en chevaux pour ouvrir les yeux à ces aveugles volontaires. Une
+association d'hommes, que l'on trouvait trop heureuse pour la trouver
+intelligente, a donné l'élan: aujourd'hui ils ont rallié à leurs idées
+tous les départements propres à l'élève du cheval; bien mieux, ils ont
+converti l'administration des haras elle-même! Quelle victoire! Les
+haras ont enfin admis la supériorité du pur sang anglais; ils ont
+augmenté les allocations de courses et modifié leurs règlements; ils
+préparent de loin des améliorations plus importantes encore. De jour en
+jour les préjugés disparaissent: la maigreur jadis proverbiale des
+chevaux de course a cessé d'être une vérité; on commence à savoir qu'ils
+ne sont ni exténués ni tués par le régime de l'entraînement. Les chevaux
+savamment entraînés dépouillent la graisse qui paralyserait le jeu des
+muscles et de la respiration, et qui gênerait leur vitesse. Plus tard,
+rentrés dans la vie privée, affectés au service de la production, ils
+acquièrent cet embonpoint que l'on considère quelquefois comme un signe
+de force et de beauté, et qui n'est, en réalité, que l'enseigne de la
+fainéantise.</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/003a.png"><br> <b>Courses de haies au Champ-de-Mars.</b></p>
+
+<p>Dimanche, 30 avril, quand sont arrivés sur le terrain de course,
+<i>Prospero</i> à M. de Rothschild, <i>Cédar</i> à M. A. Fould. <i>Mirobolant</i> au
+comte d'Hédonville, <i>Effie</i> à M. Jules Rivière. <i>Maid</i> à M John Drake,
+et <i>Kate-Nickleby</i> au vicomte Delaveux, la foule ne les a trouvés ni
+trop maigres ni trop efflanqués; ils n'étaient pas tous également dignes
+d'éloges: <i>Effie, Maid</i> et <i>Kate</i> ont bien quelques reproches à se
+faire; mais ici-bas rien n'est ni parfait ni complet. Onze chevaux
+devaient été engagés pour ce prix: <i>bourse de mille francs</i>; cinq ont
+été retirés; sur les six qui restent, trois se présentent beaux et bien
+faits, les yeux ardents, la tête fière, le poil lisse et brillant:
+peut-on se plaindre? Les partis variaient de <i>Prospero</i> à <i>Cédar</i>: les
+<i>Prospéristes</i> l'ont emporté sur les <i>Cédaristes</i>.</p>
+
+<p class="lef"><img alt="" src="images/003b.png"><br>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;<b>Pesage des jockeys.</b></p>
+
+<p><i>Pris de l'administration des Haras</i>: 2000 fr. <i>pour poulains et
+pouliches de trois ans</i>.--Huit chevaux inscrits, quatre présents.
+<i>Vesperine, Karagheuse, Drummer</i> et <i>Ursule</i>: ils partent comme une
+seule flèche; mais bientôt la flèche se fend en quatre; la première,
+c'est <i>Vesperine</i>, la seconde, c'est <i>Ursule, Drummer</i> tient la tête;
+<i>Karagheuse</i> la tiendrait si on le laissait aller. Près du but, d'un
+bond prodigieux il s'élance, passe <i>Drummer</i> et gagne, <i>Karagheuse</i>
+appartient à M. Sabatier, un de nos éleveurs sérieux, et jusqu'ici assez
+peu favorisé par la chance des courses. Sa tardive victoire n'a trouvé
+que des mains pour applaudir. Le jockey de <i>Drummer</i> a prétendu avoir
+été coupé par <i>Karagheuse</i>, mais sa réclamation n'a pas été admise.</p>
+
+<p><i>Prix du ministère du Commerce</i>: 2000 fr. <i>pour chevaux entiers et
+juments de trois ans et au-dessus, nés et élevés en France, et tracés au
+Stud-Book français.</i></p>
+
+<p><i>Pamphile</i> à M. Fasquel, <i>Angora</i> à M Lupin, <i>Opéra</i> à M. de Morny,
+paraissent seuls au poteau. <i>Angora</i> a tous les parieurs pour lui. Ce
+fils de <i>Lottery</i> et de <i>Young-Mouse</i> est célèbre sur le <i>turf</i>: déjà il
+a remporté plus d'un prix à Paris et à Versailles; il est arrivé second
+au Derby de Chantilly. De ses deux adversaires, l'un, <i>Opéra</i>, est
+inconnu; l'autre, <i>Pamphile</i>, est mal connu, et cependant <i>Pamphile</i> a
+battu <i>Opéra</i> second, <i>Angora</i> troisième; sur quoi compter?</p>
+
+<p><i>Course de haies: 2000 fr. pour chevaux de tout âge et de tout pays: le
+vainqueur pourra être réclamé pour quatre mille francs.</i></p>
+
+<p>Par un heureux hasard, un seul cheval manque à l'appel, et ce cheval,
+c'est le favori, c'est <i>Turpin</i>. <i>Pewet, Lansquenett, Muley-Hamet,
+Pantalon. Paddy</i> et <i>Leporello</i> viennent parader et s'essayer sur la
+haie qui fait face aux tribunes publiques: presque tous sautent mal,
+enfoncent la haie; <i>Paddy</i> même désarçonne presque son jockey; bien des
+chutes sont prévues, quel bonheur! Mais le signal est donné, les chevaux
+partent du dernier tournant de l'École-Militaire; la terre tremble sous
+leur galop; ils chargent à toute vitesse le premier obstacle. <i>Pantalon</i>
+est en tête; il franchit admirablement la haie. Ses rivaux, piqués
+d'émulation, se font applaudir à côté de lui. La victoire n'a pas été un
+seul instant douteuse: qui peut lutter contre <i>Pantalon</i>? Il est arrivé
+premier au but, et son dernier élan a été le plus beau.</p>
+
+<p class="rig">Courses du 7 mai.</p><br><br>
+
+<p>Les dimanches et les courses se suivent et ne se ressemblent pas; les
+solennités hippiques de la journée ont été bien modestes; il y avait
+beaucoup de courses et peu de chevaux; c'est là un de ces petits
+malheurs que la plus sage volonté ne peut prévenir. Dans le monde
+cheval, il est des réputations si bien posées, que toute rivalité
+disparaît devant un nom trop redoutable; quelquefois aussi, comme dans
+le <i>trial-stakes,</i> poule d'essai, deux chevaux sont engagés, et si l'un
+des deux tombé malade, force est bien à l'autre de s'escrimer tout seul.
+<i>Spark</i>. à M. Aumont a été débarrassé de <i>Governess</i>, à M. de Perrigaux,
+par une indisposition qui n'aura pas de suite.</p>
+
+<p><i>Prix extraordinaire de 1843. 3000 fr. pour chevaux et juments de quatre
+ans et au-dessus: entrée, 2000 fr.: un tour et quart en partie liée. Le
+cheval qui arrivera second recevra la moitié des entrées.</i></p>
+
+<p>Sans cette dernière et adroite condition, <i>Nautilus</i> n'eut pas trouvé de
+concurrent. <i>Nautilus</i>, au comte de Cambis, est le meilleur cheval qu'il
+y ait en France en ce moment. Parvenu à l'âge mûr, il prend à tâche de
+faire oublier, à force de succès, les défaites de sa jeunesse.
+<i>Pamphile</i> et <i>Miserere</i> ne prétendent nullement au prix de 3000 fr.; la
+moitié des entrées suffit à leur modeste ambition. Les trois chevaux se
+divisent en deux pelotons. Premier peloton. <i>Nautilus</i> tout seul;
+deuxième peloton. <i>Pamphile</i> et <i>Miserere</i>. Aux deux épreuves ils sont
+arrivés dans le même ordre, et <i>Pamphile</i> a touché 400 fr.</p>
+
+<p><i>Prix du cadran: 3000 fr. pour poulains et pouliches de quatre ans.
+Entrée, 500 fr.; distance, deux tours.</i></p>
+
+<p>Le programme promettait <i>Angora, Eliezer, Adolphus</i> et <i>Annetta</i>, mais
+<i>Annetta</i> est une <i>Nautilus</i> femelle; comme, cette fois, il n'y avait
+pas de second prix à gagner, elle a couru seule.</p>
+
+<p>Ces trois courses, dont le dénouement était prévu, excitaient quelques
+murmures, lorsqu'en manière de dédommagement, onze <i>hacks</i>, chevaux non
+entraînés, sont entrés en lice. Cette poule, servie comme un
+hors-d'oeuvre aux convives gourmands et peu connaisseurs du
+Champ-de-Mars, a montré <i>Lantara, Césarévitch, Hurrican, Olivia,
+Thesoroconicocrysides, Yorick, Young Cadland, Repentir, Fenella,
+Verveine</i> et <i>Mistigri</i>. Faire bien partir tant de chevaux peu pressés
+de partir n'était pas chose facile, et M. Bertollaci n'a obtenu aucune
+espèce de succès dans cette partie officielle de ses fonctions. <i>Yorick,
+Verveine, Hurrican</i> et <i>Mistigri</i> entendent seuls l'ordre du départ.
+<i>Yorick</i> a gagné.</p>
+
+<p class="rig"><img alt="" src="images/003c.png"><br>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;<b>Traitement du cheval après la course.</b></p>
+
+<p><i>Prix du Printemps: 3500 fr. pour poulains et pouliches de trois ans.
+Entrée 200 fr.; distance, un tour.</i></p>
+
+<p>Enfin voici une course à émotion. <i>Mam'zelle Amanda</i>, au comte de
+Cambis, débute, et l'on dit d'elle quelque bien. <i>Drummer</i> a une
+revanche à prendre, et <i>Karagheuse</i> une réputation à conserver.
+<i>Vesperine, Alcindor, Péri, Moustique</i> et <i>Ursule</i> retirés; pendant
+toute la course, <i>Karagheuse</i> retenu à pleines mains, voudrait et
+pourrait passer; mais son jockey obéit aux ordres qui lui enjoignent
+d'attendre. Au dernier tournant de l'École-Militaire, il veut saisir la
+tête, <i>Drummer</i> lâche pied; <i>Mam'zelle Amanda</i> tient bon: tous trois ils
+sont roulés et éperonnés. Qui gagnera? C'est <i>Mam'zelle Amanda</i>, mais à
+peine a-t-elle un quart de tête d'avantage sur <i>Karagheuse.</i></p>
+
+<p>Ainsi se sont passées les premières courses de la Société
+d'Encouragement; nous pouvons prédire à celles qui suivront une destinée
+plus glorieuse encore. Au Champ-de-Mars, c'est comme chez Nicolet,
+<i>toujours de plus fort en plus fort.</i></p>
+
+<h3>Anniversaire de la délivrance d'Orléans</h3>
+
+<p class="mid">(8 MAI)</p>
+
+<p class="lef"><img alt="" src="images/004a.png"><br>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;<b>Statue de Jeanne-d'Arc, à Orléans.</b></p>
+
+<p>Ce fut, comme on sait, le 8 mai 1429 que Jeanne d'Arc obligea les
+Anglais à lever le siège d'Orléans; depuis ce jour, le souvenir de
+l'héroïque jeune fille est resté, chez les Orléanais, entouré d'un
+religieux prestige.</p>
+
+<p>On voyait autrefois sur l'ancien pont d'Orléans, à l'angle de la rue de
+la Vieille-Poterie et de la rue Royale, un groupe représentant Charles
+VII et Jeanne d'Arc agenouillés devant Notre-Dame-de-Pitié. Ce monument
+passa par bien des vicissitudes; en 1567, lors des troubles religieux,
+il subit des mutilations qui furent réparées ensuite. Plus tard, la
+démolition de l'ancien pont ayant obligé de l'enlever, on le déposa à
+l'Hôtel-de-Ville, où il resta jusqu'en 1771. A cette époque, un M.
+Desfriches obtint, à force de sollicitations, qu'il fût réédifié. Mais,
+quelques années après, en 1792, on le brisa pour en fondre des canons.</p>
+
+<p>Dans une délibération du 50 frimaire an XI, le conseil municipal
+d'Orléans arrêta qu'une souscription serait ouverte en vue d'ériger un
+nouveau monument à Jeanne d'Arc.--Chaptal, ministre de l'intérieur,
+proposa, dans un rapport du 2 floréal même année(1805), le
+rétablissement de l'anniversaire du 8 mai; et Napoléon, alors premier
+consul, apostilla en ces termes la délibération du conseil municipal
+d'Orléans:</p>
+
+<p>«Ecrire au maire d'Orléans, M. Crignon-Desormeaux, que cette
+délibération m'est très-agréable.</p>
+
+<p>«L'illustre Jeanne d'Arc a prouvé qu'il n'est pas de miracle que le
+génie français ne puisse produire, dans les circonstances ou
+l'indépendance nationale est menacée.</p>
+
+<p>«Unie, la nation française n'a jamais été vaincue; mais nos voisins,
+plus calculateurs et plus adroits, abusant de la franchise et de la
+loyauté de notre caractère, semèrent constamment parmi nous ces
+dissensions d'où naquirent les calamités de cette époque et tous les
+désastres que rappelle notre histoire.»</p>
+
+<p>La fête, vraiment patriotique du 8 mai fut donc réinstituée en 1805; et
+dans cette fête on inaugura une statue provisoire de Jeanne d'Arc,
+exactement semblable à celle que le conseil municipal venait de voter.</p>
+
+<p>Le monument définitif, qu'on peut voir aujourd'hui au centre de la place
+du Martroi (quartier Vert), et que notre gravure représente, ne fut
+érigé qu'en 1805. C'est une statue en bronze, de huit pieds, due au
+talent de M. Gois. Elle repose sur un piédestal de neuf pieds de haut
+sur quatre de large, revêtu de marbres d'une beauté remarquable, et orné
+de bas-reliefs dont les sujets sont empruntés à la vie de la religieuse
+héroïne.</p>
+
+<p>Le quatre cent quatorzième anniversaire de la délivrance d'Orléans a été
+célébré lundi dernier, 8 mai.</p>
+
+<p>Voici à peu près le programme annuel de cette cérémonie: Le jour de la
+fête, la cloche du beffroi sonne, de quart d'heure en quart d'heure,
+depuis le lever du soleil jusqu à la rentrée du cortège dont nous allons
+parler. A neuf heures du matin, le corps municipal, les diverses
+corporations et les fonctionnaires civils et militaires se réunissent à
+la cathédrale, où un orateur agréé par l'évêque prononce le panégyrique
+de Jeanne d'Arc. Après la cérémonie religieuse, le cortège va faire une
+station sur l'ancienne place des Tourelles, illustrée par les exploits
+de Jeanne d'Arc. Une salve d'artillerie annonce ensuite le retour du
+cortège, qui rentre à la cathédrale, pour entendre un <i>Te Deum</i>
+solennel.</p>
+
+<p>Maintenant, grâce aux chemins de fer qui viennent d'être inaugurés la
+semaine dernière, on peut visiter dans la même journée le théâtre du
+triomphe et celui du martyre de la Pucelle d'Orléans.</p>
+<br>
+
+<h3>Nécrologie.--THÉODORE COLOCOTRONI</h3>
+
+<p class="lef"><img alt="" src="images/004b.png"><br>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;<b>Décédé le 16 février 1843.</b></p>
+
+<p>Théodore Colocotroni est mort le 16 février dernier dans la ville
+d'Athènes, d'une attaque d'apoplexie, à l'âge de 74 ans.</p>
+
+<p>La gravure ci-jointe, dont le dessin a été fait par un artiste récemment
+arrivé d'Athènes, représente le célèbre général grec, tel qu'il était
+exposé aux regards de la foule, avec son uniforme et ses décorations, la
+veille de ses funérailles.</p>
+
+<p>Avant la révolution grecque, Theodore Colocotroni s'était acquis une
+grande réputation comme chef de partisans, nous pourrions presque dire
+comme chef de bandits. Il se faisait remarquer surtout par son audace,
+par son courage et par sa cruauté. Forcé de s'exiler, il prit tour à
+tour du service dans les armées de la Russie et de l'Angleterre. Au
+moment où la révolution grecque éclata, c'est-à-dire au mois d'avril
+1821 il habitait les îles Ioniennes, où il exerçait la profession de
+boucher. A peine la nouvelle de l'insurrection lui fut parvenue, il
+s'embarqua, passa en Morée et il devint bientôt un des chefs principaux
+de l'armée révolutionnaire. Aussi habile que brave, il sut se défendre
+avec succès contre toute» les attaques des ennemis de sa patrie, jusqu'à
+la bataille de Navarin. Mais l'indépendance de la Grèce proclamée, il se
+montra l'un des ennemis les plus violents du roi Othon et du
+gouvernement établi par les puissances alliées. Accusé du crime de haute
+trahison, il fut condamne à mort. D'abord le jeune roi commua sa peine
+en un emprisonnement perpétuel; puis il lui accorda un pardon complet et
+il lui rendit ses grades, ses honneurs et ses propriétés Le jour de ses
+funérailles. Colocotroni a été conduit à sa dernière demeure par la
+population d'Athènes. Les troupes de la garnison, les dignitaires de
+l'État les représentants des grandes puissances assistaient à cette
+cérémonie. A ce moment suprême chacun oubliait les fautes de l'homme
+dont on allait confier à la terre la dépouille mortelle, pour ne se
+rappeler que les eminents services qu'il avait rendus à son pays.</p>
+
+<h4>LE DUC DE SUSSEX</h4>
+
+<p class="rig"><img alt="" src="images/004c.png"><br>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;<b>Décédé le 21 avril 1843.</b></p>
+
+<p>Le jeudi 4 mai 1843 ont eu lieu, à Londres, les obsèques du duc de
+Sussex, oncle de la reine Victoria, mort le 21 avril dernier, à l'âge de
+soixante-onze ans. Ce prince a eu une existence si honorable, sa mort a
+excité des regrets si universels que nous avons cru devoir emprunter aux
+journaux anglais la courte biographie qui va suivre. De semblables
+exemples sont rares, aussi il est toujours bon et utile de les signaler
+à la méditation et à la reconnaissance publiques Le duc de Sussex ne
+s'est illustré par aucune action d'éclat: il n'a rendu aucun service
+importants à son pays; il n'était après tout qu'un homme ordinaire: mais
+aussi il n'a jamais recherché la puissance, il ne s'est servi de sa
+fortune que pour faire le bien, il a constamment méprisé, sans
+affectation, toutes les distinctions de la naissance et de la richesse.
+Issu d'une famille royale, il a aimé le peuple d'une affection sincère,
+enfin, il est toujours resté fidèle à sa conscience. Ne sont-ce pas là
+des qualités qui méritent un honorable souvenir?</p>
+
+<p>Le duc de Sussex, le sixième fils de George III et de la reine
+Charlotte, était né à Buckingham-House, le mercredi 27 janvier 1775. Ses
+frères, les ducs d'York, de Kent, de Cumherland et de Cambridge,
+adoptèrent la profession des armes. Le duc de Clarence se fit marin.
+Seul de tous les membres de la famille, le duc de Sussex s'adonna
+exclusivement, pendant sa jeunesse, à l'étude de» arts et de la
+littérature --Envoyé en Allemagne, avec ses frères Ernest et Adolphe,
+il devint un des meilleurs élèves de l'université de Gottingue, fondée
+par Georges II en 1734; puis il alla achever son éducation à Rome, les
+troubles de tout genre uni avaient suivi la révolution de 1789 ne lui
+ayant pas permis de visiter la France et Paris.</p>
+
+<p>Le prince Auguste-Frédéric, ainsi s'appelait le futur duc de Sussex
+passa donc à Rome les années 1792 et 1793. Parmi les Anglais qui
+résidaient à cette époque dans la métropole du monde chrétien, se
+trouvaient le comte et la comtesse de Dunmore et leur seconde fille,
+lady Augusta Murray. Les charmes et l'amabilité de lady Angusta Murray
+produisirent une impression si vive sur le prince Auguste, que, malgré
+la différence d'âge (lady Augusta Murray avait trois ans de plus que le
+prince Auguste), malgré les dispositions prohibitives du <i>royal marriage
+act</i>, qui défend aux descendants de George II de se marier avant l'âge
+de vingt-cinq ans sans le consentement du roi régnant, malgré la
+sévérité bien connue de son père, le fils de George III se décida à
+épouser la fille du comte de Dunmore. Il avait alors vingt-un ans. Le
+mariage fut célébré à Rome, le 4 avril 1793, par un prêtre de l'église
+d'Angleterre. L'année suivante, la princesse Augusta donna le jour à un
+enfant du sexe masculin, qui est aujourd'hui le colonel sir A. d'Este.</p>
+
+<p>Dès que la nouvelle de cette union fut parvenue, en Angleterre, le
+gouvernement se hâta de la faire déclarer nulle par les tribunaux
+ecclésiastiques, en vertu du <i>royal marriage act</i>; mais le prince
+Auguste persista à soutenir sa validité; il traita toujours lady Augusta
+comme sa femme, et son fils comme un enfant légitime, leur donnant en
+toute occasion les titres de princesse et de prince. Toutes ses
+protestations furent inutiles. Seulement, en 1806, lady Augusta reçut du
+roi l'autorisation de prendre le nom de comtesse d'Ameland. Elle habita
+pendant plusieurs années une maison de campagne située près de Ramsgate,
+et jusqu'à sa mort, qui eut lieu le 5 mars 1830, les habitants des
+villages voisins continuèrent à l'appeler «la duchesse de Sussex.»</p>
+
+<p>Le prince Auguste résida encore longtemps sur le continent. Il fit un
+assez long séjour en Suisse, passa deux années entières à Berlin, visita
+Lisbonne, et ne revint définitivement en Angleterre qu'en 1801. Le 21
+novembre de cette année, il fut élevé à la pairie, créé duc de Sussex,
+comte d'Inverness et baron d'Arklow. A peine admis dans la chambre des
+lords, il s'y fit remarquer par son opposition franche et vigoureuse, au
+ministère tory, par son libéralisme intelligent, et sinon par son
+éloquence, du moins par l'élégante facilité avec laquelle il savait
+s'exprimer en public. Aussi eut-il bientôt acquis dans le Parlement une
+influence qu'aucun membre de la famille royale n'avait jamais possédée.
+Quand George III perdit complètement l'usage de sa raison, quand le
+prince de Galles, devenu régent, eut trahi honteusement ses anciens
+amis, le duc de Sussex ne suivit pas l'exemple de son frère. Il resta
+fidèle à ses opinions; car il les avait adoptées par conviction, et non
+par ambition personnelle, et jusqu'à sa mort il se montra un des
+défenseurs les plus sincères et les plus dévoués des droits et des
+libertés de la nation. On ne put lui reprocher d'avoir jamais cherché à
+se rendre populaire, pour exploiter à son profit sa popularité. Ce
+n'était pas un motif égoïste qui le faisait agir ou parler; mais
+uniquement le sentiment de son devoir, l'amour du bien public, la haine
+de l'injustice. Aussi se mit-il rarement en avant. «Je ne prends la
+parole dans cette Chambre, disait-il dans son discours sur le bill de
+réforme, que lorsque de grandes questions constitutionnelles y sont
+discutées, que lorsqu'il s'agit des droits et des libellés de
+l'Angleterre. Alors je regarde comme un devoir pour moi de venir occuper
+ma place, d'exprimer mon opinion, et de donner mon vote consciencieux.</p>
+
+<p>«Je connais le peuple mieux qu'aucun de vous, continuait-il en
+s'adressant à ses collègues. Ma position, mes habitudes, mes relations
+avec un grand nombre d'institutions charitables et utiles, et d'autres
+circonstances qu'il est inutile d'énumérer ici, me mettent journellement
+en rapport avec des individus de tous les rangs. Permettez-moi donc de
+vous apprendre quelles sont les habitudes et les récréations du peuple.
+Vous parlerai-je des ouvriers de Nottingham, par exemple? Ce que je vais
+vous dire, vous l'ignorez sans doute... Les ouvriers de Nottingham
+possèdent une bibliothèque qui ferait honneur à un lord. Le choix de
+leurs livres prouve qu'ils ont un aussi bon jugement que vos
+excellences. Et s'ils sont aussi sensés, aussi intelligents que vous,
+pourquoi ne jouiraient-ils pas des mêmes droits?--Personne ne respecte
+plus que moi les privilèges du rang; mais, permettez-moi de vous le
+dire, l'éducation ennoblit l'homme plus que toute autre chose, et quand
+je vois le peuple s'instruire et s'enrichir, je serais curieux de savoir
+pourquoi il ne lui serait pas donné de s'élever d'un ou de plusieurs
+degrés sur l'échelle sociale... J'ai toujours été partisan de la
+réforme, et tant que la constitution ne sera pas réformée, je resterai
+un réformateur.»</p>
+
+<p>Sans doute ce ne sont là que des lieux-communs un peu vieux, et le reste
+du discours auquel nous les empruntons contient des passages moins
+estimables; mais, qu'on ne l'oublie pas, l'orateur qui tenait un pareil
+langage était le frère de George IV, et il parlait à l'aristocratie
+anglaise. D'ailleurs, le duc de Sussex ne défendit pas seulement dans
+ses discours au Parlement la cause de la réforme, il réclama tour à tour
+l'abrogation des lois céréales, la liberté religieuse, la réforme du
+code pénal, etc., et une foule d'autres mesures non moins importantes,
+etc.--En 1792, lorsque le jugement et l'exécution de Louis XVI eurent
+réduit à quarante-cinq le nombre des partisans de Fox, il n'abandonna
+pas ce grand homme d'état. Enfin, après la bataille de Waterloo, il
+protesta dans les journaux de la chambre des lords contre la captivité
+de Napoléon.</p>
+
+<p>Toutefois, malgré sa grande popularité, le Parlement ne fut pas le
+théâtre où le duc de Sussex joua le rôle le plus noble et le plus utile.
+Chez lui, le philanthrope l'emporte de beaucoup sur l'homme politique
+Pour l'apprécier à sa juste valeur, il fallait le voir dans une de ces
+réunions charitables qu'il présidait avec tant de complaisance, de tact
+et d'esprit. Pendant quarante années il plaida la cause du pauvre, de la
+veuve et de l'orphelin. Il prêcha la charité et il fit de nombreux
+prosélytes; car il était éloquent et il joignait toujours l'exemple à la
+leçon...</p>
+
+<p>Le duc de Sussex fut, en outre, durant toute sa vie, un protecteur zélé
+et intelligent des artistes et des gens de lettres. Il possédait des
+connaissances variées et un goût parfait; la belle bibliothèque qu'il
+avait formée au palais de Kensington en fournirait au besoin une preuve
+suffisante. Cette bibliothèque se composait de 50.000 volumes; elle
+comprenait toutes les branches des sciences humaines et des manuscrits
+précieux, mais elle était surtout riche en ouvrages théologiques. En
+1816, le duc de Sussex avait été nommé président de la Société des Arts.
+En 1830, il fut élevé à la présidence de la Société Royale, et chaque
+année, depuis cette époque, il réunit dans ses salons de Kensington
+l'élite des savants, des artistes et des littérateurs de l'Angleterre,
+tous les membres des diverses sociétés scientifiques de Londres. En 1839
+il donna sa démission, parce que ces soirées lui occasionnaient des
+dépenses hors de proportion avec ses revenus.</p>
+
+<p>Le duc de Sussex devait violer deux fois dans sa vie les dispositions du
+<i>royal marriage act</i>. Après la mort de sa première femme, il conçut un
+vif attachement pour la veuve de sir George Buggin, qui avait obtenu du
+roi l'autorisation de prendre le nom d'Underwood. On assure qu'ils se
+marièrent en secret. Quoi qu'il en soit, lady Cecilia Underwood fut
+admise dans la plus haute société, et dès lors elle accompagna le duc
+partout on il allait. En 1840 la reine Victoria l'éleva à la pairie et
+lui conféra le titre de duchesse d'Inverness. A cette occasion, elle
+reçut de nombreuses visites de félicitations, et on remarqua que les
+visiteurs la traitèrent comme un membre de la famille royale. Ils ne lui
+laissèrent pas leurs cartes, mais ils inscrivirent eux-mêmes leurs noms
+sur un registre.</p>
+
+<p>La mort du duc de Sussex laisse vacants les emplois et les titres
+de:--président de la Société des Arts;--grand-maître de l'ordre du
+Bain;--veneur des parcs de Saint-James et de Hyde;--grand intendant de
+Plymouth;--colonel de la compagnie d'artillerie;--grand-maître des
+francs-maçons;--gouverneur et constable du château de
+Windsor;--chevalier de la Jarretière.</p>
+
+<p>Le duc de Sussex avait déclaré dans son testament qu'il ne voulait pas
+être enterré au château de Windsor, dans la chapelle du cardinal Wolsey,
+où sont ensevelis tous les membres de la famille royale. Il avait choisi
+lui-même, pour le lieu de sa dernière demeure, le cimetière public du
+petit village de Kensal-Green. Ses dernières volontés ont été
+religieusement observées. Le fils de George III repose à côté du plus
+humble des sujets de son père; seulement, on lui a fait des obsèques
+royales; mais nous n'ennuierons pas nos lecteurs du récit de cette
+triste et fastidieuse cérémonie, à laquelle le public n'a pas été admis.
+Les véritables amis du duc de Sussex n'auraient pas prononcé sur sa
+tombe des adieux aussi étranges que ceux que sir Charles Young, le
+<i>Garter King at arms</i>, a été forcé par l'étiquette de cour, de réciter à
+haute voix en présence du mari de la reine:</p>
+
+<p>«Ainsi, il a plu à Dieu tout-puissant de rappeler à lui le très-haut,
+très-puissant et très-illustre feu prince-Auguste Frédéric, duc de
+Sussex, baron d'Inverness et baron d'Arklow, chevalier de l'ordre
+très-noble de la Jarretière, chevalier de l'ordre très-noble et
+très-ancien du Chardon, grand-maître et chevalier grand-croix de l'ordre
+militaire très-honorable du Bain, sixième fils de feu S. M. le roi
+George III, et oncle de sa très-excellente majesté la reine Victoria,
+que Dieu bénisse et à qui il accorde une longue vie, une bonne santé,
+beaucoup d'honneur, et tous les bonheurs de ce monde.» Au lieu de ces
+vains titres, ils eussent rappelé ses vertus et ses talents, ils eussent
+dit comme nous: «Il fui bon, honnête, fidèle à ses opinions; il mérita
+l'estime et la reconnaissance de ses concitoyens.»</p>
+<br>
+
+<h3>CHAPELLE DE NOTRE-DAME-DES-FLAMMES.</h3>
+
+<h4>A BELLEVUE. ANNIVERSAIRE DU 8 MAI.</h4>
+
+<p class="rig"><img alt="" src="images/005.png"><br>
+
+<p>Tout le monde a entendu parler de la chapelle qui a été élevée à
+Bellevue, sous l'invocation de <i>Notre-Dame-des-Flammes</i>, à l'endroit
+même où a éclaté, l'année dernière, l'horrible catastrophe du chemin de
+fer de Paris à Versailles, rive gauche. Nous allons essayer de compléter
+par quelques indications l'idée que nos lecteurs pourront se faire de ce
+monument funèbre, à l'aide de la gravure que nous mettons sous leurs
+yeux.</p>
+
+<p>Comme on le voit, cette chapelle, de style ogival, a la forme d'un
+triangle. L'intérieur est d'une extrême simplicité, d'une sévère nudité.
+Dans l'angle qui fait face à la porte d'entrée, c'est-à-dire du côté de
+l'orient, conformément à l'usage symbolique adopté, dans la construction
+de la plupart des églises, se trouve l'autel. Pour tout ornement, il
+porte des candélabres en pierre figurant des ossements humains et des
+têtes de mort. Au-dessus de l'autel est sculptée une petite image de la
+Vierge, les pieds sur un globe à demi enveloppé de flammes, les mains
+jointes, les yeux au ciel, dans l'attitude de la prière. Sur la console
+qui supporte cette statuette, on lit: <i>Aux victimes du VIII mai
+MDCCCXLII;</i> et au-dessous: <i>O bonne et tendre Marie! défendez-nous
+contre les flammes de la terre, mais préservez-nous surtout des flammes
+de l'éternité</i>. Plus haut, tout près de la voûte, un vitrail peint en
+forme de médaillon, dont la partie supérieure, représente la Trinité
+chrétienne, et la partie inférieure une scène de l'incendie du chemin de
+fer. Plusieurs malheureux, à demi plongés dans les flammes, lèvent les
+yeux et les mains vers les trois personnes divines, qu'ils semblent
+invoquer. Nous avons remarqué, surtout une mère qui serre son enfant dans
+ses bras avec une expression d'angoisse suppliante.</p>
+
+<p>La frise intérieure de la chapelle représente des ossements humains qui
+brûlent, avec des têtes de mort à chacun des angles. Le pendentif de la
+voûte est également orné de têtes de morts entourées de flammes.</p>
+
+<p>Quant à l'extérieur, le monument est couronné par une statue de la
+Vierge, en tout semblable, à celle de l'intérieur. A ses pieds on lit:
+<i>N.-D.-des-Flammes</i>. Plus bas, c'est encore comme à l'intérieur, une
+frise d'ossements humains qui brûlent.</p>
+
+<p>Au-dessous du fronton, occupé par un demi-relief qui représente
+vraisemblablement un épisode de la triste catastrophe, est écrit: <i>Paix
+aux victimes du VIII mai!</i> souhait pieux contre lequel proteste
+brutalement, à chaque instant du jour, le fracas des wagons qui passent
+comme l'ouragan.</p>
+
+<p>Enfin, sur la porte, peinte en rouge, ces deux mots: <i>De profundis</i>,
+sollicitent des visiteurs une mélancolique et courte prière, trop
+rarement accordée sans doute.</p>
+
+<p>La chapelle Notre-Dame-des-Flammes, toute en pierres de taille, est
+assise sur un petite tertre sablonneux d'où l'oeil embrasse un superbe
+panorama: de belles prairies, une partie du cours de la Seine, et
+là-bas, dans un lointain vaporeux, Paris avec ses magnificences
+architecturales à demi voilées. Un treillage de bois, à l'intérieur
+duquel règne une guirlande de buis jaune, dessine autour du monument un
+pourtour triangulaire; à chaque angle s'élève une modeste croix de bois.</p>
+
+<p>La chapelle est si près des rails, que, de l'intérieur de l'enceinte
+qu'elle occupe, on éprouve sensiblement l'impression de l'air chassé par
+la violence des convois qui passent.</p>
+
+<p>L'édification de <i>Notre-Dame-des-Flammes</i> est due à l'une des personnes
+les plus cruellement éprouvées par la catastrophe du 8 mai. M. Lemarié,
+architecte, ayant perdu, dans ce jour néfaste, son fils, sa belle-soeur
+et un cousin, a voulu consacrer à leur mémoire ce monument de pieux
+regrets, élevé par lui-même, et qui ne fait pas moins honneur à son
+talent qu'à son coeur.</p>
+
+<p>La chapelle de Notre-Dame-des-Flammes a été inaugurée, le 16 novembre
+1842, par M. l'évêque de Versailles. On a attaché à sa fondation une
+institution régulière de quatre messes par an, qui doivent être dites
+par M. le curé de Meudon, indépendamment de celles que peuvent demander
+les parents des victimes. Le lugubre anniversaire y a été célébré lundi
+dernier, à onze heures du matin, par une cérémonie religieuse.</p>
+
+<p>Nous renonçons à décrire la physionomie de tristesse religieuse de cette
+petite chapelle blanche qui s'élève, comme une muette prière, à côté de
+la voie sur laquelle s'agitent pêle-mêle, avec une précipitation
+bruyante, les passions, les affaires et les plaisirs des hommes. Il y a
+là un effet de contraste qui jette sur le chemin de fer un reflet de
+poésie que nous n'aurions jamais eu, avant, la hardiesse de soupçonner
+dans un chemin de fer.</p>
+<br>
+
+<h3>La Vengeance des Trépassés,</h3>
+
+<p class="mid">NOUVELLE.</p>
+
+<p class="mid">(Suite.--Voyez p. 75, 89, 105, 121 et 157.)</p>
+
+<h4>§ VII.--Philosophie.--Folie.--Adieux.</h4>
+
+<p>Don Christoval avait une de ces âmes fortement trempées qui luttent
+contre la douleur et parviennent à la vaincre, au moins dans ses effets
+ordinaires, c'est-à-dire que le triomphe est extérieur, et qu'an dedans
+les ravages s'exercent plus profonds et plus durables.</p>
+
+<p>Il s'enferma deux jours sans permettre à âme qui vive de pénétrer
+jusqu'à lui; ce temps passé, on le vit reparaître pâle, amaigri, mais
+non abattu; il reprit ses courses botaniques, mais dom Sulzer ne pouvait
+plus l'accompagner. Le soir il revenait couvert de poussière et chargé
+de fleurs sauvages dont il jonchait la tombe de sa femme et de son fils;
+il restait fort tard à les arranger, puis rentrait, et avant l'aurore il
+était reparti pour toute la journée. Voilà sa vie.</p>
+
+<p>Cette fatigue du corps ne suffisant pas à dompter l'activité de sa
+pensée, il essaya d'un autre système: c'était de lasser son imagination
+en lui donnant pleine carrière. A cet effet, il se jeta dans les idées
+philosophiques; c'était un retour vers une science qui l'avait fait
+briller dans sa jeunesse à l'université de Salamanque. Il s'y adonna de
+nouveau, sans pour cela renoncer à ses excursions lointaines; il
+emportait de quoi écrire, et jetait en courant sur le papier les idées
+dont il voulait faire les matériaux d'un grand ouvrage: ces idées
+roulaient sur le temps, sur la mort, sur la résurrection et l'autre vie.
+Tous ceux qui ont voulu approfondir ces terribles questions ont payé
+cher leur témérité; don Christoval éprouva le même sort. Voici
+quelques-uns de ces fragments décousus; ils feront comprendre
+l'exaltation cérébrale de cet infortuné et la catastrophe qui
+s'ensuivit.</p>
+
+<p>Elle est morte! Qu'est-ce que la mort? qu'est-ce que la vie? Le temps
+existe-t-il pour les morts? L'Écriture se sert à chaque instant de ces
+mots <i>la fin des temps,--la consommation des siècles</i>. Le temps finira
+donc? oui. Le temps une créature de Dieu qui sera détruite comme les
+autres; son seul privilège sera d'être détruite la dernière. J'ai
+entendu dom Sulzer s'écrier un jour en prêchant: <i>Sortez du temps!</i> et
+comment sortir du temps? Le temps est l'enveloppe dans laquelle se meut
+l'humanité. Il est bien difficile à la pensée humaine de sortir du
+temps; toutefois cela ne paraît pas impossible.</p>
+
+<p>Et qu'est-ce que l'éternité? l'absence du temps et de la durée: un
+point; pas même un point, puisque dans un point, si petit qu'on le
+conçoive, il y a encore l'idée de dimension; au lieu que dans l'éternité
+le centre et les extrémités se confondent.</p>
+
+<p>La résurrection des morts suit donc immédiatement l'instant de leur
+trépas; ils sont comme un homme qui tombe et aussitôt se relève; et les
+hommes partis de différents points du temps arriveront tous
+simultanément à la cessation du temps.</p>
+
+<p>Car le temps est une illusion, l'illusion fondamentale de notre vie,
+laquelle n'est elle-même qu'une illusion destinée sans doute à éprouver
+les âmes.</p>
+
+<p>Nous rentrons par intervalles dans la réalité au moyen du sommeil. Ce
+sommeil éteint la matière et en dégage l'âme: alors le temps cesse pour
+nous. La preuve en est claire: c'est que celui qui se réveille est
+incapable de dire s'il a dormi dix heures ou dix minutes.</p>
+
+<p>Et souvent en dix minutes il a rêvé des faits dont la réalisation dans
+le temps demanderait une année.</p>
+
+<p>Et lorsqu'il rapporte dans le temps ces souvenirs d'une, excursion hors
+du temps, il juge, il compare, il mesure et dit: Qu'on est insensé quand
+on dort!--C'est probablement, au contraire, le seul moment où l'on soit
+sensé.</p>
+
+<p>Si Adam n'avait point goûté du fruit défendu, il ne fût pas mort,
+c'est-à-dire que son illusion eut été éternelle; il n'y eut pas eu de
+fin des temps ni de consommation des siècles, et ses enfants eussent été
+immortels comme lui.</p>
+
+<p>Aurait-il en des enfants exempts du péché originel, et par conséquent de
+la mort, ils auraient promptement encombré la terre, et que fut-il
+arrivé?</p>
+
+<p>Ou il n'en aurait pas eu; alors la création se fût bornée à deux êtres
+humains qui n'auraient pas fini.</p>
+
+<p>L'Éternel avait dit au premier homme: Si tu goûtes de ce fruit, tu
+mourras de mort. Le tentateur dit à Eve: Si vous goûtez de ce fruit,
+vous deviendrez semblables à Dieu.</p>
+
+<p>Les deux paroles furent accomplies: Adam, par suite de son péché,
+mourut; et il devint semblable à Dieu, en ce point qu'il sortit du temps
+hors duquel Dieu habite.</p>
+
+<p>Le passage de la vie à la mort, l'instant précis de ce passage, est-il
+sensible pour ceux qui le franchissent? Non: mais on s'aperçoit des
+approches.</p>
+
+<p>N'est-il pas probable qu'à ce moment solennel, avant la séparation de
+l'esprit et de la matière, nos facultés éprouvent par anticipation un
+éclair de perfectionnement, que les sens acquièrent subitement une
+subtilité surnaturelle; l'intelligence une hauteur, une plénitude, un
+pouvoir inaccessibles à l'état de vie normale? J'en suis convaincu; mais
+presque toujours quand ce phénomène arrive, le moribond n'en peut rien
+témoigner à ceux qui l'entourent.</p>
+
+<p>Ou, s'il leur en témoigne quelque chose, ils disent: Ce sont les
+illusions de la mort; la tête n'y est plus!</p>
+
+<p>Léonor a vu l'ombre de soeur Dorothée; le père Dominique, l'ombre de son
+pénitent; je n'en doute pas. En y réfléchissant, il n'est pas plus
+étrange de voir une âme sortie du temps y rentrer pour quelques minutes,
+que de voir le contraire, c'est-à-dire une âme prisonnière dans le temps
+s'échapper quelques minutes dans l'éternité. Seulement le second est
+plus commun que le premier, c'est pourquoi la raison humaine, la pire de
+nos illusions, nous affirme que le premier est impossible, sa coutume
+étant de nier tout ce qu'elle ne peut contrôler.</p>
+
+<p>Ce qu'on appelle la raison de l'homme n'est que l'essence de son
+orgueil.</p>
+
+<p>Nous cherchons à entrevoir les vérités éternelles avec notre raison, à
+travers le temps, c'est-à-dire avec un instrument faux à travers un
+milieu qui nous trompe. On soupçonne des erreurs, mais nul moyen de les
+calculer, encore moins de les corriger. Les contemplateurs sont les
+sages; ils sont en très-petit nombre: les autres suivent leur route sans
+songer à rien, sans se douter de rien; ce sont les heureux.</p>
+
+<p>Notre raison est essentiellement terrestre, non qu'elle ne puisse
+s'élever, quelquefois même assez haut, mais elle retombe toujours sur la
+terre et rapporte, tout à elle-même et aux choses d'ici-bas.
+L'inspiration, l'extase, le délire, la folie, tous ces états dans
+lesquels l'àme cherche à prendre l'essor loin de la matière, nous
+livreraient peut-être le secret de notre vie et de notre avenir, mais la
+raison les méprise et nous empêche de les étudier. Et pourtant, sans la
+raison, que ferions-nous? notre malheur est de ne pouvoir nous passer
+d'elle; c'est le bâton qui nous sert à marcher, mais ce bâton est garni
+de plomb qui nous attache à la terre et nous empêche de nous envoler.</p>
+
+<p>Le mystérieux Orient, qui a su tant de secrets concernant notre race, a
+toujours regardé les fous comme des êtres sacrés, en communication
+directe avec Dieu. Peut-être viendra-t-il un jour où Dieu, dans sa
+bonté, enlèvera tout à coup la raison au genre humain pour laisser
+régner exclusivement la sagesse.</p>
+
+<p>La raison n'est peut-être nécessaire aux hommes que parce que, dans
+l'état actuel des choses, elle est l'apanage du plus grand nombre?</p>
+
+<p>Dans le malheur affreux où je suis plongé, quel voeu puis-je encore
+former ici-bas? Un seul, dont l'accomplissement me rendrait le bonheur:
+c'est de perdre la raison; alors je pourrais retrouver Léonor, et nous
+serions rejoints tout en habitant une vie différente. Oh! si je pouvais
+me débarrasser de cette funeste raison!</p>
+
+<p>A force de creuser dans ces étranges idées, le malheureux Christoval
+obtint ce qu'il souhaitait.</p>
+
+<p>Une nuit, dom Sulzer, après avoir veillé fort tard dans son cabinet,
+venait de mettre en ordre ses cahiers de l'histoire des abbés de
+Reichenau, et il se disposait à passer dans sa chambre à coucher,
+lorsqu'il lui sembla distinguer dans le profond silence de la nuit des
+accents interrompus auxquels se joignaient quelques accords. Il écouta,
+et s'assura que quelqu'un chantait à voix basse dans l'enclos situé
+derrière le corps de logis de son habitation. Il ouvrit la fenêtre. Le
+ciel était pur, mais sans lune: il n'v avait que la clarté douteuse des
+étoiles. Le chanteur, invisible à cause de la position du bâtiment,
+effleurant à peine les cordes de sa guitare, fit entendre les paroles
+suivantes:</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i20"> Toda mi dicha fundo</p>
+<p class="i20"> Solo in querer te;</p>
+<p class="i20"> Y daria mil vidas,</p>
+<p class="i20"> Solo por ver te.</p>
+</div></div>
+
+<p>«Je mets tout mon bonheur à te voir; rien que pour te voir je donnerais
+mille fois ma vie. »</p>
+
+<p>Le chanoine n'eut pas de peine à deviner ce qui se passait. Il fit un
+signe de croix, ce qui était chez lui la plus grande marque de
+compassion, et se disposa à descendre. Sans appeler personne pour
+l'aider, il remit sa redingote, sortit appuyé sur sa grande, canne,
+traversa d'un pied lent et mal assuré les longues et obscures galeries
+du couvent, et par un escalier de pierre depuis longtemps hors de
+service, soupirant et trébuchant à chaque degré, il entra dans l'enclos.
+L'herbe discrète étouffait sa marche. Il parvint ainsi, sans être
+aperçu, à deux pas de don Christoval, et s'arrêta pour le considérer.
+L'infortuné, debout devant la pierre moussue qui recouvrait sa femme et
+son enfant, avait cessé de chanter. Il méditait dans un sombre silence,
+les bras croisés sur la poitrine et enveloppé dans son manteau, pareil à
+un génie funèbre. Sa guitare reposait sur la tombe. Quelques minutes
+s'écoulèrent sans que Christoval fit aucun mouvement, et sans que le
+vieux prêtre osât interrompre la douleur de son jeune ami. A la fin
+pourtant le chanoine risqua de l'appeler doucement. A cette voix,
+Christoval releva la tête et demanda: «Qui m'appelle? Que voulez-vous?</p>
+
+<p>«C'est moi, votre ami, dom Sulzer.--Ah! dom Sulzer vous venez à propos;
+c'est le ciel qui vous envoie. J'aurais été fâché de m'en aller sans
+vous avoir dit adieu et serré la main.--Vous en aller? où? que
+faites-vous ici?--Ne le voyez-vous pas? Je suis venu faire visite à
+Léonor. J'ai mis exprès, pour lui plaire, le costume que je portais la
+nuit que je l'enlevai. Je lui ai chanté <i>Marinero del alma,</i> qu'elle
+aimait tant. Eh bien, le croiriez-vous? cet air, dont jadis une seule
+note l'entraînait vers moi, cet air aujourd'hui la laisse insensible!
+Elle ne répond rien? Ah! c'est que ce n'est plus à elle à venir à moi;
+c'est au contraire à moi d'aller à elle. Elle a Carlos qui la retient;
+je comprends cela. Je vais les rejoindre tous deux. Que faut-il dire à
+Léonor de votre part?--Et quel chemin prendrez-vous pour les
+rejoindre?--Alors Christoval se penchant à l'oreille du chanoine, comme
+s'il lui eût confié un grand secret: «Le chemin du lac, dit-il. Oui, je
+vais me jeter dans le lac. Vous le sentez bien, dom Sulzer,
+continua-t-il avec une apparente tranquillité, vous le sentez bien, ma
+vie est désormais inutile; mon existence n'a plus de but: c'est un effet
+sans cause. Où est Léonor, là est ma vie. Il faut que je me noie dans le
+lac, cela est de toute nécessité. Si vous avez à me charger de quelque
+chose pour elle, dépêchez-vous.--C'est inutile, dit le chanoine
+épouvanté de cette folie de sang-froid, mais cachant sa frayeur sous un
+ton sec et bref.--Pouquoi inutile? --Parce que vous n'irez pas.--Et qui
+m'en empêchera?--Moi. Je vous le défends!»</p>
+
+<p>Christoval, jusqu'alors paisible dans sa tristesse, commença de
+s'agiter, et ce trouble, que trahissaient son geste et sa voix, arriva
+rapidement à l'exaspération. «Comment, vous me le défendez? C'est
+indigne! c'est affreux! Allez! j'ai été la dupe de votre affection
+simulée; mais à compter de ce moment je ne le suis plus; je vous
+connais. Vous êtes un méchant homme. Laissez-moi! laissez-moi! Non, non,
+ma Léonor, n'aie pas peur que je l'écoute, que je me laisse arrêter par
+lui! Il veut que je demeure! Et pour qui, mon Dieu? Qui désormais à
+besoin de moi?--Moi, mon fils, moi! cria le vieillard en s'accrochant à
+lui.» Mais dans le débat son pied heurta la pierre sépulcrale; dom
+Sulzer perdit l'équilibre et roula sur la tombe de Léonor en poussant un
+douloureux gémissement.</p>
+
+<p>Il n'en fallut pas davantage pour abattre subitement l'exaltation du
+pauvre fou. Il prit le vieillard dans ses bras, et d'un ton tout
+différent: «Dom Sulzer, s'écria-t-il, je vous ai fait mal? Etes-vous
+blessé?</p>
+
+<p>--Non, mon ami, répondit dom Sulzer, se relevant avec peine. Le mal que
+vous avez fait à mon corps n'est rien auprès de celui que vous faites à
+mon coeur. Le premier est involontaire, je vous le pardonne; mais
+l'autre!...--Ah! pardonnez-le-moi aussi,» dit Christoval en embrassant
+son vieil ami et fondant en larmes. C'était la fin de la crise. Le bon
+chanoine ne put résister à l'entraînement de ce désespoir, et oubliant
+ses projets de fermeté, il se mit à pleurer aussi.</p>
+
+<p>Dom Sulzer triompha le premier de son émotion et parvint à la comprimer.
+« Mon ami, dit-il, mon cher ami, que faisons-nous? A quelle faiblesse
+nous laissons-nous aller! Dieu soit béni de ce que vous ayez enfin
+reconnu ma voix. Ecoutez votre vieux père qui vous aime et qui souffre
+toutes vos douleurs Vous croyez que votre tâche ici-bas est accomplie
+parce que vous n'avez plus à la remplir envers votre femme et votre
+fils, non, cher Christoval, elle ne l'est pas. Il vous en reste une
+autre plus importante encore, oui, oui, plus importante encore; je vous
+la ferai connaître et vous en conviendrez. Vous dites que votre
+existence n'a plus de but. Ah! mon fils il vous en reste un à atteindre
+que vous ne voyez pas, parce que les pleurs qui remplissent vos yeux
+obscurcissent votre vue. Vous voulez savoir ce que c'est? Je ne puis
+vous l'expliquer ici: l'heure et le lieu ne s'y prêtent pas. D'ailleurs
+je souffre un peu et nous avons l'un et l'autre besoin de repos. Venez
+me voir demain matin à huit heures précises, et je vous apprendrai à
+quelle fin vous devez consacrer le reste de vos jours, et vous ne
+sortirez pas de chez moi sans être consolé.»</p>
+
+<p>Don Christoval promit d'être exact au rendez-vous. Il reconduisit le bon
+chanoine jusqu'à la porte de sa chambre, et dom Sulzer ne le renvoya pas
+sans l'avoir embrassé et lui avoir donné sa bénédiction.</p>
+
+<p>Dom Sulzer, resté seul, s'agenouilla sur son prie-Dieu et fit une longue
+et fervente prière. Lorsqu'il se releva, son visage exprimait le
+contentement intérieur d'un homme plein de confiance dans la bonté du
+ciel, et certain d'avoir obtenu l'objet de sa demande. Bien qu'il fût
+une heure du matin, le chanoine, au lieu de se mettre au lit, chercha
+dans sa bibliothèque un volume de médiocre grosseur: l'ayant trouvé, il
+se replaça à son bureau et se mit à feuilleter le livre avec attention.</p>
+
+<p>Le lendemain don Christoval fut ponctuel. Huit heures sonnant, il
+frappait à la porte du cabinet de son ami. Point de réponse: il ouvre
+doucement. Qu'aperçoit-il? Le chanoine, assis devant sa table couverte
+de papiers, dans son grand fauteuil de cuir, le corps droit, immobile,
+et profondément endormi. Le sommeil l'avait surpris au milieu de
+l'étude, car il avait la main droite posée sur un livre ouvert, et son
+index allongé semblait montrer un passage. L'affaiblissement et
+l'incertitude de sa vue avaient fait prendre au vieillard cette habitude
+de suivre, en lisant la ligne, avec le doigt, pour ne pas s'égarer dans
+la page. Le soleil levant, s'introduisant de côté dans cette chambre
+studieuse, illuminait la tête pâle et vénérable de dom Sulzer. En face
+du vieillard et ombrageant le volume, un pot de fleurs, ou s'élevait une
+jolie plante le réséda taillée en boule par les soins du chanoine, qui
+mettait son plaisir à cultiver et à soigner ce petit arbre dont il
+aimait singulièrement le parfum. Une fauvette de vignes chantait sur le
+rebord de la fenêtre entr'ouverte par le vent frais du matin.</p>
+
+<p>Don Christoval contemple un instant avec admiration ce tableau plein de
+calme et de solennité. Ne voulant pas troubler le repos de son vieil
+ami, il s'approcha sur la pointe des pied pour voir quel ouvrage avait
+captivé si tard l'application du chanoine. Il lut ces paroles:</p>
+
+<p>«Mon fils, ne vous rebutez point des travaux que vous avez entrepris
+pour moi: ne vous laissez point abattre à tout ce qui peut vous arriver
+de fâcheux; mais que dans tous les événements de la vie ma promesse vous
+encourage et vois console.</p>
+
+<p>«Un jour, qui n'est connu que du Seigneur, vous amènera la paix, et ce
+jour ne sera point comme ceux de cette vie, mêlé de l'alternative de la
+nuit: la lumière en sera perpétuelle et la charité infinie. La paix dont
+vous jouirez sera solide et votre repos assuré.</p>
+
+<p>«Est-il rien de pénible qu'on ne doive supporter pour la vie éternelle?</p>
+
+<p>«Mon fils, ma grâce est précieuse et ne souffre point le mélange des
+choses étrangères ni des consolations de la terre.</p>
+
+<p>«Si vous voulez la recevoir, faites-vous un lieu de retraite ne
+recherchez l'entretien de personne, mais répandez-vous devant Dieu par
+une ardente prière.»</p>
+
+<p>--Don Christoval, plus surpris et plus attendri à mesure qu'il lisait,
+arriva enfin au verset sur lequel était placé le doigt de dom Sulzer:</p>
+
+<p>«IL FAUT QUITTER LE MONDE: IL FAUT VOUS SÉPARER DE VOS CONNAISSANCES ET
+DE VOS AMIS ET TENIR VOTRE AME DANS LA PRIVATION DE TOUTES LES
+CONSOLATIONS HUMAINES!»<a id="footnotetag1" name="footnotetag1"></a><a href="#footnote1"><sup class="sml">1</sup></a></p>
+
+<p>Christoval, extrêmement ému, éprouva alors comme une soudaine
+révélation: il toucha la main de dom Sulzer, il la trouva froide et
+glacée! Il approcha ses lèvres du front du vieillard, et le contact lui
+parut celui d'une statue de marbre! Dom Sulzer habitait désormais une
+meilleure vie; il avait reçu le prix de ses souffrances et de ses
+vertus, il connaissait le jour du Seigneur dont la lumière est
+perpétuelle et la clarté infinie: il était mort. Don Christoval comprit
+que ce but dont la veille encore lui parlait le saint vieillard, était
+d'obtenir une mort pareille à celle-là.</p>
+
+<p>Il se prosterna près du défunt, et son coeur, dans une effusion de
+pieuse reconnaissance, prit l'engagement que la bouche du dernier moine
+de Reichenau, cette bouche désormais muette, semblait lui dicter par
+l'organe du <i>plus beau livre qui soit sorti de la main des hommes</i>.<a id="footnotetag2" name="footnotetag2"></a><a href="#footnote2"><sup class="sml">2</sup></a></p>
+
+<p>Dom Sulzer fut inhumé vingt-quatre heures après dans le choeur de
+l'antique église de l'abbaye. L'humble et dernier représentant du
+monastère, le simple moine, reçut un honneur jadis réservé pour ses
+puissants abbés. Il arriva parmi eux comme un messager chargé de leur
+annoncer l'extinction définitive de leur famille; comme un soldat fidèle
+qui se réfugie au milieu de ses chefs pour attendre la chute de
+l'édifice dont la ruine les doit tous ensevelir dans un commun tombeau.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote1" name="footnote1"><b>Note 1: </b></a><a href="#footnotetag1">(retour) </a> <i>Imitation de J.-C.</i></blockquote>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote2" name="footnote2"><b>Note 2: </b></a><a href="#footnotetag2">(retour) </a> J.-J. Rousseau.</blockquote>
+
+<p>Le lendemain de ces funérailles auxquelles assistèrent tous les
+habitants de l'île, la maisonnette de don Christoval était déserte. Ou
+trouva sur une table une lettre qui la donnait, avec tout son mobilier,
+à un pauvre laboureur, pere de famille, de qui la grange avait brûlé
+quelques mois auparavant. Le bruit public 'fut que don Christoval,
+accablé par la triple perte qu'il venait de faire, n'avait pu résister à
+son désespoir, et s'était précipité dans le lac. Un batelier racontait
+que, l'Espagnol était venu le soir de l'enterrement louer un bateau pour
+passer, disait-il, à Radolsszell. Au point du jour, le bateau avait été
+retrouvé flottant au hasard sur la rive; on conjecturait que le vent
+l'avait repoussé vers Reichenau, après la catastrophe de celui qui le
+montait. Cependant, le cadavre de don Christoval ne reparut point sur
+les îlots, et les pêcheurs sondèrent en vain le lac.</p>
+
+<p><i>(La fin à un numéro prochain.)</i></p>
+
+<br>
+
+<h3>Théâtres.</h3>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/006a.png"><br><b>(Théâtre de l'Odéon.--Lucrèce, par M. Ponsard.<br>--Brute:
+Bocage;--Lucrèce: madame Dorval.)</b></p>
+
+<p class="mid">LA GRÈCE.--BRUTUS.--LA COMÉDIE A CHEVAL.--LES DEUX FAVORITES.--LE MÉTIER
+A LA JACQUART--LES CANUTS.--LE VOYAGE EN L'AIR.--J'AI DU BON
+TABAC.--MARGUERITE FORTIER.--LES PRÉTENDANTS.</p>
+
+<p>Le second Théâtre-Français est tout émerveillé de la foule qui
+l'assiège; il n'est pas accoutumé à ces bonnes fortunes: une recette de
+3,500 fr. à l'Odéon, est un de ces prodiges dont la mémoire se perd dans
+la nuit des temps. Il faut en rendre grâce à M. Ponsard; c'est à
+<i>Lucrèce</i> que l'honneur en revient. <i>Lucrèce</i> ameute la foule sur toute
+la place de l'Odéon, comme autrefois au Forum, autour de ses glorieux
+restes, pour marcher contre la tyrannie et les Tarquins. Le public est
+décidément conquis par Lucrèce et par M. Ponsard. Il prête une oreille
+attentive aux vers énergiques ou gracieux du jeune poète; il s'émeut aux
+accents de Brute, de Sextus et de Tullie; deux scènes surtout semblent
+l'intéresser et le tenir attentif: l'une montre Lucrèce dans une
+mutuelle confidence avec Brute; la jeune et chaste Romaine a pénétré les
+projets du citoyen. Elle a passé à travers l'enveloppe du fou, pour
+arriver jusqu'à l'âme patriotique. Sous le sublime mensonge de cette
+folie, Lucrèce entrevoit la mâle pensée qui veille et s'alimente dans
+cette âme profonde, comme une lampe mystérieuse dans un lieu solitaire
+et caché. Elle déclare à Brute que son vaste dessein est connu d'elle,
+Lucrèce, et qu'elle le paie silencieusement de son estime et de son
+admiration. Avoir l'estime de Lucrèce, quelle consolation pour Brute!
+Comme la plaie des affronts qu'il subit pour son pays est adoucie par
+cette secrète amitié de la femme fidèle et chaste! Aussi le glorieux
+insensé soulève-t-il un instant, devant cet oeil discret, le voile de sa
+pensée; Brute ne se cache plus pour Lucrèce; il n'avoue pas, mais il
+permet qu'on devine. Et c'est là un grand éloge, pour la vertu de cette
+femme, que Brute, l'homme au génie enveloppé et muet, laisse ainsi
+passer jusqu'à elle une lueur du vaste projet que son esprit médite et
+dissimule.</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/006b.png"><br><b>(Dernière scène de la tragédie de Lucrèce.)</b></p>
+
+<p>Dans l'autre scène, le spectateur contemple avec émotion le corps
+inanimé de Lucrèce, qui vient de se donner la mort; c'est le, moment
+héroïque du sacrifice si vigoureusement décrit par Tite-Live, et
+qu'après Tite-Live, M. Ponsard a revêtu des couleurs d'une, mâle
+poésie.--Lucrèce s'est frappée au coeur du couteau qu'elle tenait caché
+sous sa robe, et tombant sous le coup, elle a rendu le dernier soupir.
+Tandis que Lucrétius son père, et Valère et Collatin s'abandonnent à
+leur douleur, Brutus tire de la blessure le fer tout dégouttant de
+sang: «Par ce sang si pur, s'écrie-t-il, je jure, et vous, dieux, je
+vous prends à témoin de ce serment; je jure de poursuivre par le fer,
+par le feu, par tous les moyens qui sont en mon pouvoir, Lucius Tarqnin
+le Superbe et son épouse criminelle, et toute sa postérité, et de ne
+jamais souffrir que ni eux ni d'autres règnent dans Rome!» La douleur a
+fait place à la colère; on suit Brutus à la destruction de la royauté;
+le corps de Lucrèce, placé sur un brancard, est porté au Forum, et
+Brutus excite le peuple, à prendre les armes. Assurément c'est là un de
+ces spectacles qui remuent l'âme et la trempent fortement. Le parterre
+de l'Odéon y applaudit avec l'ardeur généreuse des vives et jeunes
+émotions.</p>
+
+<p>Le théâtre du Vaudeville a voulu aussi avoir son <i>Brutus</i>; mais celui-là
+est un Brutus pour rire; d'abord il n'est pas de Rome, mais de Pontoise
+ou de Quimper-Corentin; les Tarquins lui sont complètement étrangers; il
+n'entend rien au Forum, et au Capitole encore moins. Parlez-lui de
+Lucrèce, il vous répondra: «Connais pas!» Nommer Arnal, c'est tout dire;
+cela vous donne la mesure de mon Brutus. Il n'est pas fou, tant s'en
+faut: Brutus a de la modestie, et se contente d'être niais. Il frotte
+les habits et cire les bottes de M. Courtois, son seigneur et maître, et
+ne sera jamais consul romain. Quant à la république, Brutus la sert fort
+mal; appelé, en sa qualité de soldat du guet, à réprimer une émeute
+royaliste, il a jeté là son fusil, comme Horace son bouclier, et il pris
+la fuite; mais à cet exploit se borne la ressemblance de Brutus et du
+poète favori de Mécènes: Brutus est capable de fuir, mais incapable de
+faire l'ode à la nymphe de Blanduse et l'épître aux Pisons.</p>
+
+<p>Un instant, les destins de Brutus prennent une allure magnifique; de
+simple valet qu'il est, il risque de devenir marquis. Un anneau trouvé
+par Brutus lui donne cette espérance; il a mis l'anneau à son doigt, et
+peu s'en faut que de cet anneau il ne résulte, un père pour Brutus.
+Cette trouvaille l'accommoderait fort; car, enfin, Brutus ne sait pas de
+quelle côte il est sorti. Brid'oison dit bien qu'on est toujours le fils
+de quelqu'un, mais de quel père? Telle est la question compliquée que
+Brutus se pose tous les jours à lui-même, sans avoir pu jusqu'ici la
+résoudre. Il a cependant une consolation, c'est que s'il ne connaît pas
+son père, sa mère probablement a dû le connaître.</p>
+
+<p>Donc, Brutus se croit fils d'un marquis; et, pour un Brutus, vous
+avouerez que la filiation est un peu embarrassante, d'autant plus que le
+marquis est proscrit. Comment échappera-t-il aux agents républicains? La
+crédulité de Brutus vient à son aide dans cette périlleuse affaire;
+Brutus, le prenant pour son père, a pour lui toutes les tendresses
+burlesques qu'on peut attendre d'Arnal; il le suit à la piste, il lui
+tend les bras, et veut à tout propos le presser sur son coeur et
+l'embrasser tendrement. Le meilleur de ce dévouement filial, c'est que
+Brutus procure une carte de sûreté et un passe-port à son prétendu père;
+et celui-ci en profite pour s'esquiver. Quant à Brutus, par un de ces
+grands mouvements de fortune qui accompagnent les révolutions, il
+devient portier. Quelle situation pour le fils d'un marquis! Après tout,
+qu'importe? il tirera le cordon au lieu de la porte en sautoir! C'est à
+peu près la même chose.--Ce quiproquo, égayé par quelques mots plaisants
+et par le jeu naïf d'Arnal, a honnêtement réussi. Les auteurs sont MM.
+Varin et Conailhac. On avait sifflé la veille un autre vaudeville
+intitulé: <i>la Comédie à cheval</i>. Le cheval a fait un faux pas à moitié
+chemin, et la comédie désarçonnée, une lourde chute.</p>
+
+<p>Pour Jacquart, c'est autre chose; le Gymnase a pris la revanche du
+théâtre du Vaudeville, Bouffé y aidant, et aussi le talent de M.
+Fournier, l'auteur du <i>Métier à la Jacquart.</i> Tout le monde connaît
+Jacquart, le bienfaiteur de la filature lyonnaise, l'inventeur du
+merveilleux métier si fécond pour l'industrie, si utile au soulagement
+de l'ouvrier. M. Fournier nous montre Jacquart préoccupé de son
+ingénieuse invention: il l'entrevoit, mais il ne la tient pas encore;
+Jacquart cherche ce rien, ce dernier mot, si difficile à trouver, et qui
+arrête souvent les plus magnifiques découvertes; ce pauvre Jacquart en
+rêve nuit et jour; vous pensez, comme en rêvant, il néglige les intérêts
+de sa maison; aussi la pauvreté en a-t-elle franchi le seuil. Quelques
+milliers de francs restaient, dernier espoir de sa femme et de sa fille;
+Jacquart les a perdus par sa distraction. C'est peu encore; en voyant
+cet homme si insouciant de ses intérêts et si rêveur, on dit de lui: «Il
+est fou!» Et chacun de le montrer au doigt. Enfin, notre Jacquart perd
+courage; ruiné, honni, s'épuisant vainement à la poursuite de ce dernier
+secret qui lui échappe; toujours, il prend une résolution désespérée. Le
+malheureux se dirige vers le Rhône pour s'y précipiter: une main
+inconnue l'arrête avant l'accomplissement du suicide; et voilà Jacquart
+tout étonné de se trouver dans une chaise de poste roulant sur la route
+de Paris.</p>
+
+<p>A Paris, on le conduit dans un magnifique palais; des soldats veillent
+aux portes; des hommes tout brodés d'or et tout chamarrés de rubans vont
+et viennent dans les galeries et dans les antichambres. De Lyon à Paris,
+Jacquart a eu le temps de se remettre et de reprendre le sang-froid
+plein de franchise, et le naturel sans façon qui le caractérisent. Il ne
+se gêne donc guère avec tous ces beaux messieurs-là; et comme Jacquart
+n'a qu'une idée en tête, sa fameuse découverte, il en parle à qui veut
+l'entendre. Voyez-vous ce grand homme sec qui regarde Jacquart d'un air
+railleur? c'est un illustre chambellan à qui Jacquart explique le
+mécanisme de sa machine. Le grand seigneur d'en rire. Que voulez-vous?
+on est chambellan, et l'on n'est pas obligé pour cela d'avoir de
+l'instruction et de l'esprit. Le chambellan n'y voit donc goutte; comme
+tous les ignorants et les sots, il se tire d'embarras en ricanant et
+traite Jacquart d'insensé.--Une porte s'ouvre; ce n'est plus au valet
+brodé, c'est au maître que Jacquart a affaire: et ce maître est
+Napoléon, l'empereur et le roi! S'il n'a pu se faire comprendre par le
+chambellan, Jacquart est bientôt compris par le grand homme; le génie du
+héros fécondera le génie de l'ouvrier, et le métier Jacquart sort
+victorieux de cette entrevue. L'industrie lyonnaise a fait sa conquête.
+Qui est ravi? Jacquart, et la femme de Jacquart, et la fille de
+Jacquart, laquelle, du coup, épouse un très-joli et très-excellent jeune
+homme, qui l'aime et qu'elle aime; double amour qui attendait depuis
+longtemps, et restait sur le métier. Bouffé est charmant dans ce rôle de
+Jacquart.</p>
+
+<p class="lef"><img alt="" src="images/007a.png"><br><b>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;(Théâtre du Palais-Royal.--Voyage entre<br>
+ &nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Ciel et Terre.)</b></p>
+
+<p>Le Gymnase ne s'en est point tenu là; Charles II a succédé à Jacquart.
+Il s'agit du faible et galant Charles II, roi d'Angleterre. Charles mène
+de front deux intrigues amoureuses; véritable bagatelle pour un tel
+consommateur. D'une part, le roi a une liaison avec la duchesse de
+Cleveland; de l'autre, il cherche à séduire une jeune fille innocente et
+pure; c'est un assez vilain métier que S. M. fait là. N'est-ce pas un
+peu un métier de roi? D'abord la duchesse est furieuse et jalouse; elle
+soupçonne la jeune fille de perfidie et de complicité; puis, bientôt
+convaincue de sa candeur, elle se laisse émouvoir et emploie toutes les
+ressources de son expérience à sauver l'innocente Jenny des pièges que
+l'amour du roi lui tend: pièges cachés sous le sourire, les tendres
+regards et les enivrantes promesses. Grâce à cet appui, Jenny, en effet,
+échappe au danger. Le roi, battu et très-peu content, revient, l'oeil
+morne et la tête baissée, à la duchesse de Cleveland. Ainsi, madame la
+duchesse, vous avez fait votre bien en faisant le bien d'autrui: honnête
+cumul que la loi ne défend pas et qu'il est même bon d'encourager.
+L'auteur, M. Jules de Prémaray, appelle cela <i>les Deux Favorites</i>.
+Pourquoi pas? Madame Volnys et mademoiselle Rose Chéri sont les deux
+brebis que ce loup de Charles II essaie de dévorer de la même dent; nous
+avons dit que l'une des deux brebis échappait à cette dent d'ogre, et
+c'est mademoiselle Rose Chéri, la plus fraîche, la plus blanchi et la
+plus tendre.</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/007b.png"><br> <b>Théâtre du Palais-Royal.--Les Canuts.</b></p>
+
+<p>Le Jacquart du Gymnase a son pendant au théâtre du Palais-Royal: même
+sujet, même homme, mêmes événements; le titre seul est différent: <i>Les
+Canuts</i> décorent l'affiche. Quant au fond des choses, rien n'est changé.
+Vous retrouvez Jacquart rêvant. Jacquart désespéré. Jacquart méconnu.
+Jacquart tout près du suicide, puis enfin Jacquart triomphant et son
+métier avec lui. Le Gymnase a l'avantage de la forme. Son Jacquart est
+beaucoup plus ingénieux et plus fin que le concurrent; l'un est brutal
+et donne dans le gros rire; l'autre vous communique une gaieté de
+meilleur goût et d'une saveur plus relevée. Ainsi, le Gymnase et le
+Palais-Royal s'entendent pour satisfaire tous les appétits. Les délicats
+goûteront de Bouffé les amateurs de grosses épices tâteront de Lemesnil,
+le Jacquart du Palais-Royal. Ceux-là applaudiront M. Fournier, ceux-ci
+MM. Varnet et Deslandes.</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/007c.png"><br><b>(Théâtre du Gymnase.--Le Métier à la Jacquart.--Bouffé et
+Klein.)</b></p>
+
+<p>Un honnête aéronaute monte dans son ballon: le voilà dans l'espace,
+entreprenant un voyage en l'air. Notre homme se croit seul, en compagnie
+avec les nuages, bien entendu, et la voûte azurée. Qui s'aviserait, en
+effet, de l'escorter dans une pareille promenade? Nous ne voyageons pas
+sur la grande route; nous ne flânons pas sur les boulevards ni aux
+Champs-Élysées: ici la pérégrination n'est pas facile: on ne marche pas
+dans l'air comme sur l'asphalte, la canne à la main et de plain-pied.</p>
+
+<p>Et cependant un homme a suivi l'aéronaute ci et s'est blotti au fond de
+sa nacelle. Où ne se fourrerait-on pas pour fuir un créancier? Tel
+débiteur se cache sous terre; celui-ci a pris le: chemin des étoiles.
+Tout à coup, il sort de sa tanière et se montre aux yeux du Margat
+épouvanté. Ce ne serait rien encore, et à la rigueur le ballon porterait
+nos deux hommes; mais tous deux se reconnaissent; ce sont deux rivaux,
+deux voisins acharnés qui se disputaient sur terre les mêmes beaux yeux
+et la même dot. Se trouvant face à face, l'aéronaute et son rival se
+livrent à des attaques furieuses; d'abord ils se lancent des mitrailles
+de quolibets, et se bombardent avec des calembours. De la parole on en
+vient à l'action; nos gens se prennent au collet et se montrent le
+poing; mais ils comptaient sans leur hôte, c'est-à-dire sans leur
+ballon: le ballon chavire dans le désordre de la bataille. Gare
+là-dessous! les combattants vont choir. Heureusement le danger les rend
+sages; ils concluent un armistice, rétablissent l'équilibre et échappent
+au danger par un effort commun. Après quoi, ils s'embrassent, et l'un
+sacrifie son amour à l'amour de l'autre. Ce vaudeville est plus
+philosophe qu'il n'en a l'air. Mais quelle philosophie! une philosophie
+en style de tréteaux. M. Duvert en est le Socrate et M. Lauzanne le
+Platon.</p>
+
+<p>Vous avez du bon tabac dans votre tabatière, ô théâtre des Variétés!
+cela est possible, et votre affiche l'annonce; mais quelques bonnes
+pièces dans votre salle vaudraient mieux encore et ne feraient pas mal.
+Votre bon tabac lui-même n'a pas grand goût, et ne saurait être reçu
+pour du pur Virginie. La scène se passe dans un bureau de tabac; et
+c'est là toute la malice: un certain marquis y vient roder pour les
+beaux yeux de la dame de céans. Celle-ci a du penchant pour les marquis
+et les priserait volontiers; mais le mari est jaloux et surveille; il a
+du bon tabac dans sa tabatière, et entend que personne n'y touche.
+J'aurais grand'peur pour le mari, malgré ses airs d'Othello en carotte,
+si quelqu'un, ou plutôt quelqu'une, ne venait à son aide, préservant
+d'une éclipse menaçante son astre conjugal peu à peu pâlissant. M. le
+marquis a laissé derrière lui une jeune femme abandonnée; cette Ariane
+prend les vêtements d'un aimable cavalier, et fait concurrence dans le
+coeur de la tabatière, aux séductions du marquis. Elle le dépiste ainsi,
+et le met en déroute, se déclarant après la victoire, et jouissant de la
+défaite de son infidèle, qui s'humilie, se repent et tombe à ses pieds.
+C'est tout au plus si le public a dit à ce vaudeville de MM. Desnoyers
+et Danvin: «Dieu vous bénisse!»</p>
+
+<p>MM. Alboise et Paul Foucher font couler des ruisseaux de larmes au
+théâtre de la Gaieté; <i>Marguerite Fortier</i> en est cause; et comment ne
+pas s'attendrir aux infortunes de Marguerite et ne pas accompagner de
+sanglots son innocence persécutée; Marguerite est la victime d'un
+abominable pendard; ce pendard vole, et c'est Marguerite Fortier qu'il
+accuse, et l'innocente porte la flétrissure de cette calomnie; pendant
+dix ans, on la pourchasse, on l'emprisonne; elle est maudite à droite, à
+gauche, de tous les côtés. Enfin! enfin! le jour de la récompense
+arrive: le bandit est récompensé par le gendarme et le procureur du roi,
+et Marguerite par l'estime de tous les honnêtes gens; on peut dire que
+cette estime-là, elle ne l'a pas non plus volée!</p>
+
+<p>Une comédie de M. Lesguillon a essuyé, au second Théâtre-Français, les
+bourrasques du parterre; quelques jolis vers n'ont pu la soutenir dans
+ce naufrage. <i>Requiescat!</i></p>
+
+<h4>THÉÂTRE DE L'OPÉRA-COMIQUE.</h4>
+
+<p class="mid"><i>On ne s'avise jamais de tout</i>, opéra-comique en un acte.</p>
+
+<p>Cette pièce est de Sedaine, en date de 1775, ou à peu près. --Voilà qui
+est bien vieux!--D'accord; mais le <i>Misanthrope</i> est bien plus vieux
+encore, et les pièces de théâtre ne sont pas sans doute du nombre de ces
+choses que la nature a condamnées à enlaidir en vieillissant.</p>
+
+<p><i>On ne s'avise jamais de tout!</i> Voilà, pour un opéra-comique, un titre
+qui promet. Calculez, si vous l'osez, tous les stratagèmes amoureux,
+toutes les ruses de guerre, toutes les perfidies féminines, toutes les
+déceptions, toutes les mystifications que peut renfermer un magasin qui
+s'annonce par une pareille enseigne. Beaumarchais a intitulé sa comédie:
+<i>Le Barbier de Séville, ou la Précaution inutile</i>. Pourquoi ne l'a-t-il
+pas plutôt intitulée: <i>Le Barbier de Séville, ou l'on ne s'avise jamais
+de tout</i>? Vraiment, il n'eût pas demandé mieux: mais Sedaine avait pris
+les devants, et Beaumarchais, en homme habile qu'il était, a compris que
+c'était bien assez de voler à son prédécesseur ses personnages, et qu'il
+fallait au moins respecter son titre, qui eut mis le plagiat trop à
+découvert.</p>
+
+<p>En effet, il y a, dans le petit opéra de Sedaine, quatre personnages:</p>
+
+<p>1° Un vieux médecin, tuteur d'une jeune fille dont il est amoureux,
+qu'il veut épousera tout prix, et qu'il tient hermétiquement enfermée,
+afin de lui arracher par force et par surprise un consentement qu'elle
+lui refuserait infailliblement si elle connaissait mieux le monde, et si
+elle se connaissait mieux elle-même.</p>
+
+<p>2° Cette jeune fille, qui en sait plus long que le docteur ne le pense,
+à qui la captivité enseigne la dissimulation, à qui l'oppression donne
+de la volonté et du courage, et qui choisit, ouvertement et sans façon</p>
+
+<p class="mid">
+ Le jeune amant sans barbe à la barbe du vieux.
+</p>
+
+<p>3º Une vieille duègne, que le docteur place auprès de Lise, pour la
+surveiller pendant qu'il visite ses malades.</p>
+
+<p>4º Un jeune seigneur, épris de Lise, qui lui fait la cour en
+perspective, puis se déguise pour arriver jusqu'à elle, et finit par
+l'enlever au docteur, malgré <i>ses précautions inutiles</i>, ses verrous,
+ses grilles et sa duègne.</p>
+
+<p>Ne voilà-t-il pas, trait pour trait, les originaux de Bartholo, de
+Marceline, de Rosine et d'Almaviva?</p>
+
+<p>Avec ces éléments et le talent dramatique dont la nature l'avait si
+richement pourvu, comment Sedaine n'aurait-il pas fait une comédie
+plaisamment intriguée, vive, spirituelle et réjouissante? Il n'y a pas
+manqué, vous pouvez le croire, et les habitués de l'Opéra-Comique ont
+accueilli comme une bonne fortune cette résurrection de l'esprit sans
+apprêt et de la franche gaieté d'autrefois.</p>
+
+<p>«La musique, a dit M. Mocker, chargé de jeter au public le nom des
+auteurs, la musique est de M. Lefèvre.» Lefèvre! Aviez-vous jamais vu
+figurer ce nom sur la liste des compositeurs du dix-huitième
+siècle?--Non.--Et parmi ceux du temps présent?--Pas davantage.--Si nos
+souvenirs sont exacts, le musicien collaborateur de Sedaine fut
+Monsigny, qui, alors, livra son nom au public, et qui, sans doute, n'est
+pas sorti du tombeau tout exprès pour se déguiser sous un nom d'emprunt.
+D'ailleurs la musique que nous avons entendue à l'Opéra-Comique n'est
+pas celle de Monsigny. Qu'est-ce donc que Lefèvre, dont personne n'a
+jamais entendu parler, dont le nom n'a jamais figuré en tête du moindre
+morceau de salon, de la plus modeste romance? A la rigueur, nous
+pourrions facilement vous le dire. Vous le connaissez, lecteurs de
+<i>l'Illustration</i>..... Mais, chut! je le vois d'ici qui me reproche mon
+indiscrétion, et me fait entendre, que la vengeance des vivante est pour
+le moins aussi redoutable que celle des trépassés. Je me tais donc, et
+me borne à vous dire que sa musique est comme sa prose, correcte, pure,
+facile, naturelle, élégante sans recherche, et spirituelle sans effort
+et sans affectation. J'y dois signaler de plus un mérite fort rare, et
+qui fait de la nouvelle partition une oeuvre à part. L'auteur,
+travaillant sur un <i>poème</i> qui date de plus de soixante années, a senti
+que, pour qu'il y eût unité dans l'ouvrage, il devrait se mettre, par la
+pensée, à côté de son collaborateur. Ainsi a-t-il fait. Vous trouverez
+dans <i>On ne s'avise jamais de tout</i> le caractère et les charmantes
+qualités de la musique d'autrefois, la mélodie simple et naïvement
+expressive, l'harmonie claire et naturelle, les formes, les modulations,
+les cadences finales usitées au temps de Sedaine. Vous croirez entendre
+quelque oeuvre inédite de Grétry ou de Dalayrac,--en supposant toutefois
+que Grétry ait appris le contre-point, et que Dalayrac ait eu, cette
+fois, à sa disposition toutes les conquêtes matérielles de
+l'instrumentation moderne.</p>
+
+<p>--Parmi les innombrables concerts de cette année, celui qui a été donné
+dernièrement par madame Biarez mérite d'être particulièrement remarqué.
+Madame Biarez était naguère une femme du monde, et n'avait, à cultiver
+la musique, aucun autre intérêt que le plaisir qu'elle y trouvait. Mais
+la musique est une amie qui n'oublie jamais ce qu'on a fait pour elle,
+et qui vous reste fidèle après que tous les autres amis vous ont
+abandonné. Frappée par les événements, madame Biarez a demandé à la
+musique ce que la fortune venait de lui enlever, et maintenant elle est
+artiste, et artiste distinguée, comme son concert l'a prouvé. Sa voix
+est pure, accentuée et vibre délicieusement. Son exécution est
+très-correcte et son chant très-expressif. C'est principalement sous ce
+dernier point de vue que madame Biarez mérite de fixer l'attention.
+Plusieurs artistes éminents, MM. Haumann, M. Herz, madame Dorus, etc.,
+s'étaient joints à elle, et une nouvelle inédite de M. Frédéric Soulié,
+fort bien lue par M. Roger, est venue ajouter un vif intérêt littéraire
+à toutes les jouissances musicales de cette soirée. De nombreux et
+fréquents applaudissements ont prouvé à madame Biarez la satisfaction de
+l'assemblée qui s'était réunie pour l'entendre.</p>
+<br>
+
+<h3>Correspondance</h3>
+
+<h4>A MONSIEUR LE RÉDACTEUR DU JOURNAL L'ILLUSTRATION.</h4>
+
+<p>Monsieur le Rédacteur,</p>
+
+<p>Permettez-moi de vous soumettre quelques réflexions que m'a fait naître
+la nouvelle de l'incendie du théâtre du Havre.</p>
+
+<p>Les incendies de théâtres n'ont presque jamais lieu le soir, pendant la
+durée de la représentation. Neuf fois sur dix, comme à l'Odéon, comme au
+Vaudeville, comme au Havre, c'est pendant la nuit, après les rondes et
+les patrouilles, lorsque chacun se livre au repos, qu'une étincelle
+échappée d'un flambeau, que la pipe mal éteinte d'un ouvrier, que la
+chaufferette oubliée d'une duègne, allume un incendie qui se montre,
+s'élève, grandit et dévore en un instant la salle tout entière.</p>
+
+<p>Contre de tels sinistres, les précautions prise? par l'administration
+supérieure sont à peu près sans portée.</p>
+
+<p>Isoler les théâtres est une mesure sage sans doute, non pour eux-mêmes,
+mais pour le reste de la ville. L'Odéon, le théâtre du Havre étaient
+isolés et n'en nul pas moins brûlé. Il serait, cependant à désirer que
+cette mesure devint générale. Combien de théâtres, à Paris même, sont
+encore accolés à d'autres constructions! Les laissera-t-on ainsi
+jusqu'au jour où l'incendie viendra les faire disparaître avec tout le
+quartier qui les environne?</p>
+
+<p>Le réservoir est fort utile pendant la durée des représentations; mais
+lorsque le feu éclate, lorsque la flamme court le long des cordages et
+envahit toute la salle, le réservoir est inabordable et ne sert plus à
+rien.</p>
+
+<p>On en peut dire autant du rideau en tôle. Il peut sans doute éviter aux
+spectateurs une panique dangereuse; mais c'est seulement au commencement
+de l'incendie qu'on peut en tirer quelque utilité.</p>
+
+<p>Pourquoi n'emploierait-on pas dans la construction, dans la
+distribution, dans la décoration des salles de spectacle, des matériaux
+tout à fait réfractaires à l'action du feu? Cela, certes, n'a rien
+d'impossible. Pour les murailles, c'est tout simple; pour les planchers,
+n'en avons-nous pas vu faire d'élégants et de légers avec du fer et des
+poteries? Pour la toiture, nous avons sous les yeux de belles et solides
+couvertures en fer et en zinc. Rien n'empêche, par conséquent, avec de
+la pierre, du marbre, des poteries, du fer, du cuivre, du zinc, de faire
+la cage et les principales distributions d'un théâtre. Ces matériaux se
+prêteront à toutes les exigences de l'architecture, et ne seront jamais
+dévorés par l'incendie.</p>
+
+<p>Quant aux loges, aux galeries, il ne sera pas bien difficile de les
+construire élégantes et commodes, sans y faire entrer un seul morceau de
+bois.</p>
+
+<p>Sur le théâtre, la réforme sera plus difficile assurément; mais qu'on
+fasse un appel aux hommes spéciaux, et l'on verra toutes les difficultés
+s'évanouir. Un plancher en fer paraît fort convenable pour jouer le
+drame et la tragédie, pour chanter l'opéra ou le vaudeville. Peut-être
+les danseurs s'en plaindront-ils. Rien n'empêchera de leur donner un
+parquet mobile en bois pour le temps du ballet.</p>
+
+<p>Dans les décorations, les changements sont indispensables. Bien
+n'empêche d'abord de remplacer les cordes ordinaires par des cordes
+métalliques en fer ou en laiton, de substituer des poulies en cuivre aux
+poulies en bois, d'employer les métaux exclusivement pour la
+construction et le jeu des machines; les châssis qui portent les
+décorations et les chariots mobiles sur lesquels on les fait mouvoir,
+peuvent être en fer. Ils en seront moins lourds, certainement.</p>
+
+<p>Viennent maintenant la toile d'avant-scène et les toiles de fond, les
+nuages et les autres décorations peintes sur toile; tout cela
+pourrait-il être remplacé par de la toile métallique? Cela ne me paraît
+pas douteux. On fait en ce moment des étoffes métalliques si serrées et
+si fines, qu'elles peuvent, comme celles de chanvre et de lin, prendre
+l'apprêt de la peinture et servir à tous les usages du décor. Peut-être
+coûteront-elles plus cher: mais une légère augmentation dans le prix
+d'achat sera et au-delà compensé, par la durée, et surtout par
+l'<i>incombustibilité.</i></p>
+
+<p>Si maintenant la chimie trouvait moyen, et c'est possible de préparer
+des couleurs sans huile et de faire des vernis inattaquables par le feu,
+il ne resterait plus dans un théâtre aucune chance d'incendie.</p>
+
+<p>Alors les entreprises théâtrales ne seraient plus exposées à ces
+désastres qui les ruinent; alors, certaines de vivre, elles
+s'occuperaient d'améliorer, d'embellir leurs salles de spectacle, et
+nous verrions disparaître, non plus par les flammes, mais sous le
+marteau des démolisseurs, ces théâtres où l'on n'a tenu compte ni du
+confort ni du bon goût.</p>
+
+<p>Veuillez agréer, monsieur le rédacteur....</p>
+
+<p>UN DE VOS ABONNÉS.</p>
+
+<br>
+
+<h3>Industrie.</h3>
+
+<h4>LE SUCRE DE CANNE ET LE SUCRE DE BETTERAVE.</h4>
+
+<p class="mid">(Suite--Voir p. 90 et 159.)</p>
+
+<h3>II.</h3>
+
+<p>Production et fabrication du sucre de betterave.</p>
+
+<p>La betterave est une plante du genre <i>bette</i>, pivotante, charnue,
+très-épaisse, et d'une grosseur qui va quelquefois à 25 et à 30 cent, de
+diamètre dans sa partie supérieure. Il en existe plusieurs variétés.
+Celle qui est reconnue aujourd'hui comme la plus favorable à la
+production du sucre est la betterave blanche de Silésie <i>(beta alba)</i>:
+vient ensuite la betterave jaune <i>(beta major)</i>, venue de la graine de
+Castelnaudary; puis la rouge <i>(beta romana)</i>, et enfin la betterave
+ordinaire ou des champs, connue aussi sous le nom de disette <i>(beta
+sylvestris)</i>.</p>
+
+<p>Margraaf est le premier chimiste qui ait découvert dans la betterave
+l'existence du principe saccharin, et Achard le premier industriel qui
+établit, en Silésie, une usine pour la conversion de la betterave en
+sucre. En 1809 seulement, ces procédés de fabrication furent introduits
+en France. Cette industrie fut d'abord accueillie avec faveur par
+Napoléon qui entrevoyait dans sa prospérité future un des soutiens les
+plus énergiques de son système continental; elle fit cependant peu de
+progrès. Il en fut de même pendant les premières années de la
+Restauration. Mais peu à peu les droits élevés qui furent mis sur le
+sucre colonial, les primes accordées à l'exportation des sucres
+raffinés, donnèrent à l'industrie betteravière une impulsion d'autant
+plus grande, qu'elle jouissait en partie des primes qui, dans le
+principe, avaient été données à l'exportation du sucre colonial. Ce
+système protecteur et l'exemption complète de tous droits lui ont fourni
+les moyens de se développer, en même temps que les découvertes et les
+applications de la chimie lui apportaient chaque: jour le secours de
+leurs nouveaux perfectionnements. Cependant, malgré ces incroyables
+immunités, la production marcha d'un pas moins rapide qu'on n'aurait pu
+le croire; car, en 1828, il n'y avait en France que 58 fabriques en
+activité, produisant 2.685.000 kil.</p>
+
+<p>Ce ne fut que quelques années plus tard que l'industrie betteravière,
+favorisée par l'exemption des droits et la continuation des causes que
+nous venons d'énumérer, prit une extension plus considérable. Aussi,
+quand on réduisit le taux des primes à l'exportation, et qu'on imposa le
+sucre indigène au droit d'abord de 15 fr. (16 fr. 50 c. avec le décime),
+et plus tard à celui de 25 fr. (27 fr. 50 c. par 100 kilog.), il fut
+assez fort pour lutter contre la concurrence coloniale. Il est vrai
+qu'il lui restait encore une protection de 22 fr. Quelques usines
+seulement furent obligées de fermer, mais ce furent surtout celles qui
+étaient placées dans de mauvaises conditions de travail ou de débouché.</p>
+
+<p>Le chiffre de 1828 ne tarda pas à être dépassé. En 1830, la production
+était déjà évaluée à 6 millions de kilog.; en 1834, à 26 millions; en
+1835, à 38 millions; en 1836, à 49 millions. An commencement de 1837, le
+nombre des fabriques en activité ou en construction s'élevait à 343, et
+si toutes avaient fonctionné, elles pouvaient produire 55 millions de
+kilog. Aujourd'hui, le nombre des fabriques en activité est de 382; 25
+autres, sans avoir travaillé, avaient des sucres en charge au
+commencement de cette campagne, qui, comme on le sait, commence au 1er
+octobre de chaque année. Les quantités inventoriées, à la charge de
+l'année précédente, se montaient à 4.338.664 kilog. Pendant le mois de
+janvier 1842, il a été fabriqué 5.505.533 kilog.; et pendant les trois
+mois antérieurs, 16.960,348 kilog.: total, 22.465.881 kilog., dont,
+pendant cet espace de temps, y compris le mois de janvier, 17.982.926
+kilog. ont été livrés à la consommation. A la fin du mois, il restait en
+fabrique 8.821.619 kilog. Les 382 fabriques en activité au mois de
+janvier 1843 se répartissent ainsi qu'il suit entre les différents
+départements qui les possèdent.</p>
+
+<pre>
+ Aisne 36
+ Nord 158
+ Oise 8
+ Pas-de-Calais 79
+ Puy-de-Dôme 10
+ Seine-et-Oise 4
+ Somme 37
+ 34 autres départements 50
+
+ Total égale 382
+</pre>
+
+<p>Les droits sur le sucre indigène ont, en 1842, rapporté au Trésor une
+somme de 8.981.000 fr.</p>
+
+<p>La betterave est cultivée dans quarante et un départements; mais le
+rendement est loin d'être égal pour chacun d'eux. Il ne sera peut-être
+pas sans intérêt de compléter le tableau suivant, que nous empruntons à
+la <i>Statistique agricole de la France</i>, publié en 1840.</p>
+
+<pre>
+
+ Nombre d'hect. Quintaux métr. Produit
+ Départements cultivés recueillis. par hectare.
+
+ Nord 12.244 5,145.599 420
+ Pas-de-Calais 7.167 2.316.123 525
+ Haut-Rhin. 1.757 602.454 347
+ Ardennes. 141 42.066 297
+ Puy-de-Dôme. 1,020 286.927 279
+ Aisne. 3.359 859.742 256
+ Bas-Rhin. 1,945 446.186 230
+ Ain. 216 27.917 129
+</pre>
+
+<p>Dans les départements où la terre est propice à la culture de la
+betterave, un hectare rend 3.675 kilog. de sucre, et il pourrait en
+donner jusqu'à 4,400. Dans le principe, on n'obtenait que 50 kilog. de
+jus pour 100 kilog. de betteraves; mais on est parvenu à retirer 70 à 75
+kilog. de premier jet.</p>
+
+<p>Après ces données générales, nous pouvons exposer les procédés de la
+fabrication actuelle du sucre de betterave. On met en pratique deux
+modes principaux, celui dit <i>de la cristallisation lente</i>, et celui <i>de
+la cristallisation prompte</i> ou de <i>la cuite</i>. Ces deux modes ont été
+décrits avec une telle précision par M. Crespel-Delisse, fabricant à
+Arras, lorsqu'il fut entendu dans la dernière enquête sur les sucres,
+que nous croyons devoir copier ici textuellement sa déposition. Nous le
+faisons d'autant plus volontiers, que nous essaierions peut-être en vain
+d'atteindre à l'exactitude de ses descriptions:</p>
+
+<p>«Les manipulations, d'après le mode de la cristallisation lente, dit M.
+Crespel-Delisse, sont: le lavage, le râpage, le pressurage,
+l'acidification, l'évaporation, la clarification, la cristallisation et
+l'extraction de la mélasse du sucre brut.</p>
+
+<p>«La betterave, amenée des champs ou des magasins, est jetée dans de
+grands baquets pleins d'eau; des hommes la frottent avec un balai, et la
+retournent de tous les sens jusqu'à ce qu'elle soit propre. On la retire
+de ces baquets avec une pelle de bois, percée de divers trous, de trois
+centimètres de diamètre.</p>
+
+<p>«Du lavoir, la betterave est portée à la râpe, cylindre armé de lames de
+scie, et auquel on imprime un mouvement de rotation d'environ mille
+tours par minute. Cette impulsion est donnée par des boeufs attelés à un
+manège; la betterave est poussée contre la râpe, dans les coulisseaux,
+par un sabot de bois; la pulpe est reçue dans un baquet de cuivre.</p>
+
+<p>«La pulpe est prise de ce baquet avec une pelle de bois, et mise dans
+une toile de chanvre un peu claire. Ce sac est étendu sur une claie en
+osier, le bout du sac reployé de manière à ce que la pulpe ne s'en
+échappe pas. On forme une pile de trente sacs, ainsi rangés, que l'on
+soumet à l'action d'une presse hydraulique, en dix minutes, la pression
+s'effectue, et on tire de cette pile un hectolitre et demi de jus,
+environ 75 à 80 p. 100 du poids de la pulpe.</p>
+
+<p>«Le jus est reçu de la presse dans des baquets doublés de plomb de la
+contenance de 8 hectolitres. Aussitôt qu'un bac est plein, on y ajoute,
+en le mêlant au liquide, deux hectogrammes d'acide sulfuriquc concentré
+à 66 degrés, et préalablement étendu d'eau dans la proportion d'une
+partie d'acide sur quatre parties d'eau. Ainsi préparé, le jus peut se
+conserver vingt-quatre heures.</p>
+
+<p>«Le jus est monté par une pompe dans la chaudière à défécation; sa
+contenance est aussi de 8 hectolitres. On met le feu au fourneau; on
+ajoute aussitôt au liquide 2 hectogrammes 50 grammes de chaux vive, que
+l'on a fait éteindre pour former un lait de chaux. Un brosse le tout
+fortement, et lorsque la masse est arrivée à 50 degrés de chaleur du
+thermomètre de Réaumur, on y ajoute de nouveau 8 litres de sang de boeuf
+ou de lait écrémé; ou pousse activement le feu et on le retire au
+premier bouillon, c'est-à-dire quand le jus a atteint 80 degrés Réaumur.
+Ou enlève toutes les parties hétérogènes qui se sont accumulées à la
+surface du liquide. Ces eaux sont portées dans des sacs soumis aussi à
+la pression d'une presse à vis, pour retirer toutes les parties
+liquides, lesquelles sont reportées dans la chaudière d'évaporation.</p>
+
+<p>«Le liquide, laissé en repos après la défécation, est tiré au clair par
+un robinet placé au fond de la chaudière. Les huit hectolitres sont
+partagés en deux chaudières d'évaporation. On ajoute au jus déféqué 5
+hectogrammes de noir animal par hectolitre. On accélère, autant que
+possible, l'évaporation par une ébullition forte et prolongée, jusqu'à
+ce que le sirop marque 52 degrés à l'aréomètre de Beaume.</p>
+
+<p>«Le sirop est reçu des chaudières d'évaporation dans un chaudière de
+clarification, et lorsque plusieurs opérations réunies forment une
+quantité de six hectolitres, on procède à la clarification en mettant au
+sirop six à huit litres de sang de boeuf, ou de lait écrémé. On fait
+faire un ou deux bouillons à la masse, on tire le feu du fourneau et
+l'on fait rouler le sirop avec toutes ses impuretés dans des cuves de la
+contenance de six hectolitres si on se dispose à faire cristalliser
+lentement, et dans des filtres, si on veut procéder à la cristallisation
+prompte.</p>
+
+<p>«Après trois ou quatre jours de repos du sirop dans les cuves, on le
+décante au moyen de robinets placés à différentes distances du fond de
+ces cuves. Il est porté bien clair à l'étuve, et mis dans des
+cristallisoirs placés sur des rayons. Ou entretient dans l'étuve une
+chaleur de 50 degrés Réaumur, et par une évaporation lente que subit le
+sirop, il se forme à la surface une couche cristalline que l'on a soin
+de briser tous les deux jours.</p>
+
+<p>Après six semaines de séjour à l'étuve, le sirop est complètement
+cristallisé. On reprend alors les cristallisoirs, on le« pose debout
+au-dessus d'un réservoir, pour laisser écouler le plus gros de la
+mélasse. Le sucre reste en masse dans le cristallisoir; on l'en détache
+pour le porter à deux cylindres à travers lesquels on le fait passer à
+plusieurs reprises Cette manipulation a pour but de séparer les cristaux
+qui adhèrent fortement les uns aux autres, et par le frottement de ces
+cristaux les uns contre les autres, la mélasse qui se trouve desséchée à
+leur surface s'en détache. Au sortir des cylindres, le sucre a
+l'apparence d'une pâte; on le met dans des sacs entre deux claies
+d'osier, ainsi qu'on le fait pour la pulpe, et on en soumet une pile
+d'environ quarante sacs à l'action d'une presse hydraulique. Après
+vingt-quatre heures, on le retire pour être livré à la consommation.»</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/008.png"><br><b>Intérieur de la Sucrerie de betteraves de Château-Frayé,<br>
+près Villeneuve-Saint-Georges.--Première vue.</b></p>
+
+<p>Il nous reste actuellement à indiquer le second mode de fabrication;
+celui <i>par la cristallisation prompte</i>, on <i>la cuite</i>.</p>
+
+<p>Nous emprunterons encore à M. Crespel-Delisse la description des
+procédés qui s'emploient le plus généralement:</p>
+
+<p>«Jusqu'à la sixième manipulation, dit-il, la fabrication est conduite de
+la même manière que dans la cristallisation lente. Arrivé là, le sirop
+est coulé dans des filtres, et le sirop clair est reçu dans un réservoir
+commun.</p>
+
+<p>«Le sirop est monté par une pompe dans une chaudière de cuivre où on
+lui fait subir une nouvelle évaporation par une forte ébullition, et
+lorsqu'il a atteint une densité de 30 à 40 degrés de l'aréomètre de
+Beaume, ou un degré de chaleur élevé dans la masse du sirop à 90 degrés
+Réaumur, il est porté dans un rafraîchissoir. Après la réunion de
+plusieurs cuites successives, ce sirop cuit est porté dans des formes
+bâtardes: il s'y cristallise en vingt-quatre heures, et après ce temps
+on débouche les formes pour opérer l'écoulement de la mélasse Les formes
+sont placées sur des pots destinés à recevoir la mélasse Il faut trois
+semaines à un mois pour obtenir la purgation des sucres lorsque, les
+matières sont de bonne qualité, et jusqu'à deux ou trois mois
+lorsqu'elles sont mauvaises.</p>
+
+<p>«Comme il est impossible d'obtenir du premier jet tout le sucre que
+contient le sirop soumis à la cuite, on reprend les mélasses provenant
+de la purgation que l'on reporte à la chaudière de cuite. On obtient
+encore de ces mélasses un sucre de seconde qualité.»</p>
+
+<p>Le procédé <i>à la cuite</i> a peu à peu prévalu, chez la plupart des
+fabricants, sur celui de la cristallisation lente. Les motifs qui ont
+déterminé leur préférence à cet égard sont consignés dans une déposition
+de Ml. Blanquet (de Famars). Nous allons la transcrire ici, autant pour
+compléter l'histoire de tous les procédés en usage, que pour faciliter
+l'intelligence de ce qui va suivre.</p>
+
+<p class="rig"><img alt="" src="images/008b.png"><br>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;<b>
+Intérieur de la Sucrerie de betteraves de<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Château-Frayé.--Deuxième vue.</b></p>
+
+<p>«Nous avons été effrayé, dit M. Blanquet, de la lenteur des opérations
+pour obtenir le sucre par la cristallisation lente, et de l'apparence
+toute particulière qu'il présentait après le pressurage, qui est une des
+conditions nécessaires de ce mode de production. La quantité de
+cristallisation nécessaire pour une grande fabrication, l'immensité des
+locaux destinés à les recevoir, le séjour prolongé des cristallisoirs
+dans les étuves, le broiement et le pressurage des cristaux péniblement
+obtenus; toutes ces considérations nous ont fait rechercher avec soin
+quelles étaient les causes qui, dans l'esprit du plus grand nombre des
+fabricants, déterminaient une préférence prononcée pour ce genre de
+fabrication, à l'exclusion du mode bien moins embarrassant de la
+cristallisation par la cuite. Nous avons trouvé que la cuite, plus
+simple dans l'exécution, était effectivement une opération plus
+délicate, et qui exigeait une précision de laquelle on ne pouvait
+s'écarter sans dommages notables; mais, en revanche, nous avons trouvé
+aussi que le sucre obtenu de cette manière avait précisément le même
+aspect que les moscouades ordinaires livrées au commerce par les
+colonies. Nous avons alors examiné quelle influence pouvait exercer sur
+les moscouades obtenues par ces deux procédés les agents de défécation
+indiqués pour chacun d'eux. Nous avons vu que l'acide sulphurique était
+employé simultanément avec la chaux dans la défécation, pour la
+cristallisation lente, et que la chaux seulement était employée pour la
+défécation dans le procédé à la cuite. Des considérations théoriques se
+présentant en grand nombre pour proscrire l'acide de la fabrication du
+sucre, nous avons suivi le sucre obtenu par la cristallisation lente
+dans les ateliers du raffineur, et là, nous avons vu que ce sucre
+travaillé pour faire les candis produisait au lieu de mailles à faces
+bien prononcées, des candis appelés vulgairement <i>candis tremblés</i>,
+c'est-à-dire dont la cristallisation est confuse au lieu d'être nette et
+détachée. Nous avons entendu des raffineurs se plaindre de ce que les
+suites, après la première cristallisation, étaient moins riches qu'elles
+n'auraient dû être, par rapport à la nuance de la moscouade. Ces
+observations étant parfaitement d'accord avec les données théoriques,
+nous avons opté pour l'autre mode de travail, en nous proposant le
+problème d'atténuer autant qu'il serait en nous les difficultés de la
+cuite.»</p>
+
+<p>Ces explications, empruntées aux hommes les plus compétents, permettront
+facilement au lecteur de suivre sur le dessin que nous lui donnons, et
+qui représente la sucrerie de Château-Frayé, près
+Villeneuve-Saint-Georges, appartenant à Chaper, les diverses phases de
+la fabrication.</p>
+
+<p>Les betteraves, arrivées dans la cour de l'établissement, sont d'abord
+posées sur un petit pont à bascule, puis arrivent dans un magasin
+contigu au lavoir, dans lequel elles sont déposées par des enfants dont
+le salaire est de 1 fr. par jour. Du lavoir elles passent dans le
+coupe-racine ou râpe, mu par un manège qui les découpe en tranches de 2
+millimètres d'épaisseur, et les rejette dans un bac à sec dans lequel se
+trouve un filet ou poche de toile; cette poche reçoit les tranches et,
+au moyen d'un treuil, les transporte d'abord dans les chaudières
+d'amortissement chauffées au moyen de la vapeur, et successivement dans
+six chaudières de macération à froid, où elles déposent leur jus jusqu'à
+ce qu'il ait atteint une densité de 7 degrés.</p>
+
+<p>Ainsi qu'on a déjà pu le remarquer, le procédé employé à Château-Frayé
+est celui de la cuite; on n'y emploie point l'acide sulfurique, et le
+pressurage, au lieu de s'opérer par la presse hydraulique, s'obtient par
+les chaudières d'amortissement et de macération. Quand le jus est arrivé
+à la densité voulue, on opère alors la défécation au moyen d'un lait de
+chaux; vient ensuite l'évaporation. Le jus ainsi déféqué est, au moyen
+d'un système de tuyaux de refoulement, renvoyé dans des bacs de dépôt
+d'où il passe dans des filtres sur le noir animal en grain qui a la
+propriété d'absorber la chaux et de colorer et dégraisser le jus. Cette
+opération a pour but de clarifier le jus. Il ne reste plus alors qu'à
+opérer la cristallisation. On y parvient de la manière suivante: après
+le premier passage sur le noir, on évapore à 22 degrés, on passe une
+seconde fois sur le noir pour que la clarification soit entière, et l'on
+cuit dans une chaudière dans le vide, toujours au moyen de la vapeur.</p>
+
+<p>Après la cuisson, le sirop est reçu dans des rafraîchissoirs, et, sans
+qu'il soit besoin de le décanter, on le coule dans des formes, où sa
+cristallisation s'opère en douze heures. La mélasse s'écoule entre les
+cristaux, et laisse au fond des formes un résidu qui, vendu aux
+distillateurs, produit des esprits qui, livrés au commerce, sont mêlés
+aux 3/6 obtenus du raisin.</p>
+
+<p>L'arrachement et la conservation des betteraves constituent une des
+principales difficultés de l'industrie sucrière. Les plus grandes
+précautions sont nécessaires pour empêcher la gelée ou la pourriture de
+les attaquer, et dans certaines usines, c'est la seule cause qui ait mit
+des bornes à l'extension de la fabrication. Frappé de ces inconvénients,
+Schützenbach entreprit de dessécher la betterave et de la réduire en une
+poudre qui pouvait alors non-seulement se conserver indéfiniment, mais
+encore se transporter au loin sans beaucoup de frais et sans altération.
+Le succès semblait, dès le principe, devoir couronner cette tentative;
+100 de betteraves qui, par les anciens procédés, ne donnaient, après la
+macération, que 5 à 6 au plus, ont rendu 7, 8 et quelquefois davantage
+par le procédé Schützenbach. Toutefois, si nous en croyons certaines
+personnes bien informées, ce succès n'aurait pas été de longue durée. Un
+cessionnaire des procédés de Schützenbach en France, le propriétaire de
+la Sucrerie de Vigneux aurait été obligé de renoncer, après des pertes
+considérables, à ce procédé de fabrication, et lui-même, malgré tous les
+soins qu'il devait naturellement apporter dans l'emploi de la méthode
+dont il était l'inventeur, aurait été forcé de fermer l'usine qu'il
+avait élevée à Carlsruhe. Quoi qu'il en soit, l'attention des savants
+s'est alors éveillée; l'on a cherché si le procédé Schützenbach,
+applicable à la dessiccation de la canne, ne produirait pas des effets
+analogues. Les résultats, quoique conformes dans la théorie à ceux qu'on
+avait reconnus dans le traitement de la betterave, ont laissé beaucoup à
+désirer dans la pratique.</p>
+
+<p>On conçoit cependant de quelle importance serait pour nos Antilles et
+nos possessions à sucre l'application de ce procédé nouveau, si les
+colons toutefois, sortis de la position précaire où les place depuis si
+longtemps notre régime économique, étaient en état de faire des avances
+nécessaires à toute industrie qui veut se transformer avec avantage; car
+de deux choses l'une, ou les colons cultiveraient en cannes une moins
+grande quantité de terres et laisseraient le reste à d'autre cultures
+productives, ou bien ils en cultiveraient autant, et exporteraient ainsi
+une plus grande quantité qu'ils ne le font aujourd'hui. Comme ces sucres
+seraient obtenus avec moins de perte, par conséquent à plus bas prix,
+leur placement serait plus facile sur le marché de la métropole, à
+laquelle les colonies demanderaient dès lors une plus grande masse de
+produits industriels. Ces sucres, obtenus ainsi à moins de frais, tout
+en laissant aux colons un bénéfice raisonnable, permettraient d'abaisser
+dans une proportion plus considérable la surtaxe qui grève les sucres
+étrangers, et, en facilitant ainsi nos échanges avec des pays éloignés,
+donneraient de nouveaux débouchés à notre commerce extérieur, de
+nouveaux éléments de prospérité à notre navigation lointaine.</p>
+
+<p>Nous ne parlons pas ici des autres végétaux qui contiennent en eux le
+principe saccharin, et pourraient facilement être convertis en sucre,
+tels que le mais, le melon, la citrouille. Nous ne dirons rien non plus
+du sucre de l'érable. Nous nous contenterons de quelques mots sur le
+sucre de pomme de terre ou de fécule, dont la fabrication a pris depuis
+quelque temps une extension considérable pour que l'on évalue de 4 à 5
+millions de kilog. la production de 1842. Ce sucre s'obtient par le
+traitement des fécules, mais on n'a pu lui donner la consistance des
+autres sucres. Aussi est-il principalement livré aux distillateurs et
+aux épiciers, qui l'emploient surtout dans la confection des liqueurs,
+des confitures et autres préparations analogues. La pharmacie peut aussi
+s'en servir pour édulcorer des breuvages ou des potions. Quant aux
+sucres produits par les végétaux que nous avons cités plus haut, ils
+n'ont donné que des essais, mais il n'en est pas entré dans la
+consommation. Nous ne devons donc point nous en occuper.</p><br>
+
+<h3>Caricatures par Bertal.</h3>
+
+<table cellpadding="3" cellspacing="2" border="0"
+ style="width: 100%; text-align: left;" summary="bertal">
+ <tbody>
+ <tr>
+ <td style="vertical-align: top; width: 33%;">
+<p>M. Bertal est un jeune artiste qui doit, je ne dirai pas donner de
+brillantes espérances, mais inspirer des craintes sérieuses à ses
+concitoyens; car il se moque impitoyablement de tout: hommes, bêtes ou
+choses. Ce redoutable critique n'écrit pas, il dessine; mais ses
+victimes n'en sont que plus à plaindre; il les fait si ressemblantes,
+qu'il leur est impossible de ne pas se reconnaître. Malheur aux
+ridicules que rencontre M. Bertal! ils sont aussitôt signalés à la risée
+publique.--Souvent même,--comment peut-on avoir un semblable
+courage?--le cruel jeune homme,--cet âge est sans pitié,--nous fait rire
+malgré nous aux dépens des individus les plus inoffensifs et les moins
+comiques qui se puissent voir.</p>
+
+<p>Quelquefois, mais rarement, il se contente de nous représenter, d'après
+nature, un père de famille lisant, pendant sa promenade, un délicieux
+numéro de <i>l'Illustration</i>,</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/009a.png"><br>
+
+<p>et contemplant la machine aérienne de M. Henson, qui transporte
+rapidement de Paris à Saint-Cloud une cargaison de touristes; mais
+bientôt le naturel reprend le dessus, et M. Bertal est sans pitié: nous
+n'oserions ajouter sans remords.</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/009b.png"><br>
+
+<p>N'a-t-il donc jamais pris plaisir à entendre Duprez chanter son bel air:
+<i>Asile héréditaire</i>, qu'il nous le montre courant à perdre haleine après
+son <i>ut</i> de poitrine?</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/009c.png"><br>
+
+<p>Si ressemblantes qu'elles paraissent, mademoiselle Rachel et
+mademoiselle Georges ne sont réellement ni aussi maigres, ni aussi
+grasses que ces deux caricatures:</p>
+
+
+
+ </td>
+ <td style="vertical-align: top; width: 34%;">
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/009d.png"><br>
+
+<p>Que M. Bertal se moque de certains tableaux exposés au Salon, je le lui
+pardonne,--surtout lorsqu'il nous représente une vue de la Hougue (effet
+de nuit), par M. Jean-Louis Petit (n° 958).</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/009e.png"><br>
+
+<p>ou Napoléon en raccourci, par M. J.-B. Mauzaisse (n° 844), et le
+portrait de madame la marquise de......., par Lehmann.</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/009f.png"><br>
+
+<p><i>Les Buses-Graves</i>, je les lui abandonne encore; car ces infortunés
+vieillards, au lieu de se retirer dans leur burg, persistent à se faire
+siffler jusqu'à la 40e représentation par un auditoire de moins en moins
+géant.</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/009ee.png"><br>
+
+<p>Mais est-il juste de traiter avec la même sévérité que ces vieillards
+stupides, la noble et chaste Lucrèce et la pâle Judith?--La caricature,
+me répondra M. Bertal, a le droit de se moquer de tout, du laid, du beau
+et du médiocre. Heureusement pour lui nous n'avons pas le temps de
+discuter,--et nous reconnaissons, après tout, que notre critique a fait
+des charges fort spirituelles des plus belles scènes de la remarquable
+tragédie de M. Ponsard. Voyez Valére et Brute causant politique:</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/009g.png"><br>
+
+<p>Lucrèce racontant son songe à sa nourrice, pendant</p>
+ </td>
+ <td style="vertical-align: top; width: 33%;">
+
+
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/009h.png"><br>
+
+<p>que celle-ci, qui possède la clef des songes, lui tire les cartes à
+l'instar de mademoiselle Lenormand, et qu'une jeune esclave joue un air
+varié sur un instrument fort peu éolien</p>
+
+<p>Sextus faisant une déclaration d'amour à Lucrèce</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/009i.png"><br>
+
+<p>et la grande scène finale, que nos lecteurs trouveront à la 7e page de
+cette livraison:</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/009k.png"><br>
+
+<p>M. Bertal a été moins bien inspiré par Judith que par Lucrèce.
+Cependant, nous avons remarqué dans son feuilleton la scène où la veuve
+Manassé fait mettre à genoux Mindus. Achion et Crioch:</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/009m.png"><br>
+
+<p>et son repas de noce avec Holopherne.</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/009o.png"><br>
+
+<p>Terminons cet examen critique des Omnibus comme un numéro de
+<i>l'Illustration</i>.--par une gravure de mode qui</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/009p.png"><br></p>
+
+<p>nous donne des échantillons de nos costumes les plus élégants.</p>
+
+ </td>
+ </tr>
+ </tbody>
+</table>
+
+
+
+
+
+
+<h3>Bulletin bibliographique.</h3>
+
+<p class="mid">Storia universale de <span class="sc">Cesare Cantù.</span>. Quinta edizione.--Torino. <i>Pomba et
+Comp.</i> 1843.</p>
+
+<p class="mid">Histoire universelle de <span class="sc">Cesare Cantù.</span> Cinquième édition.--Turin. <i>Pomba
+et Comp.</i> 1843.</p>
+
+<p>Constatons d'abord, en l'honneur de l'auteur de cet ouvrage et en
+l'honneur de l'Italie trop souvent calomniée, le grand succès que la
+<i>Storia universale</i> a obtenu au delà des Alpes. Quatre éditions, dont
+trois de luxe et une populaire, entièrement épuisées en moins de cinq
+années, prouvent que M. César Cantù a fait un livre vraiment
+remarquable, et que ses compatriotes s'intéressent encore aux travaux de
+l'esprit sérieux et utiles.</p>
+
+<p>Quoique à peine âgé de trente-huit ans, M. Cesare Cantù est un des
+écrivains les plus féconds de la jeune Italie; outre un nombre
+considérable d'articles de journaux, il a publié plusieurs ouvrages
+d'histoire ou d'imagination, qui lui ont valu une réputation méritée. Il
+y a quinze ans environ, il était professeur de littérature à Sondrio,
+dans la Valteline, lorsqu'il fit paraître une nouvelle en quatre chants,
+intitulée <i>l'Algiso</i>, suivie bientôt (en 1829), de <i>l'Histoire de la
+ville et des diocèses de Come</i>, et, deux années plus tard (1831), de la
+<i>Révolution de la Valteline</i>, épisode de la réforme en Italie. La même
+année, comme pour se délasser de ces travaux sérieux, il s'amusait à
+rédiger un <i>Itinéraire</i> du lac de Come et des routes du Stelvio et du
+Splügen, et à composer quelques pièces de vers imprimées dans le premier
+numéro de la <i>Streuna del Vallardi</i>. Peu de temps après, le retard si
+incompréhensible que mettait Alessandro Manzoni à publier son <i>Histoire
+de la Colonne infâme</i>, détermina le jeune auteur de <i>l'Histoire de Come</i>
+et de la <i>Révolution de la Valteline</i> à écrire ses <i>Ragionamenti sulla
+Storia Lombarda</i>, destinés à servir de Commentaires au roman des
+<i>Promessi Sposi</i>. Ce petit livre, rempli de faits curieux, n'eut pas
+moins de douze éditions. Son <i>Aperçu critique sur Victor Hugo et sur le
+romantisme en France</i>, son beau roman intitulé <i>Margherita Pustella</i>,
+ses <i>Hymnes sacrés</i>. ses <i>Letture Giovanili</i>, ses traductions du <i>Voyage
+en Orient</i> de Lamartine; <i>De la Décadence de l'Empire romain</i> de
+Sismondi; <i>Des Arabes en Espagne</i> de Marlés, etc..., l'occupèrent
+presque entièrement depuis 1832 jusqu'en 1837.</p>
+
+<p>Le 14 décembre 1837, M. Cesare Cantù annonça pour la première fois, dans
+l'appendice de la <i>Gazette de Milan</i>, la publication prochaine de son
+<i>Histoire universelle</i>, à laquelle il a déjà consacré cinq années de sa
+vie, et dont le succès va toujours croissant. Au mois de mars suivant,
+il fit paraître en effet son introduction, qui contenait, en 96 pages,
+une exposition large et nette du plan de cet ouvrage. A partir du mois
+d'avril 1838, M. Cesare Cantù s'engageait à livrer chaque semaine à ses
+souscripteurs deux feuilles d'impression. Jusqu'à ce jour il a tenu
+parole.</p>
+
+<p>Cette introduction produisit une certaine sensation en Italie. Quelques
+écrivains reprochèrent, il est vrai, à M. Cesare Cantù de s'être montré
+trop sévère envers les historiens qui l'avaient précédé:--mais il se
+justifia sans peine de ces accusations. D'ailleurs on loua généralement
+son érudition déjà connue et appréciée, son style élégant et clair, bien
+que trop facile, son zèle infatigable, et surtout le but de ce nouveau
+travail. En effet, ce n'était pas l'histoire des faits, c'était
+l'histoire des idées et des moeurs qu'il se proposait d'écrire,
+l'histoire du développement intellectuel et moral île tous les peuples
+du globe; en un mot, l'histoire de la civilisation humaine. Pour juger
+les progrès de l'humanité, il s'est placé au point de vue chrétien. Dans
+son opinion, le christianisme relève l'histoire et la rend universelle:
+en proclamant l'unité de Dieu, il proclame celle du genre humain; en
+nous enseignant que nous devons invoquer <i>il padre nostro</i>, il nous
+apprend que nous sommes tous frères.' Alors seulement, dit-il, peut
+naître l'idée d'une fusion entre toutes les époques et entre toutes les
+nations, et l'observation philosophique et religieuse des progrès
+perpétuels et indéfinis de l'humanité vers la grande oeuvre de la
+régénération et le règne de Dieu.»</p>
+
+<p>M. Cesare Cantù divise l'histoire universelle en dix-huit parties qu'il
+appelle époques, et qui portent les titres suivants I. Jusqu'à l'an 770
+du monde.--II. De la dispersion des peuples jusqu'aux olympiades.--III.
+Des Olympiades à la mort d'Alexandre. --IV. Guerres puniques.--V.
+Guerres civiles depuis la cent trente-quatrième année avant Jésus Christ
+jusqu'à la quatrième année après Jésus-Christ.--VI. Les Empereurs
+jusqu'à Constantin. --VII. De Constantin à Augustus.--VIII. Les
+Barbares.--IX. Mahomet.--X. Charlemagne.--XI. Les Croisades.--XII. Les
+Communes. XIII. Chute de l'Empire.--XIV. L'Amérique.--XV. La Reforme.
+XVI. Louis le Grand et Pierre le Grand.--XVII. Le dix-septième
+siècle.--XVIII. La Révolution.--Chaque volume comprend une époque. 12
+volumes sont publies; ils contiennent l'histoire ancienne (7 vol.) et
+l'histoire du Moyen-Age (5 vol.). M. Cesare Cantù va commencer
+prochainement la publication de l'histoire moderne.</p>
+
+<p>M. Cesare Cantù ne se contente pas d'affirmer les faits qui loi
+paraissent évidents, il essaie de les prouver. Son ouvrage se compose de
+deux parties distinctes: 1º le <i>Racconto</i>, ou le récit; 2º les
+Documenti, ou documents. Les documents sont classes et coordonnés dans
+des volumes séparés, ainsi que les discussions scientifiques, les
+biographies, les passages les plus remarquables des prosateurs ou des
+poètes, relatifs aux événements exposés dans le texte. L'auteur donne
+aussi pour appendice une illustration très-variée des monuments et un
+traité assez étendu de chronologie.</p>
+
+<p>Nous n'admettons pas sans faire quelques réserves toutes les opinions
+exprimées par M. Cesare Cantù; mais, bien que nous différions parfois de
+principes avec lui, nous nous empressons de joindre nos éloges sincères
+à ceux que lui ont prodigués déjà ses compatriotes et plusieurs journaux
+français. Qu'il ne se laisse pas décourager, qu'il continue à marcher
+dans la voie glorieuse qu'il parcourt depuis cinq années avec tant de
+bonheur, et en moins de deux années il atteindra son but, il achèvera un
+des plus importants ouvrages qu'aura produits le dix neuvième siècle.
+Nous sommes heureux, quant à nous, d'annoncer que la <i>Storia
+universale</i>, vient d'être traduite en français Cette traduction revue,
+corrigée et augmentée par M. Cantù, qui est en ce moment à Paris, ne
+doit point tarder à paraître.</p>
+
+<p class="mid"><i>Loi salique</i>, ou Recueil contenant les anciennes rédactions de cette
+loi et le texte connu sous le nom de <i>Lex emendata</i>; par <span class="sc">J.-.M.
+Pardesses</span>, membre de l'Institut.--Paris. 1843. Imprimerie Royale. 1 vol.
+in-4º de 844 payes. Prix: 35 fr.</p>
+
+<p>Ce volume commence par une préface de 80 pages qui contiennent la
+description de toutes les éditions et de tous les manuscrits connus de
+la loi salique, il renferme en outre huit textes différents, d'après les
+manuscrits, avec, variantes; quarante titres qu'on ne trouve point dans
+la <i>Les emendata</i>, d'après le manuscrit 4404 de la Bibliothèque royale
+de Paris et le manuscrit 119, in-4, de Leyde; les prologues, l'épilogue
+et les récapitulations, d'après divers manuscrits; un commentaire de 824
+notes, et enfin quatorze dissertations, dont la première sur les
+diverses rédactions de la loi salique, et les autres sur les points les
+plus remarquables du droit privé des Francs sous la première race.</p>
+
+<p>Les dissertations comprennent 309 pages, et sont suivies d'une table
+alphabétique des matières.</p>
+
+<p class="mid"><i>Mémoire sur l'Irlande indigène, et saxonne</i>; par <span class="sc">Daniel O'Connell</span>,
+membre du Parlement. Traduit de l'anglais et augmenté d'une notice
+biographique sur l'auteur; par <span class="sc">Ortaire Fournier</span>. Tome 1er,
+1172-1660.--Paris, 1843. <i>Charles Warèe.</i> 7 fr. 50 c.</p>
+
+<p>A peine cet ouvrage eut-il paru à Londres, nous nous empressâmes d'en
+annoncer la publication, d'exposer le plan de l'auteur, et de résumer en
+quelques lignes le contenu du 1er volume,--le seul qui ait été mis en
+vente jusqu'à ce jour.--Nous le répétons, O'Connell ne pouvait pas
+écrire une histoire réfléchie, sérieuse, logique, bien ordonnée. Tous
+les hommes habitués à improviser ne mènent jamais à bonne fin,--en
+supposant qu'ils se sentent le courage de l'entreprendre,--un travail
+qui exige une attention froide, calme et soutenue. D'ailleurs le tribun
+irlandais est trop fougueux et trop passionné pour ne pas se laisser
+emporter souvent, dans ses écrits comme dans ses discours, au delà des
+bornes de la justice et de la raison. Il a oublié qu'il y avait une
+grande différence à établir entre l'écrivain et l'orateur. On écoute
+plus facilement et plus volontiers qu'on ne lit. Si long, si diffus, si
+fatigant qu'il soit, l'orateur politique est presque toujours sûr de
+conserver son auditoire, obligé, sinon de prêter l'oreille à son
+discours, du moins d'attendre, sans pouvoir quitter sa place, qu'il
+l'ait terminé. Mais, loin de s'imposer au public, l'écrivain reste
+entièrement sous sa dépendance; il est si facile de fermer un livre qui
+ennuie, et quand une fois on l'a fermé, il est si difficile de le
+rouvrir.</p>
+
+<p>Le premier volume du <i>Mémoire sur l'Irlande indigène et saxonne</i>
+comprend toute la période de temps qui s'étend depuis l'année 1172
+jusqu'en 1660. Ainsi que nous l'avons déjà dit, il se compose de 50
+pages de texte et de 400 pages d'observations, de preuves et
+d'explications. Les volumes suivants ne seront même que la suite de
+cette seconde partie; car le texte proprement dit ou la première partie
+renferme dans les neuf chapitres de ses 50 pages toute l'histoire
+d'Irlande, depuis l'année 1172 jusqu'en 1840. La conclusion qui suit le
+chapitre IX se termine par ces mots: «La dernière demande de l'Irlande
+est dégagée de toute alternative, c'est le rappel de l'Union.»</p>
+
+<p>Nous doutons que cet ouvrage étrange soit plus favorablement accueilli
+en France qu'en Angleterre; mais, malgré ses énormes défauts, nous
+devons savoir gré à M. Ortaire Fournier d'avoir songé à le traduire, car
+il contient une foule de documents curieux qui pourront servir un jour
+aux historiens futurs de la malheureuse Irlande.</p>
+
+<p class="mid"><i>Essai sur l'Éducation du peuple</i>, ou sur les Moyens d'améliorer les
+Écoles primaires populaires et le sort des Instituteurs: par <span class="sc">J. Willm</span>,
+inspecteur de l'Académie de Strasbourg.--Strasbourg. <i>Veuve
+Levrault.</i>--Paris, <i>Bertrand.</i> 1843. I vol. in-8º. 7 fr. 50 c.</p>
+
+<p>L'auteur de cet <i>Essai</i> a reçu sa première instruction dans une école de
+village; il a été ensuite aide-instituteur, avant que d'heureuses
+circonstances lui permissent de se livrer à des études supérieures.
+Depuis, après avoir professé pendant dix années dans un collège
+important, il a été, comme inspecteur de l'Académie de Strasbourg,
+chargé de visiter une grande partie des écoles primaires des deux
+départements du Rhin. Comme on le voit, il n'est pas étranger à la
+matière sur laquelle il écrit, et il la traite avec connaissance de
+cause.</p>
+
+<p>L'Essai qu'il vient de publier s'adresse à tous ceux qui s'intéressent à
+l'éducation populaire, et spécialement à ceux à qui la loi et le
+gouvernement ont donné part à l'administration, à la surveillance et à
+la direction des écoles primaires Ils y trouveront bien des choses
+connues que l'auteur a voulu seulement leur rappeler; il ne revendique
+pour lui que le mérite de les avoir classées et groupées autour d'un
+principe fondamental, d'une idée générale, exposée dans l'introduction
+et formulée dans la conclusion générale du livre. Du reste, loin
+d'aspirer à la nouveauté, M. J. Willm évite surtout,--c'est lui qui le
+déclare,--«de proposer des améliorations qui ne se rattacheraient pas
+naturellement à ce qui existe, et qui ne découleraient pas de la nature
+même des choses, de la constitution politique du pays et de la loi
+organique de l'instruction primaire. Les propositions qu'il fait, il a
+voulu qu'elles fussent légales, nationales, françaises et surtout
+praticables.»</p>
+
+<p>M. J. Willm a divisé son travail en trois parties: dans la <span class="sc">première
+partie,</span> il recherche le principe et le but de l'éducation en général.
+Selon lui, le vrai <i>principe</i> de l'éducation doit être <i>universel</i>,
+exclusif de tout intérêt particulier, de tout but spécial qu'on voudrait
+poursuivre aux dépens de tout le reste, bien que servant tous les
+intérêts légitimes et tout but raisonnable, embrassant tous les
+sentiments, toutes les dispositions essentielles et pouvant s'appliquer
+à tous les états, à toutes les classes de la société et à tous les
+genres d'écoles et d'éducation.--Son <i>but</i> est de former l'homme
+d'abord, puis le citoyen, puis l'artiste, le soldat, le laboureur ou
+l'artisan; de jeter les fondements d'une oeuvre que toute la vie,
+quels qu'en soient d'ailleurs les accidents et les destinées
+particulières, sera consacrée à continuer, à perfectionner: d'appeler au
+jour tous les germes de raison, de vertu, de grandeur qui constituent la
+vraie nature humaine, et de les développer assez pour leur assurer la
+victoire sur toutes les dispositions contraires. Cette éducation
+<i>générale</i> doit être la base et la condition de toute éducation
+particulière. Si, a raison des diverses conditions de la société et de
+la destination présumée des élèves, elle était diversement appliquée, il
+ne saurait y avoir de différence que sous le rapport de la quantité et
+non sous celui de la qualité: mais cette éducation générale, une dans
+son principe et dans son but, se compose d'éléments divers. Pour être
+complète, il faut qu'elle soit tout à la fois <i>morale, intellectuelle,
+esthétique et religieuse</i>;--car l'homme aspire naturellement au <i>bien</i>,
+au <i>vrai</i>, au <i>beau</i>, à l'<i>infini</i>--et en même temps <i>sociale</i> et
+<i>nationale</i>, puisque l'homme n'est rien que par la société.</p>
+
+<p>Ces principes posés, M. J. Willm cherche à les appliquer, à montrer ce
+que peut et ce que doit être dans les écoles primaires populaires cette
+éducation générale dont il a tracé le plan. Il traite successivement,
+dans la <span class="sc">seconde partie</span> de son <i>Essai</i>, de <i>l'organisation des écoles
+primaires</i> et de la <i>construction des maisons d'école, ainsi que du
+mobilier</i>; de <i>l'éducation</i> et de l'<i>instruction</i> dans ces mêmes écoles;
+de la <i>méthode</i> et de la <i>discipline</i>, de <i>l'administration</i> et de la
+<i>surveillance</i> de ces écoles. Il termine par l'examen de ces deux
+questions; <i>Faut-il rendre la fréquentation de l'école primaire
+obligatoire?</i> et <i>l'instruction primaire doit-elle être gratuite?</i> M. J.
+Willm demande que tous les enfants qui ont atteint l'âge de six ans
+soient annuellement soumis à une sorte de conscription scolaire et tenus
+de payer la rétribution mensuelle, si leurs parents sont assez aisés
+pour cela, ou amenés à l'école, s'ils sont pauvres, par tous les moyens
+dont peut disposer l'administration.</p>
+
+<p>Le sort des écoles populaires dépend principalement du dévouement
+éclairé, du zèle et de l'habileté des instituteurs. Pour que les écoles
+soient bonnes, il ne suffit pas de les placer dans des maisons
+parfaitement appropriées, dans des salles vastes, saines, bien éclairées
+et munies de tout ce qui est nécessaire à l'enseignement, il faut
+surtout qu'elles soient dirigées par des maîtres habiles et dévoués. Or,
+pour que les maîtres soient habiles, il faut leur fournir les moyens
+d'acquérir les connaissances nécessaires a leur état, et pour soutenir
+leur zèle, il faut travailler à rendre leur position aussi bonne et
+aussi honorable que possible. M. J. Willm s'est donc occupe
+successivement, dans la <span class="sc">troisième partie</span> de son <i>Essai</i>, des moyens de
+former les instituteurs, et spécialement des écoles <i>normales
+primaires</i>: des moyens de leur faire continuer leur instruction après
+leur entrée en fonctions, et spécialement des <i>conférences</i> et des
+<i>bibliothèques</i> de l'école; enfin des moyens matériels d'améliorer leur
+condition, et des <i>encouragements</i> qu'il convient de leur offrir pour
+soutenir leur zèle.</p>
+
+<p>M. J. Willm achève la conclusion de son ouvrage en demandant qu'il soit
+créé au sein de l'Académie des Sciences morales et politiques une
+section de pédagogie, et que quelques chaires soient consacrées, à Paris
+et dans les départements, à cet art, le plus important de tous,
+puisqu'il a pour but de former les hommes.</p>
+
+<p class="mid"><i>Bluettes</i>; par <span class="sc">Eugène de Lonlay</span>. I vol. in-18.--Paris. 1843. <i>Amyot</i>.</p>
+
+<p>Comment ne pas accueillir avec intérêt un charmant volume bien imprimé
+sur du papier satiné, qui se présente sous un titre si modeste et vous
+demande humblement un regard et un sourire bienveillants? Quel reproche
+le critique le plus dur aurait-il le courage d'adresser à des
+<i>Bluettes</i>, surtout lorsque Béranger déclare les avoir lues avec
+infiniment de plaisir, lorsqu'elles ont déjà eu deux éditions, et engin
+lorsque leurs grâces naïves et leur tournure originale méritent
+réellement le succès qu'elles ont obtenu? Ce qu'il faut au poète, a dit
+M. E. de Lonlay dans sa première <i>Bluette.</i></p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i20"> Ce qu'il faut au poète,</p>
+<p class="i20"> C'est l'amour!...</p>
+</div></div>
+
+<p>L'auteur des <i>Bluettes</i> est-il poète? Bien qu'il fasse des vers
+charmants, nous attendrons, pour lui décerner un si beau titre, la
+publication du <i>Trappiste</i>; mais, poète ou compositeur d'agréables
+romances, il a ce qu'il lui faut, il est amoureux; ne nous étonnons donc
+pas s'il ne chante que sa passion. Jetez les yeux sur la table générale
+des <i>Bluettes</i>, qu'y voyez-vous: «Avoir tout à t'offrir.--Es-tu fille
+des cieux?--Ne m'oubliez pas.--Tes yeux ont pris mon âme.--Que peut-elle
+faire?--Je me souviens toujours.--Tout un jour sans te voir.--Loin des
+yeux, près du coeur, etc.» Aussi M. E. de Lonlay donne-t-il ses vers à
+celle qui seule, en les lisant, pourra dire: C'est moi; il les lui donne
+«comme aux vertes savanes, la rosée abandonne ses perles limpides,
+connue sur les sentiers l'aubépine épand ses débris embaumés, comme à la
+terre endormie l'aube jette ses rayons d'or, comme aux coquettes plantes
+de ses rives le lac prête son miroir mouvant, comme la fleur à l'abeille
+donne son miel, comme au pèlerin l'étoile donne sa clarté, comme à
+l'Éternel le croyant donne sa prière, comme à la mère l'enfant donne ses
+premières caresses, la vierge à son amant le parfum de son premier
+baiser.»</p>
+
+<p class="mid"><i>Océanie</i>, ou Cinquième partie du Monde, revue géographique et
+ethnographique de la Malaisie, de la Micronésie, de la Polynésie et de
+la Mélanésie; par <span class="sc">M. G.-L. Domeny de Rienzi.</span> 3 vol. in-8º, ornés de
+gravures et cartes. Paris. Firmin Didot. 1843.</p>
+
+<p>«L'Océanie, ou cinquième partie du monde, plus étendue à elle seule que
+le reste de notre globe, dit M. Domeny de Rienzi dans son introduction,
+en est la moins connue et pourtant la plus curieuse et la plus variée.
+C'est la terre des prodiges: elle renferme les races d'hommes les plus
+opposées, les plus étonnantes merveilles de la nature et les monuments
+les plus admirables de l'art. On y voit le pygmée à côté du géant, et le
+blanc à côté du noir; près d'une tribu patriarcale une peuplade
+d'anthropophages; non loin des hordes sauvages les plus abruties des
+nations civilisées avant nous; les tremblements de terre et les
+aérolithes bouleversent les campagnes, et les volcans foudroient des
+villages entiers. Sur son continent austral, les animaux les plus
+bizarres, et dans l'Ile la plus grande à la fois de ses archipels et du
+globe, l'orang-outang, bimane anthropomorphe présentent aux philosophes
+un profond sujet de méditations. Une de ses îles s'enorgueillit de la
+majesté de ses temples et de ses palais antiques, supérieurs aux
+monuments de la Perse et du Mexique, et comparables aux chefs-d'oeuvre
+de l'Inde et de l'Égypte; d'autres étaient des pagodes, des mosquées et
+des tombeaux modernes, rivalisant d'élégance et de grâce avec ce que
+l'Orient et la Chine nous offrent de plus parfait en ce genre.»</p>
+
+<p>Avant la publication de l'ouvrage de M. de Rienzi, il n'existait
+cependant aucun livre spécial et complet sur l'Océanie Le dernier
+descendant du célèbre tribun italien ne s'est pas contenté, comme on
+pourrait le croire, de résumer tous les travaux des voyageurs,
+navigateurs, géographes ou hydrographes qui l'avaient précédé. Cinq
+voyages entrepris par amour pour la science dans diverses parties de
+l'Océanie l'ont mis à même d'ajouter un grand nombre de fats nouveaux
+aux faits déjà connus.--Son ouvrage comble donc une lacune importante
+dans l'histoire de la géographie; car il contient, outre un tableau
+général de l'Océanie, la description et l'histoire de la <i>Malaisie</i>, ou
+grand archipel indien, de la <i>Micronésie</i>, de la <i>Polynésie</i> et de
+la <i>Mélanésie</i>. Plusieurs des dessins qui accompagnent le texte sont
+inédits, et ont été exécutés par l'auteur sur les lieux; les autres sont
+empruntés aux ouvrages les plus estimés. Douze morceaux de musique, dont
+hut inédits, un tableau idiomographique des langues de ces contrées,
+deux inscriptions importantes; enfin une nouvelle carte générale et
+trois nouvelles cartes particulières de l'Océanie, complètent cette
+description.</p>
+
+<p><i>L'Océanie</i> a paru il y a deux ans; mais la prise de possession des
+<i>îles Marquises</i> et l'occupation de Taïti, donnent un intérêt
+d'actualité à cette remarquable et utile publication.</p>
+
+<br>
+
+<h3>Modes.</h3>
+
+<p class="lef"><img alt="" src="images/011a.png"><br>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;<b>(Mantelet à la vieille.)</b></p>
+
+<p>Le mantelet est renouvelé de la mode assez peu éloignée de 1837: il y a
+fort peu de différence entre celui d'aujourd'hui et celui d'alors; les
+garnitures différent, mais la coupe est à peu près la même. Les
+mantelets de taffetas noir, puce ou marron, sont ceux que l'un porte en
+négligé comme en toilette du soir: le taffetas glacé en nuances claires
+n'appartient qu'aux demi-toilettes de jour.</p>
+
+<p>Les rubans employés comme garniture sont moins bien que les garnitures
+en étoffe. Le taffetas est coupé en biais, et il se forme à quatre
+rangs.</p>
+
+<p>Notre dessin représente une femme qui porte son mantelet avec toute la
+grâce sévère de la distinction; à peine doit-on apercevoir la taille
+derrière le dos arrondi.</p>
+
+<p>Quelques façons de robes nouvelles paraissent à l'horizon des modes: ce
+sont des manches bouillonnées au poignet, des corsages lacés, et des
+jupes garnies d'immenses volants à l'espagnole.</p>
+
+<p>Les plumes sur les chapeaux de paille prennent faveur; quoique les
+rubans simples soient de bon goût, une nouveauté tout à fait remarquable
+et remarquée est le chapeau Pénélope de Lucy Hocquet. C'est une
+fantaisie, une innovation, une bizarrerie. Aussitôt qu'il se fait un
+chapeau Pénélope, il disparaît du magasin; cependant il doit rester
+distingué en raison de sa simplicité un peu étrange.</p>
+
+<p class="rig"><img alt="" src="images/011b.png">&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;<br>
+
+<p>Voici deux jolis costumes de jeunes garçons: l'aîné, en veste de drap et
+pantalon de tricot ou de nankin a la chemine de toile, dont le collet
+rabat sur la cravate; le plus jeune, en blouse de velours, a les jambes
+nues, et les guêtres de tricot ou le pantalon de flanelle dans la
+guêtre. Sa chemise, plissée comme une chemisette suisse, sort de la
+blouse et laisse dégagé son cou. La casquette va bien sur les cheveux à
+la jeune France.</p>
+
+<p class="lef"><img alt="" src="images/011c.png"><br>
+
+<p>Nous regrettons de ne pouvoir donner ici un détail un peu étendu des
+avantages du chariot hygiénique dans lequel on a placé l'enfant que nous
+avons sous les yeux. M. Lebrun, mécanicien habile, inventeur d'une
+ceinture de sauvetage, mérite une place en première ligne à
+l'illustration. Si les mères comprennent bien les bienfaits de ce petit
+chariot, il est certain que le nombre des enfants contrefaits diminuera
+sensiblement. Une quantité d'enfants nés droits, mais délicats et
+faibles, se déjettent faute de pouvoir se supporter sur leurs jambes.
+Nous ne saurions trop engager les mères et les nourrices à visiter M.
+Lebrun. Elles se féliciteront de cette prévoyance, et en seront
+immédiatement récompensées par le bonheur qu'elles procureront à ces
+pauvres petits êtres impuissants, heureux entre ces jambes artificielles
+qui les supportent et les transportent à leur gré, sans péril et sans
+fatigue.</p>
+
+
+
+<h3>Rébus.</h3>
+
+<p class="rig"><img alt="" src="images/011d.png"><br><br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;ÉPITAPHE D'UN GRAND HOMME.</p>
+
+<br><br><br><br><br><br>
+<p>EXPLICATION DU DERNIER RÉBUS:<br>
+Les personnalités attirent la haine.</p>
+<br><br><br><br><br><br>
+
+
+
+</div>
+<br><br><br><br>
+
+
+<br><br><br><br>
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+<pre>
+
+
+
+
+
+End of Project Gutenberg's L'Illustration, No. 0011, 13 Mai 1843, by Various
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 0011, 13 ***
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+Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this agreement
+and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic
+works. See paragraph 1.E below.
+
+1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the Foundation"
+or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project
+Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual works in the
+collection are in the public domain in the United States. If an
+individual work is in the public domain in the United States and you are
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+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
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+works.
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+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
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