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You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: L'Illustration, No. 3260, 19 Août 1905 + +Author: Various + +Release Date: April 14, 2011 [EBook #35871] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, 19 AOUT 1905 *** + + + + +Produced by Jeroen Hellingman and Rénald Lévesque + + + + + + + + +L'Illustration, No. 3260, 19 Août 1905 + +[Illustration: LA REVUE COMIQUE, par Henriot.] + + +[Illustration: Ce numéro contient: 1° Un Supplément théâtral: +CRAINQUEBILLE, par Anatole France. 2° Quatre pages tirées à part sur la +FÊTE DES VIGNERONS DE VEVEY. + +L'ILLUSTRATION +_Prix de ce Numéro: Un Franc._ +SAMEDI 19 AOÛT 1905 _63e Année--N° 3260_] + +[Illustration: M Witte Baron de Rosen. Président Roosevelt. Baron Komura +M. Takahira. LES PLÉNIPOTENTIAIRES RUSSES ET JAPONAIS A BORD DU +"MAYFLOWER" _Stereograph copyright 1905 Underwood and Underwood, London +and New-York.--Voir les pages 126, 127 et 128._] + + + +NOTRE SUPPLÉMENT DE THÉÂTRE CRAINQUEBILLE + +Chaque année, l'été interrompt forcément la série de nos suppléments de +théâtre, si appréciés de nos lecteurs. Nous ne voudrions pas cependant +que cette interruption se prolongeât aussi longtemps que les relâches +des grandes scènes parisiennes. En attendant les nouveautés de la saison +1905-1906, qui promettent d'être aussi nombreuses et aussi importantes +que celles de la saison 1904-1905, nous avons cherché si, parmi les +oeuvres jouées en ces dernières années, il n'y en avait pas une qui fût +encore inédite. Et nous avons découvert, répondant à ces conditions, un +chef-d'oeuvre: _Crainquebille,_ de M. Anatole France, un des grands +succès récents du théâtre de M. Lucien Guitry, la Renaissance. + +_L'Affaire Crainquebille_, sous sa forme de nouvelle, figure bien dans +l'édition complète des oeuvres du brillant écrivain. Mais, sous sa forme +dramatique, _Crainquebille_ n'avait pas encore été publié. + +Nous sommes doublement heureux, et d'offrir cette primeur à nos abonnés, +et de pouvoir illustrer le texte de M. Anatole France de douze +compositions originales gravées sur bois, du dessinateur Steinlen, +empruntées à l'édition de grand luxe de _L'Affaire Crainquebille_, +publiée par l'éditeur Edouard Pelletan, au prix de 600 francs sur japon +ancien, et de 80 francs sur vélin. + +LA FÊTE DES VIGNERONS, A VEVEY + +Nous avons publié la semaine dernière des photographies donnant une idée +d'ensemble du magnifique spectacle qui fut organisé à Vevey pour la Fête +des Vignerons de 1905. Mais le cliché photographique--cet incomparable +instrument d'illustration--est malheureusement impuissant à rendre le +mouvement, la gaieté, la grâce ou la majesté des cortèges, des danses et +des reconstitutions scéniques. Les dessins de Georges Scott, que nous +reproduisons aujourd'hui en quatre pages tirées à part, sont, au +contraire, une évocation vivante du poème qui se déroula sur l'immense +scène du théâtre en plein air de Vevey... Évocation forcément +incomplète: il faudrait un gros album de dessins semblables pour +représenter tous les groupes différents dont M. Jean Morax dessina les +costumes et régla harmonieusement les mouvements. + +Dans _L'Illustration_ du 12 août, nous avons indiqué, en quelques mots, +la donnée du poème, qui mettait en scène, en tableaux animés par des +chants et des danses, les principaux événements de la vie rustique, +échelonnés au cours de l'hiver, du printemps, de l'été et de l'automne. +Il convient de nommer le poète: M. René Morax, frère du dessinateur. +L'auteur de la musique est M. Gustave Doret, dont la partition contient +d'admirables morceaux. + +Rappelons aux collectionneurs de _l'Illustration_ que, dans le numéro du +17 août 1889, parurent des dessins et un article sur la précédente Fête +des Vignerons de Vevey: ils s'y reporteront avec plaisir. + + + +COURRIER DE PARIS + +JOURNAL D'UNE ÉTRANGÈRE + +... Au Luxembourg. La paix des grandes vacances enveloppe les jardins et +il y a comme du repos dans l'air déjà moins brûlant qu'on respire. Une +brise passe, en coups d'éventail légers, sous les arbres pleins d'ombre, +et les feuilles sèches qui en tombent (comme l'automne vient vite à +Paris!) font de petites taches brunes sur le sable des allées. Pour deux +sous, donnés à la loueuse de chaises qui m'a reconnue et me sourit, je +savoure, après des mois de vacarme et de fièvre, la volupté de vivre +dans du calme; cela est doux comme la sensation de _souffrance abolie_ +qui suit une rage de dents, et deux petits vers chantent en moi: + + Ah! qu'il est doux de ne rien faire + Quand tout s'agite autour de nous... + +Cependant, le personnage qui exprima dans _Galatée_ cette opinion se +trompait... Il y a une contagion du besoin d'agir ou de flâner; et c'est +surtout quand rien ne s'agite autour de moi qu'il m'est très doux de ne +rien faire. + +Et l'on s'agite si peu, depuis huit jours, autour de moi... Il est cinq +heures. Les galeries de l'Odéon sont désertes et, le long des grilles du +jardin, déambulent paresseusement des fiacres vides. Le vieux théâtre +est fermé; le Sénat est sans sénateurs et nous sommes, à quelques mètres +de là, cinquante flâneurs à peine, attroupés autour du kiosque où la +musique d'un régiment de ligne nous joue des airs... + +Des airs connus, que l'esprit suit sans effort: _Samson et Dalila, +Louise_, la _Marche indienne_ de Sellenik, un peu de Massenet: «N'est-ce +pas que _Manon_ est une jolie chose?» Je me retourne. C'est mon +libraire, qui est venu prendre le frais sous les arbres du Luxembourg et +m'invite à m'y promener avec lui. Ancien professeur, journaliste un peu, +mêlé à diverses entreprises de propagande politique et sociale dont il +aime à me démontrer les bienfaits, mon libraire--une des figures les +plus populaires du Quartier latin--est un aimable bavard, informé de +tout, qui a le goût des idées générales et sait, à l'occasion, dévider +un paradoxe avec esprit. + +--Vous êtes seul à Paris? + +--Tout seul, madame. + +--Au moins vous avez _fait le pont?_ + +--Pas même. Ma femme et mes enfants sont aux eaux, j'en profite pour +voir un peu Paris que je connais mal, et m'y reposer de la banlieue que +je connais trop. + +--Vous n'aimez pas la campagne? + +--Je la déteste, madame. Je la déteste pour deux raisons: la première, +c'est qu'on y est mal et que, pour de modestes bourgeois comme nous, la +vie s'y complique et s'y attriste de toutes sortes de petites +incommodités qui en rendent, à la longue, le séjour insupportable; la +seconde, c'est que j'aime la justice, et que je suis irrité du tort +inique que fait la campagne aux beautés rustiques de cette ville-ci. +J'en veux aux arbres du Vésinet de m'avoir fait ignorer si longtemps--et +mépriser--les arbres du Luxembourg. + +» Arrêtez-vous, madame, et regardez, je vous en prie. Regardez là-bas +cet effet de soleil couchant et la prodigieuse couleur de ciel que cette +pièce d'eau reflète. Admirez la somptuosité de forme de ces vieux +arbres, la beauté caressante de ces feuillages qui font au-dessus de +nous des dômes transparents d'ombre fraîche et la suavité de tons de ces +pelouses en velours vert... Est-ce qu'en ce moment aussi l'air que nous +respirons n'est pas d'une idéale fraîcheur? Eh bien, supposez-vous +transportée à trente kilomètres de Paris et soudainement mise en face de +ce spectacle-ci; imaginez cette couleur de ciel et cette odeur de brise +retrouvées. Vous penseriez: «Voilà bien ce qu'on ne peut rencontrer qu'à +la campagne...» + +--Et je penserais une bêtise, en effet. + +--Vous l'avez dit, vous penseriez une bêtise, madame. Car il n'y a pas +de cité au monde à l'intérieur de laquelle tant de paysages délicieux +soient rassemblés. Il ne nous reste qu'à les connaître, à apprendre +l'art d'en jouir. Si nous comprenions quelles «villégiatures» charmantes +sont les jardins de Paris, ses parcs et les deux forêts qui le bordent à +l'est et à l'ouest, nous n'éprouverions pas le besoin--en attendant +l'annuel voyage à la mer ou dans la montagne--de nous en aller geler ou +rôtir, du mois d'avril au mois de juillet et de septembre à la +Toussaint, dans des maisonnettes de banlieue. Avez-vous pratiqué la +villégiature de banlieue, madame? + +Je fis signe que non, et mon libraire devint véhément: + +--Eh bien, dit-il, je vous en félicite. J'ai une villa, moi: la «Villa +des Roses». Je l'ai achetée, il y a quelques années, sur les conseils +d'un médecin qui me recommandait fortement, pour les miens et pour moi, +«de la distraction, du repos, du bon air». + +»La maisonnette est gentille et le pays n'est pas mal. Mais il y fait si +chaud que nous avons dû, cet été, sans l'avouer à nos amis, venir +coucher à Paris plusieurs fois pour respirer un peu. Et s'il n'y faisait +que chaud, madame! Il y _fait_ surtout ennuyeux. Ma femme est, dans +cette maisonnette, éloignée de sa famille et de ses amis, et cet +isolement la rend acariâtre. C'est une joie pour elle, pendant ces mois +d'été, de s'apercevoir, de temps en temps, qu'un indispensable objet de +toilette ou de ménage lui manque et d'en tirer prétexte pour venir +passer une demi-journée à Paris. Cette «Villa des Roses»! c'est devenu +pour elle une espèce de prison où elle ne vit plus, comme le potache au +lycée, que dans l'attente des jours de congé. + +» Pour moi, c'est pire. Et l'on ne se figure pas, si l'on n'en a pas +fait l'expérience, la somme de corvées, d'incommodités, de dérangement, +de petites servitudes que représente, pour un bourgeois parisien, marié +et père de famille, cette chose si naïvement désirée par tant de gens: +une maison de campagne. + +»C'est, le matin, l'ennui de s'habiller vite pour ne pas manquer le +train du départ; c'est, le soir--pour ne pas manquer le train du +retour--a nécessité de bâcler ses affaires, de mettre à la porte l'ami +qui vient vous voir ou de ne l'écouter que la montre à la main; +d'ajourner au lendemain telles besognes urgentes qu'on eût souhaité de +liquider la veille. C'est l'ennui de déjeuner au restaurant pendant +trois mois et d'errer seul dans un appartement poussiéreux, d'aspect +tragique, au milieu de meubles habillés de housses, et de lustres, de +vases, de tableaux, enveloppés de papier... + +» Et puis il y a les «commissions». Vous savez qu'au point de vue +culinaire la campagne est, par définition, un endroit «où l'on ne trouve +rien». Le devoir s'impose donc, au mari qui vient à Paris tous les +jours, à en rapporter, plusieurs fois par semaine, le melon, la +langouste ou les fruits que la famille attend. En sorte que l'époque de +la canicule est le moment de l'année où je vis le plus fiévreusement, le +plus tristement, et où j'ai le plus de paquets à porter. + +» Mais ceci n'est rien encore, et le temps approche où tous ces ennuis +s'aggraveront d'un petit supplice nouveau. En mai, en juin, en juillet, +je quittais le matin la campagne à l'heure où précisément il eût été +délicieux d'y rester. A partir du mois prochain--les jours étant +redevenus courts et les nuits fraîches--j'y reviendrai, chaque soir, à +l'heure exacte où l'on commence à regretter de s'y trouver.» + +Mon ami conclut: + +--Le goût des voyages, heureusement, nous aura bientôt délivrés de +l'ennui des villégiatures suburbaines. A présent, on met le temps des +grandes vacances à profit pour changer d'air et d'horizon, courir la +montagne et «lézarder» sur le sable des plages; on se déplace plus +facilement qu'autrefois; on a des curiosités que n'avaient pas nos +grands-pères. Mais cela coûte cher. Il faudra donc, petit à petit, +s'habituer à choisir entre la villa de Seine-et-Oise et la chambre +d'hôtel en Normandie, en Bretagne, dans les Pyrénées. Cinq mois de +banlieue ou deux mois de tourisme? On préférera le tourisme, et ce sera +le krach des maisons de campagne. Alors, les Parisiens auront le temps +d'admirer chez eux des choses comme celle-ci...» + +Il me montrait, en disant cela, la délicieuse fontaine de Médicis, +blottie au fond de sa niche de verdure et d'eau. Nous étions seuls. Et +il me sembla que le cyclope Acis et Galatée considéraient d'un oeil +surpris notre visite... + +SONIA. + + + +NOTES ET IMPRESSIONS + +La santé et la jeunesse sont de joyeux compagnons de route. Ils changent +en poudre dorée la poussière du chemin. A. GENNEVRAYE. + + * + * * + +Souvent, le charme mène plus loin que la beauté. OUIDA. + + * + * * + +Nous empruntons aux étrangers des mots, des formules exprimant nos +propres et plus vieilles idées, et nous croyons leur devoir les idées +elles-mêmes. + + * + * * + +Les voyages donnent aux oisifs l'illusion de l'activité. G.-M. VALTOUR. + + + +[Illustration: Comment on verra l'éclipse partielle dans diverses villes +d'Europe.] + +L'ÉCLIPSE DE SOLEIL DU 30 AOÛT + +Par CAMILLE FLAMMARION. + +Le 30 août prochain, à 1 h. 19, on verra, de Paris, le soleil +partiellement éclipsé par la lune, qui passera devant et couvrira les 82 +centièmes du diamètre de son disque. L'ombre de la lune formera, au +sud-ouest de Paris, un cône invisible qui viendra toucher le sol +d'Europe sur le territoire de l'Espagne et produira là une éclipse +totale couvrant un cercle de 190 kilomètres de diamètre. Cette ombre +arrivera sur la côte septentrionale de l'Espagne, entre Santander et la +Corogne, et glissera du nord-ouest vers le sud-est, pour quitter la +péninsule entre Tarragone et Valence, ayant traversé l'Espagne avec une +vitesse de 750 mètres par seconde ou 45 kilomètres par minute, et, +glissant sur la Méditerranée, passera ensuite sur l'Algérie, la Tunisie, +la Tripolitaine, l'Égypte, la mer Rouge, et finira au golfe Persique. +Elle aura commencé au Canada et aura traversé l'Atlantique avant +d'arriver en Espagne[1]. + +[Illustration: Trajet complet de l'éclipse totale de soleil du 30 août, +du Canada en Arabie.] + +C'est en Espagne que nous allons nous installer pour l'observer, en très +grande majorité, quelques-uns cependant s'éloignant jusqu'en Algérie, en +Tunisie, et même en Egypte. Il importe, en effet, de s'échelonner sur la +plus grande partie de la zone pour diminuer les risques de voir +l'éclipse éclipsée par une arrivée intempestive des nuages. La plupart +des astronomes français ont choisi Burgos et Alcala comme stations +d'observation. Pour moi, j'ai adopté Almazan, à une grande hauteur sur +la Cordillère. + +En 1900, j'avais choisi la pittoresque oasis d'Elche, non loin +d'Alicante. Le ciel fut d'une limpidité merveilleuse et tel que nous la +souhaiterions pour l'éclipse prochaine. Mais cette année-ci est moins +calme que celle de 1900 au point de vue atmosphérique: elle est fertile +en orages et en cyclones, car elle correspond au maximum de l'activité +solaire. Vivons dans l'espérance. + +[Note 1: Le phénomène sera vu de toute la France et même de tous les +points de l'Europe, mais comme éclipse partielle seulement; c'est-à-dire +que la lune, dans son mouvement, passera devant le soleil sans arriver à +le masquer complètement. La portion éclipsée sera d'autant plus grande +qu'on se rapprochera davantage d'une ligne joignant Burgos à Sfax. + +Les phases de l'éclipse seront: à Paris 0,82, soit environ les 8 +dixièmes du soleil éclipsé; à Lyon 0,86; à Marseille 0,90; à Bordeaux +0,93; à Toulouse 0,94; à Perpignan 0,95; à Biarritz 0,96; à Alger 0,98. +(Les phases publiées par la _Connaissance des temps_ de 1905 sont +inexactes; on les a corrigées, sur les indications de M. Camille +Flammarion, dans un erratum.) + +On observera facilement l'éclipse à l'oeil nu, garanti par un verre +fumé. On pourra aussi en suivre les phases sur une feuille de papier +au-dessus de laquelle on tiendra, à 30 ou 40 centimètres de distance, +une carte de visite percée d'un fort trou d'épingle. Elle sera également +visible sur le sol dans les projections solaires formées par la lumière +filtrant à travers les interstices des arbres. + +Nous donnons ci-contre une carte dessinée par M. l'abbé Moreux, de +l'observatoire de Bourges, et destinée à montrer ce que l'on pourrait +appeler le «mécanisme» de l'éclipse, qui sera totale sur toute la bande +ombrée traversant l'Espagne et la Tunisie.] + +Nul spectacle n'est plus imposant que celui d'une éclipse totale de +soleil. L'immuable splendeur des mouvements célestes ne m'a jamais +frappé avec autant de puissance que pendant l'observation de ce +grandiose phénomène. Avec l'absolue précision du calcul astronomique, +notre satellite, en gravitant autour de la terre, arrive sur la ligne +théorique menée de l'astre du jour à notre planète et s'interpose +graduellement, lentement et exactement devant lui. L'éclipse se produit +à la minute déterminée par le calcul. Puis le globe obscur de la lune, +continuant son cours régulier, démasque l'astre radieux et +graduellement, lentement, termine son passage devant lui. Il y a là, +pour tout observateur, une double leçon philosophique, une double +impression: celle de la grandeur, de l'omnipotence des forces +inexorables qui régissent l'univers, et celle de la valeur +intellectuelle de l'homme, de cet atome pensant, perdu sur un autre +atome et qui, par le travail de sa faible intelligence, est parvenu à la +connaissance de ces lois qui l'emportent lui-même comme le reste du +monde, dans l'espace, dans le temps et dans l'inconnu. + +Dans cet impressionnant spectacle de l'occultation de l'astre du jour, +l'étrangeté de la pâle lumière qui reste pour éclairer la nature étonnée +joue un rôle considérable. Tout est changé dans l'aspect des choses. +L'anneau d'or qui entoure le soleil éclipsé répand sur la terre la +lumière d'un autre monde. + +Quelques minutes avant le commencement de la totalité, la lumière +normale du jour diminue fortement et se transforme. La nature entière +paraît oppressée sous une sorte de terreur. Les oiseaux, qui +gazouillaient dans les branches, se taisent, et ceux qui ont des nids y +rentrent précipitamment. Quelques-uns ne le retrouvent pas et, se +heurtant contre les murs, tombent morts. Les poussins se réfugient sous +l'aile de leurs mères, les chiens demandent protection à leurs maîtres, +les troupeaux abandonnent leurs pâturages et cherchent à rentrer, les +abeilles cessent leurs bourdonnements et reviennent inquiètes à la +ruche, les chauves-souris sortent et volettent. La nuit qui arrive +subitement déconcerte tous les êtres vivants. + +[Illustration: La marche de l'ombre de la lune sur l'Espagne et la +Tunisie le 30 août. (Les chiffres indiquent les heures et la durée de +l'éclipse totale en chaque point)] + +[Illustration: Comment on verra l'éclipse partielle dans diverses villes +des États-Unis, de Russie, de Sibérie, d'Égypte et d'Arabie.] + +L'homme lui-même ne peut se défendre d'une certaine émotion, quoiqu'il +sache qu'il n'y a là qu'un phénomène naturel qui suit mathématiquement +les lois du calcul. L'étrange lumière dont je parlais tout à l'heure +donne aux visages un aspect cadavérique, clarté blafarde analogue à +celle de l'esprit-de-vin brûlant saturé de sel, illumination livide et +funèbre paraissant annoncer la dernière heure du monde. + +Au moment où la dernière ligne du croissant solaire disparaît, on voit, +au lieu du soleil, un disque noir environné d'une auréole lumineuse à la +base de laquelle brûlent des flammes roses et lançant dans l'espace +d'immenses jets de lumière. La nuit subite reste éclairée par cette +vague clarté céleste. Ce spectacle est fantastique, grandiose, solennel +et sublime. + +C'est en ces minutes rares et précieuses que l'on a d'abord deviné, puis +étudié la constitution physique de l'astre aux rayons duquel la vie de +la terre est suspendue. Minutes rares, en effet, car la durée de la +totalité des éclipses observées varie entre une et six minutes, et il +n'y en a pas une par an. Depuis l'éclipsé de 1842, qui mit les +astronomes sur la voie de leurs découvertes, il n'y a eu que trente +éclipses totales dont on peut voir la liste dans mon _Astronomie +populaire_, et les observations n'ont pas occupé plus de cent minutes, +soit un peu plus d'une heure et demie. Voilà, certes, une heure et demie +bien employée! + +Ces minutes nous ont appris qu'il y a, tout autour du soleil, une nappe +de feu de 10.000 à 15.000 kilomètres d'épaisseur, sorte de flamme de +punch, de couleur rose, qui brûle constamment. C'est la chromosphère. +Elle n'est visible que pendant les éclipses. Sa température paraît être +d'environ 6.000 degrés centigrades. + +L'hydrogène en forme la partie supérieure, mais l'analyse spectrale +montre dans sa couche inférieure les vapeurs du magnésium, du fer et +d'un grand nombre de métaux. De cette nappe de feu s'élèvent des flammes +gigantesques, des protubérances roses, également, atteignant parfois +100.000 et 200.000 kilomètres de hauteur! Ces éruptions formidables +s'effectuent dans une atmosphère gazeuse qui constitue ce que nous +pourrions appeler la couronne atmosphérique du soleil. Elle est +adhérente au globe solaire et tourne avec lui en vingt-cinq jours +environ. + +Pendant l'éclipse du 28 mai 1900, j'ai parfaitement distingué cette +couronne atmosphérique, très lumineuse et d'un blanc d'argent éclatant. +Elle se fond dans une seconde auréole, qui lui est extérieure, est moins +brillante et moins dense, et paraît formée de corpuscules provenant +principalement des éruptions solaires, circulant indépendamment autour +de l'astre, dont la forme d'ensemble varie avec l'activité solaire et +peut être due à des forces électriques ou magnétiques, contre-balancées +par des résistances de diverses natures. Dans notre propre atmosphère, +les éruptions volcaniques sont distinctes de l'enveloppe aérienne. + +C'est principalement cet entourage solaire que les astronomes vont +étudier pendant l'éclipse Son aspect varie suivant les années. Aux +époques de grande activité, comme cette année, cette couronne entoure +entièrement le disque solaire, à une grande distance, et approche de la +forme circulaire. L'une des plus belles et des plus régulières que l'on +ait admirées est celle de l'éclipse du 17 mai 1882, voisine, comme +celle-ci, d'une époque de maximum de taches solaires. Un dessin qui en a +été pris en Égypte par M. Tacchini est d'autant plus curieux qu'une +petite comète avait justement été vue près du soleil pendant la +totalité. + +En général la forme extérieure de la couronne n'offre pas la même +régularité géométrique qu'en 1882. Souvent des jets immenses s'élancent +au loin en diverses directions. + +Pendant l'éclipse de 1900, correspondant à un maximum de l'activité +solaire, la couronne s'est montrée très allongée dans le sens de +l'équateur solaire. D'un côté même elle était double, et allait finir en +pointe tout près de Mercure, qui brillait à une distance égale à environ +six fois le diamètre du soleil. + +C'est sur l'analyse attentive de cette glorieuse couronne que se +porteront les efforts des astronomes, et, notamment, parmi les nôtres, +de MM. Janssen et Deslandres, de l'observatoire de Meudon. On l'étudiera +par le dessin direct, par la photographie, par l'analyse de la lumière +au spectroscope, par les méthodes les plus perfectionnées de la science +actuelle. + +On comprend tout l'intérêt qui s'attache à la connaissance de l'astre +solaire si l'on songe que toute la vie terrestre (ainsi que celle des +autres planètes) dépend des radiations de cet astre. De sa surface +agitée par les flots d'une éternelle tempête s'élancent constamment, +avec la vitesse de l'éclair, les vibrations fécondes qui vont porter la +vie sur tous les mondes. Le jour où le soleil s'éteindra, la terre où +nous sommes ne sera plus qu'un morne, obscur et silencieux cimetière +roulant dans l'éternelle obscurité de l'espace. + + + +LES FÊTES EN L'HONNEUR DE LA FLOTTE FRANÇAISE A PORTSMOUTH ET A LONDRES + +[Illustration: Le maire de Portsmouth et les conseillers municipaux, en +robe, allant, le 9 août, présenter à l'amiral Caillard les souhaits de +bienvenue de la ville.] + +[Illustration: Au château d'East-Cowes, le 8 août: l'amiral Caillard +présente les officiers de son état-major à la princesse Béatrice de +Battenberg, «gouverneur» de l'île de Wight.] + +[Illustration: Divertissements de marins anglais et français, à +Wales-Island, le 10 août: la course à âne.] + +[Illustration: La locomotive pavoisée du train de luxe qui a transporté +les officiers et marins de Portsmouth à Londres, le 10 août.] + +[Illustration: A travers les rues de Londres: le défilé des breaks +promenant les marins français.] + +[Illustration: L'arrivée des marins français et des personnages +officiels dans la cour du Guildhall.] + +[Illustration: Le banquet offert aux marins français dans la grande +salle du Guildhall, ancien hôtel des corporations de Londres, le 11 +août.] + +[Illustration: A la sortie du Guildhall: formation du cortège pour se +rendre à l'Alhambra.] + +[Illustration: Le banquet offert aux officiers de l'escadre française, à +Westminster, le 12 août.] + + + +[Illustration: Baron de Rosen et attachés à la délégation russe. M. +Witte. Président Roosevelt. Baron Komura. LA PREMIÈRE RENCONTRE DES +PLÉNIPOTENTIAIRES RUSSES ET JAPONAIS, LE 5 AOÛT Le président Roosevelt +présente l'un à l'autre M. Witte et le baron Komura, dans le salon de +réception du yacht du gouvernement américain, le «Mayflower».] + +_Il appartenait au président Roosevelt, après avoir pris l'initiative +des négociations pour la paix entre la Russie et le Japon, de présenter +les uns aux autres, à leur arrivée aux États-Unis, les plénipotentiaires +russes et japonais. Cette formalité protocolaire a eu lieu le 5 août, +dans les eaux américaines, à Oyster-Bay, à bord du yacht présidentiel_ +Mayflower. _Le président y était venu de son cottage de Sagamore Hill. +Bientôt après, le croiseur_ Tacoma _arrivait portant les délégués du +Japon qui, représentants du vainqueur, devaient être reçus les premiers +par M. Roosevelt, tandis que le croiseur_ Chattanooga _amenait, à +quelques minutes de là, les plénipotentiaires russes. Les présentations +eurent lieu dans la grande salle du yacht, où se tenaient M. Witte, et +ses collaborateurs, et où l'on introduisit cérémonieusement le baron +Komura et, les délégués japonais qui, à l'arrivée des Russes, s'étaient +retirés dans un petit salon voisin. Les figures des Japonais étaient +graves, leurs yeux froids, on le remarqua. Et l'on constata par contre, +non sans quelque sympathie, que l'attitude de M. Witte était cordiale, +ronde, franche; elle séduisit fort les Américains._ + +ARRIVEE DES PLÉNIPOTENTIAIRES A BORD DU "MAYFLOWER", LE 5 AOÛT Le baron +Komura. M. Witte. + +[Illustration: Au centre de la page, le yacht _Mayflower._] + +[Illustration: M. Roosevelt monte à bord du _Mayflower_ pour présider à +la première entrevue.] + +[Illustration: Russes et Japonais sur le pont du _Mayflower_ après les +présentations.] + +LES POURPARLERS DE PAIX ENTRE LA RUSSIE ET LE JAPON + +_Stereograph copyright 1905 Underwood and Underwood, London and +New-York._ + + + +_Dessin original de Jeanniot._ + +A TROUVILLE: SUR LES PLANCHES. + +_Privilégié à divers titres parmi les nombreuses stations balnéaires de +Normandie, Trouville doit à sa proximité relative de Paris d'avoir +conquis de longue date la faveur des Parisiens. C'est la plage mondaine +par excellence; au beau moment de la saison, ses fameuses «planches +sont, suivant la formule consacrée, le rendez-vous des suprêmes +élégances, et cette reconstitution, au bord de la mer, de l'avenue du +Bois et de la «potinière» offre assurément le tableau, tout ensemble le +plus complet et le plus brillant, des nouveautés de la mode._ + +[Illustration: Le fiord de Christiania.] + + + +EN NORVÈGE + +_Fragments d'un journal de voyage._ + +Suite et fin IV.--Voir les numéros des 8, 29 juillet et 12 août. + +LE CAP NORD + +_Samedi 16 juillet._--Nous arrivons au cap Nord. Nous avons vu d'autres +montagnes aussi noires, aussi désolées, aussi hautes et imposantes. Mais +celle-ci est la dernière, et, à bord, on est un peu fier de voir que +notre Europe finit bien. On se propose de faire l'ascension du rocher, +trois cents mètres pénibles, afin de pouvoir dire qu'on est monté là et +surtout pour y mettre, dans une boîte aux lettres levée tous les huit +jours, des cartes postales naturellement, qui porteront le timbre du cap +et feront la joie des collectionneurs. Il y en a un véritable +chargement. Certain passager en expédie quarante pour sa seule part. +Beaucoup les ont confiées aux commissaires du bord; d'autres les gardent +dans leur poche pour les expédier eux-mêmes. Comme on le verra, ce fut +une précaution malheureuse. + +La mer ne paraît pas très forte aux yeux inexpérimentés des passagers, +qui retiennent plus ou moins les manifestations de leur mécontentement +lorsque le bruit court que l'on ne débarquera pas. En présence de cette +attitude, l'excellent commandant, afin de nous donner une leçon de +choses, donne l'ordre de mettre la pétrolette à la mer. Dès qu'elle est +dégagée des palans, les plus obstinés commencent à montrer moins +d'empressement. L'embarcation, soulevée par les lames, fait au pied de +l'échelle des différences de niveau de deux à trois mètres. La +démonstration semble faite. Ce n'est pas l'avis des officiers du bord, +qui embarquent non sans difficultés. Parmi eux est le commissaire +porteur du paquet de cartes postales. Le prétexte donné à la petite +promenade est de s'assurer si le débarquement à terre serait possible. +Il est possible, en effet, pour des marins, et les cartes postales +partiront. Au retour, la mer a un peu grossi et c'est par l'échelle de +corde destinée aux pilotes que les officiers, un peu malicieusement +peut-être, reviennent à bord. Cette fois, personne ne demande plus à +partir et la pétrolette est hissée sans protestation. + +Mais la désolation est sur bien des visages. + +Être venu de si loin, s'en approcher autant et ne pas mettre le pied sur +le cap Nord! Des lamentations encore. + +--Et nos cartes postales! nos cartes postales! nos cartes postales! + +Une barque est prochaine, montée par trois ou quatre pêcheurs venus nous +attendre avec du Champagne qu'ils comptaient vendre là-haut à bon prix. +Si on les chargeait des cartes postales! Mais le moyen de les leur faire +parvenir? La mer est trop forte pour qu'ils puissent approcher de +l'échelle... Pauvres cartes postales! + +Un passager alors a une idée ingénieuse. Il collecte les précieuses +cartes postales, fait une quête et enferme le tout dans quatre ou cinq +journaux. Ce paquet, ficelé, est ensuite attaché à une bouteille bien +bouchée, le tout jeté à la mer et recueilli, avant que l'épaisseur des +journaux ait pu être traversée, par les Norvégiens qui s'éloignent à +force de rames et donnent des signes de joie surprenants pour ce pays. +On se croirait dans le Midi. Et pourtant... + +Nous partons. Il est une heure du matin, le ciel est couvert. Il fait +plein jour, on ne se lasse pas de le répéter. Nous perdons ici le besoin +du sommeil. On ne peut se résoudre le soir à regagner sa cabine. On +reste sur le pont, malgré le froid, et l'on admet difficilement qu'on +puisse aller dormir avant la nuit. + +LA PÊCHE A LA BALEINE + +_Dimanche 17 juillet._--...L'île de Skarro est une station de pêche à la +baleine. Du bord, avant de débarquer, nous voyons, près du rivage, une +roche ronde où la mer se brise. Ce n'est pas une roche. C'est une +baleine prise la veille. Sur les galets, des cadavres de baleine gisent, +à moitié dépecées. L'odeur est insupportable. Nous fuyons vers une +maisonnette gaie, sur une hauteur, habitation du directeur de la +pêcherie. Il a eu l'idée bizarre d'employer, comme bordure pour ses +gazons, des vertèbres de baleine. Comme porte d'entrée, il y a une sorte +d'arc de triomphe ogival, formé par l'assemblage de deux os de mâchoire +du même animal, et les sièges de l'intérieur sont faits de clavicules. + +C'est très gai... pour le directeur d'une pêcherie. Vous trouverez dans +les ouvrages spéciaux la description du harpon explosible et +perfectionné que l'on emploie aujourd'hui; vous ne l'attendez pas ici, +d'ailleurs. De même pour les renseignements sur les ateliers de +dépeçage. Je n'ai pas eu le courage d'y entrer et, si vous avez le nerf +olfactif sensible, je vous engage à faire comme moi. Ai-je dit que la +photographie signée de l'empereur Guillaume II est, au salon, à la place +d'honneur? + +LE CHALET DE GUILLAUME II + +_Lundi 18._--Nous allons retrouver ce soir au Raftsund le souvenir de +cet admirable homme de théâtre. Le paysage est grandiose et terrible. +Nous entrons dans une sorte d'entonnoir. Les premiers plans sont verts +et noirs. Les seconds, à droite et à gauche, sont faits de montagnes +noires sur lesquelles il a neigé récemment. Mais la neige n'est pas +seulement sur les sommets; elle est restée dans toutes les +anfractuosités, ce qui fait un dessin fantastique de blanc et de noir. +Le détroit se rétrécit et s'assombrit à mesure qu'on y pénètre. C'est +véritablement ici la majestueuse porte de l'enfer. Et l'on admire le +sens de l'effet que possède le souverain qui s'est fait construire un +chalet au sommet d'une des montagnes d'entrée. Ah! l'incomparable +régisseur! Et, si vous ne trouvez pas ici l'indication d'une beauté qui, +à elle seule, vaudrait le voyage, n'en accusez que l'insuffisance de ma +description. Je me suis retenu dix fois déjà pour ne pas dire, de ce que +nous avons vu, que c'était indescriptible. + +LE RETOUR--EN CHEMIN DE FER + +...... Nous voici dans un tout autre pays sans avoir quitté la Norvège. +D'abord il fait chaud et, lorsque nous recevons des lettres de France +nous parlant de la chaleur, nous n'envions plus ceux que nous avions +laissés là-bas. Ensuite les champs sont semblables aux nôtres... +semblables du moins à ce qu'ils étaient il y a deux ou trois mois. Nous +voyons enfin des villages et des villes, des habitants actifs, +occupés... Voici, à une station un chapeau haut de forme. Merci, mon +Dieu! A chaque gare, des enfants viennent offrir des bouquets de cerises +qui rafraîchissent mieux que la bière. Les employés du train sont d'une +complaisance à laquelle ne sont pas habitués ceux d'entre nous qui n'ont +voyagé que sur les chemins de fer français. Comme nous sommes +visiblement harassés, l'employé, qui s'en aperçoit, nous fait lever +gentiment avec un sourire et nous montre que ceux d'entre nous qui n'ont +pas de vis-à-vis peuvent, en rapprochant les deux sièges qui se font +face, s'installer un véritable lit et dormir tranquillement. + +[Illustration: Statue d'Ibsen, devant le théâtre de Christiania. +_Photographies Meys._] + +CHRISTIANIA + +Ce n'est pas en deux jours qu'on peut voir une ville. Celle-ci nous +paraît insignifiante. Elle n'a que des monuments modernes qui ne sont +pas beaux. C'est une grande ville sans caractère et sans intérêt. Dans +ses musées, on n'a guère remarqué que les fameuses barques des Wikings. +Elles datent de mille ans au moins et ont été retrouvées au fond d'un +nord, enfouies dans le sable où elles servaient de tombeaux à leurs +propriétaires. Le gaillard qui a dormi là est peut-être un des +envahisseurs audacieux dont les voiles, en remontant la Seine, ont +attristé la vieillesse de Charlemagne. + +Les soirées à bord sont délicieuses. Pour les habitants de Christiania, +la rade est un lieu de promenade comme le bois de Boulogne l'est pour +les Parisiens. Notre bateau est amarré entre deux vaisseaux de guerre +hollandais: triple objet de curiosité. Des centaines, des milliers de +barques vont de l'un à l'autre. La mer en est couverte. On dirait la +place de la Concorde un beau soir de mai; les embarcations se frôlent, +se croisent d'aussi près et en aussi grand nombre que, là-bas, les +voitures et les automobiles. + +Il y a des canots à vapeur qui sifflent pour nous saluer, des petits +bateaux de toutes les formes: à la rame, où sont des familles et que +souvent des enfants et des femmes conduisent; des voiliers dont les +voiles blanches répandent sur tout le tableau une grâce d'oiseaux +rapides; des périssoires; de longs canots de course montés par de +vigoureux jeunes hommes en maillot blanc, bras nus, qui font un étalage +aimable et naïf de leur force et de leur adresse. On vient nous donner +des sérénades et, d'un petit bateau qui tourne autour de nous comme une +mouche sur un colosse, les sons aigus d'une flûte nous envoient les +accents de la _Marseillaise_... On lève l'ancre. Dans trente-six heures +nous serons en France. + + * + * * + +Et dans un mois nous aurons oublié, sauf peut-être une ou deux +exceptions, ceux avec qui nous avons vécu pendant un mois et qui ont +fait avec nous ce pèlerinage inconscient au soleil qui ne dort pas. + +BRIEUX. + + + +DOCUMENTS et INFORMATIONS + +L'INFLUENCE DE LA SCIENCE FRANÇAISE EN CHINE. + +Le docteur A.-F. Legendre, médecin-major de 1re classe des troupes +coloniales, envoyé en 1902 par le ministère des Affaires étrangères à +Tchen-Tou (capitale de la province du Se-Tchouan, qui compte 40 millions +d'habitants), y créa, sur la demande du vice-roi du Se-Tchouan, une +école de médecine. Cette école fut inaugurée officiellement par le +vice-roi en personne et tous les hauts mandarins; elle compte +actuellement 32 élèves, choisis parmi la classe dirigeante des lettrés. + +[Illustration: L'école de médecine impériale de Tchen-Tou. (Au milieu, +le médecin-major Legendre, fondateur et directeur.)] + +C'est la seule école d'enseignement supérieur qui existe en Chine, sauf +à Tien-Tsin. + +Le docteur Legendre est venu en France dans le but d'obtenir le matériel +et le personnel nécessaires pour assurer le bon fonctionnement de cette +école de médecine chinoise et son organisation complète, en conformité +avec les derniers perfectionnements de la science actuelle. + +A l'école de médecine sera annexée une école de sciences. + +Le docteur Legendre reprendra, en septembre prochain, la route du +Se-Tchouan, pour parachever son oeuvre. + +La photographie ci-dessus représente les élèves de l'école de médecine +impériale, avec leurs administrateurs et censeurs chinois, et leur +directeur et professeur, le docteur Legendre. + +_Un nouvel enseignement commercial._ + +Les nécessités de la vie économique contemporaine ont décidé la Chambre +de commerce de Paris à réorganiser son _Ecole supérieure de commerce_. +Sous le titre nouveau et significatif _d'École supérieure de commerce et +d'industrie_, elle en a fait l'institution modèle dans la forme +définitive qu'avaient rêvée sans doute ses fondateurs, Brodart et +Legret, négociants à Paris; leurs principaux collaborateurs, J.-B. Say, +Chaptal, de Prony, Ch. Dupin, Casimir-Périer, Jacques Laffitte, et +peut-être aussi l'un de ses plus distingués directeurs, Adolphe Blanqui. + +Aidée par l'État et par la ville de Paris dans cette grande entreprise, +la Chambre de commerce justifie aujourd'hui leur confiance en apportant +à l'organisation de l'École des remaniements qui aboutissent à la +création, avenue de la République, d'un enseignement commercial complet, +à la fois rationnel et pratique, conçu d'après les données les plus +modernes et qui forme, pour le commerce général ou d'exportation, pour +la banque, l'industrie, les administrations, etc., des jeunes gens +capables de devenir soit des employés supérieurs, soit des directeurs de +services ou des chefs de maison. + +Cet enseignement est donné à des jeunes gens âgés de douze à dix-neuf +ans. + +Une _section de navigation maritime_, placée sous le contrôle du +ministère de la Marine, est annexée à l'École. Le diplôme de sortie +confère en même temps le certificat d'aptitude (examen de théorie) pour +le _brevet supérieur de capitaine au long cours._ + +LA RESPIRATION DU SOL. + +Tout comme les êtres vivants, le sol de notre planète respire, +c'est-à-dire aspire et expire de l'air, tour à tour. Mais, différent en +cela des êtres vivants, il ne respire pas par ses moyens propres: il +reste passif dans cette affaire. On savait bien, depuis longtemps, que +les interstices du sol sont remplis d'air, et l'on savait aussi qu'il +devait y avoir tantôt plus d'air, et tantôt moins, dans le sol, sous +l'influence des variations barométriques. Mais rien ne démontre et n' +«illustre» mieux le phénomène que les puits sur lesquels M. F. Gerlier, +médecin à Ferney-Voltaire, vient d'attirer l'attention. Ces puits, +situés dans le canton de Genève, présentent cette particularité +d'aspirer l'air à certains moments et de le refouler à d'autres. Il est +facile de voir s'ils aspirent ou expirent: ils sont fermés par une dalle +solide, pourvue d'un petit orifice, permettant d'avoir prise sur elle et +de la soulever; il suffit de placer une allumette enflammée, un bout de +plume, etc., sur l'orifice, pour voir de suite s'il y a courant d'air, +et dans quel sens. On peut encore poser un sifflet dans l'orifice, en +l'entourant de mastic: selon le sens où le sifflet est posé, on a un +sifflement continu pendant l'inspiration ou l'expiration du puits et +l'on peut faire savoir au loin, automatiquement, si l'on va vers le beau +temps ou vers la pluie. Car les puits qui soufflent ou aspirent sont +essentiellement barométriques. Ils réagissent aux influences qui font +monter ou descendre le baromètre et les habitants des villages les +considèrent comme d'excellents baromètres. Dès que le baromètre monte, +en même temps qu'il monte, plutôt, le puits aspire. La pression +barométrique étant plus forte dehors, l'équilibre de la pression de +l'air dans le sol ne peut s'établir que par la poussée de l'air +extérieur vers le souterrain: de là apparence d'aspiration du puits. Si +le baromètre baisse, en dehors, le phénomène inverse se produit. La +pression est forte dans le sol, faible dans l'air; l'équilibre s'établit +par la poussée de l'air relativement comprimé du sol vers l'extérieur: +le puits expire. Rien n'est plus naturel, ou d'explication plus facile, +quand on considère les puits particuliers dont il s'agit. Ils sont tous +profonds, pauvres en eau, souvent à secs et forés dans une couche de +gravier. Une couche de gravier, cela représente beaucoup de vides et +d'interstices; cela fait un réservoir d'air étendu, par conséquent. Et +le puits est, en réalité, le tuyau par où communiquent un réservoir +d'air souterrain et un autre réservoir, qui est l'atmosphère. Toujours +l'équilibre tend à s'établir entre la pression, dans les deux +réservoirs; et elle s'établit en donnant lieu aux mouvements +d'aspiration et d'expiration. Une augmentation de pression dans l'air +extérieur, qui se traduit par une hausse du baromètre, se traduit par un +refoulement d'air dans le réservoir souterrain qui est à pression +moindre--celle où le baromètre se trouvait avant de commencer à monter. +La baisse de pression dans l'air a pour conséquence une expiration: +l'air souterrain étant à pression forte--celle du baromètre avant sa +descente--il est chassé par sa pression dans l'air extérieur, +naturellement, où la pression est moindre. Le sol respire donc, là +surtout où il est très perméable et renferme beaucoup d'air. + +LA NOUVELLE FAUNE DU VIEUX PORT DE MARSEILLE. + +Les personnes qui ont connu Marseille avant l'établissement du canal de +la Durance se rappellent certainement quel immonde cloaque était le +vieux port, où débouchaient tous les égouts de la vieille ville. La +saleté des fonds et des eaux était légendaire, les poissons n'y vivaient +pas, et il était admis qu'un des meilleurs moyens de débarrasser les +coques des navires des nombreux animaux qui les envahissaient était de +les faire séjourner quelque temps dans les eaux du vieux port. + +Quand le canal de la Durance fut fait, il y eut un apport d'eau douce +plus considérable, et les coquillages purent vivre jusqu'au tiers de la +longueur du bassin; puis, dès 1885, Marseille fit établir le +tout-à-l'égout et les immondices de la ville ne se déversèrent plus dans +le port, mais sur la côte, à une quinzaine de kilomètres à l'est. Très +rapidement alors les eaux du vieux port prirent de la limpidité, des +algues apparurent partout, et les Marseillais purent s'y livrer à la +pêche d'une façon fructueuse. + +Ayant étudié récemment la faune du vieux port, MM. A. Briot et Van Gaver +ont constaté que la vie se manifestait actuellement jusqu'à l'extrême +fond du bassin. Les mollusques y sont nombreux et, près de la passe, les +crabes ont fait leur apparition. + +Dès qu'on arrive à l'avant-port, les fonds deviennent d'une surprenante +richesse. A la vase noire succède un cailloutis où les invertébrés de +toutes sortes pullulent. Les algues rouges apparaissent à cet endroit, +les oursins, les tubes d'annélides. + +Tous ces êtres, ne s'accommodant que d'eaux relativement assez pures, +sont le témoignage vivant de l'assainissement du port de Marseille. + +L'ACOUSTIQUE DES SALLES DE RÉUNION. + +Les mathématiciens et les physiciens ne sont pas encore arrivés à +déterminer les conditions que doivent remplir les grandes salles +destinées aux spectacles, aux concerts ou aux cours, pour bien porter +les sons et la parole; et les architectes n'ont pas mieux réussi à +résoudre ce difficile problème. + +Quand on construit une de ces salles, on compte sur la chance pour +réussir; et le résultat est, en effet, au petit bonheur. Il arrive même +que, sans le vouloir, on obtient des salles d'une acoustique admirable. + +Mais, si difficile qu'il soit, ce problème n'est certainement pas +insoluble. + +Pour le résoudre, M. Exner, physiologiste viennois, a pensé qu'il +fallait s'adresser à la méthode expérimentale, et il a imaginé un +dispositif d'expériences très ingénieux qui lui a donné des résultats +fort précis. + +L'_acoustimètre_ de M. Exner comprend un appareil producteur de sons +(amorces détonant sous l'action d'un percuteur actionné à distance), des +appareils collecteurs des sons et de leurs échos (microphones installés +aux différents points de la salle dont on étudie l'acoustique) et un +appareil mesureur (poste téléphonique que l'on peut relier à l'un +quelconque des microphones). + +Ce poste comprend un rhéostat, que l'on intercale dans les circuits des +microphones, en interposant des résistances capables d'annuler la +transmission du son. + +Par la grandeur variable de ces résistances, l'observateur connaît +exactement l'intensité du son aux divers points étudiés. + +Cette méthode, appliquée empiriquement, permettra de connaître +exactement la valeur acoustique d'une salle; mais il est probable +qu'elle permettra, en outre, d'établir le dessin théorique des salles de +bonne acoustique. + + + +MORT D'UN EXPLORATEUR ASIATIQUE + +[Illustration: Le lieutenant Grillières.] + +Le lieutenant Grillières, du 4e zouaves, est décédé le 15 juillet, à +Semao (Asie centrale), au cours d'une mission dont il avait été chargé +par le ministère de l'Instruction publique. Fils du colonel du génie en +retraite Louis Grillières, le défunt, âgé de trente-sept ans à peine, +avait accompli précédemment d'autres missions intéressantes, notamment +en Chine et au Thibet; il appartenait à cette élite d'officiers qui, +pendant les loisirs de la paix, cherchent en marge de la carrière des +armes, souvent au prix de périls et de fatigues vaillamment affrontés, +l'utile emploi de leur intelligence et de leur activité. Sa mort +prématurée, sous un climat lointain, mérite un juste tribut d'hommages +et de regrets. + +UN ANNIVERSAIRE AU VATICAN + +Le pape Pie X vient de célébrer avec solennité, le 9 août dernier, le +second anniversaire de son intronisation. + +La messe pontificale, à laquelle Sa Sainteté assistait, a été célébrée à +la chapelle Sixtine par le cardinal Merry del Val, secrétaire d'État, le +plus jeune membre du sacré collège. Le pape s'était rendu à la chapelle, +précédé de la garde noble et suivi de toute la cour romaine, en +traversant les loges de Raphaël, et la marche de ce' cortège dans ce +cadre admirable présentait le plus imposant des spectacles. + +M. GABRIEL SOULACROIX + +Le baryton Soulacroix vient de mourir à Fumel (Lot-et-Garonne), son pays +natal, à l'âge de cinquante-deux ans. Fils d'un simple boulanger, qui +élevait non sans peine quatre enfants, Gabriel Soulacroix avait commencé +ses études au conservatoire de Toulouse, puisses poursuivit à Paris où +il obtint, en 1878, le second prix de chant et d'opéra-comique. + +[Illustration: M. Gabriel Soulacroix. _Phot. comm. par M. Marcel +Languellier_.] + +Après un séjour de neuf années à la Monnaie, à Bruxelles, il avait +débuté, en 1880, à l'Opéra-Comique. Il y joua tour à tour, jusqu'en +1894, tous les rôles de baryton du répertoire et figura avec infiniment +de distinction dans les créations de _la Basoche_, des _Folies +amoureuses_, de _Falstaff_, de _l'Escadron volant de la reine_, du _Roi +malgré lui._ + +En dernier lieu, enfin, il créait, à la Renaissance, _le Duc de +Ferrare_, et _la Bohème_ de Leoncavallo. Il avait fait, en 1904, une +brillante rentrée à l'Opéra-Comique avec _le Jongleur de Notre-Dame_. + +Lors de l'incendie de l'Opéra-Comique, son sang-froid avait été digne +d'admiration. En scène au moment où le feu se déclarait, il avait +beaucoup contribué à empêcher la foule de s'écraser vers les issues et +avait sauvé bien des existences. Le désastre était assez grand! +Soulacroix avait alors été récompensé par une médaille de sauvetage, et +c'était, de toutes ses décorations, celle dont il se montrait le plus +fier. + + + +UN MARIAGE FRANCO-CHINOIS Scïé-Ton-Fa, attaché d'ambassade et préfet de +deuxième classe, épousait, ces jours derniers, en l'église de la +Madeleine, Mlle Louise Sauvaget, jeune Nivernaise, devenue Parisienne de +par un séjour de dix ans dans la capitale. + +[Illustration: S. S. Pie X, précédé de la garde noble et suivi de la +Cour pontificale, se rend, par les loges de Raphaël, à la chapelle +Sixtine, pour célébrer le second anniversaire de son intronisation, le 9 +août dernier.--_Phot. G. Felici._] + +[Illustration: M. Scïé-Ton-Fa et sa jeune femme.--_Phot. Anthony's._] + +Et ce fut un spectacle plein d'imprévu et de pittoresque que la vue de +cette cérémonie unissant, dans le cadre de ce temple pseudo-grec, sous +la bénédiction d'un prêtre chrétien, le jeune Céleste à la jeune +Parisienne. + +Revêtu d'une somptueuse robe de soie bleue, brodée de dragons d'or en +écusson sur la poitrine, ceinture d'or incrustée de lapis, chaussé de +hautes bottes de satin noir, Scïé-Ton-Fa, levant fièrement sa tête +coiffée du chapeau de mandarin à bouton de cristal de roche, sortit +triomphalement de la Madeleine aux accords de la marche de Lohengrin, +cependant qu'à son bras Mme Scïé-Ton-Fa, tout émue, laissait dépasser de +son missel les roses rouges, symbole chinois de l'amour. + + + +L'ÉCLIPSE DE LUNE DU 15 AOÛT + +En attendant la grande éclipse de soleil dont nous parlons plus haut, +une éclipse de lune a eu lieu dans la nuit du 15 août. Elle a été +d'autant plus belle qu'un temps splendide, calme et très pur, a permis, +à Paris, d'en suivre toutes les phases. On sait que les éclipses de lune +sont produites par le passage de la lune dans le cône d'ombre que la +terre, astre opaque, projette derrière elle par rapport au soleil. Ce +cône d'ombre comprend deux parties bien distinctes: l'ombre proprement +dite et la pénombre. + +Dans l'éclipse du 15 août dernier, à partir de 1 h. 17, la lune entrait +dans la pénombre. Comme celle-ci est très dégradée, on n'a rien constaté +tout d'abord, et ce n'est guère qu'à 1 h. 45 et surtout 2 heures que la +pénombre a été vue à la lunette, avec une teinte brune. Mais, sur les +épreuves photographiques, la pénombre est bien plus accusée. A 2 h. 48, +la lune est entrée dans l'ombre. Au milieu de l'éclipsé, à 3 h. 50, il y +avait à peine un tiers du diamètre lunaire dans l'ombre (exactement 292 +millièmes), mais notre satellite n'envoyait plus qu'une lumière +blafarde, étant, en effet, tout entier dans la pénombre. + +[Illustration: La lune avant l'éclipse, à 1 h. 9 du matin. La lune dans +la pénombre, à 2 h. 39 La lune dans l'ombre de la terre, à 3 h. 5 Un peu +avant la phase maximum, à 3 h. 42 L'ÉCLIPSE DE LUNE DU 15 +AOÛT.--_Photographies de M. Émile Touchet._] + + + +[Illustration: L'INFORTUNE GAGNANT, par Henriot.] + + +_NOUVELLES INVENTIONS_ + +_(Tous les articles compris sous cette rubrique sont entièrement +gratuits)._ + +LE RÉCIPIENT «THERMOS» + +Une bouteille susceptible de conserver plusieurs jours de la glace, ou +de maintenir brûlant un liquide quelconque, du café, par exemple, +pendant plus de quarante-huit heures, voilà, certes, de quoi intéresser +tout le monde. + +La bouteille «Thermos» tient ces merveilleuses promesses. + +Disons tout de suite que sa construction est identique à celle des +fameux ballons à air liquide, inventés par MM. Dewar et d'Arsonval, et +qui sont capables de conserver pendant plusieurs jours de l'air liquide +dont la température n'atteint pas 150 degrés au-dessous de zéro. + +Tous les corps transmettent plus ou moins bien la chaleur, et le seul +moyen de ne pas en perdre ou recevoir, c'est d'interposer un espace de +_vide parfait_ entre les corps à protéger et l'extérieur. + +Tout invraisemblable que puisse paraître le fait, un espace _vide d'air_ +d'à peine 1 millimère d'épaisseur est plus isolant que plus de cent fois +son épaisseur de verre ou de tout autre corps isolant. + +On démontre, en électricité, qu'une étincelle capable de franchir 0m,50 +dans l'air ne peut traverser un dixième de millimètre de vide bien fait. + +La raison, au fond, en est très simple: la chaleur et l'électricité +réclament, pour se transmettre, la présence d'une substance matérielle, +et le vide n'en contient pas, du moins sous la forme ordinaire, puisque +les savants admettent partout, même dans le vide parfait, l'existence +d'un milieu spécial: l'éther. La bouteille «Thermos» (fig. 1) se compose +donc d'une double enveloppe de verre; entre les deux enveloppes se +trouve un faible espace, entièrement vide d'air. + +La construction de ce récipient est des plus délicates et nécessite de +très grands soins. + +L'exacte concentricité des deux enveloppes est obtenue à l'aide +d'anneaux de feutre, mauvais conducteur, anneaux maintenant un +écartement régulier et protégeant la partie intérieure contre la, +possibilité de casse par choc. + +[Illustration: Fig. 1. Fig. 2.] + +De même, le fond et le haut du goulot interne sont protégés par une +feuille de feutre tassé. + +L'extérieur de la bouteille, toujours dans le même but de protection, +est recouvert de papier roulé et, finalement, d'une enveloppe +métallique, portant une garniture de cuir et une courroie (fig. 2). + +N'oublions pas de mentionner que la partie intérieure de la double +enveloppe est argentée avant production du vide. + +Cette précaution augmente très sensiblement la puissance protectrice de +la bouteille. + +On sait, en effet, que les corps chauds perdent leur chaleur par +rayonnement. Le vide parfait lui-même ne protège nullement contre cette +perte, puisque la chaleur _rayonnante_ le traverse aisément, tout comme +la lumière; mais la couche brillante d'argent supprime presque +entièrement cette déperdition. Si l'on chiffre par 100 la quantité de +chaleur rayonnée par le noir de fumée--la substance qui perd le plus par +rayonnement--2 ou 3 tout au plus représenteront la perte relative +occasionnée par l'argent poli. + +La bouteille «Thermos» contient donc tous les perfectionnements permis +par la science et rien d'étonnant que ses propriétés paraissent +merveilleuses. Comme nous l'avons dit, le petit modèle, le seul +actuellement en vente, et contenant près d'un demi-litre, conserve de la +glace trois ou quatre jours, et presque autant un liquide à l'état +brûlant--sans que ce dernier risque d'ailleurs de le casser.--Le +problème de la conservation du lait, soit glacé, soit bouillant, va se +trouver résolu avec ce récipient, surtout lorsque les constructeurs en +auront établi un type d'une capacité plus considérable, l'efficacité de +ces appareils étant proportionnelle à leur grosseur. + +Nous n'insistons pas sur l'utilité de ce récipient, en été comme en +hiver, pour les touristes, chasseurs ou voyageurs. + +La bouteille «Thermos» se trouve en vente à des prix variant de 15 à 20 +fr., avec courroie; 13 à 18 fr., sans courroie, suivant richesse de la +garniture, aux Galeries Lafayette et au Louvre, à Paris. Pour +renseignements, s'adresser par écrit à _M. Marcel Meyer, ingénieur, 18, +rue Grange-Batelière, Paris._ + +SUPPLÉMENTS + +Note du transcripteur: +1° Un Supplément théâtral: CRAINQUEBILLE, par Anatole France. + Ce supplément illustré ne nous a pas été founi. Nous avons cru bon + de reproduire le texte a partir d'un document d'Internet Archives. +2° Quatre pages tirées à part sur la FÊTE DES VIGNERONS DE VEVEY. + Ces pages ne nous ont pas été fournies. + + + +ANATOLE FRANCE + +CRAINQUEBILLE + + +PIÈCE EN TROIS TABLEAUX + +Représentée pour la première fois le 28 mars 1903 au théâtre de la +RENAISSANCE. + + +A LUCIEN GUITRY. + +_Mon cher ami,_ + +_Je ne vous offre pas cette petite pièce de théâtre. Elle vous +appartient. Elle est vôtre, non pas seulement parce que vous l'avez +reçue à votre théâtre, et mise en scène d'une merveilleuse manière, et +fait interpréter par une élite artiste, non pas seulement parce que vous +avez réalisé le personnage de Crainquebille avec une puissance étonnante +et une souveraine vérité. Elle est vôtre parce que je ne l'aurais pas +faite sans vos conseils, parce que telle scène applaudie fut écrite tout +entière sous votre inspiration._ + +_J'inscris votre nom sur la première page de notre Crainquebille comme un +témoignage de mon amitié._ + +ANATOLE FRANCE. + + + +PERSONNAGES + +CRAINQUEBILLE. +LE MARCHAND DE MARRONS. +LE PRÉSIDENT BOURRICHE. +MAITRE LEMERLE. +LE DOCTEUR DAVID MATHIEU. +AUBARRÉE. +L'AGENT 64. +LERMITE. +LE CAMELOT. +UN ÉPICIER. +L'AGENT. +L'HUISSIER. +LE MARCHAND DE VIN. +LE CHARCUTIER. +MADAME BAYARD. +MADAME LAURE. +LA SOURIS. +UNE OUVRIÈRE. + + + +PREMIER TABLEAU + +_Rue de Beaujolais._ + + +SCÈNE PREMIÈRE + +LE CAMELOT. + +Il est vêtu comme un employé du Louvre; debout sur un tabouret, ayant +devant lui, reposant sur un tréteau, une boîte grande comme une petite +malle d'où il tire sans cesse des objets qu'il replace aussitôt, il +achève de débiter à l'auditoire qui l'entoure le boniment dont voici la +fin... A chaque fois qu'il cite sa maison, il soulève son chapeau haut +de forme. + +... Si la maison Gameron. Cormandel et Cie que j'ai l'honneur de +représenter sur cette place, s'est enfin décidée aux sacrifices +multiples dont l'énumération vient de vous être faite par moi, ce n'est +pas, messieurs, dans un but purement humanitaire, vous ne le croiriez +pas. Il est faux, et je ne crains pas de l'affirmer hautement, que la +maison Gameron, Cormandel et Cie ait entrepris la ruine des grands +magasins ou même du petit commerce, ainsi que des personnes +malintentionnées ont essayé de le faire croire en pure perte en +répandant à pleines mains des calomnies que nous n'avons qu'à regarder +dans les yeux pour les faire rentrer sous terre. Non, messieurs, la +maison Gameron, Cormandel et Cie n'a envisagé qu'une chose, une seule. +Elle a son importance et je vous la révélerai tout à l'heure. Je ne +demande à votre courtoisie bien connue qu'une seconde de patience et +j'en profite pour me résumer: les six articles qui sont mis à la +disposition de toute personne qui en fait la demande lui sont remis sur +un mot, sur un mouvement, sur un geste, sur un simple signe. Ces six +articles, dont voici la brève énumération, consistent en: 1° une canne +pneumatique se repliant sur elle-même au moyen d'une simple pression des +doigts et formant ainsi un objet de menue dimension que l'on peut +parfaitement dissimuler dans une poche de moyenne grandeur. Cet objet, +entièrement fait d'un métal inoxydable, représente une valeur marchande +de trois francs. Je pense, messieurs, n'être pas taxé d'exagération. Il +suffit de se reporter par la pensée au prix exorbitant atteint par la +main-d'oeuvre aujourd'hui. Je poursuis: 2° une superbe parure de chemise +en simili. Les trois boutons pour le plastron. Deux boutons pour les +manchettes avec le patin bascule en aluminium réfractaire, susceptible +de résister à l'action du feu pendant plus de quatre heures... Puis le +bouton pour le faux col, orné d'une ravissante pierre bleue +semi-turquoise. Je vous demande, messieurs, et je m'adresse plus +particulièrement aux personnes qui ont l'habitude de ce travail... +pensez-vous qu'un bijoutier... et je n'entends pas parler ici des +Boucherons ou des Vevers... + + + +SCÈNE II + +UN PETIT CHARCUTIER, se détachant du groupe, au camelot. + +C'est à toi qu'il en faudrait un bouchon. + +LE CAMELOT, avec un sourire plein de haine. + +Attendez donc, mon petit ami... Attendez donc... J'ai terminé tout de +suite, je vais pouvoir m'occuper... + +LE PETIT CHARCUTIER, après un geste. + +Monte là-dessus, tu verras Montmartre, (il sort.) + +SCÈNE III + +LE CAMELOT, continuant. + +Vous préférez vous retirer, jeune homme, licence vous en est donnée. Je +poursuis: pensez-vous, dis-je, qu'un modeste bijoutier, se contentant +d'un bénéfice dérisoire, puisse matériellement établir cet article à +moins d'un franc cinquante? Non! n'est-ce pas... Eh bien, moi, je compte +un franc pour le moment; 3° une boîte de savon miraculeux, le savon +«Océan», dont je vous ai tout à l'heure fait la lumineuse démonstration, +et qui réduit à néant les taches les plus rebelles en redonnant au tissu +l'éclat du neuf. Je ne veux pas, messieurs, lasser vos facultés +d'évaluation et je fixe, d'ores et déjà, sa valeur au prix ridicule de +vingt-cinq centimes; 4° un étui en celluloïd de Norvège, teinté au feu +et contenant cinquante pastilles d'un effet certain dans les affections +des bronches. Valeur? Quelle valeur?... Quinze centimes... Peut-on +descendre plus bas?... Oui, on peut et je veux vous en donner la preuve. +Et voici le bouquet. Les deux derniers articles, retrousse-jupe, +fixe-serviette, relieur automatique et, enfin, chaîne de montre ou +collier de dame avec un fermoir presque en or... Le prix? Aucun!... +Rien!... un cadeau! Zéro franc, zéro centime, qui, réuni et formant +total avec les objets énoncés ci-dessus, nous donne le chiffre de... +(Rapidement.) Trois francs pour la canne pneumatique, un franc pour la +parure en simili, vingt-cinq centimes pour le savon «Océan» quinze +centimes pour les pastilles salutaires: quatre francs quarante que la +maison Gameron, Cormandel et Cie, que j'ai l'honneur de représenter sur +cette place, m'a intimé l'ordre de convertir en un cadeau. Oui! un +cadeau, je le proclame; car il ne s'agit pas ici de quatre francs +quarante, trois francs ou même deux francs, ou même un franc, pas même +cinquante centimes... Il s'agit, messieurs, de la somme grotesque, +ridicule, stupéfiante, absurde, de... de vingt centimes... (on se +fouille.) et si, rentrés dans vos familles, réunis sous la lampe autour +de la table où doit fumer le repas du soir... si, par un sentiment de +curiosité bien excusable, messieurs, vous essayez, de vous rendre compte +du pourquoi qui a guidé la maison Gameron, Cormandel et Cie... +arrêtez-vous dans vos investigations... renoncez à comprendre!... Vous +n'y parviendrez jamais!... C'est une réclame! + +Il remet à chaque personne qui lui tend ses quatre sous les objets que +les acheteurs ensuite examinent en sortant de scène. + +UNE COMMERÇANTE, s'adressant à un ouvrier. + +Est-ce que c'est bon, c't'affaire pour enlever les taches? + +L'OUVRIER. + +Mais, ma bonne femme, voilà vingt-cinq ans que je suis teinturier, +n'est-ce pas? Si c'était bon, je l'emploierais... c'est une cochonnerie! + +LA COMMERÇANTE. + +Enfin, tout ça pour quatre sous, ce n'est pas cher. + +CRAINQUEBILLE. + +Des choux! des navets! des carottes! + +LES GOSSES, revenant de l'école. + +Oh! hé! le père Crainquebille! + +CRAINQUEBILLE. + +Voulez-vous bien aller à l'école, au lieu de prendre du vice dans les +rues... C'est vrai, qu'est-ce qu'ils peuvent apprendre dans le ruisseau. +Ils peuvent apprendre que le mal... Bottes d'asperges! + +UNE FEMME. + +Ousqu'elles sont, vos asperges? + +LA SOURIS. + +Vous êtes pas maligne; ses asperges, c'est des poireaux. Le poireau, +c'est l'asperge du pauvre. Tout le monde sait ça. (Un des gamins dérange +les bottes de poireaux sur la voiture.) Laissez-le donc, il a besoin de +gagner sa vie. Si, comme moi, vous gagniez votre pain... tas de gosses! + +CRAINQUEBILLE. + +Tu gagnes ta vie, toi? + +LA SOURIS. + +Faut bien. + +UN GOSSE. + +C'est un rien du tout. Il couche dehors. Il est abandonné, il a pas de +parents. + +CRAINQUEBILLE. + +S'il a pas de parents, c'est de leur faute, ce n'est pas de la sienne. + +UN GOSSE. + +Il a pas de quoi manger et nourrit un chien mange-le ton chien! + +LA SOURIS. + +Qui qu'a dit que je couchais dehors? Qui qui l'a dit? Qu'il le répète +voir... Je couche pas dehors et la preuve que voilà ma fenêtre... + +UN GOSSE. + +Elle a pas de carreaux, ta fenêtre. Y couche dans les démolitions. + +LA SOURIS. + +Je garde, la nuit, le magasin qui est en réparation. C'est preuve que je +suis honnête. Et puis je veux pas qu'on m'embête! + +CRAINQUEBILLE. + +Qu'est-ce que tu bricoles pour vivre? + +LA SOURIS. + +Je ramasse les balles de paume, je crie les journaux, je fais les +commissions. Tout, quoi! + +CRAINQUEBILLE. + +Comment tu t'appelles? + +LA SOURIS. + +La Souris. + +CRAINQUEBILLE. + +Tu t'appelles la Souris. Eh bien, t'as plus de jugement que les autres. +Tu comprends mieux la vie. + +LA SOURIS. + +C'est que j'ai eu de la misère. Eusses, ils ne connaissent rien. Quand +on n'a pas été malheureux, on ne peut pas être bien malin. + +CRAINQUEBILLE. + +T'as eu de la misère? + +LA SOURIS. + +Et j'en ai encore. La misère, ça colle. + +CRAINQUEBILLE. + +C'est vrai que t'as pas bonne mine. Tiens, v'là une poire, elle est un +peu blette, mais elle est d'une bonne espèce, c'est du beurré! + +LA SOURIS. + +Elle est vraiment molle. Si ta femme a le coeur aussi tendre... Merci, +tout de même, père Crainquebille. + +UNE PETITE FILLE, qui porte un pain plus grand qu'elle récitant. + +Est-ce qu'ils sont beaux, vos choux? + +CRAINQUEBILLE. + +Y a pas meilleur, c'est tout coeur. + +LA PETITE FILLE. + +Combien qu'ils valent. Parce que maman est malade, elle ne peut pas +faire son marché. + +CRAINQUEBILLE. + +Qu'est-ce qu'elle a, ta maman? Où que ça la tient? + +LA PETITE FILLE. + +Je ne sais pas... C'est en dedans... Elle m'a dit comme ça de vous +acheter un chou. + +CRAINQUEBILLE. + +Eh bien, ma petite fille, aie pas peur, je te servirai bien, comme si +c'était que je servirais ta mère. Et mieux, parce qu'une supposition, si +j'avais à tromper quelqu'un, ce serait une femme d'âge et qui se +méfierait. Faut voler personne, bien sur... à chacun son dû. Mais si +fallait, on aurait du penchant à tromper ceux qui veulent vous fiche +dedans. Tandis que faire du tort à un chérubin comme toi, on aurait +regret, (Il lui donne un chou.) Tiens, v'là le plus beau. Il a l'air +d'un sénateur. (La petite fille lui donne cinq sous.) C'est six sous, il +en faut encore un. Tu veux pas me dépouiller? + +LA PETITE FILLE. + +Mais, monsieur, maman ne m'a donné que cinq sous. + +CRAINQUEBILLE. + +Faut pas mentir, ma mignonne, cherche bien voir si lu en as pas mis un +dans ta poche. + +LA PETITE FILLE, sincère. + +Non, monsieur, je n'ai que cinq sous. + +CRAINQUEBILLE. + +Eh bien, ma mignonne, donne-moi un bécot, ça fera le compte et tu +demanderas à ta mère s'il était pommé comme celui-là le chou où qu'elle +t'a trouvée. Va, ma mignonne, et prends garde de ne pas tomber en route. +Bonjour, madame Laure, ça va-t-il comme vous voulez? + +MADAME LAURE, chignon fauve, très fille. + +Vous n'avez rien de bon, aujourd'hui. + +CRAINQUEBILLE. + +Si on peut dire! + +MADAME LAURE, goûtant les radis. + +Ils sont creux, vos radis. + +CRAINQUEBILLE. + +Aujourd'hui, vous me cherchez des mauvaises raisons. Vous êtes mal +réveillée. + +MADAME LAURE. + +Ils n'ont pas de goût. C'est comme si on mangeait de l'eau. + +CRAINQUEBILLE. + +Je vais vous dire: vous avez plus de palais, vous sentez plus ce que +vous mangez. C'est la vie de Paris qui le veut. On se brûle l'estomac. +Qu'est-ce que vous deviendriez les unes et les autres si le père +Crainquebille vous apportait pas de légumes fraîches et +rafraîchissantes. Vous seriez en feu. + +MADAME LAURE. + +C'est pas ce que je mange qui me fait mal. Je ne peux plus manger que de +la salade et des radis. C'est vrai, tout de même, qu'on se brûle à +Paris, (Rêveuse.) Tenez, père Crainquebille, je voudrais être au jour où +je me passerai de vos choux et de vos carottes, où j'en ferai pousser +moi-même, à même la terre dans un petit jardin à quatre-vingts lieues de +Paris, chez nous. On serait si tranquille à la campagne à élever ses +poules et ses cochons. + +CRAINQUEBILLE. + +Ça viendra madame Laure, ça viendra, vous désespérez pas. Vous avez de +l'ordre et de l'économie, vous êtes une personne rangée. Je m'occupe pas +des affaires de mes clientes. Y a pas de sots métiers et y a du bon +monde dans tous les états... Mais vous êtes une personne rangée. Vous +serez riche sur vos vieux jours et vous aurez une maison à vous dans +votre endroit, dans l'endroit de votre naissance... Et vous serez +estimée. Au plaisir, madame Laure. + +MADAME LAURE. + +A une autre fois, père Crainquebille. + +CRAINQUEBILLE. + +C'est qu'il y a du bon monde dans tous les états. (criant.) Des choux! +des navets! des carottes! + +MADAME BAYARD, sortant de sa boutique. + +Ils ne sont guère beaux vos poireaux. Combien la botte? + +CRAINQUEBILLE. + +Quinze sous, la bourgeoise, y a pas meilleur. + +MADAME BAYARD. + +Quinze sous, trois mauvais poireaux? + +L'AGENT 64. + +Circulez! + +CRAINQUEBILLE. + +Oui... oui... C'est vendu, allons, pressez-vous, parce que vous avez +entendu l'agent. + +MADAME BAYARD. + +Faut encore que je choisisse la marchandise... Quinze sous, jamais de la +vie, par exemple, voulez-vous douze sous? + +CRAINQUEBILLE. + +Ils me coûtent plus cher que ça, ma petite... Et encore il faut que je +sois à cinq heures, et même avant, sur le carreau des Halles, pour avoir +tout ce qu'il y a de bon. + +L'AGENT 64. + +Circulez! + +CRAINQUEBILLE. + +Oui... oui... tout de suite... Allons, dépêchons, madame Bayard. + +MADAME BAYARD. + +Douze sous... + +CRAINQUEBILLE. + +Et depuis sept heures je me brûle les mains à mes brancards en criant: +«Des choux! des navets! des carottes!...» Et tout ça ce serait pour y +manger de l'argent. A soixante ans passés, vous comprenez que je ne fais +pas ça pour mon plaisir. Ah! non, ça ne serait pas à faire... Tenez, je +ne gagne pas deux sous. + +MADAME BAYARD. + +Je vous donnerai quatorze sous. Et encore, il faut que j'aille les +chercher dans la boutique, car je ne les ai pas sur moi. (Elle sort.) + +L'AGENT 64. + +Circulez! + +CRAINQUEBILLE. + +J'attends mon argent. + +L'AGENT 64. + +Je ne vous dis pas d'attendre votre argent, je vous dis de circuler... +Ben, quoi! Vous ne savez pas ce que c'est que de circuler? + +CRAINQUEBILLE. + +Voilà cinquante ans que je le sais et que je roule ma voiture... Mais on +me doit de la monnaie, c'est là, à _l'Ange gardien_, le magasin de +chaussures, madame Bayard. Elle est allée me chercher quatorze sous et +j'attends. + +L'AGENT 64. + +Voulez-vous que je vous foute une contravention, moi? Voulez-vous? +Allons, débarrassez-moi le plancher... Est-ce compris? + +CRAINQUEBILLE. + +Nom de Dieu!... V'là cinquante ans que je gagne mon pain en vendant des +choux, des navets, des carottes, et, parce que je ne veux pas perdre +quatorze sous qu'on me doit... + +Un petit charcutier s'arrête. + +L'AGENT 64 tire son calepin et un bout de crayon. + +Donnez-moi votre plaque. + +CRAINQUEBILLE. + +Ma plaque? + +L'AGENT 64. + +Oui, votre plaque d'ambulant. + +Entrée du petit garçon pâtissier avec sa manne. + +CRAINQUEBILLE. + +Oh! mon garçon, si vous voulez voir ma plaque, faut venir chez moi. + +L'AGENT 64. + +Vous n'avez pas de plaque? + +CRAINQUEBILLE. + +Si, j'en ai une... mais elle est chez moi... J'en ai perdu deux à les +sortir. Ça m'a coûté trois francs chaque fois; c'est fini. + +L'AGENT 64. Votre nom? + +CRAINQUEBILLE. + +Ah! des blagues... C'est quatorze sous qu'on me vole et voilà tout. + +Il empoigne ses brancards et s'achemine vers la rue. + +L'AGENT 64. Voulez-vous rester? + +CRAINQUEBILLE. + +Je m'en vais... + +L'AGENT 64. + +C'est trop tard... + +Il va vers Crainquebille, lui prend le bras; Crainquebille se place de +face juste à temps pour recevoir dans sa voilure un chargement de +matériel de ravaleurs qui poussent des cris et des jurons. + +LES RAVALEURS. + +Sacré andouille! Regarde-moi c't'outil! + +L'AGENT 64. + +Tenez, regardez ce que vous êtes cause! + +Un camelot cycliste donne de tout son appareil dans le flanc gauche de +la voiture à Crainquebille, il hurle. + +LE CAMELOT, avec, sur la tête, un ballot de cent cinquante _Patrie_ + +Fais donc attention, espèce de sale poireau! + +L'AGENT 64. + +Vous Voyez? Vous Voyez?... (il se place à la droite de Crainquebille +qui, virant complètement, arrive exactement pour engager la roue gauche +de sa voiture dans la roue gauche d'une voiture d'établissement de bains +chargée d'une baignoire de cuivre, traînée par un homme qui gueule +effroyablement et fait entendre des blasphèmes.) Ah! cette fois, votre +affaire est bonne! + +CRAINQUEBILLE. + +Ah! ben, là, maintenant comment voulez-vous circuler? + +L'AGENT 64. + +C'est votre faute, tout ça. + +CRAINQUEBILLE. + +La faute à tout ça, c'est madame Bayard. Si elle était là, elle le +dirait. Étonnant qu'elle ne soit pas là, madame Bayard. Où qu'ell' +s'cache? + +Cependant des gamins, des ouvriers, des commerçants, des oisifs, toutes +sortes de gens apparaissent; venant du fond, à la suite de la voiture +des ravaleurs, une tapissière couverte de caisses remplie de siphons +d'eau de Seltz; un chien galope sur les siphons en aboyant avec fureur. +Doucement, cette tapissière se cale au tas des voitures et contribue à +former un nougat inséparable de véhicules. Soixante personnes sont sur +la chaussée, les trottoirs, l'escalier, les voitures; trente sont aux +fenêtres. Tout ce monde s'agite en sens divers. L'agent 64 s'affole, +prend Crainquebille par l'épaule et dit: + +L'AGENT 64. + +Ah! vous avez dit: «Mort aux vaches!» C'est bon! suivez-moi. + +CRAINQUEBILLE. + +J'ai dit ça, moi? + +L'AGENT 04. Oui, que vous l'avez dit. + +CRAINQUEBILLE. + +Mort aux vaches? (Rires.) + +L'AGENT 64. + +Ah! et maintenant? + +CRAINQUEBILLE. + +Quoi? + +L'AGENT 64. + +Vous n'avez pas dit: «Mort aux vaches?» (Rires.) + +CRAINQUEBILLE. + +Si! + +L'AGENT 64. + +Ah! + +CRAINQUEBILLE. + +Mais je ne l'ai pas dit à vous. (Rires.) + +L'AGENT 64. + +Vous ne l'avez pas dit? + +CRAINQUEBILLE. + +Mais, nom d'une bourrique! + +UN HOMME. + +Qu'est-ce qu'il y a? + +CRAINQUEBILLE. + +Y a qu'il dit comme ça que je me suis tourné vers lui pour y crier: (il +se retourne vers l'agent et crie pour sa démonstration.) Mort aux +vaches! + +L'AGENT 64, qui écrivait sur son calepin, reçoit cela en plein et dit +sans colère. + +Ah! maintenant, vous pouvez le dire deux cents fois, c'est le même prix. + +CRAINQUEBILLE. + +Mais je leur explique. + +UN HOMME, à un autre, en souriant. + +Moi, je m'en fiche, mais il y a dit au moins trois fois. + +UN AUTRE. + +Mais non, c'est l'agent qui le lui a fait dire. + +L'HOMME. + +Oh! non, pour sûr, l'agent n'aurait pas fait ça. + +UN AUTRE. + +Il a vu tout le monde qui rigolait, ça l'a embêté, alors il a perdu la +boule. + +CRAINQUEBILLE. + +C'est pourtant bien simple... + +L'AGENT. + +En voilà assez! + +L'agent saisit Crainquebille. Un vieillard, le docteur David Mathieu, +s'approche; il est vêtu de noir, coiffé d'un chapeau haut de forme, +cheveux blancs, rosette d'officier. + +LE DOCTEUR MATHIEU, tirant doucement l'agent par la manche. + +Permettez... permettez... vous vous êtes mépris. + +L'AGENT. + +Mépris? mépris, que vous dites? + +LE DOCTEUR, doux et ferme. + +Vous avez mal compris, cet homme ne vous a pas insulté. + +L'AGENT. Mal compris? + +LE DOCTEUR. + +J'ai assisté à toute cette scène et j'ai parfaitement entendu ce qui a +été dit. + +L'AGENT. Alors? + +LE DOCTEUR. + +Et j'affirme que cet homme n'a proféré aucune insulte qui motive... + +L'AGENT. + +Ce n'est pas votre affaire. + +LE DOCTEUR. + +Je vous demande pardon. J'ai le droit et le devoir de vous avertir d'une +erreur qui peut avoir pour ce brave homme des conséquences fâcheuses, et +j'ai le droit et le devoir d'apporter mon témoignage... + +L'AGENT. + +Tâchez voir d'être poli. + +UN OUVRIER. + +Monsieur a raison, le marchand n'a pas dit: «Mort aux vaches!» + +LA FOULE. + +Si, si, oui, qu'il l'a dit. Non! si! non! oh! là là! + +L'AGENT, à l'ouvrier. + +Vous voulez vous faire ramasser, vous? + +L'ouvrier disparaît. + +LE DOCTEUR, à l'agent. + +Vous n'avez pas été insulté. Le mot que vous avez cru entendre n'a pas +été proféré. Quand vous serez plus calme, vous le reconnaîtrez +vous-même. + +L'AGENT. + +D'abord, qui Êtes-vous? Je ne vous connais pas. + +LE DOCTEUR. + +Voici ma carte, le docteur Mathieu, chef de clinique à l'hôpital +Ambroise-Paré. + +L'AGENT. + +Ça ne me regarde pas. + +LE DOCTEUR. + +Cela vous regarde. Je vous serai obligé de prendre mon nom et mon +adresse et d'inscrire ma déclaration. + +L'AGENT. + +Ah! vous insistez. Eh bien, suivez-moi vous vous expliquerez devant le +commissaire. + +LE DOCTEUR. + +C'est bien mon intention. + +UNE OUVRIÈRE, à son mari, montrant le docteur. + +C'est drôle, un homme bien mis et qui a de l'éducation, et il se fourre +dans cette affaire-là... s'il lui arrive du désagrément, c'est qu'il +l'aura bien voulu. Faut jamais se mêler des affaires des autres. Allons, +viens, mon homme... J'ai bien vu comment ça s'est fait, il appelait: +«Madame Bayard, où qu'elle se cache»; l'agent a entendu: «Mort aux +vaches!» Allons, allons, viens donc, tu vas pas te faire ramasser comme +témoin. + +MADAME BAYARD, sortant de sa boutique. + +La voilà, votre monnaie... Tiens, il est arrêté. Je ne peux pas remettre +de l'argent à quelqu'un qui est arrêté... Ça ne se doit pas. Je crois +même que c'est défendu. + +La foule a pris grande part à tout ceci par une série de mouvements +considérables dont il est impossible de déterminer la tendance. Elle se +presse en masse à la suite du groupe: agent 64, Crainquebille et le +monsieur. Au milieu d'un vacarme effroyable où les jurons, les rires, +les appels de gamins, trompes de cyclistes, aboiements, gifle d'une mère +à son enfant qui gouapait, et mille autres bruits se font entendre tour +à tour et ensemble. + + + + +DEUXIÈME TABLEAU + +_Une chambre de la Cour correctionnelle._ + + + +SCÈNE PREMIÈRE + +LE PRÉSIDENT BOURRICHE, lisant un jugement. + +«Le Tribunal, après en avoir délibéré conformément à la loi, attendu... + +L'HUISSIER. + +Silence! + +LE PRÉSIDENT. + +»... qu'il résulte suffisamment des pièces du dossier et des dépositions +entendues à l'audience que, le 3 octobre, Fromage (Alexandre) s'est +rendu coupable du délit de mendicité, délit prévu et puni par l'article +274 du Code pénal, lui faisant application dudit article, condamne +Fromage (Alexandre) en six jours de prison.» (Fromage, qui était assis à +côté de Crainquebille, est emmené par deux gardes.--Un +temps.--Bruit.--Le président, feuilletant son dossier.) Vous vous +appelez Crainquebille... Levez-vous... Vous vous appelez Crainquebille +(Jérôme), né à l'Oissy (Seine), le 14 juillet 1843. Vous n'avez jamais +subi de condamnation. + +CRAINQUEBILLE. + +Vous pouvez interroger. Je dois rien à personne. Un sou est un sou. Je +suis exact en tout. On peut le dire. + +LE PRÉSIDENT. + +Taisez-vous... Le 25 juillet dernier, à l'heure de midi, rue de +Beaujolais, vous avez injurié, outragé un agent dans l'exercice de ses +fonctions. Vous l'avez traité de v... (Il ne dit que la première lettre) +Vous reconnaissez les faits? + +CRAINQUEBILLE, se retournant vers son avocat. + +Qu'est-ce qu'il dit? Est-ce que c'est à moi qu'il parle? + +LE PRÉSIDENT. + +Vous avez proféré des menaces. Vous avez crié: + +«Mort aux V...!» (il ne dit que la première lettre.) + +CRAINQUEBILLE. + +Mort aux vaches, que vous voulez dire. + +LE PRÉSIDENT. + +Vous ne niez pas. + +CRAINQUEBILLE. + +Sur ce que j'ai de plus sacré, sur la tête de ma fille si j'en avais +une, je n'ai pas insulté l'agent. Voilà la vérité. + +LE PRÉSIDENT. + +Retracez la scène... Exposez les faits conformément à votre système. + +CRAINQUEBILLE. + +Monsieur le Président, je suis un honnête homme. Je ne dois rien à +personne. Un sou est un sou. Je suis exact en tout, on peut le dire. Je +suis connu depuis quarante ans sur le carreau des Halles, et dans le +faubourg Montmartre, et partout quoi... A l'âge de quatorze ans, je +gagnais déjà ma vie... + +LE PRÉSIDENT. + +Je ne vous demande pas votre biographie, (Mouvement.) + +L'HUISSIER. + +Silence! + +LE PRÉSIDENT. + +Je vous demande de dire comment, selon vous, s'est passée la scène qui a +précédé votre arrestation. + +CRAINQUEBILLE. + +Ce que je peux vous dire, c'est que, depuis quarante ans que je pousse +ma voiture, je connais les agents. Dès que j'en vois un d'un côté, je +file de l'autre. Comme ça je n'ai jamais de difficultés avec eux. Mais +pour ce qui est de les injurier en paroles ou autrement, jamais; c'est +pas dans mon caractère. Pourquoi que j'en aurais changé à mon âge? + +LE PRÉSIDENT. + +Vous avez résisté aux injonctions de l'agent qui vous intimait l'ordre +de circuler. + +CRAINQUEBILLE. + +Oh! là! là! Circuler! Si vous aviez vu ça!... Les voitures étaient +emboîtées les unes dans les autres, y avait pas moyen de donner +seulement un demi-tour de roue. + +LE PRÉSIDENT. + +Enfin, reconnaissez-vous avoir dit: «Mort aux v...?» + +CRAINQUEBILLE. + +J'ai dit: «Mort aux vaches!» parce que monsieur l'agent a dit: «Mort aux +vaches!» alors j'ai dit: «Mort aux vaches!» Vous comprenez?... + +LE PRÉSIDENT. + +Prétendez-vous que l'agent a proféré ce cri le premier? + +CRAINQUEBILLE, désespérant de s'expliquer. + +Je prétends rien, je... + +LE PRÉSIDENT. + +Vous n'insistez pas, vous avez raison, asseyez-vous. + +Un temps. Mouvement. + +L'HUISSIER. + +Silence! + +LE PRÉSIDENT. + +Nous allons entendre les témoins. Huissier, faites entrer le premier +témoin. + +L'HUISSIER, sortant de la salle, à travers le public, appelle à haute +voix. + +L'agent Bastien Matra. + +Entre Matra, il a son ceinturon. + +LE PRÉSIDENT. + +Vos noms, âge et profession? + +MATRA. + +Matra Bastien, né le 15 août 1870, à Bastia (Corse). Gardien de la paix +numéro 64. + +LE PRÉSIDENT. + +Vous jurez de dire toute la vérité, rien que la vérité... Dites: je le +jure. + +MATRA. + +Je le jure. + +LE PRÉSIDENT. + +Faites votre déposition. + +MATRA, il retire son ceinturon. + +Étant de service le 20 octobre, à l'heure de midi, je remarquai dans la +rue Beaujolais un individu qui me sembla être un vendeur ambulant et qui +tenait sa charrette indûment arrêtée à la hauteur du numéro 28, ce qui +occasionnait un encombrement de voitures. Je lui intimai par trois fois +l'ordre de circuler, auquel il refusa d'obtempérer. Et, sur ce que je +l'avertis que j'allais verbaliser, il me répondit en criant: «mort aux +vaches!» ce qui me sembla être injurieux. + +LE PRÉSIDENT, paternel, à Crainquebille. + +Vous entendez ce que dit l'agent. + +CRAINQUEBILLE. + +J'ai dit: «Mort aux vaches!» parce qu'il a dit: «Mort aux vaches!» Alors +j'ai dit: «Mort aux vaches!» C'est pourtant facile à comprendre. + +LE PRÉSIDENT, qui n'a pas écouté et qui se prépare à rendre son +jugement. + +Il n'y a pas d'autre témoin. + +L'HUISSIER. + +Si, monsieur le président, il y en a encore deux. + +LE PRÉSIDENT. + +Comment? encore deux? + +LEMERLE. + +Nous avons fait citer deux témoins à décharge. + +LE PRÉSIDENT. + +Maître, vous tenez à ce qu'ils soient entendus? + +LEMERLE. + +Mais oui, monsieur le président. + +LE PRÉSIDENT soupire. A l'agent qui remet son ceinturon. + +Que l'agent ne se retire pas!... + +L'HUISSIER appelle. + +Madame Bayard! (Entre madame Bayard en grande toilette.) + +LE PRÉSIDENT. + +Vos nom, prénoms, âge et profession... + +MADAME BAYARD. + +Pauline-Félicité Bayard, marchande de chaussures, rue Beaujolais, numéro +28. + +LE PRÉSIDENT. + +Quel âge avez-vous? + +MADAME BAYARD. Trente ans. (Mouvement.) + +L'HUISSIER. Silence! + +LE PRÉSIDENT. + +Jurez de dire toute la vérité, rien que la vérité. Levez la main et +dites: je le jure. (Madame Bayard lève la main.) Otez le gant de la main +droite... Huissier, faites-lui retirer son gant. (Elle retire son gant.) +Dites: je le jure. + +MADAME BAYARD. + +Je le jure. + +LE PRÉSIDENT. + +Faites votre déposition. + +CRAINQUEBILLE. + +Elle a pas seulement l'air de me reconnaître. Elle est fière. + +L'HUISSIER. + +Silence! + +LE PRÉSIDENT, à Madame Bayard. + +Dites ce que vous avez à dire. (Madame Bayard se tait.) Dites ce que +vous savez sur la scène qui a précédé l'arrestation de Crainquebille. + +MADAME BAYARD, à voix basse. + +J'achetais une botte de poireaux, alors le marchand m'a dit: +dépêchez-vous: je lui ai répondu... + +LE PRÉSIDENT. + +Parlez distinctement. + +MADAME BAYARD. + +Je lui ai répondu qu'il fallait pourtant que je choisisse la +marchandise. A ce moment, une cliente est entrée dans la boutique, je +suis allée la servir. C'était une dame avec son enfant. + +LE PRÉSIDENT. + +C'est tout ce que vous avez à dire?... + +MADAME BAYARD. + +Pendant que le marchand s'expliquait avec la police, j'essayais des +souliers bleus à l'enfant de dix-huit mois, je lui essayais des souliers +bleus. + +LE PRÉSIDENT, à Lemerle. + +Maître, vous n'avez pas de question à faire poser au témoin? (Lemerle +fait un signe de dénégation.) Et vous, Crainquebille? Avez-vous une +question à faire poser au témoin? + +CRAINQUEBILLE. + +Mais si, j'ai une question à poser... + +LE PRÉSIDENT. + +Faites. + +CRAINQUEBILLE. + +J'ai à demander à madame Bayard si j'ai dit: «Mort aux vaches!» Elle me +connaît, c'est une cliente. Elle peut dire si c'est dans mon caractère +de dire des mots comme ça. (Madame Bayard garde le silence.) Vous pouvez +parler, madame Bayard, vous êtes une cliente et une ancienne. + +LE PRÉSIDENT. + +N'interpellez pas le témoin. Parlez au tribunal. + +CRAINQUEBILLE, qui n'entre pas dans les finesses. + +Voyons, madame Bayard, nous sommes de connaissance. Et, la preuve, c'est +que vous me devez quatorze sous; c'est pas pour vous les réclamer, bien +sûr, je suis au-dessus de quatorze sous. Dieu merci. + +(Rires, bruit.) + +L'HUISSIER. + +Silence! + +CRAINQUEBILLE. + +Mais c'est pour dire que vous êtes une cliente. + +MADAME BAYARD, à Crainquebille, en sortant. + +Je ne vous connais pas. + +LE PRÉSIDENT, au témoin. + +Vous pouvez vous retirer. (A Lemerle.) Cette déposition ne contredit en +rien celle de l'agent... Est-ce qu'il y a encore un témoin? + +LEMERLE. + +Un seul. + +LE PRÉSIDENT. + +Maître, insistez-vous pour qu'il soit entendu par le tribunal. + +LEMERLE. + +Monsieur le président, j'estime que la déposition que vous allez +entendre est utile à la démonstration de la vérité. Elle émane d'un +homme éminent dont le témoignage est, à mon sens, important, capital, +décisif. + +LE PRÉSIDENT, résigné. + +Faites entrer le dernier témoin. + +L'HUISSIER. + +Monsieur le docteur Mathieu! + +Le docteur Mathieu entre. + +LE PRÉSIDENT. + +Vos nom, prénoms, âge et profession. + +LE DOCTEUR MATHIEU. + +Mathieu, Pierre-Philippe-David, soixante-deux ans, médecin en chef de +l'hôpital Ambroise-Paré, officier de la Légion d'honneur. + +LE PRÉSIDENT. + +Jurez de dire toute la vérité, rien que la vérité. Levez la main et +dites: je le jure. + +LE DOCTEUR MATHIEU. + +Je le jure. + +LE PRÉSIDENT, à Lemerle. + +Maître Lemerle, quelle question désirez-vous faire poser au témoin? + +LEMERLE. + +Monsieur le docteur Mathieu était présent lors de l'arrestation de +Crainquebille. Je vous prie, monsieur le président, de lui demander ce +qu'il a vu, ce qu'il a entendu. + +LE PRÉSIDENT, au témoin. + +Vous avez entendu la question? + +LE DOCTEUR MATHIEU. + +Je me trouvais dans la foule, assemblée autour de l'agent, qui sommait +le marchand de circuler. L'encombrement était tel qu'il était impossible +de bouger. Aussi fus-je témoin de la scène qui eut lieu alors. Et je +puis affirmer que je n'en perdis pas un mot. J'ai parfaitement remarqué +que l'agent s'était mépris: il n'avait pas été insulté! Le marchand +n'avait pas poussé le cri que l'agent avait cru entendre. Mon +observation fut corroborée par celle des personnes qui m'entouraient et +qui furent unanimes à constater l'erreur. Je m'approchai de l'agent et +l'avertis de sa méprise, je lui fis observer que cet homme ne l'avait +nullement injurié, qu'il avait tenu, au contraire, un langage très +réservé. L'agent maintint le marchand en état d'arrestation et m'invita +un peu rudement à le suivie au commissariat. Ce que je fis. Je réitérai +ma déclaration devant le commissaire. + +LE PRÉSIDENT, glacial. + +C'est bien. Vous pouvez vous asseoir... Matra!... + +(Matra, après avoir déposé son ceinturon, objet de sa sollicitude, vient +à la barre.) Matra, quand vous avez procédé à l'arrestation de +l'inculpé, monsieur le docteur Mathieu ne vous a-t-il pas fait observer +que vous vous mépreniez? (silence de Matra.) Vous venez d'entendre la +déposition de monsieur Mathieu. Je vous demande si, quand vous avez +procédé à l'arrestation de Crainquebille, monsieur Mathieu ne vous a pas +fait entendre qu'il croyait que vous vous étiez mépris. + +MATRA. + +Mépris? mépris?... C'est-à-dire, monsieur le président, qu'il m'a +insulté. + +LE PRÉSIDENT. + +Que vous a-t-il dit? + +MATRA. + +Il m'a dit comme ça: «Mort aux vaches!» + +LE PRÉSIDENT, précipitamment. + +Vous pouvez vous retirer. + +Pendant que Matra remet son ceinturon, rumeur, tumulte, surprise +douloureuse sur le visage blême du docteur Mathieu. + +LEMERLE, agitant ses manches au milieu du tumulte. + +Je livre avec confiance les paroles du témoin à l'appréciation du +tribunal. + +Le tumulte continue. + +VOIX DANS LA SALLE, au milieu du bruit. + +Il en a un culot, le sergot. Te voilà acquitté, mon vieux Crainquebille. + +L'HUISSIER. + +Silence! + +Le calme se rétablit peu à peu. + +LE PRÉSIDENT. + +Ces manifestations sont souverainement indécentes. Si elles se +reproduisent, je ferai immédiatement évacuer la salle... Maître Lemerle, +vous avez la parole. (Lemerle déploie son dossier.) Maître, serez-vous +long? + +LEMERLE. + +Non. J'estime que la déposition de l'agent Matra a singulièrement abrégé +ma plaidoirie, et si ce sentiment est partagé par le tribunal, je... + +LE PRÉSIDENT, très sec. + +Je vous demande si vous serez long. + +LEMERLE. + +Vingt minutes, au plus. + +LE PRÉSIDENT, résigné. + +Vous avez la parole. + +LEMERLE. + +Messieurs, j'apprécie, j'estime, je respecte les agents de la +préfecture. Un incident d'audience, si caractéristique qu'il soit, ne +saurait m'écarter des sentiments favorables que je professe à l'égard de +ces modestes serviteurs de la société qui, moyennant un salaire +dérisoire, endurent les fatigues et affrontent des périls incessants, et +qui pratiquent l'héroïsme quotidien, le plus difficile des héroïsmes, +peut-être. Ce sont d'anciens soldats, et qui restent soldats... + +VOIX, rumeurs dans l'auditoire. + +Voilà qu'il plaide pour les sergots!... Défends donc Crainquebille! +Feignant! + +Un garde expulse un auditeur. + +L'EXPULSÉ. + +J'ai rien dit... mais «pisque» j'ai rien dit... + +LEMERLE, continuant. + +Non, certes, je ne méconnais pas les services modestes et précieux que +rendent journellement les gardiens de la paix à la vaillante population +de Paris. Et je n'aurais pas consenti, messieurs, à vous présenter la +défense de Crainquebille si j'avais vu en lui l'insulteur d'un ancien +soldat. Voyons les faits. On inculpe mon client d'avoir dit: «Mort aux +vaches!» Je puis, sans blesser vos oreilles répéter à haute voix le nom +de la reine indolente des prairies, de la bonne et pacifique laitière. +Ce n'est pas que je méconnaisse le caractère injurieux que prend ce nom +en certaines circonstances et dans certaines bouches. Et c'est même là, +messieurs, un petit problème assez curieux de philologie populaire. Si +vous ouvrez le dictionnaire de la _langue verte_, vous y lirez: (Il +lit.) «_Vachard_, paresseux, fainéant, qui s'étend paresseusement comme +une vache, au lieu de travailler. _Vache_, qui se vend à la police, +mouchard.» Mort aux vaches, se dit dans un certain monde. Mais toute la +question est celle-ci: comment Crainquebille l'a-t-il dit? Et même +l'a-t-il dit? Permettez-moi, messieurs, d'en douter. Je ne soupçonne +l'agent Matra d'aucune mauvaise pensée. Mais il accomplit, comme nous +l'avons dit, une tâche pénible. Il est parfois fatigué, excédé, surmené. +Dans ces conditions, il peut avoir été la victime d'une sorte +d'hallucination de l'âme. Et quand il vient vous dire que le docteur +David Mathieu, officier de la Légion d'honneur, médecin en chef de +l'hôpital Ambroise-Paré, un prince de la science et un homme du monde, a +crié: «Mort aux vaches!» nous sommes bien forcés de reconnaître que +Matra est en proie à la maladie de l'obsession et, si le terme n'est pas +trop fort, au délire de la persécution. + +VOIX DANS L'AUDITOIRE, expressions nombreuses et tumultueuses +d'approbation. + +Mais oui! mais oui! T'as pas besoin de causer davantage, c'est entendu. +Très bien, très bien. + +L'HUISSIER. + +Silence! + +LE PRÉSIDENT. Toute marque d'improbation ou d'approbation étant +sévèrement interdite, je vais ordonner aux gardes d'expulser les +perturbateurs. + +Silence glacial. + +LEMERLE. + +Messieurs, j'ai là sous les yeux un livre qui l'ait autorité en la +matière. Le Traité des Hallucinations, par Brierre de Boismont, docteur +en médecine de la Faculté de Paris, chevalier des ordres de la Légion +d'honneur, du Mérite militaire de Pologne, etc. On y apprend que les +hallucinations de l'ouïe sont fréquentes, très fréquentes, et que les +gens sains d'esprit peuvent en être atteints sous l'influence d'une +émotion vive, d'une fatigue excessive, du surmenage intellectuel ou +physique. Et quelle est la nature ordinaire, constante, de ces +hallucinations? Quelle est la parole que l'agent Matra croira entendre, +dans cet état de malaise qui occasionne les fausses perceptions de +l'oreille? Le docteur Brierre de Boismont va vous le dire: (Il lit.) «La +plupart de ces illusions sont liées aux préoccupations, aux habitudes, +aux passions des malades.» Notez bien, messieurs: aux préoccupations, +aux habitudes... C'est ainsi, qu'en état d'hallucination, le chirurgien +entendra les plaintes du patient; l'agent de change, des ordres de +Bourse; l'homme politique, les interpellations violentes des députés, +ses collègues; l'agent de police, le cri de: «Mort aux vaches!» Est-il +besoin d'insister, messieurs? (signe de dénégation du président.) Et +alors même que Crainquebille aurait crié: «Mort aux vaches!» il +resterait à savoir si le mot a dans sa bouche le caractère d'un délit. +Messieurs, en matière de contravention, il suffit que la contravention +soit constatée, peu importe la bonne ou la mauvaise foi du contrevenant. +(Bruit de conversations.) Mais ici nous sommes en droit pénal, en droit +strict. Ce que le Parquet poursuit, ce que vous punissez, messieurs, +c'est l'intention délictueuse. Devant le tribunal correctionnel, +l'intention devient l'élément essentiel du délit. Eh bien, dans +l'espèce, l'intention existe-t-elle? Non, messieurs. + +Le bruit grossit. + +L'HUISSIER. + +Silence! + +LEMERLE. + +Crainquebille est un enfant naturel d'une marchande ambulante, perdue +d'inconduite et de boisson. Il... + +VOIX PERDUE. + +Il insulte sa mère, à présent. + +LEMERLE. + +... est né alcoolique... d'une intelligence naturellement bornée, +inculte, il n'a que des instincts. Et, permettez-moi de vous le dire, +ces instincts ne sont pas foncièrement mauvais, mais ils sont brutaux. +Son âme est enfermée dans une gangue épaisse. Il ne comprend exactement +ni ce qu'on lui dit, ni ce qu'il dit lui-même. Les mots n'ont pour lui +qu'un sens confus et rudimentaire. Il est de ces êtres misérables, qu'a +peints de si sombres couleurs le pinceau de La Bruyère, de ces hommes +qu'on prendrait pour des animaux à les voir courbés sur la terre. Le +voilà devant vous, abruti par soixante ans de misère. Messieurs, vous +direz qu'il est irresponsable. + +Lemerle s'assied. + +LE PRÉSIDENT. + +Le tribunal va en délibérer. + +Bruit. Les deux assesseurs se penchent sur le président qui chuchote. + +CRAINQUEBILLE, à son défenseur. + +Faut que vous ayez de l'instruction tout de même pour parler comme ça +d'un trait. Vous parlez bien, mais vous parlez trop vite. On peut rien +comprendre à ce que vous dites. Ainsi, moi, je sais pas seulement de +quoi vous avez parlé, je vous remercie tout de même, seulement... + +L'HUISSIER. + +Silence! + +CRAINQUEBILLE. + +Ça me fait un coup dans le ventre quand il crie, celui-là... Seulement, +vous auriez dû dire que je dois rien à personne. Parce que c'est vrai, +je suis strict, un sou est un sou. Après ça, peut-être que vous l'avez +dit sans que j'aie entendu... Et puis, vous auriez dû leur demander où +c'est qu'ils m'ont étouffé ma voiture. + +LEMERLE. + +Dans votre intérêt, tenez-vous tranquille. + +CRAINQUEBILLE. + +Est-ce que c'est mon jugement qu'ils couvent à cette heure? Eh bien, y +en a long, bon Dieu de bon Dieu!... + +L'HUISSIER. + +Silence! (Le silence règne.) + +LE PRÉSIDENT, lisant sur des petits papiers, lettres de décès, de +mariages, prospectus, etc. + +«Le Tribunal... + +UNE VOIX éclate dans le peuple au milieu du silence. + +Acquitte!... + +LE PRÉSIDENT, après un regard foudroyant. + +»... après en avoir délibéré, conformément à la loi, attendu qu'il +résulte des pièces du dossier et des dépositions entendues à l'audience, +que le 25 juillet, jour de son arrestation, Crainquebille (Jérôme), +s'est rendu coupable du délit... (un sourd et formidable murmure s'élève +du fond de la salle; le président oppose à ce murmure un regard +semblable à un glaive et continue sa lecture dans le silence subit.) +d'outrage envers un dépositaire de la force publique, dans l'exercice de +ses fonctions, délit prévu et puni par l'article 224 du Code pénal, lui +faisant application dudit article, le condamne à quinze jours de prison +et à cinquante francs d'amende... «L'audience est Suspendue. (Brouhaha.) + +VOIX CONFUSES. + +C'est raide, tout de même... J'aurais pas cru ça. Elle est forte, +celle-là. + +CRAINQUEBILLE, au garde. + +Alors, je suis un condamné? + +Le tribunal se retire. Quand les gardes vont emmener Crainquebille, +Lemerle fait signe qu'il a un mot à dire, et range des papiers, cause, +etc. + + + +SCÈNE II + +CRAINQUEBILLE. + +Cipal!... Cipal!... Hein? Cipal... Y a seulement quinze jours, si on +m'avait dit qu'il m'arriverait ce qui m'arrive. Ils sont polis, ces +messieurs. Ils ne disent pas de gros mots, c'est une justice à leur +rendre, mais on peut pas s'expliquer avec eux. On n'a pas le temps. +C'est pas leur faute, mais on n'a pas le temps, c'est-il pas vrai? +Pourquoi que vous ne répondez pas? (silence.) On parle bien à un chien. +Pourquoi que vous ne parlez pas? Vous ouvrez jamais la bouche. Vous +n'avez donc pas peur qu'elle pue? + +LEMERLE, à Crainquebille. + +Eh bien, mon ami... nous n'avons pas trop à nous plaindre. Nous aurions +pu avoir pire. + +CRAINQUEBILLE. + +Ça, c'est encore possible. + +LEMERLE. + +Qu'est-ce que vous voulez... Vous n'avez pas suivi mes conseils. Votre +système de réticences était d'une insigne maladresse. Vous auriez mieux +fait d'avouer. + +CRAINQUEBILLE. + +Mon garçon, je demandais pas mieux. Mais qu'est-ce qu'il fallait avouer, +(pensif.) Tout de même, c'est pas ordinaire ce qui m'arrive. + +LEMERLE. + +N'exagérons rien. Votre cas n'est pas rare, loin de là!... Allons, bon +courage. + +CRAINQUEBILLE, les gardes l'emmènent, il se retourne et dit: + +Vous pourriez pas me dire où qu'ils m'ont étouffé ma voiture? + +AUBARRÉE. + +Qu'est-ce que tu fais là? + +LERMITE. + +Je finis mon croquis. Pendant l'audience, je suis obligé de dessiner +dans le fond de mon chapeau. C'est pas commode... Maintenant, je relève +quelques petits détails... + +AUBARRÉE. + +C'est le président Bourriche, que tu as mis là? + +LERMITE. + +C'est lui qui vient de condamner le marchand des quatre saisons? + +AUBARRÉE. + +Oui, il s'appelle Bourriche. + +LERMITE. + +Tiens, comme ça se trouve. + +LEMERLE, à l'huissier. + +Lampérière; savez-vous si l'affaire Goupy, à la troisième chambre, est +remise? + +L'HUISSIER. + +Elle est retenue. + +LEMERLE. + +Nom d'un chien, il faut que je file!... Je reviendrai tout à l'heure à +la reprise de l'audience. J'ai une remise à demander au président +Bourriche. + +LERMITE, timide, gauche, cherchant dans sa poche, appelle Lemerle qui ne +l'entend pas et sort. + +Monsieur Lemerle... J'aurais un mot à vous dire. Tiens! il est parti... + +AUBARRÉE. + +Il reviendra à la reprise de l'audience. Qu'est-ce que tu peux bien +avoir à lui dire à cet oiseau-là? + +LERMITE. + +Rien. Je... rien... Dis donc, mon vieux camarade, c'est tout de même +fort la condamnation de ce pauvre marchand des quatre saisons. + +AUBARRÉE. + +Crainquebille... C'est fort, si tu veux. Ce n'est pas extraordinairement +fort... (Regardant.) Tu vas faire un petit tableau d'après ce croquis? + +LERMITE. + +Oui, les scènes du palais, c'est assez demandé... J'ai vendu, ce matin, +deux avocats cent francs; j'ai le billet dans ma poche. + +AUBARRÉE. + +Tu n'as pas besoin de le sortir comme ça... + +LERMITE. + +Tu as beau dire, Aubarrée. Que les juges aient condamné ce pauvre homme +sans preuves... + +AUBARRÉE. + +Sans preuves?... + +LERMITE. + +Au mépris de la déposition du professeur David Mathieu, sur le +témoignage de l'agent, ça me passe, je n'y suis plus... + +AUBARRÉE. + +C'est pourtant bien facile à comprendre. + +LERMITE. + +Comment, à la parole désintéressée d'un homme du plus grand mérite, de +la plus haute intelligence, préférer le braiment de cet être ignare, +sombre et têtu. Croire l'âne plutôt que le savant, tu trouves cela +naturel, toi? Mais c'est monstrueux. Ce président Bourriche est +facétieux et sinistre. + +AUBARRÉE. + +Ne dis pas cela, Lermite, ne dis pas cela. Le président Bourriche est un +magistrat respectable qui vient de donner une nouvelle preuve de son +esprit juridique. + +LERMITE. + +Dans l'affaire Crainquebille? + +AUBARRÉE. + +Sans doute. En opposant l'une à l'autre les dépositions contradictoires +de l'agent 64 et du professeur David Mathieu, le juge serait entré dans +une voie où l'on ne rencontre que le doute et l'incertitude. Le +président Bourriche a l'esprit trop juridique pour faire dépendre ses +sentences de la raison et de la science, dont les conclusions sont +sujettes à d'éternelles disputes. + +LERMITE. + +Alors, un juge doit renoncer à savoir? + +AUBARRÉE. + +Oui, mais il ne doit pas renoncer à juger. A vrai dire, le président +Bourriche ne considère pas Bastien Matra. Il considère l'agent 64. Un +homme est faillible, pense-t-il. Descartes et Gassendi, Leibnitz et +Newton, Claude Bernard et Pasteur, se sont trompés. Mais l'agent 64 ne +se trompe pas. C'est un numéro. Un numéro n'est pas sujet à l'erreur. + +LERMITE. + +Ça, c'est un raisonnement. + +AUBARRÉE. + +Irréfutable. Et puis, il y a autre chose. L'agent 64 est un dépositaire +de la force publique. Toutes les épées d'un État doivent être tournées +dans le même sens. En les opposant les unes aux autres... + +LERMITE. On trouble l'ordre public. J'ai compris. + +AUBARRÉE. + +Enfin, si le tribunal jugeait contre la force, qui donc exécuterait les +jugements? Sans les gendarmes, le juge ne serait qu'un pauvre rêveur. + +Entre Lemerle. + +LEMERLE. + +Aubarrée, on vous attend à la quatrième... Comment, l'audience n'est pas +encore reprise? + +AUBARRÉE. + +Mais non. + +LEMERLE. + +L'huissier n'est pas là? + +LERMITE. + +Pardon, maître... La condamnation à l'amende entraîne, en cas de +non-paiement, une prolongation de peine? + +LEMERLE. + +Oui. + +LERMITE. + +Alors, voudriez-vous être assez aimable pour remettre cinquante francs à +ce marchand des quatre saisons. + +LEMERLE. + +Crainquebille? + +LERMITE. + +Oui, sans lui dire d'où vient cet argent. + +LEMERLE. + +Volontiers, monsieur. + +LERMITE. + +Seulement, je n'ai que cent francs. + +LEMERLE, se fouillant. + +Voyons, j'ai peut-être... non... trois louis... ah! si! voilà dix +francs, quarante et dix cinquante. Voici, monsieur. + +LERMITE. + +Merci. + +LEMERLE. + +C'est moi qui vous remercie pour lui. + +LE DOCTEUR MATHIEU, entrant, à Lemerle. + +Maître, c'est vous qui avez plaidé pour Crainquebille? Je vous +cherchais. + +LEMERLE. + +Oui, monsieur... le docteur David Mathieu. Vous avez témoigné pour nous. + +LE DOCTEUR MATHIEU. + +Pourriez-vous remettre ces cinquante francs à votre client pour +acquitter l'amende? + +LEMERLE. + +Avec grand plaisir. Mais j'ai déjà reçu cinquante francs de monsieur (il +montre Lemerle.) pour la même destination. + +LE DOCTEUR MATHIEU. + +Ah!... Monsieur. + +Inclinations. Silence. + +LEMERLE, tenant dans chaque main les cinquante francs de Lermite et les +cinquante francs du docteur. + +Qu'en pensez-vous, messieurs? + +LE DOCTEUR MATHIEU. + +Eh bien... cinquante francs pour l'amende. + +LERMITE. + +Oui, et cinquante francs quand il sortira. + +LEMERLE. + +Parfait! Comptez sur moi, messieurs... + +Il salue et sort. Petit silence. David et Lermite se saluent +sympathiquement. David va pour sortir, suivi à quelques pas de Lermite. +David s'arrête sur le seuil presque, se retourne vers Lermite qui est +près de lui. Les deux hommes disent ensemble, la main +tendue: «Voulez-vous me permet...» Ils sourient, se serrent cordialement +la main, avec, toutefois, un peu de mélancolie. David sort. + +L'HUISSIER, annonçant. + +Le Tribunal! + +LERMITE. + +Ça recommence. + + + + +TROISIÈME TABLEAU + +_La nuit._ + + + +SCÈNE PREMIÈRE + +LE MARCHAND DE MARRONS. + +Chaud! chaud! les marrons!... + +Il sert un sou de marrons à un gosse. + +CRAINQUEBILLE, sortant de chez le marchand de vin sur un bruit de +dispute. + +Eh bien, quoi! parce que je demande un verre à crédit!... Est-ce que +c'est une raison de me traiter comme un malfaiteur. + +LE MARCHAND DE MARRONS. + +Crédit est mort, les mauvais payeurs l'ont tué. + +CRAINQUEBILLE. + +Je vous demande un peu s'il ne pouvait pas me donner un verre à crédit. +Il m'a assez volé quand j'avais de quoi. Voleur! oui, voleur!... Je ne +vous l'envoie pas dire. + +LE MARCHAND DE MARRONS. + +Ça sort de prison et ça traite le monde de voleur! + +ALPHONSE, douze ans, sort de chez le marchand de vin et dit à +Crainquebille sur le ton de la plus douce politesse. + +Dites donc, monsieur, c'est-il vrai qu'on est bien à l'ombre? + +CRAINQUEBILLE. Sale gosse!... (Pied au cul. Alphonse rentre en +pleurnichant.) + +C'est ton père qui devrait être en prison au lieu de s'enrichir à vendre +du poison. + +LE MARCHAND DE VIN, suivi de son fils. + +Si vous n'aviez pas de cheveux blancs, je vous corrigerais pour vous +apprendre à battre mon fils, (à son fils.) Rentre, vermine, (ils +rentrent.) + +CRAINQUEBILLE, au marchand de marrons. + +Hein, crois-tu!... + +LE MARCHAND DE MARRONS. + +Qu'est-ce que tu veux? Il a raison: on ne doit pas battre les enfants +des autres, ni leur reprocher leur père qu'ils n'ont pas choisi... +Depuis deux mois que tu es sorti de là-bas, mon vieux Crainquebille, tu +n'es plus le même, tu es mauvais coucheur, tu es mal embouché. Ça ne +serait encore rien. Mais tu n'es plus bon que pour lever le coude. + +CRAINQUEBILLE. + +J'ai jamais été fricoteur, mais faut comme ça, de temps en temps, que je +boive un verre pour me donner des forces et pour me rafraîchir. Sûr que +j'ai quelque chose de brûlé dans l'intérieur. Il n'y a encore que la +boisson comme rafraîchissement. + +LE MARCHAND DE MARRONS. + +Ça ne serait encore rien, mais t'es mou, t'es feignant. Un homme dans +cet état-là, autant dire que c'est un homme par terre et qui peut pas se +relever. Tous les gens qui passent lui pilent dessus. + +CRAINQUEBILLE. + +C'est vrai! j'ai plus le courage que j'avais. Je suis fini. Tant va la +cruche à l'eau qu'à la fin elle se casse. Et puis, depuis mon affaire en +justice, je n'ai plus le même caractère. Je suis plus le même homme, +quoi! Qu'est-ce que tu veux? Ils m'ont arrêté pour avoir crié: «Mort aux +vaches!» C'était pas vrai. Y a un médecin décoré qui leur a dit que non. +Ils n'ont rien voulu savoir. Par exemple, les juges sont bien polis, pas +un gros mot, mais on peut pas s'expliquer avec eux. Ils m'ont donné +cinquante francs, y m'ont étouffé ma voiture qu'il m'a fallu quinze +jours pour remettre la main dessus. Tout ça, c'est vraiment +extraordinaire. Je le jure, c'est comme si j'étais allé au théâtre. + +LE MARCHAND DE MARRONS. + +Ils t'ont donné cinquante francs? Ça, c'est nouveau; ça ne se faisait +pas autrefois. + +CRAINQUEBILLE. + +Faut être juste. Ils m'ont donné cinquante francs de la main à la main. +Et puis, la prison, c'est convenable. On peut pas dire le contraire. +C'est bien tenu, c'est propre. On mangerait par terre. Mais, quand on +sort de là, pas moyen de travailler, pas moyen de gagner un sou. Tout le +monde vous tourne le dos. + +LE MARCHAND DE MARRONS. + +Je vais te dire: change de quartier. + +CRAINQUEBILLE. + +Madame Bayard, la cordonnière, qui fait une gueule quand je passe. Elle +m'affronte et c'est elle qui est cause que j'ai été ramassé. Le plus +fort, c'est qu'elle me doit quatorze sous. J'y aurais réclamé tout à +l'heure, mais elle avait une cliente. Attends un peu, elle ne perdra +rien pour attendre. + +LE MARCHAND DE MARRONS. + +Où vas-tu? + +CRAINQUEBILLE. + +Je vais lui causer, à madame Bayard. + +LE MARCHAND DE MARRONS. + +Tiens-toi donc tranquille. + +CRAINQUEBILLE. + +Comment, j'ai bien le droit de lui réclamer mes quatorze sous. Il me les +faut, c'est-il toi qui me les donneras? Si c'est toi, faut le dire. + +LE MARCHAND DE MARRONS. + +Ça, c'est impossible, la bourgeoise m'arracherait les yeux. Je t'en ai +assez donné, des vingt sous et des quarante sous, depuis deux mois. + +CRAINQUEBILLE. + +Je peux pourtant pas crever comme un chien. J'ai pus un centime. + +LE MARCHAND DE MARRONS, le rappelant. + +Crainquebille!... Sais-tu ce que tu devrais faire? + +CRAINQUEBILLE. + +Quoi? + +LE MARCHAND DE MARRONS. + +Tu devrais changer de quartier. + +CRAINQUEBILLE. + +Ça, c'est pas possible. Je suis comme la chèvre; faut qu'elle broute où +qu'elle est attachée, faut qu'elle broute quand il n'y aurait que des +cailloux. + +Madame Bayard reconduit sa cliente; quand celle-ci a tourné le coin de +la rue, madame Bayard vient tout droit à Crainquebille et l'apostrophe +vivement. + +MADAME BAYARD. + +Qu'est-ce que vous me voulez, vous? + +CRAINQUEBILLE. + +Vous avez beau me regarder avec des yeux comme des pistolets... Je veux +mes quatorze sous. + +MADAME BAYARD, tombant des nues. + +Vos quatorze sous? + +CRAINQUEBILLE. + +Oui, mes quatorze sous. + +MADAME BAYARD. + +D'abord, je vous défends d'entrer dans mon magasin, comme tout à +l'heure. Qu'est-ce que c'est que ces façons? + +CRAINQUEBILLE. + +C'est bon! C'est bon! mes quatorze sous!... + +MADAME BAYARD. + +Je ne sais pas ce que vous voulez dire. D'ailleurs, apprenez ça: on ne +doit rien à des gens qui ont été en prison. + +CRAINQUEBILLE. + +Purée! + +MADAME BAYARD. + +Malotru!... Ah! si j'avais encore mon mari... + +CRAINQUEBILLE. + +Si t'avais ton mari, espèce de râleuse, je lui botterais soigneusement +le derrière pour t'apprendre à voler le monde, et à l'insulter ensuite. + +MADAME BAYARD. + +Y a donc pas d'agents? (Elle se barricade soigneusement chez elle.) + +CRAINQUEBILLE. + +Garde-les, mes quatorze sous, garde-les, voleuse! + +LE MARCHAND DE MARRONS. + +Voleur, voleuse, t'as que cha dans la bouche. Tout le monde est voleur, +que tu dis. C'est vrai et c'est pas vrai. Je vas t'expliquer. Tout le +monde veut vivre et on peut pas vivre sans faire tort aux autres; cha +c'est pas possible... alors... + +LA SOURIS. + +Bonsoir, la compagnie. + +LE MARCHAND DE MARRONS. + +Bonsoir, la Souris. + +LA SOURIS. + +Ça va-t-il mieux, père Crainquebille? Vous me remettez pas? La Souris. +Pourtant, vous me connaissez bien. Vous m'avez donné une poire, même +qu'elle était blette. + +CRAINQUEBILLE. + +C'est possible. + +LA SOURIS. + +Je vas me reposer. Je loge ici. Je suis las. Dame, quand on a trimé +toute la journée. J'ai crié _la Patrie, la Presse, le Soir_, j'en ai la +gueule abîmée. Quand j'aurai cassé ma croute, je me mettrai dans le +plumard. Bonsoir la compagnie. + +LE MARCHAND DE MARRONS. + +T'en as pas de plumard. + +LA SOURIS. + +Pas de plumard? Venez-y voir. Je m'en suis fait un de plumard, avec des +sacs et des copeaux. + +CRAINQUEBILLE. + +T'as de la chance, môme. Moi, il y a deux mois que je n'ai couché dans +quelque chose de doux, (La souris rentre.) C'est vrai! Ils m'ont expulsé +de ma soupente. V'là trente nuits que je couche dans une remise, sur ma +charrette. Il a pas décessé de pleuvoir, la remise a été inondée. Pour +pas être noyé, il faut se tenir à croupeton sur les eaux empoisonnées, +avec les chats, les rats et les araignées grosses comme des potirons. Et +v'là que, cette nuit, le tuyau de l'égout a crevé; les voitures, elles +nageaient dans la gadoue, misère! Et même, on a mis un gardien pour pas +qu'on entre, parce que le mur remue. Il est comme moi, le mur, il tient +plus debout. (Il voit madame Laure entrer chez le marchand de vin.) +Tiens! madame Laure. + +LE MARCHAND DE MARRONS. + +Madame Laure, c'est une femme rangée et convenable, et qui a de la tenue +pour son état. Elle ne boit pas sur le zinc. Je te parie qu'elle va +ressortir avec un litre, pour consommer chez elle avec ses +connaissances. + +CRAINQUEBILLE. + +Madame Laure! je la connais comme si je l'avais faite. C'est une +cliente. Sais bien que c'est une femme comme il faut. + +LE MARCHAND DE MARRONS. + +Et une belle femme! Malin! (Sort du troquet madame Laure.) Tiens, +qu'est-ce que je te disais? + +CRAINQUEBILLE. + +Bonjour, madame Laure. + +MADAME LAURE, au marchand de marrons. + +Vingt centimes de marrons. Et bien chauds. + +CRAINQUEBILLE. + +Vous me remettez pas, madame Laure? Le marchand de poireaux. + +MADAME LAURE. + +Je vois bien, (au marchand de marrons.) Ne me les tirez pas de votre +sac. On ne sait pas depuis combien de temps ils sont là à refroidir. + +LE MARCHAND DE MARRONS. + +Ils sont bouillants, ils me brûlent les doigts. + +CRAINQUEBILLE. + +Vous avez de la peine à me remettre parce que je n'ai pas ma voiture. Ça +change les personnes, des fois... Et ça va toujours comme vous voulez, +madame Laure? (Il lui louche le bras.) Je vous demande si ça va toujours +comme vous voulez? + +MADAME LAURE. + +Eh! l'Auverpin, allons, vite mes châtaignes. J'ai de la compagnie qui +m'attend. C'est fête aujourd'hui. Je ne reçois que des gens que je +connais. + +CRAINQUEBILLE. + +Ne me faites pas d'infidélités, madame Laure. Vous êtes regardante, mais +vous êtes une bonne pratique. + +MADAME LAURE, au marchand de marrons. + +Servez vite. C'est pas agréable d'être accostée par un individu qui +s'est fait ramasser. + +CRAINQUEBILLE. + +Qu'est-ce que vous dites? + +MADAME LAURE. + +Je vous parle pas. + +CRAINQUEBILLE. + +Tu dis que je me suis fait ramasser, poison! Eh ben, et toi? Tu n'as pas +été dans le panier à salade?... Si j'avais autant de pièces de cent sous +que tu as été de fois dans le panier... + +LE MARCHAND DE MARRONS. + +V'là que t'engueules mes clientes à cette heure? Tais-toi ou je cogne. + +MADAME LAURE. + +Eh! va donc, vieux cheval de retour! + +CRAINQUEBILLE. Dessalée, va! (Apparition d'un agent qui, immobile et +muet, fait tomber la dispute. Madame Laure sort majestueusement.) + +LA SOURIS, de la fenêtre. + +Un bouchon! Taisez vos gueules; on peut pas dormir. + +CRAINQUEBILLE. + +Pour sûr que c'est une morue, et même y a pas plus morue que cette +femme-là. + +LE MARCHAND DE MARRONS, remisant son poêle. + +Pour attraper une personne dans le moment qu'elle se fait servir, faut +avoir perdu le sentiment. Fous-moi le camp. Tu es heureux encore que je +ne t'aie pas fait ramasser. (En s'en allant.) Un homme à qui je prête +depuis deux mois des vingt sous et des quarante sous par semaine! Mais +il n'a pas de savoir-vivre, quoi! + +Le garçon marchand de vin met les volets. + + + +SCÈNE II + +CRAINQUEBILLE. + +Eh! l'Auverpin!... l'Auverpin! écoute donc. Il se défile. Il veut rien +entendre. Ce que j'ai contre cette morue-là, c'est que toutes font comme +elle, toutes. Elles font mine de ne pas me connaître. Madame Cointreau, +madame Lessenne, madame Bayard. Toutes, quoi!... Alors, parce que l'on a +été mis pour quinze jours à l'ombre, on n'est plus bon seulement à +vendre des poireaux. Est-ce que c'est juste? Est-ce qu'il y a du bon +sens à faire mourir de faim un brave homme parce qu'il a eu des +difficultés avec les flics. Si je ne peux plus vendre mes légumes, je +n'ai plus qu'à crever... Vrai! J'aurais volé et assassiné, j'aurais la +gale, que ça ne serait pas plus pire. Et le froid et la faim... J'ai pas +mangé. Allons! crève! crève donc, père Crainquebille! Ah! il y a des +moments où on regrette de n'être plus là-bas. (Un agent se tient +immobile dans le fond. Crainquebille l'aperçoit et dit:) Ah! que je suis +bête, puisque je connais le truc, pourquoi que je m'en servirais pas?... +(Il s'approche doucement de l'agent qui est presque à l'avant-scène et +d'une voix hésitante et faible:) Mort aux vaches! (L'agent regarde +Crainquebille avec tristesse, vigilance et mépris. Un temps. +Crainquebille, étonné, balbutie:) Mort aux vaches! que je vous ai dit. + +L'AGENT. + +Ce n'est pas à dire... pour sûr et certain que ce n'est pas à dire. A +votre âge, on devrait avoir plus de connaissance... Passez votre chemin. + +CRAINQUEBILLE. + +Pourquoi que vous ne m'arrêtez pas? + +L'AGENT, secouant la tête. + +S'il fallait empoigner tous les poivrots qui disent ce qui n'est pas à +dire, y en aurait de l'ouvrage... et de quoi que ça servirait? + +CRAINQUEBILLE, accablé, reste longtemps stupide et muet, puis, très +doucement: + +C'était pas pour vous que j'ai dit: «Mort aux vaches!», c'était pas plus +pour l'un que pour l'autre que je l'ai dit. C'était pour une idée. + +L'AGENT, avec une austère douceur. + +Que ce soye pour une idée ou pour autre chose, ce n'était pas à dire +parce que, quand un homme fait son devoir et qu'il endure bien des +souffrances, on ne doit pas l'insulter par des paroles futiles... Je +vous réitère de passer votre chemin. + + + +SCÈNE III + +LA SOURIS, par la fenêtre. + +Papa Crainquebille! Papa Crainquebille! Papa Crainquebille! + +CRAINQUEBILLE. + +Hein? Qui est-ce qui parle sur ma tête? C'est-y un miracle? + +LA SOURIS. + +Papa Crainquebille!... + +CRAINQUEBILLE. + +Ah! c'est toi? + +LA SOURIS. + +Où que vous allez comme ça sans parapluie? + +CRAINQUEBILLE. + +Où que-je vais? + +LA SOURIS. + +Oui... + +CRAINQUEBILLE. + +Je vais me jeter dans la Seine. + +LA SOURIS. + +Faut pas faire ça! Y fait trop froid. C'est trop mouillé. + +CRAINQUEBILLE. + +Qu'est-ce que tu veux que je fasse? + +LA SOURIS. + +Il faut se remuer, mon vieux papa. Il faut vivre. + +CRAINQUEBILLE. + +Pourquoi? + +LA SOURIS. + +Je ne sais pas, mais faut se dégrouiller. Ça ne dure pas tout le temps, +la mistoufle. Vous en vendrez encore des choux et des carottes, c'est +moi qui vous le dis. Venez avec moi. J'ai un pain, du saucisson et un +litre. On soupera comme des millionnaires et je vous ferai un lit comme +le mien, avec des sacs et des copeaux, et puis, on verra demain s'il +fait jour. Allons, venez, mon vieux papa. + +CRAINQUEBILLE. + +T'es jeune, t'es pas encore gâté. Le monde est mauvais, t'es pas encore +du monde. Gosse, tu peux te dire qu'à ton âge t'as sauvé un homme. Oh! +c'est pas une si belle affaire. Y a pas lieu d'en être fier, ça ne +changera pas le cours de la lune, ça n'embellira pas la République. Mais +t'as sauvé un homme. + +Crainquebille, la tête basse et les bras ballants, remonte la scène sans +plus dire un mot. + + + +FIN + + + + + + + + + + + + + + +End of Project Gutenberg's L'Illustration, No. 3260, 19 Août 1905, by Various + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, 19 AOUT 1905 *** + +***** This file should be named 35871-8.txt or 35871-8.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + https://www.gutenberg.org/3/5/8/7/35871/ + +Produced by Jeroen Hellingman and Rénald Lévesque + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. 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It exists +because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from +people in all walks of life. + +Volunteers and financial support to provide volunteers with the +assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's +goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will +remain freely available for generations to come. In 2001, the Project +Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure +and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. +To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation +and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 +and the Foundation web page at https://www.pglaf.org. + + +Section 3. 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Thus, we do not necessarily +keep eBooks in compliance with any particular paper edition. + + +Most people start at our Web site which has the main PG search facility: + + https://www.gutenberg.org + +This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, +including how to make donations to the Project Gutenberg Literary +Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to +subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. diff --git a/35871-8.zip b/35871-8.zip Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..b51fbd9 --- /dev/null +++ b/35871-8.zip diff --git a/35871-h.zip b/35871-h.zip Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..d48f297 --- /dev/null +++ b/35871-h.zip diff --git a/35871-h/35871-h.htm b/35871-h/35871-h.htm new file mode 100644 index 0000000..12b5a77 --- /dev/null +++ b/35871-h/35871-h.htm @@ -0,0 +1,3970 @@ +<!DOCTYPE html PUBLIC "-//W3C//DTD HTML 4.01 Transitional//EN"> +<html> +<head> + <meta http-equiv="content-type" content="text/html; charset=ISO-8859-1"> + <title>The Project Gutenberg eBook of L'illustration, No. 3260, 19 Août 1905 by Various</title> + +<link rel="coverpage" href="images/cover.jpg"> + +<style type="text/css"> + + +body {margin-left: 10%; margin-right: 10%} + +h1,h2,h3,h4,h5,h6 {text-align: center;} +p {text-align: justify} +blockquote {text-align: justify} + +hr {width: 50%; text-align: center} +hr.full {width: 100%} +hr.short {width: 10%; text-align: center} + +.note {font-size: 0.8em; margin-left: 10%; margin-right: 10%} +.footnote {font-size: 0.8em; margin-left: 10%; margin-right: 10%} +.side {padding-left: 10px; font-weight: bold; font-size: 75%; + float: right; margin-left: 10px; border-left: thin dashed; width: 80px; text-indent: 0px; font-style: italic; text-align: left} + +.sc {font-variant: small-caps} +.lef {float: left} +.mid {text-align: center} +.rig {float: right} +.sml {font-size: 10pt} +.overl {font-size: 10pt; text-decoration: overline; text-align: center} +.cont {width: 650px} +.somm {float: left; width: 300px; font-size: 10pt; padding: 1em} +.suppl {color: #5A5047; background-color: #EEE2CA } + + +span.pagenum {font-size: 70%; left: 91%; right: 1%; position: absolute} +span.linenum {font-size: 70%; right: 91%; left: 1%; position: absolute} + +.poem {margin-bottom: 1em; margin-left: 10%; margin-right: 10%; + text-align: left} +.poem .stanza {margin: 1em 0em} +.poem .stanza.i {margin: 1em 0em; font-style: italic;} +.poem p {padding-left: 3em; margin: 0px; text-indent: -3em} +.poem p.i2 {margin-left: 1em} +.poem p.i4 {margin-left: 2em} +.poem p.i6 {margin-left: 3em} +.poem p.i8 {margin-left: 4em} +.poem p.i10 {margin-left: 5em} +.poem p.i12 {margin-left: 6em} +.poem p.i14 {margin-left: 7em} +.poem p.i16 {margin-left: 8em} +.poem p.i18 {margin-left: 9em} +.poem p.i20 {margin-left: 10em} +.poem p.i30 {margin-left: 15em} + + + +</style> +</head> +<body> + + +<pre> + +Project Gutenberg's L'Illustration, No. 3260, 19 Août 1905, by Various + +This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with +almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: L'Illustration, No. 3260, 19 Août 1905 + +Author: Various + +Release Date: April 14, 2011 [EBook #35871] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, 19 AOUT 1905 *** + + + + +Produced by Jeroen Hellingman and Rénald Lévesque + + + + + +</pre> + + + + +<br><br> + +<div class="cont"> + + + + + +<p>L'Illustration, No. 3260, 19 Août 1905</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/000small.png"><br><a href="images/000large.png">(Agrandissement)</a></p> + +<p class="sml">Ce numéro contient:<br>1° Un Supplément théâtral: +<span class="sc">Crainquebille</span>, par Anatole France.<br>2° Quatre pages tirées à part sur la +<span class="sc">Fête des Vignerons de Vevey</span>.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/001.png"></p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/001a.png"><br> M. Witte, Baron de Rosen, Président Roosevelt, Baron Komura, +M. Takahira.<br><b>LES PLÉNIPOTENTIAIRES RUSSES ET JAPONAIS A BORD DU +"MAYFLOWER"</b> <i>Stereograph copyright 1905 Underwood and Underwood, London +and New-York.<br>--Voir les pages 126, 127 et 128.</i></p> +<br> + +<h4>NOTRE SUPPLÉMENT DE THÉÂTRE CRAINQUEBILLE</h4> + +<p>Chaque année, l'été interrompt forcément la série de nos suppléments de +théâtre, si appréciés de nos lecteurs. Nous ne voudrions pas cependant +que cette interruption se prolongeât aussi longtemps que les relâches +des grandes scènes parisiennes. En attendant les nouveautés de la saison +1905-1906, qui promettent d'être aussi nombreuses et aussi importantes +que celles de la saison 1904-1905, nous avons cherché si, parmi les +oeuvres jouées en ces dernières années, il n'y en avait pas une qui fût +encore inédite. Et nous avons découvert, répondant à ces conditions, un +chef-d'oeuvre: <i>Crainquebille,</i> de M. Anatole France, un des grands +succès récents du théâtre de M. Lucien Guitry, la Renaissance.</p> + +<p><i>L'Affaire Crainquebille</i>, sous sa forme de nouvelle, figure bien dans +l'édition complète des oeuvres du brillant écrivain. Mais, sous sa forme +dramatique, <i>Crainquebille</i> n'avait pas encore été publié.</p> + +<p>Nous sommes doublement heureux, et d'offrir cette primeur à nos abonnés, +et de pouvoir illustrer le texte de M. Anatole France de douze +compositions originales gravées sur bois, du dessinateur Steinlen, +empruntées à l'édition de grand luxe de <i>L'Affaire Crainquebille</i>, +publiée par l'éditeur Edouard Pelletan, au prix de 600 francs sur japon +ancien, et de 80 francs sur vélin.</p> + +<h4>LA FÊTE DES VIGNERONS, A VEVEY</h4> + +<p>Nous avons publié la semaine dernière des photographies donnant une idée +d'ensemble du magnifique spectacle qui fut organisé à Vevey pour la Fête +des Vignerons de 1905. Mais le cliché photographique--cet incomparable +instrument d'illustration--est malheureusement impuissant à rendre le +mouvement, la gaieté, la grâce ou la majesté des cortèges, des danses et +des reconstitutions scéniques. Les dessins de Georges Scott, que nous +reproduisons aujourd'hui en quatre pages tirées à part, sont, au +contraire, une évocation vivante du poème qui se déroula sur l'immense +scène du théâtre en plein air de Vevey... Évocation forcément +incomplète: il faudrait un gros album de dessins semblables pour +représenter tous les groupes différents dont M. Jean Morax dessina les +costumes et régla harmonieusement les mouvements.</p> + +<p>Dans <i>L'Illustration</i> du 12 août, nous avons indiqué, en quelques mots, +la donnée du poème, qui mettait en scène, en tableaux animés par des +chants et des danses, les principaux événements de la vie rustique, +échelonnés au cours de l'hiver, du printemps, de l'été et de l'automne. +Il convient de nommer le poète: M. René Morax, frère du dessinateur. +L'auteur de la musique est M. Gustave Doret, dont la partition contient +d'admirables morceaux.</p> + +<p>Rappelons aux collectionneurs de <i>l'Illustration</i> que, dans le numéro du +17 août 1889, parurent des dessins et un article sur la précédente Fête +des Vignerons de Vevey: ils s'y reporteront avec plaisir.</p> +<br> + +<h3>COURRIER DE PARIS</h3> + +<h4>JOURNAL D'UNE ÉTRANGÈRE</h4> + +<p>... Au Luxembourg. La paix des grandes vacances enveloppe les jardins et +il y a comme du repos dans l'air déjà moins brûlant qu'on respire. Une +brise passe, en coups d'éventail légers, sous les arbres pleins d'ombre, +et les feuilles sèches qui en tombent (comme l'automne vient vite à +Paris!) font de petites taches brunes sur le sable des allées. Pour deux +sous, donnés à la loueuse de chaises qui m'a reconnue et me sourit, je +savoure, après des mois de vacarme et de fièvre, la volupté de vivre +dans du calme; cela est doux comme la sensation de <i>souffrance abolie</i> +qui suit une rage de dents, et deux petits vers chantent en moi:</p> + +<div class="poem"><div class="stanza"> +<p class="i14"> Ah! qu'il est doux de ne rien faire</p> +<p class="i14"> Quand tout s'agite autour de nous...</p> +</div></div> + +<p>Cependant, le personnage qui exprima dans <i>Galatée</i> cette opinion se +trompait... Il y a une contagion du besoin d'agir ou de flâner; et c'est +surtout quand rien ne s'agite autour de moi qu'il m'est très doux de ne +rien faire.</p> + +<p>Et l'on s'agite si peu, depuis huit jours, autour de moi... Il est cinq +heures. Les galeries de l'Odéon sont désertes et, le long des grilles du +jardin, déambulent paresseusement des fiacres vides. Le vieux théâtre +est fermé; le Sénat est sans sénateurs et nous sommes, à quelques mètres +de là, cinquante flâneurs à peine, attroupés autour du kiosque où la +musique d'un régiment de ligne nous joue des airs...</p> + +<p>Des airs connus, que l'esprit suit sans effort: <i>Samson et Dalila, +Louise</i>, la <i>Marche indienne</i> de Sellenik, un peu de Massenet: «N'est-ce +pas que <i>Manon</i> est une jolie chose?» Je me retourne. C'est mon +libraire, qui est venu prendre le frais sous les arbres du Luxembourg et +m'invite à m'y promener avec lui. Ancien professeur, journaliste un peu, +mêlé à diverses entreprises de propagande politique et sociale dont il +aime à me démontrer les bienfaits, mon libraire--une des figures les +plus populaires du Quartier latin--est un aimable bavard, informé de +tout, qui a le goût des idées générales et sait, à l'occasion, dévider +un paradoxe avec esprit.</p> + +<p>--Vous êtes seul à Paris?</p> + +<p>--Tout seul, madame.</p> + +<p>--Au moins vous avez <i>fait le pont?</i></p> + +<p>--Pas même. Ma femme et mes enfants sont aux eaux, j'en profite pour +voir un peu Paris que je connais mal, et m'y reposer de la banlieue que +je connais trop.</p> + +<p>--Vous n'aimez pas la campagne?</p> + +<p>--Je la déteste, madame. Je la déteste pour deux raisons: la première, +c'est qu'on y est mal et que, pour de modestes bourgeois comme nous, la +vie s'y complique et s'y attriste de toutes sortes de petites +incommodités qui en rendent, à la longue, le séjour insupportable; la +seconde, c'est que j'aime la justice, et que je suis irrité du tort +inique que fait la campagne aux beautés rustiques de cette ville-ci. +J'en veux aux arbres du Vésinet de m'avoir fait ignorer si longtemps--et +mépriser--les arbres du Luxembourg.</p> + +<p>» Arrêtez-vous, madame, et regardez, je vous en prie. Regardez là-bas +cet effet de soleil couchant et la prodigieuse couleur de ciel que cette +pièce d'eau reflète. Admirez la somptuosité de forme de ces vieux +arbres, la beauté caressante de ces feuillages qui font au-dessus de +nous des dômes transparents d'ombre fraîche et la suavité de tons de ces +pelouses en velours vert... Est-ce qu'en ce moment aussi l'air que nous +respirons n'est pas d'une idéale fraîcheur? Eh bien, supposez-vous +transportée à trente kilomètres de Paris et soudainement mise en face de +ce spectacle-ci; imaginez cette couleur de ciel et cette odeur de brise +retrouvées. Vous penseriez: «Voilà bien ce qu'on ne peut rencontrer qu'à +la campagne...»</p> + +<p>--Et je penserais une bêtise, en effet.</p> + +<p>--Vous l'avez dit, vous penseriez une bêtise, madame. Car il n'y a pas +de cité au monde à l'intérieur de laquelle tant de paysages délicieux +soient rassemblés. Il ne nous reste qu'à les connaître, à apprendre +l'art d'en jouir. Si nous comprenions quelles «villégiatures» charmantes +sont les jardins de Paris, ses parcs et les deux forêts qui le bordent à +l'est et à l'ouest, nous n'éprouverions pas le besoin--en attendant +l'annuel voyage à la mer ou dans la montagne--de nous en aller geler ou +rôtir, du mois d'avril au mois de juillet et de septembre à la +Toussaint, dans des maisonnettes de banlieue. Avez-vous pratiqué la +villégiature de banlieue, madame?</p> + +<p>Je fis signe que non, et mon libraire devint véhément:</p> + +<p>--Eh bien, dit-il, je vous en félicite. J'ai une villa, moi: la «Villa +des Roses». Je l'ai achetée, il y a quelques années, sur les conseils +d'un médecin qui me recommandait fortement, pour les miens et pour moi, +«de la distraction, du repos, du bon air».</p> + +<p>»La maisonnette est gentille et le pays n'est pas mal. Mais il y fait si +chaud que nous avons dû, cet été, sans l'avouer à nos amis, venir +coucher à Paris plusieurs fois pour respirer un peu. Et s'il n'y faisait +que chaud, madame! Il y <i>fait</i> surtout ennuyeux. Ma femme est, dans +cette maisonnette, éloignée de sa famille et de ses amis, et cet +isolement la rend acariâtre. C'est une joie pour elle, pendant ces mois +d'été, de s'apercevoir, de temps en temps, qu'un indispensable objet de +toilette ou de ménage lui manque et d'en tirer prétexte pour venir +passer une demi-journée à Paris. Cette «Villa des Roses»! c'est devenu +pour elle une espèce de prison où elle ne vit plus, comme le potache au +lycée, que dans l'attente des jours de congé.</p> + +<p>» Pour moi, c'est pire. Et l'on ne se figure pas, si l'on n'en a pas +fait l'expérience, la somme de corvées, d'incommodités, de dérangement, +de petites servitudes que représente, pour un bourgeois parisien, marié +et père de famille, cette chose si naïvement désirée par tant de gens: +une maison de campagne.</p> + +<p>»C'est, le matin, l'ennui de s'habiller vite pour ne pas manquer le +train du départ; c'est, le soir --pour ne pas manquer le train du +retour--a nécessité de bâcler ses affaires, de mettre à la porte l'ami +qui vient vous voir ou de ne l'écouter que la montre à la main; +d'ajourner au lendemain telles besognes urgentes qu'on eût souhaité de +liquider la veille. C'est l'ennui de déjeuner au restaurant pendant +trois mois et d'errer seul dans un appartement poussiéreux, d'aspect +tragique, au milieu de meubles habillés de housses, et de lustres, de +vases, de tableaux, enveloppés de papier...</p> + +<p>» Et puis il y a les «commissions». Vous savez qu'au point de vue +culinaire la campagne est, par définition, un endroit «où l'on ne trouve +rien». Le devoir s'impose donc, au mari qui vient à Paris tous les +jours, à en rapporter, plusieurs fois par semaine, le melon, la +langouste ou les fruits que la famille attend. En sorte que l'époque de +la canicule est le moment de l'année où je vis le plus fiévreusement, le +plus tristement, et où j'ai le plus de paquets à porter.</p> + +<p>» Mais ceci n'est rien encore, et le temps approche où tous ces ennuis +s'aggraveront d'un petit supplice nouveau. En mai, en juin, en juillet, +je quittais le matin la campagne à l'heure où précisément il eût été +délicieux d'y rester. A partir du mois prochain --les jours étant +redevenus courts et les nuits fraîches--j'y reviendrai, chaque soir, à +l'heure exacte où l'on commence à regretter de s'y trouver.»</p> + +<p>Mon ami conclut:</p> + +<p>--Le goût des voyages, heureusement, nous aura bientôt délivrés de +l'ennui des villégiatures suburbaines. A présent, on met le temps des +grandes vacances à profit pour changer d'air et d'horizon, courir la +montagne et «lézarder» sur le sable des plages; on se déplace plus +facilement qu'autrefois; on a des curiosités que n'avaient pas nos +grands-pères. Mais cela coûte cher. Il faudra donc, petit à petit, +s'habituer à choisir entre la villa de Seine-et-Oise et la chambre +d'hôtel en Normandie, en Bretagne, dans les Pyrénées. Cinq mois de +banlieue ou deux mois de tourisme? On préférera le tourisme, et ce sera +le krach des maisons de campagne. Alors, les Parisiens auront le temps +d'admirer chez eux des choses comme celle-ci...»</p> + +<p>Il me montrait, en disant cela, la délicieuse fontaine de Médicis, +blottie au fond de sa niche de verdure et d'eau. Nous étions seuls. Et +il me sembla que le cyclope Acis et Galatée considéraient d'un oeil +surpris notre visite...<br> + +<span class="rig"><span class="sc">Sonia.</span></span></p><br><br> + +<h3>NOTES ET IMPRESSIONS</h3> + +<p>La santé et la jeunesse sont de joyeux compagnons de route. Ils changent +en poudre dorée la poussière du chemin. <span class="sc">A. Gennevraye.</span></p> + +<p class="mid">*<br>* *<p> + +<p>Souvent, le charme mène plus loin que la beauté. <span class="sc">Ouida.</span></p> + +<p class="mid">*<br>* *<p> + +<p>Nous empruntons aux étrangers des mots, des formules exprimant nos +propres et plus vieilles idées, et nous croyons leur devoir les idées +elles-mêmes.</p> + +<p class="mid">*<br>* *<p> + +<p>Les voyages donnent aux oisifs l'illusion de l'activité. +<span class="sc">G.-M. Valtour.</span></p> + +<br> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/002a.png"><br><b>Comment on verra l'éclipse partielle dans diverses villes +d'Europe.</b></p> + +<h3>L'ÉCLIPSE DE SOLEIL DU 30 AOÛT</h3> + +<h4>Par CAMILLE FLAMMARION.</h4> + +<p>Le 30 août prochain, à 1 h. 19, on verra, de Paris, le soleil +partiellement éclipsé par la lune, qui passera devant et couvrira les 82 +centièmes du diamètre de son disque. L'ombre de la lune formera, au +sud-ouest de Paris, un cône invisible qui viendra toucher le sol +d'Europe sur le territoire de l'Espagne et produira là une éclipse +totale couvrant un cercle de 190 kilomètres de diamètre. Cette ombre +arrivera sur la côte septentrionale de l'Espagne, entre Santander et la +Corogne, et glissera du nord-ouest vers le sud-est, pour quitter la +péninsule entre Tarragone et Valence, ayant traversé l'Espagne avec une +vitesse de 750 mètres par seconde ou 45 kilomètres par minute, et, +glissant sur la Méditerranée, passera ensuite sur l'Algérie, la Tunisie, +la Tripolitaine, l'Égypte, la mer Rouge, et finira au golfe Persique. +Elle aura commencé au Canada et aura traversé l'Atlantique avant +d'arriver en Espagne[1].</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/002b.png"><br><b>Trajet complet de l'éclipse totale de soleil du 30 août, +du Canada en Arabie.</b></p> + +<blockquote> +<p>[Note 1: Le phénomène sera vu de toute la France et même de tous les +points de l'Europe, mais comme éclipse partielle seulement; c'est-à-dire +que la lune, dans son mouvement, passera devant le soleil sans arriver à +le masquer complètement. La portion éclipsée sera d'autant plus grande +qu'on se rapprochera davantage d'une ligne joignant Burgos à Sfax.</p> + +<p>C'est en Espagne que nous allons nous installer pour l'observer, en très +grande majorité, quelques-uns cependant s'éloignant jusqu'en Algérie, en +Tunisie, et même en Egypte. Il importe, en effet, de s'échelonner sur la +plus grande partie de la zone pour diminuer les risques de voir +l'éclipse éclipsée par une arrivée intempestive des nuages. La plupart +des astronomes français ont choisi Burgos et Alcala comme stations +d'observation. Pour moi, j'ai adopté Almazan, à une grande hauteur sur +la Cordillère.</p> + +<p>En 1900, j'avais choisi la pittoresque oasis d'Elche, non loin +d'Alicante. Le ciel fut d'une limpidité merveilleuse et tel que nous la +souhaiterions pour l'éclipse prochaine. Mais cette année-ci est moins +calme que celle de 1900 au point de vue atmosphérique: elle est fertile +en orages et en cyclones, car elle correspond au maximum de l'activité +solaire. Vivons dans l'espérance.</p> + +<p>Les phases de l'éclipse seront: à Paris 0,82, soit environ les 8 +dixièmes du soleil éclipsé; à Lyon 0,86; à Marseille 0,90; à Bordeaux +0,93; à Toulouse 0,94; à Perpignan 0,95; à Biarritz 0,96; à Alger 0,98. +(Les phases publiées par la <i>Connaissance des temps</i> de 1905 sont +inexactes; on les a corrigées, sur les indications de M. Camille +Flammarion, dans un erratum.)</p> + +<p>On observera facilement l'éclipse à l'oeil nu, garanti par un verre +fumé. On pourra aussi en suivre les phases sur une feuille de papier +au-dessus de laquelle on tiendra, à 30 ou 40 centimètres de distance, +une carte de visite percée d'un fort trou d'épingle. Elle sera également +visible sur le sol dans les projections solaires formées par la lumière +filtrant à travers les interstices des arbres.</p> + +<p>Nous donnons ci-contre une carte dessinée par M. l'abbé Moreux, de +l'observatoire de Bourges, et destinée à montrer ce que l'on pourrait +appeler le «mécanisme» de l'éclipse, qui sera totale sur toute la bande +ombrée traversant l'Espagne et la Tunisie.</p> +</blockquote> + +<p>Nul spectacle n'est plus imposant que celui d'une éclipse totale de +soleil. L'immuable splendeur des mouvements célestes ne m'a jamais +frappé avec autant de puissance que pendant l'observation de ce +grandiose phénomène. Avec l'absolue précision du calcul astronomique, +notre satellite, en gravitant autour de la terre, arrive sur la ligne +théorique menée de l'astre du jour à notre planète et s'interpose +graduellement, lentement et exactement devant lui. L'éclipse se produit +à la minute déterminée par le calcul. Puis le globe obscur de la lune, +continuant son cours régulier, démasque l'astre radieux et +graduellement, lentement, termine son passage devant lui. Il y a là, +pour tout observateur, une double leçon philosophique, une double +impression: celle de la grandeur, de l'omnipotence des forces +inexorables qui régissent l'univers, et celle de la valeur +intellectuelle de l'homme, de cet atome pensant, perdu sur un autre +atome et qui, par le travail de sa faible intelligence, est parvenu à la +connaissance de ces lois qui l'emportent lui-même comme le reste du +monde, dans l'espace, dans le temps et dans l'inconnu.</p> + +<p>Dans cet impressionnant spectacle de l'occultation de l'astre du jour, +l'étrangeté de la pâle lumière qui reste pour éclairer la nature étonnée +joue un rôle considérable. Tout est changé dans l'aspect des choses. +L'anneau d'or qui entoure le soleil éclipsé répand sur la terre la +lumière d'un autre monde.</p> + +<p>Quelques minutes avant le commencement de la totalité, la lumière +normale du jour diminue fortement et se transforme. La nature entière +paraît oppressée sous une sorte de terreur. Les oiseaux, qui +gazouillaient dans les branches, se taisent, et ceux qui ont des nids y +rentrent précipitamment. Quelques-uns ne le retrouvent pas et, se +heurtant contre les murs, tombent morts. Les poussins se réfugient sous +l'aile de leurs mères, les chiens demandent protection à leurs maîtres, +les troupeaux abandonnent leurs pâturages et cherchent à rentrer, les +abeilles cessent leurs bourdonnements et reviennent inquiètes à la +ruche, les chauves-souris sortent et volettent. La nuit qui arrive +subitement déconcerte tous les êtres vivants.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/002c.png"><br><b>La marche de l'ombre de la lune sur l'Espagne et la<br> +Tunisie le 30 août. (Les chiffres indiquent les heures et la durée de<br> +l'éclipse totale en chaque point)</b></p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/002d.png"><br><b>Comment on verra l'éclipse partielle dans diverses villes<br> +des États-Unis, de Russie, de Sibérie, d'Égypte et d'Arabie.</b></p> + +<p>L'homme lui-même ne peut se défendre d'une certaine émotion, quoiqu'il +sache qu'il n'y a là qu'un phénomène naturel qui suit mathématiquement +les lois du calcul. L'étrange lumière dont je parlais tout à l'heure +donne aux visages un aspect cadavérique, clarté blafarde analogue à +celle de l'esprit-de-vin brûlant saturé de sel, illumination livide et +funèbre paraissant annoncer la dernière heure du monde.</p> + +<p>Au moment où la dernière ligne du croissant solaire disparaît, on voit, +au lieu du soleil, un disque noir environné d'une auréole lumineuse à la +base de laquelle brûlent des flammes roses et lançant dans l'espace +d'immenses jets de lumière. La nuit subite reste éclairée par cette +vague clarté céleste. Ce spectacle est fantastique, grandiose, solennel +et sublime.</p> + +<p>C'est en ces minutes rares et précieuses que l'on a d'abord deviné, puis +étudié la constitution physique de l'astre aux rayons duquel la vie de +la terre est suspendue. Minutes rares, en effet, car la durée de la +totalité des éclipses observées varie entre une et six minutes, et il +n'y en a pas une par an. Depuis l'éclipsé de 1842, qui mit les +astronomes sur la voie de leurs découvertes, il n'y a eu que trente +éclipses totales dont on peut voir la liste dans mon <i>Astronomie +populaire</i>, et les observations n'ont pas occupé plus de cent minutes, +soit un peu plus d'une heure et demie. Voilà, certes, une heure et demie +bien employée!</p> + +<p>Ces minutes nous ont appris qu'il y a, tout autour du soleil, une nappe +de feu de 10.000 à 15.000 kilomètres d'épaisseur, sorte de flamme de +punch, de couleur rose, qui brûle constamment. C'est la chromosphère. +Elle n'est visible que pendant les éclipses. Sa température paraît être +d'environ 6.000 degrés centigrades.</p> + +<p>L'hydrogène en forme la partie supérieure, mais l'analyse spectrale +montre dans sa couche inférieure les vapeurs du magnésium, du fer et +d'un grand nombre de métaux. De cette nappe de feu s'élèvent des flammes +gigantesques, des protubérances roses, également, atteignant parfois +100.000 et 200.000 kilomètres de hauteur! Ces éruptions formidables +s'effectuent dans une atmosphère gazeuse qui constitue ce que nous +pourrions appeler la couronne atmosphérique du soleil. Elle est +adhérente au globe solaire et tourne avec lui en vingt-cinq jours +environ.</p> + +<p>Pendant l'éclipse du 28 mai 1900, j'ai parfaitement distingué cette +couronne atmosphérique, très lumineuse et d'un blanc d'argent éclatant. +Elle se fond dans une seconde auréole, qui lui est extérieure, est moins +brillante et moins dense, et paraît formée de corpuscules provenant +principalement des éruptions solaires, circulant indépendamment autour +de l'astre, dont la forme d'ensemble varie avec l'activité solaire et +peut être due à des forces électriques ou magnétiques, contre-balancées +par des résistances de diverses natures. Dans notre propre atmosphère, +les éruptions volcaniques sont distinctes de l'enveloppe aérienne.</p> + +<p>C'est principalement cet entourage solaire que les astronomes vont +étudier pendant l'éclipse Son aspect varie suivant les années. Aux +époques de grande activité, comme cette année, cette couronne entoure +entièrement le disque solaire, à une grande distance, et approche de la +forme circulaire. L'une des plus belles et des plus régulières que l'on +ait admirées est celle de l'éclipse du 17 mai 1882, voisine, comme +celle-ci, d'une époque de maximum de taches solaires. Un dessin qui en a +été pris en Égypte par M. Tacchini est d'autant plus curieux qu'une +petite comète avait justement été vue près du soleil pendant la +totalité.</p> + +<p>En général la forme extérieure de la couronne n'offre pas la même +régularité géométrique qu'en 1882. Souvent des jets immenses s'élancent +au loin en diverses directions.</p> + +<p>Pendant l'éclipse de 1900, correspondant à un maximum de l'activité +solaire, la couronne s'est montrée très allongée dans le sens de +l'équateur solaire. D'un côté même elle était double, et allait finir en +pointe tout près de Mercure, qui brillait à une distance égale à environ +six fois le diamètre du soleil.</p> + +<p>C'est sur l'analyse attentive de cette glorieuse couronne que se +porteront les efforts des astronomes, et, notamment, parmi les nôtres, +de MM. Janssen et Deslandres, de l'observatoire de Meudon. On l'étudiera +par le dessin direct, par la photographie, par l'analyse de la lumière +au spectroscope, par les méthodes les plus perfectionnées de la science +actuelle.</p> + +<p>On comprend tout l'intérêt qui s'attache à la connaissance de l'astre +solaire si l'on songe que toute la vie terrestre (ainsi que celle des +autres planètes) dépend des radiations de cet astre. De sa surface +agitée par les flots d'une éternelle tempête s'élancent constamment, +avec la vitesse de l'éclair, les vibrations fécondes qui vont porter la +vie sur tous les mondes. Le jour où le soleil s'éteindra, la terre où +nous sommes ne sera plus qu'un morne, obscur et silencieux cimetière +roulant dans l'éternelle obscurité de l'espace.</p> +<br> + +<h3>LES FÊTES EN L'HONNEUR DE LA FLOTTE FRANÇAISE A PORTSMOUTH ET A LONDRES</h3> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/003a.png"></p> + +<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="0" + style="width: 100%; text-align: left;" summary="3260"> + <tbody> + <tr> + <td style="vertical-align: top; width: 65%; text-align: center;"> +<b>Le maire de Portsmouth et les conseillers municipaux, en +robe, allant, le 9 août, présenter à l'amiral Caillard les souhaits de +bienvenue de la ville.</b> + </td> + <td style="vertical-align: top; width: 35%; text-align: center;"> +<b>Au château d'East-Cowes, le 8 août: l'amiral Caillard +présente les officiers de son état-major à la princesse Béatrice de +Battenberg, «gouverneur» de l'île de Wight.</b> + </td> + </tr> + </tbody> +</table> + + + + + +<p class="mid"><img alt="" src="images/003b.png"></p> +<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="0" + style="width: 100%; text-align: left;" summary="3260"> + <tbody> + <tr> + <td style="vertical-align: top; width: 50%; text-align: center;"> +<b>Divertissements de marins anglais et français, à +Wales-Island, le 10 août: la course à âne.</b> + </td> + <td style="vertical-align: top; width: 50%; text-align: center;"> +<b>La locomotive pavoisée du train de luxe qui a transporté +les officiers et marins de Portsmouth à Londres, le 10 août.</b> + </td> + </tr> + </tbody> +</table> + + + +<p class="mid"><img alt="" src="images/004a.png"></p> +<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="0" + style="width: 100%; text-align: left;" summary="3260"> + <tbody> + <tr> + <td style="vertical-align: top; width: 50%; text-align: center;"> +<b>A travers les rues de Londres: le défilé des breaks +promenant les marins français.</b> + </td> + <td style="vertical-align: top; width: 50%; text-align: center;"> +<b>L'arrivée des marins français et des personnages +officiels dans la cour du Guildhall.</b> + </td> + </tr> + </tbody> +</table> + + + + + +<p class="mid"><img alt="" src="images/004b.png"><br> +<b>Le banquet offert aux marins français dans la grande<br> +salle du Guildhall, ancien hôtel des corporations de Londres, le 11 +août.</b></p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/004c.png"></p> +<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="0" + style="width: 100%; text-align: left;" summary="3260"> + <tbody> + <tr> + <td style="vertical-align: top; width: 50%; text-align: center;"> +<b>A la sortie du Guildhall: formation du cortège pour se +rendre à l'Alhambra.</b> + </td> + <td style="vertical-align: top; width: 50%; text-align: center;"> +<b>Le banquet offert aux officiers de l'escadre française, à +Westminster, le 12 août.</b> + </td> + </tr> + </tbody> +</table> +<br> + + +<p class="mid"><img alt="" src="images/005small.png"><br><a href="images/005large.png">(Agrandissement)</a></p> +<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="0" + style="width: 100%; text-align: left;" summary="3260"> + <tbody> + <tr> + <td style="vertical-align: top; width: 33%; text-align: center;"> +<span class="sml">Baron de Rosen et attachés à la délégation russe.</span> + </td> + <td style="vertical-align: top; width: 34%; text-align: center;"> +<span class="sml"> M. Witte. Président Roosevelt. Baron Komura.</span> + </td> + <td style="vertical-align: top; width: 33%; text-align: center;"> + <span class="sml">M. Takahira et attachés<br> à la délégation japonaise.</span> + </td> + </tr> + </tbody> +</table> +<p class="mid"><b>LA PREMIÈRE RENCONTRE DES<br> +PLÉNIPOTENTIAIRES RUSSES ET JAPONAIS, LE 5 AOÛT<br>Le président Roosevelt +présente l'un à l'autre M. Witte et le baron Komura, dans le salon de +réception du yacht du gouvernement américain, le «Mayflower».</b></p> + +<p><i>Il appartenait au président Roosevelt, après avoir pris l'initiative +des négociations pour la paix entre la Russie et le Japon, de présenter +les uns aux autres, à leur arrivée aux États-Unis, les plénipotentiaires +russes et japonais. Cette formalité protocolaire a eu lieu le 5 août, +dans les eaux américaines, à Oyster-Bay, à bord du yacht présidentiel</i> +Mayflower. <i>Le président y était venu de son cottage de Sagamore Hill. +Bientôt après, le croiseur</i> Tacoma <i>arrivait portant les délégués du +Japon qui, représentants du vainqueur, devaient être reçus les premiers +par M. Roosevelt, tandis que le croiseur</i> Chattanooga <i>amenait, à +quelques minutes de là, les plénipotentiaires russes. Les présentations +eurent lieu dans la grande salle du yacht, où se tenaient M. Witte, et +ses collaborateurs, et où l'on introduisit cérémonieusement le baron +Komura et, les délégués japonais qui, à l'arrivée des Russes, s'étaient +retirés dans un petit salon voisin. Les figures des Japonais étaient +graves, leurs yeux froids, on le remarqua. Et l'on constata par contre, +non sans quelque sympathie, que l'attitude de M. Witte était cordiale, +ronde, franche; elle séduisit fort les Américains.</i></p> + +<h3>ARRIVEE DES PLÉNIPOTENTIAIRES A BORD DU "MAYFLOWER", LE 5 AOÛT</h3> + +<p class="mid"><span class="sml">Le baron Komura. M. Witte.</span><br> +<img alt="" src="images/006.png"><br> +<b>Au centre de la page, le yacht <i>Mayflower.</i></b></p> + + +<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="0" + style="width: 100%; text-align: left;" summary="3260"> + <tbody> + <tr> + <td style="vertical-align: top; width: 50%; text-align: center;"> +<b>M. Roosevelt monte à bord du <i>Mayflower</i> pour présider à +la première entrevue.</b> + </td> + <td style="vertical-align: top; width: 50%; text-align: center;"> +<b>Russes et Japonais sur le pont du <i>Mayflower</i> après les +présentations.</b> + </td> + </tr> + </tbody> +</table> + + +<p class="mid"><b>LES POURPARLERS DE PAIX ENTRE LA RUSSIE ET LE JAPON</b><br> +<i>Stereograph copyright 1905 Underwood and Underwood, London and New-York.</i><br></p> +<br> + + +<p class="mid"><img alt="" src="images/007.png"><br> +<span class="sml"><i>Dessin original de Jeanniot.</i></span><br> +<b>A TROUVILLE: SUR LES PLANCHES.</b></p> + + + +<p><i>Privilégié à divers titres parmi les nombreuses stations balnéaires de +Normandie, Trouville doit à sa proximité relative de Paris d'avoir +conquis de longue date la faveur des Parisiens. C'est la plage mondaine +par excellence; au beau moment de la saison, ses fameuses «planches +sont, suivant la formule consacrée, le rendez-vous des suprêmes +élégances, et cette reconstitution, au bord de la mer, de l'avenue du +Bois et de la «potinière» offre assurément le tableau, tout ensemble le +plus complet et le plus brillant, des nouveautés de la mode.</i></p> +<br> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/008a.png"><br><b>Le fiord de Christiania.</b></p> + +<h3>EN NORVÈGE</h3> + +<h4><i>Fragments d'un journal de voyage.</i></h4> + +<p class="mid">Suite et fin IV.--Voir les numéros des 8. 29 juillet et 12 août</p> + +<h4>LE CAP NORD</h4> + +<p><i>Samedi 16 juillet.</i>--Nous arrivons au cap Nord. Nous avons vu d'autres +montagnes aussi noires, aussi désolées, aussi hautes et imposantes. Mais +celle-ci est la dernière, et, à bord, on est un peu fier de voir que +notre Europe finit bien. On se propose de faire l'ascension du rocher, +trois cents mètres pénibles, afin de pouvoir dire qu'on est monté là et +surtout pour y mettre, dans une boîte aux lettres levée tous les huit +jours, des cartes postales naturellement, qui porteront le timbre du cap +et feront la joie des collectionneurs. Il y en a un véritable +chargement. Certain passager en expédie quarante pour sa seule part. +Beaucoup les ont confiées aux commissaires du bord; d'autres les gardent +dans leur poche pour les expédier eux-mêmes. Comme on le verra, ce fut +une précaution malheureuse.</p> + +<p>La mer ne paraît pas très forte aux yeux inexpérimentés des passagers, +qui retiennent plus ou moins les manifestations de leur mécontentement +lorsque le bruit court que l'on ne débarquera pas. En présence de cette +attitude, l'excellent commandant, afin de nous donner une leçon de +choses, donne l'ordre de mettre la pétrolette à la mer. Dès qu'elle est +dégagée des palans, les plus obstinés commencent à montrer moins +d'empressement. L'embarcation, soulevée par les lames, fait au pied de +l'échelle des différences de niveau de deux à trois mètres. La +démonstration semble faite. Ce n'est pas l'avis des officiers du bord, +qui embarquent non sans difficultés. Parmi eux est le commissaire +porteur du paquet de cartes postales. Le prétexte donné à la petite +promenade est de s'assurer si le débarquement à terre serait possible. +Il est possible, en effet, pour des marins, et les cartes postales +partiront. Au retour, la mer a un peu grossi et c'est par l'échelle de +corde destinée aux pilotes que les officiers, un peu malicieusement +peut-être, reviennent à bord. Cette fois, personne ne demande plus à +partir et la pétrolette est hissée sans protestation.</p> + +<p>Mais la désolation est sur bien des visages.</p> + +<p>Être venu de si loin, s'en approcher autant et ne pas mettre le pied sur +le cap Nord! Des lamentations encore.</p> + +<p>--Et nos cartes postales! nos cartes postales! nos cartes postales!</p> + +<p>Une barque est prochaine, montée par trois ou quatre pêcheurs venus nous +attendre avec du Champagne qu'ils comptaient vendre là-haut à bon prix. +Si on les chargeait des cartes postales! Mais le moyen de les leur faire +parvenir? La mer est trop forte pour qu'ils puissent approcher de +l'échelle... Pauvres cartes postales!</p> + +<p>Un passager alors a une idée ingénieuse. Il collecte les précieuses +cartes postales, fait une quête et enferme le tout dans quatre ou cinq +journaux. Ce paquet, ficelé, est ensuite attaché à une bouteille bien +bouchée, le tout jeté à la mer et recueilli, avant que l'épaisseur des +journaux ait pu être traversée, par les Norvégiens qui s'éloignent à +force de rames et donnent des signes de joie surprenants pour ce pays. +On se croirait dans le Midi. Et pourtant...</p> + +<p>Nous partons. Il est une heure du matin, le ciel est couvert. Il fait +plein jour, on ne se lasse pas de le répéter. Nous perdons ici le besoin +du sommeil. On ne peut se résoudre le soir à regagner sa cabine. On +reste sur le pont, malgré le froid, et l'on admet difficilement qu'on +puisse aller dormir avant la nuit.</p> + +<h4>LA PÊCHE A LA BALEINE</h4> + +<p><i>Dimanche 17 juillet.</i>--...L'île de Skarro est une station de pêche à la +baleine. Du bord, avant de débarquer, nous voyons, près du rivage, une +roche ronde où la mer se brise. Ce n'est pas une roche. C'est une +baleine prise la veille. Sur les galets, des cadavres de baleine gisent, +à moitié dépecées. L'odeur est insupportable. Nous fuyons vers une +maisonnette gaie, sur une hauteur, habitation du directeur de la +pêcherie. Il a eu l'idée bizarre d'employer, comme bordure pour ses +gazons, des vertèbres de baleine. Comme porte d'entrée, il y a une sorte +d'arc de triomphe ogival, formé par l'assemblage de deux os de mâchoire +du même animal, et les sièges de l'intérieur sont faits de clavicules.</p> + +<p>C'est très gai... pour le directeur d'une pêcherie. Vous trouverez dans +les ouvrages spéciaux la description du harpon explosible et +perfectionné que l'on emploie aujourd'hui; vous ne l'attendez pas ici, +d'ailleurs. De même pour les renseignements sur les ateliers de +dépeçage. Je n'ai pas eu le courage d'y entrer et, si vous avez le nerf +olfactif sensible, je vous engage à faire comme moi. Ai-je dit que la +photographie signée de l'empereur Guillaume II est, au salon, à la place +d'honneur?</p> + +<h4>LE CHALET DE GUILLAUME II</h4> + +<p><i>Lundi 18.</i>--Nous allons retrouver ce soir au Raftsund le souvenir de +cet admirable homme de théâtre. Le paysage est grandiose et terrible. +Nous entrons dans une sorte d'entonnoir. Les premiers plans sont verts +et noirs. Les seconds, à droite et à gauche, sont faits de montagnes +noires sur lesquelles il a neigé récemment. Mais la neige n'est pas +seulement sur les sommets; elle est restée dans toutes les +anfractuosités, ce qui fait un dessin fantastique de blanc et de noir. +Le détroit se rétrécit et s'assombrit à mesure qu'on y pénètre. C'est +véritablement ici la majestueuse porte de l'enfer. Et l'on admire le +sens de l'effet que possède le souverain qui s'est fait construire un +chalet au sommet d'une des montagnes d'entrée. Ah! l'incomparable +régisseur! Et, si vous ne trouvez pas ici l'indication d'une beauté qui, +à elle seule, vaudrait le voyage, n'en accusez que l'insuffisance de ma +description. Je me suis retenu dix fois déjà pour ne pas dire, de ce que +nous avons vu, que c'était indescriptible.</p> + +<h4>LE RETOUR--EN CHEMIN DE FER</h4> + +<p>...... Nous voici dans un tout autre pays sans avoir quitté la Norvège. +D'abord il fait chaud et, lorsque nous recevons des lettres de France +nous parlant de la chaleur, nous n'envions plus ceux que nous avions +laissés là-bas. Ensuite les champs sont semblables aux nôtres... +semblables du moins à ce qu'ils étaient il y a deux ou trois mois. Nous +voyons enfin des villages et des villes, des habitants actifs, +occupés... Voici, à une station un chapeau haut de forme. Merci, mon +Dieu! A chaque gare, des enfants viennent offrir des bouquets de cerises +qui rafraîchissent mieux que la bière. Les employés du train sont d'une +complaisance à laquelle ne sont pas habitués ceux d'entre nous qui n'ont +voyagé que sur les chemins de fer français. Comme nous sommes +visiblement harassés, l'employé, qui s'en aperçoit, nous fait lever +gentiment avec un sourire et nous montre que ceux d'entre nous qui n'ont +pas de vis-à-vis peuvent, en rapprochant les deux sièges qui se font +face, s'installer un véritable lit et dormir tranquillement.</p> + +<p class="lef"><img alt="" src="images/008b.png"><br> +<b> Statue d'Ibsen, devant le théâtre<br> + de Christiania.</b> <i>Photographies Meys.</i>]</p> + +<h4>CHRISTIANIA</h4> + +<p>Ce n'est pas en deux jours qu'on peut voir une ville. Celle-ci nous +paraît insignifiante. Elle n'a que des monuments modernes qui ne sont +pas beaux. C'est une grande ville sans caractère et sans intérêt. Dans +ses musées, on n'a guère remarqué que les fameuses barques des Wikings. +Elles datent de mille ans au moins et ont été retrouvées au fond d'un +nord, enfouies dans le sable où elles servaient de tombeaux à leurs +propriétaires. Le gaillard qui a dormi là est peut-être un des +envahisseurs audacieux dont les voiles, en remontant la Seine, ont +attristé la vieillesse de Charlemagne.</p> + +<p>Les soirées à bord sont délicieuses. Pour les habitants de Christiania, +la rade est un lieu de promenade comme le bois de Boulogne l'est pour +les Parisiens. Notre bateau est amarré entre deux vaisseaux de guerre +hollandais: triple objet de curiosité. Des centaines, des milliers de +barques vont de l'un à l'autre. La mer en est couverte. On dirait la +place de la Concorde un beau soir de mai; les embarcations se frôlent, +se croisent d'aussi près et en aussi grand nombre que, là-bas, les +voitures et les automobiles.</p> + +<p>Il y a des canots à vapeur qui sifflent pour nous saluer, des petits +bateaux de toutes les formes: à la rame, où sont des familles et que +souvent des enfants et des femmes conduisent; des voiliers dont les +voiles blanches répandent sur tout le tableau une grâce d'oiseaux +rapides; des périssoires; de longs canots de course montés par de +vigoureux jeunes hommes en maillot blanc, bras nus, qui font un étalage +aimable et naïf de leur force et de leur adresse. On vient nous donner +des sérénades et, d'un petit bateau qui tourne autour de nous comme une +mouche sur un colosse, les sons aigus d'une flûte nous envoient les +accents de la <i>Marseillaise</i>... On lève l'ancre. Dans trente-six heures +nous serons en France.</p> + +<p class="mid">*<br>* *<p> + +<p>Et dans un mois nous aurons oublié, sauf peut-être une ou deux +exceptions, ceux avec qui nous avons vécu pendant un mois et qui ont +fait avec nous ce pèlerinage inconscient au soleil qui ne dort pas.<br> + +<span class="rig"><span class="sc">Brieux.</span></span></p><br><br> + +<h3>DOCUMENTS et INFORMATIONS</h3> + +<h4><span class="sc">L'influence de la science française en Chine.</span></h4> + +<p>Le docteur A.-F. Legendre, médecin-major de 1re classe des troupes +coloniales, envoyé en 1902 par le ministère des Affaires étrangères à +Tchen-Tou (capitale de la province du Se-Tchouan, qui compte 40 millions +d'habitants), y créa, sur la demande du vice-roi du Se-Tchouan, une +école de médecine. Cette école fut inaugurée officiellement par le +vice-roi en personne et tous les hauts mandarins; elle compte +actuellement 32 élèves, choisis parmi la classe dirigeante des lettrés.</p> + +<p class="rig"><img alt="" src="images/009a.png"><br> + <b>L'école de médecine impériale de Tchen-Tou.</b><br> + (Au milieu, le médecin-major Legendre,<br> + fondateur et directeur.)</p> + +<p>C'est la seule école d'enseignement supérieur qui existe en Chine, sauf +à Tien-Tsin.</p> + +<p>Le docteur Legendre est venu en France dans le but d'obtenir le matériel +et le personnel nécessaires pour assurer le bon fonctionnement de cette +école de médecine chinoise et son organisation complète, en conformité +avec les derniers perfectionnements de la science actuelle.</p> + +<p>A l'école de médecine sera annexée une école de sciences.</p> + +<p>Le docteur Legendre reprendra, en septembre prochain, la route du +Se-Tchouan, pour parachever son oeuvre.</p> + +<p>La photographie ci-dessus représente les élèves de l'école de médecine +impériale, avec leurs administrateurs et censeurs chinois, et leur +directeur et professeur, le docteur Legendre.</p> + +<h4><i>Un nouvel enseignement commercial.</i></h4> + +<p>Les nécessités de la vie économique contemporaine ont décidé la Chambre +de commerce de Paris à réorganiser son <i>Ecole supérieure de commerce</i>. +Sous le titre nouveau et significatif <i>d'École supérieure de commerce et +d'industrie</i>, elle en a fait l'institution modèle dans la forme +définitive qu'avaient rêvée sans doute ses fondateurs, Brodart et +Legret, négociants à Paris; leurs principaux collaborateurs, J.-B. Say, +Chaptal, de Prony, Ch. Dupin, Casimir-Périer, Jacques Laffitte, et +peut-être aussi l'un de ses plus distingués directeurs, Adolphe Blanqui.</p> + +<p>Aidée par l'État et par la ville de Paris dans cette grande entreprise, +la Chambre de commerce justifie aujourd'hui leur confiance en apportant +à l'organisation de l'École des remaniements qui aboutissent à la +création, avenue de la République, d'un enseignement commercial complet, +à la fois rationnel et pratique, conçu d'après les données les plus +modernes et qui forme, pour le commerce général ou d'exportation, pour +la banque, l'industrie, les administrations, etc., des jeunes gens +capables de devenir soit des employés supérieurs, soit des directeurs de +services ou des chefs de maison.</p> + +<p>Cet enseignement est donné à des jeunes gens âgés de douze à dix-neuf +ans.</p> + +<p>Une <i>section de navigation maritime</i>, placée sous le contrôle du +ministère de la Marine, est annexée à l'École. Le diplôme de sortie +confère en même temps le certificat d'aptitude (examen de théorie) pour +le <i>brevet supérieur de capitaine au long cours.</i></p> + +<h4><span class="sc">La respiration du sol.</span></h4> + +<p>Tout comme les êtres vivants, le sol de notre planète respire, +c'est-à-dire aspire et expire de l'air, tour à tour. Mais, différent en +cela des êtres vivants, il ne respire pas par ses moyens propres: il +reste passif dans cette affaire. On savait bien, depuis longtemps, que +les interstices du sol sont remplis d'air, et l'on savait aussi qu'il +devait y avoir tantôt plus d'air, et tantôt moins, dans le sol, sous +l'influence des variations barométriques. Mais rien ne démontre et n' +«illustre» mieux le phénomène que les puits sur lesquels M. F. Gerlier, +médecin à Ferney-Voltaire, vient d'attirer l'attention. Ces puits, +situés dans le canton de Genève, présentent cette particularité +d'aspirer l'air à certains moments et de le refouler à d'autres. Il est +facile de voir s'ils aspirent ou expirent: ils sont fermés par une dalle +solide, pourvue d'un petit orifice, permettant d'avoir prise sur elle et +de la soulever; il suffit de placer une allumette enflammée, un bout de +plume, etc., sur l'orifice, pour voir de suite s'il y a courant d'air, +et dans quel sens. On peut encore poser un sifflet dans l'orifice, en +l'entourant de mastic: selon le sens où le sifflet est posé, on a un +sifflement continu pendant l'inspiration ou l'expiration du puits et +l'on peut faire savoir au loin, automatiquement, si l'on va vers le beau +temps ou vers la pluie. Car les puits qui soufflent ou aspirent sont +essentiellement barométriques. Ils réagissent aux influences qui font +monter ou descendre le baromètre et les habitants des villages les +considèrent comme d'excellents baromètres. Dès que le baromètre monte, +en même temps qu'il monte, plutôt, le puits aspire. La pression +barométrique étant plus forte dehors, l'équilibre de la pression de +l'air dans le sol ne peut s'établir que par la poussée de l'air +extérieur vers le souterrain: de là apparence d'aspiration du puits. Si +le baromètre baisse, en dehors, le phénomène inverse se produit. La +pression est forte dans le sol, faible dans l'air; l'équilibre s'établit +par la poussée de l'air relativement comprimé du sol vers l'extérieur: +le puits expire. Rien n'est plus naturel, ou d'explication plus facile, +quand on considère les puits particuliers dont il s'agit. Ils sont tous +profonds, pauvres en eau, souvent à secs et forés dans une couche de +gravier. Une couche de gravier, cela représente beaucoup de vides et +d'interstices; cela fait un réservoir d'air étendu, par conséquent. Et +le puits est, en réalité, le tuyau par où communiquent un réservoir +d'air souterrain et un autre réservoir, qui est l'atmosphère. Toujours +l'équilibre tend à s'établir entre la pression, dans les deux +réservoirs; et elle s'établit en donnant lieu aux mouvements +d'aspiration et d'expiration. Une augmentation de pression dans l'air +extérieur, qui se traduit par une hausse du baromètre, se traduit par un +refoulement d'air dans le réservoir souterrain qui est à pression +moindre--celle où le baromètre se trouvait avant de commencer à monter. +La baisse de pression dans l'air a pour conséquence une expiration: +l'air souterrain étant à pression forte--celle du baromètre avant sa +descente--il est chassé par sa pression dans l'air extérieur, +naturellement, où la pression est moindre. Le sol respire donc, là +surtout où il est très perméable et renferme beaucoup d'air.</p> + +<h4><span class="sc">La nouvelle faune du vieux port de Marseille.</span></h4> + +<p>Les personnes qui ont connu Marseille avant l'établissement du canal de +la Durance se rappellent certainement quel immonde cloaque était le +vieux port, où débouchaient tous les égouts de la vieille ville. La +saleté des fonds et des eaux était légendaire, les poissons n'y vivaient +pas, et il était admis qu'un des meilleurs moyens de débarrasser les +coques des navires des nombreux animaux qui les envahissaient était de +les faire séjourner quelque temps dans les eaux du vieux port.</p> + +<p>Quand le canal de la Durance fut fait, il y eut un apport d'eau douce +plus considérable, et les coquillages purent vivre jusqu'au tiers de la +longueur du bassin; puis, dès 1885, Marseille fit établir le +tout-à-l'égout et les immondices de la ville ne se déversèrent plus dans +le port, mais sur la côte, à une quinzaine de kilomètres à l'est. Très +rapidement alors les eaux du vieux port prirent de la limpidité, des +algues apparurent partout, et les Marseillais purent s'y livrer à la +pêche d'une façon fructueuse.</p> + +<p>Ayant étudié récemment la faune du vieux port, MM. A. Briot et Van Gaver +ont constaté que la vie se manifestait actuellement jusqu'à l'extrême +fond du bassin. Les mollusques y sont nombreux et, près de la passe, les +crabes ont fait leur apparition.</p> + +<p>Dès qu'on arrive à l'avant-port, les fonds deviennent d'une surprenante +richesse. A la vase noire succède un cailloutis où les invertébrés de +toutes sortes pullulent. Les algues rouges apparaissent à cet endroit, +les oursins, les tubes d'annélides.</p> + +<p>Tous ces êtres, ne s'accommodant que d'eaux relativement assez pures, +sont le témoignage vivant de l'assainissement du port de Marseille.</p> + +<h4><span class="sc">L'acoustique des salles de réunion.</span></h4> + +<p>Les mathématiciens et les physiciens ne sont pas encore arrivés à +déterminer les conditions que doivent remplir les grandes salles +destinées aux spectacles, aux concerts ou aux cours, pour bien porter +les sons et la parole; et les architectes n'ont pas mieux réussi à +résoudre ce difficile problème.</p> + +<p>Quand on construit une de ces salles, on compte sur la chance pour +réussir; et le résultat est, en effet, au petit bonheur. Il arrive même +que, sans le vouloir, on obtient des salles d'une acoustique admirable.</p> + +<p>Mais, si difficile qu'il soit, ce problème n'est certainement pas +insoluble.</p> + +<p>Pour le résoudre, M. Exner, physiologiste viennois, a pensé qu'il +fallait s'adresser à la méthode expérimentale, et il a imaginé un +dispositif d'expériences très ingénieux qui lui a donné des résultats +fort précis.</p> + +<p>L'<i>acoustimètre</i> de M. Exner comprend un appareil producteur de sons +(amorces détonant sous l'action d'un percuteur actionné à distance), des +appareils collecteurs des sons et de leurs échos (microphones installés +aux différents points de la salle dont on étudie l'acoustique) et un +appareil mesureur (poste téléphonique que l'on peut relier à l'un +quelconque des microphones).</p> + +<p>Ce poste comprend un rhéostat, que l'on intercale dans les circuits des +microphones, en interposant des résistances capables d'annuler la +transmission du son.</p> + +<p>Par la grandeur variable de ces résistances, l'observateur connaît +exactement l'intensité du son aux divers points étudiés.</p> + +<p>Cette méthode, appliquée empiriquement, permettra de connaître +exactement la valeur acoustique d'une salle; mais il est probable +qu'elle permettra, en outre, d'établir le dessin théorique des salles de +bonne acoustique.</p> + +<h4>MORT D'UN EXPLORATEUR ASIATIQUE</h4> + +<p class="lef"><img alt="" src="images/009b.png"><br> <b>Le lieutenant Grillières.</b></p> + +<p>Le lieutenant Grillières, du 4e zouaves, est décédé le 15 juillet, à +Semao (Asie centrale), au cours d'une mission dont il avait été chargé +par le ministère de l'Instruction publique. Fils du colonel du génie en +retraite Louis Grillières, le défunt, âgé de trente-sept ans à peine, +avait accompli précédemment d'autres missions intéressantes, notamment +en Chine et au Thibet; il appartenait à cette élite d'officiers qui, +pendant les loisirs de la paix, cherchent en marge de la carrière des +armes, souvent au prix de périls et de fatigues vaillamment affrontés, +l'utile emploi de leur intelligence et de leur activité. Sa mort +prématurée, sous un climat lointain, mérite un juste tribut d'hommages +et de regrets.</p> + +<h4>UN ANNIVERSAIRE AU VATICAN</h4> + +<p>Le pape Pie X vient de célébrer avec solennité, le 9 août dernier, le +second anniversaire de son intronisation.</p> + +<p>La messe pontificale, à laquelle Sa Sainteté assistait, a été célébrée à +la chapelle Sixtine par le cardinal Merry del Val, secrétaire d'État, le +plus jeune membre du sacré collège. Le pape s'était rendu à la chapelle, +précédé de la garde noble et suivi de toute la cour romaine, en +traversant les loges de Raphaël, et la marche de ce' cortège dans ce +cadre admirable présentait le plus imposant des spectacles.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/010a.png"><br> +<b>S. S. Pie X, précédé de la garde noble et suivi de la +Cour pontificale, se rend, par les loges de Raphaël, à la chapelle +Sixtine, pour célébrer le second anniversaire de son intronisation, le 9 +août dernier.</b>--<i>Phot. G. Felici.</i></p> + +<p>M. GABRIEL SOULACROIX</p> + +<p>Le baryton Soulacroix vient de mourir à Fumel (Lot-et-Garonne), son pays +natal, à l'âge de cinquante-deux ans. Fils d'un simple boulanger, qui +élevait non sans peine quatre enfants, Gabriel Soulacroix avait commencé +ses études au conservatoire de Toulouse, puisses poursuivit à Paris où +il obtint, en 1878, le second prix de chant et d'opéra-comique.</p> + +<p class="lef"><img alt="" src="images/010b.png"><br> +<b>M. Gabriel Soulacroix.</b> <i>Phot. comm.par M.<br> Marcel +Languellier</i>.</p> + +<p>Après un séjour de neuf années à la Monnaie, à Bruxelles, il avait +débuté, en 1880, à l'Opéra-Comique. Il y joua tour à tour, jusqu'en +1894, tous les rôles de baryton du répertoire et figura avec infiniment +de distinction dans les créations de <i>la Basoche</i>, des <i>Folies +amoureuses</i>, de <i>Falstaff</i>, de <i>l'Escadron volant de la reine</i>, du <i>Roi +malgré lui.</i></p> + +<p>En dernier lieu, enfin, il créait, à la Renaissance, <i>le Duc de +Ferrare</i>, et <i>la Bohème</i> de Leoncavallo. Il avait fait, en 1904, une +brillante rentrée à l'Opéra-Comique avec <i>le Jongleur de Notre-Dame</i>.</p> + +<p>Lors de l'incendie de l'Opéra-Comique, son sang-froid avait été digne +d'admiration. En scène au moment où le feu se déclarait, il avait +beaucoup contribué à empêcher la foule de s'écraser vers les issues et +avait sauvé bien des existences. Le désastre était assez grand! +Soulacroix avait alors été récompensé par une médaille de sauvetage, et +c'était, de toutes ses décorations, celle dont il se montrait le plus +fier.</p> + +<p>UN MARIAGE FRANCO-CHINOIS Scïé-Ton-Fa, attaché d'ambassade et préfet de +deuxième classe, épousait, ces jours derniers, en l'église de la +Madeleine, Mlle Louise Sauvaget, jeune Nivernaise, devenue Parisienne de +par un séjour de dix ans dans la capitale.</p> + + + +<p class="mid"><img alt="" src="images/010c.png"><br><b>M. Scïé-Ton-Fa et sa jeune femme.</b>--<i>Phot. Anthony's.</i></p> + +<p>Et ce fut un spectacle plein d'imprévu et de pittoresque que la vue de +cette cérémonie unissant, dans le cadre de ce temple pseudo-grec, sous +la bénédiction d'un prêtre chrétien, le jeune Céleste à la jeune +Parisienne.</p> + +<p>Revêtu d'une somptueuse robe de soie bleue, brodée de dragons d'or en +écusson sur la poitrine, ceinture d'or incrustée de lapis, chaussé de +hautes bottes de satin noir, Scïé-Ton-Fa, levant fièrement sa tête +coiffée du chapeau de mandarin à bouton de cristal de roche, sortit +triomphalement de la Madeleine aux accords de la marche de Lohengrin, +cependant qu'à son bras Mme Scïé-Ton-Fa, tout émue, laissait dépasser de +son missel les roses rouges, symbole chinois de l'amour.</p> +<br> + +<h4>L'ÉCLIPSE DE LUNE DU 15 AOÛT</h4> + +<p>En attendant la grande éclipse de soleil dont nous parlons plus haut, +une éclipse de lune a eu lieu dans la nuit du 15 août. Elle a été +d'autant plus belle qu'un temps splendide, calme et très pur, a permis, +à Paris, d'en suivre toutes les phases. On sait que les éclipses de lune +sont produites par le passage de la lune dans le cône d'ombre que la +terre, astre opaque, projette derrière elle par rapport au soleil. Ce +cône d'ombre comprend deux parties bien distinctes: l'ombre proprement +dite et la pénombre.</p> + +<p>Dans l'éclipse du 15 août dernier, à partir de 1 h. 17, la lune entrait +dans la pénombre. Comme celle-ci est très dégradée, on n'a rien constaté +tout d'abord, et ce n'est guère qu'à 1 h. 45 et surtout 2 heures que la +pénombre a été vue à la lunette, avec une teinte brune. Mais, sur les +épreuves photographiques, la pénombre est bien plus accusée. A 2 h. 48, +la lune est entrée dans l'ombre. Au milieu de l'éclipsé, à 3 h. 50, il y +avait à peine un tiers du diamètre lunaire dans l'ombre (exactement 292 +millièmes), mais notre satellite n'envoyait plus qu'une lumière +blafarde, étant, en effet, tout entier dans la pénombre.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/010d.png"><br><span class="sml">La lune avant l'éclipse, à 1 h. 9 du matin. La lune dans +la pénombre, à 2 h. 39. La lune dans l'ombre de la terre, à 3 h. 5. Un peu +avant la phase maximum, à 3 h. 42.</span> +<br><b>L'ÉCLIPSE DE LUNE DU 15 +AOÛT.</b>--<i>Photographies de M. Émile Touchet.</i> +</p> +<br> +<p class="mid"><img alt="" src="images/011small.png"><br><a href="images/011large.png">(Agrandissement)</a></p> +<br> +<h3><i>NOUVELLES INVENTIONS</i></h3> + +<p class="mid"><i>(Tous les articles compris sous cette rubrique sont entièrement +gratuits).</i></p> + +<h4>LE RÉCIPIENT «THERMOS»</h4> + +<p>Une bouteille susceptible de conserver plusieurs jours de la glace, ou +de maintenir brûlant un liquide quelconque, du café, par exemple, +pendant plus de quarante-huit heures, voilà, certes, de quoi intéresser +tout le monde.</p> + +<p>La bouteille «Thermos» tient ces merveilleuses promesses.</p> + +<p>Disons tout de suite que sa construction est identique à celle des +fameux ballons à air liquide, inventés par MM. Dewar et d'Arsonval, et +qui sont capables de conserver pendant plusieurs jours de l'air liquide +dont la température n'atteint pas 150 degrés au-dessous de zéro.</p> + +<p>Tous les corps transmettent plus ou moins bien la chaleur, et le seul +moyen de ne pas en perdre ou recevoir, c'est d'interposer un espace de +<i>vide parfait</i> entre les corps à protéger et l'extérieur.</p> + +<p>Tout invraisemblable que puisse paraître le fait, un espace <i>vide d'air</i> +d'à peine 1 millimère d'épaisseur est plus isolant que plus de cent fois +son épaisseur de verre ou de tout autre corps isolant.</p> + +<p>On démontre, en électricité, qu'une étincelle capable de franchir 0m,50 +dans l'air ne peut traverser un dixième de millimètre de vide bien fait.</p> + +<p>La raison, au fond, en est très simple: la chaleur et l'électricité +réclament, pour se transmettre, la présence d'une substance matérielle, +et le vide n'en contient pas, du moins sous la forme ordinaire, puisque +les savants admettent partout, même dans le vide parfait, l'existence +d'un milieu spécial: l'éther. La bouteille «Thermos» (fig. 1) se compose +donc d'une double enveloppe de verre; entre les deux enveloppes se +trouve un faible espace, entièrement vide d'air.</p> + +<p>La construction de ce récipient est des plus délicates et nécessite de +très grands soins.</p> + +<p>L'exacte concentricité des deux enveloppes est obtenue à l'aide +d'anneaux de feutre, mauvais conducteur, anneaux maintenant un +écartement régulier et protégeant la partie intérieure contre la, +possibilité de casse par choc.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/012.png"></p> + +<p>De même, le fond et le haut du goulot interne sont protégés par une +feuille de feutre tassé.</p> + +<p>L'extérieur de la bouteille, toujours dans le même but de protection, +est recouvert de papier roulé et, finalement, d'une enveloppe +métallique, portant une garniture de cuir et une courroie (fig. 2).</p> + +<p>N'oublions pas de mentionner que la partie intérieure de la double +enveloppe est argentée avant production du vide.</p> + +<p>Cette précaution augmente très sensiblement la puissance protectrice de +la bouteille.</p> + +<p>On sait, en effet, que les corps chauds perdent leur chaleur par +rayonnement. Le vide parfait lui-même ne protège nullement contre cette +perte, puisque la chaleur <i>rayonnante</i> le traverse aisément, tout comme +la lumière; mais la couche brillante d'argent supprime presque +entièrement cette déperdition. Si l'on chiffre par 100 la quantité de +chaleur rayonnée par le noir de fumée--la substance qui perd le plus par +rayonnement--2 ou 3 tout au plus représenteront la perte relative +occasionnée par l'argent poli.</p> + +<p>La bouteille «Thermos» contient donc tous les perfectionnements permis +par la science et rien d'étonnant que ses propriétés paraissent +merveilleuses. Comme nous l'avons dit, le petit modèle, le seul +actuellement en vente, et contenant près d'un demi-litre, conserve de la +glace trois ou quatre jours, et presque autant un liquide à l'état +brûlant--sans que ce dernier risque d'ailleurs de le casser.--Le +problème de la conservation du lait, soit glacé, soit bouillant, va se +trouver résolu avec ce récipient, surtout lorsque les constructeurs en +auront établi un type d'une capacité plus considérable, l'efficacité de +ces appareils étant proportionnelle à leur grosseur.</p> + +<p>Nous n'insistons pas sur l'utilité de ce récipient, en été comme en +hiver, pour les touristes, chasseurs ou voyageurs.</p> + +<p>La bouteille «Thermos» se trouve en vente à des prix variant de 15 à 20 +fr., avec courroie; 13 à 18 fr., sans courroie, suivant richesse de la +garniture, aux Galeries Lafayette et au Louvre, à Paris. Pour +renseignements, s'adresser par écrit à <i>M. Marcel Meyer, ingénieur, 18, +rue Grange-Batelière, Paris.</i></p><br> + +<h2>SUPPLÉMENTS</h2> + +Note du transcripteur: +<p>1° Un Supplément théâtral: CRAINQUEBILLE, par Anatole France. + Ce supplément illustré ne nous a pas été founi. Nous avons cru bon + d'en reproduire le texte à partir d'un document d'Internet Archives.</p> +<p>2° Quatre pages tirées à part sur la FÊTE DES VIGNERONS DE VEVEY. + Ces pages ne nous ont pas été fournies.</p> + <br> + + <p class="mid"><img alt="" src="images/Ill_thea.png"><br> + <br><br><br> + +<h3>ANATOLE FRANCE</h3> + +<h1>CRAINQUEBILLE</h1> + +<h3>PIÈCE EN TROIS TABLEAUX</h3> + +<p class="mid">Représentée pour la première fois le 28 mars 1903 au théâtre de la +<span class="sc">Renaissance.</span></p><br><br> + +<h4>A LUCIEN GUITRY.</h4> + +<p><i>Mon cher ami,</i></p> + +<p><i>Je ne vous offre pas cette petite pièce de théâtre. Elle vous +appartient. Elle est vôtre, non pas seulement parce que vous l'avez +reçue à votre théâtre, et mise en scène d'une merveilleuse manière, et +fait interpréter par une élite artiste, non pas seulement parce que vous +avez réalisé le personnage de Crainquebille avec une puissance étonnante +et une souveraine vérité. Elle est vôtre parce que je ne l'aurais pas +faite sans vos conseils, parce que telle scène applaudie fut écrite tout +entière sous votre inspiration.</i></p> + +<p><i>J'inscris votre nom sur la première page de notre Crainquebille comme un +témoignage de mon amitié.</i><br> + +<span class="rig">ANATOLE FRANCE.</span></p><br><br> + +<h3>PERSONNAGES</h3> + +<p>CRAINQUEBILLE.<br> +LE MARCHAND DE MARRONS.<br> +LE PRÉSIDENT BOURRICHE.<br> +MAITRE LEMERLE.<br> +LE DOCTEUR DAVID MATHIEU.<br> +AUBARRÉE.<br> +L'AGENT 64.<br> +LERMITE.<br> +LE CAMELOT.<br> +UN ÉPICIER.<br> +L'AGENT.<br> +L'HUISSIER.<br> +LE MARCHAND DE VIN.<br> +LE CHARCUTIER.<br> +MADAME BAYARD.<br> +MADAME LAURE.<br> +LA SOURIS.<br> +UNE OUVRIÈRE.</p> +<br><br> + +<h3>PREMIER TABLEAU</h3> + +<p class="mid"><i>Rue de Beaujolais.</i></p> + +<h4>SCÈNE PREMIÈRE</h4> +<br> + +<p class="mid">LE CAMELOT.</p> + +<p><span class="sml">Il est vêtu comme un employé du Louvre; debout sur un tabouret, ayant +devant lui, reposant sur un tréteau, une boîte grande comme une petite +malle d'où il tire sans cesse des objets qu'il replace aussitôt, il +achève de débiter à l'auditoire qui l'entoure le boniment dont voici la +fin... A chaque fois qu'il cite sa maison, il soulève son chapeau haut +de forme.</span></p> + +<p>... Si la maison Gameron. Cormandel et Cie que j'ai l'honneur de +représenter sur cette place, s'est enfin décidée aux sacrifices +multiples dont l'énumération vient de vous être faite par moi, ce n'est +pas, messieurs, dans un but purement humanitaire, vous ne le croiriez +pas. Il est faux, et je ne crains pas de l'affirmer hautement, que la +maison Gameron, Cormandel et Cie ait entrepris la ruine des grands +magasins ou même du petit commerce, ainsi que des personnes +malintentionnées ont essayé de le faire croire en pure perte en +répandant à pleines mains des calomnies que nous n'avons qu'à regarder +dans les yeux pour les faire rentrer sous terre. Non, messieurs, la +maison Gameron, Cormandel et Cie n'a envisagé qu'une chose, une seule. +Elle a son importance et je vous la révélerai tout à l'heure. Je ne +demande à votre courtoisie bien connue qu'une seconde de patience et +j'en profite pour me résumer: les six articles qui sont mis à la +disposition de toute personne qui en fait la demande lui sont remis sur +un mot, sur un mouvement, sur un geste, sur un simple signe. Ces six +articles, dont voici la brève énumération, consistent en: 1° une canne +pneumatique se repliant sur elle-même au moyen d'une simple pression des +doigts et formant ainsi un objet de menue dimension que l'on peut +parfaitement dissimuler dans une poche de moyenne grandeur. Cet objet, +entièrement fait d'un métal inoxydable, représente une valeur marchande +de trois francs. Je pense, messieurs, n'être pas taxé d'exagération. Il +suffit de se reporter par la pensée au prix exorbitant atteint par la +main-d'oeuvre aujourd'hui. Je poursuis: 2° une superbe parure de chemise +en simili. Les trois boutons pour le plastron. Deux boutons pour les +manchettes avec le patin bascule en aluminium réfractaire, susceptible +de résister à l'action du feu pendant plus de quatre heures... Puis le +bouton pour le faux col, orné d'une ravissante pierre bleue +semi-turquoise. Je vous demande, messieurs, et je m'adresse plus +particulièrement aux personnes qui ont l'habitude de ce travail... +pensez-vous qu'un bijoutier... et je n'entends pas parler ici des +Boucherons ou des Vevers...</p> + +<h4>SCÈNE II</h4> + +<p class="mid">UN PETIT CHARCUTIER, <span class="sml">se détachant du groupe, au camelot.</span></p> + +<p>C'est à toi qu'il en faudrait un bouchon.</p> + +<p class="mid">LE CAMELOT, <span class="sml">avec un sourire plein de haine.</span></p> + +<p>Attendez donc, mon petit ami... Attendez donc... J'ai terminé tout de +suite, je vais pouvoir m'occuper...</p> + +<p class="mid">LE PETIT CHARCUTIER, <span class="sml">après un geste.</span></p> + +<p>Monte là-dessus, tu verras Montmartre, <span class="sml">(il sort.)</span></p> + +<h4>SCÈNE III</h4> + +<p class="mid">LE CAMELOT, <span class="sml">continuant.</span></p> + +<p>Vous préférez vous retirer, jeune homme, licence vous en est donnée. Je +poursuis: pensez-vous, dis-je, qu'un modeste bijoutier, se contentant +d'un bénéfice dérisoire, puisse matériellement établir cet article à +moins d'un franc cinquante? Non! n'est-ce pas... Eh bien, moi, je compte +un franc pour le moment; 3° une boîte de savon miraculeux, le savon +«Océan», dont je vous ai tout à l'heure fait la lumineuse démonstration, +et qui réduit à néant les taches les plus rebelles en redonnant au tissu +l'éclat du neuf. Je ne veux pas, messieurs, lasser vos facultés +d'évaluation et je fixe, d'ores et déjà, sa valeur au prix ridicule de +vingt-cinq centimes; 4° un étui en celluloïd de Norvège, teinté au feu +et contenant cinquante pastilles d'un effet certain dans les affections +des bronches. Valeur? Quelle valeur?... Quinze centimes... Peut-on +descendre plus bas?... Oui, on peut et je veux vous en donner la preuve. +Et voici le bouquet. Les deux derniers articles, retrousse-jupe, +fixe-serviette, relieur automatique et, enfin, chaîne de montre ou +collier de dame avec un fermoir presque en or... Le prix? Aucun!... +Rien!... un cadeau! Zéro franc, zéro centime, qui, réuni et formant +total avec les objets énoncés ci-dessus, nous donne le chiffre de... +<span class="sml">(Rapidement.)</span> Trois francs pour la canne pneumatique, un franc pour la +parure en simili, vingt-cinq centimes pour le savon «Océan» quinze +centimes pour les pastilles salutaires: quatre francs quarante que la +maison Gameron, Cormandel et Cie, que j'ai l'honneur de représenter sur +cette place, m'a intimé l'ordre de convertir en un cadeau. Oui! un +cadeau, je le proclame; car il ne s'agit pas ici de quatre francs +quarante, trois francs ou même deux francs, ou même un franc, pas même +cinquante centimes... Il s'agit, messieurs, de la somme grotesque, +ridicule, stupéfiante, absurde, de... de vingt centimes... <span class="sml">(on se +fouille.)</span> et si, rentrés dans vos familles, réunis sous la lampe autour +de la table où doit fumer le repas du soir... si, par un sentiment de +curiosité bien excusable, messieurs, vous essayez, de vous rendre compte +du pourquoi qui a guidé la maison Gameron, Cormandel et Cie... +arrêtez-vous dans vos investigations... renoncez à comprendre!... Vous +n'y parviendrez jamais!... C'est une réclame!</p> + +<p><span class="sml">Il remet à chaque personne qui lui tend ses quatre sous les objets que +les acheteurs ensuite examinent en sortant de scène.</span></p> + +<p class="mid">UNE COMMERÇANTE, <span class="sml">s'adressant à un ouvrier.</span></p> + +<p>Est-ce que c'est bon, c't'affaire pour enlever les taches?</p> + +<p class="mid">L'OUVRIER.</p> + +<p>Mais, ma bonne femme, voilà vingt-cinq ans que je suis teinturier, +n'est-ce pas? Si c'était bon, je l'emploierais... c'est une cochonnerie!</p> + +<p class="mid">LA COMMERÇANTE.</p> + +<p>Enfin, tout ça pour quatre sous, ce n'est pas cher.</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Des choux! des navets! des carottes!</p> + +<p class="mid">LES GOSSES, <span class="sml">revenant de l'école.</span></p> + +<p>Oh! hé! le père Crainquebille!</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Voulez-vous bien aller à l'école, au lieu de prendre du vice dans les +rues... C'est vrai, qu'est-ce qu'ils peuvent apprendre dans le ruisseau. +Ils peuvent apprendre que le mal... Bottes d'asperges!</p> + +<p class="mid">UNE FEMME.</p> + +<p>Ousqu'elles sont, vos asperges?</p> + +<p class="mid">LA SOURIS.</p> + +<p>Vous êtes pas maligne; ses asperges, c'est des poireaux. Le poireau, +c'est l'asperge du pauvre. Tout le monde sait ça. <span class="sml">(Un des gamins dérange +les bottes de poireaux sur la voiture.)</span> Laissez-le donc, il a besoin de +gagner sa vie. Si, comme moi, vous gagniez votre pain... tas de gosses!</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Tu gagnes ta vie, toi?</p> + +<p class="mid">LA SOURIS.</p> + +<p>Faut bien.</p> + +<p class="mid">UN GOSSE.</p> + +<p>C'est un rien du tout. Il couche dehors. Il est abandonné, il a pas de +parents.</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>S'il a pas de parents, c'est de leur faute, ce n'est pas de la sienne.</p> + +<p class="mid">UN GOSSE.</p> + +<p>Il a pas de quoi manger et nourrit un chien; mange-le ton chien!</p> + +<p class="mid">LA SOURIS.</p> + +<p>Qui qu'a dit que je couchais dehors? Qui qui l'a dit? Qu'il le répète +voir... Je couche pas dehors et la preuve que voilà ma fenêtre...</p> + +<p class="mid">UN GOSSE.</p> + +<p>Elle a pas de carreaux, ta fenêtre. Y couche dans les démolitions.</p> + +<p class="mid">LA SOURIS.</p> + +<p>Je garde, la nuit, le magasin qui est en réparation. C'est preuve que je +suis honnête. Et puis je veux pas qu'on m'embête!</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Qu'est-ce que tu bricoles pour vivre?</p> + +<p class="mid">LA SOURIS.</p> + +<p>Je ramasse les balles de paume, je crie les journaux, je fais les +commissions. Tout, quoi!</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Comment tu t'appelles?</p> + +<p class="mid">LA SOURIS.</p> + +<p>La Souris.</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Tu t'appelles la Souris. Eh bien, t'as plus de jugement que les autres. +Tu comprends mieux la vie.</p> + +<p class="mid">LA SOURIS.</p> + +<p>C'est que j'ai eu de la misère. Eusses, ils ne connaissent rien. Quand +on n'a pas été malheureux, on ne peut pas être bien malin.</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>T'as eu de la misère?</p> + +<p class="mid">LA SOURIS.</p> + +<p>Et j'en ai encore. La misère, ça colle.</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>C'est vrai que t'as pas bonne mine. Tiens, v'là une poire, elle est un +peu blette, mais elle est d'une bonne espèce, c'est du beurré!</p> + +<p class="mid">LA SOURIS.</p> + +<p>Elle est vraiment molle. Si ta femme a le coeur aussi tendre... Merci, +tout de même, père Crainquebille.</p> + +<p class="mid">UNE PETITE FILLE, <span class="sml">qui porte un pain plus grand qu'elle, récitant.</span></p> + +<p>Est-ce qu'ils sont beaux, vos choux?</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Y a pas meilleur, c'est tout coeur.</p> + +<p class="mid">LA PETITE FILLE.</p> + +<p>Combien qu'ils valent. Parce que maman est malade, elle ne peut pas +faire son marché.</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Qu'est-ce qu'elle a, ta maman? Où que ça la tient?</p> + +<p class="mid">LA PETITE FILLE.</p> + +<p>Je ne sais pas... C'est en dedans... Elle m'a dit comme ça de vous +acheter un chou.</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Eh bien, ma petite fille, aie pas peur, je te servirai bien, comme si +c'était que je servirais ta mère. Et mieux, parce qu'une supposition, si +j'avais à tromper quelqu'un, ce serait une femme d'âge et qui se +méfierait. Faut voler personne, bien sur... à chacun son dû. Mais si +fallait, on aurait du penchant à tromper ceux qui veulent vous fiche +dedans. Tandis que faire du tort à un chérubin comme toi, on aurait +regret, <span class="sml">(Il lui donne un chou.)</span> Tiens, v'là le plus beau. Il a l'air +d'un sénateur. <span class="sml">(La petite fille lui donne cinq sous.)</span> C'est six sous, il +en faut encore un. Tu veux pas me dépouiller?</p> + +<p class="mid">LA PETITE FILLE.</p> + +<p>Mais, monsieur, maman ne m'a donné que cinq sous.</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Faut pas mentir, ma mignonne, cherche bien voir si lu en as pas mis un +dans ta poche.</p> + +<p class="mid">LA PETITE FILLE, <span class="sml">sincère.</span></p> + +<p>Non, monsieur, je n'ai que cinq sous.</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Eh bien, ma mignonne, donne-moi un bécot, ça fera le compte et tu +demanderas à ta mère s'il était pommé comme celui-là le chou où qu'elle +t'a trouvée. Va, ma mignonne, et prends garde de ne pas tomber en route. +Bonjour, madame Laure, ça va-t-il comme vous voulez?</p> + +<p class="mid">MADAME LAURE, <span class="sml">chignon fauve, très fille.</span></p> + +<p>Vous n'avez rien de bon, aujourd'hui.</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Si on peut dire!</p> + +<p class="mid">MADAME LAURE, <span class="sml">goûtant les radis.</span></p> + +<p>Ils sont creux, vos radis.</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Aujourd'hui, vous me cherchez des mauvaises raisons. Vous êtes mal +réveillée.</p> + +<p class="mid">MADAME LAURE.</p> + +<p>Ils n'ont pas de goût. C'est comme si on mangeait de l'eau.</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Je vais vous dire: vous avez plus de palais, vous sentez plus ce que +vous mangez. C'est la vie de Paris qui le veut. On se brûle l'estomac. +Qu'est-ce que vous deviendriez les unes et les autres si le père +Crainquebille vous apportait pas de légumes fraîches et +rafraîchissantes. Vous seriez en feu.</p> + +<p class="mid">MADAME LAURE.</p> + +<p>C'est pas ce que je mange qui me fait mal. Je ne peux plus manger que de +la salade et des radis. C'est vrai, tout de même, qu'on se brûle à +Paris, <span class="sml">(Rêveuse.)</span> Tenez, père Crainquebille, je voudrais être au jour où +je me passerai de vos choux et de vos carottes, où j'en ferai pousser +moi-même, à même la terre dans un petit jardin à quatre-vingts lieues de +Paris, chez nous. On serait si tranquille à la campagne à élever ses +poules et ses cochons.</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Ça viendra madame Laure, ça viendra, vous désespérez pas. Vous avez de +l'ordre et de l'économie, vous êtes une personne rangée. Je m'occupe pas +des affaires de mes clientes. Y a pas de sots métiers et y a du bon +monde dans tous les états... Mais vous êtes une personne rangée. Vous +serez riche sur vos vieux jours et vous aurez une maison à vous dans +votre endroit, dans l'endroit de votre naissance... Et vous serez +estimée. Au plaisir, madame Laure.</p> + +<p class="mid">MADAME LAURE.</p> + +<p>A une autre fois, père Crainquebille.</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>C'est qu'il y a du bon monde dans tous les états. <span class="sml">(criant.)</span> Des choux! +des navets! des carottes!</p> + +<p class="mid">MADAME BAYARD, <span class="sml">sortant de sa boutique.</span></p> + +<p>Ils ne sont guère beaux vos poireaux. Combien la botte?</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Quinze sous, la bourgeoise, y a pas meilleur.</p> + +<p class="mid">MADAME BAYARD.</p> + +<p>Quinze sous, trois mauvais poireaux?</p> + +<p class="mid">L'AGENT 64.</p> + +<p>Circulez!</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Oui... oui... C'est vendu, allons, pressez-vous, parce que vous avez +entendu l'agent.</p> + +<p class="mid">MADAME BAYARD.</p> + +<p>Faut encore que je choisisse la marchandise... Quinze sous, jamais de la +vie, par exemple, voulez-vous douze sous?</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Ils me coûtent plus cher que ça, ma petite... Et encore il faut que je +sois à cinq heures, et même avant, sur le carreau des Halles, pour avoir +tout ce qu'il y a de bon.</p> + +<p class="mid">L'AGENT 64.</p> + +<p>Circulez!</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Oui... oui... tout de suite... Allons, dépêchons, madame Bayard.</p> + +<p class="mid">MADAME BAYARD.</p> + +<p>Douze sous...</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Et depuis sept heures je me brûle les mains à mes brancards en criant: +«Des choux! des navets! des carottes!...» Et tout ça ce serait pour y +manger de l'argent. A soixante ans passés, vous comprenez que je ne fais +pas ça pour mon plaisir. Ah! non, ça ne serait pas à faire... Tenez, je +ne gagne pas deux sous.</p> + +<p class="mid">MADAME BAYARD.</p> + +<p>Je vous donnerai quatorze sous. Et encore, il faut que j'aille les +chercher dans la boutique, car je ne les ai pas sur moi. <span class="sml">(Elle sort.)</span></p> + +<p class="mid">L'AGENT 64.</p> + +<p>Circulez!</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>J'attends mon argent.</p> + +<p class="mid">L'AGENT 64.</p> + +<p>Je ne vous dis pas d'attendre votre argent, je vous dis de circuler... +Ben, quoi! Vous ne savez pas ce que c'est que de circuler?</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Voilà cinquante ans que je le sais et que je roule ma voiture... Mais on +me doit de la monnaie, c'est là, à <i>l'Ange gardien</i>, le magasin de +chaussures, madame Bayard. Elle est allée me chercher quatorze sous et +j'attends.</p> + +<p class="mid">L'AGENT 64.</p> + +<p>Voulez-vous que je vous foute une contravention, moi? Voulez-vous? +Allons, débarrassez-moi le plancher... Est-ce compris?</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Nom de Dieu!... V'là cinquante ans que je gagne mon pain en vendant des +choux, des navets, des carottes, et, parce que je ne veux pas perdre +quatorze sous qu'on me doit...</p> + +<p class="mid"><span class="sml">Un petit charcutier s'arrête.</span></p> + +<p class="mid">L'AGENT 64 <span class="sml">tire son calepin et un bout de crayon.</span></p> + +<p>Donnez-moi votre plaque.</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Ma plaque?</p> + +<p class="mid">L'AGENT 64.</p> + +<p>Oui, votre plaque d'ambulant.</p> + +<p class="mid"><span class="sml">Entrée du petit garçon pâtissier avec sa manne.</span></p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Oh! mon garçon, si vous voulez voir ma plaque, faut venir chez moi.</p> + +<p class="mid">L'AGENT 64.</p> + +<p>Vous n'avez pas de plaque?</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Si, j'en ai une... mais elle est chez moi... J'en ai perdu deux à les +sortir. Ça m'a coûté trois francs chaque fois; c'est fini.</p> + +<p class="mid">L'AGENT 64.</p> + +<p>Votre nom?</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Ah! des blagues... C'est quatorze sous qu'on me vole et voilà tout.</p> + +<p class="mid"><span class="sml">Il empoigne ses brancards et s'achemine vers la rue.</span></p> + +<p class="mid">L'AGENT 64.</p> + +<p>Voulez-vous rester?</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Je m'en vais...</p> + +<p class="mid">L'AGENT 64.</p> + +<p>C'est trop tard...</p> + +<p class="mid"><span class="sml">Il va vers Crainquebille, lui prend le bras; Crainquebille se place de +face juste à temps pour recevoir dans sa voilure un chargement de +matériel de ravaleurs qui poussent des cris et des jurons.</span></p> + +<p class="mid">LES RAVALEURS.</p> + +<p>Sacré andouille! Regarde-moi c't'outil!</p> + +<p class="mid">L'AGENT 64.</p> + +<p>Tenez, regardez ce que vous êtes cause!</p> + +<p class="mid"><span class="sml">Un camelot cycliste donne de tout son appareil dans le flanc gauche de +la voiture à Crainquebille, il hurle.</span></p> + +<p class="mid">LE CAMELOT, <span class="sml">avec, sur la tête, un ballot de cent cinquante <i>Patrie</i></span></p> + +<p>Fais donc attention, espèce de sale poireau!</p> + +<p class="mid">L'AGENT 64.</p> + +<p>Vous Voyez? Vous Voyez?... <span class="sml">(il se place à la droite de Crainquebille +qui, virant complètement, arrive exactement pour engager la roue gauche +de sa voiture dans la roue gauche d'une voiture d'établissement de bains +chargée d'une baignoire de cuivre, traînée par un homme qui gueule +effroyablement et fait entendre des blasphèmes.)</span> Ah! cette fois, votre +affaire est bonne!</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Ah! ben, là, maintenant comment voulez-vous circuler?</p> + +<p class="mid">L'AGENT 64.</p> + +<p>C'est votre faute, tout ça.</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>La faute à tout ça, c'est madame Bayard. Si elle était là, elle le +dirait. Étonnant qu'elle ne soit pas là, madame Bayard. Où qu'ell' +s'cache?</p> + +<p><span class="sml">Cependant des gamins, des ouvriers, des commerçants, des oisifs, toutes +sortes de gens apparaissent; venant du fond, à la suite de la voiture +des ravaleurs, une tapissière couverte de caisses remplie de siphons +d'eau de Seltz; un chien galope sur les siphons en aboyant avec fureur. +Doucement, cette tapissière se cale au tas des voitures et contribue à +former un nougat inséparable de véhicules. Soixante personnes sont sur +la chaussée, les trottoirs, l'escalier, les voitures; trente sont aux +fenêtres. Tout ce monde s'agite en sens divers. L'agent 64 s'affole, +prend Crainquebille par l'épaule et dit:</span></p> + +<p class="mid">L'AGENT 64.</p> + +<p>Ah! vous avez dit: «Mort aux vaches!» C'est bon! suivez-moi.</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>J'ai dit ça, moi?</p> + +<p class="mid">L'AGENT 04.</p> + +<p>Oui, que vous l'avez dit.</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Mort aux vaches? <span class="sml">(Rires.)</span></p> + +<p class="mid">L'AGENT 64.</p> + +<p>Ah! et maintenant?</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Quoi?</p> + +<p class="mid">L'AGENT 64.</p> + +<p>Vous n'avez pas dit: «Mort aux vaches?» <span class="sml">(Rires.)</span></p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Si!</p> + +<p class="mid">L'AGENT 64.</p> + +<p>Ah!</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Mais je ne l'ai pas dit à vous. <span class="sml">(Rires.)</span></p> + +<p class="mid">L'AGENT 64.</p> + +<p>Vous ne l'avez pas dit?</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Mais, nom d'une bourrique!</p> + +<p class="mid">UN HOMME.</p> + +<p>Qu'est-ce qu'il y a?</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Y a qu'il dit comme ça que je me suis tourné vers lui pour y crier: <span class="sml">(il +se retourne vers l'agent et crie pour sa démonstration.)</span> Mort aux +vaches!</p> + +<p class="mid">L'AGENT 64, <span class="sml">qui écrivait sur son calepin, reçoit cela en plein et dit +sans colère.</span></p> + +<p>Ah! maintenant, vous pouvez le dire deux cents fois, c'est le même prix.</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Mais je leur explique.</p> + +<p class="mid">UN HOMME, <span class="sml">à un autre, en souriant.</span></p> + +<p>Moi, je m'en fiche, mais il y a dit au moins trois fois.</p> + +<p class="mid">UN AUTRE.</p> + +<p>Mais non, c'est l'agent qui le lui a fait dire.</p> + +<p class="mid">L'HOMME.</p> + +<p>Oh! non, pour sûr, l'agent n'aurait pas fait ça.</p> + +<p class="mid">UN AUTRE.</p> + +<p>Il a vu tout le monde qui rigolait, ça l'a embêté, alors il a perdu la +boule.</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>C'est pourtant bien simple...</p> + +<p class="mid">L'AGENT.</p> + +<p>En voilà assez!</p> + +<p><span class="sml">L'agent saisit Crainquebille. Un vieillard, le docteur David Mathieu, +s'approche; il est vêtu de noir, coiffé d'un chapeau haut de forme, +cheveux blancs, rosette d'officier.</span></p> + +<p class="mid">LE DOCTEUR MATHIEU, <span class="sml">tirant doucement l'agent par la manche.</span></p> + +<p>Permettez... permettez... vous vous êtes mépris.</p> + +<p class="mid">L'AGENT.</p> + +<p>Mépris? mépris, que vous dites?</p> + +<p class="mid">LE DOCTEUR, <span class="sml">doux et ferme.</span></p> + +<p>Vous avez mal compris, cet homme ne vous a pas insulté.</p> + +<p class="mid">L'AGENT.</p> + +<p>Mal compris?</p> + +<p class="mid">LE DOCTEUR.</p> + +<p>J'ai assisté à toute cette scène et j'ai parfaitement entendu ce qui a +été dit.</p> + +<p class="mid">L'AGENT.</p> + +<p>Alors?</p> + +<p class="mid">LE DOCTEUR.</p> + +<p>Et j'affirme que cet homme n'a proféré aucune insulte qui motive...</p> + +<p class="mid">L'AGENT.</p> + +<p>Ce n'est pas votre affaire.</p> + +<p class="mid">LE DOCTEUR.</p> + +<p>Je vous demande pardon. J'ai le droit et le devoir de vous avertir d'une +erreur qui peut avoir pour ce brave homme des conséquences fâcheuses, et +j'ai le droit et le devoir d'apporter mon témoignage...</p> + +<p class="mid">L'AGENT.</p> + +<p>Tâchez voir d'être poli.</p> + +<p class="mid">UN OUVRIER.</p> + +<p>Monsieur a raison, le marchand n'a pas dit: «Mort aux vaches!»</p> + +<p class="mid">LA FOULE.</p> + +<p>Si, si, oui, qu'il l'a dit. Non! si! non! oh! là là!</p> + +<p class="mid">L'AGENT, <span class="sml">à l'ouvrier.</span></p> + +<p>Vous voulez vous faire ramasser, vous?</p> + +<p class="mid"><span class="sml">L'ouvrier disparaît.</span></p> + +<p class="mid">LE DOCTEUR, <span class="sml">à l'agent.</span></p> + +<p>Vous n'avez pas été insulté. Le mot que vous avez cru entendre n'a pas +été proféré. Quand vous serez plus calme, vous le reconnaîtrez +vous-même.</p> + +<p class="mid">L'AGENT.</p> + +<p>D'abord, qui êtes-vous? Je ne vous connais pas.</p> + +<p class="mid">LE DOCTEUR.</p> + +<p>Voici ma carte, le docteur Mathieu, chef de clinique à l'hôpital +Ambroise-Paré.</p> + +<p class="mid">L'AGENT.</p> + +<p>Ça ne me regarde pas.</p> + +<p class="mid">LE DOCTEUR.</p> + +<p>Cela vous regarde. Je vous serai obligé de prendre mon nom et mon +adresse et d'inscrire ma déclaration.</p> + +<p class="mid">L'AGENT.</p> + +<p>Ah! vous insistez. Eh bien, suivez-moi vous vous expliquerez devant le +commissaire.</p> + +<p class="mid">LE DOCTEUR.</p> + +<p>C'est bien mon intention.</p> + +<p class="mid">UNE OUVRIÈRE, <span class="sml">à son mari, montrant le docteur.</span></p> + +<p>C'est drôle, un homme bien mis et qui a de l'éducation, et il se fourre +dans cette affaire-là... s'il lui arrive du désagrément, c'est qu'il +l'aura bien voulu. Faut jamais se mêler des affaires des autres. Allons, +viens, mon homme... J'ai bien vu comment ça s'est fait, il appelait: +«Madame Bayard, où qu'elle se cache»; l'agent a entendu: «Mort aux +vaches!» Allons, allons, viens donc, tu vas pas te faire ramasser comme +témoin.</p> + +<p class="mid">MADAME BAYARD, <span class="sml">sortant de sa boutique.</span></p> + +<p>La voilà, votre monnaie... Tiens, il est arrêté. Je ne peux pas remettre +de l'argent à quelqu'un qui est arrêté... Ça ne se doit pas. Je crois +même que c'est défendu.</p> + +<p>La foule a pris grande part à tout ceci par une série de mouvements +considérables dont il est impossible de déterminer la tendance. Elle se +presse en masse à la suite du groupe: agent 64, Crainquebille et le +monsieur. Au milieu d'un vacarme effroyable où les jurons, les rires, +les appels de gamins, trompes de cyclistes, aboiements, gifle d'une mère +à son enfant qui gouapait, et mille autres bruits se font entendre tour +à tour et ensemble.</p> +<br><br> + +<h3>DEUXIÈME TABLEAU</h3> + +<p class="mid"><i>Une chambre de la Cour correctionnelle.</i></p> + +<h4>SCÈNE PREMIÈRE</h4> + +<p class="mid">LE PRÉSIDENT BOURRICHE, <span class="sml">lisant un jugement.</span></p> + +<p>«Le Tribunal, après en avoir délibéré conformément à la loi, attendu...</p> + +<p class="mid">L'HUISSIER.</p> + +<p>Silence!</p> + +<p class="mid">LE PRÉSIDENT.</p> + +<p>»... qu'il résulte suffisamment des pièces du dossier et des dépositions +entendues à l'audience que, le 3 octobre, Fromage (Alexandre) s'est +rendu coupable du délit de mendicité, délit prévu et puni par l'article +274 du Code pénal, lui faisant application dudit article, condamne +Fromage (Alexandre) en six jours de prison.» <span class="sml">(Fromage, qui était assis à +côté de Crainquebille, est emmené par deux gardes.--Un +temps.--Bruit.--Le président, feuilletant son dossier.)</span> Vous vous +appelez Crainquebille... Levez-vous... Vous vous appelez Crainquebille +(Jérôme), né à l'Oissy (Seine), le 14 juillet 1843. Vous n'avez jamais +subi de condamnation.</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Vous pouvez interroger. Je dois rien à personne. Un sou est un sou. Je +suis exact en tout. On peut le dire.</p> + +<p class="mid">LE PRÉSIDENT.</p> + +<p>Taisez-vous... Le 25 juillet dernier, à l'heure de midi, rue de +Beaujolais, vous avez injurié, outragé un agent dans l'exercice de ses +fonctions. Vous l'avez traité de v... <span class="sml">(Il ne dit que la première lettre)</span> +Vous reconnaissez les faits?</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE, <span class="sml">se retournant vers son avocat.</span></p> + +<p>Qu'est-ce qu'il dit? Est-ce que c'est à moi qu'il parle?</p> + +<p class="mid">LE PRÉSIDENT.</p> + +<p>Vous avez proféré des menaces. Vous avez crié: +«Mort aux V...!» <span class="sml">(il ne dit que la première lettre.)</span></p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Mort aux vaches, que vous voulez dire.</p> + +<p class="mid">LE PRÉSIDENT.</p> + +<p>Vous ne niez pas.</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Sur ce que j'ai de plus sacré, sur la tête de ma fille si j'en avais +une, je n'ai pas insulté l'agent. Voilà la vérité.</p> + +<p class="mid">LE PRÉSIDENT.</p> + +<p>Retracez la scène... Exposez les faits conformément à votre système.</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Monsieur le Président, je suis un honnête homme. Je ne dois rien à +personne. Un sou est un sou. Je suis exact en tout, on peut le dire. Je +suis connu depuis quarante ans sur le carreau des Halles, et dans le +faubourg Montmartre, et partout quoi... A l'âge de quatorze ans, je +gagnais déjà ma vie...</p> + +<p class="mid">LE PRÉSIDENT.</p> + +<p>Je ne vous demande pas votre biographie, <span class="sml">(Mouvement.)</span></p> + +<p class="mid">L'HUISSIER.</p> + +<p>Silence!</p> + +<p class="mid">LE PRÉSIDENT.</p> + +<p>Je vous demande de dire comment, selon vous, s'est passée la scène qui a +précédé votre arrestation.</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Ce que je peux vous dire, c'est que, depuis quarante ans que je pousse +ma voiture, je connais les agents. Dès que j'en vois un d'un côté, je +file de l'autre. Comme ça je n'ai jamais de difficultés avec eux. Mais +pour ce qui est de les injurier en paroles ou autrement, jamais; c'est +pas dans mon caractère. Pourquoi que j'en aurais changé à mon âge?</p> + +<p class="mid">LE PRÉSIDENT.</p> + +<p>Vous avez résisté aux injonctions de l'agent qui vous intimait l'ordre +de circuler.</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Oh! là! là! Circuler! Si vous aviez vu ça!... Les voitures étaient +emboîtées les unes dans les autres, y avait pas moyen de donner +seulement un demi-tour de roue.</p> + +<p class="mid">LE PRÉSIDENT.</p> + +<p>Enfin, reconnaissez-vous avoir dit: «Mort aux v...?»</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>J'ai dit: «Mort aux vaches!» parce que monsieur l'agent a dit: «Mort aux +vaches!» alors j'ai dit: «Mort aux vaches!» Vous comprenez?...</p> + +<p class="mid">LE PRÉSIDENT.</p> + +<p>Prétendez-vous que l'agent a proféré ce cri le premier?</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE, <span class="sml">désespérant de s'expliquer.</span></p> + +<p>Je prétends rien, je...</p> + +<p class="mid">LE PRÉSIDENT.</p> + +<p>Vous n'insistez pas, vous avez raison, asseyez-vous.</p> + +<p class="mid"><span class="sml">Un temps. Mouvement.</span></p> + +<p class="mid">L'HUISSIER.</p> + +<p>Silence!</p> + +<p class="mid">LE PRÉSIDENT.</p> + +<p>Nous allons entendre les témoins. Huissier, faites entrer le premier +témoin.</p> + +<p class="mid">L'HUISSIER, <span class="sml">sortant de la salle, à travers le public, appelle à haute +voix.</span></p> + +<p>L'agent Bastien Matra.</p> + +<p class="mid"><span class="sml">Entre Matra, il a son ceinturon.</span></p> + +<p class="mid">LE PRÉSIDENT.</p> + +<p>Vos noms, âge et profession?</p> + +<p class="mid">MATRA.</p> + +<p>Matra Bastien, né le 15 août 1870, à Bastia (Corse). Gardien de la paix +numéro 64.</p> + +<p class="mid">LE PRÉSIDENT.</p> + +<p>Vous jurez de dire toute la vérité, rien que la vérité... Dites: je le +jure.</p> + +<p class="mid">MATRA.</p> + +<p>Je le jure.</p> + +<p class="mid">LE PRÉSIDENT.</p> + +<p>Faites votre déposition.</p> + +<p class="mid">MATRA, <span class="sml">il retire son ceinturon.</span></p> + +<p>Étant de service le 20 octobre, à l'heure de midi, je remarquai dans la +rue Beaujolais un individu qui me sembla être un vendeur ambulant et qui +tenait sa charrette indûment arrêtée à la hauteur du numéro 28, ce qui +occasionnait un encombrement de voitures. Je lui intimai par trois fois +l'ordre de circuler, auquel il refusa d'obtempérer. Et, sur ce que je +l'avertis que j'allais verbaliser, il me répondit en criant: «mort aux +vaches!» ce qui me sembla être injurieux.</p> + +<p class="mid">LE PRÉSIDENT, <span class="sml">paternel, à Crainquebille.</span></p> + +<p>Vous entendez ce que dit l'agent.</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>J'ai dit: «Mort aux vaches!» parce qu'il a dit: «Mort aux vaches!» Alors +j'ai dit: «Mort aux vaches!» C'est pourtant facile à comprendre.</p> + +<p class="mid">LE PRÉSIDENT, <span class="sml">qui n'a pas écouté et qui se prépare à rendre son +jugement.</span></p> + +<p>Il n'y a pas d'autre témoin.</p> + +<p class="mid">L'HUISSIER.</p> + +<p>Si, monsieur le président, il y en a encore deux.</p> + +<p class="mid">LE PRÉSIDENT.</p> + +<p>Comment? encore deux?</p> + +<p class="mid">LEMERLE.</p> + +<p>Nous avons fait citer deux témoins à décharge.</p> + +<p class="mid">LE PRÉSIDENT.</p> + +<p>Maître, vous tenez à ce qu'ils soient entendus?</p> + +<p class="mid">LEMERLE.</p> + +<p>Mais oui, monsieur le président.</p> + +<p class="mid">LE PRÉSIDENT <span class="sml">soupire. A l'agent qui remet son ceinturon.</span></p> + +<p>Que l'agent ne se retire pas!...</p> + +<p class="mid">L'HUISSIER <span class="sml">appelle.</span></p> + +<p>Madame Bayard! <span class="sml">(Entre madame Bayard en grande toilette.)</span></p> + +<p class="mid">LE PRÉSIDENT.</p> + +<p>Vos nom, prénoms, âge et profession...</p> + +<p class="mid">MADAME BAYARD.</p> + +<p>Pauline-Félicité Bayard, marchande de chaussures, rue Beaujolais, numéro +28.</p> + +<p class="mid">LE PRÉSIDENT.</p> + +<p>Quel âge avez-vous?</p> + +<p class="mid">MADAME BAYARD.</p> + +<p>Trente ans. <span class="sml">(Mouvement.)</span></p> + +<p class="mid">L'HUISSIER.</p> + +<p>Silence!</p> + +<p class="mid">LE PRÉSIDENT.</p> + +<p>Jurez de dire toute la vérité, rien que la vérité. Levez la main et +dites: je le jure. <span class="sml">(Madame Bayard lève la main.)</span> Otez le gant de la main +droite... Huissier, faites-lui retirer son gant. <span class="sml">(Elle retire son gant.)</span> +Dites: je le jure.</p> + +<p class="mid">MADAME BAYARD.</p> + +<p>Je le jure.</p> + +<p class="mid">LE PRÉSIDENT.</p> + +<p>Faites votre déposition.</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Elle a pas seulement l'air de me reconnaître. Elle est fière.</p> + +<p class="mid">L'HUISSIER.</p> + +<p>Silence!</p> + +<p class="mid">LE PRÉSIDENT, <span class="sml">à Madame Bayard.</span></p> + +<p>Dites ce que vous avez à dire. <span class="sml">(Madame Bayard se tait.)</span> Dites ce que +vous savez sur la scène qui a précédé l'arrestation de Crainquebille.</p> + +<p class="mid">MADAME BAYARD, <span class="sml">à voix basse.</span></p> + +<p>J'achetais une botte de poireaux, alors le marchand m'a dit: +dépêchez-vous: je lui ai répondu...</p> + +<p class="mid">LE PRÉSIDENT.</p> + +<p>Parlez distinctement.</p> + +<p class="mid">MADAME BAYARD.</p> + +<p>Je lui ai répondu qu'il fallait pourtant que je choisisse la +marchandise. A ce moment, une cliente est entrée dans la boutique, je +suis allée la servir. C'était une dame avec son enfant.</p> + +<p class="mid">LE PRÉSIDENT.</p> + +<p>C'est tout ce que vous avez à dire?...</p> + +<p class="mid">MADAME BAYARD.</p> + +<p>Pendant que le marchand s'expliquait avec la police, j'essayais des +souliers bleus à l'enfant de dix-huit mois, je lui essayais des souliers +bleus.</p> + +<p class="mid">LE PRÉSIDENT, à Lemerle.</p> + +<p>Maître, vous n'avez pas de question à faire poser au témoin? <span class="sml">(Lemerle +fait un signe de dénégation.)</span> Et vous, Crainquebille? Avez-vous une +question à faire poser au témoin?</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Mais si, j'ai une question à poser...</p> + +<p class="mid">LE PRÉSIDENT.</p> + +<p>Faites.</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>J'ai à demander à madame Bayard si j'ai dit: «Mort aux vaches!» Elle me +connaît, c'est une cliente. Elle peut dire si c'est dans mon caractère +de dire des mots comme ça. <span class="sml">(Madame Bayard garde le silence.)</span> Vous pouvez +parler, madame Bayard, vous êtes une cliente et une ancienne.</p> + +<p class="mid">LE PRÉSIDENT.</p> + +<p>N'interpellez pas le témoin. Parlez au tribunal.</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE, <span class="sml">qui n'entre pas dans les finesses.</span></p> + +<p>Voyons, madame Bayard, nous sommes de connaissance. Et, la preuve, c'est +que vous me devez quatorze sous; c'est pas pour vous les réclamer, bien +sûr, je suis au-dessus de quatorze sous. Dieu merci.</p> + +<p class="mid"><span class="sml">(Rires, bruit.)</span></p> + +<p class="mid">L'HUISSIER.</p> + +<p>Silence!</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Mais c'est pour dire que vous êtes une cliente.</p> + +<p class="mid">MADAME BAYARD, <span class="sml">à Crainquebille, en sortant.</span></p> + +<p>Je ne vous connais pas.</p> + +<p class="mid">LE PRÉSIDENT, <span class="sml">au témoin.</span></p> + +<p>Vous pouvez vous retirer. <span class="sml">(A Lemerle.)</span> Cette déposition ne contredit en +rien celle de l'agent... Est-ce qu'il y a encore un témoin?</p> + +<p class="mid">LEMERLE.</p> + +<p>Un seul.</p> + +<p class="mid">LE PRÉSIDENT.</p> + +<p>Maître, insistez-vous pour qu'il soit entendu par le tribunal.</p> + +<p class="mid">LEMERLE.</p> + +<p>Monsieur le président, j'estime que la déposition que vous allez +entendre est utile à la démonstration de la vérité. Elle émane d'un +homme éminent dont le témoignage est, à mon sens, important, capital, +décisif.</p> + +<p class="mid">LE PRÉSIDENT, <span class="sml">résigné.</span></p> + +<p>Faites entrer le dernier témoin.</p> + +<p class="mid">L'HUISSIER.</p> + +<p>Monsieur le docteur Mathieu!</p> + +<p class="mid"><span class="sml">Le docteur Mathieu entre.</span></p> + +<p class="mid">LE PRÉSIDENT.</p> + +<p>Vos nom, prénoms, âge et profession.</p> + +<p class="mid">LE DOCTEUR MATHIEU.</p> + +<p>Mathieu, Pierre-Philippe-David, soixante-deux ans, médecin en chef de +l'hôpital Ambroise-Paré, officier de la Légion d'honneur.</p> + +<p class="mid">LE PRÉSIDENT.</p> + +<p>Jurez de dire toute la vérité, rien que la vérité. Levez la main et +dites: je le jure.</p> + +<p class="mid">LE DOCTEUR MATHIEU.</p> + +<p>Je le jure.</p> + +<p class="mid">LE PRÉSIDENT, <span class="sml">à Lemerle.</span></p> + +<p>Maître Lemerle, quelle question désirez-vous faire poser au témoin?</p> + +<p class="mid">LEMERLE.</p> + +<p>Monsieur le docteur Mathieu était présent lors de l'arrestation de +Crainquebille. Je vous prie, monsieur le président, de lui demander ce +qu'il a vu, ce qu'il a entendu.</p> + +<p class="mid">LE PRÉSIDENT, <span class="sml">au témoin.</span></p> + +<p>Vous avez entendu la question?</p> + +<p class="mid">LE DOCTEUR MATHIEU.</p> + +<p>Je me trouvais dans la foule, assemblée autour de l'agent, qui sommait +le marchand de circuler. L'encombrement était tel qu'il était impossible +de bouger. Aussi fus-je témoin de la scène qui eut lieu alors. Et je +puis affirmer que je n'en perdis pas un mot. J'ai parfaitement remarqué +que l'agent s'était mépris: il n'avait pas été insulté! Le marchand +n'avait pas poussé le cri que l'agent avait cru entendre. Mon +observation fut corroborée par celle des personnes qui m'entouraient et +qui furent unanimes à constater l'erreur. Je m'approchai de l'agent et +l'avertis de sa méprise, je lui fis observer que cet homme ne l'avait +nullement injurié, qu'il avait tenu, au contraire, un langage très +réservé. L'agent maintint le marchand en état d'arrestation et m'invita +un peu rudement à le suivie au commissariat. Ce que je fis. Je réitérai +ma déclaration devant le commissaire.</p> + +<p class="mid">LE PRÉSIDENT, <span class="sml">glacial.</span></p> + +<p>C'est bien. Vous pouvez vous asseoir... Matra!...</p> + +<p><span class="sml">(Matra, après avoir déposé son ceinturon, objet de sa sollicitude, vient +à la barre.)</span> Matra, quand vous avez procédé à l'arrestation de +l'inculpé, monsieur le docteur Mathieu ne vous a-t-il pas fait observer +que vous vous mépreniez? <span class="sml">(silence de Matra.)</span> Vous venez d'entendre la +déposition de monsieur Mathieu. Je vous demande si, quand vous avez +procédé à l'arrestation de Crainquebille, monsieur Mathieu ne vous a pas +fait entendre qu'il croyait que vous vous étiez mépris.</p> + +<p class="mid">MATRA.</p> + +<p>Mépris? mépris?... C'est-à-dire, monsieur le président, qu'il m'a +insulté.</p> + +<p class="mid">LE PRÉSIDENT.</p> + +<p>Que vous a-t-il dit?</p> + +<p class="mid">MATRA.</p> + +<p>Il m'a dit comme ça: «Mort aux vaches!»</p> + +<p class="mid">LE PRÉSIDENT, <span class="sml">précipitamment.</span></p> + +<p>Vous pouvez vous retirer.</p> + +<p><span class="sml">Pendant que Matra remet son ceinturon, rumeur, tumulte, surprise +douloureuse sur le visage blême du docteur Mathieu.</span></p> + +<p class="mid">LEMERLE, <span class="sml">agitant ses manches au milieu du tumulte.</span></p> + +<p>Je livre avec confiance les paroles du témoin à l'appréciation du +tribunal.</p> + +<p class="mid"><span class="sml">Le tumulte continue.</span></p> + +<p class="mid">VOIX DANS LA SALLE, <span class="sml">au milieu du bruit.</span></p> + +<p>Il en a un culot, le sergot. Te voilà acquitté, mon vieux Crainquebille.</p> + +<p class="mid">L'HUISSIER.</p> + +<p>Silence!</p> + +<p class="mid"><span class="sml">Le calme se rétablit peu à peu.</span></p> + +<p class="mid">LE PRÉSIDENT.</p> + +<p>Ces manifestations sont souverainement indécentes. Si elles se +reproduisent, je ferai immédiatement évacuer la salle... Maître Lemerle, +vous avez la parole. <span class="sml">(Lemerle déploie son dossier.)</span> Maître, serez-vous +long?</p> + +<p class="mid">LEMERLE.</p> + +<p>Non. J'estime que la déposition de l'agent Matra a singulièrement abrégé +ma plaidoirie, et si ce sentiment est partagé par le tribunal, je...</p> + +<p class="mid">LE PRÉSIDENT, <span class="sml">très sec.</span></p> + +<p>Je vous demande si vous serez long.</p> + +<p class="mid">LEMERLE.</p> + +<p>Vingt minutes, au plus.</p> + +<p class="mid">LE PRÉSIDENT, <span class="sml">résigné.</span></p> + +<p>Vous avez la parole.</p> + +<p class="mid">LEMERLE.</p> + +<p>Messieurs, j'apprécie, j'estime, je respecte les agents de la +préfecture. Un incident d'audience, si caractéristique qu'il soit, ne +saurait m'écarter des sentiments favorables que je professe à l'égard de +ces modestes serviteurs de la société qui, moyennant un salaire +dérisoire, endurent les fatigues et affrontent des périls incessants, et +qui pratiquent l'héroïsme quotidien, le plus difficile des héroïsmes, +peut-être. Ce sont d'anciens soldats, et qui restent soldats...</p> + +<p class="mid">VOIX, <span class="sml">rumeurs dans l'auditoire.</span></p> + +<p>Voilà qu'il plaide pour les sergots!... Défends donc Crainquebille! +Feignant!</p> + +<p><span class="sml">Un garde expulse un auditeur.</span></p> + +<p class="mid">L'EXPULSÉ.</p> + +<p>J'ai rien dit... mais «pisque» j'ai rien dit...</p> + +<p class="mid">LEMERLE, <span class="sml">continuant.</span></p> + +<p>Non, certes, je ne méconnais pas les services modestes et précieux que +rendent journellement les gardiens de la paix à la vaillante population +de Paris. Et je n'aurais pas consenti, messieurs, à vous présenter la +défense de Crainquebille si j'avais vu en lui l'insulteur d'un ancien +soldat. Voyons les faits. On inculpe mon client d'avoir dit: «Mort aux +vaches!» Je puis, sans blesser vos oreilles répéter à haute voix le nom +de la reine indolente des prairies, de la bonne et pacifique laitière. +Ce n'est pas que je méconnaisse le caractère injurieux que prend ce nom +en certaines circonstances et dans certaines bouches. Et c'est même là, +messieurs, un petit problème assez curieux de philologie populaire. Si +vous ouvrez le dictionnaire de la <i>langue verte</i>, vous y lirez: <span class="sml">(Il +lit.)</span> «<i>Vachard</i>, paresseux, fainéant, qui s'étend paresseusement comme +une vache, au lieu de travailler. <i>Vache</i>, qui se vend à la police, +mouchard.» Mort aux vaches, se dit dans un certain monde. Mais toute la +question est celle-ci: comment Crainquebille l'a-t-il dit? Et même +l'a-t-il dit? Permettez-moi, messieurs, d'en douter. Je ne soupçonne +l'agent Matra d'aucune mauvaise pensée. Mais il accomplit, comme nous +l'avons dit, une tâche pénible. Il est parfois fatigué, excédé, surmené. +Dans ces conditions, il peut avoir été la victime d'une sorte +d'hallucination de l'âme. Et quand il vient vous dire que le docteur +David Mathieu, officier de la Légion d'honneur, médecin en chef de +l'hôpital Ambroise-Paré, un prince de la science et un homme du monde, a +crié: «Mort aux vaches!» nous sommes bien forcés de reconnaître que +Matra est en proie à la maladie de l'obsession et, si le terme n'est pas +trop fort, au délire de la persécution.</p> + +<p class="mid">VOIX DANS L'AUDITOIRE, <span class="sml">expressions nombreuses et tumultueuses +d'approbation.</span></p> + +<p>Mais oui! mais oui! T'as pas besoin de causer davantage, c'est entendu. +Très bien, très bien.</p> + +<p class="mid">L'HUISSIER.</p> + +<p>Silence!</p> + +<p>LE PRÉSIDENT. Toute marque d'improbation ou d'approbation étant +sévèrement interdite, je vais ordonner aux gardes d'expulser les +perturbateurs.</p> + +<p class="mid"><span class="sml">Silence glacial.</span></p> + +<p class="mid">LEMERLE.</p> + +<p>Messieurs, j'ai là sous les yeux un livre qui l'ait autorité en la +matière. Le Traité des Hallucinations, par Brierre de Boismont, docteur +en médecine de la Faculté de Paris, chevalier des ordres de la Légion +d'honneur, du Mérite militaire de Pologne, etc. On y apprend que les +hallucinations de l'ouïe sont fréquentes, très fréquentes, et que les +gens sains d'esprit peuvent en être atteints sous l'influence d'une +émotion vive, d'une fatigue excessive, du surmenage intellectuel ou +physique. Et quelle est la nature ordinaire, constante, de ces +hallucinations? Quelle est la parole que l'agent Matra croira entendre, +dans cet état de malaise qui occasionne les fausses perceptions de +l'oreille? Le docteur Brierre de Boismont va vous le dire: <span class="sml">(Il lit.)</span> «La +plupart de ces illusions sont liées aux préoccupations, aux habitudes, +aux passions des malades.» Notez bien, messieurs: aux préoccupations, +aux habitudes... C'est ainsi, qu'en état d'hallucination, le chirurgien +entendra les plaintes du patient; l'agent de change, des ordres de +Bourse; l'homme politique, les interpellations violentes des députés, +ses collègues; l'agent de police, le cri de: «Mort aux vaches!» Est-il +besoin d'insister, messieurs? <span class="sml">(signe de dénégation du président.)</span> Et +alors même que Crainquebille aurait crié: «Mort aux vaches!» il +resterait à savoir si le mot a dans sa bouche le caractère d'un délit. +Messieurs, en matière de contravention, il suffit que la contravention +soit constatée, peu importe la bonne ou la mauvaise foi du contrevenant. +<span class="sml">(Bruit de conversations.)</span> Mais ici nous sommes en droit pénal, en droit +strict. Ce que le Parquet poursuit, ce que vous punissez, messieurs, +c'est l'intention délictueuse. Devant le tribunal correctionnel, +l'intention devient l'élément essentiel du délit. Eh bien, dans +l'espèce, l'intention existe-t-elle? Non, messieurs.</p> + +<p class="mid"><span class="sml">Le bruit grossit.</span></p> + +<p class="mid">L'HUISSIER.</p> + +<p>Silence!</p> + +<p class="mid">LEMERLE.</p> + +<p>Crainquebille est un enfant naturel d'une marchande ambulante, perdue +d'inconduite et de boisson. Il...</p> + +<p class="mid">VOIX PERDUE.</p> + +<p>Il insulte sa mère, à présent.</p> + +<p class="mid">LEMERLE.</p> + +<p>... est né alcoolique... d'une intelligence naturellement bornée, +inculte, il n'a que des instincts. Et, permettez-moi de vous le dire, +ces instincts ne sont pas foncièrement mauvais, mais ils sont brutaux. +Son âme est enfermée dans une gangue épaisse. Il ne comprend exactement +ni ce qu'on lui dit, ni ce qu'il dit lui-même. Les mots n'ont pour lui +qu'un sens confus et rudimentaire. Il est de ces êtres misérables, qu'a +peints de si sombres couleurs le pinceau de La Bruyère, de ces hommes +qu'on prendrait pour des animaux à les voir courbés sur la terre. Le +voilà devant vous, abruti par soixante ans de misère. Messieurs, vous +direz qu'il est irresponsable.</p> + +<p class="mid"><span class="sml">Lemerle s'assied.</span></p> + +<p class="mid">LE PRÉSIDENT.</p> + +<p>Le tribunal va en délibérer.</p> + +<p class="mid"><span class="sml">Bruit. Les deux assesseurs se penchent sur le président qui chuchote.</span></p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE, <span class="sml">à son défenseur.</span></p> + +<p>Faut que vous ayez de l'instruction tout de même pour parler comme ça +d'un trait. Vous parlez bien, mais vous parlez trop vite. On peut rien +comprendre à ce que vous dites. Ainsi, moi, je sais pas seulement de +quoi vous avez parlé, je vous remercie tout de même, seulement...</p> + +<p class="mid">L'HUISSIER.</p> + +<p>Silence!</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Ça me fait un coup dans le ventre quand il crie, celui-là... Seulement, +vous auriez dû dire que je dois rien à personne. Parce que c'est vrai, +je suis strict, un sou est un sou. Après ça, peut-être que vous l'avez +dit sans que j'aie entendu... Et puis, vous auriez dû leur demander où +c'est qu'ils m'ont étouffé ma voiture.</p> + +<p class="mid">LEMERLE.</p> + +<p>Dans votre intérêt, tenez-vous tranquille.</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Est-ce que c'est mon jugement qu'ils couvent à cette heure? Eh bien, y +en a long, bon Dieu de bon Dieu!...</p> + +<p class="mid">L'HUISSIER.</p> + +<p>Silence! <span class="sml">(Le silence règne.)</span></p> + +<p class="mid">LE PRÉSIDENT, <span class="sml">lisant sur des petits papiers, lettres de décès, de +mariages, prospectus, etc.</span></p> + +<p>«Le Tribunal...</p> + +<p class="mid">UNE VOIX <span class="sml">éclate dans le peuple au milieu du silence.</span></p> + +<p>Acquitte!...</p> + +<p class="mid">LE PRÉSIDENT, <span class="sml">après un regard foudroyant.</span></p> + +<p>»... après en avoir délibéré, conformément à la loi, attendu qu'il +résulte des pièces du dossier et des dépositions entendues à l'audience, +que le 25 juillet, jour de son arrestation, Crainquebille (Jérôme), +s'est rendu coupable du délit... <span class="sml">(un sourd et formidable murmure s'élève +du fond de la salle; le président oppose à ce murmure un regard +semblable à un glaive et continue sa lecture dans le silence subit.)</span> +d'outrage envers un dépositaire de la force publique, dans l'exercice de +ses fonctions, délit prévu et puni par l'article 224 du Code pénal, lui +faisant application dudit article, le condamne à quinze jours de prison +et à cinquante francs d'amende... «L'audience est Suspendue. <span class="sml">(Brouhaha.)</span></p> + +<p class="mid">VOIX CONFUSES.</p> + +<p>C'est raide, tout de même... J'aurais pas cru ça. Elle est forte, +celle-là.</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE, <span class="sml">au garde.</span></p> + +<p>Alors, je suis un condamné?</p> + +<p><span class="sml">Le tribunal se retire. Quand les gardes vont emmener Crainquebille, +Lemerle fait signe qu'il a un mot à dire, et range des papiers, cause, +etc.</span></p> + +<h4>SCÈNE II</h4> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Cipal!... Cipal!... Hein? Cipal... Y a seulement quinze jours, si on +m'avait dit qu'il m'arriverait ce qui m'arrive. Ils sont polis, ces +messieurs. Ils ne disent pas de gros mots, c'est une justice à leur +rendre, mais on peut pas s'expliquer avec eux. On n'a pas le temps. +C'est pas leur faute, mais on n'a pas le temps, c'est-il pas vrai? +Pourquoi que vous ne répondez pas? <span class="sml">(silence.)</span> On parle bien à un chien. +Pourquoi que vous ne parlez pas? Vous ouvrez jamais la bouche. Vous +n'avez donc pas peur qu'elle pue?</p> + +<p class="mid">LEMERLE, <span class="sml">à Crainquebille.</span></p> + +<p>Eh bien, mon ami... nous n'avons pas trop à nous plaindre. Nous aurions +pu avoir pire.</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Ça, c'est encore possible.</p> + +<p class="mid">LEMERLE.</p> + +<p>Qu'est-ce que vous voulez... Vous n'avez pas suivi mes conseils. Votre +système de réticences était d'une insigne maladresse. Vous auriez mieux +fait d'avouer.</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Mon garçon, je demandais pas mieux. Mais qu'est-ce qu'il fallait avouer, +<span class="sml">(pensif.)</span> Tout de même, c'est pas ordinaire ce qui m'arrive.</p> + +<p class="mid">LEMERLE.</p> + +<p>N'exagérons rien. Votre cas n'est pas rare, loin de là!... Allons, bon +courage.</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE, <span class="sml">les gardes l'emmènent, il se retourne et dit:</span></p> + +<p>Vous pourriez pas me dire où qu'ils m'ont étouffé ma voiture?</p> + +<p class="mid">AUBARRÉE.</p> + +<p>Qu'est-ce que tu fais là?</p> + +<p class="mid">LERMITE.</p> + +<p>Je finis mon croquis. Pendant l'audience, je suis obligé de dessiner +dans le fond de mon chapeau. C'est pas commode... Maintenant, je relève +quelques petits détails...</p> + +<p class="mid">AUBARRÉE.</p> + +<p>C'est le président Bourriche, que tu as mis là?</p> + +<p class="mid">LERMITE.</p> + +<p>C'est lui qui vient de condamner le marchand des quatre saisons?</p> + +<p class="mid">AUBARRÉE.</p> + +<p>Oui, il s'appelle Bourriche.</p> + +<p class="mid">LERMITE.</p> + +<p>Tiens, comme ça se trouve.</p> + +<p class="mid">LEMERLE, <span class="sml">à l'huissier.</span></p> + +<p>Lampérière; savez-vous si l'affaire Goupy, à la troisième chambre, est +remise?</p> + +<p class="mid">L'HUISSIER.</p> + +<p>Elle est retenue.</p> + +<p class="mid">LEMERLE.</p> + +<p>Nom d'un chien, il faut que je file!... Je reviendrai tout à l'heure à +la reprise de l'audience. J'ai une remise à demander au président +Bourriche.</p> + +<p class="mid">LERMITE, <span class="sml">timide, gauche, cherchant dans sa poche, appelle Lemerle qui ne +l'entend pas et sort.</span></p> + +<p>Monsieur Lemerle... J'aurais un mot à vous dire. Tiens! il est parti...</p> + +<p class="mid">AUBARRÉE.</p> + +<p>Il reviendra à la reprise de l'audience. Qu'est-ce que tu peux bien +avoir à lui dire à cet oiseau-là?</p> + +<p class="mid">LERMITE.</p> + +<p>Rien. Je... rien... Dis donc, mon vieux camarade, c'est tout de même +fort la condamnation de ce pauvre marchand des quatre saisons.</p> + +<p class="mid">AUBARRÉE.</p> + +<p>Crainquebille... C'est fort, si tu veux. Ce n'est pas extraordinairement +fort... <span class="sml">(Regardant.)</span> Tu vas faire un petit tableau d'après ce croquis?</p> + +<p class="mid">LERMITE.</p> + +<p>Oui, les scènes du palais, c'est assez demandé... J'ai vendu, ce matin, +deux avocats cent francs; j'ai le billet dans ma poche.</p> + +<p class="mid">AUBARRÉE.</p> + +<p>Tu n'as pas besoin de le sortir comme ça...</p> + +<p class="mid">LERMITE.</p> + +<p>Tu as beau dire, Aubarrée. Que les juges aient condamné ce pauvre homme +sans preuves...</p> + +<p class="mid">AUBARRÉE.</p> + +<p>Sans preuves?...</p> + +<p class="mid">LERMITE.</p> + +<p>Au mépris de la déposition du professeur David Mathieu, sur le +témoignage de l'agent, ça me passe, je n'y suis plus...</p> + +<p class="mid">AUBARRÉE.</p> + +<p>C'est pourtant bien facile à comprendre.</p> + +<p class="mid">LERMITE.</p> + +<p>Comment, à la parole désintéressée d'un homme du plus grand mérite, de +la plus haute intelligence, préférer le braiment de cet être ignare, +sombre et têtu. Croire l'âne plutôt que le savant, tu trouves cela +naturel, toi? Mais c'est monstrueux. Ce président Bourriche est +facétieux et sinistre.</p> + +<p class="mid">AUBARRÉE.</p> + +<p>Ne dis pas cela, Lermite, ne dis pas cela. Le président Bourriche est un +magistrat respectable qui vient de donner une nouvelle preuve de son +esprit juridique.</p> + +<p class="mid">LERMITE.</p> + +<p>Dans l'affaire Crainquebille?</p> + +<p class="mid">AUBARRÉE.</p> + +<p>Sans doute. En opposant l'une à l'autre les dépositions contradictoires +de l'agent 64 et du professeur David Mathieu, le juge serait entré dans +une voie où l'on ne rencontre que le doute et l'incertitude. Le +président Bourriche a l'esprit trop juridique pour faire dépendre ses +sentences de la raison et de la science, dont les conclusions sont +sujettes à d'éternelles disputes.</p> + +<p class="mid">LERMITE.</p> + +<p>Alors, un juge doit renoncer à savoir?</p> + +<p class="mid">AUBARRÉE.</p> + +<p>Oui, mais il ne doit pas renoncer à juger. A vrai dire, le président +Bourriche ne considère pas Bastien Matra. Il considère l'agent 64. Un +homme est faillible, pense-t-il. Descartes et Gassendi, Leibnitz et +Newton, Claude Bernard et Pasteur, se sont trompés. Mais l'agent 64 ne +se trompe pas. C'est un numéro. Un numéro n'est pas sujet à l'erreur.</p> + +<p class="mid">LERMITE.</p> + +<p>Ça, c'est un raisonnement.</p> + +<p class="mid">AUBARRÉE.</p> + +<p>Irréfutable. Et puis, il y a autre chose. L'agent 64 est un dépositaire +de la force publique. Toutes les épées d'un État doivent être tournées +dans le même sens. En les opposant les unes aux autres...</p> + +<p class="mid">LERMITE. On trouble l'ordre public. J'ai compris.</p> + +<p class="mid">AUBARRÉE.</p> + +<p>Enfin, si le tribunal jugeait contre la force, qui donc exécuterait les +jugements? Sans les gendarmes, le juge ne serait qu'un pauvre rêveur.</p> + +<p class="mid"><span class="sml">Entre Lemerle.</span></p> + +<p class="mid">LEMERLE.</p> + +<p>Aubarrée, on vous attend à la quatrième... Comment, l'audience n'est pas +encore reprise?</p> + +<p class="mid">AUBARRÉE.</p> + +<p>Mais non.</p> + +<p class="mid">LEMERLE.</p> + +<p>L'huissier n'est pas là?</p> + +<p class="mid">LERMITE.</p> + +<p>Pardon, maître... La condamnation à l'amende entraîne, en cas de +non-paiement, une prolongation de peine?</p> + +<p class="mid">LEMERLE.</p> + +<p>Oui.</p> + +<p class="mid">LERMITE.</p> + +<p>Alors, voudriez-vous être assez aimable pour remettre cinquante francs à +ce marchand des quatre saisons.</p> + +<p class="mid">LEMERLE.</p> + +<p>Crainquebille?</p> + +<p class="mid">LERMITE.</p> + +<p>Oui, sans lui dire d'où vient cet argent.</p> + +<p class="mid">LEMERLE.</p> + +<p>Volontiers, monsieur.</p> + +<p class="mid">LERMITE.</p> + +<p>Seulement, je n'ai que cent francs.</p> + +<p class="mid">LEMERLE, <span class="sml">se fouillant.</span></p> + +<p>Voyons, j'ai peut-être... non... trois louis... ah! si! voilà dix +francs, quarante et dix cinquante. Voici, monsieur.</p> + +<p class="mid">LERMITE.</p> + +<p>Merci.</p> + +<p class="mid">LEMERLE.</p> + +<p>C'est moi qui vous remercie pour lui.</p> + +<p class="mid">LE DOCTEUR MATHIEU, <span class="sml">entrant, à Lemerle.</span></p> + +<p>Maître, c'est vous qui avez plaidé pour Crainquebille? Je vous +cherchais.</p> + +<p class="mid">LEMERLE.</p> + +<p>Oui, monsieur... le docteur David Mathieu. Vous avez témoigné pour nous.</p> + +<p class="mid">LE DOCTEUR MATHIEU.</p> + +<p>Pourriez-vous remettre ces cinquante francs à votre client pour +acquitter l'amende?</p> + +<p class="mid">LEMERLE.</p> + +<p>Avec grand plaisir. Mais j'ai déjà reçu cinquante francs de monsieur <span class="sml">(il +montre Lemerle.)</span> pour la même destination.</p> + +<p class="mid">LE DOCTEUR MATHIEU.</p> + +<p>Ah!... Monsieur.</p> + +<p class="mid"><span class="sml">Inclinations. Silence.</span></p> + +<p class="mid">LEMERLE, <span class="sml">tenant dans chaque main les cinquante francs de Lermite et les +cinquante francs du docteur.</span></p> + +<p>Qu'en pensez-vous, messieurs?</p> + +<p class="mid">LE DOCTEUR MATHIEU.</p> + +<p>Eh bien... cinquante francs pour l'amende.</p> + +<p class="mid">LERMITE.</p> + +<p>Oui, et cinquante francs quand il sortira.</p> + +<p class="mid">LEMERLE.</p> + +<p>Parfait! Comptez sur moi, messieurs...</p> + +<p><span class="sml">Il salue et sort. Petit silence. David et Lermite se saluent +sympathiquement. David va pour sortir, suivi à quelques pas de Lermite. +David s'arrête sur le seuil presque, se retourne vers Lermite qui est +près de lui. Les deux hommes disent ensemble, la main +tendue: «Voulez-vous me permet...» Ils sourient, se serrent cordialement +la main, avec, toutefois, un peu de mélancolie. David sort.</span></p> + +<p class="mid">L'HUISSIER, <span class="sml">annonçant.</span></p> + +<p>Le Tribunal!</p> + +<p class="mid">LERMITE.</p> + +<p>Ça recommence.</p> + +<h3>TROISIÈME TABLEAU</h3> + +<p class="mid"><i>La nuit.</i></p> + +<h4>SCÈNE PREMIÈRE</h4> + +<p class="mid">LE MARCHAND DE MARRONS.</p> + +<p>Chaud! chaud! les marrons!...</p> + +<p class="mid"><span class="sml">Il sert un sou de marrons à un gosse.</span></p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE, <span class="sml">sortant de chez le marchand de vin sur un bruit de +dispute.</span></p> + +<p>Eh bien, quoi! parce que je demande un verre à crédit!... Est-ce que +c'est une raison de me traiter comme un malfaiteur.</p> + +<p class="mid">LE MARCHAND DE MARRONS.</p> + +<p>Crédit est mort, les mauvais payeurs l'ont tué.</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Je vous demande un peu s'il ne pouvait pas me donner un verre à crédit. +Il m'a assez volé quand j'avais de quoi. Voleur! oui, voleur!... Je ne +vous l'envoie pas dire.</p> + +<p class="mid">LE MARCHAND DE MARRONS.</p> + +<p>Ça sort de prison et ça traite le monde de voleur!</p> + +<p class="mid">ALPHONSE, <span class="sml">douze ans, sort de chez le marchand de vin et dit à +Crainquebille sur le ton de la plus douce politesse.</span></p> + +<p>Dites donc, monsieur, c'est-il vrai qu'on est bien à l'ombre?</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE. Sale gosse!... <span class="sml">(Pied au cul. Alphonse rentre en +pleurnichant.)</span></p> + +<p>C'est ton père qui devrait être en prison au lieu de s'enrichir à vendre +du poison.</p> + +<p class="mid">LE MARCHAND DE VIN, <span class="sml">suivi de son fils.</span></p> + +<p>Si vous n'aviez pas de cheveux blancs, je vous corrigerais pour vous +apprendre à battre mon fils, <span class="sml">(à son fils.)</span> Rentre, vermine, <span class="sml">(ils +rentrent.)</span></p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE, <span class="sml">au marchand de marrons.</span></p> + +<p>Hein, crois-tu!...</p> + +<p class="mid">LE MARCHAND DE MARRONS.</p> + +<p>Qu'est-ce que tu veux? Il a raison: on ne doit pas battre les enfants +des autres, ni leur reprocher leur père qu'ils n'ont pas choisi... +Depuis deux mois que tu es sorti de là-bas, mon vieux Crainquebille, tu +n'es plus le même, tu es mauvais coucheur, tu es mal embouché. Ça ne +serait encore rien. Mais tu n'es plus bon que pour lever le coude.</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>J'ai jamais été fricoteur, mais faut comme ça, de temps en temps, que je +boive un verre pour me donner des forces et pour me rafraîchir. Sûr que +j'ai quelque chose de brûlé dans l'intérieur. Il n'y a encore que la +boisson comme rafraîchissement.</p> + +<p class="mid">LE MARCHAND DE MARRONS.</p> + +<p>Ça ne serait encore rien, mais t'es mou, t'es feignant. Un homme dans +cet état-là, autant dire que c'est un homme par terre et qui peut pas se +relever. Tous les gens qui passent lui pilent dessus.</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>C'est vrai! j'ai plus le courage que j'avais. Je suis fini. Tant va la +cruche à l'eau qu'à la fin elle se casse. Et puis, depuis mon affaire en +justice, je n'ai plus le même caractère. Je suis plus le même homme, +quoi! Qu'est-ce que tu veux? Ils m'ont arrêté pour avoir crié: «Mort aux +vaches!» C'était pas vrai. Y a un médecin décoré qui leur a dit que non. +Ils n'ont rien voulu savoir. Par exemple, les juges sont bien polis, pas +un gros mot, mais on peut pas s'expliquer avec eux. Ils m'ont donné +cinquante francs, y m'ont étouffé ma voiture qu'il m'a fallu quinze +jours pour remettre la main dessus. Tout ça, c'est vraiment +extraordinaire. Je le jure, c'est comme si j'étais allé au théâtre.</p> + +<p class="mid">LE MARCHAND DE MARRONS.</p> + +<p>Ils t'ont donné cinquante francs? Ça, c'est nouveau; ça ne se faisait +pas autrefois.</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Faut être juste. Ils m'ont donné cinquante francs de la main à la main. +Et puis, la prison, c'est convenable. On peut pas dire le contraire. +C'est bien tenu, c'est propre. On mangerait par terre. Mais, quand on +sort de là, pas moyen de travailler, pas moyen de gagner un sou. Tout le +monde vous tourne le dos.</p> + +<p class="mid">LE MARCHAND DE MARRONS.</p> + +<p>Je vais te dire: change de quartier.</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Madame Bayard, la cordonnière, qui fait une gueule quand je passe. Elle +m'affronte et c'est elle qui est cause que j'ai été ramassé. Le plus +fort, c'est qu'elle me doit quatorze sous. J'y aurais réclamé tout à +l'heure, mais elle avait une cliente. Attends un peu, elle ne perdra +rien pour attendre.</p> + +<p class="mid">LE MARCHAND DE MARRONS.</p> + +<p>Où vas-tu?</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Je vais lui causer, à madame Bayard.</p> + +<p class="mid">LE MARCHAND DE MARRONS.</p> + +<p>Tiens-toi donc tranquille.</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Comment, j'ai bien le droit de lui réclamer mes quatorze sous. Il me les +faut, c'est-il toi qui me les donneras? Si c'est toi, faut le dire.</p> + +<p class="mid">LE MARCHAND DE MARRONS.</p> + +<p>Ça, c'est impossible, la bourgeoise m'arracherait les yeux. Je t'en ai +assez donné, des vingt sous et des quarante sous, depuis deux mois.</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Je peux pourtant pas crever comme un chien. J'ai pus un centime.</p> + +<p class="mid">LE MARCHAND DE MARRONS, <span class="sml">le rappelant.</span></p> + +<p>Crainquebille!... Sais-tu ce que tu devrais faire?</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Quoi?</p> + +<p class="mid">LE MARCHAND DE MARRONS.</p> + +<p>Tu devrais changer de quartier.</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Ça, c'est pas possible. Je suis comme la chèvre; faut qu'elle broute où +qu'elle est attachée, faut qu'elle broute quand il n'y aurait que des +cailloux.</p> + +<p><span class="sml">Madame Bayard reconduit sa cliente; quand celle-ci a tourné le coin de +la rue, madame Bayard vient tout droit à Crainquebille et l'apostrophe +vivement.</span></p> + +<p class="mid">MADAME BAYARD.</p> + +<p>Qu'est-ce que vous me voulez, vous?</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Vous avez beau me regarder avec des yeux comme des pistolets... Je veux +mes quatorze sous.</p> + +<p class="mid">MADAME BAYARD, <span class="sml">tombant des nues.</span></p> + +<p>Vos quatorze sous?</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Oui, mes quatorze sous.</p> + +<p class="mid">MADAME BAYARD.</p> + +<p>D'abord, je vous défends d'entrer dans mon magasin, comme tout à +l'heure. Qu'est-ce que c'est que ces façons?</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>C'est bon! C'est bon! mes quatorze sous!...</p> + +<p class="mid">MADAME BAYARD.</p> + +<p>Je ne sais pas ce que vous voulez dire. D'ailleurs, apprenez ça: on ne +doit rien à des gens qui ont été en prison.</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Purée!</p> + +<p class="mid">MADAME BAYARD.</p> + +<p>Malotru!... Ah! si j'avais encore mon mari...</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Si t'avais ton mari, espèce de râleuse, je lui botterais soigneusement +le derrière pour t'apprendre à voler le monde, et à l'insulter ensuite.</p> + +<p class="mid">MADAME BAYARD.</p> + +<p>Y a donc pas d'agents? <span class="sml">(Elle se barricade soigneusement chez elle.)</span></p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Garde-les, mes quatorze sous, garde-les, voleuse!</p> + +<p class="mid">LE MARCHAND DE MARRONS.</p> + +<p>Voleur, voleuse, t'as que cha dans la bouche. Tout le monde est voleur, +que tu dis. C'est vrai et c'est pas vrai. Je vas t'expliquer. Tout le +monde veut vivre et on peut pas vivre sans faire tort aux autres; cha +c'est pas possible... alors...</p> + +<p class="mid">LA SOURIS.</p> + +<p>Bonsoir, la compagnie.</p> + +<p class="mid">LE MARCHAND DE MARRONS.</p> + +<p>Bonsoir, la Souris.</p> + +<p class="mid">LA SOURIS.</p> + +<p>Ça va-t-il mieux, père Crainquebille? Vous me remettez pas? La Souris. +Pourtant, vous me connaissez bien. Vous m'avez donné une poire, même +qu'elle était blette.</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>C'est possible.</p> + +<p class="mid">LA SOURIS.</p> + +<p>Je vas me reposer. Je loge ici. Je suis las. Dame, quand on a trimé +toute la journée. J'ai crié <i>la Patrie, la Presse, le Soir</i>, j'en ai la +gueule abîmée. Quand j'aurai cassé ma croute, je me mettrai dans le +plumard. Bonsoir la compagnie.</p> + +<p class="mid">LE MARCHAND DE MARRONS.</p> + +<p>T'en as pas de plumard.</p> + +<p class="mid">LA SOURIS.</p> + +<p>Pas de plumard? Venez-y voir. Je m'en suis fait un de plumard, avec des +sacs et des copeaux.</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>T'as de la chance, môme. Moi, il y a deux mois que je n'ai couché dans +quelque chose de doux, <span class="sml">(La souris rentre.)</span> C'est vrai! Ils m'ont expulsé +de ma soupente. V'là trente nuits que je couche dans une remise, sur ma +charrette. Il a pas décessé de pleuvoir, la remise a été inondée. Pour +pas être noyé, il faut se tenir à croupeton sur les eaux empoisonnées, +avec les chats, les rats et les araignées grosses comme des potirons. Et +v'là que, cette nuit, le tuyau de l'égout a crevé; les voitures, elles +nageaient dans la gadoue, misère! Et même, on a mis un gardien pour pas +qu'on entre, parce que le mur remue. Il est comme moi, le mur, il tient +plus debout. <span class="sml">(Il voit madame Laure entrer chez le marchand de vin.)</span> +Tiens! madame Laure.</p> + +<p class="mid">LE MARCHAND DE MARRONS.</p> + +<p>Madame Laure, c'est une femme rangée et convenable, et qui a de la tenue +pour son état. Elle ne boit pas sur le zinc. Je te parie qu'elle va +ressortir avec un litre, pour consommer chez elle avec ses +connaissances.</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Madame Laure! je la connais comme si je l'avais faite. C'est une +cliente. Sais bien que c'est une femme comme il faut.</p> + +<p class="mid">LE MARCHAND DE MARRONS.</p> + +<p>Et une belle femme! Malin! <span class="sml">(Sort du troquet madame Laure.)</span> Tiens, +qu'est-ce que je te disais?</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Bonjour, madame Laure.</p> + +<p class="mid">MADAME LAURE, <span class="sml">au marchand de marrons.</span></p> + +<p>Vingt centimes de marrons. Et bien chauds.</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Vous me remettez pas, madame Laure? Le marchand de poireaux.</p> + +<p class="mid">MADAME LAURE.</p> + +<p>Je vois bien, <span class="sml">(au marchand de marrons.)</span> Ne me les tirez pas de votre +sac. On ne sait pas depuis combien de temps ils sont là à refroidir.</p> + +<p class="mid">LE MARCHAND DE MARRONS.</p> + +<p>Ils sont bouillants, ils me brûlent les doigts.</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Vous avez de la peine à me remettre parce que je n'ai pas ma voiture. Ça +change les personnes, des fois... Et ça va toujours comme vous voulez, +madame Laure? <span class="sml">(Il lui louche le bras.)</span> Je vous demande si ça va toujours +comme vous voulez?</p> + +<p class="mid">MADAME LAURE.</p> + +<p>Eh! l'Auverpin, allons, vite mes châtaignes. J'ai de la compagnie qui +m'attend. C'est fête aujourd'hui. Je ne reçois que des gens que je +connais.</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Ne me faites pas d'infidélités, madame Laure. Vous êtes regardante, mais +vous êtes une bonne pratique.</p> + +<p class="mid">MADAME LAURE, <span class="sml">au marchand de marrons</span>.</p> + +<p>Servez vite. C'est pas agréable d'être accostée par un individu qui +s'est fait ramasser.</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Qu'est-ce que vous dites?</p> + +<p class="mid">MADAME LAURE.</p> + +<p>Je vous parle pas.</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Tu dis que je me suis fait ramasser, poison! Eh ben, et toi? Tu n'as pas +été dans le panier à salade?... Si j'avais autant de pièces de cent sous +que tu as été de fois dans le panier...</p> + +<p class="mid">LE MARCHAND DE MARRONS.</p> + +<p>V'là que t'engueules mes clientes à cette heure? Tais-toi ou je cogne.</p> + +<p class="mid">MADAME LAURE.</p> + +<p>Eh! va donc, vieux cheval de retour!</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE. Dessalée, va! <span class="sml">(Apparition d'un agent qui, immobile et +muet, fait tomber la dispute. Madame Laure sort majestueusement.)</span></p> + +<p class="mid">LA SOURIS, de la fenêtre.</p> + +<p>Un bouchon! Taisez vos gueules; on peut pas dormir.</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Pour sûr que c'est une morue, et même y a pas plus morue que cette +femme-là.</p> + +<p class="mid">LE MARCHAND DE MARRONS, <span class="sml">remisant son poêle.</span></p> + +<p>Pour attraper une personne dans le moment qu'elle se fait servir, faut +avoir perdu le sentiment. Fous-moi le camp. Tu es heureux encore que je +ne t'aie pas fait ramasser. <span class="sml">(En s'en allant.)</span> Un homme à qui je prête +depuis deux mois des vingt sous et des quarante sous par semaine! Mais +il n'a pas de savoir-vivre, quoi!</p> + +<p><span class="sml">Le garçon marchand de vin met les volets.</span></p> + +<h4>SCÈNE II</h4> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Eh! l'Auverpin!... l'Auverpin! écoute donc. Il se défile. Il veut rien +entendre. Ce que j'ai contre cette morue-là, c'est que toutes font comme +elle, toutes. Elles font mine de ne pas me connaître. Madame Cointreau, +madame Lessenne, madame Bayard. Toutes, quoi!... Alors, parce que l'on a +été mis pour quinze jours à l'ombre, on n'est plus bon seulement à +vendre des poireaux. Est-ce que c'est juste? Est-ce qu'il y a du bon +sens à faire mourir de faim un brave homme parce qu'il a eu des +difficultés avec les flics. Si je ne peux plus vendre mes légumes, je +n'ai plus qu'à crever... Vrai! J'aurais volé et assassiné, j'aurais la +gale, que ça ne serait pas plus pire. Et le froid et la faim... J'ai pas +mangé. Allons! crève! crève donc, père Crainquebille! Ah! il y a des +moments où on regrette de n'être plus là-bas. <span class="sml">(Un agent se tient +immobile dans le fond. Crainquebille l'aperçoit et dit:)</span> Ah! que je suis +bête, puisque je connais le truc, pourquoi que je m'en servirais pas?... +<span class="sml">(Il s'approche doucement de l'agent qui est presque à l'avant-scène et +d'une voix hésitante et faible:)</span> Mort aux vaches! <span class="sml">(L'agent regarde +Crainquebille avec tristesse, vigilance et mépris. Un temps. +Crainquebille, étonné, balbutie:)</span> Mort aux vaches! que je vous ai dit.</p> + +<p class="mid">L'AGENT.</p> + +<p>Ce n'est pas à dire... pour sûr et certain que ce n'est pas à dire. A +votre âge, on devrait avoir plus de connaissance... Passez votre chemin.</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Pourquoi que vous ne m'arrêtez pas?</p> + +<p class="mid">L'AGENT, <span class="sml">secouant la tête.</span></p> + +<p>S'il fallait empoigner tous les poivrots qui disent ce qui n'est pas à +dire, y en aurait de l'ouvrage... et de quoi que ça servirait?</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE, <span class="sml">accablé, reste longtemps stupide et muet, puis, très +doucement:</span></p> + +<p>C'était pas pour vous que j'ai dit: «Mort aux vaches!», c'était pas plus +pour l'un que pour l'autre que je l'ai dit. C'était pour une idée.</p> + +<p class="mid">L'AGENT, <span class="sml">avec une austère douceur.</span></p> + +<p>Que ce soye pour une idée ou pour autre chose, ce n'était pas à dire +parce que, quand un homme fait son devoir et qu'il endure bien des +souffrances, on ne doit pas l'insulter par des paroles futiles... Je +vous réitère de passer votre chemin.</p> + +<h4>SCÈNE III</h4> + +<p class="mid">LA SOURIS, <span class="sml">par la fenêtre.</span></p> + +<p>Papa Crainquebille! Papa Crainquebille! Papa Crainquebille!</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Hein? Qui est-ce qui parle sur ma tête? C'est-y un miracle?</p> + +<p class="mid">LA SOURIS.</p> + +<p>Papa Crainquebille!...</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Ah! c'est toi?</p> + +<p class="mid">LA SOURIS.</p> + +<p>Où que vous allez comme ça sans parapluie?</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Où que je vais?</p> + +<p class="mid">LA SOURIS.</p> + +<p>Oui...</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Je vais me jeter dans la Seine.</p> + +<p class="mid">LA SOURIS.</p> + +<p>Faut pas faire ça! Y fait trop froid. C'est trop mouillé.</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Qu'est-ce que tu veux que je fasse?</p> + +<p class="mid">LA SOURIS.</p> + +<p>Il faut se remuer, mon vieux papa. Il faut vivre.</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>Pourquoi?</p> + +<p class="mid">LA SOURIS.</p> + +<p>Je ne sais pas, mais faut se dégrouiller. Ça ne dure pas tout le temps, +la mistoufle. Vous en vendrez encore des choux et des carottes, c'est +moi qui vous le dis. Venez avec moi. J'ai un pain, du saucisson et un +litre. On soupera comme des millionnaires et je vous ferai un lit comme +le mien, avec des sacs et des copeaux, et puis, on verra demain s'il +fait jour. Allons, venez, mon vieux papa.</p> + +<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p> + +<p>T'es jeune, t'es pas encore gâté. Le monde est mauvais, t'es pas encore +du monde. Gosse, tu peux te dire qu'à ton âge t'as sauvé un homme. Oh! +c'est pas une si belle affaire. Y a pas lieu d'en être fier, ça ne +urs de la lune, ça n'embellira pas la République. Mais +t'as sauvé un homme.</p> + +<p class="mid"><span class="sml">Crainquebille, la tête basse et les bras ballants, remonte la scène sans +plus dire un mot.</span></p> +<br> + +<p class="mid">FIN</p> + + + + + + + +<br><br> +</div> + + + + + + + + + +<pre> + + + + + +End of Project Gutenberg's L'Illustration, No. 3260, 19 Août 1905, by Various + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, 19 AOUT 1905 *** + +***** This file should be named 35871-h.htm or 35871-h.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + https://www.gutenberg.org/3/5/8/7/35871/ + +Produced by Jeroen Hellingman and Rénald Lévesque + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. 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Redistribution is +subject to the trademark license, especially commercial +redistribution. + + + +*** START: FULL LICENSE *** + +THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE +PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK + +To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free +distribution of electronic works, by using or distributing this work +(or any other work associated in any way with the phrase "Project +Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full Project +Gutenberg-tm License (available with this file or online at +https://gutenberg.org/license). + + +Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg-tm +electronic works + +1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm +electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to +and accept all the terms of this license and intellectual property +(trademark/copyright) agreement. 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Information about the Project Gutenberg Literary Archive +Foundation + +The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit +501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the +state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal +Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification +number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at +https://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent +permitted by U.S. federal laws and your state's laws. + +The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. +Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered +throughout numerous locations. Its business office is located at +809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email +business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact +information can be found at the Foundation's web site and official +page at https://pglaf.org + +For additional contact information: + Dr. Gregory B. Newby + Chief Executive and Director + gbnewby@pglaf.org + + +Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation + +Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide +spread public support and donations to carry out its mission of +increasing the number of public domain and licensed works that can be +freely distributed in machine readable form accessible by the widest +array of equipment including outdated equipment. Many small donations +($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt +status with the IRS. + +The Foundation is committed to complying with the laws regulating +charities and charitable donations in all 50 states of the United +States. 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Donations are accepted in a number of other +ways including including checks, online payments and credit card +donations. To donate, please visit: https://pglaf.org/donate + + +Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic +works. + +Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm +concept of a library of electronic works that could be freely shared +with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project +Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support. + + +Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed +editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S. +unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily +keep eBooks in compliance with any particular paper edition. + + +Most people start at our Web site which has the main PG search facility: + + https://www.gutenberg.org + +This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, +including how to make donations to the Project Gutenberg Literary +Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to +subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. + + +</pre> + +</body> +</html> + + + diff --git a/35871-h/images/000large.png b/35871-h/images/000large.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..65408db --- /dev/null +++ b/35871-h/images/000large.png diff --git a/35871-h/images/000small.png b/35871-h/images/000small.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..2fb010a --- /dev/null +++ b/35871-h/images/000small.png diff --git a/35871-h/images/001.png b/35871-h/images/001.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..30e5574 --- /dev/null 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