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+Project Gutenberg's L'Illustration, No. 3260, 19 Août 1905, by Various
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
+
+
+Title: L'Illustration, No. 3260, 19 Août 1905
+
+Author: Various
+
+Release Date: April 14, 2011 [EBook #35871]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: ISO-8859-1
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, 19 AOUT 1905 ***
+
+
+
+
+Produced by Jeroen Hellingman and Rénald Lévesque
+
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+
+L'Illustration, No. 3260, 19 Août 1905
+
+[Illustration: LA REVUE COMIQUE, par Henriot.]
+
+
+[Illustration: Ce numéro contient: 1° Un Supplément théâtral:
+CRAINQUEBILLE, par Anatole France. 2° Quatre pages tirées à part sur la
+FÊTE DES VIGNERONS DE VEVEY.
+
+L'ILLUSTRATION
+_Prix de ce Numéro: Un Franc._
+SAMEDI 19 AOÛT 1905 _63e Année--N° 3260_]
+
+[Illustration: M Witte Baron de Rosen. Président Roosevelt. Baron Komura
+M. Takahira. LES PLÉNIPOTENTIAIRES RUSSES ET JAPONAIS A BORD DU
+"MAYFLOWER" _Stereograph copyright 1905 Underwood and Underwood, London
+and New-York.--Voir les pages 126, 127 et 128._]
+
+
+
+NOTRE SUPPLÉMENT DE THÉÂTRE CRAINQUEBILLE
+
+Chaque année, l'été interrompt forcément la série de nos suppléments de
+théâtre, si appréciés de nos lecteurs. Nous ne voudrions pas cependant
+que cette interruption se prolongeât aussi longtemps que les relâches
+des grandes scènes parisiennes. En attendant les nouveautés de la saison
+1905-1906, qui promettent d'être aussi nombreuses et aussi importantes
+que celles de la saison 1904-1905, nous avons cherché si, parmi les
+oeuvres jouées en ces dernières années, il n'y en avait pas une qui fût
+encore inédite. Et nous avons découvert, répondant à ces conditions, un
+chef-d'oeuvre: _Crainquebille,_ de M. Anatole France, un des grands
+succès récents du théâtre de M. Lucien Guitry, la Renaissance.
+
+_L'Affaire Crainquebille_, sous sa forme de nouvelle, figure bien dans
+l'édition complète des oeuvres du brillant écrivain. Mais, sous sa forme
+dramatique, _Crainquebille_ n'avait pas encore été publié.
+
+Nous sommes doublement heureux, et d'offrir cette primeur à nos abonnés,
+et de pouvoir illustrer le texte de M. Anatole France de douze
+compositions originales gravées sur bois, du dessinateur Steinlen,
+empruntées à l'édition de grand luxe de _L'Affaire Crainquebille_,
+publiée par l'éditeur Edouard Pelletan, au prix de 600 francs sur japon
+ancien, et de 80 francs sur vélin.
+
+LA FÊTE DES VIGNERONS, A VEVEY
+
+Nous avons publié la semaine dernière des photographies donnant une idée
+d'ensemble du magnifique spectacle qui fut organisé à Vevey pour la Fête
+des Vignerons de 1905. Mais le cliché photographique--cet incomparable
+instrument d'illustration--est malheureusement impuissant à rendre le
+mouvement, la gaieté, la grâce ou la majesté des cortèges, des danses et
+des reconstitutions scéniques. Les dessins de Georges Scott, que nous
+reproduisons aujourd'hui en quatre pages tirées à part, sont, au
+contraire, une évocation vivante du poème qui se déroula sur l'immense
+scène du théâtre en plein air de Vevey... Évocation forcément
+incomplète: il faudrait un gros album de dessins semblables pour
+représenter tous les groupes différents dont M. Jean Morax dessina les
+costumes et régla harmonieusement les mouvements.
+
+Dans _L'Illustration_ du 12 août, nous avons indiqué, en quelques mots,
+la donnée du poème, qui mettait en scène, en tableaux animés par des
+chants et des danses, les principaux événements de la vie rustique,
+échelonnés au cours de l'hiver, du printemps, de l'été et de l'automne.
+Il convient de nommer le poète: M. René Morax, frère du dessinateur.
+L'auteur de la musique est M. Gustave Doret, dont la partition contient
+d'admirables morceaux.
+
+Rappelons aux collectionneurs de _l'Illustration_ que, dans le numéro du
+17 août 1889, parurent des dessins et un article sur la précédente Fête
+des Vignerons de Vevey: ils s'y reporteront avec plaisir.
+
+
+
+COURRIER DE PARIS
+
+JOURNAL D'UNE ÉTRANGÈRE
+
+... Au Luxembourg. La paix des grandes vacances enveloppe les jardins et
+il y a comme du repos dans l'air déjà moins brûlant qu'on respire. Une
+brise passe, en coups d'éventail légers, sous les arbres pleins d'ombre,
+et les feuilles sèches qui en tombent (comme l'automne vient vite à
+Paris!) font de petites taches brunes sur le sable des allées. Pour deux
+sous, donnés à la loueuse de chaises qui m'a reconnue et me sourit, je
+savoure, après des mois de vacarme et de fièvre, la volupté de vivre
+dans du calme; cela est doux comme la sensation de _souffrance abolie_
+qui suit une rage de dents, et deux petits vers chantent en moi:
+
+ Ah! qu'il est doux de ne rien faire
+ Quand tout s'agite autour de nous...
+
+Cependant, le personnage qui exprima dans _Galatée_ cette opinion se
+trompait... Il y a une contagion du besoin d'agir ou de flâner; et c'est
+surtout quand rien ne s'agite autour de moi qu'il m'est très doux de ne
+rien faire.
+
+Et l'on s'agite si peu, depuis huit jours, autour de moi... Il est cinq
+heures. Les galeries de l'Odéon sont désertes et, le long des grilles du
+jardin, déambulent paresseusement des fiacres vides. Le vieux théâtre
+est fermé; le Sénat est sans sénateurs et nous sommes, à quelques mètres
+de là, cinquante flâneurs à peine, attroupés autour du kiosque où la
+musique d'un régiment de ligne nous joue des airs...
+
+Des airs connus, que l'esprit suit sans effort: _Samson et Dalila,
+Louise_, la _Marche indienne_ de Sellenik, un peu de Massenet: «N'est-ce
+pas que _Manon_ est une jolie chose?» Je me retourne. C'est mon
+libraire, qui est venu prendre le frais sous les arbres du Luxembourg et
+m'invite à m'y promener avec lui. Ancien professeur, journaliste un peu,
+mêlé à diverses entreprises de propagande politique et sociale dont il
+aime à me démontrer les bienfaits, mon libraire--une des figures les
+plus populaires du Quartier latin--est un aimable bavard, informé de
+tout, qui a le goût des idées générales et sait, à l'occasion, dévider
+un paradoxe avec esprit.
+
+--Vous êtes seul à Paris?
+
+--Tout seul, madame.
+
+--Au moins vous avez _fait le pont?_
+
+--Pas même. Ma femme et mes enfants sont aux eaux, j'en profite pour
+voir un peu Paris que je connais mal, et m'y reposer de la banlieue que
+je connais trop.
+
+--Vous n'aimez pas la campagne?
+
+--Je la déteste, madame. Je la déteste pour deux raisons: la première,
+c'est qu'on y est mal et que, pour de modestes bourgeois comme nous, la
+vie s'y complique et s'y attriste de toutes sortes de petites
+incommodités qui en rendent, à la longue, le séjour insupportable; la
+seconde, c'est que j'aime la justice, et que je suis irrité du tort
+inique que fait la campagne aux beautés rustiques de cette ville-ci.
+J'en veux aux arbres du Vésinet de m'avoir fait ignorer si longtemps--et
+mépriser--les arbres du Luxembourg.
+
+» Arrêtez-vous, madame, et regardez, je vous en prie. Regardez là-bas
+cet effet de soleil couchant et la prodigieuse couleur de ciel que cette
+pièce d'eau reflète. Admirez la somptuosité de forme de ces vieux
+arbres, la beauté caressante de ces feuillages qui font au-dessus de
+nous des dômes transparents d'ombre fraîche et la suavité de tons de ces
+pelouses en velours vert... Est-ce qu'en ce moment aussi l'air que nous
+respirons n'est pas d'une idéale fraîcheur? Eh bien, supposez-vous
+transportée à trente kilomètres de Paris et soudainement mise en face de
+ce spectacle-ci; imaginez cette couleur de ciel et cette odeur de brise
+retrouvées. Vous penseriez: «Voilà bien ce qu'on ne peut rencontrer qu'à
+la campagne...»
+
+--Et je penserais une bêtise, en effet.
+
+--Vous l'avez dit, vous penseriez une bêtise, madame. Car il n'y a pas
+de cité au monde à l'intérieur de laquelle tant de paysages délicieux
+soient rassemblés. Il ne nous reste qu'à les connaître, à apprendre
+l'art d'en jouir. Si nous comprenions quelles «villégiatures» charmantes
+sont les jardins de Paris, ses parcs et les deux forêts qui le bordent à
+l'est et à l'ouest, nous n'éprouverions pas le besoin--en attendant
+l'annuel voyage à la mer ou dans la montagne--de nous en aller geler ou
+rôtir, du mois d'avril au mois de juillet et de septembre à la
+Toussaint, dans des maisonnettes de banlieue. Avez-vous pratiqué la
+villégiature de banlieue, madame?
+
+Je fis signe que non, et mon libraire devint véhément:
+
+--Eh bien, dit-il, je vous en félicite. J'ai une villa, moi: la «Villa
+des Roses». Je l'ai achetée, il y a quelques années, sur les conseils
+d'un médecin qui me recommandait fortement, pour les miens et pour moi,
+«de la distraction, du repos, du bon air».
+
+»La maisonnette est gentille et le pays n'est pas mal. Mais il y fait si
+chaud que nous avons dû, cet été, sans l'avouer à nos amis, venir
+coucher à Paris plusieurs fois pour respirer un peu. Et s'il n'y faisait
+que chaud, madame! Il y _fait_ surtout ennuyeux. Ma femme est, dans
+cette maisonnette, éloignée de sa famille et de ses amis, et cet
+isolement la rend acariâtre. C'est une joie pour elle, pendant ces mois
+d'été, de s'apercevoir, de temps en temps, qu'un indispensable objet de
+toilette ou de ménage lui manque et d'en tirer prétexte pour venir
+passer une demi-journée à Paris. Cette «Villa des Roses»! c'est devenu
+pour elle une espèce de prison où elle ne vit plus, comme le potache au
+lycée, que dans l'attente des jours de congé.
+
+» Pour moi, c'est pire. Et l'on ne se figure pas, si l'on n'en a pas
+fait l'expérience, la somme de corvées, d'incommodités, de dérangement,
+de petites servitudes que représente, pour un bourgeois parisien, marié
+et père de famille, cette chose si naïvement désirée par tant de gens:
+une maison de campagne.
+
+»C'est, le matin, l'ennui de s'habiller vite pour ne pas manquer le
+train du départ; c'est, le soir--pour ne pas manquer le train du
+retour--a nécessité de bâcler ses affaires, de mettre à la porte l'ami
+qui vient vous voir ou de ne l'écouter que la montre à la main;
+d'ajourner au lendemain telles besognes urgentes qu'on eût souhaité de
+liquider la veille. C'est l'ennui de déjeuner au restaurant pendant
+trois mois et d'errer seul dans un appartement poussiéreux, d'aspect
+tragique, au milieu de meubles habillés de housses, et de lustres, de
+vases, de tableaux, enveloppés de papier...
+
+» Et puis il y a les «commissions». Vous savez qu'au point de vue
+culinaire la campagne est, par définition, un endroit «où l'on ne trouve
+rien». Le devoir s'impose donc, au mari qui vient à Paris tous les
+jours, à en rapporter, plusieurs fois par semaine, le melon, la
+langouste ou les fruits que la famille attend. En sorte que l'époque de
+la canicule est le moment de l'année où je vis le plus fiévreusement, le
+plus tristement, et où j'ai le plus de paquets à porter.
+
+» Mais ceci n'est rien encore, et le temps approche où tous ces ennuis
+s'aggraveront d'un petit supplice nouveau. En mai, en juin, en juillet,
+je quittais le matin la campagne à l'heure où précisément il eût été
+délicieux d'y rester. A partir du mois prochain--les jours étant
+redevenus courts et les nuits fraîches--j'y reviendrai, chaque soir, à
+l'heure exacte où l'on commence à regretter de s'y trouver.»
+
+Mon ami conclut:
+
+--Le goût des voyages, heureusement, nous aura bientôt délivrés de
+l'ennui des villégiatures suburbaines. A présent, on met le temps des
+grandes vacances à profit pour changer d'air et d'horizon, courir la
+montagne et «lézarder» sur le sable des plages; on se déplace plus
+facilement qu'autrefois; on a des curiosités que n'avaient pas nos
+grands-pères. Mais cela coûte cher. Il faudra donc, petit à petit,
+s'habituer à choisir entre la villa de Seine-et-Oise et la chambre
+d'hôtel en Normandie, en Bretagne, dans les Pyrénées. Cinq mois de
+banlieue ou deux mois de tourisme? On préférera le tourisme, et ce sera
+le krach des maisons de campagne. Alors, les Parisiens auront le temps
+d'admirer chez eux des choses comme celle-ci...»
+
+Il me montrait, en disant cela, la délicieuse fontaine de Médicis,
+blottie au fond de sa niche de verdure et d'eau. Nous étions seuls. Et
+il me sembla que le cyclope Acis et Galatée considéraient d'un oeil
+surpris notre visite...
+
+SONIA.
+
+
+
+NOTES ET IMPRESSIONS
+
+La santé et la jeunesse sont de joyeux compagnons de route. Ils changent
+en poudre dorée la poussière du chemin. A. GENNEVRAYE.
+
+ *
+ * *
+
+Souvent, le charme mène plus loin que la beauté. OUIDA.
+
+ *
+ * *
+
+Nous empruntons aux étrangers des mots, des formules exprimant nos
+propres et plus vieilles idées, et nous croyons leur devoir les idées
+elles-mêmes.
+
+ *
+ * *
+
+Les voyages donnent aux oisifs l'illusion de l'activité. G.-M. VALTOUR.
+
+
+
+[Illustration: Comment on verra l'éclipse partielle dans diverses villes
+d'Europe.]
+
+L'ÉCLIPSE DE SOLEIL DU 30 AOÛT
+
+Par CAMILLE FLAMMARION.
+
+Le 30 août prochain, à 1 h. 19, on verra, de Paris, le soleil
+partiellement éclipsé par la lune, qui passera devant et couvrira les 82
+centièmes du diamètre de son disque. L'ombre de la lune formera, au
+sud-ouest de Paris, un cône invisible qui viendra toucher le sol
+d'Europe sur le territoire de l'Espagne et produira là une éclipse
+totale couvrant un cercle de 190 kilomètres de diamètre. Cette ombre
+arrivera sur la côte septentrionale de l'Espagne, entre Santander et la
+Corogne, et glissera du nord-ouest vers le sud-est, pour quitter la
+péninsule entre Tarragone et Valence, ayant traversé l'Espagne avec une
+vitesse de 750 mètres par seconde ou 45 kilomètres par minute, et,
+glissant sur la Méditerranée, passera ensuite sur l'Algérie, la Tunisie,
+la Tripolitaine, l'Égypte, la mer Rouge, et finira au golfe Persique.
+Elle aura commencé au Canada et aura traversé l'Atlantique avant
+d'arriver en Espagne[1].
+
+[Illustration: Trajet complet de l'éclipse totale de soleil du 30 août,
+du Canada en Arabie.]
+
+C'est en Espagne que nous allons nous installer pour l'observer, en très
+grande majorité, quelques-uns cependant s'éloignant jusqu'en Algérie, en
+Tunisie, et même en Egypte. Il importe, en effet, de s'échelonner sur la
+plus grande partie de la zone pour diminuer les risques de voir
+l'éclipse éclipsée par une arrivée intempestive des nuages. La plupart
+des astronomes français ont choisi Burgos et Alcala comme stations
+d'observation. Pour moi, j'ai adopté Almazan, à une grande hauteur sur
+la Cordillère.
+
+En 1900, j'avais choisi la pittoresque oasis d'Elche, non loin
+d'Alicante. Le ciel fut d'une limpidité merveilleuse et tel que nous la
+souhaiterions pour l'éclipse prochaine. Mais cette année-ci est moins
+calme que celle de 1900 au point de vue atmosphérique: elle est fertile
+en orages et en cyclones, car elle correspond au maximum de l'activité
+solaire. Vivons dans l'espérance.
+
+[Note 1: Le phénomène sera vu de toute la France et même de tous les
+points de l'Europe, mais comme éclipse partielle seulement; c'est-à-dire
+que la lune, dans son mouvement, passera devant le soleil sans arriver à
+le masquer complètement. La portion éclipsée sera d'autant plus grande
+qu'on se rapprochera davantage d'une ligne joignant Burgos à Sfax.
+
+Les phases de l'éclipse seront: à Paris 0,82, soit environ les 8
+dixièmes du soleil éclipsé; à Lyon 0,86; à Marseille 0,90; à Bordeaux
+0,93; à Toulouse 0,94; à Perpignan 0,95; à Biarritz 0,96; à Alger 0,98.
+(Les phases publiées par la _Connaissance des temps_ de 1905 sont
+inexactes; on les a corrigées, sur les indications de M. Camille
+Flammarion, dans un erratum.)
+
+On observera facilement l'éclipse à l'oeil nu, garanti par un verre
+fumé. On pourra aussi en suivre les phases sur une feuille de papier
+au-dessus de laquelle on tiendra, à 30 ou 40 centimètres de distance,
+une carte de visite percée d'un fort trou d'épingle. Elle sera également
+visible sur le sol dans les projections solaires formées par la lumière
+filtrant à travers les interstices des arbres.
+
+Nous donnons ci-contre une carte dessinée par M. l'abbé Moreux, de
+l'observatoire de Bourges, et destinée à montrer ce que l'on pourrait
+appeler le «mécanisme» de l'éclipse, qui sera totale sur toute la bande
+ombrée traversant l'Espagne et la Tunisie.]
+
+Nul spectacle n'est plus imposant que celui d'une éclipse totale de
+soleil. L'immuable splendeur des mouvements célestes ne m'a jamais
+frappé avec autant de puissance que pendant l'observation de ce
+grandiose phénomène. Avec l'absolue précision du calcul astronomique,
+notre satellite, en gravitant autour de la terre, arrive sur la ligne
+théorique menée de l'astre du jour à notre planète et s'interpose
+graduellement, lentement et exactement devant lui. L'éclipse se produit
+à la minute déterminée par le calcul. Puis le globe obscur de la lune,
+continuant son cours régulier, démasque l'astre radieux et
+graduellement, lentement, termine son passage devant lui. Il y a là,
+pour tout observateur, une double leçon philosophique, une double
+impression: celle de la grandeur, de l'omnipotence des forces
+inexorables qui régissent l'univers, et celle de la valeur
+intellectuelle de l'homme, de cet atome pensant, perdu sur un autre
+atome et qui, par le travail de sa faible intelligence, est parvenu à la
+connaissance de ces lois qui l'emportent lui-même comme le reste du
+monde, dans l'espace, dans le temps et dans l'inconnu.
+
+Dans cet impressionnant spectacle de l'occultation de l'astre du jour,
+l'étrangeté de la pâle lumière qui reste pour éclairer la nature étonnée
+joue un rôle considérable. Tout est changé dans l'aspect des choses.
+L'anneau d'or qui entoure le soleil éclipsé répand sur la terre la
+lumière d'un autre monde.
+
+Quelques minutes avant le commencement de la totalité, la lumière
+normale du jour diminue fortement et se transforme. La nature entière
+paraît oppressée sous une sorte de terreur. Les oiseaux, qui
+gazouillaient dans les branches, se taisent, et ceux qui ont des nids y
+rentrent précipitamment. Quelques-uns ne le retrouvent pas et, se
+heurtant contre les murs, tombent morts. Les poussins se réfugient sous
+l'aile de leurs mères, les chiens demandent protection à leurs maîtres,
+les troupeaux abandonnent leurs pâturages et cherchent à rentrer, les
+abeilles cessent leurs bourdonnements et reviennent inquiètes à la
+ruche, les chauves-souris sortent et volettent. La nuit qui arrive
+subitement déconcerte tous les êtres vivants.
+
+[Illustration: La marche de l'ombre de la lune sur l'Espagne et la
+Tunisie le 30 août. (Les chiffres indiquent les heures et la durée de
+l'éclipse totale en chaque point)]
+
+[Illustration: Comment on verra l'éclipse partielle dans diverses villes
+des États-Unis, de Russie, de Sibérie, d'Égypte et d'Arabie.]
+
+L'homme lui-même ne peut se défendre d'une certaine émotion, quoiqu'il
+sache qu'il n'y a là qu'un phénomène naturel qui suit mathématiquement
+les lois du calcul. L'étrange lumière dont je parlais tout à l'heure
+donne aux visages un aspect cadavérique, clarté blafarde analogue à
+celle de l'esprit-de-vin brûlant saturé de sel, illumination livide et
+funèbre paraissant annoncer la dernière heure du monde.
+
+Au moment où la dernière ligne du croissant solaire disparaît, on voit,
+au lieu du soleil, un disque noir environné d'une auréole lumineuse à la
+base de laquelle brûlent des flammes roses et lançant dans l'espace
+d'immenses jets de lumière. La nuit subite reste éclairée par cette
+vague clarté céleste. Ce spectacle est fantastique, grandiose, solennel
+et sublime.
+
+C'est en ces minutes rares et précieuses que l'on a d'abord deviné, puis
+étudié la constitution physique de l'astre aux rayons duquel la vie de
+la terre est suspendue. Minutes rares, en effet, car la durée de la
+totalité des éclipses observées varie entre une et six minutes, et il
+n'y en a pas une par an. Depuis l'éclipsé de 1842, qui mit les
+astronomes sur la voie de leurs découvertes, il n'y a eu que trente
+éclipses totales dont on peut voir la liste dans mon _Astronomie
+populaire_, et les observations n'ont pas occupé plus de cent minutes,
+soit un peu plus d'une heure et demie. Voilà, certes, une heure et demie
+bien employée!
+
+Ces minutes nous ont appris qu'il y a, tout autour du soleil, une nappe
+de feu de 10.000 à 15.000 kilomètres d'épaisseur, sorte de flamme de
+punch, de couleur rose, qui brûle constamment. C'est la chromosphère.
+Elle n'est visible que pendant les éclipses. Sa température paraît être
+d'environ 6.000 degrés centigrades.
+
+L'hydrogène en forme la partie supérieure, mais l'analyse spectrale
+montre dans sa couche inférieure les vapeurs du magnésium, du fer et
+d'un grand nombre de métaux. De cette nappe de feu s'élèvent des flammes
+gigantesques, des protubérances roses, également, atteignant parfois
+100.000 et 200.000 kilomètres de hauteur! Ces éruptions formidables
+s'effectuent dans une atmosphère gazeuse qui constitue ce que nous
+pourrions appeler la couronne atmosphérique du soleil. Elle est
+adhérente au globe solaire et tourne avec lui en vingt-cinq jours
+environ.
+
+Pendant l'éclipse du 28 mai 1900, j'ai parfaitement distingué cette
+couronne atmosphérique, très lumineuse et d'un blanc d'argent éclatant.
+Elle se fond dans une seconde auréole, qui lui est extérieure, est moins
+brillante et moins dense, et paraît formée de corpuscules provenant
+principalement des éruptions solaires, circulant indépendamment autour
+de l'astre, dont la forme d'ensemble varie avec l'activité solaire et
+peut être due à des forces électriques ou magnétiques, contre-balancées
+par des résistances de diverses natures. Dans notre propre atmosphère,
+les éruptions volcaniques sont distinctes de l'enveloppe aérienne.
+
+C'est principalement cet entourage solaire que les astronomes vont
+étudier pendant l'éclipse Son aspect varie suivant les années. Aux
+époques de grande activité, comme cette année, cette couronne entoure
+entièrement le disque solaire, à une grande distance, et approche de la
+forme circulaire. L'une des plus belles et des plus régulières que l'on
+ait admirées est celle de l'éclipse du 17 mai 1882, voisine, comme
+celle-ci, d'une époque de maximum de taches solaires. Un dessin qui en a
+été pris en Égypte par M. Tacchini est d'autant plus curieux qu'une
+petite comète avait justement été vue près du soleil pendant la
+totalité.
+
+En général la forme extérieure de la couronne n'offre pas la même
+régularité géométrique qu'en 1882. Souvent des jets immenses s'élancent
+au loin en diverses directions.
+
+Pendant l'éclipse de 1900, correspondant à un maximum de l'activité
+solaire, la couronne s'est montrée très allongée dans le sens de
+l'équateur solaire. D'un côté même elle était double, et allait finir en
+pointe tout près de Mercure, qui brillait à une distance égale à environ
+six fois le diamètre du soleil.
+
+C'est sur l'analyse attentive de cette glorieuse couronne que se
+porteront les efforts des astronomes, et, notamment, parmi les nôtres,
+de MM. Janssen et Deslandres, de l'observatoire de Meudon. On l'étudiera
+par le dessin direct, par la photographie, par l'analyse de la lumière
+au spectroscope, par les méthodes les plus perfectionnées de la science
+actuelle.
+
+On comprend tout l'intérêt qui s'attache à la connaissance de l'astre
+solaire si l'on songe que toute la vie terrestre (ainsi que celle des
+autres planètes) dépend des radiations de cet astre. De sa surface
+agitée par les flots d'une éternelle tempête s'élancent constamment,
+avec la vitesse de l'éclair, les vibrations fécondes qui vont porter la
+vie sur tous les mondes. Le jour où le soleil s'éteindra, la terre où
+nous sommes ne sera plus qu'un morne, obscur et silencieux cimetière
+roulant dans l'éternelle obscurité de l'espace.
+
+
+
+LES FÊTES EN L'HONNEUR DE LA FLOTTE FRANÇAISE A PORTSMOUTH ET A LONDRES
+
+[Illustration: Le maire de Portsmouth et les conseillers municipaux, en
+robe, allant, le 9 août, présenter à l'amiral Caillard les souhaits de
+bienvenue de la ville.]
+
+[Illustration: Au château d'East-Cowes, le 8 août: l'amiral Caillard
+présente les officiers de son état-major à la princesse Béatrice de
+Battenberg, «gouverneur» de l'île de Wight.]
+
+[Illustration: Divertissements de marins anglais et français, à
+Wales-Island, le 10 août: la course à âne.]
+
+[Illustration: La locomotive pavoisée du train de luxe qui a transporté
+les officiers et marins de Portsmouth à Londres, le 10 août.]
+
+[Illustration: A travers les rues de Londres: le défilé des breaks
+promenant les marins français.]
+
+[Illustration: L'arrivée des marins français et des personnages
+officiels dans la cour du Guildhall.]
+
+[Illustration: Le banquet offert aux marins français dans la grande
+salle du Guildhall, ancien hôtel des corporations de Londres, le 11
+août.]
+
+[Illustration: A la sortie du Guildhall: formation du cortège pour se
+rendre à l'Alhambra.]
+
+[Illustration: Le banquet offert aux officiers de l'escadre française, à
+Westminster, le 12 août.]
+
+
+
+[Illustration: Baron de Rosen et attachés à la délégation russe. M.
+Witte. Président Roosevelt. Baron Komura. LA PREMIÈRE RENCONTRE DES
+PLÉNIPOTENTIAIRES RUSSES ET JAPONAIS, LE 5 AOÛT Le président Roosevelt
+présente l'un à l'autre M. Witte et le baron Komura, dans le salon de
+réception du yacht du gouvernement américain, le «Mayflower».]
+
+_Il appartenait au président Roosevelt, après avoir pris l'initiative
+des négociations pour la paix entre la Russie et le Japon, de présenter
+les uns aux autres, à leur arrivée aux États-Unis, les plénipotentiaires
+russes et japonais. Cette formalité protocolaire a eu lieu le 5 août,
+dans les eaux américaines, à Oyster-Bay, à bord du yacht présidentiel_
+Mayflower. _Le président y était venu de son cottage de Sagamore Hill.
+Bientôt après, le croiseur_ Tacoma _arrivait portant les délégués du
+Japon qui, représentants du vainqueur, devaient être reçus les premiers
+par M. Roosevelt, tandis que le croiseur_ Chattanooga _amenait, à
+quelques minutes de là, les plénipotentiaires russes. Les présentations
+eurent lieu dans la grande salle du yacht, où se tenaient M. Witte, et
+ses collaborateurs, et où l'on introduisit cérémonieusement le baron
+Komura et, les délégués japonais qui, à l'arrivée des Russes, s'étaient
+retirés dans un petit salon voisin. Les figures des Japonais étaient
+graves, leurs yeux froids, on le remarqua. Et l'on constata par contre,
+non sans quelque sympathie, que l'attitude de M. Witte était cordiale,
+ronde, franche; elle séduisit fort les Américains._
+
+ARRIVEE DES PLÉNIPOTENTIAIRES A BORD DU "MAYFLOWER", LE 5 AOÛT Le baron
+Komura. M. Witte.
+
+[Illustration: Au centre de la page, le yacht _Mayflower._]
+
+[Illustration: M. Roosevelt monte à bord du _Mayflower_ pour présider à
+la première entrevue.]
+
+[Illustration: Russes et Japonais sur le pont du _Mayflower_ après les
+présentations.]
+
+LES POURPARLERS DE PAIX ENTRE LA RUSSIE ET LE JAPON
+
+_Stereograph copyright 1905 Underwood and Underwood, London and
+New-York._
+
+
+
+_Dessin original de Jeanniot._
+
+A TROUVILLE: SUR LES PLANCHES.
+
+_Privilégié à divers titres parmi les nombreuses stations balnéaires de
+Normandie, Trouville doit à sa proximité relative de Paris d'avoir
+conquis de longue date la faveur des Parisiens. C'est la plage mondaine
+par excellence; au beau moment de la saison, ses fameuses «planches
+sont, suivant la formule consacrée, le rendez-vous des suprêmes
+élégances, et cette reconstitution, au bord de la mer, de l'avenue du
+Bois et de la «potinière» offre assurément le tableau, tout ensemble le
+plus complet et le plus brillant, des nouveautés de la mode._
+
+[Illustration: Le fiord de Christiania.]
+
+
+
+EN NORVÈGE
+
+_Fragments d'un journal de voyage._
+
+Suite et fin IV.--Voir les numéros des 8, 29 juillet et 12 août.
+
+LE CAP NORD
+
+_Samedi 16 juillet._--Nous arrivons au cap Nord. Nous avons vu d'autres
+montagnes aussi noires, aussi désolées, aussi hautes et imposantes. Mais
+celle-ci est la dernière, et, à bord, on est un peu fier de voir que
+notre Europe finit bien. On se propose de faire l'ascension du rocher,
+trois cents mètres pénibles, afin de pouvoir dire qu'on est monté là et
+surtout pour y mettre, dans une boîte aux lettres levée tous les huit
+jours, des cartes postales naturellement, qui porteront le timbre du cap
+et feront la joie des collectionneurs. Il y en a un véritable
+chargement. Certain passager en expédie quarante pour sa seule part.
+Beaucoup les ont confiées aux commissaires du bord; d'autres les gardent
+dans leur poche pour les expédier eux-mêmes. Comme on le verra, ce fut
+une précaution malheureuse.
+
+La mer ne paraît pas très forte aux yeux inexpérimentés des passagers,
+qui retiennent plus ou moins les manifestations de leur mécontentement
+lorsque le bruit court que l'on ne débarquera pas. En présence de cette
+attitude, l'excellent commandant, afin de nous donner une leçon de
+choses, donne l'ordre de mettre la pétrolette à la mer. Dès qu'elle est
+dégagée des palans, les plus obstinés commencent à montrer moins
+d'empressement. L'embarcation, soulevée par les lames, fait au pied de
+l'échelle des différences de niveau de deux à trois mètres. La
+démonstration semble faite. Ce n'est pas l'avis des officiers du bord,
+qui embarquent non sans difficultés. Parmi eux est le commissaire
+porteur du paquet de cartes postales. Le prétexte donné à la petite
+promenade est de s'assurer si le débarquement à terre serait possible.
+Il est possible, en effet, pour des marins, et les cartes postales
+partiront. Au retour, la mer a un peu grossi et c'est par l'échelle de
+corde destinée aux pilotes que les officiers, un peu malicieusement
+peut-être, reviennent à bord. Cette fois, personne ne demande plus à
+partir et la pétrolette est hissée sans protestation.
+
+Mais la désolation est sur bien des visages.
+
+Être venu de si loin, s'en approcher autant et ne pas mettre le pied sur
+le cap Nord! Des lamentations encore.
+
+--Et nos cartes postales! nos cartes postales! nos cartes postales!
+
+Une barque est prochaine, montée par trois ou quatre pêcheurs venus nous
+attendre avec du Champagne qu'ils comptaient vendre là-haut à bon prix.
+Si on les chargeait des cartes postales! Mais le moyen de les leur faire
+parvenir? La mer est trop forte pour qu'ils puissent approcher de
+l'échelle... Pauvres cartes postales!
+
+Un passager alors a une idée ingénieuse. Il collecte les précieuses
+cartes postales, fait une quête et enferme le tout dans quatre ou cinq
+journaux. Ce paquet, ficelé, est ensuite attaché à une bouteille bien
+bouchée, le tout jeté à la mer et recueilli, avant que l'épaisseur des
+journaux ait pu être traversée, par les Norvégiens qui s'éloignent à
+force de rames et donnent des signes de joie surprenants pour ce pays.
+On se croirait dans le Midi. Et pourtant...
+
+Nous partons. Il est une heure du matin, le ciel est couvert. Il fait
+plein jour, on ne se lasse pas de le répéter. Nous perdons ici le besoin
+du sommeil. On ne peut se résoudre le soir à regagner sa cabine. On
+reste sur le pont, malgré le froid, et l'on admet difficilement qu'on
+puisse aller dormir avant la nuit.
+
+LA PÊCHE A LA BALEINE
+
+_Dimanche 17 juillet._--...L'île de Skarro est une station de pêche à la
+baleine. Du bord, avant de débarquer, nous voyons, près du rivage, une
+roche ronde où la mer se brise. Ce n'est pas une roche. C'est une
+baleine prise la veille. Sur les galets, des cadavres de baleine gisent,
+à moitié dépecées. L'odeur est insupportable. Nous fuyons vers une
+maisonnette gaie, sur une hauteur, habitation du directeur de la
+pêcherie. Il a eu l'idée bizarre d'employer, comme bordure pour ses
+gazons, des vertèbres de baleine. Comme porte d'entrée, il y a une sorte
+d'arc de triomphe ogival, formé par l'assemblage de deux os de mâchoire
+du même animal, et les sièges de l'intérieur sont faits de clavicules.
+
+C'est très gai... pour le directeur d'une pêcherie. Vous trouverez dans
+les ouvrages spéciaux la description du harpon explosible et
+perfectionné que l'on emploie aujourd'hui; vous ne l'attendez pas ici,
+d'ailleurs. De même pour les renseignements sur les ateliers de
+dépeçage. Je n'ai pas eu le courage d'y entrer et, si vous avez le nerf
+olfactif sensible, je vous engage à faire comme moi. Ai-je dit que la
+photographie signée de l'empereur Guillaume II est, au salon, à la place
+d'honneur?
+
+LE CHALET DE GUILLAUME II
+
+_Lundi 18._--Nous allons retrouver ce soir au Raftsund le souvenir de
+cet admirable homme de théâtre. Le paysage est grandiose et terrible.
+Nous entrons dans une sorte d'entonnoir. Les premiers plans sont verts
+et noirs. Les seconds, à droite et à gauche, sont faits de montagnes
+noires sur lesquelles il a neigé récemment. Mais la neige n'est pas
+seulement sur les sommets; elle est restée dans toutes les
+anfractuosités, ce qui fait un dessin fantastique de blanc et de noir.
+Le détroit se rétrécit et s'assombrit à mesure qu'on y pénètre. C'est
+véritablement ici la majestueuse porte de l'enfer. Et l'on admire le
+sens de l'effet que possède le souverain qui s'est fait construire un
+chalet au sommet d'une des montagnes d'entrée. Ah! l'incomparable
+régisseur! Et, si vous ne trouvez pas ici l'indication d'une beauté qui,
+à elle seule, vaudrait le voyage, n'en accusez que l'insuffisance de ma
+description. Je me suis retenu dix fois déjà pour ne pas dire, de ce que
+nous avons vu, que c'était indescriptible.
+
+LE RETOUR--EN CHEMIN DE FER
+
+...... Nous voici dans un tout autre pays sans avoir quitté la Norvège.
+D'abord il fait chaud et, lorsque nous recevons des lettres de France
+nous parlant de la chaleur, nous n'envions plus ceux que nous avions
+laissés là-bas. Ensuite les champs sont semblables aux nôtres...
+semblables du moins à ce qu'ils étaient il y a deux ou trois mois. Nous
+voyons enfin des villages et des villes, des habitants actifs,
+occupés... Voici, à une station un chapeau haut de forme. Merci, mon
+Dieu! A chaque gare, des enfants viennent offrir des bouquets de cerises
+qui rafraîchissent mieux que la bière. Les employés du train sont d'une
+complaisance à laquelle ne sont pas habitués ceux d'entre nous qui n'ont
+voyagé que sur les chemins de fer français. Comme nous sommes
+visiblement harassés, l'employé, qui s'en aperçoit, nous fait lever
+gentiment avec un sourire et nous montre que ceux d'entre nous qui n'ont
+pas de vis-à-vis peuvent, en rapprochant les deux sièges qui se font
+face, s'installer un véritable lit et dormir tranquillement.
+
+[Illustration: Statue d'Ibsen, devant le théâtre de Christiania.
+_Photographies Meys._]
+
+CHRISTIANIA
+
+Ce n'est pas en deux jours qu'on peut voir une ville. Celle-ci nous
+paraît insignifiante. Elle n'a que des monuments modernes qui ne sont
+pas beaux. C'est une grande ville sans caractère et sans intérêt. Dans
+ses musées, on n'a guère remarqué que les fameuses barques des Wikings.
+Elles datent de mille ans au moins et ont été retrouvées au fond d'un
+nord, enfouies dans le sable où elles servaient de tombeaux à leurs
+propriétaires. Le gaillard qui a dormi là est peut-être un des
+envahisseurs audacieux dont les voiles, en remontant la Seine, ont
+attristé la vieillesse de Charlemagne.
+
+Les soirées à bord sont délicieuses. Pour les habitants de Christiania,
+la rade est un lieu de promenade comme le bois de Boulogne l'est pour
+les Parisiens. Notre bateau est amarré entre deux vaisseaux de guerre
+hollandais: triple objet de curiosité. Des centaines, des milliers de
+barques vont de l'un à l'autre. La mer en est couverte. On dirait la
+place de la Concorde un beau soir de mai; les embarcations se frôlent,
+se croisent d'aussi près et en aussi grand nombre que, là-bas, les
+voitures et les automobiles.
+
+Il y a des canots à vapeur qui sifflent pour nous saluer, des petits
+bateaux de toutes les formes: à la rame, où sont des familles et que
+souvent des enfants et des femmes conduisent; des voiliers dont les
+voiles blanches répandent sur tout le tableau une grâce d'oiseaux
+rapides; des périssoires; de longs canots de course montés par de
+vigoureux jeunes hommes en maillot blanc, bras nus, qui font un étalage
+aimable et naïf de leur force et de leur adresse. On vient nous donner
+des sérénades et, d'un petit bateau qui tourne autour de nous comme une
+mouche sur un colosse, les sons aigus d'une flûte nous envoient les
+accents de la _Marseillaise_... On lève l'ancre. Dans trente-six heures
+nous serons en France.
+
+ *
+ * *
+
+Et dans un mois nous aurons oublié, sauf peut-être une ou deux
+exceptions, ceux avec qui nous avons vécu pendant un mois et qui ont
+fait avec nous ce pèlerinage inconscient au soleil qui ne dort pas.
+
+BRIEUX.
+
+
+
+DOCUMENTS et INFORMATIONS
+
+L'INFLUENCE DE LA SCIENCE FRANÇAISE EN CHINE.
+
+Le docteur A.-F. Legendre, médecin-major de 1re classe des troupes
+coloniales, envoyé en 1902 par le ministère des Affaires étrangères à
+Tchen-Tou (capitale de la province du Se-Tchouan, qui compte 40 millions
+d'habitants), y créa, sur la demande du vice-roi du Se-Tchouan, une
+école de médecine. Cette école fut inaugurée officiellement par le
+vice-roi en personne et tous les hauts mandarins; elle compte
+actuellement 32 élèves, choisis parmi la classe dirigeante des lettrés.
+
+[Illustration: L'école de médecine impériale de Tchen-Tou. (Au milieu,
+le médecin-major Legendre, fondateur et directeur.)]
+
+C'est la seule école d'enseignement supérieur qui existe en Chine, sauf
+à Tien-Tsin.
+
+Le docteur Legendre est venu en France dans le but d'obtenir le matériel
+et le personnel nécessaires pour assurer le bon fonctionnement de cette
+école de médecine chinoise et son organisation complète, en conformité
+avec les derniers perfectionnements de la science actuelle.
+
+A l'école de médecine sera annexée une école de sciences.
+
+Le docteur Legendre reprendra, en septembre prochain, la route du
+Se-Tchouan, pour parachever son oeuvre.
+
+La photographie ci-dessus représente les élèves de l'école de médecine
+impériale, avec leurs administrateurs et censeurs chinois, et leur
+directeur et professeur, le docteur Legendre.
+
+_Un nouvel enseignement commercial._
+
+Les nécessités de la vie économique contemporaine ont décidé la Chambre
+de commerce de Paris à réorganiser son _Ecole supérieure de commerce_.
+Sous le titre nouveau et significatif _d'École supérieure de commerce et
+d'industrie_, elle en a fait l'institution modèle dans la forme
+définitive qu'avaient rêvée sans doute ses fondateurs, Brodart et
+Legret, négociants à Paris; leurs principaux collaborateurs, J.-B. Say,
+Chaptal, de Prony, Ch. Dupin, Casimir-Périer, Jacques Laffitte, et
+peut-être aussi l'un de ses plus distingués directeurs, Adolphe Blanqui.
+
+Aidée par l'État et par la ville de Paris dans cette grande entreprise,
+la Chambre de commerce justifie aujourd'hui leur confiance en apportant
+à l'organisation de l'École des remaniements qui aboutissent à la
+création, avenue de la République, d'un enseignement commercial complet,
+à la fois rationnel et pratique, conçu d'après les données les plus
+modernes et qui forme, pour le commerce général ou d'exportation, pour
+la banque, l'industrie, les administrations, etc., des jeunes gens
+capables de devenir soit des employés supérieurs, soit des directeurs de
+services ou des chefs de maison.
+
+Cet enseignement est donné à des jeunes gens âgés de douze à dix-neuf
+ans.
+
+Une _section de navigation maritime_, placée sous le contrôle du
+ministère de la Marine, est annexée à l'École. Le diplôme de sortie
+confère en même temps le certificat d'aptitude (examen de théorie) pour
+le _brevet supérieur de capitaine au long cours._
+
+LA RESPIRATION DU SOL.
+
+Tout comme les êtres vivants, le sol de notre planète respire,
+c'est-à-dire aspire et expire de l'air, tour à tour. Mais, différent en
+cela des êtres vivants, il ne respire pas par ses moyens propres: il
+reste passif dans cette affaire. On savait bien, depuis longtemps, que
+les interstices du sol sont remplis d'air, et l'on savait aussi qu'il
+devait y avoir tantôt plus d'air, et tantôt moins, dans le sol, sous
+l'influence des variations barométriques. Mais rien ne démontre et n'
+«illustre» mieux le phénomène que les puits sur lesquels M. F. Gerlier,
+médecin à Ferney-Voltaire, vient d'attirer l'attention. Ces puits,
+situés dans le canton de Genève, présentent cette particularité
+d'aspirer l'air à certains moments et de le refouler à d'autres. Il est
+facile de voir s'ils aspirent ou expirent: ils sont fermés par une dalle
+solide, pourvue d'un petit orifice, permettant d'avoir prise sur elle et
+de la soulever; il suffit de placer une allumette enflammée, un bout de
+plume, etc., sur l'orifice, pour voir de suite s'il y a courant d'air,
+et dans quel sens. On peut encore poser un sifflet dans l'orifice, en
+l'entourant de mastic: selon le sens où le sifflet est posé, on a un
+sifflement continu pendant l'inspiration ou l'expiration du puits et
+l'on peut faire savoir au loin, automatiquement, si l'on va vers le beau
+temps ou vers la pluie. Car les puits qui soufflent ou aspirent sont
+essentiellement barométriques. Ils réagissent aux influences qui font
+monter ou descendre le baromètre et les habitants des villages les
+considèrent comme d'excellents baromètres. Dès que le baromètre monte,
+en même temps qu'il monte, plutôt, le puits aspire. La pression
+barométrique étant plus forte dehors, l'équilibre de la pression de
+l'air dans le sol ne peut s'établir que par la poussée de l'air
+extérieur vers le souterrain: de là apparence d'aspiration du puits. Si
+le baromètre baisse, en dehors, le phénomène inverse se produit. La
+pression est forte dans le sol, faible dans l'air; l'équilibre s'établit
+par la poussée de l'air relativement comprimé du sol vers l'extérieur:
+le puits expire. Rien n'est plus naturel, ou d'explication plus facile,
+quand on considère les puits particuliers dont il s'agit. Ils sont tous
+profonds, pauvres en eau, souvent à secs et forés dans une couche de
+gravier. Une couche de gravier, cela représente beaucoup de vides et
+d'interstices; cela fait un réservoir d'air étendu, par conséquent. Et
+le puits est, en réalité, le tuyau par où communiquent un réservoir
+d'air souterrain et un autre réservoir, qui est l'atmosphère. Toujours
+l'équilibre tend à s'établir entre la pression, dans les deux
+réservoirs; et elle s'établit en donnant lieu aux mouvements
+d'aspiration et d'expiration. Une augmentation de pression dans l'air
+extérieur, qui se traduit par une hausse du baromètre, se traduit par un
+refoulement d'air dans le réservoir souterrain qui est à pression
+moindre--celle où le baromètre se trouvait avant de commencer à monter.
+La baisse de pression dans l'air a pour conséquence une expiration:
+l'air souterrain étant à pression forte--celle du baromètre avant sa
+descente--il est chassé par sa pression dans l'air extérieur,
+naturellement, où la pression est moindre. Le sol respire donc, là
+surtout où il est très perméable et renferme beaucoup d'air.
+
+LA NOUVELLE FAUNE DU VIEUX PORT DE MARSEILLE.
+
+Les personnes qui ont connu Marseille avant l'établissement du canal de
+la Durance se rappellent certainement quel immonde cloaque était le
+vieux port, où débouchaient tous les égouts de la vieille ville. La
+saleté des fonds et des eaux était légendaire, les poissons n'y vivaient
+pas, et il était admis qu'un des meilleurs moyens de débarrasser les
+coques des navires des nombreux animaux qui les envahissaient était de
+les faire séjourner quelque temps dans les eaux du vieux port.
+
+Quand le canal de la Durance fut fait, il y eut un apport d'eau douce
+plus considérable, et les coquillages purent vivre jusqu'au tiers de la
+longueur du bassin; puis, dès 1885, Marseille fit établir le
+tout-à-l'égout et les immondices de la ville ne se déversèrent plus dans
+le port, mais sur la côte, à une quinzaine de kilomètres à l'est. Très
+rapidement alors les eaux du vieux port prirent de la limpidité, des
+algues apparurent partout, et les Marseillais purent s'y livrer à la
+pêche d'une façon fructueuse.
+
+Ayant étudié récemment la faune du vieux port, MM. A. Briot et Van Gaver
+ont constaté que la vie se manifestait actuellement jusqu'à l'extrême
+fond du bassin. Les mollusques y sont nombreux et, près de la passe, les
+crabes ont fait leur apparition.
+
+Dès qu'on arrive à l'avant-port, les fonds deviennent d'une surprenante
+richesse. A la vase noire succède un cailloutis où les invertébrés de
+toutes sortes pullulent. Les algues rouges apparaissent à cet endroit,
+les oursins, les tubes d'annélides.
+
+Tous ces êtres, ne s'accommodant que d'eaux relativement assez pures,
+sont le témoignage vivant de l'assainissement du port de Marseille.
+
+L'ACOUSTIQUE DES SALLES DE RÉUNION.
+
+Les mathématiciens et les physiciens ne sont pas encore arrivés à
+déterminer les conditions que doivent remplir les grandes salles
+destinées aux spectacles, aux concerts ou aux cours, pour bien porter
+les sons et la parole; et les architectes n'ont pas mieux réussi à
+résoudre ce difficile problème.
+
+Quand on construit une de ces salles, on compte sur la chance pour
+réussir; et le résultat est, en effet, au petit bonheur. Il arrive même
+que, sans le vouloir, on obtient des salles d'une acoustique admirable.
+
+Mais, si difficile qu'il soit, ce problème n'est certainement pas
+insoluble.
+
+Pour le résoudre, M. Exner, physiologiste viennois, a pensé qu'il
+fallait s'adresser à la méthode expérimentale, et il a imaginé un
+dispositif d'expériences très ingénieux qui lui a donné des résultats
+fort précis.
+
+L'_acoustimètre_ de M. Exner comprend un appareil producteur de sons
+(amorces détonant sous l'action d'un percuteur actionné à distance), des
+appareils collecteurs des sons et de leurs échos (microphones installés
+aux différents points de la salle dont on étudie l'acoustique) et un
+appareil mesureur (poste téléphonique que l'on peut relier à l'un
+quelconque des microphones).
+
+Ce poste comprend un rhéostat, que l'on intercale dans les circuits des
+microphones, en interposant des résistances capables d'annuler la
+transmission du son.
+
+Par la grandeur variable de ces résistances, l'observateur connaît
+exactement l'intensité du son aux divers points étudiés.
+
+Cette méthode, appliquée empiriquement, permettra de connaître
+exactement la valeur acoustique d'une salle; mais il est probable
+qu'elle permettra, en outre, d'établir le dessin théorique des salles de
+bonne acoustique.
+
+
+
+MORT D'UN EXPLORATEUR ASIATIQUE
+
+[Illustration: Le lieutenant Grillières.]
+
+Le lieutenant Grillières, du 4e zouaves, est décédé le 15 juillet, à
+Semao (Asie centrale), au cours d'une mission dont il avait été chargé
+par le ministère de l'Instruction publique. Fils du colonel du génie en
+retraite Louis Grillières, le défunt, âgé de trente-sept ans à peine,
+avait accompli précédemment d'autres missions intéressantes, notamment
+en Chine et au Thibet; il appartenait à cette élite d'officiers qui,
+pendant les loisirs de la paix, cherchent en marge de la carrière des
+armes, souvent au prix de périls et de fatigues vaillamment affrontés,
+l'utile emploi de leur intelligence et de leur activité. Sa mort
+prématurée, sous un climat lointain, mérite un juste tribut d'hommages
+et de regrets.
+
+UN ANNIVERSAIRE AU VATICAN
+
+Le pape Pie X vient de célébrer avec solennité, le 9 août dernier, le
+second anniversaire de son intronisation.
+
+La messe pontificale, à laquelle Sa Sainteté assistait, a été célébrée à
+la chapelle Sixtine par le cardinal Merry del Val, secrétaire d'État, le
+plus jeune membre du sacré collège. Le pape s'était rendu à la chapelle,
+précédé de la garde noble et suivi de toute la cour romaine, en
+traversant les loges de Raphaël, et la marche de ce' cortège dans ce
+cadre admirable présentait le plus imposant des spectacles.
+
+M. GABRIEL SOULACROIX
+
+Le baryton Soulacroix vient de mourir à Fumel (Lot-et-Garonne), son pays
+natal, à l'âge de cinquante-deux ans. Fils d'un simple boulanger, qui
+élevait non sans peine quatre enfants, Gabriel Soulacroix avait commencé
+ses études au conservatoire de Toulouse, puisses poursuivit à Paris où
+il obtint, en 1878, le second prix de chant et d'opéra-comique.
+
+[Illustration: M. Gabriel Soulacroix. _Phot. comm. par M. Marcel
+Languellier_.]
+
+Après un séjour de neuf années à la Monnaie, à Bruxelles, il avait
+débuté, en 1880, à l'Opéra-Comique. Il y joua tour à tour, jusqu'en
+1894, tous les rôles de baryton du répertoire et figura avec infiniment
+de distinction dans les créations de _la Basoche_, des _Folies
+amoureuses_, de _Falstaff_, de _l'Escadron volant de la reine_, du _Roi
+malgré lui._
+
+En dernier lieu, enfin, il créait, à la Renaissance, _le Duc de
+Ferrare_, et _la Bohème_ de Leoncavallo. Il avait fait, en 1904, une
+brillante rentrée à l'Opéra-Comique avec _le Jongleur de Notre-Dame_.
+
+Lors de l'incendie de l'Opéra-Comique, son sang-froid avait été digne
+d'admiration. En scène au moment où le feu se déclarait, il avait
+beaucoup contribué à empêcher la foule de s'écraser vers les issues et
+avait sauvé bien des existences. Le désastre était assez grand!
+Soulacroix avait alors été récompensé par une médaille de sauvetage, et
+c'était, de toutes ses décorations, celle dont il se montrait le plus
+fier.
+
+
+
+UN MARIAGE FRANCO-CHINOIS Scïé-Ton-Fa, attaché d'ambassade et préfet de
+deuxième classe, épousait, ces jours derniers, en l'église de la
+Madeleine, Mlle Louise Sauvaget, jeune Nivernaise, devenue Parisienne de
+par un séjour de dix ans dans la capitale.
+
+[Illustration: S. S. Pie X, précédé de la garde noble et suivi de la
+Cour pontificale, se rend, par les loges de Raphaël, à la chapelle
+Sixtine, pour célébrer le second anniversaire de son intronisation, le 9
+août dernier.--_Phot. G. Felici._]
+
+[Illustration: M. Scïé-Ton-Fa et sa jeune femme.--_Phot. Anthony's._]
+
+Et ce fut un spectacle plein d'imprévu et de pittoresque que la vue de
+cette cérémonie unissant, dans le cadre de ce temple pseudo-grec, sous
+la bénédiction d'un prêtre chrétien, le jeune Céleste à la jeune
+Parisienne.
+
+Revêtu d'une somptueuse robe de soie bleue, brodée de dragons d'or en
+écusson sur la poitrine, ceinture d'or incrustée de lapis, chaussé de
+hautes bottes de satin noir, Scïé-Ton-Fa, levant fièrement sa tête
+coiffée du chapeau de mandarin à bouton de cristal de roche, sortit
+triomphalement de la Madeleine aux accords de la marche de Lohengrin,
+cependant qu'à son bras Mme Scïé-Ton-Fa, tout émue, laissait dépasser de
+son missel les roses rouges, symbole chinois de l'amour.
+
+
+
+L'ÉCLIPSE DE LUNE DU 15 AOÛT
+
+En attendant la grande éclipse de soleil dont nous parlons plus haut,
+une éclipse de lune a eu lieu dans la nuit du 15 août. Elle a été
+d'autant plus belle qu'un temps splendide, calme et très pur, a permis,
+à Paris, d'en suivre toutes les phases. On sait que les éclipses de lune
+sont produites par le passage de la lune dans le cône d'ombre que la
+terre, astre opaque, projette derrière elle par rapport au soleil. Ce
+cône d'ombre comprend deux parties bien distinctes: l'ombre proprement
+dite et la pénombre.
+
+Dans l'éclipse du 15 août dernier, à partir de 1 h. 17, la lune entrait
+dans la pénombre. Comme celle-ci est très dégradée, on n'a rien constaté
+tout d'abord, et ce n'est guère qu'à 1 h. 45 et surtout 2 heures que la
+pénombre a été vue à la lunette, avec une teinte brune. Mais, sur les
+épreuves photographiques, la pénombre est bien plus accusée. A 2 h. 48,
+la lune est entrée dans l'ombre. Au milieu de l'éclipsé, à 3 h. 50, il y
+avait à peine un tiers du diamètre lunaire dans l'ombre (exactement 292
+millièmes), mais notre satellite n'envoyait plus qu'une lumière
+blafarde, étant, en effet, tout entier dans la pénombre.
+
+[Illustration: La lune avant l'éclipse, à 1 h. 9 du matin. La lune dans
+la pénombre, à 2 h. 39 La lune dans l'ombre de la terre, à 3 h. 5 Un peu
+avant la phase maximum, à 3 h. 42 L'ÉCLIPSE DE LUNE DU 15
+AOÛT.--_Photographies de M. Émile Touchet._]
+
+
+
+[Illustration: L'INFORTUNE GAGNANT, par Henriot.]
+
+
+_NOUVELLES INVENTIONS_
+
+_(Tous les articles compris sous cette rubrique sont entièrement
+gratuits)._
+
+LE RÉCIPIENT «THERMOS»
+
+Une bouteille susceptible de conserver plusieurs jours de la glace, ou
+de maintenir brûlant un liquide quelconque, du café, par exemple,
+pendant plus de quarante-huit heures, voilà, certes, de quoi intéresser
+tout le monde.
+
+La bouteille «Thermos» tient ces merveilleuses promesses.
+
+Disons tout de suite que sa construction est identique à celle des
+fameux ballons à air liquide, inventés par MM. Dewar et d'Arsonval, et
+qui sont capables de conserver pendant plusieurs jours de l'air liquide
+dont la température n'atteint pas 150 degrés au-dessous de zéro.
+
+Tous les corps transmettent plus ou moins bien la chaleur, et le seul
+moyen de ne pas en perdre ou recevoir, c'est d'interposer un espace de
+_vide parfait_ entre les corps à protéger et l'extérieur.
+
+Tout invraisemblable que puisse paraître le fait, un espace _vide d'air_
+d'à peine 1 millimère d'épaisseur est plus isolant que plus de cent fois
+son épaisseur de verre ou de tout autre corps isolant.
+
+On démontre, en électricité, qu'une étincelle capable de franchir 0m,50
+dans l'air ne peut traverser un dixième de millimètre de vide bien fait.
+
+La raison, au fond, en est très simple: la chaleur et l'électricité
+réclament, pour se transmettre, la présence d'une substance matérielle,
+et le vide n'en contient pas, du moins sous la forme ordinaire, puisque
+les savants admettent partout, même dans le vide parfait, l'existence
+d'un milieu spécial: l'éther. La bouteille «Thermos» (fig. 1) se compose
+donc d'une double enveloppe de verre; entre les deux enveloppes se
+trouve un faible espace, entièrement vide d'air.
+
+La construction de ce récipient est des plus délicates et nécessite de
+très grands soins.
+
+L'exacte concentricité des deux enveloppes est obtenue à l'aide
+d'anneaux de feutre, mauvais conducteur, anneaux maintenant un
+écartement régulier et protégeant la partie intérieure contre la,
+possibilité de casse par choc.
+
+[Illustration: Fig. 1. Fig. 2.]
+
+De même, le fond et le haut du goulot interne sont protégés par une
+feuille de feutre tassé.
+
+L'extérieur de la bouteille, toujours dans le même but de protection,
+est recouvert de papier roulé et, finalement, d'une enveloppe
+métallique, portant une garniture de cuir et une courroie (fig. 2).
+
+N'oublions pas de mentionner que la partie intérieure de la double
+enveloppe est argentée avant production du vide.
+
+Cette précaution augmente très sensiblement la puissance protectrice de
+la bouteille.
+
+On sait, en effet, que les corps chauds perdent leur chaleur par
+rayonnement. Le vide parfait lui-même ne protège nullement contre cette
+perte, puisque la chaleur _rayonnante_ le traverse aisément, tout comme
+la lumière; mais la couche brillante d'argent supprime presque
+entièrement cette déperdition. Si l'on chiffre par 100 la quantité de
+chaleur rayonnée par le noir de fumée--la substance qui perd le plus par
+rayonnement--2 ou 3 tout au plus représenteront la perte relative
+occasionnée par l'argent poli.
+
+La bouteille «Thermos» contient donc tous les perfectionnements permis
+par la science et rien d'étonnant que ses propriétés paraissent
+merveilleuses. Comme nous l'avons dit, le petit modèle, le seul
+actuellement en vente, et contenant près d'un demi-litre, conserve de la
+glace trois ou quatre jours, et presque autant un liquide à l'état
+brûlant--sans que ce dernier risque d'ailleurs de le casser.--Le
+problème de la conservation du lait, soit glacé, soit bouillant, va se
+trouver résolu avec ce récipient, surtout lorsque les constructeurs en
+auront établi un type d'une capacité plus considérable, l'efficacité de
+ces appareils étant proportionnelle à leur grosseur.
+
+Nous n'insistons pas sur l'utilité de ce récipient, en été comme en
+hiver, pour les touristes, chasseurs ou voyageurs.
+
+La bouteille «Thermos» se trouve en vente à des prix variant de 15 à 20
+fr., avec courroie; 13 à 18 fr., sans courroie, suivant richesse de la
+garniture, aux Galeries Lafayette et au Louvre, à Paris. Pour
+renseignements, s'adresser par écrit à _M. Marcel Meyer, ingénieur, 18,
+rue Grange-Batelière, Paris._
+
+SUPPLÉMENTS
+
+Note du transcripteur:
+1° Un Supplément théâtral: CRAINQUEBILLE, par Anatole France.
+ Ce supplément illustré ne nous a pas été founi. Nous avons cru bon
+ de reproduire le texte a partir d'un document d'Internet Archives.
+2° Quatre pages tirées à part sur la FÊTE DES VIGNERONS DE VEVEY.
+ Ces pages ne nous ont pas été fournies.
+
+
+
+ANATOLE FRANCE
+
+CRAINQUEBILLE
+
+
+PIÈCE EN TROIS TABLEAUX
+
+Représentée pour la première fois le 28 mars 1903 au théâtre de la
+RENAISSANCE.
+
+
+A LUCIEN GUITRY.
+
+_Mon cher ami,_
+
+_Je ne vous offre pas cette petite pièce de théâtre. Elle vous
+appartient. Elle est vôtre, non pas seulement parce que vous l'avez
+reçue à votre théâtre, et mise en scène d'une merveilleuse manière, et
+fait interpréter par une élite artiste, non pas seulement parce que vous
+avez réalisé le personnage de Crainquebille avec une puissance étonnante
+et une souveraine vérité. Elle est vôtre parce que je ne l'aurais pas
+faite sans vos conseils, parce que telle scène applaudie fut écrite tout
+entière sous votre inspiration._
+
+_J'inscris votre nom sur la première page de notre Crainquebille comme un
+témoignage de mon amitié._
+
+ANATOLE FRANCE.
+
+
+
+PERSONNAGES
+
+CRAINQUEBILLE.
+LE MARCHAND DE MARRONS.
+LE PRÉSIDENT BOURRICHE.
+MAITRE LEMERLE.
+LE DOCTEUR DAVID MATHIEU.
+AUBARRÉE.
+L'AGENT 64.
+LERMITE.
+LE CAMELOT.
+UN ÉPICIER.
+L'AGENT.
+L'HUISSIER.
+LE MARCHAND DE VIN.
+LE CHARCUTIER.
+MADAME BAYARD.
+MADAME LAURE.
+LA SOURIS.
+UNE OUVRIÈRE.
+
+
+
+PREMIER TABLEAU
+
+_Rue de Beaujolais._
+
+
+SCÈNE PREMIÈRE
+
+LE CAMELOT.
+
+Il est vêtu comme un employé du Louvre; debout sur un tabouret, ayant
+devant lui, reposant sur un tréteau, une boîte grande comme une petite
+malle d'où il tire sans cesse des objets qu'il replace aussitôt, il
+achève de débiter à l'auditoire qui l'entoure le boniment dont voici la
+fin... A chaque fois qu'il cite sa maison, il soulève son chapeau haut
+de forme.
+
+... Si la maison Gameron. Cormandel et Cie que j'ai l'honneur de
+représenter sur cette place, s'est enfin décidée aux sacrifices
+multiples dont l'énumération vient de vous être faite par moi, ce n'est
+pas, messieurs, dans un but purement humanitaire, vous ne le croiriez
+pas. Il est faux, et je ne crains pas de l'affirmer hautement, que la
+maison Gameron, Cormandel et Cie ait entrepris la ruine des grands
+magasins ou même du petit commerce, ainsi que des personnes
+malintentionnées ont essayé de le faire croire en pure perte en
+répandant à pleines mains des calomnies que nous n'avons qu'à regarder
+dans les yeux pour les faire rentrer sous terre. Non, messieurs, la
+maison Gameron, Cormandel et Cie n'a envisagé qu'une chose, une seule.
+Elle a son importance et je vous la révélerai tout à l'heure. Je ne
+demande à votre courtoisie bien connue qu'une seconde de patience et
+j'en profite pour me résumer: les six articles qui sont mis à la
+disposition de toute personne qui en fait la demande lui sont remis sur
+un mot, sur un mouvement, sur un geste, sur un simple signe. Ces six
+articles, dont voici la brève énumération, consistent en: 1° une canne
+pneumatique se repliant sur elle-même au moyen d'une simple pression des
+doigts et formant ainsi un objet de menue dimension que l'on peut
+parfaitement dissimuler dans une poche de moyenne grandeur. Cet objet,
+entièrement fait d'un métal inoxydable, représente une valeur marchande
+de trois francs. Je pense, messieurs, n'être pas taxé d'exagération. Il
+suffit de se reporter par la pensée au prix exorbitant atteint par la
+main-d'oeuvre aujourd'hui. Je poursuis: 2° une superbe parure de chemise
+en simili. Les trois boutons pour le plastron. Deux boutons pour les
+manchettes avec le patin bascule en aluminium réfractaire, susceptible
+de résister à l'action du feu pendant plus de quatre heures... Puis le
+bouton pour le faux col, orné d'une ravissante pierre bleue
+semi-turquoise. Je vous demande, messieurs, et je m'adresse plus
+particulièrement aux personnes qui ont l'habitude de ce travail...
+pensez-vous qu'un bijoutier... et je n'entends pas parler ici des
+Boucherons ou des Vevers...
+
+
+
+SCÈNE II
+
+UN PETIT CHARCUTIER, se détachant du groupe, au camelot.
+
+C'est à toi qu'il en faudrait un bouchon.
+
+LE CAMELOT, avec un sourire plein de haine.
+
+Attendez donc, mon petit ami... Attendez donc... J'ai terminé tout de
+suite, je vais pouvoir m'occuper...
+
+LE PETIT CHARCUTIER, après un geste.
+
+Monte là-dessus, tu verras Montmartre, (il sort.)
+
+SCÈNE III
+
+LE CAMELOT, continuant.
+
+Vous préférez vous retirer, jeune homme, licence vous en est donnée. Je
+poursuis: pensez-vous, dis-je, qu'un modeste bijoutier, se contentant
+d'un bénéfice dérisoire, puisse matériellement établir cet article à
+moins d'un franc cinquante? Non! n'est-ce pas... Eh bien, moi, je compte
+un franc pour le moment; 3° une boîte de savon miraculeux, le savon
+«Océan», dont je vous ai tout à l'heure fait la lumineuse démonstration,
+et qui réduit à néant les taches les plus rebelles en redonnant au tissu
+l'éclat du neuf. Je ne veux pas, messieurs, lasser vos facultés
+d'évaluation et je fixe, d'ores et déjà, sa valeur au prix ridicule de
+vingt-cinq centimes; 4° un étui en celluloïd de Norvège, teinté au feu
+et contenant cinquante pastilles d'un effet certain dans les affections
+des bronches. Valeur? Quelle valeur?... Quinze centimes... Peut-on
+descendre plus bas?... Oui, on peut et je veux vous en donner la preuve.
+Et voici le bouquet. Les deux derniers articles, retrousse-jupe,
+fixe-serviette, relieur automatique et, enfin, chaîne de montre ou
+collier de dame avec un fermoir presque en or... Le prix? Aucun!...
+Rien!... un cadeau! Zéro franc, zéro centime, qui, réuni et formant
+total avec les objets énoncés ci-dessus, nous donne le chiffre de...
+(Rapidement.) Trois francs pour la canne pneumatique, un franc pour la
+parure en simili, vingt-cinq centimes pour le savon «Océan» quinze
+centimes pour les pastilles salutaires: quatre francs quarante que la
+maison Gameron, Cormandel et Cie, que j'ai l'honneur de représenter sur
+cette place, m'a intimé l'ordre de convertir en un cadeau. Oui! un
+cadeau, je le proclame; car il ne s'agit pas ici de quatre francs
+quarante, trois francs ou même deux francs, ou même un franc, pas même
+cinquante centimes... Il s'agit, messieurs, de la somme grotesque,
+ridicule, stupéfiante, absurde, de... de vingt centimes... (on se
+fouille.) et si, rentrés dans vos familles, réunis sous la lampe autour
+de la table où doit fumer le repas du soir... si, par un sentiment de
+curiosité bien excusable, messieurs, vous essayez, de vous rendre compte
+du pourquoi qui a guidé la maison Gameron, Cormandel et Cie...
+arrêtez-vous dans vos investigations... renoncez à comprendre!... Vous
+n'y parviendrez jamais!... C'est une réclame!
+
+Il remet à chaque personne qui lui tend ses quatre sous les objets que
+les acheteurs ensuite examinent en sortant de scène.
+
+UNE COMMERÇANTE, s'adressant à un ouvrier.
+
+Est-ce que c'est bon, c't'affaire pour enlever les taches?
+
+L'OUVRIER.
+
+Mais, ma bonne femme, voilà vingt-cinq ans que je suis teinturier,
+n'est-ce pas? Si c'était bon, je l'emploierais... c'est une cochonnerie!
+
+LA COMMERÇANTE.
+
+Enfin, tout ça pour quatre sous, ce n'est pas cher.
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Des choux! des navets! des carottes!
+
+LES GOSSES, revenant de l'école.
+
+Oh! hé! le père Crainquebille!
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Voulez-vous bien aller à l'école, au lieu de prendre du vice dans les
+rues... C'est vrai, qu'est-ce qu'ils peuvent apprendre dans le ruisseau.
+Ils peuvent apprendre que le mal... Bottes d'asperges!
+
+UNE FEMME.
+
+Ousqu'elles sont, vos asperges?
+
+LA SOURIS.
+
+Vous êtes pas maligne; ses asperges, c'est des poireaux. Le poireau,
+c'est l'asperge du pauvre. Tout le monde sait ça. (Un des gamins dérange
+les bottes de poireaux sur la voiture.) Laissez-le donc, il a besoin de
+gagner sa vie. Si, comme moi, vous gagniez votre pain... tas de gosses!
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Tu gagnes ta vie, toi?
+
+LA SOURIS.
+
+Faut bien.
+
+UN GOSSE.
+
+C'est un rien du tout. Il couche dehors. Il est abandonné, il a pas de
+parents.
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+S'il a pas de parents, c'est de leur faute, ce n'est pas de la sienne.
+
+UN GOSSE.
+
+Il a pas de quoi manger et nourrit un chien mange-le ton chien!
+
+LA SOURIS.
+
+Qui qu'a dit que je couchais dehors? Qui qui l'a dit? Qu'il le répète
+voir... Je couche pas dehors et la preuve que voilà ma fenêtre...
+
+UN GOSSE.
+
+Elle a pas de carreaux, ta fenêtre. Y couche dans les démolitions.
+
+LA SOURIS.
+
+Je garde, la nuit, le magasin qui est en réparation. C'est preuve que je
+suis honnête. Et puis je veux pas qu'on m'embête!
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Qu'est-ce que tu bricoles pour vivre?
+
+LA SOURIS.
+
+Je ramasse les balles de paume, je crie les journaux, je fais les
+commissions. Tout, quoi!
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Comment tu t'appelles?
+
+LA SOURIS.
+
+La Souris.
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Tu t'appelles la Souris. Eh bien, t'as plus de jugement que les autres.
+Tu comprends mieux la vie.
+
+LA SOURIS.
+
+C'est que j'ai eu de la misère. Eusses, ils ne connaissent rien. Quand
+on n'a pas été malheureux, on ne peut pas être bien malin.
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+T'as eu de la misère?
+
+LA SOURIS.
+
+Et j'en ai encore. La misère, ça colle.
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+C'est vrai que t'as pas bonne mine. Tiens, v'là une poire, elle est un
+peu blette, mais elle est d'une bonne espèce, c'est du beurré!
+
+LA SOURIS.
+
+Elle est vraiment molle. Si ta femme a le coeur aussi tendre... Merci,
+tout de même, père Crainquebille.
+
+UNE PETITE FILLE, qui porte un pain plus grand qu'elle récitant.
+
+Est-ce qu'ils sont beaux, vos choux?
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Y a pas meilleur, c'est tout coeur.
+
+LA PETITE FILLE.
+
+Combien qu'ils valent. Parce que maman est malade, elle ne peut pas
+faire son marché.
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Qu'est-ce qu'elle a, ta maman? Où que ça la tient?
+
+LA PETITE FILLE.
+
+Je ne sais pas... C'est en dedans... Elle m'a dit comme ça de vous
+acheter un chou.
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Eh bien, ma petite fille, aie pas peur, je te servirai bien, comme si
+c'était que je servirais ta mère. Et mieux, parce qu'une supposition, si
+j'avais à tromper quelqu'un, ce serait une femme d'âge et qui se
+méfierait. Faut voler personne, bien sur... à chacun son dû. Mais si
+fallait, on aurait du penchant à tromper ceux qui veulent vous fiche
+dedans. Tandis que faire du tort à un chérubin comme toi, on aurait
+regret, (Il lui donne un chou.) Tiens, v'là le plus beau. Il a l'air
+d'un sénateur. (La petite fille lui donne cinq sous.) C'est six sous, il
+en faut encore un. Tu veux pas me dépouiller?
+
+LA PETITE FILLE.
+
+Mais, monsieur, maman ne m'a donné que cinq sous.
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Faut pas mentir, ma mignonne, cherche bien voir si lu en as pas mis un
+dans ta poche.
+
+LA PETITE FILLE, sincère.
+
+Non, monsieur, je n'ai que cinq sous.
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Eh bien, ma mignonne, donne-moi un bécot, ça fera le compte et tu
+demanderas à ta mère s'il était pommé comme celui-là le chou où qu'elle
+t'a trouvée. Va, ma mignonne, et prends garde de ne pas tomber en route.
+Bonjour, madame Laure, ça va-t-il comme vous voulez?
+
+MADAME LAURE, chignon fauve, très fille.
+
+Vous n'avez rien de bon, aujourd'hui.
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Si on peut dire!
+
+MADAME LAURE, goûtant les radis.
+
+Ils sont creux, vos radis.
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Aujourd'hui, vous me cherchez des mauvaises raisons. Vous êtes mal
+réveillée.
+
+MADAME LAURE.
+
+Ils n'ont pas de goût. C'est comme si on mangeait de l'eau.
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Je vais vous dire: vous avez plus de palais, vous sentez plus ce que
+vous mangez. C'est la vie de Paris qui le veut. On se brûle l'estomac.
+Qu'est-ce que vous deviendriez les unes et les autres si le père
+Crainquebille vous apportait pas de légumes fraîches et
+rafraîchissantes. Vous seriez en feu.
+
+MADAME LAURE.
+
+C'est pas ce que je mange qui me fait mal. Je ne peux plus manger que de
+la salade et des radis. C'est vrai, tout de même, qu'on se brûle à
+Paris, (Rêveuse.) Tenez, père Crainquebille, je voudrais être au jour où
+je me passerai de vos choux et de vos carottes, où j'en ferai pousser
+moi-même, à même la terre dans un petit jardin à quatre-vingts lieues de
+Paris, chez nous. On serait si tranquille à la campagne à élever ses
+poules et ses cochons.
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Ça viendra madame Laure, ça viendra, vous désespérez pas. Vous avez de
+l'ordre et de l'économie, vous êtes une personne rangée. Je m'occupe pas
+des affaires de mes clientes. Y a pas de sots métiers et y a du bon
+monde dans tous les états... Mais vous êtes une personne rangée. Vous
+serez riche sur vos vieux jours et vous aurez une maison à vous dans
+votre endroit, dans l'endroit de votre naissance... Et vous serez
+estimée. Au plaisir, madame Laure.
+
+MADAME LAURE.
+
+A une autre fois, père Crainquebille.
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+C'est qu'il y a du bon monde dans tous les états. (criant.) Des choux!
+des navets! des carottes!
+
+MADAME BAYARD, sortant de sa boutique.
+
+Ils ne sont guère beaux vos poireaux. Combien la botte?
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Quinze sous, la bourgeoise, y a pas meilleur.
+
+MADAME BAYARD.
+
+Quinze sous, trois mauvais poireaux?
+
+L'AGENT 64.
+
+Circulez!
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Oui... oui... C'est vendu, allons, pressez-vous, parce que vous avez
+entendu l'agent.
+
+MADAME BAYARD.
+
+Faut encore que je choisisse la marchandise... Quinze sous, jamais de la
+vie, par exemple, voulez-vous douze sous?
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Ils me coûtent plus cher que ça, ma petite... Et encore il faut que je
+sois à cinq heures, et même avant, sur le carreau des Halles, pour avoir
+tout ce qu'il y a de bon.
+
+L'AGENT 64.
+
+Circulez!
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Oui... oui... tout de suite... Allons, dépêchons, madame Bayard.
+
+MADAME BAYARD.
+
+Douze sous...
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Et depuis sept heures je me brûle les mains à mes brancards en criant:
+«Des choux! des navets! des carottes!...» Et tout ça ce serait pour y
+manger de l'argent. A soixante ans passés, vous comprenez que je ne fais
+pas ça pour mon plaisir. Ah! non, ça ne serait pas à faire... Tenez, je
+ne gagne pas deux sous.
+
+MADAME BAYARD.
+
+Je vous donnerai quatorze sous. Et encore, il faut que j'aille les
+chercher dans la boutique, car je ne les ai pas sur moi. (Elle sort.)
+
+L'AGENT 64.
+
+Circulez!
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+J'attends mon argent.
+
+L'AGENT 64.
+
+Je ne vous dis pas d'attendre votre argent, je vous dis de circuler...
+Ben, quoi! Vous ne savez pas ce que c'est que de circuler?
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Voilà cinquante ans que je le sais et que je roule ma voiture... Mais on
+me doit de la monnaie, c'est là, à _l'Ange gardien_, le magasin de
+chaussures, madame Bayard. Elle est allée me chercher quatorze sous et
+j'attends.
+
+L'AGENT 64.
+
+Voulez-vous que je vous foute une contravention, moi? Voulez-vous?
+Allons, débarrassez-moi le plancher... Est-ce compris?
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Nom de Dieu!... V'là cinquante ans que je gagne mon pain en vendant des
+choux, des navets, des carottes, et, parce que je ne veux pas perdre
+quatorze sous qu'on me doit...
+
+Un petit charcutier s'arrête.
+
+L'AGENT 64 tire son calepin et un bout de crayon.
+
+Donnez-moi votre plaque.
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Ma plaque?
+
+L'AGENT 64.
+
+Oui, votre plaque d'ambulant.
+
+Entrée du petit garçon pâtissier avec sa manne.
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Oh! mon garçon, si vous voulez voir ma plaque, faut venir chez moi.
+
+L'AGENT 64.
+
+Vous n'avez pas de plaque?
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Si, j'en ai une... mais elle est chez moi... J'en ai perdu deux à les
+sortir. Ça m'a coûté trois francs chaque fois; c'est fini.
+
+L'AGENT 64. Votre nom?
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Ah! des blagues... C'est quatorze sous qu'on me vole et voilà tout.
+
+Il empoigne ses brancards et s'achemine vers la rue.
+
+L'AGENT 64. Voulez-vous rester?
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Je m'en vais...
+
+L'AGENT 64.
+
+C'est trop tard...
+
+Il va vers Crainquebille, lui prend le bras; Crainquebille se place de
+face juste à temps pour recevoir dans sa voilure un chargement de
+matériel de ravaleurs qui poussent des cris et des jurons.
+
+LES RAVALEURS.
+
+Sacré andouille! Regarde-moi c't'outil!
+
+L'AGENT 64.
+
+Tenez, regardez ce que vous êtes cause!
+
+Un camelot cycliste donne de tout son appareil dans le flanc gauche de
+la voiture à Crainquebille, il hurle.
+
+LE CAMELOT, avec, sur la tête, un ballot de cent cinquante _Patrie_
+
+Fais donc attention, espèce de sale poireau!
+
+L'AGENT 64.
+
+Vous Voyez? Vous Voyez?... (il se place à la droite de Crainquebille
+qui, virant complètement, arrive exactement pour engager la roue gauche
+de sa voiture dans la roue gauche d'une voiture d'établissement de bains
+chargée d'une baignoire de cuivre, traînée par un homme qui gueule
+effroyablement et fait entendre des blasphèmes.) Ah! cette fois, votre
+affaire est bonne!
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Ah! ben, là, maintenant comment voulez-vous circuler?
+
+L'AGENT 64.
+
+C'est votre faute, tout ça.
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+La faute à tout ça, c'est madame Bayard. Si elle était là, elle le
+dirait. Étonnant qu'elle ne soit pas là, madame Bayard. Où qu'ell'
+s'cache?
+
+Cependant des gamins, des ouvriers, des commerçants, des oisifs, toutes
+sortes de gens apparaissent; venant du fond, à la suite de la voiture
+des ravaleurs, une tapissière couverte de caisses remplie de siphons
+d'eau de Seltz; un chien galope sur les siphons en aboyant avec fureur.
+Doucement, cette tapissière se cale au tas des voitures et contribue à
+former un nougat inséparable de véhicules. Soixante personnes sont sur
+la chaussée, les trottoirs, l'escalier, les voitures; trente sont aux
+fenêtres. Tout ce monde s'agite en sens divers. L'agent 64 s'affole,
+prend Crainquebille par l'épaule et dit:
+
+L'AGENT 64.
+
+Ah! vous avez dit: «Mort aux vaches!» C'est bon! suivez-moi.
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+J'ai dit ça, moi?
+
+L'AGENT 04. Oui, que vous l'avez dit.
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Mort aux vaches? (Rires.)
+
+L'AGENT 64.
+
+Ah! et maintenant?
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Quoi?
+
+L'AGENT 64.
+
+Vous n'avez pas dit: «Mort aux vaches?» (Rires.)
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Si!
+
+L'AGENT 64.
+
+Ah!
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Mais je ne l'ai pas dit à vous. (Rires.)
+
+L'AGENT 64.
+
+Vous ne l'avez pas dit?
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Mais, nom d'une bourrique!
+
+UN HOMME.
+
+Qu'est-ce qu'il y a?
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Y a qu'il dit comme ça que je me suis tourné vers lui pour y crier: (il
+se retourne vers l'agent et crie pour sa démonstration.) Mort aux
+vaches!
+
+L'AGENT 64, qui écrivait sur son calepin, reçoit cela en plein et dit
+sans colère.
+
+Ah! maintenant, vous pouvez le dire deux cents fois, c'est le même prix.
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Mais je leur explique.
+
+UN HOMME, à un autre, en souriant.
+
+Moi, je m'en fiche, mais il y a dit au moins trois fois.
+
+UN AUTRE.
+
+Mais non, c'est l'agent qui le lui a fait dire.
+
+L'HOMME.
+
+Oh! non, pour sûr, l'agent n'aurait pas fait ça.
+
+UN AUTRE.
+
+Il a vu tout le monde qui rigolait, ça l'a embêté, alors il a perdu la
+boule.
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+C'est pourtant bien simple...
+
+L'AGENT.
+
+En voilà assez!
+
+L'agent saisit Crainquebille. Un vieillard, le docteur David Mathieu,
+s'approche; il est vêtu de noir, coiffé d'un chapeau haut de forme,
+cheveux blancs, rosette d'officier.
+
+LE DOCTEUR MATHIEU, tirant doucement l'agent par la manche.
+
+Permettez... permettez... vous vous êtes mépris.
+
+L'AGENT.
+
+Mépris? mépris, que vous dites?
+
+LE DOCTEUR, doux et ferme.
+
+Vous avez mal compris, cet homme ne vous a pas insulté.
+
+L'AGENT. Mal compris?
+
+LE DOCTEUR.
+
+J'ai assisté à toute cette scène et j'ai parfaitement entendu ce qui a
+été dit.
+
+L'AGENT. Alors?
+
+LE DOCTEUR.
+
+Et j'affirme que cet homme n'a proféré aucune insulte qui motive...
+
+L'AGENT.
+
+Ce n'est pas votre affaire.
+
+LE DOCTEUR.
+
+Je vous demande pardon. J'ai le droit et le devoir de vous avertir d'une
+erreur qui peut avoir pour ce brave homme des conséquences fâcheuses, et
+j'ai le droit et le devoir d'apporter mon témoignage...
+
+L'AGENT.
+
+Tâchez voir d'être poli.
+
+UN OUVRIER.
+
+Monsieur a raison, le marchand n'a pas dit: «Mort aux vaches!»
+
+LA FOULE.
+
+Si, si, oui, qu'il l'a dit. Non! si! non! oh! là là!
+
+L'AGENT, à l'ouvrier.
+
+Vous voulez vous faire ramasser, vous?
+
+L'ouvrier disparaît.
+
+LE DOCTEUR, à l'agent.
+
+Vous n'avez pas été insulté. Le mot que vous avez cru entendre n'a pas
+été proféré. Quand vous serez plus calme, vous le reconnaîtrez
+vous-même.
+
+L'AGENT.
+
+D'abord, qui Êtes-vous? Je ne vous connais pas.
+
+LE DOCTEUR.
+
+Voici ma carte, le docteur Mathieu, chef de clinique à l'hôpital
+Ambroise-Paré.
+
+L'AGENT.
+
+Ça ne me regarde pas.
+
+LE DOCTEUR.
+
+Cela vous regarde. Je vous serai obligé de prendre mon nom et mon
+adresse et d'inscrire ma déclaration.
+
+L'AGENT.
+
+Ah! vous insistez. Eh bien, suivez-moi vous vous expliquerez devant le
+commissaire.
+
+LE DOCTEUR.
+
+C'est bien mon intention.
+
+UNE OUVRIÈRE, à son mari, montrant le docteur.
+
+C'est drôle, un homme bien mis et qui a de l'éducation, et il se fourre
+dans cette affaire-là... s'il lui arrive du désagrément, c'est qu'il
+l'aura bien voulu. Faut jamais se mêler des affaires des autres. Allons,
+viens, mon homme... J'ai bien vu comment ça s'est fait, il appelait:
+«Madame Bayard, où qu'elle se cache»; l'agent a entendu: «Mort aux
+vaches!» Allons, allons, viens donc, tu vas pas te faire ramasser comme
+témoin.
+
+MADAME BAYARD, sortant de sa boutique.
+
+La voilà, votre monnaie... Tiens, il est arrêté. Je ne peux pas remettre
+de l'argent à quelqu'un qui est arrêté... Ça ne se doit pas. Je crois
+même que c'est défendu.
+
+La foule a pris grande part à tout ceci par une série de mouvements
+considérables dont il est impossible de déterminer la tendance. Elle se
+presse en masse à la suite du groupe: agent 64, Crainquebille et le
+monsieur. Au milieu d'un vacarme effroyable où les jurons, les rires,
+les appels de gamins, trompes de cyclistes, aboiements, gifle d'une mère
+à son enfant qui gouapait, et mille autres bruits se font entendre tour
+à tour et ensemble.
+
+
+
+
+DEUXIÈME TABLEAU
+
+_Une chambre de la Cour correctionnelle._
+
+
+
+SCÈNE PREMIÈRE
+
+LE PRÉSIDENT BOURRICHE, lisant un jugement.
+
+«Le Tribunal, après en avoir délibéré conformément à la loi, attendu...
+
+L'HUISSIER.
+
+Silence!
+
+LE PRÉSIDENT.
+
+»... qu'il résulte suffisamment des pièces du dossier et des dépositions
+entendues à l'audience que, le 3 octobre, Fromage (Alexandre) s'est
+rendu coupable du délit de mendicité, délit prévu et puni par l'article
+274 du Code pénal, lui faisant application dudit article, condamne
+Fromage (Alexandre) en six jours de prison.» (Fromage, qui était assis à
+côté de Crainquebille, est emmené par deux gardes.--Un
+temps.--Bruit.--Le président, feuilletant son dossier.) Vous vous
+appelez Crainquebille... Levez-vous... Vous vous appelez Crainquebille
+(Jérôme), né à l'Oissy (Seine), le 14 juillet 1843. Vous n'avez jamais
+subi de condamnation.
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Vous pouvez interroger. Je dois rien à personne. Un sou est un sou. Je
+suis exact en tout. On peut le dire.
+
+LE PRÉSIDENT.
+
+Taisez-vous... Le 25 juillet dernier, à l'heure de midi, rue de
+Beaujolais, vous avez injurié, outragé un agent dans l'exercice de ses
+fonctions. Vous l'avez traité de v... (Il ne dit que la première lettre)
+Vous reconnaissez les faits?
+
+CRAINQUEBILLE, se retournant vers son avocat.
+
+Qu'est-ce qu'il dit? Est-ce que c'est à moi qu'il parle?
+
+LE PRÉSIDENT.
+
+Vous avez proféré des menaces. Vous avez crié:
+
+«Mort aux V...!» (il ne dit que la première lettre.)
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Mort aux vaches, que vous voulez dire.
+
+LE PRÉSIDENT.
+
+Vous ne niez pas.
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Sur ce que j'ai de plus sacré, sur la tête de ma fille si j'en avais
+une, je n'ai pas insulté l'agent. Voilà la vérité.
+
+LE PRÉSIDENT.
+
+Retracez la scène... Exposez les faits conformément à votre système.
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Monsieur le Président, je suis un honnête homme. Je ne dois rien à
+personne. Un sou est un sou. Je suis exact en tout, on peut le dire. Je
+suis connu depuis quarante ans sur le carreau des Halles, et dans le
+faubourg Montmartre, et partout quoi... A l'âge de quatorze ans, je
+gagnais déjà ma vie...
+
+LE PRÉSIDENT.
+
+Je ne vous demande pas votre biographie, (Mouvement.)
+
+L'HUISSIER.
+
+Silence!
+
+LE PRÉSIDENT.
+
+Je vous demande de dire comment, selon vous, s'est passée la scène qui a
+précédé votre arrestation.
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Ce que je peux vous dire, c'est que, depuis quarante ans que je pousse
+ma voiture, je connais les agents. Dès que j'en vois un d'un côté, je
+file de l'autre. Comme ça je n'ai jamais de difficultés avec eux. Mais
+pour ce qui est de les injurier en paroles ou autrement, jamais; c'est
+pas dans mon caractère. Pourquoi que j'en aurais changé à mon âge?
+
+LE PRÉSIDENT.
+
+Vous avez résisté aux injonctions de l'agent qui vous intimait l'ordre
+de circuler.
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Oh! là! là! Circuler! Si vous aviez vu ça!... Les voitures étaient
+emboîtées les unes dans les autres, y avait pas moyen de donner
+seulement un demi-tour de roue.
+
+LE PRÉSIDENT.
+
+Enfin, reconnaissez-vous avoir dit: «Mort aux v...?»
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+J'ai dit: «Mort aux vaches!» parce que monsieur l'agent a dit: «Mort aux
+vaches!» alors j'ai dit: «Mort aux vaches!» Vous comprenez?...
+
+LE PRÉSIDENT.
+
+Prétendez-vous que l'agent a proféré ce cri le premier?
+
+CRAINQUEBILLE, désespérant de s'expliquer.
+
+Je prétends rien, je...
+
+LE PRÉSIDENT.
+
+Vous n'insistez pas, vous avez raison, asseyez-vous.
+
+Un temps. Mouvement.
+
+L'HUISSIER.
+
+Silence!
+
+LE PRÉSIDENT.
+
+Nous allons entendre les témoins. Huissier, faites entrer le premier
+témoin.
+
+L'HUISSIER, sortant de la salle, à travers le public, appelle à haute
+voix.
+
+L'agent Bastien Matra.
+
+Entre Matra, il a son ceinturon.
+
+LE PRÉSIDENT.
+
+Vos noms, âge et profession?
+
+MATRA.
+
+Matra Bastien, né le 15 août 1870, à Bastia (Corse). Gardien de la paix
+numéro 64.
+
+LE PRÉSIDENT.
+
+Vous jurez de dire toute la vérité, rien que la vérité... Dites: je le
+jure.
+
+MATRA.
+
+Je le jure.
+
+LE PRÉSIDENT.
+
+Faites votre déposition.
+
+MATRA, il retire son ceinturon.
+
+Étant de service le 20 octobre, à l'heure de midi, je remarquai dans la
+rue Beaujolais un individu qui me sembla être un vendeur ambulant et qui
+tenait sa charrette indûment arrêtée à la hauteur du numéro 28, ce qui
+occasionnait un encombrement de voitures. Je lui intimai par trois fois
+l'ordre de circuler, auquel il refusa d'obtempérer. Et, sur ce que je
+l'avertis que j'allais verbaliser, il me répondit en criant: «mort aux
+vaches!» ce qui me sembla être injurieux.
+
+LE PRÉSIDENT, paternel, à Crainquebille.
+
+Vous entendez ce que dit l'agent.
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+J'ai dit: «Mort aux vaches!» parce qu'il a dit: «Mort aux vaches!» Alors
+j'ai dit: «Mort aux vaches!» C'est pourtant facile à comprendre.
+
+LE PRÉSIDENT, qui n'a pas écouté et qui se prépare à rendre son
+jugement.
+
+Il n'y a pas d'autre témoin.
+
+L'HUISSIER.
+
+Si, monsieur le président, il y en a encore deux.
+
+LE PRÉSIDENT.
+
+Comment? encore deux?
+
+LEMERLE.
+
+Nous avons fait citer deux témoins à décharge.
+
+LE PRÉSIDENT.
+
+Maître, vous tenez à ce qu'ils soient entendus?
+
+LEMERLE.
+
+Mais oui, monsieur le président.
+
+LE PRÉSIDENT soupire. A l'agent qui remet son ceinturon.
+
+Que l'agent ne se retire pas!...
+
+L'HUISSIER appelle.
+
+Madame Bayard! (Entre madame Bayard en grande toilette.)
+
+LE PRÉSIDENT.
+
+Vos nom, prénoms, âge et profession...
+
+MADAME BAYARD.
+
+Pauline-Félicité Bayard, marchande de chaussures, rue Beaujolais, numéro
+28.
+
+LE PRÉSIDENT.
+
+Quel âge avez-vous?
+
+MADAME BAYARD. Trente ans. (Mouvement.)
+
+L'HUISSIER. Silence!
+
+LE PRÉSIDENT.
+
+Jurez de dire toute la vérité, rien que la vérité. Levez la main et
+dites: je le jure. (Madame Bayard lève la main.) Otez le gant de la main
+droite... Huissier, faites-lui retirer son gant. (Elle retire son gant.)
+Dites: je le jure.
+
+MADAME BAYARD.
+
+Je le jure.
+
+LE PRÉSIDENT.
+
+Faites votre déposition.
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Elle a pas seulement l'air de me reconnaître. Elle est fière.
+
+L'HUISSIER.
+
+Silence!
+
+LE PRÉSIDENT, à Madame Bayard.
+
+Dites ce que vous avez à dire. (Madame Bayard se tait.) Dites ce que
+vous savez sur la scène qui a précédé l'arrestation de Crainquebille.
+
+MADAME BAYARD, à voix basse.
+
+J'achetais une botte de poireaux, alors le marchand m'a dit:
+dépêchez-vous: je lui ai répondu...
+
+LE PRÉSIDENT.
+
+Parlez distinctement.
+
+MADAME BAYARD.
+
+Je lui ai répondu qu'il fallait pourtant que je choisisse la
+marchandise. A ce moment, une cliente est entrée dans la boutique, je
+suis allée la servir. C'était une dame avec son enfant.
+
+LE PRÉSIDENT.
+
+C'est tout ce que vous avez à dire?...
+
+MADAME BAYARD.
+
+Pendant que le marchand s'expliquait avec la police, j'essayais des
+souliers bleus à l'enfant de dix-huit mois, je lui essayais des souliers
+bleus.
+
+LE PRÉSIDENT, à Lemerle.
+
+Maître, vous n'avez pas de question à faire poser au témoin? (Lemerle
+fait un signe de dénégation.) Et vous, Crainquebille? Avez-vous une
+question à faire poser au témoin?
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Mais si, j'ai une question à poser...
+
+LE PRÉSIDENT.
+
+Faites.
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+J'ai à demander à madame Bayard si j'ai dit: «Mort aux vaches!» Elle me
+connaît, c'est une cliente. Elle peut dire si c'est dans mon caractère
+de dire des mots comme ça. (Madame Bayard garde le silence.) Vous pouvez
+parler, madame Bayard, vous êtes une cliente et une ancienne.
+
+LE PRÉSIDENT.
+
+N'interpellez pas le témoin. Parlez au tribunal.
+
+CRAINQUEBILLE, qui n'entre pas dans les finesses.
+
+Voyons, madame Bayard, nous sommes de connaissance. Et, la preuve, c'est
+que vous me devez quatorze sous; c'est pas pour vous les réclamer, bien
+sûr, je suis au-dessus de quatorze sous. Dieu merci.
+
+(Rires, bruit.)
+
+L'HUISSIER.
+
+Silence!
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Mais c'est pour dire que vous êtes une cliente.
+
+MADAME BAYARD, à Crainquebille, en sortant.
+
+Je ne vous connais pas.
+
+LE PRÉSIDENT, au témoin.
+
+Vous pouvez vous retirer. (A Lemerle.) Cette déposition ne contredit en
+rien celle de l'agent... Est-ce qu'il y a encore un témoin?
+
+LEMERLE.
+
+Un seul.
+
+LE PRÉSIDENT.
+
+Maître, insistez-vous pour qu'il soit entendu par le tribunal.
+
+LEMERLE.
+
+Monsieur le président, j'estime que la déposition que vous allez
+entendre est utile à la démonstration de la vérité. Elle émane d'un
+homme éminent dont le témoignage est, à mon sens, important, capital,
+décisif.
+
+LE PRÉSIDENT, résigné.
+
+Faites entrer le dernier témoin.
+
+L'HUISSIER.
+
+Monsieur le docteur Mathieu!
+
+Le docteur Mathieu entre.
+
+LE PRÉSIDENT.
+
+Vos nom, prénoms, âge et profession.
+
+LE DOCTEUR MATHIEU.
+
+Mathieu, Pierre-Philippe-David, soixante-deux ans, médecin en chef de
+l'hôpital Ambroise-Paré, officier de la Légion d'honneur.
+
+LE PRÉSIDENT.
+
+Jurez de dire toute la vérité, rien que la vérité. Levez la main et
+dites: je le jure.
+
+LE DOCTEUR MATHIEU.
+
+Je le jure.
+
+LE PRÉSIDENT, à Lemerle.
+
+Maître Lemerle, quelle question désirez-vous faire poser au témoin?
+
+LEMERLE.
+
+Monsieur le docteur Mathieu était présent lors de l'arrestation de
+Crainquebille. Je vous prie, monsieur le président, de lui demander ce
+qu'il a vu, ce qu'il a entendu.
+
+LE PRÉSIDENT, au témoin.
+
+Vous avez entendu la question?
+
+LE DOCTEUR MATHIEU.
+
+Je me trouvais dans la foule, assemblée autour de l'agent, qui sommait
+le marchand de circuler. L'encombrement était tel qu'il était impossible
+de bouger. Aussi fus-je témoin de la scène qui eut lieu alors. Et je
+puis affirmer que je n'en perdis pas un mot. J'ai parfaitement remarqué
+que l'agent s'était mépris: il n'avait pas été insulté! Le marchand
+n'avait pas poussé le cri que l'agent avait cru entendre. Mon
+observation fut corroborée par celle des personnes qui m'entouraient et
+qui furent unanimes à constater l'erreur. Je m'approchai de l'agent et
+l'avertis de sa méprise, je lui fis observer que cet homme ne l'avait
+nullement injurié, qu'il avait tenu, au contraire, un langage très
+réservé. L'agent maintint le marchand en état d'arrestation et m'invita
+un peu rudement à le suivie au commissariat. Ce que je fis. Je réitérai
+ma déclaration devant le commissaire.
+
+LE PRÉSIDENT, glacial.
+
+C'est bien. Vous pouvez vous asseoir... Matra!...
+
+(Matra, après avoir déposé son ceinturon, objet de sa sollicitude, vient
+à la barre.) Matra, quand vous avez procédé à l'arrestation de
+l'inculpé, monsieur le docteur Mathieu ne vous a-t-il pas fait observer
+que vous vous mépreniez? (silence de Matra.) Vous venez d'entendre la
+déposition de monsieur Mathieu. Je vous demande si, quand vous avez
+procédé à l'arrestation de Crainquebille, monsieur Mathieu ne vous a pas
+fait entendre qu'il croyait que vous vous étiez mépris.
+
+MATRA.
+
+Mépris? mépris?... C'est-à-dire, monsieur le président, qu'il m'a
+insulté.
+
+LE PRÉSIDENT.
+
+Que vous a-t-il dit?
+
+MATRA.
+
+Il m'a dit comme ça: «Mort aux vaches!»
+
+LE PRÉSIDENT, précipitamment.
+
+Vous pouvez vous retirer.
+
+Pendant que Matra remet son ceinturon, rumeur, tumulte, surprise
+douloureuse sur le visage blême du docteur Mathieu.
+
+LEMERLE, agitant ses manches au milieu du tumulte.
+
+Je livre avec confiance les paroles du témoin à l'appréciation du
+tribunal.
+
+Le tumulte continue.
+
+VOIX DANS LA SALLE, au milieu du bruit.
+
+Il en a un culot, le sergot. Te voilà acquitté, mon vieux Crainquebille.
+
+L'HUISSIER.
+
+Silence!
+
+Le calme se rétablit peu à peu.
+
+LE PRÉSIDENT.
+
+Ces manifestations sont souverainement indécentes. Si elles se
+reproduisent, je ferai immédiatement évacuer la salle... Maître Lemerle,
+vous avez la parole. (Lemerle déploie son dossier.) Maître, serez-vous
+long?
+
+LEMERLE.
+
+Non. J'estime que la déposition de l'agent Matra a singulièrement abrégé
+ma plaidoirie, et si ce sentiment est partagé par le tribunal, je...
+
+LE PRÉSIDENT, très sec.
+
+Je vous demande si vous serez long.
+
+LEMERLE.
+
+Vingt minutes, au plus.
+
+LE PRÉSIDENT, résigné.
+
+Vous avez la parole.
+
+LEMERLE.
+
+Messieurs, j'apprécie, j'estime, je respecte les agents de la
+préfecture. Un incident d'audience, si caractéristique qu'il soit, ne
+saurait m'écarter des sentiments favorables que je professe à l'égard de
+ces modestes serviteurs de la société qui, moyennant un salaire
+dérisoire, endurent les fatigues et affrontent des périls incessants, et
+qui pratiquent l'héroïsme quotidien, le plus difficile des héroïsmes,
+peut-être. Ce sont d'anciens soldats, et qui restent soldats...
+
+VOIX, rumeurs dans l'auditoire.
+
+Voilà qu'il plaide pour les sergots!... Défends donc Crainquebille!
+Feignant!
+
+Un garde expulse un auditeur.
+
+L'EXPULSÉ.
+
+J'ai rien dit... mais «pisque» j'ai rien dit...
+
+LEMERLE, continuant.
+
+Non, certes, je ne méconnais pas les services modestes et précieux que
+rendent journellement les gardiens de la paix à la vaillante population
+de Paris. Et je n'aurais pas consenti, messieurs, à vous présenter la
+défense de Crainquebille si j'avais vu en lui l'insulteur d'un ancien
+soldat. Voyons les faits. On inculpe mon client d'avoir dit: «Mort aux
+vaches!» Je puis, sans blesser vos oreilles répéter à haute voix le nom
+de la reine indolente des prairies, de la bonne et pacifique laitière.
+Ce n'est pas que je méconnaisse le caractère injurieux que prend ce nom
+en certaines circonstances et dans certaines bouches. Et c'est même là,
+messieurs, un petit problème assez curieux de philologie populaire. Si
+vous ouvrez le dictionnaire de la _langue verte_, vous y lirez: (Il
+lit.) «_Vachard_, paresseux, fainéant, qui s'étend paresseusement comme
+une vache, au lieu de travailler. _Vache_, qui se vend à la police,
+mouchard.» Mort aux vaches, se dit dans un certain monde. Mais toute la
+question est celle-ci: comment Crainquebille l'a-t-il dit? Et même
+l'a-t-il dit? Permettez-moi, messieurs, d'en douter. Je ne soupçonne
+l'agent Matra d'aucune mauvaise pensée. Mais il accomplit, comme nous
+l'avons dit, une tâche pénible. Il est parfois fatigué, excédé, surmené.
+Dans ces conditions, il peut avoir été la victime d'une sorte
+d'hallucination de l'âme. Et quand il vient vous dire que le docteur
+David Mathieu, officier de la Légion d'honneur, médecin en chef de
+l'hôpital Ambroise-Paré, un prince de la science et un homme du monde, a
+crié: «Mort aux vaches!» nous sommes bien forcés de reconnaître que
+Matra est en proie à la maladie de l'obsession et, si le terme n'est pas
+trop fort, au délire de la persécution.
+
+VOIX DANS L'AUDITOIRE, expressions nombreuses et tumultueuses
+d'approbation.
+
+Mais oui! mais oui! T'as pas besoin de causer davantage, c'est entendu.
+Très bien, très bien.
+
+L'HUISSIER.
+
+Silence!
+
+LE PRÉSIDENT. Toute marque d'improbation ou d'approbation étant
+sévèrement interdite, je vais ordonner aux gardes d'expulser les
+perturbateurs.
+
+Silence glacial.
+
+LEMERLE.
+
+Messieurs, j'ai là sous les yeux un livre qui l'ait autorité en la
+matière. Le Traité des Hallucinations, par Brierre de Boismont, docteur
+en médecine de la Faculté de Paris, chevalier des ordres de la Légion
+d'honneur, du Mérite militaire de Pologne, etc. On y apprend que les
+hallucinations de l'ouïe sont fréquentes, très fréquentes, et que les
+gens sains d'esprit peuvent en être atteints sous l'influence d'une
+émotion vive, d'une fatigue excessive, du surmenage intellectuel ou
+physique. Et quelle est la nature ordinaire, constante, de ces
+hallucinations? Quelle est la parole que l'agent Matra croira entendre,
+dans cet état de malaise qui occasionne les fausses perceptions de
+l'oreille? Le docteur Brierre de Boismont va vous le dire: (Il lit.) «La
+plupart de ces illusions sont liées aux préoccupations, aux habitudes,
+aux passions des malades.» Notez bien, messieurs: aux préoccupations,
+aux habitudes... C'est ainsi, qu'en état d'hallucination, le chirurgien
+entendra les plaintes du patient; l'agent de change, des ordres de
+Bourse; l'homme politique, les interpellations violentes des députés,
+ses collègues; l'agent de police, le cri de: «Mort aux vaches!» Est-il
+besoin d'insister, messieurs? (signe de dénégation du président.) Et
+alors même que Crainquebille aurait crié: «Mort aux vaches!» il
+resterait à savoir si le mot a dans sa bouche le caractère d'un délit.
+Messieurs, en matière de contravention, il suffit que la contravention
+soit constatée, peu importe la bonne ou la mauvaise foi du contrevenant.
+(Bruit de conversations.) Mais ici nous sommes en droit pénal, en droit
+strict. Ce que le Parquet poursuit, ce que vous punissez, messieurs,
+c'est l'intention délictueuse. Devant le tribunal correctionnel,
+l'intention devient l'élément essentiel du délit. Eh bien, dans
+l'espèce, l'intention existe-t-elle? Non, messieurs.
+
+Le bruit grossit.
+
+L'HUISSIER.
+
+Silence!
+
+LEMERLE.
+
+Crainquebille est un enfant naturel d'une marchande ambulante, perdue
+d'inconduite et de boisson. Il...
+
+VOIX PERDUE.
+
+Il insulte sa mère, à présent.
+
+LEMERLE.
+
+... est né alcoolique... d'une intelligence naturellement bornée,
+inculte, il n'a que des instincts. Et, permettez-moi de vous le dire,
+ces instincts ne sont pas foncièrement mauvais, mais ils sont brutaux.
+Son âme est enfermée dans une gangue épaisse. Il ne comprend exactement
+ni ce qu'on lui dit, ni ce qu'il dit lui-même. Les mots n'ont pour lui
+qu'un sens confus et rudimentaire. Il est de ces êtres misérables, qu'a
+peints de si sombres couleurs le pinceau de La Bruyère, de ces hommes
+qu'on prendrait pour des animaux à les voir courbés sur la terre. Le
+voilà devant vous, abruti par soixante ans de misère. Messieurs, vous
+direz qu'il est irresponsable.
+
+Lemerle s'assied.
+
+LE PRÉSIDENT.
+
+Le tribunal va en délibérer.
+
+Bruit. Les deux assesseurs se penchent sur le président qui chuchote.
+
+CRAINQUEBILLE, à son défenseur.
+
+Faut que vous ayez de l'instruction tout de même pour parler comme ça
+d'un trait. Vous parlez bien, mais vous parlez trop vite. On peut rien
+comprendre à ce que vous dites. Ainsi, moi, je sais pas seulement de
+quoi vous avez parlé, je vous remercie tout de même, seulement...
+
+L'HUISSIER.
+
+Silence!
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Ça me fait un coup dans le ventre quand il crie, celui-là... Seulement,
+vous auriez dû dire que je dois rien à personne. Parce que c'est vrai,
+je suis strict, un sou est un sou. Après ça, peut-être que vous l'avez
+dit sans que j'aie entendu... Et puis, vous auriez dû leur demander où
+c'est qu'ils m'ont étouffé ma voiture.
+
+LEMERLE.
+
+Dans votre intérêt, tenez-vous tranquille.
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Est-ce que c'est mon jugement qu'ils couvent à cette heure? Eh bien, y
+en a long, bon Dieu de bon Dieu!...
+
+L'HUISSIER.
+
+Silence! (Le silence règne.)
+
+LE PRÉSIDENT, lisant sur des petits papiers, lettres de décès, de
+mariages, prospectus, etc.
+
+«Le Tribunal...
+
+UNE VOIX éclate dans le peuple au milieu du silence.
+
+Acquitte!...
+
+LE PRÉSIDENT, après un regard foudroyant.
+
+»... après en avoir délibéré, conformément à la loi, attendu qu'il
+résulte des pièces du dossier et des dépositions entendues à l'audience,
+que le 25 juillet, jour de son arrestation, Crainquebille (Jérôme),
+s'est rendu coupable du délit... (un sourd et formidable murmure s'élève
+du fond de la salle; le président oppose à ce murmure un regard
+semblable à un glaive et continue sa lecture dans le silence subit.)
+d'outrage envers un dépositaire de la force publique, dans l'exercice de
+ses fonctions, délit prévu et puni par l'article 224 du Code pénal, lui
+faisant application dudit article, le condamne à quinze jours de prison
+et à cinquante francs d'amende... «L'audience est Suspendue. (Brouhaha.)
+
+VOIX CONFUSES.
+
+C'est raide, tout de même... J'aurais pas cru ça. Elle est forte,
+celle-là.
+
+CRAINQUEBILLE, au garde.
+
+Alors, je suis un condamné?
+
+Le tribunal se retire. Quand les gardes vont emmener Crainquebille,
+Lemerle fait signe qu'il a un mot à dire, et range des papiers, cause,
+etc.
+
+
+
+SCÈNE II
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Cipal!... Cipal!... Hein? Cipal... Y a seulement quinze jours, si on
+m'avait dit qu'il m'arriverait ce qui m'arrive. Ils sont polis, ces
+messieurs. Ils ne disent pas de gros mots, c'est une justice à leur
+rendre, mais on peut pas s'expliquer avec eux. On n'a pas le temps.
+C'est pas leur faute, mais on n'a pas le temps, c'est-il pas vrai?
+Pourquoi que vous ne répondez pas? (silence.) On parle bien à un chien.
+Pourquoi que vous ne parlez pas? Vous ouvrez jamais la bouche. Vous
+n'avez donc pas peur qu'elle pue?
+
+LEMERLE, à Crainquebille.
+
+Eh bien, mon ami... nous n'avons pas trop à nous plaindre. Nous aurions
+pu avoir pire.
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Ça, c'est encore possible.
+
+LEMERLE.
+
+Qu'est-ce que vous voulez... Vous n'avez pas suivi mes conseils. Votre
+système de réticences était d'une insigne maladresse. Vous auriez mieux
+fait d'avouer.
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Mon garçon, je demandais pas mieux. Mais qu'est-ce qu'il fallait avouer,
+(pensif.) Tout de même, c'est pas ordinaire ce qui m'arrive.
+
+LEMERLE.
+
+N'exagérons rien. Votre cas n'est pas rare, loin de là!... Allons, bon
+courage.
+
+CRAINQUEBILLE, les gardes l'emmènent, il se retourne et dit:
+
+Vous pourriez pas me dire où qu'ils m'ont étouffé ma voiture?
+
+AUBARRÉE.
+
+Qu'est-ce que tu fais là?
+
+LERMITE.
+
+Je finis mon croquis. Pendant l'audience, je suis obligé de dessiner
+dans le fond de mon chapeau. C'est pas commode... Maintenant, je relève
+quelques petits détails...
+
+AUBARRÉE.
+
+C'est le président Bourriche, que tu as mis là?
+
+LERMITE.
+
+C'est lui qui vient de condamner le marchand des quatre saisons?
+
+AUBARRÉE.
+
+Oui, il s'appelle Bourriche.
+
+LERMITE.
+
+Tiens, comme ça se trouve.
+
+LEMERLE, à l'huissier.
+
+Lampérière; savez-vous si l'affaire Goupy, à la troisième chambre, est
+remise?
+
+L'HUISSIER.
+
+Elle est retenue.
+
+LEMERLE.
+
+Nom d'un chien, il faut que je file!... Je reviendrai tout à l'heure à
+la reprise de l'audience. J'ai une remise à demander au président
+Bourriche.
+
+LERMITE, timide, gauche, cherchant dans sa poche, appelle Lemerle qui ne
+l'entend pas et sort.
+
+Monsieur Lemerle... J'aurais un mot à vous dire. Tiens! il est parti...
+
+AUBARRÉE.
+
+Il reviendra à la reprise de l'audience. Qu'est-ce que tu peux bien
+avoir à lui dire à cet oiseau-là?
+
+LERMITE.
+
+Rien. Je... rien... Dis donc, mon vieux camarade, c'est tout de même
+fort la condamnation de ce pauvre marchand des quatre saisons.
+
+AUBARRÉE.
+
+Crainquebille... C'est fort, si tu veux. Ce n'est pas extraordinairement
+fort... (Regardant.) Tu vas faire un petit tableau d'après ce croquis?
+
+LERMITE.
+
+Oui, les scènes du palais, c'est assez demandé... J'ai vendu, ce matin,
+deux avocats cent francs; j'ai le billet dans ma poche.
+
+AUBARRÉE.
+
+Tu n'as pas besoin de le sortir comme ça...
+
+LERMITE.
+
+Tu as beau dire, Aubarrée. Que les juges aient condamné ce pauvre homme
+sans preuves...
+
+AUBARRÉE.
+
+Sans preuves?...
+
+LERMITE.
+
+Au mépris de la déposition du professeur David Mathieu, sur le
+témoignage de l'agent, ça me passe, je n'y suis plus...
+
+AUBARRÉE.
+
+C'est pourtant bien facile à comprendre.
+
+LERMITE.
+
+Comment, à la parole désintéressée d'un homme du plus grand mérite, de
+la plus haute intelligence, préférer le braiment de cet être ignare,
+sombre et têtu. Croire l'âne plutôt que le savant, tu trouves cela
+naturel, toi? Mais c'est monstrueux. Ce président Bourriche est
+facétieux et sinistre.
+
+AUBARRÉE.
+
+Ne dis pas cela, Lermite, ne dis pas cela. Le président Bourriche est un
+magistrat respectable qui vient de donner une nouvelle preuve de son
+esprit juridique.
+
+LERMITE.
+
+Dans l'affaire Crainquebille?
+
+AUBARRÉE.
+
+Sans doute. En opposant l'une à l'autre les dépositions contradictoires
+de l'agent 64 et du professeur David Mathieu, le juge serait entré dans
+une voie où l'on ne rencontre que le doute et l'incertitude. Le
+président Bourriche a l'esprit trop juridique pour faire dépendre ses
+sentences de la raison et de la science, dont les conclusions sont
+sujettes à d'éternelles disputes.
+
+LERMITE.
+
+Alors, un juge doit renoncer à savoir?
+
+AUBARRÉE.
+
+Oui, mais il ne doit pas renoncer à juger. A vrai dire, le président
+Bourriche ne considère pas Bastien Matra. Il considère l'agent 64. Un
+homme est faillible, pense-t-il. Descartes et Gassendi, Leibnitz et
+Newton, Claude Bernard et Pasteur, se sont trompés. Mais l'agent 64 ne
+se trompe pas. C'est un numéro. Un numéro n'est pas sujet à l'erreur.
+
+LERMITE.
+
+Ça, c'est un raisonnement.
+
+AUBARRÉE.
+
+Irréfutable. Et puis, il y a autre chose. L'agent 64 est un dépositaire
+de la force publique. Toutes les épées d'un État doivent être tournées
+dans le même sens. En les opposant les unes aux autres...
+
+LERMITE. On trouble l'ordre public. J'ai compris.
+
+AUBARRÉE.
+
+Enfin, si le tribunal jugeait contre la force, qui donc exécuterait les
+jugements? Sans les gendarmes, le juge ne serait qu'un pauvre rêveur.
+
+Entre Lemerle.
+
+LEMERLE.
+
+Aubarrée, on vous attend à la quatrième... Comment, l'audience n'est pas
+encore reprise?
+
+AUBARRÉE.
+
+Mais non.
+
+LEMERLE.
+
+L'huissier n'est pas là?
+
+LERMITE.
+
+Pardon, maître... La condamnation à l'amende entraîne, en cas de
+non-paiement, une prolongation de peine?
+
+LEMERLE.
+
+Oui.
+
+LERMITE.
+
+Alors, voudriez-vous être assez aimable pour remettre cinquante francs à
+ce marchand des quatre saisons.
+
+LEMERLE.
+
+Crainquebille?
+
+LERMITE.
+
+Oui, sans lui dire d'où vient cet argent.
+
+LEMERLE.
+
+Volontiers, monsieur.
+
+LERMITE.
+
+Seulement, je n'ai que cent francs.
+
+LEMERLE, se fouillant.
+
+Voyons, j'ai peut-être... non... trois louis... ah! si! voilà dix
+francs, quarante et dix cinquante. Voici, monsieur.
+
+LERMITE.
+
+Merci.
+
+LEMERLE.
+
+C'est moi qui vous remercie pour lui.
+
+LE DOCTEUR MATHIEU, entrant, à Lemerle.
+
+Maître, c'est vous qui avez plaidé pour Crainquebille? Je vous
+cherchais.
+
+LEMERLE.
+
+Oui, monsieur... le docteur David Mathieu. Vous avez témoigné pour nous.
+
+LE DOCTEUR MATHIEU.
+
+Pourriez-vous remettre ces cinquante francs à votre client pour
+acquitter l'amende?
+
+LEMERLE.
+
+Avec grand plaisir. Mais j'ai déjà reçu cinquante francs de monsieur (il
+montre Lemerle.) pour la même destination.
+
+LE DOCTEUR MATHIEU.
+
+Ah!... Monsieur.
+
+Inclinations. Silence.
+
+LEMERLE, tenant dans chaque main les cinquante francs de Lermite et les
+cinquante francs du docteur.
+
+Qu'en pensez-vous, messieurs?
+
+LE DOCTEUR MATHIEU.
+
+Eh bien... cinquante francs pour l'amende.
+
+LERMITE.
+
+Oui, et cinquante francs quand il sortira.
+
+LEMERLE.
+
+Parfait! Comptez sur moi, messieurs...
+
+Il salue et sort. Petit silence. David et Lermite se saluent
+sympathiquement. David va pour sortir, suivi à quelques pas de Lermite.
+David s'arrête sur le seuil presque, se retourne vers Lermite qui est
+près de lui. Les deux hommes disent ensemble, la main
+tendue: «Voulez-vous me permet...» Ils sourient, se serrent cordialement
+la main, avec, toutefois, un peu de mélancolie. David sort.
+
+L'HUISSIER, annonçant.
+
+Le Tribunal!
+
+LERMITE.
+
+Ça recommence.
+
+
+
+
+TROISIÈME TABLEAU
+
+_La nuit._
+
+
+
+SCÈNE PREMIÈRE
+
+LE MARCHAND DE MARRONS.
+
+Chaud! chaud! les marrons!...
+
+Il sert un sou de marrons à un gosse.
+
+CRAINQUEBILLE, sortant de chez le marchand de vin sur un bruit de
+dispute.
+
+Eh bien, quoi! parce que je demande un verre à crédit!... Est-ce que
+c'est une raison de me traiter comme un malfaiteur.
+
+LE MARCHAND DE MARRONS.
+
+Crédit est mort, les mauvais payeurs l'ont tué.
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Je vous demande un peu s'il ne pouvait pas me donner un verre à crédit.
+Il m'a assez volé quand j'avais de quoi. Voleur! oui, voleur!... Je ne
+vous l'envoie pas dire.
+
+LE MARCHAND DE MARRONS.
+
+Ça sort de prison et ça traite le monde de voleur!
+
+ALPHONSE, douze ans, sort de chez le marchand de vin et dit à
+Crainquebille sur le ton de la plus douce politesse.
+
+Dites donc, monsieur, c'est-il vrai qu'on est bien à l'ombre?
+
+CRAINQUEBILLE. Sale gosse!... (Pied au cul. Alphonse rentre en
+pleurnichant.)
+
+C'est ton père qui devrait être en prison au lieu de s'enrichir à vendre
+du poison.
+
+LE MARCHAND DE VIN, suivi de son fils.
+
+Si vous n'aviez pas de cheveux blancs, je vous corrigerais pour vous
+apprendre à battre mon fils, (à son fils.) Rentre, vermine, (ils
+rentrent.)
+
+CRAINQUEBILLE, au marchand de marrons.
+
+Hein, crois-tu!...
+
+LE MARCHAND DE MARRONS.
+
+Qu'est-ce que tu veux? Il a raison: on ne doit pas battre les enfants
+des autres, ni leur reprocher leur père qu'ils n'ont pas choisi...
+Depuis deux mois que tu es sorti de là-bas, mon vieux Crainquebille, tu
+n'es plus le même, tu es mauvais coucheur, tu es mal embouché. Ça ne
+serait encore rien. Mais tu n'es plus bon que pour lever le coude.
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+J'ai jamais été fricoteur, mais faut comme ça, de temps en temps, que je
+boive un verre pour me donner des forces et pour me rafraîchir. Sûr que
+j'ai quelque chose de brûlé dans l'intérieur. Il n'y a encore que la
+boisson comme rafraîchissement.
+
+LE MARCHAND DE MARRONS.
+
+Ça ne serait encore rien, mais t'es mou, t'es feignant. Un homme dans
+cet état-là, autant dire que c'est un homme par terre et qui peut pas se
+relever. Tous les gens qui passent lui pilent dessus.
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+C'est vrai! j'ai plus le courage que j'avais. Je suis fini. Tant va la
+cruche à l'eau qu'à la fin elle se casse. Et puis, depuis mon affaire en
+justice, je n'ai plus le même caractère. Je suis plus le même homme,
+quoi! Qu'est-ce que tu veux? Ils m'ont arrêté pour avoir crié: «Mort aux
+vaches!» C'était pas vrai. Y a un médecin décoré qui leur a dit que non.
+Ils n'ont rien voulu savoir. Par exemple, les juges sont bien polis, pas
+un gros mot, mais on peut pas s'expliquer avec eux. Ils m'ont donné
+cinquante francs, y m'ont étouffé ma voiture qu'il m'a fallu quinze
+jours pour remettre la main dessus. Tout ça, c'est vraiment
+extraordinaire. Je le jure, c'est comme si j'étais allé au théâtre.
+
+LE MARCHAND DE MARRONS.
+
+Ils t'ont donné cinquante francs? Ça, c'est nouveau; ça ne se faisait
+pas autrefois.
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Faut être juste. Ils m'ont donné cinquante francs de la main à la main.
+Et puis, la prison, c'est convenable. On peut pas dire le contraire.
+C'est bien tenu, c'est propre. On mangerait par terre. Mais, quand on
+sort de là, pas moyen de travailler, pas moyen de gagner un sou. Tout le
+monde vous tourne le dos.
+
+LE MARCHAND DE MARRONS.
+
+Je vais te dire: change de quartier.
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Madame Bayard, la cordonnière, qui fait une gueule quand je passe. Elle
+m'affronte et c'est elle qui est cause que j'ai été ramassé. Le plus
+fort, c'est qu'elle me doit quatorze sous. J'y aurais réclamé tout à
+l'heure, mais elle avait une cliente. Attends un peu, elle ne perdra
+rien pour attendre.
+
+LE MARCHAND DE MARRONS.
+
+Où vas-tu?
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Je vais lui causer, à madame Bayard.
+
+LE MARCHAND DE MARRONS.
+
+Tiens-toi donc tranquille.
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Comment, j'ai bien le droit de lui réclamer mes quatorze sous. Il me les
+faut, c'est-il toi qui me les donneras? Si c'est toi, faut le dire.
+
+LE MARCHAND DE MARRONS.
+
+Ça, c'est impossible, la bourgeoise m'arracherait les yeux. Je t'en ai
+assez donné, des vingt sous et des quarante sous, depuis deux mois.
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Je peux pourtant pas crever comme un chien. J'ai pus un centime.
+
+LE MARCHAND DE MARRONS, le rappelant.
+
+Crainquebille!... Sais-tu ce que tu devrais faire?
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Quoi?
+
+LE MARCHAND DE MARRONS.
+
+Tu devrais changer de quartier.
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Ça, c'est pas possible. Je suis comme la chèvre; faut qu'elle broute où
+qu'elle est attachée, faut qu'elle broute quand il n'y aurait que des
+cailloux.
+
+Madame Bayard reconduit sa cliente; quand celle-ci a tourné le coin de
+la rue, madame Bayard vient tout droit à Crainquebille et l'apostrophe
+vivement.
+
+MADAME BAYARD.
+
+Qu'est-ce que vous me voulez, vous?
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Vous avez beau me regarder avec des yeux comme des pistolets... Je veux
+mes quatorze sous.
+
+MADAME BAYARD, tombant des nues.
+
+Vos quatorze sous?
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Oui, mes quatorze sous.
+
+MADAME BAYARD.
+
+D'abord, je vous défends d'entrer dans mon magasin, comme tout à
+l'heure. Qu'est-ce que c'est que ces façons?
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+C'est bon! C'est bon! mes quatorze sous!...
+
+MADAME BAYARD.
+
+Je ne sais pas ce que vous voulez dire. D'ailleurs, apprenez ça: on ne
+doit rien à des gens qui ont été en prison.
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Purée!
+
+MADAME BAYARD.
+
+Malotru!... Ah! si j'avais encore mon mari...
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Si t'avais ton mari, espèce de râleuse, je lui botterais soigneusement
+le derrière pour t'apprendre à voler le monde, et à l'insulter ensuite.
+
+MADAME BAYARD.
+
+Y a donc pas d'agents? (Elle se barricade soigneusement chez elle.)
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Garde-les, mes quatorze sous, garde-les, voleuse!
+
+LE MARCHAND DE MARRONS.
+
+Voleur, voleuse, t'as que cha dans la bouche. Tout le monde est voleur,
+que tu dis. C'est vrai et c'est pas vrai. Je vas t'expliquer. Tout le
+monde veut vivre et on peut pas vivre sans faire tort aux autres; cha
+c'est pas possible... alors...
+
+LA SOURIS.
+
+Bonsoir, la compagnie.
+
+LE MARCHAND DE MARRONS.
+
+Bonsoir, la Souris.
+
+LA SOURIS.
+
+Ça va-t-il mieux, père Crainquebille? Vous me remettez pas? La Souris.
+Pourtant, vous me connaissez bien. Vous m'avez donné une poire, même
+qu'elle était blette.
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+C'est possible.
+
+LA SOURIS.
+
+Je vas me reposer. Je loge ici. Je suis las. Dame, quand on a trimé
+toute la journée. J'ai crié _la Patrie, la Presse, le Soir_, j'en ai la
+gueule abîmée. Quand j'aurai cassé ma croute, je me mettrai dans le
+plumard. Bonsoir la compagnie.
+
+LE MARCHAND DE MARRONS.
+
+T'en as pas de plumard.
+
+LA SOURIS.
+
+Pas de plumard? Venez-y voir. Je m'en suis fait un de plumard, avec des
+sacs et des copeaux.
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+T'as de la chance, môme. Moi, il y a deux mois que je n'ai couché dans
+quelque chose de doux, (La souris rentre.) C'est vrai! Ils m'ont expulsé
+de ma soupente. V'là trente nuits que je couche dans une remise, sur ma
+charrette. Il a pas décessé de pleuvoir, la remise a été inondée. Pour
+pas être noyé, il faut se tenir à croupeton sur les eaux empoisonnées,
+avec les chats, les rats et les araignées grosses comme des potirons. Et
+v'là que, cette nuit, le tuyau de l'égout a crevé; les voitures, elles
+nageaient dans la gadoue, misère! Et même, on a mis un gardien pour pas
+qu'on entre, parce que le mur remue. Il est comme moi, le mur, il tient
+plus debout. (Il voit madame Laure entrer chez le marchand de vin.)
+Tiens! madame Laure.
+
+LE MARCHAND DE MARRONS.
+
+Madame Laure, c'est une femme rangée et convenable, et qui a de la tenue
+pour son état. Elle ne boit pas sur le zinc. Je te parie qu'elle va
+ressortir avec un litre, pour consommer chez elle avec ses
+connaissances.
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Madame Laure! je la connais comme si je l'avais faite. C'est une
+cliente. Sais bien que c'est une femme comme il faut.
+
+LE MARCHAND DE MARRONS.
+
+Et une belle femme! Malin! (Sort du troquet madame Laure.) Tiens,
+qu'est-ce que je te disais?
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Bonjour, madame Laure.
+
+MADAME LAURE, au marchand de marrons.
+
+Vingt centimes de marrons. Et bien chauds.
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Vous me remettez pas, madame Laure? Le marchand de poireaux.
+
+MADAME LAURE.
+
+Je vois bien, (au marchand de marrons.) Ne me les tirez pas de votre
+sac. On ne sait pas depuis combien de temps ils sont là à refroidir.
+
+LE MARCHAND DE MARRONS.
+
+Ils sont bouillants, ils me brûlent les doigts.
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Vous avez de la peine à me remettre parce que je n'ai pas ma voiture. Ça
+change les personnes, des fois... Et ça va toujours comme vous voulez,
+madame Laure? (Il lui louche le bras.) Je vous demande si ça va toujours
+comme vous voulez?
+
+MADAME LAURE.
+
+Eh! l'Auverpin, allons, vite mes châtaignes. J'ai de la compagnie qui
+m'attend. C'est fête aujourd'hui. Je ne reçois que des gens que je
+connais.
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Ne me faites pas d'infidélités, madame Laure. Vous êtes regardante, mais
+vous êtes une bonne pratique.
+
+MADAME LAURE, au marchand de marrons.
+
+Servez vite. C'est pas agréable d'être accostée par un individu qui
+s'est fait ramasser.
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Qu'est-ce que vous dites?
+
+MADAME LAURE.
+
+Je vous parle pas.
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Tu dis que je me suis fait ramasser, poison! Eh ben, et toi? Tu n'as pas
+été dans le panier à salade?... Si j'avais autant de pièces de cent sous
+que tu as été de fois dans le panier...
+
+LE MARCHAND DE MARRONS.
+
+V'là que t'engueules mes clientes à cette heure? Tais-toi ou je cogne.
+
+MADAME LAURE.
+
+Eh! va donc, vieux cheval de retour!
+
+CRAINQUEBILLE. Dessalée, va! (Apparition d'un agent qui, immobile et
+muet, fait tomber la dispute. Madame Laure sort majestueusement.)
+
+LA SOURIS, de la fenêtre.
+
+Un bouchon! Taisez vos gueules; on peut pas dormir.
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Pour sûr que c'est une morue, et même y a pas plus morue que cette
+femme-là.
+
+LE MARCHAND DE MARRONS, remisant son poêle.
+
+Pour attraper une personne dans le moment qu'elle se fait servir, faut
+avoir perdu le sentiment. Fous-moi le camp. Tu es heureux encore que je
+ne t'aie pas fait ramasser. (En s'en allant.) Un homme à qui je prête
+depuis deux mois des vingt sous et des quarante sous par semaine! Mais
+il n'a pas de savoir-vivre, quoi!
+
+Le garçon marchand de vin met les volets.
+
+
+
+SCÈNE II
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Eh! l'Auverpin!... l'Auverpin! écoute donc. Il se défile. Il veut rien
+entendre. Ce que j'ai contre cette morue-là, c'est que toutes font comme
+elle, toutes. Elles font mine de ne pas me connaître. Madame Cointreau,
+madame Lessenne, madame Bayard. Toutes, quoi!... Alors, parce que l'on a
+été mis pour quinze jours à l'ombre, on n'est plus bon seulement à
+vendre des poireaux. Est-ce que c'est juste? Est-ce qu'il y a du bon
+sens à faire mourir de faim un brave homme parce qu'il a eu des
+difficultés avec les flics. Si je ne peux plus vendre mes légumes, je
+n'ai plus qu'à crever... Vrai! J'aurais volé et assassiné, j'aurais la
+gale, que ça ne serait pas plus pire. Et le froid et la faim... J'ai pas
+mangé. Allons! crève! crève donc, père Crainquebille! Ah! il y a des
+moments où on regrette de n'être plus là-bas. (Un agent se tient
+immobile dans le fond. Crainquebille l'aperçoit et dit:) Ah! que je suis
+bête, puisque je connais le truc, pourquoi que je m'en servirais pas?...
+(Il s'approche doucement de l'agent qui est presque à l'avant-scène et
+d'une voix hésitante et faible:) Mort aux vaches! (L'agent regarde
+Crainquebille avec tristesse, vigilance et mépris. Un temps.
+Crainquebille, étonné, balbutie:) Mort aux vaches! que je vous ai dit.
+
+L'AGENT.
+
+Ce n'est pas à dire... pour sûr et certain que ce n'est pas à dire. A
+votre âge, on devrait avoir plus de connaissance... Passez votre chemin.
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Pourquoi que vous ne m'arrêtez pas?
+
+L'AGENT, secouant la tête.
+
+S'il fallait empoigner tous les poivrots qui disent ce qui n'est pas à
+dire, y en aurait de l'ouvrage... et de quoi que ça servirait?
+
+CRAINQUEBILLE, accablé, reste longtemps stupide et muet, puis, très
+doucement:
+
+C'était pas pour vous que j'ai dit: «Mort aux vaches!», c'était pas plus
+pour l'un que pour l'autre que je l'ai dit. C'était pour une idée.
+
+L'AGENT, avec une austère douceur.
+
+Que ce soye pour une idée ou pour autre chose, ce n'était pas à dire
+parce que, quand un homme fait son devoir et qu'il endure bien des
+souffrances, on ne doit pas l'insulter par des paroles futiles... Je
+vous réitère de passer votre chemin.
+
+
+
+SCÈNE III
+
+LA SOURIS, par la fenêtre.
+
+Papa Crainquebille! Papa Crainquebille! Papa Crainquebille!
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Hein? Qui est-ce qui parle sur ma tête? C'est-y un miracle?
+
+LA SOURIS.
+
+Papa Crainquebille!...
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Ah! c'est toi?
+
+LA SOURIS.
+
+Où que vous allez comme ça sans parapluie?
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Où que-je vais?
+
+LA SOURIS.
+
+Oui...
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Je vais me jeter dans la Seine.
+
+LA SOURIS.
+
+Faut pas faire ça! Y fait trop froid. C'est trop mouillé.
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Qu'est-ce que tu veux que je fasse?
+
+LA SOURIS.
+
+Il faut se remuer, mon vieux papa. Il faut vivre.
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+Pourquoi?
+
+LA SOURIS.
+
+Je ne sais pas, mais faut se dégrouiller. Ça ne dure pas tout le temps,
+la mistoufle. Vous en vendrez encore des choux et des carottes, c'est
+moi qui vous le dis. Venez avec moi. J'ai un pain, du saucisson et un
+litre. On soupera comme des millionnaires et je vous ferai un lit comme
+le mien, avec des sacs et des copeaux, et puis, on verra demain s'il
+fait jour. Allons, venez, mon vieux papa.
+
+CRAINQUEBILLE.
+
+T'es jeune, t'es pas encore gâté. Le monde est mauvais, t'es pas encore
+du monde. Gosse, tu peux te dire qu'à ton âge t'as sauvé un homme. Oh!
+c'est pas une si belle affaire. Y a pas lieu d'en être fier, ça ne
+changera pas le cours de la lune, ça n'embellira pas la République. Mais
+t'as sauvé un homme.
+
+Crainquebille, la tête basse et les bras ballants, remonte la scène sans
+plus dire un mot.
+
+
+
+FIN
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+End of Project Gutenberg's L'Illustration, No. 3260, 19 Août 1905, by Various
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+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, 19 AOUT 1905 ***
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+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
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+including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
+because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
+people in all walks of life.
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+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at https://www.pglaf.org.
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+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
+https://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
+permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
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+The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
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+throughout numerous locations. Its business office is located at
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+business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
+information can be found at the Foundation's web site and official
+page at https://pglaf.org
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+ Dr. Gregory B. Newby
+ Chief Executive and Director
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+Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation
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+Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
+spread public support and donations to carry out its mission of
+increasing the number of public domain and licensed works that can be
+freely distributed in machine readable form accessible by the widest
+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
+
+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
+with these requirements. We do not solicit donations in locations
+where we have not received written confirmation of compliance. To
+SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
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+While we cannot and do not solicit contributions from states where we
+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
+against accepting unsolicited donations from donors in such states who
+approach us with offers to donate.
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+International donations are gratefully accepted, but we cannot make
+any statements concerning tax treatment of donations received from
+outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
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+Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including including checks, online payments and credit card
+donations. To donate, please visit: https://pglaf.org/donate
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+Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
+works.
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+Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
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+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
+keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
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+This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
+including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
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+
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+
+
+
+</style>
+</head>
+<body>
+
+
+<pre>
+
+Project Gutenberg's L'Illustration, No. 3260, 19 Août 1905, by Various
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
+
+
+Title: L'Illustration, No. 3260, 19 Août 1905
+
+Author: Various
+
+Release Date: April 14, 2011 [EBook #35871]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: ISO-8859-1
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, 19 AOUT 1905 ***
+
+
+
+
+Produced by Jeroen Hellingman and Rénald Lévesque
+
+
+
+
+
+</pre>
+
+
+
+
+<br><br>
+
+<div class="cont">
+
+
+
+
+
+<p>L'Illustration, No. 3260, 19 Août 1905</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/000small.png"><br><a href="images/000large.png">(Agrandissement)</a></p>
+
+<p class="sml">Ce numéro contient:<br>1° Un Supplément théâtral:
+<span class="sc">Crainquebille</span>, par Anatole France.<br>2° Quatre pages tirées à part sur la
+<span class="sc">Fête des Vignerons de Vevey</span>.</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/001.png"></p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/001a.png"><br> M. Witte, Baron de Rosen, Président Roosevelt, Baron Komura,
+M. Takahira.<br><b>LES PLÉNIPOTENTIAIRES RUSSES ET JAPONAIS A BORD DU
+"MAYFLOWER"</b> <i>Stereograph copyright 1905 Underwood and Underwood, London
+and New-York.<br>--Voir les pages 126, 127 et 128.</i></p>
+<br>
+
+<h4>NOTRE SUPPLÉMENT DE THÉÂTRE CRAINQUEBILLE</h4>
+
+<p>Chaque année, l'été interrompt forcément la série de nos suppléments de
+théâtre, si appréciés de nos lecteurs. Nous ne voudrions pas cependant
+que cette interruption se prolongeât aussi longtemps que les relâches
+des grandes scènes parisiennes. En attendant les nouveautés de la saison
+1905-1906, qui promettent d'être aussi nombreuses et aussi importantes
+que celles de la saison 1904-1905, nous avons cherché si, parmi les
+oeuvres jouées en ces dernières années, il n'y en avait pas une qui fût
+encore inédite. Et nous avons découvert, répondant à ces conditions, un
+chef-d'oeuvre: <i>Crainquebille,</i> de M. Anatole France, un des grands
+succès récents du théâtre de M. Lucien Guitry, la Renaissance.</p>
+
+<p><i>L'Affaire Crainquebille</i>, sous sa forme de nouvelle, figure bien dans
+l'édition complète des oeuvres du brillant écrivain. Mais, sous sa forme
+dramatique, <i>Crainquebille</i> n'avait pas encore été publié.</p>
+
+<p>Nous sommes doublement heureux, et d'offrir cette primeur à nos abonnés,
+et de pouvoir illustrer le texte de M. Anatole France de douze
+compositions originales gravées sur bois, du dessinateur Steinlen,
+empruntées à l'édition de grand luxe de <i>L'Affaire Crainquebille</i>,
+publiée par l'éditeur Edouard Pelletan, au prix de 600 francs sur japon
+ancien, et de 80 francs sur vélin.</p>
+
+<h4>LA FÊTE DES VIGNERONS, A VEVEY</h4>
+
+<p>Nous avons publié la semaine dernière des photographies donnant une idée
+d'ensemble du magnifique spectacle qui fut organisé à Vevey pour la Fête
+des Vignerons de 1905. Mais le cliché photographique--cet incomparable
+instrument d'illustration--est malheureusement impuissant à rendre le
+mouvement, la gaieté, la grâce ou la majesté des cortèges, des danses et
+des reconstitutions scéniques. Les dessins de Georges Scott, que nous
+reproduisons aujourd'hui en quatre pages tirées à part, sont, au
+contraire, une évocation vivante du poème qui se déroula sur l'immense
+scène du théâtre en plein air de Vevey... Évocation forcément
+incomplète: il faudrait un gros album de dessins semblables pour
+représenter tous les groupes différents dont M. Jean Morax dessina les
+costumes et régla harmonieusement les mouvements.</p>
+
+<p>Dans <i>L'Illustration</i> du 12 août, nous avons indiqué, en quelques mots,
+la donnée du poème, qui mettait en scène, en tableaux animés par des
+chants et des danses, les principaux événements de la vie rustique,
+échelonnés au cours de l'hiver, du printemps, de l'été et de l'automne.
+Il convient de nommer le poète: M. René Morax, frère du dessinateur.
+L'auteur de la musique est M. Gustave Doret, dont la partition contient
+d'admirables morceaux.</p>
+
+<p>Rappelons aux collectionneurs de <i>l'Illustration</i> que, dans le numéro du
+17 août 1889, parurent des dessins et un article sur la précédente Fête
+des Vignerons de Vevey: ils s'y reporteront avec plaisir.</p>
+<br>
+
+<h3>COURRIER DE PARIS</h3>
+
+<h4>JOURNAL D'UNE ÉTRANGÈRE</h4>
+
+<p>... Au Luxembourg. La paix des grandes vacances enveloppe les jardins et
+il y a comme du repos dans l'air déjà moins brûlant qu'on respire. Une
+brise passe, en coups d'éventail légers, sous les arbres pleins d'ombre,
+et les feuilles sèches qui en tombent (comme l'automne vient vite à
+Paris!) font de petites taches brunes sur le sable des allées. Pour deux
+sous, donnés à la loueuse de chaises qui m'a reconnue et me sourit, je
+savoure, après des mois de vacarme et de fièvre, la volupté de vivre
+dans du calme; cela est doux comme la sensation de <i>souffrance abolie</i>
+qui suit une rage de dents, et deux petits vers chantent en moi:</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i14"> Ah! qu'il est doux de ne rien faire</p>
+<p class="i14"> Quand tout s'agite autour de nous...</p>
+</div></div>
+
+<p>Cependant, le personnage qui exprima dans <i>Galatée</i> cette opinion se
+trompait... Il y a une contagion du besoin d'agir ou de flâner; et c'est
+surtout quand rien ne s'agite autour de moi qu'il m'est très doux de ne
+rien faire.</p>
+
+<p>Et l'on s'agite si peu, depuis huit jours, autour de moi... Il est cinq
+heures. Les galeries de l'Odéon sont désertes et, le long des grilles du
+jardin, déambulent paresseusement des fiacres vides. Le vieux théâtre
+est fermé; le Sénat est sans sénateurs et nous sommes, à quelques mètres
+de là, cinquante flâneurs à peine, attroupés autour du kiosque où la
+musique d'un régiment de ligne nous joue des airs...</p>
+
+<p>Des airs connus, que l'esprit suit sans effort: <i>Samson et Dalila,
+Louise</i>, la <i>Marche indienne</i> de Sellenik, un peu de Massenet: «N'est-ce
+pas que <i>Manon</i> est une jolie chose?» Je me retourne. C'est mon
+libraire, qui est venu prendre le frais sous les arbres du Luxembourg et
+m'invite à m'y promener avec lui. Ancien professeur, journaliste un peu,
+mêlé à diverses entreprises de propagande politique et sociale dont il
+aime à me démontrer les bienfaits, mon libraire--une des figures les
+plus populaires du Quartier latin--est un aimable bavard, informé de
+tout, qui a le goût des idées générales et sait, à l'occasion, dévider
+un paradoxe avec esprit.</p>
+
+<p>--Vous êtes seul à Paris?</p>
+
+<p>--Tout seul, madame.</p>
+
+<p>--Au moins vous avez <i>fait le pont?</i></p>
+
+<p>--Pas même. Ma femme et mes enfants sont aux eaux, j'en profite pour
+voir un peu Paris que je connais mal, et m'y reposer de la banlieue que
+je connais trop.</p>
+
+<p>--Vous n'aimez pas la campagne?</p>
+
+<p>--Je la déteste, madame. Je la déteste pour deux raisons: la première,
+c'est qu'on y est mal et que, pour de modestes bourgeois comme nous, la
+vie s'y complique et s'y attriste de toutes sortes de petites
+incommodités qui en rendent, à la longue, le séjour insupportable; la
+seconde, c'est que j'aime la justice, et que je suis irrité du tort
+inique que fait la campagne aux beautés rustiques de cette ville-ci.
+J'en veux aux arbres du Vésinet de m'avoir fait ignorer si longtemps--et
+mépriser--les arbres du Luxembourg.</p>
+
+<p>» Arrêtez-vous, madame, et regardez, je vous en prie. Regardez là-bas
+cet effet de soleil couchant et la prodigieuse couleur de ciel que cette
+pièce d'eau reflète. Admirez la somptuosité de forme de ces vieux
+arbres, la beauté caressante de ces feuillages qui font au-dessus de
+nous des dômes transparents d'ombre fraîche et la suavité de tons de ces
+pelouses en velours vert... Est-ce qu'en ce moment aussi l'air que nous
+respirons n'est pas d'une idéale fraîcheur? Eh bien, supposez-vous
+transportée à trente kilomètres de Paris et soudainement mise en face de
+ce spectacle-ci; imaginez cette couleur de ciel et cette odeur de brise
+retrouvées. Vous penseriez: «Voilà bien ce qu'on ne peut rencontrer qu'à
+la campagne...»</p>
+
+<p>--Et je penserais une bêtise, en effet.</p>
+
+<p>--Vous l'avez dit, vous penseriez une bêtise, madame. Car il n'y a pas
+de cité au monde à l'intérieur de laquelle tant de paysages délicieux
+soient rassemblés. Il ne nous reste qu'à les connaître, à apprendre
+l'art d'en jouir. Si nous comprenions quelles «villégiatures» charmantes
+sont les jardins de Paris, ses parcs et les deux forêts qui le bordent à
+l'est et à l'ouest, nous n'éprouverions pas le besoin--en attendant
+l'annuel voyage à la mer ou dans la montagne--de nous en aller geler ou
+rôtir, du mois d'avril au mois de juillet et de septembre à la
+Toussaint, dans des maisonnettes de banlieue. Avez-vous pratiqué la
+villégiature de banlieue, madame?</p>
+
+<p>Je fis signe que non, et mon libraire devint véhément:</p>
+
+<p>--Eh bien, dit-il, je vous en félicite. J'ai une villa, moi: la «Villa
+des Roses». Je l'ai achetée, il y a quelques années, sur les conseils
+d'un médecin qui me recommandait fortement, pour les miens et pour moi,
+«de la distraction, du repos, du bon air».</p>
+
+<p>»La maisonnette est gentille et le pays n'est pas mal. Mais il y fait si
+chaud que nous avons dû, cet été, sans l'avouer à nos amis, venir
+coucher à Paris plusieurs fois pour respirer un peu. Et s'il n'y faisait
+que chaud, madame! Il y <i>fait</i> surtout ennuyeux. Ma femme est, dans
+cette maisonnette, éloignée de sa famille et de ses amis, et cet
+isolement la rend acariâtre. C'est une joie pour elle, pendant ces mois
+d'été, de s'apercevoir, de temps en temps, qu'un indispensable objet de
+toilette ou de ménage lui manque et d'en tirer prétexte pour venir
+passer une demi-journée à Paris. Cette «Villa des Roses»! c'est devenu
+pour elle une espèce de prison où elle ne vit plus, comme le potache au
+lycée, que dans l'attente des jours de congé.</p>
+
+<p>» Pour moi, c'est pire. Et l'on ne se figure pas, si l'on n'en a pas
+fait l'expérience, la somme de corvées, d'incommodités, de dérangement,
+de petites servitudes que représente, pour un bourgeois parisien, marié
+et père de famille, cette chose si naïvement désirée par tant de gens:
+une maison de campagne.</p>
+
+<p>»C'est, le matin, l'ennui de s'habiller vite pour ne pas manquer le
+train du départ; c'est, le soir --pour ne pas manquer le train du
+retour--a nécessité de bâcler ses affaires, de mettre à la porte l'ami
+qui vient vous voir ou de ne l'écouter que la montre à la main;
+d'ajourner au lendemain telles besognes urgentes qu'on eût souhaité de
+liquider la veille. C'est l'ennui de déjeuner au restaurant pendant
+trois mois et d'errer seul dans un appartement poussiéreux, d'aspect
+tragique, au milieu de meubles habillés de housses, et de lustres, de
+vases, de tableaux, enveloppés de papier...</p>
+
+<p>» Et puis il y a les «commissions». Vous savez qu'au point de vue
+culinaire la campagne est, par définition, un endroit «où l'on ne trouve
+rien». Le devoir s'impose donc, au mari qui vient à Paris tous les
+jours, à en rapporter, plusieurs fois par semaine, le melon, la
+langouste ou les fruits que la famille attend. En sorte que l'époque de
+la canicule est le moment de l'année où je vis le plus fiévreusement, le
+plus tristement, et où j'ai le plus de paquets à porter.</p>
+
+<p>» Mais ceci n'est rien encore, et le temps approche où tous ces ennuis
+s'aggraveront d'un petit supplice nouveau. En mai, en juin, en juillet,
+je quittais le matin la campagne à l'heure où précisément il eût été
+délicieux d'y rester. A partir du mois prochain --les jours étant
+redevenus courts et les nuits fraîches--j'y reviendrai, chaque soir, à
+l'heure exacte où l'on commence à regretter de s'y trouver.»</p>
+
+<p>Mon ami conclut:</p>
+
+<p>--Le goût des voyages, heureusement, nous aura bientôt délivrés de
+l'ennui des villégiatures suburbaines. A présent, on met le temps des
+grandes vacances à profit pour changer d'air et d'horizon, courir la
+montagne et «lézarder» sur le sable des plages; on se déplace plus
+facilement qu'autrefois; on a des curiosités que n'avaient pas nos
+grands-pères. Mais cela coûte cher. Il faudra donc, petit à petit,
+s'habituer à choisir entre la villa de Seine-et-Oise et la chambre
+d'hôtel en Normandie, en Bretagne, dans les Pyrénées. Cinq mois de
+banlieue ou deux mois de tourisme? On préférera le tourisme, et ce sera
+le krach des maisons de campagne. Alors, les Parisiens auront le temps
+d'admirer chez eux des choses comme celle-ci...»</p>
+
+<p>Il me montrait, en disant cela, la délicieuse fontaine de Médicis,
+blottie au fond de sa niche de verdure et d'eau. Nous étions seuls. Et
+il me sembla que le cyclope Acis et Galatée considéraient d'un oeil
+surpris notre visite...<br>
+
+<span class="rig"><span class="sc">Sonia.</span></span></p><br><br>
+
+<h3>NOTES ET IMPRESSIONS</h3>
+
+<p>La santé et la jeunesse sont de joyeux compagnons de route. Ils changent
+en poudre dorée la poussière du chemin. <span class="sc">A. Gennevraye.</span></p>
+
+<p class="mid">*<br>* *<p>
+
+<p>Souvent, le charme mène plus loin que la beauté. <span class="sc">Ouida.</span></p>
+
+<p class="mid">*<br>* *<p>
+
+<p>Nous empruntons aux étrangers des mots, des formules exprimant nos
+propres et plus vieilles idées, et nous croyons leur devoir les idées
+elles-mêmes.</p>
+
+<p class="mid">*<br>* *<p>
+
+<p>Les voyages donnent aux oisifs l'illusion de l'activité.
+<span class="sc">G.-M. Valtour.</span></p>
+
+<br>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/002a.png"><br><b>Comment on verra l'éclipse partielle dans diverses villes
+d'Europe.</b></p>
+
+<h3>L'ÉCLIPSE DE SOLEIL DU 30 AOÛT</h3>
+
+<h4>Par CAMILLE FLAMMARION.</h4>
+
+<p>Le 30 août prochain, à 1 h. 19, on verra, de Paris, le soleil
+partiellement éclipsé par la lune, qui passera devant et couvrira les 82
+centièmes du diamètre de son disque. L'ombre de la lune formera, au
+sud-ouest de Paris, un cône invisible qui viendra toucher le sol
+d'Europe sur le territoire de l'Espagne et produira là une éclipse
+totale couvrant un cercle de 190 kilomètres de diamètre. Cette ombre
+arrivera sur la côte septentrionale de l'Espagne, entre Santander et la
+Corogne, et glissera du nord-ouest vers le sud-est, pour quitter la
+péninsule entre Tarragone et Valence, ayant traversé l'Espagne avec une
+vitesse de 750 mètres par seconde ou 45 kilomètres par minute, et,
+glissant sur la Méditerranée, passera ensuite sur l'Algérie, la Tunisie,
+la Tripolitaine, l'Égypte, la mer Rouge, et finira au golfe Persique.
+Elle aura commencé au Canada et aura traversé l'Atlantique avant
+d'arriver en Espagne[1].</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/002b.png"><br><b>Trajet complet de l'éclipse totale de soleil du 30 août,
+du Canada en Arabie.</b></p>
+
+<blockquote>
+<p>[Note 1: Le phénomène sera vu de toute la France et même de tous les
+points de l'Europe, mais comme éclipse partielle seulement; c'est-à-dire
+que la lune, dans son mouvement, passera devant le soleil sans arriver à
+le masquer complètement. La portion éclipsée sera d'autant plus grande
+qu'on se rapprochera davantage d'une ligne joignant Burgos à Sfax.</p>
+
+<p>C'est en Espagne que nous allons nous installer pour l'observer, en très
+grande majorité, quelques-uns cependant s'éloignant jusqu'en Algérie, en
+Tunisie, et même en Egypte. Il importe, en effet, de s'échelonner sur la
+plus grande partie de la zone pour diminuer les risques de voir
+l'éclipse éclipsée par une arrivée intempestive des nuages. La plupart
+des astronomes français ont choisi Burgos et Alcala comme stations
+d'observation. Pour moi, j'ai adopté Almazan, à une grande hauteur sur
+la Cordillère.</p>
+
+<p>En 1900, j'avais choisi la pittoresque oasis d'Elche, non loin
+d'Alicante. Le ciel fut d'une limpidité merveilleuse et tel que nous la
+souhaiterions pour l'éclipse prochaine. Mais cette année-ci est moins
+calme que celle de 1900 au point de vue atmosphérique: elle est fertile
+en orages et en cyclones, car elle correspond au maximum de l'activité
+solaire. Vivons dans l'espérance.</p>
+
+<p>Les phases de l'éclipse seront: à Paris 0,82, soit environ les 8
+dixièmes du soleil éclipsé; à Lyon 0,86; à Marseille 0,90; à Bordeaux
+0,93; à Toulouse 0,94; à Perpignan 0,95; à Biarritz 0,96; à Alger 0,98.
+(Les phases publiées par la <i>Connaissance des temps</i> de 1905 sont
+inexactes; on les a corrigées, sur les indications de M. Camille
+Flammarion, dans un erratum.)</p>
+
+<p>On observera facilement l'éclipse à l'oeil nu, garanti par un verre
+fumé. On pourra aussi en suivre les phases sur une feuille de papier
+au-dessus de laquelle on tiendra, à 30 ou 40 centimètres de distance,
+une carte de visite percée d'un fort trou d'épingle. Elle sera également
+visible sur le sol dans les projections solaires formées par la lumière
+filtrant à travers les interstices des arbres.</p>
+
+<p>Nous donnons ci-contre une carte dessinée par M. l'abbé Moreux, de
+l'observatoire de Bourges, et destinée à montrer ce que l'on pourrait
+appeler le «mécanisme» de l'éclipse, qui sera totale sur toute la bande
+ombrée traversant l'Espagne et la Tunisie.</p>
+</blockquote>
+
+<p>Nul spectacle n'est plus imposant que celui d'une éclipse totale de
+soleil. L'immuable splendeur des mouvements célestes ne m'a jamais
+frappé avec autant de puissance que pendant l'observation de ce
+grandiose phénomène. Avec l'absolue précision du calcul astronomique,
+notre satellite, en gravitant autour de la terre, arrive sur la ligne
+théorique menée de l'astre du jour à notre planète et s'interpose
+graduellement, lentement et exactement devant lui. L'éclipse se produit
+à la minute déterminée par le calcul. Puis le globe obscur de la lune,
+continuant son cours régulier, démasque l'astre radieux et
+graduellement, lentement, termine son passage devant lui. Il y a là,
+pour tout observateur, une double leçon philosophique, une double
+impression: celle de la grandeur, de l'omnipotence des forces
+inexorables qui régissent l'univers, et celle de la valeur
+intellectuelle de l'homme, de cet atome pensant, perdu sur un autre
+atome et qui, par le travail de sa faible intelligence, est parvenu à la
+connaissance de ces lois qui l'emportent lui-même comme le reste du
+monde, dans l'espace, dans le temps et dans l'inconnu.</p>
+
+<p>Dans cet impressionnant spectacle de l'occultation de l'astre du jour,
+l'étrangeté de la pâle lumière qui reste pour éclairer la nature étonnée
+joue un rôle considérable. Tout est changé dans l'aspect des choses.
+L'anneau d'or qui entoure le soleil éclipsé répand sur la terre la
+lumière d'un autre monde.</p>
+
+<p>Quelques minutes avant le commencement de la totalité, la lumière
+normale du jour diminue fortement et se transforme. La nature entière
+paraît oppressée sous une sorte de terreur. Les oiseaux, qui
+gazouillaient dans les branches, se taisent, et ceux qui ont des nids y
+rentrent précipitamment. Quelques-uns ne le retrouvent pas et, se
+heurtant contre les murs, tombent morts. Les poussins se réfugient sous
+l'aile de leurs mères, les chiens demandent protection à leurs maîtres,
+les troupeaux abandonnent leurs pâturages et cherchent à rentrer, les
+abeilles cessent leurs bourdonnements et reviennent inquiètes à la
+ruche, les chauves-souris sortent et volettent. La nuit qui arrive
+subitement déconcerte tous les êtres vivants.</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/002c.png"><br><b>La marche de l'ombre de la lune sur l'Espagne et la<br>
+Tunisie le 30 août. (Les chiffres indiquent les heures et la durée de<br>
+l'éclipse totale en chaque point)</b></p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/002d.png"><br><b>Comment on verra l'éclipse partielle dans diverses villes<br>
+des États-Unis, de Russie, de Sibérie, d'Égypte et d'Arabie.</b></p>
+
+<p>L'homme lui-même ne peut se défendre d'une certaine émotion, quoiqu'il
+sache qu'il n'y a là qu'un phénomène naturel qui suit mathématiquement
+les lois du calcul. L'étrange lumière dont je parlais tout à l'heure
+donne aux visages un aspect cadavérique, clarté blafarde analogue à
+celle de l'esprit-de-vin brûlant saturé de sel, illumination livide et
+funèbre paraissant annoncer la dernière heure du monde.</p>
+
+<p>Au moment où la dernière ligne du croissant solaire disparaît, on voit,
+au lieu du soleil, un disque noir environné d'une auréole lumineuse à la
+base de laquelle brûlent des flammes roses et lançant dans l'espace
+d'immenses jets de lumière. La nuit subite reste éclairée par cette
+vague clarté céleste. Ce spectacle est fantastique, grandiose, solennel
+et sublime.</p>
+
+<p>C'est en ces minutes rares et précieuses que l'on a d'abord deviné, puis
+étudié la constitution physique de l'astre aux rayons duquel la vie de
+la terre est suspendue. Minutes rares, en effet, car la durée de la
+totalité des éclipses observées varie entre une et six minutes, et il
+n'y en a pas une par an. Depuis l'éclipsé de 1842, qui mit les
+astronomes sur la voie de leurs découvertes, il n'y a eu que trente
+éclipses totales dont on peut voir la liste dans mon <i>Astronomie
+populaire</i>, et les observations n'ont pas occupé plus de cent minutes,
+soit un peu plus d'une heure et demie. Voilà, certes, une heure et demie
+bien employée!</p>
+
+<p>Ces minutes nous ont appris qu'il y a, tout autour du soleil, une nappe
+de feu de 10.000 à 15.000 kilomètres d'épaisseur, sorte de flamme de
+punch, de couleur rose, qui brûle constamment. C'est la chromosphère.
+Elle n'est visible que pendant les éclipses. Sa température paraît être
+d'environ 6.000 degrés centigrades.</p>
+
+<p>L'hydrogène en forme la partie supérieure, mais l'analyse spectrale
+montre dans sa couche inférieure les vapeurs du magnésium, du fer et
+d'un grand nombre de métaux. De cette nappe de feu s'élèvent des flammes
+gigantesques, des protubérances roses, également, atteignant parfois
+100.000 et 200.000 kilomètres de hauteur! Ces éruptions formidables
+s'effectuent dans une atmosphère gazeuse qui constitue ce que nous
+pourrions appeler la couronne atmosphérique du soleil. Elle est
+adhérente au globe solaire et tourne avec lui en vingt-cinq jours
+environ.</p>
+
+<p>Pendant l'éclipse du 28 mai 1900, j'ai parfaitement distingué cette
+couronne atmosphérique, très lumineuse et d'un blanc d'argent éclatant.
+Elle se fond dans une seconde auréole, qui lui est extérieure, est moins
+brillante et moins dense, et paraît formée de corpuscules provenant
+principalement des éruptions solaires, circulant indépendamment autour
+de l'astre, dont la forme d'ensemble varie avec l'activité solaire et
+peut être due à des forces électriques ou magnétiques, contre-balancées
+par des résistances de diverses natures. Dans notre propre atmosphère,
+les éruptions volcaniques sont distinctes de l'enveloppe aérienne.</p>
+
+<p>C'est principalement cet entourage solaire que les astronomes vont
+étudier pendant l'éclipse Son aspect varie suivant les années. Aux
+époques de grande activité, comme cette année, cette couronne entoure
+entièrement le disque solaire, à une grande distance, et approche de la
+forme circulaire. L'une des plus belles et des plus régulières que l'on
+ait admirées est celle de l'éclipse du 17 mai 1882, voisine, comme
+celle-ci, d'une époque de maximum de taches solaires. Un dessin qui en a
+été pris en Égypte par M. Tacchini est d'autant plus curieux qu'une
+petite comète avait justement été vue près du soleil pendant la
+totalité.</p>
+
+<p>En général la forme extérieure de la couronne n'offre pas la même
+régularité géométrique qu'en 1882. Souvent des jets immenses s'élancent
+au loin en diverses directions.</p>
+
+<p>Pendant l'éclipse de 1900, correspondant à un maximum de l'activité
+solaire, la couronne s'est montrée très allongée dans le sens de
+l'équateur solaire. D'un côté même elle était double, et allait finir en
+pointe tout près de Mercure, qui brillait à une distance égale à environ
+six fois le diamètre du soleil.</p>
+
+<p>C'est sur l'analyse attentive de cette glorieuse couronne que se
+porteront les efforts des astronomes, et, notamment, parmi les nôtres,
+de MM. Janssen et Deslandres, de l'observatoire de Meudon. On l'étudiera
+par le dessin direct, par la photographie, par l'analyse de la lumière
+au spectroscope, par les méthodes les plus perfectionnées de la science
+actuelle.</p>
+
+<p>On comprend tout l'intérêt qui s'attache à la connaissance de l'astre
+solaire si l'on songe que toute la vie terrestre (ainsi que celle des
+autres planètes) dépend des radiations de cet astre. De sa surface
+agitée par les flots d'une éternelle tempête s'élancent constamment,
+avec la vitesse de l'éclair, les vibrations fécondes qui vont porter la
+vie sur tous les mondes. Le jour où le soleil s'éteindra, la terre où
+nous sommes ne sera plus qu'un morne, obscur et silencieux cimetière
+roulant dans l'éternelle obscurité de l'espace.</p>
+<br>
+
+<h3>LES FÊTES EN L'HONNEUR DE LA FLOTTE FRANÇAISE A PORTSMOUTH ET A LONDRES</h3>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/003a.png"></p>
+
+<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="0"
+ style="width: 100%; text-align: left;" summary="3260">
+ <tbody>
+ <tr>
+ <td style="vertical-align: top; width: 65%; text-align: center;">
+<b>Le maire de Portsmouth et les conseillers municipaux, en
+robe, allant, le 9 août, présenter à l'amiral Caillard les souhaits de
+bienvenue de la ville.</b>
+ </td>
+ <td style="vertical-align: top; width: 35%; text-align: center;">
+<b>Au château d'East-Cowes, le 8 août: l'amiral Caillard
+présente les officiers de son état-major à la princesse Béatrice de
+Battenberg, «gouverneur» de l'île de Wight.</b>
+ </td>
+ </tr>
+ </tbody>
+</table>
+
+
+
+
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/003b.png"></p>
+<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="0"
+ style="width: 100%; text-align: left;" summary="3260">
+ <tbody>
+ <tr>
+ <td style="vertical-align: top; width: 50%; text-align: center;">
+<b>Divertissements de marins anglais et français, à
+Wales-Island, le 10 août: la course à âne.</b>
+ </td>
+ <td style="vertical-align: top; width: 50%; text-align: center;">
+<b>La locomotive pavoisée du train de luxe qui a transporté
+les officiers et marins de Portsmouth à Londres, le 10 août.</b>
+ </td>
+ </tr>
+ </tbody>
+</table>
+
+
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/004a.png"></p>
+<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="0"
+ style="width: 100%; text-align: left;" summary="3260">
+ <tbody>
+ <tr>
+ <td style="vertical-align: top; width: 50%; text-align: center;">
+<b>A travers les rues de Londres: le défilé des breaks
+promenant les marins français.</b>
+ </td>
+ <td style="vertical-align: top; width: 50%; text-align: center;">
+<b>L'arrivée des marins français et des personnages
+officiels dans la cour du Guildhall.</b>
+ </td>
+ </tr>
+ </tbody>
+</table>
+
+
+
+
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/004b.png"><br>
+<b>Le banquet offert aux marins français dans la grande<br>
+salle du Guildhall, ancien hôtel des corporations de Londres, le 11
+août.</b></p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/004c.png"></p>
+<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="0"
+ style="width: 100%; text-align: left;" summary="3260">
+ <tbody>
+ <tr>
+ <td style="vertical-align: top; width: 50%; text-align: center;">
+<b>A la sortie du Guildhall: formation du cortège pour se
+rendre à l'Alhambra.</b>
+ </td>
+ <td style="vertical-align: top; width: 50%; text-align: center;">
+<b>Le banquet offert aux officiers de l'escadre française, à
+Westminster, le 12 août.</b>
+ </td>
+ </tr>
+ </tbody>
+</table>
+<br>
+
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/005small.png"><br><a href="images/005large.png">(Agrandissement)</a></p>
+<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="0"
+ style="width: 100%; text-align: left;" summary="3260">
+ <tbody>
+ <tr>
+ <td style="vertical-align: top; width: 33%; text-align: center;">
+<span class="sml">Baron de Rosen et attachés à la délégation russe.</span>
+ </td>
+ <td style="vertical-align: top; width: 34%; text-align: center;">
+<span class="sml"> M. Witte. Président Roosevelt. Baron Komura.</span>
+ </td>
+ <td style="vertical-align: top; width: 33%; text-align: center;">
+ <span class="sml">M. Takahira et attachés<br> à la délégation japonaise.</span>
+ </td>
+ </tr>
+ </tbody>
+</table>
+<p class="mid"><b>LA PREMIÈRE RENCONTRE DES<br>
+PLÉNIPOTENTIAIRES RUSSES ET JAPONAIS, LE 5 AOÛT<br>Le président Roosevelt
+présente l'un à l'autre M. Witte et le baron Komura, dans le salon de
+réception du yacht du gouvernement américain, le «Mayflower».</b></p>
+
+<p><i>Il appartenait au président Roosevelt, après avoir pris l'initiative
+des négociations pour la paix entre la Russie et le Japon, de présenter
+les uns aux autres, à leur arrivée aux États-Unis, les plénipotentiaires
+russes et japonais. Cette formalité protocolaire a eu lieu le 5 août,
+dans les eaux américaines, à Oyster-Bay, à bord du yacht présidentiel</i>
+Mayflower. <i>Le président y était venu de son cottage de Sagamore Hill.
+Bientôt après, le croiseur</i> Tacoma <i>arrivait portant les délégués du
+Japon qui, représentants du vainqueur, devaient être reçus les premiers
+par M. Roosevelt, tandis que le croiseur</i> Chattanooga <i>amenait, à
+quelques minutes de là, les plénipotentiaires russes. Les présentations
+eurent lieu dans la grande salle du yacht, où se tenaient M. Witte, et
+ses collaborateurs, et où l'on introduisit cérémonieusement le baron
+Komura et, les délégués japonais qui, à l'arrivée des Russes, s'étaient
+retirés dans un petit salon voisin. Les figures des Japonais étaient
+graves, leurs yeux froids, on le remarqua. Et l'on constata par contre,
+non sans quelque sympathie, que l'attitude de M. Witte était cordiale,
+ronde, franche; elle séduisit fort les Américains.</i></p>
+
+<h3>ARRIVEE DES PLÉNIPOTENTIAIRES A BORD DU "MAYFLOWER", LE 5 AOÛT</h3>
+
+<p class="mid"><span class="sml">Le baron Komura.&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;M. Witte.</span><br>
+<img alt="" src="images/006.png"><br>
+<b>Au centre de la page, le yacht <i>Mayflower.</i></b></p>
+
+
+<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="0"
+ style="width: 100%; text-align: left;" summary="3260">
+ <tbody>
+ <tr>
+ <td style="vertical-align: top; width: 50%; text-align: center;">
+<b>M. Roosevelt monte à bord du <i>Mayflower</i> pour présider à
+la première entrevue.</b>
+ </td>
+ <td style="vertical-align: top; width: 50%; text-align: center;">
+<b>Russes et Japonais sur le pont du <i>Mayflower</i> après les
+présentations.</b>
+ </td>
+ </tr>
+ </tbody>
+</table>
+
+
+<p class="mid"><b>LES POURPARLERS DE PAIX ENTRE LA RUSSIE ET LE JAPON</b><br>
+<i>Stereograph copyright 1905 Underwood and Underwood, London and New-York.</i><br></p>
+<br>
+
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/007.png"><br>
+<span class="sml"><i>Dessin original de Jeanniot.</i></span><br>
+<b>A TROUVILLE: SUR LES PLANCHES.</b></p>
+
+
+
+<p><i>Privilégié à divers titres parmi les nombreuses stations balnéaires de
+Normandie, Trouville doit à sa proximité relative de Paris d'avoir
+conquis de longue date la faveur des Parisiens. C'est la plage mondaine
+par excellence; au beau moment de la saison, ses fameuses «planches
+sont, suivant la formule consacrée, le rendez-vous des suprêmes
+élégances, et cette reconstitution, au bord de la mer, de l'avenue du
+Bois et de la «potinière» offre assurément le tableau, tout ensemble le
+plus complet et le plus brillant, des nouveautés de la mode.</i></p>
+<br>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/008a.png"><br><b>Le fiord de Christiania.</b></p>
+
+<h3>EN NORVÈGE</h3>
+
+<h4><i>Fragments d'un journal de voyage.</i></h4>
+
+<p class="mid">Suite et fin IV.--Voir les numéros des 8. 29 juillet et 12 août</p>
+
+<h4>LE CAP NORD</h4>
+
+<p><i>Samedi 16 juillet.</i>--Nous arrivons au cap Nord. Nous avons vu d'autres
+montagnes aussi noires, aussi désolées, aussi hautes et imposantes. Mais
+celle-ci est la dernière, et, à bord, on est un peu fier de voir que
+notre Europe finit bien. On se propose de faire l'ascension du rocher,
+trois cents mètres pénibles, afin de pouvoir dire qu'on est monté là et
+surtout pour y mettre, dans une boîte aux lettres levée tous les huit
+jours, des cartes postales naturellement, qui porteront le timbre du cap
+et feront la joie des collectionneurs. Il y en a un véritable
+chargement. Certain passager en expédie quarante pour sa seule part.
+Beaucoup les ont confiées aux commissaires du bord; d'autres les gardent
+dans leur poche pour les expédier eux-mêmes. Comme on le verra, ce fut
+une précaution malheureuse.</p>
+
+<p>La mer ne paraît pas très forte aux yeux inexpérimentés des passagers,
+qui retiennent plus ou moins les manifestations de leur mécontentement
+lorsque le bruit court que l'on ne débarquera pas. En présence de cette
+attitude, l'excellent commandant, afin de nous donner une leçon de
+choses, donne l'ordre de mettre la pétrolette à la mer. Dès qu'elle est
+dégagée des palans, les plus obstinés commencent à montrer moins
+d'empressement. L'embarcation, soulevée par les lames, fait au pied de
+l'échelle des différences de niveau de deux à trois mètres. La
+démonstration semble faite. Ce n'est pas l'avis des officiers du bord,
+qui embarquent non sans difficultés. Parmi eux est le commissaire
+porteur du paquet de cartes postales. Le prétexte donné à la petite
+promenade est de s'assurer si le débarquement à terre serait possible.
+Il est possible, en effet, pour des marins, et les cartes postales
+partiront. Au retour, la mer a un peu grossi et c'est par l'échelle de
+corde destinée aux pilotes que les officiers, un peu malicieusement
+peut-être, reviennent à bord. Cette fois, personne ne demande plus à
+partir et la pétrolette est hissée sans protestation.</p>
+
+<p>Mais la désolation est sur bien des visages.</p>
+
+<p>Être venu de si loin, s'en approcher autant et ne pas mettre le pied sur
+le cap Nord! Des lamentations encore.</p>
+
+<p>--Et nos cartes postales! nos cartes postales! nos cartes postales!</p>
+
+<p>Une barque est prochaine, montée par trois ou quatre pêcheurs venus nous
+attendre avec du Champagne qu'ils comptaient vendre là-haut à bon prix.
+Si on les chargeait des cartes postales! Mais le moyen de les leur faire
+parvenir? La mer est trop forte pour qu'ils puissent approcher de
+l'échelle... Pauvres cartes postales!</p>
+
+<p>Un passager alors a une idée ingénieuse. Il collecte les précieuses
+cartes postales, fait une quête et enferme le tout dans quatre ou cinq
+journaux. Ce paquet, ficelé, est ensuite attaché à une bouteille bien
+bouchée, le tout jeté à la mer et recueilli, avant que l'épaisseur des
+journaux ait pu être traversée, par les Norvégiens qui s'éloignent à
+force de rames et donnent des signes de joie surprenants pour ce pays.
+On se croirait dans le Midi. Et pourtant...</p>
+
+<p>Nous partons. Il est une heure du matin, le ciel est couvert. Il fait
+plein jour, on ne se lasse pas de le répéter. Nous perdons ici le besoin
+du sommeil. On ne peut se résoudre le soir à regagner sa cabine. On
+reste sur le pont, malgré le froid, et l'on admet difficilement qu'on
+puisse aller dormir avant la nuit.</p>
+
+<h4>LA PÊCHE A LA BALEINE</h4>
+
+<p><i>Dimanche 17 juillet.</i>--...L'île de Skarro est une station de pêche à la
+baleine. Du bord, avant de débarquer, nous voyons, près du rivage, une
+roche ronde où la mer se brise. Ce n'est pas une roche. C'est une
+baleine prise la veille. Sur les galets, des cadavres de baleine gisent,
+à moitié dépecées. L'odeur est insupportable. Nous fuyons vers une
+maisonnette gaie, sur une hauteur, habitation du directeur de la
+pêcherie. Il a eu l'idée bizarre d'employer, comme bordure pour ses
+gazons, des vertèbres de baleine. Comme porte d'entrée, il y a une sorte
+d'arc de triomphe ogival, formé par l'assemblage de deux os de mâchoire
+du même animal, et les sièges de l'intérieur sont faits de clavicules.</p>
+
+<p>C'est très gai... pour le directeur d'une pêcherie. Vous trouverez dans
+les ouvrages spéciaux la description du harpon explosible et
+perfectionné que l'on emploie aujourd'hui; vous ne l'attendez pas ici,
+d'ailleurs. De même pour les renseignements sur les ateliers de
+dépeçage. Je n'ai pas eu le courage d'y entrer et, si vous avez le nerf
+olfactif sensible, je vous engage à faire comme moi. Ai-je dit que la
+photographie signée de l'empereur Guillaume II est, au salon, à la place
+d'honneur?</p>
+
+<h4>LE CHALET DE GUILLAUME II</h4>
+
+<p><i>Lundi 18.</i>--Nous allons retrouver ce soir au Raftsund le souvenir de
+cet admirable homme de théâtre. Le paysage est grandiose et terrible.
+Nous entrons dans une sorte d'entonnoir. Les premiers plans sont verts
+et noirs. Les seconds, à droite et à gauche, sont faits de montagnes
+noires sur lesquelles il a neigé récemment. Mais la neige n'est pas
+seulement sur les sommets; elle est restée dans toutes les
+anfractuosités, ce qui fait un dessin fantastique de blanc et de noir.
+Le détroit se rétrécit et s'assombrit à mesure qu'on y pénètre. C'est
+véritablement ici la majestueuse porte de l'enfer. Et l'on admire le
+sens de l'effet que possède le souverain qui s'est fait construire un
+chalet au sommet d'une des montagnes d'entrée. Ah! l'incomparable
+régisseur! Et, si vous ne trouvez pas ici l'indication d'une beauté qui,
+à elle seule, vaudrait le voyage, n'en accusez que l'insuffisance de ma
+description. Je me suis retenu dix fois déjà pour ne pas dire, de ce que
+nous avons vu, que c'était indescriptible.</p>
+
+<h4>LE RETOUR--EN CHEMIN DE FER</h4>
+
+<p>...... Nous voici dans un tout autre pays sans avoir quitté la Norvège.
+D'abord il fait chaud et, lorsque nous recevons des lettres de France
+nous parlant de la chaleur, nous n'envions plus ceux que nous avions
+laissés là-bas. Ensuite les champs sont semblables aux nôtres...
+semblables du moins à ce qu'ils étaient il y a deux ou trois mois. Nous
+voyons enfin des villages et des villes, des habitants actifs,
+occupés... Voici, à une station un chapeau haut de forme. Merci, mon
+Dieu! A chaque gare, des enfants viennent offrir des bouquets de cerises
+qui rafraîchissent mieux que la bière. Les employés du train sont d'une
+complaisance à laquelle ne sont pas habitués ceux d'entre nous qui n'ont
+voyagé que sur les chemins de fer français. Comme nous sommes
+visiblement harassés, l'employé, qui s'en aperçoit, nous fait lever
+gentiment avec un sourire et nous montre que ceux d'entre nous qui n'ont
+pas de vis-à-vis peuvent, en rapprochant les deux sièges qui se font
+face, s'installer un véritable lit et dormir tranquillement.</p>
+
+<p class="lef"><img alt="" src="images/008b.png"><br>
+<b>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Statue d'Ibsen, devant le théâtre<br>
+ &nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;de Christiania.</b> <i>Photographies Meys.</i>]</p>
+
+<h4>CHRISTIANIA</h4>
+
+<p>Ce n'est pas en deux jours qu'on peut voir une ville. Celle-ci nous
+paraît insignifiante. Elle n'a que des monuments modernes qui ne sont
+pas beaux. C'est une grande ville sans caractère et sans intérêt. Dans
+ses musées, on n'a guère remarqué que les fameuses barques des Wikings.
+Elles datent de mille ans au moins et ont été retrouvées au fond d'un
+nord, enfouies dans le sable où elles servaient de tombeaux à leurs
+propriétaires. Le gaillard qui a dormi là est peut-être un des
+envahisseurs audacieux dont les voiles, en remontant la Seine, ont
+attristé la vieillesse de Charlemagne.</p>
+
+<p>Les soirées à bord sont délicieuses. Pour les habitants de Christiania,
+la rade est un lieu de promenade comme le bois de Boulogne l'est pour
+les Parisiens. Notre bateau est amarré entre deux vaisseaux de guerre
+hollandais: triple objet de curiosité. Des centaines, des milliers de
+barques vont de l'un à l'autre. La mer en est couverte. On dirait la
+place de la Concorde un beau soir de mai; les embarcations se frôlent,
+se croisent d'aussi près et en aussi grand nombre que, là-bas, les
+voitures et les automobiles.</p>
+
+<p>Il y a des canots à vapeur qui sifflent pour nous saluer, des petits
+bateaux de toutes les formes: à la rame, où sont des familles et que
+souvent des enfants et des femmes conduisent; des voiliers dont les
+voiles blanches répandent sur tout le tableau une grâce d'oiseaux
+rapides; des périssoires; de longs canots de course montés par de
+vigoureux jeunes hommes en maillot blanc, bras nus, qui font un étalage
+aimable et naïf de leur force et de leur adresse. On vient nous donner
+des sérénades et, d'un petit bateau qui tourne autour de nous comme une
+mouche sur un colosse, les sons aigus d'une flûte nous envoient les
+accents de la <i>Marseillaise</i>... On lève l'ancre. Dans trente-six heures
+nous serons en France.</p>
+
+<p class="mid">*<br>* *<p>
+
+<p>Et dans un mois nous aurons oublié, sauf peut-être une ou deux
+exceptions, ceux avec qui nous avons vécu pendant un mois et qui ont
+fait avec nous ce pèlerinage inconscient au soleil qui ne dort pas.<br>
+
+<span class="rig"><span class="sc">Brieux.</span></span></p><br><br>
+
+<h3>DOCUMENTS et INFORMATIONS</h3>
+
+<h4><span class="sc">L'influence de la science française en Chine.</span></h4>
+
+<p>Le docteur A.-F. Legendre, médecin-major de 1re classe des troupes
+coloniales, envoyé en 1902 par le ministère des Affaires étrangères à
+Tchen-Tou (capitale de la province du Se-Tchouan, qui compte 40 millions
+d'habitants), y créa, sur la demande du vice-roi du Se-Tchouan, une
+école de médecine. Cette école fut inaugurée officiellement par le
+vice-roi en personne et tous les hauts mandarins; elle compte
+actuellement 32 élèves, choisis parmi la classe dirigeante des lettrés.</p>
+
+<p class="rig"><img alt="" src="images/009a.png"><br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;<b>L'école de médecine impériale de Tchen-Tou.</b><br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;(Au milieu, le médecin-major Legendre,<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;fondateur et directeur.)</p>
+
+<p>C'est la seule école d'enseignement supérieur qui existe en Chine, sauf
+à Tien-Tsin.</p>
+
+<p>Le docteur Legendre est venu en France dans le but d'obtenir le matériel
+et le personnel nécessaires pour assurer le bon fonctionnement de cette
+école de médecine chinoise et son organisation complète, en conformité
+avec les derniers perfectionnements de la science actuelle.</p>
+
+<p>A l'école de médecine sera annexée une école de sciences.</p>
+
+<p>Le docteur Legendre reprendra, en septembre prochain, la route du
+Se-Tchouan, pour parachever son oeuvre.</p>
+
+<p>La photographie ci-dessus représente les élèves de l'école de médecine
+impériale, avec leurs administrateurs et censeurs chinois, et leur
+directeur et professeur, le docteur Legendre.</p>
+
+<h4><i>Un nouvel enseignement commercial.</i></h4>
+
+<p>Les nécessités de la vie économique contemporaine ont décidé la Chambre
+de commerce de Paris à réorganiser son <i>Ecole supérieure de commerce</i>.
+Sous le titre nouveau et significatif <i>d'École supérieure de commerce et
+d'industrie</i>, elle en a fait l'institution modèle dans la forme
+définitive qu'avaient rêvée sans doute ses fondateurs, Brodart et
+Legret, négociants à Paris; leurs principaux collaborateurs, J.-B. Say,
+Chaptal, de Prony, Ch. Dupin, Casimir-Périer, Jacques Laffitte, et
+peut-être aussi l'un de ses plus distingués directeurs, Adolphe Blanqui.</p>
+
+<p>Aidée par l'État et par la ville de Paris dans cette grande entreprise,
+la Chambre de commerce justifie aujourd'hui leur confiance en apportant
+à l'organisation de l'École des remaniements qui aboutissent à la
+création, avenue de la République, d'un enseignement commercial complet,
+à la fois rationnel et pratique, conçu d'après les données les plus
+modernes et qui forme, pour le commerce général ou d'exportation, pour
+la banque, l'industrie, les administrations, etc., des jeunes gens
+capables de devenir soit des employés supérieurs, soit des directeurs de
+services ou des chefs de maison.</p>
+
+<p>Cet enseignement est donné à des jeunes gens âgés de douze à dix-neuf
+ans.</p>
+
+<p>Une <i>section de navigation maritime</i>, placée sous le contrôle du
+ministère de la Marine, est annexée à l'École. Le diplôme de sortie
+confère en même temps le certificat d'aptitude (examen de théorie) pour
+le <i>brevet supérieur de capitaine au long cours.</i></p>
+
+<h4><span class="sc">La respiration du sol.</span></h4>
+
+<p>Tout comme les êtres vivants, le sol de notre planète respire,
+c'est-à-dire aspire et expire de l'air, tour à tour. Mais, différent en
+cela des êtres vivants, il ne respire pas par ses moyens propres: il
+reste passif dans cette affaire. On savait bien, depuis longtemps, que
+les interstices du sol sont remplis d'air, et l'on savait aussi qu'il
+devait y avoir tantôt plus d'air, et tantôt moins, dans le sol, sous
+l'influence des variations barométriques. Mais rien ne démontre et n'
+«illustre» mieux le phénomène que les puits sur lesquels M. F. Gerlier,
+médecin à Ferney-Voltaire, vient d'attirer l'attention. Ces puits,
+situés dans le canton de Genève, présentent cette particularité
+d'aspirer l'air à certains moments et de le refouler à d'autres. Il est
+facile de voir s'ils aspirent ou expirent: ils sont fermés par une dalle
+solide, pourvue d'un petit orifice, permettant d'avoir prise sur elle et
+de la soulever; il suffit de placer une allumette enflammée, un bout de
+plume, etc., sur l'orifice, pour voir de suite s'il y a courant d'air,
+et dans quel sens. On peut encore poser un sifflet dans l'orifice, en
+l'entourant de mastic: selon le sens où le sifflet est posé, on a un
+sifflement continu pendant l'inspiration ou l'expiration du puits et
+l'on peut faire savoir au loin, automatiquement, si l'on va vers le beau
+temps ou vers la pluie. Car les puits qui soufflent ou aspirent sont
+essentiellement barométriques. Ils réagissent aux influences qui font
+monter ou descendre le baromètre et les habitants des villages les
+considèrent comme d'excellents baromètres. Dès que le baromètre monte,
+en même temps qu'il monte, plutôt, le puits aspire. La pression
+barométrique étant plus forte dehors, l'équilibre de la pression de
+l'air dans le sol ne peut s'établir que par la poussée de l'air
+extérieur vers le souterrain: de là apparence d'aspiration du puits. Si
+le baromètre baisse, en dehors, le phénomène inverse se produit. La
+pression est forte dans le sol, faible dans l'air; l'équilibre s'établit
+par la poussée de l'air relativement comprimé du sol vers l'extérieur:
+le puits expire. Rien n'est plus naturel, ou d'explication plus facile,
+quand on considère les puits particuliers dont il s'agit. Ils sont tous
+profonds, pauvres en eau, souvent à secs et forés dans une couche de
+gravier. Une couche de gravier, cela représente beaucoup de vides et
+d'interstices; cela fait un réservoir d'air étendu, par conséquent. Et
+le puits est, en réalité, le tuyau par où communiquent un réservoir
+d'air souterrain et un autre réservoir, qui est l'atmosphère. Toujours
+l'équilibre tend à s'établir entre la pression, dans les deux
+réservoirs; et elle s'établit en donnant lieu aux mouvements
+d'aspiration et d'expiration. Une augmentation de pression dans l'air
+extérieur, qui se traduit par une hausse du baromètre, se traduit par un
+refoulement d'air dans le réservoir souterrain qui est à pression
+moindre--celle où le baromètre se trouvait avant de commencer à monter.
+La baisse de pression dans l'air a pour conséquence une expiration:
+l'air souterrain étant à pression forte--celle du baromètre avant sa
+descente--il est chassé par sa pression dans l'air extérieur,
+naturellement, où la pression est moindre. Le sol respire donc, là
+surtout où il est très perméable et renferme beaucoup d'air.</p>
+
+<h4><span class="sc">La nouvelle faune du vieux port de Marseille.</span></h4>
+
+<p>Les personnes qui ont connu Marseille avant l'établissement du canal de
+la Durance se rappellent certainement quel immonde cloaque était le
+vieux port, où débouchaient tous les égouts de la vieille ville. La
+saleté des fonds et des eaux était légendaire, les poissons n'y vivaient
+pas, et il était admis qu'un des meilleurs moyens de débarrasser les
+coques des navires des nombreux animaux qui les envahissaient était de
+les faire séjourner quelque temps dans les eaux du vieux port.</p>
+
+<p>Quand le canal de la Durance fut fait, il y eut un apport d'eau douce
+plus considérable, et les coquillages purent vivre jusqu'au tiers de la
+longueur du bassin; puis, dès 1885, Marseille fit établir le
+tout-à-l'égout et les immondices de la ville ne se déversèrent plus dans
+le port, mais sur la côte, à une quinzaine de kilomètres à l'est. Très
+rapidement alors les eaux du vieux port prirent de la limpidité, des
+algues apparurent partout, et les Marseillais purent s'y livrer à la
+pêche d'une façon fructueuse.</p>
+
+<p>Ayant étudié récemment la faune du vieux port, MM. A. Briot et Van Gaver
+ont constaté que la vie se manifestait actuellement jusqu'à l'extrême
+fond du bassin. Les mollusques y sont nombreux et, près de la passe, les
+crabes ont fait leur apparition.</p>
+
+<p>Dès qu'on arrive à l'avant-port, les fonds deviennent d'une surprenante
+richesse. A la vase noire succède un cailloutis où les invertébrés de
+toutes sortes pullulent. Les algues rouges apparaissent à cet endroit,
+les oursins, les tubes d'annélides.</p>
+
+<p>Tous ces êtres, ne s'accommodant que d'eaux relativement assez pures,
+sont le témoignage vivant de l'assainissement du port de Marseille.</p>
+
+<h4><span class="sc">L'acoustique des salles de réunion.</span></h4>
+
+<p>Les mathématiciens et les physiciens ne sont pas encore arrivés à
+déterminer les conditions que doivent remplir les grandes salles
+destinées aux spectacles, aux concerts ou aux cours, pour bien porter
+les sons et la parole; et les architectes n'ont pas mieux réussi à
+résoudre ce difficile problème.</p>
+
+<p>Quand on construit une de ces salles, on compte sur la chance pour
+réussir; et le résultat est, en effet, au petit bonheur. Il arrive même
+que, sans le vouloir, on obtient des salles d'une acoustique admirable.</p>
+
+<p>Mais, si difficile qu'il soit, ce problème n'est certainement pas
+insoluble.</p>
+
+<p>Pour le résoudre, M. Exner, physiologiste viennois, a pensé qu'il
+fallait s'adresser à la méthode expérimentale, et il a imaginé un
+dispositif d'expériences très ingénieux qui lui a donné des résultats
+fort précis.</p>
+
+<p>L'<i>acoustimètre</i> de M. Exner comprend un appareil producteur de sons
+(amorces détonant sous l'action d'un percuteur actionné à distance), des
+appareils collecteurs des sons et de leurs échos (microphones installés
+aux différents points de la salle dont on étudie l'acoustique) et un
+appareil mesureur (poste téléphonique que l'on peut relier à l'un
+quelconque des microphones).</p>
+
+<p>Ce poste comprend un rhéostat, que l'on intercale dans les circuits des
+microphones, en interposant des résistances capables d'annuler la
+transmission du son.</p>
+
+<p>Par la grandeur variable de ces résistances, l'observateur connaît
+exactement l'intensité du son aux divers points étudiés.</p>
+
+<p>Cette méthode, appliquée empiriquement, permettra de connaître
+exactement la valeur acoustique d'une salle; mais il est probable
+qu'elle permettra, en outre, d'établir le dessin théorique des salles de
+bonne acoustique.</p>
+
+<h4>MORT D'UN EXPLORATEUR ASIATIQUE</h4>
+
+<p class="lef"><img alt="" src="images/009b.png"><br>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;<b>Le lieutenant Grillières.</b></p>
+
+<p>Le lieutenant Grillières, du 4e zouaves, est décédé le 15 juillet, à
+Semao (Asie centrale), au cours d'une mission dont il avait été chargé
+par le ministère de l'Instruction publique. Fils du colonel du génie en
+retraite Louis Grillières, le défunt, âgé de trente-sept ans à peine,
+avait accompli précédemment d'autres missions intéressantes, notamment
+en Chine et au Thibet; il appartenait à cette élite d'officiers qui,
+pendant les loisirs de la paix, cherchent en marge de la carrière des
+armes, souvent au prix de périls et de fatigues vaillamment affrontés,
+l'utile emploi de leur intelligence et de leur activité. Sa mort
+prématurée, sous un climat lointain, mérite un juste tribut d'hommages
+et de regrets.</p>
+
+<h4>UN ANNIVERSAIRE AU VATICAN</h4>
+
+<p>Le pape Pie X vient de célébrer avec solennité, le 9 août dernier, le
+second anniversaire de son intronisation.</p>
+
+<p>La messe pontificale, à laquelle Sa Sainteté assistait, a été célébrée à
+la chapelle Sixtine par le cardinal Merry del Val, secrétaire d'État, le
+plus jeune membre du sacré collège. Le pape s'était rendu à la chapelle,
+précédé de la garde noble et suivi de toute la cour romaine, en
+traversant les loges de Raphaël, et la marche de ce' cortège dans ce
+cadre admirable présentait le plus imposant des spectacles.</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/010a.png"><br>
+<b>S. S. Pie X, précédé de la garde noble et suivi de la
+Cour pontificale, se rend, par les loges de Raphaël, à la chapelle
+Sixtine, pour célébrer le second anniversaire de son intronisation, le 9
+août dernier.</b>--<i>Phot. G. Felici.</i></p>
+
+<p>M. GABRIEL SOULACROIX</p>
+
+<p>Le baryton Soulacroix vient de mourir à Fumel (Lot-et-Garonne), son pays
+natal, à l'âge de cinquante-deux ans. Fils d'un simple boulanger, qui
+élevait non sans peine quatre enfants, Gabriel Soulacroix avait commencé
+ses études au conservatoire de Toulouse, puisses poursuivit à Paris où
+il obtint, en 1878, le second prix de chant et d'opéra-comique.</p>
+
+<p class="lef"><img alt="" src="images/010b.png"><br>
+<b>M. Gabriel Soulacroix.</b> <i>Phot. comm.par M.<br> Marcel
+Languellier</i>.</p>
+
+<p>Après un séjour de neuf années à la Monnaie, à Bruxelles, il avait
+débuté, en 1880, à l'Opéra-Comique. Il y joua tour à tour, jusqu'en
+1894, tous les rôles de baryton du répertoire et figura avec infiniment
+de distinction dans les créations de <i>la Basoche</i>, des <i>Folies
+amoureuses</i>, de <i>Falstaff</i>, de <i>l'Escadron volant de la reine</i>, du <i>Roi
+malgré lui.</i></p>
+
+<p>En dernier lieu, enfin, il créait, à la Renaissance, <i>le Duc de
+Ferrare</i>, et <i>la Bohème</i> de Leoncavallo. Il avait fait, en 1904, une
+brillante rentrée à l'Opéra-Comique avec <i>le Jongleur de Notre-Dame</i>.</p>
+
+<p>Lors de l'incendie de l'Opéra-Comique, son sang-froid avait été digne
+d'admiration. En scène au moment où le feu se déclarait, il avait
+beaucoup contribué à empêcher la foule de s'écraser vers les issues et
+avait sauvé bien des existences. Le désastre était assez grand!
+Soulacroix avait alors été récompensé par une médaille de sauvetage, et
+c'était, de toutes ses décorations, celle dont il se montrait le plus
+fier.</p>
+
+<p>UN MARIAGE FRANCO-CHINOIS Scïé-Ton-Fa, attaché d'ambassade et préfet de
+deuxième classe, épousait, ces jours derniers, en l'église de la
+Madeleine, Mlle Louise Sauvaget, jeune Nivernaise, devenue Parisienne de
+par un séjour de dix ans dans la capitale.</p>
+
+
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/010c.png"><br><b>M. Scïé-Ton-Fa et sa jeune femme.</b>--<i>Phot. Anthony's.</i></p>
+
+<p>Et ce fut un spectacle plein d'imprévu et de pittoresque que la vue de
+cette cérémonie unissant, dans le cadre de ce temple pseudo-grec, sous
+la bénédiction d'un prêtre chrétien, le jeune Céleste à la jeune
+Parisienne.</p>
+
+<p>Revêtu d'une somptueuse robe de soie bleue, brodée de dragons d'or en
+écusson sur la poitrine, ceinture d'or incrustée de lapis, chaussé de
+hautes bottes de satin noir, Scïé-Ton-Fa, levant fièrement sa tête
+coiffée du chapeau de mandarin à bouton de cristal de roche, sortit
+triomphalement de la Madeleine aux accords de la marche de Lohengrin,
+cependant qu'à son bras Mme Scïé-Ton-Fa, tout émue, laissait dépasser de
+son missel les roses rouges, symbole chinois de l'amour.</p>
+<br>
+
+<h4>L'ÉCLIPSE DE LUNE DU 15 AOÛT</h4>
+
+<p>En attendant la grande éclipse de soleil dont nous parlons plus haut,
+une éclipse de lune a eu lieu dans la nuit du 15 août. Elle a été
+d'autant plus belle qu'un temps splendide, calme et très pur, a permis,
+à Paris, d'en suivre toutes les phases. On sait que les éclipses de lune
+sont produites par le passage de la lune dans le cône d'ombre que la
+terre, astre opaque, projette derrière elle par rapport au soleil. Ce
+cône d'ombre comprend deux parties bien distinctes: l'ombre proprement
+dite et la pénombre.</p>
+
+<p>Dans l'éclipse du 15 août dernier, à partir de 1 h. 17, la lune entrait
+dans la pénombre. Comme celle-ci est très dégradée, on n'a rien constaté
+tout d'abord, et ce n'est guère qu'à 1 h. 45 et surtout 2 heures que la
+pénombre a été vue à la lunette, avec une teinte brune. Mais, sur les
+épreuves photographiques, la pénombre est bien plus accusée. A 2 h. 48,
+la lune est entrée dans l'ombre. Au milieu de l'éclipsé, à 3 h. 50, il y
+avait à peine un tiers du diamètre lunaire dans l'ombre (exactement 292
+millièmes), mais notre satellite n'envoyait plus qu'une lumière
+blafarde, étant, en effet, tout entier dans la pénombre.</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/010d.png"><br><span class="sml">La lune avant l'éclipse, à 1 h. 9 du matin. La lune dans
+la pénombre, à 2 h. 39. La lune dans l'ombre de la terre, à 3 h. 5. Un peu
+avant la phase maximum, à 3 h. 42.</span>
+<br><b>L'ÉCLIPSE DE LUNE DU 15
+AOÛT.</b>--<i>Photographies de M. Émile Touchet.</i>
+</p>
+<br>
+<p class="mid"><img alt="" src="images/011small.png"><br><a href="images/011large.png">(Agrandissement)</a></p>
+<br>
+<h3><i>NOUVELLES INVENTIONS</i></h3>
+
+<p class="mid"><i>(Tous les articles compris sous cette rubrique sont entièrement
+gratuits).</i></p>
+
+<h4>LE RÉCIPIENT «THERMOS»</h4>
+
+<p>Une bouteille susceptible de conserver plusieurs jours de la glace, ou
+de maintenir brûlant un liquide quelconque, du café, par exemple,
+pendant plus de quarante-huit heures, voilà, certes, de quoi intéresser
+tout le monde.</p>
+
+<p>La bouteille «Thermos» tient ces merveilleuses promesses.</p>
+
+<p>Disons tout de suite que sa construction est identique à celle des
+fameux ballons à air liquide, inventés par MM. Dewar et d'Arsonval, et
+qui sont capables de conserver pendant plusieurs jours de l'air liquide
+dont la température n'atteint pas 150 degrés au-dessous de zéro.</p>
+
+<p>Tous les corps transmettent plus ou moins bien la chaleur, et le seul
+moyen de ne pas en perdre ou recevoir, c'est d'interposer un espace de
+<i>vide parfait</i> entre les corps à protéger et l'extérieur.</p>
+
+<p>Tout invraisemblable que puisse paraître le fait, un espace <i>vide d'air</i>
+d'à peine 1 millimère d'épaisseur est plus isolant que plus de cent fois
+son épaisseur de verre ou de tout autre corps isolant.</p>
+
+<p>On démontre, en électricité, qu'une étincelle capable de franchir 0m,50
+dans l'air ne peut traverser un dixième de millimètre de vide bien fait.</p>
+
+<p>La raison, au fond, en est très simple: la chaleur et l'électricité
+réclament, pour se transmettre, la présence d'une substance matérielle,
+et le vide n'en contient pas, du moins sous la forme ordinaire, puisque
+les savants admettent partout, même dans le vide parfait, l'existence
+d'un milieu spécial: l'éther. La bouteille «Thermos» (fig. 1) se compose
+donc d'une double enveloppe de verre; entre les deux enveloppes se
+trouve un faible espace, entièrement vide d'air.</p>
+
+<p>La construction de ce récipient est des plus délicates et nécessite de
+très grands soins.</p>
+
+<p>L'exacte concentricité des deux enveloppes est obtenue à l'aide
+d'anneaux de feutre, mauvais conducteur, anneaux maintenant un
+écartement régulier et protégeant la partie intérieure contre la,
+possibilité de casse par choc.</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/012.png"></p>
+
+<p>De même, le fond et le haut du goulot interne sont protégés par une
+feuille de feutre tassé.</p>
+
+<p>L'extérieur de la bouteille, toujours dans le même but de protection,
+est recouvert de papier roulé et, finalement, d'une enveloppe
+métallique, portant une garniture de cuir et une courroie (fig. 2).</p>
+
+<p>N'oublions pas de mentionner que la partie intérieure de la double
+enveloppe est argentée avant production du vide.</p>
+
+<p>Cette précaution augmente très sensiblement la puissance protectrice de
+la bouteille.</p>
+
+<p>On sait, en effet, que les corps chauds perdent leur chaleur par
+rayonnement. Le vide parfait lui-même ne protège nullement contre cette
+perte, puisque la chaleur <i>rayonnante</i> le traverse aisément, tout comme
+la lumière; mais la couche brillante d'argent supprime presque
+entièrement cette déperdition. Si l'on chiffre par 100 la quantité de
+chaleur rayonnée par le noir de fumée--la substance qui perd le plus par
+rayonnement--2 ou 3 tout au plus représenteront la perte relative
+occasionnée par l'argent poli.</p>
+
+<p>La bouteille «Thermos» contient donc tous les perfectionnements permis
+par la science et rien d'étonnant que ses propriétés paraissent
+merveilleuses. Comme nous l'avons dit, le petit modèle, le seul
+actuellement en vente, et contenant près d'un demi-litre, conserve de la
+glace trois ou quatre jours, et presque autant un liquide à l'état
+brûlant--sans que ce dernier risque d'ailleurs de le casser.--Le
+problème de la conservation du lait, soit glacé, soit bouillant, va se
+trouver résolu avec ce récipient, surtout lorsque les constructeurs en
+auront établi un type d'une capacité plus considérable, l'efficacité de
+ces appareils étant proportionnelle à leur grosseur.</p>
+
+<p>Nous n'insistons pas sur l'utilité de ce récipient, en été comme en
+hiver, pour les touristes, chasseurs ou voyageurs.</p>
+
+<p>La bouteille «Thermos» se trouve en vente à des prix variant de 15 à 20
+fr., avec courroie; 13 à 18 fr., sans courroie, suivant richesse de la
+garniture, aux Galeries Lafayette et au Louvre, à Paris. Pour
+renseignements, s'adresser par écrit à <i>M. Marcel Meyer, ingénieur, 18,
+rue Grange-Batelière, Paris.</i></p><br>
+
+<h2>SUPPLÉMENTS</h2>
+
+Note du transcripteur:
+<p>1° Un Supplément théâtral: CRAINQUEBILLE, par Anatole France.
+ Ce supplément illustré ne nous a pas été founi. Nous avons cru bon
+ d'en reproduire le texte à partir d'un document d'Internet Archives.</p>
+<p>2° Quatre pages tirées à part sur la FÊTE DES VIGNERONS DE VEVEY.
+ Ces pages ne nous ont pas été fournies.</p>
+ <br>
+
+ <p class="mid"><img alt="" src="images/Ill_thea.png"><br>
+ <br><br><br>
+
+<h3>ANATOLE FRANCE</h3>
+
+<h1>CRAINQUEBILLE</h1>
+
+<h3>PIÈCE EN TROIS TABLEAUX</h3>
+
+<p class="mid">Représentée pour la première fois le 28 mars 1903 au théâtre de la
+<span class="sc">Renaissance.</span></p><br><br>
+
+<h4>A LUCIEN GUITRY.</h4>
+
+<p><i>Mon cher ami,</i></p>
+
+<p><i>Je ne vous offre pas cette petite pièce de théâtre. Elle vous
+appartient. Elle est vôtre, non pas seulement parce que vous l'avez
+reçue à votre théâtre, et mise en scène d'une merveilleuse manière, et
+fait interpréter par une élite artiste, non pas seulement parce que vous
+avez réalisé le personnage de Crainquebille avec une puissance étonnante
+et une souveraine vérité. Elle est vôtre parce que je ne l'aurais pas
+faite sans vos conseils, parce que telle scène applaudie fut écrite tout
+entière sous votre inspiration.</i></p>
+
+<p><i>J'inscris votre nom sur la première page de notre Crainquebille comme un
+témoignage de mon amitié.</i><br>
+
+<span class="rig">ANATOLE FRANCE.</span></p><br><br>
+
+<h3>PERSONNAGES</h3>
+
+<p>CRAINQUEBILLE.<br>
+LE MARCHAND DE MARRONS.<br>
+LE PRÉSIDENT BOURRICHE.<br>
+MAITRE LEMERLE.<br>
+LE DOCTEUR DAVID MATHIEU.<br>
+AUBARRÉE.<br>
+L'AGENT 64.<br>
+LERMITE.<br>
+LE CAMELOT.<br>
+UN ÉPICIER.<br>
+L'AGENT.<br>
+L'HUISSIER.<br>
+LE MARCHAND DE VIN.<br>
+LE CHARCUTIER.<br>
+MADAME BAYARD.<br>
+MADAME LAURE.<br>
+LA SOURIS.<br>
+UNE OUVRIÈRE.</p>
+<br><br>
+
+<h3>PREMIER TABLEAU</h3>
+
+<p class="mid"><i>Rue de Beaujolais.</i></p>
+
+<h4>SCÈNE PREMIÈRE</h4>
+<br>
+
+<p class="mid">LE CAMELOT.</p>
+
+<p><span class="sml">Il est vêtu comme un employé du Louvre; debout sur un tabouret, ayant
+devant lui, reposant sur un tréteau, une boîte grande comme une petite
+malle d'où il tire sans cesse des objets qu'il replace aussitôt, il
+achève de débiter à l'auditoire qui l'entoure le boniment dont voici la
+fin... A chaque fois qu'il cite sa maison, il soulève son chapeau haut
+de forme.</span></p>
+
+<p>... Si la maison Gameron. Cormandel et Cie que j'ai l'honneur de
+représenter sur cette place, s'est enfin décidée aux sacrifices
+multiples dont l'énumération vient de vous être faite par moi, ce n'est
+pas, messieurs, dans un but purement humanitaire, vous ne le croiriez
+pas. Il est faux, et je ne crains pas de l'affirmer hautement, que la
+maison Gameron, Cormandel et Cie ait entrepris la ruine des grands
+magasins ou même du petit commerce, ainsi que des personnes
+malintentionnées ont essayé de le faire croire en pure perte en
+répandant à pleines mains des calomnies que nous n'avons qu'à regarder
+dans les yeux pour les faire rentrer sous terre. Non, messieurs, la
+maison Gameron, Cormandel et Cie n'a envisagé qu'une chose, une seule.
+Elle a son importance et je vous la révélerai tout à l'heure. Je ne
+demande à votre courtoisie bien connue qu'une seconde de patience et
+j'en profite pour me résumer: les six articles qui sont mis à la
+disposition de toute personne qui en fait la demande lui sont remis sur
+un mot, sur un mouvement, sur un geste, sur un simple signe. Ces six
+articles, dont voici la brève énumération, consistent en: 1° une canne
+pneumatique se repliant sur elle-même au moyen d'une simple pression des
+doigts et formant ainsi un objet de menue dimension que l'on peut
+parfaitement dissimuler dans une poche de moyenne grandeur. Cet objet,
+entièrement fait d'un métal inoxydable, représente une valeur marchande
+de trois francs. Je pense, messieurs, n'être pas taxé d'exagération. Il
+suffit de se reporter par la pensée au prix exorbitant atteint par la
+main-d'oeuvre aujourd'hui. Je poursuis: 2° une superbe parure de chemise
+en simili. Les trois boutons pour le plastron. Deux boutons pour les
+manchettes avec le patin bascule en aluminium réfractaire, susceptible
+de résister à l'action du feu pendant plus de quatre heures... Puis le
+bouton pour le faux col, orné d'une ravissante pierre bleue
+semi-turquoise. Je vous demande, messieurs, et je m'adresse plus
+particulièrement aux personnes qui ont l'habitude de ce travail...
+pensez-vous qu'un bijoutier... et je n'entends pas parler ici des
+Boucherons ou des Vevers...</p>
+
+<h4>SCÈNE II</h4>
+
+<p class="mid">UN PETIT CHARCUTIER, <span class="sml">se détachant du groupe, au camelot.</span></p>
+
+<p>C'est à toi qu'il en faudrait un bouchon.</p>
+
+<p class="mid">LE CAMELOT, <span class="sml">avec un sourire plein de haine.</span></p>
+
+<p>Attendez donc, mon petit ami... Attendez donc... J'ai terminé tout de
+suite, je vais pouvoir m'occuper...</p>
+
+<p class="mid">LE PETIT CHARCUTIER, <span class="sml">après un geste.</span></p>
+
+<p>Monte là-dessus, tu verras Montmartre, <span class="sml">(il sort.)</span></p>
+
+<h4>SCÈNE III</h4>
+
+<p class="mid">LE CAMELOT, <span class="sml">continuant.</span></p>
+
+<p>Vous préférez vous retirer, jeune homme, licence vous en est donnée. Je
+poursuis: pensez-vous, dis-je, qu'un modeste bijoutier, se contentant
+d'un bénéfice dérisoire, puisse matériellement établir cet article à
+moins d'un franc cinquante? Non! n'est-ce pas... Eh bien, moi, je compte
+un franc pour le moment; 3° une boîte de savon miraculeux, le savon
+«Océan», dont je vous ai tout à l'heure fait la lumineuse démonstration,
+et qui réduit à néant les taches les plus rebelles en redonnant au tissu
+l'éclat du neuf. Je ne veux pas, messieurs, lasser vos facultés
+d'évaluation et je fixe, d'ores et déjà, sa valeur au prix ridicule de
+vingt-cinq centimes; 4° un étui en celluloïd de Norvège, teinté au feu
+et contenant cinquante pastilles d'un effet certain dans les affections
+des bronches. Valeur? Quelle valeur?... Quinze centimes... Peut-on
+descendre plus bas?... Oui, on peut et je veux vous en donner la preuve.
+Et voici le bouquet. Les deux derniers articles, retrousse-jupe,
+fixe-serviette, relieur automatique et, enfin, chaîne de montre ou
+collier de dame avec un fermoir presque en or... Le prix? Aucun!...
+Rien!... un cadeau! Zéro franc, zéro centime, qui, réuni et formant
+total avec les objets énoncés ci-dessus, nous donne le chiffre de...
+<span class="sml">(Rapidement.)</span> Trois francs pour la canne pneumatique, un franc pour la
+parure en simili, vingt-cinq centimes pour le savon «Océan» quinze
+centimes pour les pastilles salutaires: quatre francs quarante que la
+maison Gameron, Cormandel et Cie, que j'ai l'honneur de représenter sur
+cette place, m'a intimé l'ordre de convertir en un cadeau. Oui! un
+cadeau, je le proclame; car il ne s'agit pas ici de quatre francs
+quarante, trois francs ou même deux francs, ou même un franc, pas même
+cinquante centimes... Il s'agit, messieurs, de la somme grotesque,
+ridicule, stupéfiante, absurde, de... de vingt centimes... <span class="sml">(on se
+fouille.)</span> et si, rentrés dans vos familles, réunis sous la lampe autour
+de la table où doit fumer le repas du soir... si, par un sentiment de
+curiosité bien excusable, messieurs, vous essayez, de vous rendre compte
+du pourquoi qui a guidé la maison Gameron, Cormandel et Cie...
+arrêtez-vous dans vos investigations... renoncez à comprendre!... Vous
+n'y parviendrez jamais!... C'est une réclame!</p>
+
+<p><span class="sml">Il remet à chaque personne qui lui tend ses quatre sous les objets que
+les acheteurs ensuite examinent en sortant de scène.</span></p>
+
+<p class="mid">UNE COMMERÇANTE, <span class="sml">s'adressant à un ouvrier.</span></p>
+
+<p>Est-ce que c'est bon, c't'affaire pour enlever les taches?</p>
+
+<p class="mid">L'OUVRIER.</p>
+
+<p>Mais, ma bonne femme, voilà vingt-cinq ans que je suis teinturier,
+n'est-ce pas? Si c'était bon, je l'emploierais... c'est une cochonnerie!</p>
+
+<p class="mid">LA COMMERÇANTE.</p>
+
+<p>Enfin, tout ça pour quatre sous, ce n'est pas cher.</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Des choux! des navets! des carottes!</p>
+
+<p class="mid">LES GOSSES, <span class="sml">revenant de l'école.</span></p>
+
+<p>Oh! hé! le père Crainquebille!</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Voulez-vous bien aller à l'école, au lieu de prendre du vice dans les
+rues... C'est vrai, qu'est-ce qu'ils peuvent apprendre dans le ruisseau.
+Ils peuvent apprendre que le mal... Bottes d'asperges!</p>
+
+<p class="mid">UNE FEMME.</p>
+
+<p>Ousqu'elles sont, vos asperges?</p>
+
+<p class="mid">LA SOURIS.</p>
+
+<p>Vous êtes pas maligne; ses asperges, c'est des poireaux. Le poireau,
+c'est l'asperge du pauvre. Tout le monde sait ça. <span class="sml">(Un des gamins dérange
+les bottes de poireaux sur la voiture.)</span> Laissez-le donc, il a besoin de
+gagner sa vie. Si, comme moi, vous gagniez votre pain... tas de gosses!</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Tu gagnes ta vie, toi?</p>
+
+<p class="mid">LA SOURIS.</p>
+
+<p>Faut bien.</p>
+
+<p class="mid">UN GOSSE.</p>
+
+<p>C'est un rien du tout. Il couche dehors. Il est abandonné, il a pas de
+parents.</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>S'il a pas de parents, c'est de leur faute, ce n'est pas de la sienne.</p>
+
+<p class="mid">UN GOSSE.</p>
+
+<p>Il a pas de quoi manger et nourrit un chien; mange-le ton chien!</p>
+
+<p class="mid">LA SOURIS.</p>
+
+<p>Qui qu'a dit que je couchais dehors? Qui qui l'a dit? Qu'il le répète
+voir... Je couche pas dehors et la preuve que voilà ma fenêtre...</p>
+
+<p class="mid">UN GOSSE.</p>
+
+<p>Elle a pas de carreaux, ta fenêtre. Y couche dans les démolitions.</p>
+
+<p class="mid">LA SOURIS.</p>
+
+<p>Je garde, la nuit, le magasin qui est en réparation. C'est preuve que je
+suis honnête. Et puis je veux pas qu'on m'embête!</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Qu'est-ce que tu bricoles pour vivre?</p>
+
+<p class="mid">LA SOURIS.</p>
+
+<p>Je ramasse les balles de paume, je crie les journaux, je fais les
+commissions. Tout, quoi!</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Comment tu t'appelles?</p>
+
+<p class="mid">LA SOURIS.</p>
+
+<p>La Souris.</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Tu t'appelles la Souris. Eh bien, t'as plus de jugement que les autres.
+Tu comprends mieux la vie.</p>
+
+<p class="mid">LA SOURIS.</p>
+
+<p>C'est que j'ai eu de la misère. Eusses, ils ne connaissent rien. Quand
+on n'a pas été malheureux, on ne peut pas être bien malin.</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>T'as eu de la misère?</p>
+
+<p class="mid">LA SOURIS.</p>
+
+<p>Et j'en ai encore. La misère, ça colle.</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>C'est vrai que t'as pas bonne mine. Tiens, v'là une poire, elle est un
+peu blette, mais elle est d'une bonne espèce, c'est du beurré!</p>
+
+<p class="mid">LA SOURIS.</p>
+
+<p>Elle est vraiment molle. Si ta femme a le coeur aussi tendre... Merci,
+tout de même, père Crainquebille.</p>
+
+<p class="mid">UNE PETITE FILLE, <span class="sml">qui porte un pain plus grand qu'elle, récitant.</span></p>
+
+<p>Est-ce qu'ils sont beaux, vos choux?</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Y a pas meilleur, c'est tout coeur.</p>
+
+<p class="mid">LA PETITE FILLE.</p>
+
+<p>Combien qu'ils valent. Parce que maman est malade, elle ne peut pas
+faire son marché.</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Qu'est-ce qu'elle a, ta maman? Où que ça la tient?</p>
+
+<p class="mid">LA PETITE FILLE.</p>
+
+<p>Je ne sais pas... C'est en dedans... Elle m'a dit comme ça de vous
+acheter un chou.</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Eh bien, ma petite fille, aie pas peur, je te servirai bien, comme si
+c'était que je servirais ta mère. Et mieux, parce qu'une supposition, si
+j'avais à tromper quelqu'un, ce serait une femme d'âge et qui se
+méfierait. Faut voler personne, bien sur... à chacun son dû. Mais si
+fallait, on aurait du penchant à tromper ceux qui veulent vous fiche
+dedans. Tandis que faire du tort à un chérubin comme toi, on aurait
+regret, <span class="sml">(Il lui donne un chou.)</span> Tiens, v'là le plus beau. Il a l'air
+d'un sénateur. <span class="sml">(La petite fille lui donne cinq sous.)</span> C'est six sous, il
+en faut encore un. Tu veux pas me dépouiller?</p>
+
+<p class="mid">LA PETITE FILLE.</p>
+
+<p>Mais, monsieur, maman ne m'a donné que cinq sous.</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Faut pas mentir, ma mignonne, cherche bien voir si lu en as pas mis un
+dans ta poche.</p>
+
+<p class="mid">LA PETITE FILLE, <span class="sml">sincère.</span></p>
+
+<p>Non, monsieur, je n'ai que cinq sous.</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Eh bien, ma mignonne, donne-moi un bécot, ça fera le compte et tu
+demanderas à ta mère s'il était pommé comme celui-là le chou où qu'elle
+t'a trouvée. Va, ma mignonne, et prends garde de ne pas tomber en route.
+Bonjour, madame Laure, ça va-t-il comme vous voulez?</p>
+
+<p class="mid">MADAME LAURE, <span class="sml">chignon fauve, très fille.</span></p>
+
+<p>Vous n'avez rien de bon, aujourd'hui.</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Si on peut dire!</p>
+
+<p class="mid">MADAME LAURE, <span class="sml">goûtant les radis.</span></p>
+
+<p>Ils sont creux, vos radis.</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Aujourd'hui, vous me cherchez des mauvaises raisons. Vous êtes mal
+réveillée.</p>
+
+<p class="mid">MADAME LAURE.</p>
+
+<p>Ils n'ont pas de goût. C'est comme si on mangeait de l'eau.</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Je vais vous dire: vous avez plus de palais, vous sentez plus ce que
+vous mangez. C'est la vie de Paris qui le veut. On se brûle l'estomac.
+Qu'est-ce que vous deviendriez les unes et les autres si le père
+Crainquebille vous apportait pas de légumes fraîches et
+rafraîchissantes. Vous seriez en feu.</p>
+
+<p class="mid">MADAME LAURE.</p>
+
+<p>C'est pas ce que je mange qui me fait mal. Je ne peux plus manger que de
+la salade et des radis. C'est vrai, tout de même, qu'on se brûle à
+Paris, <span class="sml">(Rêveuse.)</span> Tenez, père Crainquebille, je voudrais être au jour où
+je me passerai de vos choux et de vos carottes, où j'en ferai pousser
+moi-même, à même la terre dans un petit jardin à quatre-vingts lieues de
+Paris, chez nous. On serait si tranquille à la campagne à élever ses
+poules et ses cochons.</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Ça viendra madame Laure, ça viendra, vous désespérez pas. Vous avez de
+l'ordre et de l'économie, vous êtes une personne rangée. Je m'occupe pas
+des affaires de mes clientes. Y a pas de sots métiers et y a du bon
+monde dans tous les états... Mais vous êtes une personne rangée. Vous
+serez riche sur vos vieux jours et vous aurez une maison à vous dans
+votre endroit, dans l'endroit de votre naissance... Et vous serez
+estimée. Au plaisir, madame Laure.</p>
+
+<p class="mid">MADAME LAURE.</p>
+
+<p>A une autre fois, père Crainquebille.</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>C'est qu'il y a du bon monde dans tous les états. <span class="sml">(criant.)</span> Des choux!
+des navets! des carottes!</p>
+
+<p class="mid">MADAME BAYARD, <span class="sml">sortant de sa boutique.</span></p>
+
+<p>Ils ne sont guère beaux vos poireaux. Combien la botte?</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Quinze sous, la bourgeoise, y a pas meilleur.</p>
+
+<p class="mid">MADAME BAYARD.</p>
+
+<p>Quinze sous, trois mauvais poireaux?</p>
+
+<p class="mid">L'AGENT 64.</p>
+
+<p>Circulez!</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Oui... oui... C'est vendu, allons, pressez-vous, parce que vous avez
+entendu l'agent.</p>
+
+<p class="mid">MADAME BAYARD.</p>
+
+<p>Faut encore que je choisisse la marchandise... Quinze sous, jamais de la
+vie, par exemple, voulez-vous douze sous?</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Ils me coûtent plus cher que ça, ma petite... Et encore il faut que je
+sois à cinq heures, et même avant, sur le carreau des Halles, pour avoir
+tout ce qu'il y a de bon.</p>
+
+<p class="mid">L'AGENT 64.</p>
+
+<p>Circulez!</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Oui... oui... tout de suite... Allons, dépêchons, madame Bayard.</p>
+
+<p class="mid">MADAME BAYARD.</p>
+
+<p>Douze sous...</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Et depuis sept heures je me brûle les mains à mes brancards en criant:
+«Des choux! des navets! des carottes!...» Et tout ça ce serait pour y
+manger de l'argent. A soixante ans passés, vous comprenez que je ne fais
+pas ça pour mon plaisir. Ah! non, ça ne serait pas à faire... Tenez, je
+ne gagne pas deux sous.</p>
+
+<p class="mid">MADAME BAYARD.</p>
+
+<p>Je vous donnerai quatorze sous. Et encore, il faut que j'aille les
+chercher dans la boutique, car je ne les ai pas sur moi. <span class="sml">(Elle sort.)</span></p>
+
+<p class="mid">L'AGENT 64.</p>
+
+<p>Circulez!</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>J'attends mon argent.</p>
+
+<p class="mid">L'AGENT 64.</p>
+
+<p>Je ne vous dis pas d'attendre votre argent, je vous dis de circuler...
+Ben, quoi! Vous ne savez pas ce que c'est que de circuler?</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Voilà cinquante ans que je le sais et que je roule ma voiture... Mais on
+me doit de la monnaie, c'est là, à <i>l'Ange gardien</i>, le magasin de
+chaussures, madame Bayard. Elle est allée me chercher quatorze sous et
+j'attends.</p>
+
+<p class="mid">L'AGENT 64.</p>
+
+<p>Voulez-vous que je vous foute une contravention, moi? Voulez-vous?
+Allons, débarrassez-moi le plancher... Est-ce compris?</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Nom de Dieu!... V'là cinquante ans que je gagne mon pain en vendant des
+choux, des navets, des carottes, et, parce que je ne veux pas perdre
+quatorze sous qu'on me doit...</p>
+
+<p class="mid"><span class="sml">Un petit charcutier s'arrête.</span></p>
+
+<p class="mid">L'AGENT 64 <span class="sml">tire son calepin et un bout de crayon.</span></p>
+
+<p>Donnez-moi votre plaque.</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Ma plaque?</p>
+
+<p class="mid">L'AGENT 64.</p>
+
+<p>Oui, votre plaque d'ambulant.</p>
+
+<p class="mid"><span class="sml">Entrée du petit garçon pâtissier avec sa manne.</span></p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Oh! mon garçon, si vous voulez voir ma plaque, faut venir chez moi.</p>
+
+<p class="mid">L'AGENT 64.</p>
+
+<p>Vous n'avez pas de plaque?</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Si, j'en ai une... mais elle est chez moi... J'en ai perdu deux à les
+sortir. Ça m'a coûté trois francs chaque fois; c'est fini.</p>
+
+<p class="mid">L'AGENT 64.</p>
+
+<p>Votre nom?</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Ah! des blagues... C'est quatorze sous qu'on me vole et voilà tout.</p>
+
+<p class="mid"><span class="sml">Il empoigne ses brancards et s'achemine vers la rue.</span></p>
+
+<p class="mid">L'AGENT 64.</p>
+
+<p>Voulez-vous rester?</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Je m'en vais...</p>
+
+<p class="mid">L'AGENT 64.</p>
+
+<p>C'est trop tard...</p>
+
+<p class="mid"><span class="sml">Il va vers Crainquebille, lui prend le bras; Crainquebille se place de
+face juste à temps pour recevoir dans sa voilure un chargement de
+matériel de ravaleurs qui poussent des cris et des jurons.</span></p>
+
+<p class="mid">LES RAVALEURS.</p>
+
+<p>Sacré andouille! Regarde-moi c't'outil!</p>
+
+<p class="mid">L'AGENT 64.</p>
+
+<p>Tenez, regardez ce que vous êtes cause!</p>
+
+<p class="mid"><span class="sml">Un camelot cycliste donne de tout son appareil dans le flanc gauche de
+la voiture à Crainquebille, il hurle.</span></p>
+
+<p class="mid">LE CAMELOT, <span class="sml">avec, sur la tête, un ballot de cent cinquante <i>Patrie</i></span></p>
+
+<p>Fais donc attention, espèce de sale poireau!</p>
+
+<p class="mid">L'AGENT 64.</p>
+
+<p>Vous Voyez? Vous Voyez?... <span class="sml">(il se place à la droite de Crainquebille
+qui, virant complètement, arrive exactement pour engager la roue gauche
+de sa voiture dans la roue gauche d'une voiture d'établissement de bains
+chargée d'une baignoire de cuivre, traînée par un homme qui gueule
+effroyablement et fait entendre des blasphèmes.)</span> Ah! cette fois, votre
+affaire est bonne!</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Ah! ben, là, maintenant comment voulez-vous circuler?</p>
+
+<p class="mid">L'AGENT 64.</p>
+
+<p>C'est votre faute, tout ça.</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>La faute à tout ça, c'est madame Bayard. Si elle était là, elle le
+dirait. Étonnant qu'elle ne soit pas là, madame Bayard. Où qu'ell'
+s'cache?</p>
+
+<p><span class="sml">Cependant des gamins, des ouvriers, des commerçants, des oisifs, toutes
+sortes de gens apparaissent; venant du fond, à la suite de la voiture
+des ravaleurs, une tapissière couverte de caisses remplie de siphons
+d'eau de Seltz; un chien galope sur les siphons en aboyant avec fureur.
+Doucement, cette tapissière se cale au tas des voitures et contribue à
+former un nougat inséparable de véhicules. Soixante personnes sont sur
+la chaussée, les trottoirs, l'escalier, les voitures; trente sont aux
+fenêtres. Tout ce monde s'agite en sens divers. L'agent 64 s'affole,
+prend Crainquebille par l'épaule et dit:</span></p>
+
+<p class="mid">L'AGENT 64.</p>
+
+<p>Ah! vous avez dit: «Mort aux vaches!» C'est bon! suivez-moi.</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>J'ai dit ça, moi?</p>
+
+<p class="mid">L'AGENT 04.</p>
+
+<p>Oui, que vous l'avez dit.</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Mort aux vaches? <span class="sml">(Rires.)</span></p>
+
+<p class="mid">L'AGENT 64.</p>
+
+<p>Ah! et maintenant?</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Quoi?</p>
+
+<p class="mid">L'AGENT 64.</p>
+
+<p>Vous n'avez pas dit: «Mort aux vaches?» <span class="sml">(Rires.)</span></p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Si!</p>
+
+<p class="mid">L'AGENT 64.</p>
+
+<p>Ah!</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Mais je ne l'ai pas dit à vous. <span class="sml">(Rires.)</span></p>
+
+<p class="mid">L'AGENT 64.</p>
+
+<p>Vous ne l'avez pas dit?</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Mais, nom d'une bourrique!</p>
+
+<p class="mid">UN HOMME.</p>
+
+<p>Qu'est-ce qu'il y a?</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Y a qu'il dit comme ça que je me suis tourné vers lui pour y crier: <span class="sml">(il
+se retourne vers l'agent et crie pour sa démonstration.)</span> Mort aux
+vaches!</p>
+
+<p class="mid">L'AGENT 64, <span class="sml">qui écrivait sur son calepin, reçoit cela en plein et dit
+sans colère.</span></p>
+
+<p>Ah! maintenant, vous pouvez le dire deux cents fois, c'est le même prix.</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Mais je leur explique.</p>
+
+<p class="mid">UN HOMME, <span class="sml">à un autre, en souriant.</span></p>
+
+<p>Moi, je m'en fiche, mais il y a dit au moins trois fois.</p>
+
+<p class="mid">UN AUTRE.</p>
+
+<p>Mais non, c'est l'agent qui le lui a fait dire.</p>
+
+<p class="mid">L'HOMME.</p>
+
+<p>Oh! non, pour sûr, l'agent n'aurait pas fait ça.</p>
+
+<p class="mid">UN AUTRE.</p>
+
+<p>Il a vu tout le monde qui rigolait, ça l'a embêté, alors il a perdu la
+boule.</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>C'est pourtant bien simple...</p>
+
+<p class="mid">L'AGENT.</p>
+
+<p>En voilà assez!</p>
+
+<p><span class="sml">L'agent saisit Crainquebille. Un vieillard, le docteur David Mathieu,
+s'approche; il est vêtu de noir, coiffé d'un chapeau haut de forme,
+cheveux blancs, rosette d'officier.</span></p>
+
+<p class="mid">LE DOCTEUR MATHIEU, <span class="sml">tirant doucement l'agent par la manche.</span></p>
+
+<p>Permettez... permettez... vous vous êtes mépris.</p>
+
+<p class="mid">L'AGENT.</p>
+
+<p>Mépris? mépris, que vous dites?</p>
+
+<p class="mid">LE DOCTEUR, <span class="sml">doux et ferme.</span></p>
+
+<p>Vous avez mal compris, cet homme ne vous a pas insulté.</p>
+
+<p class="mid">L'AGENT.</p>
+
+<p>Mal compris?</p>
+
+<p class="mid">LE DOCTEUR.</p>
+
+<p>J'ai assisté à toute cette scène et j'ai parfaitement entendu ce qui a
+été dit.</p>
+
+<p class="mid">L'AGENT.</p>
+
+<p>Alors?</p>
+
+<p class="mid">LE DOCTEUR.</p>
+
+<p>Et j'affirme que cet homme n'a proféré aucune insulte qui motive...</p>
+
+<p class="mid">L'AGENT.</p>
+
+<p>Ce n'est pas votre affaire.</p>
+
+<p class="mid">LE DOCTEUR.</p>
+
+<p>Je vous demande pardon. J'ai le droit et le devoir de vous avertir d'une
+erreur qui peut avoir pour ce brave homme des conséquences fâcheuses, et
+j'ai le droit et le devoir d'apporter mon témoignage...</p>
+
+<p class="mid">L'AGENT.</p>
+
+<p>Tâchez voir d'être poli.</p>
+
+<p class="mid">UN OUVRIER.</p>
+
+<p>Monsieur a raison, le marchand n'a pas dit: «Mort aux vaches!»</p>
+
+<p class="mid">LA FOULE.</p>
+
+<p>Si, si, oui, qu'il l'a dit. Non! si! non! oh! là là!</p>
+
+<p class="mid">L'AGENT, <span class="sml">à l'ouvrier.</span></p>
+
+<p>Vous voulez vous faire ramasser, vous?</p>
+
+<p class="mid"><span class="sml">L'ouvrier disparaît.</span></p>
+
+<p class="mid">LE DOCTEUR, <span class="sml">à l'agent.</span></p>
+
+<p>Vous n'avez pas été insulté. Le mot que vous avez cru entendre n'a pas
+été proféré. Quand vous serez plus calme, vous le reconnaîtrez
+vous-même.</p>
+
+<p class="mid">L'AGENT.</p>
+
+<p>D'abord, qui êtes-vous? Je ne vous connais pas.</p>
+
+<p class="mid">LE DOCTEUR.</p>
+
+<p>Voici ma carte, le docteur Mathieu, chef de clinique à l'hôpital
+Ambroise-Paré.</p>
+
+<p class="mid">L'AGENT.</p>
+
+<p>Ça ne me regarde pas.</p>
+
+<p class="mid">LE DOCTEUR.</p>
+
+<p>Cela vous regarde. Je vous serai obligé de prendre mon nom et mon
+adresse et d'inscrire ma déclaration.</p>
+
+<p class="mid">L'AGENT.</p>
+
+<p>Ah! vous insistez. Eh bien, suivez-moi vous vous expliquerez devant le
+commissaire.</p>
+
+<p class="mid">LE DOCTEUR.</p>
+
+<p>C'est bien mon intention.</p>
+
+<p class="mid">UNE OUVRIÈRE, <span class="sml">à son mari, montrant le docteur.</span></p>
+
+<p>C'est drôle, un homme bien mis et qui a de l'éducation, et il se fourre
+dans cette affaire-là... s'il lui arrive du désagrément, c'est qu'il
+l'aura bien voulu. Faut jamais se mêler des affaires des autres. Allons,
+viens, mon homme... J'ai bien vu comment ça s'est fait, il appelait:
+«Madame Bayard, où qu'elle se cache»; l'agent a entendu: «Mort aux
+vaches!» Allons, allons, viens donc, tu vas pas te faire ramasser comme
+témoin.</p>
+
+<p class="mid">MADAME BAYARD, <span class="sml">sortant de sa boutique.</span></p>
+
+<p>La voilà, votre monnaie... Tiens, il est arrêté. Je ne peux pas remettre
+de l'argent à quelqu'un qui est arrêté... Ça ne se doit pas. Je crois
+même que c'est défendu.</p>
+
+<p>La foule a pris grande part à tout ceci par une série de mouvements
+considérables dont il est impossible de déterminer la tendance. Elle se
+presse en masse à la suite du groupe: agent 64, Crainquebille et le
+monsieur. Au milieu d'un vacarme effroyable où les jurons, les rires,
+les appels de gamins, trompes de cyclistes, aboiements, gifle d'une mère
+à son enfant qui gouapait, et mille autres bruits se font entendre tour
+à tour et ensemble.</p>
+<br><br>
+
+<h3>DEUXIÈME TABLEAU</h3>
+
+<p class="mid"><i>Une chambre de la Cour correctionnelle.</i></p>
+
+<h4>SCÈNE PREMIÈRE</h4>
+
+<p class="mid">LE PRÉSIDENT BOURRICHE, <span class="sml">lisant un jugement.</span></p>
+
+<p>«Le Tribunal, après en avoir délibéré conformément à la loi, attendu...</p>
+
+<p class="mid">L'HUISSIER.</p>
+
+<p>Silence!</p>
+
+<p class="mid">LE PRÉSIDENT.</p>
+
+<p>»... qu'il résulte suffisamment des pièces du dossier et des dépositions
+entendues à l'audience que, le 3 octobre, Fromage (Alexandre) s'est
+rendu coupable du délit de mendicité, délit prévu et puni par l'article
+274 du Code pénal, lui faisant application dudit article, condamne
+Fromage (Alexandre) en six jours de prison.» <span class="sml">(Fromage, qui était assis à
+côté de Crainquebille, est emmené par deux gardes.--Un
+temps.--Bruit.--Le président, feuilletant son dossier.)</span> Vous vous
+appelez Crainquebille... Levez-vous... Vous vous appelez Crainquebille
+(Jérôme), né à l'Oissy (Seine), le 14 juillet 1843. Vous n'avez jamais
+subi de condamnation.</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Vous pouvez interroger. Je dois rien à personne. Un sou est un sou. Je
+suis exact en tout. On peut le dire.</p>
+
+<p class="mid">LE PRÉSIDENT.</p>
+
+<p>Taisez-vous... Le 25 juillet dernier, à l'heure de midi, rue de
+Beaujolais, vous avez injurié, outragé un agent dans l'exercice de ses
+fonctions. Vous l'avez traité de v... <span class="sml">(Il ne dit que la première lettre)</span>
+Vous reconnaissez les faits?</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE, <span class="sml">se retournant vers son avocat.</span></p>
+
+<p>Qu'est-ce qu'il dit? Est-ce que c'est à moi qu'il parle?</p>
+
+<p class="mid">LE PRÉSIDENT.</p>
+
+<p>Vous avez proféré des menaces. Vous avez crié:
+«Mort aux V...!» <span class="sml">(il ne dit que la première lettre.)</span></p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Mort aux vaches, que vous voulez dire.</p>
+
+<p class="mid">LE PRÉSIDENT.</p>
+
+<p>Vous ne niez pas.</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Sur ce que j'ai de plus sacré, sur la tête de ma fille si j'en avais
+une, je n'ai pas insulté l'agent. Voilà la vérité.</p>
+
+<p class="mid">LE PRÉSIDENT.</p>
+
+<p>Retracez la scène... Exposez les faits conformément à votre système.</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Monsieur le Président, je suis un honnête homme. Je ne dois rien à
+personne. Un sou est un sou. Je suis exact en tout, on peut le dire. Je
+suis connu depuis quarante ans sur le carreau des Halles, et dans le
+faubourg Montmartre, et partout quoi... A l'âge de quatorze ans, je
+gagnais déjà ma vie...</p>
+
+<p class="mid">LE PRÉSIDENT.</p>
+
+<p>Je ne vous demande pas votre biographie, <span class="sml">(Mouvement.)</span></p>
+
+<p class="mid">L'HUISSIER.</p>
+
+<p>Silence!</p>
+
+<p class="mid">LE PRÉSIDENT.</p>
+
+<p>Je vous demande de dire comment, selon vous, s'est passée la scène qui a
+précédé votre arrestation.</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Ce que je peux vous dire, c'est que, depuis quarante ans que je pousse
+ma voiture, je connais les agents. Dès que j'en vois un d'un côté, je
+file de l'autre. Comme ça je n'ai jamais de difficultés avec eux. Mais
+pour ce qui est de les injurier en paroles ou autrement, jamais; c'est
+pas dans mon caractère. Pourquoi que j'en aurais changé à mon âge?</p>
+
+<p class="mid">LE PRÉSIDENT.</p>
+
+<p>Vous avez résisté aux injonctions de l'agent qui vous intimait l'ordre
+de circuler.</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Oh! là! là! Circuler! Si vous aviez vu ça!... Les voitures étaient
+emboîtées les unes dans les autres, y avait pas moyen de donner
+seulement un demi-tour de roue.</p>
+
+<p class="mid">LE PRÉSIDENT.</p>
+
+<p>Enfin, reconnaissez-vous avoir dit: «Mort aux v...?»</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>J'ai dit: «Mort aux vaches!» parce que monsieur l'agent a dit: «Mort aux
+vaches!» alors j'ai dit: «Mort aux vaches!» Vous comprenez?...</p>
+
+<p class="mid">LE PRÉSIDENT.</p>
+
+<p>Prétendez-vous que l'agent a proféré ce cri le premier?</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE, <span class="sml">désespérant de s'expliquer.</span></p>
+
+<p>Je prétends rien, je...</p>
+
+<p class="mid">LE PRÉSIDENT.</p>
+
+<p>Vous n'insistez pas, vous avez raison, asseyez-vous.</p>
+
+<p class="mid"><span class="sml">Un temps. Mouvement.</span></p>
+
+<p class="mid">L'HUISSIER.</p>
+
+<p>Silence!</p>
+
+<p class="mid">LE PRÉSIDENT.</p>
+
+<p>Nous allons entendre les témoins. Huissier, faites entrer le premier
+témoin.</p>
+
+<p class="mid">L'HUISSIER, <span class="sml">sortant de la salle, à travers le public, appelle à haute
+voix.</span></p>
+
+<p>L'agent Bastien Matra.</p>
+
+<p class="mid"><span class="sml">Entre Matra, il a son ceinturon.</span></p>
+
+<p class="mid">LE PRÉSIDENT.</p>
+
+<p>Vos noms, âge et profession?</p>
+
+<p class="mid">MATRA.</p>
+
+<p>Matra Bastien, né le 15 août 1870, à Bastia (Corse). Gardien de la paix
+numéro 64.</p>
+
+<p class="mid">LE PRÉSIDENT.</p>
+
+<p>Vous jurez de dire toute la vérité, rien que la vérité... Dites: je le
+jure.</p>
+
+<p class="mid">MATRA.</p>
+
+<p>Je le jure.</p>
+
+<p class="mid">LE PRÉSIDENT.</p>
+
+<p>Faites votre déposition.</p>
+
+<p class="mid">MATRA, <span class="sml">il retire son ceinturon.</span></p>
+
+<p>Étant de service le 20 octobre, à l'heure de midi, je remarquai dans la
+rue Beaujolais un individu qui me sembla être un vendeur ambulant et qui
+tenait sa charrette indûment arrêtée à la hauteur du numéro 28, ce qui
+occasionnait un encombrement de voitures. Je lui intimai par trois fois
+l'ordre de circuler, auquel il refusa d'obtempérer. Et, sur ce que je
+l'avertis que j'allais verbaliser, il me répondit en criant: «mort aux
+vaches!» ce qui me sembla être injurieux.</p>
+
+<p class="mid">LE PRÉSIDENT, <span class="sml">paternel, à Crainquebille.</span></p>
+
+<p>Vous entendez ce que dit l'agent.</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>J'ai dit: «Mort aux vaches!» parce qu'il a dit: «Mort aux vaches!» Alors
+j'ai dit: «Mort aux vaches!» C'est pourtant facile à comprendre.</p>
+
+<p class="mid">LE PRÉSIDENT, <span class="sml">qui n'a pas écouté et qui se prépare à rendre son
+jugement.</span></p>
+
+<p>Il n'y a pas d'autre témoin.</p>
+
+<p class="mid">L'HUISSIER.</p>
+
+<p>Si, monsieur le président, il y en a encore deux.</p>
+
+<p class="mid">LE PRÉSIDENT.</p>
+
+<p>Comment? encore deux?</p>
+
+<p class="mid">LEMERLE.</p>
+
+<p>Nous avons fait citer deux témoins à décharge.</p>
+
+<p class="mid">LE PRÉSIDENT.</p>
+
+<p>Maître, vous tenez à ce qu'ils soient entendus?</p>
+
+<p class="mid">LEMERLE.</p>
+
+<p>Mais oui, monsieur le président.</p>
+
+<p class="mid">LE PRÉSIDENT <span class="sml">soupire. A l'agent qui remet son ceinturon.</span></p>
+
+<p>Que l'agent ne se retire pas!...</p>
+
+<p class="mid">L'HUISSIER <span class="sml">appelle.</span></p>
+
+<p>Madame Bayard! <span class="sml">(Entre madame Bayard en grande toilette.)</span></p>
+
+<p class="mid">LE PRÉSIDENT.</p>
+
+<p>Vos nom, prénoms, âge et profession...</p>
+
+<p class="mid">MADAME BAYARD.</p>
+
+<p>Pauline-Félicité Bayard, marchande de chaussures, rue Beaujolais, numéro
+28.</p>
+
+<p class="mid">LE PRÉSIDENT.</p>
+
+<p>Quel âge avez-vous?</p>
+
+<p class="mid">MADAME BAYARD.</p>
+
+<p>Trente ans. <span class="sml">(Mouvement.)</span></p>
+
+<p class="mid">L'HUISSIER.</p>
+
+<p>Silence!</p>
+
+<p class="mid">LE PRÉSIDENT.</p>
+
+<p>Jurez de dire toute la vérité, rien que la vérité. Levez la main et
+dites: je le jure. <span class="sml">(Madame Bayard lève la main.)</span> Otez le gant de la main
+droite... Huissier, faites-lui retirer son gant. <span class="sml">(Elle retire son gant.)</span>
+Dites: je le jure.</p>
+
+<p class="mid">MADAME BAYARD.</p>
+
+<p>Je le jure.</p>
+
+<p class="mid">LE PRÉSIDENT.</p>
+
+<p>Faites votre déposition.</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Elle a pas seulement l'air de me reconnaître. Elle est fière.</p>
+
+<p class="mid">L'HUISSIER.</p>
+
+<p>Silence!</p>
+
+<p class="mid">LE PRÉSIDENT, <span class="sml">à Madame Bayard.</span></p>
+
+<p>Dites ce que vous avez à dire. <span class="sml">(Madame Bayard se tait.)</span> Dites ce que
+vous savez sur la scène qui a précédé l'arrestation de Crainquebille.</p>
+
+<p class="mid">MADAME BAYARD, <span class="sml">à voix basse.</span></p>
+
+<p>J'achetais une botte de poireaux, alors le marchand m'a dit:
+dépêchez-vous: je lui ai répondu...</p>
+
+<p class="mid">LE PRÉSIDENT.</p>
+
+<p>Parlez distinctement.</p>
+
+<p class="mid">MADAME BAYARD.</p>
+
+<p>Je lui ai répondu qu'il fallait pourtant que je choisisse la
+marchandise. A ce moment, une cliente est entrée dans la boutique, je
+suis allée la servir. C'était une dame avec son enfant.</p>
+
+<p class="mid">LE PRÉSIDENT.</p>
+
+<p>C'est tout ce que vous avez à dire?...</p>
+
+<p class="mid">MADAME BAYARD.</p>
+
+<p>Pendant que le marchand s'expliquait avec la police, j'essayais des
+souliers bleus à l'enfant de dix-huit mois, je lui essayais des souliers
+bleus.</p>
+
+<p class="mid">LE PRÉSIDENT, à Lemerle.</p>
+
+<p>Maître, vous n'avez pas de question à faire poser au témoin? <span class="sml">(Lemerle
+fait un signe de dénégation.)</span> Et vous, Crainquebille? Avez-vous une
+question à faire poser au témoin?</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Mais si, j'ai une question à poser...</p>
+
+<p class="mid">LE PRÉSIDENT.</p>
+
+<p>Faites.</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>J'ai à demander à madame Bayard si j'ai dit: «Mort aux vaches!» Elle me
+connaît, c'est une cliente. Elle peut dire si c'est dans mon caractère
+de dire des mots comme ça. <span class="sml">(Madame Bayard garde le silence.)</span> Vous pouvez
+parler, madame Bayard, vous êtes une cliente et une ancienne.</p>
+
+<p class="mid">LE PRÉSIDENT.</p>
+
+<p>N'interpellez pas le témoin. Parlez au tribunal.</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE, <span class="sml">qui n'entre pas dans les finesses.</span></p>
+
+<p>Voyons, madame Bayard, nous sommes de connaissance. Et, la preuve, c'est
+que vous me devez quatorze sous; c'est pas pour vous les réclamer, bien
+sûr, je suis au-dessus de quatorze sous. Dieu merci.</p>
+
+<p class="mid"><span class="sml">(Rires, bruit.)</span></p>
+
+<p class="mid">L'HUISSIER.</p>
+
+<p>Silence!</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Mais c'est pour dire que vous êtes une cliente.</p>
+
+<p class="mid">MADAME BAYARD, <span class="sml">à Crainquebille, en sortant.</span></p>
+
+<p>Je ne vous connais pas.</p>
+
+<p class="mid">LE PRÉSIDENT, <span class="sml">au témoin.</span></p>
+
+<p>Vous pouvez vous retirer. <span class="sml">(A Lemerle.)</span> Cette déposition ne contredit en
+rien celle de l'agent... Est-ce qu'il y a encore un témoin?</p>
+
+<p class="mid">LEMERLE.</p>
+
+<p>Un seul.</p>
+
+<p class="mid">LE PRÉSIDENT.</p>
+
+<p>Maître, insistez-vous pour qu'il soit entendu par le tribunal.</p>
+
+<p class="mid">LEMERLE.</p>
+
+<p>Monsieur le président, j'estime que la déposition que vous allez
+entendre est utile à la démonstration de la vérité. Elle émane d'un
+homme éminent dont le témoignage est, à mon sens, important, capital,
+décisif.</p>
+
+<p class="mid">LE PRÉSIDENT, <span class="sml">résigné.</span></p>
+
+<p>Faites entrer le dernier témoin.</p>
+
+<p class="mid">L'HUISSIER.</p>
+
+<p>Monsieur le docteur Mathieu!</p>
+
+<p class="mid"><span class="sml">Le docteur Mathieu entre.</span></p>
+
+<p class="mid">LE PRÉSIDENT.</p>
+
+<p>Vos nom, prénoms, âge et profession.</p>
+
+<p class="mid">LE DOCTEUR MATHIEU.</p>
+
+<p>Mathieu, Pierre-Philippe-David, soixante-deux ans, médecin en chef de
+l'hôpital Ambroise-Paré, officier de la Légion d'honneur.</p>
+
+<p class="mid">LE PRÉSIDENT.</p>
+
+<p>Jurez de dire toute la vérité, rien que la vérité. Levez la main et
+dites: je le jure.</p>
+
+<p class="mid">LE DOCTEUR MATHIEU.</p>
+
+<p>Je le jure.</p>
+
+<p class="mid">LE PRÉSIDENT, <span class="sml">à Lemerle.</span></p>
+
+<p>Maître Lemerle, quelle question désirez-vous faire poser au témoin?</p>
+
+<p class="mid">LEMERLE.</p>
+
+<p>Monsieur le docteur Mathieu était présent lors de l'arrestation de
+Crainquebille. Je vous prie, monsieur le président, de lui demander ce
+qu'il a vu, ce qu'il a entendu.</p>
+
+<p class="mid">LE PRÉSIDENT, <span class="sml">au témoin.</span></p>
+
+<p>Vous avez entendu la question?</p>
+
+<p class="mid">LE DOCTEUR MATHIEU.</p>
+
+<p>Je me trouvais dans la foule, assemblée autour de l'agent, qui sommait
+le marchand de circuler. L'encombrement était tel qu'il était impossible
+de bouger. Aussi fus-je témoin de la scène qui eut lieu alors. Et je
+puis affirmer que je n'en perdis pas un mot. J'ai parfaitement remarqué
+que l'agent s'était mépris: il n'avait pas été insulté! Le marchand
+n'avait pas poussé le cri que l'agent avait cru entendre. Mon
+observation fut corroborée par celle des personnes qui m'entouraient et
+qui furent unanimes à constater l'erreur. Je m'approchai de l'agent et
+l'avertis de sa méprise, je lui fis observer que cet homme ne l'avait
+nullement injurié, qu'il avait tenu, au contraire, un langage très
+réservé. L'agent maintint le marchand en état d'arrestation et m'invita
+un peu rudement à le suivie au commissariat. Ce que je fis. Je réitérai
+ma déclaration devant le commissaire.</p>
+
+<p class="mid">LE PRÉSIDENT, <span class="sml">glacial.</span></p>
+
+<p>C'est bien. Vous pouvez vous asseoir... Matra!...</p>
+
+<p><span class="sml">(Matra, après avoir déposé son ceinturon, objet de sa sollicitude, vient
+à la barre.)</span> Matra, quand vous avez procédé à l'arrestation de
+l'inculpé, monsieur le docteur Mathieu ne vous a-t-il pas fait observer
+que vous vous mépreniez? <span class="sml">(silence de Matra.)</span> Vous venez d'entendre la
+déposition de monsieur Mathieu. Je vous demande si, quand vous avez
+procédé à l'arrestation de Crainquebille, monsieur Mathieu ne vous a pas
+fait entendre qu'il croyait que vous vous étiez mépris.</p>
+
+<p class="mid">MATRA.</p>
+
+<p>Mépris? mépris?... C'est-à-dire, monsieur le président, qu'il m'a
+insulté.</p>
+
+<p class="mid">LE PRÉSIDENT.</p>
+
+<p>Que vous a-t-il dit?</p>
+
+<p class="mid">MATRA.</p>
+
+<p>Il m'a dit comme ça: «Mort aux vaches!»</p>
+
+<p class="mid">LE PRÉSIDENT, <span class="sml">précipitamment.</span></p>
+
+<p>Vous pouvez vous retirer.</p>
+
+<p><span class="sml">Pendant que Matra remet son ceinturon, rumeur, tumulte, surprise
+douloureuse sur le visage blême du docteur Mathieu.</span></p>
+
+<p class="mid">LEMERLE, <span class="sml">agitant ses manches au milieu du tumulte.</span></p>
+
+<p>Je livre avec confiance les paroles du témoin à l'appréciation du
+tribunal.</p>
+
+<p class="mid"><span class="sml">Le tumulte continue.</span></p>
+
+<p class="mid">VOIX DANS LA SALLE, <span class="sml">au milieu du bruit.</span></p>
+
+<p>Il en a un culot, le sergot. Te voilà acquitté, mon vieux Crainquebille.</p>
+
+<p class="mid">L'HUISSIER.</p>
+
+<p>Silence!</p>
+
+<p class="mid"><span class="sml">Le calme se rétablit peu à peu.</span></p>
+
+<p class="mid">LE PRÉSIDENT.</p>
+
+<p>Ces manifestations sont souverainement indécentes. Si elles se
+reproduisent, je ferai immédiatement évacuer la salle... Maître Lemerle,
+vous avez la parole. <span class="sml">(Lemerle déploie son dossier.)</span> Maître, serez-vous
+long?</p>
+
+<p class="mid">LEMERLE.</p>
+
+<p>Non. J'estime que la déposition de l'agent Matra a singulièrement abrégé
+ma plaidoirie, et si ce sentiment est partagé par le tribunal, je...</p>
+
+<p class="mid">LE PRÉSIDENT, <span class="sml">très sec.</span></p>
+
+<p>Je vous demande si vous serez long.</p>
+
+<p class="mid">LEMERLE.</p>
+
+<p>Vingt minutes, au plus.</p>
+
+<p class="mid">LE PRÉSIDENT, <span class="sml">résigné.</span></p>
+
+<p>Vous avez la parole.</p>
+
+<p class="mid">LEMERLE.</p>
+
+<p>Messieurs, j'apprécie, j'estime, je respecte les agents de la
+préfecture. Un incident d'audience, si caractéristique qu'il soit, ne
+saurait m'écarter des sentiments favorables que je professe à l'égard de
+ces modestes serviteurs de la société qui, moyennant un salaire
+dérisoire, endurent les fatigues et affrontent des périls incessants, et
+qui pratiquent l'héroïsme quotidien, le plus difficile des héroïsmes,
+peut-être. Ce sont d'anciens soldats, et qui restent soldats...</p>
+
+<p class="mid">VOIX, <span class="sml">rumeurs dans l'auditoire.</span></p>
+
+<p>Voilà qu'il plaide pour les sergots!... Défends donc Crainquebille!
+Feignant!</p>
+
+<p><span class="sml">Un garde expulse un auditeur.</span></p>
+
+<p class="mid">L'EXPULSÉ.</p>
+
+<p>J'ai rien dit... mais «pisque» j'ai rien dit...</p>
+
+<p class="mid">LEMERLE, <span class="sml">continuant.</span></p>
+
+<p>Non, certes, je ne méconnais pas les services modestes et précieux que
+rendent journellement les gardiens de la paix à la vaillante population
+de Paris. Et je n'aurais pas consenti, messieurs, à vous présenter la
+défense de Crainquebille si j'avais vu en lui l'insulteur d'un ancien
+soldat. Voyons les faits. On inculpe mon client d'avoir dit: «Mort aux
+vaches!» Je puis, sans blesser vos oreilles répéter à haute voix le nom
+de la reine indolente des prairies, de la bonne et pacifique laitière.
+Ce n'est pas que je méconnaisse le caractère injurieux que prend ce nom
+en certaines circonstances et dans certaines bouches. Et c'est même là,
+messieurs, un petit problème assez curieux de philologie populaire. Si
+vous ouvrez le dictionnaire de la <i>langue verte</i>, vous y lirez: <span class="sml">(Il
+lit.)</span> «<i>Vachard</i>, paresseux, fainéant, qui s'étend paresseusement comme
+une vache, au lieu de travailler. <i>Vache</i>, qui se vend à la police,
+mouchard.» Mort aux vaches, se dit dans un certain monde. Mais toute la
+question est celle-ci: comment Crainquebille l'a-t-il dit? Et même
+l'a-t-il dit? Permettez-moi, messieurs, d'en douter. Je ne soupçonne
+l'agent Matra d'aucune mauvaise pensée. Mais il accomplit, comme nous
+l'avons dit, une tâche pénible. Il est parfois fatigué, excédé, surmené.
+Dans ces conditions, il peut avoir été la victime d'une sorte
+d'hallucination de l'âme. Et quand il vient vous dire que le docteur
+David Mathieu, officier de la Légion d'honneur, médecin en chef de
+l'hôpital Ambroise-Paré, un prince de la science et un homme du monde, a
+crié: «Mort aux vaches!» nous sommes bien forcés de reconnaître que
+Matra est en proie à la maladie de l'obsession et, si le terme n'est pas
+trop fort, au délire de la persécution.</p>
+
+<p class="mid">VOIX DANS L'AUDITOIRE, <span class="sml">expressions nombreuses et tumultueuses
+d'approbation.</span></p>
+
+<p>Mais oui! mais oui! T'as pas besoin de causer davantage, c'est entendu.
+Très bien, très bien.</p>
+
+<p class="mid">L'HUISSIER.</p>
+
+<p>Silence!</p>
+
+<p>LE PRÉSIDENT. Toute marque d'improbation ou d'approbation étant
+sévèrement interdite, je vais ordonner aux gardes d'expulser les
+perturbateurs.</p>
+
+<p class="mid"><span class="sml">Silence glacial.</span></p>
+
+<p class="mid">LEMERLE.</p>
+
+<p>Messieurs, j'ai là sous les yeux un livre qui l'ait autorité en la
+matière. Le Traité des Hallucinations, par Brierre de Boismont, docteur
+en médecine de la Faculté de Paris, chevalier des ordres de la Légion
+d'honneur, du Mérite militaire de Pologne, etc. On y apprend que les
+hallucinations de l'ouïe sont fréquentes, très fréquentes, et que les
+gens sains d'esprit peuvent en être atteints sous l'influence d'une
+émotion vive, d'une fatigue excessive, du surmenage intellectuel ou
+physique. Et quelle est la nature ordinaire, constante, de ces
+hallucinations? Quelle est la parole que l'agent Matra croira entendre,
+dans cet état de malaise qui occasionne les fausses perceptions de
+l'oreille? Le docteur Brierre de Boismont va vous le dire: <span class="sml">(Il lit.)</span> «La
+plupart de ces illusions sont liées aux préoccupations, aux habitudes,
+aux passions des malades.» Notez bien, messieurs: aux préoccupations,
+aux habitudes... C'est ainsi, qu'en état d'hallucination, le chirurgien
+entendra les plaintes du patient; l'agent de change, des ordres de
+Bourse; l'homme politique, les interpellations violentes des députés,
+ses collègues; l'agent de police, le cri de: «Mort aux vaches!» Est-il
+besoin d'insister, messieurs? <span class="sml">(signe de dénégation du président.)</span> Et
+alors même que Crainquebille aurait crié: «Mort aux vaches!» il
+resterait à savoir si le mot a dans sa bouche le caractère d'un délit.
+Messieurs, en matière de contravention, il suffit que la contravention
+soit constatée, peu importe la bonne ou la mauvaise foi du contrevenant.
+<span class="sml">(Bruit de conversations.)</span> Mais ici nous sommes en droit pénal, en droit
+strict. Ce que le Parquet poursuit, ce que vous punissez, messieurs,
+c'est l'intention délictueuse. Devant le tribunal correctionnel,
+l'intention devient l'élément essentiel du délit. Eh bien, dans
+l'espèce, l'intention existe-t-elle? Non, messieurs.</p>
+
+<p class="mid"><span class="sml">Le bruit grossit.</span></p>
+
+<p class="mid">L'HUISSIER.</p>
+
+<p>Silence!</p>
+
+<p class="mid">LEMERLE.</p>
+
+<p>Crainquebille est un enfant naturel d'une marchande ambulante, perdue
+d'inconduite et de boisson. Il...</p>
+
+<p class="mid">VOIX PERDUE.</p>
+
+<p>Il insulte sa mère, à présent.</p>
+
+<p class="mid">LEMERLE.</p>
+
+<p>... est né alcoolique... d'une intelligence naturellement bornée,
+inculte, il n'a que des instincts. Et, permettez-moi de vous le dire,
+ces instincts ne sont pas foncièrement mauvais, mais ils sont brutaux.
+Son âme est enfermée dans une gangue épaisse. Il ne comprend exactement
+ni ce qu'on lui dit, ni ce qu'il dit lui-même. Les mots n'ont pour lui
+qu'un sens confus et rudimentaire. Il est de ces êtres misérables, qu'a
+peints de si sombres couleurs le pinceau de La Bruyère, de ces hommes
+qu'on prendrait pour des animaux à les voir courbés sur la terre. Le
+voilà devant vous, abruti par soixante ans de misère. Messieurs, vous
+direz qu'il est irresponsable.</p>
+
+<p class="mid"><span class="sml">Lemerle s'assied.</span></p>
+
+<p class="mid">LE PRÉSIDENT.</p>
+
+<p>Le tribunal va en délibérer.</p>
+
+<p class="mid"><span class="sml">Bruit. Les deux assesseurs se penchent sur le président qui chuchote.</span></p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE, <span class="sml">à son défenseur.</span></p>
+
+<p>Faut que vous ayez de l'instruction tout de même pour parler comme ça
+d'un trait. Vous parlez bien, mais vous parlez trop vite. On peut rien
+comprendre à ce que vous dites. Ainsi, moi, je sais pas seulement de
+quoi vous avez parlé, je vous remercie tout de même, seulement...</p>
+
+<p class="mid">L'HUISSIER.</p>
+
+<p>Silence!</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Ça me fait un coup dans le ventre quand il crie, celui-là... Seulement,
+vous auriez dû dire que je dois rien à personne. Parce que c'est vrai,
+je suis strict, un sou est un sou. Après ça, peut-être que vous l'avez
+dit sans que j'aie entendu... Et puis, vous auriez dû leur demander où
+c'est qu'ils m'ont étouffé ma voiture.</p>
+
+<p class="mid">LEMERLE.</p>
+
+<p>Dans votre intérêt, tenez-vous tranquille.</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Est-ce que c'est mon jugement qu'ils couvent à cette heure? Eh bien, y
+en a long, bon Dieu de bon Dieu!...</p>
+
+<p class="mid">L'HUISSIER.</p>
+
+<p>Silence! <span class="sml">(Le silence règne.)</span></p>
+
+<p class="mid">LE PRÉSIDENT, <span class="sml">lisant sur des petits papiers, lettres de décès, de
+mariages, prospectus, etc.</span></p>
+
+<p>«Le Tribunal...</p>
+
+<p class="mid">UNE VOIX <span class="sml">éclate dans le peuple au milieu du silence.</span></p>
+
+<p>Acquitte!...</p>
+
+<p class="mid">LE PRÉSIDENT, <span class="sml">après un regard foudroyant.</span></p>
+
+<p>»... après en avoir délibéré, conformément à la loi, attendu qu'il
+résulte des pièces du dossier et des dépositions entendues à l'audience,
+que le 25 juillet, jour de son arrestation, Crainquebille (Jérôme),
+s'est rendu coupable du délit... <span class="sml">(un sourd et formidable murmure s'élève
+du fond de la salle; le président oppose à ce murmure un regard
+semblable à un glaive et continue sa lecture dans le silence subit.)</span>
+d'outrage envers un dépositaire de la force publique, dans l'exercice de
+ses fonctions, délit prévu et puni par l'article 224 du Code pénal, lui
+faisant application dudit article, le condamne à quinze jours de prison
+et à cinquante francs d'amende... «L'audience est Suspendue. <span class="sml">(Brouhaha.)</span></p>
+
+<p class="mid">VOIX CONFUSES.</p>
+
+<p>C'est raide, tout de même... J'aurais pas cru ça. Elle est forte,
+celle-là.</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE, <span class="sml">au garde.</span></p>
+
+<p>Alors, je suis un condamné?</p>
+
+<p><span class="sml">Le tribunal se retire. Quand les gardes vont emmener Crainquebille,
+Lemerle fait signe qu'il a un mot à dire, et range des papiers, cause,
+etc.</span></p>
+
+<h4>SCÈNE II</h4>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Cipal!... Cipal!... Hein? Cipal... Y a seulement quinze jours, si on
+m'avait dit qu'il m'arriverait ce qui m'arrive. Ils sont polis, ces
+messieurs. Ils ne disent pas de gros mots, c'est une justice à leur
+rendre, mais on peut pas s'expliquer avec eux. On n'a pas le temps.
+C'est pas leur faute, mais on n'a pas le temps, c'est-il pas vrai?
+Pourquoi que vous ne répondez pas? <span class="sml">(silence.)</span> On parle bien à un chien.
+Pourquoi que vous ne parlez pas? Vous ouvrez jamais la bouche. Vous
+n'avez donc pas peur qu'elle pue?</p>
+
+<p class="mid">LEMERLE, <span class="sml">à Crainquebille.</span></p>
+
+<p>Eh bien, mon ami... nous n'avons pas trop à nous plaindre. Nous aurions
+pu avoir pire.</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Ça, c'est encore possible.</p>
+
+<p class="mid">LEMERLE.</p>
+
+<p>Qu'est-ce que vous voulez... Vous n'avez pas suivi mes conseils. Votre
+système de réticences était d'une insigne maladresse. Vous auriez mieux
+fait d'avouer.</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Mon garçon, je demandais pas mieux. Mais qu'est-ce qu'il fallait avouer,
+<span class="sml">(pensif.)</span> Tout de même, c'est pas ordinaire ce qui m'arrive.</p>
+
+<p class="mid">LEMERLE.</p>
+
+<p>N'exagérons rien. Votre cas n'est pas rare, loin de là!... Allons, bon
+courage.</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE, <span class="sml">les gardes l'emmènent, il se retourne et dit:</span></p>
+
+<p>Vous pourriez pas me dire où qu'ils m'ont étouffé ma voiture?</p>
+
+<p class="mid">AUBARRÉE.</p>
+
+<p>Qu'est-ce que tu fais là?</p>
+
+<p class="mid">LERMITE.</p>
+
+<p>Je finis mon croquis. Pendant l'audience, je suis obligé de dessiner
+dans le fond de mon chapeau. C'est pas commode... Maintenant, je relève
+quelques petits détails...</p>
+
+<p class="mid">AUBARRÉE.</p>
+
+<p>C'est le président Bourriche, que tu as mis là?</p>
+
+<p class="mid">LERMITE.</p>
+
+<p>C'est lui qui vient de condamner le marchand des quatre saisons?</p>
+
+<p class="mid">AUBARRÉE.</p>
+
+<p>Oui, il s'appelle Bourriche.</p>
+
+<p class="mid">LERMITE.</p>
+
+<p>Tiens, comme ça se trouve.</p>
+
+<p class="mid">LEMERLE, <span class="sml">à l'huissier.</span></p>
+
+<p>Lampérière; savez-vous si l'affaire Goupy, à la troisième chambre, est
+remise?</p>
+
+<p class="mid">L'HUISSIER.</p>
+
+<p>Elle est retenue.</p>
+
+<p class="mid">LEMERLE.</p>
+
+<p>Nom d'un chien, il faut que je file!... Je reviendrai tout à l'heure à
+la reprise de l'audience. J'ai une remise à demander au président
+Bourriche.</p>
+
+<p class="mid">LERMITE, <span class="sml">timide, gauche, cherchant dans sa poche, appelle Lemerle qui ne
+l'entend pas et sort.</span></p>
+
+<p>Monsieur Lemerle... J'aurais un mot à vous dire. Tiens! il est parti...</p>
+
+<p class="mid">AUBARRÉE.</p>
+
+<p>Il reviendra à la reprise de l'audience. Qu'est-ce que tu peux bien
+avoir à lui dire à cet oiseau-là?</p>
+
+<p class="mid">LERMITE.</p>
+
+<p>Rien. Je... rien... Dis donc, mon vieux camarade, c'est tout de même
+fort la condamnation de ce pauvre marchand des quatre saisons.</p>
+
+<p class="mid">AUBARRÉE.</p>
+
+<p>Crainquebille... C'est fort, si tu veux. Ce n'est pas extraordinairement
+fort... <span class="sml">(Regardant.)</span> Tu vas faire un petit tableau d'après ce croquis?</p>
+
+<p class="mid">LERMITE.</p>
+
+<p>Oui, les scènes du palais, c'est assez demandé... J'ai vendu, ce matin,
+deux avocats cent francs; j'ai le billet dans ma poche.</p>
+
+<p class="mid">AUBARRÉE.</p>
+
+<p>Tu n'as pas besoin de le sortir comme ça...</p>
+
+<p class="mid">LERMITE.</p>
+
+<p>Tu as beau dire, Aubarrée. Que les juges aient condamné ce pauvre homme
+sans preuves...</p>
+
+<p class="mid">AUBARRÉE.</p>
+
+<p>Sans preuves?...</p>
+
+<p class="mid">LERMITE.</p>
+
+<p>Au mépris de la déposition du professeur David Mathieu, sur le
+témoignage de l'agent, ça me passe, je n'y suis plus...</p>
+
+<p class="mid">AUBARRÉE.</p>
+
+<p>C'est pourtant bien facile à comprendre.</p>
+
+<p class="mid">LERMITE.</p>
+
+<p>Comment, à la parole désintéressée d'un homme du plus grand mérite, de
+la plus haute intelligence, préférer le braiment de cet être ignare,
+sombre et têtu. Croire l'âne plutôt que le savant, tu trouves cela
+naturel, toi? Mais c'est monstrueux. Ce président Bourriche est
+facétieux et sinistre.</p>
+
+<p class="mid">AUBARRÉE.</p>
+
+<p>Ne dis pas cela, Lermite, ne dis pas cela. Le président Bourriche est un
+magistrat respectable qui vient de donner une nouvelle preuve de son
+esprit juridique.</p>
+
+<p class="mid">LERMITE.</p>
+
+<p>Dans l'affaire Crainquebille?</p>
+
+<p class="mid">AUBARRÉE.</p>
+
+<p>Sans doute. En opposant l'une à l'autre les dépositions contradictoires
+de l'agent 64 et du professeur David Mathieu, le juge serait entré dans
+une voie où l'on ne rencontre que le doute et l'incertitude. Le
+président Bourriche a l'esprit trop juridique pour faire dépendre ses
+sentences de la raison et de la science, dont les conclusions sont
+sujettes à d'éternelles disputes.</p>
+
+<p class="mid">LERMITE.</p>
+
+<p>Alors, un juge doit renoncer à savoir?</p>
+
+<p class="mid">AUBARRÉE.</p>
+
+<p>Oui, mais il ne doit pas renoncer à juger. A vrai dire, le président
+Bourriche ne considère pas Bastien Matra. Il considère l'agent 64. Un
+homme est faillible, pense-t-il. Descartes et Gassendi, Leibnitz et
+Newton, Claude Bernard et Pasteur, se sont trompés. Mais l'agent 64 ne
+se trompe pas. C'est un numéro. Un numéro n'est pas sujet à l'erreur.</p>
+
+<p class="mid">LERMITE.</p>
+
+<p>Ça, c'est un raisonnement.</p>
+
+<p class="mid">AUBARRÉE.</p>
+
+<p>Irréfutable. Et puis, il y a autre chose. L'agent 64 est un dépositaire
+de la force publique. Toutes les épées d'un État doivent être tournées
+dans le même sens. En les opposant les unes aux autres...</p>
+
+<p class="mid">LERMITE. On trouble l'ordre public. J'ai compris.</p>
+
+<p class="mid">AUBARRÉE.</p>
+
+<p>Enfin, si le tribunal jugeait contre la force, qui donc exécuterait les
+jugements? Sans les gendarmes, le juge ne serait qu'un pauvre rêveur.</p>
+
+<p class="mid"><span class="sml">Entre Lemerle.</span></p>
+
+<p class="mid">LEMERLE.</p>
+
+<p>Aubarrée, on vous attend à la quatrième... Comment, l'audience n'est pas
+encore reprise?</p>
+
+<p class="mid">AUBARRÉE.</p>
+
+<p>Mais non.</p>
+
+<p class="mid">LEMERLE.</p>
+
+<p>L'huissier n'est pas là?</p>
+
+<p class="mid">LERMITE.</p>
+
+<p>Pardon, maître... La condamnation à l'amende entraîne, en cas de
+non-paiement, une prolongation de peine?</p>
+
+<p class="mid">LEMERLE.</p>
+
+<p>Oui.</p>
+
+<p class="mid">LERMITE.</p>
+
+<p>Alors, voudriez-vous être assez aimable pour remettre cinquante francs à
+ce marchand des quatre saisons.</p>
+
+<p class="mid">LEMERLE.</p>
+
+<p>Crainquebille?</p>
+
+<p class="mid">LERMITE.</p>
+
+<p>Oui, sans lui dire d'où vient cet argent.</p>
+
+<p class="mid">LEMERLE.</p>
+
+<p>Volontiers, monsieur.</p>
+
+<p class="mid">LERMITE.</p>
+
+<p>Seulement, je n'ai que cent francs.</p>
+
+<p class="mid">LEMERLE, <span class="sml">se fouillant.</span></p>
+
+<p>Voyons, j'ai peut-être... non... trois louis... ah! si! voilà dix
+francs, quarante et dix cinquante. Voici, monsieur.</p>
+
+<p class="mid">LERMITE.</p>
+
+<p>Merci.</p>
+
+<p class="mid">LEMERLE.</p>
+
+<p>C'est moi qui vous remercie pour lui.</p>
+
+<p class="mid">LE DOCTEUR MATHIEU, <span class="sml">entrant, à Lemerle.</span></p>
+
+<p>Maître, c'est vous qui avez plaidé pour Crainquebille? Je vous
+cherchais.</p>
+
+<p class="mid">LEMERLE.</p>
+
+<p>Oui, monsieur... le docteur David Mathieu. Vous avez témoigné pour nous.</p>
+
+<p class="mid">LE DOCTEUR MATHIEU.</p>
+
+<p>Pourriez-vous remettre ces cinquante francs à votre client pour
+acquitter l'amende?</p>
+
+<p class="mid">LEMERLE.</p>
+
+<p>Avec grand plaisir. Mais j'ai déjà reçu cinquante francs de monsieur <span class="sml">(il
+montre Lemerle.)</span> pour la même destination.</p>
+
+<p class="mid">LE DOCTEUR MATHIEU.</p>
+
+<p>Ah!... Monsieur.</p>
+
+<p class="mid"><span class="sml">Inclinations. Silence.</span></p>
+
+<p class="mid">LEMERLE, <span class="sml">tenant dans chaque main les cinquante francs de Lermite et les
+cinquante francs du docteur.</span></p>
+
+<p>Qu'en pensez-vous, messieurs?</p>
+
+<p class="mid">LE DOCTEUR MATHIEU.</p>
+
+<p>Eh bien... cinquante francs pour l'amende.</p>
+
+<p class="mid">LERMITE.</p>
+
+<p>Oui, et cinquante francs quand il sortira.</p>
+
+<p class="mid">LEMERLE.</p>
+
+<p>Parfait! Comptez sur moi, messieurs...</p>
+
+<p><span class="sml">Il salue et sort. Petit silence. David et Lermite se saluent
+sympathiquement. David va pour sortir, suivi à quelques pas de Lermite.
+David s'arrête sur le seuil presque, se retourne vers Lermite qui est
+près de lui. Les deux hommes disent ensemble, la main
+tendue: «Voulez-vous me permet...» Ils sourient, se serrent cordialement
+la main, avec, toutefois, un peu de mélancolie. David sort.</span></p>
+
+<p class="mid">L'HUISSIER, <span class="sml">annonçant.</span></p>
+
+<p>Le Tribunal!</p>
+
+<p class="mid">LERMITE.</p>
+
+<p>Ça recommence.</p>
+
+<h3>TROISIÈME TABLEAU</h3>
+
+<p class="mid"><i>La nuit.</i></p>
+
+<h4>SCÈNE PREMIÈRE</h4>
+
+<p class="mid">LE MARCHAND DE MARRONS.</p>
+
+<p>Chaud! chaud! les marrons!...</p>
+
+<p class="mid"><span class="sml">Il sert un sou de marrons à un gosse.</span></p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE, <span class="sml">sortant de chez le marchand de vin sur un bruit de
+dispute.</span></p>
+
+<p>Eh bien, quoi! parce que je demande un verre à crédit!... Est-ce que
+c'est une raison de me traiter comme un malfaiteur.</p>
+
+<p class="mid">LE MARCHAND DE MARRONS.</p>
+
+<p>Crédit est mort, les mauvais payeurs l'ont tué.</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Je vous demande un peu s'il ne pouvait pas me donner un verre à crédit.
+Il m'a assez volé quand j'avais de quoi. Voleur! oui, voleur!... Je ne
+vous l'envoie pas dire.</p>
+
+<p class="mid">LE MARCHAND DE MARRONS.</p>
+
+<p>Ça sort de prison et ça traite le monde de voleur!</p>
+
+<p class="mid">ALPHONSE, <span class="sml">douze ans, sort de chez le marchand de vin et dit à
+Crainquebille sur le ton de la plus douce politesse.</span></p>
+
+<p>Dites donc, monsieur, c'est-il vrai qu'on est bien à l'ombre?</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE. Sale gosse!... <span class="sml">(Pied au cul. Alphonse rentre en
+pleurnichant.)</span></p>
+
+<p>C'est ton père qui devrait être en prison au lieu de s'enrichir à vendre
+du poison.</p>
+
+<p class="mid">LE MARCHAND DE VIN, <span class="sml">suivi de son fils.</span></p>
+
+<p>Si vous n'aviez pas de cheveux blancs, je vous corrigerais pour vous
+apprendre à battre mon fils, <span class="sml">(à son fils.)</span> Rentre, vermine, <span class="sml">(ils
+rentrent.)</span></p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE, <span class="sml">au marchand de marrons.</span></p>
+
+<p>Hein, crois-tu!...</p>
+
+<p class="mid">LE MARCHAND DE MARRONS.</p>
+
+<p>Qu'est-ce que tu veux? Il a raison: on ne doit pas battre les enfants
+des autres, ni leur reprocher leur père qu'ils n'ont pas choisi...
+Depuis deux mois que tu es sorti de là-bas, mon vieux Crainquebille, tu
+n'es plus le même, tu es mauvais coucheur, tu es mal embouché. Ça ne
+serait encore rien. Mais tu n'es plus bon que pour lever le coude.</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>J'ai jamais été fricoteur, mais faut comme ça, de temps en temps, que je
+boive un verre pour me donner des forces et pour me rafraîchir. Sûr que
+j'ai quelque chose de brûlé dans l'intérieur. Il n'y a encore que la
+boisson comme rafraîchissement.</p>
+
+<p class="mid">LE MARCHAND DE MARRONS.</p>
+
+<p>Ça ne serait encore rien, mais t'es mou, t'es feignant. Un homme dans
+cet état-là, autant dire que c'est un homme par terre et qui peut pas se
+relever. Tous les gens qui passent lui pilent dessus.</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>C'est vrai! j'ai plus le courage que j'avais. Je suis fini. Tant va la
+cruche à l'eau qu'à la fin elle se casse. Et puis, depuis mon affaire en
+justice, je n'ai plus le même caractère. Je suis plus le même homme,
+quoi! Qu'est-ce que tu veux? Ils m'ont arrêté pour avoir crié: «Mort aux
+vaches!» C'était pas vrai. Y a un médecin décoré qui leur a dit que non.
+Ils n'ont rien voulu savoir. Par exemple, les juges sont bien polis, pas
+un gros mot, mais on peut pas s'expliquer avec eux. Ils m'ont donné
+cinquante francs, y m'ont étouffé ma voiture qu'il m'a fallu quinze
+jours pour remettre la main dessus. Tout ça, c'est vraiment
+extraordinaire. Je le jure, c'est comme si j'étais allé au théâtre.</p>
+
+<p class="mid">LE MARCHAND DE MARRONS.</p>
+
+<p>Ils t'ont donné cinquante francs? Ça, c'est nouveau; ça ne se faisait
+pas autrefois.</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Faut être juste. Ils m'ont donné cinquante francs de la main à la main.
+Et puis, la prison, c'est convenable. On peut pas dire le contraire.
+C'est bien tenu, c'est propre. On mangerait par terre. Mais, quand on
+sort de là, pas moyen de travailler, pas moyen de gagner un sou. Tout le
+monde vous tourne le dos.</p>
+
+<p class="mid">LE MARCHAND DE MARRONS.</p>
+
+<p>Je vais te dire: change de quartier.</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Madame Bayard, la cordonnière, qui fait une gueule quand je passe. Elle
+m'affronte et c'est elle qui est cause que j'ai été ramassé. Le plus
+fort, c'est qu'elle me doit quatorze sous. J'y aurais réclamé tout à
+l'heure, mais elle avait une cliente. Attends un peu, elle ne perdra
+rien pour attendre.</p>
+
+<p class="mid">LE MARCHAND DE MARRONS.</p>
+
+<p>Où vas-tu?</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Je vais lui causer, à madame Bayard.</p>
+
+<p class="mid">LE MARCHAND DE MARRONS.</p>
+
+<p>Tiens-toi donc tranquille.</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Comment, j'ai bien le droit de lui réclamer mes quatorze sous. Il me les
+faut, c'est-il toi qui me les donneras? Si c'est toi, faut le dire.</p>
+
+<p class="mid">LE MARCHAND DE MARRONS.</p>
+
+<p>Ça, c'est impossible, la bourgeoise m'arracherait les yeux. Je t'en ai
+assez donné, des vingt sous et des quarante sous, depuis deux mois.</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Je peux pourtant pas crever comme un chien. J'ai pus un centime.</p>
+
+<p class="mid">LE MARCHAND DE MARRONS, <span class="sml">le rappelant.</span></p>
+
+<p>Crainquebille!... Sais-tu ce que tu devrais faire?</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Quoi?</p>
+
+<p class="mid">LE MARCHAND DE MARRONS.</p>
+
+<p>Tu devrais changer de quartier.</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Ça, c'est pas possible. Je suis comme la chèvre; faut qu'elle broute où
+qu'elle est attachée, faut qu'elle broute quand il n'y aurait que des
+cailloux.</p>
+
+<p><span class="sml">Madame Bayard reconduit sa cliente; quand celle-ci a tourné le coin de
+la rue, madame Bayard vient tout droit à Crainquebille et l'apostrophe
+vivement.</span></p>
+
+<p class="mid">MADAME BAYARD.</p>
+
+<p>Qu'est-ce que vous me voulez, vous?</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Vous avez beau me regarder avec des yeux comme des pistolets... Je veux
+mes quatorze sous.</p>
+
+<p class="mid">MADAME BAYARD, <span class="sml">tombant des nues.</span></p>
+
+<p>Vos quatorze sous?</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Oui, mes quatorze sous.</p>
+
+<p class="mid">MADAME BAYARD.</p>
+
+<p>D'abord, je vous défends d'entrer dans mon magasin, comme tout à
+l'heure. Qu'est-ce que c'est que ces façons?</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>C'est bon! C'est bon! mes quatorze sous!...</p>
+
+<p class="mid">MADAME BAYARD.</p>
+
+<p>Je ne sais pas ce que vous voulez dire. D'ailleurs, apprenez ça: on ne
+doit rien à des gens qui ont été en prison.</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Purée!</p>
+
+<p class="mid">MADAME BAYARD.</p>
+
+<p>Malotru!... Ah! si j'avais encore mon mari...</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Si t'avais ton mari, espèce de râleuse, je lui botterais soigneusement
+le derrière pour t'apprendre à voler le monde, et à l'insulter ensuite.</p>
+
+<p class="mid">MADAME BAYARD.</p>
+
+<p>Y a donc pas d'agents? <span class="sml">(Elle se barricade soigneusement chez elle.)</span></p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Garde-les, mes quatorze sous, garde-les, voleuse!</p>
+
+<p class="mid">LE MARCHAND DE MARRONS.</p>
+
+<p>Voleur, voleuse, t'as que cha dans la bouche. Tout le monde est voleur,
+que tu dis. C'est vrai et c'est pas vrai. Je vas t'expliquer. Tout le
+monde veut vivre et on peut pas vivre sans faire tort aux autres; cha
+c'est pas possible... alors...</p>
+
+<p class="mid">LA SOURIS.</p>
+
+<p>Bonsoir, la compagnie.</p>
+
+<p class="mid">LE MARCHAND DE MARRONS.</p>
+
+<p>Bonsoir, la Souris.</p>
+
+<p class="mid">LA SOURIS.</p>
+
+<p>Ça va-t-il mieux, père Crainquebille? Vous me remettez pas? La Souris.
+Pourtant, vous me connaissez bien. Vous m'avez donné une poire, même
+qu'elle était blette.</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>C'est possible.</p>
+
+<p class="mid">LA SOURIS.</p>
+
+<p>Je vas me reposer. Je loge ici. Je suis las. Dame, quand on a trimé
+toute la journée. J'ai crié <i>la Patrie, la Presse, le Soir</i>, j'en ai la
+gueule abîmée. Quand j'aurai cassé ma croute, je me mettrai dans le
+plumard. Bonsoir la compagnie.</p>
+
+<p class="mid">LE MARCHAND DE MARRONS.</p>
+
+<p>T'en as pas de plumard.</p>
+
+<p class="mid">LA SOURIS.</p>
+
+<p>Pas de plumard? Venez-y voir. Je m'en suis fait un de plumard, avec des
+sacs et des copeaux.</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>T'as de la chance, môme. Moi, il y a deux mois que je n'ai couché dans
+quelque chose de doux, <span class="sml">(La souris rentre.)</span> C'est vrai! Ils m'ont expulsé
+de ma soupente. V'là trente nuits que je couche dans une remise, sur ma
+charrette. Il a pas décessé de pleuvoir, la remise a été inondée. Pour
+pas être noyé, il faut se tenir à croupeton sur les eaux empoisonnées,
+avec les chats, les rats et les araignées grosses comme des potirons. Et
+v'là que, cette nuit, le tuyau de l'égout a crevé; les voitures, elles
+nageaient dans la gadoue, misère! Et même, on a mis un gardien pour pas
+qu'on entre, parce que le mur remue. Il est comme moi, le mur, il tient
+plus debout. <span class="sml">(Il voit madame Laure entrer chez le marchand de vin.)</span>
+Tiens! madame Laure.</p>
+
+<p class="mid">LE MARCHAND DE MARRONS.</p>
+
+<p>Madame Laure, c'est une femme rangée et convenable, et qui a de la tenue
+pour son état. Elle ne boit pas sur le zinc. Je te parie qu'elle va
+ressortir avec un litre, pour consommer chez elle avec ses
+connaissances.</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Madame Laure! je la connais comme si je l'avais faite. C'est une
+cliente. Sais bien que c'est une femme comme il faut.</p>
+
+<p class="mid">LE MARCHAND DE MARRONS.</p>
+
+<p>Et une belle femme! Malin! <span class="sml">(Sort du troquet madame Laure.)</span> Tiens,
+qu'est-ce que je te disais?</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Bonjour, madame Laure.</p>
+
+<p class="mid">MADAME LAURE, <span class="sml">au marchand de marrons.</span></p>
+
+<p>Vingt centimes de marrons. Et bien chauds.</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Vous me remettez pas, madame Laure? Le marchand de poireaux.</p>
+
+<p class="mid">MADAME LAURE.</p>
+
+<p>Je vois bien, <span class="sml">(au marchand de marrons.)</span> Ne me les tirez pas de votre
+sac. On ne sait pas depuis combien de temps ils sont là à refroidir.</p>
+
+<p class="mid">LE MARCHAND DE MARRONS.</p>
+
+<p>Ils sont bouillants, ils me brûlent les doigts.</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Vous avez de la peine à me remettre parce que je n'ai pas ma voiture. Ça
+change les personnes, des fois... Et ça va toujours comme vous voulez,
+madame Laure? <span class="sml">(Il lui louche le bras.)</span> Je vous demande si ça va toujours
+comme vous voulez?</p>
+
+<p class="mid">MADAME LAURE.</p>
+
+<p>Eh! l'Auverpin, allons, vite mes châtaignes. J'ai de la compagnie qui
+m'attend. C'est fête aujourd'hui. Je ne reçois que des gens que je
+connais.</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Ne me faites pas d'infidélités, madame Laure. Vous êtes regardante, mais
+vous êtes une bonne pratique.</p>
+
+<p class="mid">MADAME LAURE, <span class="sml">au marchand de marrons</span>.</p>
+
+<p>Servez vite. C'est pas agréable d'être accostée par un individu qui
+s'est fait ramasser.</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Qu'est-ce que vous dites?</p>
+
+<p class="mid">MADAME LAURE.</p>
+
+<p>Je vous parle pas.</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Tu dis que je me suis fait ramasser, poison! Eh ben, et toi? Tu n'as pas
+été dans le panier à salade?... Si j'avais autant de pièces de cent sous
+que tu as été de fois dans le panier...</p>
+
+<p class="mid">LE MARCHAND DE MARRONS.</p>
+
+<p>V'là que t'engueules mes clientes à cette heure? Tais-toi ou je cogne.</p>
+
+<p class="mid">MADAME LAURE.</p>
+
+<p>Eh! va donc, vieux cheval de retour!</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE. Dessalée, va! <span class="sml">(Apparition d'un agent qui, immobile et
+muet, fait tomber la dispute. Madame Laure sort majestueusement.)</span></p>
+
+<p class="mid">LA SOURIS, de la fenêtre.</p>
+
+<p>Un bouchon! Taisez vos gueules; on peut pas dormir.</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Pour sûr que c'est une morue, et même y a pas plus morue que cette
+femme-là.</p>
+
+<p class="mid">LE MARCHAND DE MARRONS, <span class="sml">remisant son poêle.</span></p>
+
+<p>Pour attraper une personne dans le moment qu'elle se fait servir, faut
+avoir perdu le sentiment. Fous-moi le camp. Tu es heureux encore que je
+ne t'aie pas fait ramasser. <span class="sml">(En s'en allant.)</span> Un homme à qui je prête
+depuis deux mois des vingt sous et des quarante sous par semaine! Mais
+il n'a pas de savoir-vivre, quoi!</p>
+
+<p><span class="sml">Le garçon marchand de vin met les volets.</span></p>
+
+<h4>SCÈNE II</h4>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Eh! l'Auverpin!... l'Auverpin! écoute donc. Il se défile. Il veut rien
+entendre. Ce que j'ai contre cette morue-là, c'est que toutes font comme
+elle, toutes. Elles font mine de ne pas me connaître. Madame Cointreau,
+madame Lessenne, madame Bayard. Toutes, quoi!... Alors, parce que l'on a
+été mis pour quinze jours à l'ombre, on n'est plus bon seulement à
+vendre des poireaux. Est-ce que c'est juste? Est-ce qu'il y a du bon
+sens à faire mourir de faim un brave homme parce qu'il a eu des
+difficultés avec les flics. Si je ne peux plus vendre mes légumes, je
+n'ai plus qu'à crever... Vrai! J'aurais volé et assassiné, j'aurais la
+gale, que ça ne serait pas plus pire. Et le froid et la faim... J'ai pas
+mangé. Allons! crève! crève donc, père Crainquebille! Ah! il y a des
+moments où on regrette de n'être plus là-bas. <span class="sml">(Un agent se tient
+immobile dans le fond. Crainquebille l'aperçoit et dit:)</span> Ah! que je suis
+bête, puisque je connais le truc, pourquoi que je m'en servirais pas?...
+<span class="sml">(Il s'approche doucement de l'agent qui est presque à l'avant-scène et
+d'une voix hésitante et faible:)</span> Mort aux vaches! <span class="sml">(L'agent regarde
+Crainquebille avec tristesse, vigilance et mépris. Un temps.
+Crainquebille, étonné, balbutie:)</span> Mort aux vaches! que je vous ai dit.</p>
+
+<p class="mid">L'AGENT.</p>
+
+<p>Ce n'est pas à dire... pour sûr et certain que ce n'est pas à dire. A
+votre âge, on devrait avoir plus de connaissance... Passez votre chemin.</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Pourquoi que vous ne m'arrêtez pas?</p>
+
+<p class="mid">L'AGENT, <span class="sml">secouant la tête.</span></p>
+
+<p>S'il fallait empoigner tous les poivrots qui disent ce qui n'est pas à
+dire, y en aurait de l'ouvrage... et de quoi que ça servirait?</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE, <span class="sml">accablé, reste longtemps stupide et muet, puis, très
+doucement:</span></p>
+
+<p>C'était pas pour vous que j'ai dit: «Mort aux vaches!», c'était pas plus
+pour l'un que pour l'autre que je l'ai dit. C'était pour une idée.</p>
+
+<p class="mid">L'AGENT, <span class="sml">avec une austère douceur.</span></p>
+
+<p>Que ce soye pour une idée ou pour autre chose, ce n'était pas à dire
+parce que, quand un homme fait son devoir et qu'il endure bien des
+souffrances, on ne doit pas l'insulter par des paroles futiles... Je
+vous réitère de passer votre chemin.</p>
+
+<h4>SCÈNE III</h4>
+
+<p class="mid">LA SOURIS, <span class="sml">par la fenêtre.</span></p>
+
+<p>Papa Crainquebille! Papa Crainquebille! Papa Crainquebille!</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Hein? Qui est-ce qui parle sur ma tête? C'est-y un miracle?</p>
+
+<p class="mid">LA SOURIS.</p>
+
+<p>Papa Crainquebille!...</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Ah! c'est toi?</p>
+
+<p class="mid">LA SOURIS.</p>
+
+<p>Où que vous allez comme ça sans parapluie?</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Où que je vais?</p>
+
+<p class="mid">LA SOURIS.</p>
+
+<p>Oui...</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Je vais me jeter dans la Seine.</p>
+
+<p class="mid">LA SOURIS.</p>
+
+<p>Faut pas faire ça! Y fait trop froid. C'est trop mouillé.</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Qu'est-ce que tu veux que je fasse?</p>
+
+<p class="mid">LA SOURIS.</p>
+
+<p>Il faut se remuer, mon vieux papa. Il faut vivre.</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>Pourquoi?</p>
+
+<p class="mid">LA SOURIS.</p>
+
+<p>Je ne sais pas, mais faut se dégrouiller. Ça ne dure pas tout le temps,
+la mistoufle. Vous en vendrez encore des choux et des carottes, c'est
+moi qui vous le dis. Venez avec moi. J'ai un pain, du saucisson et un
+litre. On soupera comme des millionnaires et je vous ferai un lit comme
+le mien, avec des sacs et des copeaux, et puis, on verra demain s'il
+fait jour. Allons, venez, mon vieux papa.</p>
+
+<p class="mid">CRAINQUEBILLE.</p>
+
+<p>T'es jeune, t'es pas encore gâté. Le monde est mauvais, t'es pas encore
+du monde. Gosse, tu peux te dire qu'à ton âge t'as sauvé un homme. Oh!
+c'est pas une si belle affaire. Y a pas lieu d'en être fier, ça ne
+urs de la lune, ça n'embellira pas la République. Mais
+t'as sauvé un homme.</p>
+
+<p class="mid"><span class="sml">Crainquebille, la tête basse et les bras ballants, remonte la scène sans
+plus dire un mot.</span></p>
+<br>
+
+<p class="mid">FIN</p>
+
+
+
+
+
+
+
+<br><br>
+</div>
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+<pre>
+
+
+
+
+
+End of Project Gutenberg's L'Illustration, No. 3260, 19 Août 1905, by Various
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+Literary Archive Foundation
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+spread public support and donations to carry out its mission of
+increasing the number of public domain and licensed works that can be
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+with these requirements. We do not solicit donations in locations
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+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
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