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| author | Roger Frank <rfrank@pglaf.org> | 2025-10-14 20:11:20 -0700 |
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You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: L'Illustration, No. 3667, 7 Juin 1913 + +Author: Various + +Release Date: February 13, 2012 [EBook #38868] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, 7 JUIN 1913 *** + + + + +Produced by Jeroen Hellingman et Rénald Lévesque + + + + + + +L'Illustration, No. 3667, 7 Juin 1913 + +DES PETITS BRUITS DANS LA MAISON, par Henriot. + + +Ce numéro contient: +1º LA PETITE ILLUSTRATION, Série-Théâtre nº 10: LE TROUBLE-FÊTE, de M. +Edmond Fleg, et LA GLOIRE AMBULANCIÈRE, de M. Tristan Bernard; +2° UN SUPPLÉMENT ÉCONOMIQUE ET FINANCIER de deux pages. + + +L'ILLUSTRATION +_Prix du Numéro: Un Franc._ +SAMEDI 7 JUIN 1913 +_71e Année.--Nº 3667._ + +[Illustration: NOTRE ALLIÉ ET NOTRE AMI LL. MM. Nicolas II, empereur de +Russie, et George V, roi de Grande-Bretagne et d'Irlande. _Phot. Ernst +Sandow.--Voir l'article, page 525._] + + + +COURRIER DE PARIS + +L'ADORABLE MOMENT + +--Non, en vérité, je crois que je ne pourrais pas à la fin de mai, au +début de juin, être ailleurs qu'ici. Paris est, en ces jours qui nous +échappent si vite, une splendeur suave, ininterrompue. L'air et la +lumière sont épris l'un de l'autre, _se déclarent_ sans cesse, et se +surpassent en douceur autant qu'en vivacité. Le soleil sur les gazons de +velours, faits pour des pieds nus, pose des ombres mouvantes, +palpitantes, qui semblent des reflets de respiration. Les troncs des +arbres sont d'un noir ardent qui n'est pas triste, et les fleurs +brillent, nouvellement peintes. + +Dans le ciel est semée, répandue, une poudre de bonheur... Les +hirondelles insensées, prenant les ailes à leur cou, volent si haut... +si haut... qu'elles nous font monter. Pas longtemps, car en bas +l'existence est aimable et nous donne une récréation ravissante. Je ne +peux pas vous dire tout ce que je vois du matin au soir qui m'amuse, +m'enchante et me fait jouir, et à quoi passionnément je me délecte sans +songer à rien. Visions, impressions rapides, multiples, fugitives, qui +ne durent que la courte éternité d'un regard, d'un ah! qui reste en +dedans!... Tout m'est plaisir. Tout me remplit d'aise. Les passants ont +le pied léger et les voitures la roue caressante. Tout le monde a l'air +d'aller, de courir, de se précipiter sans violence dans la même +direction, celle de la joie, et nul ne paraît tourmenté, comme si chacun +était sûr qu'il y aura des provisions de joie, et pour tous, qu'on +arrivera toujours à temps pour en recevoir. Beaucoup de confiance. Une +tranquillité absolue, sur les joues, dans les prunelles, dans les cours. +La vie? Ah! belle, belle! Dieu? Si bon! Les hommes? Pas méchants, mais +non. Beaucoup moins en tout cas qu'on l'affirmait hier. Et voilà! On n'a +plus peur. + + * + * * + +Ah! vivre! vivre!... Que c'est donc agréable et comme cela vous inonde! +Se laisser vivre! Ne rien faire que vivre! Aimer vivre, désirer vivre! +Et se coucher, s'étaler dans cette idée et dans ce mot. On ne se soucie +que par minutes de vivre avec cette intensité profane, mais ces +minutes-là dédommagent. Quelle entente exacte et merveilleuse alors +entre les hommes! Ne dirait-on pas que tout le monde se connaît? La vie +devient comme une petite ville dont tous les habitants se +fréquenteraient, _se verraient_. On ne se croise plus avec cette +hostilité qui chasse et rejette d'habitude les gens loin les uns des +autres. Non. Une sympathie réelle, frivole et tendre, envahit les traits +de chacun; et les masques de dédain, de mépris, d'indifférence ou de +fierté tombent pour une heure. Les yeux se cherchent, se visitent, dans +l'échange d'un réciproque éclair. Les curiosités, en se rencontrant, +s'abordent, se donnent, sans s'arrêter, une espèce de petit coup de bec +amical. Bonjour muet, politesse de circonstance accordée uniquement +parce qu'il fait beau, et qu'un souffle délicieux, venu on ne sait d'où, +nettoie les fronts et allège les pensées. Rien qui ne soit prétexte à +nous fournir une puérile béatitude. La surprise d'être heureux durant +quelques secondes, d'être épargné par les ennuis, la maladie, la mort, +font sortir de tous les êtres une vapeur de joie, comme le soleil tire +des dessous de la terre humide ces fumées bleues qui ne sont que le +déroulement immatériel de sa fécondité, l'envol azuré de ses entrailles. +Le mot lisible sur tous les visages est le mot: remerciement. On +remercie de vivre. Les femmes, bien placées dans de séduisantes poses de +fausse fatigue, les traits à la fois détendus et galvanisés par trop de +sensations, les jeunes hommes, nu-tête et les cheveux secoués, rejetés +en arrière, se montrent, se présentent dans les _autos_ avec une +complaisance ingénue. Ils «s'offrent» naïvement, ainsi que des parfaits +modèles de félicité terrestre et momentanée. Ils fendent l'espace. Leurs +frémissantes narines, dans le courant d'air des glaces baissées, +aspirent Paris que leurs lèvres entr'ouvertes avalent aussi, par +gorgées. Les arômes, les parfums, sont goûtés comme des sorbets. Il +n'est personne qui, renversé dans la quiétude, veuille pour l'instant +consentir à autre chose qu'à savourer, et l'expression de chacun, +attrapée au passage, est celle de l'étourdissement, du délire. Si chacun +pouvait faire l'effort de s'arracher ce qu'il pense, on est sûr qu'il +dirait: «Laissez-moi, ne parlez pas, ne troublez pas... Je suis +délicieusement bien.» + +Tout contribue d'ailleurs et s'applique à l'heureux effet de l'ensemble. +Les laideurs disparaissent ou s'atténuent. Pas de spectacles douloureux, +de pénibles scènes. Ce n'est pas le jour de la béquille et du moignon, +de la pauvresse, du mendiant et de l'estropié. Ils doivent s'en rendre +compte car ils ne sont pas là, et si par hasard ils y sont, c'est comme +s'ils n'y étaient pas, car on ne les voit point, ils ne sont pas dans le +rayon visuel de la pitié, ils demeurent inaperçus, ils sont absorbés par +tant de bien-être et tant de richesse... fondus dans le grand brasier de +joie véhémente, féroce et douce. Et tout est mieux aussi qu'à l'insipide +ordinaire. On est mieux tenu, mieux habillé. Les chapeaux des femmes +sont plus capiteux et leurs robes plus cordiales. Tout est charme, +attirance, tentation. De quelque côté que l'on se tourne, on ne trouve +en face de soi que de l'irrésistible. Les êtres, les choses, les idées +dégagent une puissance, une langueur de séduction qui trouble, excite et +désespère. La sensibilité, renouvelée, rajeunie, comme trempée dans le +cristal d'une source, n'est plus qu'une suite et qu'une gamme de +frissons frais, pareils à ceux d'une peau saisie et satisfaite, sur +laquelle courent en s'entrelaçant, avant qu'on les essuie au sortir du +bain, les gouttes d'eau savantes. + +Le sol lui-même s'apaise, aplanit ses aspérités, lance et conduit l'auto +qui roule sans secousses. Aussi les grandes voies triomphales de Paris, +celles des Champs-Elysées, des quais, des avenues, ne sont-elles plus +que des tremplins de joie... Elles s'emplissent d'un harmonieux +brouhaha, d'un concert de glissements, d'emportements, de fuites souples +et sans frayeur. Il suffit de voir filer comme des barques rapides et +légères ces chars dont on oublie les roues, pour que le vertige vous +prenne, à votre tour, et que l'on ait le désir d'entrer également dans +la course à l'oubli. La nature s'en mêle. Tout y prend part. Jamais le +parc et les jardins, l'arbre, la feuille et la rose, les bois, la forêt +voisine, la libre grande route n'offrent plus, qu'en ces jours +privilégiés, d'attraits violents et fins, de provocations saines et +délicates! Pourquoi en est-il ainsi? On ne sait pas. Cela s'accomplit +grâce à une espèce de mot d'ordre mystérieux donné par le dieu de la +vie, de la vie naturelle, sensuelle, irréfléchie, acceptée et aimée pour +elle-même et préférée à tout pendant quelques instants d'aiguë et molle +jouissance, d'excessive volupté. Jouissance et volupté qui s'imposent, +qui veulent être employées et qui nous gagnent avec la force du fatal et +la tyrannie du nécessaire. Nous sentons, en nous y abandonnant, que nous +défendre est inutile, presque coupable, et que nous faisons bien d'y +céder. Le soleil et son ivresse n'ont jamais tort. Chaque fois que nous +dominent ces innocentes et vagues folies surhumaines, sachons bien voir +en elles la condition même d'un sacrifice futur, d'une peine en chemin, +d'un désenchantement dont elles sont le rachat préventif, la récompense +anticipée. + +Si l'on y regarde bien, de près comme de loin, on est effrayé en effet +de la rareté de nos plaisirs, du petit nombre et de la minceur de nos +joies! Irons-nous donc repousser ces dernières quand, par moments, elles +s'approchent de nous, quand, avec une tendre audace, leur main s'empare +de la nôtre et qu'elles nous invitent à faire un petit tour de danse? Au +fond je crois bien que le soir où, lassés d'avoir tant cherché, senti, +souffert et voulu toujours nous exprimer, nous passerons la revue de nos +souvenirs heureux, de nos souvenirs de joie complète et sans mélange, +nous serons tout étonnés d'avoir une certaine peine à retirer du fond +des années ceux qui avaient fait le plus de bruit à l'époque, et tenu le +plus de place, et que nous pensions éternels, devoir durer plus que +nous, au delà de nous,... tandis qu'au contraire ce qui restera, ce qui +surnagera--à côté de nos impérissables émotions, les plus secrètes, les +plus chères et les plus belles, dont nous ne parlons pas--ce sera +souvent l'image ressuscitée d'une de ces journées d'élite, d'un de ces +moments de Paris et d'autrefois, où soudain tout était feu, lumière, +allégresse, emportement et délire, où rien ne paraissait plus chimérique +de tout ce qu'on avait rêvé, où l'homme n'avait plus d'âge et la vie +plus de terme, où les Champs-Elysées montaient vers la porte de gloire +qui semblait celle même de l'Avenir, ouverte et défoncée sur des pays +d'azur, des horizons de pourpre et d'or... + +On se rappellera, comme une série d'ivresses sans nom, les riens de ces +jours perdus... la plume d'un chapeau, l'ombre d'un marronnier sur une +pelouse, un thé pris dans un parc, un chant de merle pendant le dîner la +fenêtre ouverte, un lamento de violon, un éclat de voix, un doux +ronflement d'auto dans une grande allée un peu humide et ténébreuse, et +des yeux... des bleus, des noirs, des sourires... des mains +charmantes... des bruits... des silences... la vie enfin, la vie... +quand elle veut se donner la peine d'être enivrante et belle sans avoir +l'air d'y toucher, pour qu'on la regrette plus... + +HENRI LAVEDAN. + +_(Reproduction et traduction réservées.)_ + + + +L'OEUVRE DE PEARY + +Après avoir fêté, il y a six mois, le capitaine Roald Amundsen, le héros +du Pôle Sud, la Société de Géographie recevra le 6 juin en séance +solennelle à la Sorbonne l'amiral Peary, le vainqueur du Pôle Nord. Dans +l'histoire des découvertes arctiques, le célèbre explorateur américain +occupe une place de premier rang, non seulement de par cette conquête, +mais encore en raison de l'importance et de la continuité de son oeuvre +dont cette victoire sensationnelle forme le couronnement. Nul des plus +illustres pionniers polaires ne compte dans ses états de service un +aussi grand nombre de campagnes. De 1891, époque de son début, à 1909, +date à laquelle il a atteint le Pôle, Peary a passé pas moins de neuf +ans dans le domaine des glaces, soit un an sur deux, et durant cette +période a couvert des milliers et des milliers de kilomètres, vivant en +Esquimau au milieu des Esquimaux. Chez cet homme extraordinaire, on ne +sait ce que l'on doit le plus admirer, ou de sa volonté qu'aucun +obstacle n'a pu rebuter, ou de sa vigueur physique que les rudes +épreuves du climat arctique ont été impuissantes à entamer. Alors que +l'hiver est la période de repos dans l'exploration du Nord, en décembre +et janvier on le voit, bravant la nuit polaire et les froids de 50°, +accomplir de longues randonnées. Dans une de ces expéditions a-t-il les +pieds gelés, il se fait voiturer en traîneau sur une distance de 450 +kilomètres jusqu'à sa station d'hiver, pour y subir l'amputation des +orteils, puis, sans attendre d'être complètement remis de l'opération, +il repart en avant. Avec Nansen et Amundsen, Peary détient le record de +l'endurance dans l'exploration polaire. + +[Illustration: Mme R. Peary. Amiral Robert Peary. Mlle Mary Anighilo +(née au Grönland). Le conquérant du Pôle Nord et sa famille. +_Photographie Fréd. Boissonnas prise pour_ L'Illustration _le 31 mai et +autographiée par Peary_.] + +Pour permettre au lecteur d'apprécier l'oeuvre du voyageur américain, +indiquons brièvement la configuration des régions qui ont été le théâtre +de ses exploits. Comme on le voit en jetant les yeux sur une carte, au +delà de Terre-Neuve l'océan Atlantique envoie dans la direction du Pôle +un long bras de mer de plus en plus étroit à mesure qu'il s'étend dans +le nord, pour aboutir finalement à l'immense océan couvert de banquises +qui occupe la calotte boréale du globe, et au milieu duquel se trouve le +Pôle Nord. A gauche, c'est-à-dire à l'est de ce long goulet--désigné +successivement sous les noms de détroit de Davis, mer de Baffin, détroit +de Smith--c'est l'énorme masse continentale du Grönland, et, à droite, +un archipel, grand comme huit ou dix fois la France et composé d'îles +très étendues, terres de Baffin, d'Ellesmere, de Grant, etc., etc. + +Pendant trois ans, en 1891, puis de 1893 à 1895, Peary s'est d'abord +consacré à l'exploration du nord-ouest du Grönland. Au cours de ces +campagnes, il parvint notamment à la côte septentrionale de cette terre +qu'aucun voyageur n'avait encore foulée. Dans cette région qu'elle a +visitée à son tour l'an dernier, l'expédition danoise de Rasmussen, +rentrée il y a un mois à Copenhague, a trouvé le _cairn_ élevé par +l'explorateur américain au terminus de sa course et rapporté en Europe +le rapport sommaire qu'il avait déposé sous cette pyramide de pierres +sèches. + +En 1898, Peary reprenait le chemin de l'Arctique, et cette fois y +demeurait quatre ans de suite. Au cours de ce long séjour, il explore +les terres de Grinnel et de Grant qui bordent à l'ouest le détroit de +Smith, puis, se dirigeant vers l'est, reconnaît l'insularité du +Grönland. Ces terres, les avancées extrêmes du continent américain vers +le nord, finissent sous le 83° de latitude environ, soit à 770 +kilomètres du Pôle, la distance de Paris à Arles; pour atteindre ce +point suprême, il ne restait donc à Peary d'autre ressource que de +s'engager avec des traîneaux sur la banquise de l'océan Arctique. Route +singulièrement difficile; les nappes solides qui recouvrent les mers +polaires sont hérissées d'énormes monticules produits par l'entassement +de leurs débris dans les collisions qu'elles subissent, avec cela +découpées de lacs et de canaux. Enfin, souvent il arrive que les +courants refoulent la banquise sur laquelle le voyageur chemine en sens +inverse de la direction qu'il veut suivre. Quoi qu'il en soit, au +printemps 1902, Peary s'élançait à travers le puissant embâcle de glaces +marines qui obstrue le bassin arctique; mais, après quinze jours de +lutte, il était forcé de s'arrêter à 634 kilomètres du but. Cet échec ne +le décourage pas; quatre ans plus tard, en 1906, il recommence la lutte, +et, cette fois, réussit à battre tous les records établis auparavant et +à approcher à 320 kilomètres du Pôle. Deux ans après, en automne 1908, +l'énergique Américain revenait s'établir sur la côte septentrionale de +la terre de Grant. De là, au printemps suivant, avec 24 compagnons, 7 +marins et 17 Esquimaux, et 133 chiens attelés à 19 traîneaux, il +s'engageait de nouveau sur la banquise. De son point de départ au Pôle, +la distance à vol d'oiseau était de 740 kilomètres; grâce à des +circonstances particulièrement favorables, elle fut couverte en +vingt-sept étapes, et, le 7 avril 1909, l'explorateur avait la joie de +déployer le pavillon des États-Unis sur la fraction de la banquise +mobile qui, à ce moment, occupait le gisement de l'extrémité +septentrionale de l'axe terrestre. + +Le Pôle est un point mathématique dont la position ne peut être +déterminée que par des observations astronomiques. Pour être fixé sur la +situation exacte d'une localité atteinte par un voyageur et dont il a +observé la latitude, il suffit de vérifier ses calculs. Aussi, à la +demande même de Peary et conformément d'ailleurs à l'usage, ses +documents furent soumis par la Société de Géographie de Washington à +l'examen des trois spécialistes officiels les plus compétents des +États-Unis. Le verdict rendu par ces experts est catégorique. Après +avoir pris connaissance des minutes des observations et des instruments +ayant servi à les exécuter, ces savants ont signé un procès-verbal +déclarant que Peary avait atteint le Pôle Nord et qu'en raison de cet +exploit il était digne des plus grands honneurs. A la suite de ce +contrôle officiel, dès 1910, les deux grandes Sociétés de Géographie de +Londres et de Berlin ont tenu à honneur de recevoir solennellement le +vainqueur du Pôle boréal. Pour être quelque peu tardif, l'hommage que +Paris rendra à son tour au conquérant des glaces arctiques n'en sera pas +moins chaleureux et cordial. + +Dans la visite qu'il nous fait, l'amiral Peary est accompagné de sa +femme et de sa fille, qui, elles aussi, ont place dans l'histoire +polaire. Mme Peary a accompagné son mari dans plusieurs campagnes et a +même hiverné avec lui dans le Grönland septentrional, et c'est pendant +ce séjour au milieu des glaces qu'est née, en 1893, Mlle Peary. + +CHARLES RABOT. + + + +MARINE D'AUTREFOIS ET D'AUJOURD'HUI + +Lundi dernier a commencé la troisième semaine des manoeuvres navales, +qui a ramené les escadres sur les côtes européennes de la Méditerranée, +Corse et Provence, et qui se terminera par la revue que doit passer, +dimanche, le président de la République. Le thème de cette troisième +série de manoeuvres consiste, pour le parti A (vice-amiral de Marolles), +à rechercher et à attaquer le parti B (vice-amiral Marin-Darbel) qui, +venant de la mer Tyrrhénienne, se dirige vers les côtes provençales, +entre Nice et Bandol pour couper les communications entre la France et +l'Algérie. Ce sont des opérations de grande envergure, difficiles à +résumer en une image. Mais le correspondant de _L'Illustration_, +embarqué sur le torpilleur d'escadre Spahi, a fixé, dans un dessin +pittoresque, un épisode fortuit, une rencontre imprévue. Par un curieux +hasard, dans cette Méditerranée sillonnée de tant de cargos aux flancs +rebondis, et de courriers postaux filant à grande vitesse, le _Spahi_ +eut la bonne fortune de croiser une felouque. C'est un bâtiment dont la +forme et le gréement ne seront plus, dans quelques années, qu'un vague +souvenir; un proche parent des galères du Roi Soleil, avec leurs voiles +latines, et des chébecs qui parurent, avec nos marins, devant Alger, en +1830. Et ce fut une étrange impression, pour ceux qui montaient le +torpilleur véloce, que de voir arriver sous le vent cette gracieuse +voilure toute blanche, légère comme une aile, inclinée sous la brise. + + + +UN SOUVENIR DU MARIAGE DE BERLIN + +_(Voir notre gravure de première page.)_ + +La rencontre, à Berlin, à l'occasion du mariage de la princesse +Victoria-Louise de Hohenzollern avec le prince Ernest-Auguste de +Cumberland, du tsar Nicolas et du roi George V, a fourni au photographe +de la cour allemande l'occasion d'un très curieux cliché, que nous +reproduisons, et qui montre côte à côte les deux souverains russe et +anglais, l'allié et l'ami de la France. + +Le tsar porte l'uniforme de colonel de son régiment de hussards +prussiens. Le roi de Grande-Bretagne et d'Irlande a revêtu la grande +tenue de colonel du régiment de cuirassiers prussiens dont il est le +chef honoraire. Sur la poitrine de chacun d'eux pend, en sautoir, le +grand collier de l'Aigle noir. + +Mais ce qui frappe surtout dans ce cliché, c'est la saisissante +ressemblance des deux souverains, qui a été maintes fois signalée, et +qui inspire encore, en cette circonstance, à un journal illustré +allemand, _l'Illustrirte Zeitung_, un amusant croquis fantaisiste: dans +la salle des réceptions, l'un des deux sosies s'avance, en uniforme tout +constellé d'ordres. Et l'empereur de se pencher vers le chambellan de +service: «Est-ce le tsar ou bien le roi?» + +[Illustration: UNE APPARITION INATTENDUE AUX GRANDES MANOEUVRES +NAVALES.--Felouque passant à toutes voiles à travers les lignes de +l'escadre. _Dessin d'Albert SÉBILLE, à bord du torpilleur_ Spahi.] + +[Illustration: UNE GRANDE OEUVRE LYRIQUE A L'OPÉRA-COMIQUE.--Mme +Marguerite Carré et M. Rousselière au premier acte de _Julien_. _Dessin +de J. SIMONT._] + +_Julien_, le poème lyrique que l'Opéra-Comique vient de nous révéler, va +encore ajouter à la gloire de Gustave Charpentier qui, depuis le succès +triomphal de _Louise_, se taisait dans la retraite et le recueillement. +Déjà cette oeuvre apparaît incontestablement comme un autre +chef-d'oeuvre. On y retrouve, développé, amplifié, le thème esquissé +dans cette _Vie du Poète_ qui fut, on s'en souvient, le premier envoi de +Rome du jeune compositeur. Dans ce nouveau drame musical, d'une +puissante originalité, le rêve est aux prises avec la vie. On y voit, +d'étape en étape, l'artiste vibrer d'enthousiasme pour la Beauté, douter +de soi-même et d'autrui, éprouver l'impuissance de l'effort, demander +enfin à l'ivresse les illusions qui l'ont abandonné. Ses visions +intérieures s'extériorisent et l'accompagnent quand, s'évadant de +lui-même, il demande en vain la paix et l'oubli à la nature, ou cherche +à s'étourdir parmi la foule frénétique des faubourgs. Ces sentiments +contradictoires, ces situations qui s'opposent, ce mélange de +matérialisme et d'idéal, ces aspirations d'amour et de gloire, ces +espoirs suivis de désenchantements, ces beaux élans d'une âme ardente, +généreuse, passionnée, errant parmi les paysages du monde réel et +chimérique, sont exprimés avec une grandeur, une noblesse, une +spontanéité, un lyrisme profondément émouvants. Cette oeuvre magistrale, +superbement présentée par l'Opéra-Comique, réunit la plus parfaite +interprétation qu'on pût lui souhaiter. Mme Marguerite Carré et M. +Rousselière en sont les magnifiques protagonistes et, à côté d'eux, tous +les artistes de la maison ont mis tout leur talent à servir la pensée de +l'auteur. + + + +[Illustration: Consécration du temple de Nogi par les prêtres du shinto +en présence des premiers personnages de l'armée et de la marine.] + +NOGI DIVINISÉ + +_Selon les traditions de la religion des grands hommes, au Japon, le_ +shinto, _un temple a été consacré à l'illustre général Nogi gui se +suicida pour ne point survivre à son empereur. Sur cette dédicace du +Nogi-Jinja, et les antiques coutumes qu'il évoque, notre correspondant +de Tokyo, M. J.-G. Balet, nous a adressé les intéressantes notes qui +suivent:_ + +HITO WA BUSHI, HASSA WA SAKURA + +_L'homme (par excellence) est le samurai, (comme) la fleur (par +excellence) est celle du cerisier._ + +Officiellement, Nogi est entré dans l'Olympe japonais; il a maintenant, +sur terre, son premier temple, un temple qui porte son nom, tout +simplement: _Nogi-Jinja_. Inutile d'ajouter qu'il a de très nombreux et +très fervents adorateurs, _more japonico_, comme le montrent nos +photographies. + +On s'est souvent demandé ce qu'était la religion du Japon, le _shinto_, +ou voie des dieux. Elle tient tout entière, ou presque, dans la +cérémonie l'hier. Répétez-la des milliers de fois, à travers les âges, +en l'honneur des hommes qui ont bien mérité de la nation et vous aurez +la vraie notion du _shinto_. + +Les templicules qui se cachent dans les bosquets touffus de la plaine, +par centaines et par milliers, au flanc des montagnes, à l'abri des +arbres séculaires, sur le bord des torrents, les sanctuaires plus +majestueux d'Isé, de Dazaifu, d'Ikuta, etc., tous sont dédiés à la +mémoire d'un Nogi quelconque des temps préhistoriques ou historiques, ou +bien à la mémoire des empereurs défunts, mais pour des raisons +identiques. + +Du temple, ils ne méritent même pas le nom. Ils sont d'une simplicité +rustique qui rappelle le toit domestique. Un portique de pierre ou de +bois en marque l'entrée. Ils sont vides. Parfois un autel de bois +supporte le miroir, le joyau sacré et les _gohei_ en papier, symboles du +shintôïsme. + +Le _shinto_ est le culte des grands hommes, réels ou imaginaires, qui +ont joué un rôle plus ou moins grand dans l'histoire nationale. Nous les +avons appelés _dieux_. Dieux, si l'on veut, à condition de ne pas +attacher à ce mot un sens transcendantal, moins même que pour les dieux +de la Grèce et de Rome, qui symbolisaient souvent des idées abstraites, +concrétisées dans des personnages de convention. + +La plupart des dieux du _shinto_ ont été des hommes réels, par +conséquent des amis, des frères de tous les Japonais passés, présents et +à venir. La foule simpliste les vénère, les adore, les prie, croit à +leur intervention bienveillante en faveur du sol où ils vécurent et de +ses destinées. Ce culte, plus généralisé, n'est autre que le culte des +ancêtres. Aussi bien, chaque famille possède un petit sanctuaire +intérieur ou extérieur où sont déposées les tablettes ancestrales. + +[Illustration: La foule admise à faire ses premières dévotions au temple +de Nogi.] + +Le _Nogi-Jinja_, dédié à la mémoire du héros de Port-Arthur, n'est pas +autre chose. Durant sa vie, le général y remémorait ses ancêtres. Le +dernier rejeton de la famille étant mort, le templicule a pris le nom du +plus illustre des Nogi, et désormais c'est la foule qui viendra évoquer +l'âme de cet homme devenu dieu et invoquer sa protection. + +Ce temple s'élève dans l'enceinte de la petite propriété dont, par +testament, le général fit don à la ville. La maison de Shinzaka machi +qui vit le suicide émouvant du _dernier des samurais_, de _l'incarnation +vivante du Bushidô_, est restée telle qu'au jour du drame. Les murs de +la petite chambre du deuxième étage, dans la maisonnette de style +européen, sont encore tachés du sang de Nogi. De petits écriteaux cloués +sur chaque porte disent: «Chambre de repos de Mme Nogi. Chambre du +suicide de Mme Nogi!» Et je remarque que devant cette chambre un groupe +serré d'étudiantes se prosterne. Quelques-unes pleurent de vraies +larmes. + +J'aperçois le général Teranchi, profondément incliné devant la chambre +où le général s'ouvrit le ventre. + +Aujourd'hui, jour de la dédicace, les fenêtres et les portes sont +ouvertes. Demain elles seront refermées, en attendant que la +municipalité ait pris les mesures nécessaires à la conservation des +nobles reliques, tout en assurant la liberté de les voir. + +La foule se presse au fond du jardin. Là, un carré de 400 mètres +conserve encore des traces de travail, des sillons couverts d'herbes +mortes. Dans un coin, une bêche, des râteaux, instruments dont se +servait le guerrier pour cultiver ses pommes de terre. Quelques-unes ont +survécu à celui qui les planta. Elles hasardent timidement quelques +tiges au dehors, tout comme les fameux _kakis_, plantés par la comtesse +Nogi à la naissance de chacun de ses fils, «afin que, devenus de beaux +arbres, ses bien-aimés en pussent cueillir les fruits». Hélas! les +arbres fleuriront, porteront des fruits, mais eux ont engraissé de leur +sang les collines de Port-Arthur et de Nanshan. + +Ah! que je préfère ce rustique _jinja_ aux horribles statues de bronze +qui commencent à grimacer un peu partout à travers les érables et les +cerisiers, en l'honneur d'autres dieux analogues: le grand Jaïgo, à +Meno, le célèbre Hirosé, du blocus de Port-Arthur, et une foule d'autres +qui déshonorent l'entrée du Shôkou-sha de Kudar, où reposent les cendres +des guerriers morts pour la patrie. Nogi n'échappera pas à la +statuomanie, maladie aiguë des Japonais modernes qui commencent à élever +des monuments à des personnages vivant encore. + +Si la statue arrive à tuer le _jinja_, mauvais présage pour le Japon! + +J.-C. BALET. + + + +LA CONVALESCENCE DE PIE X + +Pie X va beaucoup mieux. Le souverain pontife est en pleine +convalescence. Il a fini par triompher de son long et redoutable +affaiblissement. Il a recommencé de s'occuper personnellement des +affaires de l'Église. Il a donné quelques audiences. Et même, on l'a vu +réapparaître tout récemment sur un balcon du Vatican, entouré des hauts +dignitaires de la cour pontificale, pour bénir un pèlerinage de 2.500 +personnes qui attendaient, agenouillées au-dessous, dans la cour +Saint-Damase, la vision blanche du pontife ressuscité. + +Car vraiment c'est presque d'une résurrection qu'il s'agit ici. La +maladie de Pie X avait, à juste titre, fait naître les plus immédiates +inquiétudes. Le fragile vieillard, presque octogénaire, goutteux, +arthritique, cardiaque, est, en outre, atteint d'artério-sclérose, et +l'on n'osait guère espérer qu'il offrirait assez de résistance physique +pour triompher d'un mal opiniâtre qui affirma sa ténacité pendant de +longues semaines. Mais, décidément, l'heure mortelle du blanc vieillard +n'était point encore venue; la flamme vacillante s'est ranimée, et, de +nouveau, monte droite et claire. Pie X, notre photographie en témoigne, +est apparu à la vénération enthousiaste des pèlerins, avec son visage +accoutumé, empreint de douceur grave, mais plus pâle, allongé, émacié; +la silhouette, maigrie, paraît moins terrestre; le regard, pensif et +profond, semble encore fixé sur une vision de l'au delà. + +Groupés autour de Pie X, les cardinaux, les prélats familiers, les +officiers pontificaux, les gardes nobles de service, paraissent tout +heureux de cette «première sortie» en public du pape convalescent. + +Et, dès lors, sont interrompues pour un temps, entre prophètes de +conclave, les discussions sur les cardinaux «papables». Le pape va +mieux. Pie X continue son règne. + +[Illustration: LA GUÉRISON DE PIE X.--Le souverain pontife se montre, le +29 mai, aux pèlerins réunis dans la cour Saint-Damase. _Phot. G. +Felici._] + + + +Sir Edward Grey. + +LA PAIX ENTRE LA TURQUIE ET LES ÉTATS DES BALKANS.--Les +plénipotentiaires A la droite de sir Edward Grey, les plénipotentiaires +turcs; à sa gauche, les plénipotentiaires grecs; à l'extrémité de la +table, M. Danef écrivant, entouré des plénipotentiaires bulgares seul +signent, à cinq exemplaires, le traité de Londres, le 30 mai, dans la +salle des Portraits du palais de Saint-James. _Dessin de S. Begg, de +l_'Illustrated London News. + +Viennent ensuite, de droite à gauche, en face de sir Edward Grey, les +plénipotentiaires monténégrins et les plénipotentiaires serbes. A droite +du dessin, en groupes distincts, les secrétaires, admis dans la salle +pendant cette séance historique. + +Le vendredi 30 mai, un peu après midi et demi, les plénipotentiaires de +la Turquie et ceux des États balkaniques, réunis sous la présidence de +sir Edward Grey, ministre des Affaires étrangères de Sa Majesté +Britannique, dans la salle des Portraits, au palais royal de +Saint-James, signaient le traité de paix qui met fin définitivement, il +le faut espérer, aux hostilités commencées au mois d'octobre dernier. + +Cinq exemplaires du «traité de Londres» avaient été préparés. +Successivement, les représentants des puissances naguère belligérantes y +apposèrent leurs signatures. Puis sir Edward Grey se leva et, en +français, prit la parole: «D'ordre du roi, mon auguste souverain, je +m'empresse de vous assurer de la vive satisfaction avec laquelle Sa +Majesté apprendra la nouvelle de la signature de la paix que vous venez +de conclure en son palais de Saint-James. Au nom du gouvernement +britannique, je vous prie d'agréer mes plus cordiales félicitations... +Certes nous n'ignorons pas que diverses questions demeurent, après cette +paix, en suspens; mais j'aime à espérer que la signature même de ce +traité facilitera leur règlement; qu'elle consolidera votre amitié +réciproque et fortifiera la bienveillance que les puissances vous ont +vouée. De tout mon coeur, je fais des voeux pour que de la paix ici +conclue résulte un complet apaisement qui permette à chacun des États en +présence de réparer ses forces si fortement éprouvées, développer ses +territoires, assurer le bien-être et le bonheur de son peuple et la +prospérité de sa vie nationale.» + +Il faut souhaiter ardemment que les espoirs exprimés par sir Edward Grey +se réalisent complètement. Pourtant, si les délégués ottomans, grecs, +serbes, ont adhéré sans restriction aux paroles du ministre des Affaires +étrangères, M. Danef, au nom du gouvernement bulgare, M. Popovitch, au +nom du gouvernement monténégrin, dans les allocutions qu'ils ont +prononcées pour remercier le roi George et son gouvernement, n'ont pu se +tenir de faire des réserves quant aux conditions qu'ils venaient +d'approuver de leur seing. Même, après la conclusion officielle de la +paix, la discussion s'est prolongée. Et les délégués serbes, grecs et +monténégrins ont refusé de signer sur-le-champ un protocole additionnel +que leur soumettaient les Bulgares. + +[Illustration: Le palais de l'Elysée vu de la place Beauvau. A gauche, +façade sur la rue du Faubourg-Saint-Honoré avec le porche d'entrée +ouvrant sur la cour d'honneur; à droite, côté de l'avenue de Marigny.] + + + +LE PALAIS DE L'ELYSÉE + +_L'Elysée, palais des présidents de la République française, est un +monument discret, pourrait-on dire, et devant lequel le passant éprouve +plus de curiosité que d'admiration. Ce n'est pourtant point une bâtisse +vulgaire: seule l'exiguïté de l'espace vide qui l'entoure et la +simplicité des murs ou des grilles qui protègent son parc lui valent +cette renommée sans éclat. Vertes, l'Elysée, ce n'est pas le Louvre et +son parc, ce n'est pas les Tuileries, mais ce palais clos et caché +renferme des beautés dont l'existence mérite d'être rappelée de temps en +temps au public oublieux. L'installation de M. Raymond Poincaré dans le +palais de l'Elysée nous a semblé motiver suffisamment la publication +d'une série de documents sur ce monument. Ces documents sont de deux +sortes: d'une part M. Marc Varenne, qui fut le chef du secrétariat +particulier de M. Fallières, a résumé pour nous l'historique du palais, +et nous avons nous-mêmes réuni quelques renseignements sur son +utilisation actuelle; d'autre part nous avons fait prendre plusieurs +vues en couleurs des principaux salons, cabinets ou façades de la +demeure de nos chefs d'État, on les voit reproduites aux pages +suivantes. Cette partie de notre travail sur le palais national est +absolument nouvelle et originale, et l'on peut juger que nos +collaborateurs ont pleinement réalisé le projet que nous avions formé de +composer, par l'image, une documentation inédite, à la fois historique +et artistique, sur le palais de l'Elysée._ + +L'HISTOIRE DE L'ELYSÉE + +En 1718, le bruit se répand à la cour qu'un des favoris du Régent, Henri +de La Tour d'Auvergne, comte d'Évreux, troisième fils du duc de +Bouillon, va épouser la fille du financier Crozat, un ancien commis +devenu par la suite caissier du clergé et fondateur de la Compagnie de +Louisiane. Le comte d'Évreux, criblé de dettes et n'arrivant pas à payer +sa charge de colonel général de la cavalerie, s'est alors résolu, comme +le dit Saint-Simon, «à sauter le bâton de la mésalliance» et, dès le +mariage conclu, avec l'argent du père Crozat, il achète hors Paris, sur +le chemin de Neuilly, une trentaine d'arpents en jardins et marais sur +lesquels l'architecte Molé lui construit un magnifique hôtel. + +Henri de La Tour d'Auvergne meurt avant de voir cette résidence achevée +et il la laisse à un de sus neveux, le prince de Turenne, lequel déclare +immédiatement se trouver dans l'impossibilité de la conserver. + +Or, la marquise de Pompadour a une envie folle de l'hôtel d'Évreux: +voilà plusieurs mois qu'elle convoite cette fastueuse installation dont +la situation admirable lui plaît infiniment. La marquise, d'ailleurs, ne +cesse pas d'acquérir des propriétés nouvelles. Elle possède déjà les +châteaux de Crécy et de la Celle, ainsi que ses ermitages de Versailles, +de Fontainebleau et de Compiègne, tout cela ne lui suffit point; elle +achète l'hôtel d'Évreux pour 730.000 livres, y appelle aussitôt une +légion d'ouvriers et d'artistes, entasse dans ses nouveaux salons un +mobilier d'une richesse inouïe et tapisse les murailles avec les +Gobelins que Sa Majesté a eu la gracieuseté de lui faire envoyer. Le +peuple chansonne la prodigalité de la marquise, les épigrammes pleuvent +et l'on affiche des placards critiquant les dépenses exagérées de la +favorite. Celle-ci ne se laisse pas émouvoir; elle poursuit son oeuvre, +embellit l'hôtel d'Évreux et, en dernier lieu, agrandit d'un coup les +jardins potagers qui s'étendent jusqu'aux avenues Montaigne et Matignon +actuelles. + +Obligée de quitter le moins possible Versailles, afin de ne pas voir +diminuer son crédit auprès de son royal amant, la marquise de Pompadour +ne s'attarde guère à l'hôtel d'Évreux, elle ne peut y effectuer que des +séjours de courte durée, mais elle garde une prédilection particulière +pour cette résidence et à sa mort elle la lègue, par testament, au roi +pour le comte de Provence. + +Louis XV désintéresse M. de Marigny, frère de la marquise, et décide que +l'hôtel d'Évreux sera réservé désormais aux ambassades extraordinaires +logées souvent à l'hôtel Pontchartrain, rue Neuve-des-Petits-Champs. +L'administration du Garde-Meuble de la couronne s'empare bientôt de +l'hôtel qui n'abrita point d'ambassade et elle le conserve jusqu'au +moment où le gouvernement, ayant besoin d'argent, le cède au fameux +banquier Beaujon qui l'accepte sans difficulté en échange de ses grosses +créances. + +Beaujon, homme d'affaires consommé mais vaniteux et possédé de la manie +du faste, amoncelle dans cette demeure dont il est si fier une quantité +énorme d'objets d'art, de tableaux, de meubles et de livres. + +Louis XVI rachète l'hôtel dont Beaujon se réserve l'usufruit et à la +mort de ce dernier--cinq mois après la conclusion de ce contrat--il +dispose de cette propriété en faveur de la duchesse de Bourbon. + +Imbue des idées à la mode, cette princesse bouleverse les jardins et +change les majestueux parterres à la française en parc anglais et donne +à l'hôtel le nom d'Elysée qu'il porte aujourd'hui. Voyant que les choses +se gâtent, la duchesse prend vite le parti d'émigrer et elle loue +l'Elysée à un sieur Hovyn, sorte d'imprésario et entrepreneur de fêtes +publiques qui transforme l'Elysée, devenu _Hameau de Chantilly_, en bal +populaire où la foule se presse autour d'attractions diverses. Hovyn a +eu là un trait de génie et la réussite est complète. Le Hameau de +Chantilly ne désemplit, pas; selon la formule, on refuse du monde et, en +l'an VI, Hovyn se hâte de se rendre propriétaire de l'immeuble vendu +comme bien national. + +Malheureusement le propre de la vogue c'est de n'avoir qu'un temps et le +Hameau de Chantilly voit sa faveur décroître. Malgré la beauté de ses +ombrages, le jardin n'attire, plus autant le public; la mode en a décidé +autrement. Les soldats du général Bonaparte ont apporté d'Italie le goût +des glaces à la vanille et ce sont les pâtissiers-glaciers qui, à cette +heure, font fortune. Mlle Hovyn, qui a succédé à son père, s'obstine +cependant durant quelques mois et tâche d'attendre des jours meilleurs +en vivant au moyen des loyers que lui paient les locataires. L'hôtel est +en effet divisé en quinze appartements et l'un d'eux est habité par M. +de Vigny, dont le petit garçon, Alfred--le futur auteur d'_Eloa_--joue +sur les pelouses du jardin: mais Mlle Hovyn se rend compte que lutter +est impossible, la concurrence est la plus forte, il lui faut vendre +l'établissement. Le moment est favorable: nous sommes en 1805, et une +société nouvelle est en train de se reconstituer sur les ruines de +l'ancienne noblesse. Un premier acquéreur se présente dans la personne +de Louis Bonaparte, connétable de l'Empire. Effrayé par le prix, il +préfère se retirer et laisse le champ libre au maréchal Murat, +gouverneur de Paris, qui s'est mis en tête de quitter le quartier de +Notre-Dame-de-Lorette. Murat, séduit par l'idée d'habiter dans +l'aristocratique faubourg Saint-Honoré, finit, après d'assez longs +pourparlers, par se décider, et l'Elysée est à lui moyennant un million. + +L'Elysée a un besoin urgent de réparations indispensables. Ces derniers +quinze ans l'ont très abîmé, et le premier soin de Murat est de charger +Percier et Fontaine de mettre le palais en état. (C'est à cette époque +qu'a été construit l'escalier d'honneur.) Quand l'empereur appelle Murat +au trône de Naples, l'Elysée fait retour à la couronne, et Napoléon +affectionne bientôt cette demeure tranquille, enveloppée par une +ceinture de jardins, où il lui est loisible, en plein Paris, de se +reposer des lourds soucis du pouvoir. Aussi s'empresse-t-il, en décembre +1809, au moment de son divorce, de comprendre l'Elysée, dont il a +apprécié le charme doux et paisible, dans les palais affectés dorénavant +à l'impératrice Joséphine. Le 30 janvier 1810, il lui écrit: «Je te +saurai avec plaisir à l'Elysée et fort heureux de te voir plus souvent, +car tu sais combien je t'aime», et, le 3 février: «J'ai fait transporter +tes effets à l'Elysée; sois tranquille et contente et aie confiance +entière en moi.» + +L'Elysée a été le dernier palais impérial de Napoléon. + +Presque jour pour jour, un an après l'abdication de 1815, le duc et la +duchesse de Berry s'installent à l'Elysée. Ils mènent là une existence +charmante, exempte de l'étiquette insupportable des Tuileries, et se +plaisent à la conversation spirituelle de leurs familiers et notamment +de leur premier aumônier, le marquis de Montebello, ancien maréchal de +camp, qui ne craint pas de se mettre au piano pour faire danser +l'entourage du duc et de la duchesse. Le 29 janvier, écrit la comtesse +de Boigne, «un bal magnifique et profondément ordonné a lieu à l'Elysée. +Le prince en fit les honneurs avec bonhomie et obligeance.» Quelques +jours après, le prince est assassiné par Louvel, et la duchesse quitte +l'Elysée. + +Sous la monarchie de Juillet, le palais voit tour à tour défiler une +foule de personnages et de souverains qui viennent rendre visite au roi +des Français: Mehemet Ali et la reine Christine, le bey de Tunis, la +duchesse de Kent, etc.. + +Un décret de l'Assemblée Constituante de 1848 assigne l'Elysée comme +résidence au président de la République, et le prince Louis-Napoléon +Bonaparte s'y installe en 1850. + +Après la proclamation de l'Empire, quand Napoléon III s'est résolu à +habiter les Tuileries, l'Elysée s'agrandit grâce à l'acquisition des +hôtels Sébastiani et Castellane. L'architecte Lacroix construit une aile +destinée aux appartements particuliers du chef de l'État et il surélève +en outre les bâtiments qui donnent sur le faubourg Saint-Honoré et sur +la cour d'honneur. + +Au moment des fiançailles officielles de Mlle de Montijo avec +l'empereur, l'Elysée abrite durant quelques jours la future impératrice, +et lors des Expositions il est utilisé comme palais des Souverains. + +Depuis 1873, l'Elysée est affecté à la résidence du président de la +République. + +MARC VARENNE. + + + +L'ELYSÉE EN 1913 + +L'aménagement intérieur du palais de l'Elysée n'a guère changé au cours +de ces dernières années. Le même mobilier Empire occupe et décore les +mêmes salles. Quelques transformations ont bien été apportées par le +président Sadi Carnot et par le président Félix Faure; mais, depuis +lors, tout ou presque tout est resté intact et pareil. La destination +des principaux salons et cabinets n'a guère varié non plus. + +Nous allons parcourir rapidement tout le rez-de-chaussée du palais, en +suivant un itinéraire naturel qui est celui du visiteur entrant par le +vestibule d'honneur. Ce vestibule ouvre sur la cour d'honneur. Du porche +du faubourg Saint-Honoré, auquel il fait face, les passants peuvent +l'apercevoir, ainsi que le perron qui y conduit, ainsi que les vérandas +et les verrières qui, aux jours de cérémonie, reçoivent un vêtement, de +tentures et de draperies. + +[Illustration: Façade sur le jardin] + +[Illustration: LE PALAIS DE L'ELYSÉE.--Grande salle à manger. (Au fond, +statue d'Hébé par Marqueste.)] + +[Illustration: Cabinet du Président de la République.] + +[Illustration: Cabinet du Secrétaire général civil. Tapisserie des +Gobelins: _Hiver_, d'après Pierre Mignard.] + +[Illustration: Cabinet du Conseil des Ministres.] + +[Illustration: Salon de l'Hémicycle. Ecran en tapisserie de Beauvais.] + +[Illustration: LE PALAIS DE L'ELYSÉE.--Grande salle des Fêtes, tendue de +tapisseries des Gobelins.] + +[Illustration: Salon Murât. Peinture de Carle Vernet représentant «la +Résidence du prince Murat, grand-duc de Berg».] + +[Illustration: Grand Salon de réception, (sièges et écrans en tapisserie +de Beauvais; tapis de la Savonnerie.)] + +[Illustration: LE PALAIS DE L'ELYSÉE.--Salon de l'Hémicycle: _le +Jugement de Pâris_, d'après Raphaël (tapisserie des Gobelins).] + +Le vestibule d'honneur franchi, nous nous trouvons dans le Salon des +Tapisseries, ainsi nommé à cause des beaux Gobelins qui en ornent les +murs. Nous pénétrons ensuite dans le Salon Blanc ou Salon des Aides de +camp. Cette seconde dénomination lui aurait été donnée au temps du +Prince-Président, dont les aides de camp avaient coutume de se tenir là. +C'est un salon clair, peu orné, tout garni de boiseries blanches. + +Passons maintenant dans le Grand Salon de réception, ou Salon des +Ambassadeurs, qui est représenté à la page précédente. C'est ici que les +ministres des puissances étrangères s'entretiennent d'ordinaire avec le +président de la République, soit qu'ils viennent lui présenter leurs +lettres de créance ou de rappel, soit qu'ils assistent à une cérémonie +officielle. Le Salon de l'Hémicycle, qu'on voit sur cette même page en +couleurs, lui est contigu. Plus loin, se trouve la Salle du Conseil des +ministres, dont la cheminée supporte des bronzes noirs et dorés d'un +grand effet et qui, débarrassée de sa sévère table au tapis vert, est +réservée, les jours de réception, comme tous les salons précédents, aux +invités du président de la République. Attenant à la Salle du Conseil +des ministres, voici un salon plus étroit, le Salon de Cléopâtre, qui +tire son nom du sujet de sa tapisserie, et où les personnes ayant obtenu +audience attendent le moment d'être reçues par le chef de l'État. + +Si nous traversons de nouveau, mais en sens inverse, tous ces +appartements, nous nous trouvons dans le Salon Murat, aux vastes +dimensions, dont la perspective est prolongée par d'immenses glaces et +qui fut construit pendant le séjour du prince Murat au palais. Tout près +est la Grande Salle à manger (voir la première page en couleurs) qui +reçoit jusqu'à cent convives. Elle est de construction assez récente; on +la transforme en buffet les soirs de réception. Les appartements privés +de M. le président de la République comprennent une autre salle à +manger, de dimensions plus réduites. + +Le Jardin d'Hiver est parallèle à la Grande Salle à manger, et la Salle +des Fêtes leur est perpendiculaire. Cette Salle des Fêtes fut construite +par ordre de M. Sadi Carnot. Auparavant on dressait, les soirs de bal à +l'Elysée, une immense tente provisoire sur l'emplacement de la salle +actuelle. Elle est, cette Salle, surchargée d'ornements et de dorures; +le plafond est un chaos de reliefs et de creux rutilants. + +Au-dessus de ces vastes appartements du rez-de-chaussée, qui sont dits +«officiels», se trouvent les appartements privés du président de la +République qui comprennent aussi plusieurs salons de réception. Dans +notre photographie du parc, où le Palais s'aperçoit au fond, entre les +arbres, ces appartements privés sont ceux du premier étage. + +Revenons dans le vestibule d'honneur--où commence le grand escalier à la +rampe composée de longues palmes de cuivre--et pénétrons, à gauche, dans +le Cabinet de service des officiers. Aux murs, plusieurs toiles, dont +une _Charge de cuirassiers_, d'Aimé Morot, et _Un homme à la mer_, de +Léon Couturier. A côté est le cabinet du secrétaire général militaire, +le général Beaudemoulin, puis le cabinet du président de la République, +que nous montrons plus haut, avec ses boiseries blanches, sa +bibliothèque mi-circulaire, en acajou, remplie de livres aux reliures +sévères, cuir et or. Deux fenêtres ouvrant sur le parc l'éclairent. +Enfin voici le cabinet du secrétaire général civil, M. Pichon, dont un +des murs, formant rotonde, est orné de la tapisserie de Pierre Mignard, +que nous avons photographiée. + +Nous sommes, là, sur la rue de l'Elysée. L'aile du bâtiment se prolonge +entre cette voie et le parc. C'est à l'extrémité de cette aile que se +trouvent le Salon d'Argent et un autre Salon qu'on appelait +familièrement naguère le «capharnaüm», parce qu'on l'utilisait peu. Ces +deux salons ont été tout récemment restaurés et M. Raymond Poincaré se +plaît à y travailler et à y recevoir quelquefois. Ils ouvrent aussi sur +le rectangle du parc qu'enferme cette partie du palais et qui forme un +petit jardin à la française agréablement fleur. + +Le général Beaudemoulin est secrétaire général militaire de la +présidence de la République et chef de la maison militaire du président. +Le secrétaire général civil est M. Pichon. Le chef du secrétariat +particulier, M. Gras. La maison militaire se compose de MM. le capitaine +de vaisseau Grandclément, le colonel Boulanger, le lieutenant-colonel +Aldebert, le lieutenant-colonel Pénelon et le commandant Aubert. Le +commandant du palais est le lieutenant-colonel de gendarmerie Jouffroy. + +On peut diviser le personnel ordinaire de l'Elysée en trois catégories. +M. Perrin, chef des services intérieurs, a d'abord sous ses ordres un +personnel chargé de l'entretien du mobilier, du chauffage, de +l'éclairage, du nettoyage, etc., et qui dépend de l'administration des +Beaux-Arts. L'entretien du monument proprement dit est confié aux +services de l'architecture. M. Guillaume Tronchet, architecte en chef +des palais nationaux, a un bureau à l'Elysée. + +La seconde catégorie du personnel concerne la surveillance. Elle est +composée de surveillants militaires des palais nationaux, qui dépendent +aussi de l'administration des Beaux-Arts; ce sont de vieux soldats, +coiffés du bicorne et portant l'épée, les mêmes que ceux qui veillent à +la porte de nos musées. Viennent ensuite les portiers, aux uniformes +noirs avec de minces galons d'or. La garde militaire comprend un +détachement de gardes républicains chargés de la protection intérieure +et d'un détachement d'infanterie, chargé également de la protection +intérieure et, en outre, de rendre les honneurs au président à sa sortie +du palais et à son retour. + +Il y a enfin le personnel d'antichambre et d'écurie, lequel est +entièrement rétribué sur la cassette personnelle du président. Le +service d'antichambre est sous la direction du maître d'hôtel; il est +composé de valets de pied, de cuisiniers, d'huissiers, de garçons de +bureau, etc. Le personnel d'écurie est sous la haute surveillance d'un +officier de cavalerie de la maison militaire, en ce moment le +lieutenant-colonel Aldebert. Le premier cocher, M. Decaux, est en même +temps piqueur. Il y a dans les écuries, remises et garages de l'Elysée, +six chevaux, deux voitures et deux automobiles. + +Une de nos photographies représente le parc. Cette vue est prise de la +partie des jardins qui avoisine les Champs-Elysées. Les parterres sont +dessinés à la française. De beaux arbres ombragent les allées. M. le +président de la République accomplit autour des pelouses sa promenade +quotidienne. Il marche d'un pas pressé, jetant de temps à autre un +regard au ciel, aux feuillages ou aux fleurs, mais le plus souvent +étudiant un des dossiers dont il est toujours muni. L'indiscrétion d'un +vieux jardinier--qu'on lui pardonne!--qui est le seul témoin de ces +promenades studieuses nous a fait connaître cette habitude de M. Raymond +Poincaré: «Ah! disait le vieillard ami des fleurs, quel homme que M. le +président! Que peut-il bien avoir dans la tête? Je ne le regarde pas, +bien sûr, mais je le vois tout de même... Eh bien, quand il descend, +après son déjeuner, il a la poche droite de son veston toute bourrée de +paperasses. Et le voilà qui commence à marcher vite, vite, autour des +pelouses, et, tout en marchant, il plonge sa main dans sa poche droite, +en tire un papier, le lit, parfois écrit quelque chose dessus, toujours +sans s'arrêter, puis enfonce le papier dans la poche gauche pour en +reprendre aussitôt un autre dans la poche droite. Et quand, sa promenade +terminée, il regagne son cabinet, la poche droite est vide et la poche +gauche est pleine... Mais qu'est-ce que M. le président peut bien avoir +dans la tête pour travailler comme ça, tout le temps?...» + +Et le vieux jardinier croisait les bras pour témoigner de sa surprise et +de son émerveillement. + +J. L. + +[Illustration: Plan du rez-de-chaussée du palais de l'Elysée. Sur ce +plan ne figure pas le corps de bâtiments bas qui précède la cour +d'honneur, sur la rue du Faubourg-Saint-Honoré, qui ne comprend que les +postes de garde et de surveillance, des bureaux, et des services +subalternes.] + + + +[Illustration: A l'aéro-parc de Lamotte-Breuil: le ballon _Icare_ prêt +pour le départ. On remarque le parachute équatorial légèrement soulevé +par le vent.] + +A 10.000 MÈTRES D'ALTITUDE + +_Le_ Zénith, _parti de la Fillette le 18 avril 1913, atterrissait trois +heures plus tard près de Biron (Indre). Les 8.600 mètres d'altitude +atteints au cours de l'ascension coûtaient la vie à Sivel et à Crocé +Spinelli; seul, Gaston Tissandier, effroyablement éprouvé, échappait à +la mort. Le 28 mai 1913, le ballon_ Icare, _ayant à bord MM. Bienaimé, +Jacques Schneider et Albert Senouque, parti de Lamotte-Breuil (Oise), +atterrissait cinq heures plus tard, ayant dépassé 10.000 mètres +d'altitude. L'équipage n'avait nullement souffert. Avec quel matériel, à +l'aide de quels instruments, comment, en un mot, est-il possible +aujourd'hui de franchir le cap des 10.000 mètres sans accident, quelles +sont les conséquences physiologiques de pareilles ascensions, l'un des +trois aéronautes de l'_Icare, _M. Maurice Bienaimé, va nous le dire:_ + +Nous disposions pour cette ascension d'un ballon de 3.500 mètres cubes +en tissu caoutchouté, gonflé à l'hydrogène pur. + +Pour qu'un aérostat puisse gagner la haute atmosphère, il faut disposer +de la presque totalité de sa force ascensionnelle, autrement dit il faut +jeter tout le lest. Mais un ballon qui regagne les couches inférieures +de l'atmosphère a une tendance à accélérer sa descente pour deux raisons +distinctes: le gaz contenu dans l'enveloppe se contracte sous la +pression atmosphérique grandissante; de plus, il est soumis aux lois de +l'accélération de la pesanteur. D'où nécessité de garder une provision +de lest évaluée à 25 kilos par 1.000 mètres d'altitude, soit 250 kilos +pour modérer une descente de 10.000 mètres. + +[Illustration: La nacelle de l'_Icare_ et les trois aéronautes. M. +Senouque, encore hors de la nacelle et tenant un baromètre enregistreur; +M. Schneider et M. Bienaimé dans la nacelle.] + +Afin de résoudre ce dilemme, nous avions muni notre ballon d'un +parachute équatorial. Le parachute équatorial se compose d'une bande +d'étoffe de 1 m. 25 de large, que l'on fixe autour du ballon à la +hauteur de l'équateur. Cette bande d'étoffe forme une sorte de +collerette dont le bord extérieur est rattaché à l'aide de cordelettes +aux mailles inférieures du filet. Lorsque l'aérostat est immobile ou en +ascension, l'étoffe pend verticalement; si un mouvement de descente se +produit, l'étoffe prend une position horizontale et s'ouvre comme un +vaste parapluie. La surface en était calculée de façon à délester le +ballon de 250 kilos pour une descente de 125 mètres à la minute. Ce qui +nous permettait de descendre presque sans lest. + +Nous emportions quatre appareils respiratoires, dont un de secours. Ces +appareils se composent d'un obus d'oxygène comprimé d'une capacité de +1.600 litres, d'un masque relié à l'obus par un tube métallique de 2 +mètres de long. Un premier manomètre indique la quantité de gaz contenue +dans le tube, et un deuxième manomètre, muni d'un détendeur, permet de +régler le débit qui peut varier de 2 litres à 10 litres à la minute. + +Au-dessus de 8.000 mètres d'altitude, on est appelé à rencontrer des +froids pouvant dépasser -40°. Le gaz contenu dans les obus, en se +détendant brusquement, se refroidit encore plus. Il est donc utile de +protéger les appareils contre le froid. Dans ce but, nous avions enfermé +les obus dans des boîtes remplies de sciure de liège et nous avions fait +garnir les masques de caoutchouc, afin que le métal ne nous brûle pas le +visage. + +Dans ce genre d'ascension, une des principales sources d'épuisement +réside dans la nécessité dans laquelle on se trouve de soulever +successivement les sacs de lest pour les vider par-dessus bord. +Au-dessus de 8.000 mètres, cet effort devient absolument épuisant. Afin +de remédier à cet inconvénient, nous avions fait attacher nos sacs de +lest à l'extérieur de la nacelle. Pour les vider, il suffisait de couper +une cordelette après laquelle ils étaient suspendus. Ils tombaient dans +le vide et une deuxième cordelette, préalablement attachée à leur fond, +les faisait basculer et se vider automatiquement. + +Pour déterminer l'altitude atteinte, nous emportions deux baromètres +Richard enregistrant sur noir de fumée, ainsi qu'un thermomètre et un +baromètre enregistreurs. Un dynamomètre à main pour mesurer la force +musculaire, un appareil photographique, des fourrures, complétaient +notre matériel. + +Pour effectuer notre tentative, nous recherchions un ciel sans nuages et +un vent excessivement faible. Dans les hautes régions de l'atmosphère on +est appelé à rencontrer des courants aériens qui atteignent des vitesses +dépassant 130 kilomètres à l'heure. Le 28 mai, par un temps idéalement +pur, nous décidons de partir. Après avoir fait sceller tous nos +appareils enregistreurs par M. Magne, ingénieur de la maison Richard, +nous nous élevons à 12 h. 16 de l'aéro-parc Clément-Bayard, à +Lamotte-Breuil. Un faible vent nous pousse vers le sud. Nous emportons +112 sacs de lest de 20 kilos environ chacun. Pour obtenir une montée +régulière et continue de 50 mètres à la minute, nous jetons un sac +toutes les deux minutes. + +Il est indispensable de s'élever très lentement, afin d'éviter toute +diminution brusque de pression. + +A 13 h. 18, nous atteignons 3.400 mètres et nous commençons à respirer +l'oxygène. A 14 h. 35, nous planons au-dessus de 7.000 mètres. Nous +dépassons une couche de cirri. A 15 heures, nous atteignons 8.000 +mètres. Nous sommes environnés par de légers flocons de neige. Le +thermomètre marque -10 environ. Nous continuons à monter et, à 15 h. 15, +nous dépassons 9.000 mètres. A 15 h. 32, je jette le 109e sac de lest +et, à 15 h. 36, nous atteignons notre altitude maxima. Nous planons à +10.081 mètres au-dessus de la sphère terrestre. + +Senouque essaie sa force au dynamomètre; alors qu'à terre l'aiguille +s'arrêtait à 105, elle dépasse maintenant 110. J'essaie à mon tour; +l'aiguille marque 155, alors qu'avant le départ elle n'indiquait que +140. Nos appareils débitent 5 litres d'oxygène à la minute et nous ne +sommes nullement incommodés par la raréfaction de l'air. + +Nous nous penchons sur le bord de la nacelle, la terre nous apparaît +parfaitement nette. Nous distinguons les villages, les routes, les +arbres qui les bordent et jusqu'à l'ombre qu'ils projettent. La surface +du globe nous semble légèrement concave. Notre regard embrasse un +panorama dont nous croyons pouvoir évaluer le diamètre à 250 kilomètres +environ. Au delà, la vue est limitée par un rideau de brume. Le +thermomètre est descendu à -18 degrés, mais l'absence totale de vent +nous rend cette température très supportable. Nous n'avons plus que +trois sacs de lest que nous conservons pour la descente, et notre +provision d'oxygène s'épuise rapidement. Aussi décidons-nous de +commencer à descendre. + +La manoeuvre de la soupape dans les hautes altitudes est très délicate. +Les ressorts qui actionnent les deux clapets sont constitués par six +élastiques Sandow; lorsque le froid devient intense, il est toujours à +craindre que le caoutchouc ne devienne cassant. Aussi, entr'ouvre-t-on à +peine la soupape, et n'est-ce pas sans une certaine angoisse que l'on +écoute si elle s'est bien refermée. De plus, il est indispensable +d'amorcer la descente par une rupture d'équilibre aussi faible que +possible. Une manoeuvre un peu brutale provoquerait une vitesse de chute +qui s'accélérerait et qu'il deviendrait impossible d'enrayer étant donné +le peu de lest dont on dispose. A 15 h. 40, je commence donc à soupaper +et, après dix minutes d'efforts, nous constatons un léger mouvement de +descente. A 16 h. 14, nous ne sommes plus qu'à 8.000 mètres. + +[Illustration: LE PREMIER CLICHÉ PHOTOGRAPHIQUE IMPRESSIONNÉ A PLUS DE +10.000 MÈTRES D'ALTITUDE Dans la nacelle de l'_Icare_: MM. Maurice +Bienaimé et Jacques Schneider, photographiés par leur compagnon, M. +Albert Senouque. Les aéronautes portent les masques respiratoires reliés +aux obus d'oxygène; on voit, à droite, fixé aux cordages, le baromètre +dont l'aiguille indique, sur le cylindre, l'altitude atteinte à ce +moment.] + +La descente s'accélère et nous voyons le parachute équatorial s'ouvrir +graduellement. 16 h. 20, et nous voici à 7.000. Les précédents mille +mètres ont été descendus en six minutes. C'est trop rapide. Nous jetons +un des trois sacs de lest qui nous restent. 16 h. 45. Nous voici à 5.000 +mètres environ. La contraction des gaz pendant la descente a fait +prendre à notre ballon une forme légèrement fusiforme et cette +déformation a sa répercussion sur le parachute, qui a des mouvements +ondulatoires inquiétants. A 3.000 mètres, nous quittons les masques +respiratoires. Nous nous rapprochons rapidement de la terre et, à 19 h. +5, nous nous apprêtons à effectuer l'atterrissage. Nous arrivons sur une +route; je jette le dernier sac de lest, les tubes d'oxygène, le sac à +bâche, pour essayer d'éviter les fils télégraphiques, mais en vain. +Ironie des choses, après nous avoir allègrement enlevés dans la haute +atmosphère, notre coursier est incapable de nous faire franchir un +obstacle de 3 mètres de haut. Après une courte lutte, les fils +télégraphiques et les branches d'arbres nous livrent passage et +l'atterrissage s'effectue sans encombre dans un champ voisin. Il est 17 +h. 10. Nous sommes à deux kilomètres de Châtillon-sur-Seine. Nous avons +donc parcouru un peu plus de 200 kilomètres à vol d'oiseau. Notre +ascension ayant duré 4 h. 54, nous trouvons une vitesse moyenne de 40 +kilomètres. + +Au point de vue physiologique nous pouvons donc affirmer que l'organisme +humain, grâce au complément d'oxygène que nous lui avons fourni, résiste +parfaitement pendant un laps de temps assez considérable à une +dépression de 545 millimètres, correspondant à une altitude d'environ +10.000 mètres. + +Il est juste d'ajouter que, si l'organisme ne se ressent pas d'une façon +immédiate d'une pareille dépression, il n'en est pas moins assez +sérieusement éprouvé dans la suite. Le coeur, battant à la cadence de +110 pulsations à la minute, produit dans les artères et dans les veines +une pression égale à une colonne de 25 centimètres de mercure environ. +Lorsque la pression extérieure est réduite à 210 millimètres, alors que +la pression interne est de 250 millimètres, il se produit dans les +tissus du système circulatoire une tension considérable, et il est +certain qu'une rupture artérielle ou une extravasation veineuse sont +toujours à craindre. + +Voici quelques mots sur les différents troubles qui résultèrent pour +chacun de nous de cette ascension. + +Albert Senouque éprouva simplement une profonde dépression physique... +Jacques Schneider se réveilla le lendemain avec les veines du pied +gauche fortement enflées et fut pris, après le déjeuner, de phénomènes +d'essoufflement qui durèrent une heure environ. Le surlendemain il +constatait une légère hémorragie intestinale. Pour ma part, je ne +ressentis d'abord rien, mais quarante-huit heures après j'éprouvai une +certaine oppression suivie de courbature cardiaque. Pour donner une idée +de la pression subie dans les artères, je citerai le fait suivant: le +docteur Héron de Villefosse, qui avait pris ma tension artérielle la +veille de l'ascension, constata au retour que de 23 elle était tombée à +16... + +Nous n'avons ressenti ni les uns ni les autres la moindre douleur dans +les oreilles, grâce probablement à la fréquence des mouvements de +déglutition que nous avons faits, dans le but d'assurer la perméabilité +de la trompe d'Eustache et de maintenir le tympan entre deux pressions +sensiblement égales. + +En résumé, il semble résulter de nos constatations que les accidents qui +se produisent au cours des ascensions élevées dépendent moins du défaut +d'équilibre entre les pressions externe et interne que du manque +d'oxygénation des éléments essentiels du sang. Et nous sommes fondés à +tirer cette conclusion, puisqu'il a suffi d'assurer à nos poumons un +apport régulier d'oxygène pour nous mettre tous trois à l'abri de +troubles graves. + +Quelle est la limite extrême au-dessus de laquelle la vie deviendrait +impossible? Quelle dépression faudrait-il atteindre pour provoquer la +rupture finale de notre équilibre organique? C'est ce que nous ne +pourrons savoir que par l'expérience, c'est-à-dire en essayant de nous +élever encore plus haut, et nous espérons bien y réussir. + +MAURICE BIENAIMÉ. + + + +NEW-YORK ENTREVU PAR UN BARBARE D'ORIENT Copyright by Pierre Loti, 1913. + +II + +Lundi, 23 septembre. + +Aujourd'hui, pour la première fois, j'assiste à une répétition de _la +Fille du Ciel_. C'est sans décors, sans costumes, en tenue de ville, +dans une salle nue, dépendant du théâtre. Oh! l'étrange impression +d'entendre les acteurs dire _no_ et _yes_, d'écouter mes phrases que je +reconnais bien mais qui me font l'effet de s'être amusées à se déguiser +en phrases anglaises... Je ne sais plus par qui fut énoncé l'axiome: une +traduction, c'est l'envers d'une broderie. Je ne prétends pas qu'elle +fût merveilleuse, la broderie que nous avions faite, et je reconnais +d'ailleurs que l'envers en a été recoloré avec une habileté consommée; +mais, quand même, c'est toujours un envers. Mise Viola Allen me paraît +une idéale impératrice, et, malgré son chapeau parisien si en contraste +avec les choses qu'elle doit dire, sa voix donne le petit frisson quand +elle s'anime; à la scène finale, je vois même de vraies larmes perler au +bord de ses jolis yeux vifs, qu'il sera facile de rendre délicieusement +chinois en les retroussant au coin avec des peintures. Comme toutes les +femmes ont l'air honnête dans ce théâtre! Les gentilles petites actrices +chargées des rôles secondaires sont tellement correctes elles aussi, +tellement comme il faut, et se tiennent comme des jeunes filles du +monde. Mais, dans cette salle où sans doute je vais revenir tant de fois +m'enfermer, il fait triste, de la tristesse particulière à tous les +théâtres quand les illusions du soir y cèdent la place à la lumière +appauvrie du jour. + +Libéré à 4 heures, je circule au hasard, en auto, dans les rues que je +n'avais pu voir encore animées par la pleine activité des jours de +travail. La foule qui parle toutes les langues, les femmes aux allures +décidées sans effronterie, les hommes tout rasés sous de larges +casquettes, marchent vite, indifférents au fracas des chemins de fer +suspendus ou souterrains. + +A un angle de Broadway, sous les passerelles de ferraille ébranlées par +le continuel passage des trains express, voici un rassemblement qui +grossit, qui bourdonne; les voitures sont arrêtées, les policemen +s'agitent, on dirait une émeute. Tout ce monde regarde avidement un +tableau-noir sur lequel, de temps à-autre, quelqu'un ajoute un signe à +la craie. Les jumelles, les monocles, les innombrables lunettes d'or +sont braqués là-dessus, comme si le sort du monde allait s'y inscrire, +et, chaque fois qu'un nouveau chiffre y apparaît, c'est tantôt un +silence morne chez les spectateurs, tantôt une joie délirante avec des +battements de mains et des cris. Qu'est-ce que ça peut bien être?--le +cours de la Bourse?--Non, tout simplement, il s'agit de certain jeu de +paume national; une grande partie se dispute en ce moment à la campagne, +l'équipe de New-York contre celle d'une ville voisine, et un ingénieux +système automatique apporte ici au marqueur l'indication des coups... Et +tous ces hommes, que l'on croirait si positifs, se passionnent à ce +point! Il faut en vérité que cette race, issue de toutes nos races +vieillies, se soit retrempée de jeunesse sur le sol d'Amérique. Et +j'admire surtout combien ces implantés d'hier ont déjà pris l'amour du +clocher,--d'où découle nécessairement l'amour plus noble de la patrie. + +[Illustration: Rassemblement de foule dans un carrefour.] + +Les gratte-ciel! Il faudra beaucoup de temps pour que mes yeux s'y +résignent. Si encore ils étaient groupés, une avenue qui en serait +bordée arriverait peut-être à un effet de fantastique beauté. Mais non, +ils surgissent au hasard, alternant avec des bâtisses normales ou +parfois basses; alors on dirait des maisons atteintes par quelque +maladie de gigantisme, et qui se seraient mises à allonger follement +comme les asperges en avril. Ce qui me déroute, habitué que j'étais aux +villes de pierre comme en France ou aux villes de bois comme on Orient, +c'est de ne voir ici que de l'acier, du ciment armé, des briques +sanguinolentes, et surtout je ne sais quelle composition d'un brun rouge +qui donne des maisons en chocolat, même des églises, des clochers en +chocolat. Voici, dans la cinquième avenue, qui est comme on sait le +quartier des milliardaires, l'habitation des Vanderbilt, en pur style +moyen âge et en pierre pour de vrai; on l'aimerait dans un parc, sous de +vieux chênes; mais un voisin gratte-ciel la surplombe et l'écrase. Voici +une cathédrale gothique, capable de rivaliser avec les nôtres; mais les +gratte-ciel d'à côté montent plus haut que ses flèches aiguës; alors +elle est diminuée au point de ressembler à un joujou de Nuremberg. Au +bord de l'Hudson, tel autre richissime a eu la fantaisie impériale de se +faire construire le château de Blois, avec des pierres apportées de +France, et ce serait presque une merveille; mais derrière, plus haut que +les donjons et les girouettes, monte bêtement un gratte-ciel couronné +d'une réclame lumineuse; alors cela n'existe plus. Cette ville, qui +regorge de coûteuses magnificences, a poussé d'un élan trop rapide et +trop fougueux; il me paraît qu'elle aurait besoin d'être coordonnée, +émondée, et surtout calmée. + +[Illustration: L'Hôtel de Ville de New-York, dominé par un immeuble à +trente-cinq étages.] + * + * * + +Jeudi, 26 septembre. + +Évadé aujourd'hui du théâtre, où il fait toujours noir en plein midi +comme dans une cave, je m'en vais en auto, par l'avenue qui s'appelle +River Side, remonter le long du cours de l'Hudson pour essayer de +trouver enfin la campagne et le silence. Les trouverai-je réellement +quelque part? Pour l'instant, des embarras de voitures ou d'automobiles +élégantes m'entourent comme si je me rendais au bois de Boulogne. Mais, +sans restriction cette fois, je m'incline devant la majesté d'une telle +avenue. D'un côté le grand fleuve que l'on domine, de l'autre une +interminable bordure de gratte-ciel (des demi-gratte-ciel, d'une +quinzaine d'étages seulement) qui arrivent à un effet esthétique parce +qu'ils s'alignent bien; ils ont du reste la couleur blanche et gaie de +la pierre véritable, ils respirent le luxe clair et de bon aloi. Je ne +crois pas qu'aucune capitale du vieux monde possède une promenade d'une +telle opulence. + +[Illustration: Les dreadnoughts, avec leurs mâts en forme de tours +Eiffel.] + +Dans le fleuve, des escadres de guerre sont mouillées, de superbes +escadres que l'Amérique réunit en ce moment pour se donner, en une +grande fête, le spectacle de sa jeune puissance navale; les dreadnoughts +dorment là, imposants de laideur terrible, surmontés de ces nouveaux +mâts à l'américaine, larges et ajourés, qui ressemblent à des tours +Eiffel; auprès d'eux, des croiseurs, des contre-torpilleurs dorment +aussi; et une multitude de batelets, de mouches électriques, +s'empressent alentour. Sur la berge, des milliers de curieux stationnent +pour regarder. En prévision de cette prochaine fête de la marine, des +pavillons de l'Amérique, rayés blanc et rouge avec semis d'étoiles sur +leur coin bleu, commencent à flotter aux fenêtres des hautes maisons +somptueuses. Et sur tout cela rayonne le beau soleil de l'«été indien». +C'est comme une révélation de New-York que je viens de m'offrir +aujourd'hui, et tout ce que je découvre, en faisant ainsi l'école +buissonnière, est franchement admirable. + +Mais la campagne, le silence, où donc les atteindrai-je? Ma course +accélérée dure depuis plus d'une heure, et les gratte-ciel me suivent +toujours, en files aussi orgueilleuses, témoignant que cette ville +contient des riches par milliers. Il est vrai, sur la rive d'en face, au +lieu des tuyaux d'usine qui pendant des kilomètres s'obstinaient à +l'enlaidir, il n'y a déjà plus maintenant que des rochers et de grands +bois; si près de la ville, c'est une surprise et un repos. + +Enfin, enfin, la route que je suivais s'enfonce parmi des buissons et +des arbres, l'air s'imprègne de la bonne senteur des mousses d'automne; +je suis sorti de la fournaise humaine! C'est la campagne que j'avais +tant souhaité atteindre, et elle est plus boisée, plus sauvage peut-être +qu'aux entours immédiats de Paris. Mais je m'y sens quand même en exil, +car les arbres et les plantes, à bien regarder, diffèrent légèrement des +nôtres; les _asters_, que nous ne connaissons que dans nos jardins, +croissent ici à profusion parmi des rochers noirs; sur tous ces +feuillages des bois, les bruns et les rouges de l'arrière-saison +s'accentuent davantage que chez nous, arrivent à des teintes +sensiblement plus ardentes. Non, ce pays n'est pas le mien... Et puis, +une campagne sans paysans, sans vieux clochers protecteurs autour +desquels se groupent les villages, autant dire qu'elle n'a pas l'air +vrai... + * + * * + +Samedi, 28 septembre. + +Les jours qui passent m'acclimatent assez rapidement à New-York. Les +maisons me semblent moins extravagantes de hauteur et, quand je traverse +Broadway, j'écoute moins le fracas des trains sur les passerelles de +fer. + +Un peu partout je découvre des choses amusantes à force d'imprévu, +d'audace, de disproportion et de luxe colossal. On m'a montré ce matin +comme typique certain café-restaurant qui éclipse tous les +cafés-restaurants du monde. La salle d'en bas, qui coûta 5 millions, a +été construite pour enchâsser le tableau de Rochegrosse acheté à grands +frais: _le Festin de Balthazar_. Sur toutes les murailles de marbre +vert, on a ciselé les mêmes bas-reliefs qu'à Persépolis; en marbre vert +également sont les puissantes colonnes à têtes cornues, et les +gigantesques taureaux ailés à visage humain. Mais, comiques au milieu de +ces splendeurs déréglées, il y a les rangs de petites tables pour les +consommateurs, et il y a les garçons en frac apportant à la ronde les +bocks ou les cocktails!... + +Aux répétitions de _la Fille du Ciel_, qui occupent mes journées, la +féerie commence à se dessiner; nous sortons peu à peu des incohérences +et du chaos des premières heures. Des décors qu'aucun théâtre parisien +n'aurait risqués font revivre d'inimaginables passés chinois, des jeux +de lumière électrique dont nous ignorons encore le secret imitent des +limpidités de ciel, ou des lueurs de bûcher et d'incendie. Dans les +jardins de l'impératrice, aux grands arbres tout roses de fleurs, des +cigognes et des paons réels se promènent sur des pelouses +jonchées--parce que cela se passe au printemps--de milliers de pétales +qui ont dû tomber des branches comme une pluie. Là, aux rayons d'un +clair soleil artificiel, je vois revivre, chatoyer tous les étranges et +presque chimériques atours de soie et d'or copiés sur de vieilles +peintures que j'ai rapportées, ou sur des costumes réels que j'ai +exhumés naguère de leurs cachettes au fond du palais de Pékin. + +Les monuments les plus singuliers, je crois, sont ces entr'actes, ces +repos durant lesquels la féerie s'échappe, pour ainsi dire, de la scène, +pour déborder sur les fauteuils d'orchestre. La vaste salle somptueuse, +envahie alors par tous les figurants, n'en demeure pas moins plongée +dans des ténèbres presque absolues; quelqu'un qui arriverait du dehors, +où il fait jour, percevrait seulement que des formes humaines sont +assises là, partout, et que le discret murmure de leurs voix _sonne +étrange_: ce sont des voix chinoises qui chuchotent en chinois, et ces +gens, qui simulent des spectateurs dans l'ombre, sont de pure race +jaune... Quand les yeux s'habituent à l'obscurité, ou si quelque lueur +électrique vient à filtrer de la scène, on découvre que tout ce monde, +de la tête aux pieds, est vêtu avec l'apparat des anciennes cours +célestes. Il y a même des groupes de ces petites déesses armées et +casquées qui portent aux épaules des pavillons en faisceaux éployés et +semblent avoir des ailes. Un peu fantastique vraiment, ce grand théâtre +sans lumière, où les auditeurs, échangeant à mi-voix des phrases +lointaines devant la toile baissée, sont pareils aux guerriers, aux +Génies, sculptés dans les vieilles pagodes... + +Le plus étonnant pour moi, c'est que ces figurants ne sont pas des gens +quelconques, mais des étudiants des universités. L'un d'eux, habillé +comme un seigneur du temps des Ming et qui, dans la vie privée, prépare +son doctorat en médecine, vient un jour m'expliquer de la part de ses +camarades, très courtoisement et dans l'anglais le plus correct, +pourquoi ils ont accepté de venir: «C'est un tel plaisir pour nous, me +dit-il, de nous trouver ainsi replongés dans le passé de notre pays, de +voir reconstituée la Chine de nos ancêtres.» + + * + * * + +Lundi, 30 septembre. + +Cette nuit, pour avoir une vue d'ensemble des fantasmagories de +New-York, je monte au sommet de l'hôtel du _Times_, qui est l'un des +plus stupéfiants gratte-ciel. A un angle de rue, dans un quartier de +maisons à peine hautes, il se dresse tout seul, grêle, efflanqué, +paradoxal, avec un air de chose qui n'aura jamais la force de rester +debout. Très aimablement, les rédacteurs m'avaient convié. Un +ascenseur-express, qui jaillit comme une fusée, nous enlève d'un bond +jusqu'au vingt-cinquième étage, d'où nous grimpons sur la plate-forme +extrême. Là souffle une brise âpre et froide--déjà l'air vif des +altitudes--et, de tous côtés, dans le cercle immense qui va finir à +l'horizon, l'électricité s'ébat à grand spectacle. Auprès, au loin, +partout, des mots, des phrases s'inscrivent au-dessus de la ville en +grandes lettres de feu, éblouissent un instant, disparaissent et puis +reviennent. Des figures gesticulent et gambadent, parmi lesquelles j'ai +déjà de vieilles connaissances, comme par exemple le farfadet qui +brandit ses gigantesques brosses à dents. La plus diabolique de toutes +est une tête de femme, qui se dessine dans l'air, soutenue par +d'invisibles tiges d'acier, et qui occupe sur le ciel autant d'espace +que la Grande Ourse; pendant les quelques secondes où elle brille, son +oil gauche cligne des paupières comme pour un appel plein de +sous-entendus, et on dirait d'une jeune personne fort peu recommandable. +Qu'est-ce qu'on peut bien vendre en dessous, dans la boutique qu'elle +surmonte et où elle vous convie d'un signe tellement équivoque? +Peut-être tout simplement d'honnêtes comestibles ou de chastes +parapluies. Il va sans dire, aucune montagne n'aurait des parois aussi +verticales que ce gratte-ciel; en bas, les foules en marche le long des +trottoirs, les foules sur lesquelles, en cas de chute, on irait +directement s'aplatir comme un bolide, font songer à des grouillements +d'insectes qui seraient lents pour cause de trop petites pattes, tandis +que les files de wagons, dont la ville est sillonnée, paraissent de +longues chenilles phosphorescentes qui ramperaient sans vitesse. Et une +clameur monte de ces rues, comme une plainte de bataille ou de misère, +entrecoupée par les grondements de tous ces trains en fuite... Babel +effrénée, pandémonium où se heurtent les énergies, les appétits, les +détresses de vingt races en fusion dans le même creuset. + +[Illustration: L'hôtel du _Times_ «grêle, efflanqué, paradoxal...»] + +Malgré le froid qui cingle le visage, c'est presque un soulagement, une +délivrance, de se sentir là sur ce sommet artificiel; les six millions +d'êtres qui, à vos pieds, dans la région basse, se coudoient, luttent et +souffrent, au moins ne vous oppressent plus; même il est presque +angoissant de penser qu'il va falloir redescendre tout à l'heure de ce +haut perchoir où la poitrine s'emplissait d'air pur, redescendre et se +replonger dans cette vaste mer humaine qui fermente et bouillonne +partout alentour. Quelle inexplicable manie ont les hommes de s'empiler +ainsi, de s'étager les uns par-dessus les autres, de s'accoler en +grappes comme font les mouches sur les immondices,--quand il reste +encore ailleurs des espaces libres, des terres vierges!... Vue d'ici, la +ville paraît infinie; aussi loin que les yeux peuvent atteindre, +l'électricité trace des zigzags, tremble, palpite, éblouit, écrit des +mots de réclame avec des éclairs, et finalement, vers l'horizon où il +n'est plus possible de rien lire, va se fondre en une lueur froide +d'aurore boréale. Jamais encore New-York ne m'avait paru si terriblement +la capitale du modernisme; regardé la nuit et de si haut, il fascine et +il fait peur. + +Samedi, 12 octobre 1912. + +Aujourd'hui, la «première» de _la Fille du Ciel_, au Century Théâtre. +Cette langue étrangère me déroute à tel point que je ne me sens pas tout +à fait responsable de ce que mes personnages racontent. Vraiment, pour +reconnaître ma pièce, je devrais plutôt faire abstraction du dialogue +et, m'efforçant de ne pas entendre, n'assister au spectacle qu'avec mes +yeux, comme si c'était une simple pantomime,--une pantomime certes qui +dépasse mon attente par son exactitude et sa splendeur. Grâce à la +consciencieuse magie des peintres et des costumiers, la vieille Chine +impériale, qui ne se reverra jamais plus, est là devant moi, avec le jeu +de ses nuances rares, l'inconcevable étrangeté de ses atours, avec ses +dragons, ses monstres, tout son mystère. Pour compléter l'illusion, il y +a même le son rauque des voix chinoises, et, pendant l'acte de la +bataille, quand les soldats délirants se précipitent en une ruée suprême +vers leur impératrice pour tomber tous à ses pieds, je crois réentendre +ces clameurs qui faisaient frissonner, en Chine, aux jours de réelles +tueries. + +A la scène finale cependant, dès que l'empereur Tartare et la +Fille-du-Ciel sont seuls en présence, je me reprends à écouter ce qu'ils +disent; leur jeu est d'ailleurs si expressif que je me figure presque +les entendre parler ma propre langue. Et quand la Fille-du-Ciel tend la +main pour recevoir la perle empoisonnée qui va lui ouvrir les portes du +Pays des Ombres, son geste et son regard émeuvent comme si vraiment elle +allait mourir... + +Maintenant la toile tombe; c'est fini; ce théâtre ne m'intéresse plus. +Une pièce qui a été jouée, un livre qui a été publié, deviennent +soudain, en moins d'une seconde, des choses mortes... J'entends des +applaudissements et de stridents sifflets (contrairement à ce qui se +passe chez nous, les sifflets, à New-York, indiquent le summum de +l'approbation). On m'appelle, sur la scène, on me prie d'y paraître, et +j'y reparais cinq ou six fois, tenant par la main la Fille-du-Ciel, qui +est tremblante encore d'avoir joué avec toute son âme. Une impression +étrange, que je n'attendais pas: aveuglé par les feux de la rampe, je +perçois la salle comme un vaste gouffre noir, où je devine plutôt que je +ne distingue les quelques centaines de personnes qui sont là, debout +pour acclamer. Je suis profondément touché de la petite ovation +imprévue, bien que j'arrive à peine à me persuader qu'elle m'est +adressée. Et puis me voici reparti déjà pour de nouveaux _ailleurs_. +J'étais venu à New-York afin de voir la matérialisation d'un rêve +chinois, fait naguère en communion avec Mlle Judith Gautier. J'ai vu +cette matérialisation; elle a été splendide. Maintenant que mon but est +rempli, ce rêve tombe brusquement dans le passé, s'évanouit comme après +un réveil, et je m'en détache... + +Mercredi, 16 octobre 1912. + +Demain matin, je prends le paquebot pour France. Je ne puis prétendre +qu'en ce court voyage j'aie vu l'Amérique. Puis-je seulement dire que +j'aie vu New-York? Non, car j'y ai surtout vécu prisonnier sous une +sorte de coupole obscure,--le Century Théâtre avec sa pénombre de chaque +jour. C'est là, dans cette grande salle rouge et or, parmi les +fantastiques spectateurs des répétitions, figurants échappés de vieilles +potiches ou de vieilles ciselures, c'est là que j'ai rencontré à peu +près les seules femmes américaines qu'il m'ait été donné d'approcher. + +Ces inconnues, admises pour avoir montré patte blanche au régisseur, +entraient discrètement sans faire de bruit, presque à tâtons, effarées +par tous ces personnages casqués d'or qui occupaient les stalles. Elles +n'étaient jamais les mêmes que la veille, mes visiteuses. Non sans peine +elles parvenaient à me découvrir, après avoir interrogé quelques-unes de +ces étranges figures, qui balbutiaient des réponses vagues, en chinois. +Assises enfin à mes côtés, elles étaient tout de suite gentilles et +pleines de bonne grâce, malgré l'insuffisance de la présentation. Filles +de richissimes ou pauvres petites journaleuses, elles appartenaient à +tous les mondes. Et on causait, dans une sorte de plaisante camaraderie +sans lendemain, pour ne se revoir jamais; c'était à demi-voix, pour ne +pas troubler les acteurs qui, tout près de nous, se disaient des choses +tragiques, dans quelque vieux palais de Nankin, sous de faux rayons de +lune, ou bien à la lueur d'un faux incendie. Détail qui m'amusait, en +général, elles apportaient, par précaution contre la longueur de la +séance--la répétition durait plusieurs heures d'affilée--des sandwichs +ou des petits gâteaux, et il me fallait partager cette dînette dans les +ténèbres. Plusieurs d'entre elles me connaissaient beaucoup, sans +m'avoir encore vu nulle part; c'est là l'inconvénient--ou le charme si +l'on veut--de s'être trop donné dans ses livres. Quelques-unes avaient +vu ma maison de Rochefort, d'autres, en canotant sur la Bidassoa, +avaient aperçu mon ermitage basque. Grandes voyageuses, presque toutes, +elles étaient allées à Stamboul, à Pékin, dans les différents lieux de +la Terre que j'ai essayé de décrire, et la traversée de l'Atlantique +pour venir chez nous leur semblait un rien comme promenade. Passant vite +d'un sujet à un autre, elles disaient des choses incohérentes mais +profondes; elles différaient des femmes de chez nous par quelque chose +de plus indépendant et de plus masculin dans la tournure d'esprit; +beaucoup plus libres certes, mais sans qu'il y eût jamais place entre +nous pour l'équivoque. Et, après avoir causé un peu de tout, dans une +intimité intellectuelle favorisée par l'ombre, on se saluait pour ne se +revoir jamais. + +En quittant ce pays, j'ai un vrai remords de n'avoir pu répondre comme +je l'aurais souhaité à tant de lettres cordiales et jolies que chaque +courrier m'apportait, à tant d'invitations téléphoniques m'arrivant aux +rares heures où j'habitais mon perchoir. D'aimables inconnus +m'écrivaient, avec la plus touchante bonne grâce: «Venez donc un peu +vous reposer chez nous, à la campagne; au bord de l'eau, sous nos +arbres, vous trouverez du _silence_.» Et j'étais élu membre honoraire +d'une quantité de cercles. Comment faire, avec si peu de temps à moi? Au +moins voudrais-je, ici, exprimer à tous ma reconnaissance et mon regret. + +Dès que _la Fille du Ciel_ a été livrée au public, j'ai employé de mon +mieux mes trois ou quatre jours de liberté avant le départ. Mais combien +il était embarrassant de choisir: pourquoi accepter ici et s'excuser +ailleurs? + +Je suis allé luncher à la magnifique et colossale Université de +Columbia, auprès de quoi nos universités françaises sembleraient de +pauvres petits collèges de province. J'ai voulu paraître dans différents +clubs puisque l'on avait eu la bonté de m'en prier. J'ai répondu à +l'invitation naïve des jeunes filles de l'école Washington-Irving qui +m'avait particulièrement charmé par sa forme; elles étaient là deux ou +trois centaines de petites étudiantes de quinze à seize ans qui, pour +m'accueillir, avaient placardé aux murs des écriteaux de bienvenue; +après m'avoir chanté la Marseillaise, elles ont continué par un hymne où +de temps à autre revenait mon nom prononcé par leurs voix fraîches, et +en partant j'ai serré de bon coeur toutes ces mains enfantines. On m'a +fêté à l'Alliance française où, après le dîner, il y a eu, dans un grand +hall, un défilé dont j'ai été ému profondément; tandis qu'un orchestre +jouait cette _Marseillaise_ qui, à l'étranger, nous semble toujours la +plus belle musique, des Français de tous les mondes, les uns très +élégants, les autres plus modestes, se sont tour à tour approchés de +moi; des jeunes, des très vieux dont le regard attendri disait la +crainte de ne plus revoir la France; des aïeules à chevelure blanche +m'amenant leurs petites-filles qui m'avaient lu et souhaitaient me voir; +là encore j'ai serré plusieurs centaines de braves mains que je sentais +vraiment amicales, et je ne sais comment dire merci à tant et tant de +familles qui ont bien voulu se déranger pour me témoigner un peu de +sympathie. + +En somme si, au premier abord, pour l'Oriental obstinément arriéré que +je suis, New-York ne pouvait que sembler effarant--en tant que chaudière +gigantesque où, pour créer du nouveau, se mêlent et bouillonnent +tumultueusement les génies de tant de, races diverses--si New-York m'est +resté jusqu'à la fin peu compréhensible, avant de le quitter j'ai +pourtant senti qu'il était quand même et surtout la ville de la pensée +chaleureuse, de la franche hospitalité et du bon accueil. + +PIERRE LOTI. + +Copyright. Droits réservés. + + + +[Illustration: BEAUTÉS ALBANAISES.--Trois élégantes de Scutari.--_Phot. +S. Tchernof._] + +Scutari, la ville durement assiégée pendant de si longs mois, reprend +peu à peu sous l'administration collective des puissances, son aspect +normal d'avant la guerre. La population, musulmane ou chrétienne, +rassurée, vaque, comme devant, à ses occupations pacifiques. Les vivres +ont de nouveau, en abondance, rempli les magasins et les docks, et les +nombreuses misères provoquées par le siège ont été secourues, à la +première heure, par les soins de l'Autriche et de l'Italie dont, en +cette terre d'influence, et en attendant que soit définitivement arrêté +le statut de l'Albanie, les bons offices rivalisent. L'Angleterre et la +France participent activement à l'oeuvre municipale. Les services ont +été reconstitués avec des officiers des corps d'occupation ou des +fonctionnaires locaux. La police est énergiquement organisée, et les +commissions sanitaires ont méthodiquement procédé à l'assainissement de +la ville. + +Dans les rues, maintenant paisibles, de Scutari d'Albanie, les femmes +albanaises, de qui les voyageurs se sont accordés à nous dire la +sculpturale beauté, circulent, tranquillement, isolées ou par groupes, +en leur costume traditionnel, à cela près cependant que les musulmanes, +en grand nombre déjà, ont enlevé leur voile en attendant sans doute que +des modes occidentales--de Vienne, de Rome, de Paris--inaugurées à la +cour du prince, du futur prince d'Albanie, ne soient à leur tour +adoptées, et on le regrettera, par les dames de la ville. + + + +CE QU'IL FAUT VOIR + +LE PETIT GUIDE DE L'ÉTRANGER + +Il y a, à partir d'aujourd'hui, une chose délicieuse à voir à Paris; un +spectacle tout neuf: c'est, au musée Galliéra, l'exposition de l'Art +pour l'Enfance. On sait qu'outre son exposition d'Art décoratif, qui est +à la fois permanente et continuellement renouvelée, la Ville organise à +Galliéra, une fois par année, un petit Salon qui est, chaque fois, une +ravissante surprise. On se rappelle les plus récentes: l'exposition de +la Reliure, celle de la Dentelle, celle de l'Ivoire. Demain, et durant +tout cet été, l'exposition se composera uniquement d'oeuvres et +d'objets--d'autrefois et d'aujourd'hui--destinés à parer, à amuser +l'enfance, _ou inspirés par l'Enfant_. Le très distingué conservateur du +Musée de la rue Pierre-Charron, M. Eugène Delard, s'est adressé aux +artistes, aux collectionneurs, aux éditeurs, aux fabricants qu'il savait +capables d'aider, par leur collaboration gracieuse, au succès de cette +aimable entreprise; et tant de bonnes volontés assemblées viennent de +réaliser, pour le plaisir de nos yeux, quelque chose de charmant. + +Entrons. C'est d'abord le petit jardin du musée aménagé en jardin +d'enfants: de menues plates-bandes, quelques pelouses minuscules +plantées d'arbres nains; un ruisseau «pour rire» dévalant en cascatelle +au milieu de rochers gros comme le poing; et sur ce «paysage», une +quinzaine de maisonnettes plantées; de maisonnettes pour enfants, +derrière lesquelles une toile de fond déroule les splendeurs d'un +panorama-joujou... Le vestibule du musée contient une amusante +exposition de jouets modernes; et voici, dans le grand hall, des +trésors: les collections d'anciens mobiliers de poupées, de Mme Ménard» +Dorian; de Mme Bernheim (celui-ci est fameux; il servit à l'amusement du +roi de Rome!); voici les poupées de M. d'Allemagne et de M. Léo +Claretie; les soldats de l'ancienne France, de M. Vidal de Léry; et ceux +de l'Empire de M. Bernard Franck (qui seront un des clous de cette +exposition); les jouets de bois peint des paysans de la Lozère; les +«découpages»--moins naïfs, mais d'autant plus amusants en leur ironique +ingénuité--du pauvre Caran d'Ache et de Grandval; les poupées bretonnes, +les animaux en fer forgé (d'extraordinaires caricatures de bêtes, +inventées par le ferronnier Emile Robert, et qui vont avoir un succès +fou). Et puis, disséminés autour de ces vitrines--ne pas négliger celle +des hochets anciens!--voici les images de l'Enfance; d'exquises images: +des panneaux d'Espagnat; des portraits de Carrière, de Paul Renouard, +Steinlen, Lévy-Dhurmer, Geoffroy, Mme Breslau; un bébé en bois, de +Carabin, qui est un chef-d'oeuvre; de délicieuses effigies enfantines, +signées Dalou, Bourdelle, A. Charpentier, Dampt. J'en oublie... et c'est +bien heureux, car je serais désolé de faire ici concurrence au catalogue +qui est lui-même un document ravissant: une réduction de l'affiche de +Willette en formera la couverture, et le _texte_ en sera commenté par +Poulbot. + +Est-ce tout? Mais non. Car je n'ai rien dit des «chambres d'enfants» et +je sais des mères qui vont préférer ce coin d'exposition-là à tout le +reste. Elles occupent, ces chambres d'enfants, tout un côté de la +seconde salle où sont exposés les jolis pastels de Mme Franc-Nohain, les +vitrines de poupées et de jouets japonais de Mme Stroehlin, et du comte +de Fleurieu. Ce sont des chambres où la forme des meubles, la couleur +des tentures, les moindres détails du décor ont été inventés, combinés +dans le dessein d'ajouter à la gentillesse du petit être qui est là, de +l'encadrer aussi joliment que possible, de le parer et de le divertir. +Je note l'appartement pour _gosse_--chambre à coucher et salle de +jeux--d'André Hellé. Caran d'Ache, tapissier pour enfants, n'eût rien +imaginé de plus suavement comique. Il n'y a pas un objet dans cet +appartement-là, pas un bout d'étoffe qui n'ait de l'esprit! + + * + * * + +Ce qui est à voir encore--et là il convient de se presser un peu, car le +spectacle ne sera plus de très longue durée--c'est la Rétrospective de +Neuville. Les jeunes gens ne soupçonnent pas quels souvenirs pathétiques +évoque une telle exposition au coeur de leurs aînés. Et je ne parle pas +seulement de ceux qui ont fait la Guerre, et qui sont aujourd'hui des +vieillards, mais de leurs cadets, de ceux qui, entre 1875 et 1880, +n'étaient encore que des écoliers, ou de tout jeunes gens. Ces cinq +années marquent l'épanouissement du talent d'Alphonse de Neuville et +l'apogée de sa renommée. Dans ces temps très anciens, les amateurs de +tableaux ne voyaient pas s'ouvrir à eux, tous les huit jours, un nouveau +Salon de peinture; les grands «schismes» de la Nationale, des +Indépendants, du Salon d'automne, n'étaient point encore inventés; on ne +connaissait qu'une Eglise, si j'ose m'exprimer ainsi; c'était «le +Salon»; le Salon tout court, devenu celui des Artistes français. Il +s'ouvrait, chaque printemps, au Palais de l'Industrie, sur l'emplacement +duquel s'élève, depuis treize ans, le Grand Palais. Et cet unique +«vernissage» de l'année était un événement parisien. «Avez-vous vu le +_Neuville?_» C'était une des premières questions qu'on se posait en +s'abordant, vers midi, autour des tables de Ledoyen. Ces toiles de +Neuville évoquaient au coeur des combattants de 1870 et de leurs jeunes +fils les angoisses, les douleurs de cette guerre affreuse qui semblait à +peine finie, et dont tant de ruines encore intactes maintenaient devant +leurs yeux le souvenir vivant. Mais voici ce qui était admirable, chez +Alphonse de Neuville: ses tableaux bouleversaient d'émotion le vaincu; +ils ne l'humiliaient pas. Ils disaient la défaite. Mais ils disaient +aussi l'héroïsme de la défense, et l'instinctive fierté de ces vaincus +devant une destinée qu'ils ne méritaient pas. Il y a des défaites dont +la vue inspire une espèce d'horreur compatissante. Ce sentiment ne se +dégage d'aucun des tableaux qu'Alphonse de Neuville a peints. Nous les +regardions, nous, les lycéens d'alors, avec une admiration ingénue; nous +n'avions pas, devant les figures du _Cimetière de Saint-Privat_, des +_Dernières Cartouches_, de _l'Église du Bourget_, l'impression que des +vaincus qui regardaient de ces yeux-là la défaite fussent tellement à +plaindre... + +Quelques-uns de ces tableaux ont pu être réunis à la galerie de la +Boétie. Mme Roger-Douine y a envoyé les _Dernières Cartouches_; M. +Bessonneau d'Angers, _En campagne_ et _le Cimetière de Saint-Privat_; M. +J. Thinet, _le Grenier de Champigny_; M. Knoedler, _l'Attaque de la +maison barricadée, à Villersexel_; le docteur Fournier, _la Bataille +d'Héricourt_. Le musée de Péronne a prêté _l'Attaque de la passerelle de +Stiring_ (bataille de Forbach); le musée du Luxembourg, deux esquisses +de _Villersexel_ et de _l'Église du Bourget_; diverses autres toiles ou +dessins--d'admirables croquis, des esquisses de tableaux--ont été +empruntés aux collections de MM. Nismes, Chouanard, Brugairolles, +Kullmann, Bernard Franck, G. Bernheim, Yves Refoulé, Paul Déroulède (qui +a envoyé son portrait), J. Peytel, Jules Claretie, Pothier, Duez. Nous +devons à ces «prêteurs» obligeants beaucoup de reconnaissance. + +Nous en devons aussi aux organisateurs de ce Salon. En groupant autour +d'Alphonse de Neuville les oeuvres de quelques peintres militaires de ce +temps-ci, ils nous ont révélé un maître. Les lecteurs de +_L'Illustration_ le connaissent: c'est Georges Scott. Jamais ne +s'étaient affirmés avec plus d'éclat que dans cette Exposition la +solidité d'exécution, la science de composition, l'instinct de justesse +et de vérité qui distinguent les oeuvres de ce peintre. Certains des +toiles et des dessins qu'il a rapportés de son dernier voyage aux +Balkans sont, même en face des chefs-d'oeuvre du peintre des _Dernières +Cartouches_, des pages de premier ordre. Cela, aussi, c'est à voir. + +UN PARISIEN. + + + +AGENDA (7-14 juin 1913) + +CONCOURS.--Le 9 juin, concours d'admission à l'école Edgar-Quinet +(enseignement primaire supérieur des jeunes filles). + +CONFÉRENCES.--Au Grand-Palais (Salon de la Société des Artistes +français): le 13 juin, conférence de M Paul Rognon: _Michel-Ange_. + +EXPOSITIONS.--Grand Palais: Salon de la Société des Artistes français; +Salon de la Société nationale des Beaux-Arts.--Musée des Arts décoratifs +(pavillon de Marsan): exposition rétrospective de l'art des Jardins en +France (tableaux, gravures, tapisseries);--Bibliothèque Le Peletier de +Saint-Fargeau (29, rue de Sévigné): promenades et jardins de Paris.--A +Bagatelle (bois de Boulogne): l'art du jardin, à l'occasion du +centenaire de Le Nôtre.--Galerie Devambez (43, boulevard Malesherbes): +«la petite ville de province». (Clôture le 10 juin.)--Hôtel de Sens (rue +du Figuier): les artistes du 4e arrondissement, jusqu'au 16 juin.--Le 7 +juin, clôture de l'exposition du Palais-Salon (Cercle de la +Librairie).--Le 9 juin, clôture de l'exposition de David et ses élèves +(Petit Palais).--Galerie Georges Petit (salons Settiner): dessins +français du dix-huitième siècle, exposition organisée par la Société des +Amis du Louvre. (Clôture le 10 juin).--A Londres (galeries Grafton): +exposition de la Société royale des peintres du portrait. + +VENTE D'ART.--Galerie Georges Petit (8, rue de Sèze): le 9 juin, vente +de la galerie Steengracht, chefs-d'oeuvre des écoles flamande et +hollandaise du dix-septième siècle, et tableaux modernes. + +FÊTES DE BIENFAISANCE.--Hôtel de Béarn (rue Saint-Dominique): le 8 juin, +soirée au bénéfice de la Croix-Rouge: danses du premier Empire, danses +1830, danses 1860; artistes des théâtres russe et italien.--Au théâtre +de verdure du Pré-Catelan, le 11 juin, matinée de gala au bénéfice de la +caisse de propagande des Amitiés Françaises.--Au Nouveau-Cirque: le 14 +juin, fête de nuit organisée par les Artistes lyriques; pantomime +nautique, mise en scène par M. Tristan Bernard. + +FÊTES DE JEANNE D'ARC.--Les 8 et 15 juin, à Compiègne: fêtes en +l'honneur de Jeanne d'Arc, au bénéfice des oeuvres de bienfaisance de la +ville: cortège historique; mystère représenté en plein air, etc. + +SPORTS.--_Courses de chevaux_: le 7 juin, Auteuil; le 8, le 12 et le 15, +Chantilly; le 9, Saint-Cloud; le 10, Saint-Ouen; le 11, le Tremblay; le +13, Maisons-Laffitte; le 14, Auteuil.--_Aérostation_: le 15 juin, Grand +Prix annuel de l'Aéro-Club de France (départ de Saint-Cloud).--_Boxe_: +le 15 juin, à Toulouse, Willie Lewis contre Kid Jackson.--_Lawn-tennis_: +terrains du Stade français (Saint-Cloud), du 7 au 15 juin, championnats +du monde de tennis (sur terre battue).--_Cyclisme_: le 8 juin, course +Paris-Bruxelles; à la même date, circuit de l'Aube.--_Aviron_: le 8 +juin, à Rouen, régates nationales à l'aviron, organisées par la Société +des Régates rouennaises.--_Athlétisme_: le 15 juin, sur le terrain du +Stade français, à Saint-Cloud, éliminatoires du Collège d'athlètes +organisé par la Comité de Paris. + + + +DOCUMENTS et INFORMATIONS + +TEL MAÎTRE, TELLE BÊTE. + +On a parfois constaté d'étonnantes ressemblances physiques entre les +hommes et les bêtes, et, particulièrement, entre telle personne et son +animal favori. Voici, de ces rencontres naturelles, un amusant exemple, +qui a pu être observé au parc zoologique de Hambourg, par un photographe +avisé, M. D. Mac Lellan: le gardien du pavillon des morses--un brave +homme doué d'une bonne figure ronde, à la grosse moustache +tombante--offre avec les amphibies dont il a la surveillance, avec l'un +d'eux surtout, de singuliers points de comparaison. Entre les deux +compagnons--liés par une amitié qui date de sept à huit ans--les clichés +que nous reproduisons ici font apparaître comme un «air de famille». Ils +s'entendent d'ailleurs à merveille, et, à force de vivre ensemble, ils +sont devenus les meilleurs camarades du monde. + +[Illustration: Deux vieux amis.] + +[Illustration: Un morse et son gardien qui se ressemblent, au parc +zoologique de Hambourg.] + +Sur le museau du morse, on remarquera la fleur de lys héraldique formée +par l'ouverture des naseaux: c'est là une des caractéristiques les plus +curieuses de cet animal, dont l'espèce est d'ailleurs en voie de +disparaître. Au siècle dernier, on la trouvait encore sur les côtes de +l'Écosse; mais, aujourd'hui, décimée par les balles des chasseurs, elle +ne dépasse pas les limites de l'océan Glacial du Nord. + + + +UN MONUMENT DU SOUVENIR A BÉDARIEUX. + +Un beau monument, élevé par souscription publique à la mémoire des +combattants de la guerre morts pour la patrie, vient d'être inauguré à +Bédarieux, en même temps qu'a eu lieu la remise de la médaille de 1870 à +plus de cent vétérans: ainsi, dans un pareil hommage, qu'il convient de +signaler, ont été réunis les enfants de la cité cévenole qui, +glorieusement, sont tombés sur le champ de bataille, et ceux par qui se +perpétue, de nos jours, le vivant souvenir de l'année terrible. Le +sculpteur, M. Louis Paul, conservateur du musée de Béziers, a représenté +la France sous les nobles traits d'une Paix armée, prête à se défendre, +fière de la force de son glaive; un coq gaulois, dressé sur ses ergots, +surmonte le monument, qui s'érige, dans un joli décor de verdure, au +bout d'une des promenades de la ville. + +[Illustration: Le monument de Bédarieux à la mémoire des anciens +combattants de 1870-1871. _Phot. Detestaing._] + +La cérémonie d'inauguration a été présidée par l'amiral Servan et le +général Dioux, commandant la 63e brigade, qui ont prononcé des discours, +après que M. César Cabal, président du comité, eut remis à la ville le +nouveau monument qui la pare. + + + +LA RÉSURRECTION DES GRENOUILLES. + +Les remarquables travaux du docteur Carrel ont ouvert un immense champ +d'études où se sont lancés les physiologistes des deux mondes. Citons +les étranges expériences qu'exécutent plusieurs savants de la John +Hopkins Médical School, la première Ecole de médecine des États-Unis. + +Choisissant un animal à sang froid (grenouille, escargot, poisson, +etc.), en parfait état de santé, ils le placent dans un récipient fermé +juste assez grand pour le contenir, et qu'ils plongent dans de l'air +liquide. Après un intervalle plus ou moins long, l'animal prend la +rigidité d'un cadavre. + +Quatre ou cinq semaines plus tard, la grenouille--si tel est le cas--est +retirée de la jarre, et, après quelques massages, ressuscite, paraît-il, +et reprend le cours de sa vie sans plus se soucier de ces trente jours +de mort qu'elle vient d'endurer! + +LE TRICERATOPS. + +Depuis quelques années, grâce à l'activité toujours en éveil du +professeur Boule, la galerie de paléontologie du Muséum s'est enrichie +d'un certain nombre de pièces remarquables, choisies avec un tel +discernement qu'elles présentent un puissant intérêt même pour les +personnes peu familiarisées avec les évolutions de la faune +préhistorique. Le nouveau fossile qu'on vient d'exposer à côté du fameux +Diplodocus est, dans son genre, tout aussi curieux que ce dernier. + +Il appartient au même groupe de Dinosauriens qui, à une époque fort +reculée, étaient, par les dimensions, sinon par l'intelligence, les rois +des animaux, et auprès de qui les Mammifères actuels paraissent de +petites bêtes. Mais, tandis que le Diplodocus a une tête minuscule +comparativement à la hauteur des jambes et à la longueur démesurée du +cou et de la queue, la forme plus ramassée du Triceratops rappelle +vaguement la silhouette du rhinocéros, et l'ensemble du crâne présente +un développement exceptionnel (2 m. 20 pour l'exemplaire du Muséum). + +Il faut remarquer toutefois que le museau, les cornes, et surtout la +collerette postérieure ont une importance énorme; la boîte cérébrale est +très minime. + +La reconstitution faite par M. Knight, sous la direction de M. Osborn, +conservateur du musée de New-York, où figure un squelette complet, +montre l'allure de cet animal curieux qui mesurait environ 6 mètres de +longueur. + +[Illustration: Le Triceratops, Dinosaurien préhistorique reconstitué +d'après un squelette du musée de New-York (grandeur naturelle: environ 6 +mètres de longueur).] + +Notre fossile arrive d'Amérique. Il fut découvert dans les régions +dénudées du Wyoming, où les découpures fantastiques, de roches +versicolores, profondément ravinées, attestent de grands bouleversements +géologiques. Il reposait dans le terrain appelé Laramie fin, qui +appartient à la fin de l'ère secondaire. + +M. Boule l'avait commandé, il y a dix ans, au grand «chasseur de +fossiles», M. Sternberg, qui explore le sous-sol du nouveau continent +pour le compte des grands musées d'Amérique. L'exemplaire de Paris est +plus beau que celui acquis, il y a six ans, par le British Muséum. + + + +A PROPOS DU SYSTÈME TAYLOR. + +Nous avons parlé à plusieurs reprises du système Taylor, ou méthode +d'organisation du travail qui consiste à supprimer les mouvements +inutiles de l'ouvrier et à combiner les mouvements utiles de façon à +obtenir, sans supplément de fatigue, souvent même avec une fatigue +moindre, le rendement maximum. Ce système, dont la généralisation aurait +une importance économique considérable, et qui, de prime abord, paraît +fort séduisant, compte en dehors du monde ouvrier, de sérieux +adversaires; il vient de provoquer une joute intéressante entre l'amiral +américain Edwards et M. Henry Le Chatelier, professeur à la Sorbonne et +membre de l'Académie des sciences. + +[Illustration: Crâne fossile de Triceratops récemment acquis par le +Muséum.] + +Comme exemple typique des résultats que l'on obtient avec la nouvelle +méthode, on peut citer le cas du maçon. + +Après une étude détaillée de chacun des mouvements du poseur de briques, +M. Gilbreth détermina la position exacte que doivent occuper les pieds +de l'ouvrier par rapport au mur, à l'auge, au tas de briques, de façon à +lui éviter de déplacer ses pieds. Il étudia la hauteur la plus favorable +pour l'auge et les briques, et fit construire un échafaudage portant une +table où les matériaux sont placés de telle sorte que les mouvements +inutiles soient supprimés. A mesure que le mur monte, ces échafaudages +sont réglés par un homme chargé uniquement de ce travail. Le poseur est +ainsi dispensé de l'effort consistant à se baisser pour prendre une +brique ou du mortier, et à se redresser ensuite. + +D'autre part, les briques, une fois déchargées, sont triées et placées +sur leur meilleur bord, ce qui évite au poseur de retourner la brique en +tous sens avant de la poser. Enfin, en employant un mortier assez +liquide, les briques peuvent être enfoncées à la profondeur convenable +par une simple pression de la main, sans qu'il soit nécessaire de les +frapper de quelques coups de truelle. + +Avec cette méthode, le nombre des mouvements nécessaires pour poser une +brique est réduit de 18 à 5 et, parfois, à 2. M. Gilbreth a obtenu un +rendement de 350 briques par homme et par heure, au lieu de 120. + +L'amiral Edwards reproche au système Taylor d'être très coûteux à +installer, de ne pas augmenter les salaires dans la proportion où il +accroît le rendement, d'exiger une attention si intense qu'elle nuit à +la santé de l'ouvrier, de rabaisser l'ouvrier au niveau de la bête de +somme, etc. Il insinue, en passant, que, dans les arsenaux maritimes, +c'est la qualité plutôt que la quantité qui doit être la mesure +principale du rendement. + +M. Le Chatelier répond, dans le GÉNIE CIVIL, que ce dédain du prix de +revient, assez commun en tous pays dans les établissements de l'État, +n'est aucunement recommandable; du reste, tous les établissements +français qui emploient la méthode Taylor, ou en étudient l'application, +sont incontestablement les premiers au point de vue de la perfection de +leur fabrication. + +D'autre part, l'augmentation de la production est indépendante des +ouvriers, elle résulte de l'organisation étudiée et réalisée par la +direction; en augmentant les salaires de 25 à 75%, on attribue donc aux +ouvriers plus que ce qu'ils ont le droit légitime d'exiger. Quant au +chronométrage, pourquoi serait-il déshonorant à l'usine, alors que +l'ouvrier est très fier d'être chronométré quand il fait du sport? + +Enfin, si l'on augmente la fatigue en même temps qu'on accroît la +production, on sort du système Taylor. + +M. Le Chatelier conclut que ce qui arrêtera longtemps la diffusion des +méthodes de Taylor, c'est la difficulté de trouver un personnel +dirigeant capable, d'abord de comprendre leur utilité, et ensuite de les +mettre en oeuvre. Un des admirateurs de Taylor disait récemment qu'il +faudrait deux générations d'hommes avant de voir ses méthodes +scientifiques se généraliser dans l'industrie. + + + +INFLUENCE DU CLIMAT SUR LA TAILLE DES OISEAUX. + +Un naturaliste allemand, M. Boetticher, a fait de curieuses observations +sur les variations sous différents climats de la taille d'oiseaux de +même espèce. + +Le corbeau est plus grand en Norvège et au Groenland que dans nos pays; +celui de l'Himalaya est de dimensions considérables. Par contre, le +corbeau de l'Espagne est plus petit que le nôtre. De même, la corneille +est beaucoup plus grosse en Sibérie, au Kamtchatka, et, en Mongolie, que +dans l'Europe occidentale. + +En Algérie, en Tunisie, au Maroc, la pie est plus petite que chez nous; +au Thibet et dans l'Amérique du Nord, elle est de taille supérieure. + +La mésange bleue des îles Canaries, la mésange charbonnière de Sardaigne +et de Corse, sont plus petites que les nôtres. Le roitelet devient de +plus en plus grand à mesure qu'on remonte vers le Nord. + +En général, les oiseaux sont plus grands dans les régions froides. Il y +a pourtant quelques exceptions; le moineau, notamment, est plus grand à +Damas qu'à Paris. + + + +L'ALCOOL DE SCIURE DE BOIS. + +On sait que, depuis quelque temps, le cours de l'essence de pétrole a +atteint les hauteurs inconnues et que les autres carburants se sont +empressés d'imiter ce fâcheux exemple. Pour les propriétaires de +voitures de luxe, il n'y a là qu'un incident plus ou moins désagréable, +mais pour les entrepreneurs de transports en commun, pour les +industriels qui utilisent couramment les camions automobiles et, par +ricochet, pour les constructeurs de ces divers véhicules, il s'agit +presque d'une question de vie ou de mort. On voit, dans ces conditions, +quel intérêt peut présenter la découverte de nouveaux carburants ou la +production économique des carburants actuels. Or, il existe un +combustible qui a sur l'essence cette même supériorité d'être un produit +national et il semble que, grâce à des procédés nouveaux, ce produit +puisse être obtenu à des prix défiant toute concurrence. + +Ce combustible n'est autre que l'alcool, _alcool éthylique_, ou alcool +de bouche. + +La source à peu près unique de l'alcool est la fermentation de liquides +sucrés sous l'action de la levure. Or, les divers sucres proviennent +soit directement des végétaux, soit indirectement de la transformation +des matières amylacées. + +La première condition pour obtenir de l'alcool à bon marché est par +suite de fabriquer le sucre au prix le plus bas possible, avec des +matières de prix minime. Or, depuis quelques années, on s'est mis à +fabriquer le sucre, c'est-à-dire l'alcool, en utilisant soit les résidus +des fabriques de pâtes de bois, soit la sciure de bois elle-même. + +Dans la fabrication de la pâte à papier au sulfite, chaque tonne de bois +laisse comme résidu dix tonnes de lessives contenant environ la moitié +du bois traité et renfermant assez de sucre pour produire 70 à 80 litres +d'alcool. Il suffit de neutraliser le liquide à la chaux, de le faire +fermenter trois ou quatre jours et de distiller. On obtient ainsi un +alcool impur, impropre à la consommation et qui n'en est que meilleur au +point de vue industriel, car il se trouve dénaturé _automatiquement_ par +la proportion assez élevée de méthylène qu'il renferme. Le méthylène (ou +_alcool de bois_) est, en effet, le dénaturant actuel adopté par l'État. + +Les usines suédoises qui utilisent ce procédé de fabrication depuis +environ quatre ans peuvent fournir annuellement 300.000 hectolitres +d'alcool (chiffre qui dépasse la consommation intérieure). Le prix de +revient est d'environ 10 francs pour l'hectolitre d'alcool à 90 degrés. + +Dans le second procédé de fabrication utilisé surtout aux États-Unis et +introduit depuis peu en France, on emploie exclusivement la sciure de +bois traitée à chaud par les acides. Or, une tonne de sciure de bois qui +peut fournir 90 litres d'alcool ne coûte guère que 2 francs à 2 fr. 50 +dans les pays où il existe des scieries mécaniques. Le coût de la +fabrication proprement dite étant sensiblement équivalent à celui de la +fabrication de l'alcool de grains, la différence des prix de l'alcool +résultera de la différence des prix de la matière première (sciure de +bois ou blé indien). On voit quelle peut être, au point de vue +économique, la supériorité de l'alcool de sciure de bois, étant donné +surtout que cet alcool est en quelque sorte dénaturé de naissance. + + + +POUR DÉCOUVRIR LES ALCALOÏDES DANS L'ORGANISME. + +On a souvent besoin de savoir si un liquide de l'organisme ne renferme +pas un alcaloïde thérapeutique, comme la cocaïne, la morphine, la +caféine, ou criminel comme tel ou tel poison végétal. L'analyse chimique +n'est guère possible quand la quantité de liquide dont on dispose est +faible: aussi est-il intéressant de savoir qu'une autre méthode existe, +très sensible, et permettant de démontrer l'existence de quantités +infinitésimales d'alcaloïde. + +Elle a été signalée à l'Académie des sciences par MM. M. Gompel et +Victor Henri, qui ont trouvé que le spectre d'absorption des rayons +ultra-violets est caractéristique pour chaque alcaloïde examiné +jusqu'ici. Cette méthode spectroscopique est extrêmement sensible: il +suffit, en effet, que dans le liquide à examiner il y ait un deux cent +millième de gramme de cocaïne par centimètre cube pour pouvoir retrouver +et doser ce poison. + +Si la méthode est aussi efficace en ce qui concerne les alcaloïdes +susceptibles d'être employés dans un but criminel, les empoisonneurs +n'auront qu'à se bien tenir. + + + +LES BALLES ANESTHÉSIQUES. + +Un Américain, M. A.-E. Humphrey, jugeant avec raison que ce que l'on +demande à une balle, soit à la guerre soit à la chasse, c'est seulement +de mettre hors de combat, et non de faire souffrir, vient de lancer +l'idée de la balle anesthésique, ou narcotique, de la balle qui apporte +en même temps la fracture, ou la lésion, et l'anesthésique empêchant de +la sentir. + +La méthode est simple: dans de petites cavités de la pointe de la balle +blindée, l'inventeur met un peu de morphine (à l'état de sel solide). +Celle-ci ne diminue en rien l'efficacité du projectile; elle ne change +rien à son pouvoir destructeur. + +Mais elle détermine l'anesthésie, chez l'homme ou la bête. Et le blessé +s'endort tranquillement, dit l'inventeur... En théorie, cela marche à +merveille, et la balle de M. Humphrey a bien tout l'air d'un «ange de +miséricorde». Les chasseurs l'apprécieront: qu'un lion ou un éléphant +soit blessé à une partie vitale, ou bien de façon insignifiante, il leur +sera toujours acquis, puisque toute blessure doit endormir l'animal, et +permettre de l'achever sans danger. Mais il faudra une dose de morphine +sérieuse pour un éléphant. + + + +A PROPOS DU DAÏKON. + +Nous signalions récemment un radis géant, originaire du Japon, le +daïkon, cultivé aux environs de Paris par M. de Notter. + +Un de nos lecteurs nous fait remarquer que ce légume a été introduit en +France par M. Paillieux et son collaborateur M. D. Bois, assistant au +Muséum, à qui nous devons l'importation et la vulgarisation du crosne du +Japon. + +MM. Paillieux et Bois ont consacré aux diverses variétés du daïkon tout +un chapitre de leur POTAGER D'UN CURIEUX, dont la Librairie agricole de +la maison rustique a publié la troisième édition il y a une dizaine +d'années. Ils ont eux-mêmes cultivé le radis japonais, et, à la suite de +leurs premières expériences, la graine de daïkon figura dans le +catalogue de la maison Vilmorin, en 1891. Elle en fut retirée en 1904, +les essais de culture effectués au cours d'une dizaine d'années ayant +donné des résultats médiocres. + + + +[Illustration: Vue panoramique de l'usine de dynamite de Paulilles: les +nº 1 et 2 indiquent les bâtiments qui ont sauté.--_Phot. F. Menozzi._ 1. +Casemates et pavillon de la nouvelle dynamiterie.--2. Ancienne +dynamiterie.--3. Château d'eau.--4. Forge, machine à vapeur, séchoir, +ateliers divers.--5. Maisons ouvrières, laboratoire. 6. Bâtiments des +mélangeurs.--7. Magasins à nitrate.--8. Fabrique d'acide nitrique.--9. +Magasins divers.--10. Écuries.--11. Direction.--12. Conciergerie et +bureaux.] + +L'EXPLOSION D'UNE DYNAMITERIE + +Il y a quelques jours, le 29 mai dernier, vers 7 h. 15 du matin, une +formidable explosion anéantissait plusieurs des bâtiments de l'usine de +dynamite de Paulilles, à 3 kilomètres de Port-Vendres, et faisait de +nombreuses victimes, dont six morts et une vingtaine de blessés. + +Une première explosion, dont les causes n'ont encore pu être nettement +établies, s'est produite dans la dynamiterie proprement dite, â +l'atelier où l'on traite la glycérine à l'aide des acides afin de la +nitrer. Elle fut suivie de plusieurs autres, qui firent sauter +successivement les ateliers de filtrage et de pétrissage. + +Ces détonations étaient entendues à 30 kilomètres à la ronde, tandis que +les alentours étaient ravagés par une véritable pluie de mitraille. +Parmi les malheureux ouvriers qui n'avaient pas eu le temps de fuir, +plusieurs furent littéralement déchiquetés. L'agent de l'État, M. +Jouvena, qui se trouvait dans la partie sinistrée, fut découvert dans +les décombres, parmi les morts. + +Les premiers secours avaient été organisés par le personnel de l'usine, +dont les autres bâtiments, très espacés, n'ont pas souffert, par des +habitants de Port-Vendres, ayant à leur tête le maire, et par les +infirmiers de la 16e section, casernée à Port-Vendres. Longtemps flotta +au-dessus des bâtiments sinistrés un panache de fumée noire dont la +photographie, prise aussitôt après l'explosion, à bord du vapeur Roland, +du laboratoire zoologique de Banyuls, par M. Albert Valat, et +communiquée par M. Jean Arlaud, nous donne l'immédiate vision. + +[Illustration: L'explosion de la dynamiterie de Paulilles, vue de la +mer. _Phot. prise à bord du yacht_ Roland _devant Port-Vendres_.] + + + +UN GRAND MATCH DE BOXE + +Dimanche dernier, Georges Carpentier, notre boxeur national, qui déjà, en +moins de deux années, s'est attribué trois championnats d'Europe--poids +mi-moyen, poids moyen et poids mi-lourd--par ses victoires successives +sur Young Josephs, Jim Sullivan et Bandsmann Rice, a triomphé de +Bombardier Wells, champion professionnel poids lourds d'Angleterre, en +une rencontre sensationnelle, dont le théâtre fut la salle des Fêtes de +l'exposition de Gand. + +[Illustration; Le champion de boxe Georges Carpentier chez lui en tenue +de soirée.] + +Ce match, où devaient s'affronter deux adversaires redoutables, était de +ceux qui, passionnant pour les habitués des _rings_, excitent l'intérêt +même des profanes, familiarisés désormais avec les termes d'un réalisme +si pittoresque propres au jeu des pugilistes. Il mettait aux prises deux +hommes de taille, de poids et d'âge différents, et cette inégalité, tout +à l'avantage du boxeur anglais, contribuait à rendre émouvant le +spectacle de leur lutte: Carpentier, plus jeune que Bombardier Wells +--il n'a que dix-neuf ans et quatre mois--plus petit et moins lourd +l'emporta par sa science, la rapidité de son attaque, son sang-froid, +et, si l'on peut dire, le merveilleux équilibre de ses forces. + +Le combat fut bref, violent, et provoqua tour à tour, chez les partisans +des deux champions, des alternatives de découragement et d'espoir. +Durant les deux premières reprises, Carpentier, durement atteint à la +face et jeté à terre, mais ripostant pourtant avec énergie, parut dominé +par Wells, dont l'offensive puissante semblait irrésistible. Le +troisième round changea brusquement le sort de la bataille: Carpentier, +renonçant à frapper à distance, se mit à «travailler» dans le corps à +corps, et ce furent toute une série de foudroyants «directs» et de +«crochets» vigoureux, qui se terminèrent par l'écrasement de l'Anglais, +«knock out» à la quatrième reprise,--cependant que la foule acclamait +follement son favori, aux sons de _la Marseillaise._ + +La physionomie de Georges Carpentier boxeur a été popularisée par +l'affiche, et nous l'avons d'ailleurs reproduite ici même, lors d'un +match précédent. La photographie que nous publions aujourd'hui montre +que le célèbre champion, le jeune Lensois destiné naguère aux travaux de +la mine, sait porter avec élégance, en ses loisirs d'homme du monde, le +frac impeccable. + + + +LES THÉÂTRES + +La délicieuse comédie de M. Georges Feydeau, _le Bourgeon_, vient d'être +reprise au théâtre de l'Athénée. Cette pièce, qui est l'une des plus +adroitement composées et des plus finement écrites de cet auteur, a +retrouvé tout le succès qui l'accueillit à ses débuts. Ses audaces, ses +ironies, son émotion n'en sont pas émoussées. M. André Brûlé, dans le +rôle qu'il créa, s'est fait applaudir comme naguère et, près de lui, +Mmes Marie-Laure, Madeleine Carlier, Cécile Caron, Jane Renouardt, MM. +Dubosc, Guyon fils et Gallet, contribuent de tout leur talent à l'éclat +de cette reprise dont les représentations paraissent assurées pour +longtemps. + +M. Georges Feydeau va, d'autre part, selon toute vraisemblance, tenir +l'affiche du théâtre des Variétés durant de nombreux soirs. On vient d'y +reprendre son vaudeville célèbre: _la Dame de chez Maxim_, dont le +succès date de 1899. Cette pièce aux situations enchaînées avec la plus +bouffonne logique, avec ses personnages si vigoureusement caricaturés, +passe à bon droit pour le chef-d'oeuvre du genre. Après avoir fait +plusieurs fois le tour du monde elle nous revient sans rides. Le +boulevard a cru rajeunir à la retrouver; il lui a fait un accueil +enthousiaste. La môme Crevette, que créa Cassive, a rencontré en Mlle +Ève Lavallière une nouvelle interprète tout à fait remarquable. Les +autres rôles sont également tenus par des artistes de tout premier +ordre, tels que Mme Marie Magnier. MM. Félix Galipaux, Colombey, +Flateau, etc.. + +Cet été s'annonce comme favorable aux «reprises» théâtrales. _Le +Poulailler_, comédie en trois actes de M. Tristan Bernard, affronta les +feux de la rampe pour la première fois, le 3 décembre 1908 au théâtre +Michel, et la critique ne lui ménagea pas ses éloges. _L'Illustration +Théâtrale_ la publia le 16 janvier suivant et ce numéro est, depuis +longtemps épuisé. Mais le succès de l'oeuvre ne l'est pas. L'expérience +vient d'en être faite avec bonheur à la Comédie des Champs-Elysées. +Cette pièce, de bonne humeur spirituelle, facétieuse et philosophique +tout à la fois, n'a pas moins plu aujourd'hui qu'au jour de sa création. +Il est donc permis de prophétiser à nouveau une longue carrière au +_Poulailler_. + +Au théâtre de l'Ambigu-Comique, reprise, avec un succès qui ne saurait +surprendre, de la noble pièce tirée par M. Edmond Haraucourt du roman +alsacien de M. René Bazin: _les Oberlé_. Et, de nouveau, et à quelle +heure opportune--tandis qu'au Reichstag se discutent les lois +d'exception contre l'Alsace-Lorraine--le public s'est ému au spectacle, +si fortement évoqué, de cette lutte qui continue en terre d'Alsace, entre +deux rares, deux civilisations, l'une conquérante, avide, impatiente, +l'autre conquise mais point domptée et rebelle, avec intransigeance, à +l'absorption totale. + +Au théâtre Antoine, M. Lugné-Poe a porté la légende dramatique de M. +Édouard Dujardin: _Marthe et Marie_. du répertoire de l'Oeuvre. Cette +pièce relève du genre symboliste dont son auteur fut l'un des premiers +adeptes. Mais le symbole, qui, jadis, demeurait hermétique, s'y est fait +plus compréhensible. Néanmoins, les personnages n'atteignent pas encore +à cette vérité humaine de gestes et d'accents qui émeut pleinement un +auditoire. Marthe et Marie sont deux soeurs; l'une est simple et +raisonnable, l'autre chimérique et romanesque. Elles font tour à tour la +joie et le désespoir d'un homme. L'action se déroule au temps des +Médicis dans un cadre pittoresque. Cette aventure morale--car elle +démontre que le bonheur est dans la vie ordonnée et non dans le rêve +impossible--a pour interprètes les bons artistes de l'Oeuvre. + +_La Jeunesse dorée!_ Voici une opérette qui n'arrive pas de l'étranger. +Elle est spirituelle, alerte, frondeuse. A ces qualités, on la +reconnaîtra bien française... et parisienne aussi. Elle évoque les +dandies de 1830 et les rats d'opéra du temps où le docteur Véron +présidait aux destinées de l'Académie de musique rue Le Peletier. C'est +une histoire d'amour et de coulisses sans sous-entendus grossiers. Le +texte de MM. Verne et Faure est correct. La musique de M. Marcel Lattes, +gracieuse, comique ou tendre, est agréable. Ce spectacle, fort bien mis +en scène et soutenu par une interprétation de choix, est le succès +actuel du théâtre de l'Apollo. + +Le Gymnase abrite en ce moment la compagnie d'artistes du Théâtre +National polonais de Léopol qui, sous la direction de M. Louis Heller, +vient donner à Paris une série de neuf représentations de pièces +polonaises. Le premier de ces spectacles, _le Cercle enchanté_, de M. +Lucien Rydel, est un conte dramatique pathétique et vivant, d'un intense +coloris et d'une réelle puissance d'expression, dont le public parisien +a paru goûter le charme exotique. + + + +LA REVUE COMIQUE, par Henriot. + + + + + + + +End of Project Gutenberg's L'Illustration, No. 3667, 7 Juin 1913, by Various + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, 7 JUIN 1913 *** + +***** This file should be named 38868-8.txt or 38868-8.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + https://www.gutenberg.org/3/8/8/6/38868/ + +Produced by Jeroen Hellingman et Rénald Lévesque + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. 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It exists +because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from +people in all walks of life. + +Volunteers and financial support to provide volunteers with the +assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's +goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will +remain freely available for generations to come. In 2001, the Project +Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure +and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. +To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation +and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 +and the Foundation web page at https://www.pglaf.org. + + +Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive +Foundation + +The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit +501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the +state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal +Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification +number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at +https://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent +permitted by U.S. federal laws and your state's laws. + +The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. +Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered +throughout numerous locations. Its business office is located at +809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email +business@pglaf.org. 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Thus, we do not necessarily +keep eBooks in compliance with any particular paper edition. + + +Most people start at our Web site which has the main PG search facility: + + https://www.gutenberg.org + +This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, +including how to make donations to the Project Gutenberg Literary +Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to +subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. diff --git a/38868-8.zip b/38868-8.zip Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..51df102 --- /dev/null +++ b/38868-8.zip diff --git a/38868-h.zip b/38868-h.zip Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..f86919b --- /dev/null +++ b/38868-h.zip diff --git a/38868-h/38868-h.htm b/38868-h/38868-h.htm new file mode 100644 index 0000000..bea647f --- /dev/null +++ b/38868-h/38868-h.htm @@ -0,0 +1,2824 @@ +<!DOCTYPE html PUBLIC "-//W3C//DTD HTML 4.01 Transitional//EN"> +<html> +<head> + <meta http-equiv="content-type" content="text/html; charset=ISO-8859-1"> + <title>The Project Gutenberg eBook of L'Illustration, No. 3667, 7 Juin 1913 by Various</title> + +<link rel="coverpage" href="images/cover.jpg"> + +<style type="text/css"> + + +body {margin-left: 10%; margin-right: 10%} + +h1,h2,h3,h4,h5,h6 {text-align: center;} +p {text-align: justify} +blockquote {text-align: justify} + +hr {width: 50%; text-align: center} +hr.full {width: 100%} +hr.short {width: 10%; text-align: center} + +.note {font-size: 0.8em; margin-left: 10%; margin-right: 10%} +.footnote {font-size: 0.8em; margin-left: 10%; margin-right: 10%} +.side {padding-left: 10px; font-weight: bold; font-size: 75%; + float: right; margin-left: 10px; border-left: thin dashed; width: 80px; text-indent: 0px; font-style: italic; text-align: left} + +.sc {font-variant: small-caps} +.lef {float: left} +.mid {text-align: center} +.rig {float: right} +.sml {font-size: 10pt} +.overl {font-size: 10pt; text-decoration: overline; text-align: center} +.cont {width: 650px} +.somm {float: left; width: 300px; font-size: 10pt; padding: 1em} +.suppl {color: #5A5047; background-color: #EEE2CA } + + +span.pagenum {font-size: 70%; left: 91%; right: 1%; position: absolute} +span.linenum {font-size: 70%; right: 91%; left: 1%; position: absolute} + +.poem {margin-bottom: 1em; margin-left: 10%; margin-right: 10%; + text-align: left} +.poem .stanza {margin: 1em 0em} +.poem .stanza.i {margin: 1em 0em; font-style: italic;} +.poem p {padding-left: 3em; margin: 0px; text-indent: -3em} +.poem p.i2 {margin-left: 1em} +.poem p.i4 {margin-left: 2em} +.poem p.i6 {margin-left: 3em} +.poem p.i8 {margin-left: 4em} +.poem p.i10 {margin-left: 5em} +.poem p.i12 {margin-left: 6em} +.poem p.i14 {margin-left: 7em} +.poem p.i16 {margin-left: 8em} +.poem p.i18 {margin-left: 9em} +.poem p.i20 {margin-left: 10em} +.poem p.i30 {margin-left: 15em} + + + +</style> +</head> +<body> + + +<pre> + +Project Gutenberg's L'Illustration, No. 3667, 7 Juin 1913, by Various + +This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with +almost no restrictions whatsoever. 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Tristan Bernard;</p> + +<p>2° <span class="sc">Un Supplément économique et financier</span> de deux pages.</p> +</div> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/001.png"></p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/001a.png"><br><b>NOTRE ALLIÉ ET NOTRE AMI LL. MM. Nicolas II, empereur de<br> +Russie, et George V, roi de Grande-Bretagne et d'Irlande.</b><br>--<i>Phot. Ernst +Sandow.--Voir l'article, page 525.</i></p> +<br><br> +<h3>COURRIER DE PARIS</h3> + +<h4>L'ADORABLE MOMENT</h4> + +<p>--Non, en vérité, je crois que je ne pourrais pas à la fin de mai, au +début de juin, être ailleurs qu'ici. Paris est, en ces jours qui nous +échappent si vite, une splendeur suave, ininterrompue. L'air et la +lumière sont épris l'un de l'autre, <i>se déclarent</i> sans cesse, et se +surpassent en douceur autant qu'en vivacité. Le soleil sur les gazons de +velours, faits pour des pieds nus, pose des ombres mouvantes, +palpitantes, qui semblent des reflets de respiration. Les troncs des +arbres sont d'un noir ardent qui n'est pas triste, et les fleurs +brillent, nouvellement peintes.</p> + +<p>Dans le ciel est semée, répandue, une poudre de bonheur... Les +hirondelles insensées, prenant les ailes à leur cou, volent si haut... +si haut... qu'elles nous font monter. Pas longtemps, car en bas +l'existence est aimable et nous donne une récréation ravissante. Je ne +peux pas vous dire tout ce que je vois du matin au soir qui m'amuse, +m'enchante et me fait jouir, et à quoi passionnément je me délecte sans +songer à rien. Visions, impressions rapides, multiples, fugitives, qui +ne durent que la courte éternité d'un regard, d'un ah! qui reste en +dedans!... Tout m'est plaisir. Tout me remplit d'aise. Les passants ont +le pied léger et les voitures la roue caressante. Tout le monde a l'air +d'aller, de courir, de se précipiter sans violence dans la même +direction, celle de la joie, et nul ne paraît tourmenté, comme si chacun +était sûr qu'il y aura des provisions de joie, et pour tous, qu'on +arrivera toujours à temps pour en recevoir. Beaucoup de confiance. Une +tranquillité absolue, sur les joues, dans les prunelles, dans les cours. +La vie? Ah! belle, belle! Dieu? Si bon! Les hommes? Pas méchants, mais +non. Beaucoup moins en tout cas qu'on l'affirmait hier. Et voilà! On n'a +plus peur.</p> + +<p class="mid">*<br>* *</p> + +<p>Ah! vivre! vivre!... Que c'est donc agréable et comme cela vous inonde! +Se laisser vivre! Ne rien faire que vivre! Aimer vivre, désirer vivre! +Et se coucher, s'étaler dans cette idée et dans ce mot. On ne se soucie +que par minutes de vivre avec cette intensité profane, mais ces +minutes-là dédommagent. Quelle entente exacte et merveilleuse alors +entre les hommes! Ne dirait-on pas que tout le monde se connaît? La vie +devient comme une petite ville dont tous les habitants se +fréquenteraient, <i>se verraient</i>. On ne se croise plus avec cette +hostilité qui chasse et rejette d'habitude les gens loin les uns des +autres. Non. Une sympathie réelle, frivole et tendre, envahit les traits +de chacun; et les masques de dédain, de mépris, d'indifférence ou de +fierté tombent pour une heure. Les yeux se cherchent, se visitent, dans +l'échange d'un réciproque éclair. Les curiosités, en se rencontrant, +s'abordent, se donnent, sans s'arrêter, une espèce de petit coup de bec +amical. Bonjour muet, politesse de circonstance accordée uniquement +parce qu'il fait beau, et qu'un souffle délicieux, venu on ne sait d'où, +nettoie les fronts et allège les pensées. Rien qui ne soit prétexte à +nous fournir une puérile béatitude. La surprise d'être heureux durant +quelques secondes, d'être épargné par les ennuis, la maladie, la mort, +font sortir de tous les êtres une vapeur de joie, comme le soleil tire +des dessous de la terre humide ces fumées bleues qui ne sont que le +déroulement immatériel de sa fécondité, l'envol azuré de ses entrailles. +Le mot lisible sur tous les visages est le mot: remerciement. On +remercie de vivre. Les femmes, bien placées dans de séduisantes poses de +fausse fatigue, les traits à la fois détendus et galvanisés par trop de +sensations, les jeunes hommes, nu-tête et les cheveux secoués, rejetés +en arrière, se montrent, se présentent dans les <i>autos</i> avec une +complaisance ingénue. Ils «s'offrent» naïvement, ainsi que des parfaits +modèles de félicité terrestre et momentanée. Ils fendent l'espace. Leurs +frémissantes narines, dans le courant d'air des glaces baissées, +aspirent Paris que leurs lèvres entr'ouvertes avalent aussi, par +gorgées. Les arômes, les parfums, sont goûtés comme des sorbets. Il +n'est personne qui, renversé dans la quiétude, veuille pour l'instant +consentir à autre chose qu'à savourer, et l'expression de chacun, +attrapée au passage, est celle de l'étourdissement, du délire. Si chacun +pouvait faire l'effort de s'arracher ce qu'il pense, on est sûr qu'il +dirait: «Laissez-moi, ne parlez pas, ne troublez pas... Je suis +délicieusement bien.»</p> + +<p>Tout contribue d'ailleurs et s'applique à l'heureux effet de l'ensemble. +Les laideurs disparaissent ou s'atténuent. Pas de spectacles douloureux, +de pénibles scènes. Ce n'est pas le jour de la béquille et du moignon, +de la pauvresse, du mendiant et de l'estropié. Ils doivent s'en rendre +compte car ils ne sont pas là, et si par hasard ils y sont, c'est comme +s'ils n'y étaient pas, car on ne les voit point, ils ne sont pas dans le +rayon visuel de la pitié, ils demeurent inaperçus, ils sont absorbés par +tant de bien-être et tant de richesse... fondus dans le grand brasier de +joie véhémente, féroce et douce. Et tout est mieux aussi qu'à l'insipide +ordinaire. On est mieux tenu, mieux habillé. Les chapeaux des femmes +sont plus capiteux et leurs robes plus cordiales. Tout est charme, +attirance, tentation. De quelque côté que l'on se tourne, on ne trouve +en face de soi que de l'irrésistible. Les êtres, les choses, les idées +dégagent une puissance, une langueur de séduction qui trouble, excite et +désespère. La sensibilité, renouvelée, rajeunie, comme trempée dans le +cristal d'une source, n'est plus qu'une suite et qu'une gamme de +frissons frais, pareils à ceux d'une peau saisie et satisfaite, sur +laquelle courent en s'entrelaçant, avant qu'on les essuie au sortir du +bain, les gouttes d'eau savantes.</p> + +<p>Le sol lui-même s'apaise, aplanit ses aspérités, lance et conduit l'auto +qui roule sans secousses. Aussi les grandes voies triomphales de Paris, +celles des Champs-Elysées, des quais, des avenues, ne sont-elles plus +que des tremplins de joie... Elles s'emplissent d'un harmonieux +brouhaha, d'un concert de glissements, d'emportements, de fuites souples +et sans frayeur. Il suffit de voir filer comme des barques rapides et +légères ces chars dont on oublie les roues, pour que le vertige vous +prenne, à votre tour, et que l'on ait le désir d'entrer également dans +la course à l'oubli. La nature s'en mêle. Tout y prend part. Jamais le +parc et les jardins, l'arbre, la feuille et la rose, les bois, la forêt +voisine, la libre grande route n'offrent plus, qu'en ces jours +privilégiés, d'attraits violents et fins, de provocations saines et +délicates! Pourquoi en est-il ainsi? On ne sait pas. Cela s'accomplit +grâce à une espèce de mot d'ordre mystérieux donné par le dieu de la +vie, de la vie naturelle, sensuelle, irréfléchie, acceptée et aimée pour +elle-même et préférée à tout pendant quelques instants d'aiguë et molle +jouissance, d'excessive volupté. Jouissance et volupté qui s'imposent, +qui veulent être employées et qui nous gagnent avec la force du fatal et +la tyrannie du nécessaire. Nous sentons, en nous y abandonnant, que nous +défendre est inutile, presque coupable, et que nous faisons bien d'y +céder. Le soleil et son ivresse n'ont jamais tort. Chaque fois que nous +dominent ces innocentes et vagues folies surhumaines, sachons bien voir +en elles la condition même d'un sacrifice futur, d'une peine en chemin, +d'un désenchantement dont elles sont le rachat préventif, la récompense +anticipée.</p> + +<p>Si l'on y regarde bien, de près comme de loin, on est effrayé en effet +de la rareté de nos plaisirs, du petit nombre et de la minceur de nos +joies! Irons-nous donc repousser ces dernières quand, par moments, elles +s'approchent de nous, quand, avec une tendre audace, leur main s'empare +de la nôtre et qu'elles nous invitent à faire un petit tour de danse? Au +fond je crois bien que le soir où, lassés d'avoir tant cherché, senti, +souffert et voulu toujours nous exprimer, nous passerons la revue de nos +souvenirs heureux, de nos souvenirs de joie complète et sans mélange, +nous serons tout étonnés d'avoir une certaine peine à retirer du fond +des années ceux qui avaient fait le plus de bruit à l'époque, et tenu le +plus de place, et que nous pensions éternels, devoir durer plus que +nous, au delà de nous,... tandis qu'au contraire ce qui restera, ce qui +surnagera--à côté de nos impérissables émotions, les plus secrètes, les +plus chères et les plus belles, dont nous ne parlons pas--ce sera +souvent l'image ressuscitée d'une de ces journées d'élite, d'un de ces +moments de Paris et d'autrefois, où soudain tout était feu, lumière, +allégresse, emportement et délire, où rien ne paraissait plus chimérique +de tout ce qu'on avait rêvé, où l'homme n'avait plus d'âge et la vie +plus de terme, où les Champs-Elysées montaient vers la porte de gloire +qui semblait celle même de l'Avenir, ouverte et défoncée sur des pays +d'azur, des horizons de pourpre et d'or...</p> + +<p>On se rappellera, comme une série d'ivresses sans nom, les riens de ces +jours perdus... la plume d'un chapeau, l'ombre d'un marronnier sur une +pelouse, un thé pris dans un parc, un chant de merle pendant le dîner la +fenêtre ouverte, un lamento de violon, un éclat de voix, un doux +ronflement d'auto dans une grande allée un peu humide et ténébreuse, et +des yeux... des bleus, des noirs, des sourires... des mains +charmantes... des bruits... des silences... la vie enfin, la vie... +quand elle veut se donner la peine d'être enivrante et belle sans avoir +l'air d'y toucher, pour qu'on la regrette plus...</p> + +<p class="rig"><span class="sc">Henri Lavedan.</span></p> + +<p><i>(Reproduction et traduction réservées.)</i></p><br><br> + +<h3>L'OEUVRE DE PEARY</h3> + +<p>Après avoir fêté, il y a six mois, le capitaine Roald Amundsen, le héros +du Pôle Sud, la Société de Géographie recevra le 6 juin en séance +solennelle à la Sorbonne l'amiral Peary, le vainqueur du Pôle Nord. Dans +l'histoire des découvertes arctiques, le célèbre explorateur américain +occupe une place de premier rang, non seulement de par cette conquête, +mais encore en raison de l'importance et de la continuité de son oeuvre +dont cette victoire sensationnelle forme le couronnement. Nul des plus +illustres pionniers polaires ne compte dans ses états de service un +aussi grand nombre de campagnes. De 1891, époque de son début, à 1909, +date à laquelle il a atteint le Pôle, Peary a passé pas moins de neuf +ans dans le domaine des glaces, soit un an sur deux, et durant cette +période a couvert des milliers et des milliers de kilomètres, vivant en +Esquimau au milieu des Esquimaux. Chez cet homme extraordinaire, on ne +sait ce que l'on doit le plus admirer, ou de sa volonté qu'aucun +obstacle n'a pu rebuter, ou de sa vigueur physique que les rudes +épreuves du climat arctique ont été impuissantes à entamer. Alors que +l'hiver est la période de repos dans l'exploration du Nord, en décembre +et janvier on le voit, bravant la nuit polaire et les froids de 50°, +accomplir de longues randonnées. Dans une de ces expéditions a-t-il les +pieds gelés, il se fait voiturer en traîneau sur une distance de 450 +kilomètres jusqu'à sa station d'hiver, pour y subir l'amputation des +orteils, puis, sans attendre d'être complètement remis de l'opération, +il repart en avant. Avec Nansen et Amundsen, Peary détient le record de +l'endurance dans l'exploration polaire.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/002.png"><br> +<span class="sml"> + Mme R. Peary. Amiral Robert Peary. Mlle Mary Anighilo (née au Grönland).</span><br> +<b>Le conquérant du Pôle Nord et sa famille.</b><br> +<i>Photographie Fréd. Boissonnas prise pour</i> L'Illustration <i>le 31 mai et +autographiée par Peary</i>.</p> + +<p>Pour permettre au lecteur d'apprécier l'oeuvre du voyageur américain, +indiquons brièvement la configuration des régions qui ont été le théâtre +de ses exploits. Comme on le voit en jetant les yeux sur une carte, au +delà de Terre-Neuve l'océan Atlantique envoie dans la direction du Pôle +un long bras de mer de plus en plus étroit à mesure qu'il s'étend dans +le nord, pour aboutir finalement à l'immense océan couvert de banquises +qui occupe la calotte boréale du globe, et au milieu duquel se trouve le +Pôle Nord. A gauche, c'est-à-dire à l'est de ce long goulet--désigné +successivement sous les noms de détroit de Davis, mer de Baffin, détroit +de Smith--c'est l'énorme masse continentale du Grönland, et, à droite, +un archipel, grand comme huit ou dix fois la France et composé d'îles +très étendues, terres de Baffin, d'Ellesmere, de Grant, etc., etc.</p> + +<p>Pendant trois ans, en 1891, puis de 1893 à 1895, Peary s'est d'abord +consacré à l'exploration du nord-ouest du Grönland. Au cours de ces +campagnes, il parvint notamment à la côte septentrionale de cette terre +qu'aucun voyageur n'avait encore foulée. Dans cette région qu'elle a +visitée à son tour l'an dernier, l'expédition danoise de Rasmussen, +rentrée il y a un mois à Copenhague, a trouvé le <i>cairn</i> élevé par +l'explorateur américain au terminus de sa course et rapporté en Europe +le rapport sommaire qu'il avait déposé sous cette pyramide de pierres +sèches.</p> + +<p>En 1898, Peary reprenait le chemin de l'Arctique, et cette fois y +demeurait quatre ans de suite. Au cours de ce long séjour, il explore +les terres de Grinnel et de Grant qui bordent à l'ouest le détroit de +Smith, puis, se dirigeant vers l'est, reconnaît l'insularité du +Grönland. Ces terres, les avancées extrêmes du continent américain vers +le nord, finissent sous le 83° de latitude environ, soit à 770 +kilomètres du Pôle, la distance de Paris à Arles; pour atteindre ce +point suprême, il ne restait donc à Peary d'autre ressource que de +s'engager avec des traîneaux sur la banquise de l'océan Arctique. Route +singulièrement difficile; les nappes solides qui recouvrent les mers +polaires sont hérissées d'énormes monticules produits par l'entassement +de leurs débris dans les collisions qu'elles subissent, avec cela +découpées de lacs et de canaux. Enfin, souvent il arrive que les +courants refoulent la banquise sur laquelle le voyageur chemine en sens +inverse de la direction qu'il veut suivre. Quoi qu'il en soit, au +printemps 1902, Peary s'élançait à travers le puissant embâcle de glaces +marines qui obstrue le bassin arctique; mais, après quinze jours de +lutte, il était forcé de s'arrêter à 634 kilomètres du but. Cet échec ne +le décourage pas; quatre ans plus tard, en 1906, il recommence la lutte, +et, cette fois, réussit à battre tous les records établis auparavant et +à approcher à 320 kilomètres du Pôle. Deux ans après, en automne 1908, +l'énergique Américain revenait s'établir sur la côte septentrionale de +la terre de Grant. De là, au printemps suivant, avec 24 compagnons, 7 +marins et 17 Esquimaux, et 133 chiens attelés à 19 traîneaux, il +s'engageait de nouveau sur la banquise. De son point de départ au Pôle, +la distance à vol d'oiseau était de 740 kilomètres; grâce à des +circonstances particulièrement favorables, elle fut couverte en +vingt-sept étapes, et, le 7 avril 1909, l'explorateur avait la joie de +déployer le pavillon des États-Unis sur la fraction de la banquise +mobile qui, à ce moment, occupait le gisement de l'extrémité +septentrionale de l'axe terrestre.</p> + +<p>Le Pôle est un point mathématique dont la position ne peut être +déterminée que par des observations astronomiques. Pour être fixé sur la +situation exacte d'une localité atteinte par un voyageur et dont il a +observé la latitude, il suffit de vérifier ses calculs. Aussi, à la +demande même de Peary et conformément d'ailleurs à l'usage, ses +documents furent soumis par la Société de Géographie de Washington à +l'examen des trois spécialistes officiels les plus compétents des +États-Unis. Le verdict rendu par ces experts est catégorique. Après +avoir pris connaissance des minutes des observations et des instruments +ayant servi à les exécuter, ces savants ont signé un procès-verbal +déclarant que Peary avait atteint le Pôle Nord et qu'en raison de cet +exploit il était digne des plus grands honneurs. A la suite de ce +contrôle officiel, dès 1910, les deux grandes Sociétés de Géographie de +Londres et de Berlin ont tenu à honneur de recevoir solennellement le +vainqueur du Pôle boréal. Pour être quelque peu tardif, l'hommage que +Paris rendra à son tour au conquérant des glaces arctiques n'en sera pas +moins chaleureux et cordial.</p> + +<p>Dans la visite qu'il nous fait, l'amiral Peary est accompagné de sa +femme et de sa fille, qui, elles aussi, ont place dans l'histoire +polaire. Mme Peary a accompagné son mari dans plusieurs campagnes et a +même hiverné avec lui dans le Grönland septentrional, et c'est pendant +ce séjour au milieu des glaces qu'est née, en 1893, Mlle Peary.<br> + +<span class="rig"><span class="sc">Charles Rabot.</span></span></p><br><br> + +<h3>MARINE D'AUTREFOIS ET D'AUJOURD'HUI</h3> + +<p>Lundi dernier a commencé la troisième semaine des manoeuvres navales, +qui a ramené les escadres sur les côtes européennes de la Méditerranée, +Corse et Provence, et qui se terminera par la revue que doit passer, +dimanche, le président de la République. Le thème de cette troisième +série de manoeuvres consiste, pour le parti A (vice-amiral de Marolles), +à rechercher et à attaquer le parti B (vice-amiral Marin-Darbel) qui, +venant de la mer Tyrrhénienne, se dirige vers les côtes provençales, +entre Nice et Bandol pour couper les communications entre la France et +l'Algérie. Ce sont des opérations de grande envergure, difficiles à +résumer en une image. Mais le correspondant de <i>L'Illustration</i>, +embarqué sur le torpilleur d'escadre Spahi, a fixé, dans un dessin +pittoresque, un épisode fortuit, une rencontre imprévue. Par un curieux +hasard, dans cette Méditerranée sillonnée de tant de cargos aux flancs +rebondis, et de courriers postaux filant à grande vitesse, le <i>Spahi</i> +eut la bonne fortune de croiser une felouque. C'est un bâtiment dont la +forme et le gréement ne seront plus, dans quelques années, qu'un vague +souvenir; un proche parent des galères du Roi Soleil, avec leurs voiles +latines, et des chébecs qui parurent, avec nos marins, devant Alger, en +1830. Et ce fut une étrange impression, pour ceux qui montaient le +torpilleur véloce, que de voir arriver sous le vent cette gracieuse +voilure toute blanche, légère comme une aile, inclinée sous la brise.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/003.png"><br><b>UNE APPARITION INATTENDUE AUX GRANDES MANOEUVRES +NAVALES.<br>--Felouque passant à toutes voiles à travers les lignes de +l'escadre.</b><br> <i>Dessin d'Albert <span class="sc">Sébille</span>, à bord du torpilleur</i> Spahi.</p> + +<br><br> + +<h3>UN SOUVENIR DU MARIAGE DE BERLIN</h3> + +<p class="mid"><i>(Voir notre gravure de première page.)</i></p> + +<p>La rencontre, à Berlin, à l'occasion du mariage de la princesse +Victoria-Louise de Hohenzollern avec le prince Ernest-Auguste de +Cumberland, du tsar Nicolas et du roi George V, a fourni au photographe +de la cour allemande l'occasion d'un très curieux cliché, que nous +reproduisons, et qui montre côte à côte les deux souverains russe et +anglais, l'allié et l'ami de la France.</p> + +<p>Le tsar porte l'uniforme de colonel de son régiment de hussards +prussiens. Le roi de Grande-Bretagne et d'Irlande a revêtu la grande +tenue de colonel du régiment de cuirassiers prussiens dont il est le +chef honoraire. Sur la poitrine de chacun d'eux pend, en sautoir, le +grand collier de l'Aigle noir.</p> + +<p>Mais ce qui frappe surtout dans ce cliché, c'est la saisissante +ressemblance des deux souverains, qui a été maintes fois signalée, et +qui inspire encore, en cette circonstance, à un journal illustré +allemand, <i>l'Illustrirte Zeitung</i>, un amusant croquis fantaisiste: dans +la salle des réceptions, l'un des deux sosies s'avance, en uniforme tout +constellé d'ordres. Et l'empereur de se pencher vers le chambellan de +service: «Est-ce le tsar ou bien le roi?»</p> + +<br><br> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/004.png"><br><b>UNE GRANDE OEUVRE LYRIQUE A L'OPÉRA-COMIQUE.<br>--Mme +Marguerite Carré et M. Rousselière au premier acte de</b> <i>Julien</i>.<br> <i>Dessin de <span class="sc">J. Simont.</span></i></p> + +<p><i>Julien</i>, le poème lyrique que l'Opéra-Comique vient de nous révéler, va +encore ajouter à la gloire de Gustave Charpentier qui, depuis le succès +triomphal de <i>Louise</i>, se taisait dans la retraite et le recueillement. +Déjà cette oeuvre apparaît incontestablement comme un autre +chef-d'oeuvre. On y retrouve, développé, amplifié, le thème esquissé +dans cette <i>Vie du Poète</i> qui fut, on s'en souvient, le premier envoi de +Rome du jeune compositeur. Dans ce nouveau drame musical, d'une +puissante originalité, le rêve est aux prises avec la vie. On y voit, +d'étape en étape, l'artiste vibrer d'enthousiasme pour la Beauté, douter +de soi-même et d'autrui, éprouver l'impuissance de l'effort, demander +enfin à l'ivresse les illusions qui l'ont abandonné. Ses visions +intérieures s'extériorisent et l'accompagnent quand, s'évadant de +lui-même, il demande en vain la paix et l'oubli à la nature, ou cherche +à s'étourdir parmi la foule frénétique des faubourgs. Ces sentiments +contradictoires, ces situations qui s'opposent, ce mélange de +matérialisme et d'idéal, ces aspirations d'amour et de gloire, ces +espoirs suivis de désenchantements, ces beaux élans d'une âme ardente, +généreuse, passionnée, errant parmi les paysages du monde réel et +chimérique, sont exprimés avec une grandeur, une noblesse, une +spontanéité, un lyrisme profondément émouvants. Cette oeuvre magistrale, +superbement présentée par l'Opéra-Comique, réunit la plus parfaite +interprétation qu'on pût lui souhaiter. Mme Marguerite Carré et M. +Rousselière en sont les magnifiques protagonistes et, à côté d'eux, tous +les artistes de la maison ont mis tout leur talent à servir la pensée de +l'auteur.</p> + +<br><br> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/005a.png"><br><b>Consécration du temple de Nogi par les prêtres du shinto<br> +en présence des premiers personnages de l'armée et de la marine.</b></p> + +<h3>NOGI DIVINISÉ</h3> + +<p><i>Selon les traditions de la religion des grands hommes, au Japon, le</i> +shinto, <i>un temple a été consacré à l'illustre général Nogi gui se +suicida pour ne point survivre à son empereur. Sur cette dédicace du +Nogi-Jinja, et les antiques coutumes qu'il évoque, notre correspondant +de Tokyo, M. J.-G. Balet, nous a adressé les intéressantes notes qui +suivent:</i></p> + +<p class="mid">HITO WA BUSHI, HASSA WA SAKURA</p> + +<p><i>L'homme (par excellence) est le samurai, (comme) la fleur (par +excellence) est celle du cerisier.</i></p> + +<p>Officiellement, Nogi est entré dans l'Olympe japonais; il a maintenant, +sur terre, son premier temple, un temple qui porte son nom, tout +simplement: <i>Nogi-Jinja</i>. Inutile d'ajouter qu'il a de très nombreux et +très fervents adorateurs, <i>more japonico</i>, comme le montrent nos +photographies.</p> + +<p>On s'est souvent demandé ce qu'était la religion du Japon, le <i>shinto</i>, +ou voie des dieux. Elle tient tout entière, ou presque, dans la +cérémonie l'hier. Répétez-la des milliers de fois, à travers les âges, +en l'honneur des hommes qui ont bien mérité de la nation et vous aurez +la vraie notion du <i>shinto</i>.</p> + +<p>Les templicules qui se cachent dans les bosquets touffus de la plaine, +par centaines et par milliers, au flanc des montagnes, à l'abri des +arbres séculaires, sur le bord des torrents, les sanctuaires plus +majestueux d'Isé, de Dazaifu, d'Ikuta, etc., tous sont dédiés à la +mémoire d'un Nogi quelconque des temps préhistoriques ou historiques, ou +bien à la mémoire des empereurs défunts, mais pour des raisons +identiques.</p> + +<p>Du temple, ils ne méritent même pas le nom. Ils sont d'une simplicité +rustique qui rappelle le toit domestique. Un portique de pierre ou de +bois en marque l'entrée. Ils sont vides. Parfois un autel de bois +supporte le miroir, le joyau sacré et les <i>gohei</i> en papier, symboles du +shintôïsme.</p> + +<p>Le <i>shinto</i> est le culte des grands hommes, réels ou imaginaires, qui +ont joué un rôle plus ou moins grand dans l'histoire nationale. Nous les +avons appelés <i>dieux</i>. Dieux, si l'on veut, à condition de ne pas +attacher à ce mot un sens transcendantal, moins même que pour les dieux +de la Grèce et de Rome, qui symbolisaient souvent des idées abstraites, +concrétisées dans des personnages de convention.</p> + +<p>La plupart des dieux du <i>shinto</i> ont été des hommes réels, par +conséquent des amis, des frères de tous les Japonais passés, présents et +à venir. La foule simpliste les vénère, les adore, les prie, croit à +leur intervention bienveillante en faveur du sol où ils vécurent et de +ses destinées. Ce culte, plus généralisé, n'est autre que le culte des +ancêtres. Aussi bien, chaque famille possède un petit sanctuaire +intérieur ou extérieur où sont déposées les tablettes ancestrales.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/005b.png"><br><b> +La foule admise à faire ses premières<br> dévotions au temple de Nogi.</b></p> + +<p>Le <i>Nogi-Jinja</i>, dédié à la mémoire du héros de Port-Arthur, n'est pas +autre chose. Durant sa vie, le général y remémorait ses ancêtres. Le +dernier rejeton de la famille étant mort, le templicule a pris le nom du +plus illustre des Nogi, et désormais c'est la foule qui viendra évoquer +l'âme de cet homme devenu dieu et invoquer sa protection.</p> + +<p>Ce temple s'élève dans l'enceinte de la petite propriété dont, par +testament, le général fit don à la ville. La maison de Shinzaka machi +qui vit le suicide émouvant du <i>dernier des samurais</i>, de <i>l'incarnation +vivante du Bushidô</i>, est restée telle qu'au jour du drame. Les murs de +la petite chambre du deuxième étage, dans la maisonnette de style +européen, sont encore tachés du sang de Nogi. De petits écriteaux cloués +sur chaque porte disent: «Chambre de repos de Mme Nogi. Chambre du +suicide de Mme Nogi!» Et je remarque que devant cette chambre un groupe +serré d'étudiantes se prosterne. Quelques-unes pleurent de vraies +larmes.</p> + +<p>J'aperçois le général Teranchi, profondément incliné devant la chambre +où le général s'ouvrit le ventre.</p> + +<p>Aujourd'hui, jour de la dédicace, les fenêtres et les portes sont +ouvertes. Demain elles seront refermées, en attendant que la +municipalité ait pris les mesures nécessaires à la conservation des +nobles reliques, tout en assurant la liberté de les voir.</p> + +<p>La foule se presse au fond du jardin. Là, un carré de 400 mètres +conserve encore des traces de travail, des sillons couverts d'herbes +mortes. Dans un coin, une bêche, des râteaux, instruments dont se +servait le guerrier pour cultiver ses pommes de terre. Quelques-unes ont +survécu à celui qui les planta. Elles hasardent timidement quelques +tiges au dehors, tout comme les fameux <i>kakis</i>, plantés par la comtesse +Nogi à la naissance de chacun de ses fils, «afin que, devenus de beaux +arbres, ses bien-aimés en pussent cueillir les fruits». Hélas! les +arbres fleuriront, porteront des fruits, mais eux ont engraissé de leur +sang les collines de Port-Arthur et de Nanshan.</p> + +<p>Ah! que je préfère ce rustique <i>jinja</i> aux horribles statues de bronze +qui commencent à grimacer un peu partout à travers les érables et les +cerisiers, en l'honneur d'autres dieux analogues: le grand Jaïgo, à +Meno, le célèbre Hirosé, du blocus de Port-Arthur, et une foule d'autres +qui déshonorent l'entrée du Shôkou-sha de Kudar, où reposent les cendres +des guerriers morts pour la patrie. Nogi n'échappera pas à la +statuomanie, maladie aiguë des Japonais modernes qui commencent à élever +des monuments à des personnages vivant encore.</p> + +<p>Si la statue arrive à tuer le <i>jinja</i>, mauvais présage pour le Japon!<br> + +<span class="rig"><span class="sc">J.-C. Balet.</span></span></p><br><br> + +<h3>LA CONVALESCENCE DE PIE X</h3> + +<p>Pie X va beaucoup mieux. Le souverain pontife est en pleine +convalescence. Il a fini par triompher de son long et redoutable +affaiblissement. Il a recommencé de s'occuper personnellement des +affaires de l'Église. Il a donné quelques audiences. Et même, on l'a vu +réapparaître tout récemment sur un balcon du Vatican, entouré des hauts +dignitaires de la cour pontificale, pour bénir un pèlerinage de 2.500 +personnes qui attendaient, agenouillées au-dessous, dans la cour +Saint-Damase, la vision blanche du pontife ressuscité.</p> + +<p>Car vraiment c'est presque d'une résurrection qu'il s'agit ici. La +maladie de Pie X avait, à juste titre, fait naître les plus immédiates +inquiétudes. Le fragile vieillard, presque octogénaire, goutteux, +arthritique, cardiaque, est, en outre, atteint d'artério-sclérose, et +l'on n'osait guère espérer qu'il offrirait assez de résistance physique +pour triompher d'un mal opiniâtre qui affirma sa ténacité pendant de +longues semaines. Mais, décidément, l'heure mortelle du blanc vieillard +n'était point encore venue; la flamme vacillante s'est ranimée, et, de +nouveau, monte droite et claire. Pie X, notre photographie en témoigne, +est apparu à la vénération enthousiaste des pèlerins, avec son visage +accoutumé, empreint de douceur grave, mais plus pâle, allongé, émacié; +la silhouette, maigrie, paraît moins terrestre; le regard, pensif et +profond, semble encore fixé sur une vision de l'au delà.</p> + +<p>Groupés autour de Pie X, les cardinaux, les prélats familiers, les +officiers pontificaux, les gardes nobles de service, paraissent tout +heureux de cette «première sortie» en public du pape convalescent.</p> + +<p>Et, dès lors, sont interrompues pour un temps, entre prophètes de +conclave, les discussions sur les cardinaux «papables». Le pape va +mieux. Pie X continue son règne.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/006.png"><br><b>LA GUÉRISON DE PIE X.--Le souverain pontife se montre, le<br> +29 mai, aux pèlerins réunis dans la cour Saint-Damase.</b> <i>Phot. G. +Felici.</i></p> +<br><br> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/007.png"><br> +<span class="sml">Sir Edward Grey.</span> <br> + +<b>LA PAIX ENTRE LA TURQUIE ET LES ÉTATS DES BALKANS.--Les +plénipotentiaires signent, à cinq exemplaires, le traité de Londres, le 30 mai, dans la salle des Portraits du palais de Saint-James.</b><br> + +<span class="sml">A la droite de sir Edward Grey, les plénipotentiaires +turcs; à sa gauche, les plénipotentiaires grecs; à l'extrémité de la +table, M. Danef écrivant, entouré des plénipotentiaires bulgares. +Viennent ensuite, de droite à gauche, en face de sir Edward Grey, les +plénipotentiaires monténégrins et les plénipotentiaires serbes. A droite +du dessin, en groupes distincts, les secrétaires.<br> + +<i>Dessin de S. Begg, de l</i>'Illustrated London News <i>seul admis dans la salle des pendant cette séance historique.</i></span></p> + +<p><i>Le vendredi 30 mai, un peu après midi et demi, les plénipotentiaires de +la Turquie et ceux des États balkaniques, réunis sous la présidence de +sir Edward Grey, ministre des Affaires étrangères de Sa Majesté +Britannique, dans la salle des Portraits, au palais royal de +Saint-James, signaient le traité de paix qui met fin définitivement, il +le faut espérer, aux hostilités commencées au mois d'octobre dernier.</i></p> + +<p><i>Cinq exemplaires du «traité de Londres» avaient été préparés. +Successivement, les représentants des puissances naguère belligérantes y +apposèrent leurs signatures. Puis sir Edward Grey se leva et, en +français, prit la parole: «D'ordre du roi, mon auguste souverain, je +m'empresse de vous assurer de la vive satisfaction avec laquelle Sa +Majesté apprendra la nouvelle de la signature de la paix que vous venez +de conclure en son palais de Saint-James. Au nom du gouvernement +britannique, je vous prie d'agréer mes plus cordiales félicitations... +Certes nous n'ignorons pas que diverses questions demeurent, après cette +paix, en suspens; mais j'aime à espérer que la signature même de ce +traité facilitera leur règlement; qu'elle consolidera votre amitié +réciproque et fortifiera la bienveillance que les puissances vous ont +vouée. De tout mon coeur, je fais des voeux pour que de la paix ici +conclue résulte un complet apaisement qui permette à chacun des États en +présence de réparer ses forces si fortement éprouvées, développer ses +territoires, assurer le bien-être et le bonheur de son peuple et la +prospérité de sa vie nationale.»</i></p> + +<p><i>Il faut souhaiter ardemment que les espoirs exprimés par sir Edward Grey +se réalisent complètement. Pourtant, si les délégués ottomans, grecs, +serbes, ont adhéré sans restriction aux paroles du ministre des Affaires +étrangères, M. Danef, au nom du gouvernement bulgare, M. Popovitch, au +nom du gouvernement monténégrin, dans les allocutions qu'ils ont +prononcées pour remercier le roi George et son gouvernement, n'ont pu se +tenir de faire des réserves quant aux conditions qu'ils venaient +d'approuver de leur seing. Même, après la conclusion officielle de la +paix, la discussion s'est prolongée. Et les délégués serbes, grecs et +monténégrins ont refusé de signer sur-le-champ un protocole additionnel +que leur soumettaient les Bulgares.</i></p> + +<br><br> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/008.png"><br><b> +Le palais de l'Elysée vu de la place Beauvau. A gauche,<br> +façade sur la rue du Faubourg-Saint-Honoré avec le porche d'entrée<br> +ouvrant sur la cour d'honneur; à droite, côté de l'avenue de Marigny.</b></p> + +<h2>LE PALAIS DE L'ELYSÉE</h2> + +<p><i>L'Elysée, palais des présidents de la République française, est un +monument discret, pourrait-on dire, et devant lequel le passant éprouve +plus de curiosité que d'admiration. Ce n'est pourtant point une bâtisse +vulgaire: seule l'exiguïté de l'espace vide qui l'entoure et la +simplicité des murs ou des grilles qui protègent son parc lui valent +cette renommée sans éclat. Vertes, l'Elysée, ce n'est pas le Louvre et +son parc, ce n'est pas les Tuileries, mais ce palais clos et caché +renferme des beautés dont l'existence mérite d'être rappelée de temps en +temps au public oublieux. L'installation de M. Raymond Poincaré dans le +palais de l'Elysée nous a semblé motiver suffisamment la publication +d'une série de documents sur ce monument. Ces documents sont de deux +sortes: d'une part M. Marc Varenne, qui fut le chef du secrétariat +particulier de M. Fallières, a résumé pour nous l'historique du palais, +et nous avons nous-mêmes réuni quelques renseignements sur son +utilisation actuelle; d'autre part nous avons fait prendre plusieurs +vues en couleurs des principaux salons, cabinets ou façades de la +demeure de nos chefs d'État, on les voit reproduites aux pages +suivantes. Cette partie de notre travail sur le palais national est +absolument nouvelle et originale, et l'on peut juger que nos +collaborateurs ont pleinement réalisé le projet que nous avions formé de +composer, par l'image, une documentation inédite, à la fois historique +et artistique, sur le palais de l'Elysée.</i></p> + +<h3>L'HISTOIRE DE L'ELYSÉE</h3> + +<p>En 1718, le bruit se répand à la cour qu'un des favoris du Régent, Henri +de La Tour d'Auvergne, comte d'Évreux, troisième fils du duc de +Bouillon, va épouser la fille du financier Crozat, un ancien commis +devenu par la suite caissier du clergé et fondateur de la Compagnie de +Louisiane. Le comte d'Évreux, criblé de dettes et n'arrivant pas à payer +sa charge de colonel général de la cavalerie, s'est alors résolu, comme +le dit Saint-Simon, «à sauter le bâton de la mésalliance» et, dès le +mariage conclu, avec l'argent du père Crozat, il achète hors Paris, sur +le chemin de Neuilly, une trentaine d'arpents en jardins et marais sur +lesquels l'architecte Molé lui construit un magnifique hôtel.</p> + +<p>Henri de La Tour d'Auvergne meurt avant de voir cette résidence achevée +et il la laisse à un de sus neveux, le prince de Turenne, lequel déclare +immédiatement se trouver dans l'impossibilité de la conserver.</p> + +<p>Or, la marquise de Pompadour a une envie folle de l'hôtel d'Évreux: +voilà plusieurs mois qu'elle convoite cette fastueuse installation dont +la situation admirable lui plaît infiniment. La marquise, d'ailleurs, ne +cesse pas d'acquérir des propriétés nouvelles. Elle possède déjà les +châteaux de Crécy et de la Celle, ainsi que ses ermitages de Versailles, +de Fontainebleau et de Compiègne, tout cela ne lui suffit point; elle +achète l'hôtel d'Évreux pour 730.000 livres, y appelle aussitôt une +légion d'ouvriers et d'artistes, entasse dans ses nouveaux salons un +mobilier d'une richesse inouïe et tapisse les murailles avec les +Gobelins que Sa Majesté a eu la gracieuseté de lui faire envoyer. Le +peuple chansonne la prodigalité de la marquise, les épigrammes pleuvent +et l'on affiche des placards critiquant les dépenses exagérées de la +favorite. Celle-ci ne se laisse pas émouvoir; elle poursuit son oeuvre, +embellit l'hôtel d'Évreux et, en dernier lieu, agrandit d'un coup les +jardins potagers qui s'étendent jusqu'aux avenues Montaigne et Matignon +actuelles.</p> + +<p>Obligée de quitter le moins possible Versailles, afin de ne pas voir +diminuer son crédit auprès de son royal amant, la marquise de Pompadour +ne s'attarde guère à l'hôtel d'Évreux, elle ne peut y effectuer que des +séjours de courte durée, mais elle garde une prédilection particulière +pour cette résidence et à sa mort elle la lègue, par testament, au roi +pour le comte de Provence.</p> + +<p>Louis XV désintéresse M. de Marigny, frère de la marquise, et décide que +l'hôtel d'Évreux sera réservé désormais aux ambassades extraordinaires +logées souvent à l'hôtel Pontchartrain, rue Neuve-des-Petits-Champs. +L'administration du Garde-Meuble de la couronne s'empare bientôt de +l'hôtel qui n'abrita point d'ambassade et elle le conserve jusqu'au +moment où le gouvernement, ayant besoin d'argent, le cède au fameux +banquier Beaujon qui l'accepte sans difficulté en échange de ses grosses +créances.</p> + +<p>Beaujon, homme d'affaires consommé mais vaniteux et possédé de la manie +du faste, amoncelle dans cette demeure dont il est si fier une quantité +énorme d'objets d'art, de tableaux, de meubles et de livres.</p> + +<p>Louis XVI rachète l'hôtel dont Beaujon se réserve l'usufruit et à la +mort de ce dernier--cinq mois après la conclusion de ce contrat--il +dispose de cette propriété en faveur de la duchesse de Bourbon.</p> + +<p>Imbue des idées à la mode, cette princesse bouleverse les jardins et +change les majestueux parterres à la française en parc anglais et donne +à l'hôtel le nom d'Elysée qu'il porte aujourd'hui. Voyant que les choses +se gâtent, la duchesse prend vite le parti d'émigrer et elle loue +l'Elysée à un sieur Hovyn, sorte d'imprésario et entrepreneur de fêtes +publiques qui transforme l'Elysée, devenu <i>Hameau de Chantilly</i>, en bal +populaire où la foule se presse autour d'attractions diverses. Hovyn a +eu là un trait de génie et la réussite est complète. Le Hameau de +Chantilly ne désemplit, pas; selon la formule, on refuse du monde et, en +l'an VI, Hovyn se hâte de se rendre propriétaire de l'immeuble vendu +comme bien national.</p> + +<p>Malheureusement le propre de la vogue c'est de n'avoir qu'un temps et le +Hameau de Chantilly voit sa faveur décroître. Malgré la beauté de ses +ombrages, le jardin n'attire, plus autant le public; la mode en a décidé +autrement. Les soldats du général Bonaparte ont apporté d'Italie le goût +des glaces à la vanille et ce sont les pâtissiers-glaciers qui, à cette +heure, font fortune. Mlle Hovyn, qui a succédé à son père, s'obstine +cependant durant quelques mois et tâche d'attendre des jours meilleurs +en vivant au moyen des loyers que lui paient les locataires. L'hôtel est +en effet divisé en quinze appartements et l'un d'eux est habité par M. +de Vigny, dont le petit garçon, Alfred--le futur auteur d'<i>Eloa</i>--joue +sur les pelouses du jardin: mais Mlle Hovyn se rend compte que lutter +est impossible, la concurrence est la plus forte, il lui faut vendre +l'établissement. Le moment est favorable: nous sommes en 1805, et une +société nouvelle est en train de se reconstituer sur les ruines de +l'ancienne noblesse. Un premier acquéreur se présente dans la personne +de Louis Bonaparte, connétable de l'Empire. Effrayé par le prix, il +préfère se retirer et laisse le champ libre au maréchal Murat, +gouverneur de Paris, qui s'est mis en tête de quitter le quartier de +Notre-Dame-de-Lorette. Murat, séduit par l'idée d'habiter dans +l'aristocratique faubourg Saint-Honoré, finit, après d'assez longs +pourparlers, par se décider, et l'Elysée est à lui moyennant un million.</p> + +<p>L'Elysée a un besoin urgent de réparations indispensables. Ces derniers +quinze ans l'ont très abîmé, et le premier soin de Murat est de charger +Percier et Fontaine de mettre le palais en état. (C'est à cette époque +qu'a été construit l'escalier d'honneur.) Quand l'empereur appelle Murat +au trône de Naples, l'Elysée fait retour à la couronne, et Napoléon +affectionne bientôt cette demeure tranquille, enveloppée par une +ceinture de jardins, où il lui est loisible, en plein Paris, de se +reposer des lourds soucis du pouvoir. Aussi s'empresse-t-il, en décembre +1809, au moment de son divorce, de comprendre l'Elysée, dont il a +apprécié le charme doux et paisible, dans les palais affectés dorénavant +à l'impératrice Joséphine. Le 30 janvier 1810, il lui écrit: «Je te +saurai avec plaisir à l'Elysée et fort heureux de te voir plus souvent, +car tu sais combien je t'aime», et, le 3 février: «J'ai fait transporter +tes effets à l'Elysée; sois tranquille et contente et aie confiance +entière en moi.»</p> + +<p>L'Elysée a été le dernier palais impérial de Napoléon.</p> + +<p>Presque jour pour jour, un an après l'abdication de 1815, le duc et la +duchesse de Berry s'installent à l'Elysée. Ils mènent là une existence +charmante, exempte de l'étiquette insupportable des Tuileries, et se +plaisent à la conversation spirituelle de leurs familiers et notamment +de leur premier aumônier, le marquis de Montebello, ancien maréchal de +camp, qui ne craint pas de se mettre au piano pour faire danser +l'entourage du duc et de la duchesse. Le 29 janvier, écrit la comtesse +de Boigne, «un bal magnifique et profondément ordonné a lieu à l'Elysée. +Le prince en fit les honneurs avec bonhomie et obligeance.» Quelques +jours après, le prince est assassiné par Louvel, et la duchesse quitte +l'Elysée.</p> + +<p>Sous la monarchie de Juillet, le palais voit tour à tour défiler une +foule de personnages et de souverains qui viennent rendre visite au roi +des Français: Mehemet Ali et la reine Christine, le bey de Tunis, la +duchesse de Kent, etc..</p> + +<p>Un décret de l'Assemblée Constituante de 1848 assigne l'Elysée comme +résidence au président de la République, et le prince Louis-Napoléon +Bonaparte s'y installe en 1850.</p> + +<p>Après la proclamation de l'Empire, quand Napoléon III s'est résolu à +habiter les Tuileries, l'Elysée s'agrandit grâce à l'acquisition des +hôtels Sébastiani et Castellane. L'architecte Lacroix construit une aile +destinée aux appartements particuliers du chef de l'État et il surélève +en outre les bâtiments qui donnent sur le faubourg Saint-Honoré et sur +la cour d'honneur.</p> + +<p>Au moment des fiançailles officielles de Mlle de Montijo avec +l'empereur, l'Elysée abrite durant quelques jours la future impératrice, +et lors des Expositions il est utilisé comme palais des Souverains.</p> + +<p>Depuis 1873, l'Elysée est affecté à la résidence du président de la +République.<br> + +<span class="rig"><span class="sc">Marc Varenne.</span></span></p><br><br> + +<h3>L'ELYSÉE EN 1913</h3> + +<p>L'aménagement intérieur du palais de l'Elysée n'a guère changé au cours +de ces dernières années. Le même mobilier Empire occupe et décore les +mêmes salles. Quelques transformations ont bien été apportées par le +président Sadi Carnot et par le président Félix Faure; mais, depuis +lors, tout ou presque tout est resté intact et pareil. La destination +des principaux salons et cabinets n'a guère varié non plus.</p> + +<p>Nous allons parcourir rapidement tout le rez-de-chaussée du palais, en +suivant un itinéraire naturel qui est celui du visiteur entrant par le +vestibule d'honneur. Ce vestibule ouvre sur la cour d'honneur. Du porche +du faubourg Saint-Honoré, auquel il fait face, les passants peuvent +l'apercevoir, ainsi que le perron qui y conduit, ainsi que les vérandas +et les verrières qui, aux jours de cérémonie, reçoivent un vêtement, de +tentures et de draperies.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/009a.png"><br><b>Façade sur le jardin</b></p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/009b.png"><br><b>LE PALAIS DE L'ELYSÉE.--Grande salle à manger.<br> (Au fond, +statue d'Hébé par Marqueste.)</b></p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/010a.png"><br><b>Cabinet du Président de la République.</b></p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/010b.png"><br><b>Cabinet du Secrétaire général civil.<br> Tapisserie des +Gobelins: <i>Hiver</i>, d'après Pierre Mignard.</b></p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/010c.png"><br><b>Cabinet du Conseil des Ministres.</b></p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/010d.png"><br><b>Salon de l'Hémicycle. Ecran en tapisserie de Beauvais.</b></p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/010e.png"><br><b>LE PALAIS DE L'ELYSÉE.--Grande salle des Fêtes, tendue de +tapisseries des Gobelins.</b></p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/010f.png"><br><b>Salon Murât.<br> Peinture de Carle Vernet représentant «la<br> +Résidence du prince Murat, grand-duc de Berg».</b></p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/011a.png"><br><b>Grand Salon de réception, (sièges et écrans en tapisserie<br> +de Beauvais; tapis de la Savonnerie.)</b></p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/011b.png"><br><b>LE PALAIS DE L'ELYSÉE.--Salon de l'Hémicycle: <i>le<br> +Jugement de Pâris</i>, d'après Raphaël (tapisserie des Gobelins).</b></p> + +<p>Le vestibule d'honneur franchi, nous nous trouvons dans le Salon des +Tapisseries, ainsi nommé à cause des beaux Gobelins qui en ornent les +murs. Nous pénétrons ensuite dans le Salon Blanc ou Salon des Aides de +camp. Cette seconde dénomination lui aurait été donnée au temps du +Prince-Président, dont les aides de camp avaient coutume de se tenir là. +C'est un salon clair, peu orné, tout garni de boiseries blanches.</p> + +<p>Passons maintenant dans le Grand Salon de réception, ou Salon des +Ambassadeurs, qui est représenté à la page précédente. C'est ici que les +ministres des puissances étrangères s'entretiennent d'ordinaire avec le +président de la République, soit qu'ils viennent lui présenter leurs +lettres de créance ou de rappel, soit qu'ils assistent à une cérémonie +officielle. Le Salon de l'Hémicycle, qu'on voit sur cette même page en +couleurs, lui est contigu. Plus loin, se trouve la Salle du Conseil des +ministres, dont la cheminée supporte des bronzes noirs et dorés d'un +grand effet et qui, débarrassée de sa sévère table au tapis vert, est +réservée, les jours de réception, comme tous les salons précédents, aux +invités du président de la République. Attenant à la Salle du Conseil +des ministres, voici un salon plus étroit, le Salon de Cléopâtre, qui +tire son nom du sujet de sa tapisserie, et où les personnes ayant obtenu +audience attendent le moment d'être reçues par le chef de l'État.</p> + +<p>Si nous traversons de nouveau, mais en sens inverse, tous ces +appartements, nous nous trouvons dans le Salon Murat, aux vastes +dimensions, dont la perspective est prolongée par d'immenses glaces et +qui fut construit pendant le séjour du prince Murat au palais. Tout près +est la Grande Salle à manger (voir la première page en couleurs) qui +reçoit jusqu'à cent convives. Elle est de construction assez récente; on +la transforme en buffet les soirs de réception. Les appartements privés +de M. le président de la République comprennent une autre salle à +manger, de dimensions plus réduites.</p> + +<p>Le Jardin d'Hiver est parallèle à la Grande Salle à manger, et la Salle +des Fêtes leur est perpendiculaire. Cette Salle des Fêtes fut construite +par ordre de M. Sadi Carnot. Auparavant on dressait, les soirs de bal à +l'Elysée, une immense tente provisoire sur l'emplacement de la salle +actuelle. Elle est, cette Salle, surchargée d'ornements et de dorures; +le plafond est un chaos de reliefs et de creux rutilants.</p> + +<p>Au-dessus de ces vastes appartements du rez-de-chaussée, qui sont dits +«officiels», se trouvent les appartements privés du président de la +République qui comprennent aussi plusieurs salons de réception. Dans +notre photographie du parc, où le Palais s'aperçoit au fond, entre les +arbres, ces appartements privés sont ceux du premier étage.</p> + +<p>Revenons dans le vestibule d'honneur--où commence le grand escalier à la +rampe composée de longues palmes de cuivre--et pénétrons, à gauche, dans +le Cabinet de service des officiers. Aux murs, plusieurs toiles, dont +une <i>Charge de cuirassiers</i>, d'Aimé Morot, et <i>Un homme à la mer</i>, de +Léon Couturier. A côté est le cabinet du secrétaire général militaire, +le général Beaudemoulin, puis le cabinet du président de la République, +que nous montrons plus haut, avec ses boiseries blanches, sa +bibliothèque mi-circulaire, en acajou, remplie de livres aux reliures +sévères, cuir et or. Deux fenêtres ouvrant sur le parc l'éclairent. +Enfin voici le cabinet du secrétaire général civil, M. Pichon, dont un +des murs, formant rotonde, est orné de la tapisserie de Pierre Mignard, +que nous avons photographiée.</p> + +<p>Nous sommes, là, sur la rue de l'Elysée. L'aile du bâtiment se prolonge +entre cette voie et le parc. C'est à l'extrémité de cette aile que se +trouvent le Salon d'Argent et un autre Salon qu'on appelait +familièrement naguère le «capharnaüm», parce qu'on l'utilisait peu. Ces +deux salons ont été tout récemment restaurés et M. Raymond Poincaré se +plaît à y travailler et à y recevoir quelquefois. Ils ouvrent aussi sur +le rectangle du parc qu'enferme cette partie du palais et qui forme un +petit jardin à la française agréablement fleur'</p> + +<p>Le général Beaudemoulin est secrétaire général militaire de la +présidence de la République et chef de la maison militaire du président. +Le secrétaire général civil est M. Pichon. Le chef du secrétariat +particulier, M. Gras. La maison militaire se compose de MM. le capitaine +de vaisseau Grandclément, le colonel Boulanger, le lieutenant-colonel +Aldebert, le lieutenant-colonel Pénelon et le commandant Aubert. Le +commandant du palais est le lieutenant-colonel de gendarmerie Jouffroy.</p> + +<p>On peut diviser le personnel ordinaire de l'Elysée en trois catégories. +M. Perrin, chef des services intérieurs, a d'abord sous ses ordres un +personnel chargé de l'entretien du mobilier, du chauffage, de +l'éclairage, du nettoyage, etc., et qui dépend de l'administration des +Beaux-Arts. L'entretien du monument proprement dit est confié aux +services de l'architecture. M. Guillaume Tronchet, architecte en chef +des palais nationaux, a un bureau à l'Elysée.</p> + +<p>La seconde catégorie du personnel concerne la surveillance. Elle est +composée de surveillants militaires des palais nationaux, qui dépendent +aussi de l'administration des Beaux-Arts; ce sont de vieux soldats, +coiffés du bicorne et portant l'épée, les mêmes que ceux qui veillent à +la porte de nos musées. Viennent ensuite les portiers, aux uniformes +noirs avec de minces galons d'or. La garde militaire comprend un +détachement de gardes républicains chargés de la protection intérieure +et d'un détachement d'infanterie, chargé également de la protection +intérieure et, en outre, de rendre les honneurs au président à sa sortie +du palais et à son retour.</p> + +<p>Il y a enfin le personnel d'antichambre et d'écurie, lequel est +entièrement rétribué sur la cassette personnelle du président. Le +service d'antichambre est sous la direction du maître d'hôtel; il est +composé de valets de pied, de cuisiniers, d'huissiers, de garçons de +bureau, etc. Le personnel d'écurie est sous la haute surveillance d'un +officier de cavalerie de la maison militaire, en ce moment le +lieutenant-colonel Aldebert. Le premier cocher, M. Decaux, est en même +temps piqueur. Il y a dans les écuries, remises et garages de l'Elysée, +six chevaux, deux voitures et deux automobiles.</p> + +<p>Une de nos photographies représente le parc. Cette vue est prise de la +partie des jardins qui avoisine les Champs-Elysées. Les parterres sont +dessinés à la française. De beaux arbres ombragent les allées. M. le +président de la République accomplit autour des pelouses sa promenade +quotidienne. Il marche d'un pas pressé, jetant de temps à autre un +regard au ciel, aux feuillages ou aux fleurs, mais le plus souvent +étudiant un des dossiers dont il est toujours muni. L'indiscrétion d'un +vieux jardinier--qu'on lui pardonne!--qui est le seul témoin de ces +promenades studieuses nous a fait connaître cette habitude de M. Raymond +Poincaré: «Ah! disait le vieillard ami des fleurs, quel homme que M. le +président! Que peut-il bien avoir dans la tête? Je ne le regarde pas, +bien sûr, mais je le vois tout de même... Eh bien, quand il descend, +après son déjeuner, il a la poche droite de son veston toute bourrée de +paperasses. Et le voilà qui commence à marcher vite, vite, autour des +pelouses, et, tout en marchant, il plonge sa main dans sa poche droite, +en tire un papier, le lit, parfois écrit quelque chose dessus, toujours +sans s'arrêter, puis enfonce le papier dans la poche gauche pour en +reprendre aussitôt un autre dans la poche droite. Et quand, sa promenade +terminée, il regagne son cabinet, la poche droite est vide et la poche +gauche est pleine... Mais qu'est-ce que M. le président peut bien avoir +dans la tête pour travailler comme ça, tout le temps?...»</p> + +<p>Et le vieux jardinier croisait les bras pour témoigner de sa surprise et +de son émerveillement.<br> + +<span class="rig">J. L.</span></p><br><br> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/012small.png"><br><a href="images/012large.png">(Agrandissement)</a><br><b>Plan du rez-de-chaussée du palais de l'Elysée. Sur ce +plan ne figure pas le corps de bâtiments bas qui précède la cour +d'honneur, sur la rue du Faubourg-Saint-Honoré, qui ne comprend que les +postes de garde et de surveillance, des bureaux, et des services +subalternes.</b></p> + +<br><br> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/013a.png"><br><b> +A l'aéro-parc de Lamotte-Breuil: le ballon <i>Icare</i> prêt<br> +pour le départ. On remarque le parachute équatorial<br> légèrement soulevé +par le vent.</b></p> + +<h3>A 10.000 MÈTRES D'ALTITUDE</h3> + +<p><i>Le</i> Zénith, <i>parti de la Fillette le 18 avril 1913, atterrissait trois +heures plus tard près de Biron (Indre). Les 8.600 mètres d'altitude +atteints au cours de l'ascension coûtaient la vie à Sivel et à Crocé +Spinelli; seul, Gaston Tissandier, effroyablement éprouvé, échappait à +la mort. Le 28 mai 1913, le ballon</i> Icare, <i>ayant à bord MM. Bienaimé, +Jacques Schneider et Albert Senouque, parti de Lamotte-Breuil (Oise), +atterrissait cinq heures plus tard, ayant dépassé 10.000 mètres +d'altitude. L'équipage n'avait nullement souffert. Avec quel matériel, à +l'aide de quels instruments, comment, en un mot, est-il possible +aujourd'hui de franchir le cap des 10.000 mètres sans accident, quelles +sont les conséquences physiologiques de pareilles ascensions, l'un des +trois aéronautes de l'</i>Icare, <i>M. Maurice Bienaimé, va nous le dire:</i></p> + +<p>Nous disposions pour cette ascension d'un ballon de 3.500 mètres cubes +en tissu caoutchouté, gonflé à l'hydrogène pur.</p> + +<p>Pour qu'un aérostat puisse gagner la haute atmosphère, il faut disposer +de la presque totalité de sa force ascensionnelle, autrement dit il faut +jeter tout le lest. Mais un ballon qui regagne les couches inférieures +de l'atmosphère a une tendance à accélérer sa descente pour deux raisons +distinctes: le gaz contenu dans l'enveloppe se contracte sous la +pression atmosphérique grandissante; de plus, il est soumis aux lois de +l'accélération de la pesanteur. D'où nécessité de garder une provision +de lest évaluée à 25 kilos par 1.000 mètres d'altitude, soit 250 kilos +pour modérer une descente de 10.000 mètres.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/013b.png"><br><b> +La nacelle de l'<i>Icare</i> et les trois aéronautes.<br> +M. Senouque, encore hors de la nacelle et tenant un<br> +baromètre enregistreur; M. Schneider et M. Bienaimé<br> +dans la nacelle.</b></p> + +<p>Afin de résoudre ce dilemme, nous avions muni notre ballon d'un +parachute équatorial. Le parachute équatorial se compose d'une bande +d'étoffe de 1 m. 25 de large, que l'on fixe autour du ballon à la +hauteur de l'équateur. Cette bande d'étoffe forme une sorte de +collerette dont le bord extérieur est rattaché à l'aide de cordelettes +aux mailles inférieures du filet. Lorsque l'aérostat est immobile ou en +ascension, l'étoffe pend verticalement; si un mouvement de descente se +produit, l'étoffe prend une position horizontale et s'ouvre comme un +vaste parapluie. La surface en était calculée de façon à délester le +ballon de 250 kilos pour une descente de 125 mètres à la minute. Ce qui +nous permettait de descendre presque sans lest.</p> + +<p>Nous emportions quatre appareils respiratoires, dont un de secours. Ces +appareils se composent d'un obus d'oxygène comprimé d'une capacité de +1.600 litres, d'un masque relié à l'obus par un tube métallique de 2 +mètres de long. Un premier manomètre indique la quantité de gaz contenue +dans le tube, et un deuxième manomètre, muni d'un détendeur, permet de +régler le débit qui peut varier de 2 litres à 10 litres à la minute.</p> + +<p>Au-dessus de 8.000 mètres d'altitude, on est appelé à rencontrer des +froids pouvant dépasser -40°. Le gaz contenu dans les obus, en se +détendant brusquement, se refroidit encore plus. Il est donc utile de +protéger les appareils contre le froid. Dans ce but, nous avions enfermé +les obus dans des boîtes remplies de sciure de liège et nous avions fait +garnir les masques de caoutchouc, afin que le métal ne nous brûle pas le +visage.</p> + +<p>Dans ce genre d'ascension, une des principales sources d'épuisement +réside dans la nécessité dans laquelle on se trouve de soulever +successivement les sacs de lest pour les vider par-dessus bord. +Au-dessus de 8.000 mètres, cet effort devient absolument épuisant. Afin +de remédier à cet inconvénient, nous avions fait attacher nos sacs de +lest à l'extérieur de la nacelle. Pour les vider, il suffisait de couper +une cordelette après laquelle ils étaient suspendus. Ils tombaient dans +le vide et une deuxième cordelette, préalablement attachée à leur fond, +les faisait basculer et se vider automatiquement.</p> + +<p>Pour déterminer l'altitude atteinte, nous emportions deux baromètres +Richard enregistrant sur noir de fumée, ainsi qu'un thermomètre et un +baromètre enregistreurs. Un dynamomètre à main pour mesurer la force +musculaire, un appareil photographique, des fourrures, complétaient +notre matériel.</p> + +<p>Pour effectuer notre tentative, nous recherchions un ciel sans nuages et +un vent excessivement faible. Dans les hautes régions de l'atmosphère on +est appelé à rencontrer des courants aériens qui atteignent des vitesses +dépassant 130 kilomètres à l'heure. Le 28 mai, par un temps idéalement +pur, nous décidons de partir. Après avoir fait sceller tous nos +appareils enregistreurs par M. Magne, ingénieur de la maison Richard, +nous nous élevons à 12 h. 16 de l'aéro-parc Clément-Bayard, à +Lamotte-Breuil. Un faible vent nous pousse vers le sud. Nous emportons +112 sacs de lest de 20 kilos environ chacun. Pour obtenir une montée +régulière et continue de 50 mètres à la minute, nous jetons un sac +toutes les deux minutes.</p> + +<p>Il est indispensable de s'élever très lentement, afin d'éviter toute +diminution brusque de pression.</p> + +<p>A 13 h. 18, nous atteignons 3.400 mètres et nous commençons à respirer +l'oxygène. A 14 h. 35, nous planons au-dessus de 7.000 mètres. Nous +dépassons une couche de cirri. A 15 heures, nous atteignons 8.000 +mètres. Nous sommes environnés par de légers flocons de neige. Le +thermomètre marque -10 environ. Nous continuons à monter et, à 15 h. 15, +nous dépassons 9.000 mètres. A 15 h. 32, je jette le 109e sac de lest +et, à 15 h. 36, nous atteignons notre altitude maxima. Nous planons à +10.081 mètres au-dessus de la sphère terrestre.</p> + +<p>Senouque essaie sa force au dynamomètre; alors qu'à terre l'aiguille +s'arrêtait à 105, elle dépasse maintenant 110. J'essaie à mon tour; +l'aiguille marque 155, alors qu'avant le départ elle n'indiquait que +140. Nos appareils débitent 5 litres d'oxygène à la minute et nous ne +sommes nullement incommodés par la raréfaction de l'air.</p> + +<p>Nous nous penchons sur le bord de la nacelle, la terre nous apparaît +parfaitement nette. Nous distinguons les villages, les routes, les +arbres qui les bordent et jusqu'à l'ombre qu'ils projettent. La surface +du globe nous semble légèrement concave. Notre regard embrasse un +panorama dont nous croyons pouvoir évaluer le diamètre à 250 kilomètres +environ. Au delà, la vue est limitée par un rideau de brume. Le +thermomètre est descendu à -18 degrés, mais l'absence totale de vent +nous rend cette température très supportable. Nous n'avons plus que +trois sacs de lest que nous conservons pour la descente, et notre +provision d'oxygène s'épuise rapidement. Aussi décidons-nous de +commencer à descendre.</p> + +<p>La manoeuvre de la soupape dans les hautes altitudes est très délicate. +Les ressorts qui actionnent les deux clapets sont constitués par six +élastiques Sandow; lorsque le froid devient intense, il est toujours à +craindre que le caoutchouc ne devienne cassant. Aussi, entr'ouvre-t-on à +peine la soupape, et n'est-ce pas sans une certaine angoisse que l'on +écoute si elle s'est bien refermée. De plus, il est indispensable +d'amorcer la descente par une rupture d'équilibre aussi faible que +possible. Une manoeuvre un peu brutale provoquerait une vitesse de chute +qui s'accélérerait et qu'il deviendrait impossible d'enrayer étant donné +le peu de lest dont on dispose. A 15 h. 40, je commence donc à soupaper +et, après dix minutes d'efforts, nous constatons un léger mouvement de +descente. A 16 h. 14, nous ne sommes plus qu'à 8.000 mètres.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/014.png"><br><b>LE PREMIER CLICHÉ PHOTOGRAPHIQUE IMPRESSIONNÉ A PLUS DE<br> +10.000 MÈTRES D'ALTITUDE. Dans la nacelle de l'<i>Icare</i>: MM. Maurice +Bienaimé et Jacques Schneider, photographiés par leur compagnon, M. +Albert Senouque. Les aéronautes portent les masques respiratoires reliés +aux obus d'oxygène; on voit, à droite, fixé aux cordages, le baromètre +dont l'aiguille indique, sur le cylindre, l'altitude atteinte à ce +moment.</b></p> + +<p>La descente s'accélère et nous voyons le parachute équatorial s'ouvrir +graduellement. 16 h. 20, et nous voici à 7.000. Les précédents mille +mètres ont été descendus en six minutes. C'est trop rapide. Nous jetons +un des trois sacs de lest qui nous restent. 16 h. 45. Nous voici à 5.000 +mètres environ. La contraction des gaz pendant la descente a fait +prendre à notre ballon une forme légèrement fusiforme et cette +déformation a sa répercussion sur le parachute, qui a des mouvements +ondulatoires inquiétants. A 3.000 mètres, nous quittons les masques +respiratoires. Nous nous rapprochons rapidement de la terre et, à 19 h. +5, nous nous apprêtons à effectuer l'atterrissage. Nous arrivons sur une +route; je jette le dernier sac de lest, les tubes d'oxygène, le sac à +bâche, pour essayer d'éviter les fils télégraphiques, mais en vain. +Ironie des choses, après nous avoir allègrement enlevés dans la haute +atmosphère, notre coursier est incapable de nous faire franchir un +obstacle de 3 mètres de haut. Après une courte lutte, les fils +télégraphiques et les branches d'arbres nous livrent passage et +l'atterrissage s'effectue sans encombre dans un champ voisin. Il est 17 +h. 10. Nous sommes à deux kilomètres de Châtillon-sur-Seine. Nous avons +donc parcouru un peu plus de 200 kilomètres à vol d'oiseau. Notre +ascension ayant duré 4 h. 54, nous trouvons une vitesse moyenne de 40 +kilomètres.</p> + +<p>Au point de vue physiologique nous pouvons donc affirmer que l'organisme +humain, grâce au complément d'oxygène que nous lui avons fourni, résiste +parfaitement pendant un laps de temps assez considérable à une +dépression de 545 millimètres, correspondant à une altitude d'environ +10.000 mètres.</p> + +<p>Il est juste d'ajouter que, si l'organisme ne se ressent pas d'une façon +immédiate d'une pareille dépression, il n'en est pas moins assez +sérieusement éprouvé dans la suite. Le coeur, battant à la cadence de +110 pulsations à la minute, produit dans les artères et dans les veines +une pression égale à une colonne de 25 centimètres de mercure environ. +Lorsque la pression extérieure est réduite à 210 millimètres, alors que +la pression interne est de 250 millimètres, il se produit dans les +tissus du système circulatoire une tension considérable, et il est +certain qu'une rupture artérielle ou une extravasation veineuse sont +toujours à craindre.</p> + +<p>Voici quelques mots sur les différents troubles qui résultèrent pour +chacun de nous de cette ascension.</p> + +<p>Albert Senouque éprouva simplement une profonde dépression physique... +Jacques Schneider se réveilla le lendemain avec les veines du pied +gauche fortement enflées et fut pris, après le déjeuner, de phénomènes +d'essoufflement qui durèrent une heure environ. Le surlendemain il +constatait une légère hémorragie intestinale. Pour ma part, je ne +ressentis d'abord rien, mais quarante-huit heures après j'éprouvai une +certaine oppression suivie de courbature cardiaque. Pour donner une idée +de la pression subie dans les artères, je citerai le fait suivant: le +docteur Héron de Villefosse, qui avait pris ma tension artérielle la +veille de l'ascension, constata au retour que de 23 elle était tombée à +16...</p> + +<p>Nous n'avons ressenti ni les uns ni les autres la moindre douleur dans +les oreilles, grâce probablement à la fréquence des mouvements de +déglutition que nous avons faits, dans le but d'assurer la perméabilité +de la trompe d'Eustache et de maintenir le tympan entre deux pressions +sensiblement égales.</p> + +<p>En résumé, il semble résulter de nos constatations que les accidents qui +se produisent au cours des ascensions élevées dépendent moins du défaut +d'équilibre entre les pressions externe et interne que du manque +d'oxygénation des éléments essentiels du sang. Et nous sommes fondés à +tirer cette conclusion, puisqu'il a suffi d'assurer à nos poumons un +apport régulier d'oxygène pour nous mettre tous trois à l'abri de +troubles graves.</p> + +<p>Quelle est la limite extrême au-dessus de laquelle la vie deviendrait +impossible? Quelle dépression faudrait-il atteindre pour provoquer la +rupture finale de notre équilibre organique? C'est ce que nous ne +pourrons savoir que par l'expérience, c'est-à-dire en essayant de nous +élever encore plus haut, et nous espérons bien y réussir.<br> + +<span class="rig"><span class="sc">Maurice Bienaimé.</span></span></p><br><br> + +<h3>NEW-YORK ENTREVU PAR UN BARBARE D'ORIENT</h3> + +<p class="mid">Copyright by Pierre Loti, 1913.</p> + +<h3>II</h3> + +<p>Lundi, 23 septembre.</p> + +<p>Aujourd'hui, pour la première fois, j'assiste à une répétition de <i>la +Fille du Ciel</i>. C'est sans décors, sans costumes, en tenue de ville, +dans une salle nue, dépendant du théâtre. Oh! l'étrange impression +d'entendre les acteurs dire <i>no</i> et <i>yes</i>, d'écouter mes phrases que je +reconnais bien mais qui me font l'effet de s'être amusées à se déguiser +en phrases anglaises... Je ne sais plus par qui fut énoncé l'axiome: une +traduction, c'est l'envers d'une broderie. Je ne prétends pas qu'elle +fût merveilleuse, la broderie que nous avions faite, et je reconnais +d'ailleurs que l'envers en a été recoloré avec une habileté consommée; +mais, quand même, c'est toujours un envers. Mise Viola Allen me paraît +une idéale impératrice, et, malgré son chapeau parisien si en contraste +avec les choses qu'elle doit dire, sa voix donne le petit frisson quand +elle s'anime; à la scène finale, je vois même de vraies larmes perler au +bord de ses jolis yeux vifs, qu'il sera facile de rendre délicieusement +chinois en les retroussant au coin avec des peintures. Comme toutes les +femmes ont l'air honnête dans ce théâtre! Les gentilles petites actrices +chargées des rôles secondaires sont tellement correctes elles aussi, +tellement comme il faut, et se tiennent comme des jeunes filles du +monde. Mais, dans cette salle où sans doute je vais revenir tant de fois +m'enfermer, il fait triste, de la tristesse particulière à tous les +théâtres quand les illusions du soir y cèdent la place à la lumière +appauvrie du jour.</p> + +<p>Libéré à 4 heures, je circule au hasard, en auto, dans les rues que je +n'avais pu voir encore animées par la pleine activité des jours de +travail. La foule qui parle toutes les langues, les femmes aux allures +décidées sans effronterie, les hommes tout rasés sous de larges +casquettes, marchent vite, indifférents au fracas des chemins de fer +suspendus ou souterrains.</p> + +<p>A un angle de Broadway, sous les passerelles de ferraille ébranlées par +le continuel passage des trains express, voici un rassemblement qui +grossit, qui bourdonne; les voitures sont arrêtées, les policemen +s'agitent, on dirait une émeute. Tout ce monde regarde avidement un +tableau-noir sur lequel, de temps à-autre, quelqu'un ajoute un signe à +la craie. Les jumelles, les monocles, les innombrables lunettes d'or +sont braqués là-dessus, comme si le sort du monde allait s'y inscrire, +et, chaque fois qu'un nouveau chiffre y apparaît, c'est tantôt un +silence morne chez les spectateurs, tantôt une joie délirante avec des +battements de mains et des cris. Qu'est-ce que ça peut bien être?--le +cours de la Bourse?--Non, tout simplement, il s'agit de certain jeu de +paume national; une grande partie se dispute en ce moment à la campagne, +l'équipe de New-York contre celle d'une ville voisine, et un ingénieux +système automatique apporte ici au marqueur l'indication des coups... Et +tous ces hommes, que l'on croirait si positifs, se passionnent à ce +point! Il faut en vérité que cette race, issue de toutes nos races +vieillies, se soit retrempée de jeunesse sur le sol d'Amérique. Et +j'admire surtout combien ces implantés d'hier ont déjà pris l'amour du +clocher,--d'où découle nécessairement l'amour plus noble de la patrie.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/015a.png"><br><b>Rassemblement de foule dans un carrefour.</b></p> + +<p>Les gratte-ciel! Il faudra beaucoup de temps pour que mes yeux s'y +résignent. Si encore ils étaient groupés, une avenue qui en serait +bordée arriverait peut-être à un effet de fantastique beauté. Mais non, +ils surgissent au hasard, alternant avec des bâtisses normales ou +parfois basses; alors on dirait des maisons atteintes par quelque +maladie de gigantisme, et qui se seraient mises à allonger follement +comme les asperges en avril. Ce qui me déroute, habitué que j'étais aux +villes de pierre comme en France ou aux villes de bois comme on Orient, +c'est de ne voir ici que de l'acier, du ciment armé, des briques +sanguinolentes, et surtout je ne sais quelle composition d'un brun rouge +qui donne des maisons en chocolat, même des églises, des clochers en +chocolat. Voici, dans la cinquième avenue, qui est comme on sait le +quartier des milliardaires, l'habitation des Vanderbilt, en pur style +moyen âge et en pierre pour de vrai; on l'aimerait dans un parc, sous de +vieux chênes; mais un voisin gratte-ciel la surplombe et l'écrase. Voici +une cathédrale gothique, capable de rivaliser avec les nôtres; mais les +gratte-ciel d'à côté montent plus haut que ses flèches aiguës; alors +elle est diminuée au point de ressembler à un joujou de Nuremberg. Au +bord de l'Hudson, tel autre richissime a eu la fantaisie impériale de se +faire construire le château de Blois, avec des pierres apportées de +France, et ce serait presque une merveille; mais derrière, plus haut que +les donjons et les girouettes, monte bêtement un gratte-ciel couronné +d'une réclame lumineuse; alors cela n'existe plus. Cette ville, qui +regorge de coûteuses magnificences, a poussé d'un élan trop rapide et +trop fougueux; il me paraît qu'elle aurait besoin d'être coordonnée, +émondée, et surtout calmée.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/015b.png"><br><b> +L'Hôtel de Ville de New-York, dominé<br> +par un immeuble à trente-cinq étages.</b></p> + +<p class="mid">*<br>* *</p> + +<p>Jeudi, 26 septembre.</p> + +<p>Évadé aujourd'hui du théâtre, où il fait toujours noir en plein midi +comme dans une cave, je m'en vais en auto, par l'avenue qui s'appelle +River Side, remonter le long du cours de l'Hudson pour essayer de +trouver enfin la campagne et le silence. Les trouverai-je réellement +quelque part? Pour l'instant, des embarras de voitures ou d'automobiles +élégantes m'entourent comme si je me rendais au bois de Boulogne. Mais, +sans restriction cette fois, je m'incline devant la majesté d'une telle +avenue. D'un côté le grand fleuve que l'on domine, de l'autre une +interminable bordure de gratte-ciel (des demi-gratte-ciel, d'une +quinzaine d'étages seulement) qui arrivent à un effet esthétique parce +qu'ils s'alignent bien; ils ont du reste la couleur blanche et gaie de +la pierre véritable, ils respirent le luxe clair et de bon aloi. Je ne +crois pas qu'aucune capitale du vieux monde possède une promenade d'une +telle opulence.</p> + +<p class="lef"><img alt="" src="images/016a.png"><br><b> +Les dreadnoughts, avec leurs mâts en forme<br> de tours +Eiffel.</b></p> + +<p>Dans le fleuve, des escadres de guerre sont mouillées, de superbes +escadres que l'Amérique réunit en ce moment pour se donner, en une +grande fête, le spectacle de sa jeune puissance navale; les dreadnoughts +dorment là, imposants de laideur terrible, surmontés de ces nouveaux +mâts à l'américaine, larges et ajourés, qui ressemblent à des tours +Eiffel; auprès d'eux, des croiseurs, des contre-torpilleurs dorment +aussi; et une multitude de batelets, de mouches électriques, +s'empressent alentour. Sur la berge, des milliers de curieux stationnent +pour regarder. En prévision de cette prochaine fête de la marine, des +pavillons de l'Amérique, rayés blanc et rouge avec semis d'étoiles sur +leur coin bleu, commencent à flotter aux fenêtres des hautes maisons +somptueuses. Et sur tout cela rayonne le beau soleil de l'«été indien». +C'est comme une révélation de New-York que je viens de m'offrir +aujourd'hui, et tout ce que je découvre, en faisant ainsi l'école +buissonnière, est franchement admirable.</p> + +<p>Mais la campagne, le silence, où donc les atteindrai-je? Ma course +accélérée dure depuis plus d'une heure, et les gratte-ciel me suivent +toujours, en files aussi orgueilleuses, témoignant que cette ville +contient des riches par milliers. Il est vrai, sur la rive d'en face, au +lieu des tuyaux d'usine qui pendant des kilomètres s'obstinaient à +l'enlaidir, il n'y a déjà plus maintenant que des rochers et de grands +bois; si près de la ville, c'est une surprise et un repos.</p> + +<p>Enfin, enfin, la route que je suivais s'enfonce parmi des buissons et +des arbres, l'air s'imprègne de la bonne senteur des mousses d'automne; +je suis sorti de la fournaise humaine! C'est la campagne que j'avais +tant souhaité atteindre, et elle est plus boisée, plus sauvage peut-être +qu'aux entours immédiats de Paris. Mais je m'y sens quand même en exil, +car les arbres et les plantes, à bien regarder, diffèrent légèrement des +nôtres; les <i>asters</i>, que nous ne connaissons que dans nos jardins, +croissent ici à profusion parmi des rochers noirs; sur tous ces +feuillages des bois, les bruns et les rouges de l'arrière-saison +s'accentuent davantage que chez nous, arrivent à des teintes +sensiblement plus ardentes. Non, ce pays n'est pas le mien... Et puis, +une campagne sans paysans, sans vieux clochers protecteurs autour +desquels se groupent les villages, autant dire qu'elle n'a pas l'air +vrai...</p> + +<p class="mid">*<br>* *</p> + +<p>Samedi, 28 septembre.</p> + +<p>Les jours qui passent m'acclimatent assez rapidement à New-York. Les +maisons me semblent moins extravagantes de hauteur et, quand je traverse +Broadway, j'écoute moins le fracas des trains sur les passerelles de +fer.</p> + +<p>Un peu partout je découvre des choses amusantes à force d'imprévu, +d'audace, de disproportion et de luxe colossal. On m'a montré ce matin +comme typique certain café-restaurant qui éclipse tous les +cafés-restaurants du monde. La salle d'en bas, qui coûta 5 millions, a +été construite pour enchâsser le tableau de Rochegrosse acheté à grands +frais: <i>le Festin de Balthazar</i>. Sur toutes les murailles de marbre +vert, on a ciselé les mêmes bas-reliefs qu'à Persépolis; en marbre vert +également sont les puissantes colonnes à têtes cornues, et les +gigantesques taureaux ailés à visage humain. Mais, comiques au milieu de +ces splendeurs déréglées, il y a les rangs de petites tables pour les +consommateurs, et il y a les garçons en frac apportant à la ronde les +bocks ou les cocktails!...</p> + +<p>Aux répétitions de <i>la Fille du Ciel</i>, qui occupent mes journées, la +féerie commence à se dessiner; nous sortons peu à peu des incohérences +et du chaos des premières heures. Des décors qu'aucun théâtre parisien +n'aurait risqués font revivre d'inimaginables passés chinois, des jeux +de lumière électrique dont nous ignorons encore le secret imitent des +limpidités de ciel, ou des lueurs de bûcher et d'incendie. Dans les +jardins de l'impératrice, aux grands arbres tout roses de fleurs, des +cigognes et des paons réels se promènent sur des pelouses +jonchées--parce que cela se passe au printemps--de milliers de pétales +qui ont dû tomber des branches comme une pluie. Là, aux rayons d'un +clair soleil artificiel, je vois revivre, chatoyer tous les étranges et +presque chimériques atours de soie et d'or copiés sur de vieilles +peintures que j'ai rapportées, ou sur des costumes réels que j'ai +exhumés naguère de leurs cachettes au fond du palais de Pékin.</p> + +<p>Les monuments les plus singuliers, je crois, sont ces entr'actes, ces +repos durant lesquels la féerie s'échappe, pour ainsi dire, de la scène, +pour déborder sur les fauteuils d'orchestre. La vaste salle somptueuse, +envahie alors par tous les figurants, n'en demeure pas moins plongée +dans des ténèbres presque absolues; quelqu'un qui arriverait du dehors, +où il fait jour, percevrait seulement que des formes humaines sont +assises là, partout, et que le discret murmure de leurs voix <i>sonne +étrange</i>: ce sont des voix chinoises qui chuchotent en chinois, et ces +gens, qui simulent des spectateurs dans l'ombre, sont de pure race +jaune... Quand les yeux s'habituent à l'obscurité, ou si quelque lueur +électrique vient à filtrer de la scène, on découvre que tout ce monde, +de la tête aux pieds, est vêtu avec l'apparat des anciennes cours +célestes. Il y a même des groupes de ces petites déesses armées et +casquées qui portent aux épaules des pavillons en faisceaux éployés et +semblent avoir des ailes. Un peu fantastique vraiment, ce grand théâtre +sans lumière, où les auditeurs, échangeant à mi-voix des phrases +lointaines devant la toile baissée, sont pareils aux guerriers, aux +Génies, sculptés dans les vieilles pagodes...</p> + +<p>Le plus étonnant pour moi, c'est que ces figurants ne sont pas des gens +quelconques, mais des étudiants des universités. L'un d'eux, habillé +comme un seigneur du temps des Ming et qui, dans la vie privée, prépare +son doctorat en médecine, vient un jour m'expliquer de la part de ses +camarades, très courtoisement et dans l'anglais le plus correct, +pourquoi ils ont accepté de venir: «C'est un tel plaisir pour nous, me +dit-il, de nous trouver ainsi replongés dans le passé de notre pays, de +voir reconstituée la Chine de nos ancêtres.»</p> + +<p class="mid">*<br>* *</p> + +<p>Lundi, 30 septembre.</p> + +<p>Cette nuit, pour avoir une vue d'ensemble des fantasmagories de +New-York, je monte au sommet de l'hôtel du <i>Times</i>, qui est l'un des +plus stupéfiants gratte-ciel. A un angle de rue, dans un quartier de +maisons à peine hautes, il se dresse tout seul, grêle, efflanqué, +paradoxal, avec un air de chose qui n'aura jamais la force de rester +debout. Très aimablement, les rédacteurs m'avaient convié. Un +ascenseur-express, qui jaillit comme une fusée, nous enlève d'un bond +jusqu'au vingt-cinquième étage, d'où nous grimpons sur la plate-forme +extrême. Là souffle une brise âpre et froide--déjà l'air vif des +altitudes--et, de tous côtés, dans le cercle immense qui va finir à +l'horizon, l'électricité s'ébat à grand spectacle. Auprès, au loin, +partout, des mots, des phrases s'inscrivent au-dessus de la ville en +grandes lettres de feu, éblouissent un instant, disparaissent et puis +reviennent. Des figures gesticulent et gambadent, parmi lesquelles j'ai +déjà de vieilles connaissances, comme par exemple le farfadet qui +brandit ses gigantesques brosses à dents. La plus diabolique de toutes +est une tête de femme, qui se dessine dans l'air, soutenue par +d'invisibles tiges d'acier, et qui occupe sur le ciel autant d'espace +que la Grande Ourse; pendant les quelques secondes où elle brille, son +oil gauche cligne des paupières comme pour un appel plein de +sous-entendus, et on dirait d'une jeune personne fort peu recommandable. +Qu'est-ce qu'on peut bien vendre en dessous, dans la boutique qu'elle +surmonte et où elle vous convie d'un signe tellement équivoque? +Peut-être tout simplement d'honnêtes comestibles ou de chastes +parapluies. Il va sans dire, aucune montagne n'aurait des parois aussi +verticales que ce gratte-ciel; en bas, les foules en marche le long des +trottoirs, les foules sur lesquelles, en cas de chute, on irait +directement s'aplatir comme un bolide, font songer à des grouillements +d'insectes qui seraient lents pour cause de trop petites pattes, tandis +que les files de wagons, dont la ville est sillonnée, paraissent de +longues chenilles phosphorescentes qui ramperaient sans vitesse. Et une +clameur monte de ces rues, comme une plainte de bataille ou de misère, +entrecoupée par les grondements de tous ces trains en fuite... Babel +effrénée, pandémonium où se heurtent les énergies, les appétits, les +détresses de vingt races en fusion dans le même creuset.</p> + +<p class="rig"><img alt="" src="images/016b.png"><br><b> +L'hôtel du <i>Times</i> «grêle, efflanqué, paradoxal...»</b></p> + +<p>Malgré le froid qui cingle le visage, c'est presque un soulagement, une +délivrance, de se sentir là sur ce sommet artificiel; les six millions +d'êtres qui, à vos pieds, dans la région basse, se coudoient, luttent et +souffrent, au moins ne vous oppressent plus; même il est presque +angoissant de penser qu'il va falloir redescendre tout à l'heure de ce +haut perchoir où la poitrine s'emplissait d'air pur, redescendre et se +replonger dans cette vaste mer humaine qui fermente et bouillonne +partout alentour. Quelle inexplicable manie ont les hommes de s'empiler +ainsi, de s'étager les uns par-dessus les autres, de s'accoler en +grappes comme font les mouches sur les immondices,--quand il reste +encore ailleurs des espaces libres, des terres vierges!... Vue d'ici, la +ville paraît infinie; aussi loin que les yeux peuvent atteindre, +l'électricité trace des zigzags, tremble, palpite, éblouit, écrit des +mots de réclame avec des éclairs, et finalement, vers l'horizon où il +n'est plus possible de rien lire, va se fondre en une lueur froide +d'aurore boréale. Jamais encore New-York ne m'avait paru si terriblement +la capitale du modernisme; regardé la nuit et de si haut, il fascine et +il fait peur.</p><br> + +<p>Samedi, 12 octobre 1912.</p> + +<p>Aujourd'hui, la «première» de <i>la Fille du Ciel</i>, au Century Théâtre. +Cette langue étrangère me déroute à tel point que je ne me sens pas tout +à fait responsable de ce que mes personnages racontent. Vraiment, pour +reconnaître ma pièce, je devrais plutôt faire abstraction du dialogue +et, m'efforçant de ne pas entendre, n'assister au spectacle qu'avec mes +yeux, comme si c'était une simple pantomime,--une pantomime certes qui +dépasse mon attente par son exactitude et sa splendeur. Grâce à la +consciencieuse magie des peintres et des costumiers, la vieille Chine +impériale, qui ne se reverra jamais plus, est là devant moi, avec le jeu +de ses nuances rares, l'inconcevable étrangeté de ses atours, avec ses +dragons, ses monstres, tout son mystère. Pour compléter l'illusion, il y +a même le son rauque des voix chinoises, et, pendant l'acte de la +bataille, quand les soldats délirants se précipitent en une ruée suprême +vers leur impératrice pour tomber tous à ses pieds, je crois réentendre +ces clameurs qui faisaient frissonner, en Chine, aux jours de réelles +tueries.</p> + +<p>A la scène finale cependant, dès que l'empereur Tartare et la +Fille-du-Ciel sont seuls en présence, je me reprends à écouter ce qu'ils +disent; leur jeu est d'ailleurs si expressif que je me figure presque +les entendre parler ma propre langue. Et quand la Fille-du-Ciel tend la +main pour recevoir la perle empoisonnée qui va lui ouvrir les portes du +Pays des Ombres, son geste et son regard émeuvent comme si vraiment elle +allait mourir...</p> + +<p>Maintenant la toile tombe; c'est fini; ce théâtre ne m'intéresse plus. +Une pièce qui a été jouée, un livre qui a été publié, deviennent +soudain, en moins d'une seconde, des choses mortes... J'entends des +applaudissements et de stridents sifflets (contrairement à ce qui se +passe chez nous, les sifflets, à New-York, indiquent le summum de +l'approbation). On m'appelle, sur la scène, on me prie d'y paraître, et +j'y reparais cinq ou six fois, tenant par la main la Fille-du-Ciel, qui +est tremblante encore d'avoir joué avec toute son âme. Une impression +étrange, que je n'attendais pas: aveuglé par les feux de la rampe, je +perçois la salle comme un vaste gouffre noir, où je devine plutôt que je +ne distingue les quelques centaines de personnes qui sont là, debout +pour acclamer. Je suis profondément touché de la petite ovation +imprévue, bien que j'arrive à peine à me persuader qu'elle m'est +adressée. Et puis me voici reparti déjà pour de nouveaux <i>ailleurs</i>. +J'étais venu à New-York afin de voir la matérialisation d'un rêve +chinois, fait naguère en communion avec Mlle Judith Gautier. J'ai vu +cette matérialisation; elle a été splendide. Maintenant que mon but est +rempli, ce rêve tombe brusquement dans le passé, s'évanouit comme après +un réveil, et je m'en détache...</p> + +<p>Mercredi, 16 octobre 1912.</p> + +<p>Demain matin, je prends le paquebot pour France. Je ne puis prétendre +qu'en ce court voyage j'aie vu l'Amérique. Puis-je seulement dire que +j'aie vu New-York? Non, car j'y ai surtout vécu prisonnier sous une +sorte de coupole obscure,--le Century Théâtre avec sa pénombre de chaque +jour. C'est là, dans cette grande salle rouge et or, parmi les +fantastiques spectateurs des répétitions, figurants échappés de vieilles +potiches ou de vieilles ciselures, c'est là que j'ai rencontré à peu +près les seules femmes américaines qu'il m'ait été donné d'approcher.</p> + +<p>Ces inconnues, admises pour avoir montré patte blanche au régisseur, +entraient discrètement sans faire de bruit, presque à tâtons, effarées +par tous ces personnages casqués d'or qui occupaient les stalles. Elles +n'étaient jamais les mêmes que la veille, mes visiteuses. Non sans peine +elles parvenaient à me découvrir, après avoir interrogé quelques-unes de +ces étranges figures, qui balbutiaient des réponses vagues, en chinois. +Assises enfin à mes côtés, elles étaient tout de suite gentilles et +pleines de bonne grâce, malgré l'insuffisance de la présentation. Filles +de richissimes ou pauvres petites journaleuses, elles appartenaient à +tous les mondes. Et on causait, dans une sorte de plaisante camaraderie +sans lendemain, pour ne se revoir jamais; c'était à demi-voix, pour ne +pas troubler les acteurs qui, tout près de nous, se disaient des choses +tragiques, dans quelque vieux palais de Nankin, sous de faux rayons de +lune, ou bien à la lueur d'un faux incendie. Détail qui m'amusait, en +général, elles apportaient, par précaution contre la longueur de la +séance--la répétition durait plusieurs heures d'affilée--des sandwichs +ou des petits gâteaux, et il me fallait partager cette dînette dans les +ténèbres. Plusieurs d'entre elles me connaissaient beaucoup, sans +m'avoir encore vu nulle part; c'est là l'inconvénient--ou le charme si +l'on veut--de s'être trop donné dans ses livres. Quelques-unes avaient +vu ma maison de Rochefort, d'autres, en canotant sur la Bidassoa, +avaient aperçu mon ermitage basque. Grandes voyageuses, presque toutes, +elles étaient allées à Stamboul, à Pékin, dans les différents lieux de +la Terre que j'ai essayé de décrire, et la traversée de l'Atlantique +pour venir chez nous leur semblait un rien comme promenade. Passant vite +d'un sujet à un autre, elles disaient des choses incohérentes mais +profondes; elles différaient des femmes de chez nous par quelque chose +de plus indépendant et de plus masculin dans la tournure d'esprit; +beaucoup plus libres certes, mais sans qu'il y eût jamais place entre +nous pour l'équivoque. Et, après avoir causé un peu de tout, dans une +intimité intellectuelle favorisée par l'ombre, on se saluait pour ne se +revoir jamais.</p> + +<p>En quittant ce pays, j'ai un vrai remords de n'avoir pu répondre comme +je l'aurais souhaité à tant de lettres cordiales et jolies que chaque +courrier m'apportait, à tant d'invitations téléphoniques m'arrivant aux +rares heures où j'habitais mon perchoir. D'aimables inconnus +m'écrivaient, avec la plus touchante bonne grâce: «Venez donc un peu +vous reposer chez nous, à la campagne; au bord de l'eau, sous nos +arbres, vous trouverez du <i>silence</i>.» Et j'étais élu membre honoraire +d'une quantité de cercles. Comment faire, avec si peu de temps à moi? Au +moins voudrais-je, ici, exprimer à tous ma reconnaissance et mon regret.</p> + +<p>Dès que <i>la Fille du Ciel</i> a été livrée au public, j'ai employé de mon +mieux mes trois ou quatre jours de liberté avant le départ. Mais combien +il était embarrassant de choisir: pourquoi accepter ici et s'excuser +ailleurs?</p> + +<p>Je suis allé luncher à la magnifique et colossale Université de +Columbia, auprès de quoi nos universités françaises sembleraient de +pauvres petits collèges de province. J'ai voulu paraître dans différents +clubs puisque l'on avait eu la bonté de m'en prier. J'ai répondu à +l'invitation naïve des jeunes filles de l'école Washington-Irving qui +m'avait particulièrement charmé par sa forme; elles étaient là deux ou +trois centaines de petites étudiantes de quinze à seize ans qui, pour +m'accueillir, avaient placardé aux murs des écriteaux de bienvenue; +après m'avoir chanté la Marseillaise, elles ont continué par un hymne où +de temps à autre revenait mon nom prononcé par leurs voix fraîches, et +en partant j'ai serré de bon coeur toutes ces mains enfantines. On m'a +fêté à l'Alliance française où, après le dîner, il y a eu, dans un grand +hall, un défilé dont j'ai été ému profondément; tandis qu'un orchestre +jouait cette <i>Marseillaise</i> qui, à l'étranger, nous semble toujours la +plus belle musique, des Français de tous les mondes, les uns très +élégants, les autres plus modestes, se sont tour à tour approchés de +moi; des jeunes, des très vieux dont le regard attendri disait la +crainte de ne plus revoir la France; des aïeules à chevelure blanche +m'amenant leurs petites-filles qui m'avaient lu et souhaitaient me voir; +là encore j'ai serré plusieurs centaines de braves mains que je sentais +vraiment amicales, et je ne sais comment dire merci à tant et tant de +familles qui ont bien voulu se déranger pour me témoigner un peu de +sympathie.</p> + +<p>En somme si, au premier abord, pour l'Oriental obstinément arriéré que +je suis, New-York ne pouvait que sembler effarant--en tant que chaudière +gigantesque où, pour créer du nouveau, se mêlent et bouillonnent +tumultueusement les génies de tant de, races diverses--si New-York m'est +resté jusqu'à la fin peu compréhensible, avant de le quitter j'ai +pourtant senti qu'il était quand même et surtout la ville de la pensée +chaleureuse, de la franche hospitalité et du bon accueil.<br> + +<span class="rig"><span class="sc">Pierre Loti.</span></span></p> + +<p class="mid">Copyright. Droits réservés.</p><br><br> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/017.png"><br><b>BEAUTÉS ALBANAISES.--Trois élégantes de Scutari.</b>--<i>Phot. S. Tchernof.</i></p> + +<p>Scutari, la ville durement assiégée pendant de si longs mois, reprend +peu à peu sous l'administration collective des puissances, son aspect +normal d'avant la guerre. La population, musulmane ou chrétienne, +rassurée, vaque, comme devant, à ses occupations pacifiques. Les vivres +ont de nouveau, en abondance, rempli les magasins et les docks, et les +nombreuses misères provoquées par le siège ont été secourues, à la +première heure, par les soins de l'Autriche et de l'Italie dont, en +cette terre d'influence, et en attendant que soit définitivement arrêté +le statut de l'Albanie, les bons offices rivalisent. L'Angleterre et la +France participent activement à l'oeuvre municipale. Les services ont +été reconstitués avec des officiers des corps d'occupation ou des +fonctionnaires locaux. La police est énergiquement organisée, et les +commissions sanitaires ont méthodiquement procédé à l'assainissement de +la ville.</p> + +<p>Dans les rues, maintenant paisibles, de Scutari d'Albanie, les femmes +albanaises, de qui les voyageurs se sont accordés à nous dire la +sculpturale beauté, circulent, tranquillement, isolées ou par groupes, +en leur costume traditionnel, à cela près cependant que les musulmanes, +en grand nombre déjà, ont enlevé leur voile en attendant sans doute que +des modes occidentales--de Vienne, de Rome, de Paris--inaugurées à la +cour du prince, du futur prince d'Albanie, ne soient à leur tour +adoptées, et on le regrettera, par les dames de la ville.</p> + +<br><br> + +<h3>CE QU'IL FAUT VOIR</h3> + +<h4>LE PETIT GUIDE DE L'ÉTRANGER</h4> + +<p>Il y a, à partir d'aujourd'hui, une chose délicieuse à voir à Paris; un +spectacle tout neuf: c'est, au musée Galliéra, l'exposition de l'Art +pour l'Enfance. On sait qu'outre son exposition d'Art décoratif, qui est +à la fois permanente et continuellement renouvelée, la Ville organise à +Galliéra, une fois par année, un petit Salon qui est, chaque fois, une +ravissante surprise. On se rappelle les plus récentes: l'exposition de +la Reliure, celle de la Dentelle, celle de l'Ivoire. Demain, et durant +tout cet été, l'exposition se composera uniquement d'oeuvres et +d'objets--d'autrefois et d'aujourd'hui--destinés à parer, à amuser +l'enfance, <i>ou inspirés par l'Enfant</i>. Le très distingué conservateur du +Musée de la rue Pierre-Charron, M. Eugène Delard, s'est adressé aux +artistes, aux collectionneurs, aux éditeurs, aux fabricants qu'il savait +capables d'aider, par leur collaboration gracieuse, au succès de cette +aimable entreprise; et tant de bonnes volontés assemblées viennent de +réaliser, pour le plaisir de nos yeux, quelque chose de charmant.</p> + +<p>Entrons. C'est d'abord le petit jardin du musée aménagé en jardin +d'enfants: de menues plates-bandes, quelques pelouses minuscules +plantées d'arbres nains; un ruisseau «pour rire» dévalant en cascatelle +au milieu de rochers gros comme le poing; et sur ce «paysage», une +quinzaine de maisonnettes plantées; de maisonnettes pour enfants, +derrière lesquelles une toile de fond déroule les splendeurs d'un +panorama-joujou... Le vestibule du musée contient une amusante +exposition de jouets modernes; et voici, dans le grand hall, des +trésors: les collections d'anciens mobiliers de poupées, de Mme Ménard» +Dorian; de Mme Bernheim (celui-ci est fameux; il servit à l'amusement du +roi de Rome!); voici les poupées de M. d'Allemagne et de M. Léo +Claretie; les soldats de l'ancienne France, de M. Vidal de Léry; et ceux +de l'Empire de M. Bernard Franck (qui seront un des clous de cette +exposition); les jouets de bois peint des paysans de la Lozère; les +«découpages»--moins naïfs, mais d'autant plus amusants en leur ironique +ingénuité--du pauvre Caran d'Ache et de Grandval; les poupées bretonnes, +les animaux en fer forgé (d'extraordinaires caricatures de bêtes, +inventées par le ferronnier Emile Robert, et qui vont avoir un succès +fou). Et puis, disséminés autour de ces vitrines--ne pas négliger celle +des hochets anciens!--voici les images de l'Enfance; d'exquises images: +des panneaux d'Espagnat; des portraits de Carrière, de Paul Renouard, +Steinlen, Lévy-Dhurmer, Geoffroy, Mme Breslau; un bébé en bois, de +Carabin, qui est un chef-d'oeuvre; de délicieuses effigies enfantines, +signées Dalou, Bourdelle, A. Charpentier, Dampt. J'en oublie... et c'est +bien heureux, car je serais désolé de faire ici concurrence au catalogue +qui est lui-même un document ravissant: une réduction de l'affiche de +Willette en formera la couverture, et le <i>texte</i> en sera commenté par +Poulbot.</p> + +<p>Est-ce tout? Mais non. Car je n'ai rien dit des «chambres d'enfants» et +je sais des mères qui vont préférer ce coin d'exposition-là à tout le +reste. Elles occupent, ces chambres d'enfants, tout un côté de la +seconde salle où sont exposés les jolis pastels de Mme Franc-Nohain, les +vitrines de poupées et de jouets japonais de Mme Stroehlin, et du comte +de Fleurieu. Ce sont des chambres où la forme des meubles, la couleur +des tentures, les moindres détails du décor ont été inventés, combinés +dans le dessein d'ajouter à la gentillesse du petit être qui est là, de +l'encadrer aussi joliment que possible, de le parer et de le divertir. +Je note l'appartement pour <i>gosse</i>--chambre à coucher et salle de +jeux--d'André Hellé. Caran d'Ache, tapissier pour enfants, n'eût rien +imaginé de plus suavement comique. Il n'y a pas un objet dans cet +appartement-là, pas un bout d'étoffe qui n'ait de l'esprit!</p> + +<p class="mid">*<br>* *</p> + +<p>Ce qui est à voir encore--et là il convient de se presser un peu, car le +spectacle ne sera plus de très longue durée--c'est la Rétrospective de +Neuville. Les jeunes gens ne soupçonnent pas quels souvenirs pathétiques +évoque une telle exposition au coeur de leurs aînés. Et je ne parle pas +seulement de ceux qui ont fait la Guerre, et qui sont aujourd'hui des +vieillards, mais de leurs cadets, de ceux qui, entre 1875 et 1880, +n'étaient encore que des écoliers, ou de tout jeunes gens. Ces cinq +années marquent l'épanouissement du talent d'Alphonse de Neuville et +l'apogée de sa renommée. Dans ces temps très anciens, les amateurs de +tableaux ne voyaient pas s'ouvrir à eux, tous les huit jours, un nouveau +Salon de peinture; les grands «schismes» de la Nationale, des +Indépendants, du Salon d'automne, n'étaient point encore inventés; on ne +connaissait qu'une Eglise, si j'ose m'exprimer ainsi; c'était «le +Salon»; le Salon tout court, devenu celui des Artistes français. Il +s'ouvrait, chaque printemps, au Palais de l'Industrie, sur l'emplacement +duquel s'élève, depuis treize ans, le Grand Palais. Et cet unique +«vernissage» de l'année était un événement parisien. «Avez-vous vu le +<i>Neuville?</i>» C'était une des premières questions qu'on se posait en +s'abordant, vers midi, autour des tables de Ledoyen. Ces toiles de +Neuville évoquaient au coeur des combattants de 1870 et de leurs jeunes +fils les angoisses, les douleurs de cette guerre affreuse qui semblait à +peine finie, et dont tant de ruines encore intactes maintenaient devant +leurs yeux le souvenir vivant. Mais voici ce qui était admirable, chez +Alphonse de Neuville: ses tableaux bouleversaient d'émotion le vaincu; +ils ne l'humiliaient pas. Ils disaient la défaite. Mais ils disaient +aussi l'héroïsme de la défense, et l'instinctive fierté de ces vaincus +devant une destinée qu'ils ne méritaient pas. Il y a des défaites dont +la vue inspire une espèce d'horreur compatissante. Ce sentiment ne se +dégage d'aucun des tableaux qu'Alphonse de Neuville a peints. Nous les +regardions, nous, les lycéens d'alors, avec une admiration ingénue; nous +n'avions pas, devant les figures du <i>Cimetière de Saint-Privat</i>, des +<i>Dernières Cartouches</i>, de <i>l'Église du Bourget</i>, l'impression que des +vaincus qui regardaient de ces yeux-là la défaite fussent tellement à +plaindre...</p> + +<p>Quelques-uns de ces tableaux ont pu être réunis à la galerie de la +Boétie. Mme Roger-Douine y a envoyé les <i>Dernières Cartouches</i>; M. +Bessonneau d'Angers, <i>En campagne</i> et <i>le Cimetière de Saint-Privat</i>; M. +J. Thinet, <i>le Grenier de Champigny</i>; M. Knoedler, <i>l'Attaque de la +maison barricadée, à Villersexel</i>; le docteur Fournier, <i>la Bataille +d'Héricourt</i>. Le musée de Péronne a prêté <i>l'Attaque de la passerelle de +Stiring</i> (bataille de Forbach); le musée du Luxembourg, deux esquisses +de <i>Villersexel</i> et de <i>l'Église du Bourget</i>; diverses autres toiles ou +dessins--d'admirables croquis, des esquisses de tableaux--ont été +empruntés aux collections de MM. Nismes, Chouanard, Brugairolles, +Kullmann, Bernard Franck, G. Bernheim, Yves Refoulé, Paul Déroulède (qui +a envoyé son portrait), J. Peytel, Jules Claretie, Pothier, Duez. Nous +devons à ces «prêteurs» obligeants beaucoup de reconnaissance.</p> + +<p>Nous en devons aussi aux organisateurs de ce Salon. En groupant autour +d'Alphonse de Neuville les oeuvres de quelques peintres militaires de ce +temps-ci, ils nous ont révélé un maître. Les lecteurs de +<i>L'Illustration</i> le connaissent: c'est Georges Scott. Jamais ne +s'étaient affirmés avec plus d'éclat que dans cette Exposition la +solidité d'exécution, la science de composition, l'instinct de justesse +et de vérité qui distinguent les oeuvres de ce peintre. Certains des +toiles et des dessins qu'il a rapportés de son dernier voyage aux +Balkans sont, même en face des chefs-d'oeuvre du peintre des <i>Dernières +Cartouches</i>, des pages de premier ordre. Cela, aussi, c'est à voir.<br> + +<span class="rig"><span class="sc">Un Parisien.</span></span></p><br><br> + +<h3>AGENDA (7-14 juin 1913)</h3> + +<p><span class="sc">Concours.</span>--Le 9 juin, concours d'admission à l'école Edgar-Quinet +(enseignement primaire supérieur des jeunes filles).</p> + +<p><span class="sc">Conférences.</span>--Au Grand-Palais (Salon de la Société des Artistes +français): le 13 juin, conférence de M Paul Rognon: <i>Michel-Ange</i>.</p> + +<p><span class="sc">Expositions.</span>--Grand Palais: Salon de la Société des Artistes français; +Salon de la Société nationale des Beaux-Arts.--Musée des Arts décoratifs +(pavillon de Marsan): exposition rétrospective de l'art des Jardins en +France (tableaux, gravures, tapisseries);--Bibliothèque Le Peletier de +Saint-Fargeau (29, rue de Sévigné): promenades et jardins de Paris.--A +Bagatelle (bois de Boulogne): l'art du jardin, à l'occasion du +centenaire de Le Nôtre.--Galerie Devambez (43, boulevard Malesherbes): +«la petite ville de province». (Clôture le 10 juin.)--Hôtel de Sens (rue +du Figuier): les artistes du 4e arrondissement, jusqu'au 16 juin.--Le 7 +juin, clôture de l'exposition du Palais-Salon (Cercle de la +Librairie).--Le 9 juin, clôture de l'exposition de David et ses élèves +(Petit Palais).--Galerie Georges Petit (salons Settiner): dessins +français du dix-huitième siècle, exposition organisée par la Société des +Amis du Louvre. (Clôture le 10 juin).--A Londres (galeries Grafton): +exposition de la Société royale des peintres du portrait.</p> + +<p><span class="sc">Vente d'art.</span>--Galerie Georges Petit (8, rue de Sèze): le 9 juin, vente +de la galerie Steengracht, chefs-d'oeuvre des écoles flamande et +hollandaise du dix-septième siècle, et tableaux modernes.</p> + +<p><span class="sc">Fêtes de Bienfaisance</span>.--Hôtel de Béarn (rue Saint-Dominique): le 8 juin, +soirée au bénéfice de la Croix-Rouge: danses du premier Empire, danses +1830, danses 1860; artistes des théâtres russe et italien.--Au théâtre +de verdure du Pré-Catelan, le 11 juin, matinée de gala au bénéfice de la +caisse de propagande des Amitiés Françaises.--Au Nouveau-Cirque: le 14 +juin, fête de nuit organisée par les Artistes lyriques; pantomime +nautique, mise en scène par M. Tristan Bernard.</p> + +<p><span class="sc">Fêtes de Jeanne d'Arc</span>.--Les 8 et 15 juin, à Compiègne: fêtes en +l'honneur de Jeanne d'Arc, au bénéfice des oeuvres de bienfaisance de la +ville: cortège historique; mystère représenté en plein air, etc.</p> + +<p><span class="sc">Sports</span>.--<i>Courses de chevaux</i>: le 7 juin, Auteuil; le 8, le 12 et le 15, +Chantilly; le 9, Saint-Cloud; le 10, Saint-Ouen; le 11, le Tremblay; le +13, Maisons-Laffitte; le 14, Auteuil.--<i>Aérostation</i>: le 15 juin, Grand +Prix annuel de l'Aéro-Club de France (départ de Saint-Cloud).--<i>Boxe</i>: +le 15 juin, à Toulouse, Willie Lewis contre Kid Jackson.--<i>Lawn-tennis</i>: +terrains du Stade français (Saint-Cloud), du 7 au 15 juin, championnats +du monde de tennis (sur terre battue).--<i>Cyclisme</i>: le 8 juin, course +Paris-Bruxelles; à la même date, circuit de l'Aube.--<i>Aviron</i>: le 8 +juin, à Rouen, régates nationales à l'aviron, organisées par la Société +des Régates rouennaises.--<i>Athlétisme</i>: le 15 juin, sur le terrain du +Stade français, à Saint-Cloud, éliminatoires du Collège d'athlètes +organisé par la Comité de Paris.</p> +<br><br> + +<h3>DOCUMENTS et INFORMATIONS</h3> + +<span class="rig"><span class="sc">Tel maître, telle bête.</span></span><br> + +<p>On a parfois constaté d'étonnantes ressemblances physiques entre les +hommes et les bêtes, et, particulièrement, entre telle personne et son +animal favori. Voici, de ces rencontres naturelles, un amusant exemple, +qui a pu être observé au parc zoologique de Hambourg, par un photographe +avisé, M. D. Mac Lellan: le gardien du pavillon des morses--un brave +homme doué d'une bonne figure ronde, à la grosse moustache +tombante--offre avec les amphibies dont il a la surveillance, avec l'un +d'eux surtout, de singuliers points de comparaison. Entre les deux +compagnons--liés par une amitié qui date de sept à huit ans--les clichés +que nous reproduisons ici font apparaître comme un «air de famille». Ils +s'entendent d'ailleurs à merveille, et, à force de vivre ensemble, ils +sont devenus les meilleurs camarades du monde.</p> + + +<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="0" + style="width: 100%; text-align: left;" summary="illustration"> + <tbody> + <tr> + <td style="vertical-align: top; width: 35%; text-align: center;"><br> +<img alt="" src="images/018a.png"><br><b>Deux vieux amis.</b> + + </td> + <td style="vertical-align: top; width: 65%; text-align: center;"><br> +<img alt="" src="images/018b.png"><b>Un morse et son gardien qui se ressemblent, au parc zoologique de Hambourg.</b><br> + + </td> + </tr> + </tbody> +</table> + + +<p>Sur le museau du morse, on remarquera la fleur de lys héraldique formée +par l'ouverture des naseaux: c'est là une des caractéristiques les plus +curieuses de cet animal, dont l'espèce est d'ailleurs en voie de +disparaître. Au siècle dernier, on la trouvait encore sur les côtes de +l'Écosse; mais, aujourd'hui, décimée par les balles des chasseurs, elle +ne dépasse pas les limites de l'océan Glacial du Nord.</p><br><br> + +<p class="lef"><img alt="" src="images/018c.png"><br><b> +Le monument de Bédarieux à<br> + la mémoire des anciens<br> + combattants de 1870-1871.<br></b> + <i>Phot. Detestaing.</i></p> + +<p class="rig"><span class="sc">Un monument du Souvenir a Bédarieux.</span></p><br><br> + +<p>Un beau monument, élevé par souscription publique à la mémoire des +combattants de la guerre morts pour la patrie, vient d'être inauguré à +Bédarieux, en même temps qu'a eu lieu la remise de la médaille de 1870 à +plus de cent vétérans: ainsi, dans un pareil hommage, qu'il convient de +signaler, ont été réunis les enfants de la cité cévenole qui, +glorieusement, sont tombés sur le champ de bataille, et ceux par qui se +perpétue, de nos jours, le vivant souvenir de l'année terrible. Le +sculpteur, M. Louis Paul, conservateur du musée de Béziers, a représenté +la France sous les nobles traits d'une Paix armée, prête à se défendre, +fière de la force de son glaive; un coq gaulois, dressé sur ses ergots, +surmonte le monument, qui s'érige, dans un joli décor de verdure, au +bout d'une des promenades de la ville.</p> + + + +<p>La cérémonie d'inauguration a été présidée par l'amiral Servan et le +général Dioux, commandant la 63e brigade, qui ont prononcé des discours, +après que M. César Cabal, président du comité, eut remis à la ville le +nouveau monument qui la pare.</p> + +<p class="rig"><span class="sc">La résurrection des grenouilles.</span></p><br><br> + +<p>Les remarquables travaux du docteur Carrel ont ouvert un immense champ +d'études où se sont lancés les physiologistes des deux mondes. Citons +les étranges expériences qu'exécutent plusieurs savants de la John +Hopkins Médical School, la première Ecole de médecine des États-Unis.</p> + +<p>Choisissant un animal à sang froid (grenouille, escargot, poisson, +etc.), en parfait état de santé, ils le placent dans un récipient fermé +juste assez grand pour le contenir, et qu'ils plongent dans de l'air +liquide. Après un intervalle plus ou moins long, l'animal prend la +rigidité d'un cadavre.</p> + +<p>Quatre ou cinq semaines plus tard, la grenouille--si tel est le cas--est +retirée de la jarre, et, après quelques massages, ressuscite, paraît-il, +et reprend le cours de sa vie sans plus se soucier de ces trente jours +de mort qu'elle vient d'endurer!</p> + +<p class="rig"><span class="sc">Le Triceratops.</span></p><br><br> + +<p>Depuis quelques années, grâce à l'activité toujours en éveil du +professeur Boule, la galerie de paléontologie du Muséum s'est enrichie +d'un certain nombre de pièces remarquables, choisies avec un tel +discernement qu'elles présentent un puissant intérêt même pour les +personnes peu familiarisées avec les évolutions de la faune +préhistorique. Le nouveau fossile qu'on vient d'exposer à côté du fameux +Diplodocus est, dans son genre, tout aussi curieux que ce dernier.</p> + +<p class="rig"><img alt="" src="images/019a.png"><br><b> + Le Triceratops, Dinosaurien<br> + préhistorique reconstitué<br> + d'après un squelette du musée<br> + de New-York (grandeur<br> + naturelle: environ 6<br> + mètres de longueur).</b></p> + +<p>Il appartient au même groupe de Dinosauriens qui, à une époque fort +reculée, étaient, par les dimensions, sinon par l'intelligence, les rois +des animaux, et auprès de qui les Mammifères actuels paraissent de +petites bêtes. Mais, tandis que le Diplodocus a une tête minuscule +comparativement à la hauteur des jambes et à la longueur démesurée du +cou et de la queue, la forme plus ramassée du Triceratops rappelle +vaguement la silhouette du rhinocéros, et l'ensemble du crâne présente +un développement exceptionnel (2 m. 20 pour l'exemplaire du Muséum).</p> + +<p>Il faut remarquer toutefois que le museau, les cornes, et surtout la +collerette postérieure ont une importance énorme; la boîte cérébrale est +très minime.</p> + +<p>La reconstitution faite par M. Knight, sous la direction de M. Osborn, +conservateur du musée de New-York, où figure un squelette complet, +montre l'allure de cet animal curieux qui mesurait environ 6 mètres de +longueur.</p> + + + +<p>Notre fossile arrive d'Amérique. Il fut découvert dans les régions +dénudées du Wyoming, où les découpures fantastiques, de roches +versicolores, profondément ravinées, attestent de grands bouleversements +géologiques. Il reposait dans le terrain appelé Laramie fin, qui +appartient à la fin de l'ère secondaire.</p> + +<p>M. Boule l'avait commandé, il y a dix ans, au grand «chasseur de +fossiles», M. Sternberg, qui explore le sous-sol du nouveau continent +pour le compte des grands musées d'Amérique. L'exemplaire de Paris est +plus beau que celui acquis, il y a six ans, par le British Muséum.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/019b.png"><br><b>Crâne fossile de Triceratops récemment acquis par le +Muséum.</b></p> +<br><br> + +<p class="rig"><span class="sc">A propos du système Taylor</span>.</p><br><br> + +<p>Nous avons parlé à plusieurs reprises du système Taylor, ou méthode +d'organisation du travail qui consiste à supprimer les mouvements +inutiles de l'ouvrier et à combiner les mouvements utiles de façon à +obtenir, sans supplément de fatigue, souvent même avec une fatigue +moindre, le rendement maximum. Ce système, dont la généralisation aurait +une importance économique considérable, et qui, de prime abord, paraît +fort séduisant, compte en dehors du monde ouvrier, de sérieux +adversaires; il vient de provoquer une joute intéressante entre l'amiral +américain Edwards et M. Henry Le Chatelier, professeur à la Sorbonne et +membre de l'Académie des sciences.</p> + + + +<p>Comme exemple typique des résultats que l'on obtient avec la nouvelle +méthode, on peut citer le cas du maçon.</p> + +<p>Après une étude détaillée de chacun des mouvements du poseur de briques, +M. Gilbreth détermina la position exacte que doivent occuper les pieds +de l'ouvrier par rapport au mur, à l'auge, au tas de briques, de façon à +lui éviter de déplacer ses pieds. Il étudia la hauteur la plus favorable +pour l'auge et les briques, et fit construire un échafaudage portant une +table où les matériaux sont placés de telle sorte que les mouvements +inutiles soient supprimés. A mesure que le mur monte, ces échafaudages +sont réglés par un homme chargé uniquement de ce travail. Le poseur est +ainsi dispensé de l'effort consistant à se baisser pour prendre une +brique ou du mortier, et à se redresser ensuite.</p> + +<p>D'autre part, les briques, une fois déchargées, sont triées et placées +sur leur meilleur bord, ce qui évite au poseur de retourner la brique en +tous sens avant de la poser. Enfin, en employant un mortier assez +liquide, les briques peuvent être enfoncées à la profondeur convenable +par une simple pression de la main, sans qu'il soit nécessaire de les +frapper de quelques coups de truelle.</p> + +<p>Avec cette méthode, le nombre des mouvements nécessaires pour poser une +brique est réduit de 18 à 5 et, parfois, à 2. M. Gilbreth a obtenu un +rendement de 350 briques par homme et par heure, au lieu de 120.</p> + +<p>L'amiral Edwards reproche au système Taylor d'être très coûteux à +installer, de ne pas augmenter les salaires dans la proportion où il +accroît le rendement, d'exiger une attention si intense qu'elle nuit à +la santé de l'ouvrier, de rabaisser l'ouvrier au niveau de la bête de +somme, etc. Il insinue, en passant, que, dans les arsenaux maritimes, +c'est la qualité plutôt que la quantité qui doit être la mesure +principale du rendement.</p> + +<p>M. Le Chatelier répond, dans le <span class="sc">Génie civil</span>, que ce dédain du prix de +revient, assez commun en tous pays dans les établissements de l'État, +n'est aucunement recommandable; du reste, tous les établissements +français qui emploient la méthode Taylor, ou en étudient l'application, +sont incontestablement les premiers au point de vue de la perfection de +leur fabrication.</p> + +<p>D'autre part, l'augmentation de la production est indépendante des +ouvriers, elle résulte de l'organisation étudiée et réalisée par la +direction; en augmentant les salaires de 25 à 75%, on attribue donc aux +ouvriers plus que ce qu'ils ont le droit légitime d'exiger. Quant au +chronométrage, pourquoi serait-il déshonorant à l'usine, alors que +l'ouvrier est très fier d'être chronométré quand il fait du sport?</p> + +<p>Enfin, si l'on augmente la fatigue en même temps qu'on accroît la +production, on sort du système Taylor.</p> + +<p>M. Le Chatelier conclut que ce qui arrêtera longtemps la diffusion des +méthodes de Taylor, c'est la difficulté de trouver un personnel +dirigeant capable, d'abord de comprendre leur utilité, et ensuite de les +mettre en oeuvre. Un des admirateurs de Taylor disait récemment qu'il +faudrait deux générations d'hommes avant de voir ses méthodes +scientifiques se généraliser dans l'industrie.</p> + +<p class="rig"><span class="sc">Influence du climat sur la taille des oiseaux.</span></p><br><br> + +<p>Un naturaliste allemand, M. Boetticher, a fait de curieuses observations +sur les variations sous différents climats de la taille d'oiseaux de +même espèce.</p> + +<p>Le corbeau est plus grand en Norvège et au Groenland que dans nos pays; +celui de l'Himalaya est de dimensions considérables. Par contre, le +corbeau de l'Espagne est plus petit que le nôtre. De même, la corneille +est beaucoup plus grosse en Sibérie, au Kamtchatka, et, en Mongolie, que +dans l'Europe occidentale.</p> + +<p>En Algérie, en Tunisie, au Maroc, la pie est plus petite que chez nous; +au Thibet et dans l'Amérique du Nord, elle est de taille supérieure.</p> + +<p>La mésange bleue des îles Canaries, la mésange charbonnière de Sardaigne +et de Corse, sont plus petites que les nôtres. Le roitelet devient de +plus en plus grand à mesure qu'on remonte vers le Nord.</p> + +<p>En général, les oiseaux sont plus grands dans les régions froides. Il y +a pourtant quelques exceptions; le moineau, notamment, est plus grand à +Damas qu'à Paris.</p> + +<p class="rig"><span class="sc">L'alcool de sciure de bois.</span></p><br><br> + +<p>On sait que, depuis quelque temps, le cours de l'essence de pétrole a +atteint les hauteurs inconnues et que les autres carburants se sont +empressés d'imiter ce fâcheux exemple. Pour les propriétaires de +voitures de luxe, il n'y a là qu'un incident plus ou moins désagréable, +mais pour les entrepreneurs de transports en commun, pour les +industriels qui utilisent couramment les camions automobiles et, par +ricochet, pour les constructeurs de ces divers véhicules, il s'agit +presque d'une question de vie ou de mort. On voit, dans ces conditions, +quel intérêt peut présenter la découverte de nouveaux carburants ou la +production économique des carburants actuels. Or, il existe un +combustible qui a sur l'essence cette même supériorité d'être un produit +national et il semble que, grâce à des procédés nouveaux, ce produit +puisse être obtenu à des prix défiant toute concurrence.</p> + +<p>Ce combustible n'est autre que l'alcool, <i>alcool éthylique</i>, ou alcool +de bouche.</p> + +<p>La source à peu près unique de l'alcool est la fermentation de liquides +sucrés sous l'action de la levure. Or, les divers sucres proviennent +soit directement des végétaux, soit indirectement de la transformation +des matières amylacées.</p> + +<p>La première condition pour obtenir de l'alcool à bon marché est par +suite de fabriquer le sucre au prix le plus bas possible, avec des +matières de prix minime. Or, depuis quelques années, on s'est mis à +fabriquer le sucre, c'est-à-dire l'alcool, en utilisant soit les résidus +des fabriques de pâtes de bois, soit la sciure de bois elle-même.</p> + +<p>Dans la fabrication de la pâte à papier au sulfite, chaque tonne de bois +laisse comme résidu dix tonnes de lessives contenant environ la moitié +du bois traité et renfermant assez de sucre pour produire 70 à 80 litres +d'alcool. Il suffit de neutraliser le liquide à la chaux, de le faire +fermenter trois ou quatre jours et de distiller. On obtient ainsi un +alcool impur, impropre à la consommation et qui n'en est que meilleur au +point de vue industriel, car il se trouve dénaturé <i>automatiquement</i> par +la proportion assez élevée de méthylène qu'il renferme. Le méthylène (ou +<i>alcool de bois</i>) est, en effet, le dénaturant actuel adopté par l'État.</p> + +<p>Les usines suédoises qui utilisent ce procédé de fabrication depuis +environ quatre ans peuvent fournir annuellement 300.000 hectolitres +d'alcool (chiffre qui dépasse la consommation intérieure). Le prix de +revient est d'environ 10 francs pour l'hectolitre d'alcool à 90 degrés.</p> + +<p>Dans le second procédé de fabrication utilisé surtout aux États-Unis et +introduit depuis peu en France, on emploie exclusivement la sciure de +bois traitée à chaud par les acides. Or, une tonne de sciure de bois qui +peut fournir 90 litres d'alcool ne coûte guère que 2 francs à 2 fr. 50 +dans les pays où il existe des scieries mécaniques. Le coût de la +fabrication proprement dite étant sensiblement équivalent à celui de la +fabrication de l'alcool de grains, la différence des prix de l'alcool +résultera de la différence des prix de la matière première (sciure de +bois ou blé indien). On voit quelle peut être, au point de vue +économique, la supériorité de l'alcool de sciure de bois, étant donné +surtout que cet alcool est en quelque sorte dénaturé de naissance.</p> + +<p class="rig"><span class="sc">Pour découvrir les alcaloïdes dans l'organisme.</span></p><br><br> + +<p>On a souvent besoin de savoir si un liquide de l'organisme ne renferme +pas un alcaloïde thérapeutique, comme la cocaïne, la morphine, la +caféine, ou criminel comme tel ou tel poison végétal. L'analyse chimique +n'est guère possible quand la quantité de liquide dont on dispose est +faible: aussi est-il intéressant de savoir qu'une autre méthode existe, +très sensible, et permettant de démontrer l'existence de quantités +infinitésimales d'alcaloïde.</p> + +<p>Elle a été signalée à l'Académie des sciences par MM. M. Gompel et +Victor Henri, qui ont trouvé que le spectre d'absorption des rayons +ultra-violets est caractéristique pour chaque alcaloïde examiné +jusqu'ici. Cette méthode spectroscopique est extrêmement sensible: il +suffit, en effet, que dans le liquide à examiner il y ait un deux cent +millième de gramme de cocaïne par centimètre cube pour pouvoir retrouver +et doser ce poison.</p> + +<p>Si la méthode est aussi efficace en ce qui concerne les alcaloïdes +susceptibles d'être employés dans un but criminel, les empoisonneurs +n'auront qu'à se bien tenir.</p> + +<p class="rig"><span class="sc">Les balles anesthésiques</span>.</p><br><br> + +<p>Un Américain, M. A.-E. Humphrey, jugeant avec raison que ce que l'on +demande à une balle, soit à la guerre soit à la chasse, c'est seulement +de mettre hors de combat, et non de faire souffrir, vient de lancer +l'idée de la balle anesthésique, ou narcotique, de la balle qui apporte +en même temps la fracture, ou la lésion, et l'anesthésique empêchant de +la sentir.</p> + +<p>La méthode est simple: dans de petites cavités de la pointe de la balle +blindée, l'inventeur met un peu de morphine (à l'état de sel solide). +Celle-ci ne diminue en rien l'efficacité du projectile; elle ne change +rien à son pouvoir destructeur.</p> + +<p>Mais elle détermine l'anesthésie, chez l'homme ou la bête. Et le blessé +s'endort tranquillement, dit l'inventeur... En théorie, cela marche à +merveille, et la balle de M. Humphrey a bien tout l'air d'un «ange de +miséricorde». Les chasseurs l'apprécieront: qu'un lion ou un éléphant +soit blessé à une partie vitale, ou bien de façon insignifiante, il leur +sera toujours acquis, puisque toute blessure doit endormir l'animal, et +permettre de l'achever sans danger. Mais il faudra une dose de morphine +sérieuse pour un éléphant.</p> + +<p class="rig"><span class="sc">A Propos du Daïkon.</span></p><br><br> + +<p>Nous signalions récemment un radis géant, originaire du Japon, le +daïkon, cultivé aux environs de Paris par M. de Notter.</p> + +<p>Un de nos lecteurs nous fait remarquer que ce légume a été introduit en +France par M. Paillieux et son collaborateur M. D. Bois, assistant au +Muséum, à qui nous devons l'importation et la vulgarisation du crosne du +Japon.</p> + +<p>MM. Paillieux et Bois ont consacré aux diverses variétés du daïkon tout +un chapitre de leur <span class="sc">Potager d'un curieux</span>, dont la Librairie agricole de +la maison rustique a publié la troisième édition il y a une dizaine +d'années. Ils ont eux-mêmes cultivé le radis japonais, et, à la suite de +leurs premières expériences, la graine de daïkon figura dans le +catalogue de la maison Vilmorin, en 1891. Elle en fut retirée en 1904, +les essais de culture effectués au cours d'une dizaine d'années ayant +donné des résultats médiocres.</p> + +<br><br> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/020a.png"><br><b> +Vue panoramique de l'usine de dynamite de Paulilles: les +nº 1 et 2 indiquent les bâtiments qui ont sauté.</b>--<i>Phot. F. Menozzi.</i><br> +<span class="sml"> 1. +Casemates et pavillon de la nouvelle dynamiterie.--2. Ancienne +dynamiterie.--3. Château d'eau.--4. Forge, machine à vapeur, séchoir, +ateliers divers.--5. Maisons ouvrières, laboratoire. 6. Bâtiments des +mélangeurs.--7. Magasins à nitrate.--8. Fabrique d'acide nitrique.--9. +Magasins divers.--10. Écuries.--11. Direction.--12. Conciergerie et +bureaux.</span></p> + +<h3>L'EXPLOSION D'UNE DYNAMITERIE</h3> + +<p>Il y a quelques jours, le 29 mai dernier, vers 7 h. 15 du matin, une +formidable explosion anéantissait plusieurs des bâtiments de l'usine de +dynamite de Paulilles, à 3 kilomètres de Port-Vendres, et faisait de +nombreuses victimes, dont six morts et une vingtaine de blessés.</p> + +<p>Une première explosion, dont les causes n'ont encore pu être nettement +établies, s'est produite dans la dynamiterie proprement dite, â +l'atelier où l'on traite la glycérine à l'aide des acides afin de la +nitrer. Elle fut suivie de plusieurs autres, qui firent sauter +successivement les ateliers de filtrage et de pétrissage.</p> + +<p>Ces détonations étaient entendues à 30 kilomètres à la ronde, tandis que +les alentours étaient ravagés par une véritable pluie de mitraille. +Parmi les malheureux ouvriers qui n'avaient pas eu le temps de fuir, +plusieurs furent littéralement déchiquetés. L'agent de l'État, M. +Jouvena, qui se trouvait dans la partie sinistrée, fut découvert dans +les décombres, parmi les morts.</p> + +<p>Les premiers secours avaient été organisés par le personnel de l'usine, +dont les autres bâtiments, très espacés, n'ont pas souffert, par des +habitants de Port-Vendres, ayant à leur tête le maire, et par les +infirmiers de la 16e section, casernée à Port-Vendres. Longtemps flotta +au-dessus des bâtiments sinistrés un panache de fumée noire dont la +photographie, prise aussitôt après l'explosion, à bord du vapeur Roland, +du laboratoire zoologique de Banyuls, par M. Albert Valat, et +communiquée par M. Jean Arlaud, nous donne l'immédiate vision.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/020b.png"><br><b>L'explosion de la dynamiterie de Paulilles, vue de la<br> +mer. <i>Phot. prise à bord du yacht</i> Roland <i>devant Port-Vendres</i>.</b></p> + +<h3>UN GRAND MATCH DE BOXE</h3> + + +<p>Dimanche dernier, Georges Carpentier, notre boxeur national, qui déjà, en +moins de deux années, s'est attribué trois championnats d'Europe--poids +mi-moyen, poids moyen et poids mi-lourd--par ses victoires successives +sur Young Josephs, Jim Sullivan et Bandsmann Rice, a triomphé de +Bombardier Wells, champion professionnel poids lourds d'Angleterre, en +une rencontre sensationnelle, dont le théâtre fut la salle des Fêtes de +l'exposition de Gand.</p> + +<p class="rig"><img alt="" src="images/020c.png"><br><b> + Le champion de boxe Georges<br> + Carpentier<br> + chez lui en tenue de soirée.</b></p> + +<p>Ce match, où devaient s'affronter deux adversaires redoutables, était de +ceux qui, passionnant pour les habitués des <i>rings</i>, excitent l'intérêt +même des profanes, familiarisés désormais avec les termes d'un réalisme +si pittoresque propres au jeu des pugilistes. Il mettait aux prises deux +hommes de taille, de poids et d'âge différents, et cette inégalité, tout +à l'avantage du boxeur anglais, contribuait à rendre émouvant le +spectacle de leur lutte: Carpentier, plus jeune que Bombardier Wells +--il n'a que dix-neuf ans et quatre mois--plus petit et moins lourd +l'emporta par sa science, la rapidité de son attaque, son sang-froid, +et, si l'on peut dire, le merveilleux équilibre de ses forces.</p> + +<p>Le combat fut bref, violent, et provoqua tour à tour, chez les partisans +des deux champions, des alternatives de découragement et d'espoir. +Durant les deux premières reprises, Carpentier, durement atteint à la +face et jeté à terre, mais ripostant pourtant avec énergie, parut dominé +par Wells, dont l'offensive puissante semblait irrésistible. Le +troisième round changea brusquement le sort de la bataille: Carpentier, +renonçant à frapper à distance, se mit à «travailler» dans le corps à +corps, et ce furent toute une série de foudroyants «directs» et de +«crochets» vigoureux, qui se terminèrent par l'écrasement de l'Anglais, +«knock out» à la quatrième reprise,--cependant que la foule acclamait +follement son favori, aux sons de <i>la Marseillaise.</i></p> + +<p>La physionomie de Georges Carpentier boxeur a été popularisée par +l'affiche, et nous l'avons d'ailleurs reproduite ici même, lors d'un +match précédent. La photographie que nous publions aujourd'hui montre +que le célèbre champion, le jeune Lensois destiné naguère aux travaux de +la mine, sait porter avec élégance, en ses loisirs d'homme du monde, le +frac impeccable.</p> + +<br><br> + +<h3>LES THÉÂTRES</h3> + +<p>La délicieuse comédie de M. Georges Feydeau, <i>le Bourgeon</i>, vient d'être +reprise au théâtre de l'Athénée. Cette pièce, qui est l'une des plus +adroitement composées et des plus finement écrites de cet auteur, a +retrouvé tout le succès qui l'accueillit à ses débuts. Ses audaces, ses +ironies, son émotion n'en sont pas émoussées. M. André Brûlé, dans le +rôle qu'il créa, s'est fait applaudir comme naguère et, près de lui, +Mmes Marie-Laure, Madeleine Carlier, Cécile Caron, Jane Renouardt, MM. +Dubosc, Guyon fils et Gallet, contribuent de tout leur talent à l'éclat +de cette reprise dont les représentations paraissent assurées pour +longtemps.</p> + +<p>M. Georges Feydeau va, d'autre part, selon toute vraisemblance, tenir +l'affiche du théâtre des Variétés durant de nombreux soirs. On vient d'y +reprendre son vaudeville célèbre: <i>la Dame de chez Maxim</i>, dont le +succès date de 1899. Cette pièce aux situations enchaînées avec la plus +bouffonne logique, avec ses personnages si vigoureusement caricaturés, +passe à bon droit pour le chef-d'oeuvre du genre. Après avoir fait +plusieurs fois le tour du monde elle nous revient sans rides. Le +boulevard a cru rajeunir à la retrouver; il lui a fait un accueil +enthousiaste. La môme Crevette, que créa Cassive, a rencontré en Mlle +Ève Lavallière une nouvelle interprète tout à fait remarquable. Les +autres rôles sont également tenus par des artistes de tout premier +ordre, tels que Mme Marie Magnier. MM. Félix Galipaux, Colombey, +Flateau, etc..</p> + +<p>Cet été s'annonce comme favorable aux «reprises» théâtrales. <i>Le +Poulailler</i>, comédie en trois actes de M. Tristan Bernard, affronta les +feux de la rampe pour la première fois, le 3 décembre 1908 au théâtre +Michel, et la critique ne lui ménagea pas ses éloges. <i>L'Illustration +Théâtrale</i> la publia le 16 janvier suivant et ce numéro est, depuis +longtemps épuisé. Mais le succès de l'oeuvre ne l'est pas. L'expérience +vient d'en être faite avec bonheur à la Comédie des Champs-Elysées. +Cette pièce, de bonne humeur spirituelle, facétieuse et philosophique +tout à la fois, n'a pas moins plu aujourd'hui qu'au jour de sa création. +Il est donc permis de prophétiser à nouveau une longue carrière au +<i>Poulailler</i>.</p> + +<p>Au théâtre de l'Ambigu-Comique, reprise, avec un succès qui ne saurait +surprendre, de la noble pièce tirée par M. Edmond Haraucourt du roman +alsacien de M. René Bazin: <i>les Oberlé</i>. Et, de nouveau, et à quelle +heure opportune--tandis qu'au Reichstag se discutent les lois +d'exception contre l'Alsace-Lorraine--le public s'est ému au spectacle, +si fortement évoqué, de cette lutte qui continue en terre d'Alsace, entre +deux rares, deux civilisations, l'une conquérante, avide, impatiente, +l'autre conquise mais point domptée et rebelle, avec intransigeance, à +l'absorption totale.</p> + +<p>Au théâtre Antoine, M. Lugné-Poe a porté la légende dramatique de M. +Édouard Dujardin: <i>Marthe et Marie</i>. du répertoire de l'Oeuvre. Cette +pièce relève du genre symboliste dont son auteur fut l'un des premiers +adeptes. Mais le symbole, qui, jadis, demeurait hermétique, s'y est fait +plus compréhensible. Néanmoins, les personnages n'atteignent pas encore +à cette vérité humaine de gestes et d'accents qui émeut pleinement un +auditoire. Marthe et Marie sont deux soeurs; l'une est simple et +raisonnable, l'autre chimérique et romanesque. Elles font tour à tour la +joie et le désespoir d'un homme. L'action se déroule au temps des +Médicis dans un cadre pittoresque. Cette aventure morale--car elle +démontre que le bonheur est dans la vie ordonnée et non dans le rêve +impossible--a pour interprètes les bons artistes de l'Oeuvre.</p> + +<p><i>La Jeunesse dorée!</i> Voici une opérette qui n'arrive pas de l'étranger. +Elle est spirituelle, alerte, frondeuse. A ces qualités, on la +reconnaîtra bien française... et parisienne aussi. Elle évoque les +dandies de 1830 et les rats d'opéra du temps où le docteur Véron +présidait aux destinées de l'Académie de musique rue Le Peletier. C'est +une histoire d'amour et de coulisses sans sous-entendus grossiers. Le +texte de MM. Verne et Faure est correct. La musique de M. Marcel Lattes, +gracieuse, comique ou tendre, est agréable. Ce spectacle, fort bien mis +en scène et soutenu par une interprétation de choix, est le succès +actuel du théâtre de l'Apollo.</p> + +<p>Le Gymnase abrite en ce moment la compagnie d'artistes du Théâtre +National polonais de Léopol qui, sous la direction de M. Louis Heller, +vient donner à Paris une série de neuf représentations de pièces +polonaises. Le premier de ces spectacles, <i>le Cercle enchanté</i>, de M. +Lucien Rydel, est un conte dramatique pathétique et vivant, d'un intense +coloris et d'une réelle puissance d'expression, dont le public parisien +a paru goûter le charme exotique.</p> +<br><br> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/021small.png"><br><a href="images/021large.png">(Agrandissement)</a></p> + +<br><br> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/supp01.png"><br> +Note du transcripteur: Les suppléments mentionnés<br> en titre ne nous ont pas été fournis + +<br><br> +</div> + + + + + + + + + +<pre> + + + + + +End of Project Gutenberg's L'Illustration, No. 3667, 7 Juin 1913, by Various + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, 7 JUIN 1913 *** + +***** This file should be named 38868-h.htm or 38868-h.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + https://www.gutenberg.org/3/8/8/6/38868/ + +Produced by Jeroen Hellingman et Rénald Lévesque + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. 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It exists +because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from +people in all walks of life. + +Volunteers and financial support to provide volunteers with the +assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's +goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will +remain freely available for generations to come. In 2001, the Project +Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure +and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. +To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation +and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 +and the Foundation web page at https://www.pglaf.org. + + +Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive +Foundation + +The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit +501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the +state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal +Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification +number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at +https://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent +permitted by U.S. federal laws and your state's laws. + +The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. +Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered +throughout numerous locations. Its business office is located at +809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email +business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact +information can be found at the Foundation's web site and official +page at https://pglaf.org + +For additional contact information: + Dr. Gregory B. Newby + Chief Executive and Director + gbnewby@pglaf.org + + +Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation + +Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide +spread public support and donations to carry out its mission of +increasing the number of public domain and licensed works that can be +freely distributed in machine readable form accessible by the widest +array of equipment including outdated equipment. Many small donations +($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt +status with the IRS. + +The Foundation is committed to complying with the laws regulating +charities and charitable donations in all 50 states of the United +States. Compliance requirements are not uniform and it takes a +considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up +with these requirements. We do not solicit donations in locations +where we have not received written confirmation of compliance. To +SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any +particular state visit https://pglaf.org + +While we cannot and do not solicit contributions from states where we +have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition +against accepting unsolicited donations from donors in such states who +approach us with offers to donate. + +International donations are gratefully accepted, but we cannot make +any statements concerning tax treatment of donations received from +outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff. + +Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation +methods and addresses. Donations are accepted in a number of other +ways including including checks, online payments and credit card +donations. To donate, please visit: https://pglaf.org/donate + + +Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic +works. + +Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm +concept of a library of electronic works that could be freely shared +with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project +Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support. + + +Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed +editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S. +unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily +keep eBooks in compliance with any particular paper edition. + + +Most people start at our Web site which has the main PG search facility: + + https://www.gutenberg.org + +This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, +including how to make donations to the Project Gutenberg Literary +Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to +subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. + + +</pre> + +</body> +</html> + + diff --git a/38868-h/images/000large.png b/38868-h/images/000large.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..a3ec49b --- /dev/null +++ b/38868-h/images/000large.png diff --git a/38868-h/images/000small.png b/38868-h/images/000small.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..6d9ce23 --- /dev/null +++ b/38868-h/images/000small.png diff --git a/38868-h/images/001.png b/38868-h/images/001.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..78a0c2d --- /dev/null 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