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+Project Gutenberg's L'Illustration, No. 3667, 7 Juin 1913, by Various
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
+
+
+Title: L'Illustration, No. 3667, 7 Juin 1913
+
+Author: Various
+
+Release Date: February 13, 2012 [EBook #38868]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: ISO-8859-1
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, 7 JUIN 1913 ***
+
+
+
+
+Produced by Jeroen Hellingman et Rénald Lévesque
+
+
+
+
+
+
+L'Illustration, No. 3667, 7 Juin 1913
+
+DES PETITS BRUITS DANS LA MAISON, par Henriot.
+
+
+Ce numéro contient:
+1º LA PETITE ILLUSTRATION, Série-Théâtre nº 10: LE TROUBLE-FÊTE, de M.
+Edmond Fleg, et LA GLOIRE AMBULANCIÈRE, de M. Tristan Bernard;
+2° UN SUPPLÉMENT ÉCONOMIQUE ET FINANCIER de deux pages.
+
+
+L'ILLUSTRATION
+_Prix du Numéro: Un Franc._
+SAMEDI 7 JUIN 1913
+_71e Année.--Nº 3667._
+
+[Illustration: NOTRE ALLIÉ ET NOTRE AMI LL. MM. Nicolas II, empereur de
+Russie, et George V, roi de Grande-Bretagne et d'Irlande. _Phot. Ernst
+Sandow.--Voir l'article, page 525._]
+
+
+
+COURRIER DE PARIS
+
+L'ADORABLE MOMENT
+
+--Non, en vérité, je crois que je ne pourrais pas à la fin de mai, au
+début de juin, être ailleurs qu'ici. Paris est, en ces jours qui nous
+échappent si vite, une splendeur suave, ininterrompue. L'air et la
+lumière sont épris l'un de l'autre, _se déclarent_ sans cesse, et se
+surpassent en douceur autant qu'en vivacité. Le soleil sur les gazons de
+velours, faits pour des pieds nus, pose des ombres mouvantes,
+palpitantes, qui semblent des reflets de respiration. Les troncs des
+arbres sont d'un noir ardent qui n'est pas triste, et les fleurs
+brillent, nouvellement peintes.
+
+Dans le ciel est semée, répandue, une poudre de bonheur... Les
+hirondelles insensées, prenant les ailes à leur cou, volent si haut...
+si haut... qu'elles nous font monter. Pas longtemps, car en bas
+l'existence est aimable et nous donne une récréation ravissante. Je ne
+peux pas vous dire tout ce que je vois du matin au soir qui m'amuse,
+m'enchante et me fait jouir, et à quoi passionnément je me délecte sans
+songer à rien. Visions, impressions rapides, multiples, fugitives, qui
+ne durent que la courte éternité d'un regard, d'un ah! qui reste en
+dedans!... Tout m'est plaisir. Tout me remplit d'aise. Les passants ont
+le pied léger et les voitures la roue caressante. Tout le monde a l'air
+d'aller, de courir, de se précipiter sans violence dans la même
+direction, celle de la joie, et nul ne paraît tourmenté, comme si chacun
+était sûr qu'il y aura des provisions de joie, et pour tous, qu'on
+arrivera toujours à temps pour en recevoir. Beaucoup de confiance. Une
+tranquillité absolue, sur les joues, dans les prunelles, dans les cours.
+La vie? Ah! belle, belle! Dieu? Si bon! Les hommes? Pas méchants, mais
+non. Beaucoup moins en tout cas qu'on l'affirmait hier. Et voilà! On n'a
+plus peur.
+
+ *
+ * *
+
+Ah! vivre! vivre!... Que c'est donc agréable et comme cela vous inonde!
+Se laisser vivre! Ne rien faire que vivre! Aimer vivre, désirer vivre!
+Et se coucher, s'étaler dans cette idée et dans ce mot. On ne se soucie
+que par minutes de vivre avec cette intensité profane, mais ces
+minutes-là dédommagent. Quelle entente exacte et merveilleuse alors
+entre les hommes! Ne dirait-on pas que tout le monde se connaît? La vie
+devient comme une petite ville dont tous les habitants se
+fréquenteraient, _se verraient_. On ne se croise plus avec cette
+hostilité qui chasse et rejette d'habitude les gens loin les uns des
+autres. Non. Une sympathie réelle, frivole et tendre, envahit les traits
+de chacun; et les masques de dédain, de mépris, d'indifférence ou de
+fierté tombent pour une heure. Les yeux se cherchent, se visitent, dans
+l'échange d'un réciproque éclair. Les curiosités, en se rencontrant,
+s'abordent, se donnent, sans s'arrêter, une espèce de petit coup de bec
+amical. Bonjour muet, politesse de circonstance accordée uniquement
+parce qu'il fait beau, et qu'un souffle délicieux, venu on ne sait d'où,
+nettoie les fronts et allège les pensées. Rien qui ne soit prétexte à
+nous fournir une puérile béatitude. La surprise d'être heureux durant
+quelques secondes, d'être épargné par les ennuis, la maladie, la mort,
+font sortir de tous les êtres une vapeur de joie, comme le soleil tire
+des dessous de la terre humide ces fumées bleues qui ne sont que le
+déroulement immatériel de sa fécondité, l'envol azuré de ses entrailles.
+Le mot lisible sur tous les visages est le mot: remerciement. On
+remercie de vivre. Les femmes, bien placées dans de séduisantes poses de
+fausse fatigue, les traits à la fois détendus et galvanisés par trop de
+sensations, les jeunes hommes, nu-tête et les cheveux secoués, rejetés
+en arrière, se montrent, se présentent dans les _autos_ avec une
+complaisance ingénue. Ils «s'offrent» naïvement, ainsi que des parfaits
+modèles de félicité terrestre et momentanée. Ils fendent l'espace. Leurs
+frémissantes narines, dans le courant d'air des glaces baissées,
+aspirent Paris que leurs lèvres entr'ouvertes avalent aussi, par
+gorgées. Les arômes, les parfums, sont goûtés comme des sorbets. Il
+n'est personne qui, renversé dans la quiétude, veuille pour l'instant
+consentir à autre chose qu'à savourer, et l'expression de chacun,
+attrapée au passage, est celle de l'étourdissement, du délire. Si chacun
+pouvait faire l'effort de s'arracher ce qu'il pense, on est sûr qu'il
+dirait: «Laissez-moi, ne parlez pas, ne troublez pas... Je suis
+délicieusement bien.»
+
+Tout contribue d'ailleurs et s'applique à l'heureux effet de l'ensemble.
+Les laideurs disparaissent ou s'atténuent. Pas de spectacles douloureux,
+de pénibles scènes. Ce n'est pas le jour de la béquille et du moignon,
+de la pauvresse, du mendiant et de l'estropié. Ils doivent s'en rendre
+compte car ils ne sont pas là, et si par hasard ils y sont, c'est comme
+s'ils n'y étaient pas, car on ne les voit point, ils ne sont pas dans le
+rayon visuel de la pitié, ils demeurent inaperçus, ils sont absorbés par
+tant de bien-être et tant de richesse... fondus dans le grand brasier de
+joie véhémente, féroce et douce. Et tout est mieux aussi qu'à l'insipide
+ordinaire. On est mieux tenu, mieux habillé. Les chapeaux des femmes
+sont plus capiteux et leurs robes plus cordiales. Tout est charme,
+attirance, tentation. De quelque côté que l'on se tourne, on ne trouve
+en face de soi que de l'irrésistible. Les êtres, les choses, les idées
+dégagent une puissance, une langueur de séduction qui trouble, excite et
+désespère. La sensibilité, renouvelée, rajeunie, comme trempée dans le
+cristal d'une source, n'est plus qu'une suite et qu'une gamme de
+frissons frais, pareils à ceux d'une peau saisie et satisfaite, sur
+laquelle courent en s'entrelaçant, avant qu'on les essuie au sortir du
+bain, les gouttes d'eau savantes.
+
+Le sol lui-même s'apaise, aplanit ses aspérités, lance et conduit l'auto
+qui roule sans secousses. Aussi les grandes voies triomphales de Paris,
+celles des Champs-Elysées, des quais, des avenues, ne sont-elles plus
+que des tremplins de joie... Elles s'emplissent d'un harmonieux
+brouhaha, d'un concert de glissements, d'emportements, de fuites souples
+et sans frayeur. Il suffit de voir filer comme des barques rapides et
+légères ces chars dont on oublie les roues, pour que le vertige vous
+prenne, à votre tour, et que l'on ait le désir d'entrer également dans
+la course à l'oubli. La nature s'en mêle. Tout y prend part. Jamais le
+parc et les jardins, l'arbre, la feuille et la rose, les bois, la forêt
+voisine, la libre grande route n'offrent plus, qu'en ces jours
+privilégiés, d'attraits violents et fins, de provocations saines et
+délicates! Pourquoi en est-il ainsi? On ne sait pas. Cela s'accomplit
+grâce à une espèce de mot d'ordre mystérieux donné par le dieu de la
+vie, de la vie naturelle, sensuelle, irréfléchie, acceptée et aimée pour
+elle-même et préférée à tout pendant quelques instants d'aiguë et molle
+jouissance, d'excessive volupté. Jouissance et volupté qui s'imposent,
+qui veulent être employées et qui nous gagnent avec la force du fatal et
+la tyrannie du nécessaire. Nous sentons, en nous y abandonnant, que nous
+défendre est inutile, presque coupable, et que nous faisons bien d'y
+céder. Le soleil et son ivresse n'ont jamais tort. Chaque fois que nous
+dominent ces innocentes et vagues folies surhumaines, sachons bien voir
+en elles la condition même d'un sacrifice futur, d'une peine en chemin,
+d'un désenchantement dont elles sont le rachat préventif, la récompense
+anticipée.
+
+Si l'on y regarde bien, de près comme de loin, on est effrayé en effet
+de la rareté de nos plaisirs, du petit nombre et de la minceur de nos
+joies! Irons-nous donc repousser ces dernières quand, par moments, elles
+s'approchent de nous, quand, avec une tendre audace, leur main s'empare
+de la nôtre et qu'elles nous invitent à faire un petit tour de danse? Au
+fond je crois bien que le soir où, lassés d'avoir tant cherché, senti,
+souffert et voulu toujours nous exprimer, nous passerons la revue de nos
+souvenirs heureux, de nos souvenirs de joie complète et sans mélange,
+nous serons tout étonnés d'avoir une certaine peine à retirer du fond
+des années ceux qui avaient fait le plus de bruit à l'époque, et tenu le
+plus de place, et que nous pensions éternels, devoir durer plus que
+nous, au delà de nous,... tandis qu'au contraire ce qui restera, ce qui
+surnagera--à côté de nos impérissables émotions, les plus secrètes, les
+plus chères et les plus belles, dont nous ne parlons pas--ce sera
+souvent l'image ressuscitée d'une de ces journées d'élite, d'un de ces
+moments de Paris et d'autrefois, où soudain tout était feu, lumière,
+allégresse, emportement et délire, où rien ne paraissait plus chimérique
+de tout ce qu'on avait rêvé, où l'homme n'avait plus d'âge et la vie
+plus de terme, où les Champs-Elysées montaient vers la porte de gloire
+qui semblait celle même de l'Avenir, ouverte et défoncée sur des pays
+d'azur, des horizons de pourpre et d'or...
+
+On se rappellera, comme une série d'ivresses sans nom, les riens de ces
+jours perdus... la plume d'un chapeau, l'ombre d'un marronnier sur une
+pelouse, un thé pris dans un parc, un chant de merle pendant le dîner la
+fenêtre ouverte, un lamento de violon, un éclat de voix, un doux
+ronflement d'auto dans une grande allée un peu humide et ténébreuse, et
+des yeux... des bleus, des noirs, des sourires... des mains
+charmantes... des bruits... des silences... la vie enfin, la vie...
+quand elle veut se donner la peine d'être enivrante et belle sans avoir
+l'air d'y toucher, pour qu'on la regrette plus...
+
+HENRI LAVEDAN.
+
+_(Reproduction et traduction réservées.)_
+
+
+
+L'OEUVRE DE PEARY
+
+Après avoir fêté, il y a six mois, le capitaine Roald Amundsen, le héros
+du Pôle Sud, la Société de Géographie recevra le 6 juin en séance
+solennelle à la Sorbonne l'amiral Peary, le vainqueur du Pôle Nord. Dans
+l'histoire des découvertes arctiques, le célèbre explorateur américain
+occupe une place de premier rang, non seulement de par cette conquête,
+mais encore en raison de l'importance et de la continuité de son oeuvre
+dont cette victoire sensationnelle forme le couronnement. Nul des plus
+illustres pionniers polaires ne compte dans ses états de service un
+aussi grand nombre de campagnes. De 1891, époque de son début, à 1909,
+date à laquelle il a atteint le Pôle, Peary a passé pas moins de neuf
+ans dans le domaine des glaces, soit un an sur deux, et durant cette
+période a couvert des milliers et des milliers de kilomètres, vivant en
+Esquimau au milieu des Esquimaux. Chez cet homme extraordinaire, on ne
+sait ce que l'on doit le plus admirer, ou de sa volonté qu'aucun
+obstacle n'a pu rebuter, ou de sa vigueur physique que les rudes
+épreuves du climat arctique ont été impuissantes à entamer. Alors que
+l'hiver est la période de repos dans l'exploration du Nord, en décembre
+et janvier on le voit, bravant la nuit polaire et les froids de 50°,
+accomplir de longues randonnées. Dans une de ces expéditions a-t-il les
+pieds gelés, il se fait voiturer en traîneau sur une distance de 450
+kilomètres jusqu'à sa station d'hiver, pour y subir l'amputation des
+orteils, puis, sans attendre d'être complètement remis de l'opération,
+il repart en avant. Avec Nansen et Amundsen, Peary détient le record de
+l'endurance dans l'exploration polaire.
+
+[Illustration: Mme R. Peary. Amiral Robert Peary. Mlle Mary Anighilo
+(née au Grönland). Le conquérant du Pôle Nord et sa famille.
+_Photographie Fréd. Boissonnas prise pour_ L'Illustration _le 31 mai et
+autographiée par Peary_.]
+
+Pour permettre au lecteur d'apprécier l'oeuvre du voyageur américain,
+indiquons brièvement la configuration des régions qui ont été le théâtre
+de ses exploits. Comme on le voit en jetant les yeux sur une carte, au
+delà de Terre-Neuve l'océan Atlantique envoie dans la direction du Pôle
+un long bras de mer de plus en plus étroit à mesure qu'il s'étend dans
+le nord, pour aboutir finalement à l'immense océan couvert de banquises
+qui occupe la calotte boréale du globe, et au milieu duquel se trouve le
+Pôle Nord. A gauche, c'est-à-dire à l'est de ce long goulet--désigné
+successivement sous les noms de détroit de Davis, mer de Baffin, détroit
+de Smith--c'est l'énorme masse continentale du Grönland, et, à droite,
+un archipel, grand comme huit ou dix fois la France et composé d'îles
+très étendues, terres de Baffin, d'Ellesmere, de Grant, etc., etc.
+
+Pendant trois ans, en 1891, puis de 1893 à 1895, Peary s'est d'abord
+consacré à l'exploration du nord-ouest du Grönland. Au cours de ces
+campagnes, il parvint notamment à la côte septentrionale de cette terre
+qu'aucun voyageur n'avait encore foulée. Dans cette région qu'elle a
+visitée à son tour l'an dernier, l'expédition danoise de Rasmussen,
+rentrée il y a un mois à Copenhague, a trouvé le _cairn_ élevé par
+l'explorateur américain au terminus de sa course et rapporté en Europe
+le rapport sommaire qu'il avait déposé sous cette pyramide de pierres
+sèches.
+
+En 1898, Peary reprenait le chemin de l'Arctique, et cette fois y
+demeurait quatre ans de suite. Au cours de ce long séjour, il explore
+les terres de Grinnel et de Grant qui bordent à l'ouest le détroit de
+Smith, puis, se dirigeant vers l'est, reconnaît l'insularité du
+Grönland. Ces terres, les avancées extrêmes du continent américain vers
+le nord, finissent sous le 83° de latitude environ, soit à 770
+kilomètres du Pôle, la distance de Paris à Arles; pour atteindre ce
+point suprême, il ne restait donc à Peary d'autre ressource que de
+s'engager avec des traîneaux sur la banquise de l'océan Arctique. Route
+singulièrement difficile; les nappes solides qui recouvrent les mers
+polaires sont hérissées d'énormes monticules produits par l'entassement
+de leurs débris dans les collisions qu'elles subissent, avec cela
+découpées de lacs et de canaux. Enfin, souvent il arrive que les
+courants refoulent la banquise sur laquelle le voyageur chemine en sens
+inverse de la direction qu'il veut suivre. Quoi qu'il en soit, au
+printemps 1902, Peary s'élançait à travers le puissant embâcle de glaces
+marines qui obstrue le bassin arctique; mais, après quinze jours de
+lutte, il était forcé de s'arrêter à 634 kilomètres du but. Cet échec ne
+le décourage pas; quatre ans plus tard, en 1906, il recommence la lutte,
+et, cette fois, réussit à battre tous les records établis auparavant et
+à approcher à 320 kilomètres du Pôle. Deux ans après, en automne 1908,
+l'énergique Américain revenait s'établir sur la côte septentrionale de
+la terre de Grant. De là, au printemps suivant, avec 24 compagnons, 7
+marins et 17 Esquimaux, et 133 chiens attelés à 19 traîneaux, il
+s'engageait de nouveau sur la banquise. De son point de départ au Pôle,
+la distance à vol d'oiseau était de 740 kilomètres; grâce à des
+circonstances particulièrement favorables, elle fut couverte en
+vingt-sept étapes, et, le 7 avril 1909, l'explorateur avait la joie de
+déployer le pavillon des États-Unis sur la fraction de la banquise
+mobile qui, à ce moment, occupait le gisement de l'extrémité
+septentrionale de l'axe terrestre.
+
+Le Pôle est un point mathématique dont la position ne peut être
+déterminée que par des observations astronomiques. Pour être fixé sur la
+situation exacte d'une localité atteinte par un voyageur et dont il a
+observé la latitude, il suffit de vérifier ses calculs. Aussi, à la
+demande même de Peary et conformément d'ailleurs à l'usage, ses
+documents furent soumis par la Société de Géographie de Washington à
+l'examen des trois spécialistes officiels les plus compétents des
+États-Unis. Le verdict rendu par ces experts est catégorique. Après
+avoir pris connaissance des minutes des observations et des instruments
+ayant servi à les exécuter, ces savants ont signé un procès-verbal
+déclarant que Peary avait atteint le Pôle Nord et qu'en raison de cet
+exploit il était digne des plus grands honneurs. A la suite de ce
+contrôle officiel, dès 1910, les deux grandes Sociétés de Géographie de
+Londres et de Berlin ont tenu à honneur de recevoir solennellement le
+vainqueur du Pôle boréal. Pour être quelque peu tardif, l'hommage que
+Paris rendra à son tour au conquérant des glaces arctiques n'en sera pas
+moins chaleureux et cordial.
+
+Dans la visite qu'il nous fait, l'amiral Peary est accompagné de sa
+femme et de sa fille, qui, elles aussi, ont place dans l'histoire
+polaire. Mme Peary a accompagné son mari dans plusieurs campagnes et a
+même hiverné avec lui dans le Grönland septentrional, et c'est pendant
+ce séjour au milieu des glaces qu'est née, en 1893, Mlle Peary.
+
+CHARLES RABOT.
+
+
+
+MARINE D'AUTREFOIS ET D'AUJOURD'HUI
+
+Lundi dernier a commencé la troisième semaine des manoeuvres navales,
+qui a ramené les escadres sur les côtes européennes de la Méditerranée,
+Corse et Provence, et qui se terminera par la revue que doit passer,
+dimanche, le président de la République. Le thème de cette troisième
+série de manoeuvres consiste, pour le parti A (vice-amiral de Marolles),
+à rechercher et à attaquer le parti B (vice-amiral Marin-Darbel) qui,
+venant de la mer Tyrrhénienne, se dirige vers les côtes provençales,
+entre Nice et Bandol pour couper les communications entre la France et
+l'Algérie. Ce sont des opérations de grande envergure, difficiles à
+résumer en une image. Mais le correspondant de _L'Illustration_,
+embarqué sur le torpilleur d'escadre Spahi, a fixé, dans un dessin
+pittoresque, un épisode fortuit, une rencontre imprévue. Par un curieux
+hasard, dans cette Méditerranée sillonnée de tant de cargos aux flancs
+rebondis, et de courriers postaux filant à grande vitesse, le _Spahi_
+eut la bonne fortune de croiser une felouque. C'est un bâtiment dont la
+forme et le gréement ne seront plus, dans quelques années, qu'un vague
+souvenir; un proche parent des galères du Roi Soleil, avec leurs voiles
+latines, et des chébecs qui parurent, avec nos marins, devant Alger, en
+1830. Et ce fut une étrange impression, pour ceux qui montaient le
+torpilleur véloce, que de voir arriver sous le vent cette gracieuse
+voilure toute blanche, légère comme une aile, inclinée sous la brise.
+
+
+
+UN SOUVENIR DU MARIAGE DE BERLIN
+
+_(Voir notre gravure de première page.)_
+
+La rencontre, à Berlin, à l'occasion du mariage de la princesse
+Victoria-Louise de Hohenzollern avec le prince Ernest-Auguste de
+Cumberland, du tsar Nicolas et du roi George V, a fourni au photographe
+de la cour allemande l'occasion d'un très curieux cliché, que nous
+reproduisons, et qui montre côte à côte les deux souverains russe et
+anglais, l'allié et l'ami de la France.
+
+Le tsar porte l'uniforme de colonel de son régiment de hussards
+prussiens. Le roi de Grande-Bretagne et d'Irlande a revêtu la grande
+tenue de colonel du régiment de cuirassiers prussiens dont il est le
+chef honoraire. Sur la poitrine de chacun d'eux pend, en sautoir, le
+grand collier de l'Aigle noir.
+
+Mais ce qui frappe surtout dans ce cliché, c'est la saisissante
+ressemblance des deux souverains, qui a été maintes fois signalée, et
+qui inspire encore, en cette circonstance, à un journal illustré
+allemand, _l'Illustrirte Zeitung_, un amusant croquis fantaisiste: dans
+la salle des réceptions, l'un des deux sosies s'avance, en uniforme tout
+constellé d'ordres. Et l'empereur de se pencher vers le chambellan de
+service: «Est-ce le tsar ou bien le roi?»
+
+[Illustration: UNE APPARITION INATTENDUE AUX GRANDES MANOEUVRES
+NAVALES.--Felouque passant à toutes voiles à travers les lignes de
+l'escadre. _Dessin d'Albert SÉBILLE, à bord du torpilleur_ Spahi.]
+
+[Illustration: UNE GRANDE OEUVRE LYRIQUE A L'OPÉRA-COMIQUE.--Mme
+Marguerite Carré et M. Rousselière au premier acte de _Julien_. _Dessin
+de J. SIMONT._]
+
+_Julien_, le poème lyrique que l'Opéra-Comique vient de nous révéler, va
+encore ajouter à la gloire de Gustave Charpentier qui, depuis le succès
+triomphal de _Louise_, se taisait dans la retraite et le recueillement.
+Déjà cette oeuvre apparaît incontestablement comme un autre
+chef-d'oeuvre. On y retrouve, développé, amplifié, le thème esquissé
+dans cette _Vie du Poète_ qui fut, on s'en souvient, le premier envoi de
+Rome du jeune compositeur. Dans ce nouveau drame musical, d'une
+puissante originalité, le rêve est aux prises avec la vie. On y voit,
+d'étape en étape, l'artiste vibrer d'enthousiasme pour la Beauté, douter
+de soi-même et d'autrui, éprouver l'impuissance de l'effort, demander
+enfin à l'ivresse les illusions qui l'ont abandonné. Ses visions
+intérieures s'extériorisent et l'accompagnent quand, s'évadant de
+lui-même, il demande en vain la paix et l'oubli à la nature, ou cherche
+à s'étourdir parmi la foule frénétique des faubourgs. Ces sentiments
+contradictoires, ces situations qui s'opposent, ce mélange de
+matérialisme et d'idéal, ces aspirations d'amour et de gloire, ces
+espoirs suivis de désenchantements, ces beaux élans d'une âme ardente,
+généreuse, passionnée, errant parmi les paysages du monde réel et
+chimérique, sont exprimés avec une grandeur, une noblesse, une
+spontanéité, un lyrisme profondément émouvants. Cette oeuvre magistrale,
+superbement présentée par l'Opéra-Comique, réunit la plus parfaite
+interprétation qu'on pût lui souhaiter. Mme Marguerite Carré et M.
+Rousselière en sont les magnifiques protagonistes et, à côté d'eux, tous
+les artistes de la maison ont mis tout leur talent à servir la pensée de
+l'auteur.
+
+
+
+[Illustration: Consécration du temple de Nogi par les prêtres du shinto
+en présence des premiers personnages de l'armée et de la marine.]
+
+NOGI DIVINISÉ
+
+_Selon les traditions de la religion des grands hommes, au Japon, le_
+shinto, _un temple a été consacré à l'illustre général Nogi gui se
+suicida pour ne point survivre à son empereur. Sur cette dédicace du
+Nogi-Jinja, et les antiques coutumes qu'il évoque, notre correspondant
+de Tokyo, M. J.-G. Balet, nous a adressé les intéressantes notes qui
+suivent:_
+
+HITO WA BUSHI, HASSA WA SAKURA
+
+_L'homme (par excellence) est le samurai, (comme) la fleur (par
+excellence) est celle du cerisier._
+
+Officiellement, Nogi est entré dans l'Olympe japonais; il a maintenant,
+sur terre, son premier temple, un temple qui porte son nom, tout
+simplement: _Nogi-Jinja_. Inutile d'ajouter qu'il a de très nombreux et
+très fervents adorateurs, _more japonico_, comme le montrent nos
+photographies.
+
+On s'est souvent demandé ce qu'était la religion du Japon, le _shinto_,
+ou voie des dieux. Elle tient tout entière, ou presque, dans la
+cérémonie l'hier. Répétez-la des milliers de fois, à travers les âges,
+en l'honneur des hommes qui ont bien mérité de la nation et vous aurez
+la vraie notion du _shinto_.
+
+Les templicules qui se cachent dans les bosquets touffus de la plaine,
+par centaines et par milliers, au flanc des montagnes, à l'abri des
+arbres séculaires, sur le bord des torrents, les sanctuaires plus
+majestueux d'Isé, de Dazaifu, d'Ikuta, etc., tous sont dédiés à la
+mémoire d'un Nogi quelconque des temps préhistoriques ou historiques, ou
+bien à la mémoire des empereurs défunts, mais pour des raisons
+identiques.
+
+Du temple, ils ne méritent même pas le nom. Ils sont d'une simplicité
+rustique qui rappelle le toit domestique. Un portique de pierre ou de
+bois en marque l'entrée. Ils sont vides. Parfois un autel de bois
+supporte le miroir, le joyau sacré et les _gohei_ en papier, symboles du
+shintôïsme.
+
+Le _shinto_ est le culte des grands hommes, réels ou imaginaires, qui
+ont joué un rôle plus ou moins grand dans l'histoire nationale. Nous les
+avons appelés _dieux_. Dieux, si l'on veut, à condition de ne pas
+attacher à ce mot un sens transcendantal, moins même que pour les dieux
+de la Grèce et de Rome, qui symbolisaient souvent des idées abstraites,
+concrétisées dans des personnages de convention.
+
+La plupart des dieux du _shinto_ ont été des hommes réels, par
+conséquent des amis, des frères de tous les Japonais passés, présents et
+à venir. La foule simpliste les vénère, les adore, les prie, croit à
+leur intervention bienveillante en faveur du sol où ils vécurent et de
+ses destinées. Ce culte, plus généralisé, n'est autre que le culte des
+ancêtres. Aussi bien, chaque famille possède un petit sanctuaire
+intérieur ou extérieur où sont déposées les tablettes ancestrales.
+
+[Illustration: La foule admise à faire ses premières dévotions au temple
+de Nogi.]
+
+Le _Nogi-Jinja_, dédié à la mémoire du héros de Port-Arthur, n'est pas
+autre chose. Durant sa vie, le général y remémorait ses ancêtres. Le
+dernier rejeton de la famille étant mort, le templicule a pris le nom du
+plus illustre des Nogi, et désormais c'est la foule qui viendra évoquer
+l'âme de cet homme devenu dieu et invoquer sa protection.
+
+Ce temple s'élève dans l'enceinte de la petite propriété dont, par
+testament, le général fit don à la ville. La maison de Shinzaka machi
+qui vit le suicide émouvant du _dernier des samurais_, de _l'incarnation
+vivante du Bushidô_, est restée telle qu'au jour du drame. Les murs de
+la petite chambre du deuxième étage, dans la maisonnette de style
+européen, sont encore tachés du sang de Nogi. De petits écriteaux cloués
+sur chaque porte disent: «Chambre de repos de Mme Nogi. Chambre du
+suicide de Mme Nogi!» Et je remarque que devant cette chambre un groupe
+serré d'étudiantes se prosterne. Quelques-unes pleurent de vraies
+larmes.
+
+J'aperçois le général Teranchi, profondément incliné devant la chambre
+où le général s'ouvrit le ventre.
+
+Aujourd'hui, jour de la dédicace, les fenêtres et les portes sont
+ouvertes. Demain elles seront refermées, en attendant que la
+municipalité ait pris les mesures nécessaires à la conservation des
+nobles reliques, tout en assurant la liberté de les voir.
+
+La foule se presse au fond du jardin. Là, un carré de 400 mètres
+conserve encore des traces de travail, des sillons couverts d'herbes
+mortes. Dans un coin, une bêche, des râteaux, instruments dont se
+servait le guerrier pour cultiver ses pommes de terre. Quelques-unes ont
+survécu à celui qui les planta. Elles hasardent timidement quelques
+tiges au dehors, tout comme les fameux _kakis_, plantés par la comtesse
+Nogi à la naissance de chacun de ses fils, «afin que, devenus de beaux
+arbres, ses bien-aimés en pussent cueillir les fruits». Hélas! les
+arbres fleuriront, porteront des fruits, mais eux ont engraissé de leur
+sang les collines de Port-Arthur et de Nanshan.
+
+Ah! que je préfère ce rustique _jinja_ aux horribles statues de bronze
+qui commencent à grimacer un peu partout à travers les érables et les
+cerisiers, en l'honneur d'autres dieux analogues: le grand Jaïgo, à
+Meno, le célèbre Hirosé, du blocus de Port-Arthur, et une foule d'autres
+qui déshonorent l'entrée du Shôkou-sha de Kudar, où reposent les cendres
+des guerriers morts pour la patrie. Nogi n'échappera pas à la
+statuomanie, maladie aiguë des Japonais modernes qui commencent à élever
+des monuments à des personnages vivant encore.
+
+Si la statue arrive à tuer le _jinja_, mauvais présage pour le Japon!
+
+J.-C. BALET.
+
+
+
+LA CONVALESCENCE DE PIE X
+
+Pie X va beaucoup mieux. Le souverain pontife est en pleine
+convalescence. Il a fini par triompher de son long et redoutable
+affaiblissement. Il a recommencé de s'occuper personnellement des
+affaires de l'Église. Il a donné quelques audiences. Et même, on l'a vu
+réapparaître tout récemment sur un balcon du Vatican, entouré des hauts
+dignitaires de la cour pontificale, pour bénir un pèlerinage de 2.500
+personnes qui attendaient, agenouillées au-dessous, dans la cour
+Saint-Damase, la vision blanche du pontife ressuscité.
+
+Car vraiment c'est presque d'une résurrection qu'il s'agit ici. La
+maladie de Pie X avait, à juste titre, fait naître les plus immédiates
+inquiétudes. Le fragile vieillard, presque octogénaire, goutteux,
+arthritique, cardiaque, est, en outre, atteint d'artério-sclérose, et
+l'on n'osait guère espérer qu'il offrirait assez de résistance physique
+pour triompher d'un mal opiniâtre qui affirma sa ténacité pendant de
+longues semaines. Mais, décidément, l'heure mortelle du blanc vieillard
+n'était point encore venue; la flamme vacillante s'est ranimée, et, de
+nouveau, monte droite et claire. Pie X, notre photographie en témoigne,
+est apparu à la vénération enthousiaste des pèlerins, avec son visage
+accoutumé, empreint de douceur grave, mais plus pâle, allongé, émacié;
+la silhouette, maigrie, paraît moins terrestre; le regard, pensif et
+profond, semble encore fixé sur une vision de l'au delà.
+
+Groupés autour de Pie X, les cardinaux, les prélats familiers, les
+officiers pontificaux, les gardes nobles de service, paraissent tout
+heureux de cette «première sortie» en public du pape convalescent.
+
+Et, dès lors, sont interrompues pour un temps, entre prophètes de
+conclave, les discussions sur les cardinaux «papables». Le pape va
+mieux. Pie X continue son règne.
+
+[Illustration: LA GUÉRISON DE PIE X.--Le souverain pontife se montre, le
+29 mai, aux pèlerins réunis dans la cour Saint-Damase. _Phot. G.
+Felici._]
+
+
+
+Sir Edward Grey.
+
+LA PAIX ENTRE LA TURQUIE ET LES ÉTATS DES BALKANS.--Les
+plénipotentiaires A la droite de sir Edward Grey, les plénipotentiaires
+turcs; à sa gauche, les plénipotentiaires grecs; à l'extrémité de la
+table, M. Danef écrivant, entouré des plénipotentiaires bulgares seul
+signent, à cinq exemplaires, le traité de Londres, le 30 mai, dans la
+salle des Portraits du palais de Saint-James. _Dessin de S. Begg, de
+l_'Illustrated London News.
+
+Viennent ensuite, de droite à gauche, en face de sir Edward Grey, les
+plénipotentiaires monténégrins et les plénipotentiaires serbes. A droite
+du dessin, en groupes distincts, les secrétaires, admis dans la salle
+pendant cette séance historique.
+
+Le vendredi 30 mai, un peu après midi et demi, les plénipotentiaires de
+la Turquie et ceux des États balkaniques, réunis sous la présidence de
+sir Edward Grey, ministre des Affaires étrangères de Sa Majesté
+Britannique, dans la salle des Portraits, au palais royal de
+Saint-James, signaient le traité de paix qui met fin définitivement, il
+le faut espérer, aux hostilités commencées au mois d'octobre dernier.
+
+Cinq exemplaires du «traité de Londres» avaient été préparés.
+Successivement, les représentants des puissances naguère belligérantes y
+apposèrent leurs signatures. Puis sir Edward Grey se leva et, en
+français, prit la parole: «D'ordre du roi, mon auguste souverain, je
+m'empresse de vous assurer de la vive satisfaction avec laquelle Sa
+Majesté apprendra la nouvelle de la signature de la paix que vous venez
+de conclure en son palais de Saint-James. Au nom du gouvernement
+britannique, je vous prie d'agréer mes plus cordiales félicitations...
+Certes nous n'ignorons pas que diverses questions demeurent, après cette
+paix, en suspens; mais j'aime à espérer que la signature même de ce
+traité facilitera leur règlement; qu'elle consolidera votre amitié
+réciproque et fortifiera la bienveillance que les puissances vous ont
+vouée. De tout mon coeur, je fais des voeux pour que de la paix ici
+conclue résulte un complet apaisement qui permette à chacun des États en
+présence de réparer ses forces si fortement éprouvées, développer ses
+territoires, assurer le bien-être et le bonheur de son peuple et la
+prospérité de sa vie nationale.»
+
+Il faut souhaiter ardemment que les espoirs exprimés par sir Edward Grey
+se réalisent complètement. Pourtant, si les délégués ottomans, grecs,
+serbes, ont adhéré sans restriction aux paroles du ministre des Affaires
+étrangères, M. Danef, au nom du gouvernement bulgare, M. Popovitch, au
+nom du gouvernement monténégrin, dans les allocutions qu'ils ont
+prononcées pour remercier le roi George et son gouvernement, n'ont pu se
+tenir de faire des réserves quant aux conditions qu'ils venaient
+d'approuver de leur seing. Même, après la conclusion officielle de la
+paix, la discussion s'est prolongée. Et les délégués serbes, grecs et
+monténégrins ont refusé de signer sur-le-champ un protocole additionnel
+que leur soumettaient les Bulgares.
+
+[Illustration: Le palais de l'Elysée vu de la place Beauvau. A gauche,
+façade sur la rue du Faubourg-Saint-Honoré avec le porche d'entrée
+ouvrant sur la cour d'honneur; à droite, côté de l'avenue de Marigny.]
+
+
+
+LE PALAIS DE L'ELYSÉE
+
+_L'Elysée, palais des présidents de la République française, est un
+monument discret, pourrait-on dire, et devant lequel le passant éprouve
+plus de curiosité que d'admiration. Ce n'est pourtant point une bâtisse
+vulgaire: seule l'exiguïté de l'espace vide qui l'entoure et la
+simplicité des murs ou des grilles qui protègent son parc lui valent
+cette renommée sans éclat. Vertes, l'Elysée, ce n'est pas le Louvre et
+son parc, ce n'est pas les Tuileries, mais ce palais clos et caché
+renferme des beautés dont l'existence mérite d'être rappelée de temps en
+temps au public oublieux. L'installation de M. Raymond Poincaré dans le
+palais de l'Elysée nous a semblé motiver suffisamment la publication
+d'une série de documents sur ce monument. Ces documents sont de deux
+sortes: d'une part M. Marc Varenne, qui fut le chef du secrétariat
+particulier de M. Fallières, a résumé pour nous l'historique du palais,
+et nous avons nous-mêmes réuni quelques renseignements sur son
+utilisation actuelle; d'autre part nous avons fait prendre plusieurs
+vues en couleurs des principaux salons, cabinets ou façades de la
+demeure de nos chefs d'État, on les voit reproduites aux pages
+suivantes. Cette partie de notre travail sur le palais national est
+absolument nouvelle et originale, et l'on peut juger que nos
+collaborateurs ont pleinement réalisé le projet que nous avions formé de
+composer, par l'image, une documentation inédite, à la fois historique
+et artistique, sur le palais de l'Elysée._
+
+L'HISTOIRE DE L'ELYSÉE
+
+En 1718, le bruit se répand à la cour qu'un des favoris du Régent, Henri
+de La Tour d'Auvergne, comte d'Évreux, troisième fils du duc de
+Bouillon, va épouser la fille du financier Crozat, un ancien commis
+devenu par la suite caissier du clergé et fondateur de la Compagnie de
+Louisiane. Le comte d'Évreux, criblé de dettes et n'arrivant pas à payer
+sa charge de colonel général de la cavalerie, s'est alors résolu, comme
+le dit Saint-Simon, «à sauter le bâton de la mésalliance» et, dès le
+mariage conclu, avec l'argent du père Crozat, il achète hors Paris, sur
+le chemin de Neuilly, une trentaine d'arpents en jardins et marais sur
+lesquels l'architecte Molé lui construit un magnifique hôtel.
+
+Henri de La Tour d'Auvergne meurt avant de voir cette résidence achevée
+et il la laisse à un de sus neveux, le prince de Turenne, lequel déclare
+immédiatement se trouver dans l'impossibilité de la conserver.
+
+Or, la marquise de Pompadour a une envie folle de l'hôtel d'Évreux:
+voilà plusieurs mois qu'elle convoite cette fastueuse installation dont
+la situation admirable lui plaît infiniment. La marquise, d'ailleurs, ne
+cesse pas d'acquérir des propriétés nouvelles. Elle possède déjà les
+châteaux de Crécy et de la Celle, ainsi que ses ermitages de Versailles,
+de Fontainebleau et de Compiègne, tout cela ne lui suffit point; elle
+achète l'hôtel d'Évreux pour 730.000 livres, y appelle aussitôt une
+légion d'ouvriers et d'artistes, entasse dans ses nouveaux salons un
+mobilier d'une richesse inouïe et tapisse les murailles avec les
+Gobelins que Sa Majesté a eu la gracieuseté de lui faire envoyer. Le
+peuple chansonne la prodigalité de la marquise, les épigrammes pleuvent
+et l'on affiche des placards critiquant les dépenses exagérées de la
+favorite. Celle-ci ne se laisse pas émouvoir; elle poursuit son oeuvre,
+embellit l'hôtel d'Évreux et, en dernier lieu, agrandit d'un coup les
+jardins potagers qui s'étendent jusqu'aux avenues Montaigne et Matignon
+actuelles.
+
+Obligée de quitter le moins possible Versailles, afin de ne pas voir
+diminuer son crédit auprès de son royal amant, la marquise de Pompadour
+ne s'attarde guère à l'hôtel d'Évreux, elle ne peut y effectuer que des
+séjours de courte durée, mais elle garde une prédilection particulière
+pour cette résidence et à sa mort elle la lègue, par testament, au roi
+pour le comte de Provence.
+
+Louis XV désintéresse M. de Marigny, frère de la marquise, et décide que
+l'hôtel d'Évreux sera réservé désormais aux ambassades extraordinaires
+logées souvent à l'hôtel Pontchartrain, rue Neuve-des-Petits-Champs.
+L'administration du Garde-Meuble de la couronne s'empare bientôt de
+l'hôtel qui n'abrita point d'ambassade et elle le conserve jusqu'au
+moment où le gouvernement, ayant besoin d'argent, le cède au fameux
+banquier Beaujon qui l'accepte sans difficulté en échange de ses grosses
+créances.
+
+Beaujon, homme d'affaires consommé mais vaniteux et possédé de la manie
+du faste, amoncelle dans cette demeure dont il est si fier une quantité
+énorme d'objets d'art, de tableaux, de meubles et de livres.
+
+Louis XVI rachète l'hôtel dont Beaujon se réserve l'usufruit et à la
+mort de ce dernier--cinq mois après la conclusion de ce contrat--il
+dispose de cette propriété en faveur de la duchesse de Bourbon.
+
+Imbue des idées à la mode, cette princesse bouleverse les jardins et
+change les majestueux parterres à la française en parc anglais et donne
+à l'hôtel le nom d'Elysée qu'il porte aujourd'hui. Voyant que les choses
+se gâtent, la duchesse prend vite le parti d'émigrer et elle loue
+l'Elysée à un sieur Hovyn, sorte d'imprésario et entrepreneur de fêtes
+publiques qui transforme l'Elysée, devenu _Hameau de Chantilly_, en bal
+populaire où la foule se presse autour d'attractions diverses. Hovyn a
+eu là un trait de génie et la réussite est complète. Le Hameau de
+Chantilly ne désemplit, pas; selon la formule, on refuse du monde et, en
+l'an VI, Hovyn se hâte de se rendre propriétaire de l'immeuble vendu
+comme bien national.
+
+Malheureusement le propre de la vogue c'est de n'avoir qu'un temps et le
+Hameau de Chantilly voit sa faveur décroître. Malgré la beauté de ses
+ombrages, le jardin n'attire, plus autant le public; la mode en a décidé
+autrement. Les soldats du général Bonaparte ont apporté d'Italie le goût
+des glaces à la vanille et ce sont les pâtissiers-glaciers qui, à cette
+heure, font fortune. Mlle Hovyn, qui a succédé à son père, s'obstine
+cependant durant quelques mois et tâche d'attendre des jours meilleurs
+en vivant au moyen des loyers que lui paient les locataires. L'hôtel est
+en effet divisé en quinze appartements et l'un d'eux est habité par M.
+de Vigny, dont le petit garçon, Alfred--le futur auteur d'_Eloa_--joue
+sur les pelouses du jardin: mais Mlle Hovyn se rend compte que lutter
+est impossible, la concurrence est la plus forte, il lui faut vendre
+l'établissement. Le moment est favorable: nous sommes en 1805, et une
+société nouvelle est en train de se reconstituer sur les ruines de
+l'ancienne noblesse. Un premier acquéreur se présente dans la personne
+de Louis Bonaparte, connétable de l'Empire. Effrayé par le prix, il
+préfère se retirer et laisse le champ libre au maréchal Murat,
+gouverneur de Paris, qui s'est mis en tête de quitter le quartier de
+Notre-Dame-de-Lorette. Murat, séduit par l'idée d'habiter dans
+l'aristocratique faubourg Saint-Honoré, finit, après d'assez longs
+pourparlers, par se décider, et l'Elysée est à lui moyennant un million.
+
+L'Elysée a un besoin urgent de réparations indispensables. Ces derniers
+quinze ans l'ont très abîmé, et le premier soin de Murat est de charger
+Percier et Fontaine de mettre le palais en état. (C'est à cette époque
+qu'a été construit l'escalier d'honneur.) Quand l'empereur appelle Murat
+au trône de Naples, l'Elysée fait retour à la couronne, et Napoléon
+affectionne bientôt cette demeure tranquille, enveloppée par une
+ceinture de jardins, où il lui est loisible, en plein Paris, de se
+reposer des lourds soucis du pouvoir. Aussi s'empresse-t-il, en décembre
+1809, au moment de son divorce, de comprendre l'Elysée, dont il a
+apprécié le charme doux et paisible, dans les palais affectés dorénavant
+à l'impératrice Joséphine. Le 30 janvier 1810, il lui écrit: «Je te
+saurai avec plaisir à l'Elysée et fort heureux de te voir plus souvent,
+car tu sais combien je t'aime», et, le 3 février: «J'ai fait transporter
+tes effets à l'Elysée; sois tranquille et contente et aie confiance
+entière en moi.»
+
+L'Elysée a été le dernier palais impérial de Napoléon.
+
+Presque jour pour jour, un an après l'abdication de 1815, le duc et la
+duchesse de Berry s'installent à l'Elysée. Ils mènent là une existence
+charmante, exempte de l'étiquette insupportable des Tuileries, et se
+plaisent à la conversation spirituelle de leurs familiers et notamment
+de leur premier aumônier, le marquis de Montebello, ancien maréchal de
+camp, qui ne craint pas de se mettre au piano pour faire danser
+l'entourage du duc et de la duchesse. Le 29 janvier, écrit la comtesse
+de Boigne, «un bal magnifique et profondément ordonné a lieu à l'Elysée.
+Le prince en fit les honneurs avec bonhomie et obligeance.» Quelques
+jours après, le prince est assassiné par Louvel, et la duchesse quitte
+l'Elysée.
+
+Sous la monarchie de Juillet, le palais voit tour à tour défiler une
+foule de personnages et de souverains qui viennent rendre visite au roi
+des Français: Mehemet Ali et la reine Christine, le bey de Tunis, la
+duchesse de Kent, etc..
+
+Un décret de l'Assemblée Constituante de 1848 assigne l'Elysée comme
+résidence au président de la République, et le prince Louis-Napoléon
+Bonaparte s'y installe en 1850.
+
+Après la proclamation de l'Empire, quand Napoléon III s'est résolu à
+habiter les Tuileries, l'Elysée s'agrandit grâce à l'acquisition des
+hôtels Sébastiani et Castellane. L'architecte Lacroix construit une aile
+destinée aux appartements particuliers du chef de l'État et il surélève
+en outre les bâtiments qui donnent sur le faubourg Saint-Honoré et sur
+la cour d'honneur.
+
+Au moment des fiançailles officielles de Mlle de Montijo avec
+l'empereur, l'Elysée abrite durant quelques jours la future impératrice,
+et lors des Expositions il est utilisé comme palais des Souverains.
+
+Depuis 1873, l'Elysée est affecté à la résidence du président de la
+République.
+
+MARC VARENNE.
+
+
+
+L'ELYSÉE EN 1913
+
+L'aménagement intérieur du palais de l'Elysée n'a guère changé au cours
+de ces dernières années. Le même mobilier Empire occupe et décore les
+mêmes salles. Quelques transformations ont bien été apportées par le
+président Sadi Carnot et par le président Félix Faure; mais, depuis
+lors, tout ou presque tout est resté intact et pareil. La destination
+des principaux salons et cabinets n'a guère varié non plus.
+
+Nous allons parcourir rapidement tout le rez-de-chaussée du palais, en
+suivant un itinéraire naturel qui est celui du visiteur entrant par le
+vestibule d'honneur. Ce vestibule ouvre sur la cour d'honneur. Du porche
+du faubourg Saint-Honoré, auquel il fait face, les passants peuvent
+l'apercevoir, ainsi que le perron qui y conduit, ainsi que les vérandas
+et les verrières qui, aux jours de cérémonie, reçoivent un vêtement, de
+tentures et de draperies.
+
+[Illustration: Façade sur le jardin]
+
+[Illustration: LE PALAIS DE L'ELYSÉE.--Grande salle à manger. (Au fond,
+statue d'Hébé par Marqueste.)]
+
+[Illustration: Cabinet du Président de la République.]
+
+[Illustration: Cabinet du Secrétaire général civil. Tapisserie des
+Gobelins: _Hiver_, d'après Pierre Mignard.]
+
+[Illustration: Cabinet du Conseil des Ministres.]
+
+[Illustration: Salon de l'Hémicycle. Ecran en tapisserie de Beauvais.]
+
+[Illustration: LE PALAIS DE L'ELYSÉE.--Grande salle des Fêtes, tendue de
+tapisseries des Gobelins.]
+
+[Illustration: Salon Murât. Peinture de Carle Vernet représentant «la
+Résidence du prince Murat, grand-duc de Berg».]
+
+[Illustration: Grand Salon de réception, (sièges et écrans en tapisserie
+de Beauvais; tapis de la Savonnerie.)]
+
+[Illustration: LE PALAIS DE L'ELYSÉE.--Salon de l'Hémicycle: _le
+Jugement de Pâris_, d'après Raphaël (tapisserie des Gobelins).]
+
+Le vestibule d'honneur franchi, nous nous trouvons dans le Salon des
+Tapisseries, ainsi nommé à cause des beaux Gobelins qui en ornent les
+murs. Nous pénétrons ensuite dans le Salon Blanc ou Salon des Aides de
+camp. Cette seconde dénomination lui aurait été donnée au temps du
+Prince-Président, dont les aides de camp avaient coutume de se tenir là.
+C'est un salon clair, peu orné, tout garni de boiseries blanches.
+
+Passons maintenant dans le Grand Salon de réception, ou Salon des
+Ambassadeurs, qui est représenté à la page précédente. C'est ici que les
+ministres des puissances étrangères s'entretiennent d'ordinaire avec le
+président de la République, soit qu'ils viennent lui présenter leurs
+lettres de créance ou de rappel, soit qu'ils assistent à une cérémonie
+officielle. Le Salon de l'Hémicycle, qu'on voit sur cette même page en
+couleurs, lui est contigu. Plus loin, se trouve la Salle du Conseil des
+ministres, dont la cheminée supporte des bronzes noirs et dorés d'un
+grand effet et qui, débarrassée de sa sévère table au tapis vert, est
+réservée, les jours de réception, comme tous les salons précédents, aux
+invités du président de la République. Attenant à la Salle du Conseil
+des ministres, voici un salon plus étroit, le Salon de Cléopâtre, qui
+tire son nom du sujet de sa tapisserie, et où les personnes ayant obtenu
+audience attendent le moment d'être reçues par le chef de l'État.
+
+Si nous traversons de nouveau, mais en sens inverse, tous ces
+appartements, nous nous trouvons dans le Salon Murat, aux vastes
+dimensions, dont la perspective est prolongée par d'immenses glaces et
+qui fut construit pendant le séjour du prince Murat au palais. Tout près
+est la Grande Salle à manger (voir la première page en couleurs) qui
+reçoit jusqu'à cent convives. Elle est de construction assez récente; on
+la transforme en buffet les soirs de réception. Les appartements privés
+de M. le président de la République comprennent une autre salle à
+manger, de dimensions plus réduites.
+
+Le Jardin d'Hiver est parallèle à la Grande Salle à manger, et la Salle
+des Fêtes leur est perpendiculaire. Cette Salle des Fêtes fut construite
+par ordre de M. Sadi Carnot. Auparavant on dressait, les soirs de bal à
+l'Elysée, une immense tente provisoire sur l'emplacement de la salle
+actuelle. Elle est, cette Salle, surchargée d'ornements et de dorures;
+le plafond est un chaos de reliefs et de creux rutilants.
+
+Au-dessus de ces vastes appartements du rez-de-chaussée, qui sont dits
+«officiels», se trouvent les appartements privés du président de la
+République qui comprennent aussi plusieurs salons de réception. Dans
+notre photographie du parc, où le Palais s'aperçoit au fond, entre les
+arbres, ces appartements privés sont ceux du premier étage.
+
+Revenons dans le vestibule d'honneur--où commence le grand escalier à la
+rampe composée de longues palmes de cuivre--et pénétrons, à gauche, dans
+le Cabinet de service des officiers. Aux murs, plusieurs toiles, dont
+une _Charge de cuirassiers_, d'Aimé Morot, et _Un homme à la mer_, de
+Léon Couturier. A côté est le cabinet du secrétaire général militaire,
+le général Beaudemoulin, puis le cabinet du président de la République,
+que nous montrons plus haut, avec ses boiseries blanches, sa
+bibliothèque mi-circulaire, en acajou, remplie de livres aux reliures
+sévères, cuir et or. Deux fenêtres ouvrant sur le parc l'éclairent.
+Enfin voici le cabinet du secrétaire général civil, M. Pichon, dont un
+des murs, formant rotonde, est orné de la tapisserie de Pierre Mignard,
+que nous avons photographiée.
+
+Nous sommes, là, sur la rue de l'Elysée. L'aile du bâtiment se prolonge
+entre cette voie et le parc. C'est à l'extrémité de cette aile que se
+trouvent le Salon d'Argent et un autre Salon qu'on appelait
+familièrement naguère le «capharnaüm», parce qu'on l'utilisait peu. Ces
+deux salons ont été tout récemment restaurés et M. Raymond Poincaré se
+plaît à y travailler et à y recevoir quelquefois. Ils ouvrent aussi sur
+le rectangle du parc qu'enferme cette partie du palais et qui forme un
+petit jardin à la française agréablement fleur.
+
+Le général Beaudemoulin est secrétaire général militaire de la
+présidence de la République et chef de la maison militaire du président.
+Le secrétaire général civil est M. Pichon. Le chef du secrétariat
+particulier, M. Gras. La maison militaire se compose de MM. le capitaine
+de vaisseau Grandclément, le colonel Boulanger, le lieutenant-colonel
+Aldebert, le lieutenant-colonel Pénelon et le commandant Aubert. Le
+commandant du palais est le lieutenant-colonel de gendarmerie Jouffroy.
+
+On peut diviser le personnel ordinaire de l'Elysée en trois catégories.
+M. Perrin, chef des services intérieurs, a d'abord sous ses ordres un
+personnel chargé de l'entretien du mobilier, du chauffage, de
+l'éclairage, du nettoyage, etc., et qui dépend de l'administration des
+Beaux-Arts. L'entretien du monument proprement dit est confié aux
+services de l'architecture. M. Guillaume Tronchet, architecte en chef
+des palais nationaux, a un bureau à l'Elysée.
+
+La seconde catégorie du personnel concerne la surveillance. Elle est
+composée de surveillants militaires des palais nationaux, qui dépendent
+aussi de l'administration des Beaux-Arts; ce sont de vieux soldats,
+coiffés du bicorne et portant l'épée, les mêmes que ceux qui veillent à
+la porte de nos musées. Viennent ensuite les portiers, aux uniformes
+noirs avec de minces galons d'or. La garde militaire comprend un
+détachement de gardes républicains chargés de la protection intérieure
+et d'un détachement d'infanterie, chargé également de la protection
+intérieure et, en outre, de rendre les honneurs au président à sa sortie
+du palais et à son retour.
+
+Il y a enfin le personnel d'antichambre et d'écurie, lequel est
+entièrement rétribué sur la cassette personnelle du président. Le
+service d'antichambre est sous la direction du maître d'hôtel; il est
+composé de valets de pied, de cuisiniers, d'huissiers, de garçons de
+bureau, etc. Le personnel d'écurie est sous la haute surveillance d'un
+officier de cavalerie de la maison militaire, en ce moment le
+lieutenant-colonel Aldebert. Le premier cocher, M. Decaux, est en même
+temps piqueur. Il y a dans les écuries, remises et garages de l'Elysée,
+six chevaux, deux voitures et deux automobiles.
+
+Une de nos photographies représente le parc. Cette vue est prise de la
+partie des jardins qui avoisine les Champs-Elysées. Les parterres sont
+dessinés à la française. De beaux arbres ombragent les allées. M. le
+président de la République accomplit autour des pelouses sa promenade
+quotidienne. Il marche d'un pas pressé, jetant de temps à autre un
+regard au ciel, aux feuillages ou aux fleurs, mais le plus souvent
+étudiant un des dossiers dont il est toujours muni. L'indiscrétion d'un
+vieux jardinier--qu'on lui pardonne!--qui est le seul témoin de ces
+promenades studieuses nous a fait connaître cette habitude de M. Raymond
+Poincaré: «Ah! disait le vieillard ami des fleurs, quel homme que M. le
+président! Que peut-il bien avoir dans la tête? Je ne le regarde pas,
+bien sûr, mais je le vois tout de même... Eh bien, quand il descend,
+après son déjeuner, il a la poche droite de son veston toute bourrée de
+paperasses. Et le voilà qui commence à marcher vite, vite, autour des
+pelouses, et, tout en marchant, il plonge sa main dans sa poche droite,
+en tire un papier, le lit, parfois écrit quelque chose dessus, toujours
+sans s'arrêter, puis enfonce le papier dans la poche gauche pour en
+reprendre aussitôt un autre dans la poche droite. Et quand, sa promenade
+terminée, il regagne son cabinet, la poche droite est vide et la poche
+gauche est pleine... Mais qu'est-ce que M. le président peut bien avoir
+dans la tête pour travailler comme ça, tout le temps?...»
+
+Et le vieux jardinier croisait les bras pour témoigner de sa surprise et
+de son émerveillement.
+
+J. L.
+
+[Illustration: Plan du rez-de-chaussée du palais de l'Elysée. Sur ce
+plan ne figure pas le corps de bâtiments bas qui précède la cour
+d'honneur, sur la rue du Faubourg-Saint-Honoré, qui ne comprend que les
+postes de garde et de surveillance, des bureaux, et des services
+subalternes.]
+
+
+
+[Illustration: A l'aéro-parc de Lamotte-Breuil: le ballon _Icare_ prêt
+pour le départ. On remarque le parachute équatorial légèrement soulevé
+par le vent.]
+
+A 10.000 MÈTRES D'ALTITUDE
+
+_Le_ Zénith, _parti de la Fillette le 18 avril 1913, atterrissait trois
+heures plus tard près de Biron (Indre). Les 8.600 mètres d'altitude
+atteints au cours de l'ascension coûtaient la vie à Sivel et à Crocé
+Spinelli; seul, Gaston Tissandier, effroyablement éprouvé, échappait à
+la mort. Le 28 mai 1913, le ballon_ Icare, _ayant à bord MM. Bienaimé,
+Jacques Schneider et Albert Senouque, parti de Lamotte-Breuil (Oise),
+atterrissait cinq heures plus tard, ayant dépassé 10.000 mètres
+d'altitude. L'équipage n'avait nullement souffert. Avec quel matériel, à
+l'aide de quels instruments, comment, en un mot, est-il possible
+aujourd'hui de franchir le cap des 10.000 mètres sans accident, quelles
+sont les conséquences physiologiques de pareilles ascensions, l'un des
+trois aéronautes de l'_Icare, _M. Maurice Bienaimé, va nous le dire:_
+
+Nous disposions pour cette ascension d'un ballon de 3.500 mètres cubes
+en tissu caoutchouté, gonflé à l'hydrogène pur.
+
+Pour qu'un aérostat puisse gagner la haute atmosphère, il faut disposer
+de la presque totalité de sa force ascensionnelle, autrement dit il faut
+jeter tout le lest. Mais un ballon qui regagne les couches inférieures
+de l'atmosphère a une tendance à accélérer sa descente pour deux raisons
+distinctes: le gaz contenu dans l'enveloppe se contracte sous la
+pression atmosphérique grandissante; de plus, il est soumis aux lois de
+l'accélération de la pesanteur. D'où nécessité de garder une provision
+de lest évaluée à 25 kilos par 1.000 mètres d'altitude, soit 250 kilos
+pour modérer une descente de 10.000 mètres.
+
+[Illustration: La nacelle de l'_Icare_ et les trois aéronautes. M.
+Senouque, encore hors de la nacelle et tenant un baromètre enregistreur;
+M. Schneider et M. Bienaimé dans la nacelle.]
+
+Afin de résoudre ce dilemme, nous avions muni notre ballon d'un
+parachute équatorial. Le parachute équatorial se compose d'une bande
+d'étoffe de 1 m. 25 de large, que l'on fixe autour du ballon à la
+hauteur de l'équateur. Cette bande d'étoffe forme une sorte de
+collerette dont le bord extérieur est rattaché à l'aide de cordelettes
+aux mailles inférieures du filet. Lorsque l'aérostat est immobile ou en
+ascension, l'étoffe pend verticalement; si un mouvement de descente se
+produit, l'étoffe prend une position horizontale et s'ouvre comme un
+vaste parapluie. La surface en était calculée de façon à délester le
+ballon de 250 kilos pour une descente de 125 mètres à la minute. Ce qui
+nous permettait de descendre presque sans lest.
+
+Nous emportions quatre appareils respiratoires, dont un de secours. Ces
+appareils se composent d'un obus d'oxygène comprimé d'une capacité de
+1.600 litres, d'un masque relié à l'obus par un tube métallique de 2
+mètres de long. Un premier manomètre indique la quantité de gaz contenue
+dans le tube, et un deuxième manomètre, muni d'un détendeur, permet de
+régler le débit qui peut varier de 2 litres à 10 litres à la minute.
+
+Au-dessus de 8.000 mètres d'altitude, on est appelé à rencontrer des
+froids pouvant dépasser -40°. Le gaz contenu dans les obus, en se
+détendant brusquement, se refroidit encore plus. Il est donc utile de
+protéger les appareils contre le froid. Dans ce but, nous avions enfermé
+les obus dans des boîtes remplies de sciure de liège et nous avions fait
+garnir les masques de caoutchouc, afin que le métal ne nous brûle pas le
+visage.
+
+Dans ce genre d'ascension, une des principales sources d'épuisement
+réside dans la nécessité dans laquelle on se trouve de soulever
+successivement les sacs de lest pour les vider par-dessus bord.
+Au-dessus de 8.000 mètres, cet effort devient absolument épuisant. Afin
+de remédier à cet inconvénient, nous avions fait attacher nos sacs de
+lest à l'extérieur de la nacelle. Pour les vider, il suffisait de couper
+une cordelette après laquelle ils étaient suspendus. Ils tombaient dans
+le vide et une deuxième cordelette, préalablement attachée à leur fond,
+les faisait basculer et se vider automatiquement.
+
+Pour déterminer l'altitude atteinte, nous emportions deux baromètres
+Richard enregistrant sur noir de fumée, ainsi qu'un thermomètre et un
+baromètre enregistreurs. Un dynamomètre à main pour mesurer la force
+musculaire, un appareil photographique, des fourrures, complétaient
+notre matériel.
+
+Pour effectuer notre tentative, nous recherchions un ciel sans nuages et
+un vent excessivement faible. Dans les hautes régions de l'atmosphère on
+est appelé à rencontrer des courants aériens qui atteignent des vitesses
+dépassant 130 kilomètres à l'heure. Le 28 mai, par un temps idéalement
+pur, nous décidons de partir. Après avoir fait sceller tous nos
+appareils enregistreurs par M. Magne, ingénieur de la maison Richard,
+nous nous élevons à 12 h. 16 de l'aéro-parc Clément-Bayard, à
+Lamotte-Breuil. Un faible vent nous pousse vers le sud. Nous emportons
+112 sacs de lest de 20 kilos environ chacun. Pour obtenir une montée
+régulière et continue de 50 mètres à la minute, nous jetons un sac
+toutes les deux minutes.
+
+Il est indispensable de s'élever très lentement, afin d'éviter toute
+diminution brusque de pression.
+
+A 13 h. 18, nous atteignons 3.400 mètres et nous commençons à respirer
+l'oxygène. A 14 h. 35, nous planons au-dessus de 7.000 mètres. Nous
+dépassons une couche de cirri. A 15 heures, nous atteignons 8.000
+mètres. Nous sommes environnés par de légers flocons de neige. Le
+thermomètre marque -10 environ. Nous continuons à monter et, à 15 h. 15,
+nous dépassons 9.000 mètres. A 15 h. 32, je jette le 109e sac de lest
+et, à 15 h. 36, nous atteignons notre altitude maxima. Nous planons à
+10.081 mètres au-dessus de la sphère terrestre.
+
+Senouque essaie sa force au dynamomètre; alors qu'à terre l'aiguille
+s'arrêtait à 105, elle dépasse maintenant 110. J'essaie à mon tour;
+l'aiguille marque 155, alors qu'avant le départ elle n'indiquait que
+140. Nos appareils débitent 5 litres d'oxygène à la minute et nous ne
+sommes nullement incommodés par la raréfaction de l'air.
+
+Nous nous penchons sur le bord de la nacelle, la terre nous apparaît
+parfaitement nette. Nous distinguons les villages, les routes, les
+arbres qui les bordent et jusqu'à l'ombre qu'ils projettent. La surface
+du globe nous semble légèrement concave. Notre regard embrasse un
+panorama dont nous croyons pouvoir évaluer le diamètre à 250 kilomètres
+environ. Au delà, la vue est limitée par un rideau de brume. Le
+thermomètre est descendu à -18 degrés, mais l'absence totale de vent
+nous rend cette température très supportable. Nous n'avons plus que
+trois sacs de lest que nous conservons pour la descente, et notre
+provision d'oxygène s'épuise rapidement. Aussi décidons-nous de
+commencer à descendre.
+
+La manoeuvre de la soupape dans les hautes altitudes est très délicate.
+Les ressorts qui actionnent les deux clapets sont constitués par six
+élastiques Sandow; lorsque le froid devient intense, il est toujours à
+craindre que le caoutchouc ne devienne cassant. Aussi, entr'ouvre-t-on à
+peine la soupape, et n'est-ce pas sans une certaine angoisse que l'on
+écoute si elle s'est bien refermée. De plus, il est indispensable
+d'amorcer la descente par une rupture d'équilibre aussi faible que
+possible. Une manoeuvre un peu brutale provoquerait une vitesse de chute
+qui s'accélérerait et qu'il deviendrait impossible d'enrayer étant donné
+le peu de lest dont on dispose. A 15 h. 40, je commence donc à soupaper
+et, après dix minutes d'efforts, nous constatons un léger mouvement de
+descente. A 16 h. 14, nous ne sommes plus qu'à 8.000 mètres.
+
+[Illustration: LE PREMIER CLICHÉ PHOTOGRAPHIQUE IMPRESSIONNÉ A PLUS DE
+10.000 MÈTRES D'ALTITUDE Dans la nacelle de l'_Icare_: MM. Maurice
+Bienaimé et Jacques Schneider, photographiés par leur compagnon, M.
+Albert Senouque. Les aéronautes portent les masques respiratoires reliés
+aux obus d'oxygène; on voit, à droite, fixé aux cordages, le baromètre
+dont l'aiguille indique, sur le cylindre, l'altitude atteinte à ce
+moment.]
+
+La descente s'accélère et nous voyons le parachute équatorial s'ouvrir
+graduellement. 16 h. 20, et nous voici à 7.000. Les précédents mille
+mètres ont été descendus en six minutes. C'est trop rapide. Nous jetons
+un des trois sacs de lest qui nous restent. 16 h. 45. Nous voici à 5.000
+mètres environ. La contraction des gaz pendant la descente a fait
+prendre à notre ballon une forme légèrement fusiforme et cette
+déformation a sa répercussion sur le parachute, qui a des mouvements
+ondulatoires inquiétants. A 3.000 mètres, nous quittons les masques
+respiratoires. Nous nous rapprochons rapidement de la terre et, à 19 h.
+5, nous nous apprêtons à effectuer l'atterrissage. Nous arrivons sur une
+route; je jette le dernier sac de lest, les tubes d'oxygène, le sac à
+bâche, pour essayer d'éviter les fils télégraphiques, mais en vain.
+Ironie des choses, après nous avoir allègrement enlevés dans la haute
+atmosphère, notre coursier est incapable de nous faire franchir un
+obstacle de 3 mètres de haut. Après une courte lutte, les fils
+télégraphiques et les branches d'arbres nous livrent passage et
+l'atterrissage s'effectue sans encombre dans un champ voisin. Il est 17
+h. 10. Nous sommes à deux kilomètres de Châtillon-sur-Seine. Nous avons
+donc parcouru un peu plus de 200 kilomètres à vol d'oiseau. Notre
+ascension ayant duré 4 h. 54, nous trouvons une vitesse moyenne de 40
+kilomètres.
+
+Au point de vue physiologique nous pouvons donc affirmer que l'organisme
+humain, grâce au complément d'oxygène que nous lui avons fourni, résiste
+parfaitement pendant un laps de temps assez considérable à une
+dépression de 545 millimètres, correspondant à une altitude d'environ
+10.000 mètres.
+
+Il est juste d'ajouter que, si l'organisme ne se ressent pas d'une façon
+immédiate d'une pareille dépression, il n'en est pas moins assez
+sérieusement éprouvé dans la suite. Le coeur, battant à la cadence de
+110 pulsations à la minute, produit dans les artères et dans les veines
+une pression égale à une colonne de 25 centimètres de mercure environ.
+Lorsque la pression extérieure est réduite à 210 millimètres, alors que
+la pression interne est de 250 millimètres, il se produit dans les
+tissus du système circulatoire une tension considérable, et il est
+certain qu'une rupture artérielle ou une extravasation veineuse sont
+toujours à craindre.
+
+Voici quelques mots sur les différents troubles qui résultèrent pour
+chacun de nous de cette ascension.
+
+Albert Senouque éprouva simplement une profonde dépression physique...
+Jacques Schneider se réveilla le lendemain avec les veines du pied
+gauche fortement enflées et fut pris, après le déjeuner, de phénomènes
+d'essoufflement qui durèrent une heure environ. Le surlendemain il
+constatait une légère hémorragie intestinale. Pour ma part, je ne
+ressentis d'abord rien, mais quarante-huit heures après j'éprouvai une
+certaine oppression suivie de courbature cardiaque. Pour donner une idée
+de la pression subie dans les artères, je citerai le fait suivant: le
+docteur Héron de Villefosse, qui avait pris ma tension artérielle la
+veille de l'ascension, constata au retour que de 23 elle était tombée à
+16...
+
+Nous n'avons ressenti ni les uns ni les autres la moindre douleur dans
+les oreilles, grâce probablement à la fréquence des mouvements de
+déglutition que nous avons faits, dans le but d'assurer la perméabilité
+de la trompe d'Eustache et de maintenir le tympan entre deux pressions
+sensiblement égales.
+
+En résumé, il semble résulter de nos constatations que les accidents qui
+se produisent au cours des ascensions élevées dépendent moins du défaut
+d'équilibre entre les pressions externe et interne que du manque
+d'oxygénation des éléments essentiels du sang. Et nous sommes fondés à
+tirer cette conclusion, puisqu'il a suffi d'assurer à nos poumons un
+apport régulier d'oxygène pour nous mettre tous trois à l'abri de
+troubles graves.
+
+Quelle est la limite extrême au-dessus de laquelle la vie deviendrait
+impossible? Quelle dépression faudrait-il atteindre pour provoquer la
+rupture finale de notre équilibre organique? C'est ce que nous ne
+pourrons savoir que par l'expérience, c'est-à-dire en essayant de nous
+élever encore plus haut, et nous espérons bien y réussir.
+
+MAURICE BIENAIMÉ.
+
+
+
+NEW-YORK ENTREVU PAR UN BARBARE D'ORIENT Copyright by Pierre Loti, 1913.
+
+II
+
+Lundi, 23 septembre.
+
+Aujourd'hui, pour la première fois, j'assiste à une répétition de _la
+Fille du Ciel_. C'est sans décors, sans costumes, en tenue de ville,
+dans une salle nue, dépendant du théâtre. Oh! l'étrange impression
+d'entendre les acteurs dire _no_ et _yes_, d'écouter mes phrases que je
+reconnais bien mais qui me font l'effet de s'être amusées à se déguiser
+en phrases anglaises... Je ne sais plus par qui fut énoncé l'axiome: une
+traduction, c'est l'envers d'une broderie. Je ne prétends pas qu'elle
+fût merveilleuse, la broderie que nous avions faite, et je reconnais
+d'ailleurs que l'envers en a été recoloré avec une habileté consommée;
+mais, quand même, c'est toujours un envers. Mise Viola Allen me paraît
+une idéale impératrice, et, malgré son chapeau parisien si en contraste
+avec les choses qu'elle doit dire, sa voix donne le petit frisson quand
+elle s'anime; à la scène finale, je vois même de vraies larmes perler au
+bord de ses jolis yeux vifs, qu'il sera facile de rendre délicieusement
+chinois en les retroussant au coin avec des peintures. Comme toutes les
+femmes ont l'air honnête dans ce théâtre! Les gentilles petites actrices
+chargées des rôles secondaires sont tellement correctes elles aussi,
+tellement comme il faut, et se tiennent comme des jeunes filles du
+monde. Mais, dans cette salle où sans doute je vais revenir tant de fois
+m'enfermer, il fait triste, de la tristesse particulière à tous les
+théâtres quand les illusions du soir y cèdent la place à la lumière
+appauvrie du jour.
+
+Libéré à 4 heures, je circule au hasard, en auto, dans les rues que je
+n'avais pu voir encore animées par la pleine activité des jours de
+travail. La foule qui parle toutes les langues, les femmes aux allures
+décidées sans effronterie, les hommes tout rasés sous de larges
+casquettes, marchent vite, indifférents au fracas des chemins de fer
+suspendus ou souterrains.
+
+A un angle de Broadway, sous les passerelles de ferraille ébranlées par
+le continuel passage des trains express, voici un rassemblement qui
+grossit, qui bourdonne; les voitures sont arrêtées, les policemen
+s'agitent, on dirait une émeute. Tout ce monde regarde avidement un
+tableau-noir sur lequel, de temps à-autre, quelqu'un ajoute un signe à
+la craie. Les jumelles, les monocles, les innombrables lunettes d'or
+sont braqués là-dessus, comme si le sort du monde allait s'y inscrire,
+et, chaque fois qu'un nouveau chiffre y apparaît, c'est tantôt un
+silence morne chez les spectateurs, tantôt une joie délirante avec des
+battements de mains et des cris. Qu'est-ce que ça peut bien être?--le
+cours de la Bourse?--Non, tout simplement, il s'agit de certain jeu de
+paume national; une grande partie se dispute en ce moment à la campagne,
+l'équipe de New-York contre celle d'une ville voisine, et un ingénieux
+système automatique apporte ici au marqueur l'indication des coups... Et
+tous ces hommes, que l'on croirait si positifs, se passionnent à ce
+point! Il faut en vérité que cette race, issue de toutes nos races
+vieillies, se soit retrempée de jeunesse sur le sol d'Amérique. Et
+j'admire surtout combien ces implantés d'hier ont déjà pris l'amour du
+clocher,--d'où découle nécessairement l'amour plus noble de la patrie.
+
+[Illustration: Rassemblement de foule dans un carrefour.]
+
+Les gratte-ciel! Il faudra beaucoup de temps pour que mes yeux s'y
+résignent. Si encore ils étaient groupés, une avenue qui en serait
+bordée arriverait peut-être à un effet de fantastique beauté. Mais non,
+ils surgissent au hasard, alternant avec des bâtisses normales ou
+parfois basses; alors on dirait des maisons atteintes par quelque
+maladie de gigantisme, et qui se seraient mises à allonger follement
+comme les asperges en avril. Ce qui me déroute, habitué que j'étais aux
+villes de pierre comme en France ou aux villes de bois comme on Orient,
+c'est de ne voir ici que de l'acier, du ciment armé, des briques
+sanguinolentes, et surtout je ne sais quelle composition d'un brun rouge
+qui donne des maisons en chocolat, même des églises, des clochers en
+chocolat. Voici, dans la cinquième avenue, qui est comme on sait le
+quartier des milliardaires, l'habitation des Vanderbilt, en pur style
+moyen âge et en pierre pour de vrai; on l'aimerait dans un parc, sous de
+vieux chênes; mais un voisin gratte-ciel la surplombe et l'écrase. Voici
+une cathédrale gothique, capable de rivaliser avec les nôtres; mais les
+gratte-ciel d'à côté montent plus haut que ses flèches aiguës; alors
+elle est diminuée au point de ressembler à un joujou de Nuremberg. Au
+bord de l'Hudson, tel autre richissime a eu la fantaisie impériale de se
+faire construire le château de Blois, avec des pierres apportées de
+France, et ce serait presque une merveille; mais derrière, plus haut que
+les donjons et les girouettes, monte bêtement un gratte-ciel couronné
+d'une réclame lumineuse; alors cela n'existe plus. Cette ville, qui
+regorge de coûteuses magnificences, a poussé d'un élan trop rapide et
+trop fougueux; il me paraît qu'elle aurait besoin d'être coordonnée,
+émondée, et surtout calmée.
+
+[Illustration: L'Hôtel de Ville de New-York, dominé par un immeuble à
+trente-cinq étages.]
+ *
+ * *
+
+Jeudi, 26 septembre.
+
+Évadé aujourd'hui du théâtre, où il fait toujours noir en plein midi
+comme dans une cave, je m'en vais en auto, par l'avenue qui s'appelle
+River Side, remonter le long du cours de l'Hudson pour essayer de
+trouver enfin la campagne et le silence. Les trouverai-je réellement
+quelque part? Pour l'instant, des embarras de voitures ou d'automobiles
+élégantes m'entourent comme si je me rendais au bois de Boulogne. Mais,
+sans restriction cette fois, je m'incline devant la majesté d'une telle
+avenue. D'un côté le grand fleuve que l'on domine, de l'autre une
+interminable bordure de gratte-ciel (des demi-gratte-ciel, d'une
+quinzaine d'étages seulement) qui arrivent à un effet esthétique parce
+qu'ils s'alignent bien; ils ont du reste la couleur blanche et gaie de
+la pierre véritable, ils respirent le luxe clair et de bon aloi. Je ne
+crois pas qu'aucune capitale du vieux monde possède une promenade d'une
+telle opulence.
+
+[Illustration: Les dreadnoughts, avec leurs mâts en forme de tours
+Eiffel.]
+
+Dans le fleuve, des escadres de guerre sont mouillées, de superbes
+escadres que l'Amérique réunit en ce moment pour se donner, en une
+grande fête, le spectacle de sa jeune puissance navale; les dreadnoughts
+dorment là, imposants de laideur terrible, surmontés de ces nouveaux
+mâts à l'américaine, larges et ajourés, qui ressemblent à des tours
+Eiffel; auprès d'eux, des croiseurs, des contre-torpilleurs dorment
+aussi; et une multitude de batelets, de mouches électriques,
+s'empressent alentour. Sur la berge, des milliers de curieux stationnent
+pour regarder. En prévision de cette prochaine fête de la marine, des
+pavillons de l'Amérique, rayés blanc et rouge avec semis d'étoiles sur
+leur coin bleu, commencent à flotter aux fenêtres des hautes maisons
+somptueuses. Et sur tout cela rayonne le beau soleil de l'«été indien».
+C'est comme une révélation de New-York que je viens de m'offrir
+aujourd'hui, et tout ce que je découvre, en faisant ainsi l'école
+buissonnière, est franchement admirable.
+
+Mais la campagne, le silence, où donc les atteindrai-je? Ma course
+accélérée dure depuis plus d'une heure, et les gratte-ciel me suivent
+toujours, en files aussi orgueilleuses, témoignant que cette ville
+contient des riches par milliers. Il est vrai, sur la rive d'en face, au
+lieu des tuyaux d'usine qui pendant des kilomètres s'obstinaient à
+l'enlaidir, il n'y a déjà plus maintenant que des rochers et de grands
+bois; si près de la ville, c'est une surprise et un repos.
+
+Enfin, enfin, la route que je suivais s'enfonce parmi des buissons et
+des arbres, l'air s'imprègne de la bonne senteur des mousses d'automne;
+je suis sorti de la fournaise humaine! C'est la campagne que j'avais
+tant souhaité atteindre, et elle est plus boisée, plus sauvage peut-être
+qu'aux entours immédiats de Paris. Mais je m'y sens quand même en exil,
+car les arbres et les plantes, à bien regarder, diffèrent légèrement des
+nôtres; les _asters_, que nous ne connaissons que dans nos jardins,
+croissent ici à profusion parmi des rochers noirs; sur tous ces
+feuillages des bois, les bruns et les rouges de l'arrière-saison
+s'accentuent davantage que chez nous, arrivent à des teintes
+sensiblement plus ardentes. Non, ce pays n'est pas le mien... Et puis,
+une campagne sans paysans, sans vieux clochers protecteurs autour
+desquels se groupent les villages, autant dire qu'elle n'a pas l'air
+vrai...
+ *
+ * *
+
+Samedi, 28 septembre.
+
+Les jours qui passent m'acclimatent assez rapidement à New-York. Les
+maisons me semblent moins extravagantes de hauteur et, quand je traverse
+Broadway, j'écoute moins le fracas des trains sur les passerelles de
+fer.
+
+Un peu partout je découvre des choses amusantes à force d'imprévu,
+d'audace, de disproportion et de luxe colossal. On m'a montré ce matin
+comme typique certain café-restaurant qui éclipse tous les
+cafés-restaurants du monde. La salle d'en bas, qui coûta 5 millions, a
+été construite pour enchâsser le tableau de Rochegrosse acheté à grands
+frais: _le Festin de Balthazar_. Sur toutes les murailles de marbre
+vert, on a ciselé les mêmes bas-reliefs qu'à Persépolis; en marbre vert
+également sont les puissantes colonnes à têtes cornues, et les
+gigantesques taureaux ailés à visage humain. Mais, comiques au milieu de
+ces splendeurs déréglées, il y a les rangs de petites tables pour les
+consommateurs, et il y a les garçons en frac apportant à la ronde les
+bocks ou les cocktails!...
+
+Aux répétitions de _la Fille du Ciel_, qui occupent mes journées, la
+féerie commence à se dessiner; nous sortons peu à peu des incohérences
+et du chaos des premières heures. Des décors qu'aucun théâtre parisien
+n'aurait risqués font revivre d'inimaginables passés chinois, des jeux
+de lumière électrique dont nous ignorons encore le secret imitent des
+limpidités de ciel, ou des lueurs de bûcher et d'incendie. Dans les
+jardins de l'impératrice, aux grands arbres tout roses de fleurs, des
+cigognes et des paons réels se promènent sur des pelouses
+jonchées--parce que cela se passe au printemps--de milliers de pétales
+qui ont dû tomber des branches comme une pluie. Là, aux rayons d'un
+clair soleil artificiel, je vois revivre, chatoyer tous les étranges et
+presque chimériques atours de soie et d'or copiés sur de vieilles
+peintures que j'ai rapportées, ou sur des costumes réels que j'ai
+exhumés naguère de leurs cachettes au fond du palais de Pékin.
+
+Les monuments les plus singuliers, je crois, sont ces entr'actes, ces
+repos durant lesquels la féerie s'échappe, pour ainsi dire, de la scène,
+pour déborder sur les fauteuils d'orchestre. La vaste salle somptueuse,
+envahie alors par tous les figurants, n'en demeure pas moins plongée
+dans des ténèbres presque absolues; quelqu'un qui arriverait du dehors,
+où il fait jour, percevrait seulement que des formes humaines sont
+assises là, partout, et que le discret murmure de leurs voix _sonne
+étrange_: ce sont des voix chinoises qui chuchotent en chinois, et ces
+gens, qui simulent des spectateurs dans l'ombre, sont de pure race
+jaune... Quand les yeux s'habituent à l'obscurité, ou si quelque lueur
+électrique vient à filtrer de la scène, on découvre que tout ce monde,
+de la tête aux pieds, est vêtu avec l'apparat des anciennes cours
+célestes. Il y a même des groupes de ces petites déesses armées et
+casquées qui portent aux épaules des pavillons en faisceaux éployés et
+semblent avoir des ailes. Un peu fantastique vraiment, ce grand théâtre
+sans lumière, où les auditeurs, échangeant à mi-voix des phrases
+lointaines devant la toile baissée, sont pareils aux guerriers, aux
+Génies, sculptés dans les vieilles pagodes...
+
+Le plus étonnant pour moi, c'est que ces figurants ne sont pas des gens
+quelconques, mais des étudiants des universités. L'un d'eux, habillé
+comme un seigneur du temps des Ming et qui, dans la vie privée, prépare
+son doctorat en médecine, vient un jour m'expliquer de la part de ses
+camarades, très courtoisement et dans l'anglais le plus correct,
+pourquoi ils ont accepté de venir: «C'est un tel plaisir pour nous, me
+dit-il, de nous trouver ainsi replongés dans le passé de notre pays, de
+voir reconstituée la Chine de nos ancêtres.»
+
+ *
+ * *
+
+Lundi, 30 septembre.
+
+Cette nuit, pour avoir une vue d'ensemble des fantasmagories de
+New-York, je monte au sommet de l'hôtel du _Times_, qui est l'un des
+plus stupéfiants gratte-ciel. A un angle de rue, dans un quartier de
+maisons à peine hautes, il se dresse tout seul, grêle, efflanqué,
+paradoxal, avec un air de chose qui n'aura jamais la force de rester
+debout. Très aimablement, les rédacteurs m'avaient convié. Un
+ascenseur-express, qui jaillit comme une fusée, nous enlève d'un bond
+jusqu'au vingt-cinquième étage, d'où nous grimpons sur la plate-forme
+extrême. Là souffle une brise âpre et froide--déjà l'air vif des
+altitudes--et, de tous côtés, dans le cercle immense qui va finir à
+l'horizon, l'électricité s'ébat à grand spectacle. Auprès, au loin,
+partout, des mots, des phrases s'inscrivent au-dessus de la ville en
+grandes lettres de feu, éblouissent un instant, disparaissent et puis
+reviennent. Des figures gesticulent et gambadent, parmi lesquelles j'ai
+déjà de vieilles connaissances, comme par exemple le farfadet qui
+brandit ses gigantesques brosses à dents. La plus diabolique de toutes
+est une tête de femme, qui se dessine dans l'air, soutenue par
+d'invisibles tiges d'acier, et qui occupe sur le ciel autant d'espace
+que la Grande Ourse; pendant les quelques secondes où elle brille, son
+oil gauche cligne des paupières comme pour un appel plein de
+sous-entendus, et on dirait d'une jeune personne fort peu recommandable.
+Qu'est-ce qu'on peut bien vendre en dessous, dans la boutique qu'elle
+surmonte et où elle vous convie d'un signe tellement équivoque?
+Peut-être tout simplement d'honnêtes comestibles ou de chastes
+parapluies. Il va sans dire, aucune montagne n'aurait des parois aussi
+verticales que ce gratte-ciel; en bas, les foules en marche le long des
+trottoirs, les foules sur lesquelles, en cas de chute, on irait
+directement s'aplatir comme un bolide, font songer à des grouillements
+d'insectes qui seraient lents pour cause de trop petites pattes, tandis
+que les files de wagons, dont la ville est sillonnée, paraissent de
+longues chenilles phosphorescentes qui ramperaient sans vitesse. Et une
+clameur monte de ces rues, comme une plainte de bataille ou de misère,
+entrecoupée par les grondements de tous ces trains en fuite... Babel
+effrénée, pandémonium où se heurtent les énergies, les appétits, les
+détresses de vingt races en fusion dans le même creuset.
+
+[Illustration: L'hôtel du _Times_ «grêle, efflanqué, paradoxal...»]
+
+Malgré le froid qui cingle le visage, c'est presque un soulagement, une
+délivrance, de se sentir là sur ce sommet artificiel; les six millions
+d'êtres qui, à vos pieds, dans la région basse, se coudoient, luttent et
+souffrent, au moins ne vous oppressent plus; même il est presque
+angoissant de penser qu'il va falloir redescendre tout à l'heure de ce
+haut perchoir où la poitrine s'emplissait d'air pur, redescendre et se
+replonger dans cette vaste mer humaine qui fermente et bouillonne
+partout alentour. Quelle inexplicable manie ont les hommes de s'empiler
+ainsi, de s'étager les uns par-dessus les autres, de s'accoler en
+grappes comme font les mouches sur les immondices,--quand il reste
+encore ailleurs des espaces libres, des terres vierges!... Vue d'ici, la
+ville paraît infinie; aussi loin que les yeux peuvent atteindre,
+l'électricité trace des zigzags, tremble, palpite, éblouit, écrit des
+mots de réclame avec des éclairs, et finalement, vers l'horizon où il
+n'est plus possible de rien lire, va se fondre en une lueur froide
+d'aurore boréale. Jamais encore New-York ne m'avait paru si terriblement
+la capitale du modernisme; regardé la nuit et de si haut, il fascine et
+il fait peur.
+
+Samedi, 12 octobre 1912.
+
+Aujourd'hui, la «première» de _la Fille du Ciel_, au Century Théâtre.
+Cette langue étrangère me déroute à tel point que je ne me sens pas tout
+à fait responsable de ce que mes personnages racontent. Vraiment, pour
+reconnaître ma pièce, je devrais plutôt faire abstraction du dialogue
+et, m'efforçant de ne pas entendre, n'assister au spectacle qu'avec mes
+yeux, comme si c'était une simple pantomime,--une pantomime certes qui
+dépasse mon attente par son exactitude et sa splendeur. Grâce à la
+consciencieuse magie des peintres et des costumiers, la vieille Chine
+impériale, qui ne se reverra jamais plus, est là devant moi, avec le jeu
+de ses nuances rares, l'inconcevable étrangeté de ses atours, avec ses
+dragons, ses monstres, tout son mystère. Pour compléter l'illusion, il y
+a même le son rauque des voix chinoises, et, pendant l'acte de la
+bataille, quand les soldats délirants se précipitent en une ruée suprême
+vers leur impératrice pour tomber tous à ses pieds, je crois réentendre
+ces clameurs qui faisaient frissonner, en Chine, aux jours de réelles
+tueries.
+
+A la scène finale cependant, dès que l'empereur Tartare et la
+Fille-du-Ciel sont seuls en présence, je me reprends à écouter ce qu'ils
+disent; leur jeu est d'ailleurs si expressif que je me figure presque
+les entendre parler ma propre langue. Et quand la Fille-du-Ciel tend la
+main pour recevoir la perle empoisonnée qui va lui ouvrir les portes du
+Pays des Ombres, son geste et son regard émeuvent comme si vraiment elle
+allait mourir...
+
+Maintenant la toile tombe; c'est fini; ce théâtre ne m'intéresse plus.
+Une pièce qui a été jouée, un livre qui a été publié, deviennent
+soudain, en moins d'une seconde, des choses mortes... J'entends des
+applaudissements et de stridents sifflets (contrairement à ce qui se
+passe chez nous, les sifflets, à New-York, indiquent le summum de
+l'approbation). On m'appelle, sur la scène, on me prie d'y paraître, et
+j'y reparais cinq ou six fois, tenant par la main la Fille-du-Ciel, qui
+est tremblante encore d'avoir joué avec toute son âme. Une impression
+étrange, que je n'attendais pas: aveuglé par les feux de la rampe, je
+perçois la salle comme un vaste gouffre noir, où je devine plutôt que je
+ne distingue les quelques centaines de personnes qui sont là, debout
+pour acclamer. Je suis profondément touché de la petite ovation
+imprévue, bien que j'arrive à peine à me persuader qu'elle m'est
+adressée. Et puis me voici reparti déjà pour de nouveaux _ailleurs_.
+J'étais venu à New-York afin de voir la matérialisation d'un rêve
+chinois, fait naguère en communion avec Mlle Judith Gautier. J'ai vu
+cette matérialisation; elle a été splendide. Maintenant que mon but est
+rempli, ce rêve tombe brusquement dans le passé, s'évanouit comme après
+un réveil, et je m'en détache...
+
+Mercredi, 16 octobre 1912.
+
+Demain matin, je prends le paquebot pour France. Je ne puis prétendre
+qu'en ce court voyage j'aie vu l'Amérique. Puis-je seulement dire que
+j'aie vu New-York? Non, car j'y ai surtout vécu prisonnier sous une
+sorte de coupole obscure,--le Century Théâtre avec sa pénombre de chaque
+jour. C'est là, dans cette grande salle rouge et or, parmi les
+fantastiques spectateurs des répétitions, figurants échappés de vieilles
+potiches ou de vieilles ciselures, c'est là que j'ai rencontré à peu
+près les seules femmes américaines qu'il m'ait été donné d'approcher.
+
+Ces inconnues, admises pour avoir montré patte blanche au régisseur,
+entraient discrètement sans faire de bruit, presque à tâtons, effarées
+par tous ces personnages casqués d'or qui occupaient les stalles. Elles
+n'étaient jamais les mêmes que la veille, mes visiteuses. Non sans peine
+elles parvenaient à me découvrir, après avoir interrogé quelques-unes de
+ces étranges figures, qui balbutiaient des réponses vagues, en chinois.
+Assises enfin à mes côtés, elles étaient tout de suite gentilles et
+pleines de bonne grâce, malgré l'insuffisance de la présentation. Filles
+de richissimes ou pauvres petites journaleuses, elles appartenaient à
+tous les mondes. Et on causait, dans une sorte de plaisante camaraderie
+sans lendemain, pour ne se revoir jamais; c'était à demi-voix, pour ne
+pas troubler les acteurs qui, tout près de nous, se disaient des choses
+tragiques, dans quelque vieux palais de Nankin, sous de faux rayons de
+lune, ou bien à la lueur d'un faux incendie. Détail qui m'amusait, en
+général, elles apportaient, par précaution contre la longueur de la
+séance--la répétition durait plusieurs heures d'affilée--des sandwichs
+ou des petits gâteaux, et il me fallait partager cette dînette dans les
+ténèbres. Plusieurs d'entre elles me connaissaient beaucoup, sans
+m'avoir encore vu nulle part; c'est là l'inconvénient--ou le charme si
+l'on veut--de s'être trop donné dans ses livres. Quelques-unes avaient
+vu ma maison de Rochefort, d'autres, en canotant sur la Bidassoa,
+avaient aperçu mon ermitage basque. Grandes voyageuses, presque toutes,
+elles étaient allées à Stamboul, à Pékin, dans les différents lieux de
+la Terre que j'ai essayé de décrire, et la traversée de l'Atlantique
+pour venir chez nous leur semblait un rien comme promenade. Passant vite
+d'un sujet à un autre, elles disaient des choses incohérentes mais
+profondes; elles différaient des femmes de chez nous par quelque chose
+de plus indépendant et de plus masculin dans la tournure d'esprit;
+beaucoup plus libres certes, mais sans qu'il y eût jamais place entre
+nous pour l'équivoque. Et, après avoir causé un peu de tout, dans une
+intimité intellectuelle favorisée par l'ombre, on se saluait pour ne se
+revoir jamais.
+
+En quittant ce pays, j'ai un vrai remords de n'avoir pu répondre comme
+je l'aurais souhaité à tant de lettres cordiales et jolies que chaque
+courrier m'apportait, à tant d'invitations téléphoniques m'arrivant aux
+rares heures où j'habitais mon perchoir. D'aimables inconnus
+m'écrivaient, avec la plus touchante bonne grâce: «Venez donc un peu
+vous reposer chez nous, à la campagne; au bord de l'eau, sous nos
+arbres, vous trouverez du _silence_.» Et j'étais élu membre honoraire
+d'une quantité de cercles. Comment faire, avec si peu de temps à moi? Au
+moins voudrais-je, ici, exprimer à tous ma reconnaissance et mon regret.
+
+Dès que _la Fille du Ciel_ a été livrée au public, j'ai employé de mon
+mieux mes trois ou quatre jours de liberté avant le départ. Mais combien
+il était embarrassant de choisir: pourquoi accepter ici et s'excuser
+ailleurs?
+
+Je suis allé luncher à la magnifique et colossale Université de
+Columbia, auprès de quoi nos universités françaises sembleraient de
+pauvres petits collèges de province. J'ai voulu paraître dans différents
+clubs puisque l'on avait eu la bonté de m'en prier. J'ai répondu à
+l'invitation naïve des jeunes filles de l'école Washington-Irving qui
+m'avait particulièrement charmé par sa forme; elles étaient là deux ou
+trois centaines de petites étudiantes de quinze à seize ans qui, pour
+m'accueillir, avaient placardé aux murs des écriteaux de bienvenue;
+après m'avoir chanté la Marseillaise, elles ont continué par un hymne où
+de temps à autre revenait mon nom prononcé par leurs voix fraîches, et
+en partant j'ai serré de bon coeur toutes ces mains enfantines. On m'a
+fêté à l'Alliance française où, après le dîner, il y a eu, dans un grand
+hall, un défilé dont j'ai été ému profondément; tandis qu'un orchestre
+jouait cette _Marseillaise_ qui, à l'étranger, nous semble toujours la
+plus belle musique, des Français de tous les mondes, les uns très
+élégants, les autres plus modestes, se sont tour à tour approchés de
+moi; des jeunes, des très vieux dont le regard attendri disait la
+crainte de ne plus revoir la France; des aïeules à chevelure blanche
+m'amenant leurs petites-filles qui m'avaient lu et souhaitaient me voir;
+là encore j'ai serré plusieurs centaines de braves mains que je sentais
+vraiment amicales, et je ne sais comment dire merci à tant et tant de
+familles qui ont bien voulu se déranger pour me témoigner un peu de
+sympathie.
+
+En somme si, au premier abord, pour l'Oriental obstinément arriéré que
+je suis, New-York ne pouvait que sembler effarant--en tant que chaudière
+gigantesque où, pour créer du nouveau, se mêlent et bouillonnent
+tumultueusement les génies de tant de, races diverses--si New-York m'est
+resté jusqu'à la fin peu compréhensible, avant de le quitter j'ai
+pourtant senti qu'il était quand même et surtout la ville de la pensée
+chaleureuse, de la franche hospitalité et du bon accueil.
+
+PIERRE LOTI.
+
+Copyright. Droits réservés.
+
+
+
+[Illustration: BEAUTÉS ALBANAISES.--Trois élégantes de Scutari.--_Phot.
+S. Tchernof._]
+
+Scutari, la ville durement assiégée pendant de si longs mois, reprend
+peu à peu sous l'administration collective des puissances, son aspect
+normal d'avant la guerre. La population, musulmane ou chrétienne,
+rassurée, vaque, comme devant, à ses occupations pacifiques. Les vivres
+ont de nouveau, en abondance, rempli les magasins et les docks, et les
+nombreuses misères provoquées par le siège ont été secourues, à la
+première heure, par les soins de l'Autriche et de l'Italie dont, en
+cette terre d'influence, et en attendant que soit définitivement arrêté
+le statut de l'Albanie, les bons offices rivalisent. L'Angleterre et la
+France participent activement à l'oeuvre municipale. Les services ont
+été reconstitués avec des officiers des corps d'occupation ou des
+fonctionnaires locaux. La police est énergiquement organisée, et les
+commissions sanitaires ont méthodiquement procédé à l'assainissement de
+la ville.
+
+Dans les rues, maintenant paisibles, de Scutari d'Albanie, les femmes
+albanaises, de qui les voyageurs se sont accordés à nous dire la
+sculpturale beauté, circulent, tranquillement, isolées ou par groupes,
+en leur costume traditionnel, à cela près cependant que les musulmanes,
+en grand nombre déjà, ont enlevé leur voile en attendant sans doute que
+des modes occidentales--de Vienne, de Rome, de Paris--inaugurées à la
+cour du prince, du futur prince d'Albanie, ne soient à leur tour
+adoptées, et on le regrettera, par les dames de la ville.
+
+
+
+CE QU'IL FAUT VOIR
+
+LE PETIT GUIDE DE L'ÉTRANGER
+
+Il y a, à partir d'aujourd'hui, une chose délicieuse à voir à Paris; un
+spectacle tout neuf: c'est, au musée Galliéra, l'exposition de l'Art
+pour l'Enfance. On sait qu'outre son exposition d'Art décoratif, qui est
+à la fois permanente et continuellement renouvelée, la Ville organise à
+Galliéra, une fois par année, un petit Salon qui est, chaque fois, une
+ravissante surprise. On se rappelle les plus récentes: l'exposition de
+la Reliure, celle de la Dentelle, celle de l'Ivoire. Demain, et durant
+tout cet été, l'exposition se composera uniquement d'oeuvres et
+d'objets--d'autrefois et d'aujourd'hui--destinés à parer, à amuser
+l'enfance, _ou inspirés par l'Enfant_. Le très distingué conservateur du
+Musée de la rue Pierre-Charron, M. Eugène Delard, s'est adressé aux
+artistes, aux collectionneurs, aux éditeurs, aux fabricants qu'il savait
+capables d'aider, par leur collaboration gracieuse, au succès de cette
+aimable entreprise; et tant de bonnes volontés assemblées viennent de
+réaliser, pour le plaisir de nos yeux, quelque chose de charmant.
+
+Entrons. C'est d'abord le petit jardin du musée aménagé en jardin
+d'enfants: de menues plates-bandes, quelques pelouses minuscules
+plantées d'arbres nains; un ruisseau «pour rire» dévalant en cascatelle
+au milieu de rochers gros comme le poing; et sur ce «paysage», une
+quinzaine de maisonnettes plantées; de maisonnettes pour enfants,
+derrière lesquelles une toile de fond déroule les splendeurs d'un
+panorama-joujou... Le vestibule du musée contient une amusante
+exposition de jouets modernes; et voici, dans le grand hall, des
+trésors: les collections d'anciens mobiliers de poupées, de Mme Ménard»
+Dorian; de Mme Bernheim (celui-ci est fameux; il servit à l'amusement du
+roi de Rome!); voici les poupées de M. d'Allemagne et de M. Léo
+Claretie; les soldats de l'ancienne France, de M. Vidal de Léry; et ceux
+de l'Empire de M. Bernard Franck (qui seront un des clous de cette
+exposition); les jouets de bois peint des paysans de la Lozère; les
+«découpages»--moins naïfs, mais d'autant plus amusants en leur ironique
+ingénuité--du pauvre Caran d'Ache et de Grandval; les poupées bretonnes,
+les animaux en fer forgé (d'extraordinaires caricatures de bêtes,
+inventées par le ferronnier Emile Robert, et qui vont avoir un succès
+fou). Et puis, disséminés autour de ces vitrines--ne pas négliger celle
+des hochets anciens!--voici les images de l'Enfance; d'exquises images:
+des panneaux d'Espagnat; des portraits de Carrière, de Paul Renouard,
+Steinlen, Lévy-Dhurmer, Geoffroy, Mme Breslau; un bébé en bois, de
+Carabin, qui est un chef-d'oeuvre; de délicieuses effigies enfantines,
+signées Dalou, Bourdelle, A. Charpentier, Dampt. J'en oublie... et c'est
+bien heureux, car je serais désolé de faire ici concurrence au catalogue
+qui est lui-même un document ravissant: une réduction de l'affiche de
+Willette en formera la couverture, et le _texte_ en sera commenté par
+Poulbot.
+
+Est-ce tout? Mais non. Car je n'ai rien dit des «chambres d'enfants» et
+je sais des mères qui vont préférer ce coin d'exposition-là à tout le
+reste. Elles occupent, ces chambres d'enfants, tout un côté de la
+seconde salle où sont exposés les jolis pastels de Mme Franc-Nohain, les
+vitrines de poupées et de jouets japonais de Mme Stroehlin, et du comte
+de Fleurieu. Ce sont des chambres où la forme des meubles, la couleur
+des tentures, les moindres détails du décor ont été inventés, combinés
+dans le dessein d'ajouter à la gentillesse du petit être qui est là, de
+l'encadrer aussi joliment que possible, de le parer et de le divertir.
+Je note l'appartement pour _gosse_--chambre à coucher et salle de
+jeux--d'André Hellé. Caran d'Ache, tapissier pour enfants, n'eût rien
+imaginé de plus suavement comique. Il n'y a pas un objet dans cet
+appartement-là, pas un bout d'étoffe qui n'ait de l'esprit!
+
+ *
+ * *
+
+Ce qui est à voir encore--et là il convient de se presser un peu, car le
+spectacle ne sera plus de très longue durée--c'est la Rétrospective de
+Neuville. Les jeunes gens ne soupçonnent pas quels souvenirs pathétiques
+évoque une telle exposition au coeur de leurs aînés. Et je ne parle pas
+seulement de ceux qui ont fait la Guerre, et qui sont aujourd'hui des
+vieillards, mais de leurs cadets, de ceux qui, entre 1875 et 1880,
+n'étaient encore que des écoliers, ou de tout jeunes gens. Ces cinq
+années marquent l'épanouissement du talent d'Alphonse de Neuville et
+l'apogée de sa renommée. Dans ces temps très anciens, les amateurs de
+tableaux ne voyaient pas s'ouvrir à eux, tous les huit jours, un nouveau
+Salon de peinture; les grands «schismes» de la Nationale, des
+Indépendants, du Salon d'automne, n'étaient point encore inventés; on ne
+connaissait qu'une Eglise, si j'ose m'exprimer ainsi; c'était «le
+Salon»; le Salon tout court, devenu celui des Artistes français. Il
+s'ouvrait, chaque printemps, au Palais de l'Industrie, sur l'emplacement
+duquel s'élève, depuis treize ans, le Grand Palais. Et cet unique
+«vernissage» de l'année était un événement parisien. «Avez-vous vu le
+_Neuville?_» C'était une des premières questions qu'on se posait en
+s'abordant, vers midi, autour des tables de Ledoyen. Ces toiles de
+Neuville évoquaient au coeur des combattants de 1870 et de leurs jeunes
+fils les angoisses, les douleurs de cette guerre affreuse qui semblait à
+peine finie, et dont tant de ruines encore intactes maintenaient devant
+leurs yeux le souvenir vivant. Mais voici ce qui était admirable, chez
+Alphonse de Neuville: ses tableaux bouleversaient d'émotion le vaincu;
+ils ne l'humiliaient pas. Ils disaient la défaite. Mais ils disaient
+aussi l'héroïsme de la défense, et l'instinctive fierté de ces vaincus
+devant une destinée qu'ils ne méritaient pas. Il y a des défaites dont
+la vue inspire une espèce d'horreur compatissante. Ce sentiment ne se
+dégage d'aucun des tableaux qu'Alphonse de Neuville a peints. Nous les
+regardions, nous, les lycéens d'alors, avec une admiration ingénue; nous
+n'avions pas, devant les figures du _Cimetière de Saint-Privat_, des
+_Dernières Cartouches_, de _l'Église du Bourget_, l'impression que des
+vaincus qui regardaient de ces yeux-là la défaite fussent tellement à
+plaindre...
+
+Quelques-uns de ces tableaux ont pu être réunis à la galerie de la
+Boétie. Mme Roger-Douine y a envoyé les _Dernières Cartouches_; M.
+Bessonneau d'Angers, _En campagne_ et _le Cimetière de Saint-Privat_; M.
+J. Thinet, _le Grenier de Champigny_; M. Knoedler, _l'Attaque de la
+maison barricadée, à Villersexel_; le docteur Fournier, _la Bataille
+d'Héricourt_. Le musée de Péronne a prêté _l'Attaque de la passerelle de
+Stiring_ (bataille de Forbach); le musée du Luxembourg, deux esquisses
+de _Villersexel_ et de _l'Église du Bourget_; diverses autres toiles ou
+dessins--d'admirables croquis, des esquisses de tableaux--ont été
+empruntés aux collections de MM. Nismes, Chouanard, Brugairolles,
+Kullmann, Bernard Franck, G. Bernheim, Yves Refoulé, Paul Déroulède (qui
+a envoyé son portrait), J. Peytel, Jules Claretie, Pothier, Duez. Nous
+devons à ces «prêteurs» obligeants beaucoup de reconnaissance.
+
+Nous en devons aussi aux organisateurs de ce Salon. En groupant autour
+d'Alphonse de Neuville les oeuvres de quelques peintres militaires de ce
+temps-ci, ils nous ont révélé un maître. Les lecteurs de
+_L'Illustration_ le connaissent: c'est Georges Scott. Jamais ne
+s'étaient affirmés avec plus d'éclat que dans cette Exposition la
+solidité d'exécution, la science de composition, l'instinct de justesse
+et de vérité qui distinguent les oeuvres de ce peintre. Certains des
+toiles et des dessins qu'il a rapportés de son dernier voyage aux
+Balkans sont, même en face des chefs-d'oeuvre du peintre des _Dernières
+Cartouches_, des pages de premier ordre. Cela, aussi, c'est à voir.
+
+UN PARISIEN.
+
+
+
+AGENDA (7-14 juin 1913)
+
+CONCOURS.--Le 9 juin, concours d'admission à l'école Edgar-Quinet
+(enseignement primaire supérieur des jeunes filles).
+
+CONFÉRENCES.--Au Grand-Palais (Salon de la Société des Artistes
+français): le 13 juin, conférence de M Paul Rognon: _Michel-Ange_.
+
+EXPOSITIONS.--Grand Palais: Salon de la Société des Artistes français;
+Salon de la Société nationale des Beaux-Arts.--Musée des Arts décoratifs
+(pavillon de Marsan): exposition rétrospective de l'art des Jardins en
+France (tableaux, gravures, tapisseries);--Bibliothèque Le Peletier de
+Saint-Fargeau (29, rue de Sévigné): promenades et jardins de Paris.--A
+Bagatelle (bois de Boulogne): l'art du jardin, à l'occasion du
+centenaire de Le Nôtre.--Galerie Devambez (43, boulevard Malesherbes):
+«la petite ville de province». (Clôture le 10 juin.)--Hôtel de Sens (rue
+du Figuier): les artistes du 4e arrondissement, jusqu'au 16 juin.--Le 7
+juin, clôture de l'exposition du Palais-Salon (Cercle de la
+Librairie).--Le 9 juin, clôture de l'exposition de David et ses élèves
+(Petit Palais).--Galerie Georges Petit (salons Settiner): dessins
+français du dix-huitième siècle, exposition organisée par la Société des
+Amis du Louvre. (Clôture le 10 juin).--A Londres (galeries Grafton):
+exposition de la Société royale des peintres du portrait.
+
+VENTE D'ART.--Galerie Georges Petit (8, rue de Sèze): le 9 juin, vente
+de la galerie Steengracht, chefs-d'oeuvre des écoles flamande et
+hollandaise du dix-septième siècle, et tableaux modernes.
+
+FÊTES DE BIENFAISANCE.--Hôtel de Béarn (rue Saint-Dominique): le 8 juin,
+soirée au bénéfice de la Croix-Rouge: danses du premier Empire, danses
+1830, danses 1860; artistes des théâtres russe et italien.--Au théâtre
+de verdure du Pré-Catelan, le 11 juin, matinée de gala au bénéfice de la
+caisse de propagande des Amitiés Françaises.--Au Nouveau-Cirque: le 14
+juin, fête de nuit organisée par les Artistes lyriques; pantomime
+nautique, mise en scène par M. Tristan Bernard.
+
+FÊTES DE JEANNE D'ARC.--Les 8 et 15 juin, à Compiègne: fêtes en
+l'honneur de Jeanne d'Arc, au bénéfice des oeuvres de bienfaisance de la
+ville: cortège historique; mystère représenté en plein air, etc.
+
+SPORTS.--_Courses de chevaux_: le 7 juin, Auteuil; le 8, le 12 et le 15,
+Chantilly; le 9, Saint-Cloud; le 10, Saint-Ouen; le 11, le Tremblay; le
+13, Maisons-Laffitte; le 14, Auteuil.--_Aérostation_: le 15 juin, Grand
+Prix annuel de l'Aéro-Club de France (départ de Saint-Cloud).--_Boxe_:
+le 15 juin, à Toulouse, Willie Lewis contre Kid Jackson.--_Lawn-tennis_:
+terrains du Stade français (Saint-Cloud), du 7 au 15 juin, championnats
+du monde de tennis (sur terre battue).--_Cyclisme_: le 8 juin, course
+Paris-Bruxelles; à la même date, circuit de l'Aube.--_Aviron_: le 8
+juin, à Rouen, régates nationales à l'aviron, organisées par la Société
+des Régates rouennaises.--_Athlétisme_: le 15 juin, sur le terrain du
+Stade français, à Saint-Cloud, éliminatoires du Collège d'athlètes
+organisé par la Comité de Paris.
+
+
+
+DOCUMENTS et INFORMATIONS
+
+TEL MAÎTRE, TELLE BÊTE.
+
+On a parfois constaté d'étonnantes ressemblances physiques entre les
+hommes et les bêtes, et, particulièrement, entre telle personne et son
+animal favori. Voici, de ces rencontres naturelles, un amusant exemple,
+qui a pu être observé au parc zoologique de Hambourg, par un photographe
+avisé, M. D. Mac Lellan: le gardien du pavillon des morses--un brave
+homme doué d'une bonne figure ronde, à la grosse moustache
+tombante--offre avec les amphibies dont il a la surveillance, avec l'un
+d'eux surtout, de singuliers points de comparaison. Entre les deux
+compagnons--liés par une amitié qui date de sept à huit ans--les clichés
+que nous reproduisons ici font apparaître comme un «air de famille». Ils
+s'entendent d'ailleurs à merveille, et, à force de vivre ensemble, ils
+sont devenus les meilleurs camarades du monde.
+
+[Illustration: Deux vieux amis.]
+
+[Illustration: Un morse et son gardien qui se ressemblent, au parc
+zoologique de Hambourg.]
+
+Sur le museau du morse, on remarquera la fleur de lys héraldique formée
+par l'ouverture des naseaux: c'est là une des caractéristiques les plus
+curieuses de cet animal, dont l'espèce est d'ailleurs en voie de
+disparaître. Au siècle dernier, on la trouvait encore sur les côtes de
+l'Écosse; mais, aujourd'hui, décimée par les balles des chasseurs, elle
+ne dépasse pas les limites de l'océan Glacial du Nord.
+
+
+
+UN MONUMENT DU SOUVENIR A BÉDARIEUX.
+
+Un beau monument, élevé par souscription publique à la mémoire des
+combattants de la guerre morts pour la patrie, vient d'être inauguré à
+Bédarieux, en même temps qu'a eu lieu la remise de la médaille de 1870 à
+plus de cent vétérans: ainsi, dans un pareil hommage, qu'il convient de
+signaler, ont été réunis les enfants de la cité cévenole qui,
+glorieusement, sont tombés sur le champ de bataille, et ceux par qui se
+perpétue, de nos jours, le vivant souvenir de l'année terrible. Le
+sculpteur, M. Louis Paul, conservateur du musée de Béziers, a représenté
+la France sous les nobles traits d'une Paix armée, prête à se défendre,
+fière de la force de son glaive; un coq gaulois, dressé sur ses ergots,
+surmonte le monument, qui s'érige, dans un joli décor de verdure, au
+bout d'une des promenades de la ville.
+
+[Illustration: Le monument de Bédarieux à la mémoire des anciens
+combattants de 1870-1871. _Phot. Detestaing._]
+
+La cérémonie d'inauguration a été présidée par l'amiral Servan et le
+général Dioux, commandant la 63e brigade, qui ont prononcé des discours,
+après que M. César Cabal, président du comité, eut remis à la ville le
+nouveau monument qui la pare.
+
+
+
+LA RÉSURRECTION DES GRENOUILLES.
+
+Les remarquables travaux du docteur Carrel ont ouvert un immense champ
+d'études où se sont lancés les physiologistes des deux mondes. Citons
+les étranges expériences qu'exécutent plusieurs savants de la John
+Hopkins Médical School, la première Ecole de médecine des États-Unis.
+
+Choisissant un animal à sang froid (grenouille, escargot, poisson,
+etc.), en parfait état de santé, ils le placent dans un récipient fermé
+juste assez grand pour le contenir, et qu'ils plongent dans de l'air
+liquide. Après un intervalle plus ou moins long, l'animal prend la
+rigidité d'un cadavre.
+
+Quatre ou cinq semaines plus tard, la grenouille--si tel est le cas--est
+retirée de la jarre, et, après quelques massages, ressuscite, paraît-il,
+et reprend le cours de sa vie sans plus se soucier de ces trente jours
+de mort qu'elle vient d'endurer!
+
+LE TRICERATOPS.
+
+Depuis quelques années, grâce à l'activité toujours en éveil du
+professeur Boule, la galerie de paléontologie du Muséum s'est enrichie
+d'un certain nombre de pièces remarquables, choisies avec un tel
+discernement qu'elles présentent un puissant intérêt même pour les
+personnes peu familiarisées avec les évolutions de la faune
+préhistorique. Le nouveau fossile qu'on vient d'exposer à côté du fameux
+Diplodocus est, dans son genre, tout aussi curieux que ce dernier.
+
+Il appartient au même groupe de Dinosauriens qui, à une époque fort
+reculée, étaient, par les dimensions, sinon par l'intelligence, les rois
+des animaux, et auprès de qui les Mammifères actuels paraissent de
+petites bêtes. Mais, tandis que le Diplodocus a une tête minuscule
+comparativement à la hauteur des jambes et à la longueur démesurée du
+cou et de la queue, la forme plus ramassée du Triceratops rappelle
+vaguement la silhouette du rhinocéros, et l'ensemble du crâne présente
+un développement exceptionnel (2 m. 20 pour l'exemplaire du Muséum).
+
+Il faut remarquer toutefois que le museau, les cornes, et surtout la
+collerette postérieure ont une importance énorme; la boîte cérébrale est
+très minime.
+
+La reconstitution faite par M. Knight, sous la direction de M. Osborn,
+conservateur du musée de New-York, où figure un squelette complet,
+montre l'allure de cet animal curieux qui mesurait environ 6 mètres de
+longueur.
+
+[Illustration: Le Triceratops, Dinosaurien préhistorique reconstitué
+d'après un squelette du musée de New-York (grandeur naturelle: environ 6
+mètres de longueur).]
+
+Notre fossile arrive d'Amérique. Il fut découvert dans les régions
+dénudées du Wyoming, où les découpures fantastiques, de roches
+versicolores, profondément ravinées, attestent de grands bouleversements
+géologiques. Il reposait dans le terrain appelé Laramie fin, qui
+appartient à la fin de l'ère secondaire.
+
+M. Boule l'avait commandé, il y a dix ans, au grand «chasseur de
+fossiles», M. Sternberg, qui explore le sous-sol du nouveau continent
+pour le compte des grands musées d'Amérique. L'exemplaire de Paris est
+plus beau que celui acquis, il y a six ans, par le British Muséum.
+
+
+
+A PROPOS DU SYSTÈME TAYLOR.
+
+Nous avons parlé à plusieurs reprises du système Taylor, ou méthode
+d'organisation du travail qui consiste à supprimer les mouvements
+inutiles de l'ouvrier et à combiner les mouvements utiles de façon à
+obtenir, sans supplément de fatigue, souvent même avec une fatigue
+moindre, le rendement maximum. Ce système, dont la généralisation aurait
+une importance économique considérable, et qui, de prime abord, paraît
+fort séduisant, compte en dehors du monde ouvrier, de sérieux
+adversaires; il vient de provoquer une joute intéressante entre l'amiral
+américain Edwards et M. Henry Le Chatelier, professeur à la Sorbonne et
+membre de l'Académie des sciences.
+
+[Illustration: Crâne fossile de Triceratops récemment acquis par le
+Muséum.]
+
+Comme exemple typique des résultats que l'on obtient avec la nouvelle
+méthode, on peut citer le cas du maçon.
+
+Après une étude détaillée de chacun des mouvements du poseur de briques,
+M. Gilbreth détermina la position exacte que doivent occuper les pieds
+de l'ouvrier par rapport au mur, à l'auge, au tas de briques, de façon à
+lui éviter de déplacer ses pieds. Il étudia la hauteur la plus favorable
+pour l'auge et les briques, et fit construire un échafaudage portant une
+table où les matériaux sont placés de telle sorte que les mouvements
+inutiles soient supprimés. A mesure que le mur monte, ces échafaudages
+sont réglés par un homme chargé uniquement de ce travail. Le poseur est
+ainsi dispensé de l'effort consistant à se baisser pour prendre une
+brique ou du mortier, et à se redresser ensuite.
+
+D'autre part, les briques, une fois déchargées, sont triées et placées
+sur leur meilleur bord, ce qui évite au poseur de retourner la brique en
+tous sens avant de la poser. Enfin, en employant un mortier assez
+liquide, les briques peuvent être enfoncées à la profondeur convenable
+par une simple pression de la main, sans qu'il soit nécessaire de les
+frapper de quelques coups de truelle.
+
+Avec cette méthode, le nombre des mouvements nécessaires pour poser une
+brique est réduit de 18 à 5 et, parfois, à 2. M. Gilbreth a obtenu un
+rendement de 350 briques par homme et par heure, au lieu de 120.
+
+L'amiral Edwards reproche au système Taylor d'être très coûteux à
+installer, de ne pas augmenter les salaires dans la proportion où il
+accroît le rendement, d'exiger une attention si intense qu'elle nuit à
+la santé de l'ouvrier, de rabaisser l'ouvrier au niveau de la bête de
+somme, etc. Il insinue, en passant, que, dans les arsenaux maritimes,
+c'est la qualité plutôt que la quantité qui doit être la mesure
+principale du rendement.
+
+M. Le Chatelier répond, dans le GÉNIE CIVIL, que ce dédain du prix de
+revient, assez commun en tous pays dans les établissements de l'État,
+n'est aucunement recommandable; du reste, tous les établissements
+français qui emploient la méthode Taylor, ou en étudient l'application,
+sont incontestablement les premiers au point de vue de la perfection de
+leur fabrication.
+
+D'autre part, l'augmentation de la production est indépendante des
+ouvriers, elle résulte de l'organisation étudiée et réalisée par la
+direction; en augmentant les salaires de 25 à 75%, on attribue donc aux
+ouvriers plus que ce qu'ils ont le droit légitime d'exiger. Quant au
+chronométrage, pourquoi serait-il déshonorant à l'usine, alors que
+l'ouvrier est très fier d'être chronométré quand il fait du sport?
+
+Enfin, si l'on augmente la fatigue en même temps qu'on accroît la
+production, on sort du système Taylor.
+
+M. Le Chatelier conclut que ce qui arrêtera longtemps la diffusion des
+méthodes de Taylor, c'est la difficulté de trouver un personnel
+dirigeant capable, d'abord de comprendre leur utilité, et ensuite de les
+mettre en oeuvre. Un des admirateurs de Taylor disait récemment qu'il
+faudrait deux générations d'hommes avant de voir ses méthodes
+scientifiques se généraliser dans l'industrie.
+
+
+
+INFLUENCE DU CLIMAT SUR LA TAILLE DES OISEAUX.
+
+Un naturaliste allemand, M. Boetticher, a fait de curieuses observations
+sur les variations sous différents climats de la taille d'oiseaux de
+même espèce.
+
+Le corbeau est plus grand en Norvège et au Groenland que dans nos pays;
+celui de l'Himalaya est de dimensions considérables. Par contre, le
+corbeau de l'Espagne est plus petit que le nôtre. De même, la corneille
+est beaucoup plus grosse en Sibérie, au Kamtchatka, et, en Mongolie, que
+dans l'Europe occidentale.
+
+En Algérie, en Tunisie, au Maroc, la pie est plus petite que chez nous;
+au Thibet et dans l'Amérique du Nord, elle est de taille supérieure.
+
+La mésange bleue des îles Canaries, la mésange charbonnière de Sardaigne
+et de Corse, sont plus petites que les nôtres. Le roitelet devient de
+plus en plus grand à mesure qu'on remonte vers le Nord.
+
+En général, les oiseaux sont plus grands dans les régions froides. Il y
+a pourtant quelques exceptions; le moineau, notamment, est plus grand à
+Damas qu'à Paris.
+
+
+
+L'ALCOOL DE SCIURE DE BOIS.
+
+On sait que, depuis quelque temps, le cours de l'essence de pétrole a
+atteint les hauteurs inconnues et que les autres carburants se sont
+empressés d'imiter ce fâcheux exemple. Pour les propriétaires de
+voitures de luxe, il n'y a là qu'un incident plus ou moins désagréable,
+mais pour les entrepreneurs de transports en commun, pour les
+industriels qui utilisent couramment les camions automobiles et, par
+ricochet, pour les constructeurs de ces divers véhicules, il s'agit
+presque d'une question de vie ou de mort. On voit, dans ces conditions,
+quel intérêt peut présenter la découverte de nouveaux carburants ou la
+production économique des carburants actuels. Or, il existe un
+combustible qui a sur l'essence cette même supériorité d'être un produit
+national et il semble que, grâce à des procédés nouveaux, ce produit
+puisse être obtenu à des prix défiant toute concurrence.
+
+Ce combustible n'est autre que l'alcool, _alcool éthylique_, ou alcool
+de bouche.
+
+La source à peu près unique de l'alcool est la fermentation de liquides
+sucrés sous l'action de la levure. Or, les divers sucres proviennent
+soit directement des végétaux, soit indirectement de la transformation
+des matières amylacées.
+
+La première condition pour obtenir de l'alcool à bon marché est par
+suite de fabriquer le sucre au prix le plus bas possible, avec des
+matières de prix minime. Or, depuis quelques années, on s'est mis à
+fabriquer le sucre, c'est-à-dire l'alcool, en utilisant soit les résidus
+des fabriques de pâtes de bois, soit la sciure de bois elle-même.
+
+Dans la fabrication de la pâte à papier au sulfite, chaque tonne de bois
+laisse comme résidu dix tonnes de lessives contenant environ la moitié
+du bois traité et renfermant assez de sucre pour produire 70 à 80 litres
+d'alcool. Il suffit de neutraliser le liquide à la chaux, de le faire
+fermenter trois ou quatre jours et de distiller. On obtient ainsi un
+alcool impur, impropre à la consommation et qui n'en est que meilleur au
+point de vue industriel, car il se trouve dénaturé _automatiquement_ par
+la proportion assez élevée de méthylène qu'il renferme. Le méthylène (ou
+_alcool de bois_) est, en effet, le dénaturant actuel adopté par l'État.
+
+Les usines suédoises qui utilisent ce procédé de fabrication depuis
+environ quatre ans peuvent fournir annuellement 300.000 hectolitres
+d'alcool (chiffre qui dépasse la consommation intérieure). Le prix de
+revient est d'environ 10 francs pour l'hectolitre d'alcool à 90 degrés.
+
+Dans le second procédé de fabrication utilisé surtout aux États-Unis et
+introduit depuis peu en France, on emploie exclusivement la sciure de
+bois traitée à chaud par les acides. Or, une tonne de sciure de bois qui
+peut fournir 90 litres d'alcool ne coûte guère que 2 francs à 2 fr. 50
+dans les pays où il existe des scieries mécaniques. Le coût de la
+fabrication proprement dite étant sensiblement équivalent à celui de la
+fabrication de l'alcool de grains, la différence des prix de l'alcool
+résultera de la différence des prix de la matière première (sciure de
+bois ou blé indien). On voit quelle peut être, au point de vue
+économique, la supériorité de l'alcool de sciure de bois, étant donné
+surtout que cet alcool est en quelque sorte dénaturé de naissance.
+
+
+
+POUR DÉCOUVRIR LES ALCALOÏDES DANS L'ORGANISME.
+
+On a souvent besoin de savoir si un liquide de l'organisme ne renferme
+pas un alcaloïde thérapeutique, comme la cocaïne, la morphine, la
+caféine, ou criminel comme tel ou tel poison végétal. L'analyse chimique
+n'est guère possible quand la quantité de liquide dont on dispose est
+faible: aussi est-il intéressant de savoir qu'une autre méthode existe,
+très sensible, et permettant de démontrer l'existence de quantités
+infinitésimales d'alcaloïde.
+
+Elle a été signalée à l'Académie des sciences par MM. M. Gompel et
+Victor Henri, qui ont trouvé que le spectre d'absorption des rayons
+ultra-violets est caractéristique pour chaque alcaloïde examiné
+jusqu'ici. Cette méthode spectroscopique est extrêmement sensible: il
+suffit, en effet, que dans le liquide à examiner il y ait un deux cent
+millième de gramme de cocaïne par centimètre cube pour pouvoir retrouver
+et doser ce poison.
+
+Si la méthode est aussi efficace en ce qui concerne les alcaloïdes
+susceptibles d'être employés dans un but criminel, les empoisonneurs
+n'auront qu'à se bien tenir.
+
+
+
+LES BALLES ANESTHÉSIQUES.
+
+Un Américain, M. A.-E. Humphrey, jugeant avec raison que ce que l'on
+demande à une balle, soit à la guerre soit à la chasse, c'est seulement
+de mettre hors de combat, et non de faire souffrir, vient de lancer
+l'idée de la balle anesthésique, ou narcotique, de la balle qui apporte
+en même temps la fracture, ou la lésion, et l'anesthésique empêchant de
+la sentir.
+
+La méthode est simple: dans de petites cavités de la pointe de la balle
+blindée, l'inventeur met un peu de morphine (à l'état de sel solide).
+Celle-ci ne diminue en rien l'efficacité du projectile; elle ne change
+rien à son pouvoir destructeur.
+
+Mais elle détermine l'anesthésie, chez l'homme ou la bête. Et le blessé
+s'endort tranquillement, dit l'inventeur... En théorie, cela marche à
+merveille, et la balle de M. Humphrey a bien tout l'air d'un «ange de
+miséricorde». Les chasseurs l'apprécieront: qu'un lion ou un éléphant
+soit blessé à une partie vitale, ou bien de façon insignifiante, il leur
+sera toujours acquis, puisque toute blessure doit endormir l'animal, et
+permettre de l'achever sans danger. Mais il faudra une dose de morphine
+sérieuse pour un éléphant.
+
+
+
+A PROPOS DU DAÏKON.
+
+Nous signalions récemment un radis géant, originaire du Japon, le
+daïkon, cultivé aux environs de Paris par M. de Notter.
+
+Un de nos lecteurs nous fait remarquer que ce légume a été introduit en
+France par M. Paillieux et son collaborateur M. D. Bois, assistant au
+Muséum, à qui nous devons l'importation et la vulgarisation du crosne du
+Japon.
+
+MM. Paillieux et Bois ont consacré aux diverses variétés du daïkon tout
+un chapitre de leur POTAGER D'UN CURIEUX, dont la Librairie agricole de
+la maison rustique a publié la troisième édition il y a une dizaine
+d'années. Ils ont eux-mêmes cultivé le radis japonais, et, à la suite de
+leurs premières expériences, la graine de daïkon figura dans le
+catalogue de la maison Vilmorin, en 1891. Elle en fut retirée en 1904,
+les essais de culture effectués au cours d'une dizaine d'années ayant
+donné des résultats médiocres.
+
+
+
+[Illustration: Vue panoramique de l'usine de dynamite de Paulilles: les
+nº 1 et 2 indiquent les bâtiments qui ont sauté.--_Phot. F. Menozzi._ 1.
+Casemates et pavillon de la nouvelle dynamiterie.--2. Ancienne
+dynamiterie.--3. Château d'eau.--4. Forge, machine à vapeur, séchoir,
+ateliers divers.--5. Maisons ouvrières, laboratoire. 6. Bâtiments des
+mélangeurs.--7. Magasins à nitrate.--8. Fabrique d'acide nitrique.--9.
+Magasins divers.--10. Écuries.--11. Direction.--12. Conciergerie et
+bureaux.]
+
+L'EXPLOSION D'UNE DYNAMITERIE
+
+Il y a quelques jours, le 29 mai dernier, vers 7 h. 15 du matin, une
+formidable explosion anéantissait plusieurs des bâtiments de l'usine de
+dynamite de Paulilles, à 3 kilomètres de Port-Vendres, et faisait de
+nombreuses victimes, dont six morts et une vingtaine de blessés.
+
+Une première explosion, dont les causes n'ont encore pu être nettement
+établies, s'est produite dans la dynamiterie proprement dite, â
+l'atelier où l'on traite la glycérine à l'aide des acides afin de la
+nitrer. Elle fut suivie de plusieurs autres, qui firent sauter
+successivement les ateliers de filtrage et de pétrissage.
+
+Ces détonations étaient entendues à 30 kilomètres à la ronde, tandis que
+les alentours étaient ravagés par une véritable pluie de mitraille.
+Parmi les malheureux ouvriers qui n'avaient pas eu le temps de fuir,
+plusieurs furent littéralement déchiquetés. L'agent de l'État, M.
+Jouvena, qui se trouvait dans la partie sinistrée, fut découvert dans
+les décombres, parmi les morts.
+
+Les premiers secours avaient été organisés par le personnel de l'usine,
+dont les autres bâtiments, très espacés, n'ont pas souffert, par des
+habitants de Port-Vendres, ayant à leur tête le maire, et par les
+infirmiers de la 16e section, casernée à Port-Vendres. Longtemps flotta
+au-dessus des bâtiments sinistrés un panache de fumée noire dont la
+photographie, prise aussitôt après l'explosion, à bord du vapeur Roland,
+du laboratoire zoologique de Banyuls, par M. Albert Valat, et
+communiquée par M. Jean Arlaud, nous donne l'immédiate vision.
+
+[Illustration: L'explosion de la dynamiterie de Paulilles, vue de la
+mer. _Phot. prise à bord du yacht_ Roland _devant Port-Vendres_.]
+
+
+
+UN GRAND MATCH DE BOXE
+
+Dimanche dernier, Georges Carpentier, notre boxeur national, qui déjà, en
+moins de deux années, s'est attribué trois championnats d'Europe--poids
+mi-moyen, poids moyen et poids mi-lourd--par ses victoires successives
+sur Young Josephs, Jim Sullivan et Bandsmann Rice, a triomphé de
+Bombardier Wells, champion professionnel poids lourds d'Angleterre, en
+une rencontre sensationnelle, dont le théâtre fut la salle des Fêtes de
+l'exposition de Gand.
+
+[Illustration; Le champion de boxe Georges Carpentier chez lui en tenue
+de soirée.]
+
+Ce match, où devaient s'affronter deux adversaires redoutables, était de
+ceux qui, passionnant pour les habitués des _rings_, excitent l'intérêt
+même des profanes, familiarisés désormais avec les termes d'un réalisme
+si pittoresque propres au jeu des pugilistes. Il mettait aux prises deux
+hommes de taille, de poids et d'âge différents, et cette inégalité, tout
+à l'avantage du boxeur anglais, contribuait à rendre émouvant le
+spectacle de leur lutte: Carpentier, plus jeune que Bombardier Wells
+--il n'a que dix-neuf ans et quatre mois--plus petit et moins lourd
+l'emporta par sa science, la rapidité de son attaque, son sang-froid,
+et, si l'on peut dire, le merveilleux équilibre de ses forces.
+
+Le combat fut bref, violent, et provoqua tour à tour, chez les partisans
+des deux champions, des alternatives de découragement et d'espoir.
+Durant les deux premières reprises, Carpentier, durement atteint à la
+face et jeté à terre, mais ripostant pourtant avec énergie, parut dominé
+par Wells, dont l'offensive puissante semblait irrésistible. Le
+troisième round changea brusquement le sort de la bataille: Carpentier,
+renonçant à frapper à distance, se mit à «travailler» dans le corps à
+corps, et ce furent toute une série de foudroyants «directs» et de
+«crochets» vigoureux, qui se terminèrent par l'écrasement de l'Anglais,
+«knock out» à la quatrième reprise,--cependant que la foule acclamait
+follement son favori, aux sons de _la Marseillaise._
+
+La physionomie de Georges Carpentier boxeur a été popularisée par
+l'affiche, et nous l'avons d'ailleurs reproduite ici même, lors d'un
+match précédent. La photographie que nous publions aujourd'hui montre
+que le célèbre champion, le jeune Lensois destiné naguère aux travaux de
+la mine, sait porter avec élégance, en ses loisirs d'homme du monde, le
+frac impeccable.
+
+
+
+LES THÉÂTRES
+
+La délicieuse comédie de M. Georges Feydeau, _le Bourgeon_, vient d'être
+reprise au théâtre de l'Athénée. Cette pièce, qui est l'une des plus
+adroitement composées et des plus finement écrites de cet auteur, a
+retrouvé tout le succès qui l'accueillit à ses débuts. Ses audaces, ses
+ironies, son émotion n'en sont pas émoussées. M. André Brûlé, dans le
+rôle qu'il créa, s'est fait applaudir comme naguère et, près de lui,
+Mmes Marie-Laure, Madeleine Carlier, Cécile Caron, Jane Renouardt, MM.
+Dubosc, Guyon fils et Gallet, contribuent de tout leur talent à l'éclat
+de cette reprise dont les représentations paraissent assurées pour
+longtemps.
+
+M. Georges Feydeau va, d'autre part, selon toute vraisemblance, tenir
+l'affiche du théâtre des Variétés durant de nombreux soirs. On vient d'y
+reprendre son vaudeville célèbre: _la Dame de chez Maxim_, dont le
+succès date de 1899. Cette pièce aux situations enchaînées avec la plus
+bouffonne logique, avec ses personnages si vigoureusement caricaturés,
+passe à bon droit pour le chef-d'oeuvre du genre. Après avoir fait
+plusieurs fois le tour du monde elle nous revient sans rides. Le
+boulevard a cru rajeunir à la retrouver; il lui a fait un accueil
+enthousiaste. La môme Crevette, que créa Cassive, a rencontré en Mlle
+Ève Lavallière une nouvelle interprète tout à fait remarquable. Les
+autres rôles sont également tenus par des artistes de tout premier
+ordre, tels que Mme Marie Magnier. MM. Félix Galipaux, Colombey,
+Flateau, etc..
+
+Cet été s'annonce comme favorable aux «reprises» théâtrales. _Le
+Poulailler_, comédie en trois actes de M. Tristan Bernard, affronta les
+feux de la rampe pour la première fois, le 3 décembre 1908 au théâtre
+Michel, et la critique ne lui ménagea pas ses éloges. _L'Illustration
+Théâtrale_ la publia le 16 janvier suivant et ce numéro est, depuis
+longtemps épuisé. Mais le succès de l'oeuvre ne l'est pas. L'expérience
+vient d'en être faite avec bonheur à la Comédie des Champs-Elysées.
+Cette pièce, de bonne humeur spirituelle, facétieuse et philosophique
+tout à la fois, n'a pas moins plu aujourd'hui qu'au jour de sa création.
+Il est donc permis de prophétiser à nouveau une longue carrière au
+_Poulailler_.
+
+Au théâtre de l'Ambigu-Comique, reprise, avec un succès qui ne saurait
+surprendre, de la noble pièce tirée par M. Edmond Haraucourt du roman
+alsacien de M. René Bazin: _les Oberlé_. Et, de nouveau, et à quelle
+heure opportune--tandis qu'au Reichstag se discutent les lois
+d'exception contre l'Alsace-Lorraine--le public s'est ému au spectacle,
+si fortement évoqué, de cette lutte qui continue en terre d'Alsace, entre
+deux rares, deux civilisations, l'une conquérante, avide, impatiente,
+l'autre conquise mais point domptée et rebelle, avec intransigeance, à
+l'absorption totale.
+
+Au théâtre Antoine, M. Lugné-Poe a porté la légende dramatique de M.
+Édouard Dujardin: _Marthe et Marie_. du répertoire de l'Oeuvre. Cette
+pièce relève du genre symboliste dont son auteur fut l'un des premiers
+adeptes. Mais le symbole, qui, jadis, demeurait hermétique, s'y est fait
+plus compréhensible. Néanmoins, les personnages n'atteignent pas encore
+à cette vérité humaine de gestes et d'accents qui émeut pleinement un
+auditoire. Marthe et Marie sont deux soeurs; l'une est simple et
+raisonnable, l'autre chimérique et romanesque. Elles font tour à tour la
+joie et le désespoir d'un homme. L'action se déroule au temps des
+Médicis dans un cadre pittoresque. Cette aventure morale--car elle
+démontre que le bonheur est dans la vie ordonnée et non dans le rêve
+impossible--a pour interprètes les bons artistes de l'Oeuvre.
+
+_La Jeunesse dorée!_ Voici une opérette qui n'arrive pas de l'étranger.
+Elle est spirituelle, alerte, frondeuse. A ces qualités, on la
+reconnaîtra bien française... et parisienne aussi. Elle évoque les
+dandies de 1830 et les rats d'opéra du temps où le docteur Véron
+présidait aux destinées de l'Académie de musique rue Le Peletier. C'est
+une histoire d'amour et de coulisses sans sous-entendus grossiers. Le
+texte de MM. Verne et Faure est correct. La musique de M. Marcel Lattes,
+gracieuse, comique ou tendre, est agréable. Ce spectacle, fort bien mis
+en scène et soutenu par une interprétation de choix, est le succès
+actuel du théâtre de l'Apollo.
+
+Le Gymnase abrite en ce moment la compagnie d'artistes du Théâtre
+National polonais de Léopol qui, sous la direction de M. Louis Heller,
+vient donner à Paris une série de neuf représentations de pièces
+polonaises. Le premier de ces spectacles, _le Cercle enchanté_, de M.
+Lucien Rydel, est un conte dramatique pathétique et vivant, d'un intense
+coloris et d'une réelle puissance d'expression, dont le public parisien
+a paru goûter le charme exotique.
+
+
+
+LA REVUE COMIQUE, par Henriot.
+
+
+
+
+
+
+
+End of Project Gutenberg's L'Illustration, No. 3667, 7 Juin 1913, by Various
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, 7 JUIN 1913 ***
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+Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you
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+such as creation of derivative works, reports, performances and
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+WARRANTIES OF MERCHANTIBILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE.
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+provision of this agreement shall not void the remaining provisions.
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+harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees,
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+or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm
+work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any
+Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause.
+
+
+Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm
+
+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
+electronic works in formats readable by the widest variety of computers
+including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
+because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
+people in all walks of life.
+
+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at https://www.pglaf.org.
+
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
+https://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
+permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
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+The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
+Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
+throughout numerous locations. Its business office is located at
+809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
+business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
+information can be found at the Foundation's web site and official
+page at https://pglaf.org
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+ Dr. Gregory B. Newby
+ Chief Executive and Director
+ gbnewby@pglaf.org
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+Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation
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+Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
+spread public support and donations to carry out its mission of
+increasing the number of public domain and licensed works that can be
+freely distributed in machine readable form accessible by the widest
+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
+
+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
+with these requirements. We do not solicit donations in locations
+where we have not received written confirmation of compliance. To
+SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
+particular state visit https://pglaf.org
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+While we cannot and do not solicit contributions from states where we
+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
+against accepting unsolicited donations from donors in such states who
+approach us with offers to donate.
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+International donations are gratefully accepted, but we cannot make
+any statements concerning tax treatment of donations received from
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+Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including including checks, online payments and credit card
+donations. To donate, please visit: https://pglaf.org/donate
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+Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
+works.
+
+Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
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+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
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+This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
+including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
+subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
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+Release Date: February 13, 2012 [EBook #38868]
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+Character set encoding: ISO-8859-1
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+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, 7 JUIN 1913 ***
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+Produced by Jeroen Hellingman et Rénald Lévesque
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+<div class="cont">
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+<p>L'Illustration, No. 3667, 7 Juin 1913</p>
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+<p class="mid"><img alt="" src="images/000small.png"><br><a href="images/000large.png">(Agrandissement)</a></p>
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+<div class="sml">
+<p>Ce numéro contient:</p>
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+<p>1º LA PETITE ILLUSTRATION, Série-Théâtre nº 10: <span class="sc">Le Trouble-Fête</span>, de M.
+Edmond Fleg, et <span class="sc">La Gloire ambulancière</span>, de M. Tristan Bernard;</p>
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+<p>2° <span class="sc">Un Supplément économique et financier</span> de deux pages.</p>
+</div>
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+<p class="mid"><img alt="" src="images/001.png"></p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/001a.png"><br><b>NOTRE ALLIÉ ET NOTRE AMI LL. MM. Nicolas II, empereur de<br>
+Russie, et George V, roi de Grande-Bretagne et d'Irlande.</b><br>--<i>Phot. Ernst
+Sandow.--Voir l'article, page 525.</i></p>
+<br><br>
+<h3>COURRIER DE PARIS</h3>
+
+<h4>L'ADORABLE MOMENT</h4>
+
+<p>--Non, en vérité, je crois que je ne pourrais pas à la fin de mai, au
+début de juin, être ailleurs qu'ici. Paris est, en ces jours qui nous
+échappent si vite, une splendeur suave, ininterrompue. L'air et la
+lumière sont épris l'un de l'autre, <i>se déclarent</i> sans cesse, et se
+surpassent en douceur autant qu'en vivacité. Le soleil sur les gazons de
+velours, faits pour des pieds nus, pose des ombres mouvantes,
+palpitantes, qui semblent des reflets de respiration. Les troncs des
+arbres sont d'un noir ardent qui n'est pas triste, et les fleurs
+brillent, nouvellement peintes.</p>
+
+<p>Dans le ciel est semée, répandue, une poudre de bonheur... Les
+hirondelles insensées, prenant les ailes à leur cou, volent si haut...
+si haut... qu'elles nous font monter. Pas longtemps, car en bas
+l'existence est aimable et nous donne une récréation ravissante. Je ne
+peux pas vous dire tout ce que je vois du matin au soir qui m'amuse,
+m'enchante et me fait jouir, et à quoi passionnément je me délecte sans
+songer à rien. Visions, impressions rapides, multiples, fugitives, qui
+ne durent que la courte éternité d'un regard, d'un ah! qui reste en
+dedans!... Tout m'est plaisir. Tout me remplit d'aise. Les passants ont
+le pied léger et les voitures la roue caressante. Tout le monde a l'air
+d'aller, de courir, de se précipiter sans violence dans la même
+direction, celle de la joie, et nul ne paraît tourmenté, comme si chacun
+était sûr qu'il y aura des provisions de joie, et pour tous, qu'on
+arrivera toujours à temps pour en recevoir. Beaucoup de confiance. Une
+tranquillité absolue, sur les joues, dans les prunelles, dans les cours.
+La vie? Ah! belle, belle! Dieu? Si bon! Les hommes? Pas méchants, mais
+non. Beaucoup moins en tout cas qu'on l'affirmait hier. Et voilà! On n'a
+plus peur.</p>
+
+<p class="mid">*<br>* *</p>
+
+<p>Ah! vivre! vivre!... Que c'est donc agréable et comme cela vous inonde!
+Se laisser vivre! Ne rien faire que vivre! Aimer vivre, désirer vivre!
+Et se coucher, s'étaler dans cette idée et dans ce mot. On ne se soucie
+que par minutes de vivre avec cette intensité profane, mais ces
+minutes-là dédommagent. Quelle entente exacte et merveilleuse alors
+entre les hommes! Ne dirait-on pas que tout le monde se connaît? La vie
+devient comme une petite ville dont tous les habitants se
+fréquenteraient, <i>se verraient</i>. On ne se croise plus avec cette
+hostilité qui chasse et rejette d'habitude les gens loin les uns des
+autres. Non. Une sympathie réelle, frivole et tendre, envahit les traits
+de chacun; et les masques de dédain, de mépris, d'indifférence ou de
+fierté tombent pour une heure. Les yeux se cherchent, se visitent, dans
+l'échange d'un réciproque éclair. Les curiosités, en se rencontrant,
+s'abordent, se donnent, sans s'arrêter, une espèce de petit coup de bec
+amical. Bonjour muet, politesse de circonstance accordée uniquement
+parce qu'il fait beau, et qu'un souffle délicieux, venu on ne sait d'où,
+nettoie les fronts et allège les pensées. Rien qui ne soit prétexte à
+nous fournir une puérile béatitude. La surprise d'être heureux durant
+quelques secondes, d'être épargné par les ennuis, la maladie, la mort,
+font sortir de tous les êtres une vapeur de joie, comme le soleil tire
+des dessous de la terre humide ces fumées bleues qui ne sont que le
+déroulement immatériel de sa fécondité, l'envol azuré de ses entrailles.
+Le mot lisible sur tous les visages est le mot: remerciement. On
+remercie de vivre. Les femmes, bien placées dans de séduisantes poses de
+fausse fatigue, les traits à la fois détendus et galvanisés par trop de
+sensations, les jeunes hommes, nu-tête et les cheveux secoués, rejetés
+en arrière, se montrent, se présentent dans les <i>autos</i> avec une
+complaisance ingénue. Ils «s'offrent» naïvement, ainsi que des parfaits
+modèles de félicité terrestre et momentanée. Ils fendent l'espace. Leurs
+frémissantes narines, dans le courant d'air des glaces baissées,
+aspirent Paris que leurs lèvres entr'ouvertes avalent aussi, par
+gorgées. Les arômes, les parfums, sont goûtés comme des sorbets. Il
+n'est personne qui, renversé dans la quiétude, veuille pour l'instant
+consentir à autre chose qu'à savourer, et l'expression de chacun,
+attrapée au passage, est celle de l'étourdissement, du délire. Si chacun
+pouvait faire l'effort de s'arracher ce qu'il pense, on est sûr qu'il
+dirait: «Laissez-moi, ne parlez pas, ne troublez pas... Je suis
+délicieusement bien.»</p>
+
+<p>Tout contribue d'ailleurs et s'applique à l'heureux effet de l'ensemble.
+Les laideurs disparaissent ou s'atténuent. Pas de spectacles douloureux,
+de pénibles scènes. Ce n'est pas le jour de la béquille et du moignon,
+de la pauvresse, du mendiant et de l'estropié. Ils doivent s'en rendre
+compte car ils ne sont pas là, et si par hasard ils y sont, c'est comme
+s'ils n'y étaient pas, car on ne les voit point, ils ne sont pas dans le
+rayon visuel de la pitié, ils demeurent inaperçus, ils sont absorbés par
+tant de bien-être et tant de richesse... fondus dans le grand brasier de
+joie véhémente, féroce et douce. Et tout est mieux aussi qu'à l'insipide
+ordinaire. On est mieux tenu, mieux habillé. Les chapeaux des femmes
+sont plus capiteux et leurs robes plus cordiales. Tout est charme,
+attirance, tentation. De quelque côté que l'on se tourne, on ne trouve
+en face de soi que de l'irrésistible. Les êtres, les choses, les idées
+dégagent une puissance, une langueur de séduction qui trouble, excite et
+désespère. La sensibilité, renouvelée, rajeunie, comme trempée dans le
+cristal d'une source, n'est plus qu'une suite et qu'une gamme de
+frissons frais, pareils à ceux d'une peau saisie et satisfaite, sur
+laquelle courent en s'entrelaçant, avant qu'on les essuie au sortir du
+bain, les gouttes d'eau savantes.</p>
+
+<p>Le sol lui-même s'apaise, aplanit ses aspérités, lance et conduit l'auto
+qui roule sans secousses. Aussi les grandes voies triomphales de Paris,
+celles des Champs-Elysées, des quais, des avenues, ne sont-elles plus
+que des tremplins de joie... Elles s'emplissent d'un harmonieux
+brouhaha, d'un concert de glissements, d'emportements, de fuites souples
+et sans frayeur. Il suffit de voir filer comme des barques rapides et
+légères ces chars dont on oublie les roues, pour que le vertige vous
+prenne, à votre tour, et que l'on ait le désir d'entrer également dans
+la course à l'oubli. La nature s'en mêle. Tout y prend part. Jamais le
+parc et les jardins, l'arbre, la feuille et la rose, les bois, la forêt
+voisine, la libre grande route n'offrent plus, qu'en ces jours
+privilégiés, d'attraits violents et fins, de provocations saines et
+délicates! Pourquoi en est-il ainsi? On ne sait pas. Cela s'accomplit
+grâce à une espèce de mot d'ordre mystérieux donné par le dieu de la
+vie, de la vie naturelle, sensuelle, irréfléchie, acceptée et aimée pour
+elle-même et préférée à tout pendant quelques instants d'aiguë et molle
+jouissance, d'excessive volupté. Jouissance et volupté qui s'imposent,
+qui veulent être employées et qui nous gagnent avec la force du fatal et
+la tyrannie du nécessaire. Nous sentons, en nous y abandonnant, que nous
+défendre est inutile, presque coupable, et que nous faisons bien d'y
+céder. Le soleil et son ivresse n'ont jamais tort. Chaque fois que nous
+dominent ces innocentes et vagues folies surhumaines, sachons bien voir
+en elles la condition même d'un sacrifice futur, d'une peine en chemin,
+d'un désenchantement dont elles sont le rachat préventif, la récompense
+anticipée.</p>
+
+<p>Si l'on y regarde bien, de près comme de loin, on est effrayé en effet
+de la rareté de nos plaisirs, du petit nombre et de la minceur de nos
+joies! Irons-nous donc repousser ces dernières quand, par moments, elles
+s'approchent de nous, quand, avec une tendre audace, leur main s'empare
+de la nôtre et qu'elles nous invitent à faire un petit tour de danse? Au
+fond je crois bien que le soir où, lassés d'avoir tant cherché, senti,
+souffert et voulu toujours nous exprimer, nous passerons la revue de nos
+souvenirs heureux, de nos souvenirs de joie complète et sans mélange,
+nous serons tout étonnés d'avoir une certaine peine à retirer du fond
+des années ceux qui avaient fait le plus de bruit à l'époque, et tenu le
+plus de place, et que nous pensions éternels, devoir durer plus que
+nous, au delà de nous,... tandis qu'au contraire ce qui restera, ce qui
+surnagera--à côté de nos impérissables émotions, les plus secrètes, les
+plus chères et les plus belles, dont nous ne parlons pas--ce sera
+souvent l'image ressuscitée d'une de ces journées d'élite, d'un de ces
+moments de Paris et d'autrefois, où soudain tout était feu, lumière,
+allégresse, emportement et délire, où rien ne paraissait plus chimérique
+de tout ce qu'on avait rêvé, où l'homme n'avait plus d'âge et la vie
+plus de terme, où les Champs-Elysées montaient vers la porte de gloire
+qui semblait celle même de l'Avenir, ouverte et défoncée sur des pays
+d'azur, des horizons de pourpre et d'or...</p>
+
+<p>On se rappellera, comme une série d'ivresses sans nom, les riens de ces
+jours perdus... la plume d'un chapeau, l'ombre d'un marronnier sur une
+pelouse, un thé pris dans un parc, un chant de merle pendant le dîner la
+fenêtre ouverte, un lamento de violon, un éclat de voix, un doux
+ronflement d'auto dans une grande allée un peu humide et ténébreuse, et
+des yeux... des bleus, des noirs, des sourires... des mains
+charmantes... des bruits... des silences... la vie enfin, la vie...
+quand elle veut se donner la peine d'être enivrante et belle sans avoir
+l'air d'y toucher, pour qu'on la regrette plus...</p>
+
+<p class="rig"><span class="sc">Henri Lavedan.</span></p>
+
+<p><i>(Reproduction et traduction réservées.)</i></p><br><br>
+
+<h3>L'OEUVRE DE PEARY</h3>
+
+<p>Après avoir fêté, il y a six mois, le capitaine Roald Amundsen, le héros
+du Pôle Sud, la Société de Géographie recevra le 6 juin en séance
+solennelle à la Sorbonne l'amiral Peary, le vainqueur du Pôle Nord. Dans
+l'histoire des découvertes arctiques, le célèbre explorateur américain
+occupe une place de premier rang, non seulement de par cette conquête,
+mais encore en raison de l'importance et de la continuité de son oeuvre
+dont cette victoire sensationnelle forme le couronnement. Nul des plus
+illustres pionniers polaires ne compte dans ses états de service un
+aussi grand nombre de campagnes. De 1891, époque de son début, à 1909,
+date à laquelle il a atteint le Pôle, Peary a passé pas moins de neuf
+ans dans le domaine des glaces, soit un an sur deux, et durant cette
+période a couvert des milliers et des milliers de kilomètres, vivant en
+Esquimau au milieu des Esquimaux. Chez cet homme extraordinaire, on ne
+sait ce que l'on doit le plus admirer, ou de sa volonté qu'aucun
+obstacle n'a pu rebuter, ou de sa vigueur physique que les rudes
+épreuves du climat arctique ont été impuissantes à entamer. Alors que
+l'hiver est la période de repos dans l'exploration du Nord, en décembre
+et janvier on le voit, bravant la nuit polaire et les froids de 50°,
+accomplir de longues randonnées. Dans une de ces expéditions a-t-il les
+pieds gelés, il se fait voiturer en traîneau sur une distance de 450
+kilomètres jusqu'à sa station d'hiver, pour y subir l'amputation des
+orteils, puis, sans attendre d'être complètement remis de l'opération,
+il repart en avant. Avec Nansen et Amundsen, Peary détient le record de
+l'endurance dans l'exploration polaire.</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/002.png"><br>
+<span class="sml">
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Mme R. Peary. &nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Amiral Robert Peary. &nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Mlle Mary Anighilo (née au Grönland).</span><br>
+<b>Le conquérant du Pôle Nord et sa famille.</b><br>
+<i>Photographie Fréd. Boissonnas prise pour</i> L'Illustration <i>le 31 mai et
+autographiée par Peary</i>.</p>
+
+<p>Pour permettre au lecteur d'apprécier l'oeuvre du voyageur américain,
+indiquons brièvement la configuration des régions qui ont été le théâtre
+de ses exploits. Comme on le voit en jetant les yeux sur une carte, au
+delà de Terre-Neuve l'océan Atlantique envoie dans la direction du Pôle
+un long bras de mer de plus en plus étroit à mesure qu'il s'étend dans
+le nord, pour aboutir finalement à l'immense océan couvert de banquises
+qui occupe la calotte boréale du globe, et au milieu duquel se trouve le
+Pôle Nord. A gauche, c'est-à-dire à l'est de ce long goulet--désigné
+successivement sous les noms de détroit de Davis, mer de Baffin, détroit
+de Smith--c'est l'énorme masse continentale du Grönland, et, à droite,
+un archipel, grand comme huit ou dix fois la France et composé d'îles
+très étendues, terres de Baffin, d'Ellesmere, de Grant, etc., etc.</p>
+
+<p>Pendant trois ans, en 1891, puis de 1893 à 1895, Peary s'est d'abord
+consacré à l'exploration du nord-ouest du Grönland. Au cours de ces
+campagnes, il parvint notamment à la côte septentrionale de cette terre
+qu'aucun voyageur n'avait encore foulée. Dans cette région qu'elle a
+visitée à son tour l'an dernier, l'expédition danoise de Rasmussen,
+rentrée il y a un mois à Copenhague, a trouvé le <i>cairn</i> élevé par
+l'explorateur américain au terminus de sa course et rapporté en Europe
+le rapport sommaire qu'il avait déposé sous cette pyramide de pierres
+sèches.</p>
+
+<p>En 1898, Peary reprenait le chemin de l'Arctique, et cette fois y
+demeurait quatre ans de suite. Au cours de ce long séjour, il explore
+les terres de Grinnel et de Grant qui bordent à l'ouest le détroit de
+Smith, puis, se dirigeant vers l'est, reconnaît l'insularité du
+Grönland. Ces terres, les avancées extrêmes du continent américain vers
+le nord, finissent sous le 83° de latitude environ, soit à 770
+kilomètres du Pôle, la distance de Paris à Arles; pour atteindre ce
+point suprême, il ne restait donc à Peary d'autre ressource que de
+s'engager avec des traîneaux sur la banquise de l'océan Arctique. Route
+singulièrement difficile; les nappes solides qui recouvrent les mers
+polaires sont hérissées d'énormes monticules produits par l'entassement
+de leurs débris dans les collisions qu'elles subissent, avec cela
+découpées de lacs et de canaux. Enfin, souvent il arrive que les
+courants refoulent la banquise sur laquelle le voyageur chemine en sens
+inverse de la direction qu'il veut suivre. Quoi qu'il en soit, au
+printemps 1902, Peary s'élançait à travers le puissant embâcle de glaces
+marines qui obstrue le bassin arctique; mais, après quinze jours de
+lutte, il était forcé de s'arrêter à 634 kilomètres du but. Cet échec ne
+le décourage pas; quatre ans plus tard, en 1906, il recommence la lutte,
+et, cette fois, réussit à battre tous les records établis auparavant et
+à approcher à 320 kilomètres du Pôle. Deux ans après, en automne 1908,
+l'énergique Américain revenait s'établir sur la côte septentrionale de
+la terre de Grant. De là, au printemps suivant, avec 24 compagnons, 7
+marins et 17 Esquimaux, et 133 chiens attelés à 19 traîneaux, il
+s'engageait de nouveau sur la banquise. De son point de départ au Pôle,
+la distance à vol d'oiseau était de 740 kilomètres; grâce à des
+circonstances particulièrement favorables, elle fut couverte en
+vingt-sept étapes, et, le 7 avril 1909, l'explorateur avait la joie de
+déployer le pavillon des États-Unis sur la fraction de la banquise
+mobile qui, à ce moment, occupait le gisement de l'extrémité
+septentrionale de l'axe terrestre.</p>
+
+<p>Le Pôle est un point mathématique dont la position ne peut être
+déterminée que par des observations astronomiques. Pour être fixé sur la
+situation exacte d'une localité atteinte par un voyageur et dont il a
+observé la latitude, il suffit de vérifier ses calculs. Aussi, à la
+demande même de Peary et conformément d'ailleurs à l'usage, ses
+documents furent soumis par la Société de Géographie de Washington à
+l'examen des trois spécialistes officiels les plus compétents des
+États-Unis. Le verdict rendu par ces experts est catégorique. Après
+avoir pris connaissance des minutes des observations et des instruments
+ayant servi à les exécuter, ces savants ont signé un procès-verbal
+déclarant que Peary avait atteint le Pôle Nord et qu'en raison de cet
+exploit il était digne des plus grands honneurs. A la suite de ce
+contrôle officiel, dès 1910, les deux grandes Sociétés de Géographie de
+Londres et de Berlin ont tenu à honneur de recevoir solennellement le
+vainqueur du Pôle boréal. Pour être quelque peu tardif, l'hommage que
+Paris rendra à son tour au conquérant des glaces arctiques n'en sera pas
+moins chaleureux et cordial.</p>
+
+<p>Dans la visite qu'il nous fait, l'amiral Peary est accompagné de sa
+femme et de sa fille, qui, elles aussi, ont place dans l'histoire
+polaire. Mme Peary a accompagné son mari dans plusieurs campagnes et a
+même hiverné avec lui dans le Grönland septentrional, et c'est pendant
+ce séjour au milieu des glaces qu'est née, en 1893, Mlle Peary.<br>
+
+<span class="rig"><span class="sc">Charles Rabot.</span></span></p><br><br>
+
+<h3>MARINE D'AUTREFOIS ET D'AUJOURD'HUI</h3>
+
+<p>Lundi dernier a commencé la troisième semaine des manoeuvres navales,
+qui a ramené les escadres sur les côtes européennes de la Méditerranée,
+Corse et Provence, et qui se terminera par la revue que doit passer,
+dimanche, le président de la République. Le thème de cette troisième
+série de manoeuvres consiste, pour le parti A (vice-amiral de Marolles),
+à rechercher et à attaquer le parti B (vice-amiral Marin-Darbel) qui,
+venant de la mer Tyrrhénienne, se dirige vers les côtes provençales,
+entre Nice et Bandol pour couper les communications entre la France et
+l'Algérie. Ce sont des opérations de grande envergure, difficiles à
+résumer en une image. Mais le correspondant de <i>L'Illustration</i>,
+embarqué sur le torpilleur d'escadre Spahi, a fixé, dans un dessin
+pittoresque, un épisode fortuit, une rencontre imprévue. Par un curieux
+hasard, dans cette Méditerranée sillonnée de tant de cargos aux flancs
+rebondis, et de courriers postaux filant à grande vitesse, le <i>Spahi</i>
+eut la bonne fortune de croiser une felouque. C'est un bâtiment dont la
+forme et le gréement ne seront plus, dans quelques années, qu'un vague
+souvenir; un proche parent des galères du Roi Soleil, avec leurs voiles
+latines, et des chébecs qui parurent, avec nos marins, devant Alger, en
+1830. Et ce fut une étrange impression, pour ceux qui montaient le
+torpilleur véloce, que de voir arriver sous le vent cette gracieuse
+voilure toute blanche, légère comme une aile, inclinée sous la brise.</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/003.png"><br><b>UNE APPARITION INATTENDUE AUX GRANDES MANOEUVRES
+NAVALES.<br>--Felouque passant à toutes voiles à travers les lignes de
+l'escadre.</b><br> <i>Dessin d'Albert <span class="sc">Sébille</span>, à bord du torpilleur</i> Spahi.</p>
+
+<br><br>
+
+<h3>UN SOUVENIR DU MARIAGE DE BERLIN</h3>
+
+<p class="mid"><i>(Voir notre gravure de première page.)</i></p>
+
+<p>La rencontre, à Berlin, à l'occasion du mariage de la princesse
+Victoria-Louise de Hohenzollern avec le prince Ernest-Auguste de
+Cumberland, du tsar Nicolas et du roi George V, a fourni au photographe
+de la cour allemande l'occasion d'un très curieux cliché, que nous
+reproduisons, et qui montre côte à côte les deux souverains russe et
+anglais, l'allié et l'ami de la France.</p>
+
+<p>Le tsar porte l'uniforme de colonel de son régiment de hussards
+prussiens. Le roi de Grande-Bretagne et d'Irlande a revêtu la grande
+tenue de colonel du régiment de cuirassiers prussiens dont il est le
+chef honoraire. Sur la poitrine de chacun d'eux pend, en sautoir, le
+grand collier de l'Aigle noir.</p>
+
+<p>Mais ce qui frappe surtout dans ce cliché, c'est la saisissante
+ressemblance des deux souverains, qui a été maintes fois signalée, et
+qui inspire encore, en cette circonstance, à un journal illustré
+allemand, <i>l'Illustrirte Zeitung</i>, un amusant croquis fantaisiste: dans
+la salle des réceptions, l'un des deux sosies s'avance, en uniforme tout
+constellé d'ordres. Et l'empereur de se pencher vers le chambellan de
+service: «Est-ce le tsar ou bien le roi?»</p>
+
+<br><br>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/004.png"><br><b>UNE GRANDE OEUVRE LYRIQUE A L'OPÉRA-COMIQUE.<br>--Mme
+Marguerite Carré et M. Rousselière au premier acte de</b> <i>Julien</i>.<br> <i>Dessin de <span class="sc">J. Simont.</span></i></p>
+
+<p><i>Julien</i>, le poème lyrique que l'Opéra-Comique vient de nous révéler, va
+encore ajouter à la gloire de Gustave Charpentier qui, depuis le succès
+triomphal de <i>Louise</i>, se taisait dans la retraite et le recueillement.
+Déjà cette oeuvre apparaît incontestablement comme un autre
+chef-d'oeuvre. On y retrouve, développé, amplifié, le thème esquissé
+dans cette <i>Vie du Poète</i> qui fut, on s'en souvient, le premier envoi de
+Rome du jeune compositeur. Dans ce nouveau drame musical, d'une
+puissante originalité, le rêve est aux prises avec la vie. On y voit,
+d'étape en étape, l'artiste vibrer d'enthousiasme pour la Beauté, douter
+de soi-même et d'autrui, éprouver l'impuissance de l'effort, demander
+enfin à l'ivresse les illusions qui l'ont abandonné. Ses visions
+intérieures s'extériorisent et l'accompagnent quand, s'évadant de
+lui-même, il demande en vain la paix et l'oubli à la nature, ou cherche
+à s'étourdir parmi la foule frénétique des faubourgs. Ces sentiments
+contradictoires, ces situations qui s'opposent, ce mélange de
+matérialisme et d'idéal, ces aspirations d'amour et de gloire, ces
+espoirs suivis de désenchantements, ces beaux élans d'une âme ardente,
+généreuse, passionnée, errant parmi les paysages du monde réel et
+chimérique, sont exprimés avec une grandeur, une noblesse, une
+spontanéité, un lyrisme profondément émouvants. Cette oeuvre magistrale,
+superbement présentée par l'Opéra-Comique, réunit la plus parfaite
+interprétation qu'on pût lui souhaiter. Mme Marguerite Carré et M.
+Rousselière en sont les magnifiques protagonistes et, à côté d'eux, tous
+les artistes de la maison ont mis tout leur talent à servir la pensée de
+l'auteur.</p>
+
+<br><br>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/005a.png"><br><b>Consécration du temple de Nogi par les prêtres du shinto<br>
+en présence des premiers personnages de l'armée et de la marine.</b></p>
+
+<h3>NOGI DIVINISÉ</h3>
+
+<p><i>Selon les traditions de la religion des grands hommes, au Japon, le</i>
+shinto, <i>un temple a été consacré à l'illustre général Nogi gui se
+suicida pour ne point survivre à son empereur. Sur cette dédicace du
+Nogi-Jinja, et les antiques coutumes qu'il évoque, notre correspondant
+de Tokyo, M. J.-G. Balet, nous a adressé les intéressantes notes qui
+suivent:</i></p>
+
+<p class="mid">HITO WA BUSHI, HASSA WA SAKURA</p>
+
+<p><i>L'homme (par excellence) est le samurai, (comme) la fleur (par
+excellence) est celle du cerisier.</i></p>
+
+<p>Officiellement, Nogi est entré dans l'Olympe japonais; il a maintenant,
+sur terre, son premier temple, un temple qui porte son nom, tout
+simplement: <i>Nogi-Jinja</i>. Inutile d'ajouter qu'il a de très nombreux et
+très fervents adorateurs, <i>more japonico</i>, comme le montrent nos
+photographies.</p>
+
+<p>On s'est souvent demandé ce qu'était la religion du Japon, le <i>shinto</i>,
+ou voie des dieux. Elle tient tout entière, ou presque, dans la
+cérémonie l'hier. Répétez-la des milliers de fois, à travers les âges,
+en l'honneur des hommes qui ont bien mérité de la nation et vous aurez
+la vraie notion du <i>shinto</i>.</p>
+
+<p>Les templicules qui se cachent dans les bosquets touffus de la plaine,
+par centaines et par milliers, au flanc des montagnes, à l'abri des
+arbres séculaires, sur le bord des torrents, les sanctuaires plus
+majestueux d'Isé, de Dazaifu, d'Ikuta, etc., tous sont dédiés à la
+mémoire d'un Nogi quelconque des temps préhistoriques ou historiques, ou
+bien à la mémoire des empereurs défunts, mais pour des raisons
+identiques.</p>
+
+<p>Du temple, ils ne méritent même pas le nom. Ils sont d'une simplicité
+rustique qui rappelle le toit domestique. Un portique de pierre ou de
+bois en marque l'entrée. Ils sont vides. Parfois un autel de bois
+supporte le miroir, le joyau sacré et les <i>gohei</i> en papier, symboles du
+shintôïsme.</p>
+
+<p>Le <i>shinto</i> est le culte des grands hommes, réels ou imaginaires, qui
+ont joué un rôle plus ou moins grand dans l'histoire nationale. Nous les
+avons appelés <i>dieux</i>. Dieux, si l'on veut, à condition de ne pas
+attacher à ce mot un sens transcendantal, moins même que pour les dieux
+de la Grèce et de Rome, qui symbolisaient souvent des idées abstraites,
+concrétisées dans des personnages de convention.</p>
+
+<p>La plupart des dieux du <i>shinto</i> ont été des hommes réels, par
+conséquent des amis, des frères de tous les Japonais passés, présents et
+à venir. La foule simpliste les vénère, les adore, les prie, croit à
+leur intervention bienveillante en faveur du sol où ils vécurent et de
+ses destinées. Ce culte, plus généralisé, n'est autre que le culte des
+ancêtres. Aussi bien, chaque famille possède un petit sanctuaire
+intérieur ou extérieur où sont déposées les tablettes ancestrales.</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/005b.png"><br><b>
+La foule admise à faire ses premières<br> dévotions au temple de Nogi.</b></p>
+
+<p>Le <i>Nogi-Jinja</i>, dédié à la mémoire du héros de Port-Arthur, n'est pas
+autre chose. Durant sa vie, le général y remémorait ses ancêtres. Le
+dernier rejeton de la famille étant mort, le templicule a pris le nom du
+plus illustre des Nogi, et désormais c'est la foule qui viendra évoquer
+l'âme de cet homme devenu dieu et invoquer sa protection.</p>
+
+<p>Ce temple s'élève dans l'enceinte de la petite propriété dont, par
+testament, le général fit don à la ville. La maison de Shinzaka machi
+qui vit le suicide émouvant du <i>dernier des samurais</i>, de <i>l'incarnation
+vivante du Bushidô</i>, est restée telle qu'au jour du drame. Les murs de
+la petite chambre du deuxième étage, dans la maisonnette de style
+européen, sont encore tachés du sang de Nogi. De petits écriteaux cloués
+sur chaque porte disent: «Chambre de repos de Mme Nogi. Chambre du
+suicide de Mme Nogi!» Et je remarque que devant cette chambre un groupe
+serré d'étudiantes se prosterne. Quelques-unes pleurent de vraies
+larmes.</p>
+
+<p>J'aperçois le général Teranchi, profondément incliné devant la chambre
+où le général s'ouvrit le ventre.</p>
+
+<p>Aujourd'hui, jour de la dédicace, les fenêtres et les portes sont
+ouvertes. Demain elles seront refermées, en attendant que la
+municipalité ait pris les mesures nécessaires à la conservation des
+nobles reliques, tout en assurant la liberté de les voir.</p>
+
+<p>La foule se presse au fond du jardin. Là, un carré de 400 mètres
+conserve encore des traces de travail, des sillons couverts d'herbes
+mortes. Dans un coin, une bêche, des râteaux, instruments dont se
+servait le guerrier pour cultiver ses pommes de terre. Quelques-unes ont
+survécu à celui qui les planta. Elles hasardent timidement quelques
+tiges au dehors, tout comme les fameux <i>kakis</i>, plantés par la comtesse
+Nogi à la naissance de chacun de ses fils, «afin que, devenus de beaux
+arbres, ses bien-aimés en pussent cueillir les fruits». Hélas! les
+arbres fleuriront, porteront des fruits, mais eux ont engraissé de leur
+sang les collines de Port-Arthur et de Nanshan.</p>
+
+<p>Ah! que je préfère ce rustique <i>jinja</i> aux horribles statues de bronze
+qui commencent à grimacer un peu partout à travers les érables et les
+cerisiers, en l'honneur d'autres dieux analogues: le grand Jaïgo, à
+Meno, le célèbre Hirosé, du blocus de Port-Arthur, et une foule d'autres
+qui déshonorent l'entrée du Shôkou-sha de Kudar, où reposent les cendres
+des guerriers morts pour la patrie. Nogi n'échappera pas à la
+statuomanie, maladie aiguë des Japonais modernes qui commencent à élever
+des monuments à des personnages vivant encore.</p>
+
+<p>Si la statue arrive à tuer le <i>jinja</i>, mauvais présage pour le Japon!<br>
+
+<span class="rig"><span class="sc">J.-C. Balet.</span></span></p><br><br>
+
+<h3>LA CONVALESCENCE DE PIE X</h3>
+
+<p>Pie X va beaucoup mieux. Le souverain pontife est en pleine
+convalescence. Il a fini par triompher de son long et redoutable
+affaiblissement. Il a recommencé de s'occuper personnellement des
+affaires de l'Église. Il a donné quelques audiences. Et même, on l'a vu
+réapparaître tout récemment sur un balcon du Vatican, entouré des hauts
+dignitaires de la cour pontificale, pour bénir un pèlerinage de 2.500
+personnes qui attendaient, agenouillées au-dessous, dans la cour
+Saint-Damase, la vision blanche du pontife ressuscité.</p>
+
+<p>Car vraiment c'est presque d'une résurrection qu'il s'agit ici. La
+maladie de Pie X avait, à juste titre, fait naître les plus immédiates
+inquiétudes. Le fragile vieillard, presque octogénaire, goutteux,
+arthritique, cardiaque, est, en outre, atteint d'artério-sclérose, et
+l'on n'osait guère espérer qu'il offrirait assez de résistance physique
+pour triompher d'un mal opiniâtre qui affirma sa ténacité pendant de
+longues semaines. Mais, décidément, l'heure mortelle du blanc vieillard
+n'était point encore venue; la flamme vacillante s'est ranimée, et, de
+nouveau, monte droite et claire. Pie X, notre photographie en témoigne,
+est apparu à la vénération enthousiaste des pèlerins, avec son visage
+accoutumé, empreint de douceur grave, mais plus pâle, allongé, émacié;
+la silhouette, maigrie, paraît moins terrestre; le regard, pensif et
+profond, semble encore fixé sur une vision de l'au delà.</p>
+
+<p>Groupés autour de Pie X, les cardinaux, les prélats familiers, les
+officiers pontificaux, les gardes nobles de service, paraissent tout
+heureux de cette «première sortie» en public du pape convalescent.</p>
+
+<p>Et, dès lors, sont interrompues pour un temps, entre prophètes de
+conclave, les discussions sur les cardinaux «papables». Le pape va
+mieux. Pie X continue son règne.</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/006.png"><br><b>LA GUÉRISON DE PIE X.--Le souverain pontife se montre, le<br>
+29 mai, aux pèlerins réunis dans la cour Saint-Damase.</b> <i>Phot. G.
+Felici.</i></p>
+<br><br>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/007.png"><br>
+<span class="sml">Sir Edward Grey.</span>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;<br>
+
+<b>LA PAIX ENTRE LA TURQUIE ET LES ÉTATS DES BALKANS.--Les
+plénipotentiaires signent, à cinq exemplaires, le traité de Londres, le 30 mai, dans la salle des Portraits du palais de Saint-James.</b><br>
+
+<span class="sml">A la droite de sir Edward Grey, les plénipotentiaires
+turcs; à sa gauche, les plénipotentiaires grecs; à l'extrémité de la
+table, M. Danef écrivant, entouré des plénipotentiaires bulgares.
+Viennent ensuite, de droite à gauche, en face de sir Edward Grey, les
+plénipotentiaires monténégrins et les plénipotentiaires serbes. A droite
+du dessin, en groupes distincts, les secrétaires.<br>
+
+<i>Dessin de S. Begg, de l</i>'Illustrated London News <i>seul admis dans la salle des pendant cette séance historique.</i></span></p>
+
+<p><i>Le vendredi 30 mai, un peu après midi et demi, les plénipotentiaires de
+la Turquie et ceux des États balkaniques, réunis sous la présidence de
+sir Edward Grey, ministre des Affaires étrangères de Sa Majesté
+Britannique, dans la salle des Portraits, au palais royal de
+Saint-James, signaient le traité de paix qui met fin définitivement, il
+le faut espérer, aux hostilités commencées au mois d'octobre dernier.</i></p>
+
+<p><i>Cinq exemplaires du «traité de Londres» avaient été préparés.
+Successivement, les représentants des puissances naguère belligérantes y
+apposèrent leurs signatures. Puis sir Edward Grey se leva et, en
+français, prit la parole: «D'ordre du roi, mon auguste souverain, je
+m'empresse de vous assurer de la vive satisfaction avec laquelle Sa
+Majesté apprendra la nouvelle de la signature de la paix que vous venez
+de conclure en son palais de Saint-James. Au nom du gouvernement
+britannique, je vous prie d'agréer mes plus cordiales félicitations...
+Certes nous n'ignorons pas que diverses questions demeurent, après cette
+paix, en suspens; mais j'aime à espérer que la signature même de ce
+traité facilitera leur règlement; qu'elle consolidera votre amitié
+réciproque et fortifiera la bienveillance que les puissances vous ont
+vouée. De tout mon coeur, je fais des voeux pour que de la paix ici
+conclue résulte un complet apaisement qui permette à chacun des États en
+présence de réparer ses forces si fortement éprouvées, développer ses
+territoires, assurer le bien-être et le bonheur de son peuple et la
+prospérité de sa vie nationale.»</i></p>
+
+<p><i>Il faut souhaiter ardemment que les espoirs exprimés par sir Edward Grey
+se réalisent complètement. Pourtant, si les délégués ottomans, grecs,
+serbes, ont adhéré sans restriction aux paroles du ministre des Affaires
+étrangères, M. Danef, au nom du gouvernement bulgare, M. Popovitch, au
+nom du gouvernement monténégrin, dans les allocutions qu'ils ont
+prononcées pour remercier le roi George et son gouvernement, n'ont pu se
+tenir de faire des réserves quant aux conditions qu'ils venaient
+d'approuver de leur seing. Même, après la conclusion officielle de la
+paix, la discussion s'est prolongée. Et les délégués serbes, grecs et
+monténégrins ont refusé de signer sur-le-champ un protocole additionnel
+que leur soumettaient les Bulgares.</i></p>
+
+<br><br>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/008.png"><br><b>
+Le palais de l'Elysée vu de la place Beauvau. A gauche,<br>
+façade sur la rue du Faubourg-Saint-Honoré avec le porche d'entrée<br>
+ouvrant sur la cour d'honneur; à droite, côté de l'avenue de Marigny.</b></p>
+
+<h2>LE PALAIS DE L'ELYSÉE</h2>
+
+<p><i>L'Elysée, palais des présidents de la République française, est un
+monument discret, pourrait-on dire, et devant lequel le passant éprouve
+plus de curiosité que d'admiration. Ce n'est pourtant point une bâtisse
+vulgaire: seule l'exiguïté de l'espace vide qui l'entoure et la
+simplicité des murs ou des grilles qui protègent son parc lui valent
+cette renommée sans éclat. Vertes, l'Elysée, ce n'est pas le Louvre et
+son parc, ce n'est pas les Tuileries, mais ce palais clos et caché
+renferme des beautés dont l'existence mérite d'être rappelée de temps en
+temps au public oublieux. L'installation de M. Raymond Poincaré dans le
+palais de l'Elysée nous a semblé motiver suffisamment la publication
+d'une série de documents sur ce monument. Ces documents sont de deux
+sortes: d'une part M. Marc Varenne, qui fut le chef du secrétariat
+particulier de M. Fallières, a résumé pour nous l'historique du palais,
+et nous avons nous-mêmes réuni quelques renseignements sur son
+utilisation actuelle; d'autre part nous avons fait prendre plusieurs
+vues en couleurs des principaux salons, cabinets ou façades de la
+demeure de nos chefs d'État, on les voit reproduites aux pages
+suivantes. Cette partie de notre travail sur le palais national est
+absolument nouvelle et originale, et l'on peut juger que nos
+collaborateurs ont pleinement réalisé le projet que nous avions formé de
+composer, par l'image, une documentation inédite, à la fois historique
+et artistique, sur le palais de l'Elysée.</i></p>
+
+<h3>L'HISTOIRE DE L'ELYSÉE</h3>
+
+<p>En 1718, le bruit se répand à la cour qu'un des favoris du Régent, Henri
+de La Tour d'Auvergne, comte d'Évreux, troisième fils du duc de
+Bouillon, va épouser la fille du financier Crozat, un ancien commis
+devenu par la suite caissier du clergé et fondateur de la Compagnie de
+Louisiane. Le comte d'Évreux, criblé de dettes et n'arrivant pas à payer
+sa charge de colonel général de la cavalerie, s'est alors résolu, comme
+le dit Saint-Simon, «à sauter le bâton de la mésalliance» et, dès le
+mariage conclu, avec l'argent du père Crozat, il achète hors Paris, sur
+le chemin de Neuilly, une trentaine d'arpents en jardins et marais sur
+lesquels l'architecte Molé lui construit un magnifique hôtel.</p>
+
+<p>Henri de La Tour d'Auvergne meurt avant de voir cette résidence achevée
+et il la laisse à un de sus neveux, le prince de Turenne, lequel déclare
+immédiatement se trouver dans l'impossibilité de la conserver.</p>
+
+<p>Or, la marquise de Pompadour a une envie folle de l'hôtel d'Évreux:
+voilà plusieurs mois qu'elle convoite cette fastueuse installation dont
+la situation admirable lui plaît infiniment. La marquise, d'ailleurs, ne
+cesse pas d'acquérir des propriétés nouvelles. Elle possède déjà les
+châteaux de Crécy et de la Celle, ainsi que ses ermitages de Versailles,
+de Fontainebleau et de Compiègne, tout cela ne lui suffit point; elle
+achète l'hôtel d'Évreux pour 730.000 livres, y appelle aussitôt une
+légion d'ouvriers et d'artistes, entasse dans ses nouveaux salons un
+mobilier d'une richesse inouïe et tapisse les murailles avec les
+Gobelins que Sa Majesté a eu la gracieuseté de lui faire envoyer. Le
+peuple chansonne la prodigalité de la marquise, les épigrammes pleuvent
+et l'on affiche des placards critiquant les dépenses exagérées de la
+favorite. Celle-ci ne se laisse pas émouvoir; elle poursuit son oeuvre,
+embellit l'hôtel d'Évreux et, en dernier lieu, agrandit d'un coup les
+jardins potagers qui s'étendent jusqu'aux avenues Montaigne et Matignon
+actuelles.</p>
+
+<p>Obligée de quitter le moins possible Versailles, afin de ne pas voir
+diminuer son crédit auprès de son royal amant, la marquise de Pompadour
+ne s'attarde guère à l'hôtel d'Évreux, elle ne peut y effectuer que des
+séjours de courte durée, mais elle garde une prédilection particulière
+pour cette résidence et à sa mort elle la lègue, par testament, au roi
+pour le comte de Provence.</p>
+
+<p>Louis XV désintéresse M. de Marigny, frère de la marquise, et décide que
+l'hôtel d'Évreux sera réservé désormais aux ambassades extraordinaires
+logées souvent à l'hôtel Pontchartrain, rue Neuve-des-Petits-Champs.
+L'administration du Garde-Meuble de la couronne s'empare bientôt de
+l'hôtel qui n'abrita point d'ambassade et elle le conserve jusqu'au
+moment où le gouvernement, ayant besoin d'argent, le cède au fameux
+banquier Beaujon qui l'accepte sans difficulté en échange de ses grosses
+créances.</p>
+
+<p>Beaujon, homme d'affaires consommé mais vaniteux et possédé de la manie
+du faste, amoncelle dans cette demeure dont il est si fier une quantité
+énorme d'objets d'art, de tableaux, de meubles et de livres.</p>
+
+<p>Louis XVI rachète l'hôtel dont Beaujon se réserve l'usufruit et à la
+mort de ce dernier--cinq mois après la conclusion de ce contrat--il
+dispose de cette propriété en faveur de la duchesse de Bourbon.</p>
+
+<p>Imbue des idées à la mode, cette princesse bouleverse les jardins et
+change les majestueux parterres à la française en parc anglais et donne
+à l'hôtel le nom d'Elysée qu'il porte aujourd'hui. Voyant que les choses
+se gâtent, la duchesse prend vite le parti d'émigrer et elle loue
+l'Elysée à un sieur Hovyn, sorte d'imprésario et entrepreneur de fêtes
+publiques qui transforme l'Elysée, devenu <i>Hameau de Chantilly</i>, en bal
+populaire où la foule se presse autour d'attractions diverses. Hovyn a
+eu là un trait de génie et la réussite est complète. Le Hameau de
+Chantilly ne désemplit, pas; selon la formule, on refuse du monde et, en
+l'an VI, Hovyn se hâte de se rendre propriétaire de l'immeuble vendu
+comme bien national.</p>
+
+<p>Malheureusement le propre de la vogue c'est de n'avoir qu'un temps et le
+Hameau de Chantilly voit sa faveur décroître. Malgré la beauté de ses
+ombrages, le jardin n'attire, plus autant le public; la mode en a décidé
+autrement. Les soldats du général Bonaparte ont apporté d'Italie le goût
+des glaces à la vanille et ce sont les pâtissiers-glaciers qui, à cette
+heure, font fortune. Mlle Hovyn, qui a succédé à son père, s'obstine
+cependant durant quelques mois et tâche d'attendre des jours meilleurs
+en vivant au moyen des loyers que lui paient les locataires. L'hôtel est
+en effet divisé en quinze appartements et l'un d'eux est habité par M.
+de Vigny, dont le petit garçon, Alfred--le futur auteur d'<i>Eloa</i>--joue
+sur les pelouses du jardin: mais Mlle Hovyn se rend compte que lutter
+est impossible, la concurrence est la plus forte, il lui faut vendre
+l'établissement. Le moment est favorable: nous sommes en 1805, et une
+société nouvelle est en train de se reconstituer sur les ruines de
+l'ancienne noblesse. Un premier acquéreur se présente dans la personne
+de Louis Bonaparte, connétable de l'Empire. Effrayé par le prix, il
+préfère se retirer et laisse le champ libre au maréchal Murat,
+gouverneur de Paris, qui s'est mis en tête de quitter le quartier de
+Notre-Dame-de-Lorette. Murat, séduit par l'idée d'habiter dans
+l'aristocratique faubourg Saint-Honoré, finit, après d'assez longs
+pourparlers, par se décider, et l'Elysée est à lui moyennant un million.</p>
+
+<p>L'Elysée a un besoin urgent de réparations indispensables. Ces derniers
+quinze ans l'ont très abîmé, et le premier soin de Murat est de charger
+Percier et Fontaine de mettre le palais en état. (C'est à cette époque
+qu'a été construit l'escalier d'honneur.) Quand l'empereur appelle Murat
+au trône de Naples, l'Elysée fait retour à la couronne, et Napoléon
+affectionne bientôt cette demeure tranquille, enveloppée par une
+ceinture de jardins, où il lui est loisible, en plein Paris, de se
+reposer des lourds soucis du pouvoir. Aussi s'empresse-t-il, en décembre
+1809, au moment de son divorce, de comprendre l'Elysée, dont il a
+apprécié le charme doux et paisible, dans les palais affectés dorénavant
+à l'impératrice Joséphine. Le 30 janvier 1810, il lui écrit: «Je te
+saurai avec plaisir à l'Elysée et fort heureux de te voir plus souvent,
+car tu sais combien je t'aime», et, le 3 février: «J'ai fait transporter
+tes effets à l'Elysée; sois tranquille et contente et aie confiance
+entière en moi.»</p>
+
+<p>L'Elysée a été le dernier palais impérial de Napoléon.</p>
+
+<p>Presque jour pour jour, un an après l'abdication de 1815, le duc et la
+duchesse de Berry s'installent à l'Elysée. Ils mènent là une existence
+charmante, exempte de l'étiquette insupportable des Tuileries, et se
+plaisent à la conversation spirituelle de leurs familiers et notamment
+de leur premier aumônier, le marquis de Montebello, ancien maréchal de
+camp, qui ne craint pas de se mettre au piano pour faire danser
+l'entourage du duc et de la duchesse. Le 29 janvier, écrit la comtesse
+de Boigne, «un bal magnifique et profondément ordonné a lieu à l'Elysée.
+Le prince en fit les honneurs avec bonhomie et obligeance.» Quelques
+jours après, le prince est assassiné par Louvel, et la duchesse quitte
+l'Elysée.</p>
+
+<p>Sous la monarchie de Juillet, le palais voit tour à tour défiler une
+foule de personnages et de souverains qui viennent rendre visite au roi
+des Français: Mehemet Ali et la reine Christine, le bey de Tunis, la
+duchesse de Kent, etc..</p>
+
+<p>Un décret de l'Assemblée Constituante de 1848 assigne l'Elysée comme
+résidence au président de la République, et le prince Louis-Napoléon
+Bonaparte s'y installe en 1850.</p>
+
+<p>Après la proclamation de l'Empire, quand Napoléon III s'est résolu à
+habiter les Tuileries, l'Elysée s'agrandit grâce à l'acquisition des
+hôtels Sébastiani et Castellane. L'architecte Lacroix construit une aile
+destinée aux appartements particuliers du chef de l'État et il surélève
+en outre les bâtiments qui donnent sur le faubourg Saint-Honoré et sur
+la cour d'honneur.</p>
+
+<p>Au moment des fiançailles officielles de Mlle de Montijo avec
+l'empereur, l'Elysée abrite durant quelques jours la future impératrice,
+et lors des Expositions il est utilisé comme palais des Souverains.</p>
+
+<p>Depuis 1873, l'Elysée est affecté à la résidence du président de la
+République.<br>
+
+<span class="rig"><span class="sc">Marc Varenne.</span></span></p><br><br>
+
+<h3>L'ELYSÉE EN 1913</h3>
+
+<p>L'aménagement intérieur du palais de l'Elysée n'a guère changé au cours
+de ces dernières années. Le même mobilier Empire occupe et décore les
+mêmes salles. Quelques transformations ont bien été apportées par le
+président Sadi Carnot et par le président Félix Faure; mais, depuis
+lors, tout ou presque tout est resté intact et pareil. La destination
+des principaux salons et cabinets n'a guère varié non plus.</p>
+
+<p>Nous allons parcourir rapidement tout le rez-de-chaussée du palais, en
+suivant un itinéraire naturel qui est celui du visiteur entrant par le
+vestibule d'honneur. Ce vestibule ouvre sur la cour d'honneur. Du porche
+du faubourg Saint-Honoré, auquel il fait face, les passants peuvent
+l'apercevoir, ainsi que le perron qui y conduit, ainsi que les vérandas
+et les verrières qui, aux jours de cérémonie, reçoivent un vêtement, de
+tentures et de draperies.</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/009a.png"><br><b>Façade sur le jardin</b></p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/009b.png"><br><b>LE PALAIS DE L'ELYSÉE.--Grande salle à manger.<br> (Au fond,
+statue d'Hébé par Marqueste.)</b></p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/010a.png"><br><b>Cabinet du Président de la République.</b></p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/010b.png"><br><b>Cabinet du Secrétaire général civil.<br> Tapisserie des
+Gobelins: <i>Hiver</i>, d'après Pierre Mignard.</b></p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/010c.png"><br><b>Cabinet du Conseil des Ministres.</b></p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/010d.png"><br><b>Salon de l'Hémicycle. Ecran en tapisserie de Beauvais.</b></p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/010e.png"><br><b>LE PALAIS DE L'ELYSÉE.--Grande salle des Fêtes, tendue de
+tapisseries des Gobelins.</b></p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/010f.png"><br><b>Salon Murât.<br> Peinture de Carle Vernet représentant «la<br>
+Résidence du prince Murat, grand-duc de Berg».</b></p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/011a.png"><br><b>Grand Salon de réception, (sièges et écrans en tapisserie<br>
+de Beauvais; tapis de la Savonnerie.)</b></p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/011b.png"><br><b>LE PALAIS DE L'ELYSÉE.--Salon de l'Hémicycle: <i>le<br>
+Jugement de Pâris</i>, d'après Raphaël (tapisserie des Gobelins).</b></p>
+
+<p>Le vestibule d'honneur franchi, nous nous trouvons dans le Salon des
+Tapisseries, ainsi nommé à cause des beaux Gobelins qui en ornent les
+murs. Nous pénétrons ensuite dans le Salon Blanc ou Salon des Aides de
+camp. Cette seconde dénomination lui aurait été donnée au temps du
+Prince-Président, dont les aides de camp avaient coutume de se tenir là.
+C'est un salon clair, peu orné, tout garni de boiseries blanches.</p>
+
+<p>Passons maintenant dans le Grand Salon de réception, ou Salon des
+Ambassadeurs, qui est représenté à la page précédente. C'est ici que les
+ministres des puissances étrangères s'entretiennent d'ordinaire avec le
+président de la République, soit qu'ils viennent lui présenter leurs
+lettres de créance ou de rappel, soit qu'ils assistent à une cérémonie
+officielle. Le Salon de l'Hémicycle, qu'on voit sur cette même page en
+couleurs, lui est contigu. Plus loin, se trouve la Salle du Conseil des
+ministres, dont la cheminée supporte des bronzes noirs et dorés d'un
+grand effet et qui, débarrassée de sa sévère table au tapis vert, est
+réservée, les jours de réception, comme tous les salons précédents, aux
+invités du président de la République. Attenant à la Salle du Conseil
+des ministres, voici un salon plus étroit, le Salon de Cléopâtre, qui
+tire son nom du sujet de sa tapisserie, et où les personnes ayant obtenu
+audience attendent le moment d'être reçues par le chef de l'État.</p>
+
+<p>Si nous traversons de nouveau, mais en sens inverse, tous ces
+appartements, nous nous trouvons dans le Salon Murat, aux vastes
+dimensions, dont la perspective est prolongée par d'immenses glaces et
+qui fut construit pendant le séjour du prince Murat au palais. Tout près
+est la Grande Salle à manger (voir la première page en couleurs) qui
+reçoit jusqu'à cent convives. Elle est de construction assez récente; on
+la transforme en buffet les soirs de réception. Les appartements privés
+de M. le président de la République comprennent une autre salle à
+manger, de dimensions plus réduites.</p>
+
+<p>Le Jardin d'Hiver est parallèle à la Grande Salle à manger, et la Salle
+des Fêtes leur est perpendiculaire. Cette Salle des Fêtes fut construite
+par ordre de M. Sadi Carnot. Auparavant on dressait, les soirs de bal à
+l'Elysée, une immense tente provisoire sur l'emplacement de la salle
+actuelle. Elle est, cette Salle, surchargée d'ornements et de dorures;
+le plafond est un chaos de reliefs et de creux rutilants.</p>
+
+<p>Au-dessus de ces vastes appartements du rez-de-chaussée, qui sont dits
+«officiels», se trouvent les appartements privés du président de la
+République qui comprennent aussi plusieurs salons de réception. Dans
+notre photographie du parc, où le Palais s'aperçoit au fond, entre les
+arbres, ces appartements privés sont ceux du premier étage.</p>
+
+<p>Revenons dans le vestibule d'honneur--où commence le grand escalier à la
+rampe composée de longues palmes de cuivre--et pénétrons, à gauche, dans
+le Cabinet de service des officiers. Aux murs, plusieurs toiles, dont
+une <i>Charge de cuirassiers</i>, d'Aimé Morot, et <i>Un homme à la mer</i>, de
+Léon Couturier. A côté est le cabinet du secrétaire général militaire,
+le général Beaudemoulin, puis le cabinet du président de la République,
+que nous montrons plus haut, avec ses boiseries blanches, sa
+bibliothèque mi-circulaire, en acajou, remplie de livres aux reliures
+sévères, cuir et or. Deux fenêtres ouvrant sur le parc l'éclairent.
+Enfin voici le cabinet du secrétaire général civil, M. Pichon, dont un
+des murs, formant rotonde, est orné de la tapisserie de Pierre Mignard,
+que nous avons photographiée.</p>
+
+<p>Nous sommes, là, sur la rue de l'Elysée. L'aile du bâtiment se prolonge
+entre cette voie et le parc. C'est à l'extrémité de cette aile que se
+trouvent le Salon d'Argent et un autre Salon qu'on appelait
+familièrement naguère le «capharnaüm», parce qu'on l'utilisait peu. Ces
+deux salons ont été tout récemment restaurés et M. Raymond Poincaré se
+plaît à y travailler et à y recevoir quelquefois. Ils ouvrent aussi sur
+le rectangle du parc qu'enferme cette partie du palais et qui forme un
+petit jardin à la française agréablement fleur'</p>
+
+<p>Le général Beaudemoulin est secrétaire général militaire de la
+présidence de la République et chef de la maison militaire du président.
+Le secrétaire général civil est M. Pichon. Le chef du secrétariat
+particulier, M. Gras. La maison militaire se compose de MM. le capitaine
+de vaisseau Grandclément, le colonel Boulanger, le lieutenant-colonel
+Aldebert, le lieutenant-colonel Pénelon et le commandant Aubert. Le
+commandant du palais est le lieutenant-colonel de gendarmerie Jouffroy.</p>
+
+<p>On peut diviser le personnel ordinaire de l'Elysée en trois catégories.
+M. Perrin, chef des services intérieurs, a d'abord sous ses ordres un
+personnel chargé de l'entretien du mobilier, du chauffage, de
+l'éclairage, du nettoyage, etc., et qui dépend de l'administration des
+Beaux-Arts. L'entretien du monument proprement dit est confié aux
+services de l'architecture. M. Guillaume Tronchet, architecte en chef
+des palais nationaux, a un bureau à l'Elysée.</p>
+
+<p>La seconde catégorie du personnel concerne la surveillance. Elle est
+composée de surveillants militaires des palais nationaux, qui dépendent
+aussi de l'administration des Beaux-Arts; ce sont de vieux soldats,
+coiffés du bicorne et portant l'épée, les mêmes que ceux qui veillent à
+la porte de nos musées. Viennent ensuite les portiers, aux uniformes
+noirs avec de minces galons d'or. La garde militaire comprend un
+détachement de gardes républicains chargés de la protection intérieure
+et d'un détachement d'infanterie, chargé également de la protection
+intérieure et, en outre, de rendre les honneurs au président à sa sortie
+du palais et à son retour.</p>
+
+<p>Il y a enfin le personnel d'antichambre et d'écurie, lequel est
+entièrement rétribué sur la cassette personnelle du président. Le
+service d'antichambre est sous la direction du maître d'hôtel; il est
+composé de valets de pied, de cuisiniers, d'huissiers, de garçons de
+bureau, etc. Le personnel d'écurie est sous la haute surveillance d'un
+officier de cavalerie de la maison militaire, en ce moment le
+lieutenant-colonel Aldebert. Le premier cocher, M. Decaux, est en même
+temps piqueur. Il y a dans les écuries, remises et garages de l'Elysée,
+six chevaux, deux voitures et deux automobiles.</p>
+
+<p>Une de nos photographies représente le parc. Cette vue est prise de la
+partie des jardins qui avoisine les Champs-Elysées. Les parterres sont
+dessinés à la française. De beaux arbres ombragent les allées. M. le
+président de la République accomplit autour des pelouses sa promenade
+quotidienne. Il marche d'un pas pressé, jetant de temps à autre un
+regard au ciel, aux feuillages ou aux fleurs, mais le plus souvent
+étudiant un des dossiers dont il est toujours muni. L'indiscrétion d'un
+vieux jardinier--qu'on lui pardonne!--qui est le seul témoin de ces
+promenades studieuses nous a fait connaître cette habitude de M. Raymond
+Poincaré: «Ah! disait le vieillard ami des fleurs, quel homme que M. le
+président! Que peut-il bien avoir dans la tête? Je ne le regarde pas,
+bien sûr, mais je le vois tout de même... Eh bien, quand il descend,
+après son déjeuner, il a la poche droite de son veston toute bourrée de
+paperasses. Et le voilà qui commence à marcher vite, vite, autour des
+pelouses, et, tout en marchant, il plonge sa main dans sa poche droite,
+en tire un papier, le lit, parfois écrit quelque chose dessus, toujours
+sans s'arrêter, puis enfonce le papier dans la poche gauche pour en
+reprendre aussitôt un autre dans la poche droite. Et quand, sa promenade
+terminée, il regagne son cabinet, la poche droite est vide et la poche
+gauche est pleine... Mais qu'est-ce que M. le président peut bien avoir
+dans la tête pour travailler comme ça, tout le temps?...»</p>
+
+<p>Et le vieux jardinier croisait les bras pour témoigner de sa surprise et
+de son émerveillement.<br>
+
+<span class="rig">J. L.</span></p><br><br>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/012small.png"><br><a href="images/012large.png">(Agrandissement)</a><br><b>Plan du rez-de-chaussée du palais de l'Elysée. Sur ce
+plan ne figure pas le corps de bâtiments bas qui précède la cour
+d'honneur, sur la rue du Faubourg-Saint-Honoré, qui ne comprend que les
+postes de garde et de surveillance, des bureaux, et des services
+subalternes.</b></p>
+
+<br><br>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/013a.png"><br><b>
+A l'aéro-parc de Lamotte-Breuil: le ballon <i>Icare</i> prêt<br>
+pour le départ. On remarque le parachute équatorial<br> légèrement soulevé
+par le vent.</b></p>
+
+<h3>A 10.000 MÈTRES D'ALTITUDE</h3>
+
+<p><i>Le</i> Zénith, <i>parti de la Fillette le 18 avril 1913, atterrissait trois
+heures plus tard près de Biron (Indre). Les 8.600 mètres d'altitude
+atteints au cours de l'ascension coûtaient la vie à Sivel et à Crocé
+Spinelli; seul, Gaston Tissandier, effroyablement éprouvé, échappait à
+la mort. Le 28 mai 1913, le ballon</i> Icare, <i>ayant à bord MM. Bienaimé,
+Jacques Schneider et Albert Senouque, parti de Lamotte-Breuil (Oise),
+atterrissait cinq heures plus tard, ayant dépassé 10.000 mètres
+d'altitude. L'équipage n'avait nullement souffert. Avec quel matériel, à
+l'aide de quels instruments, comment, en un mot, est-il possible
+aujourd'hui de franchir le cap des 10.000 mètres sans accident, quelles
+sont les conséquences physiologiques de pareilles ascensions, l'un des
+trois aéronautes de l'</i>Icare, <i>M. Maurice Bienaimé, va nous le dire:</i></p>
+
+<p>Nous disposions pour cette ascension d'un ballon de 3.500 mètres cubes
+en tissu caoutchouté, gonflé à l'hydrogène pur.</p>
+
+<p>Pour qu'un aérostat puisse gagner la haute atmosphère, il faut disposer
+de la presque totalité de sa force ascensionnelle, autrement dit il faut
+jeter tout le lest. Mais un ballon qui regagne les couches inférieures
+de l'atmosphère a une tendance à accélérer sa descente pour deux raisons
+distinctes: le gaz contenu dans l'enveloppe se contracte sous la
+pression atmosphérique grandissante; de plus, il est soumis aux lois de
+l'accélération de la pesanteur. D'où nécessité de garder une provision
+de lest évaluée à 25 kilos par 1.000 mètres d'altitude, soit 250 kilos
+pour modérer une descente de 10.000 mètres.</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/013b.png"><br><b>
+La nacelle de l'<i>Icare</i> et les trois aéronautes.<br>
+M. Senouque, encore hors de la nacelle et tenant un<br>
+baromètre enregistreur; M. Schneider et M. Bienaimé<br>
+dans la nacelle.</b></p>
+
+<p>Afin de résoudre ce dilemme, nous avions muni notre ballon d'un
+parachute équatorial. Le parachute équatorial se compose d'une bande
+d'étoffe de 1 m. 25 de large, que l'on fixe autour du ballon à la
+hauteur de l'équateur. Cette bande d'étoffe forme une sorte de
+collerette dont le bord extérieur est rattaché à l'aide de cordelettes
+aux mailles inférieures du filet. Lorsque l'aérostat est immobile ou en
+ascension, l'étoffe pend verticalement; si un mouvement de descente se
+produit, l'étoffe prend une position horizontale et s'ouvre comme un
+vaste parapluie. La surface en était calculée de façon à délester le
+ballon de 250 kilos pour une descente de 125 mètres à la minute. Ce qui
+nous permettait de descendre presque sans lest.</p>
+
+<p>Nous emportions quatre appareils respiratoires, dont un de secours. Ces
+appareils se composent d'un obus d'oxygène comprimé d'une capacité de
+1.600 litres, d'un masque relié à l'obus par un tube métallique de 2
+mètres de long. Un premier manomètre indique la quantité de gaz contenue
+dans le tube, et un deuxième manomètre, muni d'un détendeur, permet de
+régler le débit qui peut varier de 2 litres à 10 litres à la minute.</p>
+
+<p>Au-dessus de 8.000 mètres d'altitude, on est appelé à rencontrer des
+froids pouvant dépasser -40°. Le gaz contenu dans les obus, en se
+détendant brusquement, se refroidit encore plus. Il est donc utile de
+protéger les appareils contre le froid. Dans ce but, nous avions enfermé
+les obus dans des boîtes remplies de sciure de liège et nous avions fait
+garnir les masques de caoutchouc, afin que le métal ne nous brûle pas le
+visage.</p>
+
+<p>Dans ce genre d'ascension, une des principales sources d'épuisement
+réside dans la nécessité dans laquelle on se trouve de soulever
+successivement les sacs de lest pour les vider par-dessus bord.
+Au-dessus de 8.000 mètres, cet effort devient absolument épuisant. Afin
+de remédier à cet inconvénient, nous avions fait attacher nos sacs de
+lest à l'extérieur de la nacelle. Pour les vider, il suffisait de couper
+une cordelette après laquelle ils étaient suspendus. Ils tombaient dans
+le vide et une deuxième cordelette, préalablement attachée à leur fond,
+les faisait basculer et se vider automatiquement.</p>
+
+<p>Pour déterminer l'altitude atteinte, nous emportions deux baromètres
+Richard enregistrant sur noir de fumée, ainsi qu'un thermomètre et un
+baromètre enregistreurs. Un dynamomètre à main pour mesurer la force
+musculaire, un appareil photographique, des fourrures, complétaient
+notre matériel.</p>
+
+<p>Pour effectuer notre tentative, nous recherchions un ciel sans nuages et
+un vent excessivement faible. Dans les hautes régions de l'atmosphère on
+est appelé à rencontrer des courants aériens qui atteignent des vitesses
+dépassant 130 kilomètres à l'heure. Le 28 mai, par un temps idéalement
+pur, nous décidons de partir. Après avoir fait sceller tous nos
+appareils enregistreurs par M. Magne, ingénieur de la maison Richard,
+nous nous élevons à 12 h. 16 de l'aéro-parc Clément-Bayard, à
+Lamotte-Breuil. Un faible vent nous pousse vers le sud. Nous emportons
+112 sacs de lest de 20 kilos environ chacun. Pour obtenir une montée
+régulière et continue de 50 mètres à la minute, nous jetons un sac
+toutes les deux minutes.</p>
+
+<p>Il est indispensable de s'élever très lentement, afin d'éviter toute
+diminution brusque de pression.</p>
+
+<p>A 13 h. 18, nous atteignons 3.400 mètres et nous commençons à respirer
+l'oxygène. A 14 h. 35, nous planons au-dessus de 7.000 mètres. Nous
+dépassons une couche de cirri. A 15 heures, nous atteignons 8.000
+mètres. Nous sommes environnés par de légers flocons de neige. Le
+thermomètre marque -10 environ. Nous continuons à monter et, à 15 h. 15,
+nous dépassons 9.000 mètres. A 15 h. 32, je jette le 109e sac de lest
+et, à 15 h. 36, nous atteignons notre altitude maxima. Nous planons à
+10.081 mètres au-dessus de la sphère terrestre.</p>
+
+<p>Senouque essaie sa force au dynamomètre; alors qu'à terre l'aiguille
+s'arrêtait à 105, elle dépasse maintenant 110. J'essaie à mon tour;
+l'aiguille marque 155, alors qu'avant le départ elle n'indiquait que
+140. Nos appareils débitent 5 litres d'oxygène à la minute et nous ne
+sommes nullement incommodés par la raréfaction de l'air.</p>
+
+<p>Nous nous penchons sur le bord de la nacelle, la terre nous apparaît
+parfaitement nette. Nous distinguons les villages, les routes, les
+arbres qui les bordent et jusqu'à l'ombre qu'ils projettent. La surface
+du globe nous semble légèrement concave. Notre regard embrasse un
+panorama dont nous croyons pouvoir évaluer le diamètre à 250 kilomètres
+environ. Au delà, la vue est limitée par un rideau de brume. Le
+thermomètre est descendu à -18 degrés, mais l'absence totale de vent
+nous rend cette température très supportable. Nous n'avons plus que
+trois sacs de lest que nous conservons pour la descente, et notre
+provision d'oxygène s'épuise rapidement. Aussi décidons-nous de
+commencer à descendre.</p>
+
+<p>La manoeuvre de la soupape dans les hautes altitudes est très délicate.
+Les ressorts qui actionnent les deux clapets sont constitués par six
+élastiques Sandow; lorsque le froid devient intense, il est toujours à
+craindre que le caoutchouc ne devienne cassant. Aussi, entr'ouvre-t-on à
+peine la soupape, et n'est-ce pas sans une certaine angoisse que l'on
+écoute si elle s'est bien refermée. De plus, il est indispensable
+d'amorcer la descente par une rupture d'équilibre aussi faible que
+possible. Une manoeuvre un peu brutale provoquerait une vitesse de chute
+qui s'accélérerait et qu'il deviendrait impossible d'enrayer étant donné
+le peu de lest dont on dispose. A 15 h. 40, je commence donc à soupaper
+et, après dix minutes d'efforts, nous constatons un léger mouvement de
+descente. A 16 h. 14, nous ne sommes plus qu'à 8.000 mètres.</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/014.png"><br><b>LE PREMIER CLICHÉ PHOTOGRAPHIQUE IMPRESSIONNÉ A PLUS DE<br>
+10.000 MÈTRES D'ALTITUDE. Dans la nacelle de l'<i>Icare</i>: MM. Maurice
+Bienaimé et Jacques Schneider, photographiés par leur compagnon, M.
+Albert Senouque. Les aéronautes portent les masques respiratoires reliés
+aux obus d'oxygène; on voit, à droite, fixé aux cordages, le baromètre
+dont l'aiguille indique, sur le cylindre, l'altitude atteinte à ce
+moment.</b></p>
+
+<p>La descente s'accélère et nous voyons le parachute équatorial s'ouvrir
+graduellement. 16 h. 20, et nous voici à 7.000. Les précédents mille
+mètres ont été descendus en six minutes. C'est trop rapide. Nous jetons
+un des trois sacs de lest qui nous restent. 16 h. 45. Nous voici à 5.000
+mètres environ. La contraction des gaz pendant la descente a fait
+prendre à notre ballon une forme légèrement fusiforme et cette
+déformation a sa répercussion sur le parachute, qui a des mouvements
+ondulatoires inquiétants. A 3.000 mètres, nous quittons les masques
+respiratoires. Nous nous rapprochons rapidement de la terre et, à 19 h.
+5, nous nous apprêtons à effectuer l'atterrissage. Nous arrivons sur une
+route; je jette le dernier sac de lest, les tubes d'oxygène, le sac à
+bâche, pour essayer d'éviter les fils télégraphiques, mais en vain.
+Ironie des choses, après nous avoir allègrement enlevés dans la haute
+atmosphère, notre coursier est incapable de nous faire franchir un
+obstacle de 3 mètres de haut. Après une courte lutte, les fils
+télégraphiques et les branches d'arbres nous livrent passage et
+l'atterrissage s'effectue sans encombre dans un champ voisin. Il est 17
+h. 10. Nous sommes à deux kilomètres de Châtillon-sur-Seine. Nous avons
+donc parcouru un peu plus de 200 kilomètres à vol d'oiseau. Notre
+ascension ayant duré 4 h. 54, nous trouvons une vitesse moyenne de 40
+kilomètres.</p>
+
+<p>Au point de vue physiologique nous pouvons donc affirmer que l'organisme
+humain, grâce au complément d'oxygène que nous lui avons fourni, résiste
+parfaitement pendant un laps de temps assez considérable à une
+dépression de 545 millimètres, correspondant à une altitude d'environ
+10.000 mètres.</p>
+
+<p>Il est juste d'ajouter que, si l'organisme ne se ressent pas d'une façon
+immédiate d'une pareille dépression, il n'en est pas moins assez
+sérieusement éprouvé dans la suite. Le coeur, battant à la cadence de
+110 pulsations à la minute, produit dans les artères et dans les veines
+une pression égale à une colonne de 25 centimètres de mercure environ.
+Lorsque la pression extérieure est réduite à 210 millimètres, alors que
+la pression interne est de 250 millimètres, il se produit dans les
+tissus du système circulatoire une tension considérable, et il est
+certain qu'une rupture artérielle ou une extravasation veineuse sont
+toujours à craindre.</p>
+
+<p>Voici quelques mots sur les différents troubles qui résultèrent pour
+chacun de nous de cette ascension.</p>
+
+<p>Albert Senouque éprouva simplement une profonde dépression physique...
+Jacques Schneider se réveilla le lendemain avec les veines du pied
+gauche fortement enflées et fut pris, après le déjeuner, de phénomènes
+d'essoufflement qui durèrent une heure environ. Le surlendemain il
+constatait une légère hémorragie intestinale. Pour ma part, je ne
+ressentis d'abord rien, mais quarante-huit heures après j'éprouvai une
+certaine oppression suivie de courbature cardiaque. Pour donner une idée
+de la pression subie dans les artères, je citerai le fait suivant: le
+docteur Héron de Villefosse, qui avait pris ma tension artérielle la
+veille de l'ascension, constata au retour que de 23 elle était tombée à
+16...</p>
+
+<p>Nous n'avons ressenti ni les uns ni les autres la moindre douleur dans
+les oreilles, grâce probablement à la fréquence des mouvements de
+déglutition que nous avons faits, dans le but d'assurer la perméabilité
+de la trompe d'Eustache et de maintenir le tympan entre deux pressions
+sensiblement égales.</p>
+
+<p>En résumé, il semble résulter de nos constatations que les accidents qui
+se produisent au cours des ascensions élevées dépendent moins du défaut
+d'équilibre entre les pressions externe et interne que du manque
+d'oxygénation des éléments essentiels du sang. Et nous sommes fondés à
+tirer cette conclusion, puisqu'il a suffi d'assurer à nos poumons un
+apport régulier d'oxygène pour nous mettre tous trois à l'abri de
+troubles graves.</p>
+
+<p>Quelle est la limite extrême au-dessus de laquelle la vie deviendrait
+impossible? Quelle dépression faudrait-il atteindre pour provoquer la
+rupture finale de notre équilibre organique? C'est ce que nous ne
+pourrons savoir que par l'expérience, c'est-à-dire en essayant de nous
+élever encore plus haut, et nous espérons bien y réussir.<br>
+
+<span class="rig"><span class="sc">Maurice Bienaimé.</span></span></p><br><br>
+
+<h3>NEW-YORK ENTREVU PAR UN BARBARE D'ORIENT</h3>
+
+<p class="mid">Copyright by Pierre Loti, 1913.</p>
+
+<h3>II</h3>
+
+<p>Lundi, 23 septembre.</p>
+
+<p>Aujourd'hui, pour la première fois, j'assiste à une répétition de <i>la
+Fille du Ciel</i>. C'est sans décors, sans costumes, en tenue de ville,
+dans une salle nue, dépendant du théâtre. Oh! l'étrange impression
+d'entendre les acteurs dire <i>no</i> et <i>yes</i>, d'écouter mes phrases que je
+reconnais bien mais qui me font l'effet de s'être amusées à se déguiser
+en phrases anglaises... Je ne sais plus par qui fut énoncé l'axiome: une
+traduction, c'est l'envers d'une broderie. Je ne prétends pas qu'elle
+fût merveilleuse, la broderie que nous avions faite, et je reconnais
+d'ailleurs que l'envers en a été recoloré avec une habileté consommée;
+mais, quand même, c'est toujours un envers. Mise Viola Allen me paraît
+une idéale impératrice, et, malgré son chapeau parisien si en contraste
+avec les choses qu'elle doit dire, sa voix donne le petit frisson quand
+elle s'anime; à la scène finale, je vois même de vraies larmes perler au
+bord de ses jolis yeux vifs, qu'il sera facile de rendre délicieusement
+chinois en les retroussant au coin avec des peintures. Comme toutes les
+femmes ont l'air honnête dans ce théâtre! Les gentilles petites actrices
+chargées des rôles secondaires sont tellement correctes elles aussi,
+tellement comme il faut, et se tiennent comme des jeunes filles du
+monde. Mais, dans cette salle où sans doute je vais revenir tant de fois
+m'enfermer, il fait triste, de la tristesse particulière à tous les
+théâtres quand les illusions du soir y cèdent la place à la lumière
+appauvrie du jour.</p>
+
+<p>Libéré à 4 heures, je circule au hasard, en auto, dans les rues que je
+n'avais pu voir encore animées par la pleine activité des jours de
+travail. La foule qui parle toutes les langues, les femmes aux allures
+décidées sans effronterie, les hommes tout rasés sous de larges
+casquettes, marchent vite, indifférents au fracas des chemins de fer
+suspendus ou souterrains.</p>
+
+<p>A un angle de Broadway, sous les passerelles de ferraille ébranlées par
+le continuel passage des trains express, voici un rassemblement qui
+grossit, qui bourdonne; les voitures sont arrêtées, les policemen
+s'agitent, on dirait une émeute. Tout ce monde regarde avidement un
+tableau-noir sur lequel, de temps à-autre, quelqu'un ajoute un signe à
+la craie. Les jumelles, les monocles, les innombrables lunettes d'or
+sont braqués là-dessus, comme si le sort du monde allait s'y inscrire,
+et, chaque fois qu'un nouveau chiffre y apparaît, c'est tantôt un
+silence morne chez les spectateurs, tantôt une joie délirante avec des
+battements de mains et des cris. Qu'est-ce que ça peut bien être?--le
+cours de la Bourse?--Non, tout simplement, il s'agit de certain jeu de
+paume national; une grande partie se dispute en ce moment à la campagne,
+l'équipe de New-York contre celle d'une ville voisine, et un ingénieux
+système automatique apporte ici au marqueur l'indication des coups... Et
+tous ces hommes, que l'on croirait si positifs, se passionnent à ce
+point! Il faut en vérité que cette race, issue de toutes nos races
+vieillies, se soit retrempée de jeunesse sur le sol d'Amérique. Et
+j'admire surtout combien ces implantés d'hier ont déjà pris l'amour du
+clocher,--d'où découle nécessairement l'amour plus noble de la patrie.</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/015a.png"><br><b>Rassemblement de foule dans un carrefour.</b></p>
+
+<p>Les gratte-ciel! Il faudra beaucoup de temps pour que mes yeux s'y
+résignent. Si encore ils étaient groupés, une avenue qui en serait
+bordée arriverait peut-être à un effet de fantastique beauté. Mais non,
+ils surgissent au hasard, alternant avec des bâtisses normales ou
+parfois basses; alors on dirait des maisons atteintes par quelque
+maladie de gigantisme, et qui se seraient mises à allonger follement
+comme les asperges en avril. Ce qui me déroute, habitué que j'étais aux
+villes de pierre comme en France ou aux villes de bois comme on Orient,
+c'est de ne voir ici que de l'acier, du ciment armé, des briques
+sanguinolentes, et surtout je ne sais quelle composition d'un brun rouge
+qui donne des maisons en chocolat, même des églises, des clochers en
+chocolat. Voici, dans la cinquième avenue, qui est comme on sait le
+quartier des milliardaires, l'habitation des Vanderbilt, en pur style
+moyen âge et en pierre pour de vrai; on l'aimerait dans un parc, sous de
+vieux chênes; mais un voisin gratte-ciel la surplombe et l'écrase. Voici
+une cathédrale gothique, capable de rivaliser avec les nôtres; mais les
+gratte-ciel d'à côté montent plus haut que ses flèches aiguës; alors
+elle est diminuée au point de ressembler à un joujou de Nuremberg. Au
+bord de l'Hudson, tel autre richissime a eu la fantaisie impériale de se
+faire construire le château de Blois, avec des pierres apportées de
+France, et ce serait presque une merveille; mais derrière, plus haut que
+les donjons et les girouettes, monte bêtement un gratte-ciel couronné
+d'une réclame lumineuse; alors cela n'existe plus. Cette ville, qui
+regorge de coûteuses magnificences, a poussé d'un élan trop rapide et
+trop fougueux; il me paraît qu'elle aurait besoin d'être coordonnée,
+émondée, et surtout calmée.</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/015b.png"><br><b>
+L'Hôtel de Ville de New-York, dominé<br>
+par un immeuble à trente-cinq étages.</b></p>
+
+<p class="mid">*<br>* *</p>
+
+<p>Jeudi, 26 septembre.</p>
+
+<p>Évadé aujourd'hui du théâtre, où il fait toujours noir en plein midi
+comme dans une cave, je m'en vais en auto, par l'avenue qui s'appelle
+River Side, remonter le long du cours de l'Hudson pour essayer de
+trouver enfin la campagne et le silence. Les trouverai-je réellement
+quelque part? Pour l'instant, des embarras de voitures ou d'automobiles
+élégantes m'entourent comme si je me rendais au bois de Boulogne. Mais,
+sans restriction cette fois, je m'incline devant la majesté d'une telle
+avenue. D'un côté le grand fleuve que l'on domine, de l'autre une
+interminable bordure de gratte-ciel (des demi-gratte-ciel, d'une
+quinzaine d'étages seulement) qui arrivent à un effet esthétique parce
+qu'ils s'alignent bien; ils ont du reste la couleur blanche et gaie de
+la pierre véritable, ils respirent le luxe clair et de bon aloi. Je ne
+crois pas qu'aucune capitale du vieux monde possède une promenade d'une
+telle opulence.</p>
+
+<p class="lef"><img alt="" src="images/016a.png"><br><b>
+Les dreadnoughts, avec leurs mâts en forme<br>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;de tours
+Eiffel.</b></p>
+
+<p>Dans le fleuve, des escadres de guerre sont mouillées, de superbes
+escadres que l'Amérique réunit en ce moment pour se donner, en une
+grande fête, le spectacle de sa jeune puissance navale; les dreadnoughts
+dorment là, imposants de laideur terrible, surmontés de ces nouveaux
+mâts à l'américaine, larges et ajourés, qui ressemblent à des tours
+Eiffel; auprès d'eux, des croiseurs, des contre-torpilleurs dorment
+aussi; et une multitude de batelets, de mouches électriques,
+s'empressent alentour. Sur la berge, des milliers de curieux stationnent
+pour regarder. En prévision de cette prochaine fête de la marine, des
+pavillons de l'Amérique, rayés blanc et rouge avec semis d'étoiles sur
+leur coin bleu, commencent à flotter aux fenêtres des hautes maisons
+somptueuses. Et sur tout cela rayonne le beau soleil de l'«été indien».
+C'est comme une révélation de New-York que je viens de m'offrir
+aujourd'hui, et tout ce que je découvre, en faisant ainsi l'école
+buissonnière, est franchement admirable.</p>
+
+<p>Mais la campagne, le silence, où donc les atteindrai-je? Ma course
+accélérée dure depuis plus d'une heure, et les gratte-ciel me suivent
+toujours, en files aussi orgueilleuses, témoignant que cette ville
+contient des riches par milliers. Il est vrai, sur la rive d'en face, au
+lieu des tuyaux d'usine qui pendant des kilomètres s'obstinaient à
+l'enlaidir, il n'y a déjà plus maintenant que des rochers et de grands
+bois; si près de la ville, c'est une surprise et un repos.</p>
+
+<p>Enfin, enfin, la route que je suivais s'enfonce parmi des buissons et
+des arbres, l'air s'imprègne de la bonne senteur des mousses d'automne;
+je suis sorti de la fournaise humaine! C'est la campagne que j'avais
+tant souhaité atteindre, et elle est plus boisée, plus sauvage peut-être
+qu'aux entours immédiats de Paris. Mais je m'y sens quand même en exil,
+car les arbres et les plantes, à bien regarder, diffèrent légèrement des
+nôtres; les <i>asters</i>, que nous ne connaissons que dans nos jardins,
+croissent ici à profusion parmi des rochers noirs; sur tous ces
+feuillages des bois, les bruns et les rouges de l'arrière-saison
+s'accentuent davantage que chez nous, arrivent à des teintes
+sensiblement plus ardentes. Non, ce pays n'est pas le mien... Et puis,
+une campagne sans paysans, sans vieux clochers protecteurs autour
+desquels se groupent les villages, autant dire qu'elle n'a pas l'air
+vrai...</p>
+
+<p class="mid">*<br>* *</p>
+
+<p>Samedi, 28 septembre.</p>
+
+<p>Les jours qui passent m'acclimatent assez rapidement à New-York. Les
+maisons me semblent moins extravagantes de hauteur et, quand je traverse
+Broadway, j'écoute moins le fracas des trains sur les passerelles de
+fer.</p>
+
+<p>Un peu partout je découvre des choses amusantes à force d'imprévu,
+d'audace, de disproportion et de luxe colossal. On m'a montré ce matin
+comme typique certain café-restaurant qui éclipse tous les
+cafés-restaurants du monde. La salle d'en bas, qui coûta 5 millions, a
+été construite pour enchâsser le tableau de Rochegrosse acheté à grands
+frais: <i>le Festin de Balthazar</i>. Sur toutes les murailles de marbre
+vert, on a ciselé les mêmes bas-reliefs qu'à Persépolis; en marbre vert
+également sont les puissantes colonnes à têtes cornues, et les
+gigantesques taureaux ailés à visage humain. Mais, comiques au milieu de
+ces splendeurs déréglées, il y a les rangs de petites tables pour les
+consommateurs, et il y a les garçons en frac apportant à la ronde les
+bocks ou les cocktails!...</p>
+
+<p>Aux répétitions de <i>la Fille du Ciel</i>, qui occupent mes journées, la
+féerie commence à se dessiner; nous sortons peu à peu des incohérences
+et du chaos des premières heures. Des décors qu'aucun théâtre parisien
+n'aurait risqués font revivre d'inimaginables passés chinois, des jeux
+de lumière électrique dont nous ignorons encore le secret imitent des
+limpidités de ciel, ou des lueurs de bûcher et d'incendie. Dans les
+jardins de l'impératrice, aux grands arbres tout roses de fleurs, des
+cigognes et des paons réels se promènent sur des pelouses
+jonchées--parce que cela se passe au printemps--de milliers de pétales
+qui ont dû tomber des branches comme une pluie. Là, aux rayons d'un
+clair soleil artificiel, je vois revivre, chatoyer tous les étranges et
+presque chimériques atours de soie et d'or copiés sur de vieilles
+peintures que j'ai rapportées, ou sur des costumes réels que j'ai
+exhumés naguère de leurs cachettes au fond du palais de Pékin.</p>
+
+<p>Les monuments les plus singuliers, je crois, sont ces entr'actes, ces
+repos durant lesquels la féerie s'échappe, pour ainsi dire, de la scène,
+pour déborder sur les fauteuils d'orchestre. La vaste salle somptueuse,
+envahie alors par tous les figurants, n'en demeure pas moins plongée
+dans des ténèbres presque absolues; quelqu'un qui arriverait du dehors,
+où il fait jour, percevrait seulement que des formes humaines sont
+assises là, partout, et que le discret murmure de leurs voix <i>sonne
+étrange</i>: ce sont des voix chinoises qui chuchotent en chinois, et ces
+gens, qui simulent des spectateurs dans l'ombre, sont de pure race
+jaune... Quand les yeux s'habituent à l'obscurité, ou si quelque lueur
+électrique vient à filtrer de la scène, on découvre que tout ce monde,
+de la tête aux pieds, est vêtu avec l'apparat des anciennes cours
+célestes. Il y a même des groupes de ces petites déesses armées et
+casquées qui portent aux épaules des pavillons en faisceaux éployés et
+semblent avoir des ailes. Un peu fantastique vraiment, ce grand théâtre
+sans lumière, où les auditeurs, échangeant à mi-voix des phrases
+lointaines devant la toile baissée, sont pareils aux guerriers, aux
+Génies, sculptés dans les vieilles pagodes...</p>
+
+<p>Le plus étonnant pour moi, c'est que ces figurants ne sont pas des gens
+quelconques, mais des étudiants des universités. L'un d'eux, habillé
+comme un seigneur du temps des Ming et qui, dans la vie privée, prépare
+son doctorat en médecine, vient un jour m'expliquer de la part de ses
+camarades, très courtoisement et dans l'anglais le plus correct,
+pourquoi ils ont accepté de venir: «C'est un tel plaisir pour nous, me
+dit-il, de nous trouver ainsi replongés dans le passé de notre pays, de
+voir reconstituée la Chine de nos ancêtres.»</p>
+
+<p class="mid">*<br>* *</p>
+
+<p>Lundi, 30 septembre.</p>
+
+<p>Cette nuit, pour avoir une vue d'ensemble des fantasmagories de
+New-York, je monte au sommet de l'hôtel du <i>Times</i>, qui est l'un des
+plus stupéfiants gratte-ciel. A un angle de rue, dans un quartier de
+maisons à peine hautes, il se dresse tout seul, grêle, efflanqué,
+paradoxal, avec un air de chose qui n'aura jamais la force de rester
+debout. Très aimablement, les rédacteurs m'avaient convié. Un
+ascenseur-express, qui jaillit comme une fusée, nous enlève d'un bond
+jusqu'au vingt-cinquième étage, d'où nous grimpons sur la plate-forme
+extrême. Là souffle une brise âpre et froide--déjà l'air vif des
+altitudes--et, de tous côtés, dans le cercle immense qui va finir à
+l'horizon, l'électricité s'ébat à grand spectacle. Auprès, au loin,
+partout, des mots, des phrases s'inscrivent au-dessus de la ville en
+grandes lettres de feu, éblouissent un instant, disparaissent et puis
+reviennent. Des figures gesticulent et gambadent, parmi lesquelles j'ai
+déjà de vieilles connaissances, comme par exemple le farfadet qui
+brandit ses gigantesques brosses à dents. La plus diabolique de toutes
+est une tête de femme, qui se dessine dans l'air, soutenue par
+d'invisibles tiges d'acier, et qui occupe sur le ciel autant d'espace
+que la Grande Ourse; pendant les quelques secondes où elle brille, son
+oil gauche cligne des paupières comme pour un appel plein de
+sous-entendus, et on dirait d'une jeune personne fort peu recommandable.
+Qu'est-ce qu'on peut bien vendre en dessous, dans la boutique qu'elle
+surmonte et où elle vous convie d'un signe tellement équivoque?
+Peut-être tout simplement d'honnêtes comestibles ou de chastes
+parapluies. Il va sans dire, aucune montagne n'aurait des parois aussi
+verticales que ce gratte-ciel; en bas, les foules en marche le long des
+trottoirs, les foules sur lesquelles, en cas de chute, on irait
+directement s'aplatir comme un bolide, font songer à des grouillements
+d'insectes qui seraient lents pour cause de trop petites pattes, tandis
+que les files de wagons, dont la ville est sillonnée, paraissent de
+longues chenilles phosphorescentes qui ramperaient sans vitesse. Et une
+clameur monte de ces rues, comme une plainte de bataille ou de misère,
+entrecoupée par les grondements de tous ces trains en fuite... Babel
+effrénée, pandémonium où se heurtent les énergies, les appétits, les
+détresses de vingt races en fusion dans le même creuset.</p>
+
+<p class="rig"><img alt="" src="images/016b.png"><br><b>
+L'hôtel du <i>Times</i> «grêle, efflanqué, paradoxal...»</b></p>
+
+<p>Malgré le froid qui cingle le visage, c'est presque un soulagement, une
+délivrance, de se sentir là sur ce sommet artificiel; les six millions
+d'êtres qui, à vos pieds, dans la région basse, se coudoient, luttent et
+souffrent, au moins ne vous oppressent plus; même il est presque
+angoissant de penser qu'il va falloir redescendre tout à l'heure de ce
+haut perchoir où la poitrine s'emplissait d'air pur, redescendre et se
+replonger dans cette vaste mer humaine qui fermente et bouillonne
+partout alentour. Quelle inexplicable manie ont les hommes de s'empiler
+ainsi, de s'étager les uns par-dessus les autres, de s'accoler en
+grappes comme font les mouches sur les immondices,--quand il reste
+encore ailleurs des espaces libres, des terres vierges!... Vue d'ici, la
+ville paraît infinie; aussi loin que les yeux peuvent atteindre,
+l'électricité trace des zigzags, tremble, palpite, éblouit, écrit des
+mots de réclame avec des éclairs, et finalement, vers l'horizon où il
+n'est plus possible de rien lire, va se fondre en une lueur froide
+d'aurore boréale. Jamais encore New-York ne m'avait paru si terriblement
+la capitale du modernisme; regardé la nuit et de si haut, il fascine et
+il fait peur.</p><br>
+
+<p>Samedi, 12 octobre 1912.</p>
+
+<p>Aujourd'hui, la «première» de <i>la Fille du Ciel</i>, au Century Théâtre.
+Cette langue étrangère me déroute à tel point que je ne me sens pas tout
+à fait responsable de ce que mes personnages racontent. Vraiment, pour
+reconnaître ma pièce, je devrais plutôt faire abstraction du dialogue
+et, m'efforçant de ne pas entendre, n'assister au spectacle qu'avec mes
+yeux, comme si c'était une simple pantomime,--une pantomime certes qui
+dépasse mon attente par son exactitude et sa splendeur. Grâce à la
+consciencieuse magie des peintres et des costumiers, la vieille Chine
+impériale, qui ne se reverra jamais plus, est là devant moi, avec le jeu
+de ses nuances rares, l'inconcevable étrangeté de ses atours, avec ses
+dragons, ses monstres, tout son mystère. Pour compléter l'illusion, il y
+a même le son rauque des voix chinoises, et, pendant l'acte de la
+bataille, quand les soldats délirants se précipitent en une ruée suprême
+vers leur impératrice pour tomber tous à ses pieds, je crois réentendre
+ces clameurs qui faisaient frissonner, en Chine, aux jours de réelles
+tueries.</p>
+
+<p>A la scène finale cependant, dès que l'empereur Tartare et la
+Fille-du-Ciel sont seuls en présence, je me reprends à écouter ce qu'ils
+disent; leur jeu est d'ailleurs si expressif que je me figure presque
+les entendre parler ma propre langue. Et quand la Fille-du-Ciel tend la
+main pour recevoir la perle empoisonnée qui va lui ouvrir les portes du
+Pays des Ombres, son geste et son regard émeuvent comme si vraiment elle
+allait mourir...</p>
+
+<p>Maintenant la toile tombe; c'est fini; ce théâtre ne m'intéresse plus.
+Une pièce qui a été jouée, un livre qui a été publié, deviennent
+soudain, en moins d'une seconde, des choses mortes... J'entends des
+applaudissements et de stridents sifflets (contrairement à ce qui se
+passe chez nous, les sifflets, à New-York, indiquent le summum de
+l'approbation). On m'appelle, sur la scène, on me prie d'y paraître, et
+j'y reparais cinq ou six fois, tenant par la main la Fille-du-Ciel, qui
+est tremblante encore d'avoir joué avec toute son âme. Une impression
+étrange, que je n'attendais pas: aveuglé par les feux de la rampe, je
+perçois la salle comme un vaste gouffre noir, où je devine plutôt que je
+ne distingue les quelques centaines de personnes qui sont là, debout
+pour acclamer. Je suis profondément touché de la petite ovation
+imprévue, bien que j'arrive à peine à me persuader qu'elle m'est
+adressée. Et puis me voici reparti déjà pour de nouveaux <i>ailleurs</i>.
+J'étais venu à New-York afin de voir la matérialisation d'un rêve
+chinois, fait naguère en communion avec Mlle Judith Gautier. J'ai vu
+cette matérialisation; elle a été splendide. Maintenant que mon but est
+rempli, ce rêve tombe brusquement dans le passé, s'évanouit comme après
+un réveil, et je m'en détache...</p>
+
+<p>Mercredi, 16 octobre 1912.</p>
+
+<p>Demain matin, je prends le paquebot pour France. Je ne puis prétendre
+qu'en ce court voyage j'aie vu l'Amérique. Puis-je seulement dire que
+j'aie vu New-York? Non, car j'y ai surtout vécu prisonnier sous une
+sorte de coupole obscure,--le Century Théâtre avec sa pénombre de chaque
+jour. C'est là, dans cette grande salle rouge et or, parmi les
+fantastiques spectateurs des répétitions, figurants échappés de vieilles
+potiches ou de vieilles ciselures, c'est là que j'ai rencontré à peu
+près les seules femmes américaines qu'il m'ait été donné d'approcher.</p>
+
+<p>Ces inconnues, admises pour avoir montré patte blanche au régisseur,
+entraient discrètement sans faire de bruit, presque à tâtons, effarées
+par tous ces personnages casqués d'or qui occupaient les stalles. Elles
+n'étaient jamais les mêmes que la veille, mes visiteuses. Non sans peine
+elles parvenaient à me découvrir, après avoir interrogé quelques-unes de
+ces étranges figures, qui balbutiaient des réponses vagues, en chinois.
+Assises enfin à mes côtés, elles étaient tout de suite gentilles et
+pleines de bonne grâce, malgré l'insuffisance de la présentation. Filles
+de richissimes ou pauvres petites journaleuses, elles appartenaient à
+tous les mondes. Et on causait, dans une sorte de plaisante camaraderie
+sans lendemain, pour ne se revoir jamais; c'était à demi-voix, pour ne
+pas troubler les acteurs qui, tout près de nous, se disaient des choses
+tragiques, dans quelque vieux palais de Nankin, sous de faux rayons de
+lune, ou bien à la lueur d'un faux incendie. Détail qui m'amusait, en
+général, elles apportaient, par précaution contre la longueur de la
+séance--la répétition durait plusieurs heures d'affilée--des sandwichs
+ou des petits gâteaux, et il me fallait partager cette dînette dans les
+ténèbres. Plusieurs d'entre elles me connaissaient beaucoup, sans
+m'avoir encore vu nulle part; c'est là l'inconvénient--ou le charme si
+l'on veut--de s'être trop donné dans ses livres. Quelques-unes avaient
+vu ma maison de Rochefort, d'autres, en canotant sur la Bidassoa,
+avaient aperçu mon ermitage basque. Grandes voyageuses, presque toutes,
+elles étaient allées à Stamboul, à Pékin, dans les différents lieux de
+la Terre que j'ai essayé de décrire, et la traversée de l'Atlantique
+pour venir chez nous leur semblait un rien comme promenade. Passant vite
+d'un sujet à un autre, elles disaient des choses incohérentes mais
+profondes; elles différaient des femmes de chez nous par quelque chose
+de plus indépendant et de plus masculin dans la tournure d'esprit;
+beaucoup plus libres certes, mais sans qu'il y eût jamais place entre
+nous pour l'équivoque. Et, après avoir causé un peu de tout, dans une
+intimité intellectuelle favorisée par l'ombre, on se saluait pour ne se
+revoir jamais.</p>
+
+<p>En quittant ce pays, j'ai un vrai remords de n'avoir pu répondre comme
+je l'aurais souhaité à tant de lettres cordiales et jolies que chaque
+courrier m'apportait, à tant d'invitations téléphoniques m'arrivant aux
+rares heures où j'habitais mon perchoir. D'aimables inconnus
+m'écrivaient, avec la plus touchante bonne grâce: «Venez donc un peu
+vous reposer chez nous, à la campagne; au bord de l'eau, sous nos
+arbres, vous trouverez du <i>silence</i>.» Et j'étais élu membre honoraire
+d'une quantité de cercles. Comment faire, avec si peu de temps à moi? Au
+moins voudrais-je, ici, exprimer à tous ma reconnaissance et mon regret.</p>
+
+<p>Dès que <i>la Fille du Ciel</i> a été livrée au public, j'ai employé de mon
+mieux mes trois ou quatre jours de liberté avant le départ. Mais combien
+il était embarrassant de choisir: pourquoi accepter ici et s'excuser
+ailleurs?</p>
+
+<p>Je suis allé luncher à la magnifique et colossale Université de
+Columbia, auprès de quoi nos universités françaises sembleraient de
+pauvres petits collèges de province. J'ai voulu paraître dans différents
+clubs puisque l'on avait eu la bonté de m'en prier. J'ai répondu à
+l'invitation naïve des jeunes filles de l'école Washington-Irving qui
+m'avait particulièrement charmé par sa forme; elles étaient là deux ou
+trois centaines de petites étudiantes de quinze à seize ans qui, pour
+m'accueillir, avaient placardé aux murs des écriteaux de bienvenue;
+après m'avoir chanté la Marseillaise, elles ont continué par un hymne où
+de temps à autre revenait mon nom prononcé par leurs voix fraîches, et
+en partant j'ai serré de bon coeur toutes ces mains enfantines. On m'a
+fêté à l'Alliance française où, après le dîner, il y a eu, dans un grand
+hall, un défilé dont j'ai été ému profondément; tandis qu'un orchestre
+jouait cette <i>Marseillaise</i> qui, à l'étranger, nous semble toujours la
+plus belle musique, des Français de tous les mondes, les uns très
+élégants, les autres plus modestes, se sont tour à tour approchés de
+moi; des jeunes, des très vieux dont le regard attendri disait la
+crainte de ne plus revoir la France; des aïeules à chevelure blanche
+m'amenant leurs petites-filles qui m'avaient lu et souhaitaient me voir;
+là encore j'ai serré plusieurs centaines de braves mains que je sentais
+vraiment amicales, et je ne sais comment dire merci à tant et tant de
+familles qui ont bien voulu se déranger pour me témoigner un peu de
+sympathie.</p>
+
+<p>En somme si, au premier abord, pour l'Oriental obstinément arriéré que
+je suis, New-York ne pouvait que sembler effarant--en tant que chaudière
+gigantesque où, pour créer du nouveau, se mêlent et bouillonnent
+tumultueusement les génies de tant de, races diverses--si New-York m'est
+resté jusqu'à la fin peu compréhensible, avant de le quitter j'ai
+pourtant senti qu'il était quand même et surtout la ville de la pensée
+chaleureuse, de la franche hospitalité et du bon accueil.<br>
+
+<span class="rig"><span class="sc">Pierre Loti.</span></span></p>
+
+<p class="mid">Copyright. Droits réservés.</p><br><br>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/017.png"><br><b>BEAUTÉS ALBANAISES.--Trois élégantes de Scutari.</b>--<i>Phot. S. Tchernof.</i></p>
+
+<p>Scutari, la ville durement assiégée pendant de si longs mois, reprend
+peu à peu sous l'administration collective des puissances, son aspect
+normal d'avant la guerre. La population, musulmane ou chrétienne,
+rassurée, vaque, comme devant, à ses occupations pacifiques. Les vivres
+ont de nouveau, en abondance, rempli les magasins et les docks, et les
+nombreuses misères provoquées par le siège ont été secourues, à la
+première heure, par les soins de l'Autriche et de l'Italie dont, en
+cette terre d'influence, et en attendant que soit définitivement arrêté
+le statut de l'Albanie, les bons offices rivalisent. L'Angleterre et la
+France participent activement à l'oeuvre municipale. Les services ont
+été reconstitués avec des officiers des corps d'occupation ou des
+fonctionnaires locaux. La police est énergiquement organisée, et les
+commissions sanitaires ont méthodiquement procédé à l'assainissement de
+la ville.</p>
+
+<p>Dans les rues, maintenant paisibles, de Scutari d'Albanie, les femmes
+albanaises, de qui les voyageurs se sont accordés à nous dire la
+sculpturale beauté, circulent, tranquillement, isolées ou par groupes,
+en leur costume traditionnel, à cela près cependant que les musulmanes,
+en grand nombre déjà, ont enlevé leur voile en attendant sans doute que
+des modes occidentales--de Vienne, de Rome, de Paris--inaugurées à la
+cour du prince, du futur prince d'Albanie, ne soient à leur tour
+adoptées, et on le regrettera, par les dames de la ville.</p>
+
+<br><br>
+
+<h3>CE QU'IL FAUT VOIR</h3>
+
+<h4>LE PETIT GUIDE DE L'ÉTRANGER</h4>
+
+<p>Il y a, à partir d'aujourd'hui, une chose délicieuse à voir à Paris; un
+spectacle tout neuf: c'est, au musée Galliéra, l'exposition de l'Art
+pour l'Enfance. On sait qu'outre son exposition d'Art décoratif, qui est
+à la fois permanente et continuellement renouvelée, la Ville organise à
+Galliéra, une fois par année, un petit Salon qui est, chaque fois, une
+ravissante surprise. On se rappelle les plus récentes: l'exposition de
+la Reliure, celle de la Dentelle, celle de l'Ivoire. Demain, et durant
+tout cet été, l'exposition se composera uniquement d'oeuvres et
+d'objets--d'autrefois et d'aujourd'hui--destinés à parer, à amuser
+l'enfance, <i>ou inspirés par l'Enfant</i>. Le très distingué conservateur du
+Musée de la rue Pierre-Charron, M. Eugène Delard, s'est adressé aux
+artistes, aux collectionneurs, aux éditeurs, aux fabricants qu'il savait
+capables d'aider, par leur collaboration gracieuse, au succès de cette
+aimable entreprise; et tant de bonnes volontés assemblées viennent de
+réaliser, pour le plaisir de nos yeux, quelque chose de charmant.</p>
+
+<p>Entrons. C'est d'abord le petit jardin du musée aménagé en jardin
+d'enfants: de menues plates-bandes, quelques pelouses minuscules
+plantées d'arbres nains; un ruisseau «pour rire» dévalant en cascatelle
+au milieu de rochers gros comme le poing; et sur ce «paysage», une
+quinzaine de maisonnettes plantées; de maisonnettes pour enfants,
+derrière lesquelles une toile de fond déroule les splendeurs d'un
+panorama-joujou... Le vestibule du musée contient une amusante
+exposition de jouets modernes; et voici, dans le grand hall, des
+trésors: les collections d'anciens mobiliers de poupées, de Mme Ménard»
+Dorian; de Mme Bernheim (celui-ci est fameux; il servit à l'amusement du
+roi de Rome!); voici les poupées de M. d'Allemagne et de M. Léo
+Claretie; les soldats de l'ancienne France, de M. Vidal de Léry; et ceux
+de l'Empire de M. Bernard Franck (qui seront un des clous de cette
+exposition); les jouets de bois peint des paysans de la Lozère; les
+«découpages»--moins naïfs, mais d'autant plus amusants en leur ironique
+ingénuité--du pauvre Caran d'Ache et de Grandval; les poupées bretonnes,
+les animaux en fer forgé (d'extraordinaires caricatures de bêtes,
+inventées par le ferronnier Emile Robert, et qui vont avoir un succès
+fou). Et puis, disséminés autour de ces vitrines--ne pas négliger celle
+des hochets anciens!--voici les images de l'Enfance; d'exquises images:
+des panneaux d'Espagnat; des portraits de Carrière, de Paul Renouard,
+Steinlen, Lévy-Dhurmer, Geoffroy, Mme Breslau; un bébé en bois, de
+Carabin, qui est un chef-d'oeuvre; de délicieuses effigies enfantines,
+signées Dalou, Bourdelle, A. Charpentier, Dampt. J'en oublie... et c'est
+bien heureux, car je serais désolé de faire ici concurrence au catalogue
+qui est lui-même un document ravissant: une réduction de l'affiche de
+Willette en formera la couverture, et le <i>texte</i> en sera commenté par
+Poulbot.</p>
+
+<p>Est-ce tout? Mais non. Car je n'ai rien dit des «chambres d'enfants» et
+je sais des mères qui vont préférer ce coin d'exposition-là à tout le
+reste. Elles occupent, ces chambres d'enfants, tout un côté de la
+seconde salle où sont exposés les jolis pastels de Mme Franc-Nohain, les
+vitrines de poupées et de jouets japonais de Mme Stroehlin, et du comte
+de Fleurieu. Ce sont des chambres où la forme des meubles, la couleur
+des tentures, les moindres détails du décor ont été inventés, combinés
+dans le dessein d'ajouter à la gentillesse du petit être qui est là, de
+l'encadrer aussi joliment que possible, de le parer et de le divertir.
+Je note l'appartement pour <i>gosse</i>--chambre à coucher et salle de
+jeux--d'André Hellé. Caran d'Ache, tapissier pour enfants, n'eût rien
+imaginé de plus suavement comique. Il n'y a pas un objet dans cet
+appartement-là, pas un bout d'étoffe qui n'ait de l'esprit!</p>
+
+<p class="mid">*<br>* *</p>
+
+<p>Ce qui est à voir encore--et là il convient de se presser un peu, car le
+spectacle ne sera plus de très longue durée--c'est la Rétrospective de
+Neuville. Les jeunes gens ne soupçonnent pas quels souvenirs pathétiques
+évoque une telle exposition au coeur de leurs aînés. Et je ne parle pas
+seulement de ceux qui ont fait la Guerre, et qui sont aujourd'hui des
+vieillards, mais de leurs cadets, de ceux qui, entre 1875 et 1880,
+n'étaient encore que des écoliers, ou de tout jeunes gens. Ces cinq
+années marquent l'épanouissement du talent d'Alphonse de Neuville et
+l'apogée de sa renommée. Dans ces temps très anciens, les amateurs de
+tableaux ne voyaient pas s'ouvrir à eux, tous les huit jours, un nouveau
+Salon de peinture; les grands «schismes» de la Nationale, des
+Indépendants, du Salon d'automne, n'étaient point encore inventés; on ne
+connaissait qu'une Eglise, si j'ose m'exprimer ainsi; c'était «le
+Salon»; le Salon tout court, devenu celui des Artistes français. Il
+s'ouvrait, chaque printemps, au Palais de l'Industrie, sur l'emplacement
+duquel s'élève, depuis treize ans, le Grand Palais. Et cet unique
+«vernissage» de l'année était un événement parisien. «Avez-vous vu le
+<i>Neuville?</i>» C'était une des premières questions qu'on se posait en
+s'abordant, vers midi, autour des tables de Ledoyen. Ces toiles de
+Neuville évoquaient au coeur des combattants de 1870 et de leurs jeunes
+fils les angoisses, les douleurs de cette guerre affreuse qui semblait à
+peine finie, et dont tant de ruines encore intactes maintenaient devant
+leurs yeux le souvenir vivant. Mais voici ce qui était admirable, chez
+Alphonse de Neuville: ses tableaux bouleversaient d'émotion le vaincu;
+ils ne l'humiliaient pas. Ils disaient la défaite. Mais ils disaient
+aussi l'héroïsme de la défense, et l'instinctive fierté de ces vaincus
+devant une destinée qu'ils ne méritaient pas. Il y a des défaites dont
+la vue inspire une espèce d'horreur compatissante. Ce sentiment ne se
+dégage d'aucun des tableaux qu'Alphonse de Neuville a peints. Nous les
+regardions, nous, les lycéens d'alors, avec une admiration ingénue; nous
+n'avions pas, devant les figures du <i>Cimetière de Saint-Privat</i>, des
+<i>Dernières Cartouches</i>, de <i>l'Église du Bourget</i>, l'impression que des
+vaincus qui regardaient de ces yeux-là la défaite fussent tellement à
+plaindre...</p>
+
+<p>Quelques-uns de ces tableaux ont pu être réunis à la galerie de la
+Boétie. Mme Roger-Douine y a envoyé les <i>Dernières Cartouches</i>; M.
+Bessonneau d'Angers, <i>En campagne</i> et <i>le Cimetière de Saint-Privat</i>; M.
+J. Thinet, <i>le Grenier de Champigny</i>; M. Knoedler, <i>l'Attaque de la
+maison barricadée, à Villersexel</i>; le docteur Fournier, <i>la Bataille
+d'Héricourt</i>. Le musée de Péronne a prêté <i>l'Attaque de la passerelle de
+Stiring</i> (bataille de Forbach); le musée du Luxembourg, deux esquisses
+de <i>Villersexel</i> et de <i>l'Église du Bourget</i>; diverses autres toiles ou
+dessins--d'admirables croquis, des esquisses de tableaux--ont été
+empruntés aux collections de MM. Nismes, Chouanard, Brugairolles,
+Kullmann, Bernard Franck, G. Bernheim, Yves Refoulé, Paul Déroulède (qui
+a envoyé son portrait), J. Peytel, Jules Claretie, Pothier, Duez. Nous
+devons à ces «prêteurs» obligeants beaucoup de reconnaissance.</p>
+
+<p>Nous en devons aussi aux organisateurs de ce Salon. En groupant autour
+d'Alphonse de Neuville les oeuvres de quelques peintres militaires de ce
+temps-ci, ils nous ont révélé un maître. Les lecteurs de
+<i>L'Illustration</i> le connaissent: c'est Georges Scott. Jamais ne
+s'étaient affirmés avec plus d'éclat que dans cette Exposition la
+solidité d'exécution, la science de composition, l'instinct de justesse
+et de vérité qui distinguent les oeuvres de ce peintre. Certains des
+toiles et des dessins qu'il a rapportés de son dernier voyage aux
+Balkans sont, même en face des chefs-d'oeuvre du peintre des <i>Dernières
+Cartouches</i>, des pages de premier ordre. Cela, aussi, c'est à voir.<br>
+
+<span class="rig"><span class="sc">Un Parisien.</span></span></p><br><br>
+
+<h3>AGENDA (7-14 juin 1913)</h3>
+
+<p><span class="sc">Concours.</span>--Le 9 juin, concours d'admission à l'école Edgar-Quinet
+(enseignement primaire supérieur des jeunes filles).</p>
+
+<p><span class="sc">Conférences.</span>--Au Grand-Palais (Salon de la Société des Artistes
+français): le 13 juin, conférence de M Paul Rognon: <i>Michel-Ange</i>.</p>
+
+<p><span class="sc">Expositions.</span>--Grand Palais: Salon de la Société des Artistes français;
+Salon de la Société nationale des Beaux-Arts.--Musée des Arts décoratifs
+(pavillon de Marsan): exposition rétrospective de l'art des Jardins en
+France (tableaux, gravures, tapisseries);--Bibliothèque Le Peletier de
+Saint-Fargeau (29, rue de Sévigné): promenades et jardins de Paris.--A
+Bagatelle (bois de Boulogne): l'art du jardin, à l'occasion du
+centenaire de Le Nôtre.--Galerie Devambez (43, boulevard Malesherbes):
+«la petite ville de province». (Clôture le 10 juin.)--Hôtel de Sens (rue
+du Figuier): les artistes du 4e arrondissement, jusqu'au 16 juin.--Le 7
+juin, clôture de l'exposition du Palais-Salon (Cercle de la
+Librairie).--Le 9 juin, clôture de l'exposition de David et ses élèves
+(Petit Palais).--Galerie Georges Petit (salons Settiner): dessins
+français du dix-huitième siècle, exposition organisée par la Société des
+Amis du Louvre. (Clôture le 10 juin).--A Londres (galeries Grafton):
+exposition de la Société royale des peintres du portrait.</p>
+
+<p><span class="sc">Vente d'art.</span>--Galerie Georges Petit (8, rue de Sèze): le 9 juin, vente
+de la galerie Steengracht, chefs-d'oeuvre des écoles flamande et
+hollandaise du dix-septième siècle, et tableaux modernes.</p>
+
+<p><span class="sc">Fêtes de Bienfaisance</span>.--Hôtel de Béarn (rue Saint-Dominique): le 8 juin,
+soirée au bénéfice de la Croix-Rouge: danses du premier Empire, danses
+1830, danses 1860; artistes des théâtres russe et italien.--Au théâtre
+de verdure du Pré-Catelan, le 11 juin, matinée de gala au bénéfice de la
+caisse de propagande des Amitiés Françaises.--Au Nouveau-Cirque: le 14
+juin, fête de nuit organisée par les Artistes lyriques; pantomime
+nautique, mise en scène par M. Tristan Bernard.</p>
+
+<p><span class="sc">Fêtes de Jeanne d'Arc</span>.--Les 8 et 15 juin, à Compiègne: fêtes en
+l'honneur de Jeanne d'Arc, au bénéfice des oeuvres de bienfaisance de la
+ville: cortège historique; mystère représenté en plein air, etc.</p>
+
+<p><span class="sc">Sports</span>.--<i>Courses de chevaux</i>: le 7 juin, Auteuil; le 8, le 12 et le 15,
+Chantilly; le 9, Saint-Cloud; le 10, Saint-Ouen; le 11, le Tremblay; le
+13, Maisons-Laffitte; le 14, Auteuil.--<i>Aérostation</i>: le 15 juin, Grand
+Prix annuel de l'Aéro-Club de France (départ de Saint-Cloud).--<i>Boxe</i>:
+le 15 juin, à Toulouse, Willie Lewis contre Kid Jackson.--<i>Lawn-tennis</i>:
+terrains du Stade français (Saint-Cloud), du 7 au 15 juin, championnats
+du monde de tennis (sur terre battue).--<i>Cyclisme</i>: le 8 juin, course
+Paris-Bruxelles; à la même date, circuit de l'Aube.--<i>Aviron</i>: le 8
+juin, à Rouen, régates nationales à l'aviron, organisées par la Société
+des Régates rouennaises.--<i>Athlétisme</i>: le 15 juin, sur le terrain du
+Stade français, à Saint-Cloud, éliminatoires du Collège d'athlètes
+organisé par la Comité de Paris.</p>
+<br><br>
+
+<h3>DOCUMENTS et INFORMATIONS</h3>
+
+<span class="rig"><span class="sc">Tel maître, telle bête.</span></span><br>
+
+<p>On a parfois constaté d'étonnantes ressemblances physiques entre les
+hommes et les bêtes, et, particulièrement, entre telle personne et son
+animal favori. Voici, de ces rencontres naturelles, un amusant exemple,
+qui a pu être observé au parc zoologique de Hambourg, par un photographe
+avisé, M. D. Mac Lellan: le gardien du pavillon des morses--un brave
+homme doué d'une bonne figure ronde, à la grosse moustache
+tombante--offre avec les amphibies dont il a la surveillance, avec l'un
+d'eux surtout, de singuliers points de comparaison. Entre les deux
+compagnons--liés par une amitié qui date de sept à huit ans--les clichés
+que nous reproduisons ici font apparaître comme un «air de famille». Ils
+s'entendent d'ailleurs à merveille, et, à force de vivre ensemble, ils
+sont devenus les meilleurs camarades du monde.</p>
+
+
+<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="0"
+ style="width: 100%; text-align: left;" summary="illustration">
+ <tbody>
+ <tr>
+ <td style="vertical-align: top; width: 35%; text-align: center;"><br>
+<img alt="" src="images/018a.png"><br><b>Deux vieux amis.</b>
+
+ </td>
+ <td style="vertical-align: top; width: 65%; text-align: center;"><br>
+<img alt="" src="images/018b.png"><b>Un morse et son gardien qui se ressemblent, au parc zoologique de Hambourg.</b><br>
+
+ </td>
+ </tr>
+ </tbody>
+</table>
+
+
+<p>Sur le museau du morse, on remarquera la fleur de lys héraldique formée
+par l'ouverture des naseaux: c'est là une des caractéristiques les plus
+curieuses de cet animal, dont l'espèce est d'ailleurs en voie de
+disparaître. Au siècle dernier, on la trouvait encore sur les côtes de
+l'Écosse; mais, aujourd'hui, décimée par les balles des chasseurs, elle
+ne dépasse pas les limites de l'océan Glacial du Nord.</p><br><br>
+
+<p class="lef"><img alt="" src="images/018c.png"><br><b>
+Le monument de Bédarieux à<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;la mémoire des anciens<br>
+&nbsp;&nbsp;combattants de 1870-1871.<br></b>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;<i>Phot. Detestaing.</i></p>
+
+<p class="rig"><span class="sc">Un monument du Souvenir a Bédarieux.</span></p><br><br>
+
+<p>Un beau monument, élevé par souscription publique à la mémoire des
+combattants de la guerre morts pour la patrie, vient d'être inauguré à
+Bédarieux, en même temps qu'a eu lieu la remise de la médaille de 1870 à
+plus de cent vétérans: ainsi, dans un pareil hommage, qu'il convient de
+signaler, ont été réunis les enfants de la cité cévenole qui,
+glorieusement, sont tombés sur le champ de bataille, et ceux par qui se
+perpétue, de nos jours, le vivant souvenir de l'année terrible. Le
+sculpteur, M. Louis Paul, conservateur du musée de Béziers, a représenté
+la France sous les nobles traits d'une Paix armée, prête à se défendre,
+fière de la force de son glaive; un coq gaulois, dressé sur ses ergots,
+surmonte le monument, qui s'érige, dans un joli décor de verdure, au
+bout d'une des promenades de la ville.</p>
+
+
+
+<p>La cérémonie d'inauguration a été présidée par l'amiral Servan et le
+général Dioux, commandant la 63e brigade, qui ont prononcé des discours,
+après que M. César Cabal, président du comité, eut remis à la ville le
+nouveau monument qui la pare.</p>
+
+<p class="rig"><span class="sc">La résurrection des grenouilles.</span></p><br><br>
+
+<p>Les remarquables travaux du docteur Carrel ont ouvert un immense champ
+d'études où se sont lancés les physiologistes des deux mondes. Citons
+les étranges expériences qu'exécutent plusieurs savants de la John
+Hopkins Médical School, la première Ecole de médecine des États-Unis.</p>
+
+<p>Choisissant un animal à sang froid (grenouille, escargot, poisson,
+etc.), en parfait état de santé, ils le placent dans un récipient fermé
+juste assez grand pour le contenir, et qu'ils plongent dans de l'air
+liquide. Après un intervalle plus ou moins long, l'animal prend la
+rigidité d'un cadavre.</p>
+
+<p>Quatre ou cinq semaines plus tard, la grenouille--si tel est le cas--est
+retirée de la jarre, et, après quelques massages, ressuscite, paraît-il,
+et reprend le cours de sa vie sans plus se soucier de ces trente jours
+de mort qu'elle vient d'endurer!</p>
+
+<p class="rig"><span class="sc">Le Triceratops.</span></p><br><br>
+
+<p>Depuis quelques années, grâce à l'activité toujours en éveil du
+professeur Boule, la galerie de paléontologie du Muséum s'est enrichie
+d'un certain nombre de pièces remarquables, choisies avec un tel
+discernement qu'elles présentent un puissant intérêt même pour les
+personnes peu familiarisées avec les évolutions de la faune
+préhistorique. Le nouveau fossile qu'on vient d'exposer à côté du fameux
+Diplodocus est, dans son genre, tout aussi curieux que ce dernier.</p>
+
+<p class="rig"><img alt="" src="images/019a.png"><br><b>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Le Triceratops, Dinosaurien<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;préhistorique reconstitué<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;d'après un squelette du musée<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;de New-York (grandeur<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;naturelle: environ 6<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;mètres de longueur).</b></p>
+
+<p>Il appartient au même groupe de Dinosauriens qui, à une époque fort
+reculée, étaient, par les dimensions, sinon par l'intelligence, les rois
+des animaux, et auprès de qui les Mammifères actuels paraissent de
+petites bêtes. Mais, tandis que le Diplodocus a une tête minuscule
+comparativement à la hauteur des jambes et à la longueur démesurée du
+cou et de la queue, la forme plus ramassée du Triceratops rappelle
+vaguement la silhouette du rhinocéros, et l'ensemble du crâne présente
+un développement exceptionnel (2 m. 20 pour l'exemplaire du Muséum).</p>
+
+<p>Il faut remarquer toutefois que le museau, les cornes, et surtout la
+collerette postérieure ont une importance énorme; la boîte cérébrale est
+très minime.</p>
+
+<p>La reconstitution faite par M. Knight, sous la direction de M. Osborn,
+conservateur du musée de New-York, où figure un squelette complet,
+montre l'allure de cet animal curieux qui mesurait environ 6 mètres de
+longueur.</p>
+
+
+
+<p>Notre fossile arrive d'Amérique. Il fut découvert dans les régions
+dénudées du Wyoming, où les découpures fantastiques, de roches
+versicolores, profondément ravinées, attestent de grands bouleversements
+géologiques. Il reposait dans le terrain appelé Laramie fin, qui
+appartient à la fin de l'ère secondaire.</p>
+
+<p>M. Boule l'avait commandé, il y a dix ans, au grand «chasseur de
+fossiles», M. Sternberg, qui explore le sous-sol du nouveau continent
+pour le compte des grands musées d'Amérique. L'exemplaire de Paris est
+plus beau que celui acquis, il y a six ans, par le British Muséum.</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/019b.png"><br><b>Crâne fossile de Triceratops récemment acquis par le
+Muséum.</b></p>
+<br><br>
+
+<p class="rig"><span class="sc">A propos du système Taylor</span>.</p><br><br>
+
+<p>Nous avons parlé à plusieurs reprises du système Taylor, ou méthode
+d'organisation du travail qui consiste à supprimer les mouvements
+inutiles de l'ouvrier et à combiner les mouvements utiles de façon à
+obtenir, sans supplément de fatigue, souvent même avec une fatigue
+moindre, le rendement maximum. Ce système, dont la généralisation aurait
+une importance économique considérable, et qui, de prime abord, paraît
+fort séduisant, compte en dehors du monde ouvrier, de sérieux
+adversaires; il vient de provoquer une joute intéressante entre l'amiral
+américain Edwards et M. Henry Le Chatelier, professeur à la Sorbonne et
+membre de l'Académie des sciences.</p>
+
+
+
+<p>Comme exemple typique des résultats que l'on obtient avec la nouvelle
+méthode, on peut citer le cas du maçon.</p>
+
+<p>Après une étude détaillée de chacun des mouvements du poseur de briques,
+M. Gilbreth détermina la position exacte que doivent occuper les pieds
+de l'ouvrier par rapport au mur, à l'auge, au tas de briques, de façon à
+lui éviter de déplacer ses pieds. Il étudia la hauteur la plus favorable
+pour l'auge et les briques, et fit construire un échafaudage portant une
+table où les matériaux sont placés de telle sorte que les mouvements
+inutiles soient supprimés. A mesure que le mur monte, ces échafaudages
+sont réglés par un homme chargé uniquement de ce travail. Le poseur est
+ainsi dispensé de l'effort consistant à se baisser pour prendre une
+brique ou du mortier, et à se redresser ensuite.</p>
+
+<p>D'autre part, les briques, une fois déchargées, sont triées et placées
+sur leur meilleur bord, ce qui évite au poseur de retourner la brique en
+tous sens avant de la poser. Enfin, en employant un mortier assez
+liquide, les briques peuvent être enfoncées à la profondeur convenable
+par une simple pression de la main, sans qu'il soit nécessaire de les
+frapper de quelques coups de truelle.</p>
+
+<p>Avec cette méthode, le nombre des mouvements nécessaires pour poser une
+brique est réduit de 18 à 5 et, parfois, à 2. M. Gilbreth a obtenu un
+rendement de 350 briques par homme et par heure, au lieu de 120.</p>
+
+<p>L'amiral Edwards reproche au système Taylor d'être très coûteux à
+installer, de ne pas augmenter les salaires dans la proportion où il
+accroît le rendement, d'exiger une attention si intense qu'elle nuit à
+la santé de l'ouvrier, de rabaisser l'ouvrier au niveau de la bête de
+somme, etc. Il insinue, en passant, que, dans les arsenaux maritimes,
+c'est la qualité plutôt que la quantité qui doit être la mesure
+principale du rendement.</p>
+
+<p>M. Le Chatelier répond, dans le <span class="sc">Génie civil</span>, que ce dédain du prix de
+revient, assez commun en tous pays dans les établissements de l'État,
+n'est aucunement recommandable; du reste, tous les établissements
+français qui emploient la méthode Taylor, ou en étudient l'application,
+sont incontestablement les premiers au point de vue de la perfection de
+leur fabrication.</p>
+
+<p>D'autre part, l'augmentation de la production est indépendante des
+ouvriers, elle résulte de l'organisation étudiée et réalisée par la
+direction; en augmentant les salaires de 25 à 75%, on attribue donc aux
+ouvriers plus que ce qu'ils ont le droit légitime d'exiger. Quant au
+chronométrage, pourquoi serait-il déshonorant à l'usine, alors que
+l'ouvrier est très fier d'être chronométré quand il fait du sport?</p>
+
+<p>Enfin, si l'on augmente la fatigue en même temps qu'on accroît la
+production, on sort du système Taylor.</p>
+
+<p>M. Le Chatelier conclut que ce qui arrêtera longtemps la diffusion des
+méthodes de Taylor, c'est la difficulté de trouver un personnel
+dirigeant capable, d'abord de comprendre leur utilité, et ensuite de les
+mettre en oeuvre. Un des admirateurs de Taylor disait récemment qu'il
+faudrait deux générations d'hommes avant de voir ses méthodes
+scientifiques se généraliser dans l'industrie.</p>
+
+<p class="rig"><span class="sc">Influence du climat sur la taille des oiseaux.</span></p><br><br>
+
+<p>Un naturaliste allemand, M. Boetticher, a fait de curieuses observations
+sur les variations sous différents climats de la taille d'oiseaux de
+même espèce.</p>
+
+<p>Le corbeau est plus grand en Norvège et au Groenland que dans nos pays;
+celui de l'Himalaya est de dimensions considérables. Par contre, le
+corbeau de l'Espagne est plus petit que le nôtre. De même, la corneille
+est beaucoup plus grosse en Sibérie, au Kamtchatka, et, en Mongolie, que
+dans l'Europe occidentale.</p>
+
+<p>En Algérie, en Tunisie, au Maroc, la pie est plus petite que chez nous;
+au Thibet et dans l'Amérique du Nord, elle est de taille supérieure.</p>
+
+<p>La mésange bleue des îles Canaries, la mésange charbonnière de Sardaigne
+et de Corse, sont plus petites que les nôtres. Le roitelet devient de
+plus en plus grand à mesure qu'on remonte vers le Nord.</p>
+
+<p>En général, les oiseaux sont plus grands dans les régions froides. Il y
+a pourtant quelques exceptions; le moineau, notamment, est plus grand à
+Damas qu'à Paris.</p>
+
+<p class="rig"><span class="sc">L'alcool de sciure de bois.</span></p><br><br>
+
+<p>On sait que, depuis quelque temps, le cours de l'essence de pétrole a
+atteint les hauteurs inconnues et que les autres carburants se sont
+empressés d'imiter ce fâcheux exemple. Pour les propriétaires de
+voitures de luxe, il n'y a là qu'un incident plus ou moins désagréable,
+mais pour les entrepreneurs de transports en commun, pour les
+industriels qui utilisent couramment les camions automobiles et, par
+ricochet, pour les constructeurs de ces divers véhicules, il s'agit
+presque d'une question de vie ou de mort. On voit, dans ces conditions,
+quel intérêt peut présenter la découverte de nouveaux carburants ou la
+production économique des carburants actuels. Or, il existe un
+combustible qui a sur l'essence cette même supériorité d'être un produit
+national et il semble que, grâce à des procédés nouveaux, ce produit
+puisse être obtenu à des prix défiant toute concurrence.</p>
+
+<p>Ce combustible n'est autre que l'alcool, <i>alcool éthylique</i>, ou alcool
+de bouche.</p>
+
+<p>La source à peu près unique de l'alcool est la fermentation de liquides
+sucrés sous l'action de la levure. Or, les divers sucres proviennent
+soit directement des végétaux, soit indirectement de la transformation
+des matières amylacées.</p>
+
+<p>La première condition pour obtenir de l'alcool à bon marché est par
+suite de fabriquer le sucre au prix le plus bas possible, avec des
+matières de prix minime. Or, depuis quelques années, on s'est mis à
+fabriquer le sucre, c'est-à-dire l'alcool, en utilisant soit les résidus
+des fabriques de pâtes de bois, soit la sciure de bois elle-même.</p>
+
+<p>Dans la fabrication de la pâte à papier au sulfite, chaque tonne de bois
+laisse comme résidu dix tonnes de lessives contenant environ la moitié
+du bois traité et renfermant assez de sucre pour produire 70 à 80 litres
+d'alcool. Il suffit de neutraliser le liquide à la chaux, de le faire
+fermenter trois ou quatre jours et de distiller. On obtient ainsi un
+alcool impur, impropre à la consommation et qui n'en est que meilleur au
+point de vue industriel, car il se trouve dénaturé <i>automatiquement</i> par
+la proportion assez élevée de méthylène qu'il renferme. Le méthylène (ou
+<i>alcool de bois</i>) est, en effet, le dénaturant actuel adopté par l'État.</p>
+
+<p>Les usines suédoises qui utilisent ce procédé de fabrication depuis
+environ quatre ans peuvent fournir annuellement 300.000 hectolitres
+d'alcool (chiffre qui dépasse la consommation intérieure). Le prix de
+revient est d'environ 10 francs pour l'hectolitre d'alcool à 90 degrés.</p>
+
+<p>Dans le second procédé de fabrication utilisé surtout aux États-Unis et
+introduit depuis peu en France, on emploie exclusivement la sciure de
+bois traitée à chaud par les acides. Or, une tonne de sciure de bois qui
+peut fournir 90 litres d'alcool ne coûte guère que 2 francs à 2 fr. 50
+dans les pays où il existe des scieries mécaniques. Le coût de la
+fabrication proprement dite étant sensiblement équivalent à celui de la
+fabrication de l'alcool de grains, la différence des prix de l'alcool
+résultera de la différence des prix de la matière première (sciure de
+bois ou blé indien). On voit quelle peut être, au point de vue
+économique, la supériorité de l'alcool de sciure de bois, étant donné
+surtout que cet alcool est en quelque sorte dénaturé de naissance.</p>
+
+<p class="rig"><span class="sc">Pour découvrir les alcaloïdes dans l'organisme.</span></p><br><br>
+
+<p>On a souvent besoin de savoir si un liquide de l'organisme ne renferme
+pas un alcaloïde thérapeutique, comme la cocaïne, la morphine, la
+caféine, ou criminel comme tel ou tel poison végétal. L'analyse chimique
+n'est guère possible quand la quantité de liquide dont on dispose est
+faible: aussi est-il intéressant de savoir qu'une autre méthode existe,
+très sensible, et permettant de démontrer l'existence de quantités
+infinitésimales d'alcaloïde.</p>
+
+<p>Elle a été signalée à l'Académie des sciences par MM. M. Gompel et
+Victor Henri, qui ont trouvé que le spectre d'absorption des rayons
+ultra-violets est caractéristique pour chaque alcaloïde examiné
+jusqu'ici. Cette méthode spectroscopique est extrêmement sensible: il
+suffit, en effet, que dans le liquide à examiner il y ait un deux cent
+millième de gramme de cocaïne par centimètre cube pour pouvoir retrouver
+et doser ce poison.</p>
+
+<p>Si la méthode est aussi efficace en ce qui concerne les alcaloïdes
+susceptibles d'être employés dans un but criminel, les empoisonneurs
+n'auront qu'à se bien tenir.</p>
+
+<p class="rig"><span class="sc">Les balles anesthésiques</span>.</p><br><br>
+
+<p>Un Américain, M. A.-E. Humphrey, jugeant avec raison que ce que l'on
+demande à une balle, soit à la guerre soit à la chasse, c'est seulement
+de mettre hors de combat, et non de faire souffrir, vient de lancer
+l'idée de la balle anesthésique, ou narcotique, de la balle qui apporte
+en même temps la fracture, ou la lésion, et l'anesthésique empêchant de
+la sentir.</p>
+
+<p>La méthode est simple: dans de petites cavités de la pointe de la balle
+blindée, l'inventeur met un peu de morphine (à l'état de sel solide).
+Celle-ci ne diminue en rien l'efficacité du projectile; elle ne change
+rien à son pouvoir destructeur.</p>
+
+<p>Mais elle détermine l'anesthésie, chez l'homme ou la bête. Et le blessé
+s'endort tranquillement, dit l'inventeur... En théorie, cela marche à
+merveille, et la balle de M. Humphrey a bien tout l'air d'un «ange de
+miséricorde». Les chasseurs l'apprécieront: qu'un lion ou un éléphant
+soit blessé à une partie vitale, ou bien de façon insignifiante, il leur
+sera toujours acquis, puisque toute blessure doit endormir l'animal, et
+permettre de l'achever sans danger. Mais il faudra une dose de morphine
+sérieuse pour un éléphant.</p>
+
+<p class="rig"><span class="sc">A Propos du Daïkon.</span></p><br><br>
+
+<p>Nous signalions récemment un radis géant, originaire du Japon, le
+daïkon, cultivé aux environs de Paris par M. de Notter.</p>
+
+<p>Un de nos lecteurs nous fait remarquer que ce légume a été introduit en
+France par M. Paillieux et son collaborateur M. D. Bois, assistant au
+Muséum, à qui nous devons l'importation et la vulgarisation du crosne du
+Japon.</p>
+
+<p>MM. Paillieux et Bois ont consacré aux diverses variétés du daïkon tout
+un chapitre de leur <span class="sc">Potager d'un curieux</span>, dont la Librairie agricole de
+la maison rustique a publié la troisième édition il y a une dizaine
+d'années. Ils ont eux-mêmes cultivé le radis japonais, et, à la suite de
+leurs premières expériences, la graine de daïkon figura dans le
+catalogue de la maison Vilmorin, en 1891. Elle en fut retirée en 1904,
+les essais de culture effectués au cours d'une dizaine d'années ayant
+donné des résultats médiocres.</p>
+
+<br><br>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/020a.png"><br><b>
+Vue panoramique de l'usine de dynamite de Paulilles: les
+nº 1 et 2 indiquent les bâtiments qui ont sauté.</b>--<i>Phot. F. Menozzi.</i><br>
+<span class="sml"> 1.
+Casemates et pavillon de la nouvelle dynamiterie.--2. Ancienne
+dynamiterie.--3. Château d'eau.--4. Forge, machine à vapeur, séchoir,
+ateliers divers.--5. Maisons ouvrières, laboratoire. 6. Bâtiments des
+mélangeurs.--7. Magasins à nitrate.--8. Fabrique d'acide nitrique.--9.
+Magasins divers.--10. Écuries.--11. Direction.--12. Conciergerie et
+bureaux.</span></p>
+
+<h3>L'EXPLOSION D'UNE DYNAMITERIE</h3>
+
+<p>Il y a quelques jours, le 29 mai dernier, vers 7 h. 15 du matin, une
+formidable explosion anéantissait plusieurs des bâtiments de l'usine de
+dynamite de Paulilles, à 3 kilomètres de Port-Vendres, et faisait de
+nombreuses victimes, dont six morts et une vingtaine de blessés.</p>
+
+<p>Une première explosion, dont les causes n'ont encore pu être nettement
+établies, s'est produite dans la dynamiterie proprement dite, â
+l'atelier où l'on traite la glycérine à l'aide des acides afin de la
+nitrer. Elle fut suivie de plusieurs autres, qui firent sauter
+successivement les ateliers de filtrage et de pétrissage.</p>
+
+<p>Ces détonations étaient entendues à 30 kilomètres à la ronde, tandis que
+les alentours étaient ravagés par une véritable pluie de mitraille.
+Parmi les malheureux ouvriers qui n'avaient pas eu le temps de fuir,
+plusieurs furent littéralement déchiquetés. L'agent de l'État, M.
+Jouvena, qui se trouvait dans la partie sinistrée, fut découvert dans
+les décombres, parmi les morts.</p>
+
+<p>Les premiers secours avaient été organisés par le personnel de l'usine,
+dont les autres bâtiments, très espacés, n'ont pas souffert, par des
+habitants de Port-Vendres, ayant à leur tête le maire, et par les
+infirmiers de la 16e section, casernée à Port-Vendres. Longtemps flotta
+au-dessus des bâtiments sinistrés un panache de fumée noire dont la
+photographie, prise aussitôt après l'explosion, à bord du vapeur Roland,
+du laboratoire zoologique de Banyuls, par M. Albert Valat, et
+communiquée par M. Jean Arlaud, nous donne l'immédiate vision.</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/020b.png"><br><b>L'explosion de la dynamiterie de Paulilles, vue de la<br>
+mer. <i>Phot. prise à bord du yacht</i> Roland <i>devant Port-Vendres</i>.</b></p>
+
+<h3>UN GRAND MATCH DE BOXE</h3>
+
+
+<p>Dimanche dernier, Georges Carpentier, notre boxeur national, qui déjà, en
+moins de deux années, s'est attribué trois championnats d'Europe--poids
+mi-moyen, poids moyen et poids mi-lourd--par ses victoires successives
+sur Young Josephs, Jim Sullivan et Bandsmann Rice, a triomphé de
+Bombardier Wells, champion professionnel poids lourds d'Angleterre, en
+une rencontre sensationnelle, dont le théâtre fut la salle des Fêtes de
+l'exposition de Gand.</p>
+
+<p class="rig"><img alt="" src="images/020c.png"><br><b>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Le champion de boxe Georges<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; Carpentier<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;chez lui en tenue de soirée.</b></p>
+
+<p>Ce match, où devaient s'affronter deux adversaires redoutables, était de
+ceux qui, passionnant pour les habitués des <i>rings</i>, excitent l'intérêt
+même des profanes, familiarisés désormais avec les termes d'un réalisme
+si pittoresque propres au jeu des pugilistes. Il mettait aux prises deux
+hommes de taille, de poids et d'âge différents, et cette inégalité, tout
+à l'avantage du boxeur anglais, contribuait à rendre émouvant le
+spectacle de leur lutte: Carpentier, plus jeune que Bombardier Wells
+--il n'a que dix-neuf ans et quatre mois--plus petit et moins lourd
+l'emporta par sa science, la rapidité de son attaque, son sang-froid,
+et, si l'on peut dire, le merveilleux équilibre de ses forces.</p>
+
+<p>Le combat fut bref, violent, et provoqua tour à tour, chez les partisans
+des deux champions, des alternatives de découragement et d'espoir.
+Durant les deux premières reprises, Carpentier, durement atteint à la
+face et jeté à terre, mais ripostant pourtant avec énergie, parut dominé
+par Wells, dont l'offensive puissante semblait irrésistible. Le
+troisième round changea brusquement le sort de la bataille: Carpentier,
+renonçant à frapper à distance, se mit à «travailler» dans le corps à
+corps, et ce furent toute une série de foudroyants «directs» et de
+«crochets» vigoureux, qui se terminèrent par l'écrasement de l'Anglais,
+«knock out» à la quatrième reprise,--cependant que la foule acclamait
+follement son favori, aux sons de <i>la Marseillaise.</i></p>
+
+<p>La physionomie de Georges Carpentier boxeur a été popularisée par
+l'affiche, et nous l'avons d'ailleurs reproduite ici même, lors d'un
+match précédent. La photographie que nous publions aujourd'hui montre
+que le célèbre champion, le jeune Lensois destiné naguère aux travaux de
+la mine, sait porter avec élégance, en ses loisirs d'homme du monde, le
+frac impeccable.</p>
+
+<br><br>
+
+<h3>LES THÉÂTRES</h3>
+
+<p>La délicieuse comédie de M. Georges Feydeau, <i>le Bourgeon</i>, vient d'être
+reprise au théâtre de l'Athénée. Cette pièce, qui est l'une des plus
+adroitement composées et des plus finement écrites de cet auteur, a
+retrouvé tout le succès qui l'accueillit à ses débuts. Ses audaces, ses
+ironies, son émotion n'en sont pas émoussées. M. André Brûlé, dans le
+rôle qu'il créa, s'est fait applaudir comme naguère et, près de lui,
+Mmes Marie-Laure, Madeleine Carlier, Cécile Caron, Jane Renouardt, MM.
+Dubosc, Guyon fils et Gallet, contribuent de tout leur talent à l'éclat
+de cette reprise dont les représentations paraissent assurées pour
+longtemps.</p>
+
+<p>M. Georges Feydeau va, d'autre part, selon toute vraisemblance, tenir
+l'affiche du théâtre des Variétés durant de nombreux soirs. On vient d'y
+reprendre son vaudeville célèbre: <i>la Dame de chez Maxim</i>, dont le
+succès date de 1899. Cette pièce aux situations enchaînées avec la plus
+bouffonne logique, avec ses personnages si vigoureusement caricaturés,
+passe à bon droit pour le chef-d'oeuvre du genre. Après avoir fait
+plusieurs fois le tour du monde elle nous revient sans rides. Le
+boulevard a cru rajeunir à la retrouver; il lui a fait un accueil
+enthousiaste. La môme Crevette, que créa Cassive, a rencontré en Mlle
+Ève Lavallière une nouvelle interprète tout à fait remarquable. Les
+autres rôles sont également tenus par des artistes de tout premier
+ordre, tels que Mme Marie Magnier. MM. Félix Galipaux, Colombey,
+Flateau, etc..</p>
+
+<p>Cet été s'annonce comme favorable aux «reprises» théâtrales. <i>Le
+Poulailler</i>, comédie en trois actes de M. Tristan Bernard, affronta les
+feux de la rampe pour la première fois, le 3 décembre 1908 au théâtre
+Michel, et la critique ne lui ménagea pas ses éloges. <i>L'Illustration
+Théâtrale</i> la publia le 16 janvier suivant et ce numéro est, depuis
+longtemps épuisé. Mais le succès de l'oeuvre ne l'est pas. L'expérience
+vient d'en être faite avec bonheur à la Comédie des Champs-Elysées.
+Cette pièce, de bonne humeur spirituelle, facétieuse et philosophique
+tout à la fois, n'a pas moins plu aujourd'hui qu'au jour de sa création.
+Il est donc permis de prophétiser à nouveau une longue carrière au
+<i>Poulailler</i>.</p>
+
+<p>Au théâtre de l'Ambigu-Comique, reprise, avec un succès qui ne saurait
+surprendre, de la noble pièce tirée par M. Edmond Haraucourt du roman
+alsacien de M. René Bazin: <i>les Oberlé</i>. Et, de nouveau, et à quelle
+heure opportune--tandis qu'au Reichstag se discutent les lois
+d'exception contre l'Alsace-Lorraine--le public s'est ému au spectacle,
+si fortement évoqué, de cette lutte qui continue en terre d'Alsace, entre
+deux rares, deux civilisations, l'une conquérante, avide, impatiente,
+l'autre conquise mais point domptée et rebelle, avec intransigeance, à
+l'absorption totale.</p>
+
+<p>Au théâtre Antoine, M. Lugné-Poe a porté la légende dramatique de M.
+Édouard Dujardin: <i>Marthe et Marie</i>. du répertoire de l'Oeuvre. Cette
+pièce relève du genre symboliste dont son auteur fut l'un des premiers
+adeptes. Mais le symbole, qui, jadis, demeurait hermétique, s'y est fait
+plus compréhensible. Néanmoins, les personnages n'atteignent pas encore
+à cette vérité humaine de gestes et d'accents qui émeut pleinement un
+auditoire. Marthe et Marie sont deux soeurs; l'une est simple et
+raisonnable, l'autre chimérique et romanesque. Elles font tour à tour la
+joie et le désespoir d'un homme. L'action se déroule au temps des
+Médicis dans un cadre pittoresque. Cette aventure morale--car elle
+démontre que le bonheur est dans la vie ordonnée et non dans le rêve
+impossible--a pour interprètes les bons artistes de l'Oeuvre.</p>
+
+<p><i>La Jeunesse dorée!</i> Voici une opérette qui n'arrive pas de l'étranger.
+Elle est spirituelle, alerte, frondeuse. A ces qualités, on la
+reconnaîtra bien française... et parisienne aussi. Elle évoque les
+dandies de 1830 et les rats d'opéra du temps où le docteur Véron
+présidait aux destinées de l'Académie de musique rue Le Peletier. C'est
+une histoire d'amour et de coulisses sans sous-entendus grossiers. Le
+texte de MM. Verne et Faure est correct. La musique de M. Marcel Lattes,
+gracieuse, comique ou tendre, est agréable. Ce spectacle, fort bien mis
+en scène et soutenu par une interprétation de choix, est le succès
+actuel du théâtre de l'Apollo.</p>
+
+<p>Le Gymnase abrite en ce moment la compagnie d'artistes du Théâtre
+National polonais de Léopol qui, sous la direction de M. Louis Heller,
+vient donner à Paris une série de neuf représentations de pièces
+polonaises. Le premier de ces spectacles, <i>le Cercle enchanté</i>, de M.
+Lucien Rydel, est un conte dramatique pathétique et vivant, d'un intense
+coloris et d'une réelle puissance d'expression, dont le public parisien
+a paru goûter le charme exotique.</p>
+<br><br>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/021small.png"><br><a href="images/021large.png">(Agrandissement)</a></p>
+
+<br><br>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/supp01.png"><br>
+Note du transcripteur: Les suppléments mentionnés<br> en titre ne nous ont pas été fournis
+
+<br><br>
+</div>
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+<pre>
+
+
+
+
+
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+Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this agreement
+and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic
+works. See paragraph 1.E below.
+
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+or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project
+Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual works in the
+collection are in the public domain in the United States. If an
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+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
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+including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
+because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
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+
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+assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
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+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
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+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at https://www.pglaf.org.
+
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
+https://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
+permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
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+throughout numerous locations. Its business office is located at
+809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
+business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
+information can be found at the Foundation's web site and official
+page at https://pglaf.org
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+ Dr. Gregory B. Newby
+ Chief Executive and Director
+ gbnewby@pglaf.org
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+
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+Literary Archive Foundation
+
+Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
+spread public support and donations to carry out its mission of
+increasing the number of public domain and licensed works that can be
+freely distributed in machine readable form accessible by the widest
+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
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+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
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+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
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+approach us with offers to donate.
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+any statements concerning tax treatment of donations received from
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+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including including checks, online payments and credit card
+donations. To donate, please visit: https://pglaf.org/donate
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+Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
+works.
+
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+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
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+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
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+
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+including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
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+
+</pre>
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Binary files differ
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Binary files differ
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Binary files differ
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Binary files differ
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Binary files differ
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Binary files differ
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Binary files differ
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Binary files differ
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Binary files differ
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Binary files differ
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Binary files differ
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Binary files differ
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Binary files differ
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Binary files differ
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Binary files differ
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Binary files differ
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Binary files differ
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Binary files differ
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Binary files differ
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Binary files differ
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Binary files differ
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Binary files differ
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Binary files differ
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Binary files differ
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Binary files differ
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Binary files differ
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Binary files differ
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Binary files differ
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Binary files differ
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